Menu Close
Le yoga, un sport qui requière une attention toute particulière. Dave Contreras / Unsplash

Bonnes feuilles : « Le cerveau attentif »

Nous publions un extrait de l’ouvrage de Paolo Bartolomeo « Penser droit » qui vient de paraître aux éditions Flammarion. Neurologue et directeur de recherche à l’Inserm, Paolo Bartolomeo est spécialiste des troubles de l’attention.


Que nous soyons en train d’admirer un tableau au musée, de chercher un ami dans une foule, de lire les longues phrases des romans de Henry James ou de traverser la rue en prenant garde à ne pas être renversés par une voiture, nous avons besoin de mobiliser un ensemble de processus regroupés sous le nom d’« attention ».

S’il est vrai que « chacun sait ce qu’est l’attention », comme l’écrivait William James, père fondateur de la psychologie expérimentale américaine et frère aîné de Henry, ce n’est que depuis peu que nous avons commencé à en percer les mécanismes intimes dans le cerveau. Or notre hémisphère droit y joue un rôle central.

Pourquoi l’attention ?

Tous les organismes biologiques font face à un même enjeu : ils doivent atteindre leurs objectifs dans un environnement encombré d’une multitude d’objets. Comme si ces derniers se faisaient concurrence pour capturer notre attention et déterminer notre comportement. Certains de ces objets – les mots dans une phrase, la couleur du feu quand je traverse la rue – sont essentiels au moment de l’action, et il faut y prêter attention. À ce même moment, d’autres sont toutefois à ignorer – les mots de la phrase d’à côté, ce panneau publicitaire qui clignote alors que je pose le pied sur le passage piéton.

Enfin, d’autres événements surgissent de façon inopinée, mais il est impératif et souvent urgent de les considérer – mon téléphone qui sonne pendant que je lis, cette voiture qui a manifestement brûlé le feu. Bref, un comportement cohérent demande de sélectionner les stimuli appropriés dans l’environnement mais également, nos capacités de traitement n’étant pas infinies, de pouvoir ignorer d’autres objets moins importants.

Il faut s’y résoudre : notre regard ne peut se diriger que sur un seul endroit à la fois. Pis, nos surfaces sensorielles ne sont pas homogènes : par exemple, dans la rétine de l’œil, une toute petite partie centrale, qu’on appelle la fovéa, est bien plus sensible que la périphérie de la rétine. Seule la fovéa rend possible notre vision « en haute définition ».

Lorsque nous voyons quelque chose à la périphérie de notre champ visuel, nous devons bouger notre tête et nos yeux pour centrer l’image sur cette région précise et ainsi pouvoir l’identifier. Une fonction importante de l’attention est justement celle de rendre possibles ces mouvements d’orientation vers les objets à la périphérie du champ visuel. Tout cela est bien connu des voleurs, qui prennent beaucoup de précautions pour distraire l’attention et le regard de leurs victimes.

Prêter attention sans bouger les yeux

Maintenant, essayez de fixer un mot de ce texte, tout en prêtant attention à ce qui se passe à droite. Effectivement, nous pouvons orienter notre attention même sans bouger les yeux : c’est l’attention implicite. Le célèbre « tricheur à l’as de carreau » de Georges de La Tour évite de regarder les objets de son attention, c’est-à-dire ses cartes… et le jeune joueur berné ! Comme précédemment, il s’agit d’une technique pour éviter que la victime se rende compte de ce qui se passe. Nous savons en effet que, si nous regardons quelque chose, notre entourage aura tendance à automatiquement suivre l’objet considéré : c’est ce qu’on appelle l’attention partagée. L’attention n’est donc pas seulement un rapport entre un observateur et un objet d’observation : elle implique une relation sociale qui inclut les personnes autour de l’observateur.

Regarder sans voir

Le manque d’attention peut aussi nous conduire à « regarder sans voir ». Les psychologues Daniel Simons et Christopher Chabris ont dans cet esprit conduit une expérience devenue célèbre, dans laquelle ils montraient à des sujets une vidéo de deux équipes de basketball se lançant un ballon, en leur demandant de compter le nombre des passes du ballon.

Comptez le nombre de passes que se font les joueurs en blanc (d’après Daniel Simons et Christopher Chabris).

Après un certain temps, une actrice portant un costume de gorille entrait dans la scène, s’arrêtait au centre en se frappant la poitrine et sortait. Étonnamment, plus d’un tiers des spectateurs occupés à compter les passes ne virent pas le « gorille ». En revanche, si on omettait de leur demander de compter les passes, le gorille était bien entendu toujours remarqué !

L’expérience spectaculaire du gorille a été inspirée par le phénomène dit de « cécité inattentionnelle » où l’attention, lorsqu’elle est particulièrement focalisée sur un objet, empêche la perception consciente d’autres objets.

Regarder la croix et rater le carré : un effet de « cécité inattentionnelle ». Les sujets réalisant une tâche perceptive difficile, qui demande toute leur attention, comme évaluer plusieurs fois la longueur relative des deux bras d’une croix dessinée sur une feuille, peuvent ne pas s’apercevoir de la présence d’un carré noir situé près de la croix lors d’un des essais. Paolo Bartolomeo, Author provided

À présent, regardez cette figure et comparez la longueur des deux traits de la croix pour essayer de déterminer si l’un est plus long que l’autre. Il s’agit d’une discrimination difficile exigeant beaucoup d’attention, car les traits ont des longueurs très proches. Lorsqu’on répète cette tâche plusieurs fois, mais en intégrant à certains essais un carré noir bien saillant près de la croix, environ la moitié des participants ne se rendent pas compte de sa présence. En d’autres termes, nous devenons souvent « aveugles » à un stimulus pourtant proéminent quand nous focalisons notre attention sur un autre objet.

Ces expériences et bien d’autres démontrent que, si l’attention est ailleurs, nous pouvons manquer des changements majeurs de notre monde visuel. Notre impression de toujours percevoir une scène visuelle riche et détaillée est illusoire. Le haut pourcentage d’accidents de la route causé par l’inattention est une conséquence dramatique de cet état de fait. Par exemple, la distraction provoquée par les téléphones mobiles est considérée comme l’une des causes principales du récent ralentissement des progrès dans la réduction des accidents de la route en Europe.

Les réseaux de l’attention dans le cerveau

En quoi les neurosciences peuvent-elles éclairer notre compréhension de l’attention ? Les travaux de Posner ont inspiré un vaste programme de recherche en neuroimagerie sur l’attention, mené, entre autres, par le neurologue Maurizio Corbetta à l’université de Washington, à Saint-Louis. Grâce à ces travaux, nous savons maintenant qu’il n’y a pas de région unique dans le cerveau qui gère ces processus attentionnels. Il s’agit en réalité de vastes réseaux allant de la région postérieure (pariétale) à la région antérieure (frontale) du cerveau.

Couverture de « Penser droit » de Paolo Bartolomeo aux éditions Flammarion. Author provided

Bien que distantes à l’échelle du cerveau, ces régions parviennent à communiquer entre elles de manière rapide et efficace, car elles sont reliées par des « autoroutes » du cerveau, des gros faisceaux de substance blanche. Ces réseaux fronto-pariétaux orientent notre attention dans l’espace, vers le feu tricolore avant de traverser la rue par exemple. En général, chaque hémisphère du cerveau mobilise l’attention vers le côté opposé de l’espace grâce à un réseau « dorsal » de l’attention, situé vers le haut du cerveau.

Un événement imprévu et urgent à traiter en priorité, l’arrivée de la voiture dans notre exemple, interrompt l’orientation en cours et capte l’attention. C’est alors qu’un second réseau fronto-pariétal s’occupe d’interrompre l’activité attentionnelle en cours pour la rediriger vers une nouvelle cible. Cet autre réseau est situé plus bas dans le cerveau : c’est le réseau « ventral » de l’attention. Or, chez la plupart d’entre nous, le réseau ventral de l’attention est asymétrique entre les hémisphères cérébraux : il est surtout actif dans l’hémisphère droit, non dominant pour le langage.

Want to write?

Write an article and join a growing community of more than 181,800 academics and researchers from 4,938 institutions.

Register now