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Avec Bolsonaro, l’agrobusiness contre l’Amazonie

Un partisan du candidat de l’extrême droite lors d’une manifestation de soutien à Rio le 21 octobre dernier. Carl de Souza/AFP

La victoire, ce dimanche 28 octobre, de Jaïr Bolsonaro – le candidat du Parti social libéral qui a rallié les sympathisants de l’extrême droite – à la présidentielle brésilienne a de quoi donner des sueurs froides aux écologistes.

Défenseur de l’ultralibéralisme, Bolsonaro est associé au puissant lobby représentant les grands propriétaires terriens : la bancada ruralista (littéralement le « banc rural », le terme bancada désignant ici les groupes de pression constitués par les élus à la Chambre des députés et au Sénat brésiliens).

Cette dernière appartient au BBB (pour « bœuf, balles et Bible »), mouvement incontournable qui regroupe les bancadas représentant l’agrobusiness, les militaires et les églises évangélistes.

Contre « l’activisme environnemental »

Les grands propriétaires terriens et éleveurs ont tout à gagner dans cette victoire de Bolsonaro. Notons que le qualificatif de « grand » est un euphémisme, quand on sait que 45 % de l’espace rural brésilien est occupé par seulement 1 % des propriétés.

Les grandes familles qui trustent la terre se réjouissent de la défaite cinglante du Parti des travailleurs aux législatives et à la présidentielle. Car ce parti soutenait l’engagement pris par le pays lors de l’Accord de Paris sur le climat de réduire ses émissions de gaz à effet de serre et de replanter 12 millions d’hectares de forêt amazonienne d’ici 2030 ; contrôlait l’application des lois et accords en faveur de la protection du territoire des Indiens d’Amazonie ; et menait une politique favorable au demi-million de familles paysannes sans terre.

Bolsonaro, le PSL (nouveau parti fort de la Chambre des députés) et le BBB, lobby le plus puissant du congrès, incarnent une position diamétralement opposée. Ainsi, si l’on ajoute à l’influence dominante du BBB sur le pouvoir législatif, un président qui clame sur les réseaux sociaux sa haine des populations indigènes, son mépris des paysans sans terre et sa volonté de mettre fin à ce qu’il qualifie d’activisme environnemental, on ne voit pas bien ce qui pourrait arrêter la fièvre expansionniste des éleveurs de bovins et des planteurs de soja et de canne à sucre.

En analysant les données produites par le ministère de l’Agriculture brésilien, on constate que la surface de culture du soja a augmenté de 59 % au cours des dix dernières années. Le soja constitue à lui seul près de la moitié de la production agricole du pays et 30 % de sa culture est concentrée dans l’État du Mato Grosso en Amazonie.

La culture de la canne à sucre a quant à elle augmenté de 60 % sur la même période. L’expansion de l’élevage bovin est également phénoménale. Avec un cheptel de plus de 215 millions de têtes, le Brésil est le second producteur mondial. Près d’un steak sur cinq consommés dans le monde provient d’un bœuf brésilien. Sur les dix États du pays qui ont connu la plus forte croissance de cheptel ces vingt dernières années, huit se trouvent en Amazonie.

Or ces trois activités sont considérées comme les causes principales de la déforestation au Brésil.

Au Brésil, le soja chasse les forêts. (Euronews/YouTube, 2018).

Le bœuf avance, la forêt recule

La forêt amazonienne couvre 5,5 millions de km2, ce qui représente la moitié des forêts tropicales de notre planète. Elle abrite la plus grande biodiversité du monde, concentre 15 % de l’eau douce, contribue à produire 20 % de l’oxygène de l’air que nous respirons et constitue un régulateur naturel du réchauffement climatique.

Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, l’Amazonie compte 33 millions d’habitants qui dépendent de ses ressources. Elle est également le territoire de plusieurs centaines de milliers d’Indiens. La Fondation nationale de l’Indien en recense 900 000 au Brésil, répartis en 305 ethnies et occupant 594 territoires représentant 12 % du pays. L’usage de certaines de ces terres déclarées inaliénables dans la constitution de 1988 peut toutefois être modifié par le Congrès.

Près de 65 % de la forêt amazonienne se situent au Brésil. Mais ce pays est le champion mondial de la déforestation de ces cinquante dernières années, avec une destruction de près de 780 000 km², soit une superficie proche d’une fois et demi celle de la France métropolitaine. Dans cette période, l’Amazonie brésilienne a perdu 20 % de sa surface.

L’élevage, en particulier l’élevage bovin, est la principale cause de déforestation en Amazonie. Le grand projet d’étude menée pour le ministère brésilien de l’Agriculture au travers de l’Entreprise brésilienne d’études agronomiques sur l’occupation des surfaces résultant de la déforestation montre que 65 % de celles-ci sont utilisées pour l’élevage.

L’agriculture intensive, plus spécifiquement la culture du soja et de la canne à sucre, a également une part de responsabilité, mais celle-ci ne s’élèverait qu’à environ 5 à 10 %. Cependant, le cas du soja est à étudier avec plus d’attention. En effet, une large part de cette culture est dédiée à la production de tourteaux pour nourrir le bétail. Ainsi, le développement de la culture du soja et celui de l’élevage sont liés.

Par ailleurs, des études ont montré qu’au Mato Grosso (sud de l’Amazonie), des surfaces auparavant utilisées pour l’élevage ont été reconverties pour la culture du soja, ce qui a contribué à repousser vers le nord les étendues dédiées aux bovins et a ainsi induit une nouvelle déforestation. La culture du soja se trouve donc être une cause sous-jacente de la déforestation que l’on attribue plus directement à l’élevage.

En outre, la culture du soja et de la canne à sucre sont également des causes de déforestation au travers du développement d’infrastructures routières que le transport des récoltes rend nécessaires. La construction de routes est directement responsable d’une faible part de la déforestation mais elle en est un formidable catalyseur car elle ouvre l’accès à la forêt, permet le développement des activités et favorise le déplacement de population.

Ainsi, 95 % de la déforestation se situe dans les 5 km bordant les routes. Les deux principales autoroutes, celle de Belem-Brasilia, construite en 1958, et celle de Cuiaba-Porto-Velho, construite en 1968, sont au cœur de ce que l’on dénomme « l’arc de déforestation ». Seules quelques routes sont officielles, et la grande partie des 170 000 km de voies de communication sillonnant l’Amazonie a été construite illégalement, en particulier par les exploitants forestiers.

L’Amazonie est-elle un bien commun ?

L’Amazonie est essentielle à l’équilibre écologique de notre planète et à la survie de l’humanité. Elle ne doit pas appartenir à un État qui pourrait décider de son sort sans aucune consultation de la communauté internationale. Au-delà même du fait qu’elle est un territoire partagé entre neuf États, les deux tiers de sa surface situés au Brésil ne peuvent pas être considérés comme une propriété du pays.

Son existence transcende la notion même de nation. Et quelques frontières qui ont à peine plus de 500 ans d’histoire sont bien dérisoires au regard du rôle de la forêt amazonienne dans l’équilibre planétaire. La politique brésilienne en matière d’utilisation et de protection des richesses de l’Amazonie a des conséquences sur l’ensemble des peuples et, à ce titre, la communauté internationale a un devoir d’intervention dans les décisions qui sont prises.

Cependant, une telle ingérence est difficilement acceptable. En particulier pour un pays dont l’histoire a été marquée par l’esclavage et l’exploitation de ses richesses au profit de nations européennes. Et celles-ci sont bien peu légitimes dans le rôle de donneur de leçons alors qu’elles n’ont conservé que 0,3 % de leur massif forestier originel contre 69 % au Brésil.

Le droit de regard que voudraient s’arroger des pays qui sont aujourd’hui dans une situation de développement que l’on ne peut décemment pas dissocier d’un passé émaillé de surexploitation de leurs propres ressources et de celles issues des périodes de colonisation pourrait être interprété comme une volonté de freiner l’émergence du Brésil sur la scène économique mondiale.

Cela nourrit l’un des principaux arguments populistes pour le rejet des institutions internationales.

Au profit d’une minorité

Cet argument reste toutefois assez fallacieux. Certes, le peuple brésilien dans son ensemble bénéficie du développement du secteur de l’agrobusiness, représentant plus d’un cinquième de l’économie du pays. Mais la déforestation profite avant tout à une minorité de grands propriétaires terriens à qui Bolsonaro propose dans une de ses déclarations de chasser à coup de fusil les paysans sans terre qui oseraient s’aventurer sur leurs immenses propriétés. Mais ceux-ci sont plus de 500 000 ! Et ce ne sont certainement pas non plus les centaines de milliers d’Indiens qui se raviront du recul de la forêt.

Quant aux autres formes d’exploitation de celle-ci, telles que les mines ou l’extraction pétrolière, elles sont le plus souvent orchestrées par des multinationales.

Difficile dans ces circonstances de justifier l’intérêt de la déforestation pour la population brésilienne. Il nous faut donc compter sur le fonctionnement démocratique, dans lequel les contre-pouvoirs pourront s’exprimer face au tonitruant Bolsonaro et aux surpuissants lobbys sur lesquels il s’appuie.

La conscience de l’importance de la forêt amazonienne pour la planète doit pouvoir freiner les ardeurs des défenseurs de l’agrobusiness. Mais le ton populiste et nationaliste du slogan de campagne de Bolsonaro n’est pas de nature à rassurer : « Le Brésil au-dessus de tout, Dieu au-dessus de tous ».

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