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Bonnes feuilles : « Les mécanismes de gouvernance à l’origine de la chute du PDG de Vinci en 2006 »

Discours d'Antoine Zacharias devant l'assemblée générale du groupe Vinci, quelques jours avant sa démission. Jack Guez / AFP

Nous publions ici un extrait du livre Les meilleures pratiques de gouvernance d’entreprise publié aux éditions La Découverte, qui analyse la crise de direction traversée par le groupe français de BTP Vinci en 2006.


En 2006, le groupe français Vinci est un des leaders mondiaux du BTP, avec une activité de construction et une activité de concession d’infrastructures. Dirigeant établi du groupe depuis un certain temps, Antoine Zacharias cède en janvier 2006 son siège de directeur général à son dauphin désigné, Xavier Huillard, pour ne conserver que la présidence du conseil d’administration. Or le nouveau directeur général entre en conflit avec son patron, dénonçant notamment la rémunération considérée comme excessive de ce dernier, qui aurait exigé une gratification personnelle de 8 millions d’euros en récompense du succès d’une récente transaction, ainsi que « la rénovation à grands frais d’un hôtel particulier destiné à abriter ses bureaux privés » (L’Expansion, 2 juin 2006).

Xavier Huillard, en août 2008. Medef/Wikimedia, CC BY

Le 1er juin 2006, le conseil d’administration de Vinci force alors A. Zacharias, qui avait contre-attaqué en demandant l’éviction de X. Huillard, à la démission. En bourse, le titre de Vinci gagne ensuite 4,3 %, alors que le marché n’augmente que de 1,34 %. La communauté financière salue donc visiblement ce départ forcé. En témoignent, par ailleurs, les commentaires de plusieurs analystes financiers.

L’ancien dirigeant conteste, dans les jours qui suivent, les conditions de son départ, par lequel il perd le bénéfice de l’intégralité de ses stock-options d’une valeur potentielle de plusieurs dizaines de millions d’euros. Par un communiqué du 14 juin, le conseil d’administration confirme néanmoins sa décision et réaffirme la réalité du départ de Zacharias. Les actions de Vinci font alors un nouveau bond de 8 % (L’Expansion, 14 juin 2006).

Rapportant une contrainte forte exercée sur le dirigeant par le conseil d’administration (Zacharias perd en peu de temps toute marge de manœuvre), le récit de ces événements […] met […] en jeu des intérêts conflictuels défendus par différents acteurs, et c’est pourquoi il paraît intéressant de l’examiner selon la perspective de l’approche classique de la théorie de l’agence dont il semble corroborer plusieurs aspects.

Une surveillance mutuelle des dirigeants

La théorie de l’agence postule la tendance naturelle d’un dirigeant salarié à poursuivre ses intérêts personnels, potentiellement en contradiction avec ceux des actionnaires, ce qui suscite des coûts d’agence et conduit ainsi à une destruction (ou à une moins grande création) de la valeur actionnariale.

L’observation du cas Vinci permet d’identifier deux principaux mécanismes de gouvernance ayant contribué à la révélation du conflit d’intérêts ainsi qu’à sa résolution. Il s’agit de la surveillance mutuelle des dirigeants, classée par Charreaux (1997) comme mécanisme spontané spécifique, et du conseil d’administration, qui, lui, est un mécanisme intentionnel spécifique.

Comprendre la théorie de l’agence (Xerfi canal, 2017).

Ainsi, X. Huillard, le directeur général, surveille le comportement d’A. Zacharias et porte ses observations à la connaissance du conseil d’administration. De cette façon, il permet de réduire l’asymétrie d’information existant entre l’ancien patron et les administrateurs externes. Ainsi informé, le conseil d’administration est capable de fixer des limites aux actions d’A. Zacharias. Par un vote formel, ce dernier se voit en effet refuser sa demande d’éviction du directeur général l’ayant dénoncé. Privé de toute latitude, il soumet alors sa propre démission, ce qui résout le conflit en sa défaveur. Bien qu’il conteste assez rapidement cette démission intervenue au cours du conseil du 1er juin, les administrateurs approuvent ensuite unanimement le procès-verbal qui en porte la trace, lors d’une séance le 12 juin.

Accessoirement, on peut aussi considérer qu’un mécanisme de gouvernance intentionnel et non spécifique a joué un certain rôle dans cette affaire. Il s’agit, en l’occurrence, de l’évolution du cadre légal concernant la rémunération des dirigeants. Ainsi, l’affaire Vinci intervient après l’adoption de la loi Breton, qui a eu lieu dans le contexte d’une polémique importante au sujet des avantages très importants liés au départ à la retraite de l’ancien PDG de Carrefour en 2005. Les débats l’entourant ont considérablement sensibilisé l’opinion publique aux questions liées aux avantages financiers concédés à certains dirigeants.

Création de valeur pour les actionnaires

Antoine Zacharias en mars 2008. Stéphane De Sakutin/Archives/AFP

Si le critère d’appréciation de la gouvernance est la création de valeur, la mise en œuvre d’une « bonne pratique » de gouvernance devrait contribuer à créer davantage de valeur. Les données de ce cas précis contiennent effectivement quelques indices quant à une création de valeur pour les actionnaires de Vinci. Ainsi, le conseil d’administration du 1er juin 2006, lors duquel l’ancien patron se sent contraint à la démission, est suivi d’une augmentation du cours du titre de 4,3 %. Dans le même temps, le marché boursier français offre une rentabilité moyenne de seulement 1,34 %.

Si on suppose que la rentabilité moyenne du marché des actions représente une approximation raisonnable du coût d’opportunité pour les actionnaires, il est alors possible d’affirmer qu’il y a eu création de valeur pour les actionnaires de Vinci. En effet, la rentabilité de leurs titres est supérieure à l’estimation de leur coût d’opportunité, la différence étant de l’ordre de 3 points. Rappelons que la création de valeur est précisément définie comme le surplus de rémunération par rapport au coût d’opportunité.

La théorie de l’agence permet d’expliquer cette création de valeur actionnariale par la diminution des coûts d’agence, due au fonctionnement des deux mécanismes de gouvernance analysés ci-dessus, à savoir la surveillance mutuelle et le conseil d’administration. Ainsi, l’éviction de l’ancien patron permet de supprimer une source avérée de spoliation des intérêts des actionnaires. Ces derniers révisent donc vraisemblablement à la hausse leur potentiel de gains futurs car ils anticipent une réduction des possibilités de spoliation grâce à un système de contrôle qui a apparemment fait preuve d’efficacité. Les investisseurs sont alors prêts à payer un prix plus élevé pour les actions de Vinci, ce qui conduit au relèvement du cours constaté.

Rappelons cependant que le fonctionnement des mécanismes de gouvernance a lui-même un coût et, dans le cas de Vinci, ce dernier se fait effectivement sentir tant que le conflit n’est pas définitivement résolu. Ainsi, le mécanisme spontané de la surveillance mutuelle entre dirigeants est à l’origine d’un conflit de personnes violent qui crée pendant quelque temps un « climat nuisible » (Le Figaro, 3 juin 2006).

Une gouvernance saluée par le Medef

La résolution provisoire de la crise lors du conseil d’administration du 1er juin coïncide alors avec la création de valeur précédemment constatée, mais des incertitudes persistent, car Zacharias conteste immédiatement la validité des conditions de son départ. Le conseil d’administration doit donc se réunir de nouveau le 12 juin pour confirmer le contenu de ses délibérations. Il tranche alors définitivement dans des termes sans aucune ambiguïté en défaveur de son ancien président : « Il ne peut donc y avoir aucun doute sur la réalité de la démission d’Antoine Zacharias et toute interprétation différente relève de la pure fantaisie » (communiqué).

Selon la presse de l’époque, « la démission forcée d’Antoine Zacharias peut bien sûr être interprétée comme un signe de bonne gouvernance ». De fait, le conseil d’administration, qui a mis en minorité le choix du patron, n’a-t-il pas exercé là son rôle de contre-pouvoir et non celui d’éternelle chambre d’enregistrement ? Laurence Parisot lâchait d’ailleurs sur RTL :

« Quand j’ai appris la décision du conseil d’administration de Vinci, je me suis dit : “formidable, le système de gouvernance tel que le préconise le Medef a fonctionné” ».

L’éviction du dirigeant de Vinci, poursuivant manifestement son intérêt personnel, est aussi appréciée comme une bonne pratique de gouvernance par la présidente du Medef, Laurence Parisot, dont l’organisation, rappelons-le, est à l’origine des rapports Viénot et Bouton (régulièrement mis à jour depuis 2008 sous la dénomination « Code AFEP-Medef »). Le conseil d’administration joue ici un rôle central. En effet, dans le processus de décision, tel que conceptualisé dans la théorie de l’agence (Fama et Jensen, 1983), il assume la fonction de contrôle de la décision (ratification et surveillance) et agit donc comme contre-pouvoir au dirigeant dans une situation de conflit d’intérêts.

En fait, pour conserver ses avantages personnels, A. Zacharias prend l’initiative d’une décision visant à écarter X. Huillard, ce dernier jouant le rôle de réducteur d’une certaine asymétrie d’information. Or le conseil d’administration refuse de ratifier cette décision, neuf voix votant contre parmi un ensemble de seize votants (L’Expansion, 2 juin 2006).

Ce cas nous fournit donc bien une illustration de l’intérêt, pour un actionnariat dispersé n’ayant qu’une fonction passive d’assomption du risque, à ne pas concentrer les fonctions de gestion de la décision et de contrôle de la décision entre les mêmes mains, tel que postulé par Fama et Jensen.

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