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Brexit : voyage en terre inconnue

Boris Johnson dans un bateau baptisé Pathfinder (Éclaireur), Londres, le 2 décembre 2019. Hannah McKay/Pool/AFP

Le Brexit n’a pas eu lieu à Halloween. Le premier ministre britannique Boris Johnson et l’UE à 27 sont en effet parvenus à amender l’accord de retrait conclu par Theresa May. Accepté par le Conseil européen, ce second accord sur un retrait ordonné du Royaume-Uni de l’UE n’a cependant pas réussi à passer sous les Fourches Caudines de la Chambre des Communes. Boris Johnson a alors été contraint de décréter une pause dans le processus de sa ratification.

Épisode non prévu de ce soap opera politico-juridique, il s’est alors trouvé dans l’obligation de solliciter une nouvelle prorogation du délai de 2 ans prévu à l’article 50-3 TUE. L’échéance du Brexit a donc d’abord été repoussée du 29 mars au 10 avril 2019, puis du 10 avril au 31 octobre. Cette fois, le Conseil européen a opté pour une prolongation flexible (flextension), permettant à l’extension accordée de se terminer le 1er décembre 2019, le 1er janvier 2020 ou le 1er février 2020.

Le « Brexit do or die » (coûte que coûte), cher à Boris Johnson, devrait donc intervenir au plus tard le 31 janvier 2020 car, après quatre tentatives, fin octobre 2019, il a enfin réussi à obtenir des Communes la tenue d’élections générales anticipées le 12 décembre 2019, ce qui devrait permettre l’approbation de l’accord de retrait modifié. Bien que le nouvel accord ait amendé le « Protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord », ainsi que la « Déclaration politique fixant le cadre des relations futures entre l’UE et le Royaume-Uni », la survenance d’un no deal n’est pas complètement écartée.

Boris Johnson prend la parole pendant un meeting du parti conservateur à Colchester le 2 décembre 2019. Hannah Mckay/AFP

Élections du 12 décembre : quelle majorité ?

Le jeudi 12 décembre 2019, les Britanniques vont voter pour la troisième fois – sans compter les élections européennes de mai 2019 – depuis le référendum du 23 juin 2016. Ce scrutin est un vote sur le Brexit, davantage que des élections législatives.

Les principaux partis défendent des positions très différentes, de quoi dérouter les électeurs. En bonne logique, Boris Johnson souhaite la majorité qui lui manque pour « mettre le Brexit en œuvre ». Le parti travailliste promet de renégocier l’accord de retrait afin de maintenir une relation étroite avec l’UE, d’organiser un second référendum, le tout dans un délai de six mois après sa victoire !

Le chef du parti travailliste, Jeremy Corbyn, s’adresse à l’assistance pendant un rassemblement à Whitby (nord de l’Angleterre) le 1ᵉʳ décembre 2019. Paul Ellis/AFP

Les libéraux-démocrates font campagne en faveur du « Remain » et promettent de révoquer le Brexit. En décembre 2018, la Cour de justice de l’UE a effectivement jugé que tant que l’accord de retrait n’est pas encore entré en vigueur, la révocation est possible, en raison du caractère souverain du droit de retrait. Le parti national écossais (SNP), également favorable au maintien, souhaite quant à lui l’organisation d’un second référendum sur l’indépendance de l’Écosse.

Au début de la campagne électorale, en prenant en compte la marge d’erreur classique, les sondages donnaient les Tories largement vainqueurs, mais il semble que l’écart qui les sépare des Travaillistes se resserre. Le président américain Donald Trump s’est immiscé dans le scrutin, le parti du Brexit de Nigel Farage s’étant alors engagé à ne pas présenter de candidat dans les 317 circonscriptions remportées par les candidats conservateurs en juin 2017. Un attentat revendiqué par l’État islamique s’est produit le 29 novembre 2019. Finalement, le vote du 12 décembre pourrait ne pas permettre de dégager une majorité claire aux Communes. Elles seraient de nouveau un « Hung Parliament », ce qui ne ferait les affaires ni de Boris Johnson qui souhaite un Brexit effectif, ni de l’UE, contrainte d’attendre encore !

La réunification de l’Irlande en filigrane

Le « Protocole sur l’Irlande et l’Irlande du Nord » a été rouvert, ce qui entraîne l’abandon du filet de sécurité (« backstop »), qui maintenait l’Irlande du Nord dans une même union douanière avec l’UE, dans le but d’éviter l’instauration de contrôles à la frontière entre l’Eire et l’Irlande du Nord. Le Royaume-Uni a accepté que les contrôles douaniers soient effectués en mer d’Irlande (entre la Grande-Bretagne et l’Irlande du Nord).

Cette évolution d’un « backstop » vers un « frontstop » préserve l’intégrité du marché unique. Elle permettra à l’Irlande du Nord d’être toujours alignée sur un ensemble de règles liées au marché unique européen, et d’éviter le retour d’une frontière physique ou « dure » au sein de l’île d’Irlande. Les autorités douanières britanniques appliqueront les règles et les tarifs du Royaume-Uni pour les produits en provenance de Grande-Bretagne ou de pays tiers non destinés au marché européen. Elles appliqueront les règles et les tarifs de l’Union pour tous les autres produits destinés au marché unique.

Outre le fait que ce mécanisme comporte un risque d’« erreur d’aiguillage », l’UE a également dû accepter que le Protocole comprenne un article 18 intitulé « Consentement démocratique en Irlande du Nord », qui « permettra aux membres de l’Assemblée d’Irlande du Nord de disposer d’une voix décisive en ce qui concerne l’application à long terme de la législation pertinente de l’UE en Irlande du Nord ».

L’Irlande du Nord va ainsi bénéficier économiquement de l’appartenance conjointe à deux unions douanières, l’une avec l’Eire, l’autre avec l’UE. Cependant, l’accord négocié par Boris Johnson, « en confortant l’idée d’une économie intégrée de l’île d’Irlande, peut favoriser sa réunification et, en outre, nourrir la revendication indépendantiste en Ecosse […] ». Sans le vouloir, les Brexiters feraient-ils progresser l’idée d’une Irlande unie ? L’accord du Vendredi Saint de 1998 prévoit d’ailleurs un référendum de réunification.

Manifestation à Carrickcarnon, sur a frontière entre la République d’Irlande et l’Irlande du Nord, le 16 novembre 2019. Paul Faith/AFP

La relation future : un accord de libre-échange

Une fois l’accord de retrait approuvé par le Royaume-Uni et l’Union européenne, son entrée en vigueur produit un changement de statut : d’État membre, le Royaume-Uni devient un État tiers. Les Britanniques ne seront plus intégrés à l’UE mais, souhaitant conclure un Accord de libre-échange (ALE), ils vont diverger et « il faudra négocier sur la divergence réglementaire » et détricoter plus de 45 ans d’intégration européenne.

Cette remarque s’impose, car la principale modification apportée à la Déclaration portant sur le cadre des relations futures est que Boris Johnson a « opté pour un modèle fondé sur un accord de libre-échange ». D’après le texte de la Déclaration, le partenariat sera « ambitieux, large, approfondi et souple en matière de coopération commerciale et économique – avec en son centre un accord de libre-échange complet et équilibré […] ».

Il comprendra « une exemption de droits de douane et de contingents entre l’UE et le Royaume-Uni », et ce dernier ne bénéficiera que d’un ALE proportionnel à son ambition pour les relations futures et à son engagement sur des règles du jeu équitables (« level playing field ») dans les domaines des aides d’État, des règles de concurrence, et des normes environnementales, fiscales ou sociales. Selon Michel Barnier, négociateur en chef de la Commission chargé de la conduite des négociations avec le Royaume-Uni, Londres devra accepter « le principe aucun droit de douane, aucun quota et aucun dumping ». L’UE a pour objectif d’éviter que le Royaume-Uni ne devienne un « Singapour sur Manche », mais il faudra « tenir compte des liens économiques avec le Royaume-Uni et de la proximité géographique de ce dernier ».

Boris Johnson et Michel Barnier, Bruxelles, le 17 octobre 2019. Kenzo Tribouillard/AFP

No deal et « Brexeternity »

Michel Barnier a affirmé à plusieurs reprises que le Brexit est « une école de la patience ». Il faut en effet attendre maintenant le résultat des élections générales du 12 décembre 2019. Si Boris Johnson obtient une majorité, l’accord de retrait sera approuvé et, à cette première dimension politique du Brexit, succédera le début de la négociation relative à la seconde dimension, d’ordre économique et commercial, déterminante pour la relation future.

Quand on sait que l’ALE entre l’UE et la Corée du Sud a demandé quatre ans de négociation et que les quelque 1 050 pages de l’ALE UE-Canada en ont nécessité six, on comprend que, à l’évidence, la fin des négociations relatives au Brexit n’est pas pour demain ! De plus, à chaque étape à franchir, le risque d’un no deal existe. Une sortie sans accord est toujours possible tant que l’accord de retrait n’est pas ratifié. La période de transition, qui va durer jusqu’au 31 décembre 2020, doit permettre en onze mois – délai très court – une entente sur le futur ALE. Pour éviter un no deal, il est fort probable qu’elle soit prorogée pour un ou deux ans.

Ce scénario d’un Brexit sans fin, que l’ancien ministre des Affaires européennes de Tony Blair, Denis MacShane, a baptisé Brexeternity, n’incite guère à l’optimisme. L’interminable feuilleton du Brexit rencontrera certainement encore de nombreuses chausse-trapes. Comme un poison lent et toxique, le Brexit transforme la démocratie britannique. Il instille également une lassitude et un désarroi de plus en plus grands au sein de l’Union européenne.

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