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Autisme : comment veiller sur la santé des enfants qui ne parlent pas

Les enfants autistes ont besoin, comme les autres, d'être soignés pour des otites ou d'autres maladies (photo d'illustration). Shutterstock

Le garçon a 3 ans, il est autiste. Avec ses parents, il vient en consultation dans l’unique centre spécialisé, en France, dans les soins pour les personnes ayant des difficultés à communiquer, au sein de l’établissement public de santé Barthélemy Durand à Étampes (Essonne).

D’abord, il fait le tour du hall, en visite chaque recoin. Puis il se décide à entrer dans la salle de soins, se glisse derrière mon bureau et vient tapoter sur le clavier de l’ordinateur. Il poursuit son exploration de la pièce, s’approche de la fenêtre, observe le store vénitien. Il refuse de s’allonger sur le lit d’examen et se couche au sol, à même le carrelage.

Ses parents, confus, lui reprochent son attitude. Je les rassure, ce n’est pas un problème. Je mets de la musique dans la salle. L’infirmière et moi-même nous étendons à côté de l’enfant. Ensemble, nous écoutons le morceau en regardant le plafond, couchés sur le dos, l’infirmière à sa droite et moi à sa gauche. Au bout d’un moment qui dure une trentaine de minutes peut-être, il accepte d’être examiné. Seulement ce sera par terre. Je l’ausculte à genoux. Puis l’infirmière s’installe en tailleur, pour lui faire la prise de sang.

Des personnes ayant des difficultés à se faire comprendre

Certaines personnes, parmi lesquelles des enfants et adultes autistes, ne parlent pas, ont des difficultés à se faire comprendre ou à percevoir les intentions des autres. Néanmoins elles ont, comme tout un chacun, des problèmes de santé. Or l’offre de soins adaptée à leurs particularités est très limitée sur le territoire français, ce qui entraîne des conséquences néfastes pour leur santé.

Globalement, les études scientifiques montrent que les individus ayant un trouble du spectre de l’autisme (TSA), des troubles psychiques ou une déficience intellectuelle voient leur espérance de vie réduite en raison, notamment, de maladies organiques.

Notre équipe, au Centre régional douleur et soins somatiques en santé mentale, autisme, polyhandicap et handicap génétique rare, compte maintenant cinq années d’expérience. Nos résultats montrent qu’en accordant le temps et l’attention nécessaires à ces patients, en utilisant des outils adaptés comme une échelle spéciale d’évaluation de la douleur, on parvient à les soigner et à éviter ainsi des complications ou des hospitalisations. Le centre mène également des recherches pour mieux mesurer la douleur en partenariat avec l’université Paris-Sud et le Centre Hospitalier Universitaire de Sherbrooke, au Canada.

Quand la patience ne suffit pas

Faire preuve de patience, comme dans le cas de l’enfant décrit plus haut, ne suffit pas toujours à convaincre une personne inquiète de l’intérêt de se laisser examiner. On peut alors utiliser la sédation consciente, c’est-à-dire l’inhalation d’un mélange gazeux qui diminue à la fois l’anxiété et la douleur. Il s’agit d’un mélange de protoxyde d’azote et d’oxygène grâce auquel la personne, totalement consciente, continue à interagir pendant tout l’examen.

Ainsi cet enfant de 6 ans, autiste sévère et dyscommunicant – c’est-à-dire n’ayant pas de langage verbal. Voilà plus d’un mois qu’il fait preuve d’agressivité et surtout qu’il se donne des coups, au moment où notre équipe le reçoit avec ses parents et l’équipe soignante de l’Institut médico-éducatif (IME) où il réside. Dans la salle de soins, il saute sur place et se frappe la mâchoire avec force.

D’après le personnel soignant de l’IME, ces comportements s’aggravent. L’enfant se réveille maintenant la nuit, se frappe les oreilles et saute sur son lit. Nous maintenons l’enfant allongé sur le lit d’examen, sous sédation consciente. L’examen clinique montre qu’il souffre en fait d’une otite purulente dans chaque oreille. Ainsi les coups qu’il se portait et les sauts étaient une manière, pour lui, de tenter de déboucher ses oreilles et d’atténuer sa douleur.

L’enfant avait pourtant été « examiné » à deux reprises, par un médecin généraliste puis par un spécialiste en oto-rhino-laryngologie (ORL). Chaque fois son comportement avait été attribué à son autisme, de sorte qu’aucun examen clinique abouti n’avait été pratiqué.

Un risque d’errance médicale pour les personnes autistes

Les troubles du spectre de l’autisme sont caractérisés par des difficultés de communication qui rendent très délicats l’évaluation de la douleur, ainsi que les soins. Les personnes avec autisme expriment leur souffrance différemment et ne savent pas toujours situer leurs points douloureux. D’où le besoin de soignants expérimentés. Or comme l’indique le ministère de la Santé dans son Bulletin officiel du 15 janvier 2016, citant le Schéma régional d’organisation des soins (SROS) Île-de-France, le dispositif de soins adapté aux personnes autistes « souvent complexe, concourt au risque d’errance [médicale] ».

La carence persistante d’une offre de soins adaptée est si bien établie que la Stratégie nationale autisme au sein des troubles du neuro-développement, adoptée pour la période 2018-2022, la prend en compte à travers son 4ᵉ engagement : « Garantir l’accès aux soins somatiques au travers de bilans de santé réguliers, conformément au plan national Prévention Santé, et en mettant en place des “consultations dédiées” dans les territoires ». Les actions 11, 14 et 15 du futur Plan santé mentale et psychiatrie appellent, elles aussi à « mieux prendre en charge la santé somatique des personnes vivant avec des troubles psychiques ».

Pour en revenir au trouble du spectre autistique, les chercheurs observent chez ces personnes une mortalité prématurée. Sur une période donnée, les décès sont 3 à 10 fois plus nombreux dans cette population, comparé à la population générale, selon une étude de 2016. Ces décès résultent, en plus des accidents liés à des comportements dangereux, de complications relatives à des pathologies purement physiques comme l’épilepsie, les troubles respiratoires, les troubles gastro-intestinaux ou les syndromes douloureux.

Les personnes atteintes de troubles psychiques ont, elles aussi, des pathologies organiques associées importantes. Les maladies cardiovasculaires sont, dans cette population, la première cause de décès. L’espérance de vie est réduite de 20 % chez les personnes touchées par le trouble bipolaire ou la schizophrénie, par rapport à la population générale, comme montré dans une étude de 2011. De manière générale, ces personnes ont tendance à négliger leur santé, alors même que les médicaments qu’elles prennent les exposent à des effets secondaires. Elles éprouvent des difficultés, de surcroît, à être reçues dans les centres de santé et les cabinets de médecins généralistes.

Un pavillon situé à l’écart, ouvrant sur les prés

À Étampes, le Centre régional de soins somatiques a développé un savoir-faire spécifique pour réussir à soigner ces patients particuliers. Il participe d’ailleurs, en tant qu’expert, aux recommandations de bonnes pratiques de la Haute autorité de santé pour les soins somatiques et la douleur, dans la santé mentale et l’autisme.

Ainsi, la manière dont la consultation va se passer leur est expliquée à l’avance pour qu’ils puissent l’anticiper et mieux gérer la situation le moment venu. L’inconnu et l’imprévu génèrent en effet une grande anxiété chez les personnes autistes. Lors de la préparation du rendez-vous, on utilise des supports visuels comme des photos du centre, des images ou des pictogrammes, qui peuvent notamment être insérées dans un emploi du temps pour donner de meilleurs repères.

Les conditions de l’accueil sont primordiales pour la suite, autrement dit le bon déroulement des soins. Le pavillon qui abrite le centre est situé à l’écart des services d’hospitalisation, dans un cadre serein ouvrant sur les prés et les bois. Le temps d’attente est limité, tout comme le bruit dans les locaux. Par contre le patient a le loisir de s’approprier l’environnement du centre : pas de précipitation pour faire les soins.

Les personnes autistes ayant souvent une hypersensibilité des cinq sens, la salle d’attente est conçue comme un lieu le moins stimulant possible, avec de la lumière naturelle ou tamisée. La salle d’examen est équipée pour que le patient puisse écouter de la musique ou regarder un film.

Les soignants se présentent et, lors de l’examen, expliquent ce qu’ils font. Ainsi, une première consultation dure en moyenne deux heures.

La modification des expressions du visage ou du sommeil sont des indices de la douleur

Un tel centre permet de découvrir des pathologies passées inaperçues, très souvent devenues chroniques faute de traitement. Chez plus de 80 % des personnes adressées à notre centre pour des comportements posant problème, on trouve une pathologie organique, selon nos statistiques. La modification du comportement de la personne, de ses mimiques et expressions du visage, de ses plaintes et de son sommeil par rapport à ses habitudes, sont autant d’indices qu’il faut apprendre à observer pour repérer une douleur.

En dépit de sa vocation régionale, le Centre d’Étampes reçoit des demandes de rendez-vous venant des départements du Nord-Pas-de-Calais, de l’Ain, de l’Indre et Loire, du Loiret ou encore de la région Aquitaine. Le besoin de tels centres dans les autres régions est ainsi rendu patent. Avant d’être autistes, ces patients sont avant tout des personnes, dont la souffrance ne peut pas être négligée.

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