tag:theconversation.com,2011:/au/topics/syndicats-25856/articlessyndicats – The Conversation2024-02-21T11:45:55Ztag:theconversation.com,2011:article/2235712024-02-21T11:45:55Z2024-02-21T11:45:55ZPlan Ecophyto : tout comprendre aux annonces du gouvernement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/576541/original/file-20240219-30-szydzb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pour comprendre ce qui se joue à travers les indicateurs Ecophyto défendus par les uns ou les autres, il faut d'abord définir de quoi on parle.</span> <span class="attribution"><span class="source">USAID Egypt / Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Face aux manifestations des agriculteurs début 2024, le gouvernement français a annoncé une <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/environnement/pause-du-plan-ecophyto-cest-une-grave-erreur-pour-la-biodiversite-mais-aussi-pour-les-agriculteurs">« mise à l’arrêt » du plan Ecophyto</a> jusqu’au salon de l’Agriculture fin février. Cette pause devait permettre de revoir les indicateurs utilisés pour évaluer la <a href="https://theconversation.com/pour-en-finir-avec-les-pesticides-il-faut-aussi-des-agriculteurs-dans-les-champs-106978">baisse de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques</a> (pesticides appliqués sur les cultures) en France.</p>
<p>Certains indicateurs développés au niveau européen étaient fortement mis en avant avec le soutien de certains syndicats d’agriculteurs. À l’inverse, des organisations de défense de l’environnement et de la santé défendaient l’indicateur NoDU, indicateur actuel du plan Ecophyto. Le gouvernement a finalement tranché le 21 février, avec l'annonce par Gabriel Attal de <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/pesticides-lindicateur-de-mesure-conteste-par-les-agriculteurs-est-abandonne-2077724?xtor=CS4-6235">l'abandon du NoDU, au profit de l'indicateur européen HRI-1</a>.</p>
<p>Comment s’y retrouver dans cette jungle d’acronymes ?</p>
<p>En tant que membres du Comité Scientifique et Technique du plan Ecophyto, comité indépendant des pilotes du plan, nous avons notamment pour mission de guider le choix des indicateurs. Dans ce texte, nous souhaitons préciser la nature de ces derniers et en clarifier les enjeux.</p>
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<h2>À l’origine des indicateurs, un besoin d’évaluation</h2>
<p>La mise en œuvre, le suivi et l’évaluation des politiques publiques nécessitent la définition d’indicateurs quantitatifs. Mais pour construire des indicateurs pertinents, il faut faire des choix quant à la nature de ce que l’on mesure, et à la façon dont on le définit.</p>
<p>Du fait de ces choix, les indicateurs, y compris agro-environnementaux, sont par nature <a href="http://www.agro-transfert-rt.org/wp-content/uploads/2016/03/Evaluation-agri-environnementale-et-choix-des-indicateurs.pdf">imparfaits</a>. Une quantification des ventes décrira imparfaitement la toxicité et l’écotoxicité des produits, mais même un indicateur spécifique de la toxicité pose le problème de la définition des écosystèmes et espèces touchées : humains, insectes, faune du sol ou des cours d’eau… tous sont différents par leur exposition, mais surtout par leur sensibilité aux différentes substances actives.</p>
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<p>Face à cette complexité, il est utile de se rappeler qu’un indicateur doit éclairer une décision. Il faut trouver un compromis entre pertinence et accessibilité des données mobilisées pour le calculer.</p>
<h2>Les ventes de produits phytopharmaceutiques en France comme prérequis</h2>
<p>Devant la difficulté de connaître l’utilisation de produits dans les champs, il a été choisi, aux niveaux français comme européen, de mesurer les ventes au niveau des distributeurs, par année civile.</p>
<p>Il faut garder à l’esprit que la quantification des ventes ne permet pas de suivre les pratiques agricoles en temps réel, puisque les produits sont achetés à l’avance et que les agriculteurs adaptent leur utilisation au statut agronomique de leurs parcelles (mauvaises herbes, maladies, infestations par des insectes…).</p>
<p>En France, le suivi des ventes a été rendu possible par la création de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074220/LEGISCTA000006195230/2021-02-14">redevance pour pollutions diffuses</a> (RPD) en 2008, qui est une taxe payée par les utilisateurs de produits phytopharmaceutiques. Sa mise en œuvre a permis l’enregistrement de toutes les ventes de produits phytopharmaceutiques en France dans une base de données (<a href="https://www.eaufrance.fr/actualites/mise-en-ligne-du-site-bnv-d-tracabilite">BNVD</a>).</p>
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<a href="https://theconversation.com/en-france-une-taxation-des-terres-agricoles-qui-favorise-leur-artificialisation-216194">En France, une taxation des terres agricoles qui favorise leur artificialisation</a>
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<p>À partir des données de vente, plusieurs indicateurs ont été proposés dans le débat public. Nous les présentons brièvement ci-après.</p>
<h2>La quantité de substance active (QSA)</h2>
<p>La QSA correspond à la masse totale de substances actives dans les produits vendus au cours d’une année civile. Sa simplicité d’utilisation apparente voile un travers majeur : elle cumule des substances ayant des doses d’application par hectare très différentes, ce qui revient à additionner des choux et des carottes.</p>
<p>Par analogie, c’est comme si l’industrie pharmaceutique additionnait les masses de médicaments ayant des posologies radicalement différentes. Or, pour les traitements phytopharmaceutiques, les « posologies » varient fréquemment d’un facteur 1 à 100. Des substances potentiellement très toxiques, mais actives à beaucoup plus faible dose peuvent ainsi se retrouver « masquées » par d’autres substances.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576548/original/file-20240219-20-98pykf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576548/original/file-20240219-20-98pykf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576548/original/file-20240219-20-98pykf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576548/original/file-20240219-20-98pykf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576548/original/file-20240219-20-98pykf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576548/original/file-20240219-20-98pykf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576548/original/file-20240219-20-98pykf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La simplicité d'utilisation de l'indicateur QSA est entachée d'un problème de taille : elle cumule des substances ayant des doses d'application par hectare très différentes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">LeitenbergerPhotography</span></span>
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<p>Par exemple, les insecticides sont généralement efficaces à très faibles doses. Par conséquent, ces derniers ne représentent que 1,8 % de la QSA moyenne annuelle sur la période 2012-2022, alors qu’ils représentent environ 15 % des traitements.</p>
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<p>Par ailleurs, l’industrie phytopharmaceutique tend à produire des substances de plus en plus légères pour une efficacité donnée. Par conséquent, la QSA peut baisser au cours du temps sans que cela soit lié à une diminution du nombre de traitements, ou à une baisse de toxicité des substances utilisées.</p>
<p>Par exemple, un herbicide en cours d’homologation serait efficace à un gramme par hectare, soit plus de 1000 fois moins que le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/glyphosate-40177">glyphosate</a>, efficace à plus d’un kilogramme à l’hectare. Si cette substance venait à remplacer les herbicides actuels, et notamment le glyphosate, la QSA pourrait baisser soudainement d’un tiers, sans que les pratiques ni leur toxicité potentielle n’aient changé.</p>
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<h2>Le nombre de doses unité (NoDU)</h2>
<p>Le <a href="https://agriculture.gouv.fr/quest-ce-que-le-nodu">NoDU agricole</a> est l’indicateur de référence du plan Ecophyto depuis sa création en 2008. Historiquement, il a été construit par des scientifiques d’INRAE en lien avec les pouvoirs publics pour pallier les faiblesses de la QSA.</p>
<p>Sans rentrer dans les détails, on peut dire qu’il corrige le problème de la grande diversité des doses auxquelles sont utilisées les substances actives, en divisant chaque quantité de substance commercialisée par une dose de référence à l’hectare, appelée « dose unité » (DU).</p>
<p>Le NoDU correspond ainsi au cumul des surfaces (en hectares) qui seraient traitées à ces doses de référence. Cette surface théorique est supérieure à la surface agricole française, puisque les cultures sont généralement traitées plusieurs fois.</p>
<p>Le calcul de la dose unité, complexe et détaillé au paragraphe suivant, s’appuie sur les doses maximales autorisées lors d’un traitement (doses homologuées). Ces doses sont validées par l’Anses sur la base de l’efficacité et de la toxicité et écotoxicité de chaque produit.</p>
<p>Dans le NoDU, les substances appliquées à une dose inférieure à 100 g par hectare sont bien prises en compte : elles représentent la large majorité du NoDU. Dans la QSA au contraire, les quelques substances appliquées à plus de 100 g par hectare représentent la grande majorité de la QSA et invisibilisent les autres substances.</p>
<h2>Le calcul de la dose unité, ou quand le diable est dans les détails</h2>
<p>Bien que les indications données par le NoDU permettent de caractériser l'évolution du recours aux produits phytopharmaceutiques, il pose néanmoins des problèmes, liés notamment à la complexité du calcul des doses unités.</p>
<p>Commençons par préciser que lorsqu’une substance est présente dans plusieurs produits commercialisés, chaque produit va être homologué sur plusieurs cultures et pour différents usages, potentiellement à différentes doses. </p>
<p>La dose unité est définie, de manière complexe mais précise, comme la moyenne des maxima, par culture, des doses homologuées pour une substance une année civile donnée. Cette moyenne est pondérée par la surface relative de chaque culture en France.</p>
<p>Chaque année, le NoDU est calculé avec les doses unités de l'année et les NoDU des années précédentes sont recalculés avec ces doses unités pour éviter que les changements réglementaires affectent les tendances observées. </p>
<p>Le calcul des doses unités, tout à fait justifié du point de vue conceptuel, entraîne en pratique d'importantes difficultés :</p>
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<li><p>la définition est difficile à comprendre, ce qui en soi est un problème pour un indicateur aussi important ; </p></li>
<li><p>l’utilisation des surfaces de culture implique d’attendre la publication de ces valeurs, ce qui retarde d’autant le calcul du NoDU. Pourtant, tenir compte des surfaces cultivées n’a <a href="https://odr.inrae.fr/intranet/carto_joomla/index.php/ressource/documents/documents-odr/publications-odr/3257-rapport-avi-nodu">qu’un impact très faible sur le résultat obtenu au niveau national</a>. C'est également un frein à la généralisation du calcul à d'autres échelles géographiques ;</p></li>
<li><p>l’utilisation des maxima des doses homologuées <a href="https://odr.inrae.fr/intranet/carto_joomla/index.php/ressource/documents/documents-odr/publications-odr/3257-rapport-avi-nodu/file">augmente la sensibilité du calcul</a> aux évolutions réglementaires, ainsi qu’aux erreurs potentiellement présentes dans les bases de données.</p></li>
</ul>
<p>Cependant, et malgré les évolutions de surfaces de culture et de réglementation d'une année à l'autre, l’utilisation des doses unités d’une année ou d’une autre ne font varier la valeur du NoDU que de <a href="https://odr.inrae.fr/intranet/carto_joomla/index.php/ressource/documents/documents-odr/publications-odr/3257-rapport-avi-nodu/file">quelques pourcents au niveau national</a>.</p>
<h2>Notre proposition pour simplifier le NoDU</h2>
<p>Pour faciliter la compréhension et le calcul du NoDU, tant au niveau régional qu’européen, nous recommandons de définir la dose unité d'une substance comme la médiane de toutes ses doses homologuées – plutôt que la moyenne des maxima des doses homologuées par culture, pondérée par la surface relative de chaque culture.</p>
<p>Cette modification ne remettrait pas en cause le principe général du NoDU pour caractériser les ventes des produits phytopharmaceutiques en tenant compte des doses homologuées.</p>
<p>Enfin, les variations du NoDU en fonction l’année de calcul des doses unités deviendraient indétectables. De plus, nous avons montré que l’indicateur résultant est <a href="https://odr.inrae.fr/intranet/carto_joomla/index.php/ressource/documents/documents-odr/publications-odr/3257-rapport-avi-nodu/file">extrêmement corrélé au NoDU actuel</a>. De sorte que même si les valeurs absolues sont différentes, les évolutions restent identiques.</p>
<h2>Bilan du plan Ecophyto à l’aune du NoDU</h2>
<p>Depuis 2009, première année de collecte des données de vente, le NoDU a augmenté de 15 à 20 % jusqu’en 2014, puis s’est stabilisé jusqu’en 2017. S'en est suivi deux années exceptionnelles d'augmentation (stockage en 2018) puis de diminution (déstockage en 2019) liées à l'annonce, en 2018, de l'augmentation de la RPD au 1er janvier 2019. Depuis 2020, la valeur du NoDU s'est alors stabilisée à nouveau à un niveau proche de celui de 2009-2012.</p>
<p>Cette dernière baisse pourrait être liée à l’augmentation de la RPD en 2019 mais aussi à des conditions climatiques globalement défavorables aux pathogènes et aux ravageurs ces trois dernières années.</p>
<p>La relative stabilité du NoDU pour l'ensemble des substances entre 2009 et 2022 peut donner une impression d'immobilisme. Cependant, le plan Ecophyto prévoit aussi le calcul du NoDU sur la base plus restreinte des substances identifiées dans le code du travail comme <a href="https://www.anses.fr/fr/content/substances-canc%C3%A9rog%C3%A8nes-mutag%C3%A8nes-et-toxiques-pour-la-reproduction-cmr">cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction</a> (CMR) aux effets avérés ou supposés (CMR1) ou suspectés (CMR2). Ces substances particulièrement toxiques doivent en effet être éliminées en priorité.</p>
<p>Or, le NoDU pour les CMR1, les plus dangereuses, a baissé de 88 % entre 2009 et 2020 (voir graphe ci-dessous), avant <a href="https://agriculture.gouv.fr/une-nouvelle-strategie-nationale-en-construction-sur-les-produits-phytopharmaceutiques">d’approcher 0 % en 2022</a>. Les CMR dans leur ensemble ont vu leur NoDU diminuer de 40 % entre 2009 et 2020. Cette baisse met en évidence les changements importants permis par l’évolution réglementaire d’une part, et par l’adaptation des agriculteurs à ces évolutions d’autre part.</p>
<p>Autrement dit, oui, le NoDU a été utile pour quantifier la limitation de l’usage des produits phytopharmaceutiques dangereux. De plus, et contrairement à ce qui aurait pu arriver, cette élimination des produits les plus dangereux, et potentiellement les plus efficaces, n’a pas entraîné une augmentation des traitements dans leur ensemble.</p>
<p>C'est d'autant plus remarquable que l'interdiction de traitements de semences (par exemple <a href="https://theconversation.com/faut-il-simplement-interdire-les-neonicotino-des-pour-en-sortir-184268">néonicotinoïdes</a> sur colza), non inclus dans le NoDU, a sans doute entraîné l'utilisation de traitements en végétation (par exemple contre les altises à l'automne) qui eux sont comptabilisés dans le NoDU. Il faudrait donc profiter de la réflexion actuelle sur les indicateurs pour intégrer l’ensemble des substances actives utilisées pour les traitements de semences dans le calcul.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pesticides-les-alternatives-existent-mais-les-acteurs-sont-ils-prets-a-se-remettre-en-cause-146648">Pesticides : les alternatives existent, mais les acteurs sont-ils prêts à se remettre en cause ?</a>
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<h2>HRI, F2F… Les indicateurs européens</h2>
<p>Au niveau européen, d’autres indicateurs ont été proposés : les <a href="https://agriculture.gouv.fr/les-indicateurs-de-risque-harmonises-etablis-au-niveau-europeen">HRI-1 et 2 (Harmonized Risk Indicator, prévu par la directive n°2009/128)</a> et les <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/10/21/le-parlement-europeen-adopte-a-une-large-majorite-la-strategie-de-la-ferme-a-la-fourchette_6099346_3244.html">F2F-1 et 2</a> (Farm to Fork, prévu dans la stratégie de la Ferme à la Table).</p>
<p>Les indicateurs HRI-1 et F2F-1 sont jumeaux, puisqu’ils ne diffèrent que par l’éventail des substances prises en compte et par les périodes de référence considérées. Tous deux prennent en compte la masse de substances actives, comme le fait la QSA, mais en les pondérant en fonction de leur appartenance à des groupes de « risque » : 1 pour les substances de faible risque, 8 pour les substances autorisées, 16 pour les substances dont l’interdiction est envisagée, et enfin 64 pour les substances interdites.</p>
<p>Ces indicateurs européens sont problématiques pour plusieurs raisons :</p>
<ul>
<li><p>tout d’abord les masses ne sont pas rapportées à des doses d’usage ;</p></li>
<li><p>de surcroît, en France, environ 80 % des substances vendues sont par défaut classées dans le second groupe (substances « autorisées »), ce classement est donc peu discriminant ;</p></li>
<li><p>enfin, les valeurs de pondération utilisées pour le calcul de ces indicateurs sont arbitraires et ne sont étayées par aucun résultat scientifique.</p></li>
</ul>
<h2>Faut-il en finir avec le NoDU ?</h2>
<p>Le NoDU n'est aujourd’hui utilisé qu'en France mais il suffirait de simplifier son calcul, tel que nous le proposons, pour le rendre utilisable à l’échelle européenne.</p>
<p>Les doses maximales autorisées par application peuvent varier entre pays européens, la dose unité pourrait donc correspondre à la médiane de toutes les doses homologuées en Europe. Le calcul serait simple, pertinent et applicable partout en Europe. Cette méthode pourrait aussi être utilisée pour calculer l’évolution des ventes pour chaque groupe de « risque » défini actuellement au niveau européen.</p>
<p>Une autre option acceptable pourrait être que les indicateurs européens soient modifiés pour utiliser, au sein de chaque groupe, un équivalent au NoDU et non une masse totale de substance. C'est fondamentalement ce que l’agence environnementale allemande propose dans son <a href="https://www.umweltbundesamt.de/sites/default/files/medien/11740/publikationen/factsheet_zum_hri1.pdf">rapport de mai 2023</a> bien qu'elle critique aussi les coefficients de pondération du HRI-1.</p>
<p>Par ailleurs, il apparaît difficile d’embrasser la complexité de la question de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques avec un unique indicateur. Idéalement, il faudrait que le plan Ecophyto se dote d’un panel d’indicateurs complémentaires permettant de décrire :</p>
<ul>
<li><p>l’intensité de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques ;</p></li>
<li><p>les services agronomiques rendus par les produits phytopharmaceutiques ;</p></li>
<li><p>les risques pour la santé humaine ;</p></li>
<li><p>les risques pour la biodiversité.</p></li>
</ul>
<p>Quelles que soient les options choisies, le comité alerte sur la nécessité de conserver un indicateur prenant en compte les doses d’usage, tel que le NoDU. Cet indicateur doit continuer d'une part d'être appliqué à l’ensemble des ventes pour caractériser la quantité totale de traitement et d'autre part d'être appliqué aux substances les plus préoccupantes pour quantifier l’effort d'arrêt des substances les plus dangereuses.</p>
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<p><em>Pour citer cet article : Barbu Corentin, Aulagnier Alexis, Gallien Marc, Gouy-Boussada Véronique, Labeyrie Baptiste, Le Bellec Fabrice, Maugin Emilie, Ozier-Lafontaine Harry, Richard Freddie-Jeanne, Walker Anne-Sophie, Humbert Laura, Garnault Maxime, Omnès François, Aubertot JN. « Plan Ecophyto : tout comprendre aux annonces du gouvernement », The Conversation, 21 février 2024.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223571/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Corentin Barbu est membre expert du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto. Il a reçu des financements de l'ANR et du plan Ecophyto. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alexis Aulagnier est membre expert du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto. Il a reçu des financements du plan Ecophyto dans le cadre de sa participation au CST.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anne-Sophie Walker est membre expert du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto. Elle a reçu des financements du plan Ecophyto.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Baptiste Labeyrie est membre expert du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto. Il a reçu des financements du plan Ecophyto.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emilie Maugin est membre expert du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto. Elle a reçu des financements du plan Ecophyto.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Fabrice Le Bellec est membre expert du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto. Il a reçu des financements du plan Ecophyto.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>François Omnes représente l'OFB au sein du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto. Il a reçu des financements du plan Ecophyto dans le cadre de sa participation au CST.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Freddie-Jeanne Richard est membre expert du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto. Elle a reçu des financements du plan Ecophyto.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Harry Ozier-Lafontaine est membre expert du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto. Il a reçu des financements du plan Ecophyto.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jean-Noël Aubertot est président du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto. Il a reçu des financements du plan Ecophyto.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marc Gallien est membre expert du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto. Il a reçu des financements du plan Ecophyto dans le cadre de sa participation au CST.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Maxime Garnault est chargé de mission au sein du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto. Il a reçu des financements du plan Ecophyto dans le cadre de sa participation au CST.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Véronique Gouy Boussada est membre expert du Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto. Elle a reçu des financements du plan Ecophyto.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Laura Humbert est chargée de mission pour le Comité scientifique et technique (CST) du plan Ecophyto. Elle a reçu des financements du plan Ecophyto dans le cadre de sa participation au CST.</span></em></p>Comment s’y retrouver dans la jungle des indicateurs du plan Ecophyto, QSA, NoDU, HRI… et en quoi posent-ils problème ? L’éclairage de plusieurs experts du Comité scientifique et technique du plan.Corentin Barbu, Chargé de recherche sur le contrôle des ravageurs et maladies des grandes cultures, InraeAlexis Aulagnier, Chercheur postdoctoral, projet APCLIMPTER au Centre Emile Durkheim, Sciences Po BordeauxAnne-Sophie Walker, Ingénieure de recherche, InraeBaptiste Labeyrie, Ingénieur de recherche en arboriculture, Centre Technique Interprofessionnel des Fruits et Légumes (CTFIL)Emilie Maugin, Ingénieure recherche conseil en horticulture, Astredhor (Institut technique de l’horticulture)Fabrice Le Bellec, Directeur de l'unité de recherche HortSys, CiradFrançois Omnes, Chef du Service Usages et Gestion de la Biodiversité à l'Office français de la biodiversitéFreddie-Jeanne Richard, Enseignante chercheuse en écologie et comportement des invertébrés, Université de PoitiersHarry Ozier-Lafontaine, Directeur de Recherche INRAE, InraeJean-Noël Aubertot, Senior research scientist, InraeMarc Gallien, Chargé de prévention de la santé et de la sécurité au travail, DREETS de NormandieMaxime Garnault, Ingénieur de recherche, InraeVéronique Gouy Boussada, Ingénieur de l'Agriculture et de l'Environnement, HDR, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2224382024-01-31T17:17:30Z2024-01-31T17:17:30ZLa FNSEA, syndicat radical ? Derrière le mal-être des agriculteurs, des tensions plus profondes<p>Le mouvement des agriculteurs français de 2023-2024 est singulier par son ampleur et par la radicalité de ses actions. Un « siège » de Paris par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et Jeunes Agriculteurs (JA), sa branche jeunes, voire des blocages des marchés de gros appelés par la Coordination rurale (CR), la Confédération paysanne (CP) et envisagés par les JA d’Île-de-France, sont des mises en scène qui empruntent au registre militaire, ce qui est inédit à cette échelle.</p>
<p>On peut également s’étonner de cette radicalité affichée, de la part de la FNSEA et des JA qui sont associées depuis des dizaines d’années par l’État à l’élaboration et la mise en œuvre des politiques publiques, et qui disposent de capacités importantes de lobbying auprès des responsables politiques et des acteurs économiques. Comment comprendre cette évolution ?</p>
<p>Le discours syndical, assez similaire entre syndicats dans ce mouvement, pointe des facteurs d’insatisfaction extérieurs aux agriculteurs français : l’État, l’Union européenne, la concurrence étrangère, les écologistes, les citadins. Certains commentateurs voient dans ce mouvement une occasion de célébrer une <a href="https://theconversation.com/loin-de-leternel-paysan-la-figure-tres-paradoxale-de-lagriculteur-francais-169470">figure mythifiée du paysan</a> comme incarnation de classes populaires vertueuses, voire de « la France éternelle ». D’autres y lisent une autonomisation de « la base » contre les appareils syndicaux, qui s’inscrirait dans la lignée du mouvement des « gilets jaunes ».</p>
<p>Mais ces analyses passent sous silence les évolutions et tensions internes aux mondes agricoles, qui contribuent pourtant à expliquer comprendre la mobilisation en cours.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">Colère des agriculteurs : « Ce qui était cohérent et cohésif est devenu explosif »</a>
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<h2>Une évolution graduelle des formes de mobilisation agricoles</h2>
<p>Si le « blocus de Paris » actuel est une innovation tactique, il trouve ses origines dans l’histoire des actions d’agriculteurs plus que dans d’autres mouvements comme celui des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gilets-jaunes-118981">« gilets jaunes »</a> – même si ce mouvement peut aussi être source de réflexions et d’emprunts.</p>
<p>La FNSEA et les JA ont l’habitude d’agir de façon sectorielle : ils ne se joignent quasiment jamais à des mouvements d’autres groupes professionnels et n’appellent pas à être rejoints par d’autres. La manifestation est pensée comme un complément à des négociations plus feutrées, techniques, qui occupent la majorité de l’activité syndicale.</p>
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<p>Les manifestations de la FNSEA dans les départements et les régions sont historiquement célèbres pour leurs violences symboliques et matérielles, largement tolérées par les pouvoirs publics. Longue est la liste des dégradations de l’espace urbain, avec des déversements de produits agricoles ou de matière organique (lisier, fumier), ou bien des saccages de bâtiments administratifs.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ePbOom6Nh8U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Des agriculteurs déposent du fumier devant la préfecture à Agen le 24 janvier 2024.</span></figcaption>
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<p>Toutefois, sur le long terme, ces actions <a href="https://journals.openedition.org/conflits/209">tendent à devenir moins violentes</a>, et sont progressivement remplacées par des actions symboliques, comme l’étiquetage de produits en supermarché pour dénoncer certaines marques ou provenances.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mouvements-de-contestation-des-agriculteurs-servent-ils-a-quelque-chose-221889">Les mouvements de contestation des agriculteurs servent-ils à quelque chose ?</a>
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<p>Les dirigeants syndicaux visent à <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2014/11/04/la-fnsea-s-apprete-a-entrer-dans-l-arene_4518105_3234.html">limiter les dégradations et violences</a>. Leurs raisons en sont l’augmentation de la sensibilité de l’opinion publique, la diminution du nombre de militants qui rend les manifestations d’agriculteurs plus faciles à encadrer, et la perception que des actions symboliques peuvent représenter un meilleur rapport coût/efficacité.</p>
<p>Quant aux manifestations nationales organisées à Paris par la FNSEA et JA, elles ont été historiquement pacifiques et symboliques. Citons par exemple la manifestation de <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cab8200556601/manifestation-agriculteurs">« cent mille agriculteurs » à Paris en 1982</a>, la couverture des Champs-Élysées par un <a href="https://www.gpmetropole-infos.fr/la-grande-moisson-sur-les-champs-elysees-1990/">grand champ de blé en 1990</a>, un rassemblement à la Concorde en 2014, ou un <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/5562709_001_163/manifestation-des-agriculteurs-a-paris">défilé de tracteurs en 2015</a>.</p>
<p>Les opérations de blocages de routes ou d’institutions publiques à Paris se sont développées depuis une dizaine d’années : blocage d’axes routiers franciliens en 2013, manifestation devant le Conseil d’État en 2015, blocage des Champs-Élysées en 2017…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/eM6ysQI4JvQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’accès aux Champs-Élysées bloqué le 23 septembre 2017 par des agriculteurs venus protester contre la réglementation liée au glyphosate.</span></figcaption>
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<p>Ces actions étaient à l’initiative de fédérations départementales ou régionales d’Île-de-France, de la FNSEA et des JA, pas des directions nationales. Le fait que le <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/crise/blocus-des-agriculteurs/cultivateur-grand-patron-maire-six-choses-a-savoir-sur-arnaud-rousseau-le-puissant-president-de-la-fnsea_6327027.html">président de la FNSEA depuis 2023</a> soit issu d’Île-de-France a possiblement facilité l’adoption de ce mode d’action par la direction nationale.</p>
<p>Mais c’est sans doute aussi le contexte européen, marqué par des mouvements d’<a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/allemagne/allemagne-des-agriculteurs-bloquent-l-acces-a-plusieurs-ports-pour-protester-contre-la-suppression-d-un-avantage-fiscal_6332551.html">agriculteurs en Allemagne</a> avec des files de tracteurs à Berlin, <a href="https://www.liberation.fr/environnement/agriculture/pays-bas-roumanie-allemagne-la-colere-des-agriculteurs-essaime-sur-tout-le-continent-20240121_6K7BRQN4ONGDNNBLTRVYZ6GMG4/">aux Pays-Bas et en Roumanie</a> avec des blocages de grands axes routiers, qui a été une source d’inspiration pour le mouvement français.</p>
<h2>La conjoncture seule n’explique pas tout</h2>
<p>Concernant l’ampleur du mouvement, il serait tentant de l’expliquer par la conjoncture et les revendications des agriculteurs. Les mots des agriculteurs mobilisés expriment des revendications variées, qu’on peut classer en quatre catégories :</p>
<ul>
<li><p>reconnaissance sociale,</p></li>
<li><p>administration,</p></li>
<li><p>environnement,</p></li>
<li><p>et économie.</p></li>
</ul>
<p>Si selon chacune de ces dimensions, le contexte peut être difficile, à l’examen, peu de facteurs semblent exceptionnels.</p>
<p>Une première revendication est celle de la reconnaissance sociale, la dignité, la considération. Il est difficile de connaître les sentiments de la population française, tant coexistent d’un côté un attachement symbolique à l’agriculture, et de l’autre la hausse des conflits d’usages des espaces ruraux.</p>
<p>On peut aussi y voir une protestation contre l’effacement de l’agriculture dans les débats politiques. Peut-être que ce mouvement en lui-même, ainsi que l’attention unanime que lui portent le gouvernement, les partis politiques, les médias et la population, est un début de réponse à cette revendication diffuse.</p>
<p>Une deuxième revendication concerne la simplification administrative ainsi que l’accélération des procédures de versement d’aides publiques. Comme beaucoup de groups professionnels, les agriculteurs sont confrontés à la <a href="https://journals.openedition.org/terrain/13836">bureaucratisation du gouvernement de leur travail</a>. Sachant que pour beaucoup d’entre eux, les aides représentent la grande majorité du revenu, on comprend que les délais de paiement ou d’instruction des dossiers soient des sujets particulièrement sensibles.</p>
<p>Les mesures environnementales représentent une troisième cible. Les <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/01/16/pesticides-les-distances-de-securite-autour-des-zones-traitees-jugees-largement-insuffisantes-pour-proteger-les-riverains_6211049_3244.html">zones de sécurité pour la pulvérisation de pesticides</a>, les jachères, les interdictions de produits toxiques, contre lesquelles portent certaines revendications syndicales, existent pourtant depuis des décennies, à des niveaux comparables à aujourd’hui.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/glyphosate-et-apres-ou-va-le-droit-des-pesticides-219999">Glyphosate et après : où va le droit des pesticides ?</a>
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<p>Quatrième domaine de revendications : les revenus. Sont mis en avant des facteurs conjoncturels (hausse des charges liée à la guerre en Ukraine, conséquences de maladies animales), des inquiétudes liées à l’organisation des marchés (accords de libre-échange, relations commerciales avec les industriels et la grande distribution) et des difficultés structurelles.</p>
<p>Certes, le coût de production (carburants, engrais, alimentation animale) s’est envolé et n’est que peu redescendu. Les prix des produits agricoles avaient aussi flambé, contribuant à une <a href="https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/Pri2314/Primeur2023-14_Rica2022.pdf">excellente année 2022</a> ; mais ils sont retombés plus vite que les <a href="https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/LetConj2304/Lettre%20de%20conjoncture_T4-%202023.pdf">coûts de production</a>. Concernant le commerce international, l’extension des zones de libre-échange est continue depuis des décennies, et l’accord avec le Mercosur a été négocié en 2019.</p>
<p>Les revenus des agriculteurs sont très variables <a href="https://agriculture.gouv.fr/evolution-du-revenu-agricole-en-france-depuis-30-ans">selon les productions</a> et territoires, certains étant très bien rémunérés de leur travail, d’autres très mal et depuis de nombreuses années, comme les producteurs de viande bovine, de moutons, voire de lait, ou de manière générale les petits exploitants.</p>
<p>Pour expliquer la mobilisation actuelle, il faut mettre tous ces facteurs en regard de la capacité des syndicats agricoles à y répondre.</p>
<h2>La FNSEA toujours dominante mais moins hégémonique</h2>
<p>Or, la FNSEA a démontré son efficacité pour traiter un ensemble des sujets qu’elle priorise. Depuis des années, elle a lutté avec succès contre des mesures environnementales, comme les réductions d’utilisation des pesticides (plans <a href="https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20210119_pesticides.pdf">Ecophyto</a>, <a href="https://aoc.media/analyse/2020/09/01/retour-des-neonicotinoides-limpossible-reduction-des-pesticides/">interdictions de molécules</a>), la réduction du cheptel porcin en Bretagne considéré responsable de la production d’<a href="https://journals.openedition.org/etudesrurales/8988">algues vertes</a>, ou le développement des « méga-bassines » de rétention d’eau pour l’irrigation.</p>
<p>Sur le court terme, elle avait anticipé et accompagné le mouvement, obtenant dès la fin d’année 2023 des réductions de taxes sur le carburant ou sur les pollutions dites diffuses, et des mesures techniques du même ordre (réductions de taxes, affaiblissement des contrôles environnementaux) au fil du mouvement.</p>
<p>Plus largement, la FNSEA reste largement le syndicat agricole dominant. Elle est majoritaire en nombre d’adhérents (212000 revendiqués, 50000 pour les JA, contre 10000 à 15000 pour la CR et la CP), en voix aux élections professionnelles (55 % de moyenne nationale avec JA en 2019, contre 20 % à 25 % pour la CR et la CP), en ressources économiques (budget annuel de 20 millions d’euros, contre environ quatre millions d’euros respectivement pour la CR et la CP), en réseaux politiques et en capacités de lobbying. Les syndicats minoritaires gagnent régulièrement les élections professionnelles dans quelques départements, mais manquent de ressources pour pérenniser leur emprise et plus s’institutionnaliser.</p>
<p>Cependant, la FNSEA éprouve des difficultés croissantes à <a href="https://theconversation.com/colere-des-agriculteurs-ce-qui-etait-coherent-et-cohesif-est-devenu-explosif-222066">représenter tous les agriculteurs</a>. Si sa base d’adhérents reste importante, elle tend à s’effriter, en perdant les agriculteurs les plus avant-gardistes et qui ont fait sa force.</p>
<p>Ces leaders techniques se sont en effet engagés dans des démarches d’exploitation innovantes, comme la réduction des intrants, la production sous signe de qualité et d’origine, la vente en circuits courts, ou différentes formes de diversification. Ces stratégies leur permettent de capter de la valeur ajoutée en se démarquant, et en profitant du fait que les aides PAC soient attribuées sans lien avec la production depuis les réformes des années 1992 à 2003.</p>
<p>Dans le même temps, la majorité des agriculteurs continuent à produire, selon des techniques dites conventionnelles, des produits de qualité standard vendus à l’industrie agro-alimentaire. La FNSEA tend à plus adopter une posture défensive de ce style d’agriculture et du <em>statu quo</em> pour la distribution des aides PAC sachant que sa base d’adhérents est composée en majorité de ce style d’exploitants.</p>
<p>Elle capte moins les leaders techniques, qui pour une partie d’entre eux s’engagent dans les syndicats minoritaires, mais beaucoup sont également non-encartés. Ils forment ainsi un groupe influent, mais peu aligné ni docile par rapport à la FNSEA.</p>
<p>Également, si le pouvoir à la FNSEA est traditionnellement partagé entre les céréaliers et les éleveurs de bovins, les équilibres internes sont remis en cause au détriment des éleveurs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572484/original/file-20240131-29-86e7f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572484/original/file-20240131-29-86e7f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572484/original/file-20240131-29-86e7f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572484/original/file-20240131-29-86e7f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572484/original/file-20240131-29-86e7f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572484/original/file-20240131-29-86e7f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572484/original/file-20240131-29-86e7f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Traditionnellement, le pouvoir à la FNSEA se partage entre les céraliers et les éleveurs de bovins.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nicolas Duprey/CD78</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Au cours des dernières décennies, les céréaliers ont gagné beaucoup de pouvoir grâce à la structuration du <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/retour-d-avril-a-la-tete-de-la-fnsea.N2128431">groupe Avril</a>, consortium industriel possédé par la branche de la FNSEA spécialisée sur les oléagineux et protéagineux. Cette puissance industrielle leur a permis de conquérir la présidence de la FNSEA pour la première fois depuis les années 1960, en 2010 et à nouveau en 2023.</p>
<p>La FNSEA tend à devenir un atout politique pour Avril, qui se pose en pilote de la « ferme France » et déclare viser structurer l’ensemble des filières végétales et animales, plutôt que l’inverse. Certes, Avril peut jouer un rôle d’instrument de solidification des filières d’élevage, mais depuis 2018 sa stratégie s’est recentrée sur les produits végétaux, revendant une partie de ses industries de transformation animale. Les filières d’élevage bovin sont ainsi affaiblies à la fois économiquement et politiquement dans la FNSEA.</p>
<p>En conclusion, ce mouvement est certes animé par des difficultés conjoncturelles, mais son ampleur et sa radicalité peuvent s’expliquer par une crise de la représentation des agriculteurs. Ces derniers possèdent un poids politique important, qu’il s’agisse des exploitants avant-gardistes, un groupe petit mais influent, ou des éleveurs bovins, un des groupes agricoles les plus nombreux en France.</p>
<p>La réponse aux revendications économiques nécessiterait une vision d’avenir pour solidifier les filières, notamment l’élevage, et garantir qu’elles répondent aux grands <a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">enjeux alimentaires</a> et environnementaux. Ce travail prospectif reste à faire. Le moment est aussi une occasion pour les organisations syndicales de démontrer leur capacité à s’y engager.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-vraie-souverainete-alimentaire-pour-la-france-220560">Une vraie souveraineté alimentaire pour la France</a>
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<img src="https://counter.theconversation.com/content/222438/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexandre Hobeika ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour expliquer l'ampleur et la radicalité des manifestations des agriculteurs, il faut comprendre la crise de la représentativité au sein du syndicat dominant de la profession, la FNSEA.Alexandre Hobeika, Chercheur en science politique CIRAD, UMR MoISA, Montpellier, CiradLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162142024-01-14T16:31:09Z2024-01-14T16:31:09Z« Le corps policier a été secoué par la mort de Nahel »<p><em>L’appel à la grève le <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/pourquoi-les-syndicats-de-la-police-nationale-appellent-a-la-greve-le-18-janvier-2900294.html">18 janvier par plusieurs syndicats policiers</a> dans la perspective des Jeux olympiques de Paris 2024 – après que le ministre de tutelle ait souhaité une mobilisation exceptionnelle – remet en lumière l’importance de ces organisations dans la vie politique française. À l’été 2023, les émeutes et leur gestion avaient donné lieu à diverses <a href="https://www.nouvelobs.com/justice/20230721.OBS76037/mises-en-examen-de-quatre-policiers-reactions-de-leurs-collegues-a-marseille-l-enquete-avance-apres-le-passage-a-tabac-d-hedi.html">mouvements de contestations</a>.</em></p>
<p><em>Marion Guenot, chercheuse en sociologie au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) nous livre ici son analyse sur l’implication croissante des syndicats sur la scène politique et sur l’importance de l’appartenance syndicale dans l’organisation policière.</em></p>
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<p><strong>Comment les syndicats travaillent-ils et sont-ils représentatifs des policiers ?</strong></p>
<p><strong>Marion Guenot</strong> : Le fait syndical est particulièrement massif au sein de la police : 77 % de taux de participation <a href="https://www.interieur.gouv.fr/sites/minint/files/medias/documents/2022-12/CP%20R%C3%A9sultats%20-%20%C3%A9lections%20du%20CSA%20MIOM%202022%20.pdf">aux élections professionnelles de 2022</a>. Ces syndicats sont catégoriels, représentant séparément le corps des gardiens de la paix et gradés, celui des officiers et celui des commissaires. Les plus connus sont les syndicats de gardiens et gradés : Alliance police nationale et l’UNSA, qui à la faveur d’une liste commune, représentent désormais 52,7 % du corps ; Unité SGP Police FO qui en représente à elle seule 40,3 %. Trois raisons permettent d’expliquer le succès du syndicalisme chez les policiers.</p>
<p>Les fonctionnaires en exercice sont tenus par un <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2011-1-page-113.htm">devoir de réserve et de loyauté à l’égard de l’institution</a>. Or, les syndicats policiers bénéficient d’une atténuation de ces devoirs : la parole des délégués est plus libre, les locaux syndicaux sont des espaces de débats plus sécurisés que les salles de repos, les réseaux sociaux ou les repas de famille dans certains cas, etc. Au travers des prises de paroles des délégués, ce sont les policiers de terrain qui trouvent un moyen d’expression.</p>
<p>Par ailleurs, le succès du syndicalisme policier s’explique par le fait que les organisations représentatives offrent un <a href="https://www.editions-legislatives.fr/actualite/la-police-un-syndicalisme-a-part/">syndicalisme de service</a> à toutes les étapes de la carrière : cela va du logement pour la première affectation, aux mutations et avancements, en passant par le disciplinaire. En de nombreux cas, le délégué est un canal d’information plus rapide que les canaux institutionnels.</p>
<p>Enfin, là où dans le reste du monde du travail, on a observé une partition entre les syndicats investis dans le travail institutionnel versus les syndicats représentant davantage le <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-syndicats--9782707170125-page-23.htm">mouvement social</a>, les syndicats policiers représentatifs tirent leur légitimité à la fois de l’action institutionnelle et des protestations de rue.</p>
<p><strong>Dans leur communiqué commun, Alliance et l’UNSA qualifiaient en juillet 2023 les émeutiers de <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/emeutes-urbaines/emeutes-apres-la-mort-de-nahel-un-communique-de-deux-syndicats-de-police-cree-la-polemique-62ce8cb8-17e1-11ee-a274-cd245df77ae9">« nuisibles »</a> quelques jours après les émeutes ayant suivi le décès du jeune Nahel, abattu par un tir policier lors d’un contrôle. Comment comprendre la position de ces syndicats ?</strong></p>
<p><strong>M. G.</strong> : Il faut bien avoir en tête que le corps policier a été secoué par la mort de Nahel. Plus qu’un bloc, il est traversé par des <a href="https://theconversation.com/quand-les-hommes-en-bleu-debattent-des-gilets-jaunes-125640">débats</a>, voire des disputes en interne.</p>
<p>À l’annonce de la mort de Nahel Merzouk, aucun des syndicats représentatifs que j’ai cités ne s’est exprimé publiquement. Ce n’est que le lendemain, face aux réactions présidentielles, dénonçant un tir « inexcusable » et <a href="https://www.lepoint.fr/politique/mineur-tue-a-nanterre-macron-evoque-un-acte-inexplicable-et-inexcusable-28-06-2023-2526553_20.php">« inexplicable »</a>, qu’ils interviennent pour plaider la <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/mort-de-nahel-des-syndicats-de-police-appellent-a-respecter-la-presomption-d-innocence_AV-202306280680.html">présomption d’innocence</a>, mais sans se prononcer ni sur les circonstances du tir, ni sur le profil de Nahel.</p>
<p>En revanche, dès les premières heures de l’annonce de la mort de l’adolescent, un syndicat non représentatif, France Police, intervient pour féliciter le policier et qualifier Nahel de « racaille ». Proches de Reconquête ! ses porte-parole font courir le bruit que les policiers de terrain pourraient refuser d’intervenir en signe de protestation.</p>
<p>C’est dans ce contexte et au regard de ces rumeurs qu’il faut comprendre les communiqués communs d’Alliance-UNSA, attachés à l’autorité et à l’ordre, ce qui peut être qualifié de position « légitimiste ». Sur un ton dur, ce communiqué s’adresse en fait aux policiers de terrain, pour leur dire que l’heure n’est ni aux protestations collectives ni à l’intervention syndicale sur la base des émeutes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1674749283306749953"}"></div></p>
<p>En même temps, ils avertissent l’autorité politique que la retenue de l’action syndicale se redoublerait d’une forte vigilance une fois le calme revenu dans le pays. Face aux vives émotions générées par les termes employés, ils publient un second communiqué pour affirmer qu’ils défendent <a href="https://www.alliancepn.fr/actualites/communiques-de-presse/3158-explication-de-texte-pour-les-nuls.html">« les valeurs de la république »</a>. L’autre grand syndicat représentatif, Unité SGP Police FO, a pour sa part pris position la semaine suivante dans <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/05/apres-les-emeutes-il-faudra-du-temps-pour-redonner-une-vraie-place-au-policier-dans-la-societe_6180656_3224.html">Le Monde</a> pour dénoncer l’impact des années Sarkozy, de la politique du chiffre et appeler à « reconstruire les rapports police-population ».</p>
<p>Ces prises de position syndicales, légitimiste ou plus critique, font connaître les perceptions variées qu’ont les policiers des évènements en même temps qu’elles les nourrissent.</p>
<p><strong>On a assisté par la suite au lancement d’une cagnotte et d’une manifestation de soutien <a href="https://www.lexpress.fr/societe/cagnotte-pour-la-famille-du-policier-de-nanterre-le-profil-parfois-surprenant-des-donateurs-MIT4JZP5A5AXPFUTW5RWNYGM7Q/">au policier de Nanterre</a> par des soutiens de Reconquête.</strong></p>
<p><strong>M. G.</strong> : Comme en témoigne l’annonce de la <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4043693-20230701-mort-nahel-syndicat-france-police-conteste-dissolution-voulue-gerald-darmanin">dissolution de France Police</a>, ainsi que la plainte en justice pour « apologie de la violence » par le ministre de l’Intérieur, ce discours est pour le moins hors-norme sur le plan professionnel.</p>
<p>Dans le premier temps de l’annonce du décès de Nahel et des vives réactions aux circonstances de celui-ci, j’ai été contactée par des policiers de terrain de tous bords, parmi lesquels des enquêtés, d’autres qui ne me connaissent que par mes travaux et me contactent pour la première fois.</p>
<p>Tous le font pour se livrer sur leur vécu des évènements : la vidéo du tir réveille l’angoisse occasionnée par le fait d’être porteur d’une arme et de potentiellement devoir s’en servir, ne serait-ce qu’en posant la main sur l’étui en intervention. C’est en ce sens qu’ils s’identifient au policier inculpé.</p>
<p>S’il est habituel que les syndicats prennent la défense d’un collègue accusé d’homicide, ces organisations sont aussi le lieu d’un accompagnement personnalisé des auteurs de tirs létaux et non létaux, quelles qu’en soient les circonstances (attentat, légitime défense ou non, accident, etc.), tant sur le plan procédural que sur le plan psychologique.</p>
<p>J’ai pu observer comment, dans l’entre-soi du syndicat et de la collégialité policière, une prise en charge émotionnelle prend place. J’en conclus donc de façon empirique que loin d’être un acte anodin ou valorisé, ouvrir le feu sur une personne est au contraire lourd de conséquences sur le plan psychique. Il n’en demeure pas moins que comme n’importe qui, les policiers portent un jugement sur ce qui s’est passé, avec des avis qui diffèrent sur le tir en tant que tel. Mais la mort de Nahel est en tout état de cause perçue comme dramatique.</p>
<p><strong>Après l’affaire <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/affaire-hedi-3-questions-sur-les-images-de-videosurveillance-revelees-par-mediapart-2849549.html">Hedi à Marseille</a>, les policiers ont entamé une « grève », soutenue par les syndicats, pour protester collectivement contre la détention de l’un des policiers marseillais. Ils ont reçu le soutien du directeur général de la police nationale, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/07/28/marseille-du-jeune-homme-grievement-blesse-aux-propos-de-darmanin-chronologie-de-la-crise-dans-la-police_6183346_4355771.html">puis du ministre de l’Intérieur</a>. Le politique est-il soumis aux syndicats ?</strong></p>
<p><strong>M. G.</strong> : Comme le rappelle l’historien <a href="https://www.jstor.org/stable/3779157">Jean-Marc Berlière</a>, les protestations policières ne sont pas celles de la classe ouvrière, au sens où les désordres policiers menacent l’ordre et l’autorité politique dans ses fondements.</p>
<p>Il y a donc une nette tendance, chez les gouvernements successifs, à « bichonner » les syndicats. Et ce, d’autant plus que le corps policier, dans la période récente, fût considérablement sollicité (attentats et état d’urgence, « gilets jaunes », mouvement des retraites en 2019 et 2023, confinements, émeutes, coupe du monde de rugby…).</p>
<p>Mais il faut garder à l’esprit que le pouvoir politique ne se prive pas de mettre en œuvre des réformes fortes impopulaires, en faisant fi des <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/reforme-de-la-pj-une-mobilisation-generale-prevue-le-16-mars_5705246.html">vives contestations</a> ; que des combats syndicaux anciens, comme celui sur les lourdeurs bureaucratiques du métier, n’ont à ce jour toujours pas trouvé de débouchés. Enfin, certains dossiers revendicatifs syndicaux fort riches (par exemple, sur la condition du policier de nuit) ne trouvent <a href="https://journals.openedition.org/temporalites/11199">pas d’autres réponses que le simple déblocage de primes</a>.</p>
<p>Ainsi, seul le temps long nous permettra de dire si ces protestations seront la source d’une transformation radicale de la place du policier mis en cause dans la procédure pénale, au-delà de l’affichage d’un soutien de principe sur le moment.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216214/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marion Guenot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De la mort de Nahel au récent appel à la grève ce 18 janvier 2023, Marion Guenot nous livre son analyse de l’implication des syndicats de police sur la scène politique.Marion Guenot, Chercheuse titulaire au Centre de recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2186572023-11-29T14:37:21Z2023-11-29T14:37:21ZPourquoi le soutien aux syndicats est-il si fort ? C’est une question d’insatisfaction générale<p>Plus de 65 000 enseignantes et enseignants du Québec pourraient <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2023/11/26/greve-dans-le-secteur-public--on-va-tenir-le-siege-jusqua-noel-sil-le-faut">poursuivre leur grève jusqu’à Noël</a> si une entente n’est pas conclue, a déclaré leur syndicat dimanche. Cet avertissement survient dans un contexte de conflit de travail généralisé dans la province, <a href="https://www.lapresse.ca/dialogue/chroniques/2023-11-27/negos-a-18-7-on-a-une-entente.php#:%7E:text=Jeudi%2C%20570%20000%20des%20610,premier%20ministre%20Fran%C3%A7ois%20Legault%20jeudi.">où près de 570 000 personnes étaient en grève</a> la semaine dernière.</p>
<p>Ces actions collectives font suite à <a href="https://www.tf1info.fr/international/video-etats-unis-la-greve-historique-dans-le-secteur-de-l-automobile-ne-faiblit-pas-2271349.html">« l’été des grèves »</a>, où plusieurs actions syndicales ont été déclenchées, avec notamment les grèves des <a href="https://theconversation.com/actors-are-demanding-that-hollywood-catch-up-with-technological-changes-in-a-sequel-to-a-1960-strike-209829">scénaristes et des acteurs</a> à Hollywood, celle des <a href="https://theconversation.com/why-the-uaw-unions-tough-bargaining-strategy-is-working-214679">Travailleurs unis de l’automobile</a> et des grèves dans de <a href="https://www.rtbf.be/article/une-greve-chez-starbucks-en-raison-de-l-interdiction-de-decorations-pride-11217996">nombreux Starbucks</a>. </p>
<p>Au Canada, les <a href="https://theconversation.com/b-c-labour-dispute-its-time-for-an-industrial-inquiry-commission-into-ports-and-automation-210779">travailleurs portuaires de la Colombie-Britannique</a>, les employés du <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2004945/greve-tvo-steve-paikin-agenda">télédiffuseur public de l’Ontario</a> et les <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2009929/greve-municipalite-saint-jean">employés municipaux de Saint-Jean</a> ont également mené des grèves.</p>
<p>Si les grèves semblent avoir gagné en popularité et en visibilité, c’est entre autres grâce au soutien record dont bénéficient les syndicats. <a href="https://news.gallup.com/poll/398303/approval-labor-unions-highest-point-1965.aspx">Selon un récent sondage Gallup</a>, 71 % des Américains appuient les syndicats, ce qui représente le taux le plus élevé depuis 1965. Un récent <a href="https://angusreid.org/unions-strike-labour-canada-ndp-conservatives-liberals/">sondage Angus Reid</a> révèle que trois Canadiens sur cinq estiment que les syndicats ont des incidences positives pour les travailleurs.</p>
<p>Pourquoi ce soutien est-il si fort aujourd’hui ? <a href="https://abcnews.go.com/Business/technologies-helping-shape-surge-worker-strikes-us/story?id=102994468">Certains avancent</a> que la détérioration des conditions de travail, le décalage des salaires par rapport à l’inflation et l’utilisation croissante de l’intelligence artificielle dans tous les secteurs contribuent aux actions collectives.</p>
<p>Ceci ne constitue toutefois qu’une partie du tableau. La perception que les travailleurs ont de leurs conditions est plus importante encore. L’augmentation du soutien aux syndicats s’explique surtout par la hausse dans la population générale du sentiment de vivre des inégalités, et par les réactions émotionnelles négatives à l’égard de cette situation.</p>
<h2>Importance de la perception</h2>
<p>Des recherches montrent que le fait de reconnaître qu’on est désavantagé, associé à une réaction émotionnelle — en général la colère —, est un important indicateur de la participation à des actions collectives telles que manifestations, grèves ou adhésion à un syndicat. Cela est vrai indépendamment des <a href="https://www.doi.org/10.1177/1088868311430825">mesures objectives d’inégalité</a>, telles que la classe sociale, le revenu et l’éducation.</p>
<p>Une <a href="https://www.jstor.org/stable/27767155">étude réalisée en 1991</a> révèle que les sentiments des gens à l’égard de leur statut social influencent davantage l’appui aux syndicats que leur statut social objectif, qui est déterminé par des facteurs tels que le revenu et l’éducation. En d’autres termes, le soutien aux syndicats est une affaire de perception.</p>
<p>Cette perspective explique également pourquoi l’appui aux syndicats n’a pas augmenté lorsque les conditions de travail se sont dégradées. Ainsi, les années qui ont suivi la récession de 2008 ont été marquées par divers problèmes liés au travail, notamment un <a href="https://www.kansascityfed.org/Jackson%20Hole/documents/4547/2014vonWachter.pdf">taux de chômage élevé</a>, une <a href="https://u.demog.berkeley.edu/%7Ejrw/Biblio/Eprints/PRB/files/65.1unitedstates.pdf">baisse du salaire des ménages</a> et une <a href="https://knowledge.wharton.upenn.edu/podcast/knowledge-at-wharton-podcast/great-recession-american-dream/">hausse du nombre d’emplois temporaires et précaires</a>.</p>
<p>Malgré cela, le <a href="https://news.gallup.com/poll/398303/approval-labor-unions-highest-point-1965.aspx">soutien aux syndicats a atteint un plancher historique</a> aux États-Unis à cette époque. Bien qu’il n’existe pas de statistiques pour le Canada, des <a href="https://www.doi.org/10.18740/S4M887">données indiquent</a> que les syndicats y ont été tout aussi impopulaires après la Grande Récession.</p>
<h2>Le rôle de la pandémie de Covid-19</h2>
<p>La pandémie de Covid-19 a profondément modifié la façon dont nous percevons notre vie. Des études récentes indiquent que les gens sont aujourd’hui <a href="https://cepr.org/voxeu/columns/pandemics-make-us-more-averse-inequality">plus conscients des inégalités qui règnent dans la société</a> et qu’ils souhaitent davantage <a href="https://doi.org/10.1016%2Fj.jesp.2022.104400">agir pour y remédier</a> qu’à l’époque pré-Covid.</p>
<p>La prise de conscience des mécanismes injustes qui influencent nos comportements s’est avérée être une <a href="https://www.doi.org/10.1177/1088868311430825">condition préalable à la montée de la colère</a> qui motive l’action collective. En somme, plus nous percevons des injustices, <a href="https://www.doi.org/10.1080/00224545.1987.9713692">plus nous sommes susceptibles</a> de participer à une action collective.</p>
<p>L’apogée de la pandémie de Covid-19 a coïncidé avec plusieurs grèves syndicales révélatrices de cette tendance. Ainsi, la <a href="https://www.unifor.org/fr/nouvelles/toutes-les-nouvelles/les-travailleuses-et-travailleurs-chez-dominion-declenchent-une-0">grève de 2020 des travailleurs des épiceries Dominion à Terre-Neuve</a> a été provoquée par la prise de conscience des disparités entre les cadres supérieurs, qui ont gagné des millions pendant la pandémie, et les travailleurs de première ligne qui n’ont reçu que peu ou pas d’augmentations de salaire.</p>
<p>Bien que <a href="https://policyalternatives.ca/sites/default/files/uploads/publications/National%20Office/2022/01/Another%20year%20in%20paradise.pdf">ce fossé se soit creusé pendant des années</a>, la pandémie l’a amplifié. Les <a href="https://static1.squarespace.com/static/5f6cf5f31b4f4b396a560f8c/t/5f8f4630ee36ca09c2825fe6/1603225136576/summary_atof_f.pdf">déclarations des syndicats pendant les grèves</a> ont mis l’accent sur le fait que les problèmes des travailleurs ont été révélés par la pandémie et non créés par elle.</p>
<p>La pandémie a contribué à engendrer un environnement dans lequel les travailleurs se sentent lésés et en colère. Tant que la perception et la prise de conscience des inégalités n’auront pas changé, nous continuerons vraisemblablement à assister à une hausse du nombre de grèves et d’autres formes d’action collective.</p>
<h2>Que doivent faire les employeurs ?</h2>
<p>Les employeurs ont un rôle essentiel à jouer dans ce contexte. S’ils veulent éviter que les travailleurs ne se lancent dans une action collective, ils doivent leur offrir leur appui et répondre à leurs besoins. Des enjeux tels <a href="https://theconversation.com/how-businesses-can-best-help-employees-disconnect-from-work-174522">qu’équilibre entre vie professionnelle et vie privée</a>, <a href="https://theconversation.com/employers-need-to-prioritize-employee-mental-health-if-they-want-to-attract-new-talent-205738">soutien en santé mentale</a>, <a href="https://theconversation.com/diversity-in-the-workplace-isnt-enough-businesses-need-to-work-toward-inclusion-194136">diversité et inclusion</a> sont au premier plan des préoccupations des travailleurs.</p>
<p>Lorsque leurs besoins sont satisfaits, les travailleurs risquent moins de se sentir désavantagés au travail et d’éprouver du ressentiment. Une <a href="https://www.doi.org/10.2147/PRBM.S321689">récente étude</a> a montré que les personnes qui considèrent qu’elles obtiennent une juste rémunération pour des comportements positifs — comme coopérer avec les autres et arriver tôt — éprouvent moins de ressentiment à l’égard des gens qu’elles perçoivent comme plus favorisés.</p>
<p>En mettant en place une bonne communication avec les employés, en encourageant un leadership participatif et la coopération entre les travailleurs, on peut <a href="https://www.doi.org/10.1177/08863680122098298">réduire la colère</a> engendrée par les comparaisons négatives liées au travail.</p>
<p>Ces approches fonctionnent parce qu’elles offrent des solutions constructives aux problèmes des travailleurs. En conclusion, le lien entre la perception que les gens ont de leur vie et leur soutien aux syndicats démontre l’importance pour les employeurs de prendre en compte les besoins de leurs employés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218657/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nabhan Refaie ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’augmentation du soutien aux syndicats peut s’expliquer par le fait que les gens prennent de plus en plus conscience de vivre des inégalités et de la colère qu’ils ressentent à ce sujet.Nabhan Refaie, PhD Candidate in Management (Organizational Behaviour), University of GuelphLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2143542023-11-21T14:39:16Z2023-11-21T14:39:16ZLes médias sociaux, une arme à double tranchant pour l’image des syndicats<p>L’image des syndicats est souvent évoquée pour expliquer <a href="https://doi.org/10.25318/36280001202201100001-eng">l’érosion du taux de syndicalisation au Canada au cours des quatre dernières décennies</a>, qui a passé de 38 % en 1981 à 29 % en 2022. Les travailleurs peinent à <a href="https://doi.org/10.1177/102425890701300204">s’identifier aux syndicats, perçus comme des organisations vieillissantes, et donc à s’y engager</a>.</p>
<p>Les médias sociaux font naître <a href="https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---ed_dialogue/---actrav/documents/publication/wcms_875935.pdf">l’espoir d’un vent de renouveau pour le mouvement syndical</a>. Ces plates-formes leur offrent en effet – au moins en théorie – la possibilité d’améliorer leur image en fluidifiant la communication avec leurs membres, en adoptant de nouvelles méthodes de mobilisation et en s’adressant à un public plus jeune et connecté.</p>
<p>Néanmoins, les espoirs suscités par les médias sociaux pour redorer l’image des syndicats s’avèrent en partie déçus. <a href="https://doi.org/10.1177/00221856231192322">Nos recherches récentes</a> révèlent quatre effets de distorsion que les médias sociaux peuvent avoir sur l’image des syndicats. Si ces effets peuvent contribuer à revitaliser leur image publique, ils peuvent également aboutir au résultat inverse et représenter une menace tout à fait sérieuse : celle de les rendre invisibles.</p>
<h2>Facteur de division</h2>
<p>Une première conséquence des médias sociaux est qu’ils peuvent exacerber les clivages entre les syndicats et les employeurs ou les gouvernements. Un phénomène qui n’est pas sans rappeler la <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2014/06/12/political-polarization-in-the-american-public/">polarisation qui frappe la sphère politique</a>.</p>
<p>Selon les responsables syndicaux avec lesquels nous nous sommes entretenus, cette polarisation en ligne est en partie attribuable aux normes de communication sur les médias sociaux, marquées notamment par une <a href="https://theconversation.com/its-not-just-bad-behavior-why-social-media-design-makes-it-hard-to-have-constructive-disagreements-online-161337">grande tolérance à l’égard des postures virulentes et agressives</a>. L’incitatif à communiquer de manière plus clivante en ligne découlerait également de la concurrence féroce à laquelle doivent se livrer les communicants pour capter l’attention fugace des utilisateurs des médias sociaux.</p>
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<img alt="Images of social media likes, follows, and comments float above a hand scrolling on a cell phone screen" src="https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548897/original/file-20230918-21-ek67qz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La structure et la culture associées aux médias sociaux incitent certains syndicats à adopter des styles de communication plus brefs, moins nuancés et plus affirmatifs, dans le but de rallier leurs partisans et d’amplifier la portée de leurs messages.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>La structure et la culture associées aux médias sociaux incitent ainsi certains syndicats à adopter des styles de communication plus brefs, moins nuancés et plus affirmatifs, dans le but de rallier leurs partisans et d’amplifier la portée de leurs messages.</p>
<p>L’effet de polarisation en ligne n’affecte pas tous les syndicats de la même manière. Nos résultats indiquent que les syndicats les plus touchés par cet effet sont souvent ceux les plus militants.</p>
<h2>Tout à l’égo</h2>
<p>Les médias sociaux peuvent également contribuer à déformer l’image numérique des syndicats en encourageant des comportements autocentrés. Il a déjà été démontré que les médias sociaux <a href="https://doi.org/10.1037/ppm0000137">encouragent les individus à adopter des comportements narcissiques</a>. Notre étude révèle que cette tendance se manifeste également pour des organisations comme les syndicats.</p>
<p>Les médias sociaux encouragent en effet les syndicats à mettre en scène leurs membres de manière extrêmement positive. Cette survalorisation de l’effectif syndical s’explique essentiellement par les règles du jeu algorithmique des médias sociaux. En d’autres termes, le contenu faisant l’éloge des membres d’un syndicat aurait tendance, selon les responsables syndicaux, à susciter davantage d’engagement (likes, commentaires ou partages). Par conséquent, certains gestionnaires de médias sociaux privilégient les contenus célébrant les mérites des membres afin de maximiser la viralité de leur communication en ligne. </p>
<p>Cette tendance au « tout à l’égo » semble le plus prononcée dans les syndicats dont l’effectif est homogène et l’identité professionnelle forte, où il est incidemment plus aisé d’encourager un sentiment de fierté professionnelle. </p>
<h2>Grossir ses traits jusqu’à la caricature</h2>
<p>La troisième façon dont les médias sociaux peuvent déformer l’image en ligne des syndicats est en exagérant certains de leurs caractéristiques ou traits identitaires au point de les rendre grotesques ou caricaturales.</p>
<p>Ce type de distorsion découle notamment du sentiment d’obligation perçu par certains syndicats d’alimenter régulièrement leurs comptes de média sociaux. À cet égard, soulignons que tous les syndicats de notre étude publient entre cinq et sept messages par semaine sur leurs pages Facebook. </p>
<p>Cependant, tous les syndicats ne disposent pas de contenu nouveau ou attrayant à partager sur une base aussi régulière. Pour satisfaire à la boulimie des médias sociaux, certains syndicats se rabattent sur le partage en ligne d’activités aussi routinières que des réunions, formations ou assemblées syndicales. Répétées à l’envi, ces scènes banales de la vie syndicale finissent par grossir exagérément les caractéristiques bureaucratiques de ces organisations. </p>
<p>C’est donc sans surprise que les syndicats ayant une <a href="https://www.oxfordreference.com/display/10.1093/oi/authority.20110803110716472">culture bureaucratique</a> prononcée sont les plus susceptibles de s’autocaricaturer en ligne.</p>
<h2>Noyés dans l’actualité</h2>
<p>L’effet d’effacement est la dernière distorsion que les médias sociaux peuvent faire subir aux images numériques des syndicats. Un phénomène identique se produit lorsque les gestionnaires de médias sociaux abreuvent les comptes des syndicats de flots d’articles de presse et de republications, plutôt que de partager du contenu directement lié au syndicat.</p>
<p>Dans pareille situation, la visibilité numérique du syndicat décline, au point de rendre son identité diaphane. Cet effet est encore plus prononcé lorsque le partage d’article ou la republication n’est accompagné d’aucun texte introductif qui tisse un lien entre la nouvelle et le syndicat ou ses membres. </p>
<p>Les syndicats les plus exposés à l’effet d’effacement sont ceux dont les responsables des médias sociaux manquent d’expertise ou ceux dont le modèle de syndicalisme est axé sur la <a href="https://www.oxfordreference.com/display/10.1093/oi/authority.20110803100456590">prestation de services</a></p>
<p>plutôt que sur la mobilisation active des membres.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="An laptop open to a news article is seen over the shoulder of a young woman" src="https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/548903/original/file-20230918-27-77a0sh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les syndicats dont les médias sociaux sont noyés sous un flot d’articles de presse et de republications risquent de brouiller leur image au point de devenir invisibles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Les risques de l’invisibilité numérique</h2>
<p>Les médias sociaux apparaissent donc comme une arme à double tranchant pour les syndicats. Si certains effets de distorsion peuvent avoir des résultats positifs, d’autres apparaissent comme clairement négatifs. La polarisation et l’égocentrisme, par exemple, peuvent être bénéfiques parce qu’ils augmentent l’engagement en ligne. Au contraire, les effets de caricature et d’effacement conduisent à réduire le nombre de réactions.</p>
<p>Un contenu peu engageant tend à devenir invisible en raison du fonctionnement des algorithmes des médias sociaux. Les syndicats <a href="https://doi.org/10.1177/0022185620979337">soumis à ces effets</a> courent ainsi le risque d’être marginalisés de la sphère publique numérique.</p>
<p>La communication étant un levier essentiel du pouvoir syndical, il est donc à craindre que les médias sociaux n’affaiblissent leur capacité à défendre les droits des travailleurs, au lieu de la renforcer. Notre étude souligne alors la nécessité pour les syndicats de réfléchir à la manière dont ils peuvent construire une image en ligne qui soit à la fois efficace, engageante et alignée sur leur identité organisationnelle. À l’ère numérique, les syndicats doivent trouver le bon dosage entre l’engagement et la visibilité algorithmique pour redorer leur image.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214354/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Lévesque a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec- Société et culture. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marc-Antonin Hennebert et Vincent Pasquier ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Si le paysage numérique offre aux syndicats des possibilités d’engagement et de mobilisation de leurs membres, il présente également des défis, notamment le risque d’être marginalisé dans le vaste univers virtuel.Vincent Pasquier, Professeur en GRH et relations professionnelles, HEC MontréalChristian Lévesque, Professeur de Relations du Travail, HEC MontréalMarc-Antonin Hennebert, Professor of Human Resources Management, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2146842023-11-16T14:58:29Z2023-11-16T14:58:29ZOpposition massive à la réforme Drainville, qui donne des pouvoirs sans précédent au ministre de l'Éducation<p>L’opposition massive au <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1976853/projet-loi-bernard-drainville-education">projet de loi</a> déposé par le ministre québécois de l’Éducation, Bernard Drainville, offre un contexte inusité dans l’histoire récente de l’éducation.</p>
<p>Le <a href="https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/cce/mandats/Mandat-49733/index.html">Projet de loi nº 23</a> vise essentiellement à renforcer le pouvoir du ministre vis-à-vis des centres de services scolaires (CSS), via l’implantation de diverses mesures.</p>
<p>Cet article proposer de dresser un portrait – le plus objectif possible – de la position de divers acteurs du milieu scolaire et universitaire à l’égard des changements proposés par cette réforme. </p>
<p>Pour ce faire, nous proposons une analyse qualitative et quantitative des mémoires déposés par plusieurs acteurs au printemps 2023 dans le cadre des consultations particulières de la Commission de la culture et de l’éducation de l’Assemblée nationale du Québec (ANQ), chargée de faire l’étude de ce projet de loi.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-reforme-drainville-renforce-lautorite-du-ministre-et-elimine-les-contre-pouvoirs-205550">La réforme Drainville renforce l’autorité du ministre et élimine les contre-pouvoirs</a>
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<h2>Contexte de la recherche</h2>
<p>Au total, <a href="https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/CCE/mandats/Mandat-49309/memoires-deposes.html">41 acteurs ont déposé des mémoires lors de ces consultations</a>. Par « acteurs », nous entendons des organismes, groupes ou individus. Il s’agit en majorité d’acteurs scolaires ou universitaires, c’est-à-dire des acteurs touchés par l’activité éducative. </p>
<p>Parmi ces derniers, 40 prennent position à l’égard des <a href="https://theconversation.com/la-reforme-drainville-renforce-lautorite-du-ministre-et-elimine-les-contre-pouvoirs-205550">cinq changements proposés par le projet de loi nº 23</a> que nous considérons comme les plus importants, soit :</p>
<ul>
<li><p>le pouvoir du ministre d’orienter la formation continue du personnel enseignant ; </p></li>
<li><p>le pouvoir du ministre de nommer des directeurs généraux des CSS ;</p></li>
<li><p>l’abolition du Comité d’agrément des programmes de formation à l’enseignement (CAPFE) ;</p></li>
<li><p>le démantèlement du Conseil supérieur de l’éducation (CSE) ;</p></li>
<li><p>la création de l’Institut national d’excellence en éducation (INEE). </p></li>
</ul>
<h2>Résultats de notre analyse</h2>
<p><strong>1. Formation continue du personnel enseignant</strong></p>
<p>Une première analyse nous permet d’observer que les appuis en ce qui concerne le pouvoir accru du ministre à l’égard de la formation continue du personnel enseignant sont rares :</p>
<p>Près de la moitié des acteurs rejettent en bloc ce changement proposé par le Projet de loi nº 23, alors que l’autre moitié ne l’aborde pas. Un seul acteur appuie le changement, mais avec des réserves, soit l’Association des directions générales du Québec (ADGSQ), laquelle représente les directeurs généraux des CSS et des commissions scolaires du Québec. L’ADGSQ se montre en faveur d’un encadrement privilégiant des stratégies reconnues comme efficaces par la recherche.</p>
<p>Les acteurs opposés à ce changement (syndicats, universitaires, organismes publics – dont le protecteur du citoyen) défendent pour leur part l’importance de respecter l’autonomie professionnelle du personnel enseignant. </p>
<p><strong>2. Directeurs généraux des centres de services scolaires (CSS)</strong></p>
<p>La position des acteurs à l’égard du pouvoir du ministre de nommer les directeurs généraux des CSS est plus contrastée :</p>
<p>Parmi les acteurs abordant ce thème, 12 se montrent opposés et 4 l’appuient avec des réserves. Les groupes qui souscrivent à ce changement sont des associations représentant des cadres scolaires, alors que ceux qui s’y opposent représentent souvent des acteurs qui siègent actuellement sur un conseil d’administration de CSS, soit l’instance détenant ce pouvoir.</p>
<p><strong>3. Abolition du CAPFE</strong></p>
<p>Depuis sa création en 1992, le <a href="https://www.quebec.ca/gouvernement/ministere/education/organismes-lies/comite-dagrement-des-programmes-de-formation-a-lenseignement-capfe">CAPFE a comme mission</a> d’examiner et d’agréer les programmes de formation à l’enseignement, de recommander au ministre les programmes de formation à l’enseignement aux fins de l’obtention d’une autorisation d’enseigner et de donner son avis au ministre sur la définition des compétences attendues du personnel enseignant des ordres d’enseignement primaire et secondaire. </p>
<p>Le projet de loi n° 23 propose de rapatrier ces pouvoirs autour du ministre, lequel pourrait au passage consulter l’INEE pour prendre ses décisions.</p>
<p>L’analyse statistique nous permet de constater que l’abolition du CAPFE reçoit peu d’appuis :</p>
<p>En fait, un seul mémoire soutient cette abolition, soit celui de Maltais, professeur en financement et politiques d’éducation (UQAR), et Bendwell, enseignant de philosophie au Cégep de Saint-Laurent, et ce, sans réserve. Les acteurs s’y opposant souhaitent le maintien du CAPFE au nom des principes mêmes d’une bonne gouvernance.</p>
<p><strong>4. Abolition du CSE</strong></p>
<p>Le CSE est né au même moment que le ministère de l’Éducation, en 1964, dans le contexte de la Révolution tranquille. Il a pour fonction de conseiller les ministres de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur sur toute question relative à l’éducation ou à l’enseignement supérieur en répondant à leurs demandes d’avis, mais aussi en effectuant de sa propre initiative des travaux portant sur tout thème qu’il juge pertinent. </p>
<p>Le projet de loi nº 23 propose de démanteler le CSE en confiant sa mission relative aux ordres préscolaire, primaire et secondaire à l’INEE, lequel est toutefois dépourvu du pouvoir d’initiative et des instances délibératives que possède le CSE.</p>
<p>Les appuis à l’égard de l’abolition du CSE sont clairsemés, eux aussi :</p>
<p>En fait, il s’agit de l’élément le plus contesté du projet de loi. Pour les défenseurs de l’organisme, l’intégrité du CSE est vitale, en raison de son rôle hautement démocratique et apolitique, de même que de ses travaux rigoureux, originaux, accessibles et éclairants. </p>
<p><strong>5. Création d’un INEE</strong></p>
<p>Le projet de création d’un INEE calqué sur le modèle de l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESS) est discuté au Québec depuis près d’une décennie. Les principales missions de ce nouvel organisme seraient d’identifier les meilleures pratiques en enseignement et de favoriser leur mise en application dans les milieux.</p>
<p>L’analyse permet d’observer que la création d’un INEE est le changement le plus discuté dans les mémoires :</p>
<p>Un seul des 40 mémoires analysés ne traite pas de ce thème, soit celui de l’Union des municipalités du Québec, qui aborde surtout des changements législatifs apportés par le gouvernement à l’intérieur d’une législation précédente. Ce changement est aussi le seul – de tous ceux retenus ici – à rassembler plus d’appuis (n=30) que de rejets (n=9). </p>
<p>Il demeure que seuls deux acteurs adhèrent inconditionnellement au projet d’INEE contenu dans le Projet de loi nº 23. Les réserves les plus courantes concernent l’importance d’affirmer davantage l’indépendance de l’INEE à l’égard du ministre ou de revoir la composition de son conseil d’administration pour inclure des représentants d’autres groupes. </p>
<p>Enfin, neuf acteurs font pièce à ce changement en raison notamment du brassage de structures qui détourne des véritables enjeux du milieu scolaire. Ces opposants sont plutôt d’avis que le ministre gagnerait à réinvestir dans les structures en place. </p>
<p>Certains voient également dans cette entreprise une <a href="https://qesba.qc.ca/wp-content/uploads/2023/06/Memoire-ACSAQ-PL23.pdf">« centralisation accrue de l’autorité »</a>, voire une réponse « <a href="https://www.lafae.qc.ca/public/upload/memoire_pl23-2023.pdf">aux besoins (de contrôle) du ministre, pas [aux besoins] des élèves ainsi que des enseignantes et enseignants</a> ».</p>
<h2>Que faut-il retenir ?</h2>
<p>L’analyse des mémoires déposés à la Commission de la culture et de l’éducation de l’ANQ permet de constater le très peu d’appétit des acteurs du milieu scolaire et universitaire à l’égard des changements proposés par le Projet de loi nº 23. </p>
<p>En fait, seul le projet de création de l’INEE suscite plus d’appuis que de refus, mais avec d’importantes réserves et résistances. </p>
<p>Il importera donc d’observer au cours des prochaines semaines et des prochains mois si le ministre saura tenir compte de ces avis discordants et s’il modifiera de façon substantielle son projet de loi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214684/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Lemieux a reçu des financements du FRQSC et du CRSH pour des projets de recherche n'ayant pas de lien avec cette publication. Il a travaillé au Conseil supérieur de l'éducation en 2019. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>David Lefrançois a reçu des financements du CRSH et du FRQSC sans lien avec cette contribution. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Geneviève Sirois a reçu des financements du CRSH et du FRQSC pour des projets de recherche portant sur les pénuries d'enseignants et la formation des enseignants non-légalement qualifiés. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>ETHIER, Marc-André a reçu des financements du FRQSC, du FCI et du CRSH, mais cela ne concerne pas cet article.</span></em></p>Les acteurs des milieux scolaire et universitaire démontrent très peu d’appétit à l’égard des changements proposés par le projet de loi du ministre québécois de l’Éducation, Bernard Drainville.Olivier Lemieux, Professeur en administration et politiques de l'éducation, Université du Québec à Rimouski (UQAR)David Lefrançois, professeur en fondements de l'éducation, Université du Québec en Outaouais (UQO)Geneviève Sirois, Professeure en gestion scolaire, Université TÉLUQ Marc-André Éthier, Professeur en didactique de l'histoire, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2160882023-10-23T18:07:16Z2023-10-23T18:07:16ZAprès la réforme des retraites, le « printemps syndical » peut-il durer ?<p>On disait le syndicalisme moribond. Certains, le classant parmi les <a href="https://giuseppecapograssi.files.wordpress.com/2014/01/bauman-liquid-modernity.pdf">organisations « zombies »</a>, l’avaient même déjà enterré. De fait, la plupart des indicateurs tendaient à confirmer qu’en France, comme dans la plupart des pays dits « développés », le mouvement syndical était entré dans une phase d’hibernation depuis 40 ans : <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/73d70d2f04ce15c6ee16dbd65c81601e/2023-06.pdf">forte érosion du nombre de membres</a>, <a href="https://www.cairn.info/revue-annales-historiques-de-l-electricite-2008-1-page-11.htm">opinion publique de plus en plus hostile</a>, des <a href="https://www.usinenouvelle.com/article/la-nouveaute-c-est-l-individualisation-de-la-violence-au-travail-pour-le-sociologue-jerome-pelisse.N487579">conflits de moins en moins intenses</a>, etc.</p>
<p>Néanmoins, à l’orée des années 2020, un ensemble de signaux témoigne d’<a href="https://www.nouvelobs.com/economie/20230315.OBS70841/reforme-des-retraites-le-printemps-des-syndicats.html">« un printemps syndical »</a>, au premier rang duquel figurent les fortes mobilisations contre la réforme des retraites il y a quelques mois. Et le phénomène de revitalisation syndical dépasse assez largement les frontières hexagonales.</p>
<p>En juillet dernier, Marylise Léon, secrétaire générale de la Confédération française démocratique du travail (CFDT), se targuait d’avoir enregistré près de <a href="https://ile-de-france.cfdt.fr/portail/ile-de-france/temps-forts/-interview-marylise-leon-secretaire-generale-de-la-cfdt-srv2_1305779">50 000 nouveaux adhérents</a> au cours du premier semestre 2023. Dans le même temps, la <a href="https://www.cgt.fr/actualites/france/interprofessionnel/mobilisation/la-cgt-le-vent-en-poupe">Confédération générale du travail</a> (CGT) et <a href="https://www.force-ouvriere.fr/developpement-syndical-les-adhesions-syndicales?lang=fr">Force ouvrière</a> (FO) ont connu un regain d’intérêt similaire</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1635889779148480512"}"></div></p>
<p>De façon générale, c’est l’ensemble des organisations syndicales qui a profité des mouvements sociaux du printemps dernier et qui se voit de plus en plus sollicité par les salariés, y compris par ceux qui travaillent dans des entreprises sans représentants du personnel.</p>
<h2>Un retour en grâce mondial</h2>
<p>Cette demande d’expertise syndicale s’accompagne également d’une amélioration de l’image des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/syndicats-25856">syndicats</a>. En effet, les récentes enquêtes d’opinion montrent que les Français sont désormais plus nombreux à leur accorder une opinion favorable. Ainsi, les personnes interrogées seraient aujourd’hui 59 % à faire confiance aux syndicats pour défendre leurs intérêts, selon le baromètre d’image de Kantar réalisé en juin dernier.</p>
<p>Ce retour en grâce des syndicats est aussi perceptible dans d’autres pays industrialisés où le syndicalisme semble connaître un regain d’intérêt. Aux États-Unis, par exemple, les travailleurs n’ont <a href="https://news.gallup.com/poll/510281/unions-strengthening.aspx">jamais été aussi nombreux à soutenir les syndicats</a> et à vouloir que ces derniers participent plus activement aux débats sociaux. Cet engouement pour le syndicalisme se traduit, dans le contexte américain, par une <a href="https://www.cnbc.com/2023/10/09/from-uaw-to-wga-heres-why-so-many-workers-are-on-strike-this-year.html">recrudescence de mouvements sociaux</a> et par <a href="https://www.nlrb.gov/news-outreach/news-story/election-petitions-up-53-board-continues-to-reduce-case-processing-time-in">l’augmentation du nombre de pétitions</a> des salariés américains afin d’obtenir une représentation syndicale dans leur entreprise.</p>
<p><iframe id="YOodA" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/YOodA/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ce constat semble également valable dans d’autres pays industrialisés. C’est le cas notamment du Canada, où quatre grands syndicats de la fonction publique québécoise ont voté, il y a quelques semaines, une <a href="https://www.ledevoir.com/societe/799146/mi-parcours-votes-greve-secteur-public-toujours-aussi-forts">grève illimitée</a> pour améliorer leurs conditions de travail, une première depuis près de quatre décennies.</p>
<h2>Alignement des planètes</h2>
<p>Les organisations syndicales semblent en effet bénéficier d’un alignement des planètes extraordinairement favorable. Plusieurs événements concomitants contribuent à ce renouveau syndical. Tout d’abord, le contexte économique, marqué par une reprise de l’activité, des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/penurie-de-main-doeuvre-119110">pénuries de main-d’œuvre</a> et <a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-28219">l’inflation</a> <a href="https://ires.fr/publications/chronique-internationale-de-l-ires/n-36-2/international-cycle-des-greves-et-cycle-economique-approches-theoriques-et-comparatives-en-debat/">pousse la demande de hausses de salaires</a> tout en accentuant l’intensité conflictuelle et le recours aux syndicats.</p>
<p>Ensuite, la prise de conscience croissante des inégalités et les <a href="https://theconversation.com/taxation-des-superprofits-un-outil-de-redistribution-des-gagnants-vers-les-perdants-des-crises-203014">superprofits</a> enregistrés en sortie de pandémie par les grands groupes multinationaux ont conduit de nombreuses personnes à manifester leur mécontentement. Par exemple, le groupe TotalEnergies a connu en octobre 2022 un <a href="https://actu.fr/societe/totalenergies-la-greve-continue-le-gouvernement-appelle-a-des-hausses-de-salaires_54340699.html">conflit social de grande ampleur</a> après l’annonce de bénéfices records. Enfin, les <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/emmanuel-macron-toujours-et-encore-le-neo-liberalisme-915134.html">politiques libérales</a> opérées, par exemple, en France par le président de la République Emmanuel Macron ou <a href="https://www.marianne.net/monde/europe/avec-rishi-sunak-lultraliberalisme-continue-au-royaume-uni-et-les-scandales-aussi">au Royaume-Uni</a> par le gouvernement conservateur constituent également des fenêtres d’opportunités pour les syndicats.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Pénurie liée aux grèves dans le carburant en France en octobre 2022, station TotalEnergies, 65 route d’Agde (Toulouse)" src="https://images.theconversation.com/files/554932/original/file-20231020-25-gmpei9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554932/original/file-20231020-25-gmpei9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554932/original/file-20231020-25-gmpei9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554932/original/file-20231020-25-gmpei9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554932/original/file-20231020-25-gmpei9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554932/original/file-20231020-25-gmpei9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554932/original/file-20231020-25-gmpei9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La grève chez TotalEnergies a conduit à des pénuries de carburants en France en octobre 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gr%C3%A8ves_dans_le_carburant_en_France_en_2022#/media/Fichier:Station_Total_%C3%89nergies,_65_route_d'Agde_(Toulouse).jpg">Abdoucondorcet/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Par ailleurs, la syndicalisation dépend de la <a href="https://www.econstor.eu/bitstream/10419/222500/1/1724719793.pdf">croyance dans le potentiel du syndicat</a> d’améliorer concrètement les conditions de travail. Or, plusieurs sondages récents – dont une <a href="https://www.institutmontaigne.org/expressions/sondage-les-francais-et-les-syndicats-de-salaries">enquête</a> du think tank libéral Institut Montaigne – montrent que plus de la moitié des Français juge l’action des syndicats efficace au sein des entreprises, ce qui témoigne d’une véritable évolution des opinions.</p>
<h2>Des facteurs d’attractivité nouveaux</h2>
<p>En parallèle, plusieurs facteurs inédits peuvent également expliquer ce printemps syndical. D’abord, le 31 mars 2023, Sophie Binet a été <a href="https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/social/congres-de-la-cgt-sophie-binet-elue-secretaire-generale-en-remplacement-de-philippe-martinez_DN-202303310258.html">élue secrétaire générale de la CGT</a>. Peu de temps après, le 21 juin, c’est une autre femme qui est nommée à la tête du second syndicat national : <a href="https://www.cfdt.fr/portail/actualites/marylise-leon-nouvelle-secretaire-generale-de-la-cfdt-srv1_1301103">Marylise Léon à la CFDT</a>.</p>
<p>Cette <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/20/nominations-de-sophie-binet-et-de-marylise-leon-multiplier-le-nombre-de-femmes-en-responsabilite-permet-de-banaliser-les-figures-feminines-dans-les-spheres-dirigeantes_6178405_3232.html">féminisation de la direction des deux syndicats majoritaires</a> en France s’observe d’ailleurs également en dehors des frontières : au Québec, Magalie Picard est présidente de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) depuis le 23 janvier 2023 tandis que Caroline Senneville a accédé aux mêmes responsabilités au sein de la Confédération des syndicats nationaux (CSN) depuis juin 2021. Ce changement de leadership peut désormais contribuer à changer la perception des syndicats par le pouvoir politique, mais plus encore peut-être par l’opinion.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1710904367279169549"}"></div></p>
<p>Nous observons également un élargissement des thématiques couvertes par l’action syndicale. Des néo-syndicats, qui attirent des adhérents éloignés de la culture syndicale, ont ainsi vu le jour en France ces cinq dernières années, centrés sur les enjeux écologiques (par exemple, le <a href="https://www.printemps-ecologique.fr/">Printemps écologique</a>) ou la représentation des travailleurs indépendants (<a href="https://independants.co/">Indépendants.co</a>).</p>
<p>Pour finir, nous pourrions revenir sur les adhésions massives ayant eu lieu au moment de la réforme des retraites en France, car <a href="https://www.actuel-ce.fr/content/renouvellement-syndical-le-defi-de-la-fidelisation">nombre de ces adhésions se sont faites en ligne</a>. Or, ce mode d’adhésion rompt avec les processus habituels de recrutement basé sur des rencontres dans les locaux syndicaux. La question se pose donc du maintien dans le temps de ces nouvelles adhésions.</p>
<h2>Un renouveau fragile</h2>
<p>Ce « printemps » constitue-t-il, dès lors, les prémices d’une revitalisation durable du mouvement syndical ou ne sera qu’une brève éclaircie ? Un certain nombre d’éléments plaide pour un essoufflement progressif de ce mouvement de revitalisation avant un retour à la normale. Tout d’abord, la nature cyclique de l’économie capitaliste suggère que l’alignement des planètes (inflation forte, croissance économique, chômage bas) ne pourra durer éternellement.</p>
<p>De plus, les analyses sur le temps long indiquent que les <a href="https://www.routledge.com/Reigniting-the-Labor-Movement-Restoring-means-to-ends-in-a-democratic-Labor/Friedman/p/book/9780415780018">effectifs syndicaux sont également soumis à une cyclicité</a>. Les périodes de forte croissance des adhésions syndicales correspondent souvent à des épisodes de conflictualité… sur lesquels les organisations syndicales peinent à capitaliser : la fin des conflits marque alors un étiolement du nombre d’adhérents.</p>
<p>Néanmoins, il n’est pas complètement déraisonnable de supposer que ce renouveau pourrait s’inscrire dans la durée. Ainsi, l’histoire semble indiquer que la période néolibérale dans laquelle nous sommes entrés il y a une quarantaine d’années ne sera pas éternelle. Une phase où les forces de régulation, dont le syndicalisme, se reconstruiront, <a href="https://lirsa.cnam.fr/medias/fichier/polanyihtml__1262962770199.html">pourrait ainsi lui succéder</a>. Cette reconstruction sera d’autant plus solide que les signaux faibles de transformation de l’action syndicale (féminisation, élargissement des thèmes, renouveau tactique, etc.) percoleront en profondeur dans ces organisations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216088/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La revitalisation syndicale observée en France ces dernières années se constate également ailleurs en Europe et en Amérique du Nord. Mais la capacité de cet élan à s’inscrire dans la durée interroge.Juliette Fronty, Maîtresse de conférence en Sciences de Gestion, Université de Toulouse III – Paul SabatierPatrice Laroche, Professeur des Universités en sciences de gestion, Université de LorraineVincent Pasquier, Professeur en GRH et relations professionnelles, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2155482023-10-12T17:26:41Z2023-10-12T17:26:41ZLa conférence sociale sur les bas salaires acte les difficultés à négocier des hausses collectives dans les entreprises<p>Pressé d’agir pour soutenir le pouvoir d’achat des salariés dans un contexte d’inflation, le gouvernement a convoqué les partenaires sociaux pour une <a href="https://www.sudouest.fr/economie/conference-sociale-sur-les-bas-salaires-le-gouvernement-annonce-ce-rendez-vous-pour-le-16-octobre-16751525.php">conférence sociale</a> sur « les carrières et les branches situées sous le salaire minimum », ce lundi 16 octobre. Trois thèmes seront plus précisément abordés : les « minima conventionnels, les classifications et les déroulés de carrière », puis « les temps partiels et les contrats courts », et enfin « les exonérations de cotisations, primes d’activité et tassement des rémunérations ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1705104986969874766"}"></div></p>
<p>Cette conférence sur les bas salaires apparait toutefois comme un signe de la dévitalisation du rôle des branches dans la régulation du rapport salarial dans un nombre considérable de secteurs d’activité, où les salaires se déterminent en <a href="https://www.lemonde.fr/emploi/article/2023/09/18/que-sait-on-du-travail-quel-role-pour-la-branche-dans-la-definition-des-conditions-d-emploi-et-des-salaires-en-france_6189853_1698637.html">dehors de toute référence à sa convention collective</a>. Elle est en cela aussi l’aboutissement d’une politique constante de ce gouvernement, et de ses prédécesseurs sur ces vingt dernières années, consistant, au moyen d’une multitude de réformes du « dialogue social », à donner la priorité aux négociations d’entreprise dans la construction des compromis salariaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1704400673423364601"}"></div></p>
<p>Mais que cela signifie-t-il de négocier dans les entreprises quand les syndicats <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/17b3ae156eb512bed6bef61a7ebb2407/DR_IRP_2021.pdf">y sont de moins en moins présents</a> (en 2021, seulement 11,2 % des entreprises de 10 salariés ou plus disposaient d’au moins un délégué syndical, représentant 57,5 % des salariés du champ), ou quand les moyens mis à disposition des élus du personnel ont été <a href="https://ires.fr/publications/cfdt/lordonnance-de-2017-sur-le-cse-un-affaiblissement-de-la-democratie-sociale-en-entreprise/">diminués par les ordonnances Travail de 2017</a> ?</p>
<p>La question de la réalité du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/dialogue-social-44601">dialogue social</a> dans les entreprises, en fonction en particulier des contextes de marché des entreprises et des contextes de travail des salariés, est l’objet de notre ouvrage collectif <a href="https://editions-croquant.org/dynamiques-socio-economiques/917-un-compromis-salarial-en-crise-que-reste-t-il-a-negocier-dans-les-entreprises-.html"><em>Un compromis salarial en crise. Que reste-t-il à négocier dans les entreprises ?</em></a> qui vient tout juste d’être publié aux Éditions du Croquant.</p>
<h2>La négociation salariale, une réalité très inégale</h2>
<p>En croisant analyse statistique et enquête de terrain, nous y montrons que la négociation de nouveaux compromis entre employeurs et salariés sur les conditions de rémunération et de travail de ces derniers est devenue très difficile. La priorité donnée à la négociation d’entreprise contribue également à creuser encore plus les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/inegalites-salariales-103013">inégalités entre salariés</a>, en renforçant la précarité des moins diplômés, des salariés des petites entreprises, ou encore des travailleurs « essentiels » du secteur sanitaire et social.</p>
<p>Peut-on négocier dans des petites entreprises dépourvues de délégués syndicaux ou de représentants du personnel syndiqués, et dans lesquelles les salariés sont pris dans des relations de subordination directes avec leur patron ? La réponse est clairement non : la négociation collective dans ce type d’entreprises, qu’on a appelé « petites entreprises paternalistes », reste déjà très rare et quand elle a lieu, on ne peut qualifier d’accord son issue tant il s’agit davantage d’une décision unilatérale de l’employeur !</p>
<p>Or ce sont dans ces <a href="https://theconversation.com/fr/topics/petites-et-moyennes-entreprises-pme-21112">petites et moyennes entreprises</a> (PME) paternalistes qu’on trouve principalement les salariés peu qualifiés, mal rémunérés, comme les travailleurs de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/logistique-27386">logistique</a>, du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/batiment-36381">bâtiment</a> ou du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/commerce-20442">commerce</a>. Même quand les employeurs sont disposés à accorder quelques avantages salariaux, ou autre, à leurs salariés pour les fidéliser ou en attirer de nouveaux (salariés) dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre dans certains de ces secteurs, leurs marges de manœuvre restent très contraintes par leur dépendance à un donneur d’ordre ou à un marché économique à bas coûts de plus en plus concurrentiel.</p>
<p><iframe id="qeETg" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/qeETg/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Certes, lorsque les salariés sont plus qualifiés et disposent de davantage de ressources pour monnayer leurs savoir-faire professionnels, le rapport de force apparait certes différent. Dans notre analyse, on retrouve ces salariés dans des PME du type « innovantes et dynamiques », à l’instar des start-up ou des cabinets de conseil, et qui se situent sur des marchés internationalisés ou de niche avec des produits à haute valeur ajoutée.</p>
<p>Cependant, les négociations collectives appuyées par de réels échanges restent rares dans ce type d’entreprises. Même si ces organisations apparaissent plus souvent dotées que les précédentes de représentants du personnel, ces derniers sont rarement syndiqués face à des employeurs résolument hostiles à la présence syndicale et qui assoient l’hégémonie de leur pouvoir par le maintien de politiques de rémunération très individualisées.</p>
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<p>La présence syndicale reste donc un préalable à la possibilité de construire de nouveaux compromis salariaux favorables aux salariés, par les ressources qu’ils peuvent mobiliser et le rapport de force qu’ils peuvent engager. Cela étant dit, leur capacité de mobilisation s’est amenuisée sous l’effet de la précarisation et de l’éclatement des collectifs de travail. En outre, leurs marges d’action réelles dans les négociations se sont largement affaiblies, dans un contexte de financiarisation des plus grandes entreprises et de néolibéralisation des politiques publiques.</p>
<h2>Pression des actionnaires et de l’État</h2>
<p>C’est le cas des grands groupes industriels ou ceux de la grande distribution (les « entreprises néo-fordistes en tension » dans notre typologie) : la présence syndicale y est beaucoup plus forte et implantée depuis plus longtemps, de sorte que la négociation des salaires via les négociations annuelles obligatoires (NAO) s’est institutionnalisée.</p>
<p>Toutefois, du fait des fortes pressions des actionnaires et des risques de délocalisation pour certaines de ces entreprises, les syndicats peinent à obtenir de nouveaux avantages sociaux ou des augmentations de salaire conséquentes – quand ces négociations ne sont pas vidées de leur substance par l’absence d’autonomie de la direction d’établissement (les décisions étant prises uniquement au niveau de la tête de groupe).</p>
<p>Dans le secteur des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/services-29744">services</a>, les contraintes sont parfois d’un autre ordre. Notre enquête a par exemple mis à jour le modèle socio-économique qui caractérise les organisations du secteur sanitaire et social, qu’elles aient le statut d’entreprise commerciale ou d’association. Les budgets et même les normes de travail y sont largement encadrés par les pouvoirs publics, laissant peu de marges de manœuvre aux directions dans leur gestion du personnel et donc dans la détermination des salaires.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/553453/original/file-20231012-17-mjmwd7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/553453/original/file-20231012-17-mjmwd7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/553453/original/file-20231012-17-mjmwd7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/553453/original/file-20231012-17-mjmwd7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/553453/original/file-20231012-17-mjmwd7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=714&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/553453/original/file-20231012-17-mjmwd7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=897&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/553453/original/file-20231012-17-mjmwd7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=897&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/553453/original/file-20231012-17-mjmwd7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=897&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://editions-croquant.org/dynamiques-socio-economiques/917-un-compromis-salarial-en-crise-que-reste-t-il-a-negocier-dans-les-entreprises-.html">Éditions du Croquant (août 2023)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pourtant, les salariés et les salariées – le plus souvent des femmes – subissent des conditions de travail particulièrement difficiles. Dans ce type d’organisations, le dialogue social ne permet le plus souvent que de décrocher de faibles primes pour la plupart des salariés et ne répond pas aux problématiques centrales d’organisation du travail et d’amélioration des conditions de travail.</p>
<h2>Une nécessaire intervention de l’État</h2>
<p>En même temps qu’elle a affaibli la capacité des représentants syndicaux à obtenir des compromis salariaux favorables aux salariés, et plus encore pour celles et ceux qui subissent de mauvaises conditions de travail et de rémunération, la décentralisation de la négociation collective a renforcé sa subordination aux logiques du marché et a modifié en conséquence la nature des compromis négociés.</p>
<p>De fait, négocier les salaires au niveau de l’entreprise a activement contribué à l’individualisation et à la flexibilisation des politiques de rémunérations en facilitant le développement des primes – d’intéressement, de participation, ou plus récemment la <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F35235">« prime Macron »</a> – qui dépendent des résultats de l’entreprise ou n’a pas vocation à être pérennisé pour la dernière citée.</p>
<p>L’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-28219">inflation</a>, elle, touche pourtant durablement le revenu des salariés, ce qui justifie d’autant plus une intervention active de l’État pour créer les conditions d’une hausse généralisée et durable des salaires pour l’ensemble des salariés, par le mécanisme de la loi et des conventions de branche.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215548/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La rencontre entre le gouvernement et les partenaires sociaux du 16 octobre intervient dans un contexte de recul des syndicats et de flexibilisation dans la fixation des revenus.Camille Signoretto, Maître de conférences en économie, membre du LADYSS, Université Paris CitéBaptiste Giraud, Maître de conférences en science politique, membre du LEST et de l'IRISSO, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2106062023-07-31T16:19:48Z2023-07-31T16:19:48ZLa crise du Journal du dimanche et ce qu’elle dit de l’avenir de la presse française<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/540176/original/file-20230731-160144-7q9ssu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2048%2C1355&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'équipe du Journal du dimanche s'oppose à l'arrivée comme directeur de la rédaction de Geoffroy Lejeune, connu pour porter une idéologie d'extrême-droite.</span> <span class="attribution"><span class="source">JDD</span></span></figcaption></figure><p>Après plus de cinq semaines de mobilisation contre Arnaud Lagardère (et à travers lui contre Vincent Bolloré), la rédaction du <em>Journal du dimanche</em> (<em>JDD</em>) continue avec acharnement <a href="https://www.liberation.fr/economie/medias/comment-geoffroy-lejeune-pourrait-il-faire-un-journal-du-dimanche-sans-journalistes-20230728_L6E2YIR35NBS3FCRSLGAOBGAZQ/">à défendre son indépendance</a>. L’équipe s’oppose en effet de manière presque unanime au recrutement comme directeur de la rédaction de Geoffroy Lejeune, connu pour porter une idéologie d’extrême droite. Mais cela n’empêche pas le groupe Lagardère de se montrer inflexible et d’ignorer toutes les demandes de la rédaction : l’arrivée de l’ancien journaliste de <em>Valeurs actuelles</em> a été confirmée et fixée au 1ʳᵉ août dans un <a href="https://www.lagardere.com/communique-presse/la-direction-de-lagardere-news-prend-acte-avec-regrets-de-labsence-daccord-avec-la-societe-des-journalistes-du-journal-du-dimanche-sdj-et-les-organisations-syndicales/">communiqué publié le 24 juillet</a>. Quelle que soit l’issue de cette grève, on aurait tort de penser qu’il s’agit d’un conflit isolé et sans implication pour le reste des médias : dans ce combat si dissymétrique se joue sans doute une partie de l’avenir de la presse française.</p>
<p>Cette mobilisation est en effet exceptionnelle non seulement par sa longévité mais parce qu’elle vise à défendre l’indépendance du journalisme et finalement son existence même. Certes, il y a bien sûr eu d’autres mouvements sociaux importants et durables dans l’histoire récente des médias français. On peut rappeler par exemple la longue grève qui a touché <em>Le Parisien libéré</em> en 1975 et qui s’est prolongée <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-fabrique-de-l-histoire/28-mois-de-greve-quand-les-salaries-du-parisien-libere-tentaient-de-survivre-dans-le-conflit-4676893">pendant 28 mois</a>. Mais cette crise était très différente de celle que connaît aujourd’hui le <em>JDD</em> puisqu’elle opposait le propriétaire du quotidien au Syndicat du Livre sur des questions touchant à la modernisation de la fabrication du journal.</p>
<h2>Le souvenir de la grève de l’ORTF en 1968</h2>
<p>Si la presse écrite a connu d’autres conflits liés à la volonté de défendre l’autonomie d’une rédaction, <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2023/06/01/les-journalistes-du-quotidien-les-echos-en-greve-pour-obtenir-un-renforcement-des-garanties-d-independance_6175786_3236.html">à l’image des <em>Échos</em> encore récemment</a>, ils n’ont jamais atteint une telle durée dans l’histoire récente. L’exemple le plus proche de la mobilisation de la rédaction du <em>JDD</em> est peut-être la longue grève des techniciens et des journalistes de l’ORTF en 1968.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/KS1GrMSHl30?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Récit de Mai 1968, et de la grève à l’ORTF, télévision et Radio France, Marcel Trillat, qui était journaliste de télévision à « 5 colonnes à la une » jusqu’en 1968, raconte le mai 68 de ceux de la télévision, le mai 68 à l’ORTF. Interviewé par Jeanne Menjoulet (Centre d’Histoire sociale des mondes contemporains, CHS).</span></figcaption>
</figure>
<p>Ce mouvement social, qui a duré presque deux mois, avait déjà pour but de défendre la liberté de l’information. La différence était bien sûr que les journalistes se battaient contre la mainmise de l’État et non contre les choix d’un industriel devenu propriétaire d’un média.</p>
<p>Le conflit en cours au <em>JDD</em> a aussi pour caractéristique de s’inscrire dans le prolongement de deux autres grèves qui ont déjà mis en évidence la brutalité des méthodes de Vincent Bolloré. Après Itélé en 2016 et Europe 1 en 2021, c’est en effet la <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Greve-JDD-Canal-iTele-Europe-1-precedents-mouvements-contre-choix-Bollore-2023-06-26-1201273084">troisième rédaction qui se révolte contre cet industriel</a>.</p>
<p>La répétition de ces crises témoigne de la singularité du modèle Bolloré. Cet empire a d’abord pour particularité son extension très importante et le choix de Vivendi de se recentrer sur des activités en lien avec les médias, la publicité ou l’édition. Il est unique également, au moins à l’échelle française, par la radicalité de l’idéologie promue par Vincent Bolloré et par le rapport de force très agressif qu’il institue de manière systématique avec les rédactions.</p>
<h2>Une bataille déjà perdue ?</h2>
<p>Il est par ailleurs probable, comme en témoignent justement les exemples d’Itélé et d’Europe 1, que la bataille des journalistes du <em>JDD</em> se soldera par une défaite. Les deux grèves précédentes ont en effet connu la même conclusion : les normes éthiques censées encadrer le travail journalistique ont été foulées au pied, et les protections dont bénéficient en principe les rédactions ont été contournées, ou perverties. Les journalistes ont été sommés de se soumettre (et donc d’accepter cette réorientation idéologique) ou de se démettre (et donc de quitter le journal en échange d’une indemnité financière).</p>
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<figcaption><span class="caption">Itélé est entré dans sa troisième semaine de grève contre Bolloré et l’arrivée de Jean-Marc Morandini (AFP).</span></figcaption>
</figure>
<p>L’attitude inflexible d’Arnaud Lagardère laisse penser qu’il en ira de même pour le <em>JDD</em>. Alors même que la grève a été chaque jour reconduite à plus de 95 % pendant plus d’un mois, la SDJ n’a même pas obtenu l’ajout dans la charte de déontologie d’un paragraphe demandant l’interdiction dans le journal de « propos racistes, sexistes et homophobes ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1684209146625753089"}"></div></p>
<p>À travers le choix de Geoffroy Lejeune, c’est donc bien une profonde réorientation de la ligne éditoriale qui va être imposée à l’ensemble des journalistes qui accepteront de rester.</p>
<h2>Des soutiens contrastés</h2>
<p>Depuis le début de cette crise, les réactions ont été assez unanimes dans le monde journalistique, en dehors bien sûr des médias détenus par Vincent Bolloré, car la profession voit bien qu’elle est tout entière concernée.</p>
<p>Le soutien du monde politique a cependant été beaucoup plus <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/29/soutien-au-jdd-la-droite-defend-geoffroy-lejeune-jean-luc-melenchon-detonne-a-gauche_6179719_823448.html">contrasté</a>. S’il est majoritaire à gauche, il n’est pas pour autant unanime : Jean-Luc Mélenchon a jugé par exemple, dans une note de blog publiée le 15 juillet 2023, que le <em>JDD</em> penchait déjà à l’extrême droite et que les journalistes de l’hebdomadaire sont depuis longtemps habitués à <a href="https://melenchon.fr/2023/07/15/retour-a-la-raison-sur-les-revoltes-urbaines/">« lécher les pieds du patron »</a>.</p>
<p>De nombreux élus des Républicains se sont eux associés au discours de Reconquête et du Rassemblement national sur la prétendue domination idéologique exercée par la gauche sur les médias. Eric Ciotti s’est ainsi opposé avec virulence à la tribune de soutien à la rédaction du <em>JDD</em> parue dans <em>Le Monde</em>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1673625627201613825"}"></div></p>
<p>Quant à François-Xavier Bellamy, il a ostensiblement défendu la nomination de Geoffroy Lejeune, alors même que ce dernier a été évincé de <em>Valeurs actuelles</em> en raison d’une ligne éditoriale <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2023/06/03/geoffroy-lejeune-mis-a-pied-de-valeurs-actuelles-sur-fond-de-bataille-editoriale_6176070_3236.html">jugée trop marquée à l’extrême droite par l’actionnaire lui-même</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1673943478533758977"}"></div></p>
<p>Le plus inquiétant sans doute est que le lectorat semble lui aussi divisé ou simplement indifférent. Ce désintérêt relatif s’explique peut-être par la banalisation du discours de l’extrême droite <a href="https://theconversation.com/ce-nest-pas-eric-zemmour-le-probleme-mais-la-legitimite-que-lui-conferent-les-medias-125271">dans l’espace médiatique</a>, mais elle doit aussi être reliée à l’évolution des ventes du <em>Journal du dimanche</em>. Ces dernières ont en effet fortement baissé au cours des quinze dernières années. D’après les chiffres de l’APCM (Alliance pour les chiffres de la presse et des médias), la diffusion de l’hebdomadaire a même été divisée par deux en un peu plus d’une décennie, passant d’environ 260 000 exemplaires en 2010 <a href="https://www.acpm.fr/Support/le-journal-du-dimanche">à 131 700 exemplaires en 2022</a>. Si cette crise soulève évidemment des questions d’ordre éthique, elle traduit donc aussi l’épuisement d’un modèle économique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-les-francais-choisissent-ils-leurs-medias-204941">Comment les Français choisissent-ils leurs médias ?</a>
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<h2>Des dispositifs obsolètes</h2>
<p>La situation actuelle montre par ailleurs l’insuffisance des dispositifs dont dispose notre pays en matière de régulation des médias. L’Arcom a <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/26/c8-a-nouveau-sanctionnee-par-l-arcom-pour-l-emission-presentee-par-cyril-hanouna-a-hauteur-de-500-000-euros-d-amende_6183517_3234.html">encore récemment</a> infligé des sanctions aux chaînes de Vincent Bolloré, et elle pourra se prononcer sur le renouvellement de la fréquence de C8 et CNews en 2025, mais elle n’a pas évidemment vocation à intervenir dans le fonctionnement de la presse écrite.</p>
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<p>La loi qui régit la <a href="https://www.csa.fr/Proteger/Garantie-des-droits-et-libertes/Le-dispositif-anti-concentration">concentration des médias</a> date par ailleurs de 1986 et, même si elle a été aménagée depuis, elle est totalement inadaptée au paysage médiatique qui est le nôtre aujourd’hui. En témoigne par exemple la règle dite des « deux sur trois », qui interdit sous certaines conditions de posséder à la fois un quotidien, une radio et une chaîne de télévision : Vincent Bolloré possède un <a href="https://lesjours.fr/obsessions/l-empire/">empire d’une extraordinaire diversité</a> mais il n’a encore racheté aucun quotidien, et n’est donc pas concerné par ce dispositif.</p>
<p>Comme pour mieux nous renvoyer à l’obsolescence de nos règles nationales, les seules limites au rachat de Lagardère par Vincent Bolloré sont venues de l’Europe : la Commission européenne a validé cette OPA, mais elle a lancé une enquête sur une éventuelle prise de contrôle anticipée qui pourrait valoir au groupe Bolloré une amende de presque un <a href="https://www.lefigaro.fr/medias/vivendi-lagardere-bruxelles-enquete-sur-une-eventuelle-prise-de-controle-anticipee-20230725">milliard d’euros</a>.</p>
<p>Elle a aussi obligé Vivendi à vendre <em>Gala</em> pour <a href="https://www.liberation.fr/economie/medias/vivendi-va-vendre-gala-au-groupe-le-figaro-20230704_PLGSJ2ROLND3JINFJTNC43PKDY/?redirected=1&redirected=1">acquérir <em>Paris Match</em></a> afin d’éviter une situation de monopole sur les magazines « people », puisque ce groupe possède également l’hebdomadaire <em>Voici</em>.</p>
<h2>Adapter les mécanismes de régulation</h2>
<p>La menace représentée par le modèle Bolloré oblige donc de toute évidence à adapter nos mécanismes de régulation. La bonne nouvelle est qu’un consensus semble se dégager sur le sujet au sein d’une partie au moins du monde politique : une proposition de loi transpartisane, réunissant des élus des partis de gauche et de la majorité présidentielle, pourrait être examinée en fin d’année, avec la volonté de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/19/jdd-des-deputes-deposent-une-proposition-de-loi-transpartisane-pour-l-independance-des-redactions_6182595_3234.html">renforcer les pouvoirs des collectifs de journalistes face aux actionnaires</a>.</p>
<p>On peut par ailleurs espérer que les États généraux du droit à l’information, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/13/emmanuel-macron-annonce-le-lancement-en-septembre-des-etats-generaux-de-l-information_6181805_3234.html">qui vont être lancés en septembre</a>, donneront lieu à des initiatives pour renforcer l’indépendance éditoriale des rédactions. Mais dans tous les cas, il sera malheureusement trop tard pour les journalistes du <em>JDD</em>.</p>
<h2>Une rédaction face à la tentation réactionnaire</h2>
<p>Cette crise pose aussi la question de l’orientation idéologique qu’un nouvel actionnaire peut donner à un journal ayant une histoire et une identité fortes. Ces dernières années – et ce n’est un secret pour personne – la ligne du <em>JDD</em> était dans l’ensemble plutôt favorable à Emmanuel Macron, ce qui n’excluait pas un réel pluralisme interne. De manière plus générale, cet hebdomadaire a toujours cultivé une image de modération qui le situe aux antipodes d’un journal d’opinion tel que <em>Valeurs actuelles</em>.</p>
<p>L’arrivée de Geoffroy Lejeune ne témoigne donc pas seulement de la volonté d’infléchir cette ligne. Elle traduit le choix assumé de l’inverser, en faisant d’un journal traditionnellement proche du pouvoir politique un outil de contestation de ce même pouvoir.</p>
<p>Geoffroy Lejeune incarne en effet mieux qu’aucun autre la tentation réactionnaire à laquelle une partie des médias français ont cédé depuis une dizaine d’années. Ami de jeunesse de Marion Maréchal, il a été un soutien de la première heure d’Eric Zemmour, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gDqnIgykf7Y">dont il a imaginé l’élection dès 2015 dans un roman intitulé <em>Une élection ordinaire</em></a>.</p>
<p>Son ascension rapide dans le monde journalistique au cours de la dernière décennie avait déjà pour origine la nouvelle impulsion donnée à la ligne éditoriale d’un titre historique de la presse française. Il a bénéficié en effet de l’élan qu’a amené Yves de Kerdrel dès son arrivée à la tête de <em>Valeurs actuelles</em> en 2012 : ce dernier a choisi de faire évoluer un hebdomadaire jusque là assez conservateur vers une idéologie beaucoup plus radicale. Devenu à son tour directeur de la rédaction en 2016, Geoffroy Lejeune a prolongé et accentué ce glissement.</p>
<p>À partir des années 2010, <em>Valeurs actuelles</em> a ainsi multiplié les unes provocatrices sur l’« invasion » musulmane, sur l’« ensauvagement » des banlieues ou sur les « barbares » venus de l’étranger. Autour de Geoffroy Lejeune, une très jeune rédaction s’est constituée et a su investir les plateaux de télévision, à commencer par ceux de CNews. Or, on sait déjà qu’à l’image de Charlotte d’Ornellas, plusieurs de ces journalistes sont destinés à rejoindre Geoffroy Lejeune <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/07/26/jdd-comment-geoffroy-lejeune-pourrait-il-sortir-un-journal-dans-l-etat-actuel-du-chantier_6183531_3234.html">au sein de la nouvelle rédaction du <em>JDD</em></a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Charlotte d’Ornellas et Geoffroy Lejeune invités par l’ISSEP, institution fondée par Marion Maréchal, 2020.</span></figcaption>
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<h2>Le lourd héritage du journalisme d’extrême droite</h2>
<p>Les défenseurs de son bilan à la tête de <em>Valeurs actuelles</em> rappellent, à juste titre, la légitimité du journalisme d’opinion. Mais dans le cas de <em>Valeurs actuelles</em>, du moins depuis le virage éditorial opéré ces dernières années, il ne s’agit pas de n’importe quelle opinion : obsédés par la désignation d’un ennemi de l’intérieur qui menacerait la cohésion de la nation, Geoffroy Lejeune et son équipe ont mis à l’honneur un imaginaire raciste et xénophobe qui leur a valu plusieurs condamnations judiciaires, en <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2015/12/09/valeurs-actuelles-condamne-en-appel-pour-provocation-a-la-haine_4828041_3224.html">2015</a> <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/17/valeurs-actuelles-condamne-en-appel-pour-injure-publique-a-caractere-raciste-envers-daniele-obono_6150329_3224.html">et en 2022</a> notamment. Cet imaginaire ne vient pas de nulle part et il a même déjà connu son heure de gloire dans la presse française : entre la Belle Époque et la Seconde Guerre mondiale, toute une tradition journalistique s’est appuyée sur le recours à des caricatures et à des unes provocatrices pour stigmatiser des minorités prétendument inassimilables.</p>
<p>Bien sûr, la rédaction de <em>Valeurs actuelles</em> ne revendique jamais ouvertement cet héritage encombrant. Mais le candidat qu’elle a soutenu avec ardeur lors de la dernière élection présidentielle apparaît comme un trait d’union assumé entre ces deux périodes de l’histoire de France en général et de l’histoire de la presse en particulier. Éric Zemmour n’a eu de cesse en effet de manifester son admiration pour Charles Maurras et plus encore pour <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/histoire/jacques-bainville-un-cassandre-si-actuel-20210421">Jacques Bainville</a>, qui a été jusqu’à sa mort l’une des figures les plus en vue de L’Action française.</p>
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<span class="caption">L’Action française du 14 février 1936, annonçant les funérailles de Bainville.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k766243n.texteImage#">Gallica/BNF</a></span>
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<p>Dans <em>Face à l’info</em>, émission qui lui aura servi de rampe de lancement vers la présidentielle, il s’est en outre ouvertement interrogé à plusieurs reprises sur l’innocence de Dreyfus et sur le rôle joué par Zola dans cette affaire. « C’est trouble cette histoire aussi » a-t-il notamment déclaré le 29 septembre 2020, dans une émission où il a également estimé que le « J’accuse » de Zola et la victoire des dreyfusards ont contribué à la désorganisation de l’armée en 1914. Il est revenu sur le sujet quelques jours plus tard, en affirmant dans l’émission du 15 octobre 2020 : « En plus l’étude graphologique est assez, comment dire, parlante… on ne saura jamais. » En distillant un tel soupçon devant des centaines de milliers de téléspectateurs, Eric Zemmour a renoué avec les mensonges et avec les obsessions de la presse antidreyfusarde.</p>
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<span class="caption">La Libre Parole illustrée, 15 décembre 1894.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archive</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">Psst… ! 23 juillet 1898.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">La Libre Parole, 10 septembre 1899.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">Planche n°4 de la série Le Musée des Horreurs (1899/1900), par Victor Lenepveu.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Victor Lenepveu</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Depuis la Libération, l’extrême droite médiatique n’avait évidemment pas disparu mais elle était tenue à l’écart de la presse « mainstream ». Elle occupe à nouveau le devant de la scène, et le combat idéologique que mène Vincent Bolloré lui permet de jouer les premiers rôles à la télévision comme dans la presse écrite. Cela explique sans doute la résistance désespérée de la rédaction du <em>Journal du dimanche</em> aujourd’hui : instruite par l’exemple d’Itélé et d’Europe 1, elle sait très bien ce que signifie l’arrivée des signatures venues de <em>Valeurs actuelles</em>.</p>
<h2>Les quotidiens nationaux ou la possibilité d’une mue</h2>
<p>Le basculement prévisible du <em>JDD</em> vers cette forme de journalisme identitaire ne peut donc qu’inquiéter. D’une manière plus générale, les grands journaux fondés à la Libération ont aujourd’hui perdu une part de leur rayonnement et de leur influence. Leur domination avait déjà été largement battue en brèche par la <a href="https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2004-1-page-171.htm">montée en puissance de la télévision à partir des années 1960</a>, et elle tend à s’estomper encore davantage depuis les débuts de la révolution numérique.</p>
<p>La presse magazine est de loin le secteur le plus touché par cette désaffection. Le cas du <em>JDD</em> est en effet loin d’être isolé : faute d’avoir suffisamment anticipé le passage au digital, les hebdomadaires connaissent une crise profonde de leur modèle économique, ce qui affecte leurs ventes comme leur capacité à influencer l’opinion publique. Cette fragilité a favorisé l’arrivée de nouveaux acteurs, à commencer bien sûr par Vincent Bolloré. Avant de prendre possession du <em>Journal du dimanche</em> et de <em>Paris Match</em>, ce dernier a notamment profité du désengagement de Bertelsmann pour acquérir la vingtaine d’hebdomadaires de <a href="https://www.vivendi.com/communique/vivendi-finalise-lacquisition-de-prisma-media-numero-un-de-la-presse-magazine-en-france/">Prisma Media</a>.</p>
<p>Vincent Bolloré n’est cependant pas le seul dans ce cas, puisque le groupe Reworld Media s’est fait une spécialité de racheter des magazines en difficulté en les vidant de leur substance : à défaut d’infléchir la ligne éditoriale de ces titres, le nouvel actionnaire les transforme de manière systématique en journaux « low-cost » en ayant recours <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Medias/Pres-200-journalistes-Mondadori-renoncent-travailler-Reworld-Media-2019-10-01-1201051279">à des agences extérieures et en multipliant les publicités déguisées</a>. Pour Reworld Media et Vivendi, les journaux sont ainsi avant tout des marques médiatiques, que l’on peut détourner de leur fonction originelle après avoir provoqué le départ de la majeure partie des journalistes.</p>
<p>Il ne faut pas pour autant désespérer de la presse papier car la situation des quotidiens nationaux est heureusement plus encourageante. <em>Le Monde</em>, <em>Le Figaro</em> et dans une moindre mesure <em>Libération</em> ont en effet réussi à négocier la transition numérique : à la fin de l’année 2021, <a href="https://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2021/12/21/pour-ses-77-ans-le-monde-s-offre-un-record-de-500-000-abonnes_6106916_3236.html"><em>Le Monde</em> a même dépassé pour la première fois le cap des 500000 abonnés, en battant un record de diffusion datant de 1979</a>.</p>
<p>Si l’on peut regretter qu’aucun de ces titres ne soit indépendant d’un point de vue économique, à l’inverse d’un “pureplayer” comme Mediapart, la situation de ces rédactions n’a rien de commun avec les conditions de travail auxquelles les journalistes sont soumis dans les médias détenus par Vincent Bolloré.</p>
<p>La presse écrite dans son ensemble vit donc une situation difficile, et sa faiblesse fait d’elle la proie de prédateurs qui peuvent retourner contre elle son histoire, son éthique et ses valeurs. Il est probable que l’empire de Vincent Bolloré continuera à s’étendre, et que d’autres médias verront leur ligne éditoriale brutalement remise en cause par l’arrivée de figures comme Geoffroy Lejeune. Mais le pire, dans la crise que traverse aujourd’hui le <em>Journal du dimanche</em>, serait de mettre tous les titres de presse sur le même plan.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210606/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Lévrier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La mobilisation au Journal du dimanche est exceptionnelle non seulement par sa longévité mais parce qu’elle vise à défendre l’indépendance du journalisme et finalement son existence même.Alexis Lévrier, Historien de la presse, maître de conférences, chercheur associé au GRIPIC, Université de Reims Champagne-Ardenne (URCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2105972023-07-30T15:13:09Z2023-07-30T15:13:09ZPolice et justice : l’apaisement par les principes constitutionnels est-il possible ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539919/original/file-20230728-27-6n3k7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C22%2C2977%2C1949&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Plusieurs faits de violence de la part de policiers durant ou en marge des émeutes récentes ont donné lieu à des tensions avec la justice. Photo d'illustrattion, 2010.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sockrotation/4946990578/">Foomandoonian/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les protestations de policiers à Marseille, et <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/26/police-les-services-en-pointe-contre-la-delinquance-de-voie-publique-sont-les-plus-affectes-par-le-mouvement-de-grogne_6183525_3224.html">leur débrayage</a> ont essaimé dans d’autres régions de France après qu’un fonctionnaire de police ait été placé en <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/21/a-marseille-quatre-policiers-mis-en-examen-pour-violences-en-reunion_6182862_3224.html">détention provisoire</a> suite à des faits survenus en marge des <a href="https://theconversation.com/emeutes-au-dela-des-eclats-le-reflet-de-vies-brutalisees-209239">émeutes récentes</a>.</p>
<p>La mesure avait été contestée par certains syndicats, et dénoncée par Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/25/policiers-la-protestation-s-etend-au-dela-de-marseille-le-risque-de-la-crise-de-trop-pour-gerald-darmanin_6183270_3224.html">engendrant de vives tensions</a> avec la magistrature et le monde politique.</p>
<p>Frédéric Veaux <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/frederic-veaux-patron-de-la-police-avant-un-eventuel-proces-un-policier-na-pas-sa-place-en-prison-23-07-2023-6O2DQ7IKSJEUPG3QZ2A4UW75IU.php">avait notamment déclaré</a> : « je considère qu’avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison ». La phrase avait créé une vaste polémique autour de l’indépendance de la justice et de la légitimité de la détention des forces de l’ordre dans le cadre d’un procès. Pourtant, de forts principes constitutionnels demeurent présents et peuvent être l’outil d’apaisement de ce moment de crise institutionnelle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/justice-une-confiance-a-restaurer-161596">Justice : une confiance à restaurer</a>
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<h2>Une querelle de « principes »</h2>
<p>En 2022, le secrétaire général du syndicat Alliance <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/le-probleme-de-la-police-cest-la-justice-a-paris-un-rassemblement-polemique-apres-laffaire-du-pont-neuf-02-05-2022-5ET4Z33QZBBGHLECSOECVTVHWQ.php">avait pu déclarer</a> : « le problème de la police, c’est la justice ». Ces deux fleurons de la fonction publique française et piliers de l’état de droit sont en effet, constitutionnellement, <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2011-1-page-29.htm">placés en étroite relation antagoniste</a>.</p>
<p>Le premier principe qui gouverne leur rapport est le principe de séparation des pouvoirs rappelé par <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-de-1789">l’article 16 de la Déclaration de 1789</a> – déclaration qui a la même valeur que la Constitution elle-même depuis une <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1971/7144DC.htm">décision du Conseil constitutionnel du 16 janvier 1971</a> – qui est promu en France comme « garantie » de l’existence même de la Constitution et comme principe d’organisation de la société démocratique.</p>
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<p>Cette séparation des pouvoirs n’est pas seulement proclamée par de grands textes et de grands auteurs, elle fait l’objet d’une mise en pratique organisée par le texte même de la Constitution du 4 octobre 1958 qui reprend le dogme de Montesquieu de l’organisation de l’État en trois pouvoirs : judiciaire, exécutif et législatif.</p>
<p>Ces derniers sont <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/270289-la-separation-des-pouvoirs">séparés</a> dans leurs fonctions afin que chaque « pouvoir arrête le pouvoir » comme le rappelle la maxime issue de <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/montesquieu"><em>L’esprit de loi</em></a>, 1748. De tels mots ne signifient certes pas une absence totale de circulation mais a minima que chacun des trois pouvoirs puisse être garanti de son « indépendance ».</p>
<p>D’autres principes viennent seconder la séparation des pouvoirs pour la garantir effectivement. Ainsi en est-il du gouvernement qui « dirige » les administrations (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527483">article 20 de la Constitution</a>) mais surtout du dogme de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527555">l’article 64 de la Constitution</a> qui proclame « l’indépendance de la justice » judiciaire (l’indépendance des juges administratifs est quant à elle garantie par la jurisprudence du Conseil constitutionnel) telle que garantie par le président de la République et le Conseil supérieur de la magistrature.</p>
<h2>Nul ne peut revenir sur une décision de justice</h2>
<p>Appliquée au cas présent, cette maxime signifie donc bel et bien que nul ne peut revenir sur une décision de justice et que seule la justice peut être amenée à trancher un cas d’espèce en fait, en droit et en autorité.</p>
<p>Un principe général anime ainsi <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/l-egalite-devant-la-justice-penale-dans-la-jurisprudence-du-conseil-constitutionnel-a-propos">l’action des juges</a> depuis Saint Louis, le principe d’égalité devant la loi et la justice (proclamé par l’article 6 de la Déclaration de 1789) signifiant que les administrations, les policiers, les chefs d’État comme les citoyens ordinaires sont tous logés à la même enseigne.</p>
<p>Les juges sont également tenus à l’individualisation des peines (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527434">article 8 de la Déclaration de 1789</a>) qui impose qu’une décision de justice soit nécessairement prise en considération des faits d’une espèce, des circonstances ayant animé l’auteur de l’acte, etc.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les mots de la sociologie de la déviance : « La coopération police/justice », par Christian Mouhanna (septembre 2022).</span></figcaption>
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<p>Aussi, si l’on place suffisamment de confiance dans l’état de droit, toute décision de justice prise à l’égard de n’importe quelle autorité, personne ou institution est prise suivant des conditions d’indépendance de manière la plus en adéquation avec les faits de l’espèce, comme cela est garanti par la Constitution.</p>
<p>Il n’est pas anodin qu’ici, les <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/policier-ecroue-la-justice-seule-legitime-pour-decider-rappelle-le-conseil-superieur-de-la-magistrature-24-07-2023-DJME3AP3NRGX7HS4AHC2AB2NFE.php">premières réactions</a> aux propos du directeur général de police nationale soient venues du conseil supérieur de la magistrature, organe garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, qui s’est logiquement positionné comme chantre du rétablissement de la paix entre ces administrations.</p>
<h2>La porosité de la « pratique »</h2>
<p>Il ne faut pour autant pas omettre les faits de l’espèce : un policier en exercice est mis en cause dans l’exercice du maintien de l’ordre pour des violences (délit pénal) et a ainsi été jugé par un juge indépendant, ainsi qu’un autre : le juge des libertés pour décider de sa détention provisoire.</p>
<p>Outre que les conditions de la détention provisoire sont prévues par le code pénal et qu’elles ont nécessairement été respectées en l’espèce par des circonstances liées à l’individualisation de la peine et du prononcé de cette mesure provisoire (la loi est la même pour tous), il est nécessaire de rappeler que lorsqu’un fonctionnaire se rend coupable de délits pénaux, il est justiciable de la justice ordinaire et <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F13944">redevient un simple citoyen</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-lenquete-police-population-du-ministere-de-linterieur-est-trompeuse-142098">Pourquoi l’enquête « police-population » du ministère de l’Intérieur est trompeuse</a>
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<p>Comme tout agent public, le policier peut également être poursuivi par sa hiérarchie, au niveau disciplinaire, indépendamment des poursuites pénales. La loi est « dure » (<em>dura lex sed lex</em>), elle ne prévoit donc aucune complaisance pour les fonctionnaires du maintien de l’ordre.</p>
<p>Il reste la particularité de leur mission. Celle-ci est garantie par leur serment, cf. Art. L. 434-1 A. :</p>
<blockquote>
<p>« Préalablement à sa prise de fonctions, tout agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale déclare solennellement servir avec dignité et loyauté la République, ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité et sa Constitution par une prestation de serment. »</p>
</blockquote>
<p>Cette mission place les agents en gardiens du respect de la loi, et peut justifier que leur hiérarchie considère moralement qu’un « policier n’a pas sa place en prison » dans le cadre d’une détention provisoire.</p>
<p>Toutefois, la réalité se trouvant, comme toujours en droit constitutionnel, dans la nuance, les organes de garantie de l’indépendance judiciaire ont – avec autant de force et de contradiction pourtant – raison de répliquer que seuls les juges peuvent rendre la justice. De plus, on objectera que tout fonctionnaire est tenu au respect d’une obligation cardinale issue non seulement des textes mais de la jurisprudence et de la pratique : celle de neutralité de sa parole et son action (qualifiée de devoir de réserve), expliquant le caractère rare et particulièrement commenté de la prise de parole du président de la police nationale.</p>
<h2>Une relation paradoxale</h2>
<p>En matière de relation entre police et justice, le paradoxe dû à la porosité des frontières est partout.</p>
<p>D’abord du fait que les juges sont des fonctionnaires qui reçoivent, à ce titre, comme toutes les administrations (rappelons le dogme de l’article 20 de la Constitution) des ordres émanant d’un ministre, celui de la justice, qui peut leur adresser des instructions (le Conseil constitutionnel le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/2021927QPC.htm">rappelle</a>. Ceci semble directement contredire l’indépendance de ses juges.</p>
<p>Enfin parce que le président de la République est le garant de l’indépendance de la justice, ce qui paraît <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2011-4-page-16.htm">contradictoire</a> avec sa qualité de première autorité administrative de la France.</p>
<p>Pourtant, l’administration peut garantir l’indépendance des juges autant que l’intégrité des forces de l’ordre dans un état de droit. C’est d’ailleurs ce que martèle l’article 64 qui place la confiance dans les mains du président afin qu’il exerce clairement ses fonctions dans le respect de l’indépendance de l’autorité judiciaire. C’est la mission d’arbitrage que lui assigne l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527459">article 5 de la Constitution</a> et qu’Emmanuel Macron a rappelé dans son discours concernant l’affaire en cours.</p>
<p>L’un des seuls facteurs de fonctionnement du système – dont l’existence n’est pas directement prévue par les textes – est celui de la confiance dans l’autorité judiciaire, dans l’exercice du maintien de l’ordre, dans l’égalité devant la loi mais surtout dans la démocratie.</p>
<p>Malheureusement, dans un climat politique délétère, toute prise de parole publique est susceptible d’alimenter un incendie de défiance. Le rappel des principes républicains permet seul de percevoir la contre-productivité de toute tension entre police et justice qui n’ont qu’un but commun : celui de l’apaisement des conflits inter-individuels au fondement de toute société moderne depuis des siècles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210597/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Charlène Bezzina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La police et la justice, piliers de l’état de droit sont constitutionnellement, placés en étroite relation antagoniste. Pourtant la Constitution garantit aussi leur indépendance.Anne-Charlène Bezzina, Constitutionnaliste, docteure de l'Université Paris 1 Sorbonne, Maître de conférences en droit public à l'université de Rouen, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2079342023-06-18T15:41:25Z2023-06-18T15:41:25ZRetraites : quatorze manifestations plus tard, quels scénarios pour l’action syndicale ?<p>Le 15 juin, l’intersyndicale – qui a animé les mobilisations contre la réforme des retraites – s’est résolue à tourner la page de ce mouvement. Le 21 juin <a href="https://www.lejdd.fr/politique/marylise-leon-une-femme-qui-ne-lache-rien-la-tete-de-la-cfdt-136692">Marylise Léon succédera à Laurent Berger</a> à la tête de la CFDT. Ce dernier vient de publier un <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/du-mepris-a-la-colere-laurent-berger/9782021541779">livre</a> sur ces événements, son rôle et, plus largement, les tensions que connaît le monde du travail. Cela ouvre une nouvelle période pour l’action syndicale. Quel bilan tirer de cette longue séquence qui a polarisé l’actualité sociale – voire politique – en France depuis plusieurs mois et comment envisager l’avenir de l’action collective ?</p>
<p>En 2019, une étude européenne – <a href="https://www.etui.org/sites/default/files/19%20Bleak%20prospects%20Kurt%20Vandaele%20FR%20Web%20version.pdf">passée inaperçue en France</a> – s’interrogeait sur le <a href="https://theconversation.com/au-dela-du-mouvement-social-quel-avenir-pour-les-syndicats-200293">devenir du syndicalisme</a> et, compte tenu des mutations à l’œuvre depuis un demi-siècle, traçait quatre scénarios d’évolution :</p>
<ul>
<li><p>l’extinction du syndicalisme (liée à une désaffection sociale progressive et massive) ;</p></li>
<li><p>le repli (l’action collective ne serait plus que le fait d’« insiders » – bien intégrés dans des emplois correctement rémunérés – ou détriment des « outsiders », confrontés à de nouvelle formes d’emploi, non régulées et précaires) ;</p></li>
<li><p>le remplacement (soit l’émergence de nouvelles formes d’expression collective, portées par les pouvoirs publics, les employeurs ou issues du terrain) ;</p></li>
<li><p>la reconquête (tirant les leçons de leur déclin, les syndicats seraient capables de renouvellement afin de retrouver toute leur place dans le monde du travail et la société démocratique).</p></li>
</ul>
<p>Après le semestre « chaud » que la France vient de connaître autour de la réforme des retraites, quel scénario se dessinerait concernant le syndicalisme dans l’hexagone ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/etats-unis-royaume-uni-espagne-quelles-perspectives-pour-laction-syndicale-dans-le-monde-en-2023-197665">États-Unis, Royaume-Uni, Espagne… Quelles perspectives pour l’action syndicale dans le monde en 2023 ?</a>
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<h2>Un renouveau</h2>
<p>Beaucoup – politiques, médias, <a href="https://www.usinenouvelle.com/editorial/chronique-rh-le-regain-d-interet-pour-le-syndicalisme-francais-durera-t-il.N2127541">observateurs et syndicalistes eux-mêmes</a> – ont souligné ce renouveau.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/syndicats-moins-dencartes-mais-une-image-toujours-positive-aupres-des-salaries-201209">L’image des syndicats se serait redressée</a>. C’est ce que montre, en particulier, un sondage Elabe, pour l’Institut Montaigne, <a href="https://www.institutmontaigne.org/expressions/sondage-les-francais-et-les-syndicats-de-salaries">publié le 6 avril 2023</a>. Une majorité de Français (52 %) les perçoivent comme « un élément de dialogue de la société française », chiffre en progression de 12 points par rapport à une enquête comparable en 2020. Inversement, ils sont moins vus comme « un élément de blocage » de cette même société (46 %, pourcentage en recul de 13 points). Bref, le syndicat serait davantage perçu comme « modérateur » dans la société, un « médiateur » et, à l’encontre d’idées reçues, moins comme un vecteur par définition de contestation. Cela étant, le « baromètre de la confiance politique » (Sciences Po-Cevipof) ne traduit pas de remontée sensible de <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Barometre%20de%20la%20confiance%20en%20politique%20-%20vague%2014%20-%20Fevrier%202023%20-%20vFR.pdf%20(1)">l’image des syndicats</a>. Certes la dernière mesure de ce baromètre est intervenue début février 2023 (soit au début du mouvement social).</p>
<p>Mais deux journées de manifestations, rassemblant plus d’un million de personnes chacune (selon les chiffres du ministère de l'Intérieur), était déjà intervenues. D’après ce même baromètre, la confiance des Français dans les syndicats est surtout remontée entre 2020 et 2022, passant alors de 27 % à 38 % avant de refluer légèrement (36 %) en 2023.</p>
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<p>Plusieurs syndicats ont souligné aussi que le mouvement social du premier semestre 2023 avait relancé la syndicalisation, la CGT déclarant avoir gagné 30 000 adhérents les <a href="https://www.tf1info.fr/societe/video-retraites-des-adhesions-aux-syndicats-en-hausse-depuis-le-debut-de-la-mobilisation-2254690.html">trois premiers mois de 2023</a> et la CFDT affichant un gain « exceptionnel » de <a href="https://www.cfdt.fr/portail/presse/syndicalisation-une-forte-dynamique-d-adhesions-srv2_1297852">43 000 adhérents en cinq mois</a>. Pour prendre la mesure de ces gains, il faut les rapporter aux effectifs officiels des deux organisations : environ 600 000 adhérents. La CGT et la CFDT aurait donc vu s’accroître leurs effectifs de quelque 5 à 7 % en quelques mois.</p>
<h2>Comment peser sur la décision publique ?</h2>
<p>Au total, ces données – nuancées – ne traduisent pas une mutation mais bien d’un infléchissement, donnant raison au scénario d’une reconquête qui serait en marche. Toutefois, il faut rester prudent. <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Barometre%20de%20la%20confiance%20en%20politique%20-%20vague%2014%20-%20Fevrier%202023%20-%20vFR.pdf%20(1)">Le baromètre du Cevipof</a> indique que le militantisme syndical reste modeste : seuls 7 % des Français estiment que celui-ci peut influencer les décisions.</p>
<p>Le même baromètre révèle aussi un bond en faveur des manifestations et, plus encore, de la grève pour peser sur ces mêmes décisions. Dans cet objectif, la grève est jugée efficace pour 30 % des Français. Cependant, le mouvement social – piloté par l’intersyndicale (composées de 8 organisations syndicales et 5 organisations étudiantes ou lycéennes) – a privilégié la stratégie de la rue à celle de la grève, trouvant là une limite qui explique sans doute l’échec à obtenir le retrait de la réforme des retraites.</p>
<p>Cela mérite certes une étude plus approfondie mais, au contraire du mouvement social de 1995 <a href="https://reporterre.net/1995-l-histoire-d-une-greve-victorieuse">(face à un précédent projet de réforme des retraites et, plus largement, de la Sécurité sociale)</a>, les manifestations de 2023 n’ont été que marginalement conjuguées avec des grèves et celles-ci n’étaient pas le fait de l’intersyndicale.</p>
<p>En outre, au contraire de contextes antérieurs – de nouveau en 1995 ou encore en 2006 (face au projet de <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-fondations-2007-1-page-21.htm">« contrat première embauche »</a>, qui avaient vu la rue gagner face au pouvoir, celui-ci est resté uni et ferme sur ses positions. Le fait que la cible ait été manqué en 2023 nuance finalement le scénario de reconquête syndicale et on ne peut complètement évacuer des éléments des autres scénarios.</p>
<h2>Toujours trop peu de syndiqués au travail</h2>
<p>Celui de l’extinction est évidemment excessif mais le taux de syndicalisation en France – 10,3 % des salariés et seulement 7,8 % dans le secteur privé selon la <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/leger-repli-de-la-syndicalisation-en-france-entre-2013-et-2019">dernière estimation du ministère du Travail</a> – demeure structurellement faible et officiellement en « repli ».</p>
<p>En outre, ce taux apparaît surévalué consécutivement à un <a href="https://www.istravail.com/post/la-syndicalisation-en-france-derniers-chiffres-et-discussion">changement de mode de calcul</a>. Il est aussi le plus faible des pays européens comparables.</p>
<p>La nouvelle secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, explique d’ailleurs la difficulté de recourir à la grève en raison de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/16/sophie-binet-apres-la-reforme-des-retraites-emmanuel-macron-devra-affronter-durablement-une-defiance-record_6177856_3232.html">cette faiblesse</a>.</p>
<p>Ce qui peut davantage inquiéter encore – malgré le succès des manifestations – c’est le recul de la présence syndicale sur le lieu de travail que montre le dépouillement du big data des dernières élections professionnelles : de 2013 à 2020 (dernière donnée disponible), cette présence par établissement a reculé de 11 % <a href="https://www.researchgate.net/publication/370683719">toutes organisations confondues</a>. Bien sûr, on peut faire l’hypothèse d’une inversion de cette tendance après le semestre des manifestations anti-retraite. Cependant, le secteur privé s’est montré assez peu présent dans celles-ci. Et une nouvelle mesure de cette présence syndicale par le ministère du Travail n’interviendra pas avant 2025.</p>
<h2>Un remplacement par d’autres mouvements ?</h2>
<p>Le scénario du remplacement ne peut pas non plus être complètement écarté. À sa manière, et partiellement, le <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">mouvement des « gilets jaunes » l’a incarné</a> et, en décembre dernier, la grève qui a touché les contrôleurs de la SNCF, en <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/12/23/greve-des-controleurs-les-syndicats-debordes-par-un-mouvement-venu-du-terrain_6155461_3234.html">dehors des organisations syndicales habituelles</a>, a traduit aussi une critique implicite de ces derniers, sans doute dans des logiques trop bureaucratiques, qui ne leur permettent pas toujours de porter les demandes de groupes qui s’estiment <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/12/23/greve-a-la-sncf-dans-l-histoire-sociale-les-conflits-sont-souvent-nes-a-la-base_6155510_3234.html">mal intégrés ou lésés</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">De nouveaux mouvements sociaux, comme les Soulèvements de la Terre, ont également émergé ces dernières années, alliant lutte écologique et justice sociale.</span></figcaption>
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<p>Bref, l’action à la base, voire la <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/retraites-vers-une-gilet-jaunisation-du-mouvement-social-240836">« gilet-jaunisation »</a> demeurent en embuscade. Sans parler de la réforme de la représentation du personnel dans les entreprises – consécutives aux ordonnances Macron de 2017 – qui, sous couvert de simplification, <a href="https://theconversation.com/il-y-a-cinq-ans-les-ordonnances-macron-instauraient-un-droit-du-travail-moins-favorable-aux-salaries-181287">a complexifié en fait les relations professionnelles</a>, exigeant des représentants une montée en expertise – voire en prise de responsabilité – qui les éloigne en fait des salariés sinon dénature <a href="https://www.lemonde.fr/emploi/article/2023/06/14/le-dialogue-social-simplifie-a-complexifie-le-role-des-elus_6177537_1698637.html">leur rôle</a>.</p>
<h2>Un syndicalisme pour les happy-few ?</h2>
<p>Reste le scénario du repli, celui d’un syndicalisme qui deviendrait d’abord une affaire d’« insiders » et, s’agissant de l’organisation, de « professionnels » du militantisme comme le sont les actuels leaders syndicaux.</p>
<p>Les manifestations, avec une présence relativement faible du secteur privé, les réticences à la grève – pour des raisons complexes, <a href="https://www.pug.fr/produit/1926/9782706151279/anatomie-du-syndicalisme">à la fois culturelles et économiques</a> – traduisent bien ce dualisme de l’action syndicale. Le fait également que l’un des dirigeants du mouvement, sinon celui qui lui donnait son visage pour bien des médias et l’opinion, Laurent Berger, ait décidé brutalement <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/04/19/laurent-berger-quitte-ses-fonctions-je-ne-suis-pas-indispensable-a-la-cfdt_6170155_823448.html">d’annoncer sa démission</a> mi-avril n’a pu qu’étonner.</p>
<p>Pourquoi partir alors que le mouvement battait son plein, même si gagner la bataille des retraites s’annonçait difficile ? On découvre alors que les agendas internes aux organisations ont primé sur le mouvement : Laurent Berger a obtenu en 2022 un nouveau mandat à la tête de la CFDT pour pouvoir conserver son mandat de président de la Confédération européenne des syndicats… mais il était programmé qu’il le perdrait en mai 2023, ce qui l’a conduit à annoncer aussi son départ de la CFDT en avril. Bref un double agenda personnel et organisationnel a préempté celui du mouvement social…</p>
<h2>De nouveaux combats</h2>
<p>Parallèlement, l’intersyndicale a acté « n’avoir pas réussi à faire reculer le gouvernement » sur la réforme des retraites et les organisations syndicales annoncé de nouvelles priorités. Parmi ces dernières, discuter du <a href="https://theconversation.com/controverses-repenser-le-travail-205711">rapport au travail</a> en pleine mutation après la crise du Covid-19 et ce qui serait une « épidémie » de <a href="https://theconversation.com/quiet-quitting-au-dela-du-buzz-ce-que-revelent-les-demissions-silencieuses-192267">démissions silencieuses</a> ; le pouvoir d’achat et la revalorisation des salaires ; le <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/289541-partage-de-la-valeur-en-entreprise-transposition-ani-projet-de-loi">partage de la valeur (ou des profits engrangés par certaines entreprises depuis le retour de l’inflation)</a> ; la question de l’environnement que le dernier communiqué de l’intersyndicale ne mentionne <a href="https://www.unsa.org/Communique-intersyndical-du-15-juin-2023.html">encore que trop rapidement</a> alors que c’est un enjeu fondamental pour les années à venir…</p>
<p>Ces priorités seront-elles suffisantes pour susciter l’adhésion de tous, clé du succès comme l’écrivait Upton Sinclair à propos des travailleurs de Chicago, au début du XX<sup>e</sup> siècle, dans [<em>La jungle](https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Jungle</em>(roman) ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207934/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dominique Andolfatto a reçu des financements de l'Université de Bourgogne</span></em></p>Quel bilan tirer des moments sociaux qui ont polarisé l’actualité sociale – voire politique – en France depuis plusieurs mois et le devenir de l’action collective ? Quatre scénarios sont à envisager.Dominique Andolfatto, Professeur des universités en science politique, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2049432023-05-11T18:14:15Z2023-05-11T18:14:15ZMobilisations : et maintenant ?<p>La réforme des retraites voulue par le président Macron, pour faire sens, aurait dû venir à l’issue d’une co-production avec les partenaires sociaux de transformations relatives au travail. Après, et non avant. Une large consultation du gouvernement avec les acteurs concernés par le travail aurait certainement autorisé une présentation plus convaincante d’une loi sur les retraites. La place, le sens, le contenu du travail, ce qu’il signifie du point de vue collectif, comme pour chaque individu, appelaient en amont attention et profondeur de vue. <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-la-verticale-du-vide-202672">Le pouvoir l’a compris trop tard</a> : Emmanuel Macron proposant a posteriori une vaste réflexion sur la <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/emmanuel-macron-evoque-trois-grands-chantiers-du-gouvernement-28b03e5e-dd4a-11ed-b05e-feb93315b60b">question du travail</a>.</p>
<p>Et maintenant ?</p>
<p>La contestation, même si elle a pu trouver un espace au sein d’entreprises ou de certains secteurs comme l’Éducation nationale n’a été qu’accessoirement l’occasion d’un conflit direct du <a href="https://theconversation.com/syndicats-moins-dencartes-mais-une-image-toujours-positive-aupres-des-salaries-201209">mouvement syndical</a> avec les directions d’entreprise.</p>
<p>Déjà avec les « gilets jaunes », apparus en novembre 2018, la protestation sociale se jouait en <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-quelle-democratie-veulent-ils-170146">dehors</a> des lieux de travail, avec même indifférence ou hostilité vis-à-vis des syndicats. Avec le refus de la loi de réformes des retraites, il y a bien eu ici et là action sur ces lieux. Mais pour contribuer à l’arrêt du pays et de fait à un début de paralysie dans le pétrole, le ramassage des ordures ménagères ou les transports publics, plus que pour s’affirmer face aux employeurs. Le patronat s’est montré peu loquace, et absent dans le débat sur la loi de réforme, à laquelle il était plutôt favorable ; il ne s’est guère mis en avant.</p>
<h2>Le travail, lieu de l’action</h2>
<p>Or c’est là où l’on travaille que se jouent les relations qui confèrent son sens à l’action syndicale. Il y a là un paradoxe. Il a fallu les accords de Grenelle, en 1968, pour que le droit à la section syndicale d’entreprise, <a href="https://www.clesdusocial.com/accords-de-grenelle-25-27-mai-1968">revendication-phare de la CFDT</a>, soit acquis, puis entériné par la loi en décembre 1968.</p>
<p>Or lorsque le président Emmanuel Macron veut bien concéder un rôle au syndicalisme, c’est à ce seul niveau de l’entreprise, et de plus en l’y affaiblissant, on l’a vu avec les ordonnances du 22 septembre 2017 réduisant le nombre de représentants du personnel. Ainsi, une conquête des syndicats est devenue l’horizon où les enferme un chef de l’État qui proscrit pour eux tout rôle d’interlocuteur national, y compris en <a href="https://www.senat.fr/rap/r20-722/r20-722.html">disqualifiant les branches professionnelles</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">À 65 ans, la Vᵉ République devrait-elle partir à la retraite ?</a>
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<p>Pendant un siècle et demi, le travail a été pensé sous deux angles, celui de l’émancipation et de la créativité, et celui de l’aliénation et de l’exploitation. Il a été au fondement de rapports dits de production, que l’action syndicale et politique de gauche mettait en cause sur un mode réformiste ou révolutionnaire. C’est en tant que travailleurs que se dressaient des acteurs porteurs de projets allant jusqu’à en appeler à l’accès au pouvoir d’État au moins en partie d’en bas, depuis l’usine, ou les bureaux, pour tenter de s’élever au niveau politique et institutionnel et à celui de l’État.</p>
<p>Associé à l’injustice, à des privations de droits, au manque ou à la perte de sens, à des atteintes à l’intégrité physique et morale des ouvriers, le travail dans le passé <a href="https://theconversation.com/le-travail-ultime-lieu-de-fabrique-de-la-politique-et-de-labstention-178668">a fondé des logiques de résistance et de reconnaissance</a>, alimenté des contre-projets, des utopies, l’appel ardent à un autre monde. L’acteur se définissait comme un travailleur concerné aussi bien par des enjeux modestes que par la contestation de l’organisation sociale et politique, et de la division du travail ; par des demandes limitées mais aussi des visées relatives à l’investissement, à la formation, ou à la culture. Le bon syndicaliste était celui qui savait passer des unes aux autres.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-experiences-du-travail-influencent-elles-les-choix-de-vote-181506">Les expériences du travail influencent-elles les choix de vote ?</a>
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<h2>D’autres enjeux entrent dans la sphère professionnelle</h2>
<p>Le travail a été indissociable de projets de renversement de la domination, de rejet de l’aliénation, de refus de l’exploitation et d’accès au pouvoir, et la figure du travailleur a pu incarner les mythes liés à ces projets. Puis d’immenses transformations ont marqué l’entrée dans une ère post-industrielle, de communication.</p>
<p>Féminisme, débats éthiques portant sur la procréation ou sur la fin de vie : des conflits inédits ou renouvelés mettent directement en jeu la personne singulière, dans son intimité, ses relations interpersonnelles, sexuelles, familiales, et dans ce qui touche à la vie et à la mort. Le travail est concerné, qu’il s’agisse par exemple de l’égalité des femmes et des hommes, ou de questions de harcèlement.</p>
<p>Environnement, changement climatique : d’autres sujets percutent la sphère professionnelle quand il s’agit par exemple de produire sans polluer.</p>
<p>La place du travail en est relativisée, il cesse d’accompagner des visées historiques ou politiques. Arrêtons d’en parler comme dans le passé, et d’y voir l’identité de ceux qui seraient le sel de la terre : <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/livres/le-mythe-porteur-de-la-fin-du-travail-1898998">c’est fini</a>. Mais sans accepter tout ce qui l’évacue et conduit à parler de « fin du travail » comme dans le <a href="https://www.lemonde.fr/festival/article/2017/08/18/la-fin-du-travail-le-nerf-de-la-guerre_5174023_4415198.html">livre de Jeremy Rifkin</a> qui porte ce titre (1996).</p>
<p>Parler du travail, c’est savoir que les <a href="https://theconversation.com/travailler-oui-mais-pour-pouvoir-aussi-se-realiser-en-dehors-199613">« travailleurs » veulent du temps libre</a>, en vacances, durant la retraite, c’est évoquer sa pénibilité, les injustices et les inégalités qu’il accompagne, les rémunérations insuffisantes qui le rétribuent.</p>
<p>Ce peut aussi consister à demander l’élargissement du cadre du dialogue social, malmené avec le président Macron, à œuvrer pour plus de droits sociaux. Ne plus rêver d’une société des travailleurs, qui parviendraient en tant que tels au pouvoir, au contrôle de la production, de l’accumulation, et des orientations principales de la vie collective ne devrait pas empêcher de revendiquer une participation au pouvoir et à la décision, au niveau de l’entreprise comme à celui de la vie générale du pays.</p>
<h2>Trois voies se dessinent</h2>
<p>Les grandes centrales syndicales annoncent en mai 2023 des dizaines de milliers de <a href="https://www.tf1info.fr/societe/video-retraites-des-adhesions-aux-syndicats-en-hausse-depuis-le-debut-de-la-mobilisation-2254690.html">nouveaux adhérents</a>.</p>
<p>Il y a là un point essentiel. Si les travailleurs en tant que tels désirent obtenir des avancées sociales, il leur faut effectivement se mobiliser par le bas, sur le terrain, là où se jouent les relations de travail et où, sans qu’on puisse comparer l’action contemporaine aux espoirs passés du mouvement ouvrier, au temps de sa splendeur, des changements considérables peuvent résulter de leur engagement.</p>
<p>En fait, trois voies principales dessinent aujourd’hui un avenir possible pour la poursuite du mouvement. La première est politique, et vaine vu la déliquescence de la <a href="https://theconversation.com/comment-une-crise-parlementaire-inedite-est-nee-avec-la-reforme-des-retraites-204596">vie parlementaire et partisane</a>* ; elle ne peut qu’osciller entre radicalité sans perspective – c’est plutôt le cas avec la France Insoumise – et combinaisons politiciennes peu glorieuses, du type de celles ayant échoué entre le pouvoir et les Républicains pour le vote de la loi de réforme des retraites.</p>
<p>La deuxième est celle d’une violence plus ou moins étrangère à l’action syndicale : elle substitue au débat sur le fond des polémiques relatives à ses responsables et acteurs, policiers et <a href="https://theconversation.com/le-black-bloc-quand-lantisysteme-effraie-80857">black blocs</a> notamment.</p>
<p>La troisième est sociale, syndicale. La lutte sur les retraites s’est jouée à un niveau national, dans l’attente d’un traitement politique de la demande d’abandon du passage de 62 à 64 ans de l’âge légal de la retraite.</p>
<h2>Transformer le paysage</h2>
<p>La mobilisation pourrait se prolonger durablement, avec des résultats peut-être moins visibles, car plus diversifiés, mais peut-être bien plus encore durables et importants en exigeant que s’élargisse et se transforme le paysage du travail au sein des entreprises privées comme du secteur public.</p>
<p>Conditions de travail, de son organisation, qui pourrait devenir bien plus participative, cogestion, prise en charge de thèmes sociétaux forts : l’espace des améliorations possibles est immense.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/retraites-vers-un-durcissement-du-mouvement-social-pour-faire-reculer-le-gouvernement-199815">Le syndicalisme</a> pourrait trouver là de quoi poursuivre sa relance, et à partir de là, mener des combats généraux. Le pouvoir politique y trouverait une certaine crédibilité dans l’opinion, la fin d’une séquence où il est apparu brutal et sourd. Une telle évolution ne réglerait évidemment pas tous les problèmes, qu’il s’agisse de l’engagement, notamment des jeunes, <a href="https://theconversation.com/comment-les-soulevements-de-la-terre-federent-une-nouvelle-ecologie-radicale-et-sociale-204355">sur des enjeux d’une autre nature</a>, hors travail, ou des carences d’une gauche qui ne peut assurer le traitement politique du social. Mais elle serait une contribution décisive à la relance générale de la vie démocratique.</p>
<p>Le moment est venu pour les secteurs réformistes du syndicalisme de faire valoir d’importantes exigences pour modifier en profondeur, de bas en haut, et d’abord en bas, le système social français, et pour accentuer la dynamique qu’a mise en branle la contestation de la loi de réforme des retraites. Cette voie offre d’autres alternatives au système politique actuel ou à la tentation d’une radicalité plus ou moins violente.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>C’est là où l’on travaille que se jouent les relations qui confèrent son sens à l’action syndicale : les mobilisations actuelles montrent que les débats sociétaux interpénètrent ces espaces.Michel Wieviorka, Sociologue, membre Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (CADIS, EHSS-CNRS), Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2027982023-03-29T18:26:25Z2023-03-29T18:26:25ZComment expliquer la forte et persistante révolte contre la réforme des retraites ?<p>La gronde ne retombe pas. Le mardi 28 mars, entre 740 000 et deux millions de personnes ont manifesté à l’occasion de la 10<sup>e</sup> journée d’action contre la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reforme-des-retraites-82342">réforme des retraites</a>. Malgré un repli de ces chiffres par rapport à la précédente journée de mobilisation, l’intersyndicale se dit toujours « déterminée après deux mois de mobilisation exemplaire » et a appelé à une <a href="https://www.leparisien.fr/economie/greve-du-28-mars-contre-la-reforme-des-retraites-sncf-ratp-ecolessuivez-en-direct-la-10e-journee-de-mobilisation-28-03-2023-I5L2RONWVJBVZM5IAHODPCYODE.php">nouvelle journée d’action le jeudi 6 avril</a>.</p>
<p>Des sociologues américains m’ont demandé de leur expliquer l’actuelle révolte des Français contre l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Une révolte qu’il leur est difficile de comprendre, eux qui peuvent travailler jusqu’à 70 ans et plus. J’ai trouvé que leur demande était une excellente occasion de prendre un peu de recul et de se demander : qu’est-ce qui est en jeu dans les considérables mouvements de foule que l’on observe actuellement en France ?</p>
<p>Ce n’est pas seulement, ni peut-être principalement les réglages très techniques des paramètres de notre système de retraite par répartition qui sont en jeu. En effet, une grande partie des Français – qu’ils soient manifestants ou non – <a href="https://www.fondapol.org/etude/les-francais-jugent-leur-systeme-de-retraite/">ne comprend pas les subtilités de ce système</a>, ni les permanents rajustements nécessaires à son équilibre financier.</p>
<p>C’est donc autre chose qui est à l’œuvre. Mais quoi ?</p>
<p>Commençons par une évidence : du point de vue individuel de chaque citoyen, l’obligation de travailler plus longtemps est une mauvaise nouvelle (sauf pour les quelques-uns qui <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/ces-seniors-qui-veulent-continuer-a-travailler-apres-lage-de-la-retraite-1901728">souhaitent continuer à travailler au-delà de l’âge « légal » de départ</a> à la retraite).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1620001522745483264"}"></div></p>
<p>Cette nouvelle « norme » a tous les aspects d’une perte d’avantage acquis. Dire que l’on passe de 62 à 64 ans, cela revient à dire : deux ans de perdu !</p>
<h2>Président ou patron ?</h2>
<p>Pour justifier cette apparente perte d’avantage acquis, le gouvernement en appelle à la science des <a href="https://www.cor-retraites.fr/node/595">modélisateurs</a>. Malheureusement, ajuster les paramètres d’un système de retraite par répartition pour qu’il soit équilibré vingt ans plus tard est une tâche scientifiquement impossible. Il y a <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/15/herve-le-bras-demographe-l-incertitude-est-au-c-ur-de-la-projection-du-conseil-d-orientation-des-retraites_6161919_3232.html">trop d’incertitudes</a> sur l’avenir, comme le soulignait le démographe Hervé Le Bras dans une interview récente au journal <em>Le Monde</em>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1625948057190760450"}"></div></p>
<p>Toute modélisation est contestable et peut être évidemment contestée, ce qui laisse le président et son gouvernement sans justification absolument convaincante, sauf à déplacer la question et à rechercher l’équilibre financier de l’État français dans son ensemble. Mais alors, c’est en « chef de l’État » qu’Emmanuel Macron se comporte, autrement dit en « patron » de l’entreprise France, au risque de ne plus être reconnu comme le président de tous les Français.</p>
<p>Or, on ne peut nier que l’État français est très endetté (<a href="https://www.lexpress.fr/economie/finances-publiques-pourquoi-le-quoi-quil-en-coute-continue-de-faire-flamber-la-dette-P7KYN33G4FC7VJM3M65OFQUNCQ/">plus de 110 % du PIB</a>), que le budget est constamment en déficit et que la balance des paiements est constamment négative faute <a href="https://www.banque-france.fr/statistiques/balance-des-paiements-et-statistiques-bancaires-internationales/la-balance-des-paiements-et-la-position-exterieure/balance-des-paiements-et-la-position-exterieure-de-la-france-donnees">d’exportations suffisantes</a>. En tant que « chef de l’État », <a href="https://theconversation.com/fr/topics/emmanuel-macron-30514">Emmanuel Macron</a> peut donc souhaiter que les Français travaillent plus longtemps, et affirmer qu’il impose cet allongement de la durée légale du travail dans « <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2023-03-23/reforme-des-retraites/macron-persiste-et-signe.php">l’intérêt général</a> », et pour assurer la continuité de l’État providence.</p>
<p>Le problème est que, ce faisant, sa conduite se confond avec celle des « patrons » qui ont fait l’objet de nos <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/portrait_de_l_homme_d_affaires_en_predateur-9782707150745">travaux</a> de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sociologie-21532">sociologie</a>. Même en se présentant comme un patron social, il entre alors inévitablement en opposition frontale avec des organisations syndicales, dont les adhérents sont principalement des salariés de la fonction publique et des entreprises publiques.</p>
<p>C’est ici que se noue le nœud gordien. Un président de la V<sup>e</sup> République ne peut être un « patron », car il est supposé protéger les Français contre les excès du capitalisme. Dans une perspective anthropologique de longue durée, il faut plutôt le comparer à un roi de l’Ancien Régime, car la population attend de lui qu’il protège, et prenne personnellement en charge tous les problèmes. S’il n’y parvient pas, il est détesté et devient l’ennemi du peuple. L’image des « <a href="https://www.cairn.info/les-deux-corps-du-roi--9782072878091.htm">deux corps du roi</a> », théorisée par l’historien allemand naturalisé américain Ernst Kantorowicz en 1957. Le politologue Loïc Blondiaux a <a href="https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_1989_num_2_6_2102">décrit</a> cette image ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Le roi posséderait deux corps, l’un naturel, mortel, soumis aux infirmités, aux tares de l’enfance et de la vieillesse ; l’autre surnaturel, immortel, entièrement dépourvu de faiblesses, ne se trompant jamais et incarnant le royaume tout entier ».</p>
</blockquote>
<h2>Une morale sociale toujours vivace et opérante</h2>
<p>Pendant la Révolution française, les royalistes étaient considérés comme des traîtres à la nation, des êtres nuisibles qu’il fallait éliminer. Pour être une personne de bonne moralité, il fallait se mobiliser et soutenir « la nation en armes ». Cette vision dualiste de la morale a été renforcée au XIX<sup>e</sup> siècle par la philosophie marxiste qui postule qu’il est moral d’être avec et pour la « classe ouvrière », et immoral de se ranger au côté des puissants, des nantis, des élites, des bourgeois.</p>
<p>Un élément complémentaire de cette morale traditionnelle française, sans doute en lien avec notre tradition catholique, consiste à rejeter, a priori, tout argument d’inspiration économique, toute question d’argent. Encore aujourd’hui, beaucoup de Français sont convaincus que les visions économiques du monde sont la <a href="https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/france/le-capitalisme-a-toujours-une-mauvaise-image-en-france_AN-202112020015.html">source de tous les maux</a>. Ils parlent volontiers de <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/l-horreur-economique-9782213597195">« l’horreur économique »</a> pour reprendre le titre d’un célèbre livre écrit par l’essayiste Vivianne Forester.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Pour être moral, selon une majorité de Français, il faut donc être pour le peuple, indifférent aux questions d’argent et éviter les raisonnements économiques, les calculs. Mais ce n’est pas encore assez. Être une personne morale, c’est aussi être une personne qui s’indigne, qui proteste, qui manifeste contre les puissants. Soutenir les institutions et leurs dirigeants est plutôt un signe de soumission, une faiblesse.</p>
<p>La grandeur est dans l’indignation, comme l’a bien dit le titre du best-seller du résistant Stéphane Hessel publié en 2011 <a href="https://indigene-editions.fr/indignez-vous-stephane-hessel/">« : Indignez-vous ! »</a>. Dans ces conditions, avancer des arguments démographiques et économiques en faveur d’une gestion prudente des finances publiques, c’est « trahir la bonne cause ».</p>
<p>On comprend aisément que l’âge légal de départ à la retraite ne soit plus la question principale en ce mois de mars 2023. Un glissement s’est opéré vers une nouvelle question : l’incapacité du Président de la République à se comporter en roi débonnaire capable de protéger les citoyens contre des <a href="https://www.leparisien.fr/economie/retraites/retraites-macron-invoque-des-risques-financiers-trop-grands-pour-justifier-le-493-16-03-2023-HDSKQGVEDRCLFMXSR5PESXJ2PE.php">« risques financiers trop grands »</a>, pour reprendre sa formule, pour justifier le recours au 49.3.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1636384512094662660"}"></div></p>
<p>Ce qui est en jeu, c’est sa capacité à se comporter en « roi nourricier », à assurer le bien être de son peuple et à lui promettre qu’il en sera toujours ainsi. Une conception traditionnelle de la morale est à l’œuvre. Elle s’exprime par des manifestations, une liesse populaire, un désordre. Il devient moralement obligatoire de participer à ce désordre pour être un « bon citoyen ».</p>
<h2>Et si on abolissait l’âge « légal » ?</h2>
<p>Il y a peut-être une solution pour réconcilier la logique économique et la morale sociale traditionnelle des Français : au lieu de fixer un âge légal de départ à la retraite, il faut au contraire abolir solennellement l’âge « légal ». L’État doit cesser d’être arrogant et d’imposer sa loi.</p>
<p>Bien que je ne sois pas un spécialiste de l’économie des systèmes de retraite, il me semble que cette proposition n’est pas impraticable. C’est ce que suggère, par exemple, Peter A. Diamond en 2006 dans la <em>Revue française d’économie</em>. Dans son <a href="https://doi.org/10.3406/rfeco.2006.1583">article</a> académique, l’économiste américain souligne que :</p>
<blockquote>
<p>« Certains travailleurs aiment leur travail et voudraient continuer leur activité au-delà de ce que certains considèrent comme l’âge normal de départ à la retraite. D’autres n’aiment plus leur travail (ou ne l’ont jamais aimé), et sont pressés d’arrêter leur activité dès qu’ils peuvent bénéficier d’une retraite décente. Un bon système de retraite ne devrait pas encourager le premier groupe à quitter le marché du travail au même âge que le second groupe. Cette opinion est largement, voire unanimement partagée par les économistes ».</p>
</blockquote>
<p>Ce même auteur ajoute à propos du système de retraite par répartition français (qu’il compare au système suédois) :</p>
<blockquote>
<p>« Nous pensons que les systèmes de retraite seraient mieux compris si l’on abandonnait le concept d’âge “normal” de départ à la retraite. On devrait plutôt parler de l’âge minimum de liquidation des droits, et d’ajustement des prestations en cas de départ au-delà de cet âge ».</p>
</blockquote>
<p>Il resterait alors aux caisses de retraite à fournir chaque année, une information précise et fiable sur le montant de la pension à laquelle chacun pourrait prétendre, s’il partait à 60, 65 ou même 70 ans, ce qui devrait permettre au citoyen de faire son choix, entre un peu plus de temps à la retraite ou bien un peu plus de revenus pendant cette période.</p>
<p>Cette solution de libre choix des personnes reste applicable, quel que soit l’état du système de calcul du montant des prestations. Cependant, il est évident que si ce système est trop inégalitaire, les plus bas salaires n’auront d’autre choix que d’essayer de travailler le plus longtemps possible pour bénéficier d’une retraite à la hauteur de leurs espérances. Il restera donc aux politiques, aux syndicalistes et aux gestionnaires à s’attaquer au vrai problème : les criantes <a href="https://www.cairn.info/revue-travailler-2005-2-page-73.htm">injustices entre métiers, professions et statuts</a>. Un sujet important qui justifiera sans nul doute encore bien des débats.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202798/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Villette ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à la mobilisation, le président de la République Emmanuel Macron adopte une posture de « patron d’entreprise » qui ne correspond pas aux attentes des Français.Michel Villette, Professeur de Sociologie, Chercheur au Centre Maurice Halbwachs ENS/EHESS/CNRS , professeur de sociologie, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2026722023-03-28T19:37:34Z2023-03-28T19:37:34ZEmmanuel Macron : la verticale du vide ?<p>Entre l’Élysée et la société civile, les médiations se font rares. Le pouvoir semble s’exercer de haut en bas, et la violence, ici et là, se substitue au sens et au contenu.</p>
<p>Les <a href="https://theconversation.com/de-la-manifestation-encadree-a-la-revolte-spontanee-comprendre-le-declenchement-des-actions-contestataires-202524">mobilisations sociales</a>, hier avec les « gilets jaunes », aujourd’hui sur les retraites et sur la question de l’eau et des mégabassines, sont de plus en plus débattues sous l’angle des affrontements entre forces de l’ordre et <a href="https://theconversation.com/vivons-nous-une-ere-de-soulevements-200950">acteurs contestataires</a>. Comme s’il n’y avait plus qu’à attribuer aux uns ou aux autres la <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/03/27/megabassines-gendarmes-et-manifestants-se-rejettent-la-responsabilite-des-violents-affrontements-a-sainte-soline_6167107_3244.html">responsabilité</a> dans l’essor de la violence, et à dénoncer les <a href="https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/manifestations-en-france-les-libert%C3%A9s-d-expression-et-de-r%C3%A9union-doivent-%C3%AAtre-prot%C3%A9g%C3%A9es-contre-toute-forme-de-violence">CRS</a> et les <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/violences-policieres/police-un-enregistrement-audio-accablant-pour-les-policiers-de-la-brav-m_5732423.html">BRAV-M</a>, ou les anarchistes, les black blocs et les autres.</p>
<p>En démocratie, la violence est toujours potentiellement présente, mais elle s’installe et se médiatise quand les problèmes ne sont pas traités politiquement, quand la <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-se-construit-une-crise-politique-202284">crise</a> ne se transforme pas en débat ou encore quand les demandes émanant du corps social ne peuvent pas déboucher sur des négociations ou des compromis.</p>
<p>Pour éviter la violence, la prévenir, ou en sortir, comme l’a montré le <a href="https://www.fmsh.fr/projets/panel-international-sur-la-sortie-de-la-violence-0">programme IPEV</a> (<em>International Panel on Exiting Violence</em>) à la Fondation Maison des Sciences de l’Homme dans ses travaux et rencontres organisées entre 2015 et 2020, il faut des acteurs qui s’impliquent.</p>
<p>On peut alors rendre possibles le débat et la négociation, en créer les conditions et les mettre en œuvre concrètement. Ce n’est pas la même chose, et ne mobilise pas nécessairement les mêmes personnes.</p>
<h2>Le déclin des institutions et des médiations</h2>
<p>La situation actuelle de la France appelle deux types d’analyses complémentaires. Celles-ci se chevauchent sans se juxtaposer complètement.</p>
<p>D’une part, il convient d’examiner les processus qui, sur la durée, ont vu progressivement s’affaiblir les acteurs susceptibles d’assurer le traitement politique des problèmes sociaux. Et d’autre part, la période récente implique de s’intéresser à l’écroulement – sinon programmé, du moins délibéré et avéré – des institutions et des médiations susceptibles de contribuer au règlement politique pacifique et constructif des tensions, des crises et des différends. Un état de fait dans lequel le locataire de l’Élysée a une <a href="https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/michel-wieworka-comment-macron-a-encore-un-peu-plus-detruit-les-corps-intermediaires_2165678.html">claire responsabilité</a>.</p>
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<p>La fragmentation et le déclin des médiations du corps social avec le pouvoir remontent <a href="http://ubmp-bupb.org/documents/mediation-sociale-esprit-critique.pdf">au milieu des années 70</a>. La France était alors à la fois intégrée par une République sans problème en tant que telle, et structurée par le conflit du mouvement ouvrier et des maîtres du travail, typique des sociétés industrielles.</p>
<p>Le libéralisme ou le néo-libéralisme n’affectaient pas encore le modèle républicain du service public et des grandes entreprises publiques ou nationalisées. Déjà, mai 68 avait vu apparaître un acteur inédit, étudiant. De nouvelles contestations ont suivi, de type post-industriel, sociétales si l’on veut.</p>
<p>Puis, l’idée républicaine et la <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/laicite-le-modele-francais-attaque-mais-aussi-copie_4214301.html">laïcité</a> sont redevenues des enjeux passionnels, alors que les extrémismes de tous bords, notamment islamistes, se développaient. La désindustrialisation, les mutations de l’économie, bien des changements culturels – et pas seulement dans les entreprises – ont affaibli le syndicalisme, et les grands acteurs du système politique se sont étiolés. L’archipellisation dont parle le <a href="https://www.lepoint.fr/politique/jerome-fourquet-l-archipellisation-est-a-l-oeuvre-27-02-2019-2296850_20.php">sondeur Jérôme Fourquet</a> traduit la décomposition d’un ancien monde et la marque de l’entrée difficile dans un nouveau.</p>
<h2>Des mobilisations dans un paysage fragmenté</h2>
<p>Les mobilisations contemporaines oscillent entre conduites de crise réactives, violentes parfois, et formation de mouvements sociaux et culturels (sur <a href="https://blogs.mediapart.fr/emilieagnoux/blog/270323/retraites-bassines-de-sainte-soline-meme-impasse-democratique-memes-esperances">l’environnement</a>, le genre, diverses questions éthiques touchant à la vie, à la mort ou encore à la « race », etc.)</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/wYJNFESAkV8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">En 2023, les colères sociales se multiplient.</span></figcaption>
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<p>Dans un paysage fragmenté, avec une population inquiète du fait de l’inflation, épuisée après la crise sanitaire, l’archipel France peine à fonctionner, les médiations déclinent – tout le contraire de la <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2011/02/03/pour-l-ecrivain-edouard-glissant-la-creolisation-du-monde-etait-irreversible_1474923_3382.html">créolisation créative</a> chère à l’écrivain Édouard Glissant.</p>
<p>Dès lors, l’ensemble se désarticule : le jeu de partis politiques classiques en déclin semble sans grand rapport avec le corps social (même lorsqu’il s’agit des syndicats). Il en va de même avec les institutions que sont le Sénat et la Chambre des Députés.</p>
<p>L’ancrage social et territorial et la capacité de mobilisation des grandes associations à l’existence plus ou moins ancienne régressent : quand en plein confinement, le 2 juin 2020, une manifestation pourtant interdite rassemble <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/06/03/environ-20-000-manifestants-a-paris-lors-d-un-rassemblement-interdit-contre-les-violences-policieres_6041560_3224.html">quelque 20 000 personnes</a> pour exiger la vérité à propos de la mort d’Adama Traoré dans un local policier, quatre ans plus tôt, ce n’est pas à l’initiative de <a href="https://sos-racisme.org">SOS Racisme</a> ou de la <a href="https://www.ldh-france.org">Ligue des droits de l’Homme</a>, mais à celle d’un <a href="https://twitter.com/laveritepradama">collectif animé par sa sœur</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, les syndicats, qui ont su s’unir face au pouvoir pour exiger le retrait de sa loi sur les retraites, n’en sont pas moins suspendus à la radicalité de la base. Des initiatives leur échappent, par exemple, la <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2022-12-21/quel-est-ce-collectif-de-controleurs-a-l-origine-de-la-greve-a-la-sncf-pour-le-week-end-de-noel-81770c64-0a0b-4615-9bd9-bb84979682cd">coordination des contrôleurs de la SNCF</a> en grève du 2 au 5 décembre 2022.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vivons-nous-une-ere-de-soulevements-200950">Vivons-nous une ère de soulèvements ?</a>
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<p>Les violences qui guettent désormais toute contestation importante sont un composé indémêlable de deux logiques : elles proviennent du dehors du mouvement mobilisé, mais n’en entretiennent pas moins des liens de sens avec lui. Et les acteurs paisibles qui protestent ne persistent pas tous dans une attitude pacifique. Ils notent que la violence permet d’obtenir plus du pouvoir qu’en son absence, et parfois se laissent emportés par la <a href="https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/les-raisons-de-la-colere-les-manifestations-contre-la-reforme-des-retraites-cachent-elles-autre-chose_AV-202303080052.html">colère</a> ou la rage, en situation de manifestation par exemple.</p>
<h2>Un pouvoir de haut en bas</h2>
<p>Le chef de l’État, dès 2017, s’est engagé sur une pente claire : le pouvoir est considéré comme s’exerçant de haut en bas, et <a href="https://www.lexpress.fr/idees-et-debats/michel-wieviorka-alors-monsieur-macron-heureux_2171965.html">très peu de médiations semblent trouver grâce à ses yeux</a>.</p>
<p>À plusieurs reprises, notamment durant la crise liée à la pandémie, il a décidé de subordonner les pouvoirs judiciaire et législatif à l’exécutif, pour, affirmait-il alors, mener la <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/confinement/Covid-19-lexercice-du-pouvoir-presidentiel-a-lepreuve-de-la-pandemie_4332991.html">« guerre » au Covid-19</a>. Dans la lutte contre le terrorisme, il s’est également employé à décréter des <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/terrorisme-macron-leve-letat-durgence-pas-les-inquietudes-3379931">mesures d’exception</a>. Sur le social, il ne prend pas forcément en compte les <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/entre-emmanuel-macron-et-les-syndicats-l-impossible-reconciliation-956211.html">syndicats</a>, y compris réformistes comme la CFDT – une attitude qui est une constante et ne date pas uniquement du débat sur la réforme des retraites.</p>
<p>Cette propension à annuler les médiations est perceptible dans de nombreux domaines : suppression du corps diplomatique parachevant une « évolution préoccupante » selon les <a href="https://www.lgdj.fr/la-fin-des-diplomates-9782493270283.html">experts</a> ; désinvolture vis-à-vis des élus locaux ou régionaux, par exemple encore ces jours-ci en n’invitant pas la plus importante de leurs associations, celle des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/03/13/nouveau-coup-de-froid-entre-macron-et-les-maires_6165239_823448.html">Maires de France</a>, à la réunion de travail du 13 mars 2023 sur la décentralisation ; dynamitage de <a href="https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2017-2-page-161.htm">la gauche, puis de la droite classique</a> dont on vient d’observer les effets à l’occasion du débat parlementaire sur les retraites (le parti Les Républicains est moribond ou presque).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1037606404734025728"}"></div></p>
<p>Quelle est la part ici de la personnalité du chef de l’État et de l’hybris, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/gouvernement-d-edouard-philippe/video-gerard-collomb-regrette-le-manque-d-humilite-de-l-executif_2927719.html">selon le mot de son ministre de l’Intérieur d’alors Gérard Collomb</a>, qui ont amené Emmanuel Macron à se voir régulièrement accusé de l’exercice d’un pouvoir « jupitérien » ? Au risque donc d’éliminer toute intermédiation entre le chef de l’État et le peuple, quitte à ouvrir un boulevard à l’extrême droite ? Ces questions relèvent d’une psychologie politique toujours risquée – mais on ne manque pas, aujourd’hui, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/le-traitre-et-le-neant-quatre-choses-a-retenir-du-livre-de-davet-et-lhomme-sur-emmanuel-macron-2229294">d’enquêtes journalistiques et de témoignages</a> pour documenter cette fabrication d’une verticale du vide, institutionnelle, politique et sociale.</p>
<p>Celle-ci doit beaucoup à la conception que le chef de l’État a de son rôle. Les institutions de la V<sup>e</sup> République la facilitent, d’où les demandes récurrentes de <a href="https://theconversation.com/debat-sortir-de-la-v-republique-une-fausse-bonne-idee-175162">passage à la VIᵉ</a>. Mais les acteurs sociaux, politiques ou culturels font-ils tous les efforts possibles pour aller dans le sens du débat et de la négociation ? Oui, si l’on considère l’intersyndicale déterminée, conjuguant radicalité défensive et réformisme ouvert à la négociation, qui s’oppose à la réforme gouvernementale des retraites. Non, si l’on se souvient des « gilets jaunes » : l’idée intéressante du <a href="https://theconversation.com/des-gilets-jaunes-au-grand-debat-quels-enjeux-institutionnels-109291">Grand Débat</a>, où l’on peut retrouver la <a href="https://popups.uliege.be/1782-2041/index.php?id=367">pensée de Paul Ricœur</a>, n’a pas abouti finalement à une négociation, faute d’avoir mobilisé les acteurs concernés, et ce, de leur fait, et pas seulement de celui du pouvoir.</p>
<p>Peut-on imaginer un renversement de tendances ? Il faudrait au moins une profonde réforme institutionnelle et un personnel politique renouvelé – toutes choses qui semblent pour l’instant hors d’atteinte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/202672/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En pleine crise sur la réforme des retraites, l'affaiblissement constant des institutions et des corps de médiation interroge sur l'exercice du pouvoir d'Emmanuel Macron.Michel Wieviorka, Sociologue, membre Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (CADIS, EHSS-CNRS), Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2019052023-03-15T19:58:17Z2023-03-15T19:58:17ZRéforme des retraites : l’heure de vérité<p>Pour la seconde fois sous l’ère d’Emmanuel Macron, le dossier des retraites se trouve mis sur la table des discussions : lors du premier quinquennat, la réforme avait franchi une étape parlementaire, puis elle avait été enterrée sous les sables de l’épidémie du Covid-19. Elle se voulait systémique, uniformisant et universalisant un système de calcul par points à la place des années de cotisation, mettant un terme aux régimes spéciaux.</p>
<p>Aujourd’hui, la nouvelle version de cette même réforme apparaît comme un défi majeur du second quinquennat d’Emmanuel Macron. Elle a conduit à une union syndicale rare en France et à une forte mobilisation dans la rue. Elle a aussi engendré des débats houleux à l’Assemblée nationale, mettant à jour les dissensions entre la droite représentée par Les Républicains et la Macronie.</p>
<p>La séquence attend un possible épilogue parlementaire ce jeudi 16 mars, alors que l’on se pose toujours des questions sur la forme que prendra le mécontentement social.</p>
<h2>Une provocation ?</h2>
<p>Lors de la campagne présidentielle en 2022, Emmanuel Macron avait affiché très clairement dans <a href="https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme">son programme</a> sa volonté de faire de la réforme des retraites l’une des priorités de son second mandat.</p>
<p>Si l’objectif déclaré est le même qu’en 2019, « sauver le régime par répartition », la démarche est cette fois inversée et resserrée : il s’agit maintenant d’une réforme paramétrique, subordonnant les mesures d’accompagnement à la fixation préalable d’un recul du départ à taux plein, au lieu d’une réforme d’attribution des points rendant secondaire cette fixation.</p>
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<p>En imposant ce renversement, qui place les <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-les-syndicats-peuvent-ils-reprendre-la-main-197468">syndicats</a> en position protestataire, Emmanuel Macron agissait-il par provocation ?</p>
<p>Il semble bien que non : les temps avaient changé, l’Assemblée nationale aussi. Surtout, la France sortait à peine de cette crise sanitaire exceptionnellement coûteuse, qui avait lourdement aggravé la dette publique et qui amenait le président, sinon à prôner l’austérité, au moins à renoncer à l’insouciance et à l’abondance.</p>
<h2>Le nouveau rôle de l’Assemblée nationale</h2>
<p>Dans ce contexte, le report de l’âge à 65 ans résonne comme un appel à l’effort collectif. Au Parlement, terminée la belle époque de la majorité absolue, l’heure est désormais à la <a href="https://theconversation.com/legislatives-la-vie-politique-bouleversee-par-un-scrutin-inattendu-185375">discussion politique et au compromis</a>.</p>
<p>Aucune réforme névralgique ne peut être entreprise sans la garantie préalable d’un consensus avec une part majoritaire de la représentation. Seule cette position politique débordant de la majorité présidentielle, preuve d’une véritable autorité politique, permettrait de poursuivre la négociation avec les syndicats pour l’application, et d’apaiser postérieurement la crise sociale assumée. Le choix de l’âge barrière à 65 ans allait d’ailleurs parfaitement dans cette direction, puisqu’il s’agissait de celui retenu par LR depuis François Fillon. Le pont était donc naturel. Restait à le franchir.</p>
<p>Ce fut difficile. À l’évidence, les oppositions n’ont pas assumé leur part du message envoyé par les Français au moment des dernières législatives : faute de mode de scrutin adapté aux nuances de l’opinion, les électeurs avaient bricolé spontanément une manière de proportionnelle, n’octroyant pas de blanc seing à la majorité présidentielle et invitant au dialogue et au compromis entre les différents partis. Loin d’ouvrir le jeu, on l’a rigidifié encore plus.</p>
<h2>Entre effraction et soustraction électorales</h2>
<p>Emmanuel Macron, élu par effraction en 2017, semble aux vieux partis décimés avoir été réélu par soustraction. La gauche, explosée et implosée en même temps, a fait le choix d’un réalignement autour de sa forme radicale, fermant le ban à tout rapprochement avec la majorité présidentielle. Ne reste donc disponible dans cet univers politique triphasé que l’espace incertain de la droite modérée tiraillée entre ses aspirations centristes et sa peur d’être débordée par le RN devant ses électeurs.</p>
<p>Dans cette logique du déni de légitimité, on cherche le conflit et le blocage. Les débats sur la réforme des retraites en auront été le paroxysme, même si le gouvernement estime avoir fait des concessions en annonçant un âge légal finalement établi à 64 ans lors de la présentation de la réforme en janvier 2023.</p>
<p>Il faudra au gouvernement avoir recours à tout un <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-par-quels-moyens-legislatifs-le-gouvernement-peut-il-la-faire-adopter-197929">capharnaüm constitutionnel</a> pour contourner le blocus qu’a tenté de réaliser l’opposition de gauche soutenue, avec une discrète fermeté, par l’extrême droite : art. 48, 47-1, 44 al. 3, tout un arsenal disponible prévu par la constitution, précisément pour faire face à ce genre de situation.</p>
<p>D’autant que le feu du débat à l’Assemblée était synchronisé avec la protestation de la rue : les tambours syndicaux unifiés rythmant la marche des huit journées de protestation.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Personne n’a craqué ! » : la colère de Dussopt face à LFI qui quitte l’Assemblée. YouTube.</span></figcaption>
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<p>Aujourd’hui, bien qu’une très large partie de l’opinion se soit déclarée défavorable à la réforme, l’exécutif n’a pas cédé sur l’essentiel, et il se pourrait même à terme, lorsque les choses seront apaisées, la négociation sociale reprise, que cette intransigeance ne vienne à son crédit. Car les enjeux de cette affaire sont aussi multiples que considérables, au plan interne comme au plan international. Il pourrait même marquer un tournant de ce deuxième quinquennat.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/retraites-comment-la-reforme-incarne-le-bras-de-fer-entre-le-pouvoir-et-la-rue-198083">Retraites : comment la réforme incarne le bras de fer entre le pouvoir et la rue</a>
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<h2>Réduire la fracture politique</h2>
<p>La capacité de la France d’entreprendre, après le fameux quoiqu’il en coûte, un redressement de sa dépense publique sans creuser plus la dette, ne peut que rassurer ses partenaires politiques européens. Et c’est là un enjeu important, en cette période de hausse des taux d’intérêt.</p>
<p>Mais c’est dans la vie politique interne que le jeu bénéfice/perte est potentiellement le plus fort. Parvenir à briser les circonvallations qui retenaient le président isolé des acteurs de la vie politique était une gageure qui tardait à se résoudre. S’ils parviennent, sur un sujet socialement sensible, à amener Les Républicains à surmonter au final leurs craintes du RN et le gros de leurs divisions, Elisabeth Borne et Emmanuel Macron auront franchi une étape décisive.</p>
<p>Désormais, cette brèche pourrait potentiellement être empruntée à d’autres occasions. Et sans doute aussi par d’autres forces politiques : le parti socialiste, aujourd’hui allié aux autres forces de la Nupes continuera-t-il longtemps à laisser la droite monopoliser le dialogue avec Emmanuel Macron ?</p>
<p>Enfin, s’il surmonte dans les prochaines semaines un mur d’opinion hostile à son projet en arguant de la solidarité et du long terme, le président aura replacé la question essentielle de la légitimité sur son vrai terrain : celui de l’autorité qu’implique la décision politique.</p>
<p>Pour cela, il faut qu’au fil d’article 47-1 en aiguille d’article 44 al. 3, de négociations en reculs tactiques, le projet de loi de réforme des retraites soit adopté par le Parlement après les derniers ajustements de la commission mixte paritaire. Mais aussi, au vu des concessions réciproques obtenues, que le scénario se déroule sans recours à l’article 49 al. 3 qui en affaiblirait la portée politique. À Emmanuel Macron de relever alors le défi de « l’après ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201905/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que le texte est présenté aux députés pour le vote final ce jeudi 16 mars, la séquence politique ouverte par la réforme des retraites trouvera-t-elle sa conclusion cette semaine ?Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2012092023-03-15T19:58:15Z2023-03-15T19:58:15ZSyndicats : moins d'encartés, mais une image toujours positive auprès des salariés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/514916/original/file-20230313-14-421in0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C3870%2C2590&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Si les salariés sont peu syndiqués, ils ont toutefois une bonne image des syndicats.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le mouvement social contre la réforme des retraites a suscité un certain étonnement quant à la place qu’y occupent les <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-les-syndicats-peuvent-ils-reprendre-la-main-197468">organisations syndicales</a>. Celles-ci sont parvenues à s’unir dans la durée et à mobiliser plusieurs millions de personnes dans les rues depuis le 19 janvier 2023.</p>
<p>Non seulement le mouvement social qu’elles portent s’avère particulièrement populaire, mais c’est aussi le cas des modes d’action privilégiés et en particulier de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/greve-7-mars-51-des-francais-favorables-a-mettre-la-france-a-l-arret_214742.html">l’appel à « bloquer le pays » du 7 mars 2023</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-bloquer-les-chaines-dapprovisionnement-est-il-plus-efficace-que-manifester-201002">Réforme des retraites : bloquer les chaînes d’approvisionnement est-il plus efficace que manifester ?</a>
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<p>En outre, selon <a href="https://www.ifop.com/publication/syndicats-partis-et-personnalites-politiques-a-qui-profitent-les-mouvements-sociaux-contre-la-reforme-des-retraites/">plusieurs enquêtes d’opinion</a>, les organisations syndicales sont celles qui incarnent le mieux l’opposition au gouvernement et au Président de la République. Enfin, la centralité des syndicats et de leurs « directions » ne semble pas, pour l’heure, être remise en cause que ce soit par d’autres organisations, notamment politiques, ou par des bases parfois mythifiées comme plus combatives.</p>
<p>Ces éléments n’ont toutefois rien de surprenant. En effet, un examen minutieux du rapport des salariés aux syndicats ces dernières années révèle que, si les salariés sont peu syndiqués, ils ont toutefois une bonne image des syndicats.</p>
<h2>Un discours sur le déclin des syndicats à relativiser</h2>
<p>Nombreux seraient, depuis déjà plusieurs décennies, les indices d’un déclin du fait syndical en France. La syndicalisation, déjà très faible depuis plusieurs décennies, a enregistré un léger recul ces dernières années. <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/73d70d2f04ce15c6ee16dbd65c81601e/2023-06.pdf">En 2019, 10,3 % des salariés étaient syndiqués contre 11,2 % en 2013</a>. Il en est de même de la participation des salariés aux grèves et aux élections professionnelles qui déclinent depuis le milieu des années 2000. Enfin, la « confiance » des salariés dans les syndicats est minoritaire (45,1 % dans l’<a href="https://data.sciencespo.fr/dataset.xhtml?persistentId=doi:10.21410/7E4/9K3VGR">édition 2022 du baromètre de la confiance politique du CEVIPOF</a>).</p>
<p>Plusieurs événements ont d’ailleurs pu récemment illustrer ce déclin syndical, comme le mouvement des « gilets jaunes » qui s’est construit à l’hiver 2018-2019 en <a href="https://laviedesidees.fr/Syndicalisme-et-gilets-jaunes.html">dehors des organisations syndicales</a> ou encore la crise sanitaire qui, avec le recours massif à un télétravail quasi permanent, <a href="https://ceet.cnam.fr/publications/connaissance-de-l-emploi/le-dialogue-social-en-entreprise-en-temps-de-pandemie-1295377.kjsp">a pu éloigner les salariés des syndicats</a>.</p>
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<p>Cependant, un examen plus attentif des rapports des salariés aux organisations syndicales vient nuancer un tel discours décliniste. Ainsi, les exemples de mobilisations impulsées par les organisations syndicales ayant connu un certain succès en termes de participation des salariés et de popularité ne manquent pas ces dernières années, à commencer par le mouvement contre le projet de réforme des retraites de l’hiver 2019-2020.</p>
<p>Surtout, le rapport des salariés aux syndicats, s’il s’est distendu, n’est pas rompu. Ainsi si, en 2016, seuls 11 % des salariés étaient syndiqués et si seuls 6,9 % avaient fait grève cette même année (alors qu’avait eu lieu un mouvement social interprofessionnel contre la Loi Travail), 43 % avaient voté aux dernières élections professionnelles selon l’enquête <a href="https://data.progedo.fr/studies/doi/10.13144/lil-1224">SRCV</a>, un chiffre qui n’est pas négligeable d’autant plus que <a href="https://lilloa.univ-lille.fr/bitstream/20.500.12210/32622/3/rfsp_preprint.pdf">nombre de salariés ne peuvent voter à ces élections faute de scrutin sur leur lieu de travail</a>.</p>
<p>De plus, la « confiance » des salariés dans les syndicats n’a que très peu évolué depuis la fin des années 1970 : en 1978, 50,1 % des salariés faisaient confiance aux syndicats selon <a href="https://data.sciencespo.fr/dataset.xhtml;jsessionid=2db886b8c67feeb065023cabdbe2?persistentId=doi%3A10.21410%2F7E4%2FYAHJ7G&version=&q=&fileTypeGroupFacet=%22Tabular+Data%22&fileAccess=&fileTag=%22Donn%C3%A9es%22&fileSortField=&fileSortOrder=">l’enquête post-électorale du CEVIPOF</a> contre 45,1 % en 2022 alors même que, sur la même période, le <a href="https://www.ipp.eu/publication/recompter-les-syndiques/">taux de syndicalisation en France a fortement décliné</a>. Ce paradoxe <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/bjir.12248">se retrouve à l’échelle européenne</a>. Enfin, dépasser cette notion de « confiance » permet de faire état d’une image plus positive des syndicats.</p>
<h2>Des attitudes ambivalentes envers les syndicats</h2>
<p>L’indicateur retenu pour apprécier l’image qu’ont les salariés des syndicats est souvent la confiance qu’ils placent en eux. Or, cette notion de confiance apparaît problématique. En effet, le degré de confiance peut s’exprimer de manière générale (sentiment de confiance) ou pour un objectif particulier (défendre l’emploi, les salaires, les conditions de travail… au niveau local, au niveau sectoriel ou au niveau national) et, dans ce dernier cas, la capacité d’action des syndicats ne dépend pas uniquement d’eux-mêmes, mais aussi du contexte politique, économique et social.</p>
<p>Plusieurs analyses mettent d’ailleurs au jour les attitudes ambivalentes des salariés vis-à-vis des syndicats. Ainsi, en <a href="https://www.crisp.be/librairie/catalogue/1908-syndicats-et-syndicalisme-perceptions-et-opinions-9782870751367.html">Belgique</a>, où plus de la moitié des salariés sont syndiqués (57,2 %), la faible « confiance » dans les syndicats (23,8 %) s’articule avec une large approbation de leur nécessité pour protéger les droits sociaux et avec un sentiment majoritaire que les syndicats défendent les intérêts des salariés et des chômeurs.</p>
<p>En France, diversifier les indicateurs mesurant l’image qu’ont les salariés des syndicats fait apparaître une forte demande de syndicats, à l’image de ce qui est observé <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0143831X07088540">au niveau européen</a>, et une certaine appréciation de leurs actions.</p>
<p>Dans une <a href="https://data.progedo.fr/studies/doi/10.13144/lil-1101">enquête ISSP parue en 2015</a>, 59,1 % des salariés répondants estiment que « les travailleurs ont besoin de syndicats forts pour protéger leurs intérêts » et seuls 23,4 % estiment que « des syndicats forts sont mauvais pour l’économie de la France ». De même, dans l’<a href="https://espol-lille.eu/recherche/people-2022/">enquête post-électorale People2022</a> que nous avons réalisée à l’issue du second tour de l’élection présidentielle de 2022, 64,5 % des salariés répondants sont d’accord avec le fait que les syndicats rendent des services aux salariés et seuls 23,9 % sont en désaccord avec cette affirmation.</p>
<h2>Des attitudes socialement et politiquement clivées</h2>
<p>Les attitudes des salariés à l’égard des syndicats varient toutefois fortement selon leurs caractéristiques sociales et selon leur positionnement politique. Les jeunes n’ont ainsi, contrairement à une idée reçue, <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2019-2-page-7.htm">pas une plus mauvaise perception des syndicats que leurs aînés</a> alors que les femmes salariées ont le plus souvent une perception positive des syndicats. De même, le fait de côtoyer l’action syndicale est fortement corrélé à l’expression d’opinions très positives à l’égard des syndicats.</p>
<p>Sur le plan socioprofessionnel, la <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/diversite-et-evolutions-des-attitudes-des-salaries-legard-des-syndicats-en-france">perception des syndicats est moins positive</a> dans les petits établissements et surtout dans les couches supérieures du salariat du secteur privé, et en particulier des cadres et professions intermédiaires administratives et commerciales, des salariés les plus autonomes et des salariés travaillant au forfait (trois groupes qui se recoupent fortement).</p>
<p>À l’opposé, les salariés du public, qu’ils soient cadres ou, dans une moindre mesure, employés, ainsi que certaines fractions des couches inférieures du salariat du secteur privé ont une perception bien plus positive des syndicats, y compris les salariés en contrat précaire ou qui craignent perdre leur emploi. Les syndicats, s’ils ne parviennent pas à faire adhérer une partie significative des classes populaires salariées, notamment dans les fractions les plus précarisées, bénéficient donc encore, parmi ces salariés, d’une image quasiment aussi positive que dans le secteur public et bien plus positive que parmi les fractions supérieures et stabilisées du salariat du secteur privé.</p>
<p>Au-delà des caractéristiques socioprofessionnelles, on constate également que les attitudes des salariés à l’égard des syndicats varient fortement selon leur positionnement politique sur un axe gauche-droite. Plus les salariés se situent à gauche, plus ils ont une perception positive des syndicats (voir tableau), <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/bjir.12248">à l’image de ce qui a déjà été observé au niveau européen</a>. À l’inverse, les salariés se positionnant très à droite, s’ils peuvent manifester une certaine défiance à l’égard du gouvernement, se montrent significativement plus hostiles aux syndicats. Ce résultat révèle ainsi que si, lors du mouvement social actuel, l’opposition au gouvernement peut être aussi intense à l’extrême droite qu’à gauche, le fait d’approuver l’action des syndicats et, plus encore, de participer à la mobilisation reste bien plus répandu parmi les salariés qui se positionnent à gauche.</p>
<p>À ce titre, rappelons que les syndiqués non seulement <a href="https://ejpr.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/1475-6765.12157">votent davantage pour la gauche</a>, mais qu’ils ont également des attitudes <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/bjir.12654">davantage pro-environnementales</a>, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/irj.12319">favorables aux droits des immigrés</a> ou encore <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/irj.12242">favorables aux droits des personnes LGBTQI+</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514161/original/file-20230308-26-r47jww.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514161/original/file-20230308-26-r47jww.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514161/original/file-20230308-26-r47jww.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514161/original/file-20230308-26-r47jww.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514161/original/file-20230308-26-r47jww.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514161/original/file-20230308-26-r47jww.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514161/original/file-20230308-26-r47jww.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Attitude à l’égard de syndicats selon le positionnement politique.</span>
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<h2>Une montée de l’indifférence</h2>
<p>Pour terminer, l’analyse que nous avons mené des enquêtes REPONSE (Relations professionnelles et négociations d’entreprise) réalisées en 2011 et en 2017 par le Ministère du travail montre un <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/diversite-et-evolutions-des-attitudes-des-salaries-legard-des-syndicats-en-france">tassement des attitudes favorables aux syndicats</a> des salariés du secteur privé, non pas au profit d’attitudes défavorables (elles aussi en recul), mais d’attitudes indifférentes.</p>
<p>Les attitudes indifférentes sont plus répandues parmi les femmes salariées, parmi les salariés les moins diplômés, parmi les salariés les plus jeunes ainsi que parmi les salariés précaires et, plus généralement, parmi les salariés qui ne sont pas confrontés, sur leur lieu de travail, à l’action syndicale. Cette indifférence qui progresse représente un second défi pour les organisations syndicales qui doivent sans cesse repenser leurs modalités de contact avec les salariés dans un contexte de déstabilisation des collectifs de travail (recours accru à la sous-traitance, aux contrats précaires ou encore au télétravail).</p>
<p>Le premier défi des organisations syndicales, a fortiori dans le cadre du mouvement social actuel, est dès lors de transformer cette perception plutôt positive des syndicats en participation effective à la mobilisation, ce qui n’a rien d’évident tant la participation gréviste et manifestante de salariés confrontés à la précarité ou à une faible rémunération apparaît difficile.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201209/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tristan Haute ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Nombreux seraient les indices d’un déclin du fait syndical en France mais un examen plus attentif des rapports des salariés aux organisations syndicales vient nuancer un tel discours.Tristan Haute, Maître de conférences, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2002112023-03-08T19:05:16Z2023-03-08T19:05:16ZCe que les grèves britanniques ont d’historique<p>Une grève « inédite » et « historique » : c’est en ces termes que la <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/greve-historique-au-royaume-uni-20230131">presse</a> francophone qualifie volontiers le mouvement social que connaît le Royaume-Uni depuis l’été 2022, marqué par une mobilisation massive de nombreux corps de métier autour des problématiques de la baisse du pouvoir d’achat, de la fragilisation des statuts socio-professionnels et, indirectement, de la qualité des services publics.</p>
<p>Qu’en est-il en réalité ? En quoi le mouvement actuel se distingue-t-il des grandes grèves ayant marqué l’histoire sociale britannique de ces cinquante dernières années ? Les participants sont-ils plus nombreux, et viennent-ils d’autres milieux que précédemment ? Quelques éléments de réponse.</p>
<h2>Quantifier les grèves : ce qui se compte</h2>
<p>Pour mesurer l’ampleur d’un mouvement de grèves, les <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2009-2-page-51.htm">analystes se sont dotés d’un outil quantitatif</a> : le nombre de journées de travail perdues. Cet indicateur, qui privilégie une approche comptable, peut surprendre ou sembler désincarné, voire déshumanisant pour les grévistes, mais il est en fait assez fidèle à l’esprit des travaux de Marx.</p>
<p>Chez le penseur de la lutte des classes, le temps de travail est une variable fondamentale (voir par exemple le <a href="https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-I/kmcapI-10-1.htm">Chapitre X</a> du <em>Capital</em> sur la journée de travail). C’est la durée du travail imposée aux ouvriers qui détermine le profit que peuvent réaliser leurs employeurs. Quand le temps de travail tombe à zéro un jour de grève, le profit aussi.</p>
<p>Cet indicateur n’est donc pas aussi abstrait qu’il y paraît, et rend compte assez fidèlement des rapports de force entre travailleurs et employeurs. Il présente également l’avantage de permettre des comparaisons entre différents pays ou différentes époques.</p>
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<p>Au Royaume-Uni, le <a href="https://books.openedition.org/pus/4523?lang=fr">record fut atteint en 1926</a>, avec plus de 162 millions de journées perdues lors d’une grève générale menée par les mineurs, dont les conditions de travail et de rémunération étaient menacées, et soutenue par d’autres secteurs. Des pics de contestation sociale sont ensuite enregistrés en <a href="https://okina.univ-angers.fr/publications/ua3057/1/la_guerre_est_declaree2.pdf">1972</a>, <a href="https://journals.openedition.org/rfcb/1683">1979</a> et en <a href="https://www.history.ox.ac.uk/miners-strike-1984-5-oral-history">1984</a> : ces années-là, celles de la mise en œuvre de politiques de plus en plus libérales par les premiers ministres Edward Heath (1970-1974) et Margaret Thatcher (1979-1990), le total de journées de grève a été compris entre 20 et 30 millions.</p>
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<p>Après 1985, qui fut <a href="https://www.lesechos.fr/2018/07/1984-1985-la-dame-de-fer-contre-les-hommes-du-charbon-1120320">l’année de la défaite des mineurs après une grève de plusieurs mois</a>, les chiffres baissent tout en restant substantiels, puis s’effondrent au début des années 1990 : ils ne dépassent plus alors le million qu’en quelques occasions. Derrière cette baisse de la conflictualité sociale se cache le <a href="https://www.syllepse.net/ici-notre-defaite-a-commence-_r_46_i_680.html">traumatisme de la défaite de 1985</a> et le <a href="https://tribunemag.co.uk/2020/06/blairs-trade-union-reform-at-20">développement continu de la législation anti-syndicale</a>, tant sous le conservateur John Major que sous son successeur travailliste (et très centriste) Tony Blair.</p>
<p>La dynamique de la grève, sur le temps long, va donc decrescendo. Mais si l’on observe les chiffres les plus récents, on constate que les derniers mois vont à l’encontre de cette pente historique : sur le deuxième semestre de 2022, le pays totalise <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/royaume-uni-le-chomage-reste-stable-en-decembre-dans-une-economie-qui-stagne-20230214">plus de 2,3 millions de journées de travail perdues</a>, avec une tendance à la hausse de mois en mois, qui ne s’est d’ailleurs pas démentie en ce début 2023. De tels chiffres n’avaient plus été atteints depuis 1989.</p>
<p>Le conflit actuel est donc d’ores et déjà, selon cette métrique, le plus important des trente dernières années, soit une génération. Quantitativement, c’est incontestable : la vague de grèves actuelle est bel et bien historique.</p>
<h2>Qualifier les grèves : ce qui se voit</h2>
<p>Mais compter les jours de grève ne suffit pas à saisir la spécificité d’un mouvement syndical ; il faut aussi déterminer, qualitativement, quels secteurs y sont impliqués.</p>
<p>En juin 2022, les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/23/deuxieme-grand-jour-de-greve-des-cheminots-britanniques_6131720_3210.html">cheminots britanniques</a> sont parmi les premiers à recourir à la grève pour faire entendre leurs revendications salariales. Après eux viennent d’autres travailleurs des services d’intérêt collectifs – terme que l’on préfère à celui de « services publics » au Royaume-Uni, car il permet de désigner aussi ceux d’entre eux qui ont été privatisés, <a href="https://www.cairn.info/revue-chronique-internationale-de-l-ires-2020-1-page-30.htm">dont le rail fait justement partie</a>.</p>
<p>Les chauffeurs de bus, mais aussi les facteurs se mettent en grève, également sur la question des salaires, à laquelle s’ajoute pour ces derniers la question de « l’uberisation » de leur métier, rendue possible par la <a href="https://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20130711trib000775231/la-privatisation-de-royal-mail-ne-passe-pas-comme-une-lettre-a-la-poste.html">privatisation de la <em>Royal Mail</em> en 2013</a>.</p>
<p>Plus tard dans l’année 2022, ces bastions syndicaux sont imités par d’autres secteurs moins familiers de l’action collective : dans la santé (infirmiers, ambulanciers et internes), dans l’éducation (enseignants, universitaires, directeurs d’école), mais aussi pompiers, personnel du contrôle aux frontières dans les aéroports, examinateurs du permis de conduire. Tous se mobilisent sur la question salariale, avec des inflexions particulières selon les secteurs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1620788864871956480"}"></div></p>
<p>Mais, et c’est là l’une des spécificités du mouvement actuel, les employés des services d’intérêt collectif ne sont pas les seuls à prendre part à ce mouvement. Dans le secteur privé aussi, où les syndicats sont beaucoup moins présents (<a href="https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/1077904/Trade_Union_Membership_UK_1995-2021_statistical_bulletin.pdf">12,8 % de syndiqués en 2021, contre 50,1 % dans le secteur public</a>), les conflits salariaux se sont multipliés au cours des derniers mois.</p>
<p>On peut ainsi citer les dockers (ceux de Liverpool ont obtenu des augmentations <a href="https://www.unitetheunion.org/news-events/news/2022/november/liverpool-dockers-celebrate-major-victory-after-unite-secures-pay-deal-worth-between-143-and-185/">allant de 14,3 % à 18,5 %</a>), ou encore les <a href="https://www.theguardian.com/business/2022/aug/10/ineos-grangemouth-oil-refinery-pay-dispute-strikes-inflation">employés de la pétrochimie</a> et ceux <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/greve-inedite-des-employes-damazon-au-royaume-uni-1900572">d’Amazon</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513700/original/file-20230306-18-dg98my.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513700/original/file-20230306-18-dg98my.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513700/original/file-20230306-18-dg98my.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513700/original/file-20230306-18-dg98my.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513700/original/file-20230306-18-dg98my.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=886&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513700/original/file-20230306-18-dg98my.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513700/original/file-20230306-18-dg98my.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513700/original/file-20230306-18-dg98my.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1113&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des manifestantes demandent la revalorisation des salaires dans le secteur de la santé à Londres le 20 décembre 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/london-uk-december-20th-2022-england-2240025823">Brian Minkoff/Shutterstock</a></span>
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<p>Il faut noter encore que les femmes sont en première ligne des grèves britanniques d’aujourd’hui. Elles représentent <a href="https://www.tuc.org.uk/EqualityAudit2022?page=2=">plus de la moitié</a> des personnes syndiquées, sont très largement majoritaires dans certains secteurs mobilisés (<a href="https://www.counterfire.org/article/a-womens-strike-wave-weekly-briefing/">infirmières et enseignantes notamment</a>) et deux des principaux syndicats, <em>Unite</em> dans le privé et <em>Unison</em> dans le public, sont <a href="https://www.theguardian.com/politics/2022/dec/02/who-female-union-leaders-uk-strike-action">menés par des femmes</a>. Cette féminisation du mouvement social répond à celle du marché du travail, et vient renouveler un mouvement syndical longtemps dominé par les hommes et le secteur manufacturier.</p>
<p>Femmes et hommes en grève sont engagés dans des bras de fer salariaux avec leurs patrons : chaque conflit est indépendant et peut aboutir ou échouer. Si des journées de grèves et d’actions coordonnées entre syndicats et entre secteurs sont organisées, comme le <a href="https://www.tf1info.fr/international/ecoles-trains-administration-journee-de-greve-inedite-au-royaume-uni-ce-mercredi-1er-fevrier-pour-de-meilleurs-salaires-2246742.html">1er février 2023</a>, les grévistes ne défilent par derrière un mot d’ordre commun, comme le retrait de la réforme des retraites en France.</p>
<p>Il n’en reste pas moins que leurs revendications résonnent les unes avec les autres, et que la victoire ou la présence en manifestation d’un secteur donne confiance aux autres. Cette multiplication des secteurs, ces résonances et ces ébauches de coordination font donc de ces grèves un mouvement sinon inter-, du moins pluri-, ou multiprofessionnel. En cela, on retrouve ici une dynamique de construction d’alliances qui évoque, sans l’égaler pour le moment, le soutien aux mineurs en grève par le reste du mouvement social dans les années 1980.</p>
<h2>Décrypter le mouvement : ce qui ne se voit pas</h2>
<p>En plus d’être important par le nombre et la diversité des grévistes, ce mouvement a deux caractéristiques moins tangibles, mais qui font aussi sa spécificité.</p>
<p>La vague de grèves actuelle est la première de cette ampleur depuis le déploiement progressif et continu d’une sévère législation anti-syndicale au cours des quatre dernières décennies. Sans rentrer ici dans les détails (on se référera aux travaux de <a href="https://journals.openedition.org/rfcb/1148">Marc Lenormand</a> sur ce sujet), entreprendre une grève au Royaume-Uni aujourd’hui relève en soi d’un tour de force.</p>
<p>Les syndicats sont tenus, pour organiser une grève, de consulter leurs adhérents par voie postale, avec des conditions strictes de participation, et ne peuvent le faire qu’au sujet d’un conflit actuel et circonscrit à la question du salaire ou des conditions de travail. Le volet le plus récent de cet arsenal législatif, le projet de loi <em>Strikes (Minimum Services Levels) Bill 2023</em> est <a href="https://www.gov.uk/government/publications/strikes-minimum-services-levels-bill-2023">actuellement en discussion au Parlement</a>. La loi permettra des réquisitions de grévistes dans six secteurs jugés essentiels (santé, pompiers, éducation, transport, contrôle aux frontières et nucléaire) pour qu’un <a href="https://www.lefigaro.fr/social/royaume-uni-le-gouvernement-conservateur-va-instaurer-un-service-minimum-lors-des-greves-20230105">service minimum</a> soit assuré, sous peine de licenciement en cas de refus. Le degré de colère et de détermination des grévistes britanniques se mesure donc aussi à la hauteur des embûches qui se dressent sur leur chemin. Les 2,3 millions de journées de grève se sont déroulées dans un contexte particulièrement difficile.</p>
<p>Enfin, ce contexte invite aussi à ne pas réduire le mouvement à l’expression de ses revendications officielles. Formuler leurs revendications en termes salariaux est une nécessité légale pour les syndicats britanniques, ce qui explique que la <a href="https://national-education-union.boast.io/w/da9f499c-89e6-43d7-a62f-458c69bed8fb">banderole</a> officielle de la <em>National Union of Education</em> réclame des hausses de salaire (<em>Pay Up !</em>) mais que la myriade de pancartes faites à la main qui l’entourent en manifestation témoigne de revendications beaucoup plus variées.</p>
<p>La question des salaires est en soi un motif de colère dans un pays où l’inflation est si haute et les salaires si bas que le pouvoir d’achat est en chute libre (<a href="https://www.mirror.co.uk/news/politics/teachers-hit-5-real-terms-28927626">-13 % sur dix ans pour la majorité des enseignants</a>).</p>
<p>Mais les grévistes réclament aussi, selon les cas, de meilleurs statuts, de meilleurs horaires, et surtout, de meilleures conditions d’accueil des usagers dans les services publics, donc des embauches massives, notamment dans l’éducation et la santé. En cela, ces grèves ont aussi des résonances avec la situation française, où le mouvement contre la réforme des retraites porte aussi implicitement sur le modèle social du pays. La simultanéité de ces deux mouvements, où les syndicats sont en pointe, est aussi une spécificité de la conjoncture actuelle. S’il est trop tôt pour dire si celle-ci est historique à l’échelle de l’espace transmanche, il ne fait pas de doute que les grèves britanniques actuelles, par leur ampleur, leur diversité et leur portée, sont un moment d’histoire singulier.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200211/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Clémence Fourton est membre de l'Union syndicale Solidaires. </span></em></p>Le Royaume-Uni connaît depuis des mois un mouvement social de grande ampleur, sans précédent depuis les grèves des mineurs des années 1970 et 1980.Clémence Fourton, Maîtresse de conférences en études anglophones, Sciences Po LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2010022023-03-06T19:31:40Z2023-03-06T19:31:40ZRéforme des retraites : bloquer les chaînes d’approvisionnement est-il plus efficace que manifester ?<p>La réforme des retraites voulue par Emmanuel Macron est à l’origine depuis janvier 2023 d’un mouvement social de grande ampleur. Il se caractérise notamment par des manifestations régulières pendant lesquelles plusieurs centaines de milliers de personnes arpentent les villes pour dire « non » à un allongement de la durée de cotisation et un report de l’âge du départ à la retraite de 62 à 64 ans.</p>
<p>Plus symbolique encore, le puissant front intersyndical menace de <a href="https://www.rfi.fr/fr/%C3%A9conomie/20230305-la-mobilisation-contre-la-r%C3%A9forme-des-retraites-se-pr%C3%A9pare-%C3%A0-mettre-la-france-%C3%A0-l-arr%C3%AAt">« mettre la France à l’arrêt »</a>, en encourageant des grèves sur plusieurs jours dans des secteurs jugés stratégiques comme le transport ou le raffinage du pétrole.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/retraites-vers-un-durcissement-du-mouvement-social-pour-faire-reculer-le-gouvernement-199815">Retraites : vers un durcissement du mouvement social pour faire reculer le gouvernement ?</a>
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<p>De telles démarches ont pour objectif de faire plier le gouvernement pour qu’il abandonne cette réforme. Or, manifester dans les rues et paralyser le pays exige une forte implication des salariés, alors même que la crise du pouvoir d’achat les rend parfois frileux à conduire des actions dures et coûteuses pour leur fin de mois.</p>
<p>Une autre option pourrait être envisagée par les personnes mobilisées : bloquer les flux et donc les chaînes d’approvisionnement des marchandises pour geler tout le système et gagner la bataille face au politique. L’investissement humain pour y parvenir serait certainement plus faible, à condition de bien comprendre comment fonctionnent aujourd’hui la plupart des chaînes logistiques.</p>
<h2>Des flux de plus en plus « concentrés »</h2>
<p>L’évolution des chaînes logistiques, le plus souvent connues sous l’appellation anglo-saxonne de <em>supply chains</em>, obéit à une tendance de fond pour un très grand nombre de produits. Le modèle dominant est celui d’une concentration des opérations d’approvisionnement depuis les usines sur quelques « nœuds » logistiques, aujourd’hui dénommés <em>hubs</em>, avant une expédition des produits finis vers différents points de réception (magasin, <em>drive</em>, point relais, domicile du client).</p>
<p>La raison principale en est la réduction des coûts unitaires par le biais d’une massification extrême des flux. Pour une usine, approvisionner un <em>hub</em> avec des centaines de tonnes de produits est plus avantageux que livrer des centaines de magasins en direct avec à peine quelques dizaines de kilos par camion.</p>
<p><a href="https://classiques-garnier.com/european-review-of-service-economics-and-management-2020-2-n-10-varia-service-innovation-in-historical-perspective.html">Le modèle des hubs</a> s’est donc imposé depuis plusieurs décennies, autant pour des acheminements transcontinentaux, avec des porte-conteneurs géants pouvant transporter jusqu’à 20 000 caisses à la fois, que pour des acheminements nationaux, avec des trains complets livrant quelques plates-formes et entrepôts régionaux chargés ensuite d’alimenter les points de réception.</p>
<h2>Vulnérabilité des <em>hubs</em></h2>
<p>Si la vulnérabilité du modèle des <em>hubs</em> n’est pas ignorée, elle reste en tout cas <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=275154">largement minorée</a>. En effet, un <em>hub</em> est une sorte de nœud logistique vers lequel convergent des millions de produits avant d’alimenter les marchés, autrement dit la demande des consommateurs. Si une action coordonnée est conduite par quelques manifestants et syndicalistes pugnaces, qui bloquent les entrées et sorties du <em>hub</em>, le <a href="https://www.contretemps.eu/ouvriers-logistique-syndicalisme-strategie/">risque d’asphyxie de la chaîne logistique</a> devient maximal. Si l’on devait prendre une image qui rappellera de mauvais souvenirs aux victimes d’un infarctus, c’est un peu comme si le sang (les produits finis) venait à ne plus circuler dans les artères (les points de réception des produits). Convenons-en : voilà un extraordinaire pouvoir de nuisance… ou de négociation musclée.</p>
<p>Imaginons en outre un instant que les <em>hubs</em> se regroupent sur un même lieu, par exemple pour bénéficier de facilités d’accès à des infrastructures routières ou ferroviaires, mais aussi de la mise en commun de services aux professionnels. Là aussi, il suffit de s’intéresser au secteur de la logistique pour découvrir qu’il s’agit d’une réalité courante : celle des « centres de fret » et autres « zones logistiques », dont un exemple remarquable est fourni par la <a href="https://www.saintmartindecrau.fr/Zone-ecopole.html">zone logistique de Saint-Martin-de-Crau</a>, dans les Bouches-du-Rhône, au bord de l’autoroute qui relie Marseille à l’Espagne et à l’Europe du Nord. Dans ce cas, quelques dizaines de grévistes bien placés sur le site bloqueront sans difficulté… une vingtaine de <em>hubs</em> d’entreprises à la fois, voire plus.</p>
<h2>Peur sur la distribution alimentaire</h2>
<p>On parle souvent de la fragilité de la chaîne logistique de l’automobile, apparue au grand jour pendant la <a href="https://theconversation.com/coronavirus-un-revelateur-de-la-fragilite-du-systeme-logistique-mondial-132780">crise de la Covid-19</a> lorsque des approvisionnements en matières et composants ont été interrompus. Pourtant, c’est au niveau de la distribution alimentaire que la vulnérabilité des <em>hubs</em> pourrait avoir les effets les plus importants. En effet, les magasins et <em>drives</em> alimentaires fonctionnent selon une logique de stock zéro, notamment pour améliorer leur performance financière. C’est par conséquent un approvisionnement journalier par un <em>hub</em> (entrepôt ou plate-forme) qui a été mis en place, et il suffit que le <em>hub</em> soit bloqué pour qu’en l’espace de quelques jours, les rayons soient totalement dégarnis, avec les comportements hystériques de certains consommateurs que nous avons connus en <a href="https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2020/03/23/Covid-19-dans-le-monde-la-fievre-du-stockage-et-une-ruee-sur-le-papier-toilette_6034158_4832693.html">2020</a> (les fameuses batailles rangées autour… du papier toilette).</p>
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<p>Un célèbre distributeur alimentaire a connu une telle mésaventure il y a quelques décennies de cela. Un conflit du travail d’une rare intensité a conduit au blocage de l’un de ses <em>hubs</em>, pendant près d’une année, par une trentaine de syndicalistes. Ces militants ont ainsi obligé le distributeur à faire livrer ses magasins du Sud-Est de la France à partir d’un <em>hub</em> déporté, localisé à plusieurs centaines de kilomètres de là. Résultat : une explosion des coûts de livraison qui a entraîné une augmentation des prix de vente des produits et la défection d’une partie importante de la clientèle des magasins. Autrement dit, une trentaine de personnes ont « mis à genoux » l’un des plus puissants distributeurs français, sachant qu’il est loin d’être le seul à avoir connu une <a href="https://www.ouest-france.fr/bretagne/cotes-d-armor/bretagne-la-cgt-menace-de-bloquer-l-approvisionnement-des-magasins-carrefour-f4b3e3f0-955a-11eb-86f2-205af1d9b1c1">telle mésaventure</a>.</p>
<h2>Des gouvernements peuvent plier</h2>
<p>Il est donc fort probable que bloquer les flux est plus efficace que manifester pour atteindre un objectif, qu’il s’agisse de négocier le retrait d’une réforme des retraites ou, hélas, de renverser par la force un régime politique.</p>
<p>Dans un article publié au début des années 1980, <a href="https://www.cairn.info/les-grands-auteurs-en-logistique-et-supply-chain--9782847698770-page-94.htm">Jacques Colin</a>, l’un des penseurs visionnaires de la pensée logistique française, avait évoqué le « syndrome chilien », en rappelant que la chute du président Allende et l’arrivée au pouvoir de la sanglante dictature du général Pinochet trouvaient leur origine dans une grève de transporteurs routiers <a href="https://www.researchgate.net/publication/313861112_Une_greve_insurrectionnelle_a_front_renverse_La_rebellion_de_la_bourgeoisie_chilienne_contre_le_gouvernement_de_Salvador_Allende_en_octobre_1972">(financés par la CIA)</a> qui avait justement bloqué les flux de produits alimentaires à destination de la capitale, en créant un mécontentement violent des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1973/08/18/le-parti-democrate-chretien-soutient-les-transporteurs-routiers-en-greve_2561850_1819218.html">classes moyennes</a>. Comme le notait Jacques Colin, il avait suffi pour cela de placer quelques camions sur un nombre réduit d’axes passants.</p>
<p>Plus près de nous, le mouvement des « gilets jaunes » de 2018 a montré que le blocage de ronds-points pouvait avoir des effets délétères sur les flux de produits, jusqu’à faire plier le gouvernement français quant à l’augmentation programmée du prix des carburants (hausse de la TIPP).</p>
<p>Certes, il fut alors question du <a href="https://www.supplychainmagazine.fr/bibliotheque-numerique/supply-chain-magazine/27/cote-recherche/gilets-jaunes-vers-un-nouveau-modele-de-perturbation-des-chaines-logistiques-551940.php">blocage de plusieurs milliers de ronds-points</a> dans toute la France, ce qui n’est pas simple à organiser. En ce qui concerne la distribution alimentaire, l’ampleur des blocages pour paralyser les flux serait certainement beaucoup plus faible, sans doute de l’ordre d’une centaine de sites en France. En bref, rien à voir avec des foules record qui battent le pavé, et dont l’action ponctuelle d’une journée sera peu comparable à une paralysie durable de <em>hubs</em> risquant de créer des mouvements de panique incontrôlables chez les clients de la distribution alimentaire, et une potentielle menace pour le gouvernement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201002/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Paché ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis le mois de janvier, les manifestations se multiplient contre la réforme des retraites. Mais s’agit-il de la méthode la plus adaptée pour faire plier Emmanuel Macron et son gouvernement ?Gilles Paché, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2012142023-03-06T19:31:20Z2023-03-06T19:31:20ZComment les manifestants sont-ils comptés ?<p>« La manifestation contre la réforme des retraites mardi 31 janvier a rassemblé 2,8 millions de personnes en France, d’après la CGT, qui a également évoqué 500 000 personnes dans le cortège parisien. La police a estimé à 1,2 million le nombre de manifestants dans le pays et 87 000 dans la capitale. Le cabinet indépendant Occurrence n’en a lui dénombré que 55 000 dans les rues de Paris », comme l’a rapporté <a href="https://www.la-croix.com/France/Reforme-retraites-2023-28-millions-manifestants-selon-CGT-prochaines-mobilisations-7-11-fevrier-2023-01-31-1201253174">« La Croix »</a>.</p>
<p>Le conflit social de ce début 2023 donne lieu aux habituelles polémiques sur le comptage des manifestants. Les médias ont pris l’habitude de présenter deux chiffres très éloignés, en miroir, sans plus de commentaire : beaucoup semblent penser vaguement que « la vérité est entre les deux ». Est-il si difficile, dans un pays développé, au début du XXI<sup>e</sup> siècle, de déterminer approximativement combien de personnes ont participé à une manifestation déclarée, prévue et autorisée ?</p>
<h2>Pour la police, le compte est bon</h2>
<p>Tout le monde ne se résigne pas à cette situation. En 2014, une <a href="https://www.huffingtonpost.fr/actualites/article/manifestations-une-commission-pour-ameliorer-le-comptage_45265.html">commission d’étude</a> sur le comptage des manifestants a été mise en place par le Préfet de police de Paris. Elle était constituée par Dominique Schnapper, ancienne membre du Conseil constitutionnel, Pierre Muller, ancien inspecteur général de l’Insee, et Daniel Gaxie, professeur de science politique à Paris.</p>
<p>Ces trois personnalités ont remis leur <a href="https://www.actuel-ce.fr/sites/default/files/article-files/ce/rapportmanifestations31mars15.pdf">rapport</a> en avril 2015. Pour l’essentiel, ce rapport validait les méthodes de comptage de la préfecture de police. La presse nationale y a très largement fait écho à l’époque, et aucune voix ne s’est élevée pour contester cette conclusion. <a href="https://www.liberation.fr/futurs/2015/04/13/et-les-meilleurs-en-comptage-de-manifestants-sont-les-policiers_1240327/"><em>Libération</em></a> a même titré « Et les meilleurs en comptage de manifestants sont… les policiers ». Une expérience menée par des journalistes de <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/121010/paris-mediapart-compte-le-chiffre-qui-fache">Mediapart</a> avait d’ailleurs conclu dans le même sens quelques années auparavant.</p>
<p>Après ce rapport, on aurait pu espérer un changement. Il n’en a rien été, ni en 2016 (manifestations contre la loi Travail), ni en 2017 (rassemblements à l’occasion de l’élection présidentielle). De nouveau, un effort a été entrepris. Fin 2017, un collectif de 80 médias a mandaté un cabinet d’études spécialisé, Occurrence, pour réaliser des estimations du nombre de manifestants dans les cortèges, indépendamment du travail du ministère de l’Intérieur et des comptages des syndicats. Cinq ans après, <a href="https://www.acrimed.org/Occurrence-le-fiasco-du-comptage-independant-des">cette tentative d’arbitrage a fait long feu</a> : les syndicats et les partis de gauche récusent les estimations d’Occurrence, les jugeant trop proches de celles du ministère de l’Intérieur. Retour à la case départ.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/MAjgoB5tVE4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Un collectif de 80 médias a mandaté un cabinet d’études spécialisé, Occurrence, pour réaliser des estimations du nombre de manifestants dans les cortèges.</span></figcaption>
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<h2>Pourquoi cette impasse du comptage ?</h2>
<p>S’agit-il d’un désaccord sur la définition de l’objet à mesurer ? On le sait, tout travail statistique sérieux suppose un effort de définition ; et l’objet « manifestation » n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Les défilés peuvent avoir plusieurs parcours ; certains manifestants peuvent n’en réaliser qu’une partie ou la manifestation peut s’étirer dans le temps.</p>
<p>Mais tout cela ne peut avoir qu’une influence limitée. Délimitée dans le temps et dans l’espace, caractérisée par une intention commune claire des participants, la manifestation classique est un « objet social » bien plus simple que beaucoup d’autres : bien plus simple, par exemple, que les démonstrations des « gilets jaunes » en 2018-2019. Pour définir une manifestation classique, un petit nombre de caractéristiques suffisent, et peuvent faire l’objet d’un accord rapide.</p>
<p>S’agit-il, alors, d’incertitudes dues aux méthodes de mesure ?</p>
<h2>Un problème de méthode ?</h2>
<p>Les méthodes de la préfecture de police de Paris n’ont rien de moderne : selon le rapport de la commission Schnapper, ce sont des fonctionnaires de police, placés en hauteur dans plusieurs locaux en bordure du parcours des cortèges, qui comptent « à vue », manuellement, les rangées qui défilent, pendant toute la durée de la manifestation. Ce travail est recommencé quelques jours après, en bureau, en visionnant des vidéos de l’évènement. Les différents comptages sont confrontés, et une estimation finale est produite et diffusée à la presse.</p>
<p>On connaît très peu les méthodes des syndicats : « nous n’avons pas pour habitude de communiquer sur nos méthodes de comptage » a déclaré par exemple un porte-parole de la CGT au <a href="https://www.letelegramme.fr/economie/retraites/comment-se-deroule-le-comptage-des-manifestants-et-pourquoi-est-il-si-controverse-31-01-2023-13270046.php">Télégramme de Brest</a> après la manifestation du 31 janvier, et <a href="https://www.dailymotion.com/video/x3dp9jo">ce syndicat a refusé d’être entendu par la commission Schnapper en 2014</a>. <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1286120/article/2023-02-01/comptage-des-manifestants-comment-expliquer-les-differentes-estimations">D’autres sources au sein des syndicats</a> affirment que des comptages sont réalisés à partir des moyens de transports – trains et bus – réservés pour amener les groupes de manifestants sur place. Les syndicats font aussi appel à des compteurs qui se placent à des points de passage précis du cortège. Chaque union départementale effectue un comptage et fait ensuite remonter les chiffres au siège national. Mais comment sont prises en compte les données sur les cars ? Comment sont éliminés les double-comptes ? Et surtout, comment un comptage « depuis le sol » peut-il s’appliquer à une foule nombreuse dans une avenue de Paris ?</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Manifestation pour la défense des retraites du 31 janvier 2023" src="https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513675/original/file-20230306-17-kex2vx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La méthode de comptage la plus répandue est simple : se placer en bordure du parcours des cortèges et compter « à vue », manuellement, les rangées qui défilent, pendant toute la durée de la manifestation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/52660732717/in/album-72177720305356181/">Jeanne Menjoulet</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Quant au <a href="http://occurrence.fr/comptage-des-manifestants/">cabinet Occurrence</a>, il a recours à des outils plus modernes de traitement des enregistrements vidéo des cortèges, impliquant un logiciel d’intelligence artificielle ; le principe reste de dénombrer les franchissements de lignes virtuelles dessinées sur le parcours du cortège.</p>
<p>Toutes les méthodes ont certainement leurs qualités et leurs défauts. Pour les apprécier, il faudrait les confronter en détail sur des cas précis, avec la collaboration de toutes les parties. Faute de quoi, on ne peut juger que d’après les résultats et noter que les résultats de l’administration et ceux des bureaux d’étude sont en général proches. Déjà relevée par la commission Schnapper, cette proximité a été confirmée lors de la mise en place de la convention entre le consortium de médias et Occurence en 2017. <a href="http://occurrence.fr/comptage-des-manifestants/">Le 16 novembre 2017</a> a eu lieu une manifestation « contre la politique libérale d’Emmanuel Macron ». Le cabinet Occurrence a alors dénombré 8 250 manifestants. Pour valider cette estimation, cette manifestation a été intégralement filmée par BFM TV puis comptée manuellement, manifestant par manifestant, par 4 équipes séparément : Occurrence, Europe 1, TF1 et <em>Le Monde</em>. Ces recomptages ont validé la méthode de comptage puisqu’ils étaient proches de celui d’Occurrence. Ce jour-là, la police avait dénombré 8 000 manifestants, alors que la CGT en annonçait 40 000.</p>
<h2>Une question de bonne foi ?</h2>
<p>Qu’il s’agisse des conventions de définition, ou des méthodes de dénombrement, rien n’indique qu’une divergence technique puisse expliquer des écarts aussi grands que ceux qui nous sont présentés. Alors, de quoi s’agit-il ?</p>
<p>Revenons aux conditions fondamentales de l’observation. Si l’on veut qu’une observation partagée puisse advenir, il faut que deux conditions soient remplies :</p>
<ul>
<li><p>Il faut admettre l’existence d’une « vérité » indépendante de la volonté des acteurs ;</p></li>
<li><p>Il faut chercher à s’en approcher « de bonne foi » en mettant de côté toute considération politique ou militante.</p></li>
</ul>
<p>Si ces deux conditions sont remplies, les techniciens de la statistique peuvent se mettre au travail ; et alors ils parviennent en général rapidement à se mettre d’accord, au moins sur les ordres de grandeur.</p>
<p>Quand on s’intéresse aux manifestations, ces deux conditions ne sont pas remplies. On ne peut évidemment pas garantir que la plus entière bonne foi règne du côté de l’administration et des bureaux d’études ; mais on doit exprimer des doutes sur celle des syndicats et des voix qui les soutiennent dans cette polémique. Ces derniers critiquent souvent les méthodes du camp opposé, en n’hésitant pas à discréditer les observateurs qui n’arrivent pas aux mêmes résultats qu’eux, en <a href="https://linsoumission.fr/2022/10/17/comptage-cabinet-occurrence/">invoquant leurs appartenances politiques</a>) ou idéologiques, réelles ou supposées mais ne communiquent pas les leurs d’une manière suffisamment détaillée pour en permettre la critique.</p>
<p>En statistique, la confiance se construit par la publicité des définitions et des méthodes, et par le travail en commun des techniciens. Tant que cela manquera dans le domaine du comptage des manifestants, les conflits de chiffres persisteront.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201214/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-François Royer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les manifestations contre la réforme des retraites de ce début 2023 donnent lieu aux habituelles polémiques sur le comptage des manifestants.Jean-François Royer, Statisticien, Société Française de Statistique (SFdS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2002932023-03-05T16:51:25Z2023-03-05T16:51:25ZAu-delà du mouvement social, quel avenir pour les syndicats ?<p>Le recours à l'article 49.3 pour adopter le projet de réformes des retraites pourrait redonner un second souffle aux syndicats après un mouvement social qui semblait ralentir. Dès le 19 février 2023, <a href="https://www.bfmtv.com/replay-emissions/bfm-story-week-end/les-politiques-quand-il-y-a-un-tel-mouvement-social-ils-doivent-soutenir-et-accompagner-ce-mouvement-philippe-martinez-19-02_VN-202302190175.html">Philippe Martinez</a>, le secrétaire général de la CGT, indiquait ainsi vertement que la mobilisation organisée par les syndicats était sociale et qu'elle ne devait rien aux partis politiques. Une adresse faite à l'intention du leader de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, et à ceux qui tentent de « s’approprier ce mouvement social […] et de se substituer aux organisations syndicales ou essaient de se mettre en avant (par rapport à elles et à) ceux qui défilent dans la rue ».</p>
<p>Après la décision d'Emmanuel Macron et d'Elisabeth Borne de passer outre le vote des députés, les syndicats ont donc l'occasion de reprendre la main. A l’Assemblée nationale, le <a href="https://www.mediapart.fr/journal/politique/260223/retraites-derriere-le-fiasco-de-l-assemblee-des-strategies-politiques-deliberees">spectacle offert par les députés a été jugé pitoyable par nombre d’observateurs</a>. Et la réforme, que l'on pensait portée au niveau institutionnel par un axe Emmanuel Macron/Eric Ciotti, a finalement révélé les dissensions entre la majorité et le parti <a href="https://theconversation.com/eric-ciotti-peut-il-rassembler-les-republicains-200754">Les Républicains</a>.</p>
<p>En realité, la mobilisation sociale contre le projet du gouvernement ne s'est pas transformée, au Parlement, en négociation ou recherche de compromis puisque ceux qui négocient n’ont aucun lien ni avec le syndicalisme, ni avec la protestation populaire. Cette dernière est organisée, résolue mais non violente. Elle est structurée par un ensemble d’organisations syndicales qui font preuve d’unité pour la première fois depuis 2010.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/retraites-vers-un-durcissement-du-mouvement-social-pour-faire-reculer-le-gouvernement-199815">Retraites : vers un durcissement du mouvement social pour faire reculer le gouvernement ?</a>
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<p>Il y a là un signe de vitalité démocratique et politique, dont la fragilité ne doit pas être sous-estimée : que restera-t-il de l'unité syndicale une fois la réforme votée, ou au contraire abandonnée ? </p>
<p>Et surtout, le syndicalisme peut-il constituer durablement un acteur décisif sans ancrage renforcé sur le terrain, sans un enracinement plus marqué là où il côtoie et représente les travailleurs au plus près ? C’est d’abord là où l’on travaille qu’il est légalement et pas seulement légitimement actif, reconnu par le droit, où il a des élus, où sa voix est officiellement reconnue.</p>
<h2>De la rue aux entreprises</h2>
<p>L’articulation ici aussi n’est pas évidente. Même si dans les deux cas la mobilisation est organisée par les mêmes acteurs, les syndicats, il n’y a pas une relation automatique et forte entre celle de la « rue », et celle qui peut s’opérer sur les lieux de travail ; entre l’espace d’une pression directement politique, ce qui ne veut pas dire politicienne ou partisane, et celui d’une action sociale prévue par la loi et divers accords et règlements.</p>
<p>Le <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/le-nombre-de-salaries-syndiques-a-nettement-baisse-1903186">taux de syndicalisation en France est faible</a>, et en un demi-siècle, la présence des syndicats sur le terrain, a dans l’ensemble <a href="https://ruedeseine.fr/livre/les-syndicats-peuvent-ils-mourir/">régressé</a>. Ce qui fut un acquis des <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/25-27-mai-1968-les-accords-de-grenelle">négociations de Grenelle en 1968</a>, la création de la section syndicale d’entreprise, actée dans la loi du 27 décembre 1968, n’a pas débouché finalement sur un renforcement du syndicalisme sur les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000317291">lieux de travail</a>.</p>
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<p>Les grèves les plus efficaces se jouent dans quelques secteurs stratégiques, et notamment dans les transports publics. Les chiffres relatifs à la mobilisation contre la réforme des retraites, à la baisse, suggèrent non pas tant une démobilisation que l’idée d’un déplacement : jusqu’ici, le lieu principal de la contestation a pu être un temps non pas celui où l’on travaille, mais « la rue », avant que l’action se déplace, et mette en scène d’autres acteurs – les manifestants ne sont exactement pas la même population que les grévistes, ce ne sont pas nécessairement des syndiqués, ou même des travailleurs, on a pu voir des familles entières défiler, ou des commerçants se préparer à fermer le rideau de fer en guise de participation à l’action.</p>
<p>A partir du 7 mars 2023, les grèves, et donc la capacité de mobilisation syndicale sur les lieux de travail peuvent devenir d’autant plus décisifs qu’à elle seule « la rue » n’empêche pas le pays de fonctionner, l’économie de tourner, ou les écoles d’accueillir les élèves</p>
<h2>Le retour de la « grève par procuration » ?</h2>
<p>En 1995 était apparue à l’occasion de la contestation de la réforme Juppé la notion de <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/le-grand-refus-9782213596990">« grève par procuration »</a> : l’opinion se reconnaissait dans les grèves, sans que les grévistes aient été particulièrement nombreux, il suffisait que leur action, en des secteurs-clés, et surtout dans tout ce qui touche à la mobilité, puisse paralyser le pays avec la bienveillance de la population. Mais les temps ont changé.</p>
<p>La mobilité est perçue par certains comme moins importante, notamment du fait du télétravail alors que pour d’autres, elle est vitale ou décisive, prioritaire, en particulier en régions, quand l’emploi, l’école l’hôpital, et autres services publics, ou bien encore les commerces exigent de se déplacer en voiture.</p>
<p>L’entraver peut désolidariser ceux qui doivent se déplacer ou veulent pouvoir le faire, ne serait-ce que pour prendre leurs congés – <a href="https://www.youtube.com/watch?v=HvWYc8r7Nhk">Philippe Martinez</a> l’a bien perçu et a accepté le choix des syndicats de cheminots de retirer un mot d’ordre de grève un samedi de départs en vacances, « il faut garder un peu de force pour la suite » a-t-il expliqué le 7 février 2023 au micro de RTL.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HvWYc8r7Nhk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Philippe Martinez, secrétaire général de CGT invité par RTL le 7 février 2023.</span></figcaption>
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<p>Les régimes particuliers de retraite sont perçus aujourd’hui plus qu’hier comme injustes, ce qu’indiquent divers <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/emmanuel-macron-president/sondage-exclusif-retraites-les-francais-favorables-a-une-reforme-mais-pas-a-celle-demmanuel-macron-1897646">sondages d’opinion</a>, ils seraient tenus pour des facteurs d’inégalités. Ils ont été construits dans le passé, et si la pénibilité est un enjeu important, et bien compris de l’opinion, elle n’est plus nécessairement celle qui a légitimé ces régimes.</p>
<p>La scène que constituent les lieux de travail n’est donc pas un terrain évident pour la mobilisation syndicale actuelle, et la jonction avec celle qu’offre « la rue » n’est pas évidente.</p>
<p>Certes, <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/invite-rtl-reforme-des-retraites-plus-de-7-000-adhesions-a-la-cfdt-depuis-la-semaine-derniere-annonce-berger-7900230967">Laurent Berger</a>, pour la CFDT, a fait savoir en février 2023 que la contestation avait fait augmenter le nombre de nouvelles adhésions à son syndicat. Ce n’est pas négligeable. Mais un problème de fond demeure : le syndicalisme peut-il être l’opérateur politique de mécontentements généraux – « la rue » – sans se relancer par le bas pour être l’expression de demandes qui naissent dans l’atelier, au bureau, et auxquelles il apporte une capacité de négociation et de traitement local, par entreprises, par branches et éventuellement national et interprofessionnel ?</p>
<h2>Vers un nouveau souffle syndical dans les entreprises ?</h2>
<p>Il y faudrait certainement un souffle nouveau, comme celui qu’apporte la mobilisation actuelle, mais perceptible en interne, dans les entreprises et les administrations ou à l’école, ainsi que des dispositifs qui y soient favorables. Le président <a href="https://ruedeseine.fr/livre/alors-monsieur-macron-heureux/">Emmanuel Macron</a> a toujours fait preuve de grandes réserves, voire de mépris à l’encontre du syndicalisme, même réformiste comme c’est le cas avec la CFDT.</p>
<p>En se donnant à voir comme l’héritier de Le Chapelier, ce député aux États généraux de 1789, président de l’Assemblée constituante qui a voulu la suppression des communautés de métiers et l’a obtenue par la loi de 1791 qui porte son nom, ce qui exercera par la suite un impact historique durable, désastreux pour le syndicalisme jusqu’à nos jours, le chef de l’État n’aidera certainement pas à une revitalisation par le bas de l’action syndicale.</p>
<p>Emmanuel Macron parle, en la visant parmi d’autres, de « corporatisme », une thématique reprise par le ministre du travail <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/288085-olivier-dussopt-gabriel-attal-06022023-plfrss">Olivier Dussopt devant l’Assemblée nationale</a> : « nous avons été élus pour débarrasser les Français des corporatismes, fluidifier la société, assécher les rentes […] Il y a un grand conservatisme des partenaires sociaux ».</p>
<p>Quant au patronat des grandes entreprises, il n’a en aucune façon au cours du conflit actuel donné l’image de la moindre ouverture, il a été peu loquace, favorable à une réforme qui ne lui demande aucun effort particulier, alors qu’il pourrait et devrait jouer un rôle décisif dans l’éventuelle réinvention du dialogue social au niveau des entreprises.</p>
<p>Les syndicats peuvent sortir grandis de la mobilisation de janvier-février 2023. Le syndicalisme apparaît comme une force politique, mais extra-parlementaire. Il est la fierté retrouvée du peuple de gauche, mais à l’extérieur des partis politiques, et il n’est pas sérieux d’envisager de transformer <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/politique/laurent-berger-candidat-a-la-presidentielle-a-gauche-certains-y-croient_AV-202302080335.html">Laurent Berger</a> en futur candidat à la présidence de la République.</p>
<p>Quel que soit l’aboutissement de la mobilisation actuelle, déjà se profile l’étape suivante, qui aurait dû en fait précéder tout projet de réformes sur les retraites : obtenir du pouvoir qu’il prenne la mesure de ce que représente le travail aujourd’hui, et qu’il change réellement de méthode, oubliant la verticalité toute descendante avec laquelle il continue encore de s’exercer, pour accepter et même encourager le fonctionnement des médiations syndicales, en particulier au plus près, dans les entreprises, les administrations, dans l’éducation nationale ou dans la santé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200293/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Que restera-t-il de l’unité syndicale une fois la réforme votée, ou abandonnée ? Surtout, le syndicalisme peut-il constituer durablement un acteur décisif sans ancrage renforcé dans les entreprises ?Michel Wieviorka, Sociologue, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2002072023-02-23T20:33:33Z2023-02-23T20:33:33Z« Manu, tu nous mets 64, on te Mai 68 ! » : ce que les slogans disent de notre histoire sociale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/510946/original/file-20230218-22-ljn0lz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=75%2C137%2C4525%2C2924&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation du 31 janvier 2023. Beaucoup de références à Mai 68 dans les cortèges.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/52660733582/in/album-72177720305356181/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les dernières manifestations et grèves dénonçant le projet de réforme des retraites du gouvernement ont donné lieu à d’importantes mobilisations : si les formes ont été relativement <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/02/19/reforme-des-retraites-a-gauche-et-dans-la-rue-la-tentation-de-la-radicalite_6162433_823448.html">convenues et attendues</a>, encadrées par une <a href="https://theconversation.com/greves-les-syndicats-doivent-ils-durcir-le-mouvement-pour-peser-199815">intersyndicale redynamisée</a>, on a vu aussi apparaître de nombreuses références à Mai 68 dans les cortèges.</p>
<p>Un phénomène qui peut surprendre tant la référence à 68 et plus encore aux « soixante-huitards » a souvent été objet d’ironie voire de lassitude dans les décennies passées. Une illustration de cette sensibilité critique se trouve dans les travaux du <a href="https://www.liberation.fr/debats/2018/02/14/jean-pierre-le-goff-ex-fan-de-68_1629735/">sociologue Jean-Pierre Le Goff</a>. Souvent sollicité par les médias à ce propos, il évoque un <a href="https://www.facebook.com/RTSinfo/videos/jean-pierre-le-goff-il-faut-en-finir-avec-lh%C3%A9ritage-impossible-de-mai-68/978607298969125/">« héritage impossible »</a>.</p>
<p>Son analyse repose sur deux critiques centrales. D’un côté ce qu’on peut appeler « le 68 politique » avec la floraison des <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/06/14/philippe-buton-le-gauchisme-ce-n-est-pas-seulement-l-extreme-gauche-c-est-une-attitude-globale-la-marque-d-une-epoque_6084035_3232.html">groupes gauchistes</a>, qui n’aurait produit que dogmatisme, psalmodies sectaires et propositions politiques aussi radicales qu’inquiétantes. Certes, un mot d’ordre comme « dictature du prolétariat » sonne vétuste ou alarmant. Et la célébration d’une classe ouvrière qui n’aurait guère changé depuis les « Trente glorieuses » – <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/entendez-vous-l-eco/une-histoire-de-la-condition-ouvriere-4833505">telle qu’elle a existé et pesé avant la désindustrialisation de la France</a> semble bien décalée par rapport à la nouvelle génération de travailleurs <a href="https://theconversation.com/plates-formes-lorganisation-syndicale-une-reponse-a-la-desillusion-des-chauffeurs-uber-157515">précaires ou uberisés</a>.</p>
<p>Allant plus loin, Le Goff prend aussi pour cible ce qu’on peut nommer le « gauchisme culturel ». Ce dernier prône et met en pratique une remise en cause des mœurs et rapports hiérarchiques traditionnels, qui a pu participer de ce que Luc Boltanski et Eve Chiapello ont nommé <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Le-nouvel-esprit-du-capitalisme">« la critique artiste »</a>. Il s’agit moins de cibler le capitalisme comme exploiteur que comme aliénant, anesthésiant toute force créative par son obsession de la rationalité et des hiérarchies.</p>
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<figcaption><span class="caption">Luc Boltanski et Eve Chiapello, Mediapart.</span></figcaption>
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<h2>Une vaste anomie sociale ?</h2>
<p>Toujours selon Le Goff, l’esprit de Mai 68 aurait instillé le chaos dans les couples et les familles, disqualifié tout rapport d’autorité, et promu une culture narcissique de l’épanouissement individuel sapant la possibilité même de faire société. Soit, une vaste <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Anomie#cite_note-1">anomie</a> sociale. Le terme désigne une situation dans laquelle les individus sont déboussolés faute de règles claires sur ce qui est propre à un statut, un rôle social, sur ce qu’on peut raisonnablement attendre de l’existence.</p>
<p>Or, si les thèses de Le Goff apparaissent comme une ponctuation de <a href="https://www.persee.fr/doc/socco_1150-1944_1994_num_20_1_1365">trente ans de lectures critiques de Mai 68</a> elles s’inscrivent aussi dans une vision mémorielle dominante de Mai 68. Cette dernière se concentre principalement sur le Mai parisien, la composante étudiante-gauchiste du mouvement et sa dimension idéologique, en occultant la mémoire ouvrière et populaire, celle des huit millions de grévistes.</p>
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<figcaption><span class="caption">Mai 1968, une révolution sociétale ? (INA).</span></figcaption>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mai-68-quand-la-france-se-joignait-aux-convulsions-du-monde-92896">Mai 68, quand la France se joignait aux convulsions du monde</a>
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<h2>La figure négative du « soixante-huitard »</h2>
<p>On peut ajouter qu’à partir des années 1990 a émergé dans les médias, par le biais des récits de fiction et des discours politiques une <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Des-soixante-huitards-ordinaires">figure très négative</a> du « soixante-huitard ».</p>
<p>Ce dernier aurait vite jeté par-dessus bord ses proclamations radicales, fait carrière avec cynisme sans hésiter à piétiner ses concurrents, fort bien réussi dans les univers de la presse, de l’université, de la culture, de la publicité. Daniel Cohn-Bendit, Romain Goupil ou hier André Glucksmann ont été pointé du doigt comme illustrations de telles évolutions. Car le « soixante-huitard » serait aussi un incurable donneur de leçons, s’autorisant de ses reniements pour prêcher aux nouvelles générations la vanité des révolutions et les vertus d’une posture libérale-libertaire.</p>
<p>On retrouvait une part de ces thématiques dans les <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/3339757001014/les-propos-de-nicolas-sarkozy-sur-mai-68">discours de Nicolas Sarkozy</a> ainsi que dans de nombreux articles de presse.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511626/original/file-20230222-18-ocxjwd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">dossier de Technikart (n°47, 2000) se moquant de la figure du soixante-huitard.</span>
<span class="attribution"><span class="source">E.Neveu</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>En témoigne le livre <a href="https://www.babelio.com/livres/Sportes-Maos/39635"><em>Maos</em></a> (2006) de Morgan Sportes dans lequel d’anciens maoïstes devenus sommités du tout Paris culturel crachent leur mépris des classes populaires. Dans un autre registre, l’ancien leader de la « gauche prolétarienne » <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/01/06/serge-july-de-retour-a-liberation_6156896_3234.html">Serge July</a>, devenu rédac-chef de <em>Libération</em> a lui fait office de punching-ball pour bien des critiques.</p>
<h2>Le retour du refoulé</h2>
<p>Le quarantième anniversaire de Mai a vu s’opérer un virage. Il repose largement sur l’investissement des historiens, sociologues et politistes longtemps restés à distance d’un objet trop brûlant.</p>
<p>Le travail sur archives, les <a href="https://theconversation.com/quand-mai-68-secrivait-au-feminin-rencontre-avec-anne-militante-a-19-ans-92895">collectes de récits de vie</a>, l’enquête systématique, ont permis de questionner des pans entiers de la mémoire officielle. Ces chercheurs ont ainsi <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/68_une_histoire_collective_1962_1981-9782348036040">revalorisé l’époque</a> comme celle d’une séquence d’insubordination ouvrière et de conflits du travail.</p>
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<figcaption><span class="caption">Wonder, Mai 68.</span></figcaption>
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<p>Ils ont montré qu’à mesure qu’on s’éloignait des dirigeants, spécialement de ceux consacrés par les médias, le recrutement des groupes gauchistes était largement populaire et petit-bourgeois, non élitiste. Ils ont plus encore permis de constater – à partir du suivi d’effectifs qui chiffrent désormais par milliers de militants – que ni gauchistes, ni féministes de ces années n’avaient abandonné toute forme d’engagement ou abdiqués du <a href="https://www.actes-sud.fr/node/63026">désir de changer la vie</a>. </p>
<p>La plupart ont au contraire massivement <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Des-soixante-huitards-ordinaires">poursuivi des activités militantes</a> dans le syndicalisme, les causes écologiques, la solidarité avec les migrants, l’économie sociale et solidaire, les structures d’éducation populaire, les mouvements comme ATTAC… Ce faisant ces « soixante-huitards » ont côtoyé d’autres générations plus jeunes et sans se borner au rôle d’ancien combattant radoteur, mais en jouant au contraire un rôle de passeurs de savoirs.</p>
<p>De manière contre-intuitive ces travaux ont aussi montré que, si ceux qui avaient acquis des diplômes universitaires ont profité des dynamiques de mobilité sociale ascendante, les militants des années 68 n’avaient pas connu de réussites sociales remarquables. Au contraire, à qualification égales, de par leurs engagements, beaucoup ont exprimé leur répugnance à exercer des fonctions d’autorité quitte à <a href="https://www.revue-etudes.com/article/changer-le-monde-changer-sa-vie-d-olivier-fillieule-19319">entraver</a> les carrières qu’ils avaient pu envisager.</p>
<h2>Un héritage retrouvé</h2>
<p>Que tant de pancartes en manifestations reprennent des slogans phares de 68 peut traduire un sens de la formule. Il est aussi possible d’y voir l’expression d’une réhabilitation. Cette dernière questionne aussi la manière dont une mémoire officielle « prend » ou non, quand elle circule via des supports (essais, magazines d’information, journaux) dont on oublie trop souvent que leur lecture est socialement clivante car faible en milieux populaires.</p>
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<img alt="Les slogans dans les manifestations (ici à Paris le 31 janvier 2023) contre le projet de réforme des retraites s’inspirent consciemment ou non d’un héritage collectif issu de Mai 38" src="https://images.theconversation.com/files/511431/original/file-20230221-22-9ddifm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511431/original/file-20230221-22-9ddifm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511431/original/file-20230221-22-9ddifm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511431/original/file-20230221-22-9ddifm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511431/original/file-20230221-22-9ddifm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511431/original/file-20230221-22-9ddifm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511431/original/file-20230221-22-9ddifm.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les slogans dans les manifestations (ici à Paris le 31 janvier 2023) contre le projet de réforme des retraites s’inspirent consciemment ou non d’un héritage collectif issu de Mai 38.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/52660733067/in/album-72177720305356181/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Il faut donc penser à d’autres vecteurs de circulation d’une autre mémoire, celle des millions d’anonymes qui ont participé à la mobilisation de 68 : <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100611320">propos et souvenirs « privés »</a> ou semi-publics tenus lors de fêtes de famille, de pots de départ en retraite, de réunions syndicales ou associatives.</p>
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<p>Il faut regarder les manuels d’histoire du secondaire rédigés par des auteurs soucieux de faits et non d’audacieuses interprétations, aller du coté des cultures alternatives (romans noirs, rock). Si l’on prend la peine de consulter les <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2008/05/13/01011-20080513FILWWW00232-mai-periode-progres-social-sondage.php">sondages faits tant en 2008 qu’en 2018</a>, on verra que l’image de Mai comme moment d’émancipation sociale et de libération des mœurs est très majoritairement positive, et ce d’abord dans les <a href="https://www.pur-editions.fr/product/2165/l-insubordination-ouvriere-dans-les-annees-68">milieux populaires</a>. </p>
<h2>Résurgences et renouveaux</h2>
<p>Pour rester en partie éclairants, slogans, livres et théories d’il y a un demi-siècle ne donnent pas les clés du présent. Mieux vaut raisonner en termes de résurgences et renouveaux. On peut faire l’hypothèse d’une résurgence de la « vocation d’hétérodoxie » soixante-huitarde, <a href="http://colloque-mai68.ens-lyon.fr/spip.php?article29">théorisée</a> par Boris Gobille, et qui questionnait toutes les formes instituées de la division sociale du travail et du pouvoir.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/17/le-nouveau-conflit-des-generations_6162187_3232.html">On le voit aujourd’hui</a> sur les rapports hommes femmes, la critique de la suffisance des « experts », la revendication de la reconnaissance de celles et ceux des « première et seconde lignes », le refus d’inégalités sans précédent de richesses.</p>
<p>Le renouveau lui s’exprime à travers le sentiment diffus que des formes de conflictualité plus généralisées, plus intenses seraient le seul moyen de vaincre. Comme le soulignait sur ce site Romain Huet, se font jour <a href="https://theconversation.com/a-t-on-atteint-notre-capacite-collective-a-supporter-la-brutalite-du-monde-199736">doutes ou lassitudes</a> quant aux formes routinisées de la protestation.</p>
<p>Autre parfum des années 68 que le constat persistant d’une « société bloquée » que proposait <a href="https://www.babelio.com/livres/Crozier-La-societe-bloquee/274979">alors feu le sociologue Michel Crozier</a>. Si on peut ne partager ni tout le diagnostic, ni les préconisations de cet auteur, il n’était pas sans lucidité sur l’extraordinaire incapacité des élites sociales françaises à écouter, dialoguer, envisager d’autres savoirs.</p>
<p>Vouloir en finir énergiquement avec ce blocage n’est ni romantisme de la révolution, ni vain radicalisme, mais conscience de plus en plus partagée de ce que le système politique français semble être devenu l’un des plus centralisés, hermétique aux tentatives de contre-pouvoirs institutionnels (référendums, syndicats). Il est donc aussi le plus propre à stimuler les désirs d’insurrection et la possibilité de violences.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200207/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Erik Neveu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les retours à la référence de Mai 68 dans les manifestations invitent à réfléchir à la manière dont la mémoire d’un événement varie.Erik Neveu, Sociologue, Université de Rennes 1 - Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2002952023-02-20T17:22:16Z2023-02-20T17:22:16ZAprès les mobilisations, quel sens donner au travail ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511188/original/file-20230220-16-i473nr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C2048%2C1361&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les mobilisations contre le projet de réforme des retraites mettent aussi en exergue un autre rapport au travail au coeur de la société française.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/52637319993/in/album-72177720305356181/">Jeanne Menjoulet/Flickr </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les débats autour du projet de loi sur la réforme des retraites ont entraîné d’importantes discussions <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-la-difficile-prise-en-compte-de-la-penibilite-du-travail-130263">sur la pénibilité</a>, les inégalités des femmes et des hommes, l’emploi des seniors, ainsi que sur le travail : son contenu et son sens, au-delà du terme contestable <a href="https://aoc.media/opinion/2023/01/23/les-quiproquo-de-la-valeur-travail/">« de valeur »</a>.</p>
<p>Le travail semble ainsi être revenu au centre de l’action syndicale et des nouvelles dynamiques <a href="https://theconversation.com/greves-les-syndicats-doivent-ils-durcir-le-mouvement-pour-peser-199815">que l’on observe</a> depuis plusieurs jours et qui pourraient prendre de l’ampleur lors de la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/attendre-le-7-mars-pour-faire-greve-pas-une-mauvaise-idee-si-l-on-en-croit-l-histoire-2781187">journée de mobilisation du 7 mars</a>.</p>
<p>Au-delà de la mobilisation, le sens même de ce que le travail représente pourrait connaître un tournant, après des décennies de contestations ouvrières et syndicales.</p>
<h2>Une rupture avec l’histoire ouvrière</h2>
<p>Tout au long de l’ère industrielle, le travail a été en France au cœur du conflit opposant le mouvement ouvrier aux maîtres des organisations. Les travailleurs les plus qualifiés apportaient leur créativité, un savoir-faire ils étaient porteurs d’une <a href="https://theconversation.com/le-beau-travail-une-revendication-ouvriere-trop-souvent-oubliee-173446">conscience fière</a>. Ces derniers étaient les héritiers des ouvriers de métier, qui, avant le <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/270751-quest-ce-que-le-taylorisme">taylorisme</a>, étaient seuls à pouvoir faire ce qu’ils faisaient, tels des artisans. Les patrons étaient alors perçus comme des intermédiaires inutiles entre eux-mêmes et le marché.</p>
<p>Les travailleurs non qualifiés étaient pour leur part porteurs d’une conscience prolétarienne, ils apportaient leur force de travail. Ceux qu’on appelle les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ouvrier#Sociologie">ouvriers spécialisés</a> (OS) étaient les héritiers des manœuvres, dont les tâches étaient purement physiques. Le passage au taylorisme a signifié ppur eux aliénation et exploitation maximale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Grèves dans les usines Renault, 1947, INA.</span></figcaption>
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<p>Le mouvement ouvrier n’a jamais été aussi puissant que dans les grandes entreprises taylorisées, dont les usines Renault furent le symbole durant plusieurs années. Alain Touraine <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-conscience-ouvriere-alain-touraine/9782020026963">l’avait montré dès les années 60</a>, et nous en avons eu confirmation ensemble <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/le-mouvement-ouvrier-9782213013619">dans une vaste recherche publiée en 1984</a>.</p>
<h2>Remplacer un carreau cassé, sauver l’emploi</h2>
<p>La conscience ouvrière a longtemps animé des luttes diverses – obtenir de meilleurs salaires, tenter de peser sur la législation pour qu’elle soit plus favorable aux travailleurs, sauver l’emploi, trouver un travail à un camarade chômeur.</p>
<p>Dans cette perspective, un bon syndicaliste savait assurer la remontée de demandes modestes et très localisées, comme exiger et obtenir le remplacement d’un carreau cassé dans le vestiaire mais aussi faire valoir un haut niveau de projet, incarner le désir des ouvriers de diriger l’historicité.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Le Dîner de l’ouvrier. Huile sur toile de Francesco Sardà Ladico (1877-1912). Exposé au Musée National d’Art de Catalogne, à Barcelone" src="https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511133/original/file-20230220-16-r28jt8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le Dîner de l’ouvrier. Huile sur toile de Francesco Sardà Ladico (1877-1912). Exposé au Musée National d’Art de Catalogne, à Barcelone.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Le_Diner_de_louvrier_-_Francesc_Sard%C3%A0_Ladico.jpg?uselang=fr">Francesco Sardà Ladico/Wikimedia</a></span>
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<p>Ce qui fondait cette conviction, c’était le travail effectué, une conviction qui remonte aux tous débuts du mouvement ouvrier, que l’on retrouve dans le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/fernand-pelloutier-et-les-origines-du-syndicalisme-d-action-directe-jacques-julliard/9782020026710">syndicalisme d’action directe</a>.</p>
<h2>Visées politiques du travail</h2>
<p>Le travail était aussi indissociable d’améliorations du quotidien que de visées politiques. Ces dernières culminaient avec la perspective de voir les travailleurs ou leurs représentants s’approprier le pouvoir d’État, que ce soit de façon convulsive, par la Révolution, par la grève générale, au cœur de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ApQIY2LuGyo">l’anarcho-syndicalisme du début du XXᵉ siècle</a>, ou par une action sur la longue durée, de type social-démocrate.</p>
<p>Le travail, de l’atelier ou du bureau jusqu’à l’État, fondait une action collective de haut niveau de projet, avec ses espoirs, ses utopies, et ses formes d’organisation, à commencer par les syndicats. La figure centrale de l’ouvrier d’industrie incarnait cette action par laquelle, disait Marx, le <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/proletariat-et-proletarisation/">prolétariat en se « libérant »</a> libérera la société tout entière. C’est pourquoi d’autres acteurs se réclamaient de sa lutte, qui donnait son sens à leur propre action – paysans, enseignants par exemple.</p>
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<img alt="Manif des ouvriers de la SNIAS (aérospatiale) (1974)" src="https://images.theconversation.com/files/511191/original/file-20230220-28-wj8b68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511191/original/file-20230220-28-wj8b68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511191/original/file-20230220-28-wj8b68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511191/original/file-20230220-28-wj8b68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511191/original/file-20230220-28-wj8b68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511191/original/file-20230220-28-wj8b68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511191/original/file-20230220-28-wj8b68.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manif des ouvriers de la SNIAS (aérospatiale) (1974).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:24.9.74._Manif_des_ouvriers_de_la_SNIAS_%28a%C3%A9rospatiale%29_%281974%29_-_53Fi5269.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Cette période historique est derrière nous, d’autant que les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/02/17/le-nouveau-conflit-des-generations_6162187_3232.html">nouvelles mobilisations</a> féministes, éthiques, antiracistes, ou sur le changement climatique et l’environnement paraissent éloignées de celles qui mettent le travail au centre, ce qui a pu contribuer à relativiser cet enjeu dans les luttes.</p>
<p>Et ce, d’autant plus que depuis les années 80’, le <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/sociologie_des_syndicats-9782707170125">syndicalisme s’est affaibli</a> comme <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/57f40cb98d31fd9bc9422a9a0bd005a8/L%C3%A9ger%20repli%20de%20la%20syndicalisation%20en%20France%20entre%202013%20et%202019%20dans%20quelles%20activit%C3%A9s%20et%20pour%20quelles%20cat%C3%A9gories%20de%20salari%C3%A9s.pdf">l’indiquent différentes études</a> montrant un repli du nombre de syndiqués, y compris dans la fonction publique.</p>
<h2>De nouvelles contestations</h2>
<p>Si les revendications sociétales intègrent parfois d’autres enjeux liés au travail, on constate aussi que de nouvelles formes de contestations émergent, liées au revenu, au niveau de vie, à la fin du mois. Ces dernières sont portées par des acteurs qui ne se réclament que peu du travail proprement dit et qui sont éloignés des espaces classiques où ce dernier nourrit l’action syndicale.</p>
<p>Ainsi les « gilets jaunes » étaient distants de l’univers de l’entreprise et <a href="https://theconversation.com/la-fin-du-syndicalisme-vivant-106759">ignoraient les syndicats</a>, leurs revendications ne pouvaient pas à leurs yeux être portées par eux, ne serait-ce qu’en raison de leur faiblesse ou de leur absence dans bien des secteurs ayant fortement suscité la <a href="https://theconversation.com/les-gilets-jaunes-sursaut-dun-nouvel-engagement-107213">mobilisation des ronds-points</a>.</p>
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<p>Toute sorte de figures incarnent désormais l’injustice sociale et la pénibilité du travail – la caissière de supermarché, le <a href="https://theconversation.com/les-livreurs-de-plateformes-en-quete-de-protection-sociale-168962">livreur</a>, l’aide-soignante, <a href="https://theconversation.com/travailler-plus-longtemps-mais-dans-quel-etat-le-cas-des-eboueurs-198888">l’éboueur</a>, etc. Une grande partie d’entre elles sont aussi peu syndiquées du fait d’un nouveau système <a href="https://theconversation.com/linstabilite-des-revenus-une-source-de-mal-etre-de-plus-en-plus-repandue-198551">d’emplois précaires</a> directement liés au <a href="https://theconversation.com/uberisation-turc-mecanique-economie-a-la-demande-ou-va-le-capitalisme-de-plateforme-64150">capitalisme de plate-forme</a>.</p>
<p>Cela a été souligné avec la pandémie. Pour d’autres, parfois aussi les mêmes, le problème n’est pas tant l’exploitation, que la reconnaissance, ce qui a été au cœur de l’enquête d’une <a href="http://cadis.ehess.fr/index.php?2467">enquête collective</a>. Les demandes de reconnaissance sont individuelles, portées par une <a href="https://wieviorka.hypotheses.org/359">subjectivité déçue ou malmenée</a> mais ne deviennent pas pour autant la source d’une contestation collective pouvant s’élever jusqu’à des utopies ou des projets de prise du pouvoir d’État.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/emploi-teletravail-et-conditions-de-travail-les-femmes-ont-perdu-a-tous-les-niveaux-pendant-le-covid-19-141230">Emploi, télétravail et conditions de travail : les femmes ont perdu à tous les niveaux pendant le Covid-19</a>
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<h2>Le travail, porte d’entrée d’enjeux plus larges</h2>
<p>Les syndicats qui rejettent aujourd’hui la réforme des retraites du gouvernement ne prétendent pas diriger la société, ils ne visent pas le pouvoir d’État au nom de leur apport par le travail. S’ils continuent à lui conférer un sens, à y voir une voie de possible réalisation de soi, celle-ci est désormais <a href="https://theconversation.com/travailler-oui-mais-pour-pouvoir-aussi-se-realiser-en-dehors-199613">comme encapsulée dans des enjeux plus larges</a>. Le travail n’est plus, pour beaucoup, qu’un élément d’une existence qui comporte aussi la famille, les amis, les loisirs, les vacances, mais aussi des engagements, associatifs ou autres. S’il demeure, pour certains, source d’émancipation, de libération, de réalisation de soi, il est pour d’autres avant tout pénible, ennuyeux, sans intérêt ou associé aux pires images de l’exploitation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511189/original/file-20230220-26-639p4t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511189/original/file-20230220-26-639p4t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511189/original/file-20230220-26-639p4t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511189/original/file-20230220-26-639p4t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511189/original/file-20230220-26-639p4t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511189/original/file-20230220-26-639p4t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511189/original/file-20230220-26-639p4t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation pour la défense des retraites du 31 janvier 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/52661723993/in/album-72177720305356181/">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Et si le télétravail autorise une meilleure articulation de la vie personnelle et du travail, il affaiblit aussi la socialisation qu’apportent les relations interpersonnelles dans l’entreprise ou l’administration. Rappelons aussi que le travail à distance est interdit à ceux que la pandémie du Covid-19 et le confinement ont <a href="https://blog.insee.fr/qui-sont-les-travailleurs-essentiels/">mis en première ligne</a>. Aujourd’hui, ceux qui se mobilisent pour les retraites veulent aussi profiter de ce temps libre, plus qu’ils ne rêvent de « lendemains qui chantent » et de pouvoir politique.</p>
<p>S’il n’est plus possible de faire du travail le cœur unique des grandes mobilisations sociales, il n’est pas pour autant possible de le rejeter dans le non-sens ni même d’en faire un enjeu secondaire.</p>
<p>Il demeure indissociable du lien social dans une société où celui-ci procède aussi d’autres thématiques – le réchauffement climatique, l’éthique sur les questions de vie et de mort, les relations entre générations, l’égalité des femmes et des hommes, etc. La forte mobilisation contre le projet de réforme sur les retraites en témoigne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200295/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le travail est revenu au centre de l’action syndicale depuis les mobilisations de janvier 2023 contre la réforme des retraites mais son sens semble avoir changé.Michel Wieviorka, Sociologue, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1986362023-01-30T19:06:52Z2023-01-30T19:06:52ZLes grèves en France : un impact limité sur l’économie depuis 50 ans<p>Le 19 janvier dernier, entre <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/greve/un-acquis-a-defendre-partout-en-france-manifestations-d-ampleur-contre-la-reforme-des-retraites-94017fbe-982c-11ed-ab80-3e6a8899576a">1,12 et 2 millions de Français ont manifesté</a> sur tout le territoire contre le projet de réforme des retraites du gouvernement et une nouvelle journée d’action est prévue le <a href="https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/ecoles-transports-raffineries-qui-fera-greve-le-31-janvier-prochain_AN-202301240319.html">mardi 31 janvier</a>. Ces grèves auront-elles des répercussions sur l’économie en général et les entreprises en particulier dans un contexte déjà marqué par une inflation élevée et une croissance en berne ?</p>
<p>Dans une perspective historique, la recherche montre que, si l’économie peut enregistrer des pertes à court terme, les grèves nuisent peu à la croissance à long terme.</p>
<p>Déjà, il faut noter que le nombre de jours de grèves pour 1 000 salariés a drastiquement diminué depuis 1970 et que la croissance a connu des trajectoires bien distinctes, comme l’illustrent les figures ci-dessous :</p>
<p><iframe id="Vyy8L" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Vyy8L/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="ofK9V" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ofK9V/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Au global, l’impact économique des grèves reste donc le plus souvent circonscrit à la période de mobilisation et les pertes enregistrées sont généralement vite compensées les mois suivants. D’un point de vue macro-économique, l’impact va en réalité dépendre de l’ampleur et de la durée des conflits.</p>
<p>À titre illustratif, l’impact des grèves de novembre 1995 contre le plan Juppé et sa réforme des retraites a été inférieur à <a href="https://data.oecd.org/fr/gdp/pib-trimestriel.htm">0,2 point de perte de croissance du PIB au niveau national sur le quatrième trimestre</a> de l’année alors que le mouvement social a duré trois semaines.</p>
<p><iframe id="2cRvq" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/2cRvq/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Quant au mouvement social de novembre 2007 contre la réforme des régimes spéciaux de retraite, il a mobilisé <a href="https://www.lexpress.fr/economie/mobilisation-massive-contre-la-reforme-des-regimes-speciaux_1414088.html">davantage de personnes qu’en 1995</a> mais n’a duré que 10 jours, engendrant un recul d’environ 0,2 point de PIB totalement compensé par la suite.</p>
<p><iframe id="1yyN5" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/1yyN5/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Autrement dit, si l’on constate un recul de la consommation des ménages et un ralentissement de l’activité de certaines entreprises au moment de la grève, cet effet n’est pas durable dans le temps.</p>
<h2>Les investisseurs étrangers toujours aussi présents</h2>
<p>Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les mouvements sociaux ne nuisent en outre que très peu à l’attractivité de la France aux yeux des investisseurs étrangers. L’observation simultanée de l’évolution des grèves et des flux d’IDE entrants (investissements directs étrangers) sur de longues périodes montre que les montants ne sont pas proportionnément plus faibles que ceux observés dans des pays dix ou vingt fois moins enclins à la grève comme l’Allemagne ou l’Espagne.</p>
<p>Par exemple, la forte mobilisation de 2010 contre la réforme des retraites portée par Éric Woerth qui avait conduit plus d’un million de personnes dans la rue ne s’est pas traduite par un recul durable de l’investissement étranger en France, comme en témoignent les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) : les flux entrants d’investissements étrangers s’élevaient à environ 14 milliards de dollars en 2010 pour atteindre près de <a href="https://data.oecd.org/fr/fdi/flux-d-ide.htm">32 milliards l’année suivante et 34 milliards en 2012</a>.</p>
<p><iframe id="6bt5C" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/6bt5C/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En revanche, les effets des grèves se ressentent plus fortement au niveau des entreprises qui peuvent subir des pertes sèches lorsque ces grèves les concernent directement, comme c’est le cas parfois dans l’industrie et le transport. Mais qu’en est-il exactement ? Quelles sont les répercussions des grèves sur les entreprises, notamment sur leurs résultats économiques ?</p>
<h2>Les entreprises fragilisées</h2>
<p>Les grèves peuvent fragiliser les performances économiques des entreprises de plusieurs façons. Tout d’abord, les grèves entraînent directement des perturbations dans les entreprises qui y sont confrontées. En effet, les cessations concertées du travail par les salariés d’une entreprise ont des répercussions directes sur sa production et par conséquent sur ses résultats économiques. Les entreprises du transport, par exemple, subissent régulièrement des mouvements de grèves qui affectent directement leurs résultats économiques. En octobre 2018, par exemple, les grèves qui ont touché les secteurs du rail et de l’aérien, ont réduit de presque <a href="https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/sites/default/files/2018-11/datalab-essentiel-154-conjoncture-transports-2018-t2-octobre2018.pdf">2 % le volume de la production marchande de transport</a> et notamment le transport de voyageurs (-6,5 %).</p>
<p>Plus spécifiquement, les 15 jours de grève à Air France ont coûté près de <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/greve-a-air-france/les-greves-du-printemps-ont-coute-335-millions-d-euros-a-air-france_2876331.html">335 millions d’euros</a> à la compagnie aérienne. Par ailleurs, les grèves peuvent également perturber certaines infrastructures comme les dépôts de carburants, le réseau ferroviaire ou encore les ports provoquant des difficultés d’approvisionnement et affectant indirectement toutes les entreprises.</p>
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<p>Les grèves dans les raffineries, au mois d’octobre dernier, ont fait <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/serie/010537946">chuter la production industrielle de 2,1 %</a> selon les chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee). Tous les secteurs d’activité ont d’ailleurs parallèlement enregistré un recul de leur activité. Au-delà du secteur industriel, les mouvements sociaux dans le secteur du transport (SNCF, RATP, Air France…) <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/les-greves-ont-mis-sous-pression-lhotellerie-restauration-parisienne-1160136">fragilisent souvent l’ensemble des activités liées au tourisme</a> comme l’hôtellerie-restauration, l’artisanat et le commerce.</p>
<p>Enfin, l’activité des entreprises peut être affectée par la mise en place de pratiques de travail plus restrictives ou à des revalorisations salariales en réponse aux revendications portées par les grévistes. C’est le cas lorsque la grève aboutit à des accords finançant des frais de personnel qui ne sont pas toujours compensés par des gains de productivité.</p>
<p>Dans un contexte marqué par une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/inflation-28219">inflation</a> élevée, on assiste d’ailleurs depuis plusieurs mois à une montée des revendications salariales dans de nombreuses entreprises. En octobre dernier, par exemple, la confédération générale du travail (CGT) a lancé un appel à la grève chez Geodis (une filiale de la SNCF) afin d’exiger un meilleur partage des richesses en réclamant une <a href="https://www.cgt.fr/actualites/france/interprofessionnel/mobilisation/les-mouvements-de-greves-pour-les-salaires-setendent">hausse des salaires</a>, une revalorisation des primes ainsi qu’un rattrapage pour les bas revenus. Un <a href="https://www.lefigaro.fr/conjoncture/plateforme-geodis-a-gennevilliers-la-greve-levee-apres-un-accord-avec-la-direction-20221118">accord</a> a finalement été trouvé avec la direction.</p>
<p>Le recours à la grève s’est toutefois beaucoup affaibli ces dernières années et ses effets sont certainement moins marquants qu’auparavant. Les spécialistes avancent plusieurs explications. La stabilisation du <a href="https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/infographies-la-france-est-l-un-des-pays-les-moins-syndiques-de-l-union-europeenne_AN-201912040124.html">taux de syndicalisation</a> à l’un des plus bas niveaux en Europe, les transformations du monde du travail avec la tertiarisation puis l’ubérisation de l’économie, la montée du chômage, le coût financier que cela peut représenter pour les grévistes et… le <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/reforme-des-retraites-le-teletravail-va-t-il-attenuer-les-effets-de-la-greve-948243.html">télétravail</a>, qui évite notamment les désagréments dans les transports et réduit de facto l’impact de la grève sur l’opinion.</p>
<p>Cependant, le politologue Tristan Haute nuance cette idée : en effet, si les télétravailleurs peuvent être régulièrement isolés de leur collectif de travail, il n’en demeure pas moins qu’ils <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologies-pratiques-2021-2-page-63.htm">participent autant que les autres aux actions collectives</a> lorsqu’elles se présentent.</p>
<h2>La grève rend-elle plus productif ?</h2>
<p>Cela étant, la grève peut aussi être considérée comme une forme d’expression visible d’un manque de coopération. Les grèves seraient des manifestations extérieures d’un malaise qui se traduirait dans l’entreprise par un faible moral des salariés, des taux élevés d’absentéisme, des refus de coopérer volontairement avec l’employeur, etc. Dans cette perspective, la grève peut présenter un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1467-8543.1989.tb00345.x">effet positif sur la productivité du travail</a> en permettant de résoudre certains conflits, ce qui permettrait d’<a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/001979399204600112">améliorer le moral des salariés et leur coopération</a>.</p>
<p>Contrairement aux options d’« exit » temporaire (absentéisme, sabotage, indiscipline, etc.) ou permanent (démissions), l’expression des salariés serait associée à des niveaux plus élevés de satisfaction et d’investissement dans le travail.</p>
<p>L’économiste Jérémy Tanguy constate ainsi un <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2015-6-page-857.htm">effet non linéaire</a> des grèves sur la productivité du travail : en France, les mouvement sociaux ont d’abord un effet positif puis décroissant, voire négatif, au-delà d’un certain nombre de grèves dans l’entreprise (qu’il évalue à 5 par an). Selon le chercheur :</p>
<blockquote>
<p>« Cet effet positif d’une fréquence modérée des grèves sur la productivité du travail peut s’interpréter à travers leur rôle dans l’apport d’un mécanisme d’expression collective, supposé bénéfique pour la coopération et l’effort des salariés dans l’entreprise. »</p>
</blockquote>
<p>Ces premiers résultats dans le contexte français, rares dans la littérature scientifique, nécessiteraient à présent d’être approfondis et analysés dans un temps plus long.</p>
<p>En définitive, les grèves ont des effets limités sur la croissance économique car l’activité perdue est rattrapée rapidement dans les mois qui suivent les cessations de travail. La situation est différente au niveau microéconomique où certaines entreprises peuvent subir des pertes économiques sérieuses. Cependant, contrairement aux idées reçues, les conséquences des grèves sur la productivité des entreprises ne sont pas systématiquement négatives.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198636/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patrice Laroche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le nombre de journées non travaillées a globalement évolué de manière indépendante de la croissance ou du volume d’investissements étrangers en France depuis les années 1970.Patrice Laroche, Professeur des Universités en sciences de gestion, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1980832023-01-18T18:12:16Z2023-01-18T18:12:16ZRetraites : comment la réforme incarne le bras de fer entre le pouvoir et la rue<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/505184/original/file-20230118-17-c507me.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C15%2C2048%2C1345&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation contre le projet de réforme des retraites du 17 décembre 2019.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/49267694403/in/photolist-2i4BP5X-2hkmeFN-2iV1Gdd-2jq4czZ-2ipYw5F-29XUhHN-2ifXKwT-2jaFrMD-2ifXKji-2mbduB7-2i1DS6a-2i7NTwf-2iYkWzj-2jcGmqN-2icBFoW-2itijEA-2hkjom9-2ivDGrF-2ivCw4C-2i4BRJQ-2ijuztq-2jcF1Fi-2hXF6FL-2icAD1W-2mbiC8U-2i4Fd6Q-2ijvJ5H-2hkmZgz-2idP4C3-2i6pcUr-2iXcLdi-2i1Gfb6-2itfMqH-2jneNez-2mb9ELj-2jcmG7R-25N6FQa-2icygJt-2ivDGsC-2fKCrjH-2iakGcY-KeF7XZ-2ijvJ9f-2mbiC9F-2itijFx-2mbduBT-2jaBuSa-2jaBuUu-2jaEbg9-2hXCzuV">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>La réforme des retraites est l’un des enjeux majeurs du second quinquennat d’Emmanuel Macron, qui aspire à être le président qui réglera un dossier ouvert dès le début des années 1990. Lors de la campagne présidentielle de 2022, il s’était d’ailleurs <a href="https://avecvous.fr/wp-content/uploads/2022/03/Emmanuel-Macron-Avec-Vous-24-pages.pdf">engagé</a> à faire aboutir une <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-par-quels-moyens-legislatifs-le-gouvernement-peut-il-la-faire-adopter-197929">réforme</a> dont il avait dû reporter l’adoption début 2020, sous la double pression de la rue et de la crise Covid.</p>
<p>Il s’engage ainsi <a href="https://theconversation.com/la-reelection-demmanuel-macron-une-victoire-en-trompe-loeil-181841">dans un bras de fer</a> avec les organisations syndicales, dont la mobilisation commence le jeudi 19 janvier 2023 par un appel intersyndical à la manifestation et à la grève.</p>
<p>Si le souvenir du mouvement de <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000165/manifestations-contre-le-plan-juppe.html">novembre-décembre 1995</a> contre le « plan Juppé » est dans tous les esprits, le contexte politique et social a radicalement changé et contribue à modifier le rapport de forces entre le pouvoir et la rue.</p>
<p>Les grandes manifestations de 1995 constituent un tournant dans l’histoire des mobilisations sociales en France. Jusqu’alors, les grands mouvements sociaux visaient à <a href="https://editions.flammarion.com/le-pouvoir-est-dans-la-rue/9782081511019">obtenir des acquis sociaux</a>, comme en mai-juin 1936, voire à défendre l’utopie d’une nouvelle société, comme en mai 1968.</p>
<p>À partir des années 1970, la crise économique, l’attention portée par les gouvernements successifs à la question sociale, la montée de l’individualisme, le déclin du communisme et la dilution de l’identité ouvrière affaiblissent les <a href="https://journals.openedition.org/lectures/2139">mouvements revendicatifs</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/etats-unis-royaume-uni-espagne-quelles-perspectives-pour-laction-syndicale-dans-le-monde-en-2023-197665">États-Unis, Royaume-Uni, Espagne… Quelles perspectives pour l’action syndicale dans le monde en 2023 ?</a>
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<h2>La jeunesse aux avant-poste de la contestation</h2>
<p>Les organisations syndicales adoptent alors une position plus défensive. De fait, c’est plutôt la jeunesse lycéenne et étudiante qui est promue aux avant-poste de la contestation, en <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000391/la-mobilisation-lyceenne-contre-la-loi-debre-en-1973.html">1973 contre la loi Debré</a>), en 1986 contre la loi Devaquet <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2017-2-page-115.htm">réformant l’Université</a> ou encore en 1994 contre le Contrat d’insertion professionnelle proposé par le gouvernement d’Édouard Balladur et présenté comme un <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/cac94041139/dossier-la-victoire-des-jeunescip-histoire-d-un-fiasco">« smic jeunes »</a>. À chaque fois, le pouvoir est contraint d’abandonner son projet de réforme.</p>
<p>Le même Édouard Balladur avait fait adopter une première réforme des retraites, en juillet 1993, sans susciter de contestation frontale. Il avait, il est vrai, pris de multiples précautions : la réforme a été présentée dans la foulée de la très large victoire de la droite aux législatives de 1993, en plein milieu de l’été ; elle s’appuyait sur les recommandations du Livre blanc sur les retraites qui, publié deux ans plus tôt, a suscité une première prise de conscience collective de la <a href="https://www.vie-publique.fr/rapport/32284-livre-blanc-sur-les-retraites">nécessité d’une réforme</a> ; elle concernait les seuls salariés du secteur privé.</p>
<p>Deux ans plus tard, le Premier ministre Alain Juppé adopte une tout autre méthode pour présenter sa réforme, qui étend aux salariés du secteur public les dispositions de la loi de 1993. Comme son prédécesseur, il pensait sans doute profiter de l’état de grâce dont bénéficie traditionnellement un gouvernement en début de mandat, après l’élection présidentielle gagnée en mai 1995 par Jacques Chirac.</p>
<p>Mais cette réforme semble en décalage par rapport à la campagne du candidat Chirac, centrée sur la <a href="https://www.cairn.info/la-fracture-sociale--9782130520696-page-5.htm">« fracture sociale »</a>. L’annonce du plan Juppé confirme ainsi, aux yeux de l’opinion, un changement de discours opéré dès la fin de l’été 1995 : la priorité est désormais à la <a href="https://www.elysee.fr/jacques-chirac/1995/10/26/interview-de-m-jacques-chirac-president-de-la-republique-a-france-2-le-26-octobre-1995-sur-la-priorite-a-la-reduction-des-deficits-publics-et-a-la-maitrise-des-depenses-de-sante-et-sur-la-lutte-contre-lexclusion-sociale">réduction des déficits publics</a>.</p>
<h2>Front commun à gauche</h2>
<p>À la réforme des retraites s’ajoutent à l’époque une réforme de l’assurance maladie, le blocage du montant de certaines prestations sociales et l’annonce d’un plan de rigueur à la SNCF. Cette accumulation sonne comme une provocation pour les organisations syndicales, mais aussi pour une majorité de l’opinion publique qui soutient la contestation. Un mouvement de grève touche l’ensemble du secteur public – notamment le transport –, scandé par six grandes journées nationales de mobilisation dont la dernière, le 12 décembre, <a href="https://www.persee.fr/doc/genre_1165-3558_1997_num_18_1_1012">regroupe près de 2 millions de personnes selon les syndicats</a>.</p>
<p>Jamais, depuis mai 68, un mouvement social n’avait mobilisé autant de salariés sur une durée aussi longue : un <a href="https://www.persee.fr/doc/espat_0339-3267_1997_num_64_1_4010">mois</a>.</p>
<p>L’opposition de gauche, jusqu’alors désarçonnée par la fin du <a href="https://www.cairn.info/histoire-des-gauches-en-france--9782707147370-page-275.htm">mitterrandisme</a>, voit là une occasion inespérée de reprendre l’offensive. Les intellectuels se déchirent entre ceux qui, derrière Pierre Bourdieu, dénoncent <a href="https://www.politika.io/fr/article/bourdieu-greves-1995">l’avènement d’un néo-libéralisme défendu par la noblesse d’État</a> et ceux qui, derrière l’historien et syndicaliste Jacques Julliard, voient dans ces manifestations le symptôme d’une stérile <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-annee-des-dupes-journal-1995-jacques-julliard/9782020247573">« mélancolie sociale »</a>.</p>
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<p>Cette épreuve de force tourne à l’avantage de la rue, qui bénéficie du soutien de l’opinion – à tel point que les médias ont pu parler de <a href="https://www.lesinrocks.com/actu/reforme-des-retraites-pourquoi-la-mobilisation-sociale-de-1995-reste-lune-des-grandes-victoires-du-mouvement-syndical-192793-09-12-2019/">« grève par procuration »</a>. Le 15 décembre 1995, Alain Juppé en prend acte et retire le projet de réforme des retraites. Cet échec affaiblit l’exécutif dès le début du septennat. Il peut d’ailleurs être considéré comme l’un des facteurs de la défaite électorale de la droite aux législatives provoquées par la <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/21-avril-1997-le-president-jacques-chirac-annonce-la-dissolution-de-l-assemblee-nationale">dissolution de l’Assemblée nationale de 1997</a>.</p>
<h2>Prudence politique</h2>
<p>Comme le souvenir de Mai 68 a alimenté, au sein de la classe politique, une véritable phobie des mouvements étudiants, la grève de 1995 et l’échec du plan Juppé ont accrédité l’idée que la réforme des retraites présentait de hauts risques politiques. C’est sans doute ce qui explique l’extrême prudence avec laquelle les gouvernements successifs abordent désormais le sujet.</p>
<p>En 2003, toujours sous la présidence Chirac, c’est significativement le ministre des Affaires sociales, François Fillon, et non le premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, qui porte une réforme des retraites tout en se gardant bien de toucher aux régimes spéciaux. Il fait alors face à un <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000488/la-reforme-des-retraites-en-2003.html">important mouvement de grève</a>, qui parvient à <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2003/05/14/mobilisation-massive-du-13-mai-lendemains-de-greve-incertains_320034_1819218.html">mobiliser près d’1 million de personnes</a>. Mais les organisations syndicales ne sont pas soutenues, comme en 1995, par l’opinion publique – et Fillon peut donc faire voter sa réforme.</p>
<p>À l’automne 2007, quelques mois seulement après son élection à la présidence de la République, Nicolas Sarkozy présente un projet portant à 40 annuités également la durée de cotisation pour les bénéficiaires des régimes spéciaux. C’était d’ailleurs <a href="https://www.cairn.info/revue-gouvernement-et-action-publique-2017-3-page-85.htm">l’une de ses promesses de campagne</a>. Mais, face à un mouvement social particulièrement suivi dans les transports et à EDF, il laisse à son ministre du Travail, Xavier Bertrand, une grande latitude pour négocier des compensations qui font dire à certains économistes que cette réforme est l’une des <a href="https://editions.flammarion.com/les-reformes-ratees-du-president-sarkozy/9782081238022">« réformes ratées du président Sarkozy »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/se-renouveler-en-politique-mission-impossible-189995">Se renouveler en politique : mission impossible ?</a>
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<h2>Affirmer la prépondérance du pouvoir sur la rue</h2>
<p>L’impact réel de la réforme importe peu, il s’agit avant tout de donner l’impression du changement et d’affirmer symboliquement la prépondérance du pouvoir du politique sur celui de la rue. Il s’agissait là, pour le nouveau président, d’un enjeu important : dix-huit mois auparavant, en avril 2006, le gouvernement Villepin n’avait-il pas été contraint de retirer son projet de « Contrat première embauche », suite à un mouvement étudiant de grande ampleur, soutenu par une partie des organisations de salariés qui y voyaient une attaque <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001086/la-crise-du-contrat-premiere-embauche-cpe.html">contre le droit du travail</a> ?</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jbKmBH2Cn7Y?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Manifestation contre le CPE, 2006 (JT, INA).</span></figcaption>
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<p>Même symbolique, cette victoire du politique permet aux gouvernements successifs d’imposer leurs projets de réforme, face à des mobilisations sociales qui tendent à se multiplier, à se radicaliser et à échapper parfois au contrôle des <a href="http://editionsdudetour.com/index.php/les-livres/on-est-la/">organisations syndicales</a> – comme l’a montré le mouvement « Nuit debout », en marge de la mobilisation contre la « loi Travail » de 2016 ou encore la <a href="https://www.cairn.info/nouvelle-sociologie-politique-de-la-france--9782200628727-page-203.htm">contestation des « gilets jaunes », à l’automne 2018</a>.</p>
<h2>Un test majeur pour Emmanuel Macron</h2>
<p>En 2010, la réforme portée par Eric Woerth est adoptée, en dépit d’une mobilisation qui fait descendre plus <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2010/06/24/retraites-pres-de-2-millions-de-manifestants-selon-les-syndicats_1378302_3224.html">d’un million de personnes dans la rue</a>. En 2016 puis 2017, les présidents Hollande puis Macron passent outre la contestation sociale et n’hésitent pas à recourir <a href="https://theconversation.com/gouvernement-de-limpossible-compromis-au-49.3-185879">à l’article 49.3</a> comme aux ordonnances pour assouplir la réglementation du travail.</p>
<p>Et c’est avant tout la crise Covid, bien plus que la mobilisation de la rue, qui interrompt l’élaboration de la réforme des retraites, engagée à la fin de l’année 2020 par le gouvernement d’Édouard Philippe. Or, le bras de fer entre le pouvoir et la rue qui démarre le 19 janvier pourrait confirmer cette prépondérance du pouvoir sur la rue, d’autant que le gouvernement a pris soin, au préalable, de disposer d’une majorité parlementaire pour faire adopter cette nouvelle réforme, en négociant avec <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/video/sur-la-reforme-des-retraites-les-lr-obtiennent-une-concession-sur-ce-point_212671.html">Les Républicains</a>.</p>
<p>Au-delà de la question des retraites, Emmanuel Macron met en jeu sa capacité à affirmer sa légitimité face à des oppositions aux formes multiples. Il s’agit là d’un test majeur, dont l’issue influera forcément sur <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/01/18/reforme-des-retraites-emmanuel-macron-de-nouveau-a-l-epreuve-de-la-rue_6158285_823448.html">l’ensemble de son second mandat</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198083/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathias Bernard préside l'Université Clermont Auvergne, qui reçoit des subventions publiques.</span></em></p>Depuis 30 ans les propositions de réforme des retraites mobilisent mais débouchent de plus en plus sur la victoire du politique sur la rue.Mathias Bernard, Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1976652023-01-15T12:53:23Z2023-01-15T12:53:23ZÉtats-Unis, Royaume-Uni, Espagne… Quelles perspectives pour l’action syndicale dans le monde en 2023 ?<p><em>Mardi 10 janvier, la Première ministre Élisabeth Borne a présenté les contours de la future réforme des retraites, qui prévoit notamment l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Aussitôt, huit syndicats, <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-les-syndicats-peuvent-ils-reprendre-la-main-197468">vent debout contre le projet</a>, ont annoncé une <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/reforme-des-retraites-les-syndicats-annoncent-une-premiere-journee-de-greve-le-19-janvier-947440.html">première journée de mobilisation le jeudi 19 janvier</a>.</em></p>
<p><em>Pour les syndicats, l’enjeu dépasse la contestation de la réforme : il s’agit également de retrouver de l’influence. Fin 2022, les grèves des contrôleurs de train ou encore des médecins généralistes ont été initiées par des mouvements nés sur Internet qui les ont court-circuités. En outre, le taux de syndicalisation stagne autour de 10 % en France, l’un des niveaux les plus bas en Europe, depuis près de 30 ans.</em></p>
<p><em>Qu’en est-il de l’action syndicale ailleurs dans le monde ? Cet essoufflement se retrouve-t-il ? Les difficultés économiques donnent-elles, au contraire, un élan nouveau aux syndicats ? En ce début d’année, les experts américains, britanniques, indonésiens ou encore espagnols de The Conversation vous proposent un tour d’horizon mondial.</em></p>
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<h2>Canada : les syndicats qui s’affirment obtiennent des résultats</h2>
<p><em>Jim Stanford, économiste et directeur du Centre for Future Work, Australia Institute</em></p>
<p>Le mouvement syndical canadien compte parmi les plus <a href="https://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=TUD">solides</a> de l’OCDE, le club des pays développés, une solidité liée aux lois qui protègent contre les phénomènes de « passager clandestin » : les travailleurs ne peuvent pas bénéficier des conventions collectives sans être syndiqués.</p>
<p>Le taux de syndicalisation au Canada se situe autour de 30 % des travailleurs depuis le début du siècle, même s’il est moitié moindre dans le secteur privé et qu’il y diminue lentement. L’indicateur reste en revanche élevé dans les services publics (plus de 75 %) et en progression.</p>
<p>Cette relative stabilité a permis aux travailleurs canadiens d’être mieux préparés à affronter l’impact de l’inflation sur leurs paies. Les syndicats ont formulé des revendications salariales plus élevées qu’au cours des dernières décennies, et ont plus fréquemment fait grève (poursuivant une tendance amorcée en 2021).</p>
<p>De janvier à novembre 2022, <a href="https://www.canada.ca/en/employment-social-development/services/collective-bargaining-data/work-stoppages/work-stoppages-year-sector.html">156 mouvements de grèves</a> ont eu lieu (un mouvement est comptabilisé dès qu’il implique au moins dix personnes sur une journée) tout secteur confondu. Au total, 1,9 million journées de travail ont été perdues, le chiffre le plus élevé depuis 15 ans.</p>
<p>Une vague printanière de grèves dans le secteur de la <a href="https://globalnews.ca/video/8804136/thousands-of-residential-construction-workers-go-on-strike">construction</a> en Ontario, la province la plus peuplée du Canada, a bien symbolisé la montée du militantisme. Au plus fort de la vague, plus de 40 000 travailleurs, dont des charpentiers, des poseurs de placoplâtre et des ingénieurs, ont déposé leurs outils pour obtenir des salaires plus élevés. Des tentatives d’accords lancées par les autorités ont parfois été rejetés par les grévistes, prolongeant le mouvement.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=838&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=838&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=838&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1053&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1053&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/504192/original/file-20230112-18-oia58b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1053&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Doug Ford, Premier ministre de l’Ontario s’est attiré les foudres des syndicats.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Andrew Scheer/FlickR</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
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<p>Un autre fait historique est survenu plus tard dans l’année. Le gouvernement de droite de l’Ontario avait voulu faire usage d’une clause constitutionnelle rarement utilisée pour annuler le droit de grève de 55 000 travailleurs, personnel de soutien dans l’éducation. La menace des syndicats, des secteurs public comme privé, de déclencher une grève générale dans la province, a poussé le gouvernement à <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/nov/07/ontario-repeal-law-right-to-strike">faire machine arrière</a>.</p>
<p>Pendant ce temps, les blocages opérés par les employeurs (ou <em>lock-out</em>) ont pratiquement disparu. Cette tactique, par laquelle ces derniers suspendent l’activité jusqu’à ce que les travailleurs acceptent les conditions proposées, n’a été utilisée que <a href="https://www.canada.ca/en/employment-social-development/services/collective-bargaining-data/work-stoppages/work-stoppages-year-sector.html">huit fois</a> de janvier à novembre dernier, alors qu’on en observait une soixantaine par an il y a dix ans.</p>
<p>La <a href="https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/en/tv.action?pid=1410006401">croissance annuelle des salaires</a> a légèrement augmenté pour atteindre une moyenne de 5 % à la fin de l’année. Ce taux reste inférieur à celui de l’<a href="https://www.cbc.ca/news/business/inflation-canada-1.6693441">inflation</a> (6,8 %), mais l’écart créé en 2021 se réduit.</p>
<p>Reste à voir si cette pression syndicale pourra être maintenue et faire face à la hausse rapide des taux d’intérêt, à une <a href="https://www6.royalbank.com/en/di/hubs/now-and-noteworthy/article/canada-could-be-in-a-recession-as-soon-as-early-2023/l41dzp8q">récession probable en 2023</a> et à la <a href="https://www.freightwaves.com/news/canadas-largest-union-fights-proposal-to-curb-strikes">suppression continue</a> par les gouvernements des droits syndicaux dans certaines provinces.</p>
<h2>Royaume-Uni : un rameau d’olivier pour le service de santé ?</h2>
<p><em>Phil Tomlinson, professeur de stratégie industrielle, Université de Bath</em></p>
<p>L’<a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2022/dec/12/uk-strike-days-calendar-the-public-service-stoppages-planned-for-december">hiver de la colère</a> se prolonge au Royaume-Uni : le pays subit sa <a href="https://qz.com/the-uk-is-expecting-its-largest-wave-of-strikes-in-over-1849865611">plus grande vague de grèves</a> depuis plus de <a href="https://www.theguardian.com/politics/2022/dec/02/strikes-lead-women-frances-ogrady-tuc-unions">30 ans</a>. La plupart ont lieu dans le secteur public, où l’évolution des salaires reste bien inférieure à l’inflation et accuse un <a href="https://www.bbc.co.uk/news/55089900">retard considérable</a> par rapport aux entreprises privées.</p>
<p>Le sentiment d’amertume est prononcé après une vague d’austérité et la <a href="https://www-cdn.oxfam.org/s3fs-public/file_attachments/cs-true-cost-austerity-inequality-uk-120913-en_0.pdf">baisse des salaires réels</a> des années 2010. Les grèves – dont on estime qu’elles ont <a href="https://cebr.com/reports/eight-months-of-strike-action-to-have-cost-the-uk-economy-at-least-1-7bn-adding-to-existing-recessionary-pressures/#:%7E:text=Assuming%20a%20working%20day%20of%20eight%20hours%2C%20our,is%20expected%20to%20have%20stood%20at%20%C2%A3393.0%20million">coûté 1,7 milliard de livres sterling</a> (1,92 milliard d’euros) à l’économie britannique en 2022 – sont <a href="https://uk.news.yahoo.com/unions-discuss-co-ordinating-hundreds-185532640.html?guccounter=1&guce_referrer=aHR0cHM6Ly93d3cuZ29vZ2xlLmNvbS8&guce_referrer_sig=AQAAAMffASnLXnES4huvR6bYrO0Ncj1Z-sZmFlBDChWxD6up578J-wViP93sUD8HiNHKdT7kcyakp_0QMC0EEzVwIeQ4nxcwuC497Ek1YX3xicVxXlKo3f72l1qrsDiuvzahZGrgX5HqTJp5_zQbdQiS6_AapnlAHbDQeqLGzN3wMY3u">coordonnées</a> par différents syndicats, ajoutant des désagréments publics supplémentaires.</p>
<p>Néanmoins, le gouvernement britannique refuse catégoriquement de céder. Il se retranche derrière les recommandations indépendantes des organes de révision des salaires du secteur public, même s’il ne les a <a href="https://www.ft.com/content/0953587e-6a20-40d4-8459-d4d7a2aa4d27">pas toujours suivies</a>. Il a également affirmé que des augmentations salariales du secteur public correspondant à l’inflation coûteraient à chaque ménage britannique 1 000 livres sterling (1 130 euros) de plus par an, bien que ce chiffre ait été <a href="https://fullfact.org/economy/28-billion-public-sector-pay-increase/">démenti</a>.</p>
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<p>Le Trésor de Sa Majesté, le département gouvernemental en charge de la mise en place des politiques économiques, se fait également l’écho des préoccupations de la Banque d’Angleterre concernant le déclenchement d’une <a href="https://www.theguardian.com/business/2022/jun/20/would-a-wageprice-spiral-cause-inflation-to-get-out-of-control?ref=biztoc.com&curator=biztoc.com">spirale salaires-prix</a>. Elle semble pourtant peu probable : l’inflation actuelle est largement due à des <a href="https://www.themintmagazine.com/inflation-is-a-supply-side-problem">chocs d’offre</a> consécutivement à la crise sanitaire et que déclenchement de la guerre en Ukraine, et la croissance moyenne des salaires reste <a href="https://www.bbc.co.uk/news/55089900">bien inférieure</a> à l’inflation.</p>
<p>Il existe des arguments économiques en faveur d’un accord généreux, notamment dans le National Health Service (NHS) (le système de santé publique) : avec plus de <a href="https://lordslibrary.parliament.uk/staff-shortages-in-the-nhs-and-social-care-sectors/&sa=D&source=docs&ust=1672830357836576&usg=AOvVaw3FX0e-g52Wr5BEl0HY83VT">133 000 postes vacants</a> non pourvus, de meilleurs salaires pourraient contribuer à améliorer la rétention et le recrutement du personnel.</p>
<p>Bien sûr, financer ces mesures en période de <a href="https://uk.finance.yahoo.com/news/uk-recession-until-end-2023-cbi-warns-093737274.html">récession</a> implique des <a href="https://www.newstatesman.com/quickfire/2022/12/run-out-money-pay-strikers-inflation-cost-of-living">choix difficiles</a>. Une augmentation des impôts s’avèrerait politiquement coûteuse, la charge fiscale n’ayant jamais été aussi élevée <a href="https://www.independent.co.uk/money/uk-s-tax-burden-what-do-the-figures-show-b2097564.html&sa=D&source=docs&ust=1672830357839216&usg=AOvVaw3T7sPgwHNZ0_ZEPYz3-F3W">depuis 70 ans</a>. Le recours à des emprunts publics pourrait, lui, aggraver l’inflation si la Banque d’Angleterre <a href="https://www.atb.com/wealth/good-advice/markets/impact-of-government-debt-and-inflation/">augmente la masse monétaire</a> par le biais d’un assouplissement quantitatif.</p>
<p>L’opinion publique semble largement soutenir les grévistes, en <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2022/dec/17/public-support-nurses-strike-pressure-sunak-tories">particulier ceux du NHS</a>. Toutefois, si le gouvernement cède dans un secteur, il crée un précédent pour les autres, avec des conséquences économiques potentiellement plus importantes.</p>
<p>Concernant le NHS, il pourrait plutôt avancer à 2023 les négociations de l’organe de révision des salaires du secteur public, afin de permettre une amélioration de l’accord, éventuellement accompagnée d’une <a href="https://www.theguardian.com/uk-news/2023/jan/08/rishi-sunak-consider-one-off-payment-end-nurses-strikes">prime</a> pour difficultés. Ailleurs, il tiendra probablement bon en espérant que les syndicats perdront leur détermination.</p>
<h2>Australie et Nouvelle-Zélande : les grèves restent rares malgré l’inflation</h2>
<p><em>Jim Stanford, économiste et directeur du Centre for Future Work, Australia Institute</em></p>
<p>Les grèves en Australie sont devenues très rares au cours des dernières décennies en raison des lois restrictives adoptées depuis les années 1990. Malgré un <a href="https://www.abs.gov.au/statistics/labour/employment-and-unemployment/labour-force-australia/latest-release#:%7E:text=25th%20March%202023-,Unemployment,unemployment%20rate%20remained%20at%203.5%25.">taux de chômage historiquement bas</a> et des salaires très en [retard sur l’inflation](https://www.abs.gov.au/statistics/economy/price-indexes-and-inflation/wage-price-index-australia/latest-release#:%7E:text=Seasonally%20adjusted%20private%20sector%20wages,rate%20since%20December%20quarter%202012. Ces lois permettent encore de court-circuiter la plupart des actions syndicales.</p>
<p>En 2022, le taux de syndicalisation est tombé à <a href="https://www.abs.gov.au/statistics/labour/earnings-and-working-conditions/trade-union-membership/latest-release">12,5 % des employés</a>, un niveau historiquement bas. En 1990 encore, il était supérieur à 50 % des travailleurs. Les membres d’un syndicat ne peuvent légalement faire grève qu’après que les négociations, les scrutins et les plans d’action spécifiques ont été rendus publics, révélant ainsi pleinement la stratégie du syndicat à l’employeur. Même lorsqu’il y a des grèves, elles ont tendance à être courtes.</p>
<p>Au total, <a href="https://www.abs.gov.au/statistics/labour/earnings-and-working-conditions/industrial-disputes-australia/latest-release#:%7E:text=Data%20downloads-,Key%20statistics,in%208%20states%20and%20territories.">182 conflits du travail</a> ont eu lieu au cours de l’année qui s’est terminée en septembre. (Les statistiques ne font pas de distinction entre les grèves et les lock-out des employeurs, qui sont devenus courants en Australie). Ce chiffre est similaire à celui des années précédant la pandémie et ne représente qu’une fraction des actions industrielles des années 1970 et 1980.</p>
<p>La seule poussée visible des actions de grève en 2022 reste une série de protestations d’un jour organisées par les enseignants et les personnels de santé en Nouvelle-Galles du Sud, l’État le plus peuplé du pays. Après avoir supporté une décennie de plafonnement austère des salaires par le gouvernement conservateur de l’État, c’en était trop lorsque l’inflation s’est fait sentir.</p>
<p>La plupart des autres travailleurs sont restés passifs, alors même que l’Australie a connu une <a href="https://tradingeconomics.com/country-list/wage-growth">croissance des salaires parmi les plus lentes</a> de tous les grands pays industrialisés. Les <a href="https://tradingeconomics.com/australia/wage-growth">salaires nominaux</a> n’ont augmenté en moyenne que de 2 % par an en 10 ans jusqu’en 2021. Ce taux est passé à 3,1 % à la fin de 2022, mais cela reste moitié moins que le <a href="https://www.rba.gov.au/inflation/measures-cpi.html">taux d’inflation</a> de 7,3 %.</p>
<p>Le gouvernement travailliste nouvellement élu en Australie a adopté une <a href="https://www.dewr.gov.au/newsroom/articles/major-workplace-relations-reform-bill-now-act#:%7E:text=The%20legislation%20received%20Royal%20Assent,and%20better%20support%20vulnerable%20workers">série de réformes importantes</a> du droit du travail à la fin de 2022, visant à renforcer les négociations collectives et la croissance des salaires. Cela pourrait annoncer une amélioration progressive du pouvoir de négociation des travailleurs dans les années à venir.</p>
<p>Les perspectives des relations industrielles en Nouvelle-Zélande sont, de leur côté, un peu plus hospitalières pour les travailleurs et leurs syndicats. Le <a href="https://figure.nz/chart/nvVfvd43iJUbwFXz">taux de syndicalisation</a> a augmenté en 2021, pour atteindre 17 % des salariés (contre 14 % en 2020). Le salaire horaire moyen ordinaire a connu une <a href="https://www.stats.govt.nz/information-releases/labour-market-statistics-income-june-2022-quarter/">croissance impressionnante de 7,4 %</a> au cours de la dernière période de 12 mois, grâce à une augmentation de 6 % du salaire minimum décidée par le gouvernement travailliste.</p>
<p>Les actions industrielles restent rares – peut-être en partie parce que les travailleurs réussissent à augmenter les salaires par d’autres moyens. Aucune donnée officielle sur les grèves n’est disponible pour 2022, mais en 2021, seuls 20 mouvements ont eu lieu, ce qui représente une forte baisse par rapport à une moyenne de 140 par an au cours des trois années précédentes.</p>
<h2>Indonésie : colère contre les réformes du droit du travail</h2>
<p><em>Nabiyla Risfa Izzati, maître de conférences en droit du travail, Universitas Gadjah Mada</em></p>
<p>Il y a quelques semaines, le gouvernement a remplacé sa <a href="http://www.ilo.org/dyn/natlex/natlex4.detail?p_lang=en&p_isn=110587&p_count=1&p_classification=08">« loi Omnibus »</a> controversée par une nouvelle réglementation d’urgence, ce en réponse à la décision de la Cour constitutionnelle indonésienne qui l’avait <a href="https://www.mkri.id/index.php?page=web.Berita&id=17816">jugée inconstitutionnelle</a> en 2021.</p>
<p>Adoptée fin 2020, la loi omnibus incarnait l’ambition du président Joko Widodo d’<a href="https://thediplomat.com/2020/10/protests-strikes-greet-indonesias-controversial-omnibus-bill/">attirer les investisseurs étrangers</a> en réduisant les formalités administratives, mais au détriment des droits des salariés. Elle rendu plus facile les licenciements sans préavis.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=721&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=721&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=721&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=906&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=906&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/504196/original/file-20230112-27936-kkxytp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=906&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le président indonésien Joko Widodo a dû abandonner sa loi Omnibus, du moins officiellement.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/joko-widodo-2019-official-portrait-faa9d9">Picryl</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Ont aussi été abaissées les indemnités de licenciement légales et la durée maximale des contrats temporaires a, elle, été allongée, tout en ignorant la protection des travailleurs. En 2022, la nouvelle formule de calcul du salaire minimum a également entraîné la <a href="https://bisnis.tempo.co/read/1529672/pakar-ugm-sebut-rata-rata-kenaikan-ump-109-persen-terendah-sepanjang-sejarah">plus faible augmentation annuelle</a> jamais enregistrée. La loi a suscité de <a href="https://theconversation.com/dua-tahun-uu-cipta-kerja-phk-kian-mudah-kenaikan-upah-jadi-paling-rendah-193090">nombreuses critiques</a> de la part des travailleurs, des militants et des organisations de la société civile.</p>
<p>Le nouveau règlement d’urgence est sans doute encore plus problématique. La majorité de ses dispositions ne font que copier la loi omnibus. Plusieurs changements et dispositions supplémentaires prêtent en fait à confusion et font double emploi avec les règlements précédents, tout en laissant de nombreuses failles qui pourraient être exploitées à l’avenir.</p>
<p>Pourtant, malgré les plaintes des travailleurs et des syndicats, arguant que les nouvelles règles ont été adoptées soudainement et sans consultation, il n’est <a href="https://www.hukumonline.com/klinik/a/aturan-mogok-kerja-dan-penutupan-perusahaan-lt62f9fb6c2de77">pas question de faire grève</a>. Le mode d’action reste peu populaire car elles ne peuvent être organisées qu’avec l’autorisation de l’entreprise concernée. Si les travailleurs organisent des grèves officieuses, les employeurs ont le droit de s’en débarrasser.</p>
<p>Les manifestations publiques constituent une alternative évidente, bien que les règles de la pandémie limitant la mobilité et les rassemblements de masse les aient rendues difficiles. Malgré tout, des milliers, voire des millions de travailleurs ont <a href="https://en.antaranews.com/news/248345/four-thousand-officers-deployed-for-handling-fuel-price-hike-protests">organisé des mouvements</a> dans leurs villes respectives au cours du second semestre 2022.</p>
<p>Les travailleurs demandaient à ce que la loi Omnibus soit révoquée et que le gouvernement <a href="https://www.merdeka.com/uang/buruh-protes-upah-tidak-naik-tapi-harga-komoditas-melonjak.html">n’utilise pas les formules de calcul du salaire minimum</a> stipulées dans la loi. Les protestations se sont intensifiées lorsque le gouvernement a augmenté les prix du carburant en septembre, ce qui a fait grimper l’inflation déjà élevée en raison de la hausse du cours des denrées alimentaires.</p>
<p>Les autorités politiques ont depuis publié un règlement distinct pour déterminer le salaire minimum de 2023. Les revendications ont donc abouti d’une certaine façon, mais les <a href="https://www.hukumonline.com/berita/a/substansi-tak-sesuai-harapan--serikat-buruh-tolak-perppu-cipta-kerja-lt63b25fa54f54c/">travailleurs</a> comme les <a href="https://www.metrotvnews.com/play/kqYCE01y-apindo-soroti-2-pasal-kontroversial-di-perppu-cipta-kerja">employeurs</a> restent furieux que les règles relatives au salaire minimum aient à nouveau changé dans le cadre du règlement d’urgence.</p>
<p>Il est clair que les manifestants n’ont pas obtenu la suppression des autres règles issues de la loi omnibus. Certains travailleurs ont protesté sur les médias sociaux. Cela n’incitera peut-être pas le gouvernement à modifier la loi, mais quelques tweets viraux ont poussé plusieurs entreprises à <a href="https://yogyakarta.kompas.com/read/2022/10/29/214612078/viral-surat-edaran-waroeng-ss-potong-gaji-karyawan-rp-300000-bagi-yang?page=all">changer leurs pratiques abusives</a>.</p>
<p>La controverse devrait se poursuivre en 2023 et au cours de l’année électorale de 2024, notamment dans le contexte de possibles licenciements massifs en pleine récession mondiale.</p>
<h2>États-Unis : la protestation des travailleurs montre des signes de vie</h2>
<p><em>Marick Masters, professeur de commerce et professeur auxiliaire de sciences politiques, Wayne State University</em></p>
<p>Les travailleurs américains ont été de plus en plus nombreux à s’organiser et à rejoindre les piquets de grève en 2022 pour réclamer de meilleurs salaires et une amélioration des conditions de travail. Cela a suscité un <a href="https://www.virginiamercury.com/2022/09/05/america-is-in-the-middle-of-a-labor-mobilization-moment/">optimisme</a> certain chez les <a href="https://www.afscme.org/blog/cause-for-optimism-on-labor-day">dirigeants syndicaux</a> et les <a href="https://www.bloomberg.com/opinion/articles/2022-06-30/labor-strikes-in-uk-us-workers-unite-against-inflation-cost-of-living-crisis">défenseurs des droits des travailleurs</a>, pensant assister à un <a href="https://theconversation.com/amazon-starbucks-and-the-sparking-of-a-new-american-union-movement-180293">tournant</a> des rapports de force dans le monde du travail.</p>
<p>Les <a href="https://gothamist.com/news/new-school-teachers-strike-ends-as-nyc-university-agrees-to-first-pay-raises-in-4-years">enseignants</a>, les <a href="https://www.nytimes.com/2022/12/07/business/media/new-york-times-union-walkout.html">journalistes</a> et les <a href="https://www.arlnow.com/2022/11/17/newly-unionized-starbucks-baristas-are-on-strike-in-courthouse/">baristas</a> font partie des dizaines de milliers de travailleurs qui se sont mis en grève. Il a fallu un <a href="https://www.npr.org/2022/12/01/1140123647/rail-strike-bill-senate">vote du Congrès</a> pour empêcher 115 000 employés des chemins de fer de débrayer eux aussi. Au total, il y a eu au moins <a href="https://www.bls.gov/wsp/publications/monthly-details/XLSX/work-stoppages-2022.xlsx">20 arrêts du travail majeurs</a> impliquant chacun plus de 1 000 travailleurs en 2022, contre <a href="https://www.bls.gov/opub/ted/2022/16-major-work-stoppages-in-2021.htm">16 en 2021</a>, en plus de <a href="https://striketracker.ilr.cornell.edu/">centaines</a> d’autres plus petits.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1598442185493549056"}"></div></p>
<p>Les travailleurs de Starbucks, Amazon, Apple et des dizaines d’autres entreprises ont également déposé <a href="https://www.nlrb.gov/reports/nlrb-case-activity-reports/representation-cases/intake/representation-petitions-rc/">plus de 2 000 demandes</a> pour former des syndicats au cours de l’année – un record depuis 2015. Les travailleurs ont remporté 76 % des 1 363 élections qui ont eu lieu.</p>
<p>Historiquement, cependant, ces chiffres restent tièdes. Le nombre d’arrêts de travail majeurs est en chute libre <a href="https://www.bls.gov/opub/ted/2022/16-major-work-stoppages-in-2021.htm">depuis des décennies</a> : il s’élevait à près de 200 en 1980. En 2021, le taux de syndicalisation, <a href="https://www.bls.gov/news.release/union2.nr0.htm">10,3 %</a>, n’était pas loin du plus bas jamais enregistré. Dans les années 1950, plus d’un travailleur sur trois était membre d’un syndicat.</p>
<p>L’environnement reste encore très défavorable aux syndicats, avec un <a href="https://prospect.org/labor/labors-john-l-lewis-moment">droit du travail timide</a> et très <a href="https://www.eventbrite.com/e/what-can-labor-do-to-build-on-this-unusually-promising-moment-tickets-380700223617">peu d’employeurs</a> montrant une réelle réceptivité à l’idée d’avoir une main-d’œuvre syndiquée. Les syndicats se trouvent <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674725119">limités</a> dans leur capacité à modifier les politiques publiques. La réforme du droit du travail par le biais de la législation reste vague, et les résultats des élections de mi-mandat de 2022 ne devraient pas faciliter les choses.</p>
<p>Néanmoins, le soutien de l’opinion publique aux syndicats est <a href="https://news.gallup.com/poll/354455/approval-labor-unions-highest-point-1965.aspx">à son plus haut niveau</a> depuis 1965, puisque 71 % des citoyens disent approuver l’action syndicale, d’après un sondage Gallup du mois d’août. Et les travailleurs eux-mêmes montrent de plus en plus d’intérêt à les rejoindre. En 2017, <a href="https://www.epi.org/publication/working-people-want-a-voice/">48 % des travailleurs interrogés</a> ont déclaré qu’ils voteraient aux élections syndicales, contre 32 % en 1995, la dernière fois que la question a été posée.</p>
<p>Les succès futurs pourraient dépendre de la capacité des syndicats à tirer parti de leur popularité croissante et à surfer sur la vague des récentes victoires dans l’établissement d’une représentation syndicale chez Starbucks et Amazon, ainsi que sur le succès de la campagne <a href="https://theconversation.com/fight-for-15-le-nouveau-visage-de-laction-syndicale-aux-etats-unis-126123">« Fight for $15 »</a>, qui depuis 2012 a contribué à l’adoption de <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2022/nov/23/fight-for-15-movement-10-years-old">lois portant sur un salaire minimum de 15 dollars</a> dans une douzaine d’États et à Washington DC. Les chances d’y parvenir sont peut-être grandes : il y a en tout cas des opportunités à faire germer.</p>
<p><em>Extrait d’un <a href="https://theconversation.com/worker-strikes-and-union-elections-surged-in-2022-could-it-mark-a-turning-point-for-organized-labor-195995">article</a> publié le 5 janvier 2023</em></p>
<h2>Espagne : les mesures d’aide inégales pourraient causer des problèmes</h2>
<p><em>Rubén Garrido-Yserte, directeur de l’Instituto Universitario de Análisis Económico y Social, Universidad de Alcalá</em></p>
<p>L’inflation mondiale provoque un ralentissement de l’économie mondiale et une hausse des taux d’intérêt à des niveaux <a href="https://www.oecd.org/economic-outlook/november-2022/">jamais vus depuis avant 2008</a>. Les taux d’intérêt continueront d’augmenter en 2023, affectant particulièrement des économies aussi endettées que l’Espagne.</p>
<p>Elle sapera à la fois le revenu disponible des familles et la rentabilité des entreprises (surtout les petites), tout en rendant plus coûteux le remboursement de la dette publique. Parallèlement, on devrait assister à une augmentation durable du coût du panier de la ménagère à moyen terme.</p>
<p>Jusqu’à présent, les actions gouvernementales ont partiellement atténué cette perte de pouvoir d’achat. L’Espagne a <a href="https://theconversation.com/la-excepcion-iberica-sobre-decisiones-de-gobierno-y-declaraciones-de-las-grandes-empresas-183064">plafonné les prix de l’électricité</a>, <a href="https://www.libremercado.com/2022-12-21/bono-se-acaba-la-chequera-de-sanchez-hacienda-recauda-en-el-ano-por-la-gasolina-mas-del-doble-del-coste-de-la-subvencion-6969423/">subventionné le carburant</a> et rendu les transports publics gratuits pour les citadins et les navetteurs.</p>
<p>Des <a href="https://www.lamoncloa.gob.es/consejodeministros/resumenes/Paginas/2022/221122-rp-cministros.aspx">accords</a> ont été passés avec les banques pour refinancer les prêts hypothécaires des familles les plus vulnérables. En outre, les retraites et les salaires du secteur public ont été <a href="https://www.rtve.es/noticias/20221214/subida-pensiones-2023/2410229.shtml">augmentés</a> et il est prévu de <a href="https://www.rtve.es/noticias/20221221/negociacion-subida-salario-minimo-2023-gobierno-sindicatos/2412514.shtml">relever le salaire minimum</a>.</p>
<p>Toutefois, nombre de ces mesures doivent nécessairement être temporaires. Le danger est qu’elles finissent par être considérées comme des droits auxquels il ne faut pas renoncer. Elles faussent également l’économie et créent des problèmes d’équité en excluant ou en soutenant insuffisamment certains groupes. Les salaires privés <a href="https://home.kpmg/es/es/home/tendencias/2022/12/estudio-de-tendencias-retributivas-2023.html">n’augmenteront pas suffisamment</a> pour couvrir l’inflation, par exemple.</p>
<p>L’action a été telle qu’il y a eu très peu d’actions syndicales en réponse à la crise du coût de la vie. Le danger est qu’elles créent un scénario où le calme d’aujourd’hui peut être le signe avant-coureur d’une tempête sociale demain.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/502930/original/file-20230103-20-riy0if.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/502930/original/file-20230103-20-riy0if.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/502930/original/file-20230103-20-riy0if.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/502930/original/file-20230103-20-riy0if.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/502930/original/file-20230103-20-riy0if.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/502930/original/file-20230103-20-riy0if.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/502930/original/file-20230103-20-riy0if.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article, dont la version originale a été publiée en anglais, fait partie de la série <a href="https://theconversation.com/topics/global-economy-2023-132115">Global Economy 2023</a> sur les défis économiques auxquels le monde sera confronté dans l’année à venir. Vous aimerez peut-être aussi notre bulletin d’information sur l’économie mondiale (en anglais), auquel vous pouvez vous abonner <a href="https://theconversation.com/uk/newsletters/global-economy-and-business-115">ici</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197665/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Phil Tomlinson currently receives funding from the Engineering and Physical Sciences Research Council (EPSRC) for Made Smarter Innovation: Centre for People-Led Digitalisation, and the Economic and Social Research Council (ESRC) for an Interact project on UK co-working spaces and manufacturing.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jim Stanford, Marick Masters, Nabiyla Risfa Izzati et Rubén Garrido-Yserte ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>À quelques jours du mouvement des syndicats français contre la réforme des retraites, les experts de The Conversation vous proposent un panorama mondial de la mobilisation sociale.Jim Stanford, Economist and Director, Centre for Future Work, Australia Institute; Honorary Professor of Political Economy, University of SydneyMarick Masters, Professor of Business and Adjunct Professor of Political Science, Wayne State UniversityNabiyla Risfa Izzati, Lecturer of Labour Law, Universitas Gadjah Mada Phil Tomlinson, Professor of Industrial Strategy, Deputy Director Centre for Governance, Regulation and Industrial Strategy (CGR&IS), University of BathRubén Garrido-Yserte, Director del Instituto Universitario de Análisis Económico y Social, Universidad de AlcaláLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.