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Inserm – The Conversation
2023-12-20T19:57:28Z
tag:theconversation.com,2011:article/219984
2023-12-20T19:57:28Z
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Manger plus tôt pour protéger son cœur ?
<p><em>On savait que les horaires de prises des repas étaient associés à un risque plus ou moins grand de développer certains problèmes métaboliques, tels qu’obésité ou diabète notamment. De nouveaux travaux pilotés par l’Équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle – EREN (Inserm, Inrae, université Sorbonne-Paris-Nord) – et de l’Institut de santé globale de Barcelone établissent pour la première fois l’existence d’un lien <a href="https://www.nature.com/articles/s41467-023-43444-3">entre l’heure du premier et du dernier repas de la journée et le risque de maladies cardiovasculaires</a>.</em></p>
<p><em>Chercheur en épidémiologie et coordonnateur du Réseau National Alimentation Cancer Recherche (Recherche NACRe), Bernard Srour a co-dirigé ces travaux, dont il nous présente les résultats.</em></p>
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<p><strong>The Conversation : Vos derniers travaux, publiés dans la prestigieuse revue Nature Communications, suggèrent que notre alimentation et nos rythmes biologiques sont en étroite relation…</strong></p>
<p><strong>Bernard Srour :</strong> Oui. On savait déjà que la qualité nutritionnelle de l’alimentation peut avoir un impact sur notre santé, en particulier notre santé cardio-vasculaire. En revanche, on ignorait si les heures auxquelles on s’alimente pouvaient aussi avoir un rôle.</p>
<p>Des soupçons existaient cependant. Des études expérimentales, menées chez la souris, avaient démontré que l’heure ou la durée pendant laquelle ces animaux étaient nourris pouvait influer sur leur santé. Une équipe américaine avait par exemple comparé deux groupes de rongeurs ayant consommé exactement le même nombre de calories, à la différence près que l’un avait reçu sa nourriture uniquement pendant la nuit (période durant laquelle les souris, des animaux nocturnes, sont actives), tandis que dans le second cas, les animaux avaient été nourris en répartissant les apports sur 24 h.</p>
<p>Les chercheurs ont alors <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22608008/">constaté que</a> les souris qui avaient consommé leur nourriture durant leur phase active avaient des profils métaboliques et inflammatoires meilleurs que les souris qui avaient été nourries sur 24 h.</p>
<p>On sait par ailleurs que notre <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32055029/">alimentation influence sur nos horloges biologiques</a>, en agissant comme un « synchronisateur ».</p>
<p>Partant de ces constats, nous nous sommes demandé si les heures auxquelles nous consommons notre nourriture pouvaient avoir un impact sur le risque de certaines maladies. Nous avons émis l’hypothèse que tout ce qui pourrait entraîner des dérèglements métaboliques pourrait agir sur le risque de maladies résultant de tels dérèglements. C’est notamment le cas des maladies cardiovasculaires (mais aussi du diabète de type 2, ou de certains cancers, comme ceux liés à l’obésité).</p>
<p><strong>The Conversation : Pour étudier les associations avec les maladies cardiovasculaires, vous vous êtes appuyés sur la cohorte <a href="https://etude-nutrinet-sante.fr/">NutriNet-Santé</a> ?</strong></p>
<p><strong>B.S. :</strong> Oui. Nous avons utilisé les données de plus de 100 000 personnes qui avaient été incluses dans la cohorte en 2009 et suivi jusqu’en 2022. Nous avions collecté des données démographiques, ainsi que des informations détaillées sur leur mode de vie, leur consommation d’alcool, leur tabagisme éventuel, leur catégorie socioprofessionnelle, leur statut pondéral, leur sommeil, etc.</p>
<p>Nous avions aussi des enregistrements détaillés et répétés, et surtout horodatés de leurs habitudes alimentaires. Nous connaissions donc les heures de chacune de leurs prises alimentaires.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-facteurs-de-risque-cardiovasculaires-une-decouverte-revolutionnaire-et-recente-103472">Les facteurs de risque cardiovasculaires, une découverte révolutionnaire… Et récente !</a>
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<p>Nous avons mis ensuite en lien statistique les données correspondant aux heures des repas avec le risque d’avoir développé une maladie cardiovasculaire (infarctus du myocarde, syndrome coronarien aigu, accident vasculaire cérébral, accident ischémique transitoire, angine de poitrine…), en nous basant sur les déclarations des participants validées par un comité médical, ainsi que sur des bases de données médico-administratives qui nous permettent d’avoir à disposition des données précises et validées sur leur état de santé.</p>
<p><strong>The Conversation : Que vous ont appris ces données ?</strong></p>
<p><strong>B.S. :</strong> Nous avons observé que lorsque l’horaire de la première prise alimentaire de la journée était décalé d’une heure, le risque de maladie cardiovasculaire augmentait de 6 %. Autrement dit, une personne qui a l’habitude de manger pour la première fois à 9 h 00 du matin par exemple, pourrait avoir jusqu’à 6 % en plus de risque de développer une maladie cardiovasculaire, comparativement à quelqu’un qui l’habitude de prendre son premier repas de la journée à 8 h 00.</p>
<p>Pour la dernière prise de la journée, on constate qu’un délai d’une heure est associé à une augmentation de 8 % du risque de maladie cérébrovasculaire (accident vasculaire cérébral ou accident ischémique transitoire).</p>
<p>Nous avons aussi constaté une association avec la durée du jeûne nocturne. Pour une augmentation d’une heure de la durée de ce jeûne, on constate une diminution de 7 % du risque de maladie cérébrovasculaire.</p>
<p><strong>The Conversation : Est-ce que ces effets sont-ils cumulatifs ?</strong></p>
<p><strong>B.S. :</strong> Ce sont des schémas qui sont très corrélés. Nos résultats suggèrent que si on allonge le jeûne nocturne, ce serait bénéfique, mais du coup, si on prend son petit déjeuner plus tard, ce serait moins bien. Pour prolonger la durée du jeûne nocturne, mieux vaut par exemple avancer le repas du soir pour le prendre tôt, que repousser ou sauter ou sauter le repas du matin.</p>
<p>Si la durée de consommation alimentaire est de onze heures par exemple (donc un jeûne nocturne de treize heures), nos résultats plaideraient pour une première prise alimentaire à 7 h du matin, et un dernier repas à 18 h ; plutôt que de commencer à 11 h et s’arrêter à 22 h (ce qui correspond également à treize heures de jeûne nocturne). Cette pratique est connue sous le nom de <em>« early time-restricted feeding »</em>, ou « alimentation limitée dans le temps à partir du matin ».</p>
<p>L’idée est de combiner à la fois une durée du jeûne plutôt longue, avec une première prise plutôt précoce. Autrement dit, commencer tôt et finir tôt.</p>
<p><strong>The Conversation : Existe-t-il une durée optimale du jeûne ?</strong></p>
<p><strong>B.S. :</strong> Nous ne nous sommes pas intéressés à la durée optimale du jeûne dans ces travaux, cependant il y a quelques mois nous avions publié un autre article dans la revue <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/37328450/">International Journal of Epidemiology</a>, toujours en collaboration avec l’<a href="https://www.isglobal.org/en/">Institut de Santé Globale de Barcelone</a>. Nous avions alors étudié les associations existant entre le risque de développer un diabète de type 2 et les horaires des repas, le nombre de prises ou la durée du jeûne nocturne (toujours au sein de la cohorte NutriNet-Santé).</p>
<p>Les résultats ont suggéré qu’à partir d’un cycle de 11 heures d’alimentation / 13 heures de jeûne, une association protectrice avec le risque de diabète de type-2 était observée, mais seulement si la première prise alimentaire survenait avant 8 h du matin.</p>
<p><strong>The Conversation : Comment explique-t-on l’importance de l’horaire de la première prise de nourriture de la journée ?</strong></p>
<p><strong>B.S. :</strong> Cela pourrait s’expliquer par les variations physiologiques liées au rythme circadien et aux horloges biologiques.</p>
<p>Lorsqu’on est exposé à la lumière le matin, cela des effets sur notre production d’hormones : le pic de mélatonine diminue, et le cortisol commence à être sécrété, ce qui nous « booste ». Par exemple, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5995632/">plusieurs études</a> ont montré qu’on est plus sensibles à l’effet de l’insuline en matinée que dans l’après-midi ou en soirée. Comme si notre organisme était mieux préparé à la consommation alimentaire.</p>
<p>On constate aussi des variations interindividuelles liées aux différences génétiques et aux chronotypes (le fait d’être plutôt « du matin » ou « du soir », ou ni l’un ni l’autre). On sait par exemple que les personnes ayant un chronotype « du matin » ont tendance à avoir une probabilité plus élevée d’être en meilleure santé que les personnes qui sont « du soir » (les chronotypes sont aujourd’hui bien établis, et peuvent être déterminés via des <a href="https://www.thoracic.org/members/assemblies/assemblies/srn/questionaires/mctq.php">questionnaires validés</a>).</p>
<p><strong>The Conversation : Existe-t-il d’autres différences ? Liées à l’âge, au sexe, etc. ?</strong></p>
<p><strong>B.S. :</strong> Les associations que l’on a observées étaient plus fortes chez les femmes, mais cela pourrait être lié au fait que notre cohorte comporte une majorité de participantes : nous avions plus de puissance statistique pour observer des associations significatives chez les femmes. On ne peut cependant pas exclure l’existence de différences entre hommes et femmes dans la manière dont l’alimentation agirait sur les horloges biologiques.</p>
<p>En ce qui concerne l’âge, nous avons pris en compte son effet dans nos calculs statistiques (pour l’éliminer), ce qui signifie que nous ne pouvions pas déterminer son influence. En revanche, on sait grâce à d’autres travaux que les rythmes alimentaires, mais aussi le chronotype, peuvent changer avec l’âge. Si on est du matin une période de sa vie, on peut devenir du soir à une autre, ce qui a donc une influence sur les effets que peut avoir notre façon de nous alimenter.</p>
<p><strong>The Conversation : Quelles sont les prochaines étapes de vos travaux ?</strong></p>
<p><strong>B.S. :</strong> Nous sommes en train d’approfondir nos analyses afin de déterminer s’il existe des liens avec certains marqueurs du stress oxydant, des marqueurs de l’inflammation, des marqueurs métaboliques, qui permettraient d’établir des liens avec l’obésité ou le risque de maladies chroniques (nous avons pour cela à disposition une banque d’échantillons biologiques provenant de 20 000 participants à la cohorte NutriNet). Nous sommes également en cours de collecte de selles, et nous pouvons donc imaginer étudier si le microbiote intestinal peut jouer un rôle dans ces associations, comme suggéré par <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33075782/">certaines études</a>.</p>
<p>Nous aimerions aussi, dans un autre volet de notre projet, analyser les trajectoires de ces rythmes en fonction de l’âge, ou en fonction des moments clés de la vie, comme l’arrivée d’un bébé dans le foyer - qui chamboule beaucoup de choses - le passage dans la vie active ou à la retraite, l’effet des vacances, etc.</p>
<p>Par ailleurs, nous aimerions évaluer à l’avenir s’il existe un moment optimal pour certains types d’apports en macronutriments (glucides, lipides, protéines…). L’idée serait de déterminer si la composition de la première prise alimentaire de la journée et de la dernière prise pourrait jouer sur le risque de développer certains types de maladies.</p>
<p>En croisant ces informations avec d’autres données, qui montrent par exemple une meilleure efficacité de l’<a href="https://ijbnpa.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12966-023-01508-z">activité physique pratiquée à certaines heures de la journée</a>, et avec l’apport d’autres travaux épidémiologiques, cliniques et expérimentaux, on peut espérer établir des recommandations encore plus optimales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219984/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Srour a reçu des financements de l'ANR et du département Alimentation humaine d'INRAE dans le cadre d'une Chaire de Professeur Junior. Il a reçu des financements de l'Institut National du Cancer et de la Fondation ARC pour le fonctionnement du Réseau NACRe. Bernard Srour a reçu des fonds de la Fondation Bettencourt-Schueller dans le cadre du Prix Jeunes Chercheurs 2020.</span></em></p>
Une étude suggère que manger tard pour la première ou la dernière fois de la journée serait associé à un risque cardiovasculaire plus élevé.
Bernard Srour, Research associate professor of epidemiology at CRESS - EREN (Inserm, INRAE, Université Sorbonne Paris Nord, Université Paris Cité), and head of the NACRe network (Réseau NACRe), Inserm
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2023-05-31T16:21:37Z
2023-05-31T16:21:37Z
Obésité et « manque de volonté » : les préjugés négatifs ont la vie dure
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/529315/original/file-20230531-19-x53efg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=89%2C17%2C5074%2C3970&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les personnes en situation d’obésité font encore trop souvent l’objet de stigmatisations en raison d’un supposé « manque de volonté ».</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://ecpomedia.org/image/sweden-friends/">Marcus CF Tinnerholm / ECPO</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Regards désapprobateurs, remarques désobligeantes sur leur physique, commentaire sur les portions de nourriture présentes dans leur assiette ou sur la qualité de leur alimentation… Les personnes en situation de surpoids ou d’obésité ont toutes fait l’expérience, à un moment ou un autre, du jugement d’autrui.</p>
<p>En effet, aujourd’hui encore, l’idée selon laquelle les personnes en situation d’obésité sont seules responsables de leur situation est encore largement répandue, comme le montrent les résultats de <a href="https://www.ajpmonline.org/article/S0749.3797(23)0 0072-7/fulltext">notre enquête sur le sujet</a>.</p>
<p>Or, comme souvent, la réalité est bien plus complexe, et cette vision simpliste est non seulement inexacte, mais elle peut en outre s’avérer dangereuse : elle est en effet très souvent à l’origine de la stigmatisation des personnes en situation d’obésité.</p>
<p>Pour changer notre regard sur l’obésité et sur les personnes qui en souffrent, l’éducation a un rôle majeur à jouer. Mais pour améliorer plus globalement la situation, des politiques visant à rendre notre environnement plus favorable à la santé doivent également être mises en place. Et ce n’est pas une mince affaire.</p>
<h2>L’obésité, une maladie qui progresse</h2>
<p>En France, à l’heure actuelle, une <a href="https://presse.inserm.fr/obesite-et-surpoids-pres-dun-francais-sur-deux-concerne/46494/">personne sur deux est concernée par le surpoids ou l’obésité</a>. Cette dernière, en particulier, se répand : elle touche aujourd’hui 17 % des adultes, contre 8,5 % en 1997. Notre pays reste cependant loin derrière d’autres : aux États-Unis, par exemple, <a href="https://www.cdc.gov/obesity/data/adult.html">42 % des adultes étaient en situation d’obésité en 2022</a>.</p>
<p>Selon la communauté scientifique, les <a href="https://www.thelancet.com/journals/lanpub/article/PIIS2468-2667(23)0 0033-6/fulltext">origines de cette progression sont multiples</a>. Elles résultent des transformations récentes et profondes de nos environnements de vie.</p>
<p>Ainsi, l’industrialisation a mené à la commercialisation d’aliments <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5325830/">contenant davantage d’acides gras et de sucres que les produits frais</a>. Cette augmentation de la densité calorique s’est par ailleurs accompagnée d’un développement sans précédent du marketing alimentaire, ainsi que d’une augmentation de l’accessibilité des aliments.</p>
<p>En parallèle, l’urbanisation des modes de vie a abouti à la généralisation des transports motorisés, tandis que la <a href="https://bmcpublichealth.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12889-020-09293-1">sédentarité a augmenté</a>, tant sur les lieux de travail que dans le privé.</p>
<p>Notre environnement s’est à ce point modifié au fil des dernières décennies que <a href="https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/295681/07-735-obesogenic-environments-review.pdf">certains auteurs n’hésitent plus à le qualifier d’obésogène</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, les résultats des recherches scientifiques nous permettent de l’affirmer avec certitude : les personnes en situation d’obésité ne peuvent pas être tenues pour seules responsables de leur situation. Notre environnement moderne favorise la prise de poids.</p>
<h2>Pourquoi la volonté n’explique pas tout</h2>
<p>L’alimentation et l’activité physique sont deux mesures préventives essentielles pour lutter contre l’obésité et ses conséquences négatives sur la santé. Ces deux comportements sont modifiables, ce qui signifie que nous avons le pouvoir d’agir sur eux. Cependant, on sait également que tous deux relèvent d’une multitude de déterminants individuels, sociaux et environnementaux.</p>
<p>Ainsi, au-delà de notre environnement moderne qui favorise la prise de poids, il est largement admis que l’obésité est plus fréquente chez les personnes ayant un plus faible niveau socio-économique.</p>
<p>Pour cette raison, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/19175510/">il est réducteur de croire que la façon dont nous nous alimentons et dont nous bougeons est simplement affaire de choix personnel</a>. On sait que, dans un environnement « obésogène », les interventions centrées sur les personnes, tels que les conseils nutritionnels ou les recommandations en matière d’activité physique, sont peu efficaces à long terme.</p>
<p>C’est la raison pour laquelle le Programme National Nutrition Santé 2019-2023 a défini comme objectif prioritaire d’agir sur l’environnement, afin de le rendre plus favorable à la santé.</p>
<p>Pourtant, une part importante de la population, en France <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25809827/">comme dans d’autres pays</a>, attribue encore l’obésité à un manque de volonté. Or, préjugés sur la volonté et stigmatisation sont liés.</p>
<h2>Des préjugés négatifs qui ont des conséquences</h2>
<p>Notre récente enquête réalisée auprès de 33 948 participantes et participants de <a href="https://etude-nutrinet-sante.fr/">l’étude NutriNet-Santé</a> a révélé que près de 38 % des femmes et 54 % des hommes interrogés adhéraient à l’idée que l’obésité est <a href="https://www.ajpmonline.org/article/S0749.3797(23)0 0072-7/fulltext">« due à un manque de volonté »</a>.</p>
<p>Ce constat est inquiétant, car, comme le souligne un collectif de sociétés savantes, d’associations et de représentants de patients, cette croyance serait en grande partie <a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/pnns4_2019-2023.pdf">à l’origine des actes de stigmatisation envers les personnes en situation d’obésité</a>.</p>
<p>À ce sujet, les chiffres sont alarmants : en France, en 2020, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34059785/">56 % des personnes interrogées</a> déclaraient avoir déjà été stigmatisées en raison de leur poids. En cause, principalement, des membres de leur famille, des camarades de classe, des médecins ou des collègues de travail. Cette stigmatisation prenait le plus souvent la forme de moqueries, de traitements injustifiés ou de discrimination.</p>
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<p><a href="https://sante.gouv.fr/IMG/pdf/pnns4_2019-2023.pdf">Cette stigmatisation peut avoir diverses conséquences</a> : moindre réussite académique et professionnelle, discrimination à l’embauche, altération des relations sociales, majoration des troubles du comportement alimentaire et des symptômes anxieux ou dépressifs, évitement des activités physiques, prise de poids accrue, moindre recours aux soins…</p>
<p>Devant l’ampleur de ce phénomène, et sur l’impulsion notamment des <a href="https://cnao.fr/">associations de patients</a>, le terme « grossophobie » a fait son entrée dans les dictionnaires <a href="https://www.babelio.com/livres/Deydier-On-ne-nait-pas-grosse/959716">Petit Robert</a> en 2018 et <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/grossophobie/188694">Larousse</a> en 2023.</p>
<p>La question de la stigmatisation de l’obésité étant désormais <a href="https://www.euro.who.int/__data/assets/pdf_file/0017/351026/WeightBias.pdf">entrée dans le débat public</a>, il est urgent de trouver des solutions pour la prévenir ainsi que pour mieux protéger les personnes qui pourraient en être victimes.</p>
<h2>Agir sur les déterminants de nos choix alimentaires</h2>
<p>Si nos choix au quotidien doivent être orientés dans un sens favorable à la santé et au maintien du poids, agir « en amont », sur les déterminants de ces choix, pourrait permettre de prévenir l’augmentation continue de l’obésité.</p>
<p>De l’école au travail, en passant par les transports ou les commerces, les politiques mises en place doivent donc promouvoir des environnements qui faciliteront, tout au long de notre vie, des choix alimentaires et d’activité physique favorables à notre santé et au maintien du poids dans des valeurs considérées comme normales.</p>
<p>Il s’agit par exemple d’améliorer la qualité nutritionnelle des aliments, de réguler le marketing alimentaire, de rendre financièrement plus accessibles les aliments favorables à la santé, ou encore de promouvoir des plans d’urbanisme qui encouragent la pratique de la marche et du vélo.</p>
<p>Mais ce n’est pas tout : il faut aussi parvenir à déconstruire l’idée selon laquelle l’obésité est due à un manque de volonté. Et pour cela, l’éducation a un rôle à jouer.</p>
<h2>Mieux former les professionnels de santé</h2>
<p>Des travaux que nous avons coordonnés ont révélé que les personnes ayant un niveau d’étude plus élevé adhéraient moins ouvertement à l’idée selon laquelle <a href="https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/295681/07-735-obesogenic-environments-review.pdf">l’obésité est liée à un manque de volonté</a>.</p>
<p>Plus que le niveau d’étude, le contenu éducatif pourrait jouer un rôle déterminant. Par exemple, les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24502966/">étudiants en santé adhèrent moins à cette idée de manque de volonté</a> que les étudiants des autres filières.</p>
<p>Suivre une formation sur les multiples causes – génétiques, sociales et environnementales – de l’obésité permettrait également de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35934011/">réduire cette croyance</a>, contrairement à une formation uniquement centrée sur l’importance de l’alimentation et de l’activité physique dans la prévention de l’obésité.</p>
<p>Les universités ont pris conscience de l’importance de mieux former les professionnels de santé sur ces sujets. Ainsi, l’Université Sorbonne Paris Nord a mis en place des expériences pédagogiques innovantes, faisant directement participer les patients à certains enseignements, dans le cadre de la <a href="https://leps.univ-paris13.fr/fr/equipe/8-actualites/863-cr%C3%A9ation-de-la-chaire-de-recherche-universitaire-sur-l-engagement-des-usagers-patients-dans-le-syst%C3%A8me-de-sant%C3%A9.html">Chaire de Recherche Universitaire sur l’engagement des usagers/patients dans le système de santé</a>. Cette initiative traduit la volonté d’aider les étudiants en santé à mieux comprendre le point de vue des patients.</p>
<p>Dans le cadre d’un enseignement dirigé intitulé « Stigmatisation dans les soins », un appel a été lancé sur les réseaux sociaux pour que des personnes qui ont été victimes de ce type de stigmatisation soumettent une proposition d’intervention. Parmi la trentaine de propositions formulées, plusieurs ont porté sur la stigmatisation liée à l’obésité, ce qui témoigne de l’importance de cette stigmatisation dans le cadre des soins.</p>
<p><a href="https://www.em-consulte.com/article/1100063/evaluation-des-prejuges-des-etudiants-en-medecine-">Une pédagogie centrée sur la relation de soins et le vécu des patients</a> a également été mise en place à Sorbonne Université. Celle-ci permet aux étudiants d’échanger sur leurs représentations vis-à-vis de pathologies stigmatisantes et de rencontrer des associations de patients.</p>
<p>Enfin, un podcast (<a href="https://www.sorbonne-universite.fr/actualites/le-serment-daugusta-un-podcast-pour-reinventer-ensemble-la-relation-soignant-soigne"><em>Le serment d’Augusta. Je penserai les corps en dehors de la norme</em></a>), destiné aux étudiants en santé et centré sur la relation soignant-soigné, a également été produit afin de faire réfléchir à ces questions.</p>
<p>Cependant, s’il est important de mieux former les seuls professionnels de santé, cela ne suffira pas à modifier notre vision collective sur l’obésité. Pour y parvenir, d’autres actions devront être mises en place, non seulement à l’université, mais aussi à l’école, dans les collèges, les lycées, sur les lieux de travail, dans les cabinets médicaux, les médias…</p>
<p>La stigmatisation de l’obésité ne cessera que lorsque nous aurons tous compris que nos habitudes alimentaires et d’activité physique dépendent avant tout de facteurs sociaux et environnementaux (en particulier économiques), plutôt que de notre seule volonté…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205763/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Oppert a reçu des financements de l'ANR, de l'INca et de la Commission Européenne pour la conduite de ses travaux de recherche.. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mathilde Touvier a reçu des financements publics et associatifs à but non lucratif de l'Institut National du Cancer, l'European Research Council, le Ministère de la Santé, la Fondation Bettencourt, l'Agence Nationale pour la Recherche. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alice Bellicha et Chantal Julia ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>
Les personnes en surpoids sont souvent soupçonnées de « manquer de volonté », et stigmatisées en conséquence. Pourtant, il est établi que la prise de poids n’est pas qu’une affaire de choix personnel.
Alice Bellicha, Maître de Conférences, Université Sorbonne Paris Nord
Chantal Julia, Maitre de Conférence Université Paris 13, Praticien Hospitalier, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord
Jean-Michel Oppert, PUPH et chef de service de Nutrition à l’hôpital Pitié-Salpêtrière, Sorbonne Université
Mathilde Touvier, Directrice de l'Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord, Inserm
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2023-05-28T15:36:04Z
2023-05-28T15:36:04Z
Maladies génétiques : comment un champignon comestible pourrait corriger notre ADN
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/528570/original/file-20230526-19-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4475%2C2965&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le clitocybe inversé (Lepista inversa) contient une molécule capable de corriger certains types de mutations.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Roodbruine_schijnridderzwammen_(Lepista_flaccida)._22-01-2021_(d.j.b.)_01.jpg">Dominicus Johannes Bergsma / Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Mucoviscidose, myopathies, hémophilies… <a href="https://www.plateforme-maladiesrares.org/presentation/les-maladies-rares.html">Les maladies génétiques touchent une personne sur vingt dans le monde</a>. En règle générale, elles apparaissent durant l’enfance, et sont liées à l’absence ou au dysfonctionnement d’une protéine. Leur issue est malheureusement souvent fatale, car les traitements permettant d’y remédier sont encore trop rares.</p>
<p>Nos travaux pourraient cependant ajouter une corde à l’arc des scientifiques qui cherchent à réparer certaines anomalies de l’ADN impliquées dans ces maladies. </p>
<p>Nous avons en effet identifié, dans un champignon commun qui pousse notamment dans les forêts françaises (le clytocybe inversé), une molécule capable <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29131862/">de corriger des mutations particulières appelées mutations « STOP »</a>, non seulement dans des cellules en culture, mais aussi chez la souris. Et peut-être, demain, chez l’être humain… Explications.</p>
<h2>Les mutations « STOP » ou mutations « non sens »</h2>
<p>Parmi les problèmes moléculaires qui peuvent mener au développement d’une maladie génétique figurent notamment certaines mutations particulières appelées mutations « non-sens » ou « STOP ». De telles mutations touchent environ 10 % des patients atteints de maladies génétiques. Or, à l’heure actuelle, aucun traitement ne permet de les soigner, même si quelques pistes thérapeutiques sont à l’étude.</p>
<p>Pour comprendre le problème, penchons-nous brièvement sur notre ADN. Celui-ci compose nos chromosomes ; il peut être considéré comme une longue chaîne constituée d’une succession de plus petites molécules, les nucléotides. Ces « maillons » sont de quatre types, symbolisés par les lettres A (Adénine), T (Thymine), G (Guanine) et C (Cytosine). L’enchaînement de ces quatre nucléotides constitue la « séquence » de l’ADN.</p>
<p>Certaines portions de cette séquence correspondent à des gènes, autrement dit des régions qui contiennent les informations nécessaires à la fabrication de protéines.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pnYNsbCWBLg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En temps normal, la séquence d’un gène permet de produire une protéine qui fonctionne correctement. Mais il arrive que l’ADN soit endommagé ou modifié. Dans certains cas, les modifications de séquence des gènes (ou « mutation ») qui en résulte font que les protéines correspondantes ne peuvent plus être fabriquées correctement. C’est par exemple le cas lorsqu’une mutation « non sens » (aussi appelée mutation « STOP ») est introduite dans l’ADN.</p>
<p>Ce type de mutation fonctionne comme un signal d’arrêt : lorsque le gène muté est utilisé pour produire la protéine correspondante, la fabrication de cette dernière s’interrompt prématurément. Conséquence : soit la protéine n’est pas produite, soit elle est trop courte, et ne fonctionne pas correctement.</p>
<p>Or, les protéines jouent d’innombrables rôles dans notre organisme. Les hormones, les anticorps, les récepteurs cellulaires, les enzymes, entre autres, sont des protéines. Si certaines d’entre elles sont non fonctionnelles, absentes ou anormales, des maladies peuvent donc rapidement survenir.</p>
<h2>Corriger les mutations non-sens grâce à un champignon ?</h2>
<p>Créée en 2003, la <a href="https://chembiofrance.cn.cnrs.fr/fr/composante/chimiotheque">chimiothèque nationale</a> est à la chimie ce que la bibliothèque nationale est à la littérature : une immense collection de plus de 80 000 composés chimiques et 15 000 extraits naturels originaux, mis à la disposition des équipes de recherche.</p>
<p>En 2012, 20 000 extraits de plantes, micro-organismes et champignons issus de cette chimiothèque nationale ont été testés via un protocole permettant d’identifier les composés capables de corriger efficacement les mutations non-sens dans des cellules humaines cultivées en laboratoire.</p>
<p>Ce criblage a permis de détecter une activité correctrice de mutations non-sens intéressante <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29131862/">dans un extrait provenant de <em>Lepista inversa</em> (ou clitocybe inversé)</a>. Ce champignon commun, comestible quoique peu savoureux, peut être ramassé dans les forêts d’Europe, d’Amérique du Nord ou d’Afrique du Nord.</p>
<p>Suite à cette découverte, nous avons entamé une collaboration avec les scientifiques du Muséum national d’histoire naturelle de Paris (qui avaient initialement préparé cet extrait pour le mettre en collection) afin de purifier la molécule impliquée dans cette activité.</p>
<p>C’est ainsi que nous avons identifié la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7083880/pdf/41467_2020_Article_15140.pdf">2,6-diaminopurine, ou DAP</a>. Étonnamment, cette molécule n’était pas connue pour posséder une telle capacité de correction.</p>
<h2>La DAP, un puissant correcteur de mutations non-sens</h2>
<p>Après avoir purifié la DAP, nous avons comparé son activité à celle d’autres molécules correctrices de mutations non-sens déjà connues. La molécule de champignon s’est montrée bien plus efficace que ses concurrentes pour corriger des mutations dans des cellules en culture.</p>
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<img alt="Schéma de la 2,6-diaminopurine" src="https://images.theconversation.com/files/528700/original/file-20230528-23-1x5wxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528700/original/file-20230528-23-1x5wxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528700/original/file-20230528-23-1x5wxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528700/original/file-20230528-23-1x5wxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528700/original/file-20230528-23-1x5wxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528700/original/file-20230528-23-1x5wxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528700/original/file-20230528-23-1x5wxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La 2,6-diaminopurine présente la capacité de corriger les mutations « non-sens »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/2,6-Diaminopurine">Yikrazuul / Wikimedia Commons</a></span>
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<p>L’étape suivante a été d’évaluer sa toxicité : bonne nouvelle, la DAP ne présente pas ou peu de toxicité sur les cellules en culture. Enfin, il a fallu élucider son mode d’action, autrement dit, la façon dont elle fonctionne. Ce dernier point est très important, car il permet d’anticiper de possibles effets secondaires.</p>
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<p>Nous avons découvert que la DAP inhibe l’activité d’une enzyme qui agit sur la machinerie cellulaire impliquée dans la fabrication des protéines. Sans entrer dans les détails : l’inhibition de cette enzyme a pour conséquence de rendre « lisible » la séquence de mutation « STOP ».</p>
<p>En absence de DAP, une telle séquence est perçue comme un signal d’arrêt par la machinerie cellulaire qui fabrique les protéines. Mais après l’ajout de DAP, la machinerie cellulaire qui fabrique les protéines n’est plus arrêtée par la présence d’une séquence « STOP ».</p>
<p>Point particulièrement intéressant, ce mécanisme fonctionne seulement lorsque la séquence « STOP » résulte d’une mutation. Les « stops » physiologiques, qui sont normalement présents à la fin des séquences destinées à produire les protéines, ne sont pas affectés par la DAP. La production des protéines « normales » ne devrait donc pas être modifiée.</p>
<p>Après ces premières recherches menées sur des cellules en culture, nous avons poursuivi l’étude de cette molécule. Nous avons notamment cherché à savoir si elle pouvait corriger des mutations non-sens responsables d’une maladie génétique, la mucoviscidose.</p>
<h2>La DAP comme approche thérapeutique de la mucoviscidose</h2>
<p>La mucoviscidose est une maladie génétique rare qui touche principalement les voies respiratoires et le système digestif. En France, et plus généralement dans les pays occidentaux, c’est l’une des maladies génétiques les plus fréquentes. Elle affecte environ <a href="https://www.inserm.fr/dossier/mucoviscidose/">6000 personnes dans notre pays, où 200 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année</a>.</p>
<p>La mucoviscidose est due à une mutation du gène qui permet de fabriquer la protéine CFTR. Présente dans la membrane des cellules de diverses muqueuses (muqueuse respiratoire, muqueuse digestive…), CFTR forme un canal qui permet la sécrétion d’ions chlorure vers l’extérieur des cellules. Chez les personnes atteintes de mucoviscidose, ce canal dysfonctionne.</p>
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<img alt="Photo d’une mère aidant un jeune enfant doté d’une chambre d’inhalation à l’utiliser." src="https://images.theconversation.com/files/528701/original/file-20230528-189676-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528701/original/file-20230528-189676-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528701/original/file-20230528-189676-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528701/original/file-20230528-189676-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528701/original/file-20230528-189676-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528701/original/file-20230528-189676-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528701/original/file-20230528-189676-31uypm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les poumons des malades atteints de mucoviscidose sont peu à peu détruits par une inflammation anormale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>En conséquence, les cellules sécrètent moins de chlorure et, surtout, moins d’eau. Moins hydraté, le mucus qui recouvre les muqueuses devient visqueux, collant, et ne remplit plus correctement sa fonction de protection vis-à-vis des microbes. Bactéries et champignons restent piégés dans les bronches, ce qui provoque des infections répétées et une inflammation durable qui dégrade peu à peu les poumons, entraînant des difficultés à respirer et, à terme, le décès des malades.</p>
<p>Avec l’aide de l’association <em>Vaincre la mucoviscidose</em>, nous avons dans un premier temps évalué le potentiel thérapeutique de la DAP sur des cellules en culture.</p>
<p>Nos résultats ont révélé que l’ajout de DAP corrige effectivement les mutations non-sens présentes dans le gène CFTR de telles cellules et permet de restaurer la fonction de la protéine correspondante. Sur des cellules de patients atteints de mucoviscidose due à une mutation non-sens, le rétablissement de la fonction de CFTR a été observé en moins de 24 heures.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mucoviscidose-pourquoi-les-femmes-sont-elles-plus-vulnerables-que-les-hommes-195467">Mucoviscidose : Pourquoi les femmes sont-elles plus vulnérables que les hommes ?</a>
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<p>L’étape suivante a consisté à tester la capacité de la molécule à corriger les mutations non-sens au sein d’une organisation cellulaire s’approchant de celle d’un organe.</p>
<h2>Des résultats encourageants</h2>
<p>Grâce à une collaboration avec l’équipe de Jeff Beekman, aux Pays-Bas, nous avons pu tester la DAP sur des <a href="https://www.inserm.fr/actualite/organoides-quelle-place-dans-recherche-demain/">organoïdes intestinaux</a>.</p>
<p>Ces <a href="https://theconversation.com/les-compagnons-biologiques-un-atout-pour-la-medecine-du-futur-109304">« mini-organes »</a> sont des assemblages de cellules dont l’organisation rappelle celle de l’organe dont ils sont issus (dans notre cas, l’intestin, car les cellules utilisées dérivaient de cellules issues d’une biopsie rectale). L’intérêt est d’obtenir une architecture et des fonctionnalités proches de celle de l’organe originel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252235/original/file-20190102-32133-1nzat8f.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C175%2C1146%2C785&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252235/original/file-20190102-32133-1nzat8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=578&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252235/original/file-20190102-32133-1nzat8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=578&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252235/original/file-20190102-32133-1nzat8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=578&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252235/original/file-20190102-32133-1nzat8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=726&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252235/original/file-20190102-32133-1nzat8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=726&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252235/original/file-20190102-32133-1nzat8f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=726&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Organoïde intestinal cultivé à partir de cellules souches Lgr5+</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://journals.plos.org/plosbiology/article?id=10.1371/journal.pbio.1002149">Meritxell Huch</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’ajout de DAP dans le milieu de culture de ces organoïdes a permis, là encore, de restaurer la fonction de la protéine CFTR. Et ce, avec une efficacité comparable à celle d’un médicament déjà utilisé pour traiter des patients atteints de formes de mucoviscidose dues à un autre type de mutation que des mutations non-sens.</p>
<p>Ce résultat corrobore l’hypothèse que la DAP pourrait constituer un candidat médicament pertinent pour le traitement des mucoviscidoses liées à des mutations non-sens.</p>
<p>Enfin, pour se rapprocher encore davantage de la physiologie rencontrée chez les patients, nous avons effectué des expérimentations chez la souris.</p>
<h2>La DAP est aussi efficace chez l’animal</h2>
<p>Chez ce rongeur, l’absence de protéine CFTR conduit à une forte mortalité non seulement durant la gestation, mais aussi pendant les premiers jours qui suivent la naissance.</p>
<p>En nourrissant quotidiennement avec de la DAP, trois jours durant, des souris adultes porteuses d’une mutation non-sens dans le gène CFTR, nous avons montré que nous effacions les conséquences de cette dernière : ce traitement a en effet permis de <a href="https://www.cell.com/molecular-therapy-family/molecular-therapy/fulltext/S1525-0016(23)0 0014-X">restaurer la production et la fonction de la protéine CFTR</a>.</p>
<p>De manière encore plus remarquable, ces travaux ont révélé qu’il est possible de restaurer l’expression et la fonction de CFTR chez le fœtus, en administrant de la DAP à une femelle gestante. À la naissance, la protéine CFTR était présente chez les souriceaux, et le pourcentage de souris porteuses de la mutation correspondait au pourcentage attendu pour une mutation non mortelle. Ces résultats indiquent que la DAP est donc capable de passer la barrière du placenta.</p>
<p>Nous nous sommes aussi aperçus que nous pouvions prolonger l’exposition des petits après la naissance en poursuivant le traitement de la mère. En effet, la DAP passe aussi dans le lait maternel. Les souriceaux sont donc exposés à la molécule pendant toute la période d’allaitement.</p>
<p>Enfin, la DAP est également connue pour sa capacité à traverser la barrière hémato-encéphalique, qui protège le cerveau, ce qui laisse entrevoir la possibilité de l’utiliser afin de traiter des mutations non-sens dans cet organe.</p>
<p>Ce type d’intervention n’est cependant pas encore à l’ordre du jour : plusieurs étapes restent à franchir avant de pouvoir envisager d’utiliser la DAP comme médicament chez l’être humain.</p>
<h2>Et maintenant ?</h2>
<p>On peut aujourd’hui raisonnablement considérer la DAP comme une candidate solide pour la mise au point d’un traitement des formes de mucoviscidose dues aux mutations non-sens. Cependant, elle ne peut pas encore être administrée en l’état à l’être humain. Avant d’en arriver là, deux étapes majeures doivent encore être franchies.</p>
<p>Il faudra tout d’abord trouver une formulation pharmacologique qui permettra de rendre la DAP facilement administrable, et qui optimisera sa distribution dans l’organisme au cours du traitement.</p>
<p>Surtout, il faudra tester sa toxicité potentielle chez l’animal et l’être humain. Des tests réglementaires permettront de déterminer si la DAP peut entrer en <a href="https://theconversation.com/essais-cliniques-pratiques-et-reglementation-en-france-53331">phase d’essais cliniques</a> (durant laquelle elle sera administrée à des patients) ou si elle est au contraire trop dangereuse pour être administrée aux malades.</p>
<p>Ces deux étapes nécessitant des budgets très importants, elles seront entreprises par une jeune start-up, Genvade Therapeutics.</p>
<p>Jusqu’à présent, seules deux molécules correctrices de mutations non-sens ont atteint la phase des essais cliniques (ataluren et ELX-02). Malheureusement, ni l’une ni l’autre n’a permis d’améliorer significativement les symptômes des patients. Une des raisons avancées pour expliquer cet échec est que l’efficacité de ces molécules pourrait être trop faible pour se traduire par un bénéfice thérapeutique.</p>
<p>La DAP présente toutefois un profil plus prometteur, puisque son efficacité est très largement supérieure à celle de ces composés. Si les espoirs qu’elle soulève s’avèrent fondés, elle pourrait en théorie être utilisée pour traiter d’autres maladies génétiques, comme la myopathie de Duchenne ou l’hémophilie par exemple. Mais pour cela, de nombreux travaux complémentaires seront nécessaires.</p>
<p>Une chose est certaine : quelle que soit l’issue de ces recherches, elles auront été riches d’enseignements. Elles nous auront notamment rappelé que la biodiversité qui nous entoure est une richesse à préserver. En effet, qui aurait pu prévoir qu’un champignon aussi banal que le clitocybe inversé abritait une molécule potentiellement capable de corriger notre ADN ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205436/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Lejeune est fondateur de la start-up Genvade Therapeutics. Fabrice Lejeune a reçu des financements de Vaincre la mucoviscidose, la Fondation maladies rares, la Fondation les Ailes, l'Agence Nationale de la Recherche et l'AFM-Téléthon. De plus, le laboratoire a reçu un financement du Contrat Plan Etat Région 2015-2020. </span></em></p>
En cuisine, le clitocybe inversé, un champignon comestible de nos forêts, est médiocre. Mais son intérêt est ailleurs : capable d’agir sur l’ADN, il pourrait un jour soigner des maladies génétiques.
Fabrice Lejeune, Chercheur Inserm au sein du laboratoire CANcer Heterogeneity, Plasticity and Resistance to THERapies (Inserm/ CNRS/ Université de Lille/Institut Pasteur de Lille/CHU Lille), Université de Lille
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/189418
2023-02-23T20:34:01Z
2023-02-23T20:34:01Z
Laits infantiles : quand l’arrêt de l’allaitement mettait en péril la vie des nourrissons
<p>Fin janvier, le laboratoire Gallia annonçait le rappel d’un lot de lait en poudre pour nourrisson <a href="https://rappel.conso.gouv.fr/fiche-rappel/9189/Interne">suspecté d’avoir été contaminé par des bactéries</a>.</p>
<p>Hasard du calendrier, deux semaines plus tard, le 16 février 2023, le groupe Lactalis annonçait sa mise en examen pour « tromperie aggravée et blessures involontaires » dans le cadre de l’enquête sur d’autres contaminations, survenues fin 2017. Des dizaines de nourrissons étaient alors tombés malades, contaminés par des bactéries salmonelles, <a href="https://www.la-croix.com/France/Lactalis-mis-examen-retour-laffaire-lait-infantile-contamine-salmonelles-2023-02-16-1201255472">après avoir consommé des produits provenant d’une des usines du groupe</a>.</p>
<p>Plus récemment encore, de l’autre côté de l’Atlantique, la <a href="https://www.fda.gov/safety/recalls-market-withdrawals-safety-alerts/reckitt-recalls-two-batches-prosobee-129-oz-simply-plant-based-infant-formula-because-possible">Food and Drug Administration américaine</a> (FDA) annonçait le 20 février que la société multinationale anglaise Reckitt <a href="https://www.washingtonpost.com/business/2023/02/21/enfamil-prosobee-baby-formula-recall/">rappelait 145 000 boîtes d’Enfamil ProSobee, un substitut de lait maternel</a>, en raison d’une contamination possible par la bactérie <em>Cronobacter sakazakii</em>, responsable de graves méningites chez les enfants en bas âge. Cette situation ravive le souvenir de la crise qui avait touché ce pays au printemps 2022 : un rappel massif des produits de la marque Abbott avait alors provoqué une grave pénurie d’approvisionnement dans le pays.</p>
<p>Cette situation sans précédent avait révélé à quel point les substituts du lait maternel occupent aujourd’hui une place importante dans l’alimentation des nourrissons. Retour sur l’histoire – pas si ancienne – de ces produits, qui ont participé au recul de la mortalité infantile.</p>
<h2>La crise américaine de 2022</h2>
<p>Au printemps 2022, quatre nourrissons nourris avec des laits infantiles de la marque Abbott étaient tombés malades, et deux étaient malheureusement décédés. Une investigation de la FDA avait alors mis en évidence la présence de la bactérie <a href="https://www.cdc.gov/cronobacter/infection-and-infants.html"><em>Cronobacter Sakazakii</em></a> dans l’usine dont provenaient les lots concernés (sans toutefois pouvoir établir avec certitude un lien entre cette bactérie et les décès).</p>
<p>En conséquence, le fabricant avait rappelé sa production, provoquant une grave pénurie d’approvisionnement en laits infantiles dans le pays. Les familles défavorisées bénéficiant du programme de complémentation nutritionnelle WIC (<em>Women, Infant, Children</em>) avaient été les plus touchées, car la marque Abbott contribuait majoritairement à ce programme d’aide alimentaire.</p>
<p>Pour atténuer la crise, il avait alors fallu lancer l’opération <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/05/24/depuis-la-base-de-ramstein-en-allemagne-l-armee-americaine-organise-un-pont-aerien-du-lait-pour-bebe_6127459_3234.html">« Fly formula »</a>, afin d’acheminer par avions militaires de lait en poudre pour nourrissons provenant d’Europe notamment.</p>
<p>Cette crise moderne, alimentaire et sociale, largement médiatisée au Royaume-Uni et outre-Atlantique, avait fait resurgir le spectre de l’époque où l’allaitement était un gage de survie pour les nouveau-nés. Un temps pas si lointain, même s’il est sorti de notre mémoire collective…</p>
<h2>Les nourrices, une alternative répandue jusqu’à la fin du XIXᵉ siècle</h2>
<p>Jusqu’à la fin de XIX<sup>e</sup> siècle, un enfant privé du lait de sa mère devait <a href="https://journals.openedition.org/transtexts/497">être confié à une nourrice</a>. Quand la famille avait de l’agent, cette nourrice restait à domicile (« sur lieu ») et tout se passait souvent bien. Sauf pour le propre enfant de la nourrice, qui se trouvait à son tour privé du lait de sa mère et confié à d’autres…</p>
<p>Dans son ouvrage <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k11589078"><em>Erreurs à éviter dans l’alimentation infantile. Les divers laits qui conviennent aux nourrissons</em></a>, le médecin français Gaston Félix Joseph Variot soulignait que « la mortalité des enfants de 0 à 1 an élevés au sein, à la campagne, par leur mère était de 4 % ». Cette même mortalité pour la même tranche d’âge était de 30 % chez des nourrices « mercenaires ». Pour comparaison, la mortalité infantile en France est à ce jour de l’ordre de 3,5 ‰ selon l’Insee.</p>
<p>Cette situation était si préoccupante qu’elle a été à l’origine de l’une des premières lois de protection maternelle et infantile, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000691909">loi Roussel</a> du 23 décembre 1874. Ce texte imposait une surveillance de tout enfant de moins de 2 ans « en nourrice », dans le but de « protéger sa vie et sa santé ». Elle imposait aux femmes souhaitant être nourrice « sur lieu » de fournir un certificat indiquant que leur dernier enfant était « vivant » et âgé d’au moins 7 mois révolus. Dans le cas où il n’aurait pas atteint cet âge, il fallait prouver qu’il était allaité par une femme remplissant les conditions de cette même loi.</p>
<p>Cette loi répondait non seulement au caractère immoral pour une « jeune mère » « mercenaire » de délaisser son propre enfant par appât du gain, mais aussi aux dérives de certaines nourrices qui falsifiaient le lait de vache pour des raisons économiques (coupage, utilisation de panades/bouillies) et le donnaient en place de leur lait… Le résultat de cette alimentation inadaptée aux besoins du nourrisson était une malnutrition présentant un risque vital pour la santé de l’enfant.</p>
<p>À cette époque, les alternatives à l’allaitement étaient quasi inexistantes. Certes, le recours à un lait provenant d’animaux, principalement celui de la vache, était possible, mais le risque de contamination bactérienne était grand. Il était de ce fait plus sûr « à la campagne » qu’en ville, où il était acheminé dans des conditions d’hygiène mal contrôlées. Là encore, des contrefaçons (coupage) étaient responsables de troubles digestifs <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6468103w">pouvant aboutir au décès de l’enfant</a>.</p>
<p>Les choses ont commencé à changer avec le développement des premiers succédanés du lait humain.</p>
<h2>Les premiers laits de substitution</h2>
<p>Les premiers succédanés du lait humain datent de la moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, lorsque les développements technologiques et industriels ont permis de les produire, en quantité.</p>
<p>L’objectif était de conserver le lait avec une sécurité bactériologique suffisante. Le chauffage, l’évaporation (pour obtenir des laits condensés), le conditionnement en boîte sans contact avec l’air firent l’objet de recherches menées par des personnes bien connues, comme <a href="https://francearchives.fr/fr/pages_histoire/39492">Nicolas Appert</a> en France, l’inventeur de l’appertisation, le procédé à l’origine des conserves, ou <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gail_Borden">Gail Borden</a> aux États-Unis, qui a mis au point le lait concentré sucré.</p>
<p>La cible initiale, cependant, était plus les hommes de troupe que les nourrissons. En 1865, la bouillie pour nourrissons de Justus Von Liebig fut <a href="https://www.cairn.info/l-economie-mondiale-en-50-inventions--9782130800415-page-75.htm">l’une des premières préparations à être utilisée chez l’enfant</a>, surtout en Allemagne. Elle fut bientôt suivie par celle d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Henri_Nestl%C3%A9">Henri Nestlé</a> et <a href="https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/029933/2008-03-13/">Maurice Guigoz</a> en Suisse, ou de Gallia et Berna en France.</p>
<p>L’un des principaux problèmes rencontrés à cette époque était la destruction des vitamines lorsque le lait était chauffé pour détruire les bactéries potentiellement pathogènes. Le produit résultant exposait les nourrissons à un grand risque de scorbut (carence en vitamine C) et de rachitisme (carence en vitamine D). Pour cette raison on ajoutait du saccharose (sucre de table) au lait, ce qui permettait de diminuer la température de chauffage et mieux préserver les constituants du lait de vache.</p>
<p>C’est au cours de la Première Guerre mondiale que le lait « condensé sucré » produit pour nourrir les soldats commença à être largement utilisé pour l’alimentation des enfants. Le lait condensé sucré « Gallia » était fabriqué par l’usine de Neufchâtel-en-Bray, en Normandie, laquelle évolua en 1947 en « laboratoire Gallia », sous l’impulsion de Charles Gervais.</p>
<h2>Le tournant du XXᵉ siècle</h2>
<p>L’hygiène, la puériculture et l’alimentation de l’enfant prirent tout leur essor à la fin du XIX siècle, avec la création en 1898 par Gaston Variot de la « Goutte de lait » à Belleville, aux portes de Paris, qui préfigurait les instituts de puériculture.</p>
<p>C’est à partir de ce moment que l’on commença à suivre la croissance des nourrissons sur les courbes qui figurent toujours dans les carnets de santé de l’enfant (même si elles ont depuis été mises à jour). Ainsi, par les mesures sociales citées plus haut, la rationalisation des soins aux nourrissons, la nutrition de l’enfant et l’utilisation des succédanés du lait devinrent plus sures.</p>
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<p>Individualiser le bénéfice des progrès en nutrition infantile est néanmoins difficile à documenter, comme le rappelle lui-même Gaston Variot dans son rapport sur la mortalité des enfants de 1 à 14 ans, en 1903 : « l’atrophie et le rachitisme sont des états morbides qui ne tuent pas par eux-mêmes les enfants, mais les placent dans des conditions d’infériorité, de faible défense vitale telle que la première maladie infectieuse qui les atteint peut les emporter ». Et d’ajouter « sur les feuilles de décès, le médecin inscrit la dernière maladie, cause immédiate de la mort, mais pas l’état préexistant… ».</p>
<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, en France, la mortalité des enfants de 1 à 4 ans se situait autour de 2 %. Toujours selon Gaston Variot : « la proportion de décès devient énorme de 0 à 1 an » (de l’ordre de 20 % selon les données disponibles dans ce même rapport pour la ville de Paris).</p>
<p>L’évolution de la société, les progrès scientifiques et en santé, l’hygiène ont contribué conjointement à diminuer la mortalité infantile jusqu’aux chiffres observés de nos jours.</p>
<h2>Aujourd’hui : promouvoir l’allaitement sans stigmatiser</h2>
<p>L’allaitement reste l’alimentation la plus adaptée au nourrisson. Il nécessite d’être promu de façon permanente, mais en se gardant toutefois de culpabiliser les mères qui ne souhaiteraient, ou ne pourraient, pas y recourir. </p>
<p>En France, le <a href="http://beh.santepubliquefrance.fr/beh/2014/27/2014_27_2.html">taux d’allaitement est de 74 % à la naissance pour baisser à 39 % à trois mois</a>. Lorsque l’enfant n’est plus ou partiellement allaité, il existe une grande variété de préparations adaptées non seulement à l’âge de l’enfant, mais aussi à certaines maladies du nourrisson. </p>
<p>S’ils sont sûrs, ces aliments font aussi l’objet d’une pression d’utilisation « commerciale » qui peut compromettre, dans certains cas, la mise en place d’un allaitement. La vigilance est donc de mise : un article récent ainsi souligné que <a href="https://doi.org/10.1136/bmj-2022-071075">certaines allégations concernant des caractéristiques des préparations pour nourrissons ne s’appuyaient pas toutes sur des données vérifiées</a>.).</p>
<p>Au-delà de ces considérations, la pénurie américaine de 2022 nous a brusquement rappelé à quel point nous sommes devenus dépendants de ce mode d’alimentation chez l’enfant. Bien que critique, cette crise - qui devrait probablement nous interroger sur la concentration de nos modes de production - n’a pas, tant s’en faut, été aussi funeste que celle qui touchait les enfants privés du lait de leur mère, dans un passé pas si lointain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189418/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Régis Hankard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’actualité récente a été marquée par plusieurs crises liées à des contaminations de laits infantiles. Retour sur l’histoire de ces produits, qui ont participé à faire reculer la mortalité infantile.
Régis Hankard, PU-PH, Professeur de Pédiatrie, Inserm UMR 1069 "Nutrition, Growth Cancer" & Inserm F-CRIN PEDSTART, Institut Européen de l'Histoire et des Cultures de l'Alimentation,Université de Tours, CHU de Tours, Inserm
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2023-01-24T19:08:49Z
2023-01-24T19:08:49Z
Mucoviscidose : Pourquoi les femmes sont-elles plus vulnérables que les hommes ?
<p>Les recherches sur la mucoviscidose ont permis d’augmenter considérablement l’espérance de vie des patients atteints par cette grave maladie. En 1945, avant le début de la prise en charge des patients, l’âge médian de survie était de 4 à 5 ans, <a href="https://www-ncbi-nlm-nih-gov.proxy.insermbiblio.inist.fr/pmc/articles/PMC9004282/">il est progressivement passé à 20 ans dans les années 1980, et il est aujourd’hui de 50 ans</a>.</p>
<p>Malheureusement, tous les patients ne sont pas égaux devant la maladie : certains ne sont pas éligibles aux nouvelles thérapies, d’autres ne réagissent pas aux traitements de la façon attendue… Par ailleurs, la <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-020-02110-0">mortalité des femmes demeure aujourd’hui encore plus élevée que celle des hommes</a> : <a href="https://openres.ersjournals.com/content/7/1/00475-2020#ref-6">leur espérance de vie est de 49 ans en moyenne, contre 56 pour les hommes</a>. Pourquoi les deux sexes n’ont-ils pas les mêmes chances face à la maladie ?</p>
<p>Nos recherches à l’Institut Mondor de recherche biomédicale, à Créteil, visent notamment à répondre à cette question. Nous avons récemment découvert une nouvelle piste qui pourrait expliquer, au moins en partie, l<a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fimmu.2022.915261/full">a plus grande vulnérabilité des femmes malades par rapport aux hommes</a>.</p>
<h2>L’inflammation, un problème central dans la mucoviscidose</h2>
<p>Nos travaux ont révélé que certaines molécules intervenant dans l’interruption de l’inflammation sont fabriquées en quantité insuffisantes par les cellules respiratoires des femmes atteintes de mucoviscidose. Pour comprendre le rôle de l’inflammation dans la maladie, attardons-nous un instant sur ses causes.</p>
<p>En France, 6000 personnes environ sont actuellement touchées par la mucoviscidose, et chaque année, environ 200 enfants atteints naissent atteints de cette maladie génétique héréditaire. Cette affection <a href="https://theconversation.com/resoudre-le-casse-tete-de-la-mucoviscidose-et-de-ses-traitements-une-percee-digne-dun-prix-nobel-175486">concerne principalement les poumons, mais elle atteint aussi d’autres organes</a>, dont ceux de l’appareil digestif, et <a href="https://www.inserm.fr/dossier/mucoviscidose/">l’appareil reproducteur</a>.</p>
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<p>Elle est causée par une anomalie du gène CFTR, qui permet normalement de fabriquer une protéine « canal » située dans la membrane cellulaire des muqueuses (respiratoires, digestives…). Ce canal est responsable de la sécrétion d’ions chlorure vers l’extérieur des cellules. Chez les personnes atteintes de mucoviscidose, ce passage dysfonctionne. Conséquences : les cellules sécrètent moins de chlorure et surtout moins d’eau, notamment à la surface des voies respiratoires.</p>
<p>Ce manque d’eau a d’importantes conséquences. En effet, en temps normal, les voies respiratoires sont recouvertes d’une fine couche de liquide et de mucus, laquelle permet d’éliminer des microbes entrés dans l’organisme par le nez ou par la bouche. Lorsque cette couche est déshydratée, le mucus devient visqueux et collant. Il ne remplit plus correctement sa fonction, c’est pourquoi chez les patients atteints de mucoviscidose, bactéries et champignons restent donc piégés dans les bronches.</p>
<p>Les infections répétées qui résultent de cette situation ont pour conséquence l’installation d’une inflammation durable dans les poumons, ce qui conduit à leur dégradation progressive. Cette inflammation persistante est responsable des difficultés à respirer et, à terme, du décès des malades.</p>
<h2>Quand l’inflammation devient néfaste</h2>
<p>La réponse inflammatoire est habituellement protectrice. Elle défend l’organisme contre une agression, une infection, un traumatisme, une blessure… Une fois cette mission accomplie, en principe, <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2019/05/14/inflammation-mieux-vaut-stimuler-sa-resolution-qu-empecher-son-declenchement_5461833_1650684.html">elle s’interrompt spontanément</a>, on dit qu’elle se « résout ». C’est lorsque l’inflammation persiste, comme dans la mucoviscidose, qu’elle pose un problème de santé. </p>
<p>Plutôt que d’empêcher le déclenchement de l’inflammation, une piste thérapeutique pleine de promesses consiste à stimuler la résolution de l’inflammation. Cette dernière est orchestrée par diverses molécules appelées lipoxines, résolvines, marésines et protectines. Elles appartiennent toutes à la grande famille des <em>specialized pro-resolving mediators</em> (ou SPM), découverte dans les années 2000 par le <a href="https://dms.hms.harvard.edu/people/charles-n-serhan-1">scientifique Charles Serhan, chercheur à Harvard Medical School</a>. </p>
<p>Ces « soldates du feu » sont très importantes pour éteindre l’incendie de l’inflammation au sein de notre organisme. Elles interviennent aussi dans la réparation des tissus qui ont été endommagés pendant la phase aiguë de l’inflammation.</p>
<p>On l’a vu, chez les personnes atteintes de mucoviscidose, l’épaississement du mucus aboutit à une augmentation de l’inflammation. Mais cette inflammation plus importante n’est pas la seule explication de la maladie. En effet, chez les malades, la réaction inflammatoire est, de plus, inefficace et disproportionnée ; elle est même quelquefois observée en absence d’infection microbienne.</p>
<p>Les observations réalisées par notre équipe de recherche pourraient expliquer cette situation. Nous avons en effet notamment montré que plusieurs membres de la famille des molécules de la résolution de l’inflammation <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fimmu.2022.915261/full">sont produits en quantité plus faibles</a> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/15034576/">chez les personnes atteintes de mucoviscidose</a> <a href="https://erj.ersjournals.com/content/44/2/394">que chez les autres</a>.</p>
<h2>Pourquoi hommes et femmes sont-ils inégaux face à la mucoviscidose ?</h2>
<p>Plusieurs études ont par ailleurs démontré que, dans la population générale (donc chez des personnes qui ne sont pas atteintes par la mucoviscidose), les <a href="https://pubmed-ncbi-nlm-nih-gov.proxy.insermbiblio.inist.fr/27893465/https://pubmed-ncbi-nlm-nih-gov.proxy.insermbiblio.inist.fr/23327902/">femmes produisent plus de SPMs que les hommes</a>. Ce constat pourrait expliquer en partie leur longévité supérieure à celle des hommes (en 2022, <a href="https://www.statista.com/statistics/460418/france-life-expectancy-by-gender/">l’espérance de vie des femmes à la naissance est de 85,5 ans contre 79,4 ans pour les hommes</a>).</p>
<p>Le dépistage systématique de la mucoviscidose à la naissance a révélé que les nombres de nouveau-nés masculins et féminins atteints de mucoviscidose sont similaires. Cependant, les jeunes patientes développent une maladie pulmonaire plus précoce et plus sévère que les garçons. Cette situation fait que l’espérance de vie des femmes atteintes de mucoviscidose est plus faible que celle des hommes, à l’inverse de ce qui est observé dans la population générale.</p>
<p>Les raisons de ces différences sont encore mal comprises, mais nos travaux ont révélé que les <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fimmu.2022.915261/full">cellules respiratoires des femmes atteintes de mucoviscidose produisent moins de SPMs que celles des hommes</a>, ce qui pourrait constituer un début d’explication. Nous cherchons maintenant à identifier les mécanismes moléculaires impliqués dans cette anomalie, avec l’espoir de mettre au jour de nouvelles pistes thérapeutiques.</p>
<p>Ces travaux pourraient également permettre de mieux comprendre la situation d’autres patients, car l’étude des molécules de la résolution de l’inflammation présente un intérêt qui s’étend bien au-delà de la seule mucoviscidose. En effet, des anomalies les concernant ont également été constatées dans d’autres maladies : maladies inflammatoires chroniques comme la périodontie (inflammation des gencives), sclérose en plaques, maladies cardio-vasculaires, asthme sévère, ou Covid-19 sont notamment concernées. En outre, en vieillissant, l’organisme produit de moins en moins de SPMs, ce qui contribue à la vulnérabilité des personnes plus âgées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195467/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les travaux de recherche de Valerie Urbach sont financés par l'Institut National de la Santé Et de la Recherche Médicale (INSERM) ainsi que par les associations de patients Vaincre la Mucoviscidose et l'Association Gregory Lemarchal </span></em></p>
La durée de vie moyenne des femmes atteintes de mucoviscidose est de 49 ans, contre 56 ans pour les hommes. Pourquoi une telle différence ? La réponse pourrait se trouver du côté de l'inflammation.
Valerie Urbach, Chargée de recherche, chercheur, INSERM, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
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2022-11-24T22:31:25Z
2022-11-24T22:31:25Z
Non, les footballeurs d’aujourd’hui ne sont pas physiquement si différents de ceux d’hier
<p>« Le football, il a changé », constatait Kylian Mbappé en juin dernier. Si l’on considère les aspects financiers de ce sport, c’est incontestable ; le football a en effet radicalement changé au cours des dernières décennies. En 1970, les revenus générés par la première division française étaient de l’ordre de 1 million d’euros. En 2011, <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/les-metamorphoses-du-football">ils étaient estimés à 1 milliard</a>. Cette progression témoigne d’une transformation qui a fait passer le football au rang de « sport-business ». La Coupe du monde en cours au Qatar est la parfaite illustration de ce nouveau statut.</p>
<p>Le football semble aujourd’hui gouverné par l’argent, et les différences entre les équipes n’ont jamais semblé si importantes. Pour autant, sur le terrain, le football a-t-il subi des transformations aussi drastiques qu’en dehors ? Il est commun d’entendre que les joueurs des décennies précédentes n’auraient plus leur place dans le football actuel. Mais sur quoi se base-t-on pour avancer de telles spéculations ? Le football a-t-il vraiment évolué ? La réalité est plus contrastée qu’on ne l’imagine généralement.</p>
<h2>L’évolution des demandes techniques et tactiques</h2>
<p><a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1440244013000832">L’analyse des finales de Coupe du monde de 1966 à 2010</a> révèle une modification significative des demandes techniques et tactiques.</p>
<p>En l’espace de 44 ans, les matchs sont devenus plus exigeants techniquement, ce qui se traduit par un nombre de passes plus élevé (+35 %), et une vitesse de balle supérieure (+15 %). Le taux de réussite de ces actions est également plus important. Ces résultats peuvent s’expliquer par plusieurs facteurs. Parmi ces derniers, l’amélioration de la qualité des terrains de football, qui s’est accompagnée par des avancées technologiques concernant le matériel (ballon, chaussures), rend l’exécution technique plus aisée qu’auparavant.</p>
<p>De cette évolution technique a découlé une évolution tactique. En effet, la vitesse de jeu a augmenté, notamment en raison de l’augmentation de la densité de joueurs sur le terrain. L’analyse des déplacements des joueurs lors des matchs a permis de montrer que les défenseurs laissaient de moins en moins d’espace à l’équipe en possession du ballon. Autrement dit, l’espace délimité par les 20 joueurs de champ est plus restreint de nos jours que durant les décennies 1960-1970.</p>
<p>Cela n’est pas sans conséquence sur le comportement des joueurs qui doivent, pour espérer passer le rideau défensif, acquérir davantage de rapidité dans leur prise d’information et leur exécution. Leurs déplacements, notamment, doivent être plus vifs et plus précis s’ils veulent avoir une chance de s’extraire des marquages adverses, et ainsi créer des différences.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/peut-on-devenir-meilleur-au-football-en-regardant-des-videos-131621">Peut-on devenir meilleur au football en regardant des vidéos ?</a>
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<p>Donc oui, une fois la balle en jeu, les actions sont devenues plus rapides. Pour autant, le rythme du match a globalement ralenti. Bien que le nombre d’arrêts de jeu n’ait pas changé entre 1966 et 2010, la durée de ceux-ci s’est allongée, menant à une baisse significative du temps de jeu effectif d’un match. Alors que le ratio entre temps d’effort et temps de récupération était de 4 pour 1 au cours des premières finales de la Coupe du monde qui ont été analysées, il est passé à 1,5 pour 1 ces dernières années.</p>
<p>Cette baisse du temps de jeu effectif s’explique par la volonté des joueurs d’allonger les temps de récupération afin d’être capables d’endurer les périodes de demandes élevées à haute intensité. Elle permet aussi de rétablir la structure tactique de l’équipe.</p>
<h2>Évolution des demandes physiques</h2>
<p>Les demandes physiques sont modelées par les demandes techniques et tactiques du jeu. L’apparition d’actions plus rapides et de temps de récupération plus long au cours d’un match s’est accompagnée d’un changement de comportement, comme le révèle l’analyse des déplacements des joueurs.</p>
<p>Entre les saisons 2006-2007 et 2012-2013 en Premier League (le championnat anglais), les distances parcourues à haute intensité, le nombre d’actions réalisées à haute intensité et la distance parcourue en sprint <a href="https://www.semanticscholar.org/paper/The-evolution-of-physical-and-technical-performance-Barnes-Archer/d45fc3e33ba2cc057068b856d14b510723e070ba">ont augmenté respectivement de 29 %, 49 % et 8 %</a>. Dans le même temps, la distance totale parcourue n’a subi qu’une augmentation triviale de 2 %.</p>
<p>Cette observation se confirme encore aujourd’hui en Espagne : une étude récente menée entre les saisons 2012-2013 et 2018-2019 a révélé une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/24733938.2022.2049980">légère baisse de la distance totale parcourue, pour une augmentation du nombre d’efforts à haute intensité</a> (comprise entre 9 % et 15 % selon les postes). Il a d’ailleurs été récemment montré que les <a href="https://www.mdpi.com/1660-4601/16/20/4032/htm">performances physiques en match étaient corrélées au succès de l’équipe</a>.</p>
<p>En prenant en compte le taux d’augmentation annuel sur ces 20 dernières années, il est prédit que cette évolution se poursuivra au minimum <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/sms.13681">jusqu’en 2030</a>.</p>
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<p>Dans ce contexte, les équipes devront appliquer de plus en plus de pression pour gagner leurs matchs, ce qui se traduira par une augmentation des séquences de pressing haut, ainsi qu’une augmentation des contre-attaques et des sprints. Les postes les moins sollicités physiquement à l’heure actuelle (défenseurs centraux et gardiens de but) se verront contraints de contribuer davantage aux phases d’attaque. Ces évolutions pourraient se traduire par une augmentation des risques de blessure et de fatigue mentale chez les joueurs professionnels.</p>
<h2>Des joueurs qui ont peu changé physiquement</h2>
<p>Bien que l’évolution des demandes techniques et tactiques ait modelé les exigences physiques, il semblerait que cela n’ait pas eu d’impact majeur sur les caractéristiques anthropométriques des joueurs de football professionnels.</p>
<p>Les études ayant recensé ces valeurs lors de la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02640410050120050">Copa America en 1995</a>, en <a href="https://journals.lww.com/nsca-jscr/Fulltext/2010/05000/Variation_in_Body_Composition_in_Professional.25.aspx">Ligue 1 en 2010</a>, et en <a href="https://www.termedia.pl/Anthropometric-characteristics-and-aerobic-performance-of-professional-soccer-players-by-playing-position-and-age,129,45470,0,1.html">Europe de l’Est en 2022</a> révèlent que le poids des joueurs semble avoir peu varié (76,4 kg en 1995 contre 77,7kg en 2010, soit 1,7 % de différence). Il en va de même pour le pourcentage de masse adipeuse (10,4 % en 2010 ; 11,4 % en 2022).</p>
<p>Tout comme les caractéristiques anthropométriques, les qualités cardiovasculaires des joueurs ont également peu évolué par rapport aux décennies précédentes.</p>
<h2>Pas d’augmentation significative des qualités cardiovasculaires</h2>
<p>Les qualités cardiovasculaires sont mesurées à l’aide de la VO<sub>2</sub> max, représentant la capacité d’un individu à capter de l’oxygène, à le transporter et à l’utiliser au niveau musculaire. Il a été suggéré qu’un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02640410050120050">seuil minimal de VO₂ max</a> était requis pour pratiquer le football au plus haut niveau, sans pour autant que ce soit une qualité prioritaire pour la performance.</p>
<p>L’évaluation de la puissance maximale aérobie chez des footballeurs professionnels norvégiens entre 1989 et 2012 a permis de montrer qu’en relation avec la masse des athlètes, la <a href="https://journals.humankinetics.com/view/journals/ijspp/8/3/article-p323.xml">VO₂ max n’avait pas évolué</a>. Plus récemment, des résultats issus de <a href="https://journals.lww.com/nsca-jscr/Abstract/2021/01000/Match_Running_Performance_of_Elite_Soccer_Players_.23.aspx">deuxième division grecque</a> et de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/15438627.2021.1888107">première division croate</a> ont rapporté une VO<sub>2</sub> max moyenne réduite en comparaison du seuil minimal suggéré pour atteindre le plus haut niveau.</p>
<p>Ces résultats, provenant de compétitions ne faisant pas partie du top 5 européen, confirment que la VO<sub>2</sub> max permet de discriminer le niveau de pratique jusqu’à un certain point. Toutefois, le football moderne ne nécessite pas d’augmentation significative des qualités cardiovasculaires en comparaison des décennies précédentes. Par ailleurs, des travaux récents suggèrent que le <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/15438627.2021.1888107">VO₂ max n’est que peu prédictif des distances parcourues à différentes intensités</a> lors d’un match.</p>
<p>Si les caractéristiques anthropométriques et les qualités cardiovasculaires des joueurs n’ont que peu évolué durant les dernières décennies, il n’en va pas de même, en revanche, de leurs capacités neuromusculaires.</p>
<h2>Des capacités neuromusculaires en progression</h2>
<p>Contrairement aux qualités cardiovasculaires, les qualités neuromusculaires (de force et de vitesse) des joueurs semblent avoir évolué positivement lors de ces dernières années. En effet, <a href="https://journals.humankinetics.com/view/journals/ijspp/8/2/article-p148.xml">entre 1995 et 2010</a>, l’évaluation continue des joueurs professionnels norvégiens a notamment montré une augmentation de l’ordre de 1,3 % de la vitesse en sprint.</p>
<p>Ce constat se confirme lorsque l’on compare les résultats rapportés en <a href="https://www.thieme-connect.de/products/ejournals/abstract/10.1055/s-2001-11331">2001</a> chez des joueurs de première division française avec les résultats des <a href="https://www.semanticscholar.org/paper/ISOKINETIC-STRENGTH-AND-SPRINT-TIMES-IN-ENGLISH-Cotte-Chatard/be49099d0a9b21b0533d21bc063150280e911649">joueurs de Premier League anglaise</a> 10 ans plus tard. En effet, en moyenne, le pic de force développée sur les extenseurs du genou est supérieur de 11,7 % pour une diminution négligeable du pic de force des fléchisseurs du genou de 0,8 %. Cela se traduit par un temps en sprint inférieur de 5,8 % sur 10 m et de 3,4 % en faveur des joueurs évoluant dans le championnat anglais.</p>
<p>Bien que les qualités neuromusculaires <a href="https://sciendo.com/it/article/10.2478/hukin-2020-0058">différencient largement les niveaux de pratiques</a>, en 2017, une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02640414.2017.1409609?journalCode=rjsp20">étude sur des joueurs de quatrième division danoise</a> rapportait des temps en sprint encore inférieurs (vitesse plus élevée) à ceux présentés en 2011 en Premier League. Cela démontre à quel point cette composante physique a pris de l’importance dans le football moderne. Ces résultats concernant les qualités neuromusculaires pourraient être corrélés à l’augmentation des distances parcourues à haute intensité ces dernières saisons.</p>
<p>Si les distances parcourues à haute intensité ont largement augmenté au cours des dernières années, cela ne signifie pas que le jeu actuel impose aux joueurs des contraintes physiologiques supérieures à celles auxquelles étaient soumis les footballeurs professionnels du passé. En effet, les qualités neuromusculaires plus élevées des joueurs actuels leur permettent de répondre aux contraintes du jeu moderne. Ils bénéficient par ailleurs de l’accroissement du temps de récupération entre les actions, le temps de jeu effectif ayant diminué. Autrement dit, le joueur de football actuel est plus rapide et plus fort que son homologue des décennies précédentes, même si ses qualités cardiovasculaires et anthropométriques n’ont que peu varié.</p>
<p>Tous ces résultats se vérifient également chez les footballeuses, avec une <a href="https://www.fifa.com/tournaments/womens/womensworldcup/france2019/news/physical-analysis-of-france-2019-shows-increase-in-speed-and-intensity">augmentation des distances parcourues à haute intensité</a>. Entre la Coupe du monde féminine de 2015 au Canada et celle de 2019 en France, on a ainsi constaté entre 16 et 32 % d’augmentation.</p>
<h2>L’évolution des règles pourrait aussi changer le profil des joueurs</h2>
<p>L’apparition de la règle des 5 changements, contre 3 auparavant, pourrait également faire évoluer le profil des joueurs de haut niveau. Dans un tel système, on peut imaginer que certains joueurs de l’effectif possédant des capacités accrues à réaliser des efforts de haute intensité, mais dotés de qualités cardiovasculaires réduites en comparaison de leurs coéquipiers, soient utilisés pour jouer des périodes réduites de match. Les qualités neuromusculaires bien supérieures de ces joueurs pourraient ainsi être mises à profit.</p>
<p>Compte tenu de ces évolutions, la détection de tels talents représente aujourd’hui un enjeu majeur pour les clubs élites, qui cherchent à fournir à leur équipe professionnelle des joueurs prêts à répondre aux demandes du football moderne. Le niveau physique neuromusculaire pour atteindre le haut niveau semble désormais bien plus discriminant qu’auparavant, ne laissant pas d’autres choix aux académies que d’en faire un des critères prioritaires de leur processus de recrutement. C’est la raison pour laquelle elles recherchent des joueurs toujours plus rapides à toutes les positions, quitte à les former à des postes qui ne sont pas, a priori, les leurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193763/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
En quelques décennies, le « foot » s’est radicalement transformé, devenant un lucratif « sport-business ». On pense souvent que cette métamorphose a radicalement changé le jeu et les joueurs. À tort ?
Tom Douchet, Doctorant, Centre d'Expertise de la Performance G. Cometti INSERM U1093 - Cognition, action et plasticité sensorimotrice, Université de Bourgogne – UBFC
Nicolas Babault, Maître de conférences, HDR - Centre d'Expertise de la Performance G. Cometti INSERM U1093 - Cognition, action et plasticité sensorimotrice, Université de Bourgogne – UBFC
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2022-11-23T20:16:39Z
2022-11-23T20:16:39Z
Le yoga modifie le cerveau et améliore la santé mentale
<p>Au cours de la dernière décennie, le yoga est devenu tendance, comme en témoigne la multiplication de ses déclinaisons, <a href="https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2017/08/27/le-yoga-victime-de-la-mode_5177092_4497916.html">plus ou moins fantaisistes</a>, ou encore la création, en 2015, d’une <a href="https://www.lemonde.fr//sport/video/2015/06/22/a-new-delhi-seoul-ou-paris-le-yoga-fete-sa-premiere-journee-internationale_4659321_3242.html">« Journée internationale du yoga »</a>.</p>
<p>On prête à cette discipline de nombreux bienfaits, et des travaux scientifiques ont cherché à évaluer ses effets sur la santé, ainsi que sa capacité à améliorer la situation de patients souffrant de diverses pathologies, tels que lombalgie, cancer ou problèmes cardiaques par exemple. Les conséquences de la pratique du yoga ont été étudiées non seulement dans la population générale, mais aussi auprès de populations spécifiques : adolescents, personnes souffrant de troubles mentaux, etc.</p>
<p>Les résultats semblent indiquer que faire du yoga se traduit effectivement par différents <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-BMAoaWBc2M">effets positifs sur la santé physique</a>. Cette pratique permet notamment <a href="https://doi.org/10.1186/s12966-019-0789-2">d’améliorer l’équilibre, la souplesse, ainsi que de renforcer les muscles</a> et le <a href="https://doi.org/10.1016/j.ijcard.2014.02.017">cœur</a>. Le yoga pourrait également avoir un <a href="https://doi.org/10.1016/j.ctcp.2021.101446">effet bénéfique sur le système immunitaire</a>, et <a href="https://doi.org/10.1371%2Fjournal.pone.0238544">présenter un intérêt dans la gestion de la douleur</a>.</p>
<p>Qu’en est-il de la santé mentale ? On sait aujourd’hui que pour cette dernière, pratiquer une activité physique est bénéfique. Le yoga ne fait pas exception. Il a même un effet direct sur le cerveau. Explications.</p>
<h2>Le yoga améliore l’activité du cerveau</h2>
<p>Le yoga présente la particularité, par rapport à d’autres types d’activité physique, de conjuguer des séquences de mouvements avec des exercices de contrôle de la respiration et de régulation de l’attention. Dans une méta-analyse récente, autrement dit une analyse statistique de données publiées dans la littérature scientifique (une <a href="https://theconversation.com/meta-analyses-de-lart-de-bien-melanger-torchons-et-serviettes-81286">« analyse d’analyses »</a>), des chercheurs chinois ont décortiqué les résultats de 15 publications scientifiques ayant étudié les effets du yoga ainsi que de pratiques appartenant au même type d’activité physique « corps-esprit » (tai-chi-chuan ou taiji, qi gong, baduanjin, wuqinxi…). Dans ces divers travaux, les chercheurs avaient notamment utilisé l’imagerie par résonance magnétique (IRM) pour observer les effets du yoga sur le cerveau.</p>
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<p>L’analyse de l’ensemble des résultats de ces différentes études montre plusieurs améliorations chez les pratiquants de ces activités corps-esprit, parmi lesquelles une <a href="https://doi.org/10.3390/brainsci11020205">augmentation de la taille de certaines régions du cerveau ainsi que de leur activité</a>. Ces changements s’opèrent principalement au niveau du cortex préfrontal, de l’hippocampe, du lobe temporal, de l’insula et du cortex cingulaire, des structures essentiellement impliquées dans la régulation émotionnelle, la mémoire et le contrôle de soi. Les chercheurs ont également observé une meilleure connectivité fonctionnelle dans les réseaux cérébraux de haut niveau, comme celui du contrôle cognitif (régulant l’attention, l’inhibition, la mémoire de travail, etc.) et celui du mode par défaut (réseau des pensées et des émotions de soi et d’autrui).</p>
<p>Une autre méta-analyse a mis en évidence que les <a href="https://doi.org/10.1089/acm.2016.0334">modifications cérébrales observées en IRM pouvaient être liées à des modifications comportementales</a> (observées lors d’évaluations psychologiques de pratiquants du yoga par des questionnaires, des observations, ou des entretiens). Comment ces modifications cérébrales se répercutent-elles sur leur quotidien ?</p>
<h2>Le yoga diminue le stress</h2>
<p>Une méta-analyse portant sur 42 études s’est intéressée à l’effet de la pratique du yoga sur le stress. Le stress est une réponse biopsychologique se traduisant notamment par des symptômes physiologiques, des pensées négatives et un ralentissement cognitif. </p>
<p><a href="https://doi.org/10.1016/j.psyneuen.2017.08.008">Le yoga semble contribuer à la réduction de stress en diminuant la quantité de cortisol, principale hormone du stress</a>. Ces résultats restent à nuancer et nécessitent des études plus approfondies avec notamment plus de participants et des interventions de plus longues durées pour juger d’un effet à long terme du yoga sur le stress.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-BMAoaWBc2M?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En plus de cette modification hormonale, d’autres travaux indiquent que le yoga aurait un effet <a href="https://doi.org/10.3233%2FBPL-190084">sur l’activité du cortex frontal et du cortex pariétal du cerveau</a>. Le cortex frontal est associé au contrôle de soi et des émotions, tandis que le cortex pariétal est à l’origine du traitement et de l’intégration des informations sensorielles.</p>
<p>Cela s’expliquerait par le fait qu’une séance de yoga est ponctuée d’instants méditatifs où les pratiquants doivent fréquemment se concentrer sur leur respiration, sur une partie spécifique de leur corps ou encore sur ce qu’ils ressentent à l’instant présent. Ces <a href="https://doi.org/10.1016/S0022-3999(03)00573-7">moments de méditation</a> aideraient à mieux réguler l’activité de ces régions cérébrales, tandis que l’activité associée à la charge mentale ou au stress serait diminuée.</p>
<h2>Le yoga améliore les symptômes anxiodépressifs</h2>
<p>L’anxiété est un débordement des capacités de régulation émotionnelle se manifestant par les symptômes retrouvés dans le stress. Elle ressemble à une inquiétude diffuse, associée notamment à des difficultés de concentration et d’endormissement. La dépression est quant à elle un trouble psychiatrique caractérisé par un dérèglement des émotions associé à un sentiment de tristesse ou de désespoir persistant, ainsi qu’à une perte d’intérêt et un repli sur soi. <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0149763414002012">Anxiété</a> et <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0149763412002059">dépression</a> sont associées à une modification de l’activité de l’amygdale, structure du cerveau notamment impliquée dans les émotions négatives.</p>
<p>Une méta-analyse portant sur 27 études menées sur des enfants et adolescents a étudié les effets du yoga sur les symptômes anxiodépressifs. Les participants sont soit des personnes typiques, soit des personnes avec des pathologies variées (pathologie ovarienne, pathologie cardiaque, troubles digestifs, etc.). Cette analyse a révélé que <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32232017/">70 % de ces travaux montraient une amélioration de la santé mentale des jeunes suite à la pratique du yoga, et plus particulièrement de l’anxiété</a> et ces résultats sont à mettre en lien direct avec la <a href="https://doi.org/10.3390/brainsci11020205">diminution de l’activité de l’amygdale retrouvée chez les adultes pratiquants</a>. Ces effets bénéfiques sur les symptômes anxiodépressifs ont également <a href="https://doi.org/10.1080/13607863.2014.997191">été mis en évidence</a> <a href="https://doi.org/10.1002/da.22762">chez les adultes</a>, ainsi que <a href="https://www.aafp.org/pubs/afp/issues/2019/0515/p620.html">chez des personnes souffrant d’un trouble anxiodépressif</a>.</p>
<p>Les études dans ce champ de recherche étant encore récentes, elles sont encore peu nombreuses et hétérogènes dans leurs protocoles. Il est donc nécessaire de rester prudent sur l’interprétation des résultats. De plus, en cas de trouble anxiodépressif, la pratique du yoga ne se substitue pas à une prise en charge médicale et psychologique. Ces résultats suggèrent néanmoins que le yoga pourrait non seulement être utilisé en tant qu’activité physique, mais aussi pour améliorer la santé mentale.</p>
<h2>Le yoga améliore aussi les performances cognitives</h2>
<p>La pratique du yoga semble aussi avoir un impact sur les performances cognitives. Une méta-analyse publiée en 2020 et portant sur 13 articles montre qu’à la suite de séances de yoga, des adultes avec ou sans trouble cognitif présentaient des <a href="https://doi.org/10.1016/j.ctim.2020.102421">améliorations de leurs performances attentionnelles, mnésiques et d’inhibition</a>.</p>
<p>Ces améliorations pourraient être en lien avec les <a href="https://doi.org/10.3390/brainsci11020205">modifications cérébrales observées par imagerie cérébrale</a>, notamment l’augmentation de la quantité de matière grise dans l’hippocampe, le lobe temporal médial, le cortex préfrontal, l’insula et le cortex cingulaire, régions intimement liées aux performances cognitives. En outre, l’augmentation de l’activité des régions frontales du cerveau <a href="https://doi.org/10.3233%2FBPL-190084">est durable</a>. Les auteurs de ces travaux recommandent cependant de mener des études plus approfondies, sur des échantillons de plus grande taille et selon des protocoles standardisés (<a href="https://www.unicef-irc.org/publications/pdf/MB7FR.pdf#page=3">essais randomisés contrôlés</a>), afin d’améliorer la quantité et la qualité des données disponibles.</p>
<p>Il est important de noter que les améliorations observées semblent particulièrement dues aux exercices de pleine conscience et de méditation qui ponctuent les séances de yoga. Durant les séances, l’utilisation de ces exercices pourrait avoir un effet synergétique essentiel. Cela pourrait signifier que, pour observer les effets du yoga sur les symptômes anxiodépressifs et la cognition, il est nécessaire d’apprendre à diriger son attention sur l’instant présent et ses émotions. Par ailleurs, d’autres facteurs tels que le fait d’être en groupe durant les séances et d’avoir des interactions positives pourraient aussi contribuer à la diminution des symptômes anxiodépressifs.</p>
<p>Si vous souhaitez pratiquer le yoga et constater par vous-même ses effets, il vous reste à répondre à une question : lequel choisir ? Parmi les nombreux types de yoga existant, trois reviennent régulièrement dans les études que nous avons compulsées : le Hatha yoga, le Kundalini yoga ou le Kripalu yoga. Si vous deviez en choisir un pour commencer, c’est probablement l’un d’eux… Plus qu’à trouver un cours près de chez vous !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195064/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Comme toute activité physique, le yoga est bon pour la santé. Cette discipline, qui associe le corps et l’esprit, a notamment des effets potentiellement intéressants sur les troubles anxiodépressifs.
Marc Toutain, Docteur en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives - Laboratoire COMETE UMR-S 1075 INSERM/Unicaen, Université de Caen Normandie
Anne-Lise Marais, Université de Caen Normandie
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2022-10-30T19:55:44Z
2022-10-30T19:55:44Z
Covid-19 : Comment la recherche a éclairé la réponse à la pandémie en Afrique
<p>Une commission mise en place par la prestigieuse revue scientifique médicale britannique <em>The Lancet</em> a publié <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(22)01585-9/fulltext">un bilan sévère de la réponse mondiale à la pandémie de Covid-19</a>. Comment se sont passées les choses en Afrique de l’Ouest et centrale, où l’épidémie n’a pas eu l’impact attendu ? </p>
<p>Rappelons qu’en Afrique subsaharienne, les taux de mortalité estimés attribuables au Covid-19 ont été inférieurs à ceux des autres continents, même en multipliant le nombre de cas déclarés par 100 pour compenser les limites du diagnostic. Cependant, la pandémie de Covid-19 et les mesures de prévention ont eu des retombées sanitaires, économiques et sociales majeures sur le continent, dont les effets sont encore actifs et n’ont pas été totalement évalués. </p>
<p>Pouvait-on mieux contrôler la pandémie dans cette région ? Pour répondre à cette question, une enquête a été menée auprès des membres du <a href="http://www.ird.fr/covid-oms-aoc">« groupe de recherche opérationnelle »</a> de la Plateforme Covid-19 pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, un dispositif de coordination des interventions. Voici ce qui en ressort.</p>
<h2>De nombreux problèmes selon les experts du <em>Lancet</em></h2>
<p>Au niveau mondial, les critiques de la commission du Lancet portent entre autres sur l’absence d’élucidation des conditions de l’émergence épidémique due au coronavirus SARS-CoV-2, la réaction trop prudente de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) pour reconnaître la pandémie et décréter l’urgence de santé publique de portée internationale, puis pour limiter les déplacements internationaux, recommander les masques et valider la transmission aérienne du virus. </p>
<p>Sont aussi dénoncés : le manque de coordination entre les pays, de réponse aux oppositions des populations, de prise en compte des inégalités sociales renforcées par les mesures préventives, ainsi que les difficultés d’accès aux vaccins pour les pays à faibles revenus, et une définition des politiques publiques ayant trop peu recours aux connaissances scientifiques. </p>
<p>Concernant le continent africain, la Commission du <em>Lancet</em> considère que le faible niveau de mortalité sur le continent peut être expliqué en premier lieu par la jeunesse de la population, dont l’âge médian est de 18 ans pour 42 ans en Europe, qui de ce fait a été plus rarement victime de formes sévères de la maladie. </p>
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<h2>Des échanges entre scientifiques, acteurs de terrain et politiques</h2>
<p>Dès la survenue des premiers cas de Covid-19 en Afrique subsaharienne, l’OMS et d’autres organisations des Nations unies ont créé une plateforme à Dakar pour ces deux régions majoritairement francophones, et une autre à Nairobi pour l’Afrique de l’Est et australe majoritairement anglophone. </p>
<p>Mis en place par l'institut de Recherche pour le Développement (IRD) et l’OMS, le groupe de recherche opérationnelle avait pour objectif de favoriser la prise en compte de connaissances scientifiques solides, « basées sur des preuves » (« evidence-based » en anglais), dans la définition des interventions de prévention, de soin et de santé publique coordonnées par la plateforme. </p>
<p>Cette initiative pilote sans équivalent dans les autres plateformes régionales a réuni des acteurs de terrain, des scientifiques et des acteurs institutionnels : organisations des Nations unies, organisations non gouvernementales, institutions régionales comme l’Organisation ouest-africaine de la santé ou l’Africa-CDC, personnels des ministères…</p>
<p>Le groupe a d’abord répertorié les recherches et les équipes centrées sur le Covid-19 en Afrique de l’Ouest et du centre. Puis des rencontres régulières (bimensuelles puis mensuelles) ont permis de présenter et discuter l’état des connaissances produites dans la région et comparées au niveau mondial. Les thèmes abordés étaient variés : les techniques d’études sérologiques et la cartographie des résultats ; le covid long ; l’adhésion des populations à la vaccination…</p>
<p>Ces discussions devaient faciliter la prise en compte rapide de nouvelles données, expliquées par leurs auteurs, qui précisaient par exemple dans quelle mesure leurs résultats pouvaient être généralisés à d’autres pays que celui de l’étude initiale.</p>
<p>Cet espace d’échange entre scientifiques et acteurs régionaux a aussi permis d’identifier des thèmes sur lesquels les données scientifiques suggéraient de revoir les politiques publiques. Par exemple, en octobre 2022, les participants ont appelé à <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(22)01896-7/fulltext ?dgcid=raven_jbs_etoc_email">reconsidérer la stratégie de vaccination </a>dans une région où l’objectif officiel est d’atteindre 70 % de vaccinés en population générale à la fin de l’année, alors que ce taux y est inférieur à 25 %.</p>
<p>Quinze participants de ce réseau (médicaux, scientifiques, ONG, intervenants de terrain, institutionnels) se sont exprimés sur les points forts et les points faibles de la réponse à la pandémie ainsi que sur la place donnée à la recherche, dans le cadre de notre enquête.</p>
<h2>Les points forts de la réponse à la pandémie en Afrique</h2>
<p>Du côté des points forts de la réponse, ils mettent en avant la rapidité de la mobilisation au niveau des pays et au niveau régional, quasi immédiate dès que des cas ont été diagnostiqués localement début mars 2020. Les mobilisations ont été facilitées par le délai de plus d’un mois écoulé depuis la déclaration de l’état d’urgence sanitaire par l’OMS le 30 janvier. La mise en place de mesures de santé publique (fermeture des frontières, suspension des vols intercontinentaux, fermeture des lieux de rassemblement, limitation des transports…) a également été jugée positive, tout comme la coordination des acteurs aux niveaux international et national. </p>
<p>Le renforcement des capacités du système de soins pendant la pandémie (diagnostics et PCR décentralisés, lits de réanimation, compétences des agents de santé, innovations sociales et techniques) a aussi joué un rôle majeur. Le nombre de lits de réanimation a été par exemple multiplié par 100 au Burkina Faso. </p>
<p>La résilience des populations, notamment l’absence de panique et l’adhésion aux mesures barrières, a été notable, malgré les conséquences lourdes sur la vie quotidienne et la réduction des revenus. Elle s’est néanmoins érodée là où ces conséquences étaient très inégalitaires et lorsque les mesures ont été maintenues au-delà des pics épidémiques.</p>
<p>Les experts citent aussi comme points forts l’expérience acquise face à d’autres épidémies (surtout l’épidémie d’Ebola 2014-2016), la mobilisation de financements importants au niveau des États, et la capacité d’adaptation de la réponse aux spécificités de la pandémie (succession de vagues, pathologie transmise par voie aérienne et dont les formes sévères peuvent être rapidement mortelles, nécessitant des soins de réanimation, surtout graves pour les personnes âgées ou atteintes de comorbidités).</p>
<h2>Une réponse trop centralisée, une recherche trop peu prise en compte</h2>
<p>Parmi les principaux points faibles de la réponse dans la région, sont cités la gouvernance et le modèle de réponse, trop médico-centrés et gérés de manière verticale au niveau politique plutôt que de manière multisectorielle et décentralisée. </p>
<p>Ainsi, dans un premier temps, tous les cas, même simples, et les personnes ayant été en contact avec eux, ont été hospitalisés (suivant en cela le modèle Ebola). Résultat : les services de soin ont vite été saturés. Le suivi médical à domicile aurait pu être mis en place avec la participation des acteurs communautaires (agents de santé communautaires, réseaux de patients et associations et de prévention). </p>
<p>Plutôt qu’une prise de décision par les plus hautes autorités de l’État, qui a conduit la population à considérer les mesures de santé publique comme des mesures politiques, une gouvernance associant tous les secteurs (éducation, entreprises, sécurité, etc.) aurait pu faciliter l’ajustement des mesures aux différents contextes.</p>
<p>La mise en œuvre insuffisante des mesures spécifiques, telles que la recherche des contacts, a aussi été pointée du doigt, tout comme <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2021-1-page-92.htm">l’intégration trop tardive des mobilisations communautaires, pourtant précoces et diversifiées</a>. Associations de patients, étudiants, organisations professionnelles du champ de la santé, personnels médicaux de la diaspora… Tous ont rapidement pris des initiatives pour sensibiliser la population, accompagner les personnes ayant des maladies chroniques et assurer la continuité de leur traitement pendant les périodes de pic épidémique, ou soutenir les agents de santé fragilisés. </p>
<p>Deux autres faiblesses majeures identifiées concernent les difficultés d’accès à la vaccination, et l’absence de réponse efficace à l’infodémie, autrement dit l’explosion de la quantité d’informations disponibles, qui a pu brouiller les messages.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-mondialisation-des-infox-et-ses-effets-sur-la-sante-en-afrique-lexemple-de-la-chloroquine-134108">La mondialisation des infox et ses effets sur la santé en Afrique : l’exemple de la chloroquine</a>
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<h2>Une place trop limitée pour la recherche</h2>
<p>Le bilan sur la place qui a été accordée à la recherche est en phase avec les conclusions de la Commission du <em>Lancet</em> : la recherche était essentielle pour assurer la pertinence et l’efficacité des réponses, mais elle a été trop limitée et peu prise en compte dans les pays où travaillent les participants à cette enquête. </p>
<p>Les experts expliquent l’insuffisance de la recherche par le manque de ressources humaines et matérielles, d’autonomie et de réactivité de la recherche dans la sous-région, ainsi que par le fait que le Covid-19 n’était pas forcément une priorité de recherche parmi de nombreuses autres pathologies (comme le paludisme, qui reste la première cause de mortalité infectieuse). </p>
<p>Des questions majeures n’ont pas été totalement investiguées, comme la spécificité de la pandémie en Afrique : en plus du facteur démographique, qu’est-ce qui explique que l’épidémie a été si limitée en termes de morbidité et de mortalité ?</p>
<p>Aujourd’hui, ce groupe d’experts scientifiques, médicaux, institutionnels et acteurs de terrain considère que la pandémie pourrait se terminer par un passage à l’endémicité, déjà en cours, avec des épisodes de résurgence, <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/covid-19-covid-19-4-scenarios-preparer-futur-pandemie-100451/">le Covid-19 venant intégrer les pathologies respiratoires saisonnières</a>. À moins que cette évolution ne soit perturbée par l’émergence de nouveaux variants plus virulents, touchant particulièrement certaines tranches d’âge… </p>
<p>Selon eux, la période de gravité exceptionnelle est probablement passée, les systèmes de santé sont maintenant mieux équipés pour faire face aux nouvelles vagues. Des recherches devraient donc être menées en post-crise, notamment pour adapter la « préparation » à ces deux scénarios.</p>
<h2>Quelles priorités pour la recherche ?</h2>
<p>Les travaux qui semblent prioritaires concernent d’abord l’analyse de l’expérience et des données acquises lors de la pandémie. Ces recherches en épidémiologie, santé publique et sciences sociales devraient aider à définir les mesures de préparation à partir des impacts sociosanitaires des stratégies appliquées. </p>
<p>Les insuffisances dans l’accès à la vaccination appellent aussi à mener des recherches pour préciser les meilleures stratégies : faut-il des doses de rappel seulement pour les populations les plus exposées comme les soignants et les personnes âgées, ou pour l’ensemble de la population ? Faut-il associer la vaccination Covid-19 à d’autres campagnes de vaccination, par exemple celles contre la rougeole ou la polio chez les enfants ? Faut-il favoriser les campagnes de vaccination Covid-19 en contexte professionnel ?</p>
<p>Autre question essentielle : celle de l’amélioration, au niveau structurel, de la disponibilité des médicaments et des intrants (fournitures médicales comme les réactifs de laboratoire) permettant de faire face aux pandémies en Afrique. </p>
<p>Des travaux de recherche à un niveau plus fondamental sont aussi nécessaires. Associant virologie, épidémiologie, immunologie, et sciences sociales, elles doivent permettre de comprendre les dynamiques épidémiques observées. Il s’agira notamment de distinguer la part due aux contextes et aux mesures prises dans chaque pays, de déterminer celle liée à des déterminants plus vastes, de niveau régional. </p>
<h2>Quelles stratégies pour la recherche ?</h2>
<p>Les priorités de recherche identifiées soulèvent plusieurs questions. Tout d’abord, faut-il mener en Afrique des études déjà conduites au niveau mondial ou sur d’autres continents, pour prendre en compte l’impact des contextes biologiques, sociaux et environnementaux ? Par exemple, des études cliniques pour caractériser le <a href="https://theconversation.com/covid-long-quen-savent-les-scientifiques-aujourdhui-179817">« Covid long »</a> semblent utiles en Afrique de l’Ouest et centrale, où des personnes se plaignent de symptômes qui pourraient résulter de l’impact d’autres infections simultanées. Cette question devrait être discutée selon les sujets de recherche, au cas par cas.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/covid-long-quen-savent-les-scientifiques-aujourdhui-179817">Covid long : qu’en savent les scientifiques aujourd’hui ?</a>
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<p>Par ailleurs, les décalages entre des traitements faisant l’objet de recherches soutenues par des États africains (traitements néo-traditionnels comme l’Apivirine mis au point au Bénin, ou l’hydroxychloroquine) et ceux développés au niveau international conduisent à questionner la gouvernance de la recherche, scientifique et/ou politique, ainsi que les relations entre les institutions et réseaux de niveaux national, régional et mondial (<a href="https://www.afro.who.int/fr">OMS</a>, <a href="https://www.wahooas.org/">OOAS</a>, <a href="https://africacdc.org/">Africa-CDC</a>, <a href="https://www.glopid-r.org/">GLOPID-R</a>…).</p>
<p>Mais c’est surtout la faible prise en compte des résultats de recherche, qu’ils proviennent de sources nationales, régionales ou internationales, pour les décisions stratégiques qui pose question, comme le soulignent les experts interrogés. Par exemple, des preuves scientifiques sur l’intérêt de la co-construction des stratégies de prévention avec les populations, ou sur l’absence d’efficacité pour le covid du traitement par le zinc, l’ivermectine ou l’Artemisia, n’ont pas convaincu tous les décideurs en santé publique. </p>
<p>À cet égard, il reste à préciser quels mécanismes de communication des résultats (et, en amont, de discussion des questions de recherche) peuvent être efficaces et pertinents. L’approche du Groupe recherche opérationnelle diffère des comités scientifiques mis en place par des pays comme le Bénin (sur des bases similaires à celui qui a été établi en France) et saisis pour délivrer des avis au plus haut niveau institutionnel. </p>
<p>Il s’agit en effet d’une approche moins formelle, basée sur la présentation de résultats de recherche, l’échange régulier entre scientifiques et acteurs de la réponse, et la discussion critique constructive. Elle pourrait peut-être constituer un modèle alternatif, adaptable à différents niveaux des dispositifs de réponse aux épidémies.</p>
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<p><em>Cet article a été co-rédigé par le Dr Tieble Traoré, responsable technique au sein du programme de préparation aux situations d'urgence du <a href="https://www.afro.who.int/">Bureau régional de l'OMS pour l'Afrique</a>, ainsi que par le Dr Amadou Bailo Diallo, médecin épidémiologiste et conseiller Régional Gestion des Risques et Préparation aux Pays, <a href="https://www.afro.who.int/fr/countries/senegal">OMS-AFRO, Hub des Urgences, Dakar (Sénégal)</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193074/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Une commission d’experts a récemment publié un bilan très critique de la réaction des États à la pandémie de Covid-19. Comment les pays d’Afrique de l’Ouest et centrale s’en sont-ils sortis ?
Alice Desclaux, Anthropologue de la santé, TransVIHMI, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Mamadou Diallo, Épidemiologiste, Coordonnateur scientifique du groupe de recherche opérationnelle de la plateforme covid IRD/OMS pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, Institut de recherche pour le développement (IRD)
Philippe Msellati, Directeur de recherche émérite à l'IRD, au sein de l'UMI TransVIHMI, Institut de recherche pour le développement (IRD)
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2022-10-12T19:14:30Z
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La qualité du sommeil diminue avec l’âge : pourquoi, et comment l’améliorer ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/489355/original/file-20221012-15-wl6sbg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C47%2C7916%2C5249&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À mesure que l’on vieillit, le sommeil va de moins en moins de soi…</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/MtBsjmC4RT0"> Annie Spratt / Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>Nous autres, êtres humains, sommes actifs la journée et nous reposons la nuit. Notre bon fonctionnement physique et psychique est très dépendant de cette alternance de périodes d’activité diurnes et de récupération nocturnes.</p>
<p>Toutefois, bien qu’essentiel à notre santé, ce rythme veille/sommeil n’est pas immuable : <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28159095/">à mesure que l’on avance en âge, le sommeil, comme toute autre fonction physiologique, se modifie</a>.</p>
<p>De quelle façon ? Comment s’assurer malgré tout de garder un repos de qualité ?</p>
<h2>Les cycles de sommeil</h2>
<p>On sait aujourd’hui que le sommeil est impliqué <a href="https://www.aimspress.com/article/id/266">dans de nombreux processus physiologiques</a>. Il est par exemple partie prenante des fonctions de régénération cellulaire et tissulaire, de développement cérébral et immunitaire. Il joue également un rôle dans les processus de consolidation des souvenirs.</p>
<p>Lorsqu’il est dégradé, on observe une <a href="https://www.aimspress.com/article/id/266">détérioration progressive de ces différents processus</a>, ce qui a un impact négatif sur la qualité de vie : augmentation de la somnolence en journée, perturbation du fonctionnement cognitif, comme des problèmes de mémoire ou d’attention. Un mauvais sommeil chronique va nous rendre <a href="https://www.aimspress.com/article/id/266">plus irritable, plus anxieux, plus facilement malade et davantage sujet à la prise de poids</a>.</p>
<p>Le sommeil se décompose en plusieurs phases, qui constituent un cycle : le sommeil lent léger, le sommeil lent profond et le sommeil paradoxal. Le sommeil lent léger correspond à un stade intermédiaire entre la veille calme et le sommeil, et représente environ 50 % de la durée totale de sommeil. Le sommeil lent profond représente environ 25 % du temps total de sommeil ; il s’agit du sommeil le plus récupérateur sur le plan physique. Enfin, le sommeil paradoxal est animé par nos rêves et représente 20 à 25 % du temps totale de sommeil. Il doit son nom au contraste entre une activité cérébrale intense, comparable à celle observée au cours de la veille, associée à une absence de tonus musculaire.</p>
<p>Chacune de ces phases <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1365-2869.1992.tb00013.x">joue un rôle précis dans le processus de récupération et de préparation à la période de veille à venir</a>. Or, avec l’avancée en âge, <a href="https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S1556407X17301029">l’organisation temporelle du sommeil se modifie, et sa qualité diminue</a> sont observées.</p>
<h2>Le sommeil n’est pas immuable</h2>
<p>Tandis que chez le jeune adulte, les différents stades de sommeil s’enchaînent de façon stable au cours de la nuit, chez le sujet âgé, le sommeil se fragmente.</p>
<p>On constate entre autres choses une <a href="https://www.cell.com/neuron/fulltext/S0896-6273(17)30088-0">augmentation du temps d’endormissement, une réduction du temps passé en sommeil lent profond</a> et une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28346153/">augmentation des éveils nocturnes associée à des difficultés pour se rendormir</a>. La quantité de sommeil lent profond et de sommeil paradoxal diminue, ce qui signifie que le sommeil est plus léger et moins réparateur.</p>
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<img alt="Photo d’une jeune femme qui s’étire dans un lit." src="https://images.theconversation.com/files/489450/original/file-20221012-15-6u1yot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489450/original/file-20221012-15-6u1yot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489450/original/file-20221012-15-6u1yot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489450/original/file-20221012-15-6u1yot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489450/original/file-20221012-15-6u1yot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489450/original/file-20221012-15-6u1yot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489450/original/file-20221012-15-6u1yot.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ce n’est pas une impression : on dort mieux quand on est jeune.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/kqDEH7M2tGk">Kinga Cichewicz / Unsplash</a></span>
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<p>De ce fait, il n’est pas surprenant que plus de la <a href="https://www.cell.com/neuron/fulltext/S0896-6273(17)30088-0">moitié des personnes âgées rapportent au moins un trouble du sommeil</a>, ce qui se traduit par une tendance à la somnolence en journée. La fatigue accumulée <a href="https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S0749069014000421">n’est pas sans conséquence sur les fonctions cognitives, l’humeur et la condition physique</a>, et elle peut aussi avoir un effet délétère sur l’autonomie.</p>
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<p>Les éventuelles conséquences d’un manque de sommeil chronique ne doivent donc pas être ignorées. Elles peuvent être diverses : fatigue permanente, problème de concentration, morosité, mélancolie, irritabilité ou encore réduction de la résistance immunitaire.</p>
<h2>Pourquoi le sommeil se complique-t-il avec l’âge ?</h2>
<p>Chaque problème de sommeil est différent, et plusieurs facteurs peuvent expliquer la fréquence plus élevée de survenue de difficultés à dormir avec le vieillissement.</p>
<p>L’existence de problèmes de santé peut être une explication. En effet, la prise de certains médicaments peut causer des perturbations du sommeil. L’état émotionnel peut aussi être en cause : anxiété, stress, dépression ou ruminations dégradent la qualité du sommeil. Au moment de la retraite, le changement de mode de vie et de repères sociaux peut aussi avoir des conséquences.</p>
<p>Par ailleurs, il faut savoir que le vieillissement « normal » s’accompagne d’une désynchronisation de l’horloge biologique liée à la <a href="https://doi.org/10.1016/S0013-7006(06)76239-X">diminution de la plasticité et des capacités d’adaptation de l’organisme du sujet âgé</a>. Ce dérèglement peut se traduire par une heure de coucher anticipée et un réveil plus précoce le matin. La diminution du niveau d’activité physique et l’augmentation de la sédentarité peuvent aussi dégrader la qualité du sommeil. Enfin, à mesure que l’on avance en âge, le risque de survenue de pathologies du sommeil (telle que le <a href="https://theconversation.com/somnolence-perte-de-vigilance-fatigue-mentale-les-apnees-du-sommeil-gachent-peut-etre-votre-quotidien-133732">syndrome d’apnées obstructives du sommeil</a>) augmente.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/somnolence-perte-de-vigilance-fatigue-mentale-les-apnees-du-sommeil-gachent-peut-etre-votre-quotidien-133732">Somnolence, perte de vigilance, fatigue mentale : les apnées du sommeil gâchent peut-être votre quotidien</a>
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<h2>La lumière, une solution pour garder un sommeil de qualité ?</h2>
<p>Les plaintes associées au déclin du sommeil lié à l’âge aboutissent souvent à la prescription de somnifères. Or, leurs effets secondaires peuvent altérer la qualité de vie des personnes âgées, en diminuant les capacités mentales, en <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5005954/">détériorant la coordination motrice et en augmentant le risque de chutes</a>.</p>
<p>Pour limiter ces effets et améliorer le sommeil, des thérapeutiques non médicamenteuses peuvent être mises en place, <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnins.2020.00359/full">comme la luminothérapie</a>, qui peut être <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1769449315002563?via%3Dihub">associée à la pratique d’une activité physique</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/489451/original/file-20221012-24-rfmpq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Photo du soleil qui filtre entre les arbres, lumière douce d’automne." src="https://images.theconversation.com/files/489451/original/file-20221012-24-rfmpq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489451/original/file-20221012-24-rfmpq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489451/original/file-20221012-24-rfmpq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489451/original/file-20221012-24-rfmpq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=906&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489451/original/file-20221012-24-rfmpq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489451/original/file-20221012-24-rfmpq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489451/original/file-20221012-24-rfmpq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1138&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La lumière influence notre horloge biologique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/Enr71dsAO5w">Michał Bielejewski / Unsplash</a></span>
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<p>La lumière est en effet considérée comme le synchroniseur le plus puissant pour l’horloge biologique et permet de maintenir et de remettre à l’heure nos rythmes, <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pbio.1000145">par exemple de régler nos heures de coucher et de lever</a>. Elle permet aussi de réguler des cycles auxquels nous ne pensons pas ou que la plupart des personnes ignorent : les rythmes de l’humeur et des performances cognitives, notamment les capacités de réflexion et d’attention. Ainsi, selon l’heure de la journée et la qualité de notre nuit précédente, nous sommes plus irritables, ou au contraire, <a href="https://doi.org/10.1001/archpsyc.1997.01830140055010">plus attentifs et efficaces dans des tâches nécessitant une réflexion intense</a>.</p>
<p>Ces rythmes varient d’un individu à l’autre, mais une chose est commune : lorsque notre horloge est déréglée, par exemple à cause du vieillissement, ces rythmes sont perturbés et altèrent notre humeur et nos capacités intellectuelles. Pour lutter contre ce processus, des études ont montré que l’exposition à la lumière du soleil ou artificielle pouvait être bénéfique. La lumière permet <a href="https://www.dovepress.com/bright-light-therapy-as-part-of-a-multicomponent-management-program-im-peer-reviewed-fulltext-article-CIA">d’améliorer le rythme veille/sommeil</a> tout en <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnins.2020.00359/full">réduisant les symptômes de la dépression</a>. Elle peut aussi <a href="https://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S0197457218305482">améliorer les performances cognitives et l’état émotionnel des personnes âgées</a>.</p>
<p>L’exposition à la lumière a également des <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5187459/">effets positifs sur le système immunitaire</a> et stimule la production des défenses de notre organisme. D’une manière générale, pour améliorer ces paramètres, il est recommandé de <a href="https://doi.org/10.1016/j.lpm.2018.10.013">s’exposer au moins une demi-heure le matin chaque jour à une intensité de 10 000 lux</a>. À titre indicatif, en plein soleil l’intensité lumineuse varie de 50 000 à 100 000 lux et celle d’un ciel nuageux est comprise entre 500 et 25 000 lux. Pour un éclairage artificiel, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24164100/">il faudra veiller à avoir le matériel adéquat</a>, comme une lampe de luminothérapie.</p>
<p>La luminothérapie est un traitement des troubles du rythme veille-sommeil qui peut être utilisé dans des situations telles que le décalage horaire, le travail de nuit ou posté, le syndrome d’avance de phase, ou la cécité. Concrètement, il s’agit de <a href="https://doi.org/10.1016/j.lpm.2018.10.013">s’exposer à la lumière de lampes de haute intensité pendant une période recommandée</a>. Attention toutefois : si la période d’exposition n’est pas pratiquée au bon moment (trop tôt ou trop tard dans la journée), des troubles du sommeil peuvent survenir. Par ailleurs, ce type de thérapie peut être déconseillée aux patients présentant une pathologie oculaire ou traités par des médicaments photosensibles. De ce fait, l’avis d’un ophtalmologiste est recommandé.</p>
<h2>Les bienfaits de l’activité physique s’étendent aussi au sommeil</h2>
<p>L’activité physique est connue pour ses nombreux bienfaits : amélioration de la condition physique et de la santé cardiovasculaire, prévention de la douleur chronique, amélioration du fonctionnement immunitaire, effet anxiolytique et antidépresseur. Mais on sait peut-être moins qu’elle permet aussi <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28708630/">d’améliorer la qualité du sommeil</a>.</p>
<p>En effet, l’activité physique joue le rôle de synchroniseur du rythme veille-sommeil : elle renforce le contraste entre les périodes de veille, où l’on est censé être actif, et les périodes de repos et de sommeil, où l’on est censé dormir. De plus, l’exercice augmente la « bonne » fatigue, tout en diminuant l’anxiété qui a tendance à alimenter des ruminations le soir, au moment du coucher.</p>
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<img alt="Un vieil homme s’apprête à détacher son vélo, accroché à un poteau dans la rue." src="https://images.theconversation.com/files/489454/original/file-20221012-14-29kn95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489454/original/file-20221012-14-29kn95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489454/original/file-20221012-14-29kn95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489454/original/file-20221012-14-29kn95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489454/original/file-20221012-14-29kn95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489454/original/file-20221012-14-29kn95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489454/original/file-20221012-14-29kn95.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le vélo, comme les autres activités qui augmentent les rythmes cardiaque et respiratoire, peut aider à mieux dormir.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/bSVQzLryxtY">DESIGNECOLOGIST / Unsplash</a></span>
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<p>De manière générale, les personnes âgées qui pratiquent une activité physique plutôt à dominante aérobie – c’est-à-dire une activité induisant une augmentation du rythme cardiaque et respiratoire – telle que la marche nordique, le longe-côte, le vélo, la randonnée, etc. – rapportent <a href="https://academic.oup.com/ptj/article/92/1/24/2735115?login=false">qu’elles s’endorment plus rapidement, qu’elles dorment plus longtemps et que leur sommeil est de meilleure qualité</a>. L’Organisation mondiale de la Santé recommande d’ailleurs aux personnes âgées de pratiquer au moins 150 à 300 minutes d’activité physique aérobie modérée par semaine.</p>
<h2>D’autres pistes en cours d’évaluation</h2>
<p>La recherche progresse et d’autres thérapeutiques non médicamenteuses se développent. Une d’entre elles en particulier mérite toute notre attention, il s’agit de la stimulation vestibulaire.</p>
<p>Le système vestibulaire se situe dans l’oreille interne et nous permet de sentir les accélérations subies par notre tête. Il nous permet de savoir comment elle est inclinée, ce qui nous renseigne sur notre position (debout, allongée, sur un côté, etc.), ainsi que sur la façon dont elle bouge, et avec quelle intensité.</p>
<p>L’exposition de l’oreille interne à un léger courant électrique permet de stimuler le système vestibulaire de manière artificielle. Cette stimulation vestibulaire a déjà montré des <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/tnsci-2020-0197/html">effets bénéfiques sur l’équilibre</a>, <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fnsys.2019.00057/full">l’humeur</a> et le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2919660/">sommeil</a>, qui sont trois fonctions altérées avec l’avancée en âge. Bien que cette piste nécessite encore des recherches approfondies, elle pourrait rapidement devenir une nouvelle thérapeutique incontournable.</p>
<p>En attendant cette confirmation, pour avoir un bon sommeil, il est d’ores et déjà vivement recommandé de s’exposer suffisamment à la lumière et de pratiquer une activité physique régulière, et ce, quel que soit votre âge ! Si jamais cela s’avère insuffisant, il ne faut pas hésiter à consulter un médecin, qui déterminera la pertinence de recourir à d’autres approches, comme la psychothérapie, ou envisagera des analyses pour dépister d’éventuelles pathologies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191645/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Nombre de personnes âgées vous le diront : quand on vieillit, notre relation au sommeil change, et pas pour le meilleur. Nos nuits se font plus fragmentées, moins récupératrices. Peut-on y remédier ?
Emma Milot, Doctorante en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives - Laboratoire COMETE U1075 INSERM/Unicaen, Université de Caen Normandie
Marc Toutain, Doctorant en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives - Laboratoire COMETE UMR-S 1075 INSERM/Unicaen, Université de Caen Normandie
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2022-10-04T17:54:32Z
2022-10-04T17:54:32Z
CBD : l’essentiel à savoir avant d’en prendre
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/488056/original/file-20221004-26-gx2dv6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5559%2C3709&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">De nombreuses boutiques proposent aujourd’hui des produits à base de cannabidiol, ou CBD.</span> <span class="attribution"><span class="source">Bertrand Guay / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Les boutiques proposant des produits contenant du cannabidiol, plus connu sous son acronyme, CBD, ont fleuri sur Internet et dans les rues de nos villes ces dernières années. <a href="https://www.ifop.com/publication/le-cbd-une-solution-pour-lutter-contre-le-stress-lanxiete/">Plus de 12 % des Français ont déjà acheté des produits contenant du CBD</a>, et les trois-quarts d’entre eux en ont entendu parler.</p>
<p>Fleurs séchées, huiles, produits cosmétiques, boissons (alcoolisées ou non), sucreries, infusions, liquides pour vapoteuses, et même produits à usage vétérinaire : cette substance dérivée du cannabis se décline sous de multiples formes, et les promesses marketing vont bon train.</p>
<p>De la diminution de l’anxiété à l’atténuation des douleurs en passant par la lutte contre le stress ou l’amélioration de la qualité du sommeil, les vertus du CBD seraient nombreuses. Mais qu’en est-il réellement ? Ces produits sont-ils légaux ? Quelles sont leurs effets attestés ?</p>
<h2>Le CBD est-il légal ?</h2>
<p>Découvert en 1940, le CBD appartient à la famille des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/B9780128046463000023">phytocannabinoïdes</a>, des molécules présentes dans le cannabis (<em>Cannabis sativa</em>) ou chanvre cultivé, notamment dans sa fleur.</p>
<p><a href="https://inspection.canada.ca/varietes-vegetales/vegetaux-a-caracteres-nouveaux/demandeurs/directive-94-08/documents-sur-la-biologie/cannabis-sativa-l-/fra/1612447522753/1612447718390#a3">Plus d’une centaine de ces molécules</a> ont été identifiées jusqu’à présent. Certaines sont à l’origine des effets psychotropes du cannabis : il s’agit principalement du delta-9-tétrahydrocannabinol (THC). Toutefois, malgré certaines dénominations qui peuvent prêter à confusion (« cannabis light », « cannabis légal », « chanvre bien-être » ou « cannabis bien-être »), le cannabidiol est une substance beaucoup moins psychoactive.</p>
<p>De ce fait, le <a href="https://www.drogues.gouv.fr/sites/default/files/2022-01/flyer_cbd_-_dec_2021.pdf">CBD « pur » est légal</a> : il ne relève pas de la réglementation des stupéfiants, ni de celle des psychotropes. Cependant, les produits qui contiennent du CBD sont le plus souvent constitués d’un ensemble de substances, et le CBD n’est qu’une molécule parmi d’autres. Pour que ces mélanges complexes soient réglementairement légaux, le CBD ne doit pas y être associé à une quantité de THC supérieure à 0,3 %. Sinon, le produit résultant relève de la politique pénale de lutte contre les stupéfiants (auxquels appartient le THC).</p>
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<p>Par ailleurs, les <a href="https://www.drogues.gouv.fr/cbd-le-nouvel-arrete-est-paru">autorités sanitaires ont rappelé dans un arrêté du 30 décembre 2021</a> que les produits contenant du CBD ne peuvent, sous peine de sanctions pénales, revendiquer des allégations thérapeutiques, à moins qu’ils n’aient été autorisés comme médicament.</p>
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<p>À l’heure actuelle, un seul médicament contenant du cannabidiol purifié est autorisé en France : <a href="https://www.has-sante.fr/jcms/p_3184448/fr/epidyolex-cannabidiol">l’Epidyolex</a>. Il relève, lui, de la réglementation des substances vénéneuses.</p>
<p>Le CBD étant considéré comme un nouvel aliment (« novel food »), celui-ci et les denrées alimentaires qui en contiennent ne peuvent être commercialisés sans évaluation ni autorisation préalable de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). <a href="https://www.efsa.europa.eu/fr/news/cannabidiol-novel-food-evaluations-hold-pending-new-data">L’autorisation comme « novel food » par l’EFSA n’a pour l’instant pas été validée</a>, en attente de données complémentaires sur sa sécurité d’emploi. Les produits relevant de cette réglementation (compléments ou produits alimentaires contenant du CBD) ne sont donc pas formellement autorisés en Europe, bien qu’ils soient disponibles sur le marché français.</p>
<p>Compte tenu de la diversité des produits contenant du CBD, il est nécessaire d’harmoniser la réglementation et les conditions d’accès à cette substance, afin que les usagers puissent disposer d’une information ou d’un accompagnement adaptés pour les consommer en toute sécurité. Ces points sont d’autant plus importants dans un contexte pathologique et de recherche d’un effet thérapeutique. Actuellement, il n’y pas de démarche d’harmonisation dans ce sens visant à mieux réguler le marché et l’accessibilité aux différents produits contenant du CBD.</p>
<h2>Le CBD, comment ça marche ?</h2>
<p>En cherchant à comprendre comment les cannabinoïdes du cannabis (en particulier le THC) produisaient leurs effets, les chercheurs ont mis en évidence une composante majeure de notre organisme : le <a href="https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2004/01/medsci2004201p45/medsci2004201p45.html">système endocannabinoïde</a> (avec lequel interagit le THC, ce qui explique son action psychotrope).</p>
<p>Ce système comprend à la fois des molécules cannabinoïdes endogènes (fabriquées par notre corps), les récepteurs sur lesquelles elles se fixent, ainsi que les systèmes de synthèse, de transport et de dégradation correspondants. </p>
<p>De nombreux mécanismes physiologiques majeurs sont sous l’influence du système endocannabinoïde, puisqu’il influe sur l’appétit, le système digestif, la plasticité neuronale, l’apprentissage, l’inflammation ou encore les émotions, notamment.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/488089/original/file-20221004-21-c050bc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Modèle de la molécule de cannabidiol, d’après P. G. Jones, L. Falvello, O. Kennard, G. M. Sheldrick and R. Mechoulam (1977). " src="https://images.theconversation.com/files/488089/original/file-20221004-21-c050bc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488089/original/file-20221004-21-c050bc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488089/original/file-20221004-21-c050bc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488089/original/file-20221004-21-c050bc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=331&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488089/original/file-20221004-21-c050bc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488089/original/file-20221004-21-c050bc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488089/original/file-20221004-21-c050bc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=415&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Modèle de la molécule de cannabidiol, d’après P. G. Jones, L. Falvello, O. Kennard, G. M. Sheldrick and R. Mechoulam (1977).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Cannabidiol#/media/Fichier:CBD-3D-balls.png">Benjah-bmm27 / Wikimedia Commons</a></span>
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<p>Le CBD interagit lui aussi avec les récepteurs de ce système majeur. Cependant, cette molécule se lie aussi <a href="https://www.drogues.gouv.fr/sites/default/files/2022-01/pharmacologie_cbd_vf_-_dec_2021_0.pdf">à plusieurs dizaines d’autres récepteurs</a> présents dans la majorité des organes et tissus du corps humain. Ce sont par exemple les récepteurs de la sérotonine, de la dopamine, ou des acides aminés excitateurs et inhibiteurs (GABA). De ce fait, les effets du CBD dépassent largement le seul système endocannabinoïde.</p>
<p>Toutefois, il ne faut pas en conclure que la liaison du CBD à un récepteur connu pour être impliqué dans une fonction ou une maladie du corps humain peut automatiquement se traduire par un intérêt thérapeutique.</p>
<p>En effet, comme pour toutes substances actives, de nombreuses données portant sur des effets constatés <em>in vitro</em> (dans des cultures de cellule) ou chez l’animal ne sont pas forcément extrapolables en termes d’effets cliniques, thérapeutiques ou indésirables chez l’être humain.</p>
<p>Sachant cela, quels effets peut-on réellement attendre du CBD ?</p>
<h2>Les effets scientifiquement attestés du CBD</h2>
<p>Les preuves scientifiques de l’intérêt thérapeutique du CBD seul (sans THC) sont rares, à l’exception de certaines formes d’épilepsies pharmaco-résistantes pour lesquelles un médicament est déjà disponible en France (l’Epidyolex sus-nommé).</p>
<p>Néanmoins, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34615556/">dans plusieurs enquêtes</a> publiées et réalisées dans différents pays (USA, Angleterre, France…), les usagers de CBD rapportent des finalités d’usage pour soulager l’anxiété ou le stress, la douleur, améliorer le sommeil voire aider au sevrage en cannabis (riche en THC). Il est néanmoins encore difficile de faire la part d’un effet propre de la substance (pharmacologique) et d’un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Effet_placebo">effet placebo</a>.</p>
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<p>Les allégations dites « bien-être » figurant sur les produits contenant du CBD s’avérent souvent être autothérapeutiques, et dans ce cas illicites en dehors des médicaments autorisés, car visant à soulager des symptômes aigus ou chroniques. Cette finalité d’usage « bien-être » pour le cannabis et le CBD permet de créer une nouvelle catégorie de produits licites pour des usages non thérapeutiques ou récréatifs (impliquant le THC). </p>
<p>En pratique, les frontières peuvent apparaître comme tenues entre les qualificatifs « bien-être » et « thérapeutique » en ce qui concerne les différentes finalités d’usage du cannabidiol. </p>
<p>L’Organisation mondiale de la santé (OMS) définit la santé comme « un état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Le bien-être englobe la santé, et la santé est un élément essentiel, sinon indispensable, pour le bien-être. mais la définition de la santé par l’OMS ne doit pas être utilisée pour signifier que la santé et le bien-être sont synonymes, mais plutôt pour indiquer que la santé – notamment ses aspects physiques, mentaux et sociaux – importe pour se sentir bien.</p>
<h2>Les effets indésirables du CBD</h2>
<p>Bien que le CBD présente une bonne sécurité d’emploi, il induit quand même des effets indésirables. Parmi les plus fréquents, citons les troubles digestifs, une somnolence, ou une fatigue, dont la fréquence augmente avec la dose par prise et la dose quotidienne.</p>
<p>Il existe aussi un risque d’interaction avec de nombreux médicaments, d’autant plus élevé que la dose de CBD consommée est importante. La conséquence potentielle est une augmentation des concentrations sanguines de certains de ces médicaments et donc, parfois, de leurs effets indésirables. C’est le cas par exemple pour les hormones thyroïdiennes, des anti-épileptiques, d’un immunosuppresseur - le tacrolimus - utilisé pour éviter le rejet d’une greffe d’organe, des anti-inflammatoires ou encore des antidépresseurs.</p>
<h2>Peut-on conduire après avoir pris du CBD ?</h2>
<p>Le cannabidiol n’étant pas une substance classée parmi les stupéfiants, contrairement au THC, son usage associé à la conduite d’un véhicule n’est pas interdit.</p>
<p>Attention toutefois : comme mentionné précédemment, les produits contenant du CBD sont dans la grande majorité des cas basés sur des extraits de fleurs de cannabis ; ils contiennent donc toujours du THC en quantité variable. De ce fait, il est possible, selon la concentration en THC, la quantité et la fréquence d’usage du produit consommé, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30149280/">d’avoir un résultat de test positif pour le THC suite à un prélèvement sanguin</a>.</p>
<p><a href="https://www.ema.europa.eu/en/documents/product-information/epidyolex-epar-product-information_fr.pdf">La notice du seul médicament disponible contenant du CBD, l’Epidyolex</a>, rappelle que le cannabidiol peut avoir une « influence majeure sur l’aptitude à conduire des véhicules et à utiliser des machines, car il peut provoquer somnolence et sédation. »</p>
<p>Le fabricant recommande donc aux patients de ne pas conduire de véhicules ni d’utiliser de machines « tant qu’ils n’ont pas acquis suffisamment d’expérience avec le cannabidiol pour pouvoir estimer son influence sur leurs capacités ».</p>
<h2>Pour les sportifs, le CBD est-il un produit dopant ?</h2>
<p>Le CBD ne fait pas partie des substances dopantes. Il peut théoriquement être pris par les sportifs <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34413793/">qui souhaiteraient l’expérimenter pour faciliter la récupération</a> (sommeil, douleur, traumatismes). Cependant, comme dans le cas de la conduite, le fait que le cannabidiol soit souvent mélangé à de faibles quantités de THC peut aboutir à des tests positifs lors de contrôles. <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/35633098/">Une étude sur des sportifs universitaires allemands</a> a confirmé ce risque.</p>
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<p>Par ailleurs, alors que les bénéfices, notamment lors des phases de récupération, ne sont pas encore bien établis, il est important de ne pas méconnaître les effets indésirables potentiels qui peuvent accompagner la prise de CBD, tels qu’un risque de baisse de la vigilance ou des troubles digestifs pouvant s’avérer incompatibles avec l’obtention de performances sportives.</p>
<h2>Comment faire bon usage du CBD ?</h2>
<p>Chez l’enfant (hors prescription), la femme enceinte ou les personnes avec une maladie du foie ou des reins, la prise de CBD est déconseillée.</p>
<p>Pour les autres utilisateurs potentiels, il est recommandé d’adapter les posologies de CBD en raisonnant en milligrammes de substance consommée par prise. En automédication, l’usage de CBD ne doit pas dépasser 150 à 200 mg/jour. Par ailleurs, ledit usage doit être de courte durée, c’est-à-dire inférieure à un mois, afin d’éviter un retard diagnostic et une perte de chance de guérison.</p>
<p>En cas de traitement en cours, avant de prendre du CBD il est préférable de s’adresser à un professionnel de santé tel que médecin ou pharmacien, qui déterminera les risques d’interactions médicamenteuses, et ce dès la posologie de 50 mg/jour.</p>
<p>Enfin, dans le contexte d’une maladie chronique, il est également recommandé de consulter son médecin traitant ou son pharmacien avant d’entamer la prise de cannabidiol à visée thérapeutique.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/480922/original/file-20220824-14-sogj7q.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/480922/original/file-20220824-14-sogj7q.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=818&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/480922/original/file-20220824-14-sogj7q.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=818&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/480922/original/file-20220824-14-sogj7q.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=818&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/480922/original/file-20220824-14-sogj7q.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1028&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/480922/original/file-20220824-14-sogj7q.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1028&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/480922/original/file-20220824-14-sogj7q.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1028&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nicolas Authier, <a href="https://livre.fnac.com/a16974672/Nicolas-Authier-Le-petit-livre-du-CBD">« Le Petit Livre du CBD »</a>, First Editions, 2022.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171970/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Authier exerce des fonctions d'expert externe pour des autorités sanitaires. Il est membre du Collège scientifique de l'OFDT et du Comité Scientifique Permanent Psychotropes, Stupéfiants et Addictions de l'ANSM. Il préside le Comité Scientifique de l'expérimentation du cannabis médical en France ainsi qu'un groupe de travail de la Haute Autorité de Santé (HAS) sur le bon usage des médicaments opioïdes et la prévention des surdoses.</span></em></p>
CBD, trois lettres pour désigner le cannabidiol ou « cannabis bien-être », dont le marché et les usages explosent depuis quelques années. À quoi sert-il, et comment en faire bon usage ?
Nicolas Authier, Professeur des universités, médecin hospitalier, Inserm 1107, CHU Clermont-Ferrand, Fondation Institut Analgesia, Université Clermont Auvergne (UCA)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/171459
2021-12-06T22:34:07Z
2021-12-06T22:34:07Z
Dépression et inflammation : le rôle émergent du système immunitaire en psychiatrie
<p>La dépression est une maladie mentale fréquente, et mal comprise. Selon les critères du <a href="https://www.psychiatry.org/psychiatrists/practice/dsm">DSM-5</a> (le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorder, publié par l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Association_Am%C3%A9ricaine_de_Psychiatrie">Association américaine de psychiatrie</a>) ; elle est caractérisée par des symptômes tels qu’une tristesse persistante, un manque de motivation à effectuer des tâches habituelles, une perte d’intérêt et de plaisir, une grande fatigue, des troubles du sommeil, une perte d’appétit… mais également un sentiment de désespoir, qui peut mener jusqu’à des pensées et gestes suicidaires.</p>
<p>Pendant longtemps, nous n’avons pas disposé de traitements adaptés. Jusqu’à ce que, dans les années 1950, on découvre fortuitement que certains médicaments, des inhibiteurs de l’enzyme de dégradation de la sérotonine testés jusque-là dans d’autres indications (comme antituberculeux), <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25643025/">avaient des effets positifs sur « l’humeur »</a>…</p>
<p>Cette observation a contribué à l’élaboration de l’hypothèse selon laquelle la dépression pouvait être une maladie causée par un déséquilibre biochimique de neurotransmetteurs, ces substances libérées entre cellules nerveuses.</p>
<p>Un neurotransmetteur particulièrement suspecté fut la <a href="https://theconversation.com/non-la-serotonine-ne-fait-pas-le-bonheur-mais-elle-fait-bien-plus-109280">sérotonine, dont il a été montré qu’il intervient dans la modulation des émotions</a>. En effet, la plupart des médicaments qui agissent comme antidépresseur ont pour effet de renforcer la disponibilité de la sérotonine, notamment en inhibant sa récupération par les neurones. Ces médicaments, de <a href="https://www.vidal.fr/medicaments/gammes/prozac-8447.html">type Prozac©</a>, sont ainsi devenus la classe d’antidépresseurs la plus fréquemment prescrite.</p>
<p>Cependant, environ 30 % des patients souffrant de dépression ne voient pas leur état s’améliorer par ces traitements. La recherche de nouveaux mécanismes neurobiologiques a donc été élargie.</p>
<h2>L’inflammation : une nouvelle piste prometteuse</h2>
<p>Le rôle de l’inflammation a, dans ce cadre, connu un intérêt grandissant pour les perspectives thérapeutiques qu’il permettrait d’ouvrir. Encore imparfaite, cette hypothèse s’appuie toutefois sur de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/10442164/">multiples observations biologiques</a> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32150310/">et cliniques</a> telles que :</p>
<ul>
<li><p>Les patients souffrant de maladies inflammatoires chroniques présentent une prévalence élevée de troubles dépressifs ;</p></li>
<li><p>Des malades traités par immunothérapie avec des cytokines (petites protéines pro-inflammatoires) développent fréquemment un syndrome dépressif sévère ;</p></li>
<li><p>Des biomarqueurs de l’inflammation (cytokines pro-inflammatoires, protéine C-réactive ou CRP) sont souvent en quantité plus élevés dans le sang des patients présentant un épisode de dépression majeure. Un trait qui semble corrélé avec un profil clinique d’anhédonie (perte de la capacité à ressentir le plaisir) et de troubles cognitifs, et est souvent associé à la non-réponse aux médicaments antidépresseurs ;</p></li>
<li><p>Certains anti-inflammatoires réduisent l’état dépressif <em>per se</em> ou potentialisent l’effet clinique des antidépresseurs ;</p></li>
<li><p><a href="https://us.macmillan.com/books/9781250318145/theinflamedmind">L’état inflammatoire modifie le comportement et la connectivité cérébrale</a>, en particulier dans le système de récompense du cerveau, entre striatum ventral et le cortex frontal (circuit qui gère les émotions positives de bien-être).</p></li>
</ul>
<p>Ces observations établissant un lien entre pathologie mentale et inflammation sont suffisamment solides pour permettre l’émergence d’une nouvelle discipline : la psycho-neuro-immunologie ou immuno-psychiatrie. <a href="https://www.scimagojr.com/journalsearch.php?q=20695&tip=sid">Plusieurs journaux scientifiques internationaux de grande notoriété publient désormais des travaux dans ce champ émergent</a> et une <a href="https://t.numblr.net/pic/enc/cHJvZmlsZV9iYW5uZXJzLzE5NTExNzk3OTkvMTQ4ODg4ODc4NS8xNTAweDUwMA==">société internationale de neuro-immunologie a été fondée</a>.</p>
<h2>De multiples pistes à explorer</h2>
<p><a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32150310/">L’hypothèse d’une composante inflammatoire dans la maladie mentale</a> a ceci d’intéressant qu’elle conduit à reconsidérer le trouble comme une pathologie de l’organisme entier et non comme exclusivement cérébrale : ce qui permet de dépasser une approche trop dichotomisante entre pathologies de l’esprit (maladies mentales) et pathologies somatiques (du corps).</p>
<p>La recherche dans ce domaine n’en est qu’à ses débuts, et l’origine de l’inflammation qui accompagne les pathologies mentales reste mal comprise. En effet, une inflammation est habituellement une réponse immunitaire non spécifique et transitoire en réaction à l’exposition à un corps étranger ou à un agent infectieux. Dans le cas de la maladie mentale, l’origine de l’inflammation doit être recherchée au niveau de l’organisme.</p>
<p>La responsabilité d’un glucocorticoïde (le cortisol), hormone du stress, a été également évoquée. Un stress chronique est en effet souvent un facteur déclenchant d’une pathologie dépressive.</p>
<p>On s’interroge aussi sur les mécanismes de dispersion de cellules immunitaires (macrophages) et des médiateurs de l’inflammation (interleukines pro-inflammatoires) du compartiment sanguin vers l’intérieur du cerveau. Cette entrée des macrophages est vraisemblablement la conséquence d’une modification de la perméabilité de la barrière hémato-encéphalique, qui sépare les compartiments sanguin et cérébral.</p>
<p><a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28373688/">Des travaux expérimentaux</a> chez l’animal suggèrent que cette modification pourrait être la conséquence du stress mécanique induit par la circulation sanguine – une hypothèse désormais <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/21349153/">bien documentée</a> en <a href="https://www.nature.com/articles/npp2017113">clinique humaine</a> (par de nouvelles techniques d’imagerie par ultrason par exemple.</p>
<p>L’intérêt de cette nouvelle approche est qu’elle est compatible avec le modèle biochimique préexistant. Un lien entre déficit de la transmission de la sérotonine et inflammation a en effet été trouvé : le chaînon manquant entre ces deux voies semble être la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30844963/">voie métabolique dite « Tryptophane/kynurénine/acide quinolinique »</a>.</p>
<p>Le tryptophane est un amino-acide qui nous est apporté par l’alimentation et est le précurseur de la sérotonine. Or, en cas d’inflammation ou de stress, les réactions biologiques de métabolisation du tryptophane sont détournées vers une autre molécule, la kynurénine, et d’autres produits ayant des propriétés oxydantes ou <a href="https://www.sciencedirect.com/topics/neuroscience/excitotoxicity">excito-toxiques</a> (toxiques pour les neurones) comme l’acide quinolinique.</p>
<h2>Au cœur des réactions biologiques impliquées</h2>
<p>Selon certains auteurs, 85 % des synapses de notre cortex cérébral utilisent un neurotransmetteur appelé glutamate – qui y serait ainsi le principal neurotransmetteur excitateur. Cela signifie que toute modification de l’activité des synapses « glutamatergiques » aura un impact élevé sur l’activité cérébrale. Or l’acide quinolinique est capable de se fixer sur les mêmes récepteurs que le glutamate pour en potentialiser l’effet (effet agoniste). Leur excès de stimulation conduit à un phénomène d’excito-toxicité, aboutissant à de la mort neuronale.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=468&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=589&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=589&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436799/original/file-20211209-21-sp2s6x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=589&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La barrière hémato-encéphalique (H-E), entre compartiment sanguin et cérébral, est constituée, en partie, d’astrocytes, qui transportent TRP, KYN et 3–HK. Lorsque le métabolisme du TRP est dévié vers KYN, la sérotonine (5-HT) cérébrale baisse. Nous pensons que l’équilibre 5-HT/QUIN/KYNA joue un rôle majeur dans la dépression.</span>
<span class="attribution"><span class="source">d’après Troubat et coll., European Journal of Neurosciences</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette hypothèse de l’implication de la neuro-inflammation et de la voie métabolique des kynurénines excito-toxique dans la dépression est congruente avec l’hypothèse du rôle du glutamate dans la dépression. D’autant que des études pharmacologiques ont montré, chez l’humain, qu’une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/10686270/">autre molécule capable cette fois de concurrencer le glutamate sur ses récepteurs (effet antagoniste), la kétamine, a des propriétés antidépressives puissantes et rapides</a>.</p>
<p>Mais ce n’est pas le seul intérêt de ce modèle : la découverte des liens entre système impliquant la sérotonine et inflammation permet aussi de mieux comprendre les liens entre dépression et pathologies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer.</p>
<p>Il a en effet été démontré en clinique humaine que la <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/the-british-journal-of-psychiatry/article/affective-disorders-and-risk-of-developing-dementia-systematic-review/343C1DA7C277F28256A0B4F0264CEE76">survenue d’épisodes dépressifs augmente la probabilité de développer, plus tard, un trouble comme la maladie d’Alzheimer</a>, ce qui suggère des mécanismes communs à ces deux pathologies.</p>
<p>Il a également pu être mis en évidence, chez l’animal, que le stress chronique perturbe certaines voies métaboliques dans des régions du cerveau impliquées dans la dépression chez l’humain – telles que l’amygdale (qui a un rôle de système d’alerte) et serait une des <a href="https://livre.fnac.com/a1652564/Joseph-Ledoux-Le-Cerveau-des-emotions">structures du circuit de la peur</a>.</p>
<p>L’inflammation et l’état de stress chronique conduisent aussi à l’accumulation de composés favorisant là encore la mort neuronale, qui caractérise les pathologies neuro-dégénératives de type Alzheimer.</p>
<p>On le voit, la prise en considération de la composante inflammatoire ouvre un champ de recherche prometteur. Elle permet non seulement d’envisager de nouvelles pistes thérapeutiques pour les maladies mentales comme la dépression, mais aussi de mieux comprendre leurs relations avec d’autres pathologies – neuro-dégénératives notamment.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171459/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Esther Belzic a reçu des financements pour une bourse de thèse par la Fondation Recherche Alzheimer</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Negar Ahmadi a reçu une bourse de la part de labex (Laboratoire d’excellence) financée par l’ANR (l’agence national de la recherche) dans le cadre de sa thèse à l’IGF (institut génomique fonctionnelle) du CNRS. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Vincent Camus a reçu des financements DGOS AAP en recherche clinique.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pascal Barone ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
La dépression reste mal comprise, malgré les avancées diagnostiques et thérapeutiques. Bien des cas restent encore sans traitement. La découverte du rôle de l'inflammation ouvre des pistes inédites.
Pascal Barone, Maître de conférences en Neurosciences, UMR iBrain, imagerie et cerveau, univ-Tours/INSERM, laboratoire de psychiatrie neuro-fonctionnelle, Tours, France, Université de Tours
Esther Belzic, PhD à Neurosciences Paris Seine à l'institut de Biologie Paris Seine, CNRS UMR 8246, Inserm U1130, Sorbonne Université
Negar Ahmadi, PhD à Institut de Génomique Fonctionnelle, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)
Vincent Camus, Professeur des Universités-Praticien Hospitalier, Université de Tours & INSERM U1253, CHRU de Tours, Université de Tours
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/171432
2021-11-08T20:34:31Z
2021-11-08T20:34:31Z
Covid-19 : près de 20 % des formes graves sont dues à des problèmes génétiques et immunitaires
<p><em>On sait aujourd’hui que l’âge est le facteur de risque principal de développer une forme grave de Covid-19, nécessitant une admission en réanimation. Mais pourquoi ? Le Pr Jean-Laurent Casanova a codirigé des travaux visant à répondre à cette question, dans le cadre d’une collaboration internationale impliquant le Laboratoire de génétique humaine des maladies infectieuses (Université de Paris/Inserm). Il nous présente ses résultats.</em></p>
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<p><strong>The Conversation : Pouvez-vous nous rappeler en quoi consistent les formes graves de Covid-19, et combien de personnes sont concernées ?</strong></p>
<p><strong>Jean-Laurent Casanova :</strong> Dans 70 % des cas, soit l’infection par le coronavirus SARS–CoV–2 est asymptomatique, soit elle se traduit par une infection des voies aériennes supérieures (nez, gorge, pharynx, larynx). </p>
<p>Chez 30 % des personnes contaminées, cette infection donne lieu à une pneumonie, autrement dit une atteinte des poumons. Si les deux tiers des patients concernés se remettent sans aller à l’hôpital, un tiers d’entre eux doit être hospitalisé pour recevoir un apport d’oxygène. Et un tiers environ de ces patients hospitalisés finiront intubés, voire devront être mis sous oxygénation extracorporelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/covid-19-comment-soigne-t-on-les-patients-atteints-de-formes-graves-132852">Covid-19 : comment soigne-t-on les patients atteints de formes graves ?</a>
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<p>On sait depuis le printemps 2020 que le principal facteur influant sur la survenue de ces formes sévères est l’âge : le risque de faire une pneumonie oxygénodépendante lorsqu’on est infecté par le SARS-CoV-2 double approximativement tous les cinq ans. Chez les enfants de cinq ans, il est de 0,001 %, tandis qu’il atteint les 10 % à 85 ans. C’est un écart gigantesque, d’un facteur 10 000.</p>
<p>En comparaison, tous les autres facteurs de risque sont minimes au plan épidémiologique. Ce point est important à comprendre : certes, il existe d’autres facteurs de risque, tels que l’obésité par exemple. Mais ils augmentent le risque d’être victime d’une forme sévère bien moins que le vieillissement.</p>
<p><strong>TC : Avec vos collaborateurs, vous cherchez à identifier les mécanismes moléculaires et cellulaires responsables de cette situation. Qu’avez-vous appris jusqu’à présent ?</strong></p>
<p><strong>J.-L. C. :</strong> En octobre de l’année dernière, nous avions découvert les mécanismes expliquant un peu plus de 10 % des formes graves de Covid-19.</p>
<p>Nous avons identifié, chez environ 3 % des malades concernés, l’implication de maladies génétiques. Celles-ci affectent les chromosomes non sexuels (aussi appelés autosomes), ce qui signifie qu’elles sont également réparties entre les hommes et les femmes.</p>
<p>(<em>le génome humain est composé de 23 paires de chromosomes : 22 paires formées chacune de deux exemplaires d’un même chromosome (notés de 1 à 22), de même taille, et une paire de chromosomes sexuels (notés X et Y, dont la taille diffère), qui déterminent le sexe. Les femmes possèdent une paire de chromosomes X, tandis que les hommes ont un chromosome X et un chromosome Y, ndlr</em>)</p>
<p>Ces maladies génétiques ont un impact sur la production ou la réponse aux interférons de type I, des <a href="https://planet-vie.ens.fr/thematiques/animaux/systeme-immunitaire/les-interferons-de-type-i-et-iii-des-effecteurs-de-l">protéines impliquées dans l’immunité innée antivirale</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-notre-corps-se-defend-il-contre-les-envahisseurs-143072">Comment notre corps se défend-il contre les envahisseurs ?</a>
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<p>Par ailleurs, nous avons également mis en évidence dans une autre étude que plus de 10 % des malades atteints de formes sévères possédaient des <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.abd4585">autoanticorps qui neutralisaient les interférons de type I</a>. Ces autoanticorps n’étaient retrouvés chez aucune des personnes asymptomatiques ou peu symptomatiques.</p>
<p>Des analyses menées sur des échantillons provenant d’individus âgés de 20 à 69 ans prélevés avant la pandémie de Covid-19 ont aussi révélé que ces anticorps étaient présents chez 0,3 % d’entre eux. Il semblerait donc qu’ils ne soient pas produits en réponse à la maladie.</p>
<p>Nous avions en outre remarqué à l’époque que les maladies génétiques touchaient plutôt les sujets âgés de moins de 60 ans, tandis que les autoanticorps se trouvaient plutôt chez des malades de plus de 60 ans.</p>
<p><strong>TC : En septembre dernier, vous avez publié de nouveaux travaux sur le sujet. Que nous apprennent-ils de plus ?</strong></p>
<p><strong>J.-L. C. :</strong> Nous avons publié deux nouveaux articles qui complètent les résultats des études de 2020.</p>
<p><a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciimmunol.abl4348">Le premier article</a> concerne l’identification d’une maladie génétique liée au chromosome X, impliquée dans 1 à 2 % des formes graves de pneumonies chez les hommes de moins de 60 ans.</p>
<p>Dans le <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciimmunol.abl4340">second article</a>, nous avons à nouveau testé les propriétés neutralisantes d’échantillons de plasma ou de sérum de patients victimes de formes sévères vis-à-vis de l’interféron de type I, mais à des concentrations 100 fois plus faibles que dans nos travaux précédents (donc plus proches des concentrations que l’on retrouve dans l’organisme). Les résultats obtenus indiquent que ces autoanticorps ne sont pas présents chez 10 % des malades, comme on le pensait initialement, mais plutôt chez 15 % d’entre eux.</p>
<p>L’autre enseignement important de cet article est que la prévalence des autoanticorps dans la population augmente avec le temps. Elle est à peu près stable jusqu’à l’âge de 60 à 65 ans (ils sont alors présents dans 0,3 à 0,7 % de la population), puis elle bondit à partir de 65 ans, pour passer à plus de 4 % au-delà de 70 ans, et à plus de 7 % au-delà de 80 ans.</p>
<p>Grâce à l’ensemble de ces résultats, on explique donc aujourd’hui environ 20 % des formes pulmonaires graves de Covid-19.</p>
<p><strong>TC : L’augmentation des autoanticorps avec l’âge explique en partie l’augmentation des formes graves avec l’âge, mais pas en totalité…</strong></p>
<p><strong>J.-L. C. :</strong> Les autoanticorps expliquent environ 15 % des formes graves de Covid-19, mais ils expliquent au moins 20 % des formes graves chez les plus de 80 ans. Et ils expliquent également 20 % des décès dus à la Covid-19, à tous les âges.</p>
<p>Il est clair qu’en l’état actuel des connaissances, les autoanticorps n’expliquent pas toutes les formes sévères du grand âge. Une raison pourrait en être la façon dont on les détecte aujourd’hui, qui n’est peut-être pas optimale. Mais ce n’est qu’une hypothèse, la seule chose certaine, ce sont les données que nous avons publiées.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, la Covid-19 est une maladie relativement simple à comprendre, au final : si une personne infectée par le SARS-CoV-2 possède de l’interféron de type I en quantité suffisante, elle va parvenir à se débarrasser du coronavirus lorsque celui-ci va tenter d’envahir ses voies respiratoires supérieures. En revanche, si elle n’en a pas assez, pendant les premiers jours le virus va se disséminer dans les poumons, dans le sang et dans d’autres organes. Après huit ou dix jours, il se sera répandu de façon relativement silencieuse dans tous l’organisme. </p>
<p>À ce moment-là, l’organisme subira une inflammation importante, notamment dans les poumons : c’est la « tempête cytokinique ». Cette inflammation systémique est la conséquence du fait que les interférons de type I n’ont pas agi pendant la première semaine.</p>
<p><strong>TC : Les patients qui possèdent ces autoanticorps anti-interféron de type I sont-ils plus sensibles aux autres infections virales ? Cette découverte a-t-elle des implications en matière de vaccination ?</strong></p>
<p><strong>J.-L. C. :</strong> Les patients concernés n’avaient pas d’antécédents particuliers de maladie virale. Ils n’avaient par exemple pas développé de formes sévères lors d’infections par le virus de la grippe. Cela suggère que l’immunité conférée par l’interféron de type I est essentielle dans la lutte contre l’infection par le SARS-CoV-2 au niveau de l’appareil respiratoire.</p>
<p>Nous sommes actuellement en train de tester d’autres cohortes de patients (victimes d’infections virales par le virus de la grippe, le virus Zika, le virus varicelle-zona…) afin de déterminer si ces autoanticorps peuvent être impliqués dans d’autres maladies virales.</p>
<p>En ce qui concerne la vaccination, l’année dernière nous avions publié des résultats montrant que, dans environ un tiers des cas, les réactions adverses survenant après la vaccination par le vaccin vivant contre la fièvre jaune étaient dues à de tels autoanticorps.</p>
<p>Notre équipe étudie actuellement les cas de personnes vaccinées contre la Covid-19 qui développent malgré tout des formes sévères.</p>
<p><strong>TC : D’où viennent les autoanticorps ? Comment s’explique leur augmentation avec l’âge ?</strong></p>
<p><strong>J.-L. C. :</strong> On sait que chez une partie des sujets relativement jeunes concernés par le problème, la sécrétion de ces autoanticorps est déclenchée par certaines maladies génétiques.</p>
<p>Ce que l’on ne sait pas encore, c’est pourquoi tout à coup, à partir de 65 ans, ce qui était relativement rare dans la population devient commun. Nous sommes en train d’explorer plusieurs hypothèses pour tenter de l’expliquer, mais c’est assez compliqué. Il a en outre été montré qu’à mesure qu’on vieillit, le niveau d’interféron dans notre organisme diminue, que ce soit dans le sang ou dans les tissus. Cela participe certainement de l’augmentation du risque de survenue de formes de Covid-19 sévères avec l’âge.</p>
<p><strong>TC : On sait que les hommes sont davantage sujets aux formes sévères. Retrouve-t-on une différence homme-femme en ce qui concerne les autoanticorps anti-interféron de type I ?</strong></p>
<p><strong>J.-L. C. :</strong> Il existe effectivement davantage d’anticorps contre les interférons chez les hommes que chez les femmes, mais pour l’instant on ne sait pas pourquoi.</p>
<p><strong>TC : Quelles sont les implications de ces découvertes en matière de diagnostic ? De prise en charge ?</strong></p>
<p><strong>J.-L. C. :</strong> La recherche d’autoanticorps est déjà utilisée dans un certain nombre d’hôpitaux pour établir un pronostic et intervenir en conséquence. On sait en effet que si un patient possède des autoanticorps, il a un risque énorme de développer une forme grave.</p>
<p>En ce qui concerne la prise en charge, en dehors de traitements génériques comme les corticoïdes, on peut envisager une plasmaphérèse. Cette technique extracorporelle consiste à relier la circulation sanguine du malade à une machine qui va séparer le plasma sanguin (et les anticorps qu’il contient) et le remplacer par une solution artificielle.</p>
<p>On peut aussi envisager de traiter les malades qui possèdent des autoanticorps anti-interféron de type I avec de l’interféron bêta, pour tenter de les neutraliser. Le problème est que ces autoanticorps ne reconnaissent que rarement l’interféron bêta. Par ailleurs, ce traitement n’est potentiellement efficace que dans les premiers jours de la maladie ; ensuite il est trop tard. On peut enfin utiliser des anticorps monoclonaux qui neutralisent le virus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171432/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Laurent Casanova ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Si dans la plupart des cas, l’infection par le SARS-CoV-2 ne provoque que des symptômes modérés, voire aucun symptôme, certains malades font des pneumonies fatales. On commence à comprendre pourquoi.
Jean-Laurent Casanova, Professeur, Université Paris Cité
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/169338
2021-10-19T18:38:46Z
2021-10-19T18:38:46Z
« Crack » : que faut-il savoir sur cette drogue ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/486818/original/file-20220927-5931-5z7h8d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C0%2C5476%2C3642&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des riverains manifestent pour demander le démantèlement d'un camp de consommateurs de crack, à Pantin, dans le nord de Paris, le 24 septembre 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">Julien de Rosa / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Depuis une dizaine d’années, le « crack » fait régulièrement la une des médias. De nombreux reportages ont été consacrés <a href="https://youtu.be/Isbpkkq7G7U">à la situation en région parisienne</a>, de la ville de Saint-Denis aux abords du métro Stalingrad, en passant par les Portes d’Aubervilliers, de la Villette ou de la Chapelle.</p>
<p>En septembre 2021, le parc des Jardins d’Éole et le secteur du métro Stalingrad, dans le 18ème arrondissement de Paris, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/24/crack-a-paris-la-police-evacue-les-secteurs-des-jardins-d-eole-et-de-stalingrad_6095863_3224.html">étaient évacués par la police</a>. Les nombreux consommateurs de crack qui fréquentaient ces endroits étaient alors « relocalisés » aux portes de Paris. Un an plus tard, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/09/25/crack-a-paris-un-an-apres-le-desespoir-des-riverains-de-la-porte-de-la-villette_6143059_3224.html">les riverains demandent leur évacuation des abords du square de la Porte de la Villette</a>, où un nouveau campement s’est établi. </p>
<p>Précarité, insalubrité, perturbations du voisinage… Les problématiques ayant trait à l’usage du crack dans l’espace public sont bien connues. Mais savez-vous ce qu’est réellement cette drogue ? La réalité de son usage en France ? Ses effets, et les complications qu’elle engendre ? Et, surtout, les solutions proposées aux usagers pour les aider à s’en sortir ?</p>
<h2>Une forme fumable de cocaïne</h2>
<p>Le crack provient de la cocaïne, substance stimulante consommée partout en France et dans tous les milieux sociaux. Il s’agit plus précisément de cocaïne « basée », autrement dit à laquelle a été ajoutée une base chimique (<a href="https://www.emcdda.europa.eu/publications/drug-profiles/cocaine_fr">du bicarbonate de soude ou de l’ammoniaque</a>) afin de la rendre fumable (le terme « crack » est d’ailleurs une onomatopée évoquant le bruit que produisent les cristaux de cocaïne en se consumant).</p>
<p>Cette transformation chimique donne à la cocaïne l’apparence d’un petit amas cristallin blanc ou jaunâtre, appelé « caillou », qu’il faut rincer à plusieurs reprises avant consommation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/425046/original/file-20211006-22-c6oouv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425046/original/file-20211006-22-c6oouv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=666&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425046/original/file-20211006-22-c6oouv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=666&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425046/original/file-20211006-22-c6oouv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=666&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425046/original/file-20211006-22-c6oouv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=836&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425046/original/file-20211006-22-c6oouv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=836&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425046/original/file-20211006-22-c6oouv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=836&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des cailloux de « crack ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crack_(stup%C3%A9fiant)#/media/Fichier:Rocks_of_crack_cocaine.jpg">DEA/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le crack est acheté prêt à l’emploi ou fabriqué par l’usager à partir de poudre de cocaïne. Les <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/notes/synthese-des-principaux-resultats-de-letude-crack-en-ile-de-france/">prix des galettes de crack</a> prêtes à fumer varient de 15 à 20 euros pour un poids d’environ 150 mg, comprenant 50 à 70 % de cocaïne basée. On parle de crack si la base ajoutée est du bicarbonate de soude (souvent préparé en amont de la vente par les « cuisiniers » ou les « moudous »), et de « free base » s’il s’agit d’ammoniaque (généralement utilisée <a href="https://www.drogues.gouv.fr/sites/drogues.gouv.fr/files/atoms/files/131022_05papguidecrack.pdf#page=12">lorsque le produit est préparé par les consommateurs</a>).</p>
<p>Contrairement aux idées reçues véhiculées par de nombreux usagers, le « basage » de la cocaïne en crack ne la purifie pas. Les produits utilisés pour « couper » la cocaïne – autrement dit, la diluer – sont toujours présents dans la forme basée. Il s’agit principalement de produits pharmaceutiques : la phénacétine, un antalgique retiré de la prescription en 2011 et le lévamisole, un antiparasitaire. D’autres produits (dits <a href="https://www.drogues.gouv.fr/comprendre/lexique/adulterant">« adultérants »</a>) peuvent être utilisés, tels que des amphétamines, de l’ammoniaque, du bicarbonate, de la xylocaine, de la lidocaïne ou encore de nouveaux produits de synthèse comme les cathinones de synthèse.</p>
<p>La cocaïne-base obtenue est fumée dans des pipes en verre (pipes à crack), dans des cannettes en aluminium percées ou dans des doseurs d’alcool utilisés sur les bouteilles dans les bars. En matière de vitesse d’absorption et de potentiel addictif, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23727012/">inhaler de la fumée de cocaïne base est quasi-équivalent à l’injection du produit</a> (des pratiques d’injection du résidu restant au fond des pipes ont par ailleurs été rapportées, après acidification au citron). D’autres substances peuvent être co-consommées avec le crack, comme l’alcool, le cannabis (<a href="https://www.drogues.gouv.fr/sites/drogues.gouv.fr/files/atoms/files/131022_05papguidecrack.pdf#page=22">« black joint »</a>), des médicaments opioïdes, des tranquillisants, etc.</p>
<h2>Les effets recherchés</h2>
<p>La consommation de crack ou de free base a deux effets principaux, qui surviennent successivement : le <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/23888579/">« high » et le « crash »</a>. Le « high » débute généralement 8 à 10 secondes après la prise par l’apparition, rapidement progressive, d’une intense euphorie, suivie d’un puissant sentiment de bien-être. L’effet maximal est obtenu en 5 à 10 minutes. Mais cet effet est bref, de l’ordre de 8 à 10 minutes seulement. Tout aussi rapidement survient la « descente » de cocaïne.</p>
<p><a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/22856661/">Celle-ci provoque un intense sentiment de détresse</a>, dont les principaux signes sont l’hypersomnie (besoin excessif de sommeil), l’asthénie (faiblesse généralisée), l’absence d’énergie, le ralentissement psychique et physique, la tristesse, les difficultés de concentration, l’augmentation de l’appétit et l’envie de retrouver l’euphorie induite par la cocaïne.</p>
<p>Une envie frénétique de consommer à nouveau du crack s’empare alors du consommateur : celui-ci répète les prises tant qu’il a de la cocaïne-base à sa disposition. Les patients gèrent souvent le crash (la « descente ») avec de l’alcool, du cannabis, des tranquillisants voire des opioïdes comme l’héroïne. Une dépendance secondaire à ces substances peut donc s’installer. Par ailleurs, l’usage de crack s’accompagne d’un phénomène de tolérance qui nécessite d’en consommer toujours plus pour obtenir le même effet, ou simplement pour ne pas être en manque.</p>
<h2>Des conséquences psychiques, physiques et sociales</h2>
<p>Si la part du crack dans les complications liées à l’usage de cocaïne augmente avec la fréquence croissante d’usage de cette forme de cocaïne fumée, il reste néanmoins difficile de différencier les risques selon le type de cocaïne consommée.</p>
<p>Une analyse des causes d’hospitalisations a montré un <a href="https://ansm.sante.fr/actualites/augmentation-des-signalements-dintoxication-liee-a-la-consommation-de-cocaine-et-de-crack%20https://ansm.sante.fr/uploads/2021/01/11/plaquette-cocaine-2.pdf">doublement du nombre d’hospitalisations en relation avec l’usage de cocaïne (basée ou non) entre 2008 et 2016</a>.</p>
<p>Les complications les plus fréquemment rapportées sont des complications psychiatriques pour 35 % des cas : troubles du comportement (agitation, agressivité…), tentatives de suicide, attaques de panique induites, état délirant aigu, hallucinations, paranoïa induite, syndrome de recherche compulsive de crack. Des complications cardio-vasculaires sont également rapportées dans 30 % des cas (syndrome coronarien aigu, troubles du rythme cardiaque…), ainsi que des complications neurologiques (convulsions, accidents vasculaires cérébraux…).</p>
<p>Le mode de consommation de la cocaïne basée induit aussi des inflammations pulmonaires graves pouvant conduire en réanimation, en plus de brûlures des voies aériennes supérieures. Enfin, l’échange de matériel pour l’inhalation est également responsable de complications infectieuses telles que les infections sexuellement transmissibles. En France, 50 % des usagers de crack <a href="https://www.drogues.gouv.fr/comprendre/lexique/crack">sont séropositifs pour le virus de l’hépatite C</a>.</p>
<h2>Des dizaines de milliers de Français concernés</h2>
<p>La médiatisation des quelques centaines d’usagers de crack d’Île-de-France, en situation de précarité sociale extrême, ne doit pas faire oublier le développement des usages sur l’ensemble du territoire métropolitain, lesquels concernent aussi des personnes souvent socialement mieux insérées.</p>
<p>Après le cannabis, la cocaïne (sous toutes ses formes) est en effet la deuxième drogue illicite consommée en France. L’<a href="https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/DCC2019.pdf">Observatoire français des drogues et toxicomanies</a> (OFDT) estime à 2,1 millions de Français ayant déjà expérimenté cette substance, et à 600 000 ceux en ayant eu un usage dans l’année. Or, environ 5 % des consommateurs de cocaïne peuvent devenir dépendants au cours de la première année de consommation et <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/11927172/">20 % développeront une dépendance à long terme</a>.</p>
<p>En parallèle d’une diffusion croissante de la cocaïne en poudre, les usages de cocaïne basée existent depuis plus de 40 ans en France. Initialement concentrés dans les Antilles, ils se sont développés significativement depuis plus de 10 ans sur tout le territoire. En 2019, on estimait que le nombre d’usagers âgés de 15 à 64 ans était, en France, de <a href="https://www.ofdt.fr/publications/collections/notes/synthese-des-principaux-resultats-de-letude-crack-en-ile-de-france/">40 000 à 45 000</a>, un chiffre probablement en hausse depuis cette date.</p>
<h2>Accompagner les usagers pour réduire les risques et soigner</h2>
<p><a href="https://www.has-sante.fr/jcms/c_951095/fr/prise-en-charge-des-consommateurs-de-cocaine">Différentes approches thérapeutiques</a> doivent être proposées aux patients. Elles combinent souvent des médicaments (non validés dans cette indication par les autorités compétentes pour la mise sur le marché des médicaments, par exemple de la N-acétyl cystéine à fort dosage) et des approches psychothérapeutiques lors de la phase de sevrage thérapeutique (initiation de l’abstinence) ainsi que lors de la phase de prévention de la rechute (maintien de l’abstinence). Une prise en charge psychosociale (groupe d’entraide, activités sportives…) doit également être envisagée.</p>
<p>L’abstinence est un objectif privilégié à travailler avec l’usager. Afin de servir de tremplin à cet objectif, une hospitalisation peut être envisagée, avec l’accord du fumeur de cocaïne.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1443102162351972354"}"></div></p>
<p>Enfin, ces approches thérapeutiques sont systématiquement associées à des mesures de réduction des risques et des dommages. En cela, la <a href="https://www.federationaddiction.fr/kit-base-lusage-crack-fume/">distribution gratuite</a> de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=vUjvH175Bz4">matériel de consommation</a> ainsi que la création de haltes soins/addiction, dans le prolongement des salles de consommation à moindre risque, devrait permettre aux plus précaires des usagers d’accéder progressivement aux soins.</p>
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<p><em>Pour en savoir plus sur les addictions, <a href="https://open.spotify.com/episode/3rxhUnuOxGUdzQWXT4hOBn">écoutez le podcast</a> du <a href="https://www.deezer.com/fr/show/3046532">professeur Laurent Karila</a> <a href="https://podcasts.apple.com/fr/podcast/laurent-karila-addiktion/id1589756300">« Addiktion »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169338/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Authier exerce des fonctions d'expert externe pour des autorités sanitaires. Il est membre du Collège scientifique de l'OFDT et du Comité Scientifique Permanent Psychotropes, Stupéfiants et Addictions de l'ANSM. Il préside le Comité Scientifique de l'expérimentation du cannabis médical en France ainsi qu'un groupe de travail de la Haute Autorité de Santé (HAS) sur le bon usage des médicaments opioïdes et la prévention des surdoses.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Laurent Karila est porte-parole de SOS Addictions et membre de la Fédération Française d'Addictologie.</span></em></p>
Le crack ou la « free base » sont des formes de cocaïne destinées à être fumées. Elles entrainent des comportements addictifs sévères et des complications physiques, psychiques et sociales majeures.
Nicolas Authier, Professeur des universités, médecin hospitalier, Inserm 1107, CHU Clermont-Ferrand, Fondation Institut Analgesia, Université Clermont Auvergne (UCA)
Laurent Karila, Professeur d’Addictologie et de Psychiatrie, Membre de l’Unité de Recherche PSYCOMADD, Université Paris-Saclay
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
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2021-02-17T19:56:11Z
2021-02-17T19:56:11Z
« Volontaires sains » dans la recherche clinique : un engagement entre altruisme et vulnérabilité
<p>Lorsqu’en octobre 2020, les autorités britanniques ont autorisé la <a href="https://www.biospace.com/article/releases/open-orphan-hvivo-signs-contract-with-uk-government-for-the-development-of-a-covid-19-human-challenge-study-model/">première étude d’infection contrôlée</a> pour tester le vaccin anti-Covid-19 développé par l’Université d’Oxford, les réactions ont oscillé entre incrédulité et condamnation.</p>
<p>Ce type d’expérimentation, qui consiste à exposer des volontaires sains à une infection (on parle parfois de <a href="https://presse.inserm.fr/infecter-deliberement-les-volontaires-pour-accelerer-la-recherche-vaccinale-covid-19-vraiment/41183/">« challenge infectieux »</a>) pour juger de l’efficacité d’un vaccin ou d’une thérapie, est pourtant une pratique non seulement répandue, mais également parfois irremplaçable en recherche clinique.</p>
<p>L’implication de personnes en bonne santé dans des recherches biomédicales n’est cependant pas sans risque, comme l’ont montré plusieurs drames récents. Dans quels contextes ces volontaires sains sont-ils recrutés, quelle motivation les anime, comment sont-ils protégés ?</p>
<h2>L’incertitude de la recherche clinique</h2>
<p>En mars 2006, la société TeGenero propose d’évaluer la tolérance d’un anticorps destiné à lutter contre des maladies telles que la polyarthrite rhumatoïde, certaines leucémies ou la sclérose en plaques. Les premiers résultats chez l’animal s’étant avérés relativement sûrs, TeGenero décide de tester cette nouvelle molécule chez l’être humain, et recrute à cet effet six volontaires sains. Après la première administration, tous développent rapidement de gravissimes défaillances multiorganes. Les raisons de ces complications inattendues seront expliquées ultérieurement : l’anticorps testé aurait stimulé des lymphocytes T qui avaient été activés par le passé par d’autres infections. <a href="https://www.apmnews.com/freestory/10/163717/les-graves-complications-de-l-essai-clinique-de-tegenero-seraient-dues-a-un-effet-imprevu-de-l-anticorps-tgn1412-sur-les-lymphocytes-t">Ceux-ci auraient migré vers des organes sains, y causant des lésions</a>.</p>
<p>Dix ans plus tard, en janvier 2016, une étude promue par la société portugaise Bial pour tester une molécule censée soulager douleur et anxiété a connu un développement encore plus dramatique, <a href="https://www.lemonde.fr/sante/article/2016/10/11/essai-clinique-de-rennes-un-drame-en-cinq-questions_5011900_1651302.html">lorsque l’un des six volontaires sains recrutés est tombé dans le coma au cinquième jour de l’administration d’une dose quotidienne du candidat-médicament, puis décédé.</a>.</p>
<p>Ces deux exemples soulignent que les recherches biomédicales, par nature, se déroulent dans un contexte d’incertitude sur le bénéfice que pourraient en retirer les participants. On ne peut cependant nier la valeur scientifique et l’utilité sociale considérables de la <a href="https://theconversation.com/essais-cliniques-pratiques-et-reglementation-en-france-53331">recherche clinique</a> : elle a permis la mise au point et la validation de nombreux traitement et interventions qui ont amélioré espérance et qualité de vie d’innombrables patients.</p>
<p>Mais justement, lorsqu’il s’agit de patients, il existe <em>a priori</em> une connaissance de la finalité des recherches sur leur propre maladie. Les choses sont différentes lorsque la recherche clinique mobilise des personnes « saines », dont les motivations et les connaissances diffèrent.</p>
<h2>Dans quels contextes la recherche clinique fait-elle appel aux volontaires sains ?</h2>
<p>En France, dans le Code de Santé publique, toute recherche pratiquée sur l’être humain est dite <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032722870/">« recherche impliquant la personne humaine »</a>, sans distinction préalable entre le volontaire malade et le volontaire sain.</p>
<p>En dehors des essais de prévention et des études cliniques de phase I des produits de santé qui leur sont spécifiques, les volontaires sains participent à des recherches biomédicales qui peuvent être extrêmement différentes les unes des autres. Au niveau mondial, l’essentiel des études les impliquant portent sur l’évaluation de « bioéquivalents ». Ces études, qui sont menées pour démontrer la similarité des taux sanguins obtenus entre des médicaments innovants et leurs versions génériques, sont pour la plupart réalisées par des sociétés spécialisées (« Contract Research Organisations ») pour le compte de firmes pharmaceutiques.</p>
<p>Une évaluation réalisée en 2017 a identifié <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/cambridge-quarterly-of-healthcare-ethics/article/healthy-volunteers-for-clinical-trials-in-resourcepoor-settings-national-registries-can-address-ethical-and-safety-concerns/5D8FA3301ED03122C90DEE3F4B158096">plus d’un millier d’études impliquant l’administration de molécules à des dizaines de milliers de volontaires sains</a>, en particulier en Inde, en Chine et en Amérique du Nord.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/essais-cliniques-pratiques-et-reglementation-en-france-53331">Essais cliniques : pratiques et réglementation en France</a>
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<p>Des volontaires sains peuvent également faire partie de <a href="https://player.vimeo.com/video/59735666">cohortes</a>, autrement dit un ensemble d’individus acceptant d’être suivis parfois pendant plusieurs dizaines d’années pour fournir des informations utiles dans le champ de l’épidémiologie ou de l’évolution de maladies. Certaines cohortes sont à l’origine de la constitution de banques d’échantillons biologiques (« biobanques ») qui seront utilisés comme comparateurs « témoins » dans des études cliniques.</p>
<p>À titre d’exemple, l’Institut Pasteur héberge depuis 2008 la plate-forme <a href="http://www.biobanques.eu/en/nous-connaitre/membres/item/plateforme-icareb-institut-pasteur-paris">ICAReB</a> qui collectionne des échantillons biologiques d’environ 300 donneurs sains. D’autres biobanques contribuent à la mesure et à l’évaluation de paramètres comportementaux. L’Institut du Cerveau héberge par exemple la <a href="https://prismeicm.wixsite.com/prisme-icm">plate-forme PRISME</a>, qui recense environ 2000 volontaires disponibles pour aider, par exemple, à mettre au point des technologies d’analyse en vie réelle de comportements dans des environnements variés (salle d’attente, milieux confinés, espaces publics…).</p>
<p>Dans un contexte différent, des volontaires sains participent aussi, comme « comparateurs », aux études de suivi des victimes des attentats parisiens du 13 novembre 2015.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/13-novembre-et-traumatisme-la-memoire-collective-influence-profondement-la-memoire-individuelle-150005">13 Novembre et traumatisme : « La mémoire collective influence profondément la mémoire individuelle »</a>
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<h2>Quels sont les différents « points de contrôle » d’une étude clinique sur volontaires sains en France ?</h2>
<p>Selon le Code de Santé publique, tout projet de recherche sur la personne humaine est assujetti <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032722870/">à des avis et autorisations propres à assurer la sécurité des participants et la pertinence de l’étude</a>.</p>
<p>Comme pour tous participants à une recherche, les volontaires sains doivent recevoir une information transparente et compréhensible sur le déroulement de l’étude et ses risques, leur permettant de formaliser leur consentement. Une visite médicale permettra de vérifier si leur participation est conforme aux critères d’inclusion et de non-inclusion définis dans le protocole de l’étude autorisé par les instances réglementaires (Comité de protection des personnes, CPP ; Agence nationale de sécurité sanitaire des médicaments, Ansm). À tout moment, le volontaire peut sortir de l’étude sans avoir à se justifier.</p>
<p>En France, les volontaires sains participant à des études cliniques sont inscrits sur un fichier national permettant d’assurer le suivi de leur participation, le montant des indemnités financières reçues ainsi que le temps de carence entre deux études. Un fichier national, dénommé VRB (<a href="https://vrb.sante.gouv.fr/">Volontaires pour la Recherche Biomédicale</a>), recense les personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales. Il est à noter que la France et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays au monde à avoir mis en place un tel fichier. Cette mesure est destinée à éviter que ne se développe le phénomène des « volontaires sains professionnels » comme cela <a href="https://www.newscientist.com/article/mg20327181-500-perils-of-the-professional-lab-rat/">a été décrit aux États-Unis</a>.</p>
<h2>Quelles sont les motivations des volontaires sains ?</h2>
<p>Être volontaire sain dans un essai vaccinal, une étude de pharmacocinétique (qui vise à étudier le devenir des médicaments dans l’organisme) ou dans une cohorte participe à construire une identité d’appartenance à une communauté vertueuse favorisant la production de connaissances.</p>
<p>Ce type de démarche peut être facilité lorsque les activités des volontaires sains sont proches du domaine de recherche, par exemple des étudiants dans le champ de la santé. Les volontaires sains peuvent être aussi des personnes confrontées à la maladie d’un proche. Dans cette situation, la découverte de la recherche clinique, la prise de conscience des enjeux associés et le désir de la faire progresser favorisent la participation à des travaux de recherche. Quelles que soient les motivations déclarées, l’importance de cet engagement pour la société n’en est pas moindre.</p>
<p>Si certains volontaires disent s’engager dans la recherche clinique mobilisés par l’altruisme, d’autres le <a href="https://www.anrs.fr/sites/default/files/2018-04/volontaires_etudes_cliniques_prevention.pdf">font pour percevoir l’indemnité financière associée</a>. La vulnérabilité du contexte de vie peut-elle devenir la raison principale conduisant certaines personnes à être volontaire sain ? En France l’indemnité annuelle qui vient en compensation des contraintes subies est plafonnée. Elle représente néanmoins une somme non négligeable pour de nombreuses personnes, surtout celles qui se trouvent en situation de vulnérabilité financière.</p>
<p>Enfin, on peut noter que la connaissance de l’existence de ces recherches n’est pas distribuée de manière homogène dans la population, ce qui pose la question de la capacité de généralisation des résultats observés.</p>
<h2>Éthique et utilitarisme</h2>
<p>Dans certains pays à l’encadrement éthique défaillant, ou même dans des pays industrialisés basés sur des systèmes politiques très libéraux, le choix du volontaire sain face à sa vulnérabilité est un questionnement plus aigu encore, il interroge la notion même de volontariat. D’autant que certaines recherches conduites <a href="https://www.lexpress.fr/culture/tele/2061-deces-attribues-aux-essais-cliniques-en-inde_1322142.html">hors d’un cadre réglementaire suffisant</a> ou sur des <a href="https://www.nature.com/news/human-experiments-first-do-harm-1.9980">populations vulnérables de pays industrialisés</a> ont instauré un climat de défiance où les volontaires sains se sentent instrumentalisés.</p>
<p>Le volontaire peut être amené à s’engager dans une étude clinique en considérant que les risques encourus pèsent moins lourd que les bénéfices attachés à sa participation, qu’ils soient d’ordre financier ou qu’ils soient liés à un accès à des soins primaires dans certains contextes économiques. Pourtant, le contexte de vulnérabilité ne peut être considéré comme un critère d’exclusion à toute recherche, puisqu’une telle exclusion accentuerait encore la vulnérabilité en deux sens : matériel, par une privation des bénéfices attendus, et symbolique, par une privation d’exercice du choix.</p>
<p>Face à ce dilemme, les chercheurs sont démunis, partagés entre un sentiment de culpabilité utilitariste et le service rendu à la société.</p>
<h2>Réduire les contextes de vulnérabilité</h2>
<p>Bien que nos sociétés aient défini des niveaux d’arbitrage et de validation au travers des structures d’encadrement des recherches, les volontaires sains doivent pouvoir être à même d’être réellement « volontaires » pour décider de faire partie ou non du petit nombre acceptant le risque pour le bien collectif.</p>
<p>Pour s’assurer de mener une recherche éthique dans le respect des volontaires sains, il est donc impérieux de réduire les contextes de vulnérabilité. Cela peut se faire en aidant ces personnes <a href="https://www.hal.inserm.fr/inserm-02111121/document">à mieux comprendre les enjeux de la recherche à laquelle ils vont accepter de participer</a> ainsi qu’en leur permettant d’évaluer au mieux les risques qu’ils prennent. Également, l’information fournie dans le cadre du recueil du <a href="https://www.hal.inserm.fr/inserm-02111121/document#page=5">consentement éclairé</a>, dispositif pivot de l’éthique en recherche clinique, devrait être adaptée aux vulnérabilités potentielles, particulièrement économiques et éducatives, spécifiques aux volontaires sains. Enfin, la généralisation au niveau mondial de fichiers nationaux, tels qu’ils existent en France et au Royaume-Uni, permettrait de mieux encadrer les recherches impliquant des volontaires sains, et par là même de les protéger.</p>
<p>L’exposition des volontaires sains à des risques pas toujours maîtrisés questionne systématiquement le dilemme entre l’obtention de résultats de recherches pouvant être extrêmement utiles à un très grand nombre de personnes et le risque pris par un petit nombre pour aboutir aux dits résultats. Dans le contexte de la pandémie en cours, ce dilemme a mené la France à renoncer au recours à l’infection de volontaires sains pour tester des vaccins anti-Covid-19.</p>
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<p><em><a href="https://dndi.org/our-people/bompart/">François Bompart</a> (chair of the access committee de DNDi, une fondation suisse dont le but est de trouver des traitements contre les maladies négligées), a également participé à la rédaction de cet article.</em><br>
<em>Les auteurs remercient également les autres membres du Groupe de travail « Recherche en Santé au Sud » du Comité d’éthique Inserm (Mylène Botbol-Baum, Didier Dreyfuss, Christine Lemaitre, Pierre Lombrail, Flavie Mathieu, Corinne Sebastiani).</em></p>
<p><em>Ce texte fait suite aux activités développées dans le cadre du projet européen <a href="http://www.trust-project.eu">« Creating and enhancing TRUSTworthy, responsible and equitable partnerships in international research »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155508/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Qu’est-ce qui motive les volontaires sains à participer à une recherche clinique ? Comment leur protection est-elle assurée ?
Isabelle Remy-Jouet, Ethicienne, Membre du comité Éthique de l'Inserm, Mission DD&RS, Université d'Angers
François Eisinger, Professeur associé en santé publique, praticien hospitalier au centre de lutte contre le cancer Institut Paoli-Calmettes, Inserm
François Hirsch, Membre du comité d'éthique de l'Inserm, Inserm
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tag:theconversation.com,2011:article/136584
2020-12-27T22:39:09Z
2020-12-27T22:39:09Z
Implants cérébraux : la nature humaine remise en question
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/332758/original/file-20200505-83721-eh58o7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Concept d'implant cérébral.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/brain-implant-concept-1103551859">metamorworks / Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les implants cérébraux peuvent être définis comme des dispositifs artificiels d’<a href="https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/interface-cerveau-machine-icm">interface</a> avec le cerveau. Ils permettent notamment de proposer des solutions de suppléance artificielle dans le cas de fonctions perdues, comme la parole. </p>
<p>Ces avancées technologiques se révèlent particulièrement intéressantes, par exemple, pour offrir des nouveaux modes de communication à des individus atteints de paralysie sévère. </p>
<p>Mais si l’aide que promet cette technologie semble précieuse, elle suscite néanmoins un questionnement éthique qu’il est essentiel de saisir, alors même que la technologie se développe.</p>
<h2>Deux approches de grande envergure</h2>
<p>Comprendre le fonctionnement du cerveau et améliorer nos capacités d’intervention pour remédier à certains de ses dysfonctionnements font partie des défis majeurs relevés par les neurosciences de ces dix dernières années. Et deux approches différentes et de grande envergure se sont concrétisées. </p>
<p>Dans la première, avant tout théorique, il s’agit de modéliser de manière réaliste le fonctionnement du cerveau grâce à des réseaux de neurones artificiels (informatiques ou électroniques) : c’est l’objectif du projet européen <em><a href="https://www.humanbrainproject.eu/en/">Human Brain Project</a></em>. Dans la seconde, pragmatique, on cherche à développer des implants cérébraux pour enregistrer et stimuler le plus grand nombre de neurones possibles : c’est le but du vaste projet américain <em><a href="https://braininitiative.nih.gov/">Brain Initiative</a></em>, ou encore du projet européen <em><a href="http://www.braincom-project.eu/">Braincom</a></em>. </p>
<p>D’ici très peu de temps, arrivera donc logiquement le moment où l’on disposera d’une part de vastes réseaux artificiels neuromimétiques, et d’autre part d’interfaces à très haute résolution permettant un couplage bidirectionnel (enregistrement et stimulation) avec des millions de neurones du cerveau. Or la fusion de ces deux mondes technologiques, prévisible, conduirait à l’émergence de vastes réseaux hybrides couplant l’activité du cerveau avec celle de réseaux artificiels. Et ce n’est pas de la pure science-fiction : des preuves de concept ont déjà été fournies par des réseaux hybrides simples, à l’instar de la technique de « dynamic clamp ». </p>
<h2>Vers des réseaux neuronaux « hybrides »</h2>
<p>Née à la fin des années 1990, <a href="http://cns.iaf.cnrs-gif.fr/files/Acad2011.pdf">la technique de dynamic clamp </a>permet de coupler un neurone artificiel à un neurone réel par le biais d’une électrode intracellulaire : l’activité de l’un modifie celle de l’autre de manière bidirectionnelle. Et à l’avenir, l’avènement d’implants intégrant un grand nombre de microélectrodes extracellulaires – et assurant chacune une liaison bidirectionnelle stable avec un neurone individuel – devrait permettre la construction de réseaux hybrides à grande échelle, y compris <em>in vivo</em> au niveau de vastes régions cérébrales. </p>
<p>Certes, ce n’est pas encore d’actualité. Mais force est de constater que la route n’est sans doute plus si longue. En effet, des <a href="https://fr.wikibooks.org/wiki/Fonctionnement_d%27un_ordinateur/Les_architectures_neuromorphiques">réseaux neuromorphiques</a> sont déjà capables d’apprendre automatiquement à reproduire l’activité d’ensembles de neurones réels enregistrés par un implant cérébral. Cela signifie que l’on dispose déjà de la technologie permettant à plusieurs neurones réels de contrôler des réseaux artificiels complexes. Et inversement, on sait aussi s’appuyer sur des réseaux artificiels pour stimuler, de manière plus ou moins précise, des neurones réels.</p>
<p>Le développement d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Implant_c%C3%A9r%C3%A9bral">implants cérébraux</a> permet ainsi d’entrevoir l’avènement d’un couplage hybride entre le cerveau et de vastes réseaux artificiels. L’optimisation de ces technologies autorisera la simulation des neurones artificiels grâce à des circuits neuromorphiques à très basse consommation énergétique, et rendra possible, à terme, l’implantation de ces technologies d’hybridation.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/16hgHK4Svw4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Audition d’Éric Fourneret lors de la consultation sur l'intelligence artificielle et le transhumanisme organisée par la MGEN et la Commission nationale Française pour l'UNESCO.</span></figcaption>
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<p>Dans ce contexte, et même si l’implantation de dispositifs artificiels dans le corps n’est pas quelque chose de nouveau, les frontières traditionnelles entre ce qui est naturel et artificiel, entre l’homme et la machine, entre le vivant et l’inanimé, deviennent plus ambiguës. Une des principales questions soulevées, si ce n’est la principale à partir de laquelle toutes les autres se posent, est alors la suivante : quelle « forme de vie » la technologie des implants cérébraux peut-elle produire ?</p>
<h2>La nature humaine en question</h2>
<p>Il n’est toutefois pas question de se laisser embarquer dans une ambition éthique réductrice ne s’attardant que sur les scénarios du pire (<a href="https://theconversation.com/la-collapsologie-a-lepreuve-de-la-realite-136727">collapsologie</a>), ou à l’inverse ne considérant que les scénarios du mieux (discours technoprophétique). On le sait, chaque nouvelle technologie est porteuse de bienfaits pour les êtres humains, tout en nécessitant souvent une transformation sociale (par exemple, pour ajuster le cadre normatif de l’action sociale). Mais elle suscite parfois de vives interrogations quant aux effets indésirables liés à son utilisation, qu’il faudrait gérer moralement, socialement et juridiquement.</p>
<p>De la même manière, le développement d’implants cérébraux nous place sur cette ligne de crête, entre bienfaits et dérives potentielles. En effet, il ne s’agit pas d’intervenir sur un organe quelconque. C’est du <a href="https://lecerveau.mcgill.ca">cerveau</a> qu’émerge notre sentiment de présence au monde, c’est-à-dire notre conscience. Et d’elle dépend notre capacité à saisir le monde et soi-même au moyen d’un même acte : de penser la frontière entre l’être humain et le monde et, simultanément, de penser l’articulation entre les deux. Or l’hybridation du cerveau avec des dispositifs électroniques possède d’autre part un potentiel d’impact sans précédent dans notre façon de nous représenter l’Homme. Et pour cause…</p>
<p>Il n’existe pas, de façon naturelle, d’êtres humains dont le fonctionnement neurophysiologique du cerveau s’organise sous l’influence de composants électroniques implantés, voire à terme, de réseaux de neurones artificiels. Aussi, cette séparation conceptuelle entre l’inné à l’Homme et les artifices acquis pourrait-elle rendre difficile la catégorisation sociale de l’individu équipé d’un implant cérébral. Ni totalement humain, ni totalement machine, il est un mélange de deux réalités différentes dont le caractère hybride pourrait produire une nouvelle unité humaine <em>dans</em> le corps biologique.</p>
<h2>L’implant cérébral, une prothèse parmi d’autres ?</h2>
<p>On pourrait objecter qu’il existe d’ores et déjà des prothèses de hanche et des pacemakers. L’implant cérébral est-il si différent de ces dispositifs artificiels qui, socialement, ne posent pas de difficulté particulière ?</p>
<p>On pourrait répondre par la négative. Si l’implant cérébral est socialement perçu comme le prolongement électronique du cerveau d’un individu, de la même manière qu’une jambe prothétique prolonge le corps, alors il n’est pas différent d’une prothèse traditionnelle – la conscientisation de la frontière entre l’Homme et le monde étant maintenue dans son fonctionnement originel. Dans ce cas, l’implant constitue une sorte de projection organique, dans l’acceptation qu’en a faite Canguilhem : ce dispositif artificiel possède un sens biologique, sa fonction consistant à compenser la défaillance d’un organe naturel.</p>
<p>Cela pourrait néanmoins poser problème. Si cette forme d’hybridation se révélait être une instance de régulation et d’organisation du rapport au monde étrangère à celle, originelle, laissant penser à une forme d’hétéronomie (telle l’expérience du cerveau dans une cuve imaginée par le philosophe Hilary Putnam en 1981), elle pourrait être considérée par la société comme une nouvelle corporéité humaine, où la conscience de quelque chose est médiée par le dispositif artificiel. En effet, si le substrat de la pensée s’anime en synergie avec des réseaux de neurones artificiels, la conscientisation de la frontière entre l’Homme et le monde s’artificialise. Or dans ce cas, l’hybridation est susceptible d’être vécue, à tort ou à raison, comme dénaturante. Et cela pourrait conduire à transformer les systèmes de normes et de règles qui encadrent les conduites au sein d’une collectivité composée d’êtres humains hybrides, et d’autres qui ne le sont pas. </p>
<p>Certes, notre contact avec le monde est de plus en plus médié par des artifices, sans aucune référence faite aux implants cérébraux – comme en témoignent les téléphones portables, ordinateurs et autres écrans à travers lesquels on entre en contact avec le réel. Mais comme nous l’avons déjà souligné, avec ces implants, la recherche s’oriente vers une technologie d’hybridation directe entre le cerveau et des réseaux de neurones artificiels. Et dans ces conditions, il importe de se pencher sérieusement sur la façon dont cette technologie peut affecter notre représentation de la « nature humaine ».</p>
<h2>Penser l’humanité de la technique et la technicité de l’humanité</h2>
<p>L’une des plus importantes caractéristiques de l’Homme est d’avoir inventé et créé des techniques et des technologies pour satisfaire ses besoins et compenser ses vulnérabilités, selon ses facultés et son intelligence, selon sa volonté et ses désirs. Il suffit qu’une chose soit, d’une certaine manière, pour être déterminée dans son développement et dans sa destination. Aussi, que l’être humain soit une espèce technicienne – particularité qu’il partage à des degrés différents, on le sait aujourd’hui, avec d’autres animaux – détermine-t-il sa destination sous la forme d’un effacement de la frontière entre nature et artifice.</p>
<p>Considérant que le monde lui offre des possibilités pour répondre à ses besoins et innover pour s’opposer aux misères de la vie, l’humanité est un entrelacement, de plus en plus serré, de la nature et de la technique. Bien qu’étant autre que la technique, elle habite le monde <em>par</em> et <em>dans</em> la technique. Et son évolution révèle une frontière entre le naturel et l’artifice beaucoup moins catégorique qu’on ne le croit : au cours du temps, elle est devenue de plus en plus poreuse. On ne peut donc pas définir la nature humaine en faisant abstraction des technologies par lesquelles l’humanité habite le monde. Voilà pourquoi, penser les implications éthiques du développement des implants cérébraux consiste à penser ces liens étroits entre l’Homme et la technique.</p>
<p>Cette réflexion, bien entendu, ne s’inscrit pas dans une démarche dogmatique qui prendrait la forme d’une collapsologie ou, à l’inverse, d’une prophétie technologique. Il est en effet du rôle de la philosophie et de l’éthique d’interroger par la seule raison les implications des nouvelles neuro-technologies, en s’en tenant aux faits et non à des scénarios de science-fiction sans fondements dans le réel. Ces faits sont fournis par les neuroscientifiques et par leurs résultats. Voilà pourquoi la séparation, encore trop marquée, entre la réflexion philosophique et les recherches technoscientifiques en cours, est embarrassante et inadéquate dans l’examen des implications éthiques des implants cérébraux. </p>
<p>Pour les étudier, il faudrait bien au contraire une interaction forte et étroite entre, d’une part, les acteurs des sciences humaines et sociales, et d’autre part, les neuro et techno-scientifiques, ingénieurs, informaticiens, biologistes et médecins. C’est ensemble qu’ils devraient poursuivre ce vieux débat à la croisée de tous les savoirs : « Qu’est-ce qu’être humain ? ». Ensemble qu’ils devraient examiner ce qui engage notre condition en tant qu’être humain, et réfléchir aux critères d’évaluation du processus technologique que représentent les implants cérébraux. On peut alors dire que c’est vers l’altérité Homme-Technologie, et non vers une dualité indépassable, qu’il faut se tourner pour mieux connaître et comprendre quels sont les enjeux du développement des implants cérébraux concernant nos représentations de la nature humaine.</p>
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<p><em>Cet article s’inscrit dans la continuité de la <a href="https://unesco.delegfrance.org/Publication-du-rapport-CNFU-MGEN-sur-l-Ethique-de-l-Intelligence-Artificielle">consultation publique sur l’intelligence artificielle et le transhumanisme</a> organisée en 2020 par la MGEN et la Commission nationale Française pour l’Unesco. Une partie des auditions menées dans le cadre de cette consultation <a href="https://www.youtube.com/playlist?list=PLBTuk6hzU3FgCXKl8b4EwyfEn7975nQwU">sont visionnables en ligne</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136584/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Fourneret a reçu des financements de "Braincom".</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>En lien avec cette réflexion, Blaise Yvert a reçu des financements de l'Agence Nationale pour la Recherche (Projets Neuromeddle et Brainspeak) et de l'Union Européenne (Projets Horizon 2020 Braincom et Flagship Graphene)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Clément Hébert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les implants cérébraux sont porteurs d'espoirs s'agissant de remédier à certaines pathologies. Mais il est crucial d'interroger leurs implications sur nos représentations de la nature humaine.
Éric Fourneret, Philosophe, Braintech Lab (Inserm, U205), équipe « Neurotechnologies et Dynamique des Réseaux », Université Grenoble Alpes (UGA)
Blaise Yvert, Directeur de recherche à l'Inserm, responsable de l'équipe Neurotechnologies et Dynamique des Réseaux, Inserm
Clément Hébert, Chargé de recherche implants Neuronaux, neuroprothèses, Inserm U1216 Grenoble Institut des Neurosciences, Université Grenoble Alpes (UGA)
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tag:theconversation.com,2011:article/150854
2020-12-16T19:16:32Z
2020-12-16T19:16:32Z
Irresponsables, égoïstes, négligents… En finir avec les stéréotypes sur les jeunes et la Covid-19
<p>Au commencement de la pandémie Covid-19, l’attention s’est focalisée sur les plus âgés, qui ont fait l’objet de toutes les préoccupations – et pour cause : les <a href="https://dx.doi.org/10.1007%2Fs10900-020-00920-x">personnes de plus de 65 ans</a> comptent parmi les plus susceptibles de développer de graves complications suite à une infection par le coronavirus SARS-CoV-2, complications qui peuvent aller jusqu’au décès.</p>
<p>Il n’a toutefois pas fallu longtemps pour que les médias et certains spécialistes en santé publique s’intéressent au sort des jeunes adultes : la plupart des représentations véhiculées durant l’été les tenaient pour des <a href="https://www.washingtonpost.com/health/who-warns-young-people-are-emerging-as-main-spreaders-of-the-coronavirus/2020/08/18/1822ee92-e18f-11ea-b69b-64f7b0477ed4_story.html">« propagateurs du virus »</a>, largement responsables de la survenue de la deuxième vague de Covid-19. Ces représentations les dépeignaient <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/lockdown-fatigue-invincibility-causing-more-covid-19-infections-in-young-people-1.5655401">comme des personnes négligentes, irresponsables et traitant par le dédain</a> les mesures d’encadrement destinées à préserver la santé publique comme des risques liés à la Covid-19.</p>
<p>En tant que chercheur·e·s en sciences sociales travaillant à la fois au Canada et en France, nous sommes profondément préoccupés par ces représentations, qui ne tiennent compte ni des expériences vécues par les jeunes adultes, ni de leurs véritables pratiques et attitudes à l’égard de la Covid-19. Plus grave encore : elles ont contribué à faire circuler des idées fausses sur le réel impact de l’épidémie sur cette catégorie de la population, qui paie elle aussi un lourd tribut.</p>
<h2>Des représentations trompeuses</h2>
<p>Au début de la pandémie, des photos de jeunes prises sur les plages de Floride pendant le célèbre « spring break » propice aux excès <a href="https://globalnews.ca/news/6700878/spring-break-2020-coronavirus/">ont fait la une des journaux</a>. Pourtant, ce type de représentations, qui tend à mettre l’accent sur les expériences de ceux qui ont délibérément violé les mesures de santé publique pour s’amuser, peuvent être très trompeuses.</p>
<p>Au cours de l’été, nous avons mené au Canada une <a href="https://www.bccsu.ca/heads-together/">enquête auprès de plus de 500 personnes appartenant à des minorités sexuelles et de genre</a>. Les résultats de ces travaux contredisent les représentations qui suggèrent que les jeunes adultes sont irresponsables face à l’épidémie : plus de 90 % des répondants de moins de 30 ans ont en effet déclaré pratiquer la distanciation physique et porter un masque – des résultats qui sont cohérents avec les données recueillies dans d’autres pays, notamment la <a href="https://dx.doi.org/10.1016%2Fj.socscimed.2020.113370">Suisse</a> et les <a href="https://doi.org/10.1371/journal.pone.0240785">États-Unis</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/371151/original/file-20201124-15-i6p2vv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Des jeunes portant des masques dans une rue pavée." src="https://images.theconversation.com/files/371151/original/file-20201124-15-i6p2vv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/371151/original/file-20201124-15-i6p2vv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/371151/original/file-20201124-15-i6p2vv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/371151/original/file-20201124-15-i6p2vv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/371151/original/file-20201124-15-i6p2vv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/371151/original/file-20201124-15-i6p2vv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/371151/original/file-20201124-15-i6p2vv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Des jeunes à Strasbourg, dans l’est de la France, portant des masques le 11 septembre 2020. Plus de 90 % des répondants à l’enquête âgés de moins de 30 ans ont déclaré pratiquer la distanciation physique et porter un masque.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jean‑Francois Badias/AP</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans ce dernier pays, des <a href="https://www.cdc.gov/mmwr/volumes/69/wr/mm6941e2.htm">travaux récents</a> ont révélé que dès lors qu’il s’agit de protéger les personnes qui risquent de développer des formes sévères de Covid-19, les jeunes adultes éprouvent un profond sentiment de responsabilité. Celui-ci concerne non seulement les membres de leur cercle familial, mais aussi, plus largement, ceux de leur communauté (par exemple les personnes croisées à l’épicerie du quartier).</p>
<p>En France, des <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/etudes-et-enquetes/covid-19-une-enquete-pour-suivre-l-evolution-des-comportements-et-de-la-sante-mentale-pendant-l-epidemie#block-249162">données d’enquête</a> révèlent que les jeunes adultes sont fortement respectueux des mesures d’hygiène telles que le lavage des mains, et portent le masque. Certaines données françaises révèlent des tendances moins optimales en contexte épidémique (on constate notamment que la probabilité de respecter les directives en matière de distanciation physique décroit), il est important de souligner que lesdites tendances ne se retrouvent pas seulement chez les jeunes, mais qu’elles concernent toutes les tranches d’âge.</p>
<h2>Impact social, sanitaire et économique</h2>
<p>Nous savons que la pandémie a – et continuera d’avoir – des effets sur le bien-être des jeunes adultes, qu’il soit social, sanitaire ou encore économique, et ce tant à court qu’à long terme. L’incertitude économique engendrée par la pandémie de Covid-19 pose des questions très concrètes concernant le devenir de la génération de jeunes actuelle, <a href="http://www.oecd.org/coronavirus/policy-responses/youth-and-covid-19-response-recovery-and-resilience-c40e61c6/">notamment en matière de sécurité de l’emploi et d’indépendance économique</a>. Certains devront par exemple lutter pour subvenir à leurs besoins quotidiens tels que la nourriture, l’éducation et le loyer, alors que les conséquences économiques des confinements et des couvre-feux leur auront fait perdre leur emploi ou les auront privés de la possibilité de commencer ou de poursuivre des études supérieures.</p>
<p>La pandémie est également à l’origine d’un niveau élevé de stress psychologique, qui est ressenti de façon particulièrement aiguë par les jeunes adultes : des données récentes indiquent que les symptômes de détresse psychologique <a href="https://doi.org/10.1016/S2215-0366(20)30308-4">sont plus élevés au sein de jeunes générations que dans les générations plus âgées</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/for-university-students-covid-19-stress-creates-perfect-conditions-for-mental-health-crises-149127">For university students, COVID-19 stress creates perfect conditions for mental health crises</a>
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<p>Malheureusement, cette aggravation du stress psychologique survient dans un contexte où l’accès aux soins de santé est rendu de plus en plus difficile par l’épidémie de Covid-19. Le premier confinement du printemps a donné lieu à des mises en suspens de consultations qui ont donné lieu à des retards dans la prise en charge. La deuxième vague de Covid-19 survenue cet automne a perturbé à nouveau les services de santé, centrés sur la gestion du Covid-19. Cette situation aura certainement un impact disproportionné sur les jeunes adultes déjà confrontés à la marginalisation et à l’exclusion sociale, notamment ceux qui font partie de <a href="https://doi.org/10.1007/s10461-020-03014-w">minorités sexuelles et de genre</a>, <a href="https://www.odi.org/publications/17304-experiences-vulnerable-urban-youth-under-covid-19-case-street-connected-youth-and-young-people">ceux qui sont à la rue</a>, ou les <a href="https://doi.org/10.1080/09515070.2020.1766420">jeunes racialisés</a>.</p>
<h2>Récolter des données pour adapter les politiques de santé publique</h2>
<p>Pour mieux comprendre comment les jeunes adultes vivent les mesures de santé publique mises en place pour lutter contre la pandémie de Covid-19, nous avons récemment lancé une <a href="https://focus-covid19.med.ubc.ca/">enquête en ligne</a> visant à recueillir les réponses de 5 000 participants, en France et au Canada, d’ici le 23 décembre 2020. Nous avons également entrepris de mener un travail de terrain qualitatif consistant à interroger 60 jeunes adultes sur leurs perceptions et leurs expériences en lien avec la pandémie et la « nouvelle normalité » qui en a résulté, dans quatre villes différentes (Vancouver, Montréal, Bordeaux et Paris).</p>
<p>Nous espérons que cette recherche, qui donnera la parole aux jeunes adultes, permettra de produire des données scientifiques sur lesquelles pourront s’appuyer les principaux organismes de recherche, de santé et les décideurs politiques (avec lesquels nous travaillons étroitement) pour concevoir des stratégies adaptées à chaque phase de la pandémie, afin d’accroître le bien-être de cette catégorie de la population et de prendre en compte leurs besoins.</p>
<p>Les jeunes adultes ont été fortement touchés par la pandémie et ces conséquences sanitaires, sociales et économiques ces derniers mois. Au lieu de les stigmatiser, donnons-leur la parole et cherchons comment améliorer leur situation afin que la pandémie ait le moins d’impact délétère sur leurs trajectoires et leur avenir. Dans le monde post-Covid-19 qui nous attend une fois que nous aurons réussi à maîtriser la pandémie, cela bénéficiera à tous.</p>
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<p><em>Pour aller plus loin : Le site de l’observatoire France-Canada <a href="https://focus-covid19.med.ubc.ca/">FOCUS</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150854/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rod Knight reçoit des fonds des Instituts de recherche en santé du Canada et de la Fondation Michael Smith pour la recherche en santé. Il est affilié au Community Based Research Centre.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie Jauffret-Roustide a été invitée par le Peter Wall Institute et le Consulat de France à Vancouver dans le cadre des French Scholar Lecture Series en octobre 2019, ce qui lui a permis d'initier cette collaboration de recherche avec le British Columbia Center on Substance Use. La recherche FOCUS a bénéficié d'un financement de l'Institut de Recherche en Santé du Canada.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Les travaux de Naseeb Bolduc ont été financés par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et les Instituts de recherche en santé du Canada.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pierre-julien Coulaud est financé par les Instituts de recherche en santé du Canada.</span></em></p>
Irresponsables, égoïstes, propagateurs du coronavirus… Les jeunes ont été largement stigmatisés ces derniers mois. Or, le comportement de quelques-uns ne reflète pas celui de la majorité.
Rod Knight, Assistant Professor, Department of Medicine, University of British Columbia
Marie Jauffret-Roustide, Research Fellow, Inserm
Naseeb Bolduc, Research Coordinator, BC Centre on Substance Use, University of British Columbia
Pierre-julien Coulaud, Post-doctoral research fellow, Department of Medicine, University of British Columbia
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tag:theconversation.com,2011:article/138457
2020-05-13T18:56:38Z
2020-05-13T18:56:38Z
Angoisse excessive ou désinvolture inappropriée, comment éviter les pièges du déconfinement ?
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/334677/original/file-20200513-156645-18lqok5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=157%2C925%2C2761%2C1747&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Chez certains le déconfinement est source d’anxiété.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/jo8iiwArHfM">Hamish Duncan/Unsplash</a></span></figcaption></figure><p>L’expression <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/05/09/un-plan-de-deconfinement-sous-la-pression-de-l-opinion_6039131_823448.html"><em>ligne de crête</em></a> est à la mode. Rien d’étonnant : elle s’applique particulièrement bien à ce que nous vivons en ce moment.</p>
<p>La période de déconfinement peut donner l’impression que nous marchons en équilibre précaire sur un chemin étroit, alors que les vents vous poussent tantôt vers la peur paralysante (« Le virus est partout, je refuse de sortir ou d’envoyer mes enfants à l’école ») et tantôt vers la fuite en avant et une forme de désinvolture (« Il faut bien vivre, on en fait un peu trop avec cette maladie »).</p>
<p>Ces deux tendances reflètent deux réalités humaines opposées mais absolument normales : la prudence et la témérité, mères d’inhibition et d’action. Habituellement, chacun trouve son équilibre, plus ou moins stable, entre ces deux pôles. Cependant, il arrive que des conditions très exceptionnelles et chaotiques, comme celle que nous traversons, mettent à mal ce savant dosage de crainte et d’audace, précipitant certains d’entre nous dans des excès de l’un ou de l’autre.</p>
<p>Le déconfinement peut générer ce type de dérapage, plus ou moins problématique. La crainte se transforme alors en angoisse, voire en terreur irrationnelle et incontrôlable, ou l’audace devient une dangereuse insouciance, nourrie par le fameux mécanisme du déni. Tenaillés par l’angoisse, les uns risquent de perdre beaucoup en liberté d’action, tandis les autres vont prendre tous les risques, bravant notamment les règles de prévention sanitaire.</p>
<p>Quelles réponses et quels conseils peut-on donner pour combattre ces deux penchants préjudiciables ?</p>
<h2>La pandémie n’est pas du tout terminée</h2>
<p>Aux insouciants tout d’abord, qui pourraient être tentés de relativiser leurs transgressions en se persuadant que « s’ils sont les seuls à ne pas appliquer les règles, ça n’est pas bien grave… », il faut rappeler que l’épidémie est « toujours active et évolutive » en France, comme l’a signifié cette semaine la direction générale de la Santé.</p>
<p>Il est aussi essentiel de souligner que si le confinement n’avait pas été mis en place, la maladie aurait fait des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/le-confinement-a-deja-evite-60000-morts-en-france-selon-cette-etude_fr_5ea1238ec5b6194c7be83049">dizaines de milliers de morts supplémentaires dans notre pays</a>, et probablement des centaines de milliers au niveau mondial. Cependant, rien n’est réglé à ce jour. Il reste aujourd’hui encore beaucoup de patients hospitalisés pour Covid-19, notamment en réanimation, car les formes graves sont très longues à soigner. Selon le quotidien Le Monde, mardi 12 mai au soir il restait 21 595 personnes hospitalisées pour une infection au coronavirus, <a href="https://www.lemonde.fr/planete/live/2020/05/13/coronavirus-en-direct-les-propositions-citoyennes-pour-le-jour-d-apres_6039484_3244.html">dont 2 542 cas graves en réanimation</a>.</p>
<p>Même en appliquant toutes les mesures restrictives du plan de déconfinement, il n’est pas du tout sûr qu’une « deuxième vague » puisse être absorbée par les hôpitaux, dont les personnels sont épuisés et risquent de ne pas pouvoir se remobiliser de la même façon la prochaine fois. Il faut donc combattre au maximum la propagation du virus, essentiellement pour protéger les personnes fragiles.</p>
<p>Certes beaucoup de personnes jeunes peuvent considérer qu’il n’est pas bien grave pour elles-mêmes de contracter la maladie. Mais elles peuvent ainsi contribuer à transmettre le virus à d’autres personnes qui, elles, pourront développer des formes graves nécessitant des soins prolongés et pouvant, parfois, être fatales. Pour rendre cette nécessité plus concrète et personnalisée, nous pouvons penser à une ou plusieurs personnes, âgées notamment, que nous connaissons et dont nous craignons qu’elle tombe malade.</p>
<p>Il s’agit donc d’une prise de conscience de la responsabilité de chacun, qui doit déboucher sur des actes volontaires assez simples : limiter pendant encore quelques semaines ses déplacements et ses sorties, et appliquer scrupuleusement les <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/affiche_gestes_barrieres_fr.pdf">gestes barrières</a> dans toute situation sensible (port du masque, lavage des mains, distance physique d’au moins deux mètres). Et ceci de manière encore plus stricte dans les lieux confinés et avec des personnes à risque, essentiellement celles qui ont plus de 60 ans.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/maladies-infectieuses-et-vous-vous-lavez-vous-les-mains-correctement-89386">Maladies infectieuses : et vous, vous lavez-vous les mains correctement ?</a>
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<h2>Pour les anxieux, des repères et des règles à suivre</h2>
<p>Les comportements des uns influent d’ailleurs sur le ressenti des autres. Voir certains négliger les gestes barrières ne fait qu’accentuer les angoisses des inquiets. Aux anxieux, dont la peur naît très souvent d’un sentiment d’incertitude, on peut d’abord rappeler que les connaissances sur l’épidémie ont progressé de manière spectaculaire en quelques semaines. Nous savons désormais plus précisément comment se propage le virus et comment l’éviter en grande partie, en plus de tous les progrès qui ont été faits dans la prise en charge des malades.</p>
<p>Quand on est anxieux, on a besoin de repères et de règles à suivre. Or, dans la période actuelle, ces règles existent et peuvent donc servir de cadre rassurant. Lorsque celles énoncées précédemment sont appliquées rigoureusement, les risques de se contaminer et de tomber malade sont très faibles.</p>
<p>La courbe représentant l’évolution du nombre de personnels hospitaliers infectés par le coronavirus depuis le début de l’épidémie constitue la meilleure illustration de ces acquis. Ce nombre, élevé au départ, n’a <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-environ-4-des-personnels-de-l-ap-hp-ont-ete-infectes-par-le-covid-19-6816052">cessé de diminuer ensuite alors même que le nombre de malades pris en charge ne faisait qu’augmenter</a>. Une bonne protection est donc possible, au point que la majorité des soignants travaillant tous les jours auprès de patients porteurs du virus n’a pas été contaminés, comme on le constate actuellement grâce aux tests de sérologie.</p>
<p>Naturellement, le risque zéro n’existe pas, et il n’est donc pas possible de vous assurer que vous ne risquez jamais de contracter le virus en appliquant ces règles. Mais il faut alors se rappeler qu’en cas de contamination la gravité de la maladie pour une personne donnée est le plus souvent très faible avec, en moyenne, un taux de formes graves inférieur à 15 % et un <a href="https://www.atoute.org/n/article383.html?fbclid=IwAR2vE585iM_s5qZxD2MQYLPn7fH2YNgS4OnVLnn58ijDQT2mVZCcHU6mMTU">taux de létalité inférieur à 1 %</a>.</p>
<p>Ces taux sont plus élevés chez les sujets à risque, surtout les personnes âgées qui nécessitent des précautions encore plus rigoureuses que les autres. Même porteuses d’affections repérées comme des facteurs de risque (obésité, diabète, cancer notamment), l’immense majorité des adultes d’âge jeune ou moyen ne développent pas de formes graves.</p>
<h2>Se « désensibiliser » de la peur</h2>
<p>Le meilleur moyen de lutter contre l’anxiété du déconfinement, après avoir bien assimilé les recommandations, est de se confronter au monde extérieur quand on doit le faire.</p>
<p>Des mécanismes très élémentaires mais puissants de l’esprit et du cerveau font que plus on évite une situation par peur, plus la peur augmente. Ce cercle vicieux est à l’origine de la plupart des phobies, qui conduisent à redouter de plus en plus, et donc à éviter de plus en plus, des situations en fait non réellement dangereuses. Ce modèle peut être appliqué à la peur du déconfinement, car objectivement, se rendre dans les lieux publics en appliquant les gestes barrières ne constitue pas une situation réellement dangereuse, au sens où elle ne nous expose pas à une menace physique immédiate.</p>
<p>Comme pour toute peur excessive, il faut donc se confronter, très progressivement si besoin, aux situations redoutées, en l’occurrence aux sorties dont vous n’avez plus l’habitude et qui vous paraissent inquiétantes. Vous pouvez ainsi commencer par retourner dans des rues peu fréquentées, en y restant peu de temps, et répéter peu à peu ces exercices. L’essentiel est de le faire de manière progressive mais répétée, pour se « désensibiliser » de la peur comme on traite une allergie.</p>
<p>Vous pourrez ensuite passer à des stades un peu plus compliqués, comme les rues plus passantes ou les magasins. En plus de ceci, la pratique de méthodes simples de relaxation ou de respiration pourront vous être utiles pour faire baisser votre niveau général de stress et mieux lutter contre les signes de l’anxiété.</p>
<h2>Si l’anxiété persiste</h2>
<p>Si malgré vos efforts vous ne parvenez pas à surmonter vos peurs, c’est peut-être que vous êtes particulièrement sensible au développement d’un <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-antoine-pelissolo-les-troubles-anxieux-sont-frequents-il-faut-les-diagnostiquer-129637">trouble anxieux, une forme d’anxiété excessive et handicapante</a>. Dans le contexte du post-confinement et de l’épidémie, au moins trois types de troubles anxieux peuvent s’installer ou s’aggraver : l’agoraphobie (peur de se sentir mal dans les lieux clos ou dans la foule, ou à distance de chez soi), la phobie sociale (peur du regard des autres) et les troubles obsessionnels-compulsifs (peur envahissante, notamment de se contaminer par inadvertance).</p>
<p>Si vous ressentez ce type de peur persistante, ou si vous ne parvenez pas à surmonter d’autres symptômes d’anxiété gênante, la meilleure solution est de consulter un professionnel qui pourra vous proposer une aide efficace au travers de différentes méthodes de thérapie. Celui-ci peut vous être conseillé par votre médecin. Vous pouvez également le trouver en consultant des sites de référence, comme celui de l’Association française de thérapie comportementale et cognitive (<a href="https://www.aftcc.org/">AFTCC</a>) ou la plate-forme de <a href="https://covidecoute.org/">téléconsultations gratuites covid-écoute</a>.</p>
<p>Ces troubles sont fréquents, et il ne faut ni culpabiliser de les traverser, ni dramatiser le fait de consulter un psychologue ou un psychiatre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138457/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pelissolo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Après 55 jours de confinement, les contraintes ont été allégées le 11 mai. L’épidémie n’est toutefois pas terminée, et si certains ressentent un sentiment de liberté, chez d’autres l’anxiété s’aggrave.
Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie, Inserm, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/138134
2020-05-10T21:44:12Z
2020-05-10T21:44:12Z
Covid-19 et enfants : « il n’y a pas de raison de s’inquiéter pour les plus jeunes »
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/333888/original/file-20200510-49589-iicwyh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=47%2C0%2C7892%2C5297&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le coronavirus SARS-CoV-2 ne semble pas « s’accrocher » aux plus jeunes, ni causer chez eux de formes sévères de Covid-19. </span> </figcaption></figure><p><em>Crèches, écoles collèges et lycées vont progressivement rouvrir dans les prochains jours. Dans un entretien en deux volets, les professeurs de pédiatrie Christèle Gras-Le Guen, vice-présidente de la société française de pédiatrie, et Régis Hankard, coordonnateur du réseau de recherche clinique pédiatrique Pedstart, font le point sur ce que l’on sait des <a href="https://theconversation.com/covid-19-et-enfants-il-ny-a-pas-de-raison-de-sinquieter-pour-les-plus-jeunes-138134">conséquences de la maladie chez les enfants</a>, ainsi que sur les <a href="https://theconversation.com/covid-19-et-enfants-comprendre-la-maladie-chez-les-enfants-aidera-aussi-les-adultes-138275">enjeux de la recherche clinique en pédiatrie</a>.</em></p>
<hr>
<p><strong>The Conversation : a-t-on une idée du nombre d’enfants touchés par le SARS-CoV-2 en France ?</strong></p>
<p><strong>Christèle Gras-Le Guen :</strong> Cela a été assez compliqué de se faire une idée. Dès que les premières alertes ont été lancées, nous avons essayé de répertorier les données cliniques disponibles en pédiatrie. Nous avons pour cela mis en place un observatoire appelé « Pandor ». Celui-ci permet de tenir les comptes à jour, à chaque fois qu’un jeune patient est hospitalisé suite à une infection par le coronavirus SARS-CoV-2.</p>
<p>D’après les données collectées dans le réseau des pédiatres, environ 12 000 enfants ont été testés sur une suspicion de Covid-19, et 6,3 % de ces tests se sont avérés positifs. Ce qui fait un peu plus de 700 cas. Il faut rappeler que la façon de tester a évolué au fil de l’épidémie. Dans un premier temps, quand une personne infectée par le coronavirus était identifiée (un « cas contact »), on cherchait les sujets susceptibles d’avoir été contaminés autour d’elle. Puis, dans un second temps, il a été décidé de ne plus tester que les patients symptomatiques. La proportion de tests positifs a donc évolué dans le temps, cependant il est intéressant de noter qu’au bout du compte, seuls 6 % des tests sont positifs.</p>
<p>On constate que la répartition est très différente selon les régions, la plupart des enfants positifs ont été testés dans la région Île-de-France, un des principaux foyers de l’épidémie. Autre point intéressant : bien que de nombreux tests aient aussi été faits dans la région de Marseille dans le cadre des projets menés à l’IHU, les taux de contamination ont été similaires à ceux d’Île-de-France : sur 5000 enfants testés, 300 se sont avérés positifs.</p>
<p><strong>TC : qu’en est-il de l’évolution de la maladie chez les enfants ?</strong></p>
<p><strong>C. G-LG :</strong> Santé Publique France publie régulièrement des chiffres avec des classes d’âge qui nous permettent de nous tenir à jour. Sur l’ensemble des enfants contaminés, une trentaine a été admise en réanimation, et malheureusement deux décès sont à déplorer. La plupart des enfants passés en réanimation avaient des pathologies chroniques sous-jacentes qui en faisaient des enfants vulnérables : des maladies affectant le système immunitaire et les défenses contre les microbes, ou des maladies du métabolisme très complexes.</p>
<p>En revanche, une des deux enfants décédés n’avait aucune maladie sous-jacente connue. Nous ne pouvons pour l’instant pas tirer de conclusion quant aux raisons de cette issue tragique, mais ce que l’on sait, c’est que la jeune fille concernée avait 16 ans, soit un âge qui la rapproche plus de l’adulte que de l’enfant.</p>
<p><strong>TC : En quoi consistent les tests de détection ?</strong></p>
<p><strong>C. G-LG :</strong> Les tests en question visent à identifier le génome du virus dans les voies aériennes du patient. On réalise pour cela une RT-PCR (<em>ndlr</em> : <a href="http://www.ens-lyon.fr/RELIE/PCR/ressources/apects_techniques/rtpcr/rtpcr02.htm"><em>Reverse Transcription Polymerase Chain Reaction</em></a><em>, test permettant de détecter la présence de matériel génétique viral</em>) sur des prélèvements de mucus réalisés au niveau des voies aériennes supérieures. Chez les enfants comme chez les adultes, ceux-ci se font grâce à des écouvillons flexibles (de taille adaptée, bien entendu – pour en avoir réalisé quelques-uns, je peux rassurer les parents : je n’ai pas le sentiment que ce soit pénible ni douloureux pour les enfants). </p>
<p>On sait aussi qu’à mesure que l’infection progresse, le virus peut changer de localisation dans l’organisme. On peut par exemple aussi le retrouver dans les matières fécales, donc maintenant lorsqu’on a un doute on fait réaliser une analyse de selles.</p>
<p><strong>TC : Est-ce que ces tests ont permis de dresser des constats particuliers ?</strong></p>
<p><strong>C. G-LG :</strong> Les nouveau-nés ont été particulièrement suivis, car la question de leur contamination était préoccupante. Ces enfants font d’ailleurs l’objet d’un recueil et d’un registre spécifiques. Ce qui nous a surpris est que, sur l’ensemble des tests effectués en maternité, très peu se sont avérés positifs. Le point important à souligner est qu’aucun de ces nouveau-nés n’a développé de forme grave de la maladie.</p>
<p>Quelques-uns de ces bébés ont été infectés alors que les tests de leurs parents étaient négatifs. C’est étonnant, mais comme on a affaire à une infection qui évolue dans le temps, on peut tout à fait imaginer qu’une personne ait été contagieuse, qu’elle ait contaminé son enfant, et que le temps que le nouveau-né lui-même développe la maladie, la personne qui l’a contaminée soit devenue négative.</p>
<p>Ce qui a été bien plus étonnant, ce sont les cas des mères positives pour le virus, mais dont les nouveau-nés n’ont pas été infectés, malgré une grande proximité. Pour l’instant on ne sait pas comment c’est possible. Nous avons proposé à toutes ces familles de participer à des protocoles de recherche. À chaque fois que c’était possible et que les parents étaient d’accord, nous avons prélevé des échantillons pour déterminer s’il existe une réponse immunitaire particulière au niveau des muqueuses, ainsi que du sérum, de l’ADN… Cependant à l’heure où je vous parle, le mystère reste entier.</p>
<p>Nous avons conscience de manquer de données, et nous restons très modestes en l’état actuel des connaissances. Cependant les informations disponibles semblent indiquer que le SARS-CoV-2 ne « s’accroche » pas beaucoup chez l’enfant. Et que quand il s’accroche, il ne provoque pas de forme grave de la maladie.</p>
<p><strong>TC : sait-on pourquoi les enfants n’attrapent pas plus ce virus ?</strong></p>
<p><strong>C. G-LG :</strong> Selon certaines hypothèses, cela pourrait être dû au fait que les petits enfants auraient un système de défense antiviral assez performant, car ils vivent dans un environnement très riche en virus, et ont l’habitude d’en croiser beaucoup. Mais ça n’explique pas le cas des nouveau-nés évoqué précédemment. En outre, ce schéma est très différent de ce qu’on connaît habituellement. Généralement, les maladies infectieuses sont dangereuses pour les tout-petits et pour les plus âgés, dont le système immunitaire est fragilisé par le vieillissement.</p>
<p>Le virus de la grippe, qui peut être mortel pour les personnes âgées et pour les enfants en bas âge, est à ce titre emblématique. La vulnérabilité des tout-petits s’explique par le fait que leur système immunitaire, encore immature, met plus de temps à produire les réponses visant à se débarrasser des microbes. Classiquement, jusqu’à 5 ans les enfants sont par exemple plus à risque d’infections bactériennes sévères. Leur système immunitaire n’est pas encore en mesure de les défendre de façon efficace contre des bactéries qui, plus tard, ne leur feront ni chaud ni froid.</p>
<p>Avoir une maladie qui s’avère grave pour les plus âgés et qui n’est pas grave pour les tout petits, c’est du jamais vu. On est dans une situation très particulière, avec un microbe qui ne ressemble à rien de ce qu’on connaissait jusqu’alors.</p>
<p><strong>TC : cette situation pourrait-elle s’expliquer par le fait que le virus infecte moins efficacement les enfants ?</strong></p>
<p><strong>C. G-LG :</strong> Peut-être. D’autres hypothèses postulent notamment que ce virus pourrait avoir besoin de certains récepteurs cellulaires qui ne sont pas encore extériorisés chez l’enfant. C’est possible, mais pour l’instant ce ne sont que des hypothèses. On ne sait pas non plus pourquoi quand ce virus parvient à « s’accrocher », l’enfant développe une réaction inflammatoire très différente de celle de l’adulte.</p>
<p>Avec quelques mois de recul, on a l’impression que ce qui fait la gravité de la maladie, ce n’est pas tant le caractère pathogène du virus que la façon dont on réagit à l’infection. Autrement dit, la réaction immunitaire de l’adulte est parfois beaucoup plus sévère, et finalement inadaptée, face à ce virus qui n’a pas l’air très pathogène.</p>
<p>De nombreux travaux sont en cours concernant la réponse de l’hôte à l’infection. La production de la réponse inflammatoire, en particulier, est très étudiée, car elle a l’air différente chez l’enfant et chez l’adulte. C’est très inhabituel, preuve que cette maladie est totalement originale. Cela ouvre des perspectives de recherche tout à fait intéressantes. Le jour où on aura trouvé les réponses à ces questions, on aura probablement aussi des armes thérapeutiques efficaces chez l’adulte.</p>
<p><strong>TC : quels sont les symptômes à surveiller ?</strong></p>
<p><strong>C. G-LG :</strong> Le principal problème est que les symptômes sont très peu spécifiques. Dans la plupart des cas, il s’agit de toux, de fièvre, de maux de gorge. Quelques angines, quelques pharyngites, quelques bronchites, quelques infections respiratoires ont été décrites, mais au final les symptômes ressemblent beaucoup à ceux qu’engendrent tous les virus de l’hiver. Autrement dit, dès que vous avez de la fièvre et le nez qui coule, vous êtes susceptibles d’avoir le Covid-19…</p>
<p>En outre, on pense qu’environ 30 % d’enfants ne présentent pas de symptômes, ou des symptômes très peu marqués (une proportion similaire à celle estimée pour la population générale). Ces porteurs asymptomatiques ont tout loisir de contaminer leur entourage, cependant la situation varie beaucoup d’un individu à l’autre : certains asymptomatiques ne contaminent personne, tandis que dans certains hôpitaux parisiens on a relevé quelques cas emblématiques de patients qui ont contaminé 3 ou 4 soignants autour d’eux. Cela dépend de la quantité de virus excrétés, mais on ne sait pas encore pourquoi certains en excrètent plus.</p>
<p>La seule particularité, peut-être, par rapport aux autres infections virales respiratoires que l’on connaît, comme la grippe et la bronchiolite, c’est l’existence, parfois, d’atteintes cutanées, des sortes d’engelures au niveau des doigts. Chez l’adulte, des anomalies de la coagulation et des atteintes des petits vaisseaux (vascularites) ont été décrites. Ces engelures pourraient en résulter. Une chose est sure : leur existence montrent que cette maladie respiratoire n’est définitivement pas comme les autres.</p>
<p>Quelques adolescents ont aussi décrit des anomalies au niveau de la perception du goût et des odeurs, comme certains adultes. On ne peut cependant pas savoir les plus petits sont aussi touchés, car ils sont incapables de décrire précisément le phénomène.</p>
<p><strong>TC : la maladie de Kawasaki a également fait les gros titres ces dernières semaines, pourriez-vous nous en dire un mot ?</strong></p>
<p><strong>C. G-LG :</strong> Il s’agit d’une maladie pédiatrique qui concerne habituellement <a href="https://www.revmed.ch/RMS/2018/RMS-N-594/Maladie-de-Kawasaki-mise-a-jour">plutôt de jeunes enfants, âgés de 3 à 6 ans</a>. On ne connaît pas bien son origine, qui implique probablement plusieurs mécanismes. Elle peut parfois être d’origine post-virale : un certain nombre de cas ont par exemple été décrits après des infections par d’autres coronavirus.</p>
<p>Cette maladie est habituellement rare : dans l’hôpital où je travaille, au CHU de Nantes, on en voit habituellement peut-être un par mois. Or, voici une quinzaine de jours, le nombre d’observations a fortement augmenté à l’hôpital Necker, où ont été centralisés les enfants malades (car les autres réanimations pédiatriques ont été utilisées pour les adultes) : 15 Kawasaki ont été diagnostiqués le même jour. C’est ce qui a donné l’alerte, car statistiquement, il n’aurait pas dû y avoir autant de cas de cette maladie classique, mais rare.</p>
<p>Après avoir fait le tour des divers services du pays qui accueillent les enfants, environ 50 observations ont été comptabilisées au total, ce qui reste faible. En outre, tous ces cas ont évolué favorablement après administration du traitement habituel du Kawasaki (une perfusion d’immunoglobuline).</p>
<p><strong>TC : tous ces enfants avaient-ils été infectés par le SARS-CoV-2 ?</strong></p>
<p><strong>C. G-LG :</strong> seul un tiers des enfants avaient une PCR positive pour ce coronavirus. Cependant la recherche d’anticorps anti-Covid-19 chez les autres a montré que la plupart étaient positifs (sachant qu’il peut aussi y avoir des faux négatifs lors des tests sérologiques).</p>
<p>Par ailleurs, la majorité de ces Kawasaki ont été observés dans les régions qui constituaient les clusters de départ de l’épidémie : en Île-de-France, à Nancy, à Strasbourg… Ils sont en outre survenus 2 à 4 semaines après la pandémie.</p>
<p>On peut donc penser qu’il y a bien un lien entre le Covid-19 et cette affection. On a probablement affaire à des réactions inflammatoires qui surviennent alors que l’infection est terminée. C’est un cas assez classique chez les enfants.</p>
<p><strong>TC : l’obésité est un facteur <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-frederic-altare-lobesite-facteur-tres-aggravant-du-covid-19-137920">très aggravant chez l’adulte</a>. Qu’en est-il chez l’enfant ?</strong></p>
<p><strong>C. G-LG :</strong> Nos collègues qui s’occupent des adultes décrivent effectivement <a href="https://onlinelibrary-wiley-com.proxy.insermbiblio.inist.fr/doi/abs/10.1002/oby.22831">des patients</a> qui sont <a href="https://theconversation.com/conversation-avec-frederic-altare-lobesite-facteur-tres-aggravant-du-covid-19-137920">pour la plupart obèses</a>. Chez l’enfant, il n’existe pour l’instant aucune explication évidente établissant un lien entre la sévérité de la forme et l’obésité. Parmi la trentaine d’enfants admis en réanimation, il y avait bien quelques enfants obèses, mais ce n’était pas le cas de tous. Et le virus n’a fait ni chaud ni froid à un grand nombre d’enfants obèses.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/conversation-avec-frederic-altare-lobesite-facteur-tres-aggravant-du-covid-19-137920">Conversation avec Frédéric Altare : l’obésité, facteur très aggravant du Covid-19</a>
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<p>On constate cependant que les quelques enfants admis en réanimation étaient des adolescents. On peut donc imaginer que ces formes se rapprochent de celles de l’adulte. Existe-t-il une différence entre la réponse des adolescents au virus et celle des enfants plus jeunes ? Nous n’avons pas encore assez de données pour pouvoir répondre à cette question. Mais on se doute qu’il n’y a pas un âge où on fait les formes de l’enfant, puis subitement un âge où on passe aux formes de l’adulte… Il existe forcément un continuum. L’adolescence est probablement une période de transition entre les deux.</p>
<p><strong>TC : a-t-on identifié d’autres maladies qui aggraveraient l’infection par le coronavirus chez l’enfant ?</strong></p>
<p><strong>C. G-LG :</strong> Non, aucune pathologie n’a été identifiée qui justifierait de prendre des mesures particulières pour protéger les enfants. Il faut rassurer les familles : cette maladie, dont on ne connaît certes pas tout, n’a absolument pas montré de caractère inquiétant chez les jeunes.</p>
<p>C’est non seulement vrai pour les enfants qui sont en bonne santé, mais il faut aussi souligner que <a href="https://www.sfpediatrie.com/actualites/communique-sfp-societes-specialite">l’ensemble des sociétés savantes s’est prononcé sur le cas des enfants atteints d’obésité ou de pathologies chroniques</a> telles que diabète, mucoviscidose, ou ceux prenant des traitements immunosuppresseurs : dans l’immense majorité des cas, il n’y a pas de contre-indications à ce que ces enfants, considérés d’habitude comme fragiles et qu’on garde à l’abri des infections virales, ne retournent à l’école. Moyennant, évidemment, des mesures de protection pour les plus fragiles, tel que port du masque.</p>
<p>C’est très inhabituel, car dans le cas de la grippe, par exemple, l’inquiétude est toujours grande s’agissant des enfants asthmatiques ou des enfants atteints de maladies respiratoires chroniques telles que la mucoviscidose. Rien de tel n’a été observé dans le cas du SARS-CoV-2. Inutile donc de penser que ses enfants seront davantage protégés si on les garde à la maison.</p>
<p>Étant donné les recrudescences de violences conjugales et de maltraitance infantile observées depuis la mise en place du confinement, pour certains enfants le véritable risque, malheureusement, serait même plutôt de rester chez eux…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138134/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Plus de quatre mois après le début de l’épidémie de Covid-19, et alors que le déconfinement va renvoyer dans les classes les élèves français, que sait-on des effets du coronavirus sur leur santé ?
Régis Hankard, PU-PH, Professeur de Pédiatrie, Inserm UMR 1069 "Nutrition, Growth Cancer" & Inserm F-CRIN PEDSTART, Université de Tours, CHU de Tours, Inserm
Christèle Gras-Le Guen, Professeur des Université en pédiatrie, chef du service de pédiatrie générale et des urgences pédiatriques, hôpital Mère Enfant, CHU Nantes, Université de Nantes
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tag:theconversation.com,2011:article/131627
2020-02-18T17:41:32Z
2020-02-18T17:41:32Z
Pourquoi les filières du sport de haut niveau sont propices aux violences sexuelles
<p>Le 30 janvier dernier, l’ancienne sportive professionnelle Sarah Abitbol, 44 ans, <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-30-janvier-2020">était l’invitée de l’émission Le Grand Entretien</a>, sur France Inter. Titrée à de nombreuses reprises avec son partenaire, Stéphane Bernardis, la championne de patinage artistique venait présenter son livre-témoignage, <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/un-si-long-silence/9782259282642"><em>Un si long silence</em></a>, aux éditions Plon. Comme son titre le laisse supposer, l’ouvrage n’est pas consacré à ses exploits sportifs : Sarah Abitbol y dénonce les abus sexuels que lui a fait subir, de 15 à 17 ans, son entraineur, <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/violences-sexuelles-dans-le-patinage/qui-est-gilles-beyer-lex-entraineur-de-patinage-artistique-accuse-de-viols-et-d-agressions-sexuelles_3814629.html">« Monsieur O »</a>.</p>
<p>Elle l’appelle Monsieur O. car elle n’a pas la force de prononcer son nom. Le traumatisme demeure trop important, malgré les trois décennies qui se sont écoulées depuis les faits. Elle a consigné chacun d’eux dans un carnet. Aujourd’hui, elle peut enfin en parler, dans le livre qu’elle co-signe avec la journaliste Emmanuelle Anizon.</p>
<p>Le témoignage de Sarah Abitbol est terrible. Il révèle non seulement la violence de ce qu’elle a vécu, mais aussi les conséquences psychologiques qui en ont découlé, et dont elle dit encore souffrir. Ce témoignage est terrible, aussi, car il met en lumière les insuffisances et les complaisances d’un milieu sportif qui ne prend pas encore pleinement la mesure de ces drames. Et donc ne met pas en place les moyens de prévention nécessaires.</p>
<h2>Un isolement propice aux dérapages</h2>
<p>Les aspirants sportifs professionnels intègrent très tôt les filières sportives de haut niveau, particulièrement dans la gymnastique, le patinage artistique et le tennis. L’âge d’entrée dans ces disciplines se situe en effet aux alentours de 10 ans, la carrière des jeunes sportifs commençant alors qu’ils sont mineurs. Par comparaison, en cyclisme l’intégration des filières de haut niveau se fait vers 15-16 ans, pour le rugby cela peut même commencer à 18 ans dans certains cas.</p>
<p>De très jeunes enfants se retrouvent ainsi coupés de leur milieu familial, de leurs amis et de leur « village social ». Élevés afin de devenir les champions de demain, ils grandissent dans un monde hors norme, à l’écart de la vie des jeunes de leur âge.</p>
<p>Bien souvent se construit alors une relation fusionnelle avec l’entraîneur, qui est là pour les transformer et les magnifier. Il est à la fois leur mentor, celui qui va leur faire atteindre leur Graal, et la personne dont ils dépendent, le seul repère à leur disposition pour les rassurer. Il est aussi celui qui peut, du jour au lendemain, les éjecter du système…</p>
<h2>Des limites floues, un ressenti difficile à exprimer</h2>
<p>Apprentissage des mouvements, parades, correction des postures… Pour construire le geste sportif, l’entraîneur doit nouer une relation tactile avec son élève, afin de le guider dans son apprentissage. Ces très jeunes gens n’ont pas toujours la conscience des limites, et la maturité suffisante pour déterminer « ce qui se fait » ou « ce qui ne se fait pas ». De plus, ils n’ont pas toujours d’espace de communication pour partager leur ressenti, que ce soit avec des amis proches ou avec leur famille. Ressenti qu’ils ne savent pas toujours correctement identifier, du fait de leur jeune âge.</p>
<p>Et même lorsqu’ils parviennent à clairement identifier la cause de leur malaise, leur parole se trouve muselée par le sentiment de honte et la peur que leur inspirent ces agressions. Révéler quoique cela soit leur fait peur et, n’ayant pas encore appris à négocier leurs émotions, ils ont peur de la peur, ce qui les bloque.</p>
<p>La dénonciation de ces pratiques par les parents eux-mêmes, lorsqu’ils en sont informés, est parfois difficile. Plusieurs freins peuvent en effet s’opposer à leur désir de sortir le plus rapidement possible leur enfant de ce milieu maltraitant : difficulté à surmonter l’épreuve d’aller à la police pour dénoncer le crime, culpabilité de ne pas avoir été à la hauteur pour le prévenir et protéger leur enfant, deuil parfois difficile de leurs espoirs de succès sportifs, surtout en regard du coût engagé et des sacrifices qui ont été consentis, etc.</p>
<h2>Les sports individuels, particulièrement à risques</h2>
<p>Les sports individuels sont <a href="http://www.anne-jolly.com/wp-content/uploads/2016/09/Rapport_2009.pdf">davantage propices à ces abus</a> car les enfants sont davantage isolés. Moins en contact avec des jeunes de leur âge, ils sont plus seuls et vulnérables. Dans les sports d’équipe, le groupe protège un peu plus.</p>
<p>Les jeunes filles sont particulièrement vulnérables aux prédateurs. S’il n’existe pas de chiffre spécifiquement en lien avec le milieu sportif, les statistiques des violences sexuelles montrent une prévalence supérieure des agressions sexuelles vis-à-vis des filles que des garçons. Elles sont en effet plus dans la relation que ces derniers et, en <a href="https://www.stresshumain.ca/Documents/pdf/Mammouth-Magazine/Mammouth_vol6_FR.pdf">cas de stress</a>, sont davantage à la recherche d’un réconfort relationnel. Les criminels savent manipuler ce caractère pour en abuser.</p>
<p>Il ne faut cependant pas imaginer que les jeunes garçons sont protégés : <a href="http://www.anne-jolly.com/wp-content/uploads/2016/09/Rapport_2009.pdf">ils sont également victimes d’abus sexuels</a>. Ces derniers peuvent être perpétrés par des femmes comme par des hommes, même si la prédominance masculine dans la population des entraîneurs et des dirigeants sportifs fait qu’un plus grand nombre de criminels sont de sexe masculin.</p>
<p>Le risque de ce type de dérapage est d’autant plus grand que certains entraîneurs se résolvent à cette carrière suite à des reconversions difficiles plutôt que par réelle vocation (deuil de leur propre carrière sportive, insécurité financière et statutaire, désir d’accomplissement par procuration…) et qu’ils ont eux-mêmes ont parfois subit des violences sexuelles.</p>
<h2>Des conséquences trop longtemps sous-estimées</h2>
<p>Pendant longtemps, les conséquences des agressions sexuelles ont été déniées ou banalisées, particulièrement chez les filles. Dans le film <em>Le Mur</em>, de Sophie Robert, une célèbre psychanalyste déclare que « l’inceste paternel ça ne fait pas tellement de dégâts, ça rend juste les filles un peu débiles ». L’enfant est un être humain en chantier. Toute agression sexuelle fonctionne comme un caillou qui vient frapper un pare-brise. Ce qui importe, ce n’est pas la taille du caillou, ou l’importance de l’agression, mais son impact, la façon dont celui-ci va briser, et faire parfois voler en éclat, l’équilibre émotionnel d’une personne.</p>
<p>On a pu observé une plus grande prévalence de troubles de la personnalité type borderline, de troubles alimentaires ou d’addictions <a href="https://www.congresfrancaispsychiatrie.org/1-4-1-8-1-20-en-une-fraction-beaucoup-de-multiples/">chez des personnes ayant subit dans leur enfance des traumas précoces</a>. Les filles sont souvent plus profondément impactée que les garçons car elles ont un fonctionnement moins compartimenté que ces derniers ce qui permet à l’onde de choc de <a href="http://docteur-seznec.over-blog.com/2020/02/les-femmes-fonctionnent-elles-comme-des-armoires-et-les-hommes-comme-des-commodes.html">se propager plus profondément</a>. Cet impact a été particulièrement été bien exprimé dans la série <a href="https://www.youtube.com/watch?v=IB8g39oIq40"><em>Unbelievable</em></a>, sur Netflix.</p>
<h2>Vers un changement de mentalités ?</h2>
<p>Le drame vécu par Sarah Abitbol n’est malheureusement pas le premier cas d’abus sexuel dans le sport. En mai 2007, l’ancienne joueuse de tennis professionnelle Isabelle Demongeot avait déjà écrit un livre, <a href="http://www.michel-lafon.fr/livre/456-Service_vole.html"><em>Service volé</em></a>, dans lequel elle dénonçait les viols perpétrés par son entraîneur.</p>
<p>Cependant, le contexte a changé : du <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/10/14/metoo-du-phenomene-viral-au-mouvement-social-feminin-du-xxie-siecle_5369189_4408996.html">phénomène #MeToo</a> au témoignage de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/16/accuse-d-attouchements-par-l-adele-haenel-christophe-ruggia-va-etre-presente-a-un-juge_6026051_3224.html">l’actrice Adèle Haenel</a> en passant par les affaires qui n’en finissent pas de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/video/2019/02/19/pedophilie-dans-l-eglise-comprendre-l-ampleur-de-la-crise_5425411_3224.html">secouer l’Église catholique</a>, le clip d’Angèle « Balance ton Quoi » et le livre <a href="https://www.grasset.fr/livres/le-consentement-9782246822691"><em>Le consentement</em></a>, de Vanessa Springora, prélude à <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2020/01/16/affaire-matzneff-vanessa-springora-contente-de-la-prise-de-conscience_6026021_3246.html">« l’affaire Matzneff »</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Hi7Rx3En7-k?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Récemment, de nombreuses affaires ont été révélées aux États-Unis <a href="http://www.leparisien.fr/faits-divers/etats-unis-soupcons-d-agressions-sexuelles-sur-368-jeunes-gymnastes-16-12-2016-6463104.php">dans le milieu de la gymnastique</a>, à l’instar de celle qui a mené à la condamnation à la prison à perpétuité <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/gymnastique-americaine-l-ex-medecin-sportif-larry-nassar-condamne-a-perpetuite-pour-de-multiples-abus-sexuels_2577932.html">Larry Nassar, ancien médecin de l’équipe des États-Unis</a>.</p>
<h2>Le milieu sportif doit prendre ses responsabilités</h2>
<p>Il n’est plus possible de se voiler la face devant ces crimes. Des mesures de protection doivent être prises. Les instances sportives ont effet aujourd’hui des obligations morales. Au niveau des entraîneurs et cadres sportifs, elles se doivent de les former sur les relations adéquates dans l’exercice de leurs fonctions, et de mettre en place un plan de prévention des risques, à l’instar du <a href="https://www.ameli.fr/entreprise/votre-entreprise/outils-gestion-prevention-risques-professionnels/duer">document unique de prévention des risques professionnels</a> qui existe dans les entreprises.</p>
<p>Concernant la prévention des <a href="http://www.inrs.fr/risques/psychosociaux/prevention.html">risques psychosociaux</a>, ce document s’intéresse plus particulièrement à la souffrance au travail, au harcèlement, à la violence et aux addictions. Il s’agit notamment d’apprendre le principe du consentement à toute personne travaillant dans une organisation. Nommer ces risques est déjà un premier pas pour en faire prendre conscience, les considérer puis organiser des moyens de préventions.</p>
<p>En ce qui concerne les jeunes sportifs, les instances dirigeantes doivent s’assurer qu’ils soient bien informés de leurs droits et qu’ils connaissent les ressources à leur disposition, telles que le <a href="https://cnosf.franceolympique.com/cnosf/actus/4819-prvention-des-violences-sexuelles-dans-le-sport-.html">numéro national d’aide aux victimes</a> mis à leur disposition. Il faut les former à la gestion émotionnelle, les mettre en capacité de faire appel à des aides si nécessaire. Des espaces d’écoute et d’expression doivent également être instaurés.</p>
<p>Enfin, il faut modifier le système actuel afin de sortir des relations duelles entraîneurs/sportifs. En créant une situation de dépendance, elles créent les conditions propices au développement de relations fusionnelles, voire <a href="http://www.performancesanteconseil.com/spip.php?article201">d’emprise</a>, et <a href="http://www.revue-quasimodo.org/PDFs/SV13-EntraineurEmprise.pdf">augmentent le risque de dérapage</a>.</p>
<p>L’efficacité de ces mesures en termes de prévention et leurs résultats sur le terrain devront être évaluées régulièrement. Ce sujet devra en particulier faire partie de l’évaluation psychologique longitudinale obligatoire chez les sportifs de haut niveau. Il est urgent de moderniser et professionnaliser les pratiques et les structures sportives pour que jamais plus de tels actes ne puissent avoir lieu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131627/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Christophe Seznec ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les dénonciations de violences sexuelles dans le sport de haut niveau se sont multipliées au cours des dernières semaines. En cause, un système qui crée des conditions propices aux abus.
Jean-Christophe Seznec, Psychiatre, chercheur Inserm sur les troubles du comportement alimentaire chez l'adolescent, Université Paris-Saclay
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tag:theconversation.com,2011:article/131543
2020-02-16T16:34:41Z
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Naître prématurément a des conséquences à l’âge adulte : une étude internationale et participative les évalue
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/314986/original/file-20200212-61947-1xm9sia.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Prématuré de 34 semaines en couveuse</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/s/photos/premature">Sharon McCutcheon / Unsplash</a>, <a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span></figcaption></figure><p>Voici 60 ans de cela, un grand prématuré, c’est-à-dire un enfant venu au monde avant 6 mois de grossesse, n’avait quasiment aucune chance de survivre. Aujourd’hui, dans notre pays, ces nouveaux-nés peuvent prétendre à vivre et à grandir normalement. Dans le monde, la prématurité reste cependant l’une des principales <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(16)31593-8/fulltext">causes de mortalité</a> des enfants de moins de cinq ans, et ceux qui survivent peuvent avoir d’importants problèmes de santé. En outre, même lorsque les enfants prématurés bénéficient d’une prise en charge appropriée, des indices suggèrent que les naissances avant terme ne sont pas sans conséquence à l’âge adulte. </p>
<p>Comprendre les implications de la prématurité est d’autant plus important que le nombre d’enfants prématurés est en augmentation dans la population. Explications.</p>
<h2>Le tournant des années 1960</h2>
<p>Mon grand-père Michel a connu un destin exceptionnel, dès le tout début de sa vie. Il est né en juillet 1932, à domicile, comme la majorité des enfants de l’époque. Ce qui le distingue quelque peu, c’est qu’il n’est pas né seul ce jour-là. Par deux fois, le médecin de campagne a dû annoncer, catastrophé, qu’un autre bébé arrivait. À la surprise générale, ce n’est donc pas un, mais trois enfants prématurés qui sont arrivés ce jour-là. </p>
<p>Ils pesaient chacun un kilo. France est décédée le lendemain de sa naissance. Michel et André ont passé plusieurs jours entre la vie et la mort. Ils ont été placés dans des boîtes à chaussures, dans du coton, au coin du feu allumé 24h sur 24, pendant tout l’été. Des frictions à la moutarde pour les aider à respirer, de petites gouttes de lait régulièrement glissées à la pipette entre les lèvres pour toute alimentation. Contre toute attente, ils ont progressivement réussi à réguler leur température, à s’alimenter, et à gagner du poids. Ils ont plus tard appris à marcher, à parler. Ils sont allés à l’école, ont appris à lire, à écrire et à compter. Ils ont trouvé du travail, ont courtisé des jeunes femmes et se sont mariés, le même jour.</p>
<p>Cette histoire est celle d’un miracle de la nature, qui ne devait finalement pas grand-chose à la médecine. Ce n’est qu’à partir des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/apa.13880">années 1960</a> que des techniques efficaces de réanimation néonatale et d’assistance respiratoire se sont répandues.
Ces progrès se sont rapidement accompagnés d’une augmentation fulgurante des chances de survie des enfants nés prématurément, c’est-à-dire avant 37 semaines d’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Am%C3%A9norrh%C3%A9e">aménorrhée</a> (ou 8 mois et demi de grossesse) selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé. </p>
<p>Aujourd’hui, d’après l’<a href="https://jamanetwork.com/journals/jamapediatrics/fullarticle/2091623">étude</a> française <a href="https://epipage2.inserm.fr/index.php/fr/">EPIPAGE-2</a>, 52 % des extrêmes prématurés (nés entre 22 et 26 semaines), 94 % des grands prématurés (nés entre 27 et 31 semaines) et 99 % des prématurés modérés (nés entre 32 et 34 semaines) sortent vivants de l’hôpital, le plus souvent sans séquelles.</p>
<h2>Quels impacts sur la santé ?</h2>
<p>La naissance prématurée interrompt de manière brutale le développement <em>in utero</em>. Conséquence : si tous les organes sont bien présents, ils sont immatures.
Après la naissance, les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/apa.13880">processus</a> de croissance et de maturation des organes, en particulier du cerveau, des poumons et du système digestif, devront donc se poursuivre, dans des conditions moins optimales que dans l’utérus de la mère. De ce fait, au cours des premières semaines de vie, l’immaturité liée à la naissance avant terme peut entraîner des difficultés respiratoires ou digestives, des saignements au niveau du cerveau ou des infections.</p>
<p>Ces complications peuvent être transitoires ou devenir chroniques, notamment si se met en place une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dysplasie_bronchopulmonaire">dysplasie bronchopulmonaire</a>. Les séquelles neurologiques sont fréquentes, en particulier chez les grands prématurés. Elles peuvent se manifester par des troubles moteurs (retard à la marche ou difficultés à marcher), des troubles cognitifs (difficultés de langage oral ou écrit), ou encore des troubles de l’attention et des troubles sensoriels, visuels ou auditifs. </p>
<p>Certaines études ont aussi noté une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/apa.13880">réduction</a> des scores globaux de quotient intellectuel, une augmentation des <a href="https://www.annualreviews.org/doi/10.1146/annurev-devpsych-121318-084804">difficultés</a> en mathématiques et en orthographe, ou une tendance à être moins extraverti.</p>
<h2>Quelles conséquences une fois adulte ?</h2>
<p>Les premiers enfants ayant bénéficié des progrès médicaux permettant une meilleure prise en charge de la prématurité ont aujourd’hui atteint l’âge adulte. Par ailleurs, les adultes nés avant terme représentent une part croissante de la population, en raison de l’augmentation concomitante des taux de survie et de la fréquence des naissances prématurées (<a href="https://www.thelancet.com/journals/langlo/article/PIIS2214-109X(18)30451-0/fulltext">désormais 1 naissance sur 10</a>, soit 15 millions de bébés chaque année dans le monde et <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2468784717301848">60000 en France</a>). </p>
<p>Il est donc fondamental d’en savoir plus sur les conséquences de la prématurité à l’âge adulte, d’identifier les problèmes qui s’atténuent ou persistent tout au long de la vie, d’enquêter sur les facteurs associés à de bons résultats et sur les interventions que l’on peut offrir.</p>
<p>Si une écrasante majorité des adultes nés prématurément <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/apa.13880">est en bonne santé</a>, une petite partie d’entre eux présente néanmoins un risque plus élevé d’anxiété et de dépression, <a href="https://www.sfnmjournal.com/article/S1744-165X(18)30127-6/fulltext">d’anomalies neurologiques et du comportement, de limitations fonctionnelles cardio-pulmonaires</a>, d’<a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/apa.13880">hypertension systémique</a> et de syndrome métabolique par rapport à leurs homologues nés à terme. </p>
<p>Ces problèmes de santé se développent souvent à un âge plus précoce qu’en cas de naissance à terme, ce qui fait que certains chercheurs considèrent que la prématurité pourrait être considérée comme une maladie chronique. Cependant, les limitations fonctionnelles qui peuvent en résulter ne sont pas forcément toutes ressenties <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/apa.13880">comme un problème</a> par les intéressés, ce qui traduit une formidable capacité de résilience et d’adaptation.</p>
<p>Par ailleurs, la prématurité peut aussi avoir des conséquences plus inattendues que ces problèmes de santé. Ainsi, les adultes nés prématurément ont souvent une personnalité différente (ce qui ne veut pas dire anormale) : ils sont décrits comme plus consciencieux, prudents, agréables, timides et moins enclins à présenter des comportements à risque ou des addictions. Cela pourrait expliquer en partie qu’ils soient plus fréquemment <a href="https://www.jpeds.com/article/S0022-3476(15)00226-7/fulltext">victimes de harcèlement</a>, ou qu’ils aient davantage de difficultés sociales, notamment dans leurs <a href="https://jamanetwork.com/journals/jamanetworkopen/fullarticle/2737900">relations amoureuses et amicales</a>.</p>
<h2>De nombreuses questions en suspens</h2>
<p>Bon nombre de ces résultats devront être confirmés, et bien des questions restent sans réponses. Quel est, par exemple, l’effet de la prématurité sur le vieillissement ? Les prises en charge au moment de la naissance ont-elles un impact à long terme ? Que deviennent les adultes nés avant terme dans des pays à ressources limitées ? Quelle est leur contribution à nos sociétés ? Quels sont les facteurs favorisant leur résilience ? Quelle est la qualité de vie de ces adultes ? Quelle est l’influence de l’environnement familial, génétique, socio-économique et du mode de vie ?</p>
<p>Il reste beaucoup à apprendre pour mieux comprendre comment améliorer la santé à long terme et la qualité de vie des personnes nées prématurément, et être à même de proposer des politiques de santé publique et des actions éducatives adaptées. Cela ne pourra se faire qu’avec les efforts conjugués de chercheurs du monde entier, pour analyser les données déjà disponibles. Mais il importe aussi de mettre en place des études complémentaires, comme le projet <a href="https://happ-e.inesctec.pt/fr/">HAPP-e</a> (pour « Health of Adult People born Preterm – an e-cohort study »). </p>
<h2>S’appuyer sur les nouvelles technologies pour recruter largement</h2>
<p>Lancé fin 2019 par les chercheurs de l’Institut de Santé publique de l’Université de Porto (Portugal), en partenariat avec l’Inserm et d’autres institutions et universités européennes collaborant à un autre projet, <a href="https://recap-preterm.eu">RECAP preterm</a>, HAPP-e a pour ambition de clarifier les effets de la prématurité tout au long de la vie. </p>
<p>L’objectif est d’étudier la santé d’adultes nés prématurément à grande échelle, et ce d’une manière nouvelle. Nous souhaitons en effet recruter et suivre une cohorte électronique (ou e-cohorte) d’adultes nés avant terme. Le recrutement comme le suivi des participants se feront totalement à l’aide d’outils numériques, notamment une plate-forme Internet. Nous espérons que les technologies et les méthodes de communication actuelles, nous permettrons d’atteindre des populations diverses et dispersées géographiquement, qui n’ont souvent pas l’opportunité de faire entendre leur voix. </p>
<p>Tous les adultes (18 ans ou plus) nés prématurément sont invités à participer à cette étude, où qu’ils soient dans le monde. Devenir acteur de la recherche en partageant son expérience depuis son canapé n’a jamais été aussi facile, alors <a href="https://happ-e.inesctec.pt/pp">rejoignez le projet, soyez HAPP-e</a> ! Je ne doute pas que mon grand-père Michel aurait adoré donner un tel coup de pouce à la recherche.</p>
<hr>
<p><em><strong>Pour en savoir plus :</strong></em> </p>
<p><em>- Le site du <a href="https://happ-e.inesctec.pt/fr/">projet HAPP-e</a> ;</em><br>
<em>- Le site du <a href="https://recap-preterm.eu">projet RECAP preterm</a>, qui a bénéficié d’un financement au titre du programme-cadre de l’Union européenne pour la recherche et l’innovation « Horizon 2020 », dans le cadre de la convention de subvention n° 733280.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131543/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elsa Lorthe ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Un enfant sur dix naît avant terme. Si leur survie et leur santé s’améliorent d’année en année, on sait cependant que la prématurité a des conséquences à l’âge adulte. Mais des questions subsistent.
Elsa Lorthe, Chercheure en Epidémiologie, Inserm U1153, Epidemiology and Statistics Research Center, Université Paris Cité
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/129637
2020-01-09T20:43:38Z
2020-01-09T20:43:38Z
« Les troubles anxieux sont fréquents, il faut les diagnostiquer »
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/309307/original/file-20200109-80169-170w9n7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C25%2C4256%2C2739&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les troubles anxieux isolent souvent ceux qui en sont victimes</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/personnes-%C3%A9motion-dramatiques-1492052/">1388843 / Pixabay</a></span></figcaption></figure><p><em>Antoine Pelissolo est professeur de psychiatrie à l’Université Paris Est Créteil et chef du service de psychiatrie sectorisée au CHU Henri-Mondor. Auteur de nombreux ouvrages de vulgarisation, il est spécialiste des troubles anxieux sévères.</em></p>
<hr>
<h2>Qu’est-ce qui caractérise les troubles anxieux ?</h2>
<p>Tous les troubles anxieux ont en commun la peur et les produits dérivés de la peur que sont l’angoisse et l’anxiété. C’est l’objet sur lequel se fixent ces émotions de peur qui détermine à quelle catégorie de trouble anxieux on a affaire. On en distingue trois types : les phobies, le trouble panique et l’anxiété généralisée.</p>
<p>Dans le cas des phobies, les émotions de peur se fixent soit sur des objets, soit sur des situations. On distingue les phobies simples, ou spécifiques, dans lesquelles la peur concerne un seul objet (par exemple un animal ou une situation particulière), des phobies plus complexes et plus invalidantes que sont l’<a href="https://www.doctissimo.fr/html/psychologie/stress_angoisse/articles/15914-agoraphobie-agoraphobe.htm">agoraphobie</a> (la peur des lieux d’où il serait difficile de s’échapper ou d’être secouru) et les phobies sociales.</p>
<p>Le trouble panique se traduit quant à lui par la survenue d’attaques de paniques. Si les premières fois, ces crises d’angoisse surviennent sans aucun déclencheur, elles deviennent ensuite en elle-même le motif de la peur. Autrement dit le trouble panique, c’est la peur d’avoir peur.</p>
<p>Enfin, l’anxiété généralisée concerne plutôt la peur de l’avenir en général, de tout ce qui peut arriver dans la vie : problèmes de santé, d’argent, d’accident, etc. Ces inquiétudes peuvent porter sur soi ou sur les autres, la famille, les proches… Il est question d’événements qui peuvent effectivement se produire dans la vie courante. Cependant les personnes ont tendance à ne plus pouvoir relativiser leur risque de survenue ou leur gravité.</p>
<h2>Quels sont les symptômes des troubles anxieux ?</h2>
<p>Les symptômes dépendent du type de trouble. Dans les phobies, il s’agit de comportements d’évitement des situations. Ils sont liés à la peur anticipatoire : craignent de se confronter à une situation perçue comme dangereuse et adoptent des stratégies de contournement.</p>
<p>Dans le trouble panique, les personnes subissent au moment des crises d’angoisse tous les symptômes du stress, mais de façon extrêmement intense : leur cœur s’emballe, leur respiration se bloque ou s’accélère, ils ont des troubles de l’équilibre, des bouffées de chaleur… Le fait d’avoir tendance à avoir peur de la survenue de ces symptômes les aggrave, c’est un cercle vicieux.</p>
<p>L’anxiété généralisée s’accompagne quant à elle des mêmes signes physiques que le trouble panique, mais ils sont moins « explosifs ». Les patients ressassent, ruminent, sont tendus tout le temps, hypervigilants. Ils ont des problèmes de concentration, éventuellement des douleurs, et surtout du mal à s’endormir à cause de la tension nerveuse : lors des consultations, l’insomnie est souvent leur plainte principale.</p>
<h2>Ces troubles sont-ils fréquents ? Qui concernent-ils ?</h2>
<p>On considère qu’environ 10 % de la population sera touchée par un trouble anxieux à un moment de sa vie. Celui-ci peut durer quelques mois ou quelques années. Les femmes sont environ deux fois plus concernées que les hommes. Les formes graves, sources de handicap et qui requièrent un traitement médicamenteux, concernent quant à elles environ 15 à 20 % des patients.</p>
<p>La plupart des phobies surviennent généralement au début de la vie, soit durant l’enfance soit à l’adolescence. Les attaques de panique, qui peuvent se transformer en trouble panique, se produisent plutôt vers 20 ou 30 ans. Enfin, l’anxiété généralisée se développe habituellement plus tard, vers 30 et même 40 ans, chez des gens qui étaient plutôt d’un tempérament un peu anxieux mais arrivaient à gérer jusque-là.</p>
<p>Ces troubles sont tellement fréquents qu’ils peuvent concerner tous les profils de la population, même si souvent les personnes qui en sont victimes présentent une émotivité et une sensibilité un peu plus forte que les autres, sans qu’elle soit toutefois anormale. Il pourrait y avoir des facteurs biologiques qui favorisent l’émergence d’un trouble ou d’un autre, mais on ne les connaît pas bien. Aucun facteur génétique n’a par exemple pu être clairement mis en évidence.</p>
<h2>Quelles conséquences les troubles anxieux ont-ils sur la santé et la vie des patients ?</h2>
<p>Les conséquences varient selon le degré de l’atteinte. Elles peuvent être importantes, même s’il n’y a pas de risque immédiat pour la santé. Les conséquences physiques surviennent en effet plutôt à long terme. Dans le cas de l’anxiété généralisée, par exemple, le fait d’avoir du mal à dormir peut mener à un épuisement. La dépression est aussi souvent associée aux troubles anxieux : elle concerne une personne sur deux, ce qui est plus élevé que dans la population générale. La consommation de drogues ou d’anxiolytiques est aussi un problème.</p>
<p>En outre, à long terme, le risque de maladies cardiovasculaires est accru par le stress. En effet, même s’il n’est pas suffisant pour déclencher à lui seul des infarctus ou des troubles du rythme cardiaque, il s’ajoute aux autres facteurs de risques.</p>
<p>Enfin, le handicap social peut également être important. On sait notamment que les personnes atteintes de troubles anxieux graves sont socialement moins insérées. Elles sont moins souvent en couple, atteignent des niveaux socio-économiques inférieurs à ceux des autres, etc. D’après une étude suédoise récente portant sur plus de 15 000 enfants, le fait de <a href="https://www.cambridge.org/core/services/aop-cambridge-core/content/view/1E0D728FDAF1049CDD77721EB84A8724/S0033291719003908a.pdf/much_more_than_just_shyness_the_impact_of_social_anxiety_disorder_on_educational_performance_across_the_lifespan.pdf">souffrir de phobie sociale réduit de 50 à 75 %</a> les chances de réussir sa scolarité et ses études supérieures. </p>
<p>Ce genre de trouble est souvent vécu avec honte. Les gens n’en parlent pas, par peur de ne pas être compris. En effet, si on n’est pas soi-même concerné, la première tendance peut être de banaliser les choses, de penser qu’on a tous connu quelques peurs et qu’on les a surmontées, que ce n’est pas si grave. Ces réactions isolent encore davantage les patients.</p>
<h2>Comment soigne-t-on les troubles anxieux ?</h2>
<p>On essaie généralement d’intervenir le plus tôt possible, pour éviter que le trouble ne s’aggrave.</p>
<p>Il s’agit d’appliquer des mesures dites « comportementales », qui visent à apprendre aux patients à combattre les évitements, à ne pas changer leur mode de vie parce qu’ils ont peur de certaines situations. Basées sur l’analyse des peurs et les changements des réactions émotionnelles, les thérapies comportementales et cognitives sont efficaces pour soigner la plupart des troubles anxieux sur des durées relativement courtes. D’autres formes de thérapies ou de psychothérapies peuvent y être associées. Ces méthodes permettent d’accomplir des changements en profondeur, à long terme et sans risque d’effet secondaire. Elles demandent juste un peu d’investissement.</p>
<p>Pour les patients atteints par des formes sévères, un traitement médicamenteux peut être envisagé. Il s’agit de traitements au long cours, qui ne se décident pas pour des symptômes passagers. Ils sont basés sur des antidépresseurs. Les anxiolytiques (Xanax, Temesta, Lexomil…) sont déconseillés, car s’ils soulagent sur le moment, ils n’ont pas d’effet bénéfique à long terme et peuvent entraîner des dépendances. Généralement la prise en charge se fait en médecine de ville. Il n’existe que peu de structures spécialisées dans notre pays. On peut le regretter, car il peut être bénéfique pour les patients d’avoir affaire à des professionnels spécialisés.</p>
<p>Les troubles anxieux sont fréquents, c’est pourquoi il est important de les diagnostiquer. Il faut que tout le monde sache qu’ils existent, afin de ne pas stigmatiser les personnes qui en sont atteintes, en particulier dans le milieu professionnel. Nous avons tout à gagner à aider ceux qui en souffrent. D’autant plus qu’il peut s’agir de soutiens simples, tels que des incitations à entamer des démarches de soin.</p>
<hr>
<p><em>Pour aller plus loin : Antoine Pelissolo (2017), <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/hors-collection/psychologie-et-developpement-personnel/vous-etes-votre-meilleur-psy">« Vous êtes votre meilleur psy ! »</a>, Flammarion.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/129637/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Phobie, trouble panique, anxiété généralisée : les troubles anxieux se manifestent de diverses façons. Qui concernent-ils ? Comment les soigner ? Le point sur le sujet avec le Pr Antoine Pelissolo.
Lionel Cavicchioli, Chef de rubrique Santé + Médecine, The Conversation France
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2019-09-22T17:57:19Z
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Pourquoi créer des modèles embryonnaires à usage scientifique ?
<p>Depuis la modification de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072665&idArticle=LEGIARTI000006687480&dateTexte=&categorieLien=cid">article L2151-5</a> du Code de la Santé publique en janvier 2016, la recherche sur l’embryon humain n’est plus interdite en France. Elle peut être entreprise dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et l’embryon peut être transféré à des fins de gestation. Ce type d’étude peut être assimilé aux recherches cliniques menées à d’autres étapes de la vie humaine.</p>
<p>En ce qui concerne les autres catégories de recherches, sur l’embryon la situation est différente : qu’il s’agisse de recherches fondamentales visant à accroître les connaissances ou de travaux dont l’objectif est la mise au point de nouveaux moyens diagnostiques ou thérapeutiques, les embryons sur lesquels sont menées ces études ne s’inscrivent pas dans un projet parental. Ils ne peuvent donc pas être transférés dans l’utérus à des fins de gestation, selon l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072665&idArticle=LEGIARTI000006687479">article L2151-4</a> du Code de la santé publique.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/292941/original/file-20190918-149001-16wpqgj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292941/original/file-20190918-149001-16wpqgj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292941/original/file-20190918-149001-16wpqgj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292941/original/file-20190918-149001-16wpqgj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292941/original/file-20190918-149001-16wpqgj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292941/original/file-20190918-149001-16wpqgj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292941/original/file-20190918-149001-16wpqgj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292941/original/file-20190918-149001-16wpqgj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les embryons congelés qui ne correspondent plus à un projet parental pourraient être utilisés pour la recherche, mais ils ne remplissent pas toujours les critères requis.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/embryologist-pulls-out-dewar-liquid-nitrogen-1225484494">Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les embryons utilisés pour ce deuxième genre d’investigations ont généralement été créés par fécondation in vitro (FIV). Il s’agit soit d’embryons qui ne sont pas transférés dans l’utérus, car leurs caractéristiques morphologiques indiquent qu’ils sont incompatibles avec un développement normal, soit d’embryons qui ont été conservés congelés, pour un éventuel transfert ultérieur dans l’utérus, mais pour lesquels les personnes qui sont à leur origine n’ont plus de projet parental et ont choisi de les donner à la science, plutôt que de les voir détruits. À la fin de l’année 2016, 19 354 embryons appartenaient à cette dernière catégorie, selon le bilan établi par l’Agence de la biomédecine (ils avaient été donnés à la recherche par 6090 couples).</p>
<p>On pourrait donc supposer que ces très nombreux embryons créés par FIV et qui n’ont pas d’autre avenir que la destruction sont largement suffisants pour satisfaire aux besoins de la science. C’est pourtant loin d’être le cas, pour plusieurs raisons.</p>
<h2>Accéder aux stades de développement les plus précoces</h2>
<p>Les embryons qui sont congelés après une FIV le sont au stade 4/8 cellules (2/3 jours) ou au stade <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/definitions/medecine-blastocyste-2538/">blastocyste</a>, composé d’une petite centaine de cellules (5 jours). Bien qu’il soit possible de les utiliser pour étudier certains des mécanismes cellulaires et moléculaires régulant le tout début du développement de l’être humain, leur emploi n’est pas toujours suffisant, notamment quand le projet de recherche a pour but d’étudier des stades plus précoces.</p>
<p>C’est le cas par exemple quand on veut étudier les phénomènes survenant immédiatement après la fécondation, au niveau de la première cellule embryonnaire (ou « zygote »), qui résulte de la fusion d’un spermatozoïde et d’un ovocyte. On sait que durant ce laps de temps, l’organisation du génome ainsi que les protéines nucléaires qui l’entourent subissent des modifications drastiques. <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/29720659">Largement inexplorées chez l’être humain</a>, elles jouent un rôle important dans l’activation et l’expression des gènes embryonnaires, qui ne commencent qu’au stade 4/8 cellules dans l’espèce humaine, soit plusieurs jours après la fécondation.</p>
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/293018/original/file-20190918-187945-qpb5kw.gif"><figcaption>Développement de l’embryon au cours des 5 jours suivant la fécondation (avec l’aimable autorisation de Patricia Fauque).</figcaption></figure>
<p>Certains protocoles d’étude nécessitent donc d’intervenir au niveau du zygote. C’est précisément en travaillant à ce stade qu’une équipe britannique a pu déterminer le rôle déterminant d’une molécule appelée OCT4 <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28953884">dans la formation du blastocyste humain</a>. Après avoir rendu inactif, dans des zygotes humains, le gène servant à produire OCT4 grâce à des <a href="https://theconversation.com/a-laube-de-lage-des-nucleases-107754">« ciseaux moléculaires »</a>, les chercheurs se sont aperçus que la transformation desdits zygotes en blastocystes était compromise.</p>
<p>Pour pouvoir mener ce type d’études, il est donc souhaitable d’utiliser des modèles embryonnaires qui ne soient pas des embryons créés par FIV. Pourquoi ne pas mener ce type de recherche sur des modèles animaux ?</p>
<p>Parce que les phénomènes survenant après la fécondation se déroulent de manière différente chez les autres espèces, en particulier <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/?term=Epigenetic+regulation+in+development%3A+is+the+mouse+a+good+model">chez la souris</a>, animal utilisé le plus couramment comme modèle expérimental dans les laboratoires de recherche.</p>
<h2>Explorer de nouvelles approches</h2>
<p>Au cours des dernières années, les scientifiques ont par ailleurs vu s’ouvrir de nouvelles pistes de recherche pour étudier le développement embryonnaire au-delà du stade blastocyste. Cette période de la vie, auparavant inabordable pour les chercheurs car elle ne pouvait se dérouler qu’<em>in vivo</em> (dans l’utérus). Elle est aujourd’hui devenue accessible, grâce notamment aux connaissances obtenues sur les <a href="https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/cellules-souches-embryonnaires-humaines">cellules souches pluripotentes</a> (des cellules capables de générer tous les tissus d’un organisme), ainsi que grâce à de nouvelles techniques qui permettent de co-cultiver plusieurs types cellulaires en 3 dimensions, reproduisant ainsi un environnement plus proche de l’organisme embryonnaire que les cultures de cellules classiques.</p>
<p>Les premiers résultats acquis grâce à ces nouveaux outils chez la souris, se sont avérés prometteurs. Cependant, ici encore, il est inévitable d’entreprendre également ce type d’étude sur des modèles humains. En effet, le développement embryonnaire post-implantatoire (après implantation dans l’utérus) <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/30038253">est différent chez la souris et chez l’être humain</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293020/original/file-20190918-187991-vvthtf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293020/original/file-20190918-187991-vvthtf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=525&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293020/original/file-20190918-187991-vvthtf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=525&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293020/original/file-20190918-187991-vvthtf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=525&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293020/original/file-20190918-187991-vvthtf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=660&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293020/original/file-20190918-187991-vvthtf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=660&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293020/original/file-20190918-187991-vvthtf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=660&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Un exemple de système microfluidique.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, utilisant des cellules souches humaines pluripotentes mises en culture dans des chambres <a href="https://www.institut-pgg.fr/Comprendre-la-microfluidique_65.html">microfluidiques</a> (systèmes de culture contenant un réseau de micro-canaux, à l’échelle des cellules), des chercheurs américains ont récemment été capable d’étudier <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/?term=Controlled+modelling+of+human+epiblast+and+amnion+development+using+stem+cells">comment des éléments embryonnaires et extra-embryonnaires coopèrent à partir du 14ᵉ jour pour organiser le développement de l’embryon à ce stade</a>.</p>
<p>Ce type d’expérience est d’un grand intérêt pour appréhender comment se différencient et s’organisent les cellules et les tissus constituant le corps humain, et comprendre leurs dysfonctionnements éventuels.</p>
<h2>S’assurer de l’innocuité des nouvelles techniques</h2>
<p>Reste une dernière situation : celle où la recherche ne concerne pas directement les éléments embryonnaires eux-mêmes, mais a pour but d’évaluer les conséquences de manipulations faites en amont, sur les gamètes ou au moment de la fécondation. La mise au point de nouvelles techniques agissant sur les spermatozoïdes ou les ovocytes, tout comme celles modifiant les conditions de la fécondation, exigent en effet que leur innocuité soit vérifiée <em>in vitro</em> au niveau des embryons, avant de les transférer à des fins de gestation.</p>
<p>Au début des années 2000, déjà, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’était emparé de cette question complexe. Dans <a href="https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/avis067.pdf">son avis n° 67</a>, il se prononçait pour l’évaluation obligatoire des nouvelles techniques d’assistance médicale à la procréation (<a href="https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/assistance-medicale-procreation-amp">AMP ou PMA, procréation médicalement assistée</a>) avant leur mise en œuvre. Le comité soulignait notamment :</p>
<blockquote>
<p>« Cette mesure de bon sens, destinée à mettre fin à des errements antérieurs, soulève la question du devenir des embryons qui seront inévitablement produits par FIV dans le cours de ces procédures de validation, ce qui apparaît comme une exception motivée au principe général d’interdiction de produire des embryons humains par FIV à des fins de recherche »</p>
</blockquote>
<p>Malheureusement, à l’époque le législateur n’avait pas suivi le CCNE sur ce point et a édicté une interdiction totale. L’histoire de la vitrification des ovocytes nous montre à quel point cette attitude est intenable.</p>
<h2>La vitrification des ovocytes, un cas d’école</h2>
<p>Dans les années 2000, des médecins et des biologistes français avaient sollicité l’autorisation d’étudier et de développer une nouvelle technique de congélation ovocytaire : la <a href="https://www.em-consulte.com/en/article/977389#">vitrification</a>, qui a l’avantage de réduire les lésions cellulaires dues à la cristallisation de l’eau lors de la congélation classique, plus lente. En 1999, des chercheurs australiens et italiens avaient montré qu’il était possible d’obtenir la naissance d’enfants à partir de FIV utilisant des ovocytes vitrifiés. Dans notre pays, autorités administratives et ministère de la Santé n’apportèrent aucune réponse à la demande des scientifiques, au prétexte non clairement exprimé ni argumenté que ce type de recherche aurait pu entraîner la création d’embryons.</p>
<p>Il en résulta une controverse qui se manifesta dans les milieux médicaux, mais aussi dans les médias, d’autant qu’il était parfois avancé (à tort) que la vitrification des ovocytes supprimerait toute nécessité d’avoir recours à la congélation d’embryons. Finalement, le débat fut clos à l’occasion de la révision de la loi relative à la bioéthique en 2011 quand les parlementaires ajoutèrent à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072665&idArticle=LEGIARTI000006687417&dateTexte=&categorieLien=cid">article L 2141-1</a> du Code de la Santé publique une disposition mentionnant que « la technique de congélation ultrarapide des ovocytes est autorisée. »</p>
<p>Si une nouvelle technique de congélation ovocytaire était mise au point demain, peut-on imaginer que son étude serait toujours interdite en France ? Qu’il serait nécessaire d’attendre qu’une nouvelle loi soit votée par le Parlement pour la valider ? Pour éviter un nouveau blocage, mieux vaudrait autoriser, à titre exceptionnel, la création d’entités embryonnaires comme cela devrait être le cas pour valider toute nouvelle technique de traitement des gamètes ou de FIV, chaque fois que la situation le justifie.</p>
<h2>Des recherches à encadrer</h2>
<p>Quelle que soit la nature des cellules qui sont à leur origine ou qui les composent, les entités embryonnaires évoquées ci-dessus ne peuvent être assimilées aux embryons créés par FIV dans le cadre d’un projet parental (et donc dans l’espoir d’être transférés à des fins de gestation). Ces entités sont en effet créées dans un but uniquement scientifique. Elles ne sauraient être transférées dans un utérus. Elles n’ont pas le même statut moral : ce ne sont pas des personnes potentielles.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lembryon-humain-est-il-une-personne-123113">L’embryon humain est-il une personne ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Afin de lever toute ambiguïté et de bien signifier leur différence avec les embryons, les chercheurs attribuent d’ailleurs à ces entités des noms différents : « embryoid », « gastruloid » ou encore <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28494856">« synthetic human entities with embryo-like features (SHEEFs) »</a> (<em>entités humaines synthétiques dotées de caractéristiques semblables à celles d’un embryon</em>). En France, le comité d’éthique de l’Inserm a proposé, dans sa dernière <a href="https://www.inserm.fr/recherche-inserm/ethique/comite-ethique-inserm-cei/groupes-reflexion-thematique-comite-ethique">note publiée début 2019</a>, que ces entités soient dénommées « Modèles embryonnaires à usage scientifique (MEUS) ».</p>
<p>Le fait que ces MEUS ne sont certainement pas des personnes, même potentielles, n’exclut cependant pas qu’ils devraient être traités avec tout le respect qui leur est dû. Pour cette raison, les recherches les utilisant devraient être encadrées selon une réglementation analogue à celle encadrant les recherches sur les cellules souches embryonnaires. Un nouveau sujet de réflexion pour le législateur, à l’heure de la révision des lois de bioéthique.</p>
<hr>
<p><strong><em>Pour en savoir plus :</em></strong></p>
<p><em>Jouannet P., Baertschi B., Guérin J.-F. (2019), <a href="https://www.inserm.fr/information-en-sante/coeditions/recherches-sur-embryon-derive-ou-necessite">« Recherches sur l’embryon : dérive ou nécessité ? »</a>, éditions Inserm/Le Muscadier, coll. « Choc santé »</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118504/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Jouannet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Les progrès technologiques survenus ces dernières années permettent d’étudier le développement l’embryon comme jamais auparavant. Encore faut-il que la législation le permette.
Pierre Jouannet, Biologiste de la reproduction, professeur émérite, Université Paris Cité
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/123028
2019-09-08T18:36:52Z
2019-09-08T18:36:52Z
L’éco-anxiété nous guette, et ce n’est pas forcément une mauvaise nouvelle
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/291363/original/file-20190907-175668-p59h39.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C16%2C5534%2C3684&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Notre fonctionnement cérébral pourrait-il être à la fois le problème et la solution de la crise environnementale ?</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans son livre <a href="https://www.lisez.com/ebook/le-bug-humain/9782221241608">« Le bug humain »</a>, paru chez Robert Laffont, Sébastien Bohler s’appuie sur les neurosciences pour expliquer comment le cerveau humain est programmé depuis sa conception pour consommer toujours plus de nourriture, de sexualité (réelle ou virtuelle), d’informations nouvelles et de compétition sociale, et tout cela avec le moins d’effort possible.</p>
<p>Le résultat en est, pour l’individu, une recherche addictive du plaisir et de tous ses déclencheurs, et pour la société l’hyperconsommation et surtout l’épuisement accéléré des ressources naturelles de la planète que nous connaissons depuis plusieurs décennies. À l’origine de cette boulimie, une petite région de notre cerveau : le striatum.</p>
<h2>L’être humain, mal adapté à lui-même ?</h2>
<p>Impliqué entre autre dans la motivation alimentaire ou sexuelle et dans la gestion de la douleur, le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Striatum">striatum</a> a conservé deux fonctions essentielles au fil de l’évolution de l’être humain : garantir notre survie et nous pousser à nous reproduire pour maintenir l’espèce.</p>
<p>Son « carburant » est la <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/definitions/medecine-dopamine-3263/">dopamine</a>, le neurotransmetteur des émotions positives. Ce messager chimique oriente nos comportements et nos choix en fonction de leur apport à l’objectif darwinien ultime : la dissémination de nos gènes par la survie et la fécondité.</p>
<p>À la différence des autres espèces, l’être humain a vu ses capacités intellectuelles puis technologiques croître au fil des siècles de manière exponentielle, grâce notamment au développement du cortex préfrontal, permettant le raisonnement, la planification ou encore la créativité. Mais ces capacités sont toujours sous la coupe du « vieux » striatum, qui a gardé les mêmes objectifs tyranniques qu’il avait chez nos ancêtres primates : toujours plus de plaisir, quel qu’en soit le prix.</p>
<p>Il n’a pas eu, en effet, le temps de s’adapter à cette situation nouvelle d’abondance. Conséquence : alors que nous avons aujourd’hui théoriquement les conditions matérielles pour assurer l’alimentation de l’ensemble des habitants de la planète, en la répartissant équitablement, le cerveau pousse chacun d’entre nous à consommer plus qu’il n’en a besoin, au détriment de notre propre santé (obésité, addictions, etc.) et de celle de la planète.</p>
<p>Pour reprendre l’expression de Sébastien Bohler, l’être humain est un « primate avec la technologie d’un dieu ». Il file droit vers sa perte par auto-destruction, à cause de son génie. Ce résumé de la situation a le mérite de la clarté et s’appuie sur une réalité scientifique indéniable. Mais il faut bien sûr nuancer le propos.</p>
<h2>Le système limbique freine nos ardeurs</h2>
<p>Tout d’abord, nul ne sait comment l’histoire se finira. Si l’hypothèse de « l’effondrement », soutenue par les <a href="http://www.collapsologie.fr/">collapsologues</a>, est crédible, elle n’est pas certaine. Et surtout, bien malin qui pourrait aujourd’hui en prédire l’échéance, en particulier parce que la nature dispose heureusement d’atouts qu’il est encore possible d’activer.</p>
<p>L’intelligence humaine n’est pas le moindre de ces atouts, et il n’est pas interdit d’espérer que nous saurons un jour ou l’autre la mettre au service d’un changement de direction. Mais si ladite intelligence s’avérait insuffisante, une autre fonction psychobiologique pourrait aider à modifier les comportements : la peur.</p>
<p>Face à un risque immédiat ou différé, notre cerveau est capable de déclencher une très efficace réaction d’alarme, d’évaluation puis de défense. Au plan physiologique, chez l’humain comme chez la plupart des animaux, la réponse au danger est dite « fight or flight » (se battre ou fuir), selon le type de menace.</p>
<p>Sauf quand elle est paralysante, comme dans le cas des phobies ou d’autres pathologies anxieuses, l’anxiété est donc utile voire vitale.</p>
<p>Cette compétence à la fois puissante, subtile et automatisée, est localisée dans une autre région profonde du cerveau, le système <a href="http://www.neuromedia.ca/le-systeme-limbique/">limbique</a>. Celui-ci constitue en quelque sorte le contre-point du striatum, situé à proximité : alors que ce dernier est un activateur permettant d’aller de l’avant, le système limbique est un inhibiteur destiné à éviter les dangers (pièges de la nature tels que prédateur, risque d’échec, etc.).</p>
<p>Le système limbique génère la peur mais intervient également dans la production et la régulation d’autres émotions dites « négatives », telles que la colère, le dégoût ou la tristesse, qui dictent aussi des conduites de prudence à l’être humain.</p>
<p>Selon les situations et les individus, le striatum peut influencer davantage les comportements et les décisions que le système limbique, ou inversement. Ce subtil dosage permet équilibre et adaptation. C’est la coexistence de ces deux leviers qui ont permis à notre espèce de survivre et de se développer avec le succès que l’on sait, un pied sur l’accélérateur, l’autre sur le frein. Notre système limbique pourra-t-il nous sauver du désastre annoncé ?</p>
<h2>Sauvés par notre éco-anxiété ?</h2>
<p>Épuisement des énergies fossiles, accélération de la disparition des espèces vivantes, perte d’efficacité des antibiotiques, pollution des sols et des eaux à long terme, submersion des littoraux, multiplications des catastrophes climatiques… Le tableau dépeint par les travaux scientifiques récents est particulièrement anxiogène. Chez certaines personnes la perspective de cet avenir funeste génère une réaction de peur, qualifiée désormais d’<a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sante/cerveau-et-psy/l-eco-anxiete-ou-la-detresse-due-au-changement-climatique_132187"><em>éco-anxiété</em></a>.</p>
<p>Si, dans nos pays industrialisés le danger demeure encore distant, et donc virtuel (en dehors d’événements météorologiques ponctuels comme les canicules), l’impact de cette éco-anxiété est bien réel. Ces angoisses sont à l’origine de symptômes pénibles tels que stress, insomnie, affections physiques, etc.</p>
<p>De plus en plus de patients reçus en consultation, notamment les plus jeunes, nous parlent de cette appréhension qui peut les envahir dès le matin, avec une boule au ventre dès qu’ils imaginent leur avenir dans un monde où ils pourraient manquer de l’essentiel. Dans certains cas, l’éco-anxiété peut se teinter de pessimisme, voire de dépression. On parle alors de <a href="https://www.scienceshumaines.com/la-solastalgie_fr_40939.html"><em>solastalgie</em></a>.</p>
<p>Cette éco-anxiété pourrait cependant aussi avoir des conséquences positives. Si l’on établit un parallèle avec le modèle « fight or flight », face à ces menaces environnementales la meilleure solution n’est évidemment pas la fuite (sauf quand il est vraiment trop tard), mais bien le combat. À ce titre, l’éco-anxiété peut constituer un bon levier de réaction individuelle et collective, en nous incitant à modifier nos comportements.</p>
<p>Ce changement commence à émerger çà et là, au niveau des individus tout d’abord, puis des organisations, notamment des partis politiques, lesquels semblent entamer les uns après les autres un « virage écologique » plus ou moins marqué. On peut espérer que cette prise de conscience, souvent basée à l’origine sur la peur, aboutira à l’émergence d’une réelle éco-résilience. Vaste programme, dans lequel les émotions positives comme négatives joueront un rôle majeur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123028/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Pelissolo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
Alors que la planète se dégrade, l’angoisse environnementale gagne du terrain, générant un mal-être d’un nouveau genre : l’éco-anxiété. Mais ce n’est peut-être pas une mauvaise nouvelle.
Antoine Pelissolo, Professeur de psychiatrie, Inserm, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
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tag:theconversation.com,2011:article/119736
2019-07-02T20:26:00Z
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Les vraies vertus de l’huile d’olive
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/282327/original/file-20190702-126382-1bg19as.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C643%2C7909%2C5419&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les vertus de l’huile d’olive vierge extra ne sont pas usurpées.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/olive-oil-berries-on-wooden-table-350179640?src=BjsYwX47BlkJyJqvpex_eg-1-14&studio=1">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Vantée depuis l’Antiquité pour ses vertus médicinales, ingrédient star du <a href="https://www.mdpi.com/2072-6643/7/11/5459">régime méditerranéen</a>, l’huile d’olive s’invite régulièrement dans la rubrique santé des médias grand public.</p>
<p>Cependant, si un certain consensus semble régner quant à <a href="https://theconversation.com/boire-un-verre-dhuile-par-jour-le-secret-mediterraneen-dune-longue-vie-">ses bienfaits</a>, l’huile d’olive est loin d’avoir révélé tous ses secrets. Ce qui explique qu’elle a aussi élu domicile dans les colonnes des journaux scientifiques les plus pointus. En effet, aujourd’hui encore, les chercheurs bataillent pour <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/mnfr.201200421">décortiquer, à l’échelle moléculaire</a>, les mécanismes d’action qui permettraient de valider ses vertus.</p>
<p>En ce début d’été, faisons le point sur ce que sait la science des qualités de l’huile d’olive vierge extra.</p>
<h2>Une masse grasse importante</h2>
<p>Contrairement aux huiles raffinées, dont l’extraction fait appel à des solvants, l’<a href="http://www.internationaloliveoil.org/glosario_terminos/index">huile d’olive vierge extra</a> est obtenue à partir d’olives fraîches, en ayant uniquement recours à des procédés mécaniques : pressage, décantation, filtration… En ce sens, c’est un pur jus de fruits. Que contient-elle exactement ?</p>
<p>En tout premier lieu, on y trouve des <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/definitions/medecine-triglycerides-3532/">triglycérides</a>. Constitués d’une molécule de glycérol associée à trois molécules d’acides gras, ces constituants sont une composante majeure de toutes les matières grasses alimentaires, huiles comme graisses. Il s’agit d’une réserve d’énergie très importante pour l’organisme. Dans l’huile d’olive, les triglycérides sont accompagnés de quelques diglycérides, monoglycérides, acides gras libres et <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/definitions/biologie-phospholipide-14264/">phospholipides</a> (constituants importants des parois des cellules animales et végétales).</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/282328/original/file-20190702-126376-15uew4b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282328/original/file-20190702-126376-15uew4b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282328/original/file-20190702-126376-15uew4b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282328/original/file-20190702-126376-15uew4b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282328/original/file-20190702-126376-15uew4b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282328/original/file-20190702-126376-15uew4b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282328/original/file-20190702-126376-15uew4b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282328/original/file-20190702-126376-15uew4b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">L’huile d’olive vierge extra est extraite uniquement par des moyens mécaniques (ici à Mola di Bari, dans les Pouilles, en Italie).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/making-extra-virgin-olive-oil-mola-1009740583?src=GwQ_PrMejETfz6ybcjROFQ-1-21&studio=1">Shutterstock</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’huile d’olive vierge extra est notamment riche en <a href="http://www.chups.jussieu.fr/polys/biochimie/SGLbioch/POLY.Chp.2.html">acides gras monoinsaturés</a> (l’acide oléique en tête, représentant entre 55 et 80 % des acides gras totaux) et, dans une moindre mesure, en <a href="http://www.chups.jussieu.fr/polys/biochimie/SGLbioch/POLY.Chp.2.html">acides gras polyinsaturés</a> (acide linoléique principalement) et <a href="https://eurekasante.vidal.fr/nutrition/corps-aliments/lipides-energie.html?pb=acides-gras-satures-insatures-trans#8IZEbocHK1l1YO62.99">acides gras saturés</a> (acide palmitique, acide stéarique…).</p>
<p>Cette masse grasse est très largement majoritaire dans l’huile d’olive. Celle-ci contient cependant également d’autres molécules qui, bien que présentes en proportion réduite, n’en ont pas moins un effet majeur sur ses propriétés.</p>
<h2>Goût, couleur, stabilité, vertus : de nombreux responsables</h2>
<p>Parmi les composés minoritaires mais essentiels aux qualités de l’huile d’olive vierge extra figurent notamment des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ph%C3%A9nol_(groupe)">phénols</a> simples et leurs dérivés <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/definitions/medecine-polyphenol-6212/">polyphénoliques</a> (des assemblages de phénols) aux noms et aux structures chimiques compliqués, comme l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Oleurop%C3%A9ine">oleuropéine</a>, le <a href="https://pubchem.ncbi.nlm.nih.gov/compound/14136859#section=CAS">ligstroside</a>, ou le <a href="https://pubchem.ncbi.nlm.nih.gov/compound/3_4-Dhpea-EA#section=Related-Compounds-with-Annotation">3,4-DHPEA-EA</a>, ainsi que de nombreux <a href="http://phenol-explorer.eu/contents/food/822">autres composés aux désignations tout aussi exotiques</a>) : pinorésinol, acide férulique, acide syringique, lutéoline… L’huile d’olive contient également des stérols, des <a href="http://www.societechimiquedefrance.fr/polyterpenes-tetracycliques.html">triterpènes</a>, des pigments tels que <a href="https://eurekasante.vidal.fr/parapharmacie/complements-alimentaires/carotenoide.html">carotènes</a> et <a href="https://eurekasante.vidal.fr/parapharmacie/complements-alimentaires/chlorophylle.html">chlorophylles</a>, des <a href="https://eurekasante.vidal.fr/parapharmacie/complements-alimentaires/vitamine-e-tocopherols-tocotrienols.html">tocophérols</a> (vitamine E), et divers composés aromatiques dont les propriétés restent à décrypter.</p>
<p>Plusieurs facteurs influent sur la teneur de ces molécules dans l’huile d’olive vierge extra : variété des oliviers, nature du sol, type de climat, année de production, mode de culture, maturité à la récolte, conditions de stockage, etc.</p>
<p>Pris ensemble, ces composés ne représentent qu’1 à 2 % de la masse totale de l’huile d’olive, mais celle-ci leur doit beaucoup. D’eux dépendent en effet son goût (amertume), son arôme (fruité vert, mûr, noir), les sensations trigéminales <a href="https://next.liberation.fr/vous/1996/09/11/trijumeau-le-gout-a-bout-de-nerf-un-colloque-tres-scientifique-a-disseque-l-alchimie-gustative_183049">(véhiculées par le nerf trijumeau)</a> qu’elle provoque (astringence, ardence), sa couleur, et sa stabilité face à l’oxydation… En outre, ces molécules sont aussi responsables de ses vertus en termes de santé !</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282336/original/file-20190702-126345-kb9jdf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282336/original/file-20190702-126345-kb9jdf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282336/original/file-20190702-126345-kb9jdf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282336/original/file-20190702-126345-kb9jdf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282336/original/file-20190702-126345-kb9jdf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282336/original/file-20190702-126345-kb9jdf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282336/original/file-20190702-126345-kb9jdf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De nombreux facteurs influent sur les teneurs des différentes molécules présentes dans les olives.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/993567">Pxhere</a></span>
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<p>On comprend pourquoi les constituants de l’huile d’olive suscitent un grand intérêt, et font l’objet de diverses études ambitionnant de décrypter les mécanismes à l’origine de leur potentiel préventif vis-à-vis de diverses maladies chroniques. Ce dernier ne fait en effet plus de doute : il a été mis en évidence par de multiples travaux.</p>
<h2>Des effets bénéfiques sur la santé validés scientifiquement</h2>
<p>De nombreuses <a href="https://www.cancer-environnement.fr/344-Etudes-epidemiologiques.ce.aspx">études épidémiologiques</a> concordent quant aux effets bénéfiques sur la santé cardiovasculaire d’une consommation régulière d’huile d’olive vierge extra, avec une réduction mesurable du risque de mortalité. Cet effet est <a href="https://bmcmedicine.biomedcentral.com/articles/10.1186/1741-7015-12-78">d’autant plus marqué que l’huile est de bonne qualité</a>.</p>
<p>Des conséquences bénéfiques en termes de cholestérol sont également souvent rapportés, ainsi que des effets anti-inflammatoires. Ce n’est pas surprenant, puis que stérols et triterpènes sont connus pour être impliqués dans la bonne gestion du cholestérol sanguin, tandis que carotènes et tocophérols sont des antioxydants réputés.</p>
<p>Les polyphénols présents dans l’huile d’olive vierge extra protègent aussi les lipides sanguins contre le <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/definitions/biologie-stress-oxydatif-15156/">stress oxydatif</a>. Celui-ci résulte d’une agression des composants cellulaires de l’organisme par des <a href="http://www.ipubli.inserm.fr/handle/10608/7569">« espèces réactives de l’oxygène »</a>, les fameux « radicaux libres ». De nombreux tests <em>in vitro</em>, ainsi que des <a href="https://annals.org/aim/article-abstract/727945/effect-polyphenols-olive-oil-heart-disease-risk-factors-randomized-trial?volume=145&issue=5&page=333">essais cliniques</a>, ont montré que l’huile d’olive piège les radicaux libres. Cette propriété a amené l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA) à <a href="https://efsa.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.2903/j.efsa.2011.2033">reconnaître la validité de l’allégation santé</a> « les polyphénols de l’huile d’olive contribuent à la protection des lipides sanguins du stress oxydatif ».</p>
<p>Néanmoins, contrairement aux déclarations un peu trop enthousiastes des adeptes de superlatifs, l’huile d’olive vierge extra n’est pas un élixir de jouvence ou un remède miracle contre le cancer. Ses effets protecteurs contre le <a href="https://www.mdpi.com/1420-3049/21/2/163">vieillissement</a> ou le <a href="https://iubmb.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/biof.1318">cancer</a> doivent encore être clairement établis. En attendant, on aura néanmoins tout intérêt à intégrer cette huile dans une alimentation variée.</p>
<p>Mais pour bénéficier au mieux des bienfaits de l’huile d’olive vierge extra, encore faut-il <a href="http://www.olio-nuovo-day.com/conseils-pratiques">savoir comment bien la choisir, la conserver</a> et l’utiliser !</p>
<h2>Comment bien choisir, conserver et utiliser l’huile d’olive vierge ?</h2>
<p>Une fois que vous aurez trouvé l’huile d’olive vierge extra qui correspond à votre nez et à votre palais, assurez-vous de bénéficier de la dernière récolte. Et surtout, conservez soigneusement votre huile au frais et à l’abri de la lumière. De cette façon, elle n’en sera que plus riche en composés bénéfiques. La placer sur le plan de travail, à côté des plaques de cuisson, comme on le voit trop souvent est la pire des idées !</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282333/original/file-20190702-126396-8rba5b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282333/original/file-20190702-126396-8rba5b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282333/original/file-20190702-126396-8rba5b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282333/original/file-20190702-126396-8rba5b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282333/original/file-20190702-126396-8rba5b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282333/original/file-20190702-126396-8rba5b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282333/original/file-20190702-126396-8rba5b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Oui à la cuisson à l’huile d’olive, non à son stockage à proximité du piano de cuisine…</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/two-chefs-teamwork-man-woman-restaurant-56874397?src=W_53R02GwY2tl1h8O6g6BA-1-3&studio=1">Shutterstock</a></span>
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<p>Vous voici armé pour agrémenter vos plats de cet or liquide ; et ce ne sont pas les opportunités qui manquent ! On pense bien sûr immédiatement à l’assaisonnement des crudités ou des cuidités, cependant l’huile d’olive vierge se prête aussi très bien à de nombreux modes de cuisson, grâce à son <a href="https://www.edp-nutrition.fr/images/stories/focus/2014/Nut33_cuissonOK.pdf">point de fumée</a> élevé (température à partir de laquelle on détecte de la fumée lorsque l’on chauffe une matière grasse, soit 210 °C pour l’huile d’olive).</p>
<p>Il a ainsi été démontré que lors de la <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007%2F978-3-642-38007-5_19">cuisson de tomates dans l’huile d’olive vierge extra</a>, cette dernière se chargeait en caroténoïdes contenus dans le légume-fruit. Encore mieux : <em>in fine</em> la biodisponibilité des caroténoïdes, c’est-à-dire leur capacité à être utilisée par l’organisme, est augmentée, ce qui améliore le pouvoir antioxydant de la préparation.</p>
<p>Par ailleurs, l’huile d’olive vierge extra fournit des antioxydants non seulement lors de sa consommation directe, mais aussi lorsqu’elle est utilisée en cuisson. Lors d’une friture, une partie de ses antioxydants <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0023643806001927">« migrent » en effet dans les aliments</a> ! On aurait donc tort de se priver de l’utiliser (même s’il est préférable de ne pas dépasser 190 °C pour les huiles vierges extra).</p>
<p>Une question pourrait laisser perplexe le marmiton en herbe : quelle huile d’olive vierge extra choisir, pour quel plat ? La réponse est simple : celle que votre palais vous commandera ! En effet, s’il existe <a href="https://bestoliveoils.com/pairing">des applications</a> pour assister les choix, celles-ci relèvent plus du marketing que de la science exacte. Comme toujours en matière de cuisine, c’est votre palais qui restera le plus sûr des juges !</p>
<h2>Passons en cuisine</h2>
<p>Pour conclure ce bref voyage au pays de l’huile d’olive, voici quelques conseils de préparation originaux extraits de l’ouvrage <a href="https://www.dunod.com/sciences-techniques/extra-vierge-huile-d-olive-histoire-d-hommes-recettes-grands-chefs"><em>Extra vierge. L’Huile d’olive, Histoire d’Hommes & Recettes de Grands Chefs</em></a>, publié aux éditions Dunod.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/282305/original/file-20190702-126376-jzpny9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282305/original/file-20190702-126376-jzpny9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282305/original/file-20190702-126376-jzpny9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=709&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282305/original/file-20190702-126376-jzpny9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=709&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282305/original/file-20190702-126376-jzpny9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=709&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282305/original/file-20190702-126376-jzpny9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=891&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282305/original/file-20190702-126376-jzpny9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=891&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282305/original/file-20190702-126376-jzpny9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=891&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"><em>Extra vierge. L’Huile d’olive, Histoire d’Hommes & Recettes de Grands Chefs</em>.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>« […] Bien que l’huile d’olive soit le plus souvent pensée comme assaisonnement ou auxiliaire de cuisson, il peut être intéressant de chercher à la valoriser dans des préparations un peu plus élaborées, dans lesquelles elle pourra éventuellement constituer l’élément mis en avant, passant ainsi d’une cuisine “ à ” l’huile d’olive à une cuisine “ de ” l’huile d’olive. Les sources d’inspiration ne manquent pas, qu’elles viennent de recettes dans lesquelles on substitue simplement le corps gras traditionnellement employé par de l’huile d’olive, ou que l’on aille chercher du côté de la cuisine moléculaire et de sa quête de nouvelles textures en cuisine.</p>
<p>Concernant le type d’huile, on préférera généralement les huiles de début de saison, plus vertes, pour les assaisonnements, et celles de fin de saison, plus douces et sans amertume, pour les cuissons. Ces usages restant cependant subjectifs, nous nous garderons bien ici de toute directive systématique et donnons seulement quelques pistes “ générales ” d’utilisation de l’huile d’olive en cuisine ; laissons à la charge du cuisinier le choix, selon le cas, de l’huile qui lui convient, et, surtout, l’expérimentation au gré de sa fantaisie !</p>
<p>L’huile en poudre, c’est possible : pour un sable craquant et glacé, verser l’huile dans de l’azote liquide, attendre quelques secondes puis passer le tout à travers un chinois et servir sans attendre. Pour un sable plus fondant et tempéré, fouetter l’huile avec un peu de maltodextrine, tamiser et servir.</p>
<p>Pour de l’huile crémeuse, monter tout simplement, à la façon d’une mayonnaise, une émulsion avec un jaune ou un blanc d’œuf. Pour une crème légèrement gélifiée, on pourra aussi monter l’émulsion avec de la gélatine dissoute dans un peu d’eau.</p>
<p>Et pour une huile mousseuse ? Ce ne sont pas les solutions qui manquent. Pour une écume, faire chauffer un mélange d’huile et de liquide aqueux (bouillon, jus de fruit ou légume), ajouter de la lécithine de soja (environ 1 %), faire mousser à l’aide d’un mixeur plongeant, récupérer l’écume en surface et servir sans attendre. Pour une mousse plus dense, procéder comme pour une chantilly : fouetter à froid (ou siphonner) de la crème liquide entière additionnée d’huile. Pour une mousse dense et chaude, mélanger 2/5 de blanc d’œuf à 2/5 de crème et 1/5 d’huile d’olive, verser dans un siphon, charger une cartouche, secouer, placer au bain-marie à 65-70 °C pendant au moins 30 minutes et servir.</p>
<p>Enfin, en dessert, outre la fameuse pompe à huile provençale, le pâtissier ne manquera pas de tester ses recettes favorites (gâteaux, glaces, soufflés, nougats, etc.) avec de l’huile d’olive comme matière grasse principale. »</p>
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<p><em>Retrouvez Christophe Lavelle dans le podcast du Muséum national d’histoire naturelle <a href="https://www.mnhn.fr/fr/explorez/podcasts/pour-que-nature-vive">« Pour que nature vive »</a>, avec l’épisode <a href="https://www.mnhn.fr/fr/explorez/podcasts/que-nature-vive/cuisiner-nature">« Cuisiner la nature »</a>.</em></p>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/119736/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Lavelle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>
L’huile d’olive jouit d’une excellente réputation. À raison, car même si les chercheurs planchent encore pour comprendre le rôle précis de ses nombreux constituants, ses vertus sont bien réelles.
Christophe Lavelle, Chercheur en biophysique moléculaire, épigénétique et alimentation, CNRS UMR 7196, Inserm U1154, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.
tag:theconversation.com,2011:article/119611
2019-06-30T20:17:37Z
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Étiquetage des aliments : pour être efficace le Nutri-score doit devenir obligatoire
<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/282018/original/file-20190701-105172-1ajbhms.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C14%2C4937%2C3276&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un nombre croissant de consommateurs cherche des informations nutritionnelles fiables sur les produits qu’ils achètent, via des applis dédiées.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/man-shopping-supermarket-reading-product-informationusing-534141925?src=NB3HIUjvE580UE4ymebwiQ-1-2&studio=1">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Contre toute attente, Nestlé a annoncé <a href="https://www.nestle.ch/fr/media/pressreleases/nestlesoutientlenutriscoreeneuropecontinentale">mercredi 26 juin</a> son intention d’apposer le logo Nutri-score (qui vise à informer de façon claire les consommateurs sur la qualité nutritionnelle des aliments) sur l’ensemble de ses produits commercialisés en Europe.</p>
<p>Le groupe suisse s’était pourtant rapproché en 2017 de Coca-Cola, PepsiCo, Mars, Mondelez et Unilever pour former le groupe des « Big 6 ». Cette alliance d’industriels de l’agro-alimentaire ambitionnait d’imposer un système de notation alternatif (« Evolved Nutrition Label ») pour contrer le <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/12/05/nutrition-la-guerre-de-l-etiquetage-continue_5224697_1650684.html">déploiement du Nutri-score</a>.</p>
<p>Cette adhésion de Nestlé confirme que le Nutri-score continue à marquer des points. Il a notamment été adopté officiellement par plusieurs pays européens, et bénéficie de l’engagement de nombreux groupes agro-alimentaires. Ceux-ci ont été convaincus par le dossier scientifique ayant démontré l’intérêt de ce logo, qui peut aussi se targuer du soutien des associations de consommateurs <a href="https://www.beuc.eu/publications/beuc-x-2019-033_front-of-pack_nutritional_labelling.pdf">dans toute l’Europe</a>. </p>
<p>Cependant, sa limite majeure est qu’il n’est toujours pas obligatoire. Les industriels peuvent donc encore choisir d’apposer leur propre système, au détriment des consommateurs.</p>
<h2>Le Nutri-score, c’est quoi ?</h2>
<p>Le Nutri-score a été conçu par l’équipe de recherche en épidémiologie nutritionnelle (<a href="https://eren.univ-paris13.fr/index.php/fr/">EREN</a>), une équipe de chercheurs académiques indépendants travaillant pour l’Inserm, l’Inra, le CNAM et l’Université Paris 13.</p>
<p>Destiné à être apposé sur la face avant des emballages des aliments, il a pour objectif premier d’informer les consommateurs sur la qualité nutritionnelle globale des aliments. Il s’agit de les aider à comparer facilement les produits entre eux, afin d’orienter leurs choix vers les aliments les plus favorables à la santé. Le deuxième objectif du Nutri-score est de pousser les fabricants à améliorer la qualité nutritionnelle de leurs aliments, grâce à des reformulations des produits existants, ou des innovations.</p>
<p>L’algorithme sous-tendant le Nutri-score attribue à chaque produit alimentaire un score unique, en fonction de sa composition nutritionnelle en éléments négatifs (calories, sucres simples, acides gras saturés et sodium) et positifs (fibres, pourcentage de fruits et légumes et protéines). Ce score permet ensuite de classer l’aliment en question dans l’une des 5 classes de qualité nutritionnelle définie par les chercheurs.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/281829/original/file-20190628-94688-1uaihhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/281829/original/file-20190628-94688-1uaihhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/281829/original/file-20190628-94688-1uaihhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=56&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/281829/original/file-20190628-94688-1uaihhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=56&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/281829/original/file-20190628-94688-1uaihhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=56&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/281829/original/file-20190628-94688-1uaihhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=71&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/281829/original/file-20190628-94688-1uaihhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=71&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/281829/original/file-20190628-94688-1uaihhj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=71&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les cinq classes du Nutri-score sont facilement identifiables.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ces classes sont identifiées grâce à un logo facilement compréhensible. Celui-ci associe une lettre (de A à E) et une couleur (du vert – associé à la lettre A, les aliments qui ont la meilleure qualité nutritionnelle – à l’orange foncé/rouge – associé à la lettre E, les aliments dont la qualité nutritionnelle est la moins bonne).</p>
<h2>Pourquoi une telle opposition au Nutri-score ?</h2>
<p>Après une bataille de plusieurs années, le Nutri-score a fini par être adopté officiellement par la France en octobre 2017, et plus récemment par plusieurs autres pays européens dont la Belgique et l’Espagne. Cependant son apposition dépend totalement de la bonne volonté des industriels qui peuvent refuser de l’afficher sur leurs produits.</p>
<p>En effet, dans l’Union européenne l’information des consommateurs est régie par le réglement INCO. Celui-ci a rendu obligatoire un étiquetage qui se matérialise sous forme d’un tableau des valeurs nutritionnelles au dos des emballages. Mais des études ont montré qu’il était peu utilisé par les consommateurs, compte tenu de la complexité de sa présentation et des difficultés liées à son interprétation. Or, l’INCO interdit aux États européens de rendre obligatoire un système d’information nutritionnel complémentaire sur la face avant des emballages.</p>
<p>À ce jour, 116 entreprises (industriels et distributeurs) ont <a href="https://www.santepubliquefrance.fr/Sante-publique-France/Nutri-Score">accepté de jouer le jeu dans notre pays</a>, soit environ 20 à 25 % du marché alimentaire français. Mais les 10 plus grandes multinationales ne sont toujours pas prêtes à rejoindre ce mouvement positif utile aux consommateurs. Or selon l’ONG Oxfam, les 10 plus grandes multinationales de l’agro-alimentaire détiennent près de 500 marques différentes, ce qui constitue une très grande partie de l’offre alimentaire mise à la disposition des consommateurs. Parmi ces <a href="https://fr.express.live/ces-10-entreprises-dominent-le-secteur-de-lalimentation/">10 multinationales</a>, 8 refusent d’afficher le Nutri-score (seules Danone et Nestlé ont accepté).</p>
<p>D’autres sociétés industrielles (en dehors du Top 10 mais produisant des produits très largement répandus sur les rayons des supermarchés) sont également toujours réticentes à afficher le Nutri-score. Il s’agit donc d’une perte de chance pour les consommateurs qui n’ont pas accès à une information synthétique, simple et intuitive.</p>
<p>Ce n’est peut-être pas sans arrière-pensée que certaines grandes multinationales refusent le Nutri-score. Le portefeuille d’aliments de ces sociétés contient des produits particulièrement sucrés, gras ou salés, donc classés plutôt en D ou E sur l’échelle du Nutri-score : boissons sucrées, barres chocolatées, confiseries, biscuits sucrés, céréales du petit-déjeuner, glaces, biscuits apéritifs…</p>
<p>Ainsi, 100 % des aliments des firmes Mars ou Ferrero sont classés en D ou E, tout comme 86 % des produits de Mondelez, 55 % pour Nestlé, 54 % pour Coca-Cola, 52 % pour Unilever, 50 % pour Kellogg’s et 46 % pour PepsiCo…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/logo-nutritionnel-pourquoi-certains-industriels-font-de-la-resistance-87424">Logo nutritionnel : pourquoi certains industriels font de la résistance</a>
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<h2>Des logos alternatifs à l’avantage des lobbies</h2>
<p>Outre le lobbying politique « classique », les méthodes utilisées par les multinationales pour bloquer l’adoption généralisée du Nutri-score passent par la proposition de logos alternatifs qui, sans grande suprise, avantagent leurs produits.</p>
<p>L’histoire du logo <em>Evolved Nutrition Label</em> (suspendu depuis 2018) est emblématique de cette stratégie. Dérivé des systèmes de feux tricolores anglais, il s’agissait d’un code couleur basé sur les teneurs en nutriment, en gras, en sucre ou en sel. Problème : contrairement au Nutri-score, ce logo présentait les teneurs par « portion » et non pour 100 g. Or la taille de ces « portions » à consommer étaient elles-mêmes déterminées par les industriels, et souvent inférieures aux portions réellement consommées.</p>
<p>L’intérêt de ce logo, pour les industriels qui le soutenaient, était de faire « pâlir » les couleurs. Un aliment rouge pour le Nutri-score devenait orange avec cette signalisation… Et ainsi pouvait induire les consommateurs en erreur sur la composition nutritionnelle réelle des produits. Dénoncé par la communauté scientifique et les associations de consommateurs, l’ENL a été abandonné par Mars et Nestlé et « suspendu » en 2018 par les 4 autres initiateurs (qui, en dehors de Nestlé, n’ont pas pour autant adhéré à Nutri-score…).</p>
<p>D’autres alternatives proposées aujourd’hui paraissent également très peu compréhensibles pour les consommateurs. C’est par exemple le cas des cercles nutritionnels proposé par l’association des industriels allemands BLL, du système des Apports de Référence (GDA ou RI) ou encore du système des batteries proposé par le gouvernement italien.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/281831/original/file-20190628-94684-g3dl0v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/281831/original/file-20190628-94684-g3dl0v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/281831/original/file-20190628-94684-g3dl0v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/281831/original/file-20190628-94684-g3dl0v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/281831/original/file-20190628-94684-g3dl0v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/281831/original/file-20190628-94684-g3dl0v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/281831/original/file-20190628-94684-g3dl0v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/281831/original/file-20190628-94684-g3dl0v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les « alternatives » proposées par les industriels ne sont pas aussi intuitives que le Nutri-score, et ne s’appuient pas sur des résultats scientifiques aussi solides.</span>
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<p>Le système italien semble d’ailleurs particulièrement contre-intuitif, représentant la teneur en nutriments au travers de l’icône traditionnellement utilisée pour surveiller la charge d’un téléphone ou d’un appareil électrique, mais curieusement utilisée dans le logo italien en sens inverse (plus la batterie est « déchargée », meilleure est la qualité nutritionnelle de l’aliment !).</p>
<p>Surtout, outre sa lisibilité, l’intérêt du Nutri-score sur ces diverses propositions est qu’il s’appuie sur un dossier scientifique très complet. Plus de 35 travaux publiés dans des revues scientifiques internationales ont permis de valider son mode de calcul et son format, et de démontrer ainsi son efficacité et sa supériorité par rapport aux autres logos existants, notamment ceux proposés par les groupes de pression.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/etiquetage-nutritionnel-la-guerre-du-parmesan-et-du-prosciutto-116905">Étiquetage nutritionnel : « La guerre du parmesan et du prosciutto »</a>
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<h2>Les consommateurs et les associations s’emparent de la question</h2>
<p>Entre 2005 et 2011, les lobbies de l’industrie ont dépensé <a href="https://journals.openedition.org/lectures/12036">1 milliard d’euros pour empêcher la mise en place d’un logo</a> en face avant des emballages à l’échelle européenne (chiffre jamais démenti par l’industrie agro-alimentaire qui est à rapprocher des quelque 985 milliards d’euros brassés par ce secteur)</p>
<p>Mais cette réticence pourrait s’avérer un mauvais calcul à terme. En effet, certains consommateurs sont de plus en plus demandeurs d’une transparence importante sur la qualité nutritionnelle des aliments, comme en témoigne le succès des applications mobiles proposant ce type d’information (même pour les marques qui n’affichent pas le Nutri-score). Nestlé d’ailleurs ne cache pas avoir changé son fusil d’épaule <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/06/26/nestle-adopte-le-nutri-score-en-europe-continentale_5481565_3234.html">pour cette raison</a>.</p>
<p>En outre, afin de pousser la Commission européenne à réviser le règlement INCO et tenter de rendre obligatoire (et exclusive à tout autre logo) l’utilisation du Nutri-score, 7 associations de consommateurs ont récemment lancé une <a href="http://www.pronutriscore.org">initiative citoyenne européenne</a>.</p>
<p>Effective depuis 2012, cette procédure donne un droit d’initiative politique à un rassemblement d’au moins un million de citoyens de l’Union européenne, venant d’au moins un quart des pays membres. La Commission européenne peut par ce biais être amenée à rédiger de nouvelles propositions d’actes juridiques sur la base des demandes des citoyens.</p>
<p>Difficile pour les chercheurs en nutrition et santé publique de ne pas <a href="https://nutriscore.blog/2019/06/12/pour-que-le-nutri-score-soit-efficace-il-faut-quil-soit-affiche-sur-tous-les-aliments-afin-de-contraindre-tous-les-industriels-a-lafficher-les-consommateurs-peuvent-faire-pressio/">soutenir cette initiative</a> des associations de consommateurs, compte tenu des grands enjeux de santé publique liés à l’alimentation. Et notamment son rôle majeur reconnu dans le risque (ou la protection) vis-à-vis de maladies chroniques telles que les maladies cardio-vasculaires, certains cancers, l’obésité ou le diabète, pour ne citer qu’elles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/119611/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>
Les géants de l’agro-alimentaire sont en lutte contre le Nutri-score. Si la défection récente de Nestlé est un coup dur pour elles, seule une révision de la loi protégerait vraiment les consommateurs.
Serge Hercberg, Professeur Emérite de Nutrition Université Sorbonne Paris Nord (Paris 13) - Praticien Hospitalier Département de Santé Publique, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord
Chantal Julia, Maitre de Conférence Université Paris 13, Praticien Hospitalier, Hôpital Avicenne (AP-HP), Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord
Manon Egnell, Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord
Mathilde Touvier, Directrice de l'Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord, Inserm
Pilar Galan, Médecin nutritionniste, Directrice de Recherche INRAe, Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle, U1153 Inserm,Inra,Cnam, Université Sorbonne Paris Nord
Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.