tag:theconversation.com,2011:/au/topics/viande-22328/articlesviande – The Conversation2024-03-19T16:57:51Ztag:theconversation.com,2011:article/2255982024-03-19T16:57:51Z2024-03-19T16:57:51ZLe poulet français bat de l’aile face à la concurrence internationale<p>Si en France la production de poulets excédait la consommation de 250 000 tonnes en 2010, le pays est devenu importateur net de poulets à partir de 2019. Il est ainsi déficitaire de plus de 100 000 tonnes en 2021 (graphique 1). Ce croisement des courbes concorde avec une augmentation de la part des importations dans la consommation, doublée d’une baisse de la part de la production destinée à l’exportation (graphique 2).</p>
<p><iframe id="5w83U" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/5w83U/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="YDVZo" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/YDVZo/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En d’autres termes, la production de poulets diminue en France, et est de moins en moins destinée à l’exportation, tandis que la consommation repose davantage sur des fournisseurs étrangers. Ainsi, 36 % des poulets consommés en France en 2021 sont importés, contre 25 % en 2010. Dans le même temps, les exportations qui représentaient 32 % de la production en 2010 ne comptent plus que pour 26 % de la production.</p>
<h2>Concurrence internationale accrue</h2>
<p>Le marché mondial du poulet est en réalité très segmenté. On y distingue les produits frais, pour lesquels les échanges sont régionaux, et les produits surgelés, moins différenciés, plus faciles à transporter sur de longues distances, et pour lesquels le marché est véritablement mondial.</p>
<p>Les échanges intracommunautaires de produits frais comptaient pour 66 % des échanges mondiaux en 2021, contre 17,5 % pour les produits congelés. Le marché du congelé est dominé par le Mercosur, zone de libre-échange sud-américaine regroupant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, qui exporte vers le monde entier (42 % des parts de marché mondiales à l’exportation de produits congelés en 2021).</p>
<p>Par ailleurs, les poulets sont vendus soit à la découpe (en morceaux), soit entier. À l’échelle mondiale, le commerce de morceaux a très fortement augmenté, bien plus que les échanges de poulets entiers, notamment en raison du <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/03/04/agriculture-les-changements-d-habitudes-alimentaires-des-francais-contribuent-a-la-hausse-des-importations_6219967_3234.html">changement des modes de consommation du poulet</a>.</p>
<p>Les exportations françaises de poulets ont connu une dynamique très différente en fonction de ces produits (graphique 3). En particulier, les exportations de produits congelés ont considérablement reculé depuis 2010.</p>
<p><iframe id="zrNrD" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/zrNrD/5/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ces déboires à l’exportation tiennent à deux facteurs : un positionnement sur un produit dont la demande s’est révélée peu dynamique, doublé d’une perte de débouchés traditionnels sous l’effet d’une concurrence internationale accrue.</p>
<h2>L’Ukraine et la Pologne montent en puissance</h2>
<p>En effet, la spécialisation historique des exportateurs français sur les poulets entiers congelés (graphique 3) n’a pas été très profitable car la demande mondiale pour ces produits n’a pas connu une évolution particulièrement favorable. Ainsi, le poulet entier congelé, qui représentait la majorité des exportations de poulets français en 2010 (58 %), a vu son commerce mondial croître de 12 % depuis cette date, quand dans le même temps les échanges de morceaux augmentaient plus de trois fois plus vite (41 % sur la période).</p>
<p>En outre, la France a décroché sur ce produit, pour lequel la concurrence mondiale est particulièrement forte. En particulier, les producteurs français exportaient énormément vers le Moyen-Orient au début des années 2010, un marché qu’ils ont quasi totalement perdu au bénéfice du Mercosur (81 % des exportations de poulets entiers congelés vers le Moyen-Orient et Proche-Orient en 2022).</p>
<p>De manière générale, la part de marché de la France sur les poulets entiers congelés a chuté de 12 points de pourcentage (pp) entre 2010 et 2022 (graphique 4), quand dans le même temps celle de l’Ukraine progressait de 4 pp et celle de la Pologne de 2 pp. Le Mercosur n’a pas particulièrement accru sa présence pour ce produit, sa progression se situant davantage sur le marché des morceaux congelés, particulièrement dynamique, et sur lequel la France a connu également un déclin.</p>
<p><strong>Graphique 4 : Variation des parts de marché mondiales de poulet congelé entre 2010 et 2022</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Sur la période 2010-2022, la France a changé de spécialisation à l’exportation. Elle exporte désormais essentiellement des morceaux frais, qui représentent 51 % de ses exportations de poulets en 2022.</p>
<p>Sur ce marché, la concurrence est essentiellement européenne. Les Pays-Bas, et la Belgique sont les exportateurs historiques de poulets frais découpés, mais l’Ukraine et la Pologne montent en puissance sur la période.</p>
<p>La Pologne enregistre ainsi une augmentation significative de sa part de marché de 13 pp sur la période, tandis que l’Ukraine connaît une progression plus modeste de 2 pp (graphique 5). En comparaison, la part de marché de la France n’a augmenté que de 0,7 pp sur la période.</p>
<p><strong>Graphique 5 : Variation des parts de marché mondiales de poulet frais entre 2010 et 2022</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/582768/original/file-20240319-16-beu6o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Des fournisseurs quasi exclusivement européens</h2>
<p>Nous avons vu que la France est à présent importatrice nette de poulets. Ses importations sont uniquement composées de morceaux, frais et congelés (graphique 6) et ses fournisseurs sont quasi exclusivement des partenaires européens, y compris pour les morceaux surgelés qui sont pourtant largement mondialisés.</p>
<p><iframe id="jTAZd" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/jTAZd/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ce sont surtout les importations de morceaux frais qui s’accroissent sur la période, dont la Belgique est le principal fournisseur. Toutefois sa part dans les importations françaises de ces produits se réduit fortement sur la période, au bénéfice de la Pologne et du Royaume-Uni (graphique 7). La trajectoire de la Pologne est la plus spectaculaire : elle voit sa part dans les importations françaises s’accroître substantiellement, aussi bien pour les morceaux de poulet frais (de 2 % en 2010 à 19 % en 2022) que pour les morceaux congelés (de 10 % à 37 %). Cet accroissement de la part de marché polonaise se retrouve également sur l’ensemble du marché européen.</p>
<p><strong>Graphique 7 : Structure géographique des importations françaises de morceaux de poulet</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=371&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/582769/original/file-20240319-20-jkx5rg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=466&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le succès à l’exportation de la Pologne va de pair avec une forte augmentation de sa production qui a doublé depuis 2010. Plus discrètement, le Royaume-Uni confirme sa place sur le marché européen, avec une hausse continue de sa production sur la période (32 %). La production française, quant à elle, progresse très peu sur la période (5 %).</p>
<h2>Une faible concurrence sud-américaine</h2>
<p>Les importations françaises de poulet proviennent essentiellement des pays de l’Union européenne (UE), et le marché unique est l’échelon pertinent en France pour penser la concurrence internationale sur ces produits. Les baisses de parts de marché et de compétitivité françaises par rapport aux producteurs européens s’expliquent notamment par un <a href="https://www.senat.fr/rap/r21-905/r21-905.html">différentiel de coût de production</a>, lié en partie aux coûts de la main-d’œuvre et du bâti.</p>
<p>Toutefois, les différentiels de prix entre les produits français et leurs concurrents sont également liés à une spécialisation de la production française sur des produits plus haut de gamme et à la diversité de ses produits.</p>
<p>En dépit des discours alarmistes sur le poulet brésilien, le Mercosur ne concurrence quasiment pas les producteurs français sur leur marché domestique pour le moment. Sa concurrence opère principalement sur les marchés tiers, en particulier au Moyen-Orient. Cette faible part du Mercosur dans les importations françaises s’explique en partie par le fait que le marché européen est encore très protégé, avec des droits de douane autour de 1 euro par kilo pour les morceaux frais et congelés et 0,30 euro par kilo pour les poulets entiers. Les produits importés doivent en outre faire face à de nombreuses normes pour être acceptés sur le marché européen.</p>
<p>Étant donné les différences de prix entre les pays du Mercosur et la France, il n’est toutefois pas exclu que les importations en provenance de cette région augmentent si un accord commercial était conclu. A noter cependant que les négociations ne portent que sur une suppression de droits de douane pour 180 000 tonnes de poulet, soit 1,2 % de la consommation européenne.</p>
<p>Concernant l’Ukraine, l’ouverture du marché communautaire depuis le mois de juin 2022 a fortement augmenté les importations de poulets (de 142 % dans l’UE entre 2021 et 2023). L’Ukraine est ainsi passée de 21 % à 43 % des importations extracommunautaires en deux ans. Ces volumes représentent actuellement 3,5 % de la production européenne (10,8 millions de tonnes). Toutes origines confondues, pour l’UE, la hausse des importations extracommunautaires de poulets n’est cependant que de 8 % entre 2021 et 2023, ce qui suggère que les fournisseurs ukrainiens se sont surtout substitués à d’autres fournisseurs extra-européens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225598/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La France est devenue importatrice nette en 2019. En cause : une perte de débouchés à l’exportation et une concurrence accrue des importations sur le marché français.Pierre Cotterlaz, Économiste, CEPIICharlotte Emlinger, Économiste, CEPIIManon Madec, Apprentie Économiste, CEPIILicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2255302024-03-12T16:09:24Z2024-03-12T16:09:24ZVous ne direz plus « viande végétale » : une nouvelle bataille (commerciale) des mots<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/581039/original/file-20240311-28-upx2gl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C6048%2C4019&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Comment désigner désormais ces compositions à base de soja ?</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Une publicité des années 1970 vendait une <a href="https://www.bing.com/videos/riverview/relatedvideo?q=publicit%C3%A9+cannada+dry+1974&mid=B52F70%C2%ABD9D18C465AA1EBB52F70D9D18C465AA1EB&FORM=VIRE">boisson</a> qui ressemblait à de l’alcool, avait le goût de l’alcool mais n’était pas de l’alcool. La question se pose aujourd’hui pour la <a href="https://theconversation.com/topics/viande-22328">viande</a>. Peut-on encore utiliser le mot lorsqu’il s’agit de « steaks végétaux », « boulettes et escalopes végétales », « lardons végétaux », « saucisses végans », « rillettes végétales » ou même « <a href="https://www.officialveganshop.com/frais-147/boucherie-vegetale-155?mtm_campaign=414616143&mtm_kwd=steak%20vegetal&mtm_source=google&mtm_medium=cpc&mtm_cid=414616143&msclkid=290cbc0b1d0f160db455d9ebb4bbd4a8&utm_source=bing&utm_medium=cpc&utm_campaign=Boucherie&utm_term=steak%20vegetal&utm_content=Groupe%20d%27annonces%201">boucherie végétale</a> » ?</p>
<p>La loi a voulu apporter une réponse. Un décret paru au <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049199307">Journal officiel</a> à la fin du mois de février interdit désormais <a href="https://www.facebook.com/watch/?v=1442753146324271">ces appellations</a> qui font directement référence à des pièces de viande, ainsi que les termes, « faisant référence aux noms des espèces et groupes d’espèces animales, à la morphologie ou à l’anatomie animale » lorsqu’il s’agit de commercialiser un produit contenant des protéines végétales. Le texte emporte la satisfaction des acteurs de la filière animale (éleveurs, bouchers), à l’origine de la demande. Certains consommateurs y adhèrent aussi, voyant peu de sens à parler de « saucisse végétale ».</p>
<p>La décision ne fait cependant pas l’unanimité. Le gouvernement avait déjà voulu, en juin 2022, réserver l’usage des termes « steak » ou « saucisse » aux protéines animales, mais le décret avait été remis en question <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/09/06/interdiction-du-terme-steak-vegetal-le-numero-d-equilibriste-du-president-de-la-fnsea-arnaud-rousseau_6188105_3234.html">par Protéines France</a>, un consortium français d’entreprises ayant pour ambition de fédérer et de catalyser le développement du secteur végétal. </p>
<p>La viande a par ailleurs de moins en moins la faveur des citoyens : trop chère, <a href="https://theconversation.com/la-viande-rouge-est-elle-vraiment-mauvaise-pour-la-sante-voici-ce-quen-dit-la-science-211463">néfaste</a> pour la santé quand elle est surconsommée et notamment la <a href="https://aacrjournals.org/cancerdiscovery/article/11/10/2446/665572/Discovery-and-Features-of-an-Alkylating-Signature">viande rouge</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/12/11/pourquoi-la-viande-est-elle-si-nocive-pour-la-planete_5395914_4355770.html">néfaste pour la planète</a> avec la déforestation ou la consommation d’eau qu’elle implique souvent. L’alimentation alternative tente de limiter ces effets négatifs. C’est l’objet de la « viande végétale » (sous condition que les additifs en soient limités) et les <a href="https://videos.lesechos.fr/lesechos/sujet-actus/produits-vegans-ou-vegetariens-les-ventes-decollent-en-supermarche/zsmkpf">consommateurs</a> y sont sensibles.</p>
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<p>Nourrir la planète tout en la protégeant, manger bon et sain en tenant compte du bien-être des animaux font partie désormais des discours politiques, scientifiques, sociaux et sociétaux. Les industriels, conscients de ces nouvelles injonctions, créent de nouveaux produits sous couvert d’une terminologie qui soulève l’interrogation. Il ne s’agit de fait pas tant de produire que de <a href="https://theconversation.com/topics/communication-21313">communiquer</a> en vue de la commercialisation en cherchant le meilleur degré d’acceptabilité des dénominations, un phénomène qui a fait l’objet de nos <a href="https://hal.science/hal-03768177">travaux</a>.</p>
<h2>Appeler « viande » une salade de concombres ?</h2>
<p>Qu’en est-il pour l’étiquette « viande » ? Le mot a beaucoup évolué. Jusqu’au XVII<sup>e</sup> siècle, il désignait tout ce qui peut entretenir la vie (<em>vivenda</em>), c’est-à-dire la nourriture en général. <a href="https://www.lexilogos.com/document/littre.php?q=Viande">Madame de Sévigné</a> appelait ainsi « viandes » une salade de concombres et de cerneaux… La viande chair animale était plutôt désignée par le terme « carne ».</p>
<p>Ce n’est qu’ensuite que le mot se spécialise pour désigner la chair des mammifères et des oiseaux jusqu’à, de nos jours, prendre un sens plus générique : une source de protéines et d’acides gras essentiels. Cela inclut pour certains le poisson ; pour d’autres, en raison de la classification zoologique, ou par convictions personnelles ou opinions religieuses, <a href="https://infosante24.com/viande-de-poisson-vous-devez-savoir/">il n’en serait pas</a>.</p>
<p>Et le steak ? Là encore le sens évolue. Au départ il <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/steak">désigne une tranche de chair à griller</a> alors qu’actuellement il renvoie plus spécifiquement à une tranche de viande rouge conformément au beef steak anglais (même si l’on parle parfois de « steak de thon »). Ainsi c’est sans doute la façon de découper le morceau en tranche qui motive l’utilisation du terme et permet de le distinguer du steak haché.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1680616005230272514"}"></div></p>
<p>Exit donc aujourd’hui steaks végétaux, escalopes de soja et autres produits (21 au total), utilisant des termes qui renvoient à la viande, pouvant introduire la confusion dans l’esprit du consommateur. Il est vrai que ces termes sont communément utilisés pour désigner de la viande, c’est-à-dire des protéines animales.</p>
<p>Néanmoins, la société évolue et sa langue avec. Celle-ci a souvent eu recours à des glissements sémantiques qui fonctionnent par analogie de forme ou d’aspect, d’utilisation, de goût : bref, par imitation. <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/escalope">L’escalope</a> par exemple est définie par analogie comme « un mets préparé et présenté comme une escalope de viande ou de poisson ». Que dire de la Poire de bœuf (pièce de viande définie par sa forme) et de la fraise de veau (membrane intérieure de l’intestin, du latin <em>fresa</em> qui signifie « peau, enveloppe ») ? Les arboriculteurs et maraîchers vont-ils monter au créneau ?</p>
<h2>Pas d’harmonisation</h2>
<p>Et si le décret ne faisait que renforcer la confusion qu’elle prétend lever ? Les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000049199307">« produits légalement fabriqués ou commercialisés dans un autre État membre de l’Union européenne ou dans un pays tiers »</a> restent autorisés. En 2020, la <a href="https://www.culture-nutrition.com/2021/01/12/substituts-vegetaux-la-bataille-des-mots/">France interdisait déjà le « steak végétal »</a> à la différence de la réglementation européenne. L’harmonisation n’est pas encore au rendez-vous. Certains pays ont toutefois pris des mesures similaires concernant l’étiquetage des produits végétaux, la Belgique au sein de l’UE, plus loin la Turquie ou <a href="https://vegconomist.com/politics-law/france-continues-fight-labelling-plant-based-meat/">l’Australie</a>.</p>
<p>L’identification et la reconnaissance de ces produits végétaux en magasin reposent en outre sur deux éléments : d’une part la mention « végétal » ou « végan » et également leur place dans les rayons des supermarchés. Ces produits sont habituellement présentés dans des rayons spécifiques. <a href="https://www.vegemag.fr/societe/quel-rayon-pour-les-produits-vegans-dans-les-supermarches-14705/">Mais certaines chaînes de la grande distribution</a>, notamment aux États-Unis, les placent à côté des produits d’origine animale.</p>
<p>Pour être cohérent il faudrait aussi revoir les appellations et la séparation des produits comme le lait de soja, boisson d’origine végétale. Ce qui a été le cas puisqu’en 2017, la Cour de Justice Européenne (CJUE) a publié un <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/nutrition/aliments/alternatives-vegetales-ne-dites-plus-lait-de-soja-ou-fromage-vegetal_113964">arrêt interdisant ces dénominations</a>. Mais en fonction des pays, des exceptions existent comme pour la France : on peut dire « lait d’amande, lait de coco, crème de riz, beurre de cacao ». La CJUE précise que l’ajout de mentions indiquant l’origine végétale n’y change rien et ne remet pas en cause cette interdiction. Aussi en France, les dénominations qui ne font pas l’objet d’exception renvoient à un terme générique : « boisson de » « au » ou « boisson végétale ».</p>
<h2>Comment les nommer alors ?</h2>
<p>Si pour l’ex-« lait de soja » la substitution a été facile, les dénominations concernant la « future ex » viande végétale semble plus ardue car elle touche de nombreux produits (steak, escalope, lardons, jambon… ). L’utilisation d’un terme générique ne semble donc pas envisageable. « Steak ou burger végétal » trouve un équivalent dans « galette végétale ou végétarienne », qui conserve une similitude avec la forme. Pour l’escalope, qui désigne une fine tranche, le sujet est plus délicat : pourrait-on envisager une « fine tranche végétale » ? Mais alors, comment dénommer le « jambon végétal » en tranche ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/581047/original/file-20240311-28-9f9v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/581047/original/file-20240311-28-9f9v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/581047/original/file-20240311-28-9f9v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/581047/original/file-20240311-28-9f9v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/581047/original/file-20240311-28-9f9v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/581047/original/file-20240311-28-9f9v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/581047/original/file-20240311-28-9f9v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/581047/original/file-20240311-28-9f9v7m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les laits de soja, devenus « boisson de/au soja ».</span>
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<p>« Lardons végétaux » pourrait-il être remplacé par « petits bâtonnets végétaux » ? Celui-ci est déjà utilisé par des <a href="https://www.findus.fr/produits/green-cuisine/coeur-de-repas/batonnet-vegetal">marques</a> s qui présentent un produit « saveur océane » ou <a href="https://happyvore.com/products/batonnets-panes-vegetaux-gourmands">« de la mer »</a> ressemblant à des bâtonnets de poisson pané. Que dire encore des <a href="https://www.cnrtl.fr/definition/supr%C3%AAme">suprêmes</a>, ces blancs et chair de volaille ou de gibier à plumes dont le terme par extension signifie une préparation très élaborée et qui deviennent des <a href="https://happyvore.com/products/supremes-panes-vegetaux">« suprêmes végétaux »</a> ?</p>
<p>Le problème de la terminologie alimentaire employée a également été soulevé par le <a href="https://www.challenges.fr/economie/gabriel-attal-a-t-il-lance-la-bataille-contre-la-viande-de-synthese_883842">Premier ministre en février 2024</a> à propos de la « viande de synthèse », des protéines animales cultivées en laboratoire, autre forme alternative qui cherche elle aussi encore sa dénomination.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225530/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Parizot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le terme « viande », qui ne pourra plus être accolé à l’adjectif « végétal », n’a pas toujours désigné que des produits faits de protéines animales. Comment commercialiser ces produits dorénavant ?Anne Parizot, Professeur des universités en sciences de l'information et de la communication, Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2217772024-02-26T15:47:55Z2024-02-26T15:47:55ZManger de la viande : ce que Grecs et Romains en disaient<p>Le 24 février, le <a href="https://www.salon-agriculture.com/">Salon de l’Agriculture</a> a ouvert comme chaque année, porte de Versailles. Face aux <a href="https://theconversation.com/voici-trois-bonnes-raisons-de-consommer-des-proteines-dorigine-vegetale-176097">critiques</a> de plus en plus nombreuses s’élevant <a href="https://theconversation.com/nos-choix-alimentaires-peuvent-ajouter-ou-retrancher-des-minutes-des-heures-des-annees-de-vie-166629">contre la consommation de viande</a>, les professionnels du secteur sont désormais contraints de justifier leur activité.</p>
<p>Cette défense du <a href="https://theconversation.com/pourquoi-entretenons-nous-une-relation-damour-haine-avec-la-viande-181692">carnisme</a> n’est en réalité pas nouvelle : l’Antiquité gréco-romaine montre que ce régime alimentaire n’allait, déjà, <a href="https://remacle.org/bloodwolf/historiens/Plutarque/usageviandes.htm">pas de soi</a>. Les arguments des végétariens suscitaient alors à la fois des réactions épidermiques et l’élaboration d’un discours légitimateur. Le phénomène est d’autant plus intéressant que la consommation de viande n’était pas la règle chez les Grecs et chez les Romains. Ces derniers vivaient dans une société où l’alimentation carnée n’était pas majoritaire (céréales et légumes constituaient le régime de base) mais où les représentations faisaient d’elle un idéal, voire une nécessité spirituelle. Aussi, à en croire l’empereur <a href="http://mercure.fltr.ucl.ac.be/Hodoi/concordances/julien_chiens_ignorants/lecture/9.htm">Julien</a>, nombre de traités ont-ils été composés pour répondre aux contempteurs de la viande :</p>
<blockquote>
<p>« Les uns supposent la consommation de viande conforme à la nature humaine, mais d’autres pensent qu’il ne convient pas du tout à l’humain d’en user : cette question est l’objet de bien des discussions ; en fait, si tu veux faire un effort, tu verras qu’il y a des essaims de livres sur le problème. »</p>
</blockquote>
<p>Malgré la perte de ces ouvrages, plusieurs indices permettent de retracer les principales motivations des consommateurs de viande. Et, curieusement, l’argument hygiénique n’est pas prépondérant, même s’il n’est pas absent (au moins depuis <a href="https://remacle.org/bloodwolf/erudits/Hippocrate/regime2.htm">Hippocrate</a>) chez les médecins.</p>
<hr>
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<em>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-les-vegetariens-sont-une-minorite-et-les-mangeurs-de-viande-si-nombreux-218669">Pourquoi les végétariens sont une minorité et les mangeurs de viande si nombreux </a>
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</em>
</p>
<hr>
<h2>Affirmer une supériorité humaine</h2>
<p>Le carnisme relevait en partie de considérations métaphysiques puisque la consommation de viande associée à la maîtrise du feu octroyée aux humains correspondait censément à un ordre du monde voulu par les dieux. Ces derniers se distinguaient des humains en ce qu’ils ne se nourrissaient pas de viande : lors des banquets qui suivaient les sacrifices d’animaux, la fumée des graisses brûlées, des os et des viscères suffisait à les contenter et complétait un régime alimentaire par ailleurs composé du nectar et de l’ambroisie.</p>
<p>Dans les cérémonies religieuses, la part des humains, la viande cuite, était donc inférieure à celles des dieux : en mangeant une matière corruptible, ils étaient renvoyés à leur propre mortalité ; dans le même temps, ils affirmaient leur supériorité sur le reste du monde animal, réduit à consommer de la viande crue. Le don du feu par Prométhée consacrait la coupure entre l’humain et la bête, avec en creux l’idée que le cuit fonde une césure à la fois culturelle et technique : le cru appartient à un monde simple, proche de la nature, le cuit à un monde complexe, celui du savoir-faire et du raffinement. Le régime alimentaire traduit ici une hiérarchie du vivant.</p>
<h2>Les représentations socio-économiques</h2>
<p>Les considérations socio-économiques primèrent sans doute sur la métaphysique. Comme dans certaines régions du globe aujourd’hui encore, le bétail a longtemps été une unité de richesse. Certaines espèces ont été utilisées comme moyen de paiement dans les échanges avant l’adoption de la monnaie. C’est aussi très souvent du bétail qui figura sur les <a href="https://essentiels.bnf.fr/fr/image/162b0684-b139-4dc6-b475-474bb9d459f0-aes-signatum-boeufs">lingots</a> servant de premières monnaies, comme s’il était le meilleur moyen d’exprimer la valeur des choses.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/577082/original/file-20240221-20-x5eoqs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/577082/original/file-20240221-20-x5eoqs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/577082/original/file-20240221-20-x5eoqs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/577082/original/file-20240221-20-x5eoqs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/577082/original/file-20240221-20-x5eoqs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/577082/original/file-20240221-20-x5eoqs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/577082/original/file-20240221-20-x5eoqs.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cette monnaie de bronze, datée vers 280-250 avant J.-C., est une des plus anciennes du monde romain.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://essentiels.bnf.fr/fr/image/162b0684-b139-4dc6-b475-474bb9d459f0-aes-signatum-boeufs">gallica.bnf.fr/BnF</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’étymologie en conserve le souvenir : le nom de l’argent lui-même, <em>pecunia</em>, dérive de <em>pecus</em>, « bétail », manière de signifier que l’élevage fut longtemps la voie privilégiée pour s’enrichir. Parce que la richesse reposait alors sur la possession de troupeaux et sur les propriétés foncières, on appelait les riches <em>pecuniosi</em>, c’est-à-dire riches en bétail, et <em>locupletes</em>, riches en terres. Aussi, puisque la possession de nombreuses bêtes permettait de distinguer le riche du pauvre, consommer de la viande revint à consommer de la richesse. D’où un statut particulier octroyé à la chair animale au sein des aliments.</p>
<h2>Le poids de l’habitude</h2>
<p>L’imaginaire socio-économique et métaphysique a encore été renforcé par la force de l’habitude : le caractère immémorial du carnisme a pris le pas sur toute autre considération, agissant comme une norme propre à éloigner tout questionnement. Le cadre de vie des Anciens contribuait à dédramatiser la consommation de viande. À Rome, chasseurs, oiseleurs, pêcheurs, porchers, bouchers s’inscrivaient dans le quotidien des habitants. La viande consommée après les sacrifices publics lors des banquets ou revendue aux bouchers contribuait aussi à légitimer sa consommation. La participation des animaux aux jeux romains confortait également le sentiment d’une supériorité des humains, donc leur droit à disposer d’elles : un rapport aux bêtes fondé sur la violence fut, ainsi, à la fois normalisé et institutionnalisé.</p>
<p>Les animaux morts destinés à être mangés étaient, en outre, dans les demeures fortunées, un sujet de décor : ainsi ces natures mortes pompéiennes ou ces mosaïques des riches résidences africaines figurant des <a href="https://www.meisterdrucke.lu/fine-art-prints/Roman/160081/Pavement-repr%C3%A9sentant-cinq-grives%2C-d%2639%3BEl-Jem-%28Thysdrus%29-%28mosa%C3%AFque%29.html">chapelets de grives</a>, très appréciées aussi sur les tables romaines.</p>
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<p>Ce cadre a conditionné un habitus et une évidence : la légitimité de la mise à mort d’animaux pour les manger. Ce n’était peut-être même là que justice : la férocité et la prolifération des autres espèces faisaient peser une menace sur les humains et les cultures. Dès lors, masquer et déguiser la mort n’était pas une nécessité : contrairement à ce que l’on observe aujourd’hui, l’abattage des animaux n’était pas invisibilisé : les bouchers travaillaient au vu et au su de tous ; des scènes sur des sarcophages romains figurent une pratique assez ordinaire dans les banquets : des <a href="https://journals.openedition.org/ccrh/3129">têtes de porcs ou de sangliers</a> servis sur un plat à des convives ; dans une scène du <a href="https://remacle.org/bloodwolf/roman/petrone/index.htm">Satiricon</a> de Pétrone, des porcs destinés à être consommés sont présentés vivants, ornés de grelots, à des commensaux enthousiastes afin d’être sélectionnés.</p>
<h2>Le statut de la viande chez les premiers chrétiens</h2>
<p>La christianisation de l’Empire romain n’a pas remis en cause l’approche des polythéistes voyant dans le carnisme une forme de piété puisqu’il respectait un ordre du monde voulu par les dieux. Alors que, dans la Genèse, <a href="https://essentiels.bnf.fr/fr/extrait/5b8ab111-18f8-4167-88a4-f2fa633deb2f-creation-monde-dans-bible">Adam et Ève sont végétariens</a>, au même titre que l’ensemble de la création, la Chute a eu pour conséquence de livrer les animaux aux humains. La zoophagie est légitimée par un <a href="https://www.aelf.org/bible/Gn/9">commandement divin</a> et le souci des Pères de l’église et des théologiens de priver les animaux de raison a, pour partie, été destiné à asseoir le régime carné. Dans les évangiles, <a href="https://www.aelf.org/bible/Mt/15">Jésus renchérit</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui rend l’homme impur ».</p>
</blockquote>
<p>Il trouva un allié en <a href="https://www.aelf.org/bible/1Tm/4">Paul de Tarse</a>, aussi connu sous le nom de Saint Paul, pour lequel aucun aliment n’est à proscrire dans la mesure où tout ce que Dieu crée est bon. Le moine jovinien est allé jusqu’à considérer le végétarisme comme une <a href="https://la.wikisource.org/wiki/Adversus_Iovinianum_(Hieronymus)">offense à Dieu</a> : on peut comprendre l’utilité du bœuf et du cheval dans un monde végétarien, mais à quoi servirait le porc si on ne le mangeait pas ?</p>
<p>Si la méfiance à l’égard de la viande a été de rigueur, ce ne fut pas à cause de l’aliment en lui-même, mais parce qu’il aurait attisé la volupté et porté à la gourmandise. Il fallut donc se défier du monde charnel, sans remettre en question le providentialisme divin. Dès lors, une voie médiane fut adoptée : l’ascétisme, inscrit dans certaines règles monastiques (la mortification des corps par un mode de vie frugal et austère est censée favoriser l’union mystique avec Dieu) ; la présence de nombreux « jours maigres » pour les laïcs dans le calendrier chrétien.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221777/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Le Doze ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Viandard ou végétarien ? Le débat avait déjà lieu dans l’Antiquité. L’alimentation carnée était alors minoritaire et les arguments des carnivores n’étaient pas liés à la nutrition…Philippe Le Doze, Maître de conférences HDR en Histoire ancienne, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2186692023-12-04T16:53:05Z2023-12-04T16:53:05ZPourquoi les végétariens sont une minorité et les mangeurs de viande si nombreux <p><em>Même s’il connaît un véritable essor depuis la deuxième moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, le végétarisme est une pratique très ancienne dans les sociétés humaines, qui remonte à l’Antiquité, si on en croit les écrits de Pythagore. C’est ce que nous rapporte Valérie Chansigaud, historienne des sciences et de l’environnement, chercheuse associée au laboratoire Sphère (Université Paris Cité – CNRS) dans <a href="https://www.buchetchastel.fr/catalogue/histoire-du-vegetarisme/#:%7E:text=Sur%20ses%20traces%2C%20d%C3%A8s%20l,politique%E2%80%A6.">« Histoire du végétarisme »</a> paru en octobre 2023 aux éditions Buchet/Chastel.</em></p>
<p><em>La spécialiste décrit les raisons, qu’elles soient spirituelles, sanitaires ou politiques – comme désormais les problématiques environnementales – qui conduisent au fil des époques à s’abstenir de manger de la viande. Dans l'extrait présenté ici, elle insiste sur le fait que les végétariens sont peu nombreux, même aujourd’hui dans les sociétés occidentales. Le végétarisme a toujours été, et reste, un courant minoritaire, souligne Valérie Chansigaud. Elle invite à ne pas sous-estimer pour autant son influence, même si les cent dernières années se caractérisent surtout par l'amplification de la consommation de viande.</em></p>
<hr>
<p>La diminution de la consommation de viande dans la plupart des pays développés, observée depuis plus d’une vingtaine d’années, constitue indéniablement un phénomène historique tout à fait inédit. Une étude de 2016 révèle qu’un Britannique sur trois a diminué sa consommation de viande, les femmes (34 %) bien plus que les hommes (23 %), les personnes âgées (39 % chez les 65 à 79 ans) davantage que les jeunes (19 % chez les 18 à 24 ans). C’est d’abord le souci de sa santé (59 %) qui conduit à réduire la consommation de viande, avant son coût (39 %) et bien plus que la souffrance animale (20 %).</p>
<h2>Si la consommation de viande rouge se réduit, celle de la volaille et du porc augmente</h2>
<p>Des observations similaires peuvent être faites en France : la consommation de viande a augmenté de façon continue entre 1960 et 1980, puis a connu une période de stabilisation durant la décennie 1980 avant de décroître. Il est difficile de généraliser : car si la consommation de viande rouge se réduit, celle de la volaille et du porc augmente. La crise sanitaire de 2020 et les confinements ont fait <a href="https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/SynCon21376/consyn376202106ConsoViandeV2.pdf">reculer la demande globale de viande (notamment en raison de la fermeture des restaurants et des cantines), mais augmenter les achats par les ménages</a>, ceux de viande de poulet ont même cru de façon significative.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Le végétarisme progresse variablement, l’Italie et l’Allemagne présentant plus de végétariens (6,7 % de leur population) que les autres pays européens à l’exception du Royaume‐Uni où la proportion atteint 14 %. Là aussi, c’est d’abord la <a href="https://www.researchgate.net/publication/316322899_Food_and_Foodways_in_Italy_from_1861_to_the_Present">recherche d’une meilleure alimentation qui conduit à la prohibition de la viande bien plus que le souci des animaux</a>. </p>
<h2>La réduction de la consommation de viande concerne les classes les plus aisées des pays les plus riches</h2>
<p>En Europe, 9 % des nouveaux produits alimentaires commercialisés sont sans ingrédient d’origine animale, soit près d’un nouveau produit alimentaire lancé sur dix en 2018, la proportion était seulement de 5 % en 2015 ; mais ce chiffre est bien plus important au Royaume‐ Uni puisqu’il est de 16 % en 2018 contre 8 % en 2015. Le marché pourrait, toutefois, être arrivé à une certaine saturation puisqu’en Allemagne la commercialisation de nouveaux produits alimentaires sans ingrédient d’origine animale a reculé pour atteindre 13 % en 2018 après avoir culminé à 15 % en 2015.</p>
<p>Il convient cependant de remettre en perspective ces mouvements non seulement d’un point de vue chronologique, mais également géographique et social : car la réduction de la consommation de viande est loin d’être observable partout et ne concerne que les pays les plus riches et davantage les classes les plus aisées de ces pays. Les différences sont considérables : la moyenne annuelle de consommation de viande dans le monde est passée d’environ 20 kg en 1961 à environ 43 kg en 2014 avec des extrêmes allant de 146 kg aux États‐Unis (dont 56 kg de poulet, 37 kg de bœuf, 30 kg de porc et 22 kg d’animaux aquatiques) à 5,8 kg en Éthiopie (<a href="https://www.fao.org/faostat/fr/#home">principalement de bœuf et un peu de mouton</a>).</p>
<h2>Selon l’OCDE et la FAO, la consommation mondiale de protéines carnées aura augmenté de 14 % en 2030</h2>
<p>Il y a également un autre fait tout aussi incontournable : le nombre d’animaux destinés à être mangés a considérablement augmenté depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, comme le <a href="https://www.delachauxetniestle.com/livre/histoire-de-la-domestication-animale">nombre d’espèces soumises à des mécanismes de domestication</a>. Aucun arrêt de cette croissance n’est envisagé puisque les experts de l’OCDE et de la FAO estiment que la consommation mondiale de protéines carnées aura augmenté de 14 % en 2030 par rapport à aujourd’hui ce qu’ils attribuent principalement à l’élévation des niveaux de vie et à la croissance démographique. L’augmentation de la production de lait devrait être de près de 17 % sur la même période, celle de la production aquatique (pêche d’animaux sauvages ou d’élevage) <a href="https://www.fao.org/documents/card/fr/c/cb5339fr/">devrait être de 12,8 %</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-legumineuses-bonnes-pour-notre-sante-et-celle-de-la-planete-216845">Les légumineuses : bonnes pour notre santé et celle de la planète</a>
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<p>Toutes les études montrent la complexité sociologique de la consommation de la viande. Ainsi, <a href="https://www.nature.com/articles/1600907">on peut dessiner deux groupes en Suisse</a>, le premier consommant plus de viande (et davantage de viande rouge) que le second : le premier est constitué surtout d’hommes, souvent d’âge moyen, ayant un niveau d’éducation plus faible que la moyenne nationale, vivant dans les régions alémaniques ou francophones, davantage fumeurs, plus souvent en surpoids ou obèses, consommant quotidiennement de l’alcool et faiblement actifs physiquement ; le second groupe est bien davantage féminin, souvent plus jeune ou plus âgé, plus instruit, citoyen résidant en Suisse italienne ou étranger, ex‐fumeurs ou non‐fumeurs, ayant un poids corporel normal ou insuffisant, consommant moins d’une fois par jour de l’alcool et souvent physiquement actif.</p>
<h2>Une humanité végétarienne, un fantasme de riches</h2>
<p>Nous avons déjà souligné la complexité des relations à la viande en fonction du genre, du niveau de revenus ou des convictions spirituelles : on n’observe jamais de dichotomie simple, en particulier au sein des sociétés occidentales riches, entre ceux qui consomment de la viande et ceux qui l’évitent, voir, bien plus rarement, la proscrivent. Il s’agit de tendances et non d’absolus déterminismes et, puisque manger de la viande répond à de nombreux facteurs culturels et psychologiques, il est normal qu’en proscrire sa consommation soit très difficile à caractériser.</p>
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<img alt="Couverture du livre « Histoire du végétarisme » écrit par Valérie Chansigaud qui montre un plat contenant une botte de radis rouges." src="https://images.theconversation.com/files/562194/original/file-20231128-24-xa8hlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/562194/original/file-20231128-24-xa8hlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/562194/original/file-20231128-24-xa8hlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/562194/original/file-20231128-24-xa8hlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/562194/original/file-20231128-24-xa8hlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/562194/original/file-20231128-24-xa8hlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/562194/original/file-20231128-24-xa8hlb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">Buchet/Chastel</span></span>
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<p>Et c’est pourquoi les débats sur l’avenir de la viande artificielle ou sur une humanité devenant végétarienne paraissent être, jusqu’à présent, un fantasme de riches, car la consommation d’animaux à l’échelle du globe n’a jamais été aussi importante et elle est, aujourd’hui comme durant toute l’histoire humaine, profondément inégalitaire.</p>
<p>La viande a toujours été, dans toutes les cultures, un marqueur social de la réussite d’un individu : aujourd’hui encore, les <a href="https://www.researchgate.net/publication/249477268_Of_Tripod_and_Palate_Food_Politics_and_Religion_in_Traditional_China_-_Edited_by_Roel_Sterckx">repas d’exception en Chine sont presque exclusivement composés de viande, souvenir d’une époque où seuls les riches pouvaient en consommer</a> ; en Occident, les dîners de fêtes s’organisent le plus souvent autour d’animaux (foie gras, saumon, dinde, chapon, gibier, huître et fruits de mer…) et rarement de végétaux…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218669/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valerie Chansigaud est membre d’associations naturalistes ou sur l’histoire de l’environnement (OPIE, AHPNE,
Ruche).</span></em></p>Le végétarisme se développe au sein des classes les plus aisées des pays les plus riches. Mais à l’échelle mondiale, on observe, à l’inverse, une augmentation de la consommation de protéines carnées.Valerie Chansigaud, Historienne des sciences et de l'environnement, chercheuse associée au laboratoire Sphère (Paris Cité - CNRS), Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2114532023-11-19T16:36:15Z2023-11-19T16:36:15ZRécit : Des cochons et des hommes<p><em>« Faire le cochon » endurcirait nos existences molles de petits consommateurs, dépossédés, déconnectés des réalités de la vie. L’anthropologue Madeleine Sallustio a effectué une enquête de terrain de plusieurs semaines dans un collectif autogéré en Italie. Avec ces habitants, elle participe à la transformation du cochon. Cela l’amène à documenter des clivages de genre communs dans ces collectifs. Premier article de notre série de récits écrits pour The Conversation France.</em></p>
<hr>
<p>Nous nous sommes levés tôt. Il fait encore nuit. À la frontale, nous sommes plusieurs à converger vers le lieu de rendez-vous : Casa Gialla, un des gros bâtiments de ferme qui compose Montecaro. Ce collectif agricole, dans les collines toscanes, en Italie, est squatté depuis déjà huit ans.</p>
<p>Il recouvre près de 200 hectares d’oliviers, des vignes, quelques champs de blé, de petits jardins et plusieurs bâtis, transformés en habitation. Le groupe de jeunes adultes qui y habite et travaille s’est transformé au cours du temps. Certains étaient poussés par le souci de maintenir la vocation agricole de cet espace face à la <a href="https://www.torrossa.com/en/resources/an/4536290">spéculation immobilière et le marché de la résidence secondaire</a>. D’autres, étaient motivés par l’envie d’expérimenter un <a href="https://www.cairn.info/revue-techniques-et-culture-2020-2-page-178.htm">mode de vie autonome</a>, de voir de quelle utopie ils étaient capables, d’aller un peu plus loin que des <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2022-3-page-487.htm?contenu=article">mouvements sociaux urbains</a> desquels beaucoup d’entre eux étaient familiers.</p>
<p>Vivre « ici et maintenant » le monde que l’on souhaiterait voir advenir, sans l’aide des partis ou des syndicats, sans espérer ni la révolution ni l’effondrement : telle était la démarche politique défendue ici. C’est ce que je suis venue étudier, moi, Madeleine, anthropologue belge. J’étudie le rapport que les êtres humains entretiennent à l’égard du temps, les choix d’organisation du travail, le rapport au passé, au présent, à l’avenir.</p>
<p>Peu sportive, je trottine de manière précipitée derrière ‘Cici qui, malgré mon italien basique, semble m’avoir trouvée sympathique. Il me taquine, et parfois, me tape gaillardement dans le dos en se moquant de mes origines molisaines. Cette région d’Italie si petite, si dépeuplée, qu’on dit, en Toscane, qu’elle n’existe pas.</p>
<p>Mais ‘Cici avait aussi été accueillant. Il avait trouvé important de m’expliquer comment était né le projet. Il avait « pris le temps », comme on dit. Depuis huit ans, le travail est collectif et autogéré à Montecaro, tout comme la vie quotidienne. On vise l’égalité, l’horizontalité et l’anti-autoritarisme dans les prises de décisions. « Pas de patron dans nos sillons ! », ainsi pourrait-on traduire leur slogan, écrit sur leurs affiches, banderoles et étiquettes, sans trahir leur anonymat. Cette semaine, une des priorités sur laquelle s’est mis d’accord le collectif est l’abattage de plusieurs cochons. Il est déjà un peu tard pour la saison, on a peur des mouches.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554543/original/file-20231018-27-hrcc1f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554543/original/file-20231018-27-hrcc1f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554543/original/file-20231018-27-hrcc1f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554543/original/file-20231018-27-hrcc1f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554543/original/file-20231018-27-hrcc1f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554543/original/file-20231018-27-hrcc1f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554543/original/file-20231018-27-hrcc1f.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un groupe du collectif se prépare pour l’abattage du cochon.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>On arrive sur place. Francesco, Giuseppe, Simone, Luca, ‘Cici qui s’appelle en réalité également Francesco, Daniele, Lisa et moi, qui sommes les deux seules femmes.</p>
<p>On prépare un gros chaudron d’eau qu’on fait bouillir dans la cour. On installe des palettes en bois, qu’on rince au jet d’eau. Le groupe est calme, parle peu, fume. Il est difficile de distinguer la nervosité de la fatigue. Francesco nous fait un café. Lui, ne participera pas à l’abattage. Il dit avoir d’autres choses à faire, et que, de toute façon, faire le cochon, « ce n’est pas son truc ».</p>
<p>Lorsque l’eau est assez chaude, on se dirige vers l’enclos des cochons. Nous sommes plusieurs à suivre même si notre présence n’est pas requise.</p>
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<h2>Abattre et transformer le cochon consacre la quête de paysannerie</h2>
<p>Une curiosité solennelle flotte dans l’air. Les cochons sont isolés et c’est Giuseppe, un des premiers squatteurs du lieu, formé à l’abattage des cochons par un agriculteur voisin, qui tue le premier animal, au pistolet. Le cochon crie peu. Appâté par un sac de grain, il s’était laissé approcher facilement. Il faut l’aide de deux personnes pour contenir les spasmes post-mortem du corps de l’animal. Giuseppe pointe du doigt certains membres de l’assemblée pour demander de l’aide. Il cherche les gros bras. Cela dure plusieurs minutes. Une fois inerte, le corps de l’animal, d’environ 200 kg, est finalement attaché à une corde et traîné en tracteur jusqu’à l’atelier.</p>
<p>On le hisse sur les palettes. Le travail peut enfin commencer pour les petites mains, comme moi.</p>
<figure class="align-center zoomable">
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<span class="caption">Le cochon est tracté par un tracteur jusqu’au lieu où il sera travaillé par le collectif.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554544/original/file-20231018-15-4zni3i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une fois tué, le cochon est hissé sur un plan de travail en hauteur. L’échaudage peut commencer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L’abattage et la découpe du cochon sont un travail qui nécessite d’être nombreux. Il dure toute la journée. De nombreuses personnes passeront relayer l’équipe ou filer des coups de main, sans nécessairement rester toute la journée. Certains ont plus d’expérience, d’autres moins. L’événement attire aussi de nombreux curieux. De manière générale, <a href="https://www.jstor.org/stable/40988615">comme en France</a>, l’abattage du cochon est un événement. Il incarne l’imaginaire que se font les habitants de Montecaro de la vie paysanne. Il consacre leur projet de vie et de travail agricole en collectif.</p>
<h2>Endurcir nos existences</h2>
<p>On parle beaucoup de l’abattage du cochon dans les pièces communes, avant et après le jour J. Certains compatissent, tantôt avec la bête, tant avec le bourreau. On parle de « courage d’abattre ». De l’importance de tuer sans faire souffrir. On parle aussi de la cohérence que procure le fait de pouvoir tout gérer, de A à Z, manger les bêtes qu’on élève, celles qu’on a chéries, nourries, tuées, découpées, cuisinées. On débat sur le respect de la vie animale.</p>
<p>Certains défendent le fait que manger de la viande sans être capable de tuer ou, a minima, de se confronter à la mort, serait peu honorable. Cela consisterait à déléguer le « sale boulot » qui, par cette rhétorique, cesse aussitôt d’en être un. Cet événement ravive le souhait originel d’autonomie. Apprendre à « faire soi-même ». Et pas n’importe quoi : de la viande, des protéines.</p>
<p>« Faire le cochon », en somme, endurcirait nos existences molles de petits consommateurs, privilégiés et pourtant dépossédés, impuissants, déconnectés des réalités de la vie. Être capable de se confronter à la mort, au lourd, au sale. C’est un discours qui est commun, notamment dans les registres de légitimation de consommation de viande, une <a href="https://www.fayard.fr/livre/apologie-du-carnivore-9782213655826/">« éthique du carnivore »</a> qui défend l’acceptabilité de manger de la viande à condition d’être capable de tuer.</p>
<p>On parle aussi des <a href="https://journals.openedition.org/cm/2910">paysans d’antan</a>, du rôle qu’avait le cochon dans l’alimentation, des recettes toscanes traditionnelles. On tisse un rapport de filiation identitaire avec la paysannerie. « Faire le cochon » est alors, pour certains, une manière de continuer ce que faisaient les anciens.</p>
<p>Ce type d’événement, qui consacre, qui réactualise le ou les projets que chacun est venu chercher ici, n’est pas uniquement l’apanage de l’abattage du cochon. D’autres événements similaires ont cet effet : les vendanges, les moissons, ou des réunions politiques annuelles avec d’autres fermes.</p>
<h2>Avoir sa place</h2>
<p>Mais retournons à nos cochons. Une fois sur les palettes, une petite entaille dans le cou de la bête permet de le vider de son sang. Le plus vite est le mieux. Sans quoi, le sang coagule. Ce dernier est récupéré dans un saladier. On agite le fluide avec un fouet. Il sera cuisiné dans la journée sous forme de crêpe, le <em>migliaccio di sangue</em>.</p>
<p>Ensuite, on procède au toilettage. Il s’agit de raser à blanc le cochon. Le travail se fait par équipes de deux. Une personne gratte la fourrure de l’animal à l’aide d’un couteau et guide son acolyte, qui arrose méticuleusement d’un filet d’eau bouillante les zones à l’aide d’un petit broc en métal. Le travail est précis. Trop d’eau bouillante d’un coup cuirait la peau du cochon et refermerait les pores de sa peau définitivement. Les poils ne s’épileraient plus, ce serait gâcher du lard.</p>
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<span class="caption">Le cochon est saigné.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Le cochon est échaudé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">La préparation des carcasses pour la boucherie prend toute la journée et est un travail collectif.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Lisa et moi sommes à ce poste, avec la nièce de Daniele, une enfant d’une dizaine d’années, que je trouve particulièrement volontaire. À trois, nous versons de l’eau à la demande des manieurs de couteaux et remplissons nos petits brocs en métal dans la grosse marmite d’eau. Les autres habitantes du collectif n’interviendront dans ce travail qu’à l’étape de préparation des saucisses et pâtés, le jour qui suit la boucherie. Et encore, plusieurs d’entre elles sont végétariennes, ce qui diminue la main-d’œuvre féminine potentielle, dans un collectif déjà majoritairement <a href="https://journals.openedition.org/itti/2667">composé d’hommes</a>.</p>
<p>Derrière cette organisation du travail spontanée qui se met en place, il existe des enjeux d’égalité de genre. Lisa, qui n’en est pas à son premier cochon, m’explique qu’il lui a été difficile de s’imposer comme légitime dans cette activité.</p>
<blockquote>
<p>« La première fois que j’étais là pour le cochon, j’avais dit la veille que j’aurais aimé participer et ils sont partis le faire sans me prévenir ! Ils disaient qu’ils n’avaient pas pensé que j’étais sérieuse, que les filles étaient d’habitude dégoutées par le sang, la mort, ce genre de chose. Mais pas moi ! Alors, je suis venue, et on m’a fait verser de l’eau chaude pendant des heures. J’avais pas le droit de tenir le couteau quoi ! On finissait toujours par me l’enlever des mains. Quand ils coupaient la viande, j’avais très envie d’apprendre. Mais comme c’était la veille d’une fête, il y avait plein de choses à faire et quelqu’un est venu me chercher pour que je peigne des panneaux pour indiquer le parking. Pourquoi il ne l’a pas demandé à Francesco ? Lui non plus n’avait jamais découpé le cochon, c’était pas comme s’il était plus efficace que moi ! Non, mais c’est un mec. Il avait sa place là. »</p>
</blockquote>
<h2>Travail visible, travail invisible</h2>
<p>Cette situation est récurrente dans le travail agricole, et ce, dans la très grande majorité des collectifs que j’ai rencontrés, tant en France, qu’en Italie et qu’en Espagne. La division genrée du travail fait la norme. Cela se manifeste par la répartition inégale des genres dans les activités. Les femmes sont plus souvent en charge des plantes médicinales, de l’éducation des enfants, du ménage ou un travail administratif ; et les hommes aux machines, sur les tracteurs, avec les tronçonneuses, les charges lourdes et les outils coupants. Ce n’est pas un hasard si nous sommes si minoritaires aujourd’hui, Lisa et moi. Des mises à l’écart informelles s’exercent, notamment sous le couvert de l’efficacité et de la sécurité (que chacun fasse ce qu’il <em>sait</em> faire), ou de l’aisance et du choix personnel (que chacun fasse ce qu’il a <em>envie</em> de faire, là où il se sent le plus à l’aise).</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554551/original/file-20231018-27-13jw82.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une fois les bêtes échaudées, elles sont suspendues par les tendons à des crochets pour être vidées de leurs entrailles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pourtant, rares sont ceux qui arrivent formés à l’agriculture : des relations de formation informelles existent. La division genrée commence par ce biais : les tâches d’hommes seront enseignées prioritairement aux hommes, façonnant par là un ensemble de compétences et d’attitudes genrées dans le quotidien. Il en va de la manipulation du tracteur, de la sollicitation pour porter de lourdes charges (comme des ballots de foin, des bûches de bois, du matériel de construction, des sacs de grain), ou encore de la camaraderie autour de la boisson alcoolisée. La vinification ou le brassage de la bière sont effectivement aussi des activités qui attirent davantage les hommes.</p>
<p>Lisa a bien conscience de cette division qu’elle considère à la fois comme une injustice et comme le risque de se voir dépossédée du projet en tant que tel.</p>
<blockquote>
<p>« Quand tu es dans une ferme, tu fais le cochon, tu conduis le tracteur, tu bucheronnes… c’est ça qui est visible. Personne ne va venir dans la ferme et te dire “qu’est-ce qu’ils sont jolis tes panneaux de parking.” […] Mais du coup on va féliciter Giuseppe pour ses cochons. “Bravo, Giuseppe, merci, Giuseppe”. Ça donne du pouvoir ça ! Il devient plus irremplaçable. Moi quand on dit ça, je réagis toujours : “non, ce sont NOS cochons” ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554550/original/file-20231018-19-2gsipg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les carcasses sont fendues dans le sens de la longueur et amenées au lieu de boucherie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Les femmes redoublent d’efforts pour se situer à l’égal des hommes</h2>
<p>Le toilettage continue. Nous insistons pour prendre un couteau, tourner, changer de poste. Ce que nous vivons comme une revendication politique est en vérité accepté sans discussion. On me tend le couteau. Je découvre qu’être à ce poste implique, à un moment, d’extraire l’anus du cochon. L’opération me dégoûte profondément pour diverses raisons, mais je tente de garder mes haut-le-cœur pour moi. L’heure n’est pas aux aveux de faiblesse, il s’agit de montrer que je suis à la hauteur, sans quoi je crains être reléguée et à jamais enfermée dans le rôle de la verseuse d’eau, avec les femmes et les enfants. Lisa note mon désemparement et éclate de rire.</p>
<blockquote>
<p>« J’ai eu la même réaction quand j’ai dû couper les couilles de mon premier cochon ! J’ai pas réussi… J’étais tellement déçue que Tonio le fasse à ma place, j’avais l’impression d’avoir confirmé l’image qu’ils avaient de moi. »</p>
</blockquote>
<p>Ici comme ailleurs, il est intéressant de constater à quel point les femmes redoublent souvent d’efforts pour se situer à l’égal de l’homme. Chantiers non mixtes pour apprendre à manier la tronçonneuse, cours d’ergonomie pour porter des charges lourdes, démonstration de force. L’inverse est rarement vrai. C’est par exemple ce que m’expliquait Rita, une autre habitante du collectif :</p>
<blockquote>
<p>« On ne prend pas assez au sérieux la cuisine. Or, ce n’est pas si évident de prévoir des menus équilibrés sur la semaine pour 25 personnes avec les produits du jardin ! Ça aussi, ça nécessite des formations. Pour les gars, ça irait si on mangeait juste des pâtes midi et soir, mais ce n’est pas sain. Sauf que si ça ne te convient pas, alors, c’est toi qui te retrouves à faire à manger. Prendre soin, c’est encore pour les femmes ».</p>
</blockquote>
<p>D’autres cochons sont tués : un adulte et trois petits. Une fois les bêtes échaudées, elles sont suspendues par les tendons à des crochets pour être vidées de leurs entrailles. Ici encore, c’est Giuseppe qui veille à ce que les coups de hachette et de couteaux soient précis. Il s’agit de ne pas perforer les intestins. Les abats destinés à être cuisinés le jour même sont mis de côté. Une fois le cochon lavé, vidé, il est fendu en deux dans le sens de la longueur. Il faudra être plusieurs pour amener sa carcasse, devenue viande, jusqu’au lieu de boucherie. Là encore, on appelle aux gros bras. On laisse faisander les carcasses une nuit. La boucherie n’aura lieu que le lendemain.</p>
<h2>« Et alors ! ? On ne t’a pas appris à aiguiser des couteaux à Milan ? »</h2>
<p>Le lendemain, je réponds présente. Il y a moins de monde. C’est moins spectaculaire. Lisa n’est pas là. C’est une autre ambiance. Nous sommes à l’intérieur d’un grand hangar dont la fonction est polyvalente. Salle de fête, d’assemblée, de formation, de stockage, de boucherie. On écoute du rap très fort. On aiguise des couteaux réservés à cet usage.</p>
<figure class="align-center ">
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<figcaption>
<span class="caption">Boucherie : les os sont fendus à la hache, les jambons coupés, ainsi que les côtelettes et filets.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallusto</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Giuseppe et ‘Cici ne quittent pas leur posture de pédagogue de la veille. Ils seront très patients et bienveillants avec moi, s’assurant que tout aille bien, que je ne me coupe pas, que je n’aie pas mal au dos. Ils sont en revanche beaucoup plus moqueurs et provocateurs avec Enzo, plus jeune. Ancien étudiant de philosophie, Enzo a rejoint le collectif depuis peu. Il était arrivé en vélo, faisait de la musique, et surjouait une attitude légère et dilettante.</p>
<p>Giuseppe lève les yeux au ciel en voyant Enzo tenter d’aiguiser un couteau avec le fusil. Il lui prend le couteau des mains :</p>
<blockquote>
<p>« Et alors ! ? On ne t’a pas appris à aiguiser des couteaux à Milan ? »</p>
</blockquote>
<p>Tous les hommes éclatent de rire. Les railleries sur son origine milanaise sont nombreuses, Milan apparaissant comme la ville bourgeoise et « bling bling », loin de l’autonomie libertaire. Enzo en joue. Il incarne tantôt le vagabond bohème, tantôt l’enfant de riche, voire l’enfant tout court. Jouer au fou, au Mat, lui permet d’échapper au sérieux et aux responsabilités qui l’accompagnent. Sa posture est intéressante car le décalage de cet homme avec la virilité et l’ardeur technique au travail attendues de lui permet de mettre en lumière le rôle qu’il ne remplit pas. Cela fait donc l’objet de moqueries et, par là, visibilise les normes relatives à la masculinité dans ce collectif.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554958/original/file-20231020-27-tchtxe.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les premiers bouts de viande sont cuits au barbecue alors que la boucherie continue. Ce sera l’occasion de faire une pause.</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Sallustio</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Francesco, quant à lui, est depuis hier pendu aux lèvres de Giuseppe et ‘Cici. Clope au bec, il apprend. Un jour, il devra pouvoir le faire seul. Je travaille pour ma part avec Enzo. Nous sommes en bout de chaîne, à dégraisser, désosser, et tailler le lard et les plus petits morceaux de viande pour le hachoir à saucisse. Les autres, vrais bouchers, fendent des os à la hache, à la scie, détachent jambons, côtelettes, filets. Aucune partie du cochon ne sera gâchée. Tous les os, bouts de peau, de gras, les pieds et autres morceaux seront bouillis dans une grande marmite. On épicera le tout selon différentes recettes pour faire du pâté de tête.</p>
<p>La viande sera congelée ou transformée en saucisse, elle-même congelée pour les grandes occasions. Quelques morceaux seront consommés au barbecue, petit privilège des travailleurs. L’équipe de boulangers, à l’œuvre en même temps que nous dans le fournil, fait de même avec la <em>focaccia</em> sortie du four. Bénéficier directement de son labeur, après tout, est un des leitmotive du travail tel qu’il est déployé ici.</p>
<h2>Ce sont systématiquement les femmes qui s’en vont</h2>
<p>Malgré les aspirations égalitaires des collectifs que j’ai rencontrés dans le cadre de mes terrains en Italie, en France et en Espagne, l’organisation du travail et de la vie quotidienne demeure donc fortement genrée. Si l’objectif de ces lieux est de réinventer des manières de s’organiser « alternatives », on est en droit de se demander de quelle alternative au patriarcat il est question.</p>
<p>Les initiatives néo-paysannes reproduisent en effet la matrice dominante dans leur manière de penser les archétypes, en l’occurence, le <a href="https://anthrosource.onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1525/ae.2005.32.4.593">paysan traditionnel, homme, blanc, hétérosexuel</a>. S’identifier à la paysannerie, pour les femmes, demande un travail de désexualisation de cet archétype, sans quoi, l’identification au rôle de la <em>paysanne</em> et de sa position dans les rapports de domination n’est pas enviable.</p>
<p>Cet effort de nécessairement penser l’anticapitalisme et le « retour à la terre » selon une perspective écoféministe est permanent et la difficulté à transformer les rapports de force internes à ces groupes se manifeste notamment par la désertion des femmes.</p>
<p>À la fin de mon terrain en novembre 2021, de nombreuses femmes allaient en effet quitter le collectif, laissant Lisa comme seule habitante. Cela l’attristait, malgré les blagues des habitants du lieu qui cherchaient à dédramatiser la situation. « Vive la reine ! Vive la reine ! Vive la reine des lieux ! » était une phrase souvent scandée à son égard dans les espaces collectifs, tout particulièrement pour la remercier d’avoir fait la cuisine. Elle se séparera un an après de son conjoint et quittera également le collectif.</p>
<p>Ce sont systématiquement les femmes qui s’en vont. Les hommes, davantage intégrés, formés, engagés dans le projet, sont plus systématiquement intégrés au travail, non sans pression sociale. Si le but de ces initiatives est de reprendre de la maîtrise sur son environnement, se ressaisir, multiplier les savoirs et savoir-faire, les hommes ont une expérience finalement plus émancipatrice que les femmes dans ces aventures néo-paysannes pour qui le « retour à la terre » s’apparente plutôt à un <a href="https://www-sciencedirect-com.ezproxy.ulb.ac.be/science/article/pii/S0743016714000400">« retour au foyer »</a>.</p>
<p>Si pour <a href="https://thecommunists.org/2023/06/15/news/environment-day-un-ecology-without-class-struggle-gardening/">Chico Mendes</a> l’écologie sans la lutte des classes se résume à du jardinage, on est en droit de se demander ce qu’est le « retour à la terre » s’il fait l’économie du féminisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211453/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Madeleine Sallustio a reçu des financements de l'InSHS (CNRS) et du Centre de sociologie des organisations (CSO) de SciencesPo pour la réalisation de cette recherche. </span></em></p>Au sein d’un collectif agricole autogéré, on abat soi-même le cochon. Si cet événement témoigne d’une forte volonté politique, il visibilise aussi des clivages de genre. Récit.Madeleine Sallustio, Anthropologue, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2114632023-08-15T13:19:00Z2023-08-15T13:19:00ZLa viande rouge est-elle vraiment mauvaise pour la santé ? Voici ce qu’en dit la science<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/542350/original/file-20230721-6326-7bnydt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C8%2C5742%2C3819&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans la mesure du possible, il est préférable d'opter pour des morceaux de viande non transformés ou maigres, et de limiter les grillades.
</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Si vous mangez de la viande, il y a de fortes chances que vous ne puissiez pas résister à un bon hamburger juteux. Or, la science montre que la consommation régulière de viande rouge peut augmenter le risque de développer le <a href="https://academic.oup.com/eurheartj/advance-article/doi/10.1093/eurheartj/ehad336/7188739?searchresult=1">diabète de type II, des maladies cardiovasculaires</a> et <a href="https://www.thelancet.com/journals/lanonc/article/PIIS1470-2045(15)00444-1/fulltext">certains cancers</a>.</p>
<p>À la lumière de ces constats, il convient de se poser la question suivante : un hamburger de bœuf est-il moins bon pour la santé qu’un steak maigre nourri à l’herbe ? Et quelle quantité de viande rouge devrions-nous réellement consommer ?</p>
<h2>Il existe plusieurs types de viande rouge</h2>
<p>La <a href="https://www.who.int/publications/i/item/9789240074828">viande rouge</a> désigne toutes les viandes qui proviennent des muscles de mammifères. Ces animaux comprennent le bœuf, l’agneau, le porc, le veau, le mouton et la chèvre. </p>
<p>On peut ensuite distinguer les différents types de viande rouge en fonction du mode d’élevage de l’animal et de la façon dont la viande est transformée. </p>
<p>La viande conventionnelle, communément qualifiée de « nourrie au grain », provient d’animaux qui sont nourris à l’herbe pendant une partie de leur vie, puis nourris au grain, comme le maïs. La plupart des viandes rouges disponibles dans les supermarchés proviennent de bétail nourri aux céréales.</p>
<p>La viande d’animaux « nourris à l’herbe » provient d’animaux qui ont brouté dans des pâturages pendant toute leur vie. Ce type de viande a tendance à contenir davantage de gras insaturés que la viande conventionnelle. C’est pour cette raison que certaines <a href="https://www.mdpi.com/2304-8158/11/5/646">recherches</a> suggèrent qu’elle est plus saine. Et elle coûte généralement plus cher.</p>
<p>La viande biologique est considérée comme un produit de qualité supérieure, car elle doit répondre aux <a href="https://inspection.canada.ca/produits-biologiques/reglementation/fra/1328082717777/1328082783032">normes gouvernementales</a> pour les produits biologiques. Par exemple, la viande étiquetée comme biologique ne peut pas contenir de pesticides synthétiques ni d’hormones ou d’antibiotiques utilisés pour stimuler la croissance. </p>
<p>Les viandes transformées ont quant à elles été conservées par fumage, salaison ou salage, ou bien par l’ajout de conservateurs chimiques. Les saucisses, le jambon, le bacon et les saucisses à hot-dog en sont de bons exemples.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538683/original/file-20230721-17-8jb0lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Saucisses et salamis" src="https://images.theconversation.com/files/538683/original/file-20230721-17-8jb0lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538683/original/file-20230721-17-8jb0lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538683/original/file-20230721-17-8jb0lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538683/original/file-20230721-17-8jb0lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538683/original/file-20230721-17-8jb0lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538683/original/file-20230721-17-8jb0lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538683/original/file-20230721-17-8jb0lp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les charcuteries et les saucisses sont des viandes transformées.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Quelle est la valeur nutritionnelle de la viande rouge ?</h2>
<p>La <a href="https://www.eatforhealth.gov.au/food-essentials/five-food-groups/lean-meat-and-poultry-fish-eggs-tofu-nuts-and-seeds-and">viande rouge</a> contient de nombreux nutriments importants pour la santé, notamment des protéines, de la vitamine B12, du fer et du zinc. La viande rouge est une bonne source de fer et de zinc, car le corps les absorbe plus facilement à partir de la viande qu’à partir des aliments végétaux. </p>
<p>La viande rouge est souvent riche en gras saturés, mais <a href="https://www.foodstandards.gov.au/science/monitoringnutrients/ausnut/ausnutdatafiles/Pages/foodnutrient.aspx">cette teneur peut varier</a> de moins de 1 % à plus de 25 % selon la coupe et la quantité de gras. Quant à la viande hachée, elle contient généralement entre 2 % et 9 % de gras saturés, en fonction du fait qu’elle soit extra-maigre ou maigre.</p>
<p>Pour limiter la consommation de gras saturés, il est préférable d’opter pour des viandes hachées et des morceaux de viande plus maigres, tels que les filets de porc ou les steaks de bœuf contenant moins de gras.</p>
<p>Le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5243954/">bœuf Wagyu</a> (qui se traduit simplement par « vache japonaise ») a été présenté comme une alternative plus saine à la viande rouge conventionnelle, car il a tendance à être plus riche en gras insaturés. Mais les recherches sont limitées, et il contient tout de même des gras saturés. </p>
<p>Les viandes transformées, telles que le bacon, le salami et les saucisses, contiennent des nutriments bénéfiques. Mais elles sont également riches en gras saturé, en sodium et contiennent des agents de conservation.</p>
<h2>La viande rouge est-elle mauvaise pour la santé ?</h2>
<p>Il est généralement admis que manger trop de viande rouge est mauvais pour la santé, en raison de l’augmentation du risque de maladies cardiovasculaires, de diabète de type II et de certains cancers. </p>
<p>Mais la plupart des preuves scientifiques à l’origine de ces affirmations proviennent d’études d’observation, qui ne permettent pas de déterminer si la consommation de viande est une cause directe de ces maladies. </p>
<p>Il n’est tout simplement pas possible, d’un point de vue éthique, de demander à quelqu’un de manger de grandes quantités de viande tous les jours pendant plusieurs années afin d’évaluer s’il développe un cancer.</p>
<p>Examinons donc les preuves :</p>
<p><strong>Maladies cardiovasculaires et diabète de type II</strong></p>
<p>Dans une <a href="https://www.nature.com/articles/s41591-022-01968-z">analyse</a> de 37 études d’observation, les auteurs ont trouvé de faibles preuves d’une association directe entre la consommation de viande rouge non transformée et les maladies cardiovasculaires et le diabète de type II. </p>
<p>En ce qui a trait à la viande transformée, une <a href="https://academic.oup.com/eurheartj/article/44/28/2626/7188739">revue récente</a> a montré que pour chaque tranche supplémentaire de 50 grammes de viande transformée consommée par jour, le risque de maladie cardiovasculaire augmentait en moyenne de 26 % et le risque de diabète de type II augmentait de 44 %.</p>
<p><strong>Cancer</strong></p>
<p>Des organisations internationales ont déclaré qu’il existe des preuves solides que la consommation de viande rouge et de viande transformée <a href="https://www.wcrf.org/diet-activity-and-cancer/cancer-prevention-recommendations/limit-red-and-processed-meat/">augmente le risque de cancer colorectal</a>. </p>
<p>Par exemple, une <a href="https://academic.oup.com/ije/article/49/1/246/5470096?">étude</a> portant sur près de 500 000 personnes, a montré que chaque tranche supplémentaire de 50 g de viande rouge consommée par jour augmente le risque de cancer colorectal de 18 %. Et chaque tranche supplémentaire de 25 g de viande transformée consommée par jour, soit l’équivalent d’une tranche de jambon, augmente le risque de 19 %.</p>
<p>Bien que la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34455534/">recherche</a> ait établi un lien entre la consommation de viande rouge et de viande transformée et le risque accru d’autres types de cancer, tels que le cancer du poumon, du pancréas et du sein, les preuves ne sont pas cohérentes.</p>
<p>Le mode de cuisson de la viande rouge a également son importance. Par exemple, la cuisson d’un steak à feu vif, en particulier sur une flamme nue, carbonise l’extérieur. Cette carbonisation entraîne la formation de <a href="https://www.cancer.gov/about-cancer/causes-prevention/risk/diet/cooked-meats-fact-sheet">composés chimiques</a> qui se sont avérés cancérigènes à très fortes concentrations chez des modèles animaux. Certaines études chez l’humain ont également établi un <a href="https://aacrjournals.org/cebp/article/16/12/2664/260099/Meat-and-Meat-Mutagen-Intake-and-Pancreatic-Cancer">lien</a> avec l’augmentation des taux de cancer.</p>
<p>En ce qui concerne le mode d’élevage ou la race de l’animal, les données disponibles sont limitées et ne permettent pas de déterminer si ces facteurs ont un impact substantiel sur la santé humaine. </p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538687/original/file-20230721-21-pcuc0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Steak" src="https://images.theconversation.com/files/538687/original/file-20230721-21-pcuc0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538687/original/file-20230721-21-pcuc0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538687/original/file-20230721-21-pcuc0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538687/original/file-20230721-21-pcuc0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538687/original/file-20230721-21-pcuc0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538687/original/file-20230721-21-pcuc0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538687/original/file-20230721-21-pcuc0r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le rôtissage est meilleur pour la santé que la cuisson à la flamme nue.</span>
<span class="attribution"><span class="source">jose ignacio pompe/Unsplash</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Quelle quantité de viande rouge devrions-nous manger ?</h2>
<p>La <a href="https://cancer.ca/fr/cancer-information/reduce-your-risk/eat-well/limit-red-and-processed-meat#:%7E:text=Notre%20recommandation,%C3%A9viter%20compl%C3%A8tement%20la%20viande%20transform%C3%A9e.">Société canadienne du cancer</a> recommande de se limiter à 255 g de viande rouge cuite par semaine (soit trois portions de 85 g, ce qui correspond à une côtelette d’agneau). Elle recommande également d’éviter complètement la viande transformée.</p>
<p>Pour la santé cardiaque en particulier, la <a href="https://www.coeuretavc.ca/vivez-sainement/saine-alimentation/proteines">Fondation des maladies du cœur et de l’AVC du Canada</a> recommande de préconiser les viandes maigres, comme le gibier, et de ne pas dépasser des portions de 110 g, soit la taille d’une paume de main. À l’instar du Guide alimentaire canadien, elle suggère également de favoriser les aliments protéinés d’origine végétale.</p>
<p>De nombreuses recommandations nutritionnelles dans le monde entier recommandent également de limiter la consommation de viande rouge pour des raisons environnementales. Pour optimiser la nutrition humaine et la santé de la planète, la <a href="https://eatforum.org/lancet-commission/eatinghealthyandsustainable/">commission EAT-Lancet</a> recommande de ne pas consommer plus de 98 g de viande rouge par semaine et de limiter la consommation de viande transformée.</p>
<h2>Et notre régime alimentaire, dans tout ça ?</h2>
<p>Il est toujours possible d’apprécier la viande rouge lorsqu’elle est intégrée au sein d’un <a href="https://www.eatforhealth.gov.au/food-essentials/five-food-groups/lean-meat-and-poultry-fish-eggs-tofu-nuts-and-seeds-and">régime alimentaire sain</a>, si elle n’est pas consommée en excès. Dans la mesure du possible, il est préférable d’opter pour des morceaux de viande non transformés ou maigres, et de limiter les grillades. Il est également recommandé de remplacer la viande rouge par du poulet ou du poisson maigre de temps en temps.</p>
<p>Si vous cherchez des alternatives à la viande qui soient meilleures pour votre santé et pour l’environnement, les alternatives végétales peu transformées, telles que le tofu, les haricots et les lentilles, sont d’excellentes options.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211463/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Katherine Livingstone bénéficie d'une bourse de recherche du National Health and Medical Research Council (APP1173803) et d'une bourse Vanguard de la National Heart Foundation of Australia (ID106800).</span></em></p>La plupart d’entre nous savons vaguement qu’il ne faut pas manger trop de viande rouge, mais pourquoi en est-il ainsi ? Et le type de viande fait-il vraiment une différence ?Katherine Livingstone, NHMRC Emerging Leadership Fellow and Senior Research Fellow at the Institute for Physical Activity and Nutrition, Deakin UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2088892023-07-11T19:21:46Z2023-07-11T19:21:46ZDes abattoirs paysans pour offrir une alternative à l’abattage industriel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/536821/original/file-20230711-17-mdhw2x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Éleveuse intervenant dans un abattoir paysan, en avril 2022. </span> <span class="attribution"><span class="source">Alberto Campi</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>L’abattoir mobile d’Émilie Jeanin, premier du genre en France, a fermé ses portes en Bourgogne le 28 février 2023, suite à la liquidation judiciaire de sa société porteuse, le Bœuf éthique.</p>
<p>Très attendu, cet abattoir 100 % roulant, conçu pour venir abattre les animaux sur leurs lieux de vie, répondait pourtant aux attentes des fermes locales et des consommateurs, tandis que l’administration avait validé sa conformité réglementaire.</p>
<p>Si les <a href="https://reporterre.net/C-est-une-execution-le-premier-abattoir-mobile-mis-a-l-arret">difficultés rencontrées par ce projet</a> pionnier ont été multiples, l’éleveuse a néanmoins ouvert la voie : elle a montré la faisabilité d’instaurer des abattoirs mobiles dans notre pays, comme il en existe depuis bien longtemps chez nos voisins européens, puisque la législation européenne le permet.</p>
<h2>S’affranchir des abattoirs conventionnels</h2>
<p>Cette initiative n’est pas isolée : aux quatre coins de France, des <a href="https://m.soundcloud.com/riegelcampi/sets/vers-une-nouvelle-histoire-des-abattoirs?si=ab0071778cf445c58b505d9ab984cb87">projets d’abattoirs alternatifs essaiment</a>, portés par des collectifs d’éleveurs et éleveuses, résolus à s’affranchir des abattoirs conventionnels.</p>
<p>Ces projets concernent des abattoirs coopératifs, fixes ou mobiles, à la ferme ou sur des sites d’accueil entre plusieurs fermes, reflétant la diversité des besoins et des territoires dans lesquels ils prennent forme.</p>
<p>Les éleveurs et éleveuses qui les portent revendiquent une même appellation : celle « d’abattoirs paysans », <a href="http://confederationpaysanne.fr/sites/1/mots_cles/documents/Abattage_FINAL_BD_PROT.pdf">définie</a> par le syndicat agricole de la Confédération paysanne, comme des abattoirs de proximité gérés par et pour les paysans et paysannes, ancrés dans un territoire d’élevage et au service des circuits courts.</p>
<p>Mais en quoi ces abattoirs paysans représentent-ils une rupture avec le système industriel ? Incarnent-ils vraiment une voie de transition agricole et alimentaire ?</p>
<h2>La privatisation et la spécialisation des abattoirs français</h2>
<p>Historiquement, l’abattage des animaux d’élevage est l’affaire des bouchers, qui officiaient dans leurs ateliers de tuerie et de découpe au cœur des villes. L’évolution des mœurs à l’égard du sang et de la mort, l’apparition des premières associations de défense des animaux, ainsi que le développement des préoccupations hygiénistes et sanitaires, aboutissent à la création des abattoirs municipaux dans les grandes villes françaises : celui de la Villette ouvre par exemple ses portes en 1867.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quatre-pistes-pour-une-souverainete-alimentaire-respectueuse-de-la-sante-et-de-lenvironnement-206947">Quatre pistes pour une souveraineté alimentaire respectueuse de la santé et de l’environnement</a>
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<p>Les autorités locales s’impliquent dès lors dans le gouvernement et la gestion des abattoirs, maillons stratégiques pour l’approvisionnement des habitants. Il est difficile de se le figurer aujourd’hui, mais les abattoirs municipaux ont longtemps été des <a href="https://journals.openedition.org/ruralia/1231">lieux de sociabilité</a>, ouverts sur leur territoire, où se côtoyaient les travailleurs d’abattoirs et les professionnels de l’élevage, du transport des bêtes et de la boucherie.</p>
<p>Depuis cinquante ans, <a href="https://theconversation.com/comprendre-la-carte-de-la-france-agricole-168029">l’industrialisation de l’agriculture et le développement de filières longues</a> et spécialisées dans le lait et la viande ont entraîné la privatisation des abattoirs. Ils ont été progressivement rachetés par de grandes coopératives agricoles, et déplacés toujours plus loin des villes, à l’abri des regards.</p>
<p>Cette privatisation s’est accompagnée de la <a href="https://journals.openedition.org/aof/9742">spécialisation des abattoirs</a> par espèce, de leur concentration géographique (essentiellement dans l’ouest du pays) et de l’augmentation des volumes abattus.</p>
<p>Dans la période 1970-2000, la moitié des abattoirs français a fermé par vagues successives et, en 2010, les <a href="https://www.les-scic.coop/system/files/inline-files/2015_Pauline_Latapie_Thxse_professionnelle.pdf">abattoirs publics ne représentaient plus que 36 % des structures en France, soit 102 établissements</a>. Leur régression a entraîné celle des structures de petite taille et les abattoirs de proximité, pourtant qualifiés « d’abattoirs de soutien » de la boucherie traditionnelle et des circuits courts, <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/134000548.pdf">ne couvraient plus que 2 % des tonnages de viande en 2009</a>.</p>
<h2>La question du bien-être animal</h2>
<p>Depuis les années 1990, la privatisation et l’industrialisation croissantes du système d’abattage signent la disjonction entre l’élevage et l’alimentation : entre les deux, la mise à mort des animaux devient une boîte noire. « Désormais, l’abattage doit être industriel, c’est-à-dire massif et anonyme : il doit être non violent, idéalement : indolore ; il doit être invisible, idéalement : inexistant. Il doit être comme n’étant pas » résume l’ethnologue Noëlie Vialles <a href="https://books.openedition.org/editionsmsh/3021">dans son ouvrage de 1987, <em>Le Sang et la chair</em></a>.</p>
<p>La sociologue Jocelyne Porcher s’est fait l’écho du malaise sourd des éleveurs face à cette évolution. Ses enquêtes témoignent de leur sentiment que leur travail est <a href="https://www.babelio.com/livres/Porcher-La-mort-nest-pas-notre-metier/21721">« saccagé »</a>, du fait du stress de leurs animaux lors du transport et de l’attente en bouverie (qui désigne la zone de maintien des animaux après leur décharge), de la qualité de la viande qui s’en ressent, et de leur impression d’abandonner leurs bêtes à cette étape difficile.</p>
<p>Les trop rares témoignages <a href="https://www.babelio.com/livres/Geffroy-A-labattoir/844307">d’employés</a>, de <a href="https://www.cairn.info/revue-travailler-2007-1-page-179.htm">chercheurs</a> ou de <a href="https://www.revue-ballast.fr/geoffrey-guilcher-labattoir-chaine-de-tabous/">journalistes</a> révèlent également les impacts physiques et psychologiques dramatiques du travail en abattoir, qui assujettit les employés à des tâches à la chaîne extrêmement cadencées.</p>
<p>En parallèle, les normes de <a href="https://theconversation.com/bien-etre-animal-parlons-plutot-du-bien-etre-des-animaux-187953">bien-être animal</a> de plus en plus exigeantes n’ont pas clos le malaise grandissant de la société envers la condition animale dans les abattoirs, car l’abattage sans douleur est devenu une condition de la production de viande de masse.</p>
<p>Selon les données d’Agreste de 2016, 4,7 millions de bovins, 23,8 millions de porcs, 4,3 millions d’ovins, 0,73 million de caprins et 13 000 équidés sont abattus, en France, <a href="http://agreste.agriculture.gouv.fr/thematiques/productions-animales-877/bovins-porcins-ovins-caprins-878/">dans 260 abattoirs</a>.</p>
<h2>Le tournant des vidéos de L214</h2>
<p>Ce n’est pourtant qu’en 2016 que le sujet des abattoirs s’invite dans l’agenda politique français, lorsqu’une commission d’enquête parlementaire est nommée suite à la diffusion des premières vidéos de l’association antispéciste L214 pour dénoncer des actes de violence dans les abattoirs.</p>
<p><a href="https://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rapports/r3579.pdf">Les conclusions</a> de cette commission convergent avec le plaidoyer d’acteurs agricoles et environnementaux <a href="https://abattagealternatives.files.wordpress.com/2017/12/tribune-collective-abattage-de-proximitc3a9.png">qui réclament, fin 2017, dans une tribune</a> la possibilité de créer des abattoirs mobiles.</p>
<p>La Loi de 2018 sur l’agriculture et l’alimentation (dite Loi Egalim) entérine dans son article 73 cette demande sociétale, qui correspondrait au souhait de <a href="https://www.ifop.com/publication/les-francais-et-le-bien-etre-des-animaux-2/">81 % des Français</a>.</p>
<h2>Des abattoirs paysans pour un autre modèle économique et social</h2>
<p>Ce décret marque la reconnaissance politique du besoin de mailler les territoires français de nouveaux abattoirs de proximité pour épargner aux animaux un transport éprouvant, soutenir les circuits courts et la relocalisation alimentaire.</p>
<p>Des groupes d’éleveurs et éleveuses ont désormais la légitimité de nouer le dialogue avec leurs élus et administrations locales, jusque là plutôt sceptiques. Actuellement, une <a href="https://www.confederationpaysanne.fr/extra/carte/">trentaine de projets d’abattoirs alternatifs se structurent et se mettent en réseau en France</a>.</p>
<p>Ces derniers se répartissent en trois types : de petits abattoirs fixes que des collectifs d’éleveurs font eux-mêmes fonctionner aux côtés ou à la place d’employés ; des projets d’abattoirs mobiles (abattoirs sur roues), à même de circuler entre différents groupes de ferme ; des projets de caissons d’abattage permettant de tuer les animaux dans les fermes où ils sont nés, puis de les acheminer vers des structures fixes afin d’y réaliser la préparation des carcasses. À ce jour, six abattoirs paysans fixes sont en fonctionnement, situés dans le quart sud-est de la France.</p>
<p>Le modèle économique des abattoirs paysans est radicalement différent d’un abattoir conventionnel : son objectif n’est pas d’être rentable, mais d’être à l’équilibre, tout en se plaçant au service des petites et des moyennes fermes. À cette fin, le travail d’abattage n’est pas réalisé par des employés, mais en partie ou totalement par des éleveurs et éleveuses qui assurent une prestation dans la continuité de leur ferme et de leur statut d’entrepreneur agricole.</p>
<p>Dès lors, l’abattoir fonctionne selon une charge salariale variable, fonction de la demande. Pour la plupart en circuit court, les professionnels apportent chaque semaine de petits lots d’animaux : l’ouverture de l’abattoir un à deux jours hebdomadaires suffit pour répondre à cette demande.</p>
<h2>Auto-organisation et petits volumes</h2>
<p>Ce modèle économique engendre un modèle social inédit : il n’y a pas de hiérarchie ni de cadence imposée, les éleveurs et éleveuses étant volontaires et auto-organisés pour faire fonctionner l’abattoir. Ces abattoirs accueillent en outre les animaux non standards, qu’il s’agisse des chevreaux, des porcs de plein air, ou des races cornues, souvent refusés dans les abattoirs conventionnels ou acceptées à des tarifs prohibitifs.</p>
<p>Les abattoirs paysans développent des services qui limitent la dépendance à des intermédiaires, comme la mise à disposition d’une salle de découpe et d’un équipement de mise sous vide. Ils permettent également aux apporteurs d’animaux de les amener le matin même et bien entendu d’entrer dans l’abattoir s’ils le souhaitent.</p>
<p>Or en vente directe et en circuit court (un intermédiaire au plus entre le producteur et le consommateur), les éleveurs font abattre chaque semaine quelques animaux, en les choisissant en fonction des demandes de leurs clients. Dans les marchés, les magasins de producteurs ou les AMAP, éleveurs et éleveuses misent sur la qualité de leurs produits et sur la confiance de leurs clients.</p>
<p>La viande n’est alors plus seulement une histoire de prix au kilo : elle raconte une ferme, un territoire, une relation entre un éleveur, une éleveuse, et son troupeau.</p>
<h2>Les animaux de quelqu’un</h2>
<p>Les normes de bien-être animal dans les abattoirs n’ont cessé de progresser depuis cinquante ans, notamment du fait de la <a href="https://hal.inrae.fr/hal-02619786/document">réglementation européenne</a>. Mais les <a href="https://www.inrae.infrawan.fr/sites/default/files/pdf/0b4e285b76a15fddf1bdd410fa10f4eb.pdf">débats qui les entourent</a> se limitent trop souvent à la question de l’inconscience des animaux, et donc de la présence ou de l’absence de douleur, lorsqu’ils sont saignés.</p>
<p>Or ces considérations éthiques perdent de leur sens lorsque les tâches de contrôle de la perte de conscience puis de la mort réalisées par les employés sont prises dans l’étau de la cadence, la répétition des tâches, l’épuisement dû aux horaires – jusqu’à une vache abattue par minute, 7 500 porcs par jour et 2 millions d’animaux par an dans l’abattoir où le journaliste Geoffroy Le Guilcher, auteur de l’ouvrage <em>Steack machine</em>, s’est infiltré.</p>
<p>Dans un abattoir paysan, le temps est élastique : il importe alors de prendre le temps qu’il faut. Si une vache refuse d’avancer, qu’un porc s’effraie, qu’un agneau saute le tapis d’amenée, le travail d’abattage s’interrompt et les gestes des éleveurs reprennent le dessus. De plus, les bêtes ne sont jamais anonymes : à l’arrivée en bouverie, comme à la restitution des carcasses, c’est l’animal de quelqu’un et pour quelqu’un qui passe entre les mains et sous les yeux des éleveurs œuvrant dans l’abattoir.</p>
<h2>Des parcours semés d’embûches</h2>
<p>Dans les abattoirs paysans, les animaux ne sont perçus ni comme l’animal-matière des productions industrielles ni comme l’animal-enfant des mouvements animalistes que décrit l’anthropologue <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_animal_et_la_mort-9782348068966">Charles Stepanoff</a>. Ils sont envisagés comme des animaux-sujets, <a href="https://soundcloud.com/riegelcampi/ep1vero?in=riegelcampi/sets/vers-une-nouvelle-histoire-des-abattoirs">qu’il est décent de tuer sous certaines conditions</a>.</p>
<p>La distinction faite par la philosophe Donna Haraway <a href="https://soundcloud.com/user-769116636/vivre-avec-le-trouble-de-donna-harraway">entre des êtres rendus tuables, et des êtres tués avec responsabilité</a>, prend ici tout son sens : les animaux produits en masse pour faire de la viande rentable doivent être tuables efficacement, rapidement et silencieusement, moyennant de développer des normes de bien-être animal standardisées. Tuer des animaux avec responsabilité implique en revanche de ne pas cesser de se demander pourquoi, et de le faire en conscience.</p>
<p>Si les abattoirs paysans offrent une voie de transition agricole et alimentaire à la fois éthique et durable, <a href="https://journals.openedition.org/gc/15583">leur chemin demeure semé d’embûches</a>.</p>
<iframe width="100%" height="300" scrolling="no" frameborder="no" allow="autoplay" src="https://w.soundcloud.com/player/?url=https%3A//api.soundcloud.com/playlists/1647755485&color=%23ff5500&auto_play=false&hide_related=false&show_comments=true&show_user=true&show_reposts=false&show_teaser=true&visual=true"></iframe>
<p></p><div style="font-size: 10px; color: #cccccc;line-break: anywhere;word-break: normal;overflow: hidden;white-space: nowrap;text-overflow: ellipsis; font-family: Interstate, Lucida Grande, Lucida Sans Unicode, Lucida Sans, Garuda, Verdana, Tahoma, sans-serif;font-weight: 100;"><a href="https://soundcloud.com/riegelcampi" title="JR & AC" target="_blank">JR & AC</a> <a href="https://soundcloud.com/riegelcampi/sets/vers-une-nouvelle-histoire-des-abattoirs" title="Vers une nouvelle histoire des abattoirs: une histoire paysanne" target="_blank">Vers une nouvelle histoire des abattoirs: une histoire paysanne.</a></div><br><p></p>
<p>Dans le <a href="https://miimosa.com/fr/projects/d-un-elevage-respectueux-a-une-mort-digne-de-nos-animaux">Lubéron</a> ou en <a href="https://soundcloud.com/riegelcampi/7-episode-benjamin?in=riegelcampi/sets/vers-une-nouvelle-histoire-des-abattoirs">Lozère</a>, les éleveurs sont toujours en quête de financements publics et de terrains communaux pour leur futur abattoir mobile. Dans la <a href="https://soundcloud.com/riegelcampi/8-episode-laure-pierre?in=riegelcampi/sets/vers-une-nouvelle-histoire-des-abattoirs">Drôme</a> ou <a href="https://www.labatmobile34.fr/">l’Hérault</a>, la construction de caissons d’abattage à la ferme est imminente, même si l’interprétation française de la réglementation européenne en matière d’abattoirs mobiles est moins favorable qu’en Suède, en Allemagne ou en Autriche.</p>
<p>Face à ces verrouillages politiques et institutionnels, et alors que se prépare la <a href="https://agriculture.gouv.fr/concertation-sur-le-pacte-et-la-loi-dorientation-et-davenir-agricoles">nouvelle loi d’orientation agricole du quinquennat</a>, des acteurs se mobilisent aujourd’hui pour faire reconnaître les abattoirs paysans <a href="http://confederationpaysanne.fr/actu.php?id=12541">comme un authentique modèle alternatif</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/208889/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julie Riegel est membre fondatrice de l’association Pour des Abattages Paysans (PAP). Cet article s’inscrit dans le cadre d’une recherche réalisée au laboratoire PACTE de sciences sociales, qui a bénéficié du financement de l’Université Grenoble-Alpes (idex).</span></em></p>En France, des projets d’abattoirs alternatifs essaiment, portés par des collectifs d’éleveurs et éleveuses résolus à s’affranchir des abattoirs conventionnels.Julie Riegel, Chercheuse en anthropologie de l’environnement, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2063182023-06-22T18:58:55Z2023-06-22T18:58:55ZPeut-on lier rationalité et consommation de viande ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/532223/original/file-20230615-3915-u2ty6s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C24%2C8179%2C5432&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des dispositions cognitives peu étudiées pourraient aussi être impliquées lorsque nous choisissons entre plats végétariens et carnés.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/nourriture-sain-legumes-restaurant-16134565/">Valeria Boltneva/Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Comment choisit-on ses plats ? Les préférences alimentaires sont façonnées par de multiples influences biologiques et <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/27903310">sociales</a> dont la personnalité des consommateurs.</p>
<p>Des études menées en <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28890390/">Allemagne</a>, aux <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33705890/">États-Unis</a>, en <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33705890/">Nouvelle-Zélande</a> ou en <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/31340558/">France</a> ont ainsi montré que les personnes marquées par une <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33705890">plus grande curiosité intellectuelle et ouverture d’esprit</a> étaient plus enclines à favoriser une alimentation moins conventionnelle comme <a href="https://theconversation.com/quatre-pistes-pour-une-souverainete-alimentaire-respectueuse-de-la-sante-et-de-lenvironnement-206947">l’alimentation végétale</a>. Cet effet n’était pas réductible à leur classe sociale, leurs revenus ou leur niveau d’études.</p>
<p>Des dispositions cognitives pourraient aussi être impliquées, comme le suggère par exemple une étude de 2007 auprès d’une <a href="https://www.bmj.com/content/334/7587/245">cohorte de 8170 Anglais</a> et qui reliait le quotient intellectuel d’enfants de 10 ans au végétarisme vingt ans plus tard.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-on-mange-moins-de-viande-en-france-108129">Pourquoi on mange moins de viande en France</a>
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<h2>Une étude française</h2>
<p>Dans une recherche récemment <a href="https://www.researchgate.net/publication/370991206_Analytic_cognitive_style_is_inversely_related_to_meat_consumption">menée en France</a>, nous nous sommes demandé si le <a href="https://virole.pagesperso-orange.fr/FCOGSTYL.html">style cognitif</a> ne pourrait pas constituer une dimension psychologique impliquée dans le choix alimentaire de plus de 7 000 adultes.</p>
<p>L’idée sous-jacente était qu’un choix alimentaire minoritaire, le <a href="https://theconversation.com/pour-limiter-le-risque-de-cancer-colorectal-doit-on-vraiment-consommer-moins-de-viande-rouge-et-de-charcuterie-124728">choix végétal</a>, qui est intellectuellement et socialement plus exigeant, nécessiterait des ressources cognitives pour être soutenu. À l’inverse, on pouvait s’attendre à ce qu’en France, une pratique alimentaire omnivore implique moins de réflexion puisqu’elle est essentiellement portée par la culture majoritaire et s’acquiert donc de manière irréfléchie. Comme l’indiquent <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29111152/">certaines enquêtes et observations de terrain menées par exemple au Canada</a>, nos choix alimentaires sont souvent la conséquence de préférences acquises sans y penser par immersion culturelle dès le plus jeune âge.</p>
<p>Une étude anglaise publiée en <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/25865663/">2015</a> et portant sur des échantillons d’Américains et d’Australiens montre que beaucoup de consommateurs de viande justifient leur pratique en invoquant les « 4 N » : manger de la viande est considéré comme naturel, normal, nécessaire, et délicieux (en anglais, <a href="https://www.bps.org.uk/psychologist/four-ns-meat-justification">« natural, normal, necessary, and nice »</a>). Cette représentation culturelle de la viande résulte d’un fonctionnement plus intuitif que réflexif.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-monde-nouveau-ecoutez-lemission-sur-la-viande-artificielle-165269">« Un monde nouveau » : Écoutez l'émission sur la viande artificielle</a>
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<h2>Êtes-vous intuitif ou réflexif ?</h2>
<p>Le psychologue et prix Nobel d’économie Daniel Kahneman a popularisé deux modes de pensée que nous mobilisons dans <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Thinking,_Fast_and_Slow">notre vie quotidienne</a> : le mode automatique, qui est impulsif, intuitif et se met en route sans effort, et un mode réflexif, plus lent et intellectuellement plus exigeant, parce qu’il implique des opérations mentales comme le raisonnement basé sur des règles logiques ou mathématiques.</p>
<p>Chacun passe d’un mode à l’autre au cours d’une journée, mais avec des préférences. C’est exactement ce que mesure le <a href="https://link.springer.com/article/10.3758/s13428-015-0576-1">test de réflexion cognitive</a>, dont une version brève est proposée <a href="http://www.psychomedia.qc.ca/tests/test-reflexion-cognitive">ici</a> et qui diffère des tests de QI.</p>
<p>Plus le score à ce test est élevé, plus les individus sont capables de mettre de côté une idée intuitive qui surgit spontanément face à un problème logique et de fournir à la place une réponse analytique, qui s’avère correcte.</p>
<p>La question la plus connue du test est celle de la balle et de la batte de base-ball : une batte et une balle coûtent 1,10€ en tout. La batte coûte un euro de plus que la balle. Combien coûte la balle ? La réponse la plus courante est 10 centimes d’euros. Or, elle est fausse : si la balle coûte 10 centimes, la batte devrait coûter 1,10€, ce qui ferait un total de 1,20€ en tout. La bonne réponse est donc 5 centimes d’euros (une balle à 5 centimes d’euros plus une batte à 1,05€ font bien un total de 1,10€).</p>
<p>Lorsqu’on additionne les bonnes réponses à une série de questions comme celle-ci, on obtient un score qui mesure de manière stable dans le temps un aspect de la qualité du raisonnement logique d’une personne. Cette mesure est souvent reliée au quotient intellectuel, à la compréhension de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC7326817">concepts scientifiques</a> et à d’autres indices de performance cognitive ou même de réceptivité <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29935897">à des croyances fausses</a>.</p>
<p>Que sait-on des liens entre styles cognitifs et alimentation ? Pour l’heure, pas grand-chose, car il n’existe quasiment aucune étude à ce sujet. Parmi les rares travaux publiés, une étude menée en Corée du Sud a révélé que, dans le domaine alimentaire, obtenir un score supérieur au test de réflexion cognitive précité était associé à une plus grande prise en compte des informations nutritionnelles inscrites <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0950329320302949">sur les produits</a>.</p>
<h2>Un lien observé entre la pensée analytique et les choix alimentaires</h2>
<p>Dans une <a href="https://www.researchgate.net/publication/370991206_Analytic_cognitive_style_is_inversely_related_to_meat_consumption">première étude menée en France</a>, nous avons évalué 6200 participants âgés de 18 à 90 ans issus de milieux sociaux diversifiés, au test de réflexion cognitive. Les participants déclaraient également leurs habitudes et préférences alimentaires de plusieurs manières.</p>
<p>Ils devaient par exemple se positionner dans l’une des catégories proposées (végétarien, omnivore, etc.), en indiquant les aliments qu’ils excluaient de leurs repas. Les participants ont aussi dû répondre à des questions concernant leur adhésion aux représentations de la viande comme étant « nécessaire », « naturelle », « normale » et « délicieuse » (les « 4 N » cités plus haut). Enfin, d’autres paramètres sociodémographiques ont également été pris en compte (tels que l’âge, le genre ou le niveau scolaire), afin de pouvoir mener des analyses en contrôlant leurs effets.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532225/original/file-20230615-25-awxm6y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532225/original/file-20230615-25-awxm6y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532225/original/file-20230615-25-awxm6y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532225/original/file-20230615-25-awxm6y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532225/original/file-20230615-25-awxm6y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532225/original/file-20230615-25-awxm6y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532225/original/file-20230615-25-awxm6y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De nombreux facteurs influencent nos comportements alimentaires, comme la sociabilisation, l’éducation, ou encore l’environnement familial.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/nourriture-assiette-legumes-diner-6970099/">cottonbrostudio/pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Les résultats ont montré que les participants qui obtenaient un faible score au test – donc dont le style cognitif était davantage « intuitif » que « réflexif » – croyaient davantage que la viande était indispensable à la santé et que sa consommation était normale. Et ce, indépendamment de leur sexe ou de leur niveau d’étude. De plus, ils excluaient significativement moins souvent la viande de leur alimentation.</p>
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<p>À l’inverse, les personnes se déclarant végétariennes obtenaient un score légèrement plus élevé à celui des omnivores au test. Ainsi, plus de 60 % des végétariens avaient une valeur supérieure à la moyenne du groupe omnivore, ce qui indique une inclinaison supérieure pour la pensée analytique chez les végétariens.</p>
<p>Une seconde étude menée en ligne auprès d’un échantillon de 1063 participants rémunérés âgés de 18 à 78 ans a confirmé ce résultat et montré qu’il était indépendant d’autres facteurs psychologiques comme l’estime de soi ou la simple tendance à aimer raisonner, appelée aussi le <a href="https://psycnet.apa.org/record/1982-22487-001">besoin de cognition</a>.</p>
<p>Nos observations, fondées sur deux échantillons qui totalisent près de 7 300 participants, suggèrent donc que les styles cognitifs sont liés à notre manière de nous alimenter, et notamment à une préférence pour des aliments <a href="https://www.nature.com/articles/s43016-023-00749-2">plus durables</a> et <a href="https://theconversation.com/nos-choix-alimentaires-peuvent-ajouter-ou-retrancher-des-minutes-des-heures-des-annees-de-vie-166629">plus sains</a>.</p>
<p>Bien sûr, le lien que nous constatons entre la pensée analytique et les préférences pour le végétal ne s’observeraient peut-être pas dans un pays comme l’Inde où l’alimentation carnée n’a pas le <a href="https://www.franceagrimer.fr/Actualite/Etablissement/2021/VEGETARIENS-ET-FLEXITARIENS-EN-FRANCE-EN-2020">statut culturellement dominant</a> qui est le sien en <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/06/01/un-francais-consomme-deux-fois-plus-de-viande-que-la-moyenne-mondiale_6175784_3244.html">France</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206318/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Bègue-Shankland a reçu des financements de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (MILDECA)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Kevin Vezirian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Notre consommation insouciante de viande résulterait-elle d’un défaut de réflexion ?Laurent Bègue-Shankland, Professeur de psychologie sociale, membre honoraire de l’Institut universitaire de France (IUF), directeur de la MSH Alpes (CNRS/UGA), Université Grenoble Alpes (UGA)Kevin Vezirian, Postdoctoral research associate, The University of Western AustraliaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2013262023-03-14T20:00:56Z2023-03-14T20:00:56ZLes enfants sont-ils prêts à manger des insectes ?<p>Produire de la viande pollue et nécessite beaucoup d’espace et de ressources (eau, céréales…). <a href="https://theconversation.com/pourquoi-manger-des-insectes-est-bon-pour-nous-et-pour-la-planete-117732">Pour protéger la planète</a>, nous devons donc trouver de nouvelles sources de protéines. Une des solutions est de remplacer, au moins en partie, la <a href="https://theconversation.com/manger-des-insectes-pour-reconcilier-lhumain-et-la-nature-145679">viande par des insectes</a>.</p>
<p>Le problème est que les <a href="https://theconversation.com/les-insectes-seront-ils-reellement-la-nourriture-du-futur-183868">insectes</a>, en tant qu’aliments, sont rejetés par les Européens et Nord-Américains, qui les considèrent comme non comestibles, sales et dégoûtants. Pourtant, 2 milliards d’humains (en Asie, Afrique, Amérique du Sud) en mangent régulièrement. Les plus couramment consommés dans le monde sont les coléoptères tels que les scarabées, principalement sous forme de larve (comme le ver de farine), les lépidoptères (chenilles) et les hyménoptères (abeilles, guêpes et fourmis).</p>
<p>Les insectes sont intéressants car ils polluent moins et nécessitent moins d’eau et de nourriture que les vaches ou les cochons. Ils ont également besoin de moins d’espace pour être élevés et sont riches en protéines.</p>
<p>Depuis quelques années, des chercheurs étudient comment faire accepter les insectes chez les adultes en Occident, mais peu chez les enfants. Nous avons donc confronté des enfants à des insectes comestibles pour étudier leurs réactions.</p>
<h2>Insectes au ketchup ou au chocolat ?</h2>
<p>Les enfants peuvent en effet jouer un rôle important dans l’introduction de l’entomophagie (fait de manger des insectes) dans un pays comme la France pour trois raisons.</p>
<p>Premièrement, les habitudes alimentaires au sein d’une culture évoluent au fil des générations, si bien que les jeunes consommateurs peuvent adopter des pratiques nouvelles qu’ils transmettront ensuite à leurs enfants.</p>
<p>Ensuite, l’enfance est une période très importante, car les préférences alimentaires acquises très tôt persistent à l’âge adulte. Enfin, les enfants influencent également ce que mangent leur famille et leurs amis. En consommant eux-mêmes des insectes, ils pourraient donc leur donner envie d’en consommer à leur tour.</p>
<p><a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/JCM-12-2020-4289/full/html#institutionlist">Nous avons interrogé 43 enfants</a> français âgés de 8 à 13 ans sur ce qu’ils pensaient de la consommation d’insectes. Dans une première étude, ils devaient décrire un enfant mangeur d’insectes (son physique, l’endroit où il vit…), puis exprimer ce qu’ils ressentaient face à des photos d’insectes entiers (sauterelles, grillons, vers de farine), d’insectes aromatisés au ketchup ou au chocolat, de sablés au fromage et d’un gâteau au chocolat contenant des insectes en poudre.</p>
<p>Dans une deuxième étude, les enfants ont été interrogés par groupes de deux ou trois. Cette fois, nous leur avons montré de vrais vers de farine séchés et un gâteau nature contenant des vers de farine en poudre. Ils ont également regardé des extraits de l’émission <em>Top Chef</em> dans laquelle des grillons et des fourmis étaient cuisinés et mangés.</p>
<h2>Des enfants curieux mais qui ont besoin d’être rassurés</h2>
<p>Les résultats de ces études montrent tout d’abord que les enfants pensent, comme les adultes, que les insectes ne sont pas comestibles dans notre culture. Selon eux, les mangeurs d’insectes vivent dans des pays lointains ou le font pour survivre. Sinon, manger des insectes est associé à la saleté ou à des défis répugnants dans des émissions comme <em>Fort Boyard</em> ou <em>Koh-Lanta</em>.</p>
<p>Avant d’être exposés à des insectes dans l’étude, la plupart des enfants indiquent spontanément qu’ils refuseraient d’en manger parce que cela les dégoûte. Ils imaginent un goût et des sensations désagréables en bouche. Quand nous leur montrons des insectes en photo ou en vrai, ils sont davantage attirés par les petits insectes comme les vers de farine, plus faciles à avaler que les grillons ou les sauterelles.</p>
<p>Les insectes aromatisés au ketchup ou au chocolat sont un peu mieux acceptés parce que ce sont des goûts qu’ils connaissent et apprécient. Mais les aliments qu’ils préfèrent sont ceux dans lesquels l’insecte est caché, comme le gâteau, car il ressemble à un « gâteau normal ».</p>
<p>Un autre résultat important est que les enfants changent d’attitude pendant l’étude. Le fait d’observer, manipuler et sentir de vrais vers de farine séchés atténue leur dégoût et éveille leur curiosité.</p>
<p>D’autre part, les enfants interrogés par petits groupes de deux ou trois se sont influencés mutuellement. Certains ont finalement accepté de manger du gâteau aux insectes parce que leurs amis en avaient goûté. Les enfants ont également eu davantage envie de goûter des insectes entiers après avoir vu l’émission <em>Top Chef</em> avec des insectes bien cuisinés.</p>
<p>Cette étude montre que les enfants en France peuvent finalement se faire assez rapidement à l’idée de manger des insectes. Ils sont dégoûtés par les insectes entiers mais cependant curieux. Leur intérêt peut augmenter si les insectes sont associés à des goûts ou des aliments connus, et s’ils sont consommés dans une situation rassurante, en famille par exemple, ou amusante, au cours d’un défi entre amis.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/251779/original/file-20181220-103676-bvxzth.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dianerottner.com/">Diane Rottner</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Si toi aussi tu as une question, demande à tes parents d’envoyer un mail à : <a href="mailto:tcjunior@theconversation.fr">tcjunior@theconversation.fr</a>. Nous trouverons un·e scientifique pour te répondre.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201326/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Céline GALLEN a été financée par l'Agence Nationale de la Recherche dans le cadre du projet CRI-KEE (Consumption and Representations of Insects – Knowledge on their Edibility in Europe) pour cette étude.
L'étude complète a été publiée étude dans le Journal of Consumer Marketing.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Gaëlle Pantin-Sohier a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche pour cette étude.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Valérie HEMAR-NICOLAS a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche pour cette étude.</span></em></p>Pour limiter notre impact sur la planète, une solution pourrait être de remplacer la viande par les insectes. Les enfants pourraient donner l’exemple.Céline Gallen, Professeur des Universités en Sciences de Gestion, IAE Nantes, NANTES Université, Université de NantesGaëlle Pantin-Sohier, Professeur des universités en science de gestion, Université d'AngersValérie Hémar-Nicolas, Professeure des universités en sciences de gestion et du management - Consommation alimentaire et durabilité, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1975892023-03-01T19:57:32Z2023-03-01T19:57:32ZQuels risques courons-nous à consommer de la charcuterie nitrée ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/512945/original/file-20230301-24-fw7cql.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C4920%2C3268&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les additifs nitrés présents dans la charcuterie sont pointés du doigt depuis plusieurs années.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/97QVuzn7MUo">Egor Myznick / Unsplash </a></span></figcaption></figure><p>Après la parution en septembre 2017 du livre <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/cochonneries-9782707193582"><em>Cochonneries. Comment la charcuterie est devenue un poison</em></a>, écrit par le journaliste et documentariste Guillaume Coudray, les projecteurs médiatiques se sont braqués sur les risques sanitaires que représenteraient l’utilisation de sels nitrités dans la production de charcuterie.</p>
<p>Devenue un enjeu politique, cette question a amené la Direction générale de la santé (DGS), la Direction générale de l’alimentation (DGAL) et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à saisir l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) le 29 juin 2020.</p>
<p>En juillet 2022, le groupe de travail « Évaluation des risques liés aux nitrates et nitrites » (GT Nina) rendait <a href="https://www.anses.fr/fr/system/files/ERCA2020SA0106Ra.pdf">son rapport</a>. Nous nous proposons ici d’en expliciter ses conclusions et recommandations.</p>
<h2>Consommation de charcuterie et cancer colorectal : un lien connu</h2>
<p>Avant tout, il faut rappeler que le fait que la consommation de charcuterie augmente le risque de cancer colorectal est connu depuis de nombreuses années.</p>
<p>Il a été mis en évidence dès 2007 <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/18452640/">dans le rapport</a> du World Cancer Research Fund (WCRF) et l’American Institute for Cancer Research (AICR). En 2015, le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC, ou IARC en anglais, agence de recherche sur le cancer de l’Organisation mondiale de la santé) concluait que le niveau de preuve est suffisant pour catégoriser la charcuterie comme <a href="https://www.who.int/news-room/questions-and-answers/item/cancer-carcinogenicity-of-the-consumption-of-red-meat-and-processed-meat">cancérigène pour l’être humain</a>. Le risque associé à la consommation de charcuterie est plus important que celui associé à la <a href="https://www.wcrf.org/diet-activity-and-cancer/global-cancer-update-programme/about-the-third-expert-report/">consommation de viande rouge</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, et notamment suite à la publication de l’ouvrage de Guillaume Coudray, la question des additifs nitrés est rapidement devenue un enjeu politique. Ainsi, <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/283627-proposition-de-loi-nitrites-nitrates-dans-les-produits-de-charcuterie">deux propositions de loi</a> <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b4830_proposition-loi#">ont été déposés</a> par le député Richard Ramos pour en limiter l’usage, alors qu’en parallèle Foodwatch, Yuka et la Ligue contre le Cancer lançaient une <a href="https://www.foodwatch.org/fr/sinformer/nos-campagnes/alimentation-et-sante/additifs/petition-stop-aux-nitrites-ajoutes-dans-notre-alimentation/">vaste pétition</a> pour demander plus simplement leur interdiction.</p>
<p>Pour mieux éclairer les différents enjeux liés à l’utilisation de sels nitrés dans la production de charcuterie, les députés Richard Ramos, Barbara Bessot Ballot et Michèle Crouzet mettaient en place le 3 mars 2020, une <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-eco/l15b3731_rapport-information">mission d’information parlementaire</a>. Celle-ci amena le ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, à saisir l’Anses pour guider la décision publique et faire le point sur cette question : « Quel(s) risque(s) courons-nous à consommer de la charcuterie nitrée ? »</p>
<h2>Le groupe de travail de l’Anses</h2>
<p>La saisine de l’Anses a été rédigée entre avril et juin 2020. Si elle répondait à une question d’actualité – la cancérogénicité de la charcuterie nitrée – elle incluait également d’autres préoccupations sanitaires comme l’exposition au nitrite et au nitrate via les aliments ou les eaux de boisson, qui est actuellement réglementée.</p>
<p>La saisine comportait quatre questions :</p>
<ul>
<li><p>Quel risque microbiologique la suppression/réduction de sels nitrités fait-il courir ?</p></li>
<li><p>Quelles alternatives à l’usage des sels nitrités et pour quels risques sanitaires ?</p></li>
<li><p>Est-il nécessaire de revoir la dose journalière acceptable (DJA) du nitrite et du nitrate suite au rapport EFSA 2017 ?</p></li>
<li><p>Existe-t-il de nouvelles connaissances, notamment mécanistiques, permettant de mieux caractériser le lien entre cancérogenèse chez l’Homme et consommation de produits carnés nitrités ?</p></li>
</ul>
<p>Pour répondre à ces questions, l’Anses a assemblé un groupe de travail (GT) d’une dizaine de scientifiques – le GT NiNa – supervisé par quatre comités d’experts spécialisés de l’Anses : Biorisk, Eaux, VSR et ERCA. Dans un tel contexte, chaque expert scientifique est sélectionné selon ses compétences scientifiques et se doit de remplir une déclaration publique d’intérêt afin d’éviter tout conflit d’intérêts.</p>
<p>Les travaux du groupe de travail (rapport, avis et recommandations) sont soumis aux différents comités d’experts spécialisés, qui les valident. La direction de l’Anses les valide ensuite.</p>
<p>Dans le cadre de cet article, nous avons choisi de nous focaliser sur la question de la cancérogénicité des viandes nitrées.</p>
<h2>Une évaluation difficile</h2>
<p>Les composés nitrosés/azotés tels que les nitrites sont des molécules très réactives, qui se transforment continuellement. Dans la vie quotidienne, chacun d’entre nous est exposé à un très grand nombre de ces molécules, qui présentent des biochimies et toxicités différentes.</p>
<p>Le rapport de l’Anses souligne la complexité de l’évaluation du risque de telles molécules réactives, en raison de leur diversité, de la complexité des expositions et des toxicités ainsi que la multiplicité des cibles physiologiques. Dans notre organisme, la nature de ces molécules dépend en premier lieu des caractéristiques physico-chimiques et microbiologiques rencontrées au cours de la digestion.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1546773695557177345"}"></div></p>
<p>Les rapporteurs rappellent que la présence de nitrates et de nitrites dans les aliments concerne à la fois l’eau de boisson, les produits végétaux et les produits carnés. Toutefois, il est primordial de souligner que le risque associé à la consommation de charcuterie traitée par des additifs nitrés est différent de celui associé à la consommation de nitrites/nitrates via d’autres sources alimentaires.</p>
<p>On sait que l’exposition directe au nitrite/nitrate présents dans les aliments est principalement associée à un <a href="https://publications.iarc.fr/112">risque accru de cancer gastrique</a>.</p>
<p>Cependant, dans le cas de la charcuterie nitrée, il semblerait que ce soit l’exposition aux composés nitrosés néoformés, générés après réaction du nitrite dans la charcuterie, qui soit associée à l’augmentation du risque de cancer colorectal. Certains de ces composés nitrosés sont en effet connus pour leur caractère génotoxique et cancérogène.</p>
<p>Peut-on affirmer que l’utilisation d’additifs nitrés dans les charcuteries est associée au risque de cancer ? Pour le déterminer, le GT Nina a analysé les données épidémiologiques disponibles.</p>
<h2>Charcuterie, additifs nitrés et cancers</h2>
<p>Les données épidémiologiques sont le plus haut niveau de preuve qu’il est possible d’obtenir afin de démontrer s’il existe un risque de cancer associé aux additifs nitrés dans les produits carnés.</p>
<p>Les membres du GT NiNa ont recensé de manière systématique les articles parus dans la littérature scientifique entre janvier 2015 et mars 2022. Au cours de l’analyse, le niveau de preuve a été considéré comme atteint lorsqu’au moins 2 articles convergeaient dans la même direction (augmentation ou diminution du risque de cancer).</p>
<p>En définitive, le groupe de travail <a href="https://www.anses.fr/fr/system/files/ERCA2020SA0106Ra.pdf#page=16">a conclu</a> « à l’existence d’une association positive entre l’exposition aux nitrates et/ou aux nitrites via la viande transformée et le risque de cancer colorectal » et confirme donc la classification opérée par le CIRC en 2015.</p>
<p>Il va même plus loin, en montrant que c’est l’utilisation d’additifs nitrés qui est associée à la cancérogénicité de la charcuterie. En effet, les <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/29873077/">nouvelles études</a> <a href="https://academic.oup.com/ije/article/51/4/1106/6550543">incluses dans son analyse</a> ont pris en compte les teneurs en additifs nitrés des charcuteries, ce qui a permis d’associer la présence de ces additifs avec le risque de cancer. Ces résultats sont plus précis que ceux qui avaient été mis en évidence par le WCRF en 2007. En effet, à l’époque, seule l’association entre une consommation de charcuterie dans sa globalité et le risque de CRC avait été établie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1546779684184244225"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, les auteurs du rapport de l’Anses soulignent qu’une association est suspectée entre la consommation d’additifs nitrés et divers cancers : du sein, de la vessie, du pancréas, de l’estomac, de l’œsophage, de la prostate et de la mortalité par cancer. Cependant, le niveau de preuve suffisant n’est pas atteint pour le moment, car moins de deux articles ont établi de telles associations pour ces pathologies. D’autres études sont donc nécessaires afin de pouvoir les confirmer ou les infirmer.</p>
<p>Au vu de ces conclusions les <a href="https://www.anses.fr/fr/system/files/ERCA2020SA0106Ra.pdf#page=25">recommandations du groupe de travail et des comités d’experts spécialisés</a> sont :</p>
<ul>
<li><p>de limiter l’exposition alimentaire aux nitrates et aux nitrites via les produits carnés traités en limitant l’utilisation des additifs nitrés ajoutés et en respectant les recommandations de consommation ;</p></li>
<li><p>de conduire de nouvelles études épidémiologiques pour améliorer les connaissances sur l’association entre l’exposition aux nitrates et aux nitrites via la consommation des produits carnés traités et les risques de cancer.</p></li>
</ul>
<h2>Un lien clairement démontré</h2>
<p>Le cas des viandes transformées aux sels nitrités questionne le cœur de l’expertise sanitaire et le triptyque danger–exposition–risque.</p>
<p>En effet, lorsque nous consommons aujourd’hui un jambon traité aux sels nitrités, nous n’avons qu’une très faible idée de la nature des molécules formées après l’addition de nitrite, ni de leur quantité, ni de leur toxicité et/ou cancérogénicité (sans parler d’un éventuel effet toxique cumulatif de ces molécules, appelé communément « effet cocktail »).</p>
<p>Dans ces conditions, il devient difficile d’estimer le risque encouru lors de la consommation de charcuteries nitrées. Une évaluation des risques basée sur un cadre toxicologique réglementaire est difficile, voire impossible. Par ailleurs, une approche par « dose journalière admissible » n’est pas adaptée pour un produit reconnu comme cancérigène.</p>
<p>Il convient dès lors de s’en remettre au plus haut niveau de preuve possible, en la matière les données épidémiologiques. Celles-ci constituent en quelque sorte les résultats d’un laboratoire en grandeur réelle des effets cancérigènes de la charcuterie nitrée. Accumulées depuis plus de 20 ans, elles permettent clairement d’affirmer que la consommation de charcuterie est associée au risque de cancer colorectal.</p>
<p>Enfin, le fait que la consommation d’additifs nitrés soit suspectée dans l’augmentation du risque d’autres types de cancer et de la mortalité par cancer plaide pour une vigilance accrue et la conduite de nouvelles études. Reste désormais aux pouvoirs publics à tenir compte de ces conclusions, dans les plus brefs délais.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197589/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Santolini a été membre du GT NiNa et directement associés aux travaux portant sur la toxicité/cancérogénicité des viandes nitrées. Il a démissionné avant la fin de la procédure d’expertise, en raison de désaccords avec la coordination de l’Anses.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Océane Martin a effectué une thèse CIFRE (Convention industrielle de formation par la recherche) au sein de l'ADIV de 2011 à 2015 sur le sujet de la cancérogénicité des charcuteries et des viandes rouges. Elle a été membre du GT NiNa et directement associés aux travaux portant sur la toxicité/cancérogénicité des viandes nitrées. Océane Martin est une des rédactrices du rapport tel qu’il a été publié en juillet dernier.</span></em></p>La question des liens entre additifs nitrés dans la viande transformée et cancers fait débat depuis plusieurs années. Retour sur les conclusions, claires, du dernier rapport d’expertise de l’Anses.Jérôme Santolini, Chercheur en biochimie, responsable du laboratoire « Stress oxydant et détoxication », Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)Océane Martin, Professeure associée en microbiologie clinique, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1987492023-02-23T11:38:42Z2023-02-23T11:38:42ZCéréales, élevage ou énergie ? Les terres agricoles attisent les appétits<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511233/original/file-20230220-22-5c73zx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Troupeau de jeunes vaches limousines dans une prairie permanente du Nord de la Lozère. </span> <span class="attribution"><span class="source">Marc Benoit </span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>La place de l’élevage dans notre société est aujourd’hui largement débattue. Au-delà de la <a href="https://theconversation.com/parlons-nous-trop-du-bien-etre-animal-180166">question désormais centrale du bien-être animal</a>, deux arguments très forts reviennent également dans le débat. </p>
<p>Tout d’abord, les émissions de gaz à effet de serre, en <a href="https://theconversation.com/changement-climatique-comment-expliquer-la-forte-hausse-des-concentrations-de-methane-dans-latmosphere-70793">particulier le méthane</a>, majoritairement issu de la digestion des fourrages par les ruminants. Ensuite, la compétition de l’élevage pour la culture et l’utilisation de céréales, que les humains pourraient consommer directement et de façon beaucoup plus efficace. Rappelons que, pour une même quantité, les céréales nourrissent <a href="https://productions-animales.org/article/view/2355">jusqu’à 10 fois plus de personnes que la viande</a>. </p>
<p>Depuis début 2022, l’impact de la guerre en Ukraine sur le coût de l’énergie entraîne également de fortes tensions sur le secteur de l’agriculture, relançant l’intérêt des surfaces agricoles pour la production d’énergie. </p>
<p>L’élevage pourrait bien <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0308521X22002219">être le grand perdant de cette concurrence</a>.</p>
<h2>Un fort impact du prix de l’énergie</h2>
<p>Les activités d’élevage des pays les plus développés sur le plan économique font appel à grandes quantités d’énergie. Ainsi, pour 1 mégajoule d’énergie consommée, l’élevage produit entre 0,5 et 1 mégajoule sous forme de lait ou de viande, alors que les grandes cultures (céréales, oléoprotéagineux) en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0308521X22002219">produisent plus de six</a>. </p>
<p>Cela signifie que, ramenée à l’énergie produite sous forme de diverses denrées agricoles, une augmentation du prix de l’énergie a une incidence six à dix fois plus grande, en moyenne, sur les produits issus de l’élevage, par rapport aux produits issus des grandes cultures. Cette forte répercussion du prix de l’énergie peut ainsi rendre ces produits difficilement accessibles au consommateur. Le constat peut d’ailleurs déjà être fait d’un fort recul des achats des produits d’origine animale de la <a href="https://www.kantar.com/fr/inspirations/consommateurs-acheteurs-et-distributeurs/2022-kantar-inflation-juin-2022">part des ménages modestes</a> du fait de la très forte inflation.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511234/original/file-20230220-20-rb44de.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511234/original/file-20230220-20-rb44de.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511234/original/file-20230220-20-rb44de.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511234/original/file-20230220-20-rb44de.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=288&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511234/original/file-20230220-20-rb44de.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511234/original/file-20230220-20-rb44de.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511234/original/file-20230220-20-rb44de.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=362&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’écopaturage, mis en œuvre le plus souvent avec les ovins, est la pratique retenue pour entretenir les champs de panneaux photovoltaïques positionnés au sol, comme ici dans le Gers.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Marc Benoît</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Pourquoi l’activité d’élevage nécessite-t-elle autant d’énergie ?</h2>
<p>Au niveau des fermes d’élevage – en 2020, on en comptait <a href="https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/Pri2213/Primeur%202022-13_RA2020_%20VersionD%C3%A9finitive.pdf">150 000</a> spécialisées dans cette activité sur les 416 000 exploitations agricoles françaises –, on peut considérer qu’en moyenne <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0308521X22002219">75 % de la consommation d’énergie</a> sont liés à l’alimentation des animaux. Cela comprend la mise en culture et l’utilisation des céréales et des prairies (labour, semis, récolte, transport, stockage, distribution), ainsi que la fertilisation des terres, qui repose en grande partie sur de l’azote de synthèse, très énergivore durant sa fabrication (il faut par exemple <a href="http://www.itab.asso.fr/downloads/cts/jtpole06bilanse.pdf">1,8 équivalent litre de fuel pour 1 kg d’azote</a>). </p>
<p>On le comprend aisément, limiter l’impact de l’augmentation du coût de l’énergie sur le prix des produits issus de l’élevage passe donc avant tout par des changements drastiques dans la manière d’alimenter les animaux.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>L’augmentation très forte du prix des produits issus de l’élevage, combinée à la chute du pouvoir d’achat des ménages, pourrait conduire à une baisse importante de cette activité agricole. Une compensation du revenu des éleveurs par l’État parait difficilement envisageable, compte tenu du niveau déjà très élevé du soutien actuel. La part des aides publiques représente <a href="https://www.inrae.fr/sites/default/files/pdf/INRAE%202021-La%20r%C3%A9orientation%20des%20aides%20dans%20le%20cadre%20de%20la%20future%20PAC%20post-2023.pdf">87 % du revenu des éleveurs de vaches laitières et 195 % du revenu des éleveurs de vaches allaitantes</a>… </p>
<p>Par ailleurs, les éleveurs ne pourront pas augmenter les prix de vente de leurs produits à la hauteur des surcoûts qu’ils subissent. Ils devront donc soit changer de production s’ils disposent de surfaces labourables, pour produire des cultures destinées à la consommation humaine ou à des fins énergétiques ; soit alimenter leurs animaux avec des ressources alternatives peu soumises à la concurrence d’autres usages.</p>
<h2>Quel avenir pour l’élevage ?</h2>
<p>Nous voyons ainsi se dessiner deux situations pour l’avenir de l’élevage. </p>
<p>Dans la première, il utilisera des ressources alimentaires disponibles dans les fermes de grandes cultures ou de cultures pérennes (arboriculture, viticultures) : coproduits divers et au sens large, c’est-à-dire non seulement ceux issus de la transformation des cultures (son, tourteaux, etc.), mais aussi toute la biomasse disponible et non valorisée, comme les cultures intermédiaires de fourrage visant à capter l’azote atmosphérique et à limiter la diffusion des maladies et des ravageurs sur les cultures suivantes ; ou encore, l’herbe poussant entre les rangs en cultures pérennes (et les fruits au sol, vecteurs de maladies). </p>
<p>L’élevage permettrait dans une telle configuration de limiter l’utilisation du matériel (pour la destruction de ces couverts végétaux), des herbicides, voire des fongicides (avec moins de maladies végétales). </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511235/original/file-20230220-22-6mjwg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511235/original/file-20230220-22-6mjwg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511235/original/file-20230220-22-6mjwg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511235/original/file-20230220-22-6mjwg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511235/original/file-20230220-22-6mjwg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511235/original/file-20230220-22-6mjwg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511235/original/file-20230220-22-6mjwg4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Troupeau de brebis romanes sur le site expérimental de l’Inrae sur le plateau du Larzac. La présence des ovins permet de valoriser les territoires à faible potentiel fourrager, mais à risque d’enfrichement et d’incendies.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Marc Benoît</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>La seconde situation concerne les zones historiquement dédiées à l’élevage, avec de fortes contraintes agronomiques. Il s’agit surtout de surfaces non labourables, par exemple les prairies naturelles des zones d’altitude du Massif central ou les landes et parcours de l’arrière-pays méditerranéen. Dans ces zones, l’élevage permet de maintenir des milieux ouverts, une diversité et une mosaïque paysagères favorables à la biodiversité, contribuant notamment à limiter les risques d’incendie.</p>
<h2>Une nouvelle cartographie</h2>
<p>Limiter les activités d’élevage à ces deux grands types de situations et de stratégie d’alimentation reviendrait à baisser fortement sa part dans la production agricole française et européenne, accompagnant une évolution importante de nos régimes alimentaires (une consommation moindre de produits d’origine animale).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comprendre-la-carte-de-la-france-agricole-168029">Comprendre la carte de la France agricole</a>
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<p>L’impact d’une telle évolution serait majeur sur l’activité actuelle de certains territoires. Un impact très négatif en termes d’activité économique et d’emploi dans les territoires affichant une très forte densité animale (on pense à la Bretagne). Un impact positif dans les territoires où cette activité a quasiment disparu depuis des décennies, comme dans les zones céréalières de la Beauce, de la Champagne ou du Berry. </p>
<p>Dans ces zones, sa réintroduction pourrait générer de nouvelles activités économiques, avec les services nécessaires à l’élevage et à la mise en marché des produits (abattoirs, unité des conditionnements, etc.). Par ailleurs, cette redistribution de l’élevage sur l’ensemble des territoires accroîtrait leur autonomie alimentaire.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/512291/original/file-20230226-4598-7jtilj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte de la France montrant les différentes activités agricoles" src="https://images.theconversation.com/files/512291/original/file-20230226-4598-7jtilj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/512291/original/file-20230226-4598-7jtilj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/512291/original/file-20230226-4598-7jtilj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/512291/original/file-20230226-4598-7jtilj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/512291/original/file-20230226-4598-7jtilj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/512291/original/file-20230226-4598-7jtilj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/512291/original/file-20230226-4598-7jtilj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=543&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte de la France présentant les spécialisations agricoles par communes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://stats.agriculture.gouv.fr/cartostat/#c=indicator&i=otex_2020_1.otefdd20&t=A02&view=map11">Agreste (2020)</a></span>
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<h2>Une transition illusoire ?</h2>
<p>Le changement d’usage des surfaces de cultures actuellement utilisées par l’élevage est potentiellement très important ; pour rappel, ces surfaces représentent environ 500 millions d’hectares à l’échelle de la planète, à rapprocher des 26,7 millions d’hectares de surfaces agricoles françaises, prairies comprises. </p>
<p>Cependant, ces surfaces « libérées » pourraient avoir d’autres usages et être rapidement dédiées à la production de biocarburants. On pense notamment aux perspectives du secteur aéronautique qui vise la neutralité carbone à l’échéance 2050, en s’appuyant majoritairement sur les <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Feuille%20de%20route%20fran%C3%A7aise%20pour%20le%20d%C3%A9ploiement%20des%20biocarburants%20a%C3%A9ronautiques%20durables.pdf">biocarburants</a>. </p>
<p>Face aux tensions importantes entre les différents secteurs économiques et à long terme sur le secteur énergétique, il est ainsi peu probable que l’utilisation des terres à des fins de production alimentaire soit compétitive, en particulier pour les activités d’élevage.</p>
<h2>Rémunérer les services rendus à la collectivité</h2>
<p>Face à la concurrence très probable de l’usage des terres dans les décennies à venir, associée à la difficulté d’accès aux produits d’origine animale pour une part croissante des consommateurs, les politiques publiques auront un rôle majeur à jouer : à la fois pour arbitrer l’usage des terres agricoles et renforcer la compétitivité de l’élevage, en particulier celui qui représente la seule activité agricole possible dans les zones difficiles où il fournit de multiples services, comme en <a href="https://productions-animales.org/article/view/2265">Provence ou dans le Marais poitevin</a>.</p>
<p>Il s’agirait donc moins d’accompagner les activités d’élevage grâce à des compensations de coûts de production, que par une reconnaissance et une rémunération de services rendus à la collectivité, comme l’entretien et l’ouverture des paysages, le maintien de la biodiversité et d’activités socio-économiques (tourisme) ou encore la prévention des incendies.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198749/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Benoit ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face aux tensions entre les différents secteurs économiques et au coût de l’énergie, l’utilisation des terres arables pour l’élevage va subir une concurrence de plus en plus intense.Marc Benoit, Ingénieur de recherches, agroéconomiste, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963202022-12-12T18:36:14Z2022-12-12T18:36:14ZConsommer « zéro déforestation » en Europe : la menace d’effets contre-productifs en Afrique centrale<p>Les consommateurs européens sont aujourd’hui responsables de <a href="https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/c1d3ef3e-d07e-4229-91e5-41001b47dba8">10 % de la déforestation mondiale</a> via leurs importations de produits agricoles et forestiers.</p>
<p>Les principaux produits en cause sont le soja, le bœuf, le cacao, l’huile de palme, l’hévéa et le bois. Si l’Union européenne tente d’endiguer ce phénomène, cela ne sera pas sans conséquence dans les pays du Sud, comme ceux riverains du bassin du Congo.</p>
<h2>Un règlement (trop ?) ambitieux</h2>
<p>Un règlement européen est en cours d’élaboration pour empêcher la mise sur le marché de l’UE de produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts. Le futur règlement a fait l’objet de trois propositions par la Commission européenne, le Conseil de l’UE et le Parlement européen entre novembre 2021 et septembre 2022.</p>
<p>Le 6 décembre 2022, un accord préliminaire a été trouvé entre ces trois instances. Il stipule que les différents produits visés (soja, bœuf, cacao, huile de palme, hévéa et bois) ne pourront plus être importés au sein de l’UE s’ils proviennent de parcelles déboisées, même si les détails techniques restent encore à discuter dans les prochaines semaines. Ce règlement entrera en vigueur en 2023.</p>
<p>Le principal mécanisme envisagé par le règlement est celui de la <a href="https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/b42e6f40-4878-11ec-91ac-01aa75ed71a1/language-fr/format-PDF">« diligence raisonnée »</a>, qui sera imposée à tous les importateurs de produits agricoles et forestiers suspectés de contribuer à la déforestation ou à la dégradation des forêts.</p>
<p>Dans ce cadre, les opérateurs devront montrer qu’ils ont mis en place les procédures adéquates pour atténuer le risque de déforestation associé aux produits qu’ils veulent faire entrer sur le marché européen.</p>
<p>Pour faire simple, cela consiste à démontrer que le produit provient d’une parcelle géographiquement délimitée qui n’a pas fait l’objet de déforestation après le 31 décembre 2020. Ces preuves de « non-déforestation » seront d’autant plus nombreuses à fournir que le produit proviendra d’un pays considéré comme à risque de déforestation, selon six critères indiqués dans le règlement. Ce sera manifestement le cas de la plupart des pays d’Afrique centrale.</p>
<p>Cette future réglementation européenne pose également de nouvelles contraintes aux producteurs du Sud : en imposant par exemple sa volonté d’un arrêt de toute forme de déforestation, en fournissant unilatéralement ses définitions des concepts clefs de « forêt », « dégradation forestière »… ou en exigeant une traçabilité des produits jusqu’à leurs parcelles de production.</p>
<p>La faible concertation avec les pays producteurs sur le contenu et le tempo de mise en œuvre de ce règlement fait craindre une application difficile sous les tropiques. En Afrique centrale, plus spécifiquement, deux phénomènes menacent le succès de la mise en œuvre du règlement européen : la concurrence avec les marchés asiatiques et les stratégies nationales de développement agricole.</p>
<h2>Des exportations qui se détournent des marchés européens : le cas du bois d’œuvre</h2>
<p>Même si le rôle de l’UE dans la déforestation globale reste non négligeable, son marché ne constitue pas – et de loin – le principal débouché des produits agricoles et forestiers qui ont généré de la déforestation. Si l’on s’en tient aux exportations, les marchés asiatiques <a href="https://www.fao.org/faostat/fr/#compare">détiennent une place prépondérante</a> (pour le bois et l’huile de palme) ou grandissante (pour le cacao et le caoutchouc) dans le commerce de ces cultures de rente en provenance d’Afrique centrale.</p>
<p>Le meilleur exemple de la substitution progressive des marchés européens par des marchés asiatiques est donné par le secteur du bois d’œuvre.</p>
<p>Depuis une quinzaine d’années, les exportations de grumes et de sciages d’Afrique centrale (Cameroun, Congo, Gabon, RCA, RDC) varient annuellement <a href="https://www.observatoire-comifac.net/">entre 1,6 et 2,9 millions de mètres cubes</a>. Depuis 2011, les pays asiatiques sont devenus la principale destination des bois exploités en Afrique centrale, au détriment des marchés européens qui sont en <a href="https://www.observatoire-comifac.net/">nette perte de vitesse sur la dernière décennie</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/500028/original/file-20221209-34322-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Graphique montrant les exportations de bois d’Afrique centrale entre 2008 et 2018" src="https://images.theconversation.com/files/500028/original/file-20221209-34322-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/500028/original/file-20221209-34322-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/500028/original/file-20221209-34322-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/500028/original/file-20221209-34322-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=357&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/500028/original/file-20221209-34322-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=449&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/500028/original/file-20221209-34322-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=449&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/500028/original/file-20221209-34322-k8glwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=449&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Évolution des exportations de grumes et de sciages en provenance d’Afrique centrale (Cameroun, Congo, Gabon, RCA, RDC) entre 2008 et 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.observatoire-comifac.net/">Données Cornifac</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les nouvelles exigences du règlement européen, qui vont bien au-delà du seul respect de la légalité comme le tente avec difficultés le plan d’action FLEGT (Forest law enforcement, governance and trade) de l’UE depuis dix ans, risquent de renforcer cette tendance à la « fuite » des produits d’Afrique centrale vers des marchés moins exigeants et presque aussi rémunérateurs.</p>
<h2>Des stratégies nationales de développement pariant sur une croissance forte du secteur agricole : le cas du cacao</h2>
<p>Les pays d’Afrique centrale sont <a href="https://theconversation.com/ce-qui-emerge-dans-lemergence-de-lafrique-99165">tous engagés dans une course à l’« émergence »</a> à l’horizon 2035-2040. Cette vision est portée par des documents stratégiques de développement qui font la part belle au secteur primaire, à la fois pour assurer la sécurité alimentaire d’une population en croissance rapide et accroître fortement les recettes fiscales associées aux exportations.</p>
<p>Le cacao est révélateur de cette tendance : tous les États d’Afrique centrale se sont engagés dans une relance massive de la production du cacao, avec des objectifs de <a href="https://minepat.gov.cm/fr/download/strategie-nationale-de-developpement-2020-2030">doublement, au moins, des exportations d’ici 2030</a>.</p>
<p>L’enjeu est crucial pour ces gouvernements puisque la vente du cacao représente une source majeure de revenus pour des centaines de milliers de petits producteurs ruraux. Au Cameroun, par exemple, ce sont plus de <a href="https://knowledge4policy.ec.europa.eu/publication/analyse-de-la-cha%C3%AEne-de-valeur-cacao-au-cameroun_en">400 000 cacaoculteurs qui bénéficient tous les ans de 150 millions d’euros</a> sous forme de salaire et de profit.</p>
<p>Or, si une partie de cette croissance de la production peut s’appuyer sur la régénération des vieilles plantations plantées dans les années 1950-60, il est peu probable que de telles mesures soient suffisantes pour atteindre les objectifs annoncés. Un tel essor de la cacaoculture, s’il est avéré en Afrique centrale, va manifestement se faire en partie au détriment de surfaces forestières.</p>
<p>Une menace identique apparaît d’ailleurs avec les filières huile de palme et hévéa, qui annoncent des objectifs de développement fort ambitieux pour la prochaine décennie.</p>
<p>L’imposition par le règlement européen d’un arrêt à court terme de la déforestation (même légale) risque de heurter de tels objectifs de croissance du secteur primaire, qui sont pourtant considérés par les États comme le meilleur moyen de lutter contre la pauvreté en milieu rural.</p>
<h2>Le règlement européen, outil efficace de lutte contre la déforestation dans le bassin du Congo ?</h2>
<p>Un nombre très limité de concertations avec les pays riverains du bassin du Congo a été organisé par les instances européennes dans la phase d’élaboration du règlement, malgré l’importance de ces forêts pour l’environnement global.</p>
<p>Cette quasi-absence de dialogue ne peut qu’accentuer les risques d’une application faible du règlement puisque déconnectée des stratégies légitimes de développement économique de ces pays. Elle pourrait même renforcer la possibilité d’un résultat contre-productif en incitant l’Afrique centrale à réorienter ses exportations agricoles vers des marchés moins exigeants.</p>
<p>Se pose finalement la question de la portée réelle de ce règlement : est-elle de garantir une consommation labellisée « zéro déforestation » aux citoyens européens, les libérant ainsi d’une mauvaise conscience de contribuer à la dégradation de l’environnement global, ou vise-t-elle un ralentissement significatif de la déforestation à l’échelle mondiale ?</p>
<p>Dans ce dernier cas, une plus large implication des pays producteurs du Sud est nécessaire à la conception et la future application du règlement afin d’optimiser sa compatibilité avec les objectifs de développement durable choisis dans ces pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196320/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Décryptage d’un nouveau règlement qui prévoit d’empêcher la mise sur le marché de l’Union européenne de produits associés à la déforestation et à la dégradation des forêts.Guillaume Lescuyer, Docteur en socio-économie, CiradChloé Tankam, Socio-économiste, CiradLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1842282022-08-31T13:05:37Z2022-08-31T13:05:37ZPour une consommation éclairée du phoque gris<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/480421/original/file-20220822-76838-nyikjs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C34%2C3244%2C2135&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les phoques de moins de 6 semaines représentent le meilleur groupe d'âge à des fins de commercialisation.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Pierre-Yves Daoust)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Il y a présentement un intérêt grandissant quant à l’exploitation commerciale des produits du phoque gris (<em>Halichoerus grypus</em>) du golfe du Saint-Laurent. Alors que sa peau est vendue et que sa graisse est transformée en huile depuis de nombreuses années, il n’existe que peu de marchés pour la viande et les abats. Or, depuis une dizaine d’années, de petites entreprises aux Îles de la Madeleine offrent ces produits sauvages issus d’une pêche durable, contribuant à une saine gestion de cette ressource dans le Saint-Laurent.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/468898/original/file-20220615-19-9zk4uk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/468898/original/file-20220615-19-9zk4uk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/468898/original/file-20220615-19-9zk4uk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/468898/original/file-20220615-19-9zk4uk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/468898/original/file-20220615-19-9zk4uk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/468898/original/file-20220615-19-9zk4uk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/468898/original/file-20220615-19-9zk4uk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><strong><em>Cet article fait partie de notre série <a href="https://theconversation.com/ca-fr/topics/fleuve-saint-laurent-116908">Le Saint-Laurent en profondeur</a></em></strong>
<br><em>Ne manquez pas les nouveaux articles sur ce fleuve mythique, d'une remarquable beauté. Nos experts se penchent sur sa faune, sa flore, son histoire et les enjeux auxquels il fait face. Cette série vous est proposée par La Conversation.</em></p>
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<p>Viande très foncée au goût salé et unique, la viande de phoque gris est appréciée par les amateurs de viande sauvage. Préparés en tataki, en filet, en saucisse, ou en terrine, la viande et le foie de phoque gris sont de plus en plus consommés par des familles de chasseurs dans des communautés côtières ainsi que dans les restaurants gastronomiques du Québec.</p>
<p>Experts en écotoxicologie, en santé environnementale et en pathologie de la faune, nous nous sommes penchés sur la valeur nutritive de cette viande de phoque, ainsi que sur les contaminants chimiques et les pathogènes pouvant s’y retrouver.</p>
<p>Envie d’y goûter ? Voici un petit guide pour une consommation éclairée !</p>
<h2>Une espèce qui n’est pas menacée</h2>
<p>Jusqu’au XIX<sup>e</sup> siècle, les Madelinots chassaient le phoque à des fins de subsistance pour s’alimenter et pratiquer des activités traditionnelles. Cette activité demeure aujourd’hui au cœur de leur culture et contribue de façon significative à l’économie locale des Îles de la Madeleine et de certaines communautés sur les berges du Saint-Laurent.</p>
<p>Aujourd’hui, <a href="https://www.dfo-mpo.gc.ca/fisheries-peches/seals-phoques/seal-stats-phoques-fra.html">environ un millier d’individus sont chassés de manière commerciale</a> chaque année. La chasse récréative au phoque gris est également permise. Or, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1761199/duree-chasse-phoque-gaspesie-loup-marin">malgré un récent engouement</a>, ces activités de chasse ne menacent pas le statut de cette population, désignée <a href="https://www.dfo-mpo.gc.ca/species-especes/profiles-profils/greyseal-phoquesgris-fra.html">« non en péril »</a>. Le nombre de phoques gris est <a href="https://www.ledevoir.com/environnement/663156/les-madelinots-veulent-que-le-quebec-retrouve-le-gout-du-phoque">estimé à 340 000 dans l’Est du Canada</a>, une région qui comprend également le golfe du Saint-Laurent.</p>
<h2>C’est la dose qui fait le poison</h2>
<p>Naturellement présents dans l’environnement à de faibles concentrations, certains éléments chimiques, comme le cuivre et le fer, sont des nutriments nécessaires au bon fonctionnement des êtres vivants. Mais, dans certains cas, <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/aliments-nutrition/saine-alimentation/apports-nutritionnels-reference/questions-reponses.html">ces éléments dits « essentiels » atteignent des concentrations élevées qui pourraient s’avérer nuisibles à la santé</a>.</p>
<p>Attention, <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/aliments-nutrition/salubrite-aliments/contaminants-chimiques/concentrations-maximales-etablies-egard-contaminants-chimiques-aliments.html">certains organismes peuvent aussi accumuler des concentrations élevées d’éléments traces « non essentiels »</a>. On parle alors de contaminants chimiques comme le mercure, le cadmium et le plomb. Ces derniers n’ont aucune fonction biologique et sont toxiques à très faibles concentrations, tant pour les phoques que pour les humains.</p>
<p>Les résultats d’une <a href="https://doi.org/10.1016/j.chemosphere.2022.133640">première étude</a> montrent qu’en général, la viande et le foie de phoque gris sont une bonne source de nutriments, notamment de fer et de cuivre. Cette étude met aussi en évidence que la consommation de muscle, de cœur et de foie des jeunes phoques de l’année sevrés (et âgés de moins de 6 semaines) serait à privilégier. Pourquoi ? Parce que l’ensemble des éléments essentiels et non essentiels étudiés respectent les concentrations maximales recommandées (pour une consommation hebdomadaire), et ce, même chez les populations plus vulnérables comme les femmes enceintes et les jeunes enfants.</p>
<h2>Préconiser la consommation de jeunes phoques</h2>
<p>Dès que les phoques gris atteignent 6 semaines, ils commencent à s’alimenter en mer. Les concentrations de mercure et de cadmium dans la viande et le foie font alors un pas vers le haut. Chez les phoques, la principale voie d’absorption de ces éléments est la nourriture. Ainsi, ces résultats reflètent probablement le changement d’alimentation après le sevrage. Alors que ces concentrations ne présentent pas de risques significatifs pour la population générale en santé, une plus grande vigilance est de mise pour les femmes enceintes et les jeunes enfants.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/480425/original/file-20220822-64444-w5ydzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="un chef prépare une carcasse de phoque" src="https://images.theconversation.com/files/480425/original/file-20220822-64444-w5ydzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/480425/original/file-20220822-64444-w5ydzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/480425/original/file-20220822-64444-w5ydzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/480425/original/file-20220822-64444-w5ydzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/480425/original/file-20220822-64444-w5ydzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/480425/original/file-20220822-64444-w5ydzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/480425/original/file-20220822-64444-w5ydzp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La viande de phoque peut être apprêtée en tataki, en filet, en saucisse, ou en terrine. Sur cette photo, Réjean Vigneau, boucher, prépare différentes coupes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Yoanis Menge)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>La Direction régionale de santé publique de la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine est d’ailleurs d’avis que les <a href="https://www.canada.ca/fr/sante-canada/services/aliments-nutrition/salubrite-aliments/contaminants-chimiques/contaminants-environnementaux/mercure/mercure-poisson.html">recommandations de Santé Canada pour la consommation de thon blanc en conserve pour les femmes enceintes et les jeunes enfants</a> devraient s’appliquer à la consommation de phoque gris du golfe du Saint-Laurent. En effet, le thon blanc présente des concentrations intermédiaires de mercure similaires à celles mesurées dans le muscle et le foie de phoque gris de plus de 6 semaines.</p>
<p>Les reins sont toutefois à éviter, en raison de concentrations plus élevées de cadmium et de mercure. C’est le cas autant pour les jeunes phoques de l’année sevrés (et âgés de moins de 6 semaines) que ceux plus âgés. Des concentrations élevées de plomb ont aussi été retrouvées dans quelques échantillons de phoques gris. Ces observations soulèvent l’importance de promouvoir l’utilisation de munitions sans plomb et non toxiques pour la chasse, tant pour des raisons environnementales que pour éviter la contamination de la viande.</p>
<p>Il importe de noter que, bien que les phoques gris juvéniles et adultes (âgés de 6 semaines et plus) soient chassés pour la viande, la chasse commerciale pour la récolte d’abats vise uniquement les jeunes de l’année âgés de moins de 6 semaines. Notre étude confirme donc que ceci est une bonne pratique pour la consommation humaine !</p>
<h2>Un risque faible de transmission de parasites</h2>
<p>Une <a href="https://doi.org/10.3354/dao03536">deuxième étude</a> a évalué la présence de cinq agents infectieux, soit des bactéries et des parasites qui pourraient être transmis aux humains par les phoques gris suite à la préparation ou à la consommation de viande crue ou peu cuite. Une telle transmission d’agents infectieux « zoonotiques » est tout aussi possible lors de contacts avec le bétail et la volaille, ainsi qu’avec <a href="https://doi.org/10.3389/fpubh.2021.627654">différents animaux sauvages en Amérique du Nord</a>.</p>
<p>Bonne nouvelle : aucune détection du parasite Trichinella (qui cause la <a href="https://www.quebec.ca/agriculture-environnement-et-ressources-naturelles/sante-animale/maladies-animales/trichinellose">trichinellose</a>) chez les phoques gris échantillonnés. Par ailleurs, très peu de phoques démontraient des signes d’infection par les bactéries Brucella (qui cause la <a href="https://inspection.canada.ca/sante-des-animaux/animaux-terrestres/maladies/declaration-obligatoire/brucellose/fiche-de-renseignements/fra/1305673222206/1305673334337">brucellose</a> et <em>Erysipelothrix rhusiopathiae</em> (associée à la maladie du <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2827281/"><em>seal finger</em></a>).</p>
<p>Par contre, tous les phoques présentaient des signes d’exposition à la bactérie <em>Leptospira interrogans</em> (responsable de la <a href="https://www.quebec.ca/agriculture-environnement-et-ressources-naturelles/sante-animale/maladies-animales/leptospirose">leptospirose</a>), et la moitié des phoques gris échantillonnés étaient porteurs du parasite <em>Toxoplasma gondii</em> (responsable de la <a href="https://www.quebec.ca/agriculture-environnement-et-ressources-naturelles/sante-animale/maladies-animales/toxoplasmose">toxoplasmose</a>).</p>
<h2>Prendre ses précautions</h2>
<p>Mais pas de panique, il n’y a aucune raison de s’inquiéter. Les normes canadiennes d’abattage des animaux et de manipulation de leurs produits, employées notamment durant la chasse aux phoques, assurent des produits sains, surtout lorsque combinées à une cuisson appropriée. Il est tout de même recommandé aux chasseurs de porter des gants jetables lors de la manipulation des phoques pour éviter tout contact avec les bactéries.</p>
<p>Afin de réduire les risques d’infection par <em>Toxoplasma gondii</em>, la viande et le foie de phoque chassé commercialement sont toujours congelés à -10<sup>0</sup>C ou moins pour trois jours avant la mise sur le marché, ce qui assure la destruction du parasite. Pour les chasseurs récréatifs, cette pratique est fortement recommandée, particulièrement quand la viande est consommée crue ou peu cuite, comme en tataki (la meilleure façon de la consommer, <a href="https://www.journaldequebec.com/2016/04/21/le-bon-gout-des-iles-de-la-madeleine">selon les chefs</a> !). Une cuisson complète à une température interne de 74<sup>0</sup>C devrait aussi inactiver l’ensemble des pathogènes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/480423/original/file-20220822-77356-ppvw4w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="tataki sur une assiette" src="https://images.theconversation.com/files/480423/original/file-20220822-77356-ppvw4w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/480423/original/file-20220822-77356-ppvw4w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/480423/original/file-20220822-77356-ppvw4w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/480423/original/file-20220822-77356-ppvw4w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=599&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/480423/original/file-20220822-77356-ppvw4w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/480423/original/file-20220822-77356-ppvw4w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/480423/original/file-20220822-77356-ppvw4w.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=753&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Tataki de phoque préparé par Johanne Vigneault, du restaurant Gourmande de nature, aux Îles-de-la-Madeleine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Jasmine Solomon, pour Manger notre Saint-Laurent)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Il importe de noter que, contrairement aux pathogènes, les contaminants chimiques (mercure, plomb, cadmium) ne sont pas détruits par la congélation ou la cuisson.</p>
<h2>La science au service des communautés</h2>
<p>En travaillant en collaboration avec les chasseurs et décideurs locaux, nos travaux contribuent à mettre la science au service des communautés pour promouvoir une gestion durable et une consommation saine et savoureuse de cette ressource unique du Saint-Laurent.</p>
<p>Que faut-il retenir pour une consommation éclairée du phoque gris ? Privilégier la viande, le foie et le cœur des jeunes phoques (âgés de moins de 6 semaines) et appliquer des mesures sanitaires standard (gants, congélation ou cuisson) lors de la manipulation des phoques et de leurs produits.</p>
<p>Vous aimeriez goûter à la viande de phoque ou d’autres produits du Saint-Laurent ? Consultez le site de <a href="https://mangernotrestlaurent.com/">Manger notre Saint-Laurent</a> pour découvrir où s’en procurer.</p>
<p>Le contact avec la nature est aussi bon pour la santé ! Sachez que le <a href="http://exploramer.qc.ca/">Musée Exploramer</a>, à Sainte-Anne-des-Monts, offre une formation complète sur la chasse au phoque. Cet atelier est donné par Réjean Vigneau, chasseur émérite et propriétaire de la <a href="https://www.boucheriecoteacote.ca/">Boucherie Côte à Côte</a> aux Îles-de-la-Madeleine, et <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/bon-pied-bonne-heure/segments/chronique/95436/yannick-ouellet-formation-culinaire-viande-phoque">Yannick Ouellet</a>, chef culinaire de la région.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184228/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gwyneth Anne MacMillan a reçu des financements de Fond de recherche Québec Nature et technologies (FRQNT) et de la Chaire de recherche Littoral (Sentinelle Nord (Apogée Canada) et Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (CIRNAC)).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mélanie Lemire a reçu des financements de Services aux Autochtones Canada, Santé Canada, Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada (CIRNAC), Sentinelle Nord (Apogée Canada), Meopar, Génome Canada, Fonds de recherche du Québec - Santé, Réseau Québec Maritime et l'Institut de recherche en santé du Canada.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pierre-Yves Daoust a reçu des financements du Ministère de l’agriculture, des pêcheries et de l’alimentation du Québec.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marc Amyot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On recommande de privilégier la viande, le foie et le cœur des jeunes phoques et d’appliquer des mesures sanitaires standard (gants, cuisson) lors de la manipulation des phoques et de leurs produits.Gwyneth Anne MacMillan, Postdoctoral Researcher in Environmental Science, McGill UniversityMarc Amyot, Professor, Université de MontréalMélanie Lemire, Associate professor, Department of Social and Preventive Medicine, Université LavalPierre-Yves Daoust, Professor Emeritus, University of Prince Edward IslandLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1816922022-07-19T13:17:37Z2022-07-19T13:17:37ZPourquoi entretenons-nous une relation d’amour-haine avec la viande ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/459538/original/file-20220425-31363-yya21f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=46%2C0%2C5184%2C3453&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La viande a été un marqueur de divisions entre les classes et les genres et a déclenché des révolutions scientifiques.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Quand avez-vous mangé de la viande pour la dernière fois ? Aujourd’hui ? Il y a quelques jours ? Il y a 10 ans ? Jamais ? Vous êtes-vous déjà <a href="https://www.insider.com/why-do-angry-vegans-meat-eaters-fight-so-much-2020-2">disputé avec quelqu’un sur la question de la consommation de viande</a>, que ce soit à propos des répercussions pour l’environnement ou du problème d’éthique que soulève le fait de manger des animaux ? Êtes-vous dérouté par les informations contradictoires qui circulent sur les effets de la viande sur la santé ? Vous sentez-vous coupable de continuer de manger de la viande ?</p>
<p>La viande est un aliment omniprésent, pensons au <a href="https://www.healthline.com/nutrition/carnivore-diet#what-it-is">très controversé régime carnivore</a>, à la <a href="https://thenextweb.com/news/plant-based-filet-mignon-gave-me-a-taste-of-meatless-future">« viande »</a> végétale ou à la <a href="https://theconversation.com/topics/cell-cultured-meat-58477">viande cultivée en laboratoire</a>.</p>
<p>À l’exception des gens issus d’une famille ou d’une culture prônant le végétalisme, nous sommes nombreux à consommer ou à avoir déjà consommé de la viande. Même les personnes qui suivent un régime à base de plantes peuvent à l’occasion s’offrir une viande végétale parce qu’elles apprécient le goût familier de la viande.</p>
<p>Marta Zaraska, journaliste scientifique, qualifie d’<a href="https://www.newscientist.com/article/2075985-meathooked-how-eating-meat-became-a-global-obsession/">obsession de la viande</a> cette tendance que l’on a à donner à la viande la place de choix dans nos assiettes.</p>
<p>Après tout, la viande est un des plus anciens produits de consommation, des fouilles archéologiques ayant montré que les premiers humains avaient commencé à tuer et à dépecer des animaux i <a href="https://www.nature.com/scitable/knowledge/library/evidence-for-meat-eating-by-early-humans-103874273">l y a environ 2,6 millions d’années</a>. Depuis, la viande s’est taillé une place de choix dans nos rituels familiaux, nos célébrations spirituelles et nos rassemblements. La viande nous rassemble, mais amène également son lot d’objections et de contradictions.</p>
<p>Comment la viande est-elle devenue un sujet de discorde ? Et pourquoi entretenons-nous avec elle une relation d’amour-haine ?</p>
<p>À titre de chercheuses en marketing, <a href="https://doi.org/10.1080/10253866.2022.2037574">nous avons récemment</a> étudié les causes de ces contradictions et avons découvert que la viande est au cœur de controverses liées à la morale, à l’écologie, aux questions de genre, aux classes et à la santé depuis le XIV<sup>e</sup> siècle dans l’hémisphère nord.</p>
<h2>La viande au cœur de la division entre les sexes</h2>
<p>Malgré le <a href="https://theconversation.com/meat-is-masculine-how-food-advertising-perpetuates-harmful-gender-stereotypes-119004">stéréotype</a> selon lequel la <a href="https://dx.doi.org/10.3389%2Ffpsyg.2018.00559">viande est un aliment traditionnellement masculin</a>, la découverte récente d’un corps de femme accompagné d’outils de chasse dans un <a href="https://www.scientificamerican.com/article/in-the-early-americas-female-hunters-pursued-big-game-study-suggests/">site funéraire vieux de 9 000 ans</a> donne à penser que nos hypothèses sur le sexe des chasseurs pourraient être erronées.</p>
<p>Il est vrai que la viande <a href="https://nationalpost.com/life/food/why-are-we-programmed-to-think-meat-is-for-men">est un produit culturellement lié au sexe</a>, une division qui est perçue tant au niveau de sa production que de sa consommation.</p>
<p>Les stéréotypes de genre sur la chasse et le dépeçage sont si courants qu’ils façonnent les aspirations professionnelles des femmes, sous-représentées dans les <a href="https://thecounter.org/yes-i-am-a-female-butcher/">professions axées sur la viande</a>. Les hommes sont eux-mêmes soumis à des attentes en raison de leur genre et doivent <a href="https://doi.org/10.1177/2378023119831801">manger de la viande pour affirmer leur masculinité</a>.</p>
<p>Il suffit de penser à certaines émissions de télévision mettant l’accent sur la consommation de viande, comme <a href="https://thesocietypages.org/cyborgology/2011/11/24/gender-culture-and-cooking-on-the-internet/"><em>Epic Meal Time</em></a> et à leur façon de perpétuer des idéaux d’hypermasculinité. Ce portrait de la gent masculine aide à comprendre pourquoi les régimes végétaux sont perçus comme moins virils et pourquoi <a href="https://theconversation.com/meat-and-masculinity-why-some-men-just-cant-stomach-plant-based-food-174785">certains hommes hésitent à manger des aliments à base de plantes</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">YouTube account Epic Meal Time builds a « 20 pound meat lovers sushi roll ».</span></figcaption>
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<h2>La viande comme symbole de puissance et de richesse</h2>
<p>La consommation de viande, en quantité et en qualité, marque symboliquement les inégalités sociales depuis l’époque médiévale. Comme Maguelonne Toussaint-Samat l’explique dans son livre <a href="https://doi.org/10.1002/9781444305135"><em>Histoire naturelle et morale de la nourriture</em></a>, les nobles et l’élite consommaient de meilleures coupes de viande, des viandes plus rares que nous ne mangeons plus aujourd’hui <a href="https://theoutline.com/post/8164/why-dont-we-eat-swans">(comme des cygnes))</a> et certaines parties de l’animal (comme les yeux) qui étaient considérées comme des mets gastronomiques jusqu’au XVI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>De son côté, la classe ouvrière consommait des viandes de piètre qualité, moins variées et à moindre fréquence. Ce sont les <a href="https://stacker.com/stories/4402/history-americas-meat-processing-industry">abattoirs et l’élevage industriel</a> qui ont permis à la viande de devenir plus accessible à l’ensemble de la population. Ce n’est plus la quantité de viande consommée qui définit la classe sociale, mais plutôt sa qualité.</p>
<p>Plus récemment, l’élevage industriel <a href="https://thehumaneleague.org/article/what-is-factory-farming">a soulevé de vives réactions sur l’éthique et la durabilité</a> de la production de viande et ses répercussions environnementales.</p>
<p>La production massive de viande <a href="https://www.vox.com/future-perfect/22287498/meat-wildlife-biodiversity-species-plantbased">détruit des habitats naturels et nuit à la biodiversité</a>, en plus de représenter une forme d’exploitation où les animaux et les <a href="https://calgaryherald.com/news/local-news/alberta-meat-plant-workers-vulnerable-to-dangerous-conditions-new-research">travailleurs</a> sont <a href="https://caroljadams.com/spom-the-book">traités comme des objets</a>, ce qui entraîne des répercussions sur la <a href="https://theconversation.com/rural-americans-struggles-against-factory-farm-pollution-find-traction-in-court-98226">qualité de vie en milieu rural</a>.</p>
<p>Un avenir où la viande est moins omniprésente est un rêve partagé par les défenseurs des animaux, les <a href="https://montrealgazette.com/life/new-canadas-food-guide-not-about-portion-but-about-proportion">gouvernements</a> et même les <a href="https://www.nature.com/articles/d41586-019-02409-7">Nations unies</a> (qui recommandent un régime sans viande). Mais plusieurs croient que cet objectif n’est pas réaliste, étant donné notre obsession pour la viande.</p>
<h2>Réinventer le monde sans viande</h2>
<p>La viande est un indicateur de division entre les classes sociales et les sexes et a déclenché des révolutions scientifiques, mais les <a href="https://www.theworldcounts.com/challenges/consumption/foods-and-beverages/world-consumption-of-meat/story">données montrent</a> que les gens ne sont pas prêts à délaisser la viande.</p>
<p>Bien que la similiviande soit conçue pour avoir l’apparence, le goût et la texture de la viande véritable, les scientifiques ne savent pas si elle pourra remplacer la viande et <a href="https://www.vox.com/future-perfect/2019/2/22/18235189/lab-grown-meat-cultured-environment-climate-change">résoudre nos problèmes</a>. Les contradictions et les conflits profondément enracinés dans nos cultures continueront de modeler notre relation controversée avec la viande, les symboles qu’elle représente et les questions morales qui l’entourent.</p>
<p>Pour cette raison, nous continuerons d’éprouver de l’amour et de la haine pour la viande (et ses substituts). Il est possible d’imaginer un futur sans viande, mais est-il possible d’échapper aux composantes culturelles véhiculées par cet aliment ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181692/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La viande a été un marqueur des divisions entre les classes et le genre. Elle a déclenché des révolutions scientifiques et a été au centre de guerres et de controverses.Zeynep Arsel, Concordia University Chair in Consumption, Markets, and Society, Concordia UniversityAya Aboelenien, Assistant Professor of Marketing, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1840042022-06-08T17:34:07Z2022-06-08T17:34:07ZCarence en fer : comment y remédier par son alimentation<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/465981/original/file-20220530-16-sh1t2l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=62%2C26%2C5928%2C3961&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Gérer ses apports en fer par son alimentation n'est pas si simple.</span> <span class="attribution"><span class="source">Evan Lorne / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-fer-est-indispensable-a-notre-sante-183998">Le fer est indispensable à notre bonne santé, c’est un fait</a>. Mais comment nous assurer que notre alimentation nous apporte ce dont nous avons besoin ? Commençons par détruire un mythe… Les épinards de Popeye ne sont pas riches en fer. La teneur n’y est que 2,1 mg par 100 g d’épinards frais.</p>
<p>Autre mythe : il est souvent accordé aux légumineuses une grande richesse en fer… mais les données affichées sont généralement indiquées en mg par 100 g de légumineuses sèches non comestibles ! Elles sont en effet indigestes si elles ne sont pas réhydratées et cuites. Il faut en réalité tenir compte de la teneur en fer d’un aliment prêt-à-consommer.</p>
<p>Les produits animaux sont ainsi généralement plus riches en fer, y compris par rapport aux produits végétaux recommandés pour leur teneur en protéines importante et donnés comme alternatives aux viandes.</p>
<p>Ces quelques chiffres permettent de se faire une idée des teneurs en fer que l’on retrouve à l’état naturel : 0,4 mg dans 100 g de radis rose, 0,6 mg/100 g de tubercule de pomme de terre, 1 mg/100 g de laitue, 1,2 mg/100 g d’artichaut, 1,3 mg/100 g de ciboulette, 1,7 mg/100 g de fève (<a href="https://ciqual.anses.fr/">données Ciqual</a>). En remontant la chaîne alimentaire, vous trouverez 2,2 mg de fer par 100 g de viande crue de bœuf (entrecôte), 6,6 mg/100 g de foie cru de lapin. Prédateur ultime, l’humain contient environ 5 mg/100 g. Et dans l’univers marin, le wakamé, une macroalgue, est à 2,2 mg par 100 g de produit frais (USDA, Food Data Central) quand, en bout de chaîne, le foie de morue monte à 4 mg par 100 g.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/465703/original/file-20220527-11-savs05.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465703/original/file-20220527-11-savs05.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465703/original/file-20220527-11-savs05.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465703/original/file-20220527-11-savs05.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465703/original/file-20220527-11-savs05.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465703/original/file-20220527-11-savs05.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465703/original/file-20220527-11-savs05.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465703/original/file-20220527-11-savs05.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=487&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Teneur en fer dans quelques aliments, animaux et végétaux, en mg par 100g d’aliment prêt-à-consommer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ph Cayot, d’après des données extraites du site web CIQUAL (Anses, 2020)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Le fer est donc en faible concentration dans les tissus. Il n’est, en outre, pas assimilable à 100 % mais plutôt entre 1 et 20 % seulement… Et jusqu’à 40 % dans quelques rares cas. Pour couvrir les besoins de notre espèce, il faut donc a minima 8 mg de fer dans l’apport quotidien d’un <em>Homo sapiens</em> adulte mâle, jusqu’à 30 mg pour une <em>Homo sapiens</em> en gestation…</p>
<h2>Le fer ingéré n’est pas le fer assimilé</h2>
<p>Sa teneur en fer ne suffit pas à qualifier un aliment comme une « bonne » source en fer : il faut s’intéresser à la biodisponibilité du fer qu’il contient, soit la fraction qui peut être récupérée et utilisée par le corps. Et là encore, il y a des différences entre sources animales ou végétales.</p>
<p>À quantité de fer ingérée quasi identique, un essai clinique a montré une meilleure assimilation du fer avec un régime alimentaire contenant des produits animaux face à un régime végétarien – avec une absorption six fois plus élevée du fer d’origine animale.</p>
<p>Il faut bien appuyer cette réalité régulièrement confirmée scientifiquement : le fer animal est plus assimilable (biodisponible) que le fer végétal. L’explication provient de la nature du fer impliqué.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/465706/original/file-20220527-15-4e3is0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/465706/original/file-20220527-15-4e3is0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/465706/original/file-20220527-15-4e3is0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/465706/original/file-20220527-15-4e3is0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/465706/original/file-20220527-15-4e3is0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=325&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/465706/original/file-20220527-15-4e3is0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/465706/original/file-20220527-15-4e3is0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/465706/original/file-20220527-15-4e3is0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Apport de fer journalier (mg/j) et quantité de fer réellement absorbé (mg/j), pour une cohorte suivant un régime végétarien et une autre cohorte avec une régime contenant des produits animaux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ph Cayot, d’après des données extraites de Hunt, 2003</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>Dans un produit carné, une partie du fer est sous forme « héminique » (le fer dans la viande est associé à la myoglobine, dans le boudin noir à l’hémoglobine) qui est très assimilable : jusqu’à 15 à 40 %. Pour être précis, dans le cas de la viande, 40 % du fer est sous forme héminique, le reste du fer étant sous forme ionique (Fe<sup>2</sup>+) mais « non complexé » et donc assez disponible – j’y reviendrai.</p>
<p>À titre de comparaison, dans le cas du « fer non-héminique » (fer des légumineuses, des lentilles ou du pois chiche par exemple), seuls de 1 à 15 % du fer peut être assimilé.</p>
<p>Pour expliquer cette différence, il faut revenir sur ce qui se passe au niveau de l’intestin : dans un premier temps, les cellules intestinales (au niveau du duodénum, partie de l'intestin qui fait suite à l’estomac) absorbent le fer des aliments par deux voies : l’une par transport des hémoprotéines (hémoglobine, myoglobine) et l’autre spécifique de la forme ionique du fer dite « Fer II » ou Fe<sup>2</sup>+.</p>
<p>Le fer végétal est souvent « complexé », c’est-à-dire qu’il est lié à d’autres molécules (du phytate chez les légumineuses et des céréales, ou l’acide oxalique dans les noix, fruits, etc.) Non libre, il en devient difficilement assimilable.</p>
<p>Autant le fer d’origine animale, non complexé ou inclu dans une hémoprotéine, peut être facilement récupéré, autant celui d’origine végétale, complexé, doit être « libéré » par l’acidité de l’estomac puis modifié (réduit de FerIII à FeII) avant de pouvoir être capté.</p>
<h2>Comment optimiser ses apports en fer</h2>
<p>Une expérimentation a proposé à des hommes deux menus dont les apports en fer étaient identiques mais dont les compositions étaient a priori <a href="https://academic.oup.com/ajcn/article/71/1/94/4729241">plus ou moins favorables à son assimilation</a>. L’un d’eux limitait les apports en protéines animales (donc peu de fer héminique) et était pris avec du thé, des fruits riches en polyphénols, des apports limités en vitamine C ; l’autre privilégiait la viande, avec apports importants de vitamine C avec des jus d’orange.</p>
<p>Les chercheurs ont démontré que le premier menu réduisait fortement la biodisponibilité du fer. Seuls 1 à 15 % du fer non héminique est absorbé contre 30 à 49 % avec un menu plus favorable. Au final, l’absorption du fer s’est avérée de 4 à 8 fois plus importante avec le repas riche en viande, en vitamine C, que le menu sans viande avec consommation de thé.</p>
<ul>
<li><strong>Ce qu’il faut éviter pour favoriser l’assimilation du fer :</strong></li>
</ul>
<p>Il faut éviter d’associer un produit laitier (lait, fromages) à un aliment qui permet des apports de fer, de lentilles, du tofu, un houmous pour les végétariens, de la viande rouge pour les omnivores.</p>
<p>La consommation de produits laitiers dans un repas <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20200263/">réduit en effet la biodisponibilité du fer</a>. L’hypothèse longtemps avancée était que le calcium était un <a href="https://link.springer.com/book/10.1007/978-1-4614-7076-2">concurrent pour le transporteur membranaire du fer</a> mais on sait aujourd’hui qu’il en est plutôt un régulateur capable de <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20152801/">réduire très fortement son absorption</a>.</p>
<p>Parmi les <a href="https://www.mdpi.com/2304-8158/9/4/474">inhibiteurs ou répresseurs d’absorption du fer</a>, on compte également les tanins du thé ou du café, les phytates (les phosphates d’inositols) des céréales et des légumineuses, les polyphénols des fruits rouges ou bleus noirs, du vin et du cacao, la pectine des fruits, pommes, coings…</p>
<p><a href="https://academic.oup.com/ajcn/article/71/1/94/4729241">Pour ne pas gêner l’assimilation du fer</a>, il s’agira donc d’éviter le thé comme boisson durant le repas, le vin ou les jus de fruits riches en polyphénols (jus de raisins, de cassis, de myrtille) et de différer la prise de produits laitiers ou de lait sur d’autres repas que celui où est consommé de la viande.</p>
<ul>
<li><strong>Ce qu’il faut privilégier pour favoriser l’assimilation du fer :</strong></li>
</ul>
<p>Les fruits et légumes frais riches en vitamine C (poivrons, choux, kiwi, orange), les légumes riches en vitamines A (patates douces, carottes, épinard, potiron), mais surtout les produits animaux (viande de bœuf, de volaille, poisson, fruits de mer) <a href="https://www.mdpi.com/2304-8158/9/4/474">favorisent grandement l’absorption du fer</a>.</p>
<h2>Le cas des végans</h2>
<p>Sans compléments alimentaires pharmaceutiques, il est nécessaire d’adopter des stratégies qui favorisent l’absorption du fer dans les aliments d’origine végétale.</p>
<p>Il est par exemple nécessaire de pratiquer un trempage des légumineuses de longue durée (24 à 48h) pour lever la dormance des graines et activer les phytases, des enzymes dont l’action permettrait une libération d’ions ferriques. Les essais d’ajout de phytase ont déjà été expérimentés pour accroître la biodisponibilité du fer mais cette solution, coûteuse et lourde, s’applique difficilement sur une purée de légumineuses pour donner au final des résultats décevants.</p>
<p>La consommation de vitamine C n’a pas semblé non plus favoriser l’assimilation du fer dans nos <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32290180/">expérimentations sur une purée de pois chiche(réalisées sur modèle cellulaire et non organisme entier)</a>. En revanche, l’acidification de la purée de pois chiche (ou celle de houmous) par du jus de citron a accru la biodisponibilité du fer.</p>
<p>Dans nos modèles, l’absorption du fer est plus importante pour la purée de pois chiche que pour le houmous, mélange de pois chiche et de purée de sésame. La purée de sésame contient en effet de l’acide phytique, ce qui accroît la rétention du fer par la matrice alimentaire. Quant à l’action positive du jus de citron, notre hypothèse est que l’acidification a permis de libérer une partie du fer « complexé ».</p>
<h2>Quelles solutions nutraceutiques pour les régimes sans viande ?</h2>
<p>Idéalement, hors de tout choix éthique, spirituel et cultuel, pour la question des apports en fer, il serait préférable d’être flexitarien et d’apporter de manière régulière un peu de viande. Si votre régime est non carné, veillez donc de temps à autre à surveiller votre état de réserve de fer (taux de ferritine) par une analyse sanguine.</p>
<p>Il existe de nombreux compléments alimentaires, tels que les lactates de fer, citrate de fer, gluconate de fer ou sulfate de fer qui présentent de bonnes biodisponibilités – mais la prise de ces sels de fer induisent des <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-fer-est-indispensable-a-notre-sante-183998">effets secondaires (irritation du colon, etc</a>.)</p>
<p>Actuellement, la majorité des polyvitaminés-polyminéraux vendus en pharmacie ou aux rayons diététiques des GMS ne contiennent pas un nouveau venu : le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0268005X09002331">bis-glycinate de fer</a> (N °CAS 20150-34-9 ; le CAS étant une sorte de numéro de sécurité sociale des molécules chimiques. À chaque molécule son identifiant enregistré dans une banque de données des États-Unis, de l’Amercian Chemical Society). Or ce dernier présente une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0308814610009908">très forte biodisponibilité et semble ne pas être un pro-oxydant</a> – ce qui limiterait les effets indésirables habituels. Son <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0924224415300091">association avec de l’acide folique (vitamine B9)</a> semble accroître encore la performance de l’absorption du fer.</p>
<p>Par son grand confort d’usage et une bonne tolérance, il semble être le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC8839493/">complément en fer le plus intéressant pour les végétaliens et végétariens</a> : pas de nausée, pas de douleur intestinale, pas de constipation, pas de ballonnement ni de goût métallique… La biodisponibilité du fer apportée par le bis-glycinate de fer est de plus quatre fois moins affectée en présence d’inhibiteur d’absorption du fer que celle du sulfate de fer.</p>
<h2>Que valent les aliments enrichis en fer ?</h2>
<p>L’industrie agroalimentaire propose des produits enrichis en fer, comme les céréales pour petits déjeuners ou des gâteaux de petit-déjeuner et de rayon diététique.</p>
<p>Très souvent, il s’agit de fer « élémentaire », c’est-à-dire du fer métal, mais pas un sel de fer type Fe<sup>2</sup>+… Ajouté facilement, ce fer métal permet d’afficher une teneur importante sans avoir des problèmes de stabilité chimique durant le stockage. Des points noirs apparaissent par exemple dans les céréales quand le formulateur choisit d’enrichir avec du sulfate de fer.</p>
<p>Or, les molécules de transfert du fer de notre corps ne peuvent pas prendre en charge ce dernier sous forme métallique. Le fer métal est-il alors biodisponible ?</p>
<p>Il semble qu’il puisse <a href="https://pubs.acs.org/doi/10.1021/ed072p558">se transformer en partie en sel de fer durant la digestion, sans doute dans l’estomac (milieu très acide, jusqu’à pH 2)</a>.</p>
<p>Pour 10 g de fer élémentaire ajouté à un aliment à base de soja, on obtient une biodisponibilité équivalente à <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.3109/09637489709028583">45 % de 10 g de sulfate de fer ajouté</a>. Dans le pain blanc, la biodisponibilité est de <a href="https://www.nature.com/articles/1601844">40 % celle obtenue avec de l’ascorbate de fer ajouté à la même masse</a>. D’autres auteurs semblent attribuer au fer élémentaire une biodisponibilité plus faible, <a href="https://academic.oup.com/jn/article/133/11/3546/4817934https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/15864409/">21 % à 36 % selon le type de fer élémentaire</a>. Le fer métallique n’équivaut qu’à 10 à 15 % de l’efficacité d’un sel de fer.</p>
<p>Une autre solution, récemment identifiée, serait d’<a href="https://www.mdpi.com/2072-6643/14/8/1640">ajouter du phosphate d’ammonium ferreux</a> pour éviter l’altération des odeurs et de la couleur de l’aliment – par exemple dans des préparations laitières pour nourrisson. Le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0268005X09002331">bis-glycinate de fer</a> est une autre option à envisager pour fortifier un aliment sans risque majeur d’oxydation.</p>
<h2>Nutri-score : des limites importantes sur la question du fer</h2>
<p>En 2022, le <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/nutriscorebilan3ans.pdf">NutriScore s’est imposé comme un acteur majeur dans les habitudes alimentaires</a> des Français. Il permit d’<a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0950329321001592">améliorer les indices de qualité nutritionnelle</a> des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0195666321005717">paniers des consommateurs</a> et de <a href="https://www.mdpi.com/2072-6643/13/12/4530">réduire les calories, sucres et matière grasse saturée</a> ingérées. Un <a href="https://ijbnpa.biomedcentral.com/articles/10.1186/s12966-020-01053-z">impact qui s’observe aussi</a> <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/34311557/">dans le reste de l’Europe</a>.</p>
<p>Toutefois, à côté de ces atouts, le Nutri-score pose un vrai questionnement en ce qui concerne le fer. Les apports et fer ou la présence de complexants des minéraux qui en limitent l’absorption (phytates et oxalate généralement présents dans les légumes et légumineuses) n’y sont pas pris en compte.</p>
<p>La preuve par l’exemple, en comparant l’assimilation du fer et sa biodisponibilité pour deux aliments l’un jugé excellent d’un point de vue nutritionnel selon le Nutri-score, l’autre à éviter. Le consommateur ne dispose ainsi pas de repères simples pour le guider sur la question du fer.</p>
<ul>
<li><strong>Pois chiches : Nutri-score A mais faible biodisponibilité du fer</strong> :</li>
</ul>
<p>Prenons une boite de conserve de pois chiches cuits, prêts à être réchauffés. Son Nutri-score est A : peu de lipides (3 g/100 g), encore moins d’acides gras saturés (moins de 0,3 g/100 g), des glucides (17,7 g/100 g) mais peu de sucres (0,3 g/100 g), des protéines en quantité non négligeable (8,3 g/100 g) et surtout beaucoup de fibres (8,2 g/100 g) (<a href="https://ciqual.anses.fr/">données Ciqual</a>). Mais très peu de fer : 1,3 mg/100 g ! Et un <a href="https://www.viandesetproduitscarnes.fr/index.php/en/1159-substituts-a-la-viande-formulations-et-analyse-comparee-2-2">fer très peu biodisponible, de 10 à 30 fois moins que pour un fer d’origine animale</a>.</p>
<ul>
<li><strong>Boudin noir : Nutri-score D mais forte biodisponibilité du fer</strong> :</li>
</ul>
<p>Le boudin noir est, lui, une source de fer importante (16,1 mg par 100 g de boudin poêlé) et fortement assimilable : <a href="https://academic.oup.com/ajcn/article/71/1/94/4729241">environ 30 % du fer en moyenne est biodisponible</a>. Sur cette grande quantité, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S088915750291080X">85 % sont un fer héminique</a>. Mais son Nutri-score n’engage pas à sa consommation… Sans doute y-a-t-il aussi d’autres raisons ! Certes riches en protéine (11,3 g/100 g), il est classé D en raison de sa teneur en lipides (19,4 g/100 g), et surtout de sa forte teneur en sel (1,5 g/100 g). L’absence de fibre aggrave le score. En ajoutant des pommes (donc des fibres), le Nutri-score s’améliore toutefois et passe à C.</p>
<h2>En conclusion</h2>
<p>Que faut-il manger pour éviter les carences en fer ? Il n’y a pas d’aliment miracle…</p>
<p>Mangez si possible de temps à autre des produits carnés, sources efficaces d’apport en fer, accompagné d’un fruit frais ou d’un légume frais riche en vitamine C. Mais évitez, dans un même repas, de mêler des produits laitiers avec vos légumineuses, votre houmous, vos viandes. Éviter également vin, thé, café pour favoriser vos apports.</p>
<p>Faites tremper vos légumineuses (pois chiche, haricots rouges, noirs ou blancs, fèves, flageolets, lentilles, soja en graine) 48 h et changez l’eau fréquemment. Pour les pois chiches, choisissez une cuisson en cocotte-minute avec un ajout d’une pincée de bicarbonate dans l’eau. À la purée de pois chiche et de sésame, ajoutez un jus de citron frais pour favoriser l’assimilation du fer.</p>
<p>Si votre régime alimentaire exclut les viandes, attention aux compléments nutraceutiques pour corriger vos apports déficients en fer : ceux-ci provoquent des irritations coloniques et d’autres inconforts. Seul le bis-glycinate de fer semble apporter une solution sécurisée et efficace.</p>
<p>Attention également à ne pas abuser de viande. Il existe une <a href="https://www.viandesetproduitscarnes.fr/index.php/fr/nutrition2/787-produits-carnes-et-risque-de-cancer-role-du-fer-heminique-et-de-la-peroxydation-lipidique">relation claire entre cancer du côlon et consommation de viande rouge (riche en fer héminique)</a>. N’oublions pas que le fer est pro-oxydant : ces cancers pourraient être dus à l’oxydation de lipides de la membrane des cellules du colon.</p>
<p>« La vérité se trouve au milieu » ! La nutrition consiste en l’art d’équilibrer : un peu, de tout, raisonnablement, et de façon adaptée aux besoins spécifiques de chacun.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184004/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Cayot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Conserver un bon taux de fer corporel n’est pas évident : la teneur en fer des aliments (surtout végétaux) est faible, et il est mal assimilé. Face aux idées reçues, à quoi faut-il être vigilant ?Philippe Cayot, Professeur des Universités en Chimie & Formulation des Aliments et Chimie des Procédés Alimentaires, Institut Agro DijonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1781832022-03-03T19:56:38Z2022-03-03T19:56:38ZNégociations commerciales et prix des matières premières agricoles : la France à côté de la PAC<p>Le prix des matières premières agricoles, qui pourrait s’envoler avec le conflit russo-ukrainien, constitue un sujet sensible. Il conditionne l’accès à un besoin physiologique essentiel – se nourrir – et la pérennité économique des entreprises agricoles qui assurent quotidiennement la production de notre alimentation. Pour atteindre cet objectif, la réglementation vise à ce que les industriels et les distributeurs de l’agroalimentaire n’abusent pas de leur pouvoir de marché pour imposer des prix trop faibles aux agriculteurs.</p>
<p>L’une des caractéristiques des marchés agricoles en France réside en effet dans une atomisation de la production des matières premières (lait, viande, céréales, œufs, fruits, légumes, pommes de terre, etc.) et une concentration importante de la collecte, transformation et commercialisation des denrées alimentaires. Il existe 400 000 entreprises agricoles qui écoulent leurs productions dans des filières industrielles structurées concentrées autour de <a href="http://www.senat.fr/rap/r19-649/r19-649_mono.html">quatre grandes centrales d’achat</a>.</p>
<p>Les marchés agricoles répondent à un schéma de concurrence oligopolistique et les enseignements de l’économie industrielle nous rappellent que, dans ce type de situation, les fournisseurs des oligopoles sont placés dans une situation de forte de dépendance. Ils se voient imposer des volumes et des prix par les grands donneurs d’ordre qui peuvent exiger des conditions tarifaires en <a href="https://www.europe1.fr/economie/lagriculture-vend-a-perte-on-travaille-pour-la-gloire-3692333">deçà des seuils de rentabilité</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1015611402591956994"}"></div></p>
<p>Dans ces conditions de concurrence oligopolistique et de défaillances, la « loi du marché » conduit l’entreprise agricole à des seuils de rentabilité faibles quand elle ne la condamne pas tout simplement à disparaître.</p>
<h2>La force du collectif</h2>
<p>Pour contrer ce pouvoir de marché considérable des industriels de l’agroalimentaire, la Politique agricole commune (PAC) propose aux agriculteurs de chaque États-membres de se regrouper à travers la mise en place d’organisations de producteurs (OP). Ces organisations de producteurs peuvent se constituer sous la forme d’une association libre ou acquérir cette qualité au sein d’une structure déjà existante, par exemple une coopérative agricole.</p>
<p>Dans les deux cas, elles permettent d’équilibrer les rapports de force et d’engager collectivement des négociations commerciales avec un même industriel sur un pied d’égalité. Elles constituent des outils de régulation efficaces des marchés agricoles en redonnant un pouvoir de marché aux agriculteurs.</p>
<p>En outre, ces organisations de producteurs permettent aux agriculteurs de reprendre la main sur le contrôle des volumes de production. À travers une organisation de producteurs, il est possible de lisser les volumes de production pour mieux s’ajuster aux fluctuations des marchés (qui se produisent fréquemment dans les filières agroalimentaires). Cette perspective de contrôle des volumes de production, qui peut sembler évidente, est aujourd’hui plus l’exception que la norme dans nombreuses filières agricoles comme dans le lait où c’est l’acheteur qui fixe les volumes et peut même <a href="https://journals.openedition.org/economierurale/5525">infliger des pénalités</a> quand les volumes de production ne sont pas atteints.</p>
<p>Les OP ont également la possibilité de bénéficier des aides de l’Union européenne et de percevoir des subventions afin de procéder à des investissements collectifs pour le bénéfice des entreprises agricoles qu’elles représentent. Cela peut se concrétiser par l’achat de matériel de collecte ou de stockage ou plus généralement d’outils susceptibles d’aider les entreprises agricoles dans leurs activités quotidiennes. Chaque organisation de producteurs peut ainsi lancer un programme opérationnel lui permettant d’obtenir des aides publiques de la PAC jusqu’à hauteur de 60 % des dépenses.</p>
<p>Enfin, les organisations de producteurs peuvent être le lieu où se construisent des stratégies dans une logique de développement durable. L’organisation de producteurs ne réduit pas l’entreprise agricole à un maillon taylorisé d’une chaîne alimentaire. À travers une organisation de producteurs, les entreprises agricoles ont la possibilité de penser une stratégie de différenciation et de singularisation afin de <a href="https://journals.openedition.org/economierurale/715">sortir d’une logique de commodité</a>, en valorisant un ensemble de services et d’implications sur un territoire.</p>
<p>Avec la prochaine PAC, qui <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20211118IPR17613/la-reforme-de-la-politique-agricole-commune-approuvee-par-les-deputes">entrera en vigueur en 2023</a>, ce qui était <a href="https://ec.europa.eu/info/food-farming-fisheries/key-policies/common-agricultural-policy/market-measures/agri-food-supply-chain/producer-and-interbranch-organisations_fr">réservé au secteur des fruits et légumes</a> et à la viticulture deviendra accessible à tous les secteurs, à condition que les États membres l’autorisent. Les agriculteurs auront théoriquement la possibilité de créer et de faire émerger des dynamiques d’action collective afin de sortir des négociations commerciales déséquilibrées.</p>
<h2>La France et sa politique agricole « colbertiste »</h2>
<p>Les organisations de producteurs fonctionnent en France depuis bientôt trente ans dans le secteur des fruits et légumes avec de réels succès. Ces organisations de producteurs disposent d’une dérogation au droit de la concurrence qui leur autorise non seulement à concentrer l’offre, mais également à négocier les prix et les volumes.</p>
<p>Elles tardent en revanche à émerger comme des acteurs forts dans les secteurs du lait et de la viande en raison de la structuration historique de ces filières autour de relations structurellement favorables à l’aval (transformation et distribution) au détriment de l’amont. Du côté des groupes privés, songez par exemple que le groupe Bigard (Charal) pèse 4 milliards d’euros : n°1 de la filière viande en France et n°3 en Europe (transformation), il représente 2 steaks hachés sur 3 vendus sur le territoire national. Il en est de même dans le secteur laitier où Lactalis, 20 milliards de chiffres d’affaires, privilégie la gestion individuelle des volumes de « ses » producteurs.</p>
<p>Par ailleurs, les autres acteurs majeurs de ces filières, à savoir les coopératives, ont en partie perdu leur raison d’être initiale, comme nous l’avons montré dans nos <a href="https://www.researchgate.net/publication/296153985_Referentiel_pour_une_gouvernance_strategique_des_cooperatives_agricoles">recherches</a>. À l’instar des producteurs, elles restent soumises à une domination économique et politique des grands acteurs privés. C’est ainsi tout l’enjeu de leur donner également accès à ces financements de la PAC pour qu’elles se donnent à nouveau les moyens de répondre à l’enjeu d’émancipation économique de leurs adhérents.</p>
<p>Depuis la fin des années 1980, la politique agricole française peut assez facilement être qualifiée de <a href="http://www.olivierpastre.fr/livres/livres-en-2006/533-2006-septembre-la-methode-colbert-ou-le-patriotisme-economique-efficace.html">« colbertiste »</a> puisqu’elle vise à faire émerger des champions nationaux (aussi bien coopératifs que privés). Mais cette concentration des acteurs industriels ne produit pas les effets escomptés au niveau des agriculteurs. Elle conduit même à les aggraver faute d’un ruissellement spontané de la valeur ajoutée pour le bénéfice des agriculteurs. Les récentes <a href="https://theconversation.com/remuneration-des-agriculteurs-egalim-2-une-loi-a-la-portee-limitee-175160">lois EGalim 1 et 2</a> apportent à cet égard des effets limités.</p>
<p>Cette logique a conduit à mettre les fermes sous la tutelle et l’influence de grands donneurs d’ordres embarqués dans des luttes commerciales à l’échelle mondiale.</p>
<p>Après quinze ans de cavalerie législative pour essayer de mieux rémunérer les entreprises agricoles et équilibrer les relations commerciales, la France pourrait sans doute s’appuyer utilement sur certains outils de la Politique agricole commune, notamment dans sa prochaine version, afin de donner aux entreprises agricoles l’autonomie et le pouvoir d’agir qu’elles méritent.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit avec <a href="https://www.linkedin.com/in/frederic-courleux-2a578387/">Frederic Courleux</a>, ingénieur agronome et ingénieur du Génie rural, eaux et forêts. Il est actuellement conseiller politique agricole au Parlement européen après avoir été membre du <a href="https://agriculture.gouv.fr/le-centre-detudes-et-de-prospective-cep">Centre d’études et de prospective du ministère de l’Agriculture</a> puis directeur des études et de la recherche du think tank <a href="https://www.agriculture-strategies.eu/">Agriculture Stratégies</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178183/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Dans le secteur du lait et de la viande, les producteurs restent insuffisamment groupés pour bénéficier des dispositifs européens et peser face aux industriels.Bertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises, EM Lyon Business SchoolXavier Hollandts, Professeur de stratégie et entrepreneuriat, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1751982022-02-24T18:52:10Z2022-02-24T18:52:10ZLes six chantiers prioritaires pour l’avenir de l’agriculture française<p>Avec 77 milliards d’euros de production en valeur pour 2019, la France est la première puissance productrice agricole européenne. Sur 48,5 % du territoire métropolitain, les <a href="https://agreste.agriculture.gouv.fr/agreste-web/download/publication/publie/Pri2105/Primeur%202021-5_Recensement-Agricole-2020.pdf">390 000 exploitations agricoles recensées en 2020</a> façonnent les paysages.</p>
<p>En 2022 et dans les années qui viennent, les défis à relever demeurent toutefois nombreux.</p>
<p>L’agriculture française a d’une part un impact négatif sur l’environnement et le climat, étant source d’émissions brutes de gaz à effet de serre non compensées par le carbone stocké dans les sols et les biomasses. Elle ne réussit pas d’autre part à générer un revenu décent à de nombreux agriculteurs, en dépit de soutiens publics importants. Le fossé se creuse également entre agriculteurs et consommateurs, exigeants, mais souvent peu enclins à dépenser davantage pour leur alimentation.</p>
<p>Dans un tel contexte, l’agriculture française doit résolument s’engager sur une autre voie en répondant à six grands défis.</p>
<h2>1. Réduire (enfin) l’usage des pesticides</h2>
<p>Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’agriculture « intensive » s’est construite sur la mécanisation et la chimie. Ses impacts négatifs sur la <a href="https://theconversation.com/pesticides-a-quoi-sexposent-ceux-qui-habitent-pres-des-champs-83994">santé des hommes</a> et des écosystèmes sont établis.</p>
<p>Depuis 2008, le gouvernement français porte un plan de réduction massive des produits phytosanitaires, traduction de la directive européenne 2009/128/CE, ambition reprise à l’échelle européenne dans le cadre du Pacte vert. Mais si elle a permis d’accélérer le retrait de certaines molécules parmi les plus préoccupantes et en particulier les CMR (cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques), <a href="https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-01/20200204-refere-S2019-2659-bilan-plans-ecophyto.pdf">cette initiative n’a pas produit la baisse escomptée</a>.</p>
<p>Les différents plans Ecophyto auront néanmoins permis d’identifier de nombreux axes de progrès :<br>
- les pratiques agroécologiques pour gérer la fertilité des sols et contenir les ravageurs ;<br>
- l’agriculture de précision portée par la géolocalisation et le numérique de façon à augmenter l’efficacité des usages de pesticides (<a href="https://www.inrae.fr/actualites/agriculture-optimiser-doses-dintrants-grace-aux-technologies-numeriques">avec un gain espéré d’environ 10 %</a>) ;<br>
- la sélection variétale orientée sur la résistance génétique des cultures aux maladies, avec de réels progrès déjà enregistrés sur le blé et la <a href="https://www.inrae.fr/actualites/cepages-innovants-ressourcer-vignobles">vigne</a> notamment ;</p>
<ul>
<li>le développement du biocontrôle.</li>
</ul>
<p>Le réseau des <a href="https://ecophytopic.fr/dephy/le-dispositif-dephy-ferme">fermes Dephy</a> mis en place dans le cadre d’Ecophyto montre que de telles évolutions sont possibles. D’autre part, le dispositif du conseil en agriculture, réellement séparé de la vente de produits phytosanitaires, doit être mis au service de la généralisation de ces expérimentations.</p>
<p>Les politiques publiques, notamment la politique agricole commune (PAC), doivent être mobilisées en renforçant la redevance pour pollutions diffuses appliquée aux achats de pesticides, en obligeant les vendeurs de ces produits à participer à l’effort de réduction (par l’offre d’alternatives dans le cadre du dispositif des certificats d’économie de produits phytosanitaires), en rémunérant les agriculteurs pour les efforts importants de réduction (y compris en couvrant la prise de risque) et en soutenant les investissements de matériels permettant de réduire les usages de pesticides.</p>
<h2>2. Diminuer les émissions de gaz à effet de serre agricoles</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1172&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1172&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1172&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1473&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1473&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448038/original/file-20220223-25-13f86rr.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1473&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les émissions de gaz à effet de serre agricoles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://agriculture.gouv.fr/infographie-le-secteur-agricole-et-forestier-la-fois-emetteur-et-capteur-de-gaz-effet-de-serre">Ministère de l’Agriculture (à partir des données CITEPA)</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://www.citepa.org/fr/secten/">D’après le CITEPA</a>, l’agriculture représentait, en 2020, 21 % des émissions françaises de gaz à effet de serre sous forme de méthane CH<sub>4</sub> (45 %), protoxyde d’azote N<sub>2</sub>0 (42 %) et dioxyde de carbone CO<sub>2</sub> (13 %). Ces émissions sont stables (-0,1 % entre 2015 et 2018).</p>
<p>Les émissions de méthane sont directement liées à la taille du cheptel, notamment de bovins chez qui elles sont essentiellement <a href="https://librairie.ademe.fr/produire-autrement/574-greencow-quantification-des-emissions-individuelles-de-methane-des-bovins.html">produites lors de la digestion de la cellulose des fourrages</a>.</p>
<p>Elles peuvent être légèrement diminuées en modifiant l’alimentation des animaux – grâce notamment à l’incorporation de tourteaux de lin et <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2405654521001694">d’additifs</a>, dont les effets sont prometteurs, mais restent à confirmer –, en augmentant la productivité des animaux, ce qui permet de réduire leur nombre à production constante, et en réduisant la taille du cheptel dans le cadre de régimes alimentaires des humains moins riches en viande rouge.</p>
<p>Les émissions de N<sub>2</sub>O et de CO<sub>2</sub> seront diminuées en jouant sur les formes et les modalités d’application des engrais, et surtout en utilisant moins d’engrais azotés minéraux et organiques grâce à un <a href="https://theconversation.com/les-legumineuses-une-source-dazote-plus-durable-pour-la-culture-du-ma-s-147096">recours accru aux légumineuses</a> et à une meilleure <a href="https://hal.inrae.fr/hal-03217087/document">articulation des productions végétales et animales</a> dans les territoires.</p>
<p>Le stockage de carbone dans les sols, promu avec l’<a href="https://www.4p1000.org/fr">initiative 4/1000</a>, a l’avantage additionnel d’améliorer leur fertilité et leur structure. L’agriculture peut aussi contribuer à la <a href="https://theconversation.com/agriculture-et-transition-energetique-les-atouts-du-biogaz-et-de-lagroforesterie-93842">production d’énergie renouvelable</a> sous diverses formes (méthanisation, photovoltaïque, etc.)… à condition qu’il n’y ait pas concurrence avec la production alimentaire et la restitution du carbone au sol.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/linitiative-4-pour-1-000-quest-ce-que-cest-54425">L’initiative « 4 pour 1 000 », qu’est-ce que c’est ?</a>
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<p>Ces voies de progrès sont au cœur de nombreuses démarches : agriculture de conservation des sols, agriculture du vivant ou régénératrice, permaculture, etc. Ces pratiques sont à encourager par les politiques publiques, selon la même logique que celle appliquée aux pesticides, soit en mobilisant plus strictement les principes émetteur-payeur et stockeur-bénéficiaire.</p>
<h2>3. Assurer le développement de l’agriculture biologique à grande échelle</h2>
<p>Le cahier des charges de l’agriculture biologique (AB) garantit une production sans intrants chimiques, avec des bénéfices sur la qualité des sols, de l’eau et de l’air, la préservation de la biodiversité, et la santé des agriculteurs, des habitants et des consommateurs du fait d’une moindre exposition aux contaminants.</p>
<p>Ses bénéfices nutritionnels comme son impact sur le climat <a href="https://www.mdpi.com/2071-1050/12/17/7012">font toujours l’objet de débats</a>. Si les pratiques de l’AB permettent bien de réduire les émissions de gaz à effet de serre rapportées à l’hectare, ce n’est pas toujours le cas quand elles sont mesurées par unité de produit du fait d’une moindre productivité. Pour la même raison, l’agriculture bio nécessitera davantage de terres pour produire les mêmes quantités de biens.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/448040/original/file-20220223-23-h6z4rv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Évolution des surfaces cultivées en bio en France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.agencebio.org/vos-outils/les-chiffres-cles/">Agence Bio</a></span>
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</figure>
<p>Ces rendements plus faibles requièrent des prix des produits finaux plus élevés. L’équilibre économique des exploitations en AB a été assuré jusqu’à aujourd’hui par un marché tendanciellement porteur et par des aides, notamment lors de la période de conversion vers l’AB pendant laquelle les produits ne sont pas labellisés.</p>
<p>La poursuite du développement de l’AB nécessite des innovations (sélection variétale, pratiques agronomiques, etc.) pour accroître et stabiliser les rendements. Elle exige aussi que le marché reste dynamique et soit accessible à tous.</p>
<p>Les politiques publiques doivent ainsi favoriser l’accès des plus précaires à l’alimentation biologique, par exemple par un système de chèques alimentaires. L’AB gagnera aussi à ce que les services négatifs de l’agriculture soient plus explicitement pénalisés, et les services positifs récompensés.</p>
<p>Enfin, des changements de régimes alimentaires et la réduction des pertes et gaspillages seront nécessaires, notamment pour limiter les besoins en terres du fait des moindres rendements de l’AB, comme le soulignait en 2018 le <a href="https://www.iddri.org/fr/publications-et-evenements/etude/une-europe-agroecologique-en-2050-une-agriculture">scénario TYFA de l’IDDRI</a>.</p>
<h2>4. Adapter l’offre agricole aux nécessaires évolutions des régimes alimentaires</h2>
<p>Des régimes alimentaires trop caloriques et trop déséquilibrés (trop de sucres, de graisses, de sel, de charcuteries et de viandes rouges ; pas assez de protéines et de fibres végétales, de fruits et de légumes) ont des effets négatifs sur la santé, entraînant surpoids, obésité et maladies chroniques.</p>
<p>En France, en 2016, le coût social annuel du surpoids et de l’obésité s’élevait à <a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/90846524-d27e-4d18-a4fe-e871c146beba/files/1f8ca101-0cdb-4ccb-95ec-0a01434e1f34">20,4 milliards d’euros</a>, comparable à celui du tabac et supérieur à celui de l’alcool. Pourtant, les politiques nutritionnelles, essentiellement basées sur la norme, les recommandations, l’information et l’étiquetage (Nutri-Score), et très peu sur des mesures fiscales incitatives (taxes ou subventions), restent très modestes.</p>
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<p>Les changements de régimes alimentaires ne seront pas sans conséquence sur l’offre agricole (et agroalimentaire). Ils impacteront négativement les consommations de produits animaux, baisse à laquelle les producteurs doivent se préparer en compensant la réduction des volumes par une augmentation de la qualité.</p>
<p>Cette perspective est aussi l’occasion de revoir la spécialisation marquée des troupeaux de bovins lait et viande en favorisant des races mixtes, comme la Normande ou l’Aubrac qui valorisent à la fois la production de lait et de viande, et peuvent permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre des bovins.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comprendre-la-carte-de-la-france-agricole-168029">Comprendre la carte de la France agricole</a>
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<p>Il convient simultanément d’encourager le développement de filières structurées et compétitives de fruits, de légumes et de protéines végétales. Ces dernières requièrent de travailler la production, la collecte, la transformation (nouvelles recettes), et les habitudes de consommation grâce à l’éducation et à l’information. Plusieurs expérimentations, à l’image de celle du territoire d’innovation <a href="https://www.metropole-dijon.fr/Grands-projets/Un-systeme-alimentaire-durable-pour-2030">« Alimentation durable 2030 » à Dijon</a>, sont prometteuses.</p>
<h2>5. Concilier protection de l’environnement et revenus agricoles</h2>
<p>Les revenus des exploitations agricoles françaises sont très dépendants des soutiens budgétaires de la PAC qui, en 2019, représentaient en moyenne les trois quarts du revenu courant avant impôt.</p>
<p>Cette dépendance est encore plus grande, <a href="https://hal.inrae.fr/hal-03514845/document">supérieure à 100 %</a>, pour certaines catégories d’exploitations (250 % pour les bovins viande, 136 % pour les bovins viande et lait, 128 % pour les céréales et oléo-protéagineux). Elle rend très difficile toute modification des modalités d’octroi des aides, notamment pour satisfaire des objectifs écologiques, qui mettrait en péril la viabilité économique de nombre d’exploitations.</p>
<p>Le statu quo écologique n’est toutefois plus une option.</p>
<p>Sortir de ce dilemme requiert de renforcer le pouvoir de négociation des agriculteurs pour mieux répartir la valeur (regroupement de l’offre, biens adaptés aux attentes des consommateurs, développement de circuits courts).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"929359899515064320"}"></div></p>
<p>Il exige aussi de développer des sources complémentaires de revenu, en mobilisant ces différents axes : réduire les coûts de production en mobilisant toutes les sources de progrès (génétique, numérique, optimisation de l’usage de la biomasse, innovation ouverte…) ; exploiter le consentement à payer des consommateurs pour des produits issus de systèmes plus respectueux du climat et de l’environnement, et accorder parallèlement aux ménages les plus pauvres des aides leur permettant d’accéder à ces produits ; développer les paiements pour services environnementaux financés par le contribuable, mais aussi l’usager ; limiter les distorsions de concurrence entre agriculteurs de l’espace européen et ceux des pays tiers grâce à l’introduction de mécanismes d’ajustement aux frontières européennes au titre du climat, de l’environnement et de la santé.</p>
<p>Une réflexion plus globale devra d’autre part être engagée quant à l’utilisation des économies réalisées grâce aux dépenses de santé et de dépollution en baisse. Ce seraient plus de <a href="http://temis.documentation.developpement-durable.gouv.fr/docs/Temis/0070/Temis-0070550/19342.pdf">50 milliards d’euros</a> qui seraient dépensés chaque année en France pour la seule dépollution des eaux en pesticides et nitrates…</p>
<h2>6. Rendre le métier d’agriculteur plus attractif</h2>
<p>En 2019, <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4806717">55 % des agriculteurs français</a> avaient plus de 50 ans. Et quand 10 d’entre eux partent en retraite, <a href="https://agriculture.gouv.fr/actifagri-de-lemploi-lactivite-agricole-determinants-dynamiques-et-trajectoires">7 seulement s’installent</a>. Au vieillissement de cette population s’ajoute donc le non-renouvellement des générations.</p>
<p>Le paradoxe actuel étant qu’une agriculture plus agroécologique <a href="https://theconversation.com/pour-en-finir-avec-les-pesticides-il-faut-aussi-des-agriculteurs-dans-les-champs-106978?utm_term=Autofeed&utm_medium=Social&utm_source=Twitter#Echobox=1547514523">nécessite davantage de main-d’œuvre</a> (pour surveiller plantes et animaux, assurer le désherbage mécanique des cultures, développer des activités de transformation et de vente, etc.), avec des qualifications plus étendues et plus élevées. Ces difficultés ne sont pas propres à la France et se retrouvent, avec des spécificités nationales, dans les différents pays européens.</p>
<p>Selon le <a href="https://www.eesc.europa.eu/en/our-work/opinions-information-reports/information-reports/evaluation-impact-cap-generational-renewal">Comité économique et social européen</a>, plusieurs facteurs défavorables expliquent cette double spirale négative : les écarts de revenu entre l’agriculture et les autres secteurs d’activité ; la charge administrative d’accès aux aides de la PAC ; des normes européennes plus contraignantes que dans la plupart des autres pays ; des difficultés de trésorerie, de financement des investissements et d’accès au foncier ; la faiblesse des retraites agricoles ; et des contraintes liées à la vie en milieu rural (accès plus difficile aux services publics et privés).</p>
<p>Les leviers d’action devront combiner politiques sociale, foncière, agricole et territoriale. La revalorisation des retraites et leur conditionnement à la transmission du foncier à des entrants limitera la rétention des terres par les plus âgés.</p>
<p>Une politique foncière efficace ciblera deux objectifs : la protection vis-à-vis de l’artificialisation des terres et leur accès en priorité aux actifs agricoles.</p>
<p>Au-delà de sa mission productive, une refonte du métier pourrait être menée en inscrivant l’exploitation agricole dans une dynamique d’entreprise à mission qui redéfinirait le contrat social qui lie la société à ses agriculteurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175198/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hervé Guyomard a reçu des financements de la Caisse des Dépôts - Banque des Territoires, des Conseils régionaux de Bretagne, de Normandie et des Pays de la Loire, d'InVivo, du Parlement européen et de la Commission européenne. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Xavier Reboud a reçu des financements de l'OFB dans le cadre de travaux conduits sur Ecophyto</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christian Huyghe et Cécile Détang-Dessendre ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Réduire les pesticides et les gaz à effet de serre, développer l’offre bio et une alimentation saine, soutenir les revenus et carrières des agriculteurs et agricultrices, les défis sont nombreux.Cécile Détang-Dessendre, Directrice de recherche en économie, InraeChristian Huyghe, Directeur scientifique pour l’agriculture, InraeHervé Guyomard, Chercheur, InraeXavier Reboud, Chercheur en agroécologie, InraeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1757902022-02-13T19:58:27Z2022-02-13T19:58:27ZAu Paléolithique déjà… « Le gras, c’est la vie ! »<p>Aujourd’hui, manger sainement et « allégé » est le leitmotiv de toutes les tendances culinaires des sociétés dites occidentales. Par exemple le régime « Paléo » prône une alimentation à base de fruits, de légumes, d’oléagineux et de viande maigre – <a href="https://theconversation.com/regime-paleo-lubie-du-mangeur-moderne-desoriente-ou-vraie-bonne-idee-175720">loin de la réalité archéologique</a>. Dans le passé, durant des centaines de millénaires, nos ancêtres se sont en effet délectés… de graisse !</p>
<p>Pourquoi le gras a-t-il été si important pour les sociétés du Paléolithique, période gigantesque s’étirant de 3 millions à 12 000 ans avant le présent, toutes latitudes confondues ? Comment les vestiges fossiles nous renseignent sur cette récupération de la graisse, tant par <em>Homo sapiens</em> que Néandertal ? Et en quoi certaines préparations culinaires observées dans les sociétés traditionnelles actuelles nous aident à émettre des hypothèses et à mieux comprendre les « cuisines » paléolithiques ?</p>
<h2>Comment faire « parler » le registre archéologique ?</h2>
<p>Les traces liées à l’alimentation en contexte archéologique sont ténues. En effet, les aliments sont ingérés et les déchets restants, périssables, se décomposent en un laps de temps très court. De façon fortuite, quelques résidus organiques peuvent parfois se retrouver piégés dans des matériaux comme de la céramique ou se conserver dans des contextes très particuliers (carbonisation, milieu humide).</p>
<p>Le gras ne fait pas exception, et c’est donc principalement sur la base d’indices indirects qu’il est possible de discuter de sa récupération et de sa consommation. Contrairement à la viande ou aux ressources végétales, en l’état actuel des recherches, la consommation de gras ne peut pas être inférée à partir de l’analyse des restes humains, que ce soit au moyen de l’étude des isotopes contenus dans le squelette, du tartre dentaire ou encore des micro-usures laissées sur la surface des dents.</p>
<p>Les déchets fossiles des animaux mangés (os, dents) constituent donc les seuls témoins pour parler de cette consommation. Ces déchets alimentaires, assez robustes pour traverser le temps, nous informent sur les différents gibiers chassés, sur les morceaux transportés puis consommés aux sites d’habitat, et sur certaines pratiques bouchères et culinaires.</p>
<p>La moelle représente une des principales sources de gras animal. Pour la récupérer, il est nécessaire de casser les ossements permettant ainsi d’accéder à leur cavité médullaire : cette pratique est donc principalement mise en évidence par la présence de traces de percussion sur les os et par des bords de fractures caractéristiques d’une fragmentation alors que l’os était encore frais.</p>
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<img alt="Trois vues d’un fragment d’humérus, montrant ses faces externe et interne et les traces de raclage anciennes" src="https://images.theconversation.com/files/445636/original/file-20220210-27-3kcu3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445636/original/file-20220210-27-3kcu3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445636/original/file-20220210-27-3kcu3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445636/original/file-20220210-27-3kcu3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=340&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445636/original/file-20220210-27-3kcu3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445636/original/file-20220210-27-3kcu3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445636/original/file-20220210-27-3kcu3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=427&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fragment d’humérus de cerf présentant des fractures et des encoches dues à la récupération de la moelle par des Néandertaliens (Abri du Maras, Ardèche).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Delphine Vettese</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>On a pu constater que sur les sites d’habitat du Paléolithique, les « os à moelle » sont rarement retrouvés entiers. C’est en particulier le cas des os longs (fémur, etc.), qui contiennent les volumes de moelle les plus importants. Phalanges et mandibules sont aussi fréquemment fracturées, malgré des cavités médullaires très réduites. Ces indices attestent d’une récupération et d’une consommation intensive de la moelle.</p>
<h2>Une consommation purement alimentaire ou culturelle ?</h2>
<p>Choisir les « bons aliments » découle pour une large part de notre éducation et de notre culture, mais aussi des techniques et des ressources disponibles autour de nous. Ces ressources sont elles-mêmes fonction des facteurs environnementaux et climatiques, en particulier durant les temps préhistoriques.</p>
<p>Au Paléolithique, durant les périodes froides, la part de nourriture d’origine animale (protides) augmente, tandis que celle d’origine végétale (glucides) diminue. <a href="https://www.hominides.com/html/references/alimentation-paleolithique-delluc-0275.php">La viande maigre des herbivores constituait alors une part importante de la nutrition</a>, en particulier en hiver et au printemps lorsque les herbivores souffrent de malnutrition. Ce régime de viande, pourtant à haute valeur protidique, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/0278416583900065">induit de grandes dépenses énergétiques liées à l’élimination des déchets azotés</a>.</p>
<p>De ce fait, une alimentation riche en viande maigre, c’est-à-dire une viande avec un taux de graisse inférieur à 3 %, nécessite des rations journalières de nourriture très importantes pour couvrir les besoins énergétiques corporels. Par ailleurs, une consommation excessive de protéines engendre des dérèglements du foie et des reins, pouvant entraîner le décès, comme c’est le cas par exemple d’une consommation exclusive de viande de lapin pendant plusieurs semaines. Ces carences et risques sanitaires peuvent être palliés par un surcroît d’apports lipidiques, donc de gras, dans le régime alimentaire.</p>
<p>La graisse a en effet une grande valeur énergétique – environ le double de celle des protides et des glucides – et permet de faire fonctionner la « néoglucogenèse » : un métabolisme du foie qui produit des glucides à partir des protides et des lipides. Ces avantages expliquent donc en grande partie pourquoi les groupes humains du Paléolithique ont cherché à récupérer la graisse partout où elle pouvait être disponible.</p>
<p>Toutefois, les données archéologiques montrent que, <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01891712v1">même sous des climats tempérés, la recherche de graisse restait importante</a>. En complément des facteurs physiologiques, d’autres facteurs pourraient donc expliquer l’attrait pour le gras…</p>
<p>La part du culturel et du symbolique dans les choix alimentaires n’est pas à négliger. Comme l’avait observé l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, loin d’être restreint aux sociétés dites « complexes », le caractère culturel de l’alimentation est en effet un trait commun à toute société humaine. En Occident aujourd’hui, par exemple, la moelle est notamment servie dans des restaurants gastronomiques, ou présente dans de nombreux plats traditionnels, tel que l’osso buco italien.</p>
<p>Chez certains groupes Inuit, la palatabilité de la moelle varie en fonction des ossements : la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0305440306000793">moelle issue des phalanges et des métapodes – riche en acide oléique – est ainsi nettement plus appréciée</a> que celle des autres os. Dans le Kamtchatka, en Sibérie, la <a href="https://www.researchgate.net/publication/242311559_Kilvei_The_Chukchi_Spring_Festival_in_Urban_and_Rural_Contexts">graisse de renne obtenue durant le <em>Kilvèj</em> (fête du printemps)</a> tient lieu d’offrande dans les relations des éleveurs de rennes avec leur environnement.</p>
<p>La graisse animale est ainsi un mets très prisé et fortement valorisé dans beaucoup de sociétés.</p>
<p>La dimension sociale et symbolique de l’alimentation au Paléolithique est malheureusement particulièrement difficile à saisir. Quelques études récentes montrent néanmoins que les marques laissées par l’extraction de moelle peuvent mettre en évidence l’existence de pratiques bouchères traditionnelles spécifiques à certains groupes de chasseurs-cueilleurs du <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S2352409X17300032">Paléolithique moyen (environ de 300000 à 40000 av. J.-C.)</a> et <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01891662v1">récent ou supérieur, d’environ 40000 à 12000 av. J.-C.)</a>.</p>
<p>Il a aussi été proposé que l’intense fragmentation des phalanges, mais aussi des os courts dépourvus de moelle, puisse être le <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-02369001/document">reflet de pratiques de boucherie ritualisées</a>, en lien avec les rapports entretenus avec le gibier. Ces travaux permettent de dépasser le caractère strictement économique auquel est généralement réduite l’alimentation dans les études archéozoologiques.</p>
<h2>Des pratiques culinaires et procédés de cuisson comme témoins</h2>
<p>La préparation de bouillons à base de graisse contenue dans les tissus osseux observée chez les Nunamiut (Alaska) a permis d’envisager l’<a href="https://paleoanthro.org/media/journal/content/PA20150054.pdf">existence de tels procédés au sein des sociétés du Paléolithique</a>.</p>
<p>De nombreux travaux archéologiques et expérimentaux ont permis de lister des critères appuyant l’utilisation d’un tel procédé dès le Paléolithique. C’est le cas par exemple de l’<a href="https://www.researchgate.net/publication/313273260_New_criteria_for_the_archaeological_identification_of_bone_grease_processing">intense fragmentation des éléments spongieux des os dans lesquels se trouve la graisse</a>. Ce procédé est notamment reconnu au Paléolithique supérieur, il y a environ 25 000 ans (période gravettienne).</p>
<p>Dans certains sites plus anciens, ni galets chauffés permettant de faire bouillir de l’eau, ni petits os brûlés n’ont été découverts, et l’hypothèse d’un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01891712v1">concassage des parties spongieuses</a> riches en graisses pour une consommation crue a donc été proposée. En contexte européen, en particulier durant les périodes glaciaires où les ressources en combustible étaient limitées, il est tout en fait envisageable que ce mode d’extraction sous forme de bouillie d’os ait été privilégié.</p>
<p>Il est toutefois important de souligner que si l’extraction de la graisse contenue dans les tissus osseux semble relativement courante au Paléolithique en Europe, elle est loin d’être aussi systématique que la récupération de la moelle.</p>
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<img alt="À gauche, une archéologue est agenouillée, un gros galet à la main, pour tenter de retrouver les gestes anciens de fracturation d’un gros os long (humérus ici). À droite, résultat pour un tibia que l’on voit cassé en une vingtaine de petits morceaux" src="https://images.theconversation.com/files/445637/original/file-20220210-26283-xedi80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/445637/original/file-20220210-26283-xedi80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/445637/original/file-20220210-26283-xedi80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/445637/original/file-20220210-26283-xedi80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=249&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/445637/original/file-20220210-26283-xedi80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/445637/original/file-20220210-26283-xedi80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/445637/original/file-20220210-26283-xedi80.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=313&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Pour mieux comprendre les vestiges archéologiques, l’expérimentation est devenue incontournable. À gauche, fracturation d’un humérus de bœuf à l’aide d’un galet pour en extraire la moelle ; à droite, un tibia de bœuf fracturé à l’issue de la récupération de sa moelle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Delphine Vettese</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Ce goût prisé pour le gras pourrait aussi être perceptible au travers des modes de cuisson privilégiés au Paléolithique.</p>
<p>Pour les peuples vivant dans les milieux froids, la cuisson préférée est le bouilli, alors que la viande grillée est dépréciée du fait d’une perte en graisse trop importante. La consommation de viande ou de moelle crue est aussi très appréciée : les Inuits mais surtout les Koriaks (Extrême-Orient russe) privilégient une <a href="https://journals.openedition.org/tc/8887?lang=en">consommation des aliments sous cette forme</a>.</p>
<p>Pour le Paléolithique, les traces de rôtissage sur les ossements sont relativement rares quand les stries liées au décharnement des carcasses sont très nombreuses, <a href="https://www.researchgate.net/publication/39064292_Comparaison_des_pratiques_boucheres_et_culinaires_de_differents_groupes_siberiens_vivant_de_la_renniculture">ce qui atteste d’un prélèvement fréquent de viande crue</a>. De même, les procédés de récupération de la moelle témoignent de sa consommation crue.</p>
<h2>De nouvelles recherches à mettre au menu…</h2>
<p>De nombreux indices disséminés au sein des registres de faune fossile permettent de mieux comprendre l’alimentation de nos prédécesseurs. Les traces d’extraction de la moelle et de la graisse osseuses laissées sur les os d’herbivores comme le renne, le bison ou le cheval permettent de placer le gras au cœur du régime alimentaire des sociétés humaines du Paléolithique, aux côtés de nombreux autres aliments, animaux et végétaux.</p>
<p>Pour autant, il reste encore beaucoup à découvrir, et notamment les pans symbolique et culturel de ces pratiques alimentaires, encore très difficilement atteignables aujourd’hui. Nul doute que les nouvelles découvertes archéologiques et les nouvelles méthodes d’études (analyses isotopiques, paléogénétique des résidus de tartre anciens, micro-usure dentaire, etc.) permettront d’affiner encore nos connaissances sur l’alimentation de nos lointains ancêtres et d’en extraire la « substantifique moelle ». Affaire à suivre…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175790/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Daujeard a reçu des financements de la Fondation Nestlé France pour un projet de recherche intitulé : « A l’origine des traditions bouchères : apprentissage et savoir‐faire chez les Néandertaliens dans le Sud de l’Europe » (2016-2018), incluant un demi-financement de contrat doctoral pour Delphine Vettese. (Sans droit de regard sur les résultats des recherches.)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Delphine Vettese a reçu des financements de la Fondation Nestlé France et le CIV: Viandes, Sciences et Sociétés pour un projet de recherche intitulé : « A l’origine des traditions bouchères : apprentissage et savoir‐faire chez les Néandertaliens dans le Sud de l’Europe » (2016-2018, PI: C. Daujeard). (Sans droit de regard sur les résultats des recherches.)
Pour l'expérimentation de l'illustration, les ossements ont été fournis par l'entreprise Charal à titre gratuit (2017). Post-doctorat financé par une ERC (n° 818299, PI : A.-B. Marin Arroyo). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sandrine Costamagno ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La consommation de « gras » est aujourd’hui mal perçue dans les sociétés occidentales. Pourtant, la recherche montre qu’au Paléolithique, la moelle était prisée – et utile à l’équilibre alimentaire.Camille Daujeard, Archéozoologue, chargée de Recherche, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Delphine Vettese, Archéozoologue, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Sandrine Costamagno, Archéozoologue paléolithicienneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1757202022-02-09T20:50:26Z2022-02-09T20:50:26ZRégime « paléo » : lubie moderne ou vraie bonne idée ?<p>Le régime « paléo » (pour paléolithique, période de la préhistoire courant de 3 millions à 12 000 ans avant notre ère) est aujourd’hui l’objet d’un regain de popularité, alimenté par ses <a href="https://www.passeportsante.net/fr/Nutrition/Regimes/Fiche.aspx?doc=paleolithique_regime">nombreuses vertus (supposées ?) sur la santé</a>. Mais rien n’est jamais simple en matière d’alimentation… La science nous invite d’un côté à nous émerveiller sur la remarquable diversité et sophistication du régime de nos ancêtres, et de l’autre à garder un esprit critique face à la complexité des effets des aliments sur notre santé.</p>
<p>Depuis l’apparition des premiers hominidés du genre <em>Homo</em>, notre alimentation n’a cessé d’évoluer… <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3226386/">et nous avec</a> ! Adaptation à notre environnement, maîtrise de nouvelles pratiques et techniques, évolution morphologique, changements de mode de vie : au fil des millions d’années, l’Homme se transforme, adapte son comportement, acquiert de nouvelles capacités… et varie le contenu de ses menus.</p>
<h2>Évolution(s) et alimentation</h2>
<p>Plutôt végétariens à nos origines, de plus en plus carnivores quand les conditions climatiques (refroidissement) l’imposaient et que <a href="https://theconversation.com/la-chasse-est-elle-a-lorigine-de-lemergence-du-genre-humain-145745">nos techniques de chasse progressaient</a>, nous avons évolué comme des omnivores opportunistes, essayant tout ce qui pouvait tenir lieu de nourriture autour de nous, végétaux comme animaux. La cueillette permet de récolter racines, tubercules, feuilles, fleurs, baies, ainsi que champignons, algues, œufs, coquillages ou encore insectes. Le charognage, puis la chasse, de plus gros animaux (mammifères, oiseaux, poissons) entiers… ou ce qu’il en reste !</p>
<p>Nous ne nous étendrons pas sur la consommation de nos propres congénères, car si le <a href="https://theconversation.com/sommes-nous-tous-des-cannibales-159363">cannibalisme était sans doute répandu chez nos ancêtres</a>, la pratique n’est plus admise dans nos sociétés modernes. Elle ne peut donc raisonnablement pas rentrer dans les préconisations d’un « régime paléo » au goût du jour.</p>
<p><a href="https://www.lemangeur-ocha.com/wp-content/uploads/2012/05/JD_Vigne_Alimentation_pr_historique.pdf">L’apparition (progressive) de l’agriculture et de l’élevage au Néolithique</a>, il y a environ 12 000 à 7000 ans (selon les endroits), a changé la donne. L’introduction notamment de produits laitiers et céréaliers, ainsi que l’accès à une viande plus grasse (les animaux d’élevage étant 5 à 20 fois plus gras que leurs « équivalents » sauvages), a transformé durablement et radicalement notre alimentation.</p>
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<img alt="Plats et ustensiles de cuisine du Néolithique, avec graines" src="https://images.theconversation.com/files/444034/original/file-20220202-13-15ll33f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444034/original/file-20220202-13-15ll33f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=550&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444034/original/file-20220202-13-15ll33f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=550&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444034/original/file-20220202-13-15ll33f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=550&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444034/original/file-20220202-13-15ll33f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=691&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444034/original/file-20220202-13-15ll33f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=691&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444034/original/file-20220202-13-15ll33f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=691&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Néolithique, avec le développement de l’agriculture et de l’élevage, a contribué à énormément changer le contenu de notre assiette depuis le Paléolithique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sandstein/Historisches Museum Bern</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Dans un contexte d’industrialisation et donc de transition encore plus brutale à l’échelle de l’histoire de l’Homme, l’alimentation d’aujourd’hui, majoritairement constituée de produits transformés par l’agro-industrie (riches en sel, sucres rapides, graisses saturées…), est de plus en plus tenue <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6817492/">responsable des pathologies métaboliques, parfois également appelées « maladies de civilisation », qui minent notre santé</a>. Obésité, diabète, cancers, maladies coronariennes : tel est le tableau clinique qui donne un sérieux coup de frein à l’augmentation de notre espérance de vie, malgré les fantastiques progrès de la médecine.</p>
<p>Dès lors, revenir à une alimentation « paléo », <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/2981409/">idée popularisée par Boyd Eaton dans les années 1985</a>, apparaît chez certains adeptes du « c’était mieux avant » comme une solution pour assainir nos modes de vie moderne.</p>
<h2>Vraie ou fausse bonne idée ?</h2>
<p>D’abord, de quels ancêtres parle-t-on ? Des lointains australopithèques qui peuplaient l’Afrique il y a plus de 2 millions d’années ? Des premiers individus du genre <em>Homo</em> apparus ensuite ? Ou de leurs descendants plus récents qui ont peuplé l’Europe à partir de 300 000 ans, l’homme de Néanderthal aujourd’hui disparu, puis <em>Homo sapiens</em> (celui-là même que l’on nomme parfois « Cro Magnon » et qui est notre ancêtre direct) ?</p>
<p>Et parmi ces derniers, parle-t-on de ceux qui vivaient sur les côtes ou de ceux de la toundra ou de la taïga (respectivement au Sud et au Nord de l’Europe) ? Ou de ceux qui, encore plus proches de nous, ont subi le grand froid du Solutréen (-22 000 à -17 000) ou de ceux qui ont ensuite bénéficié du redoux au Magdalénien (-17 000 à -14 000) ?</p>
<p>Clairement, le Paléolithique présente une multitude de périodes, de climats, d’environnements et de cultures, qui ont toutes leurs spécificités… C’est donc plutôt de régimes paléolithiques qu’il faudrait parler. Pour connaître le régime des humains il y a 1 000, 10 000, 100 000 ans voire plus, les scientifiques croisent les informations directes (obtenues grâce aux chantiers de fouille) et indirectes (par extrapolation et rapprochement avec d’autres types de données).</p>
<p>Dans les premières, on trouve les restes fossilisés d’animaux et de végétaux consommés, les traces d’activités humaines (habitats, outils…), les ossements humains (dont les dents, très riches en information). Dans les deuxièmes, on sollicite la connaissance de l’environnement biologique et géologique de l’époque, la comparaison avec les comportements des quelques sociétés de chasseurs-cueilleurs subsistant encore aujourd’hui (Pygmées, Inuit, Aborigènes…), ou encore l’étude des régimes alimentaires de nos cousins primates (gorilles, chimpanzés, bonobos).</p>
<h2>Festins préhistoriques</h2>
<p>Forme du crâne, taille des dents (des grosses molaires témoignent d’une alimentation riche en végétaux coriaces, des dents plus petites avec les incisives marquées un régime plus omnivore) et usure de celles-ci (stries verticales chez les carnivores, horizontales chez les herbivores et… diagonales chez les omnivores !), composition chimique du tartre dentaire et des os (notamment le rapport strontium/calcium, qui diminue en même temps que l’augmentation de la part animale dans l’alimentation, à l’inverse des isotopes du carbone et de l’azote), ossements animaux portant des traces de découpe, pierres taillées, résidus de préparations alimentaires (graines, os, coquilles, pollens…), éléments de vaisselle, outils de chasse ou pêche (lances, pointes taillées, nasses, bâtons…) mais aussi représentations artistiques de scènes de chasse et bestiaires divers : les archéozoologues passent au peigne fin – ou plutôt au scanner, microscope électronique, séquenceur ADN et <a href="https://sagascience.cnrs.fr/Origine/methodologie/outils.htm">autre outil d’analyse physico-chimique moderne</a> – tous les éléments retrouvés sur les sites qu’ils sont amenés à fouiller.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Crâne fossilisé d’un _A. africanus_" src="https://images.theconversation.com/files/444055/original/file-20220202-19-18qp9aw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444055/original/file-20220202-19-18qp9aw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444055/original/file-20220202-19-18qp9aw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444055/original/file-20220202-19-18qp9aw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444055/original/file-20220202-19-18qp9aw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=684&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444055/original/file-20220202-19-18qp9aw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=684&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444055/original/file-20220202-19-18qp9aw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=684&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’analyse des ossements des anciens hominidés (ici, crâne de « Mrs. Ples », grotte de Sterkfontein, <em>Australopithecus africanus</em> de 2,1 millions d’années) donne des éléments sur leur régime alimentaire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">José Braga, Didier Descouens</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Nombreux, les reliefs de festins anciens attestent de l’existence de régimes très variés, selon le lieu et l’époque. Ont figurés au menu, pêle-mêle :</p>
<ul>
<li><p>Des mammifères, bien sûr. <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aad0554">Nos ancêtres chassaient bien le mammouth</a> ainsi que l’antilope, l’aurochs, le bison, le cerf, le cheval, le chevreuil, le renne, le sanglier, le lièvre…)</p></li>
<li><p>Mais aussi des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0305440309002052">oiseaux</a> et leurs <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00460848/PDF/LaroulandieUISPP2009.pdf">œufs</a> : autruche, caille, canard, faisan, oie, perdrix, pigeon, pintade, poule…</p></li>
<li><p>Des invertébrés, dont les <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0104898">escargots</a>…) ainsi que divers <a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0024026">mollusques marins</a>,</p></li>
<li><p>De la mer venaient aussi bivalves et crustacés (couteaux, moules, praires, écrevisses…), thons et autres poissons (oui, la <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.1207703">pêche en mer était déjà pratiquée il y a 40 000 ans</a>).</p></li>
<li><p>Même si les restes font défaut, on peut aussi imaginer insectes et de larves (scarabées, termites, fourmis…) faire partie de la liste.</p></li>
</ul>
<p>L’animal ne fait pas tout. Côté végétal, nos prédécesseurs pouvaient puiser pour leur alimentation (ou <a href="https://www.nature.com/articles/nature21674">leur santé</a>) dans l’incroyable biodiversité de leur environnement – avec précaution, car les poisons sont légion :</p>
<ul>
<li><p>Baies (arbouse, genièvre, fraise des bois, mûre, myrtille, olive, prunelle, raisin…),</p></li>
<li><p>Graines et fruits secs (châtaigne, figue, noisette, noix, pignon…),</p></li>
<li><p>Herbes et plantes sauvages (ail, asperges, céleri, ciboule, fenouil, laurier, menthe, pourpier, romarin, roquette, thym…),</p></li>
<li><p>Algues et plantes aquatiques (wakame, posidonie…),</p></li>
<li><p><a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0305440315001296">Champignons</a> – qui ne sont pas des végétaux, mais la taxonomie ne nous l’avait pas encore dit.</p></li>
</ul>
<p>Et, contrairement aux idées reçues, <a href="https://www.pnas.org/content/110/14/5380">n’allons pas imaginer que les céréales et tubercules étaient absents</a> : ils ont été récoltés à l’état sauvage avant leur domestication au Néolithique, et <a href="https://www.science.org/doi/10.1126/science.aaz5926">cuits pour en consommer les glucides il y a 170 000 ans</a>. Les <a href="https://www.pnas.org/content/107/44/18815">premières farines connues ont même été faites il y a 30 000 ans</a> ! Cette consommation de féculents est confortée par une récente étude sur le <a href="https://www.pnas.org/content/118/20/e2021655118">microbiome buccal de 124 Néandertaliens</a> indiquant une propension à consommer de l’amidon.</p>
<p>Par contre, pas de sel pour assaisonner, sauf sur le littoral, ni d’huile pour cuisiner : il faut attendre pour ça la culture de céréales au néolithique. Pas de carence en minéraux pour autant (les végétaux en contiennent beaucoup) ni en matière grasse.</p>
<p>Les fruits secs, telles les noix et noisettes, et, encore plus, la chaire et la graisse animale, de poissons ou de mammifères (notamment les abats et la moelle) procuraient les <a href="https://theconversation.com/au-paleolithique-deja-le-gras-cest-la-vie-175790">lipides essentiels à leur métabolisme</a>.</p>
<h2>La cuisine comme moteur de l’évolution</h2>
<p>Forgé pour l’omnivorisme, notre système digestif n’est… optimisé pour rien : nous digérons moins bien les végétaux que les herbivores et moins bien la viande que les carnivores. Il est par contre adapté pour tout, ce qui nous a donné le rare privilège de pouvoir coloniser à peu près toute la planète.</p>
<p>Partant d’une alimentation principalement végétale qui est encore celle de nos cousins primates, nous avons, en développant nos techniques de chasse et de pêche, augmenté progressivement la part animale de notre alimentation. Puis, transition majeure dans notre histoire, nous avons découvert la cuisson, rendue possible par la maîtrise du feu – <a href="https://www.pnas.org/content/108/13/5209">acquise progressivement depuis plus de 1 million d’années</a> en Afrique et au Proche-Orient, indépendamment à plusieurs endroits, et plus régulièrement depuis 400 000 ans en Europe.</p>
<p>Cette découverte a permis d’améliorer grandement notre alimentation : augmentation de la valeur énergétique des aliments (en facilitant mastication et digestion), détoxification de certains végétaux, élimination de parasitoses animales, etc. Cuire nos aliments permet d’accéder à près de 100 % de leurs nutriments, contre 30 à 40 % pour les aliments crus !</p>
<p>S’il est probable que les premières dégustations d’animaux cuits furent celles, fortuites, de cadavres retrouvés après un incendie de forêt, on assiste ensuite à une course à l’ingéniosité pour élaborer des moyens de cuisson toujours plus variés et sophistiqués : les aliments étaient cuits sur braises, dans des fours creusés dans la terre, sur pierre, voire bouillis dans des récipients mis eux-mêmes sur le feu (ou chauffés en immergeant des pierres chaudes).</p>
<p>Dans les régions septentrionales, le feu permettait aussi de dégeler des morceaux de carcasse congelés, donnant ainsi accès à une alimentation naturellement préservée par le froid. Enfin, le feu apporte aussi la fumée, donnant accès aux premiers moyens de conservation de la viande, avec la <a href="https://paleoanthro.org/media/journal/content/PA20170044.pdf">maîtrise de la fermentation</a> puis l’apparition des viandes salées/séchées que nous connaissons aujourd’hui.</p>
<h2>Manger paléo aujourd’hui</h2>
<p>Est-il possible, et si oui, y a-t-il un intérêt à copier le menu de nos ancêtres ? Une remarque tout d’abord : sachant qu’en France, les <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-08/er958.pdf">2/3 des nouveau-nés sont allaités à la naissance</a>, la plupart d’entre nous ont bel et bien commencé leur vie avec le même régime que nos aînés ! C’est après que les choses se compliquent.</p>
<p>Notre alimentation est aujourd’hui principalement composée de produits transformés, basés sur une production abondante de viande, de céréales, de produits laitiers et d’huile : ce qui n’a rien à voir avec celle qui a prévalu pendant 99, 9 % de l’existence de notre espèce. Tenter de revenir à une alimentation « préhistorique » est-elle alors une bonne idée ?</p>
<p>Aller chercher dans le passé les solutions à nos problèmes actuels est sans doute un peu naïf… D’abord, comme nous l’avons mentionné, nos prédécesseurs ont connu une multitude de régimes différents. Ensuite, l’Homme a évolué, aussi bien morphologiquement que génétiquement : nos intestins se sont raccourcis, et nous sommes aujourd’hui capables de digérer le lait (<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/28426286/">même si cette capacité n’est pas partagée par tous</a>). Enfin, nous n’avons pas le même mode de vie. Notre dépense calorique, notamment, est moindre du fait du confort et, souvent, du peu d’activité physique dans nos vies modernes.</p>
<p>Alors, aurions-nous de bonnes raisons de faire « marche arrière » ? Comme souvent en matière de nutrition, les études ont beau s’accumuler, la science a du mal à trancher – que ce soit sur la <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6628854/">santé cardiovasculaire</a> ou sur les <a href="https://www.mdpi.com/2072-6643/13/3/1019">performances physiques</a>. En fait, tout ce que nous rappellent ces méta-analyses, les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4588744/">unes</a> après les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC6817492/">autres</a>, c’est qu’une alimentation moins riche en sel, en aliments à indice glycémique élevé et en oméga 6 est meilleure pour la santé. On s’en doutait un peu…</p>
<p>Bref, pas la peine de « remonter » si loin et se plier à des préconisations et contraintes plus ou moins fondées, avec ce que cela comporte de risques de carences (en vitamine D notamment) ou excès (consommation excessive de viande, certains auteurs avançant même l’idée que le <a href="https://www.biorxiv.org/content/10.1101/2020.09.17.301887v1.full.pdf">régime paléo accélère le vieillissement</a>… sans parler de l’impact écologique de l’élevage). D’autant qu’on ne peut que rester perplexe devant l’esprit très fantaisiste de certaines recettes « paléo » d’aujourd’hui : un <a href="https://paleo-regime.fr/curry-poisson-ananas">curry de poisson</a> avec ananas, crème de coco, huile d’olive, oignon, coriandre est sûrement très bon, mais on a un peu de mal à voir lequel de nos ancêtres pouvait trouver ces ingrédients réunis à sa portée !</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/BMOjVYgYaG8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ironie de la situation : adieu les recettes « veggie healthy », également très tendances, à base de riz et tofu… Céréales et légumineuses étant proscrites dans la démarche paléo !</p>
<p>Plus problématique, la tentation de remonter encore plus loin, avec par exemple le régime crudivoriste qui prône les soi-disant bienfaits d’une alimentation « vivante », inspirée de nos très, très lointains ancêtres (ou de nos cousins primates actuels). Cette tendance est d’autant plus incohérente voire dangereuse que c’est justement la <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/14527628/">transformation (cuisson surtout, mais aussi fermentation) des aliments, et donc la cuisine, qui nous a fait évoluer</a> et qui fait que nous sommes maintenant <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4860691/">parfaitement adaptés biologiquement aux aliments cuits</a>.</p>
<p>Ne boudons pas pour autant l’opportunité offerte par ces « régimes »… À défaut de menus miracles pour notre santé, ils proposent des contraintes qui sont autant de pistes divertissantes pour varier nos pratiques et <a href="https://www.marmiton.org/recettes/recette_madeleine-paleo_383016.aspx">inspirer de nouvelles recettes</a> !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175720/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Lavelle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De quoi parle-t-on avec le « régime paléo » ? Beaucoup l’associe largement à la viande… mais c’est oublier que les menus de nos prédécesseurs ont énormément évolué – comme nous-mêmes.Christophe Lavelle, Chercheur en biophysique moléculaire, épigénétique et alimentation, CNRS UMR 7196, Inserm U1154, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1740922022-01-20T18:54:31Z2022-01-20T18:54:31ZEn RDC, comment les atteintes à la biodiversité affectent les habitudes alimentaires<p>Les ressources naturelles dans le monde font face à de nombreuses pressions anthropiques, avec comme impact le déclin de la biodiversité et des effets négatifs sur la <a href="https://www.researchgate.net/publication/281184296_Assessing_connectivity_in_fragmented_landscape_from_behavioural_ecology_to_biological_conservation">sécurité alimentaire dans les pays en développement</a>.</p>
<p>La République démocratique du Congo (RDC) est un pays d’Afrique centrale dont la population a été estimée à plus de <a href="https://www.unocha.org/story/ocha-launches-annual-report-2020">100 millions d’habitants en 2020</a>, les trois quarts vivant sous le seuil de pauvreté. À l’instar de la plupart des pays d’Afrique centrale, la population de la RDC est fortement dépendante des ressources forestières pour sa survie, avec pour conséquence la dégradation des sols et de la végétation naturelle, mais aussi la <a href="https://www.researchgate.net/publication/285593726_De_Wasseige_C_Tadoum_M_Eba%E2%80%99a_Atyi_R_DOUMENGE_C_Eds_2015_-_The_forests_of_the_Congo_Basin_Forests_and_climate_change_Weyrich_Belgium_128_p">fragmentation des habitats et la déforestation</a>.</p>
<p>C’est dans ce contexte que nous avons mené, à l’<a href="https://www.eraift-rdc.org/index.php">École régionale postuniversitaire d’aménagement et de gestion intégrés des forêts et territoires tropicaux</a>, une étude sur les changements dans les habitudes alimentaires dans la région de la réserve de biosphère de Luki (RBL), à l’ouest de la RDC.</p>
<p>Jadis prospère, cette région connaît en effet des difficultés économiques ainsi qu’une dégradation des conditions d’existence de sa population, tout ceci dans un contexte de pression démographique. Parmi les conséquences, l’exploitation excessive des ressources forestières, la perte des habitats naturels et la défaunation, qui ont engendré une transformation dans l’alimentation de la population.</p>
<p>Nos travaux visaient à mettre en évidence cette évolution des comportements, notamment en matière d’aliments à protéines animales au regard du caractère aléatoire de la disponibilité du gibier dont fait état la population et du coût de la vie de plus en plus cher. Mais aussi à mieux comprendre les pratiques anthropiques ayant un impact sur les habitats naturels de la faune.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=548&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=548&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=548&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=689&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=689&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438465/original/file-20211220-15-1q1cec9.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=689&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Situation de Luki en bordure méridionale du massif forestier du Mayombe (en pointillé).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Lubini, 1997</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une enquête menée dans 12 villages</h2>
<p>La population de la région de la RBL a été évaluée en 2020 à 237 000 habitants. Cette région a connu dans le passé une économie florissante liée notamment à l’exploitation forestière industrielle qui offrait de l’emploi aux populations, mais aussi à la culture du café, du cacao, du palmier à huile, de bananes et de l’hévéa.</p>
<p>Aujourd’hui, on y vit essentiellement de l’agriculture vivrière pratiquée par l’abattis brûlis, de la fabrication du charbon de bois, du petit élevage et de la collecte des produits forestiers non ligneux dont certains suscitent depuis peu un intérêt croissant pour la consommation par la population locale.</p>
<p>Nous avons mené notre enquête en janvier 2021 dans 12 villages de la RBL, en organisant 19 groupes de discussion regroupant au total 115 personnes, dont de 45 ans et plus. Nous les avons interrogées sur les nouveaux aliments consommés dans la région et sur les raisons expliquant cette évolution.</p>
<p>En collectant des données secondaires dans la littérature, nous avons identifié les facteurs défavorables aux habitats naturels de la faune dans la zone d’étude et ceux qui encouragent leur pérennité.</p>
<h2>Chenilles, chats, serpents, poulets importés…</h2>
<p>Au total, 21 nouveaux aliments ont été cités. Parmi ceux-ci, 14 proviennent de prélèvements sur le milieu naturel (formations végétales : chenilles, escargot, serpent, grenouilles, champignons lignicoles, <em>Gnetum africanum</em>, fougères et terres agricoles – haricot, niébé, feuilles de niébé, sésame, feuilles de patates douces, alcool à base de canne à sucre, pâte de maïs), 5 de l’importation (poulets importés, croupions de dinde, écailles de poissons séchés, poissons chinchards et cube Maggi) et 2 sont issus des animaux de l’environnement humain (chiens et chats).</p>
<p>Sur les 19 groupes de discussion organisés, les chenilles ont été énumérées 18 fois, les chats et les serpents 14 fois chacun, le poulet importé 10 fois, les escargots 6 fois, les chiens et les poissons chinchards 6 fois aussi. Les chiens et les chats consommés ne sont pas domestiqués mais errants.</p>
<p>D’après les données collectées, la plupart de ces nouveaux aliments fournissent de la protéine animale. Les légumes (feuilles de patate douce, fougère, feuilles de niébé, etc.) n’ont présenté que de faibles occurrences. Ce qui pourrait s’expliquer par l’existence dans la région de plusieurs autres légumes consommés localement.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438466/original/file-20211220-23365-1dpfv93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=486&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les nouveaux aliments consommés dans la région de la RBL, indiqués par 115 personnes dans 19 groupes de discussion.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Les adultes en première ligne</h2>
<p>Pour les personnes ayant répondu à l’enquête, ces aliments n’étaient pas consommés auparavant pour plusieurs raisons : la faune giboyeuse, la présence de nombreux poissons dans les rivières de la zone d’étude, une économie florissante liée à l’existence dans la région, de plusieurs entreprises d’exploitations agricoles.</p>
<p>Tout cela contribuait à la circulation de la monnaie et à un niveau de revenu plus rassurant. Ce qui leur permettait de diversifier leur source de protéines animales (consommation des poissons en provenance du fleuve Congo et du poisson salé vendu par les Portugais issu d’Angola), de réaliser de faibles prélèvements dans le milieu naturel et de se constituer des greniers de grains et de tubercules. Ont aussi été évoquées la prospérité économique de la région dans son ensemble et l’existence des routes praticables favorisant l’écoulement facile des produits agricoles.</p>
<p>D’après les informations recueillies, le changement de comportement alimentaire affecte majoritairement des personnes entre 20 et 50 ans, avec un âge moyen autour de 35 ans. La consommation de ces aliments, et spécialement des chenilles, a également été signalée chez les enfants, quand les personnes âgées sont les moins concernées. La forte implication des jeunes démontre leur aptitude à s’adapter face aux changements socio-environnementaux.</p>
<h2>Des changements depuis les années 1980</h2>
<p>Cette évolution des habitudes alimentaires a été observée entre 1979 et 2006. Accentué à partir de la décennie 1990, le phénomène se serait amplifié en 2006, au regard du nombre de réponses attribuées aux années de cette période par les interviewés.</p>
<p>Pour le comprendre, il faut savoir que la période 1979-1987 s’est caractérisée par des événements climatiques, notamment la sécheresse, avec un impact négatif sur la production agricole. La décennie 1990-2000 a ensuite été marquée par le début d’une crise sociopolitique et économique dans le pays.</p>
<p>L’afflux massif des populations issues d’autres régions et l’accès plus facile aux médias d’information, en opérant un brassage des cultures, ont également joué.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=260&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=260&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=260&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=326&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=326&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438468/original/file-20211220-13-1s4utps.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=326&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Période de début du changement dans les habitudes alimentaires dans la région de la RBL, indiquées par 115 personnes dans 19 groupes de discussion.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Comprendre l’origine des dégradations</h2>
<p>Plusieurs études menées spécifiquement dans cette région décrivent les <a href="https://www.memoireonline.com/02/13/6897/Aperu-de-la-deforestation-de-la-Reserve-de-biosphere-de-Luki-en-RDC-et-du-projet-de-remediatio.html">facteurs de la perte des ressources naturelles</a> et précisent aussi les <a href="https://www.researchgate.net/publication/331732667_Rate_of_forest_recovery_after_fire_exclusion_on_anthropogenic_savannas_in_the_Democratic_Republic_of_Congo">actions entreprises afin d’y remédier</a>.</p>
<p>Parmi les raisons citées : le déficit de gouvernance mettant en exergue les conflits de compétence entre les gestionnaires de la réserve, la non-implication de la population riveraine dans un processus de gestion participative, les revendications du territoire foncier par la population locale et l’utilisation de la réserve pour des stratégies politiques.</p>
<p>D’autres études évoquent la forte anthropisation, marquée par les changements <a href="https://www.mdpi.com/2071-1050/13/12/6898">d’occupation des sols</a> et la déforestation qui serait sous-tendue <a href="https://corpus.ulaval.ca/jspui/bitstream/20.500.11794/25349/1/30892.pdf">par une gouvernance non aboutie et la pauvreté</a>]. Les modifications du climat local expliquent aussi cette perte de couverture forestière dans un contexte où les paysans ont une capacité limitée à détecter et s’adapter à certains phénomènes climatiques.</p>
<p>Entre 2002 et 2020, les températures à la surface du sol ont augmenté de <a href="https://www.mdpi.com/2071-1050/13/20/11242">4,03 °C, 4,74 °C, 3,3 °C, 1,49 °C</a> à Tsumba Kituti, Kisavu, Kimbuya, Kiobo respectivement, des villages de la réserve.</p>
<p>La dégradation de l’habitat de la faune sauvage est perceptible. Celle de Luki et de ses environs est ainsi dominée par des rongeurs, considérés ici comme étant un bio-indicateur de l’anthropisation du milieu. Cela justifierait la rareté du gibier déclaré dans les groupes de discussion et l’adoption des comportements alimentaires nouveaux face à la recherche de la protéine animale. Les rongeurs font partie des espèces de la faune les plus chassées.</p>
<h2>Des pistes pour restaurer la biodiversité</h2>
<p>Face à la perte de la biodiversité dans la région, de nombreux appuis ont été apportés depuis 2004. Ceux-ci ont permis la mise en place d’activités de restauration et d’alternatives à l’utilisation des ressources forestières. Il s’agit, entre autres, de <a href="https://www.afdb.org/">reboisement et d’agroforesterie</a>, de <a href="https://www.africamuseum.be/">régénération naturelle assistée</a> ou de l’installation des fermes modèles au sein desquelles les pratiques de sédentarisation agricole sont promues. Un accent particulier est mis sur l’apiculture dans les jachères apicoles en <a href="https://www.ulb-cooperation.org/">raison du potentiel mellifère de la région de la RBL</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1141149208340135936"}"></div></p>
<p>Les activités de restauration des aires dégradées de la région de RBL se font par le biais de paiements pour services environnementaux. Ce qui a permis à ce jour d’installer autour de la réserve, une superficie d’environ 8 000 hectares de <a href="https://www.worldwildlife.org/publications/living-planet-report-2020">forêts en régénération naturelle</a>, soit à peu près le tiers de la superficie totale de la réserve, celle-ci étant de 33 811 hectares. La région de la RBL pourrait donc être un modèle à dupliquer à l’échelle du pays, mais aussi à prendre en compte dans un processus de crédit carbone.</p>
<p>Ces initiatives lancées par les ONG avec l’appui financier des bailleurs de fonds sont encourageantes mais insuffisantes. Afin d’atteindre l’objectif de conservation de la RBL, il faudrait également amorcer des mesures qui mettent l’accent sur l’éducation, l’emploi des jeunes, la prise en compte du savoir local par projets, la planification des naissances et la mise en œuvre d’un plan d’aménagement avec des actions en faveur des communautés locales.</p>
<p>Il s’agirait aussi d’intégrer la nourriture issue des prélèvements sur la nature (chenilles, escargots, etc.) dans les mesures de gestion pour la lutte contre l’insécurité alimentaire, mais également de développer la sensibilisation aux risques de maladies zoonotiques.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=333&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398231/original/file-20210502-14-5jsfn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=419&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Depuis 50 ans, le <a href="https://en.unesco.org/mab">Programme pour l’homme et la biosphère</a> (MAB) de l’Unesco s’appuie sur l’alliance entre sciences exactes, sciences naturelles et sciences sociales pour trouver des solutions mises en œuvre au cœur de 714 sites naturels d’exception (dans 129 pays) bénéficiant du statut de réserves de biosphère</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174092/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ernestine Lonpi Tipi est membre du Réseau africain pour le développement durable et intégré (RADDI).
Remerciements à l’ERAIFT pour le financement de cette étude dans le cadre du projet « Renforcement de la résilience au changement climatique des communautés locale de Luki et du Maï-Ndombe en RDC », projet financé par l’Union européenne et cogéré par WWF-RDC et l’ERAIFT.</span></em></p>Dans la région de la réserve de biosphère de Luki, les comportements alimentaires se sont profondément transformés depuis la fin des années 1970.Ernestine Lonpi Tipi, PhD candidate, research assistant, ERAIFTLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1752182022-01-19T18:30:47Z2022-01-19T18:30:47ZBioéthique : cœur de porc greffé sur un homme, quand les technologies abolissent les limites du vivant<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/441602/original/file-20220119-17-csm44a.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C36%2C6016%2C3971&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’équipe de l’école de médecine de l'université du Maryland, à Baltimore (États-Unis), implante un cœur de cochon génétiquement dans la poitrine de David Bennett, 57 ans. </span> <span class="attribution"><span class="source">École de médecine de l'université du Maryland</span></span></figcaption></figure><p>Au moment où il est tant question, dans le contexte de la pandémie de Covid-19, de vaccins à ARN messager, <a href="https://www.medschool.umaryland.edu/news/2022/University-of-Maryland-School-of-Medicine-Faculty-Scientists-and-Clinicians-Perform-Historic-First-Successful-Transplant-of-Porcine-Heart-into-Adult-Human-with-End-Stage-Heart-Disease.html">la transplantation d’un cœur de porc sur un Américain âgé de 57 ans</a>, le 7 janvier 2022 à l’École de médecine de l’Université du Maryland (États-Unis), éclaire d’autres champs de la recherche biomédicale. </p>
<p>Cette innovation scientifique chirurgicale est démonstrative d’une capacité d’intervention sur l’être humain qui, au-delà de la prouesse technologique, reconfigure les repères dans la relation interespèces, non seulement d’un point de physiologique, mais aussi dans une approche anthropologique.</p>
<h2>Tentatives d’approches chirurgicales disruptives et spectaculaires</h2>
<p>Quelques repères historiques permettent de mieux comprendre l’évolution des pratiques de greffes d’organes, dans une première phase à partir de donneurs vivants ou de cadavres.</p>
<ul>
<li><p>Le 23 décembre 1954, <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/joseph-edward-murray/">Joseph Edward Murray</a> réalise la première greffe de rein sur des jumeaux monozygotes (« vrais » jumeaux) au Brigham and Women’s Hospital de Boston (États-Unis). En 1990, le Prix Nobel de physiologie ou médecine lui sera attribué, notamment pour ses recherches <a href="https://www.frm.org/recherches-autres-maladies/greffes/greffes-vers-une-nouvelle-generation-d-immunosuppresseurs">ayant permis de développer les immunosuppresseurs</a>, utilisés pour contrer le processus physiologique de rejet du greffon ; </p></li>
<li><p>En 1966, une greffe de pancréas est réalisée avec succès à Minneapolis ;</p></li>
<li><p>En 1967 Christiaan Barnard réalise à Cap Town (Afrique du Sud) la 1<sup>re</sup> greffe de cœur. La même année, à Denver (États-Unis) une greffe de foie permet une survie de 13 mois ;</p></li>
<li><p>En 2000, une double greffe de deux mains et avant-bras est réalisée à Lyon ; </p></li>
<li><p>En 2005, une étape supplémentaire est franchie, avec la greffe partielle d’un visage à Amiens (tant en ce qui concerne le bénéficie direct du receveur que les aspects d’ordre anthropologique, les controverses ont été vives).</p></li>
</ul>
<p>Parallèlement à ces transplantations entre êtres humains, le recours à des organes animaux ou à des organes artificiels connaît également une phase expérimentale. En 1984, un enfant survit 21 jours avec un cœur de babouin ; le 19 juillet 2021 la 1<sup>re</sup> implantation commerciale d’un cœur artificiel a lieu en Italie ; en octobre 2021 la greffe d’un rein de porc génétiquement modifié est poursuivie pendant 3 jours <a href="https://www.nytimes.com/2021/10/19/health/kidney-transplant-pig-human.html">sur une personne en état de mort cérébrale</a>.</p>
<p>Ces tentatives d’approches chirurgicales disruptives et spectaculaires, visant à explorer les différentes voies du possible afin de repousser la fatalité d’un dysfonctionnent organique, ne pouvaient que susciter, par leur nature même, des dilemmes éthiques. Ces derniers s’ajoutent à la complexité de l’acte chirurgical, à partir des conditions du prélèvement jusqu’à celles de la réalisation de la greffe.</p>
<h2>Des pratiques sujettes à controverses</h2>
<p>La chirurgie de la greffe a notamment bénéficié des premiers acquis de la réanimation médicale intervenant « aux frontières de la vie », ainsi que des avancées en immunologie. Elle a de ce fait suscité nombre de controverses relatives à l’intervention du médecin en situation extrême et aux transgressions parfois assimilées à ce qu’il convenait de dénoncer comme de « l’acharnement thérapeutique ».</p>
<p>Dans les années 1970, la greffe d’organes a ainsi suscité à la fois espoirs et critiques. En cause, l’origine des greffons utilisés, prélevés sur des cadavres (le terme d’« état de mort encéphalique » semble aujourd’hui plus approprié). Sur la scène publique, cette innovation scientifique apparaissait alors, de par sa force symbolique, comme une forme de transgression anthropologique, voire d’enfreinte à la dignité humaine. </p>
<p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000699407/">loi n°76-1181 du 22 décembre 1976 relative aux prélèvements d’organes</a> avait alors provoqué sur le moment de vives controverses qui se sont estompées à mesure que les techniques de la greffe se sont intégrées aux pratiques conventionnelles de la chirurgie (elle sera abrogée par la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, revue dans la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043884384">loi n°2021-2017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique</a>). </p>
<p>Dans les temps pionniers de la greffe (les premières transplantations réussies <a href="https://www.inserm.fr/dossier/transplantation-organes-greffe/">datent des années 1950</a>), on évoquait les risques de dérives dans l’exploitation du « corps pourvoyeur d’organes ». Un encadrement des pratiques a été prescrit <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070721/LEGISCTA000006136059/">dans le Code civil</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. » </p>
</blockquote>
<p>De même, la non-patrimonialité du corps, l’anonymat et la gratuité se sont imposés dans les principes éthiques du don d’organes : </p>
<blockquote>
<p>« Aucune rémunération ne peut être allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d’éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci. »</p>
</blockquote>
<p>Ces réticences morales, notamment à l’encontre de la « commercialisation du vivant », se sont estompées à travers le temps. Elles ont toutefois bénéficié en 2005 de la création de l’Agence de la biomédecine (ABM), dont la rigueur est reconnue dans le suivi scientifique et éthique de la stratégie de la greffe d’organes et de tissus. Cette dernière fait l’objet, depuis l’année 2000, d’un <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/plan_2017%202021_pour_la_greffe_d_organes_et_de_tissus.pdf">plan national</a>. </p>
<p>Au plan international, les risques inhérents au <a href="https://www.edqm.eu/sites/default/files/position_paper_-_illicit_and_unethical_activities_with_human_tissues_and_cells_-_november_2018.pdf">« trafic d’organes »</a> » ou à des prélèvements qui seraient pratiqués sur les cadavres de condamnés à mort ont justifié la rédaction de la Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humain (<a href="https://rm.coe.int/16802e7acd">Convention de Compostelle, 25 mars 2015</a>), ainsi que de l’intéressante proposition de loi visant à garantir <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3316_proposition-loi">le respect du don d’organes par nos partenaires non européens</a>. </p>
<p>Dernière innovation témoignant d’évolutions dans l’acceptabilité sociétale des capacités d’interventions biomédicales notamment pour pallier la pénurie de greffons, la loi relative à la bioéthique du 2 août 2021 instaure le recours au <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043895648#:%7E:text=Version%20en%20vigueur%20depuis%20le%2004%20ao%C3%BBt%202021&text=I.,p%C3%A8re%20ou%20m%C3%A8re%20du%20receveur.">« don croisé d’organes »</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Le don croisé d’organes consiste pour un receveur potentiel à bénéficier du don d’une autre personne qui a exprimé l’intention de don et également placée dans une situation d’incompatibilité à l’égard de la personne dans l’intérêt de laquelle le prélèvement peut être opéré en application du I, tandis que cette dernière bénéficie du don d’un autre donneur. Pour augmenter les possibilités d’appariement entre les donneurs et les receveurs engagés dans un don croisé et en substitution au prélèvement de l’un des donneurs vivants, il peut y avoir recours à un organe prélevé sur une personne décédée, dans les conditions fixées à l’article L. 1232-1. »</p>
</blockquote>
<p>Le recours à l’animal et plus encore <a href="https://www.inserm.fr/dossier/cellules-souches-pluripotentes-induites-ips/">aux cellules souches pluripotentes induites</a> (<em>résultant de la transformation artificielle de cellules adultes, ces cellules « immatures » sont capables de redonner n’importe quelle sorte de cellules de l’organisme, ndlr</em>) poserait en des termes différents l’approche éthique des technologies de la greffe d’organes et de tissus.</p>
<h2>Ce que les technologies biomédicales rendent possible</h2>
<p>Il pourrait être admis a priori que les technologies développées pour parvenir à la conception d’organes artificiels solliciteraient moins directement la réflexion éthique que les prélèvements sur cadavre ou à la suite de « l’humanisation » d’un animal (<em>approche consistant, grâce à des techniques d’édition du génome, à rendre un organe animal « compatible » avec l’être humain, en éliminant notamment certains gènes produisant des molécules impliquées dans les mécanismes de rejet, ndlr</em>). </p>
<p>Le débat mérite cependant d’être engagé tant du point de vue de nos représentations de l’intégrité humaine au regard de la « barrière des espèces », que de cette forme de solidarité inédite entre l’animal et l’être humain, solidarité qui est l’un des marqueurs moraux évoqués depuis les premiers prélèvements et dons d’organes entre humains à des fins thérapeutiques.</p>
<p>Les critères qui ont prévalu pour engager l’expérimentation de la greffe d’un cœur de porc en janvier 2022 sont l’absence de tout recours thérapeutique pour la personne bénéficiaire consentante, les avancées dans l’acquisition des savoirs relatifs aux xénotransplantations et le contexte de pénurie de greffons qui pourrait justifier, dans ce domaine aussi, des audaces qui ont souvent servi les avancées scientifiques. C’est notamment <a href="https://ansm.sante.fr/vos-demarches/professionel-de-sante/demande-dautorisation-dacces-compassionnel">au titre de traitement compassionnel</a> que la Food and Drug Administration (FDA) avait donné son accord à cette expérimentation.</p>
<h2>Les xénotransplantations, continuité ou rupture ?</h2>
<p>La question doit être posée : à quels enjeux nous confronte l’évolution des pratiques dans le champ de la greffe d’organes, jusqu’à ce recours aux organes d’animaux afin de pallier la pénurie de greffons humains ? </p>
<p>Si, depuis 1923, des laboratoires produisent de l’insuline à partir de pancréas de bœufs et de porcs, et que l’utilisation des valves cardiaques prélevées sur des porcs est de pratique courante, se situe-t-on dans la continuité de ces approches thérapeutiques ou en rupture ? S’il n’a jamais été anodin de bénéficier d’un organe prélevé sur un cadavre, qu’en est-il du cœur d’un animal, alors qu’est du reste attachée à cet organe une valeur symbolique spécifique ?</p>
<p>En décembre 2020, dans son <a href="https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/ripg_2020_def.pdf">Rapport d’information au Parlement et au Gouvernement sur le développement des connaissances et des techniques</a>, L’Agence de la biomédecine a anticipé les évolutions actuelles :</p>
<blockquote>
<p>« Avec la production des porcs spécifiques, la xénogreffe a sans doute franchi un cap et on observe aujourd’hui des survies de greffes porc/babouins pouvant aller jusqu’à 9 mois. Des chercheurs chinois ont affirmé être en capacité de passer à l’étape humaine si les autorités leur permettaient. Des essais cliniques avec utilisation de cellules porcines se profilent ainsi d’ores et déjà à court terme pour des îlots de Langerhans chez des patients diabétiques, ou en greffe de cornée. » </p>
</blockquote>
<p>Dans ce document très argumenté, l’ABM constatait : </p>
<blockquote>
<p>« En 1993 a émergé l’idée que la suppression chez le porc de la cible majeure (Gal) de la réponse par les anticorps humains permettrait de réduire le risque de rejet humoral. Dès 2002, des porcs appelés “Gal-KO” chez qui l’enzyme avait été invalidée ont vu le jour. Actuellement, une vingtaine de cibles antigéniques sont potentiellement modifiables sur une trentaine connue. » </p>
</blockquote>
<p>Les évolutions intervenues en 2012 dans le champ de la génétique <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/crispr-cas9-des-ciseaux-genetiques-pour-le-cerveau">avec le développement de la technologie d’édition du génome CRISPR-Cas-9</a> se sont avérées déterminantes. En 2022, c’est en effet <a href="https://theconversation.com/crispr-comment-ca-marche-158581">cette technique</a> qui a permis à la fois d’intégrer au génome du porc six gènes humains favorisant la compatibilité immunitaire avec le receveur, et d’en supprimer trois. Cette modification organique du porc devrait prévenir tout risque de rejet, mais aussi de zoonose. Rappelons que dans les années 1990, les recherches relatives aux xénogreffes avaient été interrompues <a href="https://www.inserm.fr/dossier/maladies-prions-maladie-creutzfeldt-jakob/">par l’émergence de la maladie de Creutzfeldt-Jacob</a> dans un contexte de contaminations interespèces.</p>
<h2>Mieux envisager l’éthique de nos interventions sur l’animal</h2>
<p>En résonnance aux avancées technologiques dans les xénogreffes, on ne peut pas s’empêcher d’évoquer le débat relatif à la production de chimères interespèces autorisée dans la loi n°2021-1017 du 2 août 2021 relative à la bioéthique (article 20) <a href="https://presse.inserm.fr/chimeres-inter-especes/42157/">à des fins de recherche sur l’embryon</a>. Comme si se diluait progressivement, à travers des reconfigurations génétiques, ce qui était distinctif de l’humain au regard de l’animal, et que, d’une certaine manière, se dévoilait une étrange proximité qui justifierait d’être mieux caractérisée. </p>
<p>Cette forme d’altérité pourrait du reste inciter à mieux envisager les règles d’une vigilance éthique dans nos interventions sur l’animal. Du point de vue de la singularité humaine et de ces solidarités interespèces qui émergent de l’innovation biomédicale, il me semble indispensable d’être davantage attentif <a href="https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00806908/document">aux réflexions philosophiques que développent les animalistes</a> : l’actualité scientifique leur confère, en ces circonstances, une pertinence qui mérite notre attention.</p>
<p>Autre considérations d’ordre anthropologique, de même que bénéficier du greffon issu d’un cadavre ou d’un donneur apparenté n’est pas anodin, dans son <a href="https://www.agence-biomedecine.fr/IMG/pdf/ripg_2020_def.pdf">Rapport d’information au Parlement et au Gouvernement sur le développement des connaissances et des techniques</a>, l’ABM estime que : </p>
<blockquote>
<p>« De nombreuses questions demandent encore à être résolues avant une éventuelle application à l’homme. Au plan psychologique et éthique notamment, une étude menée auprès d’une centaine de patients greffés ou en attente de greffe a permis d’émettre certaines hypothèses quant à l’acceptabilité psychique d’une xénogreffe. […] Trois profils différents se sont dégagés parmi les patients interrogés : ceux qui acceptent sans condition l’idée d’une xénogreffe (45 %), ceux qui la refusent radicalement (30 %) et les patients qui posent des conditions (25 %). » </p>
</blockquote>
<p>Au-delà des effets d’annonce scientifique, il pourrait être justifié de créer les conditions d’un débat à ce propos au sein de la société, ainsi du reste qu’en ce qui concerne une autre évolution intervenue de manière pour le moins discrète dans les pratiques du prélèvement d’organes : celle du prélèvement d’organes après arrêt circulatoire suite à un arrêt des traitements, <a href="https://www.agence-biomedecine.fr/Protocole-des-conditions-a-respecter-pour-realiser-des-prelevements-d-organes">le protocole « Maastricht 3 »</a>.</p>
<h2>De la greffe d’organes à la conception d’organoïdes</h2>
<p>Dernier élément à intégrer à nos réflexions, les innovations biomédicales relatives à la greffe concernent désormais la reconstruction d’organes à partir de cellules souches pluripotentes induites qui peuvent être ensemencées sur une matrice (comme ce fut le cas pour une bronche), mais également <a href="https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2020/02/msc200030/msc200030.html">produire des organoïdes</a> déjà expérimentés notamment dans l’approche des maladies rénales (<em>les organoïdes sont de petites structures tridimensionnelles produites à partir de cellules souches pluripotentes induites, qui reproduisent en partie l’architecture d’un organe, ndlr</em>).</p>
<p>Les enjeux et les promesses de la <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2006-4-page-474.htm">« médecine régénératrice »</a> sont évoqués depuis une vingtaine d’année, avec aujourd’hui des perspectives et des réalisations de nature à bouleverser les technologies de la vie et du vivant tant du point de vue de nos concepts que de celui de nos représentations.</p>
<p>D’autres questions éthiques spécifiques sont suscitées par les greffes de tissus cérébraux ainsi que la création d’<a href="https://www.recherche-animale.org/le-dilemme-ethique-des-mini-cerveaux">organoïdes de cerveaux humains</a>.
Promesse chirurgicale dont on ignore la destinée, en novembre 2017, le neurochirurgien italien Sergio Canavero annonçait publiquement l’imminence de l’expérimentation <a href="https://controverses.minesparis.psl.eu/public/promo17/promo17_G12/controverses-minesparistech.fr/groupe12/une-operation-aux-limites-de-lethique/index.html">d’une greffe de tête pratiquée sur deux cadavres</a> <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/sante/le-casse-tete-juridique-de-la-greffe-de-tete_116518">à la Harbin Medical University</a>…</p>
<p>La réflexion bioéthique, on le constate, est confrontée à des innovations qui doivent être accompagnées de capacités d’innovations conceptuelles, à la fois en anticipation des évolutions et en accompagnement des équipes dans la mise en œuvre de leurs protocoles. Dans le cadre de son approche de la révision de la prochaine loi de bioéthique, le Parlement devrait favoriser avec l’<a href="http://www.senat.fr/opecst/">Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques</a> (OPECST) et les instances éthiques nationales la concertation indispensable à l’acceptabilité d’innovations disruptives d’ordres à la fois technologue, anthropologique, éthique et sociétal. En 1986, déjà, le philosophe Georges Canguilhem nous interpellait : </p>
<blockquote>
<p>« Innover ne va pas sans risque. Le risque jusqu’où ? Le risque admis par qui ? »</p>
</blockquote>
<hr>
<p><em>Pour aller plus loin : <a href="https://www.editions-eres.com/ouvrage/4275/traite-de-bioethique-iv">« Traité de bioéthique »</a>, sous la dir. de E. Hirsch et F. Hirsch, éditions Eres.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/175218/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Hirsch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La greffe d’un cœur de cochon dans une poitrine humaine est une prouesse biomédicale. Mais ce geste qui brouille les limites interespèces pose la question de l’accompagnement éthique des innovations.Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1665592021-08-26T18:49:42Z2021-08-26T18:49:42ZManger végétarien, est-ce meilleur pour la santé ? Les réponses de cinq experts<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/418130/original/file-20210826-9047-1pm4rhe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">file t yd</span> </figcaption></figure><p>Le nombre d’adeptes du végétarisme est <a href="http://www.roymorgan.com/findings/vegetarianisms-slow-but-steady-rise-in-australia-201608151105">en augmentation</a> en Australie. Si certaines personnes évitent les produits carnés avec à l’esprit le bien-être des animaux et la préservation de l’environnement, d’autres le font par souci pour leur santé. En effet, depuis quelques années les connaissances sur les <a href="https://theconversation.com/interactive-body-map-what-really-gives-you-cancer-52427">effets délétères de la viande sur la santé</a> s’accumulent, tout comme celles concernant les avantages que procure <a href="https://theconversation.com/why-you-should-eat-a-plant-based-diet-but-that-doesnt-mean-being-a-vegetarian-78470">un régime alimentaire faisant la part belle aux végétaux</a>.</p>
<p>Nous avons demandé à cinq experts s’il est plus sain de suivre un régime végétarien.</p>
<h2>Quatre experts sur cinq affirment que oui</h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/259889/original/file-20190220-148520-121cdzg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/259889/original/file-20190220-148520-121cdzg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=99&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/259889/original/file-20190220-148520-121cdzg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=99&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/259889/original/file-20190220-148520-121cdzg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=99&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/259889/original/file-20190220-148520-121cdzg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=125&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/259889/original/file-20190220-148520-121cdzg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=125&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/259889/original/file-20190220-148520-121cdzg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=125&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><strong><em>Voici leurs réponses :</em></strong></p>
<p><iframe id="tc-infographic-608" class="tc-infographic" height="400px" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/608/5c6cefc709c8f9362f7370a1de5395900b334c3e/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<hr>
<p><em>Aucun des auteurs n’a de conflit intérêt ou d'affiliations à déclarer.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166559/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Ne pas manger d'animaux peut vous faire sentir plus vertueux, mais est-ce bon pour votre santé ?Alexandra Hansen, Deputy Editor and Chief of Staff, The Conversation AUNZLionel Cavicchioli, Chef de rubrique Santé + Médecine, The Conversation FranceEmilie Rauscher, Cheffe de rubrique SantéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1644072021-08-01T16:30:34Z2021-08-01T16:30:34ZFaire griller une saucisse au barbecue est une affaire de chimiste<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/413378/original/file-20210727-24-wysy6c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=15%2C0%2C3472%2C2164&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quand la chimie s'empare du barbecue.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/IusNb3cid_w">Anthony Cantin / Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’été n’est pas seulement la saison du bronzage, c’est aussi celle du barbecue et de ses odeurs de fumée appétissantes. Si 80 % des foyers américains sont équipés d’un barbecue, pas moins de neuf foyers français sur 10 le sont aussi. <a href="https://www.idealo.co.uk/magazine/lifestyle-leisure/bbq-habits-uk-europe-idealo-survey">En Europe</a>, le podium des plus grands amateurs de barbecue est occupé par les Allemands (1re place), les Français (2<sup>e</sup> place) et les Polonais (3<sup>e</sup> place). Bien que tout le monde s’accorde à dire que les aliments grillés au charbon de bois et au bois sont savoureux, peu connaissent véritablement la chimie qui se cache derrière ce goût fumé tant apprécié de la viande grillée… Découvrons ensemble quelles sont les molécules responsables de ce merveilleux goût ! Mais aussi celles qui pourraient, à long terme, nous causer quelques soucis de santé si nous ne respectons pas certaines règles simples.</p>
<h2>De quoi sont constitués le bois et la viande ?</h2>
<p>Bien que les barbecues au gaz prennent de plus en plus de part de marché, très probablement du fait de leur simplicité d’utilisation, la rapidité de la montée en température et le contrôle précis de cette dernière, presque tout le monde s’accorde à dire que les aliments grillés au bois et au charbon de bois sont beaucoup plus savoureux que ceux grillés sur les barbecues au gaz.</p>
<p>Le charbon de bois est un combustible produit par l’Homme (contrairement au charbon issu des mines qui lui est produit par la Nature par un processus très lent) via une réaction physico-chimique appelée carbonisation (ou pyrolyse, le même processus que celui qui est utilisé dans les fours ménagers pour carboniser les graisses) qui consiste à soumettre le bois à une très haute température sous atmosphère contrôlée.</p>
<p>Le charbon de bois et le bois contiennent trois composants principaux : la cellulose (la matière qui constitue le papier), les hémicelluloses et les lignines. Parmi ces trois composants, seules la cellulose et les lignines jouent un rôle majeur dans la création de saveur. La cellulose est un polymère linéaire uniquement composé de glucose (sucre). Les lignines sont, quant à elles, des polymères polyphénoliques plus complexes et variés, et dont la composition chimique dépend beaucoup du type de bois. Caractérisés par la présence d’au moins deux groupes phénoliques, les polyphénols sont une famille de molécules relativement complexes largement présentes dans la nature. Parmi les plus connus d’entre eux, en plus des lignines, on retrouve notamment le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Resv%C3%A9ratrol">resvératrol</a> ou les tannins, présents dans le raisin.</p>
<p>La viande, quant à elle, est composée d’eau (75 %), de protéines (19 %), de graisses intramusculaires (2,5 %), de sucres (1,2 %) et d’autres substances non protéiques (2,3 %, acides aminés, sels minéraux, etc). Les protéines sont des polymères naturels composés d’acides aminés qui peuvent être dégradés sous l’effet de la chaleur ou par l’intermédiaire d’enzymes.</p>
<h2>Saveurs et goûts provenant du bois et du charbon</h2>
<p>Lorsque le bois et le charbon de bois brûlent, la cellulose, les hémicelluloses et les lignines se dégradent sous l’effet de la chaleur. Les lignines sont à l’origine de la saveur fumée grâce à la production d’une variété de composés phénoliques (idem pour les phénols) issus de leur dégradation par pyrolyse.</p>
<p>Parmi ces composés phénoliques, les plus importants sont le gaïacol et le syringol, qui sont responsables respectivement de la saveur fumée et de l’odeur fumée. Lorsqu’ils sont présents dans la fumée, ces deux composés phénoliques sont piégés par l’humidité des aliments grillés (les jus) et l’infusent.</p>
<p>Le gaïacol est naturellement présent dans des plantes telles que Guaiacum, il se trouve également dans le whisky et le café torréfié, et est couramment utilisé pour produire de la vanilline au niveau industriel. Le syringol synthétique est, quant à lui, couramment utilisé comme arôme de fumée pour ceux qui veulent le goût du barbecue sans avoir à griller les aliments.</p>
<h2>Saveurs et goût provenant de la viande</h2>
<p>Bien que le bois et le charbon de bois jouent un rôle crucial dans la production du goût et de l’odeur de la fumée, un autre processus chimique, la « glycation » (aussi connue sous le nom de réaction de Maillard), contribue également fortement aux saveurs des aliments grillés. C’est aussi ce processus qui confère à la viande grillée cette couleur brune très caractéristique. Comme cette réaction ne se produit qu’à des températures supérieures à 110 °C, le brunissement est principalement observé à la surface de la viande. Découverte par le chimiste et le médecin Lorrain L. Maillard en 1912, ce processus implique les acides aminés (issus de la dégradation des protéines) et certains des sucres présents dans la viande. La composition en acides aminés et en sucres étant assez variable d’une viande à l’autre, la grande diversité apportée par la réaction de Maillard conduit donc à une large palette de profils aromatiques différents.</p>
<h2>Des saveurs, mais aussi de potentielles molécules nocives pour la santé</h2>
<p>Bien que les grillades au bois et au charbon de bois apportent une délicieuse saveur et une odeur de fumée à la viande, elles peuvent également générer des produits chimiques assez nocifs. Les plus courants sont les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), les amines hétérocycliques (HCA) et l’acrylamide.</p>
<p>Les HAP se forment lorsque de la graisse fondue s’égoutte sur du charbon de bois chaud, et <a href="http://www.sciepub.com/reference/279632">certains se sont avérés cancérigènes</a>. La production de HAP par cuisson au charbon de bois, dépendant à la fois de la teneur en graisse de la viande et de la proximité de la viande à la source de chaleur, peut être réduite en cuisant plus longtemps à des températures plus basses.</p>
<p>Les HCA et l’acrylamide sont intimement liés à la réaction de Maillard. En effet, les HCA se forment lors de la cuisson de la viande et se trouvent généralement dans les parties carbonisées de la viande cuite. De tels composés peuvent également être obtenus à plus basse température dans le cas d’un temps de cuisson trop long. Il a été démontré que les viandes faibles en gras <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1541-4337.12501">génèrent moins de HCA</a>. Tout comme les HAP, ces composés sont également des composés cancérigènes.</p>
<p>L’acrylamide est un <a href="https://www.cancer.gov/about-cancer/causes-prevention/risk/diet/acrylamide-fact-sheet">autre cancérigène potentiel</a>. Bien que de fortes doses d’acrylamide provoquent le cancer chez les souris et les rats, compte tenu de la concentration relativement faible d’acrylamide dans la viande grillée consommée, le risque associé au barbecue reste assez limité tant que la viande n’est pas cuite à des températures trop élevées pendant des durées excessives.</p>
<p>Sans la pyrolyse de la lignine et la réaction de Maillard, nous n’aurions pas la plaisir de déguster nos délicieuses grillades estivales avec leurs multiples saveurs et leurs couleurs brunes. Les phénols, les sucres et les acides aminés sont les molécules mises en jeu dans ce style de cuisine très populaire qu’est la cuisson au barbecue. Bien que griller de la viande sur du bois ou du charbon de bois semble être la façon la plus simple – sinon la plus ancienne – de cuisiner les aliments, la chimie qui s’opère en coulisse est assez complexe. En effet, différents paramètres entrent en jeu, non seulement au niveau de la saveur, mais aussi en termes de toxicité potentielle.</p>
<p>Par exemple, les origines du bois et du charbon de bois (c’est-à-dire le type d’arbre) auront un impact significatif sur la saveur globale (le hêtre apporte un goût de fumé très apprécié des amateurs de barbecue), tandis que la durée et la température de cuisson, ainsi que la distance entre la viande et le feu, peuvent être ajustées pour limiter la production de composés toxiques tels que les HAP, HCA et l’acrylamide. Avec autant de paramètres (par exemple, le type de viande, le bois/charbon, la température, la durée de cuisson), il y a presque un nombre infini de recettes qui peuvent être concoctées. Trouver celles qui siéront à vos papilles gustatives n’est qu’une question d’expérimentation ! Qui aurait cru que le barbecue dépendait tellement de la chimie ?</p>
<hr>
<p>Cet article est basé sur le chapitre « Barbecue. The chemistry behind cooking on a barbecue » du livre <a href="http://www2.agroparistech.fr/The-Handbook-of-Molecular-Gastronomy.html">« Handbook of Molecular Gastronomy »</a></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164407/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florent Allais a reçu des financements de l'ANR, de la Fondation de France, du Grand Reims, du Département de la Marne, de la région Grand Est, de l'Europe, de l'Australie; ainsi que du milieu industriel.</span></em></p>Mais qui peut donc se cacher derrière les saveurs fumées de notre bon vieux barbecue ? La chimie !Florent Allais, Directeur de l'URD ABI, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1652692021-07-28T15:30:56Z2021-07-28T15:30:56Z« Un monde nouveau » : Écoutez l'émission sur la viande artificielle<p>Les chiffres varient assez fortement d’une étude à l’autre, pas facile de se faire une idée claire de la consommation de viande, en France notamment… Pour certains, les tendances montrent une baisse, alimentée par un souci accru du bien-être animal et de la préservation de l’environnement ; d’autres nuancent en soulignant le succès des burgers et l’appétit croissant pour les protéines animales.</p>
<p>Une chose est sûre, les habitudes évoluent avec l’installation des régimes végétarien et vegan dans le paysage alimentaire et l’apparition de nouvelles offres. </p>
<p>Ce sont ces « alternatives » de viande artificielle et végétale que nous évoquons dans le cadre de l’émission « Un monde nouveau » sur France Inter. </p>
<p>Ne manquez pas <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/un-monde-nouveau/un-monde-nouveau-du-mercredi-28-juillet-2021">l’épisode ici</a>.</p>
<p>Et pour aller plus loin, lisez notre dossier. </p>
<h2><a href="https://theconversation.com/comment-la-viande-sest-vegetalisee-162070">Comment la viande s’est végétalisée</a></h2>
<h2><a href="https://theconversation.com/retour-sur-souffrance-animale-pollution-sante-la-viande-artificielle-est-elle-la-solution-163662">« Retour sur… » : Souffrance animale, pollution, santé, la « viande artificielle » est-elle la solution ?</a></h2>
<h2><a href="https://theconversation.com/texture-gout-apports-nutritionnels-sur-la-piste-de-la-viande-vegetale-parfaite-163825">Texture, goût, apports nutritionnels… Sur la piste de la « viande végétale » parfaite</a></h2>
<h2><a href="https://theconversation.com/la-viande-cultivee-en-laboratoire-pose-plus-de-problemes-quelle-nen-resout-126662">La viande « cultivée » en laboratoire pose plus de problèmes qu’elle n’en résout</a></h2>
<h2><a href="https://theconversation.com/changer-le-monde-par-son-assiette-retour-historique-sur-le-vegetarisme-159179">Changer le monde par son assiette : retour historique sur le végétarisme</a></h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/413585/original/file-20210728-21-1ux7go9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/413585/original/file-20210728-21-1ux7go9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/413585/original/file-20210728-21-1ux7go9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/413585/original/file-20210728-21-1ux7go9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/413585/original/file-20210728-21-1ux7go9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/413585/original/file-20210728-21-1ux7go9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/413585/original/file-20210728-21-1ux7go9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Paul Cézanne, Nature morte aux pommes, 1890.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nature_morte_aux_pommes#/media/Fichier:Paul_C%C3%A9zanne,_Still_Life_With_Apples,_c._1890.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/165269/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Découvrez une sélection d’articles de la rédaction pour comprendre les enjeux de ces nouvelles viandes.Jennifer Gallé, Cheffe de rubrique Environnement + Énergie, The Conversation FranceBenoît Tonson, Chef de rubrique Science, The Conversation FranceElsa Couderc, Cheffe de rubrique Science, The Conversation FranceLionel Cavicchioli, Journaliste scientifique, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1638252021-07-02T13:33:34Z2021-07-02T13:33:34ZTexture, goût, nutrition… Sur la piste de la « viande végétale » parfaite<p><em>Population toujours plus nombreuse sur la planète, nécessité de trouver de nouvelles ressources… Avec notre série d'été « Manger demain ? », explorez comment nous serons amenés à repenser notre alimentation. Les essais et réflexions ont déjà commencé. Après <a href="https://theconversation.com/cultiver-des-insectes-la-solution-pour-assurer-la-securite-alimentaire-de-lhumanite-155584">les insectes</a>, petit tour du côté de la viande artificielle…</em></p>
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<p>En 2019, Burger King a proposé à ses clients le « Rebel Whopper », un burger végétal. Face au flagrant manque d’enthousiasme, la société américaine a changé de tactique… Elle a mis au défi les gourmands de faire la différence avec un burger classique, à base de viande.</p>
<p><a href="https://www.cnbc.com/2019/07/15/burger-king-5050-menu-doles-out-meat-or-plant-based-burgers-randomly.html">La branche suédoise de Burger King a créé à cet effet un menu spécial</a> : en le choisissant, les clients avaient une chance sur deux de se voir servir le burger végétal. À eux de deviner ensuite quel sandwich ils avaient dégusté. Pour savoir ensuite ce qu'il en était vraiment, ils pouvaient utiliser une application afin de scanner un code-barre de l’emballage de leur repas.</p>
<p>Résultat : 44 % des consommateurs qui se sont prêtés au jeu ont perdu, et se sont avérés incapables de faire la différence entre steak à base de viande et préparation végétale.</p>
<p>Si à l’origine, les produits comme le tofu ou le seitan avaient vocation à remplacer la viande sans en adopter les caractéristiques, plus récemment sont apparus sur le marché des produits visant à l’imiter le plus parfaitement possible, tant au niveau du goût que de la texture ou de l’odeur : <a href="https://www.greenmatters.com/p/plant-based-meats">burgers, viande hachée, saucisses, nuggets ou encore fruits de mer à base de plantes</a> sont désormais disponibles dans les rayons des magasins ou sur les menus des restaurants. Les promoteurs de ces « viandes végétales » ambitionnent de nous faire repenser notre définition de la viande. </p>
<p>Parvenir à atteindre les standards nécessaires pour satisfaire les sens des consommateurs n’est cependant pas une mince affaire.</p>
<p>La société « Beyond Meat » (littéralement « Au-delà de la viande ») a mis plus de six ans pour parvenir à mettre au point son « Beyond Burger » et, depuis sa mise sur le marché en 2015, sa formulation a déjà changé trois fois. Concevoir la viande végétale parfaite revient à procéder par essais et erreurs, et nécessite les efforts d’équipes de scientifiques multidisciplinaires. </p>
<h2>De la réaction de Maillard au soja</h2>
<p>Les scientifiques qui souhaitent développer une viande végétale de bonne tenue doivent relever un triple défi. Il s’agit en effet de mettre au point une viande « convaincante » à la fois au niveau de l’apparence, de la texture et de la saveur – trois caractéristiques qui font l’essence d’une viande.</p>
<p>Lorsque nous cuisons une pièce de viande, sa texture change, car la <a href="https://doi.org/10.1016/j.meatsci.2004.11.021">température de la poêle ou du grill affecte la structure des protéines qui la composent</a>. Selon que ces dernières se brisent, coagulent ou se contractent, la viande s’attendrit ou se raffermit.</p>
<p>Son arôme caractéristique, ainsi que le goût qui se développe à la cuisson sont dus à la <a href="https://www.bpi-campus.com/medias/programmes/proprietes_fonctionnelles_des_aliments_avec_la_contribution_de_christophe_lavelle.pdf#page=10">réaction de Maillard</a>, décrite en 1911 par le chimiste et médecin lorrain Louis-Camille Maillard. Mieux comprendre ce processus permet aux équipes de recherche et développement des viandes végétales de les améliorer.</p>
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<img alt="Diverses pièces de viande sur un barbecue" src="https://images.theconversation.com/files/398479/original/file-20210503-17-q26qbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398479/original/file-20210503-17-q26qbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=521&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398479/original/file-20210503-17-q26qbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=521&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398479/original/file-20210503-17-q26qbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=521&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398479/original/file-20210503-17-q26qbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=654&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398479/original/file-20210503-17-q26qbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=654&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398479/original/file-20210503-17-q26qbl.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=654&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La réaction de Maillard est à l’origine du goût caractéristique de la viande cuite.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Côté « viande végétale« », les ingrédients utilisés entrant dans leur composition influencent bien entendu son apparence, sa texture et sa saveur.</p>
<p>Selon la viande animale que l’on cherche à imiter, on pourra utiliser des protéines de soja, de blé, de pois ou de fève, ainsi que des amidons, des farines, des <a href="https://www.edinformatics.com/math_science/hydrocolloids.htm">hydrocolloïdes</a> (glucides non digestibles utilisés comme épaississants, stabilisants et émulsifiants, ou comme agents de rétention d’eau et de gélification) et des huiles qui permettront d’obtenir un degré de similarité… plus ou moins satisfaisant.</p>
<p>La méthode de fabrication joue également sur les caractéristiques du produit. L’« extrusion en milieu humide » (« High-moisture extrusion ») et les technologies basées sur l’emploi de cellules de cisaillement (<a href="https://www.wur.nl/en/Research-Results/Chair-groups/Agrotechnology-and-Food-Sciences/Food-Process-Engineering/Research/Food-Structuring/Shear-Cell-Story.htm">« shear-cell technologies »</a>) sont deux procédés couramment utilisés pour obtenir, à partir de protéines de végétaux, des structures en couches fibreuses <a href="https://www.ift.org/news-and-publications/food-technology-magazine/issues/2019/october/columns/processing-how-plant-based-meat-and-seafood-are-processed">qui imitent l’apparence et la texture de la viande</a>.</p>
<p>L’extrusion en milieu humide, qui permet d’obtenir une sensation de mastication proche de la viande, <a href="https://doi.org/10.1016/B978-0-08-100596-5.03099-7">est la technique la plus répandue</a>, mais <a href="https://doi.org/10.1080/10408398.2020.1864618">le traitement par cellule de cisaillement</a>, plus économe en énergie, a une empreinte carbone moindre.</p>
<h2>Couleur et texture</h2>
<p>Les scientifiques ont mis au point des préparations capables d’imiter la couleur de la viande avant, pendant et après la cuisson. Pour imiter la couleur rouge du bœuf frais ou saignant, ils utilisent notamment de l’extrait de betterave, de la poudre de grenade et de la <a href="https://www.nytimes.com/2017/08/08/business/impossible-burger-food-meat.html">leghémoglobine de soja</a>.</p>
<p>La texture des protéines animales est plus difficile à reproduire avec des ingrédients d’origine végétale, car les plantes n’ont pas de tissu musculaire : leurs cellules sont rigides et indéformables, alors que les muscles sont élastiques et flexibles. Pour cette raison, les végétaux ne rendent pas la même sensation que la viande lors de la mastication ; en bouche, les burgers végétariens sont ainsi souvent friables et pâteux.</p>
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<img alt="Des assiettes sur une table avec le mot impossible écrit autour d’elles" src="https://images.theconversation.com/files/398476/original/file-20210503-19-yemo4g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398476/original/file-20210503-19-yemo4g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398476/original/file-20210503-19-yemo4g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398476/original/file-20210503-19-yemo4g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398476/original/file-20210503-19-yemo4g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398476/original/file-20210503-19-yemo4g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398476/original/file-20210503-19-yemo4g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un assortiment d’assiettes d’« Impossible Porc », produit de la société californienne « Impossible Foods », spécialisée dans les viandes végétales.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Ross D. Franklin</span></span>
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<p>Bien choisir la (ou les) protéine(s) de plante(s) mise(nt) en œuvre lors de la fabrication de la viande végétale est crucial. Il s’agit en effet de l’ingrédient clé de la préparation, non seulement <a href="https://doi.org/10.1111/1541-4337.12610">essentiel à sa structure</a>, mais aussi très important pour définir l’identité du produit fini, qui va le différencier des autres. La formulation peut contenir une seule sorte de protéine végétale, ou un mélange de diverses sortes.</p>
<p>Les protéines de soja restent celles qui permettent d’obtenir le goût et la texture les plus proches de la viande. Utilisées depuis des décennies, elles ont fait l’objet de nombreuses recherches, et les processus utilisés pour sa texturation ont été amélioré. </p>
<p><a href="https://www.businesswire.com/news/home/20201222005307/en/8-Billion-Plant-based-Meats-Markets-2025-by-Source-Soy-Wheat-Pea-Others-Product-Burger-Patties-Strips-Nuggets-Sausages-Meatballs-Other-Type-Beef-Chicken-Pork-Fish---ResearchAndMarkets.com%22%22">Les protéines de pois</a>, rendues populaires par la société Beyond Meat, est le segment du marché de la viande végétale qui connaît actuellement la plus forte croissance, en raison de sa teneur en acide aminés, <a href="https://www.aicr.org/resources/blog/health-talk-pea-protein-is-everywhere-is-it-healthy/%22%22">particulièrement complète</a>. </p>
<p>Il existe en effet neuf acides aminés « essentiels », qui ne peuvent être fabriqués par notre corps et doivent donc être apportés par notre alimentation. Les régimes basés sur des produits animaux les contiennent et sont donc considérés comme complets. Ce n’est pas le cas de la plupart des produits végétaux, dans lesquels certains de ces acides aminés essentiels manquent.</p>
<p>En revanche, les neuf sont présents dans les protéines de pois. Les protéines de pois sont en outre dépourvues d’allergènes. </p>
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<img alt="Deux boîtes de Petri, dont l’une contient un morceau de viande de poulet crue, et l’autre des pois chiches" src="https://images.theconversation.com/files/398477/original/file-20210503-15-166kv8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398477/original/file-20210503-15-166kv8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398477/original/file-20210503-15-166kv8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398477/original/file-20210503-15-166kv8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398477/original/file-20210503-15-166kv8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398477/original/file-20210503-15-166kv8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398477/original/file-20210503-15-166kv8k.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Contrairement aux protéines de pois, celles de la plupart des plantes ne contiennent pas tous les acides aminés essentiels.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Riz, fèves, pois chiches, lentilles, haricot mungo… D’autres protéines d’origine végétale suscitent l’intérêt des scientifiques, et de nouveaux produits les incorporant devraient arriver sur le marché à l’avenir.</p>
<h2>Créer de la saveur</h2>
<p>Les sociétés ne sont pas tenues de divulguer les ingrédients qu’elles ajoutent à leurs préparations pour leur donner de la saveur – elles ont juste obligation d’indiquer s’ils sont d’origine naturelle ou artificielle. Il est donc difficile de savoir précisément ce qui donne aux burgers végétaux une saveur évoquant celle de la viande. </p>
<p>Le gras est un acteur majeur de la saveur et des sensations lors de la dégustation. Il est responsable de la richesse en bouche, de la « jutosité » (la capacité d’un aliment à libérer les sucs en début de mastication) et de la libération des saveurs. Il active également certaines régions du cerveau impliquées dans le traitement des goûts, des arômes et dans le mécanisme de la récompense.</p>
<p>Jusqu’ici, le standard industriel était d’utiliser l’huile de noix de coco pour remplacer le gras d’origine animal. Le problème est que cette huile est liquide à des températures bien inférieures à celle dudit gras…</p>
<p>Résultat : en bouche, l’impression de mâcher un produit riche et juteux est bien présente en début de mastication, mais elle disparaît rapidement. Certains fabricants de préparations à base de plantes recourent donc plutôt à des combinaisons de diverses huiles végétales, comme les huiles de colza et de tournesol, pour augmenter la température de fusion (température à laquelle un solide devient liquide) et ainsi prolonger la jutosité.</p>
<p>De <a href="https://www.foodnavigator.com/Article/2020/07/10/Cubiq-s-smart-fat-takes-on-coconut-oil-This-is-what-plant-based-companies-are-looking-for%22%22">nouveaux substituts</a> aux <a href="https://www.foodnavigator.com/Article/2021/03/04/Cultivating-animal-fat-for-plant-based-meat-Nobody-wants-a-burger-that-tastes-of-coconut%22%22">graisses animales</a> basés sur des émulsions d’huile de tournesol et d’eau ou des graisses animales « cultivées » (des cellules graisseuses cultivées en laboratoire) sont actuellement <a href="https://www.foodnavigator.com/Article/2020/12/15/Cultivated-fat-a-solution-to-the-plant-based-sensory-gap%22%22">en cours de développement</a> pour résoudre ce problème. Toutefois, il est clair que certains de ces produits ne conviendront pas aux régimes végétariens ou végétaliens.</p>
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<img alt="Steaks congelés portant l’étiquette « viande cultivée »" src="https://images.theconversation.com/files/398478/original/file-20210503-23-1ohuxtn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398478/original/file-20210503-23-1ohuxtn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398478/original/file-20210503-23-1ohuxtn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398478/original/file-20210503-23-1ohuxtn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398478/original/file-20210503-23-1ohuxtn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398478/original/file-20210503-23-1ohuxtn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398478/original/file-20210503-23-1ohuxtn.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les graisses comptent pour beaucoup dans la saveur de la viande, et les sensations procurées en bouche. Reproduire ces caractéristiques en utilisant des préparations à base de plantes représente an véritable défi.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Il arrive qu’une formulation végétale semble fonctionner en théorie, qu’elle contienne tous les ingrédients requis et possède le même profil nutritionnel que la viande, mais que dans les faits, son goût ne soit pas agréable, ou encore que sa texture ou les sensations à la mastication soient imparfaites.</p>
<p>C’est par exemple le cas des protéines de pomme de terre, qui permettent d’obtenir de formidables textures… mais sont très amères. Tout l’enjeu est de trouver un équilibre entre contenu protéique, texture et saveur.</p>
<h2>Les futures formulations</h2>
<p>Les scientifiques n’en sont qu’aux débuts de l’exploration du potentiel des viandes végétales. Il reste encore une importante marge de progression, qu’il s’agisse d’explorer de nouvelles pistes ou d’améliorer l’existant. </p>
<p>Les ingrédients à base de protéines de plantes actuellement disponibles dans le commerce ne représentent en effet que <a href="https://www.foodingredientsfirst.com/news/shift20-industry-is-only-scratching-the-surface-of-plant-based-proteins.html">2 % des quelque 150 espèces de plantes qui nous procurent les protéines végétales</a> que nous consommons habituellement.</p>
<p>Des recherches sont en cours afin d’améliorer les teneurs en protéines de certaines cultures, que ce soit par sélection ou par ingénierie végétale, afin de pouvoir envisager de futurs développements et améliorations des isolats protéiques d’origine végétale, et donc à terme améliorer également les viandes végétales.</p>
<p>Des technologies employées dans les processus de transformation sont aussi en cours de développement. Ces dernières années, <a href="https://www.foodnavigator.com/Article/2021/02/17/Redefine-Meat-prepares-for-European-launch-with-29m-boost-Our-alt-meat-products-will-hit-Switzerland-and-Germany-mid-year%22%22">l’impression 3D</a> et la <a href="https://sentientmedia.org/lab-grown-meat/%22%22">viande cultivée</a> ont émergé, puis ont été adoptées et améliorées.</p>
<p>De nouveaux produits basés sur des préparations végétales devraient donc prochainement se frayer un chemin jusqu’à nos rayons, et l’on peut s’attendre à ce que certains ressemblent désormais à des pièces de viande entières, à l’image de ces <a href="https://www.foodnavigator.com/Article/2020/06/30/Redefine-Meat-launches-3D-printed-steak-This-is-the-start-of-a-new-era-in-alternative-meat%22%22">steaks végétaux produits par impression 3D</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163825/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mariana Lamas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La « viande végétale » remplacera-t-elle le steak demain ? Les scientifiques arrivent de mieux en mieux à imiter texture, goût… Au point parfois de réussir à tromper les amateurs de viande eux-mêmesMariana Lamas, Research Associate, Centre for Culinary Innovation, Northern Alberta Institute of TechnologyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.