tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/chretiente-24090/articleschrétienté – The Conversation2023-06-08T18:01:21Ztag:theconversation.com,2011:article/2061492023-06-08T18:01:21Z2023-06-08T18:01:21ZLes Grecs et les Romains aimaient-ils vraiment les orgies ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/530919/original/file-20230608-26-u0aff2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C632%2C418&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Helen Mirren dans le rôle de Caesonia (_Caligula_ de Tinto Brass, 1979).
</span> </figcaption></figure><p>Les orgies évoquent dans notre imaginaire l’Antiquité gréco-romaine, en raison de films plus ou moins érotiques mettant en scène des empereurs débauchés, ou encore du <em>Satyricon</em> de Fellini. Le terme est d’ailleurs utilisé aujourd’hui pour qualifier toutes sortes d’excès. L’orgie nous apparaît comme la célébration absolue des plaisirs de la chair, dans une société ancienne qui aurait été libre de tous carcans moraux. Mais qu’en était-il en réalité ?</p>
<h2>De l’<em>orgia</em> à l’orgie</h2>
<p>Le mot nous vient du grec <em>orgia</em>. Il désigne des rites pratiqués en l’honneur de divinités comme Dionysos dont le culte célèbre la régénération de la nature. Il s’agissait de cultes dits « à mystères », c’est-à-dire réservés à des initiés, hommes et femmes, qui s’étaient préalablement engagés à ne pas en divulguer les secrets.</p>
<p>Le terme <em>orgia</em> évoque une idée d’excitation et de passion. Les rites orgiaques, mal connus du fait même de leur statut mystérieux, pouvaient inclure la manipulation d’objets aux formes sexuelles, au cours de pratiques extatiques et violentes dont le but aurait été la <a href="https://www.arkhe-editions.com/magazine/le-mythe-de-lorgie-romaine/">recherche d’une ivresse collective</a>.</p>
<p>Cependant, ce n’est qu’à partir de la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, et au cours du XIX<sup>e</sup> siècle, notamment dans la littérature française, que l’orgie désignera des pratiques sexuelles en groupe, le plus souvent associées à des excès d’alcool et de nourriture. Flaubert évoque, dans son conte <em>Smarh</em>, en 1839, « Une fête de nuit, une orgie toute pleine de femmes nues, belles comme les Vénus ».</p>
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<img alt="Wikipedia" src="https://images.theconversation.com/files/530921/original/file-20230608-19-2hz6yb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530921/original/file-20230608-19-2hz6yb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530921/original/file-20230608-19-2hz6yb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530921/original/file-20230608-19-2hz6yb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530921/original/file-20230608-19-2hz6yb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530921/original/file-20230608-19-2hz6yb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530921/original/file-20230608-19-2hz6yb.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Femme et homme sur une banquette entre une joueuse de flûte et un serviteur. Céramique, VIᵉ siècle av. J.-C. Musée archéologique, Corinthe.</span>
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<h2>Des prostituées… et des poissons</h2>
<p>L’orgie à proprement parler n’est cependant pas une invention moderne. Les banquets mêlant plaisirs gustatifs et érotiques sont bien présents dans les textes antiques. Ainsi, au IV<sup>e</sup> siècle av. J.-C., l’orateur grec Eschine, dans <a href="https://remacle.org/bloodwolf/orateurs/eschine/timarque.htm">son plaidoyer contre Timarque</a>, accuse son ennemi d’avoir cédé aux « plus honteuses voluptés » et à « toutes les choses par lesquelles un homme libre et noble ne devrait pas se laisser déborder ».</p>
<p>Quels sont donc ces plaisirs interdits ? Timarque invite chez lui des joueuses de flûte et autres femmes vénales et banquette avec elles. Précisons que les flûtistes ne sont pas ici de simples artistes, uniquement convoquées pour leurs talents de musiciennes, mais aussi de jeunes prostituées susceptibles de satisfaire les demandes sexuelles des convives.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/530922/original/file-20230608-23-zx6m64.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/530922/original/file-20230608-23-zx6m64.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530922/original/file-20230608-23-zx6m64.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=270&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530922/original/file-20230608-23-zx6m64.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=270&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530922/original/file-20230608-23-zx6m64.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=270&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530922/original/file-20230608-23-zx6m64.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530922/original/file-20230608-23-zx6m64.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530922/original/file-20230608-23-zx6m64.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Banquet grec réunissant de jeunes hommes aguichés par une joueuse de flûte vêtue d’une tunique transparente. Cratère, vers 400 av. J.-C., Kunsthistorisches Museum, Vienne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">khm.at/de/objektdb/detail/58183</span></span>
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<p>De même que la location de courtisanes, la consommation de poissons très coûteux est tout particulièrement visée par les orateurs du IV<sup>e</sup> siècle av. J.-C. Démosthène associe ces deux facettes de la débauche dans son plaidoyer <em>Sur les forfaitures de l’ambassade</em>.</p>
<p>En 346 av. J.-C., la cité d’Athènes avait envoyé des ambassadeurs auprès du roi Philippe II de Macédoine qui menaçait militairement la Grèce. Mais le souverain avait corrompu certains des envoyés athéniens, afin qu’ils soutiennent ses ambitions impérialistes.</p>
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<p>Un des ambassadeurs, acheté par le roi de Macédoine, est accusé par Démosthène d’avoir dilapidé cet argent bien mal acquis en achetant « des prostituées et des poissons ». Un double délit de <a href="https://remacle.org/bloodwolf/orateurs/demosthene/ambassade.htm">gourmandise autant sexuelle qu’alimentaire</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/530923/original/file-20230608-17-217w5e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530923/original/file-20230608-17-217w5e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530923/original/file-20230608-17-217w5e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530923/original/file-20230608-17-217w5e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530923/original/file-20230608-17-217w5e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530923/original/file-20230608-17-217w5e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530923/original/file-20230608-17-217w5e.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Scène de banquet, fresque d’Herculanum, Iᵉʳ siècle apr. J.-C.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://simple.wikipedia.org/wiki/Orgy#/media/File:Herculaneum_Fresco_001.jpg">Wikimedia</a></span>
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<h2>Débauches romaines</h2>
<p>Les historiens romains décrivent eux aussi de somptueux festins, alliant sexe et nourriture. Dans les années 80 av. J.-C., c’est le dictateur Sylla qui aurait été le premier chef politique organisateur à Rome de beuveries sexuelles. Il en aurait importé le modèle depuis l’Orient grec où il avait mené une campagne militaire. Sylla buvait dès le matin avec des comédiennes, des musiciens et des mimes, <a href="https://remacle.org/bloodwolf/historiens/Plutarque/sylla.htm">raconte Plutarque (<em>Vie de Sylla</em> 36)</a>.</p>
<p>Les chorégraphies lascives étaient des activités complémentaires pratiquées par des courtisanes, de même qu’il n’était pas rare que des prostitués exercent le métier de mimes. Ils se tortillaient en simulant parfois des actes sexuels.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/530924/original/file-20230608-29-x35qui.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530924/original/file-20230608-29-x35qui.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530924/original/file-20230608-29-x35qui.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530924/original/file-20230608-29-x35qui.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=339&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530924/original/file-20230608-29-x35qui.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530924/original/file-20230608-29-x35qui.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530924/original/file-20230608-29-x35qui.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=426&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le festin de Trimalcion, scène du film de Fellini, <em>Satyricon</em>, 1969.</span>
</figcaption>
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<p>L’historien latin Suétone présente Tibère comme la figure même de l’empereur débauché. Dans son palais de Capri, il mettait en scène d’audacieux spectacles pornographiques. Il avait recruté une troupe de jeunes acteurs qui se livraient, sous ses yeux, à des accouplements nommés <em>spintriae</em>. Un terme latin, très probablement formé à partir du grec <em>sphinktèr</em> (« anus »), <a href="https://remacle.org/bloodwolf/historiens/suetone/tibere.htm">qui évoque des « enculades » en série (<em>Vie de Tibère</em> 43)</a>.</p>
<p>Caligula, successeur de Tibère, aurait, quant à lui, couché avec ses sœurs, sous le regard de ses invités (<em>Vie de Caligula</em> 24). A la fois incestueux et exhibitionniste, il aurait ainsi transgressé deux interdits en même temps. Il aurait aussi montré sa femme Caesonia à cheval, vêtue en guerrière, ou encore toute nue. Complice de son époux, l’impératrice aurait particulièrement apprécié <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/suetone/caligula.htm">ces séances spéciales</a>, car « elle était perdue de débauche et de vice » (<em>Vie de Caligula</em> 25).</p>
<p>Une vingtaine d’années plus tard, l’empereur Néron « faisait durer ses festins de midi à minuit », écrit Suétone (<em>Vie de Néron</em> 27). <a href="https://remacle.org/bloodwolf/historiens/suetone/neron.htm">Tous les sens devaient être satisfaits</a> au cours de ces longs banquets. C’était une symphonie de nourriture, musique et corps serviles, à voir ou à caresser, tandis que des esclaves faisaient pleuvoir des fleurs depuis le plafond de la salle et vaporisaient des parfums.</p>
<p>Au cours d’un festin de l’empereur Elagabal, vers 220 apr. J.-C., des convives seraient même morts étouffés <a href="https://remacle.org/bloodwolf/historiens/histaug/heliogabale.htm">« n’ayant pu parvenir à se dégager »</a>, si l’on en croit l’auteur de l’<em>Histoire Auguste</em> (<em>Vie d’Antonin Héliogabale</em> 21).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/530925/original/file-20230608-19-bqub2y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530925/original/file-20230608-19-bqub2y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530925/original/file-20230608-19-bqub2y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530925/original/file-20230608-19-bqub2y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530925/original/file-20230608-19-bqub2y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530925/original/file-20230608-19-bqub2y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530925/original/file-20230608-19-bqub2y.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Scène de banquet, fresque de Pompéi, Iᵉʳ siècle apr. J.-C.</span>
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<p>Mais ces banquets n’étaient pas plus fréquents dans l’Empire romain qu’ils ne le sont <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2020/08/12/sexe-et-pouvoir-le-cafardeux-rite-bunga-bunga-de-silvio-berlusconi_6048738_3451060.html">aujourd’hui</a>.</p>
<p>Il ne faut donc pas se méprendre sur la signification des descriptions orgiaques chez les auteurs antiques. Le but est toujours moral : <a href="https://theconversation.com/manger-boire-et-vomir-dans-la-rome-antique-153913">condamner la « débauche »</a>, au nom de la modération et de la tempérance.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/530926/original/file-20230608-29-5ifpyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530926/original/file-20230608-29-5ifpyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=465&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530926/original/file-20230608-29-5ifpyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=465&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530926/original/file-20230608-29-5ifpyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=465&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530926/original/file-20230608-29-5ifpyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=584&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530926/original/file-20230608-29-5ifpyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=584&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530926/original/file-20230608-29-5ifpyg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=584&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Banquet au palais de Néron, dessin d’Ulpiano Checa y Sanz (illustration du roman <em>Quo vadis ?</em> de Henryk Sienkiewicz), vers 1910.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Quo_vadis_%3F_(roman)#/media/Fichier:Banquet_in_Nero's_palace_-_Ulpiano_Checa_y_Sanz.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Dénonciation chrétienne</h2>
<p>La christianisation de l’Empire romain ne fera que renforcer cette perspective morale. On en trouve un bel exemple dans l’œuvre de <a href="http://www.clerus.org/clerus/dati/2004-05/14-6/S_DETAC7.html">Saint-Augustin</a> (<em>16<sup>e</sup> Sermon pour la décollation de Jean-Baptiste</em>).</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/530927/original/file-20230608-18-4ag98s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/530927/original/file-20230608-18-4ag98s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530927/original/file-20230608-18-4ag98s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530927/original/file-20230608-18-4ag98s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530927/original/file-20230608-18-4ag98s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=889&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530927/original/file-20230608-18-4ag98s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530927/original/file-20230608-18-4ag98s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530927/original/file-20230608-18-4ag98s.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1117&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Affiche du film <em>Babylon</em> (Damien Chazelle, 2022).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’évocation du banquet d’Hérode Antipas, gouverneur de la Galilée, et de ses amoncellements de victuailles y souligne la gloutonnerie des convives. S’y ajoute l’idée d’une luxure qui serait tout entière l’œuvre de Satan. Antipas demande à sa <a href="https://theconversation.com/salome-itineraire-dune-jeune-fille-impudique-155245">petite-nièce Salomé d’exécuter une danse</a>. La jeune fille maléfique, après avoir exhibé sa poitrine lors de sa chorégraphie effrénée, exige, pour salaire de ses charmes, la tête de Saint Jean-Baptiste servie sur un plat.</p>
<h2>De Rome à Babylone</h2>
<p>En rupture avec ces textes antiques, le film <em>Babylon</em> de Damien Chazelle (2022) donne à voir une <a href="https://madame.lefigaro.fr/celebrites/cinema/grandeur-decadence-orgies-et-magie-babylone-ou-la-declaration-d-amour-grandiose-de-damien-chazelle-au-cinema-20230116">immense scène d’orgie</a> sans pour autant s’inscrire clairement dans une perspective de condamnation morale.</p>
<p>C’est peut-être une des raisons pour lesquelles sa réception a été fortement contrastée, entre détracteurs dénonçant un film outrancier et admirateurs louant au contraire une <a href="https://www.marianne.net/culture/cinema/babylon-de-damien-chazelle-un-miracle-a-hollywood">miraculeuse « orgie visuelle »</a>.</p>
<hr>
<p>Christian-Georges Schwentzel est l’auteur de <a href="https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/nouveautes/debauches-antiques-christian-georges-schwentzel/"><em>Débauches antiques, comment la Bible et les Anciens ont inventé le vice</em></a>, éditions Vendémiaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206149/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans notre imaginaire, les orgies et l'Antiquité gréco-romaine sont indissociables, en raison de films plus ou moins érotiques mettant en scène des empereurs débauchés. Mais qu'en est-il en réalité?Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1835602022-05-29T15:32:24Z2022-05-29T15:32:24ZLes principaux enseignements des élections législatives libanaises<p>Le dimanche 15 mai 2022 se sont tenues les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/17/au-liban-percee-significative-de-l-opposition-aux-elections-legislatives_6126477_3210.html">élections législatives au Liban</a>, premier scrutin électoral depuis le début des <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/au-liban-le-mouvement-du-17-octobre-fait-le-bilan-1256751">contestations populaires</a>, le 17 octobre 2019.</p>
<p>Quels sont les principaux enseignements des résultats de ces élections ? Annoncent-elles un changement important dans le pays ? Avant de tenter de répondre à ces interrogations, il est nécessaire de revenir sur quelques caractéristiques pour mieux comprendre les spécificités politiques du Liban.</p>
<h2>Le poids du confessionnalisme et du clanisme</h2>
<p>D’une superficie de 10 452 km<sup>2</sup>, inférieure à celle de la région Île-de-France, le Liban est une république indépendante depuis 1943. Encadré par 376 km de frontières terrestres avec la Syrie sur ses façades nord et est, ainsi que 79 km avec Israël au sud, le territoire libanais a continuellement vu son destin dépendre de ses deux voisins, et d’autres puissances étrangères.</p>
<p>Le système politique du Liban, où coexistent dix-sept communautés religieuses, est <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2013-4-page-25.htm">basé sur le confessionnalisme</a>, conformément aux préceptes du Pacte national. Cet <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Pacte-National-libanais.html">accord non écrit</a> datant de 1943 indique que le président de la République doit être un chrétien maronite, le premier ministre un musulman sunnite et le chef du Parlement un musulman chiite.</p>
<p>Ce pacte est élargi en 1989 avec l’<a href="https://libnanews.com/liban-accords-de-taef-constitution/">accord de Taëf</a>. Marquant la fin de la guerre civile, celui-ci oblige le Parlement à être composé pour moitié de députés chrétiens, et pour l’autre moitié de députés musulmans. Les élections législatives se déroulent alors tous les quatre ans sous forme de quotas alloués proportionnellement à chacune des communautés des deux confessions, selon une <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2018-2-page-151.htm">loi électorale précise</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Liban : l’espoir d’un renouveau ? – Le Dessous des cartes (Arte, 18 mai 2022).</span></figcaption>
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<p>Trente ans après la fin de la <a href="https://www.linternaute.fr/actualite/guide-histoire/2576344-guerre-du-liban-resume-de-la-guerre-civile-de-1975-a-1990/">guerre civile</a>, les partis politiques traditionnels sont toujours dirigés par des personnes ayant participé à ce conflit, ou faisant partie de leurs familles. Ce partage clanique du pouvoir rend difficile tout changement politique important et accroît considérablement <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/corruption-au-liban-je-n-imaginais-pas-l-ampleur-de-ce-fleau-explique-la">toute sorte de corruption dans le pays</a>. Ainsi, les dernières élections législatives avant celles qui viennent d’avoir lieu ont été organisées en 2018 ; elles auraient dû se tenir en 2013 mais avaient été reportées durant cinq années de suite.</p>
<h2>Les enjeux des élections législatives du 15 mai 2022</h2>
<p>Puisqu’elles sont les premières depuis le début du mouvement contestataire en octobre 2019, ces élections étaient très attendues dans le pays. Face aux attentes suscitées ce mouvement, les principaux enjeux du scrutin se résumaient aux <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1290268/les-cinq-grands-enjeux-des-legislatives-libanaises.html">cinq principales interrogations suivantes</a> :</p>
<ul>
<li><p>Est-ce que le taux de participation sera-t-il plus important que lors des élections législatives précédentes ?</p></li>
<li><p>Quel sera le poids des forces issues du mouvement contestataire initié en octobre 2019 dans le nouveau Parlement ?</p></li>
<li><p>Une alliance politique obtiendra-t-elle la majorité absolue ?</p></li>
<li><p>L’équilibre des forces va-t-il être bouleversé à l’intérieur du camp chrétien ?</p></li>
<li><p>Comment va se structurer le camp sunnite après l’appel au boycott lancé par son principal parti, le Courant du Futur ?</p></li>
<li><p>L’ensemble des députés chiites seront-ils issus du Hezbollah et de ses alliés ?</p></li>
</ul>
<p>À travers la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/07/au-liban-debut-de-campagne-electorale-en-vue-des-legislatives_6121007_3210.html">campagne électorale</a> débutée début avril, les partis traditionnels, qui constituent jusqu’alors l’écrasante majorité des députés, toutes confessions confondues, ont voulu conforter leur légitimité. Face à ces partis traditionnels, les candidats issus de la contestation n’ont pas réussi à avancer unis, multipliant le nombre de listes concurrentes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1525828323401682949"}"></div></p>
<h2>Aucune grande alliance n’a obtenu la majorité absolue</h2>
<p>La simple tenue de ces élections peut être vue en soi comme une réussite, tant leur report était envisagé. Pour autant, même si le déroulement du vote a été globalement salué par les observateurs, les élections ont été entachées de tensions, de fraudes ou encore d’irrégularités comme l’expliquent le <a href="https://fr.euronews.com/2022/05/17/l-union-europeenne-tres-severe-sur-le-deroulement-des-elections-au-liban">rapport préliminaire de la mission de l’UE</a> et la <a href="https://www.francophonie.org/declaration-preliminaire-de-la-mission-electorale-de-la-francophonie-loccasion-des-legislatives-au">déclaration de la mission électorale de la Francophonie</a>.</p>
<p>Au regard des résultats officiels, plusieurs constats importants peuvent être faits. En premier lieu, avec un taux de 49 %, la participation est égale à celle des dernières élections de 2018. Cela constitue un taux à la fois satisfaisant en considération de l’appel au boycott du Courant du Futur, et décevant compte tenu de l’importance de ces élections.</p>
<p>Autre chiffre très attendu, le <a href="https://www.rfi.fr/en/international/20220517-elections-in-lebanon-independents-win-at-least-13-seats-results">nombre de députés issus de la contestation s’élève à 13</a> sur 128 députés au total, un résultat honorable au vu des divisions internes au mouvement. Ce groupe de députés, faisant parti du <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220517-l%C3%A9gislatives-au-liban-le-d%C3%A9gagisme-a-jou%C3%A9-en-partie-mais-pas-assez-pour-bouleverser-le-syst%C3%A8me">mouvement du 17 octobre</a>, aura incontestablement à exercer un rôle de premier ordre dans cette nouvelle législature.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1526490270929502208"}"></div></p>
<p>En effet, <a href="https://www.lavie.fr/actualite/geopolitique/au-liban-les-elections-legislatives-redistribuent-les-cartes-82462.php">aucune alliance politique n’a pu obtenir une majorité absolue</a>. Alors que la coalition dirigée par le parti chiite Hezbollah et le Courant Patriotique Libre (CPL) chrétien avait jusqu’alors la majorité avec 71 sièges, elle n’en récolte plus que 58 – quand 65 sont requis pour obtenir la majorité. Il ne fait donc pas de doute que cette alliance constitue le grand perdant de ces élections.</p>
<p>Pour autant, l’autre grande alliance, dirigée par le parti chrétien des Forces libanaises et le parti progressiste socialiste druze, n’a pas non plus réussi à obtenir la majorité, obtenant seulement 41 sièges.</p>
<p>Les 29 sièges restants se partagent donc entre les députés indépendants, qui sont au nombre de 16, et les 13 députés issus de la contestation. Ce seront donc ces députés qui pourront faire basculer la majorité en faveur d’une alliance ou d’une autre.</p>
<p>La régression de l’alliance qui était au pouvoir s’explique notamment par l’échec du Courant Patriotique Libre (CPL), dont le nombre d’élus passe de 24 à 17. Il a été devancé, auprès de l’électorat chrétien, par le parti des Forces libanaises, dont le nombre de sièges est passé de 15 à 19. Ce dernier ressort comme le <a href="https://libnanews.com/nous-sommes-le-plus-grand-bloc-du-parlement-et-nous-assumerons-notre-responsabilite-en-consequence-estime-samir-geagea-qui-annonce-la-candidature-de-hasbani-comme-vice-president-du-parlement/">grand gagnant de ces élections</a>, devenant le parti chrétien disposant du plus grand nombre de sièges au Parlement.</p>
<p>Concernant la confession musulmane, les forces sunnites se retrouvent plus que jamais divisées, sans leadership. Le boycott décidé par le Courant du Futur et de son chef Saad Hariri n’a finalement pas permis de faire émerger un nouveau dirigeant politique qui aurait comblé ce vide. Cela a pour principale conséquence de marginaliser davantage la représentation sunnite dans les prises de décision. Enfin, même si la quasi-totalité des sièges alloués aux chiites a été remportée par le Hezbollah et le parti Amal, autre parti chiite allié, il est à noter que deux candidats chiites indépendants ont réussi à se faire élire. Même si il s’agit d’une première depuis trente ans, ces deux partis vont pour autant continuer à représenter cette communauté confessionnelle d’une manière incontestable.</p>
<h2>Les perspectives d’avenir pour le Liban</h2>
<p>Pour le Liban, le <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20220518-tense-times-ahead-for-lebanon-after-elections">plus difficile reste à venir</a>. La situation actuelle du pays nécessite la mise en œuvre urgente de réformes en vue de débloquer une importante <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/le-fmi-fait-miroiter-un-plan-daide-de-3-milliards-de-dollars-au-liban-1399347#:%7E:text=Enjeux%20Internationaux-,Le%20FMI%20fait%20miroiter%20un%20plan%20d%E2%80%99aide%20de%203,pour%20le%20pays%20en%20crise.">aide financière de la part du FMI</a> et de la communauté internationale. Il s’agit avant tout de faire sortir progressivement le Liban de ses multiples crises actuelles, d’ordres économique, social et politique, et de lui éviter une aggravation de celles-ci.</p>
<p>Un nouveau gouvernement représentatif des résultats électoraux doit être rapidement constitué. Le maintien de l’actuel premier ministre <a href="https://www.cnews.fr/monde/2021-07-26/qui-est-najib-mikati-le-nouveau-premier-ministre-libanais-1109793">Najib Mikati</a> est l’option la plus privilégiée sachant que la désignation d’un nouveau premier ministre et la constitution d’un gouvernement pourraient prendre plusieurs mois, comme cela a été le <a href="https://information.tv5monde.com/info/liban-le-premier-ministre-najib-mikati-annonce-la-composition-du-nouveau-gouvernement-423875">cas ces dernières années</a>.</p>
<p>Quant à la présidence de la république, le mandat de <a href="https://www.lejdd.fr/International/legislatives-au-liban-michel-aoun-symbole-dune-classe-politique-immuable-4111387">Michel Aoun</a> prenant fin en octobre, il est nécessaire que les députés élisent un nouveau président au plus tard en septembre. Au-delà de cette date, le Liban connaîtra un vide présidentiel.</p>
<p>Il est à noter que le pays a connu deux périodes de vide présidentiel ces dernières années : le premier d’une durée de <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/liban-probablement-pas-de-president-avant-2008_468596.html">six mois entre 2007 et 2008</a>, et le second de <a href="https://araprism.org/2016/04/13/de-quoi-le-vide-presidentiel-libanais-est-il-le-nom/">29 mois entre 2014 et 2016</a>. La probabilité d’une nouvelle période de vide présidentiel est malheureusement actuellement élevée.</p>
<p>Même si les élections législatives du 15 mai ont été porteuses d’un espoir inattendu, le sort du Liban est toujours essentiellement aux mains des partis traditionnels et des grandes puissances régionales et internationales. En effet, l’alliance dirigée par le Hezbollah est actuellement sous une forte influence de l’Iran, de la Syrie et de la Russie, alors que l’alliance dirigée par les Forces libanaises est principalement sous l’influence des puissances occidentales et de l’Arabie saoudite. Dans ce contexte, les résultats des <a href="https://www.lapresse.ca/international/moyen-orient/2022-05-13/reprise-des-negociations-sur-le-nucleaire-iranien.php">pourparlers entre la communauté internationale et Téhéran sur le nucléaire iranien</a> d’un côté, ainsi que ceux du <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-entente-est-proche-entre-l-iran-et-l-arabie-saoudite-selon-l-irak-20220430">dialogue entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a> de l’autre auront indéniablement des retombées, positives ou négatives, sur l’évolution de la scène politique libanaise. Les prochains mois seront cruciaux pour l’avenir du Liban.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183560/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Zakka ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Aucune grande alliance n’a remporté la majorité absolue, laissant la place aux députés indépendants et au parti chrétien des Forces libanaises.Antoine Zakka, Enseignant-chercheur à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l'Institut Catholique de Lille, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1606532021-06-10T21:58:38Z2021-06-10T21:58:38ZComment expliquer le succès du pentecôtisme au Brésil ?<p>Le pentecôtisme est le <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/130421/pourquoi-l-evangelisme-est-la-nouvelle-religion-planetaire?onglet=full">courant majoritaire de l’évangélisme au Brésil</a>. À l’époque du dernier recensement, en 2010, <a href="https://journals.openedition.org/revestudsoc/46128">22,2 % des habitants se disaient évangéliques, dont 13,3 % de pentecôtistes</a>. Ce mouvement religieux <a href="https://www.researchgate.net/publication/262474559_O_poder_da_fe_o_milagre_do_poder_Mediadores_evangelicos_e_deslocamento_de_fronteiras_sociais">imprègne l’ensemble de la vision du monde</a> d’une grande partie de ses adeptes.</p>
<p>Au contraire de la France, la religion au Brésil ne s’est jamais vraiment éloignée de la sphère politique. Certes, la séparation entre l’État et l’Église apparaît dans la Constitution de 1891, qui fait du Brésil un État laïque. Mais, dans les faits, cette séparation est restée largement théorique, l’Église catholique ayant conservé une partie importante de son influence politique au cours du XX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Cependant, la réussite politique des Églises pentecôtistes depuis la fin des années 1980, marquée par une <a href="https://journals.openedition.org/assr/21887">forte augmentation du nombre de candidats et d’élus pentecôtistes</a>, n’explique pas l’adhésion massive qu’elles suscitent, notamment auprès des classes populaires et, plus précisément, des femmes appartenant à ces catégories. Comment ces Églises ont-elles réussi à attirer un si grand nombre d’adhérentes issues d’un milieu modeste ?</p>
<h2>L’adaptation du pentecôtisme au néolibéralisme : l’accent mis sur l’individualité</h2>
<p>Il faut, tout d’abord, comprendre en quoi consiste l’<em>ethos</em> pentecôtiste. Selon une <a href="https://journals.openedition.org/etnografica/905">étude ethnographique</a> réalisée par l’anthropologue Livia Fialho da Costa en 2011, l’adhésion des classes populaires se fait « naturellement », grâce à un discours qui « leur permet de redonner un sens à leur vie, sens qu’elles avaient perdu au cours de leur trajectoire d’exclusion : le discours de la « possibilité », voire même de la « potentialité », où chaque fidèle peut changer son destin dès lors qu’il emploie les moyens adéquats.</p>
<p>Cela signifie, en général, suivre le chemin tracé par les valeurs de l’Église, fréquenter les cultes avec assiduité et prouver régulièrement sa foi en Dieu – particulièrement à travers des « sacrifices » personnels, comme le don d’importantes sommes d’argent à l’Église. Dans ce cadre, chaque difficulté rencontrée par le croyant est interprétée comme résultant d’un éloignement de Dieu et du « droit chemin » de l’Église, ce qui attire le « démon » – lequel est, lui, perçu comme la source de ces difficultés.</p>
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<p>Cet encadrement est diamétralement opposé à celui de la <a href="https://www.cairn.info/revue-lignes0-1995-2-page-195.htm?contenu=auteurs">Théologie de la libération</a>, populaire au sein de l’Église catholique en Amérique latine jusqu’au début des années 1990. Ce courant théologique inscrivait les problèmes rencontrés par les individus – difficultés liées à la pauvreté, au chômage, à la violence, etc. – dans le cadre plus large des inégalités sociales. Il partait de l’idée que l’Évangile prêche la libération des pauvres de leurs souffrances et que, pour réaliser ce projet, il était nécessaire pour l’Église de mobiliser des notions issues des sciences sociales, notamment du marxisme.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1147513285715136512"}"></div></p>
<p>En étudiant les <a href="https://www.anpocs.com/index.php/publicacoes-sp-2056165036/rbcs/203-rbcs-34">raisons de l’adhésion des femmes aux CEBs</a> (Communauté écclésiales de base) – des groupes catholiques basés sur la Théologie de la libération –, les sociologues Maria Campos Machado et Cecilia Mariz (1997) expliquent justement que les CEBs ne donnent pas de solutions à des problèmes individuels :</p>
<blockquote>
<p>« L’innovation apportée par les CEBs est d’inciter les femmes à s’intéresser à la politique. L’espace public, vu traditionnellement comme masculin, s’ouvre aux femmes des CEBs. Certaines d’entre elles, non contentes de participer aux mouvements sociaux, deviennent des leaders, et même des candidates politiques. […] Dans la vision proposée par les CEBs, pourtant, les questions les plus importantes de la vie privée sont les questions matérielles, dont la solution est à rechercher dans la lutte politique, qui se déroule dans l’espace public. Les questions privées non matérielles, de nature émotionnelle et morale, ne trouvent pas d’espace de débat et de solution dans le cadre des CEBs. De là vient la difficulté relative de ce mouvement catholique […] à attirer plus de participantes en comparaison avec des Églises de matrice pentecôtiste. »</p>
</blockquote>
<p>Dans les CEBs, expliquent les auteures, les problèmes relatifs à la sexualité, à la vie familiale, à la violence conjugale, à la discrimination, etc. sont vus comme le reflet de la situation sociale des adhérentes. Il n’est pas surprenant que des ONG, des groupes féministes et des groupes des femmes aient été créés par des femmes défavorisées à partir des réunions des CEBs, dans le but de subvenir aux besoins les plus urgents des mères des milieux modestes, mais aussi de leur faire prendre conscience des questions liées aux inégalités sociales, de genre et de « race » qui persistent dans la société brésilienne.</p>
<p>En comparaison, les <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/1996/03/CORTEN/5337">Églises pentecôtistes</a> – puisqu’elles attribuent les difficultés à l’éloignement de Dieu – sont beaucoup plus aptes à proposer des solutions « immédiates », en d’autres mots miraculeuses, car ces problèmes sont encadrés dans un discours typiquement néolibéral de responsabilisation de l’individu.</p>
<p>En se nourrissant de ces valeurs de réussite et de responsabilité individuelle, d’ailleurs <a href="https://fpabramo.org.br/publicacoes/publicacao/percepcoes-e-valores-politicos-nas-periferias-de-sao-paulo/">fortement intégrées et appropriées par les classes populaires brésiliennes</a>, le discours pentecôtiste, dans une certaine mesure, redonne à l’individu sa capacité d’action pour résoudre les difficultés rencontrées dans son quotidien. Pourtant, il est nécessaire questionner l’efficacité de l’action individuelle dans le contexte social fortement inégalitaire au Brésil, un pays où le pouvoir est <a href="https://blog.mondediplo.net/au-bresil-les-vieux-habits-de-l-imperialisme">historiquement aux mains des oligarchies</a>.</p>
<h2>Le coût de la vision de monde pentecôtiste</h2>
<p>Le coût de cette vision du monde est l’invisibilisation de la société elle-même : la pauvreté, la violence, les inégalités, les discriminations, tous ces problèmes cessent d’exister en tant que résultat de rapports sociaux inégalitaires et d’oppressions systémiques, une fois qu’ils ont été attribués à la présence du démon. Les croyants sont rendus « aveugles » à l’influence des questions macrosociales sur leurs vies personnelles, en se voyant comme des individus atomisés, totalement responsables de ce qui leur arrive – l’action divine, sous la forme de miracles, n’étant possible qu’à partir de l’action de l’individu, à travers sa conversion religieuse.</p>
<p>Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi cette invisibilisation des questions sociales est problématique, voire dangereuse. Le public des Églises pentecôtistes est majoritairement constitué de femmes défavorisées, dont plus de la moitié sont noires ou métisses : <a href="https://www1.folha.uol.com.br/poder/2020/01/cara-tipica-do-evangelico-brasileiro-e-feminina-e-negra-aponta-datafolha.shtml">selon des données de 2019 et 2020 recueillies par l’Institut Datafolha</a>, 58 % des évangeliques (toutes Églises confondues) sont des femmes, dont 43 % sont métisses et 16 % noires, en sachant que, en 2018, dans l’ensemble de la population brésilienne 9,3 % des habitants se déclaraient comme noirs et 46,5 % comme métis. Dans les Églises néopentecôtistes, les femmes représentent 69 % des fidèles. Il est donc pertinent d’affirmer qu’une majorité des fidèles pentecôtistes sont exposés à des discriminations et inégalités structurelles liées à leur genre, à leur « race » et à leur classe sociale.</p>
<p>L’adhésion au pentecôtisme peut effectivement être particulièrement attirante pour les femmes. De nombreuses études (voir par exemple <a href="https://www.researchgate.net/publication/286821275_Transforming_Masculinities_in_African_Christianity_Gender_Controversies_in_Times_of_AIDS">ici</a>, <a href="https://openlibrary.org/books/OL1096728M/The_reformation_of_machismo">ici</a> et <a href="https://www.scielo.br/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0104-93131996000200013">ici</a>) montrent qu’elles peuvent retrouver, à travers l’adhésion religieuse de leur compagnon, un apaisement de leur vie familiale.</p>
<p>Les règles auxquelles doivent se plier les fidèles interdisent en effet tout comportement contraire aux valeurs religieuses, comme la violence, l’infidélité, l’usage de drogues, sous peine que les miracles ne se produisent pas. Mais ce calme n’est pas sans contreparties.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"856463512347869185"}"></div></p>
<p>L’utilisation du pentecôtisme comme médiateur de la réalité sociale ne permet pas forcément à ces femmes de se reconnaître comme faisant partie de groupes minoritaires – en tant que femmes, non blanches, défavorisées, entre autres – au même titre que d’autres qui partagent les mêmes problèmes. Dit autrement, cette vision néolibérale d’un monde fait d’individus, alliée à une perception religieuse des causes des problèmes rencontrés, rend ces femmes peu investies dans le monde social et politique, dont les moindres tremblements – instabilité démocratique, crises économiques, pandémies… – ont pourtant un impact considérable sur les vies des plus défavorisés.</p>
<p>Dire que le pentecôtisme est le seul responsable de ce désinvestissement serait malhonnête : il n’est pas rare que des femmes et hommes pentecôtistes (en particulier celles et ceux qui appartiennent aux classes moyennes et/ou qui ont eu l’opportunité de se confronter avec d’autres visions du monde, soit par leurs études ou par le contact avec des associations, ONG ou groupes politiques) aient une vision tout à fait sociale et politique de la société.</p>
<p>Des groupes <a href="https://periodicos.ufes.br/sinais/article/view/24049">évangéliques</a> <a href="https://www1.folha.uol.com.br/poder/2020/03/feministas-evangelicas-tentam-romper-preconceito-nas-igrejas-e-rotulo-de-esquerdistas.shtml">féministes</a> et <a href="https://www.geledes.org.br/a-juventude-negra-evangelica-tem-algo-a-afirmar-nao-somos-modinha/">anti-racistes</a> commencent à voir le jour en masse, demandant des changements sociaux à l’intérieur et à l’extérieur de leurs Églises. Pour eux, la religion remplit un rôle de réconfort émotionnel, mais oriente très peu leur vision du monde social.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160653/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ana Carolina Freires Ferreira ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au Brésil, le pentecôtisme, un culte protestant évangélique, attire particulièrement les femmes pauvres et non blanches. La raison : le discours de responsabilité individuelle qu’il véhicule.Ana Carolina Freires Ferreira, Doctorante en sociologie au Centre Émile Durkheim, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1514312020-12-20T21:52:47Z2020-12-20T21:52:47ZJésus a-t-il échappé à une tentative de meurtre alors qu’il était bébé ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376013/original/file-20201220-15-jjvdii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=64%2C7%2C4740%2C4085&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Nicolas Poussin, « Le massacre des Innocents », vers 1630. Musée Condé, Chantilly.
</span> </figcaption></figure><p>L’évangile selon Matthieu nous raconte un fameux épisode de la vie de Jésus, juste après sa naissance : le massacre des Innocents. Le roi de Judée de l’époque, Hérode le Grand (vers 72-4 av. J.-C.), apprend, par des mages arrivés à Jérusalem, qu’un « roi des Juifs » vient de naître. Il fait aussitôt rechercher l’enfant car il voit en lui un concurrent susceptible de lui ravir son trône. Il « entra dans une grande fureur et envoya tuer, dans Bethléem, tous les enfants jusqu’à deux ans », écrit Matthieu (Mt 2, 16). Mais Joseph, père de Jésus, prévenu par un ange, parvient à prendre la fuite en Égypte, en compagnie de Marie et du bébé. Ils <a href="https://www.info-bible.org/lsg/40.Matthieu.html">ne reviennent en Judée qu’après la mort d’Hérode, quelques mois plus tard</a>.</p>
<p>On peut remarquer que l’histoire du massacre cadre bien avec ce que l’on sait, par ailleurs, de la cruauté prêtée à Hérode. Le roi, peut-être atteint d’une forme de délire paranoïaque dans les dernières années de son règne, était allé jusqu’à faire exécuter trois de ses propres enfants : Aristobule et Alexandre en 7 av. J.-C., puis Antipater en 4 av. J.-C., comme le raconte <a href="https://www.lhistoire.fr/livres/un-nouvel-h%C3%A9rode">l’historien antique Flavius Josèphe</a>.</p>
<p>L’Hérode historique était donc bien un massacreur de jeunes princes innocents et le récit de la tuerie de Bethléem se fonde sur un contexte qui le rend vraisemblable, mais non véridique. Pourquoi donc avoir inventé cette histoire ?</p>
<h2>Œdipe, le bébé pendu par les pieds</h2>
<p>D’anciens mythes grecs, bien connus à l’époque de Jésus, racontaient comment un enfant condamné à mort finissait tout de même par s’en sortir après avoir déjoué les tentatives de meurtre de ses ennemis. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376016/original/file-20201220-19-l9t6pu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=532&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Oedipe abandonné, enluminure de la Fleur des Histoires de jean mansel, seconde moitié du XVe siècle.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>La légende d’Œdipe constituait le prototype de ces récits, sorte de roman d’apprentissage du futur chef, <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1319766-dipe-ou-la-legende-du-conquerant-marie-delcourt-les-belles-lettres">comme l’a montré Marie Delcourt (<em>Œdipe ou la légende du conquérant</em>, Liège, Paris, Les Belles Lettres, 1981)</a>.</p>
<p>Laïos, roi de Thèbes, apprend par un oracle qu’il sera tué par son propre fils. Il tente d’empêcher que la prophétie ne se réalise, en cessant toute relation sexuelle avec Jocaste, sa femme. Mais celle-ci, vexée, le fait boire et s’unit à lui alors qu’il est ivre. Neuf mois plus tard, lorsqu’elle accouche, Laïos arrache l’enfant des bras de sa mère. Il escalade une montagne, voisine de Thèbes, et y abandonne le bébé, après l’avoir pendu par les pieds à un arbre. Laïos a cloué les talons de l’enfant avant de lui passer une corde autour des mollets. A priori aucune chance que le petit survive. Il doit rapidement mourir de soif ou dévoré par des bêtes sauvages.</p>
<p>Sauf que c’est évidemment le contraire qui se produit, sans quoi, il n’y aurait pas de légende. Le mythe raconte une histoire qui échappe à la logique des hommes. Il s’agit de montrer que le bébé n’est pas n’importe qui : il est le protégé d’un grand dieu.</p>
<p>Un berger, passant sur la montagne, découvre l’enfant, le libère et l’emmène dans sa ville : Corinthe. Le roi local se désespérait justement de ne pas avoir de fils. Il adopte le petit et le nomme Œdipe, c’est-à-dire « Pieds-enflés », en raison des blessures infligées par les clous de Laïos. L’enfant est sain et sauf. Il a survécu, contre toute attente. Le bébé aux pieds cloués est maintenant qualifié pour un brillant avenir de chef.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=807&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376017/original/file-20201220-13-m1iokn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1014&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Frederick Goodal, « La découverte de Moïse », 1862.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/7a/The_Finding_of_Moses.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Romulus et Moïse, les bébés sauvés des eaux</h2>
<p>De la même manière, dans la légende romaine, le petit Romulus et son frère Rémus sont abandonnés sur le Tibre avant d’être sauvés par une louve, animal envoyé par le dieu Mars, qui vient les allaiter. Le divin père de Romulus, futur fondateur et roi de Rome, n’a pas l’intention de voir périr son enfant. Romulus a une mission terrestre à accomplir : il est prédestiné par les Cieux, <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Tite/index.htm">comme le suggère l’historien latin Tite-Live</a>.</p>
<p>Ce schéma légendaire se trouve également dans la Bible, jetant un pont entre la mythologie gréco-romaine et le judaïsme. Le petit Moïse échappe de justesse à ses assassins égyptiens, envoyés par le pharaon, tyran cruel, qui veut faire tuer tous les fils des Hébreux (Exode 1). Sa mère l’abandonne sur le Nil dans une caisse en papyrus. Heureusement, le bébé est sauvé des eaux par la fille du pharaon qui le découvre et l’adopte comme son fils. Étonnant retournement ! Moïse accède au statut de prince d’Égypte, de même qu’Œdipe est recueilli par le roi de Corinthe dont il devient le fils adoptif. Le schéma narratif de l’enfant persécuté qui s’en sort finalement est un modèle universel.</p>
<h2>Le storytelling de l’enfant persécuté</h2>
<p>Dans les années 50 av. J.-C., ce même storytelling est exploité par Jules César qui raconte qu’il a échappé, dans sa jeunesse, aux persécutions du dictateur romain Sylla, <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/suetone/cesar.htm">comme le rapporte l’historien latin Suétone (<em>Vie de César</em>, 1)</a>.</p>
<p>Plus proche encore chronologiquement de Jésus, l’empereur Auguste, reprend à son tour le même schéma légitimateur. « Quelques mois avant la naissance d’Auguste, il se produisit à Rome, dans un lieu public, un prodige annonçant que la nature allait enfanter un roi pour le peuple romain : le Sénat épouvanté décréta que l’on n’élèverait aucun des enfants mâles nés cette année-là », <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/suetone/auguste.htm">écrit Suétone (<em>Vie d’Auguste</em>, 94)</a>.</p>
<p>Mais la décision du Sénat n’est pas appliquée, car les femmes de plusieurs sénateurs sont alors enceintes. C’est ainsi que le futur Auguste aurait finalement été sauvé.</p>
<p>Il est intéressant de remarquer que Suétone nous donne le nom de l’inventeur de cette fable : Julius Marathus, affranchi et conseiller d’Auguste, rédacteur du Journal officiel de l’Empire. Il s’agit donc bien d’un mythe officiel dont la signification est politico-religieuse. Le storytelling de l’enfant qui échappe au meurtre est un stéréotype servant à légitimer le leader destiné à fonder de nouvelles règles, normes sociales et institutions : Moïse avec les Tables de la Loi, Auguste avec l’instauration du régime impérial.</p>
<p>Il pouvait donc être intéressant pour Matthieu d’offrir à ses lecteurs une nouvelle version de ce schéma narratif, dès lors qu’il cherchait à présenter Jésus comme un législateur et un réformateur, venu refonder la société juive. Jésus annonce l’émergence d’un monde nouveau, et il possède toute légitimité pour le faire. C’est ce que signifie l’histoire du massacre des Innocents, calquée sur les récits légitimateurs du passé. Jésus est le nouveau Moïse, ou encore l’Auguste des Juifs, fondateur d’une ère nouvelle.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376018/original/file-20201220-13-6yjhlz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Friedrich Herlin de Nördlingen, Circoncision de Jésus. Retable de Rothenburg, 1466.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/7/76/CirconcisionRothenburg.jpg">Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Jésus exfiltré en Égypte ou circoncis à Jérusalem ?</h2>
<p>Mais le récit du massacre est en contradiction avec l’épisode de la circoncision de Jésus au Temple, « huit jours » après sa naissance, relatée par l’évangile selon Luc (Lc 2, 21). Comment peut-on imaginer que Jésus puisse aller se faire circoncire à Jérusalem, capitale du méchant roi Hérode, une semaine à peine après avoir échappé à sa tentative de meurtre ? Pourquoi la menace aurait-elle disparu tout d’un coup ?</p>
<p>Luc ignore le massacre des Innocents, tandis que l’incohérence entre les évangiles de Matthieu et Luc nous prouve que <a href="https://www.lhistoire.fr/livres/j%C3%A9sus-aux-quatre-visages">divers récits concurrents sur la naissance du Christ ont circulé parallèlement</a>.</p>
<hr>
<p><em>Christian-Georges Schwentzel a écrit <a href="https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/christian-georges-schwentzel/les-quatre-saisons-du-christ-christian-georges-schwentzel/">« Les Quatre saisons du Christ, un parcours politique dans la Judée romaine »</a>, éditions Vendémiaire, 2018</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151431/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian-Georges Schwentzel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’on en croit l’évangile selon Matthieu, Jésus aurait échappé à une tentative d’assassinat, juste après sa naissance, à Bethléem. Ce fameux épisode est-il historique?Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1520402020-12-17T20:32:49Z2020-12-17T20:32:49ZPeut-on être contre l’immigration et pour l’héritage chrétien ?<p>Certains leaders politiques confrontent le public à un dilemme. D’une part, ils veulent préserver l’héritage chrétien en Europe. Mais d’autre part, ils rivalisent d’idées pour accueillir le moins d’étrangers possible. Comment expliquer cette incohérence ?</p>
<p>Il est possible que ces politiques, notamment de droite, méconnaissent l’héritage chrétien. Lorsque le <a href="https://www.cairn.info/revue-migrations-societe-2017-1-page-3.htm">Pape François défend les migrants</a>, leurs voix se lèvent pour dire qu’il serait un <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/2017/09/01/01016-20170901ARTFIG00059-le-pape-francois-est-il-de-gauche.php">pape « de gauche »</a>.</p>
<p>Or, depuis 70 ans, tous les papes ont défendu non seulement les migrants mais aussi un droit à l’immigration.</p>
<h2>Le Vatican serait-il de gauche ?</h2>
<p>Parfois, le Vatican s’est avéré plus visionnaire que l’Organisation des Nations unies. En 1948, la <a href="https://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/">Déclaration universelle des droits humains</a> a consacré l’émigration comme droit fondamental :</p>
<blockquote>
<p>« Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien. »</p>
</blockquote>
<p>Cette formule ne mentionne pas le droit d’entrer dans un pays qui n’est pas le sien. Mais quatre ans plus tard, le Pape Pie XII (1939-1958) interroge cette imprécision.</p>
<p>Dans son <a href="https://w2.vatican.va/content/pius-xii/it/speeches/1952/documents/hf_p-xii_spe_19521224_natale.html">message de Noël 1952</a>, Pie XII considère qu’elle aboutit à ce que :</p>
<blockquote>
<p>« Le droit naturel de toute personne de ne pas être empêchée d’émigrer ou d’immigrer soit pratiquement annulé, sous prétexte d’un bien commun faussement compris. »</p>
</blockquote>
<p>Pie XII pense que l’immigration est un droit naturel mais l’associe à la pauvreté. Il demande aux gouvernements de faciliter la migration des travailleurs et de leurs familles vers « des régions où ils trouveraient plus facilement les vivres ».</p>
<p>Il déplore la « mécanisation des consciences » et demande d’assouplir « en politique et en économie, la rigidité des vieux cadres des frontières géographiques ».</p>
<p>Son successeur, le Pape Jean XXIII (1958-1963) prolonge cet argument dans deux encycliques (<a href="http://w2.vatican.va/content/john-xxiii/fr/encyclicals/documents/hf_j-xxiii_enc_15051961_mater.html"><em>Mater et magistra</em></a>, 1961 et <a href="http://w2.vatican.va/content/john-xxiii/fr/encyclicals/documents/hf_j-xxiii_enc_11041963_pacem.html"><em>Pacem in terris</em></a>, 1963). Alors que Pie XII pensait aux seules personnes nécessiteuses, Jean XXIII vise désormais toute personne qui « espère trouver ailleurs des conditions de vie plus convenables pour soi et pour sa famille » (<a href="http://w2.vatican.va/content/john-xxiii/fr/encyclicals/documents/hf_j-xxiii_enc_11041963_pacem.html"><em>Pacem in terris</em></a>, 106).</p>
<p>Avec Paul VI (1963-1978), le devoir chrétien de servir les travailleurs migrants se fait plus pressant. Dans une encyclique de 1965, il rappelle :</p>
<blockquote>
<p>« L’impérieux devoir de nous faire le prochain de n’importe quel homme et, s’il se présente à nous, de le servir activement : qu’il s’agisse de ce vieillard abandonné de tous, ou de ce travailleur étranger, méprisé sans raison. » (<a href="http://www.vatican.va/archive/hist_councils/ii_vatican_council/documents/vat-ii_const_19651207_gaudium-et-spes_fr.html"><em>Gaudium et spes</em></a>)</p>
</blockquote>
<p>Jean Paul II (1978-2005) multiplie les paroles favorables à l’immigration. Son discours pour la Journée mondiale des migrants de 1995, consacré aux <a href="http://w2.vatican.va/content/john-paul-ii/fr/messages/migration/documents/hf_jp-ii_mes_25071995_undocumented_migrants.html">Migrants en situation irrégulière</a>, rappelle que :</p>
<blockquote>
<p>« L’Église considère le problème des migrants en situation irrégulière dans la perspective du Christ, qui est mort pour rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés (cf. Jn 11, 52), pour accueillir les exclus et rapprocher ceux qui se sont éloignés, pour intégrer toutes les personnes dans une communion qui n’est pas fondée sur l’appartenance ethnique, culturelle et sociale. »</p>
</blockquote>
<p>Le Pape François ne défend donc pas les immigrés parce qu’il serait « de gauche », mais parce qu’il est au sommet d’une institution dont la raison d’être est « d’agir en continuité avec la mission du Christ ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1207944495058358274"}"></div></p>
<h2>Libre circulation : un héritage chrétien ancien</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=745&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=745&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=745&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=937&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=937&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/375177/original/file-20201215-23-12797x3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=937&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le dominicain Francisco de Vitoria a défendu la liberté de circulation sur des bases théologiques questionnant certains aspects de la colonisation espagnole.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.wikiwand.com/fr/Francisco_de_Vitoria">Wikiwand</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La défense chrétienne de la liberté de circulation va bien au-delà de notre époque.</p>
<p>Au XVI<sup>e</sup> siècle, le théologien dominicain <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Francisco_de_Vitoria">Francisco de Vitoria</a> (1483–1546) soutient que la liberté de circulation est un droit naturel.</p>
<p>C’était après la découverte de l’Amérique. La Couronne espagnole y avait établi sa domination, en édictant en 1512 les premières « Lois des Indes ». À l’époque où les jeunes dominicains se préparent pour un travail de missionnaire dans le Nouveau monde, Vitoria enseigne encore à l’Université de Paris. Puis, en retournant à l’Université de Salamanca, il est travaillé par des questions juridiques : de quel droit les Espagnols sont-ils en Amérique ? Et quels sont les droits des Indiens qui y habitent ?</p>
<p>En cherchant la réponse à ces questions, Vitoria pose les fondations du droit international. Dans ses <a href="https://en.wikisource.org/wiki/De_Indis_De_Jure_Belli"><em>Leçons sur les Indiens et sur le droit de guerre</em></a> (1539), il conteste aux Espagnols le droit d’assujettir les Indiens, qu’il voit comme propriétaires de leurs terres.</p>
<p>Mais ces droits n’autorisent pas les Indiens à empêcher les Espagnols, ou quiconque d’autre, « d’aller et vivre aux Indes ».</p>
<p>Vitoria défend la liberté de circulation sur des bases théologiques. D’une part, il tire de la <em>Genèse</em> l’idée que la terre a été donnée en partage à tous :</p>
<blockquote>
<p>« Au commencement du monde, alors que tout était commun, il était permis à chacun d’aller et de voyager dans tous les pays qu’il voulait ». La division des terres, survenue entre nations, ne saurait « empêcher les rapports des hommes entre eux. »</p>
</blockquote>
<p>D’autre part, Vitoria voit dans l’<em>Ecriture</em>, qui prône l’amour du prochain, la preuve que « l’amitié entre les hommes est de droit naturel » et qu’il est « contre nature d’éviter la société d’hommes innocents ». La liberté de circulation repose donc sur « le droit de société et de communication » propre au genre humain.</p>
<p>Sans cette liberté, les gens ne peuvent se rencontrer, nouer des amitiés, communiquer ou faire du commerce. On trouve, chez Vitoria, une justification chrétienne du libre-échange.</p>
<h2>Un principe de liberté</h2>
<p>Le christianisme conduit Vitoria vers un principe de liberté : chacun est libre de voyager et de s’installer partout dans le monde, à la seule condition de ne pas nuire à autrui.</p>
<p>Aux uns, la liberté ne donne pas droit à commettre des violences ou à priver autrui de ses biens. Aux autres, la propriété des terres donne droit de se gouverner soi-même, sans empêcher l’arrivée et l’installation d’autrui.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/375178/original/file-20201215-13-1k2j0ew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/375178/original/file-20201215-13-1k2j0ew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/375178/original/file-20201215-13-1k2j0ew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/375178/original/file-20201215-13-1k2j0ew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/375178/original/file-20201215-13-1k2j0ew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/375178/original/file-20201215-13-1k2j0ew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/375178/original/file-20201215-13-1k2j0ew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le penseur Vitoria tire de la Genèse (dans la Bible) l’idée que la terre a été donnée en partage à tous.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/genesis-mosa%C3%AFque-iconographie-2435989/">Dimitris Vestikas/Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>La position de Vitoria ne plut pas au pouvoir. En 1539, après la publication des <em>Leçons</em>, l’empereur Charles Quint adressa une lettre au monastère dominicain de Salamanca. Il y exprimait son inquiétude de voir un membre de la congrégation remettre en question les droits de l’Espagne sur le « Nouveau monde ».</p>
<p>Quatre siècles plus tard, Vitoria inspira les politiques. Ses principes du libre accès à la mer, du libre-échange et de l’auto-détermination des peuples furent intégrés dans le plan en <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Quatorze_points_de_Wilson">Quatorze Points de Wilson</a>. Ce plan devait mettre fin à la Grande Guerre et fonder la Société des Nations.</p>
<p>Aujourd’hui, l’inspiration chrétienne de Vitoria ne motive plus les politiques. La liberté des mers, qui veut qu’« en vertu du droit des gens, les navires puissent accoster partout », est refusée même aux navires engagés dans le <a href="http://www.europarl.europa.eu/doceo/document/B-9-2019-0154_FR.html">sauvetage de vies humaines en Méditerranée</a>.</p>
<p>Quoi de plus étonnant que ces <a href="https://www.votewatch.eu/en/term9-motions-for-resolutions-search-and-rescue-in-the-mediterranean-motion-for-resolution-vote-resolution.html">politiques qui affirment défendre l’héritage chrétien</a> mais qui agissent pour le ruiner ?</p>
<h2>Pas d’héritage chrétien sans l’accueil de l’étranger</h2>
<p>L’accueil de l’étranger est un devoir si important pour le chrétien, qu’il en conditionne le salut. Dans l’Évangile, Mathieu fait dire à Jésus que c’est l’un des critères du jugement dernier. Ceux qui auront accueilli l’étranger recevront « en héritage » le royaume de Dieu. Les autres auront le châtiment éternel :</p>
<blockquote>
<p>« Car j’ai eu faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’ai eu soif, et vous ne m’avez pas donné à boire ; j’étais étranger, et vous ne m’avez pas accueilli ; j’étais nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; j’étais malade et en prison, et vous ne m’avez pas visité. » (Mathieu, 25 : 42-43)</p>
</blockquote>
<p>De fait, pourquoi l’accueil de l’étranger fait-il partie des critères énumérés par Jésus ?</p>
<p>L’étranger est au cœur de la révolution du Nouveau Testament. Certes, on retrouve des injonctions à l’hospitalité aussi bien dans l’Ancien que le Nouveau Testament. C’est une hospitalité exigeante :</p>
<blockquote>
<p>« Vous traiterez l’étranger comme l’un des vôtres ; vous l’aimerez comme vous-mêmes. » (Lévitique 19 :34)</p>
</blockquote>
<p>et inconditionnelle :</p>
<blockquote>
<p>« Exercez l’hospitalité sans murmures. » (Pierre 4 :9)</p>
</blockquote>
<p>Mais la révolution qu’opère le Nouveau Testament est de doter le christianisme d’une aspiration universelle : de par leur origine commune, tous les êtres humains sont des frères.</p>
<p>L’identité chrétienne se juge à l’aune de cette foi en l’universalité :</p>
<blockquote>
<p>« Nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu, lorsque nous aimons Dieu. » (Jean 5 :2)</p>
</blockquote>
<p>Par ce message, le christianisme parvient à effacer la distinction entre étrangers et proches :</p>
<blockquote>
<p>« Ainsi, vous n’êtes plus étrangers, ni hôtes de passage, mais seulement des frères. » (Éphésiens 2 :19)</p>
</blockquote>
<p>En cela, Jésus est apparu comme subversif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152040/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les politiques pensent pouvoir préserver l’héritage chrétien en Europe tout en demeurant hostiles à l’accueil des étrangers. Il est possible qu’ils méconnaissent l’héritage chrétien.Speranta Dumitru, Maitre de Conférences, Université Paris CitéClément Mougombili, Doctorant, chargé de cours, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1514862020-12-04T18:02:08Z2020-12-04T18:02:08ZLa Saint-Nicolas est aussi une fête de la diversité linguistique et culturelle<p>À l’intérieur de l’Hexagone comme à l’intérieur des autres régions de la francophonie d’Europe (Belgique, Suisse), les journaux, radios, télévisions et autres médias de l’internet diffusent un français relativement standard et uniforme. Si bien que l’on pense parfois que la langue française ne permettrait pas de rendre justice à la diversité des traditions qui a caractérisé le pays pendant des siècles. Dans <a href="https://www.lerobert.com/dictionnaires/francais/culturel/comme-on-dit-chez-nous-le-grand-livre-du-francais-de-nos-regions-9782321014775.html"><em>Comme on dit chez nous, le grand livre du français de nos Régions</em></a> (octobre 2020, éditions Le Robert), nous avons commenté des centaines de cartes permettant de montrer qu’au 21e s., les français régionaux gardaient encore les traces de nos provinces aujourd’hui disparues.</p>
<p>En ce début de mois de décembre, qui initie la traditionnelle période des fêtes, nous avons eu une bonne occasion pour rappeler qu’en France, la Saint-Nicolas n’était célébrée que sur une partie du territoire, et qu’elle était même associée à des débats linguistiques dignes du match pain au chocolat vs chocolatine…</p>
<h2>Qui sont ces francophones qui célèbrent la Saint-Nicolas ?</h2>
<p>La Saint-Nicolas est une fête chrétienne, qui met en scène <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_de_Myre">Nicolas de Myre</a> (qu’on appelle plus généralement saint Nicolas), et son méchant compagnon, le Père Fouettard (Zwarte Piet en néerlandais). Dans l’est de l’Europe, la Saint-Nicolas est surtout fêtée dans les pays à tradition orthodoxe (Chypre, Grèce, Russie, etc.) et dans les pays de tradition (partiellement) catholique se rattachant historiquement ou géographiquement à l’Empire germanique (Allemagne, Autriche, Belgique, Grand-Duché du Luxembourg, Pays-Bas, Suisse). En France, les régions où l’on célèbre la Saint-Nicolas les plus souvent mentionnées comprennent le Grand Est, les Hauts-de-France et l’ex-Franche-Comté.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pain-au-chocolat-vs-chocolatine-fight-85923">Pain au chocolat vs chocolatine… Fight !</a>
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<p>Les données collectées dans le cadre des enquêtes conduites <a href="https://francaisdenosregions.com/participez-a-lenquete/">dans le cadre du programme de recherche Français de nos Régions</a> nous ont permis d’établir précisément la vitalité et l’aire d’extension du phénomène dans la francophonie d’Europe.</p>
<p>La carte ci-dessous a été établie sur la base des réponses de plus de 11 500 internautes ayant déclaré avoir passé la plus grande partie de leur vie en Belgique, en France ou en Suisse ; et à qui l’on a présenté l’instruction suivante « Le 6 décembre de l’an, c’est la Saint-Nicolas. Faites-vous quelque chose de spécial (distribution de cadeaux ou friandises aux enfants, p. ex.) pour célébrer cet événement ? » </p>
<p>Nous avons calculé le pourcentage de réponses positives pour chaque arrondissement de Belgique, de France et de district en Suisse, et fait varier leur couleur en fonction de la valeur des pourcentages (plus la couleur est froide, plus le pourcentage de participants ayant indiqué célébrer la Saint-Nicolas est bas ; inversement, plus la couleur est chaude, plus le pourcentage de participants ayant déclaré fêter l’événement est important). Nous avons enfin utilisé la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Krigeage#:%7E:text=Le%20krigeage%20est%2C%20en%20g%C3%A9ostatistique,la%20mod%C3%A9lisation%20du%20variogramme%20exp%C3%A9rimental">méthode du krigeage</a> pour colorier la surface de la carte, de façon à obtenir une représentation lisse et continue du territoire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373066/original/file-20201204-21-17v3omn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373066/original/file-20201204-21-17v3omn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373066/original/file-20201204-21-17v3omn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373066/original/file-20201204-21-17v3omn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373066/original/file-20201204-21-17v3omn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373066/original/file-20201204-21-17v3omn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373066/original/file-20201204-21-17v3omn.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pourcentage de francophones ayant déclaré fêter la Saint-Nicolas le 6 décembre, d’après les enquêtes Français de nos Régions (échelle : 0/100 %). Les symboles carrés donnent la position des centres urbains d’arrondissements en France et en Belgique, de districts en Suisse. Le Robert.</span>
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<p>Si les données de notre enquête valident en <a href="https://actu.fr/loisirs-culture/saint-nicolas-pourquoi-cette-fete-est-importante-lorraine-dans-lest-la-france_20094861.html">partie les descriptions disponibles ailleurs</a>, elles permettent de délimiter, avec une précision jamais atteinte jusque-là, l’aire d’extension de cette coutume, de même que sa vitalité à travers les régions francophones. On peut ainsi voir que les francophones d’Europe qui célèbrent la Saint-Nicolas sont tous établis sur un croissant nord-oriental dont les pointes vont de l’ancienne région Nord-Pas-de-Calais à la Suisse romande.</p>
<h2>Männela ou männele ?</h2>
<p>À la Saint-Nicolas et jusqu’à l’épiphanie, les boulangers en activité dans les régions où l’on fête Nicolas de Myre fabriquent de petites pâtisseries briochées en forme de petits bonshommes dans l’est (du Grand-Duché du Luxembourg à la Suisse romande, en passant par la Lorraine, l’Alsace et la Franche-Comté).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1324306240508469248"}"></div></p>
<p>Dans le nord de la francophonie d’Europe, de la Wallonie au Nord-Pas-de-Calais, ces petits pains prennent la forme de petits Jésus emmaillotés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"795222135811751936"}"></div></p>
<figure class="align-right ">
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<span class="caption">Cougnou au sucre (à gauche) et cougnou aux pépites de chocolat (à droite). Mathieu Avanzi.</span>
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</figure>
<p>Ces viennoiseries, vendues natures, au sucre, aux raisins secs ou aux pépites de chocolat, changent non seulement de forme mais également de nom en fonction des régions où elles sont commercialisées.</p>
<p>D’ailleurs, chaque mois de décembre, les dénominations de ces petits pains déclenchent de petits séismes chez les utilisateurs des réseaux sociaux établis dans le grand nord-est de la France et la Wallonie…</p>
<p>Sur le plan de la géographie linguistique, il n’existe que des cartes locales donnant à voir la répartition locale des formes dans les parlers wallons encore parlés au début du 20e s. (<em>Atlas linguistique de la Wallonie</em>, t. 3, carte 70) ou dans le français régional de Belgique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1324999700022497280"}"></div></p>
<p>Les enquêtes que nous avons conduites nous ont permis de cartographier l’aire de chacune des dénominations relatives à ces viennoiseries, en tenant compte cette fois-ci de la totalité des régions francophones où l’on célèbre la Saint-Nicolas. En pratique, la carte ci-dessous a été réalisée à partir de deux enquêtes, chacune réunissant plus de 12 500 répondants. </p>
<p>Dans l’une et l’autre enquête, les questions portaient sur les dénominations du bonhomme ou de la brioche de Saint-Nicolas. Les internautes devaient indiquer s’ils connaissaient le référent, et, le cas échéant, dire quelle(s) étai(en)t la ou les variantes qu’ils utilisaient le plus communément pour le dénommer.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373023/original/file-20201204-21-1w02umd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373023/original/file-20201204-21-1w02umd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373023/original/file-20201204-21-1w02umd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373023/original/file-20201204-21-1w02umd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373023/original/file-20201204-21-1w02umd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373023/original/file-20201204-21-1w02umd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373023/original/file-20201204-21-1w02umd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les dénominations de la « brioche » de Saint-Nicolas dans la francophonie d’Europe d’après les enquêtes Français de nos Régions.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Nous avons calculé le pourcentage de chacune des réponses reçues pour chaque arrondissement de Belgique, de France, du Grand-Duché du Luxembourg et de district en Suisse, et conservé la réponse qui avait obtenu le pourcentage le plus haut. Des méthodes d’interpolation ont ensuite été utilisées pour colorer la surface de la carte de façon uniforme. Lorsqu’il était clair qu’une variante était largement minoritaire par rapport à l’autre, nous avons représenté cette information au moyen d’un petit carré sur la carte. Au total, nous avons pu faire figurer sur la carte 16 variantes différentes.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373029/original/file-20201204-17-kbc3rw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373029/original/file-20201204-17-kbc3rw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373029/original/file-20201204-17-kbc3rw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373029/original/file-20201204-17-kbc3rw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373029/original/file-20201204-17-kbc3rw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373029/original/file-20201204-17-kbc3rw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373029/original/file-20201204-17-kbc3rw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une image glanée sur Facebook.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Page Facebook Humour chti</span></span>
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<p>Dans l’est de la France, la fracture la plus évidente sépare le Haut-Rhin (<em>männala</em>) de la région englobant le Bas-Rhin et la Moselle (<em>männele</em>) : à l’origine, c’est un même mot alsacien signifiant littéralement « petit homme » (où <em>Männ-</em> : « homme », <em>-le</em> : suffixe diminutif), dont la prononciation diffère. </p>
<p>Toujours au rayon des emprunts aux parlers germaniques, signalons la forme <em>grittibänz</em> sporadiquement utilisée dans les cantons de l’arc jurassien romand (où <em>Benz</em> est le diminutif du prénom « Benoît », naguère synonyme en suisse-alémanique du mot « homme » ; Gritte, « fourche » et p. ext. « jambes écartées » dans ces mêmes dialectes) ; ainsi que <em>boxemännchen</em>, employé dans le Grand-Duché du Luxembourg et emprunté au parler local sans avoir été adapté (où <em>box-</em> = « petit boîte », <em>-männ-</em> = « homme » et <em>-chen</em> = « joli, mignon », soit « petit bonhomme dans une boîte »). Quant au <em>folard</em> dunkerquois, c’est un emprunt au flamand <em>volaeren</em> qui signifie… crotte ! (D’ailleurs on trouve dans le coin des attestations de « pain à crotte » !)</p>
<p>Un certain nombre de variantes n’appellent pas de remarques particulières, puisque le choix du mot s’explique en raison de l’aspect de la viennoiserie.</p>
<p>C’est notamment le cas à Liège, comme en Suisse romande, des formes bonhomme et <em>bonhomme de/en pâte</em>, mais aussi de la forme <em>jean-bonhomme</em> (rappelons que le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/12/27/quels-sont-les-prenoms-les-plus-populaires-depuis-1946_5234967_4355770.html">prénom Jean était le prénom le plus couramment donné à des hommes</a> jusque dans les années 50) que l’on rencontre en Haute-Saône, dans le nord du Doubs et dans le Territoire-de-Belfort. Le tour <em>Petit Saint-Nicolas</em> en Lorraine fait référence au caractère miniature de la viennoiserie (on dit aussi parfois qu’il ferait référence aux enfants de Saint-Nicolas). Quant au composé <em>pain de jésus</em> qui survit sporadiquement sur la frange occidentale de la Lorraine (départements de la Marne et de l’Aube, essentiellement), il s’explique par la ressemblance entre la viennoiserie et l’enfant star de la crèche.</p>
<p>Ailleurs, les liens entre forme de la viennoiserie et choix de dénomination sont moins transparents.</p>
<p>C’est notamment le cas dans les Vosges, où il faut savoir que le mot <em>coualé</em>, emprunté aux parlers locaux signifie « tordu ». Dans le Nord-Pas-de-Calais et le Hainaut belge, le mot <em>coquille</em> est employé par analogie avec l’enveloppe dans laquelle le petit Jésus est emmailloté.</p>
<p>La Wallonie est divisée entre les partisans du <em>cougnou</em> (aire dialectale wallonne, à l’est) et les partisans de la cougnole (aire dialectale picarde, à l’ouest). Comme les variantes <em>cugnole</em> et <em>quéniole</em>, en usage de l’autre côté de la frontière (de même que la forme <em>quénieu</em> attestée naguère en Champagne ne semble désormais plus en usage), <em>cougnou</em> et <em>cougnole</em> continuent un type wallon/picard <em>cougn</em>, à rapprocher du français <em>coin</em>. Comme le rappelle Michel Francard <a href="https://www.lesoir.be/art/1399192/article/debats/chroniques/vous-avez-ces-mots/2016-12-23/cougnous-cougnoles-et-autres-bonhommes">dans l’une de ses chroniques</a>, ces dénominations remontent toutes à la forme originelle de la pâtisserie. Avant d’avoir l’aspect qu’on lui connaît aujourd’hui (pain de forme oblongue composé de deux boules), les <em>cougnous</em> et autres <em>cougnoles</em> avaient la forme d’un losange, c’est-à-dire d’un double coin.</p>
<h2>Le mot de la fin</h2>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/373028/original/file-20201204-21-1kiebrg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/373028/original/file-20201204-21-1kiebrg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/373028/original/file-20201204-21-1kiebrg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/373028/original/file-20201204-21-1kiebrg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/373028/original/file-20201204-21-1kiebrg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/373028/original/file-20201204-21-1kiebrg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/373028/original/file-20201204-21-1kiebrg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Comme on dit chez nous – Le grand livre du français de nos régions, est paru aux éditions Le Robert.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pendant des siècles, les langues ancestrales que parlaient nos arrière-grands-parents (qu’on appelle encore parfois, de façon péjorative, patois ou dialectes) ont fidèlement reflété les différences entre les modes de penser et de vivre des habitants d’une même région. Aujourd’hui, ces langues ne sont presque plus transmises, mais les traditions et le folklore local n’ont pas disparu. Et contrairement à ce que l’on croit, le français que l’on parle ici et là en garde les traces. Car comme les autres langues de grande diffusion que sont l’anglais et l’espagnol, partout tout où il est parlé, le français varie. Les dictionnaires de référence ne rendent pas toujours justice à cette variation. C’est pourquoi il est important de continuer à documenter ces phénomènes locaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151486/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Avanzi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La fête de la Saint-Nicolas, célébrée seulement sur une partie du territoire français, est associée à des débats linguistiques dignes du match pain au chocolat vs chocolatine.Mathieu Avanzi, Maître de conférences en linguistique francaise, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1328802020-04-26T18:52:48Z2020-04-26T18:52:48ZComment les prêtres mariés vivent leur rupture avec l’Église<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/329764/original/file-20200422-47784-1ugwort.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C26%2C1153%2C648&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Renoncer à la vocation constitue l'une des transitions les plus brutales qui puisse exister. </span> <span class="attribution"><span class="source">Gina Smith / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Un vif débat sur le mariage des prêtres anime aujourd’hui l’Église. Fin 2019, des centaines d’évêques latino-américains et amérindiens, réunis au Vatican, ont proposé de <a href="https://www.lepoint.fr/religion/ordonner-pretres-des-hommes-maries-la-revolution-venue-d-amazonie-27-10-2019-2343727_3958.php">lever cette interdiction</a>. Mais le pape François a <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/religion/le-pape-reaffirme-son-attachement-au-celibat-des-pretres-sauf-cas-exceptionnels_2114683.html">renoncé</a> en février 2020 à ouvrir cette perspective.</p>
<p>Le célibat des prêtres catholiques reste en effet un point central du droit canon. Le prêtre qui y renonce s’éloigne de fait de l’Église et s’expose à une mise à l’écart cinglante de la communauté. Il s’agit même de l’une des transitions les plus brutales qui puisse exister : en renonçant à leurs vocations, les prêtres perdent à la fois leurs emplois, mais aussi leurs professions et bien souvent leurs réseaux professionnels, familiaux et amicaux.</p>
<p>Pour mieux comprendre cette rupture induite par la rencontre amoureuse et ses conséquences, nous avons rencontré 30 prêtres mariés avec lesquels nous avons conduit des entretiens d’une durée de 45 minutes à deux heures.</p>
<p>Nos résultats permettent de dégager trois profils d’ex-prêtres, qui montrent tous que, même dans un contexte défavorable, voire hostile, la capacité d’un être humain à se redéfinir personnellement comme professionnellement demeure importante.</p>
<p>Ces trois profils correspondent à trois stratégies : se cacher, critiquer les critiques, et enfin communiquer pour faire évoluer les représentations.</p>
<h2>« Déçu de moi-même »</h2>
<p>La première stratégie, se cacher, traduit une volonté de développer la relation amoureuse en autonomie, le temps de pouvoir envisager les modalités pratiques de l’éloignement de l’Église. Ici la rupture avec l’Église est conçue à regret, tant le prêtre apprécie son travail mais sait ne pas pouvoir le faire en étant en couple. Comme en témoigne un prêtre interviewé :</p>
<blockquote>
<p>« Je sais que la direction que cela m’amène à prendre va peiner beaucoup de monde. Je pense ici à plusieurs prêtres comme à mes paroissiens. Je suis déçu de moi-même. »</p>
</blockquote>
<p>L’impulsion provient généralement d’un évènement structurant. Deux cas apparaissent ici. Le premier est celui d’une dégradation de la santé du prêtre ou de sa compagne :</p>
<blockquote>
<p>« À force de faire des efforts pour se cacher, cela use les corps et les esprits. J’ai eu un pépin cardiaque qui m’a fait me dire que je ne pouvais pas continuer comme cela. Il fallait partir. »</p>
</blockquote>
<p>Le second est la découverte de la relation :</p>
<blockquote>
<p>« Nous avons croisé un paroissien alors que nous étions à la terrasse d’un café sans aucune raison de l’être… La nouvelle s’est ensuite propagée. »</p>
</blockquote>
<p>Là le prêtre ne peut rien faire d’autre que partir. La rupture est crainte.</p>
<p>Ici, l’expérience de prêtres étant partis dans des conditions comparables ne l’incite pas à l’optimisme :</p>
<blockquote>
<p>« Je me souviens d’un prêtre qui a dû partir dans l’urgence. L’évêque ne lui a même pas laissé l’occasion d’annoncer son départ à ses paroissiens. Il est parti dans la nuit avec sa conjointe qui travaillait dans une école dont on l’a chassée. De telles conditions vous font réfléchir. »</p>
</blockquote>
<p>Partir signifie ici perdre aussi son logement :</p>
<blockquote>
<p>« La hiérarchie ne souhaite pas que le prêtre marié demeure dans sa paroisse. Le départ est donc source de perte d’emploi et de logement. Je devrai donc me reposer que sur les revenus de ma conjointe et en plus on devrait déménager. »</p>
</blockquote>
<p>Pour autant, le poids des circonstances le conduit à partir, quelles que soient les conditions matérielles.</p>
<h2>« L’Église a tout faux ! »</h2>
<p>La seconde stratégie voit le prêtre rentrer en opposition avec l’Église. Ici, il n’y a aucun regret comme avec le premier cas. Le prêtre est très critique, comme l’illustre par exemple ce verbatim :</p>
<blockquote>
<p>« L’Église nous conduit à voir la femme comme un danger alors que c’est tout l’inverse. C’est une opportunité de développement. L’Église a tout faux ! »</p>
</blockquote>
<p>Au contraire, pour lui la conjointe a une influence positive sur la qualité de la pratique professionnelle de prêtre :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai été un bien meilleur prêtre depuis que je suis avec Ursula*. Elle m’a ouvert à des réalités que mon isolement ministériel ne me permettait pas de cerner. J’ai pris conscience d’avoir été abusé par l’Église. »</p>
</blockquote>
<p>La critique peut être encore plus radicale lorsque certains relient cet interdit avec les scandales récents de pédophilie :</p>
<blockquote>
<p>« Ne pas prendre en charge la sexualité des êtres humains, c’est s’exposer à des dérives comme prendre des personnes ayant des perversions. »</p>
</blockquote>
<p>Un autre élément conduit à intensifier la colère du prêtre : l’hypocrisie de certains de ses collègues :</p>
<blockquote>
<p>« Plusieurs donneurs de leçons ne sont pas eux-mêmes exempts de tout reproche. Au contraire, nombreux sont ceux qui entretiennent des relations avec des paroissiennes sur la durée et qui dans le même temps condamnent ceux qui font la même chose. »</p>
</blockquote>
<p>Cette hypocrisie, les prêtres n’en veulent pas :</p>
<blockquote>
<p>« Il est hors de question que nous vivions avec Chantal* une relation clandestine pendant des années. Cela n’est pas possible. Je ne pourrais pas accepter de lui faire subir cela ! »</p>
</blockquote>
<p>Ici les couples se distinguent des autres cas où la conjointe comme le prêtre envisagent une relation clandestine sur la durée. Là ce n’est pas envisagé.</p>
<p>Ce profil débouche sur un équilibre psychique assumé. En effet, le prêtre marié ne se définit plus comme prêtre. Son éloignement avec l’Église est total :</p>
<blockquote>
<p>« Je ne suis plus prêtre. Je n’ai pas besoin de l’Église pour avoir une relation avec Dieu. »</p>
</blockquote>
<h2>« On peut aider les autres sans être prêtre »</h2>
<p>Le dernier profil voit se dégager un prêtre qui privatise son action professionnelle. Il estime ne plus avoir besoin de l’Église pour faire ce qu’il apprécie. La relation avec sa conjointe apparaît comme un signe de Dieu, comme en témoigne en interviewé :</p>
<blockquote>
<p>« Dieu a mis sur mon chemin Odette*. Je ne vois pas pourquoi je devrais m’opposer à sa venue. Je ne me suis pas questionné outre mesure car je ne voyais pas le problème. »</p>
</blockquote>
<p>Face à cette rupture jugée inévitable, le prêtre se prépare en demandant des formations, ou encore en mobilisant ses paroissiens pour améliorer son employabilité. Le départ étant anticipé, il ne donne pas lieu à un surinvestissement émotionnel :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis parti le cœur léger car je savais que je continuerais à faire ce que je voulais faire : aider les autres. On peut très bien aider les autres sans être prêtre. »</p>
</blockquote>
<p>Pour autant, alors que les deux autres profils ne cherchent pas à avoir de relations avec l’Église après leur départ, l’ex-prêtre reste ici en lien avec elle en développant une militance envers les potentiels prêtres pouvant souhaiter quitter cette institution. Les expressions de cet engagement peuvent prendre des formes diverses. Le prêtre va par exemple s’engager dans des associations d’anciens prêtres pour obtenir une meilleure retraite.</p>
<p>Dans quelques cas, les ex-prêtres témoignent publiquement ou écrivent des livres retraçant leur parcours de vie. Cependant, cet engagement connaît des limites. Plusieurs soulignent qu’une trop grande notoriété peut entraîner des inconvénients qu’ils ne veulent pas vivre ou faire vivre à leurs proches :</p>
<blockquote>
<p>« Je témoignerais bien mais j’ai peur de ce que cela pourrait signifier pour ma femme et ma fille. Toutes deux sont dans une école catholique et je pense que cela n’arrangerait pas les choses. »</p>
</blockquote>
<p>Bref, plus ça change, moins ça change…</p>
<p>Pour conclure, soulignons que le cas extrême des prêtres mariés peut être élargi à l’ensemble des salariés en situation de reconversion professionnelle. Il met en effet en évidence la capacité à pouvoir se reconstruire après une rupture. Faire le deuil de son identité professionnelle précédente peut en effet aboutir au meilleur, comme rebondir dans une profession souhaitée, mais cela empêche une remise en cause profonde de son activité et de son sens.</p>
<p>En cela, les prêtres qui font le choix du mariage apparaissent condamnés à reconstruire entièrement non seulement leur identité professionnelle, mais aussi le sens de celle-ci.</p>
<hr>
<p><em>Les prénoms ont été changés.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132880/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Certains se cachent, tandis que d’autres anticipent cette étape particulièrement brutale que constitue une renonciation à la vocation.Emmanuel Abord de Chatillon, Professeur, Chaire Management et Santé au Travail, CERAG, INP Grenoble IAE, Grenoble IAE Graduate School of ManagementFrançois Grima, Professeur des Universités, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Pauline de Becdelièvre, Maître de conférence/ enseignant-chercheur, École Normale Supérieure Paris-Saclay – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1308422020-04-10T14:27:58Z2020-04-10T14:27:58ZAvec le film des Monty Python « La Vie de Brian », Terry Jones nous laisse en héritage un Jésus étonnamment réaliste<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/315796/original/file-20200217-11040-pu9d2d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1166%2C665&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Graham Chapman interprète Brian, dans le film _Monty Python: La Vie de Brian_.</span> <span class="attribution"><span class="source">HandMade Films/Python (Monty) Pictures</span></span></figcaption></figure><p>Les admirateurs du groupe humoristique Monty Python ont souligné le <a href="https://fr.news.yahoo.com/d%C3%A9c%C3%A8s-monty-python-terry-jones-133810271.html">récent décès de Terry Jones, l’un de ses membres fondateurs</a>, en diffusant sur les médias sociaux des dizaines d’extraits <a href="https://twitter.com/search?q=%23terryjonesRIP&src=typeahead_click">mettant en vedette l’acteur, scénariste et réalisateur</a>.</p>
<p>Parmi les scènes les plus appréciées figure l’interprétation par Terry Jones du personnage de Mandy, mère de Brian Cohen. Jeune homme malchanceux, Brian (Graham Chapman) est né le même jour que Jésus, dans l’étable voisine. Toute sa vie, il sera condamné à être pris pour un messie.</p>
<p>Dans l’une des séquences, la mère de Brian, sous les traits de Terry Jones, se penche à sa fenêtre et sermonne la foule : <a href="https://www.youtube.com/watch?v=DBbuUWw30N8">« He’s not the messiah. He’s a very naughty boy »</a>. (« Ce n’est pas le messie, c’est un méchant garçon. »)</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311912/original/file-20200126-81399-ojwgry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311912/original/file-20200126-81399-ojwgry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311912/original/file-20200126-81399-ojwgry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311912/original/file-20200126-81399-ojwgry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=449&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311912/original/file-20200126-81399-ojwgry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311912/original/file-20200126-81399-ojwgry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311912/original/file-20200126-81399-ojwgry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=564&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">« He’s not the messiah. He’s a very naughty boy. ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">HandMade Films/Python (Monty) Pictures/’Monty Python’s Life of Brian’</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est avec <em>Monty Python’s Life of Brian</em> (<em>Monty Python : La Vie de Brian</em>) que Terry Jones amorce sa carrière de réalisateur. La sortie, en 1979, de ce film parodique est accueillie par des manifestations de groupes chrétiens, des accusations de blasphème ainsi qu’une <a href="http://www.bbc.com/culture/story/20190822-life-of-brian-the-most-blasphemous-film-ever">interdiction de diffusion en Irlande et en Norvège</a>. Toutefois, les membres de Monty Python constatent bientôt que le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Od2ni3okcww">film survit à ses critiques</a>.</p>
<p>Terry Jones était un <a href="https://theconversation.com/terry-jones-professional-comic-amateur-historian-accomplished-human-being-130514">historien amateur non seulement passionné mais publié</a>. Les <a href="https://historicaljesusresearch.blogspot.com/">spécialistes de la Bible</a> savent depuis longtemps qu’au-delà de ses pitreries, le film <em>La Vie de Brian</em> soulève des points intéressants sur le Jésus historique. Ainsi, l’histoire montre que Jésus – auquel on ne fait directement référence qu’à deux reprises – était également un <a href="https://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/religion/jesus/bornliveddied.html">Juif du premier siècle, de la fin de l’ère du Second Temple</a>, et que le personnage <a href="https://www.harpercollins.com/9780061137785/the-misunderstood-jew/">doit être replacé dans le contexte de</a> l’époque et de la société où il vivait.</p>
<h2>De judicieuses observations</h2>
<p>Malgré son humour insolent, <em>La Vie de Brian</em> est ponctué de judicieuses observations sur les <a href="https://www.pbs.org/wgbh/pages/frontline/shows/religion/portrait/jews.html">politiques romano-judéennes de</a> l’Antiquité. Par ailleurs, le film se permet des commentaires mordants sur les dangers des mouvements de masse et les lacunes inhérentes aux religions ou idéologies qui <a href="https://theconversation.com/life-of-brian-at-40-an-assertion-of-individual-freedom-that-still-resonates-114743">refusent la réflexion critique</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/SjO62l8ewYw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Lors d’un <a href="http://marginalia.lareviewofbooks.org/now-something-completely-different-brianology-comes-age-pythons-done-us/">colloque international tenu en 2014</a> au King’s College de Londres, <em>La Vie de Brian</em> a servi d’exemple dans l’examen de récits bibliques traitant de Jésus et des différentes manières dont ils ont été et sont lus, entendus et appréciés. De ce <a href="https://www.youtube.com/watch?v=CspatcnNWSg">symposium</a> découle la fascinante étude <a href="https://www.bloomsbury.com/us/jesus-and-brian-9780567658319/"><em>Jesus and Brian</em></a> qu’a fait paraître <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/what-did-jesus-look-like-9780567671493/">Joan E. Taylor</a>, spécialiste du Jésus historique.</p>
<p>Des scènes tirées de <em>La Vie de Brian</em> figurent régulièrement dans le cours « Theology in Film » (« la théologie au cinéma ») que je donne à l’Université Concordia de Montréal. Issus de la diversité religieuse, mes étudiantes et étudiants sont pour la plupart nés 25 ans après la sortie du film. Pourtant, ils classent systématiquement <em>La Vie de Brian</em> au nombre de leurs films préférés en études cinématographiques.</p>
<p>Parfaite introduction en la matière, <em>La Vie de Brian</em> illustre comment une parodie vraisemblablement irrévérencieuse des <a href="https://theconversation.com/what-drives-the-appeal-of-passion-of-the-christ-and-other-films-on-the-life-of-jesus-110691">« films biographiques sur Jésus » </a> (œuvres cinématographiques traitant du Jésus historique) peut n’avoir ni le budget, ni les dialogues en langues du premier siècle, ni les effets spéciaux d’une œuvre comme <a href="https://books.google.co.uk/books/about/Re_Viewing_The_Passion.html?id=SqaFQgAACAAJ&redir_esc=y"><em>The Passion of the Christ</em></a> (<em>La Passion du Christ</em>) de Mel Gibson, mais s’avérer néanmoins plus exacte sur le plan historique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311909/original/file-20200126-81352-1g2gxe8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311909/original/file-20200126-81352-1g2gxe8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311909/original/file-20200126-81352-1g2gxe8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311909/original/file-20200126-81352-1g2gxe8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311909/original/file-20200126-81352-1g2gxe8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311909/original/file-20200126-81352-1g2gxe8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311909/original/file-20200126-81352-1g2gxe8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Terry Jones en avril 2015 à New York, lors d’une projection spéciale de <em>Monty Python and the Holy Grail</em> (<em>Monty Python : Sacré Graal !</em>) au festival du film de Tribeca.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Andy Kropa/Invision/AP</span></span>
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<h2>Palmarès des films sur Jésus</h2>
<p>Voici, histoire de souligner le décès de Terry Jones, une liste des raisons pour lesquelles il nous semble qu’il a légué au monde ce qui constitue encore aujourd’hui l’un des meilleurs films sur Jésus.</p>
<p><strong>1. Multiplier les expressions du judaïsme</strong></p>
<p>Les scénaristes de <em>La Vie de Brian</em> connaissaient les œuvres d’auteurs juifs anciens comme <a href="http://earlyjewishwritings.com/">Philon et Flavius Josèphe</a>. Quand Brian tombe par hasard sur un « coin des orateurs » où déclame notamment un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=QqaQ_Bhgmrc">« prophète vraiment ennuyant »</a>, non seulement Terry Jones met en lumière des <a href="https://www.bibleodyssey.org/tools/video-gallery/m/messiah-figures---bond">figures messianiques du premier siècle</a>, mais il souligne la <a href="https://www.bibleodyssey.org/people/related-articles/jewish-context-of-jesus">diversité des expressions du judaïsme</a> dans les décennies turbulentes qui ont précédé la destruction du temple juif, en l’an 70 de notre ère.</p>
<p>Si elle se moque des politiciens britanniques de la fin des années 1970, la scène où des militants du <a href="https://www.youtube.com/watch?v=WboggjN_G-4">« Front populaire de Judée »</a> s’indignent qu’on les prenne pour des membres du « Front du peuple judéen » parodie simultanément de véritables et très anciennes <a href="https://www.jewishvirtuallibrary.org/the-great-revolt-66-70-ce">tensions interethniques</a>, antérieures à la désastreuse guerre des Juifs contre les Romains.</p>
<p><strong>2. Ne pas transposer au premier siècle une foi chrétienne qui s’exprimera ultérieurement</strong></p>
<p><em>La Vie de Brian</em> est l’un des rares films biographiques sur Jésus qui ne considèrent pas ce Juif du premier siècle à travers le prisme d’une <a href="https://www.bibleodyssey.org/en/passages/related-articles/supersessionism">théologie chrétienne qui se définira plus tard</a>. Contrairement au film <em>La passion du Christ</em> de Mel Gibson, qui dépeint Jésus et ses disciples presque comme des catholiques conservateurs, ou <em>Jésus de Montréal</em>, qui répète de sombres théories de conspiration sur Rome cachant des documents secrets, et où le curé du sanctuaire (joué de façon très sensible par Gilles Pelletier) est <a href="http://pages.videotron.com/lever/Articles/Jesus.html">l’antithèse de son Jésus</a>, <em>La Vie de Brian</em> ne fait pas appel à des <a href="https://www.theguardian.com/film/2004/mar/23/news.melgibson">conceptions explicites – favorables ou défavorables – de l’Église</a>.</p>
<p><strong>3. Explorer l’ambiguïté</strong></p>
<p>La fameuse scène où un personnage s’écrit « What have the Romans ever done for us ? » (« qu’est-ce que les Romains ont fait pour nous ? ») établit un parallèle avec un débat rabbinique ultérieur sur les <a href="https://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780195179309.001.0001/acprof-9780195179309">avantages de la domination romaine</a>. Les scénaristes illustrent ainsi les ambiguïtés qu’entretient tout peuple conquis. En effet, malgré la dure réalité de l’époque, <a href="http://cojs.org/steve-mason-will-real-josephus-please-stand-biblical-archaeology-review-23-5-1997/">tous ne réagissaient pas de la même façon à l’autorité de Rome</a>.</p>
<p><strong>4. Dresser un parallèle avec l’ascension de Jésus</strong></p>
<p>Dans <em>La Vie de Brian</em>, l’ascension désordonnée, presque accidentelle, de Brian au statut de messie s’inspire de la manière dont la vie et les enseignements de Jésus ne semblaient pas d’entrée de jeu destinés à avoir l’influence qu’ils ont exercée ultérieurement, et ce, selon des écrits tirés du Nouveau Testament même, notamment <a href="https://historicaljesusresearch.blogspot.com/search?q=messianic+secret">l’« Évangile selon Marc »</a>.</p>
<p><strong>5. Attirer l’attention sur les différences entre les versions existantes</strong></p>
<p>Terry Jones et les autres membres de Monty Python jouent avec l’écart cognitif entre la vision qu’a Brian de lui-même et celle qu’en ont les foules. Si <em>La Vie de Brian</em> s’efforce de démontrer par A plus B que <a href="https://historicaljesusresearch.blogspot.com/2014/06/the-life-of-brian-historical-jesus-and.html">Brian n’est pas Jésus</a>, le film met en exergue le fait que nous ne possédons pas de témoignages de première main quant à la <a href="https://www.bloomsbury.com/us/the-historical-jesus-a-guide-for-the-perplexed-9780567033178/">perception qu’avait Jésus de lui-même</a>.</p>
<p>Au contraire, le Nouveau Testament des chrétiens réunit <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/the-four-gospels-and-the-one-gospel-of-jesus-christ-9781563383007/">quatre évangiles</a>, récits théologiques dans lesquels d’autres personnes se souviennent – des décennies plus tard – de Jésus comme : d’un professeur autoritaire (Matthieu) ; d’un thaumaturge et du fils de Dieu (Marc) ; d’un prophète et d’un messie (Luc) ; ou d’un être divin (Jean).</p>
<p>Parfois, ces <a href="https://www.bibleodyssey.org/tools/bible-basics/in-what-ways-is-the-new-testament-a-religious-text-neufeld">quatre évangiles ainsi que d’autres textes extérieurs au canon chrétien</a> rapportent de manière bien différente les paroles de Jésus et le contexte dans lequel il les a prononcées.</p>
<p><strong>6. Dépeindre la crucifixion</strong></p>
<p>Par son absurdité extrême, la scène de <em>La Vie de Brian</em> où les condamnés suspendus à des croix à côté de Jésus chantent « Always Look on the Bright Side of Life » (« prenez toujours la vie du bon côté ») tourne en dérision la représentation de cette scène dans d’autres films biographiques. Ainsi, <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=UonsJlKD1vE"><em>King of Kings</em></a> (<em>Le Roi des rois</em>), réalisé en 1961 par Nicholas Ray et <em>Jésus de Nazareth</em>, tourné en 1979 par Franco Zeffirelli, montrent Jésus vivant une <a href="https://www.youtube.com/watch ?v=UonsJlKD1vE">mort somme toute sereine et béatifique</a>. Terry Jones et les autres comédiens de Monty Python partagent avec le public la compréhension tacite du fait suivant : la <a href="https://books.google.co.uk/books/about/Crucifixion.html ?id=UDEPFqTiQhUC&redir_esc=y">crucifixion est une forme d’exécution ordonnée par l’État des plus horribles</a>.</p>
<p><strong>7. Résister à la tentation de faire des Juifs des méchants</strong></p>
<p><em>La Vie de Brian</em> ne prend pas au pied de la lettre les <a href="http://readingreligion.org/books/cast-out-covenant">polémiques du Nouveau Testament contre les Juifs</a> ou du pouvoir qu’exerçait Jérusalem. Contrairement à certains films biographiques sur Jésus, la comédie a su résister à la tentation de faire des Juifs des méchants ou des opposants à un prophète (juif), à un <a href="https://www.ncronline.org/news/media/decade-later-passion-still-raises-questions-anti-semitism">maître à penser ou, pour les chrétiens, à un messie</a>. Plutôt, elle attribue carrément la responsabilité des crucifixions, notamment celle de Jésus, à l’État romain, à qui <a href="https://www.bibleodyssey.org/en/passages/related-articles/crucifixion-of-jesus-and-the-jews">elle revient bel et bien sur le plan historique</a>.</p>
<p>Terry Jones et les autres membres de Monty Python ont légué le rire au monde. <em>La Vie de Brian</em> nous rappelle que Terry Jones nous a également laissé en héritage une satire mordante sur les <a href="http://www.thefocuspull.com/features/fresh-look-monty-pythons-life-of-brian-1979/">dangers de la « pensée unique »</a> de même qu’une description mûrement réfléchie du milieu à la fois romain et méditerranéen où vivait Jésus, ce Juif du premier siècle que vénèrent aujourd’hui <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2017/04/05/christians-remain-worlds-largest-religious-group-but-they-are-declining-in-europe/">plus de deux milliards de personnes</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130842/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Matthew Robert Anderson reçoit des fonds de recherche de la CUPFA, l'Association des professeurs à temps partiel de Concordia. </span></em></p>« La Vie de Brian » est une parfaite introduction à la façon dont une parodie apparemment irrévérencieuse sur Jésus peut offrir des perspectives historiques plus solides que des films plus sérieux.Matthew Robert Anderson, Affiliate Professor, Theological Studies, Loyola College for Diversity & Sustainability; Honorary Research Associate, University of Nottingham UK, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1357922020-04-10T12:29:32Z2020-04-10T12:29:32ZPrêcher l’évangile sans répandre le virus : la communauté chrétienne se prépare à célébrer Pâques en ligne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/326942/original/file-20200409-187418-3alajp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À l'église méthodiste St-Paul, à Brooklyn, le technicien Joseph Stoute se prépare pour une diffusion de la messe en direct, le 22 mars.</span> <span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Bebeto Matthews</span></span></figcaption></figure><p>Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, les <a href="https://www.aljazeera.com/news/2020/03/places-worship-world-shut-coronavirus-200320135906275.html">leaders religieux du monde entier</a> ont été priés ou contraints de <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/03/15/covid-19-les-eglises-catholiques-cessent-leurs-activites-publiques">fermer les portes de leurs lieux de culte</a>.</p>
<p>De <a href="https://www.la-croix.com/Religion/coronavirus-pas-rassemblements-religieux-Paques-France-2020-03-23-1201085581">nombreux pays ont suspendu les célébrations religieuses publiques</a> pour la première fois depuis la <a href="https://www.patheos.com/blogs/anxiousbench/2020/03/influenza-pandemic-1918-churches/">pandémie de grippe de 1918</a> – or, même à l’époque, <a href="https://www.historyextra.com/period/first-world-war/spanish-flu-britain-how-many-died-quarantine-corona-virus-deaths-pandemic/">certaines villes</a>, en plaidant la nécessité, avaient gardé leurs églises ouvertes.</p>
<p>Bien que certains prêtres et pasteurs chrétiens aient insisté pour <a href="https://www.journaldemontreal.com/2020/03/22/covid-19-dieu-ne-vous-protegera-pas">maintenir l’ouverture</a> de <a href="https://www.latimes.com/world-nation/story/2020-03-31/coronavirus-megachurches-meeting-pastors">leurs lieux de culte</a>, de nombreuses églises et <a href="https://www.christianitytoday.com/news/2020/march/bsf-coronavirus-covid-19-bible-study-fellowship-online-asia.html">autres groupes chrétiens</a> dans le monde cherchent actuellement à établir une <a href="https://religionandpolitics.org/2020/04/01/religious-leaders-work-to-respond-to-the-coronavirus-pandemic/">certaine forme de présence</a> en ligne pour <a href="http://w2.vatican.va/content/vatican/en/special/2020/settimanasanta2020.html">prêcher l’évangile</a>, sans <a href="https://www.oikoumene.org/en/resources/documents/covid-19">répandre le virus</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/325440/original/file-20200404-74216-1qy31q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/325440/original/file-20200404-74216-1qy31q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=675&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/325440/original/file-20200404-74216-1qy31q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=675&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/325440/original/file-20200404-74216-1qy31q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=675&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/325440/original/file-20200404-74216-1qy31q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=848&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/325440/original/file-20200404-74216-1qy31q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=848&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/325440/original/file-20200404-74216-1qy31q1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=848&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La révérende Janet Cox, diacre à l’église méthodiste Saint-Paul, à Brooklyn, devant une nef vide, livrant un sermon retransmis en direct à l’intention d’une congrégation en confinement, le 22 mars dernier.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Bebeto Matthews</span></span>
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<p>Pour les juifs, les chrétiens et les musulmans, le Covid-19 frappe à un bien mauvais moment. <a href="https://www.chabad.org/holidays/passover/pesach_cdo/aid/671901/jewish/When-Is-Passover-in-2020-2021-2022-2023-2024-and-2025.htm">Pessa’h</a>, <a href="https://www.thesun.co.uk/news/8836859/easter-2020-when-date-holiday-good-friday/">Pâques</a> et le <a href="https://www.islamicfinder.org/special-islamic-days/ramadan-2020/">ramadan</a> se déroulent en fin de semaine ou approchent à grands pas. Pour les membres de ces communautés, ces fêtes comptent parmi les plus sacrées de leur calendrier respectif.</p>
<p>Qu’il s’agisse de <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/new-brunswick/new-brunswick-mulism-community-covid-friday-prayer-1.5519510">musulmans</a> <a href="https://wearesocial.com/uk/blog/2019/06/ramadan-on-social-considerations-for-brands">qui font leurs prières quotidiennes depuis leur maison</a> sur WhatsApp, de familles juives <a href="https://forward.com/culture/442256/passover-coronavirus-seder-haggadah-2020/">partageant le Seder sur Skype</a> ou de chrétiens <a href="https://easternsynod.org/story/april-03-2020-pastoral-letter-entering-holy-week">tapant sur leur clavier « le Seigneur est vraiment ressuscité ! »</a> dans le cadre d’une rencontre matinale de Pâques sur Zoom, la pandémie recèle pour tous les croyantes et croyants la promesse d’une <a href="https://eu.cincinnati.com/story/news/politics/2020/03/27/religion-and-coronavirus-cincinnati-jewish-muslim-easter-passover-mass-catholic-faith-church/2898644001/">façon entièrement nouvelle de souligner cette période importante sur le plan religieux</a>.</p>
<h2>La religion virtuelle : une pratique ancienne</h2>
<p>Strictement parlant, la religion en mode virtuel n’a rien de nouveau. En effet, cette pratique date d’avant l’avènement d’Internet, et même de l’électricité. À l’époque médiévale, les religieuses et les moines cloîtrés accomplissaient leurs <a href="http://www.bbk.ac.uk/pilgrimlibraries/2018/02/02/beebe/">pèlerinages en lisant les comptes rendus de voyageurs</a>, franchissant la distance jusqu’à Bethléem ou Rome en marchant dans leur cellule. Depuis longtemps, les personnes handicapées <a href="https://www.umcdiscipleship.org/resources/when-church-members-become-homebound">participent aux célébrations de leur communauté religieuse</a> par l’entremise de la radio, de la télévision, du téléphone et d’autres modes de transmission audio.</p>
<p>Les premières manifestations de culte et de prière en ligne chez les chrétiens ont – elles aussi – été motivées par la tragédie. Le cas le plus ancien <a href="https://books.google.co.uk/books?id=jCElDwAAQBAJ&lpg=PP1&dq=creating%20church%20online&pg=PA234#v=snippet&q=challenger&f=false">pourrait bien être une cérémonie commémorative de l’Église presbytérienne à la suite de la catastrophe de la navette spatiale Challenger, en 1986</a>. La mort et le deuil sont de puissants moteurs de changement sur le plan religieux, et ont souvent provoqué l’émergence de <a href="https://www.theguardian.com/technology/2011/apr/17/untangling-web-aleks-krotoski-religion">nouvelles dispositions d’esprit à l’égard des médias et de la technologie</a>.</p>
<p>Transmission en direct, clavardoirs, univers virtuels… Depuis lors, les cybercommunautés religieuses se sont épanouies. En 2004, le <a href="https://www.methodist.org.uk/about-us/the-methodist-conference/methodist-council/">Conseil méthodiste du Royaume-Uni</a> fonde <a href="https://www.youtube.com/watch?v=hnUZ4ubcUIw">Church of Fools</a>, une église virtuelle peuplée d’avatars, laquelle donne lieu à la création de la <a href="http://www.stpixels.com/">paroisse Web de Saint-Pixel</a>, puis à un réseau et à un groupe Facebook du même nom. La même année est lancée l’<a href="https://i-church.org/gatehouse/">i-church</a>, une « communauté en ligne expérimentale » faisant partie de l’<a href="https://www.churchofengland.org/">Église d’Angleterre</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/325453/original/file-20200405-74255-z2toxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/325453/original/file-20200405-74255-z2toxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/325453/original/file-20200405-74255-z2toxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/325453/original/file-20200405-74255-z2toxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=461&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/325453/original/file-20200405-74255-z2toxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/325453/original/file-20200405-74255-z2toxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/325453/original/file-20200405-74255-z2toxs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=580&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À l’église luthérienne de la Croix, à Victoria, en Colombie-Britannique, on peut voir un panneau d’affichage où l’on remercie les intervenants de première ligne, et invite les fidèles à prier sur le Web.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Matthew Robert Anderson</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>On parle beaucoup de la religion en ligne comme étant un phénomène <a href="https://churchofscotland.org.uk/news-and-events/news/2020/stay-connected-with-the-church-of-scotland">« sans précédent »</a>. Ce n’est pas le cas. Ce caractère nouveau réside plutôt dans la simultanéité avec laquelle des groupes religieux partout dans le monde investissent le Web.</p>
<p><a href="https://www.routledge.com/Creating-Church-Online-Ritual-Community-and-New-Media/Hutchings/p/book/9780415536936">Dans un ouvrage qu’il a rédigé au sujet des églises virtuelles</a>, le théologien et sociologue Tim Hutchings expose six hypothèses pour expliquer l’avènement de la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=JfPQEQTBSAA">religion numérique</a> :</p>
<p><strong>1. Les gens reviennent vers les lieux leur offrant une expérience qui vaut la peine d’être répétée</strong></p>
<p>Ce peut être en raison d’un sermon éloquent ou d’une musique particulièrement inspirante. Toutefois, si les gens reviennent, c’est le plus souvent pour l’esprit communautaire, l’amitié, la reconnaissance et l’occasion de s’impliquer de manière tangible. Si une église en ligne n’arrive pas à fidéliser ses visiteurs et à faire en sorte qu’ils se sentent comme faisant partie d’une communauté, <a href="https://www.pastortheologians.com/articles/2020/3/25/the-thing-about-online-church">c’est peine perdue</a>.</p>
<p><strong>2. Une présence en ligne signifie de nouvelles occasions d’être plus accessible et ouvert</strong></p>
<p>Les groupes religieux traditionnels ont peine à se faire accueillants et inclusifs, et ce, depuis un certain temps déjà. Or, de nombreux pionniers des cybercommunautés religieuses <a href="http://anordinaryoffice.org.uk/">ont remis en question ce caractère exclusif</a>, ouvrant leurs portes aux croyants qui ne se sentaient pas les bienvenus ailleurs.</p>
<p>Les églises en ligne attirent des chrétiens de diverses allégeances théologiques et sexuelles, des personnes neuro-atypiques ou aux prises avec un handicap, ainsi que des gens qui ont été – ou sont encore – rejetés par leurs églises locales. La crise de le Covid-19 représente une occasion unique pour toutes les églises de se rendre plus accessibles et ouvertes aux groupes historiquement exclus des bancs de leur congrégation, tout en prenant soin d’accommoder les fidèles en fonction de leur degré de littératie numérique.</p>
<p><strong>3. La diversité en ligne requiert d’être protégée</strong></p>
<p>Les communautés et les réseaux en ligne peuvent aussi constituer le lieu d’actes de haine et de harcèlement, <a href="https://religionnews.com/2020/03/30/zoombombing-epidemic-comes-for-houses-of-worship/">comme ont d’ailleurs commencé à le découvrir certaines communautés qui affluent vers les modes de transmission en direct</a>. Des logiciels sécurisés, des codes de conduite responsables et des modérateurs attentifs sont essentiels, même si trouver ces derniers peut prendre du temps.</p>
<p><strong>4. Reproduire en ligne un lieu de culte « normal » n’est pas une mauvaise idée en soi</strong></p>
<p>En dépit des possibilités visuelles illimitées sur le plan de la conception virtuelle qui leur sont offertes, les premières congrégations chrétiennes à faire leur apparition sur le Web <a href="https://archiv.ub.uni-heidelberg.de/volltextserver/11298/">ont adopté l’architecture reconnaissable des cathédrales et des clochers de l’époque médiévale</a>.</p>
<p>Particulièrement en temps de crise, nous avons tendance à nous tourner vers les lieux qui nous sont familiers et les personnes qui font figure d’autorités. Dès les premières semaines de la pandémie, il n’était pas étonnant de voir de nombreux groupes religieux choisir de retransmettre en direct des versions épurées de leurs activités régulières, accompagnées de musique, d’un sermon et de lectures que les fidèles pouvaient suivre à la maison.</p>
<p><strong>5. La « normalité » est appelée à changer</strong></p>
<p>Tim Hutchings a suivi un petit groupe d’églises en ligne durant plus d’une décennie. Il a constaté que les plus populaires survivent parce qu’elles acceptent d’expérimenter. Chacune de ces églises a d’abord misé sur des éléments familiers. Puis, elles ont gagné suffisamment en confiance pour s’adapter à leur nouveau milieu.</p>
<p>Le terme « virtuel » véhicule parfois une notion d’infériorité – mais les cybercommunautés religieuses affirment que l’expérience qu’elles offrent en ligne est <a href="https://iamthetruevine.blogspot.com/2020/04/mediated-worship-and-spirituality-media.html">plus qu’une simple simulation</a> de ce qui se déroule dans une église locale. Les nouvelles idées, pratiques liturgiques et interprétations théologiques qui les portent prennent du temps à mûrir.</p>
<p>À titre d’exemple, pour les membres de la communauté chrétienne dont les rencontres sont axées sur la <a href="https://www.encyclopedia.com/philosophy-and-religion/christianity/christianity-general/communion">communion</a>, l’idée d’une messe célébrée exclusivement en ligne a suscité plusieurs <a href="https://www.christianitytoday.com/ct/2020/march-web-only/online-communion-can-still-be-sacramental.html">débats sur le sens même du geste</a>. Pour beaucoup, la communion – ce moment où le pain et le vin sont bénis – est considérée comme <a href="https://www.encyclopedia.com/philosophy-and-religion/christianity/roman-catholic-and-orthodox-churches-general-terms-and-concepts/sacraments">« un sacrement »</a> traduisant la présence de Jésus-Christ. Des chrétiens <a href="https://wp.stolaf.edu/lutherancenter/2020/03/christ-is-really-present-virtually-a-proposal-for-virtual-communion/">s’interrogent actuellement sur la signification de cette présence lorsqu’elle survient en ligne</a>.</p>
<p>Le débat sur la <a href="https://www.thetablet.co.uk/features/2/17770/reimagining-the-eucharist">signification de la communion</a> est aussi vieux que le christianisme lui-même ; celui entourant la communion numérique <a href="https://j.hn/digital-communion-summary-of-theology-practices/">se poursuit depuis des décennies</a>. Au cœur de cette nouvelle normalité dictée par la pandémie, au moins une <a href="https://www.pcusa.org/news/2020/3/25/virtual-communion-church-leaders-say-it-can-be-don/">institution chrétienne d’importance</a> a suggéré que la communion en ligne pourrait être acceptable, après tout.</p>
<p><strong>6. L’expérience existe sur le terrain</strong></p>
<p>Dans presque toutes les communautés religieuses, il y a ceux et celles qui ont consacré des décennies à <a href="https://churchsupport.online/">explorer les possibilités de la religion virtuelle</a>. Toutefois, ces personnes fréquentent rarement les établissements confessionnels. Or, les églises peuvent faire appel à ces spécialistes, et apprendre d’eux.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/325424/original/file-20200404-74202-1os8hrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/325424/original/file-20200404-74202-1os8hrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/325424/original/file-20200404-74202-1os8hrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/325424/original/file-20200404-74202-1os8hrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/325424/original/file-20200404-74202-1os8hrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/325424/original/file-20200404-74202-1os8hrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/325424/original/file-20200404-74202-1os8hrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=496&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le révérend Christian Rauch, prêtre à l’église catholique Saint-André, à Lampertheim, en Allemagne, debout devant des photos de paroissiennes et paroissiens, le 4 avril dernier.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Michael Probst</span></span>
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</figure>
<h2>Promesses et périls</h2>
<p>Durant la première semaine de <a href="https://cruxnow.com/church-in-europe/2020/03/as-coronavirus-empties-churches-italian-priest-fills-pews-with-photos-of-parishioners/">culte à distance</a> en Italie, un prêtre catholique a eu l’idée d’imprimer des photos couleur des membres de sa congrégation pour ensuite les fixer avec du ruban gommé aux bancs de la nef. Dans une photo mémorable, on le voit debout, bras tendus en prière devant tous ces visages. Partout dans le monde, d’autres églises se sont empressées d’imiter ce geste extraordinaire.</p>
<p>Aussi inspirant que cet acte puisse l’être, on l’a immédiatement transformé en mème Internet – où l’on a retourné la situation avec humour en suggérant que <a href="https://twitter.com/ChruchSecretary/status/1240651983255715842">« quelqu’un s’était plaint parce qu’une photo ne se trouvait pas à son banc habituel »</a> – pointant ainsi du doigt la petite politique propre à certaines communautés paroissiales. Le prêtre et son adversaire virtuel dépeignent à la fois les promesses et les périls des transformations numériques.</p>
<p>Le culte numérique <a href="http://presence-info.ca/article/pour-que-l-amour-soit-viral">deviendra-t-il une occasion de repenser de façon radicale</a> ce que cela signifie à la fois <a href="https://international.la-croix.com/news/praying-at-home-during-this-coronavirus-holy-week/12118">d’être fidèle et de faire partie d’une communauté</a> ? Ou – un peu à l’opposé –, dans cette ruée vers le Web, ne se résumera-t-il pas simplement à la même vieille institution présentée sous une nouvelle forme ? Seul le temps nous le dira. Alors qu’approchent rapidement les toutes premières Pâques en ligne pour une multitude de fidèles, la communauté chrétienne est sur le point de le découvrir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135792/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Matthew Robert Anderson reçoit un financement de l'Association des professeurs à temps partiel de l'Université Concordia.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Tim Hutchings a reçu un financement du Conseil britannique de la recherche sur les arts et les sciences humaines pour la phase initiale de sa recherche sur les églises en ligne (2007-2009).</span></em></p>En raison du coronavirus, l'observation des fêtes religieuses en ligne, comme Pâques, est courante cette année. Un théologien et un sociologue proposent six considérations sur la religion numérique.Matthew Robert Anderson, Affiliate Professor, Theological Studies, Loyola College for Diversity & Sustainability; Honorary Research Associate, University of Nottingham UK, Concordia UniversityTim Hutchings, Assistant Professor in Religious Ethics, University of NottinghamLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1302712020-01-22T19:06:34Z2020-01-22T19:06:34ZIran–États-Unis : une amitié oubliée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/311109/original/file-20200121-117954-1a773xs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C6%2C4268%2C2387&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Montage des drapeaux américain et iranien.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://image.shutterstock.com/image-illustration/flag-usa-iran-painted-on-600w-746371327.jpg">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Depuis la révolution de 1979, l’Iran n’a cessé d’occuper la scène médiatique. Toutefois, récemment, l’assassinat de <a href="https://www.businessinsider.fr/us/who-was-qassem-soleimani-top-military-commander-killed-by-us-2020-1">Ghassem Soleimani</a> par un drone américain en Irak et la riposte des Iraniens par la destruction des bases américaines <a href="https://www.rtbf.be/info/monde/detail_plus-d-une-douzaine-de-missiles-tires-par-l-iran-contre-deux-bases-americaines-en-irak?id=10402279">d’Aïn Al-Assad et d’Erbil</a> ont fait craindre le pire : escalade, embrasement de la région et répercussions dans le monde.</p>
<p>Cette crise est l’occasion de revenir sur une période révolue d’entente particulièrement cordiale entre les États-Unis et l’Iran (1830-1953) ; car si depuis 1979, les relations se caractérisent par une animosité sans précédent, cela n’a pas toujours été le cas.</p>
<p>.</p>
<h2>XIXᵉ siècle : les États-Unis, un ami lointain et bienveillant</h2>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, les contacts entre les deux pays commencent sous de bons auspices. En effet, l’Iran – connu jusqu’en 1935 comme <a href="https://www.europe1.fr/emissions/Aujourd-hui-dans-l-Histoire/21-mars-1935-la-perse-devient-liran-3008027">Perse</a> – est pris en étau entre la Grande-Bretagne et la Russie qui, dans le cadre du <a href="http://www.revueconflits.com/le-nouveau-grand-jeu-bonus/">Grand jeu</a>, se disputent le contrôle du pays. Les États-Unis apparaissent dès lors comme une puissance neutre sans visée impérialiste. Dans un premier temps, le chancelier de l’empire de Perse <a href="http://www.iranchamber.com/history/amir_kabir/amir_kabir.php">Amir Kabir</a> (1804/5-1852), grand réformateur, essaye sans succès d’obtenir l’appui des États-Unis pour la constitution d’une flotte iranienne. Toutefois, en 1856, est signé un <a href="https://www.loc.gov/law/help/us-treaties/bevans/b-ir-ust000008-1254.pdf">traité de commerce et d’amitié</a> entre les deux États, suivi de l’ouverture de la première mission diplomatique américaine à Téhéran (1883) et de la mise en place d’une représentation iranienne à Washington (1888).</p>
<p>Mais au XIX<sup>e</sup> siècle, parallèlement aux efforts diplomatiques, c’est surtout la présence des missionnaires américains qu’il faut noter, dans la mesure où ils joueront un grand rôle dans la vision positive des États-Unis que les Iraniens maintiendront longtemps. En 1830, les révérends Harrison Dwight et Eli Smith sont les premiers Américains connus à se rendre en Iran. Ils doivent reconnaître le terrain pour l’arrivée des futurs missionnaires. Dès lors commencent les efforts de conversion des Iraniens chiites – des efforts qui ne seront pas couronnés d’un grand succès. Aujourd’hui, le nombre de <a href="http://international.blogs.ouest-france.fr/archive/2016/01/26/combien-de-chretiens-en-iran-15516.html">chrétiens en Iran</a> s’élèverait à moins de 100 000. Il était de 300 000 en 1979. La majorité est orthodoxe, auxquels il faut ajouter quelques catholiques romains et protestants, notamment évangéliques et anglicans.</p>
<p>En revanche, l’appui des Américains (missionnaires, médecins, instituteurs, historiens…) à l’amélioration des conditions de santé, de l’éducation et du bien-être ou encore de la culture est très apprécié, d’autant plus qu’ils ne s’immiscent pas dans les affaires internes iraniennes comme le font les Britanniques et les Russes. Ainsi, ils se tiennent à l’écart durant la <a href="http://www.teheran.ir/spip.php?article504">révolution constitutionnelle</a> de 1905-1911. Dans ce cadre, Howard Baskerville (1885-1909), est une exception notable. Il arrive en Iran au début du XX<sup>e</sup> siècle comme missionnaire presbytérien et soutient activement les révolutionnaires, jusqu’à y perdre la vie. À ce titre, il est toujours considéré comme un véritable héros, le La Fayette américain. En 1909, des milliers d’Iraniens assistent à son enterrement à Tabriz.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311114/original/file-20200121-117938-17mp8ix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311114/original/file-20200121-117938-17mp8ix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311114/original/file-20200121-117938-17mp8ix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311114/original/file-20200121-117938-17mp8ix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311114/original/file-20200121-117938-17mp8ix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311114/original/file-20200121-117938-17mp8ix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311114/original/file-20200121-117938-17mp8ix.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tapisserie représentant Howard Baskerville fabriquée par des tisseurs de Tabriz (avant 1910).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Howard_Baskerville#/media/File:Carpet_of_Baskerville.jpg">Constitution House of Tabriz</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>.</p>
<h2>Ces Américains qui ont participé à la modernisation de la Perse</h2>
<p>La vision positive que les Iraniens ont des États-Unis les mène à faire appel, en 1911, à l’Américain <a href="http://www.iranreview.org/content/Documents/Morgan-Shuster-in-Iran.htm">Morgan Schuster</a> comme conseiller financier pour la modernisation des finances. Il est nommé trésorier général de Perse de la dynastie Kadjar. Son dévouement au travail et sa loyauté lui valent un grand respect et accentuent l’admiration que la population éprouve pour les Américains. Ces derniers, quant à eux, malgré leur réticence envers la religion chiite, tissent des liens d’amitié avec les Iraniens et les relations sont à cette époque très cordiales. Schuster sera néanmoins obligé de quitter l’Iran sous la pression des Russes et des Britanniques, désireux de sauvegarder leur influence.</p>
<p>D’autres Américains œuvrent également au progrès de la Perse. C’est le cas, entre autres, de <a href="https://ajammc.com/2018/03/09/jordan-american-glamorous-tehran/">Samuel Jordan</a> ou de <a href="http://www.globalprayerdigest.org/issue/day/Biography-Jane-Doolittle/">Jane Doolittle</a> qui contribuent à l’avancée de l’éducation, du docteur <a href="http://www.ams.ac.ir/AIM/0252/0252127.htm">Joseph Cochran</a> (1855-1905) né, mort et enterré en Iran, qui concourt au progrès de la médecine de type moderne, ou encore d’<a href="http://www.iranicaonline.org/articles/pope-arthur-upham">Arthur Upham Pope</a> (1881-1969), enterré en Iran, qui œuvre toute sa vie à la connaissance de la culture, des arts et de l’architecture iraniens.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/311116/original/file-20200121-117958-1gnmjk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1006&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Mausolée d’Arthur Pope et de sa femme Phyllis Ackerman à Ispahan.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Arthur_Upham_Pope#/media/File:Arthur_Pope_mausoleum.jpg">Ipaat/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>XXᵉ siècle : vers la détérioration des relations</h2>
<p>Durant la Première Guerre mondiale, les Iraniens se tournent encore vers les Américains afin qu’ils les soutiennent dans leurs efforts – <a href="https://journals.openedition.org/abstractairanica/18411">pourtant vains</a> – visant à rester neutre. La réponse favorable des États-Unis et la création, en 1916, d’un comité d’assistance et d’aide aux Iraniens les confortent encore dans leur vision positive et dans l’idée que les Américains peuvent être un contrepoids aux visées impérialistes, en particulier britanniques. De leur côté, les Américains tiennent aux bonnes relations avec les Iraniens et les encouragent dans leur volonté de se débarrasser de la mainmise des puissances impérialistes de l’époque.</p>
<p>La découverte du pétrole par les Britanniques, dans le sud de l’Iran, change la donne. Les États-Unis commencent à s’intéresser et s’investir dans la région jusqu’à entrer en rivalité avec les Britanniques. Par ailleurs, Washington ne veut pas de concurrent dans le Golfe persique où il a établi une <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2016-2-page-101.htm">alliance avec l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’Iran est encore envahi par les troupes alliées en dépit de sa déclaration de neutralité. Malgré le ressentiment des Iraniens face à cette présence, le rôle joué par le ministre plénipotentiaire américain Louis G. Dreyfus et sa femme dans le soutien aux démunis, leurs actions dans les bidonvilles et leur lutte contre les maladies répandues comme le typhus préservent encore une certaine popularité aux Américains. Néanmoins, celle-ci commence à s’étioler auprès d’une partie de la population. Des articles injurieux contre Reza Shah publiés dans la presse américaine et l’arrestation malencontreuse d’un vice-ministre iranien aux États-Unis empoisonnent les relations.</p>
<p>L’entrée, en 1941, des Américains dans l’arène politique iranienne – toute nouvelle donne dans les relations irano-américaines – et finalement leur participation en 1953, à l’évincement de Mossadegh (<a href="https://foreignpolicy.com/2017/06/20/64-years-later-cia-finally-releases-details-of-iranian-coup-iran-tehran-oil/">opération Ajax</a>), père de la nationalisation du pétrole en Iran, finiront par alimenter les sentiments anti-américains qui enflammeront les discours pré-révolutionnaires et se concrétiseront dans la révolution de 1979 et jusqu’à aujourd’hui dans la lutte contre le « grand Satan ».</p>
<p>Finalement, si l’ingérence dans les affaires internes iraniennes a joué en défaveur de l’image américaine en Iran, le manque de connaissance de la culture iranienne et la croissante arrogance américaine ne seront pas non plus sans conséquence sur le changement d’appréciation d’une partie des Iraniens à propos des Américains…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130271/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Firouzeh Nahavandi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les États-Unis et l’Iran ne se sont pas toujours regardés en chiens de faïence, au contraire : jusqu’au milieu du XXᵉ, les deux pays ont entretenu d’excellentes relations.Firouzeh Nahavandi, Professeure ordinaire, Directrice de l’Institut de Sociologie de l'ULB, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1284812020-01-15T17:53:55Z2020-01-15T17:53:55ZSaint-Martin, une star européenne à l’histoire méconnue<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/309989/original/file-20200114-151848-ij847e.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C0%2C885%2C531&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bas-relief du « Cavalier de Bassenheim », conservé dans la petite église de Bassenheim (Rhénanie-Palatinat), il provient d'un ancien jubé de la cathédrale Saint-Martin de Mayence.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://de.wikipedia.org/wiki/Bassenheimer_Reiter#/media/Datei:Bassenheimer_Reiter_(2009-10-19_Sp).JPG">Lothar Spurzem/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le samedi 24 août 2019, le président de la République française reçoit ses homologues, membres du G7, à dîner, dans le phare de la pointe Saint-Martin à Biarritz. Le journal <em>Le Monde</em> relève un « cadre symboliquement fort ». Les lecteurs auront compris d’eux-mêmes le (ou les) symbole(s) : un phare sur l’Atlantique pour éclairer les gouvernants qui pilotent au milieu de vents contraires, en particulier sur l’Atlantique ? Ou bien Saint-Martin, ici toponyme, mais référence à une image célèbre, démonstrative, d’un officier romain à cheval partageant son manteau avec un mendiant ? Or cette rencontre au sommet avait pour agenda la lutte contre les inégalités…</p>
<p>16 octobre 2019, le « Magazine des musées » annonce l’ouverture d’une exposition « historique » : Le Greco au Grand Palais, sous le titre : « le bouquet final de la Renaissance », avec en couverture le tableau du maître tolédan représentant la <em>Saint Martin et le mendiant</em>…</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/309982/original/file-20200114-151829-1mups1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/309982/original/file-20200114-151829-1mups1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/309982/original/file-20200114-151829-1mups1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1112&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/309982/original/file-20200114-151829-1mups1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1112&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/309982/original/file-20200114-151829-1mups1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1112&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/309982/original/file-20200114-151829-1mups1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1397&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/309982/original/file-20200114-151829-1mups1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1397&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/309982/original/file-20200114-151829-1mups1n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1397&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Saint-Martin et le Mendiant, El Greco.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/5b/El_Greco_-_San_Mart%C3%ADn_y_el_mendigo.jpg">Wikipedia</a></span>
</figcaption>
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<h2>Partout en Europe</h2>
<p>Il faut naturellement croiser ces évènements qu’on pourrait multiplier au fil de l’actualité avec les lieux « martiniens » nombreux quoique méconnus : Saint-Martin des Champs à Paris, St Martin in the Fields à Londres, San Martino ai Monti à Rome, la cathédrale Saint-Martin de Mayence (qui fut historiquement la plus importante cathédrale de tout le royaume médiéval de Germanie), l’abbaye Saint-Martin de Weingarten (une des plus extraordinaires églises baroques d’Allemagne méridionale), le pont Saint-Martin à Tolède, etc. Mais ces monuments célèbres et prestigieux ne sont que la partie émergée de l’iceberg des milliers et milliers de petites ou moins petites églises Saint-Martin à travers toute l’Europe… et encore doit-on ajouter aussi d’innombrables toponymes, noms de villes ou de villages, lieux-dits, sans rapport avec un lieu de culte, Pont-Saint-Martin (ville du Val d’Aoste), Fontaine Saint-Martin, Pierre Saint-Martin, Pas de Saint-Martin, Mont Saint-Martin… Mais, dira-t-on, n’y a-t-il pas plusieurs saints portant ce nom, à différentes époques et dans différents pays ?</p>
<p>Oui et non. L’immense majorité de tous ces lieux et de toutes ces églises ne concerne qu’un seul et même Martin, connu comme saint Martin de Tours. Certes d’autres saints portent ce nom, mais c’est à cause de celui de Tours, le premier du nom, et surtout leur culte est extrêmement discret, le plus souvent limité à une seule église, ou à un petit nombre d’églises. Peu de risque par conséquent de se tromper. Mais alors pourquoi une telle célébrité ?</p>
<h2>Aux origines de la sainteté chrétienne</h2>
<p>On peut naturellement raconter une vie héroïque ou plutôt le parangon de la sainteté chrétienne : le jeune Martin né en Pannonie (aujourd’hui la Hongrie), dans une famille païenne et militaire – Martinus n’est-il pas le diminutif de Mars – est enrôlé de force dans l’armée romaine par son père avant l’âge légal. Pourtant dès son plus jeune âge, Martin aspirait à devenir chrétien et à vivre en chrétien. Un soir d’hiver glacial, le jeune officier croise, à la porte d’Amiens, un mendiant nu grelottant, il coupe en deux son manteau et en donne la moitié au mendiant. La nuit suivante, dans son sommeil, Martin voit le Christ revêtu de la moitié de manteau donné au pauvre et décide de se faire baptiser. Le partage du manteau n’est pas seulement un geste d’humanité, c’est aussi un geste qui révèle le Christ à la fois homme et Dieu.</p>
<p>Par la suite Martin instruit par Hilaire de Poitiers fonde un monastère au sud de Poitiers. Un peu plus tard, il est contraint par les Tourangeaux à devenir leur évêque ; il accepte cette tâche pastorale tout en continuant la vie monastique avec la fondation de Marmoutier. Il évangélise les campagnes et accomplit de nombreux miracles, notamment des résurrections. Il meurt à Candes, à la confluence de la Vienne et de la Loire et son corps est ramené à Tours où il est inhumé.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/309990/original/file-20200114-151862-1ry6u8j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/309990/original/file-20200114-151862-1ry6u8j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/309990/original/file-20200114-151862-1ry6u8j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/309990/original/file-20200114-151862-1ry6u8j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/309990/original/file-20200114-151862-1ry6u8j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/309990/original/file-20200114-151862-1ry6u8j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/309990/original/file-20200114-151862-1ry6u8j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/309990/original/file-20200114-151862-1ry6u8j.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’abside de l’église San Martino ai Monti, à Rome.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Bruno Judic</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Un grand écrivain de l’Antiquité tardive</h2>
<p>Mais on se tromperait en passant sous silence le fait que l’écrivain, Sulpice Sévère, est plus important que le saint. Sulpice Sévère se présente comme disciple de Martin et rédige une Vie du saint avant même sa mort. Surtout Sulpice Sévère est un avocat, un rhéteur, un grand écrivain, lié au milieu de la plus haute littérature latine chrétienne, où l’on trouve Paulin de Nole, Jérôme et Augustin d’Hippone. La célébrité de Martin est d’abord due à la qualité du texte de Sulpice Sévère et à la réussite d’un défi : montrer la sainteté chrétienne dans la personne d’un moine-évêque qui n’est pas mort martyr, le premier saint qui ne soit pas martyr, dans les premières décennies qui suivent la fin des persécutions des chrétiens et la liberté de l’Église dans l’Empire romain, au IV<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Les transformations du personnage</h2>
<p>Or la figure de Martin, pourtant si exceptionnelle dans le texte sévérien, s’est considérablement transformée et augmentée dans le haut Moyen Âge. On peut ainsi présumer que les origines du culte se situaient en Italie, grâce au succès de l’œuvre de Sulpice Sévère, succès d’une œuvre littéraire latine, à Rome et dans le monde romain. C’est seulement dans la seconde moitié du V<sup>e</sup> siècle que le tombeau de Tours est mis en valeur. Un peu plus tard, au VI<sup>e</sup> siècle, avec Grégoire de Tours notamment, saint Martin se trouve associé aux rois francs, protecteur de leur pouvoir et de leurs victoires. Plus tard encore, c’est la chape (le manteau) de saint Martin, emblème de cette victoire franque, qui devient la relique la plus précieuse du trésor des rois francs et pour laquelle Charlemagne fait construire la Chapelle dans son palais d’Aix.</p>
<p>Changeons de période et de région. À l’époque moderne, les Habsbourgs dominent l’Europe centrale. Ils sont pleins de dévotion pour saint Martin et accordent divers privilèges à la petite ville de Szombathely, l’antique Savaria, donné comme lieu de naissance du saint chez Sulpice Sévère. Finalement, à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, l’impératrice Marie-Thérèse crée un siège épiscopal dans cette petite ville en l’honneur de saint Martin. En conséquence on construit une cathédrale et de grands édifices administratifs, on y développe une vraie ville, au moment même où Tours tentait de faire disparaître toute trace de son tombeau, avec la Révolution.</p>
<h2>Au cœur des traditions rurales de l’ancienne Europe</h2>
<p>Un tout autre contexte contribue puissamment à la diffusion du thème saint Martin. La fête principale du saint, le 11 novembre, est étroitement liée aux fêtes traditionnelles de l’automne et au calendrier de certaines activités essentielles des anciennes sociétés rurales.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/309984/original/file-20200114-151880-1qwusdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/309984/original/file-20200114-151880-1qwusdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/309984/original/file-20200114-151880-1qwusdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=858&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/309984/original/file-20200114-151880-1qwusdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=858&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/309984/original/file-20200114-151880-1qwusdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=858&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/309984/original/file-20200114-151880-1qwusdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1079&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/309984/original/file-20200114-151880-1qwusdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1079&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/309984/original/file-20200114-151880-1qwusdq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1079&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’été de la Saint-Martin, par John Everett Millais, 1878.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:John_Everett_Millais,_L%27%C3%A9t%C3%A9_de_la_Saint-Martin.jpg">Wikipedia</a></span>
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<p>En Touraine, la légende de « l’été de la Saint-Martin » marque spécialement cette période : Martin est mort à Candes, un 8 novembre ; les Tourangeaux remontent la Loire avec la dépouille mortelle ; au fur et à mesure de l’avancée du bateau, le temps se radoucit, la végétation reverdit et les fleurs refleurissent, alors que la saison devrait au contraire aller vers l’hiver.</p>
<p>Beaucoup d’autres légendes développent la figure de saint Martin, mais on mentionnera pour finir le vin de la Saint-Martin, objet d’un grand tableau de Brueghel, aujourd’hui au musée du Prado à Madrid. Le 11 novembre était en effet – et est encore un peu partout en Europe – le jour du vin nouveau, jour de joie, d’ivresse et de débauche, ouverture d’un carnaval hivernal. La scène peut sembler très éloignée de l’ascétisme chrétien. Elle est pourtant essentielle au succès folklorique du thème de saint Martin.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/309991/original/file-20200114-151834-1qe4tp4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/309991/original/file-20200114-151834-1qe4tp4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/309991/original/file-20200114-151834-1qe4tp4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/309991/original/file-20200114-151834-1qe4tp4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/309991/original/file-20200114-151834-1qe4tp4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/309991/original/file-20200114-151834-1qe4tp4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/309991/original/file-20200114-151834-1qe4tp4.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tableau de Pieter Balten, <em>Le vin de la Saint-Martin</em> ou <em>La kermesse de la Saint-Martin</em>, XVIᵉ s., conservé au Catharijnenconvent museum d’Utrecht, ville qui possède la plus ancienne cathédrale des Pays-Bas, la cathédrale Saint-Martin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Pieter_Balten#/media/Fichier:Sint_Maartenskermis._Rijksmuseum_SK-A-860.jpeg">Wikipedia</a></span>
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<p>L’entrecroisement des motivations chrétiennes – d’ailleurs variées au cours des siècles – et des éléments folkloriques expliquent ainsi ces phénomènes de réactivation et de renouvellement du « fait martinien ».</p>
<hr>
<p><em>« Un Nouveau Martin. Essor et renouveaux de la figure de saint Martin IV<sup>e</sup>–XXI<sup>e</sup> siècle », sous la direction de Bruno Judic, Robert Beck, Christine Bousquet-Labouérie, Elisabeth Lorans, Tours, Presses Universitaires François Rabelais, 2019.</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128481/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruno Judic ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans la toponymie européenne, le nom de Saint-Martin est omniprésent. Ces lieux sont-ils tous nommés selon le même saint ? Quelle était son histoire, et comment expliquer sa célébrité ?Bruno Judic, Professeur d'Histoire du Moyen Âge, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1250082019-10-30T19:03:32Z2019-10-30T19:03:32ZLe logo des monuments historiques, un labyrinthe d’histoires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/299278/original/file-20191029-183107-utc9t9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C1%2C1020%2C764&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'hôtel Dumay, à Toulouse.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.hautegaronnetourisme.com/preparer/voir-faire/culture-et-patrimoine/hotel-dumay-957101">Haute-Garonne tourisme</a></span></figcaption></figure><p>L’Antiquité gréco-romaine n’a pas seulement été redécouverte par les artistes et les penseurs humanistes de ce que nous nommons « la Renaissance » italienne. Durant l’Antiquité tardive et le Moyen Age, des mythes, comme celui de Thésée, du Minotaure et du labyrinthe, ont continué d’être moralisés : ainsi ont-ils été transmis par les textes et les images, dans les manuscrits et les édifices chrétiens médiévaux.</p>
<h2>L’élaboration d’un logotype au sein d’une longue histoire d’images</h2>
<p>Cette transmission ne s’est pas arrêtée au Moyen Âge. Le ministère de la Culture en France, à la fin du XX<sup>e</sup> siècle (en 1985), a ainsi trouvé la meilleure expression en logotype indiquant la présence d’un monument historique. Le labyrinthe de la cathédrale de Reims – disparu depuis le XVII<sup>e</sup> siècle mais connu par des dessins – a <a href="https://www.culture.gouv.fr/Regions/Drac-Centre-Val-de-Loire/Nos-secteurs-d-activite/Monuments-historiques/Histoire-du-logo-monument-historique">inspiré les graphistes contemporains</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299198/original/file-20191029-183098-1j8zkag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299198/original/file-20191029-183098-1j8zkag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299198/original/file-20191029-183098-1j8zkag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299198/original/file-20191029-183098-1j8zkag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=545&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299198/original/file-20191029-183098-1j8zkag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=685&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299198/original/file-20191029-183098-1j8zkag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=685&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299198/original/file-20191029-183098-1j8zkag.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=685&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jacques Cellier (1550-1620), Recherches de plusieurs singularités par François Merlin… portraits et escrites par Jacques Cellier demourant à Reims (1583-1587).</span>
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<p>Pour obtenir un parfait logotype, les graphistes ont éliminé tout élément rappelant l’histoire propre au labyrinthe de la cathédrale de Reims, créé en 1286 et détruit en 1778. Ainsi les personnages qui en occupaient les points stratégiques – des portraits des maîtres d’œuvre de la cathédrale – ont-ils disparu, et – l’image n’étant plus stabilisée par ces silhouettes – le labyrinthe a subi une rotation de 45°. Ce qui lui procure une dynamique et le rattache au monde des symboles.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299199/original/file-20191029-183147-1aq3qpi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299199/original/file-20191029-183147-1aq3qpi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299199/original/file-20191029-183147-1aq3qpi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299199/original/file-20191029-183147-1aq3qpi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299199/original/file-20191029-183147-1aq3qpi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299199/original/file-20191029-183147-1aq3qpi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299199/original/file-20191029-183147-1aq3qpi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=383&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le logotype des monuments historiques.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les auteurs évoquent souvent le carré comme une forme géométrique, symbole du monde terrestre au Moyen Âge (par opposition au cercle divin), le losange, un carré sur la pointe, étant signe de vie et de passage. Peut-on envisager que, dans le choix de cette rotation, les auteurs de ce logo auraient été jusqu’à envisager le carré rouge de Kandinski, ou encore les nombreux <a href="http://images.math.cnrs.fr/Carrement-moderne.html">« carrés sur la pointe »</a> (ou compositions losangiques) de Mondrian ?</p>
<p>Mais on n’échappe pas si facilement au monde des symboles chrétiens ou christianisés. Car le carré sur la pointe est l’une des formes que prend la mandorle dans les images de la Majestas Domini des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Christ_en_gloire">temps carolingiens</a>. La gloire du Christ étant alors signifiée par une double mandorle formée de deux figures géométriques, un cercle inscrit dans un carré sur la pointe.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=769&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=769&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=769&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=966&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=966&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299316/original/file-20191029-183142-8k8p8j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=966&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Bible de Moutier-Grandval.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.bl.uk/manuscripts/Viewer.aspx?ref=add_ms_10546_f001r">Londres-British Museum, Ms. Add. 10546, f 352 v</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Au Moyen Âge à Reims, on nommait ce labyrinthe le « chemin de Jérusalem ». C’était la trace pérenne, car tracée à demeure dans le marbre, d’un chemin spirituel à parcourir. Ce labyrinthe carré, de marbre noir, flanqué aux quatre angles de quatre bastions octogonaux, traçait les contours d’une cité fortifiée. Déjà les mosaïques romaines et juives de l’Antiquité portaient des images de labyrinthe cités fortifiées, imageant Troyes ou Jéricho (porte d’entrée de la Terre promise).</p>
<p>À Reims, le labyrinthe-plan d’un édifice fortifié, était une lointaine évocation de ses deux sources : à la fois le mythe antique avec la ville fortifiée qu’est le palais du roi Minos, et, dans la pensée médiévale, la cité fortifiée de l’Apocalypse, la Jérusalem céleste décrite au chapitre 21 de ce livre.</p>
<h2>Retour aux sources : le mythe antique</h2>
<p>L’histoire du Minotaure se trouve dans le Chant VI de l’Enéide, de Virgile, le Livre VIII des métamorphoses, d’Ovide et l’avant-dernier chant de la Thébaïde de Stace. Elle est placée sous le signe du taureau. Zeus, pour tromper son épouse, se métamorphose en un magnifique taureau blanc. Il enlève ainsi Europe jusqu’en Crète où il reprend forme humaine pour lui donner trois enfants, Minos, Sarpédon et Rhadamanthe. Minos ayant demandé, contre ses prétendants au pouvoir, la protection de Poséidon ; celui-ci fait paraître un signe, un taureau de la mer que Minos promet de lui sacrifier. Mais, une fois le pouvoir absolu obtenu, Minos garde l’animal. Minos a trompé par le taureau, il sera trompé par lui. Car Vénus-Aphrodite s’est vengée d’Apollon-Hélios qui a dévoilé ses amours adultères avec Mars-Arès, en inspirant à Pasiphaé – femme de Minos et fille du dieu soleil – une violente passion pour ce taureau. Ainsi engendra-t-elle le Minotaure, monstre mi-homme mi-taureau, tellement effrayant, tellement redoutable et carnivore qu’à la demande du roi Minos il fut enfermé dans le labyrinthe construit par l’architecte et artiste athénien Dédale.</p>
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<span class="caption">Tablette du palais mycénien de Nestor, Pylos (1200 av. J-C.).</span>
<span class="attribution"><span class="source">source</span></span>
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<p>Un jour, l’un des fils de Minos, Androgée, s’étant rendu à Athènes pour participer à la fête des Panathénées, et ayant remporté toutes les épreuves, fut tué à la demande du roi Égée, jaloux. Pour faire cesser le siège d’Athènes, Égée dut envoyer tous les neuf ans un tribut de sept jeunes hommes et sept jeunes femmes destinés à être dévorés au fond du labyrinthe par le Minotaure. Thésée se porta volontaire pour faire partie de ces jeunes gens que Minos vint lui-même chercher à Athènes. Devant le labyrinthe se trouvait la belle Ariane, fille de Minos, qui, éprise sur-le-champ, donna à Thésée une pelote de fil rouge procurée par l’architecte Dédale.</p>
<p>Sur cette mosaïque romaine (v. 275-300), découverte à Loigesfelder en Autriche au XIX<sup>e</sup> siècle, il suffit de suivre le fil rouge pour parvenir au centre du labyrinthe, mais et c’est là l’essentiel, le même fil permet de trouver le chemin pour s’en sortir, en rembobinant “le fil d’Ariane”. Après avoir mis à mort le Minotaure, Thésée n’épousera pas Ariane, mais deviendra un grand roi, rendant justice aux plus faibles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299036/original/file-20191028-113991-13q9jzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299036/original/file-20191028-113991-13q9jzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299036/original/file-20191028-113991-13q9jzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299036/original/file-20191028-113991-13q9jzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=795&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299036/original/file-20191028-113991-13q9jzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299036/original/file-20191028-113991-13q9jzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299036/original/file-20191028-113991-13q9jzz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=999&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mosaïque romaine, Loigesfelder Vienne, Kunsthistorisches Museum v. 275-300.</span>
<span class="attribution"><span class="source">source</span></span>
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<h2>Survivances médiévales</h2>
<p>Christianisé, ce mythe n’a cessé d’être revisité en particulier par Isidore de Séville, Raban Maur, et leurs continuateurs, entre le X<sup>e</sup> et le XI<sup>e</sup> siècle, alors que se multiplient les images de labyrinthes.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/299037/original/file-20191028-114011-hzlv5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/299037/original/file-20191028-114011-hzlv5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/299037/original/file-20191028-114011-hzlv5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/299037/original/file-20191028-114011-hzlv5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=735&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/299037/original/file-20191028-114011-hzlv5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/299037/original/file-20191028-114011-hzlv5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/299037/original/file-20191028-114011-hzlv5y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=924&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Thésée combat le minotaure, XIe-XIIᵉ siècles, centre du labyrinthe de Saint-Géréon, détruit en 1840.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Diözesanmuseum Cologne</span></span>
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</figure>
<p>À la fin du XII<sup>e</sup> siècle des hybrides hommes-bêtes envahissent les images, sans que leurs contemporains en interrogent la possibilité ou l’impossibilité physiologique, car il s’agit d’une moralisation de la pensée des mythographes antiques. Il existe aux confins du monde des êtres dont l’animalité permet de comprendre la bête sauvage qui est tapie en l’homme pécheur. L’antique minotaure, symbole d’animalité sauvage et de péché, trouve sa place parmi elles, et c’est le Christ triomphant du mal qui se profile derrière la figure de Thésée le héros antique. Cependant l’image du combat mythique de Thésée contre le monstre ne figure pas systématiquement au centre du labyrinthe, même si le chemin, que l’on peut parcourir du doigt sur un petit relief ou un manuscrit, ou avec tout son corps dans un édifice, est celui de la Rédemption.</p>
<h2>Des chemins de vie</h2>
<p>D’après l’inscription à San Savino de Piacenza ou celui de la porte du narthex de Lucca, les labyrinthes christianisés portent au Moyen Âge plusieurs significations, dont la plus ancienne au XI<sup>e</sup> siècle, est celle du monde captif du péché. Dans le même ordre d’idées de nombreuses images de labyrinthes accompagnent les computs (ces manuscrits aidant à calculer la date mobile de Pâques, chemin de résurrection pour le chrétien). Aux XII<sup>e</sup> et XIII<sup>e</sup> siècles, dans les cathédrales de Sens et d’Auxerre, (comme à Reims et à Amiens), le dimanche de Pâques, l’évêque et les membres de son chapitre, effectuaient des « danses de Pâques » sur le tracé du labyrinthe (<em>circa dedalum</em>). L’évêque tenait une balle pouvant représenter le soleil dans sa course, c’est-à-dire le Christ, soleil de Pâques, vainqueur du mal, ressuscitant au Printemps et avec lui toute la nature en fête. La Contre-Réforme mettra un terme à ces lointaines résurgences de danses païennes.</p>
<p>Lieu de mémoire, le logotype des monuments historiques est un condensé de symboles, permettant de trouver dans les villes et sur les routes de France, les chemins d’un patrimoine multiple. Il a été modernisé en même temps qu’était créé le logotype <a href="https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Monuments-historiques-Sites-patrimoniaux-remarquables/Presentation/Logotypes-MH-SPR">« site patrimonial remarquable », par l’agence Rudi Baur en 2017</a>.</p>
<hr>
<p><em>Pour aller plus loin à la découverte des images du labyrinthe : Hemann Kern, « Through the Labyrinth, Desings and Meanings over 5,000 Years », éd. Prestel, 2000.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125008/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sylvie Bethmont ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour obtenir un parfait logotype, les graphistes ont éliminé tout élément rappelant l’histoire propre au labyrinthe de la cathédrale de Reims, créé en 1286 et détruit en 1778.Sylvie Bethmont, Enseignante en iconographie biblique, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1240462019-10-23T19:55:16Z2019-10-23T19:55:16ZQue sait-on de la présence chrétienne en Arabie préislamique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/297796/original/file-20191020-56242-xig0d8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C4%2C900%2C675&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le site archéologique de Sir Bani Yas, aux Emirats Arabes Unis. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://abudhabiculture.ae/en/experience/historic-landmarks/sir-bani-yas-church-and-monastry">abudhabiculture</a></span></figcaption></figure><p>Bien qu’ayant une longue histoire dans la presqu’île d’Arabie, le christianisme y est encore relativement mal connu. Sources écrites et <a href="https://www.lemonde.fr/sciences/article/2014/08/01/decouverte-archeologique-d-une-inscription-arabe-datant-du-ve-siecle_4465838_1650684.html">vestiges archéologiques</a> fournissent en outre des informations, sinon contradictoires, du moins discordantes. En effet, tandis que les textes mentionnent une présence ancienne de chrétiens dans cette région, les vestiges archéologiques connus sont actuellement datés du VII<sup>e</sup> ou VIII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Après avoir exposé de manière synthétique l’histoire du christianisme dans la région d’après les sources textuelles et archéologiques, cet article présentera le débat autour des traces chrétiennes dans l’Islam primitif.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293896/original/file-20190924-51452-p9sc3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293896/original/file-20190924-51452-p9sc3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293896/original/file-20190924-51452-p9sc3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293896/original/file-20190924-51452-p9sc3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293896/original/file-20190924-51452-p9sc3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293896/original/file-20190924-51452-p9sc3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293896/original/file-20190924-51452-p9sc3r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Rencontre de Mahomet avec le moine Bahira (illustration du Jami al-tawarikh, vers 1315).</span>
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</figure>
<h2>La présence chrétienne à travers les sources historiques</h2>
<p><a href="https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/l_arabie_chretienne.asp">La présence chrétienne dans la presqu’île de l’Arabie remonte probablement à la fin du IIIᵉ siècle</a>. Les chercheurs sont néanmoins en désaccord quant à la longévité de cette présence et à son maintien après l’islamisation de la région à partir du VII<sup>e</sup> siècle. Pourtant, si les sources écrites n’y mentionnent la présence de diocèses et de monastères que jusqu’au VII<sup>e</sup> siècle, l’archéologie atteste, quant à elle, la présence de communautés chrétiennes jusqu’au IX<sup>e</sup> siècle. Aux Émirats Arabes Unis, au moins trois sites chrétiens étaient encore occupés au début de la période abbasside : <a href="https://diwan.hypotheses.org/15660"><em>Al-Qusûr</em></a> au Koweït, <a href="https://journals.openedition.org/abstractairanica/3026"><em>Khârg</em></a> en Iran et <a href="https://abudhabiculture.ae/en/experience/historic-landmarks/sir-bani-yas-church-and-monastry"><em>Sîr Banî Yâs</em></a></p>
<p>Entre le IV<sup>e</sup> siècle et le début du message islamique, le <a href="https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_2012_num_156_1_93448">christianisme avait gagné, si on en croit les sources littéraires tant chrétiennes que musulmanes, une grande partie de la péninsule Arabique</a>.</p>
<p>L’Arabie du Nord-Est est la région de la péninsule qui a été la plus pénétrée d’influences chrétiennes. Elle comprend en elle-même deux pôles, qu’il convient d’envisager séparément. Le premier pôle est la région appelée, dans les sources syriaques, <a href="https://journals.openedition.org/asr/831"><em>Beth Qatraye</em> ou « pays des Qaṭaris »</a>, un toponyme qui fait écho au Qaṭar moderne, mais le déborde largement. Dans cette région, les recherches archéologiques ont permis de mettre au jour les restes de plusieurs églises ou monastères, tant au Kuwait, en Arabie saoudite que dans les Émirats Arabes Unis.</p>
<p>Ces installations se situent pour la plupart dans des îles, c’est-à-dire vraiment sur la frange de l’Arabie. Pour les plus anciennes d’entre elles, les publications font état de traces pouvant remonter au V<sup>e</sup> siècle, mais on a proposé récemment de dater à une époque beaucoup plus ancienne les assemblages céramiques sur lesquels repose la chronologie de ces sites, qui pourraient être ramenés sans doute au VII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Le deuxième pôle est la région irakienne autour de la cité antique de Hira qui contient un évêché dépendant de la ville de Séleucie-Ctésiphon et qui se trouve au cœur du réseau des évêchés mésopotamiens. C’est le point ultime des pérégrinations de tout le personnel ecclésiastique plus ou moins <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Gyrovague">gyrovague</a> dont les voyages sont relatés dans diverses chroniques ou récits hagiographiques de l’Église d’Orient.</p>
<p>À ces deux pôles, on peut ajouter un troisième, plus méridional cette fois-ci, <a href="https://www.clio.fr/BIBLIOTHEQUE/le_yemen_entre_judaisme_et_christianisme.asp">autour de la région Sudarabique qui n’avait pas de présence chrétienne jusqu’à ce qu’elle soit imposée par les Éthiopiens, vers le début du VIᵉ siècle</a>. Sans doute la première tentative de conversion connue était-elle venue de l’empereur romain Constance : soucieux de mener une politique active en mer Rouge, il avait envoyé, quelques années avant 344, l’arien Théophile en ambassade auprès du souverain <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Himyar">himyarite</a>, avec l’espoir de le gagner à la religion du Christ. Mais, malgré le succès que quelques documents romains attribuent à l’ambassade, celle-ci n’avait guère eu de suite : en témoigne le fait qu’en 518, lors de la persécution déclenchée par le roi himyarite Dhû Nuwas, il n’est mentionné de communautés chrétiennes locales que pour les oasis en bordure du désert comme à Najran. Mais l’invasion éthiopienne fut suivie de la floraison du Christianisme yéménite. En ce sens, le général Abyssin Abraha al-Achram fut un zélé champion de la région chrétienne. D’après nos sources, Abraha fait construire une <a href="https://www.academia.edu/26972513/2015_La_Grande_%C3%89glise_dAbraha_%C3%A0_%E1%B9%A2an%C4%81_Quelques_remarques_sur_son_emplacement_ses_dimensions_et_sa_date">grande cathédrale à Sanâa</a> dans le but de créer un nouveau pèlerinage capable de concurrencer celui de la Mecque.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293902/original/file-20190924-51425-fohd7b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293902/original/file-20190924-51425-fohd7b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=285&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293902/original/file-20190924-51425-fohd7b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=285&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293902/original/file-20190924-51425-fohd7b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=285&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293902/original/file-20190924-51425-fohd7b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=358&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293902/original/file-20190924-51425-fohd7b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=358&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293902/original/file-20190924-51425-fohd7b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=358&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Abraha d’après un folio perse du XIVᵉ siècle.</span>
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<h2>La production littéraire chrétienne de l’Arabie préislamique</h2>
<p>Une question ne peut pas être évitée ici : est-ce que les idées et les conceptions chrétiennes que nous rencontrerons dans le Coran doivent être considérées comme répandues chez les Arabes du VI<sup>e</sup> siècle ?</p>
<p>Malheureusement, la littérature arabe préislamique n’est pas suffisante pour reconstruire sur des données sûres le statut religieux de l’Arabie préislamique. On ne pouvait guère s’attendre au contraire ; de nombreuses incertitudes règnent aussi bien sur l’historicité des « Mu’allaqât » que sur la date de ces poèmes. <a href="https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1904_num_48_2_19745">Néanmoins, et malgré ces problèmes de datation, la poésie arabe préislamique constitue une source importante de renseignement pour la connaissance de l’atmosphère religieux de l’Arabie de l’Antiquité tardive</a>. Celle-ci a souvent été reconnue par les Arabes eux-mêmes comme le registre (<em>diwan</em>), le réceptacle de leur mémoire et de leur histoire ; de plus les données qu’elle fournit sont, en principe, plus objectives que celles de l’historiographie, dans la mesure où elles ne cherchent pas à écrire l’histoire pour elle-même ; enfin, dans les littératures anciennes de transmission orale, les textes poétiques offrent, par rapport à leurs correspondants en prose, une garantie supplémentaire d’authenticité, due à la protection que la forme poétique elle-même accorde au contenu transmis, car souvent les textes primitifs sont en vers et ne sont développés en prose que par la suite, avec plus ou moins de bonheur.</p>
<p>Pour pallier tous les inconvénients de l’analyse philologique, il est plus expédient de s’en tenir à une présentation rapide de quelques poètes arabes de confessions chrétiennes :</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/294099/original/file-20190925-51414-ga691x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/294099/original/file-20190925-51414-ga691x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/294099/original/file-20190925-51414-ga691x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/294099/original/file-20190925-51414-ga691x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=310&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/294099/original/file-20190925-51414-ga691x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=390&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/294099/original/file-20190925-51414-ga691x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=390&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/294099/original/file-20190925-51414-ga691x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=390&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Liste des poètes arabes préislamiques de confession chrétienne.</span>
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<h2>L’Islam primitif a-t-il été influencé par le christianisme ?</h2>
<p><a href="https://fr.aleteia.org/2016/11/21/les-origines-chretiennes-de-lislam/">Il ne faut pas être un grand érudit pour deviner les ressemblances qui existent entre l’Islam primitif et le Christianisme monophysite</a>. L’étude scientifique des sources et du développement de la doctrine islamique ne peut donc manquer de jeter quelques lumières sur la situation religieuse de l’Arabie au VII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Parmi ceux qui font la part belle aux chrétiens il faut d’abord signaler Aloys Sprenger (1813-1893) qui décèle des influences chrétiennes sur Mohamet dans maintes idées et expressions coraniques, influences dues à la forme particulière que les sectes chrétiennes avaient prise en Arabie du VI<sup>e</sup> et VII<sup>e</sup> siècle et aux relations qui s’étaient établies entre le Prophète de l’Islam et le moine Bahira. Mais Sprenger était loin d’être suivi dans ses conclusions, tant en ce qui touche les relations de Mohamet et le moine nestorien qu’en ce qui concerne l’importance du christianisme en Arabie tardo-antique, importance qu’il n’appuyait pas sur des preuves convaincantes.</p>
<p>La position de Paul Casanova (1861-1926), autre partisan d’une influence chrétienne prépondérante chez Mohamet, s’avère encore moins convaincante. Dans son étude sur l’eschatologie musulmane, il ne craint pas de déclarer : « Nous sommes appelés à penser que Mohamet appartenait ou était affilié à une secte chrétienne qui croyait les temps révolus et n’attendait pour cela que venue d’un prophète déjà prédit par Jésus-Christ sous le nom de Paraclet, dont l’équivalent arabe d’après le Coran était Ahmed ». Les preuves qu’apporte l’érudit français à l’appui de sa thèse ne convainquent pas le monde académique surtout qu’elles ne font que recycler l’avis de Jean de Damascène, mort en 749, qui qualifiait l’Islam d’hérésie chrétienne.</p>
<p>Les théories du savant Adolf von Harnack (1851-1930) sont plus nuancées et donnent déjà un peu moins d’importance au fait historique. Pour ce dernier, l’Islam est la transformation, opérée par un « grand prophète » (<em>großer Prophet</em> selon les termes d’Harnack) sur un fonds arabe, d’une secte judéo-chrétienne.</p>
<p>Avec Harnack, Casanova et Sprenger, on fait le tour des tenants les plus marquants de l’influence chrétienne sur les sources de l’Islam primitif. Ils ne sont pas nombreux, surtout si on les compare à leurs adversaires : Édouard Sayous (1842-1898), pour qui Mohamet n’avait qu’une connaissance superficielle et confuse du christianisme, Rudolf Leszinsky (1884–1949) qui voit dans le judaïsme le facteur dominant de l’élaboration du message musulman, ou Abraham Geiger (1810-1874) qui brosse un tableau important, quoique pas toujours convaincant, de tout ce que l’Islam primitif doit au judaïsme ; ceci pour ne citer que quelques noms représentatifs. Toutefois face à la grande part d’hypothèse qui s’attache à ces déclarations, il faut souligner l’aspect subjectif de ces études et considérer leurs conclusions avec de grandes réserves. Car même si celles-ci montraient de façon certaine l’influence de l’une ou l’autre religion sur Mohamet, elles ne prouvent pas du même coup une extension équivalente de cette religion en Arabie au temps du Prophète de l’Islam.</p>
<p>Plus objectives sont les études qui s’attachent non plus tant à la genèse de la pensée de Mohamet qu’à sa vie. Replaçant celle-ci dans son contexte historique et social, elles analysent dans leur introduction la situation religieuse de l’Arabie du VI<sup>e</sup> siècle, et par suite l’état du christianisme. Or si l’on en croit quelques-uns de ces ouvrages les plus marquants, l’extension des chrétiens était fort réduite dans la presqu’île d’Arabie. Pour William Muir (1819-1905), cela ne s’explique que par le déclin de la civilisation urbaine dans l’Arabie du VI<sup>e</sup> siècle. Si son compatriote David Samuel Margoliouth (1858-1940) n’est pas aussi catégorique, puisqu’il reconnaît une présence de vie urbaine en Arabie préislamique, il ne semble pas toutefois élargir cette sphère de présence chrétienne au-delà de la ville de Hira, du royaume des Ghassanides et de quelques régions du Yémen.</p>
<p>Les introductions aux biographies de Mohamet comme les études consacrées à la genèse de la doctrine musulmane font état d’un christianisme très effacé en Arabie.</p>
<p>Si les découvertes archéologiques et épigraphiques, se conjuguant avec les méthodes scientifiques de critique interne, jettent des lumières nouvelles sur maints aspects du christianisme arabe préislamique, les résultats demeurent cependant fragmentaires, incomplets sur bien des points, et surtout dispersés dans une multitude d’études savantes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/124046/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamed Arbi Nsiri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Bien qu’ayant une longue histoire dans la presqu’île d’Arabie, le christianisme y est encore relativement mal connu.Mohamed Arbi Nsiri, Doctorant en histoire ancienne, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1196882019-07-18T19:08:58Z2019-07-18T19:08:58ZLes premiers moines chrétiens étaient… des Égyptiens<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/284520/original/file-20190717-147279-4239g9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C20%2C2783%2C1958&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Tentation de saint Antoine par David Teniers le Jeune.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Antoine_le_Grand#/media/Fichier:Lille_teniers_jeune_St_antoine.JPG">Wikipédia</a></span></figcaption></figure><p>Lorsque les premiers moines et les premiers anachorètes s’installent au IV<sup>e</sup> siècle dans les déserts d’Égypte, le <a href="https://journals.openedition.org/assr/16163">christianisme est une religion tolérée par le pouvoir romain</a>. Les persécutions ont cessé, les conversions se multiplient et le fameux <a href="https://www.herodote.net/13_juin_313-evenement-3130613.php">édit de Milan</a>, proclamé quelques années plus tôt par l’empereur Constantin, permet aux chrétiens de célébrer librement leur culte.</p>
<p>Telle qu’il fut prêché par les Apôtres, le christianisme, en effet, n’avait nullement pour but de conquérir le monde temporel mais de prêcher l’avènement prochain du Royaume des Cieux et la fin de l’Histoire. Comme toutes les grandes religions, c’est d’abord en modifiant profondément le rapport à l’espace et au temps que le christianisme s’est imposé à ses premiers fidèles. Pour les gentils, autrement dit les païens, vivant dans un temps cyclique où les cérémonies religieuses, les fêtes, les sacrifices recommençaient inlassablement les mêmes événements primordiaux, au sein d’un univers qui se répète, donc « éternel », le christianisme apportait la brusque, l’angoissante révélation d’un Temps qui progresse, évolue, se consume, d’un univers en devenir, et donc susceptible de « finir un jour ». L’un des thèmes que l’on retrouve fréquemment dans la bouche des premiers chrétiens n’est-il pas l’<a href="https://www.persee.fr/doc/rhr_0035-1423_1946_num_132_1_5524">évidence et l’imminence de la fin du monde</a> ?</p>
<p>On imagine mal la résonance que de telles idées pouvaient avoir sur les foules de l’époque, qu’il s’agisse des Juifs, dont la sensibilité avait été amplement préparée à cet événement depuis des générations par les prophètes bibliques et les auteurs d’Apocalypse, ou des gentils, qui y découvraient brusquement la vision insoupçonnée d’un univers soumis au Temps. Résonance d’autant plus grande qu’il ne s’agit pas d’un univers d’un simple avertissement mais de l’annonce de fin « imminente » du monde. Comment vivre, alors, dans cette crainte perpétuelle de l’anéantissement de toute chose ? Comment ne pas guetter, jour et nuit, les signes précurseurs de l’Apocalypse et surtout, puisqu’on s’attend, d’un moment à l’autre, à la fin du monde, ne pas délaisser tous les soucis, les affaires, les valeurs de ce monde ?</p>
<h2>Un refus radical du monde</h2>
<p>Ce climat eschatologique et exalté ne fera que s’amplifier entre le III<sup>e</sup> et le V<sup>e</sup> siècle et il est très certainement à l’origine de bien des comportements excessifs tels que la vocation au martyre, l’obsession de la virginité et de l’ascèse, la fuite dans les déserts. Tous ces comportements ont entre eux pour trait essentiel d’être d’abord un « refus radical du monde », refus que l’on comprend aisément si ce monde est destiné à disparaître d’un jour à l’autre. Qu’à telle époque l’accent soit mis sur le martyr et à telle autre sur l’ascète ou l’anachorète, peu importe ! </p>
<p>Car toute ces attitudes relèvent d’une même et totale désaffection à l’égard du monde d’ici-bas, conséquence des bouleversements, des traumatismes opérés dans les esprits par la peur, l’angoisse, l’exaltation de la fin des Temps. Le plus étrange est que ce souci d’ascèse et de virginité, né pour des motifs précis, subsistera chez certains, même lorsque ces motifs auront disparu, c’est-à-dire lorsqu’on cessera de croire à la fin imminente du monde avec la christianisation de l’Empire romain.</p>
<h2>A l’origine : le monachisme égyptien</h2>
<p>Pour l’Orient ancien, les textes qui relatent la vie des premiers moines sont pour la plupart des textes grecs : la « Vie d’Antoine » par l’évêque d’Alexandrie, Athanase, « l’histoire lausiaque » de Pallade de Galatie, « l’histoire des moines d’Égypte » de Rufin d’Aquilée. Les deux autres textes les plus importants : « la Vie de Paul de Thèbes » de Jérôme de Stridon, et les « Entretiens avec les moines d’Égypte » de Jean Cassien ont été écrits en latin. Mais écrire en grec signifie aussi penser en grec. Tous les textes en question, rédigés à l’intention d’un public averti parlant le grec et le latin, ont naturellement transposé dans leur propre langue les <a href="https://www.cairn.info/revue-les-cahiers-de-l-orient-2013-3-page-49.htm">paroles, la mentalité particulière des hommes des déserts d’Égypte</a>.</p>
<p>Or, ces hommes n’étaient ni Grecs ni des Latins de culture <a href="https://journals.openedition.org/recherchestravaux/555">mais des Égyptiens</a> : Antoine le Grand, Pacôme le Grand, Macaire l’Ancien, Chenouté, tous ces noms du christianisme oriental étaient des Égyptiens qui ne parlaient ni le grec ni le latin mais le copte, forme domestique de la langue égyptienne traditionnelle. Le biographe d’Antoine nous donne un petit détail concernant l’éducation de jeune Antoine qui a suscité beaucoup des discussions : « Grandissant et prenant de l’âge, il ne voulut pas apprendre les Lettres, pour éviter la compagnie des autres garçons ». Que le jeune Antoine n’ait donc pas fréquenté l’école, c’est un détail qui n’atteste peut-être pas tant chez lui une sagesse toute surnaturelle que le caractère tout chrétien de sa formation et la liaison, chez lui, primitive entre cette intégrité du christianisme et l’anachorèse, au sens étymologique.</p>
<p>Les lettres d’Antoine le Grand représentent également l’une des sources les plus importantes du monachisme égyptien puisqu’elles ont été rédigées en copte. Au temps de Jérôme de Stridon, ces lettres étaient déjà traduites en grec, <a href="https://www.persee.fr/doc/vita_0042-7306_2005_num_172_1_1185">langue dans laquelle Jérôme a pu les lire</a>. Notons que le vocabulaire et la spiritualité de ces lettres remontent sans doute au IV<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Les documents concernant l’histoire de la congrégation pacômienne revêtent aussi une importance capitale pour retracer l’histoire des débuts du monachisme. Ces documents se présentent sous plusieurs idiomes : copte, grec, latin, syriaque et arabe. Or, Pacôme et les moines de la première génération, à part quelques rares exceptions, ne connaissaient que la langue copte et ignoraient le grec ; il semble donc assez naturel de présumer que le dossier copte est celui qui nous fournit le plus de chances de nous permettre d’atteindre directement la tradition primitive, et l’étude de l’ensemble du dossier démontre que pareille présomption est absolument fondée.</p>
<h2>Le monachisme « extrême » de Chénouti</h2>
<p>Pour le monachisme oriental, Chénouti est une des figures les plus étranges et les plus captivantes. Sa biographie, écrite par l’un de ses disciples, permet, mieux encore que celle d’Antoine ou de Pacôme, de suivre de près l’incroyable aventure que fut le monachisme copte : une aventure dont la vie et l’œuvre de Chénouti marquent précisément le <a href="https://books.google.ru/books?id=O6Rd7NPh7jIC&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ge_summary_r&cad=0#v=onepage&q&f=false">sommet et les limites</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282499/original/file-20190703-126350-1b5uf0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282499/original/file-20190703-126350-1b5uf0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282499/original/file-20190703-126350-1b5uf0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282499/original/file-20190703-126350-1b5uf0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282499/original/file-20190703-126350-1b5uf0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282499/original/file-20190703-126350-1b5uf0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282499/original/file-20190703-126350-1b5uf0a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Anba Chénouti (stèle découverte dans la région de Souhag).</span>
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<p>Né en Haute-Égypte, dans le village de Schenalolet (aujourd’hui Geziret Shandanil), au nord d’Akhmin, en 348, ses parents sont pauvres et, très tôt, on l’envoie aux champs garder les bêtes. À l’âge de 8 ans, Chénouti choisit d’être meneur d’hommes. Le soir, une fois que les bêtes sont rentrées, il repart seul vers le champ, au lieu de revenir à la maison, et y passe de longues heures à prier.</p>
<p>Alors ses parents décident de laisser leur fils devenir moine. À l’âge de quatorze ans, on le mène donc chez un oncle, l’Anba B’goul, qui dirige un monastère pas très loin du village, sur la montagne d’Athribis. Le moine reçoit donc son neveu, impatient de pratiquer l’ascèse. Ascèse insensé, fanatique, pour arriver tout de suite au but, en brûlant les étapes habituelles, Chénouti représente l’exemple type du moine égyptien de la fin de l’Antiquité, cruel et dynamique.</p>
<p>Très inspiré des Règles de Pacôme le Grand, Chénouti y ajouta quelques principes personnels tels que l’emploi systématique de la violence pour convertir les paysans égyptiens, encore païens. Dans ses monastères, toute ascèse et même toute prière individuelles étaient interdites. Les prières se faisaient collectivement, tous les moines couchés sur le sol. Ceux-ci pratiquaient les jeûnes ensemble et portaient les mêmes vêtements noirs. Ainsi Chénouti avait eu l’intuition que l’obtention d’une psyché collective exige d’abord la formation d’un corps collectif. On ne peut expliquer autrement le soin qu’il mit, toute sa vie, à façonner le corps et l’âme de ses moines en leur imposant simultanément des <a href="http://misraim3.free.fr/divers2/Egypte_monastique.pdf">exercices physiques et spirituels destinés à les unifier</a>.</p>
<p>Dès l’origine, le moine est donc un chrétien qui renonce au genre de vie du commun des humains, pour en adopter un autre « plus parfait ». Il est un étranger dans le pays qu’il habite, un pérégrin, une sorte d’exilé, dont la véritable patrie est ailleurs, la patrie céleste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/119688/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamed Arbi Nsiri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comme toutes les grandes religions, c’est d’abord en modifiant profondément le rapport à l’espace et au temps que le christianisme s’est imposé à ses premiers fidèles.Mohamed Arbi Nsiri, Doctorant en histoire ancienne, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1187512019-07-01T21:30:24Z2019-07-01T21:30:24ZComment s’expliquent les attaques contre la communauté chrétienne au Burkina Faso ?<p>Depuis 2015, les groupes djihadistes, auparavant surtout actifs au Mali, se sont progressivement implantés au Burkina Faso. <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/05/30/nous-sommes-devenus-des-cibles-au-burkina-les-chretiens-victimes-du-terrorisme_5469478_3212.html">Les attaques se sont multipliées</a> dans le courant de l’année 2018 et plus encore depuis le début 2019, forçant l’exode de plus de 100 000 personnes.</p>
<p>Les groupes djihadistes, parmi lesquelles se trouvent la coalition Jama’a Nusrat ul-Islam wa al-Muslimin (JNIM, liée au réseau Al-Qaeda), l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) et le groupe proprement burkinabè Ansaroul Islam, sont ainsi parvenus à imposer leur vision de l’islam et leurs lois en expulsant, de facto, l’<a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/west-africa/burkina-faso/burkina-fasos-alarming-escalation-jihadist-violence">État de plusieurs secteurs ruraux du nord et de l’est du pays</a>.</p>
<p>Les attaques visent principalement les symboles de l’État (militaires, écoles, centres de santé) ainsi que les personnalités locales (imams, chefs coutumiers, commerçants, élus, groupes d’autodéfense) qui sont perçus comme des collaborateurs de l’État ou représentent une autorité alternative. Depuis avril 2019, une série d’attaques a également touché l’église des Assemblées de Dieu de Silgadji (province du Soum), les églises catholiques de Dablo (Sanmatenga) et de Toulfé (Loroum) ainsi qu’une procession catholique à Zimtenga (Bam). <a href="https://www.acleddata.com/2019/05/31/a-vicious-cycle-the-reactionary-nature-of-militant-attacks-in-burkina-faso-and-mali/">Ces attaques, auxquelles s’ajoute l’enlèvement du curé de Djibo Joël Yougbaré</a> en mars, ont fait 20 victimes (Nsaiba 2019).</p>
<h2>Tester la solidité du « dialogue interreligieux »</h2>
<p>Ces attaques viennent tester la solidité du « dialogue inter-religieux » pourtant fort vanté au Burkina Faso. En effet, le pays est souvent pris comme exemple de bonne entente et de dialogue actif entre les religions. Cela s’incarne d’abord dans la réalité vécue d’une société pluraliste où la majorité musulmane (60 %, INSD 2009) vit en contact quotidien, souvent au sein des familles, avec les minorités catholique (20 %), animiste (15 %) et protestante (5 %).</p>
<p>De plus, le dialogue est mis de l’avant par l’État et certaines organisations religieuses dans des forums officiels et des collaborations ponctuelles ou permanentes pour le développement, la santé ou pour promouvoir la paix sociale (Langewiesche 2011 ; Kaboré 2015). Malgré tout, <a href="https://ojs.uclouvain.be/index.php/emulations/article/view/1473">ce dialogue interreligieux est plus fragile qu’il n’y paraît</a></p>
<p>Le déferlement de violence physique et sur les réseaux sociaux envers la communauté peule montre que l’arrivée des groupes djihadistes a enflammé des tensions communautaires déjà présentes. <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/afrique-de-l-ouest-le-conflit-entre-eleveurs-et-agriculteurs-s-aggrave_3055113.html">Les conflits autour de l’occupation des terres entre les éleveurs peuls et les agriculteurs</a> sont fréquents depuis plusieurs décennies.</p>
<h2>La force d’attraction de l’islam salafiste</h2>
<p>Sur le plan religieux, le dialogue apparaît souvent comme une posture officielle qui cache une réalité moins harmonieuse. Le dialogue est en effet sérieusement remis en question au sein de certains mouvements en forte croissance. C’est le cas de l’<a href="https://www.cairn.info/revue-journal-des-anthropologues-2016-3-page-151.htm">islam salafiste, très populaire auprès des jeunes musulmans</a>, qui prône une coupure symbolique avec les autres communautés et reste en retrait des activités de dialogue interreligieux.</p>
<p>Cette mouvance, regroupée principalement au sein du Mouvement sunnite du Burkina mais également autour de prédicateurs indépendants ou affiliés à la Communauté musulmane du Burkina Faso, se caractérise, en effet, par un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00083968.2015.1101009">rejet affiché des autres cultes</a></p>
<p>C’est aussi le cas dans les Églises évangéliques, où bon nombre de leaders et de fidèles voient les autres croyances comme des forces diaboliques à combattre et s’engagent dans un <a href="https://brill.com/abstract/journals/ssm/21/2/article-p228_5.xml?rskey=SoTDb8&result=1">prosélytisme actif qui cible en particulier la communauté musulmane majoritaire</a></p>
<p>Dans le nord du Burkina Faso, où la population est à très forte majorité musulmane, ces initiatives de conversion déstabilisent les communautés locales. Quant à elles, les communautés catholiques du Sahel sont en grande partie composées de fonctionnaires originaires d’autres régions (Kaboré 2015).</p>
<p>La communauté est donc localement perçue comme étrangère et comme étroitement associée à l’État, faisant des catholiques des cibles pour des groupes armés déterminés à saper toute autorité concurrente. En contraste, les groupes djihadistes de l’Est du pays ont pour le moment laissé les communautés chrétiennes, beaucoup plus nombreuses et intégrées <a href="https://www.theguardian.com/global-development/2019/apr/22/kalashnikovs-and-no-go-zones-east-burkina-faso-falls-to-militants">dans le tissu social, tranquilles</a>.</p>
<p>Plus qu’une amorce d’un conflit interreligieux, ces attaques s’inscrivent plutôt dans une escalade de la violence et une amplification des attaques contre les civils depuis 2018. Ces violences ont <a href="https://www.hrw.org/report/2019/03/22/we-found-their-bodies-later-day/atrocities-armed-islamists-and-security-forces">entraîné des réactions disproportionnées de l’armée</a> et des massacres de la part de milices d’autodéfense. Ces réactions, qui visent de façon indiscriminée la communauté peule vue par plusieurs au sein de l’armée comme de la société civile comme complice des djihadistes, accélèrent le recrutement des groupes armés au sein de cette communauté.</p>
<p>Les Forces de défense et de sécurité et les milices d’autodéfense ont à ce jour causé plus de victimes civiles que les djihadistes (ACLED 2019b). L’attaque des communautés chrétiennes risque, par ailleurs, d’accentuer la répression devant l’indignation des communautés chrétiennes burkinabè, malgré les appels au calme de la hiérarchie catholique (<em>Le Monde</em> 2019).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118751/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Louis Audet Gosselin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La communauté est localement perçue comme étrangère et comme étroitement associée à l’État, faisant des catholiques des cibles pour des groupes armés déterminés à saper toute autorité concurrente.Louis Audet Gosselin, Chercheur associé à la Chaire Islam contemporain en Afrique de l’Ouest , Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1159342019-04-24T20:13:51Z2019-04-24T20:13:51ZAu Sri Lanka, des musulmans modérés pris dans la tourmente des attentats<p>Tamouls, musulmans, bouddhistes, chrétiens et hindous ont vécu une violence terrible pendant les décennies de guerre, de séparatisme et de terrorisme qui ont pris fin en 2009. Mais personne n’était préparé aux atrocités de ce dimanche de Pâques, dont le nombre de morts et le degré d’organisation en font l’attentat terroriste le plus grave jamais commis sur l’île. Si l’attentat a été <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/04/23/sri-lanka-l-ei-revendique-et-relance-la-these-d-une-aide-exterieure_1722979">revendiqué par l’EI</a>, plusieurs zones d’ombre subsistent</p>
<h2>Un État faible et mis à mal</h2>
<p>Il y a une dizaine de jours, le mouvement islamiste sri-lankais National Thowheeth Jama’ath (NTJ), désigné comme le responsable des attaques par le gouvernement, avait déjà fait l’objet d’une alerte diffusée aux services de police. Comment dès lors comprendre ce manque de réactivité ?</p>
<p>L’apparente inaction du gouvernement à l’égard des rapports des services de renseignement sur les attentats suicides semble avoir été, du moins en partie, le résultat des multiples querelles politiques internes entre le président Maithripala Sirisena, qui aurait été averti de la menace, et son premier ministre, Ranil Wickremesinghe, qui n’en aurait pas été tenu informé.</p>
<p>Rappelons, pour mieux comprendre, que le gouvernement a traversé une <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2018/11/02/cinq-questions-sur-la-crise-politique-au-sri-lanka_5378259_3216.html">grave crise politique et constitutionnelle d’octobre à décembre derniers</a>, lorsque le Président Maithripala Sirisena a pris la décision surprise de nommer premier ministre son prédécesseur à poigne Mahinda Rajapakse, celui-là même qui avait mené l’assaut final contre le mouvement des Tigres de libération de l’Îlam Tamoul (LTTE). Durant cette crise politique, Sirisena avait tenté de limoger Ranil Wickremesinghe qu’il a été forcé de réintégrer par décision de la Cour suprême. Cette inaction a renforcé le sentiment général que le gouvernement est faible et que le pays est en danger.</p>
<p>Elle témoigne également des grandes difficultés d’interaction entre les agences de renseignement du pays et les politiciens. Outre les enquêtes internes à Sri Lanka, sur ces graves défaillances, les pays étrangers – qui comptent encore les morts de leurs ressortissants – exigeront également des réponses. Ces attaques terroristes vont certainement avoir pour effet de renforcer l’opposition nationaliste cingalaise, justement dirigée par l’ancien président Mahinda Rajapaksa.</p>
<p>N’oublions pas que les prochaines élections présidentielles et législatives sont prévues pour l’année prochaine et que le frère de Mahinda Rajapaksa, Gotabaya Rajapaksa, qui a le soutien des organisations bouddhistes militantes, est candidat potentiel à la présidence. Le clan Rajapaksa et ses partisans sont certains de faire valoir que pendant leur gouvernement, le terrorisme – sous la forme du séparatisme des LTTE – a été vaincu, et que seuls eux sont en capacité de sauver l’île de la terreur que l’actuel gouvernement n’a pu prévenir.</p>
<p>Néanmoins, on peut craindre que si les Rajapaksas reprennent le pouvoir, les modestes efforts du gouvernement actuel pour la réconciliation d’après-guerre et le renforcement de l’État de droit prennent certainement fin.</p>
<h2>Des musulmans pacifiques, malgré les attaques répétées</h2>
<p>Les attaques posent aussi la question des capacités du NTJ à agir seul. Rappelons qu’historiquement, les musulmans sri-lankais ont été considérés et se sont considérés comme un groupe ethnique distinct. Progressivement leur identité s’est de plus en plus définie en termes religieux.</p>
<p>L’histoire contemporaine de l’île montre peu d’expériences de militance islamiste. Face à des années d’attaques soutenues, les musulmans de l’île ont fait preuve de calme et de retenue, sans un seul acte de représailles contre les nationalistes bouddhistes cinghalais, ni même contre les Tamouls. Il n’y a pas non plus d’antécédents de tensions graves entre musulmans et chrétiens.</p>
<p>Pourtant, pendant la guerre civile de 1983 à 2009, les musulmans ont payé le prix fort de leur non-violence et de leur refus du militantisme tamoul. Dans le nord et l’est du Sri Lanka, touchés par le conflit, ils ont été tués, enlevés et déplacés de leur foyer de peuplement. En 1990, plus de 70 000 musulmans ont été sommés de quitter leurs maisons localisées <a href="https://theconversation.com/who-are-sri-lankas-muslims-115825">dans les zones contrôlées par les LTTE pour rejoindre Puttalam</a>).</p>
<p>À la fin du conflit armé, ils sont devenus le « nouvel ennemi » des nationalistes bouddhistes cinghalais. Avec des groupes chrétiens évangéliques, ils ont été la cible de groupes extrémistes bouddhistes, opérant avec le soutien tacite du gouvernement, dans des attaques violentes systématiques et à grande échelle et de campagnes de haine sur les médias sociaux. On peut d’ailleurs saluer l’initiative du gouvernement d’avoir coupé l’ensemble des médias sociaux.</p>
<h2>Derrière les attentats, un acteur national ou transnational ?</h2>
<p>Certes, des voix extrémistes se sont fait entendre ces dernières décennies parmi les musulmans sri-lankais, mais la violence commise par ces groupes était jusqu’à présent dirigée <a href="http://www.asiantribune.com/index.php?q=node/7156">principalement contre d’autres musulmans</a> et <a href="http://www.sundaytimes.lk/090816/News/nws_23.html">et non contre des chrétiens ou des bouddhistes</a>. Le NTJ, par exemple, faisait partie d’un certain nombre de groupes salafistes connus et critiqués pour leur rhétorique violente et leurs attaques physiques occasionnelles contre les musulmans soufis (assassinats, destructions de mosquées soufies et pogroms notamment à Batticaloa).</p>
<p>Il y a, en effet, depuis les années 1950, des tensions entre les musulmans qui ont des pratiques soufies et les fondamentalistes. Dans la province de l’Est, depuis les années 1950, s’est toutefois cristallisée une revendication autonomiste forte en lien avec l’introduction du wahhâbisme d’Arabie saoudite. L’influence croissante de ces réseaux et leur radicalisation doit se comprendre à la lumière de la remise en question de l’identité tamoule de ces musulmans par les LTTE durant le conflit séparatiste et de leur marginalisation progressive.</p>
<p>Néanmoins, jusqu’à très récemment, il n’y avait jamais eu d’attaques contre des Sri-Lankais d’autres confessions. Le premier signe permettant de penser un changement dans les objectifs du NTJ est apparu en décembre 2018 lorsque des statues bouddhistes et chrétiennes ont été <a href="https://www.colombotelegraph.com/index.php/several-buddha-statues-attacked-in-mawanella-police-arrest-two-suspects/">vandalisées dans la ville centrale de Mawanella</a>.</p>
<p>L’influence croissante de ces réseaux salafistes peut s’expliquer par les migrations de travail, à l’instar de ce qui se passe dans la péninsule indienne, vers les pays du Golfe persique et l’importation d’un certain nombre de pratiques (vestimentaires, culturelles et cultuelles). La diffusion de la langue arabe au détriment du tamoul au sein de cette communauté est également un indicateur de ces changements.</p>
<p>Cependant, malgré la présence d’un islam salafiste et fondamentaliste à Sri Lanka, les atrocités de dimanche ne semblent pas découler directement de l’histoire compliquée des tensions intercommunautaires et de la violence politique de l’île. Même si des années de pression ont été exercées sur les musulmans par des militants bouddhistes cingalais décuplant la colère ressentie par de nombreux musulmans, il semblait surprenant que ces derniers aient une responsabilité dans ces attaques.</p>
<p>Les attaques de Pâques semblent principalement être le fruit de l’importation sur l’île du djihad transnational, plutôt que le fait de dirigeants musulmans locaux. La revendication de ces attaques coordonnées par l’EI valide cette hypothèse.</p>
<h2>Une volonté de déstabiliser l’ensemble de la société sri‑lankaise</h2>
<p>Ce mélange d’attaques – visant à la fois des églises et des hôtels – témoigne d’une fulgurance scalaire (emboîtement d’échelles), autrement dit de l’intrication du local dans le global et du global dans le local.</p>
<p>Ce bousculement d’échelles est au cœur de la stratégie de l’EI et de sa quête de terreur. Ces hôtels internationaux ne sont pas des représentations de l’Occident, mais bien des signatures de la mondialité, des endroits où sont présents de multiples nationalités, cultures, religions. Ce sont des lieux qui incarnent des formes de cosmopolitisme. Attaquer ces lieux, c’est attaquer le monde, attaquer cette condition cosmopolite qui se dessine depuis la fin de la tripartition du monde.</p>
<p>C’est aussi déstabiliser le secteur d’activité le plus important pour l’île : l’industrie touristique, qui subit là un revers massif après des efforts acharnés pour attirer les visiteurs après la longue guerre civile avec les séparatistes tamouls.</p>
<p>Enfin, viser des églises chrétiennes peut s’expliquer aussi par la volonté de déstabiliser l’ensemble de l’île dans le sens où les chrétiens représentent la seule communauté rassemblant dans leurs rangs cinghalais et tamouls. C’est un moyen de raviver des antagonismes, alors même que les chrétiens n’ont jamais pris part au conflit.</p>
<p>Ces attentats entrent également en résonance avec un agenda particulier : celui des élections qui se déroulent actuellement en Inde, des élections prochaines à Sri Lanka et des velléités de part et d’autre d’affirmer des lignes de clivage sur une base religieuse validant pour le coup la théorie du « choc des civilisations ».</p>
<p>Ces attaques deviendront probablement un élément essentiel de la dynamique du conflit sri-lankais et pourraient avoir des effets durables et déstabilisateurs. Ils constituent désormais la preuve de l’extrémisme musulman violent contre lequel les militants bouddhistes ont longtemps mis en garde. La colère ressentie par les chrétiens – d’origine tamoule et cinghalaise – face à ces massacres menace de renforcer des sentiments anti-musulmans déjà puissants dans la société.</p>
<p>Ces attaques vont certainement être réinterprétées et utilisées par de multiples acteurs politiques. Les dirigeants musulmans sri-lankais, doivent sortir de leur silence et s’exprimer avec force contre cet islamisme radical et les antagonismes qui minent leur propre communauté. Dans le même temps, des efforts sont nécessaires pour éviter de diaboliser la communauté musulmane sri-lankaise, dont l’écrasante majorité est pacifique. Le conflit intercommunautaire est précisément ce que l’EI espère provoquer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115934/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Goreau-Ponceaud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les attaques de Pâques semblent principalement être le fruit de l’importation sur l’île du djihad transnational, plutôt que le fait de dirigeants musulmans locaux modérés.Anthony Goreau-Ponceaud, Maître de conférences en géographie, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1154832019-04-24T20:13:28Z2019-04-24T20:13:28ZDoit-on parler de christianisme européen ou des racines chrétiennes de l’Europe ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/269801/original/file-20190417-139116-2dyydm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1198%2C704&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Statues du Christ et des 12 apôtres sur la façade de la basilique Santa Maria de Montserrat à Monistrol de Montserrat, Catalogne</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/apôtres-église-christianisme-jésus-3281206/">Pixabay/BarBud</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’Europe a-t-elle des racines chrétiennes ? Si la réponse paraît évidente, elle fait néanmoins l’objet de débats <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/l-europe-est-elle-chretienne-olivier-roy/9782021406689">et de crispations</a>. Les <a href="https://www.touteleurope.eu/revue-de-presse/revue-de-presse-notre-dame-emotion-dans-toute-l-europe.html">réactions</a> au récent incendie de Notre-Dame de Paris l’ont ravivée de manière inattendue.</p>
<p>Car, en effet, les paysages architecturaux sont les premiers témoins du christianisme, qui est depuis longtemps la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Christianity_in_Europe">religion majoritaire des Européen·ne·s</a>. Toutefois si l’Europe est majoritairement chrétienne (bien que le christianisme n’ait jamais été la seule religion d’Europe), l’inverse n’est pas vrai.</p>
<p>Le christianisme, par lequel l’on désigne les différents groupes d’individus se reconnaissant comme disciples de Jésus-Christ, n’a pas toujours été européen. <a href="https://www.puf.com/content/Le_christianisme_des_origines_%c3%a0_Constantin">Il s’est construit d’abord au Proche-Orient</a>. Aujourd’hui, la plus grande part de ses adeptes vivent hors d’Europe. Si donc l’identité européenne reposait sur la présence visible du christianisme, elle n’aurait rien de spécifique.</p>
<p>Toutefois, quand on parle d’Europe chrétienne, on ne pense pas seulement aux paysages et aux bâtiments. Il s’agit plutôt d’arrimer le destin politique de la construction européenne à celui de ce que l’on a appelé la Chrétienté. <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/la-marche-de-l-histoire/la-marche-de-l-histoire-08-octobre-2015">Ce terme n’est lui-même pas très clair</a>. Utilisé avec une majuscule, il désigne généralement un territoire et une période historique à peu près déterminés, que les historiens font généralement commencer avec l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Empire_carolingien">Empire carolingien (9ᵉ siècle)</a>, et qui se termine avec le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Grand_Schisme_d%27Occident">grand schisme d’Occident</a> au XIV<sup>e</sup> siècle, sans que le terme disparaisse par la suite. Il s’agit globalement du territoire des chrétiens utilisant le latin, par opposition aux chrétiens grecs (Empire byzantin) et à l’Islam.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=488&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269797/original/file-20190417-139113-143bg7v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=613&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte des religions en Europe.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Europe_religion_map_fr.png">San Jose/Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La Chrétienté : un lieu de conflits et de rivalités</h2>
<p>Même au cours de cette période, le territoire, en plus de ne pas recouper exactement ce qu’on appelle actuellement l’Europe, n’est jamais complètement unifié. L’Empire carolingien tend à se disloquer sitôt constitué. En fait, la Chrétienté sera progressivement le lieu de conflits et de rivalités entre différentes formes d’autorité : le pape, l’empereur, et les royaumes ou seigneuries.</p>
<p>L’idée de Chrétienté devait permettre théoriquement d’articuler ces différents pouvoirs, et elle indique certainement une forme d’appartenance commune qui s’affirme dans les discours politico-religieux des XI<sup>e</sup> et XII<sup>e</sup> siècles <a href="https://www.jstor.org/stable/42960125">à l’occasion des premières croisades</a>.</p>
<p>Mais, en dehors de cette courte période de domination du pape sur l’Europe latine, elle désigne moins une réalité politique constituée qu’un idéal et un mot d’ordre susceptibles comme tels d’être utilisés par des puissances politiques rivales.</p>
<p>À partir du XIV<sup>e</sup> siècle, l’idéal de la Chrétienté s’éloigne de plus en plus à mesure que l’opposition entre le pape et l’empereur se durcit, que les royaumes nationaux s’affirment et finalement que la Réforme – soit la division politique et religieuse de l’Europe entre protestants et catholiques – met un terme définitif à l’unité confessionnelle des pouvoirs de l’Europe latine.</p>
<h2>Quelle réalité culturelle ?</h2>
<p>La réalité historique de la Chrétienté comme construction politique est donc douteuse. Qu’en est-il de sa réalité culturelle ? On ne peut pas contester que le christianisme dans ses différentes formes a constitué le milieu ambiant dans lequel on vécu les Européens pendant des siècles. Il les a parfois aussi asphyxiés, selon les cas, puisque les sociétés chrétiennes n’ont pas toujours été les plus accueillantes pour les minorités : pensons aux persécutions régulières contre les juifs, mais aussi aux conversions forcées de populations non-chrétiennes du nord de l’Europe (XII<sup>e</sup>-XIII<sup>e</sup> s.) et des musulmans d’Espagne (XVI<sup>e</sup> s.).</p>
<p>Cette communauté culturelle les a-t-elle unifiés ? Sans remonter jusqu’aux guerres de religions, il faut souligner que le christianisme a autant pu être un facteur d’unité que d’affrontement : les nations se sont massacrées en son nom, jusqu’encore dans la Première Guerre mondiale, où les prières régulières, paraît-il, de <a href="http://www.memorialgenweb.org/mobile/fr/com_global.php?insee=59135&dpt=59&comm=Cassel&">Foch au « Dieu des armées »</a> répondaient au <a href="https://www.rtbf.be/14-18/thematiques/detail_dieu-sera-avec-nous-contre-gott-mit-uns-une-guerre-de-religion?id=8512865">« Gott mit uns »</a> inscrit sur les ceinturons des soldats allemands.</p>
<p>Il y a donc, derrière l’idée de Chrétienté, une grande ambiguïté. Il s’agit d’un idéal nostalgique réactif contre un présent divisé, contre une altérité plus ou moins extérieure à repousser (islam) ou intérieure à éliminer (judaïsme, hérésies). En Europe, la Chrétienté a été facteur de guerre et de divisions, autant que d’union et de paix.</p>
<h2>Le christianisme contre la Chrétienté</h2>
<p>Il serait donc non seulement illusoire mais contradictoire de vouloir bâtir sur cette notion une Europe pacifiée et démocratique. Est-ce à dire que le christianisme doive rester indifférent à la construction européenne ?</p>
<p>Ce serait oublier qu’il y a dans le christianisme, depuis deux siècles, tout un courant critique de la chrétienté. Le philosophe et théologien <a href="https://journals.openedition.org/rgi/386">Søren Kierkegaard</a> n’a pas seulement distingué le christianisme et la chrétienté : il les a opposés frontalement.</p>
<p>Que signifie la chrétienté ? C’est le territoire sur lequel être chrétien est un donné identitaire : on est chrétien comme on est français ou danois. Étant né à tel endroit, ayant telles <em>racines</em>, il a été décidé pour moi que je serais chrétien. Or pour Kierkegaard, cela est incompatible avec un christianisme authentique.</p>
<p>Celui-ci suppose au contraire une <em>décision</em> de l’individu, un <em>effort</em> de sa part pour devenir chrétien par une adhésion intérieure. C’est pourquoi il va jusqu’à dire que <em>la chrétienté a aboli le christianisme</em>. Elle l’a aboli en supprimant la possibilité de se décider pour lui. Dans la chrétienté, le christianisme ou plutôt ses signes extérieurs vont de soi : ils sont la norme sociale, l’ordre établi. En principe, tout le monde est chrétien, mais du coup plus personne ne peut décider de le devenir.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269805/original/file-20190417-139084-1kgba6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269805/original/file-20190417-139084-1kgba6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269805/original/file-20190417-139084-1kgba6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269805/original/file-20190417-139084-1kgba6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269805/original/file-20190417-139084-1kgba6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269805/original/file-20190417-139084-1kgba6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269805/original/file-20190417-139084-1kgba6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le chemin de croix de l’église St Symphorien de Pfettisheim, Alsace.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/Église_St_Symphorien_(Pfettisheim)">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Car pour qu’il y ait décision véritable, il faut que le choix soit difficile. Il faut donc que le christianisme suscite un certain scandale, dérange l’ordre établi, à l’exemple de Jésus-Christ : scandale d’un messie qui se laisse crucifier, scandale de l’inversion des valeurs sociales (le faible devant le fort, le pauvre devant le riche, l’étranger devant le proche, etc.). Sera chrétien qui décidera de l’être <em>malgré le scandale</em> – mais il faut donc bien que ce scandale existe.</p>
<h2>Le christianisme « n’appartient » à personne</h2>
<p>Dans cette conception, et pour revenir à l’Europe et à l’Union européenne, le christianisme est un appel avant d’être un état, et doit rester un appel, une exigence : il ne peut donc <em>stricto sensu</em> appartenir à personne, et ne peut avoir aucun territoire.</p>
<p>On ne saurait le revendiquer contre d’autres appartenances, moins encore se prévaloir du christianisme pour s’affirmer contre elles. Un tel christianisme sera donc nécessairement solidaire des tentatives pour neutraliser religieusement l’instrument politique, et contre toute utilisation politique du christianisme « culturel », qui ne pourra être, à ses yeux, qu’une manière supplémentaire de masquer l’exigence chrétienne.</p>
<p>Sera-ce pour autant un christianisme désinvesti de la politique et en particulier de la politique dans sa dimension européenne ? Ce n’est pas certain, et notamment pas si l’on considère la construction européenne comme une tentative pour dépasser démocratiquement les antagonismes nationaux, et jusqu’à la conception nationale du politique. « La démocratie, a pu écrire <a href="http://www.religare.org/livre/humanisme/hu-bergson-source-religion.pdf">Henri Bergson</a>, est d’essence évangélique » : ce n’était pour refonder une chrétienté, ou pour interdire aux non-chrétiens le droit d’être démocrates. Cette essence n’est pas un contenu doctrinal, c’est une émotion. Elle est d’ailleurs passée historiquement, dit-il, dans la plupart des religions du monde, qui n’en ont pas pour autant perdu leur spécificité.</p>
<h2>Une émotion paradoxale</h2>
<p>Or l’émotion chrétienne est semblable à l’émotion démocratique : suscitée non par la force mais par la faiblesse, et non par la distance hiérarchique mais par l’égalité, non par l’intensité des victoires mais par la grisaille de la paix.</p>
<p>C’est une émotion paradoxale puisqu’elle vit d’un certain renoncement : un renoncement à la grandeur, une forme de consentement à l’échec (la mort de Jésus sur la Croix) qui sont en eux-mêmes un signe de rédemption. On oppose régulièrement une Europe procédurale, celle du <a href="https://www.nonfiction.fr/article-6297-habermas-et-le-patriotisme-constitutionnel.htm">« patriotisme constitutionnel » théorisé par Jurgen Habermas</a>, et dont l’un des achèvements principaux est tout négatif, puisqu’il n’est que la paix, à une Europe substantielle, celle de l’héritage chrétien et des États-nations.</p>
<p>Mais ce christianisme pourrait bien être, contre la Chrétienté, du côté de la procédure, et de la place vide du pouvoir. Il pourrait être du côté non de l’exaltation de la puissance mais de la paix, modestement construite et non imposée par la co-dépendance économique (qu’on a peut-être fini par mal comprendre comme une exaltation de la concurrence et de la consommation délocalisée) imaginée par les initiateurs – chrétiens, cela a souvent été remarqué – de la communauté européenne. Ses imaginaires et ses théologies pourraient donner des ressources pour charger d’émotion le refus même du pouvoir et son remplacement par des procédures, l’abandon (joyeux ?) de la ferveur patriotique et le renoncement (enthousiaste ?) à la puissance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115483/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Feneuil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Derrière l’idée de Chrétienté se cache une grande ambiguïté. Il s’agit d’un idéal nostalgique qui a été, en Europe, facteur de guerre et de divisions, autant que d’union et de paix.Anthony Feneuil, Maître de conférences en théologie, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1156772019-04-18T19:39:51Z2019-04-18T19:39:51ZNotre-Dame de Paris incendiée : un éclair d’éternité<p>L’incendie de Notre-Dame de Paris a profondément touché des millions de personnes. Peut-on, et comment, rendre compte de cette résonance universelle ? L’événement aurait-il le même sens pour toutes ces personnes ? Ne faut-il pas interroger plutôt le fait que tant de personnes se soient senties touchées, en même temps, par le même événement ? L’écho universel rencontré par ce qui n’est, d’un point de vue froidement objectif, qu’un incendie, ne nous dévoile-t-il pas quelque chose d’essentiel ?</p>
<h2>L’expérience paradoxale de l’éternité</h2>
<p>Spinoza a écrit que « chacun d’entre nous est capable de sentir et d’expérimenter qu’il est éternel ».</p>
<blockquote>
<p>« At nihilominus, sentimus, experimurque, nos aeternos esse » (Ethique, V, p. 23, scolie).</p>
</blockquote>
<p>Il me semble que l’incendie met en pleine lumière la vérité de cette affirmation. Si le fait de voir cette cathédrale tant aimée se réduire (en partie) en cendres sous notre regard sidéré d’impuissance nous touche tant, c’est qu’il est reçu comme un rappel à l’ordre. Il réveille, de façon flamboyante, la conscience de notre rapport à l’éternité. C’est-à-dire à quelque chose qui n’est pas de l’ordre des choses, et qui s’inscrirait dans une tout autre temporalité que celle de notre pauvre durée, dont la mort est l’horizon.</p>
<p>Ce message est paradoxal. Car, bien sûr, on peut entendre, en premier lieu, que rien n’est éternel, puisque brûle ce que l’on croyait le plus solide. Même les cathédrales peuvent partir en fumée ! Chacun est poussière, et retournera en poussière. Il faut bien s’en faire une raison. Mais en allant, comme le « pauvre Martin » de Brassens, jusqu’à ne pas trouver ça tout naturel ! Autrement dit, en comprenant que la nature, en tout cas de l’homme, ne se réduit pas à ce qui, en lui, est immédiatement naturel.</p>
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<h2>Pour le chrétien : l’espérance, plus forte que la mort</h2>
<p>Car à quel titre est-on aussi profondément touché ? On peut apporter au moins trois réponses. Je suis touché, tout d’ abord, en tant que chrétien. Parce que, comme l’écrit Descartes, Dieu m’ayant fait la grâce d’être élevé dans la religion chrétienne, ce dont il m’est resté quelques traces, je ne peux qu’être profondément attristé par le funeste événement frappant l’une de nos plus belles cathédrales, qui plus est (Dieu viendrait-il nous narguer ?) pendant la Semaine sainte.</p>
<p>Mais précisément, l’horizon de cette Semaine sainte est la perspective de la résurrection, c’est-à-dire de la vie éternelle. La croix de Notre-Dame n’a-t-elle pas été comme miraculeusement préservée ? Ne sommes-nous pas sommés de comprendre, enfin, que le Royaume n’est pas de ce monde ? La cathédrale n’aurait-elle pas brûlé que pour mieux renaître, comme symbole du Christ ressuscité, qui nous a donné l’espérance de l’éternité ?</p>
<h2>Pour le Français : l’histoire et la résilience</h2>
<p>En second lieu, je suis touché en tant que Français. Notre-Dame appartient à notre patrimoine commun. Beaucoup plus qu’un simple édifice religieux, elle témoigne de, et pour, notre histoire. Elle est un symbole de l’existence, et plus encore de la résilience, du peuple français. Peuple qui, après chaque accident de l’histoire, après chaque coup dur, après chaque défaite, a su se relever, et « persévérer dans son être », comme l’aurait dit encore Spinoza.</p>
<p>Mais cela souligne qu’en tant que Français, j’appartiens à une communauté qui déborde mon horizon individuel, et qui s’est construite à travers l’histoire. Je suis toujours autre chose, quelque chose de plus que ce que je suis dans mes appartenances individuelles concrètes (comme Parisien, Breton, Basque, citadin ou campagnard, etc.) ; appartenances dont je peux aussi, par ailleurs, et comme en surplus, être fier !</p>
<p>Notre-Dame, devenue symbole de la République française, témoigne de l’existence d’un peuple, c’est-à-dire d’une communauté nationale qui dépasse, il faudrait dire qui transcende, les individus qui la composent.</p>
<h2>Pour l’homme : plus que le fils de son temps</h2>
<p>Enfin, en tant qu’homme, la disparition possible de la cathédrale de Paris vient me rappeler qu’aucun être humain ne se réduit jamais à ce qu’il est dans sa particularité spatio-temporelle, toujours borné, dans le temps comme dans l’espace.</p>
<p>Certes, comme l’a fort bien dit Hegel, chacun est le fils de son temps. Il ne faut pas croire que l’on puisse s’en échapper, pour être comme de tous les temps, et considérer les choses d’un point de vue à qui son intemporalité conférerait l’universalité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269962/original/file-20190418-28116-uj6iba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=21%2C0%2C1601%2C1579&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269962/original/file-20190418-28116-uj6iba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=592&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269962/original/file-20190418-28116-uj6iba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=592&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269962/original/file-20190418-28116-uj6iba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=592&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269962/original/file-20190418-28116-uj6iba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=744&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269962/original/file-20190418-28116-uj6iba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=744&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269962/original/file-20190418-28116-uj6iba.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=744&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>L’Homme de Vitruve</em> de Léonard De Vinci, Gallerie dell’Accademia, Venise.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Da_Vinci_Vitruve_Luc_Viatour2.jpg">Wikimédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Mais personne n’est jamais simplement le fils de son temps, pas plus que le prisonnier de sa nature. La cathédrale, comme symbole, nous inscrit à la fois dans une histoire, celle de l’homme, et dans une communauté, celle de l’humanité, pour laquelle ce qui est d’ordre biologique ne constitue pas le tout de la réalité. Si je suis autant touché, en tant qu’homme, c’est parce que cet incendie me rappelle que ma naissance et ma mort ne sont pas simplement des événements naturels, et m’inscrivent dans le rapport à une éternité qui n’a rien à voir avec une temporalité indéfinie.</p>
<p>C’est parce que le fait d’être conscient de vivre dans le temps m’impose d’affronter une question qui me dépasse, celle de l’éternité.</p>
<p>Ainsi, si je suis touché, aussi bien en tant que chrétien, ou que français, ou qu’être humain, c’est parce que l’incendie de Notre-Dame me rappelle, d’une manière fulgurante, le mystère de l’éternité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115677/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si je suis touché, aussi bien en tant que chrétien, ou que français, ou qu’être humain, c’est parce que l’incendie de Notre-Dame me rappelle, d’une manière fulgurante, le mystère de l’éternité.Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1124632019-03-09T17:39:11Z2019-03-09T17:39:11ZPour une laïcité orientale et personnaliste dans le monde arabe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/262478/original/file-20190306-100772-y5osw1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C0%2C1019%2C761&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une rue du Caire (Égypte), en 2011.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/9508280@N07/6379607199/in/photolist-aHK9Xz-YYxGXk-4ixCPi-49TqmX-PqawDq-iZvfew-aHJXnR-aGn31v-9JHe83-MMc2Xn-ox8raV-4t2MeD-7baPeV-ofXBty-LbXzLJ-YGZc9T-mQXMZ-a3Sa9v-5pL22p-25yPiQC-8zvmLh-2dm8sAq-4nXjwC-2a9pNxe-P1bGju-XMekry-XK5Byn-MnYk4k-29KxsKF-A2BPH-29yVVxk-Ep9mYe-tAEj36-4gn58k-6x11ck-9gERc8-dusTjk-ovqhvU-csGdXu-cBjgR3-bowhA2-cBjfD7-5mkYb9-7W1ZaC-5NURnq-p7pZXs-dicLt-8zsbfa-4mYjCe-27ejDVC">Dan Lundberg/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p><em>Amin Elias, professeur d'histoire à l'Université libanaise de Beyrouth (Liban), est intervenu au colloque de clôture du séminaire <a href="https://www.collegedesbernardins.fr/recherche/les-religions-de-lespace-mediterraneen-au-defi-du-pluralisme"><em>Liberté de religion et de conviction en Méditerranée : les nouveaux défis</em></a> du Collège des Bernardins.</em></p>
<hr>
<p>Depuis l’invasion de l’Irak en 2003 et jusqu’à l’avènement des mouvements de ce qu’on a appelé « printemps arabe » à partir de 2010, les répercussions des bouleversements opérés semblent dépasser le cadre local et régional pour acquérir une ampleur mondiale. En effet, il s’agit d’une destruction massive de ce qu’on appelle « l’ancien régime arabe ».</p>
<p>Quant au projet de l’islam politique, représenté par le mouvement des Frères musulmans, il s’est trouvé lui aussi dans l’impasse en Tunisie, en Égypte, au Yémen, en Syrie et en Libye. En d’autres termes : l’islam, contrairement au slogan des <em>Ikhwan-s</em> (Frères musulmans), n’est plus perçu comme « la solution ». Pour beaucoup d’intellectuels et d’observateurs de langue arabe, il est temps d’entreprendre une nouvelle Renaissance.</p>
<p>La grande question qui se pose ici : quelle est l’idée matrice autour de laquelle établir un projet de civilisation dans ses dimensions politique, sociale, économique et culturelle qui soit compatible avec les aspirations et les besoins des populations arabes ?</p>
<p>La réponse n’est pas du tout évidente. Néanmoins, quelques éléments semblent être déjà élaborés, à savoir : une forme de laïcité qui soit compatible avec la réalité des sociétés orientales de langue arabe.</p>
<h2>L’appel en faveur d’une « société laïque-scientifique »</h2>
<p>La laïcité en tant qu’idée philosophique et politique ne date pas du XXI<sup>e</sup> siècle. En effet, c’est en 1861 qu’un homme de lettres, le maître Butrus al-Bustânî (1819-1983), qualifié de « Diderot des Arabes », exprime explicitement dans sa revue <em>La trompette de la Syrie</em> la nécessité de séparer politique et religion.</p>
<p>Les événements qui ont frappé le monde arabe depuis 2010 ont fait réémerger des questions que les sociétés arabes avaient cessé de poser durant l’époque de l’ancien régime, représenté par des gouverneurs totalitaires qui se déclaraient arabistes : la liberté de conscience et de conviction est-elle envisageable hors un système de vie où l’on sépare État et religion, temporel et spirituel ?</p>
<p>Le philosophe libanais, Nassîf Nassâr, s’emploie à son tour, depuis 1970 – date de la parution de son livre « Pour une nouvelle société » –, de promouvoir la laïcité comme réponse à la crise des sociétés de langue arabe. D’où son appel à la construction d’une nouvelle société qu’il qualifie de « société laïque-scientifique » basée sur le rationalisme et la science.</p>
<p>C’est dans cette « société laïque-scientifique » que l’on peut supprimer le confessionnalisme politique et assurer la survie des « communautés religieuses » ainsi que les libertés des individus.</p>
<h2>La solution de la « laïcité douce »</h2>
<p>De même, le professeur de philosophie à l’Université libanaise, Mouchir Bassil Aoun, se situe dans la lignée de Bustânî et Nassâr, proposant la « laïcité douce » comme solution non seulement pour la confrontation entre islam et christianisme, mais aussi comme réponse à la crise de la liberté dans l’islam.</p>
<p>Avec cette « laïcité douce, reconnaissante et dialogale », la liberté deviendra cette qualité appartenant intrinsèquement à l’essence humaine. C’est dans le cadre de cette « laïcité douce » que l’homme pourrait retrouver sa liberté et recouvrer son individualité et sa dignité.</p>
<p>Quant aux traits principaux de cette laïcité, il s’agit en premier lieu d’une laïcité qui « distingue » et non pas qui « sépare » entre la religion et l’État. Deuxièmement, cette laïcité trouve son assise idéologique dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Troisièmement, elle a la tâche de rétablir la dignité de l’individu en Orient. Quatrièmement, elle garantit la liberté de conscience qui permet à tout individu d’exprimer ses expériences, ses convictions et ses perceptions. Et cinquièmement, elle établit la neutralité objective de l’État à l’égard de toutes les religions existant sur son territoire.</p>
<h2>Pour un « personnalisme oriental »</h2>
<p>Cependant, cette laïcité reste inconcevable dans un système de pensée arabe où on n’accorde pas aux gens le droit à une individualité totale et indépendante. Dans cet espace arabe, on réfère toujours du sujet à une religion, une communauté confessionnelle, une famille ou une tribu. Une tension persiste entre le statut d’individu et le statut de sujet appartenant à une communauté.</p>
<p>Des intellectuels libanais, comme René Habachi, ont essayé de trouver une solution à cette tension s’inspirant de la philosophie personnaliste élaborée par le philosophe catholique français Emmanuel Mounier. Ceux-ci ont tenté depuis les années soixante d’élaborer un « personnalisme oriental » qui promeut la réconciliation entre individu, autrui (représenté par la dimension communautaire) et l’au-delà (à savoir la dimension spirituelle).</p>
<p>Dans cette période où l’Orient est en pleine mutation, une laïcité de chez les Orientaux, basée sur la notion de la personne, où coexistent l’individu, la communauté et le spirituel, pourrait-elle présenter une proposition de solution ?</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/214295/original/file-20180411-540-1kr15nd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/214295/original/file-20180411-540-1kr15nd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/214295/original/file-20180411-540-1kr15nd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/214295/original/file-20180411-540-1kr15nd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=318&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/214295/original/file-20180411-540-1kr15nd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/214295/original/file-20180411-540-1kr15nd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/214295/original/file-20180411-540-1kr15nd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=399&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em><a href="https://www.collegedesbernardins.fr/">Le Collège des Bernardins</a> est un lieu de formation et de recherche interdisciplinaire. Acteurs de la société civile et religieuse entrent en dialogue autour des grands défis contemporains, qui touchent l’homme et son avenir.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112463/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amin Elias ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans cette période de mutation, une laïcité basée sur la notion de la personne, où coexistent l’individu, la communauté et le spirituel, pourrait-elle représenter une solution ?Amin Elias, Professeur d'histoire, Université libanaiseLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1102932019-01-22T23:41:19Z2019-01-22T23:41:19ZLes persécutions antichrétiennes en Afrique, un sujet sensible<p>L’Afrique suscite bien des fantasmes lorsqu’on parle de ses tensions interreligieuses, qu’il s’agisse d’évoquer la « multiplication » des persécutions antichrétiennes ou la « prolifération » des menaces djihadistes au Sahel. Un récent article du <em>Monde</em>, daté du 16 janvier, en témoigne à sa manière.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/01/16/97-des-chretiens-tues-en-2018-l-ont-ete-sur-le-continent-africain_5409656_3212.html">À l’en croire</a>, 97 % des chrétiens tués en 2018 l’auraient été sur le continent africain. L’article a visiblement tant frappé les lecteurs qu’il a été le quatrième plus partagé de la journée sur le site Internet du journal. Cependant, ses conclusions qui se fondent sur un index mondial de persécution des chrétiens dont la réalisation n’est pas scientifique et dont les résultats posent de nombreuses questions méthodologiques sur la façon d’estimer l’ampleur des tensions interreligieuses en Afrique sont contestables.</p>
<h2>Un index qui pose problème</h2>
<p>Publié par Open Doors, une ONG protestante, ledit index n’en est pas à une contradiction près. Ainsi, le Nigeria y apparaît comme le pays où l’on tuerait le plus grand nombre de chrétiens. En revanche, il ne figure pas dans le classement des sept pays « capitaux » où, <a href="https://www.portesouvertes.fr/persecution-des-chretiens">selon Open Doors</a>, on persécuterait le plus les chrétiens, à savoir, par ordre décroissant d’importance : la Corée du Nord, l’Afghanistan, la Somalie, la Libye, le Pakistan, le Soudan et l’Érythrée. Doit-on en déduire qu’il existerait des formes de persécution encore plus terribles que la mise à mort ? Ou bien qu’il vaudrait mieux être tué au Nigeria qu’interdit de messe en Corée du Nord ?</p>
<p>Derrière la précision des chiffres, la démonstration manque également d’exactitude. D’après Open Doors, 4 305 chrétiens auraient été tués dans le monde pour des raisons liées à leur croyance en 2018. Mais est-ce que « 97 % » d’entre eux l’ont vraiment été en Afrique ? Ou bien, pour reprendre d’autres chiffres cités de façon contradictoire par l’article du <em>Monde</em>, « près de neuf dixièmes », c’est-à-dire moins de 90 % ? On ne le sait guère. De fait, les calculs d’Open Doors laissent la « porte ouverte » à de nombreuses interprétations et révèlent bien des incohérences.</p>
<p>Concernant l’Afrique, en particulier, l’ONG classe le Nigeria, pays le plus peuplé du continent, en tête de liste des pays les plus touchés par des violences contre des chrétiens, avec 3 731 morts recensés en 2018, contre 146 en Centrafrique, 50 en Somalie, 43 au Congo, 42 au Mozambique, 31 en Éthiopie et 30 au Soudan du Sud.</p>
<p>Pour autant, il n’est pas évident que tous ces gens aient été tués pour des raisons liées à leur confession. En 2017, déjà, des discussions entamées avec les rédacteurs des rapports d’Open Doors avaient révélé toutes les limites de leurs interprétations des statistiques tirées d’une base de données, NigeriaWatch, qui comptabilise les morts de la violence <a href="http://www.nigeriawatch.org">grâce à la vigilance quotidienne de chercheurs de l’université d’Ibadan</a>).</p>
<h2>Une méthodologie qui pose question</h2>
<p>La méthodologie employée par l’ONG à propos du Nigeria s’est avérée pour le moins surprenante. Dans le nord à dominante musulmane du pays, Open Doors a en l’occurrence appliqué un taux uniforme de 30 % de chrétiens, proportion qui mériterait d’être étudiée de plus près puisqu’il n’existe plus de données publiques et officielles sur les allégeances confessionnelles de la population depuis le recensement de 1953, le dernier opéré par le colonisateur britannique.</p>
<p>En extrapolant, l’ONG protestante a alors estimé que 30 % des personnes tuées dans les douze États du nord de la Fédération nigériane étaient chrétiennes. Mieux encore, elle a considéré qu’une bonne partie de ces victimes étaient mortes en raison de leur croyance, alors même qu’elles avaient tout aussi bien pu succomber à des attaques liées à la criminalité de droit commun : à cause de leur portefeuille, donc, et non de leur croix.</p>
<p>Soyons clairs. L’Amérique latine, qui est majoritairement chrétienne, connaît des records mondiaux de taux d’homicides. On y tue ainsi beaucoup de chrétiens, mais pas pour des raisons liées à leur croyance. Le titre de l’article du <em>Monde</em> est d’ailleurs trompeur : ce ne sont pas 97 % des chrétiens tués en 2018 qui l’ont été sur le continent africain, mais 97 % de ceux qui auraient été tués en raison de leur croyance.</p>
<h2>Le Nigéria au-delà des clichés</h2>
<p>Indéniablement, il existe des discriminations et des persécutions antichrétiennes dans le nord du Nigeria. À l’occasion, il arrive aussi que des chrétiens soient tués en raison de leur confession, notamment lors d’attaques menées contre des églises par la secte djihadiste Boko Haram, par des gangs de criminels ou, très rarement, par des églises rivales. Mais il importe de ne pas exagérer l’ampleur de ces violences.</p>
<p>Avec bientôt 200 millions d’habitants, le Nigeria échappe en grande partie aux représentations stéréotypées du choc des civilisations. Dans l’immense majorité des cas, chrétiens et musulmans y coexistent pacifiquement – ce qui n’empêche nullement des tensions économiques dues, entre autres, aux différentiels de développement entre le nord et le sud du pays.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur vient de publier « Déconstruire la guerre », éditions de la Maison des Sciences de l’Homme.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/110293/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc-Antoine Pérouse de Montclos a établi la base de données NigeriaWatch en 2006. </span></em></p>Indéniablement, il existe des discriminations et des persécutions antichrétiennes dans le nord du Nigeria. Mais il importe de ne pas exagérer l’ampleur de ces violences.Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherches, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/935612018-03-22T23:23:46Z2018-03-22T23:23:46ZLa laïcité est-elle vraiment une invention chrétienne ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/211572/original/file-20180322-54869-ppwmtw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C2%2C1988%2C1452&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">«Le Denier de César», Philippe de Champaigne (1655).</span> </figcaption></figure><p>« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » : voilà la première formule de séparation des Églises et de l’État, qu’on appelle en France la laïcité. C’est du moins ce qu’on entend régulièrement, parfois dans le fil d’un raisonnement dont la conclusion est assez peu laïque puisqu’elle revient à établir une différence entre les religions du point de vue de leur compatibilité avec la démocratie moderne.</p>
<p>Il est frappant de constater que si cette lecture de la formule évangélique dans la perspective d’une distinction des ordres religieux et politiques est devenue un lieu commun de la pensée chrétienne au XX<sup>e</sup> siècle, elle n’a pas eu cours pendant les treize ou quatorze premiers siècles du christianisme, avant d’être proposée par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Marsile_de_Padoue">Marsile de Padoue</a> puis reprise par Luther et les réformateurs.</p>
<p>Autrement dit : jusqu’à ce que les Églises et les États modernes ne deviennent en Europe des réalités effectivement de plus en plus autonomes, et que s’affirme la distinction entre religion et politique, personne ne s’était aperçu que cette indépendance et cette distinction étaient inscrites au cœur du christianisme. Au point qu’il pouvait paraître naturel à Thomas d’Aquin d’affirmer que <a href="http://docteurangelique.free.fr/bibliotheque/opuscules/20deregno.htm">« dans la loi du Christ les rois doivent être soumis aux prêtres »</a>. Ce qui rend, malgré tout, un peu compliqué de le considérer comme un précurseur de la séparation.</p>
<h2>Jésus à la question</h2>
<p>Comment expliquer cette inattention au texte évangélique ? Jésus avait-il bien dit ce que la modernité lui a fait dire ? Revenons sur le contexte dans lequel la phrase apparaît. L’épisode est raconté de manière très proche dans trois Évangiles, ceux de Marc, Matthieu et Luc.</p>
<p>Les ennemis de Jésus lui posent une question, pour l’obliger à se compromettre : doit-on payer le tribut demandé par Rome, la puissance occupante ? Que Jésus réponde oui, et il se discrédite auprès du peuple qui voit en lui un libérateur. Qu’il réponde non, et il s’expose à une condamnation imminente par les autorités. Il renvoie donc une autre question à ses questionneurs : « Apportez-moi une pièce d’argent […] cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? – de César ». Et Jésus de rétorquer : « Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Ce qui laisse ses interlocuteurs « dans un grand étonnement » (Mc 12, 10-17, tr. TOB).</p>
<h2>Jésus et l’Empereur, fils de Dieu</h2>
<p>S’agit-il de distinguer les ordres ? À César le politique, à Dieu le religieux ? Pas nécessairement. D’abord, les spécialistes se disputent quant à la signification exacte des paroles de Jésus : incite-t-il, oui ou non, à payer le tribut ? C’est si peu clair que dans l’Évangile de Luc le refus de payer est l’une des charges retenues contre Jésus et qui le conduisent à être exécuté.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/211585/original/file-20180322-54869-1bsxbur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/211585/original/file-20180322-54869-1bsxbur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/211585/original/file-20180322-54869-1bsxbur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/211585/original/file-20180322-54869-1bsxbur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/211585/original/file-20180322-54869-1bsxbur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/211585/original/file-20180322-54869-1bsxbur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/211585/original/file-20180322-54869-1bsxbur.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tibère, marbre, réplique sous Tibère d’un original de l’époque d’Auguste. Musée Capitolin, Rome.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Tib%C3%A8re_Rome_augGP2014.jpg">Siren-Com/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Il faut souligner aussi que Jésus s’adresse à ses ennemis, et non à ses disciples. En leur demandant de produire une pièce, un <em>denier romain</em>, sur laquelle l’empereur est représenté en divinité, et qui contient l’inscription « Empereur Tibère, auguste fils de l’auguste dieu », Jésus les accuse. Ils ont transgressé un double interdit judaïque : celui de la représentation, et celui d’adorer un faux dieu.</p>
<p>Et comment ne pas noter le parallèle entre l’empereur <em>fils de dieu</em> et le titre qui sera celui de Jésus ? Bref, loin de distinguer les ordres, l’attitude de Jésus ne fait que souligner la compétition, sur le même plan, indissolublement politique et religieux, entre lui et César. En enjoignant à ses interlocuteurs de « rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », il les met en difficulté, fait apparaître leur compromission avec le pouvoir occupant, et les incite à la conversion.</p>
<h2>Une lecture anachronique</h2>
<p>Ajoutons que Jésus ne dit rien du <em>contenu</em> de ce qu’il faut rendre. Les Pères de l’Église insistaient d’abord sur la nécessité de ne pas se compromettre dans l’idolâtrie, et d’abandonner la fausse image de Dieu (celle de l’argent, du pouvoir coercitif, etc.) pour la vraie (celle de Jésus). <a href="http://ntwrightpage.com/2016/05/07/god-and-caesar-then-and-now/">Des commentateurs récents</a> ont fait le parallèle avec une autre formule biblique, utilisée cette fois comme une invocation explicitement guerrière : « Rendez aux païens ce qu’ils vous ont fait (le mal), et attachez-vous aux préceptes de la loi » (1 Mac 2, 68, tr. TOB modifiée). On fait mieux comme formule de compromis… Car à la question de savoir ce qui appartient à Dieu, il n’y a qu’une seule réponse : « la terre et ses richesses » (Ps 24). D’où le beau commentaire que <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dorothy_Day">Dorothy Day</a> aurait donné de la formule évangélique : « Si vous rendez à Dieu ce qui est à Dieu, il ne reste rien à César. »</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/211571/original/file-20180322-54878-13c8d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/211571/original/file-20180322-54878-13c8d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1021&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/211571/original/file-20180322-54878-13c8d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1021&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/211571/original/file-20180322-54878-13c8d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1021&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/211571/original/file-20180322-54878-13c8d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1283&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/211571/original/file-20180322-54878-13c8d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1283&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/211571/original/file-20180322-54878-13c8d7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1283&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La Cène (Gemäldegalerie, Berlin).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dalbera/11437504786/in/photolist-Xbhpai-Ycewaa-iqGcGo-ee85gS-Y9KuZU-ZS7NL9-LTKQL-Y9Kmwm-XNLnsL-X93naC-XbsYag-XNLAVC-xTrqQx-xTr1SH-QrkG5D">Jean‑Pierre Dalbéra/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le texte évangélique ne présente donc pas du tout une formule de séparation entre le politique et le religieux, et il n’est même compréhensible qu’à supposer leur intrication, et la rivalité entre Dieu et César. Autrement dit, la lecture « laïque » de cet extrait suppose la distinction qu’il est censé fonder. Bref, c’est une lecture anachronique, qui projette sur le monde ancien des catégories qui relèvent de la modernité, et à l’intérieur du christianisme des distinctions qui lui sont extérieures et résultent plutôt de son affaiblissement, et de l’émancipation des États modernes par rapport aux Églises.</p>
<p>Plusieurs théologiens contemporains s’en sont aperçus, parmi lesquels il vaut la peine de citer <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/review-of-politics/article/if-you-render-unto-god-what-is-gods-what-is-left-for-caesar/468F1CB00D7B7BF700C0D14A763284F1">William Cavanaugh</a>, et ont tâché de repenser le rapport entre christianisme et pouvoir politique à l’aune de cette nouvelle conscience.</p>
<h2>Le christianisme, une religion politique</h2>
<p>Ce que révèlent les textes bibliques et dont Jésus nous avertit, c’est que le politique n’est jamais purement politique, mais demande une adhésion d’un ordre que nous appellerions religieux, c’est-à-dire qui ne relève pas seulement du consentement rationnel et de l’organisation des choses. Dans le simple usage de l’argent, il y a toujours plus qu’un impératif utilitaire. Nous croyons nous en servir et le plus souvent c’est nous qui le servons, et ainsi le transformons en idole ou fétiche.</p>
<p>Inversement, le christianisme s’est présenté d’emblée comme un mouvement non seulement religieux mais politique, promettant d’expulser le « Prince de ce monde » et disputant à César des sujets qu’il tenait par l’argent et la force.</p>
<p>Dire que le christianisme est une religion politique ne signifie pas qu’il doive revendiquer le pouvoir étatique, ou militer pour un retour à l’intrication médiévale entre l’Église et la force coercitive. Au contraire. Jésus ne veut pas être César à la place de César, quoique les Églises, elles, aient souvent cette tentation.</p>
<p>À la politique de César, le christianisme, ainsi que le rappelle encore <a href="https://www.wiley.com/en-us/Torture+and+Eucharist%3A+Theology%2C+Politics%2C+and+the+Body+of+Christ-p-9780631211990">William Cavanaugh</a>, oppose non pas une autre politique mais une autre manière d’imaginer la politique. Il ne s’agit pas de combattre César avec ses armes et d’être plus fort, plus riche ou plus « attractif ». Dans la communion eucharistique, autour du pain et du souvenir de Jésus crucifié, il pourrait être fait le pari d’une communauté possible fondée sur la faiblesse, la pauvreté et la non-violence. Ni spiritualité individuelle, car il s’agit bien de construire un corps collectif aux dimensions de l’humanité, ni désengagée, car la non-violence conséquente n’est pas loin du martyre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93561/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Feneuil ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu » : que signifie réellement cette formule attribuée à Jésus et citée dans les Évangiles ?Anthony Feneuil, Maître de conférences en théologie, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/887922017-12-07T14:16:24Z2017-12-07T14:16:24ZJérusalem, le nœud gordien des Israéliens et des Palestiniens<p>La <a href="http://www.bbc.co.uk/news/world-us-canada-42259443">reconnaissance de Jérusalem</a> comme capitale de l’État d’Israël par Donald Trump, et l’annonce de la préparation du transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv dans la Ville sainte sont potentiellement explosifs pour l’ensemble du Proche-Orient.</p>
<p>Même si cette décision constitue tout sauf une surprise – <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/jan/23/us-embassy-jerusalem-trump-israel">Donald Trump avait annoncé ses intentions</a> durant la campagne électorale américaine –, elle rompt avec la diplomatie traditionnelle de ses prédécesseurs. Depuis l’adoption du <a href="http://time.com/5049019/jerusalem-embassy-history/">Jerusalem Embassy Act of 1995</a>, tous les présidents américains avaient renoncé à transférer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem.</p>
<p>Depuis lors, il existait un consensus outre-Atlantique sur l’idée que la reconnaissance de l’annexion de Jérusalem-Est par Israël et sa désignation comme capitale de l’État hébreu risquaient d’affecter le fragile équilibre des puissances au Proche-Orient, tout en affaiblissant la capacité des États-Unis à promouvoir leurs intérêts dans la région. La diplomatie américaine s’était, jusque-là, montrée très prudente dans l’une des zones du globe les plus sensibles.</p>
<p>Les leaders palestiniens <a href="http://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/jerusalem-live-updates-israel-capital-donald-trump-latest-news-palestine-us-president-recognise-a8094321.html">ont condamné</a> cette décision avant même qu’elle soit rendue publique, tout comme les dirigeants arabes de la région. C’est aussi le cas bien au-delà du Proche-Orient. Car celle-ci va susciter un fort ressentiment parmi les Palestiniens dans les Territoires occupés et à Jérusalem même, dans un contexte de blocage du processus de paix depuis deux décennies et de détérioration continue de la vie quotidienne dans les Territoires. Avant même l’annonce de la décision de Trump, les autorités américaines ont d’ailleurs recommandé aux citoyens et fonctionnaires américains <a href="http://www.independent.co.uk/news/world/americas/us-politics/jerusalem-latest-trump-us-embassy-israel-protests-safety-warning-staff-a8094181.html">d’éviter de se rendre dans la vieille ville de Jérusalem et en Cisjordanie</a>.</p>
<h2>Le centre de gravité du processus de paix</h2>
<p>Jérusalem n’est pas seulement une cité historique de première importance pour le judaïsme, l’islam et la chrétienté, c’est aussi une ville clé pour l’identité des Israéliens et des Palestiniens. Si l’on ajoute à cela la question cruciale du statut de Jérusalem dans le conflit israélo-palestinien, considéré comme l’un des contentieux les plus épineux à régler sur la scène internationale, on comprend mieux pourquoi, aux yeux des experts, la décision de Trump revient à <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/dec/06/wednesday-briefing-trumps-jerusalem-decision-dangerous">jeter de l’huile sur le feu</a>.</p>
<p>Sur le plan strictement politique, la plupart des Israéliens et des Palestiniens insistent sur le fait que Jérusalem est et doit être la capitale de leur État, et que cela est non négociable. Le statut de la Ville sainte fut d’ailleurs l’un des points d’achoppement dans le processus de paix initié par les accords d’Oslo au début des années 1990. Il fut alors envisagé de <a href="http://www.mfa.gov.il/mfa/foreignpolicy/peace/guide/pages/the%20israeli-palestinian%20interim%20agreement.aspx">contourner cet écueil</a> en renvoyant cette question à la toute fin des tractations entre les deux parties.</p>
<p>Le fait que le processus de paix dans son ensemble ait calé a accru, par contrecoup, la dimension symbolique de la question de Jérusalem pour les Palestiniens.</p>
<p>Jérusalem revêt une dimension symbolique très forte dans l’imaginaire des Palestiniens, d’autant plus que les autres marqueurs de leur identité – le territoire, la gouvernance et l’autodétermination – s’érodent sous le poids de l’occupation israélienne, le blocus de Gaza et la détérioration de la coopération entre Israéliens et Palestiniens.</p>
<h2>La stratégie d’Israël</h2>
<p>Si le premier ministre Benyamin Nétanyahou et son gouvernement ont fait <a href="https://www.reuters.com/article/us-usa-trump-israel-netanyahu/no-comment-on-trumps-jerusalem-move-from-netanyahu-in-first-speech-idUSKBN1E0143">profil bas</a> à l’annonce de la décision de Trump, il est clair que pour les cercles nationalistes en Israël, mais aussi au sein d’une large partie de la population, sa valeur symbolique est très forte.</p>
<p>Depuis son annexion en 1980, le gouvernement israélien n’a pas ménagé sa peine dans <a href="http://news.bbc.co.uk/1/shared/spl/hi/middle_east/03/v3_israel_palestinians/maps/html/1967_and_now.stm">sa revendication de souveraineté pleine et entière sur Jérusalem</a>. La construction de <a href="https://www.reuters.com/article/us-israel-palestinians-settlements/israel-planning-15000-more-settlement-homes-in-jerusalem-idUSKBN17U1OS">nouvelles colonies</a> tout autour de Jérusalem visait clairement à insérer totalement la ville au sein du territoire israélien. Dans le même temps, les permis de construire à Jérusalem-Est ont été limités, tandis que l’accès des Palestiniens à la mosquée El Aqsa, édifiée sur les ruines du second Temple juif, faisait l’objet d’une <a href="http://www.independent.co.uk/news/world/police-ban-men-under-50-from-prayers-at-jerusalems-holiest-site-a7864061.html">série de restrictions</a>, qui ont finalement été <a href="http://www.aljazeera.com/news/2017/07/al-aqsa-prayers-pass-peacefully-weeks-unrest-170728145643875.html">levées</a>.</p>
<p>Non moins importantes sur le plan de la symbolique politique, les fouilles archéologiques menées par Israël tout autour de Jérusalem sont perçues <a href="https://www.theguardian.com/world/2010/may/26/jerusalem-city-of-david-palestinians-archaeology">par les Palestiniens</a> comme la volonté de consolider le lien historique avec la Ville sainte.</p>
<h2>Au-delà du Proche-Orient</h2>
<p>La décision de Trump méconnaît totalement la fragilité de la coexistence entre Israéliens et Palestiniens à Jérusalem. Elle fait fi aussi de la signification que revêt la cité pour l’identité palestinienne et pour ses aspirations nationales, ainsi que l’impact dévastateur qu’elle va avoir sur un processus de paix déjà moribond.</p>
<p>Elle ne va pas seulement endommager le fragile écosystème de Jérusalem, où l’Histoire est une question de vie et de mort, mais avoir aussi un effet d’entraînement bien au-delà. Elle peut déstabiliser encore davantage l’Autorité palestinienne déjà en mal de légitimité et une série de régimes arabes eux-mêmes fragilisés. Sans compter l’hostilité entre Israël et l’Iran, qui risque de croître. <a href="https://www.thenational.ae/world/mena/trump-s-jerusalem-embassy-move-latest-updates-1.681926">Pour Téhéran</a>, cette décision apparaît tout simplement comme « une violation de l’un des lieux saints de l’islam ». Ajoutée au rapprochement actuel avec l’Arabie saoudite, elle apparaît clairement aux yeux de Téhéran comme la manifestation de l’hostilité de Trump à l’égard de l’Iran.</p>
<p>Enfin, elle pourrait <a href="http://www.palgrave.com/br/book/9781137357779">renforcer l’assise des mouvements islamistes anti-occidentaux</a> dans le monde musulman, mais aussi au sein même des pays occidentaux. Ces mouvements ont, en effet, toujours accordé à la question de Jérusalem et de la Palestine une place centrale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/88792/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La décision de Donald Trump, qui méconnaît totalement les réalités locales, risque de susciter des réactions virulentes bien au-delà du Proche-Orient.Spyros A. Sofos, Researcher, Centre for Middle Eastern Studies, Lund UniversityVittorio Felci, Researcher, Centre for Middle Eastern Studies, Lund UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/854352017-10-17T19:47:32Z2017-10-17T19:47:32ZDes Grecs au transhumanisme, l’idée d’immortalité comme symptôme de notre humanité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/189806/original/file-20171011-9757-16hpbwp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C34%2C511%2C335&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« L'Immortalité devançant le Temps », par Georges Récipon, au Grand Palais.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/2/2e/Grand_Palais_Paris_Mai_2006_002.jpg">Wikipédia </a></span></figcaption></figure><p>Faire l’histoire de l’immortalité nourrit le paradoxe : si l’immortalité était effective, elle ne serait soumise à aucune historicité. L’histoire, le processus, l’évolution : autant de notions contraires à l’immortalité.</p>
<p>Il s’agit évidemment ici non pas de l’immortalité – dont on ne sait rien – mais bien de la pensée de l’immortalité et de ses grands jalons. Tenter d’en faire l’histoire – ce que nous ne pouvons faire ici de façon exhaustive, ni à la manière d’un historien des idées – c’est chercher, sous la pensée de l’immortalité, le rapport de l’homme à lui-même, de l’homme à l’autre que lui (la transcendance, les <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/Ainsi_parlait_Zarathoustra/Premi%C3%A8re_partie/Des_hallucin%C3%A9s_de_l%E2%80%99arri%C3%A8re-monde">arrières mondes</a>, Dieu) et de l’homme dans son rapport aux autres (son inscription dans la société des hommes, dans l’histoire, etc.).</p>
<p>Il va de soi que la pensée de l’immortalité va évoluer selon les découvertes scientifiques, les changements de paradigmes et de représentation du monde, l’évolution du rapport au temps, les croyances, la sécularisation, etc. Autrement dit qu’on ne peut en faire une histoire hors contextualisation.</p>
<p>Néanmoins, s’il est un invariant, c’est ce désir d’immortalité qui meut les hommes, dans leur ensemble, en tant qu’espère humaine – perdurer, résister aux catastrophes naturelles, à l’apocalypse, sur terre ou ailleurs, etc. et l’homme en particulier, cet individu voué à la mort, et dont l’activité incessante tend à en repousser le terme, ou à la dépasser en inscrivant pour les générations futures une trace de son passage.</p>
<p>Désir d’immortalité : l’invariant ; autour duquel l’immortalité change de forme en fonction des époques. Pour le montrer, nous renoncerons donc à une histoire à proprement parler, pour privilégier trois figures.</p>
<h2>L’immortalité chez les Grecs</h2>
<p>Hannah Arendt a rendu compte de la première dans plusieurs de ses ouvrages, mais nous citerons surtout « le concept d’histoire » publié dans la <em>Crise de la culture</em>. Elle y parle d’« immortalisation », cette action qui porte un nom en grec difficilement traduisible [αθαυατιζειυ], et qui engage trois types d’activité : l’objet qui immortalise mon action (une œuvre, une épopée, un monument…), l’action elle-même, en tant qu’elle est héroïque, glorieuse, et de ce fait mémorable, et enfin le choix de vie philosophique qui consiste à côtoyer les choses immortelles (les objets de la pensée).</p>
<p>L’immortalité chez les Grecs fait donc signe vers l’œuvre, l’action mémorable, ou la vie philosophique. Mais pour que cette action d’immortaliser soit possible, il fallait <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/La-crise-de-la-culture">« un espace impérissable garantissant que l'« immortalisation » ne serait pas vaine »</a>, un espace politique où ces actions apparaissent. Il y a donc un lien organique entre le désir d’immortalité et la communauté politique, car elle seule garantit la possibilité même de se survivre.</p>
<p>Il faut pour comprendre cette idée – fort éloignée de notre propre conception de la communauté politique – rappeler que pour les Grecs le corps politique était la réponse au besoin de l’homme de dépasser la mortalité et la fugacité des choses :</p>
<blockquote>
<p>« À l’extérieur du corps politique, la vie humaine n’était pas seulement ni même en premier lieu menacée, car exposée à la violence des autres ; elle était dépourvue de signification et de dignité parce qu’en aucun cas elle ne pouvait laisser de traces. »</p>
</blockquote>
<p>Et Arendt de poursuivre :</p>
<blockquote>
<p>« Telle était la raison de l’anathème jeté par la pensée grecque sur toute la sphère de la vie privée, dont l’"idiotie" consistait en cela qu’elle se préoccupait seulement de survie » et de convoquer Cicéron pour qui « seules l’édification et la conservation de communautés politiques peut permettre à la vertu humaine d’égaler les actions des dieux. »</p>
</blockquote>
<p>Voilà la <em>polis</em> promue comme lieu du commun, où les hommes libres tâchent de rendre manifeste ce qui seul peut les rendre éternels : la valeur, l’exemple, la justice, etc. qui égalerait l’Olympe des dieux.</p>
<p>L’immortalité est donc associée à un espace commun qui permet à la liberté de se déployer. Le politique est intrinsèquement lié à la possibilité d’une immortalité, c’est-à-dire pour les Grecs, d’une forme de mémoire qui exalte les valeurs de l’humanité.</p>
<h2>L’immortalité des chrétiens, un changement de paradigme</h2>
<p>Dès lors que l’immortalité est la récompense post-mortem d’une vie traversée par la foi et l’exercice spirituel – pour le dire très vite – le rapport au temps présent, au temps de la vie s’en trouve modifié. Et non seulement le rapport au temps, mais aussi et surtout à l’espace politique. Celui-ci est rétrogradé au regard du royaume divin.</p>
<p>L’immortalité est certes indexée à un certain type de comportement, d’obéissance, de ferveur – parfois même de <a href="https://www.museeprotestant.org/notice/la-doctrine-de-jean-calvin/">prédestination comme chez Calvin</a>, ou d’élection <a href="https://www.museeprotestant.org/notice/martin-luther-1483-1546/">comme chez Luther</a>, il n’en reste pas moins que le rapport au politique devient annexe, voire accessoire. Le salut ne viendra pas du monde des hommes, y compris ou encore moins de leur communauté politique, mais de l’âme ; et si communauté il doit y avoir, elle peut à la limite se penser comme ordre religieux, qui fait vœu de se couper plus ou moins radicalement du monde.</p>
<p>Il y a de nombreuses modalités théologiques, des variantes infinies au sein de l’espace chrétien : ce qui demeure, c’est cette partition entre la terre et les cieux, le corps et l’âme, la mortalité et l’immortalité. Et plus qu’une partition, c’est une scission.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/189821/original/file-20171011-9766-g9aean.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/189821/original/file-20171011-9766-g9aean.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/189821/original/file-20171011-9766-g9aean.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/189821/original/file-20171011-9766-g9aean.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=472&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/189821/original/file-20171011-9766-g9aean.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/189821/original/file-20171011-9766-g9aean.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/189821/original/file-20171011-9766-g9aean.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=593&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Louis Janmot, « Le Poème de l'âme 16 », <em>Le vol de l'âme</em>.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Le_Po%C3%A8me_de_l%27%C3%A2me#/media/File:Louis_Janmot_-_Po%C3%A8me_de_l%27%C3%A2me_16_-_Le_Vol_de_l%E2%80%99%C3%A2me.jpg">Wikipédia</a></span>
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<p>Il se peut que la parole de l’évangile incite à faire le bien autour de soi, à organiser une société plus juste, il se peut que le message du Christ rejoigne l’action révolutionnaire, il se peut que l’interprétation des textes ait une efficience ici et maintenant ; il n’empêche, la vraie vie est ailleurs. Ce qui permet à l’occasion de nourrir une forme de résistance intérieure à la tyrannie, de survivre à l’horreur organisée des hommes, de se révolter contre les iniquités, mais c’est toujours au nom d’autre chose.</p>
<p>La transcendance porte plus de promesses que l’immanence. L’au-delà est plus gratifiant que l’ici-bas. Pourquoi changer le monde puisque le vrai monde est ailleurs ? Le sacrifice des premiers chrétiens, aujourd’hui les attentats kamikazes au nom d’une autre religion du livre, montrent bien le désintérêt pour la vie terrestre au profit d’une vie éternelle.</p>
<h2>Avec le transhumanisme, une immortalité consumériste</h2>
<p>Changement plus radical encore de paradigme : l’immortalité à l’heure du transhumanisme. Le désir est toujours là, intact, de perdurer au-delà de soi-même, de ne jamais mourir. Mais l’immortalité a complètement changé de visage : il ne s’agit plus d’exploit héroïque dont la mémoire sert l’édification des jeunes générations et crée un pont entre les différents âges de l’humanité ; il ne s’agit plus non plus de mépriser les biens de ce monde, avec la conviction que nous attend un paradis au-delà de la mort.</p>
<p>Certes, l’histoire est passée par là, les progrès scientifiques nous ont transportés d’un monde clos et orienté, à un univers infini où l’homme n’est que poussière, mais où il retrouve une dignité par sa foi en Dieu et par sa découverte de la conscience, puis à un monde potentiellement fini depuis que l’homme l’a modifié sans retour en arrière possible, au point de créer à l’aide des lois de la nature des armes qui peuvent la détruire. La conception du temps aussi a changé : il a été cyclique pour les Grecs, puis orienté vers un progrès infini dans la modernité, il a été assujetti à ce que les hommes pensaient pouvoir créer – leur histoire. La croyance au progrès a cédé la place à la perspective apocalyptique de la fin : destruction des ressources naturelles, réchauffement climatique sont comme autant de signes d’une irréversibilité qui infléchit l’idée même du futur.</p>
<p>Aujourd’hui, le <a href="https://www.franceculture.fr/conferences/universite-de-nantes/le-temps-manque-pour-tout-vraiment">temps s'empêtre</a> dans un présent sans cesse recommencé, il s’est accéléré au point de bégayer, il s’ouvre à un flux permanent d’informations détemporalisées en demeurant sur la toile, ou oubliées à peine énoncées, pour être remplacées par d’autres. Un temps désynchronisé, qui ne suit plus la révolution des planètes ni le rythme des saisons, qui ne suit plus un rythme commun : mais un temps où l’homme demeure mortel, et cet obstacle aux progrès de la science – et à l’<a href="http://www.theatre-contemporain.net/spectacles/Ithaque/ensavoirplus/idcontent/20974"><em>hybris</em></a> qui lui est constitutif – lui apparaît <a href="https://usbeketrica.com/article/le-transhumanisme-face-aux-murs">comme une humiliation</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/189827/original/file-20171011-9751-vjwo9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/189827/original/file-20171011-9751-vjwo9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/189827/original/file-20171011-9751-vjwo9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/189827/original/file-20171011-9751-vjwo9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/189827/original/file-20171011-9751-vjwo9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/189827/original/file-20171011-9751-vjwo9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/189827/original/file-20171011-9751-vjwo9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Scarlett Johansson dans <em>Ghost in the Shell</em>.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://www.allocine.fr/film/fichefilm-226739/photos/detail/?cmediafile=21358591">Allociné/Paramount Pictures</a></span>
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<p>L’être humain désire l’immortalité : mais désormais pour lui-même. En tant qu’être vivant et non plus en tant que héros qui laisserait à méditer une action porteuse de valeurs ; une immortalité qui ne consacrerait pas les efforts de son âme, ni qui serait le résultat d’une promesse fondée sur la seule croyance : il faut de l’immortalité ici et maintenant. Cette immortalité, on ne la cherche plus à travers ce qui faisait l’immortalité chez les Grecs, et en quelque sorte chez les chrétiens : des valeurs immortelles, qu’on les dise humaines ou divines, naturelles ou métaphysiques, au-delà des individus de passage et des vies éphémères. Des valeurs qui pouvaient faire communauté, et mémoire de communauté.</p>
<p>Le transhumanisme, lui, propose une immortalité qui n’est que continuité biologique, même si la biologie est elle-même modifiée – on reste dans le champ du vivant et non dans celui des valeurs. Le combat pour l’euthanasie montre qu’il est une chose supérieure à la vie : la dignité. Le transhumanisme est un <a href="http://www.psychologies.com/Planete/Societe/Videos/Transhumanisme-peut-on-legiferer-contre-l-eugenisme-technologique">projet eugénique</a>, qui fait de la vie la valeur suprême. L’immortalité que la science promet est une immortalité de consommation, un bien que l’on peut acquérir moyennant finance. Elle n’échappe pas au règne économique d’un capitalisme moniste : elle en manifeste même la vérité, ou ce qui fait la singularité de notre époque. Nul besoin d’inscrire une trace – toutes les traces s’effacent, et il n’y a plus d’espace politique pour la conserver : les seuls lieux de mémoire tendent à devenir cette immense mémoire des big data : tout s’y préserve au même titre. C’est la trace qui prime sur ce dont elle est la trace. Elle s’inscrit dans un flux continu – qu’elle soit trace d’un fait individuel ou d’une action collective. Les deux sont des data, et s’ils donnent lieu à des commentaires, ceux-là à leur tour deviennent des data. La valeur des choses est nivelée, rabattue sur leur statut de fait.</p>
<p>Si les faits n’ont plus de valeur et s’il n’y a plus d’espace où cette valeur peut être interrogée, critiquée, partagée, s’il n’y a plus d’arrière monde, ou si le risque est trop grand de déléguer l’immortalité à une simple croyance, dans un régime où les assurances calculent au plus avantageux le rapport au risque, si enfin la vie a un prix convertible en monnaie, alors l’immortalité aussi : elle n’est plus cet incommensurable qui guide, elle est un commensurable qui se calcule. Puisqu’elle n’est rien de plus que de la vie. Le simple fait de la vie. Logique de survivants. Durer le plus longtemps possible. Achille avait préféré une vie courte, mais une vie valeureuse. Privilégiant pour cela le coup d’éclat à la vie privée, dont – je rappelle les mots cités plus haut, « l’"idiotie" consistait en cela qu’elle se préoccupait seulement de survie »…</p>
<p>Les choix ne se posent plus de la même manière. C’est le cadre même du questionnement qui s’est transformé. La notion d’immortalité en est l’un des symptômes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85435/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mazarine Pingeot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si le désir d'immortalité semble constitutif de l'espèce humaine, il s'exprime sous des formes radicalement différentes en fonction des époques et des fondamentaux culturels.Mazarine Pingeot, Professeur agrégée de philosophie, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/776382017-05-16T20:02:06Z2017-05-16T20:02:06ZLe dialogue entre catholiques et sunnites en France : un effort de paix<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/169112/original/file-20170512-3689-vm3hv1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Rencontres d'étudiants de l'association Coexister, « le mouvement interconvictionnel des jeunes ».</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/112489364@N05/27907525816/in/photolist-i9Lfyw-i9LPit-qfEmaz-i9LKmR-i9LDY8-i9LkRL-pA5YYC-i9LyGq-qg1tu5-qfDgmF-pAjBfi-qfwstJ-i9LG7f-i9LVDe-nsLczT-i9M3fG-o6pSLP-i9LWKp-qfvzds-pfEA7d-pFNVmn-o2vgjD-qwU8vr-i9LACF-e1AjF8-i9LLEe-qx26Jh-qDc4vo-fGkK9v-dGnzvL-CbNmJG-pyR1ew-pPcuRL-AQQz2B-fiti2Y-AectCn-Jw6n9d-pZpQCE">Étienne Boulanger/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Dans son ouvrage, <a href="http://bit.ly/2q8v9G2"><em>Le retour du religieux dans la sphère publique</em></a> Jean‑Paul Willaime mentionne que le religieux est pris dans une logique d’individuation et de mondialisation. Celle-ci se caractérise notamment par la fin de l’exclusivisme chrétien et par une perception du religieux ouverte sur un horizon plus large.</p>
<p>Néanmoins, les religions tendent à se réaffirmer comme des groupes de références et des enceintes convictionnelles. La société ultra-moderne, désormais incapable de signifier un sens collectif et mobilisateur comme parvenait à le faire la société moderne, renforce à présent, selon <a href="http://bit.ly/2qznbHm">Olivier Roy</a>, la spécifié du religieux, entraînant une reconstruction identitaire au sein de sous-cultures minoritaires.</p>
<p>Ces traditions religieuses tendent à s’affirmer comme des points de ressources dans une société ou le relativisme domine.</p>
<p>Dans un tel cadre, le dialogue entre catholiques et sunnites conserve donc toute son importance et l’actualité fait de la paix son principal enjeu.</p>
<h2>Les trois époques du dialogue</h2>
<p><a href="http://bit.ly/2prc7vP">Jacques Huntzinger</a>, ancien ambassadeur, professeur au Collège des Bernardins, auteur d’une <a href="http://bit.ly/2r8EIms"><em>Initiation à l’islam</em></a> et de différents ouvrages, distingue trois étapes dans le dialogue islamo-chrétien :</p>
<ul>
<li><p>Une période romantique datant de l’ère coloniale portée par des auteurs de références tels que <a href="http://bit.ly/2r0K71J">Louis Massignon</a>.</p></li>
<li><p>Une efflorescence dans les années 1960 au niveau des institutions et des acteurs locaux dans la dynamique du Concile Vatican II et de la déclaration <em>Nostra Aetate</em> durant laquelle le dialogue, tout en étant moins riche, gagnait néanmoins en visibilité. Ainsi, dans les années 1970, fut fondée le <a href="http://gric-international.org/">Groupe de Recherche islamo-chrétien</a> (GRIC) s’adressant particulièrement à des universitaires.</p></li>
<li><p>Une période de crise datant de la fin des années 1980 au cours de laquelle on entre dans une approche civilisationnelle assimilant religion et culture durant laquelle le dialogue se trouve quasiment au point mort. Le document <a href="http://bit.ly/2r8Do3e"><em>Dialogue et annonce</em></a> établi par le Conseil pontifical au dialogue interreligieux et la congrégation pour l’évangélisation prescrit de tenir ensemble les impératifs de dialogue et d’annonce du Christ.</p></li>
</ul>
<h2>Surmonter les difficultés</h2>
<p>Que ce dialogue s’inscrive dans un processus de recherche continue du côté catholique ou qu’il soit plutôt réactif du côté musulman (en réaction à une situation de crise lié à des attentats), il ne se fait ni sans réticence ni sans difficulté.</p>
<p>Côté catholique, l’attitude défendue par des personnalités telles que le <a href="http://bit.ly/2pFuWqT">Père Jourdan</a> ou le philosophe <a href="http://bit.ly/2apcgFz">Rémi Brague</a> consiste à promouvoir une essentialisation de l’islam censée contribuer à un dialogue en vérité. S’il ne s’agit pas actuellement de la vision qui est promue par l’institution religieuse catholique, elle connaît en revanche une certaine visibilité.</p>
<p>Une autre tendance, actuellement dominante, portée par le Père Roucou et le <a href="http://bit.ly/2qbZMZs">Père Féroldi</a>, consiste au contraire à se refuser à toute essentialisation de l’islam et à l’envisager comme une mosaïque. C’est selon cette vision que l’ancien Service national des relations avec l’islam s’intitule désormais <a href="http://bit.ly/2q9FBwB">Service national des relations avec les musulmans</a> où qu’a été élaboré le dialogue interreligieux au sein de l’association <a href="http://bit.ly/2qzgZix">Coexister</a>.</p>
<h2>Trouver « l’en commun »</h2>
<p>L’historien Antoine Arjakovsky promeut au Collège des Bernardins une autre voie consistant à élaborer un dialogue qui, sans exclure la dimension théologique, ne serait néanmoins ni un dialogue de confrontation, ni un dialogue syncrétique. La <a href="http://bit.ly/2prto7T">« Sagesse »</a>, entendue comme conscience de soi est selon lui cet « en commun » préalable au dialogue en vérité.</p>
<p>Côté musulman, « l’en commun » résiderait en la croyance en un Dieu unique, se fondant sur la <a href="http://bit.ly/2pFpUL9">Sourate al-Imran, 64</a>. La lettre de <a href="http://bit.ly/2q9W6J7">138 dignitaires musulmans</a> adressée le 13 octobre 2007 à tous les représentants des Églises s’inscrit dans cette optique. Dalil Boubakeur, alors président du CFCM, dans un débat de 2009 sur le thème <a href="http://bit.ly/2qc2yOi">« Chrétiens et musulmans ont-ils le même Dieu ? »</a> s’efforce ainsi à montrer que chrétiens et musulmans adorent le même Dieu. Toutefois, le dogme de la Trinité est, dans ce type d’argumentation, perçu comme une « malformation congénitale » du christianisme qui gêne à l’élaboration de cette parole commune.</p>
<p>En outre, se développent également un certain nombre d’initiatives privées favorisant les rencontres telles que le <a href="https://www.legaic.org/">Groupe d’Amitié islamo-chrétienne (GAIC)</a>.</p>
<h2>Aller du particulier à l’universel</h2>
<p>Afin de tendre vers un dialogue pacifiant et inclusif, une direction pourrait consister à admettre que c’est en partant de son particularisme que l’on aspire à l’universel. Cette approche a toute sa place dans un contexte de pluralisme et dans un cadre laïque respectueux de la liberté de conscience. Prôner un universalisme abstrait représenterait un déni de la personne humaine qui s’accomplit en relation avec son environnement. La paix ne saurait donc faire l’impasse d’une culture de la démocratie dialogale et personnaliste.</p>
<p>Afin de dépasser les chocs de civilisations, les chocs de l’assimilation et de l’ignorance, Samuel Grzybowski, dans son <a href="http://bit.ly/2r8FQqb"><em>Manifeste pour une coexistence active</em></a>, promeut un nouveau modèle dans lequel les différentes options convictionnelles ne sont plus un problème mais une opportunité. Celle-ci s’articule autour d’un triptyque : le dialogue, la solidarité et la sensibilisation, pour promouvoir la rencontre, l’agir ensemble et le témoignage.</p>
<p>Le dialogue permet selon cette approche une découverte de l’altérité et un réenracinement d’où se dégage une volonté d’agir pour le bien commun. C’est cette vision qui est portée par l’association Coexister, mouvement inter-convictionnel de jeunes, actuellement présidée par <a href="http://bit.ly/2pF8vlO">Radia Bakkouch</a>.</p>
<p>Enjeu majeur de la paix, le dialogue entre catholiques et sunnites se cherche encore dans notre société contemporaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77638/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thibaut Tekla travaille pour le Collège des Bernardins et l'association Coexister</span></em></p>Dans une société où la croyance échappe largement au contrôle des grandes institutions religieuses, analyse de la pertinence du dialogue entre chrétiens catholiques et musulmans sunnites.Thibaut Tekla, Doctorant en Sciences Religieuses, École Pratique des Hautes Études, Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/694962016-11-30T22:08:27Z2016-11-30T22:08:27ZFrançois Fillon, au risque de la politique étrangère<p>Dans sa campagne pour les primaires de la droite et du centre, François Fillon a esquissé une ligne de politique étrangère. L’initiative est louable dans un débat national insuffisant en la matière. Mais elle est risquée : il y a souvent plus de coups à prendre que de points à gagner, pour qui évoque les sujets internationaux en campagne électorale.</p>
<p>Il est toujours difficile d’anticiper ce que serait, en cas de victoire, la politique étrangère d’un candidat à la présidence. Cette difficulté tient d’abord à des raisons classiques. Tant que les entourages ne sont pas connus (pour les conseillers), ni encore moins nommés (pour les futurs postes clefs, comme le ministre des Affaires étrangères, le conseiller diplomatique de l’Élysée, etc.), le tableau reste trop incomplet pour donner lieu à des prédictions sérieuses. Ensuite, la politique étrangère consiste, en grande, partie à réagir à des événements internationaux non prévus, à la lumière desquels des facettes nouvelles des décideurs apparaissent. Pour ces raisons entre autres, les propos de campagne ne sont pas nécessairement indicatifs de ce que serait le comportement de l’individu une fois en fonctions.</p>
<p>Mais l’incertitude, ici, tient également à la personnalité de François Fillon lui-même, et aux débats que sa posture relance. En convoquant abondamment trois thèmes – le gaullisme, le rang, le rôle – dont l’inscription dans les relations internationales actuelles ne va pas de soi, l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy ouvre des débats utiles, mais épineux.</p>
<h2>Qu’est-ce que le gaullisme de politique étrangère en 2017 ?</h2>
<p>Dans sa déclaration de candidature à <a href="https://www.fillon2017.fr/2016/08/28/discours-sable/">Sablé-sur-Sarthe</a>, le 28 août 2016, reconnaissant le besoin de clarifier la notion de gaullisme (« Tout le monde est gaulliste aujourd’hui ! Encore faut-il s’entendre sur ce que cela signifie »), François Fillon estime que « notre alignement sur la politique étrangère américaine […] notre soumission au processus délétère de décision européen […] ne sont pas compatibles avec les aspirations des Français […] ». « En juillet 2012, j’ai appelé François Hollande à se rapprocher de la Russie […] en Syrie. J’ai prévenu que la stratégie occidentale à laquelle la France s’est rangée conduirait au désastre. Nous y sommes. » Gaullisme rimerait donc, notamment, avec non-atlantisme et avec Europe des Nations, mais à un moment où l’atlantisme est remis en cause aux États-Unis mêmes (par Donald Trump), et où le projet européen est en crise.</p>
<p>Le thème de la Russie, plus particulièrement, talonne le candidat depuis sa marche à la victoire des primaires. Dans le passé, François Fillon ne s’est pas contenté de constater que « la Russie est un grand pays ». Il a soutenu la vente des navires Mistral après l’annexion de la Crimée, soutient la levée des sanctions contre Moscou (liées au dossier ukrainien), est entouré de personnages politiques abondamment cités dans les <a href="http://globalbrief.ca/frederic-charillon/2016/11/06/paris-%e2%80%93-moscou-reflets-d%e2%80%99une-fixation/">travaux sur les réseaux d’influence russe en France</a> (comme Thierry Mariani), et sa victoire aux primaires a été saluée publiquement par Vladimir Poutine.</p>
<p>Il suscita même un malaise au sein de son parti en 2013 (notamment chez <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2013/09/20/97001-20130920FILWWW00620-syrienkm-prend-ses-distances-avec-fillon.php">Nathalie kosciusko Morizet</a>) en critiquant publiquement la politique française aux côtés de Vladimir Poutine. Cette image, le candidat a tenté de la corriger ou de la remettre en perspective, notamment en évoquant, dans <em>Le Monde</em> daté du 25 novembre 2016, « l’interventionnisme unilatéral et meurtrier des forces russes » en Syrie. Il insiste désormais sur la nécessité d’une relation de confiance avec Washington comme avec Moscou, jugeant inutile de fustiger leurs deux leaders (Trump et Poutine), alors que leur aide sera incontournable sur plusieurs dossiers internationaux (ce qui n’est pas faux). Mais le gaullisme de politique étrangère peut-il consister encore simplement à refuser une logique des blocs qui n’existe plus ? Et suffit-il d’inquiéter ses alliés pour être gaulliste ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/147964/original/image-20161129-10975-13bw5jc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/147964/original/image-20161129-10975-13bw5jc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/147964/original/image-20161129-10975-13bw5jc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/147964/original/image-20161129-10975-13bw5jc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/147964/original/image-20161129-10975-13bw5jc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/147964/original/image-20161129-10975-13bw5jc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/147964/original/image-20161129-10975-13bw5jc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le candidat de la droite prône un rapprochement avec Poutine (ici en 2015, à Saint-Pétersbourg).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/49737">Présidence russe/Google</a></span>
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<p>Ne faisons pas de mauvais procès à François Fillon : on comprend ce qu’il entend par une posture gaulliste, à savoir une capacité à maintenir son autonomie d’analyse politique internationale (incluant une liberté de critique vis-à-vis de ses alliés), sa liberté de dialogue avec tous les pays, son indépendance dans l’action.</p>
<p>Des interrogations en découlent. La France peut-elle encore agir militairement seule, sans son allié américain ? Les cas récents, en Libye et ailleurs, ont semblé montrer le contraire. A-t-elle les moyens d’une expertise politique indépendante, à l’heure où si peu est fait pour <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/10/10/la-diplomatie-d-influence-n-est-jamais-explicitee-en-depit-de-son-importance-vitale_5010991_3232.html">définir une politique d’influence</a>, et où l’<a href="http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/evenements-et-actualites-du-ministere/actualites-du-ministere-des-affaires-etrangeres-et-du-developpement/article/publication-du-rapport-sur-les-think-tanks-francais-mission-d-information-et-de">expertise stratégique extérieure à l’État est dotée de si peu de moyens</a> ? À cet effort d’indépendance retrouvée, il faudra donc donner les ressources adéquates. Ce gaullisme de politique étrangère, il faudra en chiffrer le coût, en plus d’en cerner mieux les applications concrètes.</p>
<h2>Le rôle et le rang</h2>
<p>François Fillon prône une <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/11/24/francois-fillon-la-france-doit-savoir-parler-a-tous-les-etats_5037097_3232.html">« puissance d’équilibre »</a> à l’appui de cette quête d’indépendance, qui rappelle la <a href="http://www.fayard.fr/la-grandeur-9782213600505">grandeur</a> jadis recherchée par le général de Gaulle. Comment la définir ? Par une dialectique du rôle et du rang, semble-t-il répondre. Une dialectique qui intrigue tant le monde universitaire (voir entre autres les travaux de <a href="http://opus.bath.ac.uk/23381/">Lisbeth Aggestam</a>, ou de <a href="https://www.routledge.com/Domestic-Role-Contestation-Foreign-Policy-and-International-Relations/Cantir-Kaarbo/p/book/9781138653818">Juliet Kaarbo</a>), car ni le rang, ni le rôle, ne sont des concepts simples ni objectifs.</p>
<p>Ce rang à retrouver pourrait compter sur des attributs forts (la dissuasion nucléaire, un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies…), qu’il conviendrait de remobiliser avec volontarisme. Ce rôle, ce serait celui d’un intermédiaire respecté dans les affaires globales, et d’un leader naturel à l’échelle européenne. Le candidat propose à la fois un rapprochement avec la Russie sur le premier plan, et avec l’Allemagne sur le second, après une période estimée contre-productive et résignée en la matière.</p>
<p>L’obstacle qui apparaît rapidement ici est l’incompatibilité entre cette centralité recherchée dans une Union qui compte nombre de pays d’Europe centrale et orientale apeurés par la politique de Vladimir Poutine, et le rapprochement prôné avec ce dernier. La perception gênante pourrait naître, alors, qu’il est plus important aux yeux de Paris de plaire à Moscou que d’écouter ses propres partenaires de l’UE. Ni le rôle ni le rang ne se décrètent : ils n’existent que s’ils sont reconnus dans la perception des autres.</p>
<p>Un autre exemple de rôle esquissé et assumé par François Fillon, sur un enjeu plus spécifique, est celui de la France comme protectrice des chrétiens d’Orient. Cette préoccupation n’était pas absente – mais restait très prudente – dans le quinquennat Hollande, avec <a href="http://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/religions-spiritualites/diplomatie-au-defi-des-religions_9782738131904.php">Laurent Fabius</a> au Quai d’Orsay. La proximité chiraquienne avec Rafic Hariri, à l’inverse, avait à démontrer que Paris n’en était plus au « Liban chrétien ».</p>
<p>On mesure ici encore les avantages et inconvénients qu’aurait une telle prise de rôle. L’avantage serait dans l’occupation d’un créneau réel (la question des chrétiens d’Orient est loin d’être négligeable), et dans la tentative de formuler une politique régionale identifiable alors qu’elle est à bien des égards brouillée aujourd’hui. L’inconvénient serait la réduction possible de cette ligne à un prisme religieux étonnant, qui impliquerait Paris davantage encore dans des querelles inextricables, et qui pourrait dériver vers l’inacceptable pratique d’une « sécurité humaine sélective » : faudrait-il balayer les 400 000 morts syriens (et autres déplacés et vies ruinées) sous prétexte que Bachar al-Assad se prétend le protecteur des chrétiens ?</p>
<p>La définition d’un rôle en politique étrangère, pour clarifier le message français dans le monde est un exercice indispensable. Mais il ne renforce une diplomatie que si le choix en est compris par les principaux alliés et partenaires. À l’échelle française, l’invocation du général de Gaulle est toujours mobilisatrice sur ces questions. Mais le monde extérieur demandera davantage de précisions sur les dossiers sensibles de l’année 2017.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/69496/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Il y a souvent plus de coups à prendre que de points à gagner, pour qui évoque les sujets internationaux en campagne électorale.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.