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Battre le record du monde du 100 mètres : science-fiction ?

Usain Bolt, l'homme le plus rapide du monde sur 100 mètres. Wikipedia

Nous vous proposons cet article en partenariat avec l’émission de vulgarisation scientifique quotidienne « La Tête au carré », présentée et produite par Mathieu Vidard sur France Inter. L’auteur de ce texte évoquera ses recherches dans l’émission du 04 mai 2018 en compagnie d’Aline Richard, éditrice science et technologie pour The Conversation France.


Quelle meilleure illustration de la haute performance que le record d’Usain Bolt en 2009 à Berlin en regard de sa blessure lors de la dernière ligne droite de la finale du relais 4 x 100 mètres à Rio sept ans plus tard ?

Cette image sonne comme un rappel de la fragilité du succès lorsqu’il confine aux limites de la performance humaine. Mais elle constitue aussi une réelle invitation à mieux comprendre les raisons qui conduisent à un tel niveau d’excellence. Ceci afin d’être capable de se rapprocher à nouveau un jour de cette marque de 9 s 58 sur 100 m, voire de l’abaisser, tout en préservant l’intégrité physique des athlètes. C’est à ce défi que nombre d’équipes de scientifiques se sont attaquées depuis des décennies, comme l’illustre cette vidéo qui décortique la course de Bolt comparée à celle de Tyson Gay en 2009.

Analyse de la course d’Usain Bolt en 2009 à Berlin.

La performance se cache dans les détails

Ces données reflètent parfaitement à quel point la performance sportive se construit sur des détails techniques, physiques, qui ne s’improvisent pas, afin de produire le mouvement le plus efficace.

Elles révèlent également que l’épreuve reine des Jeux olympiques sollicite des propriétés musculaires fines, comme la force musculaire maximale qui s’exprime principalement au départ dans les starting blocks, mais pas seulement !

Une analyse récente basée sur les temps mesurés tous les 10 mètres issus d’une base collectée par l’IAAF (association internationale des fédérations d’athlétisme) a ainsi mis en évidence qu’Usain Bolt n’était pas celui qui développait le plus de force parmi les meilleurs sprinters de ces dernières décennies.

En revanche, il est le seul à être capable d’atteindre 12,4 m/s (44,6 km/h) et surtout d’appliquer encore de la force à cette vitesse. Pour ce faire, les coordinations musculaires, les propriétés élastiques des muscles et des tendons, ou encore l’orientation des forces appliquées au sol apparaissent manifestement déterminantes.

No pain, no gain : la formule magique ?

Il serait réducteur de considérer que cette performance est le seul résultat d’un entraînement intense et difficile, comme le résume le fameux leitmotiv « no pain no gain ». Cette approche y contribue car il est nécessaire de stimuler l’organisme à ces niveaux d’exigence pour progresser. Mais elle présente aussi des risques, notamment de sur-utilisation du corps en cas de récupération insuffisante. La blessure subie par Bolt (lésion aux ischios-jambiers) est ainsi celle la plus représentée dans les relevés effectués lors des JO de Rio.

Afin d’optimiser la performance de ces champions et les prémunir de ces évènements indésirables qui peuvent affecter significativement une saison voire une carrière, des paramètres très précis et individuels doivent être pris en considération.

Certains travaux s’intéressant à la performance en sprint ont ainsi souligné le rôle potentiel de facteurs anatomiques et pas uniquement la masse musculaire, comme les types de fibres (typologie musculaire) qui constituent les muscles sollicités ou encore la distance entre la ligne d’action du muscle et l’axe de rotation de l’articulation (bras de levier musculaire). Ces paramètres ne peuvent être mesurés avec un chronomètre ou avec le seul œil de l’entraîneur.

La science au service de la performance

C’est alors qu’interviennent des ressources extérieures au staff technique : cliniciens, scientifiques et ingénieurs. Du point de vue de la prévention, certains tests utilisés par ces professionnels de l’accompagnement scientifique de la performance ont ainsi soulevé de possibles indicateurs du risque de blessure basés sur des mesures de force, ou de souplesse.

Mais ces tests masquent souvent des compensations et ne permettent pas d’extraire les propriétés ou les limites des muscles utilisés, d’où leur manque de fiabilité, récemment très critiqué. Il est possible de faire appel à des techniques plus poussées comme les biopsies effectuées auprès de Colin Jackson (spécialiste du 110 mètres haies) permettant de déterminer sa typologie musculaire et les liens avec la performance. Mais ces techniques sont invasives et peu adaptées au sportif en activité (la carrière sportive de Jackson était terminée au moment de l’étude).

Quelles solutions pour continuer à progresser ?

Dans ce contexte, les progrès récents de techniques non-invasives comme l’échographie ou l’imagerie par résonnance magnétique offrent l’accès à des informations nouvelles comme l’élasticité des tissus (muscle, tendon), à la manière dont les sportifs utilisent leurs muscles (coordinations), ou à la vitesse maximale de contraction (essentielle voire cruciale en sprint).

Échographie. Gaël Guilhem, Author provided

Les staffs et les athlètes avec lesquels les scientifiques collaborent disposent ainsi de paramètres très précis, très individuels, le tout sans passer la barrière cutanée ! Les derniers travaux, dont plusieurs réalisés par les équipes de l’INSEP et de l’Université de Nantes ont permis de tester si certaines caractéristiques individuelles sont reliées à la performance ou au risque de blessure.

Une échographie pour les sprinters

Des échographes de dernière génération permettent d’enregistrer des images à très haute fréquence (jusqu’à 10 000 images par seconde). En plaçant une sonde à la surface de la peau, il devient possible de visualiser les vitesses de raccourcissement des muscles et des tendons lors de mouvements très rapides.

Ces outils incluent également la possibilité de mesurer l’élasticité du tissu, c’est-à-dire sa capacité à se déformer tout en stockant de l’énergie, propriété dont on sait aujourd’hui qu’elle joue un rôle fondamental dans le geste sportif.

Il est alors possible de déterminer les vitesses maximales et l’élasticité des muscles et des tendons du sprinter et d’en extraire ses points forts et ceux qu’il ou elle peut améliorer. Une fois ces mesures effectuées en laboratoire auprès des sportifs élites (de très haut niveau), ces informations sont transmises à l’entraîneur en vue d’identifier quelle capacité développer, renforcer, voire laisser de côté.

Ce travail est par exemple conduit en étroite collaboration entre la Fédération française d’athlétisme et le Laboratoire sport, expertise et performance de l’INSEP.

Les résultats permettent de dresser le profil des sprinters, de mettre le doigt sur des spécificités individuelles, qui permettent ensuite d’identifier des pistes prioritaires d’entraînement.

L’entraîneur peut alors privilégier des exercices qui vont cibler un muscle particulier (dont il serait souhaitable d’augmenter l’élasticité ou accroître la vitesse de raccourcissement), ou qui contribuent à rééquilibrer les niveaux de force produits par chaque muscle pour stabiliser une articulation. Les possibilités sont nombreuses. L’ultime étape consiste enfin à réévaluer les effets de ces stratégies afin d’ajuster si besoin l’entraînement et ainsi de suite.

Il n’y a pas que le sport dans la vie…

Si cette démarche est séduisante et s’inscrit de plus en plus dans la pratique, sa mise en œuvre n’est pas toujours évidente en raison des contraintes qui pèsent sur les sportifs de haut niveau et leur encadrement. Il reste donc beaucoup à faire pour être en mesure d’utiliser tout le potentiel de ces éclairages, et par conséquent des sources d’optimisation à exploiter.

Ces techniques conservent également des limites importantes. Elles sont encore surtout utilisées en laboratoire ou lors d’examens médicaux, et ne sont pas encore complètement adaptées aux conditions de terrain. Il est toutefois intéressant de noter que des échographes transportables voient le jour, ce qui laisse entrevoir des progrès futurs dans le développement d’outils de captation miniaturisés, d’objets connectés, comme ceux déjà intégrés dans le suivi des déplacements des joueurs en sport collectif par exemple.

L’objectif à terme n’est pas nécessairement de s’entraîner plus, mais de s’entraîner mieux, plus précisément, aller à l’essentiel, pour dégager du temps pour d’autres aspects de la vie : récupération, temps familial, formation, projet professionnel.

Cette problématique prend en effet de plus en plus de place dans la haute performance actuellement (par exemple le service Performance Lifestyle proposé à l’English Institute of Sport, importance des conditions d’entraînement dans les universités américaines, enquête sur les rythmes de vie des sportifs en France). Pour continuer à viser l’excellence tout en assurant l’accomplissement personnel des champions de demain.

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