tag:theconversation.com,2011:/au/topics/violences-sexuelles-24826/articlesviolences sexuelles – The Conversation2024-03-25T16:38:27Ztag:theconversation.com,2011:article/2251372024-03-25T16:38:27Z2024-03-25T16:38:27ZLes violences sexistes et sexuelles dans le cinéma français : une « exception culturelle » ?<p>Invitée de l’émission <em>Quotidien</em> le 8 janvier 2024, Judith Godrèche dénonce l’emprise présumée de Benoît Jacquot à son égard. Si ses propos font écho à la diffusion d’un numéro de <em>Complément d’enquête</em> sur Gérard Depardieu, Judith Godrèche revient à plusieurs reprises au cours de sa carrière sur les violences subies : les différents registres de discours qu’elle a pu employer, jusqu’à affirmer l’impossibilité du consentement des enfants, soulignent la manière dont cette prise de conscience s’inscrit sur le temps long.</p>
<p>Le 23 février 2024, lors de la cérémonie des Césars, elle prend à nouveau la parole. La force de son discours réside dans son interpellation des professionnels du monde du cinéma sur ces questions :</p>
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<p>« Depuis quelque temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas, ou à peine. Où êtes-vous ? Que dites-vous ? Un chuchotement. Un demi-mot. »</p>
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<p>En s’adressant à ses pairs, l’actrice souhaite sortir du « silence » qui accompagne les témoignages de violences au sein de la « grande famille du cinéma ». Le 29 février, lors d’une audition au Sénat, elle rappelle le rôle des institutions, notamment du CNC, dans le maintien de ce silence systémique.</p>
<p>Cette prise de parole s’inscrit dans la continuité d’autres témoignages et dans le sillon de mobilisations féministes nationales et internationales, et pourtant elle résonne au sein d’un milieu professionnel traversé par des contradictions. Si on enjoint les victimes à briser le silence, on les discrédite aussitôt en les accusant, par exemple, de vouloir attirer l’attention sur elles après des années d’absence. Si on sanctionne les auteurs, accusés ou condamnés, en les excluant de la cérémonie des Césars, on continue de leur décerner des prix, en montrant ainsi que la culture de la récompense en France est en pleine négociation avec les valeurs de la société contemporaine.</p>
<p>Afin de comprendre pourquoi et comment le cinéma français a pu devenir une fabrique de l’omerta sur les violences sexistes et sexuelles, il est crucial de « dézoomer » et d’interroger, dans une perspective historique, la construction d’une identité cinématographique française, incarnée par une génération d’auteurs et une prolifération d’œuvres où les rapports sociaux de sexe ont été longtemps désaxés.</p>
<p>Et il est également fondamental de questionner les conditions de production des témoignages de victimes, notamment leur réception par des instances officielles et les mobilisations qui les ont accompagnés.</p>
<h2>La question des auteurs</h2>
<p>Dans <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/peut-on-dissocier-l-oeuvre-de-l-auteur-gisele-sapiro/9782021461916"><em>Peut-on dissocier l’œuvre de l’auteur ?</em></a>, Gisèle Sapiro rappelle que les milieux culturels français (contrairement à la tradition étasunienne) se sont construits sur une « position esthète », à savoir une conception des arts et de la culture tournée vers l’appréciation des propriétés esthétiques, et non pas morales, des œuvres et par une valorisation, de matrice romantique, de la notion de « talent » dont l’auteur serait naturellement doté.</p>
<p>Au cinéma, le mot <em>auteur</em> <a href="https://theconversation.com/la-face-cachee-de-lexception-culturelle-francaise-un-cinema-dauteur-au-dessus-des-lois-224003">n’est pas anodin</a>, au contraire, il est politique. Entre 1954 et 1955, dans <em>Les Cahiers du cinéma</em> et dans le magazine <em>Arts</em>, une formule circule – « La Politique des Auteurs » – à travers laquelle cinéastes et critiques, comme Truffaut, revendiquent la centralité du réalisateur et de son style afin de légitimer le cinéma comme un art à part entière.</p>
<p>Cette théorie critique trouve sa consécration dans la Nouvelle Vague, composée par ces mêmes cinéastes et critiques pour qui un auteur considéré un génie jouit d’une sorte d’impunité esthétique : « Ali Baba eut-il été raté que je l’eusse quand même défendu en vertu de la “Politique des Auteurs” », <a href="http://www.cineressources.net/ressource.php?collection=ARTICLES_DE_PERIODIQUES&pk=16372">écrivait Truffaut</a> sur un film de Becker. Dans les <em>Cahiers du cinéma</em> (n° 47, mai 1955), il écrivait encore :</p>
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<p>« “La Tour de Nesle” est […] le moins bon des films d’Abel Gance [mais] comme il se trouve qu’Abel Gance est un génie, “La Tour de Nesle” est un film génial. »</p>
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<p>Par définition exceptionnels, les génies transgressent les normes de leur société, par leurs œuvres, leur vie ou les deux à la fois, et si la Nouvelle Vague avait bien l’ambition de renverser l’ordre esthétique et politique existant, ce <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/arts-et-essais-litteraires/la-nouvelle-vague/">renversement</a> s’est opéré à travers « l’imaginaire de jeunes hommes […] peu à même de placer les rapports de sexe au cœur de leur entreprise de subversion ».</p>
<p>Célébrée par la critique, imbriquée aux revendications de Mai 68 et à la révolution sexuelle, la Nouvelle Vague a longtemps incarné la norme cinématographique dominante en France.</p>
<h2>Au-delà d’un conflit « générationnel » ?</h2>
<p>Ainsi cristallisée, cette conception d’un cinéma « à la française » façonne tous les milieux (de la production à l’enseignement, en passant par les festivals) et réapparaît, insurgée, dans une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/01/09/nous-defendons-une-liberte-d-importuner-indispensable-a-la-liberte-sexuelle_5239134_3232.html">tribune</a> publiée en 2018 dans <em>Le Monde</em> et signée, entre autres, par Catherine Deneuve, s’opposant aux vagues de dénonciation contre <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/retour-sur-les-affaires-et-accusations-impliquant-roman-polanski_3695951.html">Polanski</a>, <a href="https://www.liberation.fr/debats/2017/12/12/blow-up-revu-et-inacceptable_1616177/">Antonioni</a> et <a href="https://www.genre-ecran.net/?Ce-que-les-films-m-ont-appris-sur-le-fait-d-etre-une-femme">Ford</a>.</p>
<p>Ici, la liberté d’expression des auteurs se lie à une « liberté d’importuner », celle d’« hommes sanctionnés dans l’exercice de leur métier » pour avoir « touché un genou, tenté de voler un baiser, parlé de choses “intimes” lors d’un dîner professionnel ».</p>
<p>Suit en 2023 une <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/culture/n-effacez-pas-gerard-depardieu-l-appel-de-50-personnalites-du-monde-la-culture-20231225">tribune publiée dans <em>Le Figaro</em></a> en faveur de Gérard Depardieu rassemblant 50 personnalités du monde de la culture dont Serge Toubiana, critique de cinéma et ancien directeur de la Cinémathèque française.</p>
<p>Cette institution avait déjà fait l’objet d’une <a href="https://www.genre-ecran.net/?Cinematheque-Dorothy-Arzner-dans-l-oeil-du-sexisme">tribune</a> dénonçant la quasi-absence de rétrospectives – 7 sur 293 entre 2006 et 2017 – consacrées aux femmes, ainsi que la misogynie et la lesbophobie des textes d’hommage à la cinéaste <a href="https://www.telerama.fr/television/dorothy-arzner-une-pionniere-a-hollywood_cri-7029512.php">Dorothy Arzner</a>.</p>
<p>Enfin, qualifié de « dernier monstre sacré du cinéma », « génie d’acteur » à la « personnalité unique et hors norme », Depardieu incarnerait l’emblème d’un cinéma qu’il a contribué à faire rayonner à l’international, celui de Truffaut, de Pialat, de Ferreri, de Corneau, de Blier ou de Bertolucci.</p>
<p>Au vu du profil des signataires des deux tribunes (2018 et 2023), il serait facile de réduire le #MeToo du cinéma français à un conflit générationnel. En réalité, de multiples rapports de pouvoir sont à l’œuvre, et la <a href="https://theconversation.com/la-face-cachee-de-lexception-culturelle-francaise-un-cinema-dauteur-au-dessus-des-lois-224003">dénonciation publique de Judith Godrèche, ainsi que celle d’Isild Le Besco</a>, illustrent cette complexité.</p>
<h2>Une parole incarnée, des mobilisations collectives</h2>
<p>Tout en pouvant être qualifié de remarquable, le témoignage de Judith Godrèche fait écho à d’autres prises de parole individuelles et collectives, anonymes ou incarnées. Les mobilisations féministes et syndicales devant les portes de l’Olympia lors de la cérémonie en témoignent.</p>
<p>En 2020, les Césars sont également marqués par la sortie d’Adèle Haenel lors de la remise du prix à Roman Polanski : accompagnée d’une dizaine de personnes dont Céline Sciamma, l’actrice s’exclame « La honte ! Bravo la pédophilie ! » Ce moment a d’ailleurs fait l’objet d’une tribune de Virginie Despentes, une autre « petite fille » (pour reprendre les propos de J. Godrèche lors de son allocution aux Césars) devenue punk.</p>
<p>Sa prise de position fait suite aux accusations présumées d’attouchements et de harcèlement sexuel du cinéaste Christophe Ruggia à son encontre, alors qu’elle avait entre 12 et 15 ans. Dans ce contexte, les actions organisées en amont et cours de la cérémonie par des groupes féministes comme Osez le Féminisme ! ou #NousToutes se déploient autour de la formule « César de la honte » ou du hashtag #Jesuisunevictime.</p>
<p>Les quatre années qui séparent ces deux moments soulignent néanmoins les difficultés à témoigner publiquement et à être entendues dans le monde du cinéma.</p>
<p>Au-delà des espaces artistiques, ces mobilisations font écho à la circulation massive et transnationale <a href="https://www.pressesdesmines.com/produit/numerique-feminisme-et-societe/">du hashtag #MeToo</a>. En s’inscrivant dans un « féminisme de hashtag », ce mot dièse et ses nombreuses déclinaisons, comme #MeTooMedia, #MeTooInceste ou encore #YoTambien, ont en commun de faire circuler des témoignages de violences et des paroles de soutien vis-à-vis des victimes.</p>
<p>Pour autant, ces mobilisations doivent être replacées dans des « traces » passées en ligne et hors ligne, à l’image du mouvement #MeToo lancé il y a une quinzaine d’années par <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/10/05/tarana-burke-la-lanceuse-meconnue-de-metoo_6144424_4500055.html">l’activiste afro-américaine Tarana Burke</a>, travailleuse sociale qui a fondé l’association « Me Too » pour lutter contre les violences sexuelles commises sur les petites filles noires ou des mobilisations féministes transnationales autour des violences.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-armes-numeriques-de-la-nouvelle-vague-feministe-91512">Les armes numériques de la nouvelle vague féministe</a>
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<p>En 2012, par exemple, plusieurs centaines de manifestations sont organisées en Inde suite au viol collectif et au meurtre de <a href="https://www.bbc.com/news/world-63817388">Jyoti Singh Pandey</a>. Dans la continuité de la dénonciation des féminicides, la première manifestation <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/10/08/avant-metoo-le-mouvement-niunamenos-mobilisait-l-amerique-latine_6144976_3224.html">Ni Una Menos</a> se déploie en mai 2015 et rassemble près de 300 000 personnes à Buenos Aires : le mouvement s’étend par la suite en Amérique latine et en Europe, comme en Italie avec la structuration en 2016 de Non Una Di Meno. Ces actions, parmi d’autres, mettent au jour la centralité accordée par les mouvements féministes contemporains à la prise en charge des violences, ainsi que le caractère massif de ces mobilisations.</p>
<h2>Comment les médias ont-ils intégré et dénoncé ces violences ?</h2>
<p>Par-delà de la dimension collective du témoignage de Judith Godrèche, le cadrage et l’activité médiatique qui l’accompagnent s’avèrent tout aussi importants. En effet, en matière de violences sexistes et sexuelles, les médias ont élaboré de <a href="https://www.cairn.info/feuilleter.php?ID_ARTICLE=HERM_BODIO_2022_01_0109">nouvelles stratégies discursives</a>, se sont dotés de figures professionnelles spécialisées et ont produit des <a href="https://journals.openedition.org/edc/10041#quotation">dispositifs de dénonciation</a>, même si des changements sont encore nécessaires.</p>
<p>Dans cette perspective, le 9 février 2024, le magazine <em>Télérama</em>, sous la plume de la directrice de la rédaction Valérie Hurier, questionne sa propre responsabilité au sein d’un :</p>
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<p>« système, celui de la production cinématographique, qu’il convient aujourd’hui de réexaminer à la lumière de ces témoignages. Un système dont les médias, Télérama compris, se sont parfois faits les complices par leurs éloges ».</p>
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<p>Quelques jours plus tard, l’AFP <a href="https://www.konbini.com/popculture/violences-sexuelles-le-cinema-dauteur-francais-force-de-se-regarder-dans-la-glace/">rapporte les propos de Dov Alfon</a>, directeur de la publication et de la rédaction à Libération, sur la « prise de conscience » amenant le journal à « commencer par un vrai travail de relecture aux archives sur [ses] différents papiers de l’époque, pour en rendre compte à [ses] lecteurs ».</p>
<p>Si ces déclarations à la marge renseignent sur une potentielle sortie de la figure du « monstre », déjà initiée avec l’ouvrage <em>Le Consentement</em> de Vanessa Springora, afin d’interroger l’ensemble des acteurs impliqués dans ces violences systémiques, elles peinent néanmoins à couvrir les difficultés de penser les violences sexistes et sexuelles en dehors d’espaces, affaires et secteurs particuliers, à l’image des nombreuses déclinaisons de #MeToo.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225137/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Irène Despontin Lefèvre a obtenu un contrat doctoral pour réaliser sa thèse en sciences de l'information et de la communication au sein de l'Université Paris-Panthéon-Assas. Dans le cadre de ses recherches, elle a réalisé une enquête (n)ethnographique et a été amenée notamment à rencontrer des membres du collectif #NousToutes et des militantes féministes.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Giuseppina Sapio ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La récente prise de parole de Judith Godrèche s’inscrit dans le sillon des mobilisations féministes nationales et internationales, et interroge la façon dont les médias se font l’écho de ces paroles.Irène Despontin Lefèvre, Enseignante contractuelle à la Faculté des sciences économiques, sociales et des territoires de l'Université de Lille, Université Paris-Panthéon-AssasGiuseppina Sapio, Maîtresse de conférences en sciences de l'information et de la communication, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2224212024-03-06T16:14:15Z2024-03-06T16:14:15ZL’opéra, un univers propice aux violences sexistes et sexuelles ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580461/original/file-20240307-29-1r3uj9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=155%2C0%2C6334%2C4281&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'Opéra de Paris (Palais Garnier).</span> </figcaption></figure><p><em>Cet article a été écrit avec Soline Helbert (le nom a été changé), chanteuse lyrique, diplômée en droit des universités Paris I et Paris II.</em></p>
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<p>Dans le sillage du mouvement #MeToo, la question des violences sexistes et sexuelles à l’œuvre dans les mondes de l’art – musique, cinéma, cirque, danse ou théâtre – s’est imposée avec force dans les débats publics, les médias ou encore les institutions publiques et privées. Les points de vue sont nombreux, les interventions sont variées, les solutions proposées sont multiples. Et pourtant, aucune enquête scientifique n’a été pour l’instant menée à son terme dans un monde de l’art en France, et ce alors même que les inégalités femmes/hommes <a href="https://ojs.letras.up.pt/index.php/taa/article/view/5037">ont fait l’objet de recherches sérieuses ces vingt dernières années</a>.</p>
<p>C’est tout le sens de <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/sqrm/2021-v22-n1-2-sqrm07828/1097857ar.pdf">l’enquête scientifique</a> menée en 2020 dans le monde de l’opéra par deux universitaires spécialisées en sociologie des arts et du genre et par une chanteuse lyrique. L’enquête n’a pas été conduite au sein de structures spécifiques, mais au moyen d’un questionnaire en ligne (336 répondantes et répondants) et de dix-huit entretiens qualitatifs. Elle a saisi aussi bien la force des violences sexistes et sexuelles à l’œuvre dans l’opéra français, quel que soit le lieu d’exercice, que ses conditions sociales de production, de légitimation et de non-dénonciation.</p>
<h2>Des agissements sexistes et sexuels omniprésents</h2>
<p>Une liste d’agissements sexistes et sexuels était soumise aux répondantes et répondants, du plus banal comme la blague sexiste au plus grave comme un acte sexuel non désiré (voir graphiques pour la liste des agissements et les principaux résultats statistiques).</p>
<p>Or, ces agissements sont récurrents d’après 75 % des répondantes et répondants, dont 25 % les jugent quasi permanents.</p>
<p>Quelle que soit la profession exercée (soliste, artiste de chœurs), les femmes sont surreprésentées parmi les victimes et les répondantes et répondants désignent à 74 % des hommes comme étant à l’origine des faits rapportés, les femmes n’étant autrices exclusives que dans quatre cas.</p>
<p>La personne qui est à l’origine des agissements sexistes est le plus souvent un homme qui a du pouvoir sur elles de manière directe, mais aussi dans une large proportion un collègue.</p>
<p><iframe id="GHhoa" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/GHhoa/3/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Un très faible niveau de dénonciation</h2>
<p>Interrogés sur leurs réactions face aux agissements sexistes et sexuels, les répondantes et répondants révèlent une difficulté à dénoncer les faits. Seuls 18 % confirment parfois rapporter les agissements à un supérieur hiérarchique et 6 % l’ont fait à une autorité extérieure.</p>
<p>Pourtant, l’impact psychologique de ces faits est important tel qu’un sentiment de honte et d’humiliation ou une perte de confiance. Et une partie des répondantes et répondants rapportent avoir subi des conséquences professionnelles en lien avec ces agissements sexistes et sexuels.</p>
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<p>La peur est le sentiment impliqué dans 3 des 4 causes de non-dénonciation cochées par plus de 30 % des répondants : « peur pour la suite de votre carrière » (32 %), « peur de passer pour chiante ou chiant » (34 %) ou « pour ne pas attirer l’attention, faire de vagues » (40 %) – qui suppose implicitement une peur d’être exposé.</p>
<p>Comment expliquer aussi bien l’omniprésence des agissements sexistes et sexuels que leur faible dénonciation malgré des conséquences négatives évidentes ?</p>
<p><iframe id="PtlZl" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/PtlZl/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Les conditions sociales de production et de faible dénonciation des agissements sexistes et sexuels</h2>
<p>La peur, qui est au cœur de la difficulté à dénoncer, prend tout d’abord racine dans le caractère saturé, concurrentiel et précaire des mondes de l’art. Les personnels de l’opéra craignent que chaque production dans un théâtre soit la dernière :</p>
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<p>« Lorsqu’on travaille sur une même production, bien sûr, on s’entend bien et il y a de l’entraide. Mais étant donné que le métier est très fortement concurrentiel, cela rend difficile le fait d’être vraiment solidaires. Chacune fait ce qu’elle peut pour mener sa carrière. » (Alice, chanteuse lyrique, 30-40 ans)</p>
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<p>Un deuxième phénomène favorise la production d’agissements sexistes et sexuels : le poids de la séduction physique dans les interactions sociales. Elle est au cœur des métiers de la scène, mais surtout elle conduit souvent à l’hypersexualisation des femmes. Ce phénomène semble rendre particulièrement difficile pour une partie des personnes concernées, notamment des hommes en situation de pouvoir, la construction de frontières « claires » entre les comportements professionnels de séduction attendus – liés notamment au jeu de scène – et les agissements sexistes ou sexuels dégradants et relevant des violences de genre.</p>
<p>De fait, les personnages féminins dans les œuvres sont souvent des femmes séduisantes et amoureuses, généralement impliquées exclusivement dans des enjeux amoureux ou sexuels. Et les mises en scène actuelles tendent à sexualiser encore davantage ces personnages féminins.</p>
<p>À la question de savoir si ses costumes mettent en valeur son sex-appeal, une chanteuse répond : « Oui, complètement. Sauf si mon personnage est une vieille dame, ou un personnage inspiré du dessin animé […]. Mais ces productions-là se comptent sur les doigts d’une main. Dans de nombreuses autres, on me met un porte-jarretelle, un mini short, alors que rien ne l’impose dans l’histoire ! » (Amanda, chanteuse lyrique, 30-40 ans)</p>
<p>Le port de ces tenues sexualisées semble encore transformer ces chanteuses en objets de désir disponibles. Cela peut expliquer que certains directeurs de casting privilégient des chanteuses sexuellement attirantes :</p>
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<p>« J’ai entendu des metteurs en scène dire lors du choix d’une chanteuse qu’il fallait quand même qu’on ait envie de la baiser. » (Céline, chanteuse lyrique, 30-40 ans)</p>
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<p>Certains metteurs en scène, chanteurs ou responsables de production peuvent alors poursuivre ces femmes de leurs assiduités, leur « voler » des baisers après les répétitions, avoir des gestes ou des paroles déplacés. Les femmes chanteuses lyriques apprennent à <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/les-femmes-du-jazz/">« fermer la séduction »</a> afin d’éviter au mieux les violences sexuelles et les agissements sexistes. Ainsi, certaines choisissent des tenues peu suggestives ou des comportements distants : ne pas répondre aux SMS, ne pas sortir entre collègues, mettre en avant une relation stable, son rôle de mère. Cette nécessaire autoprotection démontre le poids de ces violences de genre sur leur quotidien.</p>
<p>Un dernier point montre enfin le caractère circulaire du sexisme à l’œuvre dans ce monde professionnel. Quand les femmes décident de dénoncer une violence sexuelle subie, elles se trouvent alors soumises à un paradoxe. Ayant été transformées en objets sexuels, elles ne peuvent qu’être la cause des violences subies, sauf preuves contraires. Elles doivent justifier d’un comportement exemplaire et le moindre écart est interprété comme la cause du comportement répréhensible de l’agresseur. Voici ce qu’en dit cette femme victime d’une violence sexuelle – embrassée de force à plusieurs reprises et harcelée par messages par son metteur en scène :</p>
<p>À notre question « Vous avez indiqué ne pas avoir parlé des choses que vous aviez subies par peur que l’on vous renvoie la faute », cette chanteuse répond : « J’ai une collègue qui a porté plainte, et je sais comment ça se passe. On analyse tes faits et gestes pour savoir si tu n’as pas provoqué la situation. C’est toujours pareil… des messages décalés des directeurs, parfois à une heure du matin. Au début, tu es toute jeune, tu te demandes ce qui va se passer si tu ne réponds pas, s’il ne va pas annuler ton contrat. Donc tu réponds. Et après on va te dire « si tu as répondu à minuit, il ne faut pas t’étonner qu’après… » À cause de ça, je n’ai jamais eu envie de me retrouver sous les feux de ce genre d’enquête ! » (Coline, chanteuse lyrique, 20-30 ans)</p>
<p>Pour finir, le « talent » supposé de l’agresseur tend à freiner toute velléité de dénonciation. Il justifierait d’accepter certaines « dérives » comportementales, et notamment les pratiques sexistes et sexuelles :</p>
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<p>« Ah oui, X – un metteur en scène reconnu –, c’était Minitel rose, il sautait l’administratrice […]. J’ai repris des gens au sujet de l’affaire Domingo dans des dîners qui disaient “quand même, attaquer un si grand artiste, qui n’a rien fait…” Non. Rien fait, vous ne savez pas. En fait je sais, mais on va dire qu’on ne sait pas ! » (Amélie, chanteuse lyrique, 50-60 ans)</p>
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<p><iframe id="ZMRvP" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/ZMRvP/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Précarité et incertitude professionnelles, hypersexualisation des chanteuses, prépondérance des capacités de séduction physique dans les critères de recrutement et dans les interactions sociales, tolérance des personnels vis-à-vis des « dérives » des grands noms du spectacle… Nombreux sont les éléments structurels participant à produire et à légitimer <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2019-1-page-17.htm?ref=doi">« un continuum »</a> des violences sexistes et sexuelles récurrentes et non dénoncées.</p>
<p>Les mondes de l’art gagneraient à ouvrir les portes aux chercheurs et aux chercheures afin de mieux identifier les agissements sexistes et sexuels à l’œuvre et, plus important encore, les conditions sociales de production de ces agissements afin de pouvoir envisager des réponses adaptées à ce phénomène à l’avenir.</p>
<p>Précisons enfin que depuis que l’enquête a été menée, en 2020, le recours à des coordinatrices et des coordinateurs d’intimité s’est développé sur les productions d’opéra, sans que l’on puisse se prononcer sur la capacité réelle de ces intervenantes à prévenir les dérapages lors de scènes intimes. <a href="https://www.radiofrance.fr/francemusique/menaces-les-artistes-lyriques-creent-le-collectif-unisson-et-appellent-l-etat-a-l-aide-7403286">Le collectif Unisson</a> joue également un rôle favorable dans la circulation de la parole sur le sujet. Si une prise de conscience semble se produire petit à petit, les résultats de l’enquête menée en 2020 semblent cependant toujours d’actualité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222421/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une enquête sociologique permet de mesurer la force des violences sexistes et sexuelles à l’œuvre dans l’opéra français.Marie Buscatto, Professeure de sociologie, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneIonela Roharik, Sociologue, ingénieure d’études, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2240032024-02-21T16:42:48Z2024-02-21T16:42:48ZLa face cachée de l’exception culturelle française : un cinéma d’auteur au-dessus des lois ?<p>Le cinéma de fiction occidental s’est construit depuis les origines sur l’asymétrie entre un regard masculin voyeur et dominateur et des corps féminins fétichisés, objets de ce regard : c’est déjà vrai chez Griffith (<em>Naissance d’une nation</em>, 1915), c’est au cœur du cinéma d’Hitchcock (<em>Vertigo</em>, 1958), c’est encore le cas chez Woody Allen (<em>Un jour de pluie à New York</em>, 2017).</p>
<p>Cette construction culturelle, identifiée comme telle par la théoricienne britannique <a href="https://www.facebook.com/watch/?v=567170008405805">Laura Mulvey</a> dès le milieu des années 1970, a une histoire : dès que le cinéma s’est révélé une industrie rentable, les femmes ont été écartées des positions de pouvoir (scénario, production, réalisation) aussi bien en Europe qu’à Hollywood, au profit d’hommes qui ont mis en place des normes narratives et visuelles pour valoriser la domination masculine et érotiser la soumission des femmes à travers le choix d’actrices jeunes à qui on demandait d’abord d’être désirables. Cette asymétrie genrée traverse tous les genres et tous les registres : on peut par exemple la retrouver dans le film d’auteur (<em>Mulholland Drive</em>, Lynch 2001) comme le film grand public (<em>Lucy</em>, Luc Besson 2014)</p>
<p>Comme l’a montré l’<a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000001934/l-affaire-harvey-weinstein-et-le-mouvement-balancetonporc.html">affaire Weinstein</a>, ces représentations ont pu donner lieu à des pratiques qui s’apparentent au droit de cuissage, et ont longtemps prospéré à la faveur d’une véritable omerta. Mais le cinéma à Hollywood s’est construit comme une industrie capitaliste avec des patrons et des syndicats, qui sont devenus suffisamment puissants pour poser des limites à l’exploitation des salariées et salariés, et en particulier à ce qu’il était licite de demander aux actrices. Aujourd’hui, les contrats détaillent très précisément les scènes et les postures et des coordinatrices et coordinateurs d’intimité sont constamment présents sur les tournages, au service des actrices et des acteurs.</p>
<h2>Le culte de l’auteur</h2>
<p>En France, la volonté de donner une légitimité culturelle au cinéma, désigné comme 7<sup>e</sup> art, a entraîné depuis les années 1960 le culte de « l’auteur » sur le modèle littéraire, intronisant le réalisateur comme seul auteur du film, malgré la multiplicité des collaborations artistiques et des contraintes économiques spécifiques au cinéma. Dans la tradition romantique de l’artiste dont le génie solitaire engendre une œuvre qui échapperait aux déterminations sociales, le réalisateur qui accède au statut d’auteur, peut être autorisé à tous les abus sous prétexte de donner libre cours à son inspiration. Contrairement à l’industrie hollywoodienne, la France a privilégié un modèle artisanal qui fonctionne sur des réseaux personnels et favorise le <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-de-l-art-2017-1-page-161.htm">népotisme, l’arbitraire et les listes noires</a>. Si elle veut faire carrière, une actrice doit généralement accepter de se soumettre aux desiderata du réalisateur quels qu’ils soient et à taire les abus qu’elle peut subir sous prétexte d’expérience artistique.</p>
<p>Le 7 décembre 2023, l’émission « Complément d’enquête » a fait découvrir un Gérard Depardieu inédit, tout au moins pour les cinéphiles – depuis, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=wmXSlKkHWIU">Anouk Grinberg</a> a confirmé que sur les plateaux ses propos obscènes ou insultants étaient monnaie courante. Filmé en Corée du Nord par Yann Moix, on voit un acteur rigolard qui fait des remarques obscènes dès qu’il est en présence d’une femme, quels que soient son âge et son statut. Ces images ont confirmé <a href="https://www.genre-ecran.net/?Culture-du-viol-Balance-ton-film">l’existence d’une culture du viol</a> qui existe depuis des lustres, mais devient enfin visible en étant incarnée par l’acteur sans doute le plus prestigieux du cinéma français.</p>
<p>C’est un véritable tsunami qui s’est abattu sur le milieu, provoquant une avalanche de tribunes et de déclarations en soutien ou en dénonciation de l’acteur, y compris de la part du chef de l’État qui ne craint pas de se mettre en contradiction avec ses propres déclarations sur la lutte contre les violences faites aux femmes comme <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/legalite-entre-les-femmes-et-les-hommes-declaree-grande-cause-nationale-par-le-president-de-la-republique">grande cause nationale</a>.</p>
<p>Mais au-delà du cas particulier de Depardieu – <em>Mediapart</em> avait déjà documenté les nombreuses plaintes pour agression et viol dont il fait l’objet –, ce sont les violences sexistes et sexuelles systémiques dans le monde du cinéma qui émergent. On s’aperçoit que la vague #MeToo déclenchée en <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/les-dates-cle-du-mouvement-metoo-1155610">2017 aux États-Unis</a> et qui s’était répandue dans la plupart des pays occidentaux, avait en fait rapidement reflué en France, comme en témoignent les Césars décernés à Polanski en 2020 par la profession. Et <a href="https://www.dailymotion.com/video/x88ujnd">Adèle Haenel</a>, qui a dénoncé publiquement ce scandale, a arrêté de faire du cinéma…</p>
<h2>Des pratiques systémiques</h2>
<p>Aujourd’hui, des pratiques systémiques de harcèlement et d’agression sexuelle sur les plateaux de tournage ont été confirmées par de nombreux nouveaux témoignages. Dans la plupart des cas, les jeunes actrices sont les premières victimes de ces pratiques parce qu’elles débutent dans leur carrière et sont soumises à une hiérarchie sans contre-pouvoir.</p>
<p>Cette banalisation du droit de cuissage, déguisé en une histoire de Pygmalion qui exprime son génie en « révélant » une inconnue, s’apparente souvent à un rapport incestueux entre un réalisateur d’âge mûr et une très jeune femme à peine pubère, bien incapable de résister au prestige de l’artiste réputé qui l’a « élue ». C’est cette posture que revendique Benoît Jacquot, mais que pratiqueraient aussi Jacques Doillon et <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement-sexuel/le-realisateur-philippe-garrel-accuse-de-violences-sexuelles-par-plusieurs-comediennes_6033911.html">Philippe Garrel</a> (la liste n’est malheureusement pas close), tous visés aujourd’hui par de multiples plaintes pour agression sexuelle et/ou viol.</p>
<p>C’est grâce au courage de Judith Godrèche qu’une brèche a été ouverte, dans laquelle se sont engouffrées beaucoup d’actrices, moins célèbres ou plus vulnérables, comme <a href="https://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/judith-godreche-anna-mouglalis-isild-le-besco-quelles-sont-les-accusations-portees-contre-le-cineaste-jacques-doillon-20240208_UXHSNWYJNNHDFIQQIKDVT2OLRA/">Isild Le Besco</a> ou <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/180224/l-actrice-christine-citti-metoo-nous-sauve-la-vie">Christine Citti</a>.</p>
<p>La liberté de création artistique qui consiste en « la capacité de matérialiser, sans contraintes, une ou plusieurs œuvres, de formes diverses, dans un domaine artistique » a été réaffirmée en France <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000032854341">par la loi du 7 juillet 2016</a>. Elle aboutit à légitimer que l’artiste puisse se placer au-dessus des lois, sous prétexte d’exprimer le caractère « transgressif » de son génie. Dans les faits, cette assimilation du réalisateur de film à un artiste dont il faut protéger la liberté de création a permis à Polanski de continuer à faire des films en France dans un cadre plus que confortable alors <a href="https://www.francetvinfo.fr/culture/cinema/retour-sur-les-affaires-et-accusations-impliquant-roman-polanski_3695951.html">qu’il est toujours poursuivi pour agression sexuelle sur mineure aux États-Unis</a>, sans parler des autres plaintes qui se sont multipliées depuis contre lui. De même le <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/ce-qu-il-faut-retenir-du-docu-sur-woody-allen-et-les-accusations-de-viol-portees-par-sa-fille-de-7-ans-1273420">procès pour inceste fait à Woody Allen aux États-Unis</a>, dont il s’est sorti grâce à des arguties que l’on peut juger largement discutables, l’empêche désormais de faire des films dans son pays, alors qu’il continue à avoir un fan club parmi les critiques et le public cinéphile français.</p>
<h2>Sacraliser la liberté de création</h2>
<p>Cette sacralisation de la liberté de création a pour effet d’interdire tout regard critique sur l’œuvre d’un cinéaste dès lors qu’il est intronisé comme « artiste » par ses pairs et par les institutions ad hoc (Festival de Cannes, Cinémathèque française, Institut Lumière, CNC, commission d’avance sur recettes où les mêmes personnes sont tour à tour attributrices et bénéficiaires des aides).</p>
<p>Depuis la Nouvelle Vague, les critiques sont devenus des « passeurs » (selon le concept créé par Serge Daney, célèbre critique à <em>Libération</em> et aux <em>Cahiers du cinéma</em> dans les années 1970 et 1980), grands prêtres du culte de « l’auteur », dont on se contente de louer les choix thématiques et formels en refusant de porter un regard critique sur leur vision du monde. Le principe étant, aux <em>Cahiers du cinéma</em> comme à <em>Positif</em>, les deux revues cinéphiliques historiques, de ne chroniquer que les films que l’on aime (d’autres voix se font entendre aujourd’hui mais elles restent marginales). Or, les « transgressions » dont se prévalent beaucoup de cinéastes s’apparentent souvent à l’expression de fantasmes masculins totalement indifférents aux questions de consentement ou de respect des partenaires. La focalisation sur les questions de forme et de style a favorisé un aveuglement complet sur les histoires que racontent ces films et comment ils les racontent. <em>Annette</em> de Leos Carax a suscité une admiration unanime pour son style brillant, sans que soit commenté le fait que le film raconte un féminicide en étant en empathie avec son auteur.</p>
<p>À partir de la Nouvelle Vague, la tâche des critiques de cinéma en France consiste à faire l’éloge et l’exégèse des œuvres, en les référant au génie de leur auteur, dont on analyse le style et les « obsessions », en laissant soigneusement dans l’ombre les déterminations sociales, qu’elles soient de genre, de classe ou de race, qui structurent aussi toute œuvre artistique.</p>
<p>La proximité qui existe entre beaucoup de cinéastes et de critiques, comme en témoignent les émissions de la radio publique sur le cinéma (<em>On a tout vu</em> sur France Inter, <em>Plan large</em> sur France Culture), a pour conséquence qu’un regard critique sur les œuvres a laissé la place à la parole des « artistes » (cinéastes, acteurs et actrices, collaborateurs de création). Les quelques émissions de critique, dont la plus célèbre est <em>Le Masque et la plume</em> sur France Inter, relèvent plus du spectacle que de l’analyse.</p>
<p>L’artiste que dessine cette critique est en effet une construction imaginaire qui valorise le caractère « subversif » de l’œuvre, même quand une condamnation vient révéler les abus que s’autorise tel ou tel artiste pour « stimuler » sa créativité, comme ça a été le cas pour <a href="https://www.telerama.fr/cinema/en-2005,-laffaire-brisseau-bien-avant-metoo,-un-proces-toujours-unique-en-son-genre,n6251367.php">Jean-Claude Brisseau</a> (1944-2019) condamné en 2005 et 2006 pour harcèlement sexuel et agression sexuelle sur trois actrices.</p>
<p>Pour ces cinéastes comme pour ces critiques, il n’y a aucune contradiction à se réclamer des positions les plus « transgressives », tout en traitant les femmes dans leurs discours et dans leurs pratiques comme de purs objets de fantasmes… Le milieu du cinéma d’auteur apparaît ainsi comme un des derniers remparts de la domination masculine.</p>
<p>Depuis les années 1970, a émergé un cinéma écrit et réalisé par des femmes qui propose souvent un autre regard sur les rapports entre les femmes et les hommes (<em>Portrait de la jeune fille en feu</em>, Céline Sciamma, 2019). Mais leur nombre n’a toujours pas atteint le seuil critique qui modifierait le modèle dominant du cinéma d’auteur. Et beaucoup de films de femmes reconduisent l’asymétrie genrée qui règne aussi bien dans le cinéma de genre que dans le cinéma d’auteur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224003/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Geneviève Sellier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le culte de « l’auteur », en France, explique comment tout un système a autorisé les abus et les mécanismes d’emprise envers des jeunes femmes, qui commencent à être dénoncés dans le monde du cinéma.Geneviève Sellier, Professeure émérite en études cinématographiques, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2204822024-01-08T17:06:37Z2024-01-08T17:06:37ZAffaire Depardieu : « En France, il existe une immunité spécifique liée au culte du monstre sacré »<p><em>Professeure en esthétique et politique des arts vivants, Bérénice Hamidi est enseignante-chercheuse à l’Université Lumière Lyon 2. Elle nous livre aujourd’hui son analyse sur les freins à la reconnaissance des violences sexistes et sexuelles dans le milieu artistique français.</em></p>
<hr>
<p><strong>Est-ce un hasard si le mouvement #MeToo a débuté dans le milieu du cinéma ?</strong></p>
<p><strong>Bérénice Hamidi</strong> : Ce n’est pas du tout un hasard si le mouvement #MeToo a débuté dans le milieu du cinéma. La notoriété et l’accès aux médias des personnes qui ont dit publiquement avoir été victime ont beaucoup participé à la visibilité du hashtag #MeToo. Si les milieux artistiques, et celui du cinéma en particulier, sont surexposés aux violences sexistes et sexuelles, c’est d’abord parce qu’une grande précarité touche les acteurs et actrices qui sont de facto, lorsqu’ils et elles cherchent à être retenus pour un film, dans un rapport de dominé/dominant avec les producteurs et réalisateurs.</p>
<p>On observe aussi dans ces milieux une forte confusion entre les procédures de sélection et des dynamiques de séduction, et de plus, les connexions physiques et psychiques sont au cœur des processus de travail. Autre facteur de risque, ces milieux se voient peu comme des mondes du travail, et donc les usages habituels du droit de travail peinent à s’appliquer aussi bien du côté des victimes que des personnes qui commettent ces agressions. Tous ces facteurs, qui se cumulent et font système, expliquent que le cinéma, et plus largement les secteurs professionnels artistiques, sont fortement exposés aux violences sexuelles et qu’elles y sont plus impunies qu’ailleurs.</p>
<p><strong>Comment réagissez-vous au statut de « monstre sacré » ? Est-ce qu’en France il y a des personnes intouchables ?</strong></p>
<p><strong>B.H.</strong> : Il faut rappeler qu’avant tout, ces « monstres sacrés » sont des hommes de pouvoir qui cumulent un fort capital économique, symbolique, social, culturel et médiatique. Parmi les personnes qui disent ne pas avoir vu leurs actes, qui les minimisent voire qui les défendent, un certain nombre le fait aussi par peur d’être à leur tour blacklistées, exclues, comme les victimes le sont.</p>
<p>Les artistes auteurs de violence bénéficient également de l’« himpathy », cette empathie pour les hommes qui agressent, que la philosophe australienne Kate Manne a bien analysée. Dans nos sociétés encore largement sexistes, car structurées par des valeurs patriarcales, on autorise les hommes, ou plutôt les hommes qui honorent le « mandat masculin » consistant à conquérir et dominer socialement, à exercer des formes de violence à l’égard des personnes et groupes en position dominée, en particulier les femmes. Cette autorisation sociale, le plus souvent inconsciente, passe par un refus collectif de croire qu’ils puissent commettre des violences et, quand ce n’est plus possible, par une tendance à euphémiser leurs actes et à les excuser au motif qu’ils seraient victimes de leur propre violence. Ces hommes captent donc l’empathie sociale dont les victimes sont pour leur part privées.</p>
<p>Mais, si le cinéma est particulièrement touché par ce phénomène, c’est aussi parce que les acteurs bénéficient d’une empathie spécifique, qui vient renforcer cette culture de l’excuse. Elle tient au fait que règne encore l’idée que la création artistique serait le fruit d’une connexion aux forces obscures de l’âme humaine, que les artistes auraient besoin de souffrance et de violence pour créer, ce qui vient redoubler une croyance encore prédominante dans notre société encore imbibée par la culture du viol, qui voudrait que l’amour fasse mal et que le sexe et le désir aient forcément partie liée avec la violence et la mort. Exemple frappant, les <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/commerce/luxe/johnny-depp-signe-un-contrat-dun-montant-record-avec-dior-en-tant-quegerie-masculine-b7a972f4-f322-11ed-91b9-949f1ff48cf9">ventes du parfum Sauvage ont augmenté</a> depuis les accusations de violences conjugales à l’encontre de son égérie, Johnny Depp. Les images du poète maudit, du bad boy, sont encore trop souvent glamourisées et représentées comme des figures d’hommes désirables.</p>
<p>En France, il existe enfin une immunité spécifique liée au culte de ces figures de l’artiste maudit et du monstre sacré. L’idée est la même : il faut transgresser pour créer, mais s’ajoute la croyance que les lois ordinaires qui valent pour le commun des mortels ne sauraient s’appliquer aux Grands Hommes, ces hommes extraordinaires. Cette idée s’est exprimée dans l’affaire Depardieu à travers certains témoignages, avec la formule rapportée dans l’article de Médiapart « ça va, c’est Gérard » ou dans le discours du Président de la République : « Depardieu c’est Cyrano […] c’est la fierté française ». L’échelle de valeurs est claire : la vie des femmes ne vaut rien face au talent d’un génie. Mais il y a autre chose, aussi, dans ce discours, presque une forme de transfiguration de ces personnes réelles en personnages hors de la réalité, et selon cette logique, ces êtres de fiction ne sauraient être soumis au système judiciaire qui vaut pour les personnes réelles.</p>
<p><strong>Est-ce que cette reconnaissance des violences sexistes et sexuelles est une question de génération ?</strong></p>
<p><strong>B.H.</strong> : Je suis assez nuancée sur cette question. D’abord, parce qu’il y a parmi les dénonciateurs de violences des femmes de plus de cinquante ans, qui payent un lourd tribut, qu’il s’agisse d’anonymes, de victimes ou d’actrices connues.</p>
<p>Ensuite, parmi les personnes qui soutiennent les agresseurs de façon systématique, on retrouve toutes les catégories d’âges. Le dernier <a href="https://haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/travaux-du-hce/article/rapport-2023-sur-l-etat-du-sexisme-en-france-le-sexisme-perdure-et-ses">rapport sur l’état du sexisme en France en 2023</a> invite d’ailleurs à un certain pessimisme puisque les hommes qui ont aujourd’hui entre 18 et 25 ans sont plus nombreux que leurs aînés à penser que quand une femme dit « non », elle pense « oui ». Il ne faut donc pas tout attendre des nouvelles générations car le cœur du problème c’est la culture du viol, et tant qu’elle reste la culture hégémonique dans laquelle nous vivons toutes et tous, elle continuera à se transmettre génération après génération.</p>
<p><strong>Justement, comment peut-on définir cette notion de culture du viol ?</strong></p>
<p>Cette notion, élaborée par des chercheuses nord-américaines dès les années 1970 (Noreen Connell et Cassandra Wilson, Rape : the first sourcebook for women, New American Library, 1974), est aujourd’hui mobilisée par des acteurs publics dans différents pays ainsi que par des organisations internationales comme la commission <a href="https://www.unwomen.org/fr/news/stories/2019/11/compilation-ways-you-can-stand-against-rape-culture">« condition de la femme » de l’ONU</a>.</p>
<p>Elle se caractérise avant tout par un refus de voir le caractère massif et systémique des violences sexuelles, structurellement subies par les femmes et les enfants et structurellement commises par les hommes. Cette phrase choque et parait difficile à croire. Pourtant, quelques chiffres suffisent à la prouver de manière difficilement discutable :</p>
<ul>
<li><p>en 2017, <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-faites-aux-femmes/reperes-statistiques/">219 000 femmes majeures</a> déclarent avoir été victimes de violences physiques et/ou sexuelles par leur conjoint ou ex-conjoint sur une année.</p></li>
<li><p>« En moyenne, le nombre de femmes âgées de 18 à 75 ans qui au cours d’une année sont victimes de viols et/ou de tentatives de viol <a href="https://arretonslesviolences.gouv.fr/je-suis-professionnel/chiffres-de-reference-violences-faites-aux-femmes">est estimé à 94 000 femmes</a>. De la même manière que pour les chiffres des violences au sein du couple présentés ci-dessus, il s’agit d’une estimation minimale. Dans 91 % des cas, ces agressions ont été perpétrées par une personne connue de la victime. Dans 47 % des cas, c’est le conjoint ou l’ex-conjoint qui est l’auteur des faits. »</p></li>
<li><p>s’agissant des enfants, « <a href="https://www.ciivise.fr/le-rapport-public-de-la-ciivise/">60 000 enfants sont victimes</a> de violences sexuelles chaque année, 5,4 millions de femmes et d’hommes adultes en ont été victimes dans leur enfance, l’impunité des agresseurs et l’absence de soutien social donné aux victimes coûtent 9,7 milliards d’euros chaque année en dépenses publiques.>></p></li>
<li><p>Du point de vue des auteurs des actes, il s’agit dans l’immense majorité des cas d’hommes : <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/violences-faites-aux-femmes/reperes-statistiques/">91 % des personnes mises en cause pour des actes sexistes</a> (allant de l’outrage sexiste jusqu’au viol) sont des hommes.</p></li>
</ul>
<p>Il y a donc un décrochage énorme entre nos représentations et la réalité statistique. L’image la plus répandue du viol est celle d’un acte sauvage commis par un individu sanguinaire au fond d’un parking. Cette image est à la fois repoussante et rassurante, parce qu’elle exotise le viol comme un fait extraordinaire qui ne nous regarde pas (on ne connaît ni la victime ni l’agresseur) et qui ne nous concerne pas (on n’a rien fait – de mal – et on ne peut rien faire – donc on n’a pas à se reprocher notre inaction). La réalité statistique est bien différente : le viol est le plus souvent le fait d’un <a href="https://www.slate.fr/story/200742/violences-sexuelles-familiales-inceste-enfants-realite-donnees-chiffres-france">proche issu du cercle familial, affectif ou social</a>, ce qui fait que nous connaissons tous des victimes mais aussi des agresseurs, autrement dit, nous sommes directement impliqués dans la scène des violences et cela devrait nous impliquer directement dans la lutte contre ces violences.</p>
<p>La culture du viol n’est pas qu’une culture du déni, c’est aussi une culture de la normalisation de formes de violence des hommes à l’égard des femmes qui vont de formes d’humour humiliantes jusqu’aux féminicides. Toutes les personnes qui travaillent sur les violences de genre utilisent la notion indispensable de <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/10/12/dans-l-intention-de-rabaisser-et-de-controler-les-femmes-un-continuum-de-violences_6145482_3232.html">continuum sexiste</a>, qui va des faits les plus spectaculaires que sont les féminicides et les viols, jusqu’aux stéréotypes sexistes. La culture du viol est une culture de l’euphémisation et de la déformation des faits de violences sexuelles (dire « main baladeuse » pour parler de ce qui est qualifiable par le droit comme une agression sexuelle ou parler de « drague lourde » au lieu d’outrage sexiste, un autre délit).</p>
<p>Le caractère systémique des violences, prouvé par les statistiques, s’explique en grande partie par ces représentations mentales que l’on peut synthétiser via l’expression culture du viol. Or, ces représentations mentales sont largement conditionnées par nos représentations culturelles, et particulièrement par la valorisation de l’asymétrie et des rapports de pouvoir, qui restent au cœur des scénarios de séduction et de relation amoureuses diffusés dans les œuvres, qu’il s’agisse de la pop culture ou du patrimoine classique, littéraire, pictural, cinématographique. Même les comédies romantiques perpétuent la culture du viol avec le schéma de l’homme qui conquiert et de la femme qui cède du terrain, la résolution de l’intrigue étant qu’elle finit par dire oui après avoir longtemps dit non. Changer nos représentations est donc essentiel, à la fois pour comprendre les défauts de prise en charge institutionnelle des violences sexistes et sexuelles, tant sur le plan juridique que judiciaire, thérapeutique et social, mais aussi pour espérer les améliorer. C’est cette articulation que la juriste Gaëlle Marti et moi avons mise au cœur du <a href="https://passagesxx-xxi.univ-lyon2.fr/activites/archives-des-manifestations/colloque-repair-violences-sexuelles-">programme de recherche-création interdisciplinaire REPAIR</a> « violences sexuelles : changer les représentations, repenser les prises en charge », qui se déploie aussi sous la forme <a href="https://www.pointdujourtheatre.fr/saison/notre-proces">d’un procès fictif sur la culture du viol</a>.</p>
<p><strong>Le théâtre est-il aussi perméable que le cinéma face aux violences sexistes et sexuelles ?</strong></p>
<p><strong>B.H.</strong> : Le secteur du théâtre public est tout autant surexposé que celui du cinéma, et il n’existe aucune plus-value éthique ou déontologique au fait qu’il relève d’une <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjjvo2wwMODAxXBRKQEHc5qA5gQFnoECA0QAw&url=https%3A%2F%2Fwww.culture.gouv.fr%2Ffr%2FMedia%2FMissions%2Frapport-financement-du-spectacle-vivant.pdf&usg=AOvVaw3fO4xAJrLJHBNALYaE19MO&opi=89978449">économie largement subventionnée</a> et dont on pourrait attendre que la législation soit d’autant plus rigoureuse puisqu’il s’agit d’argent public, qui n’est pas censé servir des pratiques discriminatoires. On y retrouve exactement les mêmes mécanismes évoqués concernant la surreprésentation des violences sexistes et sexuelles et cette même réticence à leur reconnaissance.</p>
<p><strong>Quelles sont les réponses des institutions culturelles aujourd’hui en France ? Sont-elles suffisantes ? ?</strong></p>
<p>Les choses sont quand même en train de changer dans les milieux artistiques depuis quelques années, du fait d’un certain volontarisme étatique et de certaines organisations professionnelles, qui aboutit à la mise en place de chartes, de cellules d’écoute, ou encore à la création du métier de <a href="https://www.cnc.fr/cinema/actualites/decryptage--questce-que-la-coordination-dintimite_2066812">coordinateur d’intimité</a>, encore très timide en France, mais qui s’est beaucoup développé aux États-Unis.</p>
<p>Il existe donc désormais toute une série d’outils. Mais ils ne suffisent pas en soi : il faut en utiliser plusieurs à la fois et surtout, il manque encore souvent une volonté sincère de les utiliser. Si je prends l’exemple des chartes et des cellules d’écoute, elles sont mises en place par les directeurs de lieux de production/diffusion ou d’écoles d’art parce qu’elles leur sont imposées, et ils n’y voient comme seul intérêt que la protection juridique de leur institution, parce qu’un élève ou un employé victime d’une agression pourrait se retourner non seulement contre son agresseur mais aussi contre l’institution qui aurait manqué à son devoir de protection.</p>
<p>Les cellules d’écoute servent trop souvent à externaliser le problème. Quant aux chartes, il y a parfois un discours d’invalidation par les instances qui les ont mises en place. Ce paradoxe vient du fait que les personnes qui aujourd’hui dirigent les institutions culturelles et sont donc en position de mettre en place ces outils et de changer les choses ont construit leur carrière dans un contexte où ces violences étaient à la fois normalisées et invisibilisées. Il est donc logique qu’elles aient du mal à accepter ces nouvelles politiques. Ce malaise aboutit d’ailleurs parfois à des formes de violences pédagogiques au sein des écoles.</p>
<p>Le droit du travail offre aussi toute une panoplie d’outils pour lutter contre les violences que les directeurs et directrices d’institutions ignorent souvent <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/des-fois-je-n-ai-pas-vu-des-directeurs-de-theatre-se-forment-aux-violences-sexistes-et-sexuelles-6362142">avant de suivre des formations spécifiques</a>. On réduit trop souvent le droit au droit pénal, en brandissant le respect de la présomption d’innocence et la nécessité de laisser la justice faire son travail. Mais, pour toutes les accusations liées à des faits qui auraient été commis sur les plateaux, un des leviers de la lutte contre les violences sexuelles est l’obligation de l’employeur d’offrir un cadre de travail sécurisé à ses employés. De plus, le droit du travail n’obéit pas au même régime de la preuve : le faisceau d’indices concordants suffit, et parmi ces indices, il y a par exemple la multiplicité des accusations et des témoignages, qui peuvent suffire à éloigner une personne des tournages en raison d’un principe de prévention. Certaines expérimentations sont en cours, qui montrent qu’il est possible de combiner l’impératif de sécuriser le cadre de travail et le souci de finaliser un projet artistique déjà entamé <a href="https://www.telerama.fr/cinema/le-realisateur-samuel-theis-accuse-de-viol-enquete-sur-un-tournage-devenu-invivable-7018759.php">sans (trop) pénaliser l’ensemble d’une équipe pour le comportement d’un seul individu</a>.</p>
<h2>Où en est le mouvement #MeToo ?</h2>
<p><strong>B.H.</strong> : Si on considère que #MeToo est une révolution, alors je dirais qu’on est comme au XIX<sup>e</sup> siècle, dans un moment de conflit entre deux paradigmes qui s’affrontent : le paradigme de l’Ancien Régime qui continue à défendre le droit de cuissage et à légitimer la violence des puissants et un nouveau paradigme qui tente de mettre en place un ordre des choses démocratique et républicain, respectueux de notre devise « liberté, égalité, fraternité ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220482/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bérénice Hamidi a reçu des financements de l'IUF. </span></em></p>Au cours de cet entretien, Bérénice Hamidi évoque avec nous les freins à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles dans les milieux artistiques français.Bérénice Hamidi, Professeure en esthétiques et politiques des arts vivants, , Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2167572023-11-23T17:55:49Z2023-11-23T17:55:49ZViolences conjugales : et si l’on cessait de considérer les victimes uniquement comme « publics vulnérables » ?<p><a href="https://www.coe.int/fr/web/portal/25-november-against-domestic-violence">La journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes</a>, le 25 novembre, est l’occasion de rappeler l’universalité de ces violences, géographiquement et socialement.</p>
<p><a href="https://virage.site.ined.fr/fichier/s_rubrique/29712/plaquette.result.virage.2020_violences12mois.fr.pdf">L’enquête Virage</a> (violences et rapports de genre), menée en 2015 par l’Ined (Institut national d’études démographiques), a confirmé que les femmes de tous les milieux sociaux peuvent subir des violences conjugales. En revanche, il existe une forte corrélation entre les faits de violences et l’absence et la recherche d’emploi, tant de la femme victime que du conjoint. Pourtant l’insertion professionnelle des victimes n’est que peu, voire pas, abordée dans la politique de lutte contre les violences conjugales.</p>
<p>Ce constat peut paraître d’autant plus paradoxal que l’autonomie, à savoir l’indépendance financière des femmes, est au cœur de la <a href="https://pur-editions.fr/product/1502/l-etat-et-les-droits-des-femmes">politique d’égalité femmes-hommes</a>. Nous avons analysé cinq plans d’action interministériels depuis 2003, les <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/sites/efh/files/2022-09/dossier-de-presse-septembre-2022-grenelle-des-violences-conjugales-trois-ans-d-action-et-d-engagement-du-gouvernement.pdf">mesures du Grenelle</a> de 2019 et réalisé 30 entretiens avec des acteurs institutionnels au niveau national et dans les territoires de La Réunion et des Antilles.</p>
<p>Les victimes sont systématiquement catégorisées en tant que « publics vulnérables » ce qui les réduit à être dans un état durable de vulnérabilité, à être accompagnée pour une insertion sociale mais pas professionnelle qui pourrait viser l’émancipation, davantage compatible avec une approche en termes d’égalité femmes-hommes.</p>
<h2>Refonte de l’administration</h2>
<p>L’administration en charge de mettre en œuvre la politique d’égalité femmes-hommes est rattachée aux questions sociales depuis une quinzaine d’années. Le Service des droits des femmes et de l’égalité (SDFE) a été intégré dans la Direction de la cohésion sociale (DGCS) en 2007 alors qu’auparavant il était indépendant. La DGCS conçoit et pilote les politiques publiques de solidarité qui ont pour rôle de <a href="https://www.cairn.info/les-politiques-sociales-en-france--9782100778690-page-1.htm">protéger les catégories vulnérables</a> (personnes en situation de précarité, personnes âgées, personnes en situation de handicap, enfants et familles, majeurs protégés). </p>
<p>La transversalité du champ d’action du Service des droits des femmes et de l’égalité (l’égalité femmes-hommes touchant tous les champs de la société) s’en est donc trouvée réduite. Outre un personnel divisé par deux, les liens du SDFE avec le ministère du Travail, par exemple, ont été plus difficiles à maintenir alors que l’égalité professionnelle était au cœur de son action.</p>
<p>Ainsi, en même temps que la politique de lutte contre les violences se développait <a href="https://pur-editions.fr/product/1502/l-etat-et-les-droits-des-femmes">dans les années 2000</a>, les questions d’égalité se retrouvaient institutionnellement associées à celles liées à la vulnérabilité. Cet étiquetage « social » a conduit à une moindre légitimité pour assurer les échanges et solidarité entre ministères, indispensable à cette politique qui mobilise le ministère de l’Égalité femmes-hommes mais également les ministères de l’Intérieur, de la Justice et dans une moindre mesure de la Santé et de l’Éducation nationale.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quels-outils-juridiques-et-administratifs-pour-lutter-contre-les-feminicides-164337">Quels outils juridiques et administratifs pour lutter contre les féminicides ?</a>
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<p>Au niveau territorial il en est de même. Le réseau des directrices régionales et déléguées départementales aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE) est rattaché depuis 2007 au sous-préfet en charge de la cohésion sociale. Cette intégration a eu des conséquences sur les fonctions que les DRDFE assuraient auprès du préfet. Les initiatives partenariales doivent maintenant être discutées et validées par le sous-préfet chargé de la cohésion sociale. La dépendance à la sensibilité personnelle de ces derniers est devenu un élément déterminant du travail des DRDFE.</p>
<h2>La question de l’autonomie dans l’accompagnement</h2>
<p>Les ministères de l’égalité femmes-hommes qui se sont succédé pensent l’autonomie des femmes par <a href="https://www.pug.fr/produit/1282/9782706125492/la-cause-des-femmes-dans-l-etat">l’égalité professionnelle</a> mais cette dernière n’est qu’exceptionnellement abordée dans les plans d’action interministériels de lutte contre les violences faites aux femmes. Plus précisément, cette dimension est présente dans le plan global de 2001 et de 2004, puis a disparu après le rattachement du SDFE à la DGCS. L’insertion professionnelle a fait un bref retour dans le <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/wp-content/uploads/2016/11/5e-plan-de-lutte-contre-toutes-les-violences-faites-aux-femmes.pdf">5ᵉ plan</a> (2017-2019), considérant que « les violences peuvent avoir un impact durable sur leur accès à l’emploi ». Néanmoins, la thématique est à nouveau absente du Grenelle organisé à l’automne 2019 si ce n’est par la prise en compte dans la santé au travail de l’impact des violences.</p>
<p>Sans impulsion nationale, la question de l’autonomie est appréhendée différemment selon que l’accompagnement est effectué par des travailleurs sociaux « classiques » ou au sein d’associations féministes comme l’a bien montré la sociologue <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2012-1-page-116.htm">Elisa Herman</a> : le travail social féministe participe d’une conscientisation des inégalités subies par les femmes et fait de l’autonomie sa priorité.</p>
<p>Sur notre terrain nous avons pu constater que les intervenants sociaux en commissariats et gendarmeries, les forces de l’ordre et les magistrats orientent les victimes vers des associations généralistes, avec lesquelles des partenariats nationaux ont été conclus, comme <a href="https://www.france-victimes.fr/">France Victimes</a> qui porte « 3 temps de l’accompagnement : juridique, psychologique, social ».</p>
<p>L’accompagnement social porte sur le logement d’urgence, puis l’accès à un logement social. Les dispositifs de droit commun réservés aux populations vulnérables priment sur les hébergements spécialisés. Effectivement, les lieux d’hébergement d’urgence sont généralement destinés aux populations vulnérables et marginales (toxicomanes, SDF, migrants…).</p>
<h2>Des difficultés à reconnaître la spécificité des violences faites aux femmes</h2>
<p><a href="https://www.coe.int/fr/web/istanbul-convention/-/grevio-publishes-its-firs-baseline-report-on-france">Le rapport du Groupe d’experts du Conseil de l’Europe</a> sur l’action contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique pointe également l’insuffisance en France de dispositifs d’hébergement spécialisés destinés aux femmes victimes de violences. Il estime que cette lacune est le reflet de politiques qui peinent à reconnaître la spécificité des violences faites aux femmes et tendent à les assimiler à d’autres problématiques sociales. De même, le <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_-_rapport_violences_conjugales_2020_-_vpubliee.pdf">Haut Conseil à l’égalité femmes-hommes</a> plaide pour que les places d’hébergement soient gérées par des associations spécialisées, dans des centres non mixtes, sécurisés, dotés de professionnels formés aux questions de violences faites aux femmes.</p>
<p>Dans le contenu des formations adressées aux forces de l’ordre et aux magistrats, tels qu’ils nous ont été rapportés, la vulnérabilité des victimes est un indicateur de l’emprise, c’est-à-dire de leur aliénation face au contrôle et à la domination exercés par l’auteur des faits de violence. Mais n’est-ce pas circonscrire les violences conjugales seulement au phénomène de l’emprise ?</p>
<p>En 2008, le sociologie états-unien <a href="https://books.google.com/books/about/A_Typology_of_Domestic_Violence.html?id=alLur9raDCwC">Michael P. Johnson</a> dans une réflexion sur la manière de « compter » et donc de « qualifier » les violences conjugales en avait énoncé trois formes : le terrorisme intime (potentiellement toutes les formes de violences et le comportement contrôlant), la résistance violente (stratégie de légitime défense qui peut être verbale et physique) et la violence de couple situationnelle (les actes peuvent être graves mais l’intention n’est pas de contrôler et de dominer, le conflit a « dérapé »).</p>
<p>Cette typologie n’est pas enseignée dans les formations, finalement très centrées sur l’emprise qui peut renvoyer à la première, le terrorisme intime. Or, <a href="https://interieur.gouv.fr/Interstats/Actualites/Interstats-Analyse-n-53-Les-violences-conjugales-enregistrees-par-les-services-de-securite-en-2021">l’augmentation significative des interventions</a>, signalements et plaintes correspondraient essentiellement à la dernière, la violence situationnelle.</p>
<h2>Une hiérarchie des violences</h2>
<p>Les forces de sécurité que nous avons rencontrées précisent que les femmes viennent désormais déposer des plaintes pour des situations pour lesquelles elles ne seraient pas venues auparavant comme une gifle, être poussée violemment, etc. Selon eux, les femmes qui sont dans des situations d’extrêmes violences ne viendraient pas plus qu’avant. Cette perception interpelle car ces femmes sont désignées à plusieurs reprises comme celles qui subissent les « vraies violences ».</p>
<p>Implicitement une hiérarchie semble être faite entre des catégories de violences qui peuvent interroger le traitement des dossiers. A de nombreuses reprises nos interlocuteurs des forces de sécurité et de la justice ajoutent que les violences sont réciproques, que « madame a aussi donné des coups », voire a été à l’origine du conflit qui a dégénéré.</p>
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<p>Sans nier les violences que peut subir un homme au sein d’un couple, les violences subies peuvent être réactives à des violences qu’ils exercent comme dans la typologie de Johnson (violence réactive). L’hypothèse est pourtant peu posée. Les violences conjugales demeurent ainsi enfermées dans un scénario « d’école » : une victime sous emprise, vivant dans la peur et passive face à la violence de son conjoint.</p>
<p>Bien qu’inscrite dans la politique d’égalité femmes-hommes, la question des violences conjugales s’articule davantage à la question de la vulnérabilité qu’à celle de l’émancipation. Organisation institutionnelle et pratiques des acteurs convergent. Au lieu de voir les victimes comme fragilisées par une situation de violences issue d’un rapport de domination, elles sont perçues comme vulnérables, c’est-à-dire à risques de subir des violences. Le souci est alors la construction d’une image de la victime et de ses besoins qui ne correspond pas à la diversité des situations rencontrées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216757/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Dauphin a reçu des financements de l'ANR pour cette recherche. </span></em></p>La question des violences conjugales devrait s’articuler davantage à la question de l’émancipation plutôt qu’à celle de la vulnérabilité.Sandrine Dauphin, Docteure en sciences politiques, directrice de projet, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2167552023-11-07T17:26:22Z2023-11-07T17:26:22ZPourquoi il est nécessaire de distinguer violence de genre et violence intrafamiliale<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/557723/original/file-20231106-15-7ns1kf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C6%2C4493%2C3711&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Contrairement à l’Espagne, ou à la Belgique, les violences de genre, c'est-à-dire prenant en compte l'asymétrie des situations des femmes et des hommes dans le processus des violences, ne sont pas reconnues en tant que telle en France.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Les manifestations à l’occasion de la <a href="https://www.culture.gouv.fr/Actualites/Journee-internationale-de-lutte-contre-les-violences-faites-aux-femmes">journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes</a> le 25 novembre sont l’occasion, notamment pour les associations, de dénoncer l’insuffisance des mesures prises par l’État pour lutter contre les féminicides. Les mesures adoptées lors du <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/sites/efh/files/2022-09/dossier-de-presse-septembre-2022-grenelle-des-violences-conjugales-trois-ans-d-action-et-d-engagement-du-gouvernement.pdf">Grenelle sur les violences conjugales</a> de 2019 sont venues compléter les dispositifs existants d’accueil et de protection des victimes. Pour autant, le nombre de féminicides diminue peu, encore 118 en 2022 selon le <a href="https://www.interieur.gouv.fr/sites/minint/files/medias/documents/2023-09/DAV-RA_morts_violentes-2023_08_10.pdf">ministère de l’Intérieur</a>.</p>
<p>Comment expliquer le manque apparent d’efficacité des politiques mises en œuvre ? <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2013-1-page-96.htm">La dimension systémique des violences</a>, conséquence des inégalités structurelles femmes/hommes, est peu prise en compte, au profit d’une approche reposant principalement sur des comportements individuels dysfonctionnels, laquelle est favorisée par l’assimilation des violences conjugales aux violences intrafamiliales (VIF) incluant parents et enfants et présupposant qu’il s’agit des mêmes ressorts de violence. Pour comprendre les manques des politiques de luttes contre les violences faites aux femmes, j’ai analysé les débats parlementaires des différentes lois adoptées depuis plus d’une dizaine d’années et réalisé 30 entretiens avec des acteurs et actrices nationaux et territoriaux de cette politique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-proteger-les-enfants-exposes-a-des-images-de-guerre-violentes-216943">Comment protéger les enfants exposés à des images de guerre violentes ?</a>
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<h2>Un millefeuille juridique plutôt qu’une loi-cadre</h2>
<p>Contrairement à <a href="https://sosvics.eintegra.es/Documentacion/00-Genericos/00-04-Legislacion/00-04-047-FR.pdf">l’Espagne</a> depuis 2004, ou à la <a href="https://sarahschlitz.be/adoption-de-la-loi-stopfeminicide-la-belgique-premier-pays-europeen-a-se-doter-dune-loi-globale-contre-les-feminicides/">Belgique</a> cette année, les violences de genre, c’est-à-dire prenant en compte l’asymétrie des situations des femmes et des hommes dans le processus des violences, ne sont pas reconnues en tant que telle en France. Il n’existe pas de loi-cadre basée sur une approche multidisciplinaire de la prévention et du traitement des violences.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Les arguments opposés à une loi-cadre reposent sur l’organisation judiciaire et la nécessité d’améliorer l’application des lois déjà existantes. En France, le choix a été celui <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelles-questions-feministes-2023-1-page-101.htm">du millefeuille juridique</a>, chaque nouvelle loi ayant pour ambition d’améliorer les dispositifs mis en place par la précédente.</p>
<p>Trois problèmes se posent. Le premier est l’absence de principes généraux dans les exposés des motifs (préambule aux lois) qui reposent sur l’énoncé des chiffres, leur ampleur justifiant l’action publique. Ils n’analysent ni les processus des violences ni ne parlent d’inégalités entre les femmes et les hommes. Au cours des débats il est toutefois question de la « spécificité des violences conjugales », laquelle est ramenée au phénomène de l’emprise, reconnu depuis la <a href="https://www.senat.fr/seances/s202006/s20200609/s20200609001.html#section15">loi du 30 juillet 2020</a> et qui « permet de comprendre le silence des victimes et leur comportement craintif, qui fait croire à tort à une acceptation de leur sort ». Cette spécificité repose ainsi sur une <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2019-1-page-51.htm">approche psychologisante</a> de rapports interpersonnels négligeant ainsi le contexte social et culturel qui a pu favoriser ces violences (image des femmes, construction de la masculinité, etc.).</p>
<p>Le deuxième est que ces lois s’inscrivent dans le cadre de la lutte contre la délinquance d’où l’accent mis sur la sanction et la protection des victimes mais la prévention sociale (agir sur l’environnement social) n’est que peu abordée.</p>
<p>La troisième, conséquence des deux précédents, est que les violences conjugales sont assimilées aux violences intrafamiliales, ce qui laisse à penser qu’elles relèvent des mêmes processus et dispositifs. Ainsi, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000022454032/">loi du 9 juillet 2010</a> relative aux violences spécifiquement faites aux femmes, s’est vue rajouter les violences au sein des couples et l’incidence de ces dernières sur les enfants, fruit d’une fusion avec une proposition de loi du Sénat. Plus récemment, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039684243">loi du 28 décembre 2019</a> visant à agir contre les violences au sein de la famille était, au moment du dépôt, une proposition de loi contre les violences faites aux femmes avant que le Sénat ne change son titre.</p>
<h2>Les femmes avec les enfants</h2>
<p>Dans le cadre juridique actuel, les violences conjugales s’articulent avec les violences intrafamiliales et ce sont donc les professionnels chargés de la protection de l’enfance qui gèrent les cas. Par exemple, c’est le juge aux affaires familiales qui délivre les ordonnances de protection, dispositif central de la lutte contre ces violences visant à interdire à l’auteur d’être en contact avec les victimes. Les caisses d’allocations familiales sont devenues partie prenante de la politique de lutte contre les violences conjugales avec le <a href="https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/lancement-du-pack-nouveau-depart-dans-le-premier-territoire-pilote">dispositif Nouveau départ</a>, un accompagnement global sans multiplier les interlocuteurs avec un pack pour faciliter le départ du domicile (jouets, vêtements pour les enfants, protection périodique, etc.).</p>
<p>Dans la police, les groupes « VIF » sont la plupart du temps intégrés dans la même unité que la brigade des mineurs. Certes, forces de l’ordre et magistrats reçoivent des formations devenues obligatoires depuis la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000029330832">loi du 4 août 2014</a> pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes et qui se sont devenues plus fréquentes depuis le Grenelle. Néanmoins, les modules sur les violences conjugales sont intégrés le plus souvent dans des modules plus généraux sur les VIF et les violences sur mineurs.</p>
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<figcaption><span class="caption">Violence basée sur le genre : que faire ?</span></figcaption>
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<p><a href="https://www.aniscg.org/">Le nombre d’intervenants sociaux en commissariats et gendarmeries</a> (ISCG) ne cesse d’augmenter depuis une dizaine d’années (450 en 2023) afin d’améliorer l’accueil des victimes. La majorité sont des assistants sociaux, des éducateurs spécialisés ou des conseillers en économie sociale et familiale. Comme nous l’explique un enquêteur en brigade de protection de la famille, l’ISCG sert également à l’évaluation des risques encourus par les enfants : « leur évaluation de la situation prend en compte le risque que fait courir la mère à ses enfants et peut entraîner un placement ». Ainsi, de victimes du point de vue du couple, les femmes peuvent devenir coupables du point de vue de la protection de l’enfance.</p>
<h2>Violences de genre <em>versus</em> parentalité</h2>
<p>Lors des discussions sur la création de l’ordonnance de protection, qui permet des mesures d’éloignement de l’auteur des faits de la victime, par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000022454032/">loi du 9 juillet 2010</a>, celle-ci a été confiée au juge aux affaires familiales alors que la proposition de loi envisageait le juge délégué aux victimes. Pour les sociologues <a href="https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2018-2-page-305.htm">Solenne Jouanneau et Anna Matteoli</a> ce choix met en lumière la crainte du législateur d’une instrumentalisation par les femmes de droits difficiles à obtenir par ces dernières dans les procédures classiques sur l’autorité parentale, le droit de visite, etc.</p>
<p>Outre la complexité de confier à un juge civil une mesure pénale, la lente et difficile mise en œuvre de cette ordonnance, qui reste peu utilisée, s’explique aussi par ce rattachement au droit de la famille. De même, la remise en cause de l’autorité parentale des pères en cas de violences conjugales continue de faire l’objet de discussions animées au <a href="https://www.senat.fr/seances/s201911/s20191106/s20191106_mono.html">Parlement</a>.</p>
<p>Rappelons que selon <a href="https://virage.site.ined.fr/fichier/s_rubrique/29712/plaquette.result.virage.2020_violences12mois.fr.pdf">l’enquête Virage</a> réalisé par l’Ined (Institut national d’études démographiques), 16 % des femmes séparées déclarent des violences multiformes de leur ex-conjoint et que nombre de féminicides sont le fait d’ex-conjoints.</p>
<h2>La question de l’autorité parentale</h2>
<p>Dès la loi de 2010, une brèche avait tenté d’être ouverte mais sans succès. L’amendement avait été supprimé parce qu’il remettait en cause les principes de coparentalité, père et mère devant contribuer à l’éducation de l’enfant. Si aujourd’hui <a href="https://www.cairn.info/revue-l-ecole-des-parents-2023-2-page-56.htm">l’idée qu’un conjoint violent ne peut pas être un bon père</a> ne fait plus autant débat qu’en 2010 en raison de l’impact des violences conjugales sur les enfants qui sont mieux reconnues, la remise en cause de l’autorité parentale demeure néanmoins très limitée.</p>
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<figcaption><span class="caption">Violences conjugales, une justice à la peine – Sénat en action.</span></figcaption>
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<p>La loi du 30 juillet 2020 rend possible la suspension du droit de visite et d’hébergement de l’enfant mineur au parent sous contrôle judiciaire, donc en cas de crime uniquement. Une proposition de loi qui vise « à mieux protéger et accompagner les enfants victimes de violences intrafamiliales », a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale le 9 février 2023 mais <a href="https://www.senat.fr/seances/s202303/s20230321/s20230321013.html#section1767">revue par le Sénat le 21 mars</a>. Ce dernier a refusé le retrait automatique de l’autorité parentale en cas de condamnation pour un crime sur l’autre parent ayant entraîné une ITT de plus de huit jours lorsque l’enfant a assisté aux faits. Il a également écarté la proposition de suspension automatique tout le temps de la procédure pénale au regard de la présomption d’innocence. La suspension de l’autorité parentale est envisagée dans le cadre de la protection du mineur, pas nécessairement de celle de sa mère du fait des tensions entre coparentalité et mise à distance des auteurs. On comprend d’autant mieux les difficultés d’une meilleure mise en œuvre des ordonnances de protection.</p>
<p>In fine, la succession de lois et de dispositifs apparaissent comme des palliatifs visant certes à améliorer l’accueil des victimes et leur protection mais ne prenant pas en compte l’origine systémique des violences. La spécificité des violences de genre s’en trouve diluée dans une approche interpersonnelle. Alors que la première étape féministe et politique avait été de sortir les violences conjugales de la sphère privée pour en faire un problème public, c’est comme si leur reconnaissance passait par le réenfermement des femmes dans la famille.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216755/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Dauphin a reçu des financements de l'ANR pour la réalisation de sa recherche. </span></em></p>De nombreuses lois ont pour ambition d’améliorer l’accueil des victimes et leur protection mais elles ne prennent pas en compte l’origine systémique des violences.Sandrine Dauphin, Docteure en sciences politiques, directrice de projet, Institut National d'Études Démographiques (INED)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2143382023-10-02T18:19:23Z2023-10-02T18:19:23ZScandale Luis Rubiales : l’image progressiste de l’Espagne écornée ?<p>La finale de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/coupe-du-monde-feminine-2023-141703">Coupe du Monde de football féminin</a> a captivé le monde autant qu’elle a dérangé pour des raisons inattendues. Après la victoire de l’équipe espagnole, le président de la Fédération espagnole de football (RFEF), Luis Rubiales, a choqué l’opinion en <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/foot/baiser-force-de-luis-rubiales-sur-jennifer-hermoso-ce-sont-des-gestes-qu-on-n-aime-pas-voir-j-ai-ete-choquee-avoue-eugenie-le-sommer_6068034.html">embrassant sans son consentement Jennifer Hermoso</a>, la capitaine de la sélection. Cet incident a déclenché un scandale à échelle mondiale et mis en lumière la problématique du harcèlement sexuel, tout en rappelant l’une des difficultés auxquelles sont confrontées de nombreuses femmes qui en sont victimes : l’identifier comme tel.</p>
<p>Cette controverse soulève des questions cruciales sur les abus de pouvoir au sein de fédérations sportives et sur la perception et la définition du <a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-h-comme-harcelement-164371">harcèlement sexuel</a>. Elle révèle également des liens complexes entre politique espagnole, droits des femmes et image internationale du pays. Elle met enfin en lumière les mœurs espagnoles contemporaines.</p>
<h2>Une mobilisation sociale sans équivoque ?</h2>
<p>Le baiser en question a d’abord provoqué une polémique, les réactions allant de l’indignation à la minimisation des faits. Certaines personnes ont considéré l’incident comme une situation résultant de l’euphorie du moment, Luis Rubiales lui-même ayant fondé un temps sa défense sur le fait que c’était un acte banal – en relayant une <a href="https://www.youtube.com/watch?v=4uz-HP2fvBI">scène d’amusement des joueuses après l’incident</a>. Jenni Hermoso a déclaré publiquement que le baiser n’était pas consenti. Parallèlement, la Fédération affirmait que le geste était mutuel et spontané, lié à la joie de la victoire.</p>
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<p>Ces déclarations contradictoires ont contribué à alimenter la controverse et ont vite déclenché une réaction massive dénonçant la normalisation de comportements machistes et abusifs sur le corps des femmes.</p>
<p>Le geste de Rubiales a été largement condamné comme inapproprié par la classe politique, les institutions, les syndicats, les citoyens espagnols et les athlètes. <a href="https://www.thewomensvoices.fr/news/agression-de-hermoso-solidarite-des-joueuses-face-au-refus-de-demission-de-rubiales/">Les joueuses championnes du monde ont pris position</a> en soutien à leur coéquipière. <a href="https://elpais.com/deportes/2023-08-24/la-tardia-reaccion-del-futbol-espanol-al-beso-no-consentido-de-rubiales-a-hermoso.html">Après plusieurs heures de tergiversations</a>, les présidents des fédérations régionales ont déclaré unanimement leur intention de demander la démission de Rubiales. Cette mobilisation plurielle montre une <a href="https://elpais.com/videos/2023-09-03/video-la-entrevista-a-irene-montero-en-diez-minutos.html">prise de conscience collective</a> dans la lutte contre le harcèlement sexuel.</p>
<h2>Du sport à la politique</h2>
<p>Le scandale est au cœur de débats qui mêlent des facteurs culturels, sociaux et politiques. La ministre de l’Égalité Irene Montero a qualifié le baiser forcé de « violence sexuelle » et a insisté sur le besoin de ne pas normaliser de tels actes. Elle a été soutenue par le chef du gouvernement Pedro Sanchez, ainsi que par plusieurs ministres qui ont demandé la démission immédiate de Rubiales.</p>
<p>En Espagne, la question de la définition juridique du harcèlement sexuel a fait l’objet en 2022 de débats houleux lors du projet de loi contre les violences sexuelles. Cette loi, communément appelée <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230425-s%C3%B3lo-s%C3%AD-es-s%C3%AD-en-espagne-la-r%C3%A9forme-de-la-loi-sur-le-consentement-sexuel-divise-la-gauche"><em>Solo sí es sí</em></a> (« seul un oui est un oui ») visait à renforcer la protection des victimes de violence sexuelle et à punir plus sévèrement les agresseurs.</p>
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<p>L’Espagne de 2023 est forte d’une réputation avant-gardiste en matière de droits des femmes et des minorités sexuelles grâce aux avancées en termes législatifs et judiciaires enregistrées sous le gouvernement de coalition de gauche PSOE et Podemos, au pouvoir depuis 2019. Dans le <a href="https://eige.europa.eu/gender-equality-index/2022">classement européen sur l’égalité femmes-hommes</a>, elle était 10<sup>e</sup> sur 27 en 2017, deux ans avant l’arrivée de la gauche au pouvoir. Elle est désormais 6<sup>e</sup>, juste derrière la France.</p>
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<p><a href="https://theconversation.com/droits-des-femmes-la-vague-mauve-en-espagne-et-en-france-129659">Les questions liées au féminisme</a> et aux droits LGBTQIA+ ont joué un rôle central durant le mandat de Pedro Sanchez, qui <a href="https://www.20minutes.fr/politique/4055434-20230929-espagne-pedro-sanchez-nouveau-rangs-succeder-apres-echec-droite">brigue actuellement un nouveau mandat</a> après les législatives de juillet dernier. Les lois adoptées au cours de ces dernières années témoignent d’un engagement fort en faveur de l’égalité des sexes et de la diversité sexuelle.</p>
<p>Ainsi, en 2023 a été adoptée la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/17/avec-la-loi-d-egalite-des-personnes-trans-l-espagne-approuve-l-autodetermination-de-genre_6162150_3210.html">loi pour l’égalité réelle et effective des personnes trans et pour la garantie des droits des personnes LGBT+</a>, qui autorise l’autodétermination de genre. Elle permet aux personnes transgenre de changer leur sexe légal sans avoir à subir de traitement médical préalable, ni à obtenir une décision judiciaire à partir de 16 ans (avec approbation parentale ou aval judiciaire pour les jeunes de 12 à 16 ans). Cette loi a été saluée comme un <a href="https://tetu.com/2023/02/16/europe-vote-loi-transgenre-espagne-avancee-historique-exemple-droits-trans-lgbt/">exemple de progrès en matière de droits LGBTQIA+</a> mais a aussi <a href="https://elpais.com/sociedad/2022-09-27/la-urgencia-profundiza-las-grietas-que-abre-la-ley-trans-entre-los-socialistas.html">divisé la classe politique</a> tant au sein de la gauche que de la droite, <a href="https://www.eldiario.es/politica/pp-recurrira-constitucional-ley-trans-rebufo-vox_1_10113074.html">Vox et le Parti populaire ayant par ailleurs intenté un recours contre le texte</a>.</p>
<h2>Entre tradition et avant-gardisme social</h2>
<p>Depuis la fin des années 1970, et après plusieurs décennies de dictature franquiste, l’Espagne a connu une transformation sociale rapide et est devenue un modèle en Europe en matière de droits pour l’égalité (<a href="https://ecoute-violences-femmes-handicapees.fr/ressources/espagne-loi-organique-relative-aux-mesures-de-protection-integrale-contre-la-violence-de-genre-en-espagne-2004/">loi contre les violences de genre</a> en 2004, <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/l-ephemeride/3-juillet-2005-legalisation-du-mariage-pour-tous-en-espagne_1782333.html">loi sur le mariage pour tous</a> en 2005, <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2010/07/05/avorter-en-espagne-devient-un-droit_1383342_3214.html">loi sur l’avortement</a> en 2010, <a href="https://fr.euronews.com/2022/08/26/seul-un-oui-est-un-oui-lespagne-renforce-sa-loi-contre-le-viol">loi contre les violences sexuelles</a> en 2022, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/17/avec-la-loi-d-egalite-des-personnes-trans-l-espagne-approuve-l-autodetermination-de-genre_6162150_3210.html">loi pour l’égalité des personnes trans</a> en 2023, <a href="https://www.bfmtv.com/politique/parlement/conge-menstruel-un-rapport-senatorial-estime-qu-un-dispositif-ne-se-justifie-pas_AD-202306280924.html">loi pour le congé menstruel en 2023 – dont le modèle a été rejeté en France</a>…)</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1703304370673131976"}"></div></p>
<p>Cependant, malgré ces avancées législatives, il est essentiel de reconnaître que l’Espagne n’est pas unanime sur ces questions. L’opposition au féminisme et aux droits LGBT+ persiste dans certaines parties de la société espagnole. Cela peut s’expliquer par diverses raisons, à commencer par la rapidité de ces changements sociaux qui remettent en cause des normes établies, enracinées, en lien avec des questions sur l’identité de genre qui polarisent la classe politique. L’Espagne est l’héritière d’un <a href="https://cle.ens-lyon.fr/espagnol/civilisation/histoire-espagnole/societe-contemporaine/la-laicite-en-espagne-un-compromis-hesitant-issu-de-memoires-conflictuelles">passé culturel et religieux</a> dont les valeurs traditionnelles volent en éclats face aux revendications des groupes exposés précédemment.</p>
<h2>Une image de pays progressiste à soigner</h2>
<p>Cette affaire dessert un pays dont la réputation est aujourd’hui largement bâtie sur les avancées sociales, le tourisme et les succès sportifs. En prononçant un discours incendiaire lors de l’assemblée extraordinaire de la RFEF, et en scandant « Je ne vais pas démissionner » à maintes reprises, Luis Rubiales a attiré l’attention des médias internationaux, friands d’une histoire de dirigeant d’une grande organisation sportive qui refuse d’abandonner son poste et présente cet épisode tel un match de longue haleine à gagner contre ce qu’il a <a href="https://www.elcorreo.com/deportes/futbol/rubiales-causa-asombro-prensa-internacional-20230825175342-ntrc.html">qualifié de « faux féminisme » ambiant</a> (Rubiales a finalement <a href="https://www.letemps.ch/sport/football/baiser-force-luis-rubiales-annonce-qu-il-va-quitter-la-presidence-de-la-federation-espagnole-de-football">quitté ses fonctions le 10 septembre</a> après trois semaines de polémique).</p>
<p>Tant Rubiales que ceux qui ont applaudi son discours, comme Luis de la Fuente, sélectionneur de l’équipe féminine de football espagnole, laissent penser que les normes et valeurs au sein de l’institution ne sont pas alignées avec celles promues au sein de cette Espagne progressiste. Parmi les divers sponsors de la Fédération espagnole de football, il y a eu un <a href="https://elpais.com/deportes/2023-08-25/el-silencio-de-los-patrocinadores-de-la-federacion-espanola-de-futbol.html">moment de flottement</a> puisque seules la compagnie aérienne Iberia et le fournisseur d’énergie Iberdrola ont immédiatement soutenu publiquement les joueuses sur leurs réseaux sociaux. Or, dans la gestion de la crise d’une part et dans la communication sur l’affaire d’autre part, il en va de l’image de marque de l’Espagne. Comme le souligne le spécialiste de la communication de crise <a href="https://www.dunod.com/entreprise-et-economie/image-reputation-influence-comment-construire-une-strategie-pour-vos-marques">Géraud de Vaublanc</a> :</p>
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<p>« Une bonne réputation est une image favorable qui dure, malgré les aléas (évolution des marchés, changements de dirigeants, incidents ou crises traversées par l’entreprise). C’est ce qui explique que la valeur d’une réputation positive est supérieure à la valeur d’une image positive. »</p>
</blockquote>
<p>L’affaire Rubiales porte peut-être atteinte un temps à l’image de l’Espagne, quelque peu abîmée par le comportement d’un dirigeant, mais il est peu probable qu’elle affecte radicalement sa réputation. Alors que l’enquête se poursuit, l’Espagne est toujours engagée aux côtés du Portugal et du Maroc pour l’organisation du Mondial (masculin) en 2030.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214338/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sabrina Grillo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’affaire Rubiales intervient dans un contexte de crise politique et d’avancées sociales qui ne font pas l’unanimité.Sabrina Grillo, Maîtresse de conférences en civilisation de l'Espagne contemporaine, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2071422023-08-28T16:54:09Z2023-08-28T16:54:09ZPornographie : quels impacts sur la sexualité adolescente ?<p>Dès 2003, Gérard Bonnet, professeur en psychologie et psychanalyste, posait la pornographie comme un <a href="https://www.decitre.fr/livres/defi-a-la-pudeur-9782226136732.html">« défi à la pudeur »</a>. Elle s’impose aujourd’hui plus largement comme un « défi pour la construction de la sexualité adolescente ».</p>
<p>Jusqu’à très récemment, en France, ce sujet n’a pas été véritablement pris au sérieux. Et même si le gouvernement actuel s’est exprimé pour déplorer l’accès des jeunes aux contenus pornographiques, s’il a manifesté son intention de <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/06/06/le-gouvernement-face-au-probleme-de-la-verification-de-l-age-sur-les-sites-pornographiques_6176344_4408996.html">mieux le réguler</a>, si ce n’est l’empêcher, le projet n’a pour l’heure débouché sur une aucune mesure concrète. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-question-de-lacces-des-mineurs-aux-sites-pornographiques-bientot-resolue-201483">La question de l’accès des mineurs aux sites pornographiques bientôt résolue ?</a>
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<p>D’un usage prohibé à la libération sexuelle, la pornographie semble, dans notre environnement numérique contemporain, ne plus connaître aucune limite. Sur la Toile, les sites pornographiques fleurissent, et sont d’ailleurs les plus représentés (et les plus consultés) avec des centaines de millions de pages, qui ne manquent pas de s’insinuer dans des recherches anodines à travers les <em>fenêtres pop-up</em>. De sorte que, sans même le rechercher, l’<em>œil</em> semble irrémédiablement contraint à voir des images pornographiques…</p>
<p>L’essor des nouvelles technologies a donc offert à la pornographie un support de diffusion exponentielle, accessible à tous… y compris (et même surtout) aux enfants et aux adolescents sachant toujours mieux que les adultes manier ces outils. </p>
<p>Différentes enquêtes menées en France estiment qu’environ la moitié des adolescents, filles et garçons, auraient été confrontés à des images pornographiques <a href="https://bibliotheques.paris.fr/cinema/doc/SYRACUSE/107629/alice-au-pays-du-porno-ados-leurs-nouveaux-imaginaires-sexuels?_lg=fr-FR">avant l’âge de 13 ans</a>, que 63 % des garçons et 37 % des filles, âgés entre 15 et 17 ans, <a href="http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2018/01/15-07-Rapport-final.pdf">consultent régulièrement des sites pornographiques</a>. Plus récemment encore, que 30 % des internautes consultant ces sites sont des mineurs, et que quotidiennement, un <a href="https://www.arcom.fr/nos-ressources/etudes-et-donnees/mediatheque/frequentation-des-sites-adultes-par-les-mineurs">mineur sur dix consultent ce type de contenus</a> – tout particulièrement à partir de leur téléphone portable (smartphone) personnel (pour les trois-quarts d’entre eux).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pornographie-en-ligne-une-consommation-massive-un-risque-pour-les-jeunes-et-une-urgence-a-reguler-163735">Pornographie en ligne : une consommation massive, un risque pour les jeunes et une urgence à réguler</a>
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<p>En somme, Internet a « démocratisé » (l’usage de) la pornographie, rendant son accès facile, immédiat, permanent et sans véritable réglementation. Elle n’appelle plus aucun effort du voir, dans ce qu’il sous-tend de transgressif, de plaisir, de culpabilité ou de honte. De la sidération au dégoût en passant par la <em>compulsion du voir</em>, les adolescents ont à composer avec la cyberpornographie dans leurs espaces d’expérience, de rencontre… et ses retentissements sur leurs bouleversements pubertaires.</p>
<h2>Représentations de la sexualité et de la femme</h2>
<p>Les recherches, essentiellement nord-américaines, menées auprès des adolescents depuis les années 2000, interrogent l’influence de la pornographie sur leurs représentations de la sexualité et de la femme, comme sur leurs pratiques sexuelles. Il apparaît que la confrontation aux codes pornographiques amènerait les adolescents – tant les filles que les garçons – à davantage considérer la femme comme « un objet sexuel », et à modifier le rapport à leur corps, dès lors investi sur un mode anxiogène.</p>
<p>Ainsi les adolescents, utilisant la cyberpornographie comme source principale d’information, mentionnent l’impact de ce support dans leurs activités sexuelles, adoptant des pratiques plus diversifiées, en miroir aux modèles véhiculés. Mais, dans le même temps, ils peuvent reconnaître certains effets négatifs associés. Cette reconnaissance aurait un effet modérateur, de sorte que la consommation de pornographie pourrait s’inscrire dans un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0222961715000094#:%7E:text=Il%20en%20ressort%20que%20les,de%20leurs%20pairs%20non%2Dconsommateurs.">« processus développemental adolescentaire »</a>, répondant à une quête de repères en matière de sexualité. </p>
<p>Cette quête est d’ailleurs avancée par certains adolescents eux-mêmes : il s’agit d’<em>aller voir</em>, par curiosité, avant le premier rapport sexuel. Cette curiosité est animée par l’éveil de la sexualité adolescente. L’envahissement pulsionnel à ce moment et la nécessité de décharge qui en découle altèrent tout discours critique sur la nature des images et les représentations ainsi constituées. </p>
<p>Cependant, ce positionnement se renverse avec le passage à une relation affective et sexuelle avec un ou une partenaire « dans la vraie vie ». Dès lors, le visionnage de porno diminue, des sentiments de futilité ou de honte émergent… ainsi que l’expérimentation que <a href="http://www.gip-recherche-justice.fr/wp-content/uploads/2018/01/15-07-Rapport-final.pdf">« la pornographie n’est pas la réalité »</a>.</p>
<h2>La pornographie : un court-circuit de l’activité fantasmatique</h2>
<p>En somme, les dérives psychopathologiques ou addictives apparaissent marginales, elles concernent les adolescents les plus fragiles, dont l’imaginaire demeure captif de cette iconographie. D’ailleurs, à ce jour, le lien entre consommation de pornographie et agressions sexuelles à l’adolescence n’est pas établi. Néanmoins, c’est dans notre pratique auprès d’adolescents présentant une <a href="https://www.cairn.info/revue-l-information-psychiatrique-2008-7-page-675.htm"><em>sexualité préoccupante</em></a>, voire auteurs de violences sexuelles, que cette question s’est imposée. Ces jeunes mentionnent fréquemment un contact répété, massif avec la pornographie. </p>
<p>Si bien évidemment, tous les adolescents qui visionnent ce type d’images ne s’engagent pas dans ce type d’agir, le fait que la pornographie s’intègre dans les usages numériques courants des jeunes ayant des comportements problématiques invite à interroger l’impact de la <a href="https://www.puf.com/content/La_violence_du_voir">« violence du voir »</a> cyberpornographique sur la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1158136017300713">construction de la sexualité adolescente</a>. </p>
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<p>Nous avons fait l’hypothèse que la <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2016-1-page-205.htm">consommation de pornographie</a> à l’adolescence procéderait comme un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0222961713002286">court-circuit de l’activité fantasmatique</a>. Alors que l’imaginaire, et donc la pensée, occupe une grande place dans l’élaboration des relations amoureuses et sexuelles, la pornographie les réduit aux sexes (visibles, réels) et à un acte-exploit(ation) dégagé des enjeux affectifs, annihilant toute potentialité de rêverie. </p>
<p>D’ailleurs dans sa forme la plus commune (scènes, « clips »), il n’y a même plus de scénario – ni même de scénarisation possible ? – là où l’image écrase toute projection, tout mouvement fantasmatique. Sous prétexte de tout montrer, la pornographie démantèle la sexualité (limitée à l’acte, à des pratiques hyper spécifiques) et le processus d’unification du corps, dès lors restreint à l’organe.</p>
<h2>Un potentiel traumatique</h2>
<p>Ces caractéristiques amènent à envisager le potentiel traumatique des images pornographiques (massivité de l’excitation provoquée, effraction, sidération…) ; d’autant plus que le sujet y est confronté précocement. Dans ces cas, la rencontre avec le sexe, avec la brutalité du sexe précède toute compréhension de la sexualité (adulte), risquant d’engager des fixations, des clivages… bref un vécu traumatique. Notons également que les contextes dans lesquels nous avons observé des consommations problématiques sont souvent marqués par des expériences traumatiques antérieures (relatives à la sexualité ou non).</p>
<p>Enfin, dans le même temps et dans une perspective dynamique, le recours à la pornographie à l’adolescence pourrait se comprendre comme une tentative d’intégrer (psychiquement) la sexualité adulte. L’iconographie pornographique constituerait à l’adolescence une surface de projection de l’énigme du sexuel, une manière, certes fragile, de mettre au-dehors l’étrangeté et la violence du phénomène pubertaire.</p>
<p>En ce sens, comme toutes images, la <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/psychologie/psychologie-generale/bienfaits-des-images_9782738112033.php">pornographie n’est <em>ni bonne, ni mauvaise</em></a>. Elle se présente pour nombre d’adolescents comme une source intarissable d’informations, un guide des « bonnes pratiques » en matière de sexualité. Suivant cette perspective, <a href="https://www.inpress.fr/livre/la-violence-de-limage/">comme l’a montré François Marty (2008) à propos des images violentes</a>, les images pornographiques permettraient aux adolescents de contenir le débordement pulsionnel, lui offrir une première forme de représentation, voire le symboliser. </p>
<p>Cependant, en alimentant à la fois l’excitation et son soulagement, tout en faisant l’impasse sur le fantasme et la relation, la pornographie risque d’assujettir les adolescents les plus fragiles (tels que nous les rencontrons en consultation). C’est d’ailleurs l’un des enjeux de notre proposition thérapeutique : mettre des mots sur l’excitation provoquée par le sexe et les images du sexe. </p>
<p>Car c’est l’absence de parole autour de ces « figures-choc » et des sensations générées par la pornographie qui peut s’avérer pernicieuse. Là où l’écrasement de l’imaginaire risque d’entraîner un clivage entre affectivité et sexualité ; entre le Moi superficiel de l’adolescent apparemment satisfait dans ses besoins et son Moi profond insatisfait dans ses désirs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207142/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Barbara Smaniotto ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec Internet, la part d’adolescents confrontés à des contenus pornographiques a fortement progressé. En quoi peut-elle alors impacter la construction de leur sexualité ?Barbara Smaniotto, Maître de Conférences-HDR en Psychopathologie et Psychologie Clinique, CRPPC, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2061792023-05-30T13:08:12Z2023-05-30T13:08:12ZCrise chez les jeunes filles – on doit prendre leur santé mentale au sérieux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/528875/original/file-20230529-15-u5vra1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Si l’on souhaite améliorer la vie des filles au Canada et ailleurs dans le monde, il faut d’abord réfléchir aux raisons pour lesquelles on a tendance à rejeter et à invalider leurs préoccupations.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Un article paru dans le <em>Washington Post</em> a récemment fait état <a href="https://www.washingtonpost.com/education/2023/02/17/teen-girls-mental-health-crisis/">d’une crise chez les jeunes filles aux États-Unis</a>. Dans ce pays, les filles connaissent des taux plus élevés que jamais auparavant d’agressions sexuelles, de problèmes de santé mentale et de suicides.</p>
<p>Des données recueillies en 2021 par les <a href="https://www.cdc.gov/healthyyouth/data/yrbs/pdf/YRBS_Data-Summary-Trends_Report2023_508.pdf">Centres for Disease Control</a> (CDC) montrent à quel point la situation des jeunes filles américaines est désolante. Quatorze pour cent des adolescentes aux États-Unis ont déclaré avoir été forcées à avoir des relations sexuelles, et 60 % avoir éprouvé des <a href="https://www.washingtonpost.com/education/2023/02/13/teen-girls-violence-trauma-pandemic-cdc/">sentiments extrêmes de tristesse ou de désespoir</a>. Près d’un quart des filles ont envisagé et planifié un suicide.</p>
<p>Bien que ces résultats soient basés sur des données américaines, ils correspondent aux témoignages des jeunes filles canadiennes depuis une dizaine d’années. Ainsi, <a href="https://www.camh.ca/en/camh-news-and-stories/half-of-female-students-in-ontario-experience-psychological-distress-camh-study-shows">plus de la moitié des étudiantes de l’Ontario</a> ont dit souffrir d’une détresse psychologique modérée à grave. <a href="https://assaultcare.ca/services/sexual-assault-statistics/">Une fille sur quatre</a> a été victime d’abus sexuels avant l’âge de 18 ans.</p>
<p>Le suicide est la <a href="https://www150.statcan.gc.ca/t1/tbl1/fr/cv.action?pid=1310039401&request_locale=fr">quatrième cause de décès</a> chez les filles de moins de 14 ans, une statistique qui est relativement stable depuis 2016.</p>
<p>La réalité difficile des jeunes filles est généralement attribuée aux mêmes facteurs : <a href="https://www.girlguides.ca/WEB/GGC/Parents/Thought_Leadership/IDG_Nationwide_Survey/GGC/Media/Thought_Leadership/IDG_Nationwide_Survey.aspx">normes de beauté irréalistes</a>, <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/matins-sans-frontieres/segments/entrevue/371849/sante-mentale-instagram-enquete-wall-street-journal">pression des médias sociaux</a>, <a href="https://www.berghahnjournals.com/view/journals/girlhood-studies/14/1/ghs140104.xml">culture du viol</a> et, plus récemment, <a href="https://www.girlguides.ca/WEB/Documents/GGC/Girl_Research/Life_During_COVID19_Report.pdf">pandémie de Covid-19</a>.</p>
<p>Dans le cadre d’entretiens menés par le <em>Washington Post</em> avec des jeunes filles, celles-ci parlent également d’une autre cause, dont on a moins conscience : lorsqu’elles s’expriment, les jeunes filles ne sont pas écoutées ou prises au sérieux.</p>
<h2>Pourquoi n’écoute-t-on pas les filles ?</h2>
<p>Je suis une ancienne intervenante sociale communautaire et j’ai travaillé avec des jeunes filles âgées de 10 à 18 ans. Ma recherche doctorale actuelle porte sur les filles âgées de 8 à 12 ans qui commencent à militer, et j’y explore les moyens par lesquels nous pouvons mieux les écouter et les soutenir lorsqu’elles nous disent ce qu’elles veulent pour leur vie et leur monde. J’ai entendu d’innombrables récits de jeunes filles qui sentaient que des adultes ne les prenaient pas au sérieux.</p>
<p>Cette réaction était souvent directement liée au fait qu’elles étaient des filles et accompagnée d’affirmations selon lesquelles elles traversent simplement une phase, ne racontent pas exactement ce qui s’est passé ou dramatisent.</p>
<p>En d’autres termes, lorsque les filles nous disent ce qui se passe dans leur vie, nous avons tendance à ne pas les croire.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Deux paires de mains enserrées" src="https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/526901/original/file-20230517-11818-a2ke9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les adultes ont tendance à douter de la crédibilité des filles lorsqu’elles s’expriment, en raison de préjugés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>Le fait de discréditer la parole d’un groupe entier en raison de préjugés liés à leur identité est ce que la philosophe Miranda Fricker appelle <a href="https://doi.org/10.1093/acprof:oso/9780198237907.001.0001">l’injustice épistémique</a>.</p>
<p>Les adultes ont tendance à douter de la crédibilité des filles en raison de préjugés sur elles et leur façon de vivre leur enfance, qui est perçue comme étant une période de frivolité, d’amusement et d’émotivité.</p>
<h2>Prendre les filles au sérieux</h2>
<p>Pendant longtemps, l’enfance des filles – plus particulièrement celle des filles <a href="https://nyupress.org/9780814787083/racial-innocence/">blanches, de classe moyenne et supérieure, non handicapées</a> – a été perçue comme une période d’innocence, de <a href="https://www.peterlang.com/document/1109532">frivolité</a> et d’<a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1469540518806954">amusement</a>.</p>
<p>La construction de l’identité des jeunes filles est liée aux attentes qu’on a à leur égard comme enfant et sujet genré. On attend des filles, en tant qu’enfants, qu’elles aient toujours les <a href="https://doi.org/10.1177/0907568218811484">yeux écarquillés d’émerveillement</a> devant le monde qui les entoure. En tant que sujets genrés, les filles sont en outre stéréotypées sur des aspects typiquement associés à la féminité, tels que l’<a href="http://dx.doi.org/10.1037/a0016821">émotivité</a>. <a href="https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"></a></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme réconforte une jeune fille" src="https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/526897/original/file-20230517-25100-wn41e5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Lorsque les filles nous racontent ce qui se passe dans leur vie, nous devons les écouter et les prendre au sérieux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<p>Dans un monde qui <a href="https://online.ucpress.edu/collabra/article/5/1/54/113043/Rationality-is-Gendered">oppose rationalité et émotivité</a>, la première étant considérée comme plus crédible que la seconde, les filles sont discréditées en raison de la façon dont on les perçoit.</p>
<p>Lorsque des jeunes filles racontent ce qui se passe dans leur vie, notamment si elles ont été victimes d’une agression sexuelle ou si elles ont des pensées suicidaires, ces préjugés sont particulièrement dangereux.</p>
<p>Pour améliorer la vie des filles au Canada et ailleurs, il faut d’abord réfléchir de manière critique à ce qui fait en sorte que l’on a tendance à ignorer et à invalider leurs préoccupations. Remettre en question nos préjugés sur la crédibilité des filles est une première étape essentielle de ce processus.</p>
<p>Pour ce qui est de la crise que vivent les jeunes filles, celles-ci nous indiquent clairement la voie à suivre. Dans mon travail communautaire, des filles m’ont dit se sentir davantage soutenues par les adultes lorsqu’elles <a href="https://www.womenscentrecalgary.org/wp-content/uploads/2020/03/Girls-Lead-YYC-1.pdf">étaient écoutées et qu’elles avaient le sentiment d’être entendues</a>. Dans l’article du <em>Washington Post</em>, les filles ont demandé aux adultes de <a href="https://www.washingtonpost.com/education/2023/02/17/teen-girls-mental-health-crisis/">« cesser de percevoir leurs préoccupations comme de la dramatisation »</a>.</p>
<p>Les filles veulent – et ont besoin – d’être écoutées et prises au sérieux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206179/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexe Bernier est financée par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) pour sa recherche doctorale.</span></em></p>La santé mentale des jeunes filles est précaire. Normes de beauté irréalistes et pression des médiaux sociaux sont en cause, mais aussi, le fait qu’elles ne sont écoutées ou prises au sérieux.Alexe Bernier, PhD Candidate, Department of Social Work, McMaster UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2032832023-04-25T22:51:58Z2023-04-25T22:51:58ZAu Nigeria, contre-terrorisme et avortements forcés<p>Le 7 décembre 2022, l’agence de presse britannique Reuters publiait un <a href="https://www.reuters.com/investigates/special-report/nigeria-military-abortions/">long article documentant un programme clandestin d’avortement</a> mis en place par l’armée nigériane dans le nord-est du pays, épicentre de l’insurrection djihadiste <a href="https://afriquexxi.info/Pourquoi-on-ne-devrait-plus-parler-de-Boko-Haram">généralement désignée sous le nom de Boko Haram</a>.</p>
<p>Au terme d’une enquête minutieuse conduite auprès de militaires, de personnels de santé et d’une trentaine de victimes de ce programme, Reuters estime que, depuis 2013, au moins 10 000 femmes enceintes à la suite d’unions volontaires ou forcées avec des djihadistes, puis libérées ou capturées par l’armée, auraient avorté à leur retour dans les zones sous contrôle gouvernemental.</p>
<p>Une proportion d’entre elles – que Reuters ne quantifie pas – auraient subi un avortement forcé : certaines n’ont pas été averties que les injections ou les pilules qu’elles recevaient étaient abortives ; d’autres ont été menacées, battues ou attachées pour subir la procédure.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/viols-meurtres-mariages-arranges-a-defaut-deducation-la-vie-des-filles-en-zone-de-conflit-60012">Viols, meurtres, mariages arrangés : à défaut d’éducation, la vie des filles en zone de conflit</a>
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<p>Ces révélations – contestées avec véhémence par les militaires nigérians – ont à nouveau attiré l’attention internationale sur l’effroyable conflit qui ravage depuis presque quinze ans le nord-est du <a href="https://fr.africanews.com/2022/11/15/nigeria-la-hausse-demographique-pose-des-defis-de-developpement//">pays le plus peuplé d’Afrique</a>. </p>
<h2>Les faits allégués</h2>
<p>Contactée par Reuters avant la parution de l’enquête, l’armée avait réagi en lançant dans la presse nationale une <a href="https://prnigeria.com/2022/11/29/fathered-terrorist-nurtured/">campagne de propagande préemptive</a> affirmant qu’elle prenait soin des femmes et des enfants liés à Boko Haram.</p>
<p>Une fois l’article de Reuters paru, l’armée a démenti, dénonçant le <a href="https://saharaweeklyng.com/reuters-mercenary-journalismefforts-by-reuters-to-blackmail-the-nigerian-military-through-mercenary-journalism-fails/">« journalisme démoniaque » de l’agence de presse</a>, et a refusé d’enquêter sur les allégations des journalistes. Celles-ci n’en ont pas moins provoqué un scandale <a href="https://gazettengr.com/nigerian-army-conducts-secret-abortion-operation-terminates-10000-pregnancies-over-boko-haram-war/">national</a> et <a href="https://www.usnews.com/news/world/articles/2022-12-09/un-secretary-general-calls-for-investigation-on-nigeria-forced-abortions-report">international</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1600964090628919307"}"></div></p>
<p>Muhammadu Buhari, alors président du Nigeria, a demandé à un organisme public, la Commission nigériane des droits de l’homme, de <a href="https://www.premiumtimesng.com/news/headlines/579025-nhrc-set-to-probe-allegation-of-secret-abortion-programme-against-nigerian-military.html">créer une commission d’enquête</a>. Sans doute ne faut-il pas trop en espérer : au Nigeria, c’est souvent en créant des commissions qu’on enterre les « affaires », et si un rapport est produit, il peut <a href="https://www.thisdaylive.com/index.php/2018/12/20/stop-harrassing-amnesty-international-falana-tells-nigerian-army/">ne jamais être rendu public</a>.</p>
<p>Reuters, de son côté, a publié deux autres enquêtes sur des violations graves de droits humains commises par l’armée dans le cadre de la lutte contre les djihadistes, notamment des <a href="https://www.reuters.com/investigates/special-report/nigeria-military-children/">assassinats d’enfants</a>. Si là encore l’armée nigériane a démenti, ce type de violations ne surprend guère, car il avait déjà été documenté au Nigeria, notamment par <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2016/05/nigeria-babies-and-children-dying-in-military-detention/">Amnesty International</a> et <a href="https://www.hrw.org/report/2019/09/10/they-didnt-know-if-i-was-alive-or-dead/military-detention-children-suspected-boko">Human Rights Watch</a>. </p>
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<p>Je n’ai jamais enquêté spécifiquement sur la question des avortements lors de mes séjours dans le nord-est du Nigeria. J’ai du moins entendu l’embarras des organisations humanitaires, présentes dans la région depuis la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2019-4-page-143.htm">crise alimentaire de 2016</a> (mais peu auparavant) : elles se demandent comment interpréter le fait qu’elles n’ont pas capté, pendant toutes ces années, de signaux indiquant l’existence de ce programme clandestin d’avortements dénoncé par Reuters.</p>
<p>Dans les ambassades occidentales aussi, la gêne est palpable : on collabore avec les autorités nigérianes dans la lutte contre Boko Haram et les allégations de violations de droits humains viennent une fois encore compliquer cette collaboration, en particulier aux États-Unis – le Sénat et la Chambre des représentants sont sensibles sur ces sujets, notamment et surtout quand il s’agit d’avortement.</p>
<p>Si je ne suis pas en mesure de confirmer ou d’infirmer le récit fait par Reuters, j’entends ici du moins discuter de la plausibilité de ce terrible épisode en le situant dans l’histoire récente du nord-est du pays, marquée par des années d’affrontements sanglants entre l’armée et les djihadistes.</p>
<h2>Une armée dépassée et violente</h2>
<p>Au fil des années, l’armée et les autorités nigérianes ont volontiers minimisé le défi posé par Boko Haram, annonçant régulièrement la victoire. Au moment où le programme d’avortement clandestin aurait été mis en place, entre 2013 et 2015, l’armée nigériane était en réalité en difficulté face à <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2015-3.htm">l’organisation formée dans le fil des années 2000 et passée à la lutte armée en 2009</a>, et dont le nom réel est <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-africaine-2013-2-page-137.htm">JASDJ</a> (Jamā’at ahl al-sunnah li’l-da’wah wa’l-jihād, qui peut être traduit par Association des gens de la sunna pour la prédication et le djihad). </p>
<p>Après le <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/qdr40.pdf">soulèvement des partisans du prédicateur de Mohamed Yusuf en 2009</a>, brutalement réprimé par l’armée, les survivants s’étaient réorganisés puis engagés, à partir de 2010, dans une <a href="https://theconversation.com/esclavagisme-razzia-tueries-les-inspirations-locales-de-boko-haram-112547">campagne de terreur</a>.</p>
<p>En plus d’attaques à la bombe <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse/1074">jusque dans la capitale fédérale, Abuja</a>, les assassinats se multipliaient dans le nord-est du pays, notamment dans l’État du Borno et sa capitale Maiduguri, une agglomération qui comptait à l’époque plus d’un million d’habitants, ciblant les membres des forces de défense et de sécurité ainsi que les élites politiques et religieuses.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aSGBsBmlsXQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Pour mieux cibler la répression, les autorités civiles et militaires du Borno et la population de Maiduguri avaient mis en place des milices, dites <em>Civilian Joint Task Force</em> (CJTF), qui avaient aidé l’armée à purger la ville des réseaux de JASDJ. </p>
<p>Ces derniers avaient alors achevé une bascule déjà engagée vers des <a href="https://theconversation.com/comment-le-djihad-arme-se-diffuse-au-sahel-112244">zones rurales qui leur offraient une meilleure protection</a>. Ils avaient ensuite conquis une bonne partie des villes secondaires du Borno, frappant aussi dans les États voisins de Yobe et de l’Adamawa.</p>
<p>Les attentats suicides, jusque-là très ciblés, s’étaient multipliés, frappant de façon de plus en plus aveugle. Les pertes militaires et civiles ont été gigantesques (<a href="https://acleddata.com/crisis-profile/boko-haram-crisis/en">plus de 40 000 morts</a> jusqu’à aujourd’hui, ces chiffres étant probablement très sous-estimés), et JASDJ a joué à fond la carte de la terreur, s’inspirant parfois dans ses massacres de la scénographie de l’État islamique, à laquelle elle s’est <a href="https://www.lexpress.fr/monde/afrique/boko-haram-les-raisons-de-l-allegeance-a-Daech_1659082.html">officiellement ralliée en 2015</a>. Dans ces années-là, l’armée nigériane était particulièrement dépassée, aux prises avec un adversaire ultra-violent et mal connu. </p>
<p>Dans ce contexte singulier, l’armée a employé des moyens extrêmes. Elle a recouru massivement à la torture et aux exécutions extrajudiciaires. Entre 2010 et 2014, elle a multiplié les rafles au ciblage souvent imprécis, arrêtant des milliers de personnes, généralement en dehors de toute procédure judiciaire et donc sans chemin de sortie pour les suspects.</p>
<p>La <a href="https://www.ohchr.org/fr/press-releases/2021/11/initial-dialogue-nigeria-experts-committee-against-torture-ask-about-fight">surpopulation carcérale</a> a été encore aggravée avec la <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20150317-nigeria-contre-offensive-damasak-boko-haram-fuite-niger-tchad">contre-offensive victorieuse</a> lancée par l’armée en 2015 : elle a alors pris sous son contrôle une vague plus massive encore de suspects, hommes, femmes et enfants. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1645695339305873409"}"></div></p>
<p>Dans les centres de détention militaire, et notamment dans l’immense caserne de Giwa Barracks, à Maiduguri, la surpopulation et la faiblesse des ressources ont abouti à l’installation de facto d’un <a href="https://www.amnesty.org/fr/documents/afr44/3998/2016/en/">dispositif de mise à mort par la prison</a> (faim, déshydratation, maladies, violences des gardiens et entre détenus) dont on peut se demander si certains responsables militaires au moins ne l’ont pas conçu ou accepté comme tel.</p>
<h2>Les femmes associées à Boko Haram, un cas particulier</h2>
<p>Là où les hommes, quand ils n’étaient pas exécutés sur le champ, étaient emprisonnés avec peu d’espoir de sortie, la situation des femmes et des enfants était plus complexe aux yeux de l’armée et des autorités : le retentissement international du <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20220414-nigeria-8-ans-apr%C3%A8s-l-enl%C3%A8vement-des-lyc%C3%A9ennes-de-chibok-une-centaine-toujours-port%C3%A9es-disparues">kidnapping des collégiennes de Chibok en 2014</a> avait établi que les femmes trouvées dans les camps djihadistes pouvaient être des victimes, avoir été enlevées, contraintes au mariage et soumises à des viols maritaux.</p>
<p>À partir de 2014, des <a href="https://www.cfr.org/blog/women-boko-haram-and-suicide-bombings">femmes ont commencé à mener des attaques suicides</a> contre l’armée et les communautés. Les femmes avaient donc un <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/west-africa/nigeria/nigeria-women-and-boko-haram-insurgency">statut énigmatique</a> – épouses loyales de combattants djihadistes ou bien captives ? – et oscillaient ainsi entre la position d’ultra-victimes et celle d’hypermenaces.</p>
<p>Faute de place dans les centres de détention, et alors que les critiques internationales montaient sur les abus de droits humains et venaient compliquer la coopération entre le Nigeria et certains partenaires internationaux, les femmes et les enfants détenus ont fini par être libérés en masse et envoyés dans les camps de déplacés à travers le Borno.</p>
<p>Avec les femmes et les enfants, il y avait là un problème mal défini et menaçant, mais trop massif pour être traité par l’emprisonnement. Le problème semblait d’autant plus grave qu’il résonnait avec les inquiétudes croisées de l’État et de la société à propos des enfants conçus dans le contexte du djihad.</p>
<h2>La crainte suscitée par les « enfants de djihadistes »</h2>
<p>Le Nigeria est un pays à la population composite, et où les considérations ethnorégionales jouent depuis longtemps un rôle considérable. Dans ce contexte, la question démographique est particulièrement sensible – en témoignent aussi bien les <a href="https://www.reuters.com/world/africa/nigeria-delays-census-may-its-first-17-years-2023-03-15">difficultés à organiser le recensement</a> que les rumeurs qui interprétaient, un temps, la vaccination contre la poliomyélite comme une <a href="https://academic.oup.com/afraf/article/106/423/185/50647">campagne visant à stériliser les nordistes musulmans</a>.</p>
<p>Le nord, zone peuplée majoritairement de musulmans et à la démographie très dynamique, est perçu comme une menace dans le sud, où les chrétiens sont majoritaires. C’était particulièrement le cas entre 2010 et 2015, sous la présidence de Goodluck Jonathan, président chrétien très contesté par les élites nordistes.</p>
<p>Mais même les élites du Nord musulman s’inquiètent de la croissance démographique de la zone, supposée alimenter un <em>lumpenproletariat</em> menaçant – l’émir de Kano, un chef traditionnel musulman d’importance, a ainsi pu prendre des <a href="https://guardian.ng/news/npc-affirms-emir-sanusis-birth-control-moderation-call/">positions fortes en faveur du contrôle des naissances</a>.</p>
<p>Cette inquiétude était redoublée dans la société nigériane, où elle s’est articulée à l’idée d’un « mauvais sang » dont seraient porteurs les enfants de djihadistes, documentée en 2016 dans un rapport intitulé <a href="https://www.unicef.org/nigeria/reports/bad-blood">Bad Blood</a> publié par l’Unicef et l’ONG International Alert. À l’anxiété des élites se mêlaient ainsi la stigmatisation que subissent les femmes isolées dans une société patriarcale et moraliste, avec leurs grossesses issues d’unions souvent soit forcées, soit forgées en dehors de l’ordre familial, et la peur d’une hérédité de la violence.</p>
<p>Dans une <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/west-africa/nigeria/275-returning-land-jihad-fate-women-associated-boko-haram">étude conduite pour International Crisis Group</a>, j’avais noté que certaines femmes signalaient qu’il leur était interdit de fréquenter les points d’eau dans les camps de déplacés – une interdiction à la lisière de l’inquiétude face aux éventuelles maladies dont elles pourraient être porteuses et de représentations liées à la sorcellerie. Le djihad comme épidémie à contenir… « C’est juste une épuration de la société », expliquait à l’équipe Reuters un agent de santé impliqué dans le programme d’avortement… </p>
<h2>Les avortements étaient-ils ordonnés par l’armée ?</h2>
<p>On voit donc bien comme le climat politique, militaire et moral au milieu des années 2010 se prêtait à la mise en œuvre d’un programme d’avortement. </p>
<p>Compte tenu de la stigmatisation dont étaient victimes les femmes associées à Boko Haram, des militaires et des agents de santé ont pu penser leur faire une faveur en les faisant avorter, de gré ou de force.</p>
<p>Reuters cite un agent de santé qui affirme « nous appliquons ce genre de procédure [aux femmes sortant des zones Boko Haram] afin de les sauver du stigmate et du problème qui viendra plus tard ». Reuters relève également qu’un certain nombre de femmes interrogées disent avoir souhaité avorter, mais qu’elles auraient voulu être informées et consultées.</p>
<p>Compte tenu du nombre de cas qu’ils ont identifiés, Reuters a considéré qu’il s’agissait là d’un véritable « système », tout en notant n’avoir pu établir « qui avait créé ce programme ni qui dans l’armée ou au gouvernement en était responsable ».</p>
<p>L’armée, répétons-le, dément absolument l’existence d’un « système » et met en avant le fait que de nombreux enfants sont nés en détention, ce que confirment des témoignages que j’ai recueillis auprès d’anciens détenus ainsi que de responsables d’ONG impliqués dans les questions de santé et de protection des personnes dans le Borno. Reuters l’admet d’ailleurs, notant bien que certaines femmes se sont vu proposer, et non pas imposer, un avortement.</p>
<p>On peut dès lors penser que dans le contexte du conflit, des mesures ont été prises pour rendre <em>possible</em> l’accès à l’avortement aux femmes sortant des zones Boko Haram et que, à différents moments et dans différents sites, des responsables locaux, directeurs d’hôpitaux ou commandants de centres de détention par exemple, ont pris sur eux d’<em>imposer</em> des avortements au lieu de simplement les <em>proposer</em>.</p>
<p>Cela permettrait d’expliquer comment les avortements forcés ont pu se produire, sans être pour autant véritablement systématiques. Des variations importantes dans la mise en œuvre des politiques, typiques d’un État sous pression et connaissant des faiblesses dans le contrôle interne, ont d’ailleurs été documentées dans d’autres volets de la réaction de l’État nigérian – par exemple dans le traitement des prisonniers de sexe masculin. </p>
<p>Reuters affirme avoir documenté des cas jusqu’en novembre 2021, mais il y a des raisons d’espérer que les choses ont changé avec le temps, que les avortements forcés sont moins fréquents. Les forces de défense et de sécurité sont aujourd’hui moins dépassées qu’en 2014, et les conditions dans les centres de détention se sont un peu améliorées, notamment grâce à l’action internationale.</p>
<p>Enfin, la réintégration dans la société de femmes et même d’hommes <a href="https://www.crisisgroup.org/africa/west-africa/nigeria/b170-exit-boko-haram-assessing-nigerias-operation-safe-corridor">ayant quitté Boko Haram volontairement</a>, inimaginable en 2015, est devenue presque routinière. On peut donc supposer que dans la chaîne qui traite les personnes venues des zones Boko Haram, la ligne est moins dure. </p>
<p>Quoi qu’il en soit du caractère systématique des faits rapportés par Reuters, l’État nigérian ne saurait être dégagé de ses responsabilités. En dernière analyse, parce qu’il est l’État, il est responsable des abus perpétrés en son nom, et il est responsable d’avoir laissé perdurer l’ambiance délétère et la logique éradicatrice qui ont pu donner lieu aux avortements forcés rapportés par l’agence de presse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203283/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Foucher était employé comme analyste par International Crisis Group de 2011 à 2017 et collabore encore avec cette organisation. </span></em></p>Une enquête explosive de Reuters révèle que de nombreuses femmes auraient été forcées à avorter par l’armée nigériane dans les territoires libérés du joug des djihadistes.Vincent Foucher, Chargé de recherche CNRS au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM), Sciences Po BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1979592023-02-05T16:55:27Z2023-02-05T16:55:27Z« L’envers des mots » : Silencier<p>« Réduire (qqn) au silence. Silencier et invisibiliser les minorités. Faire taire (qqch.). Silencier nos désirs. » Voilà la définition que donne le dictionnaire Le Robert au terme <a href="https://dictionnaire.lerobert.com/definition/silencier"><em>silencier</em></a>. Cette entrée fait écho à ce qui a été plus communément appelé « la libération de la parole » au moment du mouvement <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/10/14/metoo-du-phenomene-viral-au-mouvement-social-feminin-du-XXIe-si%C3%A8cle_5369189_4408996.html">#MeToo</a>. Repris de manière virale fin 2017, ce hashtag a déclenché un mouvement massif de dénonciations de violences sexuelles qui s’est étendu à de nombreuses sphères et catégories de victimes (comme avec le #MeTooinceste).</p>
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<p>Nombre de chercheuses et d’activistes soulignent que par ces dénonciations massives, c’est l’écoute sociale accordée aux violences vécues qui s’est ouverte. Le terme <em>silencier</em> vient souligner la nécessité de conditions d’écoute bienveillante et bien informée pour que la parole puisse s’exprimer.</p>
<p>Lorsque cette parole advient mais se trouve minimisée ou niée, on assiste à ce qu’on appelle <a href="https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/fiche-gdt/fiche/26511989/victimisation-secondaire">« revictimisation »</a> ou « victimisation secondaire ». Ce phénomène touche d’autres types de violences, racistes, homophobes, transphobes. La question des violences sexuelles, fortement médiatisée et reconnue comme légitime, permet d’illustrer ce processus transposable à d’autres situations.</p>
<p>Silencier une victime, c’est la ou le réduire au silence de diverses manières : il ne s’agit pas nécessairement d’une censure menaçante, mais d’une absence d’écoute ou d’une écoute qui n’a pas le positionnement adéquat, par manque d’impartialité (proximité personnelle avec l’agresseur présumé) ou de formation. Les témoins peuvent également être « silencié·e·s » quand parler entraîne des préjudices (plainte pour diffamation, risque d’ostracisation dans son cercle professionnel ou personnel).</p>
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<a href="https://theconversation.com/les-jeunes-enfants-victimes-dagression-sexuelle-nont-pas-de-voix-dans-lespace-public-163957">Les jeunes enfants victimes d’agression sexuelle n’ont pas de voix dans l’espace public</a>
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<p>En pratique, le risque de revictimisation pointe la nécessité de la sensibilisation à une échelle générale, et de la formation des écoutant·e·s aussi bien que des encadrantes et encadrants dans les institutions publiques amenées à recevoir des témoignages.</p>
<p>On pense spontanément à la police et aux questions qui peuvent décourager une victime de viol de raconter son expérience – comment était-elle habillée, avait-elle consommé de l’alcool – en la renvoyant à une culpabilité implicite de sa part.</p>
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<p>On peut évoquer le rôle d’autres institutions, comme les Universités. Les recherches menées sur les appropriations des étudiantes du problème des <a href="https://books.openedition.org/pressesmines/8223?lang=en">violences sexistes et sexuelles</a> montrent que celles-ci se méfient des institutions mais somment celles qui leur sont le plus proches, comme l’Université, de prendre ses responsabilités. Les institutions peuvent apporter une reconnaissance du préjudice subi, par la voie pénale et/ou disciplinaire.</p>
<p>Toutes les institutions publiques sont tenues depuis un décret de mars 2020 de mettre en place une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000041722970/">cellule de signalements</a> pour toute forme de harcèlement, violence ou discrimination. La manière dont ces dispositifs peuvent fonctionner de manière confidentielle et impartiale est actuellement un enjeu crucial. Si cet enjeu est visible pour les affaires qui frappent ceux des partis politiques qui sont dotés de ces cellules, il touche actuellement le service public dans son ensemble.</p>
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<a href="https://theconversation.com/comment-les-femmes-reagissent-face-au-sexisme-135233">Comment les femmes réagissent face au sexisme</a>
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<p>« Silencier » renvoie de manière plus large à la domination symbolique qui consiste à priver les personnes dominées de parole et de récit sur soi. C’est au tournant des années 1960-1970 que cette réappropriation de la parole permettant de se réapproprier soi-même et son corps a éclos dans les mouvements féministes : les <a href="https://www.cairn.info/revue-education-et-societes-2016-1-page-15.htm">groupes de conscience non mixtes</a> ont ainsi permis de rendre collectifs des problèmes qui apparaissaient comme privés et individuels, tels que les violences mais aussi la sexualité non procréative.</p>
<p>Ces groupes ont agi comme des lieux de politisation de sujets qui paraissaient relégués à l’intimité. On peut considérer que <a href="https://journals.openedition.org/lectures/58230">leur fonction a été amplifiée par les réseaux sociaux</a> à l’époque contemporaine, qui multiplient les échanges en ligne et hors ligne. Ils jouent un rôle fondamental dans la légitimation de sexualités consenties, en dehors de l’hétérosexualité ou en redéfinissant les représentations traditionnelles de celle-ci.</p>
<p>Enfin, l’engagement des jeunes générations dans les collectifs de <a href="https://www.telerama.fr/debats-reportages/les-collages-feministes-une-initiation-politique-pour-la-jeune-generation-7012876.php">collages féministes</a>, qui portent dans l’espace public des messages également transinclusifs (« la transphobie tue ») ou antiracistes (« stop Asian hate »), participent de cette volonté de porter une parole dont on s’assure qu’elle ne sera plus réduite au silence, comme l’exprime le collage : « décoller, on recollera ».</p>
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<p><em>À mesure que des questions de société émergent et que de nouveaux défis s’imposent aux sciences et technologies, notre vocabulaire s’étoffe, s’adapte. Des termes qu’on croyait déjà bien connaître s’enrichissent de significations inédites, des mots récemment créés entrent dans le dictionnaire. D’où viennent-ils ? En quoi nous permettent-ils de bien saisir les nuances d’un monde qui se transforme ? De « validisme » à « silencier », de « bifurquer » à « dégenrer », les chercheurs de The Conversation s’arrêtent deux fois par mois sur l’un de ces néologismes pour nous aider à mieux les comprendre, et donc mieux participer au débat public.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197959/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Viviane Albenga ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Entré dans le dictionnaire en 2022, le terme « silencier » renvoie de manière plus large à la domination symbolique qui consiste à priver certaines personnes de parole et de récit sur soi.Viviane Albenga, Maîtresse de conférences en sociologie, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1946802022-11-28T19:03:05Z2022-11-28T19:03:05ZDiscrimination et racisme à l’université : un constat alarmant<p>Fin 2018, partant du constat d’une faible production de connaissances sur les discriminations dans l’enseignement supérieur et de la recherche, une équipe de chercheuses et chercheurs en sciences sociales a initié une vaste enquête de victimation sur ce sujet, intitulée ACADISCRI, dont nous livrons ici les premiers résultats statistiques.</p>
<p>Le projet vise à mesurer les expériences de traitements inégalitaires dans les établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche, et analyser les variations, au sein des établissements et entre eux, selon les disciplines, niveaux d’inscription, services ou encore grades, au regard des principaux critères de discrimination : sexe, ethnicité, catégorie sociale, handicap, orientation sexuelle, affiliation syndicale ou politique…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/etudier-les-discriminations-dans-lenseignement-superieur-en-france-quels-enjeux-181372">Étudier les discriminations dans l’enseignement supérieur en France : quels enjeux ?</a>
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<p>Le questionnaire de l’enquête enregistre toute une gamme de traitements inégalitaires vécus, allant des micro-agressions (gestes ou remarques dévalorisantes du quotidien, souvent renvoyés à de « l’humour » par leurs auteurs ou autrices, mais humiliants ou dégradants pour celles et ceux qui en sont les cibles) aux formes plus violentes que sont les injures, les menaces de violences physiques et violences physiques, en passant par le harcèlement moral, les situations discriminatoires identifiées comme telles par les personnes enquêtées, et encore le harcèlement et les agressions à caractère sexuel…</p>
<p>Le questionnaire permet également de recueillir des informations sur les effets de ces situations sur les « victimes », sur leurs conditions d’étude ou de travail, sur le contexte de déroulement des faits, sur leurs auteurs et leurs autrices, ainsi que les témoins, ou encore sur les réactions et recours éventuels. Après une enquête pilote menée au printemps 2020, puis l’adaptation en conséquence des outils et de la stratégie d’enquête, la collecte de données a jusque-là été conduite dans cinq autres établissements de configuration et de taille diverses.</p>
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<p>Une singularité du projet ACADISCRI est de reposer sur un intéressement des établissements – lesquels ont des obligations, comme tout employeur et organisme de formation, en matière de non-discrimination, et une responsabilité sociale liée aux enjeux de lutte contre le harcèlement sexuel ou encore de « combat résolu contre le racisme et l’antisémitisme ». Les établissements qui s’engagent bénéficient d’un diagnostic à leur échelle, sur la base de données pondérées, représentatives de leur population. Les résultats présentés ci-dessous concernent l’une des premières universités impliquées.</p>
<h2>Une expérience massive des discriminations</h2>
<p>La collecte au sein de cette université a permis de récolter 1 733 questionnaires complets auprès des étudiantes et étudiants et 278 auprès du personnel, soit un taux de réponse de 6,2 % pour les premiers et de 10,1 % pour les seconds.</p>
<p>Au sein de cet établissement, les traitements inégalitaires déclarés s’avèrent massifs, pour les personnels plus encore que pour les étudiantes et étudiants. Plus d’une personne salariée sur deux (50,9 %) et plus d’un étudiant ou étudiante sur six (17,7 %) déclarent avoir vécu au moins une forme de traitement inégalitaire depuis son entrée dans l’enseignement supérieur.</p>
<p>On peut voir dans ces différences de proportion entre étudiantes ou étudiants et personnels plusieurs pistes explicatives : la première est liée à l’ancienneté dans l’établissement, puisque sur ce sujet le questionnaire invite à se remémorer l’ensemble de la carrière ou de la trajectoire d’études. Il est logique que la durée souvent plus longue de présence dans l’établissement (notamment entre salariés et étudiants) expose davantage au risque de traitements inégalitaires.</p>
<p>Néanmoins, les données de l’enquête montrent que la très grande majorité des faits déclarés a eu lieu récemment. Par exemple, les cas d’agression sexuelle et de menaces et/ou d’agressions physiques liées au sexisme ont eu lieu pour plus d’un tiers des cas durant l’année universitaire en cours, puis pour près de 6 cas sur 10 dans les cinq années précédentes.</p>
<p>Une autre piste d’explication peut être liée au degré de conscientisation acquis au fil de l’expérience, conduisant des personnes ayant une fréquentation plus longue de l’université à être plus attentives aux discriminations. Il n’en demeure pas moins que ces taux indiquent que le contexte du travail et d’étude à l’université est, pour beaucoup, loin d’être serein et policé.</p>
<h2>Les différents motifs de discrimination</h2>
<p>Comme le montrent les tableaux suivants, les faits déclarés sont en premier lieu les micro-agressions. Les faits plus graves sont heureusement moins fréquents. Ils n’en sont pas pour autant négligeables, telles les situations identifiées comme discriminatoires : 6,6 % des membres de la communauté étudiante et 22 % des personnels en déclarent. Les menaces de violences physiques ou violences physiques concernent 2,7 % des membres de la communauté étudiante et 7,8 % des personnels.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496761/original/file-20221122-24-ysjbb4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496761/original/file-20221122-24-ysjbb4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496761/original/file-20221122-24-ysjbb4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496761/original/file-20221122-24-ysjbb4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496761/original/file-20221122-24-ysjbb4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=600&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496761/original/file-20221122-24-ysjbb4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=600&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496761/original/file-20221122-24-ysjbb4.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=600&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Champ : Étudiant·e·s de l’Université Pilote, 2019-2020. Données pondérées. Lecture : 10,5 % des étudiant·e·s inscrit·e·s dans l’Université Pilote en 2019-2020 ont déclaré avoir subi des micro-agressions depuis leur entrée dans l’ESR, et 3,4 % l’ont attribué à un motif sexiste. NB : Plusieurs motifs pouvant être déclarés pour un même fait, le total des motifs identifiés (addition des 7 colonnes) est supérieur au pourcentage de faits déclarés (1ère colonne).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496762/original/file-20221122-22-tnkozx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496762/original/file-20221122-22-tnkozx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496762/original/file-20221122-22-tnkozx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496762/original/file-20221122-22-tnkozx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=477&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496762/original/file-20221122-22-tnkozx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=599&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496762/original/file-20221122-22-tnkozx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=599&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496762/original/file-20221122-22-tnkozx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=599&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Source : Enquête ACADISCRI-Université Pilote, 2020. Champ : Personnels de l’Université Pilote. Données pondérées Lecture : 38,3 % des personnels de l’établissement ont déclaré avoir subi des micro-agressions depuis leur entrée dans l’ESR, et 10,7 % l’ont attribué à un motif sexiste.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Concernant les situations pour lesquelles les personnes enquêtées ont déclaré un motif discriminatoire, les données laissent entrevoir que l’incidence du motif varie selon le type de fait. Par exemple, si les micro-agressions sont plus souvent liées au sexisme (3,4 % pour les membres de la communauté étudiante, 10,7 % pour les personnels), les injures sont plus souvent déclarées en raison des engagements syndicaux et politiques (1,1 % des membres de la communauté étudiante et 3,5 % des personnels), tandis que le harcèlement moral est plus souvent rattaché au classisme (1,5 % des membres de la communauté étudiante et 4,9 % des personnels).</p>
<p>Enfin, pour l’ensemble des types de faits relevés, les « victimes » n’identifient pas toujours de motif discriminatoire spécifique : c’est par exemple le cas pour près des trois quarts personnels déclarant des situations de micro-agressions. Cette difficulté peut être liée à une incertitude sur le motif réel, que la psychologie sociale qualifie d’ambiguïté attributionnelle. Mais cela témoigne sans doute aussi du fait que les discriminations prennent place dans un environnement d’étude ou de travail dégradé, où les agressions et les sentiments d’injustice sont relativement courants.</p>
<h2>Le racisme vécu par les personnels</h2>
<p>Une des innovations de l’enquête ACADISCRI est de traiter simultanément des différents critères de discrimination reconnus par la loi, là où la plupart des enquêtes réalisées par les établissements actuellement se concentrent généralement sur les seules violences sexistes et sexuelles. Elle permet notamment d’investiguer la prégnance et la diversité des formes d’expression du racisme au sein de l’espace académique. Dans le même sens, nous privilégions ici une focale sur le personnel, habituellement peu concerné par des enquêtes majoritairement centrées sur la vie étudiante.</p>
<p>Compte tenu de la faiblesse des effectifs sur un seul établissement, il n’est pas possible ici, d’affiner l’exposé du motif « racisme », pour distinguer par exemple les expériences d’antisémitisme ou d’islamophobie. Elles sont donc traitées ensemble, avec le racisme proprement dit. Afin d’identifier les profils les plus exposés plusieurs questions ont été posées aux personnes enquêtées sur leur pays de naissance et nationalité, sur ceux de leurs parents, sur leur affiliation religieuse, et enfin sur la façon de se percevoir et d’être catégorisé ou catégorisée par autrui dans des catégories racialisantes (« Blanc » ou « Blanche », « Arabe », « Noir » ou « Noire », etc.). Dans cet article nous rendons compte de deux variables synthétiques construites à partir de ces données :</p>
<ul>
<li><p>le lien à la migration, construit en trois catégories : le groupe majoritaire qui rassemble les individus nés en France hexagonale de deux parents nés français en France hexagonale ; les descendants d’immigrés, nés en France d’un ou deux parents nés étrangers à l’étranger ; les immigrés nés étrangers à l’étranger ;</p></li>
<li><p>l’assignation par autrui à une catégorie racialisante présentée ici, compte tenu de la limite des effectifs, en deux catégories agrégées : « Blanc » ou « Blanche », « Arabe ou Noir » ou « Arabe ou Noir·e ».</p></li>
</ul>
<p>Les données pour cet établissement suggèrent que l’exposition au racisme varie selon le statut : ce phénomène est déclaré presque deux fois plus par les personnels administratifs et techniques (BIATSS) que par les enseignants-chercheurs ou chercheuses (12,8 % contre 6,9 %). Il faut toutefois interpréter ces données avec prudence, car il y a une forte corrélation entre ces statuts et le lien à la migration, par exemple plus de sept personnes descendant d’immigrés ou originaires d’outre-mer sur dix ont un statut de BIATSS.</p>
<p>Mais surtout, les déclarations de traitements inégalitaires à caractère raciste varient très fortement selon le lien que les individus entretiennent à la migration et leur assignation à telle ou telle catégorie racialisante. Si 5,3 % des majoritaires déclarent avoir subi du racisme, ce taux triple parmi les personnes immigrées (14,5 %) et quintuple chez les descendantes et descendants d’immigrés et les originaires d’outre-mer, avec 27,8 %.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496763/original/file-20221122-25-lvt2zm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496763/original/file-20221122-25-lvt2zm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496763/original/file-20221122-25-lvt2zm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496763/original/file-20221122-25-lvt2zm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496763/original/file-20221122-25-lvt2zm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496763/original/file-20221122-25-lvt2zm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496763/original/file-20221122-25-lvt2zm.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=461&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Source : Enquête ACADISCRI-Université Pilote, 2020. Champ : Personnels de l’université Pilote.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>La déclaration d’au moins un traitement inégalitaire en raison d’un motif raciste apparaît également presque cinq fois plus souvent pour les individus catégorisés comme « Arabes ou Noirs » que pour ceux catégorisés comme « Blancs » (graphique ci-dessous). En outre, ces minoritaires sont plus nombreux à subir des traitements inégalitaires, avec ou sans motifs discriminatoires, en comparaison des personnes perçues comme « Blanches » (respectivement 60 et 52,4 %,).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496764/original/file-20221122-12-ct067j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496764/original/file-20221122-12-ct067j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496764/original/file-20221122-12-ct067j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496764/original/file-20221122-12-ct067j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=372&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496764/original/file-20221122-12-ct067j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496764/original/file-20221122-12-ct067j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496764/original/file-20221122-12-ct067j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=467&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Source : Enquête ACADISCRI-Université Pilote, 2020. Champ : Personnels de l’université de Pilote. NB : Les rares personnes ayant refusé d’indiquer comment elles étaient perçues par les autres ont été classées dans la catégorie « Blanc.he.s ».</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Dans une enquête de ce type, les difficultés potentielles de remémoration des expériences, ainsi que de déclaration des traitements inégalitaires, laissent supposer que les données recueillies pourraient sous-estimer la victimation réelle. Quoiqu’il en soit, les premiers résultats de l’enquête ACADISCRI laissent déjà entrevoir à la fois l’ampleur considérable du phénomène et sa configuration complexe.</p>
<p>L’enquête suggère ainsi la nécessité de mettre en rapport l’expérience discriminatoire avec les relations de pouvoir qui structurent l’enseignement supérieur et la recherche. Elle suggère aussi l’importance d’une approche qui prend en compte simultanément et de façon articulée les différents rapports sociaux. L’exploitation à venir des résultats concernant la première série d’établissements enquêtés permettra d’en savoir plus. (À suivre… sur le <a href="https://acadiscri.hypotheses.org/5">site de l’enquête ACADISCRI</a>).</p>
<hr>
<p><em>ACADISCRI est un travail de recherche collectif et cet article a été rédigé par l’ensemble de l’équipe, aujourd’hui composée de Tana Bao, Géraldine Bozec, Marguerite Cognet, Fabrice Dhume, Camille Gillet, Christelle Hamel, Hanane Karimi, Cécile Rodrigues et Pierre-Olivier Weiss</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194680/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Rodrigues est membre de l'équipe ACADISCRI.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Christelle HAMEL est membre de l'équipe ACADISCRI.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>KARIMI est membre de l'équipe ACADISCRI. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Géraldine Bozec ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Vu la faible connaissance sur les niveaux de discrimination dans l’enseignement supérieur et de la recherche, une équipe de chercheuses et chercheurs a initié une vaste enquête sur le sujet.Géraldine Bozec, Sociologue, enseignante-chercheuse, Université Côte d’AzurCécile Rodrigues, Ingénieure d'études, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Christelle Hamel, Sociologue, spécialiste de l'étude des discriminations et des violences contre les femmes, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)KARIMI Hanane, Maîtresse de conférences en sociologie, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1937712022-11-24T22:31:50Z2022-11-24T22:31:50ZMobiliser dans un contexte post #MeToo : la stratégie du collectif #NousToutes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/496445/original/file-20221121-26-gfq5yp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C34%2C4608%2C3028&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le collectif #Noustoutes a permis l'émergence d'un renouveau de l'action féministe au tournant des années 2010. Marche contre les violences sexistes et sexuelles le 23 novembre 2019.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/albums/72157691229705502">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>En un peu moins de cinq années, <a href="https://www.noustoutes.org/">#NousToutes</a> est devenu l’un des acteurs hégémoniques sur la question des « violences sexistes et sexuelles » en France. Si cette position a été acquise notamment par ses usages communicationnels, son fonctionnement est-il novateur ? Dès son lancement au cours de l’été 2018, quelques mois après la <a href="https://www.pressesdesmines.com/produit/les-violences-sexistes-apres-metoo/">diffusion massive et transnationale du <em>hashtag</em> #MeToo</a>, le collectif français ambitionne de rassembler au sein du mouvement féministe. Ses revendications sont donc claires : défendre « toutes » les femmes, contre « toutes » les violences, sans se positionner sur les sujets clivants tels que le port du voile ou le travail du sexe/prostitution.</p>
<p>L’objectif initial du collectif consiste à « élever le niveau de conscience dans la société » sur la question des violences faites aux femmes. Dans ce cadre, il organise une première grande action à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre. La manifestation rassemble en 2018 près de 50 000 personnes sur toute la France et 150 000 l’année suivante. À côté de cet événement emblématique, #NousToutes propose des <a href="https://www.noustoutes.org/formations-lives/">formations</a> sur les mécanismes des violences et développe d’autres actions plus ponctuelles, à l’image de la diffusion de sac à pain dans les boulangeries sur lesquels sont imprimés des <a href="https://www.centre-hubertine-auclert.fr/article/outil-de-prevention-des-violences-le-violentometre">violentomètres</a>, un outil permettant de détecter les violences.</p>
<h2>Les réseaux sociaux, clé de voûte du collectif</h2>
<p>Si #NousToutes s’organise autour d’une structure nationale, le collectif fonctionne aussi via des <a href="https://www.noustoutes.org/comites-locaux/">comités locaux</a> partout en France et des pôles thématiques internes (pôles jeunesse, réseaux sociaux, etc.). L’ensemble de ces groupes communique en ligne sur des boucles WhatsApp ou des serveurs Discord. </p>
<p>Grâce aux outils numériques réduisant le coût d’entrée, #NousToutes propose un engagement facilité : il suffirait de quelques clics par semaines pour devenir « activiste » ou « bénévole ». Ce discours a pour objectif de convaincre des personnes n’ayant jamais eu de socialisation associative ou militante préalable de rejoindre l’organisation. Il permet de recruter largement. Dans la pratique, l’implication des militantes qui ont permis à #NousToutes de prendre une telle ampleur est loin de se limiter à un travail superficiel.</p>
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<p>S’inscrivant dans les pratiques de « <a href="https://fabiengranjon.eu/wp-content/uploads/2018/12/Fabien-Granjon_book_2001.rtf.pdf">l’internet militant</a> » et des <a href="https://doi.org/10.3917/res.201.0019">mobilisations féministes contemporaines</a>, #NousToutes investit fortement ses réseaux sociaux numériques. Que ce soit sur Instagram, Twitter et plus récemment sur TikTok, le collectif produit un discours accessible sur la question des violences. Ses réseaux sociaux lui permettent également d’organiser et promouvoir ses actions, ainsi que d’interpeller les pouvoirs publics et instances médiatiques. </p>
<p>Par rapport à d’autres mobilisations en ligne, la particularité des discours numériques de #NousToutes ou d’autres <a href="https://doi.org/10.4000/terminal.5764">associations féministes</a> consiste dans la place accordée au soutien des victimes : #NousToutes utilise les réseaux sociaux dans la continuité du <a href="https://doi.org/10.1080/09589236.2016.1211511">« féminisme de <em>hashtag</em> »</a>, c’est-à-dire, comme un espace de solidarité féministe entre internautes à l’image du mot dièse #JeSuisFéministe ou #BalanceTonBar.</p>
<p>Si #NousToutes travaille à sa visibilité en ligne, l’ensemble de ces actions s’inscrit plus largement dans un impératif de médiatisation : l’un de ses objectifs reste sa couverture par les médias dits traditionnels. L’objectif de « faire la Une » et le « <em>buzz</em> » a été amené par ses fondatrices dès son lancement. Selon elles, c’est par ce biais qu’il est possible de toucher une large audience et « créer un électrochoc dans la société ». Les militantes de #NousToutes sont donc formées à la rédaction d’un « bon » communiqué de presse ou encore à la prise de parole auprès de journalistes lors de <em>media trainings</em>.</p>
<p>La stratégie médiatique de #NousToutes consiste également à travailler sur le temps long à l’émergence de sujets précis sur les violences et au cadrage féministe de ceux-ci dans l’espace public. Par exemple, la publication et la circulation du décompte des féminicides lui permettent à la fois d’interpeller l’opinion publique et le gouvernement, tout en se positionnant comme source de référence auprès des journalistes.</p>
<p>La lutte pour la médiatisation de #NousToutes s’opère également par le biais de <a href="https://www.change.org/p/nous-marcherons-le-24-novembre-contre-les-violences-sexistes-et-sexuelles">pétitions</a> et <a href="https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/181118/250-personnalites-disent-jemarchele24-avec-noustoutes">tribunes</a> où des artistes, militantes et universitaires appellent à rejoindre les événements du collectif. Ces actions, couplées à la présence de « <a href="https://www.facebook.com/watch/?v=2416637218554171&ref=sharing">cortèges de célébrités</a> » dans les manifestations de novembre lui permettent même d’obtenir une médiatisation auprès de magazines <em>people</em>.</p>
<h2>#NousToutes : un renouveau militant ?</h2>
<p>Si la communication est le pilier central sur lequel repose #NousToutes, que ce soit en interne ou à destination d’une audience souhaitée, les actions du collectif prennent également place en dehors des réseaux sociaux, à l’image des diffusions de tracts devant les stations de métro, des quiz de rue ou des manifestations de novembre.</p>
<p>L’articulation de ces deux espaces en ligne et hors ligne est fondamentale. Elle inscrit #NousToutes dans la continuité des stratégies du mouvement féministe depuis le milieu des années 2000. Les collectifs les <a href="https://effrontees.wordpress.com/">EffrontéEs</a>, la <a href="https://labarbelabarbe.org/">Barbe</a> ou encore <a href="https://osezlefeminisme.fr/">Osez le Féminisme !</a> avaient déjà pour objectif de <a href="https://doi.org/10.3917/parti.017.0179">faire émerger médiatiquement des questions féministes au moyen de communication en ligne</a>. On se souvient par exemple de la campagne « <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Y1RiE2hsmTs">Osons le clito !</a> » en 2011. </p>
<p>Il n’y a pas de rupture stratégique, mais les pratiques ne sont pas identiques dans la mise en œuvre, où l’on observe une forte professionnalisation du militantisme. L’articulation des espaces en ligne et hors ligne s’observe également dans le cadre d’autres mobilisations féministes contemporaines. Les collectifs de collages contre les féminicides, par exemple, diffusent dans les rues des messages et slogans éphémères. Ceux-ci n’ont pas vocation à durer du fait de réactions hostiles ou d’intempéries. Mais ces discours sont aussi partagés de manière pérenne en ligne, sur leurs réseaux sociaux numériques, où ils peuvent être commentés, voire détournés.</p>
<p>Si #NousToutes peut être considéré comme ayant une position hégémonique sur la question des violences sexistes et sexuelles, ses actions s’inscrivent dans l’ensemble de celles du mouvement féministe et dans la poursuite d’une mise en mouvement déjà initiée. <a href="https://www.theses.fr/s197679">Mes recherches</a> laissent penser que plutôt qu’un renouveau du militantisme, #NousToutes témoigne d’une accélération ou d’une massification du militantisme féministe en ligne.</p>
<p>La mise en visibilité du décompte des féminicides par #NousToutes renseigne par ailleurs sur les forces d’éclatement du mouvement féministe cinq ans après #MeToo. Le décompte des féminicides qu’il relaye était au départ issu d’un travail de revue de presse par un autre collectif <a href="https://www.feminicides.fr/">« Féminicides par compagnons ou ex »</a>. Au début de l’année 2022, le collectif #NousToutes a annoncé produire son propre <a href="https://www.noustoutes.org/comprendre-les-chiffres/">décompte</a>. Cette rupture fait suite aux prises de <a href="https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/des-transactivistes-violents-tentent-de-simposer-par-la-terreur-dans-les-organisations-feministes">positions publiques</a> sur la transidentité du collectif « Féminicides par compagnons ou ex ». Elle met en évidence les tensions et conflits qui traversent encore le mouvement féministe en France. Celles-ci n’ont pas disparu avec #NousToutes – ni à sa création, ni aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193771/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Irène Despontin Lefèvre a obtenu un contrat doctoral pour réaliser sa thèse en sciences de l'information et de la communication au sein de l'Université Paris-Panthéon-Assas. Dans le cadre de ses recherches, elle a réalisé une enquête (n)ethnographique et a été amenée notamment à rencontrer des membres du collectif #NousToutes et des militantes féministes.</span></em></p>Par rapport à d’autres mobilisations en ligne, la particularité des discours numériques de #NousToutes ou d’autres associations féministes consiste dans la place accordée au soutien des victimes.Irène Despontin Lefèvre, Doctorante en sciences de l'information et de la communication, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1935792022-11-03T14:38:25Z2022-11-03T14:38:25ZPour en finir avec le harcèlement contre les femmes en politique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/493307/original/file-20221103-26-3he3y5.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La députée libérale Marwah Rizqy n compagnie de Dominique Anglade, en août 2022, à Saint-Agapit. Les menaces de mort répétées dont a fait l’objet Mme Rizqy ont entraîné l’arrestation d’un homme.
</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne / Jacques Boissinot</span></span></figcaption></figure><p>Voilà cinq ans, des femmes du monde entier ont commencé à divulguer publiquement sur les médias sociaux leurs expériences d’agression et de harcèlement sexuels en utilisant le mot-clic #MeToo (#MoiAussi).</p>
<p>Cet anniversaire nous donne l’occasion de réfléchir à la manière dont le Canada a géré son propre <a href="https://www.ledevoir.com/politique/canada/518806/le-parlement-revient-et-parle-harcelement">mouvement #MoiAussi</a> et, plus précisément, la misogynie dans la politique canadienne.</p>
<p>Les événements de 2017 sont survenus 11 ans après la fondation du mouvement #MeToo par <a href="https://metoomvmt.org/get-to-know-us/tarana-burke-founder/">Tarana Burke</a>, qui cherchait à sensibiliser la population à la violence que subissent les femmes et les filles noires aux États-Unis. Le mot-clic #MeToo est devenu viral en octobre 2017 après que des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Affaire_Harvey_Weinstein">allégations d’inconduite sexuelle contre le magnat d’Hollywood Harvey Weinstein ont été rendues publiques</a>.</p>
<p>Cinq ans plus tard, que savons-nous au sujet de la violence sexiste qui sévit dans le monde politique au Canada ?</p>
<p>Tout d’abord, la violence et le harcèlement n’ont pas diminué ; ils se sont même plutôt intensifiés dans le milieu politique canadien.</p>
<p>En réaction aux menaces croissantes et aux préoccupations en matière de sécurité des membres du Parlement canadien, le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1892568/securite-personnelle-elue-parlement-communes-ottawa">ministre de la Sécurité publique a annoncé</a> en juin 2022 que tous les députés allaient recevoir des « boutons d’alerte » pour leur sécurité personnelle.</p>
<p>Lors des élections fédérales de 2021, l’analyse des gazouillis reçus par les candidats sortants et les chefs de parti effectuée par le <a href="https://secureservercdn.net/198.71.233.229/z3f.d62.myftpupload.com/wp-content/uploads/2022/08/SAMBOT-2021-Federal-Election-Snapshot-1.pdf">Centre Samara pour la démocratie</a> montre que 19 % de ces messages étaient malsains, c’est-à-dire qu’ils étaient incivils, insultants, hostiles, menaçants ou grossiers.</p>
<p>Si les politiciens de tous horizons sont pris pour cible, les femmes, les Autochtones, les Noirs, les personnes racisées et les queers <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/mps-staff-online-hate-security-measures-1.5347221">sont les plus touchés</a> par les attaques contre la démocratie canadienne.</p>
<h2>Agression contre Chrystia Freeland</h2>
<p>En août 2022, un homme <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2022-08-27/l-agression-verbale-contre-freeland-suscite-l-indignation-chez-les-politiciens.php">a interpellé la ministre des Finances Chrystia Freeland</a> et son entourage composé uniquement de femmes devant un ascenseur de l’hôtel de ville de Grande Prairie, en Alberta, et lui a lancé des insultes et des jurons.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1563992273180049409"}"></div></p>
<p>Cet incident a incité d’autres politiciennes à parler du harcèlement qu’elles subissent.</p>
<p>La mairesse de Calgary, Jyoti Gondek, <a href="https://www.ledevoir.com/politique/canada/750603/la-mairesse-de-calgary-a-elle-aussi-ete-menacee">a fait part sur Twitter du harcèlement</a> qu’elle a vécu, tandis que Marwah Rizqy, députée libérale du Québec, a révélé publiquement le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1909560/menaces-marwah-rizqy-enrico-ciccone-bureau-vol-vandalisme">harcèlement et les menaces</a> dont elle a fait l’objet récemment.</p>
<p>À l’automne, Mme Rizqy a reçu des menaces de mort, notamment de la part d’un homme qui aurait appelé la police pour lui indiquer <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2022/09/02/menaces-a-lendroit-de-lelue-il-voulait-etre-le-chauffeur-de-marwah-rizqy">où se trouvait son cadavre</a>. Elle était alors enceinte.</p>
<p>Quelques semaines plus tard, des gens ont lancé une campagne de harcèlement en ligne visant des <a href="https://www.ctvnews.ca/canada/women-journalists-targeted-in-co-ordinated-campaign-of-hate-canadian-association-of-journalists-1.6045856">femmes journalistes</a> – dont plusieurs qui sont racisées.</p>
<h2>Menaces violentes</h2>
<p>Dans tous ces cas, les harceleurs ont eu recours à un langage, à des images ou à des accessoires violents, misogynes ou racistes pour rabaisser, intimider et menacer leurs cibles.</p>
<p>Nous avons également appris que certains dirigeants politiques semblent prêts à utiliser la haine inscrite dans notre culture politique à des fins partisanes.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/491795/original/file-20221026-13-5gbu7p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme avec des cheveux bruns et des lunettes en train de parler" src="https://images.theconversation.com/files/491795/original/file-20221026-13-5gbu7p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/491795/original/file-20221026-13-5gbu7p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/491795/original/file-20221026-13-5gbu7p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/491795/original/file-20221026-13-5gbu7p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=358&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/491795/original/file-20221026-13-5gbu7p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=449&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/491795/original/file-20221026-13-5gbu7p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=449&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/491795/original/file-20221026-13-5gbu7p.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=449&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le chef conservateur Pierre Poilievre se lève pendant la période des questions à la Chambre des communes en octobre 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Adrian Wyld</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En octobre 2022, Global News a rapporté qu’un <a href="https://globalnews.ca/news/9178531/pierre-poilievres-youtube-channel-included-hidden-misogynistic-tag-to-promote-videos/">mot-clic misogyne</a> caché avait été inséré dans 50 des plus récentes vidéos YouTube du chef conservateur Pierre Poilievre.</p>
<p>Le mot-clic <a href="https://www.theguardian.com/lifeandstyle/2020/aug/26/men-going-their-own-way-the-toxic-male-separatist-movement-that-is-now-mainstream">MGTOW (pour « men going their own way » ou « hommes qui choisissent leur propre chemin »</a>) fait référence à un mouvement antiféministe en ligne qui prône la suprématie masculine.</p>
<p>Lorsqu’on l’a interrogé à ce sujet, M. Poilievre a dit <a href="https://www.ledevoir.com/politique/canada/762039/mot-clic-misogyne-de-poilievre-je-suis-outre-je-suis-hors-de-moi-dit-le-ministre-de-la-justice">condamner toutes les formes de misogynie</a>, mais n’a pas présenté d’excuses.</p>
<h2>Silence et exclusion</h2>
<p><a href="https://www.journalofdemocracy.org/articles/violence-against-women-in-politics/">Des études démontrent</a> que lorsque des femmes politiques, des employées, des militantes et des journalistes sont victimes de harcèlement simplement parce qu’elles sont des femmes, cela constitue une menace pour la démocratie.</p>
<p>Mona Lena Krook, politologue à l’Université Rutgers, <a href="https://www.rutgers.edu/news/violence-against-women-politics-growing-problem">a affirmé</a> que l’objectif de la violence contre les femmes de la sphère politique est de les réduire au silence et de les exclure de la vie publique.</p>
<p>Comme l’indiquent <a href="https://theconversation.com/another-barrier-for-women-in-politics-violence-113637">mes recherches</a> menées en collaboration avec Cheryl Collier, de l’Université de Windsor, la violence et le harcèlement constituent des obstacles à la participation des femmes à la vie politique canadienne et sapent les valeurs démocratiques, telles que la parité dans la représentation et la participation.</p>
<p>Après l’élection fédérale de 2021, les femmes détenaient 30,5 % des sièges à la Chambre des communes. Aujourd’hui, le Canada se classe <a href="https://data.ipu.org/fr/women-ranking?month=9&year=2022">61ᵉ sur 190 pays</a> en matière de représentation politique des femmes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un groupe d’hommes et de femmes posent pour une photo" src="https://images.theconversation.com/files/491786/original/file-20221025-18353-9jvwx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2960%2C1617&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/491786/original/file-20221025-18353-9jvwx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/491786/original/file-20221025-18353-9jvwx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/491786/original/file-20221025-18353-9jvwx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=329&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/491786/original/file-20221025-18353-9jvwx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/491786/original/file-20221025-18353-9jvwx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/491786/original/file-20221025-18353-9jvwx8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=414&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des femmes ministres des Affaires étrangères, dont Chrystia Freeland, posent pour une photo lors d’une conférence à Montréal en 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Des avancées</h2>
<p>Heureusement, les femmes canadiennes bénéficient de certaines avancées.</p>
<p>En 2018, le gouvernement libéral fédéral a adopté le projet de <a href="https://www.parl.ca/LegisInfo/fr/projet-de-loi/42-1/c-65?view=progress">loi C-65</a> qui actualise et renforce la législation existante pour prévenir et combattre le harcèlement et la violence dans tous les lieux de travail sous réglementation fédérale. Cela inclut le Parlement.</p>
<p>En 2021, en réponse au projet de loi C-65, la Chambre des communes et le Sénat ont mis à jour leurs politiques pour prévenir et traiter la violence et le harcèlement.</p>
<p>Depuis le mouvement #MoiAussi, de nombreuses assemblées législatives provinciales et territoriales ont également adopté des codes de conduite ou des politiques pour lutter contre le harcèlement sexuel.</p>
<p>Bien que ces politiques et ces codes ne suffisent pas et que des mesures supplémentaires soient nécessaires, l’attention des médias et du public depuis #MoiAussi sur le harcèlement et la violence au travail a suscité des changements au sein de ces législatures.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une foule manifeste" src="https://images.theconversation.com/files/491789/original/file-20221026-11-h5s605.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3000%2C1985&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/491789/original/file-20221026-11-h5s605.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/491789/original/file-20221026-11-h5s605.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/491789/original/file-20221026-11-h5s605.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/491789/original/file-20221026-11-h5s605.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/491789/original/file-20221026-11-h5s605.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/491789/original/file-20221026-11-h5s605.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une grande foule se rassemble au square Nathan Phillips pour le début de la marche des femmes de Toronto, en janvier 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Tijana Martin</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais cela ne suffit pas. Les ententes de confidentialité dans les cas de harcèlement et de violence doivent être interdites dans toutes les organisations et sur tous les lieux de travail, y compris dans les assemblées législatives. Cependant, l’interdiction de ces ententes ne suffira pas non plus à mettre fin aux comportements non éthiques.</p>
<p>Comme le montrent <a href="https://doi.org/10.1093/sp/jxy024">mes recherches</a> avec Mme Collier, les institutions politiques – qui demeurent principalement blanches, cisgenres et dominées par les hommes – doivent en faire davantage pour éradiquer leurs cultures sexistes et d’exclusion.</p>
<p>Les législateurs doivent adopter des stratégies visant à perturber les <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/EDI-04-2019-0117/full/html">« réseaux de complicité »</a> qui protègent les puissants et permettent les comportements abusifs. Des processus totalement impartiaux et transparents, qui traitent toutes les formes de violence et imposent des sanctions sérieuses aux auteurs de violences ou de harcèlement, sont nécessaires.</p>
<h2>La démocratie attaquée</h2>
<p>Il convient également d’aborder le harcèlement des journalistes, des candidats politiques, des employés et des élus par une petite faction du public.</p>
<p>Une attaque contre un responsable politique doit être considérée comme une attaque contre la démocratie canadienne et ne devrait pas être tolérée dans une société libre et démocratique.</p>
<p>Enfin, les partis politiques doivent améliorer le recrutement et l’élection de personnes d’origines diverses à des fonctions publiques.</p>
<p>Au moment du 10<sup>e</sup> anniversaire du mouvement #MoiAussi, en 2027, la démocratie canadienne sera, espérons-le, renforcée par les mesures que nous prenons aujourd’hui pour mettre fin à la violence et au harcèlement en politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193579/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tracey Raney a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines.</span></em></p>Lorsque le harcèlement est dirigé contre des femmes politiques, des militantes et des journalistes parce qu’elles sont des femmes, il constitue une menace pour la démocratie.Tracey Raney, Professor of Politics and Public Administration, Toronto Metropolitan UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1924812022-10-28T13:48:03Z2022-10-28T13:48:03Z#MeToo dans l’espace : les risques de violences sexuelles loin de la Terre sont bien réels<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490945/original/file-20221020-14-9rzl91.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=24%2C24%2C5439%2C3612&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Il y a moins de femmes que d'hommes astronautes impliqués dans la recherche, la formation et les missions.</span> <span class="attribution"><span class="source">(CH W/Unsplash)</span></span></figcaption></figure><p>Nous sommes à l’aube d’une nouvelle ère d’exploration spatiale. La NASA veut envoyer la <a href="https://www.nasa.gov/specials/artemis/">première femme et la première personne de couleur</a> sur la lune d’ici la fin de l’année 2025, et envoyer un équipage sur Mars pour une mission d’un an et demi dans les années 2030.</p>
<p>Pour veiller à ce que ce voyage vers les frontières de l’infini soit sécuritaire et plaisant, les agences nationales comme la <a href="https://www.nasa.gov/">NASA</a> et des entreprises privées comme <a href="https://www.spacex.com/">SpaceX</a> doivent prendre en considération les facteurs techniques et humains associés au travail et à la vie dans l’espace. Or, les réalités de la sexualité et de l’intimité dans l’espace sont passées largement sous silence.</p>
<p>Comment les gens pourront-ils vivre pendant des périodes prolongées dans les conditions extrêmes d’isolement et de confinement qui sont celles des engins spatiaux et des autres planètes ? Comment géreront-ils le fait de tomber en amour, d’avoir des relations sexuelles ou d’entamer des relations et d’y mettre fin dans de telles conditions ? Comment composeront-ils avec le stress, le choix limité de partenaires intimes et les enjeux relatifs au consentement ? Comment le harcèlement sexuel ou l’agression sexuelle seront-ils prévenus ou combattus ?</p>
<p>Le 15 octobre 2017, #MeToo (#MoiAussi) a marqué le début d’un mouvement de protestation mondial contre le harcèlement sexuel et l’agression sexuelle. En tant que chercheurs examinant les facteurs humains dans l’espace et la sexologie spatiale – l’étude de l’intimité et de la sexualité loin de la Terre –, nous estimons qu’il est temps d’envisager l’avenir de #MeToo dans l’espace.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/damour-et-de-fusee-comment-avoir-des-relations-sexuelles-dans-lespace-et-assurer-ainsi-la-survie-et-le-bien-etre-de-lhumanite-167873">D’amour et de fusée : comment avoir des relations sexuelles dans l’espace et assurer ainsi la survie et le bien-être de l’humanité ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Agression sexuelle et recherche spatiale</h2>
<p>Le 3 décembre 1999, Judith Lapierre, une infirmière et chercheure en médecine sociale canadienne, <a href="https://www.theglobeandmail.com/news/national/space-researcher-quits-over-sexual-harassment/article4162149/">embarque à bord d’une réplique de la station spatiale Mir, à Moscou, pour une expérience de simulation de 110 jours</a>. Judith Lapierre est la seule femme parmi un équipage de huit personnes.</p>
<p>Un mois après le début de l’étude, le commandant en chef russe évoque l’idée de tenter une expérience dans le cadre de laquelle Judith Lapierre serait traitée comme l’objet sexuel de l’équipage. Au réveillon du jour de l’An, il déclare qu’il est temps de « réaliser l’expérience », attrape Judith Lapierre et l’embrasse de force, bien qu’elle lui demande d’arrêter à plusieurs reprises.</p>
<p>Judith Lapierre avertit <a href="https://www.asc-csa.gc.ca/eng/">l’Agence spatiale canadienne</a> et avise son commandant d’équipage autrichien, <a href="https://www.theglobeandmail.com/news/national/space-researcher-recounts-her-horror/article4162603/">qui exhorte immédiatement les dirigeants locaux et internationaux à prendre des mesures</a>.</p>
<p>Lors d’entrevues auprès des médias à la suite de son expérience, Judith Lapierre confie qu’elle s’attend à pouvoir profiter d’un environnement de travail sécuritaire, exempt de harcèlement et de violence. Pourtant, certains organes de presse russes lui rejettent la faute tout en donnant une fausse image d’elle, la présentant comme une personne déprimée et la source de problèmes n’ayant aucun rapport, <a href="https://archive.macleans.ca/article/2000/4/17/a-space-dream-sours">notamment une altercation physique entre des membres russes de l’équipage</a>.</p>
<p>L’agression survenue lors de l’expérience de simulation est minimisée et attribuée à des différences culturelles. Par la suite, la carrière de Judith Lapierre dans le secteur spatial <a href="https://www.nbcnews.com/id/wbna6955149">devient un combat incessant, et ce, parce qu’elle s’est exprimée</a>.</p>
<p>Comme elle l’explique dans le film <a href="https://www.imdb.com/title/tt14960976/"><em>Last Exit : Space</em></a> réalisé en 2022 par Rudolph et Werner Herzog :</p>
<blockquote>
<p>Quand cette mission a pris fin, cela a vraiment eu une incidence considérable sur ma carrière tout entière. Je pensais pouvoir amorcer mon projet de recherche au sein de l’agence spatiale ou une carrière dans mon domaine, mais j’ai été complètement évincée du système.</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pwwgU-64mKY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption"><em>Last Exit : Space</em> explore ce que signifie la colonisation spatiale.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Autres contextes de recherche</h2>
<p>Judith Lapierre n’est pas la seule. Des cas de harcèlement sexuel ont pu être observés dans d’autres contextes comparables aux conditions extrêmes des environnements spatiaux réels et simulés.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.nsf.gov/geo/opp/documents/USAP%20SAHPR%20Report.pdf">rapport de 2022 commandé par la Fondation nationale des sciences des États-Unis</a>, parmi les 290 femmes ayant répondu à l’enquête, 72 pour cent et 47 pour cent déclarent que le harcèlement sexuel et l’agression sexuelle, respectivement, constituent un problème au sein du United States Antarctic Program (USAP). Comme l’une des survivantes le raconte :</p>
<blockquote>
<p>Je sais que tout ça n’a rien de nouveau pour vous, c’est juste quelque chose de bien connu à la station. C’est tellement évident que ce n’est presque pas la peine d’en parler. Le harcèlement sexuel et l’agression sexuelle sont une réalité ici, tout comme le fait qu’il fait froid en Antarctique et que le vent souffle.</p>
</blockquote>
<p>Le rapport de la Fondation Nationale des Sciences des États-Unis met en évidence le manque de prévention appropriée et de systèmes pour signaler ce genre de situations et y faire face. Il souligne également le manque de soutien apporté aux victimes-survivantes, ainsi que le manque de confiance dans les ressources humaines et la direction de l’USAP. Or, seule une minorité des membres de la direction reconnaît que le harcèlement sexuel (40 pour cent) et l’agression sexuelle (23 pour cent) sont un problème au sein de l’USAP.</p>
<p>Le phénomène ne se limite pas à l’USAP. En 2021, des personnes employées par les entreprises aérospatiales <a href="https://www.space.com/19584-blue-origin-quiet-plans-for-spaceships.html">Blue Origin</a> <a href="https://www.space.com/spacex-sexual-harassment-allegations-lawsuits">et SpaceX</a> formulent un nombre alarmant d’allégations de harcèlement sexuel et d’inconduite sexuelle.</p>
<p>Dans une <a href="https://www.lioness.co/post/bezos-wants-to-create-a-better-future-in-space-his-company-blue-origin-is-stuck-in-a-toxic-past">lettre ouverte</a>, un groupe de 21 personnes employées, actuelles et anciennes, de Blue Origin dénoncent une culture de travail sexiste, des comportements inappropriés envers les femmes ainsi que des cas de harcèlement sexuel exercés par des membres de la haute direction.</p>
<h2>Pas de fin en vue ?</h2>
<p>Pour que l'humanité puisse franchir les prochaines étapes de la conquête de l’univers, la culture de l’exploration spatiale doit changer.</p>
<p>Ces événements navrants exigent des agences nationales et des entreprises privées du secteur spatial qu’elles adoptent une position proactive dans la lutte contre le harcèlement sexuel et l’agression sexuelle. La NASA et les autres organisations spatiales doivent aller au-delà de la mise en œuvre de <a href="https://www.nasa.gov/sites/default/files/files/533577main_45013-Anti-Harassment_Brochure-Final.pdf">politiques fondamentales de lutte contre le harcèlement</a>. Elles doivent fournir les ressources nécessaires pour mettre en place des infrastructures appropriées de prévention, de signalement et de traitement des cas, ainsi qu’un soutien et une protection des victimes-survivantes.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/489386/original/file-20221012-21-dusw08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="une murale en relief montre des astronautes s’approchant de quelque chose d’invisible" src="https://images.theconversation.com/files/489386/original/file-20221012-21-dusw08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489386/original/file-20221012-21-dusw08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489386/original/file-20221012-21-dusw08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489386/original/file-20221012-21-dusw08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=419&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489386/original/file-20221012-21-dusw08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489386/original/file-20221012-21-dusw08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489386/original/file-20221012-21-dusw08.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=527&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Des directives claires doivent être mises en place afin de prévenir et de contrer l’agression sexuelle dans l’espace.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Max Tcvetkov/Unsplash)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ces mesures peuvent comprendre la création d’entités de surveillance distinctes composées de sexologues et de professionnels de la santé et psychosociaux qualifiés, de même que des investissements dans <a href="https://www.mic.com/life/sex-in-space-research-space-sexology">l’étude des relations humaines et de la santé sexuelle dans l’espace</a>.</p>
<p>La participation des victimes-survivantes doit être sollicitée à chaque étape de la réflexion et de la mise en œuvre de solutions. Cette condition est essentielle pour assurer la sécurité des milieux basés sur Terre et dans l’espace et mener de façon éthique des recherches scientifiques indispensables sur la vie humaine dans l’espace.</p>
<p>Le mouvement #MeToo nous a démontré la puissance de l’action collective. Pour reprendre les <a href="https://doi.org/10.1080/00224499.2021.2012639">propos de Judith Lapierre</a> :</p>
<blockquote>
<p>Il est temps, plus que jamais, de relever les véritables défis de l’exploration spatiale, avec honnêteté et transparence, et en reconnaissant que les comportements inacceptables sur Terre le sont également dans l’espace pour une civilisation spatiale.</p>
</blockquote>
<hr>
<p><em>Article coécrit par Emily Apollonio, présidente et chef de la direction d’Interstellar Performance Labs.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192481/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maria Santaguida a reçu des financements de Fonds de Recherche du Québec - Société et culture (FRQSC).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Simon Dubé a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec - Santé (FRQS) et des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Judith Lapierre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’on se fie à l’histoire, l’exploration spatiale devra faire face et prévenir le harcèlement et les agressions sexuelles lors des missions et des formations.Maria Santaguida, PhD Candidate, Psychology of Human Sexuality, Erotic Technology & Space Sexology, Concordia UniversityJudith Lapierre, Professor, Nursing Science, Université LavalSimon Dubé, Postdoc Research Fellow, Kinsey Institute, Indiana UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1926832022-10-18T16:41:39Z2022-10-18T16:41:39ZUn procès pour viol dans l’Amérique des années 1940 : le cas Errol Flynn<p>Le 17 octobre 1942, tandis que la guerre du Pacifique fait rage non loin de Los Angeles, l’acteur Errol Flynn est accusé d’avoir violé une jeune fille de 17 ans lors d’une fête à Bel Air, un quartier chic de la ville. C’est le début d’une histoire sombre et pleine de rebondissements, qui va accaparer l’attention du public. Quatre jours plus tard, deux autres accusations sont portées contre lui pour avoir violé à deux reprises une jeune fille de 15 ans à bord de <a href="https://www.abc.net.au/news/2021-08-15/errol-flynn-hellraiser-visit-to-queensland-towns/100373874">son yacht</a> un an auparavant.</p>
<p>C’est ainsi que débute une <a href="https://www.telerama.fr/cinema/la-pin-up-des-annees-30-quand-hollywood-vendait-du-reve...-completement-sexiste,n6307053.php">saga hollywoodienne</a> mettant en lumière un aspect sombre de ce monde privilégié où le sacrifice et la souffrance semblent inexistants. Et cette mise en question de la loi sur l’atteinte sexuelle sur mineur implique la plus grande star de cinéma de l’époque.</p>
<p>Sept ans plus tôt, Flynn était passé du statut d’inconnu australien – un comédien de la Warner Brothers parmi un million d’autres – à celui d’idole d’Hollywood grâce à son rôle-titre dans le film <em>Capitaine Blood</em>, sorti en 1935. Flynn devient rapidement un héros emblématique des films d’action. Il est ce mélange de beauté physique, de charme diabolique, de galanterie et de masculinité coloniale brute constamment mis en scène dans les scènes de combat, une épée à la main.</p>
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<p>En 1942, Flynn avait déjà tourné 19 films et était célèbre pour ses interprétations dans <em>La Charge de la brigade légère</em> (1936), <em>Robin des Bois</em> (1938), <em>L’Aigle des mers</em> (1940), et dans le rôle du héros américain George Armstrong Custer, dans <em>La Charge fantastique</em> (1940).</p>
<p>Il est également célèbre pour avoir incarné un nouveau type de masculinité blanche aux mœurs légères, qui se rebelle contre les limites étouffantes du mariage monogame. Flynn était un mélange de beauté correspondant aux canons de l’époque et de virilité « next door » familière aux publics américains et australiens imprégnés des légendes nationales de conquête.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488884/original/file-20221009-78090-g8xev5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Flynn avec Olivia de Havilland dans la bande-annonce originale des Aventures de Robin des Bois.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Warner Bros</span></span>
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<p>À la fin de l’année 1942, des poursuites judiciaires sont engagées contre Flynn pour les trois accusations de détournement de mineur liées à la fête de Bel Air et à son yacht. Au même moment, les cinéphiles le voient jouer le rôle d’un pilote de l’armée de l’air australienne, Terry Forbes, aux côtés du futur président américain Ronald Reagan, dans un drame anti-nazi émouvant mais improbable, <em>Sabotage à Berlin</em>.</p>
<p>Pendant ce temps, dans tout le Pacifique, les Américains et les Australiens sont engagés dans des batailles titanesques contre les Japonais dans les airs, sur terre et sur mer – les combats s’intensifient. Flynn, comme des centaines de milliers d’autres personnes, tente de s’engager dans les forces armées américaines. (il avait obtenu la citoyenneté américaine juste avant son procès). Refusé parce que souffrant de tuberculose, il n’incarnera l’héroïsme de guerre qu’à l’écran.</p>
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<h2>Privilège colonial</h2>
<p>Flynn a été un « faux » soldat au cinéma, mais son personnage colonial était bel et bien inspiré par sa vie. Né en Tasmanie en 1909, l’enfance de Flynn est marquée par le mariage tumultueux de ses parents. Ses résultats scolaires sont médiocres et il est renvoyé de multiples institutions en Tasmanie, à Londres et à Sydney. À partir de 18 ans, Flynn passe près de six ans dans les colonies australiennes de Papouasie et de Nouvelle-Guinée. Entre 1927 et 1933, il tente de s’enrichir dans toute une série de professions et d’entreprises,</p>
<p>du service gouvernemental à la gestion de plantations de coprah et de tabac, en passant par la gestion de navires interîles, la pêche à la dynamite, la recherche d’or et le recrutement de travailleurs.</p>
<p>Contrairement à des milliers d’autres hommes de sa génération qui deviennent soldats à partir de 1939, ce n’est qu’en Nouvelle-Guinée que Flynn fera usage des armes pour combattre la population locale, une pratique courante dans ce monde colonial.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/if-papua-new-guinea-really-is-part-of-australias-family-wed-do-well-to-remember-our-shared-history-159528">If Papua New Guinea really is part of Australia's 'family', we'd do well to remember our shared history</a>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=746&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=746&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=746&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=937&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=937&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488882/original/file-20221009-58516-72oc4j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=937&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Errol Flynn pictured in 1940.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span></span>
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<p>En Nouvelle-Guinée, Flynn a intériorisé le credo de l’homme blanc colonial avec tous ses pouvoirs et privilèges, en particulier les privilèges sexuels dans un cadre imprégné de violence, que son statut lui confère. Des années après les faits, Flynn a non seulement reconnu avoir eu de nombreuses relations sexuelles en Nouvelle-Guinée, mais aussi les avoir eues avec de très jeunes filles, faisant valoir que l’âge n’avait « pas d’importance » là-bas.</p>
<p>Flynn vivait dans un monde colonial où de telles relations étaient omniprésentes. Selon l’administrateur de la colonie de Nouvelle-Guinée, le fait que les femmes autochtones « aiment ou n’aiment pas » avoir des relations avec des hommes australiens « n’avait pas la moindre importance ». C’est là que Flynn dit <a href="https://www.academia.edu/45535121/Wild_Colonial_Boy_Errol_Flynn_s_Rape_Trial_Pacific_Pasts_and_the_Making_of_Hollywood">être « devenu un homme »</a>.</p>
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<p>Lorsque Flynn, âgé de 33 ans, comparaît devant un tribunal de Los Angeles en octobre 1942 pour répondre de trois accusations de détournement de mineure, ses <a href="https://calisphere.org/item/7a87f5d4e84ed5cadf441eaec19bd0b8/">deux accusatrices</a> sont sorties de l’ombre. En août 1941, Peggy Satterlee, 15 ans, avait fait des excursions d’une journée avec sa sœur sur le bateau de Flynn, le <em>Sirocco</em>. Il l’a ensuite invitée à faire un plus long voyage lors d’un tournage pour le magazine <em>Life</em>. Satterlee a affirmé que le premier soir, après avoir ajouté de l’alcool dans son verre, Flynn est venu dans sa chambre et l’a violée. La nuit suivante, selon elle, il l’a attirée dans une autre cabine et l’a violée à nouveau.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489293/original/file-20221012-24-h1tqhi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Betty Hansen (centre).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Getty</span></span>
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<p><a href="https://tessa.lapl.org/cdm/ref/collection/photos/id/12506">Betty Hansen</a>, quant à elle, avait obtenu son diplôme de fin d’études secondaires à Lincoln, dans le Nebraska, en juin 1942, avant de déménager à Los Angeles, où vivait sa sœur aînée. Alors qu’elle travaillait dans un drugstore, un employé du studio Warner Brothers l’a invitée à la fête de Bel-Air pour rencontrer Flynn. Il lui a dit que Flynn pourrait lui trouver du travail dans le cinéma « si elle jouait le jeu avec lui ».</p>
<p>Betty a obtempéré et après que Flynn lui ait offert un verre, elle s’est sentie mal. Il l’a emmenée à l’étage où, selon elle, il l’avait déshabillée et avait eu des relations sexuelles avec elle.</p>
<p>Pourtant, il a été jugé que les deux filles avaient commis des « délits » : l’une avait subi un avortement et l’autre avait était accusée d’« acte sexuel » illégal avec un autre homme. Elle a été placée en « détention préventive » tout au long de la procédure judiciaire qui a suivi.</p>
<p>Flynn a nié les accusations, affirmant au contraire que les filles essayaient de s’enrichir en portant des accusations contre lui. Flanqué de ses deux avocats, il a traversé un couloir « bondé de femmes curieuses » et de fans pour entendre les preuves contre lui. Les procédures ne lui sont pas favorables et l’affaire donne lieu à une audience préliminaire sur les trois « infractions morales » prévues par la loi.</p>
<p>Immédiatement après cette audience, Flynn commence à semer les graines d’une histoire de conspiration impliquant des studios et des politiciens dans laquelle il se sent piégé, un argument qu’il reprendra une fois l’affaire terminée. « Il est très étrange », a-t-il déclaré, « que je sois aujourd’hui accusé d’un délit présumé qui aurait eu lieu il y a plus d’un an ».</p>
<p>Faisant appel à l’humeur patriotique en temps de guerre, Flynn conclut :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis devenu récemment un citoyen américain et j’ai une foi absolue et durable dans les principes de justice américains. Je suis convaincu que mon innocence sera démontrée au tribunal au-delà de tout doute. »</p>
</blockquote>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/488891/original/file-20221009-58516-mwbb1c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488891/original/file-20221009-58516-mwbb1c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488891/original/file-20221009-58516-mwbb1c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488891/original/file-20221009-58516-mwbb1c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488891/original/file-20221009-58516-mwbb1c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488891/original/file-20221009-58516-mwbb1c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488891/original/file-20221009-58516-mwbb1c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488891/original/file-20221009-58516-mwbb1c.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les nouvelles des allégations de viol dans le Los Angeles Times.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Author provided</span></span>
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<h2>Sourires et regards</h2>
<p>En novembre, une audience préliminaire est organisée sur les trois accusations. Les légions de fans de Flynn, en particulier les femmes, allaient-elles l’abandonner maintenant qu’il était accusé de viol ? Manifestement pas, à en croire la foule rassemblée à l’extérieur de la salle d’audience dans l’espoir d’apercevoir la star. Les fans les plus chanceux ont obtenu des places à l’intérieur du tribunal pour assister à la procédure, qui devait déterminer si Flynn serait jugé et condamné à une peine potentielle de 50 ans de prison.</p>
<p>Ses avocats trouvent des arguments pour le défendre. Mais Satterlee se souvient très bien que Flynn l’a « attaquée » sur son bateau d’une manière « si sauvage » qu’elle a craint « qu’il ne [la] tue ». Le juge décide qu’Errol Flynn doit répondre de ces accusations et le traduit en justice.</p>
<p>Lorsque le procès de Flynn s’ouvre le 11 janvier 1943, sa prestation dans la salle d’audience est sans doute la plus marquante de sa carrière. Les jeunes accusatrices sont photographiées et sont scrutées de toute part, car elles comparaissent devant le tribunal sans aucune mesure pour protéger leur anonymat. Il s’agit pour le public d’un divertissement gratuit – le plus émoustillant qui soit. La plupart des témoignages sont jugés non imprimables, trop indécents pour les journaux familiaux.</p>
<p>C’est un procès à sensation : des <a href="https://trove.nla.gov.au/newspaper/article/75898454/7414553">foules de femmes</a>, des jeunes filles aux grands-mères, se pressent pour entrer dans la salle d’audience. Des équipes médicales sont là « au cas où des fans s’évanouiraient et devraient être réanimées ». Des barricades sont érigées pour retenir la foule qui se rassemble deux heures avant l’ouverture des portes du tribunal. Lorsqu’elles s’ouvrent, les cartes d’identité ont été vérifiées pour s’assurer qu’aucune femme de moins de 21 ans n’était admise, tant l’affaire semblait indécente pour les oreilles délicates des jeunes femmes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/489520/original/file-20221013-24-ammf7r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/489520/original/file-20221013-24-ammf7r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/489520/original/file-20221013-24-ammf7r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/489520/original/file-20221013-24-ammf7r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/489520/original/file-20221013-24-ammf7r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=453&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/489520/original/file-20221013-24-ammf7r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=569&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/489520/original/file-20221013-24-ammf7r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=569&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/489520/original/file-20221013-24-ammf7r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=569&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Foule à l’extérieur de la salle d’audience.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Getty</span></span>
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<p>Les accusatrices, loin d’être majeures pourtant, n’ont bénéficié d’aucune protection de ce type, l’accusation et la presse exerçant une pression maximale sur les adolescentes.</p>
<p>À l’extérieur, les femmes se pressent autour du tribunal, s’agrippant à Flynn sur son passage, lui adressant des mots d’encouragement, lui demandant des autographes, et arrachant les boutons de ses costumes sur mesure.</p>
<p>Il reçoit des milliers de lettres d’admirateurs, surtout des femmes. Ses films connaissent un succès retentissant, et Warner Brothers accélère la production de son prochain film, ironiquement intitulé <em>Gentleman Jim</em>. Le procès pour viol de Flynn était « extraordinairement bon pour les affaires » et la popularité de la star, selon un journal.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488886/original/file-20221009-59215-6ch5ae.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le film Gentleman Jim, dans lequel Flynn joue le rôle du champion de boxe poids lourd James J. Corbett.</span>
<span class="attribution"><span class="source">idmb</span></span>
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<p>Les femmes ont joué un rôle essentiel en tant qu’accusatrices, témoins et spectatrices, mais les femmes les plus importantes dans toute cette affaire – du moins pour Flynn – furent les jurées.</p>
<p>L’équipe de défense de Flynn souhaitait un jury exclusivement féminin, une tactique à laquelle l’accusation s’est opposée. Un groupe de jurés potentiels a été interrogé pendant près de trois jours pour savoir s’ils croyaient en un « double standard hollywoodien – un pour les acteurs et les actrices et un autre pour les non-professionnels » (mais on ne les a pas questionnés sur un double standard sexuel pour les hommes et les femmes) et s’ils étaient prêts à « renoncer à leur pudeur pour la durée du procès ».</p>
<p>Il leur a été demandé</p>
<blockquote>
<p>« si les témoins plaignants […] pleuraient à la barre des témoins, auriez-vous de la sympathie pour eux ou cela vous amènerait-il à les plaindre ? »</p>
</blockquote>
<p>Un jury composé de neuf femmes et de trois hommes est constitué. Outre leurs noms, leurs professions et leurs adresses, les photographies des jurés sont publiées en bonne place. Les femmes sont des femmes au foyer, les trois jurés masculins sont un épicier et vendeur d’assurance à la retraite, un ingénieur civil à la retraite et un employé d’une société de services publics.</p>
<p>Vêtues d’une tenue sombre et austère de dames « respectables » de la classe moyenne, les femmes jurées semblaient, à première vue, peu susceptibles d’éprouver de l’empathie pour Flynn. Mais il a fait tout son possible pour s’attirer leur sympathie.</p>
<p>Depuis l’autre bout de la salle d’audience, il échangeait <a href="https://trove.nla.gov.au/newspaper/article/202376989?searchTerm=Errol%20Flynn">« des regards et des sourires avec ces dames »</a> comme l’a rapporté un journal, et au fur et à mesure que le procès avançait, il devenait évident que Flynn suscitait quelque chose chez ces femmes, bien qu’elles soient « mûres, pour ne pas dire plus, et que beaucoup d’entre elles portent des lunettes et soient quelconques. »</p>
<h2>Mettre en doute la vertu des accusatrices</h2>
<p>Les avocats de Flynn s’en prennent aux accusatrices sur un ton vengeur. Les jeunes femmes étaient nerveuses et ont trébuché sur l’examen médico-légal des événements qui leur ont été présentés ; elles sont passées aux yeux du jury pour des menteuses complotistes.</p>
<p>De plus, l’équipe de défense a pris soin de souligner qu’il s’agissait de jeunes filles de la classe ouvrière, peu éduquées et peu surveillées, et que leur vertu était très suspecte.</p>
<p>Leur courte histoire sexuelle a fait l’objet d’un examen médico-légal (l’histoire sexuelle prolifique de Flynn a été considérée comme non pertinente) et a été utilisée pour influencer l’opinion du jury sur leur personnalité. La défense a également martelé l’idée que les accusations portées contre Flynn étaient un stratagème pour gagner de l’argent. Le juge a jugé irrecevable le récit vivant de Satterlee. Il a donc retiré l’élément de preuve le plus pertinent et le plus révélateur de l’affaire.</p>
<p>Les témoins de la fête de Bel Air ont donné des récits contradictoires. Entre-temps, un médecin légiste a examiné Satterlee après le voyage en yacht et a signalé des « preuves d’attouchements récents » – mais le tribunal n’en a pas tenu compte parce que le médecin était une femme. Un photographe a également témoigné que Satterlee était en détresse après la sortie en bateau. Mais l’affaire s’est essentiellement résumée au témoignage des filles contre celui de Flynn.</p>
<p>Après que ses avocats aient démoli les accusatrices, c’était au tour de Flynn de venir à la barre. « Sans sourire et sérieux », selon le <em>Chicago Daily Tribune</em>, Flynn n’a pas dévié de son « déni ferme et général » qu’il aurait été coupable d’une quelconque inconduite. Il a catégoriquement nié avoir eu des relations sexuelles avec l’une ou l’autre des filles, même s’il a reconnu avoir emmené Satterlee sur son yacht et rencontré Hansen à la fête.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488888/original/file-20221009-58588-2je82q.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Flynn n’a pas dévié d’un déni ferme et général.</span>
<span class="attribution"><span class="source">imdb</span></span>
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<p>Lors d’un contre-interrogatoire, l’avocat principal de Flynn s’est tenu au milieu de la salle d’audience et a posé une série de questions courtes couvrant les allégations contre lui. Flynn a <a href="https://trove.nla.gov.au/newspaper/article/140455761?searchTerm=Errol%20Flynn">« répondu par des négations théâtrales »</a>“.</p>
<p>C’était ensuite au tour du procureur adjoint d’interroger le témoin. Malgré un « interrogatoire éreintant », Flynn n’a pas « bougé ». Il livrait une performance brillante à son public.</p>
<p>Lorsque le procureur a présenté ses arguments finaux, il a <a href="https://trove.nla.gov.au/newspaper/article/78467194?searchTerm=Errol%20Flynn#">imploré le jury</a> de voir au-delà du « charme » de Flynn. Flynn « a utilisé son grand talent d’acteur à des fins répréhensibles », a-t-il déclaré, mais il doit être traité comme tout autre homme, et être envoyé en prison pour ses crimes.</p>
<p>L’avocat principal de Flynn a gardé sa plus grande performance pour la fin. Il a exhorté les jurés à « libérer Flynn et à le renvoyer à Hollywood comme l’une de ses plus brillantes étoiles ». Flynn était un homme honorable « mis à mal par deux intrigantes qui l’accusaient de détournement de mineure ».</p>
<p>Selon l’AAP, <a href="https://trove.nla.gov.au/newspaper/article/167645222?searchTerm=Errol%20Flynn">l’avocat Jerry Geisler</a> a crié pour souligner ses arguments. Il a même sauté à la barre des témoins, et a « fait un numéro d’imitation féminine », en croisant les jambes et en imitant la diction de l’une des accusatrices.</p>
<p>Le juge <a href="https://trove.nla.gov.au/newspaper/article/231749431?searchTerm=Errol%20Flynn">a prévenu le jury</a> qu’il devait considérer le témoignage des deux accusatrices « avec beaucoup de soin et de prudence ».</p>
<p>Il a également déclaré aux jurés que « le certificat de naissance n’était qu’une preuve prima facie et non une preuve concluante », arguant essentiellement que Flynn avait été trompé en pensant que les accusées étaient plus âgées qu’elles ne l’étaient, de sorte que la relation sexuelle (même si elle avait eu lieu) n’était pas en cause. On a clairement expliqué au jury que les deux jeunes femmes étaient des prédatrices.</p>
<p>Le 6 février, le jury a rendu son verdict.</p>
<p>À la lecture des trois verdicts « non coupable », Flynn bondit de sa chaise et se précipite vers la présidente du jury, avant d’adresser à chaque juré, même aux deux hommes âgés qui ont résisté à son acquittement, ses plus profonds remerciements et sa gratitude.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/488892/original/file-20221009-78090-jwsrre.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488892/original/file-20221009-78090-jwsrre.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488892/original/file-20221009-78090-jwsrre.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488892/original/file-20221009-78090-jwsrre.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488892/original/file-20221009-78090-jwsrre.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=377&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488892/original/file-20221009-78090-jwsrre.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488892/original/file-20221009-78090-jwsrre.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488892/original/file-20221009-78090-jwsrre.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Flynn serre la main du jury après le verdict.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Author provided</span></span>
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<p>La salle d’audience a explosé. Une foule de femmes « semi-hystériques » a assailli Flynn à l’extérieur. « Ma confiance dans la justice américaine est maintenant pleinement justifiée. Je le pense vraiment », <a href="https://trove.nla.gov.au/newspaper/article/2620470?searchTerm=Errol%20Flynn#">a-t-il déclaré</a>. « Je ne suis pas devenu un citoyen américain pour rien ».</p>
<p>Lorsqu’on lit le procès de Flynn aujourd’hui, il est difficile de ne pas penser à la résurgence de forces profondément conservatrices en Amérique, réaction à l’émancipation sociale des femmes. L’avortement, par exemple, est à nouveau un crime dans de nombreux États.</p>
<p>Le spectacle public que fut ce procès rappelle également le <a href="https://www.nbcnews.com/pop-culture/pop-culture-news/johnny-depp-amber-heard-defamation-trial-summary-timeline-rcna26136">procès en diffamation de Johnny Depp contre Amber Heard</a>. Les enjeux juridiques de ce récent procès étaient complètement différents – Depp intentait un procès en diffamation. Mais l’affaire a mobilisé des légions de fans de Depp autour du tribunal et sur Internet, qui ont méprisé Amber Heard. Rappelons que rôle le plus apprécié de Depp est celui d’un pirate crapuleux, Jack Sparrow.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/the-johnny-depp-amber-heard-defamation-trial-shows-the-dangers-of-fan-culture-182557">The Johnny Depp-Amber Heard defamation trial shows the dangers of fan culture</a>
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<p>Errol Flynn a été l’une des premières stars du cinéma à connaître une telle célébrité. Son procès a pris la forme d’un véritable cirque médiatique, dans lequel le privilège masculin n’a jamais été mis en cause. Il avait vaincu ce qu’il appelait, en écho à la Nouvelle-Guinée coloniale, « les chasseurs de têtes de Californie ». Ses accusatrices adolescentes, attirées par les lumières d’Hollywood, ont été contraintes de participer à un procès traumatisant au cours duquel l’exploitation des jeunes femmes par l’industrie n’a été que brièvement exposée.</p>
<p>Bien qu’elles aient été présentées comme des prédatrices et des complotistes, les deux jeunes filles ont tenté de retrouver l’anonymat et de reconstruire leur vie après le procès. Il faudra attendre le mouvement #MeToo en 2017 – 75 ans plus tard – pour que les abus systématiques inscrits dans les structures de pouvoir d’Hollywood soient pris au sérieux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192683/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patricia A. O'Brien a reçu un financement en tant que Future Fellow de l'Australian Research Council.</span></em></p>En octobre 1942, Errol Flynn est l’une des plus grandes stars de cinéma au monde. Lorsque deux adolescentes l’accusent de viol, son procès devient un spectacle public et offre un aperçu des doubles standards sexuels.Patricia A. O'Brien, Faculty Member, Asian Studies Program, Georgetown University; Visiting Fellow, Department of Pacific Affairs, Australian National University., Georgetown UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1919252022-10-17T15:44:26Z2022-10-17T15:44:26ZFace aux violences gynécologiques, d’autres voies que le pénal existent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490015/original/file-20221017-25-jl1a8a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les victimes de violences obstétricales ou gynécologiques peuvent engager la responsabilité du professionnel ou de l’établissement de santé. </span> <span class="attribution"><span class="source">Try_my_best</span></span></figcaption></figure><p>Le 12 octobre 2022, <em>Le Monde</em> publiait un article intitulé <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/10/12/de-la-banalisation-de-la-douleur-au-ressenti-de-viol-le-vecu-de-patientes-en-gynecologie_6145399_3224.html">« De la douleur banalisée au ressenti de “viol”, les expériences traumatisantes en gynécologie »</a>. Cet article intervient dans un contexte de dénonciations, depuis plusieurs années maintenant, des <a href="https://www.cairn.info/revue-sante-publique-2021-5-page-629.html">atteintes portées aux droits des patientes dans leur suivi gynécologique et obstétrical</a>.</p>
<p>Face à ces atteintes, différentes initiatives ont été entreprises telles que la réalisation d’un <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/sante-droits-sexuels-et-reproductifs/actualites/article/actes-sexistes-durant-le-suivi-gynecologique-et-obstetrical-reconnaitre-et">rapport par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes</a>, la rédaction d’une charte de la consultation en gynécologie et en obstétrique ou la <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2022/07/06/elisabeth-borne-saisit-le-comite-consultatif-national-d-ethique-sur-le-consentement-en-gynecologie_6133662_1653578.html">saisine le 6 juillet dernier du Comité consultatif national d’éthique</a> (CCNE).</p>
<p>L’enjeu de ces initiatives est de faire évoluer les pratiques pour prévenir ces atteintes. Il est toutefois illusoire de penser que les évolutions en cours puissent aboutir à une disparition totale des violences dans le suivi gynécologique et obstétrical. Une fois l’atteinte constituée, les victimes peuvent engager la responsabilité du professionnel ou de l’établissement de santé. Il est donc essentiel de préciser les voies de recours qui leur sont ouvertes. C’est l’un des enjeux du projet de recherche <a href="https://isjps.pantheonsorbonne.fr/gip-violences-gynecologiques-et-obstetricales-saisies-par-droit">« Les violences gynécologiques et obstétricales saisies par le droit »</a> sur lequel nous travaillons.</p>
<p>L’année 2022 a été marquée par les plaintes déposées au pénal contre deux gynécologues, <a href="https://www.liberation.fr/politique/visee-par-une-nouvelle-plainte-pour-violences-gynecologiques-la-secretaire-detat-chrysoula-zacharopoulou-se-defend-20220624_BMTPX3UDKJGEXCZ5YPWLYGP7AU/">l’une étant par ailleurs secrétaire d’État</a>.</p>
<p>Or, contrairement à ce que pourrait laisser penser l’importante médiatisation de ces affaires, les voies de recours face à ces atteintes ne se réduisent pas, loin s’en faut, au droit pénal. Celui-ci ne pourra d’ailleurs être utilement mobilisé que si les faits reprochés correspondent à une infraction.</p>
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<p>Les principales qualifications susceptibles d’être mobilisées sur le terrain pénal sont ainsi le viol, l’agression sexuelle, les violences volontaires et involontaires et, pour les cas les plus graves, l’homicide volontaire ou involontaire.</p>
<p>Nombre des atteintes dénoncées (non prise en compte de la gêne de la patiente, liée au caractère intime de la consultation, propos porteurs de jugements sur la sexualité, la tenue, le poids, qui renvoient à des injonctions sexistes, etc.) ne relèvent donc pas du droit pénal, mais peuvent être très traumatiques pour la patiente.</p>
<p>Le droit lui offre alors d’autres voies. Ces actions ne sont pas, à quelques exceptions près, exclusives les unes des autres et peuvent être cumulées, y compris le cas échéant avec un recours pénal. L’opportunité de choisir une voie plutôt qu’une autre dépend donc de la nature des faits reprochés, mais aussi des besoins et aspirations de la victime (excuses, indemnisation, sanction, etc.).</p>
<h2>La voie non juridictionnelle</h2>
<p>La voie non juridictionnelle, autrement dit sans passer devant un juge, peut être intéressante si la patiente souhaite comprendre sa prise en charge et voir reconnaître que les événements dont elle se plaint revêtent un caractère traumatique ou anormal, sans engager une démarche judiciaire potentiellement longue, coûteuse et dont l’issue est incertaine.</p>
<p>Une médiation en établissement de soins peut alors être envisagée. C’est une rencontre organisée en présence d’un tiers neutre et dont l’objet est de rétablir le dialogue, éventuellement la confiance entre le patient et le professionnel de santé ou son équipe. La démarche est présentée dans ce guide des bonnes pratiques <a href="https://www.iledefrance.ars.sante.fr/guide-sur-la-mediation-en-etablissement-de-soins">réalisé par l’Agence régionale de santé d’Ile de France</a>. Il est également possible d’adresser un courrier de plainte au service juridique ou à la commission des usagers de l’établissement concerné. </p>
<p>Cette plainte conduira le plus souvent à une conciliation dont l’objet est de trouver un terrain d’entente. Cette entente, si elle existe, pourra être formalisée par la conclusion d’une transaction c’est-à-dire, d’un contrat qui met fin à la contestation par le biais de concessions réciproques. La victime peut, par exemple, renoncer à toute poursuite judiciaire en contrepartie d’une indemnisation. Ainsi, la voie non contentieuse ne fait pas obstacle à une demande d’indemnisation, bien au contraire.</p>
<h2>Porter plainte auprès des ordres</h2>
<p>Un recours disciplinaire auprès de l’ordre professionnel compétent (médecin ou sage-femme) paraît de prime abord le plus approprié pour la patiente qui souhaite avant tout éviter que ce qu’elle a vécu se reproduise. Elle doit porter plainte auprès de l’ordre qui va alors organiser une conciliation.</p>
<p>Si celle-ci n’aboutit pas, la section disciplinaire de l’ordre est saisie du recours. Objectif : sanctionner les manquements aux obligations déontologiques par des peines disciplinaires graduées, allant de l’avertissement à l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer.</p>
<p>Parmi les obligations déontologiques communes, on trouve la non-malfaisance, le respect du patient, de sa personne et de sa dignité, comme on peut le lire dans le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006912860">Code de la santé publique</a>. Ainsi, de nombreux faits qui peuvent être qualifiés de violences gynécologiques sont susceptibles d’être invoqués devant les chambres disciplinaires des ordres professionnels.</p>
<p>Ce recours est indépendant des procédures pénale, civile ou administrative éventuellement engagées, mais se heurtera souvent à des questions de preuve, comme nous l’expliquons plus bas.</p>
<h2>Recours devant le juge judiciaire ou administratif</h2>
<p>Une action devant le juge judiciaire ou administratif (selon que les faits ont eu lieu dans un cadre libéral ou hospitalier) permet à la patiente d’espérer voir le professionnel de santé, ou l’établissement de santé, réparer le dommage subi par le biais d’une indemnisation. Cette indemnisation pourra être allouée pour compenser des préjudices extrêmement variés : physiques bien sûr mais aussi psychologiques. Devant le juge, l’obtention de cette indemnisation supposera cependant la preuve d’une faute (du professionnel ou de l’établissement) et d’un lien de causalité (c’est-à-dire qu’il faudra montrer que la faute est à l’origine du dommage).</p>
<p>La faute du professionnel sera caractérisée en cas d’erreur technique, comme la mauvaise réalisation d’un acte ou une erreur grossière de diagnostic, mais également en présence d’un manquement à une obligation de comportement tel qu’une attitude humiliante ou dégradante.</p>
<p>Cette voie présente un objectif indemnitaire, mais pas seulement : la condamnation du professionnel à verser une indemnité en tant que telle aura une incidence sur la notoriété du soignant et pourra le conduire à faire évoluer sa pratique.</p>
<p>On le voit, en théorie, le droit est actuellement relativement bien outillé pour répondre à la question des violences gynécologiques. La principale difficulté est d’ordre pratique et concerne la preuve, qu’il s’agisse de la preuve d’un manquement du professionnel, du dommage ou du lien de causalité entre les deux.</p>
<p>Concernant le dommage, la victime sera presque systématiquement soumise à une expertise médicale visant à constater sa réalité (et son importance ainsi que son lien avec les faits reprochés). Dès lors, elle a tout intérêt à être accompagnée d’un avocat spécialiste de la réparation du dommage corporel. Celui-ci pourra défendre au mieux ses intérêts lors de l’évaluation de ses préjudices par l’expert (mandaté selon la voie choisie, par l’assurance ou par le juge).</p>
<p>Si l’on ajoute à cela l’aléa de l’appréciation de la preuve des faits, par le juge et, a fortiori, par les confrères et consœurs du professionnel dans les procédures ordinales, on comprend que le parcours contentieux, en plus d’être long et coûteux, est très incertain. De fait, une grande majorité des patientes se tourne in fine vers la médiation et renonce à la voie contentieuse (aux alentours de 80 % selon les associations de patients).</p>
<h2>Commission de conciliation et d’indemnisation</h2>
<p>Pour échapper à certaines de ces difficultés, la patiente pourrait être tentée de saisir une commission de conciliation et d’indemnisation <a href="https://www.oniam.fr/indemnisation-accidents-medicaux/partenaires">(CCI)</a>. Ces instances sont présidées par un magistrat et composées notamment de représentants des usagers, des professionnels de santé, des établissements de santé, et de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (<a href="https://www.oniam.fr/indemnisation-accidents-medicaux/mission">ONIAM</a>). Cet établissement public a pour mission « d’organiser le dispositif d’indemnisation – amiable, rapide et gratuit – des victimes d’accidents médicaux ».</p>
<p>Le délai de traitement des demandes par les CCI était tout de même de dix mois en 2021. Ce recours amiable présente aussi certains inconvénients tenant tant aux conditions d’accès qu’à l’étendue de la réparation. L’indemnisation suppose en effet que la patiente rapporte la preuve que son dommage résulte d’un accident médical et on retrouve donc une partie des difficultés probatoires précédemment évoquées.</p>
<p>Si la CCI retient l’existence d’une faute du professionnel de santé, elle l’invite à indemniser la victime et, en cas de refus ou de silence de ce dernier, l’ONIAM peut jouer un rôle de garant et dédommager lui-même la victime, souvent à des montants moindres que ceux décidés par les juges tant administratif que judiciaire.</p>
<p>En l’absence de faute, la CCI invite l’ONIAM à indemniser la victime, mais uniquement si cette dernière présente un dommage extrêmement important (taux d’atteinte à l’intégrité physique ou psychique de 24 % au moins). De facto, de nombreuses victimes se trouvent donc exclues de cette indemnisation par la solidarité nationale.</p>
<p>Le droit dispose donc de nombreux instruments pour répondre aux manquements subis par les patientes dans leur suivi gynécologique et obstétrical. Ces instruments doivent être mieux connus des patientes, mais aussi mieux mobilisés pour saisir utilement les violences gynécologiques et obstétricales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191925/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elsa Supiot a reçu des financements de la Mission de recherche Droit et Justice, devenu Institut des Etudes et de la Recherche sur le Droit et la Justice. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Laurie Friant ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les violences gynécologiques ou obstétricales ne relèvent pas toujours du pénal. Le droit offre aux victimes d’autres recours, parfois méconnus, pour dénoncer ces atteintes.Elsa Supiot, Professeur, Droit privé et sciences criminelles., Université d'AngersLaurie Friant, Maître de conférences en droit privé, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1915612022-10-03T17:35:39Z2022-10-03T17:35:39ZAccusations de violences à l’encontre du personnel politique : ce que dit le droit<p>Plusieurs affaires récentes – qu’il convient désormais de dénommer par le nom de l’auteur présumé des actes de violence en la personne des députés <a href="https://lafranceinsoumise.fr/2022/09/18/communique-de-la-france-insoumise-sur-adrien-quatennens/">Adrien Quatennens (LFI)</a></p>
<p><a href="https://www.eelv.fr/communique-de-presse-du-bureau-executif-deel">Julien Bayou (EELV)</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/on-vous-resume-la-polemique-autour-du-depute-eric-coquerel-mis-en-cause-par-rokhaya-diallo-pour-son-comportement-avec-les-femmes_5231083.html">Eric Coquerel (LFI)</a> ou encore <a href="https://www.tf1info.fr/politique/elisabeth-borne-peut-elle-maintenir-damien-abad-vise-par-une-enquete-pour-tentative-de-viol-au-gouvernement-2224868.html">Damien Abad (LR)</a> – mettent en lumière les failles des systèmes de pré-traitement des plaintes ou de dénonciations en matière de crimes et délits sexuels au cœur des partis politiques.</p>
<p>L’organisation par les partis politiques d’organes compétents en leur sein pour régler les dénonciations à l’encontre de leurs membres nous paraît à la fois inégalitaire et insuffisante à garantir les enjeux de transparence démocratique.</p>
<p>Ainsi, plusieurs éléments d’organisation de ces instances semblent aux limites de l’État de droit. Il apparaît que les outils mis en place pour « démocratiser et prévenir » les <a href="https://theconversation.com/metoopolitique-vers-la-fin-dun-systeme-hegemonique-172536">violences dans le milieu politique</a> portent en eux-mêmes les maux – la crise de confiance et l’impunité – contre lesquels ils ont paradoxalement pour objet de lutter.</p>
<h2>Une inégalité entre les partis</h2>
<p>Un rapide tour d’horizon sur ces « comités » d’écoute pour les violences sexuelles ou sexistes permet de constater que seulement certains partis ont adopté ce type d’instance aux noms divers. On évoque ainsi le « comité de suivi contre les violences sexistes et sexuelles » <a href="https://lafranceinsoumise.fr/comment-ca-marche/contacter-le-pole-de-vigilance-et-decoute/">à La France insoumise</a> (LFI), la « cellule d’enquête et de sanction sur le harcèlement et les violences sexuelles et sexistes » chez <a href="https://www.eelv.fr/stop-harcelement/">Europe Écologie Les Verts</a> (EELV), la « commission de lutte contre le harcèlement et les discriminations » au <a href="https://www.parti-socialiste.fr/lutte_contre_les_vss">Parti socialiste</a> ou encore la « cellule de signalement » au sein de <a href="https://parti-renaissance.fr/">Renaissance</a> (bien qu’aucune page Internet dédiée ne semble encore avoir été mise en place).</p>
<p>Les différences d’appellation correspondent à des différences de champ de compétence, ce qui montre que chacune de ces commissions ne traite pas de la même manière des mêmes questions quand d’autres partis politiques n’en ont tout simplement pas adopté comme c’est le cas pour le parti « Les Républicains ».</p>
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<p>Il en résulte ainsi que, bien que ces comités aient pour but de parvenir à une égalité de droit entre hommes et femmes dans les dénonciations sexistes, ils conduisent à une autre inégalité suivant le parti concerné. En effet, selon que l’auteur des incriminations soit membre d’un parti ou d’un autre, un comité existera ou n’existera pas et sera ou non compétent.</p>
<p>Une victime de harcèlement par un membre du parti Les Républicains ira nécessairement en justice là où, si la victime est membre du parti LFI, elle pourra passer par un comité.</p>
<p>L’organisation interne des partis relève certes de leur liberté puisqu’elle résulte de la liberté d’association de la loi de 1901 (à propos de la liberté et du <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2012/2012233QPC.htm">pluralisme des partis</a>. Cette liberté d’organisation peut néanmoins porter préjudice lorsqu’elle conduit à des inégalités de fait et de traitement, dommageables à l’action nationale de ces partis comme c’est le cas également quant à <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/revue-doctrinale-generale-cahier-42">l’inégalité dans le traitement des primaires politiques</a>.</p>
<h2>Des commissions internes aux frontières de la séparation des pouvoirs</h2>
<p>L’organisation interne des partis relève du domaine de compétence du <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03081706/document">juge judiciaire</a> puisque ce sont des <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01966934/document">associations de la loi de 1901</a>. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000033943696">(Cass. 1ʳᵉ Civ., 25 janv. 2017</a>.</p>
<p>Pour autant, ces partis politiques sont des organes dont les membres ont vocation à remplir des fonctions électives parlementaires ou exécutives et la plupart des « grandes affaires » mettent en cause des membres de l’Assemblée Nationale ou des ministres.</p>
<p>Or les questions des poursuites judiciaires à l’encontre des élus politiques sont directement réglées par la Constitution (articles 26 et 68 de la Constitution) et l’organisation marginale de ces comités internes revient sur la clarté des partages de compétences constitutionnelles (voir ainsi les jurisprudences de la Cour européenne concernant la <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22001-62081%22">particularité, par exemple de la liberté d’expression à l’encontre des politiques</a>).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/peut-on-en-finir-avec-le-virilisme-en-politique-178097">Peut-on en finir avec le virilisme en politique ?</a>
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<h2>L’inapplication des droits fondamentaux de la justice</h2>
<p>Il serait faux de croire qu’une dénonciation d’actes délictuels ou criminels suffise à rendre justice. La gestion en interne d’un conflit de cette ampleur conduit à inverser la logique de la prévention en promouvant la dénonciation.</p>
<p>Ces comités d’écoute règlent « en interne » le traitement des affaires. Seuls les membres du parti, victimes ou auteurs des faits, sont justiciables de ces comités. Il reste que le champ des personnes concernées n’est pas nécessairement clair. Qui écoute les plaintes ? Les seuls membres du parti ? Est-ce que « deux référents » suffisent à une écoute impartiale et contradictoire des éléments de dossier comme le propose <a href="https://lafranceinsoumise.fr/comment-ca-marche/contacter-le-pole-de-vigilance-et-decoute/">par exemple LFI</a> :</p>
<blockquote>
<p>« [Le comité] est co-animé par deux de ses membres. Sa composition peut être amenée à évoluer en fonction de ses besoins. À l’heure actuelle, il comporte sept femmes aux profils variés et habitant dans différentes régions. »</p>
</blockquote>
<p>De plus, parce que leur organisation se fait en marge de la justice, comment ces comités d’éthique règlent-ils les dossiers au fond ?</p>
<p>Ils ne peuvent rendre aucune décision de justice pour juger la plainte de la victime ni ne peuvent donner la moindre satisfaction équitable en proposant une solution au litige. Seules peuvent être prises des mesures disciplinaires à l’encontre du membre du parti.</p>
<p>Il s’agit, selon les termes de ces commissions, d’éthique, de libération de la parole. Mais comment justifier que les organes directement concernés par la plainte soient eux-mêmes juges et partis ? Ces comités semblent remettre en cause le long cheminement historique qui a conduit à <a href="https://www.cairn.info/histoire-de-la-justice-en-france--9782707182890.htm">l’étatisation de la justice</a> et à la responsabilité du service public de la justice confiée à un tiers impartial : le <a href="https://www.lgdj.fr/institutions-juridictionnelles-9782247208159.html">juge</a>.</p>
<h2>Des parallèles inadaptés avec le droit de l’entreprise</h2>
<p>Le parallèle est souvent fait avec le droit privé et l’organisation de la <a href="https://www.raphael-avocats.com/wp-content/uploads/2017/05/Francis-Lefebvre-le-salari%c3%a9-objet-de-poursuites-p%c3%a9nales-quelles-actions-pour-lemployeur-2017.05.10.pdf">« mise à pied »</a> conservatoire au <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000026743438/">sein de l’entreprise</a>.</p>
<p>Dès lors que des poursuites pénales sont diligentées à l’encontre d’un membre de l’entreprise, cette dernière peut décider, le temps de la procédure, d’une mise à pied conservatoire avant de prendre une décision définitive sur le terrain disciplinaire. Deux conditions sont importantes : la mise en œuvre d’une procédure pénale et la stricte proportionnalité de la mesure de mise à pied avec la tenue de cette procédure.</p>
<p>Les comités internes aux partis politiques se mettent quant à eux en place à partir d’un simple témoignage et peuvent pourtant décider, <a href="https://lafranceinsoumise.fr/comment-ca-marche/contacter-le-pole-de-vigilance-et-decoute/">comme le propose LFI</a> :</p>
<blockquote>
<p>« au nom du principe de précaution, et si la situation lui semble le nécessiter […] la suspension temporaire de l’auteur·e présumé·e à titre conservatoire ».</p>
</blockquote>
<p>Dans le cadre du parti EELV, il est même question « d’enquêtes » (V-6-2 du Règlement intérieur du parti).</p>
<h2>Une pré-justice pour quelle réparation ?</h2>
<p>Cette pré-accusation sans aucun fondement juridique et judiciaire confond deux principes : le « principe de précaution » et la présomption d’innocence.</p>
<p>Le « principe de précaution » est un principe constitutionnel environnemental. <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19567-charte-de-lenvironnement-principes-droits-et-devoirs">Article 5 de la Charte de l’environnement</a> :</p>
<blockquote>
<p>« lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. » (<a href="http://www.juris-initiative.net/droit/article/principe-de-precaution-et-antennes-relais-34.html">CE, 19 juillet 2010</a>, Association du quartier des Hauts de Choiseul, n° 328687)</p>
</blockquote>
<p>La présomption d’innocence comme le rappelle la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2010/201025QPC.htm">jurisprudence du Conseil constitutionnel</a> implique que :</p>
<blockquote>
<p>« Il appartient au législateur d’assurer la conciliation entre, d’une part, la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d’autre part, la protection des droits et libertés constitutionnellement garantis, au nombre desquels figurent le respect de la vie privée, protégé par l’article 2 de la Déclaration de 1789, le respect de la présomption d’innocence, le principe de dignité de la personne humaine, ainsi que la liberté individuelle que l’article 66 place sous la protection de l’autorité judiciaire. » (CC, décision n°2010-25 QPC du 16 septembre 2010)</p>
</blockquote>
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<h2>Des partis juges et parties</h2>
<p>De telles structures internes peuvent-elles garantir l’indépendance de leurs enquêtes ? Comment garantir le lien de « confiance » dans la parole des femmes en conduisant à dé-juridictionnaliser le traitement de la plainte ?</p>
<p>En promouvant le traitement en interne des affaires si graves et lourdes de sens que les <a href="https://theconversation.com/quels-outils-juridiques-et-administratifs-pour-lutter-contre-les-feminicides-164337">violences et les harcèlements sexuels</a>, les partis politiques qui organisent en leur sein ce type de commission encouragent le sentiment, souvent répandu dans le débat public, suivant lequel la justice est incapable de donner droit à la parole des femmes et à la libérer.</p>
<p>En faisant état « d’enquêtes » en interne (EELV Règlement intérieur), les partis conduisent à inciter à saisir les comités avant de diligenter une enquête.</p>
<p>L’enquête, la plainte et l’instruction sont ainsi marginalisées et des sanctions disciplinaires sont donc prises, par « prévention », à l’encontre des élus avant d’entamer le processus de connaissance de la vérité judiciaire. Or, c’est pourtant bien la culture juridictionnelle, la prévention et le traitement juridictionnel de ces affaires qui sont les défis du siècle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/victimes-de-violences-sexuelles-pourquoi-porter-plainte-pour-de-largent-est-legitime-183870">Victimes de violences sexuelles : pourquoi porter plainte pour de l’argent est légitime</a>
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<h2>Un risque de marginalisation de la justice</h2>
<p>Une autre question se pose, comment justifier pour des raisons de transparence et d’écoute de la parole des femmes, un pré-réglement en interne avant toute information judiciaire ? De manière secrète, non contradictoire, sans respecter les règles de l’impartialité, ces comités ne se limitent pas à juger de la discipline interne aux partis mais utilisent des pouvoirs de manière para-juridictionnelle, comme les rapports d’enquête, les témoignages, les sanctions disciplinaires et même l’assistance d’un avocat durant ces enquêtes internes (voir le <a href="https://www.eelv.fr/files/2022/03/Protocole-mars-2022.pdf">règlement intérieur du parti EELV</a>) dans une véritable confusion des genres.</p>
<p>Si l’on en croit les sites Internet de ces différents comités, leur vocation est « l’écoute » des témoignages. L’accent est mis sur la prévention des situations délicates.</p>
<p>Au sein de LFI on <a href="https://lafranceinsoumise.fr/comment-ca-marche/contacter-le-pole-de-vigilance-et-decoute/">lit</a> que « le CVSS a pour mission d’être un lieu d’écoute, d’aide et d’orientation des membres de La France insoumise, victimes ou témoins d’actes de violences sexistes et sexuelles ». C’est pourtant la <a href="https://www.justice.fr/themes/aide-victimes">mission de la justice</a> d’aider et d’orienter les victimes.</p>
<h2>Une absence de contradiction</h2>
<p>Cette « écoute » par les organes de partis politiques n’est pas confidentielle et couverte par le secret professionnel des auxiliaires de justice. Elle n’est pas non plus contradictoire.</p>
<p>Par exemple, concernant l’<a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/la-france-insoumise/affaire-taha-bouhafs-ce-que-l-on-sait-des-accusations-de-violences-sexuelles-visant-l-ex-candidat-lfi-aux-legislatives_5132269.html">affaire Taha Bouhafs</a>, ce dernier était candidat aux dernières élections législatives sur une liste LFI, mais a renoncé, le 10 mai à sa candidature. Il a toutefois <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/07/05/taha-bouhafs-accuse-la-france-insoumise-d-avoir-manque-a-une-procedure-juste-et-equitable-apres-sa-mise-a-l-ecart-pour-violences-sexuelles-lfi-dement_6133499_823448.html">décrié ultérieurement</a> l’absence de droits de la défense et de contradiction dans l’instance partisane.</p>
<p>Cette tendance méconnaît effectivement les <a href="https://www.actu-juridique.fr/administratif/libertes-publiques-ddh/affaire-taha-bouhafs-adieu-letat-de-droit/">garanties les plus élémentaires</a> du droit du procès : publicité, indépendance, impartialité, droits de la défense, catharsis obtenue par la confrontation, temps passé à l’enquête et à l’instruction, présomption d’innocence, défense assurée par le secret de l’instruction, apaisement des consciences par le temps judiciaire.</p>
<p>Il suffit de se pencher sur les jurisprudences constitutionnelle et européenne relatives aux décisions rendues par les autorités administratives indépendantes qui mêlent administration et pouvoirs de sanctions pseudo-juridictionnels, pour comprendre que les exigences du procès s’étendent bien au-delà des prétoires dès lors que les garanties de la défense et des droits individuels sont en jeu (CC, <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2017/2016616_617QPC.htm">décision n° 2016-616/617</a> QPC du 9 mars 2017, Société Barnes et autre).</p>
<h2>Une inversion de la logique disciplinaire</h2>
<p>Certes, des comités d’écoute sont promus au sein des universités, des organes de la fonction publique, de l’entreprise, de manière à éviter que les victimes de violence ne soient pénalisées par la dénonciation des agissements coupables et à les inciter à les dénoncer au sein de la cellule interne, mais ce traitement n’est jamais considéré comme alternatif à celui de la justice.</p>
<p>De la même façon les commissions de disciplines à l’intérieur des ordres (ordres des médecins, des avocats…) répondent à une obligation de service public et gèrent la discipline de leurs membres parallèlement aux poursuites pénales.</p>
<p>Il nous semble qu’à l’inverse de ces exemples, une inversion des temps est à l’œuvre dans le cadre des partis politiques. Il conviendrait d’engager des poursuites judiciaires afin de prendre des mesures disciplinaires à l’encontre de l’auteur présumé des faits pour garantir la sérénité des relations dans l’organisation interne, et non d’organiser des enquêtes en interne avant d’en arriver à la justice. Le risque est que ces enquêtes offrent les sentences de la justice sans en offrir les garanties à l’instar du système d’<a href="https://idf.eelv.fr/commission-regionale-de-prevention-et-de-resolution-des-conflits-crprc/">auto-saisine</a> de l’organe interne de EELV.</p>
<h2>Des questions en suspens</h2>
<p>Enfin, comment considérer qu’une simple accusation suffise à engager des conséquences aussi graves que la remise en cause d’une fonction élective, d’une fonction partisane ? Comment considérer que l’accusation aussi grave soit-elle soit la manifestation la plus pure de la vérité, sans avoir pris le temps de l’entendre, de la confronter ? Comment le fait d’accuser sans enquête et de sanctionner sans contradiction peut-il garantir le traitement juste et équitable de la parole des femmes ?</p>
<p>La plainte garantit la justice, l’enquête garantit la recherche de la vérité, la décision contradictoire garantit l’équilibre des droits, seul le service public garantit la justice.</p>
<p>Quels que soient les inconvénients d’une justice étatique démocratique de qualité (engorgement, lenteur, secret), tout tribunal alternatif causera à long terme les problèmes sans offrir les mêmes garanties.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191561/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Charlène Bezzina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les outils mis en place pour « démocratiser et prévenir » les violences dans le milieu politique nuisent-ils au processus judiciaire ?Anne-Charlène Bezzina, Constitutionnaliste, docteure de l'Université Paris 1 Sorbonne, Maître de conférences en droit public à l'université de Rouen, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1914652022-09-28T15:07:04Z2022-09-28T15:07:04ZLe régime iranien est un apartheid des genres. Il faut le dénoncer comme tel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/487102/original/file-20220928-22-ombepu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C42%2C4031%2C2969&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur cette photo prise clandestinement, on peut voir des femmes fuyant la police anti-émeute lors d'une manifestation dans le centre de Téhéran, en Iran. Ces manifestations sont réprimées brutalement.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.cnn.com/2022/09/21/middleeast/iran-mahsa-amini-death-widespread-protests-intl-hnk/index.html">Les troubles se poursuivent en Iran</a> après la mort en détention d’une jeune femme kurde de 22 ans, après avoir été arrêtée et apparemment battue par la <a href="https://www.cnn.com/2022/09/21/middleeast/iran-morality-police-mime-intl/index.html">police des mœurs iranienne</a>.</p>
<p>Les forces iraniennes ont placé Mahsa Zhina Amini en détention le 16 septembre 2022, parce qu’elle ne portait pas son hijab selon les règles.</p>
<p>En date du 10 octobre, <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/iran-protests-victims-b2198882.html?amp">au moins 185 personnes ont été confirmées</a> tuées et des <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/09/iran-deadly-crackdown-on-protests-against-mahsa-aminis-death-in-custody-needs-urgent-global-action/">centaines ont été arrêtées et blessées</a> lors des manifestations qui ont éclaté après la mort d’Amini.</p>
<p>En tant qu’universitaire d’origine kurde et <a href="https://cah.ucf.edu/languages/faculty-staff/profile/414">professeur d’études moyen-orientales à l’Université de Floride centrale</a>, j’ai déjà écrit sur le <a href="https://theconversation.com/kurds-targeted-in-turkish-attack-include-thousands-of-female-fighters-who-battled-islamic-state-125100">genre dans les cultures moyen-orientales</a> et les <a href="https://theconversation.com/unrest-in-iran-will-continue-until-religious-rule-ends-90352">manifestations iraniennes</a>.</p>
<p>À l’exception de condamnations sans nuances, la discrimination à l’égard des femmes en Iran est souvent passée sous silence alors que le monde n’en a que pour la <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2017/578024/EXPO_IDA(2017)578024_FR.pdf">limitation des capacités nucléaires du pays</a>.</p>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/45302144">Certains universitaires et militants</a> ont critiqué le droit international pour son manque d’initiative et d’action publique pour reconnaître la discrimination systématique des femmes en Iran comme un apartheid de genre et agir pour l’empêcher.</p>
<p>De nombreuses lois discriminatoires, y compris celles qui obligent les femmes à se couvrir la tête et le visage d’un hijab, <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/global-opinions/there-are-two-types-of-hijabs-the-difference-is-huge/2019/04/07/50a44574-57f0-11e9-814f-e2f46684196e_story.html">ne respectent ni la tradition ni la religion</a> et sont appliquées aux femmes de toutes les ethnies et de toutes les confessions.</p>
<p>Après tout, Amini n’était pas chiite, ni par son ethnie ni par sa religion.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur cette photo prise dans la clandestinité, le 21 septembre 2022 dans le centre de Téhéran, des manifestants scandent des slogans afin de dénoncer la mort en détention de Mahsa Amini.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span>
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<h2>L’apartheid des genres en Iran</h2>
<p>La <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_iranienne">Révolution islamique de 1979</a> a instauré une république qui met en œuvre des politiques et des pratiques inhumaines de ségrégation et de discrimination raciales similaires à celles pratiquées en <a href="https://kinginstitute.stanford.edu/encyclopedia/apartheid">Afrique du Sud sous l’ancien régime brutal d’apartheid du gouvernement</a>.</p>
<p>Les lois et les politiques en Iran établissent et maintiennent la domination des hommes et de l’État sur les femmes et leur droit de choisir leurs propres vêtements ou d’obtenir un divorce. Les inégalités systématiques entre les sexes sont prescrites légalement et appliquées par le régime afin de priver les femmes du <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International%20Convention%20on%20the%20Suppression%20and%20Punishment%20of%20the%20Crime%20of%20Apartheid.pdf">« droit à la vie et à la liberté »</a> et des <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International%20Convention%20on%20the%20Suppression%20and%20Punishment%20of%20the%20Crime%20of%20Apartheid.pdf">« droits de la personne et libertés fondamentales »</a>, ce qui, selon <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International%20Convention%20on%20the%20Suppression%20and%20Punishment%20of%20the%20Crime%20of%20Apartheid.pdf">l’article II de la Convention des Nations unies sur l’apartheid de 1973</a>, est considéré comme « le crime d’apartheid ».</p>
<p>Par exemple, selon <a href="https://iranhumanrights.org/2017/07/married-women-in-iran-still-need-permission-to-travel-abroad-under-amendment-to-passport-law/">l’article 18 de la loi iranienne sur les passeports</a>, une femme mariée a toujours besoin de l’autorisation écrite de son tuteur masculin pour voyager à l’étranger.</p>
<p>En Iran, les femmes ne peuvent occuper aucun poste au sein des systèmes judiciaire, religieux et militaire, ni être membres de l’<a href="https://www.brookings.edu/blog/markaz/2016/02/09/everything-you-need-to-know-about-irans-assembly-of-experts-election/">Assemblée des experts</a>, du <a href="https://irandataportal.syr.edu/political-institutions/the-expediency-council">Conseil de « de l’opportunité »</a> ou du <a href="https://www.britannica.com/topic/Council-of-Guardians">Conseil des gardiens</a>, les trois conseils les plus élevés de la République islamique.</p>
<p>Selon la loi, les femmes ne peuvent être ni présidentes ni chefs suprêmes de l’Iran. <a href="https://www.servat.unibe.ch/icl/ir00000_.html">Selon l’article 115</a>, le président de la République islamique doit être élu parmi les « hommes religieux et politiques ».</p>
<p>En outre, l’État iranien <a href="https://www.jstor.org/stable/45302144">a ajouté des éléments discriminatoires au Code pénal</a> — l’un de ces éléments est le principe selon lequel la valeur d’une femme est égale à la moitié de celle d’un homme.</p>
<p>Ce principe s’applique aux questions de compensation pour un meurtre ou lors de la séparation d’un héritage familial. Il s’applique également au poids accordé aux témoignages dans un cadre judiciaire ou à l’obtention d’un divorce.</p>
<p>Ces lois, politiques et pratiques, continuent de faire des femmes des citoyennes inférieures, inégales sur le plan juridique et social.</p>
<h2>La ségrégation dans la vie quotidienne</h2>
<p>L’État a également imposé une <a href="https://www.iranintl.com/en/202209012125">ségrégation systématique</a> dans les écoles, les hôpitaux, les universités, les transports, les sports et d’autres domaines importants de la vie quotidienne.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un feu brûle dans la rue, entouré de manifestants" src="https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur cette photo prise de manière clandestine, le 21 septembre 2022, des manifestants ont mis le feu et bloqué une rue afin de protester contre la mort en détention de Mahsa Amini. L’accès aux réseaux sociaux est devenu difficile en Iran.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span>
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<p>Pendant plusieurs décennies, l’apartheid entre les sexes en Iran a relégué les femmes à l’arrière des bus avec une <a href="https://wcfia.harvard.edu/publications/women-place-politics-gender-segregation-iran">barre métallique les séparant</a> des hommes.</p>
<p>Sous la direction du gouvernement, les universités <a href="https://www.nytimes.com/2012/08/20/world/middleeast/20iht-educbriefs20.html">ont limité les options offertes aux femmes</a> et leur ont interdites l’accès à de nombreux domaines d’études.</p>
<p>Depuis la révolution de 1979, l’Iran <a href="https://www.hrw.org/news/2022/03/31/iran-women-blocked-entering-stadium#:%7E:text=Over%20the%20past%2040%20years,detention%2C%20and%20abuses%20against%20women">interdit généralement aux femmes</a> d’assister à des matchs de football et d’autres sports dans les stades. En août, <a href="https://ici.radio-canada.ca/sports/1908148/soccer-femmes-iran-stade-historique">pour la première fois en plus de 40 ans</a>, le régime iranien a autorisé des femmes à assister, dans le stade de la capitale, Téhéran, à un match opposant deux clubs masculins.</p>
<p>Les religieux jouent un rôle majeur dans la prise de décision. Ils <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20220330-iran-again-bans-women-from-football-stadium">ont affirmé que les femmes devaient être protégées</a> de l’atmosphère masculine et de la vue d’hommes à moitié vêtus lors d’événements sportifs.</p>
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<img alt="Des gens manifestent" src="https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des membres de la communauté iranienne et leurs partisans manifestent à Ottawa, le 25 septembre, afin de dénoncer le régime iranien, après la mort en détention de Mahsa Amini.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Justin Tang</span></span>
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<p>Dans le cadre de ces politiques discriminatoires, des termes persans tels que za’ifeh, qui signifie faible et incapable, ont trouvé leur place dans les <a href="https://vajehyab.com/dehkhoda/%D8%B6%D8%B9%DB%8C%D9%81%D8%A9">dictionnaires</a> comme synonymes de « femme » et « épouse ».</p>
<h2>« Femmes, vie, liberté »</h2>
<p>La tristement célèbre police des mœurs extrajudiciaire de l’Iran <a href="https://www.cnn.com/2022/09/21/middleeast/iran-morality-police-mime-intl/index.html">terrorise les femmes depuis des décennies</a>.</p>
<p>À l’instar des articles de la <a href="https://www.constituteproject.org/constitution/Iran_1989.pdf">Constitution de la République islamique d’Iran</a>, les principes de la police des mœurs sont fondés sur une interprétation des <a href="https://www.bl.uk/collection-items/hadith-collection">textes chiites canoniques</a> et sont mis en œuvre au moyen d’outils modernes de contrôle et de coercition.</p>
<p>En droit pénal international, les actes illicites commis dans le cadre d’un système d’oppression et de domination sont considérés comme des crimes contre l’humanité.</p>
<p>Comme le stipule la <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International %20Convention %20on %20the %20Suppression %20and %20Punishment %20of %20the %20Crime %20of %20Apartheid.pdf">Convention sur l’apartheid des Nations unies</a>, ces crimes comprennent le déni des droits fondamentaux qui empêche un ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays.</p>
<p>Connu surtout pour le régime brutal de l’Afrique du Sud, l’apartheid vient du mot afrikaans qui signifie « séparation ». C’est <a href="https://www.sahistory.org.za/article/history-apartheid-south-africa">l’idéologie</a> qui a été introduite en Afrique du Sud en 1948 et soutenue par le gouvernement du Parti national.</p>
<p>Comme le stipule la <a href="https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx ?src=IND&mtdsg_no=IV-7&chapter=4&clang=_fr">Convention contre l’apartheid des Nations unies</a>, l’obligation de porter le hijab est au cœur de ce que j’appelle l’apartheid extrême entre les sexes en Iran, où un foulard mal placé peut entraîner jusqu’à <a href="https://en.radiofarda.com/a/anti-hijab-activist-in-iran-sentenced-to-15-years-in-prison/30133081.html">15 ans de prison</a>, des <a href="http://www.cnn.com/2010/WORLD/meast/09/04/iran.stoning/index.html">coups de fouet</a>, des <a href="https://www.middleeasteye.net/news/iranian-women-fined-260-bad-hijabs">amendes</a>, des arrestations inhumaines et illégales, voire la mort.</p>
<p>Des <a href="https://www.cnn.com/2018/02/05/middleeast/iran-hijab-law-report-intl/index.html">mouvements contre le hijab obligatoire</a> apparaissent chaque année en Iran, comme cette fois, à la suite du décès de Mahsa Zhina Amini.</p>
<p>En langue kurde, son nom vient de « jin », le mot pour femme, et partage une racine avec le mot pour vie, « jiyan ».</p>
<p>Ces mots kurdes sont au cœur du slogan qui a été le plus utilisé par les <a href="https://www.pbs.org/newshour/show/how-a-small-but-powerful-band-of-women-led-the-fight-against-isis">combattantes kurdes dans leur lutte contre l’État islamique</a> en Irak et en Syrie, et aujourd’hui, par les femmes de tout l’Iran contre la République islamique.</p>
<p>Ajoutez « azadi » — le mot kurde qui signifie liberté — et vous avez le slogan « Jin, Jiyan, Azadi », qui signifie « Femmes, vie, liberté ». Il résonne parmi les manifestants dans les rues d’Iran et du monde entier pour démanteler l’apartheid des genres de l’État iranien.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191465/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Haidar Khezri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le régime iranien met en œuvre des politiques et des pratiques de ségrégation et de discrimination similaires à celles pratiquées en Afrique du Sud sous l’apartheid.Haidar Khezri, Assistant Professor, University of Central FloridaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1891872022-09-11T16:27:01Z2022-09-11T16:27:01ZViolences sous silence : une enquête en Nouvelle-Aquitaine révèle l’ampleur des féminicides en milieu rural<p>Montargis, Saint-Brévin-les-Pins, Villeneuve-sur-Lot… Le huis clos estival a déjà donné lieu à <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/un-effet-huit-clos-cet-ete-encore-les-feminicides-s-enchainent-partout-en-france-7803545">18 cas de féminicides comme le rapportent les associations</a>. Ces chiffres sont aussi à mettre en perspective avec une dimension moins connue de la lutte contre les violences faites aux femmes : l’importance du milieu rural. <a href="https://www.banquedesterritoires.fr/presque-la-moitie-des-feminicides-se-passent-en-zone-rurale-rappelle-cecile-gallien-de-lamf">En France, 50 % des féminicides ont lieu dans ces territoires</a> où, selon les <a href="https://www.observationsociete.fr/territoires/linsee-change-de-methode-et-la-population-rurale-passe-de-25-a-33/">nouvelles définitions de l’Insee</a>, réside un tiers de la population, soit environ 22 millions de personnes, dont près de 13 millions de femmes.</p>
<p>Or, comme l’a montré le précédent état des lieux de l’Observatoire régional des violences en <a href="https://cri-adb.org/base/cri-adb/757">2020</a>, à l’instar des <a href="https://theconversation.com/handicap-une-enquete-en-nouvelle-aquitaine-revele-quune-femme-sur-deux-a-subi-des-violences-sexuelles-170677">femmes en situation de handicap</a>, les habitantes en milieu rural cumulent les facteurs de risque d’agression.</p>
<p>C’est dans ce cadre que j’ai mené cette recherche en Nouvelle-Aquitaine de septembre 2021 à août 2022 pour l’Observatoire régional. J’ai travaillé à l’aide de questionnaires (mars à août 2022) et en m’appuyant sur plus de 50 entretiens individuels et collectifs auprès de professionnels et de femmes victimes ou anciennement victimes de violences dans dix départements différents de la Nouvelle-Aquitaine. Les résultats montrent que le principal facteur aggravant les violences est l’isolement de ces femmes. Un isolement géographique, mais surtout moral, accentué par des stéréotypes de sexe ancrés et un <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1960_num_1_2_1814">fort contrôle social</a> qui domine ces espaces.</p>
<h2>Premiers résultats</h2>
<p>D’après nos résultats, 70 % des répondantes sont des victimes de violences et la moitié des témoins sont aussi victimes. En 2021, 122 féminicides ont été recensés dans le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/08/26/les-feminicides-en-hausse-de-20-en-2021-par-rapport-a-2020_6139137_3224.html">silence assourdissant des témoins</a>. Ces données sont conformes aux enquêtes inhérentes au sentiment de discrimination où près de 85 % des témoins de violences <a href="https://livre.fnac.com/a15235412/Arnaud-Alessandrin-Le-role-de-la-ville-dans-la-lutte-contre-les-discriminations">n’interviennent pas</a>.</p>
<p>Le sexe de l’auteur est à 93 % un homme : les femmes autrices relèvent majoritairement de violences intrafamiliales (coups, maltraitances envers leur enfant).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/handicap-une-enquete-en-nouvelle-aquitaine-revele-quune-femme-sur-deux-a-subi-des-violences-sexuelles-170677">Handicap : une enquête en Nouvelle-Aquitaine révèle qu’une femme sur deux a subi des violences sexuelles</a>
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<p>Cette enquête relève que 40 % des victimes interrogées ont déposé plainte auprès de la gendarmerie, alors qu’on en recense seulement un tiers au numéro national dédié : le 3919. C’est aussi deux fois plus que lors des précédentes enquêtes, ce qui indique que le recours aux forces de sécurité est plus important que la moyenne nationale tous territoires confondus. Les victimes de violences parlent davantage des violences à leur famille et aux forces de sécurité. Seules 18 % n’en ont jamais parlé contre 25 % lors des deux recherches que j’ai récemment conduites.</p>
<p>Les résultats du questionnaire montrent une plus grande exposition aux violences physiques et des enfants directement victimes de violences physiques (presque deux fois plus que lors des deux précédentes enquêtes menées lors des deux recherches pré-citées).</p>
<p>L’hypothèse d’un plus grand isolement coïncide avec la stratégie des auteurs de violence conjugale. Cela renforce ainsi leur sentiment d’impunité et la vulnérabilité des victimes potentielles. Cet isolement est d’autant plus efficace que que le <a href="https://www.observatoire-des-territoires.gouv.fr/kiosque/2021-egalite-05-le-risque-detre-touchees-par-le-chomage-et-la-precarite-est-plus-fort-pour">risque de chômage et de précarité est plus important pour les femmes en milieu rural</a> :</p>
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<h2>Comment les hommes isolent les femmes</h2>
<p>Au travers des entretiens, un élément clef témoigne de l’emprise des maris sur leur femme : le <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-du-droit-de-la-sante-et-de-l-assurance-maladie-2021-3-page-49.htm">contrôle des kilométrages</a>. Étant donné que les victimes <a href="https://www.publicsenat.fr/emission/senat-en-action/violences-conjugales-en-ruralite-la-double-peine-189185">sont éloignées des structures</a>, le compagnon peut plus facilement voir le nombre de kilomètres effectués.</p>
<blockquote>
<p>« J’ai une petite voiture, mais je ne l’utilise jamais car mon compagnon garde les clés de la voiture ».</p>
</blockquote>
<p>En milieu rural, les habitations les plus proches peuvent parfois se retrouver à 500 mètres, donnant un sentiment d’isolement encore plus fort car le fait de sentir une présence proche rassure (même si pour leur grande majorité, les voisins <a href="http://www.slate.fr/france/86391/non-intervention-agression">n’interviennent pas</a>).</p>
<blockquote>
<p>« Alors séparée en attente du divorce, j’ai déménagé temporairement plus loin, mais dans un lieu isolé hélas ! Je recevais un couple d’amis, il surveillait du coin de la rue. Il a attendu que je me retrouve seule. Il a tout détruit chez moi, et ensuite m’a tapée jusqu’à me laisser inconsciente sur le sol et est reparti par la fenêtre. Personne ne l’a vu ni entendu les cris ! Mes enfants (1 et 2 ans) dormaient dans la pièce d’à côté. Je les ai réveillés en pleine nuit et suis partie avec eux… ».</p>
</blockquote>
<p>À ce risque d’isolement s’ajoutent les difficultés qu’ont les femmes à réunir des témoignages, avec parfois des alliances entre voisins et familles pour décrédibiliser la parole de la femme, quand ce n’est pas la peur des représailles qui empêche de prendre parti et de témoigner. À l’instar du <a href="http://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-060-1-notice.html">rapport du Sénat</a>, la présence d’armes, omniprésente, intensifie la peur des victimes et de l’entourage (proches comme voisins).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-casse-tete-de-la-dependance-automobile-en-zones-peu-denses-168902">Le casse-tête de la dépendance automobile en zones peu denses</a>
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<h2>Des néo-rurales ostracisées</h2>
<p>On observe ici deux types de femmes en milieu rural : celles qui sont natives et connaissent tout le monde, et celles qui ont quitté leurs proches pour suivre leur compagnon, qui lui, connaît tout le monde. De manière différente, le piège se referme sur les deux catégories.</p>
<p>La moitié des femmes interrogées ont tout quitté pour vivre avec leur compagnon en milieu rural : amis, entourage, famille, spécialistes, parfois même leur emploi, avec l’espoir d’en retrouver. Aucune des femmes interrogées n’a pu retrouver un emploi et toutes se sont très vite retrouvées isolées et extrêmement dépendantes de leur conjoint. La situation après le départ peut perdurer lorsque la personne retourne auprès de ses proches éloignés car les moyens de pression peuvent persister, comme en témoigne cette dame de 42 ans :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai vécu 13 ans avec mon ex-conjoint que j’ai rejoint à la campagne, loin de ma famille. Ça a commencé par l’isolement de ma famille, mes amis, qui étaient très loin puis une gifle, puis les brimades verbales, le chantage affectif, j’ai connu les rapports non consentis, les pratiques sexuelles non désirées, si je ne me donnais pas à lui, c’est les enfants qui prenaient des coups. Un jour, je me suis interposée entre lui et mon aîné, et j’ai pris le coup. Ça m’a décidée à partir. Depuis, après un divorce catastrophique où il a tout fait pour récupérer les enfants, j’en bave toujours. Mes enfants sont à 600 kilomètres de moi, et je suis toujours à sa merci pour les trajets, il valide les dates au dernier moment, fait du chantage pour les conduire à l’aéroport, m’obligeant à acheter les billets les plus chers… Sept ans de divorce et toujours pas en paix… »</p>
</blockquote>
<p>Ces témoignages montrent l’extrême violence et l’isolement que subissent ces femmes. Arrivant « d’ailleurs » pour reprendre un vocable récurrent, elles sont très vite isolées par leur conjoint, mais aussi souvent ostracisées par les riverains, car « tout le monde se connaît » et « tout le monde » prend le parti du conjoint « que tout le monde connaît » ainsi que sa famille.</p>
<p>Certaines femmes ayant un habitus urbain sont parfois même insultées et si elles ont le malheur d’en parler à un entourage/voisinage, le conjoint est aussitôt prévenu. C’est ce qui explique que ces dernières préfèrent se rendre directement à la gendarmerie pour déposer plainte lorsqu’elles ont des enfants, ou fuir lorsqu’elles n’en ont pas.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/vers-un-tournant-rural-en-france-151490">Vers un tournant rural en France ?</a>
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<h2>Des rurales qui connaissent tout le monde et que tout le monde connaît</h2>
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<p>« Tout le monde le connaissait et tout le monde le trouvait merveilleux ! J’ai déménagé ailleurs avec ma mère car tout le monde le défendait ! »</p>
</blockquote>
<p>Pour les femmes originaires de la même commune que leur compagnon, elles subissent aussi des pressions familiales avec parfois une connivence de certains représentants des institutions qui côtoient l’auteur :</p>
<blockquote>
<p>« Ma sœur avait déposé plainte mais l’auteur des faits n’a rien pris. Les gendarmes le connaissaient bien et le défendaient. Je déplore toutes ces incitations aux victimes à déposer plaintes quand on voit comment c’est traité derrière ! »</p>
</blockquote>
<p>Ces femmes consultent <a href="https://journals.openedition.org/sds/1686">aussi peu ou pas de spécialistes</a> en raison d’une part d’un manque criant de médecins dans les zones rurales, mais aussi de <a href="https://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2021/2021_10_parcours_soin_psychiatrie.pdf">la stigmatisation du suivi psychologique</a> (« je ne suis pas folle »), un point récurrent en <a href="http://theses.unistra.fr/ori-oai-search/notice/view/uds-ori-101236?height=500&width=900">milieu rural</a>. Ainsi, beaucoup de femmes restent seules avec leur traumatisme, même après une séparation.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/contraindre-ou-inciter-lepineuse-gestion-des-deserts-medicaux-167955">Contraindre ou inciter, l’épineuse gestion des déserts médicaux</a>
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<h2>Stéréotypes sexistes très ancrés</h2>
<p>Les entretiens menés ainsi que les réponses au questionnaire montrent par ailleurs un profond ancrage des rôles sexués entre les femmes et les hommes. Si ces derniers concernent <a href="https://journals.openedition.org/osp/8510">tous les territoires</a>, en milieu rural, il apparaît plus accentué.</p>
<p>Certains hommes considèrent ainsi que la place de la femme est dans son foyer, très peu autorisée <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2021-1-page-178.htm">à investir l’espace public</a>, en dehors des courses et des enfants.</p>
<p>Tout écart de comportement est noté : comme l’indique la chercheuse <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2021-1-page-57.htm">Clémentine Comer</a> « les formes d’interconnaissances existantes dans le monde rural peuvent contribuer à enfermer la femme dans la cellule conjugale », permettant un <a href="http://www.jstor.org/stable/40619">contrôle des femmes</a> plus important qu’ailleurs.</p>
<p>Enfin, cette difficulté à préserver l’anonymat en milieu rural pèse aussi sur la libération de la parole. Lorsque certaines femmes victimes de violences sont obligées de rester dans la même commune après la séparation, elles peuvent basculer de l’isolement à la solitude et à l’ostracisme.</p>
<h2>Une relégation étatique ?</h2>
<p>Les préconisations issues de cette recherche prennent majoritairement en compte le contrôle social. Comme on l’a vu, il ne suffit pas d’avoir un permis de conduire et un véhicule pour penser la sortie de l’isolement, car le contrôle du conjoint renforcé par le contrôle collectif peuvent être la cause de ces empêchements. La <a href="http://eso.cnrs.fr/fr/manifestations/pour-memoire/faire-campagne-pratiques-et-projets-des-espaces-ruraux-aujourd-hui/les-solidarites-en-milieu-rural.html">solidarité observée dans ces territoires</a> peut parfois se retourner contre les victimes.</p>
<p>Par ailleurs, la politique d’attribution de logement social priorise les personnes qui ont un emploi près des <a href="https://www.persee.fr/doc/rfeco_0769-0479_2003_num_17_4_1473">centres urbains</a>, éloignant encore plus celles éloignées de l’emploi en prenant en compte les revenus d’activité et <a href="https://onpes.gouv.fr/IMG/pdf/Travaux2003-2004-2-1-3-logement_menagespauvres-Driant.pdf">« la solvabilité des ménages »</a>. Il serait souhaitable d’effectuer des régimes d’exception afin de faciliter le parcours de sortie des violences, car certaines femmes interrogées finissent par se résigner, sans autre aide extérieure.</p>
<p>À l’issue de cette recherche, une analogie peut être établie entre l’isolement géographique, et l’isolement étatique, qui peut être comparable avec la relégation opérée dans les quartiers prioritaires de la ville. Néanmoins, on relève un élément supplémentaire pour les femmes victimes de violence en milieu rural : l’isolement moral. En effet là où l’on observe une forme de solidarité <a href="https://www.academia.edu/42832679/Femmes_des_quartiers_populaires_%C3%A0_l%C3%A9preuve_du_racisme_du_sexisme_et_des_discriminations">entre femmes dans les quartiers prioritaires de la ville</a>, la solidarité en milieu rural isole et renforce une <a href="https://metropolitiques.eu/Celles-qui-restent-jeunes-filles-en-milieu-rural.html">certaine culture du silence</a>.</p>
<p>Les recherches demeurent embryonnaires sur ce sujet en France, contrairement par exemple <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ref/2016-v22-n2-ref02947/1038975ar">au Canada</a> ou <a href="https://www.nationalruralcrimenetwork.net/news/captivecontrolled">au Royaume-Uni</a>. L’état, dans une logique d’équité territoriale, devrait être davantage présent sur <a href="https://www.lafranceagricole.fr/actualites/egalite-41-projets-contre-les-violences-faites-aux-femmes-en-milieu-rural-1,3,1563819947.html">ces territoires</a> surtout au regard du fait que la précarité financière vient par ailleurs fragiliser la <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-la-lcd-lutte-contre-les-discriminations-2020-3-page-87.htm">situation de femmes en milieu rural</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189187/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cette recherche a été effectuée en tant que directrice de recherche pour l'Observatoire Régional des violences sexistes et sexuelles de Nouvelle-Aquitaine, soutenu par l'état et la Région Nouvelle-Aquitaine. </span></em></p>Les habitantes en milieu rural cumulent les facteurs de risque d’agression. Résultats d’une enquête inédite en Nouvelle-Aquitaine.Johanna Dagorn, Sociologue, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1830152022-08-18T13:16:16Z2022-08-18T13:16:16ZAgression sexuelle durant l’enfance : comment les hommes font-ils face à ce trauma ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/465101/original/file-20220524-25-39tcsx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C1%2C982%2C672&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une majorité d’hommes victimes sont réticents à demander de l’aide et prennent des années, voire des décennies, avant de dévoiler l’agression dont ils ont été victimes.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>L’agression sexuelle est un enjeu social et de santé publique qui a pris sa place dans l’espace public au cours des dernières années, notamment à travers les mouvements de dénonciations tels que <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/mouvement-moiaussi">#moiaussi</a> et <a href="http://www.rqcalacs.qc.ca/projets/17-onvouscroit">#onvouscroit</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-deuil-chez-les-hommes-cinq-mythes-a-deboulonner-177507">Le deuil chez les hommes : cinq mythes à déboulonner</a>
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<p>Toutefois, les hommes qui dévoilent leur victimisation sont peu nombreux, et le sujet reste tabou. Ceci est particulièrement vrai au sein d’une socialisation masculine traditionnelle qui inculque l’idée qu’un homme, « un vrai homme », doit être fort, ne parle pas de ses problèmes et n’a pas besoin d’aide. Par ricochet, il ne peut donc pas être une « victime ».</p>
<p>Il peut ainsi s’écouler des années, voire des décennies, avant que ces hommes dévoilent les agressions dont ils ont été victimes, tout en souffrant de répercussions sur leur <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/9635069/">santé neurodéveloppementale, physique, psychologique, sexuelle et relationnelle</a>.</p>
<blockquote>
<p>J’ai de la difficulté à garder des relations et tout ça, la seule façon que j’ai connu pour garder des relations c’est d’accommoder l’autre, de faire des choses que je n’ai pas envie. Accepter des choses qui ne correspondent pas à mes valeurs ou à mes besoins. (Chuck, 36 ans)</p>
</blockquote>
<p>À titre de membres <a href="https://cnvam.natachagodbout.com/fr/accueil">fondateurs du CNVAM</a>, un partenariat qui réunit différents acteurs soucieux de promouvoir les connaissances empiriques sur la victimisation au masculin et leurs applications pratiques, nous avons développé une expertise en recherche interventionnelle auprès des adultes survivants de traumas interpersonnels en enfance, sur les violences sexuelles, les réalités masculines et la mobilisation des connaissances dans le cadre d’approches participatives.</p>
<blockquote>
<p>J’ai toujours peur qu’on se serve de mes faiblesses pour me blesser. (Ludger, 63 ans)</p>
</blockquote>
<p>Cet article présente notre initiative de création de <a href="https://cnvam.natachagodbout.com/fr/capsules-videol">cinq capsules vidéos</a> – en partenariat avec des hommes victimes et des représentants d’organismes spécialisés dans l’intervention auprès d’eux – visant à sensibiliser le grand public à l’ampleur des agressions sexuelles chez les garçons, aux conséquences de ces crimes et aux réponses favorisant le rétablissement de ces victimes.</p>
<h2>L’agression sexuelle, ça arrive aussi aux garçons</h2>
<p>Entre <a href="https://natachagodbout.com/sites/default/files/pdf/emotional%20and%20sexual%20correlates%20-%20vaillancourt.pdf">8 % et 20 %</a> des hommes ont été victimes d’agression sexuelle pendant leur enfance, selon les études menées au Québec, au Canada et à l’internationale. Or, ces crimes demeurent invisibles, peu documentés dans les écrits scientifiques, et peu discutés dans la sphère publique. Ceci entrave le cumul d’informations nécessaires pour guider les interventions et la sensibilisation auprès de la population.</p>
<p>Il importe de reconnaître cette problématique sociale pour faire tomber les tabous et mobiliser des réponses sociales favorisant la guérison des survivants. Dans cette optique, la capsule vidéo <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3zMvTqpdW30">« Ça arrive aussi aux garçons »</a>, met en scène des hommes victimes qui témoignent de leur expérience. Elle informe le public sur les prévalences, les caractéristiques de ces agressions (majoritairement commises par des personnes connues, et certains hommes ont été abusés par une femme), et les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3zMvTqpdW30">répercussions</a> qui affectent l’identité (vide intérieur, faible estime), le fonctionnement relationnel (détresse conjugale), la santé mentale (dissociation, détresse psychologique), et le parcours scolaire puis socioéconomique des victimes.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3zMvTqpdW30?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les agressions sexuelles, ça arrive aussi aux garçons.</span></figcaption>
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<h2>Dévoilement et demande d’aide</h2>
<p>Les hommes dévoilent peu les abus subis et mettent entre <a href="https://www.pulaval.com/produit/les-realites-masculines-oubliees">25 et 42 ans</a> avant de demander de l’aide.</p>
<p>Des données recueillies auprès de 105 hommes qui consultent un organisme spécialisé dans l’accompagnement d’hommes victimes d’abus sexuels montrent que <a href="https://www.acfas.ca/evenements/congres/programme/89/400/428/c">57 % n’avaient jamais dévoilé les abus vécus avant d’initier leur processus</a>.</p>
<p>L’internalisation des stéréotypes associés à la masculinité (un homme n’est pas une victime, doit faire preuve de force) peut, entre autres, nuire au dévoilement et à la guérison. Ces éléments sont exprimés par des hommes victimes eux-mêmes dans la capsule vidéo intitulée <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lrfuLmxC8Gk">« Briser le silence »</a>, produite par l’équipe du CNVAM.</p>
<blockquote>
<p>On parle pas de ça. Faut que ça reste secret, c’est honteux. (Denis)</p>
<p>Ça nourrissait la honte, le sentiment d’être une mauvaise personne. T’as pas dit non, donc t’as consenti. (Daniel)</p>
</blockquote>
<p>Or, le fait de nier la souffrance causée par les abus les prive de la possibilité de soutien de leurs proches et de professionnels. Également, étant donné que les conséquences des abus émergent malgré tout, ils ont tendance à consulter en tout dernier recours pour des problèmes exacerbés ou cristallisés, tels que la dépression, l’abus de substances, des problèmes relationnels ou de gestion de la colère.</p>
<p>Alors que la demande d’aide est jonchée d’obstacles, « en parler ouvertement, librement, sans peur, permet de déplacer le fardeau de la honte sur l’agresseur », selon Daniel, un homme survivant.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/qFgdoWbufDo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Demander de l’aide a des effets bénéfiques.</span></figcaption>
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<h2>L’accueil du dévoilement et la guérison</h2>
<p>La réaction de l’entourage des hommes face au dévoilement joue un rôle clé. Des <a href="https://natachagodbout.com/sites/default/files/pdf/All%20Involved%20in%20the%20Recovery.pdf">réponses négatives</a> sont liées à une augmentation de la détresse psychologique et relationnelle à l’âge adulte. Bien que certaines victimes masculines expriment leur vulnérabilité, d’autres manifestent leur souffrance à travers colère et irritabilité, ce qui augmente le défi pour les proches et les professionnels à les accueillir avec bienveillance.</p>
<p>Une réponse favorable au dévoilement est centrale au processus de rétablissement et se caractérise par :</p>
<ul>
<li><p>Écouter sans jugement, sans minimiser ni amplifier ;</p></li>
<li><p>S’assurer de la sécurité de la personne ;</p></li>
<li><p>Croire – il s’agit de sa perception et de son vécu ;</p></li>
<li><p>Respecter le rythme ;</p></li>
<li><p>Souligner la force et le courage de dévoiler ;</p></li>
<li><p>Valider les émotions, réactions ;</p></li>
<li><p>Donner de l’information (impacts, ressources et recours possibles) ;</p></li>
<li><p>Reconnaître et déconstruire les mythes.</p></li>
</ul>
<p>Une <a href="https://youtu.be/bxGwZAtMRmo">réaction favorable</a> de l’entourage est centrale au processus de rétablissement.</p>
<h2>Vers des réponses sensibles aux traumas</h2>
<p>La guérison passe par un changement de paradigme qui délaisse la tendance classique de demander : « C’est quoi le problème avec lui ? » ou même « C’est quoi le problème avec moi ? » pour plutôt chercher à comprendre [« Qu’est-ce qui lui est arrivé ? »], <a href="https://www.youtube.com/watch?v=1smqY0nKULQ">« Qu’est-ce qui s’est passé dans ma vie et qui me permettrait de mieux comprendre et modifier mes réactions, mes états, ma souffrance ? »</a>.</p>
<p>Reconnaître l’abus sexuel en enfance vécu par les hommes comme une problématique sociale contribue à faire tomber le tabou, à développer les services spécialisés en intervention auprès de cette population et à libérer la parole des survivants qui expriment que <a href="https://www.youtube.com/watch?v=1smqY0nKULQ">« C’est important de reprendre sa liberté »</a>, tel qu’énoncé par Alain, un homme survivant.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1smqY0nKULQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les hommes victimes doivent reprendre leur liberté.</span></figcaption>
</figure>
<p>Nous avons tous et toutes un rôle majeur à jouer pour créer un tissu social qui favorise la guérison des personnes victimes et qui résiste à retraumatiser ces personnes, à force d’écoute, d’ouverture, d’éducation et de bienveillance.</p>
<p>Les <a href="https://ncsacw.acf.hhs.gov/userfiles/files/SAMHSA_Trauma.pdf">approches sensibles aux traumas</a> ont d’ailleurs été élaborées devant le constat du caractère endémique des expériences de traumas et de leurs répercussions. Ces dernières, lorsque négligées, entravent la santé et le bien-être des victimes, et exacerbent le risque pour les victimes de vivre des expériences retraumatisantes au sein de nos sociétés, de nos systèmes et de nos institutions publiques.</p>
<p>L’objectif des pratiques sensibles aux traumas est de promouvoir une meilleure compréhension des traumas vécus par les personnes et de leurs effets, d’atténuer leurs répercussions et de ne pas retraumatiser les victimes. Elles rappellent l’importance de :</p>
<ul>
<li><p>Réaliser l’ampleur du phénomène et ses impacts ;</p></li>
<li><p>Reconnaître les manifestations des effets de ces traumas ;</p></li>
<li><p>Répondre aux besoins des personnes victimes en leur offrant des interventions appuyées par des données probantes ;</p></li>
<li><p>Résister à retraumatiser ces personnes (par des réponses inadaptées).</p></li>
</ul>
<p>Vous aussi pouvez faire une différence !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183015/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Natacha Godbout dirige TRACE--l’unité de recherche et d’intervention sur les TRAumas et le CouplE et elle est membre-chercheure au CRIPCAS-Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles, et au sein des équipes de recherche ÉVISSA-Équipe sur la violence et la santé sexuelle, SCOUP-Équipe sur la Sexualilté les traumas et le COUPle et du Pôle d’expertise en santé et bien-être des hommes. Elle a reçu des subventions de recherche pour mener ses travaux des Fonds de recherche du Québec, des IRSC - Instituts de recherche en santé du Canada, et du CRSH-Conseil de recherches en sciences humaines. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mylène Fernet est titulaire du Laboratoire d'études sur la violence et la sexualité - Fondation canadienne pour l'innovation. Elle
est membre-chercheure au CRIPCAS-Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles, et au sein des équipes de recherche ÉVISSA-Équipe sur la violence et la santé sexuelle et SAS-Femmes- Collectif de recherches et d'actions pour la Sécurité, l'Autonomie et la Santé des Femmes. Elle a reçu des subventions de recherche pour mener ses travaux des Fonds de recherche du Québec, du CRSH-Conseil de recherches en sciences humaines, du Secrétariat à la condition féminine du Québec et du Ministère de l'Enseignement supérieur du Québec.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jean-Martin Deslauriers et Stephanie Pelletier ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les hommes qui dévoilent les violences et abus sexuels subis sont peu nombreux et le sujet demeure particulièrement tabou.Natacha Godbout, Full Professor, Professeure titulaire, Sexologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)Jean-Martin Deslauriers, Professeur, L’Université d’Ottawa/University of OttawaMylène Fernet, Professeure titulaire, Département de sexologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)Stephanie Pelletier, Coordonnatrice de recherche, Unité de recherche et d'intervention sur le TRAuma et le CouplE (TRACE), Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1845162022-07-06T18:17:38Z2022-07-06T18:17:38ZAu cinéma, l’identité amérindienne trop souvent malmenée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/472779/original/file-20220706-13-9g4fd9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C28%2C3817%2C2121&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ajuawak Kapashesit dans le film Indian Horse.</span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><p><em>A l'occasion de la sortie du film de Martin Scorsese, Killers of the Flower Moon, fresque sur le drame méconnu des Amérindiens Osage dans les années 1920, nous republions cet article qui mentionne d'autres productions récentes et questionne la représentation des Amérindiens dans le cinéma américain.</em></p>
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<p>Un chef amérindien déclara jadis à des Blancs : « Votre civilisation va nous détruire. Mais votre magie le [cinéma] va nous rendre immortels ». Ces propos, extraits du documentaire canadien <a href="https://canfilmday.ca/fr/film/reel-injun-hollywood-et-les-indiens/"><em>Reel Injun</em></a> de Neil Diamond et Catherine Bainbridge (2009), étaient on ne peut plus clairvoyants si on les replace dans leur contexte. Car en plus de 100 ans d’histoire, l’industrie cinématographique a réalisé plus de 4 000 films sur les Amérindiens. Comme l’explique <a href="https://journals.openedition.org/lisa/2756">Anne Garrait-Bourrier</a>, c’est bien « le genre cinématographique qui a le plus repris les anciens stéréotypes historiques liés à l’image de l’Indien pour en faire le centre d’« histoires », avec un h minuscule, qui n’avaient plus rien à voir avec les réalités de la conquête de l’Ouest ».</p>
<p>Hollywood, notamment à partir de ses westerns des années 1930 à 1950, a exploité à l’extrême l’image de l’Indien et l’a fait évoluer au gré de la conjoncture (goûts des cinéastes, volontés des producteurs, attentes des spectateurs), allant ainsi du « sauvage sanguinaire » au « noble sauvage » en passant par l’<a href="https://wwnorton.com/books/The-Ecological-Indian/">« Indien New Age »</a>.</p>
<p>Toutefois, et bien que le jeu soit une composante essentielle des cultures amérindiennes (comme l’attestent les nombreux écrits missiologiques et anthropologiques), un aspect est resté peu visible voire minoré : la figure du sportif. C’est à partir de cette idée que le cinéaste Stephen Campanelli, s’inspirant du roman de <a href="https://www.ledevoir.com/lire/509759/richard-wagamese-ecrit-la-violence-du-deracinement-culturel-impose-aux-autochtones">Richard Wagamese</a>, a abordé, dans <em>Indian Horse</em> (2017), la question identitaire des Amérindiens qui, entre tradition et modernité, se situent dans un entre-deux culturel.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/8gT0avr6Yfg?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Générations sacrifiées</h2>
<p>Le héros, tourné vers la vie occidentale tout en se nourrissant de son héritage indien, des droits et devoirs qui y sont associés, cherche inlassablement sa place. Le film raconte l’histoire dramatique d’un jeune garçon ojibwa – Saul Indian Horse – qui, enlevé à sa famille pour intégrer de force un pensionnat catholique en 1961, doit oblitérer sa culture. </p>
<p>Il trouve temporairement son salut dans le hockey, un sport qui lui permet de s’épanouir et d’intégrer une équipe professionnelle. Toutefois, le racisme latent auquel il est confronté a raison de lui. Il jette l’éponge et finit par sombrer dans l’alcoolisme et la misère. Après des années d’errance, sauvé in extremis de la mort, il décide de se repentir en retournant sur les lieux de son enfance. Et là, en foulant l’ex-patinoire du pensionnat de Saint-Jerome, il prend conscience – sous forme de flash-backs – d’un autre mal qui le ronge depuis toujours : les abus sexuels dont il fut victime.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>.</em>]</p>
<p>Le pensionnat est ici décrit comme un lieu de souffrance, une dé-amérindianisation voire un génocide culturel : on voit à plusieurs reprises dans le film des enfants amérindiens subir de vrais abus psychiques et physiques. Il faut dire que le gouvernement canadien avait mis en place une politique visant à éradiquer les langues et cultures autochtones, fournissant ainsi des explications sur les taux élevés d’alcoolisme, de suicide et autres fléaux sociaux qui affectèrent grandement la communauté amérindienne, tout comme les Inuits par la suite. </p>
<p>S’appuyant sur les propos de Richard Wagamese, le réalisateur Stephen Campanelli a pris soin de mentionner ces quelques informations dans le générique de fin, entrecoupées par des images d’archives montrant la vie de jeunes Amérindiens dans les pensionnats :</p>
<blockquote>
<p>« Entre la fin des années 1800 et 1996, plus de 150 000 enfants indigènes ont été envoyés dans des pensionnats. Selon les archives, au moins 6 000 enfants sont morts pendant leur séjour dans ces établissements. Mais on estime qu’ils sont des milliers de plus. En 2008, le gouvernement canadien a finalement présenté des excuses et mis en place une commission de vérité et de réconciliation chargée d’établir la vérité. Nous encourageons tout le monde à ouvrir son cœur et son esprit à la souffrance et à la douleur infligées à des générations d’enfants et de familles indigènes par des politiques d’assimilation agressives sanctionnées par le gouvernement. »</p>
</blockquote>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/semanciper-par-le-sport-exploser-les-stereotypes-de-genre-117757">S’émanciper par le sport, exploser les stéréotypes de genre</a>
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</em>
</p>
<hr>
<p>En revenant sur l’histoire de ces générations sacrifiées, <em>Indian Horse</em> installe un certain nombre de débats sur la vérité historique, sur les conditions sociales actuelles, sur le destin de ces peuples devenus étrangers et marginalisés sur leurs propres territoires. L’évocation de ces témoignages douloureux constitue un levier dramaturgique important à travers lesquels sont abordés, avec plus ou moins de force, les questions de pauvreté dans les réserves, de dépendance à l’alcool ou à la drogue, de violences intercommunautaires voire familiales ; autant de blessures intérieures qui ont poussé certains enfants au suicide. Ce long métrage vient ainsi renouveler un genre cinématographique qui a eu tendance trop longtemps à imposer un modèle déformé voire humiliant de l’Indien dans des <a href="https://uknowledge.uky.edu/upk_film_and_media_studies/23/">intrigues souvent manichéennes</a>.</p>
<h2>Donner la parole aux Amérindiens</h2>
<p>Un changement dans l’histoire du cinéma qui a commencé à s’opérer à la fin des années 1970, avec la production d’un cinéma « pro-Indien » souhaitant montrer une vision plus réaliste de la situation amérindienne, et qui déboucha ces dernières années sur une production contemporaine hyperréaliste, voire désabusée comme <em>The Rider</em> de Chloé Zhao (2017), <em>The Grizzlies</em> de Miranda De Pencier (2018) et, bien évidemment, <em>Indian Horse</em>. </p>
<p>Les cinéastes d’aujourd’hui, à l’instar de Stephen Campanelli, donnent la parole aux Amérindiens eux-mêmes, sans maquillage ni faux-semblants, sans clichés susceptibles de mettre la communauté en danger dans ce qu’elle a de plus fragile : la préservation de son patrimoine culturel et religieux. Ce cinéma est, comme le souligne <a href="https://journals.openedition.org/lisa/2756">Anne Garrait-Bourrier</a>, « messager d’une autre voix, plus corrosive et sans concession : celle du réel américain ».</p>
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<p><em>Indian Horse</em> s’inscrit aussi, d’une certaine façon, dans la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17430437.2020.1826163">lignée des films sportifs</a> en présentant l’importance du jeu dans la culture traditionnelle indienne – « Le jeu, ma survie » déclare Saul dans le film – et le rôle joué par les pensionnats dans <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2019-2-page-141.htm?ref=doi">l’appropriation par les Amérindiens de pratiques sportives modernes</a>.</p>
<p>Ces institutions incluent dans leur cursus les pratiques physiques et plus particulièrement le sport, devenu partie intégrante de la culture nationale et incarnant les valeurs d’un système qui encourage l’esprit de compétition, l’individualisme, le succès. Le sport scolaire, pensé comme un facteur d’assimilation, devient un substitut aux pratiques ludo-sportives ancestrales. </p>
<p>Ces écoles, à l’instar de Carlisle et Haskell, permettent l’émergence de sportifs de haut niveau d’origine amérindienne comme James Francis Thorpe ou William Mills dont les parcours sont repris dans les biopics <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09523367.2020.1828359"><em>Jim Thorpe – All American</em> (1951)</a> et <em>Running Brave</em> (1983). Cette insertion remarquable des Amérindiens dans le monde sportif ne masque pas pour autant les dérives inhérentes à la société nord-américaine d’alors.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-quidditch-ce-sport-reel-venu-dharry-potter-64534">Le quidditch, ce sport « réel » venu d’Harry Potter</a>
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<p>Le racisme ambiant côtoie les exploitations commerciales, tout comme l’utilisation de l’indianité comme faire valoir sportif prend rapidement et durablement des allures de <a href="https://thestrikeoutfrance.com/2020/08/19/noms-et-logos-amerindiens-le-sport-us-face-au-defi-dune-societe-plus-juste/">pseudototémisme</a>, exploitant les symboles culturels amérindiens dans les différentes composantes de la société. Les athlètes amérindiens, même s’ils ne font pas l’objet d’interdiction de jeu, sont, tout comme leurs homologues de couleur, les victimes d’épithètes à caractères racistes ou autres insultes. Le film reprend cela via l’accueil reçu par l’équipe amérindienne des « Moose » dans le championnat régional, par Saul au sein de l’équipe des « Monarchs » de Toronto, et dans la caricature du joueur dans la presse.</p>
<p>Au regard de l’histoire fictionnelle tragique de Saul ou bien réelle de Thorpe, <em>Indian Horse</em> dénonce les injures et les cruels affronts dont les Amérindiens ont été victimes. David Q. Voigt insiste sur ce fait à travers ces quelques mots : </p>
<blockquote>
<p>« […] peut-être aucun groupe ne dut faire face à autant de sarcasmes sans pitié que ne le firent les Amérindiens ».</p>
</blockquote>
<p>Ce n’est certainement pas la bêtise populaire et médiatique qui a eu raison de la carrière professionnelle de Saul mais bien une conjonction de facteurs et de traumatismes auxquels plusieurs « générations volées » ont dû faire face.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184516/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>A travers la figure du sportif, le film « Indian Horse » de Stephen Campanelli dénonce le racisme et les abus sexuels dont ont été victimes de nombreux amérindiens.Thomas Bauer, Maître de conférences HDR en histoire du sport (STAPS), Université de LimogesFabrice Delsahut, Maître de conférences en STAPS, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1860912022-06-30T17:01:52Z2022-06-30T17:01:52ZDénonciation publique de la maltraitance en gynécologie : une approche éthique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/471678/original/file-20220629-20-bd7g1g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=24%2C0%2C5365%2C2383&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Trouver la juste distance lors de certains examens médicaux qui touchent à l'intime est complexe.</span> <span class="attribution"><span class="source">Halyna Dorozhynska / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La notion de consentement dans le cadre des examens gynécologiques ou touchant à l’intimité pose des questions fortes et spécifiques. Elle est au cœur du <a href="https://www.ccne-ethique.fr/node/539?taxo=0">nouvel avis (n°142)</a> tout juste publié par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE). Le 20 mars dernier, c'est l'Académie nationale de chirurgie qui « se mobilis[ait] pour que les droits
fondamentaux autant des patients que des professionnels de santé soient respectés », rappelant que « les examens physiques, justifiés par la nécessité des soins, puissent continuer d’être réalisés par les professionnels de santé selon la règle de l’art et sans
crainte ».</p>
<p>Les actes gynécologiques ont ceci de spécifique qu’ils exposent à un dévoilement de ce qu’une patiente a de plus intime. Ce n’est pas le seul champ médical à demander une grande proximité dans le cadre d’examens et de soins, mais ils ont trait à l’intégrité, physique et morale, de la personne comme peu d’autres.</p>
<p>Cette complexité demande une vigilance particulière, une réflexion pour trouver la juste distance entre soignant et patiente et prévenir au maximum les risques d’atteinte à cette intégrité.</p>
<p>Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes consacre un chapitre de son rapport <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_les_actes_sexistes_durant_le_suivi_gynecologique_et_obstetrical_20180629.pdf">« Les actes sexistes durant le suivi gynécologique et obstétrical »</a> aux « violences sexuelles : harcèlement sexuel, agression sexuelle et viol » :</p>
<blockquote>
<p>« Enfin, parmi les faits signalés lors des auditions ou dans les témoignages publiés dans les différentes sources mobilisées, certains relèvent sans conteste de violences sexuelles, par exemple :</p>
<p>– Invitations à dîner récurrentes, regards insistants, questions intrusives sur la vie sexuelle de la patiente sans lien avec la consultation ;</p>
<p>– Toucher les seins d’une femme ou pratiquer une palpation mammaire sans aucune justification médicale et/ou sans recueillir le consentement de la patiente ;</p>
<p>– Pénétrer une patiente avec ses doigts, un objet et a fortiori avec son sexe sans aucune justification médicale et/ou sans recueillir le consentement de la patiente.</p>
<p>Cette typologie montre qu’il ne s’agit donc pas de mettre sur le même plan une remarque déplacée sur la pilosité ou le poids d’une patiente et un viol commis dans le cadre du soin, mais bien de montrer que ces actes s’inscrivent dans un continuum sexiste. » </p>
</blockquote>
<p>Le 21 octobre 2021, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français rendait publique une <a href="http://www.cngof.net/Publications-CNGOF/Pratique-clinique/Examen-gynecologique/Charte-de-consultation-gynecologie%20-obst%C3%A9trique-2021-10.pdf">Charte de la consultation en gynécologie ou en obstétrique</a>. Il fixe un cadre déontologique à l’examen clinique conditionné par sa justification médicale et le souci accordé aux modalités éthiques de cette pratique soumise à l’acceptation de la femme et au devoir de respect.</p>
<blockquote>
<p>« L’examen peut comporter une palpation des seins, une palpation abdominale, un toucher vaginal avec gant ou doigtier, et l’usage de matériels médicaux tels qu’un spéculum ou une sonde endovaginale. Dans certains cas, le recours à un toucher rectal après explications peut être justifié. »</p>
<p>« L’examen doit pouvoir être interrompu dès que la patiente en manifeste la volonté. Aucune pression, en cas de refus, ne sera exercée sur elle ; il convient alors de l’informer de l’éventuelle nécessité d’un nouveau rendez-vous pour réaliser l’examen, si celui-ci est indispensable, et de l’informer des limites diagnostiques et thérapeutiques que cette absence d’examen clinique peut entraîner. »</p>
</blockquote>
<p>Ces deux contributions font apparaître la complexité et les possibles interprétations, voire les contestations et dénonciations d’une pratique médicale intervenant dans la sphère de l’intime, au point de n’être justifiable et acceptable que dans le cadre d’une relation de confiance incompatible avec la moindre suspicion.</p>
<p>L’instruction judiciaire permettra d’apprécier si les plaintes pour viol dont fait l’objet l’actuelle secrétaire d’État à la Francophonie dans son exercice professionnel de gynécologue sont ou non fondées. Leur impact dans le débat public justifie cependant une approche éthique de nature à expliciter la spécificité de ces interventions qui ne sauraient être entachées d’un soupçon de déviance ou de maltraitance.</p>
<p>Observons d’emblée que les représentations de pratiques médicales intrusives ne concernent pas seulement la gynécologie-obstétrique comme il en est débattu dans l’actualité immédiate. D’autres actes qui affectent l’intimité comme la coloscopie en gastro-entérologie ou la pose d’une sonde urinaire, mais tout autant des traitements routiniers parfois ressentis comme une maltraitance peuvent être considérés insupportables, inconciliables avec l’exigence de la prévenance développée dans une démarche éthique du <em>care</em>.</p>
<p>Dans d’autres champs médicaux, comme la psychiatrie, des règles de déontologie imposent également une vigilance particulière. La personne malade y est dans une position de dépendance psychique et physique, susceptible de l’exposer à des arbitraires (contention, « camisole chimique », atteinte à sa dignité et à son intégrité).</p>
<h2>Pourquoi de telles mises en cause ?</h2>
<p>D’un point de vue éthique, ce dont témoignent les mises en causes publiques de professionnels de santé intervenant dans une proximité du soin qui impose des règles de juste présence et de juste distance soucieuses du respect de l’intégrité morale de la personne, c’est d’une défiance et d’une condamnation de l’intolérable qui en appellent à des clarifications, à une parfaite transparence et si nécessaire aux évolutions des pratiques.</p>
<p>Il y va parfois d’une incompréhension relative à ce qui apparaît comme une violence et une indifférence inacceptable dans le cadre d’une intervention qui justifie pour le moins l’expression d’une sollicitude attestée par la qualité d’un dialogue, d’une concertation réelle avant tout acte médical et le recours aux dispositifs prévenant et atténuant la douleur.</p>
<p>L’acte soignant n’est acceptable que dans sa justification, sa compréhension, sa proposition et son appropriation par la personne à laquelle il est prescrit dans le cadre d’une alliance thérapeutique fondée sur les principes de bienveillance, de consentement à une intervention comprise dans son intérêt et mise en œuvre en minimisant les possibles conséquences péjoratives.</p>
<p>Le geste technique en gynécologie-obstétrique se situe habituellement dans la continuité d’une relation médicale élaborée dans le temps et conditionnée par un rapport personnel de proximité qui se tisse et de définit dans le cadre d’un colloque singulier. Il engage une responsabilité médicale ayant ses spécificités et ses obligations particulières. Il peut également intervenir dans le contexte délicat d’une interruption volontaire de grossesse ou d’une complication imposant une intervention dans l’urgence qui ne peut pas être différée. La consultation consiste aussi en l’annonce d’un risque ou de la suspicion d’une pathologie grave qui nécessite des explorations et des examens complémentaires dans un contexte où culminent les inquiétudes. C’est dire la diversité des circonstances qui, du fait de leur sensibilité, exigent un souci d’humanité et la rigueur dans les comportements.</p>
<p>Rien ne saurait justifier un geste ressenti comme abusif, inapproprié, indécent, indigne et d’une brutalité assimilée à un viol. C’est l’esprit même du code de Nuremberg (1947) que d’instituer une éthique de la médecine et de la recherche attentive à protéger la personne de toute atteinte à sa dignité, à ses valeurs, à ses droits et à son libre choix.</p>
<p>Respecter l’autre, préserver l’humanité du soin, c’est être conscient que des mentalités et des pratiques irrespectueuses, routinières et indifférenciées s’opposent aux valeurs dont est garant tout professionnel de santé.</p>
<p>Il est tenu à une vigilance, une retenue et une attention de chaque instant, tout particulièrement dans les circonstances de grande vulnérabilité, quand la personne peut avoir le sentiment d’être livrée à son regard et soumise à des actes médicaux qui l’exposent à ce qu’elle éprouve comme un dévoilement, une mise à nu impudique, voire à une pénétration de ce qu’elle a de plus intime. Le geste clinique est doté d’une signification anthropologique et a un impact psychologique dont le praticien doit avoir conscience afin de créer un environnement relationnel favorable à son acceptabilité.</p>
<h2>Ce qu’être irrespectueux de la dignité d’une personne signifie</h2>
<p>L’histoire de la gynécologie-obstétrique est marquée par la mémoire des souffrances indues endurées par la femme, en situation d’urgence vitale, sollicitant l’intervention d’un médecin à la suite d’un « avortement clandestin » qui s’était compliqué. Ce moralisme médical punitif d’un autre temps imposait à la femme une culpabilisation, des violences et des humiliations provoquées selon une conception pervertie de l’idée de catharsis, pour ne pas dire de châtiment !</p>
<p>Il n’est pas certain que dans notre société sécularisée ne persistent pas les traces d’une culture doloriste dont les exactions commises sur la femme seraient une expression. Cela justifierait de la part des instances de la déontologie médicale des positions encore plus déterminées.</p>
<p>Rappelons qu’il était procédé autrefois à l’exposition en amphithéâtre des « cas cliniques » sans susciter la réticence morale de professionnels exhibant une personne et la soumettant à toute sorte d’expérimentations et de manipulation au nom de « l’intérêt de la science » et au mépris de sa dignité. La « grande visite » au pied du lit de la personne hospitalisée était elle aussi menée sans souci de son consentement et de sa pudeur, y compris lorsqu’une cohorte d’étudiants étaient appelés à s’exercer à des gestes intrusifs parfois sans même adresser la parole au malade qui les subissait. Ce qui était considéré tolérable hier ne l’est plus aujourd’hui. Cela ne peut que nous inciter à davantage de résolution à l’encontre de pratiques résiduelles inconciliables avec ce qui est institué par la loi.</p>
<p>Ainsi, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé conditionne les examens à des fins pédagogiques au consentement de la personne :</p>
<blockquote>
<p>« L’examen d’une personne malade dans le cadre d’un enseignement clinique requiert son consentement préalable. Les étudiants qui reçoivent cet enseignement doivent être au préalable informés de la nécessité de respecter les droits des malades énoncés au présent titre. » (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000227015/">Code de la santé publique, article L. 111-4</a></p>
</blockquote>
<p>Cette loi affirme que « La personne malade a droit au respect de sa dignité ». Elle concerne donc les pratiques en gynécologie-obstétrique objets actuels de controverses. Et s’il était nécessaire de surligner la valeur de cette avancée législative dite de « démocratie sanitaire » de manière plus générale, un témoignage suffirait. Une infirmière exerçant dans un établissement hospitalier parisien évoquait avec émotion l’une de ses premières indignations à son arrivée dans un service de gériatrie dans les années 1970. Des personnes âgées étaient « lavées au jet d’eau » dans la cour de l’hôpital sans que cela ne suscite à l’époque la protestation de qui que ce soit !</p>
<p>De tels arbitraires pourraient même relever du concept de « traitement inhumain ou dégradant ». Pour autant, du fait même de la gravité et de la complexité des circonstances à nouveau évoquées aujourd’hui à propos des suspicions de maltraitances en gynécologie, une extrême prudence s’impose avant de mettre en cause un médecin sans avoir pu apporter la preuve judiciaire que son intervention bafouait la déontologie médicale et tout autant les valeurs d’humanité :</p>
<blockquote>
<p>« Le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité […] » (Code de déontologie médicale (2021), Code de la santé publique, article R.4127-2)</p>
<p>« […] Il (le médecin) ne doit jamais se départir d’une attitude correcte et attentive envers la personne examinée » (<a href="https://www.conseil-national.medecin.fr/sites/default/files/codedeont.pdf">art. R.4127-7</a>)</p>
</blockquote>
<p>Afin de prévenir les risques d’exactions ou de mises en causes infondées, les pratiques du soin évoluent dans le cadre de concertions éthiques mais également, par prudence nécessaire, en sollicitant le principe de précaution. J’ai parfois été saisi par des équipes exerçant en Ehpad confrontées au signalement d’attouchements par un soignant au cours d’une toilette ressentie comme un viol, ce qui devait être porté à la connaissance du procureur de la République.</p>
<p>Au regard de ce risque, nombre de professionnels n’interviennent plus seuls, mais dans le cadre de binômes censés superviser et assurer la pertinence de l’intervention. Quelle attitude adopter dans la prise en compte de la protestation du proche d’une personne affectée dans sa faculté de jugement par une maladie neuro-évolutive qui dénonce un viol dans la nuit, qu’il soit commis par un résident ou un professionnel ? Le signalement administratif au sein d’un établissement est immédiat, et engage à mettre en œuvre une procédure dont, quelques soient la crédibilité des incriminations et l’issue de l’investigation, sera irrévocablement préjudiciable à la réputation du professionnel incriminé, dans bien des cas à tort.</p>
<p>Dans des pays comme les États-Unis, le recours à la justice afin d’obtenir des réparations financières suite à une consultation en gynécologie-obstétrique estimée contestable dans ses procédures ou attentatoire à la dignité de la personne, a incité les professionnels à s’équiper de caméras pour enregistrer l’entretien et les différents actes de soin.</p>
<p>La sphère intime de la relation de soin est alors soumise à l’intrusion d’un contrôle visuel qui sera archivé, parfois renforcé par la présence d’un autre soignant ou d’un proche de la personne qui consulte.</p>
<p>L’application de la télémédecine à la gynécologie ou à l’urologie n’est pas sans interroger sur les conditions de respect de l’intimité du colloque singulier dans la relation de soin.</p>
<p>De manière récurrente, et dans un domaine qui concerne également des conceptions assimilées par certains au respect de la dignité et de l’intégrité, il est fait état du refus pour raison communautariste d’un examen gynécologique qui serait pratiqué par un homme.</p>
<p>Il nous faudrait donc approfondir ces enjeux en dehors des controverses suscitées par des événements qui font, parfois à juste titre, irruption dans l’actualité.</p>
<h2>Respecter la parole des femmes meurtries et la présomption d’innocence</h2>
<p>Le contexte polémique qui affecte les pratiques soignantes n’est pas l’apanage de la gynécologie-obstétrique. Il doit être compris comme révélateur d’une sensibilité et d’exigences morales et sociales dont nous devons prendre collectivement la mesure.</p>
<p>Faute d’une concertation à la hauteur des enjeux et d’un cadre règlementaire à renforcer, les professionnels concernés pourraient, par précaution, être incités à renoncer à intervenir là où des enjeux vitaux pour la femme sont engagés. Je pense à ce temps passé à tenter de convaincre une personne réticente à un examen ou à un traitement : cette démarche en responsabilité d’un soignant pourrait être considérée de manière subjective comme l’exercice d’une pression abusive, voire une maltraitance morale.</p>
<p>L’indication de certains examens exploratoires au même titre que celle d’un acte chirurgical mutilant (par exemple des interventions intrusives à visée préventive du cancer justifiant l’ablation de ce à quoi une femme est la plus attachée du point de vue de son identité) pourrait a posteriori être contestée par la patiente qui y trouverait matière à contestation en dépit d’une information loyale et de son consentement.</p>
<p>Il est évident que ce désinvestissement des professionnels porterait davantage préjudice aux femmes les plus en situation de vulnérabilité qui rencontrent déjà tant d’obstacles à bénéficier d’un suivi gynécologique indispensable.</p>
<p>Dans une question posée le 5 août 2021 au ministère de la Santé et des Solidarités, la sénatrice Françoise Dumont évoque le sinistre dans l’accès à des gynécologues : « Entre 2007 et 2020, la France s’est vue perdre 52,5 % de ses effectifs en gynécologues médicaux, à savoir 1022 médecins en 13 ans. De surcroît, au 1<sup>er</sup> janvier 2020, 12 départements de métropole n’avaient aucun gynécologue médical, soit 5 départements de plus qu’en 2018. » (« Démographie inquiétante des gynécologues médicaux en France », Question écrite n° 24116 de Françoise Dumont, JO Sénat du 5 mai 2021, p. 4801)</p>
<p>Les contraintes d’un exercice professionnel sollicitant une disponibilité constante dans un contexte de pénurie peu favorable à motiver les vocations, les responsabilités juridiques attachées à cette spécialité médicale imposant des primes d’assurances d’un montant particulièrement élevé auxquelles s’ajoutent les risques de mise en cause morale qui, quelque puissent être les éventuelles conclusions judiciaires portent un préjudice à la réputation des professionnels mis en cause, ne sont pas des incitations favorables à l’avenir de la gynécologie-obstétrique. Ce constat mérite d’être pris en compte : en <a href="https://drees.shinyapps.io/demographie-ps/">2021, 2274 gynécologues médicaux et 5489 gynécologues-obstétriciens exerçaient en France</a>.</p>
<p>Une fois encore, l’exigence de démocratie en santé mérite une concertation nationale afin d’éviter de s’engager dans la voie sans issue d’une méprise ou de mépris susceptibles de désinvestir de leurs engagements au service de tous ceux qui ne sont plus désignés et conspués que dans leurs insuffisances, leurs impérities voire leur inhumanité, et dont on conteste sans esprit de nuance l’éminente valeur de leur fonction dans la société. Je n’ai pas lu ces derniers jours les témoignages significatifs de femmes qui reconnaissaient à leur gynécologue la qualité d’un suivi compétent et humain dont elles étaient satisfaites.</p>
<p>La parole des femmes meurtries et humiliées alors qu’elles attendaient que la compétence du geste technique soit accompagnée d’une attention bienveillante, respectueuse, de nature à atténuer leur souffrance et leur inquiétude doit être reconnue comme l’appel à l’éveil d’une éthique en acte. Pour autant, il ne serait ni sage ni juste de ne pas tenter de contribuer de manière constructive à améliorer ce qui devrait l’être, là où les comportements de professionnels de santé trahiraient les valeurs de l’éthique médicale.</p>
<p>Au moment où se numérisent les pratiques de santé dans un contexte de restriction des capacités à consacrer à la relation de soin le temps indispensable à une rencontre vraie, il n’est pas certain que les instances publiques en comprennent les exigences au-delà du registre de la compassion éphémère ou de protestations dont l’opportunité ne manque pas d’interroger.</p>
<p>Néanmoins, si la reconnaissance de ces souffrances ne se discute pas, elles ne doivent pas faire irruption dans la sphère publique sans une certaine prudence et sans que soit respecté un principe indispensable à la vie démocratique : la présomption d’innocence.</p>
<p>Dans le contexte présent, nombre de personnes se posent en effet de légitimes questions. Est-ce parce qu’elle a été désignée secrétaire d’État que les plaintes pour viol ont été déposées au motif qu’elle serait indigne de cette fonction, ou parce que les femmes qui la dénoncent aujourd’hui pour viol ont pensé qu’à l’époque des faits leur appel à réparation n’aurait pas été audible et susceptible d’avoir une portée politique comme c’est le cas aujourd’hui ? Cette interrogation mérite elle aussi d’être posée et assumée aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186091/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Hirsch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’actualité est marquée par des plaintes pour viol dans le cadre d’examens gynécologiques. Ces pratiques médicales touchant à l’intime posent de nombreuses questions, dont l’éthique s’est emparée.Emmanuel Hirsch, Professeur d'éthique médicale, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1635432022-06-30T12:23:41Z2022-06-30T12:23:41ZHarcèlement de rue : quatre idées reçues à démystifier<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/455911/original/file-20220402-53457-9w8hp7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=42%2C18%2C3977%2C2999&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le harcèlement de rue est trop souvent banalisé, alors qu'il s'agit d'un phénomène ayant des impacts négatifs réels.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Mélissa Blais)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>L’an dernier, nous lancions la publication de la recherche « <a href="https://www.ceaf-montreal.qc.ca/files/rapport_ceaf-avril-2021.pdf">Les impacts du harcèlement de rue sur les femmes</a> à Montréal ». </p>
<p>Fruit d’un partenariat de recherche avec le <a href="https://www.ceaf-montreal.qc.ca/">Centre d’éducation et d’action des femmes</a> (CÉAF), cette enquête (s’appuyant sur cinq groupes de discussion) brosse un portrait détaillé des impacts des multiples violences (verbales, psychologiques, physiques et sexuelles) commises par des hommes envers des femmes dans l’espace public montréalais.</p>
<p>Ces violences comprennent les insultes, les menaces, le fait d’être suivie ou de subir des attouchements et des sifflements, l’exhibitionnisme et les commentaires à connotation sexuelle ou raciste, notamment.</p>
<h2>Le harcèlement de rue ne devrait pas être banalisé</h2>
<p>Les impacts recensés du harcèlement de rue sont de divers ordres. Ils incluent la peur de circuler dans certains endroits le soir venu (impact spatio-temporel) ; la crainte d’échanger avec des inconnus (effet sur la vie sociale) ; la modification de la posture de son corps ou de la façon de s’habiller (impacts corporels) ; la planification de ses réactions au cas où un épisode surviendrait (obligation de riposter) ; l’organisation de ses sorties avec son chien, même pour se rendre à deux coins de rue (l’utilisation d’objets ou d’animaux) ; et, enfin, l’hypervigilance, la culpabilité, la colère, la honte ou le dégoût ressentis à court, moyen ou long terme (impacts psychologiques et émotionnels).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/463066/original/file-20220513-24-v9eo4k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="collage de papiers « libres dans la rue »" src="https://images.theconversation.com/files/463066/original/file-20220513-24-v9eo4k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463066/original/file-20220513-24-v9eo4k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463066/original/file-20220513-24-v9eo4k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463066/original/file-20220513-24-v9eo4k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463066/original/file-20220513-24-v9eo4k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463066/original/file-20220513-24-v9eo4k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463066/original/file-20220513-24-v9eo4k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les femmes devraient être libre de circuler dans l’espace public sans subir de harcèlement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(CÉAF)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Malgré ces témoignages, des procédés de banalisation, voire de négation du harcèlement de rue sont toujours à l’œuvre sur le Web. Ces derniers ont été identifiés comme autant d’attitudes nuisibles par les participantes à la recherche. Loin d’être anodins, ils sont représentatifs de ceux que nous avons l’habitude de lire lors de la publication d’études féministes ou lors de campagnes de sensibilisation sur les violences faites aux femmes.</p>
<p>Dans l’espoir de contrer la banalisation de ces violences, nous souhaitons répondre ici à des commentaires publiés sur les pages des sites Internet et comptes Facebook de quelques médias ayant couvert la parution de notre rapport de recherche (dont <em>La Presse</em>, <em>Le Journal de Montréal</em>, <em>TVA Nouvelles</em> et <em>Le Devoir</em>).</p>
<p>Les prénoms et les citations ont été modifiés pour préserver l’anonymat des internautes.</p>
<p>Nous avons regroupé ces propos sous quatre rubriques.</p>
<h2>Le harcèlement de rue existe ailleurs, mais pas à Montréal</h2>
<p>Pour certain·e·s, le harcèlement de rue n’existe pas à Montréal, contrairement à d’autres métropoles comme Paris, Alger ou Rome. Pour d’autres, il leur suffit de ne pas avoir été victimes ou témoins de tels actes pour nier leur existence, à la manière de Dominic, qui utilise les majuscules pour insister sur le fait qu’il n’a « JAMAIS vu de problème de ce genre ».</p>
<p>Pourtant, une enquête menée en 2019 par <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2019001/article/00017-fra.htm">Statistique Canada</a> indique que les femmes sont couramment la cible de violences commises par des inconnus dans l’espace public. Ainsi, une Canadienne sur trois dit en avoir vécu au moins un épisode dans la dernière année. Il importe d’ajouter que la fréquence de ces violences explique largement pourquoi des gestes qui peuvent sembler anodins aux yeux de certains provoquent des effets durables dans la vie des femmes interrogées.</p>
<h2>Les auteurs de harcèlement sont des hommes racisés</h2>
<p>Selon Paul, Marc, Dany et Roger, les auteurs de harcèlement de rue sont des hommes noirs ou encore des migrants originaires du Maghreb. Or, notre recherche démontre qu’il n’existe pas de profil type : les harceleurs sont de toutes origines et classes sociales. En plus d’être fausses, les affirmations de ces internautes contribuent à la stigmatisation des hommes racisés, justifiant directement ou non le profilage racial par les pouvoirs publics (un problème déjà bien documenté au sein du <a href="https://cridaq.uqam.ca/publication/les-interpellations-policieres-a-la-lumiere-des-identites-racisees-des-personnes-interpellees/">corps policier montréalais</a>).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/463067/original/file-20220513-14-pdhx1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="banderole -- à bas le harcèlement de rue -- au bord d’un viaduc" src="https://images.theconversation.com/files/463067/original/file-20220513-14-pdhx1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463067/original/file-20220513-14-pdhx1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463067/original/file-20220513-14-pdhx1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463067/original/file-20220513-14-pdhx1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463067/original/file-20220513-14-pdhx1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463067/original/file-20220513-14-pdhx1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463067/original/file-20220513-14-pdhx1l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des gestes qui peuvent sembler anodins aux yeux de certains provoquent des effets délétères durables dans la vie des femmes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(CÉAF)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Plusieurs participantes à notre étude, elles-mêmes harcelées par des hommes blancs, ont exprimé leur crainte qu’une telle dérive survienne si le harcèlement de rue devenait un méfait sanctionné légalement, comme en <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/lsp/2002-n47-lsp377/000340ar/">France</a> et en Belgique, où des <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2021-1-page-25.htm?ref=doi">recherches</a> ont démontré que la criminalisation du harcèlement de rue contribuait à renforcer le <a href="https://journals.openedition.org/ema/3532">profilage</a> racial.</p>
<h2>Les femmes aiment ça et les féministes exagèrent</h2>
<p>Pour certains internautes, le simple fait que notre étude ait été menée à l’aide d’une approche féministe suffit à la décrédibiliser, en plus de représenter une opportunité pour victimiser les hommes. C’est notamment le cas de Jérôme, qui croit que les féministes endoctrinent les femmes et dépeignent « tous les hommes [comme] des obsédés sexuels en puissance ».</p>
<p>D’autres renvoient dos à dos le harcèlement de rue et la séduction en estimant que les femmes « aiment être regardées, admirées et ne s’en plaindront jamais » (Clément). À cela, Marie répond qu’elle était mineure lorsqu’un homme l’a sifflée dans la rue, remettant en question le plaisir qu’elle aurait dû ressentir selon Clément. À ce propos, il convient de rappeler que le premier épisode de harcèlement a été vécu à un très jeune âge pour plusieurs des répondantes à notre enquête (dès 9 ans).</p>
<p>Une <a href="https://australiainstitute.org.au/report/everyday-sexism/">étude australienne</a> démontre à ce propos que 54 % des 1 426 femmes sondées étaient mineures lors du premier épisode, alors que 20 % d’entre elles avaient moins de 15 ans. Ajoutons que l’une des spécificités du harcèlement de rue tient au fait que les agresseurs sont des inconnus des victimes et que ce statut confère à leurs gestes un caractère particulièrement intrusif et inquiétant, laissant parfois présager une escalade de violence.</p>
<p>En outre, les multiples impacts du harcèlement de rue que nous avons documentés suffisent à démontrer que les femmes n’en retirent aucun plaisir.</p>
<h2>C’est la faute des femmes</h2>
<p>Ce qui nous interpelle particulièrement appartient au registre de la culture du viol. Il s’agit des nombreuses tentatives de culpabilisation des victimes et de déresponsabilisation des agresseurs. Plus troublants encore sont les propos de Caroline, qui affirme que des jeunes filles de 12 ans « courent après le trouble » en s’habillant « comme des ados de 16-17 ans », ou ceux de Kevin, qui justifient les coups de Klaxon que subit sa fille de 12 ans en affirmant que les jeunes femmes « sont plus développées maintenant ».</p>
<p>Or, tout en faisant écho au commentaire de Célia, qui dit « porter le voile et ça m’arrive quand même », notre étude démontre que des femmes sont harcelées dans l’espace public, peu importe leur habillement, leur comportement, la saison ou le moment de la journée.</p>
<p>Enfin, des propos cherchant à justifier le harcèlement de rue s’appuient sur une soi-disant « nature » masculine, comme ceux de Jacques, qui affirme que « c’est tout un défi pour un homme de maîtriser ses pulsions ».</p>
<p>Face à ce procédé de neutralisation des possibilités de changement social, des voix s’élèvent de plus en plus pour dénoncer les violences basées sur le genre, comme le fait le Centre d’éducation et d’action des femmes depuis plusieurs années.</p>
<p>Des voix qui semblent en déranger certains, pour ne nommer que Mathieu, qui s’insurge du fait que la publication de notre étude vient « brimer » sa « liberté ».</p>
<p>Mais qu’en est-il de leur liberté à elles de pouvoir circuler dans l’espace public sans subir de harcèlement ?</p>
<hr>
<p><em>Les autrices tiennent à remercier Audrey Simard pour la précieuse collaboration à cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/163543/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mélissa Blais a reçu des financements du fond PAFARC du Service aux collectivités de l'UQAM et du Réseau québécois en études féministes (RÉQEF). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mélusine Dumerchat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il importe de déconstruire les arguments récurrents qui banalisent le phénomène du harcèlement de rue à l’aide des données et analyses.Mélissa Blais, Professeure associée au département des sciences sociales, Université du Québec en Outaouais et à l'Institut de recherches et d'études féministes, UQAM, Université du Québec en Outaouais (UQO)Mélusine Dumerchat, Chercheure doctorale et chargée de cours, département de sociologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1838702022-05-29T15:39:49Z2022-05-29T15:39:49ZVictimes de violences sexuelles : pourquoi porter plainte pour de l’argent est légitime<p>OnNePortePasPlaintePourLargent : les réseaux sociaux connaissent une vague de témoignages de victimes de violences sexuelles (ou conjugales) se ralliant à ce mot-dièse, phénomène <a href="https://www.humanite.fr/societe/violences-conjugales/violences-sexuelles-non-elles-ne-portent-pas-plainte-pour-l-argent-750858">qui n’a pas échappé à la presse</a>. </p>
<p>La lecture de ces publications permet de les regrouper autour de deux idées, <a href="https://www.labase-lextenso.fr/gazette-du-palais/GP20090709008">documentées depuis longtemps</a>. </p>
<p>D’une part, les victimes de violences sexuelles ou conjugales <a href="https://www.labase-lextenso.fr/gazette-du-palais/GP20090709002">n’obtiennent que rarement des dommages et intérêts</a>, et, lorsque c’est le cas, <a href="https://www.labase-lextenso.fr/gazette-du-palais/GP20090709009">souvent pour des montants dérisoires</a> par rapport à la paupérisation consécutive aux faits et aux engagés. </p>
<p>D’autre part, les motivations de la plainte sont autres (mise hors d’état de nuire de l’auteur, protection d’autres victimes potentielles…).</p>
<p>Le combat s’est déplacé : avant la vague #MeToo, les <a href="https://www.labase-lextenso.fr/gazette-du-palais/GP20050602001">victimes devaient se battre pour être crues</a>. La masse des témoignages a aidé à faire bouger les lignes sur ce point (certainement de manière encore insuffisante). Le système de défense contre les victimes a changé : il s’agit moins de mettre en doute la véracité de leur parole, mais d’attaquer les motivations.</p>
<p></p>
<p>Les victimes – surtout lorsqu’elles dénoncent des faits commis par les riches et les puissants – seraient, selon une idée fausse mais qu’une <a href="https://www.ipsos.com/sites/default/files/files-fr-fr/doc_associe/rapport-enquete_ipsos-amtv.pdf">étude de l’Ipsos</a> caractérise comme bien ancrée dans la population, mues par l’appât du gain. Par un singulier renversement de perspective, l’agresseur devient la victime ; et la véritable victime se trouve sommée de se défendre de tout esprit de lucre, comme dans <a href="https://www.varmatin.com/justice/fracture-agressions-sexuelles-deux-clientes-deposent-plainte-un-patron-de-bars-condamne-dans-le-var-694990">l’affaire des bars de Cavalaire</a> dans laquelle un patron de bar avait été accusé d’attouchements sexuels et de violences à l’encontre de deux clientes le 19 juillet 2020, et dont la défense consistait à blâmer ces dernières qui auraient voulu, selon lui, « soutirer de l’argent… ».</p>
<p>Sans doute existe-t-il de multiples raisons de porter plainte ; et il en faut, tant le <a href="https://www.senat.fr/questions/base/2016/qSEQ161023678.html">chemin judiciaire</a> est long et éprouvant pour les victimes. Parmi celles-ci, le souhait d’obtenir des dommages et intérêts est parfaitement légitime.</p>
<p>Une victime, en demandant des dommages et intérêts soit à son agresseur, soit, par le système des Commissions d’indemnisation des victimes d’infractions (CIVI) et du <a href="https://www.fondsdegarantie.fr/">Fonds de garantie de victimes</a>, à la solidarité nationale, ne fait qu’user d’un droit, qui lui est reconnu par la loi et par des textes supranationaux.</p>
<p>D’un point de vue juridique, l’indemnisation de la victime repose sur la mise en œuvre d’un droit à la réparation, tiré de la responsabilité civile, que le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGITEXT000006070721/">Code civil</a> classe parmi les « différentes manières dont on acquiert la propriété ». Ainsi l’obtention de dommages et intérêts n’est qu’une manière parmi d’autres d’obtenir de l’argent, et nul ne devrait mettre en doute la légitime pour une victime de faire valoir ses droits.</p>
<h2>Les principes de l’indemnisation</h2>
<p>L’indemnisation des victimes de violences sexuelles mobilise essentiellement les règles de la responsabilité civile, prévues <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070721/LEGISCTA000032021486/#LEGISCTA000032021486">aux articles 1240 et suivants du code civil</a>. La loi, en prévoyant l’obligation pour un fautif de réparer les conséquences de son acte, n’a fait aucune distinction entre les dommages aux biens et ceux à la personne, entre les préjudices dits moraux, ou extrapatrimoniaux, et ceux qui sont matériels.</p>
<p>Le premier écueil sur lequel risque de s’échouer une victime est la preuve : il faut en effet qu’elle prouve chaque élément nécessaire au succès de sa prétention. Les faits de violence, ce qui, hormis dans les cas où ceux-ci ont laissé des traces qui ont pu être constatées par un médecin, ou lorsque des témoins, voire des enregistrements attestent des faits, sont bien difficiles à prouver, plus encore lorsque les violences ont lieu <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/hal-03249719">dans un contexte intrafamilial</a>. Le dommage, dans tous ses éléments, et surtout le lien de causalité entre chaque aspect du préjudice et les faits de violence : il est souvent bien difficile de prouver qu’une dépression ou qu’une interruption de l’activité professionnelle <a href="https://www.theses.fr/2018REN1G001">sont la conséquence des violences subies</a>.</p>
<p>Le second écueil principal est la prescription, cette extinction de toute possibilité d’agir qui frappe en raison de l’écoulement du temps. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000019017259">L’article 2226 du code civil</a> invite à distinguer entre le cas dans lequel les faits ont été commis sur un majeur, et celui où un mineur est victime.</p>
<p>Sur un majeur, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000019017259">prescription est de 10 ans à compter de la consolidation ; sur un mineur, de 20 ans à compter de sa majorité</a> – mais si la consolidation est ultérieure, ce sera à compter de la consolidation. La consolidation est une notion médico-légale ; elle est acquise lorsque la situation de la victime n’est, selon toute vraisemblance, plus susceptible d’évoluer. Lorsque l’atteinte dont se plaint la victime est essentiellement d’ordre psychique, la caractérisation de cette consolidation est délicate, et affaire d’experts, sous la vigilance du juge.</p>
<h2>En France pas de dommages et intérêts punitifs</h2>
<p>Quant à la solvabilité de l’auteur de faits de violences sexuelles, dont les conséquences ne peuvent évidemment pas être mises à la charge de son assureur de responsabilité, elle n’est désormais plus guère problématique pour les victimes, qui peuvent trouver dans les mécanismes gérés par le <a href="https://www.fondsdegarantie.fr">Fonds de garantie des victimes</a> des moyens d’obtenir le payement de l’indemnisation à laquelle elles ont droit.</p>
<p>Il faut encore rappeler que, en France, les dommages et intérêts punitifs n’existent pas. Les sommes que peut obtenir la victime ne dépendent donc ni de la fortune de l’auteur, ni de la gravité de sa faute ; elles ne sont mesurées que sur la gravité des conséquences pour la victime. La situation est donc fort différente de celle des États-Unis, où les <em>punitive damages</em> ayant vocation à punir, dépendent de la fortune de l’auteur et peuvent <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/etats-unis-indemnites-records-de-58-millions-de-dollars-pour-une-victime-de-harcelement-sexuel-03-12-2019-8208633.php">se chiffrer en dizaines de millions de dollars</a>.</p>
<p>Des faits de violence sexuelle portent atteinte aux droits de la victime : le retour au statu quo ante est impossible, il n’est pas possible de faire en sorte que les droits de la victime aient été respectés. Ce que peut faire le droit de la réparation, c’est payer la valeur de ces droits, autrement dit, donner de l’argent, à la victime. Ces sommes, la victime en a la libre disposition : elle n’a de rendre à quiconque de la manière dont elle entend les utiliser.</p>
<h2>Les postes indemnisables</h2>
<p>Pour rationaliser l’indemnisation, la technique juridique utilise une nomenclature de postes de préjudices présentée dans un <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_groupe_de_travail_nomenclature_des_prejudices_corporels_de_Jean-Pierre_Dintilhac.pdf">rapport du président Dintilhac</a>. Chaque poste correspond à un droit violé, qu’il convient de payer par équivalent à la victime. Le juge est libre dans le chiffrage des dommages et intérêts pour chaque poste ; différents référentiels, le plus utilisé étant <a href="https://www.victimes-solidaires.org/upload/referentiel-MORNET.pdf">celui de Monsieur Mornet</a>, donnent des indications chiffrées.</p>
<p>Une victime a droit à l’indemnisation de ces dépenses de santé, passées comme futures – donc notamment du coût du suivi psychiatrique ou psychologique (après déduction, éventuellement, des sommes avancées par la Caisse de sécurité sociale). Elle peut encore demander l’indemnisation de sa perte de gains professionnels – mais il lui sera très difficile d’apporter la preuve indispensable d’un lien de causalité entre une cessation ou une limitation de son activité professionnelle et les violences dont elle a été victime.</p>
<h2>La délicate prise en charge des souffrances endurées</h2>
<p><a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S1878652920300791">Les souffrances endurées</a> sont dans un premier temps cotées par un médecin expert sur une échelle à sept degrés. Les souffrances psychiques sont notablement sous-évaluées par les outils disponibles. <a href="https://www.aredoc.com/index.php/publication/lettre-de-la-coreidoc-n-19-les-souffrances-endurees-se/">Une grille de référence</a> suggère de ne pas dépasser dans un tel cadre 3,5/7, et encore, seuil atteint seulement dans l’hypothèse où l’atteinte de la victime justifie un traitement psychotrope associant antidépresseur, anxiolytique et hypnotique et une psychothérapie hebdomadaire au-delà d’un an.</p>
<p>Par comparaison, une hospitalisation pour des blessures physiques de plus de 10 jours permet d’aller au-delà. À la cotation de 3,5/7, une <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-03246155/document">victime ne peut guère espérer obtenir plus de 15 000 euros</a> pour ses souffrances psychologiques. De la même manière, le déficit fonctionnel permanent, exprimé en pourcentage, et reflétant notamment l’atteinte à la qualité de vie, est notablement sous-indemnisé pour les victimes d’atteintes essentiellement psychologiques, donc les victimes de violences sexuelles. Pourtant, elles peuvent présenter des syndromes d’évitement, des troubles du sommeil…</p>
<p>Lorsque les victimes de violences sexuelles subissent des troubles dans leur vie sexuelle, comme une perte de libido, une répulsion vis-à-vis de l’acte sexuel, ou une difficulté accrue à accéder au plaisir, elles devraient pouvoir obtenir une indemnisation de leur préjudice sexuel. Hélas, celui-ci est essentiellement compris comme une atteinte physiologique aux organes sexuels. Fort heureusement, quelques juges savent s’écarter de cette acception purement physiologique ; une expertise ayant relevé pour une victime de viol la « perte de la libido et l’incapacité de fréquenter un homme, qui provoque une reviviscence insupportable », une somme de 35 000 euros a pu être accordée au titre du préjudice sexuel récemment par la <a href="https://www.doctrine.fr/d/CA/Fort-de-France/2021/C6ADEBBCC40D26C3FC461">Cour d’appel de Fort-de-France</a>. Ce même arrêt a pu d’ailleurs indemniser le préjudice d’établissement, le viol ayant bouleversé la vie de la victime au point de lui faire perdre une chance de réaliser son projet de vie familiale.</p>
<p>Cette audace est isolée, et ne doit pas occulter le fait que, trop souvent, les victimes de violences sexuelles, lorsqu’elles n’ont essentiellement que des atteintes psychologiques à faire valoir, ne sont pas aussi bien indemnisées qu’elles ne devraient l’être. Le droit doit évoluer pour mieux accueillir les demandes d’indemnisation de ces victimes, qui sont parfaitement légitimes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183870/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christophe Quézel-Ambrunaz a reçu des financements de l'institut universitaire de France. </span></em></p>Le système de défense contre les victimes a changé : il s’agit moins de mettre en doute la véracité de leur parole, mais d’attaquer les motivations.Christophe Quézel-Ambrunaz, Professeur de droit privé, Université Savoie Mont BlancLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.