tag:theconversation.com,2011:/au/topics/partis-politiques-25427/articlespartis politiques – The Conversation2024-02-05T15:14:07Ztag:theconversation.com,2011:article/2216832024-02-05T15:14:07Z2024-02-05T15:14:07ZTrois raisons de ne pas qualifier l’extrême droite de populiste<p>Le terme <em>populisme</em> fait partie des plus entendus et des plus galvaudés de ces dernières années. Employé <a href="https://theconversation.com/le-populisme-un-terme-trompeur-106361">à tort et à travers</a> tant dans la presse politique que dans la littérature académique, il qualifie – le <a href="https://absp.be/article/populisme-voila-lennemi/">plus souvent de façon péjorative</a> – toutes sortes de partis et figures politiques qui n’ont pourtant rien à voir les uns avec les autres. On dit que Donald Trump est populiste alors que c’est Barack Obama qui se <a href="https://time.com/4389939/barack-obama-donald-trump-populism/">revendique</a> de la tradition populiste américaine. On le dit de <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/argentine-le-dangereux-populisme-liberal-de-javier-milei-2030695">Javier Milei</a> alors qu’il a précisément fait campagne contre le populisme argentin incarné par le péronisme. Mais sait-on seulement ce que représente, historiquement, le populisme ?</p>
<h2>Des origines démocrates et anti-oligarchiques</h2>
<p>Le premier mouvement à se revendiquer populiste émergea aux États-Unis à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Loin des clichés contemporains sur l’anti-pluralisme fondamental du populisme, il s’agissait d’un mouvement <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/lantipopulisme_ou_la_nouvelle_haine_de_la_democratie">défendant la démocratie</a> et les garanties constitutionnelles de la liberté contre les dérives oligarchiques du pouvoir en place. Certains de ses membres <a href="https://lavamedia.be/fr/la-longue-histoire-du-populisme/">partageaient les préjugés racistes</a> du Parti républicain et du Parti démocrate d’alors, mais l’orientation générale du mouvement était sociale et démocratique et il comportait – au contraire des autres partis – un nombre significatif d’afro-américains. Le People’s Party (Parti du peuple) qui émergea de ce mouvement essentiellement paysan finit par être absorbé par le Parti socialiste américain et par le Parti démocrate.</p>
<p>Pratiquement au même moment apparurent, en Russie, les <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070281664-les-intellectuels-le-peuple-et-la-revolution-tome-1-histoire-du-populisme-russe-au-XIXe-si%C3%A8cle-franco-venturi/">narodniki</a>, un mouvement d’intellectuels démocrates et socialistes qui entendaient prêter leur voix à la paysannerie opprimée et s’opposer au Tsar. Dans ce mouvement, comme chez les populistes américains, on ne trouve ni anti-pluralisme, ni leader charismatique, ni opposition aux institutions représentatives. Plutôt une <a href="https://aoc.media/opinion/2022/03/01/en-russie-la-potentialite-emancipatrice-du-peuple/">forme d’anti-oligarchisme au nom du peuple et de la démocratie</a>. Ce mouvement finira par se diviser entre une aile libérale et une aile socialiste qui, après s’être convertie au marxisme, fonda la social-démocratie russe. Les deux ailes restèrent attachées aux libertés démocratiques.</p>
<h2>Les dérives d’un concept</h2>
<p>Alors comment se fait-il que le terme <em>populiste</em>, revendiqué par ces deux mouvements, ait pu dériver au point de qualifier aujourd’hui tout ce qu’ils auraient rejeté – notamment l’autoritarisme oligarchique de Donald Trump et de Vladimir Poutine, ces nouveaux Tsars ?</p>
<p>La distance historique et le manque de documentation ont peut-être joué un rôle dans le cas du populisme russe, mais certainement pas dans le cas du populisme américain, qui est très bien documenté. Nous avons donc développé <a href="https://www.researchgate.net/publication/377001107_Populism_and_democracy_a_reassessment">trois hypothèses explicatives</a>.</p>
<p>Un premier moment de la <a href="http://www.populismus.gr/wp-content/uploads/2016/07/WP3-jaeger-final-upload.pdf">dérive sémantique</a> fut la réinterprétation du populisme américain par plusieurs politistes, dans les années 1950, comme la préfiguration du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Maccarthysme">maccarthysme</a> ou même du fascisme. Ces réinterprétations ont depuis été remises en cause par les historiens, qui soulignent aujourd’hui le <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/lantipopulisme_ou_la_nouvelle_haine_de_la_democratie">caractère profondément démocratique du populisme américain</a>, qui visait à renforcer la démocratie représentative et non à l’affaiblir.</p>
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<p>Une deuxième étape, plus décisive, fut l’application du terme <em>populisme</em> à des régimes latino-américains – principalement le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9ronisme">péronisme</a> en Argentine – par des auteurs comme le sociologue <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780429336072/authoritarianism-fascism-national-populism-gino-germani">Gino Germani</a>. Le terme a été appliqué de l’extérieur, car ces régimes, contrairement aux exemples américain et russe, ne se qualifiaient pas eux-mêmes de populistes. En qualifiant le péronisme de « national-populiste », Germani voulait marquer la différence entre le péronisme et des formes de nationalisme qui n’avaient pas sa dimension sociale-égalitaire (à côté de sa dimension autoritaire). Mais le résultat est que le mot populisme fut associé de ce fait aux autres caractéristiques du péronisme (ses aspects nationaliste et autoritaire) qu’il ne visait pourtant pas à désigner.</p>
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<p>Un troisième moment, d’une plus grande ampleur politique, a été celui des années 1980. En France, en Italie et en Autriche tout d’abord, les partis d’extrême droite ont remporté leurs premiers grands succès électoraux sur le sol européen depuis la Seconde Guerre mondiale et ont donc commencé à rechercher une forme de normalisation et de respectabilité. Ces partis ont stratégiquement adopté un langage démocratique et ont donc renoncé à formuler leur nationalisme xénophobe en termes d’opposition à la démocratie parlementaire. Cela a conduit un grand nombre de commentateurs politiques à parler à leur propos de « populisme », ce qui était à bien des égards une <a href="https://editions-croquant.org/sociologie/823-le-populisme-du-fn-un-dangereux-contresens.html">erreur de dénomination</a>.</p>
<p>L’extrême droite s’est alors joyeusement emparée du terme pour mieux se légitimer comme démocratique et pour séduire la classe ouvrière. En effet, quel parti à la recherche de succès électoral refuserait d’être présenté comme défenseur du peuple ? À l’heure actuelle, de nombreuses figures de l’extrême droite internationale (Viktor Orban, Steve Bannon, Éric Zemmour) se revendiquent « populistes », entendant ainsi se montrer plus démocratiques que leurs détracteurs qui, en utilisant le terme comme arme de stigmatisation, montrent leur mépris du peuple et leur adhésion à un idéal élitiste ou technocratique incompatible avec la démocratie.</p>
<h2>Éviter le contresens</h2>
<p>On pourrait en conclure que le terme a désormais changé de sens et que c’est l’usage contemporain qui doit prédominer. Nous pensons néanmoins qu’il y a <a href="https://www.researchgate.net/publication/377001107_Populism_and_democracy_a_reassessment">de bonnes raisons</a> d’éviter de s’aligner sur l’usage aujourd’hui dominant.</p>
<p>La première, c’est que quand un concept est trop large, désigne trop de choses différentes, il n’est <a href="https://journals.openedition.org/ress/6797">plus très utile</a>. C’est le cas du concept de populisme tel qu’il est aujourd’hui utilisé. S’il désigne à la fois un mouvement égalitariste et ancré à gauche comme <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2015-2-page-86.htm">Podemos</a> en Espagne et son opposé politique – un autoritarisme xénophobe et favorable aux plus riches, comme Donald Trump –, il n’est plus d’aucune aide. Car le seul point commun entre les deux est un vague appel au peuple qui est en fait un trait commun de la plupart des mouvements qui cherchent un soutien électoral, et un discours anti-establishment que tiennent pratiquement tous les partis d’opposition qui veulent remplacer les partis au pouvoir.</p>
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<p>La seconde, c’est qu’en s’alignant sur l’usage contemporain dominant, on en arrive à des conclusions historiquement absurdes, comme lorsque le politologue <a href="http://www.premierparallele.fr/livre/quest-ce-que-le-populisme">Jan-Werner Müller</a> doit affirmer que le mouvement populiste américain n’était pas populiste, pour préserver la définition qu’il utilise. Ou comme lorsqu’on désigne Donald Trump comme l’héritier du populisme alors que c’est Bernie Sanders (mieux qu’Obama) qui incarne la continuité avec le populisme historique.</p>
<p>La troisième raison c’est qu’on fait le jeu de l’extrême droite en l’affublant d’un terme qui lui offre un pedigree démocratique et une légitimité populaire, dissimulant ce faisant ses tendances profondément autoritaires et sa grande complaisance à l’égard des plus fortunés, à rebours de l’anti-oligarchisme démocratique des populismes historiques.</p>
<h2>Retrouver le populisme sans l’idéaliser</h2>
<p>Contre cet usage dominant, <a href="https://www.researchgate.net/publication/377001107_Populism_and_democracy_a_reassessment">nous suggérons</a> de préserver le terme <em>populiste</em> pour qualifier des mouvements politiques qui ont un agenda égalitaire ou démocratique, entendent défendre les classes les plus défavorisées contre des captations oligarchiques de la démocratie, et qui plutôt que de s’appuyer sur une idéologie bien définie comme le socialisme par exemple, en appellent au sens commun démocratique.</p>
<p>Reposant sur une idéologie très fine, le populisme peut prendre différentes formes. Il n’offre en effet pas une vision claire de ce que serait une société juste ou une démocratie idéale. Selon les contextes dans lesquels ils émergent, les mouvements populistes peuvent donc entretenir différents types de rapports aux institutions politiques. Dans des systèmes politiques sclérosés où les partis politiques sont déconnectés de leurs électeurs, les populistes sont très susceptibles de dénoncer les institutions représentatives existantes, mais plus par attachement à la démocratie populaire que par anti-pluralisme.</p>
<p>Le populisme bien défini n’est donc <a href="https://theconversation.com/le-populisme-est-il-vraiment-un-risque-politique-pour-les-democraties-87013">pas une menace pour la démocratie</a> – mais cela ne veut pas dire non plus que ce soit nécessairement la solution la plus prometteuse ! En particulier, dans le contexte européen contemporain, où la crise de la démocratie représentative se marque dans le déclin des corps intermédiaires (partis et syndicats) qui assuraient le lien continu entre les groupes sociaux et l’État, la difficulté des mouvements populistes à reconstruire ces canaux de médiation de façon durable constitue un écueil fondamental du point de vue démocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221683/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Etienne Vandamme a reçu des financements du FWO (Research Foundation - Flanders).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Arthur Borriello et Jean-Yves Pranchère ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Employé avec largesse, le terme « populisme » est associé à des partis et figures politiques n’ayant rien à voir les uns avec les autres. Mais alors, qu’est-ce donc que le populisme ?Pierre-Etienne Vandamme, Chercheur en théorie politique, KU LeuvenArthur Borriello, Professor, Université de NamurJean-Yves Pranchère, Professeur, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2224052024-02-05T15:13:42Z2024-02-05T15:13:42ZComment l’ombre de Sarkozy divise Les Républicains<p><a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287993-loi-immigration-integration-asile-du-26-janvier-2024">L’adoption de la loi sur l’immigration du 19 décembre 2023</a> était apparue comme une victoire pour Les Républicains (LR). Elle semblait valider la stratégie mise en place par les principaux responsables du parti de droite.</p>
<p>Mais la constitution du nouveau gouvernement, et en particulier le débauchage de Rachida Dati, présidente du Conseil National des Républicains, figure de proue de la droite parisienne et ancienne Garde des Sceaux sous Nicolas Sarkozy, a pris de court bon nombre d’observateurs et a remis en cause cette impression de renouveau. Tout comme la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2024/2023863DC.htm">censure</a> des articles les <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/xavier-bertrand-lr-j-ai-un-profond-desaccord-avec-laurent-wauquiez-sur-la-conception-de-l-etat-de-droit-20240126">plus droitiers</a> et les plus polémiques de la loi sur l’immigration par le Conseil constitutionnel.</p>
<p>Ces développements ont <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/12/apres-le-debauchage-de-rachida-dati-gabriel-attal-attendu-au-tournant-par-la-droite_6210532_823448.html">rappelé</a> à Éric Ciotti, la fragilité de son leadership, et au parti conservateur les incertitudes concernant son avenir et sa survie.</p>
<h2>Un espace politique de plus en plus réduit ?</h2>
<p>Après Rachida Dati, la nomination de <a href="https://www.lemondedesartisans.fr/actualites/quelles-seront-les-priorites-de-la-nouvelle-ministre-du-travail-catherine-vautrin">Catherine Vautrin</a> – ancienne ministre de Jacques Chirac et ancienne membre de LR désormais affiliée à Horizons – et le maintien à leurs postes d’anciennes figures de LR comme Bruno Le Maire et Gérald Darmanin ont confirmé <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/13/avec-l-ancrage-a-droite-du-nouveau-gouvernement-l-espoir-d-une-bouffee-d-air-pour-la-gauche_6210642_823448.html">l’ancrage à droite</a> du gouvernement. En témoignent aussi le <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20240117-france-emmanuel-macron-est-dans-une-posture-de-pr%C3%A9sident-manager-avec-la-start-up-nation">ton utilisé et les thèmes abordés par Emmanuel Macron</a> ou plus récemment Gabriel Attal.</p>
<p>Ce positionnement diminue de fait l’espace politique du parti conservateur, déjà débordé par sa droite par le Rassemblement national (RN) et Reconquête ! et qui se voit réduit à brandir la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/01/lr-fragilise-brandit-la-menace-d-une-motion-de-censure_6214172_823448.html">menace d’une motion de censure</a> pour exprimer son mécontentement et essayer de peser sur le cours des choses.</p>
<p><a href="https://fr.statista.com/statistiques/1422338/sondage-intentions-de-vote-elections-europeennes-2024/">Une compilation de plusieurs sondages</a> tentant de mesurer le futur rapport de force des élections européennes du 9 juin prochain confirme d’ailleurs l’étroitesse de cet espace. Le RN et Reconquête ! sont crédités de près de 34 % des intentions de votes (28 % pour le premier et 6 % pour le second), le mouvement présidentiel recueillerait 19 % des suffrages… alors que LR est crédité de 8 % des voix.</p>
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<p>Certes, LR conserve une assise locale et un <a href="https://www.senat.fr/vos-senateurs/groupes-politiques.html">poids au Sénat</a> qui lui ont jusqu’à présent permis de ne pas disparaître. Mais alors que le débat sur l’immigration avait semblé repositionner le parti conservateur au centre du jeu politique français, la séquence nouveau gouvernement/censure du Conseil constitutionnel assombrit cette perspective.</p>
<p>Elle interroge aussi le bien-fondé de sa stratégie et la légitimité du leadership et du management de son président à un moment où ses adversaires, et en particulier le RN, apparaissent plus offensifs et plus audibles sur des sujets comme la sécurité, le <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/sondage-exclusif-europeennes-2024-le-pouvoir-dachat-revient-en-force-dans-les-motivations-de-vote-2070628">pouvoir d’achat</a> ou encore la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/30/jordan-bardella-profite-de-la-colere-des-agriculteurs-pour-lancer-une-offensive-contre-l-ecologie-punitive_6213835_823448.html">crise des agriculteurs</a>.</p>
<p>La proposition d’Eric Ciotti de garantir un revenu plancher de 1500 euros à chaque agriculteur en récupérant le budget alloué à l’Aide médicale d’État pour répondre à la crise agricole actuelle est par exemple <a href="https://www.liberation.fr/politique/agriculteurs-moque-jusquau-sein-de-lr-eric-ciotti-sestime-caricature-20240130_LJ3OHJ3R7VFCZCXTADBSPMH2XQ/">apparue peu crédible</a> et a même été rejetée par <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/un-revenu-paysan-de-1500-euros-propose-par-eric-ciotti-le-president-des-republicains-veut-le-financer-avec-l-ame_229053.html">certains agriculteurs</a>.</p>
<h2>Leadership transformationnel et humble</h2>
<p>En matière de leadership, les recherches les plus récentes mettent en lumière deux concepts, le <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/eb054626/full/html">leadership transformationnel</a> et le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/job.2608">leadership humble</a>. Le premier est porté par un leader qui va aider et encourager les membres de son organisation et les aider à progresser en s’assurant qu’ils avancent tous dans la même direction et en les inspirant. Le second renvoie à l’idée de leaders capables d’assumer leurs responsabilités, n’ayant pas peur de se remettre en question et de dévoiler leurs faiblesses et leurs limites.</p>
<p>Ces pratiques sont particulièrement plébiscitées par les jeunes <a href="https://www.cairn.info/revue-culture-prospective-2007-3-page-1-htm">générations</a> qui sont sensibles à l’exemplarité et à la cohérence des actes avec les valeurs affichées. Jacinda Ardern, ancienne première ministre néo-zélandaise, ou Yvon Chouinard, le fondateur de la marque de vêtement Patagonia, sont deux figures qui incarnent cette tendance actuelle. La première parce qu’elle a notamment baissé de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/solidarite-en-nouvelle-zelande-jacinda-ardern-renonce-20-de-son-salaire">20 %</a> son salaire et ceux de ses ministres en signe de solidarité suite aux difficultés économiques liées au Covid. Le second car il a transféré <a href="https://eu.patagonia.com/fr/fr/ownership/">100 % des parts</a> de son entreprise à un trust et à une association de lutte contre la crise environnementale, à qui seront reversés les futurs profits.</p>
<h2>Comment concilier nouvelles exigences, privilèges et anciennes pratiques ?</h2>
<p>Fidèle à une stratégie de fermeté vis-à-vis des « déserteurs », Eric Ciotti a exclu Rachida Dati de LR. Sa décision semble s’inscrire dans la tendance actuelle en matière de leadership puisque l’exclusion de la figure sarkoziste s’est faite au nom de l’exemplarité, de la fidélité et de la cohérence avec les valeurs du parti.</p>
<p>Mais Éric Ciotti n’a pas manqué de souligner <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/12/rachida-dati-ministre-de-la-culture-la-droite-sonnee-eric-ciotti-veut-l-exclure-des-republicains_6210317_823448.html">« l’estime »</a> et <a href="https://www.20minutes.fr/politique/4070733-20240116-gouvernement-attal-eric-ciotti-tacle-rachida-dati-affirmant-politique-star-academy">« l’amitié »</a> qu’il lui portait malgré sa « trahison » et l’exclusion de l’ancienne Garde des Sceaux n’est, semble-t-il, toujours pas <a href="https://www.lejdd.fr/politique/rachida-dati-ironise-apres-son-exclusion-des-lr-jattends-mon-oqtf-141272">officialisée</a>.</p>
<p>Le retour de <a href="https://www.liberation.fr/tags/xavier-bertrand/">Xavier Bertrand</a> ou celui de <a href="https://www.20minutes.fr/dossier/valerie_pecresse">Valérie Pécresse</a> dans le giron de LR pour participer à la primaire pour l’élection présidentielle de 2022, alors qu’ils avaient auparavant claqué la porte du parti, ont rappelé que les ruptures étaient rarement définitives en politique.</p>
<p>Les prises de position des différents protagonistes de l’exclusion de Rachida Dati semblent ainsi laisser la porte ouverte à un possible retour suite à son escapade macroniste. Les manœuvres de cette dernière pour continuer de peser au Conseil de Paris malgré sa nomination comme ministre de la Culture et le <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/presidence-du-groupe-de-droite-au-conseil-de-paris-catherine-dumas-appelle-rachida-dati-a-ne-pas-aller-trop-vite">peu de réactions de ses anciens alliés LR</a> de peur de se mettre à dos l’opposante désignée à Anne Hidalgo en vue des prochaines élections municipales, illustrent bien le flou et les ambiguïtés de cette mise à l’écart.</p>
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<figcaption><span class="caption">Rachida Dati répond à Eric Ciotti, le Point.</span></figcaption>
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<p>À terme, de telles pratiques pourraient avoir du mal à passer auprès d’une jeune garde théoriquement plus sensible à un leadership porteur d’exemplarité et pourraient mettre en danger l’autorité d’Éric Ciotti. Mais la politique a de tout temps été faite de trahisons et de retours en grâce dictés par le rapport de force électoral.</p>
<p>L’histoire a montré qu’il n’est pas si aisé de dépasser les différences générationnelles et de prendre la place des barons installés depuis plusieurs décennies. Pour mémoire, les quadras « rénovateurs » du RPR et de l’UDF – Philippe Séguin, François Fillon, Michel Noir, Dominique Baudis, François Bayrou… – avaient essayé en 1989 de prendre le leadership de la droite à Jacques Chirac et Valéry Giscard d’Estaing, jugés responsables des défaites électorales de 81 et 88. <a href="https://www.cairn.info/la-malediction-de-la-droite--9782262077198-page-213.htm">Sans succès</a>… et sans que l’électorat et les soutiens de ces derniers ne s’en détournent.</p>
<h2>Quelle relance pour LR ?</h2>
<p>Officiellement, Éric Ciotti a toujours pour ambition de relancer son parti en s’appuyant et en soutenant la <a href="https://www.lepoint.fr/politique/presidentielle-2027-comment-ciotti-prepare-le-futur-sacre-de-wauquiez-08-09-2023-2534622_20.php">candidature de Laurent Wauquiez lors de l’élection présidentielle de 2027</a> même si les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/03/18/chez-lr-l-unite-du-duo-eric-ciotti-laurent-wauquiez-fragilisee-par-la-reforme-des-retraites_6166031_823448.html">légères tensions</a> apparues entre les deux hommes lors de la réforme des retraites ont montré que rien n’est jamais gravé dans le marbre.</p>
<p>La perspective de cette candidature ne semble pas, à ce stade, en mesure de remettre en question <a href="https://www.lejdd.fr/politique/presidentielle-2027-marine-le-pen-caracole-en-tete-edouard-philippe-favori-du-camp-macroniste-dapres-un-sondage-139319">l’opposition annoncée</a> entre les candidats du RN et du camp « macroniste » en vue de l’élection de 2027.</p>
<p>Le président de LR devra donc, à la fois, inspirer, donner des gages et ménager les anciennes et les nouvelles générations du parti conservateur, s’il veut les rassembler et déjouer les pronostics. C’est à ce prix qu’il parviendra à consolider son leadership et à empêcher la disparition de sa formation politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222405/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les stratégies politiques d’Emmanuel Macron ont fragilisé durablement le leadership du parti LR.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212282024-02-04T15:36:34Z2024-02-04T15:36:34ZAffaires des emplois fictifs : des procès politiques ?<p>Ce 5 février le tribunal correctionnel de Paris a rendu son jugement quant au procès des assistants parlementaires européens de l’Union pour la démocratie française (UDF) et du MoDem, <a href="https://www.liberation.fr/societe/police-justice/affaire-des-emplois-fictifs-du-modem-fin-de-proces-pour-francois-bayrou-20231121_DWTZFFQQSZA4RA3X6JFMUPNWBA/">dirigé par François Bayrou</a>. Certains de ces assistants - <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/05/francois-bayrou-relaxe-dans-l-affaire-des-assistants-parlementaires-europeens-du-modem_6214845_823448.html">deux ont été relaxés ainsi que François Bayrou </a>- étaient suspectés d’avoir œuvré davantage pour le parti que pour leurs eurodéputés. Cette affaire fait écho à d’autres au sein de la classe politique française.</p>
<p>Le Rassemblement national (RN) et La France insoumise (LFI), sont également soupçonnés d’<a href="https://theconversation.com/penelopegate-la-fin-du-on-a-toujours-fait-comme-ca-72307">emplois fictifs</a>. <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/15/soupcons-d-emplois-fictifs-deux-ex-assistants-parlementaires-de-melenchon-au-parlement-europeen-places-sous-le-statut-de-temoin-assiste_6149945_3224.html">Une enquête</a> sur les conditions d’emploi d’assistants d’eurodéputés de LFI est en cours. Quant au RN, deux juges d’instruction financiers ont ordonné le 8 décembre 2023 le renvoi devant le tribunal correctionnel de Paris de Marine et Jean-Marie Le Pen, du parti et de 25 autres de ses membres pour <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/08/marine-le-pen-et-le-rassemblement-national-renvoyes-en-correctionnelle-dans-l-affaire-des-assistants-parlementaires_6204691_823448.html">détournement de fonds publics</a>. Alors que les procès contre des responsables ou des partis politiques sont nombreux, les médias et les protagonistes eux-mêmes ne les qualifient pas systématiquement de « procès politiques ». Que recouvre alors cette notion dans le champ scientifique ?</p>
<h2>Une double stratégie de politisation</h2>
<p>Les procès dits « politiques » sont ceux où la justice est instrumentalisée soit par l’instruction puis le ministère public, soit par les accusés, voire par une combinaison stratégique de ces deux volontés. Comme l’a montré la politiste <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/histoire/punir-les-opposants-vanessa-codaccioni">Vanessa Codaccioni</a>, les procès politiques sont le produit d’une double stratégie de politisation, du pouvoir et de l’opposition. Le premier mobilise des incriminations qui peuvent justifier le recours à des juridictions d’exception (comme la <a href="https://www.cairn.info/revue-deliberee-2017-2-page-36.htm">Cour de sûreté de l’État durant la guerre d’Algérie</a>) mobilisées contre les « ennemis de l’intérieur », offrant à l’accusation des outils extraordinaires tels les gardes à vue prolongées (dans la lutte antiterroriste) et de procédures militaires. Magistrats aux ordres du garde des Sceaux, débats contradictoires tronqués et condamnations pour l’exemple <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691649436/political-justice">en sont les marques</a> dans les régimes autoritaires et même parfois en régime démocratique.</p>
<p>Sur la longue durée, historiens et juristes ont plutôt <a href="https://afhj.fr/le-proces-politique/">interrogé</a> cette première forme de politisation de la justice. Toutefois, si le procès politique appartient à l’arsenal répressif d’un régime, l’opposition peut retourner à son profit la procédure, si ce n’est au tribunal, du moins dans l’opinion en médiatisant l’événement. L’affaire politico-judiciaire devient alors un espace alternatif pour faire de la politique en dehors du cadre institutionnel. Ainsi en 1863, le procès des Treize fédère les défenseurs des « libertés nécessaires » contre le Second Empire. Les procès politiques peuvent donc devenir une véritable opportunité qui permet à une opposition de retourner le stigmate, de catalyser ses forces et de se structurer sur le long terme.</p>
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<figcaption><span class="caption">« 1972 : Gisèle Halimi défend l’avortement » (Archive INA).</span></figcaption>
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<p>Dans l’affaire des emplois fictifs, les attitudes des partis varient non seulement selon leur rapport aux institutions, mais aussi en fonction de leur stratégie.</p>
<h2>Au pouvoir ou dans l’opposition : des stratégies à géométrie variable</h2>
<p>François Bayrou, leader de l’un des partis alliés de la coalition au pouvoir depuis 2017, a incarné la posture du <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1122374-abus-de-pouvoir-francois-bayrou-plon">défenseur de l’État de droit</a> face aux atteintes et dérives de la présidence de Nicolas Sarkozy. Aussi, ne peut-il emprunter la posture outragée de la victime d’un procès politique pour dénoncer un quelconque acharnement d’une justice qui lui serait idéologiquement hostile. <a href="https://www.france24.com/fr/france/20231106-de-bayrou-%C3%A0-dupond-moretti-pour-un-ministre-en-proc%C3%A8s-d%C3%A9missionner-n-est-plus-d-actualit%C3%A9">Garde des Sceaux démissionnaire</a> en raison d’une enquête préliminaire qui mènera à sa mise en examen dans l’affaire des emplois fictifs du MoDem au Parlement européen, il a choisi de répondre aux éléments du dossier point par point, davantage en législateur expérimenté qu’en dirigeant d’une formation politique.</p>
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<p>Tout à l’inverse, <a href="https://theconversation.com/jean-luc-melenchon-larme-du-charisme-en-politique-159379">Jean-Luc Mélenchon</a> a théorisé pour la Vᵉ République une justice à charge contre les opposants politiques, en s’appuyant sur des précédents historiques et des exemples étrangers. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/09/18/en-parallele-de-son-proces-jean-luc-melenchon-delivre-ses-verites_5511905_823448.html">Assimilant la France aux systèmes illibéraux</a>, voire dictatoriaux, le leader de La France insoumise dénonce, derrière une médiatisation à charge par les organes proches du pouvoir, une tentative de le discréditer et de le faire taire. La vigueur de ses réactions est renforcée par une perquisition qui <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2019/12/09/perquisition-houleuse-a-lfi-jean-luc-melenchon-et-ses-proches-fixes-sur-leur-sort-lundi_6022145_1653578.html">éclaire</a> l’interpénétration de sa vie privée et du financement de sa communication politique. La personnalisation grandiloquente - « la République, c’est moi ! » - vise à renouer avec les grandes heures des combats pour les libertés parlementaires – du Léon Gambetta sous le Second Empire à Léon Blum au procès de Riom -, en rappelant que la tradition républicaine française réserve la souveraineté populaire au Parlement.</p>
<p>Quelques jours avant <a href="https://www.leparisien.fr/politique/jean-luc-melenchon-condamne-a-trois-mois-de-prison-avec-sursis-pour-rebellion-et-provocation-09-12-2019-8212674.php">la condamnation</a> du leader de LFI par le tribunal correctionnel de Bobigny pour « actes d’intimidation envers l’autorité judiciaire, rébellion et provocation », l’ancien candidat à la présidentielle et ses soutiens avaient dénoncé un procès politique. Dans une tribune intitulée « <a href="https://www.lejdd.fr/International/tribune-melenchon-lula-iglesias-appellent-a-la-fin-des-proces-politiques-3918341">Le temps des procès politiques doit cesser</a> », publiée le 15 septembre dans le <em>Journal du Dimanche</em>, plus de 200 personnalités, parmi lesquelles Jean-Luc Mélenchon lui-même, le brésilien Lula, l’équatorien Rafael Correa ou encore l’espagnol Pablo Iglesias, mettaient en garde contre le recours croissant à la « tactique du lawfare », c’est-à-dire « une instrumentalisation de la justice pour éliminer des concurrents politiques ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1170932343512555520"}"></div></p>
<p>Quelques jours plus tard, le leader des insoumis faisait paraître <a href="https://www.label-emmaus.co/fr/9782259282987-et-ainsi-de-suite-un-proces-politique-en-france/"><em>Et ainsi de suite… Un procès politique en France</em></a>, dans lequel il dénonçait une justice politique aux ordres de l’exécutif avec la complicité des médias :</p>
<blockquote>
<p>« Le <em>lawfare</em> est une guerre judiciaire, médiatique et psychologique. La leçon des expériences montre qu’on ne peut rien négocier, rien stopper. Il ne faut jamais renoncer à mener cette bataille comme une bataille politique, un rapport de force. Jusqu’à ce que la réputation de l’adversaire devienne aussi discutée que celle de l’accusé sans preuve » [p. 179].</p>
</blockquote>
<p>Quant à l’extrême droite, longtemps habituée à dénoncer, elle aussi, l’hostilité de la justice à son égard, le passage du Front au Rassemblement national vient percuter cette instrumentalisation des procédures judiciaires.</p>
<p>Si Jean-Marie Le Pen ne pouvait que se satisfaire de ses condamnations à répétition, qui venaient renforcer sa marginalité face à « l’establishment » et sa posture de tribun de la plèbe contre les élites coalisées, la normalisation et <a href="https://theconversation.com/de-limpensable-au-possible-comment-le-rn-sest-insere-dans-la-societe-francaise-216651">la dédiabolisation du Rassemblement</a> de Marine Le Pen rendent complexe la posture victimaire. <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/20/pourquoi-le-rassemblement-national-est-en-voie-de-normalisation_6211950_823448.html">L’institutionnalisation du RN</a> à l’Assemblée nationale depuis 2022 (vice-présidences et respect des codes parlementaires) apparaîtrait incohérente avec la dénonciation véhémente d’une justice politique et incompatible avec l’aspiration à devenir un parti de gouvernement apte à être admis au sein d’une coalition.</p>
<p>Le RN apparaît en conséquence à la croisée des chemins à l’occasion de cette affaire judiciaire : s’il renoue avec son héritage de mouvement hostile aux institutions politiques et judiciaires, il risque de mettre à bas une décennie d’efforts pour s’intégrer au système. À cette aune, le prochain procès sur les emplois fictifs constituera un test important sur la pérennité de la stratégie de notabilisation et de respectabilité du RN.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221228/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les procès dits « politiques » sont ceux où la justice est instrumentalisée, par certains gouvernements, mais aussi des accusés qui politisent certains procès en les médiatisant.Pierre Allorant, Professeur d’Histoire du droit et des institutions, Université d’OrléansNoëlline Castagnez, Professeur d'Histoire politique contemporaine, Université d’OrléansWalter Badier, Maître de conférences en histoire contemporaine, Université d’OrléansLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2214512024-01-29T15:49:25Z2024-01-29T15:49:25ZLe rétrécissement de l’imaginaire politique<p>La composition du gouvernement Attal a suscité chez les éditorialistes des interrogations sur un déficit de « poids lourds » dans le vivier des ministrables, propos qui fait écho à ce qui est perçu comme un manque de figures qui « impriment » véritablement chez les Républicains et à la difficile relève des présidentiables au sein de la France insoumise. Les élus seraient-ils moins talentueux qu’hier ?</p>
<p>Évitons la nostalgie d’un imaginaire âge d’or. Une approche plus sociologique des doutes qui visent de façon croissante les professionnels de la politique pourrait nous aider à questionner certaines perceptions. Cette perception notamment que les hommes et les femmes engagés en politique disposent d’une capacité d’innovation anesthésiée et produisent plus d’effets d’annonce que de changements</p>
<h2>Un rétrécissement social</h2>
<p>Le recrutement du personnel politique n’a jamais été le décalque de la diversité sociale. Il y a aujourd’hui aux échelons ministériel et parlementaire un remarquable élitisme. Agriculteurs et artisans-commerçants, ouvriers et employés représentaient moins de 7 % des députés élus en 2012 pour 57 % de cadres et professions intellectuelles supérieures et 16 % de collaborateurs d’élus. Ce dernier chiffre est important. La biographie de candidats à la présidentielle pouvait rendre visible que certains d’entre eux comme <a href="https://www.europe1.fr/politique/en-dehors-de-la-politique-quont-fait-les-candidats-a-la-presidentielle-3009467">François Fillon ou Benoît Hamon</a> n’avaient jamais exercé de métier hors de la politique ou d’activités liées.</p>
<p><iframe id="oHq5I" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/oHq5I/7/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Mais, comme l’a montré un renouveau des travaux de <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/metier-depute/">sociologie des élus</a>, le poids croissant de trajectoires marquées par l’insertion dès la fin des études dans le périmètre des métiers liés à la politique – collaborateurs d’élus, membre de cabinets ministériels – révèle une dynamique de clôture. Les travaux de l’équipe stéphanoise du <a href="https://www.centre-max-weber.fr/Presentation">Centre de recherches et d’études sociologiques appliquées de la Loire (CRESAL)</a> invitent à relier cela aux liens défaits entre mondes associatifs et partisans.</p>
<p>Jusqu’aux années 1980, de multiples connexions reliaient partis et tissus associatifs chrétien, laïc ou communiste. Mais l’<a href="https://www.cairn.info/la-fin-des-militants--9782708232822.htm">affaiblissement de ces réseaux</a> a restreint les lieux de recrutement. On peut penser à la fonction de vivier de militants remplie hier par les mouvements de jeunesse chrétiens (<a href="https://www.erudit.org/fr/revues/recma/2015-n338-recma02157/1033879ar/">JEC</a>, <a href="https://books.openedition.org/psorbonne/60437">JOC</a>, <a href="https://www.cairn.info/revue-paysan-et-societe-2020-2-page-21.htm">JAC</a>) et au rôle des <a href="https://www.fdal.fr/histoire-des-amicales-laiques/">Amicales Laïques</a>.</p>
<p>Cela s’est accompagné d’une graduelle <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-mouvements-sociaux--9782707169358-page-70.htm">dépréciation de la figure du militant</a>, moins identifié au don de soi et à l’adhésion à des idéaux que perçu comme dogmatique, naïf ou suspect de « trop » croire quand la réussite en politique supposerait de s’adapter promptement à ce que seraient tendances de l’opinion et exigences de la communication.</p>
<p>Le financement public des partis fait d’ailleurs que les cotisations et l’énergie des militants sont moins nécessaires puisqu’on peut faire campagne en rémunérant des spécialistes pour organiser une campagne en ligne ou un prestataire pour de l’affichage.</p>
<p>Il est devenu banal d’être sollicité dans une rue piétonne par des militants d’organisations écologistes ou caritatives : que veulent-ils ? Une signature et un relevé d’identité bancaire qui ajoutera aux effectifs une adhérente. Celle-ci ne risque guère de jamais contrarier la hiérarchie, puisque sa seule action sera de verser quelques euros chaque mois. La perception du parti comme tremplin à carrières, vidé de sociabilités chaleureuses a ainsi provoqué depuis les années Mitterrand <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2022-5-page-867.htm">l’exode des militants ouvriers et populaires</a> au Parti socialiste.</p>
<p>Exit alors ce que le vocabulaire politique américain nomme « grass-rooted party », un parti enraciné dans le monde social ordinaire. Faut-il être ouvrier ou infirmier pour concevoir de bonnes politiques sociales ou sanitaires ? Pas forcément. Mais l’absence d’expérience sensible et le confinement dans un entre-soi élitiste, n’y aident pas et ne facilitent pas l’empathie qui est une ressource en politique. C’est ainsi que se bâtit un « bestiaire » social peuplé de <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/people/la-polemique-sur-les-sans-dents-en-cinq-actes_691461.html">« sans-dents »</a>, de <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/2017/07/03/31001-20170703ARTFIG00167-les-gens-qui-reussissent-et-les-gens-qui-ne-sont-rien-ce-que-revele-la-petite-phrase-de-macron.php">« gens qui ne sont rien »</a> ou – selon le mot de Benjamin Griveaux – <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/pour-griveaux-wauquiez-est-le-candidat-des-gars-qui-fument-des-clopes-et-qui-roulent-au-diesel-3788789">« de gars qui fument des clopes et roulent au diesel »</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les députés nous ressemblent-ils ? France Culture, octobre 2021.</span></figcaption>
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<h2>Rétrécissements idéologiques et intellectuels</h2>
<p>La vivacité des débats à l’Assemblée nationale depuis 2017 a fait parler de <a href="https://www.cairn.info/revue-commentaire-2020-1-page-215.htm">repolarisation</a>. Mais la tendance première ne demeure-t-elle pas à un rétrécissement de l’espace des politiques pensables ? Les élus aux trajectoires et scolarités peu diverses, intérioriseraient que la politique, soumise aux lois d’airain d’une économie mondialisée, n’aurait que de modestes marges ?</p>
<p>Max Weber dans son texte fameux sur <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1960_num_15_1_421754_t1_0180_0000_3">« La vocation d’homme politique »</a> évoquait la « passion » d’un « objet à réaliser » comme sens du politique. Dans les faits, la modeste taille des « objets » réalisés déçoit les électeurs et les éloigne des partis politiques dits « de gouvernement ». Elle nourrit le désenchantement démocratique qu’exprime l’abstention. Elle donne une force d’attraction a ceux qui promettent d’en finir avec la « caste », ou les « élites mondialistes », force redoublée par les stratégies demi-habiles qui entendent exorciser le danger d’extrême droite en s’emparant de son lexique, puis de ses projets.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-rn-est-il-devenu-un-parti-comme-les-autres-201690">Le RN est-il devenu un parti comme les autres ?</a>
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<p>Rétrécissement culturel et intellectuel enfin : non que les responsables politiques soient sans culture, mais parce que leur rapport à la culture a évolué. Leur savoir est aujourd’hui plus lié à la gestion, aux technologies de gouvernance <a href="https://www.lefigaro.fr/culture/2014/10/28/03004-20141028ARTFIG00244-modiano-fleur-pellerin-fait-honte-a-la-france.php">qu’aux humanités</a> et plus encore aux sciences sociales.</p>
<p>Les politiques lisent… jusqu’à être accablés des piles de dossiers techniques, de « notes » remarquablement synthétiques mais souvent produites par des collaborateurs sans expérience sensible des enjeux traités, dans l’illusion que quelques pages peuvent donner diagnostic et solutions.</p>
<p>L’énorme masse d’enquêtes et d’analyses issues des sciences sociales qui pourrait donner, non pas les solutions, mais une intelligence fine des chaînes causales et d’autres conceptualisations des enjeux leur est fort peu familière. Selon une source au sein de la communauté universitaire, après les tueries de <em>Charlie Hebdo</em> et de l’Hyper Cacher en 2015, la ministre des universités s’était alarmée d’un déficit de recherches sur l’Islam et la radicalisation. La direction du CNRS lui a aussitôt fourni une importante bibliographie de travaux universitaires financés par ses services, mais jamais lus par les décideurs, plus attentifs aux diagnostics simples d’experts médiatiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/troubles-psy-et-radicalisation-quelques-enseignements-du-centre-de-deradicalisation-de-pontourny-158841">Troubles psy et radicalisation : quelques enseignements du centre de déradicalisation de Pontourny</a>
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<h2>Nez collés dans le présentisme</h2>
<p>Être un professionnel de la politique aujourd’hui c’est aussi être immergé dans un monde marqué par l’urgence, le conflit et le stress. Le sentiment d’« en être », de décider et régir peut-être gratifiant. Il se paie cher. Même en supposant un peu de complaisance dans leurs récits, des élus rédigeant leurs mémoires ont su <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio/Jours-de-pouvoir">rendre sensibles ces rythmes épuisants</a>, ces constantes tensions et des films comme « L’exercice de l’état » lui donnait chair.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’exercice de l’État.</span></figcaption>
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<p>Des travaux récents sur les emplois du temps d’élus objectivent ces vies colonisées par des <a href="https://books.openedition.org/pur/72302">déplacements, rituels, dossiers et réunions</a>, par la contrainte de manifester qu’on agit, ou du moins d’en produire les signes. À des niveaux élevés de responsabilité, la vie politique est aussi un univers d’une intense conflictualité, marqué par la contrainte d’anticiper les menaces, de surveiller ennemis comme amis, de gérer les gaffes ou les « affaires », de surveiller et d’entretenir sa popularité sondagière.</p>
<p>La présence en France de quatre chaînes d’information en continu, sans cesse en quête de ce qui fera événement à peu de frais en fait de redoutées machines à ériger en fait du jour une bourde, à feuilletoner une affaire un peu consistante. Voilà qui oblige en retour les élus à dédier un fort budget-temps à une activité de déminage que Jéremie Nollet appelle un <a href="https://journals.openedition.org/lectures/16279">« travail politique orienté vers les médias »</a>, dans lesquels il faut désormais inclure les réseaux sociaux.</p>
<p>Si tout cela invalide le cliché de fonctions politiques qui ne seraient que prébende et privilèges pour des élus peu assidus, en ressort aussi la question de ce que Bourdieu appelait la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/meditations-pascaliennes-pierre-bourdieu/9782020320023">Skholé</a>, ce temps sinon libre, du moins apaisé et disponible qui permet d’observer et d’enquêter, d’écouter et de réfléchir. Il n’est pas excessif de suggérer qu’il est pour le moins rare, d’autant plus inaccessible qu’on est aux affaires. Or une politique démocratique attentive à l’état de la société, des décisions innovantes et acceptables supposeraient ces moments de recul.</p>
<h2>Gulliver entravé</h2>
<p>Saisir les singularités de l’activité politique aujourd’hui c’est encore penser les gouvernants comme Gulliver, le personnage de Jonathan Swift, si ce n’est que les multiples fils et câbles d’interdépendances qui contraignent les décideurs ne sont plus le fait de minuscules lilliputiens.</p>
<p>Gouverner en 2024, c’est agir à l’ombre et sous la contrainte d’institutions supranationales (Union européenne, OMC, BCE). C’est dépendre des « marchés » pour des politiques économiques ou énergétiques, se confronter à la puissance d’acteurs économiques capables de peser sur le contenu des législations (industries de l’agrochimie concernant le glyphosate par exemple) ou de les contourner comme l’illustre tant le rapport à l’impôt ou encore la modération des contenus <a href="https://matheo.uliege.be/bitstream/2268.2/14225/4/CARABIN%20Florine%20M%C3%A9moire%20Droit-Gestion.pdf">par les GAFAM en Europe</a>.</p>
<p>Être ministre quand la rotation sur certains postes se traduit par une <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/le-vrai-du-faux-la-duree-de-vie-d-un-ministre-est-de-18-mois_1837169.html">présence de quelques semestres</a> c’est encore être confronté à une administration plus au fait des dossiers que celui ou celle censée la diriger. Dans <a href="https://www.fayard.fr/livre/verbatim-9782213594248/"><em>Verbatim</em></a>, Jacques Attali reproduit à la date du 26 décembre 1984 une notation accablée du président Mitterrand sur un ministre visiblement « parlé » par sa direction du Trésor : « Je refuse de croire que Pierre Bérégovoy a rédigé lui-même cette lettre qu’il a signé »</p>
<p>Mieux valait – et pas seulement en politique ! – commencer par se demander en quoi institutions et mécanismes sociaux peuvent stériliser talents et engagements, clore le pensable. Mais comprendre ce qui rétrécit l’imaginaire et l’action c’est aussi discerner des leviers de changement : déprofessionnaliser la politique, faire des travaux scientifiques un vrai aliment de la délibération politique, ouvrir les fenêtres vers des citoyens <a href="https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/">plus réflexifs qu’on ne le croit</a> et explorer – <a href="https://www.youtube.com/watch?v=d7rjqyI2KGs">comme y invite l’économiste Julia Cagé</a> – des mécanismes qui diversifient le recrutement social des élus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221451/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erik Neveu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Entre absence de grandes figures et rétrécissement du possible, quelles sont les raisons du désenchantement de la politique ?Erik Neveu, Sociologue, Université de Rennes 1 - Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212512024-01-23T16:36:18Z2024-01-23T16:36:18ZÉlections européennes : les stratégies complexes des partis italiens<p>Les élections européennes revêtent en Italie, comme dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne, une double signification. Elles représentent tout d’abord un jalon dans la vie politique interne, une échéance qui permet aux partis d’enregistrer leur niveau de popularité auprès des citoyens et d’en tirer les conclusions en termes de stratégie électorale ultérieure. Elles permettent ensuite la constitution des différents <a href="https://www.europarl.europa.eu/about-parliament/fr/organisation-and-rules/organisation/political-groups">groupes parlementaires européens</a> et débouchent sur la formation de la nouvelle législature de l’assemblée parlementaire strasbourgeoise, avec une influence directe sur la constitution de la future Commission européenne (celle-ci doit <a href="https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/leadership/elections-and-appointments_fr">obtenir le vote de confiance du Parlement européen</a> pour pouvoir entrer en fonction au début de son mandat).</p>
<p>En Italie, dans l’actuelle phase de pré-campagne électorale, ce sont les enjeux internes qui priment. Chaque formation est à la recherche de la tête de liste optimale afin de réaliser la meilleure performance électorale possible, gage d’une affirmation de son pouvoir à l’intérieur du pays. La coalition de droite, emmenée par la cheffe du gouvernement <a href="https://theconversation.com/fr/topics/giorgia-meloni-124819">Giorgia Meloni</a>, entend marquer la solidité de son assise alors qu’à gauche la secrétaire du Parti démocrate, <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/europ%C3%A9en-de-la-semaine/20230729-elly-schlein-l-anti-meloni-et-nouvelle-figure-de-la-gauche-italienne">Elly Schlein</a>, veut réaliser un bon score de façon à conserver sa légitimité à la tête du principal parti d’opposition pour garder la possibilité de fédérer le camp de la gauche lors des échéances futures.</p>
<h2>Calculs domestiques à droite…</h2>
<p>Le premier débat est celui relatif aux têtes de liste. Giorgia Meloni et Elly Schlein sont tentées de prendre la tête de leurs listes respectives pour les élections européennes. Si toutes deux sont convaincues de pouvoir être des locomotives efficaces pour les résultats électorats de leur formation, il s’agit également, pour l’une comme pour l’autre, de conserver le leadership au sein de leur camp.</p>
<p>Les <a href="https://www.politico.eu/europe-poll-of-polls/italy/">sondages sont actuellement très favorables à Giorgia Meloni</a> et à son parti « Fratelli d’Italia », qui récolte presque 30 % d’intentions de vote dans les enquêtes pré-électorales. Giorgia Meloni semble bénéficier d’un état de grâce après plus d’une année passée à la tête de l’exécutif italien. Cette popularité personnelle, mais aussi une <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/italie/italie-apres-15-mois-au-pouvoir-giorgia-meloni-a-imprime-sa-marque_6281874.html">pratique plutôt individuelle du pouvoir</a>, la pousse à vouloir incarner l’offre politique de son parti dans le cadre des élections européennes, ce qui réaffirmerait également son statut de cheffe de parti. Il faut également relever qu’au sein de la droite italienne on a longtemps vu Silvio Berlusconi jouer la personnalisation de son camp politique en se présentant de façon systématique comme tête de liste lors des différentes élections.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747549199518871936"}"></div></p>
<p>Mais déjà apparaissent des contre-feux face à ces désirs de primauté. À droite, une victoire trop écrasante du parti de Giorgia Meloni ferait de l’ombre aux deux autres formations qui composent la coalition actuellement au pouvoir : Forza Italia et la Lega.</p>
<p>Forza Italia a du mal à survivre à la <a href="https://theconversation.com/italie-silvio-berlusconi-ou-la-revolution-liberale-qui-na-jamais-eu-lieu-207848">disparition de Silvio Berlusconi</a>, qui a toujours représenté la figure tutélaire de ce parti. L’actuel secrétaire de ce mouvement politique, Antonio Tajani, qui est également le ministre des Affaires étrangères de l’actuel gouvernement, est un modéré qui n’a pas le charisme de Berlusconi.</p>
<p>Aussi peut-on déjà observer une érosion électorale qui pourrait même prendre un aspect de véritable débâcle si ce parti (qui avait obtenu 8,78 % des suffrages aux européennes de 2019) passait sous la barre des 6 %. Forza Italia a longtemps été le pivot des coalitions de droite en Italie, une fonction qui s’exprimait dans les résultats mais aussi dans l’ancrage de modération qu’offrait cette formation, membre, au Parlement européen, du Parti populaire européen, qui regroupe les partis de droite dits traditionnels.</p>
<p>De plus, Forza Italia a toujours exprimé les intérêts des milieux entrepreneuriaux italiens, ne serait-ce que par l’influence importante de la famille Berlusconi en son sein. La réduction de cette formation de centre droit à une portion congrue ne représente pas un objectif politique pour Giorgia Meloni et les siens, car cela risquerait de déséquilibrer la coalition au pouvoir, mais aussi de susciter l’inimitié avec des centres de pouvoirs externes (le groupe de médias Mediaset, qui possède notamment trois chaînes de télévision et appartient à la famille Berlusconi).</p>
<p>Une autre évolution majeure au sein de la droite italienne concerne la Lega, qui semble engagée dans un cycle particulièrement négatif. Alors qu’aux élections européennes de 2019 elle caracolait en tête avec plus de 33 % des suffrages exprimés, elle se situe aujourd’hui autour de 9 % dans les enquêtes d’opinion, ce qui correspond d’ailleurs au niveau obtenu lors des dernières législatives, en 2022. La pente descendante des votes pour la Lega et Forza Italia crée également les termes d’une compétition entre les deux formations qui semblent inexorablement tirées vers le bas dans l’actuel cycle électoral.</p>
<p>La Lega et son leader, Matteo Salvini, ne veulent pas céder du terrain, si bien que la Lega apparait comme le principal compétiteur de Fratelli d’Italia, en cherchant sans relâche à déborder le parti de Giorgia Meloni sur sa droite. Il pourrait donc être paradoxalement contre-productif pour Meloni de devancer très nettement, en juin prochain, ses deux partenaires de coalition : ceux-ci pourraient dès lors être tentés de remettre en cause la viabilité de la majorité parlementaire actuelle. On pourrait penser que Giorgia Meloni serait attirée par une prise de pouvoir hégémonique ; mais le régime parlementaire italien rend assez improbable la possibilité de gouverner avec un seul parti. Il convient donc d’être attentif aux équilibres de la coalition au pouvoir.</p>
<h2>… et à gauche</h2>
<p>Ce questionnement à droite n’est pas sans conséquences sur le camp de gauche. Elly Schlein voudrait elle aussi se présenter comme tête de liste pour affirmer sa primauté sur le Parti démocrate. Cependant, des voix internes comme celles de Romano Prodi ou Enrico Letta lui conseillent de faire un pas de côté pour éviter l’opération politicienne qui consisterait à s’imposer en tête de liste pour démissionner aussitôt élue, car il semble peu probable qu’Elly Schlein choisisse d’aller siéger à Strasbourg.</p>
<p>Cette volonté de transparence exprimée par certains leaders du parti peut représenter un piège politique visant à affaiblir Schlein : si la liste du Parti démocrate obtient un score relativement médiocre, en dessous des 20 %, alors son leadership sur le parti pourrait être remis en question au bénéfice d’autres figures qui peuvent apparaître comme d’éventuels recours à gauche, comme l’actuel Commissaire européen Paolo Gentiloni.</p>
<p>Enfin, il est probable qu’Elly Schlein ne prendra sa décision qu’une fois celle de Giorgia Meloni connue, car elle voudra éviter un mano à mano avec la cheffe du gouvernement face à laquelle, dans la conjoncture actuelle, elle ferait pâle figure.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1746055296609300679"}"></div></p>
<p>Ici encore, il s’agit pour Elly Schlein de conserver la possibilité de fédérer un camp de « gauche élargie » dans une coalition capable de remporter des élections locales et nationales, en stabilisant des accords avec le Mouvement 5 Etoiles (M5S) et des formations centristes, comme « Plus d’Europe ». Cette stratégie ne peut réussir que si le Parti démocrate apparaît comme capable d’exercer l’hégémonie sur la coalition, et donc de se situer nettement au-dessus d’un M5S qui pointe à 16 % dans les sondages.</p>
<p>Il faut également relever l’actuelle marginalisation des formations du centre. Alors qu’aux dernières élections législatives Carlo Calenda et Matteo Renzi s’étaient alliés dans un groupe « Azione-Italia Viva » pour arriver à un résultat de 7,8 %, cet accord a volé en éclats et ces deux personnalités politiques ont maintenant des destins séparés. Matteo Renzi a annoncé sa candidature comme tête de liste du parti Italia Viva aux élections européennes, en espérant dépasser le seuil minimal de 4 % des votes exprimés, nécessaires pour obtenir des élus dans la loi italienne.La mésentente entre Carlo Calenda et Matteo Renzi fait peser une hypothèque sur la participation italienne au groupe Renew, un point plutôt négatif pour la formation d’Emmanuel Macron, Renaissance.</p>
<p>Par ailleurs, à gauche, on ne constate dans la phase actuelle que très peu d’espace pour d’autres sensibilités : lors des dernières législatives la liste d’alliance gauche-verte n’a enregistré que 3,6 % des suffrages, ce qui illustre le caractère étriqué du « camp de gauche » qu’Elly Schlein appelle de ses vœux.</p>
<h2>Meloni et Salvini, deux positionnements différents au Parlement européen</h2>
<p>Au-delà de ces questions essentielles pour l’avenir du panorama politique interne, il convient également de poser des questionnements sur les conséquences européennes de ce cadre électoral italien.</p>
<p>Lors de la campagne pour les européennes de 2019, le leader de la Lega Matteo Salvini, à l’époque ministre de l’Intérieur, se distinguait par son positionnement populiste et souverainiste. Ce faisant il mettait l’accent sur la défense d’une « Europe des peuples » qu’il opposait à l’Europe technocratique incarnée en particulier par le président français Emmanuel Macron. Une posture efficace : la Lega dépassait les 30 % et obtenait 25 députés au Parlement européen. Toutefois, l’influence du parti à Strasbourg s’est révélée limitée puisque ses députés siègent au sein du groupe <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/les-groupes-du-parlement-europeen-identite-et-democratie-id/">Identité et Démocratie</a> (ID) (en compagnie notamment des 18 élus du RN français) : or ID est resté en dehors des coalitions et n’a donc que marginalement pesé sur les débats.</p>
<p>En 2024, le scénario est différent. La Lega <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/12/03/italie-matteo-salvini-recoit-ses-allies-europeens-a-florence-dont-jordan-bardella-mais-sans-marine-le-pen_6203697_3210.html">continue d’afficher son compagnonnage avec le RN</a>, ce qui lui procurera certainement une position ancillaire au sein du futur groupe européen ID, puisque cette fois, elle obtiendra sans doute moins de députés que le RN et que, en outre, ID devrait s’élargir à davantage de formations. Cela ne devrait pas changer le relatif isolement de ce groupe au sein du Parlement européen mais cela entraînera probablement la nécessité d’élargir la coalition majoritaire au Parlement européen, face à la croissance de ce vote « hors majorité ».</p>
<p>L’affirmation du parti Fratelli d’Italia représente une variable dans le jeu politique européen. À Strasbourg, Fratelli d’Italia appartient au groupe des Conservateurs et Réformistes européens (ECR), où elle siège aux côtés de formations comme le Pis (Pologne) ou Vox (Espagne). Au cours de sa première année à la tête du gouvernement italien, Giorgia Meloni a opté pour une posture constructive au niveau européen, loin des rodomontades de Matteo Salvini. Les rencontres avec la présidente de la Commission, <a href="https://www.europe1.fr/international/lampedusa-giorgia-meloni-et-ursula-von-der-leyen-appellent-a-la-solidarite-des-europeens-4204076">Ursula von der Leyen</a>, mais aussi avec celle du Parlement européen, <a href="https://www.governo.it/en/articolo/president-meloni-meets-president-european-parliament-metsola/24518">Roberta Metsola</a>, ont confirmé cette tendance.</p>
<p>Giorgia Meloni apparait donc comme œuvrant à une probable stratégie de convergence avec la prochaine majorité de soutien à la Commission européenne, qui devrait graviter autour du PPE. Même si le groupe ECR n’en fait pas partie de manière organique, des compromis pointent déjà, ce qui devrait aboutir à une forme de « soutien externe » de la part des députés européens de Fratelli d’Italia à la future Commission. De plus, Giorgia Meloni pourrait être conduite à exercer un rôle de médiation avec Viktor Orban dans le contexte délicat de la présidence hongroise de l’Union qui débutera en juillet 2024.</p>
<p>Au sein de la coalition de droite italienne passe donc une ligne de démarcation entre populaires (Forza Italia) et conservateurs (Fratelli d’Italia) d’un côté, et Lega de l’autre, ancrée dans le groupe Identité et Démocratie.</p>
<p>Le positionnement politique de Giorgia Meloni peut lui permettre de jouer un rôle plutôt actif d’appui à la future coalition qui dominera le Parlement européen, sans toutefois en être un membre officiel, tout au moins pour le moment. Il s’agit d’une situation fragile car elle dépend du maintien de la coalition au pouvoir en Italie, <a href="https://theconversation.com/la-politique-italienne-est-elle-vraiment-atteinte-dinstabilite-chronique-187812">jamais certain</a>. Et elle caractérise une Italie qui reste à la marge du jeu européen. Il faut cependant relever combien cette situation apparaît comme en évolution par rapport aux précédentes élections de 2019 : cette fois, l’Italie se rapproche du barycentre européen.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221251/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Darnis a reçu des financements de recherche d'organismes publics (Académie d'excellence Université Côte d'Azur) ainsi que différents financements de recherche dans le cadre de projects financés par la Commission Européen (Horizon)</span></em></p>La droite au pouvoir et l’opposition de gauche s’interrogent encore sur la stratégie à adopter en vue des élections de juin prochain.Jean-Pierre Darnis, Professeur des Universités, directeur du master en relations franco-italiennes, Université Côte d'Azur, Chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS, Paris), professeur invité à l'université LUISS de Rome, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2213672024-01-21T14:41:55Z2024-01-21T14:41:55Z« Emmanuel Macron préfère se passer des journalistes dès qu’il le peut »<p><em>La conférence de presse d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, a fait l’objet de nombreuses remarques, à la fois sur la forme – deux heures et quart face à son auditoire – mais aussi le fond. Au-delà des axes politiques et des choix ministériels défendus, l’historien des médias Alexis Lévrier (CRIMEL-Université de Reims/GRIPIC-Sorbonne Université) qui a notamment publié l’ouvrage <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">« Jupiter et Mercure. Le pouvoir présidentiel face à la presse »</a> (2021) revient sur ce que ce moment dit du rapport très ambivalent que le chef de l’état entretient avec les médias, et ce que cela révèle aussi de la V<sup>e</sup> République.</em></p>
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<p><strong>La conférence de presse du 16 janvier 2024 marque-t-elle une étape nouvelle dans l’histoire des rapports entre <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">Emmanuel Macron et la presse</a> ?</strong></p>
<p>Il faut d’abord rappeler que le chef de l’État n’aime pas particulièrement cet exercice : il a donné très peu de grandes conférences de presse depuis son élection, alors même qu’il s’agissait d’un rituel prisé par les présidents de la République depuis le général de Gaulle. De la même manière, Emmanuel Macron a eu tendance à plusieurs reprises à se passer des vœux à la presse, autre tradition qui suppose la rencontre entre le président et les journalistes. L’an dernier, il a par exemple remplacé au dernier moment ce cérémonial par un échange en « off » avec une <a href="https://larevuedesmedias.ina.fr/v%C5%93ux-president-macron-presse-rituel-off-annulation-2023">dizaine d’éditorialistes choisis</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-resilience-du-journalisme-face-au-pouvoir-jupiterien-160264">La résilience du journalisme face au pouvoir « jupitérien »</a>
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<p>Il a malgré tout donné quelques conférences de presse au cours de son premier mandat, par exemple en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=h36VYBX5lD4">2021 au moment de la présidence française de l’Union européenne</a>, ou en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=s_0VbuU6XNg">mars 2022 pour lancer sa campagne pour l’élection présidentielle</a>. Auparavant, en avril 2019, un événement très similaire à celui qui vient de se tenir avait eu lieu pour clore la séquence du Grand débat national : le président s’était exprimé pendant deux heures trente devant un parterre de plusieurs centaines de journalistes, qui avaient eu la possibilité de lui poser des questions après un discours liminaire prononcé sur un <a href="https://www.dailymotion.com/video/x76lrxn">ton très solennel</a>.</p>
<p>Cette fois, le président semble avoir opté pour un format un peu plus souple et moins daté : son discours était plus court (une demi-heure contre une heure) et ses réponses plus brèves, ce qui a permis à plus d’une vingtaine de journalistes de l’interroger. La spécificité de cette intervention (et son importance pour l’Élysée) apparaît aussi dans le « teasing » qui l’a précédé : en annonçant un « rendez-vous avec la nation » dès la fin 2023, Emmanuel Macron a su créer une attente auprès de la population, encore renforcée par des <a href="https://twitter.com/EmmanuelMacron">rappels au cours des derniers jours</a> et par le choix d’un horaire en « prime time » destiné à toucher un public le plus large possible.</p>
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<figcaption><span class="caption">Conférence d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, France 24.</span></figcaption>
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<p>Malgré les quelques efforts dont témoigne cette dernière conférence de presse, il est évident que le chef de l’État est peu à l’aise dans l’exercice et privilégie d’autres moyens de s’adresser aux Français.</p>
<p>D’une manière générale, c’est un président qui préfère se passer des journalistes dès qu’il le peut. Il l’avait du reste théorisé en amont de sa première élection, comme en témoignent les propos retranscrits par Philippe Besson, qui l’a accompagné durant sa campagne de 2017. Dans son essai <a href="https://www.lepoint.fr/livres/un-personnage-de-roman-nomme-macron-07-09-2017-2155117_37.php"><em>Un personnage de roman</em></a>, le romancier rapporte ainsi les jugements sévères tenus par Emmanuel Macron sur cette profession : le futur Président aurait même déclaré que beaucoup de journalistes « sont à la déontologie ce que mère Teresa était aux stups ».</p>
<p>Il en aurait tiré l’idée que cette corporation doit être contournée autant que possible pour s’adresser aux Français : « Il faut tenir les journalistes à distance […], trouver une présence directe, désintermédiée au peuple » (<em>Un Personnage de roman</em>, Julliard, 2017, p. 105).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=983&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570088/original/file-20240118-25-r0m0vm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1235&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>Un personnage de roman</em>, Philippe Besson, 2017 (collection 10-18).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.fnac.com/a11269087/Philippe-Besson-Un-personnage-de-roman">Fnac</a></span>
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<p>Ce rêve d’une « désintermédiation » est illusoire, puisqu’un responsable politique a de toute façon besoin d’utiliser des médias pour communiquer. Mais Emmanuel Macron a tendance à le faire sans journalistes, par le biais d’allocutions solennelles face caméra (au moment de la crise sanitaire notamment) ou en recourant aux réseaux sociaux.</p>
<p>Cette méfiance à l’égard de la presse constitue évidemment une rupture spectaculaire avec le modèle incarné par François Hollande : <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/non-classe/francois-hollande-le-president-qui-voulait-etre-normal-60381">« le président normal »</a> ouvrait constamment les portes de l’Élysée aux journalistes et n’a cessé de communiquer avec eux pendant son mandat.</p>
<p>À l’inverse, Emmanuel Macron a revendiqué dans deux entretiens programmatiques – <a href="https://le1hebdo.fr/journal/macron-un-philosophe-en-politique/64/article/j-ai-rencontr-paul-ricoeur-qui-m-a-rduqu-sur-le-plan-philosophique-1067.html">dans <em>Le 1</em> en 2015</a> puis dans <a href="https://www.challenges.fr/election-presidentielle-2017/interview-exclusive-d-emmanuel-macron-je-ne-crois-pas-au-president-normal_432886"><em>Challenges</em> en 2016</a>- sa volonté de renouer avec une verticalité dans l’exercice du pouvoir. Plus encore que l’exemple gaullien, souvent cité, il a suivi les leçons du communicant de François Mitterrand, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_Pilhan">Jacques Pilhan</a>, qui a théorisé la notion de président « jupitérien » : il a voulu une parole arythmique, maîtrisée, en choisissant ses propres moments et ses propres formats pour intervenir dans l’espace médiatique. Cette rareté a pour vertu de créer une attente : ce 16 janvier 2024, 8 chaînes de télévision ont par exemple diffusé en direct la conférence de presse du président.</p>
<p><strong>Comment expliquer cette méfiance à l’égard des journalistes ?</strong></p>
<p>Là aussi c’est assez particulier à Emmanuel Macron. Bien sûr il s’agit pour lui de revenir à une forme d’âge d’or de la V<sup>e</sup> République, qu’incarneraient les présidences de Gaulle et Mitterrand. Mais même ces deux prestigieux prédécesseurs ont su créer des liens de proximité et parfois d’amitié avec des journalistes. Certains de leurs successeurs sont allés beaucoup plus loin, à l’image de François Hollande donc, mais aussi de Nicolas Sarkozy, qui a cultivé des relations souvent passionnelles avec la presse.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/moi-president-e-regle-n-1-la-jouer-people-167197">« Moi, président·e » : Règle n°1, la jouer people</a>
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<p>Il me semble que l’attitude assez singulière d’Emmanuel Macron à l’égard de la presse s’explique d’abord par son parcours. Contrairement à ses prédécesseurs, il n’a jamais été élu. Or, quand vous êtes élu à l’échelle territoriale ou locale, vous devez construire une forme de compagnonnage avec la presse. Parfois cela créé des relations de connivence, ce qui pose question bien sûr. Mais au moins ce lien, cette médiation existe. Emmanuel Macron a voulu pour sa part créer une « saine distance » avec la presse, selon une formule utilisée <a href="https://video-streaming.orange.fr/actu-politique/macron-plaide-pour-une-saine-distance-entre-pouvoir-et-medias-CNT000000UVWwg.html">lors de ses premiers vœux à la presse, en 2018</a>. Le problème est que cette distance s’est souvent accompagnée d’une incompréhension, et parfois d’une forme de brutalité.</p>
<p><strong>La « saine distance » voulue par Emmanuel Macron suffit-elle à expliquer pourquoi la presse française est à ce point dépendante des interventions du président pour construire l’agenda médiatique ?</strong></p>
<p>Cette dépendance de la presse française ne date pas de l’élection d’Emmanuel Macron, bien au contraire. Elle s’explique d’abord par le fonctionnement de la V<sup>e</sup> République, qui attribue un pouvoir écrasant au président de la République. Le chef de l’État a la possibilité de fixer le rythme de ses interventions, et les grands médias se trouvent donc en situation de subordination à cette parole.</p>
<p>La situation actuelle puise même son origine dans une histoire plus ancienne encore : il existe une faiblesse culturelle de la presse française à l’égard de l’État depuis l’Ancien Régime, période durant laquelle les journaux ont été assujettis au pouvoir dans des proportions considérables. Il n’est pas anodin que les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-journalistes-en-france-1880-1950-christian-delporte/9782020235099">grandes conquêtes du journalisme</a> (de la loi de 1881 à la création de la carte de presse) aient eu lieu sous la III<sup>e</sup> République, seul régime parlementaire durable que la France ait connu. À chaque fois que la France a renoué avec un pouvoir centralisé, personnalisé et incarné, cela s’est accompagné <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/medias-politique-et-communication/252-jupiter-et-mercure-le-pouvoir-presidentiel-face-a-la-presse.html">d’une tentation de limiter la liberté de la presse</a>.</p>
<p>Avec la V<sup>e</sup> République nous sommes ainsi revenus à un système très hiérarchisé, dans lequel le pouvoir maintient une relation pyramidale avec les journalistes : au sommet les éditorialistes politiques, souvent reçus et choyés par l’Élysée, et tout en bas les journalistes de terrain, dont le travail d’enquête est pourtant indispensable à la démocratie. Avec ces éditorialistes qui vivent dans l’entre-soi avec le pouvoir, c’est l’héritage de notre culture de Cour qui persiste.</p>
<p>Dans un premier temps, Emmanuel Macron avait voulu rompre avec ces « relations poisseuses », selon une confidence <a href="https://www.albin-michel.fr/le-tueur-et-le-poete-9782226398055">rapportée par Maurice Szafran et Nicolas Domenach</a>, qui incarnent précisément cette forme de journalisme politique. Mais il aura fini par rejoindre cette tradition française si favorable au pouvoir. </p>
<p>La méfiance à l’égard du journalisme d’investigation était par exemple flagrante le 16 janvier. Alors que <em>Libération</em> et <em>Mediapart</em> ont fait paraître des enquêtes défavorables à Amélie Oudéa-Castéra au cours des jours précédents, ils ont été oubliés par les attachés de presse de l’Élysée qui ont distribué la parole tout au long de la soirée. Ainsi, alors que la question de l’école a occupé une très large partie de la conférence de presse, jamais <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/160124/affaire-oudea-castera-mediapart-publie-le-rapport-sur-stanislas-cache-par-les-ministres">l’enquête sur l’école Stanislas</a> publiée par Mediapart le jour même n’a été mentionnée.</p>
<p>La presse française a cependant une responsabilité dans cette situation, et là encore la conférence de presse du 16 janvier l’a montré de manière parfois gênante. Dans le monde anglo-saxon, il est en effet courant, lorsqu’un responsable politique esquive une question, que la même question lui soit posée par les journalistes désignés ensuite. Or, le 16 janvier, personne n’a vraiment relancé Emmanuel Macron quand le président a choisi de botter en touche, et aucun journaliste n’a choisi de reprendre à son compte les questions que ne pouvait pas poser Mediapart.</p>
<p>Certains journalistes ont bien sûr manifesté à titre individuel leur exaspération d’être ainsi privés de parole, à l’image de Paul Larrouturou.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747368669628293343"}"></div></p>
<p>Mais on aurait pu imaginer une forme de résistance collective, et elle n’a pas eu lieu. Le plus inquiétant dans la conférence de presse du 16 janvier était sans doute cette incapacité de la presse française à se penser elle-même comme un contrepouvoir face au chef de l’État.</p>
<p>**Quel bilan tirer des relations entre Emmanuel Macron et les journalistes sept ans après son arrivée au pouvoir ? Peut-on déjà considérer que sa présidence aura été marquée par un recul de la liberté de la presse ?</p>
<p>Le constat est forcément nuancé puisque ce jeune chef de l’État venu de la gauche, et qui se réclame du <a href="https://theconversation.com/lechec-du-en-meme-temps-macroniste-une-repetition-dun-phenomene-du-xix-si%C3%A8cle-204627">« progressisme »</a>, a fait l’éloge à plusieurs reprises de la fonction démocratique du journalisme. Dans ses vœux à la presse, en janvier 2022, il avait par exemple célébré le travail des journalistes et cité la formule célèbre de Zola : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0EHb0xb8Hrs">« Je suis pour et avec la presse »</a>. Il s’agissait alors de s’opposer à Éric Zemmour, qui venait de mettre en cause le rôle joué dans l’Affaire Dreyfus par l’auteur de « J’accuse ».</p>
<p>Ce président du « en même temps » semble parfaitement conscient des contradictions françaises en la matière. S’il a souvent souligné l’attachement des Français à l’héritage de l’Ancien Régime, il a aussi présenté la France comme un « pays de monarchistes régicides » dans un entretien au Spiegel, en <a href="https://www.spiegel.de/international/europe/interview-with-french-president-emmanuel-macron-a-1172745.html">octobre 2017</a>. Il sait que l’une de ces Révolutions, en <a href="https://www.retronews.fr/histoire-de-la-presse-medias/long-format/2018/03/22/la-suspension-de-la-liberte-de-la-presse-en-1830">juillet 1830</a>, a justement eu pour origine la volonté de défendre la liberté de la presse. On peut donc considérer qu’il a voulu tenir compte de cette double aspiration dans l’exercice du pouvoir.</p>
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<figcaption><span class="caption">Retronews, archives BNF.</span></figcaption>
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<p>Mais cet équilibre apparaît aujourd’hui de plus en plus précaire, et l’on peut s’interroger sur le legs que laissera le macronisme après dix années d’exercice très vertical du pouvoir. Il semble presque banal aujourd’hui que les journalistes soient pris pour cibles par les forces de l’ordre lors des manifestations, et le projet de loi sécurité globale prévoyait même dans sa version originelle de rendre presque <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/20/le-conseil-constitutionnel-censure-l-ex-article-24-de-la-proposition-de-loi-securite-globale_6080897_3224.html">impossible de publier des images de policiers</a>. On peut constater par ailleurs que les convocations à la DGSI ont été particulièrement nombreuses depuis 2017 : il est devenu courant d’essayer d’identifier les sources des journalistes d’investigation, au mépris des lois qui protègent leur travail. L’exemple d’Ariane Lavrilleux, qui a subi 39 heures de garde à vue en septembre 2023, apparaît de ce point de vue comme <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/ariane-lavrilleux-en-garde-a-vue-une-attaque-sans-precedent-contre-la-protection-du-secret-des-sources-alertent-des-societes-de-journalistes-20230921_5UWBOPZ4DNG3XFQ4PCQDFYFUL4/">particulièrement inquiétant</a>.</p>
<p>La conférence de presse du 16 janvier a montré malgré tout qu’Emmanuel Macron se considère toujours comme le défenseur des libertés face aux risques que représenterait l’arrivée au pouvoir du Rassemblement national. Tourné désormais vers les élections européennes, il a voulu mettre en scène l’affrontement de deux projets de civilisation qui se dessinerait à l’échelle du continent. Mais le paradoxe de cette défense des valeurs démocratiques est qu’elle survient au moment même où la France est à la manœuvre, au niveau européen, pour limiter la liberté de la presse.</p>
<p>Notre pays figure en effet parmi les pays qui militent activement pour autoriser la <a href="https://disclose.ngo/fr/article/espionnage-des-journalistes-la-france-fait-bloc-aux-cotes-de-six-etats-europeens">surveillance des journalistes par des logiciels espions</a>. Le « en même temps » finit ici par se perdre et par aboutir à une évidente contradiction : Emmanuel Macron se veut le héraut du camp du progrès à l’échelle européenne mais, en matière de journalisme, il défend des pratiques autoritaires qui sont d’habitude l’apanage des démocraties illibérales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221367/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Lévrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La conférence de presse d’Emmanuel Macron, mardi 16 janvier 2024, montre l’ambivalence du rapport qu’entretient le chef de l’état avec les médias.Alexis Lévrier, Historien de la presse, maître de conférences Université Reims Champagne Ardenne, chercheur associé au GRIPIC, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211862024-01-21T14:41:25Z2024-01-21T14:41:25ZPortugal : élections sous haute tension<p>« Ah ! les affaires, quelle eau trouble, empoisonnée et salissante ! », écrit Émile Zola en 1898 dans son roman <em>Paris</em> peu après le scandale du canal de Panama, au moment de s’engager dans la tempête de l’affaire Dreyfus. Comme un écho lointain, le premier ministre portugais Antonio Costa martèle « évidemment » – « obviamente ! » – en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/07/portugal-le-premier-ministre-antonio-costa-a-demissionne-eclabousse-par-un-scandale-de-corruption_6198745_3211.html">annonçant sa soudaine démission</a> le 7 novembre 2023.</p>
<p>« Évidemment », une fois considéré, non sans dignité, que ses fonctions ne sont pas compatibles avec la moindre suspicion mettant en cause son intégrité dans une sombre affaire de corruption où seraient impliqués certains de ses proches, dont son chef de cabinet et l’un de ses principaux conseillers, sans compter son propre ministre des Infrastructures. « Évidemment », puisque des écoutes téléphoniques, diligentées par le ministère public, semblent l’attester.</p>
<p>Sauf que, une fois la démission annoncée et la décision prise dans la foulée par le président de la République de convoquer des élections législatives anticipées, les chefs d’accusation s’avèrent flous. L’affaire des écoutes téléphoniques révèle même une <a href="https://www.lejdd.fr/international/portugal-vise-par-un-scandale-de-corruption-le-premier-ministre-demissionnaire-victime-dune-confusion-de-nom-139632">confusion de noms</a> entre le chef du gouvernement et son ministre de l’Économie, Antonio Costa Silva.</p>
<p>Procureure générale de la République portugaise depuis 2018, Lucília Gago en sort ébranlée. D’aucuns laissent entendre que l’affaire fait « pschitt », avec beaucoup de bruit pour rien. Une affaire en « eau trouble, empoisonnée et salissante », à l’arrière-goût amer, propice à toutes les interrogations et inquiétudes quant à l’issue du scrutin programmé le 10 mars prochain.</p>
<h2>Pourquoi voter de nouveau ?</h2>
<p>« C’est une étape qui se clôt », a précisé le premier ministre en annonçant sa démission, mettant un terme à huit années de présidence du Conseil. Avant de préciser quelques jours plus tard qu’il n’occuperait plus de charges publiques au Portugal, renonçant également à sa fonction de secrétaire général du Parti socialiste qu’il exerçait depuis 2014. De fait, c’est une page qui se tourne avec l’effacement contraint de la personnalité politique phare de la vie politique portugaise des dix dernières années, par ailleurs figure de proue de la social-démocratie européenne.</p>
<p>Alors qu’Antonio Costa avait remporté haut la main les élections législatives anticipées en janvier 2022, le PS obtenant la majorité absolue des sièges au Parlement, comment en est-on arrivé là ?</p>
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<p>La démission du premier ministre s’inscrit dans un climat fortement dégradé depuis fin 2022, sous l’ombre portée du <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/au-portugal-le-tapgate-provoque-une-crise-au-sommet-de-letat-1942058">« TAPgate »</a>, la compagnie aérienne nationale en voie de privatisation dont le nom a été accolé à divers scandales et démissions au sein du gouvernement. Dont celle, le 4 janvier 2023, de Pedro Nuno Santos, influent ministre des Infrastructures et du Logement, pour couvrir sa secrétaire d’État, ancienne salariée de la TAP accusée d’avoir perçu une importante indemnité lors de son départ de la compagnie.</p>
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<figcaption><span class="caption">Antonio Costa démissionne après une enquête pour corruption.</span></figcaption>
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<p>À la fin du printemps 2023, le successeur de Pedro Nuno Santos, João Galamba, est déjà sur la sellette, en raison de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/au-portugal-la-gauche-rattrapee-par-ses-demons-76BOYBUMMZC65GMEHQLWII2ME4/">son rôle jugé équivoque</a> dans l’attribution de juteuses concessions pour l’exploration de lithium – <a href="https://blog.leslignesbougent.org/portugal-riche-grace-au-lithium/">l’une des grandes richesses du Portugal de demain</a> – lorsqu’il était secrétaire d’État à l’Énergie. Antonio Costa refuse alors de démettre Joao Galamba de ses fonctions, comme le réclame pourtant avec vigueur le président de la République Marcelo Rebelo de Sousa, professeur de droit et président du PSD (parti social-démocrate, centre droit) de 1996 à 1999, élu début 2016 et réélu en 2021 dès le premier tour.</p>
<p>C’est le début d’une séquence qui s’est refermée début novembre avec la démission du premier ministre. Une séquence qui souligne les limites d’une cohabitation, souvent montrée en exemple depuis 2016, entre un chef de l’État et un chef du gouvernement de sensibilités politiques différentes. Et qui illustre toutes les ambiguïtés de la nature d’un régime qualifié le plus souvent de semi-présidentiel depuis <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire/1804">l’adoption de la Constitution en 1976</a> et, avec <a href="https://www.theses.fr/2001PA010327">l’apparition du fait majoritaire en 1987</a>, de « mixte parlementaire-présidentiel » ou de « premier-présidentiel », voire de « parlementariste à correction présidentielle ».</p>
<p>Par son droit de veto suspensif et, surtout, de dissolution de l’Assemblée de la République – la chambre unique du Parlement portugais –, le chef de l’État dispose de pouvoirs constitutionnels importants qui lui permettent de peser dans le jeu politique. Et cela, d’autant plus lorsque le président de la République se révèle particulièrement habile et visible sur la scène médiatique, comme c’est le cas de Marcelo Rebelo de Sousa.</p>
<p>Avec la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/30/portugal-le-premier-ministre-socialiste-antonio-costa-obtient-une-nette-victoire-electorale-mais-sans-majorite-absolue_6111627_3210.html">majorité absolue</a> obtenue par le Parti socialiste en janvier 2022, lors d’élections législatives anticipées suite à la mise en minorité du gouvernement d’Antonio Costa sur le vote du budget 2022, l’espace politique et médiatique du chef de l’État s’était mécaniquement réduit.</p>
<p>La décision de celui-ci de recourir à de nouvelles élections législatives anticipées s’inscrit dans ce contexte de tension institutionnelle et médiatique, alors qu’un autre choix était possible : celui d’accepter la démission du premier ministre en nommant une personnalité issue du parti disposant de la majorité au Parlement, comme cela avait été le cas à l’été 2004 et début 1981.</p>
<h2>Un choix risqué</h2>
<p>En ouvrant cette nouvelle séquence électorale, deux ans seulement après les précédentes législatives, le chef de l’État a opté pour la solution de retourner aux urnes malgré <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/10/portugal-des-elections-legislatives-convoquees-apres-la-demission-du-premier-ministre_6199240_3210.html">l’avis réservé du Conseil d’État</a> le 9 novembre. C’est le choix d’un vote démocratique pour donner aux électeurs la possibilité de s’exprimer et de clarifier la situation, non sans arrière-pensée politique peut-être : le président espère probablement que le scrutin permettra de remettre en selle le PSD.</p>
<p>Mais c’est un choix risqué au regard du contexte qui a conduit à la démission du chef du gouvernement, sur fond de ténébreuse affaire de favoritisme, sinon de corruption, dont la justice n’a pu établir pour l’heure la véracité. Cette discordance des temps judiciaire, politique et médiatique renforce le climat de défiance à l’égard d’une classe politique souvent pointée du doigt, avec les effets en cascade de ces scandales de corruption.</p>
<p>Ces <em>spillover effects</em> érodent la confiance dans les institutions, tout en nourrissant un sentiment délétère d’impunité. Entre classement sans suite comme dans <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/portugal-l-instruction-de-l-affaire-de-l-ex-premier-ministre-socrates-touche-a-sa-fin-20210409">l’affaire José Socrates</a> au printemps 2021 – après sept ans d’instruction, les charges de corruption active pesant sur l’ancien premier ministre (PS) de 2005 à 2011, incarcéré en 2014 et 2015, ont été abandonnées – et <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/03/26/affaire-petrobras-retour-sur-les-trois-annees-qui-ont-marque-le-bresil_5100932_3222.html">syndrome Lava Jato</a> qui, dans le cas brésilien, a montré tous les dangers depuis la <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/08/31/bresil-la-presidente-dilma-rousseff-destituee_4990645_3222.html">destitution de la présidente Dilma Rousseff</a> à l’été 2016, perçue comme un coup d’État judiciaire ayant ouvert la voie à l’extrême droite et Jair Bolsonaro, entre « business as usual » et « catch me if you can », l’opinion publique oscille, déboussolée et désenchantée.</p>
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<figcaption><span class="caption">José Socrates mis en cause et arrêté dans une affaire de corruption.</span></figcaption>
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<p>Autant dire qu’avec l’émergence en 2019 du parti d’extrême droite <a href="https://www.ritimo.org/Portugal-Chega-un-parti-d-extreme-droite-present-dans-le-systeme-politique">Chega</a>, le choix de recourir à de nouvelles élections se fait sous haute tension. Le parti fondé et dirigé par André Ventura, jeune transfuge du PSD élu député en octobre 2019, a rapidement occupé l’espace médiatique et pesé sur la recomposition de la droite, alors que le Portugal avait <a href="https://theconversation.com/portugal-le-pays-qui-dit-nao-a-lextreme-droite-125472">longtemps été épargné par l’onde de droite radicale populiste</a> observée ailleurs en Europe.</p>
<p>Avec ses 12 députés à l’Assemblée (sur 230) et les 7,5 % de suffrages obtenus aux législatives de janvier 2022, Chega ne peut que viser plus haut, les sondages le créditant de plus de 15 % d’intentions de vote – soit, avec la représentation proportionnelle, au moins une trentaine d’élus au Parlement. Plus encore que l’immigration, le principal carburant de ce parti est la dénonciation de <a href="https://www.tdg.ch/crise-politique-au-portugal-l-affaire-des-liasses-de-billets-dope-l-extreme-droite-421113087741">« la corruption des élites »</a>. Chega appelle à une grande lessive, qui devrait commencer par le Parti socialiste. Des affiches grand format sont placardées dans les rues en 2023 ; André Ventura y apparaît en « chevalier blanc » de la démocratie avec comme slogan « Le Portugal a besoin d’un grand nettoyage ».</p>
<h2>Une majorité introuvable ?</h2>
<p>Face à ce danger, les deux principaux partis de gouvernement, PS et PSD, s’organisent. Le PS tente de tourner la page d’un Antonio Costa resté très actif, avec <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/portugal/portugal-pedro-nuno-santos-remporte-les-primaires-du-parti-socialiste-dbbedae3-24c6-4ac3-9928-b9b7a3d285d4">l’élection mi-décembre</a> de son nouveau secrétaire général Pedro Nuno Santos, 46 ans, ancien ministre des Relations avec le Parlement (2015-2019), puis des Infrastructures et du Logement (2019-2022).</p>
<p>Élu avec près des deux tiers des suffrages au terme d’une primaire interne l’ayant opposé à un candidat plus centriste, Pedro Nuno Santos entend bien succéder à Antonio Costa comme premier ministre et incarner la stabilité. Il a rapidement réorganisé le PS, dont le solide ancrage local constitue un précieux atout, sans exclure une nouvelle alliance à gauche avec le Bloco de Esquerda (Bloc de Gauche), en revitalisant l’idée d’une nouvelle <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/10/DARCY/58001"><em>geringonça</em></a>, ce « bidule brinquebalant » qui avait fonctionné entre 2015 et 2019.</p>
<p>Quant au PSD, en proie depuis 2015 à une crise de leadership et aux coups de boutoir de Chega, il tente d’incarner l’espoir à droite d’un retour au pouvoir, suite à sa « victoire volée » d’octobre 2015, quand la coalition PSD-CDS (Centre démocratique et social) était arrivée en tête sans pouvoir gouverner, mise en minorité à l’Assemblée suite au vote d’une motion de censure par l’ensemble des forces de gauche, donnant naissance à la <em>geringonça</em>.</p>
<p>Ces nouvelles élections législatives, deux ans après l’échec de janvier 2022, semblent donner à la droite une occasion inespérée de reprendre l’ascendant. Sous la direction de son <a href="https://lepetitjournal.com/lisbonne/politique-luis-montenegro-president-psd-portugal-339241">nouveau président élu à l’été 2022</a>, Luís Montenegro, le PSD a opté pour la solution d’une nouvelle coalition avec le CDS, absent au Parlement depuis 2022, et le petit Parti populaire monarchiste (PPM), revitalisant la légendaire « Alliance démocratique », vainqueur des élections fin 1979 autour de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/12/06/francisco-sa-carneiro-le-gout-de-l-autorite_2808335_1819218.html">Francisco Sá Carneiro</a>, leader charismatique du centre droit, nommé premier ministre avant de disparaître tragiquement dans un accident d’avion en décembre 1980.</p>
<p>On le voit bien, c’est la solution des alliances qui est privilégiée pour tenter d’obtenir une majorité à l’Assemblée. En l’état, aucun parti ne paraît en mesure de recueillir seul une majorité claire, sinon absolue. Si, à gauche, la voie d’une nouvelle <em>geringonça</em> semble s’esquisser, à droite l’épouvantail Chega pèse sur la recomposition de cette famille politique.</p>
<p>Malgré les <a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/news/vers-une-coalition-des-partis-pour-isoler-lextreme-droite-au-portugal/">dénégations de son président</a>, d’aucuns suspectent le PSD de ne pas exclure une alliance avec Chega, afin de réunir une majorité parlementaire pour gouverner. Avec comme précédent le cas de l’assemblée régionale des Açores où deux conseillers Chega avaient <a href="https://rr.sapo.pt/noticia/politica/2020/11/24/acores-bolieiro-cita-sa-carneiro-na-tomada-de-posse-e-reconhece-exigente-missao/216069/">fourni l’appoint en 2020</a> pour faire basculer au PSD cette région autonome.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Santiago Abascal, leader du parti d’extrême droite espagnol Vox et Andre Ventura, leader du parti d’extrême droite portugais Chega, durant la campagne des élections législatives portugaises de 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/voxespana/51814205056">Flickr</a></span>
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<p>Entre normalisation rapide et lutte pour l’hégémonie, Chega a déjà débauché quelques élus du PSD, cherchant à s’affirmer comme le principal parti de droite, « l’unique chemin pour battre le socialisme au Portugal », comme l’a de nouveau déclaré son président André Ventura, réélu avec plus de 98 % des voix lors de la sixième convention nationale de sa formation les 13 et 14 janvier 2024.</p>
<h2>25 avril toujours ?</h2>
<p>Avec pour toile de fond les commémorations du 50<sup>e</sup> anniversaire de la <a href="https://editionschandeigne.fr/revue-de-presse-sous-less-oeillets-le-revolution/">Révolution des Œillets</a> en avril prochain, ces élections sont bien sous haute tension. Certains acquis du 25 avril 1974 – à commencer par la Constitution « marxiste maçonnique » de 1976 – sont clairement dans le viseur de Chega, dont le président vient de déclarer que le choix se fera entre « le Portugal de 2024 », qu’il prétend incarner, et « le Portugal de 1974 », celui de Pedro Nuno Santos.</p>
<p>Nul doute que le système politique portugais peut de nouveau se révéler « résilient », malgré – ou peut-être grâce à – un <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Abstention-comment-sen-sortent-autres-pays-europeens-2021-06-21-1201162352">taux d’abstention élevé</a>, un faible intérêt pour la politique et le <a href="https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/monnaie-surevaluee-vieillissement-desindustrialisation-ce-que-le-portugal-dit-de-lue">vieillissement de l’électorat</a>.</p>
<p>Nul doute également que la société portugaise se révèle <a href="https://migrant-integration.ec.europa.eu/news/portugal-survey-finds-public-increasingly-tolerant-migrants_en">l’une des plus ouvertes à l’immigration</a>, comme l’ont rappelé les enquêtes de European Social Survey en 2023. Chega et Ventura peuvent connaître un revers analogue à <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-espagne-brise-l-envol-de-l-extreme-droite-en-europe-24-07-2023-2529349_24.php">celui de Vox</a> et de Santiago Abascal en Espagne lors des législatives de juillet 2023.</p>
<p>Mais le vote du 10 mars pourrait se révéler un pari risqué si, faute de majorité parlementaire, la stabilité qui a dominé la vie politique portugaise depuis une quarantaine d’année, était remise en cause. Née du 25 avril, la démocratie a montré jusqu’ici sa solidité. Alors, « 25 de Abril sempre ! » (25 avril toujours !) ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221186/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Léonard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au Portugal, les législatives anticipées de mars s’annoncent serrées, la gauche cherchant à conserver le pouvoir face à un centre droit qui devra composer avec la montée de l’extrême droite.Yves Léonard, Membre du Centre d'histoire de Sciences Po et chercheur associé à l’université de Rouen-Normandie, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2164862024-01-17T16:43:50Z2024-01-17T16:43:50ZComment les eurodéputés RN tirent parti du Parlement européen<p><em>Si l’élection de nombreux députés d’extrême droite permettant la constitution d’un groupe Rassemblement national (RN) à l’Assemblée nationale en 2022 a été très commentée par les journalistes, sa présence au Parlement européen, sans discontinuer depuis les années 1980, passe plus inaperçue. L’Assemblée européenne est un lieu où les dirigeant·e·s du FN/RN se forment à la démocratie et lors des élections européennes de juin prochain, ils tenteront à nouveau d’obtenir des sièges.</em></p>
<p><em>Avec son ouvrage <a href="https://www.raisonsdagir-editions.org/catalogue/a-lextreme-droite-de-lhemicycle/">« À l’extrême droite de l’hémicycle. Le RN au cœur de la démocratie européenne »</a> (éditions Raisons d’agir), Estelle Delaine nous offre de nouvelles clés pour comprendre la manière dont le Rassemblement national s’insère dans les institutions démocratiques. À partir d’archives parlementaires et partisanes, d’entretiens et d’observations, ce livre révèle comment les élus RN apprennent à manipuler le lexique démocratique, à transcrire leurs propositions politiques en amendements techniques, à parfois s’inscrire dans le consensus politique, à se connecter avec des représentants d’intérêts. Il expose comment les eurodéputés d’extrême droite, alors qu’ils déclarent combattre l’Union européenne de l’intérieur, bénéficient en réalité des ressources et des réseaux de la démocratie européenne.</em></p>
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<p>Dès sa genèse, l’évolution du Parlement européen a fait l’objet d’analyses parfois divergentes, du fait de son originalité dans le paysage des institutions démocratiques, mais aussi parce que des années 1950 aux années 1970 coexistaient plusieurs projets européens différents – les institutions des Communautés européennes cohabitant alors avec celles de l’Union de l’Europe occidentale, du Conseil de l’Europe et de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord – comme l’indique <a href="https://www.cvce.eu/obj/discours_de_robert_schuman_strasbourg_19_mars_1958-fr-48fe3630-311c-476c-b39f-740b8749137b.html">Robert Schuman</a>, l’un des pères fondateurs de l’unification européenne, dans son discours d’investiture en tant que président de l’Assemblée européenne en 1958.</p>
<p>Certains considèrent que la progression des prérogatives du Parlement européen a été importante, faisant de cette institution le <a href="https://global.oup.com/academic/product/building-europes-parliament-9780199231997">symbole d’une démocratisation de l’Union européenne</a>, quand d’autres trouvent son pouvoir insuffisant en comparaison aux assemblées nationales – les pouvoirs du Parlement européen sont alors considérés comme des indicateurs (avec l’issue des référendums des années 1990, la complexité du fonctionnement ou le taux d’abstention) du « déficit démocratique » reproché à l’Union européenne.</p>
<p>La plupart des travaux, à l’instar de ceux du politologue <a href="https://www.librairie-sciencespo.fr/livre/9782275036205-le-gouvernement-de-l-union-europeenne-une-sociologie-polique-2e-edition-andy-smith/">Andy Smith</a>, font cependant le constat qu’il est impossible de considérer l’Europe d’aujourd’hui autrement que comme un gouvernement fortement fissuré. Ces fissures sont autant de portes d’entrée pour des formations antidémocratiques comme les partis d’extrême droite. En arrivant au Parlement européen, les membres de partis d’extrême droite peuvent non seulement se connecter avec d’autres représentants d’euroscepticisme et d’antidémocratisme, mais ils sont aussi propulsés au cœur du fonctionnement de la démocratie européenne.</p>
<h2>Des eurosceptiques et antiparlementaires dès les origines du Parlement</h2>
<p>Rappelons d’abord qu’extrême droite, euroscepticisme et antiparlementarisme ne sont pas des synonymes, et ne se recouvrent pas tout à fait. En arrivant dans <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2012-1-page-49.htm">l’Eurocratie</a> (le mode technocratique des institutions politiques de l’Union européenne, et les fortes critiques qui l’ont toujours accompagné) les partis d’extrême droite n’introduisent pas l’antiparlementarisme. Ils perpétuent et renouvellent certaines de ses versions pratiquées de longue date.</p>
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<p>Le Parlement européen a d’abord été pensé d’après un modèle fédéral afin de progressivement mettre en place la légitimité de la sphère européenne.</p>
<p>Mais en pratique, au-delà des théories démocratiques (fédérale, technocratique, référendaire, participative…) dont le Parlement européen se saisit, de vives réticences jalonnent son histoire. Dès sa genèse en 1958, on retrouve la présence de positions antiparlementaristes, c’est-à-dire opposées à ce que l’Assemblée européenne naisse ou obtienne des pouvoirs de contrôle et de délibération. On sait que certains membres des gouvernements nationaux, y compris d’États membres fondateurs, pouvaient être réticents à développer l’échelon européen – comme <a href="https://www.charles-de-gaulle.org/lhomme/dossiers-thematiques/de-gaulle-europe/">Charles de Gaulle</a>, chef de l’État français, qui a fait jouer tout le poids de son veto contre l’octroi de plus de pouvoir aux institutions européennes (dont le Parlement) et pour un fonctionnement intergouvernemental. De plus, les « pères de l’Europe » ne mentionnent pas d’institution délibérative lors de <a href="https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/history-eu/1945-59/schuman-declaration-may-1950_fr">discours fondateurs des Communautés</a>, et pour cause, ils perçoivent le parlementarisme <a href="https://www.puf.com/content/De_Vichy_%C3%A0_la_Communaut%C3%A9_europ%C3%A9enne">avec les yeux de leur temps</a>, critiques des Républiques parties en guerre, et dans un contexte de Guerre froide.</p>
<h2>L’extrême droite dans une Europe néolibérale</h2>
<p>Les dernières décennies ont certes vu le poids du Parlement être revalorisé mais ont aussi correspondu à la réaffirmation d’un cadre économique néolibéral <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Discours-de-Jose-Manuel-Barroso-sur-l-etat-de-l-Union-europeenne-_NG_-2010-09-07-578206">prônant l’austérité en temps de crises</a> ainsi qu’à une <a href="https://cessp.cnrs.fr/European-Civil-Service-in-Times-of-Crisis">managérisation</a> de la fonction publique européenne ; autant de processus qui sont venus renforcer les institutions exécutives de l’Europe au détriment du Parlement européen.</p>
<p>Une organisation institutionnelle qui laisse peu de place à l’instance élective impose aux eurodéputés une dépendance à la fois aux agents administratifs non élus, et à l’exécutif (la Commission et les ministres des États membres représentés par le Conseil de l’Union européenne). De plus, dans la fabrique de la loi européenne, autour d’un élu s’activent eurofonctionnaires, membres des cabinets de la Commission européenne et du Conseil de l’Union européenne, membres des groupes politiques opposés, représentants des ministères et des parlements nationaux, syndicalistes, lobbyistes, journalistes. Toutes ces personnes se rencontrent et se côtoient lors de réunions, peuvent se retrouver lors d’événements, de <em>team building</em>, <em>networking</em>, de fêtes, d’apéritifs, etc. Durant ces moments l’extrême droite parlementaire est en contact permanent avec tous ces professionnels. Ces logiques de travail conduisent à la connexion des personnels d’extrême droite avec d’autres personnes puisant leurs références politiques dans d’autres traditions d’antidémocratisme, d’antilibéralisme, ou d’euroscepticisme (qu’elles soient ou non d’extrême droite), mais aussi avec des personnalités politiques de premier plan.</p>
<p>Tout ces éléments viennent complexifier les distinctions politiques (extrême droite/néolibéralisme/européisme) et expliquent des rapprochements entre différents professionnels à la fois en concurrence et pourtant évoluant dans le même monde. Évidemment, ces connexions n’ébranlent pas toutes les logiques institutionnelles et sociales et politiques, ceux qui occupent des positions dominantes dans la Commission ou le Conseil de l’Union européenne sont peu inquiétés par des eurodéputés minoritaires.</p>
<p>Néanmoins, la présence de ces eurodéputés peut renforcer des formes de fragilité de l’institution parlementaire lors des processus de décisions. Au niveau des groupes parlementaires majoritaires, le travail s’organise en tenant compte de cet élément, ce qui renforce paradoxalement la représentation de tendances marginales dans les commissions car une potentielle désunion affaiblit le Parlement dans les négociations. Or, dans cette configuration, les élus peuvent déclarer vouloir <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-vrai-du-faux/marine-le-pen-dit-elle-vrai-sur-le-blocage-du-parlement-europeen_1762269.html">bloquer les institutions</a>, préférer appuyer des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/05/10/comment-le-rassemblement-national-vote-au-parlement-europeen_5460545_4355770.html">positions conservatrices</a> ou <a href="https://rassemblementnational.fr/videos/lexercice-dautosatisfaction-de-madame-von-der-leyen">investir le rôle d’opposants politiques démocratiques</a> et trouver des soutiens conjoncturels.</p>
<h2>Des membres de l’extrême droite formés à la démocratie</h2>
<p>Passé un premier étonnement de la présence de représentants nationalistes ou eurosceptiques d’extrême droite aux carrières longues au Parlement européen, comme <a href="https://www.europarl.europa.eu/meps/fr/1023/JEAN-MARIE_LE+PEN/history/8">Jean-Marie Le Pen</a> ou <a href="https://www.europarl.europa.eu/meps/fr/4525/NIGEL_FARAGE/history/9">Nigel Farage</a>, on comprend l’attrait d’un Parlement pour des élites partisanes d’extrême droite.</p>
<p>À l’instar d’autres parlements dans l’histoire, le Parlement européen offre des ressources importantes, et permet aux élus d’extrême droite de se former <em>à</em> et <em>par</em> la démocratie, potentiellement pour préparer d’autres élections – en ce sens Marine Le Pen a déclaré <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/01/08/a-l-assemblee-nationale-le-rn-se-fond-dans-le-paysage_6157027_4500055.html">au Monde en janvier 2023</a> (au sujet de son mandat de députée nationale, elle qui a aussi été eurodéputée de 2004 à 2017) : « nous ne sommes pas là pour faire une longue carrière parlementaire. Nous sommes là pour conquérir le pouvoir. En apprenant à être parlementaires, nous fabriquons en même temps un programme et des équipes de gouvernement. »</p>
<p>Le Parlement européen permet en effet des <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/02/24/damien-rieu-le-pro-de-l-agit-prop_1779491/">recrutements</a>, l’accès à des informations et des lieux de pouvoirs, des <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-berretta/les-fratelli-d-italia-ne-sont-pas-des-pestiferes-au-parlement-europeen-29-09-2022-2491812_1897.php;https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-billet-politique/marine-le-pen-peut-elle-defaire-l-europe-7360671">alliances et des coalitions</a> ainsi que l’accroissement des ressources financières des partis nationaux et européens <a href="https://www.cnccfp.fr/elections/representants-parlement-europeen/">qui s’investissent dans les campagnes</a>. Ce dernier point n’est pas négligeable : il comprend les frais de campagne (dont le montant était de 4 906 744 euros en 1994 et de 5 518 155 euros en 1999 pour le Front national (FN)) et les fonds de fonctionnement de groupes parlementaires (qui est pour le groupe d’extrême droite Europe des Nations et des Libertés de 17,5 millions d’euros entre 2015 et 2019).</p>
<p>D’autres sources de financements par des <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/largent-russe-du-rassemblement-national">banques et millionnaires russes</a> ainsi que des multiples <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/argent-public-le-rn-accuse-de-detournements-de-fonds-europeens">scandales politico-financiers</a> sur l’utilisation des enveloppes de fonds européens par les dirigeants du RN ont des incidences sur la pratique de la politique européenne qui demeurent encore à déterminer. Au sein du Parlement, les eurodéputés Rassemblement national (RN) y expérimentent un accès à des ressources directement issues de leur participation au jeu démocratique.</p>
<h2>Une formation feutrée</h2>
<p>Au Parlement européen, les élus d’extrême droite sont souvent décrits comme étant <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/05/14/le-bien-maigre-bilan-du-rassemblement-national-au-parlement-europeen_5461712_823448.html">peu présents, ou inefficaces</a>. Pourtant, les équipes parlementaires y font des apprentissages importants. L’incorporation des élites d’extrême droite dans l’élite politique européenne se fait aussi, paradoxalement, via le compromis, le consensus et la constitution d’alliances qui caractérisent le travail parlementaire européen.</p>
<p>Mes travaux soulignent que les dirigeants d’extrême droite ne sont pas sociologiquement désajustés dans une institution parlementaire supranationale – ils ont des origines sociales dominantes, sont diplômés du supérieur (y compris des écoles prestigieuses comme l’<a href="https://www.whoswho.fr/decede/biographie-ivan-blot_15145">ENA</a> ou Sciences Po Paris), ont des professions de cadres supérieurs (comme <a href="https://www.snesup.fr/sites/default/files/fichier/entretien_avec_gerard_lebreton_-_pu_lyon_3_-_conseiller_de_marine_le_pen_-_mars_2017.pdf">professeur d’université</a>, qui ne les distingue donc pas des autres eurodéputés ou assistants parlementaires. De ce fait, ils sont disposés à parfois mobiliser des registres déconflictualisés et consensuels – ce qui n’est donc pas le marqueur d’une modération politique mais de savoir-faire sociaux et universitaires.</p>
<p>S’il est peu probable qu’ils deviennent europhiles, les cadres d’extrême droite peuvent se projeter quelque temps dans ce lieu : le Parlement européen est un espace professionnel suffisamment prestigieux pour qu’ils ressentent une certaine revanche sociale en y restant, même dans un groupe minoritaire. Au-delà des idéologies, il y a une cohérence à la participation d’élites d’extrême droite à des espaces politiques comprenant majoritairement des membres des classes supérieures.</p>
<p>L’engagement politique d’élites sociales est différent de ceux des militants populaires : par la lecture ou l’écriture (sur des blogs, dans la presse ou dans des essais indépendants), la tenue de conférences ou d’une chaîne YouTube, voire pour celles et ceux qui ont des héritages familiaux liés à l’aristocratie, des dîners mondains ou de préservation du patrimoine. Il n’est donc pas moins « extrême » mais prend des formes variées et qui travaillent et traduisent leurs propos dans des registres plus mesurés. Un poste dans une équipe parlementaire RN est donc un moyen de poursuivre un militantisme nationaliste en bénéficiant d’un salaire et d’un statut qui permet de répondre à leurs aspirations ou à leurs ambitions professionnelles.</p>
<p>Comment des élites sociales peuvent-elles se décrire comme étant si reléguées ? En effet, la thématique du stigmate essaime les discours des élites partisanes d’extrême droite qui se disent « illégitimées » et <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/le-rn-denonce-l-ostracisme-de-son-groupe-au-parlement-europeen-6432033">ostracisées dans le champ politique</a> et dans la société. Or, se sentir décalé ne veut pas dire être dominé : il est possible de se vivre subjectivement comme un ou une déclassée tout en s’inscrivant de plain-pied dans les couches supérieures de la société. En effet, ils et elles peuvent, sur le plan des pratiques, mener un travail de maintien de positions dominantes et de distinction tout en développant des discours exprimant leur relégation.</p>
<p>Un sentiment d’échec peut aussi parcourir de nombreuses personnes diplômées mais avec des trajectoires scolaires difficiles et parsemées de revers objectifs ou plus subjectifs, ce qui renforce alors une crainte du déclassement ou de l’avenir. Leur engagement politique projeté au Parlement européen se nourrit des doctrines déclinistes et pessimistes d’extrême droite qui permettent de faire correspondre à des maux généraux des sentiments de peur très intimes. Il faut donc déconstruire le paradoxe apparent de ces élites se réclamant de l’antisystème au Parlement européen tout en bénéficiant d’un métier ajusté à leur profil sociologique.</p>
<p>L’Eurocratie est un espace professionnel internationalisé qui fournit des possibilités de reconversions à des « ex » de partis d’extrême droite européanisés, initialement passés par des postes d’assistant parlementaire mais aujourd’hui « fondus » dans le décor dans les milieux de la culture, de l’entrepreneuriat, du <em>lobbying</em> ou du droit. Une fois débarrassés des étiquettes partisanes ou du stigmate de la politique nationale, ne subsistent alors entre les agents que la concordance d’habitus dominants, et des affinités tirées de titres scolaires comparables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216486/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Estelle Delaine ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors qu’ils déclarent combattre l’Union européenne de l’intérieur, les eurodéputés d’extrême droite bénéficient en réalité des ressources et des réseaux de la démocratie européenne.Estelle Delaine, Maîtresse de conférences en sciences politiques, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211342024-01-15T16:43:25Z2024-01-15T16:43:25ZEmmanuel Macron rebat ses cartes : nouveau gouvernement, nouvelle stratégie<p>Avant de s’adresser aux Français, Emmanuel Macron a donc décidé de changer de gouvernement : c’était, avec la dissolution, l’une des deux seules solutions dont il disposait pour tenter de sortir de la nasse où l’enfermaient ses adversaires. En effet, l’exécutif, pris dans les déboires procéduraux de l’examen de la loi sur l’immigration se trouvait <a href="https://theconversation.com/ce-que-la-loi-immigration-dit-de-limpasse-dans-laquelle-se-trouve-emmanuel-macron-219920">dans une impasse</a>.</p>
<p>Emmanuel Macron devait dissiper l’atmosphère délétère de fin de partie entretenue par l’opposition, ainsi que les doutes apparus dans sa propre majorité, notamment sur la gauche, avec la loi Immigration. Resserrer les rangs de ses troupes, resserrer le gouvernement autour de quelques grands ministères incarnant les projets, restaurer la confiance dans l’action, s’entourer étroitement de proches totalement dévoués. En deux mots : rajeunir pour réagir, tel est le message qu’on tente d’impulser depuis l’Élysée.</p>
<p>Sur les dossiers névralgiques, il se voyait systématiquement entravé à l’Assemblée nationale, du fait d’un refus total du compromis par la tacite coalition des minorités d’opposition. Au mépris du <a href="https://theconversation.com/legislatives-lelection-de-la-rupture-184949">vote de juin 2022</a> par lequel les Français avait constitué une assemblée de type proportionnel ouvrant nécessairement la voie à des compromis politiques, la minorité plurielle s’est affirmée avant tout comme une majorité d’empêchements en refusant toute les mains tendues. La gauche emmenée par la Nupes, bloquant la majorité des propositions ; la droite tentant d’amener Renaissance à résipiscence en imposant son seul programme politique.</p>
<h2>Le changement, c’est maintenant</h2>
<p>2023, an VII de la Présidence Macron, marque un double échec. C’est la fin de sa stratégie du « en même temps » de droite et de gauche, et plus profondément, celui de la réforme du fonctionnement politique et institutionnel. Or, c’est pourtant bien cette dernière qui aurait permis d’avancer sur le terrain des compromis politiques et qui aurait dû être entamée préalablement.</p>
<p>Emmanuel Macron a visiblement renoncé à toute ambition réformatrice de ce côté. Au moins pour l’instant, gardant peut-être cette idée pour un bouquet final de son quinquennat.</p>
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<p>Pour l’heure, à moins de la moitié du second mandat, il y avait, à peine de torpeur, urgence à tourner la page de ce redémarrage difficile et à tirer les conséquences de l’obstination de ses opposants. À la dissolution, Emmanuel Macron a cru préférable de sacrifier le gouvernement Borne, dans la plus pure logique de la V<sup>e</sup> République, <a href="https://theconversation.com/le-choix-attal-lhyperpresidentialisme-macronien-au-defi-de-labsence-de-majorite-parlementaire-220671">comme le rappelle très justement Arnaud Mercier</a>.</p>
<h2>Serrer les rangs</h2>
<p>Il s’agit donc d’un changement de gouvernement et non d’un remaniement ministériel. Étrange (et peut-être délibérée) confusion entre ces deux opérations que le droit constitutionnel ne confond pas car les incidences politiques et les conséquences juridiques ne sont pas les mêmes. L’article 8 de la Constitution ne connaît que la démission du Premier ministre qui entraîne celle du gouvernement, donc son remplacement.</p>
<p>Or, quasi tous les commentateurs s’en tiennent, à tort, au terme de remaniement, c’est-à-dire à une procédure de départ et de remplacement de quelques ministres au sein d’un même gouvernement (comme ce fut le cas en juillet 2023 par exemple). Ce qui, on le voit, aboutit à réduire la perception de la dimension de l’évènement. Il y a changement de gouvernement lorsqu’il y a démission (volontaire ou imposée) du premier ministre, lequel peut, éventuellement, être renommé. Cette démission implique qu’il y ait un nouveau décret de nomination du premier ministre et de l’ensemble d’un nouveau gouvernement par le président de la République. Puis d’une présentation au Parlement du programme de celui-ci, éventuellement sous la forme d’une déclaration de politique générale. Cette dernière, dans la logique de présidentialisme qui prédomine toujours, sera précédée ou accompagnée d’une prise de parole présidentielle. Il s’agit donc d’abord d’une rupture ouvrant une nouvelle période de la vie politique, alors qu’un remaniement s’inscrit dans la continuité.</p>
<p>Surtout, lorsque l’ancien titulaire du poste est remercié, la dimension symbolique et politique s’affiche fortement. Tel est bien le cas ici avec le départ d’Elisabeth Borne qui a poussé jusqu’au bout deux réformes emblématiques et qui, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/01/08/remaniement-le-supplice-d-elisabeth-borne-premiere-ministre-sur-un-siege-ejectable_6209608_823448.html">toute à surmonter les obstacles</a>, les traquenards voire les quolibets qu’on lui opposait, avait érodé son image de combattante.</p>
<h2>Le grand contournement</h2>
<p>Pour échapper à l’engourdissement politique et à moins de six mois des élections européennes, où les nuages populistes s’amoncellent au dessus de Strasbourg, Emmanuel Macron a désigné son ennemi principal : le Rassemblement national. Le parti est pronostiqué à 30 % au scrutin européen.</p>
<p>Pour le combattre, il en a signalé l’allié essentiel : l’immobilisme. Il a désigné son chef d’état-major : Gabriel Attal.</p>
<p>Le choix s’imposait presque naturellement : l’extrême jeunesse, synonyme d’audace qui n’attend pas le nombre des années, le sens de l’action et de la communication, le brio et l’énergie, tous éléments qui en quelques mois l’ont propulsé en tête des responsables politiques préférés des Français. Si l’on y ajoute son total dévouement à la personne du Chef de l’État, on aura le portrait idéal d’un Premier ministre pour Président voulant prendre les choses directement en main.</p>
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<figcaption><span class="caption">Alexi Kohler annonce le gouvernement Attal, jeudi 10 janvier 2023.</span></figcaption>
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<p>Nous voilà dans le style devenu classique de la V<sup>e</sup> République présidentialisée. Rien ne manque : la formation dans l’éxécutif d’une garde rapprochée en sus de Gabriel Attal, avec Prisca Thevenot au renouveau démocratique et au porte-parolat, Stéphane Séjourné à l’Europe et aux Affaires étrangères, Marie Lebec aux relations avec le Parlement. Voilà la génération Macron en marche gouvernementale. Classique également, le congédiement des ministres ayant franchi la ligne jaune de l’espace présidentiel ou s’étant montré critiques, comme la ministre de la Culture, ou celle des Affaires étrangères.</p>
<p>Le cas de Stéphane Séjourné relève de la lecture hypertexte : promu en tant qu’européaniste et fidèle d’Emmanuel Macron, sa nomination s’interprète aussi comme une exfiltration du Parlement européen. Le voici dispensé d’être le leader naturel de la liste de la majorité présidentielle, son départ libérant la place pour une personnalité plus marquante et plus rassembleuse pour combattre le RN.</p>
<p>La priorité n’est plus aux mains tendues et aux négociations, dont l’Exécutif a pu mesurer la vanité. Par sa composition, ce gouvernement indique un changement profond de stratégie. L’heure est désormais à rendre l’action et le travail de terrain plus visibles. Emmenés par Gabriel Attal, les ministres doivent multiplier les lieux d’intervention, prendre à rebours voire devancer les partis d’opposition. Et par cette tactique de contournement, saper leurs arrières en les plaçant en contradiction avec l’opinion publique.</p>
<h2>Glanage et labourage</h2>
<p>Cette stratégie tout terrain de l’offensive s’accompagne d’un efficace travail d’approche individuelle des membres de l’opposition. Particulièrement à droite car du côté de la gauche, tant que rôdera la tentation de la Nupes et la nostalgie des anciens responsables, il y a peu à glaner.</p>
<p>On observe naturellement que sur les 15 ministres déjà désignés, huit viennent de la droite : c’est que celle-ci, déchirée et inquiétée par les prélèvements du RN dans son électorat, a un urgent besoin de retrouver son centre de gravité.</p>
<p>L’interconnexion avec les réseaux sarkozistes a permis l’enrôlement d’une Rachida Dati, « nouvelle Madone » de la rue de Valois qui trouble profondément des Républicains en pleine incertitude.</p>
<p>Si le changement de gouvernement peut offrir un moment de ciel bleu au président, le fossé est encore profond qui sépare les Français de leurs gouvernants. Si l’on voit clairement l’écueil que le président Macron veut contourner, on mesure aussi la fragilité des moyens d’y parvenir, avec une majorité de plus en plus relative. Dans ce climat de doute profond quant à l’efficience des dirigeants, il est effectivement essentiel de fixer un cap pour la Nation. Cap sans lequel on s’exposerait au risque dévastateur d’un orage à sec.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221134/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>2023, an VII de la Présidence Macron, marque un double échec : la fin de sa stratégie du « en même temps » et plus profondément, celui de la réforme du fonctionnement politique et institutionnel.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2199202023-12-17T15:42:19Z2023-12-17T15:42:19ZCe que la loi immigration dit de l’impasse dans laquelle se trouve Emmanuel Macron<p>Quoiqu’il advienne du projet de loi sur l’immigration à l’issue de la CMP qui se réunira ce lundi, restera l’image de cet étrange rigodon dansé par les oppositions réunies à l’Assemblée nationale, ce 11 décembre 2023. Pour la seconde fois de son deuxième mandat, Emmanuel Macron échoue à constituer cette majorité de projets qu’il appelait de ses vœux <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/24/reforme-des-retraites-ecole-sante-les-chantiers-prioritaires-d-emmanuel-macron-s-il-est-reelu_6123441_6059010.html">au soir des élections législatives de 2022</a>. Ce disant, il se limitait alors à traduire en termes opérationnels le vote des Français qui, en ne lui accordant qu’une majorité relative, mandataient sans ambiguïté les différents partis pour travailler ensemble à des compromis dans l’intérêt général.</p>
<p>D’où ce résultat en forme de scrutin proportionnel, bien qu’acquis au scrutin majoritaire. Visiblement, seul le camp présidentiel semble avoir entendu le message : les oppositions rejetant systématiquement la main tendue par la majorité présidentielle quand il s’agit d’un texte à forte résonance politique. Ce déni de compromis, à rebours du message électoral, fait que le Parlement marche désormais à l’amble rompu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">À 65 ans, la Vᵉ République devrait-elle partir à la retraite ?</a>
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<h2>Incommunication politique</h2>
<p>Les choses qui se répètent ne plaisent donc pas toujours. La réforme des retraites, portée par Elisabeth Borne s’était échouée contre le <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-la-forte-et-persistante-revolte-contre-la-reforme-des-retraites-202798">récif des boucliers du refus</a>, bien qu’allégée par rapport à la précédente tentative. <a href="https://theconversation.com/article-49.3-et-reformes-sociales-une-histoire-francaise-202172">L’article 49.3</a> était alors venu pallier l’incapacité d’obtenir une majorité plurielle. Scénario réitéré, mais en plus grave pour le projet de loi immigration, à la suite d’une manière <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-lelection-demmanuel-macron-que-reste-t-il-de-la-macronie-203629">d’opéra-bouffe</a> qui se termine dans un véritable guet-apens par un grave échec du gouvernement.</p>
<p>Pourtant, si une question se prêtait pleinement à un « en même temps », c’était bien celle de l’immigration sur laquelle droite et gauche s’usent les dents depuis plus de trente ans sans parvenir à une solution durable à laquelle pourtant aspirent <a href="https://elabe.fr/loi-immigration-motion-rejet/">près de 70 % des Français</a> : la gauche par irréalisme, la droite par obsession sécuritaire. La tentative du gouvernement d’équilibrer humanité et sécurité a fait long feu pour l’heure, étouffée dans une véritable partie de poker menteur.</p>
<p>Voici la droite sénatoriale qui adopte un texte fortement durci, le rendant inacceptable par la gauche, mais aussi par une partie de la majorité présidentielle. Voilà la commission des lois de l’Assemblée nationale qui rééquilibre l’ensemble à une très confortable majorité. Voici le Rassemblement national qui laisse croire à sa volonté de débattre du texte. Voilà LR qui se lance, un peu pour la forme, dans une motion de rejet… quitte à ne pas défendre le texte sénatorial.</p>
<p>Enfin la majorité présidentielle semble sous-estimer le danger et laisse s’absenter certains de ses membres. Et pour la première fois depuis 25 ans (c’était en octobre <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2012/10/22/en-1998-le-fiasco-du-vote-sur-le-pacs-humilie-la-gauche_1779095_823448.html">1998 à propos du PACS</a>), à la surprise générale après une semaine de dupes, la motion de rejet est adoptée, le RN ayant abattu ses cartes au dernier moment pour profiter de l’occasion de tailler une croupière au président tout en s’abritant sous le parapluie des autres opposants. Pour être hasardeux, le coup n’en est pas moins rude : en fermant la porte préalablement à toute discussion, on franchit un cran dans le refus de communication entre les minorités coalisées et la majorité présidentielle. Pas de débat, mais l’exigence d’un parti, LR, que sa seule position soit reconnue par les autres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-travail-de-lassemblee-nationale-sest-invite-dans-le-quotidien-207071">Comment le travail de l’Assemblée nationale s’est invité dans le quotidien</a>
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<h2>Des perdants, un gagnant</h2>
<p>Le vote de lundi ferme donc sans doute définitivement la porte à une <a href="https://www.lepoint.fr/debats/le-compromis-politique-est-absent-de-la-culture-francaise-22-06-2022-2480637_2.php">culture du compromis</a> avec un Parlement où les vieux appareils politiques sont d’abord préoccupés par la manière de revenir sur le devant de la scène en réduisant le moment Macron à une parenthèse sans lendemain.</p>
<p>Qui perd à ce jeu partisan ? <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/direct-loi-immigration-jusqu-ou-ira-gerald-darmanin_6244458.html">Gérald Darmanin</a>, bien sûr, qui, après avoir goulûment endossé le rôle de Don Quichotte, s’est vu sèchement remis en place par ses anciens amis qu’il s’était pourtant fait fort de convaincre.</p>
<p>Le gouvernement également, qui, une nouvelle fois voit son action réformatrice entravée. Surtout, Emmanuel Macron, dont l’autorité politique ressort affaiblie par <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635.htm">cette paralysie réformatrice</a> alors qu’il lui reste trois ans et demi de mandat à accomplir.</p>
<p>Qui gagne, en revanche ? LR et la Nupes, semble-t-il, puisqu’ils ont obtenu le rejet du texte. Victoire à la Pyrrhus cependant : une fois de plus, ces deux forces ont fait la démonstration qu’elles ne constituaient pas une majorité alternative, et qu’elles ne parvenaient à s’imposer qu’avec le puissant renfort du RN.</p>
<p>Et pour LR, le constat d’un comportement étrangement pusillanime qui les amène à renoncer à un texte incorporant pourtant nombre de leurs revendications depuis 15 ans. Seul gagnant sans ombre au tableau : le RN, dont la position sur l’immigration est suffisamment connue pour ne pas être rappelée, et qui, placé en embuscade derrière LR et la Nupes, peut avoir le triomphe modeste. Et plus que jamais constituer selon l’heureuse expression de Luc Rouban, le <a href="https://theconversation.com/le-rn-trou-noir-du-paysage-politique-francais-219757">« trou noir » de notre galaxie politique</a>.</p>
<h2>Vraie ou fausse sortie</h2>
<p>Qu’Emmanuel Macron pense avoir tout intérêt à limiter les choses à un accident de parcours en même temps qu’il affirme vouloir poursuivre la procédure législative, on peut le comprendre. Il a donc écarté tout recours à la dissolution et toute utilisation de 49.3, tout en invitant le gouvernement à mettre en œuvre la commission mixte paritaire : composée de 7 sénateurs et de 7 députés, la CMP est majoritairement du côté des oppositions. On pousse les feux et la CMP se réunira dès lundi prochain. La Première ministre, qui pris la main sur les discussions, a d’ores et déjà réuni les responsables de LR et laissé entendre que la piste d’accord pourrait se dessiner.</p>
<p>Et ensuite ? Soit on parvient à un texte de compromis, qui risquerait dans ce contexte de droitiser encore le projet initial, quitte à heurter une partie de la majorité présidentielle. Ce texte serait ensuite soumis au vote des deux chambres. Soit la CMP ne parvient pas à concilier les points de vue, et les choses en restent là. A charge pour la majorité présidentielle de dénoncer devant l’opinion le blocage entretenu par une opposition autiste.</p>
<p>Quoiqu’il en soit, il s’agira plus d’une sortie de secours que d’une sortie de crise. Si elle répond éventuellement à court terme à la question d’un projet de loi particulier, elle ne saurait suffire à corriger l’onde de choc produite par le 11 décembre.</p>
<p>Au-delà des personnes et des acteurs politiques, ce sont les institutions mêmes qui sortent affaiblies de cette tempête sous le crâne parlementaire.</p>
<p>Ce n’est plus seulement la légitimité présidentielle qui se voit mise en question : n’est-ce pas l’image même du fonctionnement et du rôle du Parlement qui est affectée ? N’est-ce pas l’essence du régime parlementaire reposant sur la collaboration des pouvoirs qui se voit compromise ?</p>
<p>Notre système politique a besoin d’un choc pour sortir de la torpeur entretenue où il baigne. En ce sens, Emmanuel Macron n’aurait-il pas eu tort d’écarter la possibilité d’une dissolution ? De toute manière, il devra y recourir tôt ou tard, la démonstration étant faite qu’il se verra empêché d’avancer sur le terrain des réformes dans les 42 mois qui lui restent à accomplir. Le blocage qu’on lui impose ne serait-il pas le moment opportun, puisqu’il permet d’éclairer le refus systématique des partis de jouer le jeu d’une concertation constructive dans l’intérêt général ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219920/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les oppositions rejettent systématiquement la main tendue par la majorité présidentielle quand il s’agit d’un texte à forte résonance politique, un déni de compromis à rebours du message électoral.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2197572023-12-12T18:48:52Z2023-12-12T18:48:52ZLe RN, « trou noir » du paysage politique français<p>Les <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/20/manouchian-au-pantheon-la-normalisation-contrariee-de-marine-le-pen_6217449_823448.html">récentes polémiques </a>autour de la présence de Marine Le Pen lors de l'hommage à Nation et la panthéonisation de Méliné et Missak Manouchian soulignent la difficulté dans lequel se trouve la présidence de la République comme le gouvernement à définir une ligne stratégique cohérente face au Rassemblement national (RN). Certes, le chef de l'État a tenté de mettre à distance la formation d'extrême-droite dans un entretien <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/02/19/dans-un-entretien-inedit-a-l-humanite-emmanuel-macron-veut-convaincre-qu-il-ne-mene-pas-une-politique-d-extreme-droite_6217287_823448.html">avec le journal <em>L'Humanité</em></a>, mais cette critique ne permettra pas de convaincre l’opinion que le macronisme se rapproche de la gauche ni de contrer le RN qui en fait ses délices. <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-edito-politique/rn-et-arc-republicain-cacophonie-au-sommet-de-l-etat_6345301.html">La divergence de positionnement</a> du président de la République, qui entend exclure le RN de <a href="https://www.liberation.fr/politique/larc-republicain-une-notion-piegeuse-et-devoyee-20240219_T7EJMGZI2FHPVJRTHQWO4DYREA/">« l'arc républicain »</a>, et de son Premier ministre, qui considère au contraire qu'il en fait partie, témoigne même d’une situation de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/12/projet-de-loi-immigration-gerald-darmanin-entraine-la-majorite-dans-la-crise_6205321_823448.html">crise politique</a> plus profonde. </p>
<p>Celle-ci devient cette fois explicite et vient confirmer le fait que le RN est devenu le « trou noir » du paysage politique français, absorbant tout ce qui se trouve à sa périphérie, pliant l’espace-temps politique en contraignant les autres partis à céder ou à échouer. Mais il s’avère également capable désormais de s'auto-alimenter politiquement en se renforçant des stratégies qui poussent à le confiner ou à le réduire à l'héritage historique du Front national. S’étant engagé sur la voie de la droitisation, le macronisme ne peut plus éviter le clivage droite-gauche qu’il a toujours renié et voulu dépasser. Sa critique du RN devient dès lors assez inefficace et les tentatives de l’exclure du champ de la politique « normale » contribuent à le renforcer en lui permettant de capter tous ceux qui refusent cette normalité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-an-apres-lelection-demmanuel-macron-que-reste-t-il-de-la-macronie-203629">Un an après l’élection d’Emmanuel Macron, que reste-t-il de la « Macronie » ?</a>
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<h2>L’immigration reste un facteur central de clivage dans le débat politique</h2>
<p>On a souvent évoqué la fin du clivage droite-gauche, un clivage historiquement associé à une sociologie désormais dépassée où les ouvriers de gauche votaient contre les bourgeois de droite. De nombreuses études ont montré que les trajectoires électorales des citoyens sont désormais plus ondoyantes, <a href="https://www.pug.fr/produit/2011/9782706152979/le-vote-clive">plus fluides et plus incertaines</a>.</p>
<p><a href="https://www.contrepoints.org/2022/07/25/435689-luc-rouban-le-probleme-nest-pas-le-separatisme-mais-lanomie">La désaffiliation politique</a> des catégories socioprofessionnelles modestes, qui s’abstiennent ou votent pour le RN plus que pour la gauche, vient s’ajouter aux transformations de l’offre politique du RN qui n’est plus celle du Front national. Le RN entend prendre en charge l’ensemble des vulnérabilités, qu’elles soient économiques ou sociétales, dans le cadre d’un souverainisme lui-même adouci et qui ne revendique plus la sortie de l’Union européenne. Avec cela il faut prendre en compte le fait que 33 % des catégories supérieures ont voté pour Marine Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2022. Le traditionnel « vote de classe » est ainsi bien mort car les « classes » se sont dissoutes dans des trajectoires individuelles qui se différencient fortement et ne communient plus dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2023-3-page-43.htm">mêmes croyances</a>.</p>
<p>Le clivage droite-gauche, lui, en revanche, est toujours bien vivant et c’est bien le problème auquel le macronisme vient de se confronter. S’il est une question clivante entre la droite et la gauche, c’est bien celle de <a href="https://theconversation.com/immigration-les-francais-y-sont-ils-aussi-opposes-quon-le-dit-217580">l’immigration</a>, mais pas de toute l’immigration, celle des arabo-musulmans.</p>
<p>C’est bien à droite que cette question arrive en tête des préoccupations et c’est bien également au sein des droites que la fermeture des frontières aux migrations est considérée comme une priorité, avec un net rapprochement des électorats LR et de ceux de l’extrême droite. C’est ce que montrent bien de nombreuses enquêtes, notamment celle menée dans le cadre du <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Barometre%20de%20la%20confiance%20en%20politique%20-%20vague%2014%20-%20Fevrier%202023%20-%20vFR.pdf%20(1).%20pdf">Baromètre de la confiance politique du Cevipof</a>.</p>
<iframe title="Perception de l’immigration et de l’islam selon l’électorat " aria-label="Colonnes groupées" id="datawrapper-chart-m0afJ" src="https://datawrapper.dwcdn.net/m0afJ/1/" scrolling="no" frameborder="0" style="border: none;" width="100%" height="484" data-external="1"></iframe>
<h2>Le macronisme impossible ?</h2>
<p>Cette polarisation forte sur le terrain de l’immigration, qui est aussi puissante que celle que provoque les <a href="https://forum-midem.de/wp-content/uploads/2023/08/TUD_MIDEM_Study_2023-1_Polarization_in_Europe_.pdf">réactions face au changement climatique</a>, ne permet guère la mise en place d’un compromis gestionnaire s’appuyant sur le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/12/12/la-petite-histoire-retiendra-peut-etre-que-le-en-meme-temps-est-mort-un-11-decembre-dans-un-hemicycle-surchauffe_6205380_823448.html">« en même temps »</a> du macronisme.</p>
<p>Ce dernier a toujours tenté d’échapper aux contraintes de la vie partisane et de ses appareils en voulant sortir des doctrines constituées et des idéologies. Mais ses limites se sont vite révélées, notamment lors de la crise des <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">« gilets jaunes »</a> et lors de la réforme des retraites.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/redistribution-des-richesses-quand-mobilisation-contre-la-reforme-des-retraites-et-gilets-jaunes-se-rejoignent-192893">Redistribution des richesses : quand mobilisation contre la réforme des retraites et « gilets jaunes » se rejoignent</a>
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<p>L’absence d’interlocuteur, voire d’opposant structuré, laisse le pouvoir face au redoutable choix entre la décision unilatérale du souverain « éclairé », qui suscite des réactions violentes non encadrées par les partis et les syndicats, et l’absence de décision, laissant le doute s’installer sur l’intérêt que portent les hautes sphères du pouvoir à la vie quotidienne des Français.</p>
<p>La lecture critique qui peut être faite désormais du macronisme est bien de s’être laissé enfermé, à partir de considérations totalement justifiables sur la nécessité de rendre <a href="https://theconversation.com/et-si-les-citoyens-participaient-aux-referendums-inities-par-le-president-187378">l’action publique efficace</a>, dans ce dilemme qui, de ce fait, produit de l’inefficacité politique. L’efficacité en politique reste en effet toujours de nature politique. Il faut séduire, emporter l’adhésion, susciter des ralliements, créer des mythes et un récit, quels que soient les chiffres ou les bilans économiques. Cette efficacité réelle ne se réduit pas à des politiques publiques, des décrets et des arrangements négociés entre groupes d’intérêts dans une temporalité réduite au prochain budget ou dans l’urgence de la crise, comme celle des agriculteurs. Gouverner, ce n’est pas faire de la « gouvernance » et de l’entre-soi. <a href="https://www.pug.fr/produit/1662/9782706142635/l-entreprise-macron">L’État n’est pas une entreprise privée</a>. Les efforts déployés par Gérald Darmanin pour convaincre ses alliés LR d’entrer dans le jeu du compromis lors de la loi immigration conduisaient à ignorer le fait que le débat politique en France est désormais un débat entre les droites, un débat dans lequel la vraie question est désormais de savoir s’il faut encore ou pas combattre le RN et, surtout, sur quel terrain car le RN n’est plus le FN et se retrouve en position de monopoliser la droite sociale.</p>
<h2>L’horizon des évènements</h2>
<p>Le gouvernement d’Élisabeth Borne a donc eu bien du mal à faire vivre une « majorité de projets » et celui de Gabriel Attal est désormais confronté au même problème car certains de ces projets sont bien plus porteurs que d’autres de valeurs mais également d’intérêts stratégiques pour LR ou le RN. Il ressort de la succession de conflits, d’incidents, de déclarations à l’emporte-pièce qui alimentent la crise démocratique, que l’on vit depuis l’élection de 2017, que le RN a pu s’imposer progressivement comme <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100180610">force politique de référence</a>.</p>
<p>Les autres forces de droite sont irrésistiblement attirées <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100118550">par son champ gravitationnel</a> et se retrouvent sur l’horizon des évènements, avant dislocation et transformation en particules élémentaires. La stratégie de la diabolisation et du procès en extrémisme, quant à elle, ne fonctionne plus mais contribue à stigmatiser des électeurs ou des électeurs potentiels qui risquent de ne pas voter en fonction des programmes mais du sentiment de mépris social que cela va leur laisser.</p>
<p>Le RN profite du fait que ses zones d’ombre, sur la vie économique ou sur les relations internationales, comme ses points de faiblesse, notamment son faible ancrage dans la haute fonction publique et les élites culturelles ou scientifiques, qu’il essaie de compenser au cas par cas en ralliant par exemple l’ancien patron de Frontex sur sa liste pour les européennes, sont plus que compensés par la cohérence de ses positions souverainistes et anti-immigration. Et ce, à un moment où les questions internationales dominent : crise migratoire évidemment, mais aussi guerre en Europe, retour en force de <a href="https://theconversation.com/regards-croises-sur-lantisemitisme-ordinaire-en-france-217330">l’antisémitisme après le 7 octobre</a>, pandémies, réchauffement climatique.</p>
<p>Le RN incarne le retour du politique mais de manière plus habile que La France insoumise qui s’y consacre aussi mais en donne souvent une mauvaise image, celle de la conflictualité et de l’irrespect pour les institutions. Il est devenu le grand gagnant par défaut d’une situation où la modération est suspecte de macronisme, porté par un président en qui les Français n’ont pas confiance, et où la radicalité ne peut que renforcer ses propres positions.</p>
<p>C’est d’ailleurs ce qu’a signifié aussi cette <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/loi-immigration-lalliance-entre-la-nupes-le-rn-et-les-republicains-pour-empecher-le-debat-0bc0d1e4-9854-11ee-b5ab-4c9dbbc4ce19">étonnante convergence</a> des oppositions dans le refus de débattre le projet de loi immigration. Bien qu’étant aux antipodes les uns des autres sur le terrain des valeurs et des projets de société, LFI, le RN et LR ont voté contre, non par cynisme mais en réalité contre « l’anti-politique » que représente le macronisme. Le refus de lancer une modification constitutionnelle pour élargir le champ du référendum, la multiplication d’agora extérieures au Parlement, comme les conventions citoyennes, laissent toujours ce goût étrange d’une fuite en avant dans un contexte fortement conflictuel où la violence s’est généralisée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219757/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Rouban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le RN est devenu le « trou noir » du paysage politique français, absorbant tout ce qui se trouve à sa périphérie, pliant l’espace-temps politique en contraignant les autres partis à céder ou à échouer.Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2178322023-12-05T17:12:14Z2023-12-05T17:12:14ZDu FN au RN : comment les femmes sont devenues indispensables à l’extrême droite<p>« J’étais assez contre mais, avec le recul, cette loi a permis aux femmes d’arriver en nombre dans ce monde. » <a href="https://www.leparisien.fr/politique/marine-le-pen-subir-du-sexisme-ca-mest-arrive-mais-jamais-au-rn-12-02-2023-VFWKWC27WFG5HHWV323VTUUIBY.php">Par ces quelques mots</a> au sujet de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_tendant_%C3%A0_favoriser_l%27%C3%A9gal_acc%C3%A8s_des_femmes_et_des_hommes_aux_mandats_%C3%A9lectoraux_et_fonctions_%C3%A9lectives">loi sur la parité</a>, Marine Le Pen met en lumière l’ambivalence régnant au <a href="https://theconversation.com/le-rn-est-il-devenu-un-parti-comme-les-autres-201690">Rassemblement national</a> (RN) à l’égard des hiérarchies de genre. Celles-ci structurent la plupart des groupements politiques, (y compris ceux qui se revendiquent progressistes, voire féministes). La subordination des femmes est particulièrement flagrante dans les groupes conservateurs qui défendent explicitement un ordre social basé sur une hiérarchie stricte des rôles des sexes et qui acceptent, par conséquent, la domination masculine.</p>
<p>Certes, depuis la création du Front national (FN) en 1972, des femmes ont pu occuper des places de dirigeantes, locales et nationales, et ont été élues. Mais, comme le montrent mes recherches en cours, la plupart étaient actives dans les coulisses du parti et occupaient des positions secondaires, voire subalternes. Sous la présidence de Jean-Marie Le Pen, les femmes, déjà rares parmi les adhérents, étaient <a href="https://www.theses.fr/2002STR30016">reléguées à des places considérées marginales</a>. Elles rendaient leur militance légitime essentiellement en <a href="https://www.routledge.com/Right-Wing-Women-From-Conservatives-to-Extremists-Around-the-World/Bacchetta-Power/p/book/9780415927789">tant qu’épouses ou filles d’autres militants masculins</a>. Les hommes constituaient, en revanche, la majorité des membres actifs du FN et occupaient des positions de premier plan en tant que candidats, élus et responsables.</p>
<p>Cependant, des évolutions institutionnelles et partisanes au tournant des années 2000 invitent à ré-interroger les rapports de genre qui structurent le FN : dans quelle mesure ont-ils évolué ?</p>
<h2>Une injonction légale et un modèle</h2>
<p>L’introduction de la <a href="https://theconversation.com/les-zones-blanches-de-la-parite-en-politique-la-nouvelle-loi-sera-t-elle-efficace-156062">loi dite sur la parité</a> au début des années 2000 a permis une visibilité inédite aux femmes du FN en rendant leur présence nécessaire sur les listes électorales. Vu sa situation financière compliquée, le FN essaie d’éviter des amendes pour cause du non-respect de la loi. Les injonctions au respect de la représentation paritaire pèsent donc particulièrement sur le parti à la flamme : de plus en plus de femmes sont investies en tant que candidates et susceptibles d’être élues (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Groupe_Rassemblement_national">sur 87 députés RN siégeant à l’AN, 33 sont des femmes, soit 38 %. À titre de comparaison, c’est 42 % chez LFI</a>). Et ces candidates frontistes ne sont pas une simple vitrine électorale. Les groupes des militants que j’ai observés durant mon enquête de terrain sont, en effet, de plus en plus mixtes. Lors de quelques réunions de sections, j’ai pu constater qu’environ la moitié des participants étaient des femmes.</p>
<p>Au-delà de l’injonction au respect des règles paritaires, on peut aussi penser que l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN ait pu favoriser l’évolution des rapports de genre structurant le parti.</p>
<p>Pour nombre d’anciens membres du parti et de sympathisants, Marine Le Pen a légitimé sa place de présidente par la filiation avec le co-fondateur du FN. Cependant, l’hérédité politique n’est pas la seule ressource dont elle joue. Quarantenaire, divorcée et avocate, la benjamine de Jean-Marie Le Pen dispose de ressources personnelles importantes qui font d’elle une <a href="https://theconversation.com/lelite-de-lanti-elitisme-un-paradoxe-francais-182177">femme socialement dominante</a>. Marine Le Pen incarne ainsi pour certaines femmes un modèle à imiter. Cela en encourage certaines à se lancer dans une carrière politique locale. D’après mon enquête, il s’agirait surtout de femmes issues des classes moyennes et moyennes supérieures, généralement pourvues de compétences en communication, en organisation ou d’autres ressources jugées appropriées pour s’engager dans le domaine politique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1724176697988108735"}"></div></p>
<p>Ces évolutions aux niveaux institutionnel (loi parité) et partisan (arrivée de Marine Le Pen) ont ouvert des opportunités inédites aux femmes. Elles peuvent désormais représenter le FN dans les conseils municipaux, départementaux, régionaux et au Parlement. Mais si elles exercent ainsi une forme de pouvoir politique, elles ne déjouent que partiellement les mécanismes de domination masculine particulièrement <a href="https://journals.openedition.org/teth/2117">prégnants</a> au sein des groupes militants frontistes.</p>
<h2>Le cas d’Isabelle</h2>
<p>Résidente dans une petite commune paupérisée du Sud-Est, Isabelle (prénom fictif) a porté les couleurs du FN à toutes les élections locales entre 2008 et 2017, a été conseillère régionale entre 2010 et 2021 et siège en tant que conseillère municipale depuis 2014. Son parcours m’a permis d’analyser comment le genre et la classe sociale peuvent se transformer en ressources politiques et permettre une entrée en politique au FN.</p>
<p>Professeure des écoles dans l’Éducation nationale, Isabelle représente une <a href="https://www.septentrion.com/fr/livre/?GCOI=27574100118550">catégorie socioprofessionnelle habituellement considérée comme réfractaire au FN</a> et peut incarner l’ouverture sociale apparemment recherchée par le parti (on songe à la création du <a href="https://www.france24.com/fr/20131014-collectif-racine-professeurs-front-national-marine-le-pen-municipales">Collectif Racine</a> pour rassembler les enseignants proches des idées du FN). Isabelle porte également la casquette de directrice d’école, elle appartient donc aux classes moyennes culturelles. Or, les cadres et les professions intellectuelles supérieures et intermédiaires sont sous-représentées parmi les candidats et, surtout, les candidates frontistes. La profession d’Isabelle semble avoir été tout aussi, voire davantage, centrale que son genre pour être sélectionnée en position éligible sur la liste des régionales.</p>
<p>En effet, lors d’une conférence de presse, Isabelle avait eu l’occasion d’exprimer ses opinions sur l’état de l’école publique à Jean-Marie Le Pen et avait montré partager le point de vue de Marine Le Pen sur l’éducation. Quelques semaines après la conférence, Isabelle reçoit un courrier de Jean-Marie Le Pen sollicite Isabelle pour qu’elle rejoigne la liste des candidats aux élections régionales de 2010 qu’il conduisait.</p>
<h2>Une valeur politique déterminée par les hommes</h2>
<p>S’intéresser aux conditions d’entrée en politique d’Isabelle apporte un éclairage édifiant sur l’inertie des hiérarchies de genre au sein de l’extrême droite. En effet, la valeur des attributs de genre et de classe d’Isabelle est déterminée par des hommes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/oZgW7HnHngY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ce sont les leaders locaux (le secrétaire départemental du FN) et nationaux (Jean-Marie Le Pen) qui ont sollicité la candidature d’Isabelle. En tant que femme issue de la classe moyenne culturelle, elle incarnait un personnel politique socialement et politiquement plus légitime que l’ancien responsable de la section frontiste où Isabelle militait (celui-ci se déclarait royaliste et était, selon nos sources, peu mobilisé et agressif à l’égard des adhérents).</p>
<p>Le conjoint d’Isabelle, Christophe (prénom fictif), a joué ensuite un rôle déterminant. C’est lui qui l’a exhortée à accepter la candidature. Sans ses incitations, elle n’aurait probablement pas accepté d’être investie. Or, c’est parce qu’Isabelle est devenue candidate puis élue du FN que Christophe a été nommé secrétaire de circonscription. Il a pu se servir des ressources politiques de sa conjointe pour connaître une promotion.</p>
<p>Cet usage stratégique des ressources d’Isabelle par Christophe ainsi que le besoin ressenti par Isabelle de compter sur son conjoint et sur le président du FN pour accepter la candidature et accéder au mandat invitent à remettre toute forme de domination féminine en perspective.</p>
<p>Les interactions entre l’élue et son entourage montrent la résistance des logiques de domination masculine qui régissent l’entrée en politique des femmes au FN. Ce sont, notamment, Jean-Marie Le Pen et le secrétaire départemental du FN de l’époque qui décidaient quand et dans quelle mesure la classe et le genre pouvaient devenir des ressources politiques.</p>
<p>Isabelle n’est pas un cas atypique. Lors de mon enquête, en 2018, l’entrée en politique des femmes au FN (aujourd’hui RN) dépendait souvent du conjoint et des leaders - souvent des hommes - qui encourageaient et permettaient l’avancement leur « carrière ». Par conséquent, la féminisation du personnel frontiste soutenait toujours le genre frontiste dominant (masculin).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217832/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Margherita Crippa a reçu des financements de université de sydney </span></em></p>Comment le genre et la classe sociale peuvent se transformer en ressources politiques et permettre une entrée en politique ? Cas d’école au sein de l’extrême droite française.Margherita Crippa, Doctorante, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2176912023-12-03T16:29:18Z2023-12-03T16:29:18ZVote par Internet : doit-on choisir entre confort et sécurité ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/562193/original/file-20231128-18-hgxla3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C32%2C5455%2C3604&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le vote électronique pourrait-il permettre d'augmenter le taux de participation aux élections? À quels coûts en termes de risques de fraude ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/une-femme-assise-sur-un-canape-a-laide-dun-ordinateur-portable-gVVGVlV753w">Resume Genius, Unplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le vote par Internet est aujourd’hui un mode de scrutin plébiscité par de nombreux organisateurs d’élections tels que les partis politiques, entreprises, et associations. Ce ne sont pas moins de 620 000 Français qui ont voté par Internet lors des différentes primaires à l’élection présidentielle en 2022 (<a href="https://www.eelv.fr/c-presidentielle-y-aller-pour-gagner-cf-2020112122/">écologiste</a>, <a href="https://republicains.fr/actualites/2021/11/26/decision-de-linstance-de-controle-3/">Les Républicains</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/01/27/primaire-populaire-donnees-collectees-controle-des-resultats-issue-du-vote-le-scrutin-en-six-questions_6111216_6059010.html">populaire</a>) et 270 000 Français de l’étranger lors des <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/actualites-du-ministere/actualites-du-ministere-de-l-europe-et-des-affaires-etrangeres/article/elections-legislatives-ouverture-du-portail-de-vote-par-internet-27-05-22">élections législatives</a>… Mais aussi près d’un million de votants lors des <a href="https://www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/ArchivePortailFP/www.fonction-publique.gouv.fr/files/files/statistiques/stats-rapides/resultats-electionsFP_2022.pdf">élections professionnelles de la fonction publique d’état</a>, la même année.</p>
<p>Plusieurs avantages du vote par Internet peuvent expliquer ce succès : une possible réduction des coûts et une facilité d’organisation mais aussi, et surtout, le confort et la praticité de pouvoir voter depuis chez soi. Cependant, bien que ce dernier point soit <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2021/06/25/le-vote-electronique-remede-a-l-abstention-comprendre-le-debat-qui-agite-l-entre-deux-tours-des-regionales_6085744_4355770.html">souvent présenté comme un rempart face à l’abstentionnisme croissant</a>, il est en fait <a href="https://www.zora.uzh.ch/id/eprint/136119/">loin</a> de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/poi3.160">faire consensus</a> dans la <a href="https://elections.fgov.be/informations-generales/etude-sur-la-possibilite-dintroduire-le-vote-internet-en-belgique">littérature académique</a>.</p>
<p>Plus généralement, le confort de pouvoir voter depuis son téléphone ou son ordinateur occulte bien souvent les enjeux liés à la sécurité, comme les possibilités de cyberattaques ou de fraudes électorales, et les risques induits sont rarement discutés et bien compris.</p>
<p>En fait, pour l’instant, le vote par Internet échoue bien souvent à atteindre les mêmes garanties que le mode de scrutin traditionnel, le vote papier à l’urne.</p>
<h2>Quelles garanties pour un scrutin ?</h2>
<p>Un système de vote doit assurer deux garanties fondamentales, définies par le code électoral. Tout d’abord <em>le secret du vote</em> garantit à tout votant que personne ne saura comment iel a voté. Ensuite, la <em>sincérité du scrutin</em> assure que le résultat de l’élection n’a pas été truqué, par exemple en retirant, modifiant, ou ajoutant un bulletin de vote.</p>
<p>Pour le vote traditionnel, le vote papier à l’urne, le secret du vote est garanti par l’utilisation d’isoloirs, d’enveloppes opaques et identiques, et d’urnes rassemblant et mélangeant tous les bulletins. La sincérité du scrutin est assurée par l’utilisation d’urnes transparentes et scellées qui sont à tout moment scrutées par un certain nombre <em>d’assesseurs</em> qui vérifient le bon déroulé du scrutin. Ainsi le scrutin est rendu <em>vérifiable</em> et il suffit d’un seul assesseur honnête pour garantir la sincérité du scrutin.</p>
<p>Dans le cas du vote par Internet, la question se pose alors en ces termes : lorsque je clique sur un choix de vote puis sur le bouton « Votez », que se passe-t-il réellement ? Qui vérifie que mon vote sera bien pris en compte et qui serait en mesure de connaître mon vote ? Toutes les solutions de vote par Internet promettent un haut niveau de sécurité supposément garanti par la cryptographie (chiffrement, signature numérique, preuve à divulgation nulle de connaissance, etc.). Qu’en est-il vraiment ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1535200370946883584"}"></div></p>
<p><em>Une <a href="https://twitter.com/FR_Consulaire/status/1535200370946883584">invitation</a> à voter en ligne de la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire.</em></p>
<h2>En théorie : la cryptographie garantit un vote par Internet sûr</h2>
<p>Pour répondre à ces questions, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) a émis des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038661239">recommandations</a> définissant des bonnes pratiques pour atteindre certains niveaux de sécurité.</p>
<p>Par exemple, les bulletins doivent être cryptographiquement chiffrés et la clé permettant le déchiffrement doit être distribuée entre plusieurs autorités possédant chacune un fragment de clé. Ainsi, en présence de toutes les autorités et leur fragment de clé, et uniquement dans ce cas, les bulletins peuvent être <em>collectivement</em> déchiffrés, révélant ainsi le résultat de l’élection (cela imite partiellement le rôle des assesseurs).</p>
<p>De même, pour s’approcher de la transparence d’une urne physique, un votant qui soumet un bulletin doit recevoir en retour un <em>reçu cryptographique</em> confirmant la prise en compte de son bulletin. Ce reçu lui permet également de vérifier, à postériori, que son bulletin n’a pas été retiré de l’urne avant le décompte final.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/561375/original/file-20231123-27-waakdv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Quelques étapes du vote électronique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lucca Hirschi et Alexandre Debant</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Pour les scrutins à fort enjeu (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038661239">niveau 3 des recommandations de la CNIL</a>), cette vérification grâce au reçu cryptographique doit même être rendue possible via un tiers de confiance, <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038661239">distinct de l’organisateur du scrutin</a>… ce dernier n’étant pas considéré de confiance (<a href="https://eprint.iacr.org/2022/1653">tout comme son serveur web, qui héberge le site web de l’élection</a>).</p>
<p>En théorie, ces bonnes pratiques permettent d’assurer le secret du vote et la sincérité du scrutin, même lorsque les organisateurs ou leurs systèmes informatiques sont compromis, s’approchant des garanties du vote papier.</p>
<h2>En pratique : la sécurité défaillante des solutions de vote</h2>
<p>Malheureusement, de nombreux exemples démontrent les faiblesses des recommandations CNIL et des solutions de vote existantes qui n’assurent pas les garanties escomptées.</p>
<p>Il est ici important de rappeler qu’avec le vote par Internet, l’impact d’une éventuelle attaque ou erreur prend une envergure inédite : dans le cas du vote physique, si on peut imaginer une « fraude » dans un seul ou un petit nombre de bureaux de vote, il semble compliqué de truquer tous les bureaux de vote d’un pays simultanément. En revanche, pour le vote par Internet, toutes les urnes dématérialisées sont généralement centralisées : stockées et gérées par une seule entité, et une seule corruption compromet l’ensemble des bulletins et résultats.</p>
<p>Commençons par le secret du vote : est-il réellement suffisant de chiffrer les votes ?</p>
<p>Pour répondre à cette question, il faut en fait savoir comment est générée, distribuée, et stockée la clé (ou les clés) de déchiffrement. Il est arrivé que <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-031-15911-4_1">certains systèmes rendent publique la clé de déchiffrement une fois l’élection terminée</a>. Un attaquant sachant faire le lien entre les votants et leur bulletin (par exemple en ayant observé le réseau entre le votant et le serveur de vote) pouvait alors violer le secret du vote de chacun de ces votants en déchiffrant simplement leur bulletin associé avec la clé une fois divulguée.</p>
<p>D’autres vulnérabilités, plus subtiles, permettent également de violer le secret du vote, malgré l’utilisation de chiffrement et une bonne gestion des clés. De telles vulnérabilités ont récemment été découvertes sur le <a href="https://www.usenix.org/conference/usenixsecurity23/presentation/debant">système de vote utilisé lors des élections législatives de 2022 par les Français résidants hors de France</a> (1,2 million d’électeurs éligibles) ou encore les <a href="https://orbilu.uni.lu/bitstream/10993/49442/1/main.pdf">systèmes de vote utilisés en Estonie</a> ou en <a href="https://inria.hal.science/hal-03446801/">Suisse</a>.</p>
<p>Enfin, l’utilisation de reçus cryptographiques est-elle suffisante pour assurer l’intégrité du scrutin ?</p>
<p>Ici aussi, le diable est dans les détails. Il est en effet crucial que la solution de vote assure que le reçu fourni au votant correspond bien au bulletin de vote qu’il a transmis. Lors des élections législatives 2022, il a été démontré qu’un <a href="https://eprint.iacr.org/2022/1653">attaquant pouvait modifier le bulletin de vote soumis par un votant</a> et adapter le reçu avant de le transmettre au votant, qui croit alors à tort pouvoir vérifier <em>son bulletin</em>.</p>
<h2>Vers un vote par Internet plus sûr</h2>
<p>Devant de tels constats, les agences gouvernementales compétentes – ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) et CNIL, la communauté scientifique et les vendeurs de solutions s’activent et collaborent pour améliorer la sécurité du vote par Internet.</p>
<p>Tout d’abord, une plus grande transparence des systèmes de vote et de leurs exigences de sécurité est nécessaire. Par la publication de spécifications décrivant précisément le fonctionnement des composants critiques mais aussi du code source des programmes correspondants, différents experts pourront étudier la sécurité de ces systèmes et ainsi collectivement contribuer à leur amélioration. De même, la publication claire et précise des objectifs de sécurité prétendument atteints par les systèmes permettra à chaque votant de comprendre les hypothèses de confiance sous-jacentes et ainsi d’accepter librement et de manière éclairée d’utiliser ou non le système avec ses risques résiduels. Cette approche a fait ses preuves <a href="https://cyber.gouv.fr/publications/mecanismes-cryptographiques">pour la standardisation des primitives cryptographiques et permet le développement de systèmes toujours plus sûrs</a>.</p>
<p>Il faut ensuite élever les exigences de sécurité du vote par Internet. Tout d’abord via des recommandations et standards plus ambitieux et précis quant aux objectifs de sécurité et transparence à atteindre. Mais aussi au travers d’un cadre législatif mieux adapté aux spécificités du vote électronique. En effet, il n’est pas suffisant d’exiger le secret du vote et la sincérité du scrutin via la vérifiabilité (reçu).</p>
<p>Par exemple, en comparaison avec le vote papier, d’autres propriétés sont attendues : assurer la <em>résistance à l’achat de vote</em> ou la <em>coercition</em>. En effet, si l’isoloir assure que l’on peut voter sans subir de pression extérieure, qui nous dit que le votant est seul et libre de voter comme iel l’entend derrière son ordinateur ?</p>
<p>De même, il serait intéressant de discuter de la pertinence des solutions mises en place pour authentifier les votants. La solution la plus répandue aujourd’hui est l’authentification à deux facteurs, également largement utilisée pour d’autres usages tels que les applications bancaires. Toutefois, elle présente une limite claire : les identifiant et mot de passe peuvent être volés, devinés, ou abusés. Serait-il possible d’améliorer cela en se reposant par exemple sur un e-identité (<a href="https://e-estonia.com/solutions/e-identity/id-card/">comme la carte nationale d’identité numérique, telle que déployée depuis de nombreuses années en Estonie</a>) ?</p>
<p>Enfin, si l’ensemble des bulletins de vote papier sont détruits physiquement à la fin d’une élection, la question du stockage (volontaire ou non) sur Internet des bulletins pose évidemment la question du maintien du secret du vote dans 5, 10, 20 ans, quand les cryptographes auront certainement trouvé des failles dans le mécanisme de chiffrement utilisé. Cette <a href="https://orbilu.uni.lu/bitstream/10993/52132/1/main.pdf">résistance du secret du vote à de futures faiblesses de la cryptographie utilisée aujourd’hui est communément appelée <em>everlasting-privacy</em></a>.</p>
<p>Toutes ces questions sont malheureusement encore ouvertes, et, oui, il semble qu’aujourd’hui encore, le choix du confort se fait au détriment de la sécurité. Heureusement, ces questions sont autant de pistes de recherche qui nous occupent, nous autres chercheurs, et auront certainement demain de nouvelles réponses. En attendant, elles constituent peut-être autant de raisons de limiter l’utilisation du vote par Internet lors de scrutins à très fort enjeu : notamment pour les élections présidentielles et primaires de partis politiques.</p>
<hr>
<p><em>Le PEPR Cybersécurité et son projet <a href="https://pepr-cyber-svp.cnrs.fr/">Security Verification Protocol</a> (SVP) sont soutenus par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217691/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lucca Hirschi a reçu des financements du projet ANR Vérification de Protocoles de Sécurité (ANR-22-PECY-0006).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alexandre Debant a reçu des financements du projet ANR Vérification de Protocoles de Sécurité (ANR-22-PECY-0006).
Alexandre Debant effectue des missions de conseil auprès de La Poste Suisse pour le développement de sa solution de vote électronique.</span></em></p>Le confort du vote depuis son canapé se fait au prix de la sécurité du scrutin – de quoi limiter l’utilisation du vote électronique pour les élections à fort enjeu.Lucca Hirschi, Chercheur en informatique, spécialisé en cybersécurité, InriaAlexandre Debant, Chercheur en informatique, spécialisé en cyber sécurité, InriaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2166512023-11-13T19:36:31Z2023-11-13T19:36:31ZDe l’impensable au possible : comment le RN s’est inséré dans la société française<p>La marche contre l’antisémitisme le 12 novembre 2023 à Paris a, pour la journaliste politique du Monde, Solenn Royer marqué <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/11/13/marches-contre-l-antisemitisme-l-absence-d-emmanuel-macron-n-a-pas-ete-comprise-notamment-en-macronie-ou-certains-evoquent-une-occasion-manquee_6199810_823448.html">« un avant et un après »</a> pour le parti lepéniste. Comme le note le quotidien national, « en nombre, les élus du parti de Marine Le Pen, même isolés et sous tension, ont pu défiler jusqu’au bout » aux côtés de toutes celles et ceux qui ont voulu montrer leur rejet de l’antisémitisme en France.</p>
<p>Cette marche vient à l’appui d’un constat de plus en plus probant : le Rassemblement national occupe désormais une place plus favorable que par le passé dans le paysage politique français. En 2022, en accédant pour la deuxième fois consécutive au second tour de l’élection présidentielle, Marine Le Pen n’avait pas suscité autant la surprise que son père en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=oWZIKQlJK_M">2002</a>. Pour la seconde fois dans l’histoire de la V<sup>e</sup> République, des députés de ce parti ont aussi fait leur entrée au Palais Bourbon, et cette fois, avec 89 sièges, ils forment le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2022/06/28/metiers-mandats-precedents-trajectoires-ideologiques-explorez-le-profil-des-89-deputes-du-rassemblement-national_6132344_4355770.html">deuxième plus grand groupe de l’Assemblée nationale</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">France 24, le RN à la marche contre l’antisémitisme, le 12 novembre 2023, via YouTube.</span></figcaption>
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<p>Le parti lepéniste est ainsi depuis fréquemment présenté comme étant <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/du-grain-a-moudre/le-front-national-est-il-aux-portes-du-pouvoir-3246582">aux portes du pouvoir</a>. Comment expliquer ces succès contemporains ? Ce parti créé en 1972, qui change de nom pour devenir en 2018 le Rassemblement national, a-t-il réussi sa mue ?</p>
<p>Notre ouvrage collectif récent, <a href="https://journals.openedition.org/lectures/62633"><em>Sociologie politique du Rassemblement national : enquêtes de terrain</em></a>, publié ce mois-ci aux Presses Universitaires du Septentrion,) s’empare de cette trajectoire de « normalisation » en se penchant sur les deux premiers mandats de la présidence de Marine Le Pen au sein du parti (2011-2018).</p>
<p>Sur la période, le FN-RN est parvenu à s’inscrire encore davantage dans l’espace politique, à fidéliser du personnel, à augmenter ses scores électoraux locaux (départementaux, régionaux) et nationaux (scrutins présidentiels, européens) principalement durant des scrutins de liste.</p>
<p>La prise du pouvoir par le RN semble alors être passée de l’ordre de l’impensable à celui du possible. Comment le parti d’extrême droite s’est-il inséré progressivement dans certains pans de la société française ?</p>
<h2>Saisir l’implantation du RN dans sa diversité</h2>
<p>Les résultats des élections (municipales, législatives, européennes) attestent de la consolidation électorale du principal parti d’extrême droite française, depuis les années 2010. <a href="https://editions-croquant.org/hors-collection/902-pourquoi-tant-de-votes-rn-dans-les-classes-populaires.html">La sociologie du vote</a> a montré qu’il est difficile de parler d’un électorat homogène et qu’il est plus juste de souligner qu’il existe une pluralité d’électorats rassemblés dans <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/06/10/l-electorat-frontiste-n-existe-pas_5141998_3232.html">« un conglomérat »</a>).</p>
<p>Les territoires d’implantation du RN sont donc divers, et le sont d’ailleurs encore davantage dans la période récente, comme le montre la comparaison des résultats des élections législatives de <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/legislatives/carte-resultats-des-legislatives-2022-visualisez-la-percee-du-rassemblement-national-au-premier-tour_5194912.html">2017 à ceux de 2022</a>. Ces implantations répondent à des logiques locales spécifiques qu’il s’agit d’élucider : les mobilisations électorales du RN ne prennent pas la même forme que l’on se trouve dans le Sud-Est ou dans le Nord-Est, dans des terres « d’élection » ou des terres « de mission » du parti, en contexte urbain ou rural, etc.</p>
<p>La pluralité des implantations invite aux études localisées pour comprendre les forces, mais aussi les faiblesses, du parti dans chaque configuration locale. Les succès du RN doivent aussi se comprendre dans la durée. Les soutiens électoraux dont il bénéficie reposent sur des « déjà-là » socioculturels endormis, qui sont stimulés et réactivés en périodes d’élections. Les études de cas présentes dans le livre montrent en effet comment le parti est capable d’entretenir des soutiens insérés dans le tissu social local, dont dépendent ses victoires dans les territoires.</p>
<h2>Le RN, de haut en bas</h2>
<p>De quoi parle-t-on lorsqu’on évoque « le Rassemblement national » ? Ce parti est le plus souvent appréhendé dans les médias comme un bloc monolithique, réduit aux prises de parole de Marine Le Pen ou plus récemment de Jordan Bardella. Or, y compris au sommet du parti, les instances dirigeantes ne se résument pas aux porte-parole les plus connus.</p>
<p>Par le biais de la sociographie, on peut alors saisir avec précision comment se structure le « haut » de l’organisation partisane afin de comprendre les logiques de gestion interne du parti, notamment celle de l’argent et du pouvoir, dont la presse a montré les défaillances, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/front-national/affaire-des-kits-de-campagne-le-rassemblement-national-condamne-en-appel-a-une-amende-de-250-000-euros_5712755.html">pour l’organisation des campagnes</a> ou pour l’utilisation des fonds publics <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/09/22/assistants-parlementaires-europeens-du-fn-le-parquet-requiert-le-renvoi-du-parti-de-marine-le-pen-et-de-vingt-six-autres-prevenus-devant-le-tribunal_6190561_3224.html">pour l’embauche d’assistants</a>.</p>
<p>Qui le RN recrute-t-il sur des listes, dans son entourage, ou encore dans ses instances dirigeantes ? S’interroger sur les modes de recrutement des cadres du parti permet également de comprendre son ajustement aux logiques du champ politique ou <a href="https://www.acrimed.org/-Les-medias-et-le-Front-National-">journalistique</a>. Cela est d’autant plus nécessaire au regard de la stratégie dite de « dédiabolisation » du RN, mais aussi plus largement dans un contexte de crise de légitimité de la forme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/12/remi-lefebvre-les-partis-politiques-hors-jeu-de-la-presidentielle-ou-presque_6076412_3232.html">« parti politique »</a>.</p>
<p>Comprendre l’organisation du RN implique enfin d’étudier les différents échelons du parti, de « haut en bas » pour ainsi dire : des instances dirigeantes aux <a href="https://www.puf.com/content/Simples_militants">« simples militants »</a>, en passant par les cadres des Fédérations, les collectifs formant les sections locales, etc. Cette analyse à différents niveaux permet de constater qu’il n’existe pas « un » profil militant unique au RN, mais une pluralité de trajectoires amenant des individus à intégrer l’organisation lepéniste et à s’y professionnaliser plus ou moins, selon les profils et les configurations locales.</p>
<h2>Un « nouveau » RN ?</h2>
<p>La question du recrutement partisan pose enfin celle de l’« ouverture » du RN à de nouveaux profils. Différents chapitres du livre collectif étudient ainsi des groupes militants, des électeurs ou des dirigeants que l’on pourrait penser « atypiques ».</p>
<p>Pour casser son image de parti d’extrême droite, l’organisation lepéniste cherche depuis longtemps à se présenter comme un parti « moderne », sensible par exemple à la <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/video-echange-tres-tendu-entre-mathilde-panot-et-marine-le-pen-sur-les-droits-des-femmes-et-le-hamas-7900308608">question des droits des femmes</a>. Mais aussi des minorités <a href="https://tetu.com/2023/04/01/politique-rassemblement-national-elus-gays-parti-assemblee-vernis-arc-en-ciel-rn/">sexuelles</a>. Il s’agit dès lors de se montrer ouvert à des engagements d’apparence « atypique », allant dans le sens de son narratif.</p>
<p>Le phénomène n’est pas nouveau : dans cette <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i04167303/jean-marie-le-pen">vidéo de campagne de 1995</a>, Jean-Marie Le Pen se met en scène répondant aux questions de quatre militantes FN, dont la martiniquaise Huguette Fatna et Maria Tabary (« immigrée portugaise […] devenue française »), alimentant une rhétorique visant à battre en brèche les accusations de xénophobie et racisme. Dans une logique similaire, le dialogue avec la cadre du FN/RN Sylvie Goddyn permet au président du FN d’aborder la question de l’écologie et du bien-être animal.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uqTqTxomE0E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Campagne 1995 de Jean-Marie Le Pen.</span></figcaption>
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<p>L’ouverture à de nouvelles thématiques et à de « nouvelles têtes » fait donc partie intégrante de la stratégie du parti, et ce de longue date. Par ailleurs, la sociologie de ces nouveaux profils permet de reconstituer finement les logiques et la cohérence de leur adhésion au RN, au-delà du seul constat de leur atypicité. La sociologie refuse de réduire les individus à un seul trait distinctif et montre, derrière le vernis et la façade partisane, le poids des socialisations qui expliquent le passage (bref ou plus prolongé) au RN.</p>
<p>Enfin, ces militantismes plus inhabituels ne doivent pas faire oublier que ce parti rallie aussi à ses rangs des profils plus classiques de l’extrême droite, comme les <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2021-1-page-59.htm">catholiques traditionalistes</a> ou des membres de la <a href="https://www.la-croix.com/France/Generation-identitaire-Rassemblement-national-complementarite-assumee-2021-02-20-1201141700">mouvance identitaire</a>.</p>
<h2>Le RN est-il un parti « comme les autres » ?</h2>
<p>L’extrême droite est encore un sujet « chaud » politiquement et médiatiquement, parfois perçu comme fascinant et exotique. Il est ainsi souvent traité de façon exceptionnelle, comme intrinsèquement différent des autres partis politiques.</p>
<p>Même si cette organisation partisane a bien sûr ses spécificités, nous pensons que celles-ci doivent être étudiées avec les mêmes outils, empiriques et analytiques, que ceux employés pour étudier les autres formations partisanes. Pour comprendre la normalisation en cours du RN, il faut certainement normaliser son étude sociologique.</p>
<p>Face à la profusion de sondages et d’essais sans base empirique sur ce parti, il devient dès lors urgent de multiplier (et de mutualiser) les enquêtes proprement sociologiques sur le RN, redonnant toute son épaisseur sociale au phénomène lepéniste.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1029&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1029&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1029&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1293&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1293&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559131/original/file-20231113-23-1lm6sn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1293&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Les auteurs viennent de publier <a href="https://journals.openedition.org/lectures/62633"><em>Sociologie politique du Rassemblement national : enquêtes de terrain</em></a>, aux Presses Universitaires du Septentrion.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216651/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La prise du pouvoir par le RN, de l’impensable, semble être devenue possible. Comment le parti d’extrême droite s’est-il inséré progressivement dans certains pans de la société française ?Estelle Delaine, Maîtresse de conférences en sciences politiques, Université Rennes 2Félicien Faury, Postdoctorant, CESDIP , Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Guillaume Letourneur, Docteur en science politique, CNRS, membre du CESSP, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneSafia Dahani, Post-doctorante en sociologie, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162102023-10-29T18:12:12Z2023-10-29T18:12:12ZPropos polémiques : les parlementaires peuvent-ils perdre leur immunité ?<p>Les propos de la députée La France Insoumise (LFI) <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/18/daniele-obono-qualifie-le-hamas-de-mouvement-de-resistance-gerald-darmanin-saisit-la-justice-pour-apologie-du-terrorisme_6195084_823448.html">Danièle Obono</a> au sujet du Hamas sur <a href="https://www.sudradio.fr/politique/daniele-obono-peut-elle-etre-poursuivie-pour-apologie-du-terrorisme">micro de Sud Radio</a>, ont créé un véritable remue-ménage au sein du monde politique.</p>
<p>Le parquet a ainsi été saisi par le ministre de l’Intérieur, estimant qu’ils relèvent de l’apologie du terrorisme, infraction sanctionnée à l’article 421-2-5 du code pénal. De son côté, Eric Ciotti, député Les Républicains (LR), a demandé la levée de l’immunité parlementaire de la députée. Cette proposition est-elle recevable ? Que sait-on sur le statut pénal des parlementaires ?</p>
<p>Consacrée dès 1789 et <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/quel-est-le-statut-penal-d-un-parlementaire,https://www.senat.fr/lc/lc250/lc250_mono.html">définie à l’article 26 de la Constitution</a>, <a href="https://www.labase-lextenso.fr/revue/LPA/2021/05">l’immunité parlementaire</a> assure aux membres du Parlement un régime juridique dérogatoire du droit commun dans leurs rapports avec la justice.</p>
<p>Celui-ci consacre l’immunité comme l’une des traductions du principe de séparation des pouvoirs, elle protège à travers ses membres l’Assemblée contre les intrusions du pouvoir judiciaire, voire du pouvoir exécutif qui pourrait instrumentaliser les poursuites afin d’exercer des pressions sur le Parlement. Elle ne doit donc pas être perçue comme une atteinte à l’égalité devant la loi, mais comme une protection de l’indépendance des parlementaires, garante de l’État de droit : si leur vote était soumis à pression, la loi ne serait plus l’expression de la volonté générale et des règles satisfaisant des intérêts particuliers pourraient s’imposer à tous.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/chef-de-letat-ministres-parlementaires-et-si-limmunite-etait-levee-153690">Chef de l’État, ministres, parlementaires : et si l’immunité était levée ?</a>
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<h2>Irresponsabilité</h2>
<p>Traditionnellement, cette immunité recouvre deux réalités : l’irresponsabilité et l’inviolabilité. La première interdit de rechercher la responsabilité juridique d’un parlementaire à raison des opinions politiques exprimées au sein de la chambre :</p>
<blockquote>
<p>« aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions » (art. 26 al. 1).</p>
</blockquote>
<p>Elle est permanente : les propos et votes émis dans l’exercice des fonctions ne peuvent jamais donner lieu à poursuites ni à condamnation. Elle est également absolue : elle concerne tous les actes accomplis par le parlementaire « dans l’exercice de ses fonctions ».</p>
<p>Cela concerne tous les propos tenus dans l’Assemblée. L’élu qui abuserait de sa liberté de parole pour tenir des propos racistes, antisémites, homophobes… serait toutefois sanctionné par le Président ou le Bureau, pour insulte ou provocation au tumulte, comme l’ont récemment démontré les sanctions adoptées contre les <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/assemblee-nationale-le-depute-rn-gregoire-de-fournas-ecope-de-la-sanction-la-plus-lourde-1876022">députés Grégoire De Fournas</a> (RN) et <a href="https://www.bfmtv.com/politique/parlement/exclusion-du-depute-thomas-portes-comment-le-bureau-de-l-assemble-a-opte-pour-la-sanction-maximale_AN-202302100785.html">Thomas Portes</a> (LFI).</p>
<h2>L’importance du cadre des propos</h2>
<p>La Cour de cassation a estimé que seuls les propos qui peuvent se rattacher aux titres IV et V de la Constitution consacrés respectivement au parlement et aux relations entre le parlement et le gouvernement, sont protégés et non pas les propos tenus dans un autre cadre politique : meeting, interview…</p>
<p>L’irresponsabilité protège le mandat et donc les fonctions parlementaires attachées à l’exercice de la souveraineté. Les propos émis par les parlementaires dans le cadre de leur fonction législative bénéficient de cette irresponsabilité, tout comme ceux tenus dans le cadre de l’activité de contrôle, qu’il s’agisse par exemple des propos tenus dans le cadre des questions au Gouvernement, des commissions d’enquête ou missions d’information.</p>
<p>En revanche, ne sont pas couverts par l’irresponsabilité des propos tenus à l’extérieur de l’Assemblée puisque ceux-ci ne peuvent être rattachés à l’une de ces missions, quand bien même le parlementaire aurait tenu ces propos es qualité. Cela a été le cas pour l’affaire Christian Vanneste – même si ensuite la condamnation du député a été annulée par la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2008/11/12/propos-homophobes-christian-vanneste-blanchi-en-cassation_1117829_3224.html">Cour de Cassation</a>.</p>
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<p>Les discours prononcés en dehors des assemblées ne bénéficient donc pas de l’irresponsabilité et sont ainsi susceptibles d’être réprimés s’ils constituent une injure, une diffamation, une incitation à la haine, à la violence, voire l’apologie du terrorisme, et outrepassent les limites fixées à la liberté d’expression qui, comme le rappelle la Cour de cassation, sont d’interprétation stricte.</p>
<h2>Inviolabilité</h2>
<p>L’immunité garantit également l’inviolabilité de l’élu :</p>
<blockquote>
<p>« aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet en matière criminelle ou correctionnelle d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime flagrant ou de condamnation définitive » (art. 26 al. 2).</p>
</blockquote>
<p>La protection offerte n’est pas une impunité, elle n’empêche pas la poursuite du parlementaire ni la recherche d’éléments visant à établir sa culpabilité.</p>
<p>Ainsi, en 2019, aucune intervention préalable de l’Assemblée n’a été requise avant de poursuivre Jean-Luc Mélenchon, député LFI, pour « actes d’intimidation contre l’autorité judiciaire, rébellion et provocation », <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/03/10/perquisition-au-siege-de-lfi-en-2018-l-enquete-visant-plusieurs-cadres-du-parti-dont-melenchon-classee_6072633_823448.html">suite à la perquisition houleuse</a> des locaux de son parti en octobre 2018.</p>
<p>Mais le dispositif soumet à un examen de la chambre parlementaire la décision de limiter la liberté du parlementaire par une garde à vue, un contrôle judiciaire, voire une détention préventive. En effet, de telles mesures en restreignant sa liberté éloignent l’élu de l’Assemblée et l’empêchent d’exercer son mandat.</p>
<p>Contrairement à l’irresponsabilité, l’inviolabilité n’est pas absolue. D’une part, elle cède devant la flagrance ou face à une décision devenue définitive. D’autre part, l’Assemblée peut lever l’immunité de l’un de ses membres.</p>
<p>Elle n’agit pas de sa seule initiative, mais doit être saisie. Les dispositions de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006530070">l’article 9 bis de l’ordonnance du 17 novembre 1958</a> relative au fonctionnement des assemblées parlementaires sont claires.</p>
<blockquote>
<p>La demande doit être « formulée par le procureur général près la Cour d’appel compétente et transmise par le garde des sceaux, ministre de la Justice, au président de l’Assemblée intéressée ».</p>
</blockquote>
<h2>Un dispositif qui protège le mandat et non l’individu</h2>
<p>Il faut aussi noter que le parlementaire ne peut réclamer lui-même d’être privé de son immunité. Celle-ci protège non l’individu, mais le mandat et la fonction parlementaire associée à l’exercice de la souveraineté. Elle échappe à l’individu et ne peut faire <a href="https://hudoc.echr.coe.int/app/conversion/pdf/?library=ECHR&id=001-96008&filename=001-96008.pdf">l’objet d’une renonciation</a> (CEDH 3 décembre 2009 Kart contre Turquie). La demande doit « indique[r] précisément les mesures envisagées ainsi que les motifs invoqués ».</p>
<p>La levée de l’immunité ne sera valable que pour ces faits. Cette précision, autant que celle les mesures restrictives de liberté envisagées, doivent permettre au Bureau de se prononcer sur le caractère sérieux, loyal et sincère de la demande. Il ne se prononce ni sur la qualification pénale ni sur la réalité des faits, qui ne relèvent que du juge. La décision est donc adoptée par une entité pluraliste, les différentes formations politiques de l’Assemblée étant représentées au sein du Bureau.</p>
<p>Cela permet d’éloigner le doute sur les motivations de la décision : elle n’est pas une mesure politique mais une décision adoptée dans l’intérêt de l’Assemblée par une instance qui reflète la composition de celle-ci et fait donc intervenir des membres de l’opposition et de la majorité. Des députés de l’opposition comme de la majorité peuvent donc voir leur immunité levée par l’Assemblée. Le 24 mai 2023, l’immunité parlementaire de Damien Abad, député apparenté au groupe Renaissance, a <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/05/24/l-immunite-parlementaire-de-damien-abad-accuse-de-viol-levee_6174602_823448.html">ainsi été levée</a>. Par le passé, des députés d’opposition ont également pu être concernés.</p>
<p>Le 18 mars 2015, le Bureau <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/Balkany-l-Assemblee-leve-son-immunite-parlementaire-723382r">a décidé la levée de l’immunité de Patrick Balkany</a>, député d’opposition, mis en examen pour corruption passive et blanchiment de fraude fiscale. Sa mise en garde à vue a dès lors été possible, tout comme son placement sous contrôle judiciaire.</p>
<p>Le fait que le ministre de l’Intérieur, membre de la majorité soit à l’initiative de l’action en justice n’a donc pas d’incidence sur le fond de la décision du Bureau, qui n’est pas lié par les actions du Gouvernement.</p>
<h2>Danièle Obono peut-elle être poursuivie ?</h2>
<p>Maintenant que l’état du droit est éclairé, nous pouvons nous demander si les propos tenus par la députée Obono au micro de Jean-Jacques Bourdin le 17 octobre peuvent être poursuivis. La question n’est pas ici de savoir s’ils sont constitutifs du délit d’apologie du terrorisme, mais si les poursuites sont possibles.</p>
<p>D’une part, les propos tenus en dehors de l’assemblée ne se rattachant pas aux missions législative et de contrôle du Gouvernement ne peuvent être protégés par l’inviolabilité. La responsabilité pénale de la députée peut donc être recherchée.</p>
<p>D’autre part, Eric Ciotti peut-il réclamer la levée de l’immunité parlementaire de la députée ? À notre connaissance le député n’est pas procureur général auprès d’une cour d’appel, il n’est donc pas compétent pour introduire cette demande.</p>
<p>Seul le procureur peut apprécier l’opportunité des poursuites et la nécessité de demander la levée de l’immunité s’il lui faut limiter la liberté d’aller et venir de la députée, soit avant le jugement par exemple par une garde à vue, soit après le jugement par une mesure privative de liberté.</p>
<p>En revanche, la convocation du juge aux fins d’audition, d’interrogation ou de mise en examen, voire la perquisition du domicile du parlementaire ou la fouille de son véhicule ou même sa condamnation à une peine n’entraînant aucune privation de liberté peuvent être prononcées sans qu’il soit nécessaire d’obtenir au préalable la levée de l’immunité. À tel point que certains <a href="https://blog.juspoliticum.com/2017/11/22/immunites-et-statut-des-deputes-vers-une-suppression-de-linviolabilite-par-cecile-guerin-bargues">s’interrogent sur la nécessité</a> aujourd’hui de maintenir l’inviolabilité des parlementaires.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216210/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dorothée Reignier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Eric Ciotti, député LR, a demandé la levée de l’immunité parlementaire de la députée Obono pour des propos tenus sur le conflit israélo-palestinien. Cette proposition est-elle recevable ?Dorothée Reignier, Enseignant chercheur, membre du CERAPS, Université de Lille,, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2161302023-10-25T14:59:50Z2023-10-25T14:59:50ZLa confiance envers les médias au Québec varie beaucoup selon le parti politique auquel on s’identifie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/555621/original/file-20231024-23-uocdqx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C7326%2C4880&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une enquête inédite associe l'adhésion à un parti politique et la confiance - ou non - dans les médias. Les citoyens aux extrémités de l'échiquier politique sont les plus méfiants.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Dans plusieurs sociétés démocratiques, la multiplication de sondages <a href="https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/digital-news-report/2023">ne cesse de confirmer une chute de la confiance des citoyens envers les médias</a> et les journalistes. Le Québec ne fait pas exception.</p>
<p>La plupart des sondages se limitent à des questions très générales sur la confiance, une notion somme toute imprécise. Mais une vaste enquête réalisée en avril 2023 par moi-même et la collègue Marie-Ève Carignan, de l’Université de Sherbrooke, a recouru à une variable majeure à prendre en considération, soit l’affiliation partisane. <a href="https://www.uottawa.ca/notre-universite/toutes-nouvelles/credibilite-medias-est-baisse-au-quebec-revele-vaste-enquete">Voici le rapport complet issu de cette recherche</a>. </p>
<p>Nous avons utilisé des indicateurs reconnus, par le biais de 40 questions et propositions précises. Elle a été réalisée avec le panel en ligne Léger Opinion (LEO), auprès d’un échantillon représentatif de 1 598 Québécois et Québécoises.</p>
<p>Il est inédit au Québec, à ma connaissance, de considérer l’affiliation partisane comme facteur pertinent de l’évaluation des médias, chose pourtant coutumière aux <a href="https://news.gallup.com/poll/403166/americans-trust-media-remains-near-record-low.aspx">États-Unis</a>. Au Québec, on estime que le <a href="https://www.lapresse.ca/affaires/chroniques/2022-09-17/cadres-financiers/comment-la-gauche-et-la-droite-jouent-avec-nos-finances.php">cadre financier des formations politiques, lors d’élections générales</a>, permet de les situer sur l’axe idéologique gauche droite. C’est ainsi qu’on retrouve respectivement Québec Solidaire (QS), le Parti Québécois (PQ), le Parti Libéral du Québec (PLQ), la Coalition Avenir Québec (CAQ) et le Parti conservateur du Québec (PCQ).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-confiance-des-canadiens-envers-les-medias-a-son-plus-bas-184998">La confiance des Canadiens envers les médias à son plus bas</a>
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<h2>Plus de méfiance aux extrêmes de l’échiquier politique</h2>
<p>La confiance est une évaluation globale qu’on élabore sur la base de perceptions et d’expériences vécues directement ou rapportées par des tiers. Elle n’a pas la même signification pour chacun et chacune. C’est une notion polysémique. De là l’importance de se pencher sur certaines de ses composantes.</p>
<p>Quand il est question de médias d’information, la confiance comme la méfiance se manifestent surtout quant à la perception de l’indépendance et de la neutralité des journalistes. Cela est nettement plus visible chez les répondants qui affichent une préférence pour le PCQ. Par exemple, quand il est question de l’influence des préférences politiques des journalistes dans leur travail d’information, près de la moitié des gens s’identifiant au PCQ estiment que cela arrive souvent.</p>
<p>Ce sont également eux qui estiment davantage que les journalistes ne résistent ni aux pressions de l’argent ni aux pressions des partis politiques et du pouvoir politique comme le montrent les deux graphiques suivants.</p>
<p>C’est aussi à droite du spectre idéologique que se manifeste la méfiance envers les aides publiques accordées aux médias d’information. Ils sont suivis de loin par les gens s’identifiant à QS, probablement pour des raisons différentes qu’il faudrait explorer éventuellement.</p>
<p>Les personnes sondées ne se font pas trop d’illusions quant à l’influence des annonceurs sur le travail journalistique, mais dans ce cas-ci, les gens s’identifiant à QS ne sont pas très loin de ceux du PCQ.</p>
<p>Faut-il s’étonner de constater que les perceptions varient considérablement en fonction du positionnement idéologique quand vient le temps de se prononcer sur l’orientation idéologique des médias ?</p>
<p>La méfiance s’observe aussi dans la préférence déclarée envers les médias traditionnels ou les médias sociaux. On peut anticiper que plus on se méfie des premiers, plus on aura tendance à s’informer auprès des seconds. Cela se vérifie dans le graphique suivant :</p>
<p>Finalement, quand on leur demande de se prononcer sur une échelle d’intensité (où 1 signifie désaccord total et 5 signifie accord total avec la proposition soumise), les moyennes des répondants et répondantes à droite du spectre idéologique se démarquent nettement. Les deux graphiques suivants l’illustrent à leur tour.</p>
<h2>Deux sources de méfiance : l’ignorance et la connaissance des médias</h2>
<p>À la lumière de ces résultats, je crois qu’au lieu de se contenter de questions aussi générales qu’imprécises pour mesurer le niveau de confiance/méfiance envers les médias et les journalistes, il est préférable de recourir à des indicateurs reconnus d’une part, et chercher d’autre part des variables qui permettent d’y voir plus clair.</p>
<p>Pour mieux comprendre ce qui motive la méfiance envers les médias, l’affiliation partisane, avec ce qu’elle charrie de convictions idéologiques et normatives, est des plus pertinentes.</p>
<p>Par ailleurs, on présume trop souvent que la méfiance repose sur un manque de littératie des médias, et que combler cette méconnaissance <a href="https://www.ledevoir.com/lire/798246/coup-d-essai-redorer-blason-medias">serait « LA » solution</a>. Or, s’il existe bien une méfiance basée sur l’ignorance ou des a priori idéologiques, il y a aussi une méfiance « éclairée ». </p>
<p>En effet, il est permis de croire que bon nombre de gens très familiers avec les journalistes (personnalités publiques, relationnistes, chercheurs, journalistes, <a href="https://ecosociete.org/livres/la-collision-des-recits">essayistes</a>, etc.) sont loin de leur accorder une grande confiance. Bien souvent, ces acteurs expriment leurs doutes quant à la véracité ou l’indépendance des journalistes et des médias. Ils le font dans des <a href="https://www.quebec-amerique.com/index.php?id_product=10528&controller=product&search_query=intox&results=1">essais</a>, des entrevues, des biographies ou mémoires, des <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-11-16/confiance-envers-les-medias/ca-ne-va-pas-dans-le-bon-sens-groupe.php">interventions publiques</a> et, bien entendu, sur les médias sociaux.</p>
<p>Le sondage a aussi révélé que 41 % des répondants et répondantes estiment qu’il y a trop de chroniques, alors que 34 % croient que les journalistes sont réceptifs à la critique, et 41 % qu’ils essaient de cacher leurs erreurs. Ces facteurs ne favorisent ni la confiance ni la crédibilité, qui est une autre notion critique quand il est question d’information.</p>
<h2>L’intensité des convictions idéologiques, une variable déterminante</h2>
<p>Pour l’instant, on doit conclure que la méfiance envers les médias et leurs journalistes est nettement plus accentuée à droite du spectre idéologique qu’à gauche. C’est à droite qu’on fait le moins confiance à bon nombre d’acteurs et d’institutions (experts, scientifiques, justice, système démocratique, gouvernements, institutions internationales et médias locaux).</p>
<p>Les répondants du centre gauche (PQ) comme du centre droit (PLQ et CAQ), leur font davantage confiance, mais dans tous les cas, elle est fragile.</p>
<p>Il y aurait lieu d’explorer comment la confiance envers les médias et leurs journalistes varie, non seulement en fonction de l’affiliation partisane, mais aussi selon divers enjeux qui font réagir l’opinion publique. En demandant, par exemple, à quel média on fait confiance lorsqu’il est question d’immigration, d’environnement, de santé, de politique ou d’économie, on pourrait mieux observer les fluctuations au sein de groupes de répondants s’identifiant à un parti politique ou un autre.</p>
<p>Par ailleurs, une méthode qualitative (par enquête ou entrevues) permettrait de mieux comprendre les multiples raisons que mobilisent nos répondants. Cela pourrait expliquer les écarts qui existent surtout chez ceux s’identifiant au Parti conservateur, mais aussi, dans une moindre mesure chez ceux de Québec Solidaire : sentiment d’hostilité des médias envers eux ou leurs convictions, méfiance des élites, cynisme, mauvaises expériences avec des journalistes, méconnaissance des médias, facteurs culturels ou socio-économiques, etc.</p>
<p>Quand il est question de faire confiance aux médias et à leurs journalistes, ou de s’en méfier, on ne peut pas écarter l’hypothèse que l’intensité des convictions idéologiques, morales et politiques soit une variable déterminante.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216130/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc-François Bernier (Ph. D.) est membre de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). L'analyse soumise n'est liée à aucun financement. Le sondage a été réalisé avec ma collègue Marie-Ève Carignan (Université de Sherbrooke) dans le cadre de nos activités universitaires. Le Ministère de la Culture et des Communications du Québec a versé une subvention de recherche uniquement pour couvrir les frais de la firme Léger Marketing.</span></em></p>Pour mieux comprendre ce qui motive la méfiance envers les médias, il faut regarder du côté de l’affiliation partisane des citoyens, et de la manière dont les convictions idéologiques l’influencent.Marc-François Bernier (Ph. D.), Professeur titulaire au Département de communication de l'Université d'Ottawa, spécialisé en éthique, déontologie et sociologie du journalisme, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2145212023-10-19T20:37:30Z2023-10-19T20:37:30ZLa France insoumise et Renaissance : crise ou métamorphose de partis singuliers ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/551189/original/file-20230929-27-e9cvb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=136%2C56%2C2338%2C2195&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le futur demeure incertain, avec des défis toujours présents pour ces deux formations, notamment en matière de leadership.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/scratched-posters-streets-paris-april-21-625766570">Laurentlesax</a></span></figcaption></figure><p>La crise sans précédent qui divise la gauche et la LFI, en raison des prises de position de Jean-Luc Mélenchon et de certains cadres de son mouvement au sujet des <a href="https://twitter.com/jlmelenchon/status/1712180530228117832?s=61&t=wSy5WVrwX54m1O2-Sbk-sw">attaques du Hamas sur Israël</a> du 7 octobre 2023 entache sérieusement l’avenir de <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/la-nupes-se-rapproche-un-peu-plus-dun-divorce-1987041">l’alliance de gauche</a>.</p>
<p>Le PCF voit l’union comme une « impasse », plaidant pour une <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20231015.OBS79547/le-pcf-qualifie-la-nupes-d-impasse-et-appelle-a-un-nouveau-type-d-union-pour-la-gauche.html">nouvelle forme d’union à gauche</a>, tandis que le Conseil national du PS a décidé d’un <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/17/jean-luc-melenchon-accuse-olivier-faure-de-rompre-la-nupes-apres-les-critiques-du-premier-secretaire-du-ps_6194956_823449.html">moratoire</a> sur sa participation à la Nupes, appelant à un « fonctionnement plus démocratique » de l’alliance pour aboutir à <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/17/jean-luc-melenchon-accuse-olivier-faure-de-rompre-la-nupes-apres-les-critiques-du-premier-secretaire-du-ps_6194956_823449.html">« une candidature commune à l’élection présidentielle de 2027 »</a></p>
<p>Ces événements viennent ajouter à une situation déjà fragile, à la suite des élections de 2022, et dans lequel l’horizon politique pour LFI/Nupes mais aussi pour le parti présidentiel, LREM (devenue Renaissance) entre dans une période d’incertitude.</p>
<p>Tandis qu’Emmanuel Macron ne peut briguer un troisième mandat présidentiel consécutif, Jean-Luc Mélenchon qui ne détient plus de mandat électif, semble vouloir se mettre en <a href="https://www.youtube.com/watch?v=tI4kWSn5Awk">« retrait »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-discours-de-defaite-sont-ils-souvent-de-bons-discours-181438">Pourquoi les discours de défaite sont-ils (souvent) de bons discours</a>
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<p>Pour LFI, la crise actuelle trouve son origine dans un déficit d’horizontalité et à l’influence continue de Jean-Luc Mélenchon. Du côté de Renaissance, l’incertitude provient d’un verrouillage institutionnel. Ces situations soulèvent des questions sur la succession de ces deux leaders. En effet, ni les statuts de Renaissance, ni ceux de LFI n’établissent de procédures démocratiques explicites pour désigner leurs successeurs.</p>
<p>Ces formations partisanes vont donc être amenées à régler des enjeux de leadership. Bien qu’ils aient partagé des <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ps/2022-v41-n2-ps06818/1088649ar/">structures organisationnelles similaires</a> par le passé (parti-mouvement, à adhésion gratuite, peu démocratique et centré sur une plate-forme numérique), LFI et Renaissance empruntent désormais des voies divergentes en matière de gouvernance et de stratégie interne.</p>
<h2>Entre transition et tensions : Les nouveaux défis de la France insoumise</h2>
<p>Quelques mois après la campagne présidentielle, une <a href="https://lafranceinsoumise.fr/assemblee-representative-10-decembre-2022/">« Assemblée représentative »</a> est mise en place le 10 décembre 2022, composée d’un tiers de cadres et de deux tiers de militants tirés au sort. Elle a pour but de formaliser l’organisation par la création de deux organes ; la « coordination des espaces » et le « conseil politique ». Les principales figures du mouvement proches de Jean-Luc Mélenchon, telles que Sophia Chikirou, Manuel Bompard, Mathilde Panot, entre autres, occupent la <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/la-france-insoumise-la-nouvelle-direction-autour-de-manuel-bompard-attise-les-critiques-au-sein-du-mouvement_5536845.html">première instance</a>, tandis que des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/12/09/a-lfi-une-assemblee-representative-qui-seme-la-colere-au-sien-du-parti_6153732_823448.html">figures dissidentes</a> comme Clémentine Autain et François Ruffin sont reléguées au conseil politique, une instance spécialement créée pour l’occasion <a href="https://www.lepoint.fr/politique/lfi-tient-son-premier-conseil-politique-sans-ruffin-autain-corbiere-ni-garrido-16-01-2023-2504952_20.php">représentant la pluralité du mouvement</a>. Pour les évincés de la coordination du parti, cela s’apparenterait davantage à un <a href="https://www.liberation.fr/politique/elections/lfi-choisit-une-direction-ultra-resserree-et-suscite-la-colere-20221210_6MZ3XJOVVBC2XJ5FGOZEDYD7TU/">« conseil Théodule »</a>, un comité sans grande utilité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/france-insoumise-un-cesar-a-la-tete-dun-mouvement-anarchique-169482">France insoumise : un César à la tête d’un mouvement anarchique ?</a>
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<p>L’Assemblée représentative valide la stratégie de l’ancrage local par la création de « boucles départementales » et l’acquisition de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=g7ayvI4t3jQ">« QG insoumis »</a>. Les 21 membres de la coordination des espaces plébiscitent <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/12/10/manuel-bompard-prend-les-renes-de-la-france-insoumise-sous-les-critiques-de-figures-du-parti_6153880_823448.html">Manuel Bompard</a> à la coordination nationale. Toutefois, la désignation de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Interroi">interrex</a> – leader temporaire du mouvement avant la nomination d’un successeur à Jean-Luc Mélenchon – n’a pas été sans remous. Plusieurs cadres influents tels qu’Alexis Corbière, Clémentine Autain, François Ruffin et Éric Coquerel ont regretté l’absence de consultation dans ce processus et souligné l’opacité de ce plébiscite.</p>
<p>La centralisation des décisions a été un point de friction, suscitant des <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-brief-politique/la-france-insoumise-se-dechire-apres-une-reorganisation-qui-exclut-les-figures-montantes-du-parti_5507295.html">critiques internes</a>, avec des termes tels que : « purge », « verrouillage » ou encore « autodésignation ».</p>
<p>Ainsi, malgré ces évolutions structurelles, LFI conserve son identité de <a href="https://le1hebdo.fr/journal/numeros/174/melenchon-dit-tout/politique_franaise-personnalit.html">parti-mouvement gazeux</a>. L’organisation n’a pas fondamentalement changé et Jean-Luc Mélenchon garde un magistère sur la structure qu’il continue à diriger (Manuel Bompard est un proche).</p>
<h2>Renaissance : du parti-mouvement au parti traditionnel ?</h2>
<p>En mars 2022, Emmanuel Macron plaide pour la formation d’un <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/presidentielle-2022-un-nouveau-parti-pour-emmanuel-macron-7900144281">nouveau parti</a> englobant tous les partis de la majorité présidentielle (excepté le MoDem et Horizons qui gardent leur indépendance). Ce <a href="https://www.lepoint.fr/politique/la-republique-en-marche-devient-officiellement-renaissance-17-09-2022-2490355_20.php#11">« nouveau » parti</a> établit rapidement de nouveaux statuts votés par les adhérents de LREM et Stéphane Séjourné en prend la tête. Ces statuts marquent le passage à une organisation partisane « traditionnelle » typique de la V<sup>e</sup> République avec une structure hiérarchisée claire, qui vise un <a href="https://metropolitiques.eu/Municipales-2020-La-Republique-en-marche-au-defi-de-l-ancrage-politique-local.html">ancrage local</a> (il est actuellement faible).</p>
<p>Du temps de LREM, le bureau exécutif désignait les référents, entraînant de nombreuses critiques en interne sur son manque de démocratie. Désormais à Renaissance, les membres des bureaux départementaux sont élus par les adhérents du département pour trois ans. En cela, sa structuration rappelle les fédérations socialistes. Chaque assemblée départementale est organisée en association loi de 1901, avec un budget dépendant du nombre d’adhérents, des cotisations des élus locaux et des contributions des sympathisants, à l’opposé de ce qui se faisait à LREM, où le budget était alloué par appel à projets.</p>
<p>Renaissance offre une plus grande autonomie financière et de liberté d’action dans les activités militantes locales (impressions de propagande politique, etc.). De plus, contrairement à LREM où le bureau exécutif désignait les candidats locaux, ce sont désormais les bureaux départementaux qui les choisissent pour les villes de moins de 60 000 habitants. L’attrait de ces instances locales n’a pas échappé à une dizaine de ministres, désireux d’étendre leur influence. Ces figures politiques ont saisi l’opportunité des élections internes de Renaissance pour se positionner à la tête de certains bureaux départementaux et ainsi se constituer des fiefs. On y retrouve, par exemple, Gérald Darmanin dans le Nord, Patricia Mirallès dans l’Hérault, et Aurore Bergé dans les Yvelines.</p>
<p>Cependant, malgré ces évolutions structurelles, le défi reste de taille pour Renaissance. Il se heurte à la difficulté de la conversion des <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/regionales/on-n-a-pas-des-militants-on-a-des-cliqueurs-francois-patriat-etrille-lrem-parti-trop-virtuel-20210622">« cliqueurs LREM »</a> (soutiens sur Internet) en adhérents Renaissance.</p>
<p>Suite à 12 entretiens que nous avons menés avec des présidents de bureaux départementaux, il ressort qu’en moyenne, seulement 10 % des cliqueurs LREM deviennent adhérents Renaissance. Pour augmenter ce pourcentage, certains présidents de bureaux départementaux ont adopté des approches « proactives » telles que le <em>phoning</em>, l’envoi de courriels et même des rencontres informelles autour de « goûters ». Cependant, ils rencontrent divers obstacles, tels que des bases de données LREM obsolètes ou la présence de cliqueurs issus de partis d’opposition. Le passage à la cotisation offre plus de droits, mais aussi plus de responsabilités, nécessitant ainsi un apprentissage de la démocratie partisane. Malgré ces efforts, la conversion reste timide, avec seulement <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-republique-en-marche/info-franceinfo-renaissance-le-parti-presidentiel-revendique-un-pic-d-adhesions-avec-pres-de-400-nouveaux-adherents-hebdomadaires_5753147.html">30 000 adhérents officiels à ce jour</a>.</p>
<h2>L’heure de la restructuration</h2>
<p>Une transformation s’opère au sein des partis politiques phares, La France Insoumise (LFI) et La République en Marche (devenue Renaissance). LFI cherche à équilibrer démocratisation interne et centralisation, en adoptant une structure davantage ancrée localement, mais rencontre des tensions internes, notamment exacerbées par la crise au Proche-Orient et les déclarations de Jean-Luc Mélenchon. Ces dernières ont eu pour effet de <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/comment-la-guerre-entre-israel-et-le-hamas-exacerbe-les-divisions-au-sein-de-la-france-insoumise_6127539.html">polariser les élites partisanes</a>, démontrant, s’il en était encore besoin, que « l’ancien leader » est toujours aux commandes du mouvement.</p>
<p>De son côté, Renaissance se métamorphose d’un parti-mouvement à une formation plus traditionnelle, mettant en avant des structures départementales et cherchant à renforcer sa base d’adhérents.</p>
<p>Dans les deux cas, rien n’est tranché sur la question de la désignation du futur candidat aux élections présidentielles de 2027. Les organisations évoluent, mais le futur demeure incertain, avec des défis toujours présents pour ces deux formations, notamment en matière de leadership.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214521/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ludovic Grave ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ni Renaissance ni La France insoumise ne disposent à ce jour de procédures démocratiques traditionnelles pour désigner leurs leaders et faire face aux crises qui les divisent.Ludovic Grave, Doctorant en science politique, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2133192023-09-26T19:09:15Z2023-09-26T19:09:15ZAvec les députés novices, le rôle déterminant des collaborateurs parlementaires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/550054/original/file-20230925-15-hyoef0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C15%2C2048%2C1345&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue de l'hémicyle où siègent les députés du Parti socialiste, 2013.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/partisocialiste/10437350944">Mathieu Delmestre/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les deux dernières élections législatives françaises eurent des dénouements inédits sous la V<sup>e</sup> République. Celle de 2017 fut marquée par la victoire d’un parti émergent et l’arrivée massive au Palais Bourbon de députés <a href="https://www.puf.com/content/Les_candidats">sans engagement préalable en politique</a>, tandis que la suivante vit la majorité parlementaire sortante être réduite à une majorité relative. De ce fait, l’attention s’est surtout portée sur <a href="https://www.lemonde.fr/elections-legislatives-2022/article/2022/06/21/legislatives-2022-une-assemblee-jeune-avec-un-renouvellement-au-dessus-de-la-moyenne-de-la-ve-republique-porte-par-les-oppositions_6131383_6104324.html">l’ampleur des renouvellements législatifs</a> (72 % de nouveaux députés en 2017, 52 % en 2022), ainsi que sur les espoirs de transformation du fonctionnement du champ politique, tant ceux d’un « nouveau monde » macronien que ceux d’un fonctionnement proprement parlementaire du régime dans la situation de majorité relative.</p>
<p>Au point d’éclipser le rôle de ceux qui contribuent quotidiennement au travail politique et <a href="https://theconversation.com/turnover-des-assistants-parlementaires-a-lassemblee-nationale-comme-dans-une-entreprise-de-services-104913">parlementaire</a> : les collaborateurs parlementaires, salariés dont le travail consiste à épauler le député dans ses différentes activités, tant dans les coulisses du Palais Bourbon qu’en circonscription.</p>
<p>L’étude des entourages des primo-députés permet pourtant de contribuer aux réflexions sur le noviciat en politique, en complexifiant la compréhension de l’action de ces élus et de ses conditions de réussite, et de saisir comment la collaboration parlementaire fut transformée – ou non – par l’irruption de ces nouveaux entrants.</p>
<p>Le questionnement de cette enquête est donc le suivant : les députés novices s’entourent-ils différemment par rapport à leurs collègues plus expérimentés ? La réalisation de biographies collectives, réalisées à partir de LinkedIn, comparant le profil des collaborateurs des XV<sup>e</sup> et XVI<sup>e</sup> législatures (2017-2022) et (2022-2027), et la conduite d’entretiens avec des députés élus pour la première fois en juin 2022 permettent d’apporter des éléments de réponses, présentés lors d’un <a href="https://ceraps.univ-lille.fr/detail-event/journee-detude-noviciat-en-politique">colloque sur le noviciat en politique</a>.</p>
<h2>Qui sont les collaborateurs des députés novices ?</h2>
<p>Malgré les forts taux de renouvellement lors des élections, les recrutements effectués par les députés en 2017 et 2022 sont conformes à <a href="https://hal.science/hal-01870895/document">certaines tendances de longs termes</a>. Leurs collaborateurs sont ainsi une population jeune (c’est souvent un premier emploi), diplômée – souvent en droit ou en science politique –, et largement féminisée (autour de 50 %). La taille des équipes est proche de ce qui fut mesuré par le passé, puisque les nouveaux députés avaient en moyenne environ 3,7 collaborateurs, pour un nombre total de collaborateurs approchant rapidement les 2000 individus.</p>
<p>Toutefois, les collaborateurs des députés Rassemblement national élus ou réélus en 2022 se distinguent des autres collaborateurs. En effet, ceux-ci cumulent plus que les autres un mandat électif, notamment de conseiller municipal ou régional, avec leur position de collaborateur : le panel de 95 collaborateurs RN possédait ainsi 54 mandats, contre seulement 24 mandats pour le panel de 142 collaborateurs Renaissance. Cela souligne l’étroitesse du vivier de candidats et de militants du parti, puisqu’un nombre restreint d’individus cumulent les mandats, les candidatures et les positions de collaborateurs.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=216&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548352/original/file-20230914-29-bt2b5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=272&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Mandats possédés par les collaborateurs LREM, LFI et RN en octobre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le capital culturel possédé par les collaborateurs RN est par ailleurs moindre par rapport à leurs homologues des deux groupes principaux REN et La France Insoumise : environ 85 % des collaborateurs LFI et REN ont un diplôme de niveau au moins bac +5, contre seulement 60 % des collaborateurs RN. L’origine sociale plus populaire des collaborateurs RN montre ainsi que le parti joue un rôle de promotion sociale de ses militants par la collaboration.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=309&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549535/original/file-20230921-19-tvyizf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=388&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Niveau de diplôme des collaborateurs LREM, LFI et RN en septembre 2022 (%). Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">A.Ghemires, 2023</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Comment les députés novices choisissent-ils leurs collaborateurs ?</h2>
<p>Les entretiens réalisés avec des primo-députés montrent la centralité de certains critères de recrutement : l’obtention d’un diplôme juridique ou en science politique, une expérience dans le travail politique ou parlementaire, la <a href="https://www.cairn.info/revue-actes-de-la-recherche-en-sciences-sociales-2004-5-page-4.htm">possession d’une expérience militante</a> ou d’une implantation dans la circonscription sont ainsi particulièrement valorisés.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/uH_uHahHzSo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les collaborateurs parlementaires dans l’ombre des députés, LCI, 2021.</span></figcaption>
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<p>Ces propriétés sont souvent réunies chez les militants ayant pris part à la campagne législative, ce qui explique la fréquence de leur recrutement par les nouveaux députés. Cela permet à l’élu de récompenser les militants l’ayant aidé, tout en ayant pu s’assurer de leurs compétences et de leur loyauté pendant la campagne. La proximité qui en résulte souvent explique que les nouveaux élus tiennent à transposer à leur cabinet parlementaire le fonctionnement souvent consensuel et collectif de l’équipe de campagne, comme un élu insoumis qui décrit son équipe – non sans contradiction – comme une « [coopérative] avec un chef ».</p>
<h2>Un rapport différencié au militantisme politique</h2>
<p>Selon l’appartenance partisane des élus, on constate un rapport différencié au militantisme politique lors du recrutement des collaborateurs. Les élus de la majorité (Renaissance-MoDem-Horizons) affichent un rapport plus distancié au militantisme politique, alors que les élus d’opposition valorisent davantage l’expérience militante.</p>
<p>Ainsi, les quatre députés LFI interrogés ont recruté exclusivement des militants Insoumis, alors qu’une élue Horizon a recruté une sympathisante Nupes, qui avait cependant participé à sa campagne. Deux conceptions de la collaboration parlementaire s’opposent ici : une conception technocratique et apolitique, <a href="https://www.cairn.info/l-entreprise-macron--9782706142635.htm">largement diffusée à l’intérieur de la majorité</a>, et une conception militante et politique, valorisant davantage les savoirs partisans, plus présente chez les partis à l’identité militante plus forte, notamment à gauche.</p>
<p>Enfin, les primo-députés font des choix différents selon leur expérience en politique. Alors que les élus les plus novices font des choix improvisés et dans l’urgence lors de la constitution de leurs équipes, les élus les plus expérimentés anticipent davantage le recrutement de leur équipe, souvent avant même leur élection, et leurs choix sont plus stratégiques et adaptés aux objectifs poursuivis.</p>
<p>Les nouveaux élus les plus néophytes sont ainsi pénalisés au début de leur mandat par leur méconnaissance de la collaboration parlementaire, contrairement aux néo-députés plus chevronnés qui connaissent mieux le fonctionnement de la collaboration parlementaire.</p>
<h2>Le noviciat des collaborateurs</h2>
<p>Cependant, le noviciat à l’Assemblée ne concerne pas seulement les députés puisque, parce qu’elle est faiblement formalisée, la position de collaborateur s’apprend largement sur le tas. La découverte des spécificités de cette fonction, comme le rythme soutenu ou la dépendance envers l’élu, peut entraîner des désillusions. Celles-ci sont d’autant plus vives lorsque le collaborateur n’a pas eu d’engagement militant préalable lui ayant permis de se familiariser avec ces aspects du champ politique. C’est le cas de nombre de collaborateurs recrutés après un premier engagement politique lors de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron en 2017.</p>
<p>Un récit fréquemment entendu dans les couloirs de l’Assemblée raconte le départ massif et rapide de ces collaborateurs novices lors de la première année de la XV<sup>e</sup> législature. Même si les <a href="https://theconversation.com/turnover-des-assistants-parlementaires-a-lassemblee-nationale-comme-dans-une-entreprise-de-services-104913">études disponibles à ce sujet</a> relativisent ce phénomène, les données recueillies confirment en partie ce narratif. Les biographies collectives réalisées montrent que les collaborateurs LREM partis pendant la première année de la XV<sup>e</sup> législature étaient, par rapport aux collaborateurs restés, plus diplômés, davantage issus du secteur privé (36 % contre 13 %), et qu’ils ont effectué davantage de reconversions dans ce secteur.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/549536/original/file-20230921-25-mqzlhx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=453&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Expérience professionnelle des collaborateurs LREM partis ou restés en septembre 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Annis Ghemires, enquête collaborateurs 2023</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les raisons de ces départs sont nombreuses, mais la distance avec le monde politique semble avoir favorisé le départ rapide des collaborateurs. <a href="https://laviedesidees.fr/Etienne-Ollion-Les-candidats">L’échec des députés novices</a>, qui ne sont pas parvenus à jouer les premiers rôles lors de la précédente législature (2017-2022), peut donc également être imputé au recrutement de collaborateurs inexpérimentés, moins susceptibles de les seconder efficacement. L’organisation de leurs entourages apparaît ainsi plus que jamais déterminante pour la réussite des élus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213319/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Annis Ghemires a été collaborateur parlementaire d'un député de novembre 2018 à septembre 2020. </span></em></p>L’étude des entourages des primo-députés permet de contribuer aux réflexions sur le noviciat en politique.Annis Ghemires, Doctorant en science politique, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2132792023-09-21T16:31:14Z2023-09-21T16:31:14ZEt si la dépolitisation était une bonne nouvelle pour la démocratie ?<p>Dans un <a href="https://www.cairn.info/politique-de-l-activisme--9782130829904-page-101.htm">récent ouvrage</a>, le sociologue Albert Ogien remarque que déplorer la dépolitisation des démocraties libérales occidentales est devenu un marronnier du débat public. L’idée sous-jacente à ces critiques – qui peuvent se déployer sur un spectre idéologique très large – est souvent que la dépolitisation serait une menace pour la <a href="https://theconversation.com/les-europeens-sont-ils-vraiment-democrates-210096">démocratie</a>. Y souscrire a des conséquences concrètes : on jugera par exemple qu’une « bonne » politique publique est celle qui <a href="https://www.editions-stock.fr/livres/essais-documents/comprendre-le-malheur-francais-9782234075412">promeut l’engagement civique</a> et permet, ce faisant, d’endiguer ce qui est présenté comme la <a href="https://www.editions-stock.fr/livres/essais-documents/macron-les-lecons-dun-echec-9782234085039">spirale mortifère de la dépolitisation</a>.</p>
<p>Il est bien moins fréquent de tenter de faire valoir, en contrepoint, l’idée selon laquelle les noces de la <a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-1990-3-page-77.htm">« désertion civique »</a> et de ce que l’historien Marcel Gauchet appelait dès 1990 la <a href="http://le-debat.gallimard.fr/articles/1990-3-pacification-democratique-desertion-civique/">« pacification démocratique »</a> ne seraient pas forcément malheureuses. Plus hardiment encore, ne pourrait-on soutenir qu’il serait à la fois logique et bénéfique que <a href="https://theconversation.com/crise-dans-la-democratie-ou-crise-pour-la-democratie-150188">démocratisation</a> et dépolitisation avancent de pair ? Nous souhaitons ici proposer quelques pistes de réflexion permettant a minima de considérer ce second possible.</p>
<h2>La démocratie comme régime ou comme mode de vie ?</h2>
<p>Commençons par rappeler une distinction précieuse entre les compréhensions politiques et sociales de la démocratie : la démocratie comme régime diffère de la démocratie comme mode de vie.</p>
<p>La définition classique de la démocratie s’en tient largement à son étymologie, le pouvoir du peuple, directement ou par le biais de ses représentants. On doit cependant à <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k37007p">Tocqueville</a> d’avoir durablement ancré une compréhension moderne de la démocratie comme règne de l’égalité de principe entre les humains, déploiement de l’individualisme et passion du bien-être. Plus récemment, le philosophe Roberto Frega a bien montré comment le projet démocratique avait certes un volet politique important, <a href="https://books.openedition.org/psorbonne/100062?lang=fr">mais surtout un volet social qui le contient et le contraint</a>.</p>
<p>Les individus des temps démocratiques sont <a href="https://www.cairn.info/revue-le-debat-2020-3-page-155.htm">bien plus exigeants</a> que leurs devanciers en termes de libertés de choix, de justice, ou encore de possibilités de s’épanouir personnellement. La démocratisation peut être conçue en ce sens comme le progrès de la satisfaction de ces exigences. Au contraire, une politisation excessive de la vie personnelle et sociale pourrait être, dans cette logique, un obstacle à ces mêmes progrès. Elle pourrait par exemple créer plus de tensions entre les individus, ou encore la <a href="https://theconversation.com/tous-les-jeunes-ne-sont-pas-greta-thunberg-et-ceux-qui-aspirent-a-letre-restent-bien-en-peine-213496">vie militante pourrait leur laisser trop peu de temps pour leurs loisirs</a>.</p>
<p>Cela ouvre des pistes pour interpréter avec un regard nouveau deux phénomènes souvent présentés comme des symptômes d’une crise de la démocratie.</p>
<h2>L’abstention : une bonne nouvelle ?</h2>
<p>L’une d’entre elles consiste en un sens renouvelé qu’il serait possible de donner aux hausses constantes ou presque de l’abstention électorale, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6652827">largement documentées</a> et commentées à loisir par les analystes politiques. Un lieu commun dans ce domaine est de mettre ce phénomène massif au débit de l’individualisme contemporain, le désintérêt pour la chose publique s’expliquant alors par la passion pour des activités privées jugées futiles. Dans ce type de discours, préférer les plaisirs privés aux engagements publics est considéré comme un choix peu raisonnable et peu responsable. Mais est-ce si certain ?</p>
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<p>Il nous semble plus pertinent de réactiver et actualiser une <a href="https://www.institutcoppet.org/wp-content/uploads/2015/01/7.-CONSTANT-Benjamin-De-la-liberte-des-Anciens-comparee-a-celle-des-Modernes.pdf">distinction célèbre du penseur Benjamin Constant</a> entre la liberté des Anciens et celle des Modernes. Au regard de cette analyse, il apparaît que la part civique de l’existence individuelle n’est plus considérée par nos contemporains comme la plus intéressante et épanouissante, la vie familiale ou les activités sportives gagnant du terrain sur ce plan. Rien de déraisonnable ou de coupable, donc, mais une dynamique moderne à assumer comme telle.</p>
<p>Risquons-nous à aller plus loin encore : si les citoyens percevaient profondément que l’enjeu d’une élection était vital pour eux, qu’il s’agissait de tout y gagner ou de tout y perdre, sans doute se mobiliseraient-ils bien davantage. Mais peut-on souhaiter que de tels enjeux soient sur la table à intervalles réguliers ? La limitation du pouvoir de transformation concret de l’État sur la société et sur la vie des individus est de longue date un <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070349739-qu-est-ce-que-le-liberalisme-ethique-politique-societe-catherine-audard/">objectif clé des pensées libérales</a>. En ce sens, une dépolitisation individuelle qui serait la conséquence d’une décroissance du pouvoir effectif de la politique comme activité collective sur nos vies pourrait être une bonne nouvelle – si l’on partage une telle sensibilité libérale.</p>
<h2>Une désaffiliation politique honorable ?</h2>
<p>La conversation politique contemporaine porte également beaucoup sur le brouillage du champ partisan, <a href="https://www.cairn.info/crise-mondiale-et-systemes-partisans--9782724623406.htm">observable à échelle mondiale</a>, et en particulier d’un <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Le-Debat/La-droite-et-la-gauche">clivage droite-gauche</a> longtemps <a href="https://www.editionsddb.fr/product/117153/emmanuel-macron-une-revolution-bien-temperee/">structurant de la politique française</a>. Sur ce panorama évoluent un <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-archipel-francais-jerome-fourquet/9782021406023">nombre croisant d’individus désaffiliés</a>, capables d’une <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-france-sous-nos-yeux-jerome-fourquet/9782021481563">grande labilité de positions d’une élection à l’autre</a>.</p>
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<p>Les choses sont en effet moins claires que lorsque les individus étaient immédiatement et entièrement positionnables, comme ce fut le cas par exemple <a href="https://www.cairn.info/l-esprit-de-la-ve-republique--9782262034443.htm">durant les Trente Glorieuses</a>, dans l’opposition entre la France communiste et la France gaulliste. On peut s’étonner du ton positif donné à l’existence de tels antagonismes. Le raidissement des oppositions actuelles entre Républicains et Démocrates aux États-Unis nous rappelle ce qu’elles peuvent avoir de sclérosant et d’irritant.</p>
<p>Certes, un paysage politique plus flou, plus incertain, mais aussi globalement capable d’être en consensus sur quelques principes clés de la démocratie libérale et conscient de la relativisation de son pouvoir de transformation peut avoir un côté « terne » pour certains. Mais il est aussi <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070325139-l-ere-du-vide-essais-sur-l-individualisme-contemporain-gilles-lipovetsky/">plus rassurant pour un démocrate ami du pluralisme</a> et de la <a href="https://revue-pouvoirs.fr/changer-la-vie-ou-l-irruption-de-l/">coexistence pacifique de trajectoires plurielles</a>.</p>
<h2>Une différence de stratégie défensive</h2>
<p>Déplorer la dépolitisation ou ne pas la considérer avec trop de crainte (voire s’en réjouir en un sens) ? Il nous semble au fond que ces deux positions ont pour arrière-plan un « pari » différent sur ce qui protège les démocraties des risques autoritaires internes. Il s’agit d’une différence de stratégie défensive.</p>
<p>Pour les uns, le bastion de cette défense semble devoir être dans le cœur de chaque individu, qui ferait de son engagement civique un créneau d’un rempart collectif. La promotion de l’engagement dans des politiques publiques françaises comme le <a href="https://www.education.gouv.fr/le-parcours-citoyen-5993">« parcours citoyen de l’élève »</a> ou le <a href="https://www.snu.gouv.fr">« service national universel »</a> en sont une illustration concrète.</p>
<p>Pour les autres, la politisation active est davantage le problème que la solution, car elle peut aussi se faire en faveur de mouvements populistes et autoritaires. Il serait donc plus raisonnable de miser, pour la défense de la démocratie, <a href="https://www.puf.com/content/Lib%C3%A9ralisme_politique">sur des procédures justes et sur le respect des droits des individus</a>. Dans cette option, le <a href="https://www.cairn.info/le-juge-et-le-philosophe--9782200628901.htm">légalisme</a> des citoyens est essentiel, mais leur participation politique active l’est moins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213279/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Roelens ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’abstention et la désaffiliation politique sont souvent perçues comme les signes d’une démocratie en souffrance. Et si elles la protégeait en réalité de risques autoritaires ?Camille Roelens, Chercheur en sciences de l'éducation, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2137672023-09-18T16:02:17Z2023-09-18T16:02:17ZQuelle place à gauche pour Fabien Roussel et le PCF ?<p>Au moment où s’achève la 88<sup>e</sup> édition de la Fête de l’Humanité, le Parti communiste français se trouve dans une situation assez ambivalente : alors que son secrétaire national, Fabien Roussel, bénéficie d’un capital sympathie <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/fabien-roussel-devient-la-personnalite-preferee-des-electeurs-de-gauche-selon-un-sondage-20230804">mesuré dans plusieurs sondages</a>, ses prises de position tout autant que ses choix stratégiques suscitent <a href="https://theconversation.com/fabien-roussel-communiste-heureux-177162">critiques et interrogations</a> sur la place du PCF au sein de la gauche française.</p>
<p>En la matière l’édition 2023 de la Fête de l’Humanité a été un cas d’école, Jean-Luc Mélenchon critiquant notamment lors de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=fI5yztLCdKI">l’émission <em>Backseat</em></a> l’appel de Fabien Roussel à se mobiliser contre la vie chère devant les préfectures et son refus de participer à la marche du 23 septembre contre les violences policières, tandis que les jeunes de la Nupes reprochaient au leader communiste de <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/parti-communiste-francais/nous-n-avons-pas-les-memes-idees-a-la-fete-de-l-huma-fabien-roussel-assume-son-refus-d-une-liste-commune-de-la-gauche-aux-europeennes_6064539.html">refuser l’union aux prochaines élections européennes</a>.</p>
<p>L’étude des <a href="https://congres2023.pcf.fr/les_textes_soumis_aux_communistes">deux textes de congrès</a> soumis au vote des adhérents communistes lors du 39<sup>e</sup> congrès du Parti communiste, tenu à Marseille du 7 au 10 avril 2023 montre que les questions de tactique électorale constituent la principale pierre d’achoppement d’un parti fragmenté en tendances.</p>
<h2>La ligne identitaire de Fabien Roussel confortée</h2>
<p>De fait, si l’article 8 des <a href="http://congres.pcf.fr/sites/default/files/statuts-pcf-adoptes-36-congres.pdf">statuts du PCF</a> n’autorise pas formellement le droit de tendance -« nous faisons le choix de faire du pluralisme des idées, un droit et un principe de notre mode de fonctionnement. Ce droit ne peut se traduire par une organisation en tendances » –, ils permettent lors des congrès la présentation de textes alternatifs à la base commune de discussion présentée par le Conseil national et autorisent également la création de collectifs ou de réseaux.</p>
<p>Dès lors, les partisans des textes oppositionnels se regroupent en réseau. Au contraire des réseaux thématiques comme le réseau cheminots ou le réseau éducation, les réseaux issus des textes alternatifs constituent des tendances de fait, sinon de droit et maintiennent une activité entre chaque congrès.</p>
<p>Parmi ces tendances, deux lignes opposées s’affrontent. On distingue d’abord une ligne attachée à l’identité du Parti communiste, à son renforcement propre et à son autonomie aux élections que l’on peut qualifier d’« identitaire » ou d’« orthodoxe » même si ces militants ne se désignent jamais comme ça.</p>
<p>Influents dans le Nord, fédération que Fabien Roussel a dirigée, dans le Pas-de-Calais et dans le Rhône, ces militants qui partagent le même « patriotisme de parti » plaident pour un retour aux fondamentaux marxistes et ouvriers d’un PCF dont ils refusent ce qu’ils appellent la « liquidation ».</p>
<p>Face à eux d’autres militants défendent une ligne « refondatrice » prônant un dépassement du PCF appelé à se fondre pour mieux l’irriguer dans un mouvement unifié de la gauche antilibérale, naguère le Front de Gauche, aujourd’hui la Nupes. Cette ligne est incarnée par la députée des Hauts-de-Seine Elsa Faucillon, le député de Seine-Saint-Denis Stéphane Peu et une revue comme <a href="https://regards.fr/">Regards</a>, dirigée par Roger Martelli, historien et ancienne figure de proue de la ligne refondatrice jusqu’à son départ du PCF en 2010.</p>
<h2>Un « parti-citadelle »</h2>
<p>La récente thèse de science politique sur le PCF <a href="https://www.theses.fr/268346992">d’Alexis Christodoulou</a> le montre bien à propos de la fédération du Loiret : le PCF est aujourd’hui un « parti-citadelle », fragmenté en tendances irréconciliables, dont les cadres locaux sont de plus en plus souvent des élus ou des collaborateurs d’élus.</p>
<p>Le principal enseignement du congrès de Marseille est cependant la nette victoire de Fabien Roussel, dont le <a href="https://www.pcf.fr/texte_du_39e_congr_s_l_ambition_communiste_pour_de_nouveaux_jours_heureux">texte d’orientation</a>, « L’ambition communiste pour de nouveaux jours heureux » a obtenu 23 930 voix et 81,92 % des suffrages des 29 212 adhérents qui se sont exprimés tandis que le seul texte concurrent, « Urgence de communisme », plafonnait à 5 282 voix et 18,08 % des suffrages.</p>
<p>Cinq ans plus tôt, lors du congrès de 2018 qui a vu la défaite du texte de la direction nationale porté par Pierre Laurent, quatre textes étaient proposés au vote des adhérents : la <a href="https://assets.nationbuilder.com/congrespcf/pages/1381/attachments/original/1539185886/texte.pdf?1539185886">base commune de discussion</a> appelant à poursuivre le rassemblement de la gauche dans des configurations variables sans fermer la porte à aucun partenaire, un <a href="https://assets.nationbuilder.com/congrespcf/pages/1383/attachments/original/1539262723/texte.pdf">second texte porté par la tendance des « refondateurs »</a>, nostalgiques du Front de Gauche – coalition qui avait su fédérer le PCF, le Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon et une kyrielle de petites organisations notamment issues du NPA entre 2008 et 2016 – et appelant à un rapprochement plus étroit avec LFI, et deux textes portés par des tendances « identitaires », le <a href="https://assets.nationbuilder.com/congrespcf/pages/1384/attachments/original/1539186457/texte.pdf?1539186457">premier soutenu par le réseau « Faire vivre et renforcer le PCF » ainsi que par le réseau « Action Novation Révolution »</a> et le <a href="https://assets.nationbuilder.com/congrespcf/pages/1385/attachments/original/1539186570/texte.pdf">second émanant du réseau « Vive le PCF »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orphelins-de-marx-96859">Orphelins de Marx</a>
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<p>Au lendemain de l’élection présidentielle de 2017, le congrès de 2018 solde les comptes de la stratégie du Front de Gauche, jugée responsable de l’affaiblissement du Parti communiste et de l’échec électoral des législatives de 2017 sur fond de fortes tensions avec la France insoumise.</p>
<p>Avec 42,14 % des voix pour « le Manifeste du Parti communiste du XXI<sup>e</sup> siècle », contre 38 % pour le texte de la direction nationale, Fabien Roussel est devenu secrétaire national du PCF sur une ligne de réaffirmation de l’identité communiste avec la promesse de candidatures autonomes du PCF aux prochaines élections.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/548753/original/file-20230918-19-8sv4oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548753/original/file-20230918-19-8sv4oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548753/original/file-20230918-19-8sv4oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=444&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548753/original/file-20230918-19-8sv4oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=444&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548753/original/file-20230918-19-8sv4oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=444&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548753/original/file-20230918-19-8sv4oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=558&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548753/original/file-20230918-19-8sv4oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=558&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548753/original/file-20230918-19-8sv4oy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=558&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’évolution du rapport de forces au sein du PCF (2013-2023).</span>
<span class="attribution"><span class="source">D.Noël</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Si le score de 2,49 % de la liste de Ian Brossat aux Européennes de 2019 et celui de 2,28 % de Fabien Roussel aux présidentielles de 2022 restent modestes et en deçà des espérances des communistes, la majorité des adhérents du PCF y voit les prémisses d’un redressement du Parti et apprécie la notoriété nouvelle de leur secrétaire national.</p>
<p>Le poids de la majorité « identitaire » qui soutient Fabien Roussel est passé en cinq ans de 42 % à près de 82 % des adhérents communistes ; c’est une victoire sans appel pour Fabien Roussel et une défaite pour ses opposants refondateurs emmenés par Elsa Faucillon, députée des Hauts-de-Seine, <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/congres-pcf-des-opposants-a-la-direction-proposent-un-autre-texte-d-orientation-20221220">alliée à Pierre Laurent et plusieurs des figures de l’ancienne direction nationale</a>.</p>
<h2>Le PCF dans la Nupes : quand l’union est un combat</h2>
<p>La question de l’alliance ou de l’autonomie du PCF aux élections n’est pourtant pas totalement tranchée et les refondateurs ne ménagent pas leurs critiques sur les prises de position de Fabien Roussel en matière de laïcité ou de violences policières qui iraient à l’encontre de la Nupes et affaibliraient l’alliance électorale créée pour les élections législatives de 2022, comme on a pu le voir cet été à la suite du <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/07/25/la-gauche-divisee-mais-indignee-apres-la-sortie-du-directeur-general-de-la-police-nationale_6183294_823448.html">refus du PCF de signer un texte commun appelant au « rétablissement de l’ordre républicain dans la police »</a> avec les autres partis de la Nupes, au grand dam des refondateurs regrettant le choix du PCF de publier <a href="https://www.pcf.fr/mort_nahel_agression_hedi_pas_etat_de_droit_sans_independance_justice">son propre communiqué</a>.</p>
<p>Analysant les <a href="https://theconversation.com/communistes-versus-insoumis-les-racines-du-conflit-84646">relations conflictuelles entre communistes et insoumis</a> qui ont conduit à l’éclatement du Front de Gauche lors de l’élection présidentielle de 2017, Romain Mathieu observait que :</p>
<blockquote>
<p>« Le FG est ainsi une marque politique commune à des acteurs qui n’en ont pas la même conception et n’y poursuivent pas les mêmes objectifs. Plus encore, cette construction unitaire n’a jamais été structurée autour du dépassement des oppositions entre acteurs. L’entrée en coalition a conduit à une forme d’institutionnalisation <em>du</em> et <em>par</em> le conflit et de la concurrence entre des partis tout à la fois associés et rivaux ».</p>
</blockquote>
<p>L’analyse vaut pour la Nupes confrontée à l’échéance des élections européennes de 2024. La Nupes est une marque politique – pour reprendre ici un <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/raphael-llorca-il-y-a-un-outil-qu-on-ne-mobilise-jamais-pour-penser-le-politique-c-est-la-marque-6294919">terme emprunté à Raphael Llorca</a> ou à <a href="https://www.cairn.info/revue-recherches-en-sciences-de-gestion-2020-5-page-315.htm">Frédéric Dosquet, Valérie Bonnardel et Nicolas Charlet</a> – commune à des acteurs qui n’en ont pas la même conception et n’y poursuivent pas le même objectif. Pour LFI, la Nupes doit préfigurer un mouvement unique de la gauche sur le modèle de Die Linke ou de Podemos, qui ont tour à tour inspiré le Parti de Gauche. La formation espagnole, en particulier, partage avec la France insoumise des références communes aux travaux d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe et s’inscrit dans le même courant du <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2018-4-page-169.htm?contenu=article">« populisme de gauche »</a>.</p>
<h2>Un « cartel ouvert » ?</h2>
<p>Le PCF, lui, reste attaché à son indépendance au sein d’une alliance qu’il considère, comme auparavant le Front de Gauche, comme un « cartel ouvert », une position que partagent EELV et le PS désireux de ne pas apparaître comme des supplétifs de LFI lors d’élections qui sont l’occasion pour ces partis d’afficher leurs spécificités pro-européennes.</p>
<p>Dans un « cartel ouvert », il est possible à chacune des formations d’adopter des stratégies d’alliances variables dans le but de mettre en avant sa propre marque politique et de renforcer son organisation. Une telle conception de l’alliance s’oppose frontalement à celle de LFI qui analyse le champ politique issu de la présidentielle de 2022 comme un affrontement en trois blocs rendant nécessaire une unification poussée d’un bloc de gauche présent à toutes les élections derrière un leader issu des rangs de LFI.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/548752/original/file-20230918-19-9p2s55.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/548752/original/file-20230918-19-9p2s55.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548752/original/file-20230918-19-9p2s55.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548752/original/file-20230918-19-9p2s55.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548752/original/file-20230918-19-9p2s55.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=349&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548752/original/file-20230918-19-9p2s55.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548752/original/file-20230918-19-9p2s55.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548752/original/file-20230918-19-9p2s55.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’évolution des effectifs du PCF à travers ses congrès.</span>
<span class="attribution"><span class="source">D.Noël</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Soucieux de rééquilibrer le rapport de force défavorable issu de la présidentielle de 2022 qui l’a contraint à accepter de ne présenter des candidats que dans 50 circonscriptions, le PCF entend présenter une liste autonome aux élections européennes de 2024 conduite par <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/europeennes/qui-est-leon-deffontaines-la-tete-de-liste-du-parti-communiste-francais-aux-elections-europeennes_6064719.html">Léon Deffontaines</a>, l’ancien responsable du MJCF (les Jeunesses communistes), désigné chef de file.</p>
<p>Un retour des communistes au parlement européen où ils n’ont plus de député depuis 2019 serait considéré comme un succès mais le bilan de l’orientation mise en œuvre depuis 2018 se mesurera aussi à l’état de l’organisation communiste : pour l’instant, le PCF a plutôt perdu des adhérents, passant de 49 231 adhérents en 2018 à 42 237 en 2023.</p>
<p>Mettre un terme à l’érosion des effectifs et redevenir un parti de militants qui compte à gauche est l’objectif prioritaire du Parti communiste. Les mois à venir montreront si la voie d’autonomie et de distinction au sein de la Nupes choisie par la direction communiste permet d’y parvenir ou pas.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213767/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>L'auteur a eu par le passé un mandat politique au sein du PCF. Il est toujours adhérent au parti.</span></em></p>Les prises de position de Fabien Roussel, tout autant que ses choix stratégiques suscitent critiques et interrogations sur la place du PCF au sein de la gauche française.David Noël, Chargé d'enseignement en histoire contemporaine, Docteur en histoire contemporaine, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2125082023-08-30T16:31:02Z2023-08-30T16:31:02ZLa rentrée sans tambours du président Macron<p>La réunion de tous les partis politiques à l’initiative du chef de l’État ce mercredi 30 août, dans le souci de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/08/30/emmanuel-macron-sonde-les-partis-politiques-pour-relancer-son-quinquennat_6187024_823448.html">« relancer »</a> un élan d’ampleur, fait penser à ce trait de Jules Renard dans ses <a href="https://www.actes-sud.fr/node/16942"><em>Carnets</em></a> (1898) : « Quand on n’a plus à compter sur rien, il faut compter sur tout. » Après un été où le temps politique lui aussi semblait figé dans une brume de chaleur, cet effort présidentiel se lit comme une fin de parenthèse <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-republique_en_jachere_2016_2023_de_macron_a_janus_claude_patriat-9782140489150-77598.html">dans un champ politique en attente</a>. </p>
<p>Après une première année de second mandat <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-la-verticale-du-vide-202672">brûlante</a> d’une <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-se-construit-une-crise-politique-202284">contestation sociale violente</a> attisée par des oppositions refusant tout compromis, chacun semble revenu à ses moutons. À droite comme à gauche, on fixe obstinément les yeux sur l’horizon 2027 dont on attend, après le départ d’Emmanuel Macron, qu’il remette la vie politique sur ses « vrais » rails, ceux occupés par les <a href="https://theconversation.com/les-partis-politiques-peuvent-ils-se-relever-des-crises-150763">vieux partis</a> de gouvernement.</p>
<h2>Impasses</h2>
<p><a href="https://theconversation.com/les-republicains-face-a-leur-declin-195692">La droite erre</a>, désorientée, dans un labyrinthe où s’affrontent les ombres antagonistes du populisme et celles du tropisme centriste. <a href="https://theconversation.com/la-social-democratie-est-elle-de-retour-209417">La gauche</a> épuise ses faibles forces pour tenter de sortir vivante de l’impasse dans laquelle l’ont plongée ses insuffisances passées et le radicalisme de la <a href="https://theconversation.com/la-france-insoumise-peut-elle-se-donner-les-moyens-de-ses-ambitions-189731">France Insoumise</a>. Profitant de cette inertie, l’extrême droite incarnée par le RN poursuit quant à elle son agenda, en marchant sans bruit, discrète depuis <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-suisse-pourquoi-le-rn-se-fait-discret-sur-les-retraites">l’épisode des retraites</a>.</p>
<p>Or, rien n’interdit de penser que les Français pourraient se lasser de <a href="https://theconversation.com/la-crise-de-confiance-dans-les-partis-politiques-une-specificite-francaise-155780">cette guerre de tranchées</a> sans autre horizon que de revenir en arrière, soit à des jeux partisans clairement condamnés.</p>
<h2>Des Français désabusés</h2>
<p>Au fil des années de contestation sur fond de crises – « gilets jaunes », Covid, puis réforme des retraites –, une séparation s’est instituée entre <a href="https://theconversation.com/la-france-desenchantee-185048">l’État et la société</a>, mettant en grande fragilité le système représentatif et la légitimité des gouvernants. Il faudrait donc inventer un <a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">nouveau rapport au politique</a> pour réconcilier les Français et les partis.</p>
<p>Mais ce nouveau rapport des citoyens à l’État, n’était-ce pas le cœur même de la proposition dont se réclamait Emmanuel Macron en 2017 ? N’était-ce pas le sens profond de sa démarche ? <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-lelection-demmanuel-macron-que-reste-t-il-de-la-macronie-203629">Condamné aujourd’hui à une politique des petits pas</a>, étroitement borné par une majorité relative, le projet a fait long feu.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quartiers-populaires-40-ans-de-deni-209008">Quartiers populaires : 40 ans de déni ?</a>
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<p>Entre un jeune premier président entamant une réforme en profondeur du système social, et un néo-président devant se contenter d’un ajustement paramétrique de l’âge du départ en retraite, <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-president-candidat-rassembleur-et-aseptise-178616">il y a à l’évidence un fossé</a>. Encore lui fallut-il avoir recours à toutes les ressources constitutionnelles pour parvenir à ses fins, quitte à provoquer un surcroît de fièvre des opposants contre sa gouvernance. Il s’agit pour lui, à présent, de reprendre l’initiative et de tracer la voie de son second mandat.</p>
<h2>Gouverner, c’est tenir</h2>
<p>Dans son interview au <em>Point</em> du 24 août 2023, Emmanuel Macron <a href="https://www.lepoint.fr/politique/exclusif-emmanuel-macron-la-grande-explication-23-08-2023-2532581_20.php">réaffirme</a> d’abord sa ferme volonté de présider « jusqu’au dernier quart d’heure ! » Pas d’abandon de poste, mais pas non plus de retour au projet de départ : de la continuité tenace, intégrant les nouvelles contraintes qui pèsent sur l’Europe et la France.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-rn-est-il-devenu-un-parti-comme-les-autres-201690">Le RN est-il devenu un parti comme les autres ?</a>
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<p>Il interprète la crise de la démocratie comme une crise de l’efficacité qui se conjugue et se cumule avec le dérèglement géopolitique, le dérèglement climatique et le dérèglement technologique : cette exaspération des usages numériques, nivelant les paroles et les valeurs, contribuant à saper l’autorité politique. Mais en face de ce rude constat, le président ne propose plus de révolution ni de réformes radicales. L’heure n’est plus aux grands chantiers, si l’on excepte <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/29/macron-attal-l-ecole-en-double-commande_6186918_3232.html">cette place centrale accordée à l’École</a> pour reconstruire le vivre ensemble : la voici qui devient le cœur de son projet, au point d’élargir pour elle la <a href="https://www.cairn.info/droit-institutions-et-systemes-politiques--9782130399896-page-43.htm">grammaire gaullienne du pouvoir</a>, en la faisant rentrer dans le « domaine réservé » présidentiel.</p>
<p>Mais de réforme des institutions, sujet de tensions contradictoires, il n’en est plus question ; de remédiation à la crise du système représentatif, non plus.</p>
<p>L’heure est à la quête d’un consensus apaisé, Emmanuel Macron confirmant sa volonté de poursuivre la recherche œcuménique de compromis de circonstance avec les oppositions en constituant des « majorités de projets », voire en organisant un <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/un-referendum-a-plusieurs-questions-emmanuel-macron-ouvert-a-lidee-assure-oliver-veran-5d093f2a-456e-11ee-b1e4-bd520a28f26a">référendum</a>.</p>
<p>Est-il vraiment convaincu de l’efficacité de cette démarche ? Rien n’est moins sûr : l’affaire des retraites a montré les limites d’une stratégie d’ouverture. Mais l’important, c’est de garder l’apparence du dialogue, et s’il ne réussit pas, que la faute en soit portée sur des opposants s’entêtant dans le refus obstiné ou dans la surenchère.</p>
<h2>La carte du temps</h2>
<p>Emmanuel Macron a choisi de jouer la carte du temps, de laisser celui-ci faire son travail d’éclaircissement, sinon de clarification. La Nupes, sur fond d’élections européennes, montre les limites d’une entente électorale de circonstance et semble engagée dans un processus d’autodissolution ; la droite cherche un passage au flanc de la majorité présidentielle dont elle veut se distinguer tout en récupérant ses voix le moment venu.</p>
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<p>Et dans son propre camp, le maintien à Matignon d’Elisabeth Borne, longtemps <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/elisabeth-borne-a-t-elle-eu-sa-carte-au-parti-socialiste-9088123">proche du parti socialiste</a>, permet au président de contenir le tropisme prématuré et droitier de certains de ses ministres…</p>
<p><a href="https://www.leparisien.fr/politique/cest-assez-violent-pap-ndiaye-francois-braun-la-claque-du-remaniement-pour-les-ministres-de-la-societe-civile-12-08-2023-SX5Z5OKCI5CJDPINCDRUZGSIHU.php">Le remaniement</a> lui a d’ailleurs permis d’élaguer quelques branches devenues encombrantes pour mieux installer des fidèles inconditionnels aux commandes des ministères sensibles.</p>
<h2>Profonde mutation</h2>
<p>À l’heure où l’économie française fait preuve d’une santé enviable et où il est tout à fait possible de laisser du temps au temps, l’opposition systématique érode image et confiance. Et si d’aventure, à l’occasion de l’utilisation de l’article 49.3, une censure était adoptée par les oppositions réunies pour l’occasion, une voie serait ouverte à Emmanuel Macron pour sortir de la nasse où on le tient enfermé. Plutôt que de dissoudre immédiatement, confier le poste de premier ministre, <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/comment-la-constitution-organise-t-elle-la-cohabitation">comme la constitution le prévoit</a>, à l’un des chefs d’opposition : à charge pour le censeur de dégager une majorité et de proposer un gouvernement de cohabitation.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/lynsP6_YSlI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron reçoit les différents partis politiques le 30 août.</span></figcaption>
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<p>L’affaire mettrait en évidence l’incapacité de formuler et conduire une proposition alternative, autorisant le président à en appeler au peuple pour trancher la question. Mais sauf accident on n’en est pas là : jusqu’aux élections européennes, l’horizon politique risque fort de n’être qu’un horizon d’attente.</p>
<h2>Inconscience ou impréparation ?</h2>
<p>Après avoir accompli la première phase de son ambition et décapité les partis de gouvernement qui monopolisaient la scène en alternance, puis entamé l’exécution de ses premiers engagements, le président Macron s’est rapidement trouvé d’abord freiné, puis véritablement empêché.</p>
<p>Malgré une majorité plus que confortable à l’Assemblée nationale, il s’est heurté au mur étanche formé par <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-de-limpossible-compromis-au-49.3-185879">l’absence totale de culture de compromis de la classe politique française</a>, puis par la montée de la défiance sociale suractivée par les réseaux socionumériques et amplifiée par les populistes.</p>
<p>Inconscience ou impréparation ? Emmanuel Macron n’a pas été en situation de choisir les chemins qui auraient pu l’aider à contourner l’obstacle : l’utilisation des ordonnances en matière sociale, par exemple, était certes un moyen de gagner du temps, mais pas de rompre avec les méthodes verticales de ses prédecesseurs. Plus grave, le refus de transformer « En Marche » en véritable mouvement politique capable de faire face aux autres en développant un corpus socialement et politiquement partagé, pèsera très lourd dans le déficit électoral.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">À 65 ans, la Vᵉ République devrait-elle partir à la retraite ?</a>
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<p>Enfin, tarder à entamer, puis enterrer la réforme des institutions et du système démocratique, c’était se priver des moyens d’une remédiation en profondeur. Les élections sénatoriales, puis les élections locales mettront cruellement en évidence la faiblesse de son enracinement territorial. D’une certaine manière, ce président, sans doute élu trop tôt et désarmé face à des opposants solidement assis dans leurs bases locales, s’est aussi empêché d’empêcher…</p>
<p>Le projet macronien était pourtant porteur d’une vraie tentative de sortir la politique française de son manichéisme stérilisant. Comme l’a très bien montré dans ces colonnes Speranta Dumitru, Emmanuel Macron s’inspirait du <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-le-liberalisme-egalitaire-comprendre-la-philosophie-de-macron-76808">libéralisme égalitaire</a> théorisé par John Rawls. Ces idées font d’ailleurs écho à la pensée <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Mounier_Emmanuel/qu_est-ce_que_le_personnalisme/qu_est-ce_que_le_personnalisme.html">d’Emmanuel Mounier</a> et des socialistes français : promouvoir un développement centré sur la personne et son autonomie, donner à chacun la capacité de choisir les moyens de se réaliser. Devrons-nous aller attendre sous l’orme qu’on oublie cette occasion manquée ?</p>
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<p><em>L’auteur vient de publier <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-republique_en_jachere_2016_2023_de_macron_a_janus_claude_patriat-9782140489150-77598.html">République en jachère. 2016-2023. De Macron à Janus</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212508/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’initiative présidentielle ne permet aucune réinvention politique alors même que les principaux concernés, partis comme citoyens, restent dans l’expectative.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2101442023-07-25T17:51:41Z2023-07-25T17:51:41ZAffaire Nahel : les Républicains ont-ils été pris au piège de la récupération politique ?<p>L’affaire Nahel et les violences urbaines qui ont suivi son décès dans le cadre d’un contrôle policier ont donné lieu à une multiplication de prises de position et d’initiatives de responsables politiques de tous bords. Beaucoup sont apparues comme des réactions manichéennes et ont semblé destinées à en tirer un avantage politique. </p>
<p>Les stratégies opportunistes et de récupération ne sont <a href="https://hal.univ-reunion.fr/hal-03454044/document">pas des phénomènes nouveaux</a> en politique et concernent toutes les tendances. Leur analyse éclaire néanmoins les défis auxquels font face Les Républicains (LR), suite aux turbulences traversées par le parti lors de la réforme des retraites et à la destitution d’Aurélien Pradié de son poste de vice-président.</p>
<h2>Opportunisme et récupération politiques</h2>
<p>En 2002, <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/papy-voise-un-fait-divers-qui-a-bouscule-la-presidentielle-de-2002">l’agression d’un retraité</a> au visage tuméfié à Orléans quelques jours avant le 1<sup>re</sup> tour de l’élection présidentielle avait choqué nombre de personnes et avait été largement commentée. Les responsables de droite et d’extrême droite l’avaient présentée comme le symbole du laxisme en matière de sécurité du gouvernement de Lionel Jospin, justement candidat à l’élection présidentielle. <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i17109756/presidentielles-2002-en-direct-des-qg-de-j-chirac-l-jospin-et-j-m-le-pen-a">Battu</a> quelques jours plus tard par Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen lors du 1<sup>re</sup> tour, <a href="https://www.marianne.net/politique/jeremy-cohen-papy-voise-ces-affaires-influencent-elles-vraiment-les-presidentielles">certains observateurs</a> avaient estimé que la récupération de ce fait divers avait effectivement contribué à la défaite du candidat socialiste.</p>
<p>Parfois les situations peuvent permettre aux politiciens de se mettre eux-mêmes en scène. Le 13 mai 1993, la <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/neuilly-prise-otage-ecole-maternelle-human-bomb-nicolas-sarkozy-rancon">prise d’otages de jeunes enfants d’une école maternelle</a> à Neuilly avait donné lieu à l’intervention dans la négociation avec le preneur d’otages de Nicolas Sarkozy, alors maire de la ville et peu connu du grand public. Sa sortie de l’école, tenant dans les bras l’un des écoliers, avait fait la une des journaux. Malgré les polémiques provoquées par le <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/nicolas-sarkozy/recit-prise-d-otages-dans-une-maternelle-de-neuilly-en-1993-le-jour-ou-nicolas-sarkozy-s-est-revele-aux-yeux-du-grand-public_2733699.html">rôle joué par l’élu gaulliste</a>, elle avait contribué à le faire connaître et cet épisode avait façonné l’image d’un homme habile et courageux… qui allait devenir président de la République <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats/Presidentielles/elecresult__presidentielle_2007/(path)/presidentielle_2007/FE.html">quelques années plus tard</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Ukbr_E2Lm-4?wmode=transparent&start=3" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">1993 : Nicolas Sarkozy, maire de la ville, s’exprime lors de la prise d’otages à la maternelle du Commandant Charcot à Neuilly (Archive INA).</span></figcaption>
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<p>Mais la récupération et l’opportunisme en politique ont parfois un effet inverse à celui escompté. En 1988, Jacques Chirac était donné largement perdant avant le second tour de l’élection présidentielle face à François Mitterrand. La <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cab02013761/liberation-des-otages-au-liban-l-emission-speciale-d-a2-le-5-mai-1988">libération des derniers otages français détenus au Liban</a> orchestrée par Charles Pasqua, son ministre de l’intérieur, juste avant le second tour, semblait venir à point nommé pour inverser la tendance. Jacques Chirac ne manquait d’ailleurs pas de les accueillir à l’aéroport, lors de leur arrivée en France. </p>
<p>Mais pour beaucoup, le moment de cette libération, quelques jours avant le second tour, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/liberation-d-otages-des-flots-de-larmes-et-de-questions_1770623.html">n’était peut-être pas le fruit du hasard</a>. Et le candidat de la droite fut finalement largement battu par François Mitterrand qui obtint <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/24164-resultats-de-lelection-presidentielle-1988">54 % des voix</a>.</p>
<h2>Le cas des Républicains</h2>
<p>Les violences urbaines liées au décès du jeune Nahel ont donné lieu à de nombreuses <a href="https://www.lexpress.fr/politique/lr/mort-de-nahel-a-nanterre-le-fait-divers-objet-politique-inflammable-4W3NO232HBHKBE7QSQV5VLX6C4/">tentatives de récupération à droite et à gauche</a>. Dans le cas de Républicains, elles ont permis aux défenseurs d’une ligne ferme et autoritaire centrée sur les sujets régaliens de mettre en avant les questions d’immigration et de sécurité. Laxisme du gouvernement, dérives identitaires et communautaristes, absence de volonté d’intégration ont été <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20230705-violences-urbaines-en-france-la-droite-surfe-sur-les-%C3%A9meutes">pointés du doigt</a>. La séquence a aussi permis à Laurent Wauquiez d’accorder un <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/laurent-wauquiez-au-figaro-dans-l-interet-de-la-france-il-faut-faire-l-union-sacree-autour-de-mesures-fortes-sur-l-immigration-la-securite-et-le-merite-20230712">entretien au Figaro</a> laissant peu de place aux doutes concernant la future stratégie présidentielle du parti et l’identité de la personnalité vouée à l’incarner.</p>
<p>Les <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescent-tue-par-un-policier-a-nanterre/video-violences-urbaines-bien-sur-que-si-il-y-a-un-lien-avec-l-immigration-assure-le-chef-de-file-des-republicains-au-senat-bruno-retailleau_5931779.html">propos de Bruno Retailleau</a> stigmatisant la « régression vers les origines ethniques » de jeunes simplement « Français par leur identité » ont concentré les critiques de la gauche dénonçant une surenchère destinée aux électeurs du RN.</p>
<p>Mais ils ont aussi ravivé les tensions déjà mises à jour par la réforme des retraites entre les tenants d’une ligne ferme et autoritaire incarnée par Eric Ciotti et les défenseurs d’une droite plus sociale défendue par Xavier Bertrand ou Aurélien Pradié. Ce dernier a notamment estimé que ces propos n’étaient pas acceptables et <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/je-n-accepte-pas-les-propos-de-bruno-retailleau-sur-la-regression-ethnique-cingle-aurelien-pradie-20230712">remettaient en cause</a> les valeurs fondamentales de la droite gaulliste en évoquant une guerre des races.</p>
<h2>Un triple défi de positionnement idéologique, de personnes et de management</h2>
<p>Les prises de position de l’aile droitière des Républicains et les tensions qui en découlent soulèvent plusieurs questions. La première est idéologique et concerne le positionnement du parti, notamment vis-à-vis du Rassemblement national (RN).</p>
<p>Crise après crise, le RN semble tirer avantage d’une stratégie visant à assoir sa respectabilité. La ligne portée par Eric Ciotti, qui <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20230705-violences-urbaines-en-france-la-droite-surfe-sur-les-%C3%A9meutes">distingue peu</a> ou plus LR du parti d’extrême droite d’un point de vue idéologique, comme les polémiques à répétition et le manque d’unité semblent favoriser, <a href="https://www.lunion.fr/id497658/article/2023-06-27/sondage-le-rassemblement-national-met-la-nupes-k-o-selon-le-dernier-barometre">au regard des récents sondages</a>, la formation de Marine Le Pen.</p>
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<p>La seconde est un problème de personnes et de courants et concerne notamment l’avenir d’Aurélien Pradié au sein du parti. L’animosité qu’il provoque chez certains responsables des Républicains <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/profil-des-emeutiers-aurelien-pradie-est-un-apotre-du-deni-tacle-bruno-retailleau">comme Bruno Retailleau</a> et ses critiques de la ligne officielle posent à nouveau les questions de son appartenance à la formation de droite et de la coexistence du courant « identitaire » et du courant « social » au sein d’une même entité.</p>
<p>La troisième question concerne le management d’Eric Ciotti. Les recherches ont montré qu’un leadership efficace se nourrissait à la fois de <a href="https://www.researchgate.net/profile/Dr-Nanjundeswaraswamy-2/publication/272509462_Leadership_styles/links/5b5e8707458515c4b25226d6/Leadership-styles.pdf">fermeté et de capacité à trancher, mais aussi de sens du compromis, de la négociation et de l’écoute</a>. Jusqu’à quand pourra-t-il dès lors laisser s’exprimer une voix dissonante remettant en question son leadership sans décider de l’exclure ? Une telle décision renforcerait son autorité… mais pourrait aussi réduire le spectre idéologique d’une formation aujourd’hui minoritaire et considérablement réduire ses espoirs d’un retour au premier plan.</p>
<p>Finalement, au-delà de la situation particulière de LR et de l’impact de ces événements sur son (re) positionnement idéologique, cette séquence montre une nouvelle fois qu’utiliser les faits divers et l’émotion qu’ils provoquent pour essayer de faire passer de nouvelles règles et en tirer un avantage politique est un exercice dangereux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210144/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les stratégies opportunistes ne sont pas des phénomènes nouveaux en politique, leur analyse éclaire néanmoins les défis auxquels font face les partis comme Les Républicains aujourd'hui.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2086092023-07-24T18:33:24Z2023-07-24T18:33:24ZUne étude montre que les politiques estiment les électeurs plus à droite qu’ils ne le sont réellement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/538702/original/file-20230721-15-1pcvlm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C21%2C2037%2C1339&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La vague de protestations contre la réforme des retraites en France illustre aussi les biais chez politiciens qui estiment parfois faussement les électeurs plus à droite qu'ils ne le sont. Manifestation pour la défense des retraites du 31 janvier 2023
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/52661676765/in/album-72177720305356181/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Depuis quelques années, en Europe, les victoires vont souvent plutôt <a href="https://doi.org/10.1080/13501763.2019.1701532">à droite qu’à gauche</a>. Les deux dernières élections présidentielles françaises avec une gauche absente du second tour s’inscrivent dans cette tendance. Ces résultats laissent à penser que les opinions des citoyens penchent majoritairement à droite. À la lumière de recherches récentes, cette interprétation semble pourtant erronée.</p>
<p>Dans une étude réalisée en 2018, David Broockman et Christopher Skovron <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/bias-in-perceptions-of-public-opinion-among-political-elites/2EF080E04D3AAE6AC1C894F52642E706">ont montré</a> que les politiciens américains surestimaient la part des citoyens américains ayant des opinions conservatrices.</p>
<h2>866 politiciens interrogés</h2>
<p>Dans une étude <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/do-politicians-outside-the-united-states-also-think-voters-are-more-conservative-than-they-really-are/D21A9077EE2435F2B910394378E96450">publiée ce mois-ci</a>, nous avons cherché à savoir si le même biais conservateur dans la perception de l’opinion publique par les hommes et femmes politiques se matérialisait dans d’autres contextes.</p>
<p>Pour ce faire, nous avons interrogé 866 hommes et femmes politiques dans quatre démocraties occidentales, dont les systèmes politiques : Belgique, Canada, Allemagne et Suisse. En parallèle, nous avons mené des enquêtes d’opinion auprès d’échantillons représentatifs des citoyens dans chacun de ces pays.</p>
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<p>Les politiciens participants à notre enquête, qui comprenaient des membres d’organes législatifs nationaux et infranationaux (provinces, cantons, régions, Länders) et issus de partis situés sur l’ensemble de l’échiquier politique, ont été invités à évaluer la position de l’opinion publique générale (mais aussi celle des électeurs de leur parti) sur une série de questions. Parmi ces dernières : l’âge de la retraite, la redistribution, les droits des travailleurs, l’euthanasie, l’adoption d’enfants par des couples de même sexe et l’immigration.</p>
<p>Nous avons comparé leurs réponses à l’opinion publique réelle (évaluée à l’aide des enquêtes représentatives à grande échelle citées plus haut).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/535361/original/file-20230703-239813-8wjlcz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535361/original/file-20230703-239813-8wjlcz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535361/original/file-20230703-239813-8wjlcz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535361/original/file-20230703-239813-8wjlcz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535361/original/file-20230703-239813-8wjlcz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=423&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535361/original/file-20230703-239813-8wjlcz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535361/original/file-20230703-239813-8wjlcz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535361/original/file-20230703-239813-8wjlcz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La figure 1 présente l’écart moyen entre la perception qu’ont les hommes et femmes politiques de l’opinion publique dans leur pays et l’opinion réelle des citoyens (cercles).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Pilet et coll.</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Dans les quatre pays, et sur une majorité de sujets, les élus et élues surestiment systématiquement la part des citoyens qui ont des opinions de droite.</p>
<p>La figure 1 présente l’écart moyen entre la perception de l’opinion publique qu’ont les hommes et femmes politiques et l’opinion réelle des citoyens (cercles). Elle montre aussi l’écart entre leur perception de l’opinion de l’électorat de leur parti et l’opinion observée au sein de cet électorat (triangles). Il faut ainsi lire que, sur l’enjeu culturel qui leur était soumis (dans ce cas-ci, la légalisation de l’euthanasie), les élues et élus canadiens surestiment d’une vingtaine de points de pour cent la part de citoyens (cercle) et d’électeurs de leur parti (triangle) qui ont une position à droite (dans ce cas-ci, s’opposer à la légalisation de l’euthanasie).</p>
<p>Les enjeux à évaluer étaient, pour l’enjeu culturel (quadrant en haut à gauche) la légalisation de l’euthanasie et l’accès à l’adoption pour les couples de même sexe, sur l’enjeu économique (quadrant en haut à droite) des questions relatives à l’impôt sur la fortune, à la redistribution et à la protection syndicale, sur l’enjeu d’immigration (quadrant en bas à gauche) des questions relatives aux contrôles des frontières et à l’asile, et sur l’enjeu des pensions (quadrant en bas à droite) des questions relatives à l’âge légal d’accès à la pension.</p>
<p>Incontestablement, la figure 1 révèle un biais conservateur substantiel et largement cohérent dans les perceptions de l’opinion publique par les élus. Il est important de noter que ce biais conservateur s’observe tant chez des élus et élus de droite que du centre et de gauche.</p>
<p>Si le schéma général est remarquablement stable, nous découvrons cependant d’importantes variations entre les différents domaines.</p>
<h2>Quelques différences entre les pays mais un panorama cohérent</h2>
<p>Pour les différences entre pays, nous observons que le biais conservateur est globalement moins fort parmi les élus et élues de Belgique francophone (Wallonie et Bruxelles), alors qu’il est tendanciellement plus marqué en Allemagne et au Canada.</p>
<p>En ce qui concerne les différences selon les types d’enjeu politique, on observe que c’est sur la question de l’âge légal de la pension que les femmes et hommes politiques surestiment de la façon la plus systématique la proportion de citoyens positionnés à droite. Un tel résultat est particulièrement interpellant dans le contexte français actuel.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/comment-une-crise-parlementaire-inedite-est-nee-avec-la-reforme-des-retraites-204596">Les fortes résistances sociales</a> à la réforme poussée par le président Macron pourraient pour partie s’expliquer par une mauvaise évaluation de l’opinion publique par rapport à cette réforme du camp de la majorité présidentielle.</p>
<p>La seule exception au biais conservateur s’observe sur les questions relatives à l’immigration. Lorsqu’ils sont interrogés sur des questions telles que le regroupement familial, l’asile ou le contrôle aux frontières, les élues et élus ont également une perception erronée de l’opinion publique, mais pas toujours dans le sens d’un biais conservateur.</p>
<p>En Belgique (Flandre et Wallonie) comme en Suisse, les décideurs surestiment aussi la proportion de citoyens ayant des positions de droite sur ces enjeux. En revanche, au Canada et en Allemagne, nous observons l’inverse, avec une surestimation des positions penchant à gauche.</p>
<h2>Le résultat du lobbying ?</h2>
<p>La grande question est de savoir pourquoi ce biais conservateur existe. Aux États-Unis, <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/american-political-science-review/article/bias-in-perceptions-of-public-opinion-among-political-elites/2EF080E04D3AAE6AC1C894F52642E706">Broockman et Skovron</a> ont expliqué que les électeurs de droite sollicitent plus souvent leurs représentants, ce qui biaise vers la droite les signaux reçus quant aux demandes des citoyens.</p>
<p>Nous avons vérifié cette explication dans les quatre pays que nous avons étudiés mais nous n’avons pas trouvé d’éléments allant dans ce sens. Les citoyens de droite de notre échantillon ne sont pas plus actifs politiquement et ne contactent pas plus leurs élus que leurs homologues de gauche. Cependant, l’idée que l’environnement informationnel pourrait être biaisé vers la droite a été déjà identifiée dans d’autres travaux.</p>
<p><a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/spsr.12224">Des recherches antérieures</a> ont montré que les hommes politiques ont tendance à recevoir des informations disproportionnées de la part de groupes d’intérêt situés à droite politiquement. Analysant les contacts enregistrés entre parlementaires et groupes d’intérêts en Suisse, les auteurs montrent que les lobbies liés au patronat et aux secteurs industriels ont une influence majeure dans l’information transmise aux députés. Les contacts fréquents entre le monde des affaires et les décideurs politiques ne sont d’ailleurs pas du tout cachés, comme en atteste le Forum économique mondial de Davos.</p>
<p>Les médias sociaux, que les hommes politiques utilisent de plus en plus, ont également tendance à être dominés <a href="https://pure.rug.nl/ws/portalfiles/portal/148014700/review_Schradie.pdf">par des opinions conservatrices</a>. Ce biais peut aussi expliquer la perception qu’ont les élus et élus d’une opinion publique plus à droite qu’elle ne l’est en réalité.</p>
<p>Il a également <a href="https://doi.org/10.1017/S000305542100037X">été démontré</a> que les hommes et femmes politiques ont tendance à accorder plus d’attention aux préférences politiques des citoyens ayant des niveaux de diplôme et de revenu plus élevés. Or, ces citoyens se rendent plus souvent aux urnes que d’autres catégories sociales et ont plus souvent des <a href="https://oxfordre.com/politics/display/10.1093/acrefore/9780190228637.001.0001/acrefore-9780190228637-e-581">opinions de droite</a>, du moins sur les questions économiques.</p>
<p>Le biais conservateur observé pourrait également être associé à ce que les psychologues sociaux appellent <a href="https://www.cairn.info/revue-bulletin-de-psychologie-2006-3-page-281.htm">« l’ignorance pluraliste » (c’est-à-dire la perception erronée des opinions des autres)</a>. En ce qui concerne les libéraux, par exemple, les psychologues sociaux ont montré qu’ils ont tendance à exagérer le caractère unique de leur propre opinion (<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/24247730/">« faux caractère unique »</a>). Les conservateurs, en revanche, perçoivent leurs opinions comme plus communes qu’elles ne le sont (<a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0146167214537834">« faux consensus »</a>).</p>
<p>Enfin, les récents résultats électoraux, avec la croissance de la droite radicale comme on l’a vu en Italie ou en <a href="https://theconversation.com/de-2002-a-2022-comprendre-la-presence-croissante-de-lextreme-droite-aux-scrutins-presidentiels-181850">France</a>), pourraient également avoir envoyé un signal aux politiciens sur le conservatisme des citoyens qui n’est pas nécessairement en phase avec leurs opinions réelles.</p>
<h2>Une menace pour la démocratie représentative</h2>
<p>Indépendamment des sources du biais conservateur, le fait qu’il soit présent de manière persistante dans une variété de systèmes démocratiques différents a des implications majeures pour le bon fonctionnement de la démocratie représentative. Celle-ci repose sur l’idée que les élus sont à l’écoute des citoyens, ce qui signifie qu’ils s’efforcent généralement de promouvoir des initiatives politiques conformes aux préférences de la population.</p>
<p>Si l’idée que se font les hommes politiques de ce que pense le public est systématiquement biaisée en faveur d’un camp idéologique, la chaîne de représentation politique s’en trouve affaiblie. Les hommes politiques peuvent poursuivre à tort des politiques de droite qui n’ont en fait pas le soutien de la population, et s’abstenir d’œuvrer à la réalisation d’objectifs progressistes (perçus à tort comme minoritaires).</p>
<p>Mais si les citoyens sont moins conservateurs que ce que les élus perçoivent, l’offre politique risque d’être constamment sous-optimale et peut avoir des implications plus larges, à l’échelle du système, telle qu’une désaffection croissante à l’égard de la démocratie et des institutions démocratiques.</p>
<p>La situation n’est toutefois pas sans espoir, et l’accès à des informations précises semble jouer un rôle important. Une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdfdirect/10.1111/spsr.12495">étude 2020</a> réalisée en Suisse a montré qu’une utilisation soutenue de la démocratie directe (référendums et votations) pourrait aider les hommes politiques à mieux comprendre l’opinion publique.</p>
<p>Dans la même logique, une étude récente sur les élus américains montre qu’ils ont tendance à mal percevoir le soutien à la violence politique. Mais lorsqu’ils sont exposés à des informations fiables et précises, <a href="https://www.pnas.org/doi/10.1073/pnas.2116851119">ils mettent à jour et corrigent leurs (fausses) perceptions</a>. Sur la base de ces études, nous pensons qu’il reste encore beaucoup à faire pour comprendre les sources et la prévalence des préjugés conservateurs et pour identifier d’autres moyens de les compenser.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208609/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Benoit Pilet a reçu des financements du European Research Council (ERC) et du Fonds national de la recherche scientifique belge (FNRS)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lior Sheffer a reçu des financements du Social Sciences and Humanities Research Council of Canada (SSHRC).</span></em></p>Une étude récente portant sur plusieurs pays européens montre que le personnel politique perçoit les électeurs et l’opinion publique en général plus à droite qu’elle ne le serait vraiment.Jean-Benoit Pilet, Professeur de Science Politique, Université Libre de Bruxelles (ULB)Lior Sheffer, Assistant professor in political science, Tel Aviv UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2036292023-04-16T16:05:45Z2023-04-16T16:05:45ZUn an après l’élection d’Emmanuel Macron, que reste-t-il de la « Macronie » ?<p>Dans quelles conditions le second quinquennat d’Emmanuel Macron peut-il se poursuivre ? L’actualité sociale et politique permet de douter d’un déroulement politique serein au vu des <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-se-construit-une-crise-politique-202284">nombreuses mobilisations</a>, aussi bien sur le front social (mouvement contre la réforme des retraites) mais aussi écologique et politique, avec un fort bouleversement de la vie <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-les-parlementaires-tentent-de-rassembler-leurs-troupes-199262">parlementaire</a> et <a href="https://theconversation.com/article-49.3-et-reformes-sociales-une-histoire-francaise-202172">partisane</a>.</p>
<p>Au cœur de la crise politique actuelle figure la personnalité du président, fortement décriée par ses adversaires politiques et également <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/04/14/du-jeune-president-admire-au-dirigeant-arrogant-et-obstine-comment-la-crise-des-retraites-a-change-le-regard-porte-sur-emmanuel-macron-a-l-etranger_6169467_823448.html">désormais critiqué à l’étranger</a>. Le socialiste Boris Vallaud n’a ainsi pas hésité à qualifier le chef de l’État de <a href="https://www.challenges.fr/politique/le-depute-ps-boris-vallaud-qualifie-macron-de-forcene-retranche-a-l-elysee_851698">« forcené retranché à l’Élysée »</a>.</p>
<p>Comment comprendre cette situation et cette <a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">crispation</a> un an après l’élection d’Emmanuel Macron pour un second mandat ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dossier-presidentielle-legislatives-deux-elections-plus-tard-quel-bilan-185094">Dossier : Présidentielle, législatives, deux élections plus tard, quel bilan ?</a>
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<h2>Un président inattendu</h2>
<p>Emmanuel Macron avait émergé de manière <a href="https://www.pug.fr/produit/1966/9782706150081/les-elections-presidentielles-francaises">assez imprévue</a> dans la campagne présidentielle de 2017. Ministre de l’Économie de François Hollande jusqu’à fin août 2016, il avait progressivement pris ses distances avec le camp socialiste avant de lancer son propre mouvement « En marche ».</p>
<p>En se présentant comme à la fois de gauche et de droite, en s’affirmant libéral en économie et sur les questions sociétales, mais favorable à des politiques sociales, soutenant <a href="https://www.afsp.info/la-science-politique-mise-au-defi-par-emmanuel-macron/">clairement la construction européenne</a>, il se proposait de bouleverser la politique française, publiant même un essai intitulé <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_(essai)">« Révolution »</a>. Au programme : la promesse d’un <a href="https://books.google.fr/books?id=g4M_DwAAQBAJ&pg=PP38">nouveau monde</a>.</p>
<p>Rejoint par un certain nombre de <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2017-1-page-11.htm">socialistes déçus</a> par les fractures internes du parti entre socio-libéraux et frondeurs, Emmanuel Macron parvient peu à peu à rallier un <a href="https://www.ipsos.com/fr-fr/2nd-tour-presidentielle-2017-sociologie-des-electorats-et-profil-des-abstentionnistes">électorat très composite malgré une forte abstention</a> et créer un parti d’apparence solide, La République En Marche (LREM). Il est très largement élu (66,1 % des suffrages).</p>
<h2>Stratégie de fracturation aux législatives de 2017</h2>
<p>La stratégie d’Emmanuel Macron a reposé sur une forme de fracturation de l’ensemble partisan. Pour obtenir une majorité à l’Assemblée nationale en dépit d’un faible nombre de députés ralliés, il nomme le juppéiste <a href="https://theconversation.com/de-la-division-du-travail-entre-le-president-et-le-premier-ministre-80553">Edouard Philippe</a> et acquiert ainsi l’attention d’une certaine frange de la droite.</p>
<p>Le gouvernement, savamment dosé entre personnalités de gauche, du centre et de droite, annonce très vite des mesures populaires. Après un appel d’offres pour susciter des candidatures (15 000 recensées), il investit un candidat dans chaque circonscription, souvent des personnes peu connues et totalement novices en politique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-emmanuel-macron-face-a-30-ans-de-faillite-intellectuelle-et-politique-sur-la-transformation-du-monde-97760">Débat : Emmanuel Macron face à 30 ans de faillite intellectuelle et politique sur la transformation du monde</a>
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<p>Contre toute attente, les candidats LREM obtiennent un très bon résultat (28,2 % des suffrages) auxquels il faut adjoindre 4,1 % pour ceux du MoDem. <a href="https://theconversation.com/les-deputes-en-marche-sont-ils-vraiment-des-cancres-89567">La nouveauté des candidats</a> sur la scène politique a joué en leur faveur alors qu’un fort mouvement de « dégagisme » affectait les élus sortants, particulièrement ceux de gauche. Le deuxième tour confirme le premier et la République En Marche obtient 308 élus et le MoDem 42.</p>
<p>Il dispose donc d’une majorité absolue très conséquente pour appliquer ses réformes. Le système partisan français, qui reposait sur l’alternance au pouvoir de deux partis de gouvernement, est complètement chamboulé au terme de ce cycle électoral. Mais la nouvelle majorité réunit des sensibilités politiques très variées, ce qui laissait prévoir des divisions et d’éventuelles recompositions.</p>
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<figcaption><span class="caption">Macron veut « tourner la page » des retraites, France 24.</span></figcaption>
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<p>Au cours de la mandature, LREM a perdu des sièges et des partis satellites se sont développés, avec à la fois des députés sortants de LREM et d’autres quittant LR ou l’UDI.</p>
<p>Un groupe d’une vingtaine de députés LREM de centre gauche, qui voulaient davantage d’écologie et de social, prennent aussi leur indépendance en mai 2020, ce qui fait perdre à LREM la majorité absolue dont elle disposait à elle seule. Et Edouard Philippe, remplacé par Jean Castex comme Premier ministre, lance en 2021 le parti Horizons pour peser davantage au sein de la majorité.</p>
<p>LREM n’a pas su se structurer, ne conférant aucun pouvoir réel à ses adhérents. Fonctionnant comme un mouvement très vertical, à l’image du président jupitérien lui-même, le parti devient une coquille vide, <a href="https://www.pug.fr/produit/1969/9782706151613/l-entreprise-macron-a-l-epreuve-du-pouvoir">avec très peu de militants</a>. Et si ce parti a obtenu des résultats honorables aux élections européennes de 2019, ceux-ci ont été plutôt mauvais <a href="https://theconversation.com/le-difficile-atterrissage-municipal-de-lrem-132043">aux élections municipales</a> de 2020 (11 % des suffrages avec le MoDem), ainsi qu’aux régionales et départementales de 2021 <a href="https://theconversation.com/regionales-et-departementales-2021-un-premier-tour-aux-abonnes-absents-163085">(environ 10 %)</a>.</p>
<h2>Des politiques aux antipodes des mesures sociales espérées ?</h2>
<p>Dès le début du quinquennat, le président engage des politiques économiques libérales, notamment <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-question-du-jour/quels-effets-a-eu-la-suppression-de-l-isf-4286834">l’abandon de l’ISF</a> au profit d’un impôt peu productif sur la fortune immobilière et la création d’un <a href="https://theconversation.com/les-impots-sur-la-fortune-individuelle-favorisent-la-distribution-de-dividendes-202053">prélèvement forfaitaire unique</a> sur les revenus des placements financiers qui lui valent d’être souvent qualifié de <a href="https://theconversation.com/ces-economistes-qui-valident-le-sentiment-diniquite-des-gil,ts-jaunes-108850">« président des riches »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/redistribution-des-richesses-quand-mobilisation-contre-la-reforme-des-retraites-et-gilets-jaunes-se-rejoignent-192893">Redistribution des richesses : quand mobilisation contre la réforme des retraites et « gilets jaunes » se rejoignent</a>
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<p>Ces politiques doublées de mesures d’austérité (taxe carbone) ont provoqué le mouvement spontané de protestation sociale des « gilets jaunes » qui se développe à partir d’octobre 2018. <a href="https://theconversation.com/les-gilets-jaunes-quest-ce-que-cest-108213">Face à l’ampleur du mouvement</a>, le pouvoir <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/20812-loi-24-decembre-2018-gilets-jaunes-mesures-economiques-et-sociales">lâche progressivement du lest</a> et lance un <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/04/08/le-bilan-du-grand-debat-en-six-questions_5447417_823448.html">grand débat national</a> sur la transition écologique, la fiscalité, les services publics et le débat démocratique. Au terme du processus, en avril 2019, il annonce des baisses d’impôts sur le revenu pour les classes moyennes et la réindexation des <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/videos-baisse-de-l-impot-sur-le-revenu-reindexation-des-retraites-sur-l-inflation-reforme-du-referendum-ce-qu-il-faut-retenir-des-annonces-d-emmanuel-macron_3415033.html">petites retraites</a>. Le mouvement aura coûté cher aux finances de l’État (10 à 15 milliards) mais, contrairement aux espoirs de certains soutiens du mouvement, le président ne change pas sa méthode de gouvernance très verticale.</p>
<h2>Les retraites, point de bascule</h2>
<p>Edouard Philippe lance alors la réforme des retraites pour <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/12/04/regime-universel-systeme-a-points-age-pivot-les-grandes-questions-que-pose-la-reforme-des-retraites_6021633_823448.html">passer à un régime universel à points</a> déclenchant un second <a href="https://www.publicsenat.fr/article/societe/retraites-petite-chronologie-des-reformes-231451">grand mouvement social</a>.</p>
<p>Malgré des manifestations réunissant jusqu’à 800 000 personnes, le gouvernement fait passer la loi en utilisant le 49.3 en première lecture à l’assemblée. L’examen de la réforme est suspendu du fait de <a href="https://www.liberation.fr/societe/sante/de-mars-2020-a-mai-2021-quatorze-mois-de-restrictions-sanitaires-20210503_O7NVL5HNXJDM7JMQV3K63ECRCU/">la pandémie de Covid-19</a>.</p>
<p>La pandémie et le choix du président de piloter lui-même la politique de lutte contre le nouveau virus, malgré des confusions initiales, des hésitations et l’émergence de thèses complotistes, donnent à Emmanuel Macron une nouvelle assise politique et une image de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/02/15/macron-et-le-Covid-19-comment-la-crise-sanitaire-s-est-transformee-en-arme-politique_6113708_823448.html">protecteur de la population</a>.</p>
<p>La guerre en Ukraine lui est aussi favorable en <a href="https://theconversation.com/face-a-la-guerre-les-electeurs-francais-se-rallient-a-emmanuel-macron-pour-combien-de-temps-179316">pleine campagne électorale présidentielle</a>. Elle génère un ralliement à celui qui incarne l’action et la coordination des pays européens contre l’agresseur russe.</p>
<p>Dans ce contexte, il est assez largement réélu début mai 2022 (58,55 % des suffrages exprimés) malgré une défiance accrue dans les institutions de la démocratie représentative et une <a href="https://theconversation.com/la-cause-cachee-de-la-montee-de-labstention-180152">forte abstention</a>.</p>
<p>Mais entre la présidentielle et les législatives, la mécanique semble se gripper avec un président peu actif dans la préparation de l’élection des députés, qui met beaucoup de temps à choisir sa Première ministre et à concrétiser le début de son second mandat, alors que la gauche s’unit – à la hussarde – <a href="https://www.lemonde.fr/podcasts/article/2022/05/11/nupes-tout-comprendre-a-l-accord-de-la-gauche_6125560_5463015.html">derrière Jean-Luc Mélenchon</a> et en tire un grand bénéfice en sièges (131 députés de la Nupes). De l’autre côté du spectre, le RN a déployé ses forces de façon spectaculaire, obtenant 89 députés à l’Assemblée nationale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-bilan-demmanuel-macron-agenda-neo-liberal-et-pragmatisme-face-aux-crises-178671">Le bilan d’Emmanuel Macron : agenda néo-libéral et pragmatisme face aux crises</a>
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<h2>Un projet à la peine</h2>
<p>La Macronie est à la peine. Le changement de nom de LREM pour Renaissance ne parvient pas à faire oublier le <a href="https://theconversation.com/legislatives-lelection-de-la-rupture-184949">revers législatif</a> : le président ne dispose que d’une majorité relative (245 élus alors que la majorité absolue est de 289 députés), rendant difficile l’exercice du pouvoir.</p>
<p>La majorité ne parvient pas à convaincre Les Républicains (74 élus), affaiblis, de conclure une alliance pour gouverner ensemble. Elle en est donc réduite à chercher des majorités au cas par cas pour faire voter des lois, un peu comme Michel Rocard pendant le second septennat de <a href="https://www.lesechos.fr/elections/legislatives/majorite-relative-a-lassemblee-le-delicat-precedent-de-1988-1413115">François Mitterrand</a>.</p>
<p>Un an plus tard, le président, <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-la-verticale-du-vide-202672">toujours aussi jupitérien</a> malgré ses engagements à changer de méthode de gouvernance, ne semble pas tirer les conséquences de la nouvelle situation parlementaire, qui devrait inciter à chercher des compromis alors qu’il veut toujours imposer ses réformes, y compris celles qui sont très impopulaires comme en témoigne le long feuilleton de la <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/287916-reforme-des-retraites-2023-projet-de-loi-plfss-rectificatif">réforme des retraites</a>. La validation de la loi par le Conseil constitutionnel risque de ne pas calmer le mouvement syndical. L’exécutif dit qu’il veut apaiser, écouter et continuer les réformes, mais il semble complètement embourbé et on voit mal comment il va pouvoir faire voter des lois un tant soit peu novatrices.</p>
<p>La Macronie pourrait bien n’avoir été qu’une parenthèse dans la vie politique française, faute d’avoir construit un parti politique solide, capable de subsister après le départ de son fondateur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203629/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un an après le début de son second quinquennat, Emmanuel Macron suscite défiance et discrédit.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2016902023-04-04T17:37:39Z2023-04-04T17:37:39ZLe RN est-il devenu un parti comme les autres ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/516066/original/file-20230317-4390-mps24g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le président du RN, Jordan Bardella, pose pour un selfie lors d’une cérémonie à Villers-Cotterats, dans le nord de la France, le 11 novembre 2022.</span> <span class="attribution"><span class="source">François Nascimbeni / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Au coeur de la mobilisation sociale et politique contre le projet de réforme des retraites un parti semble particulièrement « profiter » de cette crise : le Rassemblement national (RN), comme <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/sondage-marine-le-pen-sort-renforcee-du-conflit-sur-la-reforme-des-retraites-1932612">le montrent de récents sondages</a>. Fort de 88 députés que à l’Assemblée nationale et d'une présence accrue dans les médias, le RN est-il devenu une organisation partisane comme les autres ?</p>
<p>En faisant abstraction du jeu des alliances façon Nupes, il en fait, en tous cas, le <a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-premier-courant-politique-francais-182977">principal parti d’opposition</a> au gouvernement – un parti qui a joué un rôle non négligeable lors des dernières séquences législatives autour de la réforme de la retraite.</p>
<p>20 ans plus tôt, lorsque l’extrême droite accède pour la première fois de son histoire au second tour de l’élection présidentielle, la France est sous le choc. 1,3 million de personnes manifestent contre le <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-toulon_sous_le_front_national_entretiens_non_directifs_virginie_martin-9782747528009-1698.html">Front national</a> (FN), parmi lesquels beaucoup de <a href="https://youtu.be/TsL-2R402r4">jeunes</a>. Jean-Marie Le Pen fait face à une mobilisation anti-FN si forte qu’il n’atteint même pas 18 % des suffrages au second tour de ces élections de 2002 contre <a href="https://theconversation.com/jacques-chirac-un-bulldozer-en-politique-63283">Jacques Chirac</a> (environ 5,5 millions de voix). Le <a href="https://www.academia.edu/17405902/La_gauche_et_la_droite_face_au_FN_chapter_">Front républicain</a> fonctionne parfaitement.</p>
<p>Quelle stratégie a été appliquée par le FN-RN, pour passer du statut de parti marginal et honni à une organisation notabilisée, voire institutionnalisée ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Manifestations après l’annonce de la présence du FN au second tour des présidentielles de 2002.</span></figcaption>
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<h2>Une stratégie de normalisation en deux temps</h2>
<p>Depuis sa création en 1972, le FN-RN a été présent par trois fois au second tour de l’élection présidentielle : en 2002, en <a href="https://theconversation.com/le-front-national-2002-2017-du-vote-de-classe-au-vote-de-classement-77303">2017</a> et 2022. Les deux dernières fois, Marine Le Pen a atteint des scores considérables : 33,9 % et 41,45 %. Cette progressive montée du RN, la stabilité de ses votes et son ancrage territorial sont les marqueurs d’une normalisation et d’une banalisation du parti d’extrême droite.</p>
<p>Cette normalisation s’est construite autour d’une dynamique de changement, qu’on a coutume de nommer « dédiabolisation ». Celle-ci s’est faite progressivement et a été marquée par deux séquences. La première a permis au parti de se notabiliser, un phénomène accéléré avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN. La seconde séquence est très directement liée à l’élection de députés RN à l’Assemblée nationale. Il s’agit d’une phase d’institutionnalisation.</p>
<h2>Des manifestations de 2002 à « Marine »</h2>
<p>Le congrès de Tours en 2011 marque un tournant dans l’histoire du FN. Le père de la famille Le Pen, créateur du FN, va passer la main. Le vote des militants en faveur de la fille est sans appel – 67,65 % des voix – face à Bruno Gollnisch.</p>
<p>L’image du FN ne sera plus celle de Jean-Marie, l’homme pour qui les chambres à gaz sont un <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cab87032378/le-pen-sur-chambres-a-gaz">« détail de l’histoire »</a> celui que les plus âgés ont connu un bandeau noir sur l’œil gauche. Marine Le Pen, femme de 45 ans arrive à la tête de ce parti.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/01/02/le-message-c-est-le-medium_2718681_1819218.html">« Le message, c’est le medium »</a> écrivait le sociologue Marshall McLuhan. Cela vaut aussi pour le FN ; l’égérie a changé, la dédiabolisation s’incarne plus que jamais dès cette <a href="https://www.cairn.info/le-genre-presidentiel--9782707174543-page-131.htm">nouvelle image au féminin</a>.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Cette dédiabolisation tentée par le passé, fin des années 90, par un Bruno Mégret qui voulait normaliser le FN, voire faire des alliances avec la droite, a finalement semblé indispensable lors de la présidentielle de 2002. À l’époque, il n’était pas envisageable pour Jean-Marie Le Pen de sortir de sa spécificité et de nourrir la droite classique. Il est apparu urgent à ce moment-là de rassurer les français et de montrer combien le FN n’était pas une menace pour l’État et le pays. La <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2016-2-page-17.htm">dédiabolisation</a> s’est dès lors avérée nécessaire.</p>
<p>Marine Le Pen est une des plus convaincues de cette nécessité depuis 2002. Elle suivra cette ligne au plus près. En 2015, elle finira même par <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2016/10/05/jean-marie-le-pen-conteste-son-exclusion-du-front-national-devant-le-tribunal_5008310_823448.html">exclure</a> celui qui porte plus que quiconque le stigmate extrême droite : Jean-Marie Le Pen. À la faveur de prises de position dans <em>Rivarol</em> sur Pétain et les chambres à gaz, la <a href="https://theconversation.com/marine-le-pen-oedipe-et-le-meurtre-du-pere-72226">fille sortira le père</a>.</p>
<h2>Modifier l’image de marque du FN</h2>
<p>L’année 2018 est marquée d’un autre moment de stratégie d’effacement du passé. Elle passe par le changement de nom du parti. Le Front national n’est plus, le Rassemblement national est né. Avec ce mot « rassemblement » se matérialise la volonté de passer de parti de la protestation à un parti de gouvernement : « rassembler » pour pouvoir gouverner.</p>
<p>Dans la même logique, en 2022, Marine Le Pen se tient loin d’<a href="https://theconversation.com/pourquoi-eric-zemmour-embarrasse-t-il-autant-la-droite-170846">Eric Zemmour</a> et ne cède pas à ses appels du pied, prouvant encore une fois son attachement à cette stratégie de dédiabolisation.</p>
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<p>Quelques mois plus tard, l’<a href="https://theconversation.com/rn-clap-de-fin-pour-les-le-pen-190153">élection de Jordan Bardella</a> à la tête du RN offre un nouveau visage au parti. Par sa jeunesse et son parcours, il donne encore d’autres gages à cette séquence de dédiabolisation. Fils d’une famille immigrée italienne, son ancrage dans le 93 et son cursus universitaire à la Sorbonne offrent des gages de normalité – son parcours pourrait ressembler à celui de beaucoup de jeunes. Néamoins, derrière ces données, il y a aussi son militantisme à l’UNI et ses accointances traditionnelles, voire identitaires, et son regard sur une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/06/07/jordan-bardella-l-heritier-de-marine-le-pen-qui-cherche-a-imprimer-sa-marque-identitaire_6129158_823448.html%C2%BB%5D">« France ensauvagée et inhumaine »</a>.</p>
<p>Car bien sûr, malgré cette normalisation en vue de la conquête du pouvoir suprême, le RN reste attaché au corpus idéologique qui est le sien. Preuve en sont les marqueurs tels le renforcement de la politique nataliste en France (<a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/retraite/reforme-des-retraites/au-c-ur-des-debats-sur-la-reforme-des-retraites-le-rn-appelle-a-soutenir-une-politique-nataliste_5686343.html">pour « résister » face à l’immigration</a>), <a href="https://www.lejdd.fr/politique/marine-le-pen-fondamentalement-contre-la-pantheonisation-de-gisele-halimi-soutien-des-terroristes-du-fln-133456">l’opposition à l’entrée de Gisèle Halimi au Panthéon</a> ou encore la <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/09/29/presidentielle-marine-le-pen-propose-de-sacraliser-la-priorite-nationale-dans-la-constitution_6096373_6059010.html">sacralisation de la « priorité nationale » dans la constitution</a>. Le RN ne se défait pas des thématiques historiques qui ont prévalu à la création du FN.</p>
<h2>Le Parlement : le cordon sanitaire est tombé</h2>
<p>Quel que soit le corpus idéologique dont se réclame le RN, l’hémicycle de l’Assemblée nationale offre au parti ses lettres de notabilisation, mais surtout son écrin d’institutionnalisation. De marginal et honni, le parti devient celui qui détient deux vice-présidences à la chambre basse.</p>
<p>Des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/live/2022/06/29/l-assemblee-nationale-en-direct-vice-presidents-questeurs-secretaires-suivez-en-direct-la-seance-d-attribution-des-postes-du-bureau_6132463_823448.html">vice-présidences</a> qui ont mathématiquement été permises avec le soutien d’autres partis politiques – Les Républicains et Renaissance – puisque Hélène Laporte a obtenu 284 voix et Sébastien chenu 290. Face à la vague de députés RN, le cordon sanitaire est tombé. La normalisation s’est installée.</p>
<p>D’autant plus que, ici encore, Marine Le Pen joue la carte de la capacité à gouverner. Elle ne veut pas trop cliver pour présenter une opposition constructive, « une opposition responsable ». Dans cette optique, elle est vigilante au taux de présence de son groupe à l’assemblée, au respect de la fonction (silence, retenue, vêtements) et refuse les blocages systématiques de lois proposés par l’opposition.</p>
<p>Certes, l’épisode du député De Fournas a bien failli saper ces efforts de respectabilité. En prononçant la phrase <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/parlement-francais/assemblee-nationale/qu-il-s-retourne-nt-en-afrique-comment-des-propos-racistes-ont-fini-par-etre-prononces-a-l-assemblee-nationale_5457871.html">« qu’il(s) retourne(nt) en Afrique »</a> au sein de l’hémicycle, celui-ci a donné une occasion aux oppositions de prouver que la dédiabolisation était un leurre. Mais l’épisode a été relativement bien géré médiatiquement et en interne. La <a href="https://theconversation.com/exclusion-du-depute-rn-ce-quen-dit-la-recherche-en-economie-comportementale-sur-les-sanctions-194272">sanction</a> est tombée, l’élu a perdu son porte-parolat. La discrétion est assez vite revenue.</p>
<p>De surcroit, quelles que soient les stratégies adoptées, avoir des députés à l’Assemblée nationale signifie <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2021-1-page-29.htm">saisir des moyens essentiels</a> : assistants, informations, formations, moyens pécuniaires et possibilité, pour beaucoup d’élus sans expérience, de se professionnaliser. Il s’agit d’une marche déterminante pour envisager la conquête du pouvoir.</p>
<p>Reste à savoir quelle attitude adopter face au parti de Jordan Bardella et de Marine Le Pen. Est-il possible d’isoler un parti à ce point institutionnalisé et soutenu dans les urnes ? De continuer à « tabouiser » un parti recueillant autant de soutiens électoraux ? De se priver de ses électeurs en le stigmatisant ? Ce mois-ci, un <a href="https://www.ifop.com/publication/le-regard-des-francais-sur-marine-le-pen-et-jean-luc-melenchon-balise-dopinion-214/">sondage Ifop</a> a montré que le RN était considéré comme le parti incarnant le mieux l’opposition au gouvernement (la stratégie de discrétion du RN semble mieux payer que celle du chahut de LFI…).</p>
<p>Depuis le début des années 80, aucune attitude pérenne et efficace n’a été trouvée face au FN-RN. C’est une quadrature du cercle pour le paysage politique français. S’il n’est pas un parti tout à fait comme les autres, le FN-RN est aujourd’hui à certains égards le deuxième parti de France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201690/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment, de parti « infréquentable », le FN-RN est-il devenu un parti incontournable du paysage politique français ? Décryptage d’une stratégie de dédiabolisation efficace.Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.