tag:theconversation.com,2011:/au/topics/education-20601/articleséducation – The Conversation2024-02-26T12:23:15Ztag:theconversation.com,2011:article/2242752024-02-26T12:23:15Z2024-02-26T12:23:15ZApprentissage bilingue : leçons de l'Afrique de l'Ouest sur ce qui marche le mieux<p>Les enfants vivant dans des communautés multilingues apprennent souvent à l'école une langue qui ne correspond pas à celle qu'ils parlent à la maison. Ce décalage les empêche de participer aux discussions en classe et d'apprendre à lire. Il en découle des résultats d'apprentissage médiocres, des redoublements et des abandons scolaires.</p>
<p>Les programmes d'éducation bilingue qui incluent les langues maternelles sont de plus en plus populaires pour améliorer les résultats scolaires. L'éducation bilingue est associée à de meilleures <a href="https://doi.org/10.1017/S1366728908003386">compétences linguistiques et d'alphabétisation</a>, à une réduction des redoublements et des taux d'abandon scolaire dans le <a href="https://hdl.handle.net/10986/10331">monde entier</a>. L'intégration des langues maternelles dans l'éducation valorise également les identités culturelles des enfants, améliorant la confiance, <a href="https://doi.org/10.1080/09500789808666737">l'estime de soi</a> et <a href="https://doi.org/10.1007/s11159-012-9308-2">l'apprentissage</a>. </p>
<p>Mais le simple fait de dispenser un enseignement bilingue ne garantit pas de meilleurs résultats scolaire. C'est la conclusion d'un récent <a href="https://doi.org/10.1080/13670050.2023.2290482">article</a> que nous avons publié et dans lequel nous avons examiné les programmes bilingues dans six pays francophones d'Afrique de l'Ouest : Niger, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Côte d'Ivoire et Cameroun. </p>
<p>Nous avons trouvé des résultats mitigés, entre les pays et les programmes et au sein de ceux-ci.</p>
<p>Nous avons identifié deux séries de facteurs qui limitent ou contribuent à la qualité de l'enseignement bilingue. Il s'agit de :</p>
<ul>
<li><p>des facteurs de mise en œuvre, tels que la formation des enseignants et les ressources disponibles dans les salles de classe;</p></li>
<li><p>des facteurs socioculturels, tels que la perception des langues maternelles dans l'éducation.</p></li>
</ul>
<p>Nos résultats soulignent la nécessité de prendre en compte le contexte local lors de l'application des programmes d'éducation bilingue. </p>
<h2>L'éducation bilingue en Afrique de l'Ouest francophone</h2>
<p>Notre équipe a mené des recherches en Côte d'Ivoire de 2016 à 2018. Nous avons mesuré les compétences linguistiques et de lecture des enfants dans leur langue maternelle et en français, et comparé les résultats entre les enfants scolarisés dans des écoles francophones ou bilingues du Projet École Intégrée. </p>
<p>Les enfants des écoles francophones ont obtenu de meilleurs résultats que leurs camarades des écoles bilingues dans les <a href="https://doi.org/10.1037/edu0000723">évaluations de la langue et de la lecture</a>. Les enseignants ont révélé qu'ils disposaient de meilleures ressources pédagogiques et qu'ils se sentaient mieux préparés dans les écoles francophones. </p>
<p>Nous avons voulu savoir si les programmes d'éducation bilingue dans d'autres pays francophones de la région avaient connu des expériences similaires. En 2022, nous avons recherché dans les bases de données universitaires la littérature en anglais et en français qui traitait de la mise en œuvre des programmes et mesurait les résultats de l'apprentissage et de la scolarisation dans le cadre des programmes d'éducation bilingue. Nous avons examiné neuf programmes provenant de six pays : Niger, Sénégal, Mali, Burkina Faso, Côte d'Ivoire et Cameroun. </p>
<p>Ces pays sont d'anciennes colonies ou territoires français. Le français est la langue officielle ou de travail et souvent la langue d'enseignement à l'école. Toutefois, ces pays sont très multilingues. Environ <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/niger.htm">23</a> langues vivantes sont parlées au Niger, <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/afrique/senegal.htm#:%7E:text=Groupes%20minoritaires%3A%20environ%2040%20langues,0%2C4%20%25">39</a>%2C%20etc.) au Sénégal, <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/mali-dans-un-pays-aux-70-langues-pourquoi-nen-navoir-quune-seule-officielle-1424862">68</a> au Mali, <a href="https://www.statista.com/statistics/1280625/number-of-living-languages-in-africa-by-country/">71</a> au Burkina Faso, <a href="https://www.statista.com/statistics/1280625/number-of-living-languages-in-africa-by-country/">78</a> en Côte d'Ivoire et <a href="https://www.statista.com/statistics/1280625/number-of-living-languages-in-africa-by-country/">277</a> au Cameroun. </p>
<p>Notre étude a montré que les enfants peuvent tirer profit de l'apprentissage de deux langues. Cela est vrai qu'il s'agisse de deux langues officielles, comme dans les écoles camerounaises <a href="https://doi.org/10.1007/s10993-019-09510-7">Dual Curriculum Bilingual Education (Programme d'éducation bilingue)</a> (français et anglais), ou d'une langue maternelle et du français, comme dans les <a href="https://doi.org/10.1086/447544">écoles communautaires</a> du Mali. Les enfants peuvent également en bénéficier, qu'ils soient progressivement initiés à une langue tout au long de l'école primaire ou que les deux langues soient introduites en même temps.</p>
<p>Mais le manque de ressources et l'absence de prise en compte des conditions locales ont affecté les résultats. Les programmes qui ont abouti à des résultats positifs en matière de scolarisation et d'apprentissage ont identifié et ciblé des défis communs liés à l'école et à la communauté.</p>
<h2>Formation des enseignants et ressources</h2>
<p>Un défi commun lié à l'école était que les enseignants ne disposaient pas de matériel pédagogique dans toutes les langues d'enseignement.</p>
<p>Le programme <a href="https://unesdoc.unesco.org/ark:/48223/pf0000161121">Pédagogie Convergente</a> au Mali, par exemple, a permis aux enseignants de disposer de matériel en français et dans leur langue maternelle. Les enfants ont obtenu de meilleurs résultats en français et en mathématiques. </p>
<p>Mais certains enseignants du même programme ne disposaient pas toujours de <a href="https://books.google.ca/books/about/Patterns_of_French_literacy_development.html?id=MoNnAAAAMAAJ&hl=en&redir_esc=y">matériel</a> pédagogique dans leur langue maternelle. Et certains enfants avaient des difficultés à lire et à écrire. </p>
<p>Un autre problème commun est que les enseignants ne se sentent pas préparés à enseigner dans toutes les langues, car la formation des enseignants se fait souvent dans une langue officielle, comme le français. Le <a href="https://www.adeanet.org/clearinghouse/sites/default/files/docs/interieur_11_burkina_fre.pdf">Programme d'éducation bilingue</a> au Burkina Faso, par exemple, s'est efforcé de former les enseignants dans leur langue maternelle afin qu'ils se sentent à l'aise pour suivre le programme bilingue. </p>
<p>Les enfants des écoles bilingues du Burkina Faso ont obtenu des <a href="https://doi.org/10.1080/13670050802149275">taux de réussite</a> supérieurs à la moyenne à l'examen du certificat d'études primaires, <a href="https://www.memoireonline.com/06/22/12997/m_Le-rapport-des-enseignants-aux-langues-nationales-en-tant-que-mdiums-et-matires-den.html">ont moins redoublé</a> et sont restés plus longtemps à l'école que les enfants des écoles françaises traditionnelles. </p>
<p>Ces deux exemples contrastent avec les écoles bilingues de Côte d'Ivoire, où les enseignants manquaient de matériel et de formation dans leur langue maternelle. En conséquence, les enfants ont démontré de moins bonnes compétences en langue et en lecture que leurs camarades dans les écoles uniquement françaises.</p>
<h2>Facteurs socioculturels</h2>
<p>Nous avons identifié des défis communs liés à la communauté, notamment en ce qui concerne l'adhésion de la communauté et la perception de l'enseignement dans la langue maternelle. </p>
<p>Par exemple, les familles ayant un statut socio-économique élevé craignaient que <a href="https://doi.org/10.1080/13670050208667760">les écoles expérimentales du Niger</a> n'entravent la maîtrise du français par les enfants et ne compromettent leur entrée dans l'enseignement secondaire. </p>
<p>Des programmes tels que le <a href="https://ared-edu.org/wp-content/uploads/2021/07/DC-Senegal-Workshop-Findings_04.2019-FINAL-ENG.pdf">Projet d'appui à l'éducation de qualité en langues maternelles pour l'école primaire</a> au <a href="https://doi.org/10.1080/13670050.2020.1765968">Sénégal</a> se sont efforcés de combattre les perceptions négatives en éduquant les familles sur les avantages de l'éducation bilingue. Les enfants du programme sénégalais ont obtenu de meilleurs résultats que leurs camarades des écoles françaises traditionnelles dans toutes les matières scolaires.</p>
<p>Les mêmes programmes ont parfois donné des résultats différents en fonction de la communauté. Par exemple, bien que les enfants scolarisés dans des écoles bilingues au Burkina Faso aient obtenu de bons résultats, les <a href="https://doi.org/10.1007/s11159-021-09885-y">parents</a> ont estimé que les programmes français étaient mieux adaptés pour la poursuite des études dans le secondaire. </p>
<h2>Quelles conséquences pour l'enseignement bilingue ?</h2>
<p>Notre étude a mis en évidence que les efforts visant à fournir aux enseignants les ressources dont ils ont besoin et à favoriser le soutien de la communauté ont été systématiquement associés à des résultats positifs en matière de scolarisation et d'apprentissage. </p>
<p>Toutefois, l'efficacité de ces initiatives peut varier selon les communautés, en raison de contraintes de ressources différentes et de différences socioculturelles. Les études qui ont révélé des résultats moins satisfaisants ont également identifié la présence de défis communs. Par conséquent, l'éducation bilingue peut favoriser des résultats d'apprentissage positifs si des efforts sont déployés pour surmonter les défis communs en fonction des besoins des communautés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224275/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>The authors do not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and have disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Même si ‘éducation bilingue peut améliorer les résultats d'apprentissage, il est important de tenir compte du contexte local.Kaja Jasinska, Assistant Professor, Applied Psychology and Human Development, University of TorontoMary-Claire Ball, PhD student, Developmental Psychology and Education, University of TorontoLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2241052024-02-23T11:53:16Z2024-02-23T11:53:16ZLes classements des universités sont non scientifiques et nuisent à l'éducation, selon des experts<p>Nous établissons des classements pour presque tout : les dix meilleurs restaurants à proximité, les meilleures villes à visiter, les meilleurs films à voir. Pour déterminer la validité de ces classements, il faut savoir qui en sont les auteurs et leurs objectifs. </p>
<p>Ce sont exactement les mêmes questions qu'il convient de se poser lorsqu'on examine le classement international des universités. </p>
<p>Le phénomène de classement des universités a commencé <a href="http://dx.doi.org/10.37941/PB/2023/1">il y a une vingtaine d'années</a>. Depuis, ils sont devenus omniprésents, <a href="http://www.researchcghe.org/perch/resources/publications/wp19.pdf">présumant de leur validité et de leur importance particulières</a>. Les établissements, en particulier ceux qui sont bien classés, les prennent au sérieux. Certaines consacrent du temps à la collecte des données demandées par les auteurs de classement. Les donateurs des universités les prennent au sérieux, les journalistes les vulgarisent et certains parents s'en servent pour orienter le choix d'établissement de leurs enfants. </p>
<p>Il existe <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/B9780128186305080428?via%3Dihub">une multitude de systèmes de classement des universités</a> et d'auteurs de classement. Certains systèmes de classement sont plus renommés que d'autres. Parmi les plus médiatisés et les plus influents, on trouve <a href="https://www.qs.com/">Quacquarelli Symonds (QS)</a>, <a href="https://www.timeshighereducation.com/">Times Higher Education (THE)</a>, <a href="https://www.shanghairanking.com/">Shanghai Ranking Consultancy</a> et <a href="https://www.usnews.com/education/best-global-universities/rankings">US News & World Report</a>. </p>
<p>Un <a href="https://collections.unu.edu/eserv/UNU:9299/Statement-on-Global-University-Rankings.pdf">groupe d'experts</a> s'est récemment réuni pour examiner de façon critique les systèmes de classement (j'en faisais partie). Nous avons été convoqués par <a href="https://unu.edu/iigh">l'Institut international pour la santé mondiale de l'Université des Nations unies</a>, qui a publié un <a href="https://unu.edu/press-release/rethinking-quality-unu-convened-experts-challenge-harmful-influence-global-university">communiqué de presse</a> sur le rapport.</p>
<p>Nous avons conclu, tout d'abord, que les classements posent un problème conceptuel. Il n'est pas raisonnable de mettre toutes les institutions dans le même panier et d'en tirer quelque chose d'utile. </p>
<p>Nous avons également conclu que leurs méthodologies n'étaient pas claires et que certaines d'entre elles semblaient peu fiables. Alors que nous n'accepterions pas de publier des travaux de recherche reposant sur des méthodologies médiocres, les auteurs des classements peuvent s'en tirer avec de telles méthodes peu rigoureuses. </p>
<p>Les experts ont noté que les classements étaient largement surévalués et qu'ils renforçaient les inégalités mondiales, régionales et nationales. Enfin, une trop grande attention portée aux classements empêche de réfléchir sur les systèmes éducatifs dans leur ensemble. </p>
<h2>Qui font les classements et comment</h2>
<p>Les institutions qui réalisent les classements sont des entreprises privées à but lucratif. Les agences de classement <a href="http://dx.doi.org/10.37941/PB/2023/1">gagnent de l'argent</a> de différentes manières : en récoltant des données auprès des universités qu'elles commercialisent ensuite, en vendant des espaces publicitaires, en vendant des services de conseil (aux universités et aux gouvernements) et en organisant des conférences payantes.</p>
<p>Chaque organisme de classement et chaque système de classement a une approche différente. En fin de compte, ils créent tous un indice ou un score à partir des données qu'ils collectent. Mais la manière dont ils parviennent à leurs résultats n'est pas transparente. Ils ne dévoilent pas totalement ce qu'ils mesurent et l'importance accordée à chaque composante de la mesure. </p>
<p>Par exemple, le <a href="https://www.timeshighereducation.com/">Times Higher Education</a> envoie un questionnaire aux universitaires qui sont invités à évaluer leur propre établissement ou d'autres établissements. Cette évaluation sera influencée par le nombre de personnes qui répondront, l'identité de ces personnes et leur connaissance réelle de l'institution qu'elles évaluent. </p>
<p>Il est donc facile d'obtenir un score à partir d'une telle enquête, mais est-il valable ? Reflète-t-il la réalité ? Est-il exempt de biais ? Si je travaille dans une institution particulière, est-il possible, voire probable, que je lui attribue une note élevée ? Ou, si je suis insatisfait dans cette institution, il se peut je lui donne une mauvaise note. Dans les deux cas, ce n'est pas une évaluation fiable de la réalité. </p>
<p>Les institutions de classement utilisent d'autres mesures qui peuvent être considérées comme plus objectives. Par exemple, ils examinent les publications produites par les universités. </p>
<p>Tout d'abord, de nombreuses recherches ont montré que ce qui est publié est <a href="https://www.nature.com/articles/d4158s6-023-01457-4">biaisé</a>. En outre, si l'on y regarde de plus près, les institutions de classement accordent plus d'attention à certains types de recherche - science, technologie, ingénierie et mathématiques. Elles n'évaluent pas tout et n'évaluent pas tout de la même manière et ne divulguent pas aux institutions classées comment elles ont pondéré les critères retenus. </p>
<h2>Pourquoi s'en préoccuper ?</h2>
<p>Les universités ont de multiples responsabilités dans la société. En outre, les universités reçoivent beaucoup d'argent public. Nous, le public, devrions nous soucier de la manière dont cet argent est dépensé. </p>
<p>Que se passe-t-il si une université délivre des diplômes à un grand nombre d'étudiants qui remplissent des fonctions importantes dans la société, comme les personnels des écoles, des hôpitaux et de la fonction publique et qui sont compétents dans leur travail ? On dira que c'est une bonne université qui remplit une fonction sociale importante. Tout porte à croire également que l'argent du contribuable a été utilisé à bon escient. </p>
<p>Qu'en est-il si une autre université effectue des recherches qui débouchent sur de bonnes politiques publiques, qui aident les gouvernements à mettre en œuvre des programmes visant à réduire le chômage chez les jeunes ou la criminalité ? Il s'agit là d'une bonne université. </p>
<p>Les deux établissements peuvent ne pas avoir un classement élevé. Dans ce cas, il est difficile de dire que ce ne sont pas de bonnes universités. </p>
<p>Les systèmes de classement unique ne servent pas la société. S'ils sont pris trop au sérieux, s'ils sont autorisés à influencer le système d'enseignement supérieur, les classements peuvent nuire à ce que le système d'enseignement supérieur devrait faire, c'est-à-dire contribuer à une meilleure société. </p>
<p>Une trop grande importance accordée à ces classements empêche de réfléchir sur les systèmes éducatifs dans leur ensemble. Il y a tellement de questions importantes à poser sur un système d'enseignement supérieur.</p>
<p>Les questions qui devraient être prioritaires sont les suivantes :</p>
<ul>
<li><p>Est-ce que notre palette d'institutions d'enseignement supérieur est adéquate et cohérente ? </p></li>
<li><p>Nos institutions de recherche produisent-elles suffisamment de travaux de recherche de haute qualité susceptibles de contribuer à notre développement en tant que nation ou région ?</p></li>
<li><p>Produisent-elles suffisamment de diplômés de master ou de doctorat pour doter en personnel d'autres établissements d'enseignement supérieur (ainsi que d'autres secteurs de la société) ? </p></li>
</ul>
<p>Les classements détournent les universités de ces tâches essentielles. L'obsession du classement crée des incitations perverses à agir pour améliorer un classement plutôt que de s'atteler au travail utile des universités.</p>
<h2>Que faire ?</h2>
<p>Nous devons tous comprendre que les classements ne sont ni objectifs ni véridiques. Les entreprises motivées par le profit orienteront inévitablement les systèmes de classement vers la réalisation de profits supplémentaires plutôt que vers l'intérêt public et les fonctions sociales des universités. </p>
<p>Les institutions de classement doivent être totalement transparentes afin que nous puissions évaluer l'utilité et la validité de leurs informations, ainsi que la manière dont les classements qu'ils produisent peuvent être utilisés. De plus, elles doivent reconnaître leur conflit d'intérêt inhérent.</p>
<p>Une fois que nous aurons compris la nature des classements, ainsi que leurs limites, nous accorderons moins d'importance à leurs rapports. Cela devrait nous encourager à refuser de nous conformer à leurs règles.</p>
<p>Nous devons comprendre comment la manière dont les universités sont classées renforce une vision (incorrecte ou incomplète) du monde selon laquelle tout ce qui est de grande valeur est occidental et anglophone. Les institutions qui prétendent s'intéresser au projet de décolonisation devraient être incitées à renoncer à être classées.</p>
<p>Il convient de rappeler que les classements n'ont pas toujours existé. Et ils n'ont pas à continuer d'exister. Et ne devraient pas l'être sous la forme qu'ils revêtent aujourd'hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224105/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sharon Fonn travaille à l'université de Witwatersrand, à Johannesburg, en Afrique du Sud, et à l'université de Göteborg, en Suède. Elle est l'une des fondatrices et la codirectrice de CARTA. CARTA est dirigé conjointement par le Centre de recherche sur la population et la santé en Afrique et l'Université de Witwatersrand et financé par la Carnegie Corporation of New York (subvention n° G-19-57145), l'Agence suédoise de coopération internationale au développement (ASDI) et l'Agence suédoise de coopération internationale en matière de santé. G-19-57145, Sida Grant No:16604, Uppsala Monitoring Center, Norwegian Agency for Development Cooperation Norad, et par la Science for Africa Foundation pour le programme Developing Excellence in Leadership, Training and Science in Africa DELTAS Africa Del-22-006 avec le soutien du Wellcome Trust et du Foreign, Commonwealth & Development Office du Royaume-Uni et fait partie du programme EDCPT2 soutenu par l'Union européenne. Les déclarations et les points de vue exprimés relèvent de la seule responsabilité de l'auteur.</span></em></p>Nous devons tous réaliser que les classements universitaires ne sont ni objectifs ni véridiques. Ils sont largement surestimés et renforcent les inégalités aux niveaux mondial, régional et national.Sharon Fonn, Professor, School of Public Health, University of Gothenburg Sweden, University of the WitwatersrandLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2215572024-02-14T16:43:20Z2024-02-14T16:43:20ZPour pallier la pénurie d’enseignants, il faut multiplier les formations plus courtes et mieux adaptées<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/575401/original/file-20240213-20-t0qy3m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C10847%2C5358&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des formations accélérées pour la main-d'oeuvre non qualifiée dans les écoles pourraient pallier à la pénurie d'enseignants et enseignantes.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Le Québec connaît une pénurie enseignante sans précédent. Afin de pourvoir des postes qui demeurent vacants, les milieux scolaires font massivement appel à des personnes non légalement qualifiées (NLQ) ne détenant pas de brevet d’enseignement. </p>
<p>Plus du quart des enseignants qui ont travaillé au cours de l’année 2020-2021 étaient non légalement qualifiés, selon les plus récentes données du ministère de l’Éducation et du <a href="https://www.vgq.qc.ca/Fichiers/Publications/rapport-annuel/203/03_vgq_ch3_mai2023_web_vf.pdf">Vérificateur général du Québec</a>. Rien n’indique que les choses se sont améliorées depuis, bien au contraire. « Il s’agit de plus de 30 000 enseignants, principalement des suppléants, qui ont travaillé l’équivalent de 8,3 % des jours totaux travaillés par l’ensemble des enseignants. »</p>
<p>La <a href="https://www.ledevoir.com/societe/education/791901/education-les-inscriptions-sont-en-baisse-dans-les-universites-quebecoises?">baisse des admissions dans les programmes de formation des maitres</a> et l’<a href="https://www.journaldequebec.com/2022/09/19/plus-de-40-des-profs-a-la-retraite-dici-2030">accélération des départs à la retraite des enseignants expérimentés d’ici 2030</a> risquent de rendre cette pénurie encore plus critique. </p>
<p>Face à cette situation, le <a href="https://www.cse.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2023/11/50-0807-SO-acces-profession-enseignante.pdf">Conseil supérieur de l’éducation (CSE)</a> a pris position en novembre 2023, reconnaissant les enseignants non légalement qualifiés comme une ressource essentielle. « Le Québec dispose d’un bassin de personnes susceptibles de changer de carrière ou de régulariser leur situation pour enseigner. »</p>
<p>Toutefois, afin d’assurer la qualité de l’enseignement offert aux élèves, il est essentiel de former adéquatement ces enseignants. <a href="https://r-libre.teluq.ca/2922/">Dans une enquête publiée récemment par deux chercheuses de l’Université TÉLUQ</a>, sur les enseignants non légalement qualifiés au Québec, 84 % des répondants ont indiqué souhaiter suivre une formation qui les conduirait au brevet. </p>
<p>Quel genre de formation est souhaitable et surtout, réaliste ? En tant que professeurs chercheurs en enseignement à l’université TÉLUQ, oeuvrant en formation continue des enseignants, c’est à cette question que nous allons tenter de répondre dans cet article. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enseignants-non-legalement-qualifies-dans-nos-ecoles-au-dela-des-inquietudes-quelles-solutions-172591">Enseignants non légalement qualifiés dans nos écoles : au-delà des inquiétudes, quelles solutions ?</a>
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<h2>Des formations offertes par des universités</h2>
<p><a href="https://www.lapresse.ca/actualites/education/2024-01-05/programmes-courts-pour-le-brevet-d-enseignement/il-y-a-de-la-resistance-au-changement-dit-le-cabinet-de-drainville.php">Quelques universités</a> ont pris l’initiative de développer des formations adaptées, en réponse à la demande du ministre de l’Éducation d’élaborer des programmes courts menant au brevet d’enseignement. </p>
<p>L’Université de Sherbrooke a mis en place le <a href="https://www.usherbrooke.ca/vfc-education/programmes/parcours-prof">parcours PROF</a> au premier cycle. L’UQAM expérimente quant à elle un diplôme d’études supérieures spécialisées (DESS) dans le cadre d’un <a href="https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/une-nouvelle-formation-en-enseignement-primaire-pour-luniversite-du-quebec-a-montreal-49042">projet pilote pour l’enseignement primaire</a>, tandis que l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) propose une <a href="https://www.uqat.ca/etudes/education/dess-qualifiant-en-enseignement-secondaire/">formation similaire axée sur l’enseignement au secondaire</a>. </p>
<p>De son côté, l’Université TÉLUQ a développé un <a href="https://www.teluq.ca/site/etudes/offre/prog/diplome-d-etudes-superieures-specialisees-en-education-prescolaire-et-en-enseignement-primaire/">DESS en éducation préscolaire et enseignement primaire</a> spécialement conçu pour accélérer la formation de mise à niveau des enseignants NLQ. Ce programme, offert à distance et en collaboration avec les établissements scolaires, est particulièrement adapté aux enseignants sans brevet détenant un baccalauréat dans une discipline pertinente. Le parcours, offert à temps partiel, permet de concilier travail, études et vie personnelle. </p>
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<img alt="Une jeune femme devant un écran d’ordinateur, un livre à la main" src="https://images.theconversation.com/files/575402/original/file-20240213-18-9pyxs8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/575402/original/file-20240213-18-9pyxs8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/575402/original/file-20240213-18-9pyxs8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/575402/original/file-20240213-18-9pyxs8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/575402/original/file-20240213-18-9pyxs8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/575402/original/file-20240213-18-9pyxs8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/575402/original/file-20240213-18-9pyxs8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La plupart des formations destinées aux enseignants non légalement qualifiés se font en ligne, ce qui leur permet de mieux concilier leurs obligations professionnelles et familiales.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>Depuis sa mise en œuvre en 2019, ce programme de 30 crédits de deuxième cycle a permis à des centaines d’enseignants d’une cinquantaine de centres de services scolaires de bénéficier d’un accompagnement personnalisé et d’une formation adaptée à leur contexte professionnel. </p>
<h2>Les formations de courte durée sont mieux adaptées</h2>
<p>Ces programmes ont tous en commun d’être d’une durée plus courte que le baccalauréat en enseignement traditionnellement enseigné dans les universités québécoises.</p>
<p>Les diplômés de ces nouveaux programmes pourront ainsi obtenir leur brevet d’enseignement à la suite d’un amendement au projet de loi 23 sur la gouvernance en éducation, adopté en décembre 2023. </p>
<p><a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2046104/programmes-courts-enseignement-quebec-stage">Cette situation en préoccupe plusieurs dans le milieu de l’enseignement</a>, dont l’Association des doyens et directeurs pour l’étude et la recherche en éducation au Québec (ADEREQ). On estime que ces programmes n’ont jamais été évalués avant d’être reconnus officiellement par le gouvernement. Il y a aussi des remous politiques : selon la députée solidaire Ruba Ghazal, on ne peut résoudre la pénurie de main-d’œuvre « en ignorant tous les mécanismes qui existent ».</p>
<p>Nous estimons de notre côté que des arguments majeurs militent en faveur de ces formations de courte durée. </p>
<p>D’une part, elles répondent aux besoins spécifiques des adultes, offrant reconnaissance des acquis, flexibilité et soutien nécessaire à ceux qui jonglent entre diverses responsabilités. Selon le <a href="https://www.cse.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2023/11/50-0807-RF-acces-profession-enseignante.pdf">CSE</a>, les programmes de baccalauréat et de maîtrise qualifiante ne répondent pas aux besoins de formation d’adultes, « notamment en matière de reconnaissance des acquis et des compétences ainsi que d’accommodements pour la conciliation travail-famille-études ».</p>
<p>D’autre part, les données de recherche sont encourageantes. En effet, des <a href="https://www.researchwithrutgers.com/en/publications/traditional-vs-alternative-teacher-preparation-programs-a-meta-an">chercheurs américains</a> ont comparé, grâce à une méta-analyse de 12 études réalisées entre 1998 et 2015, les résultats des élèves encadrés par des enseignants ayant suivi une formation alternative de courte durée, à ceux d’enseignants ayant complété une formation traditionnelle de plus longue durée.</p>
<p>Les résultats montrent globalement un effet positif et significatif des formations alternatives comparativement aux formations traditionnelles en enseignement. Ces données positives ont été reconfirmées <a href="https://caldercenter.org/sites/default/files/CALDER%20WP%20277-0123.pdf">par une étude américaine publiée en 2023</a> dans laquelle les effets du programme alternatif <a href="https://www.teachforamerica.org">Teach for America (TFA)</a> ont été analysés sur une période de plus de 10 ans. TFA est un organisme à but non lucratif qui offre une formation abrégée à de futurs enseignants qui s’engagent ensuite à œuvrer dans des écoles de milieux défavorisés. </p>
<h2>De meilleurs résultats pour les élèves</h2>
<p>Avec la collaboration du Bureau de statistiques et d’imputabilité du Centre de services scolaire (CSS) Marguerite-Bourgeoys, nous avons analysé les performances des élèves encadrés par des enseignants du DESS en éducation préscolaire et enseignement primaire de l’Université TÉLUQ au cours de l’année 2022-2023. </p>
<p>Avant même d’avoir complété leur formation, une majorité de ces enseignants ont conduit leurs élèves à de meilleurs résultats scolaires par rapport à leurs homologues qualifiés. En effet, près des deux tiers (64 %) de leurs élèves ont obtenu des notes de fin d’année supérieures en français et 57 % en mathématiques, comparativement à celles des élèves de même niveau et du même <a href="https://www.education.gouv.qc.ca/references/indicateurs-et-statistiques/indices-de-defavorisation/#:%7E:text=L%27IMSE%20est%20constitu%C3%A9%20de,r%C3%A9f%C3%A9rence%20du%20recensement%20canadien%20">indice de milieu socioéconomique</a> qui sont suivis par des enseignants détenant un brevet. </p>
<p>Bien que ces données soient préliminaires et issues d’un échantillon limité (14 enseignants étudiants), ces résultats vont dans le même sens que les données probantes obtenues par les études anglo-saxonnes. </p>
<p>Dans le contexte de pénurie qui prévaut actuellement, le Québec ne peut que se réjouir du fait que des personnes souhaitent se réorienter vers l’enseignement. Ceci vient confirmer, comme le soutient le <a href="https://www.cse.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2023/11/50-0807-RF-acces-profession-enseignante.pdf">CSE</a>, que la diversification des voies d’accès à la profession peut contribuer à soutenir une formation de qualité pour les milliers de personnes sans brevet qui enseignent déjà quotidiennement aux élèves et, de surcroît, à valoriser leur apport et leur expérience.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221557/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marilyn Baillargeon a été sollicitée comme consultante par des centres de services scolaires. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steve Bissonnette a été sollicité comme consultant par des centres de service scolaires. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mario Richard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le quart des enseignants au Québec sont non légalement qualifiés. Plusieurs souhaitent obtenir une formation et une reconnaissance officielles. Les programmes courts sont mieux adaptés à leur réalité.Mario Richard, Professeur titulaire, Université TÉLUQ Marilyn Baillargeon, Professeure, Université TÉLUQ Steve Bissonnette, Professeur titulaire Département éducation, Université TÉLUQ Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216452024-02-11T14:59:15Z2024-02-11T14:59:15ZPourquoi il est grand temps de changer nos représentations des femmes scientifiques<p>Le 11 février marque la <a href="https://www.un.org/fr/observances/women-and-girls-in-science-day">Journée internationale des femmes et des filles de sciences organisée par l’Unesco</a>. Elle a pour but de favoriser et accroître la participation des femmes et des filles dans les domaines scientifiques.</p>
<p>En France, alors que la parité était presque atteinte dans les séries S, la réforme des programmes de lycée en 2020, en supprimant les mathématiques dans le tronc commun, a annihilé des années d’efforts vers l’égalité. Le nombre de filles dans les sections de maths au lycée a chuté : <a href="https://www.letudiant.fr/lycee/infographies-comment-la-reforme-du-lycee-penalise-les-filles.html">40 % seulement en spécialité mathématiques, 30 % en maths expert</a>. Soit une baisse de 28 % des effectifs féminins dans les sciences en <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-les-filles-decrochent-des-sciences-depuis-la-reforme-du-lycee-et-du-bac-88233.html">terminale</a> entre 2019 et 2021, et la spécialité « Numérique et sciences de l’informatique » est <a href="https://www.societe-informatique-de-france.fr/wp-content/uploads/2023/11/1024_22_2023_7.html">particulièrement abandonnée par les filles</a>. Ces générations ne vont donc pas modifier les profils des filières à l’université.</p>
<p>Les mathématiciennes, par exemple, <a href="https://www.amcsti.fr/bulletin/la-maison-poincare-sattaque-a-la-sous-representation-des-femmes-en-mathematiques/">stagnent à 20 % depuis longtemps</a>. Les maths sont indispensables pour accéder aux professions scientifiques, techniques, économiques et devenir ingénieure ou programmeuse. Une heure et demie de maths ont certes été <a href="https://www.lesediteursdeducation.com/la-place-des-mathematiques-au-lycee-general">réintroduites en 2023 dans les programmes</a> pour consolider la culture de ceux et celles qui ne prennent pas la spécialité maths. Toutefois cela n’est pas suffisant pour intégrer des filières scientifiques dans le supérieur. Quelles actions envisager pour inverser cette courbe décroissante ?</p>
<h2>La moitié des talents</h2>
<p>En décembre 2023, France a obtenu de mauvais résultats à l’étude PISA de l’OCDE évaluant les <a href="https://www.oecd.org/fr/presse/la-derniere-enquete-pisa-de-l-ocde-met-en-lumiere-les-difficultes-des-jeunes-a-l-ere-du-numerique.htm">acquis des élèves (elle se classe à la 23ᵉ place en maths)</a>. Par manque d’ingénieures et d’ingénieurs, la France risque de se laisser distancer dans des domaines cruciaux liés à <a href="https://www.mafamillezen.com/metiers-avec-des-maths/">l’intelligence, artificielle, la robotique, la modélisation</a> et elle ne peut se priver de la moitié de ses talents.</p>
<p>Les équipes mixtes ont démontré être plus innovantes et productives que les <a href="https://www.fhinkegale.com/les-equipes-mixtes-sont-plus-performantes/">équipes monogenrées</a>.</p>
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<p>De plus, écarter les filles des domaines scientifiques revient souvent à maintenir des inégalités de salaires, un <a href="https://start.lesechos.fr/societe/egalite-diversite/5-15-22-cest-quoi-le-vrai-chiffre-des-inegalites-salariales-2026840">plafond de verre vers les postes à responsabilité et les domaines à plus forte rémunération</a>], ce qui maintient par conséquent des inégalités sociales qui se répercutent dans les <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/egalite-hommes-femmes/entretien-le-couple-et-l-argent-personne-n-est-completement-a-l-aise-decrypte-titiou-lecoq-fabf4d06-69a8-11ed-bd29-7d31c7eef0da">couples hétérosexuels</a>. Les femmes comme les hommes doivent être présentes dans tous les domaines pour une société vraiment égalitaire.</p>
<h2>Renouer avec l’histoire des femmes scientifiques</h2>
<p>Pour inverser cette tendance, il serait utile que les filles puissent s’identifier à des modèles féminins, en mettant en lumière les modèles historiques illustres sur les réseaux sociaux comme dans les livres de sciences et d’histoire. D’Hypatie, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-vrai-metier-des-philosophes/hypatie-d-alexandrie-mathematicienne-astronome-et-philosophe-neoplatonicienne-3214766">mathématicienne et astronome de l’antiquité</a> au IV<sup>e</sup> siècle apr. J.-C., aux médailles Fields actuelles : l’Ukrainienne Maryna Viazovska, après l’Iranienne Maryam Mirzakhani, en passant par Sophie Germain, mathématicienne de génie, première femme à intégrer l’Académie des Sciences <a href="https://lettres.sorbonne-universite.fr/actualites/pleins-feux-sur-les-femmes-des-lumieres">au siècle des Lumières</a>, toutes ces figures scientifiques devraient être mieux connues.</p>
<p>L’importance de beaucoup de femmes de sciences a été sous-estimée, telles les génies de l’informatique de la NASA qui ont inspiré le film <em>Les figures de l’ombre</em>, les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Calculateur_humain">calculatrices</a> afro-américaines <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Katherine_Johnson">Katherine Johnson</a>, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dorothy_Vaughan">Dorothy Vaughan</a> et <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mary_Jackson_(math%C3%A9maticienne)">Mary Jackson</a>. Leurs résultats ont souvent été gommés par ce que Margaret W. Rossiter a appelé <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_Matilda">« l’effet Matilda »</a> qui décrit la non-reconnaissance de la maternité des découvertes scientifiques. Nous sommes rares à avoir entendu parler de Trotula de Salerne, gynécologue italienne, comme de <a href="https://theconversation.com/femmes-pionnieres-jeanne-barret-premiere-femme-a-avoir-navigue-autour-du-monde-150386">Jeanne Barret</a>, botaniste française ou encore <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/histoire-des-sciences/l-energie-d-emmy-noether_171558">Emmy Noether</a>, mathématicienne allemande.</p>
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<p>Parmi les initiatives qui vont dans ce sens, citons le défi des 40 sœurs d’Hypatie qui propose d’inscrire le nom de <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/interview-pendant-les-visites-de-la-tour-les-touristes-demandaient-ou-etait-marie-curie_163404">40 femmes de sciences</a> au second étage de la tour Eiffel en lettres de métal, comme sont inscrits 72 noms d’hommes de sciences au premier étage. Il est soutenu par de nombreuses universités et organismes.</p>
<p>Le premier musée des mathématiques, l’Institut Poincaré, îlot Pierre et Marie Curie à Paris, <a href="https://www.la-croix.com/culture/Maison-Poincare-nouveau-musee-reconcilier-public-maths-2023-09-30-1201284900">s’est ouvert en septembre 2023</a> avec une <a href="https://www.ihp.fr/fr/actualites-science-et-societe/emmy-noether-mathematicienne-dexception">exposition sur la mathématicienne allemande d’exception Emmy Noether</a> et il a été conçu avec une volonté paritaire.</p>
<p>Il importe également de donner une plus grande visibilité aux femmes de sciences dans les villes : seulement 6 % des dénominations des <a href="https://www.leparisien.fr/paris-75/feminisation-des-noms-des-rues-en-ile-de-france-un-elan-sest-cree-mais-du-travail-reste-a-faire-08-03-2023-4Y2UQLJZXVCRDHTLHC2JT2Q5YE.php">rues en France étaient féminines en 2021</a> malgré les efforts de certaines villes, telle Paris pour atteindre environ 12 %, notamment avec plus de femmes de sciences, comme <a href="https://parislightsup.com/tag/square-edmee-chandon/">Edmée Chandon, astronome du XIX<sup>e</sup> siècle</a>, ou <a href="https://etab.ac-reunion.fr/lyc-amiral-bouvet/femmes-de-sciences-6/">Caroline Herschel</a>, astronome du 18<sup>e</sup>, en 2021.</p>
<p>Ces expositions, comme les spectacles de la <a href="https://www.comediedesondes.com/">Comédie des ondes</a> qui intervient dans les lycées avec du théâtre débat autour de femmes de sciences illustres, présentent des modèles inspirants.</p>
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<h2>Mettre en valeur les scientifiques d’aujourd’hui</h2>
<p>De nombreuses femmes se mobilisent également pour expliquer leurs métiers et inciter les nouvelles générations à prendre le relais. Les associations telles que <a href="https://www.femmesetsciences.fr">Femmes et Sciences</a>, <a href="https://femmes-et-maths.fr/">Femmes et mathématiques</a>, <a href="https://femmes-numerique.fr">Femmes @numérique</a> œuvrent pour faire connaître ces filières d’études.</p>
<p>En véritable « role models », elles montrent le champ des possibles dans les métiers scientifiques. Les associations <a href="https://filles-et-maths.fr/">Femmes et mathématiques et Animath</a> organisent sur toute la France depuis 2009 la journée « Filles, maths et informatique : une équation lumineuse » ainsi que les « Rendez-vous des jeunes mathématiciennes et informaticiennes » spécifiquement destinés aux lycéennes de 1<sup>ère</sup> et Terminales. Des <em>speed meetings</em> sont proposés aux lycéennes pour découvrir les métiers qui s’offrent à elles après des études de maths et pour leur faire rencontrer des professionnelles. Depuis 2016, les « Rendez-vous des Jeunes Mathématiciennes et Informaticiennes » proposent aux filles la possibilité de se rassembler pendant trois jours pour découvrir ce domaine.</p>
<p>Enfin, pour que les filles puissent s’imaginer exerçant ces métiers, il faut qu’elles les entendent nommer au féminin. Si la boulangère et l’infirmière font partie du langage courant, on doit aussi entendre plus régulièrement parler des ingénieures, chirurgiennes, chercheuses ou codeuses. Sans quoi, <a href="https://www.20minutes.fr/societe/2463075-20190301-autrice-professeuse-procureure-pourquoi-feminisation-noms-metiers-pose-aujourdhui-probleme">l’Académie française elle-même l’a reconnu,</a> il est difficile de faire évoluer les mentalités.</p>
<h2>Lutter contre les stéréotypes de genre dans l’éducation</h2>
<p>Les parents comme les enseignants ont aussi un rôle à jouer : la <a href="https://www.autrement.com/la-bosse-des-maths-nexiste-pas/9782746755734">bosse des maths n’existe pas</a>, mais l’éducation et les préjugés, si. Selon le dernier <a href="https://www.education.gouv.fr/egalite-filles-garcons-en-mathematiques-357731">rapport de l’inspection sur les maths à l’école</a>, les garçons sont souvent incités à la compétition et valorisés comme forts en maths, les filles moins, et elles ont tendance à se sous-estimer. Les filles et les garçons seraient au même niveau en maths à l’entrée en CP et la bascule s’opèrerait au <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/08/31/mathematiques-a-l-ecole-comment-l-ecart-de-niveau-entre-filles-et-garcons-se-creuse-des-le-cp_6139583_4355770.html%5D">début du primaire</a>.</p>
<p>Certains biais des enseignants, souvent inconscients, jouent un rôle important : des maîtresses plus stressées par les maths, puisqu’elles-mêmes n’ont pas été encouragées dans ce domaine, plus d’attention portée aux <a href="https://eduscol.education.fr/document/39275/download">garçons</a>, des types d’évaluation portant plus sur la compétition que la progression. Ainsi, le même exercice présenté comme du dessin est mieux réussi par les petites filles que s’il est présenté comme de la <a href="https://eduscol.education.fr/document/39275/download">géométrie</a>. Le ministère de l’Éducation nationale invite les enseignants à le prendre en compte lors de <a href="https://eduscol.education.fr/3739/faire-evoluer-les-representations-des-eleves-sur-les-mathematiques">leurs cours et leurs évaluations</a>.</p>
<p>Dans les universités, les filières de maths appliquées attirent plus que les <a href="https://femmes-et-maths.fr/enseignement-superieur-et-recherche/">maths fondamentales</a>, les filles sont plus nombreuses lorsqu’il est question de visées concrètes (maths appliquées à l’écologie ou la <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/fondamental/femmes-et-mathematiques-les-stereotypes-ont-la-vie-dure_23003">médecine)</a>.</p>
<p>Les biais liés au genre dans les recrutements sont aussi à surveiller <a href="https://www.courrierinternational.com/article/egalite-des-sexes-ces-biais-inconscients-qui-nous-font-preferer-les-hommes-au-pouvoir">attentivement</a>. Dans les recrutements universitaires, des observateurs de l’égalité tentent de limiter ces biais, des <a href="https://www.fondationloreal.com/fr/nos-programmes-pour-les-femmes-et-la-science/les-hommes-sengagent-pour-les-femmes-en-science">chercheurs hommes</a> s’engagent pour que les sciences s’ouvrent aux femmes, il faut un engagement de tous car la progression reste lente.</p>
<p>On estime que <a href="https://www.wis-ecoles.com/70-des-nouveaux-metiers-viennent-du-numerique/">70 % des emplois d’avenir</a> nécessiteront une formation en maths et en sciences du numérique et informatique. Il est essentiel que filles et garçons soient à égalité dans ces métiers d’avenir pour une société plus paritaire.</p>
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<p><em>Cet article est republié dans le cadre du <a href="https://www.universite-paris-saclay.fr/actualites/paris-saclay-summit-2024-choose-science">Saclay Summit</a>, qui se tient du 29 février au 1er mars à l’EDF Lab Paris-Saclay.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221645/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Je soutiens Le projet des 40 soeurs d'Hypatie au sein de Sorbonne Université, où j'ai dirigé le comité scientifique de sélection des femmes de sciences qui seraient à honorer. J'ai proposé des noms de parisiennes illustres femmes sciences des siècles passés à distinguer à la Mairie de Paris. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Je suis présidente de l'association Femmes & Sciences.
Femmes & Sciences porte le projet "Les 40 soeurs d'Hypatie", initié par Benjamin Rigaud de Défis Sorbonne, et travaille à le faire aboutir pour donner de la visibilité à des femmes scientifiques.</span></em></p>En France, le nombre d’étudiantes qui choisissent des filières scientifiques reste minoritaire. Comment inverser la tendance ?Sandrine Aragon, Chercheuse en littérature française (Le genre, la lecture, les femmes et la culture), Sorbonne UniversitéIsabelle Vauglin, Astrophysicienne et présidente de l'association Femmes & Sciences, Université Claude Bernard Lyon 1Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204642024-02-07T13:35:54Z2024-02-07T13:35:54ZSept conseils pratiques pour les parents vivant avec un TDAH<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567621/original/file-20231218-29-ec0niw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=40%2C70%2C6669%2C4386&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les parents atteints de TDAH peuvent rencontrer des défis, mais ils ont aussi des avantages lorsqu'ils éduquent des enfants eux-mêmes atteints de ce trouble.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les parents atteints de TDAH peuvent vivre des difficultés, mais avoir aussi certaines forces, en particulier lorsque leur enfant en est également atteint. Ainsi, ils pourraient faire preuve de plus d’empathie et de tolérance à l’égard des problèmes de leur enfant et mieux jouer avec lui.</p>
<p>Il arrive souvent que le trouble du déficit de l’attention (TDAH), avec ou sans hyperactivité, ne soit pas diagnostiqué chez les adultes, mais il a une incidence considérable sur la vie familiale si les parents en souffrent.</p>
<p>Un parent avec TDAH peut avoir du mal à gérer son temps et à se concentrer. Même s’il semble avoir la situation bien en main, sa vie quotidienne peut être chaotique, avec des rendez-vous manqués, de la difficulté à se souvenir des règles et à les faire respecter à la maison, ou à s’acquitter de ses responsabilités.</p>
<p>Lorsqu’il est stressé, un parent atteint de TDAH peut vivre des moments de frustration et de colère en réponse à des provocations mineures. Ces difficultés émotionnelles engendrent dans certains cas des réactions brutales à l’égard de son enfant, que le parent peut regretter par la suite.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tdah-chez-ladulte-le-difficile-diagnostic-et-la-vie-avec-ce-trouble-163220">TDAH chez l’adulte : le difficile diagnostic – et la vie avec ce trouble</a>
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<h2>Comprendre le TDAH chez l’adulte</h2>
<p>Le TDAH comporte différents types d’inattention (oubli, difficulté à rester concentré), d’hyperactivité (bougeotte, agitation) et d’impulsivité (interruption de conversations ou prise de parole maladroite). Comme le <a href="https://doi.org/10.1017/S0033291713002493">TDAH est fortement héréditaire</a>, il est très probable que des parents qui en sont atteints aient un enfant qui l’est aussi.</p>
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<img alt="Un homme, une femme et deux enfants lisant un livre ensemble" src="https://images.theconversation.com/files/566385/original/file-20231218-19-776d0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566385/original/file-20231218-19-776d0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566385/original/file-20231218-19-776d0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566385/original/file-20231218-19-776d0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566385/original/file-20231218-19-776d0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566385/original/file-20231218-19-776d0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566385/original/file-20231218-19-776d0i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les symptômes de TDAH des parents ne semblent pas avoir d’incidence sur leur capacité à être affectueux, attentifs et aimants avec leurs enfants.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>On estime que <a href="https://doi.org/10.1016/j.jad.2023.07.071">8 % des enfants souffrent de TDAH</a>, alors que seulement <a href="https://doi.org/10.7189%2Fjogh.11.04009">3 % des adultes répondent aux critères de ce trouble</a>. Cette différence peut s’expliquer par le fait que les symptômes s’atténuent avec l’âge, en particulier ceux <a href="https://doi.org/10.1007/s00787-018-1258-1">d’hyperactivité et d’impulsivité</a>.</p>
<p>Bien que certaines personnes ne répondent plus aux critères de diagnostic du TDAH à l’âge adulte, elles peuvent encore avoir des difficultés importantes dans leur vie. Par exemple, <a href="https://doi.org/10.1192/bjp.2018.97">leur santé physique et leur situation socio-économique sont souvent moins bonnes que celles des personnes qui n’ont pas d’antécédents de TDAH</a>.</p>
<p>Cependant, la recherche a montré que, depuis une dizaine d’années, on remarque une <a href="https://doi.org/10.1001/jamanetworkopen.2019.14344">hausse des diagnostics de TDAH chez l’adulte</a>, peut-être en raison d’une plus grande <a href="https://doi.org/10.1093/ije/dyt261">connaissance du TDAH</a> ou du fait qu’il soit plus facile d’obtenir une évaluation clinique. Selon des récits anecdotiques, il arrive souvent que les parents se rendent compte de leurs symptômes de TDAH au moment où ils vont <a href="https://www.additudemag.com/adhd-parent-child-diagnosis-stories/">chercher de l’aide pour leur enfant</a></p>
<h2>Effets du TDAH sur l’éducation des enfants</h2>
<p>La transmission héréditaire du TDAH a des répercussions importantes, car elle peut influencer la façon dont les parents interagissent avec leurs enfants. <a href="https://doi.org/10.1016/j.cpr.2017.05.003">Des recherches</a> ont montré que les symptômes du TDAH chez les parents sont associés à des comportements plus sévères (par exemple, crier après un enfant, réagir de manière excessive et le punir sévèrement) et à des pratiques plus laxistes (par exemple, avoir une discipline incohérente ou de la difficulté à instaurer des limites).</p>
<p>Cela semble compatible avec les symptômes du TDAH, notamment les problèmes liés à l’oubli et à l’impulsivité. Les personnes atteintes de TDAH <a href="https://doi.org/10.1007/s11920-019-1003-6">ont souvent du mal à réguler les émotions intenses</a>. Ces symptômes réunis peuvent faire qu’il est plus difficile pour les parents de rester calmes et constants lorsqu’ils interagissent avec leur enfant.</p>
<p>Toutefois, des <a href="https://doi.org/10.1016/j.cpr.2017.05.003">études</a> montrent également que les symptômes du TDAH chez les parents ne semblent pas avoir d’incidence sur leur capacité à être affectueux, attentifs et aimants.</p>
<p>D’autres recherches indiquent qu’il existe une <a href="https://doi.org/10.1080/15374416.2016.1169538">« adéquation de similarité »</a> (similarity fit) lorsque le parent et l’enfant sont atteints de TDAH. Dans ces familles, les parents TDAH peuvent faire preuve de plus d’empathie et de tolérance à l’égard des difficultés de leur enfant et être en mesure de mieux jouer avec lui parce qu’ils peuvent suivre la cadence de son jeu.</p>
<h2>Stratégies pratiques pour les parents TDAH</h2>
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<img alt="Une femme et un enfant sur un canapé dans le bureau d’un thérapeute, avec un thérapeute vu de dos" src="https://images.theconversation.com/files/566384/original/file-20231218-15-hhu5h5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566384/original/file-20231218-15-hhu5h5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566384/original/file-20231218-15-hhu5h5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566384/original/file-20231218-15-hhu5h5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566384/original/file-20231218-15-hhu5h5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566384/original/file-20231218-15-hhu5h5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566384/original/file-20231218-15-hhu5h5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Il peut être bon de demander de l’aide pour ses symptômes de TDAH.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>Élever un enfant avec un TDAH peut s’avérer complexe. Celui-ci bénéficie souvent de stratégies précises, telles que l’établissement de règles claires et de limites cohérentes, l’utilisation d’un système qui récompense les comportements appropriés et le fait de passer beaucoup de temps de qualité avec ses parents. Ces stratégies <a href="https://doi.org/10.1521/adhd.2019.27.3.1">peuvent être difficiles à maintenir pour les parents qui ont un TDAH</a>.</p>
<p>Voici quelques stratégies pratiques qui pourraient être utiles aux parents qui souffrent de TDAH ou qui pensent en souffrir :</p>
<p><strong>1. Rechercher l’aide d’un professionnel pour les symptômes de TDAH.</strong></p>
<p>Si un parent croit avoir un TDAH, mais n’a pas de diagnostic, il peut consulter un professionnel de la santé. Les médecins de famille et les psychiatres peuvent proposer des médicaments, tandis que les psychologues peuvent offrir une thérapie cognitivo-comportementale, un <a href="https://div12.org/treatment/cognitive-behavioral-therapy-for-adult-adhd/">traitement très efficace pour le TDAH chez l’adulte</a>.</p>
<p><strong>2. Demander du soutien pour des questions particulières liées à l’éducation des enfants</strong></p>
<p>Il existe des cours gratuits en ligne qui s’appuient sur des recherches, comme <a href="https://www.ulaval.ca/etudes/mooc-formation-en-ligne-ouverte-a-tous/le-point-sur-le-tdah-comprendre-et-soutiller-pour-mieux-accompagner-nos-jeunes-a-la-maison">celui-ci</a>, et <a href="https://familyman.movember.com/en-au/">celui-là</a> qui est spécialement conçu pour les pères (bien que les mères et d’autres personnes responsables d’un enfant soient également les bienvenues !)</p>
<p>Les psychologues cliniciens et les travailleurs sociaux spécialisés dans le travail avec les enfants et les adolescents, ainsi qu’avec leurs parents, constituent une autre ressource. Il peut être intéressant de chercher une personne qui propose une <a href="https://effectivechildtherapy.org/concerns-symptoms-disorders/disorders/inattention-and-hyperactivity-adhd/">formation comportementale destinée aux parents, un traitement fondé sur des données probantes pour le TDAH chez l’enfant</a>.</p>
<p>Il est conseillé de signaler au thérapeute que l’on présente également de symptômes de TDAH. <a href="https://doi.org/10.1521/adhd.2019.27.3.1">Certaines études montrent</a> que des ajustements – que ce soit pour la cadence (en se concentrant sur un seul aspect par séance, en s’assurant de faire beaucoup de répétitions, etc.), l’ajout d’exercices ou d’une thérapie avec groupe de soutien – peuvent être utiles pour les parents TDAH.</p>
<h2>3. Pratiquer la bienveillance envers soi-même</h2>
<p>Le TDAH affecte certaines zones du cerveau et, rappelons-le, il est hautement héréditaire. Ce n’est pas son éducation ou les gestes de son parent qui causent le TDAH d’un enfant.</p>
<p>Il n’est pas facile d’être parent, et ce l’est encore moins si l’on présente des symptômes de TDAH ou que son enfant en souffre. C’est tout à fait naturel que la situation paraisse parfois ingérable ! Il est normal d’avoir des émotions négatives et de demander le soutien de sa famille et de ses amis lorsque possible.</p>
<p>En travaillant (avec ou sans aide professionnelle) à l’élaboration de techniques d’adaptation, un parent donne à son enfant l’occasion d’observer et d’apprendre par l’exemple.</p>
<p><strong>4. Utiliser des outils organisationnels pour gérer les symptômes du TDAH</strong></p>
<p>Au lieu de se fier uniquement à leur mémoire, les personnes atteintes de TDAH trouvent souvent utile de tenir un calendrier, un agenda ou une liste de choses à faire. La création d’un registre externe des tâches et des rendez-vous, même si on ne le consulte pas constamment, peut augmenter les chances de se souvenir de ses responsabilités. Des études montrent que, pour les personnes présentant d’importants symptômes de TDAH, l’utilisation de ces types de stratégies compensatoires est associée à moins de <a href="https://doi.org/10.1007/s12402-016-0205-6">pratiques parentales négatives</a>.</p>
<p><strong>5. Réfléchir de manière proactive aux situations récurrentes</strong></p>
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<img alt="Image recadrée d’un jouet pop-it dans les mains d’un enfant, et de deux autres jouets en arrière-plan" src="https://images.theconversation.com/files/566383/original/file-20231218-27-dorj7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/566383/original/file-20231218-27-dorj7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/566383/original/file-20231218-27-dorj7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/566383/original/file-20231218-27-dorj7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/566383/original/file-20231218-27-dorj7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/566383/original/file-20231218-27-dorj7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/566383/original/file-20231218-27-dorj7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Si un enfant se comporte toujours mal lorsqu’il s’ennuie, on peut prévoir un sac d’activités à emporter.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>Pour les situations parentales éprouvantes qui reviennent souvent, il peut être utile de réfléchir aux problèmes courants qu’on pourrait aborder de manière proactive. On peut se pencher sur les comportements difficiles particuliers rencontrés avec un enfant, ainsi qu’à leur contexte (par exemple, l’endroit où cela a eu lieu, ce qui s’est passé avant et après).</p>
<p>Cela permet de reconnaître des déclencheurs qu’on pourrait modifier de manière préventive la prochaine fois qu’on se retrouvera dans une situation semblable – voir ce <a href="https://depts.washington.edu/uwhatc/PDF/TF-%20CBT/pages/8%20Parent%20Management%20Training/Tracking%20Behavior%20-Detailed.pdf">journal de bord</a> (en anglais). Un exemple simple : si un enfant se comporte toujours mal lorsqu’il s’ennuie, on peut prévoir un sac d’activités à emporter.</p>
<p><strong>6. Réfléchir à la façon dont on perçoit son enfant</strong></p>
<p><a href="https://doi.org/10.1177/1087054716669590">Des recherches</a> indiquent que les parents souffrant de TDAH ont tendance à accuser davantage leurs enfants (par exemple, « mon enfant a volontairement renversé le lait ») que les parents qui n’en souffrent pas. Cela peut les rendre <a href="http://dx.doi.org/10.1080/15374416.2016.1144191">plus enclins à réagir sévèrement</a>.</p>
<p>Si on a ce genre de pensées, il peut être utile de faire une pause et de réfléchir à d’autres façons d’expliquer le comportement de son enfant (par exemple, il était trop excité et a renversé le lait par accident).</p>
<p><a href="http://dx.doi.org/10.1080/15374416.2016.1144191">Des études</a> montrent qu’il peut être bénéfique de remarquer les moments où son enfant se comporte bien et de le féliciter.</p>
<p><strong>7. Se rappeler ses points forts</strong></p>
<p>Les adultes atteints de TDAH <a href="https://doi.org/10.1016/j.cpr.2017.05.003">peuvent être des parents chaleureux, aimants et très impliqués</a>. Une parentalité positive est <a href="https://doi.org/10.1111/cdev.13764">liée à une amélioration de la santé mentale de l’enfant</a>. Il vaut donc la peine de se concentrer sur le développement des aspects positifs de sa relation avec son enfant.</p>
<p>En appliquant des stratégies efficaces pour gérer le TDAH et en recourant à des ressources en cas de besoin, les parents qui en sont atteints peuvent créer une vie de famille positive et épanouissante, et constituer une source de soutien solide pour leurs enfants qui risquent de rencontrer des problèmes similaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220464/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sheri Madigan reçoit des fonds du Conseil de recherches en sciences humaines, des Instituts de recherche en santé du Canada, de l'Alberta Children's Hospital Foundation, d'un donateur anonyme et du Programme des chaires de recherche du Canada.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>André Plamondon et Joanne Park ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Être un parent atteint d’un TDAH présente des défis uniques, mais aussi des atouts. En utilisant des stratégies et en recherchant des ressources, les parents peuvent créer un environnement harmonieux.Joanne Park, Assistant Professor, Department of Psychology, Mount Royal UniversityAndré Plamondon, Full Professor, Faculty of Educational Sciences, Université LavalSheri Madigan, Professor, Canada Research Chair in Determinants of Child Development, Owerko Centre at the Alberta Children’s Hospital Research Institute, University of CalgaryLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2213902024-02-01T18:59:23Z2024-02-01T18:59:23ZLes classements des villes sur leur qualité de vie nous informent souvent mal sur leur développement durable<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/569946/original/file-20240108-27-dzn9ni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C0%2C2751%2C1553&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les palmarès des villes se concentrent souvent sur les facteurs économiques et de développement et négligent la durabilité et l'environnement.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Chaque année, des indices sont publiés afin de classer les villes du monde selon leur <a href="https://www.theglobeandmail.com/investing/article-most-livable-cities-canada-2023/">habitabilité</a>, leur <a href="https://www.arcadis.com/en/knowledge-hub/perspectives/global/sustainable-cities-index">durabilité</a>, leur <a href="https://innovation-cities.com/worlds-most-innovative-cities-2022-2023-city-rankings/26453/">innovation</a> et leur qualité de vie en général. Les grandes villes canadiennes comme Vancouver, Calgary et Toronto sont <a href="https://www.cicnews.com/2023/12/3-canadian-cities-ranked-among-the-most-liveable-in-the-world-1241721.html">souvent</a> en <a href="https://www.cicnews.com/2023/12/3-canadian-cities-ranked-among-the-most-liveable-in-the-world-1241721.html">tête de ces listes</a>, en dépit de leur <a href="https://www.vancouverisawesome.com/local-news/vancouver-ranks-3rd-most-expensive-city-in-north-america-5490661">coût élevé de la vie</a>.</p>
<p>Le classement des <a href="https://macleans.ca/canadas-best-communities-in-2021-full-ranking/">meilleures collectivités du Canada</a> établi par le magazine <em>Maclean’s</em> évalue 415 collectivités en fonction de divers indicateurs, notamment la prospérité économique, l’accessibilité du logement, la fiscalité, la mobilité durable, la sécurité publique ainsi que l’accès aux services de santé et aux activités culturelles et de loisirs.</p>
<p>Ces indicateurs et indices de qualité de vie peuvent être utiles pour comparer les villes ou choisir un lieu de résidence. Néanmoins, si les villes basent leurs politiques sur de tels critères, cela pourrait conduire à un développement non durable.</p>
<h2>Différences entre durabilité et qualité de vie</h2>
<p>Une <a href="https://doi.org/10.1016/j.ecolind.2020.106879">étude récente</a> a mis en lumière les critères environnementaux et socio-économiques couramment utilisés, en utilisant des indicateurs tels que les espaces verts, le recyclage, l’utilisation des transports publics, le taux de chômage et le taux de criminalité.</p>
<p>Une autre récente <a href="https://www.espon.eu/programme/projects/espon-2020/applied-research/quality-of-life">étude internationale</a> réalisée par l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Observatoire_en_r%C3%A9seau_de_l%27am%C3%A9nagement_du_territoire_europ%C3%A9en#:%7E:text=L%27Observatoire%20en%20r%C3%A9seau%20de,de%20la%20politique%20r%C3%A9gionale%20europ%C3%A9enne.">Observatoire en réseau de l’aménagement du territoire européen</a> a évalué les villes selon des critères comme l’emploi, le logement, l’accès aux soins de santé et la sécurité. Les indicateurs comprenaient, entre autres, le coût de la vie, le revenu des ménages et la qualité des services publics.</p>
<p>Beaucoup des indicateurs de ces classements sont utilisés pour mesurer à la fois le développement durable et la qualité de vie dans une ville. Cette convergence peut s’expliquer par la <a href="https://www.iisd.org/articles/deep-dive/pathways-sustainable-cities">base commune de ces deux concepts</a> : il s’agit essentiellement de la manière dont une ville satisfait les besoins essentiels de ses habitants, que ce soit en matière de logement, de transport, de santé, d’éducation et de loisir.</p>
<p>La capacité à satisfaire ces besoins dépend fortement de facteurs économiques, comme le revenu, la richesse et le coût de la vie, qui jouent un rôle clé dans l’évaluation de la durabilité et de la qualité de vie des villes. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/568733/original/file-20240110-21-uisy1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un couple de personnes âgées se promenant dans un parc avec un vélo" src="https://images.theconversation.com/files/568733/original/file-20240110-21-uisy1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568733/original/file-20240110-21-uisy1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568733/original/file-20240110-21-uisy1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568733/original/file-20240110-21-uisy1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568733/original/file-20240110-21-uisy1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568733/original/file-20240110-21-uisy1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568733/original/file-20240110-21-uisy1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le développement visant à améliorer la vie urbaine peut parfois se faire au détriment de la durabilité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Malgré ces points communs, des <a href="https://researcharchive.lincoln.ac.nz/server/api/core/bitstreams/81da68e3-f4cb-4b2c-a67b-506d41bd84e4/content">contradictions</a> apparaissent. Des initiatives visant à améliorer la vie urbaine — l’expansion des infrastructures par exemple — peuvent parfois se faire au détriment de l’environnement, ce qui va à l’encontre des principes du développement durable.</p>
<p>En outre, l’accent mis sur la durabilité ne garantit pas nécessairement l’amélioration des conditions de vie. En effet, la durabilité peut requérir la réduction de la consommation de certains biens et services, une diminution de la taille des logements pour densifier les quartiers, ou l’instauration de taxes pour diminuer la pollution. </p>
<p>Ces mesures, quoique bénéfiques pour l’environnement, peuvent réduire le confort individuel et augmenter le coût de la vie, impactant ainsi la qualité de vie des habitants.</p>
<h2>Les caractéristiques des villes durables et agréables à vivre</h2>
<p>Nous avons récemment mené une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0264275123004201">étude visant à répondre à la question suivante</a> : quelles sont les caractéristiques des villes les plus performantes en termes de qualité de vie et de durabilité ?</p>
<p>Pour répondre à cette question, nous avons analysé les similitudes et les différences entre les facteurs qui sous-tendent les classements en matière de durabilité et de qualité de vie pour 171 villes canadiennes de plus de 25 000 habitants.</p>
<p>Nos résultats révèlent une corrélation positive et statistiquement significative entre la qualité de vie urbaine et les indicateurs de développement durable dans les villes canadiennes. Cependant, des contradictions importantes existent concernant la durabilité des modes de vie dans les trois principales dimensions du développement durable : économique, sociale et environnementale.</p>
<p>Par exemple, Wood Buffalo, en Alberta, se classe dans les 20 % des villes les plus performantes en matière de durabilité, principalement en raison de ses revenus élevés et de sa population instruite, malgré une faible performance environnementale. En revanche, elle se situe dans les 20 % inférieurs pour la qualité de vie à cause du coût élevé de la vie et du manque d’équipements culturels. </p>
<p>Kamloops, en Colombie-Britannique, a obtenu de bons résultats en matière de qualité de vie, grâce à son abordabilité, la qualité de l’éducation et des soins de santé, et sa richesse culturelle. En revanche, elle se situe dans les 20 % inférieurs pour la durabilité, en raison des défis liés à la gestion des déchets, de l’énergie et de l’écologisation.</p>
<p>Les évaluations de la qualité de vie sont principalement basées sur des dimensions économiques et prennent en compte des indicateurs tels que le taux de chômage et le revenu moyen. Certains indicateurs concernent également la dimension sociale du développement durable, notamment la criminalité, l’accessibilité du logement, la santé et les arts. </p>
<p>Toutefois, certains aspects sociaux fondamentaux du développement durable, comme la répartition de la richesse et l’éducation, ne sont pas abordés directement.</p>
<p>La dimension environnementale est également largement négligée, à l’exception de la mobilité durable (par exemple, combien de personnes utilisent les transports publics). Il y a également absence de mesures directes des émissions de gaz à effet de serre, de la qualité des espaces verts ou de la qualité de l’eau d’une ville.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/568734/original/file-20240110-21-au3gwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un trottoir de ville très fréquenté" src="https://images.theconversation.com/files/568734/original/file-20240110-21-au3gwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568734/original/file-20240110-21-au3gwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568734/original/file-20240110-21-au3gwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568734/original/file-20240110-21-au3gwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568734/original/file-20240110-21-au3gwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568734/original/file-20240110-21-au3gwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568734/original/file-20240110-21-au3gwa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les indices de qualité de vie peuvent être utiles pour comparer les villes. Toutefois, si les villes fondent leur politique sur de telles mesures, cela pourrait conduire à un développement non durable.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Les villes devraient donner la priorité à la durabilité</h2>
<p>Ces différences entre la qualité de vie et le développement durable sont préoccupantes pour deux raisons principales. Tout d’abord, comme les gens peuvent utiliser ces classements pour décider où vivre, les villes bien classées, mais dont la durabilité est faible peuvent paraître attrayantes. </p>
<p>Deuxièmement, comme les villes cherchent généralement à attirer des résidents, elles peuvent être tentées de prendre des décisions basées sur des variables qui améliorent leur classement en matière de qualité de vie au détriment du développement durable. </p>
<p>Les villes les mieux classées sont susceptibles de maintenir le statu quo en ce qui concerne leur stratégie de développement afin de rester en tête de liste. En outre, les villes moins bien classées sont susceptibles d’imiter les façons de faire des villes les plus performantes.</p>
<p>Toutefois, ces objectifs ne sont pas toujours compatibles avec la durabilité urbaine, qui prend en compte des préoccupations environnementales et collectives plus larges, telles que la préservation de la qualité de l’environnement et la réduction de la pression sur les ressources naturelles et les espaces verts.</p>
<p>Cela signifie que la qualité de vie n’est pas durable si elle ne tient pas compte des impacts environnementaux tels que la gestion des déchets et l’utilisation de la voiture. Il en va de même pour la répartition de la richesse. </p>
<p>Donner la priorité à la durabilité, même si cela signifie un classement inférieur en termes de qualité de vie à court terme, garantit que les villes resteront viables. Intégrer des mesures de durabilité dans les politiques publiques, telles que l’amélioration des transports publics et la conservation d’espaces verts, est essentiel pour répondre aux besoins actuels et anticiper les défis futurs, garantissant ainsi un bien-être à long terme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221390/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les indicateurs qui mesurent la qualité de vie d’une ville dans les palmarès ne disent pas tout, notamment en ce a trait à son développement durable.Georges A. Tanguay, Professeur titulaire, Université du Québec à Montréal (UQAM)Juste Rajaonson, Professeur agrégé, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2201832024-01-23T16:37:34Z2024-01-23T16:37:34ZLes féministes d’aujourd’hui sont-elles extrémistes ?<p>Les féministes d’aujourd’hui sont-elles extrémistes ? Des magazines tels <em>Causeur</em> et <em>Valeurs actuelles</em> font leurs gros titres sur la <a href="https://www.causeur.fr/feminisme-lahaie-fourest-menard-vienet-33706">« terreur féministe »</a> et la radicalité des combats que des militantes <a href="https://www.journaldesfemmes.fr/societe/combats-de-femmes/2625279-valeurs-actuelles-alerte-les-feministes-sont-devenues-folles/">« devenues folles »</a> mèneraient contre le genre masculin. Le Rapport annuel 2024 sur l’état des sexismes en <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/actualites/article/6e-etat-des-lieux-du-sexisme-en-france-s-attaquer-aux-racines-du-sexisme">France</a> qui met en avant une augmentation des idées machistes chez les jeunes hommes de 24-35 ans déplace le pôle de la radicalité en question.</p>
<p>« Faisons du sexisme de l’histoire ancienne », commente le rapport 2024. Ces débats sur le postulat de l’extrémisme féministe d’aujourd’hui et le constat de la montée concomitante des conservatismes masculins à l’égard des femmes intéressent assurément l’histoire et renvoient aux positionnements des <a href="https://www.puf.com/antifeminismes-et-masculinismes-dhier-et-daujourdhui">antiféminismes et masculinismes d’hier</a>.</p>
<p>Un exemple édifiant est la loi qui a permis aux jeunes filles d’accéder à l’enseignement secondaire en France. Adoptée le 21 décembre 1880, sous la III<sup>e</sup> République, la <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/9844-la-loi-camille-see-ouvre-l-enseignement-secondaire-aux-jeunes-filles">« loi Camille Sée »</a> a révélé un masculinisme agitant le chiffon rouge de ce qui était perçu à l’époque comme de l’extrémisme féministe.</p>
<p>Tout à la fois, cette loi républicaine est novatrice et conservatrice.</p>
<p>Novatrice, car elle instaure pour les jeunes filles ce que le Second Empire n’a pas réussi à faire. Soucieux de promouvoir un enseignement secondaire féminin, le ministre de l’Instruction publique <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_Duruy">Victor Duruy</a> avait posé avec la circulaire du 30 octobre 1867 le projet de la création de Cours d’enseignement secondaire pour les jeunes femmes. Cette initiative avait soulevé une violente opposition de l’Église catholique qui contribuera à l’échec de cette entreprise. La politique scolaire du ministre se situait dans le contexte d’un Second Empire qui avait initié une ébauche d’instruction féminine dans le primaire, avec la loi Falloux qui permettait l’ouverture d’une école primaire pour les filles dans chaque commune de plus de 800 habitants et la loi de Victor Duruy du 10 avril 1867 qui abaissait ce seuil à 500. Ces mesures étaient des avancées au regard de la loi de juin 1833 de <a href="https://www.guizot.com/fr">François Guizot</a> qui, sous la monarchie de Juillet, avait obligé l’ouverture d’écoles primaires pour les garçons dans chaque commune de plus de 500 habitants, en faisant l’impasse sur l’instruction primaire des filles.</p>
<p>Cette loi républicaine du 21 décembre 1880 est aussi conservatrice car elle crée de façon volontaire un enseignement féminin qui n’a ni le même cursus, ni le même programme, ni le même diplôme que celui des garçons. Il se déroule en cinq ans, au lieu de sept pour eux. Il privilégie un enseignement ménager et de couture pour elles. Et il n’inclut dans son programme aucun cours de philosophie et de langues anciennes. Or, ces matières sont <a href="https://www.decitre.fr/livres/histoire-du-baccalaureat-9782350770901.html">obligatoires au baccalauréat</a>. La fin du cursus donne accès non pas un baccalauréat, mais à un « diplôme de fin d’études secondaires » qui ne permet pas aux filles d’accéder à l’université. Les républicains ont donc profité du revers du Second Empire pour créer un enseignement féminin à leur convenance. Mais s’ils ont œuvré pour que la jeune fille ne soit plus élevée « sur les genoux de l’église », selon la formule chère à leur adversaire clérical, Monseigneur Dupanloup, ils ont aussi agi pour qu’elle soit élevée sur les genoux républicains du foyer familial.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-maths-pour-les-garcons-le-francais-pour-les-filles-comment-les-stereotypes-de-genre-se-perpetuent-a-lecole-202392">Les maths pour les garçons, le français pour les filles ? Comment les stéréotypes de genre se perpétuent à l’école</a>
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<p>Cet inégalitarisme de scolarisation entre filles et garçons n’est pas le fait du hasard. Dans ce <a href="https://galeries.limedia.fr/histoires/les-stereotypes-de-genre-au-XIXe-si%C3%A8cle/">XIX<sup>e</sup> siècle masculiniste</a>, il résulte d’une peur que les hommes ont que les femmes puissent accéder à autre chose qu’un simple enseignement élémentaire. Cette <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f1.item.r=lyc%C3%A9es%20et%20coll%C3%A8ges%20de%20jeunes%20filles%20documents%20rapports%20et%20discours">frayeur tourne autour d’une trilogie</a> que scandent législateurs et autres théoriciens de l’éducation dans les discours, ouvrages et articles dont ils sont les auteurs : les femmes studieuses seraient des femmes orgueilleuses, hideuses, dangereuses. Les délibérations qui se tiennent à la Chambre des députés en décembre 1879 et janvier 1880 ainsi qu’au Sénat en novembre et décembre 1880 permettent de bien rentrer dans le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f1.item.r=lyc%C3%A9es%20et%20coll%C3%A8ges%20de%20jeunes%20filles%20documents%20rapports%20et%20discours">détail de ces émois</a>.</p>
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<h2>Femmes studieuses, femmes orgueilleuses</h2>
<p><a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/oeuvre/les_Femmes_savantes/119250"><em>Les Femmes savantes</em></a> de Molière et <a href="https://www.livre-rare-book.com/book/20676660/12142"><em>Les Bas-Bleus</em></a> de Barbey d’Aurevilly sont dans toutes les têtes lors des débats parlementaires et sénatoriaux. Ces pédantes ridicules sans talent sont des repoussoirs absolus. Dans l’introduction à son projet de loi, le député Camille Sée <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f84.image.r=Chrysale%20a">rassure</a> ses collègues parlementaires :</p>
<blockquote>
<p>« Il ne s’agit ni de détourner les femmes de leur véritable vocation, qui est d’élever leurs enfants et de tenir leurs ménages, ni de les transformer en savants, en bas-bleus, en ergoteuses. » (ndlr, « bas-bleu » est expression péjorative pour désigner une femme cultivée)</p>
</blockquote>
<p>Pas plus par snobisme hautain que par surcroît d’intellectualité, il leur promet que la femme républicaine n’abandonnera les tâches culinaires qui lui reviennent :</p>
<blockquote>
<p>« L’économie domestique leur est indispensable ; Chrysale a raison : il faut songer au pot-au-feu. On le dédaignait par mondanité ; il ne faut pas qu’on le dédaigne par excès de capacité. »</p>
</blockquote>
<p>Sur les bancs de ces nobles assemblées, des cris fusent contre les « habits déchirés » que la femme, trop « occupée de hautes études » ne voudra plus recoudre pour son mari. Ils s’indignent aussi du « rôti brulé » et du « pot-au-feu manqué » qu’elle ne manquera pas de lui servir.</p>
<p>Toutes ces admonestations sur les « savantes », les « bas-bleus », les « ergoteuses » avec leur « mondanité », leur « capacité » et leurs « hautes études » sont des doigts sévèrement pointés sur celles qui sont perçues comme de futures orgueilleuses instruites et diplômées qui ne pourront que regarder de haut les tâches subalternes des habits à recoudre et du dîner à préparer. Même après la proclamation de la loi, les recommandations restent tenaces contre « l’orgueil » de la jeune fille instruite.</p>
<p>Tout ce qui relève du scientifique exacerbe particulièrement les élites de l’époque. Le 28 juillet 1882, l’ancien ministre de l’Instruction publique Jules Simon déclare lors d’une remise de prix à de jeunes lycéennes :</p>
<blockquote>
<p>« Je soutiens qu’il est parfaitement inutile d’enseigner la chimie et la physique aux filles […] »</p>
</blockquote>
<p>Le risque de ces sciences, continue-t-il, est de faire de ces jeunes femmes des mères infatuées qui ne s’abaisseront plus à nourrir leur progéniture. Elles utiliseront un langage châtié pour vérifier que leur servante ait bien mis du sucre dans le bouillon de leur petit. Jules Simon se moque du ridicule qu’aurait leur style ampoulé :</p>
<blockquote>
<p>« [Elles] ne manqueront pas […] de s’écrier en molestant la nourrice de leur enfant – car elles ne nourriront certainement plus elles-mêmes – “Avez-vous donné à mon fils son potage sacchariné ?” »</p>
</blockquote>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ces-hommes-qui-mexpliquent-la-vie-de-nouvelles-solutions-a-un-tres-vieux-probleme-120646">« Ces hommes qui m'expliquent la vie » : de nouvelles solutions à un très vieux problème</a>
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</p>
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<h2>Femmes studieuses, femmes hideuses</h2>
<p>La femme hideuse, c’est la « virago », cette mégère autoritaire aux allures masculines que généreront ces études secondaires. Trois jours après la séance sénatoriale du 22 novembre 1880, l’écrivain <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sans-oser-le-demander/qui-etait-octave-mirbeau-3439692">Octave Mirbeau</a> dans le journal <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k523648k/f1.image"><em>Le Gaulois</em></a> s’étrangle de colère devant la politique républicaine en cours :</p>
<blockquote>
<p>« Qu’est-ce que j’apprends ? Et où allons-nous, mon Dieu ? Ne voila-t-il pas, maintenant, qu’ils veulent prendre nos filles pour en faire des hommes ! »</p>
</blockquote>
<p>Après quelques considérations sur « la barbe au menton » qu’elles ne manqueront pas d’avoir, il dénonce le sabotage d’identité qui se trame :</p>
<blockquote>
<p>« II s’agit de les déniaiser, de les savantiser, de les bas-bleuiser, de les garçonniser, de les viriliser. »</p>
</blockquote>
<p>Tous horizons politiques confondus, le « bas-bleu » n’est donc pas seulement une prétentieuse qui pérore à tout va. C’est aussi une femme qui trahit hideusement sa nature féminine. Un « homme manqué », un « hermaphrodite » qui s’échine à vouloir ressembler à son homologue masculin pour mieux le toiser. Charles Baudelaire, Georges Proudhon ou Jules Barbey d’Aurevilly se déchainent sur les affreuses métamorphoses à venir. En femme de plume célèbre, George Sand est une de leurs cibles favorites. Plus cyniques que jamais, les <a href="https://laffont.ca/livre/journal-des-goncourt-t-3-ne-a-paraitre-97822211t41267/">frères Goncourt</a> s’en prennent aussi à elle pour attester des mutations en cours :</p>
<blockquote>
<p>« Si on avait fait l’autopsie des femmes ayant un talent original, comme Mme Sand […] on trouverait chez elles des parties génitales se rapprochant de l’homme, des clitoris un peu parent de nos verges. »</p>
</blockquote>
<h2>Femmes studieuses, femmes dangereuses</h2>
<p>On s’effraie des « bas-bleus » dégénérés autant que des « bas-rouges » révoltés à venir. Le lendemain du vote en première lecture de la loi sur les lycées de jeunes filles, le journal catholique <em>L’Univers</em> <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k703581x">fait son miel</a> du péril imminent que préparent les savoirs et diplômes féminins. Les « futures doctoresses et avocates », élevées « sans religion » et « bourrées de cette science-frelatée » ne seront que les répliques des violences de 1848 et 1870 :</p>
<blockquote>
<p>« La haine de ces bas-rouges sera d’autant plus féroce que leurs appétits seront plus vastes ; elles voudront réformer une société où elles ne sauraient trouver place, et s’en iront, avec les Hubertine Auclert et les Louise Michel, courir les réunions publiques et réclamer les droits de la femme. »</p>
</blockquote>
<p>Lors des débats parlementaires précédant le vote de la loi, le sénateur bonapartiste Georges Poriquet agite également l’épouvantail de l’émeutière communarde. « Même améliorée par la République », il ne veut pas de cette « femme savante, électeur et orateur, la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_commune-9782707186805">Louise Michel</a> du présent et de l’avenir ».</p>
<p>Dangereuses pour les autres, les femmes studieuses le seraient aussi pour elles-mêmes. Ces littératures prédisent que, désœuvrées par ces nouveaux savoirs, elles se donneront « au premier homme qui passera », « qu’elles se tueront », qu’elles « deviendront folles »…</p>
<p>Les hommes du XIX<sup>e</sup> siècle ont eu peur des évolutions à venir. Et ils ont fait peur à leurs contemporains pour que ces progrès ne se fassent pas. Leur refus d’un enseignement secondaire à égalité avec celui des garçons a été extrême. Il a rejeté de toutes ses forces ces changements en dramatisant leurs enjeux. Il faudra attendre le décret de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_B%C3%A9rard_(homme_politique)">Léon Bérard</a> en 1924 pour que les filles puissent commencer à passer un baccalauréat identique à celui des garçons ; soit cent seize ans après le décret impérial du 17 mars 1808 de Napoléon 1er.</p>
<p>Deux siècles plus tard, les conservateurs s’offusquent de l’extrémisme des féminismes d’aujourd’hui. Ces femmes seraient une fois encore <a href="https://www.entreprendre.fr/le-neo-feminisme-nouveau-totalitarisme-engendrant-des-monstres/">orgueilleuses</a>, <a href="https://mamanvogue.fr/bien-etre/enfants/psychologie-enfants/comment-le-feminisme-met-en-danger-la-feminite/">hideuses</a>, <a href="https://atlantico.fr/article/decryptage/le-neo-feminisme-une-ideologie-totalitaire-feministes-militants-societe-france-critiques-pensee-philosophie-revendications-jean-gabard">dangereuses</a>… Ce n’est rien de neuf sous le soleil noir des <a href="https://theconversation.com/il-faut-quon-parle-de-la-maniere-dont-on-parle-des-incels-182928">conservatismes sexistes</a> du XXI<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220183/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Barreau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les féministes du XXIᵉ siècle sont parfois taxées d’extrémisme. L’Histoire nous montre que ce chiffon rouge est souvent agité notamment lors des débats sur l’accès des femmes à l’éducation secondaire.Jean-Michel Barreau, Professeur émérite en Sciences de l'éducation. Historien de l'école et de l'éducation. Spécialiste des normes et valeurs scolaires., Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2196912024-01-17T14:46:59Z2024-01-17T14:46:59ZComment un simple vélo peut changer la vie des jeunes en milieu défavorisé<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568465/original/file-20240109-19-24agn5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C989%2C717&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’organisme Cyclo Nord-Sud a mis sur pied, en 2023, le projet pilote Construis ton vélo!.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Notre état de santé dépend en partie de nos modes de déplacement. Le temps que l’on consacre à nos trajets en vélo, en voiture ou en transport en commun peut en effet avoir un effet positif ou négatif sur notre santé physique et mentale.</p>
<p>Or, l’organisation de notre quartier favorise certains modes de transport plus que d’autres.</p>
<p>C’est le <a href="https://urbanisme.umontreal.ca/fileadmin/amenagement/URB/Realisations-etudiantes/Expo-des-finissants/EFFA-2012/Analyser/SICG.pdf">cas du quartier Saint-Michel à Montréal</a>, dont la planification urbaine est centrée sur la voiture. De plus, il s’agit de l’un des quartiers les plus défavorisés du Québec. Ainsi, les personnes qui ne possèdent pas de voiture dépendent des transports publics, ce qui leur impose des trajets plus longs et plus éprouvants.</p>
<p>En raison d’une circulation mal adaptée et dangereuse pour les déplacements actifs, le vélo est le grand absent des modes de transport dans Saint-Michel. Et ce n’est pas une bonne nouvelle pour les habitants, puisque ce mode de transport favorise la participation sociale et présente de nombreux bénéfices pour la santé physique et mentale.</p>
<p>C’est dans cette visée que l’organisme <a href="https://cyclonordsud.org/">Cyclo Nord-Sud</a> a mis sur pied, en 2023, le projet pilote <a href="https://www.youtube.com/watch?v=8WP3JOv963g"><em>Construis ton vélo !</em></a>, lauréat de l’Incubateur civique de la <a href="https://www.mis.quebec/">Maison de l’innovation sociale</a>.</p>
<p>Il s’agit d’un programme parascolaire offert aux jeunes d’une école secondaire du quartier Saint-Michel, encadré par des bénévoles responsables, soit leur professeur d’éducation physique et un coach en mécanique. Les élèves ont été amenés à construire leur vélo de A à Z en binôme pendant 18 semaines. Ils ont donc terminé le programme avec, en poche, un vélo assemblé et de multiples connaissances pratiques en mécanique vélo.</p>
<p>Notre équipe de chercheurs en kinésiologie du <a href="https://sap.uqam.ca/">département des sciences de l’activité physique</a> de l’UQAM a collaboré avec Cyclo Nord-Sud pour comprendre les effets du projet du point de vue des participants. Concrètement, nous avons mené des groupes de discussion avec les élèves et analysé ce qui a été exprimé. Ce travail a d’ailleurs fait l’objet d’une <a href="https://osf.io/preprints/osf/vys83">publication académique</a> dans la revue <em>Santé Publique</em>.</p>
<h2>L’approche humaine et le sentiment d’accomplissement</h2>
<p>Une retombée importante du programme est le sentiment de fierté et d’accomplissement. Ces sentiments, nourris par les relations que les jeunes ont entretenues avec les bénévoles encadrants, ont permis d’instaurer un climat d’apprentissage agréable non seulement entre les élèves, mais aussi avec le coach mécanique et l’enseignant.</p>
<p>Par exemple, un des jeunes exprimait avoir ressenti de la fierté lors des ateliers :</p>
<blockquote>
<p>Tout ce que je fais ici j’étais fier […] t’es tout le temps en train d’avancer et j’étais tout le temps près de finir mon vélo, j’étais fier de ça.</p>
</blockquote>
<h2>Un environnement d’apprentissage bienveillant</h2>
<p>Les jeunes ont souvent évoqué la différence entre être dans une salle de classe ou à l’école en général. L’ambiance plus libre des ateliers s’opposait ainsi à l’atmosphère scolaire plus rigide.</p>
<p>Ils ont également souligné l’effet relaxant des ateliers, et son rôle parfois thérapeutique. Le fait que ce soit une activité parascolaire pourrait expliquer le sentiment de bien-être exprimé par les jeunes.</p>
<p>Un participant exprimait d’ailleurs l’effet positif de l’attitude des bénévoles encadrants :</p>
<blockquote>
<p>Ce que j’apprécie aussi, c’est qu’il (l’enseignant) était là pour nous soutenir […] tu te sens pas inférieur et il est là pour t’aider, mais en même temps il est là pour apprendre avec toi, c’est ça que je trouvais très important.</p>
</blockquote>
<h2>Faire les choses pour soi, pas pour un vélo</h2>
<p>Les jeunes ont soulevé qu’avant de débuter le programme, leur motivation principale à y participer était d’avoir un vélo gratuit.</p>
<p>Or, leur motivation à se présenter aux ateliers a évolué au fil du temps : au-delà du vélo, l’ambiance agréable leur donnait envie de revenir chaque semaine.</p>
<p>Un jeune témoigne d’ailleurs qu’il revenait chaque semaine, car il avait toujours du plaisir pendant des ateliers :</p>
<blockquote>
<p>Moi, je dirais au début, c’était compliqué […] on savait pas beaucoup de choses […] mais y’avait la plupart de nos amis qui étaient là […] et ça veut dire que je savais que quand j’allais arriver ici, j’allais rigoler et m’amuser.</p>
</blockquote>
<h2>Être plus autonome pour bouger</h2>
<p>Plusieurs jeunes ont soulevé certaines difficultés à se déplacer en transport en commun, souvent dû au fait qu’ils habitent loin des lieux fréquentés.</p>
<p>En effet, les participants ont rapporté que les horaires d’autobus du quartier sont complexes et que les trajets sont longs.</p>
<p>Leur nouveau vélo est alors devenu un élément essentiel qui contribue positivement à leur autonomie de déplacement. Ils ont aussi identifié le vélo comme étant un moyen de favoriser leur participation sociale et leurs opportunités de participer à diverses activités.</p>
<p>À la question <em>Qu’allez-vous faire de votre vélo maintenant ?</em>, l’un des jeunes a répondu :</p>
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<p>Je sais que ça va m’être utile parce que je travaille pas loin, et ça peut me permettre de m’y rendre pendant l’été, de me prendre moins de temps, ou même d’aller au parc si j’ai envie, c’est utile dans la vie de tous les jours.</p>
</blockquote>
<p>Le programme <em>Construis ton vélo</em> désire se développer à plus grande échelle au Québec (sous réserve de financements) et s’améliorer.</p>
<p>À travers cette initiative, le vélo permet de réunit l’éducation et la santé. Et les participants gagnent en autonomie ainsi qu’en compétences.</p>
<p>Gageons que ce genre de programme, combiné à davantage d’infrastructures cyclables agréables et sécuritaires, pourrait contribuer à la santé et au bien-être de tout un chacun.</p>
<img src="https://counter.theconversation.com/content/219691/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Célia Kingsbury a reçu des financements des Instituts de recherche en santé du Canada. Elle travaille en collaboration avec l'organisme Cyclo Nord-Sud. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Paquito Bernard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cet article explore les retombées d’un projet pilote offert à des élèves en milieu défavorisé par l’organisme Cyclo Nord-Sud visant à promouvoir l’utilisation du vélo comme mode de transport.Célia Kingsbury, Candidate au doctorat en promotion de la santé, Université de MontréalPaquito Bernard, Professeur, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157562024-01-16T14:07:19Z2024-01-16T14:07:19ZComment créer une nouvelle université, au XXIᵉ siècle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/558123/original/file-20231107-21-ras0om.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C991%2C663&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le lieu nommé « université » peut se définir comme un établissement d’enseignement supérieur formellement autorisé à émettre des diplômes.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Si on créait une université aujourd’hui, comment s’y prendrait-on ?</p>
<p>Il arrive fréquemment que des gestionnaires ou des professeurs d’université peinent à mettre en place un projet au sein de leur institution. Ils expliquent alors cette difficulté par les contraintes imposées par l’administration, les conventions collectives, les règles en place, les traditions ou les usages. </p>
<p>Tel projet serait-il plus facile à réaliser si on repartait de zéro en créant une toute nouvelle université ? Peut-être, mais comment crée-t-on une université au XXI<sup>e</sup> siècle ? </p>
<p>Voici la grande question qui a hanté mes jours (et mes nuits) des quatre dernières années. J’ai récemment complété une <a href="https://depot-e.uqtr.ca/id/eprint/10732/1/eprint10732.pdf">thèse</a> sur les enjeux de communication et de gestion entourant la création d’une université à partir de zéro – un phénomène rare. Nous avons eu la chance d’assister à un tel événement avec la fondation en 2017 de <a href="https://uof.ca/">l’Université de l’Ontario français (UOF)</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/luniversite-de-lontario-francais-voici-ce-quelle-pourrait-devenir-110072">L'Université de l'Ontario français: voici ce qu'elle pourrait devenir</a>
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<p>J’ai ainsi pu décomposer les étapes de création de cette nouvelle institution, et réfléchir à la fois à la mise en place de composantes de l’université idéale, à l’influence des facteurs externes ainsi qu’à la façon dont les différentes communautés discutent d’un tel projet. </p>
<p>Dans un premier temps, j’ai analysé l’expérience vécue par les fondateurs de l’UOF et les publications médiatiques sur l’histoire de cette création. Dans un deuxième temps, j’ai rencontré des experts de l’enseignement supérieur (chercheurs et dirigeants d’universités) pour discuter de la question de la naissance d’une université. J’ai ainsi vite constaté que de me pencher sur ce moment important m’en apprenait beaucoup sur les tensions vécues par l’université au XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Qu’est-ce qu’une université ?</h2>
<p>Le lieu nommé « université » peut se définir comme un <a href="https://www.cairn.info/revue-politiques-et-gestion-de-l-enseignement-superieur-2005-2-page-9.htm">établissement d’enseignement supérieur formellement autorisé à émettre des diplômes</a>. </p>
<p>La notion d’université, quant à elle, peut être définie de plusieurs façons. En 1895, le philosophe Hastings Rashdall l’associe à la racine latine « universitas », qui sous-tend l’idée d’une organisation corporative, d’une communauté. </p>
<p>Cet espace d’entraide, de défense d’intérêt commun, réunit, dès son origine, l’ensemble des étudiants et des professeurs ayant la mission commune d’explorer, de partager, de questionner les connaissances humaines. J’ai trouvé instructif d’observer comment l’UOF, université nouvelle, a tenté d’actualiser une telle notion. Pour développer la <a href="https://theconversation.com/luniversite-de-lontario-francais-voici-ce-quelle-pourrait-devenir-110072">signature pédagogique</a> de cette institution, ses fondateurs ont pris en compte les compétences requises par le marché du travail et la société à notre époque, ainsi que les pratiques innovatrices en enseignement supérieur. Cette signature pédagogique s’appuie ainsi sur quatre approches : la transdisciplinarité, l’apprentissage inductif, l’apprentissage expérientiel et les compétences.</p>
<p>La création de l’UOF constitue également l’aboutissement d’une <a href="https://histoireengagee.ca/quelle-universite-pour-quelle-societe-petite-histoire-du-debat-intellectuel-entourant-la-question-universitaire-franco-ontarienne/">revendication de longue date</a> émanant d’une partie de la communauté franco-ontarienne. Une année après sa fondation en 2017, le gouvernement progressiste-conservateur stoppe le financement de l’UOF. Aussitôt, la communauté franco-ontarienne se mobilise pour contester cette décision. Ce mouvement populaire contribue à la volte-face du gouvernement ontarien. En 2020, ce dernier conclut une entente avec le gouvernement fédéral afin de financer les huit premières années d’existence de l’UOF. </p>
<h2>Une page avec peu d’espace de création</h2>
<p>Un constat a rapidement émergé de mes recherches : la création d’une nouvelle université ne se déroule pas sur une page complètement blanche. L’UOF a été créée selon des échéanciers serrés, en négociant avec les différents gouvernements en place et en luttant pour sa survie au sein d’un système d’enseignement supérieur parfois hostile, ainsi que dans un contexte social et historique mouvementé. À toutes les étapes de la création de l’institution, l’équipe fondatrice a dû composer avec la dynamique politique et avec les rapports de force entre les parties prenantes : représentants des collectivités francophones, des établissements d’enseignement supérieur, des ministères, des élus. </p>
<p>L’université rêvée est rapidement rattrapée par la réalité. </p>
<p>Pour les nombreux experts de l’enseignement supérieur rencontrés, la création d’une université passe nécessairement par la mise en place de composantes liées à sa mission soit : l’enseignement, la recherche et les services aux collectivités. </p>
<p>La nouvelle université, comme les universités établies, est soumise à un cadre normatif assez contraignant. L’institution s’inscrit également au sein d’une communauté qui lui soumet de nombreuses attentes (formation, développement économique). Elle évolue, de plus, dans un système d’enseignement supérieur qui lui impose une concurrence féroce. </p>
<p>Les rapports entre les différents groupes d’intérêt, à l’intérieur et à l’extérieur de l’université, façonnent alors ce qu’elle peut devenir. Quelle part de création demeure donc pour l’université ? </p>
<h2>Fortes pressions, faible cohésion</h2>
<p>Pour l’UOF, les attentes des différents acteurs concernés par le projet (communautés francophones de la province, associations franco-ontariennes, gouvernements, organisations issues des milieux politiques et économiques, administrateurs de l’UOF) étaient nombreuses et parfois contradictoires, tant au niveau du lieu de fondation (Toronto ou ailleurs en Ontario) que de l’offre de formation (programmation traditionnelle ou innovante). De plus, ces acteurs n’ont eu que très peu de temps pour discuter ensemble de ce projet. </p>
<p>Un deuxième constat émerge ainsi de l’analyse du discours des experts sur la question : la communauté universitaire à notre époque peine à se rassembler autour d’un projet commun. Ce projet tend à se réduire à un compromis, fragile et insatisfaisant pour la plupart des acteurs. </p>
<p>Dès sa création, et tout au long de son existence, il apparaît donc que la communauté universitaire est fragilisée par les tensions qui l’assaillent. L’institution doit composer avec des tensions inhérentes à la réalité universitaire multiséculaire (son mode de gouvernance par les pairs, l’équilibre à trouver entre recherche et enseignement ou entre recherche fondamentale et appliquée, notamment). Ces tensions s’additionnent à celles, plus nombreuses, que subit l’université à notre époque (mentionnons seulement les attentes du gouvernement en place et celles des milieux socio-économiques sur les types de formation ou de développement de la recherche, notamment). </p>
<p>Ces tensions sont intégrées dans les structures internes et sont alimentées par les universitaires eux-mêmes. Le gouvernement, les partenaires de la communauté externe, les différents types d’étudiants, de professeurs, de cadres et d’employés, les syndicats et les associations : tous ont et expriment des attentes multiples, complexes et souvent contradictoires. Les lieux de rencontre pour discuter d’éventuelles voies de passage ou d’un projet commun, autant aux niveaux institutionnel, communautaire ou public, ne semblent pas toujours efficaces. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C14%2C2389%2C1253&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="façade de l’UOF" src="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C14%2C2389%2C1253&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558075/original/file-20231107-20-a16ngw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=400&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La création de l’Université de l’Ontario français constitue l’aboutissement d’une revendication de longue date émanant d’une partie de la communauté franco-ontarienne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(https://uontario.ca)</span></span>
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</figure>
<h2>L’utopie de la corporation universitaire</h2>
<p>J’ai pu observer, en rencontrant les fondateurs de l’UOF ainsi que les experts de l’enseignement supérieur, que la corporation universitaire est encore aujourd’hui considérée comme une utopie. <em>Corporari</em>, en latin, signifie « se former en corps ». Cela évoque l’idée d’une organisation idéale constituée de plusieurs acteurs partageant un but commun. </p>
<p>L’université est donc représentée comme un corps, où professeurs, étudiants et artisans, issus de la communauté interne et externe à l’université, partagent une même compréhension de la raison d’être de l’institution. Les turbulences rapides vécues par les universités dans les dernières décennies, couplées aux tensions qu’elles vivent déjà, ont toutefois réduit la capacité de la communauté universitaire à « faire corps ». </p>
<p>À l’évidence, l’université ne se crée ni ne se développe en vase clos. Comme nous l’avons vu dans le cas de l’UOF, l’université est à la fois influencée par la société qui l’accueille (actuellement marquée par la montée de l’individualisme, par la fragmentation des communautés et par la fragilisation du lien social) et contributive au développement de cette dernière. </p>
<p>Elle reste une de ces institutions qui peuvent, selon moi, être précurseures d’une façon nouvelle de concevoir le vivre-ensemble. </p>
<p>Mais cela passe nécessairement par l’apaisement de certaines tensions. Et par une communauté universitaire qui prend le temps nécessaire pour se rassembler en une corporation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215756/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François-René Lord ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment crée-t-on une université au XXIᵉ siècle ? Comment cette expérience se déroule-t-elle ? Et que nous apprend l’analyse de ce phénomène ?François-René Lord, Professeur subsitut en communication , Université TÉLUQ Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2206452024-01-09T18:36:17Z2024-01-09T18:36:17ZRetour à l’école : le tutorat, une des solutions au rattrapage scolaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568312/original/file-20240108-15-s5ntry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=49%2C0%2C5490%2C3649&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Après avoir manqué plusieurs jours, voire semaines d'école, le tutorat peut permettre d’aider certains élèves au Québec. Mais sa forme doit être repensée. </span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Les élèves québécois reviennent à l’école après une grève d’enseignants du secteur public variant de plusieurs jours à plusieurs semaines, selon les cas. Cette interruption n’est pas sans rappeler celle provoquée par la pandémie de Covid-19. À chaque fois, le tutorat a été évoqué comme un recours potentiel pour favoriser une certaine continuité dans les apprentissages ou un rattrapage scolaire. </p>
<p>Sociologue de formation et professeure en éducation, je m’intéresse <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-le_tutorat_de_pairs_dans_l_enseignement_superieur_enjeux_institutionnels_technopedagogiques_psychosociaux_et_communicationnels_cathia_papi-9782343004143-40007.html">au tutorat sous différentes formes depuis plusieurs années</a>. J’ai mené, de 2021 à 2023, une recherche sur quelques mesures mises en œuvre par le ministère de l’Éducation du Québec en 2021, notamment celle concernant le tutorat. En attendant la publication des résultats en avril, je propose dans cet article de revenir sur ce recours au tutorat.</p>
<h2>Des pertes d’apprentissage</h2>
<p>Dès les premiers mois de confinement visant à endiguer la pandémie, les <a href="https://doi.org/10.3102/0013189X20965918">projections internationales</a> prévoyaient des pertes d’apprentissage, concernant tant ceux prévus, mais n’ayant pas pu avoir lieu, que les oublis des apprentissages précédemment réalisés.</p>
<p>De fait, en 2022, il a été possible de constater un <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/fr/education/pisa-2022-results-volume-ii_a97db61c-en">important déclin du niveau des élèves dans la plupart des pays de l’OCDE</a>. Le Québec n’y a pas échappé. En effet, malgré des <a href="https://www.cmec.ca/Publications/Lists/Publications/Attachments/438/PISA-2022_Canadian_Report_EN.pdf">scores toujours parmi les meilleurs aux tests PISA en mathématiques</a>, les résultats aux examens ministériaux de 2022 (français écrit de cinquième secondaire et mathématiques de quatrième secondaire) ont mis en évidence que, dans l’ensemble, les <a href="https://www.journaldequebec.com/2023/01/26/des-eleves-ont-reussi-lexamen-de-math-avec-55">élèves avaient un niveau plus faible que ceux ayant passé ces examens avant la pandémie en 2019</a>. </p>
<p>Par ailleurs, au printemps 2023, les trois quarts des 309 directions d’écoles publiques primaires et secondaires ayant participé à notre enquête nous ont indiqué qu’en dépit d’un retour en classe sans interruption en 2022-2023, davantage de lacunes et de difficultés qu’avant la pandémie étaient toujours constatées chez les élèves. Ces dernières concernaient aussi bien les apprentissages, que la socialisation et le bien-être, et venaient alourdir la charge de travail du personnel scolaire, notamment des enseignants.</p>
<p>Alors que les élèves n’avaient encore pas récupéré de la pandémie, l’interruption scolaire du mois de décembre, suivi des vacances de Noël, ont fait en sorte que certains élèves n’ont pas été en classe pendant une durée pouvant aller jusqu’à un mois et demi. Les recherches existantes sur les <a href="https://doi.org/10.1111/caje.12035">grèves d’enseignants en Ontario</a> ou <a href="https://doi.org/10.4000/ries.9950">à l’étranger</a> font état de pertes d’apprentissage, tout comme les recherches sur les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.3102/0002831220937285">interruptions liées aux vacances estivales</a>. Cette récente interruption scolaire — une des <a href="https://www.journaldemontreal.com/2023/12/16/nos-ecoles-fermees-une-greve-rare-a-lechelle-mondiale#:%7E:text=21%20jours%20%C3%A9tal%C3%A9s%20sur%20cinq,dans%20les%20annales%20du%20Qu%C3%A9bec.">plus longues enregistrées dans le monde</a> — va sans doute exacerber les difficultés déjà rencontrées par plusieurs élèves.</p>
<h2>Le tutorat, une forme d’aide connue et efficace</h2>
<p>Durant la pandémie, le tutorat a constitué une des <a href="https://www.torontomu.ca/diversity/reports/the-evidence-for-tutoring-to-accelerate-learning-and-address-educational-inequities-during-canada-s-pandemic-recovery">solutions privilégiées par plusieurs gouvernements pour aider les élèves</a>, notamment en Australie, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Ontario et au Québec. De plus, bon nombre de parents <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/education/2022-01-04/le-recours-au-tutorat-en-pleine-croissance.php">ont eu recours à des services de tutorat pendant et à la suite de la pandémie</a>, de même que <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2032995/greve-fae-tutorat-parents-popularite">durant de la grève des enseignants</a>.</p>
<p>Existant de longue date, le tutorat est une forme d’aide connue, proposée par diverses organisations (écoles, organismes à but non lucratif, entreprises) et mêlant généralement soutien scolaire et socioaffectif grâce au lien privilégié qui se tisse entre le tuteur et le tutoré. De plus, <a href="https://theconversation.com/le-tutorat-pour-soutenir-les-eleves-une-bonne-idee-196268">comme je l’ai écrit dans un précédent article</a>, le tutorat, surtout <a href="https://annenberg.brown.edu/sites/default/files/EdResearch_for_Recovery_Design_Principles_1.pdf">dans sa formule intensive</a> (assuré par des professionnels de l’éducation ou des intervenants formés et effectué de manière individuelle ou auprès de petits groupes d’au plus trois ou quatre élèves, de manière régulière au moins trois fois par semaine), s’avère être <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.3102/0034654316687036">l’approche de soutien à l’apprentissage la plus efficace selon la littérature scientifique</a>.</p>
<h2>Les limites d’une bonne idée</h2>
<p>Au Québec, depuis 2021, un financement est accordé pour encourager le déploiement du tutorat pour les élèves en difficulté. Dans la mesure où d’autres dispositifs de soutien à l’apprentissage étaient déjà en place dans les écoles (réponse à l’intervention, coenseignement, récupération, etc.) le <a href="https://theconversation.com/le-tutorat-pour-soutenir-les-eleves-une-bonne-idee-196268">financement du tutorat a parfois été utilisé pour développer davantage ces dispositifs</a>, plutôt que pour en ajouter d’autres, propres au tutorat.</p>
<p>Certains parents peuvent ainsi avoir l’impression que leurs enfants n’ont pas bénéficié ou ne bénéficient pas de la mesure tutorale, alors qu’ils en profitent indirectement dans un autre dispositif. Les sommes allouées semblent effectivement avoir été utilisées pour soutenir les élèves, mais dans des dispositifs n’ayant pas toujours l’appellation « tutorat » ni toutes les caractéristiques du tutorat intensif.</p>
<p>Le tutorat intensif est peu connu du milieu scolaire. Les méta-analyses ont donné lieu <a href="https://www.povertyactionlab.org/publication/transformative-potential-tutoring-pre-k-12-learning-outcomes-lessons-randomized">à des publications scientifiques en anglais, pour la plupart récentes</a> et ne semblent pas avoir été diffusées dans les milieux scolaires. </p>
<p>Si des effets positifs de l’accompagnement ainsi offert sont constatés par les directions d’école, ils ne sont pas toujours aussi importants qu’ils pourraient l’être. De plus, alors que le tutorat est le plus souvent exercé par du personnel scolaire, les contraintes en termes de disponibilités et de budget amènent en général à réserver ces services aux élèves les plus en difficulté. </p>
<p>Par ailleurs, le fait que certaines familles recourent à des services de tutorat privé est susceptible d’accentuer les <a href="https://www.quebecscience.qc.ca/societe/ecole-trois-vitesses-egalite/#:%7E:text=Son%20rapport%20de%20recherche%2C%20publi%C3%A9,retrouvent%20ensemble%2C%20en%20petite%20communaut%C3%A9.">inégalités déjà importantes dans un système à trois vitesses</a>.</p>
<p>Bien qu’il offre un soutien incontestable à certains élèves, le tutorat, dans sa forme actuelle, ne permet donc pas forcément d’aider tous les élèves en ayant besoin, ni de réduire les inégalités autant que cela pourrait être souhaité. </p>
<p>Pour accroître sa portée, il semblerait pertinent, non seulement de poursuivre le tutorat déjà en place (et pourquoi pas d’en augmenter le budget), mais aussi de faire enfin connaître les critères du tutorat intensif, de soutenir davantage les organismes à but non lucratif en proposant, voire de créer des aides financières en fonction des revenus pour les familles faisant appel à des services de tutorat privé. </p>
<p>Tous les élèves ne se sont pas encore remis de la pandémie, tant en termes de bien-être que d’apprentissage, et la majorité vient de vivre une nouvelle interruption scolaire. Il parait ainsi important d’accorder à ces élèves tout le soutien nécessaire et d’envisager de se centrer une année de plus sur l’évaluation des savoirs essentiels.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220645/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cathia Papi a reçu des financements du ministère de l'Éducation du Québec pour la réalisation de cette recherche. </span></em></p>Bien qu’il contribue à soutenir certains élèves, le tutorat tel qu’il existe actuellement ne permet pas d’aider tous les élèves en ayant besoin ni de réduire toutes les inégalités.Cathia Papi, Professeure, CURAPP-ESS, Université TÉLUQ Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2199152023-12-18T04:24:45Z2023-12-18T04:24:45ZSénégal : la langue arabe progresse, malgré la domination du français<p>Depuis 2012, la journée mondiale de la langue arabe, est célébrée le &_ décembre de chaque année, conférant ainsi à cette langue sémitique une stature de langue de communication internationale. La date du 18 décembre a été retenue pour commémorer le jour où l'arabe est devenue <a href="https://www.unesco.org/fr/world-arabic-language-day">langue officielle et de travail de l'ONU</a> en 1973.</p>
<p>Cette journée offre l'opportunité de reconnaître la richesse culturelle et linguistique portée par l'arabe. Au Sénegal, la célébration de cette journée revêt une signification particulière. Le français, héritage du passé colonial, a été imposé comme <a href="https://theconversation.com/recul-du-francais-au-senegal-de-lhegemonie-officielle-a-la-decheance-194392">langue officielle dominante dans l'administration</a>, reléguant au fil du temps l'arabe au statut de langue exclusivement associée au domaine religieux. </p>
<p>Cette orientation a conduit à ignorer sa contribution historique à l'édification des connaissances écrites au Sénégal.</p>
<p>Ce papier tente d’analyser les perspectives et les défis actuels de la langue arabe au Sénégal. Il ne sera pas question de dresser les francophones contre arabophones, mais, d’œuvrer au remembrement de notre héritage culturel, en mettant en valeur tous ces aspects occultés ou peut-être méconnus de la trajectoire intellectuelle du Sénégal qui est loin d’être unilingue, mais essentiellement plurilingue.</p>
<h2>Enjeux et défis d’une valorisation</h2>
<p>Au Sénégal, l'empreinte du passé colonial a considérablement redessiné le paysage linguistique attribuant au français le rôle prééminent de langue officielle dans l'administration et au sein de l'élite. Ce processus historique a fini par reléguer l’arabe au rang de langue associée à la pratique religieuse, dépourvue de toute considération intellectuelle. Alors qu’au Sénégal, et pendant longtemps, l’enseignement de l’arabe a été<a href="https://www.karthala.com/accueil/339-histoire-politique-du-senegal-9782865371181.htmla"> la première étape</a> dans la fabrication des savoirs écrits. </p>
<p>Ce qui se manifeste à travers ce qui est convenu d’appeler la littérature sénégalaise d’expression arabe et ajami (Ajami désigne les populations non arabes de la communauté musulmane et par extention la littérature produite dans les langues africaines avec les caractères arabes). </p>
<p>S’agissant de l’introduction de l’arabe dans l’école laïque sénégalaise, l’on peut dire que bien que <a href="https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers15-07/010065046.pdf">présent à l’élémentaire depuis 1963</a>, son enseignement a connu une longue période d’incertitude, dans la mesure où il n’existait aucun texte règlementaire fixant son programme et ses horaires.</p>
<p>Cependant, l’an 2002 marque une <a href="https://journals.openedition.org/cres/2428?lang=en">date charnière</a> dans l’histoire de l’enseignement de l'arabe dans le système éducatif au Sénégal. A partir de cette année, le temps alloué à cette offre éducative passe d’une heure à quatre heures par semaine, selon nos entretiens réalisé auprès de la division de l'enseignement arabe. Cette dynamique positive a été accompagnée d’une politique de recrutement d’enseignants en langue arabe au même titre que leurs collègues des autres disciplines. Le nombre d’enseignants en arabe qui était de 8 en 1962 passera à 13.358 en 2020 à l’élémentaire (classique et franco-arabe), selon Ousmane Ba, chef de la division de l'enseignement arabe. </p>
<p>Pour le moyen-secondaire, leur nombre actuel est de 2307 professeurs. En ce qui concerne l’encadrement, les inspecteurs en langue arabe étaient de 19 en 2000, contre 108 en 2022.</p>
<p>Ces différentes réformes intervenues dans le secteur de l’éducation ont mis fin à une précarité professionnelle, doublée d’une injustice sociale de l’enseignant en langue arabe, dépourvu de toute protection sociale, juridique et statuaire. </p>
<h2>Quel avenir ?</h2>
<p>Aujourd’hui, l’arabe est non seulement la langue officielle de 22 États, dont des puissances économiques et diplomatiques. Elle est également enseignée dans les plus grandes universités du monde, tout comme elle est utilisée par les plus grands médias du monde. </p>
<p>L’arabe fait aussi partie des langues de travail de l’Organisation des nations unies (ONU). Cet état de fait est loin d’être anodin, conformément au principe d’égale authenticité des versions traduites qui ont la même valeur juridique.</p>
<p>En service à l’ambassade du Sénégal en Russie, où presque tous les pays arabes sont représentés, Ndiaga Bèye souligne comment la langue arabe lui sert beaucoup dans le cadre de ses activités professionnelles, en tant que Premier conseiller, pour nouer des contacts à l’occasion de réceptions diplomatiques. Selon lui, la langue arabe contribue à la diversification de ses sources d’information en lui permettant également d’avoir une bonne grille de lecture. </p>
<p>De nos jours, les critiques ne manquent pas sur le modèle éducatif hérité de la colonisation. On reproche très souvent à cette école d’être élitiste et rigide, agnostique et peu respectueuse des coutumes africaines. La réinvention de cette école tant réclamée ne se fera pas sans une institutionnalisation de l’offre éducative dite arabo-islamique. </p>
<p>A ce propos, nous proposons une harmonisation maîtrisée des deux offres éducatives ou la mixité, en lieu et place d’une séparation. Cette séparation serait synonyme de ghettoïsation de l’enseignement arabe au sein de la République sénégalaise. De ce point de vue, l’espace scolaire devrait constituer le lieu le plus adéquat pour donner de la valeur et de la légitimité scientifique et sociale à une langue et aux personnes qui la pratiquent. </p>
<p>Laisser l’enseignement de la langue arabe aux seules initiatives privées reviendrait à en faire davantage une langue subversive et de la fermeture, une langue passéiste et de la peur, une langue suspecte et de la honte. </p>
<p>Au Sénégal, la langue arabe dispose d’un passé glorieux, d'un présent rassurant et d'un avenir prometteur. Pour s’en convaincre, il suffit juste de rappeler qu’elle ne cesse de progresser se diffuser à la faveur des initiatives des pouvoirs publics en sa faveur (création d’écoles publiques arabes, Baccalauréat arabe, accès des diplômés en arabe au concours d'entrée à l'École nationale d'administration, recrutement de professeurs et d’inspecteurs…). </p>
<p>Cependant, sa principale contrainte est le contexte politique et social dans lequel son enseignement a toujours évolué. Ce contexte a favorisé une sorte de confrontation avec la culture occidentale dont la domination s'est traduite par l’adoption du français comme langue officielle. Toutefois, l’enseignement de l'arabe a pu résister face à cette concurrence à la faveur de son ancrage social et territorial ainsi que la détermination salutaire des intellectuels arabophones qui, curieusement ne sont pas très souvent considérés comme tels par une certaine élite au Sénégal. </p>
<p>Aussi, devant l’idée d’une marginalisation supposée ou réelle de l’élite arabophone dans l’espace public sénégalais, les arabisants doivent également travailler à la maîtrise des autres langues de communication comme le français, la langue officielle, et accessoirement l’anglais, pour donner plus de valeur à leur compétence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219915/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Serigne Mbaye Dramé does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Laisser l’enseignement de la langue arabe aux seules initiatives privées reviendrait à en faire davantage une langue subversive et de la fermeture, une langue passéiste.Serigne Mbaye Dramé, Doctorant en études arabes et islamiques, Université Cheikh Anta Diop de DakarLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2185502023-12-12T18:48:06Z2023-12-12T18:48:06ZEn Russie, un nouveau manuel d’histoire au service de l’idéologie du pouvoir<p>Depuis le 1<sup>er</sup> septembre 2023, les élèves russes des 10<sup>e</sup> et 11<sup>e</sup> classes (l’équivalent de la 1<sup>e</sup> et de la Terminale) étudient l’histoire de leur pays – de la Première Guerre mondiale à nos jours – d’après un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/08/18/russie-un-nouveau-manuel-d-histoire-renforce-la-narration-du-kremlin-sur-la-guerre-en-ukraine_6185758_3210.html">nouveau manuel</a> en deux volumes dont le principal auteur est <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/06/09/vladimir-medinski-ministre-russe-de-l-inculture-et-de-la-propagande_5312227_3232.html">Vladimir Medinski</a>, ancien ministre de la Culture (2012-2020), désormais <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-vladimir-medinski-ce-negociateur-qui-veut-reecrire-l-histoire-de-la-grande-russie-au-cote-de-vladimir-poutine_4989732.html">conseiller de Vladimir Poutine</a>.</p>
<p>L’examen détaillé de ce manuel permet de constater à quel point tous les processus et événements de ces quelque 110 dernières années sont présentés d’une façon parfaitement conforme à la vision de l’histoire que <a href="https://tracts.gallimard.fr/fr/products/poutine-historien-en-chef">diffuse inlassablement le président russe</a> – qui aime à se voir lui-même comme un <a href="https://www.prlib.ru/en/article-vladimir-putin-historical-unity-russians-and-ukrainians">grand connaisseur en la matière</a> – afin de justifier ses actions actuelles… et futures.</p>
<h2>Staline : un bilan globalement positif</h2>
<p>Moderne, efficace, adaptant une propagande de style soviétique à de nouvelles stratégies de communication, ce manuel, désormais unique, est censé contenir la « vérité historique » dont l’État russe se proclame gardien. Les élèves sont invités à s’appuyer sur des documents fiables regroupés à la fin de chaque sous-chapitre dans la rubrique « sources », tout en découvrant une pluralité d’opinions, afin de devenir des citoyens dotés de sens critique.</p>
<p>Ainsi, on peut lire en regard les jugements fort contrastés de deux biographes de Staline, l’historien <a href="https://postnauka.org/books/44493">Oleg Khlevniouk (2015)</a> et l’apologète du dictateur <a href="https://www.labirint.ru/books/19002/">Iouri Emelianov (2002)</a>. Aucun savoir dialogique n’émerge cependant de cette apparente objectivité. L’élève, s’il a intériorisé le message global du manuel, à savoir que les jugements négatifs sur Staline profitent aux ennemis de la Russie (l’Occident), a vite fait son choix.</p>
<p>Certes, il est « libre » de penser le contraire, mais l’abondance de possessifs – notre pays, nos athlètes, nos réalisations, notre société… – suggère qu’il ne serait alors pas du bon côté. Certaines « sources » laissent d’ailleurs le lecteur perplexe, tel l’extrait de la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/je-vous-prie-de-rendre-la-liberte-a-mon-livre-quand-vassili-grossman-ecrivait-a-nikita-khrouchtchev-9615264">lettre adressée par Vassili Grossman à Khrouchtchev en 1962</a>. Amputée de sa partie principale où l’écrivain protestait contre la confiscation de son grand roman <em>Vie et destin</em> (« détail » qui n’est mentionné nulle part), elle donne l’impression que Grossman souhaite simplement se plaindre en haut lieu de ses confrères écrivains qui refusent de publier son livre tout en reconnaissant sa valeur et authenticité.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/RIJ2C16gIho?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption"><em>Vu de Russie</em> : que contiennent les nouveaux manuels scolaires russes d’histoire ? France 24, 8 septembre 2023.</span></figcaption>
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<p>Le manuel, <a href="https://rg.ru/2023/08/07/zaglianut-v-proshloe-chtoby-poniat-proishodiashchee-za-oknom.html">nous disent ses commentateurs officiels</a>, n’occulte pas les pages sombres de l’histoire russe. En effet, il n’omet ni les répressions staliniennes (mais le nombre de victimes est divisé par trois au bas mot : il est question de trois millions alors que les historiens s’accordent sur un <a href="https://www.memo.ru/ru-ru/biblioteka/masshtaby-sovetskogo-politicheskogo-terrora/">minimum de onze millions</a>), ni les <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2014-1-page-77.htm">famines des années 1930</a> (mais on insiste sur les aides apportées à l’Ukraine par le gouvernement de Staline), ni le pacte germano-soviétique (<a href="https://www.lefigaro.fr/international/2015/05/11/01003-20150511ARTFIG00216-poutine-rehabilite-le-pacte-molotov-ribbentrop.php">présenté, conformément à la vision de Poutine, comme un geste de sagesse politique</a>), ni les difficultés de la vie quotidienne. Le bilan reste globalement positif. D’ailleurs, quand bien même les élèves prendraient au sérieux les quelques ombres nuançant ce tableau radieux (qui englobe la diaspora, versée au patrimoine de la russité triomphale), l’abondante iconographie, dont quantité d’images de propagande soviétiques, distille un message subliminal optimiste.</p>
<h2>L’Occident, éternel ennemi</h2>
<p>C’est l’Occident, les États-Unis en premier lieu, qui apparaît responsable de la plupart des crises que traversent l’URSS et les « démocraties populaires », puis la Russie et le monde russe. Ainsi, on lit à propos des événements de 1956 :</p>
<blockquote>
<p>« Pensant à juste titre que la crise hongroise était attisée par les services spéciaux occidentaux et l’opposition intérieure soutenue par ces derniers [anciens fascistes], l’URSS envoya ses troupes en Hongrie et aida les autorités hongroises à juguler les émeutes. »</p>
</blockquote>
<p>Une argumentation similaire est utilisée pour justifier l’invasion de la Tchécoslovaquie en 1968. L’Occident aurait également tiré profit des guerres de Tchétchénie qui ont affaibli la Russie post-soviétique. En 2008, la Russie déclenche une « opération pour contraindre la Géorgie à la paix », ce pays étant une « première “torpille” antirusse de l’Occident ».</p>
<p>Cette diabolisation s’accentue dans les chapitres consacrés à la « réunification » avec la Crimée. Les États-Unis et l’OTAN auraient fait de l’Ukraine un « bélier » contre la Russie : « […] on redoublait d’efforts pour transformer l’Ukraine en une anti-Russie, hostile à la Russie et totalement contrôlée par l’Occident ». La justification de l’invasion est d’ailleurs préparée bien en amont des chapitres sur Maïdan, la Crimée et « l’Opération militaire spéciale » (SVO selon le sigle russe). Une « décision irréfléchie » de Khrouchtchev, à savoir l’amnistie des citoyens soviétiques ayant collaboré avec l’occupant durant la période de la Grande Guerre patriotique (1941-1945) (décret du 17 septembre 1955), aurait</p>
<blockquote>
<p>« permis à de nombreux anciens complices du nazisme non seulement de retrouver la liberté, mais également de […] faire carrière en profitant de la campagne de réhabilitation et de lutte contre le culte de personnalité". Ce qui a favorisé, par la suite, l’émergence et la montée du nationalisme dans les pays Baltes et en Ukraine occidentale ».</p>
</blockquote>
<p>La campagne de réhabilitation des victimes des répressions staliniennes se trouve ainsi discréditée, et la dénazification de l’Ukraine apparaît comme une réparation de l’erreur commise par Khrouchtchev.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1626995966460018688"}"></div></p>
<p>Tout au long de ce XX<sup>e</sup> siècle, « La population apportait son soutien aux projets de l’État » (à propos du plan de reconstruction d’après-guerre). « Ces mesures trouvaient de la compréhension au sein de la société » (à propos de l’exécution des collaborateurs). La Grande Guerre patriotique « a renforcé l’unité morale et politique de la société ». En revanche, les <a href="https://www.cairn.info/le-cimetiere-de-l-esperance--9782262078799-page-349.htm">révélations du XX<sup>e</sup> Congrès sur les crimes de Staline</a> ont provoqué un profond désarroi dans la population. Tout comme, sans surprise, la dissolution de l’URSS.</p>
<p>Il faudra attendre l’arrivée au pouvoir de Poutine pour que soit restauré le consensus social, critère implicite du bon gouvernement. Cette cohésion n’a jamais été aussi forte que depuis le début de « l’Opération militaire spéciale » : celle-ci a « uni notre société, des gens de différents âges et professions ». Le soutien de la population s’exprime « par un véritable culte de la fierté pour les combattants de la SVO » et une aide humanitaire aux habitants des territoires « libérés ». Ceux-là en ont fortement besoin, car,</p>
<blockquote>
<p>« en libérant les villes, nos combattants trouvent des preuves de crimes de masse commis par les nationalistes ukrainiens qui maltraitent les civils et torturent les prisonniers ».</p>
</blockquote>
<h2>Manipuler le passé pour préparer l’avenir</h2>
<p>Reste à savoir ce que les élèves feront de cet amas de mensonges. Certains sont sans doute capables de les déceler. Après tout, en URSS aussi, on se moquait bien des vérités officielles. Ce qui n’empêchait pas de les débiter fidèlement le jour de l’examen. Par ailleurs, cette réécriture de l’histoire ne touche pas seulement les lycéens, mais les élèves de tous les âges, depuis l’école maternelle soumise à <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-72.html">« l’éducation patriotique »</a> jusqu’aux étudiants du supérieur et aux chercheurs qui doivent renoncer à certains thèmes comme la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/en-russie-toute-personne-qui-s-ecarte-de-la-ligne-officielle-sur-la-seconde-guerre-mondiale-risque-jusqu-a-cinq-annees-de-camp-20210326">Seconde Guerre mondiale</a> ou les <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Europe/En-Russie-historien-prison-avoir-enquete-goulag-2017-08-17-1200870143">répressions staliniennes</a> ; ainsi que le reste des citoyens à travers les écrans de télévision, les scénographies muséales et les lois sanctionnant les « falsifications de l’histoire » et la <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/russie-plus-de-3300-affaires-pour-discreditation-de-l-armee-selon-une-ong-20220722">« discréditation de l’armée »</a>.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/1984-de-george-orwell-quel-miroir-pour-la-russie-de-lere-poutine-185439">« 1984 » de George Orwell : quel miroir pour la Russie de l’ère Poutine ?</a>
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<p>Les réflexes de la <a href="https://www.cairn.info/le-monstre--9782130365952-page-131.htm">« double pensée »</a> ressurgissent face à la répression, elle aussi de retour. Et avec eux, le cynisme, cette fois-ci non comme refuge, mais comme « méthode historique ». Le véritable enjeu de l’apprentissage, ce ne sont pas les faits, mais l’usage que l’on fait de leurs interprétations : le nouvel ordre mondial porté par la Russie semble être avant tout un « ordre de discours ». Qu’importe, au fond, le remplissage de ce dernier, l’essentiel étant de profiter des opportunités du moment : c’est à cela que le manuel incite les élèves en définitive :</p>
<blockquote>
<p>« Des temps aussi uniques n’adviennent pas souvent dans l’histoire. Après le départ des entreprises étrangères, de nombreux marchés s’ouvrent à vous. Des possibilités fantastiques de carrière dans le business et de création de start-up vous sont ouvertes. Ne laissez pas échapper cette chance. Aujourd’hui, la Russie est véritablement le pays de toutes les possibilités. »</p>
</blockquote>
<p>Comme à l’époque soviétique, la « vérité historique » dépend de la ligne générale : à preuve, la remise au satrape de la Tchétchénie Ramzan Kadyrov, en mains propres, du manuel corrigé par le ministre de l’Éducation <a href="https://twitter.com/DrJadeMcGlynn/status/1723434230296842648">Sergueï Kravtsov</a> : dans la version précédente, les peuples déportés du Caucase après la Guerre, dont les Tchétchènes, étaient présentés comme des collaborateurs des nazis. Une « dénazification » opérée en un tournemain, scellée en amont par les des deux guerres tchétchènes. Car pour « postmoderne » que soit cette histoire, elle s’écrit bien avec du sang réel. Et on frémit en constatant que tout au long du texte, les nazis ukrainiens apparaissent en compagnie de nazis baltes. La vision poutinienne du passé étant avant tout un programme pour le futur, on se demande quelle autre « opération spéciale » sera appelée à unifier la société russe de demain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218550/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luba Jurgenson est membre de l'association Mémorial France</span></em></p>Les élèves de l’équivalent russe de la 1ᵉ et de la terminale étudieront désormais l’histoire des XXᵉ et XXIᵉ siècles dans un manuel qui pourrait avoir été rédigé par Vladimir Poutine en personne.Luba Jurgenson, Professeure de littérature russe, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179352023-11-26T15:41:03Z2023-11-26T15:41:03Z18-25 ans : des jeunes étonnamment optimistes et résilients<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/561311/original/file-20231123-23-10xms0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">18-25 ans : des jeunes étonnamment optimistes et résilients </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans un contexte difficile, les jeunes sont plus positifs qu’on ne le pense face aux défis de demain, plus matures aussi et se définissent principalement par les causes qu’ils défendent en privilégiant des modes d’action dans la sphère privée plutôt que dans un espace public qui ne les inspire pas.</p>
<p>Tels sont les principaux enseignements de l’enquête exclusive réalisée en octobre auprès des 18-25 ans pour The Conversation France par le cabinet d’études George(s).</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/560782/original/file-20231121-27-k31c2c.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Retrouvez l’enquête exclusive <a href="https://cdn.theconversation.com/static_files/files/2951/Jeune%28s%29_en_France_-_THE_CONVERSATION.pdf">« Jeune(s) en France »</a> réalisée en octobre 2023 pour The Conversation France par le cabinet George(s). Une étude auprès d’un échantillon représentatif de plus de 1000 personnes qui permet de mieux cerner les engagements des 18-25 ans, les causes qu’ils défendent et leur vision de l’avenir.</em></p>
<hr>
<p>Alors que de nombreux sondages montrent les inquiétudes des parents pour leur progéniture, les jeunes interrogés sont majoritairement optimistes en pensant à l’avenir (71 %) et environ un quart d’entre eux se disent « très optimistes » mais ils envisagent leurs leviers d’action dans un cadre familial ou amical plutôt que collectif.</p>
<p><iframe id="bjzi3" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/bjzi3/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ils se déclarent aussi adultes à 86 % et font de l’autonomie financière une condition primordiale de leur vie future.</p>
<h2>Un engagement qui se matérialise dans la sphère privée</h2>
<p>L’un des faits frappants de l’étude est que la confiance exprimée est ancrée dans l’environnement proche, alors que la famille (à 45 %) et les amis (41 %) sont les éléments qui les rendent « très heureux ».</p>
<p>Les jeunes interrogés déclarent se définir en premier lieu à travers les causes qu’ils soutiennent, principalement d’ordre environnemental et sociétal : gaspillage alimentaire, défense de l’environnement, lutte contre les violences faites aux femmes, combat contre le racisme et les discriminations…</p>
<p>Mais cet engagement, qui est donc au cœur de leur identité, est à la fois un engagement personnel et citoyen.</p>
<p>La mobilisation ou l’appartenance à un parti politique ou à un syndicat ne représentent ainsi pas à leurs yeux des preuves fortes d’engagement. Pas plus que la participation à une manifestation ou la signature d’une pétition, traduisant un réel fossé entre leurs préoccupations et la possibilité de les exprimer dans le monde qui les entoure.</p>
<p>Plusieurs formes de « dons » sont en fait mises en avant par rapport au fait de s’engager : aider une personne dépendante ou malade (83 %), donner de son temps en général (80 %), faire des dons d’argent (75 %) sont largement cités.</p>
<p><iframe id="oEwS0" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/oEwS0/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’engagement est à la fois proximal et intime. Il témoigne d’une véritable résilience et prend tout son sens à travers les actions et les gestes du quotidien. Interrogés sur « les personnes dont l’exemple vous donne envie de vous engager, de vous mobiliser », ils citent tout d’abord leurs parents, puis des « gens de leur génération qu’ils ont rencontrés » et en troisième « des membres de leur famille ».</p>
<p>Reste une singularité, même si seulement 16 % d’entre eux estiment que leurs « opinions politiques » contribuent à dire qui ils sont et que l’on connaît les faibles taux de participations des jeunes aux élections, 79 % considèrent toujours le vote comme une preuve d’engagement.</p>
<p>Un élément apparemment contradictoire mais qui semble traduire le décalage entre la représentation politique actuelle et celle que l’on aimerait et qui déclencherait l’envie de participer aux scrutins.</p>
<h2>Une maturité assumée face au contexte économique</h2>
<p>Être autonome financièrement (à 58 %), avoir une situation professionnelle stable (à 46 %), bénéficier d’un logement à soi (à 40 %)… ces trois éléments sont les premiers qui sont pris en considération par les 18-25 ans comme étant constitutifs d’un passage à l’âge adulte.</p>
<p>Une vision qui traduit la réalité d’une génération qui doit aussi faire à une certaine précarité. Il faut noter d’ailleurs que 41 % des 18-25 ans estiment que leur santé mentale et physique est très importante pour comprendre qui ils sont et en font donc une pierre angulaire de leur équilibre.</p>
<p>La question de l’orientation scolaire ou professionnelle montre des divergences. Une majorité des jeunes interrogés (56 %) estiment ainsi avoir le sentiment d’avoir vraiment pu choisir cette orientation mais chez les actifs, c’est le fait d’avoir un métier qui ne correspond pas à leur diplôme qui domine (à 53 %).</p>
<p>Face au travail, les jeunes sont à la fois très raisonnés et très exigeants, projetant une véritable maturité. Parmi les choses considérées comme « très importantes » figurent l’ambiance de travail (51 %), mais aussi la rémunération et les avantages matériels (50 %), le niveau de responsabilité (31 %) et le temps libre (44 %). La possibilité d’évoluer (43 %) est jugée plus importante que les valeurs et engagements de l’entreprise (34 %).</p>
<p><iframe id="rcIHf" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/rcIHf/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Autant de constats qui semblent privilégier une approche très pragmatique face au travail, loin des déclarations que l’on peut voir de ci et là sur certaines quêtes de sens priorisées sans grande considération matérielle.</p>
<h2>Une ambiguïté face aux médias</h2>
<p>Parce qu’ils trouvent leurs repères dans cet environnement de proximité, les jeunes interrogés apparaissent très ambigus face au monde renvoyé par les médias.</p>
<p>Quand ils décident de s’informer, la priorité n’est pas donnée à la politique ou à l’économie. Ils préfèrent se tourner vers de l’actualité culturelle (note d’intérêt déclaré de 7,05/10), liée à l’environnement, la santé ou la science (6,63) ou au sport (6,21). Sans surprise par rapport à notre constat sur l’engagement, l’intérêt déclaré est beaucoup plus faible pour la politique nationale (5,54) ou internationale (5,38).</p>
<p>Face à l’actualité, ils se disent à la fois inquiets (41 %) et curieux (36 %), fatigués (33 %) et optimistes (24 %). Mais l’angoisse (25 %) et la méfiance (29 %) n’aboutissent pas forcément à de l’indignation (14 %) ou de la mobilisation (10 %).</p>
<p><iframe id="9mYCQ" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/9mYCQ/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Un point à souligner : les jeunes femmes se déclarent en moyenne plus inquiètes que les hommes (48 % vs 33 %), plus fatiguées (39,5 % vs 26 %), angoissées (31,8 % vs 18 %) ou dépassées (29,6 % vs 19,5 %).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217935/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Rousselot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’enquête exclusive de The Conversation France sur les 18-25 ans montre une jeunesse positive et qui s’engage dans la sphère privée pour relever les défis du futur.Fabrice Rousselot, Directeur de la rédaction, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2184092023-11-23T17:55:45Z2023-11-23T17:55:45ZConversation avec Christelle Taraud : « Le féminicide est un crime de possession »<p><em>Historienne spécialiste des questions de genre, autrice du livre <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/feminicides-9782348057915">« Féminicides : une histoire mondiale »</a> (éditions la Découverte, 2022), Christelle Taraud lors des Tribunes de la presse 2023, a insisté sur le caractère systémique de ces crimes, leur traitement médiatique et son engagement féministe.</em></p>
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<p><strong>Pourquoi avez-vous décidé d’intervenir aux Tribunes de la presse sur le thème des passions ?</strong></p>
<p><strong>Christelle Taraud</strong> : Je ne suis pas venue sur le thème des passions, mais pour discuter des féminicides. La question « Peut-on encore parler de crime passionnel ? » était posée de manière provocatrice. L’idée était de dire que pendant des années, voire des siècles, on a parlé de crime passionnel. Aujourd’hui, on a bien compris que cela n’existe pas, que ce n’est qu’une <a href="https://theconversation.com/feminicide-a-lorigine-dun-mot-pour-mieux-prevenir-les-drames-162024">construction issue des systèmes patriarcaux</a>. C’est une expression extrêmement problématique qui est en train de disparaître du paysage social, mais aussi du paysage médiatique.</p>
<p>Les exécutions très médiatisées de <a href="https://information.tv5monde.com/terriennes/sohane-morte-brulee-vive-dans-une-banlieue-parisienne-il-y-vingt-ans-1302548">Sohane Benziane</a> et de <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/feminicides/meurtre-de-marie-trintignant-20-ans-apres_5983646.html">Marie Trintignant</a> en 2002 et en 2003 ont marqué le caractère systémique de ces crimes. Les deux sont présentées comme des crimes passionnels dans la presse, alors que ce n’est pas du tout ce dont il s’agit. Quand Marie Trintignant est opérée en urgence et que le chirurgien explique la nature des blessures dont elle a été victime, on comprend que ce n’est pas du tout une petite claque « comme ça ». Elle ne s’est pas cognée contre un meuble, elle a le crâne totalement défoncé, le visage en miettes. Son meurtre est un acte de contrôle.</p>
<p>Sa mère m’a confié que, juste avant d’être tuée, Marie Trintignant avait précisé à Bertrand Cantat qu’elle mettait fin à leur relation. On est donc tout à fait dans le modus operandi du <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/02/feminicides-la-rupture-premier-declencheur-du-passage-a-l-acte_6041468_3224.html">féminicide qui survient à la rupture</a>. Toutes les amies de Marie Trintignant racontent depuis, de manière récurrente, le contrôle coercitif qu’elle subissait dans sa relation avec Bertrand Cantat. Elle était obligée de mettre, même quand elle tournait, son téléphone portable dans sa chaussette pour pouvoir entendre le téléphone vibrer, parce que si elle ne répondait pas, il devenait extrêmement violent. Que l’on s’appelle Sohane Benziane ou Marie Trintignant, on meurt du fait de la violence misogyne des hommes.</p>
<p>Lorsque les hommes tuent, c’est un crime de possession. Leur joujou leur échappe, donc ils le tuent. Ce crime est dû au fait que pendant très longtemps, les hommes se sont sentis autorisés à penser que les femmes étaient leur propriété. En France, cela remonte au début du XIX<sup>e</sup> siècle avec la <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/la-femme-mariee-avait-le-statut-de-mineure-au-meme-titre-que-les-enfants">mise en place du code civil napoléonien</a>. Il dit que la femme doit obéissance à son mari et qu’elle est la propriété de l’homme. Cette idée que nous ne sommes pas des individus à part entière a conduit à un régime qui autorise la violence des hommes et qui leur assure une impunité. Pour sortir de cela, il faut que nous travaillions à être des individus à part entière et à ne pas nous laisser enfermer, à être des extensions d’autre chose.</p>
<p><strong>Dans les années 90, vous militiez au sein du collectif Les Marie Pas Claire. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous intéresser au féminisme ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Le féminisme est dans mon ADN ! J’ai toujours été féministe et je le serai toujours. C’est essentiel de l’être, parce que c’est la meilleure défense que nous avons pour construire une société véritablement égalitaire. J’ai été éduquée par une mère seule qui a vraiment planté le germe de la révolte. À cette époque, la violence était un truc de mecs. Il ne fallait surtout pas être violente, agressive, avoir des opinions trop tranchées, parce que sinon on sortait de la féminité. Les <a href="https://www.liberation.fr/vous/1995/11/25/zarmazones-et-marie-pas-claire-reinventent-la-lutte-choisissant-les-rythmes-funk-ou-l-humour-elles-r_148876/">Marie Pas claire</a> est le premier groupe féministe radical non mixte qui émerge dans l’héritage du <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/le-mlf-histoire-d-un-combat-feministe">Mouvement de libération des femmes</a>, aussi bien dans la radicalité politique que dans l’organisation.</p>
<p>C’est un militantisme horizontal, inclusif et égalitaire. J’ai participé à cette formidable expérience collective qui était une véritable sororité. C’était extrêmement fondateur ! J’ai appris à parler, à écrire et à me défendre. La première chose qu’on a mis en place, ce sont des stages d’autodéfense. On y a appris à crier, parce que quand les femmes sont victimes de violence, elles sont souvent sidérées. Cela est très dangereux car les hommes et la société en général utilisent le fait que nous ne disons rien. Par exemple, en cas de viols, on demande souvent aux filles si elles ont dit non ou si elles se sont défendues, mais la grande majorité des filles sont dans un état de sidération qui interdit cela. Si on veut contrecarrer cette logique qui consiste à dire « vous ne dites rien, vous ne faites rien, donc vous consentez », il faut donc commencer par dire clairement non.</p>
<p><strong>C’est donc votre mère qui a inspiré votre militantisme ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Oui, ma mère était une femme très en colère contre le monde tel qu’il était, en particulier vis-à-vis des relations très inégalitaires qu’elle a subies en tant que femme. Elle m’a toujours dit : « il faut être libre, il faut être indépendante, il faut travailler ». L’indépendance économique est un point très important : beaucoup de femmes sont obligées de rester dans des situations coercitives <a href="https://www.coe.int/fr/web/gender-matters/socio-economic-violence">car elles n’ont pas les moyens de s’émanciper économiquement</a>. On trouve aussi des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-zoom-de-la-redaction/violences-conjugales-dans-les-milieux-favorises-5476881">femmes au plus haut niveau de la hiérarchie socio-économique</a> de nos sociétés qui sont victimes de féminicide. Si vous êtes une femme <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/les-femmes-pauvres-plus-battues-que-les-autres_1632389.html">pauvre</a>, <a href="https://www.amnesty.be/campagne/droits-femmes/viol/article/intersectionnalite-violences-sexuelles">racisée</a>, en <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/publications/etudes-et-resultats/les-personnes-handicapees-sont-plus-souvent-victimes-de-violences">situation de handicap</a>, <a href="https://www.slate.fr/story/195551/violences-conjugales-personnes-agees">âgée</a>, <a href="https://www.slate.fr/story/195551/violences-conjugales-personnes-agees">dans un territoire rural</a>, <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/campaigns/2022/01/try-listening-to-the-people-who-actually-know-whats-going-on/">travailleuse du sexe</a> ou encore <a href="https://www.terrafemina.com/article/femmes-transgenres-l-activiste-lexie-pointe-les-violences-faites-aux-femmes-trans_a356078/1">transgenre</a>, vous êtes encore plus impactée.</p>
<p><strong>Vous dites que ce n’est pas en envoyant des hommes en prison qu’on règle le problème des féminicides, mais en les éduquant différemment. Comment peut-on les éduquer différemment ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Par une éducation égalitaire. Il faut éduquer les hommes différemment, mais il faut aussi éduquer les filles différemment. Le problème essentiel des femmes est le fait qu’elles ont complètement incorporé, par des politiques de dressage, le fait que la violence est une composante de leur vie. <a href="http://developpement.ccdmd.qc.ca/fiche/identite-de-genre">Dès 18 mois, on prend conscience qu’on a un sexe</a>, et on y associe des droits et des devoirs. Le dressage, inconscient, commence alors. Il est incorporé <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2010-2-page-55.htm">dans la famille</a> et dans toutes les instances de socialisation, <a href="https://www.enfant-encyclopedie.com/genre-socialisation-precoce/selon-experts/le-role-de-lecole-dans-la-differenciation-precoce-des">notamment à l’école</a>. C’est ce que j’appelle une guerre de basse intensité qui est menée contre les femmes.</p>
<p>En plus, elles vont hiérarchiser les violences : il y aurait des violences excusables et d’autres qui ne le sont pas. C’est pour cela que le continuum féminicidaire est un outil formidable, qui montre que les choses graves sont le produit direct des choses jugées pas graves. Imaginez qu’un homme vous insulte dans l’espace public. Si vous l’arrêtez et qu’il comprend que c’est inacceptable, vous avez peut-être une chance qu’au bout de la chaîne de la violence, il ne tue pas sa compagne. Si vous ne l’arrêtez pas, vous l’acclimatez au fait que la violence sexiste est normale, que c’est un régime d’impunité.</p>
<p><strong>Dans un entretien accordé à Médiapart, vous expliquiez que chaque moment de révolte des femmes se traduit par un pic de violence. Si, même lorsque les femmes se défendent, elles reçoivent de la violence en retour, quelles solutions nous reste-t-il et comment sort-on de ce cercle vicieux ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : De toute façon, que l’on se révolte ou pas, la violence est là. La révolte montre que nous faisons avancer la société dans le bon sens. Nous ne sommes pas dans des sociétés d’égalité réelle, même si l’égalité formelle est là : on a par exemple fait passer des lois d’égalité salariale, mais, depuis le 6 novembre, les <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/inegalites-salariales-a-partir-de-ce-lundi-11h35-les-francaises-travaillent-gratuitement-2026856">femmes en France travaillent gratuitement</a>. Il faut donc mener des luttes partout, tout le temps ! C’est un peu épuisant, mais totalement nécessaire. Alors, comment faire ? Je crois beaucoup au concept de sororité inclusive, qui constitue des sororités mixtes. S’il y a des femmes qui collaborent avec le patriarcat, il y a des hommes qui le combattent.</p>
<p>Donc, quand les hommes acceptent d’abandonner le privilège masculin, qui est un privilège exorbitant, ils sont les bienvenus dans nos sororités ! Il faut ensuite plusieurs choses pour changer le monde. D’abord, une politique des femmes. On voit à quel point le monde aurait besoin aujourd’hui d’une diplomatie féministe et de femmes au pouvoir. Nous ne sommes pas des êtres naturellement angéliques, bienveillants, doux, mais nous avons été socialisées comme cela. Cette socialisation fait tenir la société. Donc, si on veut construire une autre société, je pense qu’il faut que les hommes deviennent des femmes.</p>
<p>Évidemment, ils auront toujours des différences physiologiques. Mais le comportement est induit par la construction sociale et n’est pas induit par le fait que nous ayons des pénis ou des utérus. On peut très bien devenir une femme sociale en gardant son pénis ! Mais si les femmes se mettent à adhérer aux valeurs de la masculinité hégémonique, nous sommes foutus. Les sociétés sont de plus en plus violentes, parce que cette masculinité se construit par la violence, l’agressivité, la possession, la conquête, le ravage. Heureusement pour nous, nos grands mâles blancs ont déjà prévu une échappatoire, puisqu’ils ont prévu de coloniser des planètes étrangères après avoir ruiné celle-ci, pourtant magnifique !</p>
<p><strong>Dans le même entretien, vous dites, à propos des féminicides : « Je ne crois pas que parler de quelque chose permette de changer immédiatement, comme par magie, les mentalités. » À quoi sert alors la presse qui s’empare de ces questions ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Je ne crois pas qu’en parler suffise. Mais en parler avec les bons termes est important ! Le problème est que les terminologies « crime passionnel » ou « crime d’honneur » <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/02/feminicides-le-crime-passionnel-un-si-commode-alibi_6041444_3224.html">accréditent de manière positive la violence</a>. Derrière cela, la réalité, ce sont des exécutions de femmes. Quand on écrit un article, on ne dit pas « la femme est morte », on dit « la femme a été exécutée ». Cela ne dit pas la même chose. Une femme meurt d’un cancer du sein. Mais si ton compagnon te tire une balle dans la tête, asperge ton corps d’essence, après t’avoir violée, coupé la tête et enlevé l’utérus, tu n’es pas morte : il t’a exécutée. C’est un sur-meurtre.</p>
<p>Ensuite, qu’on arrête de parler de violences conjugales ou de violences domestiques ! Ce sont des euphémismes qui accréditent la symétrie de la violence. Alors qu’en réalité, on sait que <a href="https://www.actu-juridique.fr/theorie-sociologie/la-masculinite-est-un-facteur-central-des-violences-conjugales/">l’essentiel de cette violence est produite par les hommes</a> contre les femmes, contre les enfants et contre d’autres hommes qui dérogent. Si les agresseurs sont des hommes, il faut le dire ! Les récits ont un grand pouvoir, et les mots tuent. Les femmes sont tuées une première fois dans leur corps, dans leur identité. Ensuite, elles sont tuées dans le récit qu’on fait de leur mort. Pendant très longtemps, on évoquait d’ailleurs très peu la victime en général, et seulement pour la blâmer. Il y a alors une inversion de la responsabilité. La presse a un rôle tout à fait déterminant à jouer dans ce processus et on arrivera, j’espère bientôt, à un code de déontologie.</p>
<p><strong>Libération a publié le 10 novembre dernier une tribune <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/pour-la-reconnaissance-dun-feminicide-de-masse-en-israel-le-7-octobre-20231110_EMTPN3H2EBDLJBMLLTZ2SRLY6A/">« Pour la reconnaissance d’un féminicide de masse en Israël le 7 octobre »</a>. Est-ce que vous l’avez signée ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : On ne m’a pas demandé de la signer. Évidemment, les violences qui sont dirigées contre les femmes en Israël, qui sont le fait du Hamas, constituent un crime. Ce crime de masse, ce féminicide, il faut le condamner avec la plus grande vigueur. <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2017-4-page-9.htm?ref=doi">La violence de guerre est bien sûr une violence genrée</a>. Il s’agit de misogynie. Dans les conflits, il y a toujours une animalisation, une déshumanisation du corps de l’ennemi. Elle est maximisée quand il s’agit de femmes.</p>
<p><strong>Si les massacres de guerre sont relayés par les médias, le sort spécifique que subissent les femmes est peu évoqué. Quel est votre regard là-dessus ?</strong></p>
<p><strong>C. T.</strong> : Cela est de plus en plus évoqué. On a toujours tendance à considérer que la violence touche tout le monde de la même manière dans un couple, une guerre ou un génocide, mais c’est faux. Je trouve par exemple très désolant que la question du <a href="https://www.unwomen.org/sites/default/files/Headquarters/Media/Publications/UNIFEM/EVAWkit_06_Factsheet_ConflictAndPostConflict_fr.pdf">viol comme arme de guerre</a> ne soit pas utilisée systématiquement dans les analyses des conflits. C’est pourtant une arme de destruction massive. J’invite donc les médias à avoir un peu de subtilité quand ils parlent des conflits.</p>
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<p><em>Propos recueillis par Lisa Défossez et Agathe Di Lenardo, étudiantes en master professionnel de journalisme à l’Institut de Journalisme Bordeaux Aquitaine (IJBA).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218409/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christelle Taraud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au cours de cet entretien, Christelle Taraud nous parle du traitement médiatique des féminicides et de son parcours militant.Christelle Taraud, Historienne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2146842023-11-16T14:58:29Z2023-11-16T14:58:29ZOpposition massive à la réforme Drainville, qui donne des pouvoirs sans précédent au ministre de l'Éducation<p>L’opposition massive au <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1976853/projet-loi-bernard-drainville-education">projet de loi</a> déposé par le ministre québécois de l’Éducation, Bernard Drainville, offre un contexte inusité dans l’histoire récente de l’éducation.</p>
<p>Le <a href="https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cce/mandats/Mandat-49733/index.html">Projet de loi nº 23</a> vise essentiellement à renforcer le pouvoir du ministre vis-à-vis des centres de services scolaires (CSS), via l’implantation de diverses mesures.</p>
<p>Cet article proposer de dresser un portrait – le plus objectif possible – de la position de divers acteurs du milieu scolaire et universitaire à l’égard des changements proposés par cette réforme. </p>
<p>Pour ce faire, nous proposons une analyse qualitative et quantitative des mémoires déposés par plusieurs acteurs au printemps 2023 dans le cadre des consultations particulières de la Commission de la culture et de l’éducation de l’Assemblée nationale du Québec (ANQ), chargée de faire l’étude de ce projet de loi.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-reforme-drainville-renforce-lautorite-du-ministre-et-elimine-les-contre-pouvoirs-205550">La réforme Drainville renforce l’autorité du ministre et élimine les contre-pouvoirs</a>
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<h2>Contexte de la recherche</h2>
<p>Au total, <a href="https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/CCE/mandats/Mandat-49309/memoires-deposes.html">41 acteurs ont déposé des mémoires lors de ces consultations</a>. Par « acteurs », nous entendons des organismes, groupes ou individus. Il s’agit en majorité d’acteurs scolaires ou universitaires, c’est-à-dire des acteurs touchés par l’activité éducative. </p>
<p>Parmi ces derniers, 40 prennent position à l’égard des <a href="https://theconversation.com/la-reforme-drainville-renforce-lautorite-du-ministre-et-elimine-les-contre-pouvoirs-205550">cinq changements proposés par le projet de loi nº 23</a> que nous considérons comme les plus importants, soit :</p>
<ul>
<li><p>le pouvoir du ministre d’orienter la formation continue du personnel enseignant ; </p></li>
<li><p>le pouvoir du ministre de nommer des directeurs généraux des CSS ;</p></li>
<li><p>l’abolition du Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE) ;</p></li>
<li><p>le démantèlement du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) ;</p></li>
<li><p>la création de l’Institut national d’excellence en éducation (INEE). </p></li>
</ul>
<h2>Résultats de notre analyse</h2>
<p><strong>1. Formation continue du personnel enseignant</strong></p>
<p>Une première analyse nous permet d’observer que les appuis en ce qui concerne le pouvoir accru du ministre à l’égard de la formation continue du personnel enseignant sont rares :</p>
<p>Près de la moitié des acteurs rejettent en bloc ce changement proposé par le Projet de loi nº 23, alors que l’autre moitié ne l’aborde pas. Un seul acteur appuie le changement, mais avec des réserves, soit l’Association des directions générales du Québec (ADGSQ), laquelle représente les directeurs généraux des CSS et des commissions scolaires du Québec. L’ADGSQ se montre en faveur d’un encadrement privilégiant des stratégies reconnues comme efficaces par la recherche.</p>
<p>Les acteurs opposés à ce changement (syndicats, universitaires, organismes publics – dont le protecteur du citoyen) défendent pour leur part l’importance de respecter l’autonomie professionnelle du personnel enseignant. </p>
<p><strong>2. Directeurs généraux des centres de services scolaires (CSS)</strong></p>
<p>La position des acteurs à l’égard du pouvoir du ministre de nommer les directeurs généraux des CSS est plus contrastée :</p>
<p>Parmi les acteurs abordant ce thème, 12 se montrent opposés et 4 l’appuient avec des réserves. Les groupes qui souscrivent à ce changement sont des associations représentant des cadres scolaires, alors que ceux qui s’y opposent représentent souvent des acteurs qui siègent actuellement sur un conseil d’administration de CSS, soit l’instance détenant ce pouvoir.</p>
<p><strong>3. Abolition du CAPFE</strong></p>
<p>Depuis sa création en 1992, le <a href="https://www.quebec.ca/gouvernement/ministere/education/organismes-lies/comite-dagrement-des-programmes-de-formation-a-lenseignement-capfe">CAPFE a comme mission</a> d’examiner et d’agréer les programmes de formation à l’enseignement, de recommander au ministre les programmes de formation à l’enseignement aux fins de l’obtention d’une autorisation d’enseigner et de donner son avis au ministre sur la définition des compétences attendues du personnel enseignant des ordres d’enseignement primaire et secondaire. </p>
<p>Le projet de loi n° 23 propose de rapatrier ces pouvoirs autour du ministre, lequel pourrait au passage consulter l’INEE pour prendre ses décisions.</p>
<p>L’analyse statistique nous permet de constater que l’abolition du CAPFE reçoit peu d’appuis :</p>
<p>En fait, un seul mémoire soutient cette abolition, soit celui de Maltais, professeur en financement et politiques d’éducation (UQAR), et Bendwell, enseignant de philosophie au Cégep de Saint-Laurent, et ce, sans réserve. Les acteurs s’y opposant souhaitent le maintien du CAPFE au nom des principes mêmes d’une bonne gouvernance.</p>
<p><strong>4. Abolition du CSE</strong></p>
<p>Le CSE est né au même moment que le ministère de l’Éducation, en 1964, dans le contexte de la Révolution tranquille. Il a pour fonction de conseiller les ministres de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur sur toute question relative à l’éducation ou à l’enseignement supérieur en répondant à leurs demandes d’avis, mais aussi en effectuant de sa propre initiative des travaux portant sur tout thème qu’il juge pertinent. </p>
<p>Le projet de loi nº 23 propose de démanteler le CSE en confiant sa mission relative aux ordres préscolaire, primaire et secondaire à l’INEE, lequel est toutefois dépourvu du pouvoir d’initiative et des instances délibératives que possède le CSE.</p>
<p>Les appuis à l’égard de l’abolition du CSE sont clairsemés, eux aussi :</p>
<p>En fait, il s’agit de l’élément le plus contesté du projet de loi. Pour les défenseurs de l’organisme, l’intégrité du CSE est vitale, en raison de son rôle hautement démocratique et apolitique, de même que de ses travaux rigoureux, originaux, accessibles et éclairants. </p>
<p><strong>5. Création d’un INEE</strong></p>
<p>Le projet de création d’un INEE calqué sur le modèle de l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESS) est discuté au Québec depuis près d’une décennie. Les principales missions de ce nouvel organisme seraient d’identifier les meilleures pratiques en enseignement et de favoriser leur mise en application dans les milieux.</p>
<p>L’analyse permet d’observer que la création d’un INEE est le changement le plus discuté dans les mémoires :</p>
<p>Un seul des 40 mémoires analysés ne traite pas de ce thème, soit celui de l’Union des municipalités du Québec, qui aborde surtout des changements législatifs apportés par le gouvernement à l’intérieur d’une législation précédente. Ce changement est aussi le seul – de tous ceux retenus ici – à rassembler plus d’appuis (n=30) que de rejets (n=9). </p>
<p>Il demeure que seuls deux acteurs adhèrent inconditionnellement au projet d’INEE contenu dans le Projet de loi nº 23. Les réserves les plus courantes concernent l’importance d’affirmer davantage l’indépendance de l’INEE à l’égard du ministre ou de revoir la composition de son conseil d’administration pour inclure des représentants d’autres groupes. </p>
<p>Enfin, neuf acteurs font pièce à ce changement en raison notamment du brassage de structures qui détourne des véritables enjeux du milieu scolaire. Ces opposants sont plutôt d’avis que le ministre gagnerait à réinvestir dans les structures en place. </p>
<p>Certains voient également dans cette entreprise une <a href="https://qesba.qc.ca/wp-content/uploads/2023/06/Memoire-ACSAQ-PL23.pdf">« centralisation accrue de l’autorité »</a>, voire une réponse « <a href="https://www.lafae.qc.ca/public/upload/memoire_pl23-2023.pdf">aux besoins (de contrôle) du ministre, pas [aux besoins] des élèves ainsi que des enseignantes et enseignants</a> ».</p>
<h2>Que faut-il retenir ?</h2>
<p>L’analyse des mémoires déposés à la Commission de la culture et de l’éducation de l’ANQ permet de constater le très peu d’appétit des acteurs du milieu scolaire et universitaire à l’égard des changements proposés par le Projet de loi nº 23. </p>
<p>En fait, seul le projet de création de l’INEE suscite plus d’appuis que de refus, mais avec d’importantes réserves et résistances. </p>
<p>Il importera donc d’observer au cours des prochaines semaines et des prochains mois si le ministre saura tenir compte de ces avis discordants et s’il modifiera de façon substantielle son projet de loi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214684/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Lemieux a reçu des financements du FRQSC et du CRSH pour des projets de recherche n'ayant pas de lien avec cette publication. Il a travaillé au Conseil supérieur de l'éducation en 2019. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>David Lefrançois a reçu des financements du CRSH et du FRQSC sans lien avec cette contribution. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Geneviève Sirois a reçu des financements du CRSH et du FRQSC pour des projets de recherche portant sur les pénuries d'enseignants et la formation des enseignants non-légalement qualifiés. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>ETHIER, Marc-André a reçu des financements du FRQSC, du FCI et du CRSH, mais cela ne concerne pas cet article.</span></em></p>Les acteurs des milieux scolaire et universitaire démontrent très peu d’appétit à l’égard des changements proposés par le projet de loi du ministre québécois de l’Éducation, Bernard Drainville.Olivier Lemieux, Professeur en administration et politiques de l'éducation, Université du Québec à Rimouski (UQAR)David Lefrançois, professeur en fondements de l'éducation, Université du Québec en Outaouais (UQO)Geneviève Sirois, Professeure en gestion scolaire, Université TÉLUQ Marc-André Éthier, Professeur en didactique de l'histoire, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2150322023-10-30T13:54:59Z2023-10-30T13:54:59ZApprendre le piano en ligne, est-ce possible ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555660/original/file-20231024-23-y1e3u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C2%2C994%2C646&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les moyens d'apprendre le piano sont nombreux et diversifiés.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Apprendre le piano, ou tout autre instrument de musique, n’est pas facile et demande une grande discipline. </p>
<p>Mais en faire l’apprentissage en ligne, est-ce possible ? </p>
<p>Avec la pandémie, les musiciens en herbe, enfants, adolescents ou adultes, se sont tournés vers des méthodes moins traditionnelles pour apprendre la musique. </p>
<p>Nous sommes un groupe de chercheurs en éducation dont les intérêts de recherche touchent notamment la littératie, la culture, la formation à distance et la technologie éducative. </p>
<p>Le thème de l’apprentissage du piano en ligne, qui fait l’objet de cet article, touche ces quatre domaines.</p>
<h2>Les différents modes de fonctionnement</h2>
<p>Les moyens d’apprendre le piano sont nombreux et diversifiés. </p>
<ul>
<li><strong>En personne</strong></li>
</ul>
<p>Apprendre le piano en personne est, bien entendu, la façon la plus traditionnelle d’apprendre cet instrument. </p>
<p>Les professeurs demandent normalement à leurs élèves de pratiquer quotidiennement, de manière autonome, quelques mesures, de peaufiner une partition déjà apprise, puis de présenter le fruit de leurs efforts lors du cours suivant. </p>
<p>Selon les approches préconisées par les professeurs, il peut y avoir une alternance entre les exercices techniques, les gammes, le solfège et les pièces musicales au fil des séances.</p>
<ul>
<li><strong>Par correspondance, avant l’avènement des cours à distance</strong></li>
</ul>
<p>Dans les dernières décennies, de nombreux cours ont été donnés à distance, par correspondance, y compris pour apprendre à jouer d’un instrument de musique. Ainsi, les personnes qui n’avaient pas accès à un professeur de piano pouvaient tout de même l’apprendre. Dans ce cas, elles recevaient leurs partitions de musique et leurs cassettes/DVD à écouter par la poste et pratiquaient individuellement. Après avoir suffisamment pratiqué de manière autonome, elles s’enregistraient afin de retourner une cassette à leur professeur et ainsi obtenir de la rétroaction sur leurs nouvelles cassettes de consignes. </p>
<ul>
<li><strong>En mode synchrone, par visioconférence</strong></li>
</ul>
<p>Durant la pandémie de Covid-19, divers types d’apprentissages relevant de la sphère des loisirs ont été proposés en ligne tels que des <a href="https://theconversation.com/la-danse-en-ligne-une-bouee-de-sauvetage-pour-les-danseurs-148968">cours de danse</a>, d’arts martiaux ou de musique. Ainsi, des cours de piano ont commencé à être donnés de façon synchrone, c’est-à-dire en direct, par l’entremise de la visioconférence. Pour certaines personnes, revoir leur professeur de piano fut bénéfique et motivant. Pour d’autres, la <a href="https://revue-mediations.teluq.ca/index.php/Distances/article/view/260/200">visioconférence fut une barrière au côté humain et relationnel</a>. </p>
<p>À l’écran, la rétroaction donnée par le professeur de piano peut être plus difficile à cerner pour les élèves puisque le non verbal semble plus ardu à comprendre. Il est aussi plus difficile d’indiquer à l’élève comment placer ses mains adéquatement. Le professeur doit alors modéliser encore plus, et de façon différente, en fonction de cette situation d’apprentissage atypique. Le but est que l’élève pianiste puisse bien comprendre ce que le professeur est en train d’expliquer de l’autre côté de l’écran pour pouvoir finalement le reproduire.</p>
<p>L’enseignement par visioconférence peut être très déstabilisant : le professeur a moins de contrôle sur la situation. <a href="https://revue-mediations.teluq.ca/index.php/Distances/article/view/201/198">L’effet enseignant est donc primordial ici, mais il est tout de même « dilué »</a> ; en effet, les rétroactions explicites et le renforcement positif peuvent s’avérer encore plus importants qu’en présentiel en raison de la distance physique. Les attentes du professeur doivent aussi être adaptées à la situation d’enseignement-apprentissage à distance. </p>
<p>Avec l’essoufflement de la pandémie, certains professeurs de piano ont proposé un mode de fonctionnement hybride, alternant le présentiel et le virtuel.</p>
<p>En visioconférence, le mode de fonctionnement pour l’élève reste cependant le même qu’en personne : pratiquer chaque jour et présenter le fruit de ses efforts la semaine suivante.</p>
<ul>
<li><strong>En mode asynchrone</strong></li>
</ul>
<p>Avec la pandémie, les cours de piano en ligne, de façon asynchrone, sont devenus populaires. Nous vous présentons ici l’exemple de l’<a href="https://www.academiegregory.com/">Académie Gregory</a>. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="des enfants jouent du piano en regardant une vidéo sur une tablette" src="https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555658/original/file-20231024-17-4uf7x7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Apprendre le piano en ligne, c’est bien possible.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Isabelle Carignan)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 2017, bien avant l’arrivée de la Covid-19 dans nos vies, l’artiste aux multiples talents et pianiste Gregory Charles a créé une académie en ligne. Il s’agit d’une plate-forme pour les personnes qui désirent apprendre le piano à leur rythme. Son slogan : <em>tout ce qu’il nous faut pour jouer d’un instrument, ce sont des oreilles, des doigts et un cœur</em>. </p>
<p>Ce slogan peut sembler simpliste, mais il est surtout réaliste. Pourquoi ? Parce que la méthode utilisée par Gregory Charles (le <em>Gregory Piano System</em>) permet d’apprendre le piano de manière intuitive, sans savoir lire la musique. </p>
<p>La méthode traditionnelle liée à l’apprentissage de la musique demande d’abord d’apprendre à lire la musique sur une portée, en clé de sol et en clé de fa, de comprendre les notions de durée des notes, le rythme et les annotations musicales de base. Le fait de ne pas connaitre cette « littératie musicale » est souvent ce qui freine les gens à apprendre à jouer d’un instrument de musique.</p>
<p>L’Académie Gregory propose des cours pour débutants, intermédiaires ou avancés pour les enfants et les adultes. La structure proposée : 100 capsules de leçons vidéos par session et une pratique de 10 minutes par jour. <a href="https://youtu.be/ecHC9-skAaA">De petites bandelettes descendantes montrent sur quelles notes jouer</a> et comment jouer à partir des pièces musicales composées par l’artiste. Cette approche imite en quelque sorte le célèbre jeu <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Guitar_Hero_(video_game)">Guitar Hero</a>, créé en 2005, où les joueurs jouent de la musique en suivant les signaux lumineux. Ce mode de fonctionnement existe également sur YouTube ou sur différents sites web comme l’application <a href="https://yousician.com/lp/yousician">Yousician</a>. </p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ecHC9-skAaA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">De petites bandelettes descendantes montrent sur quelles notes jouer et comment jouer à partir des pièces musicales composées par l’artiste.</span></figcaption>
</figure>
<p>Pour ceux qui savent déjà lire la musique, les partitions de toutes les pièces apprises pendant la session sont disponibles. Des capsules audios permettent également d’entendre intégralement les pièces. Il s’agit donc d’une méthode qui permet à qui le souhaite d’apprendre la musique, peu importe son âge ou son niveau. </p>
<p>Les principaux avantages du mode asynchrone sont la possibilité de regarder les capsules vidéos à toute heure de la journée (horaire flexible) et de les revoir autant de fois que désiré pour répéter. De plus, les cours asynchrones (par correspondance ou en ligne) permettent aux apprenants d’être moins stressés dans leur pratique puisque personne ne les regarde jouer.</p>
<h2>Apprendre le piano en ligne… est-ce possible ?</h2>
<p>Oui, à condition de faire preuve d’autonomie et d’assiduité dans ses apprentissages. </p>
<p>Une astuce pour éviter la procrastination peut être de mettre son cours ou sa pratique dans son emploi du temps et d’essayer de ne pas en déroger, car l’<a href="https://revue-mediations.teluq.ca/index.php/Distances/article/view/334">autorégulation</a> et la <a href="https://www.puq.ca/catalogue/livres/perseverance-abandon-formation-distance-4047.html">persévérance</a> sont les clés de tout apprentissage à distance. </p>
<p>Rappelons-nous que la musique apporte de nombreux bienfaits, peu importe l’âge. </p>
<p>Enfin, pour progresser en piano, que ce soit en présentiel ou en <a href="https://www.hellovirtuoso.com/blog/cours-piano-ligne">ligne</a>, il est nécessaire de pratiquer au moins 10 minutes par jour. Par contre, à ce jour, aucune recherche sérieuse ne semble avoir été réalisée pour savoir quel mode de fonctionnement prioriser. Il n’est donc pas possible de déterminer quelle <a href="https://www.hellovirtuoso.com/blog/methode-piano-debutant#:%7E:text=La%20m%C3%A9thode%20Alfred%20d%E2%80%99apprentissage,qui%20compl%C3%A8te%20l%E2%80%99apprentissage%20pratique">méthode</a> peut permettre d’apprendre le piano plus facilement ou de façon plus efficace. </p>
<p>Mais il s’agit certainement d’une question qui pourrait faire l’objet de l’une de nos recherches à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215032/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Serge Gérin-Lajoie est professeur à l'Université TÉLUQ. Il y a agi à titre d'expert en formation à distance et y réalise des projets de recherche financés par le Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) et le Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cathia Papi, Isabelle Carignan, Ph.D. et Marie-Christine Beaudry ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Apprendre le piano en ligne, est-ce possible ? Avec la pandémie, enfants, adolescents et adultes se sont tournés vers des méthodes moins traditionnelles pour apprendre la musique.Isabelle Carignan, Ph.D., Professeure titulaire en éducation, Université TÉLUQ Cathia Papi, Professeure, CURAPP-ESS, Université TÉLUQ Marie-Christine Beaudry, Professeure en didactique du français, Université du Québec à Montréal (UQAM)Serge Gérin-Lajoie, Professeur, Université TÉLUQ Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2154822023-10-17T19:33:33Z2023-10-17T19:33:33ZDébat : pourquoi il serait temps de bâtir un musée de l’histoire coloniale en France<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/554037/original/file-20231016-27-ylppr7.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1068%2C709&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La sculpture « Entreponts », par Pablo et Serge Castillo, dénonce l’objectivation et la marchandisation de l’humain par le capital. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://memorial-acte.fr/collection/">Pointe-à-Pitre, fonds MACTe, coll. Région Guadeloupe, </a></span></figcaption></figure><p>Les commissions d’historiens et de chercheurs sur le passé colonial et postcolonial de la France se succèdent depuis plus d’une décennie, sur un rythme de plus en plus rapide : <a href="http://www.cnmhe.fr/spip.php?article999">commission sur la mémoire des expositions ethnographiques et coloniales</a> (2011), sur les « événements » en <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/martinique/la-resonance-permanente-des-emeutes-de-decembre-1959-a-fort-de-france-1185916.html">Martinique en 1959</a>, en <a href="https://www.ctguyane.fr/retour-sur-une-page-de-lhistoire-de-guyane-le-guet-apens-le-14-juin-1962-la-population-guyanaise-subissait-une-repression-qui-marquera-lhistoire-du-pays/">Guyane en 1962</a> et en <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/guadeloupe/archives-d-outre-mer-il-y-a-55-ans-en-guadeloupe-le-massacre-de-mai-67-1288648.html">Guadeloupe en 1967</a> (2015), <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/279186-rapport-duclert-la-france-le-rwanda-et-le-genocide-des-tutsi-1990-1994">sur le Rwanda et le génocide des Tutsi</a> (2019), sur les relations France-Algérie entre 1830 et 1962 (<a href="https://issuu.com/la1ere/docs/rapport_commission_stora_pour_la_mi/1?e=7830984/40987597">synthèse en janvier 2021</a>) et la guerre d’Algérie (lancement janvier 2023) et enfin sur la guerre au Cameroun (lancement mars 2023).</p>
<p>Les ouvrages savants et les travaux collectifs trouvent leur public et occupent désormais les rayons des libraires ou des festivals (comme la semaine passée aux Rendez-vous de l’histoire de Blois) à l’image des ouvrages <em>Histoire globale de la France coloniale</em> (Éditions Philippe Rey), <em>Colonisation, notre histoire</em> (Seuil), <em>Histoire de l’Algérie à la période coloniale</em>, 1830-1962 (La Découverte), <em>L’Empire qui ne veut pas mourir. Une histoire de la Françafrique</em> (Seuil) ou encore <em>Décolonisations françaises. La chute d’un empire</em> (Éditions de La Martinière).</p>
<p>Les bandes dessinées, les romans (avec leurs prix littéraires prestigieux de Leïla Slimani à Alexis Jenni en passant par Alain Mabanckou, David Diop, Eric Vuillard, Christophe Boltanski et beaucoup d’autres), les documentaires trouvent leur public (de <a href="https://www.france.tv/france-2/decolonisations-du-sang-et-des-larmes/">« Décolonisations, du sang et des larmes »</a> (2020) sur France 2 à <a href="https://educ.arte.tv/thematic/decolonisations-tous-les-episodes">« Décolonisations »</a> (2020) sur Arte), les fictions cinématographiques telles <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=289236.html"><em>Tirailleurs</em></a> (2022) s’emparent du sujet et les podcasts en radio sont des succès indéniables, comme l’excellente série de Pierre Haski sur France Inter depuis deux étés, intitulée <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/les-decolonisations-africaines">« Les décolonisations africaines »</a> en 2022 et 2023.</p>
<p>Partout, sur les réseaux sociaux, sur YouTube et dans des conférences en ligne le passé colonial et ses héritages sont questionnés et génèrent des dialogues, parfois houleux.</p>
<p>Ces dernières années, des expositions, encore rares, participent de ce processus de dévoilement, à l’image d’<a href="https://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/expositions/details-de-levenement/e/exhibitions-34408">« Exhibitions, l’invention du sauvage »</a> (2012) ou <a href="https://www.quaibranly.fr/fr/expositions-evenements/au-musee/expositions/details-de-levenement/e/peintures-des-lointains-37627">« Peintures des lointains »</a> (2018) au Musée du quai Branly, en passant par <a href="https://theconversation.com/au-musee-dorsay-les-modeles-noirs-sortent-de-lombre-114878">« Le modèle noir, de Géricault à Matisse »</a> (2018) au Musée d’Orsay ou <a href="https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/I7QnnpN">« Décadrage colonial »</a> (2022) au Centre Pompidou.</p>
<p>Parallèlement, la France a entrepris de commencer à rendre des <a href="https://theconversation.com/restitution-des-biens-culturels-mal-acquis-a-qui-appartient-lart-89193">biens culturels pillés</a> au temps de la colonisation. Dans cette dynamique, une loi va bientôt s’attacher aux « restes humains » provenant des ex-espaces colonisés et conservés dans des institutions publiques (musées, hôpitaux, laboratoires) pour pouvoir rendre ceux-ci aux pays ou régions ultramarines et apaiser les mémoires.</p>
<p>Les manuels scolaires ne sont plus ceux du temps de François Mitterrand – pas le Mitterrand ministre des colonies de 1950-1951, mais celui président de la République de 1981-1988 : si l’étendue des parties des programmes d’histoire consacrées à ces questions continue à faire débat, la place de l’histoire coloniale a été incontestablement renforcée et les enseignants disposent désormais d’outils pédagogiques avancés (les expositions pédagogiques se comptent par dizaines et les plates-formes Lumni.fr et eduscol.education.fr sont bien dotées) pour aborder le passé colonial.</p>
<h2>Le passé colonial à l’agenda des débats publics</h2>
<p>Les débats sur le passé colonial dans l’espace public sont cependant particulièrement clivés : les tenants du décolonialisme les plus radicaux s’opposent aux animateurs de l’Observatoire du décolonialisme faisant la chasse à la « repentance », les nostalgiques du « bon temps des colonies » aux indigénistes et aux pourfendeurs de la Françafrique. Si l’on peut regretter une telle polarisation des débats publics – que nous avions identifiée dans l’ouvrage <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_fracture_coloniale-9782707149398"><em>La fracture coloniale</em></a> (2005) –, contrastant avec les travaux des historiens, on peut en revanche se réjouir de la visibilisation de l’histoire coloniale.</p>
<p>En effet, l’amnésie coloniale, institutionnalisée, a longtemps dominé malgré les efforts et les travaux des historiens : inaugurée sous le général de Gaulle, entretenue sous Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing, vitrifiée par un François Mitterrand mu par son désir d’ériger un musée nostalgique à Marseille (dont <a href="https://maitron.fr/spip.php?article16201">Maurice Benassayag</a> était l’inspirateur) et dont héritera Jacques Chirac, avant de transmettre le relai à Nicolas Sarkozy, ce dernier faisant de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-esprit-public/comment-les-politiques-instrumentalisent-l-histoire-6608736">l’anti-repentance</a> l’une de ses thématiques favorites et jusqu’à François Hollande, s’affirmant comme l’héritier légitime d’un parti socialiste incapable de faire retour sur ses engagements coloniaux historiques et proposant systématiquement un « regard lucide » sur ce passé mais guère plus.</p>
<p>Nous avons pensé à l’instar de beaucoup d’historiens – que l’on soit en phase ou en désaccord avec cette déclaration – que les choses allaient changer en 2017 lors de la campagne présidentielle : Emmanuel Macron, en Algérie, déclare ainsi le <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/emmanuel-macron-algerie-candidat-presidentielle-voyage-colonisation-crime-contre-l-humanite">16 février 2017</a> à propos de la colonisation : « C’est un crime. C’est un crime contre l’humanité, c’est une vraie barbarie et ça fait partie de ce passé que nous devons regarder en face, en présentant aussi nos excuses à l’égard de celles et ceux envers lesquels nous avons commis ces gestes. »</p>
<p>François Fillon, candidat LR à l’élection présidentielle, n’y voit que la « détestation de notre Histoire, cette repentance permanente » ; Florian Philippot, alors vice-président du Front national, ajoute qu’il n’y a pas « pire insulte contre la France ».</p>
<p>Cette date est pourtant un tournant. Avec de nombreux pays – à l’image des Pays-Bas, de la Belgique, de l’Allemagne et, à un moindre niveau, du Danemark, du Portugal, de la Grande-Bretagne ou de la Suisse –, la France va engager sur plusieurs fronts un changement de posture institutionnelle. Outre les commissions d’historiens, on note la volonté de repenser la place des Français issus de l’immigration (dont une partie non négligeable provient de l’ex-Empire) dans l’espace public, avec la mission <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/portraits-france">« Portraits de France »</a> proposant des noms pouvant être utilisés pour nommer rues et bâtiments publics ; l’ouverture de la question du retour des biens culturels à l’occasion du discours <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/11/28/discours-demmanuel-macron-a-luniversite-de-ouagadougou">d’Emmanuel Macron à Ouagadougou</a> (novembre 2017) ; les annonces réitérées de la fin de la Françafrique ; la <a href="https://www.saisonafrica2020.com/fr">programmation Africa2020</a> et la <a href="https://www.innovationdemocratie.org/">Fondation de l’innovation pour la démocratie</a> confiée à Achille Mbembe (2022) ; les engagements en faveur des anciens combattants des colonies… tout paraissait en place pour un « grand tournant » mémoriel.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/VsSIgXofR-E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Machine arrière…</h2>
<p>Et puis, la dynamique s’est étiolée. Alors que nous étions nombreux à imaginer que cette politique qui avait tous les atours de la nouveauté allait trouver sa cohérence par une redéfinition des relations avec l’Afrique mais aussi de la francophonie, par une écoute nouvelle de la relation avec les outre-mer, par un travail approfondi sur les programmes scolaires et, surtout, par la mise en place d’un grand projet muséal qui fait défaut en France <a href="https://www.rfi.fr/fr/culture/20161107-berlin-allemagne-expose-histoire-coloniale-colonialisme-allemand">(et que nos voisins allemands</a> et <a href="https://www.africamuseum.be/fr">belges viennent de mettre en place)</a>, cet élan s’est brisé et très peu a été entrepris.</p>
<p>À la place d’un musée d’histoire coloniale a été préférée une <a href="https://www.cite-langue-francaise.fr/">Cité de la langue française à Villers-Cotterêts</a> installée dans le château de François I<sup>er</sup> avec « 1 600 m<sup>2</sup> d’expositions permanentes et temporaires ouvertes au public, un auditorium de 250 places, douze ateliers de résidence pour des artistes… » Ce choix de sanctuariser la francophonie, avec un budget important (plus de 200 millions d’investissements, soit le deuxième plus gros chantier patrimonial de France après Notre-Dame de Paris !), avec une attente ambitieuse de 200 000 visiteurs annuels et l’accueil du prochain sommet de la francophonie, montre que de grands projets sont possibles.</p>
<p>La francophonie est certes politiquement moins inflammable que l’histoire coloniale et, dans le contexte de la déstabilisation de l’influence française en Afrique de l’Ouest, on peut concevoir que la francophonie peut être conçue comme un ciment culturel à même, sinon de préserver cette influence, sans doute de freiner son effacement. Mais ne nous y trompons pas : ce projet range pour la durée du second mandat d’Emmanuel Macron celui d’un musée de l’histoire coloniale aux oubliettes, avec uniquement à Montpellier l’annonce de la création d’un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/01/14/pour-la-creation-d-un-institut-de-la-france-et-de-l-algerie-un-lieu-museal-ou-histoire-memoires-art-dialogue-et-cooperation-pourraient-coexister_6157893_3232.html">Institut de la France et de l’Algérie</a> qui ne s’attachera (sous une forme encore à définir) qu’à une partie de l’histoire coloniale (ce projet reprend un ancien projet, sur la base de collections aujourd’hui conservées au Mucem, à Marseille).</p>
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<p>Cette configuration rappelle de vielles querelles – elles remontent à 20 ans –, lorsque Jacques Chirac imagina son musée des « arts premiers » (actuel Musée du quai Branly) et pris conscience que le <a href="https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/PA00086583">Musée des arts africains et océaniens</a> (MAAO, situé Porte dorée) allait être vidé de ses collections. Le risque existait que certains réclament que ce lieu devienne un musée d’histoire coloniale, d’autant plus qu’il avait été érigé pour l’immense exposition coloniale internationale de 1931.</p>
<p>À l’époque, Jacques Chirac et Jean-Claude Gaudin, comme une grande partie de la droite aux côtés du mouvement « rapatrié », ont une autre idée en tête avec le projet de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9morial_national_de_la_France_d%27outre-mer">mémorial de la France d’outre-mer à Marseille</a> pour rendre « hommage » à une certaine vision de l’histoire (on est à deux ans des célèbres articles de loi sur la <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001889/polemique-sur-le-role-positif-reconnu-a-la-colonisation-par-la-loi-du-23-fevrier-2005.html">« colonisation positive »</a> de 2005) et veulent éviter une polémique face à ce lieu désormais « vide ». C’est ainsi que sera imaginée la Cité de l’immigration, qui occupe désormais cet espace (Musée national de l’histoire de l’immigration).</p>
<h2>À quoi pourrait servir un musée d’histoire coloniale ?</h2>
<p>Vingt ans après, le projet d’un musée d’histoire colonial est au point mort. À se demander à quoi il pourrait bien servir. Peut-être à faire que toutes les trajectoires, tous les récits, toutes les mémoires, tous les acteurs de ce passé et leurs descendants y trouvent place. À concevoir un espace ouvert sur le monde, sur les comparaisons avec les autres Empires, les sociétés colonisées avant et pendant la colonisation, la société française pendant et après la colonisation. À organiser de vastes expositions autour des grandes questions sur la colonisation ouvertes au grand public, aux scolaires et aussi aux touristes qui visitent notre pays et qui viennent aussi de ces « ailleurs ». À regrouper les patrimoines épars et riches qui dorment ou sommeillent dans les <a href="https://www.geo.fr/histoire/aux-archives-daix-en-provence-la-memoire-de-la-guerre-dalgerie-sort-partiellement-de-lombre-208154">archives d’Aix-en-Provence</a>, au musée du Quai Branly, dans les réserves du Mucem, du Musée des Confluences à Lyon ou au sein du musée de l’Armée aux Invalides… et dans moult institutions et collections publiques et privées.</p>
<p>À engager, aussi, une réflexion commune avec la quarantaine de pays ex-colonies ou ex-protectorats sur la manière de tourner ensemble la page coloniale. À dynamiser une réflexion sur la « décolonisation » de nos imaginaires afin d’irriguer des projets d’expositions en France, en Europe, en Afrique et ailleurs. À accompagner le processus de « retour » des biens culturels pillés en les contextualisant. À mettre en exergue les récits de l’histoire des immigrations postcoloniales, comme la <a href="https://fresques.ina.fr/rhone-alpes/fiche-media/Rhonal00271/la-marche-pour-l-egalite-et-contre-le-racisme.html">Marche pour l’égalité et contre le racisme</a> (1983) qui commémore cette année son 40<sup>e</sup> anniversaire ou la Marche du 23 mai 1998 qui commémore son 25<sup>e</sup> anniversaire et aboutira à la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/l-invite-e-des-matins/esclavage-la-reconnaissance-d-un-crime-contre-l-humanite-christiane-taubira-raconte-20-ans-apres-7713701">loi Taubira</a> (2001).</p>
<p>À repenser, aussi, notre relation avec l’Afrique au moment même où la France est en rupture avec le continent. À sortir des fantasmes et nostalgies qui continuent à irriguer les extrêmes et leur discours de rejet de l’autre, à accepter la <a href="https://theconversation.com/dans-la-classe-de-lhomme-blanc-lenseignement-du-fait-colonial-en-france-102069">complexification d’un « récit national »</a>, à éviter que d’autres radicalités s’emparent de ces enjeux, bricolent leurs « mémoires », inventent des récits fictionnels qui les éloignent de leur propre pays. À proposer des conférences, des débats, des colloques, des bourses de recherches, des politiques d’éditions et d’initiatives entre le monde des arts, la recherche académique et les structures associatives.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/exhiber-lexhibition-quand-les-historiens-font-debat-retour-sur-sexe-race-et-colonies-105139">Exhiber l’exhibition ? Quand les historiens font débat : retour sur « Sexe, race et colonies »</a>
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<p>À faire, comme s’y emploie le Musée national de l’histoire de l’immigration, le Musée du quai Branly, la <a href="https://memoire-esclavage.org/">Fondation pour la mémoire de l’esclavage</a> (FME), le <a href="https://www.memorialdelashoah.org/">Mémorial de la Shoah</a>, le <a href="https://www.memoiresdesesclavages.fr/memorial-acte-guadeloupe/">MémoialACTe</a> (en Guadeloupe), un travail de transmission des savoirs.</p>
<p>Certes, la Cité de la langue française est sans doute un beau projet, sans doute est-il nécessaire, mais il met en lumière, aussi, ce qui n’a pas été fait et qui était tout autant nécessaire.</p>
<p>Nous serons bientôt dans le peloton de queue des pays européens pour ce type d’institutions sur le passé colonial, alors <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/3633212">que vivent dans l’hexagone</a> les plus importantes présences en Europe des diasporas antillaises, maghrébines et subsahariennes, et d’importantes communautés issues de l’océan Indien, du Moyen-Orient, du Pacifique et de l’Asie du Sud-Est.</p>
<p>Cette page d’histoire se révèle aujourd’hui à la lumière de l’effondrement du « pré carré » africain. Les causes en sont nombreuses, et au premier chef les relations toxiques et quasi incestueuses mises en place après les indépendances entre une gouvernance française privatisée par les présidents de la République et leurs conseillers « Afrique » et des gouvernements africains le plus souvent autoritaires. Les nombreuses interventions militaires françaises, la présence de bases militaires, la permanence du franc CFA indexé sur le franc puis l’Euro ont décuplé le sentiment en Afrique, dans les nouvelles générations, que la décolonisation n’était pas achevée et qu’il fallait tourner la page. C’est une caractéristique forte de la crise de confiance qui se manifeste aujourd’hui. Mais pour tourner des pages, du côté français comme du côté africain, il faut aussi des livres et des musées.</p>
<h2>Un carrefour de notre relation au passé</h2>
<p>Nous sommes à un carrefour de l’histoire de notre relation au passé. Alors que se manifestent des mouvements pour <a href="https://theconversation.com/debat-faut-il-deboulonner-les-statues-140760">déboulonner les statues</a> issues de l’histoire coloniale et esclavagiste, que des noms de rues ou de bâtiments scolaires sont changés, la réflexion sur la création d’un musée colonial n’est pas une lubie portée par quelques spécialistes en quête d’un temple pour valoriser les connaissances accumulées. C’est aussi un lieu essentiel précisément pour « tourner la page » et faire pièce à ce point aveugle de notre histoire, surtout dans un pays où la notion « d’excuses » est récusée à priori, à la différence de l’Allemagne avec la Namibie, de la Belgique avec ses anciennes colonies et notamment le Congo, des Pays-Bas avec l’Indonésie…</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554050/original/file-20231016-19-4z0sg5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Histoire globale de la France coloniale, sous la direction de Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Sandrine Lemaire et Dominic Thomas.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Editions Philippe Rey</span></span>
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<p>Dans un pays qui se targue d’être le « pays des musées », où l’histoire est au cœur de nos enjeux de citoyenneté, où près d’un tiers des personnes qui y vivent – entre l’hexagone et les régions ultramarines – sont liés de manière intime ou en termes d’héritages intrafamiliaux à l’histoire coloniale et qui souffre d’une relation toxique avec les quartiers populaires et les <a href="https://theconversation.com/debat-comment-decoloniser-le-lexique-sur-l-outre-mer-191891">outre-mer</a>, un musée d’histoire coloniale ne résoudra pas évidemment tous les problèmes, mais peu y contribuer.</p>
<p>Cette histoire remonte à près de cinq siècles, à l’année 1534, lors de la « <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-hommes-aux-semelles-de-vent/la-fondation-de-la-nouvelle-france-3748958">prise de possession » par le royaume de France du Canada</a>. Faudra-t-il attendre 2034 pour qu’enfin un tel projet devienne une évidence en France ? Ne pourrait-on imaginer une mission de préfiguration pour engager cette réflexion avec toutes les parties prenantes ? Cela ferait sens, cela serait utile, c’est désormais urgent. Sinon, la date du 16 février 2017 restera dans les manuels scolaires du XXI<sup>e</sup> siècle comme un rendez-vous manqué avec l’histoire.</p>
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<p><em>Nicolas Bancel et Pascal Blanchard ont participé aux Rendez-vous de l’histoire de Blois les 6, 7 et 8 octobre autour de leur ouvrage « Histoire globale de la France coloniale » (Philippe Rey)</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215482/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Partout, le passé colonial et ses héritages sont questionnés et génèrent des dialogues. Pourtant, le projet d’un grand musée dédié à ces questions semble être passé aux oubliettes.Nicolas Bancel, Professeur ordinaire à l’université de Lausanne (Unil), chercheur au Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation (Unil), co-directeur du Groupe de recherche Achac., Université de LausannePascal Blanchard, Historien, chercheur-associé au Centre d’histoire internationale et d’études politiques de la mondialisation, co-directeur du Groupe de recherche Achac, Université de LausanneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2107322023-08-16T18:38:01Z2023-08-16T18:38:01ZQuand art et sciences économiques s’associaient pour parler au plus grand nombre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540408/original/file-20230801-15-34adsa.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C22%2C1058%2C653&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le « Survey Graphic », une des premières publications à faire la part belle aux visuels dans l'Entre-deux-guerres (ici un encart publicitaire de novembre 1938)</span> <span class="attribution"><span class="source">Archives.org</span></span></figcaption></figure><p>La <a href="https://theconversation.com/topics/premiere-guerre-mondiale-25897">Première guerre mondiale</a> fut une atroce boucherie et une immense désillusion morale. Les promesses ouvertes par la révolution industrielle et la philosophie positiviste du siècle précédent s’étaient fracassées sur la réalité de la guerre avec un <a href="https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19890/population_societes_2014_510_guerre.fr.fr.pdf">bilan</a> sans appel : <a href="https://www.sudouest.fr/redaction/le-cercle-sud-ouest-des-idees/le-bilan-humain-de-la-guerre-14-18-20-millions-de-morts-2911746.php">vingt millions de morts</a> toutes nations confondues et autant de blessés graves.</p>
<p>L’armistice signé, l’opinion publique prenait conscience que les progrès de la science, célébrés par les utopies socialistes ou dans les romans d’anticipation de Jules Verne, avaient aussi été à l’origine des <a href="https://www.theoemery.com/book-hellfire-boys/">gaz mortels</a> et des divers outils de destructions massives qui avaient participé à ce massacre. À partir de 1917, de nombreux soulèvements ont lieu, à commencer par la Russie. Dans la vieille Europe comme aux États-Unis, une part significative de la population est séduite par les idées des mouvements populistes : le parti national-socialiste en Allemagne, le Ku Klux Klan aux États-Unis, les fascistes en Italie et divers autres groupes d’extrême droite en France, en Angleterre ou en Autriche. Dans la plupart des pays avancés s’ouvre alors une période de remise en cause profonde des idéaux modernes.</p>
<p>La <a href="https://theconversation.com/topics/science-economique-33724">science économique</a> n’a pas été épargnée par ce climat de défiance. Confrontée à la planification des activités économiques qui a permis la victoire de l’Entente, la théorie du marché parfait des économistes mathématiciens apparaît désormais comme une utopie un peu vaine. Comme nous l’avons montré dans un <a href="https://hal.science/hal-00870490/document">article</a> publié dans une <a href="https://read.dukeupress.edu/hope/article-abstract/45/4/567/12541/Economics-for-the-Masses-The-Visual-Display-of">revue historique américaine</a>, de nombreuses critiques voient le jour dans les années 1920 contre la spécialisation grandissante de la discipline et son isolement par rapport à une population traumatisée par le conflit mondial et la Révolution russe.</p>
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<p>Des ingénieurs, des sociologues et des économistes, inquiets de cette déconnexion croissante entre la population et les théories sociales et économiques, pensent alors qu’il est nécessaire de créer des outils et des méthodes pour unifier les sciences sociales et développer un véritable dialogue avec le peuple. Une autre éducation économique était nécessaire. Ils imaginent notamment de nouveaux <a href="https://theconversation.com/topics/data-visualisation-37427">visuels</a> comme moyen de répondre à ce défi.</p>
<h2>Photographie et statistique sociale aux États-Unis</h2>
<p>Outre-Atlantique, ce sont les associations de travailleurs sociaux qui sont les plus ouvertes à cette nouvelle approche. Leur principal média, le <a href="https://archive.org/search?query=survey+associates"><em>Survey</em></a>, propose, en particulier dans son supplément graphique, une large sélection de représentations visuelles des faits économiques et sociaux : photographies, diagrammes mais aussi <a href="http://www.info-ren.org/projects/btul/exhibit/stell31.html">tableaux</a>, <a href="https://winoldreiss.org/works/artwork/graphic/SurveyGraphic.htm">portraits</a> et autres <a href="https://library.osu.edu/site/vanloon/illustrator/">formes</a> d’<a href="https://twitter.com/dorothyjberry/status/1353458000904773632?l">illustrations</a>. Sur le plan universitaire, c’est un manuel d’introduction généraliste, <a href="https://archive.org/details/americaneconomic0000rexf/page/n5/mode/2up"><em>American Economic life</em></a>, rédigé par Rexford Tugwell – un proche du futur Président Franklin Roosevelt – et son assistant Roy Stryker, qui popularise cette pratique pédagogique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=860&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540143/original/file-20230731-179364-g5nfj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1081&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Photographie de mécanicien, par Lewis Hine.</span>
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<p>Ces publications font la part belle aux photographies de <a href="https://www.cairn.info/revue-la-cause-du-desir-2018-2-page-211.htm">Lewis Hine</a>. Après des études de sociologie, ce dernier devient professeur à New York au début du XX<sup>e</sup> siècle. C’est pour des raisons pédagogiques qu’il commence à photographier de manière systématique les migrants européens arrivant à Ellis Island, porte d’entrée des États-Unis située à l’embouchure du fleuve Hudson. Bientôt convaincu de la capacité de la photographie à sensibiliser et faire comprendre les problèmes sociaux et économiques, non seulement aux décideurs, mais aussi au plus grand nombre, Hine décide d’abandonner l’enseignement et de se consacrer à plein temps à son activité de <a href="https://www.jstor.org/stable/2712885">« photographe social »</a>. Impliqué dans des enquêtes d’envergure à Pittsburgh puis à New York, il se mit à produire régulièrement des « portraits du travail » dont l’objet était d’offrir une vision positive et émancipatrice des salariés anonymes de l’industrie, comme ce célèbre portrait de mécanicien.</p>
<p>La photographie n’est cependant pas le seul type de support visuel utilisé. On trouve également des dessins, des schémas, des représentations statistiques, parfois illustrées pour leur donner une forme plus agréable pour le lecteur. Les auteurs du manuel <em>American economic life</em> et du magazine <em>The Survey</em> s’inspirent notamment de l’<a href="https://archive.org/details/graphicmethodsfo00brinrich">ouvrage</a> publié en 1914 par l’ingénieur Willard C. Brinton consacré aux méthodes graphiques de présentation des faits sociaux. Ce dernier y explique en introduction qu’il a écrit un ouvrage destiné « à l’homme d’affaire, au travailleur social et au législateur ». Il a, pour cela, cherché à éviter tout symbole mathématique au profit d’une présentation purement graphique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540144/original/file-20230731-19-3cyqz0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Comparaison des régimes alimentaires des citoyens américains et allemands.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Extrait du manuel American Economic Life</span></span>
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<p>On y trouve ainsi de nombreux outils visuels devenus très courants, mais tout à fait nouveaux pour l’époque comme ce « camembert » comparant la composition des régimes alimentaires des citoyens américains et allemands.</p>
<h2>La recherche d’une clarté maximale</h2>
<p>En Europe aussi, nombreux sont ceux qui ne sont pas satisfaits par l’économie « classique » et s’intéressent aux méthodes visuelles pour éduquer et émanciper les classes populaires. Le <a href="https://journals.openedition.org/nrt/3412?lang=en">photographe allemand August Sander</a> s’engage, par exemple, dans un projet assez similaire à celui de Lewis Hine. Il veut rendre compte de manière visuelle des différents groupes sociaux, qu’ils soient visibles comme celui des artistes modernistes qu’il côtoyait, ou modestes comme celui des paysans qu’il allait rencontrer à la campagne. Ses œuvres participent du mouvement artistique et intellectuel dit de « La nouvelle objectivité », qui fut récemment l’objet d’une <a href="https://www.centrepompidou.fr/fr/programme/agenda/evenement/dEOe6u0">exposition au Centre Pompidou</a>.</p>
<p>Parallèlement aux photographies de Sander, l’historien, économiste, philosophe des sciences et directeur du Musée de l’économie et de la société de Vienne, Otto Neurath, met au point une méthode scientifique de visualisation simplifiée des statistiques économiques et sociales. Elle est appelée « Méthode viennoise », puis « Isotype ». Neurath était par ailleurs membre du célèbre Cercle de Vienne qui développait une pensée empiriste et logique, et coauteur de son influent <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Manifeste_du_Cercle_de_Vienne">manifeste</a>. Ses principes pédagogiques reposaient sur les expériences scientifiques des psychologues viennois de son époque.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/540145/original/file-20230731-241351-l3qp76.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540145/original/file-20230731-241351-l3qp76.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540145/original/file-20230731-241351-l3qp76.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540145/original/file-20230731-241351-l3qp76.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540145/original/file-20230731-241351-l3qp76.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=850&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540145/original/file-20230731-241351-l3qp76.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540145/original/file-20230731-241351-l3qp76.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540145/original/file-20230731-241351-l3qp76.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1068&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Exemple typique d’isotype créé par l’équipe d’Otto Neurath au Musée de Vienne.</span>
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<p>Otto Neurath, avec sa future épouse Marie Reidemeister, a imaginé sa méthode au croisement de ses conceptions <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-otto_neurath_un_philosophe_entre_science_et_guerre_antonia_soulez-9782738456298-10964.html">philosophiques</a> et <a href="http://www.editionsdelasorbonne.fr/fr/livre/?GCOI=28405100397310">politiques</a> sur le langage et le rôle du savoir dans la société, et des recherches visuelles initiées par les artistes du groupe des <a href="https://books.openedition.org/pupo/2002?lang=fr">« Progressifs de Cologne »</a>, tels que <a href="https://libcom.org/article/gerd-arntz-illustrations">Gerd Arntz</a> et <a href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/94/Franz_Wilhelm_Seiwert_-_Fabriken_-_1926.jpeg">Franz Whilem Seiwert</a>. Comme le montre cette représentation du nombre de travailleurs dans l’industrie sidérurgique, l’isotype repose sur un principe de clarté maximale qui exige la simplification des objets représentés, mais aussi la conversion des unités statistiques en icônes. Le tableau statistique était alors reconstruit sous la forme d’une histoire visuelle, compréhensible même pour ceux qui n’avaient pas eu la chance de bénéficier d’une éducation classique avancée. La standardisation des pictogrammes et des codes couleur utilisés, conçue avec son principal collaborateur visuel, Gerd Arntz, renforçait cette lisibilité en permettant un apprentissage visuel des classes populaires.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/540148/original/file-20230731-6515-n4xciy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540148/original/file-20230731-6515-n4xciy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540148/original/file-20230731-6515-n4xciy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540148/original/file-20230731-6515-n4xciy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540148/original/file-20230731-6515-n4xciy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=834&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540148/original/file-20230731-6515-n4xciy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540148/original/file-20230731-6515-n4xciy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540148/original/file-20230731-6515-n4xciy.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1048&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une du Survey Graphic, numéro de Mars 1932.</span>
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<p>Activiste socialiste et promoteur de l’universalisme sur les plans politique et culturel, Neurath profite de toutes les occasions pour internationaliser sa méthode, ouvrant des succursales en Allemagne, en Angleterre et en Union soviétique au début des années 1930. Il noue aussi de nombreux contacts aux États-Unis, à New York et Chicago, et arrive à convaincre les éditeurs du <em>Survey</em> de publier son travail.</p>
<h2>De l’engouement à l’échec</h2>
<p>Des statistiques visuelles « à la Neurath » se répandent alors rapidement dans des journaux et magazines américains. L’administration Roosevelt joue un rôle essentiel en initiant un vaste programme de communication politique qui vise à montrer l’état du pays, en particulier des zones rurales ravagées par des années de crise économique et les épisodes climatiques, mais aussi à promouvoir les politiques du <em>New Deal</em>. La plus célèbre de ces initiatives est sans doute le recueil de <a href="https://www.loc.gov/rr/program/journey/fsa.html">photographies de la Farm Security Administration</a>, coordonné par Roy Stryker, qui encore aujourd’hui oriente largement notre vision de cette époque, notamment à travers les clichés de Dorothea Lange ou <a href="https://www.loc.gov/pictures/collection/coll/item/2003656560/">Walker Evans</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=748&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=748&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=748&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=940&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=940&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540150/original/file-20230731-235615-ur66wm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=940&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Migrant mother, par Dorothea Lange, une des photographies les plus connues du programme de la Farm Security Administration.</span>
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<p>À côté de ces photographies qui s’apparentent au projet initié par Lewis Hine, l’administration Roosevelt multiplie les représentations visuelles dans ses documents officiels pour illustrer et justifier ses politiques. Ces figures ne se contentent plus de représenter des données, mais parfois aussi des processus économiques ou des concepts théoriques comme le multiplicateur keynésien, lequel sera largement diffusé dans les <a href="https://read.dukeupress.edu/hope/article/46/suppl_1/134/38740/Negotiating-the-Middle-of-the-Road-Position-Paul">manuels d’économie d’après-guerre</a>.</p>
<p>Bien qu’ils soient utilisés de manière massive dans les principaux magazines d’information créés dans années 1920 et 1930 (<em>Time magazine</em>, <em>Newsweek</em> et <em>Fortune</em>), ces objets visuels furent néanmoins très rapidement discrédités sur le plan scientifique. Plusieurs scandales éclatèrent à propos d’images « arrangées » par les photographes du groupe Stryker, remettant en cause leur neutralité comme source d’information à la fois pour le public, mais aussi pour les chercheurs en sciences sociales. Les statistiques visuelles sont également sévèrement critiquées pour leur manque de précision et leur caractère trop publicitaire. Aussi, malgré la publication de quelques ouvrages remarquables comme <a href="https://dorothealange.museumca.org/section/an-american-exodus-a-new-kind-of-book/"><em>Un exode américain</em></a>, co-écrit par l’économiste Paul Douglas et Dorothea Lange, ce mouvement de visualisation a rapidement quitté la sphère des sciences sociales pour intégrer celle de la communication, du journalisme et la publicité.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=781&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=781&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=781&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=981&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=981&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540152/original/file-20230731-160144-yt9g05.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=981&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le multiplicateur keynésien, vu par l’administration Roosevelt.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cet échec met en perspective l’écart très souvent dénoncé entre les experts de l’économie et la population sur des sujets essentiels tels que l’<a href="https://laviedesidees.fr/Derriere-les-chiffres-de-l-inflation">inflation</a> ou la <a href="https://laviedesidees.fr/La-dette-cet-artefact">dette publique</a>. À se complexifier, la science crée simultanément une difficulté, voire une incapacité, à se rendre compréhensible par le plus grand nombre. Le mouvement <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2015-1-page-103.htm">« autisme-économie »</a> prônait par exemple, au début des années 2000, une réforme de l’enseignement de l’économie qui ne décrivait, selon ses membres, que des « mondes imaginaires ». L’histoire nous apprend que le dilemme entre la volonté de scientificité et la nécessité de se faire comprendre par les citoyens est ancien et qu’il n’existe pas, à ce jour, de solution complètement satisfaisante pour y répondre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210732/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Charles a reçu des financements de l'Université de Paris 8, de l'Ined et de l'ANR. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Yann Giraud a reçu des financements de CY Cergy Paris Université.</span></em></p>Les économistes, déconnectés du monde réel ? Dans les années 1920 et 1930, ils faisaient appel à la photographie et d’autres outils visuels pour parler de l’économie.Loïc Charles, Professeur d'histoire de l'économie, Institut National d'Études Démographiques (INED)Yann Giraud, Professeur en histoire des savoirs économiques, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2109982023-08-10T21:17:03Z2023-08-10T21:17:03ZÉduquer à la finance avec des réservoirs, des canaux et des pompes à eau<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541034/original/file-20230803-17-98xegj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1000%2C694&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">2300 heures de travail ont été consacrées à la réalisation d'une carte métaphore du système monétaire et financier.</span> <span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Au cours de la dernière décennie, les super-riches et les grandes entreprises ont pu emprunter à des <a href="https://www.banque-france.fr/intervention/les-taux-bas-quelles-causes-et-quels-effets-pour-la-france">taux d’intérêt historiquement bas</a>. Cet afflux d’argent à bas coût a dopé les marchés du crédit permis des <a href="https://www.bfmtv.com/economie/international/les-dividendes-verses-dans-le-monde-battent-encore-un-record-au-1er-trimestre_AD-202305240054.html">versements records de dividendes</a> et stimulé <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/24/rachats-d-actions-quand-le-capitalisme-tourne-en-rond_6107235_3232.html">rachats d’actions</a> et <a href="https://www.morganstanley.com/ideas/mergers-and-acquisitions-outlook-2022-continued-strength-after-record">opérations de fusion-acquisition</a>.</p>
<p>En revanche, ceux qui, dans le même temps, n’étaient pas jugés « solvables » se retrouvaient exclus du crédit, témoins impuissants notamment de la hausse constante des loyers. À maintes reprises, le secteur financier a inondé certaines parties de l’économie tandis que d’autres restaient à sec. Pourquoi donc semble-t-il si difficile de faire que le <a href="https://theconversation.com/topics/monnaie-21214">système monétaire</a> soit bien réglé ?</p>
<p>Le manque de <a href="https://theconversation.com/topics/finance-20382">culture financière</a> de la plupart des citoyens est au moins l’une des causes de cette situation, même s’il n’y a pas de consensus sur comment définir ce qu’est la culture financière. Le 7 juin, la Commission européenne a <a href="https://finance.ec.europa.eu/system/files/2023-06/european-financial-stability-and-integration-review-2023_en_0.pdf#page=46">déploré</a> « des niveaux de culture financière trop faibles dans l’Union », ce qui impacte « le bien-être personnel et financier, les ménages et la société en général ».</p>
<p>L’institution adopte néanmoins une vision plutôt étroite de l’éducation financière, limitée aux finances personnelles, c’est-à-dire apprendre aux gens à gérer leur budget, à atteindre leurs objectifs d’épargne et à comprendre les différents produits financiers. Au début du mois de mars, Sigrid Kaag, ministre néerlandaise des Finances, s’est fait l’écho d’une <a href="https://twitter.com/Minister_FIN/status/1640309155650060288">vision tout aussi minimaliste de l’éducation financière</a> :</p>
<blockquote>
<p>« En s’exerçant à épargner, à planifier et à faire des choix dès leur plus jeune âge, les enfants apprennent à prendre des décisions financières judicieuses ».</p>
</blockquote>
<p>Nous envisageons pour notre part une approche qui implique une compréhension beaucoup plus ambitieuse du système monétaire. Nous l’appelons « la culture financière systémique » et nous avons imaginé la faire <a href="https://theconversation.com/topics/education-20601">comprendre au plus grand nombre</a> à l’aide d’une métaphore et d’une visualisation.</p>
<h2>Contourner le jargon économique avec une carte</h2>
<blockquote>
<p>« À l’heure des CDS et des CDO, la plupart d’entre nous restent des analphabètes financiers »</p>
</blockquote>
<p>Voici ce qu’écrivait dans un <a href="https://www.rollingstone.com/politics/politics-news/how-wall-street-is-using-the-bailout-to-stage-a-revolution-177251/">article</a> du magazine <em>Rolling Stone</em> le journaliste financier américain Matt Taibbi en 2009, en référence aux produits financiers complexes qui ont déclenché la grande récession. Quatorze ans plus tard, la plupart d’entre nous ne connaissent toujours pas le jargon des économistes, des banquiers et des fiscalistes. Comme en 2009, les démocraties d’aujourd’hui continuent d’être divisées au sein de ce que Taibbi décrivait comme un « État à deux niveaux, avec des bureaucrates financiers branchés en haut et des clients désemparés en bas ».</p>
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<p>Nous pensons ainsi que tout projet visant à renforcer la culture financière doit nous informer non seulement sur le rôle d’une banque centrale, mais aussi sur l’infrastructure de paiement, le régime fiscal et l’investissement de notre épargne retraite (ndlr : le système de retraites aux Pays-Bas où exercent les auteurs repose pour partie sur un mécanisme de capitalisation). Qu’entendons-nous par « services publics » ? Quels sont les services financiers qu’il vaut mieux confier à des entreprises privées ? Qui a le pouvoir de créer et d’allouer de l’argent frais – et à quelles fins ? Pour répondre à ces grandes interrogations, il faut non seulement une meilleure compréhension des structures financières, mais aussi un engagement politique continu.</p>
<p>Avec le cartographe Carlijn Kingma et le journaliste financier d’investigation Thomas Bollen, nous avons donc cherché à créer un projet qui pousserait à se poser pareilles questions et démystifierait le monde de la finance. Pendant deux ans et demi, nous avons mis au point une visualisation architecturale de notre système monétaire qui contourne le jargon économique. Nous l’avons baptisé « aqueduc de l’argent » (« waterworks of money »).</p>
<h2>La finance comme système d’irrigation</h2>
<p>Carlijn Kingma a passé 2 300 heures à dessiner cette carte à la main, sur la base de recherches approfondies et d’entretiens avec plus de 100 experts : gouverneurs de banques centrales, membres de conseils d’administration de fonds de pension et de banques, politiciens ou encore activistes monétaires. La métaphore de l’eau, que nous reprenons dans une vidéo d’animation, a joué un rôle essentiel dans la conception de notre carte. Le secteur financier est en effet à l’économie ce que le système d’irrigation est aux terres agricoles. Tout comme l’irrigation aide les cultures à pousser, l’argent permet à l’économie de prospérer.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/IszXpzIo_ZQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>L’architecture de notre système d’irrigation financière et la manière dont les écluses et les vannes sont actionnées ont un impact sur nous tous.</p>
<blockquote>
<p>« Qu’arrosons-nous et que laissons-nous à sec ? »</p>
</blockquote>
<p>Telle était la question posée par Sigrid Kaag à des économistes, des banquiers et des journalistes en juin 2022 avant de poursuivre :</p>
<blockquote>
<p>« Les choix faits par le secteur financier déterminent ce qui pousse et ce qui meurt. C’est là que les banques, les fonds de pension, les gestionnaires d’actifs et les compagnies d’assurance peuvent faire la différence. »</p>
</blockquote>
<h2>Le ruissellement n’est pas naturel</h2>
<p>Dans notre carte, le processus long et complexe d’irrigation financière commence au sommet de ce que l’on appelle la tour de la société, où les grandes fortunes conservent leurs réservoirs. C’est là que sont logées les plus grandes entreprises du monde, y compris les grandes sociétés pétrolières, pharmaceutiques et de distribution. Si l’on ouvre les vannes, l’argent s’écoule en aval et met en branle les rouages de l’industrie. Les salaires se frayent un chemin à travers le réseau de distribution d’eau et tombent dans les tirelires des employés. En retour, tout le monde travaille.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/540809/original/file-20230802-28303-k4xo5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C59%2C7988%2C5556&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540809/original/file-20230802-28303-k4xo5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C59%2C7988%2C5556&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540809/original/file-20230802-28303-k4xo5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540809/original/file-20230802-28303-k4xo5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540809/original/file-20230802-28303-k4xo5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540809/original/file-20230802-28303-k4xo5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540809/original/file-20230802-28303-k4xo5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540809/original/file-20230802-28303-k4xo5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« l’aqueduc de l’argent », une carte architecturale de notre système financier par Carlijn Kingma.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L’argent finit par s’infiltrer dans les rangs les plus bas de la société, là où un tapis roulant est toujours en marche pour assembler les produits et les matières premières extraites. Les gens dépensent ensuite les salaires qu’ils ont gagnés. Le produit des ventes est pompé vers le réservoir situé au sommet, et le cycle recommence.</p>
<p>C’est du moins l’idée car cette économie de ruissellement popularisée dans les années 1980 par le président américain Ronald Reagan et la Première ministre britannique Margaret Thatcher n’existe pas vraiment. Dans la réalité, l’argent circule principalement entre le sommet de la tour et le secteur financier. En outre, l’énorme croissance du secteur financier au cours des dernières décennies a creusé le fossé entre les plus fortunés et les plus démunis. La quantité croissante d’argent fait grimper le cours des actions, le prix des logements et les frais de gestion, mais la majeure partie de l’argent n’atteint pas l’économie quotidienne de la tour de la société – où il peut être utilisé pour des investissements productifs, générer des revenus et ajouter de la valeur sociale.</p>
<p>La structure de notre système monétaire n’est pas un phénomène naturel. La manière dont le réseau d’adduction d’eau a été mis en place est un choix politique. Dans les démocraties, des niveaux plus élevés d’éducation financière systémique sont une condition préalable pour changer cette architecture et faire en sorte que le secteur financier serve mieux la société.</p>
<hr>
<p><em>Thomas Bollen, journaliste financier d’investigation, et Carlijn Kingma, cartographe, ont participé à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210998/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le travail de recherche a reçu des financements de Follow the Money, The Hague University of Applied Sciences, Stimuleringsfonds Creatieve Industrie, Brave New Works, Rabobank, Kunstmuseum Den Haag et Rijksmuseum Twenthe</span></em></p>Pour une meilleure « alphabétisation financière », des chercheurs néerlandais ont travaillé à représenter la finance sous la forme d’un réseau d’irrigation.Martijn Jeroen van der Linden, Professor of Practice in New Finance, Hague University of Applied SciencesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096172023-08-02T18:06:34Z2023-08-02T18:06:34ZStéréotypes de genre dans le football français, les défis des médias pour les jeunes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/538757/original/file-20230721-23892-1ngou4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C0%2C4179%2C2797&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La façon dont les magazines destinés à la jeunesse présentent les footballeuses et les footballeurs a un impact sur la perception de la pratique sportive par leur lectorat.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/smiling-girl-reading-on-brown-sofa-109899608">Dmytro Vietrov/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>En 2022, le <a href="https://injep.fr/publication/barometre-national-des-pratiques-sportives-2022/">Baromètre national des pratiques sportives</a> de l’Institut national de la Jeunesse et de l’éducation populaire indiquait que 60 % des Françaises et Français de 15 ans et plus affirmaient avoir pratiqué au cours de l’année écoulée une activité physique et sportive régulière. Cette hausse est fortement portée par la pratique féminine : 58 % des femmes pratiquent une activité sportive en moyenne au moins une fois par semaine, soit 7 points de plus qu’en 2018. L’écart entre hommes et femmes s’est ainsi réduit, passant de 6 à 4 points.</p>
<p>Il n’en demeure pas moins que cet écart persiste de façon prononcée dans certaines disciplines : la Fédération française de football (FFF) comptabilisait seulement 157 761 joueuses pour 2 124 335 licenciés lors de la saison 2019-2020, malgré un <a href="https://www.fff.fr/16-le-football-feminin/365-football-feminin-nos-actions.html">plan fédéral de féminisation</a> impulsé en 2011. Axe prioritaire de la FFF sur la période 2012-2016, celui-ci visait à féminiser le football à tous les niveaux, sur et en dehors du terrain.</p>
<p>Parmi les nombreuses pistes explicatives à la lenteur de la féminisation du football français, les médias, et spécialement ceux destinés aux plus jeunes, ont retenu notre attention car ils sont aujourd’hui des <a href="https://journals.openedition.org/communiquer/2576">acteurs majeurs de la diffusion du sport et de la visibilité du sport dit féminin</a>.</p>
<h2>Les médias, acteur important de la socialisation sportive des jeunes</h2>
<p>Le lien mécanique entre médiatisation et massification/démocratisation de la pratique sportive, pourtant rarement mis à l’épreuve des faits, reste tenace dans notre société.</p>
<p>Un exemple parmi d’autres : en 2019, la ministre des Sports Laura Flessel avait déclaré durant la Coupe du Monde féminine de football qu’elle espérait que la médiatisation de la compétition « donne envie à beaucoup de Françaises, et notamment des jeunes filles, de chausser les crampons et de rejoindre les garçons sur le terrain ».</p>
<p>En considérant la capacité des médias à octroyer une place plus ou moins importante à certains contenus, à privilégier et légitimer des cadres d’intelligibilité, des normes ou des modèles de conduite spécifiques et, en creux, <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2022-1.htm">à passer sous silence ou disqualifier certaines pratiques et visions du monde</a>, il semble pertinent d’analyser leur rôle dans la socialisation sportive des jeunes.</p>
<p>Composé d’une dizaine d’enseignants-chercheurs aux ancrages disciplinaires distincts (histoire, sociologie, sciences du langage, sciences de l’information et de la communication), le Collectif MediSJeu (pour mediatisation du sport et socialisation sportive des jeunes) s’est donné pour objectif, dans le cadre d’un programme de recherches étalé sur une dizaine d’années, de répondre à deux questions : dans quelle mesure les médias, en diffusant à grande échelle des modèles de sportivité, participent-ils de la construction des (dé) goûts, du développement de dispositions ou non pour le sport ? Et dans quelle mesure amènent-ils un jeune à admirer ou à stigmatiser d’autres jeunes pratiquant une activité sportive, à s’en auto-exclure, à se forcer à la pratiquer ou à l’abandonner ?</p>
<h2>Une couverture de l’activité sportive déséquilibrée</h2>
<p>Nous avons effectué un examen détaillé de la couverture et du traitement médiatique des joueuses et joueurs des équipes de France de football lors des six dernières Coupes du Monde, féminines et masculines confondues (2010 à 2019), sur l’intégralité d’un corpus reconstitué (n=1 440 numéros) d’un titre de la <a href="https://www.cairn.info/la-presse-des-jeunes--9782707132291.htm">presse écrite dite « jeunesse »</a> destiné aux 6-10 ans, <a href="https://www.playbacpresse.fr/abonnements-le-petit-quotidien"><em>Le Petit Quotidien</em></a>, largement diffusé dans les écoles françaises.</p>
<p>Les <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2022-1-page-63.htm">premiers résultats</a> montrent que le sport, pratique culturelle pourtant bien installée dans la population française, n’occupe qu’environ 7 % de la surface rédactionnelle, et est majoritairement traité sous forme d’images, souvent relégué en troisième page et dans des formats inférieurs ou égaux au quart de page.</p>
<p>Surtout, en dépit du fait que les jeunes lectrices sont tenues de s’investir dans l’éducation physique à l’école, <a href="https://injep.fr/wp-content/uploads/2018/08/ias1-le-sport.pdf">sont de plus en plus nombreuses à être licenciées dans un club entre 6 et 12 ans</a> et considèrent les jeux sportifs comme l’un de leurs loisirs préférés, le journal construit le sport comme un loisir « masculin ».</p>
<p>En effet, les filles sont concernées par moins de 10 % des articles sportifs, moins souvent présentes en couverture, généralement cantonnées aux dernières pages, rarement représentées seules dans des formats écrits ou de grande taille, et assignées aux articles courts, sans fond ou seulement illustrés par <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2004-1-page-163.htm">« l’être féminin »</a>, c’est-à-dire que ce qui est considéré comme faisant la femme est souvent réduit à l’« être perçu ». Les sportives – sans être complètement oubliées – restent ainsi littéralement reléguées au second plan.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=106&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=106&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=106&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=133&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=133&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538759/original/file-20230721-37190-7bnydt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=133&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Résultat d’une recherche Google Images sur la requête « Petit Quotidien » + « foot ».</span>
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</figure>
<p>Dans un second temps, nous avons analysé les contenus visuels du quotidien relatifs aux équipes de France de football : dans près de 90 % des cas, les photos ne sont pas mixtes et mettent en scène des hommes dans plus de 85 % des visuels étudiés. Cette domination se poursuit lorsque l’on observe la répartition des hommes et des femmes dans les différents plans photographiques. Au premier plan figurent des hommes seuls (83 % <em>vs</em> 6 % pour les femmes) tandis qu’au second plan, les chiffres sont divisés par deux pour les hommes et par trois pour les femmes (48 % d’hommes <em>vs</em> 2 % de femmes).</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538758/original/file-20230721-29-vbmm8w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538758/original/file-20230721-29-vbmm8w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538758/original/file-20230721-29-vbmm8w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538758/original/file-20230721-29-vbmm8w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=885&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538758/original/file-20230721-29-vbmm8w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538758/original/file-20230721-29-vbmm8w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538758/original/file-20230721-29-vbmm8w.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le 24 juin 2023, peu avant le début de la Coupe du Monde, le Petit Quotidien, pour son n°7195, consacre exceptionnellement sa couverture à l’équipe de France féminine de football.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.epresse.fr/kiosque_premium/le-petit-quotidien/2023-06-24">Le Petit Quotidien</a></span>
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</figure>
<p>Pour alourdir encore davantage ce constat, il convient de noter que, quand les femmes sont au premier plan, elles sont le plus souvent accompagnées d’hommes au second plan, contribuant ainsi à construire l’image d’un <a href="https://journals.openedition.org/sds/2174">sport féminin encadré, analysé et régi par des hommes</a>.</p>
<h2>Un choix d’illustrations qui n’est pas neutre</h2>
<p>Les photographies relatives aux Coupes du Monde de football utilisent la plupart du temps un cadrage resserré, c’est-à-dire lorsque le personnage occupe toute la hauteur ou la largeur au minimum (45 % du volume) ou normal, lorsque le personnage occupe la moitié de la hauteur ou de la largeur (37 % du volume).</p>
<p>Le retrait des éléments de contexte peut être considéré comme un levier visant à faciliter la lecture du jeune public, mais il pose dans le même temps la question du message envoyé à propos du football : de tels effets de zoom sur un ou quelques joueurs en particulier participent du processus d’<a href="https://www.cairn.info/revue-staps-2008-4-page-29.htm">individualisation</a> et de <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-et-representations-2011-1-page-105.htm">vedettisation</a> des joueurs et des joueuses, conduisant à la surreprésentation des champions et à la sous-représentation des championnes, et valorisant un champion dans le cadre d’actions décisives (Mbappé, Pogba, Griezmann, par exemple) au détriment d’une équipe.</p>
<p>Au final, le traitement médiatique des joueuses et joueurs des équipes de France de football dans le quotidien étudié n’est pas « neutre » et nos résultats confirment pour la presse écrite jeunesse les <a href="https://www.neonmag.fr/le-sport-feminin-est-16-fois-moins-diffuse-a-la-tele-que-le-sport-masculin-indique-un-rapport-de-larcom-560125.html">constats produits par ailleurs</a> (presse écrite généraliste, presse écrite spécialisée, télévision, etc.). D’après le sociologue du sport Nicolas Delorme, la rédaction de <em>L’Équipe</em>, unique quotidien sportif généraliste français, a <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2021-01-19/pourquoi-le-sport-feminin-est-toujours-aussi-peu-mediatise-9c2e129d-43b9-4fdf-a9d2-e7acd76a3436">délibérément choisi de privilégier le sport masculin</a> au sport féminin, les hommes représentant 82 % du lectorat du journal.</p>
<p>Certes, l’appropriation des messages médiatiques n’est ni immédiate ni systématique, mais relève d’une socialisation complexe et continue, qu’il convient de penser dans l’articulation aux autres agents socialisateurs (famille, école, club, etc.). Il n’en demeure pas moins que les médias doivent être pensés et analysés comme une instance de socialisation puissante : ils peuvent permettre d’ouvrir le champ des possibles, susciter l’admiration voire des vocations, ils participent également d’un processus plus large de stigmatisation/discrimination chez les jeunes lectrices et lecteurs.</p>
<p>On mesure dès lors combien les enjeux sont d’importance pour la Coupe du Monde féminine de football 2023. En renforçant la place des footballeuses dans les contenus proposés et en érigeant des « rôles modèles » pour des millions de jeunes filles, les médias pourraient contribuer à permettre à la jeunesse de se projeter dans des sports que les unes et les autres s’imaginent encore trop sexués, voire ségrégués.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209617/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Oumaya Hidri Neys a reçu, pour le Collectif MediSJeu, des financements de la Maison Européenne des Sciences de l’Homme et de la Société Lille Nord-de-France, de l'INSPE Lille Nord-de-France et de l’Institut National de Jeunesse et d’Education Populaire (Paris). Le Collectif MediSJeu a également obtenu le label de la Fondation Alice Milliat, première fondation européenne en faveur du sport féminin.</span></em></p>D’après une étude, la presse écrite dite « jeunesse » tend à présenter le football comme un loisir masculin, contribuant ainsi à perpétuer les stigmatisations traditionnelles entourant ce sport.Oumaya Hidri Neys, Professeur des universités en STAPS, Université d'ArtoisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2105712023-08-01T16:20:15Z2023-08-01T16:20:15ZPour pratiquer les langues étrangères en vacances, quelles stratégies adopter ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540416/original/file-20230801-27-q5gdci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C0%2C3970%2C2670&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment mener une conversation à peu près fluide dans une langue étrangère ? </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/chercher/summer%20holidays/">Pexels </a></span></figcaption></figure><p>Les vacances sont là : à l’étranger ou au contact de touristes étrangers en France, vous pourriez être amené à utiliser une langue étrangère dans les semaines à venir. Or, comme pour beaucoup de Français, mener une conversation dans une autre langue relève au mieux du défi, au pire du cauchemar par manque de pratique.</p>
<p>Comment échanger avec l’employé grognon pour qu’il vous guide vers ce village si typique que vous rêvez de visiter ? Comment se lancer dans une discussion avec le pêcheur, la marchande ou la restauratrice pour découvrir les spécialités locales ? Comment aider efficacement ce touriste qui a perdu son portefeuille ?</p>
<p>Si ces situations mettent souvent les touristes face aux limites de leurs compétences en matière d’interaction orale, le temps des vacances est pourtant l’occasion idéale pour oser se lancer et développer sa pratique sans stress.</p>
<p>Mes recherches sur le <a href="https://journals.openedition.org/linx/3399">fonctionnement des interactions en langue étrangère</a> montrent que la prise de conscience de certaines stratégies permet de <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.21832/9781783097722/html">dépasser son anxiété langagière</a> et de devenir plus efficace. Car chacun maîtrise des <em>méthodes</em> dans sa langue maternelle et en prendre conscience peut nous faciliter la tâche.</p>
<h2>Une compétence sous-enseignée</h2>
<p>L’interaction orale est l’activité langagière la <a href="https://journals.openedition.org/linx/3784">plus utilisée dans nos communications quotidiennes</a> (beaucoup plus que la rédaction ou la lecture) et pourtant c’est la compétence la moins enseignée et la moins étudiée.</p>
<p>Il existe plusieurs genres conversationnels : la discussion informelle ou formelle, l’échange d’informations, la négociation, l’interview, l’interrogatoire, le débat, etc. Or, la plupart des interactions auxquelles nous avons été formés au cours de notre scolarité se limitent pourtant au format d’interrogation. Souvenez-vous du fameux « Where is Brian ? » du sketch de Gad Elmaleh, auquel on répond traditionnellement : « Brian is in the kitchen ». Même si cet exemple tiré d’un manuel de 6<sup>e</sup> est quelque peu caricatural, la recherche montre que les échanges en milieu scolaire ou universitaire ont un format binaire du type question/réponse, <a href="https://journals.openedition.org/aile/801">peu propice à l’acquisition de compétences conversationnelle</a>.</p>
<p>Comment alors se débrouiller en situation réelle pour mener une conversation à peu près fluide ou gérer les problèmes de communication ?</p>
<p>Avec l’Analyse conversationnelle, une approche scientifique <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-linguistique-appliquee-2006-2-page-123.htm">issue d’une tradition sociologique – l’ethnométhodologie-</a>, la recherche s’attache à identifier les <em>méthodes</em> mutuellement reconnaissables que les interlocuteurs déploient pour garantir qu’ils se comprennent. Car l’interaction orale est très codifiée : les participants à un échange ont recours à des ressources verbales et non verbales qui s’agencent et se complètent, sans qu’on y prête attention quand on s’exprime dans sa langue maternelle.</p>
<p>Ces enchaînements constituent des scripts qui sont appris dès la naissance et tout au long de la vie pour communiquer efficacement. Par exemple, les rituels (les anniversaires, les fêtes calendaires, les achats du quotidien) ou bien les procédés de réparation (les ajustements ou les corrections opérés dans un échange) présentent des schémas d’action, qui sont globalement stables dans leur organisation.</p>
<p>Malheureusement, la maîtrise de ces scripts ne se transfère pas automatiquement lorsqu’on échange en langue étrangère. Pour suivre le rythme d’une conversation, on doit réfléchir vite, à la fois au contenu de ce qu’on veut dire et à la manière dont on peut le dire. Faire les deux actions simultanément est difficile pour la plupart d’entre nous, faute de pratique régulière. On a alors souvent recours à des stratégies d’évitement ou de contournement. Par exemple, on reporte la responsabilité de mener la conversation sur ses enfants, au motif qu’ils étudient la langue et doivent s’entraîner pour passer des examens. Ou pire, on abandonne la discussion faute de pouvoir s’expliquer…</p>
<h2>S’appuyer sur toutes les dimensions du langage</h2>
<p>Les <em>méthodes</em> <a href="https://www.jstor.org/stable/412243">mises au jour par la recherche</a> constituent des clés dont la connaissance peut aider à conduire des échanges prolongés et à gérer les problèmes de communication. Pour s’assurer d’une bonne intercompréhension, il faut s’appuyer sur toutes les dimensions du langage à savoir le verbal, le vocal et le mimo-gestuel.</p>
<p>La dimension verbale repose notamment sur les scripts que l’on maîtrise dans sa langue maternelle, c’est-à-dire les enchaînements réguliers et récurrents de tours de parole. Une question attend une réponse, une invitation donne lieu à une acception et des remerciements ou au contraire, à un refus et des excuses ou une justification.</p>
<p>Ces scripts sont liés aux situations et il est ainsi possible de se préparer mentalement en mobilisant en amont toutes les informations dont on va avoir besoin pour se concentrer sur la mise en mots au cours de la conversation. Par exemple, dans un office du tourisme, l’échange va commencer par des salutations d’accueil puis l’employé proposera son aide. Le touriste va alors s’enquérir des lieux à visiter et l’agent fera des propositions suivies de questions sur le temps disponible, les goûts ou l’âge des participants. La discussion se terminera sans doute par une dernière question pour vérifier que toutes les demandes sont satisfaites, puis par des remerciements et des salutations de départ.</p>
<p>En plus de ces schémas réguliers associés aux nombreuses situations de la vie quotidienne, on peut exploiter la dimension vocale de la langue. L’intonation et les variations du timbre permettent de distinguer une question d’une affirmation ou un compliment d’un reproche. La pause sonore « euh » indique que le locuteur cherche une idée ou ses mots tandis que « Mmh » assorti d’un hochement de tête vous encourage à poursuivre votre discours et marque une forme d’alignement. Il existe bien sûr des différences culturelles qui peuvent être source de malentendus mais l’expérience (par exemple tous les échanges Erasmus en Europe) montre que celles-ci peuvent être dépassées, d’autant que certaines émotions <a href="https://www.lippc2s.fr/wp-content/uploads/HDR_Tcherkassof_vol-1_Note-_Synthese_2018.pdf">s’expriment de manière universelle</a> (la joie, la colère, la surprise, etc.).</p>
<p>En effet, dans l’interaction, les mimiques et les gestes des interlocuteurs participent largement à la communication : un froncement de sourcil et on sait que notre interlocuteur n’a pas saisi ce qu’on voulait dire, tandis qu’un battement de la main associé à une hésitation montre que le locuteur cherche ses mots.</p>
<h2>Différentes stratégies pour comprendre et s’exprimer</h2>
<p>Au cours de l’échange, des problèmes de communication ne manqueront pas d’intervenir. Ils sont de deux ordres : comprendre et s’exprimer. Toute conversation donne lieu à ce type de difficultés. C’est lié à la nature même des interactions qui consiste pour tout locuteur à chercher à se faire comprendre en utilisant les moyens les plus efficaces possibles. Mais les intentions du locuteur se heurteront immanquablement aux représentations et aux attentes de l’interlocuteur qui peut ne pas saisir le sens exprimé ou l’interpréter différemment.</p>
<p>Les stratégies utilisées spontanément dans sa langue maternelle peuvent être alors utilement appliquées et développées en langue étrangère.</p>
<p>Lorsqu’on ne comprend pas son interlocuteur, on peut :</p>
<ul>
<li><p>l’informer du problème et lui demander de répéter ou de reformuler ;</p></li>
<li><p>répéter ce qui vient d’être dit, ce qui permet à la fois de gagner du temps pour réfléchir et de vérifier qu’on a bien saisi ce qui a été dit ;</p></li>
<li><p>reformuler, avec d’autres mots, ce qui vient d’être dit pour gagner du temps de réflexion et vérifier de manière plus subtile qu’on a bien compris.</p></li>
</ul>
<p>Lorsqu’on ne sait pas comment dire ce qu’on souhaite exprimer ou que l’on n’est pas compris (en raison d’une prononciation erronée par exemple), on peut :</p>
<ul>
<li><p>utiliser des stratégies de compensation en paraphrasant, en expliquant, en mimant, en pointant des images, en donnant des exemples ;</p></li>
<li><p>indiquer qu’on a du mal à s’exprimer et demander de l’aide.</p></li>
</ul>
<p>L’entraide entre des interlocuteurs qui s’expriment dans une langue étrangère est à privilégier car elle relève d’un principe de coopération qui est généralement très bien accepté. Le locuteur natif ralentit son rythme, patiente et aide volontiers le touriste qui essaie de s’exprimer. C’est pour cela qu’il faut oser se lancer dans une discussion et profiter de chaque opportunité pour interagir. La dextérité, la rapidité de réaction ou l’à-propos sont autant d’habilités qui s’acquièrent par la pratique. Prendre conscience de toutes les stratégies d’interaction que l’on maîtrise dans sa langue maternelle et s’attacher à les appliquer lorsqu’on échange dans une langue étrangère peut aider à lever certains freins.</p>
<p>D’aucuns pensent que les outils de traduction en ligne peuvent leur rendre service, mais en réalité ils sont peu propices à des conversations développées et fluides. Profitez des vacances pour vous jeter à l’eau et développer vos compétences d’interaction orale !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210571/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pascale Manoïlov ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le temps des vacances nous offre l’occasion idéale pour oser se lancer et développer sa pratique des langues étrangères sans stress, à l’aide de quelques stratégies.Pascale Manoïlov, Maitresse de Conférence en Linguistique Appliquée et Didactique de l'Anglais, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2049782023-06-06T21:41:36Z2023-06-06T21:41:36ZÉducation : voici pourquoi les données probantes ne disent pas tout<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/530293/original/file-20230606-19-p7vgd8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C1997%2C1191&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En se fiant uniquement sur des données probantes, on se prive d'expériences pertinentes provenant du milieu de l'éducation, comme ici dans une recherche réalisée en 2019 par des chercheuses de l’UQO. Sur la photo, des élèves d’une école de Gatineau découvrent leur environnement à l’aide d’appareils photo.</span> <span class="attribution"><span class="source">(courtoisie du projet Hors les murs »)</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>En éducation, le débat sur l’importance à accorder aux données probantes refait surface à intervalles réguliers depuis une vingtaine d’années. </p>
<p><a href="https://theconversation.com/la-reforme-drainville-renforce-lautorite-du-ministre-et-elimine-les-contre-pouvoirs-205550">Avec la récente réforme annoncée par le ministre de l’Éducation du Québec, Bernard Drainville</a>, une certaine confusion règne quant au sens à donner à ce concept.</p>
<p>Il peut être difficile de comprendre les enjeux du <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/791837/idees-l-inee-un-institut-de-la-naivete-par-excellence-en-education">débat qui s’est transporté sur la place publique</a> quant à l’utilisation des données probantes ou à la création d’un <a href="http://www.education.gouv.qc.ca/organismes-relevant-du-ministre/rapport-du-groupe-de-travail-sur-la-creation-dun-institut-national-dexcellence-en-education/">Institut national d’excellence en éducation</a> (INEÉ). En effet, comment ne pas se réjouir d’un gouvernement qui affirme vouloir éclairer ses décisions par des données scientifiques indiscutables ? Qu’est-ce qui peut expliquer que certains intervenants semblent s’inquiéter de l’excellence en recherche ? </p>
<p>En tant que chercheur en fondements de l’éducation, je m’intéresse à la fois à la philosophie de la connaissance, donc aux critères qu’on utilise pour déterminer ce qui peut être jugé comme étant vrai, et à la fonction de l’éducation et de l’école. J’estime que pour bien saisir les enjeux liés à l’utilisation des données probantes en éducation, il convient d’expliquer ce qu’elles sont et le contexte dans lequel elles ont été déployées.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-reforme-drainville-renforce-lautorite-du-ministre-et-elimine-les-contre-pouvoirs-205550">La réforme Drainville renforce l’autorité du ministre et élimine les contre-pouvoirs</a>
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<h2>Faire le pari du positivisme en recherche</h2>
<p>D’abord, il importe de noter que les partisans de la supériorité de ces données s’inscrivent dans une conception bien précise de ce qu’est la vérité, de ce qu’elle exige et de la forme qu’elle peut et devrait prendre.</p>
<p><a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807351370-les-donnees-probantes-et-l-education">Le concept des données probantes porte en effet toutes les caractéristiques du positivisme</a>, ce courant philosophique né au XIX<sup>e</sup> siècle qui soutient qu’il existerait des vérités, voire des lois qui expliqueraient la totalité de l’expérience humaine. Pour identifier ces lois, il suffirait d’exploiter des outils ou des instruments de mesure suffisamment précis.</p>
<p>En philosophie de la connaissance, une telle posture n’est pas tout à fait nouvelle. Elle est cependant loin de faire consensus dans le domaine scientifique et plus encore, dans celui des sciences humaines et sociales. Plusieurs chercheurs et philosophes sont en fait très critiques de la capacité du positivisme d’expliquer les choses humaines. Ils soulignent notamment que, pour assurer la validité de leurs modèles, les approches découlant du positivisme doivent <a href="https://www.cairn.info/le-metier-de-chercheur--9782738009739.htm">réduire de façon artificielle le nombre de variables en présence</a> dans une situation. </p>
<p>Sans vouloir caricaturer, en éducation, on pourrait ainsi vouloir réduire l’engagement des élèves à leur présence ou non en classe ou l’apprentissage, aux résultats que ces mêmes élèves auront obtenus à une évaluation. Il serait inutile, ou tout simplement non pertinent, par exemple, de chercher à comprendre comment les élèves définissent leur engagement ou leur réussite à l’école.</p>
<h2>Diversifier les méthodes</h2>
<p>Cette sur-simplification peut difficilement offrir une compréhension de la complexité des phénomènes humains, comme l’éducation ou l’apprentissage. Même en médecine, d’où est issu le concept de données probantes, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/070674370104600502">plusieurs chercheurs</a> montrent que les devis permettant de produire de telles données <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1098214007313742">présentent des faiblesses</a> que seule la <a href="https://www.cairn.info/de-la-defense-des-savoirs-critiques--9782348073069.htm">diversité des approches méthodologiques</a> et le jugement clinique d’un professionnel permettraient de corriger.</p>
<p>En éducation, ce qui inquiète n’est donc pas qu’on exploite la richesse évidente des données probantes, mais l’impasse qui semble être faite à toutes les autres recherches qui permettent un éclairage plus nuancé des différentes facettes de l’expérience scolaire des élèves, des personnes enseignantes, des directions, des parents et du sens qu’ils lui donnent.</p>
<p>Le discours sur les données probantes est souvent très exclusif. <a href="https://books.google.ca/books/about/Nursing_Research.html?id=HyNGxQEACAAJ&redir_esc=y">Certains auteurs</a> proposent même une hiérarchie formelle des approches méthodologiques et de la robustesse des « preuves » en recherche. C’est aussi ce qui transparait dans le discours du ministre québécois de l’Éducation lorsqu’il aborde le sujet des données probantes.</p>
<p>On peut ainsi légitimement s’inquiéter de la volonté de miser sur les seules données probantes pour comprendre des phénomènes complexes et prendre des décisions.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Production d’élève dans le cadre du projet « hors les murs »" src="https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/529459/original/file-20230531-21802-g606gq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La pluralité des approches méthodologiques permet de corriger les angles morts des données probantes et de mieux comprendre comment les élèves donnent un sens à leur expérience. C’est le cas avec ce travail réalisé par les chercheuses Geneviève Lessard, Catherine Nadon, Stéphanie Demers, Marysa Nadeau, Marie-Thérèse Kamal, Ornella Kendjo où les élèves étaient invités à prendre en photo ce qui était important pour eux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Projet Hors les murs)</span></span>
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</figure>
<h2>Au service d’une gestion publique efficace</h2>
<p>Plusieurs des critiques de l’utilisation des données probantes sont aussi préoccupés par l’utilisation qui en sera faite par les décideurs politiques.</p>
<p>L’émergence des données probantes en éducation est en effet intimement liée à l’adoption des préceptes de la <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2004-2-page-177.htm">nouvelle gestion publique (NGP)</a> et de la gestion axée sur les résultats (GAR). </p>
<p>Avec la NGP, il s’agit de calquer la gestion des services publics sur celle des entreprises privées, exclusivement centrée sur l’atteinte de résultats quantifiables. La GAR, quant à elle, est l’incarnation de la NGP en éducation, avec le double pari que la mission de l’école se résume à la réussite scolaire, et qu’il est possible d’évaluer cette réussite par les seuls résultats scolaires.</p>
<p>Or, pour plusieurs intervenants des milieux scolaires, la <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv1f2s28r">« réussite est considérée comme un phénomène complexe et ses déterminants, multifactoriels, ne sont pas seulement scolaires »</a>. Elle ne peut se résumer qu’aux résultats. Ainsi, ne suivre que des indicateurs quantifiables ne permettrait pas de témoigner de l’ampleur et de la diversité du travail accompli par les personnes enseignantes, par exemple. Les pratiques valorisées seront celles qui se mesurent aisément, et dont il est possible de quantifier les effets. Tout le reste de ce qui occupe les enseignants relève dès lors de l’angle mort.</p>
<p>On sait aussi que la NGP appliquée au système d’éducation s’accompagne de pratiques exigeantes de <a href="https://doi.org/10.1177/0741713606289025">reddition de compte et d’imputabilité</a>. Ainsi, si les résultats jugés importants par le ministre ne sont pas au rendez-vous, les écoles et les personnes enseignantes se trouvent directement mises en cause, peu importe les conditions dans lesquelles ils œuvrent. C’est aussi dans ce contexte qu’il faut comprendre le débat lié à l’importance à donner aux données probantes en éducation.</p>
<h2>Ce qui est en jeu</h2>
<p>Ce qui semble donc être en jeu dans ce débat n’est donc pas simplement de savoir s’il convient de s’appuyer sur des résultats de recherche pour prendre des décisions à l’échelle du système d’éducation. Il s’agit plutôt d’un débat sur la nature de la connaissance scientifique d’abord, et ensuite sur les outils qui seront mis en place pour témoigner la réussite ou non de notre système éducatif.</p>
<p>Comprendre les différentes facettes de l’éducation exige de profiter de la diversité des regards scientifiques et de la pluralité des approches méthodologiques. Mettre un accent exagéré sur les seules données dites probantes et, plus encore, n’autoriser que la formation enseignante s’appuyant sur ces données risque de limiter le <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11217-010-9191-x">pouvoir d’intervention des personnes enseignantes</a> et d’engendrer des <a href="http://link.springer.com/10.1007/s10833-016-9294-4">effets secondaires imprévisibles</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204978/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles-Antoine Bachand ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le projet de loi 23 remet à l’ordre du jour le débat sur l’importance à accorder aux données probantes en éducation. Mais est-ce la meilleure méthode pour avoir un portrait juste d’une situation ?Charles-Antoine Bachand, Professeur, Université du Québec en Outaouais (UQO)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2042322023-05-29T13:39:47Z2023-05-29T13:39:47ZL’école québécoise n’offre pas la même égalité des chances et cela est inquiétant<p>Malgré certaines avancées, l’égalité des chances dans le système éducatif québécois est encore bien loin d’être atteinte. C’est ce qu’on apprend dans le premier <a href="https://www.observatoiredesinegalites.com/fr/detail-publication/bulletin-de-l-egalite-des-chances-en-education">Bulletin de l’égalité des chances en éducation</a> produit par l’<a href="https://www.observatoiredesinegalites.com/fr/">Observatoire québécois des inégalités</a>. </p>
<p>Un des problèmes soulevés est celui de l’école à trois vitesses, soit la segmentation des élèves entre les secteurs privé (subventionné par l’État), public enrichi (programmes spéciaux) et public régulier. C’est là où se creuse le fossé entre les groupes sociaux inégalement dotés sur les plans économique et culturel. </p>
<p>Nous vous proposons ainsi, dans cet article, un survol des constats soulevés par le Bulletin de l’égalité des chances en éducation, auxquels nous avons participé à l’élaboration, en tant que chercheurs et experts de l’accès et la réussite aux études, du préscolaire à l’Université.</p>
<h2>Du rapport Parent à une scolarité scindée</h2>
<p>Comme l’a illustré récemment le documentaire <a href="https://www.telequebec.tv/documentaire/l-ecole-autrement">« L’école autrement »</a>, réalisé par Erik Cimon des Productions du Rapide-Blanc, le système éducatif québécois s’est considérablement éloigné des visées de démocratisation formulées par la <a href="https://www.bibliotheque.assnat.qc.ca/guides/fr/les-commissions-d-enquete-au-quebec-depuis-1867/7548-commission-parent-1963-66">commission Parent</a> dans les années soixante. Ses objectifs étaient de favoriser l’accès à une éducation adaptée à chacun, tout en préparant à la vie en société. Le <a href="https://actualites.uqam.ca/2013/le-rapport-parent-un-document-fondateur/">rapport qui s’en est suivi</a>, véritable symbole de la <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/revolution-tranquille">Révolution tranquille</a>, recommandait notamment de rendre l’école publique gratuite et obligatoire jusqu’à 16 ans, de favoriser un cheminement commun au secondaire et de démocratiser l’accès aux études universitaires.</p>
<p>Malgré ces bonnes intentions, entre 1968 et 2014, la part de l’école privée au Québec est passée de 4 % à 21 %. Cela tient, entre autres, à son bas coût pour les familles, comparé au reste du Canada et aux États-Unis, dûs aux importantes subventions gouvernementales. </p>
<h2>Des taux de réussite différents</h2>
<p>Aux examens obligatoires du ministère de l’Éducation, passés au printemps 2022, l’écart de réussite entre les élèves du public et du privé, qui s’était réduit pendant la pandémie, <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/education/2022-10-27/examens-ministeriels-du-secondaire/le-fosse-se-creuse-entre-le-public-et-le-prive.php">atteignait un sommet depuis cinq ans</a>. </p>
<p>Les dernières données disponibles montrent de grands écarts entre les taux d’accès au collégial selon que l’enfant ait fréquenté le public, le privé ou des programmes enrichis au secondaire. En comparaison avec les classes publiques régulières, les écoles privées du Québec enregistrent un taux beaucoup plus élevé d’admission aux études collégiales, soit 76,9 % contre 37,3 %. Entre les deux extrêmes, soit le public ordinaire et le privé ou le programme d’études internationales (PEI), on note une différence de 56,9 points de pourcentage. </p>
<p>Cela a un impact sur les admissions à l’université : <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Pierre%20Canisius-Kamanzi--39554.htm">selon une étude</a>, 60 % des jeunes qui fréquentent un établissement d’enseignement privé vont à l’université, 51 % pour ceux issus des écoles publiques de type enrichi et seulement 15 % pour ceux en provenance des écoles publiques régulières. </p>
<p>Un tel constat est alarmant, puisque la réussite dans la vie est fortement liée à un bon bagage éducatif. Dans les <a href="https://www.oecd.org/fr/sti/la-croissance-par-le-savoir.htm">sociétés régies par l’innovation constante et l’économie du savoir</a>, un niveau d’éducation élevé permet aux individus scolarisés de bien s’intégrer dans la société et de participer à son développement économique, politique et culturel. La sous-scolarisation exclut et marginalise les individus ainsi démunis face à un monde toujours plus exigeant, mobile et changeant.</p>
<h2>Des parcours difficiles au primaire et au secondaire</h2>
<p>Dès l’entrée au préscolaire, on constate qu’il existe des différences marquées sur le plan de la réussite éducative. Entre 2012 et 2017, la proportion d’enfants vulnérables, c’est-à-dire vivant des retards dans leur développement, a augmenté. Cette problématique touche davantage les garçons (un sur trois) que les filles (une sur cinq). </p>
<p>Les enfants les plus défavorisés sont aussi les plus touchés, 33,7 % d’entre eux présentant une vulnérabilité contre 23,2 % chez les plus favorisés. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/523451/original/file-20230428-28-16sfvl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/523451/original/file-20230428-28-16sfvl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523451/original/file-20230428-28-16sfvl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523451/original/file-20230428-28-16sfvl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523451/original/file-20230428-28-16sfvl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523451/original/file-20230428-28-16sfvl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523451/original/file-20230428-28-16sfvl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523451/original/file-20230428-28-16sfvl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Proportion d’enfants vulnérables selon l’indice de défavorisation matérielle entre 2012 et 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bulletin de l’égalité des chances en éducation, Observatoire québécois des inégalités</span></span>
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<p>Le cheminement au secondaire comporte aussi ses défis. Malgré une augmentation du taux de diplomation depuis 1998, plusieurs disparités existent toujours entre les différents groupes d’élèves. Soulevons notamment que les différences entre filles et garçons se poursuivent à cet ordre d’enseignement. Le Bulletin montre aussi que le statut d’élève handicapé ou en difficulté d’adaptation ou d’apprentissage a un grand effet sur les chances de réussite, avec un taux de diplomation au secondaire moyen de 53,7 % en 2010 comparativement à 80,9 % pour l’ensemble des élèves québécois. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/523452/original/file-20230428-20-llqi5x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/523452/original/file-20230428-20-llqi5x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523452/original/file-20230428-20-llqi5x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523452/original/file-20230428-20-llqi5x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523452/original/file-20230428-20-llqi5x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523452/original/file-20230428-20-llqi5x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523452/original/file-20230428-20-llqi5x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523452/original/file-20230428-20-llqi5x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Taux de diplomation et de qualification 7 ans après l’entrée au secondaire selon le genre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bulletin de l’égalité des chances en éducation, Observatoire québécois des inégalités</span></span>
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<h2>Des inégalités persistantes au collégial et à l’université</h2>
<p>Les ordres d’enseignement collégial et universitaire affichent un portrait plus positif, avec une certaine hausse des taux d’accès et de diplomation. </p>
<p>Au collégial toutefois, les données historiques montrent que la proportion d’étudiants et étudiantes à la formation continue est en déclin depuis 1990, coïncidant avec l’augmentation des frais de scolarité sous le gouvernement Bourassa. </p>
<p>Les différences se maintiennent à ce niveau aussi entre les hommes et les femmes, avec des écarts en faveur des femmes en 2012 de 17 points de pourcentage dans l’accès au collégial et de 15,8 points à l’Université. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/523453/original/file-20230428-26-h3kiwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523453/original/file-20230428-26-h3kiwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523453/original/file-20230428-26-h3kiwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523453/original/file-20230428-26-h3kiwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523453/original/file-20230428-26-h3kiwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523453/original/file-20230428-26-h3kiwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523453/original/file-20230428-26-h3kiwz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=442&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Taux d’accès aux études collégiales en 2002-2003 selon la filière d’études au secondaire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bulletin de l’égalité des chances en éducation, Observatoire québécois des inégalités, tiré de Laplante et coll. (2018)</span></span>
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<h2>L’école à trois vitesses, une source d’inquiétude majeure ?</h2>
<p>La population québécoise demeure ambivalente à l’égard du régime scolaire québécois à trois vitesses. </p>
<p>Un sondage réalisé par la firme Léger dans le cadre de l’édition 2023 du Bulletin montre que les personnes interrogées en ont une opinion mitigée. </p>
<p>En effet, une majorité y voit à la fois des avantages et des inconvénients. Plusieurs considèrent que l’école à trois vitesses creuse les écarts entre les riches et les pauvres, mais apprécient la diversité de choix que celle-ci offre. Si 47 % des répondants se disent insatisfaits du modèle actuel, le fait de rendre les projets particuliers accessibles à tous est considéré comme une solution intéressante par 80 % d’entre eux. </p>
<p>Cette ambivalence se répercute au sein du système politique québécois peu enclin, et ce depuis longtemps, à agir en ce domaine. </p>
<h2>Des freins à l’établissement d’un portrait global</h2>
<p>Le Bulletin de l’égalité des chances en éducation constitue, et constituera dans les années à venir, un outil précieux pour décrire et analyser l’évolution des inégalités dans le système scolaire québécois. </p>
<p>Cependant, bien du travail reste à faire pour mieux documenter les inégalités en éducation. Il y a un manque d’accessibilité des données pour les chercheurs, particulièrement des données récentes. Il n’y a pas de portrait exhaustif de l’école à trois vitesses, de l’enseignement privé et de ses populations d’élèves, des projets particuliers qui se sont développés dans les deux réseaux, de leurs pratiques de sélection, des frais réels assumés par les familles, ni de données concernant le milieu socio-économique au-delà du secondaire. </p>
<p>Pour le moment, nous ne possédons que des données partielles et incomplètes, ce qui empêche de mieux suivre l’impact des politiques éducatives sur la réussite scolaire des jeunes et des adultes.</p>
<p>Il y a bientôt 30 ans, la <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rs/1997-v38-n2-rs1600/057127ar/">Commission des États généraux de l’éducation</a>, dont le premier chantier fixait l’égalité des chances en éducation comme priorité écrivait notamment : « il nous paraît urgent de mettre un frein à la stratification des écoles primaires et secondaires en s’assurant que la priorité soit accordée à la relance des écoles publiques et que celles-ci demeurent ouvertes à tous les élèves ».</p>
<p>Ce qui a été clairement énoncé il y a plus de 25 ans conserve toute sa pertinence aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204232/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maude Roy-Vallières a été stagiaire de recherche à l'Observatoire québécois des inégalités et a notamment participé à la rédaction du Bulletin de l'égalité des chances en éducation. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Claude Lessard est membre des mouvements citoyens l'École Ensemble, Debout pour l'école et parlons d'Éducation. il a présidé le Conseil supérieur de l'éducation de 2011 à 2015. Sociologue de l'éducation, il est professeur émérite de l'Université de Montréal.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pierre Doray est président du conseil d'administration de l'Institut de Coopération en Education des adultes. </span></em></p>Malgré certaines avancées, l’égalité des chances dans le système éducatif québécois est encore bien loin d’être atteinte. Un des problèmes : le système à trois vitesses.Maude Roy-Vallières, Docteure en Éducation, Université du Québec à Montréal (UQAM)Claude Lessard, professeur émérite, Université de MontréalPierre Doray, professeur, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2054182023-05-25T16:49:47Z2023-05-25T16:49:47ZLa lente féminisation du monde des échecs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/525859/original/file-20230512-7632-9im3pw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C0%2C1080%2C712&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une participante au championnat de France jeunes à Agen (Lot-et-Garonne), avril 2023.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/196251999@N08/albums/with/72177720307825757">Nicolas Jouandet/Fédération française d'échecs</a></span></figcaption></figure><p>Les échecs sont l’un des plus anciens jeux de société mais ils semblent avoir retrouvé une forme de modernité. La série <a href="https://theconversation.com/topics/netflix-53737">Netflix</a> à succès <em>Le Jeu de la Dame</em> (<em>The Queen’s Gambit</em>) a remis au goût du jour ce jeu de stratégie, de même que les confinements, qui ont rapproché les gens de leurs jeux de société. Les productions scientifiques montrent tous les <a href="https://eric.ed.gov/?id=ED608753">bienfaits de ce jeu pour le cerveau</a>, notamment celui des enfants, et ont également contribué au phénomène. Ajoutons à cela le développement des plates-formes de jeu en ligne, sur lesquelles on note au niveau mondial une croissance de la pratique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/IjMNbp1gClA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En avril 2022, la compétition d’échecs a même été <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/les-echecs-enfin-reconnus-comme-un-sport-a-part-entiere-2640266">officiellement reconnue comme un sport</a> en France. Cela peut sembler surprenant pour un jeu de réflexion, mais logique pour une pratique qui nécessite endurance et entraînement physique au cours de matchs qui durent parfois plus de 6 heures.</p>
<p>Avec un récent doublé (dans les catégories mixte et féminine pour la deuxième année consécutive) mi-avril lors de la <a href="http://www.echecs.asso.fr/%28uaqvf255fnm1quelg2tp0k2n%29/Actu.aspx?Ref=14416">Mitropa Cup</a>, sorte de championnat d’Europe par équipes, joueurs et joueuses de l’Hexagone se montrent performants. Ils sont aussi de plus en plus nombreux. La Fédération française a, ces dernières années, vu une augmentation significative des licenciés. Le nombre de titulaires d’une licence est passé de 53 000 à la mi-avril 2022 à <a href="http://www.echecs.asso.fr/Actus/6797/Effectifs1.pdf">63 000 cette année</a>. Fin avril, les <a href="https://agen2023.ffechecs.org/">championnats de France individuels jeunes</a> ont réuni plus de 1 700 participants à Agen et la Fédération travaille sur de nombreux chantiers, en tête la valorisation des bienfaits du jeu et la féminisation du sport. Ce dernier aspect reste la limite principale du mouvement, avec 20 % de licenciées seulement.</p>
<h2>Les fédérations avancent leurs pions</h2>
<p>On relève ainsi tout un travail effectué autour de la pédagogie liée aux échecs. Promouvoir l’activité, c’est insister sur le fait qu’elle favorise notamment le développement de qualités essentielles aux enfants, comme la patience, la réflexion, l’anticipation, la concentration et évidemment le calcul et la géométrie.</p>
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<p>À l’instar de la <a href="https://www.tf1info.fr/voyages/video-norvege-le-royaume-des-echecs-5725-2139625.html">Norvège</a> où les échecs font partie des programmes scolaires de primaire, des initiatives fleurissent. C’est par exemple le <a href="https://dai.ly/x8jn391">programme échecs et maths</a> développé dans une école grenobloise de zone d’éducation prioritaire. C’est aussi cette école nantaise qui accueille des enfants à haut potentiel, souvent en difficulté scolaire, et qui a pu, parmi ses 60 élèves, constituer une équipe de <a href="https://fr.ulule.com/petits-champions-d-echecs/">10 enfants qualifiés en finale des championnats de France scolaires</a>.</p>
<p>S’ajoute à ces initiatives un programme porté par les instances fédérales qui vise à <a href="https://www.europe1.fr/societe/echecs-les-bienfaits-therapeutiques-dune-pratique-adaptee-chez-les-jeunes-autistes-4159113">développer la pratique des échecs parmi les enfants autistes</a>. Les bienfaits thérapeutiques sont désormais prouvés pour ce public ainsi que pour les jeunes dyslexiques et atteints de troubles de l’attention.</p>
<p>L’autre grand défi pour ce sport, gros bémol actuellement, est celui de sa <a href="http://echecs.asso.fr/Actu.aspx?Ref=13896">féminisation</a>. Sacré le 30 avril, le nouveau <a href="https://www.europe-echecs.com/art/championnat-du-monde-d-echecs-2023-8991.html">champion du monde</a> chinois, Ding Liren, est un homme. La championne du monde féminine en titre, Ju Wenjun, également chinoise, ne figure même pas dans le <a href="https://ratings.fide.com/top.phtml">top 100 mondial mixte</a>.</p>
<h2>Pas de bonnes joueuses ?</h2>
<p>Dans les mentalités, les échecs restent un sport masculin. L’Américain Bobby Fisher (1943-2008), vainqueur du « match du siècle » en 1972 qui avait mis fin à des décennies de domination soviétique sur la discipline, personnage à l’origine de nombreuses polémiques, affirmait ainsi sans ambages que les femmes étaient trop stupides pour y briller. C’est ainsi qu’il expliquait n’avoir jamais rencontré une joueuse de bon niveau.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"969224340297302021"}"></div></p>
<p>C’est bien entendu oublier des faits statistiques et sociologiques de premier ordre. Tout d’abord, les champions d’échecs sont des exceptions. <a href="https://www.fide.com/news/782">Puisque 90 % de la population des joueurs sont des hommes</a>, il y a plus de chances que ces exceptions surgissent parmi ces messieurs.</p>
<p>Comme dans d’autres secteurs très masculins qui ont fait l’objet de nos <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/IJPDLM-09-2021-0409/full/html">recherches</a>, le facteur culturel est pour le reste essentiel. Une équipe de l’université de Padoue a <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/ejsp.440">étudié les biais de genre chez les joueuses d’échecs</a>. Elle montre qu’à niveau équivalent, lorsque des joueuses pensaient jouer contre des femmes, elles gagnaient environ 50 % de leurs parties, mais lorsqu’on leur disait que ces mêmes adversaires étaient des hommes, les résultats chutaient drastiquement.</p>
<p>Aux échecs, il existe une catégorie mixte et une catégorie féminine. Créée au début sur des bases misogynes, expliquées plus haut par Bobby Fischer, la catégorie féminine sert aujourd’hui surtout à attirer les filles, qui préfèrent souvent jouer entre elles et qui ont alors plus de chances de gagner des prix et des coupes. Une fille qui se situe parmi les meilleurs joueurs de son département n’est pas assurée d’en être championne mixte, alors qu’elle l’est quasiment d’être championne féminine. Au plus haut niveau, c’est aussi une garantie de récompenses financières dans un secteur où il est difficile de gagner sa vie.</p>
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<p>La Fédération française cherche à lutter contre les biais de genre et à attirer plus de filles, notamment à haut niveau. Cette année, les championnats départementaux, puis régionaux, se sont déroulés en mixte, même si un classement féminin a posteriori a été effectué. Cela a permis à certaines filles de faire leurs preuves. Dans beaucoup de championnats départementaux et régionaux, des filles auraient été qualifiées en catégorie mixte, même si elles étaient classées parmi les féminines. L’objectif de la fédération, une fois qu’elles se sont prouvées à elles-mêmes et à leurs camarades qu’elles méritaient leur place parmi les meilleurs, est de les pousser à s’inscrire en mixte la prochaine fois et, par ricochet, d’être stimulées par une plus grande compétition.</p>
<p>En outre, il existe désormais des catégories, comme les équipes nationales adultes ou les équipes scolaires, où une présence féminine est obligatoire. Les clubs sont alors obligés de former ou de recruter pour doter leurs équipes des meilleurs atouts féminins.</p>
<h2>L’adolescence, un âge à cibler</h2>
<p>Cela concerne aussi les entraîneurs : la science a, en effet, bien documenté les bienfaits du <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/21640629.2020.1764266">coaching des femmes par les femmes</a>. C’est ce sur quoi insiste, par exemple, Laurie Delorme, présidente du club Marseille-Échecs :</p>
<blockquote>
<p>« Un point important serait de rendre plus visible et valoriser les femmes qui évoluent dans ce milieu à tous niveaux afin d’en inspirer d’autres ! La présence de filles en attire de nouvelles, un moyen d’être plus attractif est donc bien d’augmenter la visibilité des joueuses. »</p>
</blockquote>
<p>Quelques modèles existent au niveau international comme national. Les sœurs Polgar, notamment Judit (née en 1976) qui battit d’ailleurs le record de précocité de Bobby Fischer et, bien avant, Vera Menchik (1906-1944), qui ne jouait que des tournois contre les hommes et à propos de laquelle le célèbre théoricien des échecs Hans Kmoch avait dit que si elle totalisait 3 points au tournoi de Carlsbad en 1929, il se mettrait au ballet (on n’a pas gardé de photo de lui en tutu). La France compte un certain nombre de championnes : <a href="https://www.chess-france.com/post/portrait-de-dames-sophie-milliet">Sophie Milliet</a> (née en 1983) ou <a href="https://www.chess-and-strategy.com/2023/01/l-intelligence-de-l-echiquier-par-marie-sebag.html">Marie Sebag</a> (née en 1986), mais aussi, chez les plus jeunes, <a href="http://www.echecs.asso.fr/Actu.aspx?Ref=13975">Manon Schippke</a>, championne de France mixte de blitz des moins de 16 ans en 2022.</p>
<p>Attirer ne suffit cependant pas ; il faut aussi que les joueuses restent. Or, ce que l’on observe également dans les clubs est une défection à l’adolescence. En Top Jeunes – la première division, qui regroupe des équipes composées de paires de joueurs de chaque catégorie d’âge (une équipe se compose de deux U10, deux U12, deux U14 et deux U16) –, peu de filles sont présentes, et peu de femmes entraînent les équipes. Les premiers résultats de nos études montrent comment, avec les changements de regard sur le corps des filles qui interviennent à cet âge, elles ne sont plus vues comme de simples joueurs d’échecs.</p>
<p>Les plates-formes de jeu en ligne et l’anonymat relatif qu’elles confèrent sont ainsi trop souvent le lieu de propos et d’invitations déplacés. Sur les chaînes de streaming, les chats commentent encore très souvent le look des joueuses par rapport à celui des joueurs.</p>
<p>Les regards, les paroles, parfois les gestes à l’encontre des joueuses deviennent une <a href="https://en.chessbase.com/post/addressing-sexism-in-chess-a-guide-to-making-chess-more-inclusive">contrainte que certaines ne voient pas la peine de s’infliger</a>. Comme dans d’autres secteurs, avoir plus de filles c’est d’une part les inciter à venir et convaincre leur entourage, mais c’est aussi éduquer les garçons pour qu’elles restent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205418/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Lavissière est président de Logisthinker, un Think Tank Logistique. Il est licencié du club d'échecs de Sautron, il est père et mari de joueuses d'échecs. </span></em></p>Des championnes d’échecs comme dans la série « Le Jeu de la dame », on en cherche toujours, notamment car beaucoup de jeunes filles abandonnent la discipline à l’adolescence.Alexandre Lavissière, Professeur de Logistique, CESIT - Centre d'Excellence Supply Chain - KEDGE, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2055502023-05-16T14:17:43Z2023-05-16T14:17:43ZLa réforme Drainville renforce l’autorité du ministre et élimine les contre-pouvoirs<p>Le ministre québécois de l’Éducation, Bernard Drainville, a déposé le 4 mai un <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1976853/projet-loi-bernard-drainville-education">projet de loi</a> qui renforce ses pouvoirs vis-à-vis des centres de services scolaires (CSS) et crée un <a href="http://www.education.gouv.qc.ca/organismes-relevant-du-ministre/rapport-du-groupe-de-travail-sur-la-creation-dun-institut-national-dexcellence-en-education/">Institut national d’excellence en éducation</a>. Les principales missions de ce nouvel organisme sont d’identifier les meilleures pratiques en enseignement et de favoriser leur mise en application. </p>
<p>Ce projet, qui modifierait ainsi la <a href="https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/lc/i-13.3">Loi sur l’instruction publique</a>, <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/education/2023-05-04/la-reforme-drainville-accueillie-froidement.php">a été accueilli avec froideur</a>, voire hostilité. </p>
<p>Qu’annonce concrètement le projet de loi 23 pour l’administration des écoles et de son personnel ? Nous souhaitons en offrir un éclairage scientifique à partir de nos spécialités en <a href="https://www.puq.ca/catalogue/livres/gouvernance-scolaire-quebec-4147.html">gouvernance scolaire</a> et en <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/crs/2020-n68-crs06764/">organisation du travail en milieu scolaire</a>.</p>
<h2>Petit retour en arrière</h2>
<p>Les premières instances consacrées au déploiement d’un réseau scolaire public au Québec ont été instituées au XIX<sup>e</sup> siècle. Dirigées par des commissaires élus, les commissions scolaires sont alors chargées d’assurer l’accès à l’éducation sur leur territoire en créant, finançant et entretenant les écoles. </p>
<p>Il faut toutefois attendre 1964 pour que soient créés le ministère de l’Éducation du Québec et le Conseil supérieur de l’éducation (CSE). Ce dernier reçoit la mission de conseiller le ministre sur toute question relative à l’éducation. Depuis 1992, le ministre est aussi assisté par le <a href="https://www.quebec.ca/gouvernement/ministere/education/organismes-lies/comite-dagrement-des-programmes-de-formation-a-lenseignement-capfe">Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement</a> (CAPFE) qui a comme mandat d’analyser et d’agréer les programmes de formation conduisant à un brevet d’enseignement.</p>
<p>En 2020, le ministre Jean-François Roberge <a href="https://www.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/fileadmin/Fichiers_client/lois_et_reglements/LoisAnnuelles/fr/2020/2020C1F.PDF">a fait adopter la loi 40</a> qui a modifié de façon substantielle la gouvernance scolaire au Québec. Au nom d’une décentralisation devant renforcer l’autonomie professionnelle des enseignants et <a href="https://coalitionavenirquebec.org/wp-content/uploads/2018/08/plan-de-gouvernance-scolaire-remettre-l-ecole-entre-les-mains-de-sa-communaute.pdf">« remettre l’école entre les mains de sa communauté »</a>, cette loi mettait fin à deux siècles de démocratie scolaire représentative en éliminant les <a href="https://www.cse.gouv.qc.ca/wp-content/uploads/2019/11/50-0522-ME-gouvernance-pl40.pdf">élections scolaires et les commissaires élus</a>. À noter que les <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/692104/resultats-elections-scolaires">taux de participation à ces élections scolaires étaient très faibles</a>, particulièrement chez les francophones (ex. : 4,28 % pour la CSDM en 2014).</p>
<p>Les conseils des commissaires — principale instance décisionnelle des commissions scolaires — étaient remplacés par des conseils d’administration (CA) formés de parents, de membres du personnel œuvrant dans les écoles et de représentants de la communauté.</p>
<h2>La réforme Drainville</h2>
<p>La réforme Drainville vise à renforcer le lien d’autorité qui relie les CSS au ministre. </p>
<p>Elle dote le ministre d’outils permettant d’intervenir dans les classes, les écoles et les CSS par des mécanismes de contrôle et de surveillance. Ce renforcement du lien d’autorité s’articule principalement autour de l’octroi de plusieurs pouvoirs au ministre, présentement accordés aux CA des CSS, par exemple :</p>
<ul>
<li><p>nommer et destituer les directeurs généraux des CSS, soit les principaux gestionnaires ;</p></li>
<li><p>annuler une décision des CSS et <a href="https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/projets-loi/projet-loi-23-43-1.html">« prendre celle qui, à son avis, aurait dû être prise »</a> ;</p></li>
<li><p>pourvoir un poste vacant au sein du CA d’un CSS. </p></li>
</ul>
<p>Avec l’introduction d’ententes annuelles de gestion et d’imputabilité, le projet de loi raffermit aussi la relation contractuelle qui lie les CSS au ministre. Cette entente s’ajoute aux instruments de gestion (indicateurs nationaux, Plan d’engagement vers la réussite, planification stratégique, cibles et orientations ministérielles, etc.) et les enchâsse dans un mécanisme de reddition de compte (moyens à prendre et état des résultats) qui ouvre la voie à des interventions plus musclées. </p>
<p>La réforme Drainville conduit aussi à l’élimination de contre-pouvoirs agissant comme « chiens de garde » du système scolaire. Cela prend forme à travers la disparition du CAPFE (aboli) et du CSE (démantelé).</p>
<h2>Un renversement des tendances</h2>
<p>La réforme Drainville renverse des tendances au cœur de la gouvernance scolaire au Québec depuis les dernières décennies.</p>
<p>Dans l’histoire du Québec, une seule réforme s’est montrée autant centralisatrice, soit celle des années 1960 qui a suivi la <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/bhp/2004-v12-n2-bhp04656/1060694ar/">Commission Parent</a>. À l’époque, l’état du réseau était extrêmement préoccupant en raison des inégalités d’accès à une éducation de qualité et du retard de scolarité des Québécois francophones. </p>
<p>Depuis, la centralisation de la gouvernance est associée à une plus grande égalité de l’offre des services, mais aussi à la bureaucratisation, à la rigidité et à l’inefficacité. En fait, c’est la décentralisation qui est d’ordinaire présentée comme le meilleur moyen d’assurer une efficacité, et ce, en vertu du « principe de subsidiarité ». </p>
<p>Le principe de subsidiarité veut que les pouvoirs et les responsabilités doivent être délégués au niveau approprié d’autorité, soit le plus près possible des élèves. L’augmentation de l’autonomie des écoles devient ainsi un levier permettant de favoriser la réussite éducative en donnant <a href="https://www.cairn.info/la-gouvernance-en-education--9782804107574-page-109.htm">« la capacité, pour chaque école, d’adapter ses services aux besoins et aux caractéristiques de la population qu’elle dessert »</a>. </p>
<p>Le projet de loi 23 va donc à contre-courant en suggérant que ce serait le ministre qui incarnerait le niveau d’autorité le plus approprié pour juger en définitive des besoins des élèves. Il subordonne l’ensemble des instances du réseau à ses décisions et pousse un cran plus loin les principes de <a href="https://www.pulaval.com/livres/l-ecole-quebecoise-a-l-epreuve-de-la-gestion-axee-sur-les-resultats-sociologie-de-la-mise-en-oeuvre-d-une-politique-neo-liberale">gestion axée sur les résultats</a>, une composante de la <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2004-2-page-177.htm">nouvelle gestion publique (NGP)</a>. Elle a comme caractéristique d’utiliser dans l’administration publique les principes et les modalités de l’administration des affaires.</p>
<h2>Un important recul démocratique</h2>
<p>L’autre tendance renversée par la réforme Drainville a trait à la démocratisation. </p>
<p>La réforme Roberge a mis un terme à la démocratie scolaire représentative, qui se veut portée par des personnes élues représentant les intérêts de la population. Le nouveau modèle proposé s’appuyait sur les principes d’une démocratie scolaire participative, soit un processus par lequel des citoyens prennent directement part à la prise de décision, et ce, sans l’intermédiaire de représentants élus. </p>
<p>Les conseils d’administration hérités de la réforme Roberge — tout comme le conseil d’établissement des écoles ou le grand nombre de lieux de consultation et de participation — répondaient à ces principes de démocratie participative. Le CSE et le CAPFE aussi. </p>
<p>Ainsi, en dépouillant ces conseils d’administration — formés de parents, d’acteurs scolaires et de représentants de la communauté — de ses principales fonctions et en abolissant le CSE et le CAPFE, la réforme Drainville représente un important recul démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205550/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Lemieux est membre du CRIFPE, du Réseau Périscope et du GRIDE.
Ses projets de recherche sont financés par le FRQSC et le CRSH et il a aussi agi comme consultant auprès du ministère de l'Éducation et du Conseil supérieur de l'éducation au cours des dernières années.
Il a travaillé en 2019 pour le Conseil supérieur de l'éducation à titre d'agent de recherche et de transfert.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jean Bernatchez a reçu des financements des organismes subventionnaires (CRSH et FQRSC) pour faire des recherches en lien avec la gestion et la gouvernance scolaires. Il a été membre du Conseil supérieur de l'éducation et du Comité d'agrément des programmes de formation à l'enseignement. Il est membre de plusieurs regroupements de recherche universitaire.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Simon Viviers a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada pour réaliser une recherche en partenariat avec la Fédération autonome de l'enseignement (FAE) sur le thème «Santé mentale et organisation du travail enseignant: quel pouvoir d'agir collectif?». Il dirige actuellement un projet de recherche-intervention portant sur la santé mentale du personnel enseignant financé par une entente négociée entre le Comité patronal de négociation des centres de services scolaires francophones (CPNCF) et la FAE. Le projet a pour objectif principal de développer et d’expérimenter un dispositif organisationnel de prévention des problèmes de santé mentale au travail des enseignantes et enseignants dans les établissements scolaires. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Wilfried Cordeau a été enseignant au secondaire et conseiller au sein d'une fédération syndicale représentant des enseignantes et enseignants du Québec.</span></em></p>La réforme Drainville renforce le lien d’autorité du ministre et conduit à l’élimination de contre-pouvoirs agissant comme « chiens de garde » du système scolaire.Olivier Lemieux, Professeur en administration et politiques de l'éducation, Université du Québec à Rimouski (UQAR)Jean Bernatchez, Professeur, Université du Québec à Rimouski (UQAR)Simon Viviers, Professeur titulaire, Université LavalWilfried Cordeau, Candidat à la maîtrise en fondements de l'éducation et éducation comparée, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.