tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/35-heures-52695/articles35 heures – The Conversation2022-12-07T16:45:47Ztag:theconversation.com,2011:article/1956562022-12-07T16:45:47Z2022-12-07T16:45:47ZSemaine de quatre jours : autant de travail à faire en moins de temps ?<p>En plein débat sur les retraites, le ministre délégué aux Comptes publics Gabriel Attal a annoncé le 31 janvier dans le journal <a href="https://www.lopinion.fr/politique/gabriel-attal-teste-de-la-semaine-de-quatre-jours-chez-des-fonctionnaires"><em>L'Opinion</em></a> que la semaine de 36 heures en 4 jours allait être experimentée dans le service public. Le dispositif va être testé en Picardie, parmi les agents de l'Union de recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf) de Picardie. </p>
<p>Cette annonce s'inscrit dans la continuité d'un regain d’attention porté depuis plusieurs mois sur l’idée de réduire le nombre de jours travaillés par semaine. Pour les emplois traditionnellement proposés sur une semaine de 5 jours, des <a href="https://www.euronews.com/next/2022/10/07/the-four-day-week-which-countries-have-embraced-it-and-how-s-it-going-so-far">expérimentations sont ainsi en cours</a> dans certains pays européens comme le Royaume-Uni, la Belgique et l’Espagne pour porter la semaine de travail à 4 jours.</p>
<p>Cette réduction du nombre de jours ne signifie pas pour autant une réduction du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/temps-de-travail-52694">temps de travail</a>. En effet, la Belgique a choisi fin octobre de proposer aux entreprises et aux salariés de <a href="https://www.novethic.fr/actualite/economie/isr-rse/la-belgique-propose-la-semaine-de-4-jours-sans-reduction-du-temps-de-travail-ok-151143.html">condenser le temps de travail sur quatre jours au lieu de cinq</a>. Cette décision du gouvernement belge est présentée comme un moyen de flexibiliser le marché de l’emploi qualifié de « trop rigide » et de donner l’opportunité aux salariés de mieux concilier leur vie personnelle et professionnelle.</p>
<p>En France, ce sont les entreprises qui peuvent choisir de modifier le nombre de jours travaillés par semaine, tant que les règles de droit sont respectées par ailleurs. En particulier, de grands groupes internationaux implantés en France se sont saisis de cette question pour répondre à des enjeux de fidélisation des salariés.</p>
<h2>Réduire les inégalités</h2>
<p>Par exemple, le géant du conseil Accenture propose à certains salariés de <a href="https://www.leparisien.fr/vie-de-bureau/ces-entreprises-francaises-ont-adopte-la-semaine-de-4-jours-17-10-2022-P5NQBD6WQBDDPBYXV3GARIOZEU.php">condenser leurs heures de travail sur 4 jours au lieu de 5</a>. En France, son homologue KPMG propose aux jeunes parents de travailler <a href="https://www.lemondeduchiffre.fr/a-la-une/74316-kpmg-france-lance-semaine-jours-parentale.html">quatre jours payés cinq pendant six mois</a> afin de répondre à une demande des salariés de passer plus de temps avec leur nouveau-né.</p>
<p>Deux problématiques apparaissent : d’une part, la réduction du nombre de jours travaillés ou la réduction du temps de travail hebdomadaire effective ; d’autre part, le sens d’une réduction du nombre de jours travaillés dans une culture du travail tournée vers la disponibilité permanente des salariés.</p>
<p>En France, la question de la réduction de temps de travail est à l’agenda politique de certains partis de gauche depuis de nombreuses années. Le sujet avait notamment donné lieu à la <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/publication_pips_200202_n-06-3_modalites-passage-a-35-heures-en-2000.pdf">réforme des 35 heures</a> en 1998. Plus récemment, l’économiste Pierre Larrouturou et la sociologue <a href="https://theconversation.com/profiles/dominique-meda-434419/articles">Dominique Méda</a> ont publié un <a href="https://editionsatelier.com/boutique/travail-et-solidarites-/109-einstein-avait-raison-il-faut-reduire-le-temps-de-travail--9782708244702.html">essai en 2016</a> pour recommander une norme d’emploi à temps plein de 4 jours et 32 heures travaillés par semaine.</p>
<p>Les arguments politiques défendus sont de deux ordres : une meilleure répartition de l’emploi pour lutter contre le chômage de masse ; et un rapprochement des temps de travail entre les salariés dits à temps plein (35 heures et plus) et les salariés à temps partiel, qui sont le plus souvent des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/femmes-27381">femmes</a> avec charge de famille.</p>
<p>Instaurer une norme de temps de travail à temps plein de 32 heures réparties sur 4 jours permettrait ainsi de réduire les inégalités d’accès à l’emploi à temps plein ainsi qu’une répartition moins genrée des rôles parentaux. En pratique, cela implique que les salariés pour qui le temps plein était de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/35-heures-52695">35 heures</a> sur 5 jours passent à 32 heures sur quatre jours sans perte de salaire.</p>
<h2>Une même quantité de travail</h2>
<p>En juin 2020, l’entreprise de distribution de matériel informatique LDLC a annoncé mettre en place, par accord collectif, les <a href="https://www.linkedin.com/pulse/la-semaine-de-4-jours-laurent-de-la-clergerie/">32 heures réparties sur quatre jours par semaine</a> sans perte de salaire pour les salariés qui étaient à 35 et 37 heures. Depuis la mise en œuvre effective au 1<sup>er</sup> janvier 2021, Laurent de la Clergerie, fondateur et dirigeant, a communiqué largement sur les <a href="https://www.linkedin.com/pulse/de-lautre-cot%C3%A9-du-miroir-laurent-de-la-clergerie/">résultats obtenus</a>.</p>
<p>Il a d’abord remarqué des effets de réduction des inégalités de genre comme avancés par Pierre Larrouturou et Dominique Méda. Laurent de la Clergerie note ainsi dans un <a href="https://www.linkedin.com/pulse/la-semaine-de-4-jours-apr%C3%A8s-3-mois-laurent-de-la-clergerie/">post</a> sur LinkedIn du 22 avril 2021 :</p>
<blockquote>
<p>« Cette mesure avait un côté égalité homme-femme non anticipé, car celles qui étaient à 80 % pour garder leurs enfants le mercredi ont pu retrouver un contrat de travail à 100 % »</p>
</blockquote>
<p>Contrairement à ses prévisions, il n’a embauché que <a href="https://billetdufutur.substack.com/p/la-semaine-de-4-jours-une-reussite">30 personnes supplémentaires</a> sur un effectif initial de 1 030 salariés. Les équipes en place se sont organisées pour délivrer la même quantité de travail en jouant sur la polyvalence des postes et une gestion efficace des plannings.</p>
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<p>Dans les faits, la tension majeure au cœur du passage à une semaine de quatre jours porte sur une culture du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/travail-20134">travail</a> orientée vers la disponibilité permanente des salariés. Très répandue en Amérique du Nord, cette culture <em>24/7</em> est considérée comme constitutive d’une <a href="https://knowledge.wharton.upenn.edu/article/can-the-u-s-embrace-a-four-day-workweek/"><em>American work ethic</em></a> (« éthique de travail américaine » signifiant la centralité du travail dans la vie des citoyens des États-Unis) par les chercheurs nord-américains Matthew Bidwell et Lindsey Cameron. Selon eux, cette culture s’est exportée dans d’autres pays et constitue un frein à une réduction de la norme du nombre de jours et d’heures travaillés.</p>
<p>En 2020, les chercheuses nord-américaines Irene Padavic, Robin J. Ely et Erin M. Reid avaient en outre montré que la sous-représentation des femmes aux postes de direction était <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/0001839219832310">liée à cette culture 24/7</a>.</p>
<h2>Productivité collective</h2>
<p>Dans le cas de l’entreprise LDLC citée précédemment, Laurent de la Clergerie explique très clairement la transformation du rapport au temps qu’il a fallu opérer dans l’entreprise. Dès la mise en place en janvier 2021, le dirigeant témoigne de la nouveauté qui consiste à recevoir des messages automatiques d’absence : « chaque jour, il y a entre 15 et 30 % de la boîte qui répond <a href="https://podcast.ausha.co/comment-t-as-fait-les-rencontres-d-entrepreneurs/79-laurent-d">« je suis off »</a> ou encore « on est passé dans ce monde où on attend, où <a href="https://podcast.ausha.co/taf-podcast/4joursdetaf-2-laurent-de-la-clergerie">on ne cherche pas à avoir la réponse tout de suite</a> », a-t-il par exemple expliqué dans une série de podcasts.</p>
<p>Pour bien fonctionner, la norme d’emploi de 32 heures réparties sur 4 jours doit donc s’articuler avec une norme de travail reposant sur un certain ralentissement de la communication, notamment par courriel, tout en garantissant la continuité des activités pour les clients (qui se fait sur 5 voire 6 jours par semaine dans les boutiques physiques).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1089723133265920000"}"></div></p>
<p>L’équation ne s’arrête pas là : le cas LDLC illustre également la nécessité de politiques de management tournées vers la productivité collective. Laurent de la Clergerie témoigne plus généralement d’une <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-pieds-sur-terre/les-patrons-sympas-8599777">transformation managériale dans son entreprise</a> tournée vers la qualité de vie au travail des salariés qui a précédé la mise en œuvre de la semaine de quatre jours.</p>
<p>Des mesures, rappelant les <a href="https://www.jstor.org/stable/4165538"><em>high-performance management practices</em></a> (pratiques de management à haute performance) identifiées par la recherche, avaient ainsi été mises en place au préalable dans l’entreprise : semi-autonomie des équipes ou encore système de rémunération variable collectif et non individuel (<a href="https://www.linkedin.com/pulse/les-primes-indispensables-laurent-de-la-clergerie/">suppression des primes pour les commerciaux</a>).</p>
<p>La question de travailler quatre jours au lieu de cinq doit intégrer la réflexion sur une norme de travail qui soit compatible avec les enjeux sociaux de réduction des inégalités. Des politiques managériales spécifiques doivent en particulier être conduites, notamment celles tournées vers la <a href="https://www.cairn.info/les-grands-courants-gestion-ressources-humaines--9782376874638-page-199.htm">productivité collective</a> et l’équité salariale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195656/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie-Rachel Jacob ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La culture du travail « 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 » constitue un obstacle à la mise en place effective des aménagements du temps de travail.Marie-Rachel Jacob, Professeur-chercheur en management, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1400972020-06-09T18:05:43Z2020-06-09T18:05:43ZRelance économique : sommes-nous vraiment tous devenus keynésiens ?<p>Si la crise du Covid-19 a fait de nombreuses victimes, elle a aussi ressuscité le plus célèbre économiste du siècle dernier : John Maynard Keynes.</p>
<p>La doctrine du « <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/quoi-qu-il-en-coute-emmanuel-macron-lance-un-appel-general-a-la-mobilisation-contre-le-coronavirus_3863731.html">quoi qu’il en coûte</a> » énoncée par le président de la République Emmanuel Macron pour faire face à une crise sans précédent est révélatrice de ce moment keynésien : l’endettement massif de l’État pour relancer la machine économique constitue désormais la <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/coronavirus-l-economiste-esther-duflo-encourage-la-depense-publique-843910.html">solution ultime privilégiée</a>, y compris <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/nicolas-bouzou-nous-sommes-tous-des-keynesiens_2126182.html">chez les économistes favorables à l’austérité budgétaire</a> avant mars 2020.</p>
<p>Une lecture attentive de ces réactions diverses nous invite cependant à faire preuve de circonspection quant à cette prétendue « <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/coronavirus-un-appel-a-nous-renouveler-1193149">revanche de Keynes</a> ».</p>
<h2>Une solution budgétaire qui s’impose</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/339830/original/file-20200604-67364-10r4d3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/339830/original/file-20200604-67364-10r4d3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/339830/original/file-20200604-67364-10r4d3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/339830/original/file-20200604-67364-10r4d3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=720&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/339830/original/file-20200604-67364-10r4d3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/339830/original/file-20200604-67364-10r4d3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/339830/original/file-20200604-67364-10r4d3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=905&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’économiste anglais John Maynard Keynes en 1946.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:John_Maynard_Keynes.jpg">IMF/Wikimedia</a></span>
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<p>Tout d’abord, ce n’est pas la première fois que l’on nous fait le coup du moment keynésien. La dernière fois, c’était en 2009-2010 dans le sillage de la <a href="https://krugman.blogs.nytimes.com/2008/11/29/the-keynesian-moment/">crise financière globale</a>. Mais son effet a été très limité. Les éphémères politiques de relance ont vite cédé le pas aux politiques de « consolidation budgétaire » et Keynes est retourné dans les rayons de l’histoire de la pensée économique.</p>
<p>Ensuite, il faut se méfier du retour soudain et exalté à des penseurs défunts en période de crise. L’histoire des crises ne manque pas de « moment X » réhabilitant des auteurs du passé sans pour autant déboucher sur de véritables transformations, tant au niveau de l’action publique qu’au niveau de la recherche académique.</p>
<p>Le fameux « <a href="https://www.marianne.net/debattons/billets/banques-il-est-prudent-de-connaitre-le-moment-minsky">moment Minsky</a> », lors de la crise financière de 2008 a mis sur le devant de la scène cet économiste hétérodoxe oublié, car son analyse montrait parfaitement comment les cycles financiers pouvaient générer de l’instabilité et des crises financières. Dans les faits, aucune leçon n’en a été tirée pour mettre fin aux excès de la finance dérégulée.</p>
<p>Le retour du consensus keynésien révèle par ailleurs des postures bien distinctes. Certains économistes de la pensée économique dominante préconisent le retour de la politique budgétaire depuis la crise financière globale.</p>
<p>L’appel à une refonte de la macroéconomie par des économistes comme Oliver Blanchard, ancien chef économiste et directeur des études au Fonds monétaire international, ou encore par les prix « Nobel » Paul Krugman et Joseph Stiglitz, a permis de réhabiliter la théorie du <a href="https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/politiques-economiques/theories-economiques/multiplicateur-budgetaire/">multiplicateur budgétaire</a>, selon laquelle l’argent public investi va générer des retombées supérieures aux sommes injectées. Rien d’incohérent donc à ce que ces économistes « pragmatiques » préconisent l’option budgétaire aujourd’hui. D’autres s’y rallient, car ils réalisent que la politique monétaire est insuffisante ou même <a href="https://theconversation.com/les-banques-centrales-prennent-le-risque-dune-zombification-de-leconomie-134594">inefficace</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Xavier Timbeau (OFCE) explique le multiplicateur budgétaire (La finance pour tous IEFP, 2017).</span></figcaption>
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<p>En revanche, le retour à Keynes est plus surprenant chez les « gardiens du temple » des politiques économiques de ces dernières années qui expliquent désormais qu’« <a href="https://www.tse-fr.eu/fr/leconomie-du-coronavirus-quelques-eclairages">il faut savoir être keynésien quand la situation l’impose</a> ».</p>
<p>Il s’agit là d’un keynésianisme de circonstances et réducteur, justifié par le fait que « <a href="https://lexpansion.lexpress.fr/actualite-economique/nicolas-bouzou-nous-sommes-tous-des-keynesiens_2126182.html">nous n’avons pas d’autres choix</a> ». Le registre de ce keynésianisme-là se rapproche plutôt de simples modalités de gestion de crise, pas d’une politique structurelle et de <a href="https://www.ecoactu.ma/deficit-redouane-taouil-inflation/">régulation de la demande</a>.</p>
<p>La référence à Keynes est donc lointaine et ne renvoie aucunement aux travaux de l’<a href="https://www.seuil.com/ouvrage/l-economie-post-keynesienne-collectif/9782021377880">école post-keynésienne</a> pourtant féconde, y compris en France, qui a su perpétuer et actualiser le message du maître de Cambridge. Pour Keynes et les post-keynésiens, la politique budgétaire ne peut être réduite à une politique de dernier recours. Surtout, l’œuvre de Keynes ne pourrait être réduite aux seuls déficits budgétaires.</p>
<h2>Combattre l’instabilité économique</h2>
<p>Puisque la référence à Keynes est abondamment mobilisée actuellement, demandons-nous comment les travaux de cet économiste de la première partie du XX<sup>e</sup> siècle peuvent nous être utiles aujourd’hui.</p>
<p>Quels sont les apports mobilisables pour poser les fondements d’un fonctionnement économique qui réponde aux grands enjeux contemporains, plein-emploi et transition écologique ? En d’autres termes, Keynes n’est-il utile que par sa justification d’une politique macroéconomique de soutien à la demande via la dépense publique et l’accroissement du déficit ?</p>
<p>Dans la pensée keynésienne, il y a la volonté d’identifier les sources de l’instabilité économique comme la volonté de les tarir. Keynes réfléchit au cadre institutionnel qui permettrait d’atteindre les objectifs retenus, notamment le plein-emploi.</p>
<p>Pour cela, il faut selon Keynes dompter la finance afin de stabiliser le financement de l’économie. C’est ainsi qu’il établit un plan pour construire le système monétaire international d’après-guerre, plan qui repose sur la création d’une monnaie supranationale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jean‑François Ponsot : comprendre le projet d’ordre monétaire international de Keynes (Xerfi canal, 2019).</span></figcaption>
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<p>Si elle avait été retenue, cette proposition aurait permis non seulement de financer la reconstruction des pays détruits par la guerre, mais aussi de favoriser le développement économique des pays nouvellement indépendants.</p>
<p>La création de cette monnaie supranationale, et donc d’une banque centrale supranationale, rendrait pérenne l’accès au financement à l’échelle mondiale et permettrait de cloisonner les marchés financiers nationaux pour éviter les effets de contagion.</p>
<h2>S’attaquer à toutes les dimensions de la crise</h2>
<p>À l’ère de la globalisation financière et du risque systémique planétaire, une relecture de Keynes pour justifier les contrôles sur les flux de capitaux internationaux s’impose.</p>
<p>De plus, si on admet que la nécessaire transition écologique requiert des investissements massifs à l’échelle planétaire notamment pour permettre le découplage énergétique (par le développement des transports collectifs, la relocalisation de la production à proximité des lieux de consommation, l’isolation du bâti, la production énergétique décarbonée, etc.), il est nécessaire de penser les modalités de financement dans une perspective globale et de penser l’articulation des financements domestiques. C’est cette articulation à laquelle pensait Keynes à Bretton Woods.</p>
<p>Bien sûr, la pensée de Keynes s’attache à identifier des politiques économiques susceptibles de garantir le plein-emploi. Mais c’est Keynes aussi qui, dans son essai « <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-bibliotheque-ideale-de-leco/la-bibliotheque-ideale-de-leco-du-vendredi-07-septembre-2018">Lettre à nos petits-enfants</a> », prédit que la période historique d’accumulation intensive du capital sera inévitablement suivie d’une période de liberté, arrachée à l’impératif économique.</p>
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<span class="caption">Lettre à nos petits-enfants, John Maynard Keynes (1930).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Les Liens Qui Liberent</span></span>
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<p>Optimiste, il estimait qu’« accumuler des richesses n’aura plus grande importance pour la société » ou que la semaine de travail hebdomadaire sera de 15 heures. Écrit en 1930, cet essai concernait la situation anticipée pour… 2030. Sur cette épineuse question du temps de travail, force est de constater que le message de Keynes <a href="https://www.institutmontaigne.org/publications/rebondir-face-au-covid-19-lenjeu-du-temps-de-travail">ne fait pas consensus</a> chez les économistes aujourd’hui.</p>
<p>C’est la leçon keynésienne pour 2020 : il reste nécessaire d’intégrer dans notre cadre de réflexion la répartition équitable des richesses, le plein-emploi, mais aussi la contrainte écologique et les effets dévastateurs sur le climat et l’environnement de notre mode de vie.</p>
<p>L’actualité de Keynes, ce n’est pas que le déficit dans l’urgence. C’est avant tout penser et organiser une société respectueuse des équilibres économiques, sociaux et environnementaux. Et là, nous ne sommes pas tous keynésiens…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140097/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jonathan Marie est membre du collectif d'animation de l'association des Économistes atterrés. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jean-François Ponsot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les travaux de l’économiste anglais, la politique budgétaire ne se réduit pas à un outil de dernier recours en période de crise.Jean-François Ponsot, Professeur des universités, Université Grenoble Alpes (UGA)Jonathan Marie, Maître de conférences en économie, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1070852019-01-01T23:29:12Z2019-01-01T23:29:12ZAprès 25 ans d’hésitations, la France semble se convertir pour de bon au télétravail<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/248749/original/file-20181204-34134-gh2g1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C1%2C911%2C547&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Environ un salarié français sur quatre pratiquerait aujourd'hui le télétravail. Mais ce taux devrait augmenter dans les prochaines années.</span> <span class="attribution"><span class="source">Jacob Lund / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>À l’heure actuelle, le taux de télétravailleurs <a href="https://bit.ly/2Kvqetq">avoisinerait 25 %</a> dans les entreprises françaises, selon une étude de Malakoff Médéric conduite en janvier 2018. Néanmoins, seuls 6 % des salariés le pratiquent de manière contractuelle. Mais ce taux devrait augmenter rapidement : d’une part, la hausse des <a href="https://theconversation.com/hausse-de-la-taxe-carbone-quels-impacts-sur-le-porte-monnaie-89634">prix à la pompe</a> devrait inciter à ce mode d’organisation. D’autre part, le cadre juridique est devenu plus favorable depuis l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000035607388&categorieLien=id">ordonnance n°2017-1387</a> du 22 septembre 2017 qui assouplit les règles régissant le travail à distance.</p>
<p>Ce contexte pourrait donc bien contribuer à ancrer définitivement le télétravail dans les habitudes des salariés et des entreprises et mettre ainsi fin à 25 années de va-et-vient sur le sujet.</p>
<h2>En 1993, le début de l’histoire</h2>
<p>L’histoire du télétravail en France commence en 1993 lorsque le premier ministre de l’époque, Édouard Balladur, confie une mission sur le sujet à Thierry Breton, alors dirigeant de la société informatique Bull. On trouve dans son <a href="https://www.persee.fr/doc/forem_0759-6340_1994_num_48_1_2538_t1_0089_0000_12">rapport</a>, intitulé, « Le télétravail en France, situation actuelle, perspectives de développement et aspects juridiques », une première définition : « le télétravail est une modalité d’organisation et/ou d’exécution d’un travail exercé à titre habituel par une personne physique dans les conditions cumulatives suivantes : le travail s’effectue, à distance, c’est-à-dire hors des abords immédiats de l’endroit où le résultat du travail est attendu, en dehors de toute possibilité physique pour le donneur d’ordre de surveiller l’exécution de la prestation par le télétravailleur ».</p>
<p>En février 1995, la France inscrit le sujet à l’ordre du jour du <a href="http://www.senat.fr/rap/o213-1/o213-1_mono.html">G7 de Bruxelles</a>. Le télétravail est alors présenté comme un <a href="https://www.figer.com/Publications/auto.htm">atout</a> économique (les entreprises se rapprochent du consommateur, innovent et réorganisent le travail) et social (gain de temps de transports, moins de pollution, diminution du coût des locaux, meilleure productivité et bien-être au travail) dans un contexte de déploiement de la société de l’information. Puis le mouvement s’essouffle. Le télétravail présenté comme un double atout économique et social passe alors au second rang des préoccupations politiques. Certains projets sont abandonnés comme celui des <a href="https://www.lesechos.fr/23/05/2005/LesEchos/19418-053-ECH_le-teletravail-peine-a-prendre-son-essor.htm">télé centres</a> porté à l’époque par le Catral (Comité pour l’aménagement des temps de travail et de loisirs en région Ile-de-France).</p>
<h2>Le législateur s’en mêle</h2>
<p>En 2002, un accord cadre européen encourage le télétravail salarié et prévoit la garantie de l’égalité des droits entre les télétravailleurs et les autres salariés. En 2005, le législateur français intervient dans le même sens avec la signature d’un <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=1&ved=2ahUKEwjFg-PB1djeAhUQJhoKHS26AZ4QFjAAegQICRAC&url=https%3A%2F%2Fwww.anact.fr%2Ffile%2F3903%2Fdownload%3Ftoken%3DJhHuOV5l&usg=AOvVaw0Ov9lXjVgPph_5z41tGJDC">Accord national interprofessionnel</a> (ANI), qui sera conforté en 2012 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000025553296&categorieLien=id">par la loi Warsmann</a>. Malgré ces avancées, entreprises et salariés continuent de bouder le télétravail, au point où certains se demandent s’il n’est pas <a href="http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2016/09/25/cercle_160793.htm">« démodé »</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, la législation est encore plus favorable grâce à l’ordonnance n°2017-1387. Désormais, le télétravail est en effet mis en place par accord collectif ou, à défaut, au moyen d’une charte après avis des représentants du personnel. En l’absence d’accord collectif ou de charte, lorsque le salarié et l’employeur conviennent de recourir au télétravail, ils formalisent leur accord par tout moyen. Il n’est plus nécessaire de modifier le contrat de travail.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/avec-les-ordonnances-macron-le-grand-retour-du-teletravail-85725">Avec les ordonnances Macron, le grand retour du télétravail</a>
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<h2>Des salariés plus productifs en télétravail</h2>
<p>Mais le retour du télétravail que l’on observe depuis quelques années n’a sans doute que peu à voir avec cet assouplissement du cadre législatif. Les entreprises commencent en effet surtout à y voir de nombreux effets bénéfiques sur leur activité.</p>
<p>Une <a href="https://bit.ly/2AdBwvx">étude</a> réalisée par Polycom (spécialiste de la visioconférence) en 2017 auprès de 25 000 personnes dans 12 pays (dont 2 300 interrogées en France) montre ainsi que la confiance et l’autonomie laissées par le manager participent à une meilleure productivité du collaborateur en télétravail. Une <a href="https://bit.ly/2OPHFDb">autre enquête</a>, menée par l’Observatoire du télétravail et de l’ergostressie (Obergo) en 2018, abonde dans le même sens : 86 % des sondés constatent augmentation de la productivité (77 % en 2012), et 84 % une augmentation de la qualité du travail produit (70 % en 2012).</p>
<h2>Une nouvelle relation de travail à envisager</h2>
<p>Cependant, les personnes interrogées dans cette dernière étude soulignent également des impacts négatifs : 57 % constatent une augmentation de leur temps de travail) (64 % en 2012), 28 % une augmentation des coûts personnels liés à l’activité professionnelle (35 % en 2012), et 15 % une augmentation de la charge de travail ressentie (22 % en 2012).</p>
<p>Ces résultats nous interrogent donc sur la relation managériale et l’éventuel contrôle ou autonomie des télétravailleurs. En effet, lors d’une situation de télétravail, le rapport autonomie/contrôle du salarié questionne : la hiérarchie est moins présente physiquement, les relations sont supposées être fondées sur la confiance et non le contrôle. Le degré d’autonomie du collaborateur va avant tout dépendre de son management et de l’organisation qui l’emploie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/faut-il-controler-les-teletravailleurs-97605">Faut-il contrôler les télétravailleurs ?</a>
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<p>Par ailleurs, le salarié étant pour une partie du temps au moins en dehors des locaux de l’entreprise, la question de l’évaluation, du reporting et de la performance se pose. Parfois, l’intervention de l’employeur n’est pas nécessaire car les collaborateurs développent d’eux-mêmes une forme d’autocontrôle.</p>
<p>De nombreuses problématiques restent donc à traiter avant que le télétravail se généralise, mais les différents aspects du contexte actuel ainsi que les preuves de sa contribution à la performance des entreprises rend tout retour en arrière désormais très difficile à envisager.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/107085/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caroline Diard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour une accélération de la pratique du travail à distance dans les entreprises.Caroline Diard, Professeur associé en Management des Ressources Humaines et Droit - Laboratoire Métis - Membre de l'AGRH, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/981792018-06-21T19:03:52Z2018-06-21T19:03:52ZRGPD : l’Union européenne entre de plain-pied dans l’ère du numérique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/224063/original/file-20180620-137717-ji0upb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1280%2C948&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'Union européenne dans un rôle de protecteur des citoyens via leurs données personnelles. </span> <span class="attribution"><span class="source">Pixabay</span></span></figcaption></figure><p>RGPD : ces quatre lettres désignent le <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=OJ:L:2016:119:TOC">règlement général sur la protection des données</a> entré en application le 25 mai 2018. Volumineux texte de 87 pages, il crée un cadre réglementaire global et unifié au niveau européen pour la protection des données à caractère personnel, qu’il définit comme « toute information se rapportant à une personne physique identifiée ou identifiable ». En dépit des nombreuses obligations qu’il impose, <a href="https://theconversation.com/affaire-facebook-comment-leurope-pourra-peut-etre-mieux-proteger-nos-donnees-93925">à la suite du scandale Cambridge Analytica</a>, il a été qualifié de <a href="https://lemonde.fr/economie/article/2018/04/23/bruxelles-s-attaque-a-la-regulation-des-plates-formes-du-web_5289407_3234.html">« très positif »</a> par Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook.</p>
<p>Le RGPD participe de la volonté de la Commission européenne de créer un marché unique numérique et, plus largement, <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52017DC0009&rid=1">« une économie européenne fondée sur les données »</a>, parce que les technologies et les communications numériques sont devenues omniprésentes dans l’ensemble des aspects de la vie humaine. Les données personnelles sont, par conséquent, dorénavant essentielles pour la croissance économique, la création d’emplois ou encore le progrès sociétal.</p>
<p>Cette économie fondée sur les données – celles-ci apparaissant comme la monnaie de l’économie numérique – pourrait, selon la Commission, représenter 643 milliards d’euros d’ici 2020, soit 3,17 % du PIB global de l’UE. Ce chiffre permet de mieux mesurer les enjeux qui s’attachent à la protection des données à caractère personnel, pour les citoyens, les entreprises, mais également pour l’Union européenne et son fonctionnement.</p>
<h2>L’enjeu de la protection des données à caractère personnel</h2>
<p>Le règlement RGPD est symbolique de la place qu’accorde l’Union européenne à la protection des données en tant que droit fondamental. En effet, « Être européen, c’est avoir le droit de voir ses données à caractère personnel protégées par une législation forte, une législation européenne. […]. Car en Europe, la vie privée n’est pas un vain mot. <a href="http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-16-3043_fr.htm">C’est une question de dignité humaine</a> ». <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:12016E016">Le premier alinéa de l’article 16 TFUE</a>, qui reprend mot pour mot les termes de l’<a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:12016P008">article 8-1 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE</a>, garantit à toute personne le « droit à la protection des données à caractère personnel la concernant ».</p>
<p>Ce règlement, emblématique de la protection des données, est le premier volet d’un triptyque, car l’Union a entrepris de réviser en profondeur le cadre juridique de la protection des données, afin de le moderniser et d’entrer dans l’ère du numérique. <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=OJ:L:2016:119:TOC">Une directive « police »</a>, adoptée en 2016 – tout comme le RGPD – et devant être transposée par les États membres pour le 8 mai 2018, en constitue le deuxième volet. Elle contient des règles spécifiques sur la protection des données à caractère personnel et leur libre circulation dans les domaines de la coopération judiciaire en matière pénale et de la coopération policière.</p>
<p>Un troisième texte a été présenté au début de l’année 2017 : il s’agit d’une proposition de règlement <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52017PC0010&rid=1">« vie privée et communications électroniques »</a>, dont l’adoption a pour but de parachever la modernisation du cadre juridique européen en matière de protection des données entamée par le RGPD. Les communications électroniques constituant des données à caractère personnel, ce futur règlement apparaît complémentaire et comme une <em>lex specialis</em> par rapport au RGPD. Il se fonde à nouveau sur l’article 16 TFUE, ainsi que sur l’<a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX:12016P007">article 7 de la Charte des droits fondamentaux</a>, qui consacre le droit de toute personne « au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications ».</p>
<h2>Une Europe qui protège mieux ses citoyens</h2>
<p>Le RGPD s’efforce de parvenir à un équilibre entre la logique de la société numérique et la protection des droits fondamentaux. En renforçant les droits des personnes, il trace en quelque sorte les contours d’une nouvelle citoyenneté, d’une cybercitoyenneté. L’article 5 du RGPD pose ainsi des « principes relatifs au traitement des données à caractère personnel ». Au nombre de trois, les principes de licéité, loyauté et transparence sont destinés à garantir un niveau élevé de protection. De même, le consentement du citoyen, qui doit être explicite et positif, devient un élément-clé pour la collecte et l’exploitation des données.</p>
<p>Afin que les citoyens concernés aient la faculté d’exercer un contrôle accru sur les données personnelles les concernant, le RGPD renforce des droits existants et en établit de nouveaux.</p>
<p>Les droits à l’information (notamment en cas d’accès non autorisé), d’accès, de rectification et d’opposition sont renforcés. L’article 13 du règlement fixe ainsi une liste d’informations que le responsable du traitement des données doit fournir à une personne concernée. Cette même personne a également le droit de demander au responsable du traitement, s’il traite des données la concernant, d’obtenir une copie de ces informations et, au titre du droit de rectification, la modification de données inexactes ou incomplètes (article 16). La protection contre les violations de données est accrue, avec notamment l’obligation de notifier les violations de données à l’autorité de contrôle dans les 72 heures, lorsqu’elles sont susceptibles d’engendrer un risque pour les droits et libertés des personnes physiques (articles 32 et s.).</p>
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<p>Deux droits nouveaux sont énoncés dans le RGPD. Le premier est le « droit à l’effacement (droit à l’oubli) » (art. 17), afin de protéger la vie privée des personnes. Dans l’<a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:62012CJ0131&rid=4">affaire <em>Google Spain</em> de 2014</a>, la Cour de justice de l’UE avait ouvert la voie à la reconnaissance d’un tel droit, en jugeant que l’exploitant d’un moteur de recherche devait procéder à l’effacement des données de la liste des résultats obtenus en entrant le nom d’une personne.</p>
<p>Le second est un nouveau droit reconnu aux internautes : la <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52018DC0043&rid=1">portabilité des données (art. 20)</a>. Il permet aux citoyens de demander à une entreprise de récupérer les données à caractère personnel fournies, ainsi que d’obtenir la transmission directe à une autre entreprise. La portabilité favorisera ainsi « le libre flux des données à caractère personnel au sein de l’Union […], et encouragera la concurrence entre entreprises ».</p>
<h2>Une Europe qui responsabilise les entreprises</h2>
<p>Le RGPD a aussi pour but de responsabiliser les entreprises et les sous-traitants (les prestataires de services) ; il introduit à cet effet la notion d’« <em>accountability</em> » ou principe de responsabilité (art. 24). Le changement est d’importance. Avant l’application du RGPD, les organismes et entreprises souhaitant exploiter des données personnelles devaient obtenir préalablement les autorisations de la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés), dont les pouvoirs sont d’ailleurs accrus. Dorénavant, elles ont la responsabilité de sécuriser le traitement des données personnelles, de façon à garantir le respect de la vie privée.</p>
<p>Depuis le 25 mai 2018, les entreprises doivent prouver que le consentement éclairé du citoyen a été obtenu, et que les données sous leur responsabilité sont protégées, notamment contre le risque de piratage. Elles doivent de ce fait tenir un registre des activités de traitement (art. 30), mener une analyse d’impact (art. 35) leur permettant de s’assurer de l’absence d’un « risque élevé pour les droits et libertés des personnes physiques ». Avec ces garde-fous, le RGPD repose sur le principe du contrôle <em>a posteriori</em> du bon usage des données à caractère personnel, ce qui responsabilise les entreprises y recourant. Elles doivent d’ailleurs désigner un Délégué à la protection des données (DPD).</p>
<p>En raison de l’énorme importance économique acquise par les données à caractère personnel, le RGPD procure <a href="http://europa.eu/rapid/press-release_MEMO-18-387_fr.htm">des avantages aux entreprises</a>. Une seule législation s’applique désormais au sein de l’UE, au lieu d’un patchwork de 28 législations nationales. La neutralité technologique du règlement permet à l’innovation de continuer à se développer. Avec le droit à la portabilité des données, les jeunes pousses et les petites entreprises auront accès aux marchés de données, trusté actuellement par les géants du numérique. Les PME sont exemptées de certaines obligations : elles n’auront pas à désigner de DPD, à consigner leurs activités de traitement, ni à signaler les violations de données aux personnes physiques.</p>
<p>La responsabilisation des entreprises va également de pair avec des recours et des sanctions plus lourdes, en cas d’infraction aux mesures requises ou au cas où des données personnelles se seraient « égarées », comme dans l’affaire Facebook-Cambridge Analytica. En cas d’utilisation de données personnelles en contradiction avec le RGPD, différentes voies de recours sont prévues : contre un responsable du traitement des données, un sous-traitant, ou une autorité de contrôle (la CNIL en France).</p>
<p>Pour obtenir réparation du préjudice subi, est également prévu une action collective par une association ou un organisme actif dans le domaine de la protection des données à caractère personnel (art. 77 et s.). Une amende administrative pourra s’élever jusqu’à 20 millions d’euros ou, pour une entreprise, jusqu’à 4 % de son chiffre d’affaires annuel mondial (art. 83).</p>
<h2>Une Europe à la souveraineté renforcée</h2>
<p>Un autre aspect fondamental, voire même révolutionnaire du RGPD, tient à son champ d’application territorial. Il s’applique à tout organisme de quelque nationalité qu’il soit et traitant des données à caractère personnel d’Européens, « que le traitement ait lieu ou non dans l’Union » (art. 3). Les mêmes règles vont donc s’appliquer pour toutes les entreprises, indépendamment du lieu où elles sont établies – ce qui crée des conditions de concurrence homogènes. Ainsi, Satya Nadella, PDG de Microsoft, a déclaré récemment au Journal <em>Les Echos</em> soutenir le RGPD, avoir décidé de l’appliquer « à l’échelle mondiale pour tous nos utilisateurs. Les informations, les données ne s’arrêtent pas aux frontières ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/224068/original/file-20180620-137725-47d6nh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/224068/original/file-20180620-137725-47d6nh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/224068/original/file-20180620-137725-47d6nh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/224068/original/file-20180620-137725-47d6nh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/224068/original/file-20180620-137725-47d6nh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/224068/original/file-20180620-137725-47d6nh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/224068/original/file-20180620-137725-47d6nh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Salle du Conseil européen à Bruxelles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/c/c8/European_Council_%2838185339475%29.jpg/512px-European_Council_%2838185339475%29.jpg">Présidence de l’Estonie/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>L’Union européenne, qui est bien souvent présentée comme une <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/en/livre/?GCOI=27246100629320&fa=author&person_id=255">« puissance normative »</a>, semble s’être dotée d’un outil juridique et normatif, possédant une dimension extraterritoriale – et mondiale – susceptible de contrecarrer la puissance américaine. Dans la guerre commerciale larvée opposant les deux rives de l’Atlantique, le secrétaire au Commerce américain, Wilbur Ross, n’a pas hésité à stigmatiser le RGPD, en considérant qu’il crée une <a href="https://emonde.fr/economie/article/2018/03/03/commerce-mondial-l-ue-prete-au-bras-de-fer-avec-trump_5265079_3234.html">« barrière commerciale inutile »</a>. Malgré le Brexit, la volonté du Royaume-Uni de voir son superviseur rester au Comité européen de la protection des données créé par le RGPD (art. 68), constitue une preuve supplémentaire de cette puissance normative, de ce <a href="http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-18-3962_fr.htm">« <em>Brussels effect</em> »</a>.</p>
<p>Avant l’application du RGPD, Facebook n’a d’ailleurs pas hésité à modifier ses conditions d’utilisation, afin de se protéger de ses aspects les plus répressifs, craignant en quelque sorte les nouveaux standards élaborés par l’Union, ainsi que <a href="https://www.usinenouvelle.com/editorial/le-rgpd-est-un-texte-historique.N674979">sa volonté d’appliquer un « standard mondial »</a> en matière de protection des données personnelles. Comme l’a déclaré le rapporteur du Parlement européen sur le RGPD, <a href="http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+REPORT+A7-2013-0402+0+DOC+XML+V0//FR">Jan Philipp Albrecht</a>, c’est en effet <a href="https://lemonde.fr/economie/article/2018/05/24/jan-philipp-albrecht-forcat-du-rgpd_5303754_3234.html">« une des premières fois que l’Union met en place un vrai standard global »</a>. L’UE a effectivement <a href="http://www.elysee.fr/declarations/article/transcription-du-discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-lors-de-la-ceremonie-de-remise-du-prix-charlemagne-a-aix-la-chapelle/">« une souveraineté numérique à construire »</a> pour mieux réguler ses acteurs, protéger les citoyens européens, et taxer de manière plus juste les GAFAM.</p>
<p>De puissance normative, l’UE peut ainsi évoluer vers une puissance stratégique. En établissant des principes de nature constitutionnelle pour gérer les données à caractère personnel, elle protège la vie privée de ses citoyens, apporte un début de réponse à l’hégémonisme américain, tout en montrant une vision politique de l’Europe.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98179/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Petit ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En établissant ces nouvelles règles de protection des citoyens, l’UE peut ainsi évoluer de puissance normative vers une puissance stratégique.Yves Petit, Professeur de droit public, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/965702018-05-31T20:15:03Z2018-05-31T20:15:03ZLes apports de Mai 68 au droit du travail<p>Le mouvement de Mai 68 a fortement marqué le droit du travail et a enclenché un mouvement de négociations collectives sur de nombreux thèmes. Rappel historique et retour sur l’héritage de ce printemps très agité.</p>
<h2>Le « Constat de Grenelle »</h2>
<p>Le <a href="http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Constat_de_Grenelle.pdf">« Constat de Grenelle »</a> fût établi le 27 mai 1968 à la suite des réunions tenues au Ministère du Travail, rue de Grenelle à Paris, entre les organisations syndicales de salariés et les organisations patronales, sous la présidence du premier ministre.</p>
<p>Ce constat fût présenté par les dirigeants syndicaux dans de grandes entreprises aux salariés, qui exprimèrent souvent leur déception avec force. Cela eût pour conséquence que ce constat ne fût pas signé (la formulation « accords de Grenelle » est donc juridiquement inexacte). Cependant, bien que non signé, ses dispositions entrèrent en application par le biais de plusieurs lois. Et dans son prolongement, plusieurs accords nationaux interprofessionnels furent négociés et signés, plusieurs lois furent adoptées au regard de ces accords.</p>
<h2>Reconnaissance du droit syndical</h2>
<p>Point essentiel du Constat de Grenelle : la reconnaissance de « l’exercice du droit syndical dans les entreprises. » Pour ce faire, deux institutions sont créées : la section syndicale d’entreprise et le délégué syndical.</p>
<p>Est désormais garantie la liberté de constitution de syndicats ou de sections syndicales dans l’entreprise, par les organisations syndicales représentatives au niveau national. Les prérogatives et moyens de l’activité syndicale sont définis : « la discussion et la conclusion d’avenant d’entreprise », la liberté de diffusion de la presse syndicale et des tracts syndicaux dans l’entreprise, le droit de réunion, etc. Pour les délégués syndicaux, un crédit d’heures et la protection contre le licenciement sont mis en place.</p>
<p>Ces dispositions du protocole seront reprises dans la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jo_pdf.do?id=JORFTEXT000000317291">loi du 27 décembre 1968</a> « relative à l’exercice du droit syndical dans les entreprises ». Ces droits seront ultérieurement précisés et amplifiés par les « lois Auroux » du 28 octobre et du 13 novembre 1982. Celle-ci instaure notamment des dispositions concernant la négociation annuelle obligatoire <a href="http://travail-emploi.gouv.fr/dialogue-social/negociation-collective/la-negociation-collective-dans-l-entreprise/article/les-negociations-obligatoires-dans-l-entreprise-theme-periodicite-et">(NAO)</a> sur les salaires effectifs, la durée effective et l’organisation du temps de travail, ainsi que la possibilité de désigner des délégués syndicaux supplémentaires ([délégué syndical central]).</p>
<h2>Évolutions du rôle du délégué syndical</h2>
<p>Au cours des années suivantes, le <a href="http://travail-emploi.gouv.fr/dialogue-social/representants-du-personnel/article/les-delegues-syndicaux">délégué syndical</a> (un individu mandaté par le syndicat extérieur à l’entreprise, pas par les salariés syndiqués de l’entreprise) va prendre une importance croissante au détriment de la section syndicale (le collectif syndical). Ses prérogatives vont s’accroître et sa fonction va évoluer.</p>
<p>Après Mai 68, le délégué syndical a pour fonction essentielle de porter les revendications des salariés, de revendiquer des modifications du droit applicable dans l’entreprise (augmentation de salaire, etc.). Alors qu’après 1982, et surtout à partir de 1986-1987, la négociation d’entreprise prend une place croissante, son objet se transforme peu à peu : la « négociation d’acquisition » (pour obtenir des droits supplémentaires ou nouveaux) doit s’articuler avec la « négociation de gestion ».</p>
<p>Cette novation de la négociation débouche sur la conclusion d’accords d’entreprise d’une nature nouvelle : ces accords peuvent contenir des dispositions plus favorables pour les salariés que la loi (en application du « principe de faveur ») mais ils peuvent également contenir des dispositions « dérogatoires » à la loi (souvent moins favorables pour les salariés) notamment en matière de temps de travail.</p>
<h2>Nouvelles articulations entre la loi et les accords collectifs</h2>
<p>Avec les lois de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000613810&categorieLien=id">2004</a> et de 2016 (loi <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032983213&categorieLien=id">« Valls-El Khomri »</a>), une nouvelle étape est franchie : la loi devient « supplétive » par rapport aux accords collectifs, notamment aux accords d’entreprise sur le temps de travail.</p>
<p>Cette dernière évolution vient d’être confortée et amplifiée avec les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000035607388&dateTexte=20180529">ordonnances de l’automne 2017</a> : dans plusieurs domaines importants (emploi et ruptures collectives des contrats de travail, négociations collectives et information-consultation d’entreprise, etc.), le contenu du droit applicable est déterminé dans les accords collectifs et en priorité dans les accords d’entreprise.</p>
<p>Depuis plusieurs décennies, les délégués syndicaux peuvent donc signer des accords d’entreprises aux effets variables pour les salariés : parfois plus favorables, souvent ambivalents avec parfois des dispositions moins favorables.</p>
<h2>Nouvelles exigences pour la signature des accords</h2>
<p>Tenant compte de cette évolution, la loi exige que les accords soient signés par des délégués, selon certaines conditions. Ces délégués doivent appartenir à des organisations syndicales ayant fait la preuve de leur représentativité dans l’entreprise et disposer d’un minimum d’audience électorale. Ainsi, depuis le 1<sup>er</sup> mai 2018, pour être valide un accord d’entreprise doit avoir été signé par des délégués de syndicats ayant obtenu plus de 50 % des suffrages valablement exprimés lors des dernières élections professionnelles dans l’entreprise, quel que soit le nombre de votants. Le vote des salariés aux élections professionnelles détermine ainsi quels syndicats sont représentatifs dans l’entreprise et quel est le poids de chacun dans les négociations.</p>
<p>Le choix du délégué syndical peut également être influencé par le vote des salariés de l’entreprise : doit en priorité être désigné, par l’organisation syndicale extérieure à l’entreprise, un salarié qui a obtenu au moins 10 % des suffrages valablement exprimé dans son collègue électoral lors des dernières élections professionnelles dans l’entreprise. Ainsi les salariés peuvent exprimer leurs choix concernant celui qui va signer des accords qui vont les concerner.</p>
<p>En matière de négociation collective d’entreprise, l’audience électorale prime sur le nombre de syndiqués.</p>
<p>Une autre évolution à signaler : la loi permet également des négociations en dehors des délégués syndicaux. Dans les entreprises sans délégué syndical, l’employeur peut négocier avec des élus du personnel (du <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F34474">Comité social et économique</a>) ou, depuis 1995, avec des salariés mandatés. Il pourra même faire valider un projet d’accord directement par les salariés, en l’absence de toute négociation (dans les entreprises de moins de 20 salariés sans CSÉ).</p>
<p>Dans les entreprises dotées d’une présence syndicale, un accord d’entreprise, signé par les délégués syndicaux, pourra transformer le Comité social et économique en Conseil d’entreprise. Cette nouvelle institution devient alors seule compétente pour négocier et conclure des accords d’entreprise. Les délégués syndicaux maintenus sont alors privés de leur principale prérogative juridique.</p>
<h2>Réduction de la durée du travail</h2>
<p>Le Constat de Grenelle prévoit des dispositions concernant la « réduction de la durée du travail ». Il s’agit en particulier de réduire le volume considérable des heures supplémentaires « en vue d’aboutir à la semaine des 40 heures ». Est également prévu l’abaissement de « la durée maximum légale ».</p>
<p>À la suite d’accords conclus dans les entreprises et les branches, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000511693&categorieLien=cid">loi du 16 mai 1969</a> porte à quatre semaines la durée des congés annuels payés. Puis, à la suite de négociations ouvertes en 1978, est signé l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000460988">accord interprofessionnel du 17 juillet 1981</a>. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000889135&dateTexte=20080430">L’ordonnance du 16 janvier 1982</a>, reprenant certaines de ses dispositions, réduit la durée légale à 39 heures, prévoit la cinquième semaine de congés payés, ainsi que la possibilité de conclure des accords « dérogatoires » d’annualisation du temps de travail…</p>
<p>Depuis, le cadre collectif du travail s’efface : le travail à temps partiel devient la norme imposée dans certains secteurs, l’annualisation de la durée du travail se développe, etc.</p>
<p>La réduction de la durée légale à 35 heures prévue par la loi en 1982 n’interviendra qu’en 2000. Depuis cette date, de nouveaux aménagements du temps de travail sont mis en œuvre ; ainsi, les régimes de forfait en jours autorisent des durées du travail pouvant être excessives (jusqu’à 78 heures par semaine), etc.</p>
<h2>Des conditions de travail qui tiennent compte du désir de liberté</h2>
<p>En Mai 68 s’est exprimé un rejet de « la discipline de la fabrique ». La loi de 1973 <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000875869">sur l’amélioration des conditions de travail</a> prévoit les horaires individualisés et le temps partiel « choisi », la consultation du comité d’entreprise sur l’organisation du travail, ainsi que la création de l’<a href="https://www.anact.fr/">Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail</a>. Puis sera signé l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichIDCCArticle.do?idArticle=KALIARTI000005813091&cidTexte=KALITEXT000005664884&dateTexte=29990101">Accord national interprofessionnel de 1975</a> sur l’amélioration des conditions de travail (modifié en 1984, 1996 et en 2013).</p>
<p>Ces textes marquent un progrès du droit : il s’agit de permettre une amélioration des conditions de travail, au-delà de la seule prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles. Aujourd’hui, les ressources de ces textes conventionnels sont à redécouvrir et à mobiliser au regard de certaines organisations du travail pathogènes.</p>
<p>En Mai 68 s’est également exprimée une aspiration à plus de liberté dans le travail. Après la loi de 1973, une nouvelle traduction juridique lui est donnée en 1982, avec une des <a href="http://www.vie-publique.fr/documents-vp/auroux.pdf">« lois Auroux »</a> : reconnaissance de libertés dans l’entreprise, limitation du pouvoir disciplinaire de l’employeur, droit d’expression collective sur le contenu et les conditions d’organisation du travail, etc. Ces dispositions seront confortées par une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000542542&dateTexte">« loi Aubry »</a> en 1992, qui reconnaît notamment un « droit d’alerte » aux délégués du personnel en cas d’atteinte aux droits des personnes et aux libertés dans l’entreprise. Ces ressources en terme de droit des personnes, confirmées par les ordonnances de l’automne 2017, demeurent à connaître et à rendre pleinement effectives.</p>
<h2>Revalorisation des salaires</h2>
<p>Le Constat de Grenelle prévoit aussi une augmentation générale des salaires et une forte revalorisation du taux horaire du <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/8700-11-fevrier-1950-creation-du-salaire-minimum-interprofessionnel-garanti-smig">smig</a> (salaire minimum interprofessionnel garanti). En complément, des accords de branche vont instaurer d’importantes augmentations. Par ailleurs, Grenelle prévoit la révision des barèmes de salaire minima des conventions collectives, afin de les rapprocher des salaires réels, ainsi que la réduction de la part des primes dans les rémunérations, par leur intégration dans les salaires.</p>
<p>Le smig sera remplacé par le smic (salaire minimum interprofessionnel de croissance), suite à la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000693898">loi du 2 janvier 1970</a>. Ce smic vise à assurer <a href="http://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/remuneration-et-participation-financiere/remuneration/article/le-smic-374531">« aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles la garantie de leur pouvoir d’achat et une participation au développement économique de la nation »</a>. Le montant du smic demeure néanmoins insuffisant : il n’a pas empêché l’apparition et le développement des situations de « travailleurs pauvres », percevant un salaire ne leur permettant pas de vivre décemment.</p>
<p>Dans le prolongement de cette loi sera signé l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichIDCC.do;jsessionid=6E0E7269F2CC8494D4C2DC210043FF0F.tpdjo15v_2?idConvention=KALICONT000005635489&cidTexte=KALITEXT000005664696">accord sur la mensualisation de 1977</a> apportant des garanties salariales (paiement des jours fériés, indemnisation maladie, etc.), repris dans la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000704804&categorieLien=cid">loi du 19 janvier 1978</a>.</p>
<h2>Emploi et formation professionnelle : cinq décennies de modifications</h2>
<p>Le Constat de Grenelle ambitionne de sécuriser l’emploi, via les reclassements notamment. On peut y lire que :</p>
<blockquote>
<p>« Le CNPF [Conseil national du patronat français] et les confédérations syndicales ont décidé […] de rechercher un accord en matière de sécurité de l’emploi. »</p>
</blockquote>
<p>L’accord national interprofessionnel du 10 février 1969 <a href="http://www.cpnefsv.org/sites/default/files/public/pdf/A-CPNEF-SV-et-observatoire/a1-pdf1-ani-10-02-1969.pdf">« sur la sécurité de l’emploi »</a> porte notamment sur « les mesures de nature à assurer les reclassements nécessaires en particulier en cas de fusion et de concentration ». Les signataires considèrent qu’une « une politique active de l’emploi » est nécessaire, pour « viser à l’utilisation optimale des capacités de travail et par conséquent à la réduction des périodes de non-emploi ».</p>
<p>Ce texte sera modifié à de très nombreuses reprises par de nombreux avenants (depuis 1974 jusqu’en 2013). Au regard de ces évolutions conventionnelles, la législation du travail est, par touches successives, profondément transformée : exigence d’une cause réelle et sérieuse pour pouvoir licencier en 1973 et création d’un plancher d’indemnisation, obligation de « plan social » en 1974, définition du licenciement économique en 1975, etc. En dernier lieu la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027546648">« loi Sapin »</a> de 2013 et les ordonnances de l’automne 2017 visent notamment à sécuriser juridiquement les décisions des directions des grandes entreprises en cas de licenciements économiques et de ruptures collectives de contrats de travail).</p>
<p>La formation et le perfectionnement professionnel, indispensable aux reconversions et aux évolutions de carrière, étaient prévues dans le Constat de Grenelle. En effet, le CNPF et les confédérations syndicales avaient « convenu également d’étudier les moyens permettant d’assurer, avec le concours de l’État, la formation et le perfectionnement professionnels. » Dans le prolongement est signé l’accord national interprofessionnel du 9 juillet 1970 sur la formation et le perfectionnement professionnels, repris dans la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000687670&categorieLien=cid">loi du 16 juillet 1971</a>, première loi sur la formation professionnelle <a href="http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/formation-professionnelle-continue/chronologie/">modifiée depuis à de nombreuses reprises</a>, et à nouveau en 2018, après une nouvelle négociation entre les acteurs sociaux.</p>
<h2>Un héritage qui perdure</h2>
<p>Droit syndical dans l’entreprise, durée du travail, salaires, conditions de travail, formation professionnelle continue, sécurité de l’emploi… Mai 68 a eu non seulement des effets immédiats sur le droit du travail, avec le Constat de Grenelle, mais aussi différés, avec la mise en place de groupes de travail et l’ouverture de négociations entre syndicats et patronat sur de nombreux points de droit du travail. Ces négociations ont eu lieu à différents niveaux (entreprises, branches, interprofessionnel national), et ont été à l’origine de plusieurs réformes législatives d’importance.</p>
<p>Dans un contexte socio-économique modifié, mais marqué de permanences, 50 ans après, des droits hérités de Mai 1968 demeurent en vigueur. Même si certains sont encore à rendre effectifs, et si d’autres ont été profondément modifiés.—-</p>
<hr>
<p><em>Pour en savoir plus : M. Miné (2018), <a href="https://www.lgdj.fr/le-grand-livre-du-droit-du-travail-en-pratique-9782212568950.html">« Le grand livre du droit du travail en pratique »</a>, 29<sup>e</sup> éd., Eyrolles (coll. Le grand livre).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96570/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Miné est membre du Réseau académique pour la Charte sociale européenne (RACSE). </span></em></p>Le constat de Grenelle, rédigé suite à Mai 68, n’a jamais été signé. En ouvrant les négociations entre syndicat et patronat, ce texte a pourtant eu une influence considérable sur le droit du travail.Michel Miné, Professeur du Cnam, titulaire de la chaire droit du travail et droits de la personne, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/942222018-04-19T21:16:43Z2018-04-19T21:16:43ZLe travail, une question de temps<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/215604/original/file-20180419-163995-1ety5px.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C4221%2C2100&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les temps de l'entreprise sont multiples, mais elle doit tous les maîtriser.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/collection-vintage-clock-hanging-on-old-561021889?src=N8c76fyD0XZy6mldebDs3w-1-30">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Les organisations fondent leur activité sur leur capacité à gérer le temps.</p>
<p>Il s’agit de livrer à temps, produire dans les temps, maîtriser le temps de travail des collaborateurs… Le temps est l’indicateur central d’une activité rentable. Amazon et d’autres professionnels de la logistique l’ont compris : le temps qui court, c’est du temps perdu. Or le temps, c’est de l’argent… Pour maintenir les clients captifs, l’enjeu est de réduire le délai entre la commande et la livraison.</p>
<p>Cela suppose une logistique imparable et une gestion de tous les temps au sein de l’entreprise : temps de production, temps de stockage, temps de livraison, adaptation du temps de travail.</p>
<h2>Le temps qui court ou le juste à temps</h2>
<p>Le concept de « juste à temps » est apparu dans les années 50 dans l’industrie automobile, chez le <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0211088969878-taiichi-ohno-la-revolution-du-juste-a-temps-2017284.php">constructeur japonais Toyota</a>. Il s’agit de produire ce qui sera vendu, en flux tendu. Inventé par Taiichi Ohno, ingénieur industriel, ce nouveaux concept est alors le pilier de l’entreprise.</p>
<p>Les organisations semblent en quête du temps perdu. Les services « méthodes » traquent le gaspillage afin d’améliorer la productivité globale, les conditions de travail. Ils définissent les étapes de fabrication et les temps nécessaires à la production. Il faut produire ce que le client souhaite, dans la quantité voulue, au délai prévu.</p>
<p>Derrière ce <em>process</em> où la seule mesure est le temps, des collaborateurs sont soumis à un rythme de travail imposé. Mais pour un salarié, qu’est-ce que le temps ?</p>
<h2>Les collaborateurs comme variables d’ajustement</h2>
<p>Le temps de travail représente en France 35 heures hebdomadaires, 151,67 heures par mois et 1607 heures par an. Le temps est obligatoirement décompté par l’employeur et fait l’objet de contrôles éventuels de l’inspection du travail. Selon la définition de l’article <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072050&idArticle=LEGIARTI000006902440&dateTexte=&categorieLien=cid">L. 3121-1</a> du code du travail, la durée de travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.</p>
<p>Ce temps est compté : la durée de travail effectif ne doit pas dépasser la durée maximale de 10 heures par jour, sauf dérogations. Elle est également limitée à 48 heures sur une même semaine, ainsi qu’à 44 heures par semaine en moyenne sur une période de 12 semaines consécutives. Toutefois, la durée maximale sur une semaine peut être augmentée par dérogation en cas de circonstances exceptionnelles : elle peut alors atteindre jusqu’à 60 heures maximum (sous réserve d’accord de l’inspection du travail). La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000032983213&categorieLien=cid">loi du 8 août 2016</a> donne priorité à l’accord d’entreprise sur l’accord de branche en matière de durée du travail et de congés.</p>
<p>Mais il n’est pas toujours simple de tenir les comptes.</p>
<h2>Le débordement du temps de travail</h2>
<p>L’évolution digitale des entreprises et l’apparition nouveaux modes de travail nomade en réseaux rend difficile la mesure du temps de travail. Les cadres dits « autonomes » sont ainsi soumis à une convention de « forfait ». Leur temps de travail est donc décompté en jours. Ce forfait a été créé en 2 000 par la Loi Aubry. Il concernerait environ 47 % des cadres et 3 % des salariés <a href="http://dares.travail-emploi.gouv.fr/dares-etudes-et-statistiques/etudes-et-syntheses/dares-analyses-dares-indicateurs-dares-resultats/article/les-salaries-au-forfait-annuel-en-jours-une-duree-du-travail-et-une">selon une étude du Ministère du Travail</a> publiée en 2015.</p>
<p>En dérogeant à la durée légale du travail, la convention de forfait évite le paiement des heures supplémentaires, mais les salariés concernés bénéficient de jours de repos supplémentaires, les RTT. La jurisprudence récente a fait évoluer ce système dérogatoire, afin de limiter les dérives relatives au temps de travail des salariés. Dans une décision en date du 23 juin 2010 (rendue publique le 14 janvier 2011), le Comité européen des droits sociaux (CEDS) avait déjà considéré que la mise en place d’une convention de forfait jours pouvait aboutir à une durée du travail <a href="http://www.ugict.cgt.fr/doc_download/41-decision-de-la-ceds-sur-le-temps-de-travail">« manifestement trop longue pour être qualifiée de raisonnable »</a>.</p>
<p>La Cour de cassation est par ailleurs régulièrement saisie des difficultés de suivi de la charge de travail et de l’amplitude des journées d’activité des salariés. Un certain nombre d’accords de branches et d’entreprises sont ainsi régulièrement retoqués, la haute cour estimant que l’autonomie du salarié n’est pas réelle ou que la mesure de charge de travail n’est pas effective. Ces décisions garantissent la protection de la santé et du repos des salariés ainsi que l’instauration du droit à la déconnexion. Ainsi,</p>
<blockquote>
<p>« Toute convention de forfait en jours doit être prévue par un accord collectif dont les stipulations assurent la garantie du respect des durées maximales raisonnables de travail ainsi que des repos, journaliers et hebdomadaires ».(<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000031954662">Cour de cassation, Chambre Sociale 27 janvier 2016</a>)</p>
</blockquote>
<h2>Et les heures supplémentaires ?</h2>
<p>En cas de surcharge d’activité, un salarié peut effectuer, à la demande de l’employeur, des heures supplémentaires suivant la convention collective et avec un maximum de 220 heures par an. Les heures effectuées au-delà de 35 heures sont rémunérées comme des heures supplémentaires et majorées comme suit : 25 % pour les huit premières heures (soit de la 36<sup>e</sup> à la 43<sup>e</sup> heure incluse) ; 50 % pour les heures suivantes (à partir de la 44<sup>e</sup> heure).</p>
<p>Le législateur a par ailleurs prévu la possibilité d’instaurer un repos compensateur de remplacement pour les heures supplémentaires effectuées dans le cadre du contingentement. Il est possible de remplacer tout ou partie du paiement des heures supplémentaires par une récupération sous forme de repos équivalent dit « repos compensateur de remplacement ». Les droits à repos compensateur de remplacement doivent inclure la bonification des heures supplémentaires légale ou conventionnelle.</p>
<p>En dehors du contingent, le salarié bénéficie d’une contrepartie obligatoire en repos équivalent à 50 % pour les entreprises de vingt salariés au plus et à 100 % pour les entreprises de plus de vingt salariés.</p>
<h2>Collaborateurs au forfait et télétravailleurs, même combat</h2>
<p>Les collaborateurs au forfait sont donc soumis à une obligation de résultats plus que de moyens. Il en est de même pour les télétravailleurs.</p>
<p>Le <a href="http://www.medef.com/fileadmin/www.medef.fr/documents/Teletravail/conclusions_de_la_concertation_teletravail_VF_chartee_.pdf">rapport de mai 2017 issu de la concertation relative au télétravail</a> précise que les nouveaux usages facilités par les outils numériques permettent aux salariés qui le souhaitent de bénéficier d’une plus grande latitude dans la gestion de leur temps de travail sur la journée. La difficulté pour ces salariés au forfait et ces télétravailleurs est de respecter une forme de déconnexion. Ledit droit à la déconnexion a été introduit dans le code du travail à l’article <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072050&idArticle=LEGIARTI000006901758">L. 2242-8</a>.</p>
<p>Les entreprises sont tenues de se doter d’un accord ou d’une charte précisant les modalités de l’exercice de ce droit.</p>
<h2>À la recherche du temps perdu : le compte épargne-temps</h2>
<p>Le CET permet au salarié d’accumuler des droits à congé rémunéré ou de bénéficier d’une rémunération, immédiate ou différée, en contrepartie des périodes de congé ou de repos non pris ou des sommes qu’il y a affectées. Si le salarié quitte l’entreprise (quel que soit le motif de la rupture du contrat de travail), il <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F1907">peut transférer ses droits auprès d’un autre employeur</a>, à condition que la convention ou l’accord le prévoit.</p>
<p>À défaut, le salarié peut demander soit une indemnité correspondant à la conversion monétaire de l’ensemble de ses droits acquis lors de la rupture du contrat,
soit, avec l’accord de son employeur, la consignation auprès de la <a href="http://www.caissedesdepots.fr/">Caisse des dépôts et consignations</a> des sommes acquises par le salarié.</p>
<h2>Privilégier la flexibilité pour améliorer la compétitivité</h2>
<p>La gestion du temps, ou plutôt, des temps, est primordiale dans une organisation qui souhaite rester compétitive et améliorer sa productivité. Il est notamment indispensable d’en garder la maîtrise pour satisfaire les clients. Le manager gardera donc les yeux rivés sur son compteur.</p>
<p>Dans ce contexte, le code du travail est un facteur limitant car il impose des contraintes sur la gestion du temps de travail. Celles-ci peuvent impacter défavorablement la performance de l’entreprise lorsqu’elle est mise en concurrence mondiale avec des organisations qui ne sont pas soumises aux mêmes impératifs normatifs.</p>
<p>En définitive, les entreprises auront donc tout intérêt à se doter d’accord d’entreprise favorisant la flexibilité du temps de travail.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/94222/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Pour rester compétitive face à leurs concurrents internationaux, les organisations doivent garde la maîtrise de leurs temps tout en respectant le code du travail. Comment la loi gère-t-elle le temps ?Caroline Diard, Professeur associé en Management des Ressources Humaines et Droit - Laboratoire Métis, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/889862017-12-14T00:08:34Z2017-12-14T00:08:34ZLe démon du smic est de retour !<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/198969/original/file-20171213-27558-1qkx110.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Smic…</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/msittig/3486698220/in/photolist-6j7eUy-bej8n-8jjwTz-8jnLBY-8jjwG4-8jjwQi-9ZuytG-aSV2E-6ph6nd-6fthPe-5zGj88-9Zuy8b-pYEMc-8PQLUv-qVa2E-9yWnNM-8fnZ3j-8xzVK9-5GUUwP-8PQMa4-6fthPa-8PQMDK-6c33k1-qVa4n-5MxDiA-8xwUiZ-a3tga-9yZqby-5XK71f-3TZGZr-6ftjXg-9pYTxt-9qSyz7-6nft3Y-qV9W8-7fo9Xh-qVa4Z-74an46-8xzW7y-pYLRG-6HvRUy-9yZq3C-6tGiFS-54gob6-74agjp-8fnZcs-6cmaeE-6nfq2b-qVa3U-4VTdRP">Micah Sittig/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Comme chaque année, patrons et gestionnaires de paye sont sur le qui-vive dans l’attente du nouveau montant du smic applicable au 1<sup>er</sup> janvier. En effet, ce montant conditionne l’édition des bulletins de paye et contrats de travail. Il impacte également le budget lié à la masse salariale.</p>
<h2>L’histoire du smic</h2>
<p>Le smic (salaire minimum interprofessionnel de croissance) a succédé en 1970 au smig (salaire minimun garanti). Le smig avait été institué par la loi de 1950 régissant la liberté des salaires. Il fixe le montant minimum en dessous duquel aucun salaire ne doit être versé. Le smic assure dès lors aux salariés la garantie de leur pouvoir d’achat. En France, aucune rémunération effective ne peut se situer au-dessous du minimum que constitue le smic (9,76 euros de l’heure en 2017). Sa valeur est revue chaque année au 1<sup>er</sup> janvier. Tel ne fut pas toujours le cas.</p>
<p>Ainsi, la mise en place des 35 heures a conduit a une baisse du smic mensuel minimum applicable aux contrats de travail signés à partir de janvier 2000 sur la base de 35 heures, de 10,25 %. Cinq smic différents coexistent alors ! En 2002, la loi Fillon instaure le retour à un smic unique. Le 1<sup>er</sup> juillet 2005 tous les smics ont rejoint un montant commun à 8,03 euros par heure.</p>
<p>En 2008, année atypique, deux augmentations auront lieu : une en mai et une en juillet ! En 2012 le gouvernement décide de l’augmentation du smic de 2 % au 1<sup>er</sup> juillet 2012, 1,4 % au titre de l’inflation et 0,6 % à titre exceptionnel. Il s’agit d’un nouveau coup de pousse. Dès 2013, Il sera revalorisé en janvier et non plus en juillet.</p>
<h2>Définition du smic</h2>
<p>Un décret du 8 février 2013 modifie les modalités de revalorisation du smic :</p>
<blockquote>
<p>« Il est désormais indexé, non plus sur l’indice des prix à la consommation des ménages urbains, mais sur l’inflation calculée sur les 20 % des ménages ayant le les bas revenus. Il sera par ailleurs revalorisé sur la base de la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire moyen des ouvriers et des employés (et non plus des seuls ouvriers) afin de tenir compte de la part que représente la catégorie professionnelle des employés. »</p>
</blockquote>
<p>Une fois ces critères appliqués, le gouvernent a aussi la possibilité de donner un coup de pouce supplémentaire au smic. Il prend sa décision en fonction notamment du rapport qui est établi par le groupe d’experts sur l’évolution du smic.</p>
<p>Afin de s’assurer qu’il respecte le smic, un employeur doit inclure les éléments suivants :</p>
<ul>
<li><p>Salaire de base</p></li>
<li><p>Avantages en nature</p></li>
<li><p>Majorations diverses ayant le caractère d’un salaire</p></li>
<li><p>Primes de rendement individuelles ou collectives</p></li>
<li><p>Primes de fin d’année et de vacances pour le mois où complément de salaire elles sont versées</p></li>
<li><p>Prime de polyvalence. </p></li>
</ul>
<p>Il s’agit alors de vérifier chaque mois que le salaire total (fixe + variable) atteint bien le minimum.</p>
<p>Certains salaires peuvent cependant à titre dérogatoire, être inférieurs au smic. Il s’agit du salaire des apprentis, les contrats de professionnalisation pour les moins de 26 ans.</p>
<p>Les jeunes salariés âgés de moins 18 ans qui ont moins de 6 mois de pratique dans la branche se voient appliquer 10 % d’abattement de 17 à 18 ans et 20 % avant 17 ans. Par ailleurs, le smic ne s’applique pas aux stagiaires ni aux VRP.</p>
<p><strong>Le fait de payer des salaires inférieurs au smic est pénalement sanctionné d’une amende de 1 500 euros au plus par infraction constatée. En cas de récidive dans le délai d’un an, l’amende est portée à 3 000 euros.</strong></p>
<p>Depuis le 1<sup>er</sup> janvier 2017, le smic est fixé à 9,76 euros bruts de l’heure soit 1 480,27 euros bruts mensuels sur la base de la durée légale de 35 heures hebdomadaires. Il était de 8,44 euros par heure en 2007. Cela correspond donc à une hausse de 15,65 %. En 2017 un peu plus de <a href="http://bit.ly/2iZgs3H">10 % des salariés sont payés au smic</a>.</p>
<h2>Les conséquences d’une revalorisation du smic</h2>
<p>La revalorisation n’a pas uniquement une incidence sur les « smicards ». En effet, par exemple, les alternants (en contrat d’apprentissage ou contrat de professionnalisation), ont (avant 21 ans) un <a href="http://bit.ly/2Ab0JoY">salaire indexé sur le smic</a>.</p>
<p>Cette revalorisation n’est donc pas neutre pour la masse salariale des entreprises. Ainsi, chaque année au 1<sup>er</sup> janvier, la masse salariale augmente inexorablement et mécaniquement.</p>
<p>Cette augmentation du smic a des répercussions sur la rémunération des salariés au smic, mais également sur celle des alternants, sur le calcul de la <a href="http://bit.ly/2Bg0aOC">réduction Fillon</a>.</p>
<p>Cela soulève alors le problème des bas salaires, légèrement au dessus du smic dans l’entreprise. En effet, certains salariés sont recrutés au premier échelon de la convention collective. Ce premier échelon est supposé rester toujours supérieur au smic. Hors, suite à des <a href="http://bit.ly/2BSiWYI">augmentations rapides du smic</a> (comme en 2005, 5,5 %) le 1<sup>er</sup> niveau peut se retrouver en dessous du smic (ce fut en 2005 le cas pour certaines conventions collectives). Les employeurs se doivent alors d’aligner tous les salaires sur le smic sur le bulletin de paye.</p>
<p>Ceci est de facto créateur de frustration et de démotivation en interne. Le collaborateur qui avait été recruté en 2001 par exemple à un salaire conventionnel 10 % supérieur au smic, s’est retrouvé dès 2005, en dessous du niveau du smic, s’il n’a pas perçu d’augmentation individuelle ou collective. (augmentation de plus de 20 % du smic sur cette période). Le danger est donc bien là : une inflation galopante des masses salariales et une frustration des salariés situés aux premiers échelons des conventions collectives. La solution n’est pas simple à trouver.</p>
<h2>Smic 2018 : une revalorisation remise en cause ?</h2>
<p>Alors que certains sites spécialisés en paye annonçaient déjà un smic à 9,88 euros de l’heure en 2018, le groupe d’experts indépendants a remis 1<sup>er</sup> décembre son rapport annuel sur le smic, évoquant de possibles réformes. Ils se sont concertés sur une <a href="http://bit.ly/2koyEaF">étrange idée</a> : remettre en cause la formule de revalorisation automatique. Depuis 2008, ce groupe a pour mission d’éclairer la Commission nationale de la négociation collective (CNNC) <a href="http://bit.ly/2knw691">sur les évolutions du smic</a>.</p>
<p>Si ces recommandations sont suivies, cela laissera les parties prenantes pleines de perplexité et le smic n’augmentera au 1<sup>er</sup> janvier « que » sous l’effet de ses deux composantes de revalorisation automatique. À savoir, l’inflation des ménages du premier quintile (les 20 % les plus pauvres) augmentée de la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire moyen des ouvriers et des employés (SHBOE). Soit une hausse prévue de 1,1 % (contre 0,95 début 2017). Qu’avons nous donc gardé de l’idée fondatrice du SMIG en 1950 ? Reste à croire qu’une nouvelle forme de réalité socio-économique changera la donne en 2018 ! Réponse attendue le 20 décembre…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88986/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
La revalorisation du smic chaque année n’est pas sans conséquence sur la masse salariale des entreprises.Décryptage.Caroline Diard, Professeur associé en Management des Ressources Humaines et Droit - Laboratoire Métis, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/861982017-10-26T19:49:39Z2017-10-26T19:49:39ZQuelles politiques économiques soutenir ? Les attentes paradoxales de l’opinion publique<p>Qu’attendent les Français de leur gouvernement ? On peut l’appréhender par de multiples moyens, aussi bien par le vote des électeurs que par les expressions publiques des groupes de pression et par les actions militantes, notamment dans la rue. On peut aussi le saisir à travers les sondages d’opinion, faits en fonction de l’actualité du moment, qui évaluent si l’exécutif est soutenu ou pas dans les réformes qu’il propose.</p>
<p>Il existe également <a href="http://www.pug.fr/produit/1323/9782706126635">des enquêtes plus décontextualisées</a> qui mesurent, à intervalles réguliers, les grands objectifs que les citoyens assignent à leurs gouvernants. C’est le cas de l’<a href="http://www.issp.org/menu-top/home/">International Social Survey Programme</a> (ISSP), conduit dans une quarantaine de pays, dont la France. Comme en 1996 et 2006, le questionnaire de 2016 portait sur ce sujet. Les résultats français concernant les politiques économiques font apparaître un paradoxe de l’opinion, que l’on retrouve de manière constante, mais on observe aussi quelques évolutions significatives depuis 1996 et 2006.</p>
<h2>Réduire les dépenses de l’État ou les augmenter ?</h2>
<p>Il existe un consensus très fort en faveur de la réduction des dépenses de l’État : 69 % y sont très favorables et 17 % assez favorable. Les chiffres de 1996 et 2006 étaient identiques. La demande d’économies dans la dépense publique est donc massive et ancienne. Et pourtant, selon une logique paradoxale, dans la même question, les enquêtés se déclarent aussi à 80 % en faveur de programmes ambitieux de soutien à l’économie pour créer des emplois et du développement, tout en manifestant des dispositions libérales puisqu’une forte majorité suggère un assouplissement des réglementations.</p>
<p><strong>Quelles politiques économiques ?</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/191597/original/file-20171024-30590-19k77ht.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/191597/original/file-20171024-30590-19k77ht.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=224&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/191597/original/file-20171024-30590-19k77ht.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=224&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/191597/original/file-20171024-30590-19k77ht.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=224&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/191597/original/file-20171024-30590-19k77ht.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=281&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/191597/original/file-20171024-30590-19k77ht.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=281&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/191597/original/file-20171024-30590-19k77ht.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=281&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Parmi les politiques proposées, une seule ne convainc pas : la réduction du temps de travail. 57 % y étaient favorables en 1996, ils ne sont plus que 27 % en 2006, soit un niveau très proche de celui de 2016. L’évolution de l’opinion sur ce sujet particulier s’explique avant tout par les difficultés de mise en œuvre des 35 heures au tournant des années 2000 et non pas par les discours sarkozystes sur le « travailler plus pour gagner plus ».</p>
<p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Analyse_en_composantes_principales">Une analyse statistique</a> (ACP) permet d’identifier deux logiques d’opinion. La plus fréquente consiste à vouloir à la fois dépenser moins, assouplir les réglementations et soutenir l’économie. C’est une logique maximaliste, qui veut « tout et son contraire ». La seconde, au contraire, est plus sélective : elle consiste à être très favorable à un soutien public à l’emploi, y compris par la réduction du temps de travail, mais elle ne cherche pas la réduction des dépenses publiques, ni l’assouplissement des régulations. Tous les individus ne sont donc pas paradoxaux, mais c’est bien cette tendance qui domine dans les résultats.</p>
<h2>Davantage de dépenses pour l’État-providence mais aussi pour l’État régalien</h2>
<p>D’autres résultats confirment les attentes paradoxales de l’opinion à l’égard de leurs gouvernements. Sur huit grands domaines de dépenses publiques pris en compte, on en trouve six pour lesquels de fortes majorités souhaitent soit une augmentation des dépenses, soit leur maintien. Ce n’est que pour le domaine culturel et les allocations de chômage qu’environ 40 % des individus appellent à des réductions de dépenses.</p>
<p>Par contre, des majorités substantielles veulent davantage de dépenses pour la santé, l’éducation, les retraites – trois grands domaines traditionnels d’action de l’État-providence. Par rapport à 1996, il y a même nettement plus de personnes souhaitant une augmentation des retraites et des dépenses de santé (respectivement +16 et +10 points).</p>
<p><strong>Faut-il dépenser plus ou moins selon les secteurs de l’action gouvernementale ?</strong></p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/191603/original/file-20171024-30561-2i05g4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/191603/original/file-20171024-30561-2i05g4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/191603/original/file-20171024-30561-2i05g4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/191603/original/file-20171024-30561-2i05g4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/191603/original/file-20171024-30561-2i05g4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=246&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/191603/original/file-20171024-30561-2i05g4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=246&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/191603/original/file-20171024-30561-2i05g4.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=246&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>Concernant les dépenses de l’État régalien, la tendance n’est pas, non plus, aux économies. Le souhait de sécurité – dans une conjoncture de menaces liées soit à la criminalité, soit au terrorisme – pousse à développer ou à maintenir le budget de la police. Les souhaits de progression des dépenses militaires sont même en forte hausse (de 7 à 27 % entre 1996 et 2016), ce qui peut s’expliquer de deux manières complémentaires. En 1996, dans un contexte de sortie de la Guerre froide, il semblait raisonnable de réduire les dépenses militaires. Depuis, l’<a href="https://theconversation.com/larmee-de-terre-a-besoin-de-vous-56079">image de l’armée est devenue beaucoup plus positive</a> : elle apparaît comme contribuant à la paix mondiale et assurant des fonctions humanitaires, alors qu’elle était autrefois souvent considérée, notamment à gauche, comme le symbole de la domination coloniale.</p>
<p>La part de personnes souhaitant plus de dépenses pour l’environnement avait augmenté sensiblement entre 1996 et 2006 (+11 points), mais on a assisté dans la dernière décennie à un retour aux chiffres initiaux, alors que les problèmes environnementaux ne sont pas moins présents à l’agenda politique.</p>
<h2>Quel périmètre pour l’action gouvernementale ?</h2>
<p>Une troisième question permet de bien appréhender le périmètre de l’action gouvernementale et, par voie de conséquence, les nombreux domaines dans lesquels des politiques ambitieuses – et souvent très coûteuses – sont attendues. Pour 11 grands objectifs, il est demandé aux Français s’ils doivent ou non incomber au gouvernement. Réponse : tous ces objectifs sont perçus comme relevant de la responsabilité gouvernementale. Pour la moitié d’entre eux, un quasi-consensus est même manifeste : le gouvernement est responsable des politiques sociales, devant assurer à tous des moyens d’existence, et donc soutenir tout particulièrement les plus défavorisés.</p>
<p><strong>Responsabilités incombant (tout à fait ou probablement) au gouvernement</strong></p>
<figure class="align-center ">
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<p>Au niveau des grands principes, les Français font donc preuve de beaucoup de générosité et souhaitent que le gouvernement mette en œuvre ces politiques sociales. Mais le citoyen n’en tire pas toujours les conséquences qui en découlent. En effet, un tel programme ne peut probablement pas être tenu sans des augmentations d’impôts – ce qui n’est guère populaire.</p>
<h2>Des impôts trop élevés… sauf pour les plus riches</h2>
<p>L’enquête pose trois questions pour apprécier si les impôts sont trop ou pas assez élevés, non pas dans l’absolu mais selon que les ménages ont des revenus élevés, moyens ou bas.</p>
<p><strong>Adéquation du niveau d’impôts au niveau de revenu</strong></p>
<figure class="align-center ">
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<p>Les résultats sont très instructifs. À l’égard des hauts revenus, 39 % des Français estiment que leurs impôts sont trop faibles, alors que trois Français sur quatre veulent réduire les écarts de revenus entre riches et pauvres (selon un tableau antérieur). L’inégalité choque, mais elle ne conduit pas toujours au souhait de mettre en place des solutions concrètes pour les amoindrir.</p>
<p>Plus révélateur encore : 76 % des Français jugent que ceux qui ont des revenus moyens subissent une pression fiscale trop forte alors que pour les bas revenus, seulement un Français sur deux trouve qu’ils payent trop d’impôts. 13 % les trouvent même trop faibles ! Ces chiffres s’expliquent par le grand nombre de personnes se sentant appartenir aux classes moyennes et défendant leurs intérêts.</p>
<p>Les évolutions constatées sur ces questions depuis 20 ans sont sensibles, l’opinion étant moins réceptive qu’avant à la redistribution fiscale. Ainsi, en 1996, 72 % des interviewés trouvaient que la pression fiscale était trop forte pour les bas revenus. La célèbre phrase d’Alphonse Allais – « Il faut demander plus à l’impôt et moins au contribuable ! » – est toujours d’actualité.</p>
<h2>Pressions contradictoires</h2>
<p>S’il est cohérent avec la volonté de réduire les dépenses de l’État, ce souhait de baisse des impôts ne l’est pas avec le fort soutien exprimé vis-à-vis des politiques sociales et à l’État-providence. Le paradoxe est fort mais se comprend assez bien. Ce n’est, au fond, que l’une des nombreuses situations de pressions contradictoires qu’on peut observer dans la vie sociale.</p>
<p>En fonction de la compétition économique internationale et du niveau atteint par les dépenses publiques, en fonction aussi de l’importance des déficits accumulés, les pressions pour réduire les dépenses sont nombreuses, aussi bien sur les gouvernants que sur l’opinion. Mais, étant donné le niveau d’exigence des citoyens et de leurs organisations sur la qualité de vie à laquelle chacun estime avoir droit, la nécessité d’introduire de nouvelles dépenses se fait sentir.</p>
<p>Ces pressions contradictoires se repèrent non seulement dans l’opinion mais aussi au niveau gouvernemental lorsque le ministère de l’Économie incite à des coupes budgétaires tandis que l’ensemble des autres ministres essaie de justifier des hausses pour leur secteur. Et la régulation par le premier ministre ou le Président est toujours très délicate, comme les arbitrages sur le budget 2018 le montrent. Le niveau très élevé des attentes citoyennes à l’égard de gouvernants qui n’ont souvent pas les moyens de les satisfaire explique – au moins, en partie – les fortes déceptions à l’égard des responsables politiques.</p>
<hr>
<p><em>L’enquête ISSP est pilotée en France par le CNRS depuis le <a href="https://www.pacte-grenoble.fr/content/accueil">laboratoire de sciences sociales PACTE</a>, avec le soutien de la <a href="http://www.progedo.fr/">TGIR PROGEDO</a> et de l’<a href="https://www.cmh.ens.fr/greco/adisp.php">ADISP/CMH</a>. Elle porte chaque année sur un sujet différent mais répliqué environ tous les 10 ans. Échantillon aléatoire auto-administré postal. 1 501 réponses recueillies entre février et juin 2016. Résultats détaillés des enquêtes annuelles sur <a href="http://www.issp-france.fr">issp‑france.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86198/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Bréchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’analyse des résultats d’une large enquête sur les attentes de l’opinion en matière de politique économique met en lumière les aspirations contradictoires des Français.Pierre Bréchon, Professeur émérite de science politique, Sciences Po Grenoble, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/778442017-05-28T20:38:20Z2017-05-28T20:38:20ZRéformes du temps de travail : le retour de l’irrésistible tentation de « l’oisiveté » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/170834/original/file-20170524-31359-1ohfrwt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les engrenages du temps.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/temps-la-m%C3%A9canique-gear-engrenages-2051411/">Pixabay</a></span></figcaption></figure><p>L’histoire des réformes du temps de travail en France est un long parcours : la législation relative à la durée du travail a évolué par grandes étapes [<a href="http://bit.ly/2rTWFVw">Barthelemy, 1998</a>]. On pense notamment à l’année 1936 marquée par la mise en œuvre des 40 heures et la création des congés payés. Puis l’année 1982 correspond, elle, à la mise en place des 39 heures. Le temps libéré pour les salariés permet de <a href="http://bit.ly/2qPdO4W">s’adonner aux loisirs</a> et de trouver le repos bien mérité par les travailleurs. L’objectif politique est de leur <a href="http://bit.ly/2qjYl9N">donner du temps</a>.</p>
<p>En 1993, changement de décor, Pierre Larrouturou crée le <a href="http://bit.ly/2qfOtPe">Comité d’action pour le passage rapide aux 4 jours sur 5</a> (Cap 4J/5), il prône le principe du partage du travail. Il s’agit alors de « travailler moins pour travailler tous » (<a href="http://bit.ly/2qWfyI0">Aznar, Gorz, 1993</a>). Le travail à vie, à temps plein serait fini. Cette proposition prend aujourd’hui tout son sens prospectif. L’idée n’est plus de donner du temps aux salariés mais de développer un projet social novateur qui propose à chaque individu d’équilibrer sa participation entre un système productif et un espace de liberté.</p>
<h2>Une lente évolution de la réglementation</h2>
<p>Au plan normatif les problématiques d’aménagement et de réduction du temps de travail ont été traitées en plusieurs étapes : la <a href="http://bit.ly/2qgjRNe">loi quinquennale de 1993</a> et les <a href="http://bit.ly/2qPpeGb">lois Aubry</a> de 1998 et 2000. Viennent ensuite la loi TEPA de 2007 et enfin la loi travail de 2016.</p>
<p>La loi quinquennale N° 93-1313 du 20 décembre 1993 relative au travail, à l’emploi et à la formation professionnelle, quant à elle, prévoit que</p>
<blockquote>
<p>« à titre expérimental, lorsque les conventions ou accords d’entreprises ou d’établissements fixent un nouvel horaire collectif de travail annualisé, que celui-ci a pour effet de réduire la durée initiale de travail d’au moins 15 p. 100 et que la nouvelle organisation du temps de travail s’accompagne d’une réduction de salaire, la convention ou l’accord peut ouvrir droit, pendant trois ans, à une compensation partielle par l’État des cotisations sociales à la charge de l’employeur. »</p>
</blockquote>
<p>Les lois dites « Aubry » (loi n° 98-461 du 13 juin 1998, JO du 13 et loi n° 2000-37 du 19 juin 2000 JO du 20), toutes deux suivies de nombreux décrets prévoient à partir du 1<sup>er</sup> février 2000 pour les entreprises de plus de 20 salariés et 1<sup>er</sup> janvier 2002 pour les autres, une durée légale hebdomadaire du travail abaissée de 39 heures à 35 par semaine soit 1600 heures par an. Une circulaire d’explication de plus de 200 pages, (<a href="http://bit.ly/2qkd6cx">circulaire du 3 mars 2000</a>) tente d’en clarifier le contenu (<a href="http://bit.ly/2pVsZWR">Richevaux 2001</a>)</p>
<p>Les très grandes possibilités de flexibilité alors offertes par la loi doivent permettre de compenser le coût des périodes non travaillées. En effet,</p>
<blockquote>
<p>« la caractéristique principale de la presque totalité des accords conclus en application des lois relatives à la réduction du temps de travail réside dans une nouvelle organisation du travail. » (<a href="http://bit.ly/2qc4kSH">Bloch-London, 2000</a>)</p>
</blockquote>
<h2>Du débat des « heures sup » à la loi travail</h2>
<p>Par la suite, les promesses de campagne du candidat Nicolas Sarkozy qui proposait de « travailler plus pour gagner plus » sont mises en œuvre avec la <a href="http://bit.ly/2rQbeKz">loi TEPA</a> (loi sur le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat). Instaurée en octobre 2007, la loi TEPA instaure une défiscalisation des heures supplémentaires, dans le but d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés.</p>
<p>La rémunération des heures supplémentaires et complémentaires (pour les travailleurs à temps partiel) est en effet alors exonérée d’impôt et de cotisations salariales de sécurité sociale.</p>
<p>Dans les entreprises d’au moins 20 salariés, le salaire correspondant à des heures supplémentaires est majoré de 25 %. Les entreprises bénéficient d’une réduction forfaitaire des cotisations sociales portant sur les heures supplémentaires.</p>
<p>Cette loi est abrogée par le gouvernement de François Hollande dès son installation : dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, les rémunérations perçues au titre des heures supplémentaires et complémentaires effectuées depuis le 1<sup>er</sup> septembre 2012 n’ouvrent plus droit à la réduction de cotisations salariales. Seules les entreprises de moins de 20 salariés conservent une déduction de cotisations patronales.</p>
<p>La <a href="http://bit.ly/2i2uan1">loi travail publiée en août 2016</a> a instauré la prépondérance de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche en matière de temps de travail, de congés ou d’heures supplémentaires. Ainsi, quand une négociation concernant la durée du travail donne lieu à un accord majoritaire dans une entreprise, celui-ci prime sur les accords de branche. La durée légale du travail reste fixée à 35 heures, mais un accord d’entreprise peut prolonger la durée du travail de 44 à 46 heures sur 12 semaines.</p>
<p>La loi Travail prévoit également que les salariés puissent être consultés par référendum pour approuver un accord d’entreprise.</p>
<h2>Et maintenant, quels changements ?</h2>
<p>Le <a href="http://bit.ly/2oSh2R8">programme du candidat Macron</a> prévoyait un maintien de la durée légale du travail à 35 heures. Cependant il souhaitait, dans la droite ligne de la loi travail déjà promulguée, permettre aux entreprises d’y déroger grâce à des <a href="http://bit.ly/2qWmvZL">« accords négociés majoritaires</a> » au niveau des branches ou des entreprises afin de « négocier d’autres équilibres ». La mesure pourrait permettre, par exemple, aux jeunes de travailler plus de 35 heures et aux seniors de travailler 30 ou 32 heures par semaine.</p>
<p>Actuellement pour mémoire, la durée légale hebdomadaire demeure de 35 heures (seuil de déclenchement des heures supplémentaires) et 1 607 heures annuelles (incluant la journée de solidarité créé en 2004).</p>
<p>Ces évolutions successives interrogent sur le sens et la place de la <a href="http://bit.ly/2qbXnRS">notion de temps de travail</a>. Il semblerait qu’il s’agisse d’une variable d’ajustement. La réglementation relative au temps de travail évolue avec la société : conjoncture économique, place des loisirs et de la famille, <a href="https://theconversation.com/perte-didentite-au-travail-et-identite-sociale-71915">valeur travail</a>. Limiter le temps de travail libère le salarié pour <a href="http://bit.ly/2hCqmXs">vaquer librement à d’autres occupations</a>. Le temps moyen travaillé en France reste supérieur à 35 heures (<a href="http://bit.ly/2rpl7xU">37,5 heures en moyenne</a>). Laisser s’installer l’<a href="http://bit.ly/2rzTYft">oisiveté</a> en diminuant le temps de travail en réponse à une problématique économique pose notamment la question de l’implication de chacun dans son entreprise, mais dans la société également !</p>
<p>Le président Macron et son gouvernement se sont d’ores et déjà attelés à la réforme du Code du travail. Cette réforme se ferait par ordonnances. La loi travail avait déjà consacré la « primauté » donnée aux <a href="http://bit.ly/2qWlCjK">accords majoritaires d’entreprise</a>, en ce qui concerne le temps de travail. Ce principe devrait perdurer et s’étendre aux conditions de travail et à la gestion des heures supplémentaires. <strong>Désormais, en matière de temps de travail, le chef d’entreprise devrait être le maître en son royaume.</strong></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77844/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Retour sur la chronologie des réformes du temps de travail en France à la veille d’une nouvelle discussion sur le sujet.Caroline Diard, Enseignant-Chercheur en Management des Ressources Humaines - Laboratoire Métis, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/732362017-02-22T19:57:30Z2017-02-22T19:57:30ZTélétravail et burn-out<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/157972/original/image-20170222-6419-1tkle1s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Épuisé…</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/barkbud/4906055297/in/photolist-tXXtM-8twPji-svNmwi-8c4zTj-ecT4A2-e2fQKB-PP2wp-c2pVfj-5tZnt-8hx9M8-hhUPwu-aBHUMN-4Zpxkm-3KvR2u-QpQZ2x-6ZNMXt-dGdVd4-4bvKPC-323xvh-dDamPj-pAsSzv-baV5CX-73PtQa-9pYjDn-7ECipM">Bark/Flickr </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Les députés s’intéressent de près à la notion de burn-out et sa reconnaissance en tant que maladie professionnelle, suite au Rapport d’information déposé par la commission des affaires sociales, en conclusion des travaux d’une mission d’information relative au <a href="http://bit.ly/2lb0HXt">syndrome d’épuisement professionnel</a> (burn-out) remis le 15 février 2017 par MM. Yves Censi et Gérard Sebaoun. Le but serait de faciliter la reconnaissance du burn-out en maladie professionnelle et de créer une <a href="http://bit.ly/2leGPV2">agence nationale de la santé psychique au travail</a> pour mieux cerner cette réalité du travail.</p>
<h2>Le burn-out au cœur des débats</h2>
<p>En 2015 déjà, la <a href="http://bit.ly/29yBUen">loi relative au dialogue social et à l’emploi</a>, dite loi Rebsamen, en son article 27 a consacré la reconnaissance des pathologies psychiques comme maladies professionnelles au niveau de la loi en modifiant l’article L461-1 du code de la sécurité sociale, précisant que « les pathologies psychiques peuvent être reconnues comme maladies professionnelles ».</p>
<p>Le <a href="http://bit.ly/2m4N1x4">décret du 7 juin 2016</a> vient quant à lui mettre en place des mesures permettant de renforcer l’expertise médicale pour la reconnaissance des pathologies psychiques et précise les modalités applicables aux dossiers concernés.</p>
<p>L’épuisement professionnel n’est malheureusement pas encore reconnu dans le tableau des maladies professionnelles. Seuls des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles peuvent statuer (au cas par cas). Le dispositif est donc insuffisant, d’où les <a href="http://bit.ly/2m17zdq">débats actuels</a>. Le programme du <a href="http://bit.ly/1Ts0ImP">candidat Hamon</a>, prévoit d’ailleurs une reconnaissance du burn-out.</p>
<h2>Le burn-out en bref</h2>
<p>Le burn-out est défini ainsi dans un guide proposé par le <a href="http://bit.ly/1Kz6SNw">ministère du Travail</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le syndrome d’épuisement professionnel se traduit donc à la fois par une érosion de l’engagement (en réaction à l’épuisement), une érosion des sentiments (à mesure que le cynisme s’installe) et une érosion de l’adéquation entre le poste et le travailleur (vécue comme une crise personnelle) ».</p>
</blockquote>
<p>Le terme <em>burn-out</em> représente à l’origine une construction sociale et scientifique apparue dans les années 1970, pour décrire l’épuisement au travail de professionnels de l’aide et du soin. Fortement documenté dans le domaine de la psychologie sociale, il a été conceptualisé pour la première fois par le psychiatre américain <a href="http://bit.ly/2l0ve9D">Freudenberger en 1974</a>.</p>
<p>Le burn-out peut conduire à un stress extrême, un épuisement, une dépression. Le collaborateur va alors multiplier les arrêts de travail.</p>
<h2>Des responsabilités partagées</h2>
<p>La prévention peut se faire au niveau de la médecine du travail. Malheureusement, celle-ci demeure souvent impuissante surtout depuis la réforme apportée par la loi travail qui a porté la périodicité des visites de suivi de 2 à 5 ans. Le manager quant à lui, s’il est en mesure de détecter le moindre signe avant-coureur devra alerter le service RH.</p>
<p>Les 35 suicides au sein de France Telecom en 2008/2009 ont conduit les pouvoirs publics au lancement d’un plan d’urgence pour la prévention du stress au travail en octobre 2009. Une prise de conscience managériale devient nécessaire. L’employeur engage d’ailleurs sa responsabilité lorsqu’un salarié est victime d’un burn-out lié à la dégradation de ses conditions de travail dans l’entreprise, ce que confirme la Cour de cassation (<a href="http://bit.ly/2m4Qb4i">Cass. soc 13 mars 2013 n° 11-22082</a>).</p>
<p>Il est alors intéressant de rappeler que dans le cadre du contrat de travail, l’employeur est tenu à une obligation de sécurité (obligation de résultat prévue à l’article L 4121-1 du Code du travail). Il doit donc prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.</p>
<h2>Le télétravail une fausse bonne idée ?</h2>
<p>Le mal-être au travail prend parfois des dimensions déraisonnables, voire dramatiques. Certains collaborateurs souffrent de trop de sollicitations et de pression. Les risques psychosociaux sont souvent identifiés mais le burn-out inquiète et peine alors à être reconnu par la hiérarchie.</p>
<p>Les services RH doivent donc mettre en œuvre des outils pour protéger les salariés. Parmi les nouveaux modes d’organisation, on évoque souvent le télétravail, qui permettrait de mettre la distance nécessaire à une relation de travail plus serein et réduirait le stress lié aux transports. En effet, ce mode d’organisation du travail permet au collaborateur de jouir d’une autonomie dans ses missions, de diminuer les temps de trajet. L’Accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 dans son article premier donne d’ailleurs du télétravail la définition suivante :</p>
<blockquote>
<p>« Le télétravail est une forme d’organisation et/ou de réalisation du travail, utilisant les technologies de l’information, dans le cadre d’un contrat de travail et dans laquelle un travail, qui aurait également pu être réalisé dans les locaux de l’employeur, est effectué hors de ces locaux de façon régulière ».</p>
</blockquote>
<p>Le collaborateur effectue ses missions à distance, au moyen d’outils mis à sa disposition.</p>
<p>Ces collaborateurs peuvent subir un stress « technologique » liés à la relation à distance et aux outils numériques mis à la disposition pour l’entreprise. Le télétravailleur est isolé et la solitude engendrée peut dans des cas extrêmes provoquer un sentiment <a href="http://bit.ly/1SREcmx">d’exclusion et un stress</a>.</p>
<p>Les <a href="http://bit.ly/2leDFAu">contraintes fortes</a>, la transformation de la nature du travail avec une relation homme/technologie souvent intrusive, peuvent aboutir au développement de risques psychosociaux. Investi dans ses missions professionnelles, le salarié peut être tenté d’empiéter sur sa vie privée pour terminer son travail, et réciproquement.</p>
<p>Le risque de burn-out apparaît alors s’il ne parvient pas à se mettre des limites dans une activité. En effet, s’octroyer le droit de se surcharger de travail peut engendrer un burn-out (source <a href="http://bit.ly/2ljAzKa">CARSAT</a>).</p>
<p>Le télétravailleur doit donc avoir les moyens de répartir son temps entre les diverses tâches qu’il a à accomplir dans le cadre de son travail et sa vie personnelle. En effet, bien qu’il soit distant de l’entreprise il reste soumis aux limites légales imposées par le Code du travail (10h par jour, 48 heures par semaine au maximum, 44 heures en moyenne sur douze semaines) et au repos quotidien minimal de 11 heures. Les télétravailleurs d’eux-mêmes ont tendance à rallonger leur temps de travail. Il est donc important que le salarié conserve une certaine liberté dans la gestion de son temps, tout en veillant à ce qu’il respecte des temps de repos et distingue bien les temps privés et professionnels.</p>
<p>Le télétravail sera donc un outil de réduction du stress, uniquement si la déconnexion est effectuée et que la frontière vie-professionnelle/vie-personnelle est <a href="http://huff.to/2kGZrt8">claire et respectée</a>.</p>
<p>Créer un espace de travail dédié (certains travaux montrent que l’absence d’un espace dédié au télétravail au sein du domicile est facteur d’augmentation des heures travaillées (<a href="http://bit.ly/1x1JkM1">Metzger et coll., 2004</a>)) ; organiser des contacts réguliers avec le télétravailleur, garantir un environnement de travail conforme (éclairage, ergonomie) ; scinder les temps de vie seront des préalables nécessaires pour que le télétravailleur ne soit pas exposé au stress ambiant de l’entreprise et ne subisse pas un burn-out comme ses collègues restés au bureau.</p>
<p>En cas de doute, on sollicitera le CHSCT (Comité d’Hygiène, Sécurité et Conditions de Travail) sur le sujet du télétravail afin d’apporter les corrections nécessaires à un environnement de travail apaisé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/73236/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Caroline Diard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Certains collaborateurs souffrent de trop de sollicitations et de pression. Le télétravail, permettrait-il de mettre la distance nécessaire à une relation de travail plus sereine ?Caroline Diard, Enseignant-Chercheur en Management des Ressources Humaines - Laboratoire Métis, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/724812017-02-07T20:42:37Z2017-02-07T20:42:37ZLes 32 heures pour tous : une séduisante impasse<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/155666/original/image-20170206-18980-rpzzks.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Réduction du temps de travail ? Quand c'est flou…</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/gregloby/2998398479/in/photolist-5yXzpv-zsKYE-5REieo-8f5HY-7ahF1E-pEaakk-b7v1jz-6dnAsx-bxKGN7-qzYKXe-C5aB1-dFtUSv-4fuRq6-9c9zQV-4V2qfM-8Qqwfa-9LJ8AX-bSmSF-5249Yn-6rHe61-iXtik-5YcndJ-frqSbo-guvmmt-6uL6gp-Fgy9eu-xko9G-dNLEgF-9si35E-64KEcM-ddadLy-GYaAQ-3JkmrD-34PuwH-ag2bac-j5w5y-8KhFAN-bnxMTK-FVdSWD-zrVU8-dm71py-yzkpu-d842X-vUkfi-8VbtYs-9hqzj6-4xVNCm-5zDJ6E-9CkYb9-hXjYS">Greg Lobinski / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>La durée du temps de travail a donné lieu à des débats nourris à la fin des années 1990, qui ont abouti aux Lois Aubry de 1998 et 2000. Leur mise en œuvre a été difficile : certains secteurs, comme celui de la santé ont beaucoup souffert des désorganisations induites par des mesures mal adaptées au contexte, quand nombre de grandes entreprises en ont <a href="http://www.ecole.org/fr/seance/1089-comment-penser-le-temps-de-travail-quinze-ans-apres-les-lois-aubry">plutôt tiré avantage</a> en se réorganisant en profondeur, et renvoyant en dehors du temps de travail les pauses et diverses facilités données au personnel. Elles ont en tout cas popularisé les jours de RTT, auxquels les Français ne semblent pas près de renoncer.</p>
<p>Au cours des années 2000, il semblait que les 35 heures allaient être progressivement érodées. Si les candidats aux élections de 2007 et 2012, puis ceux qui ont été élus, n’ont pas osé les supprimer, des dispositifs variés ont permis de les contourner, les 35 heures devenant un repère conventionnel autour duquel les entreprises pouvaient jouer sous réserve de négociations en interne. À l’occasion de l’élection présidentielle 2017, il se pourrait que les 32 heures viennent à l’ordre du jour : elles ont été évoquées dans le débat du second des primaires socialistes, et surtout elles risquent de séduire une part de l’opinion, qui rêve de remèdes radicaux pour lutter contre le chômage.</p>
<h2>Les 32 heures, ou la séduction de la règle de trois</h2>
<p>Un récent ouvrage de Pierre Larrouturou et Dominique Méda, <a href="http://www.editionsatelier.com/index.php?page=shop.product_details&flypage=bookshop-flypage.tpl&product_id=667&category_id=47&option=com_virtuemart&Itemid=8"><em>Einstein avait raison, il faut réduire le temps de travail</em></a> défend l’avantage qu’il y aurait de passer aujourd’hui aux 32 heures. Il montre tout d’abord de façon impressionnante, et pertinente, les dégâts du chômage ; mais la variété des situations et des drames est noyée sous les données “macro”. On s’habitue en effet au chômage, ou du moins à n’en parler qu’à travers l’évolution d’un chiffre de publication mensuelle, ce qui conduit à des “traitements” statistiques variés, comme des programmes de formation bâclés pour caser des chômeurs, ou aux accusations à l’endroit de certains chômeurs de profiter du système en renonçant à chercher un emploi, alors qu’ils sont peut-être désespérés. Quant à la croissance, on comprend de plus en plus que c’est une illusion, même si les (macro)-économistes classiques et les politiques continuent à la scruter : comme il faut rassurer, on invoque encore la croissance, faute de mieux.</p>
<p>Le livre montre aussi que, derrière les chiffres officiels du chômage en Allemagne ou aux États-Unis, se trouvent une multitude de travailleurs pauvres (en Allemagne) ou un nombre croissant de personnes renonçant à chercher un travail (aux Etats-Unis). Le Brexit, le vote Trump, et d’autres surprises électorales sans doute à venir, pourraient en être des conséquences.</p>
<p>Le travail n’est pas seulement un moyen de subsistance, mais aussi un moyen de socialisation, de reconnaissance et même d’épanouissement. Il conviendrait alors pour les auteurs qu’il soit mieux réparti, d’autant que certains travaillent beaucoup trop ou subissent une forte pression : la productivité des Français est parmi les meilleures du monde, mais cela se paye physiquement et psychologiquement, selon les auteurs. Passer aux 32 heures serait alors un moyen de redistribuer du travail sur une large échelle.</p>
<p>Il faut bien sûr que l’État indemnise les entreprises pour que le bilan ne leur soit pas négatif, mais aussi qu’il vérifie que les entreprises subventionnées procèdent bien aux embauches proportionnelles. La deuxième loi Aubry, de 2000, a renoncé à mettre en place les contrôles pour vérifier que les entreprises embauchent effectivement, et certaines ont pris une subvention publique pour réduire le temps de travail, sans embaucher pour autant : c’est très pratique quand on est en sous-charge de travail.</p>
<p>Les auteurs avancent que cette transition est possible, en citant 400 entreprises qui sont en train de le faire, et calculent qu’on pourrait ainsi créer de l’ordre de deux millions d’emplois.</p>
<p>La thèse est séduisante parce qu’elle est bien menée, mais je voudrais montrer que ce remède pourrait être pire que le mal : on traite les entreprises de façon beaucoup trop homogène, en n’utilisant que deux outils de raisonnement, la règle de trois et la moyenne.</p>
<h2>Secteurs exposés et secteurs abrités, les limites de la règle de trois</h2>
<p>Les entreprises sont en effet loin d’être dans une situation homogène. Pierre-Noël Giraud propose, dans son livre <a href="http://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/homme-inutile_9782738133113.php"><em>L’homme inutile</em></a>, une analyse très éclairante de la globalisation en distinguant les producteurs de biens et services <em>nomades</em> (ou exposés) et ceux de biens et services <em>sédentaires</em> (abrités). Les premiers sont en concurrence avec les producteurs d’autres territoires et disparaissent s’ils ne sont plus compétitifs.</p>
<p>Du point de vue des producteurs exposés, le passage à la semaine de quatre jours serait catastrophique par rapport à leurs concurrents, même si l’État leur donnait des subventions compensatoires (qui seraient probablement retoquées par Bruxelles). Nous avons pu par exemple voir dans de nombreuses séances de l’École de Paris du management, notamment dans un cycle dédié <a href="http://www.ecole.org/fr/seminaires/13-aventures-industrielles">aux PME et ETI exportatrices</a>, que les producteurs nomades travaillent beaucoup pour faire face à la concurrence, sans en être pour autant malheureux. Ils ne vivent pas l’enfer des gains de productivité décrit par les auteurs. Tant qu’ils sont dans une dynamique de conquête, ils se sentent gratifiés. Par ailleurs, nombre de PME et ETI très exportatrices que nous avons étudiées souffrent d’une pénurie de main-d’œuvre, surtout d’ouvriers, qui arrive à bloquer leur croissance, sauf à aller chercher du personnel à l’étranger ou à s’implanter ailleurs. Il est donc normal que les entreprises du secteur exposé soient vent debout contre le passage à 32 heures.</p>
<p>En revanche, ce système peut se défendre pour les entreprises sédentaires : elles ne sont pas en concurrence avec l’extérieur, et pourraient se prêter à un partage du travail avec des dédommagements appropriés. On pourrait donc suggérer de mettre en œuvre la mesure seulement pour les secteurs protégés. Il y a d’ailleurs une bonne nouvelle pour cette thèse dans les résultats <a href="https://theconversation.com/mondialisation-distinguons-les-emplois-exposes-des-emplois-abrites-64707">d’une recherche de Philippe Frocrain et PN Giraud</a> : les emplois des secteurs exposés ne correspondent qu’à 27 % du total. Il en reste donc 73 % de non-exposés.</p>
<h2>L’État peut-il être agile et schizophrénique ?</h2>
<p>Mais voilà, on ne sait pas clairement distinguer les entreprises exposées des entreprises protégées, et l’appareil statistique de l’Insee n’est pas prévu pour cela. Comment répartir sans injustice entre les entreprises qui peuvent augmenter leur temps de travail pour cause de concurrence mondiale, et celles invitées à organiser un partage du travail (ou sommées de le faire) ?</p>
<p>Il faudrait que l’État soit capable de devenir schizophrène en traitant :</p>
<ul>
<li><p>comme des “guerriers” les membres des secteurs exposés, en allégeant leurs charges et en assouplissant les contrats de travail pour qu’ils ne se battent pas “les boulets aux pieds” ; il faut en effet que ce secteur tienne, et même se développe, car il conditionne la balance de nos échanges extérieurs et a un effet d’entraînement sur les emplois sédentaires ;</p></li>
<li><p>comme des “civils” les membres des secteurs abrités, en prônant notamment la solidarité, allant jusqu’au partage du travail.</p></li>
</ul>
<p>Mais, dans un pays tellement soucieux d’égalité, est-il possible de prescrire les 32 heures pour les uns et de le proscrire pour les autres ? On peut en douter.</p>
<p>Le plus sage serait sans doute de laisser le choix aux entreprises, en imposant à celles qui passent aux 32 h d’embaucher suffisamment. Imposer cette discipline n’est cependant pas simple, comme l’a montré la Loi Aubry 2. Cela risque fort de tourner à l’usine à gaz si l’on veut tout contrôler, ou à une politique molle si on s’en remet au volontariat des entreprises, qui ne se précipiteront pas forcément sur la formule.</p>
<p>À moins que l’effet de séduction des 32 heures soit tel sur l’opinion qu’on prône son application à toutes les entreprises. Cela pourrait avoir un effet dévastateur sur le secteur exposé, et multiplier les chômeurs dans un secteur qui tenait encore. Ou encore, si le gouvernement n’arrive pas à imposer cette règle à un secteur qui se défendra bec et ongles, cela promet une période chaotique.</p>
<h2>Explorer d’autres voies que de placer tout le monde dans les entreprises</h2>
<p>Cela veut-il dire qu’il ne faut rien faire pour lutter contre le chômage ? Certainement pas, mais il faudrait explorer d’autres voies, en prenant acte du fait que les entreprises ne pourront pas à elles seules résoudre le chômage, et qu’il faut développer d’autres formes d’organisations et créer d’autres types d’activités que les emplois marchands. Cela dépasse le cadre de cet article, mais j’ai déjà évoqué des pistes dans “<a href="https://theconversation.com/lutte-contre-le-chomage-depasser-la-myopie-des-economistes-62734">Lutte contre le chômage : dépasser la myopie des économistes</a>”, et je continue à explorer ces voies dans d’autres travaux parmi ceux menés par l’École de Paris du management.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/72481/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Berry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les 32 heures sont de retour dans le débat public. Une réforme qui pourrait être catastrophique pour le secteur exposé à la concurrence mondiale.Michel Berry, Fondateur et responsable de l'École de Paris du Management, Directeur de recherche, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.