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« Brexit » : le point de vue du reste de l’Europe

In or out ? Descrier/Flickr, CC BY

Si nombre d’analyses et spéculations sur les coûts du « Brexit » (la possible sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne (UE)) pour la Grande-Bretagne ont été publiées, bien peu ont traité de l’autre perspective : quelles conséquences pour le reste de l’UE, cette union politico-économique de 28 États membres couvrant un marché unique de plus de 508 millions de consommateurs.

Bien que seuls les Britanniques ont le droit de voter pour ce référendum, il convient d’examiner si le possible Brexit devrait être considéré comme néfaste pour les autres pays. L’UE devrait- elle souhaiter que la Grande-Bretagne la quitte ou qu’elle reste membre ?

Les considérations économiques

Si le Royaume-Uni se trouve actuellement en première place en Europe pour les investissements étrangers directs, un Brexit entraînera le transfert d’une partie de ses investissements vers l’Europe continentale. Les pays candidats à l’UE seront les bénéficiaires les plus probables de cette tendance.

Le coût des affaires plus intéressant dans les pays en cours d’adhésion à l’UE facilitera l’investissement étranger dans ces pays au détriment du Royaume-Uni – grâce aux moindres coûts d’établissement, entre autres avantages de financement. La Turquie, la Serbie, l’Albanie, la Bosnie-Herzégovine, le Monténégro, le Kosovo et la Macédoine sont aujourd’hui considérés comme des pays candidats à l’Union européenne.

De plus, la Grande-Bretagne a actuellement accès aux marchés de plus de 60 nations grâce à l’UE, avec des conditions favorables qui seront toutes à renégocier. Si un régime de réglementations distinctes est adopté, les coûts des affaires avec l’UE à partir d’un investissement ou siège en Grande-Bretagne augmenteraient de manière significative : ce sera principalement le cas pour les coûts administratifs (par exemple, des formalités de douanes) et les coûts de mise en conformité – même dans l’hypothèse où le tarif du commerce des marchandises resterait le même.

Les services, le plus souvent exempts de droits d’importation, pourraient pâtir des barrières non-tarifaires : le monde financier s’attend déjà à ce que l’exportation de services financiers vers l’Europe devienne plus difficile. Le Royaume-Uni perdra sa position d’influence dans l’industrie financière par la perte du rôle de Commissaire à la Commission européenne de Jonathan Hill, qui est actuellement responsable de la stabilité financière (services financiers et capital markets), un secteur clé pour le Royaume-Uni (comptant pour 80 % de son économie).

Pour ce qui est de l’immigration, le récent rapport de l’OCDE sur l’impact du Brexit estime qu’une baisse dans l’arrivée de migrants qualifiés, dont une grande partie de l’économie britannique est dépendante, réduira la productivité de celle-ci.

La question des « chaînes de valeur mondiales »

Par contre, même si le Brexit avait lieu, le marché unique de l’UE continuerait à fonctionner selon les règles et les règlements établis. Cette certitude dotera le continent d’un avantage concurrentiel important en ce qui concerne le commerce, le flux d’investissement, et la participation importante du marché dans les chaînes de valeur mondiales (CVM).

Ces chaînes de valeur sont aujourd’hui devenues de gigantesques « usines internationales » qui permettent aux entreprises de produire à travers un grand nombre de pays, de la conception, la production, l’assemblage, la commercialisation jusqu’à la distribution entre plusieurs pays. La participation des entreprises dans ces CVM fournit de l’emploi, des prestations sociales, et de la valeur ajoutée à l’économie.

Les CVMs sont très mobiles, car elles concernent essentiellement des produits intermédiaires : la Grande-Bretagne aurait besoin de renégocier, point par point, le traitement des milliers de produits et services, pour que son rôle dans les CVM puisse persister. La phase de transition de l’UE serait donc très probablement accompagnée d’un changement de la participation et importance du Royaume-Uni dans les CVMs, au profit d’autres parties de l’UE. Les pertes économiques – même partielles – dans les domaines de la production, le commerce et les investissements pourraient être importantes pour le Royaume-Uni. L’OCDE note également de pertes en terme d’innovation et de qualité de gestion ainsi que des dommages à long terme à la capacité d’exportation de la Grande-Bretagne.

Scepticisme

Ceux-ci ne sont que quelques exemples d’analyses plus approfondies. Ces exemples sont à analyser dans le contexte d’une histoire des relations politiques du Royaume-Uni avec l’UE qui n’a pas toujours été très sereine.

En tant qu’État le plus euro-sceptique de tous les membres de l’UE, le Royaume-Uni a connu de nombreuses difficultés internes concernant l’harmonisation des politiques nationales et des décisions -ou directives- européennes. Ces difficultés sont parfois de nature législative, liées aux problèmes issus de l’application du droit commun britannique, et beaucoup d’autres de nature idéologique.

Des rivalités entre anciens empires et des conflits sur le plan commercial ont marqué une grande partie des relations de la Grande-Bretagne avec les autres pays européens dans le passé, par exemple des défis diplomatiques avec l’Allemagne, provenant en grande partie des guerres mondiales, avec la Russie à cause de la guerre froide, et avec la France, son ‘meilleur ennemi’ dans la plupart des conflits de l’histoire moderne.

Bien que des alliances et collaborations à court terme aient ponctuellement existé, les relations fortes et durables entre la Grande-Bretagne et l’Europe continentale se sont rarement établies, ni n’ont elles réellement été cruciales dans le passé.

Lorsque le Royaume-Uni a finalement rejoint l’UE en 1973 (la « CEE » à l’époque), le précurseur de l’union avait déjà pour buts premiers la paix et la stabilité (géo-)politique de l’Europe, grâce à la collaboration entre pays et l’intégration économique. La Grande-Bretagne s’y est jointe à des fins plutôt économiques, et surtout, d’une manière assez malencontreuse. Ayant dans un premier temps refusé de se joindre à l’Union, elle a ensuite vu sa candidature rejetée par deux fois par le veto de la France, avant de ne finalement pouvoir rejoindre la CEE que dans un contexte de crise pétrolière.

Le Thatchérisme a laissé sa marque et entraîné un isolement politique de la Grande-Bretagne vis-à-vis de l’Europe ; l’Europe de plus en plus fédérale de Jacques Delors, le progrès vers une monnaie unique et le développement d’une Europe post-soviétique semblaient ensuite avoir provoqué les réticences du Royaume-Uni.

Lorsque le traité de Maastricht fut signé, le transfert de pouvoir à la nouvelle Union européenne a été vu comme défavorable outre-Manche ; la Grande-Bretagne a alors négocié une clause de non-participation à la monnaie unique et au chapitre social du traité. Le référendum sur l’adoption de la monnaie unique proposé par Tony Blair ne s’est jamais tenu.

De plus, en décembre 2011, lorsque les dirigeants de l’UE ont cherché à négocier un traité pour en réformer son fonctionnement et établir de nouvelles règles budgétaires, le Royaume-Uni a de nouveau demandé des exemptions, avant d’exercer son droit de veto contre la totalité du pacte. Plus récemment, David Cameron a de nouveau négocié des exemptions pour le Royaume-Uni, cette fois-ci en politique d’immigration et contre toute obligation britannique d’accepter de futures réformes fédéralistes.

L’accumulation des postures méfiantes du Royaume-Uni depuis son adhésion face à l’Europe a développé chez les autres États membres l’image d’un État égoïste qui utilise l’Europe à son seul avantage et oublie l’intérêt collectif.

Opportunité ou risque ?

Certains décideurs en Europe, il faut l’admettre, considèrent donc le Brexit comme une opportunité potentielle pour pouvoir enfin se lancer dans une nouvelle ère d’intégration européenne.

Quelle que soit son issue, l’histoire quasi-tragique des relations entre l’UE et le Royaume-Uni, dû à son scepticisme envers l’Europe, pourrait bien induire un sentiment de désaffection d’acteurs économiques européens et internationaux. Ceci risque de modifier les comportements politiques et économiques de ses partenaires sur le long terme… un changement peu attendu outre-Manche.

Seul un rejet du Brexit par une large majorité des Britanniques pourrait empêcher cela ; si le référendum devenait un vrai vote pour l’Europe.

Malgré les bénéfices que le continent pourrait tirer du Brexit, croyons en l’idée d’une Europe intégrée et espérons que le rejet du Brexit soit encore possible.

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