tag:theconversation.com,2011:/au/topics/elites-33185/articlesélites – The Conversation2024-01-08T16:57:47Ztag:theconversation.com,2011:article/2202472024-01-08T16:57:47Z2024-01-08T16:57:47ZDerrière le choix d’une école privée, des ambitions parentales à long terme<p><em>En France, l’enseignement catholique représente 96 % des élèves scolarisés dans des établissements privés sous contrat. Ce secteur prend en charge 17,6 % des élèves du primaire et du secondaire, et accueille deux enfants sur cinq au cours de leur scolarité. Largement fréquenté par les enfants des classes supérieures, ce système d’enseignement constitue l’un des principaux canaux de formation des élites.</em></p>
<p><em>Dans son ouvrage <a href="https://www.puf.com/lecole-primaire-catholique">« À l’école primaire catholique. Une éducation bien ordonnée »</a> publié en octobre 2023 aux PUF, Emilie Grisez se penche sur les dispositifs éducatifs qui y sont déployés et montre comment ils favorisent l’acquisition précoce de compétences socialement valorisées. Voici un extrait de cette enquête ethnographique qui s’arrête sur les attentes des familles.</em></p>
<hr>
<p><a href="https://sciencespo.hal.science/hal-01521701/">Les parents articulent différentes temporalités</a> de façon à concilier une grande ambition scolaire et sociale pour leurs enfants et un idéal expressif qui vise à leur bonheur au temps présent. Si ces préoccupations peuvent entrer en tension, elles ne sont pas incompatibles : <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-enfant-et-la-vie-familiale-sous-l-ancien-regime-philippe-aries/9782020026765">l’enfant peut être à la fois objet d’affection et d’ambition</a>. Dans ces familles imprégnées de l’ethos managérial, elles prennent une tournure particulière : l’ambition va de pair avec une gestion de l’enfant comme projet, tandis que l’épanouissement est à la fois une fin en soi et un moyen de développer des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/soft-skills-62725"><em>soft skills</em></a> valorisables sur le marché scolaire et du travail.</p>
<h2>Penser le temps long : éduquer ses enfants comme on gère un projet</h2>
<p>Les parents de l’école ont en commun de nourrir de grandes ambitions scolaires et sociales pour leurs enfants, pensées sur le long terme. Nombreux sont ceux qui anticipent d’ores et déjà les <a href="https://theconversation.com/classes-prepas-un-modele-bouleverse-par-la-crise-du-Covid-19-140000">classes préparatoires</a>, voire les responsabilités que leurs enfants pourraient être amenés à assumer dans leurs futurs emplois. Pour que ces ambitions aient une chance de s’accomplir, ils déploient un dispositif de socialisation précoce et complexe. Les normes de management infusent leur style éducatif : beaucoup voient leur enfant comme un projet qu’il s’agit de gérer au mieux. Les dispositions et les logiques du monde de l’entreprise qu’ils importent au domicile s’illustrent notamment dans le vocabulaire qu’ils emploient pour décrire leurs pratiques éducatives. Les mots « investissement » ou « plus‑value » sont fréquemment utilisés, tandis que les personnes qui les entourent peuvent être pensées en termes de « valeur ajoutée » pour l’enfant :</p>
<blockquote>
<p>« Mes parents, ils emmènent beaucoup mes enfants au musée, ce genre de truc, alors que mes beaux‑parents je crois qu’ils sont jamais allés dans un musée ! Donc j’essaie de dire aux enfants que chacun a une valeur ajoutée, et que tout le monde n’apporte pas la même chose quoi. » (Mme Delaunay)</p>
</blockquote>
<p>Pour gérer le temps long sur lequel se déploie le projet éducatif, les parents adaptent leurs stratégies à l’âge des enfants. M. Duval explique : « Elles vont être longues les études, je pense qu’on va avoir le temps de le pousser plus tard. Je pense qu’il faut qu’il en garde sous le pied, parce que si on commence à lui mettre la pression maintenant… » De même, M. de Langlois considère que l’ampleur de la pression et de l’investissement scolaires doit être modulée de façon à maximiser la réussite sociale :</p>
<blockquote>
<p>« C’est bien de faire travailler les enfants, mais l’académique, c’est une partie de la vie. Après dans la vie ce qui compte, c’est le charisme qu’on a, entraîner les autres, avoir l’envie d’entreprendre… Si on est épuisé parce qu’on a fait des études académiques trop prenantes, on arrive épuisé à 25 ans. Donc il faut apprendre, il faut avoir ce goût de l’effort, mais il faut pas que les gens soient en tension permanente.> » (M. de Langlois)</p>
</blockquote>
<p>Ce souci pour la préservation d’un certain bien‑être de l’enfant en début de scolarité sert ainsi des fins instrumentales : il s’agit de faire en sorte qu’il puisse <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-01521701/">supporter la contrainte d’une scolarité longue</a> et de plus en plus exigeante, mais également de ne pas épuiser trop tôt son « potentiel ». Bien qu’ils dosent le degré de pression, <a href="https://journals.openedition.org/lectures/31053">ces parents maintiennent un niveau d’exigence</a> sans commune mesure avec celui qui prévaut dans d’autres milieux sociaux : leurs exigences professionnelles sont transformées très tôt en exigences scolaires, et ils présentent à leurs enfants l’école comme un enjeu de reconnaissance au sein de la famille. La très grande majorité explique porter attention aux résultats scolaires et assurer une forme de suivi pour faire preuve de leur intérêt. Ainsi, M. de Langlois se rend disponible quotidiennement pour aider sa fille à faire ses devoirs, tandis que son épouse assure le week‑end « la récitation d’une poésie ou d’une leçon […] pour montrer qu’elle aussi ça l’intéresse ».</p>
<p>Toutefois, du fait de leur emploi du temps très chargé, les parents sont contraints de déléguer une partie des tâches éducatives et de <em>care</em> (gestion, soin, attention portée aux enfants). Ils les « externalisent » en direction de nounous et de baby‑sitters : 53 des 87 enfants de CP et CM2 ayant répondu au questionnaire indiquent en avoir une. Les parents paient également des cours particuliers afin d’assurer une partie de la transmission du capital culturel qu’ils ne peuvent prendre en charge eux‑mêmes. Plus directement, l’inscription des enfants dans un établissement catholique revient à acheter un « filet de sécurité » limitant les <a href="https://www.jstor.org/stable/20110297">risques en matière de scolarisation et de socialisation</a>. Par le recours à des services privés, les parents mobilisent donc activement leurs ressources économiques au profit de la <a href="https://sciencespo.hal.science/hal-03571813">réussite scolaire et sociale de leurs enfants</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lycees-le-clivage-public-prive-au-coeur-de-la-segregation-scolaire-215638">Lycées : le clivage public/privé, au cœur de la ségrégation scolaire</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Le projet éducatif de long terme passe également par une structuration et une maximisation du temps libre des enfants. Conformément aux <a href="https://journals.openedition.org/cdg/2421">résultats de précédentes études</a>, ces parents des classes supérieures prennent soin de les stimuler en <a href="https://www.cairn.info/choisir-son-ecole--9782130558163.htm">les inscrivant à une multitude d’activités extrascolaires</a>. D’après le questionnaire, les élèves de CM2 effectuent en moyenne près de trois activités par semaine, un chiffre pouvant s’élever à six ou sept. Cet usage du temps extrascolaire, dense et de qualité, participe de la construction des inégalités sociales dans l’enfance : ces activités étendent la forme scolaire en dehors du temps de classe et s’inscrivent dans un <a href="https://www.cairn.info/la-differenciation-sociale-des-enfants--9782379240379-page-165.htm">« continuum éducatif » entre l’école et la vie quotidienne</a>. Elles sont mobilisées par les parents pour <a href="https://journals.openedition.org/lectures/31053">construire des dispositions concernant la régularité, la concentration</a>, la discipline, en d’autres termes, l’effort. Au vu de la quantité de loisirs, les enfants sont placés dans une situation où ils doivent apprendre à planifier des activités, à s’organiser et à pratiquer sur eux‑mêmes une forme de contrôle. Cette forte structuration temporelle a toutes les chances de se traduire par <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/tableaux-de-familles-heurs-et-malheurs-scolaires-en-milieux-populaires-bernard-lahire/9782020239318">l’incorporation d’un rapport réflexif de maîtrise du temps</a>, qui correspond aux réquisits temporels des établissements et filières d’excellence dans le système d’enseignement.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les parents partagent donc un rapport au temps, visant un horizon très lointain. Cela permet, par l’anticipation, de <a href="https://www.jstor.org/stable/24273078">concevoir des projets éducatifs ambitieux</a> qui les <a href="https://www.cairn.info/choisir-son-ecole--9782130558163.htm">distinguent des autres catégories sociales</a>. Leurs <a href="https://journals.openedition.org/lectures/31053">« investissements éducatifs »</a>, qui nécessitent un certain niveau de ressources économiques, sont destinés à mettre en place les meilleures conditions de socialisation pour leurs enfants. Toutefois, les parents cherchent à articuler cette ambition avec une deuxième norme : celle de l’épanouissement de l’enfant et la recherche de son bonheur au temps présent.</p>
<h2>Penser le temps présent : le bien-être et les soft skills</h2>
<p>Nous l’avons vu, si les parents ont de grandes ambitions pour leurs enfants, ils ne souhaitent pas les « pousser » pour autant : ils sont pour une large majorité acquis à la norme expressive, qui met le <a href="https://www.cairn.info/choisir-son-ecole--9782130558163.htm">bien‑être de l’enfant et la prise en compte de son point de vue</a> au centre de l’éducation. Ce faisant, ils <a href="https://journals.openedition.org/lectures/31053">minimisent leurs ambitions scolaires</a>, ainsi que l’aspect objectivement contraignant de l’encadrement qu’ils fournissent. Mme Delaunay explique :</p>
<blockquote>
<p>« Je m’en fous que mes enfants réussissent, moi je veux qu’ils soient heureux, qu’ils soient bien dans leurs baskets, que ce qu’ils font ça les épanouisse ! Et c’est ça la réussite pour moi ! »</p>
</blockquote>
<p>Néanmoins, le bien‑être n’a pas uniquement une valeur intrinsèque, il est aussi doté d’une valeur sur le marché scolaire et du travail. À travers leur épanouissement, les parents souhaitent voir se développer chez leurs enfants des <em>soft skills</em>, compétences non scolaires de plus en plus importantes dans les études supérieures et en entreprise : « Le <em>soft</em>, c’est confiance en lui, capacité à aller vers les autres, aisance à l’oral, pas d’inhibition à développer une forme de créativité, etc. » (M. Lejeune). Les ambitions scolaires des parents sont en effet tournées vers de grandes écoles et des établissements prestigieux qui recrutent sur la base de très bonnes notes, mais qui valorisent ce type de compétences souvent dès l’admission, dans les épreuves orales, et de façon plus nette encore au sein des cursus. On peut également voir dans le développement de ces compétences une socialisation anticipatrice au métier de manager, les parents cherchant à doter leurs enfants des atouts nécessaires à leur intégration dans ce milieu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220247/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Émilie Grisez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Même au niveau du primaire, le choix d’une école privée peut s’intégrer dans des stratégies parentales visant à transmettre aux enfants le plus tôt possible des compétences socialement valorisées.Émilie Grisez, Doctorante en sociologie à l'Ined et au Centre de recherche sur les inégalités sociales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2166902023-11-21T16:53:13Z2023-11-21T16:53:13ZTechnocratie : oui, il existe des élites attachées à l’intérêt général<p>La présidence Macron a réactivé le <a href="https://theconversation.com/le-macronisme-ou-la-privatisation-du-politique-102376">procès des élites technocratiques françaises</a>, de la défense de l’intérêt général et du devenir de la démocratie. La réforme de la haute fonction publique engageant la suppression de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA) et son remplacement le 1<sup>er</sup> janvier 2022 par <a href="https://insp.gouv.fr/sites/default/files/2023-02/INSP-FeuilleRoute-2023-plaquette-web_0.pdf">l’Institut national du service public</a> (INSP) en est un exemple saillant.</p>
<p>C’est l’historien et essayiste Jacques Julliard, disparu en septembre dernier, qui, dans son ouvrage <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070407569-la-faute-aux-elites-jacques-julliard/"><em>La faute aux élites</em></a> publié en 1997 avait initié le débat en France. Malgré son titre provocateur, ce livre ne faisait pas le procès des élites, mais celui de « ceux et de celles qui ne les aiment pas ! » Une ligne d’écriture peu tenue depuis, tant il est rentable politiquement d’alimenter la critique <a href="https://theconversation.com/lelite-de-lanti-elitisme-un-paradoxe-francais-182177">antiélitiste</a>.</p>
<p>Les récente critiques des technocrates d’État à la française, par ceux qui en font partie, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Aquilino_Morelle">d’Aquilino Morelle</a>, énarque et inspecteur général des affaires sociales, à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Alexandre_Moatti">Alexandre Moatti</a>, polytechnicien et ingénieur au Corps des mines affirment que rien ne change. Mes recherches récentes sur la transformation des systèmes de protection maladie aux États-Unis et en France confirme qu’il existe des élites technocratiques attachées à la promotion de l’intérêt général.</p>
<h2>La prégnance de « l’Ancien régime »</h2>
<p>Il suffit de lire les deux récents essais d’Alexandre Moatti, <a href="https://store.cassini.fr/fr/documents-essais-culture-scientifique/143-un-regard-sur-les-elites-francaises.html">« Un regard sur les élites françaises »</a> (2022) et <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/technocratisme/">« Technocratisme »</a> (2023), pour penser qu’en France rien ne change : la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Noblesse_d%27%C3%89tat">noblesse d’État</a> des grandes écoles et l’esprit de corps détient toujours le pouvoir. Cette caste de technocrates constituerait une survivance de « l’Ancien régime ».</p>
<p>Le premier ouvrage relate l’histoire de L’institut Auguste-Comte (1977-1981) dont l’objectif était « d’ouvrir » la formation des élèves de l’École Polytechnique, école qui forme les élites économiques et industrielles en France. Inauguré en 1977, il est supprimé dès l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 ! L’auteur dévoile comment, à l’abri des regards, différentes coteries polytechniciennes s’affrontent sur la réforme de leur formation. Les porteurs d’un projet visant à « parfaire » le cursus scolaire d’un des fleurons de l’élitisme français sont défaits par les partisans de « l’Ancien régime » et du rien ne doit changer. Les guerres picrocholines d’alors préfigurent celles occasionnées, 45 ans plus tard, autour du <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/273449-rapport-thiriez-vers-une-modernisation-de-la-haute-fonction-publique">« Rapport Thiriez »</a> sur la réforme des grands corps et de l’ENA…</p>
<p>Alexandre Moatti confirme l’impossibilité d’ouvrir une brèche dans la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_recrutement_des_elites_en_europe-9782707124555">« tyrannie du diplôme initial »</a> lié au concours d’entrée, un système reléguant la reconnaissance de la formation scientifique (doctorat) au second plan. Ce diplôme constitue pourtant le <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2017/03/07/doctorat-et-phd-des-valeurs-sures-a-l-international_5090488_4401467.html">standard pour les cadres dirigeants</a> dans la quasi-totalité des démocraties avancées… Tout d’abord, il permet de former les jeunes élites par la pratique de la recherche, ensuite, le doctorat pourrait constituer un pré requis permettant de sélectionner au mérite les candidats qui en milieu de carrière souhaitent accéder aux fonctions de directions supérieures.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Et la Révolution se fait toujours attendre !</h2>
<p>Dans un deuxième ouvrage, <em>Technocratisme. Les grands corps à la dérive</em>, Alexandre Moatti reprend des idées déja mobilisées (le <a href="https://dokumen.tips/documents/ifrap-le-dossier-noir-de-lena.html">dossier noir de l’ENA</a> ou en <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/ceux-d-en-haut-herve-hamon/9782021071375">« Ceux d’en haut. Une saison chez les décideurs »</a>) par d’autres avant lui, pour reprocher à la « technocratie d’État », celle des <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100448450">« grands corps »</a>, d’avoir pavé la voie au néolibéralisme au détriment de l’intérêt général, et d’avoir généré un lot de bérézinas industrielles et financières.</p>
<p>Avec sa « rétro-histoire des grands corps de l’État », il entend prolonger le regard sur les <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1979_num_34_4_294088_t1_0828_0000_002">élites en France</a> du politologue états-unien, Ezra Suleiman, tout en occultant d’autres <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-ressorts-caches-de-la-reussite-francaise-ezra-n-suleiman/9782020218412/">références clefs</a>. La défense de l’intérêt général par les corps des ingénieurs d’État influencés confiant des les vertus du progrès technique et les énarques durant les trente glorieuses s’est effacée au profit d’une « technocratie affairiste intimement liée aux grandes entreprises et aux grands cabinets de conseils ».</p>
<p>Bien que séduisante, l’assimilation du technocratisme à la seule « super élite » des grands corps de l’État, « où entrent les premiers classés à la sortie de polytechnique et de l’ENA », n’en est pas moins réductrice. Une « description minutieuse » de logiques de carrière – un diplôme prestigieux (Polytechnique, ENA, etc.), une appartenance aux grands corps (Inspection des finances, Conseil d’État, Mines, Ponts, etc.) et l’occupation d’un poste de cabinet ministériel ou d’un conseil d’administration – permettrait d’attester la formation d’une « techno-tyrannie (sic) ». La <a href="https://www.cairn.info/sociologie-politique-des-elites--9782200268534.htm">sociologie politique</a> enseigne que ces indicateurs sont insuffisants pour témoigner de la réalité du pouvoir de l’élite.</p>
<p>De son côté, dans <a href="https://www.grasset.fr/livre/lopium-des-elites-9782246815280/"><em>L’opium des élites</em></a>, Aquilino Morelle partage le constat du renoncement de la technocratie française à ces valeurs originelles de l’intéret général et national. Pour lui, « l’européisme » des élites françaises, notamment de gauche, a favorisé le développement des idées néo-libérales.</p>
<p>La <a href="https://www.cairn.info/sociologie-politique-des-elites--9782200268534-page-13.htm">sociologique des élites</a>, comme les comparaisons, nous invite à ne pas céder à ces « grandes simplifications » à la mode sur la technocratie.</p>
<h2>Des technocrates en Amérique</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="Portrait d’Alexis de Tocqueville (1805-1859), précurseur de la sociologie et auteur de l’ouvrage « De la démocratie en Amérique »." src="https://images.theconversation.com/files/559107/original/file-20231113-15-y1y2wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559107/original/file-20231113-15-y1y2wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559107/original/file-20231113-15-y1y2wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559107/original/file-20231113-15-y1y2wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559107/original/file-20231113-15-y1y2wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559107/original/file-20231113-15-y1y2wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559107/original/file-20231113-15-y1y2wg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Alexis de Tocqueville (1805-1859), précurseur de la sociologie et auteur de l’ouvrage <em>De la démocratie en Amérique</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikicommons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans son ouvrage <a href="https://www.wikiwand.com/fr/De_la_d%C3%A9mocratie_en_Am%C3%A9rique"><em>De la démocratie en Amérique</em></a>, l’historien et philosphe Alexis de Tocqueville a montré l’intérêt de comparer la démocratie française et la démocratie étatsunienne. La question des élites technocratiques n’y échappe pas. Leur rôle politique est souvent perçu comme une obstruction au bon fonctionnement de la démocratie représentative. Le concept de <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Technocracy"><em>technocracy</em></a> y est justement apparu sous la plume d’un ingénieur californien, William Henry Smyth en 1919.</p>
<p>Avec la Présidence Trump, la critique du technocratisme a connu un nouveau succès : avec la dénonciation de la contagion du gouvernement par les <a href="https://www.amazon.com/Inside-Job-Government-Insiders-Interest/dp/1316607771">« insiders »</a> et l’évocation du mythe du l’État profond (<a href="https://aoc.media/analyse/2020/10/29/trump-lobamacare-et-le-deep-state/"><em>deep state</em></a>) renvoyant à l’existence d’un groupe informel contrôlant l’appareil administratif et le gouvernement washingtonien.</p>
<p>Mon livre, <a href="https://www.press.jhu.edu/books/title/12877/government-insiders"><em>A Government of Insiders</em></a>, prend le contrepied de cette rhétorique. Dans mon étude, la technocratie prend les traits « des élites gouvernementales non-élues » qui, sous l’administration Obama, se sont engagées sur la question de l’extension de la couverture maladie aux États-Unis. Une série de 45 portraits sociologiques de ces collaborateurs (<em>staffers</em>) des élus au Congrès ou conseillers politiquement nommés à la Maison Blanche et au ministère de la santé, montre sur la longue durée que leur parcours de carrière explique la face cachée du succès de cette réforme. </p>
<p>Le rôle clef des vétérans de l’administration Clinton sous la présidence Obama prouvent l’attachement des ces « insiders » à la promotion de l’intérêt général. Ces élites ont défendu une réforme étendant la couverture maladie à plus de 25 millions de citoyens américains qui en étaient démunis jusqu’alors. Ainsi définit, les technocrates ne sont plus perçus comme le factotum des <em>lobbies</em> économiques ou encore de leurs propres intérêts.</p>
<p>De surcroît, l’étude du travail concret des élites gouvernementales non élues montre, non seulement que ces technocrates ne sont pas les ennemies de la démocratie représentative mais un élément clefs de son fonctionnement.</p>
<h2>Un « outre-regard » sur la technocratie à la française</h2>
<p>Inspiré par le cas des États-Unis, on peut observer les mutations de la technocratie française avec un autre regard. La transformation de l’administration de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2022-5-page-701.htm">Sécurité sociale</a> en France fournie un excellent exemple. L’étude des <a href="https://link.springer.com/book/9783031415814">technocrates de l’administration de la Sécurité sociale</a> (cabinets ministériels, directeurs d’administration centrales ou de caisses d’assurance maladie) confirme le déclin des grands corps et l’émergence de nouvelles élites engagées dans la défense du bien commun.</p>
<p>La sociologie des portraits de ces technocrates montre que, dès les années 1980-90, les conseillers d’État ont été supplantés dans les fonctions de direction par des magistrats de la Cour des comptes. Dès les années 2000, ces derniers sont remplacés, à leur tour par, des hauts fonctionnaires de la Direction de la sécurité sociale (ministère des affaires sociales). Leur carrière est façonnée en circulant de postes en postes entre la direction de la Sécurité sociale, la direction de l’union des caisses d’assurance maladies et les hautes autorités du secteur, ils façonnent leur carrière de façon originale à l’abri de l’influence des groupes d’intérêts.</p>
<p>Ces nouveaux technocrates partagent un leitmotiv : « rendre la sécurité sociale durable (sic) ». La politique de contrôle des dépenses avec l’<a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/37919-definition-ondam-objectif-national-des-depenses-dassurance-maladie">Objectif national de dépenses d’assurance maladie</a> (ONDAM) constitue une réponse à l’augmentation de la demande et des coûts du progrès de la médecine.</p>
<p>Face au défaut de la médecine libérale sur l’hôpital public (urgences), leur but n’est pas de réduire les dépenses selon la logique macro-économique de Bercy, ni de privatiser la « Sécu » mais plutôt de financer l’extension de son périmètre avec la Protection maladie universelle et la <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/11/10/autonomie-qu-est-ce-que-la-cinquieme-branche-de-la-securite-sociale_1805176/">5ᵉ branche « Autonomie »</a> (Handicap et Grand âge). En 2023, le choix de la Direction de la Sécurité sociale par le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/06/le-major-de-l-institut-national-du-service-public-ex-ena-a-choisi-la-direction-de-la-securite-sociale_6192867_823448.html">major de l’INSP, ex-ENA</a>, confirme le changement en cours.</p>
<p>Pour sortir de ces poncifs convenus, ne faudrait-il pas s’inspirer du peintre <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/arts-expos/peinture/quand-pierre-soulages-definissait-l-outrenoir-un-autre-pays-que-celui-emotionnel-du-noir-simple_5441179.html">Pierre Soulages</a> sculptant la lumière dans ses tableaux avec l’outrenoir, en proposant une « outre-regard » sociologique sur les élites technocratiques ? Ce choix permet de réfléchir le comportement réel – bien que caché – des technocrates. It’s the « outre-elites », stupid !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216690/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>William Genieys ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’assimilation du technocratisme à la seule « super élite » des grands corps de l’État est réductrice.William Genieys, Directeur de recherche CNRS au CEE, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172422023-11-13T11:09:36Z2023-11-13T11:09:36ZManagers, et si vous redécouvriez l’art de la débrouille ?<p>En 2017, le journaliste <a href="https://www.franceculture.fr/personne-jean-laurent-cassely">Jean-Laurent Cassely</a> a fait paraître un ouvrage intitulé <a href="https://www.arkhe-editions.com/livre/cassely-revolte-premier-classe/"><em>La révolte des premiers de la classe</em></a>. Il y dépeint un phénomène grandissant, celui de la fuite des jeunes élites vis-à-vis des « jobs à la con » ou « <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Bullshit_Jobs-546-1-1-0-1.html"><em>bullshit jobs</em></a> » qui fleurissent dans les organisations. Ce sont des emplois qui paraissent d’autant plus inutiles et dérisoires qu’ils sont associés à une bonne rémunération.</p>
<p>À cela s’ajoutent des ordres contradictoires dictés par des <a href="https://theconversation.com/topics/management-20496">managers</a> qui ressemblent parfois à s’y méprendre au père Ubu, le personnage d’<a href="https://www.gallimard.fr/Footer/Ressources/Entretiens-et-documents/Plus-sur-l-auteur/En-savoir-plus-sur-Alfred-Jarry/(source)/184047">Alfred Jarry</a> connu pour son despotisme malhabile et sa forfanterie outrancière. Face à une hypermodernité froide et à un management en panne, les jeunes diplômés apparaissent bien souvent déçus, désillusionnés, voire désespérés.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ubu-manager-quand-la-litterature-eclaire-les-derives-ubuesques-du-management-150234">« Ubu manager » : quand la littérature éclaire les dérives « ubuesques » du management</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Sur ce point, la professeure <a href="https://www.esc-clermont.fr/professeur/brigitte-nivet/">Brigitte Nivet</a> parle dans un <a href="https://www.la-fabrique.fr/fr/publication/le-travail-en-mouvement/">ouvrage récent</a> d’un « malaise dans le management ». Pour elle, nul doute que cet <a href="https://www.dunod.com/entreprise-et-economie/art-diriger">« art de diriger »</a> connaît une crise sans précédent. Elle constate notamment que les <a href="https://theconversation.com/topics/jeunes-diplomes-62720">jeunes diplômés</a> n’aspirent plus du tout à la fonction de manager.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/QLkdg_f8yDg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Parmi les raisons invoquées, l’enseignante-chercheuse à l’ESC Clermont revient sur trois modèles de management qui sont encore enseignés et utilisés : celui du gestionnaire scrupuleux issu de la tradition de l’organisation scientifique du travail, celui du leader, avec le mythe de l’homme providentiel, et celui de l’accompagnateur, du facilitateur et du soutien. Ces trois modèles sont plus ou moins en crise et suscitent la confusion parmi les jeunes diplômés. Dès lors, le paradoxe relevé par Brigitte Nivet devient saisissant : de nombreux jeunes diplômés d’école de management, qui sont préparés à devenir managers, ne veulent plus manager.</p>
<h2>Doute, écoute et délibération</h2>
<p>La plupart des ouvrages de management décrivent les managers comme des sortes de superhéros, capables de résoudre tous les problèmes, de répondre à toutes les difficultés par la mise en place immédiate de pratiques adaptées. Or, ces modes de gestion omnipotents ont fini par écraser voire nier la singularité des salariés en leur imposant une réponse univoque, une méthode unique, un <a href="https://mitpress.mit.edu/books/one-best-way">« one best way »</a> pour reprendre un syntagme taylorien.</p>
<p>À rebours de ce management tout puissant, <a href="https://escp.eu/deslandes-ghislain">Ghislain Deslandes</a>, professeur à ESCP Business School, souhaite l’avènement de ce qu’il appelle un « <a href="https://www.cairn.info/revue-rue-descartes-2017-1-page-1.htm">management faible</a> ». Celui-ci se veut à la fois moins sûr de son fait, moins assertif, moins hiérarchique, moins définitif, moins prometteur aussi. Il s’agirait alors de dessiner les contours de modes de gestion plus indéterminés, plus ouverts et donc plus à l’écoute des signaux faibles. Doute, écoute et délibération forment le credo de cette nouvelle manière d’envisager l’encadrement et le pilotage des organisations.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/47N4xoVSocw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ce « management faible » permet d’entrevoir un espace pour les salariés afin d’être davantage acteurs et donc moins spectateurs de leur propre activité. L’objectif est alors de ménager des interstices et des écarts possibles pour que les individus puissent eux-mêmes définir leur rôle et investir subjectivement leur travail. En s’appuyant sur la <em>phronesis</em> aristotélicienne, Ghislain Deslandes invite finalement les managers et les salariés à « <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0170840618789209">renoncer à la philosophie de l’obéissance</a> (aux règles, aux habitudes, même aux supérieurs) au profit d’une philosophie fondée sur la responsabilité ».</p>
<h2>Faire avec les moyens du bord</h2>
<p>En réponse à cette crise du management, une autre piste de réflexion nous est offerte grâce à l’armature conceptuelle développée par l’anthropologue français <a href="https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/claude-levi-strauss">Claude Lévi-Strauss</a>. C’est en <a href="https://www.eyrolles.com/Entreprise/Livre/moderniser-la-gestion-des-hommes-dans-l-entreprise-9782878806250/">2005</a> puis de manière plus approfondie en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0170840609347051?journalCode=ossa">2010</a> que les professeurs <a href="https://www.grenoble-em.com/annuaire/raffi-duymedjian">Raffi Duymedjian</a> et <a href="https://www.grenoble-em.com/annuaire/charles-clemens-ruling">Charles-Clemens Rüling</a> de Grenoble École de Management (GEM) lui ont emprunté la notion de « bricolage » pour l’introduire dans le champ des études organisationnelles.</p>
<p>Pour rappel, c’est dans <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782266038164-la-pensee-sauvage-claude-levi-strauss/"><em>La pensée sauvage</em></a> que Lévi-Strauss construit une opposition entre le bricoleur et l’ingénieur :</p>
<blockquote>
<p>« Une forme d’activité subsiste parmi nous qui, sur le plan technique, permet assez bien de concevoir ce que, sur le plan de la spéculation, put être une science que nous préférons appeler “première” plutôt que primitive : c’est celle communément désignée par le terme de bricolage. »</p>
</blockquote>
<p>Lévi-Strauss parle ici de « science première » pour désigner le bricolage. Bricoler, c’est rafistoler et créer à partir de ce qu’on a. Alors que le bricoleur procède à l’intérieur d’un ensemble fini, l’ingénieur peut sortir de cet ensemble : il peut par exemple fabriquer une pièce qui lui manque. L’ingénieur va avoir une représentation préalable de ce qu’il veut et ensuite, il va chercher à produire la réalité qu’il a préalablement définie.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s’interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».</em></p>
<p><a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-entreprise-s-153/"><em>Abonnez-vous dès aujourd’hui</em></a></p>
<hr>
<p>Pour le bricoleur, l’identité des choses est équivoque. Ici, un bout de ferraille et un bâton en bois permettent de créer une lunette astronomique par exemple. Pour l’ingénieur, le projet précède les instruments alors que pour le bricoleur, le donné instrumental précède le projet : il s’agit d’adapter le projet à la mesure du donné. Bricoler, c’est finalement réagencer les éléments mis à disposition, c’est faire avec les moyens du bord.</p>
<h2>Hasards fortuits et facétieux</h2>
<p>Le bricolage est également une notion qu’on retrouve sous la plume du philosophe roumain <a href="https://www.franceculture.fr/personne-emil-cioran.html">Émil Cioran</a>. Dans les <a href="https://www.cairn.info/syllogismes-de-l-amertume--9782070324491.htm"><em>Syllogismes de l’amertume</em></a>, Cioran rappelle qu’« être moderne, c’est bricoler dans l’incurable ». Dans son dernier livre, <a href="https://www.babelio.com/livres/Cioran-Aveux-et-anathemes/60872"><em>Aveux et anathèmes</em></a>, il écrit cette phrase pleine d’humour :</p>
<blockquote>
<p>« Après tout, je n’ai pas perdu mon temps, moi aussi je me suis trémoussé, comme tout un chacun, dans cet univers aberrant. »</p>
</blockquote>
<p>En somme, Cioran déambule dans l’existence « sans mobiles », sans autre raison qu’un hasard fortuit et facétieux qui l’a fait naître. Cette célébration du bricolage existentiel fait écho aux errances et à la vie de bohème qu’il mène lorsqu’il arrive en France en 1937 pour préparer sa thèse de doctorat sur le philosophe <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Henri_Bergson/108486">Henri Bergson</a>. Il vivote, vadrouille « de bistrots en bordels », affectionne la compagnie des marginaux et des prostituées. On voit donc bien que derrière chaque aphorisme, il est possible de retrouver des « cicatraces » de son vécu.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Vh43xg_XZB4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Chez Cioran, il y a finalement cette idée de faire avec, de continuer à vivre malgré l’absurdité du monde ou plutôt de continuer à « se trémousser » comme il aime à le dire. Par conséquent, il semble possible d’établir des passerelles entre la notion lévi-straussienne de bricolage, les propos de Cioran et l’idée d’un management comme art de la débrouille.</p>
<h2>Manager dans un monde ordinaire</h2>
<p>Proposons à présent quelques pistes pour penser un management modéré qui refuse l’emphase et la grandiloquence devenues endémiques dans les organisations. Sur ce point, les professeurs <a href="https://portal.research.lu.se/en/persons/mats-alvesson">Mats Alvesson</a> et <a href="http://www.yiannisgabriel.com/">Yiannis Gabriel</a> soulignent que les managers et les entreprises parlent de plus en plus des phénomènes organisationnels du quotidien avec <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1350507615618321">exagération</a>. Le langage hyperbolique est devenu caractéristique des discussions ordinaires au sein d’organisations ordinaires faisant des choses ordinaires.</p>
<p>Face à cette tendance, le propos n’est pas de réinventer le management des hommes et des organisations dans un élan révolutionnaire mais de garder les pieds sur terre et de mieux faire les choses managériales. Il faut simplement se détacher de la grandiloquence et de cette vision d’un manager omnipotent qui a réponse à tout et qui trouve des solutions instantanément. Au mythe du manager thaumaturge, il s’agit d’opposer un management par des personnes « sans qualité » amenées à se débrouiller dans une hypermodernité difficile à appréhender. Dans ces conditions, le « management faible », le bricolage et la débrouille participent à un lexique du management comme art de la modération dans un monde ordinaire.</p>
<p>Pour répondre aux défis posés par le « malaise dans le management » et par l’absurdité vécue par certains jeunes diplômés en entreprise, il semble qu’un « <a href="https://www.livredepoche.com/livre/eloge-de-la-fadeur-9782253063797">éloge de la fadeur</a> », du « sage sans idée », des « <a href="https://www.grasset.fr/livres/les-transformations-silencieuses-9782246754213">transformations silencieuses</a> », d’un management oblique soit bien plus efficace qu’une exaltation de la grandiloquence et de la toute-puissance des sciences de gestion. Cette célébration de la débrouille est finalement une façon de prendre du recul, d’accepter notre finitude et de cesser de viser la perfection. Manager correctement, c’est tout simplement faire dignement les choses.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217242/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Simon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des managers omnipotents, qui ont réponse à tout et qui font des montagnes d’une taupinière ne contribuent-ils pas au désenchantement des jeunes diplômés qui découvrent la vie professionnelle ?Thomas Simon, Assistant Professor, Montpellier Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2100722023-08-02T18:07:10Z2023-08-02T18:07:10ZDébat : Décarbonation, quotas… que faire de l’avion, privilège d’une minorité ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/538285/original/file-20230719-27-7s7ch7.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C2%2C1722%2C1120&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bien qu’il soit réservé à une poignée d’individus, au niveau mondial, l’aérien représente en 2015 environ 11 % des émissions de CO₂ des transports, soit 1,5 % des émissions totales de gaz à effet de serre.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/qK6HAkB91Yc"> Marco López / Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le président Emmanuel Macron a récemment affirmé sa volonté d’investir plusieurs milliards d’euros dans la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/06/16/le-plan-de-macron-pour-developper-un-avion-moins-polluant_6177895_3234.html">décarbonation de l’aviation</a>. Plusieurs voix se sont fait entendre pour souligner le caractère risqué, voire illusoire, de cette ambition et rappeler l’urgence d’une <a href="https://theconversation.com/impact-du-transport-aerien-sur-le-climat-pourquoi-il-faut-refaire-les-calculs-116534">réduction du trafic aérien</a>.</p>
<p>Quelques semaines auparavant, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mardi-30-mai-2023-5670062">l’ingénieur Jean-Marc Jancovici</a> proposait de limiter à quatre le nombre de vols au cours d’une vie, suscitant un débat agité sur la réduction de l’usage de l’avion par les individus.</p>
<p>Ces polémiques éludent toutefois une dimension centrale du <a href="https://theconversation.com/transport-aerien-et-environnement-comment-poser-le-probleme-193672">problème</a> : prendre l’avion est un privilège qui entretient notamment les rapports de domination entre les pays et en leur sein.</p>
<h2>L’avion, un privilège du Nord global</h2>
<p>Le discours d’Emmanuel Macron, la proposition de Jean-Marc Jancovici et la plupart des réactions qu’elles suscitent reposent sur un présupposé : l’avion est un moyen de transport incontournable, le problème est qu’il soit polluant. Or, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959378020307779">entre 80 et 90 % des humains n’ont jamais pris l’avion de leur vie</a>. Au cours de l’année 2018, seuls 4 % de la population mondiale a effectué un <a href="https://theconversation.com/le-kerosene-ne-sera-pas-taxe-mais-pensez-a-bien-fermer-votre-robinet-119420">vol international</a>.</p>
<p>Cette minorité à qui il arrive de voyager en avion <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959378020307779">n’est pas également répartie sur la planète</a> : elle vit dans les pays riches. Ainsi, environ 40 % des habitants des pays les plus aisés ont pris l’avion au moins une fois dans l’année, contre moins de 1 % des habitants des pays les plus pauvres. </p>
<p>Si l'on rapporte les distances parcourues par les avions au départ d'un continent à sa population, cette distance par tête s'élève à 3000 km en Europe contre 100 km en Afrique. La plupart des <a href="https://journals.openedition.org/belgeo/11761">lignes aériennes relient entre eux des pays du Nord global</a>. Elles servent à faire circuler les individus entre ces pays, pour leurs loisirs mais aussi pour alimenter le commerce et les échanges économiques.</p>
<p>L’avion est donc un mode de transport qui soutient une domination économique et politique des pays du Nord et participe en leur sein à une domination de classe.</p>
<p><strong>Nombre de kilomètres par tête parcourus en moyenne par les avions au départ de:</strong> </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/541459/original/file-20230807-29-tohunq.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/541459/original/file-20230807-29-tohunq.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/541459/original/file-20230807-29-tohunq.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/541459/original/file-20230807-29-tohunq.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/541459/original/file-20230807-29-tohunq.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=272&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/541459/original/file-20230807-29-tohunq.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=342&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/541459/original/file-20230807-29-tohunq.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=342&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/541459/original/file-20230807-29-tohunq.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=342&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Rapportée à la population vivant sur le continent africain, la distance parcourue par les vols au départ de ce continent s'élève à 123 kms.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959378020307779">Traitements réalises à partir des résultats présentés dans Gössling et Humpe 2020.</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Socialisation des élites</h2>
<p>Prenons l’exemple de la France : <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2019-2-page-131.htm">voyager en avion</a> est loin d’être une pratique commune, elle demeure l’apanage des plus aisés et des plus diplômés. Ainsi, plus de la moitié des 10 % des Françaises et des Français les plus riches prend l’avion au moins une fois par an, contre 13 % des 50 % les plus pauvres. C’est le cas d’un tiers des personnes diplômées de l’enseignement supérieur, contre 10 % des moins diplômées.</p>
<p>Depuis longtemps, les voyages ont une place <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2007-5-page-58.htm?contenu=article">importante dans la socialisation des élites</a>. Séjours culturels ou d’études à l’étranger, ils contribuent à les préparer à l’occupation de positions dominantes. Plus tard, ils permettent l’entretien d’un style de vie ou d’une carrière cosmopolite qui indique leur appartenance de classe.</p>
<p>Prendre l’avion est donc un privilège qui permet l’accumulation de ressources durables – ou capitaux – de plusieurs sortes : sociales, culturelles, économiques. De ce fait, les trajectoires sociales des membres des classes dominantes sont marquées par une quantité importante de vols en avion.</p>
<p>Pourtant, la forte sélectivité sociale du voyage aérien est peu visible dans le débat public. C’est que les personnes qui y interviennent, dirigeantes et dirigeants économiques ou politiques, scientifiques, journalistes, parlent depuis leur position de classe.</p>
<p>Pour elles, l’avion est familier, quand bien même <a href="https://journals.plos.org/climate/article?id=10.1371/journal.pclm.0000070">elles considèrent aujourd’hui que cette pratique pose problème</a> ou y ont renoncé. Cela les conduit à diffuser l’idée – fausse – qu’un quota de vols est une limitation pour tout le monde. Sans voir qu’elle l’est principalement lorsque l’avion est capital pour entretenir une position dominante ou la transmettre à ses enfants. Jean-Marc Jancovici peut ainsi généraliser :</p>
<blockquote>
<p>« Quatre vols dans une vie, c’est pas zéro, on pourrait très bien instaurer un système dans lequel, quand on est jeune, on a deux des quatre vols pour aller découvrir le monde. »</p>
</blockquote>
<p><strong>Taux de recours à l’avion (%) sur une année selon le niveau de vie et le niveau de diplôme</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538264/original/file-20230719-17-nyschm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538264/original/file-20230719-17-nyschm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538264/original/file-20230719-17-nyschm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538264/original/file-20230719-17-nyschm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538264/original/file-20230719-17-nyschm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=281&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538264/original/file-20230719-17-nyschm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538264/original/file-20230719-17-nyschm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538264/original/file-20230719-17-nyschm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=353&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">33 % des diplômés du supérieur ont pris l’avion au moins une fois dans l’année.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2019-2-page-131.htm">Eurobaromètre 2014, Enquête nationale transports 2008, Demoli et Subtil, 2019</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La question de l’empreinte carbone</h2>
<p>Marqueur de la domination de classe, l’avion est excessivement émetteur de gaz à effet de serre (GES), <a href="https://theconversation.com/impact-du-transport-aerien-sur-le-climat-pourquoi-il-faut-refaire-les-calculs-116534">bien plus que n’importe quel autre moyen de transport</a>.</p>
<p>Chaque année, en moyenne, une personne des classes supérieures émet <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921800922003470">plusieurs tonnes de GES en voyageant en avion</a>. De ce seul fait, l’empreinte carbone de sa trajectoire sociale est sans commune mesure avec celle de la plupart des individus, qui n’ont jamais pris l’avion de leur vie ou ne l’ont pris qu’exceptionnellement.</p>
<p>Ainsi, les ressources durables qu’elle a accumulées grâce à ces voyages ont eu un coût écologique très élevé. Que cette personne ait ou non arrêté de prendre l’avion ces dernières années ne change qu’à la marge le coût de son privilège.</p>
<p>Dans le débat sur l’avenir de l’avion, il est donc avant tout question de l’empreinte écologique des positions sociales dominantes, et non de comportements individuels universels qu’il faudrait corriger.</p>
<h2>Les quotas, une proposition ambivalente</h2>
<p>Depuis cette perspective, comment interpréter l’idée d’un quota de quatre vols en avion dans la vie d’une personne ?</p>
<p>Une première interprétation est progressiste. On peut considérer qu’étendre le privilège de prendre l’avion quatre fois à l’ensemble de la société permettrait à tous les jeunes, sans distinction, d’aller « découvrir le monde ». Une interprétation toutefois écologiquement extrêmement coûteuse.</p>
<p>Car faire voler chaque personne quatre fois dans sa vie consommerait une part très importante du budget carbone qu’il reste à l’humanité. Pour donner un ordre de grandeur, offrir à chaque Française et Français quatre allers-retours Paris–New York dans sa vie consommerait l’équivalent de 6 % du budget carbone <a href="https://bonpote.com/la-france-ignore-la-science-pour-ses-objectifs-climatiques/">pourtant largement surestimé</a> que la Stratégie nationale bas carbone alloue aux transports à la fin de la décennie 2020.</p>
<p>Cela pèserait d’autant plus au fil des années, le budget carbone diminuant : ces vols équivaudraient à 5 à 10 % du budget carbone <em>total</em> de la France en 2050.</p>
<p><strong>Émissions carbone annuelles si l’ensemble des Français•es réalisaient dans leur vie</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538270/original/file-20230719-19-hxvrlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538270/original/file-20230719-19-hxvrlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538270/original/file-20230719-19-hxvrlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538270/original/file-20230719-19-hxvrlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538270/original/file-20230719-19-hxvrlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538270/original/file-20230719-19-hxvrlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538270/original/file-20230719-19-hxvrlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538270/original/file-20230719-19-hxvrlv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=450&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Détails du calcul : Un aller-retour : 2 tonnes (ordre de grandeur d’un Paris–New York). Cohorte de 18 ans en 2023 : 800 000 individus. Budget carbone de la France en 2030 selon la Stratégie nationale bas carbone : 300 millions de tonnes au total, 94 millions de tonnes pour les transports.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette interprétation progressiste est peu concevable. Une autre, probablement plus conforme à ce qu’envisage Jean-Marc Jancovici, consisterait à ne pas encourager à voler la population qui ne vole pas, mais à limiter celle qui vole.</p>
<p>Cela signifie, <em>in fine</em>, permettre aux membres des classes supérieures des pays du Nord de bénéficier encore du privilège de prendre un petit peu l’avion. C’est donc bien sur leurs privilèges que devrait porter le débat, comme celui qui émerge autour de la décarbonation de l’aviation.</p>
<h2>Décarboner pour une minorité ?</h2>
<p>Si l’on veut contenir au maximum le réchauffement climatique, continuer à faire voler des avions implique leur décarbonation rapide. C’est le cas même si l’on décide de limiter les vols des classes supérieures des pays les plus riches.</p>
<p>Or, à court terme, il n’y a pas de solution permettant de voler autant sans émettre de GES. Emmanuel Macron a donc proposé un investissement de 8,5 milliards d’euros d’ici 2027 pour développer un « avion ultrasobre » et des carburants durables.</p>
<p>L’ambition <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/06/24/l-aeronautique-fait-rever-les-jeunes-ingenieurs-qui-veulent-inventer-l-avion-de-demain_6179071_4401467.html">séduit le monde des ingénieurs</a>, dont les propriétés entrent en affinité à la fois avec la norme de l’avion <a href="https://www.environmentandsociety.org/perspectives/2017/4/article/excuse-us-while-we-fix-sky-weird-supermen-and-climate-engineering">et avec ce type de raisonnement technologique</a>. Elle provoque également quantité d’oppositions : l’aviation ultrasobre n’existera pas dans un futur proche et elle demanderait quoiqu’il en soit une <a href="https://blogs.mediapart.fr/atelier-decologie-politique-de-toulouse/blog/290920/avion-hydrogene-quelques-elements-de-desenfumage">quantité très importante de surfaces de cultures ou d’électricité bas carbone</a>.</p>
<p>Or, la question n’est pas seulement de savoir si c’est possible, mais si c’est désirable. Avant de décider si un secteur mérite un tel investissement, remettons au cœur du débat des éléments plus épineux que la faisabilité technologique : à qui donne-t-on la possibilité de consommer une part si importante du budget carbone restant à l’humanité ? Dans quels buts collectifs ?</p>
<p><strong>Part des personnes croyant en la possibilité future d’un avion plus écologique</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538268/original/file-20230719-25-96tni5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538268/original/file-20230719-25-96tni5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538268/original/file-20230719-25-96tni5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=177&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538268/original/file-20230719-25-96tni5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=177&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538268/original/file-20230719-25-96tni5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=177&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538268/original/file-20230719-25-96tni5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=222&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538268/original/file-20230719-25-96tni5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=222&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538268/original/file-20230719-25-96tni5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=222&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Gauche : Pourcentage d’individus ayant répondu « Oui, tout à fait » à la question : Croyez-vous à la possibilité qu’il existe un jour un avion plus écologique, moins émetteur de CO₂ ? (Source : IFOP-Fondation jean Jaurès, 2022). Droite : Pourcentage d’individus déclarant être très ou assez favorables l’interdiction des vols entre deux villes européennes dès 2026 pour réduire les émissions de carbone.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.jean-jaures.org/wp-content/uploads/2022/06/Enquete_Avions.pdf">ELABE et BFMlV, 2022</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un nécessaire débat démocratique</h2>
<p>Poser ces questions permettrait d’aborder une dimension centrale de la catastrophe écologique : elle est d’abord le fait des fractions les plus privilégiées de la planète, en termes de classes mais aussi de <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315886572-34/welcome-white-anthropocene-giovanna-di-chiro">genre et de race</a>.</p>
<p>Un tel débat aiderait à rendre plus acceptable la réduction nécessaire de l’activité d’un secteur qui, s’il est un symbole de l’industrie française, est aussi un des plus injustes et des plus carbonés de son histoire récente.</p>
<p>De la rendre plus acceptable, y compris aux yeux des personnes qui en pâtiront le plus : <a href="https://atecopol.hypotheses.org/4062">celles qui y travaillent</a>. Cela serait un exercice démocratique intéressant, qui devrait être suivi de nombreux autres.</p>
<hr>
<p><em>Merci à Elsa Favier, Héloïse Prévost, Julian Carrey et Odin Marc pour leurs commentaires.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210072/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Gros est membre de l'Atelier d'écologie politique de Toulouse (Atécopol).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Yoann Demoli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les débats sur l’avenir du trafic aérien occultent que le recours à l’avion demeure réservé à une minorité.Yoann Demoli, Maître de conférences en sociologie, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Julien Gros, Chargé de recherche CNRS, affilié au LISST (Université Toulouse Jean-Jaurès), Université Toulouse – Jean JaurèsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1913962022-10-04T17:53:58Z2022-10-04T17:53:58ZBonnes feuilles : « Les nouvelles portes des grandes écoles »<p><em>Régulièrement critiquées pour le manque de diversité de leurs promotions, les grandes écoles développent depuis les années 2000 des programmes d’égalité des chances afin d’ouvrir leurs recrutements. Quels sont les effets réels de ces politiques ? La sociologue Annabelle Allouch propose de plonger dans leurs arcanes avec <a href="https://www.puf.com/content/Les_nouvelles_portes_des_grandes_%C3%A9coles">« Les nouvelles portes des grandes écoles »</a> (éd. Presses universitaires de France), une enquête au sein de trois institutions de prestige, en France et au Royaume-Uni (Sciences Po, l’ESSEC et l’université d’Oxford), dont nous vous proposons de lire un extrait des premières pages.</em></p>
<hr>
<p>Le 4 mai 2005, la « péniche », surnom donné au hall d’entrée de Sciences‑Po, accueille une foule bigarrée d’étudiants, de personnels administratifs et d’enseignants. Ils sont venus écouter Richard Descoings – leur directeur – qui inaugure ce jour les nouvelles portes d’entrée du 27, rue Saint‑Guillaume. Installées grâce au financement d’une entreprise du CAC 40 dans le cadre de sa politique de diversité sociale, les nouvelles portes – d’immenses baies vitrées coulissantes – doivent désormais faciliter l’accès de tous les étudiants, y compris ceux en situation de handicap. Elles suppléent ici d’immenses propylées en fer forgé et de style Art déco. Tous les anciens se souviennent de ces portes battantes, qu’il fallait chaque jour pousser de toutes ses forces pour entrer, tout en évitant d’être emporté par leur poids. La sensation physique du passage du seuil.</p>
<p>Cinq ans plus tôt, le programme des « Conventions d’éducation prioritaire » de Sciences Po inaugurait, à grand renfort de trompettes et de tambours médiatiques, l’ère de l’ouverture sociale dans les grandes écoles françaises. Mais l’ouverture sociale a‑t‑elle modifié le visage de l’enseignement supérieur sélectif ?</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/RcMeQgw-szA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les limites des dispositifs d’ouverture sociale des grandes écoles (Interview d’Annabelle Allouch sur Xerfi Canal, 2019).</span></figcaption>
</figure>
<p>Pour comprendre les effets de ces dispositifs, les analystes tentent en général de se pencher sur le parcours de quelques étudiants défavorisés qui parviennent à se hisser dans les grandes écoles. Cette lecture repose sans doute sur un certain goût pour ces trajectoires spectaculaires, à l’image de la littérature dite des « transfuges de classe », qui confortent notre croyance dans l’existence d’une méritocratie « malgré tout ». On peut également y voir un effet des modes de financement par projet des dispositifs qui fixent souvent des objectifs quantifiés en termes de diversité des publics. À rebours de ces approches, cet ouvrage repose sur un parti‑pris différent : pour comprendre le poids de l’ouverture sociale sur les filières d’élite (le terme de filières d’élite désigne les filières qui mènent aux positions sociales les plus élevées d’une société donnée), il faut également se pencher sur les changements engendrés dans l’organisation et le fonctionnement de ces établissements et sur leur manière de sélectionner les étudiants.</p>
<p>Cet ouvrage étudie donc la « figure » du concours d’entrée dans les filières d’élite et la manière dont l’ouverture sociale a affecté son organisation. Dans quelle mesure les grandes écoles, prises dans leur mission de formation et de sélection des élites, s’ajustent‑ elles aux nouvelles contraintes qui pèsent sur elles ? Comment parviennent‑elles à adapter leurs modes de fonctionnement habituels à un nouveau public dont les caractéristiques scolaires et sociodémographiques s’avèrent parfois radicalement opposées à celles de leurs publics traditionnels ?</p>
<p>[…]</p>
<p>Le concours fait l’objet d’un intérêt médiatique remarquable, en France comme à l’étranger, et la presse s’approprie également l’image de la porte pour <a href="https://nieman.harvard.edu/books/the-gates-of-harvard-yard/">désigner le concours d’entrée</a>. Cela tient au fait que ce dernier s’impose dans de nombreux pays comme une forme institutionnelle politiquement et <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-societe-du-concours-annabelle-allouch/9782021350258">socialement légitime</a> qui incarne le principe du mérite comme principe d’organisation de l’ordre social. Dans les États modernes et démocratiques, on considère en effet que l’exercice du pouvoir politique doit ainsi être attribué aux « meilleurs », qu’ils aient été désignés comme tels par des électeurs, ou qu’ils aient démontré leur mérite ou leur talent lors d’une compétition prenant une forme bureaucratique.</p>
<p>[…]</p>
<p>La sociologie s’est donné pour but depuis une soixantaine d’années de comprendre le rôle de l’institution scolaire dans les trajectoires sociales des individus (d’ascension ou de déclassement), mais aussi ses manques et ses effets pervers. Cette littérature, extrêmement vaste, s’est développée à la faveur des différentes <a href="https://www.puf.com/content/Culture_de_masse_et_soci%C3%A9t%C3%A9_de_classes">vagues de massification scolaire</a> et universitaire. Si les études soulignent l’importance du capital culturel institutionnalisé sous la force d’un diplôme dans les parcours de mobilité, elles s’accordent de manière tout aussi unanime – et ce quel que soit le système envisagé – sur l’emprise de l’expérience scolaire sur les trajectoires sociales, amoureuses et professionnelles des individus. Le travail de classement et de catégorisation des individus selon leurs caractéristiques sociodémographiques traduites sous une forme scolaire (une note, un commentaire, une orientation), puis celui de relégation vers certains types de filières, amplifie les inégalités sociales d’origine, mais aussi les <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782804150556-l-ecole-l-epreuve-de-la-sociologie">inégalités genrées</a>. C’est dans cette tension entre une école qui socialise et une école qui classe, entre une école au service du public ou au service des élites, que s’est construite la sociologie de l’éducation européenne et américaine contemporaine.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-culture-de-masse-et-societe-de-classes-le-gout-de-lalterite-172438">Bonnes feuilles : « Culture de masse et société de classes. Le goût de l’altérité »</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Notre ouvrage prend place dans cet ensemble à partir d’une hypothèse simple : pour comprendre le rôle de l’école dans les trajectoires des individus aujourd’hui, et en particulier celui de ses institutions les plus légitimes, il faut prendre en compte non seulement le parcours de ces élèves, mais aussi la manière dont la structure institutionnelle de ces établissements, leurs routines de sélection, leurs liens avec des lycées et d’autres institutions du supérieur rendent possibles (ou impossibles) ces trajectoires.</p>
<p>[<em>Plus de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd'hui</a>]</p>
<p>On s’éloigne donc d’une approche par « le bas », fondée sur la manière dont les élèves passent d’un statut ou d’un groupe social à un autre (à la manière d’une émission télévisée qui suivrait les épreuves d’un candidat jusqu’à la victoire), pour se saisir du lent travail d’identification et de classement des individus par l’école. Dans un contexte où les établissements s’ajustent à de nouvelles formes d’injonctions en faveur de « l’égalité des chances » ou de la « diversité » (en fait très anciennes), le cas de l’ouverture sociale permet de révéler des pratiques institutionnelles routinières de clôture symbolique qui restent souvent dans l’ombre, à la fois pour des raisons stratégiques (conserver le contrôle du <a href="https://www.researchgate.net/publication/327866914_If_they%E2%80%99ve_had_a_middle_class_upbringing_that%E2%80%99s_not_their_fault_the_professional_practices_and_personal_identities_of_admissions_staff_at_selective_universities_in_England">choix de ses publics</a> assure l’autonomie de l’établissement), mais également parce que préserver une aura de mystère autour de la sélection revient à en renforcer le caractère sacré et la force symbolique aux yeux de l’élu, qui pourra l’investir comme telle dans son parcours.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-jeunesse-des-jeunesses-peut-on-vraiment-parler-de-generation-covid-171165">« Une jeunesse, des jeunesses » : peut-on vraiment parler de « Génération Covid » ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Le cas des filières d’élite peut paraître <em>a priori</em> très spécifique, d’autant plus qu’il ne représente qu’une minorité d’étudiants (sur les 2,8 millions d’étudiants scolarisés dans l’enseignement supérieur français, 85 000 sont scolarisés en CPGE et la <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/previsions-des-effectifs-dans-l-enseignement-superieur-rentrees-2021-et-2022-50825#:%7E:text=XLSX%20%7C%2018.57%20Ko-,Pr%C3%A9sentation,soit%2059%20400%20%C3%A9tudiants%20suppl%C3%A9mentaires.">taille des promotions</a> de ces écoles peut varier d’une centaine à 1 500 personnes par exemple à Sciences‑Po Paris). C’est d’autant plus vrai pour les dispositifs d’ouverture sociale qui ne permettent d’accueillir que quelques dizaines ou centaines d’étudiants par an, <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2010-3-page-69.htm">selon les modèles défendus</a>. Par exemple, pour l’année 2010, 366 élèves sont admissibles par cette voie à Sciences‑Po, et 128 sont admis. L’ESSEC accueille 160 lycéens sur trois ans cette même année. Pourtant, ces filières d’élite se démarquent des autres, non seulement par l’investissement politique, symbolique et même financier dont elles font l’objet (de la part de l’État, des familles, etc.), mais aussi parce que, dans les sociétés bureaucratiques fondées sur des hiérarchies scolaires légitimes, ce sont souvent celles qui donnent accès aux biens et aux positions sociales les plus prisés.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/486748/original/file-20220927-16-ufreft.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486748/original/file-20220927-16-ufreft.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486748/original/file-20220927-16-ufreft.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486748/original/file-20220927-16-ufreft.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=913&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486748/original/file-20220927-16-ufreft.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1148&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486748/original/file-20220927-16-ufreft.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1148&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486748/original/file-20220927-16-ufreft.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1148&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.puf.com/content/Les_nouvelles_portes_des_grandes_%C3%A9coles">PUF</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Notre ouvrage s’inscrit dans une perspective doublement comparatiste, à la fois parce qu’il offre une comparaison entre plusieurs établissements d’élite « en configuration » de diversité, et parce qu’il confronte des établissements français et étrangers. On rompt ainsi avec un sens commun qui inscrit ces questions dans un cadre national, angle national qui demeure prégnant sur les questions relatives à la formation des élites politico‑administratives dans les champs politiques ou médiatiques. </p>
<p>Ici, la comparaison systématique des dispositifs et de leurs effets entre des établissements français et anglais permet de souligner l’importance de ces questions dans de très nombreuses sociétés où les inégalités salariales et statutaires se fondent sur des hiérarchies scolaires et un discours méritocratique qui amplifient la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-destin-au-berceau-camille-peugny/9782021096088">valeur des diplômes</a>. De ce point de vue, l’accès au supérieur ne nourrit pas seulement les inégalités scolaires, il entretient aussi la division et la <a href="http://www.worldcat.org/fr/title/187502">spécialisation des tâches</a> et des professions dans les économies postindustrielles. C’est l’ensemble de ces enjeux politiques, économiques et symboliques qui semblent être bousculés par l’émergence des dispositifs d’ouverture sociale. L’introduction se donne la chance de planter le décor de ce contexte singulier de manière très approfondie, à partir de la notion de diversité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191396/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annabelle Allouch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans sa dernière enquête, « Les nouvelles portes des grandes écoles », la sociologue Annabelle Allouch se penche sur les programmes d’égalité des chances et leurs effets. Extraits.Annabelle Allouch, Enseignante, Université de Picardie Jules Verne (UPJV)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1855202022-06-22T21:05:12Z2022-06-22T21:05:12ZL’économie italienne est aussi malade de ses élites<p>C’est l’une des conséquences du premier <a href="https://theconversation.com/fed-et-bce-deux-rythmes-mais-une-meme-strategie-contre-linflation-185059">relèvement des taux directeurs</a> de la banque centrale européenne (BCE) depuis une décennie, annoncé le 9 juin dernier : le taux obligataire italien à 10 ans a bondi à plus de 4 %, soit environ un <a href="https://fr.tradingeconomics.com/italy/government-bond-yield">point et demi de plus qu’un mois plus tôt</a>. Cette hausse subite a réactivé la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/06/16/en-italie-le-grand-retour-de-la-peur-du-spread_6130552_3234.html">peur du « spread »</a>, à savoir l’écart des taux auxquels se financent les différents pays de la zone euro qui avait conduit à la crise de 2011. Si bien que la BCE s’est réunie en urgence, le 15 juin, pour annoncer la mise en place d’un « <a href="https://www.agefi.fr/financements-marches/actualites/quotidien/20220615/bce-annonce-mesures-anti-fragmentation-a-l-issue-345744">nouvel outil anti-fragmentation</a> », sans donner plus de précision. Cette communication a rassuré les marchés en contribuant à resserrer le « spread », mais le taux obligataire italien restait encore à des niveaux élevés une semaine plus tard (3,70 le lundi 20 juin) illustrant les inquiétudes marchés quant à la solvabilité du pays.</p>
<p>À près de 156 % du PIB, l’endettement public italien est près de deux fois plus lourd que celui de la moyenne des pays de la zone euro. La dette pèse sur l’économie pour trois raisons. La première raison est liée à la politique anticyclique : il devient impossible de recourir à des manœuvres de déficit budgétaire pour stimuler la croissance des revenus. Les deux autres raisons sont structurelles. Un excédent primaire élevé oblige (à dépenses égales) à maintenir un prélèvement fiscal élevé et déprime donc le rendement net du capital investi.</p>
<p><iframe id="50LbR" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/50LbR/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>D’autres facteurs entravent la croissance italienne : une économie souterraine qui perdure, de fortes disparités socio-économiques territoriales entre le Nord et le Sud, des mécanismes de décision complexes ou encore <a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/tableau-de-bord-de-lemploi-public-0">l’inefficience de l’État</a>. Comme l’a montré une étude récente comparative de France Stratégie, l’Italie est, avec le Japon, un des pays les moins administrés du monde, autrement dit un des pays où l’emploi public est le plus faible.</p>
<h2>« Absence de méritocratie »</h2>
<p>Plus largement, une <a href="https://voxeu.org/print/62336">étude de 2014</a>, mise à jour en octobre 2017, signée par deux économistes, Bruno Pellegrino, de l’université de Californie à Los Angeles (UCLA) et Luigi Zingales, de l’université de Chicago, a mis en avant « l’absence de méritocratie comme principale cause du problème de productivité en Italie ». Pour les deux auteurs, la gestion des firmes italiennes repose principalement sur un modèle fondé sur la loyauté plutôt que sur le mérite.</p>
<p>Ici, loyauté signifie clientélisme, copinage et prévalence des arrangements de famille ou de clan (avec une réalité variable du Nord au Sud). Ces 20 dernières années, les entreprises italiennes ont massivement sous-investi : le volume de leur investissement n’a progressé que de 40 % contre 90 % en France et en Allemagne et 150 % en Espagne. La crainte de se développer principalement parce que les actionnaires <a href="https://www.oecd.org/economy/growth/Italy-country-note-going-for-growth-2021.pdf">redoutent de perdre le contrôle</a> de l’entreprise reste très présente dans le pays.</p>
<p>Les grands groupes restent eux protégés par un capital verrouillé, familial et des participations croisées, bénéficiant du soutien direct ou indirect de l’État grâce à la dépense publique et à des dévaluations régulières. En outre, les corporations du pays sont nombreuses, puissantes et courtisées : des chauffeurs de taxi aux contrôleurs aériens, de nombreux secteurs de l’administration publique aux camionneurs, des notaires aux producteurs de lait en passant par les agents immobiliers. Ajoutons-y la recherche de rente dans des secteurs protégés : la construction ou les services publics privatisés (électricité, téléphonie, autoroutes) ; l’évitement de la concurrence globale, sur les marchés internationaux ; le refus de se focaliser sur des secteurs émergents nouveaux et risqués (bio-ingénierie, industrie de l’hydrogène), etc.</p>
<p>La crise de l’économie italienne est donc également une crise des élites italiennes. Autrement dit, la grande difficulté pour sortir l’économie italienne de sa situation réside dans le fait que les cadres organisateurs du pays sont conditionnés par la rente et la loyauté, à l’opposé de l’innovation et du mérite qui <a href="https://www.einaudi.it/catalogo-libri/problemi-contemporanei/declino-italia-andrea-capussela-9788806247386/">favorisent la croissance</a>.</p>
<p>L’économie italienne a d’ailleurs davantage souffert en 2020 que la moyenne des pays de la zone euro (-9 % contre -6 %). Les pertes ont été conséquentes, notamment dans le tourisme (-60 % de touristes étrangers en 2020, revenus passés de 44 à 17 milliards), un secteur qui encore en 2019 représentait le 13 % du PIB italien. La récession a toutefois pu être relativement contenue par la résilience de l’industrie.</p>
<p><iframe id="TWq7C" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/TWq7C/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’Italie conserve en effet une base industrielle bien plus importante que celle de la France : la deuxième en Europe après celle de l’Allemagne. La péninsule a ainsi conservé des qualifications et des savoir-faire importants. L’Italie reste un pays d’entreprise, qui peut se targuer de compter de nombreuses sociétés de premier plan dans le monde entier. Mais le système ne fonctionne plus et a un besoin urgent de renouvellement.</p>
<h2>Effondrement démographique</h2>
<p>Or, l’Italie reste aujourd’hui prisonnière de son déclin démographique. La natalité du pays s’est effondrée avec une population qui est passée sous la barre des 59 millions d’habitants, avec moins de 400 000 naissances par an. Si rien n’est fait, la péninsule perdra entre 5 et 8 millions d’habitants d’ici 2050.</p>
<p>Sur près de 59 millions d’habitants, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/litalie-prisonniere-de-son-declin-demographique-1406889">10,5 millions ont moins de vingt ans</a>, tandis que près de 20 millions ont 60 ans ou plus. Un peu plus de la moitié de la population seulement (52 %) sera bientôt en âge de travailler, tandis que 32 % aura cessé toute activité. L’âge moyen, en augmentation rapide, est de 45,7 ans (+2,3 ans depuis 2010). L’âge médian – le plus élevé de l’Union européenne – est de 43,1 ans, 23 % des Italiens ayant 65 ans et plus. Ce vieillissement pèsera sur la compétitivité et la soutenabilité des finances publiques.</p>
<p><iframe id="ddS9S" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ddS9S/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>L’un des aspects qui suscitent le plus de préoccupations est le nombre de jeunes de 15 à 29 ans faisant partie de la catégorie NEET (Not in Education, Employment or Training). Ce groupe représente en Italie désormais 2,1 millions de personnes, soit une augmentation de presque 100 000 par rapport à 2019, ce qui équivaut à 23 % de la population de cette tranche d’âge et constitue le pire résultat de tous les pays de l’Union européenne (moyenne UE : 14 %).</p>
<p>Dans ce contexte, l’Italie est la <a href="https://www.governo.it/sites/governo.it/files/PNRR_0.pdf">principale bénéficiaire</a>, avec l’Espagne, du plan de relance européen post-Covid <em>Next Generation</em>. Des 807 milliards d’euros mobilisés par l’Union européenne pour les années 2021-2027, plus de 190 sont destinés à l’Italie, dont 65 sous la forme de subventions (le reste sous forme de prêts), soit l’équivalent de près de 11 % du PIB réparti sur sept ans.</p>
<p>Cependant, ces dernières années, les administrations centrales et régionales n’ont pas utilisé tous les fonds européens à disposition pour l’investissement public en raison de la préparation déficiente des projets et de la lenteur de leur exécution. Des centaines de millions d’euros n’ont ainsi pas été mobilisés, en particulier dans le sud de l’Italie, faute de capacité à concevoir et à gérer des projets.</p>
<p>Aujourd’hui encore, l’Italie éprouve des difficultés mêmes à trouver des projets à financer. Le président du Conseil, Mario Draghi, et ses ministres savent que le pays jouera une bonne partie de sa crédibilité en Europe sur la conduite des travaux et le respect des échéances. En outre, ils sont conscients du fait que – à moyen terme – la mise en œuvre rapide et effective des réformes structurelles sera la seule garantie de crédibilité afin d’attirer des investissements étrangers et éviter une envolée des « spread », qui avaient contribué au <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/industrie-financiere/hausse-des-taux-la-bce-tente-d-eviter-le-scenario-de-la-crise-de-l-euro-de-2011-922009.html">déclenchement de la crise de la zone euro</a> en 2011.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185520/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>André Tiran ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le modèle économique de la péninsule, dont la solvabilité inquiète aujourd’hui les marchés, freine la méritocratie, l’innovation et la croissance.André Tiran, Professeur émérite de sciences économiques, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1821772022-05-23T19:59:02Z2022-05-23T19:59:02ZL’élite « de l’anti-élitisme », un paradoxe français<p>Les résultats de l’élection présidentielle ont amené de <a href="https://theconversation.com/la-reelection-demmanuel-macron-une-victoire-en-trompe-loeil-181841">nombreux observateurs</a> à penser que la France serait divisée en trois pôles : un centre de gouvernement, une droite regroupant ses courants conservateurs et extrémistes et une gauche majoritairement ralliée à son pôle radical.</p>
<p>Les variables de la sociologie électorale, l’abstentionnisme, le clivage entre générations ou <a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-campagnes-en-tension-170041">modes de vie</a> expliquent qu’il ne s’agit pas d’une simple répétition du scénario de 2017. En effet, la crise des « gilets jaunes » et celle du Covid-19 ont accentué le <a href="https://www.cairn.info/pourquoi-detestons-nous-autant-nos-politiques--9782724620108.htm">sentiment de « détestation »</a> des hommes et des femmes politiques représentant les partis de gouvernement. <a href="https://theconversation.com/pourquoi-certains-adorent-detester-emmanuel-macron-178665">Emmanuel Macron</a> incarne particulièrement bien cette détestation.</p>
<h2>Vers un alignement des discours contre les « élites » ?</h2>
<p>Peu parmi ces analystes ont cependant souligné la victoire sans précédent des <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-presidentielle-le-triomphe-des-elites-anti-elite-1402397">candidatures se revendiquant comme anti-élitiste</a>.</p>
<p>Le terme « élite » vient du verbe <em>eligere</em> (« choisir »), terme latin en usage en France dès le XII<sup>e</sup> siècle. À l’époque contemporaine, « élite » et « élitisme » désignent dans la communauté des hommes un certain nombre de personnes « élues » destinées à diriger les non-« élues » en y associant la notion de mérite. Par opposition à l’aristocratisme, l’élitisme a une <a href="https://www.cairn.info/sociologie-politique-des-elites--9782200268534.htm">connotation sociale et politique positive</a>. L’anti-élitisme est une critique radicale de cette conception. Aujourd’hui appliqué à la vie politique, il se traduit par une remise en question du caractère « méritocratique » de la compétence donc la légitimité des <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-85.htm">élites de la démocratie représentative</a>.</p>
<p>Nous qualifions ainsi les candidats ayant mobilisé durant la campagne la rhétorique de l’anti-élitisme. L’extrême droite, <a href="https://twitter.com/ZemmourEric/status/1483899993530552322">Éric Zemmour</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=9HZylDRkqsc">Marine Le Pen</a>, la droite souverainiste, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=TgR2vV2-PrA">Nicolas Dupont-Aignan</a>, <a href="https://www.franceinter.fr/politique/vaccin-cia-ombres-au-pouvoir-la-facette-conspirationniste-du-candidat-jean-lassalle">Jean Lassalle</a> mais aussi les candidats de la gauche radicale, <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">Jean-Luc Mélenchon</a>, <a href="https://www.cultura.com/p-un-ouvrier-c-est-la-pour-fermer-sa-gueule-interdit-d-election-presidentielle-9782845974418.html">Philippe Poutou</a> ou encore <a href="https://www.bienpublic.com/elections/2022/04/10/nathalie-arthaud-votera-blanc-au-second-tour-fustigeant-deux-ennemis-mortels-pour-les-travailleurs">Nathalie Artaud</a> ont vilipendé le pouvoir de « l’oligarchie », des « puissants », de la « finance », de la « caste », de « ceux d’en haut », etc.</p>
<p>Les candidats ayant mobilisée cette rhétorique au premier tour des élections présidentielles entre 2012 et 2022 ont obtenu un nombre de voix en constante progression : <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-presidentielle-le-triomphe-des-elites-anti-elite-1402397">33 % en 2012 ; 49,8 % : 2017 ; 61,1 % en 2022</a>. Si on ne peut pas vraiment faire de lien de causalité entre cette rhétorique et ces scores, on peut supposer que cette rhétorique n’a pas choqué les électeurs au point de les dissuader de porter leur voix sur ces candidats.</p>
<h2>Une rhétorique contre la démocratie représentative</h2>
<p>Cette <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">rhétorique anti-élitiste</a> – relayée par les leaders populistes depuis plus d’une décennie – transcende le clivage droite-gauche.</p>
<p>Comme souligne <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070749690-la-faute-aux-elites-jacques-julliard/">Jacques Julliard</a> le mouvement social de 1995 a été le moment historique qui a fait de la rhétorique anti-élitiste « l’un des topos obligatoires du discours politique ». Il n’a cessé depuis de devenir central pour les styles discursifs les plus radicaux de droite mais aussi de plus en plus de gauche, en particulier de <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm"><em>La France insoumise</em></a>. <a href="https://www.puf.com/content/Cabinet_de_curiosit%C3%A9s_sociales_0">Gérald Bronner</a> rappelle que même des professionnels de la politique pourtant plus modérés ne rechignent pas à faire usage de cette figure de la <a href="https://www.huffingtonpost.fr/gerald-bronner/demagogie-cognitive-information_b_6089800.html">« démagogie cognitive »</a>. Chacun se souviendra du « mon adversaire c’est le monde de la finance ! » <a href="https://www.lemonde.fr/blog/luipresident/2017/05/13/mon-adversaire-cest-le-monde-de-la-finance-quel-bilan-pour-francois-hollande/">lancé</a> par François Hollande lors de la campagne électorale de 2012. Dans ce contexte, les arguments rationnels perdent droit de cité puisque même ceux qui doivent les porter s’en débarrassent au nom de la rentabilité électorale.</p>
<p>Dans cette perspective, l’oligarchie <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2017-4-page-163.htm">« des riches, la caste des politiciens »</a> et les technocrates de <a href="https://frontpopulaire.fr/p/revue%20N%C2%B02">« l’État profond (français ou bruxellois) »</a> <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-110.htm">doivent partir</a>. Cet appel à se débarrasser de l’élite est consubstantiel à la division du monde entre le (bon) peuple et la (méchante) élite. Le bien ne doit-il pas naturellement chasser le mal. Relevant habituellement du bagage conceptuel de l’extrême droite, cette réduction du combat politique à des catégories religieuses a aussi été théorisée par la gauche dite « radicale ».</p>
<p>La philosophe Chantal Mouffe appelle, ainsi, à la répudiation de la raison, fondement de la démocratie libérale, au profit de l’<a href="https://www.albin-michel.fr/pour-un-populisme-de-gauche-9782226435293">« énergie libidinale »</a>. Elle propose de « mobiliser » cette énergie « malléable » contre l’oligarchie afin de « construire » le « peuple ». Dans cette perspective, les émotions et les affects devront se traduire par le rejet, comme le suggère le député François Ruffin, <a href="https://www.courrier-picard.fr/art/167978/article/2019-02-24/ruffin-lanti-macron-ce-rejet-physique-visceral-nous-sommes-des-millions">« physique et viscéral »</a> de l’élite.</p>
<p>De surcroît, l’anti-élitisme est présenté comme discours politique permettant de <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-2012-1-page-85.htm">« sauver » la démocratie</a>. Pour ses promoteurs, l’élitisme contemporain contrarierait l’imaginaire égalitaire et occulterait les grands projets d’émancipation au profit de la mondialisation néolibérale.</p>
<h2>La mobilisation du déclin des « grands récits »</h2>
<p>Cet anti-élitisme puise sa force dans un contexte de <a href="https://www.decitre.fr/livres/la-faute-aux-elites-9782070407569.html">déclin des « grands récits »</a> (libéralisme, socialisme, etc.) et est aujourd’hui aisément récupéré par les tenants d’une critique de la démocratie représentative. Ce carburant idéologique des mouvements sociaux étêtés, tels que celui des « gilets jaunes », permet de mobiliser un électorat toujours plus large autour d’un prétendu clivage entre <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/18867/bloc-contre-bloc">« bloc élitaire » et « bloc populaire »</a>.</p>
<p>Le raisonnement de ces pourfendeurs de « l’oligarchie » repose sur une « terrible simplification » : le mythe de l’existence d’une élite « Consciente, Cohérente et Conspirante » (<a href="https://www.goodreads.com/book/show/3917666-the-myth-of-the-ruling-class">modèle de « 3 C</a> ») critiqué par James Meisel en raison de la déformation de la théorie de <a href="http://davidmhart.com/liberty/ClassAnalysis/Books/Mosca_RulingClass1939.pdf"><em>la classe dirigeante</em></a> de Gaetano Mosca. En effet, ce raccourci facilite l’association de tout type de médiation élitaire avec les théories complotistes.</p>
<p>Dans la stratégie discursive populiste, l’idée d’une élite unifiée maximisant ses intérêts concurrence fortement celle – plus en cohérence avec le pluralisme démocratique – d’une multiplicité de groupes élitaires en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0010414013512600">compétition pour le pouvoir politique, religieux social et économique</a>.</p>
<p>Aux États-Unis, depuis l’administration de Georges Bush jr., des travaux ont évoqué le rôle d’une <a href="https://www.basicbooks.com/titles/janine-r-wedel/shadow-elite/9780465020843/">« élite de l’ombre »</a> (<em>shadow elite</em>) qui aurait favorisé la deuxième guerre du Golfe. Toutefois, la démonstration de l’interpénétration des réseaux néoconservateurs et l’administration des affaires étrangères, repose sur un travail dont la <a href="https://www.jstor.org/stable/41275203 ?seq=1">scientificité est discutable</a>. Une recherche, plus solide empiriquement, a ainsi démontré que, dans le cas de la <a href="https://www.cairn.info/gouverner-a-l-abri-des-regards%20--%209782724626254.htm">réforme de l’assurance maladie</a>, les groupes d’intérêts (<em>big pharma</em>, compagnies d’assurance, etc.) n’ont pas joué un tel rôle auprès de l’administration Obama. Pourtant, malgré le déficit de preuve, le mythe d’une élite omnipotente influençant l’ensemble des décisions démocratiques persiste. Dans un contexte de crise de confiance <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/CEVIPOF_confiance_10ans_CHEURFA_CHANVRIL_2019.pdf">à l’égard des gouvernants</a>, il renforce la croyance dans l’antiélitisme.</p>
<h2>L’élite de l’anti-élitisme : une autre oligarchie ?</h2>
<p>En poussant ce raisonnement sociologique, on pourrait établir que certains leaders mobilisant la rhétorique antiélitiste forment aussi une élite. Le diplomate britannique et ancien ministre conservateur, Georges Walden, la naissance d’une « caste supérieure de l’élite anti-élite » <a href="https://www.newstatesman.com/uncategorized/2020/09/boris-johnson-dominic-cummings-anti-elite-populists-power">(upper-caste elite of anti-elitists</a>) composée d’individus issus de milieux sociaux très privilégiés à l’image des premiers ministres David Cameron et de Boris Johnson. Tous deux issus sont les produits du cursus élitiste <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/international/etudier-a-l-etranger/detail/article/a-eton-sont-forgees-les-elites-britanniques0-3814/">Eton</a>-Oxford.</p>
<p>En France, l’élite anti-élite se caractérise par son profil de <a href="https://books.google.fr/books/about/Les_professionnels_de_la_politique.html ?id=27YgAQAAMAAJ&redir_esc=y"><em>professionnel de la politique</em></a>. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon en constituent des exemples emblématiques comme le montrent leur carrière et leur leadership partisan. La première est une « héritière politique » entrée dans la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Marine_Le_Pen">carrière</a> dès l’âge de 18 ans, avant de gravir tous les échelons du <em>Front national</em> avant de se présenter aux élections présidentielles depuis 2012. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Luc_M %C3 %A9lenchon">Le second</a> est un « produit de la méritocratie » à la française, obtenant son CAPES en lettres modernes et intégrant en même temps le Parti socialiste en 1976.</p>
<p>Il a cumulé au cours de sa longue carrière politique les fonctions électives entre autres de député, de sénateur, de député européen et la fonction exécutive de ministre délégué à l’enseignement professionnel (2000-2002). Depuis la création de son propre parti (Le Parti de Gauche en 2008 devenu en 2016 la France insoumise), il s’est lui aussi présenté à trois reprises aux élections présidentielles. Par ailleurs, tous deux ont imposé un leadership incontesté sur leur parti politique comme en témoignent leur réélection continue à la direction. Cette main de fer sur l’organisation illustre la <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2015/07/02/politique-la-loi-d-airain-de-l-oligarchie_4667090_3260.html">loi d’airain de l’oligarchie</a> chère à Roberto Michels.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/qui-sont-les-deputes-francais%20--%209782724610307.htm">Les critères de la sociologie des élites</a>, à savoir l’origine sociale, la formation, la trajectoire professionnelle, la durée de la carrière politique, cumul et le type des mandats, montrent, sans surprise, le peu de distance les séparant de celles et ceux qu’ils dénoncent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182177/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohammad-Saïd Darviche est membre de l'Association française de science politique. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>William Genieys ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment comprendre la victoire sans précédent des candidatures se revendiquant comme anti-élitiste ?William Genieys, Directeur de recherche CNRS au CEE, Sciences Po Mohammad-Saïd Darviche, Maître de conférences, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1832812022-05-22T16:02:21Z2022-05-22T16:02:21ZLa confiance politique exige la reconnaissance du mérite<p><a href="https://theconversation.com/fr/topics/presidentielle-2022-103116">L’élection présidentielle 2022</a> tout comme le premier tour du scrutin législatif a mis en lumière une fracture qui sépare la France de la confiance de la France de la défiance. En fait, toutes les études que l’on peut mener depuis des années montrent que le clivage entre les mouvements politiques dits « populistes » de droite ou de gauche et les partis politiques ou les mouvements défendant les institutions de la V<sup>e</sup> République vient traduire en langue politique cette opposition entre deux ensembles de citoyens.</p>
<p>Alors que les populistes privilégient la démocratie directe, le contrôle permanent des élus et l’action immédiate des citoyens sur l’action publique, les anti-populistes entendent préserver le monde des métiers de la politique et une certaine distance entre les électeurs et les élus. Ceux-ci doivent pouvoir appréhender un monde complexe où les effets des politiques publiques se déploient sur le temps long. Cette dichotomie se retrouve très clairement entre ceux qui prônent le renforcement de la souveraineté nationale et ceux qui, au contraire, souhaitent un renforcement de l’échelon européen.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/aux-origines-des-fractures-francaises-183037">Aux origines des fractures françaises</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>La question qui se pose est de savoir sur quoi repose la <a href="https://theconversation.com/de-la-societe-distante-a-la-societe-mefiante-182817">défiance</a> ou la confiance politique. La confiance, rappelons-le, est la capacité de s’engager dans une relation sociale avec les autres, qu’il s’agisse de particuliers ou d’institutions, sur la base du pari qu’ils tiendront leurs engagements et respecteront la parole donnée. La confiance suppose donc un engagement moral mais aussi le respect et donc la revitalisation permanente d’un lien social pour que les individus puissent faire « communauté » et puissent ainsi garantir la sécurité de leurs échanges.</p>
<p>La confiance est donc centrale non seulement dans la vie économique et celle des marchés, dont une partie des transactions se dénouent à terme, mais également dans la vie politique puisqu’elle fonde le choix électoral au-delà des préférences idéologiques ou des intérêts que l’on entend défendre. À quoi sert de voter si les programmes ne sont pas respectés, si le personnel politique change d’avis, si de nouveaux acteurs imprévus interviennent dans le champ de la décision ?</p>
<h2>Une défiance qui alimente la vie politique</h2>
<p>Une analyse même rapide des niveaux de confiance dans les institutions politiques montre d’une part que ces derniers sont très bas, notamment au regard de ce que l’on trouve dans les enquêtes comparatives menées au sein du <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/BONNE%20VERSION%20FINALE-1.pdf">Baromètre de la confiance politique du Cevipof</a>, d’autre part, qu’ils distinguent clairement les institutions politiques locales comme le maire – qui est le seul à bénéficier d’une confiance assez élevée quels que soient les choix politiques des enquêtés.</p>
<p>Ces résultats différencient aussi clairement les électeurs et les candidats des partis politiques défendant les institutions de la V<sup>e</sup> République de tous ceux qui défendent une révision profonde de ces institutions au nom de la démocratie directe et de la représentation proportionnelle de toutes les forces politiques à l’Assemblée nationale. On peut ainsi le constater lorsqu’on croise le vote au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 et le niveau de confiance dans le système politique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463977/original/file-20220518-23-nobg4a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463977/original/file-20220518-23-nobg4a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463977/original/file-20220518-23-nobg4a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463977/original/file-20220518-23-nobg4a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=354&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463977/original/file-20220518-23-nobg4a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463977/original/file-20220518-23-nobg4a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463977/original/file-20220518-23-nobg4a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=445&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’élection présidentielle de 2022 est venue parfaitement illustrer ce mécanisme de fracturation de la vie politique puisque son résultat est de créer une tripartition de l’espace politique français entre le macronisme, la France insoumise et le Rassemblement national dont la logique est en réalité binaire. Elle oppose ceux qui ont confiance dans le système politique – et qui se rallient peu ou prou au macronisme pour la préparation des élections législatives – et tous ceux qui rejettent cette élection comme étant le résultat soit d’un vote par défaut (c’est l’appel de Jean-Luc Mélenchon à se faire élire Premier ministre) soit d’un verrouillage médiatique et oligarchique de la vie politique (thème largement développé par le Rassemblement national).</p>
<p>Mais on le voit bien : la crise de confiance conduit à mener la critique du Président élu bien au-delà de la contestation du bilan de son précédent quinquennat ou de son programme politique d’avenir pour remettre en cause la légitimité du résultat des urnes. Ce dernier, lié à un taux d’abstention particulièrement élevé, tend à rendre la démocratie représentative exécrable pour une grande partie de l’électorat, partie la plus modeste, la moins diplômée et se vivant dans une situation d’exclusion sociale.</p>
<h2>Les explications habituelles et leurs limites</h2>
<p>La défiance politique n’est pas nouvelle et, pourrait-on dire, reste associée à l’idée même de démocratie puisqu’un régime démocratique limite le mandat des élus dans le temps, divise les pouvoirs, place leur action sous le contrôle du juge au regard des règles de droit et notamment de la Constitution, met en place des mécanismes de contrôle des finances publiques (« Pas de taxation sans représentation » sera le mot d’ordre de la révolution américaine) et d’évaluation des politiques publiques. Cela étant, la défiance reste ainsi maîtrisée et ne porte pas sur les mécanismes de contrôle eux-mêmes.</p>
<p>Or la défiance politique contemporaine est différente en ce qu’elle s’associe fortement et à la défiance interpersonnelle (celle que l’on porte spontanément à autrui) et à la défiance envers la science et toutes les procédures rationnelles censées rendre compte de l’action publique comme les statistiques ou les rapports officiels. La crise de la Covid-19 a mis en évidence, par exemple, que la défiance envers la politique sanitaire du gouvernement n’était que le sous-produit d’une défiance générale à l’encontre des pouvoirs publics et que plus la parole experte et scientifique s’éloignait des milieux de la décision gouvernementale et <a href="https://www.cae-eco.fr/la-gestion-de-la-crise-sanitaire-en-france-au-miroir-de-la-defiance-politique-et-dune-societe-peu-cohesive">plus la confiance augmentait</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-merite-est-il-encore-un-ideal-democratique-159488">Le mérite est-il encore un idéal démocratique ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Cette défiance principielle vient donc rendre inopérantes les explications habituelles que l’on donne de la critique que les citoyens portent à l’encontre du monde politique en général et des élus en particulier.</p>
<p>On ne peut pas ainsi expliquer le niveau de défiance par les mauvais résultats obtenus par les gouvernements sur le terrain économique. L’illustration en est clairement donnée aujourd’hui en France où le niveau de confiance à l’égard d’Emmanuel Macron est très bas (de l’ordre de 34 %) alors même que le niveau de chômage n’a pas été aussi bas depuis une décennie. Plus généralement, <a href="https://www.vie-publique.fr/catalogue/22714-la-democratie-representative-est-elle-en-crise">l’analyse historique du long terme</a> montre que la confiance dans le personnel politique a commencé à baisser sous la V<sup>e</sup> République à partir de 1974, de manière inexorable et sans que les résultats des divers gouvernements qui se sont succédé aient eu le moindre effet.</p>
<p>On ne peut pas non plus expliquer la défiance par le seul jeu des institutions. Pour de nombreux commentateurs, il suffirait de modifier les modes de scrutin et de multiplier les référendums ou les procédures de <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/279196-la-democratie-participative-par-loic-blondiaux">démocratie participative</a> pour que la confiance revienne. Passer au scrutin proportionnel pour élire les députés permettrait sans doute de représenter plus fidèlement au sein de l’Assemblée nationale les diverses sensibilités politiques. Mais ce n’est pas parce qu’un député est élu sur une liste que les électeurs vont avoir davantage confiance en lui.</p>
<p>L’élaboration des listes fait l’objet de nombreuses tractations au sein des partis politiques dans le cadre de marchés professionnels. On le voit très clairement dans le cadre des élections régionales, où le scrutin proportionnel <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01486206/document">permet de filtrer successivement</a> celles et ceux qui sont en mesure de gagner. On peut également multiplier les référendums, mais le niveau de confiance politique dans un pays comme l’Italie qui les pratique fréquemment, et notamment pour révoquer certaines lois, n’est pas supérieur à celui que l’on observe en France.</p>
<p>La confiance dans le personnel ou les institutions politiques ne varie pas non plus selon la structure plus ou moins décentralisée d’un pays. Elle est par exemple fort basse en Espagne qui s’est organisée pourtant sur un modèle de quasi-fédéralisme en <a href="https://www.europeansocialsurvey.org/findings/topline.html">confiant</a> les politiques publiques les plus importantes sur le plan domestique aux communautés autonomes.</p>
<h2>La reconnaissance sociale du mérite</h2>
<p>En fait, une analyse comparative approfondie met au jour un phénomène commun à des pays aussi différents que l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni. La confiance politique ne naît et ne dépend pas du fonctionnement du système démocratique mais bien de la cohésion sociale et de la reconnaissance du mérite qui servent de socle aux idéaux démocratiques.</p>
<p>Il existe une corrélation très forte entre ces deux dimensions et ce n’est pas un hasard si la démocratie est très majoritairement considérée comme étant en bonne santé <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100078680">dans les pays d’Europe du Nord</a> où l’on retrouve également un niveau bien plus bas de conflits sociaux dans le milieu du travail comme une mobilité sociale plus grande qu’en France. Selon les <a href="https://www.strategie.gouv.fr/point-de-vue/mobilite-sociale-france-sait-vraiment">analyses de l’OCDE</a>, l’inertie sociale d’une génération à l’autre est bien plus basse au Danemark (12 %) ou en Suède (26 %) qu’en France (53 %).</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/presidentielle-2022-le-macronisme-a-la-recherche-de-la-meritocratie-perdue-158853">Présidentielle 2022 : le macronisme à la recherche de la méritocratie perdue</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Cependant, au-delà des questions de mobilité sociale se pose une question d’ordre moral. C’est bien le <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100861310">sentiment de ne pas voir son mérite reconnu</a> qui constitue le ressort le plus puissant de la défiance politique, quels que soient sa catégorie socioprofessionnelle, son niveau de diplôme, son âge, ses revenus. La France reste le pays où le sentiment d’injustice sociale voire de mépris ont les effets politiques les plus dévastateurs puisqu’il remet en cause non pas seulement les politiques publiques mais l’évaluation qui peut en être faite. Cette absence de reconnaissance sociale touche même les catégories supérieures (le quart des professions supérieures considèrent ainsi que la société les traite avec mépris), venant rendre les idéaux égalitaires républicains bien illusoires.</p>
<p>On entre ici de plain-pied dans ce que l’on appelle aujourd’hui le malaise démocratique qui repose finalement sur l’idée d’un mensonge institutionnel, voire d’un mensonge d’État, sur la réalité de la méritocratie. Certes, le sujet est loin d’être nouveau en matière d’éducation. Mais la question déborde aujourd’hui largement cet horizon, où l’on conteste les critères de l’excellence ou de la performance, pour englober l’ensemble du statut social miné par la dévalorisation des diplômes, par l’existence de marchés professionnels fortement corporatisés et hiérarchisés en fonction des trajectoires scolaires et des ressources sociales (en témoignent les <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-03459716/document">trajectoires fort contrastées des énarques</a>), par l’illégitimité qui touche un succès social dès lors qu’il ne se justifie que par le travail.</p>
<p>Une autre lecture de l’élection présidentielle de 2022 est donc d’y voir une lutte autour de la question méritocratique, développée sur le terrain libéral par le macronisme au nom d’une plus grande ouverture des vies professionnelles, réclamée également par les gauches recherchant un point d’équilibre entre l’égalité et l’équité, sans doute présente aussi dans les droites radicales qui se sont engouffrées sur le terrain du pouvoir d’achat mais aussi de l’invisibilité sociale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183281/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une autre lecture de l’année électorale montre que le malaise démocratique repose aussi sur l’idée d’un mensonge institutionnel.Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1830672022-05-18T18:21:30Z2022-05-18T18:21:30ZÉlection présidentielle aux Philippines : le triomphe du népotisme dynastique<p>L’élection présidentielle qui vient de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/10/aux-philippines-ferdinand-marcos-junior-le-fils-de-l-ex-dictateur-en-passe-d-etre-elu-president-de-la-republique_6125399_3210.html">se dérouler le 9 mai aux Philippines</a> a permis au pays de battre le record du monde du népotisme dynastique de nature oligarchique pour une démocratie.</p>
<p>Les Philippines sont en effet considérées comme une « démocratie imparfaite » dans le <a href="https://www.eiu.com/n/campaigns/democracy-index-2021/">classement annuel bien connu</a> de l’Economist Intelligence Unit, qui leur donne un score de 6,62 sur un maximum de 10 et une 54<sup>e</sup> place (juste derrière l’Indonésie avec 6,71, au 52<sup>e</sup> rang) et un « régime partiellement libre » par le non moins réputé <a href="https://freedomhouse.org/reports">rapport annuel de Freedom House</a>, avec un score de 55 sur un maximum de 100 (contre 59 pour l’Indonésie).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1524711784476999680"}"></div></p>
<p>Ce népotisme dynastique est un mal très répandu dans le monde et tout particulièrement en Asie où il sévit d’ouest en est, des quatre pays du sous-continent indien aux deux frères ennemis de la péninsule coréenne, en passant par la plupart des nations du Sud-Est asiatique.</p>
<h2>Un népotisme caractéristique des États asiatiques…</h2>
<p>Il y a évidemment des différences de degré d’un pays à l’autre, mais le phénomène est bien omniprésent dans toute l'Asie :</p>
<ul>
<li><p>Pakistan (familles <a href="https://www.ledevoir.com/monde/170101/pakistan-la-famille-bhutto-une-dynastie-marquee-par-la-tragedie">Bhutto</a> et <a href="https://www.france24.com/fr/20170801-pakistan-dynastie-nawaz-sharif-frere-shahbaz-armee-pouvoir-bhutto">Sharif</a>) ;</p></li>
<li><p>Inde (famille <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/03/19/les-nehru-gandhi-une-dynastie-a-bout-de-souffle_6073664_4500055.html">Nehru-Gandhi</a>) ;</p></li>
<li><p>Bangladesh (familles <a href="https://www.lepoint.fr/monde/un-des-meurtriers-du-pere-fondateur-du-bangladesh-a-ete-pendu-12-04-2020-2371058_24.php">Mujibur Rahman</a> et <a href="https://www.britannica.com/biography/Ziaur-Rahman">Ziaur Rahman</a>) ;</p></li>
<li><p>Sri Lanka (familles <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/sirimavo-bandaranaike/">Bandaranaike</a> et <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220511-splendeur-et-chute-d-une-dynastie-politique-dans-un-sri-lanka-%C3%A0-genoux">Rajapaksa</a>) ;</p></li>
<li><p>Birmanie (famille <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/aung-san/">Aung San</a>) ;</p></li>
<li><p>Thaïlande (famille <a href="https://www.courrierinternational.com/article/en-thailande-le-clan-thaksin-de-retour-sur-lechiquier-politique">Thaksin</a>) ;</p></li>
<li><p>Cambodge (famille <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Au-Cambodge-dynastie-Hun-Sen-simpose-2021-12-29-1201192329">Hun</a>) ;</p></li>
<li><p>Singapour (famille <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/13/une-querelle-de-famille-affaiblit-le-premier-ministre-singapourien_5509874_3210.html">Lee</a>) ;</p></li>
<li><p>Indonésie (familles <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/sukarno/">Sukarno</a> et <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/2015/08/12/indonesie-la-famille-suharto-devra-rembourser-324-millions-de-dollars-278011.html">Suharto</a>) ;</p></li>
<li><p>Taiwan (famille <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Jiang_Jieshi/125933">Chiang</a>) ;</p></li>
<li><p>Corée du Sud (famille <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/park/">Park</a>) ;</p></li>
<li><p>Corée du Nord (l’inamovible et ubuesque dynastie des <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/infographie-coree-du-nord-l-incroyable-famille-kim_1951506.html">Kim</a>, qui constitue le record du monde absolu en matière de népotisme dynastique).</p></li>
</ul>
<h2>… auquel n’échappent pas les Philippines</h2>
<p>Depuis <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1946/07/05/l-independance-des-philippines_1880209_1819218.html">leur indépendance en 1946</a> et jusqu’à ce jour, les Philippines se sont toujours distinguées en la matière. C’est notamment le cas pour ce qui est de la fonction présidentielle. Il y a déjà eu deux cas dans l’histoire récente où un « fils ou fille de » a succédé à la tête du pays à son père ou à sa mère.</p>
<p>Le premier est celui de <a href="https://www.britannica.com/biography/Gloria-Macapagal-Arroyo">Gloria Macapagal</a>, qui a dirigé le pays de 2001 à 2010 dans un parfum de corruption effrénée, dans la continuité de son père <a href="https://www.britannica.com/biography/Diosdado-Macapagal">Diosdado Macapagal</a> qui a gouverné à partir de 1961 jusqu’en 1965, année où il a été battu dans les urnes par <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-61379915">Ferdinand Marcos</a>, qui allait imposer une dictature violente et vénale pour plus de vingt ans.</p>
<p>Le deuxième est celui de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/24/l-ex-president-des-philippines-benigno-aquino-est-mort_6085481_3210.html">Begnino Aquino III</a> qui a été président de 2010 à 2016, deux décennies après sa mère <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2010-1-page-185.htm">Cory Aquino</a> qui avait elle-même occupé ce poste entre 1986 et 1992. Les deux familles font partie de cette <a href="https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_1997_num_28_3_2874">oligarchie politique et foncière</a> qui domine le pays depuis toujours et lui a donné la plupart de ses premiers présidents, de <a href="https://www.britannica.com/biography/Manuel-Quezon">Manuel Quezon</a> (1935-1944) à <a href="https://www.britannica.com/biography/Manuel-Roxas-y-Acuna">Manuel Roxas</a> (1946-1948) et <a href="https://www.britannica.com/biography/Ramon-Magsaysay">Ramon Magsasay</a> (1953-1957).</p>
<p>Mais cette fois, tous les précédents records sont battus.</p>
<p>Les Philippins viennent en effet d’élire triomphalement à la présidence <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/asie/philippines-quatre-choses-a-savoir-sur-ferdinand-bongbong-marcos-dont-la-victoire-a-la-presidentielle-inquiete-les-defenseurs-des-droits_5127274.html">Ferdinand Romualdez « Bonbong » Marcos</a>, fils de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/10/aux-philippines-le-retour-des-marcos-au-pouvoir_6125456_3210.html">Ferdinand Marcos</a> et de son insatiable épouse <a href="https://www.courrierinternational.com/article/philippines-imelda-marcos-veuve-du-dictateur-enfin-condamnee">Imelda</a>, qui ont régné par la loi martiale, la corruption et la violence, déclenchant la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/philippines-la-dictature-et-le-populisme-en-heritage-3255701">révolution du « People’s Power »</a> qui amènera <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2011-3-page-160.htm">Cory Aquino</a> au pouvoir en 1986.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/iAS7npevfwk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Philippines : Ferdinand Marcos Junior élu président, la renaissance d’un clan (France 24).</span></figcaption>
</figure>
<p>Par ailleurs, dans une élection séparée, – les Philippines n’ont pas adopté la méthode du « ticket présidentiel » de leur ancienne puissance coloniale étasunienne et l’élection à la présidence et à la vice-présidence ont lieu le même jour mais séparément –, ils ont choisi de confier la vice-présidence à <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Philippines-Sara-Duterte-fille-Rodrigo-Duterte-elue-vice-presidente-2022-05-10-1201214439">Sara Duterte</a>.</p>
<p>Elle est la fille du président sortant <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/philippines-duterte-defend-son-bilan-dans-son-dernier-discours-sur-letat-de-la-nation-1334719">Rodrigo Duterte</a>, élu en 2016 et arrivé au terme de l’unique mandat de six ans autorisés par la Constitution. Ce tribun national-populiste, <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20160510.OBS0134/10-sorties-du-president-philippin-duterte-qui-font-de-trump-un-enfant-de-ch-ur.html">violent et vulgaire</a>, mais toujours très populaire, a fait régner <a href="https://www.france24.com/fr/20170202-philippines-rodrigo-duterte-portrait-president-philippin-drogues-obama-hitler-insultes">l’ordre par la terreur</a> dans l’archipel. Sara lui avait d’ailleurs déjà succédé en 2016 comme <a href="https://www.reuters.com/article/philippines-election-idFRKBN2HU11T">maire de Davao</a>, la grande ville de l’île sud de Mindanao, le fief sur lequel il avait régné pendant près de 25 ans et où il avait « rétabli l’ordre » par les méthodes violentes qu’il privilégie. Beaucoup trouveront certainement navrants l’amnésie, l’aveuglement et le goût obstiné et masochiste des Philippins pour ce genre de personnages…</p>
<h2>La politique des Philippines, fondée sur les dynasties</h2>
<p>En élargissant la réflexion au-delà des élections présidentielles, on s’aperçoit que ce modèle dynastique façonne en profondeur toute la vie politique d’un pays que les élites oligarchiques ont toujours dominé. Dans une démocratie comme les Philippines où les élections sont affaire d’argent, de clientélisme et de désinformation, les partis politiques sont très faibles et au service des représentants de ces riches familles dynastiques.</p>
<p>D’après <a href="https://information.tv5monde.com/info/aux-philippines-le-fils-du-dictateur-ferdinand-marcos-elu-la-tete-du-pays-455939">Julio Teehankee</a>, professeur à l’Université de La Salle à Manille, quelque 320 familles dynastiques se seraient consolidées dans le pays depuis 1898, quand les États-Unis ont supplanté l’Espagne comme puissance coloniale, et en 2009, les membres de 234 d’entre elles détiendraient toujours des fonctions électives !</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1524995393955713024"}"></div></p>
<p>Et selon lui, leur mainmise sur la politique nationale ne fait que s’aggraver. Ainsi, 80 % des gouverneurs de province appartiennent à ces riches dynasties, et elles contrôleraient actuellement 67 % des sièges à la Chambre des représentants et 53 % des postes de maires, contre respectivement 57 %, 48 % et 40 % en 2004. Leur stratégie est basée sur le contrôle héréditaire de fiefs régionaux, provinciaux et municipaux.</p>
<h2>Le maintien des clans Marcos et Duterte</h2>
<p>Le clan Marcos a été particulièrement efficace dans ce domaine. Depuis le <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1991/10/19/philippines-mme-imelda-marcos-annonce-son-retour-a-manille-pour-le-4-novembre_4036393_1819218.html">retour d’exil de leur mère Imelda en 1991</a>, après la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/10/03/la-mort-de-l-ancien-president-marcos-le-grand-manipulateur_4128055_1819218.html">mort de son mari Ferdinand</a> en 1989 à Honolulu, leur fils « Bonbong » et leur fille Imee se sont « refilé » entre eux, puis avec leur propres fils et filles ou neveux et nièces, les postes de gouverneurs, de sénateurs et de députés de la province d’Ilocos Nord.</p>
<p>Ainsi, après avoir déjà été une première fois gouverneur de la province de 1983 à 1986, avant la chute de son père, « Bonbong », l’est redevenu de 1998 à 2007, puis il a transmis la sinécure à sa sœur Imee de 2010 à 2019 pour occuper des sièges de député de 2007 à 2010 puis de sénateur de 2010 à 2016, année où il a vainement essayé de se faire élire vice-président de Rodrigo Duterte, le candidat qu’il avait soutenu pour la présidence.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1143531895172423680"}"></div></p>
<p>Actuellement, c’est le fils d’Imee, <a href="https://laoagcity.gov.ph/governance/citymayor.html">Michael Keon Marcos</a>, qui est gouverneur, alors qu’elle-même occupe l’un des deux postes de sénateur de la province et que le fils de « Bonbong » est candidat à la députation. La famille Duterte, établie de plus fraîche date, moins riche et plus éloignée de Manille, n’est toutefois pas en reste. Le président sortant le reconnaît d’ailleurs ouvertement quand il dit être fier de son bilan en déclarant :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai une fille candidate à la vice-présidence, un fils membre du Parlement et un autre maire de Davao, je suis comblé. »</p>
</blockquote>
<h2>Quel avenir pour le népotisme aux Philippines ?</h2>
<p>On le voit, toute la politique philippine est une affaire de dynastie, la conquête du pouvoir et sa conservation étant basées sur le système de relève népotique au sein des principales familles oligarchiques du pays.</p>
<p>Il faudrait bien sûr légiférer pour mettre fin à cette mise en coupe réglée de la démocratie et <a href="https://www.ifes.org/philippines">réformer le système électoral du pays</a>, mais il est impensable qu’un Parlement peuplé par des représentants des dynasties politiques adopte des mesures qui entraveraient leur pouvoir. Comme le dit avec humour le même professeur Teehankee cité précédemment : « C’est comme demander à Dracula de garder la banque du sang ! »</p>
<p>Certes, le népotisme dynastique n’est pas l’apanage de l’Asie et on le retrouve sous diverses formes ailleurs dans le monde. Nos démocraties ne sont pas exemptes de ce genre de maux comme le prouve notamment le cas des familles Kennedy, Bush et Clinton aux États-Unis. Cela mériterait toutefois une analyse plus large et approfondie qui dépasse l’objectif restreint de cet article sur les Philippines.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183067/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Luc Maurer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le retour du clan Marcos au pouvoir, le 9 mai dernier, rappelle l’emprise du népotisme aux Philippines.Jean-Luc Maurer, Professeur honoraire en études du développement, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1790322022-03-10T20:34:04Z2022-03-10T20:34:04ZLes oligarques russes ne sont pas près de renverser Poutine<p>En quête de moyens pour arrêter et punir Vladimir Poutine – ainsi que ceux qui l’ont soutenu et ont profité de son règne – après l’<a href="https://theconversation.com/ukraine-que-veut-vraiment-vladimir-poutine-178589">invasion de l’Ukraine</a>, le président américain Joe Biden et d’autres dirigeants mondiaux <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220303-la-france-saisit-le-yacht-d-igor-setchine-un-oligarque-proche-de-vladimir-poutine">lorgnent du côté des oligarques russes</a>.</p>
<p>Dans son <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2022/03/01/remarks-of-president-joe-biden-state-of-the-union-address-as-delivered/">discours sur l’état de l’Union</a>, Joe Biden les a pointés du doigt, promettant de « saisir (leurs) yachts, appartements de luxe, jets privés ». « Nous venons chercher vos biens mal acquis », a-t-il déclaré.</p>
<p>Au Royaume-Uni, ce sont en tout onze Russes richissimes qui ont été ou seront personnellement <a href="https://www.liberation.fr/international/le-royaume-uni-se-lance-a-reculons-dans-la-chasse-aux-oligarques-russes-20220306_HCHBLW52XRCSVD6QXRSIDDH2Q4/">sanctionnés</a>.</p>
<p><a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/0895330053147994">Qui sont ces oligarques</a>, quelle est leur relation avec Poutine ? Et, plus important encore, s’attaquer à leurs richesses peut-il aider à mettre fin à la guerre en Ukraine ?</p>
<h2>Une caste apparue en deux temps</h2>
<p>En tant que <a href="https://scholar.google.com/citations?user=8zj284UAAAAJ&hl=en&oi=ao">chercheur</a> spécialiste des marchés émergents, de la stratégie d’entreprise et de l’économie politique post-soviétique, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0010414016688000?journalCode=cpsa">j’ai étudié les oligarques de près</a>.</p>
<p>Ils constituent une élite commerciale ultra-riche, détentrice d’un pouvoir politique disproportionné. Cette caste est apparue en deux temps.</p>
<p>La première vague d’oligarques est née des <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780203563342/piratization-russia-marshall-goldman">privatisations des années 1990</a>, en particulier des ventes au comptant des plus grandes entreprises russes d’État, après 1995. Le tout dans un contexte de corruption de grande ampleur. On se souvient par exemple de la tristement célèbre opération <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.2747/1060-586X.26.3.207">« prêts contre actions »</a>, qui a permis à des magnats choisis par le pouvoir de prendre des participations dans douze grandes entreprises d’État, en échange de prêts destinés à consolider le budget fédéral.</p>
<p>Le gouvernement a délibérément fait défaut sur ces prêts, permettant à ses créanciers – les futurs oligarques – d’acheter au rabais les participations dans de grandes sociétés telles que Ioukos, Lukoil et Norilsk Nickel.</p>
<p>L’administration de Boris Eltsine, alors président, a ainsi enrichi un petit groupe de magnats en vendant les joyaux les plus précieux de l’économie soviétique, avec une forte décote.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/04/face-a-l-occident-vingt-ans-d-auto-radicalisation-de-poutine_6116193_3210.html">L’accession au pouvoir de Poutine en 2000</a> a permis l’émergence de la deuxième vague d’oligarques par le biais de <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3003409">contrats d’État</a>. Les fournisseurs privés dans de nombreux domaines tels que les infrastructures, la défense et les soins de santé surfacturaient leurs services au gouvernement, offrant au passage des pots-de-vin aux fonctionnaires impliqués.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/450968/original/file-20220309-20-1kht8ql.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/450968/original/file-20220309-20-1kht8ql.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/450968/original/file-20220309-20-1kht8ql.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/450968/original/file-20220309-20-1kht8ql.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/450968/original/file-20220309-20-1kht8ql.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/450968/original/file-20220309-20-1kht8ql.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/450968/original/file-20220309-20-1kht8ql.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dans la nuit du 2 au 3 mars, les autorités françaises ont saisi le Amore Vero, le yacht d’Igor Setchine, dans le port de La Ciotat.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bishr Eltoni/AFP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Poutine a ainsi enrichi une nouvelle légion d’oligarques qui lui doivent aujourd’hui leurs énormes fortunes.</p>
<h2>Les oligarques perdent leur pouvoir politique mais conservent leurs richesses</h2>
<p>Dans les années 1990, ceux-ci exerçaient une grande influence au Kremlin et pouvaient même parfois <a href="https://demokratizatsiya.pub/archives/07-3_Graham.pdf">dicter la politique russe</a>. Sous Eltsine, de nombreux oligarques ont occupé des postes au sein du gouvernement. <a href="https://www.publicaffairsbooks.com/titles/david-e-hoffman/the-oligarchs/9781610391115/">Les anecdotes abondent</a> sur les coffres remplis d’argent liquide transportés au Kremlin en échange de faveurs politiques.</p>
<p>Mais depuis que Poutine est aux affaires, c’est lui qui mène la barque. L’ancien officier du KGB a proposé un <a href="https://eprints.bbk.ac.uk/id/eprint/90/1/">accord</a> aux oligarques : ils se tiennent éloignés de la politique, et en échange le Kremlin ne s’occupe pas de leurs affaires et ferme les yeux sur leurs profits, souvent acquis illégalement.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/i3DSM6_a47w?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Qui sont les oligarques de Poutine, Le Point, 8 mars 2022.</span></figcaption>
</figure>
<p>La déception populaire à l’égard des privatisations des années 1990 a par ailleurs facilité cette reprise en main dans les années 2000. Le Kremlin de Poutine a exercé des pressions politiques sur les oligarques dans des secteurs stratégiques tels que les médias et les ressources naturelles, afin qu’ils revendent des participations majoritaires à l’État.</p>
<p>Poutine a également adopté des lois qui accordent un traitement préférentiel aux prétendues <a href="https://www.wilsoncenter.org/publication/the-role-state-corporations-the-russian-economy">entreprises publiques</a>. Ces mesures ont permis au Kremlin de renforcer son contrôle sur l’économie et sur les oligarques.</p>
<h2>Les trois nuances de l’oligarchie</h2>
<p>Aujourd’hui, <a href="https://direct.mit.edu/daed/article/146/2/101/27155/The-Atlas-That-has-Not-Shrugged-Why-Russia-s">trois types d’oligarques</a> se distinguent par leur proximité avec le pouvoir.</p>
<p>Tout d’abord, les amis de Poutine, qui sont personnellement liés au président. De nombreux proches du président russe – en particulier <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/03/06/poutine-et-la-bande-de-saint-petersbourg_5266142_3210.html">ceux de Saint-Pétersbourg</a> où Poutine est né et a grandi, ainsi que ceux du KGB – <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/10/03/pandora-papers-dans-l-entourage-de-vladimir-poutine-des-fortunes-bien-dissimulees_6096963_4355770.html">se sont considérablement enrichis</a>.</p>
<p>Parmi les oligarques que Poutine a connus à Saint-Pétersbourg figurent <a href="https://www.lopinion.fr/international/la-banque-de-iouri-kovaltchouk-boudee-par-visa-et-mastercard">Iouri Kovaltchouk</a>, souvent appelé le « banquier personnel » de Poutine, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/160616/l-oligarque-timtchenko-prospere-en-russie-et-etend-ses-reseaux-en-france">Guennadi Timtchenko</a>, fondateur de la société de commerce d’énergie Gunvor, et les frères <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20210202-arkadi-rotenberg-loyal-oligarque-et-heureux-propri%C3%A9taire-du-palais-de-poutine">Arkadi</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/02/21/les-tres-discretes-proprietes-d-un-proche-de-poutine-sur-la-cote-d-azur_5260174_3224.html">Boris Rotenberg</a>, qui possèdent des actifs dans la construction, l’électricité et le pétrole. Toutes ces personnes sont visées par les sanctions occidentales.</p>
<p>Le deuxième groupe comprend les dirigeants des services de sécurité, de la police et de l’armée russes – connus sous le nom de <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/10/10/-siloviki-les-hommes-forts-de-poutine_1756825/">« siloviki »</a>.</p>
<p>Ils ont également tiré parti de leurs réseaux pour amasser des fortunes. Certains de ces « silovarques » sont d’anciens officiers de renseignement du KGB, et actuellement du FSB (Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie).</p>
<p>Ces hommes observaient jalousement le pouvoir et la richesse des oligarques de l’ère Eltsine et les ont obtenus sous Poutine. Le leader informel des siloviki est <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/energie/qui-est-igor-setchine-l-homme-qui-murmure-a-l-oreille-de-poutine_499674">Igor Setchine</a>, président du géant pétrolier Rosneft, souvent désigné comme la personne la plus puissante de Russie après Poutine.</p>
<p>Enfin, la plupart des oligarques russes n’ont pas de liens personnels avec Poutine, l’armée ou le FSB. En effet, certains d’entre eux sont ceux des années 1990. Si Poutine a écrasé les oligarques politiquement gênants ou récalcitrants après son arrivée au pouvoir, il n’a pas cherché à « éliminer systématiquement les oligarques en tant que classe », comme il l’avait promis lors de sa première campagne électorale.</p>
<p>Des hommes tels que Vladimir Potanine et Oleg Deripaska, qui ont fait fortune dans les années 1990, figurent ainsi dans la listes des Russes les plus riches aujourd’hui.</p>
<h2>Complices de Poutine</h2>
<p>Il ne faut pas s’y tromper : quelle que soit la catégorie dont ils relèvent, ces oligarques ont aidé Poutine à rester au pouvoir, par leur docilité politique et leur soutien économique aux initiatives du Kremlin.</p>
<p>En outre, mes recherches montrent que les oligarques ont parfois utilisé leur richesse pour influencer les politiciens d’autres pays.</p>
<p>Ainsi, en 2014, la banque russe FCRB a <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/dossier-largent-russe-du-front-national">prêté 9,4 millions d’euros</a> au parti d’extrême droite de Marine Le Pen, qui s’appelait encore à l’époque le Front national, créant ainsi une dette politique de cette formation envers la Russie.</p>
<p>En 2016, Lukoil, la deuxième plus grande compagnie pétrolière russe, a payé une amende gouvernementale de 1,4 million de dollars pour Martin Nejedly, un conseiller clé du président tchèque, lui permettant de conserver son poste influent. Cela a contribué à faire du président Milos Zeman « <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/milos-zeman-un-president-tcheque-provocateur-pro-russe-et-pro-chinois_2160251.html">l’un des plus ardents sympathisants du Kremlin parmi les dirigeants européens</a>. »</p>
<p>Certains oligarques semblent lancer de leur propre initiative des transactions géopolitiques d’envergure pour s’attirer les bonnes grâces du Kremlin. S’il est difficile d’établir des liens de causalité directs entre ce que j’appelle le « volontariat géopolitique » des oligarques et les politiques pro-Kremlin de leurs bénéficiaires, il existe des preuves empiriques solides montrant que le financement des oligarques facilite l’adoption de positions pro-Poutine hors Russie.</p>
<p>En outre, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3904520">mes recherches</a> suggèrent que l’utilisation d’intermédiaires qui se proclament apolitiques, comme les sociétés privées, constitue une stratégie clé permettant à des États tels que la Russie de masquer leurs tentatives d’influence politique.</p>
<h2>Otages de Poutine</h2>
<p>Cela nous amène à la question qui préoccupe la plupart d’entre nous : les <a href="https://www.businessinsider.com/russian-billionaires-lost-more-than-80-billion-combined-wealth-2022-3?r=US&IR=T">lourdes sanctions contre les oligarques</a> pourraient-elles les inciter à abandonner Poutine ou à infléchir le cours de la guerre ?</p>
<p>Certains oligarques s’expriment déjà contre cette invasion. Citons le président d’Alfa Group, <a href="https://www.lalibre.be/economie/conjoncture/2022/02/28/le-milliardaire-russe-mikhail-fridman-a-denonce-la-guerre-en-ukraine-PXF6Y2ESTNFJBHFXXSTU2U7SOQ/">Mikhail Fridman</a>, et le magnat des métaux, <a href="https://www.lepoint.fr/economie/l-oligarque-russe-qui-dit-non-a-poutine-03-03-2022-2466878_28.php">Oleg Deripaska</a>, qui ont tous deux été sanctionnés par l’Occident. Lukoil a également appelé à la fin de la guerre. Bien que cette entreprise ne soit pas actuellement soumise à des sanctions directes, les négociants en pétrole évitent déjà ses produits par anticipation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1500857707854798854"}"></div></p>
<p>Je pense que nous verrons les oligarques s’opposer de plus en plus vivement à la guerre. À tout le moins, leur volonté de faire le sale boulot du Kremlin en essayant d’influencer les politiques occidentaux devrait considérablement diminuer.</p>
<p>Mais il y a deux limites déterminantes à leur capacité d’influence sur Poutine.</p>
<p>D’une part, les oligarques ne coopèrent pas entre eux et agissent en ordre dispersé. Au sein du <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3003422">« capitalisme piranha »</a> qui prévaut en Russie, ces milliardaires se trouvent en rivalité pour obtenir les largesses du gouvernement. Dans cette optique, c’est leur survie individuelle face au Kremlin qui a toujours été le moteur de leur action. Or il s’agirait aujourd’hui de défendre leurs intérêts communs – la levée des sanctions. Le Kremlin a de son côté promis un soutien de l’État aux entreprises sanctionnées, notamment dans le secteur bancaire.</p>
<p>Plus important encore, c’est le pouvoir des armes, et non celui de l’argent, qui domine au Kremlin aujourd’hui. Tant que Poutine gardera le contrôle sur les siloviki – les officiers de l’armée et des services de renseignement, actuels et anciens, proches de Poutine – les autres oligarques resteront, à mon avis, les otages de son régime.</p>
<p>Les généraux sont plus susceptibles d’influencer Poutine que les oligarques. Et un effondrement économique du pays pourrait être encore plus convaincant…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stanislav Markus ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les oligarques tiennent un rôle central au sein du système politico-économique de la Russie. Décryptage de leur relation complexe avec Poutine.Stanislav Markus, Associate Professor of International Business, University of South CarolinaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1701462021-10-27T11:19:53Z2021-10-27T11:19:53Z« Gilets jaunes » : quelle démocratie veulent-ils ?<p>Le mouvement des « gilets jaunes » a décontenancé tous les commentateurs politiques, experts comme universitaires. Rarement ces dernières années un mouvement aura-t-il suscité autant de débats sur le profil de ses partisans, leurs revendications et attentes.</p>
<p>La question des préférences démocratiques des gilets jaunes a donné lieu à des interprétations très contrastées. Beaucoup se sont appuyés sur la centralité de la revendication du Référendum <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/12/07/qu-est-ce-que-le-referendum-d-initiative-citoyenne-demande-par-des-gilets-jaunes_5394287_4355770.html">d’Initiative Citoyenne</a> et le fort rejet des élites pour lire une volonté de démocratie directe permanente, qui remplacerait les formes conventionnelles de <a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2019-2-page-95.htm">représentation politique</a>.</p>
<p>Certains ont plutôt vu dans l’organisation horizontale du mouvement et ses assemblées citoyennes les germes d’une vision <a href="https://mouvements.info/relocalisation-politique-protestataire/">« municipaliste libertaire »</a> et citoyenne de la politique basée sur le local et l’autonomie.</p>
<p>D’autres ont préféré dépasser ces lectures opposées, en montrant que malgré leur critique sévère des élus et des organisations politiques, les gilets jaunes ne demandent pas vraiment l’abolition de la représentation politique traditionnelle, mais plutôt sa <a href="https://www.cairn.info/revue-participations-2020-3-page-221.htm">refondation autour de trois principes</a> : le contrôle des représentants, l’écoute des revendications des citoyens et la proximité géographique et statutaire des élus.</p>
<h2>Davantage de contrôle des élus par les citoyens</h2>
<p>Prolongeant ces analyses, nous avons choisi de mobiliser plusieurs sources de données pour bien appréhender toutes les facettes du rapport à la démocratie des gilets jaunes. Nous nous sommes d’abord appuyés sur deux enquêtes quantitatives par Internet, l’une réalisée auprès d’un échantillon de 1 910 gilets jaunes contactés par le biais des principaux <a href="http://www.enquetegiletsjaunes.fr/">groupes Facebook du mouvement</a>, l’autre permettant la comparaison avec un <a href="https://www.pacte-grenoble.fr/programmes/popeuropa">échantillon national représentatif de 1 313 Français.es</a>.</p>
<p>Les deux enquêtes demandaient aux participants s’ils seraient prêts à soutenir le référendum révocatoire, le référendum législatif, le tirage au sort, les consultations citoyennes, les propositions d’initiative citoyenne et le municipalisme (Figure 1).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427053/original/file-20211018-167373-psomz2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 1. Question fermée posée dans l’enquête en ligne.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les trois premières innovations relèvent de la démocratie directe puisqu’elles impliquent une <a href="https://www.decitre.fr/livres/ric-le-referendum-d-initiative-citoyenne-explique-a-tous-9782364051874.html">prise de décision des citoyens à laquelle les élus doivent se conformer</a>. Les trois dernières répondent davantage à un modèle de démocratie participative au sens où les citoyens font des propositions aux élus qui conservent le pouvoir législatif.</p>
<p>D’abord, aucune des six innovations proposées n’est soutenue par une majorité de Français ou de gilets jaunes (Figure 2) ; ce qui traduit une profonde défiance vis-à-vis des institutions démocratiques qui se vérifie dans <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/fr/content/le-barometre-de-la-confiance-politique.html">d’autres enquêtes</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=436&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427054/original/file-20211018-21-j2kr68.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=548&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 2. Soutien aux innovations démocratiques (%).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ensuite, les gilets jaunes ont davantage tendance à soutenir les innovations démocratiques qui facilitent le contrôle des élus et la décision directe des citoyens. Près de la moitié d’entre eux choisit ainsi le référendum révocatoire et le référendum législatif, contre 36 % pour les Français. À l’inverse, ils sont moins enclins à opter pour des réformes de type démocratie participative, qu’elles soient plus exigeantes en termes de ressources mobilisées par les citoyens, comme les propositions de loi portées par la société civile (9 %) ; ou qu’elles nécessitent la collaboration avec les élus, comme les consultations citoyennes (15 %).</p>
<p>La sociologie globale du mouvement éclaire ce résultat. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/01/26/qui-sont-vraiment-les-gilets-jaunes-les-resultats-d-une-etude-sociologique_5414831_3232.html">Comme nous l’avons indiqué ailleurs</a>, les gilets jaunes constituent une population de travailleurs précaires, à distance des institutions politiques et des partis, et donc peu à même d’assumer les coûts d’une démocratie participative ou délibérative.</p>
<p>Des modélisations statistiques plus élaborées montrent d’ailleurs peu de différences en fonction du sexe, de l’âge, du lieu de résidence ou du nombre de manifestations auxquelles les répondants ont pris part.</p>
<p>Les gilets jaunes sont donc nettement plus favorables que le reste de la population française au référendum – pratique démocratique reposant sur le plébiscite populaire. Des analyses complémentaires indiquent qu’ils le sont encore plus quand ils ont voté Le Pen, Dupont-Aignan ou Cheminade en 2017.</p>
<h2>Des aspirations démocratiques plurielles</h2>
<p>Le soutien à première vue assez homogène aux mécanismes de contrôle citoyen masque toutefois la cohabitation de différentes aspirations démocratiques. On peut mieux en prendre la mesure en analysant la manière dont les gilets jaunes mettent en mots leur rapport aux institutions et aux représentants politiques.</p>
<p>Pour cela, nous avons d’abord procédé à <a href="http://www.iramuteq.org/">l’analyse textuelle</a> d’une question ouverte de l’enquête en ligne qui proposait aux gilets jaunes de restituer, avec leurs mots, leurs perceptions du mouvement (Figure 3). Ce premier travail a ensuite été complété par l’analyse et le codage d’une trentaine d’entretiens approfondis réalisés, au printemps 2019, avec des gilets jaunes aux profils variés sur leurs conceptions du système politique.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=221&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=277&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=277&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/427353/original/file-20211019-18921-1b9zyi8.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=277&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 3. Question ouverte posée dans l’enquête en ligne.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces analyses font apparaître deux grands types de discours. Le premier est centré sur les difficultés sociales auxquelles les gilets jaunes sont confrontés dans leur vie quotidienne, et dont les <a href="https://blogs.lse.ac.uk/europpblog/2019/11/19/the-yellow-vests-an-economic-populism-that-is-neither-left-nor-right-wing/">représentants politiques sont tenus pour responsables</a>.</p>
<p>Les querelles partisanes, rejetées comme autant de conflits mesquins détournant le personnel politique des intérêts réels d’un « peuple qui souffre », sont fustigées. Les élus, en particulier Emmanuel Macron qui cristallise et personnalise un grand nombre de critiques, sont vus comme des élites aux privilèges financiers exorbitants, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/2041905819838152">coupées des réalités</a>.</p>
<p>Comme le souligne Thierry (45 ans, technicien aéronautique qui rejoint avec les gilets jaunes son premier mouvement) :</p>
<blockquote>
<p>« depuis tout petit on vous éduque en vous disant que l’élu c’est une idole. Non, l’élu, faut revenir sur les fondamentaux, c’est un mec que tu paies quoi, c’est ton employé ».</p>
</blockquote>
<p>C’est en ce sens que la révocation est plébiscitée : elle traduit le désir que les élus soient traités comme des travailleurs au service du bien commun. Ce premier discours est plutôt porté par des gilets jaunes financièrement fragiles, peu diplômés, éloignés de l’univers politique et du vote, et qui font pour la première fois l’expérience d’un mouvement social.</p>
<p>Le second grand discours fait plus directement référence à la démocratie, la citoyenneté retrouvée et des principes républicains comme la solidarité, la fraternité ou la justice sociale. Il prend surtout la forme d’un plaidoyer pour une participation plus directe des citoyens. Le RIC est ainsi valorisé et avec lui, tous les outils institutionnels permettant d’inclure davantage de citoyens à la décision politique et d’écouter toutes les sensibilités politiques.</p>
<p>Particulièrement sensibles au manque de contre-pouvoirs de la V<sup>e</sup> République, les gilets jaunes qui articulent ce discours sont aussi sont très critiques des élus, mais ils concentrent leurs critiques sur la figure et la fonction présidentielle plutôt que sur la personne d’Emmanuel Macron. Nos analyses montrent qu’ils sont aussi plus diplômés, plus politisés – généralement dans des organisations de gauche – et plus fortement investis dans le mouvement.</p>
<h2>Deux faces d’un même appel à la souveraineté populaire</h2>
<p>Les deux types de discours sur la démocratie que nous avons identifiés renvoient à des clivages internes au mouvement des gilets jaunes, qui rassemble des militants dont les niveaux de politisation et les valeurs politiques sont différents. Mais elles font plus fondamentalement signe vers une même volonté de restaurer une démocratie dont tous se disent profondément insatisfaits, en remettant la souveraineté populaire au centre.</p>
<p>Tandis que certains gilets jaunes, animés par un <a href="https://brill.com/view/journals/popu/3/1/article-p1_1.xml">profond anti-élitisme</a>, veulent soumettre les élus à des contraintes plus fortes pour rétablir une forme de vertu collective, d’autres préfèrent être impliqués davantage dans la pratique des institutions. Les uns et les autres plaident donc pour que le peuple, agent de contrôle ou de régulation des décisions publiques, occupe une place plus importante dans l’édifice institutionnel français.</p>
<p>À l’heure où la <a href="https://www.ledauphine.com/politique/2021/10/15/gilets-jaunes-le-contexte-est-favorable-a-leur-retour">« saison 2 » du mouvement</a> connaît un début plutôt timide, ces résultats suggèrent que les gilets jaunes aspirent à jouer un rôle démocratique plus entier et moins ponctuel que dans l’isoloir ou dans la rue.</p>
<hr>
<p><em>Notre analyse s’inscrit dans le cadre du collectif ANR, <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-20-CE41-0010">« Les gilets jaunes : approches pluridisciplinaires des mobilisations et politisations populaires »</a>, piloté par <a href="https://durkheim.u-bordeaux.fr/Notre-equipe/Chercheur-e-s-et-enseignant-e-s-chercheur-e-s/CV/Magali-Della-Sudda">Magali Della Sudda</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/170146/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Représentants d’une France en colère, les « gilets jaunes » aspirent à refonder la démocratie par un meilleur contrôle des élus, davantage d’écoute et de participation des citoyens.Frédéric Gonthier, Professeur de science politique, Sciences Po GrenobleCamille Bedock, Chargée de recherche, CNRS, Université de BordeauxChloé Alexandre, Doctorante en science politique, Sciences Po GrenobleStéphanie Abrial, Ingénieure de recherche au CNRSTristan Guerra, Doctorant en science politique, Sciences Po GrenobleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1675512021-09-09T19:09:51Z2021-09-09T19:09:51Z« Les mots de la science » : M comme mérite<iframe src="https://embed.acast.com/5f63618a37b1a24c4ff25896/6139b5791a643a001226c898" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-580" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/580/79c5a87fdceb1b0efb535b241695d9bb89f1bb67/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Anthropocène, intersectionnalité, décroissance… Ce jargon vous dit quelque chose, bien sûr ! Mais parfois, nous utilisons ces mots sans bien savoir ce qu’ils veulent dire. Dans les Mots de la Science, on revient donc sur l’histoire et le sens de ces mots clés avec des chercheuses et chercheurs capables de nous éclairer.</p>
<p>L’épisode du jour est dédié à la notion de mérite, l’une des valeurs clés de la République française qui se dit « méritocratique ». Dans ce contexte, l’enjeu, pour la recherche, consiste à analyser l’écart entre le discours et la réalité, de mesurer les failles, ou encore de comprendre comment la rhétorique sur le mérite évolue au fil de l’histoire. C’est précisément le sens des travaux de la sociologue Annabelle Allouch, dont les recherches portent sur l’enseignement supérieur, les concours et les « classements scolaires ». Maîtresse de conférences de sociologie à l’université de Picardie Jules Verne, enseignante au sein de la classe préparatoire à l’agrégation de Sciences Po Lille, elle est l’autrice de l’ouvrage <em>La société des concours : l’empire des classements scolaires</em> (aux éditions du Seuil, 2017).</p>
<p>Elle publie en cette rentrée <em>Mérite</em> aux éditions Anamosa (septembre 2021). Ce court ouvrage destiné au grand public s’intéresse aux coulisses de la rhétorique méritocratique : comment se fabriquent les fictions individuelles et collectives autour du mérite et de la méritocratie au fil de l’histoire et pourquoi nous nous accrochons à ce mythe malgré les inégalités structurelles mises en évidence par la recherche, notamment à l’école. Dans cet épisode, Annabelle Allouch nous transmet ses clés d’analyse.</p>
<p>Vous y entendez également deux extraits : le premier issu des <em>Noces de Figaro</em>, comédie de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais datant de 1778 ; le second du titre <em>Banlieusards</em> du rappeur Kery James, sorti en 2008 sur l’album <em>À l’ombre du show business</em>.</p>
<p>Bonne écoute !</p>
<hr>
<p><em>Conception et réalisation, Iris Deroeux</em><br> <em>Production, Rayane Meguenni</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167551/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annabelle Allouch a reçu des financements de recherche du Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche et du Ministère de la Justice (Mission de recherche Droit/Justice). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Iris Deroeux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cet épisode s’aventure dans les coulisses du mythe méritocratique. On y apprend comment se fabriquent les fictions individuelles et collectives autour du mérite et pourquoi ce mythe persiste.Annabelle Allouch, Enseignante, Sciences Po LilleIris Deroeux, journaliste, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1604072021-05-06T18:23:32Z2021-05-06T18:23:32Z« Quelle démocratie ? » (1 / 3) : La démocratie française est-elle en crise ?<p><em>« In extenso », des podcasts en séries pour faire le tour d’un sujet.</em></p>
<hr>
<p>La démocratie, c’est littéralement le pouvoir exercé par le peuple. Elle ne se déploie évidemment pas de la même manière sous toutes les latitudes. Les États qui ont choisi ce régime, ou prétendent l’avoir choisi, l’appliquent chacun avec leur histoire, leurs institutions, leurs aspirations. Dans certains d’entre eux, la crise sanitaire a eu des impacts sur l’exercice de la démocratie.</p>
<p>The Conversation a choisi d’explorer cette notion à travers une série de podcasts réalisée avec l’Institut des hautes études pour la science et la technologie, et intitulée « Quelle démocratie ? ». On y parle de ses évolutions aux États-Unis, en France et en Chine. Les deux premiers États sont indéniablement des démocraties, même s’ils font régulièrement l’objet de critiques sévères. La Chine, elle, est un régime autoritaire qui, pourtant, se prétend démocratique. Comment la démocratie s’exerce-t-elle, se construit-elle, quels dangers la menacent ?</p>
<p>Dans ce premier épisode, « La démocratie française est-elle en crise ? », nous abordons les défis démocratiques auxquels notre pays est aujourd’hui confronté, de la défiance croissante envers les élites aux questionnements sur la représentativité des élus, en passant par la remise en cause du « système » comme on l’a vu avec les Gilets jaunes…</p>
<p>Pour discuter de tous ces sujets, nous accueillons Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences en philosophie à Sorbonne Université et président du Collège de philosophie.</p>
<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/6092b0e3f5fae948525592af?cover=true" frameborder="0" allow="autoplay" width="100%" height="110"></iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100/" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<hr>
<p><em>Conception, Françoise Marmouyet et Grégory Rayko. Production, Romain Pollet</em>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299040/original/file-20191028-113991-5w3olq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Ce podcast prolonge une intervention tenue dans le cadre du webinaire <a href="https://www.ihest.fr/ihest-mediatheque/la-democratie-francaise-a-lepreuve-des-crises/">« La démocratie française à l'épreuve des crises ? »</a> enregistré le 4 février 2021 dans le cadre du cycle de formation de l’Institut des hautes études pour la science et la technologie (<a href="https://www.ihest.fr/">IHEST</a>) « Les régimes démocratiques à l’épreuve des transitions ? La question de la gouvernance. »</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160407/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Comment la démocratie s’exerce-t-elle, quels dangers la menacent ? Réflexions sur les défis qu’affronte la démocratie française.Grégory Rayko, Chef de rubrique International, The Conversation FranceFrançoise Marmouyet, Coordinatrice éditoriale, The Conversation FranceRayane Meguenni, Chef de projet podcasts, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1591532021-04-22T18:20:34Z2021-04-22T18:20:34ZBrève histoire d’une longue défiance entre le peuple français et les élites<p>L’histoire de la France contemporaine peut se lire à divers prismes, mais l’un des plus pertinents est celui des relations tumultueuses entre le peuple et les élites. Sur le temps long qui va de la Révolution de 1789 à aujourd’hui les moments de communion entre celles-ci et celui-là sont rares : la <a href="https://www.gouvernement.fr/le-14-juillet-jour-de-fete-nationale-depuis-1880">Fête de la Fédération de 1790</a> (ancêtre du 14 juillet actuel), les <a href="https://histoire-image.org/fr/albums/revolution-1830-trois-glorieuses">Trois Glorieuses de 1830</a>, le <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/l%E2%80%99europe-politique/1848-le-printemps-des-peuples-europ%C3%A9ens/1848-le-printemps-des-peuples-europ%C3%A9ens">printemps 1848</a>, <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/1914-1918/l-exposition-du-centenaire/le-parlement-s-ajourne-1914/4-aout-1914-la-naissance-de-l-union-sacree">l’Union Sacrée de 1914</a>, le <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Raymond_Poincar%C3%A9/138547">gouvernement Poincaré de 1926 à 1928</a>, le retour au pouvoir du général de Gaulle en <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/15/evenements/2018/1er-juin-1958-declaration-d-investiture-du-general-de-gaulle">1958</a>.</p>
<p>Encore faut-il même préciser que dans chacun de ces cas, il y a, au sein du peuple d’une part et des élites de l’autre, des rétifs, des exclus et des boucs émissaires qui empêchent de parler d’une unanimité totale, successivement pour les secondes les émigrés, les légitimistes, les guizotistes (partisans de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Guizot">François Guizot</a>, principal ministre de Louis-Philippe), les pacifistes, les hommes du Cartel des gauches (la coalition de gauche qui a gagné les élections législatives de 1924), les dirigeants de la Quatrième République…</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=421&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395769/original/file-20210419-23-1u80wst.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=529&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sur ce tableau de 1844 représentant le Conseil des ministres du 15 août 1842, le peintre Claudius Jacquand représenta Guizot debout, à gauche, derrière le roi auquel Soult présente la loi de Régence.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fran%C3%A7ois_Guizot#/media/Fichier:Minist%C3%A8re_Soult.jpg">Claudius Jacquand</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En outre, ces rares « moments » <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/le-cours-de-lhistoire/les-elites-en-temps-de-crise-34-des-elites-si-peu-populaires-de-lancien-regime-a-nos-jours">suivent de graves crises</a> : celle de la monarchie absolue dans les années 1780, la crispation réactionnaire sous Charles X, la crise économique et sociale et l’aveuglement de Louis-Philippe et de son principal ministre Guizot dans les années 1840, l’entrée incertaine dans la Grande Guerre, la sortie douloureuse de celle-ci, la crise de la IV<sup>e</sup> République et la guerre d’Algérie.</p>
<p>La « parenthèse enchantée » se referme presque toujours rapidement, parce que les nouveaux dirigeants ne parviennent pas à résoudre la crise et/ou parce qu’ils donnent le sentiment au peuple qui leur a souvent permis de prendre le pouvoir de ne pas le comprendre, voire de trahir les espoirs qu’il avait placés en eux. Parfois, une fraction des élites ou une contre-élite contribue à refermer cette parenthèse plus vite. Il est rare qu’elles-mêmes profitent durablement de leur succès.</p>
<h2>Un écart entre le « pays légal » et le « pays réel »</h2>
<p>La séquence qui va de 1815 à 1848 est particulièrement emblématique de ce phénomène, même si elle nous paraît exotique et dépassée. Il s’agit de l’époque des <a href="http://www.pur-editions.fr/detail.php?idOuv=5008">monarchies censitaires</a>, de la Restauration puis de la monarchie de Juillet.</p>
<p>Aux élections nationales d’alors, seuls votent et sont éligibles ceux qui paient une certaine quotité d’impôt et l’écart entre le « pays légal » et le « pays réel » est très important (90 000 électeurs et 16 000 éligibles pour 29 millions de Français en 1816, respectivement encore seulement 248 000 et 56 000 pour 35,5 millions, trente ans plus tard).</p>
<p>Cette période est pourtant riche d’enseignements, car elle marque un changement au sein de l’élite dirigeante des grands notables, c’est-à-dire des plus importants propriétaires qui dirigent alors la France, mais sans satisfaire pour autant les masses.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=778&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=778&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=778&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=978&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=978&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/396646/original/file-20210422-23-1v01tfg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=978&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Casimir Perier par Louis Hersent, Château de Versailles, 1827. Représenté en pair de France, tenant à la main ‘l'Opinion sur le budget’, rapport destiné à contrer la politique financière de Villèle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Casimir_Perier#/media/Fichier:Perier,_Casimir.jpg">Wikimedia/Louis Hersent — chateauversailles.fr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, la noblesse foncière qui dominait la Restauration est emportée par la révolution des Trois Glorieuses de juillet 1830, réalisée par la bourgeoisie avec l’aide du peuple parisien, mais celui-ci se voit rapidement frustré de son soutien.</p>
<p>La monarchie de Juillet s’appuie principalement sur de hauts fonctionnaires et des bourgeois d’affaires – symboliquement représentés par les deux premiers chefs de gouvernement du régime, deux banquiers même si l’un incarne le Mouvement (Jacques Laffitte) et l’autre la Résistance (Casimir Perier).</p>
<h2>Les grands notables tiennent le pouvoir</h2>
<p>En février 1848, la monarchie bourgeoise et ses grands notables, magistralement étudiés par <a href="https://www.persee.fr/doc/rhmc_0048-8003_1966_num_13_3_2919">André-Jean Tudesq</a> sont renversés à leur tour par la petite bourgeoisie et par le peuple parisien. Las, ces derniers s’estiment de nouveau frustrés de leur victoire. Le renouvellement élitaire est très partiel comme le montrera bientôt un ouvrage collectif que nous dirigeons, le <em>Dictionnaire des dirigeants de 1848</em> (à paraître à Sorbonne Université Presses).</p>
<p>Dès le milieu de l’année, un tournant conservateur intervient et s’accentue encore après l’élection présidentielle de décembre suivant et les élections législatives du printemps 1849. Les élites dirigeantes d’hier reviennent au pouvoir.</p>
<p>L’histoire se répète à plusieurs reprises par la suite. La France a connu treize changements politiques majeurs depuis 1789 dont près de la moitié depuis 1848, avec cependant, il est vrai, deux régimes très longs (la Troisième République : près de soixante-dix ans et la Cinquième, déjà plus de soixante-deux), et pourtant il y a eu très peu de renouvellements élitaires majeurs, en dépit d’un indéniable mais lent processus de démocratisation.</p>
<p>La défiance à l’égard des élites n’est évidemment pas spécifique à la France, pas plus hier qu’aujourd’hui, ce que montrent, par exemple, les victoires populistes des dix dernières années en Grande-Bretagne, en Italie, dans les pays de l’est européen et aux États-Unis.</p>
<p>Les peuples se défient largement de leurs dirigeants car ils semblent avoir perdu le contrôle de la situation avec la mondialisation, les institutions supranationales, la puissance des GAFAM, la persistance de la crise économique et sociale… Leur mise en spectacle par les médias et par eux-mêmes depuis une quarantaine d’années et le regard hypercritique de réseaux sociaux qui ont pris une importance centrale depuis une décennie ne font rien pour arranger les choses.</p>
<h2>La défiance au cœur de l’État centralisé</h2>
<p>Cependant, si la France a semblé aller à contre-courant du populisme en élisant Emmanuel Macron contre Marine Le Pen à l’élection présidentielle de 2017, sur la promesse, il est vrai, de l’avènement d’un « nouveau monde », de nouveaux visages et de nouvelles pratiques, la défiance n’a pas tardé à resurgir à grande échelle, comme en témoignent le mouvement des « gilets jaunes », les grèves massives face à la réforme des retraites ou, plus récemment, les records internationaux de mécontentement atteints par notre pays dans le traitement de la pandémie de Covid-19.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=531&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395776/original/file-20210419-17-q9n1i8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=667&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Hommage d’Édouard I à Philippe le Bel, considéré comme le premier monarque « moderne » d’un État puissant et centralisé.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Hommage_d%27Edouard_I_%C3%A0_Philippe_le_Bel.png">Grandes Chroniques de France (BNF, FR 2606)/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le mal français vient surtout de beaucoup plus loin : un État centralisé et hypertrophié et qui, de ce fait, endosse tout le poids des responsabilités, une administration puissante depuis les <a href="https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1969_num_2_1_1196">légistes de Philippe Le Bel</a> et dont la <a href="https://hal-normandie-univ.archives-ouvertes.fr/hal-02304839">technocratie du second XXᵉ siècle</a> est l’héritière, la formation quasi exclusive de cette élite dans un <a href="https://theconversation.com/democratiser-les-grandes-ecoles-pourquoi-ca-coince-154247">même moule</a> qui a évolué au cours du temps et qui présente des avantages mais aussi des travers majeurs et récurrents : une certaine déconnexion du terrain et une tendance à intellectualiser des problèmes que, parfois, le simple bon sens permettrait de mieux traiter.</p>
<h2>À chaque crise, une nouvelle formation</h2>
<p>À chaque crise majeure, cette formation est remise en cause et des réformes sont opérées : création des <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01366484/document">grandes écoles sous la Révolution</a>, du Conseil d’État avec son auditorat destiné à devenir la pépinière de la haute fonction publique en 1800, de l’École nationale d’administration méritocratique en 1848, bien vite supprimée pour revenir au népotisme et au clientélisme antérieurs, de l’École libre des sciences politiques et de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89cole_sup%C3%A9rieure_de_guerre">l’École supérieure de guerre</a> au lendemain de la débâcle de 1870-1871, puis volonté de refonder une ÉNA sous le Front populaire qui aboutit finalement à la Libération avec l’ordonnance du 9 octobre 1945, en même temps que sont créés les Instituts d’études politiques et le corps des administrateurs civils.</p>
<p>Aujourd’hui, Emmanuel Macron décide de supprimer cette même ÉNA qui se serait coupée, au fil du temps des réalités, en particulier <a href="https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir-le-debat/c-ce-soir-le-debat-saison-1/2374113-suppression-de-l-ena-la-fin-des-elites.html">ses diplômés sortis dans les tout premiers</a> (« la botte »), mais qui ne constituent pourtant qu’une petite partie des énarques.</p>
<p>Il annonce son remplacement par un Institut du service public plus ouvert socialement et plus adapté aux besoins de la France et des Français. La recherche de boucs émissaires au sein des élites, ou prétendues telles, est aussi un travers très français : aujourd’hui, les énarques, sous la Révolution, les aristocrates et les prêtres, à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, les parlementaires et les juifs, en 14-18, les profiteurs de guerre et les « planqués », dans les années 30 puis sous le régime de Vichy, de nouveau les parlementaires, les juifs et les <a href="https://www.challenges.fr/france/les-200-familles-mythe-persistant_718692">« 200 familles »</a>, toujours, les riches.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/395744/original/file-20210419-23-3b7n74.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« La Haute-Banque contre la Nation. Pour l’application intégrale du programme, votez communiste », affiche du PCF stigmatisant les banquiers François de Wendel, Eugène Schneider, Jean de Neuflize et Édouard de Rothschild (élections cantonales de 1937).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Deux_cents_familles#/media/Fichier:La_Haute-Banque_contre_la_Nation._Pour_l'application_int%C3%A9grale_du_programme,_votez_communiste.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par ailleurs, à l’heure de la médiatisation et de l’immédiateté extrêmes, la <a href="https://passes-composes.com/book/277">« défaite de l’intelligence »</a> est préoccupante. Le véritable débat intellectuel disparaît trop souvent au profit d’ersatz où dominent la « pensée unique » et désormais celle des offensés, aussi excessives l’une que l’autre.</p>
<p>Quel chemin parcouru ici des Lumières où Rousseau disait à d’Alembert : « Que de questions je trouve à discuter dans celles que vous semblez résoudre » et même de grandes disputes entre <a href="https://www.lexpress.fr/culture/livre/sartre-aron-destins-croises_809968.html">Jean‑Paul Sartre et Raymond Aron</a>, au grand confinement actuel des corps et des esprits.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qLVY8ucO8Tg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Eric Anceau, 4 novembre 2020, Sud Radio.</span></figcaption>
</figure>
<p>La disparition de l’une de nos plus grandes revues intellectuelles <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/04/avec-la-fin-de-la-revue-le-debat-c-est-l-intellectuel-francais-qui-disparait_6050912_3232.html">comme Le Débat</a> montre l’ampleur de <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2021/04/ROBERT/63008">l’appauvrissement de la pensée</a> : car c’est aussi à cette élite qu’il appartient de montrer le chemin.</p>
<p>Les Français ne doivent pas être totalement dédouanés pour autant : n’ont-ils pas, en particulier depuis l’instauration du suffrage universel, les élites qu’ils méritent ?</p>
<p>C’est le constat de certains observateurs étrangers, à commencer par le politiste américain Ezra Suleiman, excellent connaisseur de notre pays où il a longtemps vécu. Il <a href="https://www.grasset.fr/livres/schizophrenies-francaises-9782246705017">diagnostique ainsi</a> « une tendance schizophrénique » chez les Français à réclamer quelquefois tout et son contraire : une aspiration à la verticalité d’un pouvoir qui se doit d’être exceptionnel, infaillible et vertueux et à la protection de l’État d’un côté, une passion pour l’égalité, une volonté de proximité des élites, une soif de liberté de l’autre.</p>
<hr>
<p><em>Éric Anceau a récemment publié <a href="https://passes-composes.com/book/277">« Les Élites françaises des Lumières au grand confinement »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159153/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Anceau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré treize changements politiques majeurs depuis 1789 la France a connu très peu de renouvellement parmi ses élites, en dépit d’un indéniable mais lent processus de démocratisation.Eric Anceau, Maître de conférences en histoire, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1588532021-04-18T15:02:47Z2021-04-18T15:02:47ZPrésidentielle 2022 : le macronisme à la recherche de la méritocratie perdue<p>L’annonce faite par Emmanuel Macron le 8 avril 2021 de supprimer l’École nationale d’administration (ENA) a suscité un très vif débat sur la question de la <a href="https://www.liberation.fr/societe/ena-le-nouveau-systeme-pourrait-etre-pire-que-lancien-20210409_IBV5BU724RGERM5OXTAM3ARAGY/">formation des élites de l’État en France</a> mais également sur l’opportunité d’une telle réforme que l’on croyait enterrée depuis les premières annonces du plan de réforme que le président avait présenté en avril 2020. On peut faire plusieurs lectures de cette réforme.</p>
<p>Une première lecture est assez technique. Elle porte sur les conditions de sa mise en œuvre, qui restent bien floues sur des points essentiels comme la nature des nouveaux concours qui devraient permettre d’intégrer le nouvel Institut du service public ou bien encore le mode de recrutement des grands corps de l’État que la réforme ne fait pas disparaître. Il est vrai que cette dimension apparemment technique recouvre des enjeux sociétaux importants comme la hiérarchie des élites au sein de l’État et leur mode de sélection.</p>
<p>Une seconde lecture est plus sociopolitique : dans le contexte de la crise sanitaire, il était bien commode de désigner les hauts fonctionnaires et donc l’ENA comme la <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20201007.OBS34408/tribune-les-grands-corps-de-l-etat-un-lobby-de-l-ombre.html">source de tous les maux</a>, de l’impréparation du pays et de la piètre gestion gouvernementale des mesures de protection ou de la politique vaccinale.</p>
<p>Cette lecture renvoie au conflit souterrain qui existe depuis longtemps mais s’est exacerbé depuis 2017 entre le pouvoir politique et le pouvoir administratif au sommet de l’État, comme l’ont illustré l’affaire Benalla ou la gestion du conflit des Gilets jaunes ou bien les <a href="https://www.editions-jclattes.fr/livre/impressions-et-lignes-claires-9782709668484/">propos récents</a> tenus par l’ancien Premier ministre, Édouard Philippe, sur la différence qui existe entre « présider et gouverner ».</p>
<p>Mais il existe également une lecture politique de la réforme qui la place dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022.</p>
<h2>La méritocratie, promesse républicaine oubliée</h2>
<p>L’une des grandes promesses d’Emmanuel Macron avait été en 2017 de relancer la mobilité sociale, d’ouvrir les carrières à tous et à toutes, de supprimer les barrières corporatistes et sociales qui bloquent en France la diversification des élites. L’idée de relancer l’ascenseur social reste <a href="https://www.xoeditions.com/livres/revolution/">au cœur du macronisme des origines</a>.</p>
<p>Cet enjeu va s’avérer décisif pour la présidentielle de 2022 car Emmanuel Macron a justifié son dépassement et de la droite et de la gauche par une posture d’efficacité gestionnaire. Or, la pente sera dure à remonter.</p>
<p>D’après nos analyses, seule une faible minorité de Français considère que leur système social est méritocratique. En effet, la vague 12 (février 2021) du Baromètre de la confiance politique du Cevipof, menée en comparaison avec l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni, montre que la proportion d’enquêtés français pensant que la méritocratie et que l’égalité des chances constituent des réalités <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/NoteBaroV12_LR_egalitechancesetmeritocratie_mars2021_V2-1.pdf">est faible</a>.</p>
<p>Par exemple, 26 % seulement considèrent que « dans la société, les règles du jeu sont les mêmes pour tous » et ce niveau moyen ne dépasse pas les 28 % chez l’ensemble des fonctionnaires interrogés ou 20 % chez les enseignants, qui représentent pourtant la part des salariés les plus sensibilisés au sujet. Comme on peut le voir sur le graphique 1, cette promesse républicaine, non pas d’égalité des résultats mais d’égalité en droit, ne semble pas mieux remplie en France qu’en Italie où le total des réponses positives est également de 26 % mais bien moins qu’en Allemagne (43 %) ou qu’au Royaume-Uni (42 %).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/394582/original/file-20210412-23-13weftr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/394582/original/file-20210412-23-13weftr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/394582/original/file-20210412-23-13weftr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/394582/original/file-20210412-23-13weftr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/394582/original/file-20210412-23-13weftr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/394582/original/file-20210412-23-13weftr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/394582/original/file-20210412-23-13weftr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/394582/original/file-20210412-23-13weftr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 1 : Les règles du jeu social sont les mêmes pour tous (%).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Rouban, Baromètre de la confiance politique, Cevipof, vague 12</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La croyance en l’effort individuel… et les désillusions</h2>
<p>La question qui se pose en France est double. D’une part, la remise en cause de la méritocratie est générale et touche presque autant les membres des catégories socioprofessionnelles modestes que les membres des catégories supérieures.</p>
<p>Par exemple, dans le détail, 25 % des ouvriers, 26 % des employés et 33 % des cadres ou membres des professions libérales sont tout à fait d’accord ou plutôt d’accord avec l’idée selon laquelle les règles du jeu social sont les mêmes pour tous.</p>
<p>Comme le montre le graphique 2, plus bas, la France est le seul pays des quatre qui sont étudiés où le fait d’avoir une situation supérieure n’entraîne pas une adhésion sensiblement plus importante à l’idée que les règles sociales sont équitables.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ojIRgWyHXNA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Pour l’économiste Daniel Cohen, le système français est un reproducteur d’inégalités.</span></figcaption>
</figure>
<p>De la même façon, le fait d’avoir profité d’une mobilité sociale supérieure, c’est-à-dire d’estimer occuper une position sociale supérieure à celle de ses parents au même âge, joue sans doute sur la représentation de l’équité mais dans des marges relativement étroites. C’est ainsi que 15 % des enquêtés estimant avoir une situation sociale inférieure à celle de leurs parents pensent que les règles sociales sont les mêmes pour tous contre 29 % chez ceux qui estiment que cette situation est similaire et 33 % chez ceux qui estiment qu’elle est supérieure.</p>
<p>D’autre part, cette faible proportion d’enquêtés estimant que l’équité sociale n’existe pas peut être comparée à la forte proportion d’entre eux (70 %) qui estiment en revanche « qu’en faisant des efforts, chacun peut réussir ».</p>
<p>Il y a donc, d’un côté, la croyance en l’effort individuel mais, de l’autre, un regard désabusé sur le cadre normatif qui vient sanctionner cet effort.</p>
<p>Or c’est bien dans le décalage entre ces deux que l’on trouve la distribution des choix électoraux à la présidentielle de 2017.</p>
<h2>La méritocratie et le choix électoral de 2017</h2>
<p>On peut ainsi définir quatre populations selon les combinaisons de ces deux variables dont les caractéristiques marquent assez clairement les contours des votes populistes.</p>
<p>Les « satisfaits » qui estiment que les règles sont équitables et que chacun peut réussir, et qui représentent 23 % de l’échantillon, ont voté au premier tour de l’élection présidentielle de 2017, en suffrages exprimés, d’abord pour Emmanuel Macron (32 %) puis pour François Fillon (25 %).</p>
<p>Il en va de même des « déçus » qui croient à l’effort individuel mais pas aux règles sociales, qui représentent 47 % de l’échantillon, qui ont choisi autant Emmanuel Macron que François Fillon (24 %) mais qui se sont dirigés aussi vers le vote populiste de gauche (17 % pour Jean‑Luc Mélenchon) ou de droite (22 % pour Marine Le Pen).</p>
<p>En revanche, le choix électoral des « désespérés » qui ne croient ni à l’effort individuel ni à l’équité des règles sociales, soit 27 % de l’échantillon, est encore bien plus marqué par le vote populiste car ces derniers ont choisi d’abord Jean‑Luc Mélenchon (31 %) puis Marine Le Pen (24 %) sans compter les 5 % votant pour Nicolas Dupont-Aignan et les 2 % votant pour François Asselineau.</p>
<p>Au total, ce sont les trois quarts des enquêtés (en y ajoutant les 3 % de ceux qui pensent que les règles sont justes mais que l’effort individuel ne sert à rien et qui s’abstiennent massivement) qui expriment une préoccupation pour l’état de la méritocratie, première des promesses républicaines, une fois les privilèges abolis la nuit du 4 août.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/394584/original/file-20210412-21-m8cujy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/394584/original/file-20210412-21-m8cujy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/394584/original/file-20210412-21-m8cujy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=321&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/394584/original/file-20210412-21-m8cujy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=321&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/394584/original/file-20210412-21-m8cujy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=321&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/394584/original/file-20210412-21-m8cujy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=403&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/394584/original/file-20210412-21-m8cujy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=403&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/394584/original/file-20210412-21-m8cujy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=403&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 2 : Les règles du jeu sont les mêmes pour tous ( % de « tout à fait d’accord » et de « plutôt d’accord ») selon la catégorie socioprofessionnelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Rouban, Baromètre de la confiance politique, Cevipof, vague 12</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’équité des règles sociales joue sur la cohésion sociopolitique</h2>
<p>L’élection présidentielle de 2022 va porter sur des choix de politiques publiques concernant la sortie de la crise sanitaire et de ses conséquences économiques, la protection de l’environnement et la préservation des ressources naturelles ou bien la question de la sécurité mais elle va aussi se dérouler sur l’arrière-fond d’une demande de justice et d’équité sociale, telle qu’on l’a vue émerger puissamment lors de la crise des Gilets jaunes.</p>
<p>À ce titre, la méritocratie ou l’égalité des chances ne posent pas que des questions relatives aux parcours scolaires ou aux critères de sélection des élites.</p>
<p>Elles influent considérablement sur la représentation que l’on se fait de la société et des raisons d’être de jouer le jeu de ses institutions. L’un des principaux problèmes démocratiques à régler reste en effet le retrait d’une partie des électeurs potentiels, et notamment des jeunes, qui se réfugient dans une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/02/anne-muxel-le-surcroit-d-abstention-des-jeunes-accentue-le-probleme-pose-a-la-democratie_6044899_3232.html">abstention de contestation</a>, associée à un fort niveau de méfiance à l’égard des <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100080350">institutions politiques nationales</a>.</p>
<h2>La méritocratie crée les conditions de la confiance</h2>
<p>On peut élargir l’analyse des représentations en créant un indice de méritocratie reposant sur les réponses à trois propositions de la vague 12 du Baromètre de la confiance politique :</p>
<ul>
<li><p>les règles du jeu social sont égales pour tous</p></li>
<li><p>en faisant des efforts, chacun·e peut réussir</p></li>
<li><p>de nos jours on peut réussir sans connaître des gens bien placés.</p></li>
</ul>
<p>On dispose donc d’un indice allant de 0 à 3 selon le nombre de réponses positives, réunissant les enquêtés tout à fait ou plutôt d’accord avec les propositions.</p>
<p>En France, la proportion de ceux qui se situent à l’échelon 3 de l’indice est de 10 % contre 18 % en Allemagne, 7 % en Italie et 13 % au Royaume-Uni. Ce positionnement n’évolue guère en fonction de l’âge ou du diplôme même s’il s’améliore un peu au-delà de 65 ans et à partir du niveau master mais sans qu’il y ait de corrélation statistique.</p>
<p>Or le positionnement sur cet indice commande assez largement les réponses à des variables essentielles pour l’intégration sociopolitique.</p>
<p>Par exemple, pour en rester à la France, la proportion de ceux qui s’estiment satisfaits de la vie qu’ils mènent (soit les enquêtés qui se situent entre 7 et 10 sur une échelle allant de 0 à 10) passe de 44 % pour ceux qui sont au niveau 0 de l’indice à 82 % pour ceux qui se situent au niveau 3.</p>
<p>Il en va de même avec des variables plus politiques comme le fait de penser que « le vote est utile car c’est par les élections que l’on peut faire évoluer les choses », proposition qui recueille de 67 % à 92 % d’avis favorables selon la position sur l’indice. On peut encore faire la même démonstration avec un indice de confiance dans les institutions politiques (le conseil municipal, l’Assemblée nationale, le Sénat, le gouvernement) où la proportion de ceux qui ont fortement confiance passe de 18 % à 73 %.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/394587/original/file-20210412-13-51smhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/394587/original/file-20210412-13-51smhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/394587/original/file-20210412-13-51smhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=351&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/394587/original/file-20210412-13-51smhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=351&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/394587/original/file-20210412-13-51smhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=351&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/394587/original/file-20210412-13-51smhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=441&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/394587/original/file-20210412-13-51smhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=441&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/394587/original/file-20210412-13-51smhl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=441&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 3 : L’effet de la confiance en la méritocratie sur la cohésion sociopolitique (%). Lecture : l’indice de méritocratie va de 0 à 3. Le positionnement des enquêtés sur chaque note montre la proportion d’entre eux qui sont satisfaits de la vie qu’ils mènent ou qui ont confiance dans les institutions.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luc Rouban, Baromètre de la confiance politique, Cevipof, vague 12</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’une manière générale, la confiance dans les institutions comme dans les autres passe par le fait de penser que les règles sociales sont équitables.</p>
<p>C’est ainsi que le niveau élevé de confiance interpersonnelle, soit la confiance accordée spontanément à autrui, et que l’on a calculée à partir de celle que l’on porte aux voisins, à des personnes rencontrées pour la première fois ou d’une autre nationalité touche une proportion allant de 44 % à 69 % des enquêtés selon leur confiance en la méritocratie.</p>
<h2>La mobilité sociale, l’enjeu phare du macronisme en 2022</h2>
<p>L’un des enjeux de l’élection présidentielle de 2022 pour Emmanuel Macron sera de démontrer que son programme peut conduire à l’amélioration de la mobilité sociale et de l’égalité des chances. Mais pourra-t-il alors échapper au clivage droite–gauche et se positionner au-delà ?</p>
<p>En effet, la question de la méritocratie reste posée en arrière-fond du débat politique et c’est un de terrains privilégiés d’affrontement de la gauche, qui défend l’égalité, relativise ce qui est acquis au nom de ce qui est transmis, et de la droite ou du centre, qui défendent l’équité et l’effort individuel. On retrouve ici tout le débat autour de l’école et de la sélection des élites qui voit s’affronter depuis longtemps des <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/a-l-ecole-francois-dubet/9782020289702">thèses institutionnalistes</a>, et des <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1975_num_30_6_15912">thèses individualistes</a>.</p>
<p>Le macronisme reste donc confronté à un exercice de funambule, comme celui qui a conduit à supprimer l’ENA, pris entre le besoin de prouver qu’il peut encore jouer sur les mécanismes de la sélection des élites et le besoin de montrer qu’il n’entend pas bouleverser les hiérarchies sociales mais seulement les ouvrir.</p>
<p>Mais ce qu’indique également l’enquête, c’est que les représentations de la méritocratie ne dépendent pas mécaniquement de positions sociales et qu’elles restent donc largement modelables par le travail politique. C’est sans doute l’un des terrains de campagne qui permettrait au macronisme de se donner un avenir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/158853/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà du débat sur la suppression de l'ENA, il existe également une lecture politique de la réforme qui la place dans la perspective de l’élection présidentielle de 2022.Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1570882021-03-18T23:34:26Z2021-03-18T23:34:26Z« In extenso » : Comment ne jamais apparaître fautif en politique (même si on l’est)<p><em><strong>« In extenso »</strong>, des podcasts en séries pour faire le tour d’un sujet.</em></p>
<p><em>Exploits de communications, grosses bourdes, discours savants, usage du mensonge ou du silence, vagues médiatiques, mobilisation de l’opinion, émotions et réseaux sociaux : comment la politique joue – t-elle de nos affects ?</em></p>
<p><em>Bienvenue sur « En scène » le podcast qui décrypte quelques-uns des outils de la communication politique.</em></p>
<hr>
<p>Comment réagissons-nous dans des situations professionnelles embarrassantes ? On pense à cette réunion zoom sciemment ratée, au dernier paquet de café fini en secret ou la boulette sur un gros dossier… Cela nous arrive à tous et, en général, on reconnaît vite sa faute, on s’excuse, on tente de faire amende honorable.</p>
<p>Les décideurs, eux, établissent des stratégies de communication bien spécifiques pour ne pas être montré du doigt comme fautifs lors de différentes affaires rendues publiques.</p>
<p>La chercheuse Mahaut Fanchini, maitresse de conférences en sciences de gestion à l’institut de recherche en gestion de l’Université Paris-Est Créteil, a particulièrement travaillé sur ce sujet.</p>
<iframe src="https://embed.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/60523d9dad65c968858ec9e6?cover=true&ga=false" frameborder="0" allow="autoplay" width="100%" height="110"></iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-569" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/569/0f88b06bf9c1e083bfc1a58400b33805aa379105/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Pour aller plus loin j’invite nos auditeurs à retrouver vos articles dans The Conversation France, et à retrouver vos travaux sur l’affaire UBS.</p>
<hr>
<p><em>Références musicales et extraits sonores/vidéos</em></p>
<ul>
<li><a href="https://www.youtube.com/watch?v=Z5wJjqkcfJI">Jimmysquare, Like Apollo</a> <br></li>
<li><a href="https://www.youtube.com/watch?v=gzygtDCde_c">Quand Jérôme Cahuzac niait avoir un compte en Suisse devant l’Assemblée</a>, BFM TV, 19 mars 2013.<br></li>
<li><a href="https://youtu.be/h3q2A80fVYU?t=158">« Les yeux dans les yeux, je n’ai pas de compte en suisse »</a>, Jérôme Cahuzac, 2012.<br></li>
<li><a href="https://www.youtube.com/watch?v=hwRJjb8DWxk">Marine Le Pen mise en examen pour abus de confiance</a>, FranceInfo, 4 juillet 2017.<br></li>
<li><a href="https://www.youtube.com/watch?v=YqZkR6DFklo">Édouard Balladur relaxé</a>, AFP, mars 2021.<br></li>
<li><a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/francois-fillon/affaires-fillon/la-ligne-de-defense-inchangee-de-francois-fillon_3839223.html">François Fillon se défend</a>, France Info TV, 2017.<br></li>
<li><a href="https://www.youtube.com/watch?v=pjGFywTEC0w">Carlos Ghosn se confie à France Inter</a>, 8 janvier 2020.<br></li>
<li><a href="https://www.youtube.com/watch?v=3Wo9uMbyuC4">Nicolas Sarkozy face à Gilles Boulleau</a>, TF1, 2018.<br></li>
<li><a href="https://www.lci.fr/politique/affaire-des-ecoutes-gerald-darmanin-assure-nicolas-sarkozy-de-son-soutien-amical-2179617.html">Gérald Darmanin témoigne de son amitié pour Nicolas Sarkozy</a>, LCI, 1<sup>er</sup> mars 2021.<br></li>
<li><a href="https://www.youtube.com/watch?v=Lyh0CAZY4VM">Jean‑Luc Mélenchon sur sa chaine YouTube</a>, 9 décembre 2019.</li>
</ul>
<p><em>Références bibliographiques</em></p>
<ul>
<li><a href="https://www.armand-colin.com/sociologie-des-elites-delinquantes-2e-ed-de-la-criminalite-en-col-blanc-la-corruption-politique">« Sociologie des élites délinquantes. De la criminalité en col blanc à la corruption politique »</a>, Pierre Lascoumes, Carla Nagels, septembre 2018, Armand Colin.<br></li>
<li><a href="https://www.cairn.info/l-etat-du-management-2018%E2%80%939782707198754-page-7.htm">« L’alerte éthique en France. Un bref historique du développement des dispositifs d’alerte professionnels »</a>, Mahaut Fanchini.</li>
</ul>
<hr>
<p><em>Conception et réalisation, Clea Chakraverty avec l’aide de Rayane Meguenni. Production Romain Pollet.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157088/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Les décideurs établissent des stratégies de communication bien spécifiques pour ne pas être montré du doigt comme fautifs lors de différentes affaires rendues publiques.Clea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1542472021-02-01T19:41:07Z2021-02-01T19:41:07ZDémocratiser les grandes écoles : pourquoi ça coince ?<p>Alors que les élites françaises, économiques et politiques, sont volontiers critiquées pour la base très étroite de leur recrutement – 84 % d’anciens des grandes écoles <a href="https://www.cairn.info/journal-sociologies-pratiques-2010-2-page-35.htm">parmi les dirigeants</a> des entreprises du CAC 40, par exemple –, les grandes écoles sont l’objet, notamment depuis une vingtaine d’années, de diverses Chartes ou dispositifs qui visent à en élargir le recrutement.</p>
<p>Car aujourd’hui, les <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/grandes-ecoles-la-diversite-sociale-ne-progresse-pas-1282428">deux tiers</a> de leurs étudiants (et même presque 80 % dans les 10 % des écoles les plus sélectives) sont d’origine sociale très favorisée (cadres, chefs d’entreprise, professions libérales et intellectuelles). Ceci correspond, si on se cale sur les élèves de troisième, à des chances d’accéder à une grande école 9 à 10 fois supérieures, pour ces élèves, par rapport à ceux de milieu défavorisé.</p>
<p>Ces constats interrogent : ces élites sont bien monolithiques et on peut s’interroger sur la pertinence de la formation en grande école pour nombre de ces positions de pouvoir… Mais après tout, si l’on était certain qu’accéder à une grande école ne fait que refléter le mérite, il n’y aurait là rien de choquant, dans une société qui rejette l’hérédité des positions sociales au profit d’une sélection des plus méritants, tâche qu’est censée assurer l’institution scolaire.</p>
<p>Alors que le caractère très typé socialement des diplômés des grandes écoles fait soupçonner une entorse au jeu méritocratique, le <a href="https://www.ipp.eu/publication/janvier-2021-quelle-democratisation-grandes-ecoles-depuis-le-milieu-des-annees-2000/">rapport</a> très fourni de l’Institut des Politiques Publiques, documente les facteurs qui viennent le contrarier, à savoir, outre l’origine sociale, le genre et l’origine géographique. Et ce alors que les diverses actions mises en place depuis les années 2000 n’empêchent pas une grande stabilité !</p>
<h2>Une ségrégation sociale massive</h2>
<p>Concernant l’impact très fort de l’origine sociale, les auteurs notent que les inégalités sociales de réussite en amont n’expliquent pas tout, environ 50 % si on se cale sur le niveau en fin de troisième. Cela dit, les scolarités jusqu’en troisième sont de moins en moins sélectives, et les filières où l’on accède au lycée le sont, elles, de plus en plus.</p>
<p>Depuis 30 ans, la réelle démocratisation de l’accès au bac s’est accompagnée d’une diversification des bacs, avec notamment le bac professionnel. Cette évolution s’est faite à telle enseigne que les chances d’accéder à un bac général – porte d’accès incontournable pour une grande école – n’ont pas augmenté ces dernières années pour les enfants des milieux les plus défavorisés. Ils sont aspirés par la filière professionnelle, tandis que les probabilités d’obtenir un bac scientifique varient presque de 1 à 10 selon les milieux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1334810490036498433"}"></div></p>
<p>Ces inégalités sociales de réussite sont très précoces : les chances d’obtenir un bac général ou technologique sont elles-mêmes extrêmement inégales selon le niveau scolaire à l’entrée en sixième, lui-même lié au niveau à l’entrée à l’école élémentaire.</p>
<p>On ne saurait donc espérer démocratiser l’accès au sommet de l’élite scolaire – par des bourses au mérite distribuées à 18 ans par exemple – si dès le cours préparatoire des inégalités sociales de réussite s’accumulent, que l’école ne parvient pas à contrer.</p>
<h2>Des facteurs culturels et matériels</h2>
<p>Cependant, la réussite scolaire ne fait pas tout. Alors que globalement, les filles réussissent mieux leurs études secondaires, et représentent 55 % des effectifs de niveau bac + 3 à bac+5, elles ne comptent que pour seulement 42 % des effectifs des grandes écoles et 37 % des plus sélectives.</p>
<p>Mais là aussi, on ne peut se contenter d’une approche globale calée sur le niveau en fin de troisième. En effet, au lycée, les choix d’options et de filières, qui anticipent les orientations dans le supérieur et la vie professionnelle, sont sexués. À ce stade, les filles n’évitent pas tant les maths que la physique et veillent à rester relativement polyvalentes, ce qui facilitera leur accès aux écoles de commerce ou à Sciences Po.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1042016005021736963"}"></div></p>
<p>De fait, leur sous-représentation concerne avant tout les écoles d’ingénieurs (26 %), alors que des filières comme Sciences Po Paris ou, à un degré moindre, les écoles de commerce, sont largement féminisées.</p>
<p>Ici intervient d’une part le poids des stéréotypes qui connotent comme masculines ou féminines les disciplines scolaires, et qui, notamment parce qu’ils marquent inconsciemment les attentes des enseignants, canalisent très tôt le sentiment d’efficacité et les projets des élèves. D’autre part, il faut compter avec l’anticipation d’un monde du travail loin d’être mixte, où il semble plus ou moins facile de se projeter, selon son genre, dans telle ou telle profession. Seules des évolutions sociales de longue haleine peuvent ici atténuer ces freins.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-legalite-entre-les-sexes-nefface-t-elle-pas-les-segregations-dans-les-filieres-scientifiques-152272">Pourquoi l’égalité entre les sexes n’efface-t-elle pas les ségrégations dans les filières scientifiques ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Les grandes écoles sont également très parisiennes : 30 % des étudiants de grande école ont passé leur bac à Paris ou en Île-de-France (contre 19 % des bacheliers), un chiffre qui monte à 41 % dans les 10 écoles les plus sélectives. Ces inégalités sont clairement contraires à <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100169330">l’idéal méritocratique</a> : peu expliquées (20 %) par les inégalités de réussite en 3<sup>e</sup>, c’est avant tout l’inégale distribution sur le territoire des classes préparatoires et des écoles qui doit être incriminée, tant on sait que l’« offre » éducative locale impacte les choix des lycéens.</p>
<p>Si on ne choisit pas la région où l’on grandit, certaines familles bien informées essaient de choisir le lycée optimal et y parviennent. La moitié des effectifs des écoles les plus sélectives proviennent de seulement 8 % des lycées.</p>
<p>Il faudrait alors, si on ne veut pas supprimer les possibilités de choix d’un lycée, contrôler plus strictement le profil des lycéens mutants, et favoriser une implantation d’établissements dans les <a href="https://www.ih2ef.gouv.fr/les-classes-preparatoires-de-proximite-entre-democratisation-et-loi-du-marche">villes moyennes</a>. C’est ce qui a été fait par les <a href="https://journals.openedition.org/osp/3909">classes préparatoires</a> privées (et aussi les classes préparatoires ouvertes aux bacheliers technologiques), mais ce sont surtout les élèves des classes moyennes qui en ont profité.</p>
<p>Les inégalités géographiques traduisent aussi le fait que la mobilité a un coût pour les familles. Si les questions de logement sont essentielles, le fait que ce soit pour les écoles de commerce que les inégalités scolaires soient le moins à même d’expliquer leur sélectivité sociale rappelle que le coût des études joue un rôle non négligeable.</p>
<p>D’où la nécessité de bourses, dans un contexte où les possibilités de financer en partie ses études par un job d’étudiant sont quasiment exclues en classe préparatoire aux grandes écoles et dans celles-ci mêmes.</p>
<h2>Intervenir tôt et jouer sur les structures</h2>
<p>Au total, il est clair que les mesures intervenant au niveau du lycée restent bien trop tardives puisqu’une bonne part de la carrière scolaire des élèves est déjà jouée, de même que l’image, par les élèves, de leurs propres compétences.</p>
<p>On ne peut pas non plus se contenter d’agir au niveau des personnes, notamment sur les motivations ou l’information, car les carrières se jouent dans un contexte tout aussi décisif, qui rend certaines autocensures relativement rationnelles :</p>
<ul>
<li><p>une offre de formation locale,</p></li>
<li><p>des études inégalement coûteuses,</p></li>
<li><p>un marché du travail sexué,</p></li>
<li><p>un accès à l’élite accaparé par les sortants des grandes écoles.</p></li>
</ul>
<p>Jouer sur ces éléments structurels est capital, même si on peut envisager des voies plus radicales : supprimer cette voie si française (qui polarise les stratégies des parents bien en amont du bac), et diversifier les voies d’accès à l’élite, en tout cas rendre moins inégales les perspectives professionnelles des différentes filières du supérieur.</p>
<p>Tant que l’accès aux grandes écoles se fera sur la base d’une sélection scolaire biaisée dès les petites classes, tant que l’accès aux positions les plus enviables mettra en compétition des jeunes dotés par leurs familles d’atouts inégaux, aussi longtemps donc que les familles seront inégales à maints égards, les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-ecole-peut-elle-sauver-la-democratie-francois-dubet/9782021459708">politiques publiques de démocratisation</a> ont peu de chances d’aboutir, sans compter qu’on ne s’attend pas à ce que ceux qui parviennent actuellement à accaparer les grandes écoles et leurs débouchés militent pour ces changements…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/154247/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Duru-Bellat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Tant que l’accès aux grandes écoles se fera sur la base d’une sélection scolaire biaisée dès les petites classes, les politiques publiques de démocratisation ont peu de chances d’aboutir.Marie Duru-Bellat, Professeure des universités émérite en sociologie, Observatoire sociologique du changement, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1519402020-12-18T19:30:17Z2020-12-18T19:30:17Z« Les Sauvages » ou l’impossible ascension d’un Franco-Algérien à l’Elysée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/374453/original/file-20201211-16-16uo03h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C11%2C1595%2C1027&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour l'adaptation télévisée, Roschdy Zem incarne Idder Chaouch, candidat à la Présidence de la République, peint par l'écrivain Sabri Louatah dans les Sauvages. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18684334.html">Allociné</a></span></figcaption></figure><p><em>Ce podcast vous est proposé dans le cadre de notre série mensuelle « Les couleurs du racisme », un nouveau rendez-vous pour analyser les mécanismes de nos préjugés raciaux et leurs reproductions. <a href="https://mailchi.mp/1a0eb7b6f069/the-conversation-france">S’inscrire à la newsletter</a>.</em></p>
<hr>
<p>Dans le cadre de notre série « Les Couleurs du racisme », nous recevons aujourd’hui Julien Talpin, maître de conférences en sciences politiques à l’Université de Lille et chargé de recherche au CNRS.</p>
<p><a href="https://editions.flammarion.com/les-sauvages-1/9782081274488"><em>Les Sauvages</em></a>, roman en quatre tomes, paraît chez Flammarion entre 2011 et 2016. Au cœur d’une puissante intrigue politique, deux familles émergent : les Nerrouche et les Chaouch.</p>
<p>L’écrivain Sabri Louatah, natif de Saint-Etienne a imaginé un personnage fort en la personne d’Idder Chaouch, un homme politique de convictions, plutôt issu de la gauche bourgeoise, candidat à l’élection présidentielle, capable de réconcilier la France prise dans des débats identitaires de plus en plus clivants.</p>
<iframe src="https://player.acast.com/5f9ace4de40fec5b6e4f0adf/episodes/les-sauvages-ou-limpossible-ascension-dun-franco-algerien-a-?theme=default&cover=1&latest=1" frameborder="0" width="100%" height="110px" allow="autoplay"></iframe>
<p><a href="https://open.spotify.com/episode/5drPLf8sE0cRuHK01mXu0s?si=O5RKmq4nR2uUbDN4jFgERg"><img src="https://images.theconversation.com/files/321535/original/file-20200319-22606-1l4copl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=183&fit=crop&dpr=1" width="268" height="70"></a>
<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/les-sauvages-ou-limpossible-ascension-dun-franco-alg%C3%A9rien/id1538137657?i=1000502720613"><img src="https://images.theconversation.com/files/321534/original/file-20200319-22606-q84y3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=182&fit=crop&dpr=1" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a>
<a href="https://soundcloud.com/theconversationfrance/les-sauvages-ou-limpossible"><img src="https://images.theconversation.com/files/359064/original/file-20200921-24-prmcs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=218&fit=crop&dpr=2" alt="Listen on Soundcloud" width="268" height="80"></a></p>
<p>Chaouch est économiste, professeur à Harvard, élu engagé à Grogny ville fictive de Seine Saint-Denis. Il incarne une image « modèle » et apaisée du Maghrébin « intégré ». Mais son accession au pouvoir, dans une France crispée par des attentats extrémistes de tous bords, ne se fait pas sans heurts. L’œuvre de Louatah a été adaptée par son auteur avec la réalisatrice Rebecca Zlotowski pour une série diffusée par <a href="https://www.canalplus.com/series/les-sauvages/h/12363746_50001">Canal+</a> en 2019.</p>
<p>Le personnage et la trajectoire d’Idder Chaouch, porté à l’écran par Roschdy Zem interrogent : les élites politiques françaises sont-elles prêtes à accueillir des candidats issus des minorités ?</p>
<p><em>Extraits sonores</em> :</p>
<ul>
<li><p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=K5UEeV7WjeY">Rob, bande originale Les Sauvages pour Canal+</a></p></li>
<li><p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=-AbeH4OUWOY">Scène du stade : Canal+, 2019</a></p></li>
<li><p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=krESiQFY1lk">Sabri Louatah : « le discours d’Idder Chaouch », Canal+, 2019</a></p></li>
<li><p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=krESiQFY1lk">Rebecca Zlotowski « le discours d’Idder Chaouch », Canal+, 2019</a></p></li>
<li><p><a href="https://www.youtube.com/watch?v=krESiQFY1lk">Roshdy Zem « le discours d’Idder Chaouch », Canal+, 2019</a></p></li>
</ul>
<hr>
<p><em>Conception : Clea Chakraverty. Montage : Kina Vujanick Beck</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151940/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Talpin est coordinateur du projet ANR Eodipar Expériences des discriminations, participation et représentation.</span></em></p>Dans « Les Sauvages », Sabri Louatah imagine Idder Chaouch, d’origine maghrébine, en président de la République française.Julien Talpin, Chargé de recherche en science politique au CNRS, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1507112020-12-10T18:24:18Z2020-12-10T18:24:18Z« Bookporn » sur Instagram : vers la fin de l’élitisme culturel ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/373993/original/file-20201209-17-1jaboae.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1198%2C979&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Femme en train de lire de Pieter Janssens Elinga (1668-1670), détail.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pieter_Janssens_Elinga_-_Reading_Woman_-_WGA7482.jpg">Wikimedia</a></span></figcaption></figure><p>« Que reste-t-il des mots, des livres, et tant qu’on y est de la littérature, quand il n’y a plus que des images ? ». C’est en ces termes qu’une chroniqueuse s’en prenait à certaines pratiques en vogue sur les réseaux sociaux, dans un billet diffusé sur France Culture début septembre et intitulé <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/carnet-de-philo/la-chronique-philo-du-jeudi-03-septembre-2020">« L’enfer du bookporn »</a>.</p>
<p>L’objet de cette indignation ? Le « bookporn », ce phénomène qui consiste à publier des photographies de livres sur Instagram. L’autrice de ce billet d’humeur se défend pourtant de sacraliser la littérature ou d’entretenir une quelconque haine des images. Elle fonde plutôt sa critique sur une remise en question des motivations du lecteur. En publiant des contenus relatifs à la littérature, les internautes céderaient aux sirènes d’un exhibitionnisme condamnable : afficher son capital culturel pour se distinguer de la masse, ultime péché d’orgueil ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373992/original/file-20201209-18-oz3ymv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373992/original/file-20201209-18-oz3ymv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373992/original/file-20201209-18-oz3ymv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373992/original/file-20201209-18-oz3ymv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373992/original/file-20201209-18-oz3ymv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373992/original/file-20201209-18-oz3ymv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373992/original/file-20201209-18-oz3ymv.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Page d’accueil Instagram pour une recherche du hashtag #bookporn effectuée le 9 décembre 2020.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.instagram.com/explore/tags/bookporn/?hl=fr">Instagram</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le problème ne serait donc pas tant l’accessoirisation du livre que la volonté de singularisation qui en découle. La chroniqueuse est loin d’être la première à dénoncer l’influence supposée des réseaux sociaux sur les égocentrismes contemporains. Cette thématique est devenue au fil des ans une rengaine médiatique déclinée à l’envi dans les éditoriaux et les séries dystopiques où les nouvelles technologies règnent sur le monde tandis que le lien social se délite. Ce qui est plus surprenant dans ce billet, c’est l’éloge d’une lecture pudique, cantonnée à la sphère de l’intime.</p>
<h2>Cachez ce livre que je ne saurais voir</h2>
<p>Ces considérations sur le devoir de réserve du lecteur s’inscrivent en réalité dans une longue tradition qui a progressivement assimilé la littérature au secret de la chambre à coucher. L’apparition de l’imprimerie marque un tournant dans la privatisation de la lecture : le « lettré » possède désormais ses propres livres, avec lesquels il entretient un rapport individualisé. Les textes ne sont plus lus à l’église ou déclamés par le troubadour, mais déchiffrés dans le silence des foyers. En conséquence de cette évolution des pratiques, l’historien <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/pratiques-de-la-lecture-9782228897778">Roger Chartier (1985)</a> constate que la lecture est progressivement représentée comme « un acte par excellence du fort privé, de l’intimité soustraite au public », qui prend le pas sur la représentation de la lecture comme cérémonial collectif.</p>
<p>L’idée que la lecture ne s’affiche pas publiquement alimente une idéologie qui oppose le dissimulé et l’ostentatoire, le silence et la causerie, le personnel et le commun. Dans <a href="https://www.jose-corti.fr/titres/litterature-a-l_estomac.html"><em>La littérature à l’estomac</em></a> (1950), Julien Gracq distingue ainsi la lecture secrète des Anglais, « habitude solitaire sur laquelle ils n’éprouvent pas le besoin de s’étendre particulièrement », de la lecture exhibée des Français, « rumeur de foule survoltée et instable » encouragée par la présence néfaste et persistante des « salons » et des « quartiers littéraires ». Pour être légitime, la consommation de la littérature doit désormais se dérober au regard du public. Le lecteur est fantasmé comme un être renfermé sur sa propre intériorité, d’autant plus fascinante qu’elle reste inaccessible.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373998/original/file-20201209-23-1goudt4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373998/original/file-20201209-23-1goudt4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=754&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373998/original/file-20201209-23-1goudt4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=754&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373998/original/file-20201209-23-1goudt4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=754&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373998/original/file-20201209-23-1goudt4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373998/original/file-20201209-23-1goudt4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373998/original/file-20201209-23-1goudt4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Edvard Munch, Andreas lisant, 1882, Norvège.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Edvard_Munch_-_Andreas_Reading_(1882-83).jpg">Wikipedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Paradoxalement, ce geste d’intériorisation de la lecture s’accompagne d’un mouvement d’extériorisation de ses représentations. En peinture et en littérature, en photographie puis au cinéma, on cherche à représenter l’irreprésentable, ce lecteur dont le mutisme fascine les artistes. L’histoire iconographique de l’Occident regorge de scènes de lecture dont la valeur repose précisément sur la conjonction paradoxale du caché et du montré (<a href="https://citadelles-mazenod.com/coups-de-coeur/208-le-livre-dans-la-peinture">Bared, 2015</a> ; <a href="https://www.editions-hazan.fr/livre/eloge-du-livre-9782754114660">Dethurens, 2018</a>). Les réseaux sociaux, qui fonctionnent sur une incitation permanente au dévoilement de l’intime, ne font donc rien d’autre que massifier ces symboliques antérieures. Désigner les dispositifs numériques comme uniques responsables d’un supposé repli sur soi, c’est ignorer que les imaginaires littéraires n’ont pas attendu Internet pour encourager des postures entre retrait et distinction.</p>
<h2>Existe-t-il des lectures non égocentriques ?</h2>
<p>L’idée qu’on devient soi-même par les livres se développe et se perpétue au moins depuis l’humanisme de Montaigne. Finalement, qu’est-ce que la littérature sinon une machine à singulariser ? Lire, c’est d’abord structurer sa propre intériorité, ce qui revient à affirmer son exception. <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-regles-de-l-art-genese-et-structure-du-champ-litteraire-pierre-bourdieu/9782020181594">Pierre Bourdieu (1992)</a> parle de narcissisme herméneutique pour évoquer « cette forme de rencontre avec les œuvres et les auteurs dans laquelle l’herméneute affirme son intelligence et sa grandeur par son intelligence empathique des grands auteurs ». Ce narcissisme n’est pas nécessairement péjoratif s’il est envisagé comme la simple fierté de sentir son esprit résonner avec celui de l’écrivain au fil des pages. On peut déplorer l’inélégance de certains hommes cultivés citant Héraclite d’un ton faussement désinvolte entre le fromage et le dessert. Mais vouloir dissocier la littérature de sa puissance singularisante, c’est lui ôter sa fonction cathartique. On ne peut pas lire l’Odyssée sans se sentir un peu Ulysse, et tant pis pour la pudeur.</p>
<p>Par ailleurs si la lecture ramène à soi, elle ouvre aussi aux autres. La conscience de sa propre condition passe inévitablement par une mise en relation avec d’autres vies que la sienne. La lecture s’accomplit toujours dans un double mouvement centripète et centrifuge : la cristallisation identitaire (s’identifier, c’est ramener à soi) se combine au renforcement de liens externes (s’identifier, c’est aller vers l’autre). Dans cette perspective, publier des contenus littéraires sur Instagram ne relève pas d’un mouvement de repli mais au contraire d’une dynamique d’ouverture. Le réseau social assure la transition entre le régime « égoïste » du corps à corps individuel avec le livre, et le régime « altruiste » du <a href="https://catalogue.bpi.fr/en/document/noticepermalink:/NOPEBbooks_openedition_org_bibpompidou_197?searchToken=494608b2ebe0f69806be64584a76a6eebaa2d395">partage convivial de la lecture avec autrui</a>, et ce faisant il contribue à subvertir les hiérarchies culturelles.</p>
<h2>Le savant et le populaire</h2>
<p>Le billet publié sur France Culture reproche principalement aux internautes de vouloir s’approprier la légitimité des écrivains dont ils se réclament publiquement. Dans cette perspective, citer de grands auteurs reviendrait à récupérer une part de leur prestige, et donc réduire l’art à sa fonction distinctive. Au-delà du fait que l’on peut vouloir afficher ses références littéraires pour faire lien plutôt que pour faire sécession, cette critique ne prend pas en compte la réalité du terrain numérique. Sur les <a href="https://presses.enssib.fr/catalogue/la-prescription-litteraire-en-reseaux-enquete-dans-lunivers-numerique">sites littéraires spécialisés</a> comme sur les <a href="http://www.revue-critique-de-fixxion-francaise-contemporaine.org/rcffc/article/view/fx15.11/1174">plateformes généralistes</a>, l’écrasante majorité des lecteurs évoquent des romans populaires plutôt que les classiques figurant au Panthéon de la « culture cultivée ». On croise plus souvent Guillaume Musso qu’Albert Camus sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Le régime de popularité encouragé par les plates-formes numériques (injonctions aux « likes », aux « partages », aux « commentaires ») favorise en effet la mise en scène du best-seller plutôt que d’une littérature académique. La dimension communautaire des sociabilités en ligne, associée à la symbolique démocratique d’Internet, s’oppose à l’apologie des happy few. Loin d’encourager une aristocratie des lecteurs, Instagram, YouTube ou Facebook fixent de nouveaux principes hiérarchiques où la règle vaut davantage que l’exception.</p>
<p>Le sociologue <a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_culture_des_individus-9782707149282.html">Bernard Lahire (2004)</a> remarque qu’il existe des contextes où « les individus entretiennent une indifférence relative vis-à-vis d’un ordre et d’un système de classement […] qu’ils ont intériorisés, mais qui ont été concurrencés par un autre ordre et un autre système de classement ». Les internautes sur Instagram entretiennent ainsi un certain détachement envers l’échelle de valeurs traditionnelle, qu’ils reconnaissent sans chercher à y souscrire. Dans ce cas précis, l’ordre collégial du réseau social, qui prône une stricte égalité entre les internautes, supplante l’ordre singularisant d’une culture patrimonialisée. Reprocher à ces communautés un excès d’élitisme a donc quelque chose d’incongru : c’est plutôt aux accusations de conformisme qu’elles pourraient éventuellement se prêter.</p>
<p>Défendre le « bookporn », ce n’est pas souscrire à la vision fantasmée d’une utopie numérique qui révolutionnerait le littéraire, ni ignorer les critiques que l’on pourrait légitimement faire à ces pratiques standardisées par des plates-formes commerciales. Il s’agit plutôt de réaffirmer l’idée que la littérature n’est pas un monument que l’on dégrade ou que l’on restaure, mais un processus en perpétuelle redéfinition, dont la circulation en dehors des enceintes sacrées (cénacles, académies, salles de classe) constitue une condition nécessaire à sa vitalité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150711/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marine Siguier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Afficher son capital culturel pour se distinguer de la masse, est-ce l’ultime péché d’orgueil ?Marine Siguier, Doctorante en sciences de l'information et de la communication au Celsa, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1502542020-12-04T10:40:04Z2020-12-04T10:40:04ZL’égalité scolaire, un enjeu de survie pour la démocratie<p>Le long mouvement de massification scolaire enclenché dans notre pays depuis les années 1960 était censé accroître l’attachement aux valeurs démocratiques.</p>
<p>Dans la mesure où l’éducation scolaire est imprégnée des valeurs de l’égalité et de la tolérance, et véhicule la croyance dans les vertus de la science et de la raison, le fait qu’une majorité de jeunes bénéficie aujourd’hui d’une scolarité longue – la proportion de <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2383585">bacheliers</a> atteignait 80 % d’une génération en 2019 – ne pouvait a priori que renforcer la confiance dans la démocratie.</p>
<p>Or, force est de constater que, en France et dans d’autres pays comparables, cette promesse optimiste n’a pas été totalement tenue. Si les acquis de la science sont plus largement diffusés, les jeunes gardent-ils pour autant le recul nécessaire par rapport aux fake news qui circulent toujours plus vite ? Par ailleurs, la généralisation des diplômes a aussi des effets pervers. Retour sur quelques-unes de ces observations que nous développons dans <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-ecole-peut-elle-sauver-la-democratie-francois-dubet/9782021459708">notre dernier ouvrage</a>, <em>L’école peut-elle sauver la démocratie ?</em> (Seuil, 2020).</p>
<h2>Croyances et esprit critique</h2>
<p>Alors qu’un bon niveau d’éducation est censé fortifier chez les jeunes l’esprit d’examen et la capacité à résister aux fake news, au complotisme, ils semblent <a href="https://www.ifop.com/publication/enquete-sur-le-complotisme-vague-2/">particulièrement sensibles</a> à certaines thèses aberrantes par rapport aux vérités scientifiques :</p>
<ul>
<li><p>31 % seraient <a href="https://www.ifop.com/publication/enquete-sur-le-complotisme/">plutôt d’accord</a> ou tout à fait d’accord avec l’affirmation selon laquelle Dieu a créé l’homme et la terre il y a moins de 10 000 ans (contre 18 % dans l’ensemble de la population), ou avec l’affirmation selon laquelle « il est possible que la Terre soit plate » (18 % contre 9 %) ;</p></li>
<li><p>30 % des jeunes âgés de 18 à 24 ans pensent que les attentats de 2015 contre l’Hyper Casher et Charlie Hebdo résultent d’un complot, contre 19 % de l’ensemble de la population.</p></li>
</ul>
<p>L’éducation formelle semble relativement impuissante, car le niveau d’étude introduit peu de modulations dans ces croyances déclarées.</p>
<p>Parmi les explications possibles (qui ne relèvent évidemment pas que de l’école), il faut invoquer le déclin de son autorité culturelle, alors même qu’elle se massifie. Alors que l’école de la République bénéficiait d’une sorte de monopole culturel, les jeunes disposent désormais d’un espace de socialisation nouveau, sur lequel l’école n’exerce aucun contrôle. C’est le monde des écrans et des réseaux numériques auquel tous accèdent : 83 % des 12-17 ans et 98 % des 18-24 ans possèdent un smartphone.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1324706907530141696"}"></div></p>
<p>Dès lors que 87 % des jeunes âgés de 12 à 17 ans se connectent tous les jours, en temps cumulé sur une année, les élèves sont nettement plus longtemps face à leurs écrans que face à leurs enseignants. La question n’est pas savoir si les écrans et les réseaux sont une bonne ou une mauvaise chose, une chose est sûre : désormais, on se forge une opinion et on découvre le monde ailleurs qu’à l’école.</p>
<h2>Valeurs et effets de diplôme</h2>
<p>L’école n’a pas pour autant perdu toute capacité à influer sur les valeurs des jeunes, mais c’est plus ou moins vrai en fonction des inégalités scolaires, dont on sait qu’elles sont particulièrement élevées dans notre pays. De fait, la croyance dans les valeurs libérales et sociales des démocraties ne reste élevée que chez les vainqueurs de la compétition scolaire.</p>
<p>Le niveau d’éducation renforce le libéralisme culturel : les inégalités liées à l’origine ethnique sont jugées inacceptables par 75 % des titulaires d’un deuxième cycle universitaire, mais par 54 % seulement des titulaires du seul Brevet des collèges ou des non-diplômés. De même, l’acceptation de l’homosexualité s’élève avec le niveau de diplôme. C’est la même chose pour ce qui est de l’altruisme et du désir d’engagement dans des causes sociales, d’autant plus affirmés qu’on est diplômé.</p>
<p>La contrepartie de l’effet du diplôme sur les valeurs libérales est que les moins éduqués adhèrent plus souvent que les autres aux valeurs antidémocratiques ; ils sont plus favorables aux gouvernements autoritaires, aux hommes forts, et plus hostiles aux immigrés.</p>
<p>En revanche, les moins diplômés défendent davantage l’égalité que les diplômés, et se montrent plus critiques envers les inégalités sociales : les trois-quarts des personnes dotées au plus d’un niveau Brevet estiment que les différences de revenus, en France, sont trop grandes, alors que 58 % des diplômés d’un second cycle universitaires soutiennent ce point de vue. Ils sont également plus critiques envers les injustices scolaires.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rp6KiA8n5QM?wmode=transparent&start=115" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’école peut-elle sauver la démocratie ? (François Dubet, entretien avec Julien Rousset, journal Sud-Ouest – Librairie Mollat).</span></figcaption>
</figure>
<p>Une autre manière d’évaluer les effets de l’éducation sur les représentations de la vie sociale est d’essayer de savoir si la massification de l’éducation accroît la confiance que nous avons dans les autres et dans les institutions, un point d’autant plus sensible que la France n’est pas particulièrement une société de la confiance…</p>
<p>De fait, comme pour ce qui est des valeurs, le niveau d’éducation affecte positivement le niveau de confiance des individus : les plus éduqués, les vainqueurs de la sélection scolaire, sont plus confiants que les moins éduqués, que ce soit dans les autres, dans les institutions ou dans le système politique.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lecole-francaise-championne-des-inegalites-sociales-47605">L’école française, championne des inégalités sociales ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Les individus peu diplômés ont une moindre confiance dans leur capacité à participer à la vie politique, et plus largement, à choisir sa vie en toute autonomie. Il s’ensuit le sentiment d’être impuissant, ignoré et méprisé par ceux qui savent : les experts, les « intellos », ceux qui s’autoproclament « intelligents ».</p>
<h2>Démocratisation et désillusions</h2>
<p>La généralisation des diplômes contribue à en renforcer l’emprise : il n’est plus possible aujourd’hui de prétendre à une insertion professionnelle confortable sans qualification scolaire. Et plus largement, dans une société où le diplôme est omniprésent, le fait de ne pas détenir de diplôme devient particulièrement pénalisant.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-existe-t-il-une-sociologie-de-la-democratisation-scolaire-145106">Débat : Existe-t-il une sociologie de la démocratisation scolaire ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>L’insertion des moins diplômés est plus chaotique, marquée par des périodes d’inactivité ou de chômage, et un enchaînement d’emplois à durée déterminée. Trois ans après leur sortie de l’école, les non-diplômés ne sont que 46 % à occuper un emploi à durée indéterminée, contre 91 % des jeunes sortant des écoles de commerce ou d’ingénieurs.</p>
<p>La démocratisation scolaire a donc un effet pervers, ni voulu ni anticipé : elle accentue la stigmatisation des non-diplômés qui contribue, en retour, au creusement des inégalités de parcours d’insertion professionnelle entre les plus diplômés et ceux qui le sont moins ou ne le sont pas. Par ailleurs, le constat de l’existence de rendements de l’éducation très positifs aux plus hauts niveaux va de pair avec des effets de dévaluation en cascade aux niveaux inférieurs.</p>
<p>En outre, la démocratisation scolaire élève les aspirations des jeunes sans toujours élever leurs opportunités d’emploi, engendrant ainsi un sentiment de frustration et de déclassement. Plus encore, au nom de l’égalité des chances, l’échec scolaire est vécu comme une humiliation et on ne sauve sa dignité qu’en rejetant les valeurs de l’école puisque celle-ci est censée vous avoir ouvert tous les possibles.</p>
<p>Ainsi, les personnes les plus diplômées estiment plus souvent que les autres que les capacités et les efforts sont récompensés, que l’école est juste, et plus globalement que la société est juste.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/79HINXB_EHw?wmode=transparent&start=470" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les inégalités face aux diplômes (France Culture, août 2020).</span></figcaption>
</figure>
<p>Ceci se traduit dans les choix politiques, comme l’illustre la mutation des électorats. En France, comme aux États-Unis et dans d’autres pays comparables, les électorats sociaux-libéraux, démocrates et Verts sont aujourd’hui composés de diplômés alors que les électorats absentéistes, d’extrême droite ou populistes sont composés des vaincus de la compétition scolaire qui se sentent méprisés par les élites, les « experts », les « intelligents », les « mobiles »… En trente ans, la composition des électorats a basculé autour des diplômes puisque c’est désormais le diplôme qui fixe la position sociale.</p>
<p>Aujourd’hui, l’égalité scolaire, n’est pas seulement un enjeu moral de justice. Elle est aussi un enjeu social et politique, et une question de survie pour les sociétés démocratiques, étant donné les clivages et les inégalités que les questions scolaires peuvent engendrer au sein d’une classe d’âge,</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150254/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le long mouvement de massification scolaire enclenché dans notre pays depuis les années 1960 était censé accroître l’attachement aux valeurs démocratiques. Mais il a produit de nouveaux clivages.Marie Duru-Bellat, Professeure des universités émérite en sociologie, Observatoire sociologique du changement, Sciences Po François Dubet, Professeur des universités émérite, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1488512020-11-03T19:41:23Z2020-11-03T19:41:23ZDe George Washington à Donald Trump, 230 ans de campagnes électorales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/366667/original/file-20201030-17-1xjaihh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C0%2C1191%2C801&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président Donald Trump communique énormément via les réseaux sociaux.</span> <span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Alex Brandon</span></span></figcaption></figure><p>Les campagnes présidentielles n’ont pas toujours ressemblé à celle de 2020 – ni, d’ailleurs, à celle de 2016, quand la pandémie de coronavirus n’avait pas encore chamboulé les <a href="https://theconversation.com/pandemic-alters-political-conventions-which-have-always-changed-with-the-times-141663">conventions démocrates et républicaines</a>, la <a href="https://theconversation.com/amid-pandemic-campaigning-turns-to-the-internet-137745">communication politique</a> et les <a href="https://theconversation.com/why-the-supreme-court-made-wisconsin-vote-during-the-coronavirus-crisis-136102">procédures de vote</a>.</p>
<p>Un élément n’a pas changé : tout <a href="https://www.law.cornell.edu/wex/natural_born_citizen">citoyen né sur le territoire américain</a> et <a href="https://www.constitutioncenter.org/blog/why-does-a-presidential-candidate-need-to-be-35-years-old-anyway/">âgé de plus de 35 ans</a> peut se présenter. En revanche, la manière dont s’effectue le choix des candidats a considérablement évolué, tout comme la façon de faire campagne.</p>
<p>Aujourd’hui, les personnes désireuses de concourir à la présidentielle doivent s’enregistrer officiellement en tant que candidats après avoir <a href="https://www.fec.gov/help-candidates-and-committees/registering-candidate/house-senate-president-candidate-registration/">réuni la somme de 5 000 dollars</a>. À partir de là, la Commission électorale fédérale leur demande de s’affilier à un parti politique, qu’ils sont en droit de choisir même si la direction de ce parti <a href="https://www.nytimes.com/2016/07/23/us/politics/dnc-emails-sanders-clinton.html">ne veut pas d’eux pour candidats</a>.</p>
<p>Les élites du parti ont toujours du pouvoir, mais beaucoup moins qu’avant.</p>
<h2>L’ère des hommes d’État</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="George Washington dans son uniforme militaire." src="https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356147/original/file-20200902-20-1n7zn1o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">George Washington savait que d’autres souhaitaient qu’il soit président.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:George_Washington_After_the_Battle_of_Princeton_-_Charles_Willson_Peale_-_Cleveland_Museum_of_Art_(29746887513).jpg">Charles Willson Peale painting via Cleveland Museum of Art</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Lorsque la Convention constitutionnelle créa le régime présidentiel, un grand nombre des pères fondateurs de la nation estimaient que George Washington était la personne idéale pour l’incarner. Malgré ce consensus, ils rencontrèrent un problème pour le moins singulier.</p>
<p>Ils pensaient que quiconque souhaitait se faire élire le faisait pour de mauvaises raisons et utiliserait son pouvoir pour saper l’autorité du gouvernement. C’est pour cette raison que George Washington garda un « silence prudent » sur son aspiration à prendre la tête de l’État, afin de ne pas paraître « <a href="https://founders.archives.gov/documents/Hamilton/01-05-02-0038">orgueilleux et vaniteux</a> ». Il n’avoua qu’en privé qu’il accepterait de devenir le premier président du pays si on le lui demandait.</p>
<p>Étant donné la crainte très réelle de voir, comme par le passé, « des hommes ayant entamé leur carrière en <a href="https://avalon.law.yale.edu/18th_century/fed01.asp">courtisant le peuple de façon obséquieuse</a> » finir, une fois élus, par « renverser les libertés républicaines », il était préférable que les premiers candidats évitent de sembler trop avides de pouvoir.</p>
<p>Thomas Jefferson poussa cette logique jusqu’au bout en <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/46096/american-sphinx-by-joseph-j-ellis/">jurant qu’il ne briguerait plus aucun mandat</a> après avoir été le premier secrétaire d’État de cette nouvelle nation. Ce n’est qu’en recevant une lettre de son ami James Madison l’invitant à « <a href="https://founders.archives.gov/documents/Madison/01-15-02-0405">se préparer</a> » à l’investiture présidentielle qu’il découvrit qu’il participerait au scrutin de 1796. Cette année-là, Jefferson, arrivé second, devint vice-président avant d’accéder, quatre ans plus tard, à la plus haute fonction.</p>
<p>Jusqu’en 1824, les candidats se montrèrent réticents à faire campagne pour eux-mêmes. Cette année-là, le candidat Andrew Jackson se présenta en promettant de <a href="https://theconversation.com/stolen-elections-open-wounds-that-may-never-heal-128613">gouverner pour l’homme du peuple plutôt que pour les élites du parti</a> qui contrôlaient Washington depuis trop longtemps. Les troubles qui précédèrent, accompagnèrent et suivirent la guerre de Sécession ne firent que désorganiser davantage les élections jusqu’à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, quand s’ouvrit l’ère industrielle.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Trois hommes en réunion." src="https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356150/original/file-20200902-14-oein2s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Warren Harding, au centre, aurait été désigné comme candidat républicain à la présidence de 1920 par certaines élites du parti réunies dans une « pièce enfumée ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/chairman-of-the-republican-national-committee-will-h-hays-news-photo/501167655">FPG/Keystone View Company/Archive Photos/Getty Images</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’essor du clientélisme politique</h2>
<p>Au sortir de la Reconstruction, en 1877, la politique américaine n’était pas reluisante. <a href="https://doi.org/10.1177%2F000271623316900104">Quelques représentants des élites des partis se réunissaient dans des salles enfumées</a> pour décider quel candidat soutenir et comment empêcher les autres de remporter les élections.</p>
<p>Une fois au pouvoir, les membres des deux partis se servaient de leur position pour distribuer des postes en échange de pots-de-vin. <a href="https://global.oup.com/ushe/product/gotham-9780195140491?cc=us&lang=en&">En général, les dirigeants des partis exerçaient un large contrôle</a> sur le pouvoir en place, exigeant même un droit de regard sur les nominations décidées par les représentants élus.</p>
<p>En tant que commissaire de la ville de New York, puis gouverneur de l’État du même nom, le républicain Theodore Roosevelt résista tant et si bien au système qu’un des <a href="https://www.worldcat.org/title/boss-platt-and-his-new-york-machine-a-study-of-the-political-leadership-of-thomas-c-platt-theodore-roosevelt-and-others/oclc/75290">responsables de son parti, agacé, fit pression sur sa formation</a> pour qu’elle offre à cet ambitieux politicien le <a href="https://www.washingtonpost.com/news/the-fix/wp/2014/10/03/a-brief-history-of-vice-presidents-bemoaning-the-vice-presidency/">poste notoirement insignifiant de vice-président</a>. Cependant, la manœuvre tourna court avec l’assassinat du président William McKinley en 1901. Devenu président, Roosevelt mit en place une série de réformes progressistes comme le <a href="https://doi.org/10.1111/1540-5907.00011">recrutement au mérite plutôt que par clientélisme</a> qui contribuèrent à réduire l’influence des chefs de parti.</p>
<p>Dans les années 1920, l’invention de la radio offrit aux candidats un moyen encore plus facile de contourner les élites partisanes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Franklin Roosevelt à son bureau" src="https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=779&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=779&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=779&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=979&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=979&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356151/original/file-20200902-20-17xafiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=979&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Grâce à la radio, le président Franklin Roosevelt put s’adresser directement au peuple américain.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.apimages.com/metadata/Index/Watchf-AP-A-DC-USA-APHS468672-FDR-Radio-Appeal/bc99970464444be18346225734999ecf/4/0">AP Photo/Gil Friedberg</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La première révolution médiatique</h2>
<p>L’invention de la radio marqua un tournant décisif dans le processus de démocratisation. Par le biais de ce médium, les présidents purent s’adresser directement aux citoyens et établir un lien plus viscéral entre le chef d’État et le peuple.</p>
<p>Avides de contenus populaires, les radiodiffuseurs obtinrent le droit d’accéder aux conventions de nomination et mirent en avant la radio comme <a href="https://psmag.com/news/airwaves-1924-the-first-presidential-campaign-over-radio-47615">moyen pour le peuple d’en approcher les rouages</a>. Avec l’arrivée de la télévision, au début des années 1950, les <a href="https://time.com/4471657/political-tv-ads-history/">candidats commencèrent à engager des publicitaires</a> pour les aider à se « vendre » directement au peuple sans passer par le parti.</p>
<p>En 1968, le parti démocrate désigna Hubert Humphrey comme candidat à la présidence, sans tenir compte du résultat des primaires. De <a href="https://www.history.com/topics/1960s/1968-democratic-convention">violentes émeutes éclatèrent à Chicago</a>, ce qui entraîna des réformes. Les primaires gagnèrent en importance et les <a href="https://theconversation.com/democratic-republican-parties-both-play-favorites-when-allotting-convention-delegates-to-states-143963">élites perdirent encore de leur pouvoir</a>. Toutefois, la <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2016/01/jimmy-carter-iowa-caucuses/426729/">victoire surprenante de Jimmy Carter dans l’Iowa en 1976</a> conduisit les Démocrates à reprendre les commandes en <a href="https://inthesetimes.com/features/superdelegate-interview-elaine-kamarck.html">créant des superdélégués</a>, c’est-à-dire des personnes sélectionnées par le parti pour apporter leur voix au candidat de leur choix, et potentiellement contourner le résultat des primaires. Ces efforts portèrent leurs fruits… jusqu’à l’apparition des réseaux sociaux.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Barack Obama et Hillary Clinton" src="https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=501&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=501&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=501&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356152/original/file-20200902-22-1bzfa8b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Lors des primaires démocrates de 2008, Barack Obama s’est servi des réseaux sociaux pour mobiliser ses partisans et se faire nommer à la place d’Hillary Clinton.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.apimages.com/metadata/Index/Campaign-2016-Debate-Clinton-s-Experience/532a7608dfae402c8c9716764c7bfd17/1/0">AP Photo/Jae C. Hong, Pool</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La deuxième révolution médiatique</h2>
<p>Pendant les primaires démocrates de 2008, tous les observateurs ou presque pensaient que l’heure d’Hillary Clinton était arrivée. Les acteurs et experts politiques furent peu nombreux à prendre au sérieux la candidature de Barack Obama. Ils pensaient que celui qui se présentait comme un <a href="http://www.nbcnews.com/id/5537216/ns/politics/t/skinny-kid-funny-name-rallies-democrats/">« gamin maigrichon au nom bizarre »</a> apprendrait les ficelles du métier et obtiendrait peut-être, au mieux, un poste ministériel.</p>
<p>Au lieu de cela, Obama a révolutionné la façon de faire campagne en utilisant « <a href="https://www.nytimes.com/2008/11/10/business/media/10carr.html">l’énorme capacité de communication</a> » des réseaux sociaux pour faire passer son message et recruter des bénévoles. Il a exploité l’énergie créée par les plates-formes conçues pour rassembler les « amis » de ses partisans et les inciter à partager leurs intérêts avec n’importe quel membre de leur réseau. Sa capacité à soulever les foules <a href="https://www.huffpost.com/entry/chris-matthews-i-felt-thi_n_86449">et une couverture médiatique très favorable</a> n’ont laissé aucune chance à Hillary Clinton et au parti qui la soutenait : le peuple voulait <a href="https://www.businessinsider.com/memorable-presidential-campaign-slogans-and-why-they-worked">du changement et de l’espoir</a>.</p>
<p>En 2016, le peuple a une nouvelle fois surpris les élites. Donald Trump a réussi à imposer <a href="https://www.iowastatedaily.com/election2012/donald-trump-a-political-outsiders-dream-to-make-america-great-again/article_aedfc2aa-98dd-11e6-b217-37e46a46ef9b.html">sa vision d’un pays en déliquescence</a>, attendant l’arrivée d’un outsider pour lui rendre sa grandeur.</p>
<p>Au départ, les <a href="https://www.washingtonpost.com/lifestyle/style/the-media-didnt-want-to-believe-trump-could-win-so-they-looked-the-other-way/2016/11/09/d2ea1436-a623-11e6-8042-f4d111c862d1_story.html">médias</a> ne l’ont pas davantage pris au sérieux que des responsables de premier plan du parti républicain comme <a href="https://www.ea">Reince Priebus</a> ou <a href="https://www.politico.com/agenda/story/2016/07/why-paul-ryan-wont-accept-or-dismiss-donald-trump-000159/">Paul Ryan</a>. Beaucoup <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/oct/27/hillary-clinton-will-win-what-kind-of-president-white-house-obama">pensaient qu’Hillary Clinton allait le battre</a> à plates coutures.</p>
<p>Encore une fois, les élites ont sous-estimé les réseaux sociaux – cette fois, elles n’ont pas compris à quel point ceux-ci pouvaient diviser le pays. Les <a href="https://www.nytimes.com/2018/04/25/world/asia/facebook-extremism.html">puissants algorithmes</a> utilisés par plusieurs plates-formes <a href="https://www.pbs.org/wgbh/nova/article/radical-ideas-social-media-algorithms/">ont considérablement augmenté la quantité de contenus extrémistes</a> vus par les électeurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"822502450007515137"}"></div></p>
<p>Dans le même temps, Donald Trump a alimenté le sentiment d’injustice éprouvé par une partie des Américains en affirmant qu’il travaillerait pour les « <a href="https://twitter.com/realDonaldTrump/status/822502450007515137">oubliés</a> ». Ce sentiment d’injustice persistant au sein de nombreux groupes, et les actions violentes déployées pour y remédier, restent un facteur important de l’élection actuelle où, une fois encore, un outsider provocant (qui se trouve aussi être le président sortant) affronte un vieux cadre du parti d’en face, bien sous tous rapports.</p>
<p>Chaque président imprime sa marque. Les deux derniers ont pleinement tiré parti du pouvoir d’Internet pour établir un lien direct avec le peuple. Il n’est pas évident d’imaginer la manière dont les futurs présidents utiliseront les outils existants et à venir. En revanche, on voit facilement comment des médias tels que Twitter et YouTube maintiennent le lien et transmettent des éléments d’information.</p>
<p>On voit aussi l’intérêt que représente le fait de créer une communauté sur les médias sociaux, afin de favoriser la diffusion d’un message politique par le biais des réseaux de militants et de leurs amis. Mais on voit mal, quand on repense aux <a href="https://medium.com/@rickbrownell/great-presidential-speeches-that-moved-a-nation-e0de4c17426e">grands discours des présidents américains d’autrefois</a>, comment on pourrait condenser ces moments émouvants en 280 caractères.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Catherine Biros pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148851/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sarah Burns est Senior Fellow de l'Institute for Humane Studies.</span></em></p>La façon dont les candidats à la présidence briguent la plus haute fonction de l’État a significativement évolué au cours des siècles.Sarah Burns, Associate Professor of Political Science, Rochester Institute of TechnologyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1449682020-08-27T18:49:54Z2020-08-27T18:49:54ZBonnes feuilles : « Les Mandarins 2.0. Une bureaucratie chinoise formée à l’américaine »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/354399/original/file-20200824-24-b69m7k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=257%2C0%2C3476%2C2041&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">District de Pudong, Shanghai.</span> </figcaption></figure><p><em>La Chine de Xi Jinping se présente sur la scène internationale comme un modèle de modernisation alternatif à celui du monde occidental. Pourtant, une grande partie de sa bureaucratie se forme depuis le début du siècle à l’aide de méthodes d’inspiration américaine. Dans <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100637910">« Les Mandarins 2.0. Une bureaucratie chinoise formée à l’américaine »</a>, publié le 20 août 2020 aux Presses de Sciences Po, Alessia Lo Porto-Lefébure se penche sur le cas du master en administration publique, programme promu par la Harvard Kennedy School, arrivé en Chine avec le nouveau siècle. Elle nous donne à voir comment la classe dirigeante négocie au quotidien la modernisation économique du pays et le maintien d’un régime autoritaire. Extraits de l’ouvrage.</em></p>
<hr>
<p>Entre 1999 et 2010, à une époque de profondes réformes du système universitaire et de l’administration, se met en place en République populaire de Chine un nouveau type de formation universitaire au management public, le MPA (<a href="http://www.theses.fr/2016IEPP0011">Master in Public Administration</a>). Ce master peut sembler au premier abord une création étonnante du fait de son inspiration étrangère dans un domaine où l’incompatibilité entre les institutions et les systèmes politiques chinois et américain paraît la plus prononcée.</p>
<p>J’ai voulu, au fil de cet essai, retracer la trajectoire de ce projet éducatif, décrivant ainsi un cas précis, délimité dans le temps et dans l’espace. L’intérêt de l’histoire spécifique du MPA est de montrer l’une des facettes de la conduite du changement institutionnel en Chine aujourd’hui. L’incursion à l’échelle « micro » dans trois universités (deux à Pékin et une à Shanghai) éclaire deux transformations en cours dans ce pays : celle de l’enseignement supérieur et celle de la bureaucratie.</p>
<p>J’ai ouvert cet essai par un certain scepticisme quant aux possibilités de transfert d’un modèle éducatif et d’une culture administrative entre systèmes et contextes aussi distincts l’un de l’autre que ceux des États-Unis et de Chine. L’essor rapide de la version chinoise du MPA indique pourtant que la greffe a réussi. Comme toutes les adaptations d’espèces lors d’une transformation d’écosystème, une mutation a eu lieu. Tel un organisme génétiquement modifié, le MPA d’inspiration américaine est devenu résistant et capable de s’adapter au contexte local en subissant une transformation dont rend compte cet ouvrage.</p>
<h2>« Modernité non capitaliste »</h2>
<p>L’histoire du MPA nous aide à comprendre deux problématiques plus larges. La première est celle de la circulation transnationale des modèles éducatifs : par quels ressorts et mécanismes l’enseignement supérieur permet-il la diffusion d’idées d’un système de valeurs à un autre ? La deuxième est celle de la maîtrise de la transformation de l’État : comment se gère le changement au sein d’un système politique fondé sur le contrôle de l’État par un Parti communiste qui gouverne sans alternance ni séparation des pouvoirs ? Ce qui se passe en Chine aujourd’hui est difficile à interpréter à l’aune des paradigmes connus dans les démocraties occidentales.</p>
<p>Les modèles et trajectoires de développement historiquement testés au cours du XX<sup>e</sup> siècle associaient l’économie de marché à la mise en place de formes de démocratie libérale. Les totalitarismes du XX<sup>e</sup> siècle ont été considérés comme des mouvements antimodernes, dans la mesure où, comme le rappelle l’historien et philosophe Marcel Gauchet, ils ont conduit à la négation de l’autonomie des individus en leur imposant des formes de soumission, qu’il s’agisse d’idéologies ou de « religions séculières ». Penser la modernité en dehors du cadre de la démocratie libérale a été jusque-là difficile. Pourtant, la Chine de l’après-1978 semble engagée dans la voie de l’expérimentation politique, lui permettant de concilier modernité et maintien d’un régime non démocratique.</p>
<p>Prenant appui sur le cas de la Chine, le philosophe Alain Badiou a tenté de formuler l’hypothèse d’une <a href="https://www.philomag.com/les-idees/alain-badiou-marcel-gauchet-que-faire-10363">« modernité non capitaliste »</a>, tandis que le PCC préfère parler d’un socialisme « aux caractéristiques » ou « aux couleurs » chinoises, combinant des éléments pluralistes (les élections au niveau municipal et intra-Parti, la garantie de quelques droits et libertés fondamentales, et des formes embryonnaires d’État de droit) avec le système de l’État-Parti, caractérisé par un parti unique et par la coercition et la surveillance propres aux régimes autoritaires. (Parmi les intellectuels chinois qui tentent de théoriser l’exceptionnalisme chinois en matière de démocratie, rappelons Jiang Qing (Académie Yangming), He Zhengke (université de Pékin), Cui Zhijuan (université Tsinghua), Pan Wei (université de Pékin). Leurs positions sont présentées et discutées par Emilie Frenkiel dans <a href="https://www.puf.com/content/Parler_politique_en_Chine"><em>Parler politique en Chine</em></a>).</p>
<p>La persistance du contrôle du Parti engendre une économie socialiste de marché chinoise qui ne ressemble pas aux typologies de capitalisme connues, y compris en Asie. Les élites économiques, administratives et politiques coïncident, et créent des institutions qui ressemblent aux nôtres avec pourtant des mécanismes de gouvernance qui fonctionnent différemment. Plusieurs secteurs économiques et scientifiques ont été ouverts à la concurrence mondiale, mais avec le soutien financier appuyé de l’État. Un véritable marché du travail prend forme, toutefois les nominations des hauts responsables des grands groupes industriels et financiers suivent toujours le système de nomenclature propre aux régimes communistes.</p>
<p>La Chine post-maoïste est hybride également dans le domaine politique où le Parti, en alternant phases de fermeture et d’ouverture, tente de redéfinir et de réinventer la notion de démocratie, pour expérimenter des élections certes, mais dans un périmètre bien défini et étroit. La Chine a bien une Constitution, dont la force juridique n’est pas au-dessus des lois, tout comme elle affirme avoir une rule of law, qui ne correspond pas pour autant à la définition d’un État de droit, essentiellement du fait de l’absence de séparation des pouvoirs. Le Parti lui-même est au-dessus des lois.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/354395/original/file-20200824-24-18gscfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354395/original/file-20200824-24-18gscfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354395/original/file-20200824-24-18gscfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354395/original/file-20200824-24-18gscfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=916&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354395/original/file-20200824-24-18gscfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1151&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354395/original/file-20200824-24-18gscfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1151&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354395/original/file-20200824-24-18gscfm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1151&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">2020 Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De nombreux Chinois considèrent que leur régime constitue une forme de démocratie. Il existe une société civile, ainsi qu’une opinion publique, à côté de puissants systèmes de contrôle, de répression et d’atteinte à la liberté d’expression individuelle. Les réformes indiquent que le Parti a l’intention d’adopter certaines institutions des démocraties occidentales, tout en opérant un choix parmi celles-ci. Ainsi sont acceptées la compétition internationale, la sélection par la compétence, l’autonomie de gestion des établissements d’enseignement supérieur – autant de domaines qui sont cruciaux pour l’innovation et la montée en gamme scientifique et technologique. Sont exclus en revanche les contre-pouvoirs, la démocratie électorale, la presse indépendante et la liberté syndicale. Comme si le gouvernement chinois voulait exercer un droit d’inventaire parmi les expériences des autres pays, trouver des raccourcis et sauter des étapes en <a href="https://www.researchgate.net/publication/249688901_Administrative_Reform_in_China%E2%80%99s_Central_Government_-_How_Much_Learning_from_the_West">tirant des enseignements</a> des échecs des autres. Le Parti trie, imite, innove et réforme.</p>
<p>Le maître mot est « modernisation », un concept qui rassemble et fédère opinions publiques nationales aussi bien qu’internationales : le terme prend une signification variable selon les circonstances, pour être associé à la transition démocratique, à l’efficacité, à la transparence et à la bonne gouvernance, ou bien au contraire au service de la recherche d’une voie singulière, associant compétitivité économique et scientifique, puissance internationale et stabilité politique, tout en restant dans le cadre du parti unique. Le contexte géopolitique de compétition mondiale dans lequel le gouvernement conduit le miracle économique chinois donne lieu à une inévitable tension entre volonté d’innovation et impératif de stabilité politique.</p>
<p>L’État-Parti cherche à combiner contrôle interne et puissance externe, en réformant autant que nécessaire pour accroître la compétitivité de ses industries, notamment par le capital humain. Le MPA contribue à une telle course au rattrapage de compétences. En tant que dispositif de formation de la bureaucratie importé dans l’université chinoise sans articulation avec les dispositifs antérieurs, il se situe précisément au cœur de ce processus de modernisation et de la tension qui lui est sous-jacente. Cet essai traite finalement de la question essentielle de l’éthos, c’est-à-dire des valeurs qui orientent les choix personnels et professionnels des nouvelles générations de bureaucrates en Chine.</p>
<h2>Contribuer au consensus</h2>
<p>Par l’action du MPA, une rencontre féconde a lieu entre l’enseignement des politiques publiques, inspiré de théories étrangères et confié à des enseignants formés hors de Chine, et l’univers des pratiques administratives dans lequel évoluent les élèves chinois.</p>
<p>Ce déplacement de lignes accélère l’adoption de pédagogies, méthodes de travail et formes de gouvernance jusque-là inconnues de l’environnement de réception, dont les effets se ressentent dans les universités et jusqu’aux lieux de travail des élèves. Une nouvelle culture administrative est en construction.</p>
<p>Les réflexions des élèves de MPA, souvent distanciées et désenchantées vis-à-vis de l’idéologie communiste, sont aussi, de façon cohérente les unes avec les autres, en grande résonance avec ce qui peut être appelé le « projet officiel » du gouvernement de l’époque (1998-2008). Le discours de nécessaire modernisation du pays par le développement économique suscite l’adhésion de la quasi-totalité des élèves et enseignants des MPA. Nous pourrions ainsi relire l’histoire du MPA comme celle de la recherche par l’État-Parti d’un relais supplémentaire pour consolider la légitimation sociale de ses politiques.</p>
<p>L’université et les formations d’inspiration occidentale comme le MPA contribuent au consensus autour du discours modernisateur. Quand le gouvernement autorise les établissements d’enseignement supérieur à offrir un diplôme de facture étrangère au nom d’un impératif de professionnalisation et de modernisation de son administration, il provoque l’adhésion de plusieurs publics : les citoyens administrés, la communauté universitaire et les fonctionnaires.</p>
<p>En amenant les cadres du secteur public sur le terrain de la professionnalisation – au sens de technicité neutre et moderne parce que conforme aux standards mondiaux – l’État-Parti introduit un nouveau type de contrôle. Celui-ci n’est plus fondé sur la censure, la coercition ou la transmission d’une idéologie. En choisissant de développer leurs compétences professionnelles et, partant, le perfectionnement scientifique de l’administration, les élèves de MPA acceptent volontairement la relation État-société telle que le Parti la propose aujourd’hui, devenant ainsi des relais de légitimation (Luigi Tomba, « “A Harmonious Society” : Changing Governance Patterns in Urban China », communication non publiée, présentée à l’occasion de la Fourth International Convention of Asia Scholars (ICAS 4), août 2005, Shanghai).</p>
<h2>Rôle d’éclaireurs</h2>
<p>La formation en MPA, puis l’application des bonnes pratiques apprises, font de ces jeunes diplômés des citoyens vertueux qui incarnent l’adhésion au Parti, mais pour des raisons qui n’ont rien à voir avec l’alignement sur l’idéologie communiste. La méthode du cas renforce l’adhésion au discours modernisateur en ce sens qu’elle introduit l’idée que les politiques publiques ne sont pas liées à des idéologies, mais se rapportent à des questions économiques et techniques. Si l’on peut étudier un cas chinois à Cambridge et un cas américain à Pékin en faisant abstraction de la nature du régime, alors tous les régimes se valent. Il suffit d’avoir su embrasser la modernité, en adaptant successivement les principes de développement économique, puis les techniques de formation des démocraties occidentales.</p>
<p>Être moderne équivaut à être démocratique, ou plutôt dispense de l’être. Sans pouvoir déceler chez les élèves de MPA la volonté prononcée de contribuer à une transition vers un régime démocratique « à l’occidentale », on peut néanmoins affirmer que cette formation contribue à forger une vision et des valeurs communes.</p>
<p>Grâce au MPA, ces acteurs s’identifient dans un rôle d’éclaireurs, presque une avant-garde, à même de maîtriser anciens et nouveaux codes, de naviguer et de se développer professionnellement dans un système où subsiste une logique de méritocratie fondée sur la loyauté politique. Ils se préparent à anticiper une probable transformation des règles du jeu vers un système davantage fondé sur le savoir et les compétences professionnelles.</p>
<p>Une administration réellement plus moderne peut donc avoir intérêt à court terme à assurer la stabilité du système dont elle est bénéficiaire. Ceci n’exclut pas, lorsque les contraintes externes auront changé, qu’elle dispose de tous les instruments, dont le capital humain fait partie, pour s’adapter aisément à un nouveau régime. Les connaissances et compétences sont bien acquises, mais elles sont « en puissance » du point de vue de leur exercice. Les agents de l’État formés dans les MPA chinois veulent jouer sur tous les fronts, maximiser leurs chances d’ascension sociale, quelle que soit la direction prise par le pays. Ils sont prêts à suivre les opportunités là où elles se présenteront.</p>
<p>Si, à l’avenir, une dynamique modernisatrice prévaut – érigeant le mérite et la compétence en valeurs suprêmes pour la promotion dans les administrations et le Parti –, le MPA aura donné à ces professionnels les références et la crédibilité nécessaires pour embrasser le nouvel environnement. Si, au contraire, une dynamique conservatrice s’impose – celle qui préserve et perpétue des comportements et des pratiques du passé pour que le changement se construise non pas en opposition, mais en s’appuyant sur les ressources internes au système –, le MPA ne fera pas obstacle à ce que ces individus se maintiennent et progressent dans un système qu’ils n’ont jamais contesté.</p>
<p>Forts de leurs compétences élargies et d’une perspective nouvelle sur la gouvernance, les Chinois diplômés du MPA incarnent en définitive un paradoxe : ils sont à la fois agents de stabilité et de continuité, et acteurs en puissance du changement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/144968/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alessia Lefébure ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si la Chine entend proposer un modèle de modernisation alternatif à celui du monde occidental, une partie de sa bureaucratie se forme dans des masters d’inspiration américaine. Explications.Alessia Lefébure, Directrice adjointe, directrice des études, École des hautes études en santé publique (EHESP) Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1323922020-02-24T17:09:11Z2020-02-24T17:09:11ZPetit guide de survie à l’usage de l’homme politique mis en cause<p>« Je ne reconnais aucune de ces infamies pour lesquelles on me poursuit » : c'est en ces termes que s'est <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/12/01/nicolas-sarkozy-au-proces-des-ecoutes-je-ne-reconnais-aucune-de-ces-infamies-pour-lesquelles-on-me-poursuit_6061717_3224.html">exprimé</a> Nicolas Sarkozy, ancien Président de la République, lors du procès dit «des écoutes», démarré lundi 30 novembre. </p>
<p>Dans ce procès, comme le rapporte le journal <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/11/26/corruption-dans-l-affaire-des-ecoutes-pourquoi-nicolas-sarkozy-est-il-juge_6061212_4355770.html"><em>Le Monde</em></a>, «Nicolas Sarkozy est suspecté d’avoir tenté d’obtenir d’un magistrat à la Cour de cassation, Gilbert Azibert, des informations confidentielles le concernant, voire de peser sur une procédure engagée dans l’affaire Bettencourt». </p>
<p>Or, comme l’ont montré <a href="https://www.parislibrairies.fr/livre/9782200621261-sociologie-des-elites-delinquantes-de-la-criminalite-en-col-blanc-a-la-corruption-politique-2e-edition-pierre-lascoumes-carla-nagels/">Carla Nagels et Pierre Lascoumes</a>, cette affaire, comme d'autres avant elle, illustre bien la façon dont les élites économiques et politiques, lorsqu’elles enfreignent les règles, cherchent à tenir à distance le stigmate dégradant de « délinquant ».</p>
<h2>Tenir à distance le stigmate de la délinquance</h2>
<p>En effet, une constante de la déviance des élites est que, précisément, elles ne se perçoivent pas comme délinquantes, même quand elles font l’objet d’une répression pénale ou d’une peine de prison. Ainsi, <a href="https://www.lepoint.fr/societe/revelations-du-monde-sur-sarkozy-herzog-scandalise-07-03-2014-1798759_23.php">Nicolas Sarkozy</a> de se scandaliser, en sortant de garde à vue en 2014 :</p>
<blockquote>
<p>« Vous rendez-vous compte ! ? J’ai été traité comme un délinquant ! »</p>
</blockquote>
<p>Du fait de leur proximité avec les lieux de pouvoir et les ressources symboliques et culturelles dont elles disposent, les élites sont en mesure de développer un ensemble de « techniques de neutralisation » de la fraude, soit des mécanismes de rationalisation efficaces et complexes qui permettent de justifier la transgression, de la minimiser ou de l’excuser. L’objectif de ces mécanismes est de maintenir à distance « le stigmate de la délinquance ».</p>
<h2>Une activité transgressive « habituelle »</h2>
<p>D’après <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1745-9125.1985.tb00365.x">Michael Benson</a>, professeur de droit à l’Université de Cincinnati, maîtriser la perception relative aux faits délictueux et tenir à distance la dégradation symbolique repose sur quatre mécanismes.</p>
<p>Dans un premier temps, la défense devra dépeindre l’activité transgressive comme normale, routinière, habituelle, de façon à lui ôter sa dimension blâmable et transgressive. Il faudrait par exemple laisser entendre que la pratique était habituelle « dans ce milieu ».</p>
<p>Ensuite les mis en cause seront présentés par leurs soutiens comme des personnes hautement respectables, et ce de façon indiscutable, sans ambiguïté. </p>
<p>Le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/02/18/affaire-fillon-les-dessous-d-une-pme-familiale_6029908_823448.html">procès</a> de François Fillon et de son épouse, poursuivis en février 2020 pour « détournement de fonds publics » et « abus de bien sociaux », a illustré un phénomène similaire. </p>
<p>Le conseil de François Fillon pouvait ainsi mobiliser la « grandeur relative » de l’ancien premier ministre arguant que les faits dont il a pu se rendre coupable seraient relativement peu importants au regard du service rendu à la France dans le cadre de son exercice ministériel.</p>
<h2>Une présomption de moralité pour les élites</h2>
<p>Pour Pierre Lascoumès, les élites bénéficient en effet d’une « présomption de moralité », soit une « barrière mentale », une incapacité à « imaginer » que l’élite, élue ou nommée, puisse se commettre dans des actes délictueux, là où elle était précisément chargée de produire et faire respecter la norme.</p>
<p>Les élites seraient aussi nécessaires au bon fonctionnement de la société, qui ne pourrait s’organiser autrement que par cette hiérarchie sociale, qui permet encore l’idéal républicain de méritocratie sur lequel s’appuie largement Fillon et le courant de la droite dans lequel il s’inscrit. D’autre part, d’après Lascoumès, les élites se présentent comme <a href="https://link.springer.com/article/10.1023/A:1013399001934">« supérieures »</a> aux autres, elles échappent aux finalités ordinaires, qu’elles surplombent.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/69QyiNFy5Hs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">François Fillon, alors premier ministre, se rend dans une maison de retraite où il affiche une certaine méconnaissance des réalités, mars 2017.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Plaider « l’erreur de jugement »</h2>
<p>Lorsque les élites ne parviennent pas à nier leur implication dans une infraction, la situation est alors présentée comme une aberration ou un accident de parcours dépourvu de toute intentionnalité fautive : « C’est une erreur de jugement que je regrette profondément ».</p>
<p>D’après Lascoumes, les élites se caractérisent par leur rapport aux normes, qu’elles produisent et aménagent, ce qui permet de faire en sorte que les activités dans lesquelles elles s’insèrent ne soient pas vues ou lues par la loi comme des crimes mais comme des « erreurs ».</p>
<p>Ici sera alors plaidé un égarement passager, qui ne caractérise en rien l’individu mis en cause. Celui-ci ne peut être qualifié de « délinquant » alors qu’il a simplement commis une « erreur » singulière.</p>
<p>Fillon lui-même pourrait mobiliser cet argument en se positionnant en surplomb de la situation judiciaire, par la formule désormais convenue selon laquelle il « assume toute la responsabilité » des faits qui lui sont reprochés, se donnant là encore la possibilité de se tenir à distance de la situation dans laquelle il est placé en la qualifiant comme s’il en était détaché.</p>
<h2>Un rapport particulier des élites à la norme</h2>
<p>Une fois construit ce tableau, Fillon et ses conseils pourront alors reprendre la main sur le débat, invitant à interroger « qui » avait intérêt à ces révélations spectaculaires. <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/affaire-penelope-fillon-la-replique-cinglante-du-canard-enchaine-aux-theories-complotistes-7787044917">Il a ainsi été dit</a> que les révélations du <em>Canard Enchainé</em> ont coûté au favori des Républicains son siège lors de la campagne présidentielle de 2017.</p>
<p>Il est tout à fait intéressant de noter là encore le rapport particulier de l’élite à la norme : tantôt elle la fabrique, tantôt celle-ci serait instrumentalisée à son encontre. C’est là encore le cas de Carlos Ghosn, dont la « fuite » est présentée comme une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2018/12/21/qui-sont-les-protagonistes-de-la-spectaculaire-affaire-ghosn_5400852_3234.html">« évasion »</a> qui se justifie au regard de son statut social, au-dessus des lois.</p>
<p>Finalement, dans ce registre, la gravité des faits est transformée en gravité de l’accusation : l’accusation dont l’homme est victime serait la preuve même de sa grandeur, si bien qu’accuser l’ancien premier ministre des Français ce serait presque en vouloir à la démocratie même.</p>
<p>En parallèle, le travail de la défense consistera à saper la crédibilité, voire la moralité de ceux qui les accusent, en montrant qu’ils sont partiaux ou règlent des comptes, qu’ils agissent par ressentiment ou égoïsme et non pour la défense de valeurs universelles.</p>
<h2>Le coupable-innocent : les rituels de restauration</h2>
<p>Si les juges ne sont pas sensibles à ces arguments, il faudra alors que la défense articule une seconde phase, <a href="https://journals.openedition.org/champpenal/8388">décrite par Lascoumes</a> comme celle des « rituels de restauration » :</p>
<blockquote>
<p>« Quand une personne « respectable » est mise en cause et menacée par des rituels de dégradation, plusieurs dynamiques visent à contrecarrer efficacement le processus d’étiquetage. Les dynamiques de disqualification et de restauration s’entremêlent. »</p>
</blockquote>
<p>Ces rituels peuvent être techniques, pour traquer la faille de procédure. Les élites sont ainsi en mesure de maîtriser le calendrier, dont la longueur peut tourner à leur avantage dans le cadre du rituel de restauration : il s’agit de brouiller les pistes, de lancer des <a href="https://www.telerama.fr/monde/comprendre-les-procedures-baillons-le-stade-ultime-de-l-intimidation-judiciaire,158229.php">procédures-baillons</a> contre la partie adverse ou d’évoquer des <a href="https://www.nouvelobs.com/justice/20130121.OBS6018/la-qpc-eteignoir-pour-les-affaires-sensibles.html">questions prioritaires de constitutionnalité</a> qui repoussent les procès dans le temps. Les conseils peuvent ainsi « jouer la montre », puis dans le même temps décrier une justice « trop tardive », rendue « trop longtemps après les faits » ou encore tout à la fois un « acharnement judiciaire » à l’encontre de leur client. En parallèle, des voix opportunes peuvent s’élever pour décrire combien le mis en cause, lui-même, attend ce procès, qui « fera toute la lumière sur l’injuste situation dont il est victime ». Lascoumes souligne à cet égard l’importance du « réseau » pour les élites et le rôle de soutien de moralité que celui-ci peut jouer.</p>
<p>Ces rituels produisent finalement un « coupable-innocent » : « un déviant coupable, mais épargné par le stigmate ».</p>
<p>Dans le cas du procès Fillon, il pourrait être soulevé l’idée que celui-ci a « déjà payé » son dû, par la destitution symbolique qui a succédé à la révélation des faits.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132392/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mahaut Fanchini a reçu des financements de Université Paris-Dauphine, Université Paris-est Créteil. </span></em></p>« Traité comme un délinquant ! » : décryptage de la façon dont les élites tiennent à distance le stigmate de la délinquance.Mahaut Fanchini, Maîtresse de conférences en sciences de gestion, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1272852019-11-20T22:40:02Z2019-11-20T22:40:02ZComment la surenchère anti-élite imprègne la campagne présidentielle américaine<p>La publication, le 5 novembre dernier, du livre de Donald Trump Jr., <a href="https://www.centerstreet.com/titles/donald-trump-jr/triggered/9781546086031/"><em>Triggered : How the Left Thrives on Hate and Wants to Silence Us</em></a> (Hystériques : comment la gauche se nourrit de haine et veut nous faire taire), est venue alimenter le discours anti-élite dans une campagne présidentielle dont le contexte, marqué par une procédure de destitution en cours, est tout à fait inédit.</p>
<p>L’auteur affiche clairement l’ambition de son pamphlet : ce livre, proclame-t-il, est « le livre que les élites de gauche ne veulent pas que vous lisiez ». Outrancièrement polémique, l’ouvrage s’en prend aux Clinton, à l’ex-vice-président Joe Biden (actuellement en course pour l’investiture démocrate), au procureur Robert S. Mueller et à plusieurs autres représentants de l’élite intellectuelle et politique issue de la côte Est des États-Unis. Laissons de côté l’identité de l’auteur – exemple-type de la reproduction de classe – et analysons les soubassements de l’anti-élitisme américain.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/302251/original/file-20191118-66953-1sskmr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/302251/original/file-20191118-66953-1sskmr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/302251/original/file-20191118-66953-1sskmr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/302251/original/file-20191118-66953-1sskmr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/302251/original/file-20191118-66953-1sskmr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/302251/original/file-20191118-66953-1sskmr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/302251/original/file-20191118-66953-1sskmr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Donald Trump, Jr. pendant une séance de dédicace de son dernier livre, le 5 novembre 2019, dans une librairie de New York.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/centerstreetbooks/photos/a.3048311981849946/3048312155183262/?type=3&theater">Center Street</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une critique qui ne date pas d’hier</h2>
<p>La critique de la dérive élitiste des États-Unis est un sujet déjà ancien, dont l’apogée se situe durant la guerre froide. La sociologie critique dénonçait alors la formation d’une « élite au pouvoir » (selon le titre d’un <a href="https://www.contretemps.eu/bonnes-feuilles-lelite-au-pouvoir-de-charles-wright-mills/">fameux ouvrage de Charles Wright Mills</a>) inféodée au complexe militaro-industriel et exerçant une influence colossale au détriment du traditionnel équilibre des institutions politiques américaines (<em>checks and balances</em>). Les limites de ce mythe d’une classe dirigeante socialement homogène, consciente de son statut et conspiratrice furent immédiatement mises en lumière par <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1965_num_15_1_392834">Raymond Aron</a> et <a href="https://www.amazon.co.uk/myth-ruling-class-translation-Paperbacks/dp/B0007DEL5K">d’autres</a> défenseurs du pluralisme démocratique.</p>
<p>Avec la crise financière de 2008 et l’essor des populismes, la critique de l’<a href="https://rowman.com/isbn/9780742553613/elite-foundations-of-liberal-democracy">élitisme démocratique</a> renaît de ses cendres. Lors des primaires puis de la campagne présidentielle de 2016, le retour en force de la rhétorique anti-élite avait donné lieu à une surenchère féroce entre républicains et démocrates. Donald Trump, d’un côté, et Bernie Sanders, de l’autre, en avaient fait un argument majeur contre la candidature d’Hillary Clinton. Le premier lui reprochait d’incarner l’élite mondialisée faisant primer son intérêt de classe sur celui du peuple américain, et qualifiait notamment la Fondation Clinton d’<a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2016/08/22/97001-20160822FILWWW00152-trump-reclame-la-fermeture-de-la-fondation-clinton.php">entreprise la plus corrompue de l’histoire politique</a>. Le second dénonçait la proximité de sa concurrente démocrate avec les <a href="https://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev-soc-070513-075314?journalCode=soc">« 1 % »</a> de super-riches toujours enclins à accroître leur puissance financière au détriment des classes moyennes et populaires. À travers la mobilisation des réseaux sociaux et, en particulier, l’utilisation outrancière de tweets facilitant l’anathème, la dénonciation de l’élitisme est devenue une arme politique majeure – une arme qu’une partie de la droite républicaine et de la gauche démocrate emploie de nouveau aujourd’hui.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"781619038699094016"}"></div></p>
<h2>Anti-élitisme de gauche…</h2>
<p>Aujourd’hui encore, la critique s’est cristallisée du côté des démocrates, dans le prolongement du mouvement urbain <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/06/07/occupy-wall-street-le-retour_4940168_3222.html">Occupy Wall Street</a>. Certains des candidats à la présidentielle de 2020 comme Bernie Sanders et, plus récemment, Elizabeth Warren continuent de faire usage de l’argument anti-élite d’un point de vue purement économique. Ils attaquent d’une même voix le président Trump en dénonçant sa collusion avec le pouvoir d’une oligarchie économique qu’ils considèrent comme la principale bénéficiaire de sa politique de <a href="https://www.thebalance.com/tax-cuts-definition-types-and-how-they-work-3306328">« tax cuts »</a>. Outre son rôle majeur dans l’accroissement des inégalités sociales, cette élite ploutocratique serait dotée, via le mécanisme du financement des campagnes électorales, d’un pouvoir d’influence démesuré. Les décisions successives de la <a href="http://www.ncsl.org/research/elections-and-campaigns/campaign-finance-and-the-supreme-court.aspx">Cour Suprême sur la dérégulation du financement des campagnes électorales</a> abondent dans le sens de la critique avancée par ces démocrates.</p>
<p>L’enjeu des prochaines élections serait dès lors de libérer la démocratie américaine de l’emprise de cette oligarchie financière et de redistribuer les richesses que celle-ci a injustement accaparées. La gauche démocrate propose ainsi la réorientation des impôts vers les « milliardaires », la suppression de la dette contractée par les étudiants pour financer leurs études universitaires, ou encore la création d’un programme public d’assurance maladie universelle (<a href="https://www.healthline.com/health/what-medicare-for-all-would-look-like-in-america">Medicare for All</a>).</p>
<h2>… et anti-élitisme de droite</h2>
<p>Du côté des républicains, la rhétorique anti-élite a une dimension plus culturelle. Elle trouve son origine dans les conflits autour du mouvement des droits civiques et de la protestation contre la guerre du Vietnam, quand les élites intellectuelles et médiatiques ont <a href="https://www.the-american-interest.com/2012/12/12/war-and-the-intellectuals/">traité par le mépris les sentiments patriotiques de la majorité silencieuse des citoyens américains</a>. Ce sentiment culturel, <a href="https://www.jstor.org/stable/20446425?seq=1#page_scan_tab_contents">initié par Richard Nixon, a été entretenu par Ronald Reagan et les deux présidences Bush</a>, tout comme par la plupart des candidats républicains à l’élection suprême. Ce répertoire politique ciblant les élites progressistes démocrates fut relativement payant.</p>
<p>Aujourd’hui, l’anti-élitisme républicain cherche à durcir l’opposition entre, d’une part, l’Amérique des grandes métropoles mondialisées dont Washington est l’épicentre et, d’autre part, l’Amérique oubliée des territoires périphériques, notamment ceux ayant subi une forte désindustrialisation (<a href="http://hdea.paris-sorbonne.fr/node/172"><em>rust belt</em></a>). Il fut un temps porté par le mouvement du <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02156275"><em>Tea Party</em></a> qui dénonçait le rôle des élites washingtoniennes dans la crise fiscale et les coûteux programmes de l’Administration Obama. La réforme d’extension de la couverture maladie en direction des citoyens les plus démunis, qualifiée d’<em>Obamacare</em>, incarnait tout particulièrement, <a href="https://www.nytimes.com/2009/09/13/us/politics/13protestweb.html">aux yeux de ce mouvement</a>, la mise en œuvre du « big government ». Une fois élu président, Donald Trump a concrétisé cette critique en <a href="https://journals.openedition.org/ideas/4153">s’attaquant frontalement à cette réforme</a>.</p>
<p>Pour marquer son leadership populiste, Donald Trump a systématisé la dénonciation le rôle négatif de l’<em>establishment</em> washingtonien. Historiquement nourri par les grandes universités de la côte Est, l’« entre-soi » de ces élites corrompt, selon lui, encore et toujours l’État fédéral. Un <a href="https://www.courrierinternational.com/article/etats-unis-trump-le-deep-state-se-rebiffe">« deep state »</a> se serait ainsi constitué, avec la bénédiction des médias, à partir d’une alliance entre bureaucrates, experts des politiques publiques et politiciens démocrates. Ce « deep state » aurait la capacité de bloquer toutes les initiatives politiques du président, mues par son désir de défendre l’Amérique. Dans cette même perspective, le résultat des élections de mi-mandat de novembre 2018, qui ont donné la majorité à la Chambre des Représentants aux démocrates, aurait favorisé l’élargissement dudit « deep state » au Congrès.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1185029472132698113"}"></div></p>
<h2>L’anti-élitisme contre le pluralisme ?</h2>
<p>Donald Trump Jr. peut ainsi dénoncer, à court terme, la procédure de destitution initiée par Nancy Pelosi, présidente démocrate de la Chambre de Représentants. Le déclenchement de cette procédure ne serait selon lui rien d’autre que la manifestation du complot fomenté par les élites ancrées au plus haut niveau de l’État. Le choix de cette procédure serait un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/02/procedure-de-destitution-donald-trump-denonce-un-coup-d-etat_6013854_3210.html">« coup d’État »</a> de ces élites qui contestent sa légitimité démocratique. </p>
<p>À moyen terme, Donald Trump Jr. et ses <em>spin doctors</em> – l’auteur de <em>Triggered</em> n’a pas de fonction officielle mais il s’affirme dans l’équipe des conseillers de son père et <a href="https://www.thedailybeast.com/donald-trump-jr-says-hes-thinking-about-running-for-office">s’autorise à penser à un engagement politique futur</a> – mettent en place une arme de campagne efficace contre le futur challenger démocrate de son père, quel qu’il soit : Joe Biden aura, en effet, bien du mal à se dissocier de l’héritage des Clinton et de Barack Obama ; Elizabeth Warren devra faire oublier sa condition de professeur de droit de la très élitiste université d’Harvard ; enfin, Bernie Sanders, réélu au Congrès depuis 1991, passera pour un représentant de la vieille classe politique attachée à ses fonctions électives.</p>
<p>Dans cette guerre des anti-élitismes, il est à craindre que les fondements pluralistes de la démocratie américaine posés par les pères fondateurs de la Constitution soient en passe d’être ébranlés. En effet, si chaque opinion provenant des « élites » est systématiquement dénigrée et rejetée, ce pluralisme tant vanté sera significativement affaibli.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127285/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La campagne électorale américaine est marquée par la résurgence d’un discours anti-élite porté aussi bien par le camp de Donald Trump que par plusieurs de ses adversaires démocrates.William Genieys, Directeur de recherche CNRS au CEE à Sciences Po, Sciences Po Larry Brown, Professeur invité au Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (LIEPP), Sciences Po, Columbia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1263322019-11-05T17:05:59Z2019-11-05T17:05:59ZLiban : et demain, on fait quoi ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/300219/original/file-20191105-88372-d6p7z5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C0%2C3387%2C2622&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation le 27 octobre à Jal El Dib, près de Beyrouth.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/tongeron91/48970273993">tongeron91/flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Après deux semaines de rassemblements et de blocage des routes principales, cette question, qui a donné son titre à une célèbre pièce du dramaturge et compositeur Ziad Rahbani, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=v7IGgMSCiKQ"><em>Bennesbé la boukra chou ?</em></a>, s’impose : et demain, on fait quoi ? Les Libanais, qui manifestent depuis le 17 octobre contre la corruption de leurs élites et la cherté de la vie, ont gagné leur première bataille en obtenant la chute du gouvernement et la démission du premier ministre Saad Hariri. Mais la route est encore longue pour un véritable changement et l’établissement d’un gouvernement assaini. Quelles réformes pour quel pouvoir, et comment y arriver ?</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-libanais-entre-exaltation-et-angoisse-vent-debout-contre-la-corruption-des-elites-125610">Les Libanais entre exaltation et angoisse, vent debout contre la corruption des élites</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Comment réformer le pouvoir ?</h2>
<p>Si pour certains groupes issus de la société civile, le projet d’un nouveau Liban reste vague et s’arrête à la chute du régime et à l’arrestation des hommes politiques corrompus, pour d’autres, comme l’association dirigée par l’ancien ministre du Travail Charbel Nahhas, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/26/au-liban-le-pouvoir-communautaire-est-tombe_6017019_3210.html">Citoyens et citoyennes dans un État</a>, il est temps de réformer pour construire un État démocratique, laïque et juste. </p>
<p><a href="https://mmfidawla.com">Selon ce mouvement</a>, il faut construire un « État civil qui traite avec les citoyens sans la médiation des religions. Un État démocratique, car la démocratie est la soupape de sécurité qui encadre la minorité au pouvoir. Un État juste, qui s’engage à respecter les droits individuels et sociaux. Un État compétent, qui remplit ses fonctions envers ses citoyens avec une grande efficacité. »</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299980/original/file-20191103-88428-1k28puh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299980/original/file-20191103-88428-1k28puh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299980/original/file-20191103-88428-1k28puh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299980/original/file-20191103-88428-1k28puh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299980/original/file-20191103-88428-1k28puh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299980/original/file-20191103-88428-1k28puh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299980/original/file-20191103-88428-1k28puh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Inscription vue à Beyrouth, fin octobre 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jihane Sfeir</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour le mouvement citoyen <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/05/22/au-liban-la-percee-contestataire_4924175_3232.html">Beirut Madinati</a>, qui s’est imposé durant la <a href="https://rumor.hypotheses.org/4149">crise des ordures de 2015</a> et a effectué une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2016/05/22/au-liban-la-percee-contestataire_4924175_3232.html">percée remarquable lors des municipales de Beyrouth en 2016</a> face à la liste soutenue par Saad Hariri, il s’agit de mettre en œuvre un programme de réformes <a href="https://www.facebook.com/BeirutMadinati/photos/pcb.2523151504431255/2523150721098000/?type=3&theater">réalisable en quatre étapes</a>. Même si ce mouvement ne pèse pas très lourd numériquement, ses membres (pour la plupart des universitaires) ont une vision claire de l’avenir du pays. En 2016, ils avaient déjà élaboré un <a href="https://www.csis.org/npfp/garbage-green-space-rise-beirut-madinati">projet</a> issu des revendications de la société civile pour assainir la capitale.</p>
<p>En démissionnant le 29 octobre, Saad Hariri réalise la première étape de leur programme, celle de la chute du gouvernement, mais il ne part pas pour autant tout de suite : un gouvernement chargé des affaires courantes, doté d’un pouvoir limité, a été <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/30/liban-saad-hariri-charge-d-expedier-les-affaires-courantes_6017455_3210.html">mis en place</a> afin qu’il n’y ait pas de vide politique. La deuxième étape du programme est celle de la constitution d’un gouvernement d’experts n’ayant pas de liens avec l’élite politique. Pour cela, le président de la République – en accord avec les députés – doit choisir un nouveau premier ministre qui formera ce gouvernement d’experts restreint. La troisième étape consiste à organiser des élections législatives anticipées sur la base d’une nouvelle loi électorale, non confessionnelle. </p>
<p>Pour parvenir à cet objectif, le Parlement doit d’abord rédiger et faire voter une loi qui abolit le système confessionnel, loi qui sera ensuite ratifiée par le président de la République et par le premier ministre. Les élections seront organisées dans les six mois suivant l’adoption de la nouvelle loi. Enfin, la dernière étape est celle de la constitution d’un nouveau régime. Le nouveau parlement, élu par le peuple, élira à son tour le président de la Chambre et le président de la République (le Liban étant une démocratie parlementaire) ; ce dernier nommera un nouveau premier ministre qui formera un gouvernement avec des ministres qui correspondront aux exigences du peuple : pas de confessionnalisme, pas de clientélisme politique et, surtout, des ministres « propres ».</p>
<h2>Peut-on abolir le système confessionnel ?</h2>
<p>Le programme de réformes de ce mouvement citoyen exprime clairement un désir de changement, mais est-il réalisable en l’état ? Tout d’abord, est-il possible d’abolir le système confessionnel ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299981/original/file-20191103-88399-1jv1y9u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299981/original/file-20191103-88399-1jv1y9u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299981/original/file-20191103-88399-1jv1y9u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299981/original/file-20191103-88399-1jv1y9u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299981/original/file-20191103-88399-1jv1y9u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299981/original/file-20191103-88399-1jv1y9u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299981/original/file-20191103-88399-1jv1y9u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Beyrouth, fin octobre 2019. L’inscription vue ici, « Thawra », signifie « révolution ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jihane Sfeir</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’après des entretiens que nous avons menés les 27 et 28 octobre dernier avec des militants chrétiens – étudiants de la faculté de droit de l’Université libanaise et juristes –, il semble que l’abolition du système confessionnel ne soit pas entièrement souhaitable. Malgré le succès du slogan « ni chrétiens, ni musulmans, nous voulons une unité nationale », la plupart des chrétiens libanais que nous avons rencontrés se disent favorables au maintien du confessionnalisme. Conscients de leur nombre inférieur à celui des musulmans, influencés par l’héritage de la guerre, inquiets au vu du sort de leurs coreligionnaires d’Orient (notamment en <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-28-octobre-2019">Irak</a>), une grande partie des chrétiens ont peur du changement. </p>
<p>Cela ne veut pas dire pour autant que tous les Libanais tiennent ce discours. À Beyrouth, sur la Place des Martyrs, ou à Tripoli, sur la Place al Nour, l’engagement est neutre – pas d’affiliation religieuse affichée – et les demandes portent sur l’abolition du système confessionnel et l’établissement d’une république laïque. Pour mesurer de manière plus précise les positions de chaque camp sur la laïcité, il serait pertinent de mener, dans chaque région, une étude du profil des manifestants (classe sociale, âge, religion, influence politique, éducation, profession…). Autre questionnement essentiel : Enfin, les <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1166243/pourquoi-letat-narrive-toujours-pas-a-simposer-29-ans-apres-la-fin-de-la-guerre.html">seigneurs de la guerre au pouvoir depuis trente ans</a> sont-ils prêts à partir sans faire de bruit et à céder la place à de nouvelles formations politiques ?</p>
<h2>Peut-on changer la classe politique ?</h2>
<p>Critiqués, houspillés, les chefs historiques des partis musulmans et chrétiens ne lâchent pas prise pour autant. Ils accusent, menacent et certains, comme les partisans de Nabih Berri, chef du mouvement chiite Amal et président du Parlement, n’hésitent pas à envoyer des voyous <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1193044/jour-xiii-la-tension-monte-entre-automobilistes-bloques-et-manifestants.html">casser des manifestants et semer le chaos et la terreur</a>. <a href="https://www.la-croix.com/Monde/tabou-brise-Liban-colere-vise-aussi-leader-chiite-Hassan-Nasrallah-2019-10-22-1301055892">En perte de légitimité</a>, le leader du Hezbollah Hassan Nasrallah s’est exprimé lors d’un discours télévisé dans lequel il a affirmé comprendre les revendications des manifestants, assuré qu’il était bien sûr hostile à la corruption et appelé au dialogue et surtout à la vigilance, insinuant que le mouvement de protestation pourrait être manipulé par les <a href="https://libnanews.com/hassan-nasrallah-appelle-ses-partisans-a-se-retirer-un-vide-gouvernemental-amenera-au-chaos/">ambassades étrangères</a>. </p>
<p>De son côté, le président de la République Michel Aoun <a href="https://www.courrierinternational.com/article/crise-au-liban-la-rue-rejette-lappel-au-dialogue-du-president-aoun">ne convainc plus</a> et son discours de mi-mandat prononcé le 31 octobre, appelant à la constitution d’un gouvernement avec des ministres compétents et à la lutte contre la corruption, <a href="https://www.france24.com/fr/20191031-liban-president-michel-aoun-ministres-competences-manifestations-confessionnalisme">n’a pas réussi à apaiser la colère des manifestants</a>. Quant à Saad Hariri, même s’il essaye de gagner en crédibilité en citant son père Rafik dans son discours de démission, il <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/30/au-liban-la-demission-en-faux-semblants-du-premier-ministre-saad-hariri_6017381_3210.html">reste le symbole d’un pouvoir corrompu et incapable de gérer les affaires du pays</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/300113/original/file-20191104-88428-2xgobc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/300113/original/file-20191104-88428-2xgobc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/300113/original/file-20191104-88428-2xgobc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/300113/original/file-20191104-88428-2xgobc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/300113/original/file-20191104-88428-2xgobc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/300113/original/file-20191104-88428-2xgobc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/300113/original/file-20191104-88428-2xgobc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Représentations de plusieurs personnalités de la politique libanaise, légendées « Recherchés par la justice », Beyrouth, fin octobre 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jihane Sfeir</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pourtant, les anciens chefs n’ont pas disparu. Il semble que, malgré les critiques à leur encontre, leur assise politique est toujours là et leur pouvoir de nuisance demeure. Ainsi, le 3 novembre, une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/03/liban-les-soutiens-du-president-michel-aoun-defilent-dans-les-rues_6017865_3210.html">manifestation de soutien au président de la République a rassemblé plusieurs milliers de personnes</a> et révélé la division de la population libanaise – un épisode qui a rappelé les <a href="http://www1.rfi.fr/actufr/articles/063/article_34759.asp">manifestations qui avaient opposé en 2005 les partisans du Hezbollah (Courant du 8 mars) à ceux du Courant du Futur (le mouvement dit du 14 mars)</a>.</p>
<p>Un élément distingue cependant la situation de 2005 de celle d’aujourd’hui : l’union nationale autour du rejet de la corruption et de la nécessité de réformer le gouvernement. La contre-manifestation organisée par les partisans de Michel Aoun n’a fait qu’augmenter la colère des Libanais qui <a href="https://www.courrierinternational.com/article/liban-la-contestation-se-mobilise-massivement-apres-une-manifestation-propouvoir">se sont rassemblés encore plus massivement</a> à Tripoli, Beyrouth ou Jal el Dib, réclamant la formation assez rapide d’un gouvernement « propre » et bloquant à nouveau les routes du pays. Le bras de fer entre partisans des vieux seigneurs de la guerre et aspirants à un Liban renouvelé révèle la tension entre ceux qui restent dans l’héritage de la guerre et ceux qui s’en émancipent et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/24/au-liban-pour-la-premiere-fois-on-met-fin-a-l-heritage-de-la-guerre_6016746_3210.html">souhaitent « décoloniser » les esprits de la mémoire du conflit</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/300042/original/file-20191104-88368-l7a69t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/300042/original/file-20191104-88368-l7a69t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/300042/original/file-20191104-88368-l7a69t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/300042/original/file-20191104-88368-l7a69t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/300042/original/file-20191104-88368-l7a69t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/300042/original/file-20191104-88368-l7a69t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/300042/original/file-20191104-88368-l7a69t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Graffiti proclamant « Que notre peur tombe », Beyrouth, fin octobre 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jihane Sfeir</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En effet, pour sortir réellement de la guerre, il faudrait s’affranchir des discours des <a href="https://www.thechronicleherald.ca/news/world/hezbollah-warns-of-chaos-civil-war-in-lebanon-368058/">partis alliés au pouvoir qui laissent planer la menace de sa réactivation</a>. Mais le mur de la peur est tombé et les Libanais qui occupent toujours les places et bloquent les routes, appelant à « la fermeture du pays pour cause de travaux », semblent déterminés à ne plus céder au chantage bien rôdé des autorités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126332/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jihane Sfeir ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La mobilisation libanaise a déjà abouti au départ du premier ministre Saad Hariri. Mais à quoi le Liban de demain pourrait-il ressembler ?Jihane Sfeir, Historienne, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.