tag:theconversation.com,2011:/au/topics/pakistan-21075/articlesPakistan – The Conversation2024-02-19T16:10:39Ztag:theconversation.com,2011:article/2236682024-02-19T16:10:39Z2024-02-19T16:10:39ZPakistan : la résistance imprévue d’Imran Khan<p>Les élections pakistanaises du 8 février 2024 ne devaient être qu’une formalité. Rentré d’exil trois mois plus tôt, l’ex-premier ministre Nawaz Sharif était réputé bénéficier du soutien de l’armée, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2023/11/GAYER/66283">l’institution la plus puissante du pays</a> et son faiseur de rois.</p>
<p>Fort de cet appui, le patriarche du clan Sharif semblait assuré de former le prochain gouvernement. En reconduisant au pouvoir son parti, la Pakistan Muslim League – Nawaz (PML–N), le scrutin devait conférer une onction démocratique à ce scénario négocié en coulisses depuis plusieurs mois. Les électeurs ne l’ont pas entendu de cette oreille, au grand dam des militaires et de la PML-N.</p>
<h2>Une élection jouée d’avance ?</h2>
<p>L’issue du scrutin faisait d’autant moins de doute que le principal parti d’opposition, le Pakistan Tehrik-e-Insaf (PTI), apparaissait affaibli par l’incarcération de ses principaux leaders, à commencer par le plus populaire d’entre eux, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/07/au-pakistan-imran-khan-tenu-a-l-ecart-des-elections-legislatives_6215265_3210.html">Imran Khan</a>, condamné en janvier et février 2024 à trois lourdes peines de prison, l’une de dix ans pour diffusion de secrets d’État, une autre de 14 ans pour corruption et la dernière de sept ans pour mariage illégal.</p>
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<p>Renversé par une motion de censure en avril 2022, l’ancien champion de cricket reconverti en politique s’était au cours des mois suivants engagé dans un conflit frontal avec l’armée, qu’il tenait responsable de son éviction.</p>
<p>En mai 2023, une première tentative d’arrestation du leader du PTI avait <a href="https://theconversation.com/pakistan-le-spectre-de-lembrasement-205902">précipité ses partisans dans les rues des grandes villes</a> et provoqué des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre – y compris des attaques contre des bâtiments militaires. Ces violences avaient servi à justifier une répression féroce contre le parti, dont les leaders refusant de tourner casaque avaient fini derrière les barreaux.</p>
<p>Comme si l’incarcération des principales figures du PTI n’y suffisait pas, la Commission électorale a dans la foulée invoqué des irrégularités dans les élections internes du parti pour priver ses candidats de leur symbole électoral (la batte, en référence au <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-india-19844270">passé sportif d’Imran Khan</a>). Validée par la Cour suprême, cette décision a contraint les candidats du PTI à se présenter comme indépendants, en rendant plus difficile leur identification par les électeurs.</p>
<p>La cause semblait donc entendue : le PTI prenait l’eau et tant ses derniers dirigeants en liberté que ses électeurs désorientés ne tarderaient pas à quitter le navire. Ce scénario bien huilé s’est pourtant heurté à une réalité que la PML-N et ses puissants protecteurs s’obstinaient à ignorer : le PTI reste le parti le plus populaire du pays.</p>
<h2>La popularité intacte d’Imran Khan</h2>
<p>Pour ses supporters, Imran Khan demeure le « kaptan » : le « capitaine », qui en 1992 a mené l’équipe pakistanaise de cricket à sa première – et à ce jour unique – victoire à la Coupe du monde. Pour un pays en butte à des crises politiques et économiques sans fin, ce fait d’armes reste une source de fierté et de réconfort, témoignant du potentiel de la nation pakistanaise dès lors qu’elle trouve leader à sa mesure.</p>
<p><em>Born-again Muslim</em> ayant renoncé à ses frasques d’antan pour se projeter en musulman rigoriste, Imran Khan a aussi séduit la frange la plus conservatrice de l’électorat par <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/07/les-metamorphoses-d-imran-khan-l-ancien-premier-ministre-du-pakistan_6176496_3210.html">ses postures islamo-nationalistes</a>. Outsider longtemps resté en marge du jeu politique, il a en outre fait de la lutte contre la corruption un thème rassembleur, promettant de débarrasser le pays de ses élites vénales. Ajoutée à son usage intense des réseaux sociaux, cette promesse d’un grand nettoyage lui a valu des soutiens bien au-delà des franges les plus conservatrices de la population, notamment <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2024/02/14/pakistan-election-imran-khan-youth/">chez les jeunes</a> – un atout considérable, dans un pays où 64 % de la population a moins de 30 ans.</p>
<p>Loin d’entamer le capital de sympathie du parti et de son chef emprisonné, la répression des derniers mois semble plutôt l’avoir renforcé. Dans les heures qui ont suivi la fermeture des bureaux de vote, les <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20240209-%C3%A9lections-au-pakistan-les-candidats-pro-imran-khan-en-t%C3%AAte-deux-morts-dans-des-violences">premières estimations</a> laissaient ainsi entrevoir une nette victoire du PTI, arrivant en tête dans une centaine de circonscriptions (sur 266 au total). À l’inverse, la PML-N payait le prix de son alliance avec l’armée, au point que de nombreux ténors du parti se trouvaient en mauvaise posture. Contre toute attente, la volonté populaire semblait prévaloir.</p>
<h2>Nouvelle intervention décisive de l’armée dans le processus politique</h2>
<p>La réaction ne s’est pas fait attendre. Comme à l’issue du scrutin précédent, l’annonce des résultats a été suspendue durant plusieurs heures, ce qui n’a pas manqué d’attiser les rumeurs de fraudes électorales.</p>
<p>En 2018, le rapport de force politique était pourtant inverse : tandis qu’Imran Khan bénéficiait du soutien de l’armée, Nawaz Sharif était <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/24/l-ex-premier-ministre-nawaz-sharif-a-nouveau-condamne-pour-corruption-au-pakistan_5401881_3210.html">condamné à de lourdes peines d’emprisonnement</a> pour corruption.</p>
<p>Versatile dans ses alliances, l’armée n’en est pas moins constante dans ses velléités de contrôle du jeu politique. Ainsi, quand les résultats définitifs ont commencé à tomber, dans la matinée du 9 février, le PTI s’est vu privé de victoire dans plusieurs circonscriptions où il arrivait en tête quelques heures plus tôt, <a href="https://www.dawn.com/news/1812970">notamment au Pendjab</a> – la province la plus peuplée et la plus prospère du pays, dont le contrôle est essentiel pour les aspirants au pouvoir au niveau national. Et tandis que la direction du PTI revendiquait la victoire dans plus de 150 circonscriptions, les candidats du parti n’ont finalement remporté que 93 sièges.</p>
<p>Ce score est nettement supérieur à celui de la PML-N et du Pakistan People’s Party (PPP), l’autre poids lourd de la vie politique nationale. Ces deux partis aux mains de dynasties indétrônables (les Sharif dans le cas de la PML-N et les Bhutto-Zardari pour le PPP) n’ont respectivement remporté que 75 et 54 sièges.</p>
<p>Si les élus du PTI constituent le groupe le plus important au sein de la nouvelle assemblée, leur affiliation partisane n’a pourtant pas été reconnue et ils n’ont donc pu prétendre aux 70 sièges réservés aux femmes et aux minorités, qui sont allés à leurs rivaux. Dans ces conditions, le PTI semble avoir renoncé à former le gouvernement.</p>
<p>C’est donc la PML-N qui devrait diriger à nouveau le Pakistan, en coalition avec le PPP, le Muttahida Qaumi Movement (MQM, un parti représentant la population ourdophone de Karachi) et une poignée de plus petits partis. D’emblée, des désaccords sont cependant apparus entre la PML-N et le PPP, qui refuse de participer au gouvernement et brigue plutôt la présidence de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat – des positions qui permettraient au PPP d’influer sur le jeu politique sans se compromettre ouvertement avec un gouvernement promis à l’impopularité.</p>
<p>Le retour au pouvoir de la PML-N, aussi discréditée soit-elle, semblait acté depuis que l’armée avait réaffirmé son soutien au statu quo. Dans sa première allocution post-électorale, le général Asim Munir, chef de l’armée de terre et bête noire d’Imran Khan, a ainsi <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-68260932">déclaré</a> que le Pakistan avait besoin « de stabilité et d’apaisement », pour mettre un terme à « la politique de l’anarchie et de la polarisation ». Cette allusion à peine voilée aux émeutes de mai 2023 adressait un message clair aux citoyens autant qu’aux responsables politiques : en dernier ressort, c’est à l’armée qu’il revient de désigner les personnes les plus aptes à diriger le pays.</p>
<h2>La victoire à la Pyrrhus de l’armée et du clan Sharif</h2>
<p>Pour l’armée et la PML-N, il s’agit d’une victoire à la Pyrrhus. L’institution militaire et le parti des Sharif sortent tous deux affaiblis du scrutin, privés de l’onction de légitimité qu’ils attendaient pour redorer leur blason.</p>
<p>Rarement le mythe de la neutralité de l’armée a-t-il été autant pris en défaut et les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont tous <a href="https://www.dawn.com/news/1813046">demandé une enquête</a> sur les accusations de fraudes. Fait rarissime, le secrétaire général des Nations unies a quant à lui <a href="https://www.reuters.com/world/asia-pacific/un-chief-concerned-by-violence-communication-restriction-pakistan-election-day-2024-02-08/">appelé les autorités pakistanaises</a> à résoudre les litiges post-électoraux « conformément au cadre légal ».</p>
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<p>Nawaz Sharif, de son côté, a été réélu dans sa circonscription de Lahore, mais il a essuyé une défaite cuisante dans une autre circonscription (celle de Mansehra, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa). Peut-être après qu’on lui en eut soufflé l’idée, il a fini par renoncer à se présenter comme premier ministre, en s’effaçant au profit de son frère cadet, <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/pakistan/qui-est-shehbaz-sharif-le-multimillionnaire-devenu-premier-ministre-du-pakistan-4fcc937e-b9a2-11ec-857e-054a15b86122">Shahbaz Sharif</a>. En outre, la PML-N et le PPP apparaissent plus que jamais comme des partis régionaux, sinon ethniques. Tandis que la PML-N a remporté l’essentiel de ses sièges au Pendjab, la géographie des soutiens au PPP reste quant à elle cantonnée à la province du Sindh.</p>
<h2>Et maintenant ?</h2>
<p>Même si le PTI n’a remporté aucun siège dans le Sindh, il a consolidé sa stature de parti national et a confirmé l’ampleur de ses soutiens, qui transcendent largement les barrières de classe, de genre et d’ethnicité.</p>
<p>L’hostilité de l’armée lui barre pourtant l’accès au pouvoir. Ce blocage risque d’ajouter au discrédit des partis dominants, prêts à toutes les compromissions pour se maintenir au pouvoir. Le <a href="https://www.aa.com.tr/en/asia-pacific/watchdog-says-voter-turnout-in-pakistan-elections-around-47-/3133243">faible taux de participation</a> à ces élections (47 %, le plus bas depuis 2008) est révélateur de cette crise de confiance, qui pourrait encore s’approfondir.</p>
<p>En entravant de manière flagrante le processus démocratique, l’armée a montré les limites de sa stratégie d’influence à distance, ce qui pourrait la contraindre à s’impliquer de plus en plus ouvertement dans le jeu politique. La déclaration post-électorale du général Munir offre un aperçu des relations à venir entre civils et militaires : face à une armée assumant son interventionnisme, la marge de manœuvre du nouveau gouvernement sera extrêmement étroite.</p>
<p>Le PTI, de son côté, n’a sans doute pas dit son dernier mot. Convaincu de s’être vu <a href="https://www.aa.com.tr/en/asia-pacific/pakistan-jailed-imran-khan-warns-against-any-new-government-formed-with-stolen-votes-/3136653">voler la victoire</a>, il pourrait être tenté de relancer la stratégie d’agitation qui l’avait déjà opposé à Nawaz Sharif (en 2014) et à son frère Shahbaz Sharif (en 2022). Privé de sa direction et à la merci de la répression, le parti d’Imran Khan semble pourtant en mauvaise posture pour engager une épreuve de force. C’est sans doute devant les tribunaux que se jouera la prochaine manche. L’actuel Chief Justice, Qazi Faez Isa, en poste jusqu’en octobre 2024, est connu pour son hostilité à l’égard du PTI, et il s’opposera certainement à la tenue de nouvelles élections, autant qu’à la libération d’Imran Khan. Mais la haute magistrature est divisée et le PTI compte aussi de nombreux soutiens en son sein. Les juges risquent donc, à leur tour, d’être entraînés dans la mêlée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223668/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Gayer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis sa prison, Imran Khan a vu son parti arriver en tête aux législatives. L’armée a manœuvré pour que le pouvoir sortant reste en place, mais le mécontentement populaire est patent.Laurent Gayer, Directeur de recherche CNRS au CERI-Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2143162023-09-26T16:45:06Z2023-09-26T16:45:06ZAssassinat, indépendantisme sikh, terrorisme… Voici pourquoi la relation entre l’Inde et le Canada est sous tension<p>La déclaration du premier ministre canadien, Justin Trudeau, à la Chambre des communes, le 18 septembre dernier, en a surpris plusieurs, tant au pays que sur la scène internationale : le Service de renseignement de sécurité du Canada (SCRS) soupçonne que des <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2011272/justin-trudeau-inde-assassinat-sikh">agents du gouvernement indien soient derrière le meurtre du citoyen canadien d’origine indienne et pendjabi, Hardeep Singh Nijjar</a>, le 18 juin à Surrey, en Colombie-Britannique. </p>
<p>Depuis la déclaration de Justin Trudeau, les médias indiens ne cessent de présenter le Canada (et son premier ministre) comme un pays offrant refuge au terrorisme khalistani.</p>
<p>Cette crise binationale a de multiples répercussions, tant <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/09/22/le-canada-s-enfonce-dans-la-crise-diplomatique-avec-l-inde-au-risque-de-s-isoler-sur-la-scene-internationale_6190408_3210.html">diplomatiques</a> qu’<a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2012491/impact-tensions-canada-inde-inquietudes-investisseurs">économiques</a> et <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2012739/canada-inde-torontois">sociales</a>. Ses enjeux dépassent cette accusation d’assassinat commandité. Pour mieux comprendre les forces en présence, je vous propose, comme directeur du Centre d’études et de recherches sur l’Inde, l’Asie du Sud et sa diaspora à l’UQAM, un petit retour dans l’histoire récente du sous-continent indien et ses répercussions au Canada. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-crise-agricole-en-inde-provoque-un-imbroglio-politique-avec-le-canada-152596">La crise agricole en Inde provoque un imbroglio politique avec le Canada</a>
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<h2>Le Khalistan rêvé</h2>
<p>La décolonisation du sous-continent indien en 1947 a permis la création de deux nouveaux états-nations : l’Inde et le Pakistan. Cette partition a conduit à l’une des plus massive et tragique migrations humaines de l’histoire contemporaine, avec 10 millions de personnes déplacées et près d’un million de victimes. </p>
<p>Le Pendjab, grenier à blé de l’Asie du Sud, a été divisé entre le Pakistan (musulman) et l’Inde (majoritairement hindoue). Cette partition a laissé un goût amer aux Pendjabis, majoritairement d’allégeance sikhe — le sikhisme est cette nouvelle religion, instaurée au XVI<sup>e</sup> siècle et combinant plusieurs éléments de l’hindouisme et de l’islam. C’est ainsi qu’est né un mouvement de revendication pour la création d’un pays indépendant, niché au Pendjab, entre l’Inde et le Pakistan : le Khalistan.</p>
<p>Dans les années 1980, les conflits entre l’armée indienne et différentes factions militantes pour la création du Khalistan se sont accrus. En 1984, Indira Gandhi, première ministre de l’Inde à l’époque, a donné le feu vert à l’armée indienne pour envahir le Temple d’Or à Amritsar, lieu central de la foi sikhe. La communauté, en Inde et de par le monde, en a été profondément choquée. Dans les semaines qui ont suivi, Indira Gandhi a été assassinée par ses deux gardes du corps — sikhs — et un pogrom anti-sikh s’en est suivi dans l’ensemble de l’Inde : 3 000 d’entre eux ont été brutalement assassinés à Delhi, et entre 8 000 et 20 000 autres dans l’ensemble du pays. </p>
<p>Depuis, le désir de la création d’un état khalistani indépendant demeure présent chez la grande majorité de sikhs/Pendjabis, que ceux-ci vivent en Inde ou à l’étranger. Il importe cependant de noter que, comme dans toute communauté, des divisions importantes sont présentes au sein de leur communauté : alors que la majorité soutient le mouvement khalistani, elle rejette la violence pour l’atteinte de leur objectif.</p>
<h2>Une relation fragile et tendue</h2>
<p>Les premiers Indiens qui arrivent au Canada (une ancienne colonie britannique) sont d’allégeance sikhe, de langue pendjabi, et près de 5 000 d’entre eux s’installent en Colombie-Britannique au tout début du XX<sup>e</sup> siècle. Mais ce n’est qu’après 1971 que s’entame une immigration continue depuis l’Inde, et encore plus dans les années 80, alors que les tensions communautaires entre sikhs et hindous sont fortes en Inde. Plusieurs sikhs pendjabis sont alors accueillis par le Canada en tant que réfugiés politiques. </p>
<p>Forte de 771 790 membres lors du dernier recensement en 2021, la communauté sikhe canadienne est la plus grande hors de l’Inde. Le Canada compte 828 195 citoyens d’allégeance hindoue, portant ainsi le ratio sikh/hindou à prêt de 50/50, alors qu’en Inde, les sikhs ne représentent qu’à peine 3 % de la population.</p>
<p>Bien que l’Inde soit centrale à la <a href="https://www.international.gc.ca/campaign-campagne/indo-pacific-pacifique/index.aspx?lang=fra#:%7E:text=La%20strat%C3%A9gie%20pour%20l%27Indo,pays%20et%20%C3%A0%20l%27%C3%A9tranger.">Stratégie du Canada pour l’Indo-Pacifique</a> adoptée en 2022, les relations bilatérales entre les deux pays battent de l’aile depuis plusieurs années. </p>
<p>D’une part, il faut rappeler <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Vol_Air_India_182">l’explosion du vol Air India 182</a> en partance de Toronto vers New Delhi en 1985 : cet attentat à la bombe est la pire attaque terroriste dans l’histoire du Canada et, avant le 11 septembre 2001, dans l’histoire de l’aviation civile internationale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lattentat-terroriste-le-plus-meurtrier-au-canada-a-tue-82-enfants-qui-se-souvient-deux-119211">L'attentat terroriste le plus meurtrier au Canada a tué 82 enfants... Qui se souvient d'eux?</a>
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<p>L’implication directe du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Babbar_Khalsa">Babbar Khalsa</a>, un groupe extrémiste sikh basé en Colombie-Britannique, a été confirmée. Le groupe a été classé comme organisation terroriste par le Canada dans les mois qui ont suivi. Un des inculpés a été reconnu coupable d’homicide involontaire, et un autre individu, suspecté d’être l’une des têtes dirigeantes du complot, a été tué par les autorités policières indiennes le 14 octobre 1992, en Inde. </p>
<p>L’Inde reproche toujours au Canada de ne pas avoir mené à fond l’enquête et le processus judiciaire dans cette affaire. </p>
<p>D’autre part, soulignons que les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pokhran-II#:%7E:text=Pokharan%2DII%20est%20le%20nom,%C3%A9t%C3%A9%20men%C3%A9e%20en%20mai%201974.">cinq essais nucléaires indiens en 1998 (Pokharan II)</a> ont été possibles grâce à l’utilisation d’uranium canadien mis à la disposition de l’Inde pour utilisation uniquement civile. Le premier ministre canadien de l’époque, Jean Chrétien, avait lui-même négocié, 22 ans plus tôt en tant que ministre de l’Industrie, cette entente avec l’Inde. </p>
<p>De part et d’autre, la confiance entre les deux pays est fragile.</p>
<h2>Un citoyen d’intérêt</h2>
<p>Le bras de fer qui oppose présentement le Canada et l’Inde repose donc sur le fait que l’Inde aurait orchestré l’assassinat d’Hardeep Singh Nijjar.</p>
<p>Originaire de Jalandhar, au Pendjab, Nijjar a émigré vers le Canada en 1996. Selon le gouvernement indien, il serait membre du Babbar Khalsa international et aurait participé à l’attentat à la bombe de Ludhiana, au Pendjab, en 2007. En 2020, le gouvernement indien ajoute officiellement son nom à sa liste de « terroristes actifs ». </p>
<p>Nijjar a été l’un des organisateurs d’un référendum sur l’indépendance du Khalistan à Brampton, en Ontario, en septembre 2022 — activité tout à fait légale au Canada, mais qui ne serait aucunement tolérée en territoire indien. </p>
<p>En novembre dernier, l’Inde dépose au Canada une demande formelle d’extradition pour Nijjar. Il est assassiné sept mois plus tard. Rappelons ici qu’un processus d’extradition, peu importe le pays, est complexe, exige l’intervention d’Interpol, et prend plusieurs mois, voire des années.</p>
<h2>Un conflit indien… au Canada</h2>
<p>De prime abord, le conflit actuel en est un entre deux nations. Mais si l’on regarde de plus près, on s’aperçoit qu’il s’agit davantage d’un conflit intranational indien qui s’exporte, inévitablement, dans les pays où s’est établie une population d’origine indienne. Mais ce conflit interne évolue dans un contexte canadien, où règne une Charte des droits et libertés qui protège la liberté d’expression. </p>
<p>Au Canada, on peut parler d’indépendance de la Catalogne, de l’Écosse, du Québec et du Khalistan. La liberté d’expression y est garantie, tant qu’elle n’incite pas à la violence. En Inde, cependant, on ne peut parler publiquement d’indépendance (khalistanie, kashmiri ou de certaines provinces du nord-est) sans craindre l’emprisonnement. De plus, le parti actuellement au pouvoir œuvre depuis plus de neuf ans à présenter la majorité hindoue comme étant opprimée par les diverses revendications des minorités religieuses et culturelles. </p>
<p>À cet égard, il est intéressant de noter que lors de la <a href="https://theconversation.com/la-crise-agricole-en-inde-provoque-un-imbroglio-politique-avec-le-canada-152596">grève agricole qui avait immobilisé New Delhi pendant près de neuf mois</a> en 2020-2021, protestation qui a mobilisé les fermiers de l’ensemble de l’Inde et de toute allégeance religieuse, le gouvernement, afin de manipuler l’opinion publique hindoue, affirmait que ces manifestations étaient orchestrées par les mouvements terroristes khalistanis.</p>
<p>Les propos du premier ministre Trudeau, <a href="https://www.lesoleil.com/2020/12/04/trudeau-persiste-et-signe-dans-sa-defense-des-agriculteurs-indiens-8eb3453ca4225a9741fafa93e6857506/">qui affirmait alors que le Canada défendrait toujours le droit de manifester sans violence</a>, avaient été présentés dans les médias indiens comme un support inconditionnel envers les mouvements d’indépendance terroristes khalistanis. </p>
<p><a href="https://www.publicsafety.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/pblc-rprt-trrrsm-thrt-cnd-2018/index-en.aspx">Des mouvements radicaux sikhs sont présents au Canada, tout comme le sont certaines tendances extrémistes hindoues</a>, tel le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rashtriya_Swayamsevak_Sangh">Rashtriya Swayamsevak Sangh</a> (RSS). Il importe de souligner, d’une part, que la <a href="https://www.tsas.ca/wp-content/uploads/2023/03/Jhinjar_KnightREsearchBriefV2.pdf">grande majorité des Canadiens d’allégeance hindous ou sikhe ne sont pas radicaux</a> et, d’autre part, que le <a href="https://www.publicsafety.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/pblc-rprt-trrrsm-thrt-cnd-2018/index-en.aspx">SCRS est fort conscient de la présence de factions plus radicales sur son territoire</a>.</p>
<h2>Cap sur une troisième élection majoritaire</h2>
<p>L’Inde est présentement courtisée par les puissances « occidentales » afin de faire contrepoids à la présence chinoise dans l’Indo-Pacifique. Le Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (Quad), cette alliance stratégique entre les États-Unis, l’Australie, le Japon et l’Inde, en est un bon exemple. Malgré le déclin de la démocratie en Inde, peu de pays osent critiquer son gouvernement. </p>
<p>Cela dit, le Canada ne pouvait passer sous silence l’implication potentielle de l’Inde dans le meurtre de Hardeep Singh Nijjar sur son territoire national. Justin Trudeau aurait discuté de la situation avec son homologue indien lors de la rencontre du G20 en Inde et, une fois de retour au pays, a présenté celle-ci aux citoyens canadiens.</p>
<p>Nous sommes à l’aube des élections fédérales indiennes. En avril et mai 2024, près d’un milliard d’électeurs et d’électrices auront le privilège d’exprimer leur voix. La stratégie électorale du BJP, actuellement au pouvoir, est d’accentuer le clivage entre hindous et les membres des autres minorités religieuses. Il s’agit d’attiser, chez la majorité, le sentiment d’être opprimés au sein de leur propre nation, tout comme le seraient les hindous ailleurs dans le monde. L’Inde vient ainsi de mettre en garde ses citoyens (hindous) sur le territoire canadien <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1918000/avertissement-delhi-crimes-toronto">contre d’éventuels « actes haineux »</a> à leur endroit, lire plutôt des représailles émanant de groupes terroristes khalistanis. </p>
<p>Les médias indiens — contrôlés majoritairement par les conglomérats <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/OXAN-DB276482/full/html">Adani</a> et <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/OXAN-DB272755/full/html">Ambani</a>, tous deux très proches de Narendra Modi — collaborent activement à cette stratégie politique. Il va sans dire que le BJP a tout intérêt à maintenir et construire son discours sur le Canada comme terre d’asile pour les terroristes khalistanis, présentant ainsi un premier ministre indien bombant le torse et défendant les intérêts des <a href="https://academic.oup.com/jaar/article/90/4/805/7205783">« pauvres hindous persécutés », en Inde, comme au Canada</a>. </p>
<p>Pour le BJP, les relations indo-canadiennes pèsent peu comparativement à une élection majoritaire au printemps prochain, menant ainsi à un troisième mandat de cinq ans pendant lequel le BJP et son organisation paramilitaire, le RSS, pourraient installer encore plus profondément leur nationalisme ethnoreligieux (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Hindutva"><em>hindutvā</em></a>).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214316/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Boisvert a reçu des financements du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada, du Gouvernement du Québec (Ministère des relations internationales et de la Francophonie), du Gouvernement du Canada (Affaires Mondiales Canada) et de l'Institut indo-canadien Shastri. </span></em></p>Les relations entre l’Inde et le Canada sont teintées par la présence dans ce pays d’importantes communautés sikhes et hindoues, qui y transposent leurs aspirations, tensions et frustrations.Mathieu Boisvert, Directeur, Centre d'études et de recherches sur l'Inde, l'Asie du Sud et sa diaspora et professeur au Département de sciences des religions, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2059022023-05-22T16:37:40Z2023-05-22T16:37:40ZPakistan : le spectre de l’embrasement<p>Au Pakistan, <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230509-pakistan-l-ex-premier-ministre-imran-khan-arr%C3%AAt%C3%A9-alors-qu-il-comparaissait-devant-un-tribunal">l’arrestation</a>, le 9 mai dernier, de l’ancien premier ministre Imran Khan (août 2018-avril 2022), pour des faits supposés de corruption, a mis le feu aux poudres.</p>
<p>Dans plusieurs villes, de <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230511-au-pakistan-l-arm%C3%A9e-d%C3%A9ploy%C3%A9e-face-aux-manifestants-soutenant-l-ex-premier-ministre-khan">violents affrontements</a> ont mis aux prises les sympathisants de son parti, le Pakistan Tehrik-e-Insaf (Mouvement du Pakistan pour la justice, PTI, de tendance islamo-nationaliste) et les forces de sécurité.</p>
<p>Le 12 mai, l’homme politique a été <a href="https://www.lejdd.fr/international/pakistan-lex-premier-ministre-imran-khan-libere-sous-caution-par-la-cour-supreme-135688">remis en liberté</a> à la suite d’une décision de la Cour suprême, mais <a href="https://news.sky.com/story/imran-khan-pakistans-former-prime-minister-says-police-have-surrounded-his-house-12882936">ses ennuis judiciaires ne sont pas terminés</a>, puisqu’il doit encore comparaître pour les faits qui lui sont reprochés.</p>
<p>Cet épisode de contestation, inédit par son intensité, s’inscrit dans le long bras de fer opposant le PTI à la coalition réunie autour de l’actuel premier ministre Shahbaz Sharif, alors que l’armée, dans ce pays de 230 millions d’habitants, continue de jouer un rôle de premier plan. </p>
<h2>Une déflagration inattendue</h2>
<p>L’ampleur et la virulence des mobilisations semblent avoir pris de court le gouvernement et l’armée, qui pour la première fois a <a href="https://www.nation.com.pk/10-May-2023/ghq-attacked-lahore-corps-commander-house-set-on-fire-by-pti-protesters">directement été prise pour cible par les protestataires</a>. Cet effet de surprise tient notamment à une perception erronée de la base sociale d’Imran Khan : selon un cliché largement répandu chez leurs opposants et dans les cercles gouvernementaux, les soutiens du PTI seraient essentiellement des « activistes du clavier » cantonnant leur engagement aux réseaux sociaux. </p>
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<p>Ces clichés ont été sévèrement démentis par la composition des foules émeutières des derniers jours, au sein desquelles on retrouvait aussi bien des femmes très motivées que des hommes d’affaires et des jeunes de milieu populaire. À cet égard, il faut souligner que 65 % des Pakistanais ont moins de 30 ans et environ 30 % d'entre eux ont entre 15 et 29 ans. Cette génération a grandi dans un monde où la menace djihadiste a perdu son caractère existentiel et où le rôle central de l’armée ne va plus de soi. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1657017808851554309"}"></div></p>
<p>La capacité d’Imran Khan et de son parti à fédérer les colères et à donner un sens et une direction à des sections très différentes de la population a été minimisée par les autorités, tant civiles que militaires.</p>
<p>Ce n’est pourtant pas la première fois que le PTI démontre ses capacités de mobilisation : en 2014, le parti avait organisé une <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2014/08/14/1934318-pakistan-islamabad-prepare-grandes-manifestations-contre-pouvoir.html">« marche de la liberté »</a> qui, quatre mois durant, avait drainé des milliers de personnes de Lahore à Islamabad. </p>
<h2>Une société traversée d’une multitude de clivages sociaux, ethniques et religieux</h2>
<p>Les conflits sociaux qui agitent le Pakistan se mesurent aussi à travers les mouvements antimilitaristes apparus ces dernières années dans les marches tribales du pays, notamment au <a href="https://www.liberation.fr/international/asie-pacifique/pakistan-au-moins-neuf-policiers-tues-dans-un-attentat-suicide-20230306_GFSGKSH4N5EWPJKFN332VD7LCE/">Baloutchistan</a>, et dans les <a href="https://www.diploweb.com/En-Afghanistan-et-au-Pakistan-qui-sont-les-Pachtouns-Un-peuple-sans-pays.html">régions pachtounes</a>, où le Pashtun Tahafuz Movement (Mouvement de protection des Pachtounes – PTM) est parvenu à mobiliser massivement pour dénoncer les exactions commises par les forces de sécurité dans le cadre des opérations antiterroristes, et ce malgré une <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2019/02/pakistan-end-crackdown-on-ptm-and-release-protestors/">féroce répression</a>.</p>
<p>Au cours des dernières années, les groupes nationalistes <a href="https://minorityrights.org/minorities/sindhis-and-mohajirs/">sindhis</a>, plutôt marqués à gauche, ont également refait parler d’eux, notamment en <a href="https://www.samaaenglish.tv/news/40018121">s’attaquant aux intérêts chinois</a>. Mais c’est surtout au Baloutchistan, à la frontière de l’Iran, que le nationalisme ethnique pose le plus grand défi à l’État et à une conception unitaire de la nation qui se suffirait de l’islam comme référent. C’est d’ailleurs dans cette région, interdite aux observateurs étrangers, que l’armée pakistanaise et les milices pro-gouvernementales font preuve de la violence la plus désinhibée. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1341720208541503489"}"></div></p>
<p>À cela s’ajoutent des clivages religieux, opposant sunnites et chiites (autour de 20 % de la population musulmane, qui constitue elle-même 96 % de la population) mais aussi différents courants religieux sunnites, notamment les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/au-pakistan-qui-sont-les-barelwis-islamistes-soufis-mobilises-contre-la-france-1066731">Barelwis</a>, adeptes d’un islam dévotionnel aux influences soufies, et les <a href="https://newlinesmag.com/essays/the-long-shadow-of-deobandism-in-south-asia/">Deobandis</a>, appartenant à un courant réformé qui s’est détaché de l’islam populaire par son rigorisme et son scripturalisme. </p>
<p>Enfin, la société pakistanaise est profondément inégalitaire. Au Pendjab et à Karachi – deux régions historiquement ancrées dans le monde indien –, les hiérarchies de caste restent très prégnantes. En pays pachtoune ou au Baloutchistan, la société reste dominée par des notables ou des chefs tribaux tandis que dans le Sindh rural le pouvoir économique et politique est concentré entre les mains des grands propriétaires terriens. Dans ce contexte de hiérarchies sociales superposées, le thème du « peuple contre l’establishment », dont le PTI s’est emparé, est fortement mobilisateur. </p>
<p>La grande force du PTI est d’être parvenu à surmonter ces clivages structurels en articulant un discours antisystème transcendant les divisions de caste, de classe et d’ethnie, tout en promouvant un islamo-nationalisme qui, s’il apparaît excluant pour les minorités religieuses (hindous, chrétiens, ahmadis), permet de rassembler l’ensemble de la population musulmane. </p>
<p>Tout en rassemblant largement, Imran Khan a cependant <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/may/09/how-imran-khan-became-the-man-who-divided-pakistan">fortement polarisé la société pakistanaise</a>. Il a divisé l’armée, dont une partie des officiers semblent le soutenir, mais aussi les familles, où le PTI et son chef suscitent des opinions fortement contrastées. Ce sont aussi ces divisions qui expliquent la profondeur de la crise actuelle, qui traverse les institutions plutôt qu’elle ne les oppose frontalement.</p>
<h2>Une coalition au pouvoir désunie</h2>
<p>Il n’y a qu’une unité de façade dans la coalition du Pakistan Democratic Movement (PDM) actuellement au pouvoir.</p>
<p>Les dynasties politiques qui se trouvent à la tête du Pakistan Peoples Party (les Bhutto-Zardari) et de la Pakistan Muslim League Nawaz (les Sharif) sont des rivaux historiques, qui n’ont cessé de se disputer le pouvoir depuis la fin du régime militaire de Zia-ul-Haq en 1988.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1515181395039211522"}"></div></p>
<p>Ils partagent cependant un objectif : consolider les institutions démocratiques pour renforcer leur autonomie face au pouvoir militaire, même s’il leur arrive fréquemment de s’incliner devant les coups de force de l’armée, par faiblesse ou par opportunisme. L’objectif du PTI et de son chef est sensiblement différent : il s’agit plutôt pour eux de soumettre l’ensemble des institutions, y compris l’armée, en les contraignant à faire allégeance au leader de la nation.</p>
<p>Imran Khan ne se bat ni pour la démocratie, ni contre l’institution militaire. Il est dans un rapport de force très personnalisé avec le chef de l’armée, qui par certains côtés rappelle la tentative de Zulfikar Ali Bhutto, dans les années 1970, de monopoliser le pouvoir autour de sa personne.</p>
<h2>Le poids de l’armée</h2>
<p>L’armée conserve un rôle central dans tous les domaines d’activité. On trouve des généraux à la retraite à la tête de nombreuses institutions, du National Accountability Bureau (l’agence anti-corruption, à l’origine de l’arrestation d’Imran Khan, le 9 mai) jusqu’aux instances de direction des universités. À travers ses fondations, l’armée contrôle des pans entiers de l’économie. Elle est aussi l’un des premiers propriétaires fonciers du pays, tant en milieu rural (où les officiers méritants se voient attribuer des terres en fin de carrière) que dans les grandes villes (où elle gère de nombreux projets immobiliers). </p>
<p>Au plan politique, depuis la fin des années 2000, les militaires veillent à ne pas se mettre en première ligne et préfèrent contrôler les affaires en coulisse. C’est ce qui les a conduits à soutenir l’accession au pouvoir d’Imran Khan, à l’issue des élections de 2018. Il s’agissait alors pour l’armée de contenir le PPP et la PMLN, qui représentaient pour elle une menace, avec leur volonté de renforcer l’autonomie du pouvoir civil et des institutions démocratiques aux dépens du pouvoir militaire.</p>
<p>Au cours des années suivantes s’est mis en place un régime hybride, présentant une façade démocratique mais en réalité contrôlé par les militaires. Imran Khan n’a cependant pas tardé à vouloir s’autonomiser de ses anciens patrons, notamment en tentant de placer à la tête de l’armée et de ses puissants services de renseignement des généraux réputés proches de lui.</p>
<p>C’est ce qui a provoqué sa chute, à l’issue d’une motion de censure, en avril 2022 – une destitution dans laquelle la direction du PTI a vu un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/au-pakistan-imran-khan-destitue-joue-la-carte-du-martyr-9350584">complot ourdi par l’armée pakistanaise et les États-Unis</a>. Le conflit est encore monté d’un cran suite à la récente arrestation de Khan, dont il a publiquement tenu responsable le chef de l’armée, le général Asim Munir.</p>
<p>Pour le leader du PTI, il s’agit pourtant moins de lancer un processus de démilitarisation du pays que de régler ses comptes et de remporter un bras de fer avec le seul homme susceptible de lui tenir tête. Même s’il engage l’avenir des relations civils-militaires, il s’agit plus là d’un conflit de personnes que d’institutions.</p>
<h2>Quels scénarios peut-on envisager ?</h2>
<p>Le premier scénario est celui d’une montée des tensions entre le PTI et l’armée. Jouant la carte de la polarisation et de l’agitation, Imran Khan pourrait appeler ses partisans à la résistance, en pariant sur le soutien d’une partie de l’armée voire sur une mutinerie qui pousserait le général Munir vers la sortie. Ce scénario est très improbable. Si l’armée semble plus divisée que jamais, elle reste pour l’instant unie derrière son chef.</p>
<p>Un second scénario est celui d’un retour au pouvoir d’Imran Khan, à l’issue des élections actuellement programmées pour octobre 2023. La tenue du scrutin à la date prévue semble cependant compromise par la crise actuelle et l’on voit mal les chefs de l’armée et les opposants du PTI se résigner au retour de Khan, dont l’un des premiers objectifs sera de punir et d’emprisonner ses adversaires.</p>
<p>Le dernier scénario, le plus probable à court terme, est celui d’une consolidation autoritaire à l’initiative et au bénéfice de l’armée. Celle-ci semble déterminée à instrumentaliser les mobilisations violentes des dernières semaines pour mettre au pas le PTI. Des milliers de sympathisants du parti ont été interpellés ces derniers jours et pourraient être jugés devant des tribunaux militaires. Une grande partie des dirigeants du parti sont également sous les barreaux. Cette stratégie répressive a le soutien du gouvernement de Shahbaz Sharif qui, non sans cynisme, instrumentalise la colère de l’armée pour régler ses propres comptes avec le PTI. Certains membres de la coalition au pouvoir souhaiteraient même profiter des événements des derniers jours pour interdire leur principal rival, afin de l’empêcher de se présenter aux prochaines élections.</p>
<p>En tout état de cause, la démocratie risque de ne pas sortir grandie de cette épreuve…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205902/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Gayer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les partisans de l’ex-premier ministre Imran Khan s’en prennent avec une véhémence sans précédent au pouvoir en place, qui veut emprisonner leur leader. Le spectre de la guerre civile rôde.Laurent Gayer, Directeur de recherche CNRS au CERI-Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1905922022-09-15T18:13:28Z2022-09-15T18:13:28ZPakistan : quand la crise politique aggrave les effets de la catastrophe naturelle<p>Particulièrement vulnérable aux conséquences du réchauffement climatique, le Pakistan, peuplé de 220 millions d’habitants, fait face depuis mi-juillet à un <a href="https://www.francetvinfo.fr/meteo/climat/en-images-le-pakistan-victime-d-inondations-meurtrieres-qualifiees-de-carnage-climatique-par-l-onu_5353699.html">cataclysme sans précédent</a>. En effet, près d’un tiers de son territoire est submergé du fait d’une mousson particulièrement violente.</p>
<p>Outre les <a href="http://www.emro.who.int/images/stories/Pakistans_2nd_sit_rep_final.pdf">dégâts matériels</a> qui s’élèvent déjà à des <a href="https://www.20minutes.fr/planete/3343431-20220830-pakistan-plus-1130-morts-10-millards-degats-points-inondations-precedent-depuis-trente-ans">milliards d’euros</a>, le <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/09/1126411">bilan humain</a> provisoire est particulièrement lourd : plus de 1 290 morts, 12 500 blessés, 33 millions de personnes affectées dont 6,4 millions nécessitent une aide humanitaire urgente. Quant aux déplacés, leur nombre est estimé à 634 000.</p>
<p>Malgré la mobilisation de l’armée, les autorités peinent à secourir les victimes qui s’entassent dans des <a href="https://www.unhcr.org/fr-fr/news/stories/2022/9/63121be2a.html">camps de fortune</a>, toujours à la merci des intempéries qui se poursuivent à intervalles réguliers.</p>
<p>La diaspora, les ONG internationales et la société civile pakistanaise – déjà durement affectée par une <a href="https://tradingeconomics.com/pakistan/inflation-cpi">inflation galopante</a> et par une hausse spectaculaire <a href="https://www.la-croix.com/Pakistan-consommateurs-confrontes-prix-alimentaires-hausse-vertigineuse-2022-08-30-1301230837">du prix des denrées alimentaires</a> – <a href="https://www.liberation.fr/planete/2010/08/19/le-pakistan-oublie-des-dons_672976/">peinent à récolter les fonds</a> nécessaires pour venir en aide à toutes les personnes dans le besoin. Quant à l’État, voilà des décennies qu’il affiche son incapacité à gérer les catastrophes naturelles.</p>
<p>Aujourd’hui encore, alors que le pays est dévasté par les inondations, la scène politique est le triste théâtre de la <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Pakistan-l-opposant-Imran-Khan-appelle-a-la-desobeissance-civile-2014-08-17-1193172">rivalité</a> qui oppose les partisans de l’actuel premier ministre Shehbaz Sharif à ceux de son prédécesseur, <a href="https://www.courrierinternational.com/sujet/imran-khan">Imran Khan</a>.</p>
<h2>Les clans Sharif et Bhutto-Zardari contre Imran Khan</h2>
<p>Ancien champion de cricket et fondateur du parti islamique <a href="https://www.insaf.pk/">PTI</a> (Pakistan Tehreek-e-Insaf ou Mouvement du Pakistan pour la Justice), Khan <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/en/country-files/pakistan/news/article/pakistan-election-of-imran-khan-as-prime-minister-20-08-18">accède au pouvoir en 2018</a>.</p>
<p>Malgré les promesses de prospérité et de lutte contre la <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/La-corruption-veritable-fleau-au-Pakistan-2014-10-17-1222903">corruption</a>, son gouvernement se révèle incapable de redresser <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/NY.GDP.MKTP.KD.ZG?locations=PK">l’économie</a> (l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/11/au-pakistan-l-inflation-galopante-fragilise-le-premier-ministre-imran-khan_6109023_3210.html">inflation est galopante</a> et près d’un quart de la population <a href="https://www.oxfam.org/fr/decouvrir/pays/pakistan">vit sous le seuil de pauvreté</a>).</p>
<p>Il ne parvient pas non plus à neutraliser les <a href="https://journals.openedition.org/echogeo/2081">deux principales dynasties politiques</a> du pays, les Sharif et les Bhutto, pourtant impliquées dans de nombreuses <a href="https://www.lepoint.fr/monde/les-millions-caches-de-benazir-bhutto-en-suisse-10-05-2014-1821120_24.php">affaires de détournement de fonds</a>, de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/pression-arrestation-de-shehbaz-sharif-leader-de-lopposition-au-pakistan">blanchiment d’argent</a> et de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/pakistan-limplication-de-nawaz-sharif-dans-les-panama-papers-confirmee">détention de sociétés offshore</a>.</p>
<p>Si l’adversaire principal d’Imran Khan, <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/nawaz-sharif/">Nawaz Sharif</a> (qui a effectué trois mandats de premier ministre depuis les années 1990), s’exile au Royaume-Uni, sa fille Maryam et son frère cadet <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/pakistan/qui-est-shehbaz-sharif-le-multimillionnaire-devenu-premier-ministre-du-pakistan-4fcc937e-b9a2-11ec-857e-054a15b86122">Shehbaz</a> continuent, en dépit de frictions internes et de quelques courtes incarcérations, à défendre ses intérêts électoraux et politiques au Pakistan.</p>
<p>Le clan Bhutto, à travers Asif Ali Zardari et Bilawal Bhutto Zardari – respectivement le mari et le fils de l’ancienne première ministre aux deux mandats (1988-1990 ; 1993-1996) Benazir Bhutto (1953-2007) –, se montre tout aussi habile à contrer les attaques politiques et les <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2008/01/11/le-mari-de-benazir-bhutto-reste-sous-le-coup-d-une-procedure-judiciaire-intentee-par-le-pakistan_998265_3216.html">poursuites judiciaires</a> dont il fait l’objet.</p>
<p>En 2020, ces deux clans, qui dirigent également les deux principaux partis politiques du pays (Pakistan People Party/PPP pour les Bhutto-Zardari et la Pakistan Muslim League Nawaz/PMLN pour les Sharif), forment, avec d’autres partenaires, une <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2007/11/26/01011-20071126FILWWW00369-bhutto-prete-a-une-alliance-avec-sharif.php">alliance circonstancielle</a> dénommée Pakistan Democratic Mouvement (PDM) pour contrer Imran Khan – un outsider dont ils contestent l’élection et redoutent la popularité.</p>
<h2>La chute d’Imran Khan…</h2>
<p><a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220404-pakistan-la-popularit%C3%A9-effiloch%C3%A9e-d-imran-khan-le-pousse-%C3%A0-jouer-son-va-tout">La popularité de Khan s’effrite</a> avec le temps. La raison principale est économique : le pays croule sous la <a href="https://www.brecorder.com/news/40152434/imf-says-pakistans-external-debt-to-reach-138568bn-in-2022-23">dette publique</a> (estimée par le FMI à plus de 138 milliards de dollars pour l’année 2022-2023) et les pénuries énergétiques (gaz et électricité), qui affectent indifféremment les citoyens et les entreprises, sont de plus en plus fréquentes.</p>
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<p>Le gouvernement n’a d’autre solution que de recourir au Fonds monétaire international (FMI), mais celui-ci exige la mise en place de <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/pakistan-le-fmi-relance-son-programme-de-sauvetage-1784586">mesures d’austérité</a> pour réduire le déficit. Ainsi, dès 2019, de nouvelles taxes sont imposées, les budgets alloués aux secteurs de l’éducation et de la santé sont réduits et la <a href="https://www.lexpress.mu/article/395965/banque-centrale-devaluation-orchestree-roupie">monnaie (la roupie) est dévaluée</a>.</p>
<p>Ces mesures ont pour conséquences de faire chuter la <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/PK/presentation-pays">croissance économique</a> et d’accroître l’inflation et la pauvreté, alors que des scandales de corruption touchent certains proches collaborateurs du premier ministre. Pourtant bien gérée, la <a href="https://covid.gov.pk/">crise Covid</a> fait également des dégâts.</p>
<p>Khan n’a pas non plus la cote à l’étranger. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/10/08/imran-khan-l-ex-playboy-qui-parraine-les-talibans_6097585_3232.html">Le soutien qu’il apporte aux talibans</a> en Afghanistan (depuis le retrait américain en 2021) écorne son image. Une image qui se détériore encore davantage depuis le <a href="https://theconversation.com/avec-le-conflit-russie-ukraine-le-renouveau-des-non-alignes-184295">début de la guerre en Ukraine en février 2022</a> : alors que les condamnations occidentales se multiplient contre les Russes, <a href="https://www.arabnews.fr/node/209011/international">Khan se rend à Moscou</a> où il rencontre Vladimir Poutine le jour même de l’invasion et annonce la <a href="https://thediplomat.com/2022/03/what-is-driving-pakistans-outreach-to-russia/">neutralité du Pakistan</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1496848522733359104"}"></div></p>
<p>Ses contacts étroits avec la Chine, avec laquelle il collabore en vue d’une campagne de <a href="https://www.voanews.com/a/china-pakistan-agree-to-conduct-bilateral-trade-in-yuan/4645164.html">dédollarisation des échanges bilatéraux</a>, ne passent pas non plus inaperçus, surtout auprès des Américains.</p>
<p>Ce n’est pourtant pas à cette impopularité nationale ou internationale qu’il convient d’attribuer la <a href="https://asialyst.com/fr/2022/04/16/pakistan-incertitude-apres-chute-imran-khan-retour-clan-sharif/">chute de son gouvernement en 2022</a>, mais à des erreurs politiques dont la principale a été de défier la puissante armée pakistanaise, notamment sur la question de la <a href="https://www.intelligenceonline.fr/renseignement-d-etat/2021/10/28/imran-khan-et-son-chef-des-armees-s-echarpent-quant-a-la-nomination-du-nouveau-patron-de-l-isi,109700703-art">nomination du futur commandant en chef de l’ISI</a> (Inter Service Inteligence).</p>
<p>La désaffection de l’armée, dont il était pourtant la coqueluche au début de son mandat, est rapidement suivie par celle de ses alliés politiques qui lui reprochent, entre autres, de faire cavalier seul. Les petits partis politiques – MQM/Karachi, GDA/Sind, PML (Q) Pendjab, BAP/Baloutchistan – qui l’avaient aidé à obtenir la majorité nécessaire pour former un gouvernement de coalition en 2018 l’abandonnent. Les désertions se multiplient, y compris au sein de son propre parti dont plusieurs dizaines de membres votent en faveur de sa destitution. Dès lors, le 9 avril 2022, une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/09/pakistan-le-premier-ministre-imran-khan-renverse-par-une-motion-de-censure_6121405_3210.html">motion de censure est votée</a> au Parlement, une première au Pakistan.</p>
<h2>… avant un retour en force ?</h2>
<p>Contraint de <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/pakistan-imran-khan-proche-de-la-sortie-avec-le-vote-d-une-motion-de-censure_2171440.html">quitter ses fonctions</a> avant la fin de son quinquennat, Khan n’entend pas pour autant faciliter la tâche à son successeur, Shehbaz Sharif. Il se lance dans un marathon de <em>jalsa</em> (rassemblements politiques) contestataires et exige des élections anticipées.</p>
<p>À la surprise générale, ces rassemblements galvanisent les foules et ravivent sa notoriété d’antan, surtout auprès de la jeunesse instruite et urbanisée qui se laisse convaincre que <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/27/au-pakistan-l-ex-premier-ministre-imran-khan-crie-au-complot-et-mobilise-la-rue_6127877_3210.html">son éviction résulte d’une intervention étrangère</a>, américaine notamment. Imran Khan accuse Washington, ainsi qu’une partie de l’establishment pakistanais, de réduire le pays à la servitude et d’agir contre ses intérêts nationaux.</p>
<p>En représailles, il est <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220822-au-pakistan-l-ex-premier-ministre-imran-khan-accus %C3 %A9-de-trahison">accusé de « trahison »</a> et manque de peu de se faire arrêter (en effet, il échappe à une arrestation en prenant des mesures judiciaires préventives). Depuis, les affrontements entre ses partisans et ceux de la coalition des partis au pouvoir se multiplient dans la rue mais aussi devant les tribunaux. Ses collaborateurs sont arrêtés, parfois <a href="https://www.voanews.com/a/pakistani-politician-alleges-torture-in-police-custody-/6714854.html">torturés</a> et ses discours <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/pakistan-la-retransmission-en-direct-des-discours-de-l-ex-premier-ministre-interdite-20220821">interdits de diffusion</a> sur les chaînes de télévision. Il reste toutefois peu probable que cette répression ciblée parvienne à le faire plier.</p>
<p>Sa réputation d’incorruptible et de résistant aux forces étrangères conforte un populisme désormais bien implanté dont il tire profit, y compris au niveau électoral. Ainsi, en dépit d’une forte polarisation politique, son parti remporte, en juillet 2022, une <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/pakistan/pakistan-imran-khan-revendique-la-victoire-aux-legislatives-l-opposition-conteste-5897550">large victoire aux élections locales</a> dans la province du Pendjab, fief traditionnel du clan Sharif. Cette victoire met à mal le gouvernement de Shehbaz qui, aux dernières nouvelles, est toujours réticent à concéder des élections anticipées qu’il risque de perdre.</p>
<p>Pendant que les dirigeants pakistanais sont engagés dans des calculs politiques, la société et l’économie sont au bord de l’effondrement, ce qui laisse présager, dans les mois et années à venir, une crise humanitaire de grande ampleur. La destruction massive des récoltes annonce déjà une <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/09/13/inondations-au-pakistan-la-destruction-des-recoltes-met-en-peril-la-securite-alimentaire-du-pays_6141394_3244.html">insécurité alimentaire accrue</a>. Outre la faim, la population risque également d’être confrontée à la propagation de maladies liées à la contamination des eaux. Dans ces conditions, des pertes humaines additionnelles sont à prévoir, pendant que les responsables politiques s’entre-déchirent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190592/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tasnim Butt est directrice de l'IPFI, un institut public qui finance des formations sur l'islam et le monde musulman au sein des six universités francophones de Belgique.</span></em></p>Frappé par des inondations meurtrières, le Pakistan traverse une forte période d’instabilité politique. Le risque d’une catastrophe humanitaire majeure est réel.Tasnim Butt, Chercheure associée, Observatoire des Mondes Arabes et Musulmans (OMAM) , Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1833732022-05-20T16:48:28Z2022-05-20T16:48:28ZInde et Pakistan : se préparer à des canicules encore plus intenses<p>Une vague de chaleur frappe l’Inde et le Pakistan – l’une des régions les plus densément peuplées du monde – depuis avril, obligeant plus d’un milliard de personnes à affronter des températures bien supérieures à 40 °C. Ces températures ne constituent pas encore des records historiques pour ces régions, mais la période la plus chaude de l’année reste à venir.</p>
<p>Alors que la canicule met déjà en <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/inde-pakistan-temperature-atteint-deja-le-seuil-fatal-a-lhomme_fr_627bc8ade4b03ca8364a11fc">danger la vie des populations</a>, et provoque de<a href="https://www.humanite.fr/monde/inde/inde-les-temperatures-extremes-pesent-sur-les-recoltes-748866">mauvaises récoltes</a> et des <a href="https://www.bfmtv.com/international/nous-vivons-en-enfer-l-inde-et-le-pakistan-confrontees-a-une-canicule-extreme-manquent-d-eau-et-d-electricite_AN-202205170579.html">pannes d’électricité</a>, la situation pourrait s’aggraver : si l’on se base sur ce qui se passe <a href="https://theconversation.com/ce-que-nous-reserve-le-climat-pour-les-100-prochaines-annees-52278">ailleurs</a>, l’Inde est vouée à connaître une canicule encore plus intense.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1525541330755145729"}"></div></p>
<p>Notre équipe de climatologues s’est récemment intéressée aux vagues de chaleur les plus extrêmes dans le monde au cours des 60 dernières années, mais en prenant en considération les écarts par rapport aux températures attendues dans cette zone, plutôt que la simple température maximale. L’Inde et le Pakistan ne figurent pas dans nos résultats, publiés dans la revue <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/sciadv.abm6860"><em>Science Advances</em></a>. Bien que les températures et les niveaux de stress thermique montent régulièrement à des niveaux très élevés en valeurs absolues, les vagues de chaleur en Inde et au Pakistan n’ont pas été si extrêmes jusqu’à présent si l’on compare aux normales régionales.</p>
<p>De fait, la région se caractérise par un historique d’extrêmes météorologiques plutôt modeste. Dans les <a href="https://www.ecmwf.int/en/forecasts/datasets/reanalysis-datasets/era5">données que nous avons examinées</a>, nous n’avons trouvé aucune vague de chaleur en Inde ou au Pakistan s’écartant de plus de trois <a href="http://files.meteofrance.com/files/glossaire/FR/glossaire/designation/1234_initie_view.html">écarts types</a> par rapport à la moyenne, alors que statistiquement, un tel événement serait attendu une fois tous les 30 ans environ. La vague de chaleur la plus sévère que nous ayons identifiée, en Asie du Sud-Est en 1998, s’éloignait à cinq niveaux de la moyenne. Une vague de chaleur aussi extraordinaire en Inde aujourd’hui équivaudrait à atteindre des températures de plus de 50 °C sur de larges pans du pays – de telles températures n’ont été observées qu’en <a href="https://gizmodo.com/it-hit-123-degrees-fahrenheit-in-india-this-weekend-1835203136">points localisés</a> jusqu’à présent.</p>
<p>Nos travaux suggèrent donc que l’Inde pourrait connaître des chaleurs encore plus extrêmes. Considérant que la répartition statistique des températures maximales quotidiennes est globalement la même dans le monde entier, il est probable, toujours d’un point de vue statistique, qu’une vague de chaleur record frappe l’Inde à un moment donné ; la région n’a pas encore eu l’occasion de s’adapter à de telles températures et serait donc particulièrement vulnérable.</p>
<h2>Récoltes et santé</h2>
<p>Bien que la vague de chaleur actuelle n’ait pas battu de records historiques, elle reste exceptionnelle. De nombreuses régions de l’Inde ont connu leur <a href="http://french.peopledaily.com.cn/International/n3/2022/0501/c31356-10091567.html">avril le plus chaud jamais enregistré</a>. Une telle chaleur si tôt dans l’année aura des effets dévastateurs sur les cultures dans une région où beaucoup dépendent de la récolte de blé pour se nourrir et gagner leur vie. Habituellement, les chaleurs extrêmes dans cette région sont suivies de près par des moussons rafraîchissantes – mais celles-ci n’arriveront pas avant plusieurs mois.</p>
<p>Les cultures ne seront pas les seules à être affectées par la canicule, qui touche aussi les infrastructures, les écosystèmes et la santé humaine. Les répercussions sur la santé humaine sont complexes, car des facteurs météorologiques (chaleur et humidité) et socio-économiques (mode de vie et capacité d’adaptation) entrent en jeu. Nous savons que le stress thermique peut entraîner des problèmes de santé à long terme tels que des maladies cardiovasculaires, une insuffisance rénale, une détresse respiratoire et une insuffisance hépatique, mais nous ne pourrons pas savoir exactement combien de personnes mourront pendant cette vague de chaleur en raison d’un <a href="https://www.nature.com/articles/s41558-021-01058-x">manque de données sanitaires</a> de la part de l’Inde et du Pakistan.</p>
<h2>Ce que l’avenir nous réserve</h2>
<p>Pour envisager l’impact de la chaleur extrême au cours des prochaines décennies, nous devons nous pencher à la fois sur le changement climatique et sur la croissance démographique, car c’est la combinaison des deux qui amplifiera les impacts des canicules sur la santé humaine dans le sous-continent indien.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/461278/original/file-20220504-26-xsy9bk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="carte du monde avec certains pays ombragés en jaune" src="https://images.theconversation.com/files/461278/original/file-20220504-26-xsy9bk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/461278/original/file-20220504-26-xsy9bk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=312&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/461278/original/file-20220504-26-xsy9bk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=312&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/461278/original/file-20220504-26-xsy9bk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=312&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/461278/original/file-20220504-26-xsy9bk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=392&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/461278/original/file-20220504-26-xsy9bk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=392&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/461278/original/file-20220504-26-xsy9bk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=392&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les zones d’augmentation importante de la population au cours des 50 prochaines années (cercles rouges), coïncident toutes avec des endroits où il n’existe aucune donnée quotidienne sur la mortalité (jaune).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.nature.com/articles/s41558-021-01049-y/figures/1">Mitchell, _Nature Climate Change_ (2021)</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans notre nouvelle étude, nous avons cherché à comprendre comment les extrêmes devraient évoluer à l’avenir. En utilisant un vaste ensemble de simulations de modèles climatiques, nous avons obtenu beaucoup plus de données que celles disponibles en réalité. Nous avons constaté que le réchauffement climatique global sous-jacent n’affectait pas la répartition statistique des extrêmes. Dans les modèles climatiques, les extrêmes de température quotidiens augmentent de la même façon que le climat moyen. Le <a href="https://www.ipcc.ch/assessment-report/ar6/">dernier rapport du GIEC</a> indique que les vagues de chaleur deviendront plus intenses et plus fréquentes en Asie du Sud au cours de ce siècle. Nos résultats le confirment.</p>
<p>La vague de chaleur actuelle touche plus de 1,5 milliard de personnes tandis que la population du sous-continent indien devrait encore <a href="https://www.cger.nies.go.jp/gcp/population-and-gdp.html">s’accroître de 30 %</a> au cours des 50 prochaines années. Cela signifie que des centaines de millions de personnes supplémentaires naîtront dans une région amenée à connaître des vagues de chaleur plus fréquentes et plus graves. Étant donné qu’un nombre encore plus important de personnes sera affecté par des canicules encore plus intenses, les mesures de réponse au changement climatique doivent être accélérées – de toute urgence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183373/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vikki Thompson reçoit des fonds du Natural Environment Research Council (NERC).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alan Thomas Kennedy-Asser reçoit des fonds du Natural Environment Research Council (NERC).</span></em></p>La vague de chaleur actuelle n’est pas anormale par rapport aux températures usuelles. Les suivantes risquent d’être plus intenses encore, alors que les populations sont déjà vulnérables.Vikki Thompson, Senior Research Associate in Geographical Sciences, University of BristolAlan Thomas Kennedy-Asser, Research Associate in Climate Science, University of BristolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1749312022-02-21T21:05:23Z2022-02-21T21:05:23ZPakistan-Inde : l’ourdou en partage ?<p>En <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/10/27/india-urdu-hindu-groups-hate-campaign-muslim-language-fabindia">octobre 2021</a>, l’usage de quelques mots en ourdou dans une publicité diffusée par une marque de vêtements à l’occasion de la Fête des Lumières (<em>Diwali</em>), un festival hindou très populaire en Inde, a suscité un tollé chez certains hindous nationalistes. Langue nationale du Pakistan, l’<a href="http://www.inalco.fr/langue/ourdou">ourdou</a> fait régulièrement l’objet d’attaques en <a href="https://thediplomat.com/2019/07/indias-war-on-urdu/">Inde</a>.</p>
<p>L’ourdou est intimement lié à l’histoire de la construction des nations indienne et pakistanaise <a href="https://maktoobmedia.com/2021/05/20/urdu-under-hindutva-rule-dr-rizwan-ahmad-says-languages-are-proxy-for-people/">du XIXᵉ siècle jusqu’à nos jours</a>. Pour comprendre la donne actuelle, il faut revenir sur cette histoire et, plus particulièrement, sur les politiques linguistiques conduites par deux personnalités ayant joué un rôle majeur en la matière : Mohammad Ali Jinnah (gouverneur général du Pakistan, 1947-1948) et Jawaharlal Nehru (premier ministre de l’Inde, 1947-1964).</p>
<h2>Contexte historique et linguistique</h2>
<p>L’ourdou est une langue riche d’une <a href="https://books.google.fr/books?hl=en&lr=&id=AaeXVjTyyzEC">tradition littéraire longue</a> de près de mille ans. Elle est parlée aujourd’hui par <a href="https://www.ethnologue.com/guides/ethnologue200">230 millions de locuteurs</a> dans le monde, au Pakistan, en Inde et dans toutes leurs diasporas.</p>
<p>Vers la seconde moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, une vague d’attaques à l’encontre de l’ourdou a été menée par les nationalistes hindous, dans l’État de l’Uttar Pradesh, autrefois appelé « <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Provinces_du_Nord-Ouest">Les provinces du Nord-Ouest</a> » à l’époque de l’Empire britannique, sous le prétexte de purifier le <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01860405/document">hindi de l’influence islamique</a>. Confrontés à ces exactions, les partisans de l’ourdou ont milité pour défendre la langue tant dans son écriture (perso-arabe) que dans son lexique (encore majoritairement emprunté aux langues perso-arabes).</p>
<p>L’affrontement entre les partisans du hindi et de l’ourdou voit la position de l’ourdou, comme langue des musulmans, consolidée dès le début du XX<sup>e</sup> siècle. Même si des écrivains non musulmans se sont illustrés en ourdou, la langue est associée à la religion musulmane. L’ourdou occupe alors, dans le sous-continent indien, la <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/10.1086/710157">seconde place comme langue de l’islam</a> après l’arabe coranique.</p>
<h2>L’ourdou devient langue nationale au Pakistan</h2>
<p>Suite à la partition de l’Inde britannique en 1947, l’ourdou s’est forgé un statut de langue nationale au Pakistan, pays créé sur une base religieuse, en l’occurrence musulmane. De fait, Mohammad Ali Jinnah, musulman occidentalisé, éduqué en Angleterre, va déclarer l’ourdou langue nationale de la République islamique du Pakistan en <a href="https://minds.wisconsin.edu/handle/1793/54052">insistant sur son identité islamique</a>.</p>
<p>À partir de 1938, Jinnah s’était fait un point d’honneur de s’adresser au public en ourdou, malgré certaines lacunes, l’ourdou n’étant ni sa langue maternelle, ni une langue apprise au cours de ses études.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445126/original/file-20220208-24-1u4b2zg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445126/original/file-20220208-24-1u4b2zg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445126/original/file-20220208-24-1u4b2zg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445126/original/file-20220208-24-1u4b2zg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=322&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445126/original/file-20220208-24-1u4b2zg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445126/original/file-20220208-24-1u4b2zg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445126/original/file-20220208-24-1u4b2zg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=405&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mohammad Ali Jinnah, en 1944.</span>
<span class="attribution"><span class="source">National Archives Islamabad</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour Jinnah et ses successeurs, rien n’était négociable au détriment de l’ourdou. L’ourdou a été imposé à l’Est du Pakistan, où les locuteurs étaient majoritairement des bengaliphones dont le droit linguistique était ainsi bafoué.</p>
<p>À cet égard, on peut citer Jinnah s’exprimant en faveur de l’ourdou lors d’une conférence de 1948 à Dacca (au Pakistan oriental, aujourd’hui capitale du Bangladesh) :</p>
<blockquote>
<p>« Permettez-moi de vous dire très clairement que la langue d’État du Pakistan sera l’ourdou et aucune autre langue. […] Sans une langue d’État, aucune nation ne peut rester solidement liée et fonctionner. Regardez l’histoire d’autres pays. Par conséquent, en ce qui concerne la langue officielle, la langue du Pakistan est l’ourdou. »</p>
</blockquote>
<p>Lorsque la divergence linguistique s’est manifestée de façon disproportionnée, la <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/rendez-vous-avec-x/rendez-vous-avec-x-06-fevrier-2021">guerre</a> a éclaté en 1971 entre des partisans des deux langues : l’ourdou et le bengali. Le Bangladesh est né. L’imposition de l’ourdou avait misérablement échoué.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445131/original/file-20220208-13-a4lwke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445131/original/file-20220208-13-a4lwke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445131/original/file-20220208-13-a4lwke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445131/original/file-20220208-13-a4lwke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=356&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445131/original/file-20220208-13-a4lwke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445131/original/file-20220208-13-a4lwke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445131/original/file-20220208-13-a4lwke.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=447&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Visite de Mohammad Ali Jinnah’s à Dhaka, en avril 1948.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Press Information Department, Broadcasting & National Heritage, Islamabad</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>« Un pays sur mesure » pour Jinnah ?</h2>
<p><a href="https://theconversation.com/au-cachemire-la-guerre-des-langues-fait-rage-dans-lombre-134193">À l’instar du Cachemire</a>, où voisinent plusieurs tribus et communautés ethniques linguistiques, l’ourdou devait jouer un rôle fédérateur au Pakistan où le pendjabi, le sairaki, le pashto et le baloutchi étaient également de grandes langues majoritaires et minoritaires. <a href="https://searchworks.stanford.edu/view/13294919">Dans les meetings politiques</a> organisés dès le début du XX<sup>e</sup> siècle (1906, 1908 et 1910) par la All India Muslim League, la défense et la promotion de l’ourdou étaient placées au premier plan, cette langue étant appelée à devenir la langue commune de tous les musulmans du sous-continent indien.</p>
<p>Le nationalisme pakistanais, exalté au plan littéraire par le grand poète et philosophe <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Mohamed-Iqbal-penseur-d-un-autre.html">Mohamed Iqbal</a>, a joué un rôle capital pour la reconnaissance de l’ourdou comme langue nationale.</p>
<p>Une autre raison probable du choix de l’ourdou comme langue nationale au Pakistan est l’arrivée en 1947 de milliers de hauts fonctionnaires musulmans de l’Inde britannique, originaires en particulier des États de l’Uttar Pradesh et du Bihar, dont la première langue était l’ourdou. Ce sont ces fonctionnaires qui ont entrepris la tâche herculéenne de construire un pays « sur mesure » comme l’avaient rêvé Jinnah et ses partisans, à la fois islamique, moderne et éduqué.</p>
<h2>En Inde, la protection accordée à l’ourdou par Nehru</h2>
<p>Dans l’Inde post-1947, l’histoire de l’ourdou prend un autre tournant. Considéré comme étant la langue des musulmans, il risquait de perdre ses racines territoriales dès lors que les musulmans avaient obtenu un nouveau pays où l’ourdou devenait de plus souverain.</p>
<p>Toutefois, tous les musulmans ne sont pas partis au Pakistan. En 1947, aucune personne de langue maternelle ourdou ne vivait au Pakistan. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les locuteurs d’ourdou en Inde n’étaient pas uniquement des musulmans : il y avait également des sikhs, des hindous et bien d’autres non-musulmans scolarisés en ourdou à l’instar de leurs grands-pères (l’éducation des femmes était peu répandue). Soudainement, après l’indépendance de l’Inde, les locuteurs de l’ourdou se sont retrouvés tiraillés entre la langue correspondant à leur religion et l’ourdou, dont le statut comme langue des musulmans s’affirmait de plus en plus.</p>
<p>Le futur premier ministre de l’Inde, Jawaharlal Nehru, faisait partie de ces locuteurs d’ourdou non musulmans.</p>
<p>Si l’héritage de l’ourdou se perpétue en Inde, on peut, semble-t-il, remercier pour cela Jawaharlal Nehru. Lorsque l’ourdou est déclaré langue nationale du Pakistan, pays rival, l’avenir de l’ourdou en Inde s’annonce particulièrement morose. <a href="https://books.google.fr/books/about/Literature_and_Politics_in_the_Age_of_Na.html?id=czhYAQAACAAJ&redir_esc=y">Une anecdote fameuse</a>, citée par Talat Ahmed à propos des langues susceptibles d’être inscrites dans la Constitution indienne de 1950, permet de mieux comprendre cette situation.</p>
<p>L’un des membres du comité de rédaction de la résolution linguistique, M. Satyanarayan, a proposé une liste de douze langues, ne comprenant pas l’ourdou. Nehru y a ajouté l’ourdou comme treizième langue. Étonné, Satyanarayan a demandé à Nehru s’il n’avait pas honte de revendiquer l’ourdou comme sa langue alors qu’il était un brahmane. Nehru n’a pas répondu.</p>
<p>Après l’indépendance, c’est Nehru qui a mené la campagne pour rendre à l’ourdou son passé glorieux dans une <a href="https://www.rekhta.org/ebooks/hindi-nationalism-alok-rai-ebooks">atmosphère chauvine privilégiant le hindi</a> au détriment de l’ourdou. Une interminable crise se poursuit sur le statut et le rôle de l’ourdou dans le nord de l’Inde. La <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/language-in-society/article/abs/urdu-in-devanagari-shifting-orthographic-practices-and-muslim-identity-in-delhi/F89F162B15A6720008639E627D6F0242">langue est estropiée dans certains états indiens au travers des attaques sur sa graphie</a>, sur l’effacement de son passé et de l’héritage.</p>
<h2>L’ourdou, synonyme de divisions dans les deux pays ?</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/445135/original/file-20220208-17-atrvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445135/original/file-20220208-17-atrvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445135/original/file-20220208-17-atrvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445135/original/file-20220208-17-atrvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=383&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445135/original/file-20220208-17-atrvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445135/original/file-20220208-17-atrvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445135/original/file-20220208-17-atrvj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=481&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jawaharlal Nehru et Mohammad Ali Jinnah à la Indian Office Library, Londres, Decembre 1946.</span>
<span class="attribution"><span class="source">National Archives Islamabad</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Au Pakistan, il apparaît que l’ourdou divise désormais le peuple plus qu’il ne le fédère. On y voit émerger des mouvements réclamant qu’une plus grande place soit accordée aux langues régionales telles que le <a href="https://www.dawn.com/news/1166216">pendjabi</a>, le <a href="https://www.studocu.com/row/document/university-of-sindh/linguistics/critical-analysis-of-the-saraiki-language-movement/4885333">saraiki</a> et le <a href="https://www.dawn.com/news/1588132">baloutche</a>. En Inde, il devient la cible des nationalistes hindous en raison de sa connotation religieuse. L’anglais prospère dans les deux pays rivaux, au détriment de l’ourdou et d’autres langues, soutenu par une politique gouvernementale élitiste.</p>
<p>Soixante-quinze ans après la partition, alors que les deux hommes ont disparu depuis des décennies, leur positionnement en faveur de l’ourdou et leur zèle (religieux pour l’un, laïque pour l’autre) ont cependant contribué positivement au maintien de la langue. L’ourdou, langue initialement sans territoire fixe, risquait de s’atrophier au fil du temps.</p>
<p>Si le rôle de l’ourdou a été significatif dans le nationalisme pakistanais qui a porté Jinnah au pinacle, l’amour de Nehru pour l’ourdou a entaché son image en raison du nationalisme indien. Il n’en reste pas moins que ses efforts ont renforcé le multiculturalisme indien – un multiculturalisme aujourd’hui de plus en plus remis en cause, comme le montre l’affaire, loin d’être anecdotique, de la publicité comportant quelques mots en ourdou que nous avons évoquée en introduction.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174931/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Shahzaman Haque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’histoire de l’implantation de l’ourdou au Pakistan et en Inde par leurs pères fondateurs respectifs permet de mieux comprendre les conflits que cette langue suscite à ce jour.Shahzaman Haque, Co-Directeur, Département Asie du sud et l’Himalaya, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1699652021-11-04T19:18:55Z2021-11-04T19:18:55ZComment le djihadisme pourrait prospérer dans l’Afghanistan des talibans<p>Le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan a été <a href="https://www.sudouest.fr/international/asie/afghanistan/afghanistan-la-victoire-des-talibans-a-donne-un-enorme-coup-de-pouce-aux-djihadistes-du-monde-entier-5216875.php">célébré</a> par les djihadistes du monde entier. Le Middle East Institute, un groupe de réflexion de Washington, estime que leur succès représente une <a href="https://www.mei.edu/blog/taliban-victory-would-be-major-win-global-jihadist-movement">« victoire majeure »</a> pour les groupes djihadistes comme Al-Qaïda ou l’État islamique (EI).</p>
<p><a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210903-afghanistan-poutine-esp%C3%A8re-que-les-talibans-deviendront-civilis%C3%A9s">Moscou</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/18/pekin-demande-aux-talibans-d-eradiquer-les-organisations-terroristes-en-afghanistan_6095153_3210.html">Pékin</a>, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/afghanistan-linde-face-a-linfluence-grandissante-du-pakistan-et-de-la-chine-1346669">New Delhi</a> et même <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/290921/le-pakistan-au-risque-des-talibans?onglet=full">Islamabad</a> sont profondément préoccupés par la situation sécuritaire en Afghanistan. Et pour cause : les liens des talibans avec Al-Qaïda n’ont jamais été rompus, leur lutte contre l’EI est loin d’être évidente, et plusieurs autres groupes djihadistes régionaux peuvent capitaliser sur leur récente victoire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-pakistan-et-les-talibans-les-liaisons-dangereuses-167383">Le Pakistan et les talibans : les liaisons dangereuses</a>
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<h2>Al-Qaïda</h2>
<p>Récemment, Al-Qaïda <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2021/09/07/al-qaeda-taliban-complex-relationship-509519">a déclaré</a> que la prise de pouvoir par les talibans était une preuve que « la voie du djihad est la seule qui mène à la victoire ».</p>
<p>Les talibans afghans entretiennent avec <a href="https://www.fdd.org/analysis/2021/06/04/al-qaeda-is-still-in-afghanistan/">Al-Qaïda</a> des liens <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-monde-d-apres/le-monde-d-apres-de-jean-marc-four-du-mercredi-15-septembre-2021">toujours actifs</a> dans toute la région Afghanistan-Pakistan. Ainsi, le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a récemment <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2021/08/26/taliban-bin-laden/?utm_campaign=wp_main&utm_medium=social&utm_source=facebook&fbclid=IwAR3o4b6U1-xrMuUl_mEuer7jTX_zOETWobMNd7NpGv9JWxK4jBZvFBasZT0">nié</a> qu’Oussama Ben Laden était responsable du 11 Septembre, illustrant ainsi la proximité des deux groupes.</p>
<p>Les spécialistes de la région pensent que les talibans continueront à fournir un soutien <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20210816-taliban-to-give-al-qaeda-covert-not-overt-support-analysts">discret</a> à Al-Qaïda à présent qu’ils sont de nouveau au pouvoir. Mais ils pourraient aussi utiliser la présence d’Al-Qaïda comme un atout pour renforcer leurs positions contre l’État islamique, ainsi que comme moyen de chantage sur la scène régionale et mondiale, en exerçant une pression sécuritaire sur différents pays pour obtenir l’<a href="https://news.un.org/fr/story/2021/10/1106092">aide internationale</a> dont ils ont tant besoin.</p>
<h2>L’État islamique</h2>
<p>Les talibans affirment qu’ils <a href="https://www.newsweek.com/taliban-says-we-can-control-terrorism-blames-kabul-airport-attack-u-s-1626445">peuvent</a> et <a href="https://apnews.com/article/afghanistan-cabinets-taliban-militant-groups-3652ae786079637a56a4edff5063fe5f">vont</a> contrôler les cellules terroristes de l’EI dans le pays. Mais le peuvent-ils vraiment, et le feront-ils ?</p>
<p>La <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/L-%C3%89tat-islamique-dans-le-Khorasan-1-2.html">présence de cellules actives de l’EI à Kaboul et à Kandahar</a> montre la capacité de cette organisation à évoluer dans un pays éloigné de sa zone d’origine, et cela malgré sa rivalité avec les talibans. <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/attentat-a-l-aeroport-de-kaboul-le-recit-d-un-carnage-aux-consequences-internationales_2157360.html">L’attentat du 26 août</a> contre l’aéroport international Hamid Karzai de Kaboul, qui a fait au moins 182 morts, témoigne de sa capacité à frapper la capitale.</p>
<p>Les attaques terroristes de l’EI se sont poursuivies depuis le retrait des États-Unis, à <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afghanistan/afghanistan-deux-morts-dans-un-attentat-devant-une-mosquee-a-kaboul_4793789.html">Kaboul</a>, à <a href="https://www.courrierinternational.com/article/afghanistan-un-attentat-suicide-dans-une-mosquee-kunduz-fait-des-dizaines-de-victimes">Kunduz</a>, ainsi qu’à <a href="https://www.reuters.com/world/asia-pacific/blast-hits-mosque-afghan-city-kandahar-heavy-casualties-officials-2021-10-15/">Kandahar</a>.</p>
<p>L’EI est également actif dans les provinces de <a href="https://www.france24.com/en/asia-pacific/20210831-afghanistan-do-islamic-state-group-jihadists-pose-a-real-challenge-to-the-taliban">Nangarhar et Kunar</a>, à la frontière des provinces pakistanaises du Waziristan et des <a href="https://www.refworld.org/pdfid/5804925e4.pdf">Zones tribales</a>. Cette région est un bastion du djihadisme et du trafic d’armes, et a contribué au succès des talibans eux-mêmes. L’EI est également présent dans la province pakistanaise du <a href="https://dakarinfo.net/letat-islamique-est-accuse-davoir-tue-des-sikhs-au-pakistan/">Baloutchistan</a>.</p>
<p>Le but de l’EI est de remplacer les talibans et de s’emparer de l’Afghanistan pour en faire leur <a href="https://theconversation.com/what-is-isis-k-two-terrorism-experts-on-the-group-behind-the-deadly-kabul-airport-attack-and-its-rivalry-with-the-taliban-166873">nouveau sanctuaire</a>. Pour cela, ils ont recours aux mêmes <a href="https://www.reuters.com/world/asia-pacific/islamic-state-uses-talibans-own-tactics-attack-afghanistans-new-rulers-2021-09-23/">tactiques</a> que les talibans ont longtemps utilisées pour attaquer les États-Unis.</p>
<p>Les combattants de l’ancienne Armée nationale afghane pourraient par ailleurs être tentés de rejoindre les forces de l’EI après avoir été chassés par les talibans. Ce processus <a href="https://english.alarabiya.net/perspective/features/2014/06/26/In-Iraq-former-militia-program-eyed-for-new-fight">s’est déjà produit</a> en Irak, où l’armée nationale et la Sahwa, une milice sunnite, ont toutes deux été dissoutes et renvoyées chez elles, permettant l’émergence d’Al-Qaïda et de l’État islamique dans le pays.</p>
<p>Les talibans suivent les préceptes de l’école <a href="https://www.refworld.org/docid/403dd2624.html">déobandi</a> de l’islam, originaire d’Inde, alors que l’État islamique est salafiste. Ils sont concurrents stratégiquement, mais compatibles idéologiquement. Ils disposent également de réseaux interconnectés, emploient des méthodes coercitives similaires, ont des ennemis identiques et entretiennent des contacts indirects au travers du <a href="https://www.liberation.fr/international/afghanistan-les-haqqani-dynastie-de-la-terreur-20210821_TIR64DXY7VHUBN2X7P3GLNLPYY/">réseau Haqqani</a>.</p>
<p>Responsable de nombreuses <a href="https://web.stanford.edu/group/mappingmilitants/cgi-bin/groups/print_view/363#cite34">attaques</a> en Afghanistan, « y compris l’utilisation d’escadrons de la mort pour des exécutions publiques, ainsi que des vidéos de décapitations massives et d’assassinats brutaux », le réseau Haqqani <a href="https://foreignpolicy.com/2021/08/26/afghanistan-kabul-airport-attack-taliban-islamic-state/">fait le lien</a> entre les talibans et Al-Qaïda, mais aussi entre les talibans et l’EI. Son chef, Sirajuddin Haqqani, a récemment été nommé ministre de l’Intérieur.</p>
<p>Si les talibans adoptent une stratégie de coopération avec les puissances étrangères contre l’EI, ils seront considérés comme des dirigeants faibles collaborant avec l’ennemi. Dans le monde djihadiste, cela équivaut au discrédit ultime, et pourrait favoriser le recrutement, le financement et l’action de l’État islamique.</p>
<p>À l’inverse, si les talibans choisissent de se rapprocher de l’EI pour éviter les attaques sur leur sol, l’organisation se retrouvera alors plus ou moins dans la position d’Al-Qaïda avant 2001. L’organisation pourrait alors utiliser l’Afghanistan comme base arrière, gouverner en coulisses ou bien conquérir le pays.</p>
<h2>Les autres groupes de la région</h2>
<p>La situation actuelle en Afghanistan favorise les organisations sunnites radicales implantées au Pakistan.</p>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/le-pakistan-et-les-talibans-les-liaisons-dangereuses-167383">Tehreek-e-Taliban Pakistan</a> (TTP), également connu sous le nom de « talibans pakistanais », est l’une d’elles. Il a récemment absorbé une fraction de l’organisation terroriste Lashkar-e-Janghvi ; ainsi que le <a href="https://jamestown.org/program/hizb-ul-ahrar-pakistans-cross-border-taliban-problem-remains-critical/">groupe</a> Hizb-ul-Ahrar, qui a commis de nombreux <a href="https://www.start.umd.edu/gtd/search/Results.aspx ?perpetrator=40837">attentats</a> en 2019 ; le groupe Hakimullah Mehsud, une cellule active des Zones tribales <a href="https://2009-2017.state.gov/documents/organization/146935.pdf">liée</a> à Al-Qaïda ; ainsi que le <a href="https://www.nytimes.com/2014/08/27/world/asia/hard-line-splinter-group-galvanized-by-isis-emerges-from-pakistani-taliban.html">Jamaat-ul-Ahrar</a>, auparavant affilié à l’État islamique.</p>
<p>En outre, le TTP a récemment <a href="https://jamestown.org/program/tehreek-e-taliban-pakistans-discursive-shift-from-global-jihadist-rhetoric-to-pashtun-centric-narratives/">accueilli en son sein</a> deux sous-groupes d’Al-Qaïda dans le sous-continent indien.</p>
<p>Les talibans pakistanais rassemblent ainsi des forces provenant à la fois d’Al-Qaïda et de l’EI. Intimement allié aux talibans afghans, le TTP recentre actuellement sa dynamique sur le Pakistan plutôt que sur la scène globale, mais les connexions de certains de ses groupes avec les deux grandes organisations djihadistes demeurent récentes.</p>
<p>En Asie centrale, les factions du Mouvement islamique d’Ouzbékistan <a href="https://cisac.fsi.stanford.edu/mappingmilitants/profiles/islamic-movement-uzbekistan#highlight_text_10187">affiliées à l’EI</a> ainsi que celles <a href="https://www.longwarjournal.org/archives/2016/06/islamic-movement-of-uzbekistan-faction-emerges-after-groups-collapse.php">alliées aux talibans</a>, pourraient également utiliser l’Afghanistan comme base arrière pour préparer des attaques dans cette région.</p>
<p>Enfin, le <a href="https://warontherocks.com/2019/01/chinas-foreign-fighters-problem/">Parti islamique du Turkestan</a>, qui s’étend du Xinjiang chinois à la province syrienne d’Idleb, pourrait prospérer sous le nouveau régime en Afghanistan, de manière plus ou moins clandestine, en profitant de ce pivot entre l’Asie centrale, l’Asie du Sud et le Moyen-Orient.</p>
<p>La reprise de l’Afghanistan par les talibans est une défaite stratégique indubitable, mais c’est aussi un revers doctrinal pour le contre-terrorisme. Au cœur de l’Asie, les groupes djihadistes régionaux et mondiaux disposent désormais d’une nouvelle plate-forme, et la communauté internationale ne dispose plus guère de solutions pour prévenir les conséquences prévisibles de cette nouvelle menace sécuritaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169965/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Théron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les talibans promettent qu’ils ne permettront pas aux mouvements djihadistes de prospérer sous leur autorité. Mais il est presque certain que les groupes locaux profiteront de leur prise de pouvoir.Julien Théron, Lecturer, Conflict and Security Studies, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1678462021-09-26T16:33:21Z2021-09-26T16:33:21Z2001-2021 : vingt ans de renforcement stratégique et économique pour la Chine<p>Après le 11 septembre 2001, les États-Unis, traumatisés, s’engagèrent, sous l’influence des néoconservateurs, dans un interventionnisme militaire exacerbé au Moyen-Orient, motivés par <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/2001-2021-comment-le-11-septembre-transforme-les-etats-unis">l’idéologie de changement de régime par la force et les théories de la « paix démocratique »</a>. Pékin envoya un message de soutien à Washington dans la foulée des attaques terroristes ; mais les relations diplomatiques avaient été marquées, en avril de la même année, par un épisode extrêmement tendu. </p>
<p>Au-dessus de la mer de Chine méridionale, un avion-espion EP-3 américain était entré en collision avec un appareil chinois, provoquant la mort du pilote de celui-ci. L’avion américain finit par être intercepté et par <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/07/20/la-facture-chinoise-pour-l-avion-espion-americain-ep-3_4197702_1819218.html">atterrir en urgence sur l’île chinoise de Hainan</a> où l’équipage, humilié, subit pendant près de trois semaines les quolibets de la presse chinoise avant d’être piteusement relâché.</p>
<p>Ces deux événements allaient, chacun à sa manière, permettre à Pékin d’obtenir des autorités américaines un blanc-seing pour mener une répression accrue contre la minorité musulmane et ouïgoure du Xinjiang. La création en juin 2001 de <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/organisation-de-cooperation-de-shanghai-ocs">l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS)</a> allait par ailleurs donner à la Chine des moyens inédits de surveillance, au-delà de son territoire et, plus particulièrement, en Asie centrale.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/-LvsGhCABVQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le dessous des cartes : Organisation de coopération de Shanghai, 11 juin 2016.</span></figcaption>
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<p>Last but not least, en novembre, la Chine obtenait enfin, malgré des réticences évidentes (de certains) à Washington à son égard, la possibilité d’<a href="https://www.senat.fr/ue/pac/E1837.html">intégrer l’OMC</a>, après quinze ans de négociations. Une adhésion qui transformera puissamment l’économie et le commerce mondial, au bénéfice premier (pour un temps ?) de Pékin.</p>
<h2>Recompositions stratégiques de l’ordre international</h2>
<p>Le 11 Septembre aura permis à Pékin de <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01065008/document">nouer de meilleures relations avec Washington</a>, dans le cadre apparent d’une mobilisation multilatérale de la « guerre contre le terrorisme », sans pour autant que la Chine ne participe aux opérations militaires en Afghanistan. Surtout, la RPC multipliera les consultations, les rapports et les analyses sur les conséquences du <a href="https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2001_num_67_1_2664">11 Septembre et de l’intervention de l’OTAN dans les équilibres régionaux</a>. Ce qui intéresse les autorités chinoises au premier chef, ce n’est pas tant le djihadisme qui attaque l’Occident que la géopolitique régionale recomposée aux portes d’une région, le Xinjiang, perçue comme subversive pour l’unité de la Chine.</p>
<p>Le 11 Septembre aura pour conséquences d’accélérer la systématisation des discours officiels sur la lutte contre les « trois forces » (<em>san gu shili</em>) (terrorisme, séparatisme, extrémisme) – des discours qui insistent sur la prétendue collusion entre la minorité ouïgoure et le terrorisme islamiste international. Le Conseil des Affaires d’État (merci d’expliquer ce qu’est cette instance) s’attachera à montrer les liens étroits existant entre Al Qaida et deux groupuscules ouïgours jusqu’alors méconnus, le <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03078827/document">Parti d’Allah du Turkestan oriental et le Mouvement islamique du Turkestan Oriental</a> (MITO). Si Pékin avait négocié avec les talibans dès 1996 pour s’assurer que ces derniers ne soutiendraient pas les Ouïgours, la présence de l’OTAN, et spécialement des États-Unis dans la région (Asie centrale, Pakistan…) va bousculer, un temps, l’action diplomatique chinoise.</p>
<p>Le Parti-État s’inquiétait à ce moment de <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2009-2-page-111.htm">l’installation dans la durée des États-Unis</a>, alors que l’OCS prenait une ampleur nouvelle, traduisant la montée en puissance de l’influence chinoise en Asie centrale et d’un certain dessein stratégique eurasien, <a href="https://theconversation.com/asie-du-sud-est-et-asie-centrale-deux-laboratoires-strategiques-de-lexpansion-chinoise-137295">centré sur l’approvisionnement en ressources</a> (hydrocarbures, minerais, terres arables, ressources agricoles) et sur la proximité diplomatico-politique plus forte avec les régimes en place.</p>
<p>C’est aussi le prolongement de la politique dit du « développement de l’ouest » (<em>xibu dakaifa</em>), à savoir de la sinisation des terres lointaines du centre, dont les habitants ne sont pas des Han et qui sont importantes pour l’équilibre territorial chinois (à la fois du point de vue des ressources dont elles disposent, de l’espace qu’elles offrent, et des enjeux sécuritaires qui s’y déploient). Ainsi, le facteur afghano-taliban et la longue guerre de l’OTAN de 2001 à 2014 (année du retrait de l’ISAF) – voire jusqu’en 2021, <a href="https://www.capitmuscas.com/produit/la-chine-face-au-monde-une-puissance-resistible/">sont perçus par Pékin</a> comme des facteurs influant à la fois sur sa politique intérieure (la sinisation du Xinjiang et, aussi, du Tibet) et sur sa politique extérieure (la stabilisation des pays situés à l’ouest de la Chine), particulièrement l’Asie centrale et le triangle conflictuel Chine-Inde-Pakistan.</p>
<p>Pékin mettra systématiquement en avant les réseaux terroristes locaux et la déstabilisation du Xinjiang pour mieux légitimer la politique du « développement de l’ouest » puis la répression stricto sensu contre les Ouïgours, laquelle sera accentuée après, d’une part, la <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/la-lutte-contre-le-terrorisme-et-l-extremisme-au-xinjiang-quelles-methodes-pour-quels-resultats-">multiplication des attentats dans le monde</a>, avec notamment l’émergence de Daech et, d’autre part, ceux commis sur le territoire chinois (Kunming, Canton, Pékin, Urumqi, etc.).</p>
<p>D’un côté, un nouvel arsenal législatif est institutionnalisé (loi anti-terroriste), de l’autre la répression sur l’ensemble du territoire (moins connue) et plus particulièrement au Xinjiang seront deux paramètres majeurs des politiques sécuritaires à partir de 2015. Ainsi, depuis vingt ans, la politique chinoise de contrôle de l’islam a évolué. Si à l’époque il s’agissait avant tout d’éviter que ce dernier <a href="https://www.canal-u.tv/video/fmsh/djihadisme_et_radicalites_en_asie.43999">ne devienne un canal d’expression du mécontentement ouïgour au Xinjiang</a> ou qu’il se radicalise sous l’influence de mouvements fondamentalistes étrangers, aujourd’hui la RPC met en place envers les Ouïgours un contrôle humain et technologique totalitaire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Chine : Ouïgours, un peuple en danger (Arte, 2019).</span></figcaption>
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<h2>Le Xinjiang et l’Afpak (Afghanistan-Pakistan) : un champ de forces</h2>
<p>Cet étranger proche, situé dans le prolongement du Xinjiang, représente un <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/La-Suite-des-temps/Demain-la-Chine-guerre-ou-paix">terrain d’affrontement indirect avec l’Inde</a>. En ce sens, le Pakistan, à la fois soutien des talibans et partie d’un continuum stratégico-diplomatique avec Pékin, est la clef de ce Grand Jeu.</p>
<p>Les guérillas actives dans cette zone sont autant d’épines dans le pied du Gulliver chinois. Leur existence exprime la manifestation de frustrations identitaires, religieuses et économiques de peuples malmenés par la mondialisation, l’instabilité chronique et de longue durée (guerre en Afghanistan depuis plus de 40 ans) ou par une sinisation brutale comme celle subie par les Ouïgours. Leur opposition aux projets de Pékin, qu’elle se traduise par de simples tensions ou par des actions terroristes, obère les chances de l’<a href="https://www.senat.fr/rap/r05-400/r05-400.html">« émergence pacifique » (<em>heping jueqi</em>)</a> à laquelle la Chine prétend.</p>
<p>Sur le temps long, et dans les régions tampons que sont le Turkestan mais aussi les zones pachtoune, baloutche et cachemirie, ces heurts manifestent l’opposition irréductible entre deux systèmes politiques : l’un marqué par une culture voire un culte de l’État, l’autre s’en affranchissant et érigeant en principe cardinal le <a href="https://laviedesidees.fr/Zomia-la-ou-l-%C3%89tat-n-est-pas.html">fait même de ne pas être gouverné</a>. Et certainement pas par la Chine. Un autre « Grand Jeu » se joue dans ces différentes parties du monde. Il ne dépend pas des seules relations conflictuelles entre puissances. Car à travers lui, se redécouvre l’expérience faite hier par l’URSS, aujourd’hui par la Chine, dans leur rapport antagoniste à un islam des maquis.</p>
<p>« Redécouverte » car Al Qaida et les organisations terroristes centrasiatiques ont recours à une <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/culturesmonde-emission-du-mardi-31-aout-2021">guerre asymétrique</a> déjà pratiquée au début du siècle dernier par des indépendantistes en pays ouïgour. Vue des oasis, du désert du Taklamakan ou de l’arrière-pays que forment les Pamirs, cette vaste région minérale s’apparente à une mer intérieure. Vue de Pékin, elle constitue davantage un front pionnier.</p>
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<figcaption><span class="caption">China’s Hidden War On Terror : Special Report, 10 mai 2019.</span></figcaption>
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<p>Les visées de la RPC butent aussi sur des précédents historiques que les populations locales n’ont guère oubliés. Nombre de Basmatchis (peuples musulmans, notamment turcs opposés à la domination russe et soviétique) se sont réfugiés, dans les années 1930, en Afghanistan et dans le nord-ouest de la Chine. Une <a href="https://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1991_num_78_292_4801_t1_0454_0000_2">éphémère République du Turkestan voit même le jour</a>. Son gouvernement provisoire, dirigé par l’émir auto-proclamé Abdullah Bughra ( ?-1934), s’établit dans <a href="https://theconversation.com/tadjikistan-et-kirghizistan-deux-foyers-dincertitude-aux-portes-de-la-chine-148362">l’oasis de Khotan</a> (<em>Hetian</em> en chinois), à l’est de Kachgar. Soutenue par le roi d’Afghanistan, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mohammad_Zaher_Shah">Mohammed Zahir Shah</a> (1914-2007), qui lui fournit des armes, et bien qu’aidée par des rebelles kirghizes qui la rejoignent, celle-ci sera âprement combattue puis défaite par l’armée des nationalistes chinois avec l’aide financière de Staline.</p>
<p>La diplomatie chinoise n’hésitera pas non plus, en pleine guerre froide, à s’associer avec les services secrets pakistanais (ISI) et la CIA pour soutenir les <a href="https://theconversation.com/la-question-ou-goure-au-coeur-des-enjeux-entre-pekin-et-kaboul-150051">moudjahidines dans leur lutte contre les Soviétiques</a>. Aujourd’hui encore, la région reste redoutée par Pékin.</p>
<h2>À l’ouest, rien (de trop) nouveau…</h2>
<p>Dans sa recherche constante d’une sanctuarisation territoriale, <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-monde/episode-1-4-pakistan-la-strategie-de-l-ambiguite">Pékin cherche à s’appuyer non seulement sur le Pakistan</a> mais aussi, et dans son prolongement, sur l’Iran, pour dynamiser l’ensemble de la région dont l’Afghanistan est le centre.</p>
<p>Le fait que le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, ait assisté d’une part à la <a href="http://french.xinhuanet.com/2015-12/04/c_134886105.htm">5ᵉ conférence ministérielle du Processus d’Istanbul – Cœur de l’Asie sur l’Afghanistan</a>, qui s’est déroulée en 2015 à Islamabad, et que la Chine n’ait jamais écarté les talibans des négociations, cherchant au contraire à les associer aux <a href="https://www.letemps.ch/monde/situation-afghanistan-provoque-desarroi-inde-attentisme-chine">discussions organisées à Tianjin</a>, va dans le même sens. Pour l’essentiel, hormis <a href="https://asia.nikkei.com/Opinion/The-myth-of-Chinese-investment-in-Afghanistan2">l’hypothétique exploitation des immenses richesses</a> du pays (lithium, fer, or, cuivre – notamment la <a href="https://thediplomat.com/2017/01/the-story-behind-chinas-long-stalled-mine-in-afghanistan/">mine de cuivre de Mes Aynak</a>), c’est pour avoir l’assurance d’une stabilité régionale et pour anticiper ou éviter des attaques terroristes ouïgoures sur le territoire chinois que la RPC s’affiche aux côtés des talibans.</p>
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<figcaption><span class="caption">Afghanistan : la Chine souhaite des « relations amicales » avec les talibans • France 24, 16 août 2021.</span></figcaption>
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<p>La presse chinoise a abondamment évoqué tout au long du mois d’août dernier « l’échec » de l’Occident et, en particulier, des États-Unis dans l’entreprise de « Nation building » en Afghanistan depuis 2001. Si le bilan de l’intervention américaine, et plus largement de celle de l’OTAN, est <a href="https://www.marianne.net/monde/asie/afghanistan-nous-assistons-a-une-deroute-de-loccident-et-de-lotan">à nuancer</a>, et s’il ne faut pas oublier que cette intervention militaire s’est doublée d’une <a href="https://www.lefigaro.fr/economie/les-americains-ont-ils-depense-plus-de-1000-milliards-de-dollars-en-afghanistan-20210817">perfusion de dollars et de projets de développement</a>), le traitement médiatique de Pékin ne laisse pas de doute sur sa volonté d’incarner une alternative diplomatique et un modèle de développement pour la région.</p>
<p>Pour autant, les États-Unis se sont retirés massivement tout en conservant des relais locaux, la récurrence des attaques terroristes contre des intérêts ou individus chinois, notamment au Pakistan, ne tarira probablement pas. Le régime de Pékin le sait. La nouvelle donne entraînera probablement une montée en gamme (diplomatique, technique et militaire) des politiques anti-terroristes en Chine à l’intérieur et à l’extérieur de ses frontières, s’appuyant sur le Pakistan, l’Asie centrale et une partie du Moyen-Orient.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167846/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour Pékin, la « guerre contre le terrorisme » lancée par Washington après le 11 Septembre a été l’occasion de s’imposer comme un acteur sécuritaire et diplomatique alternatif pour l’Asie centrale.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1673832021-09-15T19:10:45Z2021-09-15T19:10:45ZLe Pakistan et les talibans : les liaisons dangereuses<p>Alors que les talibans célèbrent le départ des troupes américaines depuis le 31 août 2021 et <a href="https://theconversation.com/les-talibans-a-lepreuve-du-pouvoir-167319">viennent d’établir un gouvernement</a>, de nombreux regards se tournent vers le Pakistan, dont l’establishment se félicite, de manière plus ou moins dissimulée, de l’évolution des événements chez le voisin du nord.</p>
<p>Le rôle d’Islamabad dans le succès taliban est presque de notoriété publique. L’acteur central de cette coopération est, depuis des décennies, l’armée pakistanaise, et plus particulièrement sa puissante agence de renseignements, <a href="https://www.cairn.info/qui-gouverne-le-monde--9782348040696-page-308.htm?contenu=article">l’Inter-Service Intelligence, ou ISI</a>.</p>
<h2>Assurer la survie du pays, envers et contre tout</h2>
<p>Depuis 1947, le <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2010-1-page-407.htm?contenu=plan">premier impératif politique du Pakistan est de garantir la survie du pays</a>, en particulier face à son voisin indien. Cette obsession détermine à la fois l’évolution interne et le positionnement international de l’État.</p>
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<figcaption><span class="caption">Cachemire : aux origines des tensions entre l’Inde et le Pakistan, <em>Le Monde</em>, 12 août 2019.</span></figcaption>
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<p>À cette perception de menace imminente s’ajoute l’incertitude causée par la non-reconnaissance de la <a href="https://www.jstor.org/stable/26572400?seq=1">ligne Durand</a>, la frontière afghano-pakistanaise, qui, négociée entre l’envoyé britannique Sir Henry Mortimer Durand et l’émir d’Afghanistan Abdur Rahman Khan en 1893, sépare arbitrairement les populations locales, sans considération ethniques ni topographiques – les préoccupations de l’époque ayant été avant tout stratégiques.</p>
<p>Pour le Pakistan, l’objectif est simple : ne pas <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300216165/taliban-revival">se retrouver encerclé</a> par deux pays ennemis. C’est pourquoi Islamabad a toujours agi de façon à ce que l’Afghanistan ne soit pas gouverné par un pouvoir politique favorable à l’Inde.</p>
<p>Un gouvernement afghan neutre, voire favorable aux intérêts pakistanais, permettrait ainsi à Islamabad de se concentrer exclusivement sur le cas indien – son troisième voisin, la Chine, étant qualifié d’« ami de tout temps » (<a href="http://web.isanet.org/Web/Conferences/HKU2017-s/Archive/80de1ecf-8860-4917-a39c-d7b738b762e9.pdf"><em>all-weather friend</em></a>) et ne représentant donc pas une menace imminente.</p>
<p>C’est dans ce contexte d’insécurité que l’armée pakistanaise, et en particulier l’ISI, puise la source de son pouvoir politique : sans ennemi de la nation, nul besoin d’une armée si puissante. En d’autres termes, un environnement politique et sécuritaire instable est un <a href="https://www.jstor.org/stable/20869714?seq=1">facteur de puissance et d’influence politiques</a> pour l’establishment militaire pakistanais.</p>
<p>Le contexte géopolitique régional, imprégné de méfiance, de suspicion et d’adversité, est favorable à une organisation dont le désordre et l’insécurité sont les principaux leviers d’action. Pensant à l’ISI, <a href="https://www.france24.com/fr/20080118-une-sinistre-histoire-despion-pakistan-services-secrets">d’aucuns s’imaginent</a> une agence de renseignement menée par et employant des voyous, des extrémistes, presque des criminels. Il n’en est rien : l’ISI est une bureaucratie digne de son armée, hautement professionnelle, compétente dans son domaine, organisée, à la structure hiérarchique claire et respectée. Placée sous commandement militaire, son personnel provient en majeure partie des rangs de l’armée, ce qui lui assure une grande cohésion interne et, par là même, longévité et stabilité. Puissant et fort de ressources humaines, financières et matérielles, l’ISI met en œuvre de manière continue la politique pakistanaise de soutien à des groupes islamistes depuis maintenant une cinquantaine d’années.</p>
<h2>Un patronage de longue haleine</h2>
<p>L’implication pakistanaise dans la politique afghane est loin d’être nouvelle. Dès les années 1970, alors que le pouvoir et l’autorité du <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2007/07/24/zaher-shah-dernier-roi-d-afghanistan_938686_3382.html">roi Zaher Shah</a> (1933-1973) commencent à vaciller, Islamabad fournit un <a href="https://www.jstor.org/stable/4328240">soutien politique et militaire</a> à différentes factions afghanes.</p>
<p>Pendant la période d’invasion soviétique, entre 1979 et 1989, l’armée pakistanaise, en bonne partie via l’ISI, apporte une assistance financière, matérielle et d’entraînement aux moudjahidines. Allié de Washington, le Pakistan <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/quand-la-cia-aidait-les-fous-de-dieu_606084.html">achemine également l’aide américaine aux combattants afghans</a>.</p>
<p>C’est à cette époque que <a href="https://www.understandingwar.org/pakistan-and-afghanistan">l’ISI accroît sa puissance et son champ d’action</a>. Alors que l’Afghanistan s’enfonce dans la guerre civile à partir de 1989, le Pakistan suit et soutient la formation progressive d’un mouvement d’étudiants en religion qui prennent les armes sous la direction du mollah Omar pour rétablir sécurité et justice en Afghanistan et lutter contre le pouvoir et l’autorité des chefs tribaux et des seigneurs de guerre.</p>
<p>Dès leur formation en 1994, les talibans bénéficient ainsi du <a href="https://www.hrw.org/reports/2001/afghan2/Afghan0701.pdf">soutien pakistanais</a> : financement, recrutement, armement, entraînement, planification et stratégie, voire, selon certains témoignages, une participation directe à des opérations de combat. Aucun échelon de la chaîne opérationnelle du mouvement n’est totalement isolé du Pakistan. Lors de leur présence au pouvoir en Afghanistan entre 1996 et 2001, les talibans seront reconnus par trois pays uniquement, dont le Pakistan (les deux autres étant l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis).</p>
<p>Lorsque les troupes internationales entrent en Afghanistan en 2001, d’abord avec <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/mav/120/A/47015">l’opération Liberté immuable</a>, puis avec la <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_69366.htm">Force internationale d’assistance à la sécurité</a>, le Pakistan se voit délivrer un <a href="https://www.nytimes.com/2006/09/22/world/asia/22pakistan.html">ultimatum</a> de la part de l’administration américaine : soit le pays soutient l’opération internationale et rejoint la lutte anti-terroriste, soit il connaîtra le même sort que l’Émirat islamique d’Afghanistan.</p>
<p>Pour Pervez Musharraf, qui est à la tête du pays depuis 1999 (et le restera jusqu’en 2008), il s’agit d’un <a href="https://www.simonandschuster.com/books/In-the-Line-of-Fire/Pervez-Musharraf/9781439150436">non-choix</a>. Dans la guerre contre le terrorisme proclamée par George W. Bush, le Pakistan se positionne comme un allié des Américains.</p>
<p>Pourtant, Islamabad, et surtout Rawalpindi – où se situe le quartier général de l’armée pakistanaise – ne comptent pas pour autant abandonner l’atout taliban. C’est alors que le tristement connu <a href="https://cf2r.org/actualite/la-poursuite-du-double-jeu-pakistanais/">« double jeu » pakistanais</a> commence : tout en assistant les opérations internationales, notamment par le biais de la sécurisation des chaînes de ravitaillement des troupes présentes en Afghanistan, Islamabad continue de <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/the-taliban-at-war/">soutenir les talibans</a>, en leur donnant librement accès à des sanctuaires situés sur le territoire pakistanais, mais également par une assistance financière, matérielle et en matière d’entraînement.</p>
<p>Comme l’a <a href="https://www.independent.co.uk/asia/south-asia/taliban-pakistan-imran-khan-afghanistan-b1903821.html">indiqué récemment</a> l’actuel premier ministre pakistanais Imran Khan (en poste depuis 2018), il est certes compliqué d’identifier les talibans parmi les centaines de milliers d’Afghans qui peuplent les camps de réfugiés installés depuis des années au Pakistan. Mais les témoignages faisant état de la <a href="https://www.files.ethz.ch/isn/117472/DP%2018.pdf">présence de membres de l’ISI</a> aux réunions de la Choura de Quetta (un conseil de leaders talibans formé suite à la chute du régime en 2001) ou de <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/the-taliban-at-war/">l’entraînement de combattants talibans</a> par l’armée pakistanaise laissent moins de place à l’interprétation.</p>
<p>D’ailleurs, certains ne s’en cachent pas : le général Hamid Gul, ancien directeur de l’ISI (1987-1989) et <a href="https://www.dw.com/en/the-godfather-of-the-taliban-hamid-gul-and-his-legacy/a-18652103">parrain</a> des talibans afghans, s’était ainsi félicité, lors d’une <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/afghanistan/2021-07-22/pakistans-pyrrhic-victory-afghanistan">déclaration télévisée</a> en 2014, du fait que « lorsque l’histoire sera écrite, il sera dit que l’ISI a vaincu l’Union soviétique en Afghanistan avec l’aide de l’Amérique. Puis il y aura une autre phrase. L’ISI, avec l’aide des États-Unis, a vaincu l’Amérique ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Afghanistan : quels partenaires pour les talibans ? Arte, 8 septembre 2021.</span></figcaption>
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<h2>Le prix de la victoire</h2>
<p>Il est toutefois certain, <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/afghanistan/2021-07-22/pakistans-pyrrhic-victory-afghanistan">comme le soutient l’ancien ambassadeur pakistanais aux États-Unis Hussain Haqqani</a>, que le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan relève d’une victoire à la Pyrrhus pour Islamabad.</p>
<p>Cette politique myope de soutien à tout acteur pouvant représenter un levier stratégique contre l’Inde a joué un rôle majeur dans la normalisation du terrorisme et de la violence politique dans la région.</p>
<p>Une telle tactique ne peut <em>in fine</em> que se retourner contre ceux qui l’ont élaborée et mise en œuvre.</p>
<p>Il y a trente ans, le Pakistan a partiellement réussi à réorienter des combattants talibans contre son adversaire de toujours, l’Inde, en les guidant vers la lutte dans le Cachemire. Le prix à payer pour le pays est pourtant lourd : au Pakistan, la <a href="https://www.jstor.org/stable/23280406?seq=1">stratégie d’utilisation des militants islamistes quasiment depuis son indépendance</a> et amplifiée par les politiques court-termistes de Zia ul-Haq (1977-1988), a abouti à une <a href="https://icrd.org/wp-content/uploads/2017/12/Countering-Violent-Religious-Extremism-in-Pakistan-White-Paper.pdf">radicalisation religieuse qui est encore aujourd’hui l’une des plus élevées au monde</a>.</p>
<p>Le pays est en proie à une instabilité constante du fait de la présence d’un nombre élevé de groupes islamistes sur le territoire national. La politique de l’armée pakistanaise semble presque schizophrène : soutien à des groupes islamistes identifiés comme des atouts stratégiques d’un côté, lutte contre d’autres groupes de l’autre.</p>
<p>Ainsi, les forces armées pakistanaises soutiennent les talibans afghans et combattent les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/pakistan-les-talibans-revendiquent-un-attentat-qui-a-fait-4-morts-06-09-2021-2441611_24.php">talibans pakistanais</a> – le Tehrik-e-Taliban Pakistan, ou TTP. Pourtant, talibans afghans et TTP sont <a href="https://cisac.fsi.stanford.edu/mappingmilitants/profiles/tehrik-i-taliban-pakistan">liés</a> : si leurs objectifs sont nationaux – une forme de « chacun chez soi » – les deux groupes coopèrent notamment dans les régions pachtounes des deux pays, et les membres du TTP reconnaissent l’autorité de l’émir taliban, aujourd’hui le mollah Akhundzada.</p>
<p>La <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00396338.2018.1518379">réalité de la relation</a> entre talibans afghans et establishment militaire pakistanais est donc plus complexe et bien moins stable que ce que l’on pourrait penser.</p>
<p>Fluctuante, cette connexion entre le Pakistan et le mouvement taliban afghan évolue au gré des intérêts de sécurité nationale du premier et de la recherche d’autonomie stratégique du second. Ce n’est pas un hasard si Abdul Ghani Baradar, le numéro deux des talibans, a été <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/faith-unity-discipline/">arrêté à Karachi en 2010</a> juste après avoir affiché une volonté de négociation avec <a href="https://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2014/04/01/hamid-karzai-le-reve-afghan-brise_4393871_3208.html">Hamid Karzai</a> (alors président de l’Afghanistan), sans accord ni discussion préalable avec les Pakistanais.</p>
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<figcaption><span class="caption">Pakistan : quatre paramilitaires tués dans un attentat suicide, Euronews, 5 septembre 2021.</span></figcaption>
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<h2>Après le crime, le châtiment ?</h2>
<p>Il est certain que la possibilité de bénéficier d’un sanctuaire au Pakistan pèse lourd dans la balance des avantages que les talibans afghans tirent de leur relation avec l’armée pakistanaise. La situation actuelle en Afghanistan soulève dès lors une question cruciale : si les talibans (dont aucun pays ne reconnaît officiellement l’autorité sur l’Afghanistan pour l’instant) parviennent à stabiliser le pays, voire à établir des relations diplomatiques avec d’autres États – au premier rang desquels la Chine, la Russie, l’Iran ou encore le Qatar –, à quel levier d’influence les Pakistanais pourront-ils encore faire appel pour peser sur le groupe islamiste ?</p>
<p>Et si les talibans afghans ont dans leur visée la réunification de tous les territoires pachtounes au sein d’un <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2013-1-page-177.htm">Afghanistan élargi</a>, comment les Pakistanais pourront-ils éviter un accroissement de l’instabilité, voire des velléités de sécession, de la part des populations pachtounes du pays ?</p>
<p>Il est en effet bon de le rappeler : pendant leurs cinq années de gouvernance de l’Afghanistan entre 1996 et 2001, les talibans n’ont jamais reconnu la ligne Durand comme frontière internationale… Enfin, et surtout, la victoire militaire des talibans afghans pourrait inspirer d’autres groupes islamistes présents au Pakistan et les redynamiser dans leur lutte contre le gouvernement pakistanais.</p>
<p>Dangereuses, les relations que l’institution militaire pakistanaise a établies avec les talibans afghans risquent de se retourner une fois de plus contre Islamabad. Ainsi le Pakistan, dans sa lutte historique contre la supposée menace indienne, se trouve à nouveau être le premier architecte de ses propres difficultés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167383/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Vandamme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que le Pakistan semble avoir atteint son objectif avec la victoire des talibans, son soutien aux fondamentalistes pourrait se retourner contre lui.Dorothée Vandamme, Chargée de cours, UMons et Chargée de cours invitée, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1661582021-08-15T16:31:49Z2021-08-15T16:31:49ZAfghanistan : le triomphe des talibans malgré les milliards dépensés par les États-Unis<p>En moins d’une semaine, les talibans <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-asia-58191638">se sont emparés</a> d’une douzaine de villes majeures de l’Afghanistan. Ils encerclent désormais Kaboul et négocient avec le gouvernement du président Ashraf Ghani une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/15/afghanistan-les-talibans-encerclent-kaboul-au-terme-d-une-progression-eclair_6091487_3210.html">transition pacifique du pouvoir</a>. Leur emprise sur le pays est désormais quasi totale. Leur victoire éclair intervient à peine un mois après le retrait des troupes américaines.</p>
<p>Au cours des vingt dernières années, les États-Unis ont déversé des <a href="https://www.businessinsider.com/the-war-in-afghanistan-has-cost-the-us-226-trillion-2021-4?r=US&IR=T">milliers de milliards de dollars</a> sur l’Afghanistan pour chasser les talibans. Cet effort financier colossal se sera soldé par un fiasco total. Il est vrai que si l’on considère la situation géographique stratégique du pays et la politique de soutien aux talibans conduite par certains acteurs régionaux, cette issue apparaissait inévitable.</p>
<p>L’Afghanistan occupe une position stratégique entre l’Asie centrale et l’Asie du Sud, au sein d’une région riche en pétrole et en gaz naturel. L’État afghan est historiquement confronté aux aspirations indépendantistes de différents groupes ethniques résidant sur son territoire, tout spécialement les Pachtounes et, dans une moindre mesure, les <a href="https://www.jstor.org/stable/2645079?seq=1#metadata_info_tab_contents">Baloutches</a>.</p>
<p>C’est – entre autres – pour ces raisons que l’Afghanistan a de tout temps été le théâtre d’ingérences extérieures, que celles-ci proviennent du Royaume-Uni, l’Union soviétique puis de la Russie, des États-Unis, de l’Iran, de l’Arabie saoudite, de l’Inde et, bien sûr, du Pakistan.</p>
<h2>Le rôle du Pakistan</h2>
<p>Les relations entre l’Afghanistan et le Pakistan ont toujours été tendues depuis que le premier a été reconnu comme un État souverain en 1919.</p>
<p>Lorsque le Pakistan a obtenu son indépendance en 1947, l’Afghanistan a été le seul pays de l’ONU à <a href="https://www.rferl.org/a/1066586.html">voter contre</a> sa reconnaissance, en bonne partie du fait du refus de Kaboul de reconnaître la ligne Durand – la frontière afghano-pakistanaise, longue de 2 400 kilomètres, tracée à la hâte en 1893, des millions de Pachtounes se retrouvant alors de part et d’autre.</p>
<p>Craignant les appels lancés par les Pachtounes des deux pays en faveur de la création d’un État national pachtoune qui comprendrait une large partie du nord du Pakistan, Islamabad cherche depuis longtemps à faire de l’Afghanistan un État client, ce qui lui permettrait de gagner en profondeur stratégique face à l’Inde. Pour cela, les responsables pakistanais cherchent avec constance à faire émerger en Afghanistan une identité islamique (plutôt que pachtoune).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/416070/original/file-20210813-23-89cj5c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/416070/original/file-20210813-23-89cj5c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/416070/original/file-20210813-23-89cj5c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/416070/original/file-20210813-23-89cj5c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=458&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/416070/original/file-20210813-23-89cj5c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/416070/original/file-20210813-23-89cj5c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/416070/original/file-20210813-23-89cj5c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=576&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Carte politique de l’Afghanistan montrant les pays limitrophes..</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-vector/afghanistan-political-map-capital-kabul-borders-684819640">Peter Hermes Furian/Shutterstock</a></span>
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<p>Le Pakistan a largement contribué à l’arrivée des talibans au pouvoir à Kaboul en 1996 et s’est montré plus impliqué en Afghanistan que n’importe quel autre voisin du pays. Par l’intermédiaire de son principal service de renseignement, l’ISI, il a <a href="https://www.hrw.org/reports/2001/afghan2/Afghan0701.pdf">financé les opérations des talibans</a>, recruté des hommes pour servir dans leurs forces armées, leur a fourni des armes et les a aidés à planifier leurs offensives. Occasionnellement, le Pakistan a même directement pris part aux combats aux côtés des talibans. Le soutien de l’ISI aux talibans s’explique par l’objectif d’éradiquer le nationalisme pachtoune. Mais cette stratégie a peut-être créé un problème plus important encore pour le Pakistan, car le régime taliban a entraîné un exode de <a href="https://www.voanews.com/south-central-asia/pakistan-refuses-host-additional-afghan-refugees">citoyens afghans vers le Pakistan</a>.</p>
<p>Pourtant, selon le gouvernement afghan, certains éléments au sein du gouvernement pakistanais, notamment l’ISI, <a href="https://www.newindianexpress.com/world/2021/jul/31/pakistans-isi-supports-taliban-offensive-says-afghan-government-2338156.html">soutiennent toujours</a> les talibans et entretiennent l’instabilité permanente en Afghanistan. En outre, le Pakistan n’a pas noué de bonnes relations avec les autres groupes actifs en Afghanistan et n’a donc guère d’autre choix que de <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/afghanistan/2021-07-22/pakistans-pyrrhic-victory-afghanistan">se ranger derrière les talibans</a>.</p>
<p>Pour le gouvernement pakistanais, le pire scénario serait un conflit prolongé, qui pourrait conduire à un nouvel <a href="https://www.brookings.edu/blog/order-from-chaos/2021/08/06/an-uneasy-limbo-for-us-pakistan-relations-amidst-the-withdrawal-from-afghanistan">afflux massif de réfugiés</a> au Pakistan.</p>
<h2>Les calculs de l’Iran</h2>
<p>Les <a href="https://www.mei.edu/publications/irans-influence-afghanistan">relations de l’Iran avec l’Afghanistan</a>, dont il est limitrophe à l’est, sont rendues compliquées par la dynamique régionale et par les relations des deux États avec Washington. En tant que pays chiite, l’Iran a longtemps eu des divergences idéologiques avec les talibans. Dans les années 1990, il a cherché à conclure des alliances, notamment avec les États-Unis, pour <a href="https://www.files.ethz.ch/isn/93911/Audit_10_08_Rubin.pdf">contrer la menace posée par ceux-ci</a>.</p>
<p>Deux décennies plus tard, les relations entre les États-Unis et l’Iran sont au plus bas, ce qui a un impact direct sur l’attitude de Téhéran vis-à-vis des talibans. L’Iran a cherché à jouer sur tous les tableaux, soutenant à la fois le gouvernement afghan et les talibans pour maintenir leur division. L’amélioration de ses relations avec le Qatar, où se trouve le bureau politique des talibans, a également favorisé les relations entre l’Iran et les talibans.</p>
<h2>Les objectifs de la Russie et de la Chine</h2>
<p>La Russie cherche avant tout à prévenir l’instabilité à sa frontière avec l’Afghanistan et à préserver ce pays de l’influence américaine. Depuis les années 1990, Moscou <a href="https://warontherocks.com/2020/10/russias-contemporary-afghan-policy">développe des relations</a> avec différents groupes en Afghanistan, y compris les talibans, malgré ses soupçons quant à un éventuel soutien des talibans à des groupes terroristes.</p>
<p>Ces <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/russia-welcomes-the-taliban-as-a-lesser-evil-in-afghanistan-rr6bjg380">relations se sont intensifiées</a> après l’émergence de l’État islamique en 2015. Dans sa lutte pour vaincre Daech en Afghanistan, la Russie a vu les intérêts des talibans coïncider avec les siens.</p>
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<figcaption><span class="caption">Une délégation des talibans s’est rendue à Moscou pour détailler leurs intentions (RT, 9 juillet 2021).</span></figcaption>
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<p>Des informations ont fait surface selon lesquelles la Russie <a href="https://www.bbc.co.uk/news/world-asia-43500299">armait les talibans afghans</a> et sapait directement les efforts des États-Unis dans ce pays, allant jusqu’à leur <a href="https://www.nytimes.com/2020/06/26/us/politics/russia-afghanistan-bounties.html">verser des primes</a> pour tuer des soldats américains et alliés. Toutefois, les services de renseignement américains ont, depuis, <a href="https://www.theguardian.com/world/2021/apr/15/russian-bounty-us-troops-afghanistan">dit fortement douter</a> de la réalité de ces primes qui auraient été promises par Moscou.</p>
<p>La Chine, quant à elle, a toujours entretenu des <a href="https://www.orfonline.org/research/understanding-chinas-afghanistan-policy-from-calculated-indifference-strategic-engagement-54126/#_ednref42">relations cordiales</a> avec les talibans. La principale préoccupation de Pékin est d’étendre son influence vers l’ouest pour gagner en profondeur stratégique face à l’Inde et aux États-Unis.</p>
<h2>De nouvelles alliances</h2>
<p>Pour l’instant, l’ascension des talibans ne s’est pas traduite par une augmentation de l’activité terroriste de groupes comme Al-Qaïda contre les voisins de l’Afghanistan – une crainte que le retrait américain de la région a largement amplifiée. La victoire des talibans apparaissant inexorable, presque tous les voisins de l’Afghanistan ont passé des alliances opportunistes avec eux, à l’exception de l’Inde.</p>
<p>Cette dernière, longtemps réticente à se rapprocher des talibans, a toutefois récemment <a href="https://foreignpolicy.com/2021/07/25/india-afghanistan-taliban-blinken-jaishankar-modi-meeting-new-delhi-geopolitics-regional-order/">pris contact avec eux</a>, avec le soutien du Qatar. Cependant, New Delhi a également indiqué clairement qu’elle ne soutiendrait pas une prise par la force de Kaboul.</p>
<p>Ces dernières semaines, le gouvernement afghan, assiégé, n’a cessé d’affirmer que ses voisins faisaient preuve d’une grande naïveté vis-à-vis des talibans en croyant à leur capacité à se réformer et à leur capacité à aider l’Afghanistan à atteindre la stabilité. De hauts responsables afghans ont prévenu qu’une victoire des talibans entraînerait un renforcement de divers groupes terroristes, si les talibans <a href="https://www.cnbc.com/2021/08/11/afghanistan-war-will-spread-beyond-its-borders-top-negotiator-warns.html">leur permettaient d’établir une base en Afghanistan</a> depuis laquelle ils fomenteraient des attaques.</p>
<p>Il y a plus inquiétante encore que l’hospitalité des talibans : c’est leur volonté de permettre aux groupes terroristes de <a href="https://sk.sagepub.com/books/global-politics-and-violent-non-state-actors">s’engager librement</a> dans la criminalité organisée – l’Afghanistan étant également un lieu attrayant pour cela.</p>
<p>La résurgence des talibans a provoqué une grave crise humanitaire en Afghanistan, et s’accompagne de terribles <a href="https://www.un.org/press/en/2021/sc14596.doc.htm">violations des droits de l’homme</a>. Le premier ministre pakistanais, Imran Khan, a accusé les États-Unis de <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/8/12/pakistan-imran-khan-afghanistan-mess-taliban">laisser derrière eux</a> un « chaos ».</p>
<p>Et pourtant, si beaucoup critiquent le président américain Joe Biden pour avoir retiré ses troupes, il est peu probable, compte tenu de toutes ces forces régionales en jeu, que les États-Unis auraient pu un jour parvenir à la stabilité en Afghanistan, quelle qu’ait pu être la durée de leur présence sur place.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166158/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Natasha Lindstaedt ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les Américains sont restés vingt ans en Afghanistan et y ont déversé des sommes astronomiques. Un mois après leur départ, les talibans ont repris le pouvoir dans le pays.Natasha Lindstaedt, Professor, Department of Government, University of EssexLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1637472021-07-28T19:36:26Z2021-07-28T19:36:26ZLe Pakistan, cœur des rivalités stratégiques et bombe à retardement ?<p>Pays neuf, le Pakistan n’en est pas moins l’héritier d’une civilisation multiséculaire. On pense aux vestiges de <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/138/">Mohenjo-Daro</a>, au site gréco-bouddhique de <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/139/">Taxila</a>, à la magnificence des <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/171/">jardins de Shalimar</a> ou encore à celle des palais de <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/lahore/">Lahore</a>.</p>
<p>Au lendemain de sa séparation avec l’Inde, en 1947, le Pakistan devint l’un des postes les plus avancés de la guerre froide, « a front country » comme Le Pentagone le qualifiait alors. Ligne de fracture, lieu d’affrontement idéologique privilégié entre les <a href="https://editionsnevicata.be/le-grand-jeu">puissances du « Grand Jeu »</a>, le Pakistan n’a trouvé aucun bénéfice à la fin de l’affrontement entre Soviétiques et Américains. Au contraire, il s’est enfoncé chaque année un peu plus dans les dissensions internes et les rivalités ethniques, bien que sa situation géographique continue à le placer aux avant-postes des convoitises entre puissances rivales.</p>
<p>Le développement maritime de ses infrastructures portuaires à Karachi (ou <a href="https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/pakistan-gwadar-un-port-chinois-des-nouvelles-routes-de-la-soie-dans-un-baloutchistan">à Gwadar et Jiwani</a>) l’a conduit à renforcer ses relations avec la Chine. Pékin souhaite en faire l’un des débouchés prioritaires pour son projet des Nouvelles routes de la Soie, matérialisé par l’établissement d’un corridor stratégique qui relie la mer d’Arabie à l’Empire du Milieu à travers le <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/qaraqorum-karakorum/">Karakorum</a> et la chaîne de l’Himalaya (dans une perspective de désenclavement du grand ouest chinois, particulièrement le Xinjiang).</p>
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<p>Cette route stratégique est celle qu’empruntèrent jadis des générations de pèlerins bouddhistes ou d’explorateurs comme <a href="https://editionsnevicata.be/le-grand-jeu">Francis Younghusband ou Ian Fleming</a>. Tous séjournèrent dans cette région souvent associée à l’Eden, le Cachemire pakistanais, autrement appelé la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=I8CZgq37ta0">Hunza</a>. Son chef spirituel, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2018/02/16/01003-20180216ARTFIG00131-son-altesse-l-aga-khan.php">l’Aga Khan</a>, a su, malgré les risques que fait peser le terrorisme, conserver un cadre socio-politique relativement harmonieux. Une exception qui devrait être très vite mise à mal par des bouleversements importants marqués par la venue de nouveaux acteurs politiques dans la région.</p>
<h2>Un partenaire essentiel pour la Chine</h2>
<p>La République islamique du Pakistan est le premier pays musulman à avoir reconnu la République populaire de Chine, dès 1950. Pour l’essentiel, la relation sino-pakistanaise va se construire en fonction de la <a href="https://theconversation.com/chine-inde-mefiance-par-temps-de-pandemie-136149">rivalité stratégique sino-indienne</a>, le « pays des Purs » étant l’axe prioritaire de l’agenda militaro-stratégique indien jusqu’à ce que la Chine s’impose comme puissance régionale disruptive.</p>
<p>Politique de bon voisinage et excellentes relations longtemps maintenues par Islamabad tant vis-à-vis de Pékin que de Washington auront permis aux dirigeants pakistanais de se rendre utiles auprès d’interlocuteurs souvent opposés, durant toute une partie de la guerre froide. C’est dans ce contexte que la Chine, discrète mais efficace, des années 1980, dans le cadre de sa concurrence avec Moscou, offre une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/02634930120095349?journalCode=ccas20&">assistance logistique aux moudjahidines afghans</a>, alors, également, très largement épaulés par la CIA et les services secrets pakistanais (ISI) dans leur lutte contre les Soviétiques. Cette collusion s’accompagne de recrutements extérieurs, des djihadistes du monde arabo-musulman, parmi lesquels Ben Laden, rejoignant le combat afghan.</p>
<p>Plus tard, Pékin n’hésitera pas à reconnaître le régime des talibans jusqu’à son effondrement, en 2001 (les autorités chinoises entretenaient un <a href="https://theconversation.com/la-question-ou-goure-au-coeur-des-enjeux-entre-pekin-et-kaboul-150051">lien discret avec le mollah Omar</a>). Par la suite, à la différence des Occidentaux, la RPC n’a jamais écarté les talibans des négociations, cherchant au contraire à les associer aux <a href="https://www.la-croix.com/Monde/talibans-annoncent-tenue-conference-inter-afghane-Pekin-2019-10-23-1301056087">discussions organisées à Pékin</a>. Quoi qu’il en soit, l’échec des Soviétiques en Afghanistan n’est pas étranger à cette participation chinoise à un conflit dans lequel la sécurité du Pakistan était directement impliquée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1411930911386574849"}"></div></p>
<p>Rétrospectivement, les relations sino-pakistanaises ont été marquées par une succession d’actes fondateurs qu’il est nécessaire d’avoir en mémoire. Ainsi, en 1963, le rapprochement entre les deux pays est marqué par la cession de la <a href="https://www.asie21.com/tag/vallee-de-shaksgam/">vallée cachemirie du Shaksgam</a>, que l’Inde continue de revendiquer à ce jour. Cette cession a valeur tributaire et la fourniture par Pékin d’une aide économique, militaire et technique à Islamabad n’a depuis jamais diminué. Y compris dans un domaine aussi sensible que le nucléaire.</p>
<p>La défaite pakistanaise de 1971 face à l’Inde ne sera pas étrangère au souhait d’Islamabad de se doter de la bombe et de <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2015-1-page-41.htm">sanctuariser définitivement son territoire</a>. Cette coopération est officiellement scellée en 1976 entre le premier ministre de l’époque Zulfiqar Ali Bhutto (1928-1979) et Mao Zedong, peu de temps avant la mort du Grand Timonier. <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2007/06/12/l-itineraire-d-a-q-khan-le-pere-de-la-proliferation-nucleaire_922581_3216.html">Le père de la bombe pakistanaise Abdul Qadeer Khan</a> se rend aux funérailles de ce dernier et rencontre alors de nombreux officiels chinois pour accélérer des transferts de technologie. Il en profite pour mettre sur pied un formidable réseau international de prolifération des outils et des matériaux nécessaires à la fabrication de la Bombe. Pékin fut alors le lieu des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1991/11/29/l-asie-foyer-de-proliferation-nucleaire-la-coree-du-nord-et-le-pakistan-veulent-la-bombe-alors-que-la-chine-et-l-inde-disseminent-leur-science-atomique_4032746_1819218.html">échanges discrets de la prolifération</a>. Il offre ses services à l’Iran, à la Corée du Nord, mais aussi à l’Irak, à la Libye et sans doute à d’autres.</p>
<p>Plus récemment encore, en 2006, Washington verra avec inquiétude la construction par la Chine d’un port en eau profonde à Gwadar, sur le littoral baloutche du Pakistan, pouvant accueillir des navires de guerre. Ce port étant proche du Golfe persique, certains analystes américains ont estimé qu’il s’agissait là d’un premier pas de la Chine, lui permettant de projeter ses forces dans le Golfe. La décision en avril 2015 de créer un corridor stratégique sino-pakistanais, à la suite de la visite de <a href="https://www.senat.fr/rap/r17-520/r17-520_mono.html">Xi Jinping à Islamabad, accompagnée d’un plan de coopération économique de plus de 40 milliards de dollars</a>, ne pourra que renforcer ces craintes.</p>
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<p>Indépendamment des caractéristiques militaires qu’on lui prête, ce corridor répond au dilemme de Malacca et à la nécessité de contourner ce détroit en cas de blocus américain. Pour le moment, toutefois, ce port ne représente ni un succès (faute d’hinterland) ni une certitude quant au développement d’infrastructures duales qui s’étendraient de l’Asie-Pacifique à l’Afrique, de l’Europe à l’Amérique latine.</p>
<p>Les relations stratégico-militaires demeurent en tout cas très étroites. De la fabrication en commun de chasseur JF-17 à la vente d’armes en passant par des manœuvres militaires conjointes, Pékin et Islamabad affichent une forme avancée de partenariat stratégique, essentiellement tourné contre l’Inde.</p>
<h2>Le terrorisme et les implications des acteurs turc et indien</h2>
<p>Cette politique bilatérale n’est pas dénuée d’ambiguïtés. Pékin n’hésite pas à soutenir un certain nombre de terroristes comme <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Masood_Azhar">Massod Azhar</a> qui a longtemps sévi depuis le Pakistan contre des intérêts indiens en refusant de l’exposer à la justice internationale. En outre, <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/088462-000-A/face-au-terrorisme/">l’organisation Lashkar-e-taïba (« l’Armée des pieux ») est un mouvement islamiste proche d’al-Qaïda et des talibans</a> dont l’Américano-Pakistanais David Headley était un agent double sur fond de trafic d’héroïne, est connectée à divers attentats (Danemark, Inde, etc.).</p>
<p>La province pakistanaise du Baloutchistan est un laboratoire révélateur des tensions qui s’exercent entre puissances régionales (Arabie saoudite, Inde, Iran…) par <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2018/01/Asia-focus-57.pdf">factions islamistes interposées</a>. Le Baloutchistan constitue avec le Cachemire et l’Afghanistan les trois foyers à risque de radicalité islamiste que Pékin prend d’autant plus au sérieux que le dernier d’entre eux <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2019/06/Asia-Focus-115.pdf">se trouvent à ses portes</a>. Dans le cadre du développement du corridor sino-pakistanais, plusieurs assassinats, attentats et enlèvements ont eu lieu.</p>
<p>L’<a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/organisation-de-cooperation-de-shanghai-ocs">Organisation de Coopération de Shanghai</a> et le <a href="https://www.mfa.gov.tr/sayin-bakanimizin-tacikistan-i-ziyareti-30-3-2021.fr.mfa">Processus d’Istanbul – Cœur de l’Asie</a> constituent autant de cadres de réflexion multilatéraux qui engagent l’Asie centrale, le Pakistan, la Chine mais aussi, plus récemment, la Turquie dans des initiatives visant à rétablir la paix tout particulièrement dans l’Afghanistan voisin et ses plus proches périphéries. Le dirigeant turc <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/erdogan-ach%C3%A8ve-sa-visite-au-pakistan-/1734525">Recep Tayyip Erdogan s’est rendu à Islamabad en février 2020</a>, alors que la pandémie de Covid-19 faisait des ravages. Il y a rappelé à qui voulait l’entendre que c’est bien sous les Turcs que les musulmans de l’Inde ont adopté la religion islamique, leur langue ourdoue étant très imprégnée de la langue turque.</p>
<p>C’est durant la guerre de libération nationale turque que les musulmans de l’Inde ont aussi gagné le cœur des Turcs. Le poète et <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Mohamed-Iqbal-penseur-d-un-autre.html">penseur musulman Mohammed Iqbal (1877-1938)</a>, lors d’un rassemblement à la mosquée Badshahi à Lahore, a prié pour la victoire des Turcs combattant dans les Dardanelles et récité des vers dont il était l’auteur, dans lesquels il disait avoir rêvé du prophète de l’islam, à qui il apportait une bouteille de sang unique – « le sang des martyrs des Dardanelles ». Il invitait ainsi les musulmans à combattre aux côtés des Turcs et à les soutenir financièrement. Les milliers de personnes présentes sur place, qui vivaient elles-mêmes dans le besoin, ont fait don de l’argent qu’elles avaient épargné, les femmes ont offert les bijoux qu’elles portaient. Rappelant cet événement avec reconnaissance devant le Parlement pakistanais, Erdogan affirmait qu’au Pakistan les Turcs ne se sentaient pas à l’étranger mais bien chez eux grâce aux liens fraternels entre les deux peuples. Il annoncera plus tard qu’il n’existe à ses yeux aucune différence <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-l_asie_et_le_moyen_orient_quelles_relations_au_XXIe_siecle-9782343224701-68197.html">entre les Dardanelles et le Cachemire</a>.</p>
<p>Qu’est-ce à dire ? Que les luttes d’influence au Pakistan vont se renforcer et que le pays va, plus que jamais, continuer à se fractionner sous l’effet de l’action de leviers antagonistes. Parmi ces leviers, la puissance de l’Inde, dont l’intérêt stratégique sera non plus tant de circonscrire son rival sino-pakistanais dans des zones de conflits traditionnels (Cachemire, Himalaya, Baloutchistan) que de porter le fer en dehors des zones frontalières, c’est-à-dire vers des régions situées plus à l’ouest encore (États du Golfe) ou en Asie centrale.</p>
<p>Ce sont ces régions convoitées par New Dehli qui ont fait l’objet d’une reformulation des choix stratégiques opérés par l’Inde depuis l’élection de Narendra Modi. Ces choix visent pour l’essentiel des pays musulmans. Alliance de revers encore mais cette fois clairement orientée contre Islamabad. Dans la rivalité qui oppose la Chine et son allié pakistanais à la puissance indienne, ces pays vont, selon toute vraisemblance, être le théâtre de nouveaux affrontements sur fond de radicalité musulmane.</p>
<p>Attaque de <a href="https://theconversation.com/tadjikistan-et-kirghizistan-deux-foyers-dincertitude-aux-portes-de-la-chine-148362">l’ambassade de Chine à Bichkek</a> (Kirghizistan), en 2016, <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/11/23/pakistan-le-consulat-de-chine-a-karachi-vise-par-une-attaque_5387282_3216.html">attaque contre le consulat chinois de Karachi (Pakistan)</a>, en 2018, ou enlèvement récurrent de ressortissants chinois dans la région « Af-Pak » (Afghanistan-Pakistan), peu relatés par la presse occidentale : tous ces événements n’en sont peut-être que le prélude. Il n’est pas certain que les forts ressentiments antichinois qui ont touché successivement l’ensemble de l’Asie du Sud-Est, à travers les revendications de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/16/l-alliance-des-thes-au-lait-ou-la-solidarite-des-jeunesses-asiatiques-contre-l-autoritarisme_6073256_3210.html">Milk Tea Alliance</a>, ne touchent pas ces régions du monde musulman. Toutefois, et d’une manière significative, Imran Khan, premier ministre du Pakistan, a <a href="https://www.dawn.com/news/1632539">nié toute forme de répression menée par son allié de Pékin</a> contre la communauté ouïgoure.</p>
<p>Il n’est pas improbable non plus que la diplomatie turque, se voyant opposée à un front de plus en plus hostile de l’Union européenne, porte ses regards plus à l’est en optant pour un rapprochement avec le Pakistan, l’une des clés de voûte essentielles du dispositif chinois sur lequel repose sa politique étrangère en Asie à travers l’ambitieux projet des Nouvelles routes de la soie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163747/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Premier pays musulman musulman à reconnaître la République populaire de Chine en 1950, le Pakistan demeure un acteur proche de Pékin, les deux pays partageant une forte hostilité à l'égard de l'Inde.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1641972021-07-12T17:03:31Z2021-07-12T17:03:31ZAfghanistan : comment des décennies de progrès pourraient être anéanties à court terme<p>L’Afghanistan est au bord d’une catastrophe aux proportions presque inimaginables. Le retrait de l’armée américaine et des forces alliées, qui devrait être terminé d’ici au 11 septembre prochain, d’après Joe Biden, pourrait entraîner la disparition du gouvernement le plus pro-occidental d’Asie du Sud-ouest.</p>
<p>Cela compromet également toute la structure de l’État afghan, établie depuis la chute du régime taliban en 2001.</p>
<p>Si cela devait se produire, les <a href="https://www.cis.org.au/publications/occasional-papers/afghanistan-on-the-brink-of-an-abyss/">conséquences</a> les plus probables seraient l’établissement d’un régime théocratique à Kaboul, le début d’une guerre civile (aux dimensions transnationales) dans plusieurs régions du pays et le départ de millions de personnes sur les routes pour fuir l’Afghanistan.</p>
<p>En mai 2010, la secrétaire d’État américaine Hillary Clinton <a href="https://foreignpolicy.com/2010/05/14/clinton-to-afghan-women-we-will-not-abandon-you/">avait promis</a> à une délégation de femmes afghanes en visite aux États-Unis :</p>
<blockquote>
<p>« Nous ne vous abandonnerons pas. Nous vous soutiendrons toujours. »</p>
</blockquote>
<p>Pourtant, c’est exactement ce que viennent de faire les États-Unis : abandonner les Afghans qui comptaient sur ces engagements. Pressé de s’expliquer sur son choix la semaine dernière, le président américain a <a href="https://www.nytimes.com/2021/07/02/us/politics/biden-afghanistan.html">coupé court aux interrogations d’un journaliste</a>, en répliquant, exaspéré, qu’il « [préférait] parler de choses positives ».</p>
<p>À ce stade, les Afghans, eux, ont beaucoup de mal à trouver des sujets de conversation positifs.</p>
<h2>Pourquoi l’état d’esprit de la population est essentiel</h2>
<p>L’état d’esprit général de la population afghane sera crucial dans l’évolution des événements. Ce n’est pourtant pas un aspect qui semble beaucoup préoccuper les responsables politiques américains.</p>
<p>Chaque fois que l’Afghanistan a connu un bouleversement politique, comme lors de la chute du <a href="https://www.britannica.com/place/Afghanistan/Civil-war-communist-phase-1978-92">régime communiste en avril 1992</a> ou celle des talibans en novembre 2001, c’est essentiellement parce que des acteurs clés ont jugé prudent de s’écarter des détenteurs du pouvoir, ceux-ci semblant perdre en autorité.</p>
<p>Même si le gouvernement afghan a fait beaucoup de déçus et d’insatisfaits, car trop centralisé, affaibli par les réseaux de clientélisme et souvent axé sur l’extraction de richesses de la population, les talibans restent très impopulaires auprès des Afghans. Selon une vaste étude réalisée en 2019 par l’Asia Foundation, 85 % des personnes interrogées n’avaient <a href="https://theconversation.com/lasting-peace-in-afghanistan-now-relies-on-the-taliban-standing-by-its-word-this-has-many-afghans-concerned-132756">aucune sympathie</a> pour eux.</p>
<p>Mais, en Afghanistan, il ne fait pas bon être dans le camp des perdants. Et il existe un risque sérieux qu’avec la diffusion du sentiment que les talibans sont bien placés pour reprendre le contrôle, on assiste à un vague de défections au sein du gouvernement et de l’armée.</p>
<p>Et cela pourrait arriver bientôt : des dizaines de districts sont passés aux mains des talibans fin juin-début juillet. L’estimation des renseignements américains, qui annonce une prise du pouvoir possible par les talibans dans le pays d’ici <a href="https://www.nytimes.com/2021/03/26/us/politics/biden-afghanistan-intelligence.html">deux ou trois ans</a>, semble dangereusement optimiste.</p>
<h2>La population afghane à l’abandon</h2>
<p>Les États-Unis sont directement responsables de cette situation tragique. Fin 2014, la majorité des forces étrangères avait quitté l’Afghanistan, laissant les Américains jouer un rôle beaucoup plus réduit mais essentiel en assurant un soutien au gouvernement afghan.</p>
<p>Le soutien américain se traduisait de trois manières : par le renfort des forces aériennes pour des opérations au sol de l’armée afghane, par un travail de renseignement, et surtout en rassurant des Afghans vulnérables et à bout de nerfs. Ceux-ci avaient fini par accepter de considérer les États-Unis comme un véritable partenaire dans la lutte contre les auteurs de terribles exactions, comme les talibans et l’État islamique.</p>
<p>La stratégie des Américains était durable et relativement peu coûteuse. Même si elle ne laissait pas entrevoir de victoire flamboyante, elle permettait d’éviter les conséquences d’une défaite désastreuse.</p>
<p>Tout cela s’est effondré sous la présidence de Donald Trump, qui est passé outre le gouvernement afghan pour signer avec les talibans le 29 février 2020 ce que les États-Unis ont appelé un <a href="https://www.state.gov/wp-content/uploads/2020/02/Agreement-For-Bringing-Peace-to-Afghanistan-02.29.20.pdf">« accord visant à apporter la paix en Afghanistan »</a>.</p>
<p>En réalité, pour les États-Unis, ce n’était qu’un accord de retrait anéantissant toute perspective de négociations sérieuses entre le gouvernement afghan et les talibans – alors que ces négociations constituaient soi-disant la <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2020/02/16/long-suffering-afghanistan-this-is-peace-deal-worth-trying/">raison d’être</a> d’une telle démarche – en offrant aux talibans tout ce qu’ils attendaient, dès le début de ce qui était censé être un « processus de paix ».</p>
<p>N’en croyant pas leur chance, ceux-ci ont <a href="https://tolonews.com/opinion-168815">intensifié leurs attaques</a> contre les défenseurs de la démocratie, les acteurs de la société civile et les médias.</p>
<p>En <a href="https://www.nytimes.com/2021/04/14/us/politics/biden-afghanistan-troop-withdrawal.htm">décidant de poursuivre dans cette voie</a>, Joe Biden a anéanti les espoirs des Afghans qui pensaient voir le nouveau gouvernement américain faire preuve de davantage de jugement que le précédent.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1412982278934904832"}"></div></p>
<h2>L’intervention désormais essentielle du Pakistan</h2>
<p>Si les premiers responsables de la débâcle actuelle sont les gouvernements Trump et Biden, le Pakistan a encore davantage de choses à se reprocher. En effet, ce pays a pris, dès le début, les talibans sous son aile et leur a <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780429333149-2/pakistan-dangerous-game-seth-jones">réitéré son soutien</a> lorsque l’attention des Américains s’est tournée vers l’Irak en 2003.</p>
<p>Les effets néfastes d’une telle attitude étaient évidents. Dans un télégramme rendu public en novembre 2009, l’ambassadeur des États-Unis en Afghanistan, l’ex-lieutenant-général Karl Eikenberry, <a href="http://goodtimesweb.org/overseas-war/2014/nyt-eikenberry-nov-6-2009.pdf">a écrit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Envoyer plus de troupes ne mettra pas fin à l’insurrection tant que subsisteront des sanctuaires au Pakistan. Le Pakistan restera la principale source d’instabilité en Afghanistan aussi longtemps qu’il y aura des sanctuaires le long de la frontière afghane et que le Pakistan estimera qu’un voisin affaibli sert ses intérêts stratégiques. […] Tant que ce problème de sanctuaires ne sera pas réglé, l’intérêt d’envoyer des troupes supplémentaires me semble limité. »</p>
</blockquote>
<p>Malgré les conseils avisés, même de la part de l’<a href="https://www.nytimes.com/2017/07/06/opinion/to-win-afghanistan-get-tough-on-pakistan.html">ex-ambassadeur du Pakistan aux États-Unis</a>, concernant la menace des sanctuaires pour les objectifs américains en Afghanistan, les présidents successifs ont évité de s’y attaquer de front. Ils l’ont même laissée croître.</p>
<p>Pour sauver la situation en Afghanistan, il faudra plus que de simples promesses de soutien ou des aides financières.</p>
<p>Le seul moyen, ou presque, qui reste pour sortir les Afghans de leur détresse psychologique est de faire pression sur le Pakistan, résolument et efficacement, afin de l’obliger à s’attaquer aux sanctuaires, réserves de munitions et système logistique des talibans sur le territoire pakistanais.</p>
<p>En tant qu’État souverain, celui-ci a des droits mais aussi des devoirs, et l’un de ces devoirs est d’empêcher que son territoire ne soit utilisé pour fomenter des attaques contre d’autres pays.</p>
<p>D’après certaines informations, le général Qamar Javed Bajwa, chef de l’armée pakistanaise, et le lieutenant général Faiz Hameechef, chef des services de renseignement, auraient récemment <a href="https://gandhara.rferl.org/a/pakistani-army-warns-of-blowback-in-crackdown-on-afghan-taliban/31338249.html">informé les législateurs</a> du pays que des « talibans afghans bien entraînés étaient présents sur le territoire pakistanais » et que l’armée « pourrait immédiatement lancer une attaque contre ce groupe ».</p>
<p>Si l’armée du Pakistan peut « immédiatement lancer une attaque » contre les talibans, les États-Unis et leurs alliés devraient, tout aussi immédiatement, insister pour que cela soit fait.</p>
<p>On est en droit de se demander si l’administration Biden aura le courage de le réclamer…</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Valeriya Macogon pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a>.</em></p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164197/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>William Maley ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le sentiment que les talibans pourraient reprendre le contrôle à l’aune du retrait des forces américaines fait craindre une vague de défections dans le gouvernement et l’armée.William Maley, Emeritus Professor, Australian National UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1605742021-05-16T16:22:34Z2021-05-16T16:22:34ZInde-Arménie vs Pakistan-Azerbaïdjan : les répercussions de la fracture indo-pakistanaise sur le conflit caucasien<p>Le 4 mai 2021, la police d’Erevan a annoncé l’arrestation du coupable présumé – l’homme, âgé de 61 ans, est passé aux aveux – d’un attentat symbolique d’une portée surprenante. Installée depuis le printemps 2020 dans le parc Buenos Aires de la capitale arménienne, la statue du Mahatma Gandhi érigée à l’occasion du 150<sup>e</sup> anniversaire de sa naissance avait été <a href="https://fr.azvision.az/news/107528/la-statue-de-mahatma-gandhi-incendi%C3%A9e-%C3%A0-erevan.html">profanée et partiellement incendiée</a> quelques jours plus tôt.</p>
<p>L’événement, survenu le 29 avril 2021, quelques jours après que le président américain Joe Biden a fini par <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2021/apr/24/joe-biden-armenian-genocide-recognition">reconnaître le génocide subi par les Arméniens en 1915</a>, a déclenché un certain émoi dans la presse régionale, ainsi que sur les pages des réseaux sociaux dédiées à l’amitié arméno-indienne. La statue en question, installée aux frais du gouvernement indien en accord avec le ministère arménien des Affaires étrangères, est une reproduction presque à l’échelle du leader de l’Indépendance indienne à l’époque de la « marche du sel » (mars-avril 1930).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1387806389536501760"}"></div></p>
<p>Ce brasier funéraire de l’effigie de l’apôtre de la non-violence est-il de nature à affecter la bonne marche des relations arméno-indiennes ? Les opposants à la statue de Gandhi <a href="https://www.nouvelhay.com/2020/05/gandhi-soi-disant-chantre-de-la-non-violence-a-justifie-le-genocide-des-armeniens-par-les-jeunes-turcs/">reprochent</a> en effet au grand leader de l’indépendance indienne de s’être opposé, après la Première Guerre mondiale, au projet de dépècement de l’Empire ottoman par le traité de Sèvres (10 août 1920), et d’avoir apporté son soutien à Mustafa Kemal tout en nouant contre l’impérialisme britannique une alliance tactique avec le mouvement du califat (<a href="https://www.sundayguardianlive.com/opinion/khilafat-movement-biggest-gandhian-folly">Khilafat movement</a>) des musulmans de l’Inde, ce qui le conduisit à ignorer la réalité du génocide arménien.</p>
<h2>Arménie-Inde : des relations anciennes héritées des diasporas marchandes</h2>
<p>Depuis l’indépendance de l’Arménie (1991), les <a href="https://mea.gov.in/Portal/ForeignRelation/Armenia_Dec_2014_fr.pdf">relations entre l’Arménie et l’Inde</a> se sont développées dans des domaines variés (accueil d’étudiants en médecine, coopération culturelle, hautes technologies).</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/400048/original/file-20210511-17-1laqb5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/400048/original/file-20210511-17-1laqb5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/400048/original/file-20210511-17-1laqb5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1005&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/400048/original/file-20210511-17-1laqb5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1005&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/400048/original/file-20210511-17-1laqb5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1005&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/400048/original/file-20210511-17-1laqb5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1263&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/400048/original/file-20210511-17-1laqb5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1263&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/400048/original/file-20210511-17-1laqb5l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1263&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Timbre arménien à l’effigie de Gandhi, lancé en 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Elles reposent sur le substrat ancien du grand négoce international de l’époque moderne à partir des XVI<sup>e</sup> et XVII<sup>e</sup> siècles, époque à laquelle les réseaux des marchands arméniens se sont déployés à partir de la nouvelle Djoulfa (Ispahan) <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-cours-du-college-de-france/reseaux-marchands-et-empires-a-lepoque-moderne-66-les-reseaux-armeniens-0">jusque dans l’océan Indien et au-delà</a>. Des diasporas marchandes arméniennes se sont formées à Bombay (Mumbai), Madras (Chennai), Calcutta (Kolkata). À Agra, la ville fortifiée où se trouve le célèbre Taj Mahal, on peut encore visiter les nombreuses tombes de l’ancien cimetière arménien, notamment, la « chapelle de Martyrose » érigée en 1611 sur la tombe de Khoja Martyrose, riche marchand pieux et charitable. Un siècle plus tard, c’est à Madras qu’a vu le jour le <a href="https://books.openedition.org/pressesinalco/13425?lang=en">premier projet de Constitution arménienne</a>.</p>
<p>À New York, en septembre 2019, interviewé en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, le premier ministre arménien Nikol Pachinyan a rappelé la proximité historique, culturelle et politique entre l’Inde et l’Arménie et invoqué la nécessité du renforcement des liens économiques entre les deux pays. Peut-être parce qu’il fut lui aussi un <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2018/05/08/nikol-pachinian-le-marcheur-indocile-d-armenie_5296255_3214.html">« marcheur »</a> lors de la <a href="https://sms.hypotheses.org/16728">révolution de velours d’avril 2018</a>, le gouvernement de Pachinyan a fait de la statue de Gandhi le totem d’une coopération économique et militaire que Erevan appelle ardemment de ses vœux, comme le premier ministre l’a affirmé par exemple lors d’une interview en septembre 2019 :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai eu une discussion très positive avec le premier ministre Modi et nous avons évoqué les opportunités de renforcer nos liens économiques et d’augmenter le volume de notre commerce bilatéral. »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, et surtout, lors de ce même entretien, Nikol Pachinyan a signifié que l’Arménie soutient fermement la position de l’Inde sur la question du Cachemire. En échange du soutien de l’Inde à son propre différend territorial qui l’oppose à l’Azerbaïdjan ? Il existe un indéniable mimétisme entre les conflits indo-pakistanais et arméno-azerbaïdjanais, même si le positionnement des parties en présence à l’égard d’un éventuel référendum d’autodétermination du Cachemire ou du Karabakh. n’est pas du tout le même. Ce qui est sûr, c'est que ce mimétisme détermine depuis longtemps les alliances diplomatiques et explique, côté azerbaïdjanais, la mobilisation, lors de la <a href="https://www.atlantico.fr/article/decryptage/l-armenie-oubliee-44-jours-de-guerres-tragiques-ardavan-amir-aslani">guerre de 44 jours</a> (27 septembre-10 novembre 2020), de réseaux djihadistes venus <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2020/10/18/les-filieres-turques-de-mercenaires-syriens-en-azerbaidjan/">de Syrie</a> mais aussi du <a href="https://www.armenews.com/spip.php?page=article&id_article=69613">Pakistan</a>.</p>
<h2>Renforcement récent des relations entre l’Azerbaïdjan et le Pakistan</h2>
<p>Outre la nouveauté de l’arsenal militaire – et notamment des <a href="https://www.la-croix.com/Monde/drones-etendard-puissance-azerbaidjanaise-Haut-Karabakh-2020-10-16-1201119774">drones</a> de fabrication turque ou israélienne – déployé par l’Azerbaïdjan lors de sa guerre de reconquête des districts occupés et d’une partie du territoire du Karabagh (Artsakh en arménien), la guerre de 44 jours fut également pour la Turquie, <a href="https://mirrorspectator.com/2021/03/11/turkey-azerbaijan-pakistan-form-new-axis-of-evil/">alliée de l’Azerbaïdjan mais aussi du Pakistan</a> au sein du Pacte de Bagdad (1955) rebaptisé CenTO après le retrait irakien en 1959, une <em>proxy war</em> parmi d’autres (Syrie, Libye), nécessitant le recrutement et l’envoi de mercenaires et de djihadistes depuis la Syrie mais également depuis le Pakistan, État islamique qui a promu par vocation, dès 1949, une politique musulmane transnationale.</p>
<p>Au sein de l’OCI (Organisation de la coopération islamique), le Pakistan entretient évidemment des liens <a href="https://www.aa.com.tr/fr/politique/les-relations-excellentes-entre-la-turquie-et-le-pakistan-sont-admir%C3%A9es-par-le-monde-entier/2109806">avec la Turquie</a>, ce qui détermine par voie de conséquence ses bonnes relations avec l’Azerbaïdjan. Le Pakistan dispose d’une ambassade à Bakou et s’il reste difficile d’établir précisément l’histoire des relations bilatérales entre les deux pays, celles-ci se développent dans un contexte implicite d’amitié et de consensus <a href="http://mofa.gov.pk/jammu-kashmir-dispute/">sur la question du Cachemire</a>. L’un des faits remarquables soulignés lors de la récente guerre du Karabagh par la partie arménienne aurait été la <a href="https://zeenews.india.com/world/turkey-and-pakistan-exporting-jihadists-to-fight-armenia-experts-2320573.html">participation de djihadistes pakistanais</a> recrutés à Peshawar au sein du <em>Jamaat-i-Islami, Jaish-e-Mohammed et Al-Badr</em> puis expédiés à Bakou, puis au Karabagh.</p>
<p>La solidarité du Pakistan avec l’Azerbaïdjan semble donc totale et détermine un franc climat d’hostilité avec l’Arménie. En 2016, l’Arménie a bloqué la candidature du Pakistan à un statut d’observateur au sein de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) dont l’Arménie est membre, <a href="https://jamestown.org/program/pakistan-armenia-friction-intensified/#sthash.mTdIrH3O.dpuf">déclarant</a> que « le Pakistan a non seulement refusé d’établir des relations diplomatiques avec l’Arménie mais aussi refusé de la reconnaître officiellement comme un État indépendant » et ajoutant que la candidature d’Islamabad au poste d’observateur n’était pas recevable en raison de sa position systématiquement pro-azerbaïdjanaise sur la question du Karabagh. Lors de sa visite officielle en Azerbaïdjan, Nawaz Sharif, alors premier ministre du Pakistan, a adressé un <a href="https://azertag.az/en/xeber/Muhammad_Nawaz_Sharif_Development_and_success_of_Azerbaijan_is_a_role_model_for_many_developing_countries-1001617">discours très chaleureux</a> au président Ilham Aliev :</p>
<blockquote>
<p>« Le peuple pakistanais salue le portrait de votre distingué père, le regretté Heydar Aliev, et admire les progrès et le développement de notre pays fraternel l’Azerbaïdjan, accomplis grâce à votre gouvernement sage et habile. Les progrès accomplis en Azerbaïdjan au cours des 25 dernières années ont été particulièrement remarquables. […] Le développement et les succès de l’Azerbaïdjan sont un motif de fierté pour tous les pays musulmans et un modèle pour tous les pays en voie de développement. »</p>
</blockquote>
<p>Fin septembre 2016, le tableau s’est encore compliqué avec la détente des relations russo-pakistanaises, y compris dans le cadre de l’Union eurasiatique. Plusieurs initiatives inédites ont vu le jour, comme le <a href="https://asialyst.com/fr/2016/09/12/pakistan-premier-exercice-militaire-conjoint-avec-la-russie/">premier exercice militaire conjoint mené sur le sol pakistanais</a> tandis qu’en décembre de la même année, la frégate pakistanaise <em>Alamgir</em> avait <a href="https://fr.mil.ru/fr/news_page/country/more.htm?id=12105768@egNews">jeté l’ancre à Novorossiïsk</a>, l’une des principales bases navales russes de la mer Noire, afin de participer à des manœuvres conjointes.</p>
<p>Si brève fut-elle, cette détente russo-pakistanaise, avec en toile de fond des relations approfondies, sur le plan politique, économique et surtout militaire entre l’Azerbaïdjan et le Pakistan, a contribué à aggraver le fossé entre l’Arménie et le Pakistan ainsi qu’à isoler l’Arménie, jusques et y compris au sein de l’OTSC dont elle est pourtant membre. Tous ces facteurs semblent donc avoir concouru à faire de la dernière guerre du Karabagh une destination prisée par les volontaires ou les mercenaires du djihad global dont le Pakistan est l’une des pièces maîtresses.</p>
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<p>Il faut ajouter à cela, depuis la brève guerre d’avril 2016 au Kababagh, la montée en puissance des relations militaires bilatérales entre l’Azerbaïdjan et le Pakistan : il a suffi que l’Arménie expose fièrement ses missiles russes Iskander lors de la parade militaire de 2016 (missiles qui se sont d’ailleurs avérés durant la guerre de 2020 avoir été <a href="http://www.opex360.com/2021/02/27/une-polemique-sur-la-fiabilite-du-missile-balistique-russe-iskander-est-a-lorigine-dune-crise-politique-en-armenie/">d’un usage contre-productif</a>) pour que l’Azerbaïdjan <a href="https://www.samaa.tv/news/2017/07/pakistan-signs-agreement-with-azerbaijan-for-sale-of-10-super-mushshak-aircraft/">annonce</a> à son tour que des négociations en cours avec Islamabad portaient sur la livraison de matériel militaire offensif, de missiles à longue portée ainsi que d’avions de chasse Thunder-17 de fabrication chinoise et pakistanaise.</p>
<p>Lors de la guerre des 44 jours, la variable pakistanaise semble donc avoir joué officiellement et officieusement un rôle déterminant en faveur de l’Azerbaïdjan.</p>
<h2>L’Arménie sur le tracé du corridor nord-sud voulu par New Delhi</h2>
<p>En 2021, l’Arménie défaite n’a donc pas d’autre choix que de continuer à approfondir « symétriquement » ses relations avec l’Inde : en 2020, l’Inde a remporté un contrat de défense d’un montant de 40 millions de dollars pour la <a href="https://idrw.org/india-starts-delivery-of-swathi-weapon-locating-radars-to-armenia/">livraison à l’Arménie de radars</a>. D’autres livraisons sont annoncées.</p>
<p>Les deux pays invoquent régulièrement l’impérieuse nécessité de renforcer leurs échanges sur le plan économique et militaire. Et l’Inde ne ménage pas ses efforts en avançant un ambitieux projet de <a href="https://armenianweekly.com/2021/03/24/armenia-and-indias-vision-of-north-south-corridor-a-strategy-or-a-pipe-dream/">« corridor nord-sud »</a> reliant, à travers le territoire de l’Arménie, le port iranien de Chabahar à l’Eurasie et jusqu’à Helsinki.</p>
<p>S’il venait à se réaliser, ce que l’Arménie naturellement appelle de ses vœux, l’INSTC (<em>International North-South Transport Corridor</em>) ne serait pas loin de ressusciter la cartographie des circuits arméniens du grand négoce international de l’époque moderne. Pour cette raison au moins, il n’est pas douteux que le piédestal de la statue de Gandhi installée au croisement des rues Halabian et Markarian, sera rapidement restauré.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160574/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Taline Ter Minassian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le bras de fer indo-pakistanais se fait ressentir dans le Caucase, où l’Inde est proche de longue date de l’Arménie, tandis que le Pakistan ne cesse de se rapprocher de l’Azerbaïdjan.Taline Ter Minassian, Historienne, professeure des universités. Directrice de l'Observatoire des États post-soviétiques (équipe CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1432052020-07-28T18:02:18Z2020-07-28T18:02:18Z« Prafekchar », « ejent », « waraq » : les mots des demandeurs d’asile racontent leur histoire<p>Lorsque l’Europe a connu la « crise migratoire » en 2015, les demandes d’asile se sont également accrues d’une manière exponentielle en France. En 2019, on comptait ainsi <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/21/en-2019-une-demande-d-asile-toujours-en-hausse_6026706_3224.html">132 614</a> demandeurs d’asile dans l’hexagone.</p>
<p>Ces personnes sont majoritairement originaires <a href="https://www.ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/actualites/les-premieres-donnees-de-l-asile">d’Afghanistan, d’Albanie, de la Géorgie, mais aussi du Bangladesh</a>. Beaucoup n’ont aucune langue commune, hormis quelques mots d’anglais et de français glanés ça et là durant leur parcours migratoire.</p>
<p>Dans ces conditions, comment communiquent-ils entre elles au quotidien mais aussi vers l’extérieur ? Quelle est la langue dominante parlée dans les camps, les centres d’hébergement temporaire ou dans les accueils d’urgence, et dans quel langage leur parle-t-on ?</p>
<p><a href="https://liminal.hypotheses.org">La place des langues dans les questions migratoires</a> apparaît ainsi comme l’un des thèmes capitaux afin de mieux cerner les interactions entre les acteurs sociaux et les exilés. C'est tout l'objet du projet de recherche LIMINAL, financé par l'ANR et hébergée par l'Inalco. Depuis 2017 l'équipe multidisciplinaire se propose de répertorier les mots de la «langue de la migration» en un lexique conçu avec les acteurs en exil (lire aussi le blog <a href="https://blogs.mediapart.fr/liminal/blog">Azil</a> sur Médiapart). </p>
<p>Ceci peut aussi être traduit comme « une crise des langues et un réaménagement sans précédent du paysage linguistique en France » comme je le soutiens dans un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02342887">travail de recherche</a> qui donnera lieu à un chapitre d'un ouvrage collectif de l'ANR Liminal, à paraître.</p>
<h2>L’ourdou, une langue qui rassemble</h2>
<p>En tant que chercheur ourdouphone, j’ai principalement rencontré des requérants ourdouphones pakistanais et afghans, dans plusieurs camps, en l’occurrence à Calais (après son <a href="https://theconversation.com/calais-vu-des-deux-cotes-de-la-manche-67348">démantèlement</a>), à Paris et dans les environs de Paris.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/349465/original/file-20200725-25-8i02b6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/349465/original/file-20200725-25-8i02b6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/349465/original/file-20200725-25-8i02b6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/349465/original/file-20200725-25-8i02b6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/349465/original/file-20200725-25-8i02b6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/349465/original/file-20200725-25-8i02b6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/349465/original/file-20200725-25-8i02b6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/349465/original/file-20200725-25-8i02b6.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=425&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Centre du Premier Accueil à la Porte de la Chapelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Galitzine-Loumpet, Membre Liminal</span></span>
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<p>Langue principalement parlée en Inde (55 millions), au Pakistan (18 millions) mais aussi en Afghanistan (1 million) l’ourdou devient la langue véhiculaire commune entre les demandeurs d’asile de ces pays. On peut en effet constater que la communication entre un Afghan et un Pakistanais se déroule en ourdou, alors que l’ourdou n’est pas forcément la langue maternelle de chacun de ces locuteurs.</p>
<p>Comme observé à maintes fois lors de ma visite au terrain, la conversation entre des exilés porte au sein d’un centre d’hébergement sur la vie quotidienne, : où trouver des vêtements chauds, des tickets de métro. Ils partagent aussi leurs récits de trajectoire et enfin leurs craintes quant aux incertitudes et longueurs inhérentes à la procédure de la demande d’asile.</p>
<p>L’ourdou, ayant fortement <a href="https://languagelog.ldc.upenn.edu/myl/llog/King2001.pdf">emprunté aux lexiques persans et arabes</a>, permet à un ourdouphone de comprendre certains mots qui sont en usage parmi les migrants arabophones du Soudan et du Somalie, majoritaires dans les camps ou du Moyen-Orient et par les Afghans qui parlent le dari ou le pashto.</p>
<p>En effet, le dari et pashto, langues majoritaires en Afghanistan et le pashto parlé au Pakistan ont aussi emprunté une part de leur lexique au persan. Les mots circulent alors d’une langue à l’autre, établissant un lien étroit entre des migrants de différentes communautés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/AP3fjiUWZds?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un film Bollywood de 2015 avec une affiche en trois langues – anglais, hindi et ourdou.</span></figcaption>
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<p>La chercheuse <a href="http://canthel.shs.parisdescartes.fr/colloque-urgence-langues/">Mara Matta</a> observe ainsi que les chansons phares de l’industrie cinématographique indienne de Bollywood, dont les paroles sont souvent écrites en ourdou, deviennent un outil de communication entre des migrants afghans et iraniens, détenus dans une prison par la mafia russe en… Bulgarie !</p>
<h2>Un apprentissage du français compliqué</h2>
<p>En ce qui concerne le français, ces requérants parviennent à retenir quelques mots, qui sont cruciaux pour leur demande d’asile. Par exemple, les mots administratifs comme « Préfecture », « asile », ou « dossier » sont mémorisés alors que d’autres mots comme « métro », « ticket » ou nom d’un arrêt de métro comme « Porte de la Chapelle » ou bien nom des associations comme « Emmaüs » sont aussi appris afin de faciliter leurs démarches.</p>
<p>Lorsque l’incertitude domine sur le statut de la demande d’asile, et qu’ils risquent d’être expulsés du territoire français ou d’être condamnés à une vie clandestine afin d’émigrer dans un autre pays européen, l’apprentissage du français offert devient difficile pour certains requérants étant donné qu’ils sont extrêmement stressés. Un demandeur d’asile m’explique ainsi qu’il lui est difficile de concentrer au cours du français et sa santé mentale ne lui permets pas de suivre le cours d’une manière optimale.</p>
<p>Face à cette frustration de ne pas pouvoir s’exprimer en français, mais également de ne pas pouvoir l’apprendre assez vite, un tri des mots importants s’est automatiquement effectué. Il ne s’agit pas ici de mots qui sont l’objet de polémiques visant des migrants, <a href="https://theconversation.com/ce-que-cachent-les-mots-de-la-migration-104339">expliquent Marie Veniard et Laura Calabrese</a>, mais il s’agit des mots qui sont exprimés par ces gens.</p>
<h2>L’anglais, grande absente du système français</h2>
<p>Les requérants sud-asiatiques s’étonnent par ailleurs de ne pas trouver l’usage pérenne de l’anglais dans les pratiques langagières des Français.</p>
<p>Sur le sous-continent indien, l’anglais est non seulement un marqueur d’alphabétisation mais aussi un <a href="https://books.google.fr/books?id=aQYICqUZJ8UC&pg=PA50&dq=English+as+prestigious+language+for+Indians&hl=en&sa=X&ved=2ahUKEwixma3ioebqAhUS3IUKHVNWAg0Q6AEwBnoECAcQAg#v=onepage&q=English%20as%20prestigious%20language%20for%20Indians&f=false">signe de prestige</a> ; l’absence de cette langue remet en cause l’avancée économique de la France aux yeux des demandeurs d’asile.</p>
<p>Mais, ce qui est le plus frustrant avec l’absence de l’anglais, langue véhiculaire mondiale commune parmi les demandeurs d’asile, c’est qu’ils auraient pu parler quelques phrases en anglais dans le quotidien. Or, la langue est uniquement utilisée dans les milieux associatifs, en manque de traducteurs natifs.</p>
<h2>Un nouveau « français » qui émerge</h2>
<p>En raison d’une trajectoire parsemée de dangers et d’incertitudes, les migrants développent un nouveau langage. Comme l’explique Hamad Gamal dans son article <a href="https://mouvances.hypotheses.org/">« Le français de Cada »</a>, les migrants ont recours à un très peu de mots en français mais ils parviennent à se faire comprendre avec leurs niveaux et leurs accents qui sont différents.</p>
<p>C’est en ce sens qu’on lira des blogs comme <a href="https://liminal.hypotheses.org/202">AZIL</a>, où plusieurs chercheurs compulsent des mots employés par les migrants dans le processus d’asile.</p>
<p>Selon les anthropologues <a href="https://www.gisti.org/spip.php?article6327">Alexandra Galitzine-Loumpet et Marie-Caroline Saglio-Yatzimirsky</a> :</p>
<blockquote>
<p>« au plus près des mots échangés par les exilés, entre eux, avec les associations, avec l’État, c’est une nouvelle langue qui s’invente et reconstruit le vaste labyrinthe de l’accueil et de l’asile ».</p>
</blockquote>
<p>Ce nouveau langage, basé à la fois sur différents usages, une prononciation particulière et une polysémie, manifeste aussi l’état psychiques des migrants, afin qu’ils s’installent dans leur pays d’accueil.</p>
<p>L’installation consisterait aussi en des bricolages, de la créativité en production d’un nouveau lexique, de la recherche d’un point commun avec d’autres langues, pour rendre un mot commun entre plusieurs langues en travaillant sur son appropriation. <a href="https://www.gisti.org/spip.php?article6327">Les mêmes autrices</a> soulignent ainsi que « le contexte spécifique des politiques migratoires en France et à l’échelle européenne a façonné son vocabulaire ».</p>
<h2>Un vocabulaire de la migration</h2>
<p>Le terme <em>l’asile</em> prononcé comme tel, est devenu le mot clé de tous les demandeurs d’asile, en l’occurrence pour les migrants ourdouphones. Alors que son équivalent en ourdou <em>panah</em> est plus courant et populaire, l’asile s’est incorporé, paraît-il naturellement, dans le langage des migrants.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/349466/original/file-20200725-25-1kciwl9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/349466/original/file-20200725-25-1kciwl9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/349466/original/file-20200725-25-1kciwl9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/349466/original/file-20200725-25-1kciwl9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/349466/original/file-20200725-25-1kciwl9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/349466/original/file-20200725-25-1kciwl9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/349466/original/file-20200725-25-1kciwl9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/349466/original/file-20200725-25-1kciwl9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Inscriptions multilingues par des migrants au Centre du Premier Accueil à la Porte de la Chapelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Galitzine-Loumpet, Membre Liminal</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est dans ce mot qu’ils s’identifient eux-mêmes. Comme le relatent <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2002-4-page-7.htm">Smaïn Laacher et Laurette Mokrani</a>, les migrants emploient le mot anglais <em>agent</em> quand ils évoquent les passeurs, mot similaire dans le pays de départ.</p>
<p>Selon <a href="https://liminal.hypotheses.org/228">Bénédicte Diot</a>, ce même terme est prononcé comme « ejant » par les Pakistanais, et correspond « par extension, à toute personne qui participera à l’organisation du passage à l’étranger ».</p>
<p>Ensuite, vient le terme <a href="https://liminal.hypotheses.org/771">« case »</a> en anglais, dont l’équivalent est le « récit » en français, employé par les exilés de l’Asie du Sud, notamment par les Pakistanais, Afghans, Bangladais et Sri Lankais.</p>
<p>En effet, les migrants sont censés déposer un récit auprès de Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). Le récit, élément capital, prétend apporter des informations cruciales sur le parcours personnel du requérant. Le traducteur est appelé « dalmechar », son emploi est également réservé aux ourdouphones et pendjabiphones du Pakistan. Pour ces derniers, le terme <em>dalmechar</em> signifie, selon <a href="https://liminal.hypotheses.org/228">Bénédicte Diot</a>,</p>
<blockquote>
<p>« une personne capable de traduire d’une langue vers une autre, mais aussi celui qui sait préparer un récit pour une demande d’asile, remplir un dossier, qui peut faire obtenir des papiers ».</p>
</blockquote>
<p>Le terme « préfecture » est aussi très populaire. Intraduisible en ourdou ou dans les langues du sous-continent indien, <a href="https://www.gisti.org/spip.php?article6327">on n’y trouve pas son équivalent administratif</a> ; il s’est métamorphosé en « prafekchar » avec un « r » roulé par les ourdouphones ou les pendjabiphones du Pakistan, alors que sa prononciation devient <em>brefektur</em> en arabe, parlé par les exilés de Somalie ou du Soudan.</p>
<p>Un autre terme « récépissé », lui aussi intraduisible, est pérennisé par sa prononciation <em>récipissé</em> avec une forte accentuation sur le « r », roulé par les Pakistanais. Ce mot, comme l’explique <a href="https://liminal.hypotheses.org/716">Bénédicte Diot</a>, « est un terme récurrent dans le vocabulaire des migrants et demandeurs d’asile, qui choisissent de garder le terme français plutôt que le traduire ».</p>
<p>Un récépissé désigne dans le jargon administratif préfectoral, un document de séjour temporaire attestant du dépôt de la demande du titre de séjour ou de la demande d’asile en France.</p>
<h2>Une histoire de la bureaucratie par les mots</h2>
<p>On entend souvent parler du mot « commission » par les exilés d’origine pakistanaise ; ce terme renvoie à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Mais auparavant, ce terme désignait la Commission des Recours aux Réfugiés, qui s’est métamorphosée en CNDA depuis la réforme de 2009. Pourtant, le mot « commission » est toujours préféré par une partie des exilés.</p>
<p>Ils ont très probablement entendu ce terme de la part de leurs passeurs ou d’anciens exilés de leur réseau. Un autre terme qui marque l’expérience des migrants auprès des services administratifs est l’équivalent des empreintes, ou « finger dena » en ourdou. Comme l’explique la sociologue <a href="https://liminal.hypotheses.org/241">Yasmine Bouagga</a>, chaque migrant est censé déposer ses empreintes afin que son identité soit enregistrée dans les bases de données européennes appelées « Eurodac ».</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/349659/original/file-20200727-27-msjk6x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/349659/original/file-20200727-27-msjk6x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/349659/original/file-20200727-27-msjk6x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/349659/original/file-20200727-27-msjk6x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/349659/original/file-20200727-27-msjk6x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/349659/original/file-20200727-27-msjk6x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/349659/original/file-20200727-27-msjk6x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/349659/original/file-20200727-27-msjk6x.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Inscriptions mutilingues en français, en anglais, en amharique, en arabe, en pashto et en persan au Centre du Premier Accueil à la Porte de la Chapelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shahzaman Haque, Membre Liminal</span></span>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/349661/original/file-20200727-29-12h7bfb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/349661/original/file-20200727-29-12h7bfb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/349661/original/file-20200727-29-12h7bfb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=572&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/349661/original/file-20200727-29-12h7bfb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=572&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/349661/original/file-20200727-29-12h7bfb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=572&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/349661/original/file-20200727-29-12h7bfb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=719&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/349661/original/file-20200727-29-12h7bfb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=719&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/349661/original/file-20200727-29-12h7bfb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=719&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Information collective (infocoll) destinée aux migrants avec la traduction en anglais et en arabe au Centre du Premier Accueil à la Porte de la Chapelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shahzaman Haque, Membre Liminal</span></span>
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</figure>
<p>Quant à <a href="https://liminal.hypotheses.org/740">« waraq »</a>, le terme employé par les arabophones du Soudan et de l’Erythrée, mais aussi par les Afghans dans la langue dari et pashto, il signifie « papiers » ou plus généralement, des documents administratifs. En ourdou, ce mot correspond à la « page » (d’un livre, par exemple), mais les migrants pakistanais parlant l’ourdou peuvent comprendre le sens de ce mot, et par conséquent, ils peuvent l’approprier dans la même signification qu’utilisent les arabophones.</p>
<p>Il convient de remarquer que chaque mot porte une charge différente, symbolique ou identitaire. Les répertoires verbaux des migrants se manifestent comme des « couteaux suisses », autrement dit, ils utilisent une panoplie de mots de différentes langues étrangères qu’ils parlent en fonction du contexte, de l’interlocuteur et du lieu.</p>
<p>On peut parler du terme <em>gharib</em> ce qui signifie « pauvre » en ourdou au Pakistan et en Inde, mais son sens bascule vers « exilé" » par les locuteurs dariphones de l’Afghanistan ou arabophones de <a href="https://liminal.hypotheses.org/619">plusieurs pays</a>.</p>
<h2>Mieux sensibiliser les acteurs associatifs et institutionels</h2>
<p>Les usages de ces termes montrent comment une nouvelle identité est à la fois revendiquée, mobilisée et aussi valorisée par les migrants en son sein.</p>
<p>En dehors de ces termes les plus récurrents, on a pu recenser d’autres termes, entre autres, par les Pakistanais, le « camp » (prononcé à l’anglais), <em>asile maangna</em> (demande d’asile), <em>social</em> (prononcé « sochal » en référence à l’assistante sociale), et enfin <em>muhaajir</em> (voyageur, exilé).</p>
<p>Il serait important de la part des différents acteurs (milieux associatifs et institutionnels) qu’ils soient sensibles à cette question de l’allophonie en français des exilés afin de pouvoir mieux les accueillir.</p>
<p>Face à cette disparité de situation langagière et à l’homogénéité culturelle auxquelles se confrontent les migrants, ce lexique de migration leur donne aussi une pleine part dans la société.</p>
<p>Ainsi pour A., demandeur d’asile d’origine afghane, qui a réussi à créer un réseau à la fois dans le monde ourdouphone avec les Pakistanais, et en pratiquant quelques mots en français, l’insertion dans la société a été plus rapide. Cela démontre comment une poignée de mots qui semblent banals de prime abord sont en réalité vitaux et efficaces</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/143205/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Shahzaman Haque est membre du projet Liminal (<a href="https://liminal.hypotheses.org/">https://liminal.hypotheses.org/</a> "") 2017-2021 (Médiation linguistique et culturelle entre acteurs en situation de crise migratoire, programme ANR porté par l’INALCO-Langues’O) qui se renseigne sur les questions des pratiques langagières des migrants. </span></em></p>En raison d’une trajectoire parsemée de dangers et d’incertitudes, les migrants développent un nouveau langage. Exemple avec les demandeurs d’asile sud-asiatiques.Shahzaman Haque, Co-Directeur, Département Asie du sud et l’Himalaya, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1341932020-04-22T20:07:51Z2020-04-22T20:07:51ZAu Cachemire, la guerre des langues fait rage dans l’ombre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/329715/original/file-20200422-47799-9yd8su.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=27%2C49%2C2016%2C1305&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dal Lake, Srinagar, sous des nuages chargés. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/shivanataraja/20448997658/"> Massimo Montorfano/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Une guerre peut en cacher une autre. Le 5 août 2019, le gouvernement indien a abrogé les <a href="http://www.slate.fr/story/180513/cachemire-inde-pakistan-abrogation-article-370-autonomie">articles 370A et 35A</a> de la Constitution indienne pour retirer une partie de son autonomie au Jammu-et-Cachemire, territoire situé dans le nord de l’Inde et frontalier avec le Pakistan et la Chine. De longue date déjà, ce <a href="http://www.editions-picquier.com/ouvrage/cachemire-le-paradis-perdu/">« paradis perdu »</a> vit entre couvre-feu, violences et coupure des moyens de communication.</p>
<p>Depuis août 2019, la situation s’est aggravée. Internet n’a ainsi été que partiellement rétabli le 4 mars 2020. Les habitants, désormais enfermés dans une prison vivante de 92 437 km<sup>2</sup> (soit la taille du Portugal), subissent la <a href="https://www.dw.com/en/covid-19-crisis-prolongs-kashmir-lockdown/a-53088317">crise sanitaire</a> de façon particulièrement <a href="https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/covid-19-en-inde-lacces-total-a-internet">dramatique</a>.</p>
<p>Mais, au-delà des arrestations arbitraires et autres exactions, c’est autour de la langue maternelle et de la langue officielle que se déroule une tout autre bataille.</p>
<h2>Politique et linguistique</h2>
<p>Dans cette région du monde (qui incluait alors le Pakistan), l’ourdou est la langue officielle unique depuis 1889, et selon <a href="http://www.axl.cefan.ulaval.ca/EtatsNsouverains/inde-Jammu-Cachemire.htm">l’Article 145 de la Constitution 1957</a>, « l’anglais peut être aussi employé à des fins officielles ».</p>
<p>Or en novembre 2019, le parti nationaliste indien Bhartiya Janta Party (BJP), au pouvoir depuis 2014, annonçait que, au Cachemire, l’ourdou devrait être à terme <a href="https://thelogicalindian.com/news/jammu-kashmir-urdu-hindi-language/">remplacé</a> par l’hindi (528 millions de locuteurs, soit 43,6 % des habitants en Inde selon le recensement de 2011).</p>
<p>Cette annonce vient de facto remettre en cause l’usage très politique de l’ourdou, dont se sont emparés les partis et mouvements politiques pour marquer leur identité islamique, distincte du reste de l’Inde. Par ailleurs, de nombreux militants, associations et journaux se servent aussi de l’ourdou comme langue de communication, dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2002-4-page-17.htm">contexte de conflit permanent</a> entre l’Inde et le Pakistan depuis 1947, qui se disputent la souveraineté de cet État où, historiquement les cultures musulmanes et hindoues ont longtemps cohabité.</p>
<h2>L’ourdou, une langue adoptée sans heurts</h2>
<p>L’ourdou, langue venue de l’extérieur, plus particulièrement du nord de l’Inde, ne ressemble à aucune de la trentaine de langues parlées dans la région du Jammu-et-Cachemire.</p>
<p>Elle y a trouvé sa place sans heurts, mais représente seulement 0,13 % de locuteurs (d’après le recensement <a href="http://censusindia.gov.in/2011Census/C-16_25062018_NEW.pdf">indien de 2011</a>). Au total, l’ourdou comprend <a href="https://www.ethnologue.com/language/urd">171 millions de locuteurs dans le monde</a>.</p>
<p>C’est justement son origine étrangère qui l’a permis. Comme l’explique le chercheur <a href="https://www.cambridgescholars.com/the-changing-language-roles-and-linguistic-identities-of-the-kashmiri-speech-community">M. Ashraf Bhat</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’ourdou n’étant la langue maternelle d’aucune personne dans la région, il était la seule et la meilleure alternative neutre disponible pour unir des gens de différentes zones géolinguistiques. »</p>
</blockquote>
<p>La présence de l’ourdou au Cachemire est par ailleurs attestée par le truchement d’écrits islamiques dès le milieu du XVI<sup>e</sup> siècle. On pourra aussi signaler le riche héritage littéraire que l’ourdou a importé du persan, présent quant à lui dans la <a href="https://www.questia.com/library/journal/1P3-2706882081/persian-literature-of-medieval-kashmir-14th-16th">région depuis le XIVᵉ siècle</a>.</p>
<p>La langue véhiculaire devient ainsi langue officielle jusqu’à l’arrivée en 1845 des Britanniques. Ces derniers ont toujours incité les dirigeants du Cachemire, la <a href="https://www.britannica.com/topic/Dogra-Dynasty">dynastie Dogra</a> (1828-1947), à utiliser l’ourdou afin d’harmoniser et faciliter la communication avec le pouvoir colonial.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/329683/original/file-20200422-108521-1w2b34z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/329683/original/file-20200422-108521-1w2b34z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/329683/original/file-20200422-108521-1w2b34z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=780&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/329683/original/file-20200422-108521-1w2b34z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=780&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/329683/original/file-20200422-108521-1w2b34z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=780&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/329683/original/file-20200422-108521-1w2b34z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=980&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/329683/original/file-20200422-108521-1w2b34z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=980&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/329683/original/file-20200422-108521-1w2b34z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=980&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une femme dogra au Cachemire indien.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Prabhu B. Doss</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une dizaine de langues « cachemiries »</h2>
<p>D’origine indienne, j’avoue ne pas avoir compris, pendant mon enfance, comment l’ourdou avait pu devenir la langue officielle d’une région où le cachemiri (2,4 millions de locuteurs), suivi par le dogri (1,2 million), était parlé majoritairement. Ces dernières langues appartiennent à la même famille linguistique indo-aryenne (<a href="https://books.google.fr/books?id=LKWODwAAQBAJ&dq=dogri+kashmiri+and+urdu+in+Indo-Aryan">Munshi, 2018</a>) que l’ourdou.</p>
<p>De nombreuses personnes d’origine cachemirie interviewées dans le cadre de ma recherche (<a href="http://www.jeanbernardsempastous.fr/colloque-inedit-sur-le-cachemire-a-lassemblee-nationale/">entre octobre et novembre 2019</a>) consacrée à la place de l’ourdou au Cachemire indien m’ont indiqué qu’en fait, si ces deux langues locales avaient été reconnues comme langue officielle, les locuteurs des autres communautés linguistiques tels que le gojri, le pahadi, le ladakhi et ainsi de suite se seraient sentis trahis et exclus. Selon Mehdi Khawja, un jeune étudiant du Cachemire interviewé au mois d’octobre 2019, une éventuelle promotion de la langue cachemirie en tant que langue officielle serait considérée comme hostile et la région risquerait alors une guerre de langue en son sein.</p>
<p>Cela explique aussi pourquoi, face à la <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520208056/passions-of-the-tongue">résistance farouche</a>, entre autres, des locuteurs de langues dravidiennes comme le tamoul ou le telugu dans le sud de l’Inde, le hindi n’a pas à ce jour été accepté comme langue nationale en Inde.</p>
<h2>Une langue véhiculaire</h2>
<p>L’ourdou est perçu comme une langue véhiculaire dans tout le Cachemire indien. Il est parlé, sous des formes diverses, non seulement par les musulmans mais aussi par les hindous des hautes castes (puisqu’il s’agissait d’une langue de haute administration) ainsi que par des sikhs, des chrétiens, des bouddhistes et d’autres groupes ethniques. L’ourdou a donc réussi à rapprocher différents peuples tout en préservant leurs cultures indigènes.</p>
<p>Il jouit également d’un certain prestige parmi les musulmans dans la vallée du Cachemire du fait de sa proximité littéraire et culturelle avec le persan.</p>
<p>Aujourd’hui, les parents souhaitent que les enfants emploient l’ourdou plutôt que cachemiri, leur langue maternelle. Les Cacehmiris nés après 1990 préfèrent converser en ourdou pour faciliter leur assimilation dans le reste de l’Inde, tant sur le plan de l’éducation que de l’emploi, montrant ainsi une volonté d’intégration au système indien.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un jeune Cachemiri tente de réapprendre via YouTube la langue cachemirie aux plus jeunes (anglais/cachemiri).</span></figcaption>
</figure>
<p>Ishfaq, habitant de Srinagar et vivant à Delhi, affirme que les Cachemiris musulmans ont une mauvaise image dans les médias et en souffrent dans la vie quotidienne en Inde. La langue cachemirie, pour lui, devient un marqueur d’humiliation. D’après Mehdi Khawja, la jeune génération préfère l’ourdou à l’anglais, mais pas le cachemiri.</p>
<h2>Défendre la langue cachemirie</h2>
<p>Le Bhartiya Janta Party au pouvoir souhaite mettre fin à l’usage de l’ourdou comme langue officielle dans la région du Cachemire. Selon <a href="http://egazette.nic.in/WriteReadData/2019/210407.pdf">l’Article 47 (1)</a> de la Réorganisation Acte 2019 du Jammu-et-Cachemire :</p>
<blockquote>
<p>« l’Assemblée législative peut adopter, en vertu de la loi, une ou plusieurs des langues en usage sur le territoire de l’Union du Jammu-et-Cachemire ou le hindi comme langue officielle pour tout ou partie des finalités officielles du territoire de l’Union pour Jammu-et-Cachemire. »</p>
</blockquote>
<p>De son côté, la nouvelle administration au Jammu-et-Cachemire soutient la promotion pour toutes les communications de <a href="https://prdb.pk/article/peace-economy-beyond-faith-a-case-study-of-sharda-temple-6657">l’écriture <em>sharda</em></a>, une écriture ancienne à caractère religieux datant du VIII<sup>e</sup> siècle.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/329662/original/file-20200422-39179-ybx38h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/329662/original/file-20200422-39179-ybx38h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/329662/original/file-20200422-39179-ybx38h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=825&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/329662/original/file-20200422-39179-ybx38h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=825&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/329662/original/file-20200422-39179-ybx38h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=825&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/329662/original/file-20200422-39179-ybx38h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1037&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/329662/original/file-20200422-39179-ybx38h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1037&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/329662/original/file-20200422-39179-ybx38h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1037&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Écriture sharda.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mis à l’écart sur le plan administratif, le cachemiri a vu son usage chuter dans la vallée suite à l’exode des Cachemiris <em>pandit</em> dans les années 1980. En effet, les Cachemiris hindous ont fui leur région natale en <a href="http://www.jaia-bharati.org/revue/revueind7.html">1989</a> sous la pression du terrorisme et d’insurgés musulmans militant pour le mouvement de libération. Ils peuvent donc revendiquer la langue cachemirie avec beaucoup de fierté. Leur loyauté ne peut être mise en doute ; d’abord parce que l’hindouisme est la principale religion pratiquée en Inde, ensuite parce qu’ils privilégient déjà l’écriture dévanagari et non l’alphabet perso-arabe.</p>
<p>Pour les Cachemiris musulmans, la langue cachemirie ne constitue pas un problème en soi. C’est leur confession, l’islam, qui les rend suspects de sympathies pour le Pakistan et de déloyauté envers l’Inde, aux yeux de certains dirigeants indiens.</p>
<h2>Guerre des langues</h2>
<p>Le temps est-il venu de clarifier la question des langues afin d’entériner et de parfaire cette intégration forcée ? C’est probablement ce qui est prévu, si l’on se réfère aux propos d’un officier indien de haut rang repris par le quotidien <em>Indian Express</em> le 4 septembre 2019.</p>
<p>Dans un autre article, paru le 9 novembre 2019 dans le quotidien <a href="https://thelogicalindian.com/news/jammu-kashmir-urdu-hindi-language/"><em>The Logical Indian</em></a>, le secrétaire national du parti <em>BJP</em>, M. Tarun Chugh signale que :</p>
<blockquote>
<p>« la meilleure chose est que désormais l’ourdou ne sera plus la première et officielle langue de la région. Le hindi sera la première et officielle langue de la région. »</p>
</blockquote>
<p>Cette guerre des langues peut sembler insignifiante face à la crise géopolitique majeure qui secoue la région. Mais n’oublions pas que l’Inde est, depuis son indépendance, le berceau de plusieurs conflits linguistiques. Plusieurs États ont été créés sur des fondements linguistiques. On compte de nombreuses émeutes et des centaines de morts <a href="https://www.cambridge.org/core/books/language-in-south-asia/156AB0BAAA8DA4B0BFB0B995F0E42F55">liées aux langues</a>.</p>
<p>La suppression de l’ourdou du paysage linguistique cachemiri peut provoquer un tollé parmi les ourdouphones. Est-il vraiment opportun de jeter de l’huile bouillante sur les plaies des Cachemiris à la faveur d’un débat linguistique dont on ne mesure pas suffisamment les risques ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/134193/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Shahzaman Haque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au-delà des arrestations arbitraires et des exactions au Cachemire indien, une tout autre bataille fait rage : celle qui a pour enjeu la langue maternelle, ultime rempart des Cachemiris.Shahzaman Haque, Co-Directeur, Département Asie du sud et l’Himalaya, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1361492020-04-15T17:12:13Z2020-04-15T17:12:13ZChine-Inde : méfiance par temps de pandémie<p>En dépit des <a href="https://foreignpolicy.com/2020/03/30/narendra-modi-india-coronavirus-cooperation/">déclarations lénifiantes de Narendra Modi</a> sur la nécessité de la coopération internationale pour lutter contre le Covid-19, les tensions avec le voisin chinois sont au rendez-vous. Comme partout ailleurs, l’opinion est en <a href="https://www.dw.com/en/coronavirus-chinese-looking-indians-targeted-in-racist-attacks/a-52956212">proie à la crainte d’un « péril jaune »</a>. L’<a href="https://thediplomat.com/2019/10/behind-the-second-modi-xi-informal-summit-the-wuhan-spirit-is-fraying/">« esprit de Wuhan »</a>, tant vanté il y a deux ans lors de la rencontre entre Xi Jinping et son homologue indien, semble avoir vécu.</p>
<h2>Un passé qui ne passe pas</h2>
<p>Malgré leur appartenance à plusieurs organisations internationales (<a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=Sc_LDwAAQBAJ&oi=fnd&pg=PP1&dq=BRICS&ots=DtfhMAdtV6&sig=R1cLt-eynkgTDw2ya1lcQAyn0FQ&redir_esc=y#v=onepage&q=BRICS&f=false">BRICS</a>, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1016/j.euras.2018.08.001">Organisation de Coopération de Shanghai – OCS</a> etc.) et d’apparentes convergences, la Chine est le <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2019-2-page-29.htm?contenu=plan">facteur le plus déterminant de la politique extérieure indienne</a>, quand l’Inde représente un rival stratégique durable pour Pékin.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"891546401049518080"}"></div></p>
<p>À <a href="https://thediplomat.com/2015/05/modis-first-stop-in-china-why-xian/">Xi’an</a> ou, plus récemment, à <a href="https://www.business-standard.com/article/current-affairs/modi-xi-summit-the-story-behind-mamallapuram-s-chinese-connection-119101000211_1.html">Mahabalipuram</a>, les diplomaties de Pékin et de New Delhi ont convoqué à foison les ressources bouddhistes que partagent les deux civilisations pour apaiser leurs tensions. Il est vrai que les deux pays, qui abritent le tiers de la population mondiale, n’ont pas toujours entretenu des relations diplomatiques empreintes de la plus grande chaleur.</p>
<p>Ils ont engagé de multiples bras de fer sur la frontière himalayenne depuis <a href="https://www.indiatoday.in/education-today/gk-current-affairs/story/india-china-war-of-1962-839077-2016-11-21">leur guerre en 1962</a>. Des tensions, en 2017, <a href="https://asialyst.com/fr/2017/08/28/inde-chine-accord-desengagement-doklam-victoire-pour-new-delhi/">dans la région du Doklam</a> – située entre le Népal et le Bhoutan –, ont fait craindre la résurgence d’un conflit qui, loin d’avoir été apuré, a provoqué des suspicions durables de part et d’autre aussi bien dans ces régions riveraines, riches en eau et en minerais, que dans celles donnant accès à l’Océan indien.</p>
<p>Les contentieux frontaliers hérités de la période de la colonisation britannique et le soutien diplomatique de la Chine au Pakistan, grand rival de l’Inde, expliquent – sur le temps long – ces importants différends entre Pékin et New Delhi.</p>
<p>Les premières frictions surviennent à <a href="https://www.researchgate.net/publication/301294515_India_and_China_Relations_Historical_cultural_and_Security_Issues">Bandung en 1955</a>. Cette première conférence afro-asiatique des pays du « Tiers Monde » (l’expression naît dans ce contexte) voit les représentants chinois et indiens se disputer le leadership des pays non alignés pour défendre les vertus d’un développement s’affranchissant des modèles concurrents inspirés par Washington et Moscou.</p>
<p>L’Inde, dont l’indépendance a été payée d’une amputation considérable de territoires à jamais perdus, est également frustrée par le fait que la Chine ait intégré le Conseil de sécurité de l’ONU dès 1971 alors que, pour sa part, elle attend toujours. Se comprend d’autant mieux la détermination de ses dirigeants à ne rien céder sur la partie du Cachemire que lui dispute le Pakistan et où la Chine ambitionne de développer d’importants projets d’infrastructures. La réciproque se vérifie également pour ce qui concerne la <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/india-china-army-ladakh-face-off-confrontation-1598214-2019-09-12">région du Ladakh – dont une partie est revendiquée par Pékin</a> –, que New Delhi a transformée en un territoire administratif indien distinct.</p>
<p>Lors du sommet informel tenu en novembre 2019, <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2019/10/25/la-diplomatie-de-xi-jinping-en-asie-du-sud-linde-le-gros-caillou-dans-la-chaussure/">Modi et Xi évoquèrent les questions de gouvernance économique régionale et de commerce</a>. Le déficit commercial se creuse entre les deux géants en défaveur de New Delhi. Modi déplora le manque d’accès et d’ouverture du marché chinois aux entreprises et produits indiens. De son côté, Xi encouragea l’Inde à rejoindre le plan Belt and Road Initiative et de soutenir Huawei dans l’équipement en 5G de l’Union indienne. Cette rencontre témoigne de la poursuite de la normalisation des relations diplomatiques entre la Chine et l’Inde.</p>
<p>La crise sanitaire globale donne à Pékin la possibilité d’accentuer une géopolitique opportuniste ; l’axe stratégique sino-pakistanais (renseignement, sécurité, diplomatie, ouverture sur l’océan Indien et ressources naturelles) se trouve <a href="https://time.com/5812015/china-medical-aid-pakistan/">renforcé par l’offensive chinoise dans la zone</a>.</p>
<p>Face à l’asymétrie de puissance et d’influence, l’Inde maintient un jeu subtil, entre coopérations avec son plus grand voisin, quête de soutiens extérieurs pour peser, et nécessité de ne pas le provoquer par des <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2019-2-page-29.htm?contenu=plan">alignements pouvant être perçus comme trop hostiles</a>.</p>
<h2>Rivalités et logiques de revers</h2>
<p>En 2017, l’adhésion de l’Inde – au même titre que son frère ennemi, le Pakistan – à l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) – avait fait naître l’espoir d’une collaboration entre New Delhi et Pékin en matière de lutte contre le terrorisme. Dans les faits, il n’en a rien été.</p>
<p>Dans les disputes territoriales qui l’opposent à l’Inde au Cachemire, la Chine persiste à <a href="https://foreignpolicy.com/2019/03/21/masood-azhar-is-chinas-favorite-terrorist/">soutenir</a> le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/inde-masood-azhar-reconnu-terroriste-par-lonu">terroriste</a> Massod Azhar et ses affidés, de même que son allié pakistanais.</p>
<p>De son côté, New Delhi est soupçonné d’agir contre le régime d’Islamabad aux côtés de séparatistes du <a href="https://www.orfonline.org/expert-speak/why-the-new-balochistan-strategy-is-the-best-option-for-india/">Balouchistan</a> (une région frontalière de l’Iran dont la sécurisation est vitale pour le <a href="https://www.asie21.com/2018/06/01/corridor-economique-pakistan-chine-cepc/">corridor stratégique sino-pakistanais</a>, qui relie l’oasis de Kachgar, dans la province chinoise du Xinjiang, au port de <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/defence/china-has-commercial-military-interests-in-gwadar-us-think-tank/articleshow/62840212.cms?from=mdr">Gwadar</a>, sur les rives de la mer d’Arabie).</p>
<p>Significativement, les Indiens ont fait du <a href="https://thediplomat.com/2019/07/chabahar-port-a-step-toward-connectivity-for-india-and-afghanistan/">port iranien de Chabahar</a> le point d’appui concurrent dans le « grand jeu » qui s’esquisse à travers cette zone. L’insécurité chronique de ces régions du continent asiatique peut compromettre le développement et l’activité économique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/328003/original/file-20200415-153330-cywjm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328003/original/file-20200415-153330-cywjm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328003/original/file-20200415-153330-cywjm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328003/original/file-20200415-153330-cywjm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328003/original/file-20200415-153330-cywjm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328003/original/file-20200415-153330-cywjm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328003/original/file-20200415-153330-cywjm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328003/original/file-20200415-153330-cywjm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="source">Emmanuel Véron, Fonds de Dotation Brousse dell’Aquila</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>À ces régions crisogènes s’ajoutent celle de l’océan Indien, objet des convoitises de la Chine qui, du Myanmar jusqu’à Djibouti, y a établi un <a href="https://www.china-briefing.com/news/china%E2%80%99s-string-of-pearls-strategy/">collier de perles</a> (ou <a href="https://www.geostrategia.fr/collier-de-perles-et-bases-a-usage-logistique-dual/">réseau de facilités portuaires à usage logistique dual</a>). New Delhi entend contrer cette stratégie chinoise en opérant un rapprochement tous azimuts. L’Inde s’est notamment rapprochée pour cela de la France et de ses possessions d’outre-mer (îles Éparses, île de la Réunion…). L’<a href="https://www.air-cosmos.com/article/linde-rceptionne-son-premier-dassault-rafale-21817">acquisition</a> définitive du Rafale, avion de combat de 5<sup>e</sup> génération, est le signe le plus récent et le plus éloquent de la coopération indo-occidentale).</p>
<p>En outre, les opérations du groupe <a href="https://thediplomat.com/2019/11/us-india-australia-japan-quad-holds-senior-officials-meeting-in-bangkok/">Quad (Japon, États-Unis, Australie et Inde)</a> offrent à New Delhi une double profondeur stratégique : contrôle du détroit de Malacca d’une part, libre accès à l’<a href="https://blog.oup.com/2020/02/four-reasons-why-the-indo-pacific-matters-in-2020/">« Indo-Pacifique »</a> de l’autre. La création par New Delhi du <a href="https://www.orfonline.org/expert-speak/andaman-and-nicobar-india-strategic-anchor-holds-ground-47848/">Far Eastern Command à Port Blair</a>, dans les îles Andaman, répond à ces impératifs. Sa diplomatie bilatérale est de plus en plus active notamment avec le Japon, mais aussi avec l’Australie, et confortée en cela par la <a href="https://asialyst.com/fr/2020/03/03/indo-pacifique-complicite-donald-trump-narendra-modi/">visite d’État de Donald Trump à New Delhi</a> en mars dernier.</p>
<p>La diplomatie indienne cherche également à contrebalancer celle de la Chine en Asie. Le dialogue renforcé de New Delhi avec les pays de l’Asean et l’activation de l’<a href="https://thediplomat.com/2019/12/can-india-survive-in-a-china-centered-asia-pacific/">Act East Policy</a> d’une part, les échanges avec Israël, la Russie et l’Asie centrale (Afghanistan compris) et l’Iran d’autre part alimentent une alternative d’ampleur à la voix chinoise. Les jeux d’influence régionaux réciproques se recoupent dans toute l’Asie et s’élargissent au monde.</p>
<p>Cette stratégie à large spectre vise également, pour l’Inde, à se prémunir contre les manœuvres navales menées communément entre la Chine et son allié pakistanais – lesquelles <a href="https://thediplomat.com/2019/12/china-pakistan-to-deepen-military-ties-with-arabian-sea-exercises/">ont eu lieu en janvier de cette année, au large du golfe d’Oman</a> – mais aussi contre les initiatives entreprises par la Chine sur <a href="https://www.nytimes.com/2018/06/25/world/asia/china-sri-lanka-port.html">son flanc méridional, au Sri Lanka</a>, où le passage de sous-marins chinois a été plus d’une fois observé.</p>
<p>Pour l’Inde comme pour la Chine, l’un des enjeux majeurs est de sécuriser leurs circuits d’approvisionnement respectifs, non seulement vers le Moyen-Orient, mais aussi à destination de l’Afrique, un continent que convoitent désormais les deux puissances.</p>
<h2>Afrique : un seul lit pour deux rêves</h2>
<p>L’asymétrie de la puissance se mesure avec éloquence sur le continent africain. L’Afrique est devenue un pilier de la politique internationale de Pékin comme de New Delhi. Mais les approches des deux géants asiatiques contrastent fortement.</p>
<p>D’un côté, la Chine, dans une <a href="https://theconversation.com/vers-un-imperialisme-chinois-en-afrique-102592">logique impérialiste et hégémonique</a>, a su construire en vingt ans un véritable espace diplomatique et stratégique à travers le FOCAC (Forum on China-Africa Cooperation, Forum sur la coopération sino-africaine), objet d’une approche par le haut où l’État-stratège chinois veille à assurer son influence, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/09/03/sommet-chine-afrique-pekin-n-est-pas-neocolonialiste-mais-hegemonique_5349720_3212.html">à étendre son tissu diplomatique et politique, à sécuriser ses approvisionnements et à remporter des marchés</a> (nouvelles technologies comprises). Ainsi, la Chine est aujourd’hui le premier partenaire commercial de l’Afrique, pourvoyeur de prêts (plus que d’investissements directs) et prestataire de services. La <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/3897-chine-2020">dette contractée par les pays africains</a> en direction de la Chine a explosé, illustration de la formule de John Adams (président des États-Unis de 1797 à 1801) : « Il y a deux manières de conquérir et d’asservir une nation, l’une est par les armes, l’autre par la dette. » La <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-03-22/china-expands-medical-aid-to-africa-with-first-ethiopia-shipment">livraison de matériels médicaux à plusieurs pays du continent</a> pour les aider à lutter contre l’épidémie de Covid-19 assoit un peu plus l’image d’une Chine à l’offensive tant diplomatiquement que stratégiquement.</p>
<p>La présence humaine et économique de l’Inde, héritage de l’expansion coloniale britannique (15 % de la diaspora indienne dans le monde vit en Afrique), lui donne une aura bien différente. Ses efforts diplomatiques envers le continent se sont intensifiés depuis une grosse dizaine d’années. Les échanges entre <a href="https://www.jeuneafrique.com/811837/economie/relations-inde-afrique-letat-indien-nest-intervenu-en-tant-quacteur-majeur-que-tres-recemment/">l’Inde et l’Afrique croissent de manière exponentielle</a>. En 2018, l’Inde a ouvert <a href="https://fr.africanews.com/2018/07/26/l-inde-et-la-chine-se-bousculent-aux-portes-de-l-afrique/">18 ambassades</a> à travers tout le continent, traduction du retard pris par les autorités indiennes en matière de politique africaine.</p>
<p>Le <a href="https://journals.openedition.org/espacepolitique/5516">sommet IAFS (India Africa Forum Summit , Forum du Sommet Inde-Afrique) lancé en 2008</a> se veut plus proactif et semble devenir un contrepoids aux initiatives chinoises. L’Inde crée des conditions plus équilibrées avec l’Afrique en matière juridique et financière (à travers des lignes de crédits bancaires, des assurances, etc.). New Delhi exporte également vers l’Afrique des produits plus simples et <a href="https://www.pairault.fr/sinaf/index.php/les-afriques-et-la-chine/pays-et-regions-autres/inde-afrique-et-chine">souvent de meilleure qualité que les produits à bas coût chinois</a>. L<a href="http://www.rfi.fr/fr/afrique/20150828-telemedecine-teleenseignement-inde-afrique-cooperation-sommet">a formation à distance en télémédecine et MOOC</a> proposée par l’Inde à plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest en est un exemple éloquent.</p>
<p>Espace de convoitise des puissances non occidentales, l’Afrique révèle les convulsions contemporaines du système international : atomisation des acteurs, concurrence technologique, géoéconomie et recomposition stratégique des pôles de puissance.</p>
<p>Malgré la crise sanitaire globale et leur apparente coopération dans des espaces bilatéraux ou multilatéraux, la rivalité stratégique durable de deux puissances hétérogènes (armement, technologie de rupture, soft power, économie et diplomatie), l’une démocratique, courtisée par l’Occident et le Japon, l’autre autoritaire, de plus en plus contestée, ne fera que se renforcer.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136149/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du Fonds de dotation Brousse dell'Aquila.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La rivalité entre l’Inde et la Chine s’exprime aussi bien dans leur voisinage immédiat que sur des terrains plus lointains comme l’Afrique.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1334582020-03-12T18:11:08Z2020-03-12T18:11:08ZPourquoi le blasphème est-il passible de la peine capitale dans certains pays musulmans ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/319838/original/file-20200311-116245-1tygi3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C4%2C2977%2C2002&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des islamistes pakistanais protestent contre la clémence de la Cour suprême à l'égard d'Asia Bibi, une chrétienne pakistanaise accusée de blasphème, à Karachi, le 1er février 2019.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/pakistani-islamists-march-to-protest-against-the-supreme-news-photo/1091981702?adppopup=true">Asif Hassan/AFP via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Junaid Hafeez, professeur d’université au Pakistan, était emprisonné depuis six ans quand il a été <a href="https://www.lepoint.fr/monde/pakistan-peine-de-mort-pour-un-professeur-d-universite-accuse-de-blaspheme-21-12-2019-2354361_24.php">condamné à mort</a> en décembre 2019 pour blasphème, plus précisément pour avoir « insulté le prophète Mahomet » sur Facebook.</p>
<p>Selon la <a href="https://www.uscirf.gov/sites/default/files/Blasphemy%20Laws%20Report.pdf">Commission américaine sur la liberté religieuse internationale</a>, la législation punissant le blasphème en vigueur au Pakistan est la deuxième la plus stricte au monde après celle de l’Iran.</p>
<p>Hafeez, dont la condamnation à mort fait actuellement l’objet d’un <a href="https://www.nouvelobs.com/societe/20191221.AFP1021/pakistan-peine-de-mort-pour-un-professeur-d-universite-accuse-de-blaspheme.html">appel</a>, est l’un des quelque <a href="https://herald.dawn.com/news/1154036">1 500 Pakistanais</a> à avoir été inculpés pour blasphème ou pour « propos sacrilèges » au cours des trois dernières décennies. Jusqu’ici, aucun d’entre eux n’a été exécuté.</p>
<p>Mais depuis 1990, <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-46465247">70 personnes ont été assassinées</a> par des foules ou des justiciers autoproclamés les accusant d’avoir insulté l’islam. Plusieurs de leurs défenseurs ont également été tués, y compris <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/pakistan-enferme-depuis-2014-pour-blaspheme-amnesty-denonce-une-parodie-de-justice-20190925">l’un des avocats de Hafeez</a> et <a href="https://www.lepoint.fr/monde/pakistan-le-ministre-des-minorites-religieuses-assassine-02-03-2011-1301290_24.php">deux responsables politiques de haut niveau</a> qui s’étaient publiquement opposés à la condamnation à mort d’Asia Bibi, une chrétienne inculpée pour avoir verbalement insulté le prophète Mahomet. Bien que Bibi ait été <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/11/02/au-pakistan-des-islamistes-se-mobilisent-contre-l-acquittement-de-la-chretienne-asia-bibi_5378213_3216.html">acquittée en 2019</a>, elle a dû fuir le Pakistan.</p>
<p>En février 2020, Bibi a été reçue par Emmanuel Macron, qui a annoncé que <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/asia-bibi-remercie-emmanuel-macron-pour-son-accueil-et-sa-chaleur_2119660.html">« la France est prête » à accepter sa demande d’asile</a>. Une décision qui coïncidait avec une autre déclaration du président français – <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/02/12/affaire-mila-emmanuel-macron-reaffirme-le-droit-au-blaspheme_6029272_3224.html">« La loi est claire : nous avons droit au blasphème, à critiquer, à caricaturer les religions »</a> – faite en réponse <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/29/affaire-mila-la-ministre-de-la-justice-accusee-de-vouloir-legitimer-le-blaspheme_6027715_3224.html">à la polémique née de l’« affaire Mila »</a>.</p>
<h2>Blasphème et apostasie</h2>
<p>32 des <a href="https://www.uscirf.gov/sites/default/files/Legislation%20Factsheet%20-%20Blasphemy_3.pdf">71 pays</a> où le blasphème est considéré comme un crime sont majoritairement musulmans. Le degré d’application de ces lois et le niveau des sanctions prévues sont très <a href="https://www.loc.gov/law/help/blasphemy/index.php">variables</a>.</p>
<p>Le blasphème est puni de mort en Iran, au Pakistan, en <a href="https://www.loc.gov/law/help/blasphemy/index.php#Afghanistan">Afghanistan</a>, à <a href="https://www.nytimes.com/2019/04/03/world/asia/brunei-stoning-gay-sex.html">Brunei</a>, en <a href="https://www.uscirf.gov/sites/default/files/Africa%20Speech%20Laws%20FINAL_0.pdf">Mauritanie</a> et en <a href="https://berkleycenter.georgetown.edu/essays/national-laws-on-blasphemy-saudi-arabia">Arabie saoudite</a>. Pour ce qui concerne les pays non musulmans, c’est en <a href="https://www.uscirf.gov/sites/default/files/Blasphemy%20Laws%20Report.pdf">Italie</a> que la loi est le plus sévère : la peine maximale prévue est de trois ans de prison.</p>
<p>La moitié des 49 pays à majorité musulmane possèdent également des lois <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2016/07/29/which-countries-still-outlaw-apostasy-and-blasphemy/">interdisant l’apostasie</a>, ce qui signifie que leurs citoyens peuvent être <a href="https://www.loc.gov/law/help/apostasy/index.php">jugés pour avoir abandonné l’islam</a>. Tous les pays dont la législation comporte des lois réprimant l’apostasie sont à majorité musulmane, à l’exception de <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2016/07/29/which-countries-still-outlaw-apostasy-and-blasphemy/">l’Inde</a>. L’accusation d’apostasie <a href="https://www.loc.gov/law/help/blasphemy/index.php">accompagne souvent celle de blasphème</a>.</p>
<p>Ces lois religieuses sont largement soutenues par la population dans certains pays musulmans. D’après un <a href="https://www.pewforum.org/2013/04/30/the-worlds-muslims-religion-politics-society-overview/">sondage du Pew Research Center</a> effectué en 2013, près de 75 % des répondants d’Asie du Sud-Est, du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et d’Asie du Sud sont favorables à ce que la charia, c’est-à-dire la loi islamique, soit la loi officielle de leur pays.</p>
<p>Parmi les partisans de la charia, environ 25 % des habitants d’Asie du Sud-Est, 50 % des Moyen-Orientaux et des Nord-Africains et 75 % des habitants d’Asie du Sud souhaitent « l’exécution de ceux qui quittent l’islam » – c’est-à-dire qu’ils soutiennent les lois punissant l’apostasie de mort.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314063/original/file-20200206-43128-xhkukg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Usine incendiée par une foule en colère à Jhelum, dans la province du Pendjab, au Pakistan, après qu’un de ses employés ait été accusé d’avoir profané le Coran, 21 novembre 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/pakistani-firefighters-stand-in-a-burnt-out-factory-torched-news-photo/498134476?adppopup=true">AFP</a></span>
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<h2>Les oulémas et l’État</h2>
<p>Mon livre paru en 2019, <a href="https://www.cambridge.org/us/academic/subjects/politics-international-relations/comparative-politics/islam-authoritarianism-and-underdevelopment-global-and-historical-comparison?format=PB"><em>Islam, Authoritarianism, and Underdevelopment</em></a> montre que les lois sur le blasphème et l’apostasie dans le monde musulman remontent à une alliance historique entre les érudits islamiques et le gouvernement.</p>
<p>Vers l’année 1050, certains juristes et théologiens sunnites, appelés les « oulémas », ont commencé à travailler en étroite collaboration avec les <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/V/bo5951736.html">dirigeants politiques</a> pour combattre ce qu’ils voyaient comme l’influence sacrilège des <a href="https://www.fulcrum.org/concern/monographs/s1784m135#toc">philosophes musulmans</a> sur la société.</p>
<p>Au cours des trois siècles précédents, des philosophes musulmans avaient apporté des contributions majeures aux <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691135267/the-crest-of-the-peacock">mathématiques</a>, à la <a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/T/bo28119973.html">physique</a> et à la <a href="http://press.georgetown.edu/book/georgetown/medieval-islamic-medicine">médecine</a>. Ils avaient notamment développé la <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/305233/the-house-of-wisdom-by-jim-al-khalili/">numération arabe</a> utilisée à ce jour partout en Occident et inventé un <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674050044&content=toc">précurseur de l’appareil photo d’aujourd’hui</a>.</p>
<p>Les oulémas conservateurs ont estimé que ces philosophes étaient influencés de manière inappropriée par la <a href="http://cup.columbia.edu/book/a-history-of-islamic-philosophy/9780231132206">philosophie grecque</a> et par <a href="https://archive.org/stream/renaissanceofisl029336mbp/renaissanceofisl029336mbp_djvu.txt">l’islam chiite</a>, aux dépens de la foi sunnite. <a href="https://www.ghazali.org/books/laoust.pdf">Ghazali</a>, un érudit brillant et respecté mort en 1111, est considéré comme le penseur le plus important de cette période de consolidation de l’orthodoxie sunnite.</p>
<p>Dans plusieurs <a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/A/bo16220536.html">livres ayant eu une grande influence</a> et encore énormément lus de nos jours, Ghazali déclara que deux grands philosophes musulmans alors décédés depuis longtemps, <a href="https://fonsvitae.com/product/hardback-al-ghazali-deliverance-error-al-munqidh-min-al-dalal-works-copy/">Farabi et Ibn Sina</a>, étaient des apostats du fait de leur vision non orthodoxe de la puissance divine et de la nature de la résurrection. Selon Ghazali, leurs adeptes étaient <a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/I/bo3624354.html">passibles de mort</a>.</p>
<p>Les historiens contemporains, comme <a href="https://uncpress.org/book/9780807856574/the-politics-of-knowledge-in-premodern-islam/">Omid Safi</a> et <a href="https://global.oup.com/academic/product/al-ghazalis-philosophical-theology-9780195331622 ?cc=us&lang=en&">Frank Griffel</a>, estiment que, à partir du XII<sup>e</sup> siècle, les propos de Ghazali ont servi de justification aux sultans musulmans souhaitant <a href="https://www.iep.utm.edu/ibnrushd/">persécuter</a> – voire <a href="https://www.britannica.com/biography/as-Suhrawardi">exécuter</a> – des <a href="https://criticalmuslim.com/issues/12-dangerous-freethinkers/abbasid-freethinking-humanism-aziz-al-azmeh">penseurs</a> perçus comme des menaces pour leur règne basé sur le conservatisme religieux.</p>
<p>Cette « alliance entre les oulémas et l’État », <a href="https://www.google.com/books/edition/Islam_Authoritarianism_and_Underdevelopm/xjCdDwAAQBAJ ?hl=en&gbpv=1&bsq= %22ulema-state %22">comme je l’appelle</a>, est née <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/V/bo5951736.html">au milieu du XI<sup>e</sup> siècle</a> en <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691165851/lost-enlightenment">Asie centrale</a>, en <a href="https://www.worldcat.org/title/continuity-and-change-in-medieval-persia-aspects-of-administrative-economic-and-social-history-11th-14th-century/oclc/16095227">Iran</a> et en <a href="https://www.sunypress.edu/p-3207-a-learned-society-in-a-period-o.aspx">Irak</a>, avant de s’étendre un siècle plus tard à la <a href="https://www.cambridge.org/us/academic/subjects/history/middle-east-history/knowledge-and-social-practice-medieval-damascus-11901350 ?format=PB">Syrie</a>, à l’<a href="https://www.cambridge.org/core/books/muslim-cities-in-the-later-middle-ages/02685655C9C18404192B9FE3E43E75D5">Égypte</a> et à l’<a href="https://www.worldcat.org/title/muqaddimah-an-introduction-to-history/oclc/307867">Afrique du Nord</a>. Dans ces régimes, la remise en question de l’orthodoxie religieuse et de l’autorité politique ne relevait pas seulement de la dissidence mais de l’apostasie.</p>
<h2>Dans la mauvaise direction</h2>
<p>Certaines parties de <a href="https://www.cambridge.org/us/academic/subjects/history/european-history-general-interest/rise-western-world-new-economic-history ?format=PB">l’Europe occidentale</a> étaient dirigées par des alliances similaires entre l’Église catholique et les monarques. Là aussi, la liberté de penser était réprimée. Pendant l’Inquisition en Espagne, du XVI<sup>e</sup> au XVIII<sup>e</sup> siècle, des <a href="https://lup.lub.lu.se/search/publication/2150452">milliers de personnes</a> furent torturées et mises à mort pour apostasie.</p>
<p>Des lois réprimant le blasphème sont longtemps restées en vigueur dans plusieurs pays d’Europe, bien qu’elles n’étaient que rarement invoquées. <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/europe/quran-burner-denmark-facebook-blasphemy-laws-repeal-a7771041.html">Le Danemark</a>, <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/oct/27/ireland-votes-to-oust-blasphemy-ban-from-constitution">l’Irlande</a> et <a href="https://www.timesofmalta.com/articles/view/20160714/local/repealing-blasphemy-law-a-victory-for-freedom-of-speech-says-humanist.618859">Malte</a> n’ont abrogé ces lois que tout récemment.</p>
<p>Mais de telles lois existent toujours en de nombreux points du monde musulman.</p>
<p>Au Pakistan, le dictateur <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/sacrilege-et-politique-religieuse-au-pakistan">Zia ul Haq</a>, qui dirigea le pays de 1978 à 1988, a fait adopter des lois anti-blasphème particulièrement dures. Allié des <a href="https://nation.com.pk/14-Oct-2016/10-things-you-need-to-know-about-pakistan-s-blasphemy-law">oulémas</a>, Zia <a href="https://www.refworld.org/pdfid/565da4824.pdf">a remis au goût du jour des lois réprimant le blasphème</a> – initialement instaurées par le colonisateur britannique pour éviter les conflits interreligieux – de façon à protéger spécifiquement l’islam sunnite, les personnes reconnues coupables encourant désormais la peine de mort.</p>
<p>Des années 1920 à l’avènement de Zia, ces lois n’avaient été appliquées <a href="https://nation.com.pk/14-Oct-2016/10-things-you-need-to-know-about-pakistan-s-blasphemy-law">qu’une dizaine de fois</a>. Depuis, elles sont devenues un outil privilégié par le pouvoir pour s’en prendre à ses adversaires.</p>
<p>Beaucoup de pays musulmans ont connu des <a href="https://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/acprof :oso/9780199812264.001.0001/acprof-9780199812264">processus similaires</a> au cours des quatre dernières décennies, notamment <a href="https://www.nytimes.com/2004/06/29/world/iran-drops-death-penalty-for-professor-guilty-of-blasphemy.html">l’Iran</a> et <a href="https://www.newsweek.com/egypt-atheism-illegal-crackdown-non-believers-religion-islam-772471">l’Égypte</a>.</p>
<h2>Des voix dissidentes au sein de l’islam</h2>
<p>Les oulémas conservateurs fondent leurs arguments en faveur des lois réprimant le blasphème et l’apostasie sur quelques paroles du prophète Mahomet (hadiths), principalement : <a href="https://www.google.com/books/edition/Freedom_of_Religion_Apostasy_and_Islam/MrhBDgAAQBAJ ?hl=en&gbpv=1&dq=apostasy+hadith+change+religion+kill&pg=PT87&printsec=frontcover">« Celui qui change de religion, tuez-le »</a>.</p>
<p>Mais de nombreux <a href="https://english.kadivar.com/2006/09/29/the-freedom-of-thought-and-religion-in-islam-2/">érudits de l’islam</a> et <a href="https://www.nytimes.com/2015/01/14/opinion/islams-problem-with-blasphemy.html">intellectuels musulmans</a> rejettent cette vision des choses, qu’ils jugent <a href="https://yaqeeninstitute.org/jonathan-brown/the-issue-of-apostasy-in-islam/#.XjcRFy2ZNKN">radicale</a>. Ils rappellent que Mahomet <a href="https://yaqeeninstitute.org/jonathan-brown/the-issue-of-apostasy-in-islam/#.XjcRFy2ZNKN">n’a jamais fait exécuter quiconque pour apostasie</a> et <a href="https://archive.org/details/MuhammadAndTheJewsAReExaminationByBarakatAhmad_201702">n’a jamais appelé ses partisans à le faire</a>.</p>
<p>De même, la criminalisation du sacrilège ne repose pas sur le texte sacré de l’islam, le Coran, qui contient au contraire <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/9781315255002">100 versets</a> promouvant la paix, la liberté de conscience et la tolérance religieuse.</p>
<p>Dans le verset 256 de la sourate 2, le Coran proclame : « Il n’y a pas de contrainte en religion ». Le verset 140 de la sourate 4 invite seulement les musulmans à ne pas participer à des conversations blasphématoires : « Lorsque vous entendez qu’on renie les versets d’Allah et qu’on s’en raille, ne vous asseyez point avec ceux-là. »</p>
<p>Pourtant, en utilisant leurs connexions politiques et leur <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691130705/the-ulama-in-contemporary-islam">autorité historique</a> en matière d’interprétation de l’islam, les oulémas conservateurs ont marginalisé les <a href="https://oneworld-publications.com/progressive-muslims-pb.html">voix plus modérées</a>.</p>
<h2>Réactions à l’islamophobie dans le monde</h2>
<p>Les débats en cours au sein du monde musulman sur les lois punissant le blasphème et l’apostasie sont largement influencés par la situation internationale.</p>
<p>En de nombreux points du monde, les minorités musulmanes, comme les <a href="https://www.hrw.org/world-report/2019/country-chapters/israel/palestine">Palestiniens</a>, les <a href="https://www.nytimes.com/2019/12/10/world/europe/photos-chechen-war-russia.html">Tchétchènes</a> en Russie, les <a href="https://www.hrw.org/news/2019/09/16/india-free-kashmiris-arbitrarily-detained">Cachemiris</a> en Inde, les <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/rohingya-crisis ?gclid=CjwKCAiAsIDxBRAsEiwAV76N8zrlJqhi65w6DzRLwTrDYleM8U7DFswwKp61f3Oiav1Bq4schYpKzhoCfh4QAvD_BwE">Rohingya</a> au Myanmar et les <a href="https://www.nytimes.com/interactive/2019/11/16/world/asia/china-xinjiang-documents.html">Ouïghours</a> en Chine, subissent des persécutions. Aucune autre religion n’est aussi largement prise pour cible dans autant de pays différents.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314066/original/file-20200206-43084-e3knqp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les Rohingya du Myanmar sont l’une des nombreuses minorités musulmanes persécutées dans le monde. État de Rakhine, Myanmar, 13 janvier 2020.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/rohingya-people-who-were-arrested-at-sea-in-december-walk-news-photo/1193446518?adppopup=true">AFP</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En outre, il convient également de rappeler l’existence dans les pays occidentaux de certaines <a href="https://www.dw.com/en/german-court-allows-courtroom-headscarf-ban/a-42857656">lois</a> discriminatoires à l’égard des musulmans, telles que l’interdiction du <a href="https://www.cambridge.org/9781108476942">voile à l’école</a> ou la décision de l’administration Trump de ne pas autoriser les ressortissants de plusieurs pays à majorité musulmane à accéder au territoire américain.</p>
<p>Ces lois et politiques <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2014/10/is-islamophobia-real-maher-harris-aslan/381411/">islamophobes</a> peuvent créer l’impression que les musulmans sont <a href="https://news.gallup.com/poll/157082/islamophobia-understanding-anti-muslim-sentiment-west.aspx">assiégés</a> et <a href="https://lb.boell.org/en/2012/08/15/muslim-political-theology-defamation-apostasy-and-anathema">justifier</a> aux yeux de certains d’entre eux l’idée que réprimer le blasphème serait un acte de protection de la foi.</p>
<p>De mon point de vue, c’est plutôt l’existence de règles religieuses aussi strictes qui nourrit les <a href="https://deadline.com/2014/10/ben-affleck-comes-to-blows-with-bill-maher-over-his-opinions-toward-islam-video-845912/">stéréotypes anti-musulmans</a>. Plusieurs membres turcs de ma famille m’ont même déconseillé de travailler sur cette question, de crainte que cela n’alimente l’islamophobie.</p>
<p>Mais mes recherches montrent que la criminalisation du blasphème et de l’apostasie est de nature politique plus que religieuse. Ce ne sont pas les versets du Coran mais les dirigeants autoritaires qui exigent le châtiment des blasphémateurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/133458/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ahmet T. Kuru est l'auteur de "Islam, Authoritarism and Underdevelopment: A Global and Historical Comparison" (Cambridge University Press, 2019).</span></em></p>Au Pakistan, en Iran et en Arabie saoudite, le blasphème est passible de la peine de mort. Ces lois n’ont pas seulement des motifs religieux : elles répondent aussi à des préoccupations politiques.Ahmet T. Kuru, Professor of Political Science, San Diego State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1328842020-03-04T18:09:27Z2020-03-04T18:09:27ZViolences anti-musulmanes en Inde : quelle responsabilité pour le gouvernement Modi ?<p>Depuis plus de trois mois, l’Inde est en proie à une immense agitation. Le climat social semble ne cesser de se détériorer, comme en témoignent les affrontements sanglants entre hindous et musulmans qui ont eu lieu fin février. À titre d’exemple, des <a href="https://www.persee.fr/doc/tiers_1293-8882_2003_num_44_174_5389">affrontements similaires avaient fait en 2002 dans l’État du Gujarat</a> des milliers de victimes. </p>
<p>Le ministre en chef de cet État et son administration avaient alors été accusés d’avoir <a href="https://www.bbc.com/news/world-south-asia-13170914">laissé faire les émeutiers et retenu la police</a>. Certains membres de cette administration avaient alors été interdits de séjour à l’étranger et <a href="https://india.blogs.nytimes.com/2012/08/31/stiff-sentence-for-former-gujarat-minister/">quelques-uns avaient été condamnés</a>. Le ministre en chef du Gujarat était alors nul autre que Narendra Modi.</p>
<h2>Le premier mandat de Modi : politique économique libérale et rhétorique sectaire</h2>
<p>Auréolé de l’élan économique qu’a connu le Gujarat à l’époque où il le dirigeait (de 2001 à 2014), Narendra Modi a été élu premier ministre de l’Union indienne en 2015, en mettant en avant des promesses de libéralisme et de dynamisme économique. Il s’agissait de faire rivaliser l’Inde avec la Chine, d’engager son économie sur un sentier de croissance soutenu et long en allégeant la bureaucratie, d’ouvrir le pays aux investissements directs étrangers et de le doter, au travers du programme <a href="http://www.makeinindia.com/home">« make in India »</a>, d’un secteur manufacturier performant (pour des raisons historiques, ce secteur avait toujours été atrophié).</p>
<p>L’orientation de ce programme aurait pu faire oublier les racines idéologiques du parti auquel Narendra Modi appartient, le Baratiya Janata Party (BJP), à savoir l’« Hindutva ». Cette idéologie, selon laquelle l’Inde ne saurait être qu’hindoue, prône le retour à une culture fantasmée comme purement indienne, c’est-à-dire celle d’avant l’Empire moghol (1526-1857), désormais présenté dans les manuels d’histoire comme un joug étranger ayant longtemps pesé sur l’Inde hindoue. Certains courants de l’Hindutva affirment également que tous les hindous partageraient la même origine ethnique tandis que les membres des autres communautés seraient les fils d’un autre sol, issus de mariages mixtes plus ou moins consentis. Ajoutons que le BJP entretient des rapports étroits avec le Rashtriya Swayamsevak Sangh (Organisation patriotique nationale, RSS), organisation paramilitaire fondée en 1925 sur le modèle des phalanges fascistes afin de promouvoir l’idéologie de l’Hindutva. Narendra Modi a <a href="https://www.britannica.com/biography/Narendra-Modi">commencé sa carrière dans les rangs du RSS</a>.</p>
<p>Au cours de son premier mandat, le gouvernement de M. Modi a engagé des réformes profondes comme <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/08/04/en-inde-le-parlement-federal-adopte-la-tva-unique_4978259_3234.html">l’unification de la TVA</a>, mais aussi créé un traumatisme économique au travers de la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/inde-la-demonetisation-a-ete-un-cuisant-echec-pour-new-delhi-137686">démonétisation</a> – c’est-à-dire la suppression, sans préavis, du cours légal des billets les plus couramment utilisés.</p>
<p>Ces initiatives économiques audacieuses ont pu reléguer dans l’ombre les mesures ou déclarations vexatoires prises envers les communautés religieuses minoritaires, en particulier les musulmans, ainsi que le développement de milices ou de « vigilantes », groupes de citoyens se faisant fort d’appliquer ce qu’ils pensent être ou devraient être la loi. Certains de ces groupes, au motif de vérifier l’application de la loi interdisant l’abattage de bovidés, <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-02-20/cow-vigilantes-in-india-killed-at-least-44-people-report-finds">lynchent des musulmans et des personnes issues des basses castes</a>. D’autres humilient, parfois violemment les <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/hindu-yuva-vahini-members-beat-couple-in-court-premises-in-up-cry-love-jihad-1144707-2018-01-14">couples issus de confessions différentes</a>. Ces groupes, dont les actions illégales n’entraînent que peu de poursuites, agissent avec un sentiment croissant d’impunité, et sont encouragés, voire organisés, par certaines figures du BJP qui ne cachent pas leur aversion pour les minorités religieuses et revendiquent la suprématie hindoue. Mais le grand public, avant tout tourné vers les initiatives et promesses économiques, n’y a pas nécessairement prêté attention et n’a peut-être pas perçu à quel point le climat devenait menaçant pour la communauté musulmane.</p>
<h2>Un second mandat placé sous le signe de la division</h2>
<p>En 2019, les perspectives économiques commencent à s’assombrir. En janvier, un rapport de la Commission nationale des statistiques faisant état d’un taux de chômage au plus haut depuis une cinquantaine d’années fuite dans la presse ; le gouvernement est accusé d’en <a href="https://www.nytimes.com/2019/01/31/world/asia/india-unemployment-rate.html">retarder la publication en amont des élections législatives tenues entre le 11 avril et le 19 mai</a>. Le taux de croissance de l’économie indienne commence à montrer des signes de ralentissement, de même que les investissements et la consommation. L’opposition ne se prive pas de souligner ce mauvais bilan économique. La campagne de M. Modi est alors centrée sur l’insécurité, <a href="https://www.dawn.com/news/1475670">mettant en cause des migrants illégaux du Bangladesh</a>. Servi par les circonstances d’un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/14/cachemire-indien-au-moins-33-morts-dans-l-attentat-le-plus-meurtrier-depuis-2002_5423608_3210.html">attentat au Cachemire</a>, il parvient à apparaître comme un chef de guerre capable d’en imposer au Pakistan. En mai 2019, le premier ministre sortant remporte une <a href="http://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20190523-inde-nouveau-mandat-une-victoire-ecrasante-narendra-modi">victoire écrasante</a> aux législatives.</p>
<p>Le second mandat de Narendra Modi met clairement l’accent sur les questions intérieures, à commencer par un grand projet de refonte de la nationalité au travers de la possible création d’un registre des citoyens. Une première initiative est menée en août 2019 dans l’État de l’Assam, voisin du Bangladesh. Afin de lutter contre de potentiels « étrangers exfiltrés », il est demandé aux habitants de cet État d’apporter la preuve de la présence de leurs familles sur le territoire indien avant 1971 afin de confirmer leur citoyenneté indienne. Dans cet État où un habitant sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté et ne sait pas lire, il n’est pas aisé pour ces familles d’apporter ce genre de preuves écrites. </p>
<p>À l’issue de ce processus, 1,9 million d’individus se considérant indiens, en majorité des musulmans, sont <a href="https://edition.cnn.com/2019/08/30/asia/assam-national-register-india-intl-hnk/index.html">devenus apatrides</a>. En décembre 2019, une <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/12/12/loi-sur-la-nationalite-en-inde-les-musulmans-mis-au-ban_1768931">loi sur la nationalité</a> a été votée. Elle garantit aux ressortissants du Pakistan, de l’Afghanistan et du Bangladesh présents sur le territoire l’accès à une procédure accélérée d’obtention de la nationalité indienne… mais les musulmans sont exclus de cette disposition. Les défenseurs de ce texte brandissent un argument humanitaire : selon eux, la loi vise à protéger les minorités ; or l’islam est la religion majoritaire dans ces trois pays.</p>
<p>L’adoption de cette loi a provoqué une indignation et une vague de mobilisation sans précédent en Inde – et cela, pour trois raisons. D’une part, elle est contraire à la Constitution qui garantit la neutralité religieuse de l’État, neutralité qui est au cœur des institutions. Deuxièmement, cette loi arrive après de nombreuses vexations envers la communauté musulmane indienne, par exemple <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/09/en-inde-la-justice-autorise-la-construction-d-un-temple-hindou-sur-un-site-dispute-avec-les-musulmans_6018585_3210.html">l’attribution du site d’Ayodhya aux hindous</a> ou le <a href="https://www.npr.org/2019/04/23/714108344/india-is-changing-some-cities-names-and-muslims-fear-their-heritage-is-being-era?t=1583231725259">changement de plusieurs noms de ville qui rappelaient le passé moghol</a> pour n’en citer que quelques-unes. Ces provocations de la part du gouvernement n’ont cessé de s’accumuler. Troisièmement, cette loi apparaît pour beaucoup comme le signe avant-coureur d’une remise en cause de la citoyenneté pleine et entière de tous les musulmans de l’Inde. La mobilisation pacifique contre cette loi <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/inde-manifestations-contre-la-loi-sur-la-citoyennete_3751783.html">dure maintenant depuis plus de deux mois</a>.</p>
<p>Les milices hindoues qui, on l’a dit, ont pris l’habitude d’agir en toute liberté et impunité, ont désormais décidé de s’en prendre violemment aux opposants de la loi. Le 5 janvier dernier, des membres d’un syndicat étudiant a priori proche du RSS ont <a href="https://theconversation.com/inde-les-universites-face-au-pouvoir-129940">mis à sac une université en plein cœur de Delhi</a> et passé à tabac étudiants et enseignants. La police a été accusée de complaisance envers les agresseurs. Fin février 2020, des milices ont <a href="https://www.lefigaro.fr/international/new-delhi-le-dechainement-de-violences-contre-les-musulmans-en-photos-20200301">semé la terreur dans les quartiers musulmans du nord-est de Delhi</a>, détruisant commerces et mosquées et lynchant, voire abattant par balles des dizaines d’habitants. La police a encore été accusée de passivité, de la même manière qu’elle avait été accusée d’avoir fermé les yeux sur les pogroms du Gujarat de 2002.</p>
<h2>Le double discours du gouvernement</h2>
<p>Certes, les affrontements intercommunautaires sont de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RngV5nEpehc">plus en plus rares et géographiquement circonscrits en Inde</a>, et les récents événements de Delhi ne resteront pas parmi les plus meurtriers. Ils n’en sont pas moins très préoccupants car ils mettent en lumière le double discours du gouvernement. D’une part, celui-ci se défend d’entretenir la division et s’abrite systématiquement derrière des justifications de bon aloi – comme un souci humanitaire dans le cas de la loi sur la nationalité – tout en soufflant sur les braises de la discorde et en laissant les dirigeants en vue de son parti exhorter la population à la haine. D’autre part, l’habitude prise par les milices de faire régner leurs lois et la terreur fait peser une menace réelle sur l’avenir de l’état de droit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132884/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Bros ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les pogroms anti-musulmans qui ont récemment ensanglanté New Delhi ne sont pas un épiphénomène : ils représentent un aboutissement logique de l’idéologie extrémiste du parti au pouvoir.Catherine Bros, Maître de Conférences en économie, HDR, Université Gustave Eiffel, affiliée au laboratoire DIAL, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1287962019-12-12T17:23:12Z2019-12-12T17:23:12ZLe jour où l’Inde a fermé ses portes aux musulmans<p>Pour la première fois en Inde, la citoyenneté sera accordée sur des critères religieux et exclura une minorité : les musulmans. Dans la nuit du 9 décembre, après un débat animé qui a duré sept heures, les députés de la chambre basse (Lok Sabha) ont adopté – avec <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/india/lok-sabha-passes-citizenship-amendment-bill/articleshow/72448424.cms">311 voix favorables et 80 contre</a> – le controversé projet d’amendement constitutionnel de la loi sur la citoyenneté (Citizenship Amendment Bill, ou CAB).</p>
<p>Cet amendement vise à accorder la citoyenneté indienne aux réfugiés souffrant de discriminations religieuses au <a href="https://theconversation.com/breathing-without-living-the-plight-of-christians-in-pakistan-70892">Pakistan</a>, au Bangladesh et en Afghanistan.</p>
<p>Ce texte a été introduit par le sulfureux ministre de l’Intérieur Amit Shah. En décembre 2018, il avait promis dans un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=dnZ-jqW7SlI">discours</a> très agressif de « jeter » les migrants illégaux en provenance du Bangladesh dans les eaux du Bengale. Il avait aussi comparé les musulmans à des termites.</p>
<p>Le texte, validé également par la chambre haute ou Rajya Sabha (<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/11/l-inde-adopte-une-loi-tres-controversee-contre-les-musulmans_6022532_3210.html">125 voix pour et 99 contre</a>), entend naturaliser officiellement les Afghans, Pakistanais et Bangladais résidant en Inde (pour la plupart depuis longtemps) et issus de <a href="https://minorityrights.org/what-we-do/supporting-religious-pluralism-and-respect-for-freedom-of-religions-or-belief-across-south-asia/">communautés religieuses minoritaires</a> dans leur pays d’origine (hindous, jaïns, sikhs, chrétiens, bouddhistes ou parsis).</p>
<p>La législation proposée s’applique à ceux qui ont été forcés ou contraints de chercher refuge en Inde en raison de persécutions fondées sur la religion. La loi viserait à protéger ces personnes éventuellement prises dans les procédures d’immigration clandestine. Les frontières entre l’Inde et le Pakistan, l’Inde et le Bangladesh ont toujours été poreuses, laissant place à l’organisation d’une immigration clandestine parfois contrôlée par des réseaux mafieux. Un des arguments avancés dans les débats est de mettre fin à ces filières (en tout cas pour les groupes pris en compte par le CAB).</p>
<h2>Ce qui change</h2>
<p>Jusqu’à présent, en vertu des lois en vigueur, un migrant clandestin n’a pas le droit de devenir citoyen indien par enregistrement (<em>registered</em>) ou naturalisation.</p>
<p>Le <a href="https://www.advocatekhoj.com/library/bareacts/foreigners/index.php?Title=Foreigners%20Act,%201946">Foreigners Act</a> (1946) et le <a href="https://www.advocatekhoj.com/library/bareacts/passports/index.php?Title=Passports%20Act,%201967">Passport Act</a> (1967) interdisent l’entrée sur le territoire d’une telle personne et prévoient la mise en prison ou l’expulsion d’un migrant clandestin.</p>
<p>Une personne peut devenir citoyenne indienne en s’enregistrant si elle a résidé habituellement dans le pays pendant six des huit dernières années et sans interruption au cours des douze 12 mois précédant le dépôt de sa demande de citoyenneté. Pour acquérir la citoyenneté par naturalisation, la personne doit avoir vécu en Inde pendant 14 ans, dont 12 ans de séjour cumulatif dans le pays.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-jummas-parias-du-bangladesh-97105">Les Jummas, parias du Bangladesh</a>
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<p>La naturalisation est réservée aux étrangers tandis que l’enregistrement est réservé aux ressortissants du sous-continent indien (à une personne d’origine indienne qui réside habituellement en Inde depuis sept ans).</p>
<p>Le CAB prévoit un abaissement à 5 ans de cette exigence de durée de résidence pour la naturalisation. Le projet offre aussi la possibilité d’exclure certains groupes de population de ce processus de naturalisation, les musulmans, et <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/citizenship-amendment-bill-tabled-lok-sabha-passage-december-9-1626406-2019-12-08">l’annulation sur certains critères de l’OCI</a> (<em>overseas citizen of India</em>), un document similaire à un titre de séjour pour les personnes d’origine indienne mais n’ouvrant pas de droits citoyens.</p>
<p>En d’autres termes, le CAB accordera aux migrants non musulmans en situation irrégulière le statut de migrants légaux bien qu’ils soient venus en Inde sans documents et autorisation valables. Une population qui constituera une nouvelle et importante manne électorale.</p>
<h2>Une loi dépourvue de toute logique constitutionnelle ?</h2>
<p>Le choix portant sur les trois pays d’application pose cependant de nombreuses questions.</p>
<p>Si la délimitation portée sur le Pakistan et le Bangladesh peut faire sens, du fait d’une histoire commune qui permet de lier ces pays à l’Inde britannique et à la Partition, le choix de l’Afghanistan, et l’exclusion des pays voisins (Népal, Bhoutan et Birmanie) qui, eux, partagent des frontières terrestres avec l’Inde semble problématique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=559&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/306608/original/file-20191212-85422-yy7rc3.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=702&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte simplifiée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Inde_carte_simple.png">Barracuda/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Le projet de loi vise donc à protéger les minorités religieuses au sein de ces États pensés par Delhi comme théocratiques en raison de la présence d’une majorité de la population de confession musulmane, mais qui ne le sont pas constitutionnellement.</p>
<p>Mais, cette raison ne tient pas à l’analyse. Pourquoi le <a href="https://www.worldwatchmonitor.org/2016/04/bhutan-a-happy-place-but-not-for-all/">Bhoutan</a>, qui est un pays voisin et constitutionnellement un État religieux – la religion officielle étant le bouddhisme – est-il exclu de la liste ?</p>
<p><a href="https://www.courrierinternational.com/article/2011/06/01/bouddhisme-et-tolerance-ne-font-pas-bon-menage">Les chrétiens ne peuvent pourtant pas y vivre leur foi</a> en toute liberté.</p>
<p>Si c’est réellement la persécution des « minorités religieuses » qui est prise en considération dans le CAB, on aussi peut s’étonner de l’exclusion du Sri Lanka, où le bouddhisme est constitutionnellement « at the foremost place ».</p>
<p>L’article 9 de la Constitution stipule ainsi que « La République du Sri Lanka accorde la première place au bouddhisme que l’État doit protéger. <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Au-Sri-Lanka-triste-memoire-guerre-civile-2019-04-22-1201017203">Les troubles</a> entre bouddhistes cinghalais et tamouls hindous qui ont donné lieu à une longue guerre civile généré des flux considérables de réfugiés tamouls : <a href="https://www.areion24.news/2019/05/29/derives-autoritaires-et-desordres-internes-au-sri-lanka/">presque un million</a> aurait fui l’île donnant naissance à une <a href="https://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=HER_158_0219#">importante diaspora</a>. Celle-ci est principalement présente en Europe occidentale, Asie du Sud-Est (Malaisie et Singapour) et Amérique du Nord (Canada en particulier).</p>
<p>L’<a href="https://www.epw.in/journal/2018/8/special-articles/learning-live-colonies-and-camps.html">Inde</a> accueille ainsi plus de 100 000 réfugiés tamouls répartis dans plus d’une centaine de camps répartis sur l’ensemble du territoire de l’État du Tamil Nadou qui attendent depuis des années une loi nationale sur les réfugiés.</p>
<p>Et pourquoi la Birmanie, que les <a href="https://www.diploweb.com/Comment-vraiment-comprendre-la-crise-rohingya.html">Rohingyas musulmans</a>, victimes d’un véritable génocide, fuient en masse, notamment vers l’Inde, n’est-elle pas également incluse ?</p>
<h2>Attirer les hindous « de l’extérieur »</h2>
<p>L’application du CAB pour ces trois pays seulement s’inscrit dans une certaine logique tout comme le choix de ne pas permettre aux minorités musulmanes et athées d’accéder à cette citoyenneté indienne en limitant la notion de « minorité religieuse » à six groupes religieux. Pourtant, de nombreuses autres populations subissent des discriminations. C’est le cas, au Pakistan, des <a href="https://theconversation.com/who-are-pakistans-ahmadis-and-why-havent-they-voted-in-30-years-100797">Ahmadis</a> qui ne sont pas reconnus comme musulmans et sont traités comme appartenant à une religion distincte, subissant avanies, persécutions et discriminations.</p>
<p>Derrière le CAB s’affiche clairement la volonté de discriminer les communautés musulmanes.</p>
<p>Le vote autour du texte a suscité depuis plusieurs jours maintenant une levée de boucliers parmi les intellectuels et militants des droits civiques, tout comme parmi les membres de ce qui reste du parti du Congrès (Indian National Congress) rassemblés autour de Rahul Gandhi. Les opposants à ce texte ont décidé d’en appeler <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/after-rajya-sabha-green-signal-citizenship-amendment-bill-to-hit-sc-roadblock-1627550-2019-12-12">à la Cour suprême</a>.</p>
<p>Ils invoquent la loi et tout particulièrement <a href="http://www.legalservicesindia.com/article/1688/Right-To-Equality--A-Fundamental-Right.html">l’article 14 de la Constitution indienne</a> qui prévoit l’égalité comme base des droits fondamentaux « absolus et non exclusifs aux citoyens indiens ». Avec le CAB, l’Inde tourne désormais le dos à des décennies de <a href="https://journals.openedition.org/assr/24573">sécularisme</a>, ce qui la distinguait justement de son voisin, le Pakistan.</p>
<h2>L’inquiétude des États frontaliers</h2>
<p>Mais le CAB soulève de nombreuses inquiétudes notamment dans les États du Nord-Est indien (Assam, Meghalaya, Mizoram, Tripura, Arunachal Pradesh et Nagaland).</p>
<p>Ces États ont obtenu de rester en dehors de ce nouveau dispositif, afin de demeurer inaccessibles aux immigrés venant du Bangladesh tout proche.</p>
<p>Le projet de loi a ainsi déclenché de vives protestations généralisées dans ces États, où beaucoup estiment que la naturalisation des immigrés déjà présents sur place, qu’ils soient hindous ou non, perturbera la démographie de la région et réduira les possibilités d’emploi des populations autochtones. Les locaux redoutent également que cette naturalisation ne provoque un appel d’air qui aboutira à l’arrivée dans leurs régions d’encore plus d’étrangers, voués à devenir au bout de quelques années citoyens indiens – avec tous les droits que ce statut comporte.</p>
<p>En Assam, le CAB fait écho avec une autre préoccupation générant de vives <a href="https://observers.france24.com/fr/20191126-inde-assam-nationalite-indiens-musulmans-bangladesh-benevoles-aide">manifestations et couvre-feu</a>. Une opération de recensement menée en août dernier à travers le déploiement du registre national des citoyens (NRC) s’est soldée par la non-prise en compte de près de deux millions de personnes, en majorité musulmane ; celles-ci pourraient de ce fait perdre leur nationalité indienne.</p>
<p>Des milliers d’hindous ont également exclu du NRC et se retrouvaient donc, jusqu’ici, dans la même situation que les musulmans ; mais, aux yeux de nombreux observateurs, la mise en œuvre du CAB pourrait leur permettre de récupérer la citoyenneté indienne, créant un système inique où l’on exclut d’un côté les musulmans et l’on réintègre les non-musulmans de l’autre, dressant un peu plus les populations les unes contre les autres.</p>
<h2>Un climat funeste pour les musulmans</h2>
<p>Ce vote survient aussi dans un climat particulier, dessinant un nouveau repère dans une litanie de décisions funestes pour la minorité musulmane.</p>
<p>Depuis son arrivée au pouvoir en 2014, s’inscrivant dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2019-2-page-7.html">projet idéologique</a> initié au tout début du XX<sup>e</sup> siècle, le BJP revisite l’histoire dans les livres scolaires et <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/bataille-lInde-hindouiser-noms-villes-2018-11-16-1200983522">hindouise les noms de villes</a> à consonance musulmane.</p>
<p>Ce projet survient également à la suite de la <a href="https://theconversation.com/crise-au-cachemire-quelles-consequences-pour-lasie-du-sud-122442">révocation, en août, de l’autonomie constitutionnelle du Cachemire</a>, seule région à majorité musulmane.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/et-linde-crea-2-millions-dapatrides-122992">Et l’Inde créa 2 millions d’apatrides</a>
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<p>Hasard du calendrier ou provocation, le projet de CAB a été dévoilé au moment précis où les musulmans s’apprêtaient à commémorer la destruction de la mosquée d’Ayodhya, ville sacrée d’Uttar Pradesh, où la Cour suprême a ordonné le mois dernier la construction d’un temple hindou à la place de la <a href="https://www.thehindu.com/news/ayodhya-verdict-reactions/article29929253.ece">mosquée démolie</a> par des extrémistes hindous le 6 décembre 1992.</p>
<p>En détournant une loi constitutionnelle de 1955 afin de donner la priorité aux hindous en matière de citoyenneté, Narendra Modi tente de modifier le projet même de l’Inde. Son gouvernement semble être parvenu, <em>de jure</em>, à créer artificiellement une « rashtra » (nation) hindoue, perpétuant ainsi le projet suprémaciste de l’idéologue <a href="https://carnegieendowment.org/2019/04/04/fate-of-secularism-in-india-pub-78689">Vinayak Damodar Savarkar</a>.</p>
<p>En excluant la minorité musulmane de l’espace public, le gouvernement de Modi donne aussi en miroir, un contenu normatif à ce qu’« être hindou » signifie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128796/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Goreau-Ponceaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un projet d’amendement constitutionnel de la loi sur la citoyenneté vise à empêcher les étrangers musulmans d’accéder à la nationalité indienne. C’est une négation de la diversité religieuse du pays.Anthony Goreau-Ponceaud, Maître de conférences en géographie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1227752019-09-05T18:36:51Z2019-09-05T18:36:51ZBienvenue dans l’ère du « PoutInternet »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/290404/original/file-20190901-166019-qgjx37.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pussy Riot - Vladimir Vladimirovich Putin, painted portrait </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/7944280354/2bd08c8917">Photo credit: Abode of Chaos on Visualhunt.com / CC BY</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Comme le soulignait le chroniqueur Laurent Alexandre en octobre 2018, la perspective d’une balkanisation de l’espace cyber, le « splinternet », se précise. « la fragmentation d’Internet, sous l’influence de facteurs technologiques et politiques qui menacent de le faire éclater le long des frontières géopolitiques, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/le-splinternet-menace-la-francophonie_2039833.html">a débuté</a> : la Chine a érigé un «Great Firewall», et certains pays comme le Pakistan ont déjà bloqué des pans entiers du web accusés d’être « blasphématoires et non islamiques" », écrivait-il ainsi dans les colonnes de <em>L’Express</em>.</p>
<p>Dans la même veine, un pays comme l’Iran avait dès 2012 déjà <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-l-iran-s-isole-en-creant-son-intranet-national-50560.html">crée un Intranet national pour son administration</a>, avant de poursuivre sa marche en avant vers un Internet national de plus en plus isolé de l’Internet mondial. Depuis août 2016, ce qui est qualifié d’Internet « halal » – un intranet national – est une réalité en Iran. Son nom : <a href="http://www.rfi.fr/moyen-orient/20190210-iran-Internet-halal-republique-islamique-cyberespace-shoma-censure">« Réseau national d’information »</a> (RNI ou Shoma, pour son acronyme persan). Tout un programme !</p>
<p>Au regard de l’approche de nombreux pays, se dirige-t-on vers la mort annoncée d’Internet par une fragmentation de la communauté Internet ? En 2020, cette approche continue de gagner du terrain. Les gouvernances – démocratiques ou non – qui prennent cette dangereuse direction utilisent deux arguments récurrents pour – s’ils y parviennent – légitimer cette trajectoire, et signer l’arrêt de mort d’un Internet mondial : la souveraineté numérique, et la cyberguerre. Ce qui paraissait impossible hier ne relève plus de l’impensable à terme. La machine à détruire l’Internet mondial semble lancée.</p>
<h2>L’Internet « durable », selon Vladimir Poutine</h2>
<p>Cette approche a déjà séduit la Russie. Le président Vladimir Poutine, sous couvert d’obtenir une souveraineté numérique, a signé le 1<sup>er</sup> mai 2019 la loi sur l’Internet « durable ». Loi dite <a href="https://reseau.developpez.com/actu/258533/Poutine-signe-la-loi-Runet-qui-permet-de-couper-l-Internet-russe-du-reste-du-monde-elle-entrera-en-vigueur-en-novembre/">« loi Runet »</a>. Ce texte, entré en vigueur en novembre 2019, vise – selon la gouvernance – à protéger la Russie de toute menace informatique en cas de menace grave. Une loi qui – pour rappel – n’obtient l’adhésion que de 23 % des Russes.</p>
<p>La mise en œuvre de la loi a été confiée à Roskomnadzor, l’agence de supervision des communications et des technologies de l’information russe. Alexandre Jarov, son président, s’en est d’ailleurs félicité tout en précisant que, « tout comme l’arme nucléaire dont disposent certains pays, le dispositif sera en <a href="https://francais.rt.com/international/61675-Internet-russe-souverain-que-prevoit-nouvelle-loi-votee-vladimir-poutine">mode veille</a> » !</p>
<p>Au regard des lois qui contraignent déjà l’Internet russe, il va de soi que les opposants ne voient pas les choses de la même façon. Ils redoutent un recours à l’isolement de l’Internet russe de l’Internet mondial bien moins parcimonieux qu’annoncé par les autorités.</p>
<p>Outre les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/03/12/en-russie-mobilisation-contre-un-Internet-souverain-deconnecte-du-monde_5434755_3210.html">craintes exprimées par les opposants</a> utilisant un Internet déjà extrêmement contrôlé, les motivations d’une telle loi, et d’un renforcement par la Russie de ses capacités de cyberdéfense, peuvent également être liées à la crainte par la gouvernance russe d’un retour de flamme et de représailles. La Russie est en effet régulièrement <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/Internet/la-france-accuse-elle-aussi-la-russie-de-cyberattaques-792956.html">accusée</a> d’être à l’origine de cyberattaques ciblant – entre autres – l’Europe et les États-Unis.</p>
<p>En terme de coûts de mise en œuvre, un tel système implique que la Russie « devra créer son propre système de noms de domaine (DNS) » et que les fournisseurs de services Internet devront installer un équipement spécial, fourni et payé par l’État à un coût déclaré de 20,8 milliards de roubles (280 millions d’euros) », selon le blog spécialisé dans les questions de technologie <a href="https://www.anguillesousroche.com/Internet/poutine-signe-la-loi-runet-qui-permet-de-couper-linternet-russe-du-reste-du-monde/">Anguille sous roche</a> ;</p>
<h2>Poisson d’avril à la Vladimir ou pas ?</h2>
<p>Dans le cadre de cette loi, en février 2019, la BBC révélait que la Russie envisageait <a href="https://www.bbc.com/news/technology-47198426">« de se déconnecter brièvement de l’Internet mondial »</a>, dans le cadre d’un test de ses cyberdéfenses. Le test signifiera que les données échangées entre citoyens et organisations russes restent à l’intérieur du pays plutôt que d’être acheminées au niveau internationa). Certains observateurs ont évoqué un test programmé le 1<sup>er</sup> avril 2019.</p>
<p>Plusieurs observations de ma part :</p>
<ul>
<li><p>Je note que les responsables de la mise en application de la loi Runet, et de fait les responsables de ce test (Roskomnadzor) n’ont pas donné de nouvelles depuis.</p></li>
<li><p>Je note – sauf erreur ou omission – qu’aucun observateur n’a constaté quoi que ce soit prouvant que ce test avait été effectué et son opérationnalité.</p></li>
<li><p>Je note également qu’il va falloir s’améliorer ! Si test il y a eu (ce qui reste très hypothétique), il n’a pas été très concluant : le 13 juillet, un groupe de hackers agissant sous le nom de 0v1ru$ a <a href="https://www.forbes.fr/politique/fsb-lagence-de-renseignements-russe-hackee/">infiltré une faille</a> de SyTech, un sous-traitant majeur du FSB (le service de sécurité de la Fédération de Russie travaillant sur un éventail de projets Internet classés « secret-défense »).</p></li>
</ul>
<p>Le groupe 0v1ru$ a dérobé pas moins 7,5 téraoctets de données avant de les communiquer à un groupe de hackers plus puissants : <a href="https://twitter.com/D1G1R3V">Digital Révolution</a>, ce groupe s’étant empressé communiquer ces dernières à des organes de presse. Parmi les projets du <em>PoutInternet</em> : « retirer l’anonymat de la navigation Tor, de scraper (technique employée pour extraire de grandes quantités de données de sites web) les réseaux sociaux, et d’aider l’État <a href="https://www.forbes.fr/politique/fsb-lagence-de-renseignements-russe-hackee/">à couper son Internet du reste du monde</a>.</p>
<p>Courage Vladimir, courage !</p>
<h2>Contaminations possibles dans les démocraties</h2>
<p>En attendant la confirmation ou l’infirmation du caractère opérationnel de l’isolement de l’Internet russe de l’Internet mondial selon le bon vouloir du pouvoir, le web russe est déjà extrêmement contraint. Ces lois venues de l’est devraient alerter les Européens et les Français en particulier. En effet, dans le cadre de la lutte contre les fake news, il est – in fine – peu de différence entre les lois russes et certaines lois françaises. Les lois russes ayant le « mérite » d’être très claires pour instaurer ce qui est ni plus ni moins que le délit d’opinion !</p>
<p>Le 18 mars 2019, le président Vladimir Poutine promulguait ainsi <a href="https://www.lepoint.fr/monde/poutine-promulgue-deux-lois-contre-les-fausses-nouvelles-et-les-offenses-a-l-etat-18-03-2019-2302094_24.php">deux lois très controversées</a> :</p>
<ul>
<li><p>Une loi ciblant les « fausses informations socialement significatives et diffusées comme de vraies informations ». À charge de Roskomnadzor (de fait à Monsieur Poutine et à sa gouvernance) de juger si les informations publiées sur le web sont des « fake news » ou non.</p></li>
<li><p>Une seconde loi criminalisant les « offenses aux symboles de l’État » (donc ipso facto à la gouvernance de Poutine) et les insultes pouvant être formulées aux agences gouvernementales, au drapeau ou à la constitution.</p></li>
</ul>
<p>Comme le pointait le site <a href="https://www.presse-citron.net/russie-attaque-aux-fake-news-et-offenses-a-etat/">Presse-citron</a> en mai 2019 :</p>
<blockquote>
<p>« Dans les deux cas, les contenus pourront être supprimés par Roskomnadzor, qui donnera 24 heures aux internautes pour supprimer les informations concernées. S’ils ne le font pas, c’est le gendarme de la Russie qui s’en occupera. L’organisme en question sera également en mesure d’infliger des amendes pour fake news ou offenses à l’État. Elles pourront aller jusqu’à 100 000 roubles pour les particuliers, 200 000 roubles pour les fonctionnaires et 500 000 roubles pour les entreprises, soit des montants respectifs d’environ 1 350 euros, 2 700 euros et 6 800 euros. »</p>
</blockquote>
<p>Pour faire une synthèse : « gloire au grand Vladimir Poutine », ou « félicitations aux autorités russes pour avoir invalidé l’enregistrement, à l’élection du Parlement, de <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/07/18/russie-27-candidats-de-l-opposition-ecartes-des-elections-a-moscou_1740755">27 candidats</a> issus du camp libéral ou appartenant à l’équipe de l’opposant Alexeï Navalny », sont des prises de position sur le PoutInternet qui demeurent pour l’internaute russe sans le moindre risque !</p>
<p>Si ces deux lois ne sont pas des lois instaurant le délit d’opinion en Russie et portant gravement atteintes à la liberté d’expression des Internautes russes, alors, la bonne nouvelle, c’est que la lèpre se soigne avec de l’aspirine !</p>
<h2>L’Europe et la France à l’abri de ces dérives ?</h2>
<p>Pour rappel à nos concitoyens, les lois françaises controversées traitant de la diffusion de fausses informations sont aujourd’hui entre les mains d’une autorité administrative excluant le juge judiciaire. Dans la configuration actuelle, les internautes français sont à la merci d’une éventuelle dérive d’une autorité a priori indépendante. Les hommes étant les hommes, cette autorité administrative pourrait demain, un jour, à tout instant, être asservie aux desiderata d’un pouvoir peu scrupuleux, et de fait dans les actes et – au-delà des mots – être comparables aux lois iniques instaurées en Russie… l’hypocrisie et le cynisme en plus !</p>
<p>Sans réajustement de cette loi, nécessitant plus de clarté, et, outre des vœux pieux, intégrant au sein de cette autorité administrative des garde-fous garants d’une indépendance sans faille, alors outre la censure proactive déjà possible, le délit d’opinion est aux portes de la France, aux portes des démocraties !</p>
<p>C’est difficile à croire, difficile à lire, mais ce ne sont là des faits rien que des faits.</p>
<p>Avec les salutations de 0v1ru$…</p>
<blockquote>
<p>« Nul au monde n’a puissance sur le jugement intérieur ; si l’on peut te forcer à dire en plein jour qu’il fait nuit, nulle puissance ne peut te forcer à le penser ». (Alain)</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/122775/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Expert auprès de l'UNODC, (Office des Nations unies contre la drogue et le crime) dans le cadre du programme E4J : The First Expert Group Meeting to Peer-Review the E4J University Module Series on Cybercrime. </span></em></p>La mort d’un Internet mondial, mode d’emploi…Yannick Chatelain, Enseignant Chercheur. Head of Development. Digital I IT, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1224422019-08-28T19:36:12Z2019-08-28T19:36:12ZCrise au Cachemire : quelles conséquences pour l’Asie du Sud ?<p>Petit-déjeuner à Amritsar, déjeuner à Lahore, dîner à Kaboul. Tel a été le rêve <a href="https://www.dnaindia.com/world/report-breakfast-in-amritsar-lunch-in-lahore-dinner-in-kabul-1074234">exprimé</a> en 2007 par Manmohan Singh, alors premier ministre indien. Il espérait à cette époque voir un sous-continent indien réconcilié avec lui-même, acceptant son caractère multiculturel, pluriethnique, et où les frontières étatiques ne constitueraient plus aucun enjeu dans les luttes nationalistes ni religieuses.</p>
<p>Or, depuis le 5 août, date de la révocation de l’autonomie du Cachemire indien, tiraillé depuis la Partition de 1947, entre l’Inde et le Pakistan, le rêve semble s’être définitivement transformé en cauchemar.</p>
<h2>Le Cachemire, pomme de discorde historique entre l’Inde et le Pakistan</h2>
<p>Cette crise est peut-être la plus grave depuis l’indépendance de l’Inde. Elle vient en effet remettre en question la base même de l’idée nehruvienne, qui a structuré l’identité de la « plus grande démocratie du monde ».</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289479/original/file-20190826-8845-1c8bt8f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Revendications au Cachemire, Ceriscope, CIRPES, Le Débat Stratégique, nº70, nov. 2003, EHESS.</span>
<span class="attribution"><span class="source">FNSP. Sciences Po -- Atelier de cartographie</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Jawaharlal Nehru, premier chef d’état indien, portait un projet <a href="https://books.google.com.hk/books?id=tRyaXnjsxP8C&pg=PA204&lpg=PA204&dq=nehru+s%C3%A9culariste">séculariste</a> celui d’un État ouvert, tolérant, qui ne se limiterait pas uniquement à son identité hindoue.</p>
<p>Le Pakistan, en revanche, était la conséquence d’une autre vision politique, celle de son contemporain Ali Jinnah, un partisan de la <a href="https://nayadaur.tv/2019/04/the-journey-of-the-two-nation-theory-from-a-rights-demand-to-an-exclusivist-narrative/">« théorie des deux nations »</a>. Cette dernière considérait qu’il y avait deux nations au sein du sous-continent indien, l’une hindoue, l’autre musulmane. Cette vision devait aider à créer un État pour des musulmans <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-40961603">inquiets</a> de devenir une minorité dans une Inde dominée par les hindous.</p>
<p>La Partition entre Inde et Pakistan a pu apparaître comme d’autant plus insatisfaisante, du point de vue pakistanais, qu’elle était inachevée. Pour <a href="https://kashmirobserver.net/2018/feature/jinnahs-last-drive-kashmir-38927">Ali Jinnah</a>, tout le Cachemire aurait dû revenir à son pays, car peuplé majoritairement de musulmans, et dans la continuité géographique du Pakistan. Mais pour New Delhi, ce territoire au statut particulier et à majorité musulmane, au sein de la république, était une preuve du caractère séculariste et inclusif de l’Inde.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2002-4-page-17.htm">Pierre angulaire</a> des relations bilatérales, la dispute autour de cette région a renforcé, chez les Pakistanais, l’idée selon laquelle l’Inde n’aurait jamais accepté la création de son voisin.</p>
<h2>Une région sous pression</h2>
<p>Entre fin juillet et début août <a href="https://www.washingtonpost.com/world/india-revokes-special-status-of-kashmir-putting-tense-region-on-edge/2019/08/05/2232fcd0-b740-11e9-8e83-4e6687e99814_story.html">35 000 hommes</a> ont été envoyés par New Delhi pour rallier les services de sécurité sur place alors que le Cachemire indien est l’un <a href="https://www.liberation.fr/planete/2016/10/19/cachemire-dans-la-zone-la-plus-militarisee-au-monde_1523049">des territoires les plus militarisés au monde</a>.</p>
<p>Dès le 5 août, un énième couvre-feu a été imposé dans la région. Les communications ont été largement coupés ou brouillées. Les politiciens cachemiris représentant une approche légaliste, anti-séparatiste, mais défendant le statut particulier du Cachemire, ont été <a href="https://www.nytimes.com/2019/08/15/opinion/sunday/kashmir-siege-modi.html">arrêtés</a>.</p>
<p>Plus largement, les forces de sécurité ont emprisonné au moins <a href="https://theconversation.com/kashmiris-are-living-a-long-nightmare-of-indian-colonialism-121925">4 000 personnes</a>, dans le cadre d’une politique ultra-sécuritaire.</p>
<p>Arrestations arbitraires, raids de nuit, exactions ont été dénoncés par les <a href="https://www.huffingtonpost.in/entry/kashmir-government-arresting-children-article-370_in_5d5388c3e4b05fa9df0696fd">activistes indiens</a> sans que la communauté internationale <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/08/25/cachemire-une-repression-inedite-et-un-debut-de-pression-internationale_1747166">ne réagisse</a> réellement. Pour de nombreux observateurs la situation au Cachemire illustre bien le triomphe politique du nationalisme hindou, <a href="https://www.nytimes.com/2019/04/11/world/asia/modi-india-elections.html?module=inline">fondamentalement anti-musulman</a> et <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2019/08/india-moves-revoke-special-status-kashmir/595510/">anti-Nehru</a>.</p>
<h2>Pessimisme</h2>
<p>Côté pakistanais le pessimisme règne. Le premier ministre Imran Khan a ainsi récemment confié au <a href="https://www.nytimes.com/2019/08/21/world/asia/india-pakistan-kashmir-imran-khan.html"><em>New York Times</em></a>, que tout dialogue bilatéral semblait perdu. Une vision réaffirmée, semble-t-il, par le revirement de Trump lors du G7 sur la question cachemirie. Renonçant à tenter une médiation, ce dernier a estimé que Modi avait <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/cachemire-trump-ne-voit-pas-le-besoin-de-s-impliquer-modi-a-la-situation-sous-controle-20190826">« la situation sous contrôle »</a>, et que la question cachemirie devait être réglée dans un cadre bilatéral.</p>
<p>Par ailleurs des <a href="https://asialyst.com/fr/2019/08/23/monde-musulman-face-crise-cachemire-inde-pakistan/">pays soi-disant alliés du Pakistan</a>, comme l’Arabie saoudite et les <a href="https://www.middleeasteye.net/news/uae-criticised-plans-award-modi-amid-crackdown-kashmir">Émirats Arabes Unis</a>, s’alignent de fait sur le point de vue américain, refusant d’internationaliser le conflit, ou de critiquer la décision indienne.</p>
<p>Le Pakistan est-il alors complètement isolé ? Imran Khan semble le craindre et multiple les alertes. Il a récemment déclaré redouter une <a href="https://www.news18.com/news/india/false-flag-operation-to-divert-attention-from-kashmir-imran-khan-on-afghanistan-terrorists-entering-valley-2281761.html">opération sous fausse bannière</a> de la part de New Delhi, afin de légitimer ensuite une action militaire.</p>
<p>Cette déclaration préventive était prévisible de la part d’un leader qui pourrait être accusé par l’Inde, à l’avenir, de toute action rebelle ou terroriste dans le Cachemire indien. Il s’agit aussi d’une crainte partagée par les élites dirigeantes pakistanaises. Ainsi <a href="https://laalpatti.com/sherry-rehman-teaching-imran-khan/">Sherry Rehman</a>, sénatrice appartenant au parti d’opposition PPP (Parti du Peuple pakistanais), <a href="https://www.newsweekpakistan.com/the-kashmir-red-alert/">rappelle</a> qu’il y a eu des actions militaires indiennes sur la Ligne de contrôle qui divise le Cachemire depuis 2016 ; et surtout, elle exprime bien un sentiment général au Pakistan : celui d’être face à une Inde belliciste, qui recherche le conflit par tous les moyens.</p>
<h2>Demain, une nouvelle guerre indo-pakistanaise ?</h2>
<p>Vue d’Islamabad, l’idée d’une Inde agressive fait sens. L’abrogation des deux articles de la constitution indienne assurant l’autonomie du Cachemire indien et empêchant des étrangers au territoire d’acheter des terres sur place est vue comme une première étape dans l’opposition aux positions du Pakistan.</p>
<p>Il s’agit, en fait d’une double attaque : une <a href="https://nationalinterest.org/print/feature/lets-not-turn-kashmir-another-gaza-74676">guerre juridique</a> contre les prétentions d’Islamabad sur le Cachemire administré par l’Inde, et la porte ouverte à une <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2019/08/05/indias-settler-colonial-project-kashmir-takes-disturbing-turn/">colonisation</a> visant à changer la démographie du territoire.</p>
<p>Mais du côté pakistanais, on considère que la droite dure indienne n’a pas pour seul but de changer le statu quo dans le Cachemire indien : elle souhaite aussi la conquête de territoires administrés par le Pakistan.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=737&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=737&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=737&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=926&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=926&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/289480/original/file-20190826-8845-nsd6qi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=926&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">En vert les territoires pakistanais, en marron les territoires contestés. Questions internationales n°50 – juillet-août 2011, DILA.</span>
<span class="attribution"><span class="source">FNSP, Sciences Po</span></span>
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</figure>
<p>Il faut se rappeler que pour les <a href="https://www.sify.com/news/entire-kashmir-is-ours-including-gilgit-baltistan-rss-chief-mohan-bhagwat-news-national-qklkLPdcijced.html">nationalistes hindous</a>, tout comme pour l’État indien, le Cachemire pakistanais, et le <a href="https://www.mea.gov.in/press-releases.htm?dtl/29923">Gilgit-Baltistan</a> (au nord du Pakistan, partageant une frontière avec l’Afghanistan, la Chine et l’Inde) sont des territoires occupés qui lui reviennent de droit.</p>
<p>Le 18 août dernier, le ministre de la défense <a href="https://www.livemint.com/news/india/talks-with-pakistan-only-on-pakistan-occupied-kashmir-rajnath-singh-1566112900780.html">Rajnath Singh</a> a d’ailleurs affirmé que s’il devait y avoir un dialogue entre New Delhi et Islamabad à l’avenir, ce serait à propos du Cachemire pakistanais uniquement. On remarquera que ce discours a eu lieu deux jours après que ce même ministre a fait savoir que l’Inde pourrait abandonner la <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-inde-pourrait-reviser-sa-doctrine-de-non-recours-en-premier-de-l-arme-nucleaire-20190816">doctrine de non-recours en premier à l’arme nucléaire</a>.</p>
<h2>« La guerre n’est pas une solution »</h2>
<p>Bien sûr, face à une telle situation, Islamabad ne conçoit pas qu’un dialogue bilatéral soit la meilleure solution pour apaiser les tensions entre les deux pays. Pourtant, cela a été la position de la majorité des quinze nations du conseil de sécurité de l’ONU lors d’une récente <a href="https://www.business-standard.com/article/pti-stories/pak-s-efforts-to-internationalise-kashmir-snubbed-as-unsc-consultations-end-without-outcome-119081700370_1.html">réunion à huis clos</a>.</p>
<p>Le ministre des Affaires étrangères pakistanais, Shah Mahmood Qureshi, a été clair sur le fait que pour Islamabad, <a href="https://www.aljazeera.com/programmes/talktojazeera/2019/08/kashmir-tensions-war-solution-190820084706047.html">« la guerre n’est pas une solution »</a>. Cependant, face au désaveu du Conseil de Sécurité et à l’abandon de la population cachemirie à son sort, on imagine mal les autorités pakistanaises faire de l’opposition aux séparatistes et djihadistes cachemiris une priorité. Ce qui risque d’alimenter un peu plus encore les tensions entre les deux pays.</p>
<p>Pour ces acteurs non-étatiques, la politique indienne au Cachemire est une « divine surprise », leur assurant le recrutement d’une jeunesse <a href="https://nationalinterest.org/feature/pakistan-prepares-fight-india-kashmir-72186">radicalisée par les événements</a>. Preuve de cette radicalisation, la nouvelle génération des militants cachemiris semble préférer les <a href="https://www.dailyo.in/politics/militancy-in-kashmir-isis-in-kashmir-hizb-ul-mujahideen-ansar-ghazwat-ul-hind/story/1/31724.html">mouvements djihadistes transnationaux</a>, à ceux qui sont traditionnellement associés au Pakistan.</p>
<p>Ces militants n’auront donc aucun scrupule à nourrir les tensions entre New Delhi et Islamabad.</p>
<h2>L’Afghanistan, dommage collatéral ?</h2>
<p>Vue d’Afghanistan, la crise au Cachemire pourrait mettre en danger les pourparlers de paix qui ont lieu entre Américains et talibans, et, plus largement, la possibilité d’une stabilisation du pays.</p>
<p>La situation géopolitique en Asie du Sud est relativement simple à comprendre : si Kaboul soutient l’Inde, le Pakistan se retrouve pris en étau ; si au contraire les Afghans se rallient à Islamabad, ou restent neutres, la seule réelle confrontation se fera à la frontière indo-pakistanaise.</p>
<p>La paix en Afghanistan, actuel sujet de négociation avec les <a href="https://theconversation.com/afghanistan-peut-on-faire-la-paix-avec-les-talibans-116323">États-Unis</a>, sera donc d’autant plus solide si elle prend en compte les inquiétudes de son voisin pakistanais. La paix entre Afghans passera bien par une détente entre Kaboul et Islamabad, permettant d’apaiser des relations <a href="https://www.huffpost.com/entry/afghanistan-and-pakistan_b_8590918">historiques</a> difficiles entre les deux pays.</p>
<p>Or cette possibilité de détente et de paix est peut-être compromise par les tensions actuelles autour du Cachemire. En effet, dans ce cadre, Inde et Pakistan risquent de donner la priorité à leur désir d’étendre leur influence en <a href="https://jia.sipa.columbia.edu/india-pakistan-rivalry-afghanistan">Afghanistan</a>. Jeu à somme nulle où Kaboul deviendra surtout un enjeu dans une compétition plus large.</p>
<h2>Un processus de paix afghan en danger ?</h2>
<p>Actuellement, pour des raisons sécuritaires mais aussi <a href="https://nationalinterest.org/blog/middle-east-watch/what-pakistan-will-gain-peace-afghanistan-43922">commerciales</a>, le Pakistan a besoin de la paix à sa frontière nord et au sein de l’État afghan. Si l’instabilité en Afghanistan demeure, elle essaimera vers Islamabad. Mais avec les évolutions récentes au Cachemire, maintenant, pour les Pakistanais, le danger immédiat vient du sud.</p>
<p>Dans ce contexte, on peut imaginer que les <a href="https://lobelog.com/how-will-kashmir-affect-the-afghan-peace-process/">60 000</a> soldats ajoutés en août 2018 à la frontière afghano-pakistanaise par Islamabad, pour empêcher l’utilisation du territoire pakistanais comme un refuge par les talibans, soient <a href="https://www.nytimes.com/2019/08/12/world/asia/pakistan-afghanistan-taliban-kashmir.html">transférés</a> à la frontière indo-pakistanaise.</p>
<p>Un affaiblissement du contrôle militaire de la frontière serait une aubaine pour les rebelles, leur permettant de renforcer leur pression militaire en Afghanistan, et leur faisant croire que le dialogue pour la paix n’est vraiment rien d’autre qu’une <a href="https://asialyst.com/fr/2019/06/07/afghanistan-processus-paix-risque-echec-1-responsabiilite-talibans/">capitulation négociée</a>.</p>
<p>Le ministre des Affaires étrangères pakistanais a certes <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/pakistan-shah-mehmood-qureshi-india-kartarpur-corridor-afghanistan-1590943-2019-08-23">rappelé</a> que les relations bilatérales avec l’Afghanistan ne seraient pas affectées négativement par la situation cachemirie. Et les talibans eux-mêmes ont <a href="https://www.nationalheraldindia.com/international/talibans-changed-stand-towards-jammu-and-kashmir-is-an-opportunity-for-india">affirmé</a> qu’ils refusaient de voir leur pays souffrir de la montée des tensions entre Indiens et Pakistanais.</p>
<p>La géopolitique et la présence de forces belliqueuses non-étatiques risquent cependant de s’imposer à tous et ce, quel que soit le discours diplomatique.</p>
<p>Le Cachemire est bien le cœur géopolitique de l’Asie du Sud : quand il souffre, l’ensemble de la région est malade. Penser que le cadre bilatéral sera suffisant pour empêcher le pourrissement de la crise est un leurre. Le risque de cette approche, soutenue par les Américains mais aussi par la <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/politics-and-nation/kashmir-a-bilateral-issue-france-to-pakistan/articleshow/70779964.cms">diplomatie française</a>, c’est une montée des tensions sur le plus long terme en Asie du Sud, menaçant la paix dans toute la région, d’Amritsar à Kaboul.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122442/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Didier Chaudet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La crise au Cachemire pourrait porter lourdement atteinte à la sécurité du sous-continent asiatique.Didier Chaudet, Attaché scientifique, Institut français d'études sur l'Asie centraleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1180242019-06-02T20:15:18Z2019-06-02T20:15:18ZCricket sud-asiatique, foot féminin : quand le sport bouleverse les codes<p>Les mois de juin et juillet vont voir évoluer en parallèle deux coupes du monde : celle de cricket (du 30 mai au 14 juillet en Angleterre) et celle du football féminin (entre le 7 juin et le 7 juillet en France). Si ce ne sont pas les plus médiatisés, ces deux événements permettent de montrer les évolutions importantes qu’apportent ces deux sports à leurs sphères d’influence sociale respectives.</p>
<h2>Une féminisation du football</h2>
<p>Cette coupe du monde semble amorcer plusieurs changements. Tout d’abord, probablement sous l’effet coupe du monde 2018 et 2019, le <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/football/football-feminin-le-nombre-de-licenciees-en-hausse-de-15-depuis-le-mondial-2018-5983836">nombre de licenciées a augmenté de 15 %</a> depuis l’année dernière d’après la Fédération française de football, portant le nombre à presque 170 000.</p>
<p>Cela reste encore faible par rapport aux 2,2 millions de licenciés masculins, mais montre un réel engouement. Le <a href="https://www-cairn-info.proxy.grenoble-em.com/revue-informations-sociales-2015-1-page-119.htm">nombre d’inscriptions dans les clubs a augmenté</a> en dix ans, et le nombre de clubs féminins a suivi une pente ascendante : entre 2011 et 2018 le <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/L-essor-phenomenal-du-foot-feminin-en-france/818985">nombre de clubs féminins</a> est passé de 3 000 à 5 000.</p>
<h2>Un changement de représentation</h2>
<p>Par ailleurs, autre domaine du changement, cette coupe du monde sera diffusée en France sur les chaînes TF1 et Canal+, ce qui n’était pas le cas il y a seulement dix ans. Les premiers résultats de vente des billets de cette coupe du monde montrent bien que le phénomène n’est plus anecdotique et qu’un changement de représentation de ce sport est en train de se dérouler dans une dynamique positive. Par cette pratique du football, traditionnellement lieu de la construction d’une certaine virilité, commence un travail du développement d’un nouveau type de féminité, qui légitime un <a href="https://books.google.fr/books?id=Ac1cwirO44oC&pg=PA221&lpg=PA221&dq=femininity+soccer&source=bl&ots=O8XBOn0uNV&sig=ACfU3U19NJfJWHfV6Y41T-IKOtnpenQqMQ&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjKsu2_1L7iAhWx1eAKHe2FA-E4ChDoATAFegQICBAB#v=onepage&q=femininity%20soccer&f=false">bousculement des conventions</a>.</p>
<p>Pour autant, cette actualité festive ne doit pas masquer la réalité et les combats encore existants dans ce sport, notamment autour de l’égalité des rémunérations.</p>
<p>Les joueuses continuent à gagner beaucoup moins que les joueurs. Ainsi, Ada Hegerberg, la meilleure joueuse mondiale, gagne environ <a href="https://www.proximus-sports.be/fr/football/dossier/1786465/les-11-plus-gros-salaires-du-foot-feminin">100 fois moins que Lionel Messi,le meilleur joueur mondial</a>. Une inégalité qu’elle a dénoncé en <a href="http://www.slate.fr/story/177954/ada-hegerberg-norvege-boycott-coupe-monde-football">boycottant l’actuelle coupe du monde</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/277504/original/file-20190602-69083-1aau26n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/277504/original/file-20190602-69083-1aau26n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/277504/original/file-20190602-69083-1aau26n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/277504/original/file-20190602-69083-1aau26n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/277504/original/file-20190602-69083-1aau26n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/277504/original/file-20190602-69083-1aau26n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/277504/original/file-20190602-69083-1aau26n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Ada Hegerberg, Ballon d’Or 2018, 23 ans a décidé de boycotter la Coupe du monde pour protester contre les inégalités salariales.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/ce/2019-05-18_Fu%C3%9Fball%2C_Frauen%2C_UEFA_Women%27s_Champions_League%2C_Olympique_Lyonnais_-_FC_Barcelona_StP_1088_LR10_by_Stepro.jpg/1024px-2019-05-18_Fu%C3%9Fball%2C_Frauen%2C_UEFA_Women%27s_Champions_League%2C_Olympique_Lyonnais_-_FC_Barcelona_StP_1088_LR10_by_Stepro.jpg">Steffen Prößdorf/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’inégalité de salaires pointée du doigt</h2>
<p>Cette inégalité de rémunération et également de moyens est décriée partout dans le monde. Le dernier épisode en date s’est déroulé en mars aux États-Unis, le jour de la journée de la femme, où les joueuses américaines ont décidé de <a href="https://www.nytimes.com/2019/03/08/sports/womens-soccer-team-lawsuit-gender-discrimination.html">poursuivre la fédération américaine de football</a> pour discrimination de genre institutionnalisée (combat d’ores et déjà gagné en <a href="https://www.bbc.com/sport/football/41539846">Norvège</a> où il existe une parité salariale entre les équipes nationales féminines et masculines).</p>
<p>Étrangement, en France, ce débat est relativement absent. Quand il fait surface, c’est pour signaler un manque de considération de la Fédération et vis-à-vis de revendications salariales : ainsi l’année dernière les <a href="https://www.letelegramme.fr/football/d1f-les-raisons-de-la-colere-13-02-2018-11849733.php">joueuses de Guingamp se sont mises en grève</a>. Ces revendications semblent cependant peu entendues et relayées (même si toutes les équipes féminines françaises ne sont pas assujetties au même régime).</p>
<p>Ainsi, bien que la FIFA ait doublé les prix accordés aux joueuses depuis la dernière coupe du monde (30 millions de dollars), la différence avec les montants accordés aux joueurs masculins (440 millions de dollars) n’est pas neutre. Par contre, les marques, elles, ne s’y sont pas trompées et ont saisi la balle au bond puisqu’Adidas a annoncé que les <a href="https://www.euronews.com/2019/03/09/adidas-announces-equal-bonuses-for-winning-women-s-world-cup-players">femmes recevraient le même bonus de performance que les hommes</a>. Un bon moyen de s’ouvrir à un nouveau marché florissant tout en défiant l’establishment des fédérations établies.</p>
<p>Est-ce le <a href="https://www.lemonde.fr/festival/article/2018/06/30/la-place-des-femmes-dans-le-football-un-enjeu-democratique-et-social_5323566_4415198.html">début d’une transition</a> ?</p>
<h2>Cricket et post-colonialisme</h2>
<p>Si la tendance dans le football oscille entre la reconnaissance de sa féminisation et son <a href="https://theconversation.com/coupe-du-monde-de-football-pourquoi-la-chine-et-linde-sont-aux-abonnes-absents-99768">« asianisation »</a> par la présence (même réduite) de l’Inde et de la Chine, le cricket lui, à du mal à s’externaliser hors du giron des anciennes colonies britanniques (les 10 équipes en présence ayant toutes été colonisées par les Britanniques). Par ailleurs, même s’il a su se réinventer hors du cadre colonial, il peine à se féminiser.</p>
<p>Comme l’ont montré dans leurs travaux le psychologue <a href="https://www.thehindu.com/2001/05/20/stories/1320017t.htm">Ashish Nandi</a> et l’anthropologue <a href="https://journals.openedition.org/lectures/18709">Arjun Appadurai</a>, ce sport s’est vraiment « indigénéisé » tout au long de son histoire, à tel point qu’Ashish Nandi écrivait en 1989 que « le cricket est un jeu indien accidentellement découvert par les anglais » tant ce sport a su répondre à la culture du sous-continent.</p>
<p>Porteur des <a href="https://www.challenges.fr/sport/le-cricket-sport-so-british-aux-regles-obscures_577316">valeurs victoriennes</a> du milieu du XIX<sup>e</sup> siècle comme le <em>fair play</em>, la maîtrise des émotions, la valorisation de l’équipe sur l’individu, qui contribuèrent à fonder l’essence de la masculinité à l’époque, il est devenu dans les colonies un élément de socialisation central et de diffusion de ces mêmes valeurs.</p>
<p>En Asie du Sud, le cricket n’a pas, à l’origine, favorisé la mixité ni inter-coloniale ni intra-nationale (les équipes s’étant souvent composées autour des communautés religieuses) mais a permis assez tôt l’entrée des classes populaires qui étaient acceptées à condition d’une complète soumission aux valeurs portées par le jeu.</p>
<h2>Construire un sentiment national</h2>
<p>Au fil du temps, il a permis d’aider à la construction d’un sentiment national dans la grande majorité de ces pays par exemple en <a href="https://dialnet.unirioja.es/descarga/articulo/5911056.pdf">absorbant la terminologie anglaise</a> du cricket, en particulier la structure de ses noms, dans une diversité de motifs syntaxiques vernaculaires. Cette « indigénisation » l’a rendu plus accessible aux masses, notamment par le truchement de la radio puis de la télévision.</p>
<p>Ainsi, en termes d’audience, la coupe du monde de cricket a attiré 1,5 milliard d’individus en 2015. Certes, les chiffres restent en dessous de la coupe du monde de foot de 2018, mais le match Inde/Pakistan du 16 juin prochain (en phase de poule) pourrait bien battre des records d’audience comme le précédent match en 2015 qui aurait rassemblé un <a href="https://www.theguardian.com/sport/gallery/2015/feb/15/cricket-world-cup-india-v-pakistan-watched-by-a-billion-people-in-pictures">milliard d’individus</a>.</p>
<p>Dans le contexte géopolitique actuel très tendu entre les deux pays après les frappes indiennes sur le territoire Pakistanais et la récente réélection de Narendra Modi au poste de premier ministre, nul doute que ce match ravivera les <a href="https://warwick.ac.uk/fac/arts/history/students/modules/hi2b6/programme/week3/conflicting_loyalties_nationalism_and_religion_in_indiapakistan_cricket_relations.pdf">sentiments nationalistes bien au-delà de ceux du sport</a>.</p>
<h2>Le Commonwealth sur le terrain</h2>
<p>Principalement porté par les Indiens, ce sport <a href="https://www.lemonde.fr/voyage/article/2010/03/29/le-cricket-sport-par-excellence_1339829_3546.html?">peine encore à intéresser les autres nations</a> hors Commonwealth.</p>
<p>Les hypothèses avancées tournent autour de la durée des matchs (parfois plusieurs jours) les rendant peu compatibles avec les programmations publicitaires ou des programmes de télévision. Cependant, l’arrivée du format T20 en 2003 (un format raccourci des matchs) a permis de créer un nouvel audimat pour ce format. Malgré cette audience importante, peu de marques françaises semblent avoir pris conscience de l’importance et des retombées de cet événement, mis à part <a href="https://www.icc-cricket.com/media-releases/1201715">Veuve Clicquot</a> (groupe LVMH) qui sera un des partenaires officiels de cette coupe du monde.</p>
<p>Enfin, le cricket a mis du temps à se féminiser mais la <a href="https://www.icc-cricket.com/media-releases/447432">coupe du monde de cricket féminin</a> de 2017 a vu son audience tripler pour atteindre 180 millions de personnes (soit quatre fois moins que pour la coupe du monde de foot féminin). Mais cette tendance marque là aussi une petite victoire dans des nations sud-asiatiques où la condition et la place de la femme sont encore <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2007/10/08/le-cricket-se-conjugue-timidement-au-feminin">des combats qui restent largement à mener</a>.</p>
<p>Si on leur prête suffisamment attention en regardant les signaux forts qu’ils nous envoient, ces deux événements sportifs devraient permettre de repenser de nouvelles grilles de lecture du sport mondial et d’apporter les prémices d’un nécessaire décentrage de la compréhension de ce qui forme nos représentations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118024/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Belhoste ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les coupes du monde de cricket et de foot féminin permettent de montrer les évolutions importantes qu’apportent ces deux sports à leurs sphères d’influence sociale respectives.Nathalie Belhoste, Enseignant chercheur, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1133882019-03-29T00:52:17Z2019-03-29T00:52:17ZLe Cachemire, cet involontaire allié de Narendra Modi<p>À l’approche des élections législatives générales qui se tiendront entre le 11 avril et le 19 mai, l’Inde est en train de se couvrir de <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/0600874549423-en-inde-le-vote-pour-les-legislatives-setalera-sur-six-semaines-2251248.php">bureaux de vote mobiles</a> destinés à accueillir les quelque 900 millions d’électrices et d’électeurs.</p>
<p>Ce suffrage, dont les résultats seront connus le 23 mai, devrait voir reconduire le premier ministre Narendra Modi et son parti le Bharatiya Janata Party (BJP) sortant à la tête du pays. Toutefois, ce dernier risque de perdre la majorité absolue dont il jouissait depuis 2014. En cause : les <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/inde-mediocre-bilan-de-narendra-modi/00087609">résultats économiques médiocres</a>, la détérioration du climat social, ainsi qu’une pratique de plus en plus personnelle et autoritaire du pouvoir. Il ressort donc de ce bilan une image de l’Inde fort différente de celle promise par le candidat Modi il y a cinq ans.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-paysans-indiens-pourront-ils-faire-flechir-le-gouvernement-modi-109791">Les paysans indiens pourront-ils faire fléchir le gouvernement Modi ?</a>
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<hr>
<p>Dans ce contexte, le gouvernement compte resserrer son électorat de base, c’est-à-dire une frange nationaliste hindoue très dure. Et à cet égard, les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/03/12/dangereuse-escalade-militaire-entre-l-inde-et-le-pakistan_5434949_3232.html">récentes tensions</a> avec le Pakistan ont été une aubaine électorale.</p>
<p>Elles ont ainsi pu donner à Narendra Modi l’image d’un dirigeant inflexible vis-à-vis du Pakistan, l’ennemi de toujours, a fortiori selon la conception nationaliste hindoue. Mais elles ont aussi permis d’apposer une main de fer sur la société cachemirie indienne. En effet, si l’intense médiatisation des tensions indo-pakistanaises a fait la part belle aux premiers ministres indien et pakistanais, elle a été beaucoup moins disert sur le territoire même sur lequel portent ces tensions : le Cachemire.</p>
<p>Cette zone, divisée entre l’Inde, le Pakistan et la Chine est délimitée par des frontières stabilisées, mais non-reconnues par ces trois acteurs. Elle fait aussi l’objet d’un conflit originel entre Inde et Pakistan, hostiles l’un envers l’autre depuis leur création suite à la <a href="https://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/inde-pakistan/partition1947-1948.shtml">partition de l’Empire britannique en 1947</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KOCE2a_KftI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Localisation des zones de tensions entre l’Inde et le Pakistan : l’état du Cachemire (AFP, 2019).</span></figcaption>
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<h2>Un attentat opportun ?</h2>
<p>Dans ce contexte, la gestion de l’<a href="https://www.letemps.ch/monde/trentesept-paramilitaires-indiens-tues-un-attentat-cachemire-indien">attaque-suicide</a> survenue le 14 février 2019 à Pulwama, dans l’État du Jammu-et-Cachemire (JC) pourrait se révéler être une aubaine électorale pour le gouvernement sortant.</p>
<p>Pour rappeler très brièvement les faits, une attaque-suicide a tué 41 policiers indiens alors qu’ils allaient prendre leur poste à Srinagar, principale ville du Cachemire située à 40 kilomètres du lieu de l’attaque. L’acte a été revendiqué dans une vidéo par un Cachemiri d’une vingtaine d’années, qui déclare avoir prêté allégeance à Jaish-e-Mohammed (JeM), groupe islamiste armé fondé sous l’impulsion de l’appareil militaire pakistanais.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/264909/original/file-20190320-93032-60wnt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=695&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Revendications au cachemire (Ceriscope Frontières, 2011).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://cartotheque.sciences-po.fr/media/Revendications_au_Cachemire/450/">FNSP, Sciences Po, Atelier de cartographie</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Très vite, c’est l’escalade. Tandis que les médias s’interrogent sur les risques d’un conflit ouvert entre l’Inde et le Pakistan, <a href="https://theconversation.com/nuclear-war-between-india-and-pakistan-an-expert-assesses-the-risk-112892">imaginant même les conséquences d’attaques nucléaires</a>, New Delhi lance une attaque aérienne. Un camp d’entraînement supposé de JeM est bombardé à Balakot, à 180 kilomètres d’Islamabad, la capitale pakistanaise. La réponse est rapide : un jet indien est abattu et son pilote capturé par les autorités pakistanaises.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.euronews.com/2019/03/01/indian-pilot-is-gamechanger-for-both-sides-as-pakistan-about-to-release-him">geste présenté comme un apaisement à l’adresse de New Delhi et trois jours de tensions surmédiatisées</a>, le Pakistan remet à l’Inde son pilote.</p>
<p>Cette sortie de crise permet à Islamabad comme à New Delhi d’apparaître comme le « vainqueur » de cet affrontement vis-à-vis de leur société nationale respective.</p>
<h2>Un discours va-t-en-guerre</h2>
<p>Entre-temps, les discours va-t-en-guerre de Narendra Modi et de son parti ont entraîné, par ricochet, des conséquences importantes.</p>
<p>Avec un œil sur les élections approchantes, le gouvernement Modi est parvenu à museler l’opposition, aidé en cela par le consensus des <a href="https://thediplomat.com/2019/03/a-war-of-words-conflicting-media-narratives-between-india-and-pakistan/">médias grand public</a> louant les représailles et le discours belliqueux de New Delhi.</p>
<p>Ainsi, l’opposition n’a pas été en mesure de questionner la fiabilité des services secrets ayant permis la survenue de cette attaque, la troisième sur une base de l’armée indienne depuis 2014, ni d’interroger sur l’escalade militaire menée par le gouvernement Modi. Pourtant celle-ci rompt avec les pratiques des gouvernements passés, quelle que soit leur couleur politique, où le versant diplomatique n’était pas éclipsé.</p>
<p>Chaque voix contraire a été systématiquement disqualifiée en étant ravalée au rang d’« anti-nationale ».</p>
<p>Outre le champ politique, des groupes de « citoyens » se sont formés sur les réseaux sociaux pour <a href="https://scroll.in/article/913666/clean-the-nation-inside-the-facebook-group-plotting-to-get-anti-nationals-sacked-and-prosecuted">« nettoyer »</a> les posts, messages et autres critiques du gouvernement émanant de concitoyens, allant jusqu’à les menacer physiquement.</p>
<p>Par ailleurs d’autres « patriotes » et autres partisans de la droite dure hindoue nationaliste ont attaqué physiquement des Cachemiris vivant en dehors de la vallée, notamment dans le nord du pays. Ils considèrent ces derniers, musulmans, comme des « traîtres » et des « terroristes ».</p>
<p>Ce à quoi le gouvernement a répondu dans le silence, se contentant de condamner, aussi timidement que tardivement, les agressions.</p>
<h2>Au Cachemire, la violence justifiée</h2>
<p>Précisons tout d’abord que peu d’informations sont accessibles concernant la situation au Cachemire pakistanais (Azad Jammu-et-Cachemire et Gilgit-Baltistan). En contradiction avec le discours d’Islamabad se présentant comme le défenseur des Cachemiris, la zone est encore plus fermée aux observateurs que son versant indien, mais les atteintes aux droits humains tout aussi nombreuses.</p>
<p>Il n’est cependant pas possible d’analyser précisément les conséquences locales des tensions, en l’<a href="https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=23198%20">absence de données</a>.</p>
<p>Côté indien, l’attaque du 14 février a été une opportunité politique afin de poursuivre l’assimilation pleine et entière du Jammu-et-Cachemire à l’Union indienne, tel que le souhaite le BJP, et en <a href="https://global.oup.com/academic/product/article-370-a-constitutional-history-of-jammu-and-kashmir-oip-9780199455263?cc=fr&lang=en&">rupture avec les dispositions constitutionnelles de 1953</a> reconnaissant une relative autonomie politique et une singularité identitaire au JC.</p>
<p>En effet, depuis son accession au pouvoir en 2014, le gouvernement Modi met en œuvre la <a href="https://frontline.thehindu.com/the-nation/the-doval-doctrine/article7800194.ece">« doctrine Doval »</a>, du nom d’Ajit Doval, conseiller à la sécurité nationale et très proche du premier ministre.</p>
<p>Cette stratégie pousse encore plus loin la grille de lecture sécuritaire mise en œuvre par New Delhi dans la vallée depuis 30 ans. Elle consiste à ne pas tenir compte des enjeux politiques soulevés par les groupes armés insurgés (dont le JeM) depuis les années 1990 afin de contester les modalités de gouvernement du pouvoir. Ces derniers demandent par exemple la <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/cd1/2012-v53-n2-cd0121/1009446ar/">tenue du référendum d’autodétermination de 1948</a>, bien que celui-ci ne prévoit que deux options de rattachement : à l’Inde ou au Pakistan.</p>
<p>Pour nombre de contestataires, le recours à cette voie armée est la conséquence du <a href="https://www.youthkiawaaz.com/2014/09/1987-elections-shook-faith-kashmiri-people-indian-democracy/">trucage des élections de 1987</a>, durant lesquelles New Delhi redoutait un score élevé pour les partis autonomistes. Soulignant le caractère relationnel de l’entrée en violence, beaucoup des candidats de 1987 ont effectivement pris le maquis suite à ces développements.</p>
<h2>Pas de distinction entre manifestants et terroristes</h2>
<p>Pour lutter contre ces groupes, le gouvernement central a mis en place l’<a href="https://indianexpress.com/article/explained/explained-afspa-disturbed-areas-debate-in-jk/">Armed Forces (Special Powers) Act</a> (AFSPA) en 1990, un régime militaire spécial qui autorise l’arrestation ainsi que la détention arbitraire des individus jugés « dangereux pour l’ordre public ». Ce régime a ainsi transformé la <a href="https://www.forbes.com/sites/ranisingh/2016/07/12/kashmir-in-the-worlds-most-militarized-zone-violence-after-years-of-comparative-calm/#52d7a2ed3124">vallée en l’une des zones les plus militarisées au monde</a>.</p>
<p>Selon le rapport conjoint de l’Association of Parents of Disappeared Person (APDP) et de l’International Peoples’ Tribunal on Human Rights and Justice (IPTHRJ), les forces armées et policières déployées dans la vallée se seraient ainsi rendues coupables de la disparition de <a href="http://www.jkccs.net/wp-content/uploads/2015/09/Untitled_1.pdf">8 000 personnes et de la mort de 70 000 autres</a>.</p>
<p>Sur le plan politique, le gouvernement central ne dialogue guère avec les leaders autonomistes et privilégie les seuls partis acceptant le pouvoir de New Delhi sans le contester. De plus, en dépit de ses innombrables victimes civiles et des abus commis en son nom par les soldats indiens, la vocation officielle de l’AFSPA est de défaire les combattants armés.</p>
<p>Mais, depuis 2014, la doctrine Doval fait monter la répression d’un cran. Désormais, tout manifestant, qu’il ait recouru à la violence ou non, est ravalé au rang de <a href="http://www.newindianexpress.com/nation/2018/oct/27/stone-pelters-are-terrorists-general-bipin-rawat-1890744.html">terroriste</a> payé par des agences pakistanaises. La réalité politique des demandes de la population est donc disqualifiée, tandis que les opposants deviennent des « ennemis de la Nation ».</p>
<h2>En 2016, plus de 17 000 blessés</h2>
<p>Cette doctrine s’est notamment exercée contre les manifestants de 2016. Suite à un couvre-feu empêchant la population de se rendre aux funérailles d’un combattant très populaire, les Cachemiris sont massivement descendus dans la rue, dont beaucoup de primo-manifestants au sein des femmes et des classes supérieures. Or la répression de ces manifestations, initialement non-violentes, a entraîné la mort de 90 personnes, hommes, femmes et enfants, tandis que 17 000 ont été blessés (principalement par énucléation) et <a href="https://www.theguardian.com/world/2016/nov/08/india-crackdown-in-kashmir-is-this-worlds-first-mass-blinding">5 000 arrêtés</a>.</p>
<p>Cette stratégie sécuritaire montre ses limites et n’entame en rien les volontés d’engagement de la jeunesse dans la violence armée. Le kamikaze du 14 février avait en effet rejoint le JeM en 2017, suite à la répression de 2016. En dépit de la réalité du terrain, le gouvernement maintient pourtant ce cap et le renforce même depuis Pulwama en instrumentalisant l’idée d’une menace sur l’intégrité nationale. Au nom de celle-ci, la répression s’est de nouveau abattue sur les Cachemiris.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-cachemire-une-jeunesse-brisee-en-quete-davenir-s-92910">Au Cachemire, une jeunesse brisée en quête d’avenir(s)</a>
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<h2>Faire rentrer le Cachemire dans le rang</h2>
<p>Depuis le 14 février, des arrestations massives ont été conduites parmi les séparatistes, ainsi que la perquisition de leur domicile afin de trouver d’éventuelles preuves de leur implication dans cette attaque.</p>
<p>Si cette pratique est fréquente, elle a cette fois concernée un très grand nombre de militants, au-delà des figures de proue habituellement emprisonnées ou assignées à résidence. Ces hommes se sont aussi vus retirer la protection policière dont ils jouissaient de la part du gouvernement central depuis la vague d’assassinats des années 1990.</p>
<p>Dernier développement en date du 22 mars, le Jammu-and-Kashmir Liberation Front (JKLF), l’une des principales organisations séparatistes <a href="https://thewire.in/security/kashmir-jklf-ban-yasin-malik">a été interdite</a> par les autorités au motif qu’elle ferait peser des menaces sur la sécurité du Cachemire indien. Pourtant le JKLF a renoncé à la violence depuis 1994.</p>
<p>Toutes ces mesures ont eu pour résultat d’encourager <a href="https://thewire.in/politics/kashmir-ulb-elections-2018-turnout">soit le désengagement des citoyens pour la voie politique traditionnelle</a> soit l’engagement violent, voire, armé.</p>
<h2>Blocus social</h2>
<p>Par ailleurs, blocage des réseaux Internet et téléphonique mobiles et couvre-feu viennent ponctuer le quotidien des habitants afin d’empêcher la communication au sein et à l’extérieur de la vallée, un mode de vie auquel se sont habitués les Cachemiris depuis des générations.</p>
<p>Ils ont cependant dû accuser un énième coup dur : le 28 février 2019, la Jamaat-e-Islami Jammu-and-Kashmir (JIJK), organisation caritative socio-religieuse fondée en 1952, a été interdite. 250 de ses membres ont été arrêtés.</p>
<p>La finalité est à la fois politique et socio-économique. D’une part, beaucoup de membres de la JIJK sont favorables au séparatisme. D’autre part, la JIJK menait de nombreuses actions sociales. L’organisation était peu à peu devenue un rouage crucial de la société cachemirie car elle palliait les manquements de la puissance publique à l’égard des catégories de populations les plus vulnérables (sur les plans éducatif et sanitaire notamment).</p>
<h2>Un état abandonné</h2>
<p>Supprimer cette organisation contraint donc les Cachemiris à abandonner le recours à des organisations privées pour ne dépendre plus que des subsides de New Delhi. Or accroître la dépendance économique de la zone peut réduire la capacité de contestation de ses habitants.</p>
<p>Enfin, sur le plan institutionnel, le gouvernement Modi veut profiter de l’absence de gouvernement élu (suite à sa démission en août 2018), pour essayer de faire adopter des réformes légales qui amoindriraient l’autonomie du JC telle que reconnue par la Constitution.</p>
<p>Cette ligne nationaliste hindoue dure tranche considérablement avec le précédent gouvernement BJP (1999-2004) qui lui avait cherché à renouer un certain dialogue en <a href="https://www.nytimes.com/2008/10/22/world/asia/22kashmir.html">rouvrant ainsi une ligne de bus</a> reliant les deux Cachemires.</p>
<h2>Le vote interdit</h2>
<p>L’attaque de Pulwama illustre finalement une dynamique ultra-sécuritaire contre-productive, profondément ancrée au Cachemire. Depuis la répression de 2016, le nombre de Cachemiris prenant le maquis a bondi, passant de 63 en 2014 à 128 en 2017. Le rejet de l’État indien, personnifé par ses forces de l’ordre, touche de nouvelles catégories de Cachemiris et, à ce titre, semble de plus en plus massif.</p>
<p>Par ailleurs, la Commission électorale a déjà annoncé que les élections locales au Cachemire, censées se tenir en même temps que les élections générales, n’auront pas lieu pour cause de sécurité.</p>
<p>Le droit fondamental d’exprimer son opinion politique, le vote, finalement rare action non-violente reconnue par l’État est ainsi bafoué.</p>
<p>La désescalade entre New Delhi et Islamabad agit donc bien comme un trompe-l’œil lorsqu’elle est mise en regard face à la cristallisation des tensions locales entre les Cachemiris et l’État indien tel qu’il est incarné aujourd’hui par le gouvernement Modi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/113388/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charlotte Thomas est membre du collectif et réseau de chercheurs indépendants et analystes politiques NORIA RESEARCH (<a href="https://www.noria-research.com/fr/accueil/">https://www.noria-research.com/fr/accueil/</a>), elle assure la direction du programme Asie du Sud. </span></em></p>L’escalade avec le Pakistan a permis à l’Inde de Modi de détourner le regard de la région réellement sous tension : le Cachemire.Charlotte Thomas, Post-doctorante sociologie politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1082692018-12-14T01:21:02Z2018-12-14T01:21:02ZMalala plutôt qu’Ahed ? Quand le monde occidental choisit ses « causes »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/250463/original/file-20181213-178570-9x9wj3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C14%2C3259%2C2404&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ahed Tamimi – عهد التميمي
par Jorit Agoch et collectif, Palestine, Bethlehem.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jjmhtp/29473531247">Jj M Ḥtp/Flickr</a></span></figcaption></figure><p>Il y a un an, jour pour jour, la jeune <a href="https://www.la-croix.com/Journal/enfance-militante-Nabi-Saleh-2018-01-15-1100905809">Ahed Tamimi</a>, 16 ans, originaire de Nabi Saleh en Cisjordanie, <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/07/29/la-jeune-palestinienne-qui-avait-gifle-des-soldats-israeliens-a-ete-liberee_5337165_3218.html">giflait un soldat israélien</a>.</p>
<p>Quelques jours auparavant, les forces israéliennes avaient tiré une balle de caoutchouc sur son <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/.premium-behind-ahed-tamimi-s-slap-her-cousin-s-head-shattered-by-idf-bullet-1.5729500">cousin</a>. C’est du moins l’information – par la suite <a href="https://www.alaraby.co.uk/english/news/2018/2/27/israel-denies-shooting-ahed-tamimis-teenage-cousin-in-head">contredite</a> - qui avait alors été donnée à la jeune fille.</p>
<p>La gifle d’Ahed, un geste devenu symbolique et viral sur les réseaux sociaux, lui a valu une arrestation et incarcération de huit mois.</p>
<p>Mais ce pourquoi <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/01/01/ahed-tamimi-jeune-et-fiere-figure-familiere-de-la-resistance-palestinienne_5236464_3210.html">Ahed se bat depuis ses 11 ans</a> a été largement ignoré de la plupart des médias, qui ont préféré traiter des aspects plus sensationnels de l’histoire.</p>
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<figcaption><span class="caption">Ahed Tamimi, la nouvelle icône de la Palestine ?</span></figcaption>
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<p>L’histoire de Ahed Tamimi, libérée en juillet 2018 et <a href="https://www.humanite.fr/palestine-israel-tente-dempecher-ahed-tamimi-de-venir-la-fete-de-lhumanite-660415">invitée en France en septembre lors de la Fête de l’Humanité</a> est pourtant loin de circuler dans les mêmes cercles que ceux auxquels a aujourd’hui accès <a href="https://www.cnews.fr/monde/2018-10-11/tout-savoir-sur-malala-licone-de-la-lutte-pour-leducation-des-femmes-578016">Malala Yousafzai</a>. La jeune Pakistanaise, prix Nobel de la Paix avait survécu à une attaque à l’acide dans son école, cible des talibans.</p>
<p>Ahed et Malala ont le même âge et se battent pour les mêmes droits et libertés. Toutes deux ont souffert d’un régime militaire brutal et ont vécu la violence d’hommes armés. Leurs histoires respectives ont pourtant connu un traitement médiatique radicalement différent.</p>
<p>Les raisons sont à chercher au sein des réalités politiques dans lesquelles évoluent ces adolescentes-militantes. Derrière, plusieurs idées s’entrechoquent, mêlant autant les questions de genre que de nationalisme, d’éducation et de formes d’activisme jugées légitimes ou non.</p>
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<figcaption><span class="caption">Malala Yousafzai plaide pour le droit des femmes, ONU.</span></figcaption>
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<h2>Secouer le genre</h2>
<p>Malala comme Ahed refusent d’être des victimes. Malala s’est faite porte-parole de l’éducation des filles. Son histoire personnelle a envoyé des signaux forts et inspirants à des milliers de jeunes filles dans le monde. Comme Malala, Ahed rêve <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/jul/30/ahed-tamimi-i-am-a-freedom-fighter-i-will-not-be-the-victim-palestinian-israe">d’être un jour avocate</a>.</p>
<p>Elle a notamment étudié le droit avec d’autres jeunes femmes <a href="https://edition.cnn.com/2018/07/29/middleeast/ahed-tamimi-released-intl/index.html">lors de son séjour en prison</a>.</p>
<p>L’histoire de Malala, de son côté, conforte un récit plus impérialiste, justifiant <a href="https://www.gwi-boell.de/en/2010/11/24/embedded-feminism-women%E2%80%99s-rights-justification-war">des interventions militaires en Asie</a>.</p>
<p>Les hommes politiques occidentaux ont régulièrement recours à des discours lénifiants quant à la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=oDnaZa8IbFo">paix et la sécurité des femmes et des enfants au Moyen-Orient</a>.</p>
<p>C’est d’ailleurs un moyen efficace pour obtenir le soutien de <a href="http://www.jadaliyya.com/Details/30991/Can-Palestinian-Men-be-Victims-Gendering-Israel%60s-War-on-Gaza#_ftn1%5C">mouvements occidentaux libéraux</a>, y compris financier, dans la guerre que mènent les États-Unis contre le <a href="https://www.mepc.org/commentary/what-exactly-war-terror">terrorisme</a>, comme le souligne l’universitaire Maya Mikdashi.</p>
<h2>Trop blonde, trop ingérable</h2>
<p>Ahed est trop <em>empowered</em>, ingérable et trop habitée par la cause de sa communauté pour attirer les sympathies institutionnelles en Occident. Mais elle est aussi « trop blonde » souligne la professeure Yosefa Loshitzky.</p>
<p>Selon cette spécialiste des médias, Ahed dérange complètement les logiques raciales, genrées et stéréotypées <a href="https://www.opendemocracy.net/north-africa-west-asia/yosefa-loshitzky/ahed-tamimi-illegally-blond">habituelles de l’occupation israélienne</a>.</p>
<p>Il ne s’agit pas ici de décrier l’attention portée à la parole et à l’activisme de Malala pour l’éducation des filles mais d’interroger les raisons pour laquelle une attention similaire n’a pas été donnée à de jeunes militant·e·s comme Ahed. Ne pas le faire dessert leurs causes à toutes deux.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/250468/original/file-20181213-178573-w08by3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/250468/original/file-20181213-178573-w08by3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/250468/original/file-20181213-178573-w08by3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/250468/original/file-20181213-178573-w08by3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/250468/original/file-20181213-178573-w08by3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/250468/original/file-20181213-178573-w08by3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/250468/original/file-20181213-178573-w08by3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Ahed Tamimi, lors d’une conférence à Madrid organisée par une association de droits de l’homme de soutien au peuple palestinien, le 28 septembre 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://it.wikipedia.org/wiki/File:Mauricio_Valiente_recibe_a_Ahed_Tamimi_y_reitera_el_compromiso_del_Ayuntamiento_con_los_Derechos_Humanos_y_con_el_pueblo_palestino_08.jpg">Diario de Madrid/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Pratiques humanitaires sélectives</h2>
<p>La différence de traitement sur la scène globale est édifiante. L’activisme de Malala lui permet de gagner un prix Nobel et de <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/malala-fait-sa-rentree-a-oxford_1950927.html">franchir les portes de la très prisée Oxford</a>, tandis que celui d’Ahed la conduit tout droit dans une geôle israélienne.</p>
<p>La chercheuse Shenila Khoja-Mooji écrit avec justesse que la façon dont le combat d’Ahed a été mis de côté par les militants féministes et de droits de l’Homme dans le monde occidental révèle une forme <a href="https://www.aljazeera.com/indepth/opinion/west-praising-malala-ignoring-ahed-171227194606359.html">« de pratiques humanitaires sélectives »</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/250464/original/file-20181213-178558-n7u4pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/250464/original/file-20181213-178558-n7u4pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/250464/original/file-20181213-178558-n7u4pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/250464/original/file-20181213-178558-n7u4pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/250464/original/file-20181213-178558-n7u4pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/250464/original/file-20181213-178558-n7u4pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/250464/original/file-20181213-178558-n7u4pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La famille Obama reçoit Malala Yousafzai, dans le bureau de l’Oval office en octobre 2013.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://obamawhitehouse.archives.gov/blog/2014/10/10/president-obama-congratulates-malala-yousafzai-and-kailash-satyarthi-winning-2014-no">Pete Souza/White House</a></span>
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<p>L’histoire de Malala a émergé dans un <a href="http://time.com/4215851/barack-obama-springfield">contexte politique tourné vers l’espoir</a>, caractéristique de la campagne du président Barack Obama. Elle <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/prix-nobel-de-la-paix-2014-malala-et-kailash-satyarthi_1610173.html/">a remporté le prix Nobel en 2014</a>. En 2016, l’année où Trump a été élu, Ahed n’a pas eu l’autorisation de se rendre aux États-Unis avec sa famille pour la conférence <a href="https://ips-dc.org/events/no-child-behind-bars-living-resistance-from-us-to-palestine">« Pas d’enfants derrière les barreaux »</a> (No Child Behind Bars/Living Resistance).</p>
<p>Il est impossible de savoir si l’administration Obama aurait eu le courage de lui donner ce visa, d’autant plus que le soutien d’Obama à la cause palestinienne est resté superficiel, tandis que l’<a href="https://electronicintifada.net/blogs/rania-khalek/obama-hands-israel-largest-military-aid-deal-history">apport financier à l’armée israélienne a été conséquent</a>.</p>
<p>En comparant les cas de Ahed et Malala, nous avons une meilleure compréhension des limites, voire des échecs <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300223446/why-liberalism-failed">du système démocratique progressiste de ce début de XXIᵉ siècle</a>. Ahed est un cas classique de la cécité <a href="https://africasacountry.com/2018/09/obama-mandela-and-the-limits-of-liberalism">d’une Amérique qui se dit progressive et crée en retour</a> des poches de mécontentement à travers le monde.</p>
<h2>Des tranches de vie sur le marché mondial</h2>
<p>L’activisme de Malala circule <a href="https://theconversation.com/what-exactly-is-neoliberalism-84755">au sein d’institutions portée par l’économie néolibérale</a>. Mais c’est avant tout une mise en récit du succès d’un individu seul, devant vaincre, par le changement social, par sa détermination, un monde – et un ennemi – représentatif de tout ce que hait un certain monde occidental.</p>
<p>Dans cet échange, le dessein politique est exacerbé par son histoire personnelle.</p>
<p>Cette dernière offre une véritable rédemption au monde occidental, dont le rôle géopolitique a créé tant de violences dans le monde de Malala et de nombreuses autres filles. Mais son histoire, son plaidoyer pour le droit à l’éducation des filles, sont ici savamment utilisés pour justifier l’<a href="https://global.oup.com/academic/product/the-oxford-handbook-of-women-peace-and-security-9780190638276?cc=us&lang=en&">invasion américaine de l’Afghanistan</a>.</p>
<p>Le message de Malala est donc recyclé par l’idéologie néolibérale et individualiste, qui démontre ainsi qu’à condition d’en suivre les règles, chacun et chacune peut accéder à la reconnaissance.</p>
<p>En combattant l’« ennemi » commun, Malala gagne désormais le droit d’étudier au sein de l’une des plus vieilles universités au monde, dans ce même pays qui un jour colonisa le sien.</p>
<p>L’histoire d’Ahed ne rencontre pas la même légitimité. Les cercles de pouvoirs occidentaux ordinaires critiquent rarement son ennemi déclaré, l’armée israélienne, de crainte d’être rapidement taxés d’antisémitisme.</p>
<p>Ahed et son histoire soulignent la nécessité d’une libération collective au-delà de la liberté individuelle, et attirent l’attention du grand public sur un système oppressif qui ne peut changer par le seul acte individuel.</p>
<p>« Il n’y a pas de justice possible sous l’occupation et cette cour de justice est illégale » déclarait Ahed à ses juges en souriant pour la caméra des médias.</p>
<p>Son sourire dérange car il met à mal nos conceptions progressistes de la souffrance et de la justice, qui tend à séparer les droits des individus du contexte social, économique et politique dans lesquels ces droits sont bafoués.</p>
<p>Se désoler depuis nos contrées occidentales ne sert à rien si nous demeurons enfermés dans un système de pensée incohérent et injuste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108269/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sarah Kastner reçoit un financement de la Social Sciences and Humanities Research Council of Canada. Elle est postdoctorante et fellow du SSHRC, Department of English, York University. </span></em></p>Ahed et Malala ont le même âge et se battent pour les mêmes droits et libertés. Toutes deux ont vécu la violence armée. Pourtant le traitement médiatique de leur histoire a été radicalement éloigné.Sarah Kastner, SSHRC Postdoctoral Fellow, York University, CanadaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1073002018-12-06T23:50:39Z2018-12-06T23:50:39ZL’ambition régionale contrariée de l’Iran<p>Dans le contexte du retrait américain de l’accord sur le nucléaire, parmi les critiques les plus fondamentales émises par l’administration Trump – mais aussi par les États européens- à l’encontre de la République islamique figure la politique régionale expansionniste que Téhéran mènerait essentiellement au Levant et dans la Péninsule arabique. </p>
<p>Quelles sont les origines de cette politique et les moyens mis en œuvre par Téhéran. Quelles en sont aussi les limites ?</p>
<h2>Une série d’occasions offertes à Téhéran</h2>
<p>« La poursuite de la révolution dans le pays et à l’étranger » est clairement annoncée dans le préambule de la Constitution de la République islamique, même si – comme le souligne son article 154 – le régime iranien « tout en s’abstenant absolument de la moindre intervention dans les affaires intérieures des autres nations, soutient la lutte des opprimés pour la conquête de leurs droits contre les oppresseurs dans tous les points du globe ». La révolution islamique se rattache ainsi à la tradition des révolutions à vocation universelle.</p>
<p>Dans ce contexte, il est évident que des considérations idéologiques sous-tendent la politique internationale et surtout régionale du régime iranien. Mais les réalisations de cette politique, vu l’évolution des rapports de force au Moyen-Orient, n’ont pas uniquement été le fruit de la seule volonté de Téhéran. En fait, il a souvent – de manière très pragmatique – profité des occasions qui se sont offertes. Il ne les a pas créées. </p>
<p>Ainsi, les interventions américaines en Afghanistan en 2001 et en Irak en 2003, en éliminant les Taliban et le régime de Saddam Hussein, ennemis jurés de la République islamique, ont non seulement mis un terme aux pressions que ces deux pouvoirs hostiles pouvaient exercer sur elle, mais lui ont aussi ouvert de nouvelles possibilités d’influence dans ces deux pays voisins. </p>
<p>Les divisions au sein du monde arabe et les conséquences des « printemps » arabes qui ont élargi et approfondi, à partir de 2011, les lignes de fractures qui le traversent, ont par ailleurs permis à Téhéran de conforter ses positions à la fois au Levant et dans la Péninsule arabique. </p>
<p>La guerre civile en Syrie, déclenchée en 2011, et la prise de la ville de Mossoul en Irak par l’État islamique en 2014, ont contribué à la consolidation de la présence militaire iranienne dans les deux pays. Les troubles au Bahreïn et surtout <a href="https://theconversation.com/les-guerres-du-yemen-106806">la guerre civile au Yémen</a> lui ont offert l’occasion d’accroître son influence indirecte dans le voisinage saoudien.</p>
<h2>Une clientèle militante très étendue</h2>
<p>Sur le plan des moyens, la République islamique est sans doute l’État du Moyen-Orient qui, à l’extérieur de ses frontières, dispose de la plus importante clientèle militante. Elle l’utilise <a href="https://www.grip.org/fr/node/1956">pour réaliser ses objectifs stratégiques</a>. Parmi cette clientèle, il y a – certes avec d’importantes nuances et des limites substantielles – les populations de confession chiite et les réseaux cléricaux chiites, mais pas uniquement. </p>
<p>Le discours révolutionnaire ainsi que la propagande anti-américaine et anti-israélienne du régime iranien rencontrent aussi un écho favorable dans les populations arabes d’autres confessions. Quelle que soit leur appartenance religieuse, des Arabes – à titre individuel ou au sein de milices pro-iraniennes – peuvent agir en tant que relais ou mandataires locaux de Téhéran et contribuer à consolider son rôle régional, tout en lui assurant un avantage face à ses rivaux. C’est le cas de dizaines de milices chiites en Irak, du Djihad islamique palestinien ou du Hamas.</p>
<p>Enfin, il y a le cas particulier du Liban où la République islamique, plus rapidement que partout ailleurs, a commencé à exercer une influence prépondérante. Cela s’explique par les liens particuliers qui existaient, avant même la révolution, entre les mouvements chiites libanais et le clergé iranien proche de Khomeyni. </p>
<p>Téhéran a vite compris l’intérêt d’une présence au Liban, tout d’abord dans le contexte de la guerre contre l’Irak, et, par la suite, pour toute sa politique régionale. Il l’a construite par l’intermédiaire du Hezbollah, dont il a contribué à la formation en 1982. Cette présence a été facilitée par la faiblesse du Liban qui, contrairement à d’autres pays de la région, n’est jamais parvenu à se doter d’un État fort capable de résister aux pressions extérieures.</p>
<h2>Le frein économique</h2>
<p>La première limite que rencontre la politique régionale de l’Iran est d’ordre économique. Certes, durant les deux années qui ont suivi la conclusion de l’accord sur le nucléaire, en 2015, l’économie iranienne a connu une embellie. Mais dès le début 2018, la situation s’est très rapidement détériorée. Plus globalement, le poids économique de l’Iran n’a cessé de diminuer depuis 30 ans. Ainsi, en 1989, il était équivalent à celui de la Turquie. En 2017, calculé en parité de pouvoir d’achat (PPA), un indicateur qui permet de mieux comparer deux économies, il n’atteignait <a href="https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/fields/208rank.html#SA">que 75 % celui de son voisin turc </a>, qui n’est pourtant pas doté d’hydrocarbures ! </p>
<p>Depuis l’annonce du retrait américain de l’accord en mai 2018, l’économie iranienne traverse <a href="https://theconversation.com/iran-lunion-europeenne-peine-a-trouver-la-parade-pour-contourner-trump-96965">d’importantes turbulences</a>. Il est plus que probable qu’avec les nouvelles sanctions de Washington sur les secteurs pétrolier et financier, qui sont entrées en vigueur en novembre 2018, les capacités économiques du pays vont se restreindre. </p>
<p>Pour conduire sa politique régionale, la République ne dispose donc pas de moyens financiers comparables à ceux de son rival régional, l’Arabie saoudite, ni même de ceux des Émirats arabes unis, pour mener à bien ses interventions et financer les milices qui lui sont inféodées en Irak, en Syrie et au Liban. En fait, l’Iran est contraint de faire d’importants prélèvements sur ses réserves – ce qui a pour conséquence de créer de graves difficultés internes. </p>
<p>Au-delà du Proche et du Moyen-Orient, sur son flanc Est les aides financières généreuses qu’accorde l’Arabie saoudite au Tadjikistan, à l’Afghanistan et au Pakistan ont poussé ces voisins – culturellement et politiquement proches de Téhéran – à prendre leurs distances.</p>
<h2>Des capacités militaires limitées</h2>
<p>La deuxième limite concerne les faiblesses militaires de Téhéran. Certes, en nombre d’hommes, il possède la force militaire la plus importante de la région (523 000 hommes, dont 350 000 dans l’armée et 125 000 Gardiens de la révolution). Mais son budget de la Défense est de l’ordre de 16 milliards de dollars en 2017 contre 76,7 milliards pour l’Arabie saoudite et 18,5 milliards pour Israël (chiffres tirés de IISS, Military Balance 2018, London). </p>
<p>Son matériel est généralement ancien et ses forces aériennes ne disposent que d’une trentaine d’avions en état de marche. Sa capacité offensive est formée uniquement par <a href="https://fas.org/sgp/crs/nuke/IF10938.pdf">son arsenal balistique</a>, avec des missiles de courte (moins de 500 km, une centaine de lanceurs) et de moyenne portées (1800 à 2000 km, moins de 50 lanceurs et un nombre inconnu de missiles associés). Mais cette capacité est toutefois considérée à Téhéran comme un atout pour sa défense et pour sa dissuasion. C’est pourquoi il poursuit ses recherches et ses essais dans ce domaine, <a href="https://www.washingtontimes.com/news/2018/dec/3/trump-admin-condemns-irans-ballistic-missile-test-/">un choix vivement dénoncé par l’administration Trump</a>. </p>
<p>Au total, cependant, l’Iran ne dispose de rien de comparable aux équipements ultramodernes de ses adversaires régionaux livrés par les États-Unis et les pays occidentaux. Ce déséquilibre conventionnel explique d’ailleurs, en partie, l’intérêt iranien pour le nucléaire. Une option aujourd’hui encore gelée en vertu du Plan d’action global commun (PAGC) signé à Vienne en juillet 2015, mais dont l’administration américaine s’est retirée en mai 2018, jetant une ombre sur son maintien. En dépit des incertitudes, <a href="https://www.iaea.org/sites/default/files/18/11/gov2018-47_fr.pdf">l’AIEA a récemment confirmé que l’Iran respectait ses obligations dans le cadre de cet accord</a>. </p>
<p>Dans cette situation, le choix de Téhéran ne peut se porter que sur une stratégie indirecte, asymétrique, évitant l’opposition frontale avec ses adversaires – ce qui ne l’empêche pas, cependant, de transférer des équipements utiles à ses relais (comme des missiles au Hezbollah, afin d’accroître ses capacités de dissuasion indirecte).</p>
<h2>Un pays sans véritable allié de poids</h2>
<p>La troisième limite est d’ordre géopolitique. Téhéran, contrairement à ses adversaires régionaux, n’a pas de véritables alliés étrangers qui puissent lui offrir aide militaire et assistance politique. </p>
<p>La Chine est un partenaire commercial de premier plan, elle peut certes lui fournir un soutien diplomatique dans les instances internationales et elle lui a vendu certains types d’armements (notamment pour renforcer sa défense côtière). Mais Pékin ne souhaite pas mettre en danger ses relations avec Washington ni avec ses autres partenaires moyen-orientaux. </p>
<p>Il est, par ailleurs, indéniable que la République islamique s’est très fortement <a href="https://theconversation.com/russie-et-iran-une-entente-renforcee-a-lepreuve-de-la-syrie-et-de-trump-75189">rapprochée de la Russie</a>, surtout depuis 2015 en raison de leur implication commune en Syrie. Mais il s’agit d’une alliance de circonstance, fragile surtout du fait que précisément en Syrie et plus généralement au Moyen-Orient, les objectifs des deux pays ne coïncident pas toujours. Les Russes ont leur propre agenda, qui est différent de celui des Iraniens. Plus généralement, il y a une méfiance des Iraniens à l’égard de la Russie qui, durant le XIXe siècle, s’est emparée d’une part importante du territoire de l’Iran. </p>
<p>La seule tentative de Téhéran de créer autour de lui une coalition régionale concerne « l’axe de la résistance » qui réunit théoriquement les chiites d’Irak et du Liban, ainsi que la Syrie et le Hamas qui eux luttent contre Israël. Mais cette coalition informelle lui coûte plus qu’elle ne lui rapporte.</p>
<h2>Une politique impopulaire à l’intérieur du pays</h2>
<p>La quatrième limite de la politique régionale du régime iranien est son impopularité à l’intérieur comme à l’extérieur du pays. Son coût économique est une des causes principales de son impopularité grandissante à l’intérieur du pays. </p>
<p>En effet, durant les troubles de l’année 2018, comme d’ailleurs dans les mouvements de contestations populaires précédents qui ont toujours été une occasion d’exprimer ce qu’en temps normal on tait, des slogans comme : « Ni Gaza, ni Liban, je sacrifie ma vie pour l’Iran ! », « Laisse tomber la Syrie, occupe toi de nos problèmes ! » ou « mort au Hezbollah ! » ont été scandés par les protestataires, révélant leur mécontentement quand aux choix régionaux du régime. </p>
<p>L’aide et le soutien à l’Irak font cependant moins l’objet de critiques. Sans doute les Iraniens sont-ils conscients, depuis la guerre Iran-Irak (1980-1988), que leur sécurité dépend plus directement de la situation dans ce pays qu’ailleurs au Moyen-Orient. En Irak même, au delà des cercles politiques proches de la République islamique, <a href="https://www.washingtonpost.com/world/chanting-iran-out-iraqi-protesters-torch-iranian-consulate-in-basra/2018/09/07/2caa89b8-b2bd-11e8-8b53-50116768e499_story.html?utm_term=.cf57fe233487">comme les troubles anti-iraniens récents à Bassorah l’ont montré</a>, les interventions de Téhéran, même dans les régions chiites, sont peu appréciées par la population. </p>
<p>En ce qui concerne le Hezbollah, l’opinion publique iranienne le considère comme le grand bénéficiaire des largesses du régime. Elle accuse les Gardiens de la révolution de le favoriser dans toutes ses activités sociales au Liban, comme l’aide au logement des victimes des bombardements israéliens ou la construction d’hôpitaux publics souvent mieux dotés que ceux de l’Iran. </p>
<p>Quant à Bachar al Assad, l’allié régional de Téhéran, il ne jouit d’aucune sympathie particulière en Iran. <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/01/15/iran-l-enjeu-majeur-c-est-l-apres-khamenei_5241654_3232.html">Comme le résume Yann Richard</a>, l’opinion iranienne « n’accompagne pas les ambitions propalestiniennes, panislamistes ou panchiites de ses dirigeants ». D’où l’obligation pour le pouvoir de recourir à des combattants étrangers (Libanais, Afghans, Pakistanais, Irakiens) afin de former les milices qu’il soutient. </p>
<p>En même temps, le régime mène une campagne médiatique afin de présenter les Pasdarans comme des combattants héroïques de la cause nationale. Ce nationalisme étatique n’a, jusqu’à présent, rencontré que peu d’écho auprès des Iraniens. De fait, pour eux, la politique régionale interventionniste du régime ne constitue pas une cause nationale pour laquelle la population est prête à se mobiliser, comme cela fût le cas lors de la guerre Iran-Irak.</p>
<h2>La pérennité de l’influence iranienne en question</h2>
<p>Enfin, la question qui se pose, est celle de la pérennité de l’influence iranienne au Proche et Moyen-Orient. Téhéran a-t-il les moyens de poursuivre une politique régionale telle qu’il l’a menée jusqu’a présent ? </p>
<p>L’Iran – en sa qualité de pays important sur les plans démographique, culturel et historique – peut sans doute espérer peser sur son environnement, mais la profonde singularité de son parcours historique ainsi que de son identité culturelle et confessionnelle ne l’aident pas à apprivoiser ses voisins. </p>
<p>Il n’est pas sûr, en outre, que les conditions de politique interne et sa situation économique lui permettent de consolider son influence. Sans compter les réactions négatives des autres puissances régionales et internationales face à ses ambitions. Quant à assurer sa primauté dans la zone du golfe Persique, pour que les choses changent, il faut que Téhéran et Riyad trouvent le moyen de mettre un terme à <a href="https://theconversation.com/arabie-saoudite-iran-de-la-guerre-par-procuration-a-la-guerre-des-mots-52776">la guerre froide qui les oppose</a>, ce qui à ce jour semble difficilement imaginable.</p>
<p>Au final, <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/ramses2019_bat_nicoullaud.pdf">comme l’écrivait récemment l’ancien ambassadeur de France en Iran, François Nicoullaud</a>, malgré tous ses efforts, l’Iran paraît « aujourd’hui comme naguère, incapable d’exercer dans sa région une hégémonie à la fois positive et acceptée : deux conditions indispensables pour être pérenne ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107300/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La politique interventionniste du régime de Téhéran dans la région, qui ne constitue pas une cause nationale pour la population iranienne, se heurte à plusieurs freins structurels.Thierry Kellner, Chargé de cours (politique étrangère de la Chine), Université Libre de Bruxelles (ULB)Mohammad Reza Djalili, professeur émérite, Institut des hautes études internationales et de développement de GenèveLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.