tag:theconversation.com,2011:/au/topics/insecurite-20152/articlesinsécurité – The Conversation2024-03-13T15:56:04Ztag:theconversation.com,2011:article/2211392024-03-13T15:56:04Z2024-03-13T15:56:04ZMarseille : immersion dans la cité Félix-Pyat (3/4) - Des murs devant les yeux<p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué. Les médias ont été nombreux à couvrir ce <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/visuel/2024/01/12/un-mort-par-semaine-a-marseille-les-ravages-de-la-guerre-de-la-drogue_6210524_4500055.html">phénomène</a> qui semble dépasser les pouvoirs publics. Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône. L’une de ses caractéristiques : un parc urbain défaillant et dangereux.</em></p>
<hr>
<p>La violence du trafic de la drogue est souvent perçue comme faisant partie intégrante de la vie dans les cités de Marseille. Nous l’avons constaté un après-midi d’avril 2022, lorsque nous avons parcouru la cité avec Nadia, une femme d’une trentaine d’années qui est née et a grandi dans le quartier.</p>
<p>Pendant notre marche, elle nous a parlé de la transformation du quartier au fil des ans, et notamment <a href="https://www.calameo.com/books/007482417572bb6428aec">d’un plan de rénovation urbaine qui eut lieu entre 2001 et 2005</a>. Celui-ci avait impliqué la démolition de plusieurs bâtiments afin « d’aérer » la cité, c’est-à-dire créer des espaces ouverts entre les bâtiments construits à l’origine de manière très rapprochée, et rendre la cité architecturalement moins opprimante. Même s’il y avait eu des oppositions à cette initiative à l’époque, Nadia pensait qu’en fin de compte cela avait bien amélioré la vie quotidienne dans la cité.</p>
<p>Ceci étant dit, plusieurs endroits de la cité mettaient néanmoins Nadia mal à l’aise. Parmi ces derniers, la piste de pétanque qui, selon elle, était « un espace très masculin », mais aussi et surtout, les lieux proches des points de vente de drogue connus. Plus particulièrement, la place centrale à l’entrée du quartier qu’elle nous disait avoir peur de traverser.</p>
<p>Elle nous a notamment expliqué qu’elle l’évitait régulièrement en raison des « petits » qui y traînaient souvent. « Je préférerais qu’ils ne soient pas là », nous dit-elle, malgré le fait qu’elle les connaissait presque tous, car eux aussi étaient originaires de la cité.</p>
<h2>« les petits » et « les grands »</h2>
<p><a href="https://www.theses.fr/2022PA100107">Comme c’est le cas dans de nombreuses autres cités à Marseille et ailleurs</a>, les personnes qui participent au trafic de drogue à Félix-Pyat peuvent être catégorisées en groupe d’âge. Il y a « les petits », généralement âgés de 14 et 18 ans, et « les grands », qui ont plutôt entre 19 et 25 ans.</p>
<p>Ces groupes d’âge ont des rôles différents au sein de l’organisation du trafic – les « petits » sont des « guetteurs » ou des « rabatteurs » (qui dirigent les clients vers le point de vente), et les « grands » sont des « charbonneurs » (vendeurs), ou bien des « gérants » de point de vente.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-marseille-lespace-public-vu-par-ceux-et-celles-qui-sinjectent-des-drogues-209646">À Marseille, l’espace public vu par ceux et celles qui s’injectent des drogues</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Les « petits » sont très visibles dans les rues de la cité, soit individuellement, soit en groupe. Beaucoup d’habitants de Félix-Pyat – de toutes générations – nous ont dit au cours de nos recherches qu’ils étaient devenus « incontrôlables ». Ils faisaient notamment la comparaison avec quelques années auparavant, quand « ils respectaient les grands », et les habitants de la cité plus généralement.</p>
<blockquote>
<p>« Ils rendaient service… ils ne nous embêtaient pas, sauf en fumant ou en encombrant les escaliers, mais maintenant ils nous menacent », nous a raconté Noémie, une ancienne habitante qui a longtemps vécu dans de la cité et qui y revient souvent.</p>
</blockquote>
<p>Faisant explicitement écho au malaise de Nadia et Noémie, deux autres jeunes femmes de la cité âgées d’une vingtaine d’années, que nous appellerons Mariama et Jeanne, ont souligné lors d’un entretien :</p>
<blockquote>
<p>« On les connaît tous – on a grandi avec ! – mais on ne passe pas à côté d’eux. Il vaut mieux éviter… Ils sont imprévisibles et c’est dangereux… On ne sait pas ce qu’ils pensent, on ne sait pas ce qu’ils disent… Ils ne sont pas bienveillants, on va dire, et ils sont… ils s’en foutent !… Il vaut mieux prendre des distances… »</p>
</blockquote>
<p>D’autres habitants nous ont relaté souffrir des menaces et des insultes répétées. Ils nous ont dit aussi devoir périodiquement justifier leur présence dans les espaces publics de la cité.</p>
<p>Nous en avons d’ailleurs nous-mêmes fait l’expérience, lors de nos recherches. Plusieurs fois, un ou plusieurs jeunes de ce groupe de « petits » nous ont interpellé, demandant de manière menaçante ce que nous faisions là, nous disant que nous n’avions rien à faire dans la cité, ou bien nous accusant d’être des policiers et nous sommant de partir.</p>
<h2>La lettre</h2>
<p>En mai 2023, après une série de fusillades dans la cité liée à la guerre entre <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/08/17/a-marseille-la-rivalite-entre-deux-bandes-de-trafiquants-de-drogue-de-plus-en-plus-meurtriere_6185612_3224.html">deux réseaux du trafic de drogue</a> qui a ensanglanté la ville, un groupe de mères de Félix-Pyat a organisé des marches pour protester contre l’insécurité ambiante.</p>
<p>Ces marches ont été accompagnées d’une forte présence policière qui a considérablement perturbé le trafic de drogue, effrayant les clients et freinant les livraisons.</p>
<p>Après la troisième marche, la lettre suivante a été affichée un peu partout dans la cité :</p>
<p>C’est la première fois qu’une telle initiative était menée à Félix-Pyat, même si ce genre de message a déjà été observé dans d’autres cités en France. La lettre ressemblait d’ailleurs fortement à une lettre similaire qui avait été affichée en banlieue parisienne et qui a circulé sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Selon les témoignages que nous avons pu recueillir, cette lettre a marqué un tournant dans les relations avec les « jeunes du quartier ».</p>
<p>Même si certains habitants ont été choqués par sa nature menaçante – certains parlant même de la « honte » de voir « des fils menacer leurs mères » – la plupart ont jugé cette lettre de manière plus positive, soulignant que les « jeunes » s’excusaient et proposaient d’essayer de minimiser l’impact du trafic de drogue sur la vie quotidienne du quartier.</p>
<p>Aamira nous a dit, par exemple :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai rigolé pour les fautes d’orthographe… C’est un avertissement, mais ils ont aussi dit qu’il ferait un effort, c’est du donnant-donnant – les jeunes essayent de faire propre, ils respectent les parents, ils nettoient… C’est uniquement menaçant si on ne respecte pas l’avertissement. »</p>
</blockquote>
<p>Comme nous l’a dit un autre de nos interlocuteurs, Abu, « ils ont fait un effort et se sont responsabilisés ! », notant en particulier que « les jeunes » allaient tenter de « sécuriser » les rues contre les fusillades après celles ayant sévi dans Félix-Pyat au cours des derniers mois.</p>
<p>Ces derniers ont de facto placés des bennes à ordures à des points stratégiques dans les rues de la cité afin de faire office de barrage et de ralentir les voitures. Même si certains habitants s’en plaignaient – notamment parce qu’il avait été stipulé de façon claire qu’ils n’avaient pas le droit de bouger ces conteneurs – beaucoup voyaient cette initiative d’un bon œil.</p>
<p>Par exemple, lors d’une conversation avec une personne travaillant pour une association locale, nous avons observé ensemble des CRS venus remettre les bennes à leur place, et celle-ci a remarqué :</p>
<blockquote>
<p>« la police nous enlève le peu de sécurité que nous avons, elle rend l’endroit ouvert aux attaques en enlevant les conteneurs ».</p>
</blockquote>
<h2>L’ambiguïté de la gouvernance criminelle</h2>
<p>Ces différents exemples illustrent bien comment le trafic de drogue impacte l’organisation urbaine de Félix-Pyat et influence la vie quotidienne des habitants de la cité, tantôt de manière négative, mais aussi parfois plus positivement (même si, bien sûr, la défense de la cité à travers la réorganisation de bennes d’ordures ne peut être vue que comme une action assez désespérée et ponctuelle…).</p>
<p>La plupart des médias ont tendance à décrire ce phénomène de <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/perspectives-on-politics/article/abs/conceptualizing-criminal-governance/0105EC32BB9F26830179CF0B16917B02">« gouvernance criminelle »</a> à Marseille comme étant uniquement dérogatoire à l’ordre public, parlant de l’émergence de <a href="https://www.laprovence.com/article/actualites/2628570/marseille-existe-t-il-des-cites-interdites.html">« cités interdites »</a>.</p>
<p>Le problème avec cette vision des choses trop étroite est qu’elle situe la dynamique d’agencement urbain des cités marseillaises comme étant uniquement liée aux impulsions d’acteurs locaux, tels que les trafiquants de drogues d’un quartier.</p>
<p>Plus particulièrement, l’idée des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ms4LVcABjiI">« cités interdites »</a> place la responsabilité de l’interdiction au sein des cités, ce qui n’est que partiellement le cas. En fait, ces actes d’agencement urbain découlent souvent d’éléments qui sont extérieurs à la cité, comme nous venons de le montrer. Dans le cas de la violence à laquelle étaient confrontés les habitants du quartier en 2023, elle était due à une guerre de réseaux de drogues plus larges que le petit trafic dans le quartier.</p>
<h2>Que deviendra le bâtiment B ?</h2>
<p>La nature problématique de ce type de représentation devient encore plus claire en se penchant sur une autre forme d’organisation des espaces urbains : les processus d’aménagement du territoire (qu’ils soient portés par des institutions étatiques ou privées).</p>
<p>La question du futur du bâtiment B à Félix-Pyat est souvent revenue dans nos conversations avec les habitants et acteurs du quartier, par exemple.</p>
<p>Plus grand immeuble de la cité – avec 20 étages, 146 appartements, et plus de 600 habitants – c’est aussi l’un des plus insalubres : les vide-ordures sont remplis à ras bord, les murs couverts de graffiti, les appartements prennent régulièrement feu, et les ascenseurs sont généralement en panne.</p>
<p>Depuis des années, il fait l’objet de rumeurs concernant sa destruction imminente. Bien que cette dernière ait été <a href="https://marsactu.fr/a-felix-pyat-la-tour-b-va-tomber/">actée par l’Agence nationale de rénovation urbaine</a> (ANRU), le déficit budgétaire du bailleur social propriétaire de la majorité des appartements, <a href="https://marsactu.fr/marseille-habitat-face-a-un-mur-de-dettes-a-cause-de-471-parkings-hors-de-prix/">Marseille Habitat</a>, ainsi que le refus par les quelques propriétaires individuels de vendre leurs appartements à des prix inférieurs au marché, empêche sa mise en œuvre.</p>
<p>Aucune information officielle n’a cependant filtré sur l’état d’avancement ou pas de la destruction auprès des habitants, comme nous avons pu le constater lors de multiples réunions organisées par divers acteurs locaux dans la cité. De nombreuses personnes y présentaient des signes d’exaspération et d’énervement.</p>
<p>Certains habitants propriétaires d’appartements dans l’édifice se demandaient s’ils seraient expropriés sans recevoir une compensation adéquate. D’autres, locataires, <a href="https://www.cairn.info/revue-negociations-2023-1-page-5.htm">s’inquiétaient à l’idée de devoir être relogés loin de la cité</a>. Tous en tout cas partageaient le sentiment que « personne ne sait rien », mais aussi que c’était une stratégie voulue afin de créer de l’incertitude et du stress, dans le but d’épuiser les habitants et de faciliter la destruction de l’édifice.</p>
<p>Ces inquiétudes concernant la destruction du bâtiment B viennent aussi s’additionner à d’autres incertitudes liées à l’initiative de rénovation urbaine baptisée <a href="https://www.euromediterranee.fr/">Euroméditerranée</a>. Lancé en 1995, ce partenariat public-privé de 7 milliards d’euros vise à <a href="https://www.theses.fr/2019EHES0135">remodeler une vaste zone</a> située immédiatement au nord du centre-ville de Marseille. Felix-Pyat ne fait pas partie de la zone, mais la borde, et constitue donc un site de développement immobilier potentiel de premier ordre.</p>
<p>Certains habitants de Félix-Pyat avec qui nous avons discuté nous ont explicitement exprimé leur anxiété – « tout le monde est stressé » – face à cette gentrification potentielle, Selim nous disant même carrément :</p>
<blockquote>
<p>« Je pense que ce quartier, il est voué à être détruit. Parce que là, le projet Euromed… il y a plein d’échos qui disent qu’il y a plein de plans différents et parmi ces plans-là, Félix-Pyat n’existe pas… Donc, je pense qu’ils veulent détruire Félix-Pyat… Enfin, le détruire pour le reconstruire et ramener d’autres personnes, en fait, d’autres, euh… on va dire d’autres catégories de personnes… »</p>
</blockquote>
<h2>Détruire le quartier pour le reconstruire</h2>
<p>Ces craintes sont devenues particulièrement apparentes autour de l’aménagement dans le cadre de l’initiative Euroméditerranée d’un espace vert, le parc Bougainville, en bordure nord de la cité Félix-Pyat. Les travaux, <a href="https://www.euromediterranee.fr/projets/parc-bougainville">prévus en deux étapes</a>, ont commencé en 2022, et dureront jusqu’en 2027. <a href="https://madeinmarseille.net/155624-parc-municipal-bougainville-ouvre-public/">Une fois terminé</a>, le parc comprendra entre autres des jardins thématiques, des espaces pour différents sports de plein air, un parc aquatique, un hectare de « prairie sauvage », une rivière réhabilitée, des jardins potagers collectifs, ainsi qu’un « jardin pédagogique ».</p>
<p>Quand le parc Bougainville sera finalisé, un grand mur le séparera de Félix-Pyat, et il n’existera qu’un seul accès au Parc à partir de la cité, comme le montre l’image ci-dessous.</p>
<p>Cette architecture particulière du côté sud du Parc contraste brutalement avec le côté nord plus ouvert, une situation que de nombreux habitants de Félix-Pyat ne manquaient pas de noter lors de nos échanges avec eux en 2022, se plaignant aussi plus généralement d’un manque de concertation avec eux. En même temps, beaucoup avaient néanmoins l’espoir que le projet leur soit bénéfique.</p>
<h2>Une clôture grillagée</h2>
<p>Des représentants de la politique de la ville avec qui nous avons effectué des entretiens en 2022 nous avaient cependant déclaré que « le parc Bougainville n’est pas prévu pour eux [<em>ndlr, les habitants de la cité Félix Pyat</em>] ». C’est donc sans surprise qu’au fur et à mesure que le projet s’est mis en place, les discours des habitants de Félix-Pyat ont évolué.</p>
<p>Lors de notre retour à la cité en 2023, presque plus personne ne parlait positivement du parc. Un nouvel élément particulièrement dérangeant pour les habitants de la cité était apparu : une grande clôture grillagée érigée au-dessus du mur séparant la cité du parc, ostensiblement afin de minimiser le jet de déchets venant des édifices bordurant le parc.</p>
<p>« C’est comme si on était des animaux qu’on met en cage » nous a commenté laconiquement une personne travaillant pour une association locale de Félix-Pyat.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570569/original/file-20240122-16-ghnge2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La clôture grillagée. À noter que la tombée du mur de l’autre côté fait plus de 3 mètres.</span>
<span class="attribution"><span class="source">D. Rodgers, S. Jensen</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce dernier commentaire reflète bien les effets psychosociologiques négatifs que ce genre d’aménagement du territoire exclusif peut avoir. Cela peut potentiellement contribuer à la normalisation de visions ségrégationnistes de la société, et c’est pour cela que dans d’autres contextes, par exemple à <a href="https://www.jstor.org/stable/43497506">Managua</a> au Nicaragua, des initiatives de rénovation urbaine analogues à l’Euroméditerranée ont été qualifiées de « violence infrastructurelle », pour souligner comment elles peuvent être intrinsèquement oppressives.</p>
<p>Toute proportion gardée – le contexte nicaraguayen étant plus violent et autoritaire – on pourrait se demander dans quelle mesure l’aménagement des infrastructures du territoire à Marseille peut lui aussi être vu dans certains cas comme une forme de violence, dont les effets sociospatiaux sont tout aussi déstabilisants que ceux des activités du trafic de la drogue.</p>
<p>Pour les habitants des cités telles que Félix-Pyat en tout cas, il s’agit de se confronter à un autre type de stress émotionnel qui ne fait que renforcer leur sentiment d’isolation et de mise à l’écart.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221139/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark
</span></em></p>Certains aménagements des infrastructures du territoire à Marseille peuvent être vus comme une forme de violence, dont les effets sont tout aussi insécurisants que les activités du trafic de drogue.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2220722024-02-11T14:44:46Z2024-02-11T14:44:46ZHaïti : un « séisme commémoratif » en hommage aux victimes de la catastrophe de 2010<p>Le quotidien des Haïtiens est sans cesse confronté à des <a href="https://news.un.org/fr/story/2024/01/1142817">crises politiques</a>, économiques et sécuritaires. Parmi tous ces risques, des séismes surviennent <a href="https://www.donneesmondiales.com/amerique/haiti/tremblements-terre.php">régulièrement</a>. Souvent meurtriers, ils provoquent l’effroi et laissent la population démunie.</p>
<p>Depuis 2021, un <a href="https://theconversation.com/sismo-citoyens-et-chercheurs-du-monde-entier-sallient-pour-comprendre-le-recent-seisme-dha-ti-166787">groupe de chercheurs haïtiens et français</a> travaille sur le risque sismique en Haïti dans le cadre du projet ANR Osmose. Sismologues, géologues, mais aussi géographes, anthropologues et philosophes : de façon multidisciplinaire, ils distribuent à travers tout le pays de <a href="https://raspberryshake.org/wp-content/uploads/etudescaribeennes-24534.pdf">petits sismomètres</a>, ces appareils qui enregistrent et mesurent les tremblements de terre, à des habitants qui, bénévolement, les accueillent chez eux. Cette démarche dite de <a href="https://hal.inrae.fr/hal-02801940">« science participative »</a> permet de faire des relevés précis des mouvements de la terre, immédiatement mis en ligne <a href="https://ayiti.unice.fr/sismo-ayiti/">sur un site Internet</a>, mais aussi d’impliquer les hébergeurs (baptisés « sismo-citoyens ») dans la démarche de recherche.</p>
<p>Alors qu’on ne peut encore <a href="https://theconversation.com/seismes-pourquoi-on-ne-peut-pas-les-prevoir-58754">prédire les séismes</a>, l’accueil des sismomètres pourrait paraître superfétatoire. Pourtant, pour les sismo-citoyens, participer à un projet dont les résultats peuvent paraître lointains (des articles académiques dans des revues scientifiques) prend tout son sens.</p>
<p>Leur motivation est grande, leur fierté réelle, et ils démontrent sans cesse un grand intérêt à participer au projet. Chaque vibration du sol ressentie est « vérifiée » en ligne par l’hébergeur, pour voir si le sismomètre a bien fait son travail et mesuré la taille de l’évènement. Quand cela dysfonctionne, les scientifiques sont appelés. Quand ces derniers viennent visiter les dispositifs, pour les réparer par exemple, ils sont toujours bien reçus. Un groupe de discussion sur la plate-forme <em>WhatsApp</em> voit les hébergeurs échanger, se questionner, ou interpeller directement les sismologues quand une interrogation se présente.</p>
<h2>Un signal symbolique pour commémorer le séisme de 2010</h2>
<p>C’est justement cette forte implication qui interpelle les chercheurs. Elle a été démontrée une fois de plus le 12 janvier dernier, date anniversaire du <a href="https://www.dec.org.uk/article/2010-haiti-earthquake-facts-and-figures">séisme de 2010</a> qui a frappé l’agglomération de la capitale Port-au-Prince et provoqué la mort de dizaines de milliers de personnes et le déplacement de plus de 2 millions d’autres dans des camps de fortune.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>L’équipe de chercheurs a demandé aux sismo-citoyens de créer un <a href="https://www.facebook.com/p/Les-Sismo-citoyens-en-Ha%C3%AFti-100092265603680/">« séisme commémoratif »</a>. À l’heure exacte du séisme de 2010, ils devaient sauter à côté de leurs sismomètres pour créer des signaux sismiques enregistrés sur la plate-forme en ligne. L’enjeu pour les chercheurs n’était pas tant de savoir si les vibrations causées par ces sauts allaient être enregistrées – les sismomètres, s’ils sont bien branchés et connectés à Internet, sont très sensibles. Il s’agissait surtout de voir si cette idée de signal symbolique allait être acceptée et relayée par les sismo-citoyens.</p>
<p>Et ça a fonctionné ! Le 12 janvier 2024, à 16h53 précise, les sismomètres ont enregistré les vibrations provoquées par les sauts des sismo-citoyens. Certains se sont filmés lors de l’exercice, d’autres ont réuni voisins ou amis pour sauter de manière synchrone vers « la petite boîte qui fait beaucoup », tel qu’est décrit le sismomètre par un hébergeur. Dans la bonne humeur, et avec précision, le séisme commémoratif a mobilisé et a été enregistré.</p>
<h2>Un besoin de mémoire</h2>
<p>Cependant, la mémoire du 12 janvier 2010 est difficilement entretenue dans le pays : les sites mémoriels ont été délaissés, et les actions commémoratives ont été peu suivies.</p>
<p>Un <a href="https://haiti.loopnews.com/content/la-decouverte-dun-memorial-consacre-aux-disparus-du-12-janvier">mémorial</a> a laborieusement été construit près des fosses communes du séisme, mais s’est rapidement délabré. Si les autorités se recueillent annuellement au sein de leurs ministères ou devant de petites stèles, la population est peu conviée à ces temps de souvenirs, car elle est plus occupée à organiser sa survie quotidienne.</p>
<p>Décrété initialement jour férié, ce temps de souvenir et de deuil a été oublié des calendriers dès 2013. De manière générale, les <a href="https://journals.openedition.org/espacepolitique/8275">activités commémoratives sont organisées par la population</a> et au sein des familles : le saut collectif des participants au projet Osmose traduit bien le désir, et peut-être la nécessité, de rappeler la catastrophe et de la visibiliser pour ne pas qu’elle tombe dans l’oubli.</p>
<p><a href="https://journals.openedition.org/cal/3093">Haïti est un pays failli</a>, sur lequel le regard porté est souvent pessimiste. On égraine ses malheurs en les associant à des chiffres de morts dans une litanie d’un pays malade, voir « maudit ». Certes, il y a les séismes et les cyclones, l’économie vacillante et les instances politiques dépassées par une insécurité de tous les instants.</p>
<h2>Un pays disloqué par l’insécurité</h2>
<p>Depuis l’assassinat du Président Moïse, en 2021, les <a href="https://www.lemonde.fr/comprendre-en-3-minutes/article/2023/10/08/comment-les-gangs-ont-pris-le-controle-d-haiti-comprendre-en-trois-minutes_6193123_6176282.html">gangs ne cessent de s’affronter</a> et le pays vibre au son des combats qui déplacent les populations, coupent les routes (et les échanges marchands), ferment les écoles, provoquent la terreur.</p>
<p>La population a donc peu de droits respectés, de la même façon qu’elle a du mal à exercer ses devoirs citoyens. <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/10/1139942">Les élections ne sont toujours pas organisées</a> et les autorités sont absentes, seulement incarnées par une police mal équipée et parfois défaillante.</p>
<p>L’impact sécuritaire des tirs et des affrontements qui rythment le quotidien entrave toutes les possibilités de développement, d’expression et d’exercice de la citoyenneté. <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/news/feature/2023/11/15/school-attendance-and-a-keen-interest-in-learning-are-priorities-for-many-young-haitians">L’éducation et la santé sont difficiles d’accès</a> : seuls s’en sortent ceux qui peuvent payer. <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/journal-d-ha%C3%AFti-et-des-am%C3%A9riques/20230728-ha%C3%AFti-la-fuite-des-cerveaux-s-acc%C3%A9l%C3%A8re">Les personnes formées ont pour beaucoup fui le pays</a>, et les ONG ont des difficultés à travailler (par exemple, les hôpitaux de Médecins sans frontières <a href="https://www.msf.fr/communiques-presse/haiti-msf-condamne-fermement-la-violente-intrusion-armee-a-tabarre-et-suspend-ses-activites-a-l-hopital">ferment parfois leurs portes</a> après des attaques ou exactions de patients).</p>
<p>Une grande partie du pays est en <a href="https://fr.wfp.org/communiques-de-presse/la-faim-severe-persiste-en-haiti-alors-que-la-violence-dans-la-capitale">insécurité alimentaire</a>, non parce qu’il n’y a pas de production, mais parce que les routes sont coupées : la nourriture produite dans le pays n’accède pas aux centres urbains. Tout cela provoque <a href="https://www.iom.int/es/news/une-aide-essentielle-aux-haitiens-expulses">l’exode des Haïtiens</a> qui se retrouvent souvent en Amérique latine, d’où ils essaient de remonter vers les États-Unis.</p>
<p>Alors qu’une <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/le-deploiement-d-une-force-internationale-peut-il-sauver-haiti-3448257">force multinationale</a> pour rétablir la sécurité <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/01/26/au-kenya-la-justice-refuse-le-deploiement-de-policiers-a-haiti-le-president-n-abandonne-pas_6213196_3212.html">tarde à se mettre en place</a>, les Haïtiens sont toujours dans l’attente d’une solution pour pouvoir vivre dans un pays apaisé.</p>
<h2>Le désir d’agir des citoyens</h2>
<p><a href="https://www.cetri.be/Haiti-continuation-et-interruption">Les citoyens haïtiens sont pourtant là</a>. Ils luttent par le verbe notamment – la poésie, le chant, la prose, partagés lors de rencontres littéraires ou récités en ligne, <a href="https://www.haitiinter.com/">y compris par la diaspora</a>. Ils luttent aussi par leur participation sans faille à tout événement collectif, pour peu qu’on leur en donne les moyens. La voix des Haïtiens est clamée dans tous les réseaux d’entraide qu’ils organisent entre eux : on se serre les coudes pour faire des courses, circuler à travers le pays, se tenir au courant, via les réseaux sociaux, des zones qui s’enflamment pour pouvoir les éviter. On fait avancer la science également, pour le bénéfice du pays – à l’instar des « sismo-citoyens » – en s’investissant dans le projet Osmose.</p>
<p>Le séisme commémoratif est un de ces signes de « citoyenneté malgré tout ». Il démontre à quel point les citoyens haïtiens s’investissent, dès qu’on leur en donne les moyens, dans les activités collectives pour leurs pays. Il fait partie des nombreux actes de résistance – et d’existence – des habitants qui valorisent une citoyenneté qui leur est pourtant flouée au quotidien. Cette participation symbolique et scientifique est donc avant tout populaire et politique.</p>
<hr>
<p><em>Le projet <a href="https://anr.fr/Projet-ANR-21-CE03-0010">OSMOSE</a> est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222072/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alice Corbet a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR) française dans le cadre du projet numéro ANR-21CE03-0010 intitulé OSMOSE. Les auteurs remercient toute l'équipe de OSMOSE sans qui tout ce travail ne pourrait être réalité. Site du projet : <a href="https://ayiti.unice.fr/osmose/fr/">https://ayiti.unice.fr/osmose/fr/</a> </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Éric Calais a reçu des financements de l'Agence nationale de la recherche (ANR) et du programme européen Interreg Caraïbes (projet PREST). </span></em></p>À l’heure exacte du séisme de janvier 2010, des Haïtiens ont sauté à côté de sismomètres pour créer des signaux « commémoratifs » enregistrés sur une plate-forme en ligne.Alice Corbet, Anthropologue, LAM, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Éric Calais, Professeur, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2196522023-12-18T19:01:04Z2023-12-18T19:01:04ZInsécurité dans les campagnes : l’affrontement de deux mondes ?<p>Dans la nuit du 18 au 19 novembre 2023 le <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/meurtre-de-thomas-a-crepol/mort-de-thomas-a-crepol-ces-elements-de-l-enquete-qui-montrent-la-complexite-du-dossier_6223491.html">meurtre de Thomas</a> a laissé la France sous le choc. Le jeune homme de 16 ans a été poignardé lors d’une fête de village à Crépol, un petit village d’un peu plus de 500 habitants dans la Drôme.</p>
<p>Pour beaucoup, les campagnes semblaient exemptes de ces formes de violence. Or ce meurtre relance de nombreuses questions à la fois sur l’insécurité en milieu rural, sur l’opposition entre jeunes ruraux et jeunes urbains et semble – en définitive – cristalliser <a href="https://theconversation.com/comment-le-ressentiment-nourrit-le-vote-rn-dans-les-zones-rurales-213110">des tensions politiques et sociales</a>. Derrière la question des violences dans ces territoires refont surface des tensions vis-à-vis de la polémique du <a href="https://www.sciencespo.fr/research/cogito/home/le-racisme-anti-blancs-existe-t-il/">racisme anti-blanc</a> et <a href="https://theconversation.com/attaques-terroristes-conflits-comment-exister-face-aux-tragedies-du-monde-215719">des tiraillements « civilisationnels »</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/zones-rurales-contre-zones-urbaines-deux-france-sopposent-elles-vraiment-dans-les-urnes-189609">Zones rurales contre zones urbaines : deux France s’opposent-elles vraiment dans les urnes ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Des violences avant tout intrafamiliales</h2>
<p>La question de l’insécurité au sein des espaces ruraux est centrale et difficile à éclaircir avec les chiffres mis à disposition par le gouvernement. Les rapports annuels sur l’insécurité et la <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites">délinquance</a> ne permettent pas bien de distinguer rural et urbain.</p>
<p>Les zones de gendarmerie (en opposition avec les « zones de police ») représentent la moitié de la population française dont les deux tiers sont urbains ou périurbains. D’autre part, il faut noter que ces chiffres doivent être considérés à l’aune de l’évolution de notre rapport au délit comme c’est notamment le cas avec le phénomène des <a href="https://books.openedition.org/pressesmines/8223?lang=fr">violences sexistes et sexuelles</a> avec l’ouverture de la parole et le travail de sensibilisation qui font que les victimes expriment plus facilement qu’avant ces violences.</p>
<p>Nous pouvons toutefois tirer de ces rapports l’augmentation de plusieurs types de délits dans les communes à faible densité de population. Les villes – c’est-à-dire les zones à forte ou très forte densité de population – bien qu’hétérogènes se distinguent vis-à-vis de la criminalité et notamment de la violence en campagne. Entre 2016 et 2022, les homicides ont stagné en France avec <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Interstats-Conjoncture-N-99-Decembre-2023">0,08 ‱ contre 0,19 ‱</a> pour les zones urbaines. Ils ont même diminué à Paris sur cette période.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/emeutes-en-france-des-films-pour-mieux-comprendre-le-conflit-208896">Émeutes en France : des films pour mieux comprendre le conflit</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Les vols avec et sans armes ont stagné (avec bien évidemment un taux très faible en 2020 du fait des confinements). Ce qui a pu augmenter sont les coups et violences volontaires ainsi que les violences sexuelles. Pour les violences volontaires, nous sommes passés dans les campagnes de 1,5 ‰ à 2,6 ‰ (4,5 à 6,5 dans les grandes villes) ; pour la très grande majorité des violences dans le cadre familial. Enfin, les violences sexuelles observées ont triplé, mais sont aussi le résultat de la libération de la parole notamment <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-metoo-quest-ce-qui-a-change-105225">à la suite du mouvement #MeToo</a>.</p>
<h2>Distinguer délinquance et sentiment d’insécurité</h2>
<p>Quoi qu’il en soit, il faut se rappeler que l’évolution de la délinquance ne correspond pas nécessairement <a href="https://www.cairn.info/vous-avez-dit-securite--9782353712397.htm">au sentiment d’insécurité</a>.</p>
<p>Puisque de nombreux délits et crimes ne créent pas toujours des victimes, et ne participent pas à l’évolution du sentiment d’insécurité sur un territoire là où des comportements d’incivilité risquent d’y contribuer sans qu’ils soient pour autant répréhensibles pénalement. L’impolitesse, la mobilisation de l’espace public ou encore le <a href="https://www.fayard.fr/livre/la-galere-jeunes-en-survie-9782213019048/">« zonage »</a> des jeunes peuvent, par exemple, renforcer le sentiment d'insécurité.</p>
<p>Ce que l’on peut observer de manière générale c’est que les espaces ruraux connaissent moins de violences et de criminalité que le reste du territoire. Le Service Statistique du Ministère de la Sécurité Intérieure (SSMSI) rappelle ainsi que la majorité des actes délinquants reposent sur 1 % des communes sur le territoire national. Sans qu’il s’agisse d’une règle stricte, le rapport du SSMSI montre que la Creuse, département rural, connaît un taux de crime avec violence trois fois inférieur à celui de la Seine-Saint-Denis, et que les communes sans criminalités sont toujours dans des <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Interstats-Conjoncture-N-99-Decembre-2023">espaces ruraux</a>. Est-ce à dire que l’on rencontre l’opposition de deux mondes ?</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dans-les-campagnes-pourquoi-les-jeunes-se-detournent-ils-des-lieux-publics-186540">Dans les campagnes, pourquoi les jeunes se détournent-ils des lieux publics ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>L’affrontement de deux mondes ?</h2>
<p>L’opposition entre les campagnes et les villes est un phénomène <a href="https://theses.hal.science/tel-03559941/document">bien souvent exagéré</a>, par des visions folkloristes comme les <a href="https://www.les-bodins.fr/-Les-aventures-des-Bodin-s-.html">Bodin’s</a>, qui tend à effacer la nuance et l’hétérogénéité des territoires en France. Les différences économiques, en matière d’accès aux services sont à relativiser lorsque l’on observe, par exemple, une pauvreté présente principalement dans les zones urbaines « Quartiers Politiques de la Ville » (QPV) et au sein des espaces ruraux.</p>
<p>Dans les espaces ruraux, le <a href="https://www.theses.fr/2008TOU20042">discours récurrent</a> est celui de l’injustice de la centralisation et de l’urbanocentrisme des politiques. Alors que pour les quartiers politiques de la ville le discours fréquemment employé est celui de la marge que représentent les banlieues et de la stigmatisation de population dominées.</p>
<p>Le rural et l’urbain ne sont pas deux réalités opposées, le premier n’est pas le négatif de l’autre.</p>
<p>Puisque ce qui caractérise l’urbanité ou la ruralité est la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5039991?sommaire=5040030">densité de population</a>, nous pouvons alors facilement considérer que nous faisons face à un spectre de la ruralité et de la ville. Ce ne sont pas deux « mondes » ou deux « pôles » qui s’opposent, mais plutôt de nombreux espaces plus ou moins denses, plus ou moins éloignés des métropoles.</p>
<p>Des espaces urbanisés ou périurbains viennent se positionner – s’intercaler – entre ces territoires et nous permettent de considérer que nous ne sommes pas dans une opposition, mais dans un dégradé. De plus il faut garder à l’esprit que la ruralité comme l’urbanité ne sont pas des réalités homogènes.</p>
<p>Si cette considération est facile à avoir en tête lorsqu’on parle des villes, elle est plus difficile à prendre en considération lorsque l’on parle des campagnes. Si l’on accepte aisément que Neuilly-sur-Seine ne soit pas la même réalité que La Courneuve, on a souvent plus de mal à accepter que vivre sur l’île d’Oléron n’est pas la même chose que vivre dans un hameau dans les Alpes et que ce n’est pas non plus vivre au bord du bassin d’Arcachon ou au <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/ceux_qui_restent-9782348044472">centre de la Creuse</a>.</p>
<p>Ce qui persiste dans les imaginaires ce sont avant tout des prénotions que l’on peut avoir d’une part et d’autres de cette <a href="https://www.cairn.info/manuel-indocile-de-sciences-sociales--9782348045691-page-864.htm">hypothétique barrière</a>. Pour ce qui concerne les stéréotypes sur les ruraux : des idées préconçues sur le retard culturel, un entre-soi passéiste et xénophobe. Et pour les urbains, l’« ensauvagement », la violence et l’assistanat. Ainsi, bien avant toute autre chose, ce sont <a href="https://theconversation.com/coq-maurice-et-autres-bruits-de-la-campagne-une-vision-fantasmee-de-la-ruralite-127241">nos représentations</a> qui viennent jouer sur la construction d’un sentiment d’opposition entre ces deux « mondes ».</p>
<h2>La cristallisation de multiples tensions</h2>
<p>Les contextes géographiques distincts cachent des réalités communes de domination. Pauvreté élevée, marginalisation, faible taux de service, difficultés liées à <a href="https://pur-editions.fr/product/8573/des-vies-de-pauvres">l’emploi et à la formation</a>, les ressemblances sont sociologiquement bien plus structurantes des vécus que les ancrages géographiques et ce qui est vécu comme une diversité culturelle.</p>
<p>La ruralité et l’urbanité restent des marqueurs symboliques d’identités pour beaucoup de jeunes et derrière le drame qui a frappé les habitants de Crépol vient la peur de <a href="https://theconversation.com/emeutes-au-dela-des-eclats-le-reflet-de-vies-brutalisees-209239">« l’ensauvagement »</a> et de l’envahissement d’espaces qui semblent « préservés » de ces formes de violence.</p>
<p>Or, s’il y a un taux de criminalité avec violence plus « faible » en milieu rural qu’en ville, nous devons rappeler que cela ne signifie pas que les espaces ruraux sont exempts de toute forme de violence. Dans le <a href="https://www.nouvelle-aquitaine.fr/sites/default/files/2022-11/rapport%20rural%20der.pdf">rapport</a> sur les violences sexistes et sexuelles en milieu rural l’autrice rappelle que de nombreuses formes de violence sont passées sous silence et invisibilisées du fait de l’interconnaissance locale.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/violences-sous-silence-une-enquete-en-nouvelle-aquitaine-revele-lampleur-des-feminicides-en-milieu-rural-189187">Violences sous silence : une enquête en Nouvelle-Aquitaine révèle l’ampleur des féminicides en milieu rural</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>En réalité, ce ne sont pas tant les questions de violences et/ou de criminalités qui font débat, mais un rapport à la politique et une récupération faite notamment par des mouvements d’extrême droite. À Bordeaux, Toulouse, Brest, Crépol ou encore Clermont-Ferrand des <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/manifestation/mort-de-thomas-a-crepol-plusieurs-manifestations-de-lultradroite-interdites-en-france-4d96699a-9056-11ee-b098-8644c47fd929">manifestations ont été interdites</a> par crainte de violences entre des groupes d’extrême droite et d’extrême-gauche. Pourtant, les élus locaux apportent une nuance importante sur leur territoire, mais souvent peu visible et peu mise en avant face <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-13-14/le-13-14-du-lundi-04-decembre-2023-5011742">aux instrumentalisations de ce drame</a>.</p>
<p>Aussi, s’il faut être prudent avec les données que l’on peut mobiliser, il est clair que des montées identitaires et politiques traversent de tels évènements comme cela a pu être notamment observé sur le réseau social X. On voit ici encore que la ruralité, bien loin d’être en marge des problématiques contemporaines, se retrouve en leur cœur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219652/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clément Reversé est membre du CERTOP et du CED</span></em></p>Comment le drame de Crépol et l’opposition entre jeunes ruraux et jeunes urbains cristallisent des tensions politiques et sociales.Clément Reversé, Sociologie de la jeunesse, sociologie des espaces ruraux, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157192023-10-17T19:33:41Z2023-10-17T19:33:41ZAttaques terroristes, conflits… Comment exister face aux tragédies du monde ?<p><a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/17/a-bruxelles-arrestation-de-l-homme-qui-a-tue-deux-suedois_6194961_3210.html">L’attentat de Bruxelles lundi 16 octobre</a>, l’assassinat de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/14/attentat-d-arras-la-mort-de-dominique-bernard-un-professeur-de-lettres-respecte-qui-prenait-a-c-ur-son-travail_6194384_3224.html">Dominique Bernard à Arras</a> vendredi 13 octobre, les conflits armés en Europe et au Moyen-Orient, la <a href="https://www.lemonde.fr/israel-palestine/article/2023/10/12/guerre-israel-hamas-plus-d-une-centaine-d-actes-antisemites-signales-en-france-selon-gerald-darmanin_6193936_1667123.html">flambée d’actes antisémites</a>, le <a href="https://www.education.gouv.fr/plan-interministeriel-de-lutte-contre-le-harcelement-l-ecole-379551">harcèlement scolaire</a>… Ces faits nous rappellent que la tragédie, l’oppression et la violence sont des réalités qui peuvent nous toucher à tout moment.</p>
<p>Comment alors faire face à l’ambiguïté, aux incertitudes et aux injustices de la vie ?</p>
<p>Cette question est au cœur de la philosophie existentielle, qui nous invite à penser la vie concrète et située, à l’affronter avec <a href="https://www.payot-rivages.fr/rivages/livre/crainte-et-tremblement-9782743605872">« crainte et tremblement »</a> selon la célèbre formule de Søren Kierkegaard.</p>
<p>L’existentialisme paraît parfois mettre l’accent sur la négativité : l’angoisse, la mort, le néant, le désespoir, l’absurde et la misère humaine. Cependant, elle pose aussi et surtout la question de savoir comment mieux exister, dans un monde où la détresse, les conflits, l’exploitation de l’homme par l’homme, la précarité et la discrimination sont des faits réels.</p>
<p>Cette question clef, comment « mieux exister » est l’un des autres versants de l’existentialisme ; Kierkegaard disait d’ailleurs que sa tâche était d’aider ses lecteurs à « exister avec plus de compétence ». Mais comment faire, concrètement ? Est-ce possible de trouver l’équilibre dans un monde incertain ? C’est ce que nous étudierons avec Simone de Beauvoir et Søren Kierkegaard.</p>
<h2>Philosopher l’équilibre</h2>
<p>Avant de devenir la célèbre militante féministe et figure majeure du mouvement existentialiste que nous connaissons, la jeune étudiante en philosophie âgée de 18 ans qu’était alors <a href="https://editions.flammarion.com/devenir-beauvoir/9782081513334">Beauvoir</a> développait déjà en 1926 des réflexions philosophiques originales dans ses <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070120420-cahiers-de-jeunesse-simone-de-beauvoir/"><em>Cahiers de jeunesse</em></a>.</p>
<p>S’interrogeant sur elle-même et sa place dans le monde, elle pose dès le départ au centre de sa pensée la notion d’équilibre. Le monde qu’elle observe est rempli d’inégalités, de détresse physique et morale ; face à cela, elle se demande, comment vivre « le mieux possible » ?</p>
<p>En tant qu’individus singuliers, nous éprouvons souvent un sentiment d’impuissance face au monde avec ses multiples sources d’oppression et problèmes à résoudre. Faut-il alors se résigner à cette impuissance ? Faut-il privilégier la vie intérieure (la seule que nous puissions contrôler) et se retirer du monde, ou alors s’engager par ses actes pour créer des nouvelles valeurs et possibilités existentielles ? Un équilibre entre les deux est-il possible ?</p>
<h2>Comment agir dans un monde qui nous résiste</h2>
<p>La question centrale pour Beauvoir est de savoir comment agir et exister dans le monde d’une manière qui crée de la valeur et du sens, en dépit du fait que nous nous trouvons toujours dans un monde qui nous résiste, et projette sur nous des manières d’être et de nous construire que nous ne déterminons pas et qui nous aliènent de nous-mêmes.</p>
<p>Une vie accomplie, authentique, exige à la fois une présence à nous-mêmes et une présence à autrui. Plutôt qu’un état, cependant, la recherche d’équilibre demeure toujours une tâche, une quête, le travail d’une vie. <a href="https://www.decitre.fr/livres/cahiers-de-jeunesse-9782070120420.html">Elle écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« [L]’équilibre possible [c’est l’]équilibre d’une passion qui n’ignore jamais sa propre grandeur mais qui sait la porter. Équilibre d’une pensée qui gardant dans cette passion un point d’appui solide la dépasse pourtant. Équilibre de la vie qui précise, monotone peut-être, ne laisse point, parce que sa forme extérieure est fixée, dormir ni la passion ni la pensée. »</p>
</blockquote>
<p>La recherché d’équilibre, c’est surtout, selon la jeune Beauvoir, la possibilité « d’être un être indépendant… quelles que soient les contingences » et de parvenir à la pleine conscience et pleine possession de soi. D’où une affirmation de l’irréductible singularité de chaque individu, mais une affirmation indissociable d’un engagement éthique dans le monde et « pour autrui ». On ne peut, Beauvoir conclut, être pour autrui sans être pour soi, mais de la même manière on ne peut être pour soi sans être pour autrui.</p>
<p>Pour le formuler en d’autres termes, nous pourrions dire que les possibilités pour chaque individu d’être authentiquement soi-même dépendent des structures de soutien et des liens qui nous relient et rendent notre existence possible.</p>
<h2>Un écho avec Søren Kierkegaard</h2>
<p>Les réflexions de jeunesse de la philosophe font écho, avant qu’elle ne l’ait lu, aux <a href="https://www.fayard.fr/livre/journaux-et-cahiers-de-notes-9782213631387/">passages des journaux</a> rédigés par Kierkegaard en 1835, lorsque âgé de 22 ans <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-nuits-de-france-culture/introduction-a-la-philosophie-de-kierkegaard-6232574">il cherchait sa propre voie</a>, expliquant que ce qui lui manquait était « d’être au clair sur ce que je dois faire… de trouver l’idée pour laquelle je veux vivre et mourir. »</p>
<p>S’interrogeant sur les « malentendus » et les « petitesses » qui nous empêchent de nous comprendre mutuellement dans la société et qui causent tant de souffrance et de discrimination dans le monde, nous empêchant de voir les véritables liens qui nous unissent, le jeune danois évoque tout comme Beauvoir la nécessaire recherche d’équilibre et de subjectivité.</p>
<p>Se découvrir dans l’intériorité – ou « devenir subjectif », ainsi que Kierkegaard le formulerait plus tard dans le fameux <a href="https://www.les-philosophes.fr/post-scriptum-miettes-philosophiques.html"><em>Post-scriptum définitif et non scientifique</em></a> (1846) – exige d’apprendre à se regarder véritablement. Cependant, même chez le jeune Kierkegaard, il ne s’agit pas de se détourner ou de s’exempter du monde.</p>
<p>Découvrir « l’équilibre véritable (<em>den sande Ligevægt</em>) » implique un apprentissage de l’humilité, un difficile travail pour se découvrir avec sincérité. Il implique que nous puissions trouver assez de stabilité en nous-mêmes pour résister aux épreuves du monde, sans pour autant oublier que notre tâche est de vivre dans le monde parmi d’autres.</p>
<h2>Réconcilier l’interne avec l’externe</h2>
<p>La notion d’équilibre joue également un rôle important dans le développement chez Kierkegaard du stade éthique, dans la seconde partie de <a href="https://www.philomag.com/articles/lalternative-kierkegaard-et-limpossible-reconciliation"><em>L’alternative</em></a> (1843). Il parle ici du nécessaire « équilibre… dans la formation de la personnalité », et de la difficulté pour l’individu de réconcilier l’interne avec l’externe, la quête d’unité avec la pluralité et variabilité de la vie, et le fait que nous sommes à la fois des individus singuliers et des êtres civiques et sociaux.</p>
<p>Une vie pleine et dotée de sens, Kierkegaard suggère ici, ne peut chercher ses raisons d’être entièrement dans l’intériorité ni entièrement dans l’extériorité (c’est-à-dire les actions, engagements ou rôles que nous jouons dans la société).</p>
<p>Sans avoir connaissance du travail de son prédécesseur danois, Beauvoir parvient dès ses réflexions de jeunesse au développement d’une approche existentielle de la philosophie qui en fait écho.</p>
<p>Ces deux philosophes plaçaient au centre de leur démarche philosophique le rôle du choix de soi-même, mais insistaient également sur un nécessaire équilibre entre l’intérieur et l’extérieur, entre la quête de soi et les engagements et les actions dans le monde.</p>
<p>Beauvoir écrit dans ses <em>Cahiers</em> en 1927 que « c’est par la décision libre seulement, et grâce au jeu de circonstances que le moi vrai se découvre ».</p>
<p>Kierkegaard, pour sa part, avait écrit :</p>
<blockquote>
<p>« Lorsqu’on a pris possession de soi-même dans le choix, lorsqu’on a revêtu sa personne, lorsqu’on s’est pénétré soi-même entièrement, tout mouvement étant accompagné de la conscience d’une responsabilité personnelle, alors, et alors seulement on s’est choisi soi-même selon l’éthique… on est devenu concret, et l’on se trouve en son isolement total en absolue continuité avec la réalité à laquelle on appartient. »</p>
</blockquote>
<h2>Regarder les réalités avec lucidité</h2>
<p>Constats trop optimistes, trop individualistes ? Une telle conclusion serait trop hâtive. Si Beauvoir et Kierkegaard insistent tous deux sur l’équilibre, c’est parce qu’ils n’oublient jamais que le monde dans lequel nous vivons est déséquilibré et nous déséquilibre.</p>
<p>Que le monde dans lequel nous vivons est marqué par les inégalités et les injustices ; que certains naissent dans la précarité alors que d’autres dans le privilège, que quel que soit notre statut ou place dans la société, celle-ci nous enjoint à nous adapter à ses systèmes et fonctionnements qui peuvent nous aliéner de nous-mêmes. Que l’angoisse, l’absurdité, les menaces et le désespoir marquent nos vies ; que l’oppression et la mort sont des réalités quotidiennes.</p>
<p>Rechercher l’équilibre n’est pas un oubli de ces réalités concrètes, mais l’appel à trouver l’attitude appropriée par laquelle nous pourrions regarder ces réalités avec lucidité, et nous préparer pour agir activement dans le monde. Et l’équilibre n’est pas un état à atteindre ; c’est un mouvement constant de devenir, un effort actif d’appropriation.</p>
<p>En 1947, avec l’essor de l’<a href="https://www.livredepoche.com/livre/au-cafe-existentialiste-9782253257837">existentialisme</a>, Beauvoir dira dans <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070426935-pour-une-morale-de-l-ambiguite-pyrrhus-et-cineas-simone-de-beauvoir/"><em>Pour une morale de l’ambiguïté</em></a> que si les concepts tels que liberté et responsabilité ont tellement d’importance, c’est précisément parce que nous vivons dans un monde où beaucoup d’individus ne sont pas libres, ne bénéficient pas des mêmes avantages et privilèges.</p>
<p>Revendiquer le respect des droits de l’homme, pour tous, demeure toujours une lutte. Elle affirme cependant qu’une telle quête n’exige aucune capacité spécifique de la part de l’individu, à part une « présence attentive au monde et à soi-même ». Présence attentive difficile, certes, mais non impossible à atteindre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215719/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mélissa Fox-Muraton ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour faire face aux tragédies, Beauvoir et Kierkegaard insistent tous deux sur l’équilibre, pour ne jamais oublier que le monde dans lequel nous vivons est déséquilibré et nous déséquilibre.Mélissa Fox-Muraton, Enseignante-chercheur en Philosophie, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088962023-07-06T17:20:15Z2023-07-06T17:20:15ZÉmeutes en France : des films pour mieux comprendre le conflit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/535048/original/file-20230630-42965-kgb8rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C1920%2C1270&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Image tirée du film _La classe_.</span> </figcaption></figure><p>La France a été secouée par plusieurs journées d'émeutes, après qu'un adolescent a été <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/01/mort-de-nahel-m-un-besoin-de-vraies-reponses-face-a-la-colere-et-a-la-peur_6180123_3232.html">abattu mardi 27 juin</a> par un policier à Nanterre, suite à un refus d’obtempérer. </p>
<p>Certains artistes, intellectuels et citoyens se sont indignés et ont réagi face un phénomène de violences policières. Le Haut Commissaire des Nations unies a exhorté la France à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/apres-la-mort-de-nahel-la-france-doit-s-attaquer-aux-profonds-problemes-de-racisme-dans-la-police-pour-cette-instance-de-l-onu_219986.html">s’attaquer au racisme au sein de la police et des forces de l’ordre</a>. Il y a quelques semaines, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a également <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/onu/la-france-epinglee-a-l-onu-pour-les-discriminations-raciales-et-les-violences-policieres_5801627.html">accusé la France de discrimination raciale et de violences policières</a>.</p>
<p>En fait, le cinéma français raconte cette histoire depuis plusieurs années. Par exemple, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=I4Fr6xokozw"><em>Athena</em></a> (2022) raconte comment, après le meurtre d’une adolescente, le conflit dégénère en quasi-guerre civile.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/I4Fr6xokozw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Athena</em> (2022).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Ce n’est pas la première fois</h2>
<p>Ce film peut sembler prémonitoire, mais il y a eu des précédents en termes d'émeutes et de révoltes dans les quartiers populaires dans l’actualité française, notamment en 2005.</p>
<p>Dans la nuit du 27 octobre de cette année-là, à Clichy-sous-Bois, à l’est de Paris, trois jeunes hommes se sont cachés dans un transformateur électrique pour ne pas avoir à répondre aux interrogatoires de la police. Deux d’entre eux sont morts électrocutés et le troisième a survécu à de graves brûlures après avoir été hospitalisé dans un état très sérieux.</p>
<p>La réaction fut une <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/2005_French_riots">immense et violente révolte populaire</a> qui dura trois semaines. Les émeutes se sont étendues à toute la France et ont touché les banlieues de 200 villes. Les propos du ministre de l’Intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, qui a qualifié les jeunes des banlieues de « racailles » lors d’une visite dans le quartier du Val d’argent à Argenteuil, n’ont pas arrangé les choses. Devant l’impossibilité de maîtriser la situation, le Premier ministre Dominique de Villepin a déclaré l’état d’urgence. Neuf mille véhicules ont été détruits et des bâtiments institutionnels attaqués, sans compter les blessés et les interpellations. Au total, les <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20061027.OBS7196/le-bilan-des-violences-de-2005.html">dégâts ont été estimés à plus de 150 millions d’euros</a>.</p>
<p>Ce qui se passe aujourd’hui est similaire et n’est ni isolé ni nouveau en France. Ces incidents ne sont pas toujours couverts par les médias européens, même s'ils se produisent régulièrement. Les films sortis en France ces dernières décennies en témoignent, dénonçant une fracture sociale quotidienne, des rapports difficiles avec la police, la frustration de ne pouvoir sortir du cercle du quartier, et une école qui se veut rédemptrice face à un problème qui semble perdurer.</p>
<h2>Les origines du conflit</h2>
<p>Le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gsRxwuj1AxU"><em>Retour à Reims</em></a> (2021), réalisé à partir de fragments documentaires issus du fonds de l’<a href="https://www.ina.fr/">Institut national de l’audiovisuel</a> (INA), retrace avec précision le phénomène de l’arrivée massive de l’immigration grâce aux lois qui l’ont favorisée après la Seconde Guerre mondiale. Le paysage social des villes s’en trouve transformé, entraînant une cohabitation qui n’est pas toujours facile.</p>
<p>Dans les années 1940 et 1950, des bateaux en provenance d’Algérie et du Maroc arrivent chaque jour sur les côtes françaises avec des milliers de personnes. Ils sont reçus et accueillis par les institutions et les entreprises avec des mesures <a href="https://www.youtube.com/watch?v=L0lrA1jiQxk">déjà discriminatoires en termes de salaires et de droits</a>.</p>
<p>Le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ykg0DfSkwmc"><em>Les Femmes du 6e étage</em></a> (2010) raconte également le quotidien d’un groupe de femmes espagnoles qui ont émigré pour devenir employées de maison. Dans la tendresse de la nostalgie et de l’humour, il raconte aussi le harcèlement, les abus et les difficultés auxquels de nombreuses femmes étrangères <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Z_OaJMUvDuU">ont dû faire face</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ykg0DfSkwmc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Les Femmes du 6e étage</em> (2010).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Les problèmes de la <em>banlieue</em>, un thème récurrent du cinéma français</h2>
<p>Quel rapport avec le meurtre récent de Nahel et les émeutes ? Eh bien, les années ont passé et les enfants et petits-enfants de ces premières générations d’immigrés sont nés en France, ont été élevés sous la devise « liberté, égalité, fraternité », mais ont vite découvert qu’elle ne s’appliquait pas à eux.</p>
<p>C’est pourquoi, dans les années 1980, ont eu lieu les <a href="https://fresques.ina.fr/sudorama/fiche-media/00000000269/l-arrivee-de-la-marche-pour-l-egalite-et-contre-le-racisme-a-paris.html">premières manifestations contre le racisme</a> et les discriminations liées à l’origine.</p>
<p>Les quartiers des grandes villes ont été configurés pour accueillir l’ensemble de la population active, étrangère ou non, en construisant massivement des HLM (<em>habitation à loyer modéré</em>) dans les ZUP (<em>zone d’urbanisation prioritaire</em>). Ils ont été construits en très peu de temps, avec des matériaux de mauvaise qualité, pour loger les milliers de personnes que des villes comme Paris, Toulouse ou Marseille accueillaient. Aujourd’hui, ce sont de véritables ghettos, appelés <em>quartiers sensibles</em> en référence aux problèmes constants qui les habitent.</p>
<p>Le film <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=12551.html"><em>La Haine</em></a> (1995) montre la vie de jeunes vivant dans une banlieue, sans aller à l’école, fuyant les contrôles de police, essayant sans succès d’éviter la drogue et la délinquance. Cela ne se termine pas bien. Sans en dévoiler l’issue, on peut s’en faire une idée rien qu’en regardant les informations de ces derniers jours.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/G65Y-yr4M4o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Trailer pour <em>La Haine</em> (1995).</span></figcaption>
</figure>
<p>Trois décennies plus tard, <a href="https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=273579.html"><em>Les Misérables</em></a> (2019), qui a remporté de nombreux prix, est devenu un reflet actualisé du même thème : l’abandon des quartiers, la <em>banlieue</em> devenue ghetto, la relation compliquée entre des cultures différentes et le travail de la police, montré comme une forme d’ingérence continue et ennuyeuse dans la vie quotidienne des banlieues françaises, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006151880/">avec des contrôles plus intenses depuis les attaques terroristes à Paris</a>, notamment sur les personnes d’apparence maghrébine et noire africaine.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/_RBAqv0VQH8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bande annonce du film <em>Les Misérables</em> (2019).</span></figcaption>
</figure>
<h2>L’école comme base de la solution</h2>
<p>La réalité s’entête, mais le cinéma crée d’autres espaces, confrontant les clichés et posant un autre regard sur le réel. Dans un esprit profondément français, l’école est très souvent présentée comme la solution universelle à ces problèmes sociétaux. En effet, de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/03/le-cinema-s-engage-sur-les-chemins-de-l-ecole_6144133_3232.html">nombreux films traitent du thème de l’éducation et de l’école</a>.</p>
<p>C’est le cas de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=QPXyGosb3_g"><em>Entre les murs</em></a> (2008), également primé, fait directement référence à l’oasis apparente de la salle de classe, qui reproduit pourtant ce qu’il y a à l’extérieur. Une mosaïque diverse qui expose la délicate complexité d’une société, remettant en question les généralisations, les stéréotypes et les préjugés.</p>
<p>Dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0BufXB1AUfM"><em>Le brio</em></a> (2017), il est question de l’université. Dans ce film, un professeur de littérature montre à travers Schopenhauer – et son livre <a href="https://www.schopenhauer.fr/oeuvres/fichier/l-art-d-avoir-toujours-raison.pdf"><em>L’art d’avoir toujours raison</em></a> – comment les mots peuvent créer un nouvel univers. L’étudiante, elle, sauve le professeur de l’expulsion et atteint ses objectifs académiques. La compréhension émerge dans le processus de découverte de leurs différences apparemment irréconciliables.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/0BufXB1AUfM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Trailer pour <em>Le brio</em> (2017).</span></figcaption>
</figure>
<p>La littérature française est fréquemment utilisée comme une planche de salut : les personnages, les histoires et les auteurs sont les références des protagonistes. Dans le film <a href="https://www.youtube.com/watch?v=o7g0hQDNAFs"><em>Les grands esprits</em></a> (2017), le livre rédempteur est <em>Les Misérables</em>, de Victor Hugo, analysé par chacun des personnages comme s’il était l’un des symboles de la marginalisation et des problèmes actuels. D’autre part, le professeur blanc, aux yeux bleus, bourgeois, accablé de préjugés, se découvre lui-même à travers l’autre qu’il méprisait.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=869&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534977/original/file-20230630-29-6883q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1092&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Cartel des <em>Intocables</em>.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le savoir et l’école sont des instruments qui viennent sans cesse à la rescousse des problèmes sociaux dans le cinéma français. Ils finissent, malgré les obstacles, à créer de nouvelles relations d’empathie qui, dans l’espace filmique, résoudront le conflit. Mais dans la vie réelle, il reste encore beaucoup à résoudre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208896/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ana María Iglesias Botrán ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le cinéma français dénonce les violences policières depuis des années.Ana María Iglesias Botrán, Profesora del Departamento de Filología Francesa en la Facultad de Filosofía y Letras. Doctora especialista en estudios culturales franceses y Análisis del Discurso, Universidad de ValladolidLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2056032023-05-21T15:01:07Z2023-05-21T15:01:07ZPourquoi le lien entre immigration et délinquance est une illusion<p>L’immigration suscite des craintes persistantes, en partie liées à la perception qu’immigration et délinquance <a href="https://www.cambridge.org/core/books/does-immigration-increase-crime/9EA41FA9831C2F52433874FC9B1D5C7B">vont de pair</a>. La Commission nationale consultative des droits de l’homme rappelait ainsi, en 2022, que 52 % des Français considéraient l’immigration comme la principale cause d’insécurité.</p>
<p>Plus récemment, le projet de loi repoussé sur l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/immigration-21314">immigration</a> proposait de « rendre possible l’éloignement d’étrangers constituant une menace grave pour l’ordre public ». Pourtant, les recherches en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sciences-sociales-25550">sciences sociales</a> montrent que l’immigration n’est pas la cause de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/delinquance-27123">délinquance</a>. C’est ce décalage entre réalités et perceptions que nous avons cherché à comprendre dans la <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/lettre/abstract.asp?NoDoc=13737">lettre d’avril 2023</a> du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (<a href="https://theconversation.com/institutions/cepii-2912">CEPII</a>).</p>
<p>La perception d’un lien entre immigration et délinquance repose principalement sur l’observation d’une surreprésentation des étrangers (immigrés n’ayant pas acquis la nationalité française) dans les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/statistiques-20962">statistiques</a> sur la délinquance. En France, la proportion d’étrangers dans la population totale était, en 2019, de 7,4 %, mais s’élevait à 14 % parmi les auteurs d’affaires traitées par la justice, à 16 % dans ceux ayant fait l’objet d’une réponse pénale et <a href="http://www.justice.gouv.fr/art_pix/Trim_2004.pdf">à 23 % des individus en prison</a>.</p>
<p>De nombreux facteurs, certains quasi mécaniques, peuvent expliquer cette surreprésentation sans que le statut d’immigré ne soit en lui-même lié à une probabilité plus forte de commettre une infraction.</p>
<h2>Une probabilité́ de contrôle plus forte</h2>
<p>Tout d’abord, certains délits ne peuvent, par définition, être commis que par des étrangers (soustractions à l’exécution d’une mesure de reconduite à la frontière, travail sans titre de séjour, etc.). De plus, ces infractions sont résolues lorsqu’elles sont constatées puisque l’auteur de l’infraction est identifié sur-le-champ. De ce fait, elles peuvent faire l’objet d’un ciblage particulier lors de pressions politiques à l’amélioration des statistiques, comme lors de la mise en place de la « politique du chiffre » <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_fabrique_des_jugements-9782348067983">entre 2002 et 2012</a>.</p>
<p>Ensuite, les immigrés présentent des caractéristiques individuelles qui les rendent plus susceptibles d’être en infraction avec la loi. Les hommes, jeunes, sont ainsi surreprésentés dans la population immigrée, deux caractéristiques systématiquement associées à des niveaux de délinquance <a href="https://www.jstor.org/stable/42705620">plus élevés</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/immigration-comment-favoriser-un-imperatif-equilibre-des-sexes-dans-les-flux-202085">Immigration : comment favoriser un impératif équilibre des sexes dans les flux</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Surtout, les immigrés sont en moyenne plus pauvres que les natifs. Or, la <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/jel.20141147">précarité économique</a> reste un des principaux déterminants de la délinquance. Ce n’est donc pas le fait d’être immigré en soi qui conduit à plus de délinquance, mais des caractéristiques qui, lorsqu’elles se retrouvent chez les natifs, conduisent également à plus de délinquance.</p>
<p><strong>À caractéristiques similaires, les étrangers sont plus souvent et plus longtemps condamnés que les Français</strong></p>
<p><iframe id="Uv0iV" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Uv0iV/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="lGNZp" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/lGNZp/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Enfin, les immigrés subissent un <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32367028/">traitement différencié́</a> à toutes les étapes du système pénal : de la probabilité́ d’arrestation à celle <a href="https://www.cairn.info/revue-population-2012-3-page-423.html">d’être incarcéré</a>. Ainsi, les minorités visibles issues de l’immigration ont une probabilité́ plus forte d’être contrôlées, mais aussi de recevoir des peines plus lourdes. En moyenne, pour un même délit avec les mêmes antécédents judiciaires, en ayant suivi la même procédure et avec les mêmes caractéristiques individuelles (âge, sexe, lieu et date de jugement), les étrangers ont non seulement une <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_fabrique_des_jugements-9782348067983">probabilité plus forte</a> (de 5 points de pourcentage) que les Français d’avoir une peine de prison ferme, mais sa durée est également plus longue, de 22 jours.</p>
<h2>Dynamiques locales</h2>
<p>Ce traitement différencié entre immigrés et natifs se retrouve aussi dans les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/medias-20595">médias</a>. Des recherches ont montré que la <a href="https://direct.mit.edu/rest/article-abstract/doi/10.1162/rest_a_01152/108836/Anti-Muslim-Voting-and-Media-Coverage-of-Immigrant?redirectedFrom=fulltext">presse pouvait renforcer les croyances initiales</a> sur le lien entre immigration et délinquance en reportant plus systématiquement les infractions commises par les immigrés ou en <a href="http://www.cepii.fr/CEPII/fr/publications/lettre/abstract.asp?NoDoc=13737">divulguant</a> de manière plus fréquente l’origine des suspects lorsqu’ils sont immigrés.</p>
<p>La perception d’un lien entre immigration et délinquance provient aussi de l’observation par les natifs d’un plus grand nombre d’infractions reportées dans les zones où les immigrés sont majoritairement installés. Or, pour évaluer l’impact de l’immigration sur la délinquance, il est nécessaire de dépasser cette simple comparaison qui ignore que les immigrés ne se répartissent pas de manière uniforme sur le territoire national. Leur présence est en effet plus concentrée près des frontières, zones plus propices aux trafics, ou dans des quartiers où les logements sont plus abordables et qui concentrent le plus souvent des populations pauvres ou marginalisées.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>De plus, les vagues migratoires, plus soudaines et perceptibles que des changements démographiques de long terme, augmentent le <em>nombre</em> d’infractions, dans la mesure où il y a plus d’habitants, mais sans nécessairement augmenter le <em>taux</em> de délinquance par habitant. Et quand bien même on adopterait le bon raisonnement en taux, l’augmentation simultanée de la part de la population immigrée et des infractions ne vaut pas preuve que les immigrés en sont la cause car des dynamiques locales peuvent être à l’œuvre.</p>
<p>Par exemple, le départ de natifs d’une zone dans laquelle la délinquance et la pauvreté sont en augmentation peut libérer des logements sociaux et attirer de nouveaux immigrés. Immigration et délinquance augmentent alors de concert sans que l’immigration n’en soit la cause.</p>
<p>Face à ces difficultés, les recherches en sciences sociales se sont penchées sur la question du lien entre immigration et délinquance en prenant soin d’éliminer les bais précédemment évoqués. La conclusion de ces études est sans appel. L’immigration n’est pas à l’origine d’une augmentation des taux de délinquance.</p>
<h2>La régularisation entraîne une baisse des infractions</h2>
<p>Au Royaume-Uni, une étude a examiné l’effet de deux vagues migratoires récentes, la première liée aux guerres d’Irak, d’Afghanistan et de Somalie à la fin des années 1997-2002, la seconde, à l’entrée de huit anciens pays de l’Est dans l’Union européenne entre 2004 et 2008. Pour les deux vagues, les localités ayant accueilli plus d’immigrés <a href="https://direct.mit.edu/rest/article-abstract/95/4/1278/58317/Crime-and-Immigration-Evidence-from-Large">n’ont pas vu leur taux d’infractions moyen évoluer plus rapidement</a> que dans le reste du pays.</p>
<p>En revanche, une légère augmentation des atteintes aux biens a été observée pour la première vague des années 2000. Cette différence provient d’un accès au marché du travail différent : là où les nouveaux citoyens de l’Union européenne avaient le droit d’exercer un emploi, les demandeurs d’asile ne pouvaient pas travailler légalement la première année de leur arrivée sur le sol britannique.</p>
<p>Ce constat est confirmé par d’autres travaux. En Italie, un dispositif de décembre 2017 permettait aux immigrés en situation irrégulière de faire une demande de régularisation en ligne. Les permis de travail étaient accordés dans l’ordre des demandes et jusqu’à épuisement de quotas préalablement définis.</p>
<p>Avec ce dispositif, des immigrés s’étant connectés au site à quelques minutes, voire à quelques secondes d’intervalle, se sont trouvés dans des situations très différentes : ceux ayant demandé un visa juste avant l’épuisement des quotas ont acquis le droit de travailler et de résider légalement en Italie, tandis que ceux ayant posté leur dossier l’instant d’après sont restés sans-papiers. En comparant ces deux groupes, il apparaît que les immigrés ayant obtenu un visa ont eu une <a href="https://www.aeaweb.org/articles?id=10.1257/aer.20150355">probabilité deux fois plus faible de commettre une infraction</a> au cours de l’année suivante. Une différence qui s’explique entièrement par une baisse significative des infractions générant des revenus, telles que les vols et les trafics.</p>
<p>Immigration et délinquance ne sont donc pas liées, une fois les raisonnements simplificateurs écartés. Au contraire, si la surreprésentation quasi mécanique des immigrés dans les statistiques peut créer l’illusion d’une relation entre immigration et délinquance, les études rigoureuses montrent qu’il n’en est rien. Des résultats à garder en tête lors des discussions autour de la loi immigration à venir pour traiter le sujet sans passion et au plus près des réalités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205603/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Des études démontrent que les vagues migratoires n’augmentent pas le taux de délinquance par habitant.Arnaud Philippe, Senior Lecturer, School of Economics, University of BristolJérôme Valette, Économiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2024642023-04-26T13:36:45Z2023-04-26T13:36:45ZMali : pourquoi la Katibat Macina et l’État islamique au Sahel se combattent dans le Macina ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/522637/original/file-20230424-24-z3tnx3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des détenus sortis d'une gendarmerie de Gao, dans le nord du Mali, le 26 février 2013, pour être transférés à Bamako. Ils sont poursuivis pour appartenance à un groupe armé islamiste.</span> <span class="attribution"><span class="source">Joel Saget AFP via Getty Images</span></span></figcaption></figure><p>L’actualité de la crise au Sahel est dominée par <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20230408-burkina-faso-44-civils-tu%C3%A9s-dans-l-attaque-de-deux-villages-dans-le-nord-du-pays">les attaques</a> récurrentes de l’<a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/04/21/au-sahel-le-groupe-etat-islamique-etend-sa-predation_6170453_3212.html">État islamique au Sahel</a> (EIS) dans la région du <a href="https://www.liptakogourma.org/">Liptako-Gourma</a>, principalement au Burkina Faso et au Mali. Cette situation pousse <a href="https://theconversation.com/sahel-des-populations-civiles-a-lepreuve-dune-insurrection-djihadiste">les populations civiles de cette région à fuir les combats </a>. Ces conflits sont la continuité de la lutte fratricide, qui oppose la Katibat Macina (affiliée au Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM), ce dernier aussi étant relié Al-Qaïda); et l'EIS (affilié à l’<a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2015-3-page-31.htm">État islamique</a>). </p>
<p>Aujourd'hui, cette lutte entre la Katibat Macina et l’EIS dans le Delta intérieur du Niger semble être reléguée au second plan. Et pourtant, elle est pleine d'enseignements, quant au caractère radical, idéologique ou sur les types de négociations que ces groupes instaurent ou/pas avec les populations locales. </p>
<p>Dans cet article, nous ambitionnons d'expliquer pourquoi ces deux organisations se sont engagées dans une guerre fratricide, singulièrement dans le Delta intérieur du Niger, quand une partie des combattants de la Katibat Macina a fait défection au profit de l'EIS.</p>
<h2>Pourquoi analyser ces deux organisations ?</h2>
<p>Premièrement, ces organisations proviennent toutes les deux du <a href="https://www.jeuneafrique.com/139880/politique/mali-hamada-ould-mohamed-kheirou-le-cerveau-du-mujao/">Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest</a> (MUJAO). </p>
<p>Deuxièmement, elles puisent dans le même vivier, c'est-à-dire qu'elles sont majoritairement composées de Peulhs nomades, qui pour leur grande majorité, n’appartiennent pas à l’élite peulhe (Jowros), qui réglemente <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2017-4-page-73.htm">l'accès</a> aux bourgoutières (pâturages). </p>
<p>Troisièmement, une partie de l’EIS est issue de la défection de la <a href="https://ecfr.eu/special/sahel_mapping/katibat_macina">Katibat Macina</a>. Ces deux organisations sont restées longtemps sans se faire la guerre. De l'Afghanistan à la Libye, en passant par l'Irak, partout où ces deux organisations (Al-Qaida et l'État islamique) étaient présentes, elles se combattaient. Or, au Mali, et plus généralement dans le Sahel, l'EIS est resté un bon moment sans afronter la Katibat Macina. À l’exception du violent affrontement d'avril 2020, dans la commune de Dialloubé, dans le centre du pays, les deux organisations semblaient être rentrées dans une phase de paix, fut-elle précaire. Ce qui avait été qualifié d’<a href="https://www.iai.it/en/pubblicazioni/end-sahelian-exception-al-qaeda-and-islamic-state-clash-central-mali,%20Italien%20Journal%20of%20international%20affairs,%20n%C2%B055%20Vol%204,%202020,%20p.%2069-83">“exception sahélienne”</a>.</p>
<p>Les deux groupes opéraient ensemble, parce qu'ils avaient un intérêt commun à combattre les forces de sécurité et de défense (FDS), dans le Liptako-Gourma et dans le Macina.</p>
<h2>Evolution de la Katibat Macina et de l’EIS</h2>
<p>La Katibat de Macina apparaît le 25 janvier 2015 à travers l'attaque de Nampala, dans la région de Ségou, dirigée par Hamadoun Kouffa. Ce dernier est né en 1961 à Saraféré/Nianfunké dans la région Tombouctou, dans le village de Kouffa. Il est le fils d’un imam modeste, et ne revendique pas d’ascendance maraboutique. Formé à Bankass (région de Mopti, centre du Mali), il aurait poursuivi ses études en Mauritanie. </p>
<p>L’histoire de Kouffa est celle d’un jeune élève surdoué, adoré pour sa maîtrise du Coran, qui va passer de la poésie aux prêches enflammés contre l’injustice du monde peulh, l’élite politique et sociale peulhe établie (Jowros, familles des marabouts, chefferies coutumières), pour finir par embrasser la voie du djihadisme importé par la <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2015/01/27/01016-20150127ARTFIG00202-islam-radical-qu-est-ce-que-le-mouvement-tabligh.php">Dawa Tabligh</a> - courant rigoriste de l'islam introduit au Mali par des prédicateurs pakistanais - bien implantée déjà au Mali à partir <a href="https://doi.org/10.2307/j.ctvh9vtbr.14">des années 1990</a>. Ses cibles principales sont les autorités étatiques (administrateurs, forces de sécurité) qu’il accuse de corruption, les élites traditionnelles peulhes qui ont des pratiques féodales, dont il conteste l’autorité, et surtout, leurs accointances avec l’État. </p>
<p>La stratégie de Kouffa est de puiser dans les contours du <a href="https://www.cairn.info/le-djihadisme--9782715407909-page-6.htm">salafisme-djihadisme</a> qui représente, à ses yeux, le prolongement de l’islam originel. <a href="https://www.jstor.org/stable/26983415">Cet islam rejette</a> tout pouvoir découlant du sang (monarchie, chefferie, élite peulhe) et du vote démocratique (Assemblée nationale), au profit du pouvoir divin prônant une application rigoureuse de la Charia, la loi islamique. </p>
<p>Deux dates importantes marquent sa phase de radicalisation. D’abord, sa rencontre avec la secte Dawa mouvement Tabligh, d'où il sortira avec pour ambition de propager l’islam dans le Delta du intérieur du Niger (période pendant laquelle il aurait rencontré Iyad Ag Ghali). Ensuite, le <a href="https://muse.jhu.edu/article/794427">code des personnes et de la famille</a> voté le 3 août 2009, mais dont la promulgation a été retardée sous la pression des organisations islamiques, et qui ne sera voté qu’en 2011, expurgé de toutes les avancées sociales. </p>
<p>Kouffa aurait <a href="https://www.recherches-internationales.fr/RI117/RI117_Bourgeot.pdf">rejoint</a> Iyad Ag Ghali en 2012 et reçu une formation militaire. Il aurait participé à <a href="https://www.jeuneafrique.com/165872/politique/mali-retour-sur-la-bataille-d-cisive-de-konna/">l’attaque de Konna</a>. <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/12/03/mali-la-mort-d-amadou-koufa-un-coup-dur-pour-les-djihadistes-au-sahel_5392124_3212.html">Donné pour mort en 2018</a>, suite à une frappe de l'opération militaire française Barkhane, il <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0T0IGe52VyE">réapparait</a> en 2019 sur la chaîne France 24. </p>
<p>Le MUJAO, qui servit de socle pour la Katibat Macina, le fut aussi pour l'EIS. Pour sa part, <a href="https://africacenter.org/fr/spotlight/comment-letat-islamique-dans-le-grand-sahara-exploite-les-frontieres-au-sahel/">Abou Walid Al Sarhaoui</a>, leader de l'EIS, fait son <a href="https://africacenter.org/fr/spotlight/comment-letat-islamique-dans-le-grand-sahara-exploite-les-frontieres-au-sahel/">apparition</a> en 2015. On sait peu de choses sur sa trajectoire, contrairement à Kouffa, certainement en raison du fait qu’il est étranger et originaire du Sahara occidental. Il <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/sahel/la-mort-du-chef-de-letat-islamique-au-grand-sahara-une-occasion-de-dialogue">rejoint</a> le MUJAO en 2012, et en devient le porte-parole. Il adhère ensuite à <a href="https://www.ifri.org/fr/mots-cles-thematiques/al-mourabitoune">Al-mourabitoune</a>, issu de la fusion entre le MUJAO et la brigade Mulathamenn, dirigée à l'époque par l'Algérien <a href="https://www.jeuneafrique.com/168972/politique/terrorisme-le-groupe-de-mokhtar-belmokhtar-et-le-mujao-annoncent-leur-fusion/">Mokhtar Belmohktar</a>. Il a été <a href="https://www.jeuneafrique.com/1234642/politique/mali-le-chef-du-groupe-etat-islamique-au-grand-sahara-tue-par-les-forces-francaises/">tué</a> par Barkhane le 17 août 2021, au Mali.</p>
<p>Au départ, si l’EIS n’est pas reconnu par l’État islamique, il le sera finalement par <a href="https://www.lejdd.fr/International/Etat-islamique-qui-est-Abou-Bakr-al-Baghdadi-699946-3177812">Aboubakr Al Bagdhadi</a> à la suite d’importantes opérations djihadistes menées sur place. Et si au départ, les combattants étaient des Maliens et des Nigériens, aujourd’hui le groupe s’est internationalisé dans la zone dite des trois frontières, - entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso - comme base de l’EIS.</p>
<h2>Pourquoi ces deux organisations se combattent-elles ?</h2>
<p>En 2012, une alliance entre les groupes indépendantistes et djihadistes conduit au <a href="https://www.jeuneafrique.com/167687/politique/guerre-au-mali-retour-sur-le-drame-d-aguelhok/">massacre d’Aguelhoc</a>, dont sont victimes des soldats de l'armée malienne. Avec l’occupation des régions Nord du Mali par les forces djihadistes, le MUJAO finira par prendre le dessus avec l’éviction du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) à Gao. L’opération militaire française <a href="https://www.defense.gouv.fr/operations/operations-achevees-afrique/operation-serval-2013-2014">Serval</a> débute en 2013, le MUJAO sera finalement démantelé. Une composante essentielle de ce groupe va alors rejoindre massivement la <a href="https://ecfr.eu/special/sahel_mapping/katibat_macina">Katibat Macina</a>. Or, une partie des combattants du MUJAO – qui comportait aussi des Arabes, des <a href="https://www.lexpress.fr/monde/afrique/mali-les-touaregs-un-peuple-dans-la-tourmente_1213530.html">Touaregs</a>, des <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/songhai-songhay/">Sonrhaïs</a> – étaient des bergers peulhs. Ces derniers vont ainsi renforcer les rangs de la Katibat Macina à partir de 2015. Il s'agit alors essentiellement des jeunes peulhs de la frontière Mali-Niger, du <a href="https://journals.openedition.org/eps/2688?file=1">pays Dogon</a>, du <a href="https://www.voice4thought.org/fr/les-violences-recentes-dans-le-centre-du-mali-le-hayre-serait-il-en-passe-de-redevenir-un-no-mans-land/">Hayré</a>, de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220308-attaque-de-mondoro-au-mali-les-jihadistes-du-jnim-et-bamako-pr%C3%A9sentent-des-bilans-diff%C3%A9rents">Mondoro</a> jusque dans le Gourma central dans la région de Mopti.</p>
<p>Une partie de ces Peulhs – en conflit avec les Touaregs dans la zone de Ménaka (nord-est du Mali) – vont finir par rallier l’EIS. Parmi les causes de cet attrait, la radicalité de l’EIS semble être un point important. La Katibat Macina est dans une démarche d’imposition de la Charia, qui est dirigée vers toutes les communautés, fondée sur la croyance selon laquelle la religion transcende les identités communautaires, reprise aujourd’hui par l’EIS. Ce dernier est dans une forme de lutte plus radicale. C’est une organisation violente, de par les exactions qu’elle commet sur les populations civiles. La puissance financière de l’EI – au temps fort de son existence au Moyen-Orient – a peut-être joué également dans l’attraction des jeunes combattants.</p>
<h2>Principaux points de désaccords</h2>
<p>L’EIS reproche à la Katibat la tenue des élections municipales, notamment à Nampala dans la région de Ségou en 2016. En effet, Kouffa estime que les maires sont des agents de développement. Par conséquent, la Katibat n’a pas à les combattre. L’EIS reproche aussi à la Katibat la non-application de la Charia, c'est-à-dire qu’elle ne pratique pas la lapidation ni les amputations des membres. L’EIS critique aussi la Katibat pour avoir accepté la réouverture des écoles (sous réserve que les enseignants soient issus du Delta, condition posée par Kouffa). La signature par la Katibat de compromis avec les <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/11/14/les-chasseurs-dozos-gardiens-sacres-et-encombrants-du-nord-ivoirien_6019188_3212.html">chasseurs Dozos</a> qui sont considérés comme des mécréants a été aussi fustigée par l’EIS. La Katibat refuse le partage des butins de guerre et de la <a href="https://www.gofundme.com/fr-fr/c/blog/who-to-give-the-zakat-to#:%7E:text=La%20zakat%20est%20un%20imp%C3%B4t,renforcer%20la%20foi%20des%20fid%C3%A8les.">zakat</a>. Ce qui n’est pas du goût de l’EIS. </p>
<p>Mais la principale raison du clash entre les deux organisations djihadistes, demeure la question de l’accès aux <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-terrorisme_au_burkina_faso_negocier_ou_pas_tome_1_desire_boniface_some-9782140314827-75557.html">bourgoutières</a>. Il s'agit de pâturages qui se développent dans les zones d’inondation temporaires du Delta. Elles sont formées de “bourgous” – plantes aquatiques très prisées par les éleveurs – et de leurs troupeaux en période de décrue. Les Jowros sont les gestionnaires de ces bourgoutières depuis la <a href="https://www.karthala.com/128-un-empire-peul-au-XIXe-siecle-la-diina-du-maasina-9782865372348.html">Dîna</a>, empire théocratique peulh. </p>
<p>Si Kouffa a bâti sa renommée sur les questions d’égalité entre tous, et de non-paiement des redevances bourgoutières – en ce sens que les bourgous sont la propriété de Dieu et n’appartiennent à personne –, il est revenu sur cette question en s’alliant avec les Jowros face à la défection de ses combattants au profit de l’EIS. Preuve supplémentaire, s'il en fallait, qu’il est moins un idéologue convaincu qu'un entrepreneur politico-identitaire. Ces désaccords impliquant des affrontements pour le contrôle du Delta (fief de la Katibat Macina) participent à accroître l'instabilité dans ces régions. </p>
<p>Pendant longtemps, des négociations ont eu lieu entre les deux organisations pour éviter les affrontements, mais elles ont finalement échoué. L’EIS a alors tenté une percée dans le Delta. Cette organisation prône une application stricte de la Charia, alors que la Katibat Macina opte pour son application contextualisée et pragmatique. La Katibat Macina semble mieux organisée, <a href="https://www.imctc.org/fr/eLibrary/Articles/Pages/article13.9.2021.aspx">plus structurée</a> sur le plan institutionnel. En contact régulier avec les populations, elle met en place des instances pour gérer les affaires courantes. </p>
<p>L'EIS, qui privilégiait jusqu'à présent l'extension de son champ d'action plutôt qu'un ancrage durable dans ses zones d'influence, semble s'aligner sur une <a href="https://theconversation.com/les-djihadistes-du-sahel-ne-gouvernent-pas-de-la-meme-maniere-le-contexte-est-determinant-175258">“gouvernance djihadiste”</a> observable dans les zones sous contrôle du GSIM. C'est la nouvelle situation qui se dessine, notamment dans la région de <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/au-mali-l-etat-islamique-installe-son-sanctuaire-a-menaka-8129892">Ménaka</a>. Les combats fratricides font rage aujourd'hui dans cette région, et plus généralement dans le liptako-Gourma.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202464/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>The authors do not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and have disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Deux organisations djihadistes la katibat Macina et l'Etat islamique au Sahel se livrent une guerre sans merci. Voici les raisons et les enseignements de cette guerre fratricide.Lamine Savané, PhD science politique, ATER, CEPEL (UMR 5112) CNRS, Montpellier, Post doctorant PAPA, Université de SégouFassory Sangare, Enseignant-chercheur en gestion, Université des sciences juridiques et politiques de BamakoMahamadou Bassirou Tangara, Enseignant-chercheur en économie du développement, Université des Sciences sociales et de Gestion de Bamako Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1792202022-03-17T19:33:42Z2022-03-17T19:33:42ZRéfugiés : le double discours de l’Europe<p>Depuis l’invasion de l’Ukraine par le régime de Vladimir Poutine, en 18 jours de guerre, <a href="https://data2.unhcr.org/en/situations/ukraine">plus de 3 millions de réfugiés</a> ont quitté le pays. La Pologne, la Moldavie et la Roumanie s’organisent pour les accueillir, les <a href="https://en.ocalenie.org.pl/">associations</a> se mobilisent, la société civile s’engage. L’Union européenne active une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000338958">directive de 2001</a>, jamais utilisée auparavant, qui permet d’accorder un statut de protection temporaire pour garantir un <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/284183-ue-ukraine-protection-temporaire-pour-les-refugies-fuyant-la-guerre">accès rapide aux droits</a> : un droit au séjour, l’accès au marché du travail, l’accès au logement, l’aide sociale et l’aide médicale.</p>
<p>Des compagnies ferroviaires dans plusieurs pays (par exemple en <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/guerre-en-ukraine/guerre-en-ukraine-la-sncf-offre-le-train-gratuit-aux-refugies-ukrainiens-5ecc84ec-98cd-11ec-a212-1f68235c1350">France</a>, <a href="https://www.railjournal.com/regions/europe/europe-continues-to-support-ukrainian-refugees/">aux Pays-Bas, en Belgique, en Autriche</a>) annoncent la gratuité des transports. Face aux souffrances du peuple ukrainien, les politiques nationales et européennes en matière d’asile et d’accueil semblent, enfin, se hisser à la hauteur de la tragédie d’un peuple confronté à la guerre. L’absolu contraste avec les politiques d’asile et d’accueil mises en place jusqu’ici est flagrant. Dans nos recherches auprès de femmes exilées, menées depuis plusieurs années, nous avons en effet constaté un abandon social à l’arrivée en France.</p>
<h2>L’absence d’hébergements, fabrique de violences sexuelles</h2>
<p>En 2020, nous avons rencontré en région parisienne des femmes demandeuses d’asile venues de RDC, du Mali et de Côte d’Ivoire dans le cadre de <a href="https://gbvmigration.cnrs.fr">deux</a> <a href="https://www.fondation-croix-rouge.fr/wp-content/uploads/2022/03/fcrf_pdlf36_sahraoui.pdf">recherches</a> portant sur les violences de genre en contexte de migration.</p>
<p>Ces femmes ont toutes fui des violences dans leur pays d’origine et ont souvent été victimes de violences pendant leur voyage. Mais aucune protection ne leur est offerte à leur arrivée en France. Des associations comme la <a href="https://agir.lacimade.org/JMR2020">Cimade</a> décrivent depuis plusieurs années le manque structurel de places d’hébergement pour les demandeurs et demandeuses d’asile. En 2019, ce sont environ <a href="https://www.lacimade.org/premier-bilan-de-la-demande-dasile-en-france/">deux tiers</a> des demandeurs d’asile qui n’ont accès à aucune forme d’hébergement. Se retrouver à la rue, pour les femmes demandeuses d’asile, cela signifie être constamment exposées à un risque accru de violences sexuelles.</p>
<p>Une <a href="https://theconversation.com/les-femmes-migrantes-face-aux-violences-sexuelles-en-france-138896">recherche quantitative réalisée en 2012-2013</a> avait déjà identifié l’insécurité administrative et l’insécurité résidentielle comme facteurs directs de violences sexuelles et de risque accru d’infection au VIH, les femmes ayant fui des violences dans leur pays d’origine étant 3,7 fois plus nombreuses à déclarer avoir été victimes de viols en France que les femmes migrantes venues pour raisons professionnelles.</p>
<p>Toutes les associations constatent en outre une dégradation des conditions d’accueil ces dernières années. Les femmes que nous avons rencontrées se sont retrouvées à la rue pendant plusieurs mois, parfois en plein hiver, pour certaines avec des enfants en bas âges, quelques-unes en situation de grossesse avancée. L’absence de places disponibles est telle que les associations qui font des maraudes dans la capitale n’ont pas de solutions, même pour les publics a priori « prioritaires ». Dans ce contexte, les femmes en situation d’exil sont parfois contraintes à des relations sexuelles transactionnelles en échange d’un toit. Dans d’autres cas, les solutions d’hébergement sont en elles-mêmes des lieux d’insécurité : de nombreux cas de violences ont été signalés dans les hôtels sociaux selon nos interlocutrices.</p>
<p>Une jeune malienne explique qu’elle s’abrite dans des gares, toujours assise, jamais allongée, pour ne surtout pas attirer l’attention, prétendre qu’elle attend, et tenter de protéger son intégrité physique en ne donnant pas à voir sa situation de rue. Elle s’assoupit mais ne dort jamais. La rue n’offre aucun moment de répit. Plusieurs années de suite, les services des hôpitaux publics deviennent le dernier rempart face à l’abandon et l’isolement de ces femmes. Les associations orientent parfois, faute d’autre alternative, les femmes enceintes vers les salles d’attente des hôpitaux pour qu’elles ne passent pas la nuit dans le froid.</p>
<h2>Dégradation intentionnelle des conditions d’accueil</h2>
<p>Les recherches de ces dernières années mobilisent les concepts de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/anti.12325">« nécropolitique »</a>, de <a href="https://journals.openedition.org/revdh/4238">« défaillance systémique »</a>, de <a href="https://www.routledge.com/Impoverishment-and-Asylum-Social-Policy-as-Slow-Violence/Mayblin/p/book/9781032084411">« violence lente »</a> ou encore de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0306396819850986">« dégradation intentionnelle »</a> des conditions pour qualifier ces processus de militarisation des frontières et d’abandon social aux conséquences mortifères. Il existe peu d’études sur le sujet, mais les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1362480612464510">données disponibles</a> indiquent que les frontières sont particulièrement meurtrières pour les femmes et que les <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2020-4-page-29.html">implications nécropolitiques</a> de la répression des migrations sont genrées.</p>
<p>Ces concepts montrent comment les États qui clament le droit de « contrôler leurs frontières », exercent leurs pouvoirs politiques et sociaux en laissant mourir les personnes « autres », « étrangères » de par l’abandon systématique de ces personnes et le déni structurel des droits (logement, nourriture, statut légal, accès à la santé) essentiels à leur survie. Notre recherche éclaire plus particulièrement la production institutionnelle de violences genrées en ce que le non-accueil, souvent analysé comme une <a href="https://academic.oup.com/jrs/article-abstract/32/Special_Issue_1/i162/5289520">politique de la dissuasion</a>, engendre de manière systématique des violences sexuelles et de genre et présente donc une dimension structurelle.</p>
<h2>Des représentations racistes et genrées de l’exil</h2>
<p>Après des décennies de politiques de fermeture et de rejet, <a href="https://missingmigrants.iom.int/">causant plus de 23 500 morts en Méditerranée depuis 2014</a>, nombre d’éditorialistes et d’<a href="https://www.hrw.org/news/2022/03/09/eus-generous-response-ukraine-refugees-shows-another-way-possible">ONG</a> célèbrent l’accueil absolument vital des réfugiés ukrainiens tout en constatant un double standard, un <a href="https://www.facebook.com/baam.asso">asile à deux vitesses</a>, et, indéniablement, une <a href="https://www.theguardian.com/world/commentisfree/2022/mar/10/europe-compassion-refugees-white-european">logique raciste</a>, dans ce revirement des politiques d’asile.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/452460/original/file-20220316-25-he7t0q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/452460/original/file-20220316-25-he7t0q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=455&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/452460/original/file-20220316-25-he7t0q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=455&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/452460/original/file-20220316-25-he7t0q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=455&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/452460/original/file-20220316-25-he7t0q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/452460/original/file-20220316-25-he7t0q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/452460/original/file-20220316-25-he7t0q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=571&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Nombre de personnes ayant disparu ou étant mortes en mer Méditerranée par année. Missing Migrants Project, (IOM).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://missingmigrants.iom.int/region/mediterranean">missingmigrants.iom.int/region/mediterranean</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si le contraste n’échappe à personne, en tentant d’expliquer ces différences, plusieurs journalistes verbalisent une vision suprématiste selon laquelle les réfugiés ukrainiens méritent davantage d’être accueillis que les réfugiés du Moyen-Orient et d’Afrique, couleur de peau et religion étant explicitement nommés comme critère légitime de hiérarchisation.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1500297614784229378"}"></div></p>
<p>Les discours soulignant le fait que les personnes fuyant l’Ukraine sont en grande majorité des femmes et des enfants mettent en avant la « vulnérabilité » de ces réfugiées. Or, cette idée d’une <a href="https://papelesceic.identidadcolectiva.es/04-Papeles-CEIC-2019.html">« vulnérabilité »</a> essentielle des femmes, renforce des stéréotypes de genre selon lesquels les femmes n’auraient pas elles-mêmes leurs propres stratégies et pouvoir d’agir.</p>
<h2>Un droit d’asile à géométrie variable</h2>
<p>Hommes et femmes politiques s’empressent aujourd’hui d’opérer un revirement radical de leurs discours quant aux politiques à déployer à l’encontre des personnes réfugiées. <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/presidentielle/ukraine-afghanistan-syrie-les-candidats-ont-ils-change-d-avis-sur-l-accueil-des-refugies_AN-202203030005.html">Emmanuel Macron</a> qui s’engage à accueillir les réfugiés ukrainiens déclarait au moment de la prise de pouvoir des talibans en août 2021 :</p>
<blockquote>
<p>« Nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants qui mettraient en danger ceux qui les empruntent, et nourriraient les trafics de toute nature ».</p>
</blockquote>
<p>Or l’OIM enregistre en 2021 plus de 700 personnes de nationalité afghane décédées en migration, soulignant de plus qu’il est difficile de compiler ces données et que la plupart des décès ne sont probablement pas documentés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1494280475166363652"}"></div></p>
<p>Dans la région de Calais où toutes les activités humanitaires ont été de plus en plus criminalisées dans le contexte de la politique du <a href="https://www.infomigrants.net/fr/post/30227/letat-severement-critique-pour-sa-gestion-des-migrants-a-calais-et-grandesynthe">« zéro point de fixation »</a>, la maire <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1146987/article/2022-03-01/calais-quand-natacha-bouchart-accueille-des-migrants-ukrainiens-en-mairie">Natacha Bouchart</a> reçoit publiquement une famille de réfugiés ukrainiens pour symboliser son soutien et se dit choquée par le refoulement des Ukrainiens par les autorités anglaises, alors que les autres réfugiés tentant de rejoindre l’Angleterre sont refoulés depuis des années <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41253-018-0071-z">par les autorités françaises comme par les britanniques</a>.</p>
<p>Le 7 mars 2022, le Comité exécutif du Réseau des Nations unies sur les migrations, publie, avec d’autres organisations, un <a href="https://migrationnetwork.un.org/fr/statements/agir-maintenant-pour-sauver-des-vies-et-prevenir-la-disparition-de-migrants">appel solennel</a> aux États pour agir et éviter les décès des personnes migrantes. Les politiques mises en place pour l’accueil des Ukrainiens sont essentielles pour protéger les vies des civils fuyant la guerre. Elles peuvent aussi servir d’exemple pour éviter plus de morts aux frontières, et devraient nous rappeler l’obligation d’offrir un accueil digne à toutes les personnes exilées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179220/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ces recherches ont été soutenues par la Fondation Croix Rouge française, le programme Gender Net Plus et l'Institut Convergences Migrations.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Cette recherche a été financé par le programme GenderNet Plus de l'Union européenne, et par l'Institut Convergences Migrations. </span></em></p>Les représentations racistes et genrées servent à justifier une différence de traitement dans l’accueil des personnes fuyant les guerres.Nina Sahraoui, Post-doctorante en sociologie, CRESPPA, CNRS, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Jane Freedman, Professeur de sociologie, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1744262022-01-24T21:11:57Z2022-01-24T21:11:57ZMédiatisation de la délinquance : 20 ans de dérives verbales<p>Valérie Pécresse candidate à la prochaine élection présidentielle a de nouveau préconisé <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/01/06/valerie-pecresse-veut-ressortir-le-karcher-de-la-cave-en-matiere-de-securite_6108373_6059010.html">l’utilisation du Kärcher pour mettre de l’ordre dans la rue</a>.</p>
<p>Les personnalités politiques entretiennent un rapport laborieux avec la sécurité. Ce constat concerne tout particulièrement les ministres de l’Intérieur puisqu’ils sont les plus exposés, cette mission leur revenant. Les Français attendent de leurs dirigeants et en particulier du « premier flic de France » une juste conciliation entre la garantie de sécurité et le maintien de leurs libertés.</p>
<p>Pour Thomas Hobbes, philosophe du XVII<sup>e</sup> siècle, l’homme est animé d’une passion infinie pour le désir et le pouvoir jusqu’à affronter en permanence ses semblables. L’exigence de protection serait devenue l’essence même du passage de l’état de nature à l’état de droit et justifie la constitution d’un pacte par lequel chaque individu doit accepter de transférer sa liberté de nuire au souverain en contrepartie d’une garantie de sécurité collective.</p>
<p>Les citoyens exigent, aujourd’hui du dépositaire de l’ordre public qu’il assume cette obligation de sécurité. <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/sondage-pour-86-des-francais-la-lutte-contre-linsecurite-sera-importante-dans-leur-vote-en-2022-4040738">Elle a d’ailleurs régulièrement constitué une attention au rang de priorité pour les Français</a>.</p>
<p>La défaite de Lionel Jospin, candidat à <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/03/09/securite-et-delinquance-les-lecons-de-2002_881143_3224.html">l’élection présidentielle de 2002</a> est encore dans les esprits. Le <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/080211/justice-securite-le-grand-echec-de-sarkozy">bilan de Nicolas Sarkozy en matière de sécurité</a> serait aussi pour partie à l’origine de sa défaite à l’élection présidentielle de 2012.</p>
<p>Cette médiatisation des faits divers peut exposer dangereusement les détenteurs de la puissance publique.</p>
<h2>Faits divers et réactions politiques</h2>
<p>En 2002, <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2013/01/09/papy-voise-est-mort-retour-sur-avril-2002-les-medias-l-insecurite_1814706_3382.html">l’affaire Paul Voise</a> avait choqué l’opinion. Ce modeste retraité de 72 ans avait été roué de coups le 19 avril par des jeunes qui avaient fini par incendier sa maison.</p>
<p>Témoignant le visage tuméfié devant des caméras, ce <a href="https://www.nouvelobs.com/editos-et-chroniques/20200205.OBS24453/le-fantome-de-papy-voise.html">vieil homme</a> était présenté comme le symbole de l’insécurité en France, contribuant ainsi pour une petite part, à propulser, 3 jours après cette agression, Jean-Marie Le Pen au second tour des élections présidentielles de 2002. Ce choc politique fait, depuis, peser une menace permanente sur les gouvernants en quête de réélection.</p>
<p>Autre évènement, en octobre 2005, le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2005/10/31/sarkozy-conteste_705017_3224.html">ministre Sarkozy en visite à Argenteuil</a> proposait aux habitants de les débarrasser de la « racaille ». Cette visite s’était opérée sous autant de projectiles que de projecteurs. Cette mise en scène était destinée à montrer un ministre de l’Intérieur offensif contre des occupations intempestives de halls d’immeuble.</p>
<p>En novembre 2005, certains territoires ont connu des violences urbaines inédites après le mort de deux jeunes habitants de Clichy-sous-Bois. La couverture médiatique donnait le sentiment que tous les quartiers de France étaient pris de violence alors que <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2005/10/28/les-violences-urbaines-un-phenomene-difficile-a-quantifier_704340_3224.html">ce phénomène était difficilement quantifiable</a>. Des médias qui publiaient quotidiennement le nombre de voitures brûlées ont fini par stopper ces décomptes afin d’éviter une concurrence inutile entre les territoires ce qui a, pour la circonstance enchanté le pouvoir en place soucieux de montrer une <a href="https://www.liberation.fr/medias/2010/10/30/sarkozy-et-les-medias-leurre-de-verite_690234/">situation maîtrisée</a>.</p>
<p>Autre exemple, le 19 septembre 2006, des policiers étaient pris à partie par des individus dans un quartier de Corbeil-Essonnes. Un capitaine de CRS sera hospitalisé. La mobilisation médiatique est importante. Elle conduira, même la direction de l’hôpital à organiser un <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2006/09/23/le-nouveau-visage-de-l-insecurite_816108_3236.html">pool de journalistes</a> pour gérer un flux important de médias.</p>
<p>Nicolas Sarkozy alors ministre de l’Intérieur, comprendra la nécessité de visiter le policier blessé. Cette initiative marquera pour longtemps la posture davantage martiale que protectrice d’un ministre de l’Intérieur en guerre permanente contre l’insécurité.</p>
<h2>Des choix éditoriaux orientés</h2>
<p>Les problématiques de sécurité intéressent les médias et particulièrement les chaînes d’informations en continu qui diffusent des faits divers suivis de débats quelquefois orientés politiquement. Ces choix éditoriaux répondent à plusieurs besoins. D’une part, la nécessité de gagner des audiences indispensables au fonctionnement de la station et d’autre part répondre à une ligne éditoriale en diffusant des positions à droite de l’échiquier politique. Pour contrer ces discours, certains médias ont recours à la méthode du <em>fact-checking</em> (vérification des faits) afin de déconstruire des thèses ou rétablir des vérités.</p>
<p>Par ailleurs, certaines formes de délinquance sont encouragées par leur médiatisation. C’est le cas des violences entre bandes. Selon le sociologue <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/enfance-et-adolescence/violences-entre-bandes-la-mediatisation-encourage-le-phenomene-estime-le-sociologue-gerard-mauger_4326125.html">Gérard Mauger</a>, la mise en lumière médiatique de jeunes qui passent pour la première fois à la télé favorise le mimétisme chez d’autres jeunes.</p>
<p>Des politiques, eux convaincus d’être pertinents, sont pris dans le piège de la surenchère en étant contraints de proposer des <a href="https://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/macron-le-pen-leurs-mesures-pour-la-securite-et-contre-le-terrorisme-passees-a-la-loupe-05-05-2017-6920556.php">initiatives toujours plus sévères</a> au point qu’elles relèveraient de l’inconstitutionnalité comme l’expulsion « de tous les étrangers en lien avec le fondamentalisme islamiste ».</p>
<h2>Un précédent</h2>
<p>En chargeant médiatiquement les <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/comment-sarkozy-a-ridiculise-la-police-de-proximite_1603207.html">délinquants lors de son déplacement</a> à Toulouse en 2003, Nicolas Sarkozy a créé un précédent mettant sur ses épaules une quasi-obligation de résultat.</p>
<p>Cela s’est également traduit, dans le cadre d’une politique de sécurité, par le déploiement entre 2012 et 2017 de <a href="https://www.lepoint.fr/societe/forces-de-l-ordre-pres-de-9-000-postes-crees-sous-le-quinquennat-hollande-21-02-2017-2106502_23.php">policiers et gendarmes sur la voie publique</a> sans pour autant définir d’objectifs précis. Cette volonté d’aller vite pour afficher un bilan a eu – entre autres – pour conséquence de réduire le temps de formation des policiers. Cette réduction a un impact dans la relation entre <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/723892/relations-police-population-lavis-de-la-commission-nationale-consultative-des-droits-de-lhomme/">cette institution et la population</a>.</p>
<p>En réalité, ces opérations de communication souvent sans lendemain donnent un sentiment d’impuissance face à une délinquance qui, elle progresse. C’est le cas par exemple des violences aux personnes qui constituent le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/01/11/delinquance-le-bilan-de-nicolas-sarkozy_854305_3224.html">point central de la délinquance qui a progressé en 2006 de 5,6 %</a>. Les violences physiques ont progressé elles de 9,8 % durant la même année.</p>
<p>D’ailleurs, un <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/114000374.pdf">rapport de la Cour des comptes dresse un bilan très mitigé</a> de la politique de sécurité pour la période 2003-2007. Pourtant, cela n’a pas empêché Nicolas Sarkozy d’atteindre la présidence de la République. En somme, cette surenchère verbale peut être interprétée comme une promesse électorale aux effets bénéfiques.</p>
<h2>Une rhétorique guerrière</h2>
<p>Une décennie plus tard, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, pour marquer son engagement dans la lutte contre la délinquance, <a href="https://www.lejdd.fr/Societe/tribune-securite-la-surenchere-guerriere-ne-resout-rien-4045348">utilise une rhétorique guerrière</a> donnant le sentiment que des territoires entiers sont contrôlés par de dangereux cartels.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1390628103085506560"}"></div></p>
<p>Le but recherché est naturellement un fort relais médiatique de ses propos. <a href="https://www.lepoint.fr/societe/lyon-la-demonstration-de-force-de-l-etat-a-la-guillotiere-19-11-2021-2452863_23.php">Ces charges verbales ne font, en réalité qu’augmenter l’exaspération des Français</a>.</p>
<p>Après 20 ans de médiatisation de la violence, le personnel politique n’a organisé aucun repli vers des bases plus sereines. Bien au contraire, les prétendants à l’élection présidentielle rivalisent d’idées pour le moins discutable comme la <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/11/10/lutte-contre-le-terrorisme-eric-ciotti-souhaite-la-mise-en-place-d-un-guantanamo-a-la-francaise_6101660_6059010.html">création d’un Guantanamo à la française</a> alors même que les <a href="https://edition.cnn.com/2021/09/19/politics/guantanamo-state-of-play/index.html">dirigeants américains cherchent désespérément à fermer</a> cette aberration juridique.</p>
<p>Un autre candidat assimile, lui, la <a href="https://www.bfmtv.com/politique/elections/presidentielle/debat-bfmtv-eric-zemmour-assimile-la-delinquance-au-jihad_AV-202109230490.html">délinquance au « jihad »</a>. Or, certains médias participent à cette surenchère verbale qui contribue à enflammer les débats. C’est ce que rappelle le Tribunal judiciare lorsqu’il condamne Eric Zemmour et Cnews. En effet, Eric Zemmour a été condamné en sa qualité de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/01/17/eric-zemmour-condamne-pour-la-troisieme-fois-par-la-justice_6109839_823448.html">« complice » de la chaîne d’informations déclarée, elle, coupable d’incitation à la haine</a>.</p>
<p>Ce phénomène n’est pas nouveau. Il s’inscrit même dans une stratégie politique. Elle fait un écho aux déclarations de Matteo Salvini, <a href="https://www.franceinter.fr/monde/l-inquietante-montee-du-racisme-dans-l-italie-de-salvini">ancien ministre de l’intérieur italien</a> qui ne dissociait jamais un immigré d’un délinquant.</p>
<p>En définitive, ceux qui prétendent lutter contre la délinquance par l’abondance d’invectives génèrent davantage d’insécurité qu’ils ne sont censés en résorber. En multipliant des propos sur une <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/eric-zemmour-en-armenie-pour-envoyer-un-message-subliminal-a-la-france_fr_61b358fbe4b068effec98969">soi-disant guerre des civilisations qui se préparerait</a>, ces acteurs alimentent un climat anxiogène. Cette surenchère leur permet de se positionner… un temps durant auprès des Français comme étant les mieux à même de combattre la délinquance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174426/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Driss Aït Youssef ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis plus de 20 ans, les politiques se livrent à une surenchère verbale pour lutter contre l’insécurité. Mais pour quels résultats ?Driss Aït Youssef, Docteur en droit public, chargé de cours, président de l'Institut Léonard de Vinci, Pôle Léonard de VinciLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1668552021-08-27T16:33:33Z2021-08-27T16:33:33ZLa feuille de route du Mali pour une paix durable ne va pas assez loin en dépit de ses objectifs louables<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/418244/original/file-20210827-23066-1t7z8nj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C668%2C439&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La feuille de route pour une paix durable au Mali a des objectifs louables, mais elle ne va pas assez loin.</span> <span class="attribution"><span class="source">EFE-EPA/Hadama Diakite</span></span></figcaption></figure><p>Avant le coup d’État militaire de 2012, le Mali était cité en exemple pour <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9780230604636">sa transition vers la démocratie, en Afrique de l’Ouest</a>. Ce n’est plus le cas.</p>
<p>Les Maliens sont pris en tenailles entre le lourd héritage d’un passé colonial, une économie politique mondiale qui les a appauvris, un gouvernement avec des dysfonctionnements, de violents conflits interethniques et des attaques lancées par des terroristes et par leurs propres forces armées. Ce pays est considéré comme l’épicentre d’une région réputée pour sa violence. Il n’est donc pas étonnant que les <a href="https://www.fidh.org/en/region/Africa/mali/central-mali-populations-caught-between-terrorism-and-anti-terrorism">perspectives pour la paix et la sécurité humaine au Mali soient devenues si sombres</a>.</p>
<p>En 2020, alors que les violences djihadistes et interethniques s’intensifiaient, le soutien au président malien, Ibrahim Boubacar Keita, s’est effrité. Et ce, en dépit du fait qu’il avait été élu à une large majorité en 2013 et réélu cinq ans plus tard. En août 2020, à l’approche des élections, il a <a href="https://www.aljazeera.com/news/2020/8/19/malis-keita-resigns-as-president-after-military-coup">démissionné</a> après avoir été arrêté lors d’un coup d’État militaire.</p>
<p>Puis, en mai 2021, le pays a connu son <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/5/29/what-next-after-malis-coup">deuxième coup d’État</a> en neuf mois ; cette fois, perpétré par certains dirigeants de la direction de transition elle-même, au motif que le gouvernement de transition ne respectait pas sa propre charte. Quelques semaines plus tôt, un ancien chef rebelle qui avait pris part au processus de paix, avait été <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/4/13/mali-ex-rebels-say-prominent-leader-shot-dead">assassiné</a>.</p>
<p>Des groupes violents, dont ceux liés à Al-Qaida et à l’État islamique, lancent fréquemment des attaques dans le nord, le centre et l’est du Mali, et leur présence <a href="https://www.aljazeera.com/opinions/2021/6/25/its-time-for-a-reality-check-in-mali">est de plus en plus notable</a> dans le sud du pays et au-delà des frontières.</p>
<p>C’est dans ce contexte que le premier ministre malien, Choguel Kokalla Maïga, a <a href="https://www.africanews.com/2021/07/31/malian-pm-choguel-kokalla-maiga-presents-2021-2022-action-plan//">annoncé</a> au Conseil national de transition au pouvoir, l’élaboration d’un plan d’action gouvernemental pour préparer les élections présidentielles et législatives, respectivement en février et en mars 2022. Ce plan a été rapidement approuvé par le Conseil en place.</p>
<p>Le plan en question comprend les contributions de 25 départements ministériels sous la présidence du premier ministre, avec le <a href="https://www.ml.undp.org/content/mali/fr/home/presscenter/articles/2021/journees-d-evaluation-du-plan-d-action-du-gouvernement-avec-l-ap.html">soutien du Programme des Nations unies pour le développement</a>.</p>
<p>Les éléments fondamentaux du plan sont répartis en quatre catégories : renforcement de la sécurité nationale, conduite des réformes institutionnelles, tenue des élections et promotion de la bonne gouvernance. Ces domaines essentiels doivent être pris en charge pour accroître la confiance dans le processus de paix mis en place par les <a href="https://www.un.org/en/pdfs/EN-ML_150620_Accord-pour-la-paix-et-la-reconciliation-au-Mali_Issu-du-Processus-d%E2%80%99Alger.pdf">Accords de paix d’Alger de 2015</a> qui ont abouti à un cessez-le-feu partiel dans certaines parties du pays.</p>
<p>À mon avis, il est peu probable ce plan va permettre d’atténuer le conflit armé et de réformer les institutions de manière satisfaisante pour atteindre ainsi ses objectifs. Il ne mènera à une paix plus durable que s’il est plus inclusif et s’il parvient à associer ce qu’une professeure de résolution des conflits, Pamina Firchow, décrit comme la <a href="https://www.cambridge.org/core/books/reclaiming-everyday-peace/BEB6532292D692933AABC68EFFF9ACB3">paix au quotidien au niveau local</a> avec les mesures visant à assurer la sécurité nationale.</p>
<p>Pour autant, cela ne signifie pas que ce plan doit être ignoré ou contrecarré. Cela signifie plutôt qu’il doit être approfondi pour la poursuite de ses objectifs.</p>
<h2>Renforcer la sécurité nationale</h2>
<p>Il s’agit de l’élément central du plan. Le Premier ministre a loué les efforts des forces armées maliennes en ce qui concerne le maintien de la paix et a souligné la nécessité de répondre aux attaques terroristes, en particulier dans les régions du nord et du centre du pays.</p>
<p>Le plan prévoit, néanmoins, de mieux former et de mieux équiper les militaires. Parallèlement, il contient un engagement à démilitariser le pays, à réorganiser la production économique en dehors des objectifs militaires, et à réintégrer les anciens combattants étatiques ou non étatiques dans l’économie civile en leur offrant une formation professionnelle et des possibilités d’emploi.</p>
<p>Pour mener à bien ces plans sur la sécurité, le gouvernement promet de rendre les accords de paix d’Alger de 2015 <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/sahel/mali/laccord-dalger-cinq-ans-apres-un-calme-precaire-dont-il-ne-faut-pas-se-satisfaire">plus inclusifs</a>.</p>
<p>Une façon d’y parvenir serait d’intégrer certains des groupes armés non étatiques dans l’armée nationale, afin de mieux protéger les communautés locales de la violence criminelle et des insurgés intransigeants. Cela permettrait de faire régner une sorte de paix au quotidien qui fait actuellement défaut sur les marchés, dans les écoles et dans les quartiers.</p>
<p>Pourtant, le plan ne va pas aussi loin.</p>
<h2>Réformes politiques et institutionnelles</h2>
<p>Un certain nombre de réunions ont eu lieu, à cet effet, ces dernières années. En se référant aux recommandations issues de ces forums, le plan prévoit une série de rencontres nationales qui donneront la parole, sans censure, à tous les citoyens, à partir du niveau local à l’échelon national.</p>
<p>Le Premier ministre a donné l’assurance que les recommandations issues de ces rencontres seront applicables pendant les six mois restants de la période de transition et ultérieurement.</p>
<p>Selon le Premier ministre, il existe</p>
<blockquote>
<p>« … un besoin urgent de réformes pour rénover non seulement le cadre politique et pour adapter les textes fondamentaux de la République, mais aussi pour doter notre pays d’institutions fortes et légitimes qui contribueront à une stabilité politique et une paix sociale durables. »</p>
</blockquote>
<p>En tant que tel, ce langage est peu convaincant venant de lui. Il a manifesté très peu d’intérêt pour la démocratie, locale ou nationale, tout au long de sa carrière, à commencer par son alliance à ses débuts avec l’ancien dirigeant autoritaire <a href="https://www.nytimes.com/2020/09/22/world/africa/moussa-traore-dead.html">Moussa Traoré</a>.</p>
<h2>Des élections générales</h2>
<p>Le plan d’action prévoit des « élections générales transparentes, crédibles et inclusives » pour permettre au Mali de revenir à un « ordre constitutionnel normal ». Ce plan met l’accent, en particulier, sur l’inclusion des réfugiés et des personnes déplacées. Pour ce faire, un organe unique de gestion des élections sera créé pour garantir des élections élections libres et régulières.</p>
<p>Bien qu’il s’agisse d’un objectif fort souhaitable, les mécanismes permettant d’organiser de telles élections n’existent pas. Alors, penser qu’ils pourraient être créés en si peu de temps n’est pas réaliste.</p>
<p>On peut même se demander si le Président et le Premier ministre ne préparent tout simplement pas le terrain pour une prolongation de la charte de 18 mois pour le gouvernement de transition et pour leurs rôles futurs de leaders au sein de celui-ci.</p>
<h2>Une bonne gouvernance et un pacte de stabilité</h2>
<p>Pour éradiquer la corruption, le plan prévoit une « conférence sociale » qui donnera naissance à un nouveau « pacte de stabilité sociale ». Celui-ci va servir de base de base au nouveau contrat social entre les citoyens et le gouvernement qui va « améliorer les conditions de vie des populations et assurera une répartition équitable des richesses nationales ».</p>
<p>En recourant à des négociations et à des compromis, la conférence s’attaquera aux causes profondes de la violence et des inégalités, et pas seulement à leurs symptômes. Des fonds largement suffisants seront alloués aux « services sociaux de base », tels que la santé et l’éducation, et serviront à « harmoniser » les salaires de la fonction publique.</p>
<p>Cet objectif est également louable, quoique vague. Il ne tient, pourtant, pas compte du fait que la forte dépendance à l’égard de l’aide étrangère peut entraîner la rupture des relations entre les citoyens et l’État, remplaçant alors la loyauté politique par le clientélisme.</p>
<p>Un autre silence tout aussi révélateur est l’absence de toute mention du travail accompli par la Commission verité, justice et réconciliation du Mali qui a interrogé des réfugiés et des personnes déplacées au cours des cinq dernières années, afin de préparer le terrain pour des réparations.</p>
<p>Depuis 2004, je participe au processus de consolidation de la paix, en travaillant avec des enseignants, des artistes et des militants maliens, afin de préparer des cours de consolidation de la paix de niveau universitaire et des programmes communautaires dans le pays. Notre équipe travaille, depuis 2016, avec cette Commission pour diffuser des informations sur les causes et les conséquences de la violence armée au Mali et pour créer des supports destinés à préparer les citoyens aux dialogues locaux de consolidation de la paix.</p>
<p>Le plan aurait, au moins, dû faire référence au travail de la Commission, en particulier à son engagement auprès des réfugiés et des personnes déplacées à l’intérieur du pays.</p>
<h2>Conclusion</h2>
<p>Même si la confiance dans l’accord de paix de 2015 et dans le gouvernement provisoire de 2020 a faibli, de nombreux Maliens <a href="https://afrobarometer.org/sites/default/files/publications/Dispatches/ad386-malians_eager_for_change_still_look_to_democracy-afrobarometer_dispatch-25aug20.pdf">préfèrent encore</a> la démocratie au parti unique et au régime militaire. C’est un signe encourageant.</p>
<p>Il y a encore, certes, beaucoup à faire avant qu’un nouveau gouvernement puisse être élu. Les généralités du plan d’action peuvent permettre au Président et au Premier ministre de prolonger la transition, mais c’est peut être la seule brèche. De nouvelles élections dans les circonstances actuelles pourraient contribuer à accroître la frustration sur le plan politique et conduire à une recrudescence de la violence interethnique et une présence terroriste accrue dans la région, avec le Mali comme épicentre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166855/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stephen L. Esquith does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Des partisans du mouvement d’opposition, M5, affichent leur soutien à la junte militaire, à Bamako, en juin, et appellent à un Mali nouveau et inclusif.Stephen L. Esquith, Professor of political theory and global ethics, Michigan State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1660632021-08-18T15:27:05Z2021-08-18T15:27:05ZComment les barrages routiers, et non pas seulement les minerais, financent les rebelles et le conflit au Congo<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/416507/original/file-20210817-21-139zado.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C668%2C376&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les routes de la République démocratique du Congo sont un espace crucial où les conflits, la taxation illégale et le financement des conflits s’enchevêtrent.</span> </figcaption></figure><p>Depuis plus d’une décennie, <a href="http://www.oecd.org/corporate/mne/mineral-supply-chain-eastern-drc.htm">il est de notoriété publique</a> que le financement des rebelles en République démocratique du Congo (RDC) est étroitement lié à l’exploitation minière.</p>
<p>Découvert pour la première fois par les Belges en 1904, le sol congolais recèle une énorme quantité de minéraux précieux. Par la suite, l’exploitation industrielle du cuivre et de l’or est devenue l’épine dorsale du colonialisme belge, puis de la kleptocratie de Mobutu Sese Seko (un ancien président).</p>
<p>Après l’affaiblissement du soutien apporté à Mobutu lors de la guerre froide, des Congolais ordinaires en masse ont envahi les concessions minières industrielles en ruine dans l’espoir d’y trouver un moyen de subsistance. De nos jours, des centaines de milliers de ces mineurs persistent dans cette voie. Enfoncés dans la boue jusqu’aux genoux, souvent pour un peu plus d’un dollar par jour, ils sont les fantassins du secteur de la haute technologie. Creusant le sol à l’aide d’outils rudimentaires, ils fournissent non seulement du cuivre et de l’or, mais aussi des éléments chimiques comme le coltan, le tungstène et le tantale.</p>
<p>Cette exploitation non réglementée a permis d’alimenter les conflits dans le pays. Une partie des sites miniers est contrôlée soit par des soldats soit par des rebelles qui s’évertuent à percevoir un « loyer », avant que les minerais n’empruntent le chemin menant aux producteurs asiatiques et aux marchés occidentaux.</p>
<p>Tout en soulignant ces relations opaques entre conflit et minéraux, l’Envoyé spécial du Secrétaire général des Nations unies pour la région des Grands Lacs en Afrique <a href="https://ungreatlakes.unmissions.org/">a récemment réaffirmé que</a></p>
<blockquote>
<p>« l’exploitation illégale des minerais reste la principale cause de conflits et d’instabilité au Congo ».</p>
</blockquote>
<p>Les donateurs ont <a href="https://www.sec.gov/opa/Article/2012-2012-163htm---related-materials.html">établi des lignes directrices</a> ; les entreprises se montrent plus rigoureuses concernant la <a href="http://www.oecd.org/corporate/mne/mining.htm">diligence raisonnable</a>, et une multitude de <a href="http://www.resolv.org/site-ppa/">partenariats</a> œuvrent au retrait des rebelles et des soldats des sites miniers. Par ailleurs, des progrès notables ont été réalisés. Au cours des deux dernières années, environ 400 des 2 400 sites supervisés <a href="http://www.ipisresearch.be/mapping/webmapping/drcongo/v5/#-7.657252288977517/27.45068359376546/5/2/1/6.o">ont été déclarés exempts de lien avec un conflit</a>. Là, les mineurs artisanaux gagnent probablement de l’argent sans subir le travail forcé ni se soumettre à de lourdes taxes illégales.</p>
<p>Les rebelles ont cependant trouvé d’autres moyens de gagner de l’argent. Chassés des sites miniers, ils s’efforcent simplement de contrôler les routes. Celui qui contrôle les voies de transport peut prélever des taxes et contrôler les activités économiques.</p>
<p>Dans une <a href="http://ipisresearch.be/publication/everything-moves-will-taxed-political-economy-roadblocks-north-south-kivu/">étude récente</a>, nous avons cartographié <a href="http://www.ipisresearch.be/mapping/webmapping/drcongo/v5/#-2.1658947560164563/28.697631835686366/7/2/3/">près de 1 000 barrages routiers</a> dans l’est du Congo. Dans cette région, la difficulté consistait à trouver une route sans barrage routier. Je crois qu’il est temps d’admettre l’existence de ces barrages routiers et le soutien qu’ils apportent aux rebelles et aux soldats indisciplinés.</p>
<h2>Le pays aux 1 000 barrages routiers</h2>
<p>L’an dernier, au fin fond du Congo oriental dans la province <a href="http://www.accord.org.za/conflict-trends/rebellion-conflict-minerals-north-kivu/">déchirée par les conflits</a> du Nord-Kivu, le général Mando, chef des Maï-Maï Simba, le <a href="https://suluhu.org/congo/biographies/">plus ancien</a> mouvement rebelle congolais, et une pléthore de représentants de l’État et de militaires se sont réunis pour mener d’importantes négociations. L’objectif de cette réunion était de convaincre le chef rebelle de cesser d’occuper une mine d’or rentable. Un chercheur local a rapporté qu’après avoir écouté leurs arguments, Mando a déclaré :</p>
<blockquote>
<p>« Mais j’ai toujours rempli vos poches avec les recettes de la mine. Nous en avons tous profité. Madame l’Administrateur territorial, vous avez toujours reçu votre part. Et pour me remercier, vous venez avec l’armée – et ce sont donc tout simplement eux qui vont profiter des taxes maintenant ! Donnez-moi une bonne raison de partir ? »</p>
</blockquote>
<p>Après quelques heures de débat animé, une solution pragmatique a été trouvée : Mando serait autorisé à simplement installer des barrages routiers non loin du site, taxant l’entrée et la sortie à distance. Ce système serait un peu moins rentable que d’empocher directement la production aurifère, mais présentait l’avantage d’être beaucoup plus facile à gérer et à cacher.</p>
<p>Cela a permis aux autorités de déclarer aux donateurs occidentaux que le site est « exempt de lien avec un conflit », tout en satisfaisant l’homme fort local.</p>
<p>L’anecdote de Mando est une histoire parmi tant d’autres. Le Congo abrite <a href="https://reliefweb.int/report/democratic-republic-congo/landscape-armed-groups-eastern-congo-fragmented-politicized">environ 120 groupes armés différents</a>, et les barrages routiers sont la clef de leur survie. C’est particulièrement vrai pour les chefs rebelles résidant dans les zones où l’on ne trouve pas de minéraux.</p>
<p>Partout dans l’est du Congo, au fur et à mesure que les sites miniers sont débarrassés des factions armées, les chefs rebelles et les entrepreneurs militaires impliqués dans les conflits se contentent d’installer des barrages routiers pour financer leurs activités. Les routes du Congo sont un aimant pour l’extorsion, car tout le monde doit transporter ses produits sur les marchés.</p>
<p>Cette stratégie est facile à mettre en œuvre comparativement au vol ou au contrôle d’un site minier. Il est bien plus facile de s’asseoir au bord de la route, de tendre une corde et d’attendre simplement l’argent.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/231496/original/file-20180810-2921-172yhgo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/231496/original/file-20180810-2921-172yhgo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/231496/original/file-20180810-2921-172yhgo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/231496/original/file-20180810-2921-172yhgo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/231496/original/file-20180810-2921-172yhgo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/231496/original/file-20180810-2921-172yhgo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/231496/original/file-20180810-2921-172yhgo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Carte montrant les barrages routiers.</span>
<span class="attribution"><span class="source">IPIS</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les barrages routiers sont également une stratégie cruciale pour les acteurs gouvernementaux. Le Congo est aussi vaste que l’Europe occidentale, mais ne possède que 2 000 km de routes goudronnées. Étant donné que l’État de la RDC perçoit peu d’impôts, les avant-postes publics ou militaires éloignés sont largement <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03056244.2012.761602?scroll=top&needAccess=true&journalCode=crea20">« autofinancés »</a> – les agents de l’État collectent des impôts localement pour payer leurs salaires (ou leur pain quotidien) – par le biais des barrages routiers. Leurs chefs imposent fréquemment un montant hebdomadaire à atteindre sur la route.</p>
<p>Par conséquent, tout ce qui bouge sera taxé. Chaque article qui circule entre le champ et le village, puis entre le village et le marché, est soumis à un tas de petites impositions le long de la route.</p>
<h2>Les routes de la paix ?</h2>
<p>Un morceau de corde tendu entre deux palmiers n’est rien de plus qu’une nuisance. Toutefois, multipliez-la par mille et vous obtenez une importante source de financement des conflits.</p>
<p>Les routes congolaises sont un espace crucial où les conflits, la taxation illégale et le financement des conflits s’entremêlent. Demandez à n’importe qui vivant dans l’est du Congo de quelle façon le conflit affecte sa vie, et il ne mentionnera sans doute pas les sites miniers éloignés, mais plutôt commencera à se plaindre des barrages routiers et du prix des denrées alimentaires. Pour les Congolais ordinaires, l’accumulation des taxes au niveau des barrages routiers constitue un problème majeur du conflit actuel, entraînant des prix exorbitants sur les biens de consommation les plus élémentaires dans les zones urbaines – et ce, pour une population qui tente de survivre avec un <a href="https://www.usaid.gov/frontiers/2014/publication/section-1-short-dialogue-extreme-poverty-democratic-republic-congo">dollar par jour</a>.</p>
<p>Le problème des barrages routiers n’est pas facile à résoudre pour la communauté internationale. Chaque fois qu’une patrouille des Nations unies bien intentionnée passe, les rebelles des barrages routiers se mettent simplement à l’écart avant de reprendre leurs activités en plaçant une corde sur la route dès que les casques bleus passent.</p>
<p>Pourtant, il faut trouver une solution. L’une des solutions possibles consiste à transformer les données relatives aux conflits en outil de lutte contre les abus. A titre d’exemple, on peut développer une application pour suivre de près les abus afin de pouvoir tenir les autorités pour responsables de la panoplie de taxes illégales. Aussi séduisante que soit l’histoire des « minéraux de conflit », l’exploitation systémique des Congolais lors de leurs déplacements ne doit pas être ignorée. Les barrages routiers sapent la capacité des Congolais ordinaires à commercialiser des marchandises – et à survivre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166063/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Peer Schouten a reçu des financements de Danish National Research Council et de Social Science Research Council. Il est affilié à International Peace Information Service.</span></em></p>Les routes de la République démocratique du Congo sont un espace crucial où les conflits, la taxation illégale et le financement des conflits s’enchevêtrent.Peer Schouten, Senior researcher, Danish Institute for International StudiesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1641752021-07-08T17:49:48Z2021-07-08T17:49:48ZHaïti : quelles perspectives après l’assassinat du président impopulaire d’un pays exsangue ?<p>Le président d’Haïti Jovenel Moïse a été <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/08/l-assassinat-de-jovenel-moise-plonge-haiti-dans-le-chaos_6087504_3210.html">assassiné aux premières heures du matin du 7 juillet 2021</a>, lors d’une attaque à son domicile personnel, près de la capitale Port-au-Prince. Son épouse, Martine Moïse, a été grièvement blessée.</p>
<p>Les assaillants n’ont pas été immédiatement identifiés, même si la police a annoncé quelques heures plus tard avoir <a href="https://www.lepoint.fr/monde/le-president-haitien-assassine-chez-lui-par-un-commando-arme-07-07-2021-2434605_24.php">tué quatre « mercenaires »</a> et arrêté deux autres. Le premier ministre Claude Joseph a <a href="https://haiti24.net/jovenel-moise-assassine-claude-joseph-declare-letat-de-siege-sur-tout-le-pays/">décrété l’état de siège</a> et annoncé qu’il assumait provisoirement le pouvoir. Un retour sur les dernières années de la vie politique haïtienne permet de mieux comprendre comment le pays en est arrivé là.</p>
<h2>Jovenel Moïse, un businessman en politique</h2>
<p>Jovenel Moïse est né en 1968, ce qui signifie qu’il a grandi sous la <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Les-Duvalier-un-regne-de-30-ans-sur-Haiti-2014-10-05-1216590">dictature des Duvalier</a>. Comme la plupart des Haïtiens d’aujourd’hui, il a vécu une époque turbulente – les dernières décennies ont été marquées non seulement par la dictature mais aussi par des <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/7/7/haitis-turbulent-political-history-a-timeline">coups d’État et une violence généralisée, y compris des assassinats politiques</a>.</p>
<p>Moïse, businessman devenu président, a fait carrière en politique en utilisant les connexions politiques qu’il avait tissées dans le monde des affaires. Il a d’abord investi dans des entreprises liées à l’automobile, principalement dans le nord d’Haïti, où il est né, avant de se consacrer au secteur agricole – un <a href="https://www.economy.com/haiti/indicators">élément majeur de l’économie en Haïti, qui emploie une partie importante de la population</a>.</p>
<p>En 2014, la société de financement agricole de Moïse, Agritrans, <a href="https://www.france24.com/en/20190214-haitis-banana-man-president-under-siege-frozen-crisis">a lancé une bananeraie biologique</a>, en partie grâce à des prêts de l’État. Sa création <a href="https://nacla.org/news/2016/01/22/haiti%E2%80%99s-fraudulent-presidential-frontrunner-seizes-land-his-own-banana-republic">a déplacé des centaines de paysans, qui n’ont reçu que des compensations minimales</a>.</p>
<p>Mais l’entreprise a permis à Moïse de se faire connaître. C’est en tant que célèbre exportateur de bananes que Moïse a rencontré le président haïtien de l’époque, Michel Martelly, en 2014. Bien qu’il n’ait aucune expérience politique, Moïse a été choisi pour <a href="https://www.globalsecurity.org/military/world/haiti/politics-moise.htm">succéder à Martelly lors de l’élection prochaine suivante</a>.</p>
<p>Martelly était <a href="https://www.wlrn.org/show/latin-america-report/2016-01-11/haitis-cursed-presidential-election-is-voting-there-set-up-for-failure">profondément impopulaire à la fin de son mandat</a>, et les dirigeants de son parti, le Parti haïtien Tèt Kale, ont supposé que Moïse serait mieux accueilli en raison de son expérience dans l’agriculture.</p>
<h2>Une présidence divisée et instable</h2>
<p>Moïse a été élu de justesse en novembre 2016 dans une élection à laquelle marquée par un <a href="https://haitiliberte.com/the-record-low-voter-participation-in-haitis-2016-election/">taux de participation inférieur à 12 % des inscrits</a>. Cette maigre victoire est intervenue après deux ans de reports de votes et de <a href="http://worldpolicy.org/2016/03/22/haitis-unending-electoral-transition/">fraudes électorales du gouvernement de Martelly</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AmKR6p08M_4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>En 2017, première année de mandat de Moïse, le <a href="https://haitiliberte.com/le-rapport-petrocaribe-de-la-commission-senatoriale-speciale-denquete-du-senateur-evalliere-beauplan/">Sénat haïtien a publié un rapport l’accusant</a> d’avoir détourné au moins 700 000 dollars d’argent public appartenant à un fonds de développement des infrastructures appelé PetroCaribe <a href="https://time.com/5609054/haiti-protests-petrocaribe/">vers son entreprise de bananes</a>.</p>
<p>Des manifestants sont descendus en nombre dans les rues en criant « <a href="https://theweek.com/articles/840427/fight-transparency-haiti">Kot Kòb Petwo Karibe a ?</a> » (« Où est l’argent du PetroCaribe ? »).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1039275345491312640"}"></div></p>
<p>Ne bénéficiant pas de la confiance du peuple, Moïse s’est appuyé sur la force pour rester au pouvoir.</p>
<p>Il a créé en Haïti une sorte d’État policier, <a href="https://www.reuters.com/article/us-haiti-military/haitian-army-set-to-make-controversial-return-after-two-decades-idUSKBN1DJ01M">reformant l’armée nationale</a> deux décennies après sa dissolution et <a href="https://cepr.net/whats-in-haitis-new-national-security-decrees-an-intelligence-agency-and-an-expanded-definition-of-terrorism/">établissant un service de renseignement intérieur</a> chargé de surveiller la population.</p>
<p>Depuis le début de l’année dernière, Moïse gouvernait par décret. Il a de facto fermé le Parlement en refusant <a href="https://www.economist.com/the-americas/2020/01/18/jovenel-moise-tries-to-govern-haiti-without-a-parliament">d’organiser les élections législatives qui étaient prévues pour janvier 2020</a> et a sommairement <a href="https://www.miamiherald.com/news/nation-world/world/americas/haiti/article249251975.html">démis tous les maires élus du pays en juillet 2020</a>, à l’expiration de leur mandat.</p>
<p>Le mandat de Moïse a été marqué par des <a href="https://theconversation.com/haiti-protests-summon-spirit-of-the-haitian-revolution-to-condemn-a-president-tainted-by-scandal-126315">protestations récurrentes</a> dénonçant les pénuries de gaz, les pannes d’électricité et l’austérité budgétaire qui a provoqué une <a href="https://www.economist.com/the-americas/2021/02/25/can-haiti-rid-itself-of-jovenel-moise">inflation rapide et une détérioration des conditions de vie</a>, ainsi que par des <a href="http://hrp.law.harvard.edu/wp-content/uploads/2021/04/Killing_With_Impunity-1.pdf">attaques de gangs qui ont fait plusieurs centaines de morts</a>.</p>
<p>Les manifestations de rue se sont multipliées au début de l’année 2021 après que Moïse a refusé d’organiser une élection présidentielle et de <a href="http://www.haiti.org/wp-content/uploads/2020/11/CCI-CONSTITUTION-Note.pdf">se retirer à la fin de son mandat de quatre ans en février</a>. Au lieu de cela, il a affirmé que son mandat prendrait fin un an plus tard, en février 2022, parce que l’élection de 2016 avait été reportée.</p>
<p>Avant sa mort, Moïse prévoyait de <a href="https://www.liberationnews.org/fierce-struggle-resists-u-s-backed-haitian-presidents-power-grab/">modifier la Constitution haïtienne</a> pour renforcer les prérogatives de la présidence et <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2021-02-03/proposed-changes-to-haiti-s-constitution-may-keep-moise-in-power">prolonger sa présence au pouvoir</a>.</p>
<h2>Moïse, successeur des Duvalier ?</h2>
<p>Pendant les mois précédant l’assassinat de Moïse, des manifestants haïtiens avaient exigé à de multiples reprises sa démission.</p>
<p>Pour bon nombre de ses concitoyens, les décisions non démocratiques prises par Moïse pour renforcer et prolonger son pouvoir rappellent les dictatures de François Duvalier, surnommé « Papa Doc », et de son fils, Jean‑Claude « Baby Doc » Duvalier, qui ont duré trente ans et ont été soutenues par les États-Unis.</p>
<p>Papa Doc et Baby Doc n’ont pas hésité à faire <a href="https://www.sjsu.edu/faculty/watkins/haiti.htm">assassiner</a> et <a href="https://www.latimes.com/archives/la-xpm-1986-02-03-mn-3859-story.html">violeter</a> des Haïtiens pour rester au pouvoir, avec <a href="https://origins.osu.edu/article/pact-devil-united-states-and-fate-modern-haiti/page/0/1">l’approbation tacite des Occidentaux</a>. En travaillant avec les Duvalier, les industriels américains présents en Haïti ont assuré la rentabilité de leurs investissements, obtenant que les salaires locaux <a href="https://theconversation.com/gas-shortages-paralyze-haiti-triggering-protests-against-failing-economy-and-dysfunctional-politics-116337">restent bas et que les conditions de travail restent mauvaises</a>.</p>
<p>Lorsque les protestations des Haïtiens ont mis fin au régime en 1986, Baby Doc a fui le pays. Les Duvalier s’étaient enrichis, laissant leur pays Haïti dans une <a href="https://scholarworks.uvm.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=1835&context=graddis">profonde crise économique et sociale</a>.</p>
<p>La Constitution haïtienne de 1987 que Moïse souhaitait modifier a été rédigée peu après leur départ, pour garantir qu’Haïti ne retomberait jamais dans la dictature.</p>
<p>En mars, le département d’État américain a annoncé qu’il soutenait la <a href="https://responsiblestatecraft.org/2021/03/09/the-biden-administration-is-greenlighting-haitis-descent-towards-dictatorship/">décision de Moïse de rester en fonction jusqu’en 2022</a>, afin de donner au pays frappé par la crise le temps d’« élire ses dirigeants et de restaurer les institutions démocratiques d’Haïti ».</p>
<p>Cette position – qui fait écho à celle des organisations internationales dominées par l’Occident qui exercent une influence considérable en Haïti, <a href="https://dyalog.org/refleksyon/2019/2/11/the-core-group-as-a-parasite-on-haitian-sovereignty">comme l’Organisation des États américains</a> – avait quelque peu renforcé la légitimité chancelante de Moïse.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ZPmboxAzzH8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Les Haïtiens mécontents du soutien continu des Américains à leur président aux abois ont organisé de <a href="https://abcnews.go.com/International/wireStory/hundreds-haiti-protest-demand-leaders-resignation-75387503">nombreuses manifestations devant l’ambassade des États-Unis</a> à <a href="https://www.garda.com/crisis24/news-alerts/445921/haiti-activists-to-protest-outside-the-us-embassy-in-port-au-prince-feb-22-24">Port-au-Prince</a>, tandis que des Américains d’origine haïtienne résidant aux États-Unis <a href="https://www.peoplesworld.org/article/solidarity-rallies-call-for-end-to-u-s-backed-dictatorship-in-haiti/">ont manifesté devant l’ambassade d’Haïti à Washington, D.C.</a>.</p>
<p>De l’invasion et l’occupation militaire d’Haïti de 1915 à 1934 jusqu’au soutien fourni au régime Duvalier, les États-Unis ont joué un <a href="https://library.brown.edu/create/modernlatinamerica/chapters/chapter-14-the-united-states-and-latin-america/moments-in-u-s-latin-american-relations/a-history-of-united-states-policy-towards-haiti/">rôle majeur dans la déstabilisation du pays</a>.</p>
<p>Depuis le tremblement de terre dévastateur de 2010, des organisations internationales comme les Nations unies et des organisations à but non lucratif comme la Croix-Rouge américaine sont également <a href="https://theconversation.com/a-decade-after-the-earthquake-haiti-still-struggles-to-recover-129670">très présentes dans le pays</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, le président impopulaire que les puissances étrangères ont soutenu dans l’espoir d’obtenir une certaine stabilité politique en Haïti a été tué.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est une version substantiellement mise à jour d’un <a href="https://theconversation.com/haitians-protest-their-president-in-english-as-well-as-creole-indicting-us-for-its-role-in-countrys-political-crisis-160154">article</a> publié à l’origine le 10 mai 2021</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164175/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tamanisha J. John ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le président Jovenel Moïse, qui vient d’être assassiné, était très contesté depuis le début de son mandat, en 2016.Tamanisha J. John, Ph.D. Candidate of International Relations, Florida International UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1566802021-03-16T19:42:36Z2021-03-16T19:42:36ZBurkina Faso : négocier pour éteindre les foyers insurrectionnels<p>Les dynamiques de l’<a href="https://www.la-croix.com/Monde/Afrique/Le-Burkina-Faso-senfonce-linsecurite-2020-06-01-1201096949">insécurité</a> que subit le Burkina Faso varient d’une région a une autre. Pour les comprendre, il faut les analyser par région et apporter, chaque fois, une réponse adaptée en fonction de ce qui a fait naître le problème.</p>
<p>Dans certaines régions, comme le Sahel (nord du pays), le pays est confronté à une forme de terrorisme insurrectionnel, combiné au <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/west-africa/burkina-faso/254-social-roots-jihadist-violence-burkina-fasos-north">terrorisme djihadiste</a>. Dans l’est et dans le centre-nord, on observe des foyers insurrectionnels armés sur fond de <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20190404-burkina-conflits-communautaires-arbinda-yirgou">conflits communautaires</a> (pour le Centre-Nord), de mauvaise répartition des <a href="https://theconversation.com/malediction-des-ressources-naturelles-et-mines-artisanales-le-cas-de-lor-au-burkina-faso-102855">richesses naturelles</a> et de criminalité transnationale (pour l’Est). Dans la boucle du Mouhoun, nous nous retrouvons face à un type d’insécurité hybride né des conflits fonciers et communautaires qui ont dégénéré en crise terroriste soutenue et alimentée par les groupes armés djihadistes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/389553/original/file-20210315-19-1yt0qsu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/389553/original/file-20210315-19-1yt0qsu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/389553/original/file-20210315-19-1yt0qsu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/389553/original/file-20210315-19-1yt0qsu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/389553/original/file-20210315-19-1yt0qsu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/389553/original/file-20210315-19-1yt0qsu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/389553/original/file-20210315-19-1yt0qsu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Régions du Burkina Faso.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:BurkinaFaso_Regions.png">Antx/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les principaux vecteurs de propagation des foyers insurrectionnels se trouvent dans l’Est et dans le Centre-Nord.</p>
<h2>Le djihadisme profite de la faiblesse de l’État dans l’Est…</h2>
<p>Dans la région de l’Est, d’abord, le manque d’investissement du pouvoir central et le sentiment de frustration de la population sont <a href="https://lvsl.fr/sur-quoi-prospere-le-djihadisme-au-burkina-faso/">exploités</a> par les groupes terroristes, lesquels mettent l’accent dans leurs prêches sur leur volonté de restituer les terres à ceux qui en ont été privés.</p>
<p>En effet, la forte présence d’<a href="https://minute.bf/burkina-les-aires-protegees-sont-devenues-des-refuges-pour-les-terroristes-nestor-bassiere/">aires protégées</a> dans la région de l’est constitue certes un atout <a href="https://portals.iucn.org/library/sites/library/files/documents/2010-061.pdf">touristique</a> et économique majeur, mais cette valorisation du patrimoine forestier et faunique ne profite que peu aux communautés locales. Les droits d’accès et d’usage pour l’agriculture (incluant la pêche), le pastoralisme et la chasse constituent les <a href="https://www.adap.ch/wp-content/uploads/2017/12/Kabore_these_2010-1.pdf">principaux objets de plaintes des communautés riveraines</a>.</p>
<p>Les populations ont donc trouvé comme moyen pour sortir de leur misère l’insurrection contre le pouvoir central – suscitée, on l’a dit, par les groupes armés terroristes. Cela s’est manifesté par une indifférence face à l’installation des groupes terroristes, par un accompagnement technique et logistique desdits groupes en leur apportant des <a href="https://theconversation.com/comment-sexplique-la-proliferation-des-groupes-extremistes-au-burkina-faso-122566">soutiens</a> de toute sorte – mise à disposition de chasseurs, de pisteurs, de trafiquants, et surtout de leaders locaux pour convaincre les plus réticents de la pertinence de la lutte.</p>
<p>Cette collaboration entre les populations et les groupes terroristes a même été reconnue pendant l’opération <a href="https://www.burkina24.com/2019/04/12/operation-otapuanu-notre-mission-a-ete-accomplie/">Otapuanu</a>, déclenchée le 7 mars 2019 sur instruction du Chef suprême des Forces armées nationales. Otapuanu, qui signifie en langue gourmantché « Pluie de feu ou foudre », a été conduite par l’état-major général des armées. À cet effet, les Forces armées nationales, en coordination avec les Forces de sécurité intérieure, se sont déployées dans les régions du Centre-Est et de l’Est.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fBYIX35bRS0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>L’objectif principal de cette opération était de restaurer l’autorité de l’État dans cette partie du pays où les populations étaient quotidiennement sous la menace et les exactions des groupes armés terroristes et des groupes criminels de tout genre, comme exprimé, en mars 2019, un communiqué du gouverneur de l’Est :</p>
<blockquote>
<p>« Dans le cadre de l’opération Otapuanu, il nous a été donné de constater que malgré les appels au respect des consignes prescrites, des individus s’organisent dans certaines localités de la région de l’est pour empêcher la liberté d’action des troupes sur le terrain. Le Gouverneur tient à rappeler à l’ensemble des populations de l’est que cette attitude de défiance caractérisée par des actes hostiles à l’encontre des troupes ne saurait être tolérée. Par conséquent, toute personne qui viendrait à entraver désormais la liberté d’action des troupes sera traitée selon les règles d’engagement de ladite opération. »</p>
</blockquote>
<p>Depuis, le nombre d’incidents a augmenté : les 320 incidents recensés en 2020 en lien avec les groupes radicaux sont la preuve que ces groupes ont conservé toute leur force de frappe dans la région. Les axes routiers entre Fada-Pama, Gayéri-Tankoalou, Nadiagou-Koalou et les communes de Botou, Ougarou, Foutouri sont des zones à haut risque d’explosion d’engins explosifs improvisés (IED) et échappent au contrôle du pouvoir central.</p>
<h2>… et dans le centre-nord</h2>
<p>Le centre-nord a totalisé 139 incidents sécuritaires en lien avec les attaques de groupes radicaux en 2019, contre au moins 99 incidents de même nature en 2020. Mais cette baisse des chiffres ne se traduit pas par une diminution de la violence, car au moins 203 personnes ont trouvé la mort dans cette zone du fait de l’activité des acteurs armés au cours de l’année 2020.</p>
<p>Dans le Centre-Nord, le principal vecteur de propagation de foyers insurrectionnels est l’inertie, l’inaction, et la faiblesse de l’État qui a passivement – vu cette région complètement <a href="https://noria-research.com/les-racines-locales-de-la-violence-burkina-faso/">basculer dans la violence extrémiste</a> avant de tenter de l’en faire sortir.</p>
<p>L’insurrection armée locale dans cette région tient particulièrement à la non-résolution judiciaire des attentats de <a href="https://www.voaafrique.com/a/au-moins-210-morts-lors-du-massacre-du-1er-janvier-selon-un-collectif/4771648.html">Yirgou</a> et d’Arbinda. Le 1<sup>er</sup> janvier 2019, un drame sans précédent dans l’histoire contemporaine du pays est survenu à Yirgou-Foubé, un village de la commune de Barsalgho où, après une attaque terroriste ayant ciblé et assassiné le chef moagha de la localité et des membres de sa famille, une expédition punitive a été organisée contre tous les Peuls aux alentours et dans leurs campements. En décembre 2019, une attaque djihadiste a fait plusieurs dizaines de morts dans la localité d’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/28/burkina-faso-l-etat-islamique-revendique-l-attaque-de-la-base-militaire-d-arbinda_6024251_3210.html">Arbinda</a>.</p>
<p>Le <a href="https://www.facebook.com/collectifcisc/">Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC)</a> né à la faveur desdits évènements affirme que l’État ayant fait preuve de « mollesse » dans le traitement du dossier de Yigou, les « milices n’ont pas hésité à récidiver avec la même atrocité à Arbinda ». Pour le collectif, la réaction de l’État n’est pas à la hauteur des attentes. Ces attaques ont coûté la vie a des centaines de personnes, sous le regard impuissant de l’État.</p>
<p>Là aussi, le pouvoir central n’a pas pleinement joué son rôle ou, à tout le moins, a réagi avec retard. De ce fait, une majorité de la population rurale de la région du centre-nord qui a perdu toute confiance vis-à-vis du pouvoir central a trouvé comme stratégie de résilience la collaboration avec les groupes terroristes.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/stZ_IvyZJ9Y?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Certains ont même retrouvé en ces groupes terroristes un supplétif à l’État qui leur permet de retrouver leur dignité en se faisant justice soi-même ou en réglant des problèmes (conflits locaux, conflits fonciers) qui n’ont jamais pu trouver solution auprès de l’État. Dans cette région, du fait de la mauvaise réponse politique et sécuritaire apportée par l’État, ce qui était au début une crise sécuritaire est devenue une crise communautaire et/ou interethnique.</p>
<h2>Une seule option : la négociation</h2>
<p>Le terrorisme est un acte criminel considéré comme un phénomène sérieux de déstabilisation du pouvoir central. Mais, malheureusement, c’est aussi devenu un moyen de contestation qui donne naissance à des insurrections armées locales qui s’érigent contre ce pouvoir central.</p>
<p>Le dialogue, la négociation et la réconciliation sont les voies à privilégier pour trouver une solution endogène pérenne et qui puisse ramener durablement la stabilité et la paix dans ces zones rurales longtemps abandonnées à leur propre sort par le pouvoir central. Négocier avec les insurgés permettra certainement d’éteindre les foyers insurrectionnels locaux. Car comme le dit Zephirin Diabré (ministre d’État, ministre chargé de la Réconciliation nationale) dans une interview accordée au journal <em>Le Monde Afrique</em> en date du 12 mars 2021, « avec des Burkinabés qui se sont laissés endoctriner et ont pris les armes, parfois par frustration, découragement ou par sentiment d’injustice, on peut dialoguer ».</p>
<p>Depuis que l’élection présidentielle s’est déroulée dans un climat plus ou moins apaisé, le discours de l’État a changé et la solution de la négociation est désormais de plus en plus envisagée par le pouvoir en place.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156680/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mahamoudou Savadogo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans le Nord et dans l’est du Burkina Faso, l’inaction du pouvoir a créé un vide dans lequel se sont engouffrés les djihadistes. La réponse sécuritaire doit se doubler d’une volonté de négociation.Mahamoudou Savadogo, Chercheur sur les questions de l'extrémisme violent, Université Gaston BergerLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1528862021-01-28T18:07:20Z2021-01-28T18:07:20ZLa lutte contre le trafic de drogue nuit-elle aux politiques de développement ?<p>Depuis la ratification de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, le régime mondial de contrôle des drogues a tenté de <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0955395911001575?via%3Dihub">changer le comportement humain</a> et de <a href="https://digitallibrary.un.org/record/258955?ln=en">prévenir la consommation de drogues</a> par la punition, afin d’atteindre un « monde sans drogues ».</p>
<p>Cette ambition clé, basée sur la simple prédiction que la prohibition assécherait éventuellement la demande des drogues illégales, a été réaffirmée par la communauté internationale depuis trente ans à travers des <a href="https://www.unodc.org/documents/commissions/CND/Political_Declaration/Political_Declaration_1990/1990_Political_Declaration_and_Programme_of_Action.pdf">déclarations politiques</a> aux Nations unies.</p>
<p>Pourtant, la demande, l’offre et le trafic des drogues illégales <a href="https://wdr.unodc.org/wdr2020/en/exsum.html">augmentent chaque année</a> et de manière ininterrompue dans le même laps de temps. De plus, le paradigme de la prohibition, qui base la quasi-totalité des interventions publiques sur la répression, a créé des <a href="https://www.unodc.org/documents/wdr/WDR_2008/WDR08_French_web.pdf">conséquences négatives majeures</a> qui remettent en cause l’accomplissement d’autres objectifs globaux de développement.</p>
<h2>Contrôle des drogues et conséquences « surprises »</h2>
<p>Ce sont ces conséquences, reconnues par les Nations unies en 2008 comme conséquences « inattendues » du régime du contrôle des drogues, qui semblent montrer que le régime de contrôle (somme toute construit sur de bonnes intentions mais mis en place par la répression) met à mal la réalisation des <a href="https://www.globalcommissionondrugs.org/wp-content/uploads/2020/06/2018SDG_FRA_web.pdf">objectifs du développement durable et l’Agenda de 2030</a>.</p>
<p>Elles incluent les dommages causés par la prohibition : déplacement budgétaire et politique dans les priorités nationales (du secteur de la santé vers celui de la justice, par exemple) ; déplacement géographique de la production et de la violence sans qu’elles soient réduites pour autant (effet ballon gonflable) ; et un marché illégal de plus de 500 milliards de dollars dans les mains d’intérêts illégaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1268437379838345224"}"></div></p>
<p>Autres conséquences dont la source est corrélée au <a href="http://fileserver.idpc.net/library/Executive_Summary_FR.pdf">contrôle répressif des drogues</a> : l’augmentation de la violence et de l’insécurité du fait de l’affrontement entre forces de l’ordre et trafiquants dans des quartiers souvent défavorisés ; la surincarcération et la surpopulation carcérale pour des délits mineurs ; l’enrichissement de groupes criminels ; ou encore la transmission de maladies infectieuses.</p>
<p>Voici deux problèmes liés que le régime international – en termes de droit international – pose aux politiques et aux objectifs de développement : alors que les conventions internationales sur les drogues sont construites autour de la notion que la <a href="https://www.unodc.org/documents/commissions/CND/Int_Drug_Control_Conventions/Ebook/The_International_Drug_Control_Conventions_F.pdf">dépendance est un fléau</a> (un terme exclusif aux conventions sur les drogues dans l’arsenal normatif international), le système international n’arrive pas à y intégrer la définition même du <a href="https://www.who.int/substance_abuse/terminology/ICD10ClinicalDiagnosis.pdf">syndrome de la dépendance par l’OMS</a>, qui inclut un désir incontrôlable de consommation ; un risque réaliste de rechute ; et des symptômes physiques et psychologiques de sevrage. Cette situation s’aggrave même lorsqu’est pris en compte le manque d’évaluation scientifique dans la <a href="http://www.globalcommissionondrugs.org/wp-content/uploads/2019/06/2019Report_EN_web.pdf">classification de ces substances</a>, entre ce qui est légal ou pas, dangereux ou moins.</p>
<h2>Les objectifs de développement durable mis à mal</h2>
<p>Sur la base de ces conclusions, le <a href="https://journals.openedition.org/poldev/3408">récent numéro spécial de <em>International Development Policy</em></a> consacré aux politiques de développement et de contrôle des drogues tente de répondre à une question simple : ces politiques se renforcent-elles mutuellement ou sont-elles contradictoires ? Il examine un large spectre de problématiques liées au développement, afin d’identifier les impacts réels du contrôle des drogues, et d’analyser à quel point les barrières au développement durable sont endogènes ou exogènes au contrôle des drogues.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/XL2MQTcg4tA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Éradication de la coca : l’ONU débloque des aides financières.</span></figcaption>
</figure>
<p>L’exploration des interactions entre le développement et le contrôle des drogues commence par les <a href="https://journals.openedition.org/poldev/4152">programmes</a> de « développement alternatif », qui sont vus principalement du point de vue agricole ou répressif, sans prise en compte des autres problématiques socio-économiques induites par ces programmes d’éradication ou de substitution des cultures agricoles, et spécifiquement dans les communautés rurales des pays producteurs. L’<a href="https://journals.openedition.org/poldev/4167">Afghanistan</a> sert de miroir de l’incapacité de ces programmes à tenir compte des besoins des populations locales, ou de leur offrir des perspectives de long terme. Toutefois les <a href="https://journals.openedition.org/poldev/3711">agences gouvernementales</a> adoptent une autre position, tout en reconnaissant les lacunes du développement alternatif.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1276425716452651015"}"></div></p>
<p>Ces interactions concernent également des dimensions du développement qui subissent elles-mêmes des changements profonds actuellement : le climat, l’égalité des genres, les droits de l’enfant ou la santé publique. En effet, comment concilier la protection des enfants et un contrôle des drogues moins répressif ? Pourquoi les femmes subissent-elles bien plus les impacts négatifs de la répression que les hommes ? Est-ce lié aux structures patriarcales des systèmes de justice ? De la même manière, le numéro spécial aborde l’impact de la production illégale et intensive du cannabis sur le climat ; le débat autour du commerce équitable en cas de légalisation globale du cannabis afin de ne pas laisser les producteurs traditionnels sur le côté ; ou la difficulté de déploiement des services sanitaires nécessaires aux consommateurs de drogues, souvent sur des bases idéologiques.</p>
<h2>Politique et dilemmes sociétaux</h2>
<p>Ce numéro spécial apporte surtout une première lecture « politique » du désaccord entre développement et contrôle des drogues : à travers l’analyse des flux financiers illicites dans les <a href="https://journals.openedition.org/poldev/4243">zones de conflits</a> ; l’utilisation du contrôle des drogues afin d’influencer, par l’émotion politique, la compétition et la participation aux <a href="https://journals.openedition.org/poldev/3842">processus électoraux</a> ; ou la définition large des <a href="https://journals.openedition.org/poldev/4278">acteurs du contrôle des drogues</a> (par ailleurs tous acteurs du développement), des dimensions nouvelles sont ajoutées à la littérature existante. Ces discussions conceptuelles sont ancrées dans la théorie et dans l’empirique à travers différents exemples nationaux, de l’Afrique du Sud au Mexique, et du Maroc au Croissant d’Or (Afghanistan-Myanmar-Pakistan).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ku0EZ7TRefo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Drogue : le Covid contre le trafic » (Arte).</span></figcaption>
</figure>
<p>Il semble ainsi certain que l’agenda de développement durable pourrait être mis en place pour la majorité des populations sans la réforme du régime de contrôle des drogues. Toutefois, ce développement laisserait de côté les personnes concernées par les drogues illégales (consommateurs, producteurs, chimistes, trafiquants, passeurs, etc.) ainsi que leurs communautés, qui sont statistiquement peu nombreuses pour influencer le résultat quantitatif de l’agenda de 2030.</p>
<p>La conclusion finale tirée de ce numéro spécial est la « vulnérabilisation » par la loi des personnes concernées par les drogues illégales, ces personnes perdant par leur implication dans le marché des drogues leur place dans le débat public et leur poids politique comme citoyens, et peuvent ainsi être négligées par les politiques de développement. Ceci s’entend dans le cadre de politiques de contrôle des drogues qui ne réduisent ni le trafic ni la consommation problématique, tout en ne permettant pas aux communautés concernées d’être plus résilientes ou plus intégrées dans la société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152886/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Khalid Tinasti ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La lutte contre le trafic et la consommation de drogues dans le monde ne va pas sans conséquences néfastes pour les objectifs du développement durable de l’ONU.Khalid Tinasti, Chercheur invité au GSI, et secrétaire exécutif de la Global Commission on Drug Policy, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1527312021-01-18T19:56:06Z2021-01-18T19:56:06ZCaméras corporelles sur les policiers français : ce que nous apprend l’expérience des États-Unis et du Canada<p>L’introduction en France des caméras portables au sein des forces de sécurité (police, pompiers) est <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/09/14/police-les-cameras-pietons-vont-etre-generalisees-au-1er-juillet-2021_6052086_3224.html">d’actualité</a>. Sa mise en place, prévue à l’été prochain, vise a améliorer les relations citoyens-police et à accroître la transparence lors des interventions.</p>
<p>Toutefois, les avis issus du « terrain » divergent. Certains y sont <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/generalisation-des-cameras-pietons-pour-les-policiers-ce-nest-pas-un-probleme-on-est-transparent-assure-l-unsa-police_4202323.html">favorables</a>, au nom de la protection des droits des citoyens ; d’autres estiment au contraire qu’une telle mesure aurait des <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/07/15/les-cameras-pietons-une-fausse-bonne-idee_1794325">effets négatifs</a> sur les interventions car elle instaurerait un climat de voyeurisme et de surveillance excessive de l’action des forces de l’ordre.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/CSUbqVPs07s?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>En tout état de cause, il est opportun de s’interroger sur les recherches scientifiques effectuées à propos de cette thématique à l’international, aucun résultat d’étude scientifique menée en France n’étant disponible à ce jour. Rappelons que en France plus de 300 communes ont participé à une expérimentation menée de juin 2016 à juin 2018, qui a concerné uniquement les policiers municipaux. Cette expérimentation a fait l’objet d’un <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Archives/Archives-des-actualites/2018-Actualites/Experimentation-de-l-emploi-des-cameras-mobiles-par-les-agents-de-police-municipale">rapport</a> destiné au ministère de l’Intérieur. Suspendu suite à l’absence d’encadrement juridique, le port des caméras-piétons a repris officiellement pour la police municipale dès la publication du <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038175494/">décret d’application du 27 mars 2019</a> qui complète la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037284329">loi du 3 août 2018</a> autorisant à nouveau l’usage des caméras-piétons par la police municipale.</p>
<p>En Europe, la pratique consistant à équiper les policiers de caméras est déjà appliquée dans plusieurs pays, notamment en <a href="https://www.dw.com/en/german-police-on-patrol-with-bodycams/av-50337218">Allemagne</a>, au <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-22-000-policiers-anglais-equipes-de-cameras-en-2017-66250.html">Royaume-Uni</a> et au <a href="https://www.nbcnews.com/id/wbna19750278#.We-NKEyiE_U">Danemark</a>. Mais pour l’instant, c’est aux États-Unis et au Canada que des études scientifiques ont été réalisées sur cette question.</p>
<h2>Quelles sont les études effectuées à ce sujet ?</h2>
<p>Rappelons d’abord qu’il est présumé que les caméras corporelles peuvent avoir un impact dissuasif tant sur les personnes faisant l’objet d’interventions que sur les policiers eux-mêmes : sachant que leur comportement est filmé, les policiers comme les citoyens agiraient d’une façon plus conforme aux attentes sociales liées à ce type de situation.</p>
<p>Une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007%2Fs10940-014-9236-3">étude</a> fait référence sur cette question : l’analyse des résultats de l’expérience <a href="https://www.theguardian.com/world/2013/nov/04/california-police-body-cameras-cuts-violence-complaints-rialto">conduite en 2013 à Rialto, en Californie</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"792441104692019201"}"></div></p>
<p>Ceux-ci ont révélé que l’emploi de la force par les policiers était deux fois moins fréquent parmi le groupe expérimental (les policiers qui portaient des caméras corporelles) et qu’il y avait eu une baisse de 87 % des plaintes pendant la période d’essai. C’est d’ailleurs cette expérimentation qui a fourni à l’administration Obama la légitimité́ nécessaire pour subventionner les services de police désirant acheter des caméras corporelles en signe de transparence envers la population.</p>
<p>Une étude de suivi qui a duré quatre années a indiqué que la baisse du recours à la force par la police s’est <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047235217303653?via%3Dihub">maintenue dans le temps</a>. Il est à préciser que la ville de Rialto a enregistré́ une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047235217303653?via%3Dihub">baisse spectaculaire des plaintes visant les policiers</a>. On observera le même effet dans d’autres villes américaines, <a href="https://doi.org/10.1007/s11292-015-9237-8">dont Mesa</a> (Arizona), à <a href="https://www.strategiesforpolicinginnovation.com/sites/default/files/spotlights/Phoenix%20SPI%20Spotlight%20FINAL.pdf">Phoenix</a> (également en Arizona), <a href="https://doi.org/10.1016/j.jcrimjus.2015.10.003">Orlando</a> (Floride), <a href="https://scholarlycommons.law.northwestern.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=7632&context=jclc">Las Vegas</a> (Nevada), <a href="https://www.urban.org/sites/default/files/publication/98461/the_milwaukee_police_departments_body_worn_camera_program_1.pdf">Milwaukee</a> (Wisconsin) et <a href="https://academic.oup.com/policing/article/12/1/66/2928179">Spokane</a> (État de Washington) ainsi que dans <a href="https://www.repository.cam.ac.uk/handle/1810/264739">sept autres villes non précisées</a>.</p>
<p>Une autre étude, publiée en 2014 par l’Université d’État de l’Arizona, présente les témoignages de 249 personnes ayant été en interaction avec des policiers portant des caméras corporelles.</p>
<p>Il en ressortait que les personnes qui étaient au courant de l’existence des caméras ont perçu les actions des policiers comme étant plus « justes » que celles des policiers qui n’en portaient pas.</p>
<p>Depuis les <a href="https://cebcp.org/wp-content/technology/BodyWornCameraResearch.pdf">premières revues de littérature publiées aux États-Unis</a>, une <a href="https://doi.org/10.1177/0004865816638909">deuxième série de recensions a été publiée afin de mettre à jour les informations</a>. Elles ont été suivies de dizaines d’articles scientifiques et de rapports d’évaluation. Tous ces travaux permettent de dresser <a href="https://doi.org/10.7202/1070513ar">plusieurs constats</a>.</p>
<p>La majorité des analyses empiriques a porté sur l’impact des caméras corporelles ou sur le comportement des personnes impliquées directement dans une intervention policière filmée ; très peu ont porté sur les enregistrements issus des caméras, à quelques exceptions près. En général, ces études portent d’ailleurs sur les biais potentiels liés à la présence des caméras corporelles.</p>
<p>Presque toutes les évaluations de l’impact des caméras corporelles mesurent généralement cet impact sur trois dimensions, qualifiées de « Big Three » : la résistance citoyenne, l’emploi de la force par la police et les plaintes envers des policiers.</p>
<p>Ainsi, trois études ont été conduites au Canada, à <a href="http://www.bwvsg.com/wp-content/uploads/2015/06/Edmonton-Police-BWV-Final-Report.pdf">Edmonton en 2015</a>, à <a href="http://torontopolice.on.ca/media/text/20160915-body_worn_cameras_report.pdf">Toronto en 2016</a> et <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/crimino/2020-v53-n1-crimino05397/1070513ar/">à Montréal en 2019</a>. Des effets positifs ont été observés : une plus grande facilité à évaluer la pertinence des plaintes envers les policiers, une diminution de l’agressivité et de l’impolitesse des citoyens (Edmonton) ainsi que la perception qu’il était adéquat que l’intervention soit filmée (Toronto).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"776623626191765504"}"></div></p>
<p>Il est précisé que l’impact des caméras corporelles dépendait toutefois de la situation et n’était pas généralisé à̀ toutes les interventions policières. Malgré cela, dans les trois cas, la présence des caméras ne s’est pas accompagnée d’une réduction significative en termes d’emploi de la force par la police.</p>
<h2>Des résultats contrastés</h2>
<p>Aux États-Unis, la baisse spectaculaire de l’emploi de la force observée à Rialto et <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1477370816686120">ailleurs</a> a accéléré le déploiement des caméras corporelles, qui sont utilisées depuis sept ans par 95 % des polices des États-Unis. Les policiers portant des caméras corporelles auraient aussi davantage tendance à procéder à <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1098611116652850">l’arrestation du conjoint agresseur dans les cas de violence conjugale</a> et à effectuer globalement moins d’interpellations. Ce qui, dans le contexte de remise en question de la légitimité de la police, peut être interprété comme un <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11292-015-9237-8">effet positif</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/RoBF01lPYvg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>On a donc, d’un côté, des études neutres au Canada, et de l’autre des études positives aux États-Unis. Mais aucune étude négative à ce jour.</p>
<ul>
<li><p>Des études « neutres » au Canada : les services de police d’Edmonton (2015), de Toronto (2016) et plus récemment de Montréal (2019) n’ont pas observé́ de changement radical lors de leurs projets pilotes.</p></li>
<li><p>Des études positives : aux États-Unis, les caméras corporelles ont été associées à des baisses statistiquement significatives de l’emploi de la force, des plaintes envers les policiers, des agressions envers les policiers, des comportements entravant le travail policier et de la contestation judiciaire. Il est également <a href="https://www.researchgate.net/publication/321127770_The_effects_of_body-worn_cameras_BWCs_on_police_and_citizen_outcomes_A_state-of-the-art_review">noté</a> une amélioration de la productivité policière, de la satisfaction des citoyens des services offerts et du niveau de politesse des citoyens et des policiers lors des interventions.</p></li>
</ul>
<h2>Quelques conclusions provisoires</h2>
<ul>
<li><p>L’aspect culturel du pays est à considérer dans l’usage de l’outil : au Canada, les résultats sont à nuancer dans la mesure où les relations citoyens-police sont <a href="https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2017-3-page-457.htm">très bonnes</a>. Celles-ci pourraient être un facteur déterminant dans la réussite de l’implémentation des caméras corporelles.</p></li>
<li><p>Les caméras corporelles ne pourraient avoir un impact significatif qu’aux endroits où la police agit de façon problématique.</p></li>
<li><p>La perception des caméras corporelles par les publics reste un élément déterminant pour une adoption de l’outil.</p></li>
</ul>
<p>Une <a href="https://dx.doi.org/10.1111/1745-9125.12179">étude récente</a> explore cette question. Wallace, White, Gaub et Todak (2018) rappellent que les caméras corporelles sont souvent présentées et comprises comme un outil de surveillance permettant aux organisations policières de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0967010615584256">démontrer la transparence de leur travail, et à la société d’examiner le travail des policiers</a> (Tanner et Meyer, 2015). Une autre <a href="http://europia.org/RIHM/V20N2/2-RIHM20(2)-Lollia.pdf">étude</a> (Lollia,2020) montre qu’il est utile avant tout d’agir sur la vision de ce type d’outils par les publics afin de transformer la perception d’un outil de surveillance en un outil de protection pour <a href="https://books.google.fr/books ?hl=fr&lr=&id=JSjgDwAAQBAJ">en assurer une meilleure acceptation</a>.</p>
<p>En tout état de cause, les futurs résultats scientifiques tirés des expérimentations des caméras-piétons sur la police française devraient pouvoir améliorer l’approche terrain en mettant en lumière, de façon encore bien plus explicite, les opportunités et faiblesses liées à cette technologie de terrain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152731/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Parallèlement à son activité de chercheur, Fabrice LOLLIA est fonctionnaire de police dans un service spécialisé de protection des personnes.</span></em></p>Les policiers français seront bientôt équipés de façon générale de caméras-piétons pour filmer leurs interventions. Une pratique déjà mise en œuvre outre-Atlantique depuis plusieurs années.Fabrice Lollia, Docteur en sciences de l'information et de la communication, chercheur associé laboratoire DICEN Ile de France, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1521162021-01-07T20:14:07Z2021-01-07T20:14:07ZÉlection présidentielle au Burkina Faso : les cartes et le territoire<p>Il ne faut pas confondre espace et territoire. Les géographes pourraient parler à l’infini des différences qui séparent ces deux concepts, mais on peut faire simple : un territoire est un morceau d’espace que l’homme contrôle, en l’ayant circonscrit et en ayant mis en place un maillage administratif qui permet à ses habitants de bénéficier des services de base en toute sécurité.</p>
<p>Ce mode de contrôle est généralement assuré par des structures de type étatique – on parle alors d’État – mais il arrive que celui-ci soit défaillant et abandonne ses prérogatives régaliennes (et autres) à des autorités illégales qui grignotent peu à peu le territoire et le transforment en « zones grises », caractérisées par une situation de non-droit.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KRLctWbzANI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Zones grises : quand les États perdent le contrôle, interview du chercheur Gaïdz Minassian (IRIS).</span></figcaption>
</figure>
<p>La cartographie de ces « zones grises » recoupe celle de la <a href="https://www.nato-pa.int/download-file?filename=sites/default/files/2020-06/042%20GSM%2020%20F%20-%20DEVELOPPEMENT%20ET%20SECURITE%20AU%20SAHEL.pdf">crise sécuritaire au Sahel</a> : des groupes armés contrôlent une grande partie des territoires nationaux du <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20201222-mali-l-arm%C3%A9e-accus%C3%A9e-de-crimes-de-guerre-des-groupes-arm%C3%A9s-de-crimes-contre-l-humanit%C3%A9">Mali</a>, du <a href="https://www.voaafrique.com/a/niger-des-groupes-djihadistes-veulent-s-implanter-dans-l-ouest/4646403.html">Niger</a>, du <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/burkina-faso/l-est-du-burkina-faso-retombe-sous-la-coupe-des-djihadistes-6854790">Burkina Faso</a> et, dans une moindre mesure, du <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/invit%C3%A9-afrique/20201123-en-afrique-l-%C3%A9tat-islamique-poss%C3%A8de-une-base-fiscale-qui-permet-de-tenir">Tchad</a> et du <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/05/18/les-groupes-djihadistes-etendent-leur-influence-dans-le-nord-ouest-du-nigeria_6040016_3212.html">Nigeria</a>. Mais si l’on souhaite représenter sur une carte les zones dont les États n’ont plus la maîtrise, on se heurte à une fin de non-recevoir de la part des gouvernements concernés. Quel ministre de l’Intérieur serait prêt à déclarer qu’une partie de son pays échappe à son autorité ?</p>
<h2>Le funambulisme diplomatique des zones à risques</h2>
<p>La diplomatie française est habilement parvenue à contourner ce blocage en créant le fameux site des <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-aux-voyageurs/">« Conseils aux voyageurs »</a>.</p>
<p>En fonction des renseignements – le terme est utilisé à dessein – dont dispose le Quai d’Orsay, une carte est proposée aux ressortissants français leur indiquant les régions où il est « formellement déconseillé » de se rendre (en rouge), celles où l’on doit faire état de « raisons impératives » pour y aller (en orange), et celles où il faut conserver une certaine vigilance, « renforcée » (en jaune) ou « normale » (en vert) selon le degré d’insécurité.</p>
<p>On peut comprendre qu’il aura fallu beaucoup de temps (une bonne dizaine d’années) pour faire admettre à nos partenaires étrangers, et notamment africains, cette représentation cartographique. En général, à chaque modification des limites des zones rouges, nos ambassadeurs doivent aller fournir des explications crédibles et convaincantes aux ministres en charge de l’administration du territoire dans leurs pays de résidence. À l’évidence, c’est un exercice de funambulisme diplomatique, car il faut expliquer que cette carte ne s’adresse qu’aux Français et faire mine de croire que les nationaux ne sont pas concernés par le danger…</p>
<h2>L’incertitude au Burkina Faso</h2>
<p>Depuis un certain temps, le Burkina Faso a été gagné par la <a href="https://information.tv5monde.com/Afrique/le-burkina-faso-gagnepar-la-vague-djihadiste-157797">menace djihadiste</a>. Celle-ci a peu à peu débordé de son cadre malien d’origine et a commencé à recouvrir les régions méridionales, notamment la fameuse <a href="https://www.nouvelobs.com/topnews/20201228.AFP3915/trois-soldats-francais-tues-dans-la-zone-des-trois-frontieres-au-mali.html">zone dite des trois frontières</a> (Mali, Niger, Burkina Faso). Le Quai d’Orsay a donc effectué des mises à jour qui ont conduit à la carte la plus actuelle, datée du 15 août 2020.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/376739/original/file-20201228-21-167blwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="la page consacrée au Burkina Faso de la section « Conseils aux voyageurs » du ministère des Affaires étrangères" src="https://images.theconversation.com/files/376739/original/file-20201228-21-167blwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376739/original/file-20201228-21-167blwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=502&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376739/original/file-20201228-21-167blwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=502&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376739/original/file-20201228-21-167blwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=502&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376739/original/file-20201228-21-167blwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376739/original/file-20201228-21-167blwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376739/original/file-20201228-21-167blwu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=630&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Capture d’écran de la page consacrée au Burkina Faso de la section « Conseils aux voyageurs » du ministère des Affaires étrangères.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/conseils-aux-voyageurs/conseils-par-pays-destination/burkina-faso/#securite">Ministère français des Affaires étrangères</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>À l’observation, les trois quarts du territoire burkinabè semblent sinon hors de contrôle du moins mal sécurisés par les forces de l’ordre. Un certain nombre d’incidents et d’<a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/burkina-treize-djihadistes-tues-lors-d-un-accrochage-dans-le-nord-20200524">accrochages</a> militaires récents, souvent meurtriers, confirment la précarité de la situation. Il est probable que les autorités militaires, burkinabè ou françaises, <em>via</em> <a href="https://www.defense.gouv.fr/operations/barkhane/dossier-de-reference/operation-barkhane">Barkhane</a>, pourraient en fournir une cartographie précise, mais pour des raisons évidentes elles n’en font pas état, nous laissant ainsi dans une incertitude inconfortable.</p>
<h2>Élections et controverses cartographiques</h2>
<p>C’est pourquoi nous avons saisi l’occasion de la publication des <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20201126-burkina-faso-roch-marc-christian-kabor%C3%A9-pr%C3%A9sident-sortant-r%C3%A9%C3%A9lu-au-1er-tour-ceni">résultats</a> de l’élection présidentielle qui a eu lieu le 22 novembre 2020 au Burkina Faso pour exploiter une donnée passée relativement inaperçue parmi les millions de chiffres fournis par la <a href="https://www.ceni.bf/">Commission électorale nationale indépendante (CENI)</a> : le nombre de bureaux de vote non ouverts le jour du scrutin. Au cœur des liasses de tableaux Excel déclinés jusqu’au niveau des déconcentrations municipales, on découvre que certaines communes n’ont pas été en mesure d’ouvrir tous leurs bureaux de vote, et on comprend que les raisons étaient sécuritaires.</p>
<p>À l’<a href="https://www.lam.sciencespobordeaux.fr/lamencartes">atelier de cartographie électorale africaine</a> du laboratoire LAM-CNRS (Les Afriques dans le Monde) de Sciences Po Bordeaux, nous avons donc calculé le pourcentage de bureaux de vote non ouverts par province et reporté ces données sur une carte qui – on pouvait le prévoir – redessine les zones « à risques » identifiées par le Quai d’Orsay, et probablement cartographiées confidentiellement par les militaires pour la période concernée (novembre 2020).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/376773/original/file-20201229-19-1eqxzuw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Burkina Faso -- Présidentielle 2020 Pourcentage de bureaux de vote non ouverts par province" src="https://images.theconversation.com/files/376773/original/file-20201229-19-1eqxzuw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376773/original/file-20201229-19-1eqxzuw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376773/original/file-20201229-19-1eqxzuw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376773/original/file-20201229-19-1eqxzuw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376773/original/file-20201229-19-1eqxzuw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376773/original/file-20201229-19-1eqxzuw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376773/original/file-20201229-19-1eqxzuw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Burkina Faso – Présidentielle 2020 Pourcentage de bureaux de vote non ouverts par province.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.lam.sciencespobordeaux.fr/wp-content/uploads/2020/12/Burkina-faso_carte2.png">IAM</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour autant, cette entreprise ne respecte pas totalement les critères de rigueur scientifique qu’on applique habituellement. D’abord parce qu’on n’a retenu que les 926 bureaux de vote non ouverts (sur les 19 836 initialement programmés) tels qu’ils ont été identifiés par la CENI, alors que d’autres sources évoquaient le chiffre de 1 318. Ensuite parce qu’on en a écarté une dizaine, disséminés dans des lieux où l’insécurité n’était pas à l’origine de la non-ouverture. Et enfin parce que la <a href="https://www.persee.fr/doc/espos_0755-7809_2000_num_18_1_1930">discrétisation</a> – en cartographie, la discrétisation est l’opération qui permet de découper en classes une série de variables qualitatives ou de variables quantitatives : l’opération de discrétisation doit satisfaire à la fois aux exigences de la représentation cartographiques et à celles des principes statistiques – que nous avons adoptée aurait pu être modulée autrement pour accroître ou diminuer la superficie des territoires marqués par le rouge le plus foncé, et donner ainsi une autre image de l’insécurité.</p>
<p>Il n’empêche que le résultat n’est pas exactement celui que l’on attendait. D’une part, les provinces considérées comme les plus insécures – selon le critère que nous avons retenu, celui des bureaux de vote non ouverts – ne se situent pas dans la zone des trois frontières Mali-Niger-Burkina, mais dans une autre zone de trois frontières (Niger-Bénin-Burkina) pour laquelle les inquiétudes sont habituellement moindres. Et, d’autre part, la province qui se trouve au cœur de la zone estimée comme la plus exposée à l’insécurité (l’Oudalan) a pu apparemment ouvrir tous ses bureaux de vote le 22 novembre 2020. Il est vrai qu’elle n’en comptait que 68, dont 50 dans la commune de Gorom-Gorom, qui fut sans doute bien sécurisée ce jour-là. Le même raisonnement peut être avancé pour une autre province coloriée en vert, Yagha, très proche des lieux d’affrontement récurrents de l’autre côté de la frontière avec le Niger, et dont les 20 bureaux de vote ont pourtant fonctionné normalement.</p>
<h2>Taux de participation suspect : fraude électorale ?</h2>
<p>Un autre sujet d’étonnement apparaît quand on introduit une autre carte : celle de la participation des électeurs à ce scrutin présidentiel.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/376774/original/file-20201229-49513-19wglqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Burkina Faso -- Présidentielle 2020 Participation par province" src="https://images.theconversation.com/files/376774/original/file-20201229-49513-19wglqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376774/original/file-20201229-49513-19wglqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376774/original/file-20201229-49513-19wglqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376774/original/file-20201229-49513-19wglqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376774/original/file-20201229-49513-19wglqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376774/original/file-20201229-49513-19wglqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376774/original/file-20201229-49513-19wglqk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Burkina Faso – Présidentielle 2020 Participation par province.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.lam.sciencespobordeaux.fr/wp-content/uploads/2020/12/Burkina-faso_carte1.png">IAM</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le croisement de cette carte avec la précédente montre que les provinces où l’on a le plus voté sont, pour la plupart, celles où de nombreux bureaux de vote n’ont pas pu ouvrir. Pour éclaircir cette énigme, on dispose d’un élément d’explication recevable : les agents de la CENI ont calculé la participation par rapport aux seuls électeurs ayant eu la possibilité de voter. Ceux qui étaient inscrits dans les bureaux de vote non ouverts ont été retirés des fichiers. La démarche n’est pas incorrecte mais, <em>in fine</em>, elle fausse le niveau de représentativité de l’élu.</p>
<p>En revanche, on doit se contenter d’hypothèses pour expliquer ces forts pourcentages de votants dans les zones insécures. Les électeurs se sont-ils à ce point raccrochés à l’idéal démocratique en espérant que cela les sortirait de la crise dans laquelle ils survivent difficilement ? Ou bien les délégués dans les bureaux de vote ont-ils profité de la tension ambiante pour voter à la place des absents ? Cette fois-ci, la démarche serait incorrecte, mais elle est assez courante dans les démocraties africaines (et pas seulement), surtout lorsqu’il n’y a que les délégués d’un seul parti présents dans les bureaux de vote. </p>
<p>Une troisième carte semble accréditer cette idée, puisque le candidat sortant a réalisé de gros scores dans ces régions éloignées de la capitale, parfois considérées comme des « zones grises », au point que de nombreux bureaux de vote n’ont pas pu ouvrir. Il est possible que, dans ceux qui ont pu fonctionner, les délégués du parti se soient sentis à l’aise pour donner un coup de pouce au processus électoral. Mais aucun recours n’a été enregistré par la CENI.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/377664/original/file-20210107-15-1bjmz3x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/377664/original/file-20210107-15-1bjmz3x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/377664/original/file-20210107-15-1bjmz3x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/377664/original/file-20210107-15-1bjmz3x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/377664/original/file-20210107-15-1bjmz3x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=413&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/377664/original/file-20210107-15-1bjmz3x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/377664/original/file-20210107-15-1bjmz3x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/377664/original/file-20210107-15-1bjmz3x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Pourcentage des voix obtenues par le candidat Roch Kaboré.</span>
<span class="attribution"><span class="source">IAM</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La carte, un outil de manipulation ou de révélation ?</h2>
<p>Ainsi les cartes peuvent-elles donner d’un même territoire des images contrastées, par exemple et simultanément celles de provinces que l’État contrôle mal, donc vulnérables à l’insécurité, et parallèlement ouvertes à la fraude électorale. Toutefois, rien ne prouve réellement ces affirmations, et nous aurions tout aussi bien pu choisir des représentations cartographiques suggérant d’autres hypothèses. Parce que la carte est un fantastique outil de manipulation des données.</p>
<p>Mais, en finissant par faire apparaître des réalités que l’on n’attendait pas, la carte peut agir comme un révélateur, au sens photographique du terme. Et c’est bien le dessinateur qui fait varier l’exposition. La carte peut mettre le territoire à nu, sans aucun commentaire. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’atelier LAMencartes conclut toujours ses notices par la formule : « Libre à chacun de construire sa propre analyse à partir de ces essais de représentation graphique. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152116/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bouquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La récente élection présidentielle au Burkina Faso dévoile l’importance des analyses cartographiques. Des outils aux diverses facettes, essentiels dans l’interprétation des phénomènes politiques.Christian Bouquet, Chercheur au LAM (Sciences-Po Bordeaux), professeur émérite de géographie politique, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1369022020-04-26T18:52:46Z2020-04-26T18:52:46ZNucléaire : pendant le confinement, un recours massif et illégal à la sous-traitance<p>Depuis les années 2000, EDF a un dispositif pour faire face aux pandémies. Ce « plan de continuité d’activité » a été réactualisé en 2003 et 2011, lors des épisodes de H1N1 puis de SARS. Il permet à l’électricien de faire face, sur chacun de ses sites de production électronucléaire et hydraulique (17 sites nucléaires et 433 centrales hydrauliques), à des pandémies de type grippe ; jusqu’à douze semaines avec 25 % des effectifs en moins, et deux à trois semaines avec 40 % de personnes en moins.</p>
<p>Mais aujourd’hui, avec le Covid-19, c’est avec 75 % d’effectifs en moins que les centrales nucléaires doivent fonctionner ! Sachant que la plupart des salariés présents sur les sites sont des intérimaires embauchés par les sous-traitants d’EDF ; des personnels rarement formés pour gérer l’ensemble des procédures en cas de crises de fonctionnement.</p>
<p>Une des choses – parmi tant d’autres – avec le recours massif du droit de retrait et des arrêts maladie que le plan n’avait pas prévu, c’est la fermeture générale des crèches et écoles entraînant la mise à l’arrêt des parents, contraints de garder leurs enfants (de moins de 16 ans).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gLKFeRfRE6A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Présentation du du plan de continuité d’activité d’EDF dans le cadre du Covid-19. (EDF, 2020).</span></figcaption>
</figure>
<h2>De Gravelines à Flamanville</h2>
<p>À la mi-mars, le groupe a dû modifier ses procédures de contrôle de radioactivité au sein de ses centrales après l’exercice par quelques salariés – en très grande majorité des prestataires – de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/coronavirus-droits-de-retrait-et-procedures-ajustees-dans-les-centrales-nucleaires-20200320">leur droit de retrait</a> pour cause de crainte de contamination virale.</p>
<p>La centrale nucléaire de Gravelines (Hauts de France), par exemple, fonctionne avec seulement 25 % de ses effectifs. Comme pour les autres centrales françaises, EDF a placé en télétravail tous les agents relevant des fonctions supports et tous les ingénieurs. Sont présents sur le site les salariés qui se consacrent au pilotage des réacteurs et à leur surveillance, les agents chargés de la protection de la centrale, ainsi que ceux dévolus à la maintenance et aux analyses environnementales.</p>
<p>En attendant, avec des cas de coronavirus détectés dans plusieurs installations nucléaires, des mesures ont été prises pour limiter les risques de nouvelles contaminations. Les effectifs sont réduits au minimum dans l’ensemble des sites de production nucléaires, hydrauliques et thermiques.</p>
<p>À Flamanville (Normandie), où les deux réacteurs sont actuellement arrêtés, EDF est même allé plus loin en raison de plusieurs cas potentiels de nouveau coronavirus et n’admet sur le site qu’une <a href="https://reporterre.net/Dans-les-centrales-nucleaires-le-coronavirus-inquiete-les-sous-traitants">centaine de personnes</a>, contre environ 800 habituellement.</p>
<h2>Sous-traitance et travaux dangereux</h2>
<p>Pour maintenir la continuité de la production d’électricité, EDF s’appuie donc <a href="https://www.irp.fnme-cgt.fr/media/fiche7_sous_traitance.pdf">largement sur un réseau de sous-traitants, souvent peu reconnus et mal payés</a>. Selon un agent EDF – que nous avons consulté le 26 mars 2020 et qui souhaite conserver l’anonymat –, ils sont « abandonnés à leur sort ». La situation au sein des centrales arrêtées pour maintenance les inquiète tout particulièrement.</p>
<p>Les sous-traitants gèrent aujourd’hui <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/nucleaire/nucleaire-trop-de-sous-traitants_2836467.html">80 % de la maintenance</a> du parc nucléaire français. Cela représente pas moins de <a href="http://www.ma-zone-controlee.com/sous-traitance/">160 000 salariés</a> qui participent au maintien, à la production, à la distribution et aussi au traitement et au conditionnement des déchets.</p>
<p>Si l’on se réfère à la législation de la sous-traitance en France, ce taux de 80 % semble totalement illégal ; dans le cadre d’une ICPE nucléaire, en effet, les contraintes de sécurité interdisent le recours massif aux intérimaires embauchés par les sous-traitants.</p>
<p>Cette situation est en totale contradiction avec <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006901260&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=20080501">l’article L.1251-10 du code du travail</a>, interdisant le recours aux contrats à durée déterminée pour des travaux particulièrement dangereux. Dans une période où les mesures de sécurité doivent être renforcées – du fait d’un nombre d’agents moins important et d’un confinement nécessitant des mesures de protection plus important – c’est, hélas, tout l’inverse qui se produit. Cette situation est la conséquence d’une volonté de réduction des coûts qui s’est traduite depuis plus de vingt ans par la précarisation des salariés.</p>
<h2>Ce que dit la loi</h2>
<p>Mais revenons à l’illégalité des 80 % de main-d’œuvre sous-traitée. Il nous faut ici rappeler la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000819043">loi n° 2006-686 du 13 juin 2006</a> relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (dite « loi TSN »).</p>
<p>Celle-ci a étendu aux établissements comprenant une installation nucléaire de base civile les règles particulières du droit des CHSCT des établissements comprenant une installation classée pour la protection de l’environnement soumise à autorisation assortie de servitudes d’utilité publique (ICPE AS).</p>
<p>Le fil directeur de ces mesures repose sur le constat partagé que le recours à la sous-traitance, surtout en cascade, crée une organisation du travail souvent génératrice d’interférences entre les activités, les matériels ou les installations des différents établissements concernés :</p>
<blockquote>
<p>« Ce phénomène constitue donc un facteur aggravant des risques professionnels et environnementaux qui accroît leur probabilité de réalisation (réponse à une QE publiée dans le JO Sénat du 14/04/2011 – page 964), ce qui dans le cadre d’une centrale nucléaire n’est pas acceptable vu les conséquences dramatiques d’un accident nucléaire. »</p>
</blockquote>
<p>Le contrat de sous-traitance est soumis à des conditions de formes et de fonds importantes, encadrées par <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000030442435&cidTexte=LEGITEXT000006072050&dateTexte=20150404">l’article L.8241-1 du code du travail</a> – article qui condamne le prêt illicite de main-d’œuvre, à savoir les contrats de travail temporaire, de portage salarial, d’entreprises de travail à temps partagé et à l’exploitation d’une agence de mannequins, lorsque celle-ci est exercée par une personne titulaire de la licence d’agence de mannequin, ainsi que d’autres situations très spécifiques.</p>
<p>En dehors de ces contrats, toute opération à but lucratif de mise à disposition doit être interprétée comme constitutif du délit de marchandage et de prêt de main-d’œuvre.</p>
<h2>La définition juridique du contrat de sous-traitance</h2>
<p>La sous-traitance, au sens de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000889241">loi du 31 décembre 1975</a>, ne concerne précisément qu’un certain type de tâches dès lors que leur exécution est confiée à un tiers dans des conditions particulières.</p>
<p>Cette loi la définit dans son article 1 comme :</p>
<blockquote>
<p>« L’opération par laquelle une entreprise confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant tout ou partie de l’exécution du contrat d’entreprise ou du marché public conclu avec le maître de l’ouvrage. »</p>
</blockquote>
<p>La loi de 1975 sur la sous-traitance donne trois conditions pour définir ce type de contrat. Il est d’abord nécessaire d’avoir l’accord préalable du maître d’ouvrage qui accepte les sous-traitants ; il faut ensuite que les sommes dues aux sous-traitants soient garanties par un cautionnement ; enfin, que les tâches effectuées par le sous-traitant soient spécifiques, c’est-à-dire ne pouvant être exécutées techniquement par le donneur d’ordre.</p>
<p>À ce titre, la position de la Cour de cassation a évolué. En effet, si en 2005, la Cour rappelait que la spécificité des tâches ne suffisait pas à établir à elle seule l’existence d’un contrat de sous-traitance, un arrêt du 18 novembre 2009 vient préciser la manière dont il faut distinguer le contrat de sous-traitance d’autres contrats – en espèce, un contrat de vente.</p>
<p>Le contrat de sous-traitance ne consiste pas dans la vente d’une simple prestation, mais d’une prestation accompagnée d’un suivi, de compétences particulières qui, sans elles, rendent d’une part inutilisable la prestation de service et, d’autre part, que cela se fasse dans le cadre de conditions de formes et de fonds définies par la loi de 1975.</p>
<p>Ces compétences particulières ne sont autres que la spécificité des tâches, c’est-à-dire le pourquoi du contrat de sous-traitance, donc la cause de la prestation. Tout cela pour préciser que les 80 % des sous-traitants d’EDF doivent maîtriser des techniques que ne possède pas EDF en interne et qui justifient le recours à la sous-traitance.</p>
<p>Mais, ici, c’est bien <a href="https://www.edf.fr/sites/default/files/contrib/groupe-edf/producteur-industriel/nucleaire/Notes%20d%27information/les_prestataires_nucleaires_-_2018.pdf">EDF qui détient la maîtrise totale des techniques</a> mises en place dans les centrales nucléaires : il apparaît donc que le recours aux sous-traitants n’est pas effectué en fonction d’un défaut de maîtrise interne, mais bien comme une technique de management des travailleurs afin d’exclure ces derniers des garanties de la convention collective d’EDF. Le recours massif à la sous-traitance peut donc être qualifié ici de totalement illégal.</p>
<h2>Des conditions de travail dégradées</h2>
<p>Des témoignages récents nous permettent d’avoir des informations sur les conditions de travail des travailleurs du nucléaire en cette période de confinement.</p>
<p>Dans un article de <em>Politis</em>, <a href="https://www.politis.fr/articles/2020/04/dans-les-centrales-nucleaires-les-sous-traitants-en-premiere-ligne-41613/">daté de début avril 2020</a>, <a href="https://www.sortirdunucleaire.org/coronavirus-quel-impact-pour-les-personnes">Gilles Reynaud</a>, président de l’Association de défense des sous-traitants de l’industrie nucléaire, s’inquiète du fait que les salariés n’ont pas de masques, pas de gel hydroalcoolique et ne peuvent pas respecter les distances de sécurité qui permettent de prévenir la propagation du Covid-19.</p>
<blockquote>
<p>« Dans les vestiaires, les gars sont à touche-touche. Ils passent par des portiques que tout le monde a touchés, attrapent des dosimètres qui ne sont pas désinfectés, ouvrent des portes jamais nettoyées. »</p>
</blockquote>
<p>Dans le même article, un agent EDF du secteur nucléaire poursuit :</p>
<blockquote>
<p>« On s’aperçoit, en période de crise, que des sous-traitants assurent la continuité du service public. Sauf que, contrairement à nous, ils n’ont pas les primes qui vont avec, ni les salaires, ni les congés, etc. Ils ont raison de s’insurger. C’est une honte. Quant à nous, on se fait féliciter pour notre dévouement, mais il y a quelques mois, ils voulaient défoncer notre statut avec le projet Hercule. Sans parler de la réforme des retraites… »</p>
</blockquote>
<p>Le 26 mars dernier, l’Autorité de sûreté nucléaire a <a href="https://www.asn.fr/Informer/Actualites/Covid-19-l-ASN-adapte-son-mode-de-fonctionnement-tout-en-maintenant-son-niveau-d-exigence">alerté la direction d’EDF sur la situation de ces salariés sous-traitants</a> « en lui demandant de définir clairement quelles sont les activités de maintenance ou de logistique pour lesquelles une continuité est indispensable » et « de veiller à ce que les conditions de santé et sécurité soient communiquées et mises correctement en place ».</p>
<p>Pour l’instant, la situation ne semble pas avoir évolué ; les conditions de travail semblent même se dégrader au fil du confinement et de l’absence grandissante de personnel encadrant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136902/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Soria ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La période de confinement renforce encore le recours aux sous-traitants dans le secteur du nucléaire civil.Olivier Soria, Enseignant-chercheur en droit de l'environnement , Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1326802020-03-12T18:11:15Z2020-03-12T18:11:15ZLe discours « sécuritaire » : un retour en arrière<p>Les dernières élections nationales laissaient à penser que la sécurité était devenue un sujet traité plus raisonnablement dans le débat politique français, ou en tous cas, que l’on était sorti d’une certaine forme d’hystérisation à ce sujet.</p>
<p>Certes, les attentats terroristes et la menace permanente qu’ils font peser ont depuis ravivé ou entretenu la peur. Certes, les débordements entourant les manifestations, notamment celles des « gilets jaunes », et les <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/greve-du-5-decembre-la-prefecture-de-paris-fait-fermer-les-commerces-sur-le-parcours-des-manifestants_3728695.html">obligations de « murer »</a> les commerces de centres-villes diligentés par les autorités policières, ou préfectorales, ont participé à créer autour de ces protestations une atmosphère angoissante.</p>
<p>Mais les craintes traditionnelles liées à la délinquance semblaient être revenues à des proportions plus limitées, plus raisonnables, dans les discours politiques. Tout a changé aujourd’hui.</p>
<h2>Des réminiscences avec la campagne de 2001</h2>
<p>L’observateur attentif des politiques locales de sécurité et des discours électoraux sur ce thème ne peut s’empêcher de relever des réminiscences avec les campagnes municipales de 2001 (qui virent la majorité socialiste d’alors se faire ravir de nombreuses communes alors même qu’elle avait engagé depuis 1997) et le <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/25592-des-villes-sures-pour-des-citoyens-libres-actes-du-colloque-de-villepi">colloque de Villepinte</a> (de multiples actions en faveur de « Villes sûres pour des citoyens libres »).</p>
<p>Ces élections apparaissaient, avec le recul, comme le prélude à la présidentielle de 2002 au cours de laquelle le Président Chirac, irrité par les résultats économiques relativement positifs de la majorité parlementaire de gauche, déclara vouloir faire campagne sur le thème de la sécurité. On connaît le résultat de cette stratégie, qui se traduisit par l’arrivée d’un candidat d’extrême droit au second tour, lui-même agacé d’avoir été « copié » par le président sur ce thème.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/K7UtPN7Lk0E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Au cours d’un déplacement en banlieue parisienne, à Garges-lès-Gonesse, Jacques Chirac a tenu un discours sur la sécurité où il était question « d’impunité zéro ».</span></figcaption>
</figure>
<h2>Sécurité : la principale préoccupation des citoyens ?</h2>
<p>Nous avions pu montrer comment cette période avait ouvert (ou rouvert) la porte à un <a href="https://www.puf.com/content/Peurs_sur_les_villes">« populisme punitif »</a> qui préfigurait les politiques sécuritaires des années 2000, faites de course aux chiffres et de lois pénales dont la multiplication n’a pas toujours été synonyme de plus de sécurité.</p>
<p>On voit donc ressurgir ce discours « sécuritaire » qui s’inscrit dans le droit fil des constatations faites en 2001. Cependant, ce n’est pas le Rassemblement national qui a en cette matière dégainé le premier, puisque le <a href="http://www.leparisien.fr/politique/livre-blanc-du-rn-ce-que-propose-marine-le-pen-sur-la-securite-25-02-2020-8266458.php">« plan » annoncé par Marine Le Pen</a> date seulement du 26 février 2020.</p>
<p>C’est bien plus du côté des Républicains ou de la République en Marche que le mouvement s’est enclenché, mais les socialistes ou ceux qui se reconnaissent encore dans ce parti ne sont pas en reste. Pourquoi cet emballement sur la sécurité ?</p>
<p>Ce thème arrive en tête des préoccupations des Français dans les <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/sondage-municipales-la-securite-premiere-des-priorites-pour-les-francais-1576247194">sondages concernant les municipales</a>. Dont acte. Mais on observe d’après ces mêmes sondages que d’une part : 61 % des Français sont « satisfaits » de l’action de leur municipalité en matière de sécurité, et que d’autre part « l’insécurité » évoquée dans ces sondages renvoie à des problèmes très variés (nuisances sonores, agressions verbales ou insultes, vols et agressions physiques, voire personnes « victimes d’un attroupement »). Sans nier l’importance de ce ressenti, ni la nécessité d’y apporter une réponse, on observe là un grand classique : le mélange des genres.</p>
<h2>Peut-on tout comparer ?</h2>
<p>Nuisances sonores et agression physique sont elles de même nature ? Terrorisme et attroupement sont-ils assimilables ? À la décharge des Français interrogés, il est facile de montrer combien les gouvernements nationaux qui se sont succédé depuis 2001 ont tous pratiqué ce type de <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/14/dossiers/lutte_atteintes_securite_publique">confusion malheureuse</a>.</p>
<p>Ainsi, la plupart des lois combattant le terrorisme, depuis la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000222052">loi sur la sécurité quotidienne du 15 novembre 2001</a> jusqu’aux plus récentes, ont allègrement sanctionné les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCode.do?idSectionTA=LEGISCTA000006149845&cidTexte=LEGITEXT000006070719">pratiques</a> entourant le terrorisme (association de malfaiteurs terroriste, trafic d’armes, recel, financement ou consultation de sites) mais aussi le non-paiement des tickets de transports collectifs ou d’autres formes de délinquance moins grave.</p>
<p>Et ce alors qu’on pensait que le « nouveau » monde politique avait rompu avec ses vieilles habitudes. Bien entendu, les peines encourues ne sont pas les mêmes dans les deux cas, mais l’amalgame entre toutes les formes de délinquance pose question.</p>
<p>En fait, l’agrégation de multiples problèmes de nature différente sous l’étiquette « sécurité » se retrouve dans la bouche des élus de tous bords qui mélangent festivités bruyantes, ordures sur la voie publique, mendicité, squats de réfugiés, cambriolages et homicides intrafamiliaux. Penser clarifier les situations en pratiquant ces amalgames relève au mieux du vœu pieux, au pire de la volonté d’aveugler l’électeur.</p>
<p>Or traiter l’insécurité, c’est sortir de l’étiquette. C’est clairement nommer et identifier les problèmes. Au lieu de cela, on voit ressurgir des termes tels qu’« incivilités », qui viennent opacifier le débat. Un comportement peut être légal ou non, autorisé ou non, c’est précisé dans les textes. Juger qu’un comportement est incivil revient à faire d’un avis, d’une opinion, une valeur qu’on impose aux autres. C’est imposer la vision de chacun, avec ses préjugés, comme une règle. Ce n’est donc plus l’ordre, mais le désordre.</p>
<h2>Une incompréhension générale</h2>
<p>À cette confusion des problèmes sont liées des réponses généralistes qui, du fait même de leur volonté de répondre à tout, s’avèrent souvent inefficaces. Ainsi s’est engagée, ou réengagée puisqu’elle est encouragée par les gouvernements depuis le début des années 2000, la <a href="https://www.armand-colin.com/vous-etes-filmes-enquete-sur-le-bluff-de-la-videosurveillance-9782200621230">course aux caméras de vidéosurveillance</a>. On <a href="http://www.citoyennumerique.fr/la-carte-de-france-des-villes-sous-videosurveillance/">apprend</a> ainsi que « le nombre de communes équipées d’un dispositif de vidéosurveillance en 2012 a plus que quadruplé depuis 2006 ».</p>
<p>Des évaluations faites par les <a href="https://www.vie-publique.fr/sites/default/files/rapport/pdf/114000441.pdf">chercheurs</a> ou par <a href="https://www.lemonde.fr/blog/bugbrother/2011/07/14/la-cour-des-comptes-enterre-la-videosurveillance/">l’administration</a> montrent les limites de l’outil (coût exorbitant pour les finances publiques). Sans parler du financement de ces caméras <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Videoprotection/Foire-aux-questions/Questions-relatives-au-financement">par l’argent de la prévention</a> ou des primes versées un temps <a href="https://www.lepoint.fr/politique/primes-les-bons-prefets-recompenses-28-06-2010-470987_20.php">aux préfets les plus motivés</a> pour en faire la promotion.</p>
<p>L’autre « mode » en matière de sécurité, c’est la multiplication du nombre de <a href="https://www.policemunicipale.fr/tout-savoir/armement">policiers municipaux</a> et surtout leur <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/633393/53-des-policiers-municipaux-sont-equipes-dune-arme-a-feu/">équipement en armes</a> de plus en plus conséquent.</p>
<p>Le rapport de la Cour des Comptes de 2011 <a href="https://blogs.mediapart.fr/ivan-villa/blog/010811/la-cour-des-comptes-enterre-la-videosurveillance">soulignait</a> pourtant que le coût des caméras obérait les capacités des finances locales à construire une vraie police municipale. Le véritable objectif des caméras dites de vidéoprotection, c’est bien de se substituer aux patrouilles de rue.</p>
<h2>La fausse solution des polices municipales</h2>
<p>Quant aux polices municipales, elles sont censées remplacer une police nationale qui a aujourd’hui abandonné l’idée de reconstruire une proximité forte avec les citoyens. Mais dans ce cas, pourquoi les armer (seconde étape presque inévitable une fois celles-ci créées) ? Pour verbaliser les jets de papiers sur la voie publique ? De plus, on constate sur <a href="https://www.institutparisregion.fr/fileadmin/NewEtudes/000pack2/Etude_2133/20.19.01_Etude_PM_gdes_villes_V_def.pdf">plusieurs villes</a> que pour chaque policier municipal engagé sur la voie publique, un policier municipal disparaît du terrain…</p>
<p>Les incantations simplistes, et notamment celles faisant de la vidéo et des polices municipales la solution miracle à tous les problèmes, ne tiennent pas la route. Plus que d’une maîtrise du sujet, elles témoignent d’une panique face à la montée de toute une série de problèmes étiquetés, à tort ou à raison, comme relevant du champ de la sécurité.</p>
<p>Et, comme très souvent, le discours sur l’insécurité et les moyens d’y remédier ne relèvent pas d’une compétence forte sur le sujet, mais d’un manque de réflexions sur d’autres sujets : logement, environnement, pauvreté…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132680/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Mouhanna ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Thème dominant des différentes élections (municipales et présidentielles) du début des années 2000, la « sécurité » fait un véritable retour en force à l’heure des municipales de 2020.Christian Mouhanna, Chercheur au CNRS, directeur du Cesdip, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1331722020-03-10T18:44:08Z2020-03-10T18:44:08ZVoici comment vous pouvez agir contre les violences conjugales<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/319278/original/file-20200309-167285-1xq2s1w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les chiffres des violences conjugales et féminicides restent alarmants et en hausse en France, comme le rappelait un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/08/17/le-nombre-de-feminicides-en-hausse-en-2019-selon-les-chiffres-du-ministere-de-l-interieur_6049168_3224">rapport</a> publié le 17 août 2020. Cent quarante-six femmes ont été tuées en 2019 par leur conjoint ou ex-compagnon, soit 25 de plus que l’année précédente. En 2020, <a href="https://actu.fr/societe/violences-conjugales-avec-le-confinement-des-chiffres-en-forte-hausse-en-seine-maritime_37646702.html">confinement et crise sanitaire</a> ont également aggravé la situation. Néanmoins proches et voisins peuvent agir.</p>
<p>Votre meilleure amie vous dit qu’elle a peur de son partenaire. Vous remarquez des hématomes sur le bras de votre collègue. Le mari de votre sœur la critique sans cesse. Que lui dites-vous ? Devriez-vous faire quelque chose ? Et si vous vous trompiez et aggraviez la situation ?</p>
<p>Vous lisez probablement ceci en espérant ne jamais vous retrouver dans l’un de ces cas. Pourtant, la plupart d’entre nous connaissons déjà quelqu’un qui a été victime de violence domestique. En France, par exemple, <a href="https://stop-violences-femmes.gouv.fr/les-chiffres-de-reference-sur-les.html">trois femmes sur quatre déclarent avoir subi des violences physiques et/ou sexuelles à plusieurs reprises</a>. Cela peut arriver à n’importe qui, à n’importe quel âge et dans n’importe quel milieu.</p>
<p><a href="https://www.ons.gov.uk/peoplepopulationandcommunity/crimeandjustice/compendium/focusonviolentcrimeandsexualoffences/yearendingmarch2015/chapter4intimatepersonalviolenceandpartnerabuse#sources-of-support-for-partner-abuse-victims">Les recherches montrent</a> que si une femme est victime d’abus, elle se tournera très probablement vers quelqu’un qu’elle connaît (ses amis, les membres de sa famille, ses voisins et ses collègues). Parfois, les victimes de violence domestique en parlent à leur médecin ou à un autre professionnel, mais généralement, seul l’entourage soupçonne que quelque chose ne va pas.</p>
<p>Il peut être difficile de savoir quoi dire lorsque quelqu’un vous dit qu’il est victime de maltraitance. En effet, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1007/s10464-009-9232-1">il est fréquent</a> que les femmes ne soient pas crues, voire blâmées pour leur situation, et qu’on leur demande « pourquoi ne partez-vous pas tout simplement ? ». Une question qui sous-estime à la fois la complexité des situations de violence domestique et le risque accru de préjudice grave lorsqu’on essaie de partir.</p>
<h2>Savoir écouter</h2>
<p>Une préoccupation commune est le sentiment de ne pas « en savoir assez » pour bien réagir. Pourtant, le simple fait d’écouter peut aider quelqu’un à rompre le silence autour de sa situation.</p>
<p>Les femmes qui ont été victimes de violence domestique disent que les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0959353511422280">occasions de parler</a>, ainsi que le soutien émotionnel et pratique sont les plus utiles, en particulier lorsqu’ils sont <a href="https://search.proquest.com/openview/95a8625226a06b731cb5079d0b1c25f9/1?pq-origsite=gscholar&cbl=36144">offerts par une personne de confiance</a>.</p>
<p>Les termes « abus domestique » et « violence domestique » sont des étiquettes avec lesquelles beaucoup de personnes ont du mal à s’identifier car elles ont l’impression que ces termes ne représentent pas leur expérience (en particulier le contrôle, la coercition et les abus psychologiques, émotionnels, sexuels et financiers qu’elles ont subis).</p>
<p>Commencez donc les conversations en douceur, en exprimant votre inquiétude. Posez-lui des questions sur les changement de comportement que vous avez remarqué chez elle ou chez la personne que vous soupçonnez de comportement abusif.</p>
<p>Quelque chose comme :</p>
<blockquote>
<p>« Nous ne vous avons pas beaucoup vu récemment. Tout va bien ? »</p>
<p>« J’ai remarqué que vous aviez l’air un peu déprimé. »</p>
<p>« Je m’inquiète pour toi. J’ai vu la façon dont il te regardait, et tu as l’air effrayé·e. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317818/original/file-20200228-24694-oaawx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317818/original/file-20200228-24694-oaawx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317818/original/file-20200228-24694-oaawx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317818/original/file-20200228-24694-oaawx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317818/original/file-20200228-24694-oaawx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317818/original/file-20200228-24694-oaawx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317818/original/file-20200228-24694-oaawx2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les textos, les courriels et les appels téléphoniques excessifs sont autant de signes à surveiller.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La manière dont vous réagissez ensuite à toute divulgation est vraiment importante. Il peut être difficile de ne pas critiquer ou blâmer, ou d’exprimer des opinions tranchées sur la relation ou sur la personne qui se comporte de manière abusive, mais ce type de réaction a tendance à mettre un terme aux conversations.</p>
<p>Essayez plutôt d’écouter en restant compréhensif et en ayant l’esprit ouvert. Il est important de faire comprendre que vous croyez la personne, qu’elle n’est pas responsable de la violence, que vous êtes inquiet et préoccupé pour elle et que vous voulez l’aider.</p>
<h2>Planifier une potentielle fuite</h2>
<p>La décision de mettre fin à une relation violente peut être extrêmement difficile et peut prendre du temps pour déterminer comment le faire en toute sécurité. Les professionnels qui travaillent avec des personnes vivant des relations violentes peuvent apporter un soutien spécialisé pour créer des plans de sécurité visant à réduire le risque de préjudice lors de la rupture. Il existe également des conseils que vous pouvez partager avec la personne qui subit des sévices :</p>
<ul>
<li><p>Préparez un sac d’urgence à cacher dans un endroit sûr au cas où elle devrait partir rapidement, comprenant des articles tels que des passeports, des certificats de naissance, les clés de sa maison ou de sa voiture, de l’argent, des médicaments, quelques vêtements et quelques jouets de ses enfants.</p></li>
<li><p>Élaborez une stratégie de départ, en précisant qui appeler, où aller et comment se rendre sur place. Un plan est important car il est difficile de réfléchir rapidement à ces choses.</p></li>
<li><p>Convenez d’un code pour qu’elle puissent vous signaler si elle est en danger et ont besoin d’une aide urgente.</p></li>
</ul>
<p>Vous pouvez également proposer différents types de soutien pratique, comme contacter des associations et composer les numéros d’urgence pour la personne ou bien lui proposer votre téléphone ou votre ordinateur pour le faire. Proposer d’accompagner la personne à ses rendez-vous aide aussi beaucoup. Vous pouvez également lui proposer de rester chez vous pour une courte période ou de lui fournir une garde d’enfants afin qu’elle ait le temps de réfléchir, de planifier et de recevoir de l’aide.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BFZzPliI_kc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<h2>Ce qu’il ne faut pas faire</h2>
<p>Il est important de ne pas blâmer la personne victime d’abus et de ne pas la critiquer directement, mais aussi de ne pas faire pression sur elle. Le plus important est qu’elle puisse prendre ses propres décisions en temps voulu.</p>
<p>Vous devrez peut-être faire preuve de patience, car aider une personne victime de violence est un processus long et difficile. Il est également important de vous assurer de rien faire qui puisse provoquer le ou les responsables des abus tout en veillant aussi à vous protéger durant le processus.</p>
<p><em>Si vous êtes victime de violence dans une relation ou si vous vous inquiétez pour quelqu’un qui en est victime, contactez la ligne d’assistance Stop Violence au 3919 ou sur <a href="https://stop-violences-femmes.gouv.fr/les-numeros-d-ecoute-d.html">leur site dédié</a>.</em></p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Créé en 2007 pour accélérer les connaissances scientifiques et leur partage, le Axa Research Fund a apporté son soutien à environ 650 projets dans le monde conduits par des chercheurs de 55 pays. Pour en savoir plus, visiter le site <a href="https://www.axa-research.org/en">Axa Research Fund</a> ou suivre sur Twitter @AXAResearchFund.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133172/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les précédentes recherches d'Alison Gregory ont été financées par le National Institute of Health Research (SPCR), la Elizabeth Blackwell Institute, et le Bristol, North Somerset and South Gloucestershire Clinical Commissioning Group. Alison bénéficie actuellement d'une bourse postdoctorale du Fonds AXA pour la recherche.</span></em></p>Une femme sur quatre en France est victime de violence domestique. Mais comment agir quand cela concerne notre collègue, notre amie ou un membre de notre famille ?Alison Gregory, Research Fellow, University of BristolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1301002020-03-03T12:40:38Z2020-03-03T12:40:38ZUne centaine de groupes armés sème le chaos au Congo<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/317626/original/file-20200227-24680-duqdpe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des soldats congolais patrouillent dans les rues de Beni, au Congo, en juillet 2019. L'armée officielle côtoie une centaine de groupes armés issus de la société civile.</span> <span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Jerome Delay</span></span></figcaption></figure><p>Depuis déjà deux décennies, la République Démocratique du Congo (RDC) fait face à l’insécurité occasionnée par des groupes armés issus de la société civile.</p>
<p>Au-delà des droits de leurs communautés qu’ils prétendent défendre, ils se comportent en conquérants. Ce phénomène né dans les deux provinces du Kivu dans les années 1990, <a href="https://parismatch.be/actualites/politique/256411/25-ans-apres-le-genocide-rwandais-le-voisin-congolais-est-toujours-dans-le-chaos">à la suite du génocide rwandais</a> et de l’obstination <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mobutu_Sese_Seko">du président Mobutu à conserver le pouvoir</a>, prend de plus en plus d’ampleur et menace sérieusement la stabilité de la Région des Grands Lacs. C’est le <a href="https://www.ledevoir.com/monde/429438/rdc-le-grand-conflit-oublie">conflit le plus meurtrier au monde depuis la Deuxième Guerre mondiale</a>, mais le gouvernement et la communauté internationale tergiversent sur la réponse appropriée.</p>
<p>La RDC abrite aujourd’hui 2,9 millions de déplacés et 450 000 réfugiés. On estime que 6,8 millions de personnes sont touchées par les conflits armés. À cela s’ajoute une épidémie d’Ebola toujours en vigueur, accentuée par le climat chaotique dans le pays.</p>
<p>Ma recherche porte sur les motivations des groupes armés locaux en RDC. Elle démontre le danger qu’ils représentent et tente de déterminer de quelle manière ce phénomène pourrait être enrayé.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317629/original/file-20200227-24685-75qlz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317629/original/file-20200227-24685-75qlz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317629/original/file-20200227-24685-75qlz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317629/original/file-20200227-24685-75qlz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317629/original/file-20200227-24685-75qlz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317629/original/file-20200227-24685-75qlz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317629/original/file-20200227-24685-75qlz3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un enfant est vacciné contre le virus Ebola à Beni, au Congo, en juillet 2019. Le virus fait des ravages dans ce pays en guerre civile.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Jerome Delay, file</span></span>
</figcaption>
</figure>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ebola-au-congo-rdc-quand-un-conflit-oublie-devient-un-danger-pour-la-sante-internationale-121995">Ebola au Congo-RDC : quand un conflit oublié devient un danger pour la santé internationale</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Combattants locaux et étrangers</h2>
<p>La RDC est actuellement un sanctuaire de bandes armées.</p>
<p>Plus de 100 groupes nationaux et au moins six groupes armés étrangers y sont actifs (trois du Burundi, un du Rwanda et deux de l’Ouganda). Les opérations militaires visant à neutraliser ces groupes armés étrangers ont été improductives. Ni le Burundi, ni l’Ouganda et ni le Rwanda ne sont favorables à la démobilisation et au retour de ces combattants dans leurs pays d’origine. <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/L-ONU-evoque-un-genocide-en-RD-Congo-en-1996-_NG_-2010-08-30-556252">Ils préfèrent les éloigner de leurs frontières, voire les exterminer</a>, en violation des conventions internationales relatives à la protection des réfugiés et demandeurs d’asile.</p>
<p>Les forces de sécurité de la RDC utilisent certains de ces groupes de combattants pour lutter contre les groupes armés locaux. Elles ne sont donc pas enclines à les bousculer. Ils bénéficient aussi du soutien des contrebandiers nationaux et étrangers qui apprécient l’insécurité qu’ils occasionnent pour piller les ressources naturelles du pays. Les Casques bleus présents dans le pays sont dans la précarité. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mission_de_l%27Organisation_des_Nations_unies_en_r%C3%A9publique_d%C3%A9mocratique_du_Congo">La MONUSCO est la mission des Nations unies la plus importante actuellement</a>, mais sans mandat coercitif. Résultat, ils sont incapables de se défendre et de protéger les civils.</p>
<h2>Un chaos qui arrange bien le pouvoir</h2>
<p>La lutte armée en RDC est tout d’abord la conséquence de l’incapacité de l’État à faire face aux revendications des différentes communautés. Les milices locales se battent pour la sécurité, l’égalité des droits, l’emploi et la réforme de lois discriminatoires. C’est donc une lutte légitime.</p>
<p>Paradoxalement, cette stratégie de lutte pour les droits est utilisée par le pouvoir, les trafiquants et certains opposants pour semer le chaos en organisant et en soutenant des troubles. Le but est de rendre le pays ingouvernable et de limiter l’accès dans certaines zones pour notamment écouler des armes, piller les ressources naturelles du pays et justifier les projets budgétisés, mais non réalisés.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317628/original/file-20200227-24685-1bfa3u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317628/original/file-20200227-24685-1bfa3u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317628/original/file-20200227-24685-1bfa3u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317628/original/file-20200227-24685-1bfa3u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317628/original/file-20200227-24685-1bfa3u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317628/original/file-20200227-24685-1bfa3u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317628/original/file-20200227-24685-1bfa3u4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le président de la République du Congo, Félix Tshisekedi, prononce son discours au Forum de Paris pour la paix, le 12 novembre 2019 à Paris.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ludovic Marin/Pool via AP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Elle a été utilisée par l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Kabila">ancien président Joseph Kabila</a> entre 2014 et 2018 pour justifier la non organisation des élections et la nécessité d’instituer le régime d’exception qui lui a permis de régner au-delà du mandat constitutionnel. Elle est actuellement utilisée <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/F%C3%A9lix_Tshisekedi">par les adversaires de l’actuel président Felix Tshisekedi</a> pour l’empêcher de réaliser ses promesses de campagne, dont l’éradication du virus Ebola et la fin de l’insécurité à l’Est du pays.</p>
<h2>Des groupes ethniques aux motivations multiples</h2>
<p>Les initiateurs des groupes armés sont généralement des éleveurs, des agriculteurs, des chasseurs-cueilleurs (principalement les peuples autochtones pygmées), <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/republique-democratique-du-congo/rdc-les-pygmees-un-peuple-discrimine-au-mode-de-vie-menace_3058485.html">qui se sentent isolés par le pouvoir et par d’autres communautés</a> pour avoir choisi de conserver leur mode de vie traditionnelle. Les besoins de défendre les terres contre l’invasion des étrangers motivent aussi la création des milices.</p>
<p>À eux s’ajoutent des jeunes désœuvrés ou déscolarisés, attirés par les richesses non protégées.</p>
<p>Les groupes ethniques lésés par la subdivision des régions administratives du pays recourent également aux groupes armés pour exiger la création des communes auxquelles ils s’identifient. Cette démarche peut susciter des velléités xénophobes ou séparatistes et plonger le pays dans le cycle infernal des tensions.</p>
<h2>Des mouvements mystiques</h2>
<p>Tous les groupes armés se disent « patriotes ». Le patriotisme semble être même le fondement de leur idéologie. Contrairement aux milices des années 1960, qui étaient marxistes-communistes, les groupes armés locaux contemporains sont mus par l’idéologie nationaliste à laquelle se greffe le messianisme. Les chefs rebelles se disent en effet « envoyés ». Ils ont reçu, des ancêtres ou de Dieu, le mandat de libérer leurs communautés de l’oppression.</p>
<p>Ces groupes armés violent les droits qu’ils disent défendre et se comportent comme des organisations terroristes.</p>
<p>Ce sont également des forces supplétives du gouvernement et des vigiles des trafiquants. Ils viennent souvent en appui aux forces de sécurité de la RDC et à celles des trois états voisins pour des opérations militaires. Les alliances entre les forces gouvernementales et les groupes armés permettent à ces groupes de recevoir des formations, de la nourriture, de l’argent et des équipements militaires (uniforme, armes et minutions).</p>
<h2>Des richesses naturelles pillées</h2>
<p>En dépit des atrocités, les groupes armés nationaux bénéficient d’une certaine sympathie de communautés locales. Cela s’explique par le fait qu’ils facilitent l’exploitation des ressources naturelles dont regorgent les aires protégées.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/317630/original/file-20200227-24651-1961tib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/317630/original/file-20200227-24651-1961tib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/317630/original/file-20200227-24651-1961tib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/317630/original/file-20200227-24651-1961tib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/317630/original/file-20200227-24651-1961tib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/317630/original/file-20200227-24651-1961tib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/317630/original/file-20200227-24651-1961tib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les partisans du président congolais Félix Tshisekedi l’acclament lors de son investiture à Kinshasa, en RDC, en janvier 2019. Tshisekedi a remporté une élection qui a soulevé de nombreuses inquiétudes quant aux irrégularités de vote.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Jerome Delay</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les minerais de ces zones sont vendus clandestinement, principalement au Rwanda et en Ouganda où ils sont rachetés par des petites entreprises chinoises. La conséquence de ce trafic est que le <a href="https://www.nofi.media/2016/09/minerais-sang-rwanda-accueillera-premiere-usine-de-traitement-de-coltan/30952">Rwanda est actuellement le premier exportateur mondial du coltan</a> qu’il ne produit pas ! Et les patrimoines mondiaux – dont l <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Parc_national_de_Kahuzi-Biega">es Parcs nationaux de Kahuzi-Biège</a> et des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Parc_national_des_Virunga">Virunga</a> – placés sous la protection de l’UNESCO – sont menacés.</p>
<p>La lutte armée est en outre une stratégie pour se soustraire à d’éventuelles poursuites judiciaires. Plusieurs combattants sont poursuivis ou s’attendent à l’être pour les nombreux crimes dont ils sont directement ou indirectement responsables. Ils comptent sur les amnisties ou la grâce présidentielle qui pourraient venir d’un accord de paix.</p>
<p>Leur éradication ne sera pas chose facile sans une volonté politique du gouvernement de la RDC et l’engagement ferme de la communauté internationale.</p>
<p>Il s’agira, à la fois, de dialoguer avec les forces combattantes, de traquer les récidivistes et d’engager des poursuites judiciaires non seulement contre les miliciens auteurs d’atrocités, mais également contre les exploitants illégaux des ressources naturelles de la RDC y compris les trafiquants des armes, peu importe l’endroit où ils se trouvent. La paix dans la région des Grands Lacs africains en dépend.</p>
<p>Des initiatives de prise en charge des populations victimes et des mesures incitatives pour favoriser le désarmement et la démobilisation volontaire devraient être priorisées et suivies de très près pendant, et après la signature d’un futur accord de paix.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130100/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valentin Migabo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La lutte armée en RDC, qui implique une centaine de groupes, est utilisée par le pouvoir et les trafiquants pour semer le chaos, dans le but de rendre le pays ingouvernable.Valentin Migabo, Chercheur à l'UQAM, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1323622020-02-27T19:53:23Z2020-02-27T19:53:23Z« L’insécurité », un épouvantail électoral à déminer<p>«<a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/09/03/l-ensauvagement-un-mot-a-l-histoire-sinueuse-surtout-utilise-par-l-extreme-droite_6050851_4355770.html">Ensauvagement de la société</a>», hausse de la délinquance et de l'insécurité… Ces arguments phares de la droite <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2017-1-page-111.htm">depuis les années 1970</a> réapparaissent régulièrement sous diverses formes, notamment lors des campagnes électorales. </p>
<p>Le chef de l'Etat a récemment évoqué une «banalisation de la violence», suscitant l'organisation d'un <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/le-covid-perturbe-le-seminaire-du-gouvernement-sur-l-insecurite_2134300.html">séminaire</a> mercredi sur le sujet.</p>
<p>Or, ces discours fonctionnent en partie grâce à l’ignorance de la réalité des phénomènes de délinquance et de leurs évolutions. Et ce, malgré les efforts des chercheurs pour rendre abordables les <a href="https://oscj2.cesdip.fr/">données statistiques dans ce domaine</a>.</p>
<h2>Questions de méthode statistique</h2>
<p>La délinquance est définie par le droit, c’est l’ensemble des comportements prohibés par la loi. Mais la loi pénale n’est pas stable, elle ne cesse d’être modifiée par le législateur. Depuis les années 1990, ces changements ont été particulièrement nombreux, au point qu’on a pu parler d’une véritable <a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-La_fr__n__sie_s__curitaire-9782707154323.html">« frénésie sécuritaire »</a> de la part de plusieurs gouvernements. Ceci a deux conséquences majeures.</p>
<p>La première est que, lorsque des comportements sociaux anciens sont soudainement ou progressivement criminalisés, la délinquance ne peut par définition qu’augmenter. La seconde est que la mesure de ces délinquances ne peut être réalisée uniquement par le biais des statistiques produites par la police et la justice.</p>
<p>Ces dernières enregistrent leurs procédures, elles ne font pas un recensement de la réalité délinquante. Enfin, l’application de la loi dépend des priorités et des moyens de l’action répressive de la police et de la justice. Ceci permet de comprendre certaines apories classiques du débat public telle celle qui conduit à s’alarmer de l’augmentation apparente des violences conjugales, des agressions sexuelles ou encore de certaines infractions commises par des mineurs (notamment en milieu scolaire).</p>
<p>En réalité, ces comportements ne sont pas nouveaux, mais nouvellement dénoncés et réprimés. De là la <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2010-4-page-93.htm">prudence interprétative qui s’impose</a> devant les statistiques administratives et la nécessité de les croiser avec les résultats des enquêtes en population générale (en particulier les <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=27203">enquêtes de victimation</a>) qui s’efforcent de saisir l’expérience des habitants indépendamment de l’action institutionnelle.</p>
<p>Ces enquêtes ne touchent toutefois pas les populations les plus marginalisées (aucun SDF, par exemple, n’est interrogé dans ce type d’enquêtes). De plus, elles n’interrogent qu’un nombre limité de comportements délinquants, passant à côté des délinquances « en cols blancs » (corruption, fraude et évasion fiscale, etc.). En revanche, elles mettent en évidence le poids des « incivilités » dans la vie quotidienne, qui ne sont pas ou peu traitées.</p>
<p>C’est donc l’ensemble de ces modes d’enquêtes dont il faut connaître les mécanismes de production et qu’il faut comparer si l’on prétend approcher la réalité.</p>
<h2>Les homicides</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/histoire-de-l-homicide-en-europe--9782707157140-page-133.htm">L’homicide</a> reste, de tous les comportements criminels, celui qui est le mieux mesuré dans la durée. Deux sources coexistent depuis le début des années 1970, la statistique policière et la statistique sanitaire, dont les modes de production comme les niveaux d’enregistrement sont très différents, mais dont les évolutions convergent.</p>
<p>Pour lire le graphique 1, précisons que la <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Interstats">statistique policière</a> ne distingue les homicides réalisés des simples tentatives que depuis 1988. Par ailleurs, elle distingue des « coups et blessures volontaires suivis de mort » qui procèdent des mêmes types de violence mais ne sont pas qualifiés d’homicide au stade policier faute de preuves relatives à l’intentionnalité. Le résultat étant le même, il est de coutume de les comptabiliser ensemble.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/316912/original/file-20200224-24680-12k9j3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316912/original/file-20200224-24680-12k9j3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316912/original/file-20200224-24680-12k9j3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316912/original/file-20200224-24680-12k9j3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316912/original/file-20200224-24680-12k9j3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=359&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316912/original/file-20200224-24680-12k9j3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316912/original/file-20200224-24680-12k9j3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316912/original/file-20200224-24680-12k9j3g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=451&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 1 : évolution du nombre des homicides dans la statistique de police et la statistique médicale de 1972 à 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">L.Mucchielli</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le graphique 1 indique l’évolution générale des homicides au cours des 50 dernières années. On y lit trois temps : une hausse du début des années 1970 au milieu des années 1980, suivi d’évolutions plus erratiques à un haut niveau pendant une dizaine d’années, et enfin d’une baisse du milieu des années 1990 au début des années 2010. Depuis, la baisse semble enrayée et le retour des attentats augmente le nombre de victimes comptabilisées par la statistique de police (en victimes d’homicides pour les décès et de tentatives d’homicides pour les blessés).</p>
<p>Cette chronologie suggère que les principales variations temporelles de l’homicide sont liées aux violences idéologico-politiques. Ces dernières étaient fortes dans les années 1970, marquées à la fois par la montée de l’extrême droite dans le contexte post-Guerre d’Algérie (d’où un nombre élevé d’homicides à caractère raciste, des <a href="https://editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Arabicides-9782707120359.html">« arabicides »</a>) et par celle de l’extrême gauche dans le contexte post-Mai 68 (avec l’épisode terroriste d’Action Directe au tournant des années 1970 et 1980).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qZENqAzFvpQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ces violences politiques déclinent ensuite fortement jusqu’aux années 2010 marquées par le <a href="https://reliefweb.int/report/world/global-terrorism-index-2019">retour des attentats liées à l’idéologie islamiste</a>. Une deuxième interprétation générale est à rechercher dans une autre source de ces grandes violences que sont les évolutions du banditisme. La chute des homicides pour vols (en particulier ceux générés par les braquages de banques ou de fourgons blindés) dans la statistique de police explique en partie la forte baisse globale des homicides à partir de 1994.</p>
<p>A côté de ces évolutions politiques comme de celles du « Milieu » criminel, subsistent – avec une tendance globale à la baisse – les homicides liés aux conflits interpersonnels privés, au premier rang desquels ceux qui surviennent dans les relations conjugales et plus largement intrafamiliales.</p>
<p>En 2018, ces homicides qu’on peut dire « de proximité » ont principalement comme auteurs (84 %) mais aussi pour victimes (62 %) des hommes. A contrario, les femmes sont donc beaucoup plus souvent victimes qu’auteurs. En termes de classes d’âge, plus des deux tiers des auteurs sont âgés de 18 à 45 ans ; les personnes âgées de 60 ans et + sont aussi nombreuses que celles âgées de moins de 18 ans.</p>
<h2>Les agressions physiques graves</h2>
<p>Il n’est pas possible de mesurer l’évolution des autres agressions physiques à l’aide des statistiques de police (ou de justice) dans la mesure où la définition juridique du délit de « Coups et blessures volontaires non mortels » n’a cessé d’évoluer depuis les années 1980.</p>
<p>Il faut donc se tourner vers les <a href="http://www2.cnrs.fr/sites/communique/fichier/15r_zaubermanbp.pdf">enquêtes de victimation</a>, enquêtes statistiques auprès d’un échantillon de la population dont les questions portent sur les crimes et délits dont ont été victimes les personnes interrogés.</p>
<p>Cela permet de se limiter à la seule définition stable dans le temps qui concerne les violences physiques graves, caractérisées par le fait qu’elles ont entraîné une interruption de travail supérieure à 8 jours.</p>
<p>L’enquête pionnière du <a href="http://www.cesdip.fr">CESDIP</a> donne un premier point de repère en 1984. Ensuite, l’« enquête permanente sur les conditions de vie des ménages » (EPCV) menée par l’Insee fournit une première série de 1994 à 2004. Enfin, l’enquête <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1278">« Cadre de vie et sécurité (CVS) »</a> menée par l’Insee pour l’<a href="https://inhesj.fr/ondrp/">Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP)</a> fournit une seconde série de 2005 à 2017.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/316913/original/file-20200224-24694-z7bsv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316913/original/file-20200224-24694-z7bsv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316913/original/file-20200224-24694-z7bsv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=297&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316913/original/file-20200224-24694-z7bsv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=297&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316913/original/file-20200224-24694-z7bsv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=297&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316913/original/file-20200224-24694-z7bsv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316913/original/file-20200224-24694-z7bsv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316913/original/file-20200224-24694-z7bsv.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=374&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 2 : évolution de la proportion de personnes agressées dans la population de 1984 à 2016, Sources : CESDIP, Insee. Champ : France métropolitaine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">L.Mucchielli</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le résultat de cette sérialisation (graphique 2) indique une stabilité globale sur la trentaine d’années concernées. En 2016, la prévalence des agressions est strictement identique à celle mesurée par la première enquête de 1984.</p>
<p>Les enquêtes de victimation permettent également de mieux connaître les auteurs et les victimes des violences physiques (quelle qu’en soit à présent la gravité). Dans l’<a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/operation/s1474/presentation">enquête CVS 2018</a>, il apparaît ainsi que, en 2018 1,4 % des personnes âgées de 18 à 75 ans interrogées dans l’enquête déclarent avoir subi une violence physique en dehors de leur ménage, dont 54 % d’hommes. Les jeunes (moins de 30 ans) sont particulièrement victimes de ces violences, de même que les chômeurs et les personnes au niveau de vie modeste.</p>
<p>Au sein de leur ménage, ce sont cette fois 0,8 % des personnes interrogées qui déclarent une violence subie, dont 66 % de femmes. Les auteurs sont les conjoints dans 56 % des cas.</p>
<h2>Les agressions sexuelles</h2>
<p>Les agressions sexuelles sont encore plus difficiles à mesurer et comparer dans le temps. L’écart entre les données institutionnelles et la réalité est trop grand pour qu’on s’intéresse aux statistiques de police et de gendarmerie. A nouveau, on doit se tourner vers les enquêtes en population générale.</p>
<p>L’enquête de victimation menée tous les deux ans <a href="https://www.institutparisregion.fr/prevention-securite.html">dans la région Ile-de-France</a> depuis 2001 indique une stabilité globale (autour de 0,8 % de la population interrogée déclare avoir été victime d’au moins une agression sexuelle au cours des trois années précédant l’enquête), avec toutefois une augmentation inédite en 2017.</p>
<p>L’explication réside le contexte socio-politique qui détermine la tolérance plus ou moins forte dont pâtissent ces victimations. La survenue de l’<a href="https://theconversation.com/laffaire-weinstein-silence-denonciation-et-moralisation-86569">affaire Weinstein</a> puis le mouvement <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-metoo-quest-ce-qui-a-change-105225">#MeToo</a> et <a href="https://theconversation.com/balancetonporc-ou-comment-les-reseaux-sociaux-nous-forcent-a-devenir-temoins-86119">#BalanceTonPorc</a> ont ainsi élevé significativement les taux de plainte depuis 2017. La question de l’<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2017/11/23/accueil-des-femmes-victimes-de-violences-parfois-dans-les-commissariats-on-derange_5218942_3224.html">accueil des victimes</a> dans les services joue également un rôle dans la propension à porter plainte ou non.</p>
<p>En moyenne, sur les années 2011-2018, 0,5 % des personnes âgées de 18 à 75 ans, interrogées dans l’enquête CVS, déclarent avoir subi une agression sexuelle, s’agissant une fois sur deux d’un viol ou d’une tentative de viol. 80 % de ces victimes sont des femmes, qui connaissent le plus souvent les auteurs mais n’ont généralement pas porté plainte. Près d’un viol (ou d’une tentative) sur deux est de nature conjugale.</p>
<p>S’agissant des agressions sexuelles hors ménage, les victimes sont plus souvent jeunes (moins de 30 ans) et à revenus modestes. Les étudiant·e·s et les personnes au chômage sont surreprésentées.</p>
<h2>Les vols et cambriolages</h2>
<p>Si les violences physiques et sexuelles sont rares, il n’en va pas de même pour les atteintes aux biens. Dans les statistiques de police et de gendarmerie, l’<a href="https://oscj2.cesdip.fr/ensemble-des-vols-et-des-cambriolages/">ensemble des vols et cambriolages</a> a connu une forte augmentation dans les années 1955 à 1985, puis s’est stabilisé jusqu’au début des années 2000, avant de décroître régulièrement.</p>
<p>Dans le détail, cette baisse globale est surtout liée aux différentes formes de vols sur les personnes et les véhicules, tandis que les cambriolages connaissent des évolutions en dents de scie, avec des périodes de baisse suivies de périodes de hausse comme dans les années qui ont suivies la crise économique de 2007-2008 (graphique 3).</p>
<p>De leur côté, sur la période 1994-2017, les enquêtes de victimation indiquent une baisse tendancielle des vols personnels depuis le milieu des années 1990, une stabilité globale des vols avec violence et une stabilité globale des cambriolages de résidence principale (avec, dans le détail, une baisse importante suivie d’une remontée également après 2008).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/316914/original/file-20200224-24672-klr59m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316914/original/file-20200224-24672-klr59m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316914/original/file-20200224-24672-klr59m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316914/original/file-20200224-24672-klr59m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316914/original/file-20200224-24672-klr59m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316914/original/file-20200224-24672-klr59m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316914/original/file-20200224-24672-klr59m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316914/original/file-20200224-24672-klr59m.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=448&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Graphique 3 : évolution de la prévalence des vols personnels et des cambriolages dans la population selon les enquêtes de victimation (1994-2016). France métropolitaine. Insee, EPCV puis CVS, calculs CESDIP.</span>
<span class="attribution"><span class="source">L.Mucchielli</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Les usages et les trafics de drogues</h2>
<p>La question des drogues est elle aussi l’objet de représentations apeurées et de discours d’autorité qui se complaisent généralement dans une posture dénonciatoire, méconnaissant les résultats des recherches. Quatre séries de constats objectifs devraient pourtant orienter le débat.</p>
<p>La première est la diversité des drogues et de leurs usages. S’il existe près de 200 000 personnes souffrant d’une addiction à des drogues dites « dures » et <a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/TabTSO190308.pdf">bénéficiant le plus souvent d’un traitement de substitution aux opiacés (TSO)</a>, la population des fumeurs occasionnels ou réguliers de cannabis se chiffre elle en millions. Depuis le début de ce siècle, les usages de cocaïne ont également beaucoup augmenté.</p>
<p>La seconde série de constats est l’augmentation régulière des consommations et des trafics malgré la prohibition officielle. Cette augmentation est mesurée par l’Observatoire Français des Drogues et Toxicomanies (OFDT). Entre 1992 et 2017, le pourcentage d’adultes (18-64 ans) ayant déjà expérimenté le cannabis <a href="https://www.ofdt.fr/files/8415/8219/8332/Evolution-niveaux-d-usage-de-tabac-boissons-alcoolisees-parmi-18-75_ans-et-cannabis-parmi-18-64_ans.jpg">est passé de 13 à 45 %</a>, indiquant une banalisation du produit. Le nombre d’adultes qui souffrent d’une véritable addiction (consommation quotidienne) demeure très limité (moins de 5 % de la population) même s’il a doublé sur la même période. Chez les mineurs, ces consommations sont plus importantes en volume (environ 40 % d’expérimentateurs et 7 à 8 % de consommateurs réguliers à l’âge de 17 ans) mais <a href="https://www.ofdt.fr/files/6915/3087/7180/TEND_123_-_Evolution_2000-2017_des_niveaux_dusage_de_tabac_cigarettes_boissons_alcoolisees_et_cannabis_a_17_ans_en_.jpg">orientées plutôt à la baisse sur les 20 dernières années</a>. Cette consommation n’est donc pas une simple caractéristique de l’adolescence. De nos jours, près de 1 millions de personnes sont des consommateurs quotidiens en France et au moins 5 millions l’expérimentent dans l’année. La majorité des Français se déclare par ailleurs désormais <a href="https://www.ofdt.fr/files/9015/5560/1938/Opinions-legalisation-cannabis-DADE2019-Lb.jpg">favorable à une vente libre du cannabis</a> comme le tabac et l’alcool.</p>
<p>La troisième série de constats porte sur les trafics et systèmes de revente. Il n’existe évidemment aucun moyen de chiffrer leur prégnance et de mesurer leur évolution au moyen d’une enquête fiable et régulière. Mais il est clair qu’ils n’épargnent aucune ville grande ou moyenne. Il est également bien établi que ces trafics constituent une <a href="https://www.payot-rivages.fr/payot/livre/la-drogue-est-elle-un-probl%C3%A8me-9782228904766">économie parallèle de substitution</a> dans les quartiers où sont confinées les populations les plus pauvres et où se concentrent l’échec scolaire et le chômage des jeunes. Et qu’ils y génèrent de <a href="https://presses-universitaires.univ-amu.fr/bandits-contre-bandits-0">nombreuses violences entre réseaux de trafiquants</a>.</p>
<p>C’est là l’aspect le plus visible des trafics (celui que chacun peut constater), qui laisse toutefois dans l’ombre d’une part la partie supérieure des trafics. Ainsi les grands délinquants qui maîtrisent l’organisation internationale des trafics ne ressemblent guère aux petits « revendeurs de cités ». D’autre part les innombrables systèmes de revente fonctionnant tant dans l’interconnaissance que sur Internet, les protagonistes appartenant souvent aux classes moyennes voire supérieures (ainsi que le montrent par exemple aussi les <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01956286v2">recherches sur les trafics de cigarettes</a>).</p>
<p>Enfin, la quatrième série de constat est relative à la répression des usages et des trafics de drogues. Cette répression n’a cessé d’augmenter depuis les années 1970 avec désormais <a href="https://www.ofdt.fr/statistiques-et-infographie/series-statistiques/interpellations-et-condamnations-pour-ils-evolution-depuis-1995/">près de 200 000 poursuites policières et 160 condamnations judiciaires chaque année</a> pour des infractions à la législation sur les stupéfiants (sans compter les infractions routières). Mais cette répression 1) se concentre sur les simples usages, 2) est socialement discriminatoire (elle se concentre sur les jeunes hommes des quartiers populaires), 3) n’a d’impact majeur ni sur les consommations ni sur les trafics (qui <a href="https://ordcs.mmsh.univ-aix.fr/publications/Documents/Rapport%20final_Clos-Sauvagere.pdf">se reconstituent très rapidement après avoir été démantelés</a>).</p>
<h2>Dans la vie quotidienne, prépondérance des incivilités</h2>
<p>Les crimes et délits ne constituent pas un risque quotidien pour la population, ni le type de risque auquel cette dernière est la plus exposée.</p>
<p>Les accidents de la route, du travail, du sport et de la vie domestique <a href="https://ordcs.mmsh.univ-aix.fr/publications/Documents/PDV7_LM_ER.pdf">sont en réalité beaucoup plus fréquents</a>. Tandis que l’on compte entre 800 et 850 homicides par an dans les années 2010 en France, les <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/maladies-et-traumatismes/traumatismes">traumatismes non intentionnels entraînent chaque année environ 40 000 décès</a>, dont 21 000 décès suite à un accident de la vie courante et plusieurs millions de recours aux urgences.</p>
<p>En outre, les enquêtes de victimation mettent à jour des faits qui relèvent juridiquement des contraventions (dégradations légères, violences verbales) et n’apparaissent donc pas dans les statistiques policières de crimes et délits. Le tableau 1 présente par exemple la hiérarchie des victimations déclarées par les habitants de la ville de Marseille <a href="http://faire-savoirs.mmsh.univ-aix.fr/n/Pages/FS-11-2014-171.aspx">dans une enquête réalisée en 2014</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/316915/original/file-20200224-24659-btbznq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/316915/original/file-20200224-24659-btbznq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/316915/original/file-20200224-24659-btbznq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/316915/original/file-20200224-24659-btbznq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/316915/original/file-20200224-24659-btbznq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=352&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/316915/original/file-20200224-24659-btbznq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/316915/original/file-20200224-24659-btbznq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/316915/original/file-20200224-24659-btbznq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Tableau 1 : la prévalence des victimations et les taux de plaintes à Marseille en 2014, Source : ORDCS, enquête de victimations Marseille, 2014. Lee taux est calculé à partir des enquêtés en possession d’un deux-roues motorisé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">L.Mucchielli</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un peu plus de la moitié des personnes interrogés déclarent avoir été victimes d’au moins une victimation parmi les treize proposées.</p>
<p>Mais il s’agit avant tout de ce que l’on appelle parfois les « incivilités », les moins graves des infractions listées dans l’enquête. Ce sont d’abord des actes de vandalisme sur les véhicules, ensuite des injures ou menaces, survenues dans la ville, le plus souvent en journée, dans les différentes situations de la vie quotidienne (au volant, dans le voisinage, au travail, dans la rue).</p>
<p>Un deuxième sous-ensemble est constitué par les vols et les cambriolages, ainsi que les escroqueries et abus de confiance (utilisations et débits frauduleux de carte bancaire, escroqueries par Internet).</p>
<p>Victimation interrogée de façon inédite dans cette enquête locale, les discriminations concernent environ 8 % de la population enquêtée (principalement en raison de la couleur de peau et de l’origine).</p>
<p>Viennent enfin des victimations nettement plus rares : en ordre décroissant d’importance, les vols de voiture, les violences physiques, les violences institutionnelles (principalement des violences policières, de type propos humiliants et injures), les vols avec violences et enfin les agressions sexuelles.</p>
<h2>Une surenchère sécuritaire</h2>
<p>Au terme de ce panorama, il apparaît clairement que la prétendue hausse continue de l’insécurité relève davantage du fantasme que de la réalité. C’est la dénonciation des problèmes qui croît sans cesse, et non leur fréquence.</p>
<p>Il apparaît également que les problèmes les plus graves sont aussi les plus rares.</p>
<p>La vie quotidienne est en réalité faite d’agressivité verbale, de petits harcèlements, de petites dégradations, de petits vols, et non de meurtres, de viols ou de vols avec violence. Face à ces infractions du quotidien, souvent répétitives, de nombreux citoyens demeurent mécontents car ils ne trouvent généralement pas ou peu de réponse de la part des services publics de sécurité et de justice.</p>
<p>De fait, le surarmement technique et juridique auquel procèdent les élus nationaux et locaux apparaît décalé par rapport à ce quotidien. Il revient un peu à vouloir « écraser une mouche avec un marteau-pilon » selon l’expression populaire.</p>
<p>La police de proximité serait une solution, mais elle se heurte en France à un <a href="http://www.champsocial.com/book-la_police_contre_les_citoyens_,643.html">blocage de type idéologique qui a d’abord affecté les forces de l’Etat</a> (police et gendarmerie nationales) et qui affecte désormais aussi les polices municipales dont l’augmentation continue des effectifs va de pair avec une <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2017-2-page-239.htm">volonté d’imiter les forces nationales</a> et donc de délaisser à leur tour le traitement des petits problèmes du quotidien. C’est pourtant là que devrait se situer le débat le plus opportun à l’échelle municipale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132362/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Mucchielli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le discours sur une insécurité grandissante doit être mesuré par rapport aux enquêtes qui révèlent que c’est la dénonciation des problèmes qui croît sans cesse, et non leur fréquence.Laurent Mucchielli, Directeur de recherche au CNRS (Laboratoire méditerranéen de sociologie), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1286412019-12-15T17:53:46Z2019-12-15T17:53:46ZDéfense et changement climatique : quel modèle pour les armées de demain ?<p>L’USAWC (United States Army War College) vient de publier, le 24 octobre 2019, un rapport commandé par le général Mark Milley, chef d’état-major interarmées des forces américaines. Sobrement intitulé <a href="https://climateandsecurity.files.wordpress.com/2019/07/implications-of-climate-change-for-us-army_army-war-college_2019.pdf">« Implications of Climate Change for the U.S. Army »</a>, le rapport résulte d’une collaboration active entre plusieurs agences et corps d’armée : la DIA (Defense Intelligence Agency), la NASA, l’US Air Force, l’US Navy, l’US Army, l’US War College et le <a href="https://climateandsecurity.org/">Center for Climate and Security</a> (CFCS).</p>
<p>Il s’agissait de croiser les expertises et les données de ces différentes agences afin d’évaluer l’impact du changement climatique sur la sécurité nationale américaine d’ici à 2050, puis de produire des préconisations à destination du président Trump qui, comme chacun le sait, « ne croit pas » au réchauffement climatique. Les mises en garde et les conclusions alarmistes de ce rapport mettent clairement en lumière le manque de résilience des infrastructures énergétiques et la fragilité systémique des forces armées américaines face aux effets de l’élévation des températures et de la montée du niveau des océans.</p>
<h2>Vers un monde de plus en plus instable</h2>
<p>L’approche adoptée pour la construction du rapport se veut à la fois pragmatique, rationnelle et systémique.</p>
<p>Les rédacteurs et analystes du rapport s’appuient sur des études antérieures sérieuses, sur des données scientifiques validées et sur des observations de la NASA pour construire des prévisions cohérentes et élaborer des scénarios probables. Tous ces scénarios sont particulièrement préoccupants pour le maintien de la continuité opérationnelle des forces armées américaines.</p>
<p>Selon le rapport, la population américaine pourrait être confrontée, à l’horizon 2040-2050, à des pannes d’électricité de longue durée, à des épidémies, au manque d’eau potable, à la famine et à la guerre. Dans ce contexte fortement dégradé, l’armée des États-Unis pourrait à son tour s’effondrer et perdre ses capacités opérationnelles.</p>
<p>Les auteurs du rapport identifient deux menaces majeures provoquées par le réchauffement climatique pour les vingt prochaines années : un effondrement du réseau électrique national et l’apparition d’épidémies massives. L’augmentation des besoins énergétiques provoquée par les nouvelles conditions climatiques alternant de longues périodes de forte chaleur, de sécheresse puis de froid intense pourrait submerger un système de production et de distribution déjà fragile.</p>
<p>À l’international, l’armée américaine doit, selon le rapport, se préparer à intervenir sur de nouveaux conflits « de type syrien » déclenchés par les effets migratoires liés au réchauffement. Les analystes ont identifié le Bangladesh comme le pays le plus vulnérable à l’effondrement climatique : le déplacement permanent d’une grande partie de sa population est tout à fait probable. Ce mouvement migratoire massif provoquerait une catastrophe régionale et accroîtrait l’instabilité mondiale.</p>
<p>Ce qui impacte un pays comme le Bangladesh pourrait se généraliser, à l’échelle mondiale, aux 600 millions d’individus vivant au niveau de la mer. Une élévation de 2 mètres d’ici à 2100 pourrait déplacer plusieurs centaines de millions d’habitants, engendrant une instabilité massive sur les cinq continents. Face à ces futures menaces, les États-Unis doivent être en mesure d’intervenir au Bangladesh comme dans toutes les régions du monde déstabilisées.</p>
<p>La zone arctique, qui dispose d’importantes ressources en hydrocarbures, fera l’objet de toutes les convoitises, notamment chinoises et russes. Il s’agira pour l’armée américaine de tirer partie de ces ressources en utilisant les nouvelles routes ouvertes par la fonte des glaces tout en contrant l’expansionnisme russe dans cette zone stratégique.</p>
<p>Les auteurs du rapport insistent sur l’impréparation des États-Unis et de l’armée américaine face à un effondrement climatique, notamment dans le contexte d’interventions et de projections de forces à l’étranger. L’approvisionnement en eau constitue le premier point de contrainte pour une armée moderne intervenant en dehors du territoire national. Pour l’armée américaine, cet approvisionnement en eau représente en 2019 entre 30 % et 40 % du coût total d’une intervention extérieure ! Ce pourcentage devrait fortement dépasser les 40 % avec l’augmentation des températures de 2 degrés.</p>
<p>En outre, le stress hydrique pour les populations civiles devient un verrou opérationnel pour les personnels militaires projetés sur des zones extérieures « chaudes ». Les systèmes naturels que sont les océans, les lacs, les rivières, les nappes phréatiques, les récifs et les forêts vont être impactés par le réchauffement et le stress hydrique associé. La plupart des infrastructures critiques américaines n’ont pas été conçues pour résister à un fort stress hydrique.</p>
<p>Concernant les ressources, 80 % des exportations et 78 % des importations agricoles américaines sont d’origine hydrique, c'est-à-dire qu'elles concernent des matières premières et produits qui nécessitent de grands volumes d'eau pour les extraire ou les produire. La sécurité alimentaire mondiale pourrait être directement menacée à la fois par l’élévation des températures et par l’élévation du niveau des océans. Les infrastructures de transport devraient elles aussi être impactées par le réchauffement, tout comme le réseau électrique national, qui pourrait s’effondrer en raison de plusieurs facteurs de stress induits par le déficit hydrique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/306130/original/file-20191210-95173-1aoj188.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/306130/original/file-20191210-95173-1aoj188.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/306130/original/file-20191210-95173-1aoj188.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/306130/original/file-20191210-95173-1aoj188.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/306130/original/file-20191210-95173-1aoj188.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/306130/original/file-20191210-95173-1aoj188.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/306130/original/file-20191210-95173-1aoj188.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des lignes à haute tension en proie aux flammes durant un incendie en Californie, 11 octobre 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">David Mcnew/AFP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des solutions qui restent à imaginer</h2>
<p>Le rapport met également l’accent, en sus du constat, sur les solutions qui peuvent permettre de répondre, pour les forces armées, au défi de l’adaptation à ces nouvelles conditions.</p>
<p>La principale solution envisagée est l’électrisation des forces et des systèmes, qui reposerait notamment sur une évolution profonde des systèmes énergétiques militaires actuels. La doctrine de l’Alliance atlantique – formalisée au travers de la <a href="https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/778365/20190122-doctrine_nato_logistics_ajp_4.pdf">Allied Joint Publication 47</a>. – repose sur l’utilisation d’une source énergétique unique : le carburant aéronautique utilisé tant pour les opérations que pour la production d’électricité sur les bases.</p>
<p>Les dangers que fait peser la chaîne logistique pétrolière sur les forces armées, de même que la faible efficience énergétique du système qui n’a, par essence, que peu de redondance, conduit depuis des années les armées occidentales à envisager des modèles alternatifs. Les États-Unis ont d’ailleurs longtemps été des leaders sur ce sujet, jusqu’à ce que l’arrivée au pouvoir de l’administration Trump ne mette tout en sommeil. </p>
<p>La réémergence, manifestée par ce rapport, de l’idée qu’il est nécessaire de repenser l’énergie opérationnelle militaire, se combine aux efforts conduits par les autres nations de l’Alliance atlantique au travers des travaux du <a href="https://www.enseccoe.org/en">Centre d’excellence sur la sécurité énergétique de Vilnius (ENSEC-COE)</a> ainsi que des orientations européennes, poussées par la France, dans le cadre de la <a href="https://pesco.europa.eu/project/energy-operational-function/">Coopération structurée permanente</a>. Ces travaux otaniens et européens ont notamment conduit à des projets de camps expéditionnaires multi-énergies avec, au côté des groupes électrogènes, des systèmes renouvelables (panneaux solaires conteneurisés notamment) et des systèmes de pilotage et de bascule intelligents.</p>
<p>Au-delà du passage d’un modèle tout-hydrocarbure à un modèle mixte hydrocarbure-électrique, il importe de prendre en compte l’enjeu majeur que représentent les technologies d’efficacité énergétique, que ce soit dans la gestion de la production et de la distribution d’électricité dans les systèmes que dans le stockage de l’énergie.</p>
<p>La gestion et le stockage sont les deux grands axes de développement aujourd’hui envisagés qui font par ailleurs appel à des technologies par essence civiles, comme les batteries lithium-ion, les piles à combustible ou les systèmes de gestion de réseau. L’efficacité semble ainsi être le mot-clé dans cette nouvelle vision de l’énergie militaire opérationnelle puisque, grâce à elle – même en conservant des systèmes fondés sur un carburant unique –, il est possible d’obtenir des gains opérationnels importants. La même logique se retrouve dans la gestion de l’eau et des déchets où l’enjeu d’une approche raisonnée et efficiente est le principal défi auquel la logistique sera confrontée dans les années à venir.</p>
<p>Les conflits des années 2000 (Liban, Kosovo, etc.) ayant démontré l’innocuité des actions militaires sans implication directe au sol, la présence des forces armées sur le terrain, au contact des populations et des ennemis, demeure une nécessité absolue. Dans ce contexte, il importe de trouver des solutions pour résoudre l’équation de l’implication territoriale dans des environnements dégradés.</p>
<h2>La robotisation, solution partielle ?</h2>
<p>Au-delà des technologies précitées qui entrent directement dans le périmètre de l’adaptation aux changements climatiques, il importe également d’examiner dans cette optique certaines évolutions technologiques de fond des armées. Parmi elles, la robotisation des forces armées – quel que soit le milieu d’emploi d’ailleurs – constitue une réponse partielle aux enjeux, en particulier logistiques, des théâtres d’opération.</p>
<p>La permanence sur une zone – notamment dans des milieux hostiles à l’homme – est l’une des principales caractéristiques des systèmes robotisés. Les modèles de drones marins et sous-marins en cours de développement ou d’expérimentation en particulier aux États-Unis, offrent la possibilité d’effectuer un contrôle de zone continu, lequel peut être de différentes natures selon les missions envisagées (guerre des mines, contrôle de frontières, relais de communication, etc.) ou les capteurs-effecteurs embarqués (radar, sonar, etc.). Identiquement, les robots terrestres permettent de disposer d’une allonge plus importante ainsi que de capacités plus variées, développant le potentiel d’action des groupes de combat d’infanterie en leur offrant un panorama de vision plus large (contrôle spatial, interaction avec le domaine électromagnétique, infrarouge, etc.) ou un spectre de missions plus étendu. </p>
<p>Avec des systèmes plus économes en énergie, en eau et en nourriture que les formats de force actuels, les forces armées du futur pourraient ainsi soit conserver leur capacité d’action malgré la dégradation des territoires soit, dans une vision plus optimiste, disposer de meilleures capacités pour un coût équivalent.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ku7EGZ6eMJM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Toutefois cette vision implique d’importantes capacités industrielles et technologiques liées au cyber. Il s’agit en effet de disposer ici d’engins embarquant des capteurs, des systèmes de traitement et des effecteurs, véritables systèmes d’information mobiles. Il y a donc un enjeu fort dans l’acquisition, le stockage et le traitement des données d’une part, ainsi que dans les systèmes de gestion et de pilotage d’autre part. La logique de systèmes militaires conditionnés par les données implique ainsi des efforts substantiels dans l’intelligence artificielle, la cybersécurité des plates-formes, la résilience électromagnétique, la protection des protocoles de communication ; sans même parler de l’efficacité énergétique de l’ensemble (et donc des batteries ou piles à combustible déjà mentionnées). L’enjeu est donc ici une maîtrise de la donnée et de sa chaîne de valeur – dont certains éléments seront sans doute issus du monde civil – tout autant que des effecteurs eux-mêmes.</p>
<h2>Presque tout reste à faire…</h2>
<p>La réémergence d’une vision des enjeux des changements climatiques par les forces armées américaines est salutaire. Alors que le changement d’administration avait mis en sommeil toutes les initiatives – y compris les plus avancées –, le retour au réalisme militaire semble en marche. Dans le même temps, les Européens, la <a href="https://www.defense.gouv.fr/salle-de-presse/discours/discours-de-florence-parly/discours-de-florence-parly-2e-regiment-etranger-de-genie-saint-christol">France en tête</a>, prennent toujours plus en compte ces questions. Le moteur économique et technologique de l’espace euro-atlantique retrouve donc une position importante sur ce sujet.</p>
<p>Certes, ce rapport ne constitue pas encore une doctrine et de nombreux efforts restent à faire. Mais des pistes technologiques, cohérentes avec les orientations prises ces dernières années, se dessinent toujours davantage. À l’image de Lénine qui définissait le communisme selon l’équation « soviets + électricité », l’approche des forces armées du futur face aux enjeux des nouveaux environnements dégradés pourrait être « données + électricité ». La robotisation et la numérisation des forces armées, en marche depuis plus d’une décennie, doivent maintenant se combiner avec des technologies d’efficacité énergétique pour aboutir à des modèles pérennes qui permettront de continuer à remplir les obligations internationales et le spectre des missions des armées, tout en garantissant leur adéquation aux évolutions de long terme du monde ; pour les militaires, il s’agit, en quelque sorte, de réconcilier la fin du monde et la fin du mois.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128641/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Mazzucchi conseille ministère des Armées. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Thierry Berthier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un rapport rédigé conjointement par plusieurs grandes agences américaines met en évidence le profond impact que le changement climatique aura sur les affaires militaires dans les prochaines décennies.Thierry Berthier, Maitre de conférences en mathématiques, cybersécurité et cyberdéfense, chaire de cyberdéfense Saint-Cyr, Université de LimogesNicolas Mazzucchi, Chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, responsable du module risque de l’Executive Master « énergie, environnement et régulation » à Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1283612019-12-09T19:43:03Z2019-12-09T19:43:03ZVenezuela : bientôt la première crise migratoire mondiale<p><a href="https://r4v.info/es/situations/platform">4,6 millions de Vénézuéliens</a>, soit plus de 15 % de la population, ont quitté leur pays au cours de ces dernières années, un phénomène ancien qui augmente de manière exponentielle depuis 2017. En ampleur numérique, il s’agit du quatrième phénomène au niveau mondial, derrière les théâtres d’intervention étasuniens de ces dernières décennies (Syrie, Irak et Afghanistan), mais du premier en dehors des pays en guerre.</p>
<p>Cet exode s’accentue. Selon l’envoyé spécial de l’ONU sur les migrations vénézuéliennes, Eduardo Stein, ils seront <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/press/2019/11/5dcc50fda/refugies-migrants-venezueliens-lancement-dun-plan-regional-daide-135-milliard.html">6,5 millions</a> dès l’année prochaine à être partis, provoquant la principale crise migratoire de la planète.</p>
<p>La population vénézuélienne est aujourd’hui disséminée dans plus de 90 pays dans le monde. 80 % des Vénézuéliens qui ont quitté leur pays se trouvent en Amérique latine : plus de 1,4 million dans la Colombie voisine, 0,9 million au Pérou à plusieurs milliers kilomètres du Venezuela, 0,4 million en Équateur et autant au Chili… Les Vénézuéliens sont donc sans surprise les plus nombreux à mourir sur les routes migratoires latino-américaines. Sur le premier semestre 2019, 89 d’entre eux ont ainsi perdu la vie en mer des Caraïbes, et 17 autres étaient morts d’hypothermie ou d’arrêt respiratoire en septembre 2018, en essayant de traverser le Páramo de Berlin, une zone de haute montagne à la frontière colombienne.</p>
<p>Ces chiffres apparaissent infinitésimaux au regard des tragédies que nous connaissons en Méditerranée, pour des raisons géographiques simples : la migration vénézuélienne s’opère essentiellement par voie terrestre. Mais les risques seront accrus si le phénomène, comme prévu, continue de prendre de l’ampleur.</p>
<h2>Une émigration à l’ampleur nouvelle</h2>
<p>Pour le Venezuela, cette émigration massive est d’autant plus déstabilisante que le pays était traditionnellement une terre d’accueil, pour les Latino-américains et pour les Européens fuyant les régimes autoritaires ou attirés par son abondance pétrolière. Le 18 février 1983, le <em>Viernes Negro</em> (vendredi noir), jour de la première dévaluation de la monnaie nationale, le bolívar, est le début d’une crise économique aiguë. Celle-ci se double d’une crise politique jusqu’à l’arrivée d’Hugo Chávez au pouvoir en 1999, qui inverse peu à peu les flux migratoires.</p>
<p>Sous Hugo Chávez, ce sont principalement les classes possédantes qui fuient le pays, en invoquant l’insécurité physique et les incertitudes politiques plus que des motifs économiques. Après l’accession à la présidence en 2013 de Nicolás Maduro, on constate une généralisation du phénomène, qui touche désormais tous les secteurs de la société, des plus aisés aux plus déshérités.</p>
<p>Des chercheurs qui ont étudié un échantillon de 12 957 migrants vénézuéliens à destination <a href="https://www.cpalsocial.org/documentos/830.pdf">du Pérou, de l’Équateur, de la Colombie et du Chili</a>, ont mis au jour les principales caractéristiques de ces émigrés. La majorité d’entre eux a moins de trente ans et leur motivation est principalement économique. 8 migrants sur 10 évoquent la recherche de meilleures opportunités de travail, et plus de 70 % d’entre eux souhaitent aider économiquement un proche.</p>
<p>L’invocation de causes politiques est plus rare. La moitié mentionne un manque d’accès à l’emploi, au logement ou à la retraite pour des raisons politiques et autour de 10 % évoquent des persécutions politiques à proprement parler. Pour les autres, l’émigration est purement économique.</p>
<h2>Un président aveuglé</h2>
<p>La réaction du gouvernement de Nicolás Maduro à cette crise peut être résumée en trois aspects : le mépris, l’euphémisation et la volonté de rapatriement. Le mépris se manifeste dans des phrases récurrentes des principaux responsables de l’exécutif vénézuélien, notamment du chef de l’État en personne <a href="https://www.youtube.com/watch?v=F9tkFDq-J_8">qui a notamment accusé les migrants vénézuéliens</a> d’être abusé par « l’offre fausse de la droite », assurant qu’ils partent pour « profiter des miels d’autres pays et terminent en récurant les toilettes, comme esclaves et mendiants ».</p>
<p>L’euphémisation peut être constatée dans l’une des rares estimations de Nicolás Maduro lors d’un entretien télévisé <a href="https://www.dailymotion.com/video/x71s5q5">début février 2019</a>, où il évalue l’émigration à entre 0,6 et 0,8 million de personnes. La volonté de rapatriement s’incarne dans la mise en place du plan « Vuelta a la patria » (retour à la patrie). Selon les données du gouvernement, 15 946 Vénézuéliens en auraient bénéficié, soit 0,3 % du total des migrations. Or le rythme de l’émigration est actuellement estimé à 5 000 partants par jour, c’est-à-dire que le solde migratoire du plan « Vuelta a la patria » est atteint en seulement trois jours.</p>
<p>Initialement, les migrants ont reçu dans les pays latino-américains voisins un accueil plutôt favorable, fidèle à la <a href="https://www.unhcr.org/fr/about-us/background/4b14f4a5e/declaration-carthagene-refugies-adoptee-colloque-protection-internationale.html">Déclaration de Carthagène</a> de 1984. Contrairement au Vieux Continent, on n’a pas vu émerger de forces politiques capitalisant électoralement sur la xénophobie ressentie par les locaux à l’égard de ces populations fraîchement arrivées. Aux élections municipales de Lima, le candidat Ricardo Belmont a expérimenté ce positionnement et l’a payé par une cuisante défaite, n’obtenant que 3,9 % des suffrages exprimés. Au Brésil, la campagne présidentielle victorieuse du dirigeant d’extrême droite Jair Bolsonaro s’est davantage fondée sur la lutte contre l’insécurité et la corruption que sur le rejet des migrants vénézuéliens.</p>
<h2>Des discriminations en hausse</h2>
<p>Si l’accueil initial apparaissait plus humaniste que le rejet constaté en Europe, on assiste depuis quelques mois à une tendance à la fermeture des frontières, principalement <a href="https://theconversation.com/comment-le-perou-a-ferme-la-porte-aux-migrants-venezueliens-126321">au Chili, en Équateur et au Pérou</a>, condamnant des milliers de Vénézuéliens à se déplacer dans l’illégalité.</p>
<p>Si la xénophobie ne s’exprime pas pour l’heure électoralement, les discriminations visant les « venecos » (surnom péjoratif attribué aux Vénézuéliens) se multiplient. On peut ainsi citer l’attaque en août 2018 d’un camp de migrants vénézuéliens à Pacaraima, à la frontière brésilienne, ou le vote sur l’expulsion des Vénézuéliens sous deux mois dans le district de Pichari au Pérou en octobre 2019. Des responsables politiques ont également tenu des propos inquiétants : Esther Saavedera, parlementaire péruvienne du parti fujimoriste (partisans de l’ancien autocrate Alberto Fujimori), <a href="https://www.youtube.com/watch?v=K1zzSsPWoAo">a déclaré en septembre 2019</a> : « Bons ou mauvais, ils doivent partir du Pérou ! » Le président équatorien Lenin Moreno <a href="https://www.elcomercio.com/actualidad/moreno-brigadas-control-venezolanos-ecuador.html">a quant à lui appelé</a> à « la formation immédiate de brigades pour contrôler la situation légale des immigrants vénézuéliens » quelques heures après un assassinat commis par un Vénézuélien en janvier 2019.</p>
<p>Au-delà de ces faits isolés, les entretiens du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés indiquent en octobre 2019, que <a href="https://apnews.com/9a87709dd6794ebb975bf770bc83f10e">46,9 % des Vénézuéliens se sont sentis discriminés à travers l’Amérique latine, contre 36,9 % au début de l’année</a>.</p>
<p>Aux États-Unis également, le sort des Vénézuéliens est un enjeu de discorde. Les sanctions économiques imposées depuis 2017 asphyxient encore davantage l’économie du pays. À l’instar de ce qui est imposé à l’égard de Cuba, ces mesures limitant le commerce sont généralement conjuguées à des facilités migratoires. Le statut de protection spéciale (<em>temporary protected status</em>, TPS) concède ainsi des permis de séjour de manière extraordinaire aux citoyens de nations affectées par des conflits ou des désastres naturels.</p>
<p>Une loi étendant ce dispositif aux Vénézuéliens a été votée en juillet 2019 par la Chambre des Représentants à majorité démocrate mais <a href="https://www.miamiherald.com/news/local/news-columns-blogs/andres-oppenheimer/article235948032.html">se heurte à l’opposition des républicains et de Donald Trump</a>, qui refusent toute concession sur la thématique de l’immigration si chère à leur électorat. L’ensemble des principaux candidats à la primaire démocrate se sont affirmés favorables à l’octroi du TPS aux Vénézuéliens, sujet qui ne manquera pas de devenir un enjeu de la prochaine élection présidentielle de 2020.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128361/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Posado est membre du Conseil d’Administration du Groupe d’Etudes Interdisciplinaires sur le Venezuela (GEIVEN), association loi 1901 rassemblant des chercheurs travaillant sur le Venezuela. </span></em></p>Depuis le début de la crise, le pays connaît un véritable exode, dont les raisons sont principalement économiques.Thomas Posado, Chargé de cours, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1257662019-10-25T03:04:06Z2019-10-25T03:04:06ZCinq conseils pour survivre dans un monde de plus en plus incertain<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/298311/original/file-20191023-119414-w5fzz9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Qu'est-ce que l'avenir nous réserve - et comment allez-vous faire face à l'avenir ?</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Une étude récente a montré que les Nord-Américains <a href="https://doi.org/10.1080/16506073.2018.1476580?journalCode=sbeh20">sont de moins en moins tolérants face à l'incertitude</a>.</p>
<p>Aux États-Unis, l'enquête sur la destitution présidentielle a ajouté une autre couche d'incertitude à une situation déjà instable qui inclut la polarisation politique et les effets du changement climatique. </p>
<p>Un nouveau mot « écoanxiété » a émergé, réflétant cette angoisse planétaire, largement présente chez les jeunes du monde entier, face aux changements climatiques.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lecoanxiete-mene-au-retour-de-laction-citoyenne-122151">L'écoanxiété mène au retour de l'action citoyenne</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>En tant que <a href="https://arlingtonbehaviortherapy.com/staff/drkpsychologist/">psychologue clinicienne</a> dans la région de Washington, D.C., j'entends des gens me dire qu'ils sont stressés, anxieux, inquiets, déprimés et en colère. En effet, une étude de l'American Psychological Association <a href="https://www.apa.org/news/press/releases/stress/2017/state-nation.pdf">publiée en 2017</a> a révélé que 63 pour cent des Américains étaient stressés par « l'avenir de notre nation », et 57 pour cent par le « climat politique actuel ». </p>
<p>Dans la plupart des cas, les humains n'aiment pas l'incertitude. Mais certains y font face mieux que d'autres. De nombreuses études <a href="https://doi.org/10.1111/cpsp.12077">établissent un lien entre une intolérance élevée à l'incertitude</a> et l'anxiété et les troubles anxieux, le trouble obsessionnel-compulsif, la dépression, le syndrome de stress post-traumatique (SSPT) et les troubles alimentaires.</p>
<p>Bien que personne ne puisse à lui seul réduire l'incertitude actuelle dans le monde, vous pouvez apprendre à réduire votre propre intolérance à l'incertitude en mettant en œuvre ces stratégies scientifiquement fondées. </p>
<h2>1. S'engager à faire face progressivement à l'incertitude</h2>
<p>Même si nous rencontrons des situations inattendues presqu'à tous les jours, <a href="https://doi.org/10.1016/j.cbpra.2018.07.007">la plupart d'entre nous évitons de ressentir cet inconfort associée à l'incertitude </a>. </p>
<p>Par exemple, si un changement d'affectation au travail vous insécurise, vous allez immédiatement demander de l'aide, faire des recherches exhaustives ou tergiverser. Tandis que vous vous préparez pour la journée, vous allez vérifier à maintes reprises sur votre cellulaire la météo ou l'état de la circulation. Vous sachez où se trouvent les membres de votre famille en regardant une nouvelle fois sur votre cellulaire, aussitôt que vous en ressentez le besoin. Vos émotions peuvent être instantanément satisfaites en envoyant des SMS ou en consultant les médias sociaux. </p>
<p>Tout cela afin d'éviter toute forme d'incertitude. Cela mène à un soulagement à court terme, <a href="https://doi.org/10.1016/j.cbpra.2012.09.001">mais réduit votre capacité à tolérer tout ce qui n'est pas une certitude absolue à plus long terme</a>. </p>
<p>La tolérance à l'incertitude, c'est comme un muscle qui s'affaiblit s'il n'est pas utilisé. Il faut donc travailler ce muscle la prochaine fois que vous vivrez un moment d'incertitude. </p>
<p>Commencez progressivement : résistez à l'envie de vérifier votre GPS la prochaine fois que vous vous perdez, du moins si vous n'êtes pas pressé par le temps. Ou allez assister à un concert sans googler le nom du groupe au préalable. Puis, essayez de vous asseoir calmement tout en maîtrisant vos sentiments d'incertitude avant d'envoyer des messages à votre adolescent lorsqu'il est en retard. Avec le temps, <a href="https://doi.org/10.1017/bec.2014.5">l'inconfort diminuera</a>.</p>
<h2>2. Se connecter à un but plus grand</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/297553/original/file-20191017-98648-1h3q2fc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/297553/original/file-20191017-98648-1h3q2fc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/297553/original/file-20191017-98648-1h3q2fc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/297553/original/file-20191017-98648-1h3q2fc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/297553/original/file-20191017-98648-1h3q2fc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/297553/original/file-20191017-98648-1h3q2fc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/297553/original/file-20191017-98648-1h3q2fc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/297553/original/file-20191017-98648-1h3q2fc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Rita Levi-Montalcini.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Rita_Levi_Montalcini.jpg">Presidency of Italian Republic/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Rita Levi-Montalcini était une jeune scientifique juive prometteuse lorsque les fascistes sont arrivés au pouvoir en Italie. Elle a dû se cacher. Alors que la Seconde Guerre mondiale faisait rage, elle a installé un laboratoire secret dans la chambre de ses parents, étudiant la croissance cellulaire. <a href="https://www.imdb.com/title/tt0118947/">Elle dira plus tard</a> que le sens qu'elle a alors puisé de son travail l'a aidé à faire face à la terrible situation qui s'évissait à l'extérieur et à l'incertitude absolue de craindre de se faire découvrir.</p>
<p>Qu'est-ce qui donne un sens à votre vie ? <a href="https://doi.org/10.3109/01612849609049916">Trouver ou redécouvrir le sens de votre vie peut vous aider à faire face à l'incertitude</a>, et <a href="https://doi.org/10.1002/smi.1095">au stress et à l'anxiété</a> qui y sont liés. </p>
<p>Se concentrer sur ce qui peut transcender l'existence humaine - qu'il s'agisse de religion, de spiritualité ou de dévouement à une cause - <a href="https://doi.org/10.1002/jclp.20798">peut diminuer les inquiétudes liées à l'incertitude</a> et <a href="https://doi.org/10.1037/rel0000123">la dépression</a>. </p>
<h2>3. Ne sous-estimez pas votre capacité d'adaptation</h2>
<p>Vous détestez sans doute l'incertitude parce que vous craignez votre réaction si les choses allaient mal. Et vous vous méfiez de votre capacité à faire face aux événements négatifs que la vie vous impose. </p>
<p>La plupart des gens <a href="https://doi.org/10.1111/j.0963-7214.2005.00355.x">surestiment à quel point ils seront anéantis</a> si quelque chose de terrible survient. Ils ont aussi tendance à sous-estimer leurs capacités d'adaptation.</p>
<p>Il s'avère que les humains <a href="https://psycnet.apa.org/record/2004-10043-003">sont généralement résilients</a>, même face à des événements très stressants ou traumatisants. Si un événement redouté se matérialise, il y a de fortes chances que vous vous en sortiez mieux que vous ne pouvez l'imaginer maintenant. Rappelez-vous le lorsque vous êtes envahis par un sentiment d'impuissance ou d'incertitude.</p>
<h2>4. Renforcer la résilience en augmentant l'autosoin</h2>
<p>Vous avez probablement déjà entendu plusieurs fois ces conseils: dormez bien, faites de l'exercice et priorisez les relations sociales si vous voulez avoir une vie longue et heureuse. </p>
<p>Ce que vous ignorez peut-être, c'est que la quantité et la qualité du sommeil sont aussi <a href="https://www.mdpi.com/1660-4601/16/18/3253">liées à votre capacité de composer avec l'incertitude</a>. L'exercice, surtout l'exercice cardiovasculaire, peut <a href="https://doi.org/10.1016/j.brat.2018.11.007">augmenter votre capacité à faire face à des situations incertaines</a> et <a href="https://doi.org/10.1080/16506073.2015.1047286?journalCode=sbeh20">diminuer votre stress, votre anxiété et votre dépression</a>. Une nouvelle étude de synthèse suggère que l'exercice régulier pourrait même <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/31542132">prévenir l'apparition de l'anxiété et des troubles anxieux</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/linsomnie-est-un-drame-que-propose-la-science-113314">L'insomnie est un drame. Que propose la science ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Le meilleur outil pour faire face à l'incertitude est probablement de s'assurer que vous avez une vie sociale active et significative. La solitude <a href="https://doi.org/10.1016/j.janxdis.2016.04.012">sape le sentiment de sécurité d'une personne</a>
et sa confiance devant la nature imprévisible de la vie. </p>
<p>Le fait d'avoir atour de soi des parents et des amis donne le sentiment que « nous sommes tous dans le même bateau », ce qui <a href="https://psycnet.apa.org/buy/2017-36583-002">peut vous protéger de problèmes psychologiques et physiques</a>. </p>
<h2>5. Appréciez le fait qu'il est impossible d'avoir une certitude absolue</h2>
<p>Rien n'est certain dans la vie. Plus vite vous commencerez à le réaliser, plus il vous sera facile d'y faire face.</p>
<p>De plus, les tentatives répétées de prédire et de contrôler tout ce qui se passe dans la vie peuvent se retourner contre nous, <a href="https://psycnet.apa.org/record/2010-13523-001">menant à des problèmes psychologiques comme les TOC</a>, les troubles obsessionnels compulsifs. </p>
<p>Malgré les grands progrès de la civilisation, l'illusion d'un contrôle absolu de l'humanité sur son environnement et son destin n'en reste pas moins une illusion. Mon conseil: embrassez la réalité de l'incertitude et profitez du voyage.</p>
<p>[ <em>Ne manquez aucun de nos articles écrits par nos experts universitaires.</em> <a href="https://theconversation.com/ca-fr/newsletters?utm_source=TCCA-FR&utm_medium=inline-link&utm_campaign=newsletter-text&utm_content=expert">Abonnez-vous à notre infolettre hebdomadaire</a>. ]</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125766/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jelena Kecmanovic ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La tolérance à l'incertitude est comme un muscle qui s'affaiblit s'il n'est pas utilisé. Alors, travaillez ce muscle la prochaine fois que vous ferez face à une situation inconnue.Jelena Kecmanovic, Adjunct Professor of Psychology, Georgetown UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1225662019-09-05T18:38:18Z2019-09-05T18:38:18ZComment s’explique la prolifération des groupes extrémistes au Burkina Faso ?<p>Le Burkina Faso, qui avait échappé jusque-là à l’instabilité régionale causée parla chute du régime libyen en 2011, a vu sa résilience s’effriter progressivement par les soubresauts politiques connus par le pays à la suite de l’insurrection populaire de l’automne 2014. Depuis cette période, le Burkina Faso présente un environnement sécuritaire précaire, soumis à des périls divers. Depuis 2016, le pays est ainsi menacé par des groupes djihadistes venus du Mali et qui ont trouvé dans la région du Sahel burkinabé un terreau propice pour se développer.</p>
<p>Progressivement, le djihadisme est devenu endogène, incarné par certaines figures burkinabés comme l’imam <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/12/21/jafar-dicko-le-nouveau-visage-du-djihadisme-au-burkina-faso_5232877_3212.html">Malam Dicko</a>. Si ces groupes djihadistes utilisent toujours le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/23/du-mali-au-burkina-faso-une-spirale-de-violence_5480307_3210.html">Mali comme base arrière</a>, ils s’appuient de fait, en grande majorité, sur des citoyens du Burkina Faso.</p>
<p>Certains opéraient au Mali depuis 2012 dans les rangs d’<a href="https://www.huffingtonpost.fr/news/al-qaida-au-maghreb-islamique/">Al-Qaïda au Maghreb islamique</a> et <a href="https://www.huffpostmaghreb.com/news/ansar-dine/">Ansar Dine à Tombouctou</a>, ou dans les rangs du <a href="https://www.un.org/securitycouncil/fr/sanctions/1267/aq_sanctions_list/summaries/entity/mouvement-pour-l%E2%80%99unification-et-le-jihad-en">Mouvement pour l’unification et le jihad en Afrique de l’Ouest</a> (MUJAO) dans le <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20190401-mali-barkhane-region-gourma-terrorisme-sahel-france">Gourma</a> et dans le cercle d’<a href="https://reliefweb.int/report/mali/analyse-locale-des-dynamiques-de-conflit-et-de-r-silience-dans-les-cercles-d-ansongo">Ansongo</a>. Ils ont réorienté leurs actions sur le Burkina Faso à partir de 2016. D’autres, nouvellement engagés dans la nébuleuse djihadiste, ont été recrutés sur la base de facteurs proprement locaux – qu’ils soient sociaux, religieux, économiques ou politiques.</p>
<h2>Une forte expansion géographique</h2>
<p>Si la région du Sahel reste un sanctuaire pour les groupes djihadistes évoluant au Burkina, ils n’ont eu de cesse de changer de stratégies en s’adaptant à l’évolution de la situation, et d’y étendre leurs attaques d’ouest en est en prenant le soin de faire à chaque fois la jonction entre les différentes zones : dans les régions du Nord et de la Boucle du Mouhoun depuis 2017, et jusqu’à la région de l’est du pays depuis le printemps 2018. Mais, depuis le début de l’année 2019, les régions qui concentrent les plus grands nombres d’attaques sont le centre-nord et le Sahel.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291144/original/file-20190905-175700-fdnhyy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291144/original/file-20190905-175700-fdnhyy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291144/original/file-20190905-175700-fdnhyy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291144/original/file-20190905-175700-fdnhyy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291144/original/file-20190905-175700-fdnhyy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291144/original/file-20190905-175700-fdnhyy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291144/original/file-20190905-175700-fdnhyy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Leur zone d’action a changé et s’est donc énormément étendue, de façon progressive et méthodique. L’année 2019 semble être une phase de consolidation des zones occupées avec un forte pression et un harcèlement régulier et intense sur toutes les provinces du Sahel, et particulièrement celle autour de la région du centre-nord qui semble être désormais leurs cibles privilégiées.</p>
<p>Cet enchaînement bien orchestré et méthodique pourrait laisser croire qu’une stratégie bien élaborée a été mise et un agenda et/ou qu’un plan serait en train d’être déroulé sans encombre. Car la réponse des autorités paraît inadaptée devant un ennemi qui semble avoir chaque fois en avance et disposer d’une capacité d’anticipation sur les stratégies de mise en place par l’État.</p>
<h2>Focalisation sur les zones rurales</h2>
<p>Le mode de conquête des groupes terroristes semble être focalisé sur les zones rurales, là où l’absence de l’État est marquée, mais aussi paradoxalement par sa présence. Les populations délaissées par le pouvoir central se sont retrouvées face à des groupes extrémistes, ces derniers pouvant distiller leurs discours radicaux au sein des communautés d’autant plus facilement qu’aucune autorité n’était présente pour déconstruire leurs discours. Ce qui a permis d’accentuer davantage cette mauvaise perception que les populations ont de l’État.</p>
<p>À l’inverse, donc, sa présence a parfois contribué à faire basculer la population du côté des groupes extrémistes, celui-ci étant perçu dans certaines zones comme l’entité qui réduit les opportunités des populations rurales au profit des populations urbaines (vente des terres, des réserves, industrialisation du secteur minier aux dépens de l’exploitation artisanale). Une telle situation a été très bien exploitée par les groupes extrémistes pour s’implanter.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291126/original/file-20190905-175686-1lno0gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291126/original/file-20190905-175686-1lno0gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291126/original/file-20190905-175686-1lno0gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291126/original/file-20190905-175686-1lno0gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291126/original/file-20190905-175686-1lno0gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291126/original/file-20190905-175686-1lno0gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291126/original/file-20190905-175686-1lno0gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Carte du niveau de sécurité dans le Sahel (avril 2019).</span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ils ont ainsi créé des sanctuaires là ou l’État a produit de la violence. La particularité des groupes extrémistes au Burkina, c’est qu’ils ne s’installent pas dans les zones qu’ils ont conquises. Ils ont adopté un style de gouvernance à distance aidée par l’absence de l’État, en profitant de la faiblesse du maillage sécuritaire.</p>
<h2>Un recrutement de plus en plus local</h2>
<p>À l’origine, les combattants des groupes terroristes au Burkina étaient majoritairement exogènes et les recrutements se faisaient en dehors des frontières burkinabè. Les premières attaques sur la capitale Ouagadougou ont été revendiquées en janvier 2016 par Aqmi.</p>
<p>Depuis un certain temps, leur stratégie d’occupation du territoire ainsi que leur mode de recrutement ont changé, devenant de plus en plus local, principalement dans leurs bastions.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291129/original/file-20190905-175678-15t97gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291129/original/file-20190905-175678-15t97gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291129/original/file-20190905-175678-15t97gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291129/original/file-20190905-175678-15t97gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291129/original/file-20190905-175678-15t97gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291129/original/file-20190905-175678-15t97gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291129/original/file-20190905-175678-15t97gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour augmenter le nombre de leurs adeptes, ils ont su exploité les désordres locaux, et sont passés maîtres dans l’art d’alimenter les tensions sociales, et d’attiser les conflits communautaires. <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20190404-burkina-conflits-communautaires-arbinda-yirgou">Citons les drames de Yirgou et celui d’Arbinda</a> dont ont les accuse d’être les instigateurs.</p>
<p>Mais il ne faut pas non plus perdre de vue que l’État et l’armée dans la lutte contre les groupes extrémistes ont utilisé des méthodes et adopté des attitudes qui ont fini par faire basculer ceux qui étaient encore résiliant zones. Les tensions communautaires et les exactions commises par les forces de défense et de sécurité drainent de nouveaux adeptes vers les groupes djihadistes/</p>
<h2>Une cible prédéfinie et bien localisée</h2>
<p>Les groupes terroristes au Burkina Faso se caractérisent par la nature de leurs cibles, lesquelles sont clairement identifiées et localisées : tout ce qui est symbole de l’État, les forces de défenses et de sécurité et les autorités coutumières. Ils constituent 75 % à 80 % des cibles de ces attaques.</p>
<p>Ce faisant, les terroristes s’assurent non seulement la sympathie d’une partie de la population, tout en s’érigeant en justiciers venant au secours du peuple opprimé par son propre État prétendument instrumentalisé par les puissances occidentales.</p>
<p>C’est, en tout cas, ce type de messages qu’ils véhiculent pour justifier le fait de s’en prendre aux symboles de l’État.</p>
<h2>Qui sont ces groupes ?</h2>
<p>Deux grands groupes sont clairement identifiés : le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS). Autour d’eux gravitent des petits groupes plus ou moins structurés.Ils ne constituent pas un front uni mais forment une alliance de circonstance.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-sexpliquent-les-attaques-contre-la-communaute-chretienne-au-burkina-faso-118751">Comment s’expliquent les attaques contre la communauté chrétienne au Burkina Faso ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Dans le nord du Burkina, le GSIM agit avec comme un mode opératoire bien défini : enlèvements, attaques contre les symboles de l’État et pose d’IED. Il est le chef de file de ces groupes dans la zone et autour de lui gravite Ansarul Islam (du moins, ce qui reste de ce groupe <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/12/21/jafar-dicko-le-nouveau-visage-du-djihadisme-au-burkina-faso_5232877_3212.html">après le décès de Malam Dicko</a>) et des groupuscules de trafiquants et criminels.</p>
<p>Ces petits groupes locaux mènent leurs activités criminelles sous la protection du GSIM et surtout avec son appui logistique et technique. En contrepartie, ils contribuent à déstabiliser la région par leurs attaques et les enlèvements.</p>
<p>À l’Est opère l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) qui mènent des attaques complexes et très violentes. Celui-ci est bien implanté dans le septentrion de la région de l’Est, à cheval entre le Niger et le Burkina. Il contrôle la presque totalité des sites d’or de la zone.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291145/original/file-20190905-175710-tsu1sy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291145/original/file-20190905-175710-tsu1sy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291145/original/file-20190905-175710-tsu1sy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291145/original/file-20190905-175710-tsu1sy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291145/original/file-20190905-175710-tsu1sy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291145/original/file-20190905-175710-tsu1sy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291145/original/file-20190905-175710-tsu1sy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le niveau de sécurité dans la région est.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’EIGS est aussi le chef de file des groupes terroristes alliés dans cette région, des groupes locaux qui se sont réparti les zones d’action dans la région de l’Est en fonction des objectifs ou des intérêts qu’ils poursuivent. L’EIGS leur apporte, lui aussi, une assistance technique et logistique et tente de coordonner leurs actions.</p>
<h2>Quel pourrait être leur agenda ?</h2>
<p>Au regard de leurs modes opératoires, de leurs cibles, et de la stratégie qu’ils mettent en place pour atteindre leurs objectifs, nous pouvons émettre plusieurs hypothèses quant à leur agenda :</p>
<ul>
<li><p>Agenda militaire et géographique : ces groupes hétérogènes, bien structurés, se répartissent les tâches et les zones – ce qui les rend plus fluides et difficilement localisables. Cette stratégie leur permet de mettre à rude épreuve les armées régulières, puisqu’ils élargissent au maximum le front du combat.</p></li>
<li><p>Agenda économique : créer un couloir pour fluidifier et alimenter l’économie grise au sahel et dans le Sahara.</p></li>
<li><p>Agenda politique : exacerbation des tensions communautaires, harcèlement et déstabilisation de l’État.</p></li>
</ul>
<p>Mais ces groupes terroristes ne sont pas les seuls à remettre en cause l’État et son autorité, il convient aussi de mentionner les groupes d’autodéfense.</p>
<h2>Les groupes d’autodéfense : une boîte de Pandore</h2>
<p>À l’est, au centre, sur le plateau central et dans la région du centre-nord, on peut mesurer l’influence grandissante des groupes d’autodéfense liée à l’affaiblissement de l’État. Cette situation a notamment permis la montée en puissance <a href="http://www.rfi.fr/hebdo/20160318-burkina-faso-koglweogo-milices-populaires-associations">des koglweogos</a>.</p>
<p>Leur attitude laisse à penser qu’ils concurrencent et même parfois remplacent l’État dans son rôle régalien d’assurer la sécurité des populations. Cet état de fait a eu, là encore, pour conséquence de faciliter l’installation des groupes terroristes dans certaines régions, tout en radicalisant d’autres groupes d’autodéfense locaux dont le niveau de violence augmente de manière inhabituelle. Un contrôle de tous ces groupes d’autodéfense s’impose urgemment afin de prévenir les conflits communautaires, alors que la campagne des législatives et de la présidentielle s’annonce.</p>
<p>Au regard de la dégradation continue de la situation sécuritaire, et après bientôt plus de quatre années de lutte et de réaction militaire face à une menace sans cesse mouvante, n’est-il pas temps de réadapter la lutte face à cette menace ? La lutte militaire est-elle un combat incompatible avec le dialogue ? Ou est-il possible d’agir en parallèle sur ces deux fronts ? Si l’option militaire est parfois nécessaire, elle ne suffira pas, à elle seule, à vaincre le terrorisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122566/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mahamoudou Savadogo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La réponse paraît inadaptée devant un ennemi qui semble avoir chaque fois en avance et disposer d’une capacité d’anticipation sur les stratégies de mise en place par l’État.Mahamoudou Savadogo, Chercheur sur les questions de l'extrémisme violent, Université Gaston BergerLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.