tag:theconversation.com,2011:/au/topics/union-europeenne-ue-20281/articlesUnion européenne (UE) – The Conversation2024-03-28T16:36:23Ztag:theconversation.com,2011:article/2254172024-03-28T16:36:23Z2024-03-28T16:36:23ZLe médiateur européen et la guerre en Ukraine<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/582853/original/file-20240319-26-cqx29y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1797%2C1199&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’Irlandaise Emily O’Reilly exerce la fonction d’ombudsman de l’UE depuis 2013.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.europarl.europa.eu/topics/en/article/20210610STO05909/new-rules-to-allow-eu-ombudsman-to-serve-europeans-better">Fred Marvaux/Parlement européen</a></span></figcaption></figure><p><em>Cet article a été co-écrit avec Dimitri Oudin, président départemental et membre du Bureau national du Mouvement européen, adjoint au maire de Reims en charge des relations internationales et des affaires européennes.</em></p>
<p>La fonction d’<a href="https://www.un.org/ombudsman/fr/about-us/an-ombudsman">ombudsman</a>, aussi appelé « médiateur », ou « Défenseur des droits », existe désormais dans plus de 120 pays du monde. Dans les pays où l’ombudsman n’est pas qu’un <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-36112536">poste fantoche</a>, il est l’un des garants essentiels de l’État de droit. Sa raison d’être est de contribuer à protéger les citoyens d’un éventuel mauvais fonctionnement du service public et à prévenir d’éventuels abus de pouvoir de l’administration.</p>
<p>Au niveau de l’UE, l’ombudsman est <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/18/le-mediateur-europeen">élu par le Parlement européen</a> pour la durée de sa législature, c’est-à-dire cinq ans. Il a pour rôle de <a href="https://doi.org/10.51149/ROEA.1.2020.1">promouvoir la démocratie</a> et de garantir une <a href="https://doi.org/10.1007/978-3-319-98800-9_19">administration européenne transparente et éthique</a>. Il agit à la fois en tant que médiateur au niveau de l’ensemble de l’UE et en tant que coordinateur du <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/european-network-of-ombudsmen/about/fr">Réseau européen des médiateurs</a>, qui regroupe les médiateurs de chacun des membres de l’Union et au-delà (notamment les pays candidats à l’adhésion à l’UE tels que la Moldavie, l’Albanie, la Serbie ou l’Ukraine).</p>
<p>À l’heure de la guerre en Ukraine, ce poste stratégique, détenu depuis 2013 par l’Irlandaise <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/emily-oreilly;jsessionid=18048767AB23EAA19EA1C3931EA68A71">Emily O’Reilly</a>, mérite d’être particulièrement mis en lumière.</p>
<h2>Des prérogatives progressivement étendues</h2>
<p>Le médiateur européen naît « dans les textes » en 1992, dans le cadre du <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:11992M/TXT">Traité de Maastricht</a>, avant de trouver sa première expression opérationnelle en 1995, lorsque le premier d’entre eux, le Finlandais Jacob Söderman, est élu par le Parlement européen. Il exercera cette fonction jusqu’en 2003, année où lui succédera pour dix ans le Grec Nikifóros Diamandoúros, lui-même remplacé en 2013 par Emily O’Reilly.</p>
<p>Créé concomitamment à la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/la-citoyennete-europeenne">citoyenneté européenne</a>, institutionnalisée elle aussi par le Traité de Maastricht, le médiateur européen est censé <a href="https://doi.org/10.3917/poeu.061.0114">renforcer cette notion de citoyenneté supranationale</a>, comme l’explique la chercheuse Hélène Michel : « La possibilité pour les citoyens de saisir le Médiateur ne consiste pas seulement en l’augmentation de la protection du citoyen face à l’administration européenne. Elle s’inscrit dans une perspective plus générale, d’une part de renforcement de la légitimité des institutions en donnant le droit au citoyen de demander des comptes aux institutions européennes, et d’autre part de réduction de la distance qui séparerait ces institutions et les citoyens ».</p>
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<p>Précisons que la formule « médiateur européen » désigne à la fois la personne en charge de la fonction et l’entité que cette personne dirige (<a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/office/staff">75 personnes</a>, pour un budget d’<a href="https://www.ombudsman.europa.eu/pdf/en/167855">environ 13 millions d’euros</a>).</p>
<p>Malgré un nombre de plaintes relativement faible (<a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/doc/annual-report/en/183636">750 par an en moyenne, tournées pour un tiers contre la Commission européenne, les autres concernant des institutions de moindre importance</a>, et souvent formulées par des citoyens ayant un lien professionnel avec l’Europe) au regard de la taille de l’espace politique européen, le médiateur a peu à peu étendu son influence symbolique et politique comme instrument de « transparence » et de support à l’exercice de la citoyenneté européenne.</p>
<p>La <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/ATAG/2021/690635/EPRS_ATA(2021)690635_FR.pdf">réforme de 2021</a> a considérablement contribué à l’« institutionnalisation » de sa légitimité politique car elle a étendu ses prérogatives : sa fonction n’est désormais exclusivement plus uniquement défensive puisqu’il peut notamment utiliser le <a href="https://doi.org/10.3917/rfap.181.0189">dispositif d’enquête d’initiative stratégique</a>, qui vise à identifier en amont, de manière dite proactive, les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-administration-publique-2022-1-page-187.htm?ref=doi">domaines d’importance considérée comme stratégique</a>. À titre d’exemple, le médiateur européen vient de lancer, début 2024, une <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/case/fr/65545">initiative stratégique</a> visant à garantir une transparence suffisante quant à la manière dont la Commission européenne utilise l’intelligence artificielle.</p>
<p>Le mandat du médiateur européen couvre « l’ensemble de l’administration de l’UE, à l’exception du Parlement européen dans son rôle politique et de la Cour de justice de l’Union européenne dans son rôle judiciaire. Le médiateur européen <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/en/speech/en/175670">n’enquête pas sur les actions politiques des députés européens ou sur les décisions de la Cour</a> ».</p>
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<p>Le médiateur est européen parce que son action se concentre sur les institutions de l’UE ; il l’est aussi parce qu’il est une déclinaison supranationale d’une initiative qui est née en Europe, <a href="https://doi.org/10.3917/rfap.123.0387">scandinave</a>, sous le terme d’ombudsman.</p>
<p>L’influence de la « version » suédoise est manifeste puisqu’elle avait pour objectif, sans remettre en question les décisions de la Couronne, de se retourner contre les excès de pouvoir de l’administration royale au nom des individus. Désormais, cette institution existe dans la quasi-totalité des États membres de l’UE, avec des compétences certes légèrement différentes selon les pays ; le médiateur européen <a href="https://doi.org/10.4337/9781785367311.00006">joue le rôle de coordinateur</a> entre ces différents médiateurs nationaux.</p>
<p>Ce besoin de coordination est apparu nécessaire puisque le médiateur européen ne peut investiguer que sur les cas de maladministration au niveau des institutions européennes, avec lesquelles les citoyens européens sont très peu en contact direct. Ces derniers peuvent en revanche être sujets à un excès de pouvoir d’une administration nationale, en raison d’une mise en application, par l’État membre dont ils sont résidents, d’une loi européenne. De telles situations font émerger un besoin de coopération entre le niveau européen et les niveaux nationaux de la médiation citoyen/administration.</p>
<p>C’est ainsi que, dès 1996, le Réseau européen des médiateurs a été créé, avec pour objectif, notamment, d’échanges de bonnes pratiques et d’investigations menées en bonne intelligence lorsqu’elles concernent des sujets qui peuvent toucher les deux niveaux de maladministration, nationale et européenne – et tout cela dans une perspective horizontale, ni contraignante, ni hiérarchique, entre l’Ombudsman européen et les institutions médiatrices nationales.</p>
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<p>À ce jour, le Réseau se compose de près de 95 bureaux, présents dans 36 pays européens, qu’il s’agisse de pays membres de l’UE, de pays qui ne le sont pas, ou de pays candidats à l’adhésion à l’UE, comme l’Ukraine.</p>
<p>Sur ce point, il convient de rappeler que la garantie du respect de la démocratie, de l’État de droit et par conséquent des droits fondamentaux des citoyens figure parmi les conditions d’adhésion des pays candidats à l’Union. Cette conditionnalité a été d’autant plus importante que les élargissements successifs, depuis le <a href="https://theconversation.com/comprendre-lhistoire-de-lue-par-ses-elargissements-successifs-de-1973-a-1986-cap-au-sud-226063">milieu des années 1980 avec l’Espagne et la Grèce notamment</a>, puis au début des années 2000 avec les pays d’Europe centrale et orientale post-communistes, ont souvent concerné des États qui étaient en train d’opérer ou venaient de réaliser une transition démocratique – transition que leur entrée dans l’UE a permis de consolider.</p>
<p>Aujourd’hui, l’institution de l’Ombudsman, <a href="https://www.ombudsman.gov.ua/en/about">présente en Ukraine</a>, et la qualité de son travail, font explicitement partie des éléments de l’évaluation forgée par la Commission européenne <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=CELEX:52022DC0407">dans le cadre de l’examen de la candidature ukrainienne à l’UE</a>.</p>
<h2>L’action menée par l’ombudsman depuis le début de la guerre en Ukraine</h2>
<p>Nous avons recensé les principales minutes et décisions du Réseau européen des médiateurs sur la période mai 2022-octobre 2023 avec comme principal critère de sélection sa saisine au regard du rôle des institutions européennes en réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie.</p>
<p>Plus particulièrement, nous avons identifié trois thématiques dominantes : 1) l’accueil des réfugiés au sein de l’UE ; 2) la transparence du processus décisionnel du Conseil de l’UE en lien avec les sanctions envers la Russie ; et 3) l’adhésion prochaine de l’Ukraine à l’UE examinée à l’aune des progrès du pays en matière de démocratie, d’État de droit et de lutte contre la corruption.</p>
<p>Le 10 mai 2022, <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/event/fr/1438">lors de la Conférence du Réseau européen des médiateurs à Strasbourg</a>, Emily O’Reilly soulignait qu’elle souhaitait avant tout définir « de quelle manière nous (les médiateurs européens) pouvons soutenir et surveiller au mieux les efforts déployés par l’UE pour offrir un abri et une protection à tous ceux qui sont contraints de quitter leur foyer et leur famille en Ukraine ». Le rôle des médiateurs européens est ainsi de veiller à ce que les réfugiés bénéficient de leurs droits, à savoir principalement d’« un accès aux soins de santé, à l’emploi, au logement, à l’éducation et au soutien social », dans les États membres où ils ont fui, tout en alertant sur le risque de traite des êtres humains.</p>
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<p>En ce qui concerne les sanctions infligées à la Russie, le médiateur européen a avant tout cherché à s’assurer de la capacité des citoyens européens à pouvoir consulter auprès de la Commission les documents relatifs à ces sanctions. En juin 2022, il a demandé au Conseil de l’UE la mise à disposition proactive de documents concernant l’adoption des sanctions contre la Russie, afin d’évaluer la transparence du processus décisionnel du Conseil de l’UE relatif à ces sanctions, ce qui lui a toutefois été refusé.</p>
<p>Par ailleurs, le médiateur européen a été saisi par un citoyen européen, suite au refus de la Banque centrale européenne d’accorder l’accès du public à des documents relatifs à la mise en application de ces sanctions vis-à-vis de la Russie. Le médiateur a été en capacité de consulter les documents en question et ainsi d’évaluer la réponse de la BCE qui justifiait ce refus par le fait qu’une divulgation intégrale porterait atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne la politique financière, monétaire ou économique de l’Union et les relations financières internationales. Suite à son enquête, le médiateur <a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/opening-summary/fr/158540">a conclu</a> qu’il n’y avait « pas eu de mauvaise administration par la Banque centrale européenne ».</p>
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<p>Quant à la question de l’adhésion de l’Ukraine à l’UE, Emily O’Reilly s’est publiquement interrogée sur la conditionnalité de cette adhésion au respect de l’État de droit sur le territoire ukrainien : « L’UE a-t-elle la patience stratégique d’attendre la transformation des institutions ukrainiennes que le gouvernement a promise dans le cadre de ses réformes de lutte contre la corruption ? Ou le désir de créer rapidement un contrepoids géopolitique cohérent à la puissance dure russe et chinoise impliquera-t-il de fermer les yeux sur les lacunes institutionnelles ? »</p>
<p>Ces lacunes institutionnelles, si elles sont acceptées en l’état pour accélérer le processus d’adhésion, seront mises à l’épreuve par la possibilité pour tout citoyen européen de saisir le médiateur. C’est d’ailleurs déjà le cas, à l’image de la décision rendue le 18 août 2022 concernant le refus du Service européen pour l’action extérieure (SEAE) de donner au public l’accès à un document concernant la suspension de partis politiques en Ukraine (<a href="https://www.ombudsman.europa.eu/fr/decision/fr/159606">affaire 952/2022/MIG</a>).</p>
<h2>L’ombudsman ukrainien, un cas à part ?</h2>
<p>Une adhésion de l’Ukraine à l’UE renforcerait le poids du médiateur européen dans l’évaluation de la nécessaire transformation institutionnelle du pays. D’autant plus que l’indépendance de l’institution de l’ombudsman ukrainien vis-à-vis du pouvoir politique ne semble pas totale à ce stade. Ainsi, au terme du mandat de la médiatrice Valeria Lutkovska en 2017, il a fallu près d’un an au Parlement ukrainien pour désigner sa successeure, durée pendant laquelle la <a href="https://www.dw.com/en/why-ukraines-human-rights-chief-lyudmyla-denisova-was-dismissed/a-62017920">communauté internationale s’est inquiétée du manque de transparence et de l’ultra-politisation de cette nomination</a>. Deux des trois candidats étaient membres du Parlement (instance électrice de l’ombudsman) alors que les dispositions légales étaient relativement floues à ce sujet, puisqu’ils étaient censés être inéligibles à cette élection, sauf à démissionner de leur mandat – ce que Lyudmila Denisova fit, une fois enfin élue à ce poste en mars 2018.</p>
<p>Fin mai 2022, trois mois après le début de l’invasion de l’Ukraine, Lyudmila Denisova a été <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/en-ukraine-le-parlement-renvoie-la-chargee-des-droits-humains-faute-de-resultats-20220531_O3AIETOU75DE7E6EUTUCOZQ7CQ/">démise de ses fonctions par le Parlement</a>. Elle avait été publiquement critiquée, notamment par un certain nombre d’associations humanitaires, pour sa gestion de la crise, notamment pour <a href="https://www.newsweek.com/lyudmila-denisova-ukraine-commissioner-human-rights-removed-russian-sexual-assault-claims-1711680">sa communication concernant les crimes sexuels supposément commis par des soldats russes à l’égard d’enfants</a> ; pour autant, <a href="https://ganhri.org/ganhri-and-ennhri-letter-on-nhri-ukraine/">ces mêmes associations se sont émues de la manière dont son mandat a été interrompu</a>, alors que rien dans la Constitution ni dans la loi ordinaire ne prévoyait une telle disposition.</p>
<p>Cette procédure n’a pu être justifiée que par l’instauration de la loi martiale, compte tenu des circonstances exceptionnelles ; elle n’en a pas moins été dénoncée par la <a href="https://www.ohchr.org/fr/countries/ukraine/our-presence">Mission de surveillance des droits de l’homme de l’ONU en Ukraine</a>, qui y a vu une « violation du droit international ». À notre connaissance, les représentants des institutions européennes, y compris de l’Ombudsman européen, n’ont pas publiquement dénoncé le limogeage de Denisova.</p>
<p>On peut néanmoins supposer que la nomination rapide, dès juin 2022, du nouvel ombudsman, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/10/dmytro-lubinets-commissaire-aux-droits-humains-ukrainien-le-comite-international-de-la-croix-rouge-doit-publiquement-condamner-la-russie_6161241_3210.html">Dmytro Lubinets</a>, montre que Kiev accorde une importance certaine à ce poste, notamment dans la perspective de sa candidature à l’adhésion à l’UE.</p>
<h2>Les futurs élargissements et l’importance de l’ombudsman</h2>
<p>Dans un monde en tension et face aux ambitions de plus en plus affirmées des puissances russe et chinoise, l’UE semble déterminée à accélérer le processus d’adhésion de certains États candidats, comme l’Ukraine mais aussi la Moldavie et, à plus lointaine échéance, la Géorgie. Les lacunes institutionnelles constatées dans ces États devront être rapidement corrigées, quand bien même l’UE ferait preuve d’une certaine mansuétude à leur égard, au vu du contexte international qui l’incite à agir prestement.</p>
<p>À terme, chacun de ces pays devra disposer d’un médiateur national qui agira à la fois de façon indépendante à l’intérieur et en concertation, si besoin, avec le Réseau européen des médiateurs, dont l’ombudsman européen est le coordinateur. Dès lors, ce dernier pourrait se trouver ainsi renforcé dans son influence au sein des frontières de l’Europe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225417/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Guillaume Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’ombudsman, ou commissaire aux droits de l’homme, se fait progressivement une place au cœur des institutions de l’UE, notamment dans le contexte de la guerre en Ukraine.Guillaume Martin, Maître de conférences, Centre de recherche en management (LAREQUOI), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2260632024-03-25T16:39:32Z2024-03-25T16:39:32ZComprendre l’histoire de l’UE par ses élargissements successifs : de 1973 à 1986, cap au Sud<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583211/original/file-20240320-30-evm8dd.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C327%2C1365%2C758&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 1981, la Grèce (vert foncé) rejoint les neuf pays déjà membres de la CEE. Elle sera suivie de l’Espagne et du Portugal (vert clair) en 1986.</span> <span class="attribution"><span class="source">The Conversation France</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Entre 1981 et 1986, la Communauté économique européenne (CEE) s’est élargie à la Grèce, à l’Espagne et au Portugal. Les adhésions précédentes n’étaient pas très éloignées : en 1973, le <a href="https://theconversation.com/comprendre-lhistoire-de-lue-par-ses-elargissements-successifs-de-1957-a-1973-223028">Danemark, l’Irlande et le Royaume-Uni</a> avaient rejoint la Communauté. Ce premier élargissement était apparu comme le bouclage du marché commun institué en 1957 par le traité de Rome : avec les trois entrants de 1973, la carte du marché commun épousait tous les pays traversés par la fameuse <a href="https://www.lhistoire.fr/le-g%C3%A9ographe-et-la-banane-bleue">« banane bleue »</a>, cette dorsale du développement économique, urbain, culturel et politique européen, berceau historique de la révolution industrielle et du capitalisme.</p>
<p>Ces pays entrés dans les années 1970 auraient pu faire partie de la CEE dès 1957. Ce n’était pas le cas des trois pays concernés par le second élargissement. Ils étaient en effet plus agricoles, moins industrialisés, moins urbanisés – en un mot, leurs situations n’étaient pas celles de centres décisionnels, mais plutôt de périphéries économiques et politiques dans l’espace européen. Plus encore, ils étaient en sortie de fascisme ! C’était là leur grande singularité.</p>
<h2>La rapide intégration de la Grèce…</h2>
<p>À la fin des années 1970 et au début des années 1980, la Grèce, l’Espagne et le Portugal vivent leur transition démocratique. On s’apprête à célébrer, en avril 2024, le cinquantième anniversaire de la <a href="https://www.sciencespo.fr/fr/evenements/la-revolution-des-o-eillets-un-evenement-de-portee-mondiale/">Révolution des Oeillets</a>, une révolution de hauts gradés de l’armée portugaise qui mit fin en même temps à la dictature salazariste, aux guerres coloniales et à l’empire portugais. En Espagne, la mort du <a href="https://theconversation.com/comprendre-le-complexe-rapport-de-lespagne-a-la-figure-de-franco-224989">général Franco</a>, qui avait été le fossoyeur de la République espagnole par son coup d’État 40 ans plus tôt, ouvre la voie au retour à la démocratie dans le cadre d’un régime de monarchie parlementaire sous la conduite de Juan Carlos. En Grèce, la <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/2017/04/20/26001-20170420ARTFIG00291-il-y-a-50-ans-la-dictature-des-colonels-s-installait-en-grece.php">dictature des colonels</a> instaurée en 1967 tombe au même moment.</p>
<p>Avec ce deuxième élargissement, la CEE et ses dirigeants mettent ainsi en avant le fait que la Communauté n’est pas seulement un projet de prospérité et d’interdépendance économique, mais aussi un projet de consolidation de la démocratie au sein des pays européens : trois régimes fascisants reposant sur la mainmise de l’armée sur la société tombent au même moment, leurs citoyens se tournent immédiatement vers la Communauté européenne, et réciproquement.</p>
<p>C’est l’aboutissement d’un débat initié dans le début des années 1960, lorsque la <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/15bb0adb-1ff0-4299-b0aa-a9563ce40459/Resources#8a95e26f-e911-42a0-b811-b623b84a93d9_fr&overlay">dictature franquiste déposa la candidature d’adhésion de l’Espagne à la CEE</a>. Sur la base du <a href="https://www.cvce.eu/content/publication/2005/6/1/2d53201e-09db-43ee-9f80-552812d39c03/publishable_fr.pdf">rapport Birkelbach</a>, la réponse à donner avait <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2010-4-page-85.htm">fait débat</a> dans les Parlements nationaux de toute l’Europe des Six, sans passion ni urgence.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=459&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583230/original/file-20240320-24-bg1h5p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=577&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Viens, viens ! » Le 29 octobre 1968, le chancelier fédéral Kurt Kiesinger rencontre à Madrid le général Franco. Au lendemain de cette visite, le 30 octobre, le caricaturiste allemand Wilhelm Hartung ironise sur cette rencontre qui fait polémique et accuse le chancelier d’œuvrer pour un rapprochement de l’Espagne franquiste avec la CEE. À l’issue de leurs conversations, les représentants de la RFA et de l’Espagne estiment qu’un « minimum de collaboration » est nécessaire entre les pays de l’Europe occidentale pour assurer leur défense face à la menace émanant du bloc communiste.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/15bb0adb-1ff0-4299-b0aa-a9563ce40459/Resources#116b4ec0-9cba-4d39-9415-d04e92fd4079_fr&overlay">Wilhelm Hartung</a></span>
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<p>Au final, les Européens avaient proposé à l’Espagne franquiste un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1970/02/02/un-accord-commercial-preferentiel-a-ete-conclu-entre-l-espagne-et-le-marche-commun-les-six-vont-reduire-progressivement-de-70-leurs-droits-de-douane-sur-les-produits-espagnols_3120538_1819218.html">accord de commerce</a>, pas même un accord d’association, en 1970. Un ultime raidissement très répressif de la dictature les années suivantes les conforta dans cette décision.</p>
<p>Aussi, la société espagnole s’attendait-elle majoritairement à ce que la CEE accueille avec chaleur cette Espagne nouvelle qui démontra très rapidement son engagement dans la transition démocratique. L’adhésion de la Grèce devenue une République, à nouveau gouvernée, à l’issue d’élections libres, par <a href="https://www.touteleurope.eu/histoire/biographie-konstantinos-karamanlis-artisan-de-l-adhesion-de-la-grece-a-la-cee-1907-1998/">Konstantinos Karamanlis</a> (qui avait déjà été premier ministre de 1955 à 1963), ne se négociait-elle pas sans coup férir en un temps très bref ?</p>
<p>Bénéficiant de conditions d’adhésion particulièrement favorables, la Grèce devint le 10<sup>e</sup> État membre dès 1981. Les dirigeants de la CEE, présidents français et européen en tête – Valéry Giscard d’Estaing et <a href="https://spartacus-educational.com/PRjenkinsR.htm">Roy Jenkins</a> – célébraient dans la Grèce libérée des colonels le berceau de la démocratie, quand bien même la démocratie athénienne du siècle de Périclès était une réalité historique éloignée de la Grèce actuelle de près de 25 siècles…</p>
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<h2>… et le long blocage des candidatures espagnole et portugaise</h2>
<p>Pourtant, la demande déposée le 25 juillet 1977 par Marcelino Oreja, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Suárez, qui aboutit à l’ouverture officielle de la procédure d’adhésion en février 1979, ne se négociait ni dans la joie ni avec célérité. La demande du Portugal, déposée elle aussi en 1977, subit le même traitement. Contrairement à l’Allemagne de l’Ouest de la coalition SPD-parti libéral, la France giscardienne freinait.</p>
<p>Il est vrai que les toutes dernières années de la décennie 1970 et les trois premières années de la décennie 1980 sont passées à la postérité comme une période d’euro-pessimisme : confrontés au choc pétrolier, à la crise économique, à la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/38285-systeme-de-bretton-woods-fmi-bird-1944-1971">fin du système monétaire international dit de Bretton Woods</a>, à la fin des Trente glorieuses, au chômage de masse et à l’inflation, les dirigeants de l’Europe des Neuf puis des Dix étaient déstabilisés et peu capables de jouer collectif. En 1979, les premières élections au suffrage universel d’un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_europ%C3%A9ennes_de_1979">Parlement européen</a> aux pouvoirs limités pouvaient difficilement faire contrepoids à cette morosité.</p>
<p><a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/7124614a-42f3-4ced-add8-a5fb3428f21c/9eec77e2-c94d-42d3-beed-a8413e26654c">La mise en place du système monétaire européen</a>, le SME, était très récente (1979) ; elle avait été bloquée pendant sept ans par les divergences de vues et d’intérêts nationaux. Les dirigeants, les entrepreneurs et les syndicats européens n’eurent pourtant pas le temps de se réjouir de cet avènement : Margaret Thatcher, chef de gouvernement britannique depuis l’été de la même année, fit irruption sur la scène européenne avec fracas : <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2005/05/11/30-novembre-1979-margaret-thatcher-i-want-my-money-back_648386_3214.html">« I want my money back ! »</a></p>
<p>Le sentiment prévalait que cette raideur britannique bloquait le fonctionnement non seulement du budget européen, mais aussi de la vie politique communautaire. En conséquence, le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement demeurait comme indifférent à la finalisation de l’élargissement à l’Espagne et au Portugal. Il ne donnait pas plus suite à plusieurs propositions de relance de la construction européenne – <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/il-y-a-30-ans-le-rapport-spinelli_3069085.html">projet Spinelli</a> du Parlement européen, du nom d’un des eurodéputés les plus respectés ; <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/511084a1-fac4-44e0-82b1-a7a101b2d913">proposition d’« acte européen »</a> par Genscher et Colombo, ministres des Affaires étrangères de RFA et d’Italie.</p>
<p>De façon imprévue, la politique européenne de la France favorisait ce surplace. La gauche y avait remporté une double victoire, première alternance de l’histoire de la V<sup>e</sup> République : à l’élection présidentielle, gagnée par François Mitterrand le 10 mai 1981, puis aux élections législatives de juin 1981. Sa politique économique reposait sur deux grandes actions à contretemps, pour ne pas dire en complet décalage, de celles conduites par les partenaires européens de la France : la relance de la croissance par la consommation (« Le keynésianisme dans un seul pays ? », interroge avec humour <a href="https://www.academia.edu/3438198/Les_partis_socialistes_et_lint%C3%A9gration_europ%C3%A9enne_Belgique_France_Grande_Bretagne">Pascal Delwit)</a> ; et la nationalisation des principaux groupes industriels, bancaires et de crédit. Si, dans tous les pays européens, les socialistes et les sociaux-démocrates ont salué cette victoire de la gauche, ils s’interrogeaient sur ces deux particularités. Quelles seraient leurs implications sur la coordination du système monétaire européen ? Sur les positions françaises dans le domaine du budget de la CEE ?</p>
<p>Ce facteur d’attentisme supplémentaire est d’autant plus vif que les programmes du Parti socialiste refondé en 1969 et de son leader François Mitterrand n’avaient pas de mots assez durs pour désigner la CEE comme <a href="https://books.openedition.org/psorbonne/45721">l’Europe des marchands, des trusts et du grand capital</a>. Le programme du Parti communiste, certes nettement minoritaire dans cette coalition, était, lui, franchement hostile à la construction communautaire.</p>
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<p>Les citoyens français ayant voté pour une majorité socialiste, la construction européenne devait désormais favoriser <a href="https://books.openedition.org/pur/129129">« la rupture avec le capitalisme »</a>, formule étendard de la nouvelle majorité, et le changement promis aux Français. Si les Dix avaient pu s’engager ensemble dans la réduction du temps de travail, l’abaissement de l’âge de la retraite et l’augmentation du salaire minimum, c’eût été formidable : c’eût été l’Europe socialiste. Et c’eût été grâce à la France. Mais malgré l’engagement et l’expérience européens des ministres Cheysson, Delors et Jobert, le mémorandum français pour une Europe sociale tomba à plat. Le soutien de la Grèce, dirigée depuis 1981 par le Parti socialiste (Pasok) d’Andréas Papandréou, finalement rallié à l’adhésion de son pays à la CEE, n’y suffit pas.</p>
<p>Pendant ce temps, les bras de fer sur les négociations budgétaires – c’est‑à-dire, pour l’essentiel, sur la politique agricole commune (PAC) – absorbaient beaucoup d’énergie. Et les négociations d’adhésion avec le Portugal et l’Espagne patinaient, en raison notamment des <a href="https://www.persee.fr/doc/ecop_0249-4744_1987_num_78_2_4979">blocages italien et surtout français</a> : leurs dirigeants respectifs subordonnaient l’accès de ces pays méditerranéens à la PAC et aux financements territoriaux du Fonds européen de Développement régional (FEDER) à la garantie que ces financements n’iraient pas moins à leurs agriculteurs que dans la CEE à dix. Sur ce point, Mitterrand prolongeait VGE ! C’était précisément le type d’engagement que les Britanniques, mais pas seulement, refusaient, tant que les contributions budgétaires globales de chacun et le budget de la PAC en particulier ne seraient pas réformés. Tout était lié.</p>
<h2>Un contexte international qui change la donne</h2>
<p>C’est pourtant de l’extérieur qu’est peut-être venu le déclic : la fin de la détente. La reprise de la guerre froide inquiétait et divisait les opinions publiques. Un pacifisme résurgent et significatif les traversait : dans toute l’Europe, en 1982-1983, d’importantes manifestations (et même <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/984">massives en RFA</a>) s’opposaient au <a href="https://www.grip.org/il-y-a-40-ans-debutait-la-crise-des-euromissiles/">déploiement par l’OTAN de missiles Pershing 2</a> à moyenne portée en réponse à l’installation par les Soviétiques de missiles SS 20 dirigés vers l’Europe de l’Ouest. Le slogan <em>lieber rot als tot</em> – « plutôt rouge que mort » – est demeuré emblématique de cette crise des euromissiles.</p>
<p>Le gouvernement français, tout pétri de marxisme qu’il fut, lui opposa en 1983 le <a href="https://fresques.ina.fr/mitterrand/fiche-media/Mitter00018/discours-au-bundestag.html">discours historique</a> de François Mitterrand au Bundestag, puis son propos resté fameux lors d’un sommet en Belgique : <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/i09082528/francois-mitterrand-le-pacifisme-est-a-l-ouest-et-les-euromissiles-sont-a-l">« Le pacifisme, et tout ce qu’il recouvre, il est à l’Ouest ; et les euromissiles, ils sont à l’Est. »</a> Helmut Kohl ne devait pas oublier ce soutien inespéré – il renvoya l’ascenseur à son ami François en mars 1983, lorsque la <a href="https://www.cairn.info/revue-economie-et-prevision-2001-2-page-49.htm">Bundesbank soutint le franc de façon massive</a>, et en procédant à une réévaluation sensible du mark. En septembre 1984, les deux hommes d’État endossaient la tunique du mythique <em><a href="https://theconversation.com/quand-merkel-et-macron-endossent-la-tunique-mythique-du-couple-franco-allemand-139191">couple franco-allemand</a> moteur de la construction européenne</em>, avec un sens remarqué de la mise en scène et du maniement des symboles lors de la rencontre devenue iconique de l’ossuaire de Douaumont à Verdun.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583428/original/file-20240321-16-lsrlch.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La rencontre de Verdun, 22 septembre 1984.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/history-eu/eu-pioneers/helmut-kohl-and-francois-mitterrand_fr">Site de l’Union européenne</a></span>
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<p>Dans l’intervalle, la relance de la construction communautaire eut lieu en juin 1984 au <a href="https://www.consilium.europa.eu/media/20670/1984_juin_-_fontainebleau__fr_.pdf">Conseil européen de Fontainebleau</a>. Fort d’un accord avec Kohl, Mitterrand fait adopter un paquet de mesures préparées par une intense diplomatie menée depuis le <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/134145-declaration-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-li">sommet d’Athènes de décembre 1983</a>. Les Dix se mettent enfin d’accord sur une réduction permanente de la contribution britannique au budget communautaire. </p>
<p>À compter de 1985, la CEE remettrait chaque année au Royaume-Uni un chèque d’un montant ainsi calculé : 66 % de la différence entre, d’une part, la contribution britannique au budget communautaire assise sur sa TVA et, d’autre part, le montant total des financements communautaires reçus par le Royaume-Uni. C’était un compromis. Ce remboursement était moins ambitieux que celui réclamé par Margaret Thatcher et son parti <em>tory</em> depuis cinq ans. En contrepartie, François Mitterrand et les socialistes français acceptaient le principe cher à toute la classe politique britannique d’une <a href="https://www.touteleurope.eu/histoire/histoire-de-la-politique-agricole-commune/">réforme des mécanismes de la PAC</a> dans le but, notamment, d’en diminuer les dépenses. Dès 1985, la production de lait dans la CEE devint contingentée.</p>
<p>Ce dispositif, qui mettait fin à cinq années fatigantes et engourdissantes de conflit budgétaire, s’inscrivait dans un accord à facettes multiples toutes liées entre elles. Les socialistes français (et européens) obtenaient, enfin, un accroissement des ressources du budget communautaire : le plafond de la part de ses recettes de TVA que chaque État membre verse au budget communautaire montait à 1,4 % (il était à 1 % depuis 1970). Cette augmentation signalait que les Dix étaient prêts à s’engager sur de nouvelles politiques communes. Pour autant, celles‑ci ne prendraient leur sens qu’avec un approfondissement du marché intérieur de la CEE – ce serait la réforme du traité de Rome en <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/l-acte-unique-europeen-1986/">Acte unique européen</a> signé en 1986, consacrant la fin de tous les monopoles nationaux dans toutes les branches de l’économie. Les unes comme l’autre, <a href="https://www.cairn.info/la-construction-de-l-europe--9782200353056-page-337.htm">concluait le Conseil européen</a>, concourraient à </p>
<blockquote>
<p>« donner à l’économie européenne une impulsion comparable à celle que lui avait apportée, au début des années 1960, la mise en chantier de l’union douanière […] ».</p>
</blockquote>
<p>Dans le même temps, en 1984, le président Mitterrand avait enfin assoupli sa position sur l’élargissement. Pour ce faire, Mitterrand prétexta de l’arrivée au pouvoir de son homologue et ami socialiste et européiste <a href="https://www.touteleurope.eu/histoire/biographie-felipe-gonzalez-marquez-artisan-de-l-adhesion-de-l-espagne-a-la-communaute-economique/">Felipe Gonzalez</a>. Pourtant, la victoire du PSOE en Espagne remontait alors à près de deux ans déjà.</p>
<p>Dans une scénographie qui ne doit rien au hasard, c’est par un <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/136099-declaration-de-m-francois-mitterrand-president-de-la-republique-li">voyage à Madrid</a> que le président français achève le semestre de « sa » présidence française de la CEE : </p>
<blockquote>
<p>« Je vous dirai en confiance que je suis très heureux à la fois de me trouver à Madrid (pour) terminer mon rôle dans ce domaine, (et) de pouvoir bâtir avec le peuple espagnol et ses dirigeants un pacte durable. »</p>
</blockquote>
<p>Deux jours plus tôt, Mitterrand et Gonzalez s’étaient retrouvés au <a href="https://www.alamyimages.fr/juin-28-1984-le-president-mitterrand-et-le-premier-ministre-espagnol-felipe-gonzales-sont-vus-ici-au-match-de-foot-ou-la-france-a-battu-l-espagne-par-deux-points-hier-dans-le-final-image69503074.html">Parc de Princes</a> pour la finale du premier <a href="https://www.taurillon.org/euro-retro-1984-grand-succes-pour-la-france-et-pour-l-europe">Euro de football</a> remporté par l’équipe de France de Platini sur <a href="https://www.slate.fr/story/118961/france-vole-titre-champion-europe-espagne">l’Espagne d’Arconada</a>, après son succès sur le Portugal lors d’une <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2020/07/11/france-portugal-1984-souvenirs-d-une-chaude-nuit-d-ete-a-marseille_6045908_3242.html">demi-finale d’anthologie</a> au Vélodrome de Marseille.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583485/original/file-20240321-28-8kz1t5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le 12 juin 1985, Felipe González signe le traité d’adhésion à la CEE. Apparaissent à ses côtés Fernando Morán, ministre des Affaires étrangères, et Manuel Marín, secrétaire d’État aux Relations avec les Communautés européennes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/Category:Felipe_Gonz%C3%A1lez_in_1985#/media/File:Felipe_Gonz%C3%A1lez_firma_el_Tratado_de_Adhesi%C3%B3n_de_Espa%C3%B1a_a_la_Comunidad_Econ%C3%B3mica_Europea_en_el_Palacio_Real_de_Madrid._Pool_Moncloa._12_de_junio_de_1985.jpeg">Wikimedia</a></span>
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</figure>
<p>Entraînant avec elle les Italiens, la présidence française semestrielle de la CEE débloqua l’aboutissement des négociations d’adhésion avec l’Espagne et le Portugal au moment où le gouvernement socialiste de Mario Soares cédait le pouvoir pour dix ans au centre-droit (PSD) de <a href="https://www.liberation.fr/planete/1995/02/17/l-artisan-du-formidable-bond-en-avant-du-portugal_122963/">Cavaco Silva</a>. La relance de Fontainebleau avait notamment pour fonction d’apaiser les craintes des habitants des régions méditerranéennes de l’ex-Europe des Six, en particulier de leurs agriculteurs, et spécialement des agriculteurs français. Ce fut l’une des fonctions de la très importante <a href="https://www.cvce.eu/collections/unit-content/-/unit/df06517b-babc-451d-baf6-a2d4b19c1c88/a58194ee-132e-44a4-9a73-2c760ce9010b">réforme budgétaire</a> actée à ce sommet et mise en œuvre par la commission Delors (dont la nomination fut elle aussi décidée à Fontainebleau !) à compter de 1985.</p>
<p>Dès lors, tout alla très vite : le 1<sup>er</sup> janvier 1986, l’Espagne et le Portugal entraient dans la CEE.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226063/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les années 1980, la CEE ouvre ses portes à trois pays récemment sortis de la dictature : d’abord à la Grèce puis, après des négociations compliquées, à l’Espagne et au Portugal.Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, européaniste au Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2255872024-03-24T17:53:09Z2024-03-24T17:53:09ZDroit à la réparation : l’Europe s’attaque aux millions d’appareils électroniques qui dorment dans nos tiroirs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/581265/original/file-20240312-24-gnxqw9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption"></span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/top-view-old-computers-digital-tablets-2109892556">Veja/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>C’est un tiroir que l’on est beaucoup à avoir, souvent dissimulé dans un coin de notre bureau ou de notre chambre, archive involontaire à notre époque de surconsommation. Car ce tiroir sert de « nécropole » à une variété d’appareils électroniques et d’accessoires devenus obsolètes ou cassés. Il s’agit notamment de téléphones portables qui ont été remplacés par des modèles plus récents, de chargeurs qui ne correspondent plus à nos appareils actuels, d’écouteurs qui ne fonctionnent plus depuis longtemps, ou même de câbles divers dont l’utilité est depuis longtemps oubliée.</p>
<p>Les chiffres sont là, implacables, révélant l’ampleur de l’accumulation des déchets électroniques et leur impact dévastateur sur l’environnement. En moyenne, les Français accumulent chez eux environ 20 % d’appareils électriques qu’ils n’utilisent plus. Cela représente environ 178 millions d’appareils sur les 846 millions que les Français possèdent au total. En plus de cela, 21 millions d’appareils sont cassés. Derrière ce chiffre se trouve une véritable mine d’or de matières premières inutilisées dans nos foyers. D’autant plus que, selon une récente étude menée par l’ADEME, notre penchant pour la technologie ne va pas en diminuant, avec une moyenne de cent équipements électriques et électroniques par foyer, allant de l’essentiel au superflu.</p>
<hr>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mines-urbaines-ou-les-ressources-minieres-insoupconnees-de-nos-dechets-electroniques-214398">Les « mines urbaines », ou les ressources minières insoupçonnées de nos déchets électroniques</a>
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</em>
</p>
<hr>
<h2>Derrière cette accumulation d’objets électroniques non utilisés</h2>
<p>Alors pourquoi ne vidons-nous pas ce tiroir ?</p>
<p>La réponse est multiple. D’abord, il y a une forme d’attachement émotionnel profond à ces appareils qui ont partagé des moments de notre vie. Ensuite, certains se disent qu’ils s’en resserviront peut-être un jour, sans savoir vraiment comment. Et puis il y a ceux qui, devant l’incertitude sur la manière de les recycler de manière appropriée, décident finalement de ne pas s’en séparer. Enfin, il y a ceux aussi qui renoncent à le faire réparer, tant le parcours peut être semé d’embûches.</p>
<p>En effet, si l’intention de désencombrer est louable, la réalité du recyclage et de la réparation se heurte à des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959652621002225">obstacles économiques non négligeables</a>. Des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959652621002225">chercheurs du Ratio Institute</a> en Suède ont ainsi recensé plusieurs barrières telles que le coût comparativement plus faible des nouveaux produits, la réduction de la durée de vie des produits, la complexité croissante de la conception des produits, et l’augmentation du coût de la main-d’œuvre dans les pays industrialisés.</p>
<p>La recherche d’un service de réparation compétent représente un défi supplémentaire. Dans un marché dominé par la vente de produits neufs, les services de réparation spécialisés et de confiance sont parfois difficiles à localiser. Les consommateurs doivent souvent se lancer dans un véritable parcours du combattant pour trouver un <a href="https://www.ecosystem.eco/reparer/">réparateur qualifié</a>, disposé à s’attaquer à leur modèle spécifique d’appareil.</p>
<p>Dans la même veine, l’économiste néerlandais <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0921800917317573">Julian Kirchherr</a> et ses co-auteurs expliquent que la perception de la qualité moindre des matériaux recyclés et leurs coûts plus élevés font que les consommateurs ont naturellement davantage tendance à se tourner vers du neuf. </p>
<p>Enfin, la disponibilité des pièces détachées est un autre point de friction majeur. Car les fabricants ne fournissent pas toujours les pièces nécessaires au-delà d’une certaine période après la production de l’appareil. Même lorsque les pièces sont disponibles, leur coût, ajouté à celui de la main-d’œuvre, peut rendre la réparation économiquement irréaliste.</p>
<h2>Réparer : le consommateur au centre de l’équation ?</h2>
<p>En France, bien que les consommateurs aient une image positive de la réparation, qu’ils associent principalement à un acte écologique, cette pratique reste minoritaire. En effet, selon une étude de 2019 intitulée <a href="https://harris-interactive.fr/wp-content/uploads/sites/6/2020/06/rapport-francais-reparation-perception-pratique-2020.pdf">Les Français et la réparation : Perceptions et pratiques</a> réalisée par Harris Interactive pour le compte de l’ADEME, 54 % des Français interrogés choisissaient de remplacer un produit tombé en panne plutôt que de le réparer. Le coût de la réparation est le principal frein à la réparation, cité par 68 % d’entre eux.</p>
<p>Mais réparer ou non un objet, n’est pas non plus qu’une affaire de prix, de confiance en la qualité du produit réparé et de disponibilité. Comme le rappelle la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959652620356900">sociologue Nazli Terzioglu</a>, la réparation est également affaire d’émotions et de valeurs, et diverge de fait en fonction de notre savoir-faire technique, du temps et de l’effort requis, des coûts financiers, des préoccupations environnementales, du plaisir perçu dans l’acte de réparation, et de la valeur symbolique ou fonctionnelle attribuée aux objets.</p>
<p>Par exemple, l’attachement émotionnel à un objet peut servir de puissante motivation à sa réparation, alors que le manque de confiance dans l’objet réparé en termes de sécurité peut représenter une barrière.</p>
<h2>Rien ne se perd, tout se répare : reprendre le contrôle des objets du quotidien</h2>
<p>Au-delà de ces considérations personnelles, enfin, la réparation est également devenue une affaire de législateurs. Dans sa quête pour une Europe plus verte, la Commission a récemment introduit de nouvelles règles communes visant à promouvoir la réparation des biens. Intitulée <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_24_608"><em>Right to Repair</em></a>, cette nouvelle directive renforce le droit à la réparation sur une multitude d’appareils tels que le lave-linge, le lave-vaisselle, le réfrigérateur, l’aspirateur et le téléphone portable. En mettant l’accent sur la durabilité et l’accessibilité de la réparation, l’Europe espère non seulement réduire les déchets électroniques mais également lutter contre l’<a href="https://theconversation.com/vos-appareils-electroniques-sont-ils-obsoletes-de-plus-en-plus-rapidement-169765">obsolescence programmée</a>. La réussite de cette initiative pourrait marquer un tournant décisif dans notre rapport aux biens de consommation, si le texte, en cours de finalisation, reste fidèle à sa première ambition.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/581262/original/file-20240312-18-y2kmno.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/581262/original/file-20240312-18-y2kmno.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581262/original/file-20240312-18-y2kmno.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581262/original/file-20240312-18-y2kmno.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581262/original/file-20240312-18-y2kmno.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581262/original/file-20240312-18-y2kmno.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581262/original/file-20240312-18-y2kmno.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581262/original/file-20240312-18-y2kmno.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En plus de cette condition, il est également possible de s’interroger sur un potentiel bras de fer entre les fabricants de pièces détachées et les réparateurs indépendants. Si les fabricants de pièces détachées ne parviennent pas à proposer des prix raisonnables pour ces pièces, cela pourrait finalement entraîner une augmentation des coûts de réparation. En conséquence, cela pourrait donc dissuader les consommateurs de faire réparer leurs produits, ce qui va à l’encontre de l’objectif principal du <em>Right to Repair</em> qui est de faciliter l’accès à la réparation et de prolonger la durée de vie des produits. </p>
<p>Par ailleurs, les réparateurs indépendants doivent également prendre en compte les coûts de stockage des produits, de la main-d’œuvre, du transport, ainsi que des équipements et de leur maintenance. Par conséquent, il est probable que la réparation d’objets de faible valeur devienne économiquement peu viable.</p>
<p>Pourtant, on voit naître dans le secteur de la réparation un certain nombre d’initiatives inspirantes. Startups, associations, et plates-formes dédiées offrent des solutions pratiques et accessibles pour ceux désireux de réparer plutôt que de remplacer. Par exemple, porté par Grenoble-Alpes Métropole, le nouveau site métropolitain <a href="https://www.grenoblealpesmetropole.fr/actualite/189/45-pole-r-le-lieu-totem-du-reemploi-a-ouvert-ses-portes.htm">Pôle R</a> d’une superficie de 8 000 m<sup>2</sup> dédié à l’économie circulaire, abrite la <a href="https://www.grenoblealpesmetropole.fr/actualite/174/45-la-nouvelle-donnerie-depose-minute-simple-rapide-et-pratique.htm">Donnerie</a>, un service qui permet aux habitants de déposer des objets en bon état ou facilement réparables dont ils n’ont plus besoin.</p>
<p>La réparation à distance par visioconférence fait également de plus en plus d’adeptes. Après un pré-diagnostic par téléphone, la start-up <a href="https://start.lesechos.fr/innovations-startups/tech-futur/pivr-la-startup-pour-reparer-a-distance-son-electromenager-1174815#:%7E:text=Lanc%C3%A9e%20il%20y%20a%20seulement,avec%20l'aide%20de%20professionnels.&text=Les%20rouages%20des%20machines%20%C3%A0,plus%20de%20secrets%20pour%20elles.">Pivr</a> met en relation ses clients avec des réparateurs professionnels. Si une pièce détachée est nécessaire, une seconde visioconférence est programmée à la réception de la pièce détachée pour diriger le consommateur sur le changement de la pièce. La start-up <a href="https://www.lesechos.fr/start-up/deals/spareka-mise-sur-le-filon-de-lautoreparation-1912260">Spareka</a> propose, quant à elle, un chatbot, des tutoriels vidéo pour faciliter les diagnostics et l’autoréparation ainsi qu’un accès à 8 millions de pièces détachées pour réparer ses appareils.</p>
<p>D’autres initiatives visaient à créer du lien tout en donnant une seconde vie à un objet. C’est par exemple l’objectif du mouvement <a href="https://www.repaircafe.org/fr/">Repair Café</a>, un concept instauré en 2009 aux Pays-Bas par la journaliste et militante écologiste Martine Postma et largement déployé depuis. </p>
<p>D’après une étude récente publiée dans le <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/jiec.13451">Journal of Industrial Ecology</a> analysant les pratiques de réparation de 922 personnes ayant déjà fréquenté des Repair Cafés, l’acte de réparation est motivé par plusieurs raisons. Leur décision est influencée non seulement par leur évaluation personnelle de ce que signifie réparer – par exemple, la satisfaction de prolonger la vie d’un produit ou la fierté de contribuer à la réduction des déchets – mais aussi par la dimension sociale liée à l’acte de réparation. Ces aspects sociaux comprennent l’interaction avec d’autres personnes partageant les mêmes idées, l’apprentissage auprès d’experts en réparation et le sentiment d’appartenance à une communauté qui valorise des actions pro-environnementales. Par ailleurs, les interrogés expliquent également qu’ils se rendent dans des Repair Cafés pour des raisons de facilité et de commodité de la réparation de produits (accès aux outils, aux pièces détachées et aux connaissances requises).</p>
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<figcaption><span class="caption">Vidéo du Parlement Européen faisant la promotion de la réparation des objets, en mettant notamment à l’honneur un Repair Café d’Amsterdam.</span></figcaption>
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<h2>Réparer ou racheter : un bilan contrasté en France</h2>
<p>En France, cette directive Right to Repair vient s’ajouter au <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/bonus-reparation">Bonus réparation</a> proposé par le Gouvernement pour allonger la durée de vie des équipements. Les consommateurs peuvent bénéficier d’une réduction sur leur facture de réparation (en moyenne 17 % du coût total pour une aide allant de 15 à 60 €), à condition de se rendre chez <a href="https://annuaire-qualirepar.ecosystem.eco/">l’un des 4 700 réparateurs agréés QualiRépar</a>.</p>
<p>Un an après son lancement, le bilan reste mitigé : le bonus n’a été mobilisé que pour 0,2 % des pannes et 1,7 % des réparations hors garantie en 2023. C’est ce que révèle <a href="https://www.halteobsolescence.org/wp-content/uploads/2024/01/Rapport-HOP-Bonus-reparation.pdf">l’étude menée par l’association Halte à l’obsolescence programmée (HOP)</a>, qui met en évidence d’autres manquements tels que le faible nombre de réparateurs (74 % des réparateurs non labellisés considèrent le coût de labellisation trop élevé, et 52 % d’entre eux trouvent le délai de remboursement trop long), la complexité des procédures, une communication trop discrète, et des montants de prise en charge insuffisants.</p>
<p>Le succès de la directive européenne <em>Right to Repair</em> dépendra dès lors de sa mise en œuvre effective et de l’engagement des parties prenantes à tous les niveaux. Les fabricants devront s’adapter à ces nouvelles exigences qui seront définies par le futur <a href="https://eeb.org/ecodesign-eu-one-step-closer-to-making-sustainable-products-the-norm/">règlement sur l’éco-conception</a> (Ecodesign for Sustainable Products Regulation – ESPR) en cours de négociation, tandis que les consommateurs devront être sensibilisés à l’importance de la réparation et du recyclage. Un modèle économique viable de la réparation est également crucial pour rendre celle-ci attractive auprès des acteurs du secteurs comme des consommateurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225587/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le Parlement Européen tâche de se doter d'une politiques ambitieuses en matière de réparation des objets. Mais pour que celle-ci se généralise, il faut encore que cette action soit économiquement viable.Sebastien Bourdin, Professeur de Géographie économique, Titulaire de la Chaire d'excellence européenne "Economie Circulaire et Territoires", EM NormandieNicolas Jacquet, Assistant de Recherche ∙ Chaire d'excellence européenne « Économie circulaire et Territoires », EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2260882024-03-24T17:50:31Z2024-03-24T17:50:31ZRèglement européen sur l’IA : un texte voté mais encore des ambiguïtés<p>L’UE a est en voie de réussir son pari : <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20240308IPR19015/intelligence-artificielle-les-deputes-adoptent-une-legislation-historique">adopter la première réglementation d’envergure encadrant les usages de l’intelligence artificielle</a> (ou AI Act). Le règlement sur l’intelligence artificielle (RIA) a fait l’objet <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/12/09/artificial-intelligence-act-council-and-parliament-strike-a-deal-on-the-first-worldwide-rules-for-ai/">d’un accord politique</a> le 8 décembre 2023 avant d’être voté par les eurodéputés le <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2024-0138_FR.html">mercredi 13 mars</a>, en attendant le vote en mai par le Conseil de l’UE. Son application entière ne se fera néanmoins pas avant deux ans, soit en 2026. Dans un premier temps, la régulation pourrait se faire essentiellement par des codes de bonne pratique.</p>
<p>Depuis un an, beaucoup ont pu expérimenter les prouesses des outils capables de sortir un texte comme ChatGPT ou une image comme Midjourney à partir de quelques consignes données dans un « prompt ». Est aussi apparue <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/09/14/le-vertige-des-ia-capables-de-doubler-votre-voix-dans-une-langue-etrangere_6189420_3234.html">HeyGen,</a> qui permet de créer un avatar vidéo clonant sa propre voix et adaptant le mouvement des lèvres pour parler dans une langue choisie. Google a lancé une IA générative permettant la création d’une musique à partir d’une simple mélodie fredonnée, <a href="https://www.numerama.com/tech/1395136-on-a-essaye-musiclm-lia-de-google-qui-transforme-les-mots-en-musique.html">MusicLM</a>, en attendant <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/20/avec-sora-la-generation-de-videos-par-intelligence-artificielle-pourrait-franchir-un-cap_6217555_3234.html">Sora</a>, le générateur de vidéos révolutionnaire d’Open AI, créateur de <a href="https://theconversation.com/chatgpt-et-intelligences-artificielles-comment-deceler-le-vrai-du-faux-200181">ChatGPT</a>, qui sera bientôt lancé sur le marché et capable de créer sur simple saisie de texte des vidéos réalistes.</p>
<p>L’espace public regorge aussi d’illustrations des risques générés par l’utilisation de ces applications. Aux États-Unis, deux avocats qui s’étaient fait aider par ChatGPT ont pu se retrouver pris au piège et ont fait <a href="https://www.reuters.com/legal/new-york-lawyers-sanctioned-using-fake-chatgpt-cases-legal-brief-2023-06-22/">référence à des jurisprudences qui n’existaient tout simplement pas</a>. Au-delà des hallucinations, ce sont les risques de <a href="https://theconversation.com/lia-generative-un-acteur-majeur-dans-une-societe-de-la-desinformation-225051">désinformation</a> qui inquiètent, surtout en <a href="https://www.numerama.com/tech/1652422-openai-a-un-probleme-faut-il-lancer-sora-son-ia-generative-de-videos-avant-ou-apres-les-elections-americaines.html">cette année électorale</a>.</p>
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<p>Le texte voté propose un encadrement des systèmes d’IA à partir d’une approche par les risques. Certaines IA sont interdites, d’autres ne pourront être commercialisés qu’après avoir subi un examen de leur conformité. L’idée : trouver un compromis entre encadrer les pratiques et ne pas brider l’innovation. C’est sur ce point que la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/12/15/intelligence-artificielle-la-france-n-a-pas-renonce-a-assouplir-l-ai-act_6206049_3234.html">France</a> a cherché à assouplir ce texte. Il s’agit néanmoins là d’un délicat exercice d’équilibrisme.</p>
<h2>Une approche par les risques</h2>
<p>La création d’un régime spécifique pour les modèles d’IA à usage général (<em>general purpose artificial intelligence</em> en anglais ou GPAI) est sans aucun doute l’une des grandes nouveautés introduites en cours de négociations. Ces modèles sont entraînés sur une grande quantité de données et sont capables d’exécuter un large éventail de tâches et d’être intégrés à de nombreuses variétés de systèmes ou d’application. Ils servent de fondation à d’autres systèmes. Ainsi, ChatGPT constitue une IA générative construite notamment à partir du modèle de langage GPT-4 qui est une GPAI.</p>
<p>Le RIA introduit une nouvelle catégorie, celle de modèles de GPAI susceptibles d’engendrer des risques systémiques. Ce sont ceux dépassant une certaine puissance de calculs ou qui ont aux moins 10 000 utilisateurs professionnels enregistrés, des seuils qui pourront être aménagés par la Commission européenne pour prendre en compte l’évolution du marché. La notion de « risque systémique » renvoie, elle, aux modèles qui sont susceptibles d’avoir un impact significatif dans l’UE et « des effets négatifs réels ou raisonnablement prévisibles sur la santé publique, la sûreté, la sécurité publique, les droits fondamentaux ou la société dans son ensemble ». Ils peuvent potentiellement se propager à grande échelle notamment auprès des utilisateurs de ces modèles lorsqu’ils les intégrent dans leurs systèmes ou applications.</p>
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<p>Cette approche par la notion de risque systémique est à rapprocher d’un autre texte phare récemment adopté par l’Union européenne, le <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/285115-dsa-le-reglement-sur-les-services-numeriques-ou-digital-services-act"><em>Digital Service Act (DSA)</em></a>. Celui-ci impose aux très grandes plates-formes et aux très grands moteurs de recherche des obligations supplémentaires, notamment en ce qui concerne des risques systémiques liés à leurs systèmes de modération, de contenus ou de recommandation. La procédure de détermination des modèles de GPAI est similaire à la procédure de désignation des grands acteurs précités dans le DSA : soit les acteurs se désignent eux-mêmes, soit la Commission européenne, assistée par un panel scientifique, pourra les inscrire unilatéralement sur sa liste des modèles de GPAI à risque systémique. Cette liste sera publique.</p>
<p>Au-delà de ces analogies, des différences d’importance sont notables. Dans le DSA, il s’agit de renforcer significativement l’encadrement des grands acteurs par rapport aux autres plates-formes en ligne et moteurs de recherche moins puissants. Dans le RIA, la création de la nouvelle catégorie des modèles de GPAI a abouti à leur créer un régime plus arrangeant que celui des systèmes d’IA à haut risque. Autrement dit, il s’agit de rechercher un point d’équilibre entre un encadrement aussi souple que possible et aussi contraignant que nécessaire.</p>
<p>Le régime spécifique des modèles de GPAI repose essentiellement sur une série d’obligations de transparence et non une exigence de conformité préalable à leur mise en service dans le marché intérieur comme pour les SIA à haut risque, ce qui n’est pas sans ambivalences.</p>
<h2>Un « résumé suffisamment détaillé »</h2>
<p>Le RIA obligera l’ensemble des fournisseurs de modèles de GPAI à établir et à tenir à jour une documentation technique comportant un ensemble d’information précise. Cela permettra notamment de savoir quels corpus de données ont été utilisés pour entraîner le modèle, le tester, le valider et aussi d’où viennent ces données et comment elles ont été collectées. Cette documentation technique doit inclure la consommation d’énergie connue ou estimée du modèle.</p>
<p>Le nouveau texte n’impose pas que cette documentation technique soit rendue publique, mais seulement qu’elle soit transmise aux régulateurs. Seul un « résumé suffisamment détaillé » des contenus utilisés pour entraîner le modèle devra être accessible à tous, formulation ambivalente par excellence.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1766017052194582634"}"></div></p>
<p>Les pessimistes souligneront que, à la grande différence du DSA, aucun accès direct de principe à ces données n’est envisagé ni pour les régulateurs ni pour les chercheurs ou des experts indépendants chargés d’auditer ces modèles. Autrement dit, la délivrance de ces informations cruciales serait d’abord subordonnée à la bonne foi des acteurs. Ces dernières devront néanmoins coopérer avec les autorités nationales compétentes et la Commission. En cas de non-respect de ses demandes, cette dernière pourra infliger aux fournisseurs de modèle de GPAI une amende pouvant aller jusqu’à 3 % de son chiffre d’affaires annuel mondial de l’exercice précédent ou 15 millions d’euros.</p>
<p>Les fournisseurs de modèles de GPAI doivent également fournir une documentation technique aux fournisseurs de systèmes d’IA qui utilisent et intègrent le modèle GPAI dans leurs applications ou systèmes. Ces informations ont une double utilité : bien comprendre les tâches auxquelles le modèle est destiné et responsabiliser qui ne l’utiliserait pas pour la destination prévue ou qui opèrerait des modifications substantielles. Dans de tels cas, les conséquences légales sont transférées : le développeur deviendrait concepteur d’un nouveau modèle de GPAI avec les contraintes spécifiques qui vont avec.</p>
<p>Sont responsabilisés également ceux qui importent ou mettent sur le marché en Europe des IA conçues hors du territoire des 27. De manière générale cependant, l’obligation de documentation technique telle qu’elle est posée ne permet pas de clarifier suffisamment dans quelle mesure ceux-ci seront soumis aux mêmes contraintes.</p>
<h2>Des droits d’auteur vraiment protégés ?</h2>
<p>Le RIA impose en outre aux fournisseurs de modèle de GPAI de mettre en place une politique concernant le respect du droit d’auteur. Ici encore cela ne se fait pas sans ambiguïté. L’<a href="https://theconversation.com/copyright-droit-dauteur-quel-statut-juridique-pour-lia-dans-la-creation-audiovisuelle-215370">impact des IA Génératives sur ce dernier</a> est au cœur du débat public tant en Europe qu’aux États-Unis.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1713944381235851415"}"></div></p>
<p>Dans l’UE, le débat a porté sur la nécessité de réviser l’<a href="https://www.sne.fr/actu/une-clause-type-pour-sopposer-a-la-fouille-de-textes-et-de-donnees-par-les-intelligences-artificielles/">exception de fouilles de textes</a> qui permet l’utilisation par des modèles d’IA de données couvertes par le droit d’auteur mais librement accessible sur Internet, tant que les ayant-droits n’ont pas exprimé leur opposition. Le RIA ne la remet pas en cause mais oblige les fournisseurs de modèle de GPAI à mettre en place des technologies leur assurant qu’ils respectent bien l’opposition exprimée des auteurs.</p>
<p>Autrement dit, le texte incite les auteurs à s’organiser pour exercer leurs droits d’opposition. De leur côté, les fournisseurs de modèles de GPAI doivent pouvoir attester que ces droits ont bien été respectés. Ils devraient aussi attester de l’effacement automatique des données couvertes par l’exception dès lors que leur modèle a été entraîné, testé et validé. On peut cependant rester sceptique à l’idée que rendre public un « résumé détaillé » sur le contenu des données utilisées par les modèles de GPAI qui permette en pratique aux ayant-droits de pouvoir vérifier l’éventuel usage de leurs données protégées.</p>
<h2>Une exception « open source » raisonnée</h2>
<p>Les modèles mis à disposition du public sous une licence gratuite et laissant un accès ouvert à leurs caractéristiques techniques (on parle d’« open source ») n’ont pas à mettre en place une politique de respect des droits d’auteurs ni à publier un résumé détaillé sur les contenus utilisés pour leurs entraînements. C’est par exemple le cas de LlaMA, le langage de Meta, mais pas celui de GPT4 qui est un modèle « propriétaire », c’est-à-dire dont les fondations techniques ne sont pas partagées.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1768914440710176983"}"></div></p>
<p>Cette exception fait écho à la bienveillance générale du RIA pour la recherche. Pour autant, le RIA ne s’enferme pas dans une approche naïve de l’<em>Open source</em>. L’exception ne s’applique pas aux modèles fournis contre rémunération, ne concerne pas les modèles de GPAI à risque systémique, ni ceux qui ne cocheraient que quelques critères définissant un modèle open source. La question pourrait se poser à l’avenir pour la <a href="https://www.maddyness.com/2024/03/12/mistral-ai-lassure-la-start-up-francaise-nabandonnera-pas-lopen-source-apres-son-partenariat-avec-microsoft/">start-up française Mistral IA</a>.</p>
<h2>Un tonneau des Danaïdes</h2>
<p>L’effectivité de l’encadrement des modèles de GPAI par le règlement, marquée ainsi par de nombreuses ambiguïtés, est, en définitive, subordonnée au cadre de gouvernance qu’il propose. Une attention toute particulière devra être accordée au <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/creation-du-bureau-europeen-de-l-ia-retour-sur-ses-missions-et-taches">bureau de l’IA</a> de la Commission qui vient d’être créé. C’est à ce dernier que l’essentiel du contrôle et de l’accompagnement de ces acteurs vers la conformité est confié.</p>
<p>La tâche consistera notamment à adopter un ensemble de documents qui permettront de clarifier les nombreuses ambivalences du RIA. La tâche pourrait s’apparenter à un tonneau des Danaïdes visant à adapter sans cesse la régulation à l’évolution de la technique et du marché. Mais après tout n’est-ce pas le propre de toute régulation que de permettre l’ajustement plus quotidien du cadre juridique en étant à l’écoute des acteurs et des progrès de la technique ?</p>
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<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=261&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576030/original/file-20240215-28-rdmhxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=328&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Cet article fait partie du dossier <a href="https://dauphine.psl.eu/eclairages/dossier/les-intelligences-artificielles-generatives-lenvers-du-decor">« Intelligences artificielles génératives : l’envers du décor »</a>, publié par le média scientifique en ligne de l’Université Paris Dauphine – PSL.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226088/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivia Tambou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Parlement européen a adopté la première réglementation d’envergure encadrant les usages de l’IA, un texte qui reste tout de même largement ambivalent.Olivia Tambou, Maître de conférences en droit, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2227882024-03-21T15:41:07Z2024-03-21T15:41:07ZEn 25 ans d’existence, l’euro a balayé les critiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/573436/original/file-20240205-21-uziwr8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1920%2C1434&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La population européenne se déclare aujourd'hui à 80% favorable à la monnaie unique.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.publicdomainpictures.net/fr/view-image.php?image=150636">Publicdomainpictures.net</a></span></figcaption></figure><p>25 ans après son lancement officiel en 1999, l’euro est un adulte en pleine forme et le nombre de pays de la zone euro n’a cessé de croître depuis sa création, passant de 11 en 1999 à 20 avec l’entrée de la Croatie le 1<sup>er</sup> janvier 2023. Selon les termes mêmes du traité de Maastricht, la zone euro doit d’ailleurs poursuivre son élargissement à moyen terme à tous les pays de l’Union européenne (UE) qui n’ont pas souscrit explicitement une clause d’« opt out » (désengagement) comme le Danemark.</p>
<p>Au-delà du cercle officiel de ses quelque 330 millions d’usagers équivalent à la population des États-Unis (340 millions) et incluant 4 micro-États officiellement autorisés à l’utiliser (Andorre, Monaco, Saint-Marin et Le Vatican), l’euro étend son influence à des pays ou régions qui en ont fait unilatéralement leur monnaie, <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/leuro-au-centre-des-reglements-de-comptes-entre-le-kosovo-et-la-serbie-2072577">comme le Monténégro ou le Kosovo</a>, ou qui indexent volontairement leur devise sur la monnaie commune.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-croatie-dans-la-zone-euro-laboutissement-de-30-ans-de-redressement-economique-202764">La Croatie dans la zone euro, l’aboutissement de 30 ans de redressement économique</a>
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<p>Succès planétaire, il est accepté comme moyen de paiement dans de nombreux territoires et même… par les <a href="https://www.geneva-airport-taxi.com/fr/prix-du-taxi-geneve-ce-que-vous-devez-savoir-avant-de-reserver-votre-course/">taxis de Genève</a>.</p>
<h2>Prophéties erronées</h2>
<p>Au sein même de la zone euro, les virulentes critiques des partis eurosceptiques qui estimaient que la monnaie était une forme d’abdication de la souveraineté nationale se sont progressivement estompées. La hausse régulière du taux d’adhésion de la population, qui se situe à <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/la-cote-de-popularite-de-leuro-continue-daugmenter-2030912">près de 80 % aujourd’hui</a>, les ont en effet progressivement contraints à abandonner une posture radicale car <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/01/01/pourquoi-la-sortie-de-l-euro-n-est-plus-un-slogan-politique_6107844_3234.html">trop coûteuse électoralement</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1727563747680551167"}"></div></p>
<p>Pour mesurer le succès de l’euro, il faut également se souvenir des pronostics apocalyptiques de nombre d’économistes monétaires anglo-saxons qui affirmaient que le projet ne verrait jamais le jour et que, dans l’hypothèse peu probable de son lancement, la monnaie exploserait à la première grande crise.</p>
<p>Au premier rang des sceptiques, <a href="https://www.project-syndicate.org/commentary/the-euro--monetary-unity-to-political-disunity">l’économiste américain Milton Friedman</a> expliquait en 1997, soit deux ans avant sa naissance, que, contrairement aux États-Unis, les fragmentations du droit du travail et des protections sociales nationales très disparates brideraient la libre circulation des hommes et des capitaux <a href="https://www.melchior.fr/notion/zone-monetaire-optimale">nécessaires au mécanisme d’ajustement d’une zone monétaire optimale</a>.</p>
<p>Sur un territoire connaissant de fortes divergences de cycles économiques, par exemple entre pays industriels et touristiques, la politique monétaire de la future banque centrale s’apparenterait donc, comme l’expliquait alors Rudiger Dornbusch, professeur au MIT, à <a href="https://econpapers.repec.org/paper/cprceprdp/1804.htm">« tirer sur une cible mouvante dans le brouillard »</a>.</p>
<p>Dernier argument de taille des eurosceptiques : en cas de crise grave localisée dans un seul pays, le carcan de la monnaie unique interdirait toute dévaluation de la monnaie, se traduisant nécessairement par un violent ajustement interne sous forme d’une chute brutale des revenus et du pouvoir d’achat insupportables pour la population.</p>
<h2>La Grèce toujours dans le club</h2>
<p>C’est exactement ce qui s’est produit en Grèce au cours de la longue crise financière de 2008-2015. Le pays a effectivement frôlé la sortie de l’euro lors du référendum national du 5 juillet 2015 par lequel les citoyens grecs ont refusé à une large majorité (60 %) les conditions du plan de sauvegarde imposé par la Banque centrale européenne (BCE), la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI).</p>
<p>Découvrant dès le lendemain l’impossibilité de retirer des billets aux distributeurs, les députés grecs ont finalement approuvé en catastrophe, le 13 juillet 2015, un plan de rigueur encore plus douloureux pour rester dans l’euro.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-retour-a-la-normale-pour-leconomie-grecque-220399">Un retour à la normale pour l’économie grecque ?</a>
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<p>Depuis 2019 les drames de l’hyperinflation dans deux pays proches, au Liban qui a fait basculer <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/02/le-liban-trahi-par-ses-responsables_6184233_3232.html">80 % du pays dans la grande pauvreté</a> et <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/la-turquie-finit-l-annee-avec-quasiment-65-d-inflation-sur-un-an-en-decembre-un-record-987002.html">dans une moindre mesure en Turquie</a>, ont achevé de convaincre les Européens de la protection d’une monnaie forte.</p>
<p>Si les habitants de la zone euro ont très vite pris conscience des <a href="https://european-union.europa.eu/institutions-law-budget/euro/benefits_fr">avantages pratiques</a> de la monnaie unique avec la disparition des frais de transaction et du risque de change d’Helsinki à Lisbonne, les entreprises ont pu de leur côté comparer les prix et mettre en place rapidement des plans stratégiques servant un vaste marché unique. Quant aux marchés financiers, ils ont gagné en stabilité et en profondeur au fil de leur intégration, symbolisée par l’émergence de la <a href="https://www.abcbourse.com/apprendre/1_euronext.html">bourse paneuropéenne Euronext en 2000</a>.</p>
<h2>Le rôle clé de la BCE</h2>
<p>Si l’euro est une indéniable réussite, le mérite en revient d’abord à la Banque centrale européenne (BCE) qui a su gérer deux crises économiques d’une ampleur jamais vue depuis 1929. Face aux deux cataclysmes économiques de 2008 et 2020, elle a dû, comme les autres grandes banques centrales, réviser de fond en comble une doctrine multiséculaire depuis la création de la banque d’Angleterre en 1694 en appliquant pour la première fois de son histoire, une politique monétaire dite non conventionnelle.</p>
<p>Mêlant taux d’intérêt nuls, <a href="https://www.ecb.europa.eu/ecb/educational/explainers/tell-me-more/html/why-negative-interest-rate.fr.html">voire négatifs</a>, et émission massive de monnaie qui a <a href="https://www.economist.com/special-report/2022/04/20/the-perils-of-expanded-balance-sheets">multiplié la taille de son bilan</a>, cette politique audacieuse a permis d’éviter deux dépressions économiques durables.</p>
<p>Tout au plus peut-on reprocher à l’actuelle présidente de la BCE, Christine Lagarde, et ses collègues de Francfort d’avoir tardé, <a href="https://theconversation.com/fed-et-bce-deux-rythmes-mais-une-meme-strategie-contre-linflation-185059">contrairement à la Réserve fédérale américaine</a> (Fed), beaucoup plus réactive, à remonter les taux quand l’inflation a resurgi brutalement en 2021. La BCE, alors soucieuse d’éviter une rechute de l’économie, avait sous-estimé la composante monétaire de l’inflation pour l’attribuer essentiellement aux chocs externes et aux goulets d’étranglement logistiques liés au Covid-19 et à la guerre en Ukraine.</p>
<p>Loin de l’affaiblir, les crises de sa jeunesse ont donc renforcé le pouvoir de la BCE, car après la crise des subprimes de 2008, il est apparu clairement que la stabilité financière impliquait une meilleure supervision des mastodontes de la finance qu’étaient devenues les grandes banques. Les États membres de l’Union européenne ont ainsi confié en 2014 à la BCE la supervision des 130 plus grandes banques européennes dites systémiques (qui risquaient d’ébranler la stabilité financière de la zone) maintenant le reste des <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/271077-la-banque-centrale-europeenne-une-institution-aux-pouvoirs-renforces">quelque 8 300 banques de la zone euro</a> sous le contrôle du superviseur national (l’ Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en France).</p>
<h2>Construction inachevée</h2>
<p>Si l’Europe a évité les conséquences des faillites de la Silicon Valley Bank aux États-Unis et du Credit Suisse en 2023, il reste encore à parfaire l’union bancaire par un véritable système européen d’assurance des dépôts, aujourd’hui bloqué par l’Allemagne qui <a href="https://fr.euronews.com/business/2023/03/27/pourquoi-lunion-bancaire-de-lue-nest-pas-encore-achevee">refuse toujours une solidarité financière</a> avec les pays du Sud du continent.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/credit-suisse-les-lecons-dune-lente-descente-aux-enfers-202363">Credit Suisse : les leçons d’une lente descente aux enfers</a>
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<p>Mais le point noir de la zone euro reste incontestablement le renforcement du pilier budgétaire de l’union monétaire. Pour faire partie du club de l’euro, chaque pays devait satisfaire à 5 critères de convergence : un déficit public inférieur à 3 % du PIB, une dette publique inférieure à 60 % du PIB, une inflation faible, des taux d’intérêt à long terme modérés et une stabilité de son taux de change par rapport aux autres devises européennes.</p>
<p>Une fois dans le club, le Pacte de stabilité et de croissance mis en place en 1997 était <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/21801-quest-ce-que-le-pacte-de-stabilite-et-de-croissance-psc">censé discipliner les États membres</a> en assurant un minimum de discipline budgétaire pour éviter qu’un pays trop dépensier n’emprunte excessivement, entraînant une hausse des taux d’intérêt à long terme préjudiciable aux autres pays membres ou générant une méfiance vis-à-vis de la monnaie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/depenses-publiques-la-fin-de-44-annees-de-hausse-225469">Dépenses publiques : la fin de 44 années de hausse ?</a>
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<p>Or, les grandes crises de 2008 et de 2020 ont nécessité des politiques de soutien à l’activité via une hausse spectaculaire des déficits et de la dette. Ces politiques contra-cycliques ont conduit à une divergence entre les pays dits « frugaux » du Nord et les cigales – parmi lesquelles on peut classer la France. Cette divergence s’est en effet accentuée à partir de mars 2020 quand la Commission européenne a invoqué les circonstances exceptionnelles prévues par le traité pour suspendre les effets du Pacte jusqu’à la fin 2023.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/deficit-public-pourquoi-les-objectifs-affiches-ne-sont-jamais-atteints-215168">Déficit public : pourquoi les objectifs affichés ne sont jamais atteints</a>
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<p>Néanmoins, l’euro dispose aujourd’hui d’une assise suffisante pour envisager ses futures évolutions comme la mise en place d’un <a href="https://www.ecb.europa.eu/paym/digital_euro/faqs/html/ecb.faq_digital_euro.fr.html">e-euro ou euro numérique</a>. Ce nouveau moyen de paiement, instantané et gratuit pour les particuliers et les entreprises, rapide et sécurisé, serait directement émis par le Système européen de banques centrales de la zone euro, mais géré par des fournisseurs de services de paiement rémunérés par les commerçants via des commissions très faibles. Il devrait voir le jour à l’horizon 2026-2027.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Cette contribution est publiée en partenariat avec le <a href="https://www.printempsdeleco.fr/">Printemps de l’Économie</a>, cycle de conférences-débats qui se tiendront du mardi 2 au vendredi 5 avril au Conseil économique, social et environnemental (Cese) à Paris. Retrouvez ici le <a href="https://www.printempsdeleco.fr/12e-edition-2024">programme complet</a> de l’édition 2024, intitulée « Quelle Europe dans un monde fragmenté ? »</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222788/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les partis eurosceptiques ont notamment abandonné leur rhétorique, devenue trop coûteuse électoralement, contre la monnaie unique.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2253802024-03-20T15:58:44Z2024-03-20T15:58:44ZFaut-il changer de modèles macroéconomiques pour être à la hauteur du Pacte vert européen ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580694/original/file-20240308-18-5vpjm5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=101%2C36%2C1943%2C1324&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Actuellement, les modèles issus de l'économie écologique ne sont pratiquement pas utilisés par les institutions européennes.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/european_parliament/53188705655">Flickr/European Parliament</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les modèles sont centraux dans la science économique. Certains économistes considèrent même que c’est l’usage de ceux-ci qui <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807305793-peut-faire-confiance-aux-economistes">distingue l’économie des autres sciences sociales</a> et en fait une discipline à part entière. Ces modèles permettent de proposer des explications de phénomènes économiques observés, de raisonner comme on le ferait dans une discussion ordinaire, mais sous contrainte d’un formalisme mathématique.</p>
<p>Un tel formalisme est censé assurer transparence et cohérence dans le raisonnement, tout en évitant d’avoir à réfléchir avec une « carte d’échelle 1 ». En macroéconomie, l’usage de modèles mathématiques permet en outre de décrire des systèmes complexes et d’envisager la résultante de multiples effets contradictoires, ce qui serait parfois impossible par la seule expérience de pensée.</p>
<p>Les modèles sont donc abondamment utilisés dans les administrations, gouvernements et banques centrales, où ils sont utilisés à toutes les étapes de l’élaboration des politiques publiques. Comme le justifie le <a href="https://www.ecb.europa.eu/press/blog/date/2023/html/ecb.blog230705%7Ed16c61381c.en.html">blog de la Banque centrale européenne</a> (BCE) :</p>
<blockquote>
<p>« Demander à un économiste d’expliquer les comportements économiques ou de faire des prédictions sans modèle, c’est comme demander à un météorologue de prédire le temps qu’il fera en regardant le ciel. »</p>
</blockquote>
<p>Pourtant, contrairement aux modèles climatiques dont la précision et le pouvoir de prédiction ne sont plus à démontrer, les modèles macroéconomiques n’ont pas la chance de pouvoir se baser sur les lois universelles de la physique. Ils présentent des performances nettement plus mitigées, à tel point que Christine Lagarde, la présidente de la BCE, <a href="https://www.euractiv.com/section/economy-jobs/news/a-tribal-clique-lagarde-denounces-economists-at-davos/">n’a pas mâché ses mots lors du Forum économique mondiale de Davos en janvier dernier</a> en conseillant de « se méfier des modèles [économiques] », dont elle décrivait la qualité des prédictions comme « abyssale ».</p>
<h2>« Clique tribale »</h2>
<p>La Commission européenne, tout comme la BCE, se fonde principalement sur des modèles dits « d’équilibre général » pour élaborer ses analyses macroéconomiques, telles que le <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=COM%3A2024%3A63%3AFIN">calcul du coût de la décarbonation de l’économie européenne</a>. Or, comme nous l’avons <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4640677">analysé en détail dans un récent travail de recherche</a>, ces classes de modèles présentent une série de faiblesses, notamment du fait de leur structure sous forme d’optimisation.</p>
<p>Cette optimisation cadenasse les dynamiques du modèle et rend impossible la représentation de fluctuations endogènes au système économique. Ainsi, les cycles conjoncturels et les déséquilibres dans l’économie ne peuvent être représentés que sous la forme de « chocs » extérieurs, venant éloigner le modèle de son équilibre « naturel » – chocs dont l’existence est bien souvent supposée ex post comme explication des fluctuations, <a href="https://ccl.yale.edu/sites/default/files/files/The%20Trouble%20with%20Macroeconomics%20(Updated).pdf">mais sans être réellement identifiés</a>. Ces insuffisances apparaissent d’autant plus marquées dans le contexte du Pacte vert européen, qui constitue un premier pas vers une transformation en profondeur de l’économie européenne, en réponse à l’effondrement écologique.</p>
<p>Nous n’en concluons pas pour autant qu’il vaudrait mieux se passer de modèles. <a href="https://www.piie.com/publications/policy-briefs/do-dsge-models-have-future">Olivier Blanchard</a>, chef économiste du Fonds monétaire international (FMI) durant la crise financière de 2008, appelle les modèles d’équilibre général à se montrer moins « impérialistes ». Christine Lagarde, dans son intervention à Davos, est même allée jusqu’à qualifier les économistes de « clique tribale » (sic)…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1747864710563999865"}"></div></p>
<p>Nous sommes, comme eux, convaincus qu’utiliser une plus grande diversité de modèles dans les institutions européennes permettrait de significativement améliorer leurs capacités d’analyse, de compréhension et de prédiction. Cela a déjà été démontré en sciences de la complexité, comme le chercheur <a href="https://www.govinfo.gov/content/pkg/CHRG-111hhrg57604/pdf/CHRG-111hhrg57604.pdf">Scott Page le résume</a> : la précision d’un ensemble de modèles ne dépend pas seulement de la précision moyenne des modèles mais également de leur diversité.</p>
<h2>De nouvelles questions abordées</h2>
<p>Or, depuis des décennies, la perspective de la transition écologique a guidé l’essor d’une communauté très dynamique de chercheurs dans la discipline connue sous le nom d’<a href="https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2016-1-page-8.htm">« économie écologique »</a>, aux influences interdisciplinaires. Plusieurs modèles de ce domaine ont maintenant atteint un niveau de maturité suffisant que pour être directement utilisés par les acteurs publics.</p>
<p>Ces modèles présentent, en effet, des avantages par rapport aux modèles aujourd’hui utilisés pour aborder des questions telles que :</p>
<ul>
<li><p>Quels sont les effets redistributifs des politiques de transition ? Comment intégrer les inégalités sociales dans la conception des politiques de transition écologique, afin d’améliorer leur acceptabilité ?</p></li>
<li><p>Comment inclure, dans la conception de ces politiques, les risques d’instabilité financière et économique émergeant à la fois de la dégradation de l’environnement et de la transition ?</p></li>
<li><p>Comment les déséquilibres et l’inflation peuvent-ils influencer ou résulter des politiques de transition écologique ?</p></li>
</ul>
<p>Actuellement, les modèles issus de l’économie écologique ne sont pratiquement pas utilisés par les institutions européennes. Nous avons donc écrit une <a href="https://docs.google.com/document/d/15HW2PgJBIhMo-3dShSVQNeQ6OEuKl4R8NwqCZgOHhmI/edit">lettre ouverte</a> [dont cet article reprend certains extraits, NDLR], signée par plus de 200 économistes et <a href="https://www.euractiv.com/section/economy-jobs/news/something-is-not-working-economists-urge-eu-commission-to-overhaul-its-models/">diffusée largement</a>, enjoignant la Commission européenne à s’emparer de ces nouveaux outils pour diversifier son arsenal de modélisation.</p>
<h2>Un paysage complexe et changeant</h2>
<p>S’appuyer sur différents modèles reflétant une pluralité de points de vue et de méthodologies est également une question démocratique. En effet, le choix d’un modèle particulier pour éclairer la prise de décision n’est jamais neutre. Ses fondements théoriques déterminent dès le départ une partie des recommandations qui émaneront des résultats. Un tel choix influe donc activement sur les politiques publiques, <a href="https://academic.oup.com/ser/article-abstract/18/2/337/5680050">dont celles des institutions européennes</a>.</p>
<iframe src="https://www.linkedin.com/embed/feed/update/urn:li:share:7165990776101933056" height="496" width="100%" frameborder="0" allowfullscreen="" title="Post intégré"></iframe>
<p>L’architecture et les hypothèses fondamentales de certains modèles tendent ainsi naturellement à favoriser des solutions basées sur le marché plutôt que des solutions basées sur la réglementation. En outre, <a href="https://doi.org/10.2298/PAN1502157T">certaines catégories de modèles plaident</a>, de manière systématique et par construction, contre une politique économique européenne expansionniste et contre des investissements massifs, pourtant <a href="https://institut-rousseau.fr/road-2-net-zero/">nécessaires pour atteindre les objectifs du Pacte vert</a>, dont la neutralité carbone d’ici 2050.</p>
<p>Nous plaidons donc avec force pour une diversification des catégories de modèles utilisés et de leurs hypothèses sous-jacentes, afin de bénéficier des particularités et des avantages comparatifs de chaque modèle. De bonnes pratiques existent par ailleurs dans d’autres disciplines, à l’image des sciences du climat, où la nécessité de comparer les modèles et leurs résultats s’est fait sentir très tôt.</p>
<p>Ainsi, depuis 1997, le programme mondial de recherche <a href="https://wcrp-cmip.org/"><em>Coupled Model Intercomparison Project</em></a> (CMIP) a la charge de la comparaison systématique et transparente des modèles pour permettre une amélioration continue des outils collectifs, toujours dans le cadre d’un dialogue entre équipes de recherche.</p>
<p>Ces enjeux de diversification des outils, de transparence des hypothèses et de dialogue entre communautés de recherche et institutions sont essentiels pour la mise en œuvre de politiques de transition écologique qui soient réalistes économiquement, désirables écologiquement et socialement juste. C’est en relevant ce défi que l’Union européenne acquerra les capacités nécessaires pour naviguer à travers le paysage complexe et changeant de la transition écologique au XXI<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225380/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>The idea of writing this article emerged from discussions with the team of Philippe Lamberts, who is president of the Greens/EFA European Parliamentary group.
Pierre Jacques is member of the board of the Institut Rousseau.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Camille Souffron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un groupe de 200 économistes a récemment appelé Bruxelles à modifier ses outils pour mieux appréhender les enjeux économiques de la transition verte.Pierre Jacques, PhD Student & Researcher in Ecological Economics, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Camille Souffron, Student & Researcher in Ecological Economics, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2255982024-03-19T16:57:51Z2024-03-19T16:57:51ZLe poulet français bat de l’aile face à la concurrence internationale<p>Si en France la production de poulets excédait la consommation de 250 000 tonnes en 2010, le pays est devenu importateur net de poulets à partir de 2019. Il est ainsi déficitaire de plus de 100 000 tonnes en 2021 (graphique 1). Ce croisement des courbes concorde avec une augmentation de la part des importations dans la consommation, doublée d’une baisse de la part de la production destinée à l’exportation (graphique 2).</p>
<p><iframe id="5w83U" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/5w83U/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="YDVZo" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/YDVZo/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En d’autres termes, la production de poulets diminue en France, et est de moins en moins destinée à l’exportation, tandis que la consommation repose davantage sur des fournisseurs étrangers. Ainsi, 36 % des poulets consommés en France en 2021 sont importés, contre 25 % en 2010. Dans le même temps, les exportations qui représentaient 32 % de la production en 2010 ne comptent plus que pour 26 % de la production.</p>
<h2>Concurrence internationale accrue</h2>
<p>Le marché mondial du poulet est en réalité très segmenté. On y distingue les produits frais, pour lesquels les échanges sont régionaux, et les produits surgelés, moins différenciés, plus faciles à transporter sur de longues distances, et pour lesquels le marché est véritablement mondial.</p>
<p>Les échanges intracommunautaires de produits frais comptaient pour 66 % des échanges mondiaux en 2021, contre 17,5 % pour les produits congelés. Le marché du congelé est dominé par le Mercosur, zone de libre-échange sud-américaine regroupant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, qui exporte vers le monde entier (42 % des parts de marché mondiales à l’exportation de produits congelés en 2021).</p>
<p>Par ailleurs, les poulets sont vendus soit à la découpe (en morceaux), soit entier. À l’échelle mondiale, le commerce de morceaux a très fortement augmenté, bien plus que les échanges de poulets entiers, notamment en raison du <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/03/04/agriculture-les-changements-d-habitudes-alimentaires-des-francais-contribuent-a-la-hausse-des-importations_6219967_3234.html">changement des modes de consommation du poulet</a>.</p>
<p>Les exportations françaises de poulets ont connu une dynamique très différente en fonction de ces produits (graphique 3). En particulier, les exportations de produits congelés ont considérablement reculé depuis 2010.</p>
<p><iframe id="zrNrD" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/zrNrD/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ces déboires à l’exportation tiennent à deux facteurs : un positionnement sur un produit dont la demande s’est révélée peu dynamique, doublé d’une perte de débouchés traditionnels sous l’effet d’une concurrence internationale accrue.</p>
<h2>L’Ukraine et la Pologne montent en puissance</h2>
<p>En effet, la spécialisation historique des exportateurs français sur les poulets entiers congelés (graphique 3) n’a pas été très profitable car la demande mondiale pour ces produits n’a pas connu une évolution particulièrement favorable. Ainsi, le poulet entier congelé, qui représentait la majorité des exportations de poulets français en 2010 (58 %), a vu son commerce mondial croître de 12 % depuis cette date, quand dans le même temps les échanges de morceaux augmentaient plus de trois fois plus vite (41 % sur la période).</p>
<p>En outre, la France a décroché sur ce produit, pour lequel la concurrence mondiale est particulièrement forte. En particulier, les producteurs français exportaient énormément vers le Moyen-Orient au début des années 2010, un marché qu’ils ont quasi totalement perdu au bénéfice du Mercosur (81 % des exportations de poulets entiers congelés vers le Moyen-Orient et Proche-Orient en 2022).</p>
<p>De manière générale, la part de marché de la France sur les poulets entiers congelés a chuté de 12 points de pourcentage (pp) entre 2010 et 2022 (graphique 4), quand dans le même temps celle de l’Ukraine progressait de 4 pp et celle de la Pologne de 2 pp. Le Mercosur n’a pas particulièrement accru sa présence pour ce produit, sa progression se situant davantage sur le marché des morceaux congelés, particulièrement dynamique, et sur lequel la France a connu également un déclin.</p>
<p><strong>Graphique 4 : Variation des parts de marché mondiales de poulet congelé entre 2010 et 2022</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/582767/original/file-20240319-20-xjg6yp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/582767/original/file-20240319-20-xjg6yp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/582767/original/file-20240319-20-xjg6yp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/582767/original/file-20240319-20-xjg6yp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/582767/original/file-20240319-20-xjg6yp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/582767/original/file-20240319-20-xjg6yp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/582767/original/file-20240319-20-xjg6yp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/582767/original/file-20240319-20-xjg6yp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Sur la période 2010-2022, la France a changé de spécialisation à l’exportation. Elle exporte désormais essentiellement des morceaux frais, qui représentent 51 % de ses exportations de poulets en 2022.</p>
<p>Sur ce marché, la concurrence est essentiellement européenne. Les Pays-Bas, et la Belgique sont les exportateurs historiques de poulets frais découpés, mais l’Ukraine et la Pologne montent en puissance sur la période.</p>
<p>La Pologne enregistre ainsi une augmentation significative de sa part de marché de 13 pp sur la période, tandis que l’Ukraine connaît une progression plus modeste de 2 pp (graphique 5). En comparaison, la part de marché de la France n’a augmenté que de 0,7 pp sur la période.</p>
<p><strong>Graphique 5 : Variation des parts de marché mondiales de poulet frais entre 2010 et 2022</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Des fournisseurs quasi exclusivement européens</h2>
<p>Nous avons vu que la France est à présent importatrice nette de poulets. Ses importations sont uniquement composées de morceaux, frais et congelés (graphique 6) et ses fournisseurs sont quasi exclusivement des partenaires européens, y compris pour les morceaux surgelés qui sont pourtant largement mondialisés.</p>
<p><iframe id="jTAZd" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/jTAZd/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ce sont surtout les importations de morceaux frais qui s’accroissent sur la période, dont la Belgique est le principal fournisseur. Toutefois sa part dans les importations françaises de ces produits se réduit fortement sur la période, au bénéfice de la Pologne et du Royaume-Uni (graphique 7). La trajectoire de la Pologne est la plus spectaculaire : elle voit sa part dans les importations françaises s’accroître substantiellement, aussi bien pour les morceaux de poulet frais (de 2 % en 2010 à 19 % en 2022) que pour les morceaux congelés (de 10 % à 37 %). Cet accroissement de la part de marché polonaise se retrouve également sur l’ensemble du marché européen.</p>
<p><strong>Graphique 7 : Structure géographique des importations françaises de morceaux de poulet</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le succès à l’exportation de la Pologne va de pair avec une forte augmentation de sa production qui a doublé depuis 2010. Plus discrètement, le Royaume-Uni confirme sa place sur le marché européen, avec une hausse continue de sa production sur la période (32 %). La production française, quant à elle, progresse très peu sur la période (5 %).</p>
<h2>Une faible concurrence sud-américaine</h2>
<p>Les importations françaises de poulet proviennent essentiellement des pays de l’Union européenne (UE), et le marché unique est l’échelon pertinent en France pour penser la concurrence internationale sur ces produits. Les baisses de parts de marché et de compétitivité françaises par rapport aux producteurs européens s’expliquent notamment par un <a href="https://www.senat.fr/rap/r21-905/r21-905.html">différentiel de coût de production</a>, lié en partie aux coûts de la main-d’œuvre et du bâti.</p>
<p>Toutefois, les différentiels de prix entre les produits français et leurs concurrents sont également liés à une spécialisation de la production française sur des produits plus haut de gamme et à la diversité de ses produits.</p>
<p>En dépit des discours alarmistes sur le poulet brésilien, le Mercosur ne concurrence quasiment pas les producteurs français sur leur marché domestique pour le moment. Sa concurrence opère principalement sur les marchés tiers, en particulier au Moyen-Orient. Cette faible part du Mercosur dans les importations françaises s’explique en partie par le fait que le marché européen est encore très protégé, avec des droits de douane autour de 1 euro par kilo pour les morceaux frais et congelés et 0,30 euro par kilo pour les poulets entiers. Les produits importés doivent en outre faire face à de nombreuses normes pour être acceptés sur le marché européen.</p>
<p>Étant donné les différences de prix entre les pays du Mercosur et la France, il n’est toutefois pas exclu que les importations en provenance de cette région augmentent si un accord commercial était conclu. A noter cependant que les négociations ne portent que sur une suppression de droits de douane pour 180 000 tonnes de poulet, soit 1,2 % de la consommation européenne.</p>
<p>Concernant l’Ukraine, l’ouverture du marché communautaire depuis le mois de juin 2022 a fortement augmenté les importations de poulets (de 142 % dans l’UE entre 2021 et 2023). L’Ukraine est ainsi passée de 21 % à 43 % des importations extracommunautaires en deux ans. Ces volumes représentent actuellement 3,5 % de la production européenne (10,8 millions de tonnes). Toutes origines confondues, pour l’UE, la hausse des importations extracommunautaires de poulets n’est cependant que de 8 % entre 2021 et 2023, ce qui suggère que les fournisseurs ukrainiens se sont surtout substitués à d’autres fournisseurs extra-européens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225598/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La France est devenue importatrice nette en 2019. En cause : une perte de débouchés à l’exportation et une concurrence accrue des importations sur le marché français.Pierre Cotterlaz, Économiste, CEPIICharlotte Emlinger, Économiste, CEPIIManon Madec, Apprentie Économiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2249802024-03-18T15:34:22Z2024-03-18T15:34:22ZDissuader les candidats à la migration : pourquoi les campagnes de l’UE sont un échec<p>En septembre 2023, en réponse à l’arrivée de près de <a href="https://actu.fr/societe/migrants-a-lampedusa-retour-jour-par-jour-sur-la-crise-qui-touche-l-italie-et-l-europe_60104385.html">10 000 migrants sur l’île de Lampedusa</a>, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a présenté un <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/un-plan-en-10-points-pour-lampedusa-2023-09-18_fr">catalogue de dix mesures immédiates</a>. On y trouve notamment un appel à « augmenter le nombre des campagnes de sensibilisation et de communication afin de décourager les traversées de la Méditerranée », ainsi qu’à « intensifier la coopération avec le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ».</p>
<p>Cet épisode rappelle la place centrale des campagnes d’information et de dissuasion de l’immigration irrégulière dans les politiques européennes, ainsi que le recours aux organisations internationales pour leur mise en œuvre.</p>
<p>En 2022, le HCR lance dans plusieurs pays africains la campagne <a href="https://www.tellingtherealstory.org/en/">« Telling the Real Story »</a>, qui veut « raconter la véritable histoire », en insistant sur les terribles épreuves qui attendent les candidats à l’émigration irrégulière, comme le trafic et la traite d’êtres humains.</p>
<p>Quant à l’OIM, cela fait trois décennies qu’elle organise de <a href="http://www.reseau-terra.eu/article944.html">telles campagnes</a>, à l’instar de <a href="https://www.migrantsasmessengers.org/">« Migrants as Messengers »</a>, qui fait d’anciens migrants des « messagers » en leur donnant la parole afin qu’ils dissuadent les jeunes tentés de partir.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/dN8LI2iVEwQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Telling the Real Story », un vidéo visant à dissuader les candidats à l’émigration.</span></figcaption>
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<p>L’argumentaire est toujours le même : les candidats à l’émigration en Afrique sont ignorants des risques et il faut donc les informer afin qu’ils prennent la bonne décision, à savoir rester chez eux ou migrer uniquement s’ils en ont le droit ; à cela s’ajoutent des messages sur les opportunités dans le pays d’origine et le devoir de contribuer au développement de l’Afrique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sauvetage-des-migrants-naufrages-en-mediterranee-comment-la-politique-de-lue-doit-evoluer-222453">Sauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : comment la politique de l’UE doit évoluer</a>
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<h2>Des centaines de campagnes</h2>
<p>D’après un <a href="https://www.bridges-migration.eu/wp-content/uploads/2022/02/EU-funded-information-campaigns-targeting-potential-migrants.pdf">rapport</a> du <a href="https://www.bridges-migration.eu/">programme européen de recherche Bridges</a>, l’UE a dépensé plus de 23 millions d’euros depuis 2015 pour organiser près de 130 campagnes.</p>
<p>Si l’Europe est à la pointe, elle n’est pas la seule. L’Australie s’est illustrée par des <a href="https://www.theguardian.com/world/2014/feb/11/government-launches-new-graphic-campaign-to-deter-asylum-seekers">messages particulièrement mordants</a>, avec des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/asie/no-way-la-campagne-sans-concessions-de-l-australie-contre-les-migrants-clandestins_720529.html">campagnes</a> qui s’adressent aux personnes tentées par l’immigration irrégulière en leur disant « NO WAY. You will not make Australia home » (« IMPOSSIBLE. Vous ne ferez pas de l’Australie votre pays »). Cette stratégie a d’ailleurs suscité l’enthousiasme de <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-7186189/Trump-praises-Aust-asylum-seeker-policy.html">Donald Trump</a>, alors Président des États-Unis.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Outre l’OIM et le HCR, ces campagnes sont aussi organisées par des entreprises privées, comme <a href="https://seefar.org/">Seefar</a> qui proposent des services de <a href="https://seefar.org/services/strategic-communications/">« communication stratégique »</a>, et par des ONG, comme l’association espagnole Proactiva Open Arms, qui en plus de ses activités de sauvetage en Méditerranée organise des <a href="https://blogs.law.ox.ac.uk/research-subject-groups/centre-criminology/centreborder-criminologies/blog/2020/04/ngos-dilemma">campagnes de sensibilisation au Sénégal</a>.</p>
<p>Cependant, toutes ces initiatives et tous ces acteurs sont confrontés à un problème de taille : personne n’est en mesure de démontrer l’efficacité de ces campagnes. Et on ne sait presque rien de leur influence sur la décision de migrer.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-sauvetage-en-mer-au-defi-de-la-securisation-des-frontieres-le-cas-de-la-manche-170238">Le sauvetage en mer au défi de la sécurisation des frontières : le cas de la Manche</a>
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<h2>Une efficacité difficile à évaluer</h2>
<p>À mesure qu’augmentent les budgets qui leur sont consacrés, certaines études ont cependant commencé à se pencher sérieusement sur l’impact des campagnes.</p>
<p>En 2018, une <a href="https://publications.iom.int/system/files/pdf/evaluating_the_impact.pdf">étude de l’OIM</a> soulignait que les campagnes sont difficiles à évaluer car elles ont un double objectif : fournir de l’information, mais aussi réduire l’immigration irrégulière.</p>
<p>Il arrive que seul un des deux objectifs soit atteint : en 2023, une <a href="https://publications.iom.int/books/irregular-migration-west-africa-robust-evaluation-peer-peer-awareness-raising-activities-four">étude</a> consacrée à « Migrants as Messengers » montre que cette campagne a bien accru le niveau d’information, mais qu’elle n’a pas réduit les départs.</p>
<p>Mais alors qu’elle organise de telles campagnes depuis 30 ans, l’OIM n’a effectué que de rares et tardives études d’impact : il est en effet coûteux de mesurer sérieusement leur efficacité et il apparaît que les États européens préfèrent multiplier les campagnes plutôt que financer des évaluations.</p>
<p>Du côté de la recherche indépendante, une <a href="https://www.udi.no/globalassets/global/forskning-fou_i/rapport_11_19_web.pdf">étude de l’Institute for Social Research d’Oslo</a> en 2019 a porté sur des migrants d’Érythrée, de Somalie et d’Éthiopie, en transit au Soudan avec l’intention de continuer vers l’Europe.</p>
<p>Il s’agissait d’évaluer une campagne lancée en 2015 par la Norvège, intitulée <a href="https://www.sciencenorway.no/forskningno-immigration-policy-norway/social-media-campaign-for-asylum-seekers-draws-angry-trolls/1448896">« Stricter asylum regulations in Norway »</a>, qui avait recours à Facebook pour informer les migrants potentiels des faibles chances d’obtenir l’asile dans ce pays. Comme pour n’importe quelle publicité, l’algorithme de Facebook devait permettre d’identifier les internautes qui effectuent des recherches sur l’immigration, l’Europe ou les visas, et de leur proposer des messages de dissuasion ciblés.</p>
<p>L’étude a confirmé que les migrants sont connectés et qu’ils utilisent les réseaux sociaux pour s’informer et organiser leur migration. Mais s’ils ont parfois entendu parler des campagnes européennes, la plupart ne les ont pas vues. Invités à les visionner, ils dirent ne rien apprendre : ils sont au courant des terribles conditions de vie des migrants en Libye, par exemple, mais sans que cela ne les dissuade de partir pour échapper à l’impasse de leur situation.</p>
<h2>Des migrants expulsés d’Europe appelés à témoigner</h2>
<p>En 2023, une <a href="https://www.bridges-migration.eu/publications/why-information-campaigns-struggle-to-dissuade-migrants-from-coming-to-europe/">équipe de la Vrije Universiteit Brussel</a> a analysé l’information dont disposent les jeunes tentés par l’émigration en Gambie, et la manière dont les campagnes affectent leur décision de partir. Comme au Soudan, les informations sur les risques de l’immigration irrégulière correspondent à ce que ces jeunes savent déjà. Mais faute de perspectives au pays, ils partiront quand même, en toute connaissance de cause.</p>
<p>Une autre étude menée <a href="https://www.bridges-migration.eu/publications/a-comparative-study-on-the-role-of-narratives-in-migratory-decision-making/">auprès d’Afghans en transit en Turquie</a> a débouché sur des conclusions similaires.</p>
<p>Or, ces travaux ont aussi révélé un autre problème : les destinataires de ces campagnes ne les prennent pas au sérieux car ils les estiment biaisées par les objectifs politiques de l’Europe ; et ils préfèrent donc s’informer auprès de proches, ou même de passeurs.</p>
<p>Ce résultat a motivé de nouvelles stratégies. À l’instar de « Migrants as Messengers », les campagnes dites <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08865655.2022.2108111">« peer to peer »</a> (« de pair-à-pair ») prévoient que des migrants expulsés d’Europe parlent de leur expérience à <a href="https://jaspertjaden.com/policy/2019_migrants-as-messengers_the-impact-of-peer-to-peer-communication-on-potential-migrants-in-senegal/">ceux qui seraient tentés de les imiter</a>. Cela s’inscrit dans une technique dite de <a href="https://repository.law.umich.edu/articles/2611/">« unbranding »</a>, un concept issu du marketing qui désigne l’omission de la marque sur un produit afin de mieux le vendre : dans le cas des campagnes, cela revient à dissimuler les institutions européennes et internationales <a href="https://migrantprotection.iom.int/en/spotlight/articles/initiative/constantly-evolving-awareness-raising-campaign-aware-migrants">qui les financent</a>.</p>
<p>Une autre stratégie consiste à ne pas cibler les migrants potentiels, mais les acteurs locaux qui influencent les perceptions des migrations, à commencer par les médias ou les artistes. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) travaille ainsi avec des <a href="https://theconversation.com/quand-la-lutte-contre-limmigration-irreguliere-devient-une-question-de-culture-112200">musiciens populaires auprès des jeunes Africains</a>, ainsi qu’avec des journalistes.</p>
<p>De même, <a href="https://www.unesco.org/fr/articles/un-forum-dechanges-avec-des-journalistes-et-managers-de-medias-pour-une-narrative-diversifiee-et-de">l’Unesco</a> (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) forme des journalistes sénégalais à parler d’une manière qu’elle qualifie de « diversifiée » des migrations.</p>
<h2>Quel rôle pour les journalistes ?</h2>
<p>Dans un contexte de précarité des professionnels des médias et de la culture, le soutien des organisations internationales est bienvenu, mais pose la question de la liberté d’expression et de la liberté de la presse sur ce sujet politiquement sensible.</p>
<p>Au Maroc, le <a href="https://www.facebook.com/RMJMigrations/">Réseau des Journalistes marocains sur les migrations</a> s’est constitué pour traiter des migrations de manière indépendante ; ce qui n’empêche pas ces journalistes de participer à des activités de formation organisées par des organisations internationales, soutenues par des financements européens.</p>
<p>En Gambie, une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/08865655.2022.2156375">étude récente</a> a mis en évidence les dilemmes des journalistes locaux qui sont invités à diffuser des messages sur les dangers de l’immigration tout en essayant de conserver leur indépendance.</p>
<p>Aux yeux de leurs défenseurs, ces campagnes se justifient car les migrants qui meurent en Méditerranée seraient victimes des informations fallacieuses des passeurs. Informer permettrait alors de sauver des vies. Mais aucune étude ne vient étayer cette hypothèse : au contraire, il apparaît que les migrants partent en connaissant les risques auxquels ils s’exposent.</p>
<p>Face à cette réalité inconfortable, il est possible que les campagnes d’information ne servent qu’à donner aux responsables européens le sentiment qu’ils agissent pour prévenir les tragédies qui découlent de leurs propres politiques. Après tout, c’est en partie <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1465116516633299">faute de possibilités de migrer</a> légalement que beaucoup de migrants tentent leur chance de façon irrégulière, avec tous les risques que cela implique.</p>
<p>La rareté des évaluations disponibles atteste que l’efficacité des campagnes n’est pas la priorité des États européens. Cet outil de politique migratoire aurait donc une valeur avant tout symbolique – comme preuve que l’Europe se préoccupe du sort des nombreuses personnes qu’elle ne veut pas accueillir sur son sol.</p>
<p>Mais cette stratégie politique n’en a pas moins des effets bien réels sur les acteurs locaux, et sur la capacité des sociétés du Sud à débattre de façon autonome des enjeux politiques majeurs que soulèvent les migrations internationales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224980/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mélodie Beaujeu est membre de Désinfox-Migrations. Elle a reçu des financements de la fondation Porticus et de la fondation de France pour l'association Désinfox-Migrations. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Antoine Pécoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’argumentaire est toujours le même : les Africains sont ignorants des risques et il faut donc les informer afin qu’ils prennent la bonne décision, à savoir rester chez eux.Antoine Pécoud, Professeur de sociologie, Université Sorbonne Paris NordMélodie Beaujeu, Consultante et chercheuse, affiliée à l'Institut Convergences Migrations, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2257022024-03-17T15:33:02Z2024-03-17T15:33:02ZLe Portugal, théâtre à son tour d’une percée de l’extrême droite<p>Depuis sa création le 19 avril 2019, le parti <a href="https://www.courrierinternational.com/une/enquete-chega-le-parti-qui-veut-mettre-le-feu-la-politique-portugaise-mais-qui-brule-de">Chega !</a> (« Assez ! », CH) n’en finit plus d’obtenir des scores en hausse : une première entrée au Parlement avec un député (son leader André Ventura) aux élections législatives d’octobre 2019 ; 2 députés <a href="https://www.ritimo.org/Portugal-Chega-un-parti-d-extreme-droite-present-dans-le-systeme-politique">à l’Assemblée législative de la Région autonome des Açores</a> en octobre 2020 ; puis <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/3206">12 députés au Parlement national aux élections législatives de 2022</a>, avec près de 7,38 %.</p>
<p>Ce 10 mars 2024 se sont déroulées au Portugal des <a href="https://theconversation.com/portugal-elections-sous-haute-tension-221186">élections législatives anticipées</a> au cours desquelles Chega a considérablement amélioré son score en recueillant pas moins de 18,06 % des voix, quadruplant ainsi le nombre de ses députés au Parlement, qui passe de <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/portugal-la-percee-d-andre-ventura-s-explique-en-grande-partie-par-sa-tolerance-zero-en-matiere-d-immigration-20240313">12 à 48</a>. CH représente aujourd’hui la troisième force politique au Portugal, derrière les deux grands partis de centre droit (79 sièges) et de centre gauche (77).</p>
<h2>Un salazarisme décomplexé ?</h2>
<p>« Nous sommes un groupe de gens ordinaires, pas une élite ; des gens qui souffrent du système actuel. » C’est ainsi que Ventura <a href="https://brasil.elpais.com/brasil/2019/12/12/internacional/1576187485_020229.html">présentait</a> sa formation politique lors de sa création en 2019. Aujourd’hui, l’objectif affiché de Chega ne serait pas – du moins d’après ses dires – de réhabiliter le salazarisme mais, avant tout, de s’insérer dans la <a href="https://theconversation.com/en-pologne-aux-pays-bas-et-ailleurs-en-europe-les-multiples-visages-des-populismes-de-droite-radicale-218664">vague populiste de droite</a> qui, depuis plusieurs années, un peu partout en Europe, profite à de nombreuses formations de ce camp. Les deux visées n’étant pas antinomiques, André Ventura, non sans une certaine habileté, s’emploie, en jouant sur les ambiguïtés, à attirer le plus de voix possible.</p>
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<p>Il existe une certaine proximité entre André Ventura (né en 1983) et <a href="https://www.cairn.info/la-dictature-de-salazar-face-a-l-emigration--9782724612714-page-99.htm">António de Oliveira Salazar</a> (1889-1975), qui <a href="https://laviedesidees.fr/Fernando-Rosas-art-durer-fascisme-Portugal">dirigea le Portugal d’une main de fer de 1932 à 1968</a>. Curieuse coïncidence, André Ventura eut comme l’ancien dictateur une vocation de séminariste (mais courte, puisqu’elle ne dura qu’une année) et devint également par la suite, comme lui, professeur de droit. Pour autant, malgré une appréhension commune du monde formulée dans le slogan « Dieu, patrie, famille » auquel Ventura ajoute le mot « travail », il ne tient pas à apparaître comme l’incarnation de la continuité de Salazar.</p>
<p>Ainsi, en 2023, il ne se rendit pas à Vimieiro, dans le district de Viseu où naquit Salazar, lors de l’implantation du CIEN (Centre d’interprétation de l’État nouveau), occupé qu’il était par sa campagne électorale… ou ne tenant pas à s’afficher comme partisan inconditionnel d’un personnage qui demeure <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2021/04/25/salazar-et-le-salazarisme-la-posterite-politique-dun-dictateur/">controversé dans le pays</a>, pour le moins pour une partie de la population, et à propos duquel il a notamment déclaré : « la plupart du temps, Salazar n’a pas résolu les problèmes du pays et nous a fait prendre beaucoup de retard à maints égards. Il ne nous a pas permis d’avoir le développement que nous aurions pu avoir, surtout après la Seconde Guerre mondiale », ajoutant : « Pas besoin d’un Salazar à chaque coin de rue, il faut un André Ventura à chaque coin de rue. »</p>
<p>Pourtant, en dépit de ces déclarations, Ventura tient à séduire la partie de l’électorat nostalgique de <a href="https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2005-1-page-39.htm">« l’État nouveau »</a>. En effet, chaque fois qu’il le peut, il présente le 25 avril 1974 – jour de la <a href="https://www.rtbf.be/article/la-revolution-des-oeillets-que-fete-exactement-le-portugal-le-25-avril-11187709">Révolution des Œillets</a>, dont on fêtera prochainement le cinquantième anniversaire – comme la source de tous les maux de la société portugaise.</p>
<p>Dans l’un de ses discours au Parlement, en 2022, il prend la défense des forces de sécurité, selon lui déconsidérées et rendues « muettes » depuis ce jour-là, et termine son allocution en les comparant à des « héros ». Dans un <a href="https://www.bing.com/videos/riverview/relatedvideo?q=discurso+de+andr%c3%a9+ventura&mid=3BFB91F7F5513B583E593BFB91F7F5513B583E59&FORM=VIRE">autre de ses discours</a>, le 25 novembre 2023, il joue sur la date, proposant d’institutionnaliser désormais celle du <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1990/11/27/il-y-a-quinze-ans-au-portugal-la-chute-d-otelo-de-carvalho_3985464_1819218.html">25 novembre 1975</a>, jour qui s’est soldé par la victoire des militaires modérés lesquels, selon lui, ont mis fin à la révolution politique et ont conduit à la normalisation démocratique du pays. Il se pose également en défenseur du peuple, à qui il veut rendre sa « dignité » ; il entend notamment remettre à l’honneur les travailleurs en donnant la priorité aux nationaux et incite à faire revenir au pays les jeunes expatriés.</p>
<p>Certains observateurs soulignent que si Ventura n’est pas à proprement parler « salazariste », il n’hésite pas à <a href="https://sicnoticias.pt/programas/reportagemsic/2021-04-01-Andre-Ventura-nao-e-um-salazarista-mas-apropria-se-do-discurso-de-Salazar-d3d78e3f">évoquer l’imaginaire salazariste</a>. En effet, il reprend à son compte les fondements de l’idéologie de l’État nouveau : il place la famille au centre de la société et, dès 2020, il affiche sa foi catholique – autre pilier du salazarisme –, se montrant volontiers à l’Église en compagnie de son épouse Dina.</p>
<p>Lors de sa campagne de 2022, Ventura <a href="https://www.rtp.pt/noticias/eleicoes-legislativas-2022/chega-quer-15-dos-votos-e-ser-terceira-forca-em-portugal_es1375346">s’était engagé</a> à combattre la corruption supposément encouragée par le PS alors au pouvoir. Son slogan mis en avant à cette occasion, et toujours d’actualité aujourd’hui, appelle à « limpar » (<em>nettoyer</em>) le Portugal – un écho, peut-être pas involontaire, au souhait de « régénérer » le pays pour lancer une ère nouvelle qu’avait formulé Salazar à ses débuts…</p>
<h2>Après le Portugal, des visées européennes ?</h2>
<p>Chega fait siennes les thématiques de l’immigration et de l’insécurité, qui se trouvent aussi au cœur des programmes de plusieurs de ses alliés européens. Dès 2020, la formation portugaise a rejoint, au Parlement européen, le groupe <a href="https://fr.idgroup.eu/">Identité et Démocratie</a> (ID), où siègent notamment la Lega italienne, le Rassemblement national français et l’AfD allemande, et aspire à jouer le rôle d’un « pont » pour <a href="https://observador.pt/especiais/chega-na-europa-ventura-fica-na-familia-politica-de-le-pen-e-que-ser-ponte-para-uniao-das-direitas/">l’union des droites</a> souhaitant à long terme réunir tous les patriotes en un même groupe.</p>
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<p>L’argument de campagne pour 2024 a changé par rapport à ceux des campagnes précédentes, mais cela ne veut pas dire qu’il est plus modéré. Auparavant, Ventura se focalisait sur la stigmatisation de la communauté tzigane et promettait de réduire les acquis sociaux et de procéder à des coupes importantes du RSI (revenu d’insertion) ; désormais, il s’en prend moins aux droits sociaux et, conformément aux programmes de ses camarades d’ID, il <a href="https://rr.sapo.pt/fotoreportagem/politica/2024/03/05/como-o-discurso-do-chega-mudou-e-o-que-isso-diz-da-sua-estrategia/368696/">concentre ses attaques</a> sur l’immigration musulmane et sur « l’idéologie du genre » les adaptant toutefois à son pays. Le Portugal connaît dernièrement une <a href="https://www.jn.pt/2856889709/numero-de-imigrantes-em-portugal-quase-duplica-em-10-anos/amp/">forte immigration</a> (121 000 immigrants en 2022, 118 000 en 2023) ; un tiers des nouveaux arrivants proviennent du Brésil mais la plupart des autres arrivent d’autres pays hors UE, notamment d’Inde. Sur les questions sociétales, Ventura semble surtout adapter son discours aux circonstances. En 2020, il se prononce en faveur du mariage entre personnes de même sexe, déclarant à ce sujet qu’il ne verrait <a href="https://www.publico.pt/2020/11/15/politica/noticia/andre-ventura-defende-casamento-gay-critica-salazar-atrasounos-muitissimo-1939288">aucun inconvénient à ce que son fils soit homosexuel</a> ; mais le 16 décembre 2023, il s’insurge contre un <a href="https://vivreleportugal.com/actualite/les-enfants-peuvent-choisir-leur-sexe-nouvelle-loi-soutenue-par-les-socialistes/">projet de loi du PS</a> « visant à garantir le respect de l’autonomie, de la vie privée et de l’autodétermination des enfants et des adolescents qui traversent des transitions d’identité sociale et d’expression de genre », affirmant que ce texte <a href="https://fb.watch/qOS-ciqmWG/?">« mettrait en péril les enfants »</a>.</p>
<p>Durant la campagne des législatives, Ventura <a href="https://www.bbc.com/portuguese/articles/cg695nxk7xko">s’est positionné comme le promoteur d’un contrôle plus strict de l’immigration</a>, en voulant créer un crime de « séjour illégal sur le sol portugais » et imposer des quotas annuels d’entrée des étrangers en fonction « des qualifications des immigrants et des besoins du marché portugais ». Estimant qu’on ne « peut pas vivre dans un pays où tout le monde entre sans contrôle ni critère, sans savoir pourquoi il entre et à quoi il sert », il balayait d’un revers de main les accusations de racisme et de xénophobie, affirmant souhaiter <a href="https://www.bbc.com/portuguese/articles/cg695nxk7xko">« une immigration décente, mais pas incontrôlée »</a>.</p>
<h2>Quelle place dans le nouveau paysage politique ?</h2>
<p>Pour l’heure, les négociations pour former un nouveau gouvernement ont commencé. Le chef de file de la droite, Luis Montenegro, qui a remporté les législatives, a d’ores et déjà annoncé qu’il ne souhaitait pas travailler avec Chega. <a href="https://fr.euronews.com/2024/03/11/les-elections-au-portugal-laissent-le-pays-dans-lincertitude-quant-a-son-avenir-politique">De son côté, Ventura a déclaré</a> qu’il était prêt, pour participer au gouvernement, à abandonner certaines de ses propositions les plus controversées comme la castration chimique pour les délinquants sexuels et les peines de prison à vie. Il affirme que, sans sa participation au gouvernement, le Portugal plongera dans une crise politique majeure : son ralliement permettrait à une coalition de droite et d’extrême droite de gouverner ; sans cela, le Parlement étant très divisé, le pays sera difficilement gouvernable.</p>
<p>En politique, tout est possible… Et si les adversaires d’hier devenaient les alliés de demain ? Quoi qu’il en soit, Chega a désormais les yeux tournés vers l’échéance des élections européennes de juin prochain, où le parti compte encore bien accroître ses scores…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225702/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Rojtman-Guiraud est membre du Conseil municipal de la Ville de Maxéville (54)</span></em></p>Le Portugal a longtemps été une exception en Europe : l’extrême droite y réalisait des scores nettement plus faibles qu’ailleurs. Mais la donne a changé avec les législatives du 10 mars dernier.Benjamin Rojtman-Guiraud, Doctorant en Science politique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2253852024-03-14T18:57:55Z2024-03-14T18:57:55ZLe succès de Mistral AI exaspère l’UE !<p>En signant un accord de distribution avec Microsoft fin février, la pépite française de l’intelligence artificielle générative, Mistral AI n’imaginait pas être aussi critiquée. Concrètement, l’entreprise française, soutenue notamment par Xavier Niel, Rodolphe Saadé et Eric Schmidt, a décidé d’autoriser la distribution d’un de ses modèles de langage, Mistral Large <a href="https://www.challenges.fr/high-tech/mistral-large-symbole-des-ambitions-de-l-intelligence-artificielle-a-la-francaise_884909">sur la plate-forme Microsoft Azure</a>.</p>
<p>Commentant ce rapprochement, le député allemand, Kai Zenner, s’est dit extrêmement furieux d’un prétendu <a href="http://www.observatoiredeleurope.com/furieux-les-critiques-remettent-en-question-laccord-de-microsoft-avec-mistral-ai-alors-que-lue-sapprete-a-lexaminer_a21308.html">« double jeu des Français »</a>. La France avait en effet obtenu des concessions importantes lors des débats précédant <a href="https://digital-strategy.ec.europa.eu/fr/policies/regulatory-framework-ai">l’adoption de l’AI act</a>, la loi européenne qui vise à réglementer l’utilisation de l’intelligence artificielle. Les représentants français avaient souligné qu’un texte trop restrictif obligerait les start-up européennes, dont Mistral AI, à coopérer avec des sociétés américaines.</p>
<p>Les propos très critiques à l’égard de la stratégie de la start-up française Mistral AI posent la question de la compréhension par les instances européennes de la dynamique de développement de l’industrie de l’IA. Or, la lutte concurrentielle qui s’engage opposera des écosystèmes et non des entreprises isolées. S’attaquer à cet accord pourrait ainsi à terme nuire surtout à la pépite française et, par ricochet, à l’économie de l’Union européenne.</p>
<h2>Un accord avantageux pour Mistral AI</h2>
<p>Mistral AI a signé à la fin du mois de février un accord de distribution de son modèle de langage le plus complexe, Mistral Large, sur la plate-forme Miscrosoft Azure. Pour rappel, Azure est une plate-forme de <em>cloud computing</em> (informatique « dans les nuages ») permettant aux organisations d’accéder à des ressources informatiques sans avoir à investir dans des <em>data centres</em> ou à gérer les serveurs.</p>
<p>Le développement de l’IA conduit Microsoft à intégrer des services de <em>deep learning</em> dans Azure. Toutefois, la firme de Redmond semble peu confiante dans sa capacité à développer en interne le meilleur modèle de langage. Il est possible que les revers passés de sa R&D interne (Windows phone ou Bing) conduisent Microsoft à privilégier des partenariats technologiques avec d’autres entreprises. Microsoft opère donc des prises de participation dans des entreprises prometteuses comme OpenAI ou Mistral AI.</p>
<p>Microsoft Azure est aujourd’hui la deuxième plate-forme de <em>cloud computing</em> derrière celle d’Amazon mais <a href="http://www.kinsta.com/fr/blog/parts-de-marche-du-cloud/">loin devant les plates-formes de Google ou Alibaba</a>. L’accord récent permet à Mistral AI de s’insérer dans un écosystème performant et pérenne. Il lui ouvre le marché global du service aux entreprises et étend également le réseau des développeurs exploitant les performances de Mistral Large dans leurs propositions de solutions aux entreprises.</p>
<p>Cette constitution d’écosystèmes montre la modification de la lutte concurrentielle dans l’industrie de l’IA. En 2023, la compétition opposait les performances des différents modèles de langage disponibles. L’IA générative est aujourd’hui stabilisée et Yi du chinois 01.AI peut rivaliser avec GPT-4 alors que le <a href="https://huggingface.co/01-ai/Yi-34B">premier modèle cité utilise deux fois moins de paramètres que le second</a>. L’année qui commence devrait voir s’opposer les <a href="https://aisel.aisnet.org/misqe/vol22/iss1/4/">écosystèmes formés autour des différents modèles de langage disponibles</a>.</p>
<h2>Un champion européen</h2>
<p>À défaut d’une grande plate-forme de <em>cloud computing</em> européenne, il faut donc se réjouir de l’arrivée de Mistral AI dans l’écosystème créé par Microsoft. <a href="http://www.latribune.fr/technos-medias/internet/le-champion-francais-mistral-ai-rend-sa-meilleure-intelligence-artificielle-plus-accessible-aux-entreprises-992206.html">L’accord signé début mars avec Snowflake</a>, une autre entreprise de l’informatique dans les nuages, montre que la start-up française ne compte pas se contenter d’un accord avec Microsoft. La jeune pousse entend bien insérer son modèle Mistral Large dans un grand nombre d’écosystèmes dédiés à des usages professionnels.</p>
<p>Mistral AI est <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-mistral-ai-en-route-vers-une-valorisation-a-2-md$-92338.html">désormais valorisée 2 milliards de dollars</a>. Depuis sa dernière levée de fonds, elle est principalement détenue par <a href="http://www.forbes.fr/business/mistral-ai-leve-385-millions-deuros-une-nouvelle-licorne-francaise-simpose-comme-championne-europeenne-de-lia">deux sociétés de capital-risque américaines</a>. Les 15 millions de dollars investis sous forme d’obligations convertibles par Microsoft sont loin de ressembler à une prise de contrôle qui enfermerait la start-up française dans une relation exclusive avec cette entreprise.</p>
<p>L’accord signé avec Snowflake montre que Mistral AI n’entend pas être pieds et poings liés avec Microsoft qui est un partenaire parmi d’autres. De la même façon, Microsoft n’entretiendra pas une relation exclusive avec Mistral AI, mais multiplie les relations avec des sociétés spécialisées. Dans ce contexte concurrentiel renouvelé, lié notamment aux caractéristiques intrinsèques de l’IA, quel sens pourrait revêtir la notion de champion européen dans ce domaine ?</p>
<h2>Explosions des capitalisations boursières</h2>
<p>L’intelligence artificielle constitue une technologie fondamentalement disruptive qui portera la croissance économique des années futures. Aux États-Unis, l’explosion des capitalisations boursières de Nvidia ou de Supermicro, deux fournisseurs de <em>hardwares</em> indispensables aux avancées de l’IA, indique l’intérêt des investisseurs pour ces technologies prometteuses.</p>
<p>Dans ce contexte, il est désespérant de constater que les start-up européennes, tous secteurs confondus, n’auront collecté que 51 milliards de dollars en 2023, <a href="http://www.lesechos.fr/start-up/ecosysteme/les-reserves-du-capital-risque-europeen-en-route-vers-un-nouveau-record-1958173">contre 83 milliards en 2022 et 106 milliards en 2021</a>. En d’autres termes, nous nous montrons incapable de construire le réseau d’entreprises susceptible de <a href="https://www.researchgate.net/publication/376749285_Enhancing_the_Competitiveness_of_AI_Technology-Based_Startups_in_the_Digital_Era">soutenir le développement de cette industrie sur notre continent et ce handicap influencera notre compétitivité internationale future</a>. Depuis le succès du premier système d’exploitation de Microsoft, nous savons qu’un géant de l’informatique se construit sur un écosystème d’entreprises et de partenaires qui exploitent son logiciel. Sans cet écosystème, Mistral AI tout comme l’initiative <a href="http://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-ia-iliad-lance-le-laboratoire-de-recherche-kyutai-92163.html">Kyutai</a> d’un autre groupe français, Iliad, ne pourront rien contre leur concurrents américains ou chinois.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225385/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Braune ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les critiques contre le rapprochement entre Mistral IA et Microsoft signalent une incompréhension des nouvelles formes de concurrence créées par l’irruption de l’intelligence artificielle.Eric Braune, Professeur associé, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2249932024-03-14T18:56:17Z2024-03-14T18:56:17ZLa fulgurante conversion de la Finlande à l’OTAN<p>Le nouveau président finlandais, <a href="https://www.touteleurope.eu/vie-politique-des-etats-membres/finlande-le-conservateur-alexander-stubb-remporte-l-election-presidentielle/">Alexander Stubb</a>, a prêté serment le 1<sup>er</sup> mars 2024. Ancien premier ministre (2014-2015) et ministre des Affaires étrangères (2008-2011), le candidat du parti conservateur (<em>Kokoomus</em>) a devancé l’écologiste Pekka Haavisto, lui aussi ancien ministre des Affaires étrangères (2019-2023).</p>
<p>Stubb a succédé à un autre conservateur, Sauli Niinistö, qui avait occupé ce poste pendant 12 ans (et battu Haavisto lors des deux élections précédentes). Dès lors, faut-il s’attendre à ce que la continuité soit de mise en matière de politique étrangère et de sécurité, principale prérogative constitutionnelle du président finlandais ? Oui… mais avec une nuance, de taille : au cours des deux dernières années, la Finlande a connu le bouleversement le plus spectaculaire de sa politique étrangère et de sécurité depuis la Seconde Guerre mondiale.</p>
<p>La neutralité, <a href="https://www.cairn.info/les-democraties-europeennes--9782200601621-page-151.htm">terme étroitement associé au pays pendant près de 70 ans</a>, appartient désormais au passé. En avril 2023, la Finlande est devenue le 31<sup>e</sup> État membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).</p>
<h2>Consensus total</h2>
<p>La Finlande de 2024 n’est plus le même pays que la Finlande de 2018 ou de 2012, années des deux dernières élections présidentielles. Du fait de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, sa traditionnelle neutralité a rapidement été abandonnée au profit de l’adhésion à l’OTAN. <a href="https://www.nato.int/docu/review/fr/articles/2023/08/30/adhesion-de-la-finlande-a-lotan-gros-plan-sur-un-parcours-logique-mais-inattendu/index.html">Le drapeau finlandais a été hissé devant le siège de l’OTAN à Bruxelles le 4 avril 2023</a>, moins d’un an après le dépôt de la demande officielle d’adhésion.</p>
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<p>On aurait pu s’attendre à ce que cette décision, qui avait indéniablement constitué la plus grande transformation de la politique étrangère et de sécurité du pays depuis la Seconde Guerre mondiale, suscite d’âpres débats lors de la campagne présidentielle qui s’est déroulée quelques mois plus tard. Or il n’en fut rien. Stubb et Haavisto étaient sur la même ligne : le temps était venu pour le pays de rejoindre l’OTAN. Les sept autres candidats qui avaient participé au premier tour des élections en janvier, y compris Li Anderson, de l’Alliance de gauche, n’avaient pas non plus exprimé de doutes quant à la nouvelle orientation de la politique de sécurité de Helsinki. Les désaccords étaient essentiellement théoriques : la Finlande autoriserait-elle le déploiement d’armes nucléaires sur son territoire ? Alors que Haavisto s’est catégoriquement opposé à cette idée, Stubb a dit en substance qu’il fallait « ne jamais dire jamais ». En tout état de cause, cette éventualité ne paraît pas d’actualité.</p>
<p><a href="https://www.rferl.org/a/finland-nato-survey-membership/32145117.html">L’évolution de l’opinion publique</a> sur les questions de l’adhésion à l’OTAN et de la neutralité a été d’une rapidité tout à fait remarquable. En 2017, seuls 19 % des Finlandais étaient favorables à ce que le pays intègre l’alliance. Quelques semaines après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce chiffre a bondi à 68 %. En février 2023, il était de 80 %. Même les deux tiers des partisans de l’Alliance de gauche, traditionnellement méfiante envers l’OTAN, étaient en faveur de l’adhésion.</p>
<p>Comment en est-on arrivé à un tel consensus ? En réalité, le basculement n’a pas été aussi spectaculaire qu’on pourrait le penser de prime abord. L’histoire de la politique étrangère et de sécurité finlandaise a toujours été un exercice de funambulisme entre, d’une part, les réalités géopolitiques (la nécessité de faire en sorte que le pays subsiste) et, d’autre part, une forte adhésion aux valeurs « occidentales » (démocratie, droits de l’homme et État de droit). Cela n’a jamais changé.</p>
<h2>Un pays prisonnier de sa géographie</h2>
<p>La neutralité finlandaise est apparue comme une stratégie de survie après la Seconde Guerre mondiale. Ayant combattu et perdu, cédé 10 % de son territoire et été contrainte d’accepter la présence d’une base militaire soviétique à proximité d’Helsinki, la Finlande n’était pas en position de force. La signature d’un <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/858">traité avec l’URSS en 1948</a> empêchait expressément toute adhésion à une structure telle que l’OTAN, créée l’année suivante. « Nous ne pouvons pas changer la géographie », avait souligné le premier président de l’après-guerre, Juho K. Paasikivi. Tout soupçon de la possibilité que les puissances occidentales puissent attaquer l’URSS depuis le territoire finlandais <a href="https://www.jstor.org/stable/42670936">devait être écarté</a>.</p>
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<p>Alors que la guerre froide divisait l’Europe, les dirigeants finlandais ont usé d’acrobaties diplomatiques pour édifier une position crédible « entre l’Est et l’Ouest ». Dans les années 1970, leur persévérance a porté ses fruits et Helsinki a accueilli la première réunion de la <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/cde6b81f-de28-4cf9-8581-77e6f0d93ee3">Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe</a> (CSCE), devenue plus tard, après la fin de la guerre froide, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), dont le siège se trouve à Vienne. Entre-temps, le traité finno-soviétique de 1948 a été remplacé par le <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/129830-presentation-du-traite-signe-entre-la-france-et-la-russie-sur-la-coopera">traité finno-russe de 1992</a> ; celui-ci était fondé sur le concept d’« égalité souveraine » et reconnaissait donc le droit de la Finlande à conclure des traités sans tenir compte des intérêts sécuritaires de la Russie.</p>
<p>Du fait du succès apparent de la neutralité en tant que doctrine de politique étrangère et de sécurité depuis 1945, il n’y a pas eu dans le pays, durant toutes ces années, de discussion sérieuse sur une éventuelle adhésion à l’OTAN. Comme deux autres pays neutres, l’Autriche et la Suède, la Finlande a adhéré à l’Union européenne en 1995. Pendant plusieurs décennies, Helsinki a semblé ne pas avoir de raison de craindre la Russie. Cette dernière avait beau se comporter de façon de plus en plus impérialiste à l’extérieur de ses frontières (par exemple en Géorgie en 2008), seule une minorité de Finlandais a continué à mettre en garde contre toute complaisance excessive à l’égard de Moscou. Même après l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014, la plupart des Finlandais (et des Suédois) sont restés méfiants envers l’OTAN.</p>
<h2>Février 2022, le moment charnière</h2>
<p>Ce qui a changé après l’annexion de la Crimée, en revanche, c’est la perception que la plupart des Finlandais se faisaient de la Russie de l’après-guerre froide. En novembre 2014, lors d’une conférence des dirigeants de l’Europe du Nord accueillie à Helsinki par Alexander Stubb, alors premier ministre, les dirigeants finlandais <a href="https://www.theguardian.com/world/2014/nov/05/finland-warns-cold-war-russia-eu">ont insisté auprès de leurs homologues</a>, dont le premier ministre britannique David Cameron, sur la nécessité de reconnaître le danger que représente la Russie.</p>
<p>Dans les années suivantes, les rencontres entre les dirigeants finlandais et russes, y compris les présidents Niinistö et Poutine, sont devenues de plus en plus tendues. Des rapports réguliers ont font état <a href="https://www.nytimes.com/2018/10/31/world/europe/sakkiluoto-finland-russian-military.html">d’actes d’espionnage russe en Finlande</a>. Comme la Suède, la Finlande a participé aux exercices militaires de l’OTAN en tant que « partenaire ». Toutefois, la majeure partie des hommes politiques finlandais ainsi que la majorité de l’opinion publique se montraient très réticents à rompre avec la tradition de neutralité chère à Helsinki. Élu haut la main pour un second mandat en février 2018, Niinistö avait alors déclaré : « Je pense qu’il n’y a aucune raison de demander l’adhésion [à l’OTAN] tant que les circonstances sont telles qu’elles sont aujourd’hui. » Mais, avait-il ajouté, « s’il y a des changements cruciaux dans notre environnement, alors il n’en irait peut-être plus de même ».</p>
<p>Ces changements cruciaux survinrent le 24 février 2022, lorsque les troupes russes pénétrèrent en Ukraine. Les dirigeants finlandais ont immédiatement <a href="https://yle.fi/a/3-12331397">condamné cette invasion en des termes très clairs</a>. Quatre jours après le début de l’offensive, un sondage a indiqué que, pour la première fois dans l’histoire, la majorité des Finlandais était favorable à l’adhésion à l’OTAN. Une semaine plus tard, Niinistö <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/03/04/readout-of-president-bidens-meeting-with-president-of-finland-sauli-niinisto/">rencontrait le président américain Joe Biden</a> à la Maison Blanche.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1644309046013440000"}"></div></p>
<p>Un seuil avait été franchi. Le 15 mai, en étroite coordination avec la Suède, la Finlande a annoncé sa demande d’adhésion à l’OTAN. Moins d’un an plus tard, le processus était achevé. Il a été incroyablement rapide.</p>
<h2>Pas le choix ?</h2>
<p>Il apparaît, à ce stade, que les dirigeants finlandais ont réagi avec une rapidité remarquable à un bouleversement brutal de la situation géopolitique dans leur voisinage immédiat. L’invasion russe a mis en évidence le fait que la géographie restait primordiale : la Finlande partage 1 300 kilomètres de frontière avec un pays qui vient d’envahir – et pas pour la première fois – un de ses voisins. Cette fois, l’opinion publique finlandaise exigeait une réaction rapide, une forme d’assurance que son pays ne serait pas la prochaine cible de Poutine. Dès lors, la demande d’adhésion à l’OTAN était presque une évidence.</p>
<p>Presque, mais pas entièrement. L’abandon de la neutralité n’était, en effet, pas la seule voie possible. Les Finlandais auraient pu réaffirmer leur engagement en faveur de la neutralité et suggérer que cela leur permettrait de jouer les médiateurs entre Russes et Ukrainiens. Niinistö et d’autres auraient pu mettre l’accent sur une version de la realpolitik soulignant la nécessité de « construire des ponts » (un discours similaire à celui que tenaient les États neutres de l’époque de la guerre froide). Ils auraient également pu souligner que la dépendance de la Finlande à l’égard de l’approvisionnement énergétique russe rendait <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/05/20/apres-l-electricite-la-russie-coupe-le-gaz-vers-la-finlande_6127027_3234.html">risqué</a> le fait de contrarier Moscou.</p>
<p>Le fait que les Finlandais aient préféré l’OTAN à la neutralité en dit long sur le choc qu’ils ont ressenti le 24 février 2022. Qu’ils restent unis deux ans plus tard ne prouve pas, en soi, qu’ils ont fait le bon choix. Mais cela témoigne d’un consensus national remarquable – rare dans les démocraties occidentales – en matière de politique étrangère. L’ironie de cette situation réside en cela que ce consensus est tel qu’il évoque inévitablement le consensus antérieur en Finlande sur la politique étrangère : celui sur la neutralité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224993/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jussi Hanhimäki a reçu des financements de Swiss National Foundation. </span></em></p>Dès le 24 février 2022, l’opinion publique et la classe politique finlandaises ont basculé d’un attachement marqué à la neutralité à une volonté partagée par tous d’adhérer au plus vite à l’OTAN.Jussi Hanhimäki, Professeur d'histoire et de politique internationales, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216662024-03-13T15:57:27Z2024-03-13T15:57:27ZRéindustrialisation (verte) : un retard européen à combler<p>Le débat autour de la place et de la dynamique de l’industrie au sein de l’Union européenne (UE) n’est pas aisé, tant il est phagocyté par des considérations nationales, entre des pays dotés d’un secteur manufacturier puissant, comme l’Allemagne, et d’autres aux prises avec un déclin amorcé il y a plusieurs décennies, comme la France. Au-delà de cette hétérogénéité au sein de l’UE, le décrochage de cette dernière en matière d’investissements dans les secteurs stratégiques (notamment pour la transition écologique) est inquiétant.</p>
<p>Sur la période 2016-2023, l’Union européenne n’a en effet représenté que <a href="https://trendeo.net/blog/parution-du-8e-barometre-mondial-des-investissements-industriels/">6,5 % des investissements industriels annoncés dans le monde</a>, là où les États-Unis en captaient 17 %, la Chine 19 % et l’ensemble de l’Asie 55 %, selon les chiffres du cabinet d’études Trendeo. L’écart est encore plus important pour les méga-investissements industriels – plus de 5 milliards de dollars – annoncés dans le monde, où la part de l’UE tombe à 2 % sur la période.</p>
<p>Si les entreprises européennes ont une capacité d’investissement forte (et proche de celle des entreprises américaines), elle est surtout employée hors de l’UE : les entreprises européennes investissent davantage à l’étranger, si bien que l’UE ne reçoit que l’équivalent d’un peu plus de la moitié de leur capacité d’investissement (et les investissements étrangers en Europe ne permettent pas de compenser).</p>
<p><iframe id="eN52o" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/eN52o/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le tableau ne s’améliore guère du côté de la production, notamment dans le <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/blog/lindustrie-europeenne-des-vehicules-electriques-doit-elle-craindre-le-protectionnisme-vert-americain/">secteur clé de l’automobile électrique</a> : l’Europe produit certes 25 % des voitures électriques, contre 10 % aux États-Unis, mais la Chine plus de la moitié. S’agissant des batteries, la Chine produit plus de 75 % des batteries issues de la technologie dominante, contre 7 % tant pour l’Europe que pour les États-Unis.</p>
<p>Le retard pris par les pays de l’UE est donc substantiel. Une politique vigoureuse d’investissement apparaît comme un moyen nécessaire, parmi d’autres, pour y remédier.</p>
<h2>Un soutien public massif aux États-Unis</h2>
<p>La comparaison des stratégies américaines et européennes en la matière ne plaide pas en faveur de l’Europe. Les moyens avancés par les États-Unis sont bien supérieurs à ceux mis en œuvre par l’UE. Pour les premiers, l’<a href="https://theconversation.com/inflation-reduction-act-comment-lunion-europeenne-peut-elle-repondre-aux-incitations-fiscales-americaines-201425">Inflation Reduction Act</a> (IRA), dont le coût sur dix ans était estimé à 385 milliards de dollars, pourrait représenter plus de 1 000 milliards d’argent public : la plupart des mesures ne sont en effet pas plafonnées, que ce soit en volume ou en valeur, et le coût total dépendra du degré d’utilisation des crédits d’impôt, qui s’est révélé jusqu’à présent <a href="https://budgetmodel.wharton.upenn.edu/estimates/2023/4/27/update-cost-climate-and-energy-inflation-reduction-act">beaucoup plus élevé que prévu</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1636395782847774722"}"></div></p>
<p>Du côté européen, si le caractère disparate des différents dispositifs, additionnant financements publics (européens ou nationaux) et privés, financements directs et crédits (par exemple, de la Banque européenne d’investissement), rend délicates les comparaisons, les montants publics mobilisés semblent néanmoins bien plus limités.</p>
<p>Un des plans phares, le Net Zero Industrial Act (NZIA), destiné à soutenir la production de technologies propres au sein de l’UE, affiche par exemple un montant de 92 milliards d’euros pour la période 2023-2030. Mais il s’agit d’un montant reposant sur un effet de levier substantiel : ces investissements de 92 milliards reposeraient sur seulement 16 à 18 milliards d’euros de soutiens publics directs.</p>
<p>L’écart entre les deux rives de l’Atlantique est encore plus flagrant lorsque l’on compare les aides, non pas d’un point de vue macroéconomique, mais à l’échelle des projets. Par exemple, le soutien américain pour les producteurs de batteries serait en moyenne <a href="https://www.menon.no/wp-content/uploads/2023-46-Battery-subsidy-regimes.pdf">plus de 3 fois supérieur aux aides européennes</a>.</p>
<p>Ce retard à l’allumage de l’Europe n’est pas surprenant. La Commission européenne a longtemps rejeté l’idée même de politique industrielle : jusqu’à récemment, elle estimait que celle-ci devait idéalement reposer sur la politique de concurrence au niveau du marché unique, le libre-échange et une politique de recherche et développement, sans que les contours de cette dernière soient réellement précisés.</p>
<h2>L’UE change de logiciel</h2>
<p>Il faut cependant souligner deux inflexions significatives dans le logiciel européen.</p>
<p>Tout d’abord, la création du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), entré en vigueur dans sa phase transitoire le 1<sup>er</sup> octobre 2023, a pu être interprétée comme marquant l’émergence d’une <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/06/21/comment-la-montee-du-protectionnisme-vert-penalise-les-pays-pauvres_6178593_3234.html">forme de protectionnisme vert européen</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-ajustement-carbone-aux-frontieres-de-lue-nest-pas-sans-risque-pour-les-pays-les-plus-pauvres-197218">Un ajustement carbone aux frontières de l’UE n’est pas sans risque pour les pays les plus pauvres</a>
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<p>L’objectif de ce dispositif est d’éviter les « fuites de carbone », c’est-à-dire le déplacement des productions de l’UE vers des pays ayant des politiques climatiques moins exigeantes et leur remplacement par des importations carbonées. Pour cela, les importateurs européens de certains produits, comme l’acier ou l’aluminium, devront payer le même prix pour le carbone contenu dans les produits importés que celui payé par les producteurs européens.</p>
<p>Si le MACF marque une inflexion très nette du logiciel européen, il souffre à l’heure actuelle de deux failles. D’une part, il pourrait pénaliser la compétitivité à l’exportation des industriels européens, d’abord car les exportateurs européens vont payer leurs intrants plus cher du fait du MACF, et deuxièmement car ils devront progressivement, lorsqu’ils produisent en Europe, s’acquitter de quotas carbone (jusqu’alors gratuits pour les sites les plus intensifs en énergie) alors que leurs concurrents sur les marchés à l’exportation n’ont pas à s’acquitter d’un tel coût.</p>
<p>D’autre part, le dispositif actuel ne couvre que quelques grands intrants industriels et non les produits finis ni la majorité des semi-finis. Il existe donc un risque de « délocalisation » de l’aval des chaines de production : un produit fini ou semi-fini à base d’acier ou d’aluminium mais transformé hors de l’UE échappe au MACF, ce qui peut inciter les producteurs à délocaliser pour réimporter ensuite au sein des Vingt-Sept.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/concilier-ambition-climatique-et-concurrence-mondiale-quel-role-pour-le-mecanisme-dajustement-carbone-aux-frontieres-212927">Concilier ambition climatique et concurrence mondiale : quel rôle pour le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières ?</a>
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<p>Par ailleurs, la montée en puissance des projets importants d’intérêt européen commun (PIEEC) constitue une deuxième inflexion significative aux règles de libre concurrence de l’UE : ils visent à promouvoir l’innovation dans des domaines industriels stratégiques et d’avenir, au travers de projets européens transnationaux. Leur particularité est de ne pas reposer sur des financements de l’UE, mais sur les budgets nationaux, pour des montants allant au-delà des limites habituellement fixées par la réglementation européenne en matière d’aides d’État.</p>
<p>Le <a href="https://www.economie.gouv.fr/france-2030">plan France 2030</a> s’inscrit dans ce cadre : plus de la moitié de l’enveloppe de 54 milliards prévue dans ce plan a été engagée en deux ans. En tenant compte de l’effet de levier sur les financements privés, cela représente plus de 40 milliards d’euros engagés depuis 2021, et plus de 85 milliards d’euros qui devraient être investis sur cinq ans dans des projets visant à stimuler l’innovation dans des secteurs stratégiques (véhicules électriques, hydrogène, spatial, quantique, etc.), des montants très importants à l’échelle française.</p>
<h2>Risques de divergences</h2>
<p>L’assouplissement des règles permis par le cadre des PIIEC pose néanmoins la question de l’hétérogénéité des marges de manœuvre budgétaires nationales et du risque de fragmentation. La monnaie unique a, en effet, accentué les divergences réelles au sein de la zone euro : <a href="http://gesd.free.fr/krugman93.pdf">comme l’avait anticipé le prix « Nobel » d’économie Paul Krugman</a>, dans un contexte de forte mobilité des facteurs de production, une intégration accrue entre pays aboutit à un renforcement de leurs spécialisations.</p>
<p>À cet égard, l’assouplissement des PIIEC risque de réserver les investissements massifs aux pays budgétairement « vertueux », qui sont très souvent déjà ceux disposant d’un secteur industriel puissant. Maintenir une base industrielle forte permet en effet de générer de la richesse à long terme, et d’avoir ainsi moins recours à l’endettement pour stimuler l’activité économique. Ces facteurs contribuent à ce que les pays les plus industrialisés aient les marges de manœuvre budgétaires les plus fortes, ce qui représente un autre facteur puissant de divergence au sein de la zone euro.</p>
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<img alt="Drapeaux des pays membres de l’UE" src="https://images.theconversation.com/files/572989/original/file-20240202-29-o9dmdc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572989/original/file-20240202-29-o9dmdc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572989/original/file-20240202-29-o9dmdc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572989/original/file-20240202-29-o9dmdc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572989/original/file-20240202-29-o9dmdc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572989/original/file-20240202-29-o9dmdc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572989/original/file-20240202-29-o9dmdc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’enjeu de réindustrialisation constitue un autre facteur puissant de divergence au sein de la zone euro.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/european_parliament/35139054432">European Parliament</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Une augmentation de l’endettement au niveau européen permettrait de répondre à ce risque de fragmentation accrue. Ceci réclamerait un engagement de plusieurs centaines de milliards de dollars, qui pourraient être financé selon des modalités proches de celles retenues dans le cadre du plan de relance européen <a href="https://next-generation-eu.europa.eu/index_fr">Next Generation EU</a> initié en 2020 (750 milliards d’euros financés par un emprunt au niveau de l’UE), à condition de parvenir à un nouvel accord politique en ce sens.</p>
<h2>La voie des clauses de contenu environnemental</h2>
<p>L’Europe dispose d’un atout qui pourrait être davantage mobilisé : un mix énergétique moins carboné. Le développement de clauses de conditionnalité environnementale – sur le modèle du <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16766">nouveau bonus français sur les voitures électriques</a> – apparaît ainsi comme une voie prometteuse pour favoriser la production européenne, tout en respectant le cadre légal de l’UE.</p>
<p>Ces clauses permettent d’atteindre des objectifs proches des clauses de contenu local, en contournant l’interdiction de ces dernières : aucun modèle de voiture électrique produit en Asie, et particulièrement en Chine, n’a ainsi été éligible au bonus écologique français en 2024. S’appuyer sur des clauses de conditionnalité environnementale est aussi une façon de réorienter la commande publique vers la production française et européenne.</p>
<p>Il s’agit d’un enjeu de taille : la commande publique représente de 10 % à 20 % du PIB des pays membres de l’UE. La loi française <a href="https://www.economie.gouv.fr/daj/la-loi-ndeg-2023-973-du-23-octobre-2023-relative-lindustrie-verte-renforce-la-commande-publique">« Industrie verte »</a>, adoptée en octobre 2023, fait un premier pas en ce sens, avec la création d’un label permettant d’intégrer les critères environnementaux dans la commande publique.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Cette contribution est publiée en partenariat avec le <a href="https://www.printempsdeleco.fr/">Printemps de l’Économie</a>, cycle de conférences-débats qui se tiendront du mardi 2 au vendredi 5 avril au Conseil économique social et environnemental (Cese) à Paris. Retrouvez ici le <a href="https://www.printempsdeleco.fr/12e-edition-2024">programme complet</a> de l’édition 2024, intitulée « Quelle Europe dans un monde fragmenté ? »</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221666/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les montants des investissements européens dans des technologies comme les batteries électriques ou les semi-conducteurs restent limités par rapport à la Chine ou aux États-Unis.Thomas Grjebine, Économiste, Responsable du programme Macroéconomie et finance internationales, CEPIIJérôme Héricourt, Professeur d'économie, conseiller scientifique au CEPII, Université d’Evry – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2253872024-03-10T16:48:05Z2024-03-10T16:48:05ZL’Union européenne et Poutine : 24 ans de montagnes russes<p>Qui aurait pu imaginer, au début des années 2000, que l’Union européenne et la Russie de Vladimir Poutine se retrouveraient un jour au bord de la guerre à propos de l’Ukraine ? À l’époque, la Russie était un <a href="https://www.jstor.org/stable/24469972">partenaire de l’Occident dans la lutte contre le terrorisme</a>. Elle avait accepté l’installation par les États-Unis de bases militaires en Asie centrale pour soutenir leurs opérations en Afghanistan. Des sommets se tenaient régulièrement (deux fois par an) entre l’UE et la Russie – plus souvent qu’avec les États-Unis – et l’Union envisageait de conclure un <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ei/2012-v43-n4-ei0387/1013364ar/">« partenariat stratégique »</a> avec ce pays…</p>
<p>Au moment où Vladimir Poutine s’apprête à remporter un <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/g%C3%A9opolitique/20240309-pr%C3%A9sidentielle-russe-un-faux-scrutin">nouveau scrutin totalement contrôlé</a>, retour sur ce presque quart de siècle d’une relation qui a connu quelques hauts et, surtout, beaucoup de bas.</p>
<h2>Dans les années 2000, à la recherche de partenariats…</h2>
<p>Malgré <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/rmc_gomart_xp.pdf">l’élargissement de l’UE et de l’OTAN aux pays d’Europe centrale et orientale</a>, Moscou acceptait en 2002 la <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_19572.htm">mise en place d’un Conseil OTAN-Russie</a> et bouclait entre 2003 et 2005 les négociations de <a href="https://www.europarl.europa.eu/factsheets/fr/sheet/177/russie">« quatre espaces »</a> de coopération UE-Russie, sur proposition de la France et de l’Allemagne : un espace économique ; un espace de liberté, de sécurité et de justice ; un espace de recherche, d’éducation et de culture ; un espace de sécurité extérieure.</p>
<p>Alors que la Russie avait refusé d’être englobée dans la <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/la-politique-europeenne-de-voisinage/">« politique de voisinage »</a> de l’UE, la feuille de route sur la sécurité extérieure, la plus difficile à conclure, envisageait une entente sur la gestion de l’espace postsoviétique, évoquant une coopération pour la stabilité des territoires adjacents aux deux ensembles.</p>
<p>L’UE se lançait en 2006 dans la négociation de deux nouveaux accords en parallèle avec l’Ukraine comme avec la Russie. Le démarrage de la négociation avec la Russie fut retardé par la Pologne et la Lituanie, mais il eut lieu en 2008. Malgré la guerre en Géorgie à l’été 2008, les discussions sur ce nouvel accord redémarraient dès le <a href="http://www1.rfi.fr/actufr/articles/107/article_74837.asp">sommet de Nice en novembre</a>, comme le souhaitait le président français Nicolas Sarkozy, qui exerçait alors la présidence tournante de l’Union.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/580808/original/file-20240309-25-ll982u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580808/original/file-20240309-25-ll982u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580808/original/file-20240309-25-ll982u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580808/original/file-20240309-25-ll982u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580808/original/file-20240309-25-ll982u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580808/original/file-20240309-25-ll982u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580808/original/file-20240309-25-ll982u.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nicolas Sarkozy et Dmitri Medvedev, alors président de la Fédération de Russie, se saluent au sommet de Nice, le 14 novembre 2008, devant le maire de Nice Christian Estrosi et le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune Javier Solana.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Dmitry_Medvedev_14_November_2008-1.jpg">Sergey Guneyev/Kremlin.ru</a></span>
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<p>En dépit du faux retrait de Vladimir Poutine, permutant avec Dimitri Medvedev les fonctions de président et de premier ministre en mai 2008, un partenariat de modernisation UE-Russie était même conclu en 2010 au <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20100601-bilan-mitige-sommet-ue-russie-rostov-le-don">sommet de Rostov</a>, et la Russie <a href="https://www.wto.org/french/news_f/news11_f/acc_rus_16dec11_f.htm">faisait son entrée dans l’OMC en 2011</a>.</p>
<h2>… mais déjà des frictions de plus en plus sensibles</h2>
<p>Ce n’est pas que les problèmes n’apparaissaient pas déjà. Le dialogue sur les droits de l’homme, initié en 2005, tournait régulièrement au dialogue de sourds. Les Occidentaux, qui avaient obtenu de la Russie (sommet d’Istanbul de l’OSCE, 1999) l’engagement de retirer ses troupes des « conflits gelés » de l’ex-Union soviétique (Géorgie, Moldavie), considéraient que la Russie était en violation de ses engagements et refusaient systématiquement, à partir de 2002, d’agréer une déclaration politique aux rencontres annuelles de l’OSCE.</p>
<p>De son côté, Poutine durcissait ses positions. En 2005, il qualifiait la disparition de l’Union soviétique de <a href="https://www.rferl.org/a/1058688.html">« plus grande catastrophe géopolitique du XXᵉ siècle »</a>. En 2006, il menaçait les Occidentaux, tentés de reconnaître l’indépendance du Kosovo de la Serbie, d’appliquer la même solution aux conflits gelés de l’ex-URSS. En 2007, il prononçait un <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/vladimir-poutine/russie-ce-discours-de-vladimir-poutine-en-2007-qui-resonne-avec-la-crise-actuelle-en-ukraine_4968344.html">discours menaçant</a> contre les Occidentaux et l’unilatéralisme américain à la Conférence de sécurité de Munich. Parallèlement, la répression impitoyable visant les détracteurs russes du régime s’intensifiait comme le montraient, entre autres, les assassinats spectaculaires d’<a href="https://www.cairn.info/revue-esprit-2006-11-page-148.htm">Anna Politkovskaïa</a> et d’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/affaires-sensibles/alexandre-litvinenko-victime-d-un-permis-de-tuer-6453795">Alexandre Litvinenko</a> en 2006.</p>
<h2>Début des années 2010, la montée des tensions</h2>
<p>Si Vladimir Poutine s’est plié en 2008 aux demandes occidentales, surtout américaines, de ne pas effectuer plus de deux mandats à la présidence de la Russie, comme le stipulait la Constitution russe, c’était en réalité pour mieux conserver la réalité du pouvoir à travers le contrôle des « structures de force », notamment les services de renseignement et de sécurité (Poutine avait été officier du KGB avant de devenir directeur de la structure qui en avait pris la suite après la fin de l’URSS, le FSB). S’est dès lors nouée une évolution fatale, le leader russe légitimant son pouvoir par le durcissement face aux Occidentaux.</p>
<p>On l’a vu au moment de la guerre en Géorgie, lorsque le premier ministre Poutine tirait vers des positions dures pendant que le président Medvedev négociait une solution avec Sarkozy. Et à nouveau au moment de la crise libyenne en 2011, quand Poutine <a href="https://www.slate.fr/story/36013/russie-libye-medvedev-poutine">reprocha à Medvedev d’avoir laissé passer la résolution 1973</a> du Conseil de sécurité autorisant l’intervention de l’OTAN, cette dernière outrepassant le mandat qui lui était donné (la protection des civils à Benghazi) en poursuivant les opérations jusqu’à la chute de Kadhafi.</p>
<h2>L’Ukraine au cœur des contentieux</h2>
<p>Le retour à la présidence de Poutine en 2012, à la suite d’un changement constitutionnel (permettant désormais deux mandats présidentiels consécutifs de six ans chacun), ouvrait dès lors la voie à la confrontation. Elle se noua sur l’Ukraine. En 2004, déjà, la <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2005-2-page-109.htm">« Révolution orange »</a> à Kiev avait causé une première crise. Mais l’action combinée de Jacques Chirac et Gerhard Schroeder, usant de leur influence pour apaiser le président russe, et de l’Union européenne, poussant à de nouvelles élections qui portèrent au pouvoir un président « pro-occidental », Viktor Iouchtchenko, permit de l’éviter. Et en 2010, l’Ukraine élut même un président « pro-russe », Viktor Ianoukovitch.</p>
<p>À l’époque, les États-Unis, dirigés depuis 2008 par Barack Obama, n’étaient plus sur une ligne aussi hostile à Moscou que l’Administration Bush, qui avait largement encouragé les « révolutions de couleur » en Géorgie et en Ukraine et avait ouvert à ces pays une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2008/03/07/l-otan-tempere-les-espoirs-d-adhesion-de-la-georgie-et-de-l-ukraine_1019968_3210.html">perspective d’adhésion à l’OTAN au sommet de Bucarest (2008)</a>. Barack Obama, lui, <a href="https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/us-russia-relations-reset-fact-sheet">proposa un « reset » à la Russie en 2009</a>. Mais l’UE, tout en poursuivant la négociation d’un nouvel accord avec la Russie, visait un accord d’association ambitieux avec l’Ukraine, incluant une zone de libre-échange très poussée, et c’est le refus de cet accord par Ianoukovitch, poussé par Poutine, qui déclencha la révolution de Maïdan à la fin 2013, précipitant la chute du président ukrainien.</p>
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<p>La Russie réagit brutalement en annexant la Crimée et en soutenant à bout de bras une insurrection dans le Donbass. Résultat : une vraie rupture entre l’UE et la Russie, la fin des sommets et des négociations de partenariat, et les <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/sanctions/restrictive-measures-against-russia-over-ukraine/">premières sanctions</a> incluant un embargo sur les armes, des sanctions financières et la restriction des investissements dans l’énergie. La France et l’Allemagne (Hollande et Merkel) jouèrent à nouveau un rôle médiateur en facilitant les <a href="https://www.jean-jaures.org/publication/tout-ce-quil-faut-savoir-sur-les-accords-de-minsk-en-22-questions/">accords de Minsk</a> (2014-2015), qui gelèrent le conflit du Donbass sans parvenir à le résoudre.</p>
<p>L’Allemagne, à travers sa présidence de l’OSCE (2016), puis la France, avec les <a href="https://www.polkamagazine.com/quand-emmanuel-macron-accueillait-vladimir-poutine-a-versailles/">tentatives du président Emmanuel Macron de renouer avec la Russie</a>, ont essayé, sans succès, de débloquer la situation, bloquée par la non-mise en œuvre des accords de Minsk, lesquels prévoyaient la réintégration du Donbass dans l’Ukraine.</p>
<h2>La fracture du 24 février 2022</h2>
<p>Il demeure une part d’énigme quant à la motivation exacte qui a poussé Vladimir Poutine à attaquer l’Ukraine le 24 février 2022. Voyait-il le pays basculer de plus en plus dans le camp occidental ? Redoutait-il une <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-volonte-ukrainienne-de-recuperer-la-crimee-constitue-une-menace-directe-pour-la-russie-20211202">attaque ukrainienne</a> sur la Crimée et sur les pseudo-républiques de Donetsk et de Lougansk, contrôlées par Moscou ? Ou pensait-il qu’il avait un coup à jouer en surinterprétant <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/15/le-retrait-americain-d-afghanistan-tourne-a-la-deroute-pour-l-administration-biden_6091491_3210.html">l’affaiblissement des États-Unis après leur retrait d’Afghanistan</a> ? Isolé par la pandémie de Covid, s’était-il <a href="https://theconversation.com/vladimir-poutine-et-le-fiasco-des-services-secrets-russes-en-ukraine-194206">laissé intoxiquer par ses services</a> sur la facilité à remplacer le pouvoir à Kiev par un pouvoir prorusse ?</p>
<p>Toujours est-il qu’il a commis l’irréparable en endossant le rôle de l’agresseur (beaucoup plus clairement que dans la guerre en Géorgie, où <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/08/26/01003-20080826ARTFIG00361-le-pari-perdu-de-mikhail-saakachvili-.php">c’est le président géorgien qui avait pris l’initiative des hostilités</a>) et qu’il a échoué à prendre le contrôle de l’Ukraine. Les Occidentaux ont rapidement adopté des sanctions économiques très lourdes contre la Russie et fourni une assistance massive à l’Ukraine, sans que cela ait permis jusqu’à présent à celle-ci de reconquérir les territoires perdus.</p>
<p>Cet aboutissement tragique était-il inévitable ? Est-il attribuable à la seule personne de Poutine, despote assoiffé de pouvoir et de puissance, aux ambitions illimitées ? Est-il la conséquence du système russe, incapable de prendre le tournant de la modernité démocratique et faisant renaître de ses entrailles un impérialisme atavique ?</p>
<p>Une autre trajectoire aurait-elle été possible ? Elle aurait supposé que les Européens et les États-Unis s’accommodent de la dictature russe et traitent la Russie en grande puissance, en lui reconnaissant des intérêts privilégiés dans l’espace postsoviétique. Sur le premier point, malgré les critiques sur le renforcement de la répression interne, les Occidentaux ont accepté de traiter avec le maître du Kremlin jusqu’à la guerre en Ukraine. Sur le second en revanche, ils n’ont pas démordu du droit de l’Ukraine à sa liberté et à sa souveraineté.</p>
<p>Aujourd’hui, il est difficile d’envisager un arrêt de la guerre en Ukraine tant que Poutine sera au pouvoir ; or il sera sans l’ombre d’un doute réélu avec un score écrasant ce 17 mars pour six ans et pourra, s’il le souhaite, se présenter de nouveau pour six années supplémentaires en 2030 (cette année-là, il aura 78 ans). Pour les Européens, une épreuve redoutable s’annonce à l’heure où les États-Unis envisagent de réduire voire cesser leur soutien à l’Ukraine, surtout dans l’hypothèse d’un retour de Donald Trump à la Maison Blanche. Slobodan Milosevic, le leader nationaliste serbe des années 1990, avait été arrêté par la force dans sa politique de répression ethnique, et avait fini par perdre le pouvoir. Un tel scénario n’apparaît pas en vue aujourd’hui face à la Russie de Poutine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225387/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maxime Lefebvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une courte lune de miel lors des premières années de pouvoir de Vladimir Poutine a été suivie par une dégradation continue et une fracture nette le 24 février 2022.Maxime Lefebvre, Affiliate professor, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216192024-03-05T16:02:52Z2024-03-05T16:02:52Z« Face au ralentissement économique, l’Europe doit porter l’effort sur l’éducation et la R&D »<p><em>L’année 2024 devrait être marquée par un essoufflement de la dynamique économique européenne liée notamment au resserrement de la politique monétaire. Dans ce contexte délicat, Céline Antonin, économiste à l’OFCE, plaide pour une politique d’investissements de long terme centrée sur l’innovation. Comme elle l’explique avec les économistes Philippe Aghion et Simon Bunel dans leur livre <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/pouvoir-de-la-destruction-creatrice_9782738149466.php">Le Pouvoir de la destruction créatrice</a> (Éditions Odile Jacob), l’écosystème américain pourrait servir de source d’inspiration.</em></p>
<hr>
<p><strong>L’économie mondiale devrait ralentir dans son ensemble en 2024, mais davantage en Europe. Pourquoi ce décrochage par rapport aux zones Amérique du Nord ou Asie ?</strong></p>
<p>L’économie mondiale devrait connaître un ralentissement global en 2024, qui sera plus marqué dans les pays développés, notamment en Europe et aux États-Unis. Cependant, ce qui compte, c’est l’évolution depuis 2019 : par rapport à une trajectoire où le PIB aurait progressé à la même vitesse que les tendances de croissance antérieures à 2020, les États-Unis ont presque effacé les crises sanitaire et énergétique. En revanche, certains pays européens, comme l’Allemagne, restent en retard. Ce rattrapage plus rapide aux États-Unis s’explique principalement par trois facteurs : d’abord, la crise énergétique de 2022 a relativement épargné le continent américain, qui produit du pétrole et du gaz. En outre, les plans de soutien depuis 2020 ont été plus massifs aux États-Unis. Enfin, un phénomène de désépargne a profité à la consommation outre-Atlantique, alors que les Européens ont moins puisé dans leurs réserves depuis la pandémie.</p>
<p><iframe id="BdOce" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/BdOce/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><strong>Peut-on parler de phase de normalisation après les politiques économiques exceptionnelles mises en place face à la crise économique liée à la pandémie ?</strong></p>
<p>Sur le plan monétaire, la normalisation est effectivement en cours avec la remontée des taux directeurs initiée en 2022 par la Réserve fédérale américaine (Fed) puis la Banque centrale européenne (BCE). Les deux banques centrales continuent d’ailleurs de privilégier la fermeté en raison des niveaux d’inflation, notamment sous-jacente (hors énergie et alimentation), qui restent élevés. On peut noter ici qu’il s’agit d’une normalisation qui intervient non pas après la crise de 2020, mais après plus d’une décennie de politiques monétaires expansionnistes entreprises pour préserver l’euro. Sur le plan budgétaire, une phase de normalisation progressive s’amorce, mais de façon graduelle. En 2024, il s’agit uniquement de la suppression progressive des mesures d’aides aux ménages et aux entreprises en réponse à la crise énergétique. La phase de consolidation budgétaire devrait devenir une réalité vers fin 2024-2025.</p>
<p><strong>Quel est le rôle du ralentissement de la locomotive allemande dans l’essoufflement de la croissance européenne ?</strong></p>
<p>L’Allemagne a notamment connu des difficultés en raison de sa dépendance au gaz russe. La crise énergétique a affecté sa production industrielle et a entraîné une inflation qui a atteint des pics proches de 10 %. Les retards dans la mise en place d’un bouclier énergétique ont en outre amplifié les effets négatifs. L’industrie allemande a ainsi perdu en compétitivité. Par ailleurs, les salaires ont crû moins vite que les prix, ce qui s’est traduit par une baisse du pouvoir d’achat et de la consommation des ménages allemands. Comme le commerce extérieur allemand reste très lié à celui de ses partenaires européens, il existe un effet d’entraînement sur les économies des autres pays, déjà confrontés globalement aux mêmes crises que l’Allemagne.</p>
<p><iframe id="z08RB" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/z08RB/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><strong>Faut-il voir dans ce ralentissement économique un effet collatéral direct de la politique de remontée des taux directeurs enclenché par la Banque centrale européenne (BCE) à partir de mi-2022 ?</strong></p>
<p>Ce n’est pas la seule raison mais il s’agit effectivement d’une cause importante. Quand on estime la croissance de 2024, on prend la croissance spontanée (la croissance que l’on observerait en l’absence de choc) et on lui soustrait les différents chocs. Pour la France, l’OFCE estime cette croissance hors chocs à 1,7 % en 2024, mais 0,8 % avec les chocs. Parmi ces chocs, la hausse des taux a conduit à la <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/12-182OFCE.pdf">perte de 0,9 point de PIB</a>, un effet substantiel que l’on retrouve dans les autres pays de la zone euro. La remontée des taux pèse en effet aujourd’hui sur la consommation et l’investissement, avec des canaux de transmission multiples.</p>
<p><strong>Le chômage a connu une légère remontée fin 2023 qui devrait se poursuivre dans les prochains mois. Aux États-Unis, le président de la Réserve fédérale (Fed), Jerome Powell, avait expliqué en 2022 qu’il s’agissait d’un « mal nécessaire » dans la lutte contre l’inflation. Sommes-nous dans ce moment-là en Europe ?</strong></p>
<p>Faut-il en passer par la récession pour combattre l’inflation, comme nous l’a montré le cas américain au tournant des années 1980, lorsque le président de la Fed Paul Volker avait conduit une politique monétaire très restrictive ? Ce n’est pas certain. Certes, en théorie, la courbe de Phillips met en évidence une relation inverse entre inflation et chômage. Or, plusieurs épisodes historiques montrent que cette relation inverse <a href="https://theconversation.com/retour-sur-la-baisse-du-chomage-est-elle-encore-un-moteur-de-linflation-159972">ne s’observe pas toujours</a> et qu’elle dépend de la nature de l’inflation – importée ou interne. Par exemple, la forte hausse du chômage après la crise financière de 2008 n’a pas relancé l’inflation. Même Jerome Powell l’avait souligné peu de temps avant la déclaration que vous rappelez.</p>
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<p><strong>Quels sont, selon vous, les principaux risques liés au ralentissement de la croissance économique dans la zone euro ?</strong></p>
<p>La question prédominante concerne actuellement l’accroissement de la dette publique, qui a déjà connu une augmentation significative depuis 2008 et qui a été affectée plus récemment tant par la pandémie de Covid que par la crise énergétique, avec une réponse systématique par le recours à l’endettement. L’inflation a limité quelque peu la progression du ratio d’endettement mais son reflux, combiné à la hausse du taux d’intérêt sur la dette, expose à des risques. En particulier, même si les investisseurs conservent leur confiance dans la capacité de remboursement des États, ces derniers se voient privés de marges de manœuvre financières pour réaliser des investissements productifs cruciaux.</p>
<p><strong>Faut-il s’inquiéter des différences observées entre les niveaux d’endettement des pays membres ?</strong></p>
<p>De façon générale, plus les trajectoires entre pays membres sont divergentes, plus la conduite d’une politique commune est rendue difficile. Ce que révèle la montée de l’endettement en zone euro, c’est que les traités budgétaires sont souvent enfreints, avec des ajustements négociés. Au total, cela pose la question de la capacité de l’UE à imposer des politiques de réduction de l’endettement même en période de croissance, ce qui compromet le potentiel d’investissement à long terme.</p>
<p><strong>Dans ce contexte de ralentissement économique, la zone euro risque-t-elle de perdre du terrain dans le commerce international ? Des mesures comme le Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) ou encore les nouvelles règlementations de l’économie numérique (Digital services Act) ne risquent-elles pas en outre d’isoler l’économie européenne ?</strong></p>
<p>En effet, ces initiatives peuvent entraîner, dans un premier temps, une détérioration de la compétitivité des entreprises européennes. C’est d’ailleurs ce que soulignaient les économistes Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz dans leur rapport de 2023 sur les <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/2023-incidences-economiques-rapport-pisani-5juin.pdf">« incidences économiques de l’action pour le climat »</a> en ce qui concerne le MACF. Toutefois, ce dispositif contient des mesures pour favoriser la localisation des activités en Europe, ce peut générer des gains de productivité et de la croissance. Mais tout cela reste hypothétique à l’heure actuelle.</p>
<p><strong>Quelles mesures pourraient être mises en œuvre pour stimuler la croissance économique dans la zone euro ? Que peut-on attendre des plans de relance ou des politiques industrielles européennes (en faveur des batteries ou des voitures électriques) ?</strong></p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/570571/original/file-20240122-29-ejkztq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570571/original/file-20240122-29-ejkztq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570571/original/file-20240122-29-ejkztq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570571/original/file-20240122-29-ejkztq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570571/original/file-20240122-29-ejkztq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570571/original/file-20240122-29-ejkztq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570571/original/file-20240122-29-ejkztq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570571/original/file-20240122-29-ejkztq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1168&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Le Pouvoir de la destruction créatrice », Philippe Aghion, Céline Antonin, Simon Bunel.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/pouvoir-de-la-destruction-creatrice_9782738149466.php">Éditions Odile Jacob (2020)</a></span>
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<p>Il s’agit là d’initiatives positives mais l’échelle reste limitée et il est difficile d’en attendre des effets sur la productivité. Au nom de la politique de concurrence, la zone euro ne doit pas renoncer à une politique industrielle, avec de grands investissements sur le modèle de la DARPA (<em>Defense Advanced Research Projects Agency</em>) américaine. Par ailleurs, l’Europe semble avoir perdu de vue l’objectif de 3 % du PIB consacré à la R&D, contrairement aux États-Unis. Elle gagnerait pourtant à s’inspirer de l’écosystème d’innovation américain qui repose sur des universités bien dotées, un puissant réseau de financeurs – fondations, investisseurs institutionnels, capital-risqueurs –, et une synergie de financement public-privé de la R&D, qui explique largement la supériorité américaine en matière d’innovation et de croissance, comme nous l’écrivons dans le <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/pouvoir-de-la-destruction-creatrice_9782738149466.php">livre <em>Le pouvoir de la destruction créatrice</em> avec Philippe Aghion et Simon Bunel</a>.</p>
<p><strong>Comment évaluez-vous plus largement la coopération entre les pays de la zone euro pour faire face aux défis économiques actuels ?</strong></p>
<p>Certes, on a observé ces dernières années des cas de coopération approfondie entre les pays de la zone euro. Par exemple, les mécanismes de sauvetage budgétaire des années 2010 auraient été impensables quelques années plus tôt. Une politique d’innovation et de croissance, fondée sur l’investissement dans la R&D, et dans des grands projets coopératifs entre États, par exemple dans les domaines de l’intelligence artificielle, les technologies quantiques ou les semi-conducteurs, me semble un bon moyen de relancer le projet européen.</p>
<hr>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=305&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570572/original/file-20240122-23-pnbclg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=384&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Cette contribution est publiée en partenariat avec le <a href="https://www.printempsdeleco.fr/">Printemps de l’Économie</a>, cycle de conférences-débats qui se tiendront du mardi 2 au vendredi 5 avril au Conseil économique social et environnemental (Cese) à Paris. Retrouvez ici le <a href="https://www.printempsdeleco.fr/12e-edition-2024">programme complet</a> de l’édition 2024, intitulée « Quelle Europe dans un monde fragmenté ? »</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221619/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Céline Antonin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les Vingt-Sept doivent activer de nouvelles politiques pour répondre au décrochage actuel par rapport aux autres grandes zones économiques mondiales, estime Céline Antonin, économiste à l’OFCE.Céline Antonin, Chercheur à Sciences Po (OFCE) et chercheur associé au Collège de France, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2246552024-03-04T16:59:23Z2024-03-04T16:59:23ZInjustice climatique : qu’est-on en droit d’exiger des pays du sud ?<p>Dans un papier publié dans <em>Finance Research Letters</em> en 2021 avec ma collègue Sana Ben Abdallah intitulé <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1544612321000453">« African firm default risk and CSR »</a>, nous mettions en évidence un lien entre le risque de défaut de l’entreprise africaine et sa stratégie environnementale. La stabilité des entreprises africaines est tributaire de la mise en œuvre d’une approche de développement durable. Bref, la performance environnementale de l’entreprise africaine a un coût et un impact sur sa stabilité. Les conséquences des risques climatiques ne peuvent donc pas être neutres sur la stabilité des entreprises du continent.</p>
<p>Or les émissions de CO<sub>2</sub> des pays riches sont comme le nuage de Tchernobyl : elles ne s’arrêtent pas aux frontières. Elles atteignent les pays pauvres et ont un impact significatif sur leur territoire. C’est ce qu’on appelle l’injustice climatique : le fait que les pays les plus touchés par les catastrophes naturelles sont généralement ceux qui ont le moins pollué.</p>
<p>L’Afrique, par exemple, contribue à <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/EN.ATM.CO2E.PC?end=2020&locations=ZG&start=1990&view=chart">3 % des émissions mondiales de CO₂</a>. Et pourtant l’Afrique souffre de chaleurs extrêmes, de sécheresse, d’inondations, de cyclones, de tsunamis… dont elle n’est pas à l’origine. À cela s’ajoute que certaines zones, au Mali ou au Niger, sont <a href="https://www.criirad.org/wp-content/uploads/2017/08/uranium-criirad-bamako-fr.pdf">totalement irradiées</a>. Les maladies s’y étendent du fait des extractions massives d’uranium dans des conditions de sécurité précaires. La déforestation continue à défigurer le milieu naturel. À long terme, ces externalités négatives peuvent avoir un « effet boomerang » sur l’humanité entière.</p>
<p>Les États-Unis ont ainsi contribué à environ 17 % du réchauffement climatique entre 1850 et 2021. En revanche, l’Inde a contribué à hauteur de 5 % au réchauffement climatique au cours de cette période, bien que le pays ait une population bien plus nombreuse que les États-Unis. Au total, les pays du G20 ont contribué, jusqu’à présent, aux trois quarts environ du réchauffement climatique.</p>
<p><iframe id="JTuVP" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/JTuVP/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ces changements violents sont également en train d’affecter la trajectoire de croissance du continent africain. Une baisse de la productivité agricole de 30 % apparaît comme une hypothèse plausible. Chaque catastrophe en Afrique conduit immédiatement à une hausse estimée selon les sources à 20 % de l’insécurité alimentaire. Si on ne fait rien, c’est une <a href="https://www.imf.org/fr/Blogs/Articles/2023/08/30/africas-fragile-states-are-greatest-climate-change-casualties">baisse d’au moins 30 % du PIB</a> à laquelle il faut s’attendre d’ici à 2050 sur la base des données du Fonds monétaire international (FMI).</p>
<h2>Le choc du MACF pour l’Afrique</h2>
<p>L’impact environnemental ne peut donc pas se mesurer de la même façon dans les pays industrialisés et dans les pays émergents. Dans la lutte contre le réchauffement climatique, on ne peut pas demander les mêmes efforts à la France et à l’Afrique du Sud, à l’Allemagne et au Brésil.</p>
<p>Or les pressions, les normes et les standards écologiques des pays riches sont fort contraignants pour les pays pauvres. Pourtant une transition écologique rapide est exigée comme en témoignent certaines conclusions de la COP 28 ou certaines directives et instruments réglementaires de l’Union européenne.</p>
<p>Prenons le cas du <a href="https://theconversation.com/concilier-ambition-climatique-et-concurrence-mondiale-quel-role-pour-le-mecanisme-dajustement-carbone-aux-frontieres-212927">mécanisme d’ajustement carbone aux frontières</a> (MACF) adopté par le Conseil de l’Union européenne (UE) qui est entré dans une phase d’essai le 1<sup>er</sup> octobre 2023 pour un démarrage effectif en 2026 : il s’agit d’un véritable choc pour l’Afrique partenaire commercial des Vingt-Sept. Le MACF exige des entreprises européennes de déclarer la teneur en carbone de leurs importations (acier, fer, ciment, aluminium, engrais, hydrogène, etc.).</p>
<p>Ce mécanisme imposera donc une taxe sur le CO<sub>2</sub> émis pour leur fabrication hors UE. Le résultat attendu serait une moindre compétitivité des exportations africaines et donc un frein à la croissance. Ironie du sort, l’Afrique aura, au bilan, moins de moyens pour assurer le financement de sa transition écologique. Or, l’Afrique est aujourd’hui face à une équation difficile mais pas impossible à résoudre : elle doit encourager la croissance <a href="https://www.uneca.org/fr/stories/les-six-principales-priorit%C3%A9s-de-l%E2%80%99afrique-%C3%A0-la-cop28">sans alimenter les émissions de CO₂</a>.</p>
<h2>Le risque de l’ethnocentrisme</h2>
<p>Le <a href="https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ethnocentrisme/31406">dictionnaire Larousse</a> définit l’ethnocentrisme comme :</p>
<blockquote>
<p>« [La] tendance à privilégier les normes et valeurs de sa propre société pour analyser les autres sociétés. »</p>
</blockquote>
<p>Or la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociétale des entreprises</a> (RSE) et plus généralement la transition écologique sont souvent lues sous le prisme des pays riches qui semblent en détenir les clés et les stratégies. Les centres de décision en la matière sont encore situés dans l’hémisphère nord. Ces enjeux ne peuvent pourtant pas se conjuguer au singulier mais doivent être abordés de manière ouverte sur un monde pluriel.</p>
<p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cop28-147549">COP28</a> de fin 2023 à Dubaï devait être l’élément correcteur de cet ethnocentrisme par une écoute plus attentive des pays les plus vulnérables. L’annonce très espérée d’un fonds de compensation des pertes et dommages climatiques dans les pays pauvres pourrait être un pas positif et certainement décisif pour une meilleure compréhension mutuelle et une correction de l’injustice climatique.</p>
<p>Or, depuis 2009, le Nord fait patienter le Sud. Rien n’est réglé pour l’heure. Seules des promesses de financement sont annoncées. Comment éviter alors la <a href="https://theconversation.com/cop28-un-an-apres-la-percee-sur-les-pertes-et-dommages-en-egypte-pays-riches-et-pays-pauvres-toujours-divises-218445">fracture du monde entre l’Occident et les pays du Sud</a> ?</p>
<h2>La piste des obligations vertes</h2>
<p>En attendant les fonds de compensation des pertes et dommages climatiques dans les pays pauvres, une partie de la solution à la crise climatique dans les pays émergents pourrait être les <a href="https://theconversation.com/comment-les-obligations-vertes-peuvent-elles-gagner-en-legitimite-162707">obligations vertes</a>. Cette finance s’appuie sur une levée de fonds pour des projets respectueux de l’environnement, comme les énergies renouvelables ou les transports propres.</p>
<p>La plupart des obligations vertes de l’Afrique ont été <a href="https://www.afdb.org/fr/news-keywords/green-bonds-program">émises par la Banque africaine de développement</a> (BAD). Le Maroc, l’Égypte, le Kenya, le Nigeria et l’Afrique du Sud sont parmi les plus dynamiques. Les fonds collectés visent à se protéger notamment de la montée du niveau de la mer ou encore soutenir des projets d’énergie solaire.</p>
<p>Pour le moment les obligations vertes émises en Afrique ne représentent qu’une petite partie du marché obligataire mondial et 0,17 % du total des émissions mondiales sur la période 2014-2022, l’équivalent de 2 136 milliards de dollars. En Amérique latine, cette part ne représente que 1,76 % sur la même période. Les émissions mondiales sont dominées par l’Europe, l’Asie et l’Amérique du Nord à plus de 70 %. Elles présentent un réel potentiel pour aider les pays en développement à évoluer vers des économies plus vertes et plus égalitaires mais la profondeur du marché reste faible.</p>
<p><iframe id="S1zzD" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/S1zzD/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les autres solutions financières peuvent concerner les fonds de la diaspora africaine qui s’élèvent à <a href="https://www-statista-com.skema.idm.oclc.org/statistics/962857/remittances-to-sub-saharan-african-countries/">presque 100 milliards de dollars</a> US en 2021. Il s’agit d’une opportunité pour les banquiers africains. Le montage serait le suivant. Les banques collectent et transforment une partie de cette manne en crédits verts financés par des encouragements des États grâce aux Fonds de compensation des pays riches.</p>
<h2>La solution n’est pas que financière</h2>
<p>À moyen et long terme, la transition écologique exige tout un écosystème à mettre en place dans les pays pauvres concernés. Il passe par trois éléments clés.</p>
<p>L’éducation et la certification en économie et finance verte et durable. Cela consiste à former de vrais spécialistes des risques climatiques et de la transition écologique et numérique dans des programmes spécialisés au sein des universités en relation avec la recherche en cours.</p>
<p>L’implication de la société civile, des ONG, des think tanks. En Afrique, par exemple, un Observatoire africain de la finance durable semble plus qu’utile pour unifier et adapter les réglementations internationales en cours. De même que des Conseils nationaux de la RSE réunissant toutes les parties prenantes semblent plus qu’utiles pour accompagner et dessiner des stratégies nationales cohérentes face aux exigences de l’Europe.</p>
<p>La recherche d’instruments de mesure d’impact à l’adresse des entreprises, des banques et des organisations afin de mesurer les progrès en matière de développement durable. Cette métrique mérite d’être adaptée aux entreprises des pays émergents afin que la transition E-S-G (environnement-social-gouvernance) évite tout ethnocentrisme et toute injustice. Cette contextualisation devrait en effet <a href="http://spiscore.com/home">tenir compte du S et du G</a> dans des pays qui subissent des impacts sur le E, sans en être véritablement responsables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224655/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dhafer Saidane ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les pays les plus touchés par les catastrophes naturelles sont généralement ceux qui ont le moins pollué depuis 1850.Dhafer Saidane, Full Professor - Head of the Msc Corprate Financial Management - Lille and Suzhou, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2244702024-03-04T16:58:50Z2024-03-04T16:58:50ZItalie : le « Plan Mattei », nouvelle politique africaine du gouvernement Meloni ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578718/original/file-20240228-18-vpmz5c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2496%2C1661&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Giorgia Meloni (debout) s'adresse aux participants du sommet Italie-Afrique à Rome le 29 janvier 2024.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.giorgiameloni.it/gallery/italia-africa/">Site officiel de Giorgia Meloni</a></span></figcaption></figure><p>Le 29 janvier 2024, dans le cadre de la présidence italienne du G7, le gouvernement italien a organisé à Rome une <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20240129-l-italie-accueille-un-sommet-avec-l-afrique-pour-y-pr%C3%A9senter-son-new-deal">conférence Italie-Afrique</a>. Ce sommet, qui a réuni 26 chefs d’État et de gouvernement africains ainsi que de nombreuses délégations, représente un succès notable pour le gouvernement de Giorgia Meloni, qui a réussi non seulement à s’assurer d’une bonne représentation des autorités africaines mais aussi à associer à la manifestation des responsables européens de premier plan, Ursula von der Leyen en tête, ainsi que les principales agences des Nations unies.</p>
<p>Mais au-delà de cet affichage réussi, il convient de <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/plan-mattei-gouvernement-meloni-vers-une-politique-africaine-pour-italie-2024">se poser la question de la substance de cette politique africaine</a>.</p>
<h2>Une simple opération de communication ?</h2>
<p>Dès son discours d’investiture en octobre 2022, Giorgia Meloni avait surpris en annonçant un <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/plan-mattei-gouvernement-meloni-vers-une-politique-africaine-pour-italie-2024">« Plan Mattei pour l’Afrique »</a>, présenté comme un modèle vertueux de collaboration et de croissance entre l’Union européenne et les nations africaines.</p>
<p>L’évocation d’Enrico Mattei (1906-1962) comme figure tutélaire illustre la dimension de communication politique : en choisissant ce résistant démocrate-chrétien, fondateur d’ENI, l’entreprise publique italienne d’exploitation pétrolière et gazière, Giorgia Meloni effectue un travail de réécriture de son propre panthéon historique à travers la mise en avant d’une figure nationale consensuelle.</p>
<p>Cette annonce a été ensuite reprise lors de différentes manifestations, sans toutefois que des détails ne soient donnés au sujet du contenu de ce plan. Il faudra attendre la fin de 2023 pour qu’un décret organise une structure de coordination interministérielle chargée de le mettre en œuvre.</p>
<p>De fait, la conférence Italie-Afrique de janvier 2024 représente la première manifestation tangible de cette vision africaine : l’Italie y a annoncé 5,5 milliards d’euros d’investissements destinés au continent. Aucun détail n’a été donné lors de la conférence. Par la suite, selon certaines sources, il est apparu que les pays concernés par les projets seraient le Maroc, la Tunisie, l’Égypte, l’Algérie, l’Éthiopie, le Kenya, le Mozambique, la République du Congo et la Côte d’Ivoire, mais les projets sont en cours de définition ; de même, aucune mesure concrète n’a été annoncée sur le sujet de l’immigration, hormis l’idée que le développement africain peut servir à traiter le problème à la source, Meloni déclarant : « L’immigration de masse ne sera jamais stoppée et les trafiquants d’êtres humains ne seront jamais vaincus si nous ne nous attaquons pas aux nombreuses causes qui poussent une personne à quitter son foyer ».</p>
<p>Cette somme de 5,5 milliards d’euros, soit dit en passant, est assez faible par rapport aux 150 milliards destinés à l’Afrique dans le cadre du <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/developpement/evenements-et-actualites-sur-le-theme-du-developpement/evenements-et-actualites-sur-le-theme-du-developpement-2023/article/qu-est-ce-que-la-strategie-europeenne-global-gateway">Global Gateway de l’Union européenne</a>, qui vise à contribuer au développement des pays partenaires émergents et en développement de l’UE, notamment dans les domaines du numérique, de l’énergie et de l’environnement.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LhA_2r01VTI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Giorgia Meloni présente son « Plan Mattei » au Sommet Italie-Afrique, TV5 Monde, 29 janvier 2024.</span></figcaption>
</figure>
<p>À première vue, cette initiative pourrait apparaître comme une simple opération de communication dont on entrevoit une série de faiblesses structurelles. Il faut cependant rappeler le contexte dans lequel elle intervient et les potentialités qu’elle recèle.</p>
<h2>L’Italie en Afrique : une présence économique, mais pas seulement</h2>
<p>Longtemps, l’Italie n’a pas eu de véritable politique africaine. Lorsqu’il arrive au gouvernement en 2016, Matteo Renzi va innover et se rendre trois fois en Afrique pour visiter 9 pays, illustrant pour la première fois une vision systémique des relations entre l’Italie et le continent.</p>
<p>Cette politique sera ensuite poursuivie pendant le gouvernement Gentiloni (2016-2018), avec d’un côté l’action du ministre de l’Intérieur Marco Minitti qui s’exprime en faveur du développement des pays africains pour tarir les flux d’immigration qui arrivent en Italie, et de l’autre l’envoi inédit d’un <a href="https://www.reuters.com/article/us-italy-diplomacy-niger-libya/italy-approves-military-mission-in-niger-more-troops-to-north-africa-idUSKBN1F6270/">contingent militaire de plus de 400 hommes au Niger</a>. Fait original, les Italiens acquièrent ainsi une profondeur stratégique sur le continent africain qui leur était largement inconnue jusqu’alors, et il convient de relever que malgré le <a href="https://theconversation.com/niger-le-putsch-de-trop-211846">coup d’État survenu au Niger</a> en 2023, les militaires italiens sont toujours présents sur place, ce qui illustre leur bonne empreinte diplomatique.</p>
<p>L’initiative de Giorgia Meloni s’inscrit donc dans un cycle récent qui, depuis 2016, a poussé l’Italie à multiplier les actions en Afrique, en grande partie sous la contrainte migratoire. Il convient également de souligner l’importance des réseaux d’acteurs non gouvernementaux italiens en Afrique. Le premier d’entre eux est probablement <a href="https://www.jeuneafrique.com/1482581/economie-entreprises/apres-le-congo-eni-confirme-son-virage-gazier-au-nigeria/">ENI</a>.</p>
<p>Cette entreprise contrôlée par le ministère de l’Économie représente un joyau du capitalisme d’État italien et a toujours cultivé des relations privilégiées avec les pays fournisseurs d’hydrocarbures, ce qui rappelle d’ailleurs l’héritage historique de la politique d’Enrico Mattei dans les années 1950, lorsque ENI proposait des contrats plus favorables aux pays producteurs à ceux pratiqués par les « 7 sœurs », les grands groupes pétroliers occidentaux de l’époque.</p>
<p>L’action d’ENI contribuait alors au « néo-atlantisme », la ligne politique développée par Amintore Fanfani (ministre et président du Conseil entre la fin des années 1950 et le début des années 1960) lorsqu’il cherchait des espaces pour la politique italienne en Méditerranée, à la marge de l’opposition entre blocs dérivant de la guerre froide. Depuis, ENI apparaît comme un « État dans l’État », une entreprise capable de quasiment assurer une forme de politique étrangère pour promouvoir ses intérêts.</p>
<p>D’autres grandes entreprises publiques comme <a href="https://www.enelgreenpower.com/countries/africa">Enel</a>, <a href="https://www.leonardo.com/en/press-release-detail/-/detail/leonardo-grows-its-footprint-in-africa-with-new-air-traffic-control-systems-and-technology-upgrades">Leonardo</a> ou <a href="https://www.aceaafrica.org/">Acea</a> ont également des intérêts considérables en Afrique.</p>
<p>Il ne faut pas non plus sous-estimer les capacités du tissu italien de PME/PMI dont la vocation exportatrice s’exerce également en Afrique. À cet égard, il faut constater que depuis le début de la guerre en Ukraine les Italiens <a href="https://www.hellenicshippingnews.com/italys-russian-gas-imports-drop-to-2-4-of-total-algeria-rises-to-20-report/">n’importent plus leur gaz de Russie mais d’Afrique</a>, ce qui accroît le déficit commercial de la balance italienne avec le continent. Cette croissance des importations en provenance d’Afrique fournit également un cadre d’opportunité pour cultiver des relations commerciales qui contrebalancent les importations par une politique d’exportations plus incisive.</p>
<p>Par ailleurs, il convient d’évoquer la très grande importance que revêt la « galaxie catholique » dans les relations avec l’Afrique. Presque tous les diocèses italiens participent à des actions d’aide au développement sur le continent par le biais d’une multitude d’associations locales qui pratiquent le volontariat mais drainent également des sommes importantes. En ce qui concerne les ordres religieux, il convient de distinguer les <a href="https://www.comboni.org/fr/contenuti/101284">missionnaires comboniens</a> qui ont toujours développé une action privilégiée envers l’Afrique où ils ont développé un réseau qui contribue à nourrir les connexions italiennes avec différents territoires.</p>
<p>Enfin, il faut rappeler le rôle que joue la <a href="https://www.santegidio.org/pageID/30340/langID/fr/LES-ECOLES-DE-LA-PAIX-EN-AFRIQUE.html">Communauté de Sant’Egidio</a> dans le panorama italien. Cette association de laïcs, liée au Vatican, œuvre pour la paix en Afrique en mettant en avant ses remarquables capacités de médiation. Ce rôle a notamment été <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2005-3-page-9.htm">reconnu</a> lors de la résolution de la guerre civile au Mozambique en 1992 ; l’un des dirigeants de cette association, Andrea Riccardi, a été nommé au portefeuille de la Coopération dans le gouvernement Monti en 2011.</p>
<h2>Une clarification conceptuelle</h2>
<p>Le « Plan Mattei » présenté par Giorgia Meloni pouvait apparaître au départ comme une tentative de relance d’une politique suivant de manière plus ou moins consciente les lignes historiques du nationalisme italien, qui avait fait de la <a href="https://classe-internationale.com/2021/03/11/le-colonialisme-italien-en-afrique-petite-histoire-dun-imperialisme-oublie/">colonisation en Afrique</a> l’une de ses obsessions après l’unification de la péninsule.</p>
<p>À cet égard, il faut également rappeler la rivalité avec la France, avec laquelle les Italiens se perçoivent très souvent en compétition en Afrique, comme on l’a par exemple vu encore tout récemment <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2019/05/03/le-face-a-face-franco-italien-en-libye-un-piege-pour-leurope/">dans le cas libyen</a>. Mais les <a href="https://www.geo.fr/histoire/crimes-de-masse-et-colonisation-comment-mussolini-sest-constitue-un-nouvel-empire-romain-209372">exactions coloniales italiennes, dans la Corne d’Afrique ou en Libye</a>, sont tombées dans les oubliettes de l’histoire et ne constituent pas aujourd’hui un handicap pour un pays qui aime à se présenter comme « vierge » en matière de colonisation.</p>
<p>Au-delà de ces réflexes nationalistes, il faut mesurer l’évolution potentielle que représente l’émergence d’une politique africaine pour l’Italie. Le concept de politique africaine a l’avantage de clarifier l’action extérieure italienne en la matière. Longtemps, Rome a utilisé la notion de « Méditerranée » pour décrire sa projection vers la rive sud, dans une vision de triangle géographique dont l’Italie serait le sommet. Cette vision, très nationale, ne correspondait pas aux différentes définitions de politiques méditerranéennes que l’on rencontre au sein de l’Union européenne : pour l’UE, la politique méditerranéenne est soit une politique d’inclusion nord-sud, celle de <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/qu-est-ce-que-l-union-pour-la-mediterranee/">l’Union pour la Méditerranée</a>, soit une politique de développement des régions du sud de l’Union. Ainsi, l’emploi de la seule notion d’« Afrique » représente une simplification utile pour rendre la politique étrangère italienne plus compréhensible et donc susceptible de créer des convergences internationales.</p>
<p>La conférence de janvier 2024 a largement mis en avant <a href="https://www.taurillon.org/le-plan-mattei-l-alternative-made-in-italy-aux-relations-euro-africaines">l’insertion de cette initiative dans le cadre européen</a>, une dimension par ailleurs souvent rappelée par le président de la République Sergio Mattarella. Elle a également réuni, nous l’avons dit, l’ensemble des institutions internationales, en particulier les différentes agences des Nations unies, ce qui montre une volonté louable de s’inscrire dans le cadre multilatéral existant. Enfin les représentants des acteurs italiens non étatiques (entreprises, Sant’Egidio) ont participé aux travaux de la conférence au Sénat.</p>
<h2>Une initiative utile à l’Europe ?</h2>
<p>D’un point de vue symbolique, il convient de souligner que les politiques européennes souffrent souvent d’un certain anonymat, d’un manque d’incarnation. L’Italie a utilisé les palais de la République pour mettre en scène une rencontre au sommet de facture classique, appréciée par les visiteurs. Enfin il faut noter que si le plan Mattei n’est qu’une méthode, il ne présente pas de solutions déjà ficelées – une flexibilité assez appréciée par les interlocuteurs africains présents à Rome, ouverts au dialogue. </p>
<p>À l’heure ou l’Afrique est un terrain difficile pour les pays européens, soumis à l’action de puissances extérieures agressives comme la <a href="https://theconversation.com/vers-un-imperialisme-chinois-en-afrique-102592">Chine</a> ou la <a href="https://theconversation.com/dans-les-coulisses-du-groupe-wagner-mercenariat-business-et-diplomatie-secrete-200492">Russie</a>, il convient de considérer cette initiative avec pragmatisme, quand bien même l’action de l’actuel gouvernement italien suscite parfois la controverse au niveau européen.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224470/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Pierre Darnis a reçu des financements publics de recherche par le biais des initiatives d'excellence IDEX.</span></em></p>Giorgia Meloni a accueilli à Rome 26 chefs d’État et de gouvernement africains et de nombreux représentants de la communauté internationale pour un sommet ambitieux.Jean-Pierre Darnis, Professeur des Universités, directeur du master en relations franco-italiennes, Université Côte d'Azur, Chercheur associé à la Fondation pour la Recherche Stratégique (FRS, Paris), professeur et membre du CISS de l'université LUISS de Rome, Université Côte d’AzurLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2239272024-03-01T16:30:15Z2024-03-01T16:30:15ZRevoir notre vision de la nature pour réconcilier biodiversité et agriculture<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/578652/original/file-20240228-24-g22th9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C3986%2C2982&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Deux approches s'opposent : celle du land sparing, qui veut séparer les espace agricoles et ceux de la biodiversité, et celle du land sharing, qui vise à combiner production agricole et conservation de la biodiversité sur les mêmes territoires</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/aerial-view-car-driving-on-road-1675885519">nblx/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>L’instant était qualifié d’historique par Ursula von der Leyen, elle-même. En <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/declaration-de-la-presidente-von-der-leyen-au-sujet-de-laccord-de-kunming-montreal-sur-la-2022-12-19_fr">décembre 2022</a>, la présidente de la Commission européenne se félicitait de l’<a href="https://theconversation.com/accord-de-kunming-montreal-sur-la-biodiversite-pourquoi-on-peut-vraiment-douter-de-son-efficacite-197183">accord de Kunming-Montréal</a> sur la biodiversité, dont la protection, soulignait-elle, est capitale à l’heure où « la moitié du PIB mondial dépend des services écosystémiques ». Les objectifs de ce traité étaient aussi précis qu’ambitieux : la protection de 30 % des zones terrestres et marines mondiales et la restauration de 30 % des écosystèmes dégradés.</p>
<p>Un an et demi plus tard, à l’échelle européenne, le report de mesures phares (<a href="https://agriculture.gouv.fr/derogation-lobligation-de-maintenir-des-jacheres-sur-les-terres-arables-pour-la-campagne-pac-2024">4 % de terres arables en jachère</a>, <a href="https://www.vie-publique.fr/questions-reponses/291363-glyphosate-une-autorisation-renouvelee-dans-lue-jusquen-2033">interdiction du glyphosate</a>, diminution de <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/mise-en-pause-du-plan-ecophyto-les-ong-vent-debout-contre-le-possible-abandon-du-nodu_6363886.html">l’usage des pesticides</a>…) semble cependant sonner le glas d’une telle ambition. De quoi nous interroger : si les enjeux de protection de la biodiversité sont colossaux, les politiques qui la concernent sont-elles condamnées à cet incessant mouvement d’avancées trop rapidement qualifiées d’historiques et de reculs ? Comment comprendre de tels rétropédalages ?</p>
<p>On explique souvent ces revirements par les limites évidentes d’un système influencé par les intérêts commerciaux et financiers, mais une autre explication est peut-être à trouver dans la vision de l’écologie qui transparaît derrière ces ambitions : celle d’un humain forcément destructeur de la biodiversité. Partant d’un tel a priori, il convient de compartimenter l’espace, d’isoler l’humain de la « Nature » remarquable (dans la <a href="https://biodiv.mnhn.fr/fr/strategie-de-lue-pour-la-biodiversite-lhorizon-2030">stratégie pour la biodiversité 2030 par exemple</a>) et de lui imposer des règles pour <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20231031IPR08714/loi-sur-la-restauration-de-la-nature-les-deputes-concluent-un-accord">l’empêcher de détruire les autres espaces</a>, via les lois sur la restauration de 2023 par exemple. Cette écologie, qui ignore le poids des contextes socio-écologiques comme les dimensions géographiques et territoriales des problèmes, n’a guère de chance de réussir. Voici pourquoi.</p>
<h2>La dimension spatiale n’est pas bien pensée</h2>
<p>L’objectif phare de la <a href="https://biodiversite.gouv.fr/les-objets-phares-de-la-strategie-nationale-pour-la-biodiversite-2030">stratégie biodiversité 2030</a> de l’Union européenne consiste à protéger 30 % des terres et des mers de l’Union européenne, dont le tiers en protection stricte.</p>
<p>Cet objectif répond-il à une nécessité identifiée par les scientifiques ? il est permis d’en douter. De nombreux travaux d’écologues, s’ils soulignent les résultats obtenus pour la conservation d’espèces et d’écosystèmes remarquables,constatent dans le même temps que les aires de protection ne font souvent qu’atténuer la perte de biodiversité. Elles s’avèrent en outre peu adaptées au contexte du changement climatique qui devrait entraîner un déplacement des aires de répartition des espèces et des écosystèmes. Dès lors, est-il judicieux de se focaliser sur des aires de protection alors <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1461-0248.2011.01610.x">que 60 % des espèces actuellement présentes</a> dans les aires de protection européennes ne bénéficieront plus d’un climat adapté en 2080 ?</p>
<p>Cet objectif possède en outre l’inconvénient de concentrer l’attention et les crédits sur la biodiversité remarquable alors que depuis plus de 20 ans les travaux des écologues ont montré le <a href="https://journals.openedition.org/ethnoecologie/1979#tocto2n1">rôle décisif de la biodiversité ordinaire</a> dans le maintien de l’ensemble du vivant.</p>
<p>De plus, les aires de protection restent peu connectées entre elles car entourées d’espaces longtemps délaissés par les politiques de protection.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/578668/original/file-20240228-9454-s5xddp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’alouette des champs fait partie de ces espèces d’oiseaux autrefois ordinaire dans les plaines agricoles qui ont perdu en moyenne un individu sur trois en quinze ans.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Yann Brilland/Flickr</span></span>
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<p>Une telle démarche avait déjà été critiquée lors de la COP15 par <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/12/biodiversity-cop15-biodiversity-deal-a-missed-opportunity-to-protect-indigenous-peoples-rights/">nombre d’associations</a> la considérant comme une émanation de la pensée conservationniste étasunienne, reposant sur la patrimonialisation d’une nature sauvage largement fantasmée. Or l’histoire nous montre que la réalisation d’une telle vision, s’est souvent traduite par la spoliation des terres des communautés locales. Elle paraît donc aujourd’hui inadaptée à bien des situations dans lesquelles les communautés locales vivent en partie de la biodiversité et l’entretiennent avec attention.</p>
<p>Pour les espaces « ordinaires » (notamment les espaces agricoles dégradés), l’UE s’appuie sur une approche de type « land sharing » selon laquelle l’ensemble des espaces doit combiner biodiversité et production agricole : introduction de <a href="https://agriculture.gouv.fr/sites/default/files/150209_fiche-sie_cle49c446.pdf">surfaces d’intérêts ecologiques</a> (haies, bandes enherbées, bosquets…), diminution de 50 % des pesticides, <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/bio-secteur-resilient-au-coeur-transition-alimentaire">25 % d’agriculture biologique sur l’ensemble du territoire</a>. Là encore, de nombreux travaux d’écologues et d’agronomes discutent le <a href="https://zslpublications.onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/jzo.12920">bien-fondé d’une telle approche</a>.</p>
<p>Une étude récente menée <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0065250420300301">au niveau européen</a> montre que la coexistence d’espaces d’agriculture bio et conventionnelle adaptée est à privilégier et à équilibrer à l’échelle des territoires, tant en termes de productions agricoles qu’en termes de biodiversité, s’approchant ainsi plus du « land sparing » qui vise à compartimenter les espaces agricoles et les espaces réservés à la biodiversité. <a href="https://zslpublications.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/jzo.12920">Certains auteurs</a> plaident également au niveau international pour une telle approche. Le débat est ainsi loin d’être clos sur le sujet dans la communauté scientifique avec nombre de travaux avançant l’idée d’une cohabitation des deux modèles en fonction des contextes propres aux différents socio-écosystèmes.L’<a href="https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/etude-4-pour-1000-resume-en-francais-pdf-1_0.pdf">étude de l’Inrae</a> de 2019 sur le carbone dans le sol, indicateur important pour la biodiversité et pour la transition énergétique, conclut ainsi que « La solution la plus efficace est une combinaison de bonnes pratiques aux bons endroits, où chaque région contribue en fonction de ses caractéristiques ».</p>
<p>Faut-il dès lors imposer, sur l’ensemble d’un continent européen morcelé par l’histoire et la géographie, une approche uniformisante fondée sur une démarche quantitative à base d’objectifs chiffrés, de critères, et d’indicateurs bien peu pertinents pour caractériser les dynamiques du vivant et leurs multiples déclinaisons en fonction de contextes variés ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-oiseaux-victimes-collaterales-de-lintensification-agricole-en-europe-223495">Les oiseaux, victimes collatérales de l’intensification agricole en Europe</a>
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<h2>Une approche managériale incapable de mobiliser</h2>
<p>Ouvrir le débat est d’autant plus nécessaire que la stratégie européenne en faveur de la biodiversité peine à susciter l’adhésion.</p>
<p>Ses critères et indicateurs manquent également de justifications scientifiques. Protection légale de 30 % de la superficie terrestre, protection stricte de 30 % des zones protégées ; veiller à ce que 30 % des habitats dégradés atteignent un état favorable ; réduire de moitié l’utilisation de pesticides chimiques, gérer un quart des terres agricoles en agriculture biologique ; réduire l’utilisation des engrais de 25 %… L’accumulation des chiffres n’est pas une garantie de scientificité et le flou masque mal les approximations.</p>
<p>Le chiffre de 30 % est déjà considéré par certains comme insuffisant car il ne constituerait qu’une étape vers les 50 % – le <a href="https://reporterre.net/Pour-sauver-la-vie-sauvage-il-faut-lui-reserver-la-moitie-de-la-Terre">« Half Earth » cher au biologiste américain E.O. Wilson</a>. On ignore également ce que recouvre le terme « protection stricte » : libre évolution ou gestion conservatoire ? et qu’est-ce qu’un état favorable ? Certains, comme l’UICN, parlent de « protection stricte » (Zones I et II de la nomenclature UICN), quand les autres parlent de « protection forte » sans non plus définir véritablement ce terme. Ainsi, en France, par exemple, l’OFB parle de <a href="https://www.ofb.gouv.fr/la-strategie-nationale-pour-les-aires-protegees">1,8 %</a> du territoire national en protection forte, le gouvernement de <a href="https://aides-territoires.beta.gouv.fr/aides/proteger-et-restaurer-les-espaces-naturels-4/">4,2 %</a>.</p>
<p>Faute d’avoir été discutés, ces critères et ces indicateurs apparaissent comme une norme imposée d’en haut sans véritable fondement. L’approche quantitative est vite considérée comme technocratique et mise en cause dans son application : il ne suffit pas, par exemple, de planter une haie pour accroître la biodiversité ; il faut encore la planter avec des espèces différenciées, l’entretenir, la tailler au bon moment, hors des périodes de nidification, qu’elle soit connectée à d’autres haies, bref il faut avoir envie d’entretenir la haie. La quantité ne remplace pas la qualité.</p>
<p>Une telle approche par les seuls indicateurs ne fait au final que des mécontents : les agriculteurs conventionnels qui considèrent les normes comme des handicaps et les agriculteurs engagés dans la transition qui ne bénéficient pas du soutien qu’ils attendent. La démarche top-down se solde alors soit par des reculades comme celle que nous voyons actuellement, soit par des compromis boiteux tel celui qui fut adopté pour le Parc national des forêts en France avec l’autorisation d’exploitation du bois dans la zone cœur du parc et de la chasse dans la réserve dite intégrale normalement exempte de toute activité anthropique. Un compromis entre l’état et les acteurs locaux de la chasse et de la filière-bois qui marque, selon certains juristes, une <a href="https://www.cairn.info/revue-juridique-de-l-environnement-2020-1-page-81.htm">régression du droit de l’environnement</a>.</p>
<h2>Privilégier le processus, l’engagement, le commun</h2>
<p>Tous ces débats qui traversent le monde scientifique permettent d’esquisser une autre démarche que celle adoptée par l’UE.</p>
<p>Davantage qu’un plan d’action prédéfini, c’est d’une <a href="https://library.oapen.org/handle/20.500.12657/87556">démarche réellement stratégique</a> dont l’Europe a besoin. Il faut bien évidemment développer l’agriculture écologique mais fixer un seuil de 25 % sans connaître l’état futur du marché et de la demande revient à prendre un risque considérable pour la filière agroécologique. Les épisodes récents avec la guerre en Ukraine et la crise agricole soulignent que le réel n’est que rarement conforme aux plans d’action.</p>
<p>Pour que cette stratégie soit efficace, elle se doit également de susciter l’adhésion, de favoriser les engagements en faveur du vivant. Tous les travaux de recherche fondés sur l’étude de cas pratiques soulignent combien <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0006320718306700">l’adhésion des populations</a> est une condition du succès des actions entreprises. Pourquoi ne pas valoriser davantage l’agriculture de conservation et les pratiques innovantes qui, dans l’agriculture productiviste, permettent de limiter les impacts négatifs voire de protéger un compartiment essentiel de la biodiversité à savoir le sol ? Mieux cibler par ailleurs les aides aux agriculteurs engagés dans la transition, leur assurer une visibilité à long terme est également indispensable.</p>
<p>Sortir enfin d’une démarche qui individualise les choix, qui laisse les agriculteurs souvent seuls face aux difficultés pour soutenir les initiatives territoriales qui existent déjà ou qui cherchent à se développer et qui associent agriculture écologique – biodiversité – alimentation et santé. De tels dispositifs existent déjà (<a href="https://www.ofb.gouv.fr/territoires-engages-pour-la-nature">Territoires engagés pour la Nature</a>, <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/territoires-energie-positive-croissance-verte">territoires à énergie positive</a>…) mais restent peu soutenus et peu reconnus. Les développer et les soutenir constituerait un levier d’action pertinent et permettrait la structuration des réseaux d’acteurs motivés.</p>
<p>La politique de l’Union européenne, dans le droit fil de la COP 15, résulte très largement d’une expertise, celle des grandes ONG, qui masque les débats et les interrogations traversant le monde scientifique. Ces débats laissent entrevoir en creux la possibilité d’une écologie humaniste qui prenne en compte les dynamiques en partie incertaines du vivant (humain compris), la diversité des contextes et des histoires et la nécessité de rassembler les énergies <a href="https://www.jstor.org/stable/26677964">pour dépasser les blocages et les verrouillages</a>. Si l’on veut bien sortir d’une approche qui fonctionne de manière indifférenciée avec des objectifs, des critères et des indicateurs, guère pertinents pour tracer les chemins du changement, peut-être pourra-t-on alors dépasser les fausses oppositions, les manipulations et les simplifications et laisser place aux vraies questions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223927/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Simon est expert au sein de "La Fabrique Ecologique"</span></em></p>Un dilemme continue d’animer la recherche sur la biodiversité. Faut-il séparer les espaces agricoles et ceux de la biodiversité, ou combiner production agricole et conservation sur les mêmes terres ?Laurent Simon, Professeur émérite en géographie de l’environnement, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2236712024-02-22T15:49:11Z2024-02-22T15:49:11ZL’impact de la guerre en Ukraine sur la coopération militaire franco-allemande<p>Comme le veut la coutume issue de la longue tradition d’amitié entre la France et l’Allemagne, le nouveau premier ministre français Gabriel Attal a réservé son premier déplacement à l’étranger en tant que chef du gouvernement à Berlin, le 5 février 2024. Il a assumé, lors de la conférence de presse conjointe donnée avec le chancelier Olaf Scholz, les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/a-berlin-gabriel-attal-assume-les-divergences-avec-lallemagne-2074195">divergences existant entre les deux pays</a> sur de nombreux sujets, dont l’actuelle négociation de l’accord commercial avec le Mercosur. Ces divergences existent également dans le domaine de la coopération militaire bilatérale. Elles ne sont pas nouvelles, mais ont été réactivées par le contexte de la guerre en Ukraine et le réagencement de l’architecture de sécurité européenne.</p>
<p>Au cours de ces deux dernières années, <a href="https://ukandeu.ac.uk/the-effects-of-the-war-in-ukraine-on-european-defence-deeper-eu-integration/">l’UE a lancé un certain nombre d’initiatives</a> pour produire en commun des munitions (l’instrument <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/07/07/asap-council-and-european-parliament-strike-a-deal-on-boosting-the-production-of-ammunition-and-missiles-in-the-eu/">ASAP</a>, adopté en juillet 2023) et pour renforcer l’industrie de défense européenne (plan <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2023/10/09/edirpa-council-greenlights-the-new-rules-to-boost-common-procurement-in-the-eu-defence-industry/">EDIRPA</a> annoncé en septembre 2023), sans avoir résolu la question de son lien à l’OTAN et à l’allié américain. Or la guerre en Ukraine vient souligner la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/13/otan-les-etats-unis-toujours-indispensables-a-la-defense-de-l-europe_6216254_3210.html">dépendance des Européens à l’égard de Washington</a>, tant sur le plan stratégique que logistique et capacitaire.</p>
<p>Dans ce contexte, comment la guerre en Ukraine affecte-t-elle la coopération militaire franco-allemande sur le plan politico-stratégique ?</p>
<h2>Une crise révélatrice de divergences stratégiques antérieures</h2>
<p>C’est un truisme que de dire que les <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2019-6-page-37.htm">cultures stratégiques française et allemande sont différentes</a>. L’armée et la politique de défense, façonnées par l’histoire de chacun des deux pays et le fonctionnement du système politique interne, n’occupent pas la même place et n’exercent pas tout à fait les mêmes fonctions – en dehors de la fonction fondamentale de défense du territoire et des populations commune à toutes les armées.</p>
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<p>L’armée expéditionnaire française, héritière d’une longue tradition historique, ressemble peu à une Bundeswehr construite en 1955 dans le cadre de l’Alliance atlantique pour faire face à la menace conventionnelle soviétique pendant la guerre froide.</p>
<p>Pour autant, les dernières années de l’ère Merkel, si elles n’avaient pas gommé les différences stratégiques entre Paris et Berlin, avaient semblé converger vers l’idée d’une défense européenne plus substantielle à côté de l’OTAN, mobilisant, certes avec des sous-entendus divergents, la notion <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/04/11/2027-lannee-de-lautonomie-strategique-europeenne/">d’autonomie stratégique européenne</a> du côté français, et de souveraineté européenne du côté allemand.</p>
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<p>Mais malgré le <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/notes-cerfa/livre-blanc-allemand-2016-consolidation-consensus-de-munich">consensus de Munich</a> qui actait dès 2014 du côté de Berlin la nécessité, pour la première puissance économique européenne, de prendre davantage de responsabilités en matière de sécurité internationale et de défense, la France continuait à voir en l’Allemagne un partenaire circonspect sur ces sujets. La littérature académique ainsi que nombre d’experts ont longtemps considéré l’Allemagne comme une <a href="https://www.economist.com/special-report/2013/06/13/europes-reluctant-hegemon">« puissance réticente »</a>.</p>
<p>L’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 semblait avoir changé la donne : trois jours plus tard, le chancelier allemand annonçait un changement d’époque (<a href="https://www.bundesregierung.de/breg-fr/actualites/d%C3%A9claration-gouvernementale-du-chancelier-f%C3%A9d%C3%A9ral-2009510"><em>Zeitenwende</em></a>). L’Allemagne prenait conscience que la guerre conventionnelle en Europe était possible, et qu’elle avait trop longtemps négligé ses budgets de défense et ses capacités, malgré les critiques récurrentes des commissaires parlementaires aux forces armées successifs, dont les rapports annuels dénonçaient <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230314-allemagne-l-arm%C3%A9e-manque-de-tout-dit-la-commissaire-parlementaire-%C3%A0-la-d%C3%A9fense-au-bundestag">l’état critique de la Bundeswehr</a>.</p>
<p>La France y avait alors vu l’occasion de travailler enfin de manière plus efficace avec l’Allemagne en matière de défense, et même de promouvoir la politique européenne de défense en adoptant notamment – en mars 2022 une <a href="https://ecfr.eu/article/the-eus-strategic-compass-brand-new-already-obsolete/">Boussole stratégique européenne</a> dont le chantier avait été lancé sous présidence allemande du Conseil de l’UE en 2020.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-petit-pas-inapercu-de-lue-vers-une-defense-commune-203011">Le petit pas inaperçu de l’UE vers une défense commune</a>
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<p>Mais très rapidement, les divergences stratégiques franco-allemandes ont refait surface : là où Paris a vu dans la guerre en Ukraine la confirmation de la nécessité d’enfin donner à l’UE une défense substantielle et basée sur ses propres forces, l’Allemagne, comme une majorité des autres États européens, y a au contraire forgé la conviction qu’il fallait renforcer l’OTAN.</p>
<p>Cette divergence d’analyse se traduit notamment par le lancement de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/LAllemagne-brandit-bouclier-antimissile-europeen-sans-France-2022-10-13-1201237611">l’initiative de défense aérienne européenne</a> (<em>European Sky Shield Initiative</em>) par le chancelier allemand, sans réelle concertation avec Paris et au détriment d’une souveraineté européenne en la matière, en écartant le système de défense proposé par la France et l’Italie (SAMP/T) au profit d’un système israélien soutenu par Washington (Arrow 3).</p>
<p>S’y ajoute l’achat sur étagère de matériel militaire américain (notamment des <a href="https://www.letemps.ch/monde/allemagne-lachat-chasseurs-f35-americains-confirme">avions de combat F-35</a>), démontrant clairement l’invariant de l’ancrage allemand dans le pilier transatlantique de la sécurité européenne, et la méfiance de Berlin (partagée haut et fort par de nombreux pays européens, au premier rang desquels la Pologne et les États baltes) à l’égard des velléités françaises d’une Europe de la défense autonome.</p>
<p>Pourtant, la France a également pris conscience de l’importance de consolider un pilier européen au sein de l’OTAN afin de mieux dialoguer avec ses partenaires européens. Mais les espoirs de changement majeur dans la politique de défense allemande ont rapidement été mitigés par les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/01/26/olaf-scholz-se-defend-d-avoir-tarde-a-approuver-la-livraison-de-chars-lourds-a-l-ukraine_6159390_3210.html">atermoiements du chancelier autour de la livraison de chars de combat à l’Ukraine en janvier 2023</a>, démontrant l’ambigüité allemande sur les questions militaires malgré le fonds spécial de 100 milliards débloqué pour rééquiper la Bundeswehr, et une <a href="https://www.pwc.de/de/pressemitteilungen/2024/die-deutschen-wollen-verteidigungsfaehiger-werden.html">opinion publique allemande en phase de transition sur les questions militaires</a>.</p>
<h2>Une coordination bilatérale en déclin</h2>
<p>Si le « moteur franco-allemand » de l’Europe semblait régulièrement à la peine avant 2022 (malgré la signature en 2019 du <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/22/relations-franco-allemandes-le-traite-d-aix-la-chapelle-risque-d-etre-depasse-par-l-evolution-de-la-politique-mondiale_6212237_3232.html">Traité d’Aix-la-Chapelle</a>, dont la mise en œuvre fut perturbée par la pandémie de Covid), il paraît aujourd’hui grippé.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/60-ans-apres-le-traite-de-lelysee-le-couple-franco-allemand-a-change-de-nature-217137">60 ans après le traité de l’Élysée, le « couple » franco-allemand a changé de nature</a>
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<p>Plusieurs facteurs peuvent être convoqués pour l’expliquer. Tout d’abord, l’élément interpersonnel, qui joue un rôle important dans la relation franco-allemande, n’est pas au beau fixe : si les rapports entre les deux ministres de la Défense ou entre l’ancienne ministre française des Affaires étrangères et son homologue allemande semblaient de bonne qualité, nombre d’observateurs ne peuvent que constater l’absence d’alchimie entre le président Macron et le chancelier Scholz, dont le style de gouvernement très personnel <a href="https://www.economist.com/europe/2023/04/05/who-does-olaf-scholz-listen-to">déroute d’ailleurs outre-Rhin</a>.</p>
<p>Ainsi, l’absence de référence à la France dans le discours du chancelier à Prague en août 2022 sur l’avenir de l’Europe, et le peu de consultation avec l’allié français traditionnel dans l’exercice de la rédaction de la toute première <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/lopposition-allemande-interpelle-olaf-scholz-sur-ses-relations-au-plus-bas-avec-la-france/">stratégie de sécurité allemande</a> publiée en juin 2023, sont venues confirmer des tensions franco-allemandes qui ont conduit à des <a href="https://theconversation.com/conseil-des-ministres-franco-allemand-un-report-sur-fond-de-ralentissement-economique-europeen-193227">reports</a> et à des diminutions de fréquence du conseil des ministres franco-allemand en 2022 et 2023. S’y est substitué, en dehors du conseil symbolique de janvier 2023 célébrant les 60 ans du traité de réconciliation, un séminaire bilatéral à Hambourg en octobre 2023 afin que les deux équipes gouvernementales puissent apprendre à mieux se connaître.</p>
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<p>De la même façon, en matière d’aide militaire et financière à l’Ukraine, les deux pays n’agissent pas de façon coordonnée, mais plutôt en relation bilatérale directe avec Kiev. L’Allemagne a contribué à cette aide à hauteur de 20 milliards d’euros (dont 17 milliards d’aide militaire) depuis 2022, là où la France n’aurait versé jusqu’à présent qu’autour de 1,7 milliard (dont 544 millions d’aide militaire) selon les <a href="https://www.ifw-kiel.de/topics/war-against-ukraine/ukraine-support-tracker/">chiffres de l’Institute for World Economy de Kiel</a>. Paris s’est engagé à verser une <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/lallemagne-sengage-a-soutenir-lukraine-militairement-a-long-terme-2076889">aide militaire supplémentaire de 3 milliards d’euros</a> lors de la visite du président Zelensky le 15 février 2024 à Paris, et Berlin a de son côté annoncé un milliard d’euros supplémentaires.</p>
<p>Enfin, sur le plan matériel, l’injection du fonds spécial de 100 milliards d’euros et la hausse importante du budget militaire allemand (estimé autour de <a href="https://www.zeit.de/news/2024-02/14/deutschland-meldet-rekordsumme-an-nato">2 % du PIB en février 2024</a>) ont intensifié la compétition industrielle déjà existante entre Paris et Berlin, remettant en cause le partage des tâches tacite en vigueur jusque-là entre la puissance économique allemande et la puissance militaire française. Ajoutons que ces derniers mois, les échanges entre les deux ministères de la Défense ont été émaillés par les aléas des projets de coopération industrielle militaire (notamment les <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/scaf-mgcs-derriere-les-discours-la-grande-panne-des-projets-militaires-franco-allemands_870322">programmes SCAF et MGCS</a>).</p>
<h2>Quel peut être l’avenir du partenariat franco-allemand en matière de défense ?</h2>
<p>Si les partenaires de Paris et Berlin ont par le passé souvent critiqué le poids du tandem franco-allemand dans la construction européenne, il semble aujourd’hui certain que celui-ci ne suffit pas, mais demeure une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/07/01/la-desunion-politique-de-la-france-et-de-l-allemagne-contribue-a-fragmenter-l-union-europeenne_6180154_3232.html">condition nécessaire</a> pour construire du consensus à Bruxelles, y compris sur les sujets militaires.</p>
<p>Une des leçons de la guerre en Ukraine en la matière est l’importance de mieux considérer les intérêts de sécurité des pays baltes et des pays d’Europe centrale et orientale, très critiques sur l’attitude de Paris et Berlin vis-à-vis de Moscou au début de la guerre, <a href="https://news.err.ee/1608613669/ft-baltic-politicians-annoyed-by-scholz-and-macron-s-putin-call">jugée trop compréhensive</a>. Un élément qui semble émerger en ce sens consiste à réinvestir le <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/france-allemagne-et-pologne-relancent-le-triangle-de-weimar-pour-contrer-la-russie-2075825">triangle de Weimar</a>, la coopération franco-germano-polonaise étant rendue moins difficile par l’arrivée aux affaires à Varsovie du gouvernement pro-européen issu des élections de l’automne 2023.</p>
<p>Un second axe de rapprochement pour la France et l’Allemagne tient au facteur américain : l’élection présidentielle de 2024 pourrait favoriser un renforcement de l’Europe de la défense si Donald Trump revenait à la Maison Blanche, notamment au regard des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/02/14/otan-pourquoi-donald-trump-qualifie-t-il-les-allies-de-mauvais-payeurs_6216493_4355770.html">propos sans équivoque</a> qu’il a tenus en février 2024 sur la faiblesse de certaines contributions européennes au budget militaire de l’OTAN. C’est ce qui s’était produit entre 2016 et 2020, période d’avancées significatives pour la politique européenne de défense marquée notamment par le lancement de la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=LEGISSUM:permanent_structured_cooperation">coopération structurée permanente</a>.</p>
<p>Même en cas de victoire démocrate, Paris et Berlin peuvent trouver une voie de rapprochement en travaillant sur la notion de pilier européen dans l’OTAN. <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/la-cour-des-comptes-appelle-la-france-a-mieux-simpliquer-dans-lotan-1984569">La France a d’ailleurs donné des gages de sa bonne volonté</a> en s’investissant très activement dans la présence de l’OTAN à l’Est du continent européen afin de contrer la menace russe.</p>
<p>Ainsi, si les désaccords, notamment industriels, ne manqueront pas de perdurer, c’est par la voie politique que la coopération militaire franco-allemande pourrait regagner de la souplesse. Beaucoup d’incertitudes demeurent toutefois sur ce point au regard des futures élections tant européennes que nationales, étant donné la montée des discours populistes dans les deux pays et les crises économiques et sociales dont ceux-ci se nourrissent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Delphine Deschaux-Dutard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les deux pays soutiennent fermement l’Ukraine, mais leurs visions de la meilleure organisation de la défense européenne et du rôle que doit y jouer l’OTAN continuent de diverger.Delphine Deschaux-Dutard, Maître de conférences en science politique, Université Grenoble Alpes, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2240282024-02-21T15:43:36Z2024-02-21T15:43:36ZDeux ans de guerre en Ukraine : comment l’UE s’est mobilisée<p><em>Le 24 février 2022, les pays de l’UE ont, pour la plupart, été pris de court par l’attaque massive que la Russie venait de lancer contre le territoire ukrainien. Mais rapidement, et contrairement aux attentes de Moscou, ils se sont mobilisés pour porter assistance à un pays avec lequel ils avaient signé, en 2013, un accord d’association dont le rejet par le gouvernement de Kiev de l’époque, soutenu par le Kremlin, avait entraîné la Révolution de la dignité et, peu après, le début de l’agression russe, qui s’était soldée dès 2014 par la prise de la Crimée et d’une large partie du Donbass. Dans son dernier ouvrage, <a href="https://www.puf.com/leurope-face-lukraine">« L’Europe face à l’Ukraine »</a>, qui vient de paraître aux Presses universitaires de France et dont nous vous présentons ici un extrait, l’historien et géographe Sylvain Kahn (Sciences Po) revient sur la nature et les mécanismes de cette réaction européenne, qui se poursuit à ce jour, alors que la guerre continue de battre son plein.</em></p>
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<p>L’invasion de l’Ukraine amène les Européens à prendre pleinement conscience de ce qui les caractérise et ce qui les différencie radicalement de la Russie actuelle : la politique de ce pays est une politique de puissance ; elle témoigne que le gouvernement russe considère l’impérialisme et le colonialisme légitimes et actuels.</p>
<p>Par contraste, car cette puissance menace l’UE, les Européens prennent pleinement conscience qu’ils sont sortis de l’un comme de l’autre et que leur construction territoriale et politique supranationale européenne n’est pas une puissance car ce n’est pas leur projet ni sa vocation.</p>
<h2>Soutenir la défense de l’Ukraine, un engagement européen</h2>
<p>Concrètement, en prenant en quelques heures la décision de fournir des armes à l’Ukraine via la facilité européenne pour la paix et des engagements gouvernementaux nationaux, les dirigeants de l’UE ont ajouté à l’attraction et à la séduction, ces modalités cinquantenaires d’exercice de leur influence, le commandement, la coercition et l’incitation. Hormis la Hongrie, tous les pays s’y sont mis, quand bien même certains plus tard que d’autres. L’UE est une puissance dite civile : <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2013-1-page-83.htm">plutôt que la puissance, elle vise l’influence</a>.</p>
<p>Rien n’indique qu’elle ait changé d’objectif – bien au contraire. Mais l’UE opère une importante bifurcation dans ses pratiques : elle s’engage dans un conflit par le soutien massif à l’un des deux belligérants, le pays agressé, et par des sanctions radicales à l’endroit de l’autre belligérant, le pays agresseur.</p>
<p>En février 2022, les Européens convergent très vite vers une coordination au niveau européen de ces objectifs nationaux.</p>
<p>Mutadis mutandis, ils font avec la production et la livraison de matériel militaire comme ils ont fait avec les vaccins anti‑Covid. De façon disruptive, l’Union européenne mobilise la facilité européenne pour la paix pour financer des dons de matériel militaire à l’Ukraine par ceux des États membres qui l’ont décidé. Cette facilité représente 1/8<sup>e</sup> du total de l’aide militaire fournie et budgétée par les 27 à l’Ukraine – soit, au 31 juillet 2023, 5,6 milliards d’euros. C’est la première fois, depuis sa création en 2021, que cet instrument est utilisé.</p>
<p>L’effet de levier est bien supérieur à cette proportion : il s’agit en effet d’une politique publique mutualisée – décidée ensemble à 27 avec une exécution confiée au HRVP (acronyme officiel du ministre des Affaires étrangères de l’UE, poste occupé par Josep Borrell, qui dirige le Service européen pour l’action extérieure). C’est bien l’UE qui s’engage en tant que telle dans le soutien à l’effort de guerre de l’Ukraine.</p>
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<p>L’Union européenne affirme ainsi des choix.</p>
<p>Premier choix : l’UE comme ensemble se positionne comme une <a href="https://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2012-1-page-55.htm">entité aux capacités régaliennes</a>. Cela a déjà été le cas avec le plan de relance de l’économie européenne afin de faire face aux conséquences de la pandémie dont le déploiement est en cours. En se dotant de ce budget extraordinaire financé par des bons du Trésor européen et réparti entre les différents pays de l’UE, l’ensemble des acteurs du système politique européen ont chargé la Commission européenne d’être comme un ministère des Finances d’un État européen. L’avenir dira si cette disruption est une exception ou un précédent. Dans le même temps, cela a aussi été le cas, de façon plus subtile, avec la politique vaccinale anti‑Covid de l’UE. La Commission européenne a préacheté des doses de vaccin en train d’être élaborées en quantité considérable, le but étant que les vingt‑sept gouvernements nationaux puissent acheter égalitairement des vaccins en quantité suffisante pour tous leurs administrés.</p>
<p>Sur le même registre, la Commission, toujours avec l’accord des États membres, a passé des ordres d’achats groupés de gaz aux nouveaux fournisseurs sur lesquels se sont tournés les pays européens en substitution du gaz russe. En octobre 2023, ils ont réformé le fonctionnement du marché européen de l’électricité. Cette réforme paraît difficile à entreprendre : nombreux étaient les commentaires énonçant un désaccord entre l’Allemagne et la France qui la rendrait impossible à concevoir. Cette réforme rappelle que le fonctionnement classique du tandem franco‑allemand est de viser une solution commune à partir de situations et d’analyses éloignées – et de <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/01/20/10-points-sur-le-mythe-franco-allemand-dans-la-construction-europeenne/">prendre le temps nécessaire pour y parvenir</a>. Autrement dit, les Européens ont gardé le cap de la grande bifurcation énergétique décidée très rapidement en février 2022 qu’ils mettent en œuvre dans ses différents aspects. Ils contiennent de cette manière l’inflation des prix de l’énergie qui a été favorisée par la diminution drastique d’importations de sources d’énergies fossiles en provenance de Russie.</p>
<p>Deuxième choix : l’UE s’est décidée à manier l’un des instruments non seulement du régalien mais aussi de la puissance, à savoir « faire la guerre ». Toutefois, les Européens ne font pas la guerre directement ni même concrètement au sens strict. Sans livrer de guerre, les Européens prennent parti dans une guerre en mobilisant leur industrie de défense et leurs capacités militaires. Ils livrent des armes de guerre, ils forment les combattants de l’armée ukrainienne (plus de 25 000) et partagent du renseignement militaire avec les Ukrainiens.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1701292030943481867"}"></div></p>
<p>Troisième choix : celui d’une volonté politique stratégique propre. Cette mobilisation par les Européens de leurs ressources militaires au profit d’un pays associé en guerre – l’Ukraine – ne doit rien à personne. Si l’on additionne, d’une part, la valorisation de l’aide militaire d’ores et déjà effectuée et des engagements annoncés par les pays de l’UE ensemble comme UE et individuellement comme États membres ainsi que, d’autre part, toutes les formes d’aides civiles, l’aide totale fournie par les Européens à l’Ukraine est <a href="https://www.sciencespo.fr/research/cogito/home/au-son-du-canon-le-reveil-geopolitique-de-leurope%e2%80%89/?">près de deux fois supérieure à celle fournie par les États‑Unis</a> . Dans ce total, l’aide militaire des Européens et des Américains sont équivalentes. Celle des Européens comprend des engagements pluriannuels sur quatre ans. Si l’on ajoute l’effort consenti par les Norvégiens et les Islandais, membres de l’Espace économique européen (EEE), l’aide militaire européenne est même supérieure à l’aide militaire américaine. Depuis l’été 2023, l’Allemagne est le deuxième fournisseur d’aide militaire après les États‑Unis. Le Royaume‑Uni, qui n’est ni dans l’UE ni dans l’EEE, est le troisième. Rapporté au PNB, l’Allemagne est le neuvième fournisseur d’aide militaire. Ni les États‑Unis ni le Royaume‑Uni <a href="https://www.ifw-kiel.de/topics/war-against-ukraine/ukraine-support-tracker/">ne sont dans les dix premiers</a> qui sont : la Norvège, la Lituanie, l’Estonie, la Lettonie, le Danemark, la Pologne, la Slovaquie, la République tchèque, l’Allemagne et la Finlande.</p>
<p>Dans le même mouvement, dès mars 2022 deux des trois États membres de l’élargissement de 1995, la Finlande et la Suède, décident de rejoindre l’OTAN. La Finlande, dont 1 340 kilomètres de frontières sont communes avec la Russie, en est devenue membre en avril 2023, tandis que le processus de ratification de l’adhésion de la Suède poursuit son cours en Hongrie et en Turquie. L’OTAN est une alliance défensive : l’UE et ses États membres ne sont pas pacifistes. Ils sont prêts à se défendre et leurs budgets militaires sont en augmentation depuis février 2022. Pour autant, rien n’indique qu’ils aspirent à se transformer en puissance militaire. À cet égard, le <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/08/29/discours-de-prague-comprendre-le-tournant-de-scholz-sur-lunion/">changement de doctrine de l’Allemagne énoncé par le chancelier Scholtz en 2022</a> est significatif. L’Allemagne, selon l’expression de Philippe Gros, est en train de devenir le grenier à armes de l’Ukraine. Si elle est en train de ne plus être cette « grande Suisse », ainsi que la qualifiait Pierre Hassner, elle ne devient pas pour autant une puissance militaire qui se projette dans le monde.</p>
<p>En lisant les enquêtes <a href="https://www.europarl.europa.eu/at-your-service/fr/be-heard/eurobarometer">Eurobaromètre</a> de 2022 et 2023, on comprend que les Européens expriment majoritairement dans leur ensemble une demande de politique européenne de défense et d’affaires étrangères depuis plusieurs années et que, dans une forte proportion, ils adhèrent à la politique de soutien à l’Ukraine et à la politique de sanction de la Russie (cette majorité va de massive à nette selon les pays). Or, de facto, le soutien à l’effort de guerre ukrainien et aux sanctions visant à affaiblir l’effort de guerre russe est, dans l’histoire, la première manifestation d’une politique de défense du territoire européen. Le fait qu’il suscite l’accord d’une nette majorité d’Européens est donc un test grandeur nature : il valide dans la pratique le souhait exprimé d’une politique européenne de défense.</p>
<p>Bien entendu, dans la durée, car cette guerre de résistance à l’invasion russe est longue, il y a en Europe un débat sur l’efficacité de cette politique, voire sur sa pertinence. Les partis politiques traditionnellement fascinés par Poutine, soit par consonance avec les valeurs qu’il incarne, soit par antiaméricanisme, sans revenir à la connivence qui était la leur avec son régime avant février 2022, proposent à nouveau de considérer le point de vue territorial russe avec bienveillance, et d’envisager de cesser d’armer l’Ukraine pour les pousser à accepter le fait accompli et cesser les combats. Deux d’entre ces partis sont arrivés en tête lors des élections législatives dans leur pays en 2023, Fico pour le Smer‑SD en Slovaquie et Wilders pour le PVV aux Pays‑Bas. Les partis politiques, comme le PVV, qui sont regroupés au sein du groupe Identité et démocratie au Parlement européen, l’ont fait savoir lors de leur réunion à Florence en décembre 2023.</p>
<p>L’interprétation de ces résultats est débattue au sein de la communauté académique : y a‑t‑il effritement du soutien des citoyens européens au soutien de l’UE à l’Ukraine, ou pas ? Non. <a href="https://www.sciencespo.fr/research/cogito/home/la-guerre-en-ukraine-peut-elle-ouvrir-un-nouveau-cycle-dextreme-droite-en-europe/">Gilles Ivaldi</a> met en lumière les nombreux facteurs expliquant ces préférences électorales et au premier chef l’insécurité économique. Il n’en reste pas moins que, dans un débat témoignant du pluralisme et de l’esprit démocratique des sociétés européennes, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/31/dans-certains-pays-europeens-il-existe-un-decalage-notable-entre-un-important-soutien-gouvernemental-a-l-ukraine-et-une-opinion-publique-plus-ambivalente_6197521_3232.html">« les gouvernements souhaitant maintenir un soutien conséquent à l’égard de l’Ukraine doivent justifier plus efficacement leurs actions politiques »</a>. Les élections du Parlement européen 2024 tombent à point nommé pour que les citoyens de l’UE délibèrent de la politique de l'Europe face à la guerre d’Ukraine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224028/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Même si des voix discordantes se font entendre en son sein, et même si elle aurait pu en faire encore plus, l’UE dans son ensemble a réagi à l’attaque russe avec une fermeté inattendue.Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, européaniste au Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2239052024-02-19T14:54:18Z2024-02-19T14:54:18ZComment les nouvelles règles budgétaires européennes contraindront les dépenses publiques françaises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/576491/original/file-20240219-20-cer2j3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=85%2C6%2C1952%2C1348&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bercy a révisé à la baisse des prévisions de croissance à 1% pour 2024.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/iaea_imagebank/51716644575">Flickr/IAEA Imagebank</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, a annoncé sur TF1, le 18 février, que Bercy abaissait sa prévision de croissance à 1 % en 2024, soit le haut de la fourchette du consensus des analystes, tout en affirmant sa volonté d’économiser 10 milliards « sur le seul budget de l’État ».</p>
<p>Profitant du brutal retour de l’inflation qui a gonflé mécaniquement les recettes fiscales, les dépenses publiques françaises avaient baissé en volume en 2022 et 2023, malgré une forte progression en valeur. Le projet de loi de finances pour 2024 prévoyait la poursuite de cette tendance.</p>
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<figcaption><span class="caption">Croissance : la prévision pour 2024 révisée à 1 %, annonce Bruno Le Maire (TF1 Info, 18 février 2024).</span></figcaption>
</figure>
<p>La croissance alors anticipée de 1,4 % combinée à une prévision d’inflation de 2,6 % devaient assurer mécaniquement une hausse des recettes publiques de 4 % supérieures à celle des dépenses publiques limitées à 3,1 %, réduisant ainsi le déficit public de 0,5 % à 4,4 % du PIB et <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/291190-loi-du-29-decembre-2023-de-finances-pour-2024-budget-plf">stabilisant la dette publique à 110 % du PIB</a>.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576495/original/file-20240219-22-6q3une.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Évolution annuelle des depenses publiques en volume, hors credits d’impot, hors soutien d’urgence et hors relance (en pourcentage). Note : les dépenses de soutien face à l’inflation ne sont pas retraitées en 2022 et 2023.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rapport de l’Assemblée nationale sur le Projet de loi de finances 2024</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce scénario favorable est malheureusement remis en cause par le ralentissement économique en cours, l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) prévoyant désormais une croissance de seulement 0,6 % en France ce qui implique mécaniquement un <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/02/05/bercy-s-apprete-a-revoir-ses-previsions-de-croissance-pour-2024_6214930_3234.html">manque à gagner de l’ordre 10 milliards</a> pour les comptes publics.</p>
<p>D’autant qu’à ce jour, les nouvelles dépenses sont d’ores et déjà d’environ 5 milliards, en additionnant les récentes aides aux agriculteurs de 400 millions d’euros, les primes aux policiers pour les JO de 600 millions d’euros, les pertes supplémentaires des hôpitaux publics d’un milliard et surtout la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/aide-a-l-ukraine-zelensky-et-scholz-signent-un-pacte-de-securite-historique-20240216">nouvelle aide à l’Ukraine</a> annoncée à l’Élysée le 16 février de 3 milliards. Dans ces conditions on voit mal comment le gouvernement pourrait tenir son objectif d’un déficit de 4,4 % en 2024, un record partagé uniquement avec l’Italie dans la zone euro.</p>
<p>Quant à la dette publique, elle ne diminuerait plus et se stabiliserait autour de 111 % du PIB, soit très au-delà du seuil de 90 % qui correspond grosso modo à la moyenne de l’eurozone.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576496/original/file-20240219-16-th4i89.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Comparaison de l’évolution des ratios de dette publique de la France, de la zone euro et de l’Allemagne (en points de PIB).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rapport de l’Assemblée nationale sur le Projet de loi de finances 2024</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On comprend dès lors les inquiétudes de Bercy quant à une prochaine dégradation de la note de la France. Si Standard and Poor’s avait maintenu sa note AA en décembre 2023 tout en la plaçant sous perspective négative, les 3 grandes agences doivent <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/06/03/le-maintien-par-standard-poor-s-de-la-note-de-la-france-un-satisfecit-a-la-portee-limitee-pour-le-gouvernement_6175991_823448.html">rendre un nouveau verdict avant les élections européennes</a>.</p>
<h2>Des trajectoires budgétaires individualisées</h2>
<p>Adopté à Amsterdam le 17 juin 1997 en prévision de l’avènement de l’euro en 1999, le <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/21801-quest-ce-que-le-pacte-de-stabilite-et-de-croissance-psc">Pacte de stabilité et de croissance</a> imposait à tous les États membres de l’Union européenne (UE) de coordonner leur politique budgétaire en limitant leur déficit public à 3 % du PIB et leur dette publique à 60 % afin d’assurer leur solvabilité.</p>
<p>La violence de la crise économique générée par la pandémie de Covid-19, bien supérieure à celle de 2008, a contraint pour la première fois la Commission européenne à activer en mars 2020 une clause dérogatoire permettant de suspendre jusqu’au 31 décembre 2023 le Pacte en invoquant des circonstances exceptionnelles. Ce fut l’occasion d’un aggiornamento qui a abouti le 10 février 2024 à un accord entre le Parlement européen et les États membres pour le réformer.</p>
<p>Ce nouveau cadre de gouvernance doit entrer en vigueur le 1<sup>er</sup> janvier 2025 après validation définitive par le parlement européen au printemps. Fruit de laborieuses négociations, il reste complexe mais introduit une approche différenciée propre à chaque État pour assurer une trajectoire de soutenabilité de la dette plus souple sans entraver la croissance et fondée sur l’évolution d’un nouvel indicateur clé : les dépenses nettes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1756207740500791661"}"></div></p>
<p>Ainsi, les États membres dont le déficit public dépasse les 3 % disposeront d’une période d’ajustement de quatre ans pour ramener leurs comptes publics sur une trajectoire budgétaire jugée « soutenable », cette période pouvant s’étendre jusqu’à sept ans s’ils adoptent des réformes ou effectuent des investissements stimulant la croissance dans les <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/economic-governance-framework/reform/">transitions vertes, le numérique ou la défense</a>. Le déficit structurel reste un indicateur clé et devra diminuer de 0,5 % par an (avec une flexibilité de 2025 à 2027 pour tenir compte de la récente hausse du coût de la dette liée à l’augmentation des taux d’intérêt).</p>
<p>Une fois les déficits sous contrôle, les pays dont l’endettement dépasse 90 % du PIB devront le diminuer non plus de 5 % de l’écart entre celui-ci et le seuil de Maastricht de 60 % (soit pour la France dont la dette est de 111 % de 2,5 points de PIB par an) mais seulement d’un point de PIB chaque année. Des amendes plafonnées à 0,05 % du PIB restent théoriquement possibles mais il est très vraisemblable qu’elles ne seront pas plus exigées qu’auparavant…</p>
<h2>Quelles réformes envisageables ?</h2>
<p>Les marges de manœuvre budgétaires du président de la République, Emmanuel Macron, étaient déjà <a href="https://theconversation.com/les-marges-de-manoeuvre-budgetaires-particulierement-limitees-du-second-quinquennat-macron-181871">particulièrement faibles au début de son second mandat</a> : elles le sont encore plus aujourd’hui. Avec le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé de l’OCDE à 46,1 % du PIB, <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/taxation/statistiques-des-recettes-publiques_25227092">pour une moyenne de 34 %</a>, et face <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/documents/68299">au refus de 75 % des Français d’augmenter les impôts</a>, on voit mal le gouvernement s’engager dans cette voie qui accentuerait en outre le ralentissement économique.</p>
<p>Cette stratégie serait d’ailleurs en contradiction avec le principal objectif de la politique économique menée depuis sept ans, qui consiste à augmenter le taux d’emploi actuellement de 68 % chez les 15-64 ans pour l’amener au niveau de nos voisins européens, entre 75 et 80 %. En effet, à taux d’imposition constant, un tel niveau d’emploi comblerait la totalité du déficit via les recettes supplémentaires d’impôts et de cotisations générées.</p>
<p>Pour réduire le déficit et la dette, il faut donc que les dépenses publiques progressent en volume bien moins rapidement que le PIB sur plusieurs années, stratégie singulièrement compliquée par quatre types de dépenses publiques en augmentation contrainte à moyen terme. Au premier rang de ces dépenses, on trouve la charge de la dette avec la fin de l’argent gratuit (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle la nouvelle version du pacte prévoit d’exclure leur progression de celle des dépenses jusqu’en 2027).</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=311&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=311&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=311&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=391&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=391&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576498/original/file-20240219-30-2pq4dc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=391&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Charge de la dette et de la trésorerie de l’État (en milliards d’euros). Note : En charge budgétaire, retracée par les programmes 117 « Charge de la dette et de la trésorerie de l’État » et 355 « Charge de la dette de SNCF Réseau reprise par l’État ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Rapport de l’Assemblée nationale sur le Projet de loi de finances 2024</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Viennent ensuite deux domaines prioritaires qui concernent tous les pays européens : la transition écologique, qui nécessiterait des investissements de l’ordre de <a href="https://theconversation.com/ue-les-regles-budgetaires-sont-elles-compatibles-avec-les-objectifs-du-pacte-vert-222546">2,3 % du PIB chaque année</a> et les dépenses militaires qui doivent atteindre <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/la-loi-de-programmation-militaire-quest-ce-que-cest">2 % du PIB dès 2025</a> pour tenir compte du nouveau contexte géopolitique (dépenses déjà validées par <a href="https://www.gouvernement.fr/actualite/la-loi-de-programmation-militaire-definitivement-adoptee-par-le-parlement">la loi de programmation militaire pluriannuelle adoptée en 2023</a>). Enfin, le vieillissement démographique accroît tout à la fois les dépenses de santé et de retraite alors même que la récente réforme majoritairement rejetée par les actifs <a href="https://theconversation.com/la-reforme-des-retraites-un-court-repit-pour-les-finances-publiques-204384">ne suffira pas à répondre aux besoins</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-reforme-des-retraites-un-court-repit-pour-les-finances-publiques-204384">La réforme des retraites, un court répit pour les finances publiques</a>
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<p>Lorsque l’on compare les dépenses publiques en France (58 % du PIB) au sein de l’Union européenne (50 %) on constate que celles de l’État et des collectivités locales atteignent 25 % du PIB soit seulement 2 points de plus que la moyenne : il est dès lors hautement improbable de pouvoir les réduire significativement au vu des contraintes relevées supra et de l’échec des tentatives de réformes de l’État des dernières années.</p>
<p>C’est donc bien sur les dépenses de protection sociale, qui sont de 33 % du PIB contre 27 % dans l’UE, que se fera l’ajustement. Outre les aides sociales, il faudra remédier au déficit chronique de la branche maladie de 0,5 % de PIB. Quant aux retraites qui pèse 14 % du PIB si celles du secteur privé sont très largement assurées par les cotisations des actifs, les subventions d’équilibre que verse directement le budget aux retraités de l’État, ou à <a href="https://theconversation.com/regimes-speciaux-quel-cout-pour-letat-128826">ceux des régimes spéciaux</a>, pèsent au moins 1,5 % du PIB.</p>
<p>En l’absence de maîtrise des dépenses publiques, ce seront les agences de notation et surtout les marchés obligataires plus sûrement que la Commission européenne qui rappelleront la nécessité d’un ajustement brutal et beaucoup plus douloureux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223905/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a annoncé, le 18 février, un plan d’économies de 10 milliards d’euros. Or, les marges de manœuvre budgétaires apparaissent particulièrement limitées.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2230282024-02-18T15:48:19Z2024-02-18T15:48:19ZComprendre l’histoire de l’UE par ses élargissements successifs : de 1957 à 1973<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/583200/original/file-20240320-28-xzpwsb.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C4%2C1423%2C1073&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En vert, les trois pays (Danemark, Irlande, Royaume-Uni) qui rejoignent en 1973 les six pays (en bleu) membres de la CEE depuis sa création en 1957.</span> <span class="attribution"><span class="source">The Conversation</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>Les élections au Parlement européen se tiendront du 6 au 9 juin prochain. Vingt-sept pays sont concernés. Si l’on s’est habitué, ces dernières années, à la formule « les Vingt-Sept » pour désigner les membres de l’Union, ce nombre n’a en réalité cessé de varier : de six en 1957, il est passé à neuf en 1973, dix en 1981, douze en 1986, quinze en 1995, vingt-cinq en 2004, vingt-sept en 2007, vingt-huit en 2013… et à nouveau vingt-sept en 2016 avec la sortie du Royaume-Uni. Dans la perspective du scrutin de juin prochain, nous avons demandé à l’historien Sylvain Kahn, chercheur au Centre d’histoire de l’Europe de Sciences Po et auteur, entre autres nombreuses publications, d’une <a href="https://youtu.be/spoWemEOoYU?si=cZRyNRn4WxaUE2pW">Histoire de la construction de l’Europe depuis 1945</a> (PUF, 2021), de revenir sur ces différents élargissements, dans une série d’articles dont nous vous proposons ici le premier épisode.</em></p>
<hr>
<p>L’élargissement est constitutif de l’histoire de l’intégration européenne. La Communauté économique européenne comptait six membres lors de sa création en 1957. Entre 1973, année de l’adhésion du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark, et 2013, année de l’adhésion de la Croatie, vingt-deux pays supplémentaires ont rejoint la CEE puis l’Union européenne.</p>
<p>L’histoire des élargissements commence à la fin des années 1960 : De Gaulle parti, l’histoire de l’intégration européenne se poursuit sans dirigeant souverainiste. Son successeur élu le 15 juin 1969, Georges Pompidou, avait été l’un de ses plus proches collaborateurs puis son premier ministre. Dès son arrivée à l’Élysée, il prit son monde par surprise en <a href="https://www.georges-pompidou.org/projet-leurope-georges-pompidou-construction-europeenne">proposant une relance de la construction européenne</a>.</p>
<h2>Le sommet de La Haye, première étape d’un processus long de plusieurs décennies</h2>
<p>À l’initiative de Pompidou, les 1<sup>er</sup> et 2 décembre 1969, <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/d1cfaf4d-8b5c-4334-ac1d-0438f4a0d617/01b8a864-db8b-422c-915e-a47d5e86593e">La Haye accueillit un sommet européen des six chefs d’État et de gouvernement</a>. Le président français y annonça son fameux <a href="https://www.cairn.info/france-europe--9782804160166-page-93.htm">triptyque</a> : « achèvement » (de la PAC), « élargissement » (au Royaume-Uni), « approfondissement » (par <a href="https://www.ecb.europa.eu/ecb/history/emu/html/index.fr.html">l’Union économique et monétaire</a> d’une part et la coopération en politique étrangère d’autre part).</p>
<p>Avec le recul, ce sommet de La Haye donna le « la » d’un mouvement qui allait se déployer sur la durée. Entre 1973 et 2013, il y eut <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/les-elargissements-de-l-union-europeenne-de-6-a-27-etats-membres/">quatre vagues d’élargissement</a> : aux pays industrialisés du nord-ouest dans les années 1970 ; aux pays méditerranéens, plus agricoles, en sortie de dictature, dans les années 1980 ; aux pays plus périphériques, très prospères, neutres et sociaux-démocrates du nord-est dans les années 1990 ; et aux pays d’Europe centrale et orientale ex-communistes, devenus démocratiques et capitalistes, dans les années 2000.</p>
<p>Chacune de ces vagues s’est déroulée de façon intriquée à des réformes institutionnelles allant dans le sens d’un approfondissement du système politique européen, selon quatre tendances fortes : des augmentations (relatives) du budget communautaire ; un accroissement des prérogatives tant du Parlement que du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement ; une extension et une simplification de la prise de décision à la majorité qualifiée ; et un achèvement toujours plus affiné des politiques communautaires.</p>
<p>Sanctuariser la politique agricole et intégrer le Royaume-Uni (sommet de La Haye) vont de pair dans les années 1970 ; démultiplier la politique régionale et intégrer les pays ibériques se font ensemble par la Commission Delors dans la décennie suivante ; pour le tandem Kohl-Mitterrand, rendre l’euro irréversible avec <a href="https://www.ecb.europa.eu/ecb/history/emu/html/index.fr.html">l’Union économique et monétaire</a> et lancer l’intégration des pays d’Europe centrale et orientale sont les deux faces d’une même politique ; aujourd’hui, c’est le couplage entre, d’une part, le développement d’une défense et d’une diplomatie européennes et, d’autre part, <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/292425-lue-decide-douvrir-les-negociations-dadhesion-avec-lukraine-et-la-mo">l’élargissement à l’Ukraine et à la Moldavie</a> qui est en cours avec la Commission Von der Leyen.</p>
<h2>Les calculs de Georges Pompidou</h2>
<p>Revenons au sommet de La Haye de décembre 1969. Derrière le slogan du « triptyque » le changement proposé par Pompidou est un approfondissement dans la continuité.</p>
<p>Achever la PAC était dans la logique du traité de Rome et de la politique qu’il mena comme premier ministre de De Gaulle.</p>
<p>La coopération en politique étrangère proposait une démarche analogue à celle du <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/a70e642a-8531-494e-94b2-e459383192c9">plan Fouchet de 1961</a> : des consultations formalisées entre ministres des Affaires étrangères. Le plan est cette fois un rapport, rendu en 1970 et le diplomate qui lui donne son nom est cette fois belge : <a href="https://mjp.univ-perp.fr/europe/docue1970davignon.htm">Étienne Davignon</a>.</p>
<p>Le projet d’Union économique et monétaire est, lui, une vraie nouveauté. Le premier ministre luxembourgeois Pierre Werner et le vice-président de la Commission Raymond Barre sont chargés de concevoir sa mise en œuvre concrète, dans le respect des lignes rouges de la France pompidolienne : ne pas donner à l’institution supranationale qu’est la Commission un rôle plus important que celui des gouvernements des États membres.</p>
<p>Dans cette opération politique par laquelle Pompidou se démarque, le nouveau président français misait surtout sur l’élargissement au Royaume-Uni ; c’est ce qui l’intéressait le plus. Sur la scène politique communautaire, en ouvrant la CEE au Royaume-Uni, Pompidou escomptait compliquer toute évolution de la construction européenne vers davantage de supranationalité, sans que la France n’en soit rendue responsable. Il pensait aussi apporter un contrepoids à la RFA, dont il <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-europeenne-2003-3-page-163.htm">observe avec une pointe d’inquiétude</a> le rôle renouvelé – même si lors des célébrations du dixième anniversaire du traité de l’Élysée en janvier 1973, il assure Willy Brandt du soutien plein et entier de la France à l’<em>Ostpolitik</em>, ce nouveau cours de la politique étrangère ouest-allemande.</p>
<p>Accessoirement, sur la scène politique hexagonale, le président Pompidou a donné des gages aux centristes favorables à la construction européenne qu’il a jugé bon de faire revenir au gouvernement (Valéry Giscard d’Estaing, Jacques Duhamel et René Pleven, le chef du gouvernement de la déclaration Schuman et du <a href="https://books.openedition.org/psorbonne/46061">plan pour une Communauté européenne de défense en 1950</a> !). La nomination de Maurice Schumann au poste de ministre des Affaires étrangères est un choix très habile : ce dernier est à la fois un gaulliste historique, un européiste exempt de tout reproche et un anglophile.</p>
<p>Florentin, Pompidou met en porte-à-faux le tout nouveau Parti socialiste qui se veut plus européen que la majorité gaulliste. Le PS <a href="https://fresques.ina.fr/mitterrand/fiche-media/Mitter00054/francois-mitterrand-defend-une-europe-democratique.html">appelle à voter blanc ou à s’abstenir</a> lors de la ratification de ce premier élargissement par référendum. Tenu en 1972, il se soldera par une victoire du oui à 68 % (la question posée était : « Approuvez-vous, dans les perspectives nouvelles qui s’ouvrent à l’Europe, le projet de loi soumis au peuple français par le président de la République, et autorisant la ratification du traité relatif à l’adhésion de la Grande-Bretagne, du Danemark, de l’Irlande et de la Norvège aux Communautés européennes ? »</p>
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<figcaption><span class="caption">Information première du 24 avril 1972, référendum sur l’Europe (Archive INA).</span></figcaption>
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<p>À un autre niveau d’analyse, plus structurel, l’entrée du Danemark, du Royaume-Uni et de la République d’Irlande (les Norvégiens, pour leur part, <a href="https://www.cvce.eu/education/unit-content/-/unit/02bb76df-d066-4c08-a58a-d4686a3e68ff/8bf94809-5b45-4840-8a90-9a33b4479419">rejettent par référendum</a> l’adhésion proposée par leur gouvernement) parachève cette association politico-économique qu’est la CEE du traité de Rome de 1957. Ces pays furent historiquement les berceaux de trois mouvements majeurs : le décollage économique de l’Europe d’une part ; l’émancipation du politique et de l’individu d’autre part, notamment par rapport à la sphère religieuse et à l’Église ; et la démocratie moderne.</p>
<p>Ce premier ensemble élargi est celui de l’Europe des plus fortes densités, de la diversité sociale, économique et culturelle, des centres de décision où s’invente et se développe le capitalisme. Roger Brunet, dans un <a href="https://www.mgm.fr/PUB/Mappemonde/M202/Brunet.pdf">article devenu célèbre</a>, a expliqué ce phénomène de la dorsale européenne, baptisée <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9galopole_europ%C3%A9enne">« banane bleue »</a> par les médias. En schématisant, l’Europe des Six (1957) puis des Neuf (1973) est l’Europe la plus urbaine, auréolée de ses périphéries plus rurales, arrière-pays moins urbanisés, moins métropolitains, moins industrialisés et agricoles. Dans l’histoire pluriséculaire des Européens, ces périphéries ont été agrégées à ces centres par des États déterminés et coercitifs, d’abord princiers ou royaux, puis s’étant parés du drapeau de la nation au cours de leur processus historique de consolidation et d’extension.</p>
<h2>Le Royaume-Uni, un État membre peu commode</h2>
<p>À un troisième niveau d’analyse, l’adhésion du Royaume-Uni réparait un accroc à l’histoire récente de ces Européens. Les Six fondateurs avaient bien cherché à être sept, tant dans la <a href="https://www.touteleurope.eu/histoire/qu-est-ce-que-la-ceca/">Communauté européenne du charbon et de l’acier (Ceca, 1951)</a> que dans la CEE (traité de Rome 1957). Les Britanniques avaient snobé cette Europe communautaire, lui préférant le Commonwealth et pensant la mettre en difficulté en créant en 1960, <a href="https://www.efta.int/about-efta">l’AELE</a>, une zone de libre-échange comprenant l’Autriche, le Danemark, la Norvège, le Portugal, la Suède et la Suisse.</p>
<p>Finalement, leurs dirigeants s’étaient convaincus que leur pays, alors à la peine économiquement (<a href="https://www.cairn.info/une-histoire-du-royaume-uni--9782262044275-page-347.htm">« l’homme malade de l’Europe » disait-on du Royaume-Uni</a>), avait plus à gagner ou moins à perdre en se trouvant dans le Marché commun plutôt qu’en dehors. Pour autant, les <a href="https://laviedesidees.fr/L-anomalie-Brexit">spécificités britanniques n’avaient pas disparu comme par enchantement</a> avec ce revirement de Londres.</p>
<p>La première de celles-ci était que l’agriculture avait au Royaume-Uni une place bien moindre que dans les autres pays membres. Une autre était que la souveraineté du Parlement avait dans la culture politique britannique une place particulièrement prégnante qui s’accommodait mal avec la supranationalité. À la fin des années 1970, le Royaume-Uni finançait 20 % des ressources communautaires et était destinataire de moins de 10 % de ses dépenses. Dans la mesure où son PNB représentait 16,5 % de celui de la CEE, et où la politique agricole commune était le principal poste du budget européen, cette répartition lui paraissait injustifiée.</p>
<p>Le problème était délicat. Du point de vue de la spécificité de l’économie britannique, il y avait clairement une anomalie. Mais du point de vue de l’esprit et du fonctionnement d’ensemble, la démarche communautaire excluait les comptes d’épicier ou d’apothicaire ; elle reposait sur une solidarité d’ensemble dont chacun, au final, tirait un grand bénéfice. D’autant plus que les Britanniques savaient tout cela en candidatant, et que les montants en jeu étaient modestes. Les dépenses de la CEE étaient de l’ordre de 1 % du PNB de la zone CEE.</p>
<p>En votant à une large majorité pour le parti conservateur de Margaret Thatcher le 3 mai 1979, les Britanniques font de ces deux éléments un conflit politique au sein de la CEE. <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2010-3-page-69.htm">Thatcher souhaitait une rupture radicale avec trente-cinq années d’État-providence</a>, voulait en finir avec le secteur public, le pouvoir syndical et la récurrence des grèves ; elle disait vouloir déréguler le marché du travail pour lutter contre le chômage. Elle promettait de casser l’inflation pour redonner à l’épargne sa valeur et prônait la fierté patriotique et les valeurs victoriennes. En cohérence avec sa doctrine, elle voyait dans les décisions supranationales de la CEE résultant des négociations entre États et des compétences qu’ils avaient dévolues à la Commission à la fois une extension contre-productive de la bureaucratie et une limitation illégitime de la souveraineté parlementaire britannique. Intransigeante, indifférente aux sondages et aux pressions, on la surnommait la « Dame de fer ».</p>
<p>À son premier conseil européen, <a href="https://www.consilium.europa.eu/media/20741/dublin_novembre_1979__fr_.pdf">celui de Dublin des 29 et 30 novembre 1979</a>, Margaret Thatcher demande comme ses prédécesseurs une réduction de la contribution britannique au budget communautaire, dont les trois quarts sont alors alloués à la politique agricole commune. Mais, à la différence de ceux-ci, elle refuse tout compromis. Dans une conférence de presse célèbre, en marge dudit conseil, expliquant longuement et patiemment la position du gouvernement britannique, elle eut cette formule restée fameuse : « We are asking for a very large amount of our own money back ». En France, cette formule est passée à la postérité sous une forme remaniée : <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2005/05/11/30-novembre-1979-margaret-thatcher-i-want-my-money-back_648386_3214.html">« I want my money back. »</a></p>
<p>Commence alors un autre chapitre de l’histoire de la construction européenne…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223028/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvain Kahn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pendant ses seize premières années, la CEE a compté six membres : la France, la RFA, l’Italie et les trois pays du Bénélux. En 1973, elle est rejointe par le Royaume-Uni, l’Irlande et le Danemark.Sylvain Kahn, Professeur agrégé d'histoire, docteur en géographie, européaniste au Centre d'histoire de Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2231262024-02-13T15:41:04Z2024-02-13T15:41:04ZLa globalisation à l’aube d’un nouveau cycle<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/574392/original/file-20240208-20-dqowjp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C5%2C1943%2C1188&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Depuis le début des annes 1990, la globalisation a connu plusieurs phases. Une nouvelle s'amorce aujourd'hui.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.needpix.com/photo/1618449/technology-globalisation-business-communication-connection-world-network-global-internet">TheDigitalArtist/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La globalisation ne doit pas être conçue comme un processus de convergence aboutissant à un espace mondial plat et lisse dans lequel les technologies, les organisations structurées en réseau et les chaînes de valeur permettent à de grandes firmes installées de combiner et de recombiner des blocs d’activité en mobilisant parfois de la recherche et développement (R&D), souvent des capacités de production et de commercialisation.</p>
<p>Au-delà de l’aspect géographique, la globalisation est aussi un déroulé sur la façon dont les économies nationales et les régions qui les englobent interagissent à un niveau supérieur qualifié de global. C’est ce que nous montrions dès 2012 dans l’essai <em>Les Paradoxes de l’économie du savoir</em> (éditions Hermès Lavoisier).</p>
<p>Sur la période 1990-2022, l’évolution de la globalisation présente ainsi une discontinuité temporelle des flux mondiaux d’exportations, d’importations et d’investissements directs à l’étranger (IDE) marquée par <a href="https://www.piie.com/publications/working-papers/trade-hyperglobalization-dead-long-live">trois phases</a> : d’hyperglobalisation (1990-2008), de crise financière et de stabilisation des trois variables (2008-2011) et de déglobalisation relative jusqu’en 2022.</p>
<p>Ce constat permet une lecture selon laquelle la globalisation s’inscrit dans un cycle et, comme telle, elle a vocation à se reproduire, non pas à l’identique, mais en réorganisant les interconnexions pour répondre aux multiples contraintes économiques, technologiques et géopolitiques.</p>
<h2>Une rupture en 2008</h2>
<p>Entre 1990 et 2008, la croissance annuelle des exportations mondiales (10 %) excède celle du PIB mondial (6 %). Dans de nombreux pays et régions, on observe une forte corrélation entre les flux commerciaux et la croissance qui se soutiennent mutuellement (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/etats-unis-20443">États-Unis</a>, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/union-europeenne-ue-20281">Union européenne</a>, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chine-20235">Chine</a>). Des transformations structurelles sont à l’œuvre, la part de l’industrie globale dans la valeur ajoutée mondiale décline de 21 % en 1990 à 16 % en 2011, la désindustrialisation des pays du Nord l’emportant sur l’industrialisation du Sud.</p>
<p>Le système d’échange global prend appui sur des créations institutionnelles (Union européenne, Accord de libre-échange nord-américain, Accord de partenariat transpacifique) et il est fondé sur une idéologie néolibérale centrée sur les entreprises et les marchés et sur des règles globales des flux commerciaux et d’investissements édictées par <a href="https://theconversation.com/fr/topics/organisation-mondiale-du-commerce-omc-50902">l’Organisation mondiale du commerce</a> (OMC).</p>
<p>La période post-crise financière a par la suite créé de fortes pressions en faveur de la déglobalisation : inégalités croissantes et concurrence accrue, complexité croissante des chaînes de valeur et importance grandissante des considérations géopolitiques.</p>
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<img alt="Une d’un journal américain titrant sur la crise de 2008" src="https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/574407/original/file-20240208-28-x0v2ev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le crise financière de 2008 a déclenché des pressions propices à une déglobalisation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/myeye/3152750338">Myeyesees/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Le ralentissement du commerce mondial à partir de 2011 a accompagné le freinage de la croissance mondiale. L’analyse de cette période exige toutefois de dissocier les biens et les services : le commerce manufacturier s’est tassé de 15,6 % du PIB mondial en 2011 à 14,5 % en 2021 alors que le commerce des services s’est accru de 6 % du PIB mondial en 2011 à 8 % en 2021.</p>
<h2>La Chine de plus en plus influente</h2>
<p>En phase d’hyperglobalisation, les flux traduisent le pouvoir économique et géopolitique des États-Unis, alors que la phase de tassement est plutôt configurée par l’influence croissante de la Chine qui peut être repérée par deux indicateurs. Le ratio exports-imports/PIB décline de 71 % en 2008 à 35 % en 2022 pendant que la part de marché des exportations manufacturières de la Chine dans les exportations mondiales augmente de 12 % en 2008 à 22 % en 2022.</p>
<p>Le premier indicateur traduit le recentrage de la Chine sur son marché intérieur et le changement d’orientation de la politique économique privilégiant désormais les biens non échangeables, notamment l’immobilier et les infrastructures. Les dépenses publiques orchestrent cette modification de la composition de la production qui a pour effet d’atténuer la compétitivité du secteur échangeable en provoquant une hausse des salaires sur le marché du travail.</p>
<p>Le second indicateur indique que, malgré l’affaiblissement de la compétitivité, le différentiel de productivité en faveur de la Chine dans les biens échangeables est si élevé que les exportations continuent de croître. Dans le même temps, la Chine a élaboré <a href="https://theconversation.com/rcep-lintegration-commerciale-en-asie-met-les-etats-unis-au-defi-de-leurs-ambitions-150474">l’Accord de partenariat économique régional global</a> qui regroupe 15 pays représentant le tiers du PIB mondial et qui représente l’accord le plus vaste de libre-échange dans le monde.</p>
<h2>Les prémisses d’un nouveau cycle</h2>
<p>La volatilité accrue des variables économiques et les incertitudes liées aux conflits géopolitiques amorcent un nouveau cycle de globalisation. Les difficultés actuelles de la Chine (crise démographique, croissance économique ralentie et prévisions de croissance en baisse, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/09/30/la-chine-de-l-interieur-rattrapee-par-la-crise-de-l-immobilier_6191715_3234.html">effondrement du secteur de l’immobilier</a>) conduisent ce pays à redoubler d’efforts pour acquérir des positions dominantes sur des produits et des technologies critiques, tout en contrôlant les exportations de terres rares. D’où l’attitude « de-risk China » de l’Ouest global pour assurer ses approvisionnements et pour accéder à des produits et des technologies d’importance économique et géopolitique stratégique.</p>
<p></p>
<p>Le principe est qu’il n’y a pas d’opposition entre politiques industrielles et marchés. Les politiques industrielles non seulement corrigent les mécanismes de marché, mais encore elles éclairent les choix stratégiques des entreprises en orientant l’investissement vers des produits et des technologies essentielles pour la sécurité nationale et la neutralité carbone.</p>
<p>Dans ce contexte, des mesures défensives sont prises. L’imposition par les États-Unis et la Chine de multiples barrières sur leurs échanges bilatéraux poussent les entreprises à diversifier leurs sources d’approvisionnement et leurs localisations. En Chine, les IDE ont régressé sur la période 2014-2020, puis se sont effondrés entre 2020 et 2023, passant de 400 milliards à 15 milliards de dollars, pendant qu’ils augmentaient fortement vers d’autres régions : l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie du Sud-Est et l’Inde. Le déclin marqué des importations chinoises aux États-Unis s’est traduit par une relocalisation partielle de certaines activités et par des importations accrues en provenance de Mexico (15 % en 2023 contre 13,9 % pour la Chine), du Vietnam, etc.</p>
<h2>L’enjeu de sécurité économique s’impose</h2>
<p>Début 2024, la Commission européenne s’est rapprochée des États-Unis en proposant <a href="https://www.aefr.eu/fr/actualites/6474/la-commission-propose-de-nouvelles-initiatives-pour-renforcer-la-securite-economique">plusieurs mesures pour renforcer la sécurité économique</a>. En premier lieu, développer des mécanismes de criblage des IDE en évaluant leurs effets sur les infrastructures et les technologies critiques et identifier les secteurs sensibles (semi-conducteurs, intelligence artificielle, médicaments). En deuxième lieu, elle demande aux gouvernements d’évaluer les risques potentiels d’investir à l’étranger dans les technologies avancées.</p>
<p>Une troisième initiative propose de contrôler les exportations de biens à usage dual, civil et militaire dont les mécanismes de financement de la R&D devraient être sensiblement améliorés. La proposition finale vise à doter les organisations de recherche d’outils permettant d’exercer une « diligence raisonnable » lorsqu’elles s’engagent dans une coopération internationale, afin d’éviter la capture d’informations.</p>
<p>Au bilan, les politiques industrielles contiennent des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/protectionnisme-33187">mesures protectionnistes</a>. Le cycle de la globalisation se reproduit en renforçant les formes publiques de pilotage des économies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223126/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bernard Guilhon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La volatilité accrue des variables économiques et les incertitudes liées aux conflits géopolitiques amorcent un nouveau cycle marqué par une multiplication des mesures protectionnistes.Bernard Guilhon, Professeur de sciences économiques, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2224532024-02-08T16:57:47Z2024-02-08T16:57:47ZSauvetage des migrants-naufragés en Méditerranée : comment la politique de l’UE doit évoluer<p>Des voix <a href="https://defishumanitaires.com/2023/06/27/en-panne-ou-a-sec-une-discussion-necessaire-sur-le-deficit-de-financement-de-laide-humanitaire/">s’élèvent de toutes parts</a> pour alerter sur les limites financières et politiques auxquelles se heurte désormais l’aide humanitaire internationale dans sa capacité de déploiement.</p>
<p>Les fonds gouvernementaux, qui représentent 80 % des ressources annuelles de cette aide humanitaire internationale, traduisent des choix directement liés aux priorités politiques des pays donateurs. La situation des secours à l’égard des migrants naufragés en Méditerranée illustre de façon caricaturale les logiques d’une « compassion à géométrie variable », alors que c’est dans cette mer que l’on dénombre désormais le plus de décès sur le chemin de la migration. De 2014 à janvier 2024, le nombre de morts est ainsi estimé à <a href="https://missingmigrants.iom.int/fr/region/mediterranee">presque 29 000 personnes</a>.</p>
<h2>Une obligation morale et juridique</h2>
<p>On ne peut que regretter qu’il ne soit fait aucune mention explicite de la question du sauvetage des naufragés dans la toute récente publication de la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/strategie-humanitaire-fr_cle8c1cde.pdf">stratégie humanitaire du gouvernement français pour sa programmation 2023-2027</a>. Il n’est toutefois pas trop tard.</p>
<p>Rappelons notamment que la France affirme dans cette stratégie qu’elle « défendra l’action humanitaire comme priorité européenne » (point 4.1.b du plan), et qu’elle portera une attention particulière aux femmes et aux enfants, populations particulièrement fragiles parmi les migrants, a fortiori parmi ceux qui tentent la traversée (points 2.4 et 2.5 du plan). 14 % de l’ensemble des personnes arrivées en Italie en 2016 après avoir traversé la Méditerranée étaient des enfants non accompagnés. Entre 2014 et 2020, <a href="https://www.migrationdataportal.org/fr/themes/child-and-young-migrants">au moins 2 300 enfants sont morts ou ont disparu au cours de leur voyage migratoire</a>. Les femmes représentent 20 % des arrivées maritimes en Europe, avec une <a href="https://journals.openedition.org/lhomme/43037">moindre chance de survivre à la traversée que les hommes</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572486/original/file-20240131-15-g07hqb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Nombre de décès le long des routes migratoires du 1ᵉʳ janvier 2014 au 27 janvier 2024. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://missingmigrants.iom.int/data">Organisation internationale pour les Migrations (OIM)</a></span>
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<p>Il est un aspect des questions migratoires qui ne se prête pas à de rudes et parfois manichéennes controverses politiques : c’est le devoir de recherche et d’assistance aux naufragés. Car cette obligation relève d’un cadre juridique qui ne fait pas débat, que ce soit au regard du <a href="https://www.imo.org/fr/ourwork/legal/pages/unitednationsconventiononthelawofthesea.aspx">droit de la mer</a> ou du point de vue du <a href="https://www.unhcr.org/fr/media/convention-et-protocole-relatifs-au-statut-des-refugies">droit international humanitaire</a>.</p>
<p>Dès lors, comme <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/15/aucune-disposition-en-matiere-de-lutte-contre-l-immigration-illegale-ne-saurait-justifier-un-renoncement-aux-obligations-du-droit-international_6206048_3232.html">l’a réaffirmé la Commission nationale consultative des droits de l’homme</a> (CNCDH), l’inertie des gouvernements des États membres de l’UE – sous couvert de lutte anti-migration – devant les drames récurrents est intolérable aux plans moral, légal et politique.</p>
<p>Certaines agences des Nations unies se sont, elles aussi, exprimées publiquement en 2023 pour dénoncer la situation qui prévaut en Méditerranée. Dans une prise de parole commune, l’OIM, le HCR et l’UNICEF ont <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/08/1137522">publiquement appelé les États à « prendre leurs responsabilités »</a>.</p>
<h2>L’abandon du dispositif Mare Nostrum, témoin du défaut de solidarité des pays européens</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2014-1-page-20.htm">Le naufrage survenu le 3 octobre 2013 à Lampedusa</a>, qui a coûté la vie à 366 migrants, provoqua une profonde émotion en Italie. Enrico Letta, alors président du Conseil, déclencha une opération militaro-humanitaire baptisée <a href="https://www.la-croix.com/Actualite/Europe/L-Italie-lance-la-mission-Mare-Nostrum-2013-10-16-1043279">Mare Nostrum</a>, destinée à la fois à secourir les migrants naufragés et à dissuader les passeurs.</p>
<p>Ce dispositif, souvent salué pour son efficacité et son humanité, a eu une durée de vie éphémère.</p>
<p>Le coût du déploiement militaire était élevé, estimé à environ 9 millions d’euros par mois. Il fut presque entièrement supporté par l’Italie, l’UE n’ayant accordé qu’une aide minime, dont Rome demandait avec constance l’augmentation.</p>
<p>Outre son coût, cette opération fut aussi critiquée car elle aurait eu, selon ses détracteurs, l’effet inverse de celui recherché dans la mesure où elle aurait facilité le passage de clandestins. En effet, certains passeurs se contentaient d’acheminer leurs passagers dans les eaux italiennes à l’aide d’un navire mère, avant de les abandonner à bord de petites embarcations, récupérées ensuite par les navires italiens opérant dans le cadre de Mare Nostrum.</p>
<p>Pour ces raisons, de nombreuses personnalités en Italie demandèrent l’arrêt de l’opération. Ce fut notamment le cas du ministre de l’Intérieur Angelino Alfano. Il annonça finalement le 27 août 2014 que cette opération serait remplacée par « Frontex Plus », un programme de contrôle des frontières géré et financé par l’UE.</p>
<p>Mare Nostrum prit donc fin le 1<sup>er</sup> novembre 2014. En remplacement, Frontex mettra en place <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/policies/eu-migration-policy/saving-lives-sea/">l’opération Triton</a>, bien moins ambitieuse, qui se contentera de patrouiller dans les eaux territoriales italiennes, n’ayant ni mandat ni équipement pour procéder à des opérations de recherche et sauvetage en haute mer.</p>
<p>L’abandon de Mare Nostrum traduisit ainsi une triple défaillance de l’UE : l’absence de solidarité entre les pays membres, en particulier dans leur soutien à l’Italie ; une incapacité à mesurer la détermination de personnes voulant à tout prix échapper à la violence de leur pays d’origine ; et une myopie collective sur les risques encourus par les migrants lors de traversées sauvages.</p>
<p>Ce repli est d’autant plus inacceptable que l’UE est par ailleurs <a href="https://devinit.org/resources/global-humanitarian-assistance-report-2023/">l’un des contributeurs majeurs à l’enveloppe annuelle consacrée à l’aide internationale d’urgence</a>.</p>
<h2>Le problème de la zone de recherche et de sauvetage libyenne</h2>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572487/original/file-20240131-23-jextzd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=365&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le découpage de la Méditerranée en zones de recherche et de sauvetage (Search and Rescue, SAR).</span>
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<p>Une zone SAR (« Search and rescue ») est un espace maritime aux dimensions définies, où un État côtier assure des services de recherche et de sauvetage, à commencer par la coordination des opérations. Une zone SAR s’étend à la fois sur les eaux territoriales et internationales ; ce n’est pas une zone où l’État jouit d’une autorité ou de droits étendus, mais plutôt un espace de responsabilité.</p>
<p>Au sein de sa zone SAR, l’État côtier doit <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetage-en-mediterranee/">assurer la prise en charge et la coordination des secours en mer, et trouver un lieu sûr où débarquer les rescapés</a>. Un « lieu sûr » se définit comme une destination où les naufragés verront assurés leurs besoins vitaux fondamentaux (abri, nourriture, eau, accès aux soins…) ; où ils seront en sécurité ; et où ils pourront bénéficier d’un examen de leurs droits en vue d’une éventuelle demande d’asile.</p>
<p>La zone SAR libyenne, principal théâtre d’intervention des navires de sauvetage, a été créée en 2018. Depuis, elle concentre des dysfonctionnements et des violences passés sous silence par l’UE qui finance le dispositif mis en place dans ce pays.</p>
<p>Jusqu’à 2018, la Libye n’avait pas déclaré de zone SAR au large de ses eaux territoriales, faute d’une flotte suffisante et, surtout, d’un « centre de coordination » fiable, capable de communiquer avec la haute mer. Pour éviter un « triangle des Bermudes » des secours, l’Italie avait alors élargi de fait – sinon en droit – son champ d’activité. Le 28 juin 2018, Tripoli a soudainement <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2020-1-page-29.htm">déclaré</a> auprès de l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM) sa zone « SAR » et son « Centre de coordination et de secours maritime » (Maritime Rescue Coordination Center, MRCC), officialisés du jour au lendemain. Les Italiens ont alors passé le relais aux Libyens.</p>
<p>Cette évolution résulte d’un vaste programme européen de soutien à la Libye datant de 2017, doté de 46 millions d’euros, qui visait tout à la fois à renforcer les frontières de l’Union, à lutter contre l’immigration illégale et à améliorer les opérations de sauvetage en mer. Ce plan prévoyait des moyens financiers de 6 millions d’euros par an, sur plusieurs années, pour aider Tripoli à créer sa propre SAR et son Centre de coordination. À ce budget étaient adjoints 1,8 million d’euros, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/111018/migrants-le-hold-de-la-libye-sur-les-sauvetages-en-mer">via le Fonds pour la sécurité intérieure de l’Union</a>, sans que l’on connaisse précisément le contenu des demandes faites aux autorités libyennes pour qu’elles jouent ce rôle.</p>
<p>Malgré les <a href="https://fr.africanews.com/2023/07/11/libye-des-ong-denoncent-des-tirs-de-garde-cotes-lors-dun-sauvetage//">dénonciations récurrentes par les ONG</a> du comportement des garde-côtes libyens, l’UE <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/infographics/eu-action-migration-libya/">se félicite des résultats obtenus</a>.</p>
<p>On assiste donc en Méditerranée à la mise en place d’une stratégie de « défaussement » de l’entité qui se revendique comme la plus grande démocratie mondiale, au profit d’autorités libyennes aux comportements obscurs et violents, et – par transfert de mandat – d’ONG. Ces organisations sont pourtant régulièrement soumises par les autorités des pays riverains de la Méditerranée à des stratégies délibérées de harcèlement et d’empêchement à agir, sous le regard indifférents de l’UE.</p>
<h2>La stupéfiante stratégie européenne : ne pas aider, et entraver ceux qui aident</h2>
<p>« Primum non nocere » (tout d’abord, ne pas nuire) : cette formule – familière pour les professionnels de santé – ne semble pas inspirer la politique européenne, bien au contraire.</p>
<p>L’UE, malgré sa puissance économique et financière, se refuse à toute implication financière dans son soutien aux ONG œuvrant au large de ses côtes.</p>
<p>Elle cautionne les incessants et longs déplacements des bateaux et des rescapés pris en charge à leur bord pour leur permettre de débarquer dans des ports sûrs.</p>
<p>Ainsi, en décembre 2023, <em>l’Ocean Viking</em>, navire affrété par SOS Méditerranée, a <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetages/sauvetage-26-personnes/">secouru 26 personnes</a>. Pour le débarquement des rescapés, c’est le port lointain de Livourne qui a été assigné au navire. Ce port se trouvait à plus de 1 000 km (soit plusieurs jours de navigation) de la zone de secours des naufragés, alors qu’il y avait à cette période des besoins cruciaux de capacités de recherche et de sauvetage.</p>
<p>Ce scénario s’est renouvelé dès janvier 2024 : nouvelle désignation, pour le débarquement, de Livourne, à 1 100 km du point de prise en charge <a href="https://sosmediterranee.fr/sauvetages/recap-ocean-viking-71-personnes-livourne/">d’un groupe de 71 personnes</a> (dont 5 femmes et 16 mineurs non accompagnés). Il résulte de ces désignations obligatoires, dont le contournement expose les sauveteurs à des sanctions immédiates, à la fois l’incapacité du bateau à agir pendant plusieurs jours, et l’aggravation des dépenses en carburant que doit engager l’association (plus de 500 000 euros de surcoût en 2023).</p>
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<span class="caption">« Port sûr » imposé au navire de SOS Méditerranée en décembre 2023, avec 26 personnes secourues à son bord.</span>
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<h2>La question cruciale de l’immobilisation récurrente des navires de sauvetage</h2>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Une photographie de la situation globale des navires de sauvetage à l’approche de l’été 2021 rend compte des paralysies répétées des moyens de secours. La quasi-totalité des navires <a href="https://www.vuesdeurope.eu/question/sur-les-10-navires-humanitaires-menant-des-operations-de-recherche-et-de-sauvetage-de-migrants-en-mediterranee-combien-etaient-immobilises-au-15-juin/">était ainsi immobilisée à la mi-juin 2021</a>. Le <em>Geo Barents</em>, affrété par l’ONG Médecins sans frontières depuis le 26 mai, était alors le seul bateau d’ONG opérationnel en Méditerranée centrale, avec l’<em>Aita Mari</em> du collectif espagnol Maydayterraneo.</p>
<p>Si certains navires furent retenus à quai pour effectuer une quarantaine ou des opérations de maintenance, la plupart ont été immobilisés par les autorités italiennes pour des raisons beaucoup plus opaques, notamment pour des « irrégularités de nature technique ».</p>
<p>Le <em>Sea-Eye 4</em> de l’ONG allemande Sea-Eye fut bloqué le 4 juin par les garde-côtes italiens pour « non-respect des règles de sécurité » après avoir effectué une quarantaine au port sicilien de Pozzallo. Il en alla de même pour l’<em>Open Arms</em> (Proactiva Open Arms), le <em>Louise Michel</em> (Banksy), le <em>Mare Jonio</em> (Mediterranea Saving Humans) ainsi que pour <em>Sea-Watch 3</em> et 4 (Sea-Watch) et l’<em>Alan Kurdi</em> (Sea-Eye), immobilisé par les autorités italiennes pendant près de six mois en Sardaigne.</p>
<p>Cette stratégie d’immobilisations et de rétentions de navires s’est renforcée à partir de début 2023.</p>
<p>La législation italienne a alors intégré les effets du <a href="https://www.vuesdeurope.eu/italie-un-nouveau-decret-entrave-les-operations-de-sauvetage-en-mer-des-ong/">décret-loi « Piantedosi »</a>, qui limite la capacité des navires de recherche et de sauvetage appartenant à des ONG à effectuer plusieurs opérations de secours consécutives. Tout écart, pour des motifs parfois aussi futiles que pernicieux, peut désormais conduire le navire et son équipage à une immobilisation forcée.</p>
<p><a href="https://www.coe.int/fr/web/commissioner/-/le-gouvernement-italien-devrait-envisager-de-retirer-le-d%C3%A9cret-loi-qui-pourrait-entraver-les-op%C3%A9rations-de-recherche-et-de-sauvetage-en-mer-des-ong">L’interpellation du ministre italien</a> à l’origine du décret par la Commissaire aux droits de l’homme de Conseil de l’Europe, Dunja Mijatović, pour demander le retrait du décret, est pourtant restée sans effet.</p>
<h2>Les foucades climatiques de la Méditerranée : « les médicanes »</h2>
<p>Ainsi se déploient en toute impunité des situations de « non-assistance à personnes en danger » alors même que les tentatives de traversée se déroulent dans une mer connue pour ses brusques accès de colère. La montée en puissance de ces tempêtes est aujourd’hui connue sous le néologisme <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/qu-est-ce-que-le-medicane-ce-cyclone-de-type-mediterraneen-qui-a-ravage-la-libye_6059961.html">« médicane »</a>.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573092/original/file-20240202-27-xmm2so.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Théodore Gudin, « Coup de vent du 7 janvier 1831 dans la rade d’Alger. »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010055650">Musée national de la Marine, Paris</a></span>
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<p>On appelle Médicane (contraction de « Mediterranean Hurricane ») un système dépressionnaire orageux générant des vents forts en Méditerranée, et tourbillonnant autour d’un centre à cœur chaud. Ces tempêtes sont plus scientifiquement dénommées « cyclones subtropicaux Méditerranéens ». Même si leur taille et leur puissance sont nettement moins importantes que celles d’un véritable cyclone tropical (les vents y atteignent rarement les 150km/h, sauf dans les cas les plus extrêmes), elles possèdent <a href="https://www.meteo-paris.com/actualites/le-medicane-helios-provoque-d-importantes-intemperies-sur-la-sicile">certaines caractéristiques proches</a>.</p>
<p>Durant les sauvetages effectués en décembre 2023, <em>l’Ocean Viking</em> s’est non seulement vu attribuer un port de débarquement lointain, mais a aussi essuyé un refus, en chemin pour Livourne, quand il a demandé à pouvoir se mettre à l’abri dans un port protégé, alors que sévissait une tempête de force 8…</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=320&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/572835/original/file-20240201-27-zd4nwf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=402&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Historique des trajectoires des médicanes recensés entre 2000 et 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Navigation-Mac</span></span>
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<p>Des mesures urgentes et concrètes sont dès lors impératives pour réaffirmer la dimension humanitaire des actions développées par les navires de secours et la priorité du <em>primum non nocere</em>.</p>
<h2>Les nécessaires évolutions dans l’organisation des secours en mer</h2>
<p>Il convient de rappeler le caractère intolérable au plan moral et politique de l’inertie des gouvernements des États membres de l’UE devant les drames récurrents, et de mettre fin au cercle vicieux que provoquent les financements européens à destination de la Libye et de la Tunisie, devenue aujourd’hui le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2024/01/09/en-2023-l-europe-a-fait-face-a-un-rebond-migratoire-venu-du-sud_6209816_3212.html">principal point de départ des tentatives de traversée</a>.</p>
<p>Une réaffirmation des éléments de droit international, européen et national concernant la mise en œuvre impérative des secours pourra se fonder sur l’explicitation des textes de références qui régissent le droit de la mer et le Droit international humanitaire.</p>
<p>Ces éléments de droits pourront utilement comprendre l’explicitation des condamnations pénales auxquelles s’exposent les personnes qui se refusent à secourir les naufragés. Les équipages des navires qui croisent des embarcations en détresse – et qui pourraient intervenir – dérogent, en ne portant pas secours aux embarcations en perdition, à l’impérative assistance à personnes en danger.</p>
<p>Il est également nécessaire d’accroître la transparence des mécanismes de soutien mis en œuvre à destination des autorités libyennes et tunisiennes par l’UE, d’enquêter sur la nature et l’utilisation des ressources (matériel, financement, formations, RH…), et de mettre en œuvre des <a href="https://www.infomigrants.net/en/post/51021/tunisia-and-libya-share-responsibility-for-hundreds-of-migrants-at-border">mécanismes de redevabilité</a> efficaces.</p>
<p>Il faut, aussi, se doter de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/30/migration-inscrivons-l-obligation-d-identification-des-defunts-anonymes-dans-le-droit-europeen_6187087_3232.html">tous les moyens nécessaires pour permettre d’identifier les noyés</a> dont les corps sont retrouvés. Cette identification est impérative pour que soit ainsi réaffirmée leur inaliénable humanité, et les moyens d’informer objectivement les familles des personnes décédées.</p>
<p>Plus généralement, la Méditerranée centrale, de même que d’autres théâtres de crise humanitaire en haute mer, doit être reconnue comme <a href="https://www.urd.org/fr/thematique/espace-humanitaire/">espace humanitaire</a>.</p>
<p>Les bailleurs de fonds bilatéraux (étatiques), européens (<a href="https://civil-protection-humanitarian-aid.ec.europa.eu/index_fr">ECHO</a>), et multilatéraux (dont les Nations unies) doivent intégrer la Méditerranée centrale dans leurs plans de financement de l’aide humanitaire internationale.</p>
<p>Les opérations de recherche et de secours ne peuvent pas être criminalisées pour ce qu’elles sont, mais reconnues comme des opérations humanitaires et protégées comme telles.</p>
<p>Une coordination effective des activités de recherche et de secours en Méditerranée doit être mise en place par les pays riverains concernés, avec le soutien de l’UE. Les États européens doivent coopérer plus étroitement et plus efficacement pour améliorer le déroulement des opérations de sauvetage elles-mêmes.</p>
<p>Les modalités d’assignation d’un « lieu sûr » pour le débarquement des rescapés doivent être explicitées, systématisées et améliorées dans la perspective de faciliter les sauvetages. L’assignation délibérée – non argumentée – de ports très éloignés pour le débarquement des naufragés doit être prohibée. Cette stratégie « déshabille » en permanence les faibles moyens de secours existants, pour des naufragés, dont une proportion non négligeable est composée de mineurs. Elle renforce les risques de naufrages mortels. Elle est incompréhensible à l’heure ou l’Europe prône l’exemplarité environnementale.</p>
<p>Les mesures contraignantes et répétitives d’immobilisation des navires, pour des motifs parfois fallacieux, doivent cesser.</p>
<p>L’ensemble de ces demandes a fait l’objet, en France, d’une <a href="https://www.cncdh.fr/actualite/sauvetage-des-migrants-en-mediterranee-la-cncdh-adopte-une-declaration">déclaration en urgence de la CNCDH</a>, parue au <em>Journal officiel</em> le 23 octobre 2023.</p>
<p>Le dispositif <em>Mare Nostrum</em> continue de servir de repère. Les organisations humanitaires appellent de leurs vœux le réinvestissement solidaire et concret des <em>États européens</em> dans les sauvetages en Méditerranée. Elles ne peuvent se satisfaire de la seule délégation de responsabilité dont elles ont hérité <em>par défaut des politiques publiques de l’UE</em>, comme antidote à la violence incontrôlée en vigueur dans les pays de la rive sud de la Méditerranée.</p>
<p>La récente signature du <a href="https://www.touteleurope.eu/societe/que-contient-le-pacte-europeen-sur-la-migration-et-l-asile/">« Pacte sur les migrations et l’asile »</a> n’a rien de rassurant pour l’avenir. En retenant une définition du nouveau concept d’« instrumentalisation des migrations » qui pourra inclure les ONG si elles ont « pour objectif de déstabiliser l’Union », le pacte laisse le champ libre aux États européens pour <a href="https://www.lacimade.org/accord-sur-le-pacte-ue-migrations-et-asile-leurope-renonce-a-lhumanite-et-la-solidarite/">criminaliser les organisations civiles de secours et de sauvetage en mer</a>.</p>
<p>La composition du futur Parlement européen, que les prévisions donnent dominé par la droite, après les élections de juin 2024, pourrait avoir des conséquences sur la gestion des naufrages aux portes de l’Europe. Le rôle et la vigilance des organisations issues de la société civile restent ainsi d’une cruciale importance.</p>
<hr>
<p><em>Pierre Micheletti a récemment publié <a href="https://langagepluriel.org/publications/tu-es-younis-ibrahim-jam/">« Tu es Younis Ibrahim Jama »</a>, roman inspiré de faits réels dont l’action se déroule entre le Soudan, le Tchad et la France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222453/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Micheletti est membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) et administrateur de l'ONG SOS Méditerranée.</span></em></p>Quelque 29 000 personnes sont mortes en Méditerranée depuis 2014. Ce sont surtout des ONG qui portent secours aux naufragés, du fait de la politique restrictive de l’UE.Pierre Micheletti, Responsable du diplôme «Santé -- Solidarité -- Précarité» à la Faculté de médecine de Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2210462024-02-05T15:13:19Z2024-02-05T15:13:19ZLe basketball, élément majeur de l’affirmation nationale de la Lituanie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/572443/original/file-20240131-27-19vs3b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C5%2C3458%2C2004&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le 24&nbsp;février 2002, jour du début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des supporters du Zalgiris Kaunas brandissent des drapeaux lituaniens et un drapeau ukrainien, ainsi qu’une banderole proclamant en ukrainien «&nbsp;Ukrainiens&nbsp;! La Lituanie est avec vous&nbsp;!&nbsp;» Le club a toujours intégré une dimension politique dans son action.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://twitter.com/bczalgiris/status/1496795504742739971?lang=ar-x-fm">Compte X (anciennement Twitter) du Zalgiris Kaunas</a></span></figcaption></figure><p>La date du 15 juillet 1410 est aussi bien connue des écoliers lituaniens que celle de la bataille de Marignan l’est des écoliers français. Ce jour-là, lors de la <a href="https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/192516">bataille de Zalgiris</a> (prononcer Jalgiris) (Grunwald pour les Polonais, Tannenberg pour les Allemands), l’alliance du royaume de Pologne et du grand-duché de Lituanie y écrasa les chevaliers teutoniques et mit un coup d’arrêt à leurs visées expansionnistes. Dès lors, il y a une dimension symbolique à ce que le principal club lituanien de basketball, fondé le 15 avril 1944, pendant l’occupation nazie, à Kaunas (la deuxième ville du pays) se nomme précisément <a href="https://zalgiris.lt/">« Zalgiris »</a>.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/08/05/le-basket-en-lituanie-un-symbole-de-liberte-face-a-la-russie-on-se-disait-que-si-on-battait-l-equipe-de-l-armee-rouge-on-pouvait-devenir-independants_6184495_4500055.html">Le basketball</a> joue un rôle important dans l’histoire nationale de la Lituanie. Ce sport a été l’un des premiers moyens d’affirmation de ce petit État balte, indépendant de 1918 à 1940, grâce aux victoires de l’équipe nationale lors des championnats d’Europe de 1937 et 1939, sous la conduite de Pranas Lubinas (Frank Lubin). Né aux États-Unis de parents lituaniens, il gagne la médaille d’or au sein de l’équipe nationale américaine aux Jeux olympiques de 1936, avant de rejoindre le pays de ses parents l’année suivante ; son rôle de joueur et d’entraîneur lui vaudra le surnom de <a href="https://www.lrt.lt/en/news-in-english/19/1056268/godfather-of-lithuanian-basketball-lubinas-to-be-memorialized-in-us">« père fondateur du basketball lituanien »</a>, même s’il devra fuir devant l’avancée nazie et revenir aux États-Unis.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569050/original/file-20240112-25-hhrkk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569050/original/file-20240112-25-hhrkk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569050/original/file-20240112-25-hhrkk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569050/original/file-20240112-25-hhrkk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569050/original/file-20240112-25-hhrkk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569050/original/file-20240112-25-hhrkk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569050/original/file-20240112-25-hhrkk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pranas Lubinas sous le maillot lituanien au Championnat d’Europe 1939.</span>
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<p>Avant la guerre, et plus encore après, que ce soit durant l’appartenance à l’URSS ou à partir de la nouvelle indépendance effective en 1990, le basketball s’est affirmé comme le sport numéro un du pays, pour ne pas dire une seconde religion.</p>
<h2>Époque soviétique : le Zalgiris, incarnation du patriotisme lituanien</h2>
<p>Devenue à son corps défendant une république de l’URSS après la Seconde Guerre mondiale, à l’instar des deux autres pays baltes (l’Estonie et la Lettonie), la Lituanie a vu son identité nationale menacée par la soviétisation, laquelle s’est notamment traduite par la <a href="https://gulag.online/articles/soviet-repression-and-deportations-in-the-baltic-states">déportation de centaines de milliers de personnes</a> dans la seconde moitié des années 1940.</p>
<p>Il est significatif que le basketball ait été populaire à la fois dans les camps de réfugiés d’Europe occidentale et dans les goulags de Sibérie. Ce sport est devenu un symbole d’identification et d’expression personnelle pour les communautés lituaniennes émigrées en <a href="https://www.researchgate.net/publication/233157721_A_Revitalized_Dream_Basketball_and_National_Identity_in_Lithuania">Australie, en Amérique du Sud et aux États-Unis</a>.</p>
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<p>Pendant la période d’occupation, le Zalgiris Kaunas a été intégré au système sportif soviétique, remportant pour la première fois le championnat d’URSS dès 1947. Le basketball soviétique était marqué par une forte rivalité entre les clubs baltes, géorgiens, ukrainiens et les équipes russes de Moscou et de Saint-Pétersbourg (Leningrad à l’époque). Au-delà des querelles de clocher locales, le Zalgiris s’est solidement affirmé comme une fierté nationale dépassant le cadre sportif.</p>
<p>Jusqu’au milieu des années 1980, c’est le CSKA Moscou qui remporte régulièrement la palme. En tant que club de l’Armée rouge, il bénéficie du réservoir humain des forces armées et symbolise la mainmise moscovite sur les républiques soviétiques. Mais à partir de 1985, le Zalgiris Kaunas gagne plusieurs fois le championnat d’URSS (1985/1986/1987), ainsi que la <a href="https://www.fiba.basketball/intercontinentalcup/2020/news/long-rich-history-of-fiba-intercontinental-cup">Coupe intercontinentale</a> en 1986, à Buenos Aires.</p>
<p>Les témoignages des joueurs et du staff de l’équipe à propos de cette dernière victoire sont édifiants : c’est à cette occasion qu’ils ont pu voir pour la première fois le <a href="https://www.taurillon.org/de-rejet-en-rejet-jusqu-a-la-continuite-histoire-mouvementee-du-drapeau">véritable drapeau de leur pays</a> (brandi par des expatriés lituaniens en Argentine) et non celui imposé par Moscou. L’entraîneur de l’époque se fera même confisquer la cassette du match par un agent du KGB à son retour <a href="https://www.youtube.com/watch?v=IJUw3elgEbk">car on y voyait ces drapeaux</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569052/original/file-20240112-15-qefiua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569052/original/file-20240112-15-qefiua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569052/original/file-20240112-15-qefiua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569052/original/file-20240112-15-qefiua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569052/original/file-20240112-15-qefiua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569052/original/file-20240112-15-qefiua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569052/original/file-20240112-15-qefiua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’équipe du Žalgiris Kaunas après la victoire en finale de 1986.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.15min.lt/24sek/naujiena/lietuva/jie-nugaledavo-cska-ka-dabar-veikia-auksines-karstliges-laiku-zalgirieciai-875-1610784">15min.lt</a></span>
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<p>Ces succès ont eu un impact significatif sur le moral des Lituaniens et ont renforcé leur identité nationale. De fait, dans cette période de transformation de la fin des années 1980, les matchs entre le CSKA et Žalgiris ont attiré plus que jamais l’attention du public et ont même donné lieu à des manifestations antisoviétiques.</p>
<p>Ces rencontres – et spécialement les victoires remportées par l’équipe lituanienne dans le sillage notamment de sa star Arvydas Sabonis, sans doute à ce jour le sportif lituanien le plus célèbre de l’histoire – ont été considérées comme des étapes majeures dans le processus de reconquête de l’indépendance de la Lituanie dans la mesure où elles ont donné au peuple lituanien une plate-forme pour réaliser que la grande Union soviétique pouvait être vaincue, même si ce n’était que métaphoriquement.</p>
<p>En réalité, le succès de Žalgiris et l’intensité du soutien dont le club bénéficie en Lituanie ont constitué une arme à double tranchant pour les autorités soviétiques, qui <a href="https://www.jstor.org/stable/43212193">tentaient d’utiliser le sport comme outil de rapprochement entre les peuples de l’Union soviétique</a>.</p>
<p>En cas de victoire l’enthousiasme et la mobilisation des Lituaniens étaient incommensurables, à tel point qu’à leur retour victorieux de Moscou en 1987, l’avion des joueurs n’a pas pu se poser sur la piste de l’aéroport de Kaunas envahie par des milliers de supporters.</p>
<p><a href="https://www.dukeupress.edu/big-game-small-world">Selon l’ancien président de la République de Lituanie Valdas Adamkus</a> (1998-2003 et 2004-2009), « pendant les 50 années d’occupation, le basketball était une expression de la liberté. Le pays tout entier essayait de battre les Russes et de montrer que nous étions supérieurs dans ce domaine. Le jeu reflétait notre volonté de gagner contre nos oppresseurs et soutenait notre espoir et notre détermination ».</p>
<h2>L’ouverture sur le monde occidental</h2>
<p>Par ailleurs, la victoire obtenue en championnat en 1986, qui a permis à l’équipe lituanienne de participer à la coupe d’Europe, a constitué une fenêtre sur le monde occidental que les joueurs emblématiques (Arvydas Sabonis, mais aussi Valdemaras Chomicius ou encore Rimas Kurtinaitis) de l’époque ont su saisir. L’équipe, tout comme la sélection nationale pas la suite (médaillée de bronze aux Jeux olympiques de 1992), a acquis une importance culturelle majeure en raison des restrictions que les Lituaniens avaient subies pendant les longues années du régime soviétique. Elle symbolisait une équipe générationnelle qui cherchait à faire valoir les orientations, les systèmes de valeurs et l’éthique de son pays d’origine.</p>
<p>Naturellement, le basketball n’a pas été l’unique élément de l’identité nationale lituanienne : des mouvements artistiques, intellectuels et scientifiques ont existé à côté de lui et ont également eu un impact notable. En outre, la politique de russification et de soviétisation n’a pas été entièrement menée à bien, de sorte que la langue lituanienne a été préservée dans les écoles et l’église.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-rugby-est-devenu-un-element-majeur-de-lidentite-irlandaise-216467">Comment le rugby est devenu un élément majeur de l’identité irlandaise</a>
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<p>Néanmoins, le basketball a influencé la formation de l’identité nationale depuis son introduction en Lituanie jusqu’à aujourd’hui. Il a fourni à l’ensemble du peuple, et pas seulement aux fans de sport, des héros nationaux emblématiques qui ont promu la Lituanie dans le monde entier, ainsi que des symboles forts. Le club de Zalgiris peut indéniablement être considéré comme l’un de ces symboles.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Soutien affiché à l’Ukraine lors d’un match d’Euroleague.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Après l’indépendance de la Lituanie en 1990, le Zalgiris s’est rapidement intégré dans les compétitions sportives continentales, remportant l’EuroLeague, la plus prestigieuse compétition de basketball en Europe en 1999.</p>
<p>Désormais, c’est au sein de la Zalgirio Arena, une arène ultramoderne à Kaunas, que le club a élu domicile et continue à faire passer des messages, spécialement au voisin russe, comme en témoigne le <a href="https://basketnews.com/news-167248-zalgiris-organized-a-shipment-of-medicines-to-ukrainian-people.html">soutien indéfectible à l’Ukraine</a> qui y est déployé à chaque match.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221046/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Serry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Zalgiris de Kaunas est un symbole majeur de l’identité nationale du petit pays balte, et porte depuis l’époque soviétique de nombreux combats qui dépassent le cadre du sport.Arnaud Serry, Maitre de conférences en géographie, Université Le Havre NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2225462024-02-04T15:35:59Z2024-02-04T15:35:59ZUE : les règles budgétaires sont-elles compatibles avec les objectifs du Pacte vert ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/572829/original/file-20240201-29-kc073t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C9%2C2023%2C1318&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La transition verte devrait coûter environ plus de 1500 milliards d’euros par an jusqu’en 2050.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/european_parliament/48759068467">European Parliament</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Après une suspension des règles budgétaires durant la période Covid, celles-ci sont à nouveau d’application depuis le début de l’année 2024, telles que définies dans le pacte de stabilité et de croissance de l’Union européenne (UE). Le débat sur la réforme de ces règles budgétaires <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20240112IPR16774/gouvernance-economique-ameliorer-la-credibilite-et-promouvoir-l-investissement">vient d’être lancé entre le parlement européen et les États membres</a> par un vote du 17 janvier.</p>
<p>En parallèle, la publication de deux études sur les besoins en financement de la transition a lieu ce mois de février : le rapport <a href="https://institut-rousseau.fr/road-2-net-zero/">« Road to Net Z€ro »</a> du think tank <a href="https://institut-rousseau.fr/">Institut Rousseau</a> et le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/climat-l-europe-evalue-le-cout-de-la-neutralite-carbone-en-2050-a-1-500-milliards-d-euros-par-an">travail de la Commission européenne</a> sur les investissements à réaliser pour atteindre la neutralité carbone en 2050, avec un objectif intermédiaire de réduction d’émissions à l’horizon 2040.</p>
<p>Ces deux travaux ont été réalisés par des équipes distinctes et employant des méthodologies bien différentes. Il est donc remarquable que l’Institut Rousseau et la Commission parviennent à une estimation du besoin d’investissement quasi identique : 1 520 milliards d’euros par an en moyenne jusqu’en 2050 pour le premier, entre 1 524 et 1530 milliards d’euros pour la seconde !</p>
<h2>Le soutien public est essentiel</h2>
<p>L’étude de l’Institut Rousseau, à laquelle nous avons participé aux côtés de plus de 150 experts à travers toute l’Europe, divise ce chiffre en deux parties : d’une part, des investissements verts déjà en cours ou une redirection d’investissements « gris » (par exemple, une redirection des investissements en véhicules à moteur thermique vers les transports en commun et les véhicules électriques) ; et, d’autre part, l’investissement supplémentaire que représente le surcoût de la transition par rapport au scénario « business-as-usual » obtenu en prolongeant les tendances d’investissement actuelles.</p>
<p>Au bilan, cette part supplémentaire ne représente qu’une faible fraction des 1 520 milliards, à savoir 360 milliards d’euros par an, c’est-à-dire 2,3 % du PIB de l’UE-27. Sur ces 360 milliards d’euros annuels supplémentaires requis par rapport au scénario « business-as-usual », 260 milliards devront être investis par la puissance publique. Ceux-ci sont issus d’une batterie de plus de 70 mesures de politiques publiques proposées secteur par secteur afin d’atteindre les cibles de décarbonation de l’Union à 2030 et 2050.</p>
<p><iframe id="s3eGk" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/s3eGk/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>De tels investissements publics permettent de faire levier sur les investissements privés et ainsi de débloquer les montants nécessaires. Ceux-ci comprennent également le montant des subventions nécessaires pour accompagner les différents acteurs privés dans une transition parfois coûteuse. Une telle approche semble aujourd’hui plus que jamais essentielle pour l’acceptabilité du Pacte vert européen, notamment au regard de la colère des agriculteurs face à la détérioration de leurs revenus.</p>
<h2>Incompatibilité avec la réglementation actuelle</h2>
<p>Or, la réglementation relative aux aides d’États restreint largement leur mise en œuvre à l’heure actuelle. En effet, les textes européens interdisent, sauf exception, tout soutien public aux entreprises en mesure de fausser la concurrence. Sa suspension dans le cadre du <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_23_1563">Temporary Crisis and Transition Framework</a> – un dispositif permettant aux États membres de soutenir leurs économies suite aux chocs du Covid-19 et de la guerre en Ukraine – devrait ainsi devenir permanente si l’UE veut se donner les moyens de ses ambitions.</p>
<p>En outre, les 250 milliards d’investissements publics annuels supplémentaires correspondent à 1,6 % du PIB européen. Il est évident qu’ils sont <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/05/il-faut-renoncer-definitivement-a-des-objectifs-chiffres-de-dette-et-de-deficit-rapportes-au-pib_6172175_3232.html">incompatibles</a> avec le plafond de 3 % de déficit public tel que fixé dans le pacte de stabilité et de croissance de l’UE.</p>
<p>Pourtant, la proposition de réforme <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20240112IPR16774/gouvernance-economique-ameliorer-la-credibilite-et-promouvoir-l-investissement">actuellement sur la table et livrée à la négociation entre le Parlement européen et les États membres</a> n’assouplit que marginalement ces règles de déficit. Elle entre ainsi en opposition frontale avec un des objectifs phares de l’actuelle Commission, à savoir la réalisation du Pacte vert européen.</p>
<h2>Pas d’effet négatif à long terme</h2>
<p>D’aucuns ne manqueront pas d’affirmer que de tels investissements publics seraient inconsidérés, voire impossibles. À cela, nous opposons trois arguments : d’abord, ces montants restent raisonnables en comparaison au coût du changement climatique en <a href="https://publications.jrc.ec.europa.eu/repository/handle/JRC87011">cas de non-action</a> ; ensuite, les investissements publics annuels requis sont inférieurs au montant du plan de relance post-Covid (338 milliards d’euros par an) ; enfin, ils restent nettement inférieurs aux subventions octroyées aux énergies fossiles en Union européenne (359 milliards d’euros par an).</p>
<p><iframe id="wVx52" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/wVx52/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Autrement dit, les investissements de transition ne font que se substituer à des aides publiques existantes, qui disparaîtront au fur et à mesure de la décarbonation de l’économie. Si la période de transition engendre une hausse du déficit public, qui peut par exemple être compensée par des <a href="https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/plan-de-relance-coup-d-envoi-reussi-pour-l-emprunt-europeen/">emprunts communs</a>, les calculs réalisés indiquent donc que, au bilan, la transition n’aura pas forcément d’effet négatif sur les finances publiques à long terme.</p>
<p>Enfin, booster l’investissement de manière ciblée et dans des secteurs d’avenir se révélerait probablement bénéfique pour une économie européenne au bord de la récession et risquant de renouer avec le caractère moribond qui la définit depuis la crise de 2008.</p>
<p>Ainsi, l’étude « Road to Net Z€ro » montre qu’investir dans la transition écologique, en plus de permettre le respect de nos obligations légales de neutralité carbone, constitue un choix économiquement rationnel et désirable pour l’Europe. Un tel choix nécessite cependant de radicalement changer le cap des discussions en cours sur la réforme des règles budgétaires et fiscales européennes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222546/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Jacques est membre du comité de pilotage de l'Institut Rousseau.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Riwan Driouich est chercheur associé à l'Institut Rousseau.</span></em></p>Trois récents rapports interrogent la politique d’endettement face aux milliards à investir pour atteindre les objectifs climatiques européens.Pierre Jacques, PhD Student & Researcher in Ecological Economics, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Riwan Driouich, PhD Student & Researcher in Ecological Economics, Autonomous University of BarcelonaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.