tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/code-civil-43617/articlescode civil – The Conversation2024-02-06T14:39:01Ztag:theconversation.com,2011:article/2224632024-02-06T14:39:01Z2024-02-06T14:39:01ZL’inhumation, la crémation… et bientôt l’humusation ? Que nous dit le droit ?<p>L’inhumation et la crémation sont, pour l’heure, les deux seuls modes de <a href="https://theconversation.com/topics/funerailles-106268">funérailles</a> <a href="https://theconversation.com/topics/droit-21145">légaux</a> en France : pas d’alternative possible sur le territoire. Cette règle provient de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000021810111/2024-01-31/">loi du 15 novembre 1887 sur la liberté des funérailles</a> et d’une suite de <a href="https://books.openedition.org/eua/4232">décrets à commencer par celui du 27 avril 1889 relatif à l’incinération</a>, textes toujours en vigueur aujourd’hui. Pourtant, des modes alternatifs de sépulture se développent actuellement dans le monde et se font même une place dans la loi de certains États. C’est notamment le cas de l’humusation.</p>
<p><a href="https://www.humusation.org/humusation-pourquoi-comment/">L’humusation</a> est un processus destiné à permettre un retour du corps à la terre par des micro-organismes présents dans un sol préparé à cet effet. Autrement dit, il s’agit d’une technique permettant d’enterrer le corps à même le sol afin qu’il puisse se transformer en humus sain et fertile.</p>
<h2>Pas de reconnaissance encore</h2>
<p><a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0794_proposition-loi">Une proposition de loi d’expérimentation</a> a été déposée début 2023 sur ce sujet à l’initiative d’Elodie Jacquier-Laforge, députée de l’Isère (MoDem). Est envisagé de procéder à une expérimentation sur le territoire français, dans les communes volontaires, afin de voir si l’humusation est un processus pouvant se concrétiser ou pas en France. Ce projet a su trouver de nombreuses personnes pour le porter, dès la même année, en témoigne cette <a href="https://www.humusation.org/cnof-sous-pression-france/">pétition</a> de l’association Humusation France qui a obtenu plus de 20 000 signatures.</p>
<p>Ce processus d’origine franco-belge n’a pour l’heure <a href="https://www.lalibre.be/belgique/societe/2024/01/17/enterrement-definitif-pour-lhumusation-la-pratique-qui-transforme-les-defunts-en-compost-est-interdite-partout-en-belgique-62FGDWUZAJCFVDR6BQ4QLVD7CI/">pas eu davantage de reconnaissance légale en Belgique</a> qu’en France, malgré là aussi de nombreux efforts de la part de ses défenseurs. C’est aux États-Unis qu’un processus similaire a été <a href="https://recompose.life/who-we-are/">légalisé pour la première fois</a>. L’État de Washington a autorisé la méthode <a href="https://recompose.life/">« recompose »</a> en 2019, un dérivé de l’humusation. Cette évolution finira d’ailleurs par atteindre d’autres États fédérés, comme la Californie et New-York.</p>
<p>L’argument principal donné à cet élan de légalisation est environnemental. Il a en effet été démontré que l’humusation est un processus plus respectueux de l’environnement que l’inhumation ou la crémation. Cet argument ne manque pas d’intérêt <a href="https://www.cairn.info/l-age-productiviste--9782707198921-page-587.htm?contenu=plan">à une époque de prise de conscience écologique</a>. Pourrait-on techniquement imaginer cela rapidement en <a href="https://theconversation.com/topics/droit-21145">droit</a> français ?</p>
<h2>Obstacles idéologiques et juridiques</h2>
<p>Pour répondre simplement à cette question, il faut garder en tête que le droit français accorde une place importante au corps humain privé de vie en le protégeant par le prisme de la dignité humaine, cette protection étant également étendue aux cendres humaines. Ce principe est inscrit à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000019983158">l’article 16-1-1 du code civil</a>. On peut y lire :</p>
<blockquote>
<p>« Les restes des personnes décédées […] doivent être traités avec respect, dignité et décence. »</p>
</blockquote>
<p>Deux obstacles donc à surmonter afin de permettre l’introduction de l’humusation en droit français. Le premier obstacle est idéologique, le second est juridique.</p>
<p>Sur le plan idéologique, tout dépend de la position adoptée par rapport à la notion de dignité humaine. Permettre à un corps humain sans vie de retourner à la terre sans cercueil, ni autres atours, est-il compatible avec l’idée que l’opinion publique peut se faire de la dignité humaine ? C’est bien sûr une question de point de vue et les <a href="https://www.cairn.info/hypnotherapie-et-troubles-du-deuil--9782100824922-page-49.htm?contenu=article">mœurs actuelles</a> ne semblent pas incompatibles avec un tel processus.</p>
<p>On ne retrouve d’ailleurs <a href="https://www.cairn.info/revue-interdisciplinaire-d-etudes-juridiques-2007-1-page-1.htm">pas de définition juridique</a> précise et gravée dans le marbre de la dignité humaine en France. Cela offre une liberté d’interprétation aux acteurs du droit et aux justiciables.</p>
<p>Sur le plan juridique, il faut de plus se demander si l’introduction d’un tel processus aux côtés de l’inhumation et de la crémation entraînerait oui ou non un grand bouleversement législatif : faudrait-il revoir et réformer beaucoup de textes ou cela peut-il se faire plus simplement ?</p>
<p>Il semble qu’une telle introduction n’entraînerait pas un grand bouleversement législatif. Elle nécessiterait, <em>a minima</em>, l’introduction du nouveau processus dans le Code général des collectivités territoriale et l’insertion du nouveau vocable dans le code pénal (au niveau des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000022375937">autorisations</a> à obtenir auprès des officiers publics). Une modification du code civil en la matière ne semble en revanche pas nécessaire puisque, comme cela a déjà été évoqué, ce n’est qu’une question de point de vue que de savoir si l’humusation est compatible, ou non, avec l’idée que dresse ce dernier de la dignité humaine après la mort. Une modification de ce texte ne serait que purement sémantique à des fins de cohérence du droit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222463/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jordy Bony ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le système juridique français peut-il accepter facilement l’humusation, un nouveau mode de sépulture dont les défenseurs soulignent l’intérêt environnemental ?Jordy Bony, Docteur et Instructeur en droit à l'EM Lyon, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2210002024-01-18T19:26:58Z2024-01-18T19:26:58ZNapoléon le législateur : la gênante omission du film de Ridley Scott<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/568962/original/file-20240105-27-wtm75j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=177%2C262%2C3633%2C2662&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Joaquin Phoenix dans le rôle de Napoléon, dans le film de Ridley Scott. Napoléon était un législateur prolifique qui a parrainé le « Code civil des Français » à l’influence planétaire.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Apple TV+)</span></span></figcaption></figure><p>Les conquêtes napoléoniennes sur le champ de bataille et sur l’oreiller forment la trame narrative du film biographique « Napoléon », de Ridley Scott.</p>
<p>Mais devant cette <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/culture/joachim-murat-le-napoleon-de-ridley-scott-est-bourre-de-defauts-mais-allez-le-voir-20231122">caricature</a> des excès de la masculinité, qui sacrifie la <a href="https://www.geo.fr/histoire/que-vaut-le-napoleon-de-ridley-scott-histoire-incoherences-reconstitutions-217638">cohérence narrative</a> et <a href="https://variety.com/2023/film/news/napoleon-inaccuracies-french-historians-pyramids-1235823975/">l’exactitude historique</a> sur l’autel du sensationnalisme vendeur, ma principale réserve d’<a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780367808471-31/fugitives-france-kelly-summers?context=ubx&refId=f0b06c28-a29a-49b5-a5ba-d37bee069054">historienne</a> de la <a href="https://ageofrevolutions.com/2021/01/25/a-cross-channel-marriage-in-limbo-alexandre-darblay-frances-burney-and-the-risks-of-revolutionary-migration/">Révolution française</a> tient moins aux inventions du cinéaste qu’à ses omissions.</p>
<p>Car à trop appuyer sur le génie tactique de Napoléon, ses erreurs de jugement et ses frasques sexuelles, on en oublie son principal héritage : celui d’un législateur visionnaire, mais paradoxalement égocentriste.</p>
<p>Après dix ans <a href="https://www.cairn.info/tous-republicains--9782200272821-page-9.htm">d’expérimentations postrévolutionnaires</a>, Napoléon Bonaparte a promulgué une série de réformes qui ont fini d’effacer les hiérarchies sociales, <a href="https://www.jewishvirtuallibrary.org/napoleon-bonaparte">religieuses</a> et féodales de l’époque.</p>
<p>Ce qui, par ailleurs, n’a jamais empêché ce personnage contradictoire de renier ses idéaux révolutionnaires chaque fois que ceux-ci entraient en conflit avec son insatiable ambition dans son empire continental ou ses colonies d’outre-mer.</p>
<h2>Achever la Révolution française en droit</h2>
<p>Reconnaissons l’habileté de Ridley Scott dans les quelques séquences humoristiques de son film qui décapent à la fois l’hagiographie et les contempteurs du mythe napoléonien. Joaquin Phoenix y incarne davantage la figure du <a href="https://journals.openedition.org/chrhc/5133">Petit Caporal</a> lourdaud que l’ogre corse.</p>
<p>Mais ce portrait d’un guerrier socialement inepte néglige les plus grandes réalisations et les plus grands échecs d’un législateur prolifique.</p>
<p>Dès sa prise de pouvoir en 1799, ce jeune général de 30 ans a entrepris une série de vastes réformes tout aussi marquantes que les exploits <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-napoleonic-wars-9780199951062?cc=ca&lang=en&">militaires</a> et <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-030-27435-1_11">politiques</a> qui forment la geste napoléonienne.</p>
<p>L’homme d’État a laissé une marque indélébile en tant que promoteur énergique de nouvelles institutions et procédures, dont un <a href="https://www.revuepolitique.fr/la-politique-scolaire-de-napoleon-et-son-heritage/">système éducatif laïc pour former les cadres d’une bureaucratie en croissance</a>, un ambitieux programme de <a href="https://www.napoleon.org/en/history-of-the-two-empires/articles/bullet-point-30-did-napoleon-transform-paris/">travaux publics</a> et, par-dessus tout, un système de lois uniforme.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/OAZWXUkrjPc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La bande-annonce du « Napoléon » de Ridley Scott.</span></figcaption>
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<h2>La fin réelle de la féodalité</h2>
<p>Dès l’été de 1789, les députés avaient voulu abolir la féodalité et son système de gestion des terres issu du Moyen-Âge. Ils ont rapidement balayé les droits, les corvées et les dîmes qui, pendant des siècles, avaient lié la paysannerie aux seigneurs et au clergé.</p>
<p>Mais comme l’a montré l’historien Rafe Blaufarb, les gouvernements successifs n’ont pas su régler le problème le plus épineux : la <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1057/9780230236738_8">conversion des biens féodaux en propriété au sens moderne</a>.</p>
<p>Le code civil des Français de 1804 a facilité ce processus en instituant un système transparent de droit de la propriété et de la famille.</p>
<p>Mais Napoléon ne s’est pas arrêté là. Ses <a href="https://archive.org/details/napoleonhiscolla0000wolo">infatigables collaborateurs</a> ont élaboré divers codes complémentaires — commercial, pénal, rural et <a href="https://www.napoleon-series.org/military-info/organization/France/Miscellaneous/c_FrenchMilitaryCode.html">militaire</a>. Ensemble, ils ont assaini le marécage des privilèges féodaux, des ordonnances royales de l’Ancien Régime, ainsi que des lois romaines, coutumières et canoniques.</p>
<h2>Vocation didactique du nouveau droit</h2>
<p>Ce Code napoléonien était le projet des Lumières par excellence : à la fois nécessité pratique et outil de consolidations des réformes révolutionnaires.</p>
<p>Sa prose directe et son organisation rationnelle avaient également valeur didactique. Il informait le citoyen des <a href="https://www.senat.fr/connaitre-le-senat/lhistoire-du-senat/dossiers-dhistoire/bicentenaire-du-code-civil/code-civil-6.html">« principes de sa conduite »</a> et réconciliait une population divisée avec l’idée de son égalité devant la loi.</p>
<p>Dans le contexte d’un empire en croissance, le zèle de Napoléon pour la normalisation anticipait bon nombre des <a href="https://www.thenation.com/article/archive/enlightened-elitist-undemocratic/">objectifs politiques et économiques</a> de la future <a href="https://www.justice.gouv.fr/actualites/espace-presse/archives-code-civil-leurope-influences-modernite">Union européenne</a>. Il envisageait déjà « une Cour de cassation européenne, une même monnaie, les mêmes poids et mesures, les mêmes lois », relate <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k109845d/f279.image.r=216">Joseph Fouché dans ses mémoires</a>.</p>
<h2>Détournement et trahison</h2>
<p>Si Napoléon a exporté un cadre juridique égalitaire en Europe, il l’a trop souvent imposé par les armes.</p>
<p>L’homme qui a transformé la Première République française durement gagnée en un <a href="https://www.upress.virginia.edu/title/3424/">« État policier »</a> n’a pas livré « les Lumières à cheval », contrairement à ce que <a href="https://www.andrew-roberts.net/books/napoleon-a-life/">prétendent</a> ses <a href="https://www.napoleon.org/en/history-of-the-two-empires/articles/napoleon-hegelian-hero/">admirateurs</a>.</p>
<p>Tout en défendant la <a href="https://revolution.chnm.org/exhibits/show/liberty--equality--fraternity/item/277">liberté de conscience</a>, la souveraineté nationale et le gouvernement représentatif, Napoléon a emprisonné un pape, truqué des plébiscites, rétabli la monarchie héréditaire et plongé l’Europe dans un état de guerre permanente.</p>
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<img alt="Un homme portant un chapeau bicorne et un manteau bleu à simple boutonnage avec des détails dorés devant un paysage désertique" src="https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568736/original/file-20240110-15-9uvact.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Napoléon — incarné par Joaquin Phoenix dans le film éponyme — et ses collaborateurs ont remplacé l’Ancien Régime par de nouveaux codes commerciaux, pénaux, ruraux et militaires.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Apple TV+)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Malgré ses mérites, le Code civil annulait plusieurs acquis révolutionnaires pour les travailleurs et les <a href="https://officedelaportedemars-reims.notaires.fr/article-le-statut-de-la-femme-dans-le-code-civil-de-1804-a-nos-jours-6.html">femmes</a>. Une femme adultère risquait la maison de correction, alors que son mari infidèle se voyait simplement interdit de recevoir sa concubine au domicile conjugal.</p>
<p>La <a href="https://francearchives.gouv.fr/fr/pages_histoire/40099">liberté d’expression</a> s’est trouvée compromise par la conviction de Napoléon qu’une presse libre contrôlée par le gouvernement peut devenir un allié solide. Ses agents réprimaient toute dissidence par la détention préventive, l’exil et la censure.</p>
<p>Ridley Scott se contente de faire défiler en silence des personnages de première importance. <a href="https://fr.linkedin.com/pulse/cambac%C3%A9r%C3%A8s-et-napol%C3%A9on-moins-quun-num%C3%A9ro-un-plus-deux-thierry-lentz">Comme son numéro deux</a>, l’archichancelier Jean-Jacques-Régis de Cambacérès, qui a rédigé le code civil. Ou son Ministre de la police, Joseph Fouché, qui supervisait les opérations de surveillance.</p>
<h2>Tentative de rétablissement de l’esclavage</h2>
<p>Le film passe également sous silence sa violation la plus flagrante des valeurs révolutionnaires : <a href="https://theconversation.com/the-napoleon-that-ridley-scott-and-hollywood-wont-let-you-see-218878">sa tentative de rétablir l’esclavage dans les Antilles en 1802</a>.</p>
<p>Cet épisode inclut la trahison de Toussaint Louverture, figure de proue de la Révolution haïtienne, et <a href="https://www.cairn.info/revue-africultures-2005-3-page-88.htm">personnage tout aussi digne d’une superproduction hollywoodienne par son importance et sa complexité</a>.</p>
<p>Cette violence <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/00313220500106196">génocidaire</a> a eu son prix : la France y a perdu non seulement <a href="https://www.nytimes.com/2022/05/20/world/americas/haiti-aristide-reparations-france.html">plus de soldats qu’à Waterloo</a>, mais sa colonie la plus rentable et sa stature morale.</p>
<p>Et la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1953/10/17/les-etats-unis-achetaient-il-y-a-cent-cinquante-ans-a-la-france-une-louisiane-vingt-fois-plus-etendue-que-la-louisiane-actuelle_1985193_1819218.html">vente de la Louisiane</a> viendra anéantir son rêve d’empire nord-américain.</p>
<h2>Un héritage mondial</h2>
<p>Ridley Scott saisit bien les angoisses d’un despote exilé sur <a href="https://www.geo.fr/histoire/pourquoi-napoleon-exile-sainte-helene-204106">l’île Sainte-Hélène</a>, privé d’autorité, mais toujours orgueilleux et incapable d’admettre ses erreurs et ses crimes.</p>
<p>Ce que le film ne montre pas, cependant, c’est la lucidité de Napoléon quant à son héritage le plus durable.</p>
<p>« <a href="https://www.geo.fr/histoire/code-civil-histoire-du-chef-doeuvre-de-napoleon-204373">Ma vraie gloire n’est pas d’avoir gagné quarante batailles ; Waterloo effacera le souvenir de tant de victoires. Ce que rien n’effacera, ce qui vivra éternellement, c’est mon code civil !</a> », souffle-t-il au général Charles-Tristan Montholon, son compagnon d’exil.</p>
<p>La chose est avérée, même au-delà des pays occupés ou colonisés par la France. Le Japon de l’ère Meiji et l’Iran prérévolutionnaire ont utilisé le modèle napoléonien pour codifier leurs lois. Des versions du code sont encore en vigueur dans de <a href="https://www.senat.fr/connaitre-le-senat/lhistoire-du-senat/dossiers-dhistoire/bicentenaire-du-code-civil/bicentenaire-du-code-civil-la-diffusion-a-letranger.html">nombreux pays aujourd’hui</a>.</p>
<p>Si les tactiques napoléoniennes ont échoué à Trafalgar, Vertières et Waterloo, le Code civil s’est révélé invincible.</p>
<p>Malheureusement, les subtilités juridiques ne font pas <a href="https://bigthink.com/high-culture/napoleon-ridley-scott/">« du bon cinéma »</a>, comme le déclarait <a href="https://www.bloomsbury.com/ca/europe-under-napoleon-9781350157675/">l’historien Michael Broers</a>, qui a conseillé Ridley Scott.</p>
<p>Pourtant cela s’est vu, dans la comédie musicale <a href="https://www.stlouisfed.org/on-the-economy/2020/november/unleasing-hamilton-financial-revolution">Hamilton</a> ou la minisérie <a href="https://www.imdb.com/title/tt0472027/">John Adams</a>, qui placent les subtilités légales au centre de l’intrigue. Peut-être Ridley Scott osera-t-il défier les attentes avec la <a href="https://www.ecranlarge.com/films/news/1496691-napoleon-ou-est-version-longue-ridley-scott-sortie-apple">« version longue »</a>, attendue ce printemps.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221000/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kelly Summers ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En mettant l’accent sur les triomphes tactiques, les erreurs de calcul et les frasques sexuelles de Napoléon, Ridley Scott néglige l’héritage paradoxal qu’il a laissé en tant que législateur.Kelly Summers, Assistant Professor of History, Department of Humanities, MacEwan UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1504722020-11-24T22:07:37Z2020-11-24T22:07:37ZCovid-19 : quel sort pour les contrats commerciaux en pleine crise économique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/370284/original/file-20201119-23-1gbp91t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C3391%2C2441&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au-delà des dispositifs règlementaires, le dialogue et les solutions à l’amiable restent les voies à privilégier.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/1436183">PxHere</a></span></figcaption></figure><p>Les différentes mesures gouvernementales visant à limiter la propagation du virus impactent durement les entreprises qui peinent à honorer leurs engagements contractuels et à poursuivre leurs relations commerciales.</p>
<p>Sur quels dispositifs peuvent-elles s’appuyer pour tenter de poursuivre leurs relations d’affaires ou pour y mettre fin sans être inquiétées ? Le droit commun des contrats et le droit de la concurrence apportent des réponses que les juges auront à apprécier dans les semaines et les mois à venir.</p>
<h2>Un cas de force majeure ?</h2>
<p>La force majeure, prévue à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032041431/">l’article 1218 du Code civil</a>, apparaît aujourd’hui comme le remède le plus évident face à l’impossibilité d’exécuter le contrat.</p>
<p>Son rôle exonératoire de responsabilité reste toutefois subordonné à la réunion de plusieurs conditions. Il y a force majeure lorsqu’un événement – irrésistible (ses effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées), imprévisible lors de la conclusion du contrat et échappant au contrôle du débiteur –, empêche l’exécution de son obligation par le débiteur. Selon que l’empêchement est temporaire ou définitif, la force majeure permet au contractant de suspendre l’exécution de son obligation, ou provoque la résolution de plein droit du contrat, libérant ainsi les parties de leurs obligations.</p>
<p>La lecture de la jurisprudence nous enseigne que la seule existence d’une épidémie ne suffit pas à caractériser la force majeure, faute, le plus souvent, de pouvoir démontrer un caractère d’imprévisibilité et d’irrésistibilité. La gravité de la crise actuelle peut-elle infléchir cette position ?</p>
<p>Il est indéniable que la Covid-19 et les <a href="https://www.previssima.fr/evenements-speciaux/coronavirus-retrouvez-les-mesures-sociales-exceptionnelles-mises-en-place-par-le-gouvernement.html">mesures restrictives</a> mises en place par les pouvoirs publics pour lutter contre la propagation du virus échappent au contrôle de l’entreprise. L’impossibilité absolue de mettre en place des solutions alternatives (indépendamment de leurs coûts) pour poursuivre l’exécution du contrat devra en revanche être appréciée au cas par cas. De la même manière, le caractère imprévisible des mesures de restrictions dépendra tout à la fois de la nature du contrat et de la date de sa conclusion.</p>
<p>Dans la majorité des cas, ce sont bien les restrictions impératives, et non le virus lui-même, qui emportent l’impossibilité pour l’entreprise d’honorer ses obligations.</p>
<p>Dès lors, quelle date « pivot » prendre en compte pour apprécier leur caractère imprévisible ? Est-ce la date du 30 janvier 2020 à laquelle <a href="https://www.who.int/fr/dg/speeches/detail/who-director-general-s-statement-on-ihr-emergency-committee-on-novel-coronavirus-(2019-ncov)">l’OMS a déclaré</a> l’urgence de santé publique de portée internationale ? Celle du 28 février à laquelle la France est passée au <a href="https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/coronavirus/direct-covid-19-la-france-compte-38-cas-dont-24-toujours-hospitalises-premiere-contamination-en-afrique-subsaharienne_3844755.html">stade 2</a> de gestion de l’épidémie, ou bien encore celle du 15 mars marquant la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/03/14/edouard-philippe-annonce-la-fermeture-de-tous-les-lieux-publics-non-indispensables_6033110_823448.html">fermeture des commerces non indispensables</a> à la vie de la Nation… ? Les juges le diront.</p>
<p>L’article 1218 du Code civil n’étant pas impératif, une attention doit être prêtée au contrat : une clause de force majeure a pu en effet y être insérée, soit pour exclure expressément certains événements permettant de l’invoquer, soit pour aménager ses conditions et ses effets.</p>
<h2>L’imprévision, un remède possible ?</h2>
<p>Lorsque l’exécution du contrat est devenue non pas impossible mais particulièrement difficile, le recours à la force majeure doit être écarté. L’imprévision prévue à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032041302/2016-10-01">l’article 1195 du code civil</a> peut en revanche trouver à s’appliquer.</p>
<p>Le texte vise les situations dans lesquelles l’exécution du contrat est devenue « excessivement onéreuse » (et non pas seulement difficile ou moins rentable) pour une des parties, à la suite d’un changement imprévisible des circonstances existantes lors de sa conclusion. Cette dernière peut dans un premier temps demander la renégociation du contrat au cocontractant. Son exécution doit se poursuivre durant la renégociation. En cas de refus ou d’échec de celle-ci, les parties peuvent convenir ensemble de la résolution du contrat ou de son adaptation par le juge. Enfin, à défaut d’accord dans un délai raisonnable, ce dernier peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin.</p>
<p>Si l’article 1195 du Code civil privilégie le dialogue en vue d’une renégociation amiable du contrat, reste que pendant celle-ci les parties ont l’obligation d’exécuter leurs obligations, ce qui pourra s’avérer particulièrement ardu dans le contexte actuel.</p>
<p>Le texte n’étant pas d’ordre public, il convient là encore de vérifier le contenu du contrat. Les parties, acceptant le risque, ont pu y exclure la révision pour imprévision, ou au contraire prévoir dans une clause de renégociation (clause de <em>hardship</em>) la révision du contrat en cas de bouleversements, à certaines conditions.</p>
<h2>Relations commerciales établies : respecter un préavis ?</h2>
<p>Fragilisées par la crise liée à la Covid-19, certaines entreprises pourraient envisager de remettre en cause des relations commerciales établies, autrement dit stables et régulières (un contrat dont l’exécution se prolonge dans le temps, une succession de contrats qui se renouvellent…). Dans quelles conditions peuvent-elles réduire significativement leur courant d’affaires ou y mettre un terme ?</p>
<p>La rupture brutale des relations commerciales établies constitue une pratique restrictive de concurrence visée à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038414278/2019-04-26">l’article L 442-1 II du Code de commerce</a>. Toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services doit respecter un préavis écrit d’une durée suffisante avant de rompre même partiellement une telle relation d’affaires, sous peine de voir sa responsabilité engagée. La durée du préavis, laissée à l’appréciation du juge, dépendra de l’ancienneté de la relation, des usages, du volume d’affaires réalisé…</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/370304/original/file-20201119-24-5eycyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/370304/original/file-20201119-24-5eycyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/370304/original/file-20201119-24-5eycyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/370304/original/file-20201119-24-5eycyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/370304/original/file-20201119-24-5eycyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/370304/original/file-20201119-24-5eycyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/370304/original/file-20201119-24-5eycyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Avant de rompre une relation d’affaires, un préavis écrit, dont la durée est décidée par le juge, doit être respecté..</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/image-photo/justice-law-concept-male-judge-courtroom-1352204657">Shutterstock</a></span>
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<p>Le texte précise que la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée dès lors qu’il a respecté un préavis de dix-huit mois. Par ailleurs, la faculté de résiliation sans préavis devient possible en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.</p>
<p>Dans le contexte actuel, le respect d’un préavis suffisant, avant de réduire ou de rompre la relation commerciale ne sera pas toujours aisé. À défaut de remplir les critères de la force majeure, la crise liée au coronavirus pourrait-elle justifier une rupture sans préavis ?</p>
<p>Un courant jurisprudentiel semble admettre que des circonstances extérieures, notamment une conjoncture particulièrement difficile en un temps de crise économique, puissent exclure le caractère fautif d’une rupture sans préavis suffisant. Par exemple, dans <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000036003504/">l’arrêt n° 16-15.285 du 8 novembre 2017</a>, la Cour de cassation a considéré qu’une baisse de 75 % des commandes inhérente à un marché en crise n’engageait pas la responsabilité de l’auteur de la rupture. L’auteur de la rupture doit faire preuve de bonne foi ; il ne pourrait échapper à sa responsabilité en profitant de la situation de crise pour rompre la relation d’affaires.</p>
<p>L’épidémie de Covid-19 met à l’épreuve les entreprises. Les règles de droit commun des contrats et le droit de la concurrence permettant la poursuite ou la rupture de leurs relations d’affaires devront être appréciés au cas par cas. Face à cette crise d’une ampleur inédite, il parait difficile d’anticiper les décisions des juges, qui apprécieront ces dispositions au cas par cas. Le dialogue et les solutions amiables sont la voie à privilégier. En amont, les entreprises ont par ailleurs tout intérêt à anticiper le risque en tenant compte de la crise et de ses conséquences dans la négociation de leurs futurs contrats.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150472/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Pierre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pandémie montre que les entreprises ont tout intérêt à anticiper le risque dans la négociation de leurs contrats.Marie Pierre, Enseignant-chercheur en Droit, TBS EducationLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1122602019-02-26T20:57:06Z2019-02-26T20:57:06ZJusqu’où peut aller la liberté d’expression des salariés sur les réseaux sociaux ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/260724/original/file-20190225-26174-1hjk3g1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C149%2C679%2C513&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les outils numériques ont brouillé les frontières entre sphères professionnelle et personnelle. </span> <span class="attribution"><span class="source">Sergey Nivens / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est tiré de l’article de recherche : Pereira, B (2017), <a href="http://www.annales.org/gc/2017/gc130/2017-12-06.pdf">« Entreprise, loyauté et liberté d’expression des salariés sur les réseaux sociaux numériques »</a>, Gérer et Comprendre, no. 130, décembre, pp.67-75.</em></p>
<hr>
<p>La liberté d’expression est intimement liée à l’État de droit et fait l’objet d’une consécration internationale et nationale (<a href="http://www.un.org/fr/universal-declaration-human-rights/">Déclaration universelle des droits de l’homme</a>, ONU, 1948 ; <a href="https://www.echr.coe.int/Documents/Convention_FRA.pdf">Convention européenne des droits de l’homme</a>, 1950 ; <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Constitution/Declaration-des-Droits-de-l-Homme-et-du-Citoyen-de-1789">Déclaration des droits de l’homme et du citoyen</a>, 1789). Elle s’exerce sous toutes ses formes, et en conséquence à travers les réseaux sociaux numériques.</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/267792404" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">« Entreprises : loyauté et liberté d’expression des salariés sur les réseaux sociaux » (FNEGE Médias).</span></figcaption>
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<p>On comprend dès lors que les salariés jouissent de cette liberté au sein et en dehors de l’entreprise. En effet, au sein de l’entreprise, il ne peut être apporté aux droits et libertés des personnes « de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072050&idArticle=LEGIARTI000006900785">Article L. 1121-1</a> du code du travail). Par conséquent, les salariés bénéficient d’un droit à l’expression directe et collective sur le contenu, les conditions d’exercice et l’organisation de leur travail (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072050&idArticle=LEGIARTI000006901825">article L. 2281-1</a>). Par ailleurs, les opinions que les salariés émettent dans l’exercice du droit d’expression ne peuvent motiver une sanction ou un licenciement (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006901827&cidTexte=LEGITEXT000006072050">article L. 2281-3 du code du travail</a>). En réalité, le caractère fondamental de liberté d’expression est intégré dans le code du travail.</p>
<p>Toutefois, de nouvelles problématiques sont posées lorsqu’on envisage la liberté d’expression des salariés à travers les réseaux sociaux numériques au sein et en dehors de l’entreprise. En effet, la liberté d’expression des salariés peut comprendre des propos conduisant à des dommages pour l’entreprise en termes de réputation et d’image. La protection de la réputation de l’entreprise semble à première vue garantie par le principe de loyauté auquel les salariés sont tenus à l’égard de l’entreprise.</p>
<p>Ainsi, l’abus de la liberté d’expression pourrait déboucher sur le comportement déloyal et conduire à la rupture de la relation de travail pour propos excessifs tenus sur les réseaux sociaux, tels que Facebook ou Twitter.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260713/original/file-20190225-26165-zoodbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260713/original/file-20190225-26165-zoodbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260713/original/file-20190225-26165-zoodbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260713/original/file-20190225-26165-zoodbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260713/original/file-20190225-26165-zoodbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260713/original/file-20190225-26165-zoodbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260713/original/file-20190225-26165-zoodbj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans l’entreprise, il ne peut être apporté aux droits et libertés des personnes « de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché » (Code du travail).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gerard Bottino/Shutterstock</span></span>
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<p>Il s’agit alors de comprendre que de nouvelles questions d’équilibre entre les libertés des salariés et la réputation de l’entreprise sont posées à travers l’usage des réseaux sociaux. Or, le principe de loyauté qui est le moyen de cet équilibre comporte un contenu variable selon les pratiques des entreprises et selon les circonstances.</p>
<h2>Un droit fondamental protégé</h2>
<p>Dans notre article paru dans la revue <a href="http://www.annales.org/gc/2017/gc130/2017-12-06.pdf"><em>Gérer et Comprendre</em></a>, une analyse approfondie des décisions judiciaires de 1988 à 2016 a été effectuée pour relever l’équilibre admis entre la liberté d’expression des salariés et le respect par ces derniers de la loyauté à l’égard de l’entreprise. Cet équilibre se révèle difficile au sein des réseaux sociaux numériques parce que la frontière entre vie professionnelle et vie privée est de plus en plus floue. Plus encore, la frontière entre vie publique et vie personnelle n’est pas délimitée dans le cyberespace.</p>
<p>Dès lors, il en est ressorti une évolution remarquable : si c’est l’obligation de loyauté qui limite la liberté d’expression, cette loyauté comporte un contenu flexible selon les circonstances. Ainsi, certaines décisions ont mis en évidence que des licenciements de salariés étaient justifiés eu égard aux propos tenus par ces derniers, ces propos outrepassant le principe de loyauté. Mais, c’est la variabilité de ces décisions qui montrent que la quête de l’équilibre entre liberté d’expression et loyauté est difficile.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260714/original/file-20190225-26174-12zbkuh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260714/original/file-20190225-26174-12zbkuh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260714/original/file-20190225-26174-12zbkuh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260714/original/file-20190225-26174-12zbkuh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260714/original/file-20190225-26174-12zbkuh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260714/original/file-20190225-26174-12zbkuh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260714/original/file-20190225-26174-12zbkuh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La jurisprudence a évolué quant au contenu publié sur un « mur » Facebook.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Twin Design/Shutterstock</span></span>
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<p>En effet, si l’on prend l’exemple du « mur » Facebook, les propos tenus par les salariés peuvent recouvrir une dimension publique ou privée, et dès lors porter atteinte à la réputation de l’entreprise selon leur contenu. C’est sur ce point que les incertitudes existent parce que la protection de la liberté d’expression et le respect du principe de loyauté comportent un problème de périmètre : le « mur » Facebook peut être considéré comme étant un espace public ou privé. Si le « mur » est présumé public, c’est le salarié poursuivi qui devra démontrer qu’il avait pris les précautions nécessaires pour restreindre l’accès à sa page Facebook à un nombre limité d’amis et ne pas porter atteinte à la réputation de l’entreprise ; si le « mur » est présumé privé, c’est l’employeur qui devra démontrer que le paramétrage du compte était tel que les correspondances ne peuvent être qualifiées de privées. Sur ce point, la jurisprudence a évolué et tend à qualifier de « conversation privée » les propos tenus par le salarié sur son compte Facebook dès lors que ce compte a été sécurisé et n’est ouvert qu’à un nombre restreint de personnes.</p>
<p>La loyauté est appréciée en fonction du contexte, des destinataires des messages numériques adressés par le salarié et de la publicité qu’il leur donne.</p>
<p>Par exemple, dans un contexte de négociations collectives dans le cadre d’une fusion-acquisition, ou de la dénonciation d’une fraude par le salarié, le principe de loyauté, obéissant à celui de la réciprocité, conduit à une extension importante de la liberté d’expression des salariés. Par exemple encore, la dénonciation d’un harcèlement moral par un salarié relève certes de la liberté d’expression, mais encore de la volonté de protéger le lanceur d’alerte. De même, l’exercice de la liberté d’expression n’est pas abusif lorsque les propos reprochés au salarié trouvent leur cause directe dans l’attitude fautive de l’employeur, le principe de loyauté s’imposant à la fois à celui-ci et au salarié.</p>
<h2>Contribution théorique</h2>
<p>Cette étude permet de mettre en perspective les travaux sur la loyauté par rapport à l’évolution normative de nature légale et judiciaire. Or, la littérature relative à la loyauté, la définition légale, comme les données judiciaires convergent vers la même signification.</p>
<p>Qualité morale, la loyauté signifie la fidélité à tenir ses engagements, à obéir aux règles de l’honneur et de la probité. Elle se confond avec la notion d’honnêteté qui, elle-même, se définit comme étant la qualité d’une personne qui est de bonne foi (Graziani, 2016). Sur le plan managérial, la loyauté des employés est également définie en termes de fidélité (Prucell, 1953). Néanmoins, dans un contexte de changement organisationnel et de compétitivité des entreprises, la loyauté est davantage caractérisée par le sentiment de responsabilité et d’obligations respectives de l’employé et de l’employeur (Kisslet, 1994 ; McLean, Park et Kidder, 1994). Or, c’est en ce sens que le principe de loyauté est intégré dans la sphère juridique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260715/original/file-20190225-26152-4j1a1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260715/original/file-20190225-26152-4j1a1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260715/original/file-20190225-26152-4j1a1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260715/original/file-20190225-26152-4j1a1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260715/original/file-20190225-26152-4j1a1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260715/original/file-20190225-26152-4j1a1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260715/original/file-20190225-26152-4j1a1k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur le plan managérial, la loyauté des employés est également définie en termes de fidélité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Kwan Kajornsiri/Shutterstock</span></span>
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<p>Ainsi, dans la relation de travail, la loyauté et la bonne foi sont équivalentes. De plus, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés « de bonne foi » (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006436089">article 1104 du code civil</a>), ce qui rejoint le sens managérial de « loyauté ». Cette obligation de loyauté est directement applicable à la relation contractuelle entre l’employeur et le salarié. Enfin, il est aussi précisé que le contrat de travail est exécuté « de bonne foi » (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006072050&idArticle=LEGIARTI000006900858">article L. 1222-1</a> du code du travail), ce qui implique de la part de l’employeur et du salarié qu’ils adoptent des règles de conduite conformes à la probité et au sens de la responsabilité.</p>
<p>Toutefois, si l’évolution de la définition de la loyauté employeur-salarié est univoque, c’est la variabilité de son contenu selon les circonstances qui pousse les entreprises à définir les contours de cette loyauté par la mise en place de chartes ou guides d’usage des réseaux sociaux numériques à l’attention des salariés.</p>
<h2>Implications managériales</h2>
<p>Normes de soft law par excellence, la mise en place des guides des réseaux sociaux permet aux entreprises de déterminer les actions qu’elles attendent de leurs salariés. Néanmoins, à l’inverse des codes et chartes éthiques d’entreprise qui existent depuis plus d’une trentaine d’années, les guides d’utilisation des réseaux sociaux numériques sont actuellement en émergence.</p>
<p>Ces guides ou chartes d’utilisation des réseaux sociaux numériques peuvent constituer un outil utile de prévention. En effet, là où la pratique judiciaire vise à rétablir un équilibre a posteriori lorsque le dommage est causé (atteinte à la réputation de l’entreprise, rupture du contrat du travail), le guide vise à prévenir tout dommage en préservant l’e-réputation de l’entreprise et les intérêts des salariés. Cette prévention est assurée à travers la sensibilisation des salariés sur l’usage qu’ils font des réseaux sociaux numériques. L’existence de ces chartes et guides d’utilisation des réseaux sociaux présente donc un intérêt en matière de prévention. Néanmoins, la question de la valeur contraignante ou non de ces guides reste posée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112260/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brigitte Pereira ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une analyse approfondie des décisions judiciaires depuis 1988 a été effectuée pour chercher à déterminer l’équilibre généralement admis entre liberté d’expression et loyauté à l’entreprise.Brigitte Pereira, Professeur de Droit du travail, Droit pénal des affaires et Droit des contrats, Docteur en Droit privé et Sciences Criminelles, HDR en Sciences de Gestion, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1108572019-02-20T23:41:32Z2019-02-20T23:41:32ZLes humains augmentés, sujets du bio-droit<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/259760/original/file-20190219-43255-9hoba5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bras bionique</span> <span class="attribution"><span class="source">Defense Advanced Research Projects Agency </span></span></figcaption></figure><p>À l’heure où certains envisagent le transhumanisme comme un nouvel âge de l’humanité grâce aux technosciences, l’impression d’une absence de contrôle domine. Quelques expériences scientifiques spectaculaires, à la limite du fait-divers, confortent cette impression, témoin l’affaire des <a href="https://theconversation.com/que-savons-nous-de-lulu-et-nana-les-premiers-bebes-crispr-107969">enfants génétiquement modifiés en Chine</a>. Est-ce à dire que la voie pour augmenter l’être humain est totalement libre ? Serons-nous bientôt tous des cyborgs ? Répondre d’emblée positivement reviendrait à oublier un peu vite que le droit délimite la marche du progrès et prohibe certaines pratiques. Censeur de l’hubris technoscientifique contemporaine, il érige même en infractions certains comportements contraires à l’éthique médicale.</p>
<h2>Droit de la bioéthique et bio-droit</h2>
<p>La régulation des activités biomédicales d’amélioration humaine est assurée par le droit de la bioéthique parfois appelé bio-droit. Il s’articule autour de deux principes juridiques majeurs, la liberté et la dignité, et se fonde notamment sur les lois bioéthiques adoptées en 1994 et sur des textes internationaux comme la <a href="http://portal.unesco.org/fr/ev.php-URL_ID=13177&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html">Déclaration universelle sur le génome humain</a> ou la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Convention_d%27Oviedo">convention d’Oviedo</a> relative aux droits de l’humain et à la biomédecine.</p>
<p>Plusieurs pratiques relevant de l’augmentation humaine font donc déjà l’objet d’un encadrement juridique à l’instar de l’assistance médicale à la procréation, du diagnostic préimplantatoire, du clonage, de l’eugénisme, des greffes, etc. En d’autres termes, même s’il n’existe pas de texte général sur l’augmentation humaine ni de modèle bioéthique global, des ressources juridiques sont d’ores et déjà à notre disposition pour régler certaines des questions soulevées par l’amélioration de l’être humain.</p>
<h2>L’homme augmenté, un justiciable parmi d’autres</h2>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/259762/original/file-20190219-43281-x4fgkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/259762/original/file-20190219-43281-x4fgkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/259762/original/file-20190219-43281-x4fgkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/259762/original/file-20190219-43281-x4fgkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/259762/original/file-20190219-43281-x4fgkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=922&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/259762/original/file-20190219-43281-x4fgkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=922&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/259762/original/file-20190219-43281-x4fgkq.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=922&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Oscar Pistorius.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jim Thurston/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Si le droit de la bioéthique détermine les principes cardinaux devant être respectés en matière d’amélioration de l’humain, d’autres branches du droit traitent d’aspects plus pragmatiques dans ce domaine. Le code pénal incrimine ainsi ceux qui dépasseraient certaines limites : celui, par exemple, qui prélèverait un organe à une personne non consentante pour le greffer sur une autre. Le droit du sport traite du dopage, forme d’augmentation contraire à l’idéal sportif. Le droit des personnes, le droit des biens et le droit des obligations ont également un rôle à jouer pour déterminer le statut des prothèses et autres dispositifs d’augmentation du corps humain. S’agit-il de choses comme les autres ? Comment répare-t-on le préjudice découlant de la perte d’une prothèse ? Des juridictions ont été confrontées à la question de savoir comment traiter, lors de compétitions sportives, le porteur d’une prothèse qui pourrait l’avantager. À ce sujet, le Tribunal arbitral du sport a estimé que les analyses scientifiques ne permettaient pas de conclure que les prothèses <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Flex-Foot_Cheetah">Flex Foot Cheetah</a> d’Oscar Pistorius l’avantageaient par rapport à un athlète valide.</p>
<h2>Un droit plutôt favorable à l’amélioration individuelle</h2>
<p>L’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006419297&cidTexte=LEGITEXT000006070721">article 16-3 du code civil</a> permet de porter atteinte à l’intégrité du corps humain en cas de nécessité médicale pour la personne ou dans l’intérêt thérapeutique d’autrui. C’est dire que certaines augmentations individuelles sont d’ores et déjà légales. Si l’on pense en priorité aux formes réparatrices qui visent à replacer un individu malade ou blessé dans un état aussi proche que possible de son état initial, on s’aperçoit vite que les formes non réparatrices sont elles aussi admises. Le Code de la santé publique consacre ainsi des dispositions spécifiques à la chirurgie esthétique qui n’a pas à poursuivre de but thérapeutique mais peut être motivée par de simples convenances personnelles. De façon plus générale, d’autres procédés relevant plus de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Anthropotechnie">anthropotechnie</a> que de la médecine traditionnelle sont également légales. C’est le cas des techniques contraceptives qui ne soignent pas de pathologies mais permettent de maîtriser la reproduction.</p>
<h2>Des garde-fous face aux velléités déraisonnables d’augmentation</h2>
<p>Bien qu’il n’existe pas de statut juridique de l’humain augmenté, les juristes ne sont pas démunis pour contrôler l’anthropotechnie. Tout d’abord, la déontologie médicale semble incompatible avec un recours non maîtrisé à l’anthropotechnie. Selon le deuxième alinéa de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006912869&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20100625">article R 4127-8 du Code de la santé publique</a>, le médecin « doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins ». En outre, selon l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006912903&cidTexte=LEGITEXT000006072665&dateTexte=20080505">article R 4127-40</a> du même code, « le médecin doit s’interdire, dans les investigations et interventions qu’il pratique comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié ». Est ici mise en valeur l’obligation du médecin de ne pas prendre de risques et de limiter ses pratiques aux seuls soins, lesquels n’incluent évidemment pas les pratiques augmentatives.</p>
<p>Les droits fondamentaux et certains principes fondateurs du droit de la bioéthique, parmi lesquels l’égalité et la dignité, font ensuite obstacle à la réification des individus à laquelle l’hybridation de la chair avec la machine pourrait mener. De même, la primauté de la personne humaine énoncée par l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006419319">article 16 du code civil</a>, mais aussi le respect dû au corps, son inviolabilité et sa non-patrimonialité affirmés par l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do;jsessionid=F678772848B707CB4AA0831FF3A26D8F.tplgfr29s_3?idArticle=LEGIARTI000006419293&cidTexte=LEGITEXT000006070721&dateTexte=20190128&categorieLien=id&oldAction=&nbResultRech=">article 16-1</a>, semblent s’opposer aux tentatives trop radicales d’amélioration individuelle. En outre, si certaines formes d’anthropotechnie venaient à être assimilées à des soins, ce qui est déjà le cas de la procréation médicalement assistée et de la contraception, le principe d’égal accès aux soins et celui de non-discrimination devraient permettre de garantir l’égal accès à ces techniques.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/259764/original/file-20190219-43255-1o2dw7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/259764/original/file-20190219-43255-1o2dw7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/259764/original/file-20190219-43255-1o2dw7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/259764/original/file-20190219-43255-1o2dw7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/259764/original/file-20190219-43255-1o2dw7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/259764/original/file-20190219-43255-1o2dw7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/259764/original/file-20190219-43255-1o2dw7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Humain bionique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Franck/Unsplash</span></span>
</figcaption>
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<p>Enfin, de façon plus prospective, l’extension du principe de précaution pourrait constituer une limite sérieuse aux techniques augmentatives dangereuses. Dégagé par Hans Jonas dans son ouvrage intitulé <a href="https://www.pimido.com/philosophie-et-litterature/culture-generale-et-philosophie/commentaire-de-texte/jonas-principe-responsabilite-423889.html"><em>Le principe de responsabilité : une éthique pour la civilisation technologique</em></a>, ce principe qui consiste à s’attendre au pire est connu du droit, mais seul le Code de l’environnement le prévoit pour l’instant. Son application en droit de la santé permettrait une reformulation de la bioéthique autour de l’idée centrale de responsabilité et condamnerait les pratiques présentant des dangers.</p>
<h2>Un droit plutôt hostile à l’amélioration de l’espèce humaine</h2>
<p>Bien qu’il accepte certaines pratiques anthropotechniques à l’échelle individuelle, le droit semble plutôt défavorable à l’amélioration de l’espèce dans son ensemble. Divers indices révèlent cette position. Un premier signe est la prise en compte légale de l’intégrité de l’espèce humaine. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006419299">L’article 16-4 du code civil</a> prohibe expressément les atteintes à l’intégrité de l’espèce humaine, l’eugénisme, le clonage et les transformations des caractères génétiques visant à modifier descendance d’une personne. Le message est clair : l’espèce humaine ne doit pas être modifiée. Un deuxième indice est l’incrimination des crimes contre l’espèce humaine comme le clonage reproductif et l’eugénisme qui sont punis de trente ans de réclusion criminelle et de 7500000 euros d’amende. Un troisième indice repose sur la prise en compte émergente des générations futures à l’égard desquelles les générations actuelles auraient des responsabilités. Bien que la normativité de ce concept soit encore incertaine, il pourra peut-être servir à empêcher la modification de l’espèce humaine.</p>
<p>En définitive, on a sans doute trop tendance à oublier le rôle du droit dans l’évolution sociale. À tous ceux qui ont l’impression que notre société est dépassée par le fait biotechnologique, on peut rappeler que les juristes tentent de veiller sur les droits fondamentaux des individus et sur l’intégrité de l’espèce humaine, quitte à se transformer en éthiciens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/110857/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Blandine Caire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les cyborgs sont des justiciables comme les autres. Le droit s’est emparé de l’humain augmenté pour le protéger de dérives eugénistes.Anne-Blandine Caire, Professeur de droit privé et de sciences criminelles - École de Droit - Université d'Auvergne, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1049732018-10-15T21:38:53Z2018-10-15T21:38:53ZLa loi Pacte ne referme pas le débat sur l’objet social de l’entreprise<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/240610/original/file-20181015-165885-hjevpf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=33%2C44%2C7227%2C4726&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La montagne a-t-elle accouché d’une souris ? Il semble bien que oui...</span> <span class="attribution"><span class="source">Stokkete / Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/loi-pacte-49810">loi Pacte</a> (Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale, le mardi 9 octobre dernier. Au milieu d’une invraisemblable accumulation de mesures hétéroclites (qu’on aurait appelé <a href="http://blogs.lexpress.fr/cuisines-assemblee/2017/02/03/le-conseil-constitutionnel-veut-stopper-la-cavalerie-legislative/">« cavaliers législatifs »</a> en un autre temps), son volet relatif à la place des entreprises dans la société était la disposition la <a href="https://theconversation.com/redefinir-lentreprise-et-sa-contribution-societale-pour-que-la-loi-pacte-ne-soit-pas-un-rendez-vous-manque-103392">plus attendue</a>.</p>
<p>Rappelons qu’à la suite du <a href="https://www.economie.gouv.fr/mission-entreprise-et-interet-general-rapport-jean-dominique-senard-nicole-notat">rapport Notat-Sénard</a>, il s’agissait de consacrer, en leur donnant du contenu juridique, trois des principaux sujets novateurs du projet : la notion « d’intérêt social » associée à une reconnaissance de la responsabilité sociale de l’entreprise, la notion de « raison d’être de l’entreprise », et l’idée de création de « société à mission ». Dans le contexte général d’un projet économique très libéral, il sera évidemment facile de se gausser en disant que la <a href="https://theconversation.com/redefinir-lentreprise-et-sa-contribution-societale-pour-que-la-loi-pacte-ne-soit-pas-un-rendez-vous-manque-103392">montagne a accouché d’une souris</a>… ce qui est néanmoins vrai.</p>
<h2>Absence d’obligation de résultat</h2>
<p>Le projet gouvernemental reconnaissait déjà qu’il n’existe pas de définition stabilisée de l’intérêt social d’une société et s’en remettait à la jurisprudence pour en préciser la signification. Les députés n’ont pu faire mieux, compte tenu d’un foisonnement de conceptions et d’interprétations dans la doctrine juridique, la jurisprudence et la littérature académique (<a href="https://classiques-garnier.com/entreprise-et-responsabilite-sociale-en-questions-savoirs-et-controverses-faut-il-renouveler-la-conception-de-l-entreprise.html">Capron, 2017</a>). On n’est donc pas plus avancé et la loi ne nous éclaire pas sur ce que sont (ou devraient être) les finalités d’une société en tant que personne morale. D’autant que l’ajout à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444056&cidTexte=LEGITEXT000006070721">article 1833</a> du code civil, « la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité », ne précise pas concrètement quelles sont les obligations qui résultent de cette prise en considération.</p>
<p>Nous savons cependant, à travers les débats, qu’il ne s’agit pas d’une obligation de résultat, mais d’une simple obligation de moyens à la charge de la société. En conséquence, il ne peut y avoir de sanctions légales pour ne pas y avoir répondu et il sera difficile de mettre en cause la responsabilité des dirigeants pour une insuffisance de prise en considération. Dans son <a href="http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Avis/Selection-des-avis-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/Projet-de-loi-relatif-a-la-croissance-et-la-transformation-des-entreprises">avis sur le projet</a> de loi, adopté le 14 juin 2018, le Conseil d’État avait déjà bien insisté sur ce point. Seule une faute de gestion pourrait être invoquée par les associés, car cet article ne concerne que la gestion de la société. Ce qui n’est pas le cas de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006444040">article 1832</a> (inchangé) qui définit le contrat de société entre les associés.</p>
<h2>Une « raison d’être » mal précisée</h2>
<p>Mais alors n’y a-t-il pas matière à discordance entre un contrat de société, qui ne concerne que les seuls associés dans le but de partager les bénéfices de l’activité, et une gestion dont la loi oblige ceux-ci à avoir une vision plus large qui intègre des exigences sociétales ? Des ONG (<a href="https://www.asso-sherpa.org/projet-de-loi-pacte-ne-reconcilie-lentreprise-citoyens">Sherpa</a>, ou encore <a href="https://ccfd-terresolidaire.org/infos/rse/loi-pacte-une-loi-pour-6199">CCFD Terre solidaire</a>) l’ont fait remarquer en mettant le doigt sur la contradiction entre le fait d’être tourné vers le profit et en même temps de s’intégrer dans un écosystème social et environnemental.</p>
<p>En ce qui concerne la notion de « raison d’être », l’<a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2018/09/05/tresor-eco-n-226-quel-effet-macroeconomique-du-pacte-premiers-elements-de-reponse">étude d’impact</a> du projet de loi se contentait de préciser que « la raison d’être est le motif, la raison pour laquelle la société est constituée ». C’est elle qui détermine « le sens de la gestion et en définit l’identité et la vocation ».</p>
<p>Soumise à la pression de ses collègues qui soulignaient, comme le Conseil d’État, qu’il s’agissait d’une notion inédite dans la législation, la rapporteure du projet, Coralie Dubost, en a reconnu en séance l’imprécision. Elle a alors fait adopter un amendement qui précise que la raison d’être est « constituée de principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ». Une précision qui reste, malgré tout, bien vague. Elle laissera sans doute perplexes bon nombre de dirigeants d’entreprise qui, au demeurant, ne seront pas tenus de l’intégrer dans leurs statuts.</p>
<h2>Un statut « d’entreprise à mission »</h2>
<p>Enfin, le rapport Notat-Sénard suggérait d’introduire la notion d’<a href="https://www.latribune.fr/economie/france/le-rapport-senard-netlesauteursproposaientnotammentd%E2%80%99ajouterlamention%C2%ABl%E2%80%99objetsocialpeutpr%C3%A9ciserlaraisond%E2%80%99%C3%AAtredel%E2%80%99entrepriseconstitu%C3%A9">« entreprises à mission »</a> à l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444059&cidTexte=LEGITEXT000006070721">article 1835</a> du code civil.</p>
<p>Cette proposition n’a pas été retenue dans le projet initial du gouvernement. Dans l’<a href="https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2018/09/05/tresor-eco-n-226-quel-effet-macroeconomique-du-pacte-premiers-elements-de-reponse">étude d’impact</a>, le gouvernement écartait même clairement l’écriture d’un nouveau statut « d’entreprise à mission » en laissant aux acteurs économiques le soin de définir eux-mêmes des statuts types ou des labels répondant à cette préoccupation. En cause : les différents statuts de sociétés existants, très nombreux en France, et les risques de redondance ou d’illisibilité puisqu’il existe déjà un cadre juridique de l’économie sociale et solidaire (ESS).</p>
<p>Une grande partie des membres de la commission spéciale de l’Assemblée nationale sont cependant revenus à la charge avec des propositions diverses. Cette contre-attaque a abouti à faire accepter par le gouvernement un amendement visant à créer, non pas une nouvelle forme juridique, mais un statut de société à mission. Ce statut peut s’appliquer à toute forme juridique répondant aux deux critères suivants : l’existence d’une raison d’être dans les statuts, et la mise en place d’un organe social distinct des organes sociaux obligatoires destiné à veiller sur la bonne application de la « mission ».</p>
<h2>Le vote est clos à l’Assemblée, mais le débat reste ouvert</h2>
<p>Ce statut semble avant tout de l’ordre du symbolique. Il est toutefois porteur de risques. Il pourrait d’abord brouiller encore un peu plus le paysage de l’ESS et de l’entrepreunariat social, déjà fort confus. Plus inquiétant, il pourrait aussi, en creux, décourager certaines entreprises à adopter des politiques de Responsabilité sociétale (RSE). Ces dernières pourraient ne plus s’estimer concernées, laissant le sujet aux autres qui auraient adopté le statut.</p>
<p>En fin de compte, on serait tenté de dire : « beaucoup de bruit pour peu de choses ». La majorité a surtout paru soucieuse de réduire au maximum l’impact juridique de son propre dispositif, afin de ne pas effaroucher des milieux d’affaires qui, dans l’ensemble, sont restés défavorables à des changements substantiels du droit des sociétés. À l’évidence, la loi Pacte ne refermera pas le débat sur l’identité, l’utilité et la finalité des entreprises.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104973/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Capron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le texte, voté à l’Assemblée nationale début octobre, n’éclaire pas sur ce que devraient être les finalités d’une société en tant que personne morale. C’était pourtant le point le plus attendu.Michel Capron, Chercheur associé au Laboratoire d’économie dyonisien et à l’Institut de Recherche en Gestion, Université Paris-Est, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/929062018-03-14T23:38:31Z2018-03-14T23:38:31ZRéforme de l’entreprise : des administrateurs salariés pour quoi faire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/210383/original/file-20180314-113469-1g5dtxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C418%2C5823%2C3268&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Comment réconcilier l’entreprise et la société ? Comment faire valoir l’engagement de certaines entreprises dans des « missions » sociétales ? C’est à ces questions que s’attache le dernier rapport de la Fondation Jean Jaurès, intitulé <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/entreprises-engagees-comment-concilier-l-entreprise-et-les-citoyens">« Entreprises engagées. Comment concilier l’entreprise et les citoyens ? »</a>.</p>
<h2>Rééquilibrer les rapports entre le capital et le travail</h2>
<p>Selon ses auteurs, ce rapport entend</p>
<blockquote>
<p>« dépoussiérer le concept de responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise, pour valoriser l’implication des salariés dans la gouvernance de ce qui est, au-delà d’une entité économique qui crée de la valeur, un « projet collectif » où tout le monde a sa part ».</p>
</blockquote>
<p>Pour cela, la Fondation Jean Jaurès fait dix propositions dont certaines sont déjà connues et empruntent à la réflexion sur l’objet social des entreprises, à la théorie des parties prenantes voire à la notion de bien commun. La philosophie générale du document est de vouloir rééquilibrer les rapports entre le capital et le travail, comme le souhaite Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, <a href="http://www.lemonde.fr/politique/article/2018/02/03/ne-nous-laissons-pas-confisquer-le-debat-sur-l-entreprise-par-le-patronat_5251287_823448.html">qui a déclaré</a> « Ne nous laissons pas confisquer le débat sur l’entreprise par le patronat ».</p>
<p>Ce chantier n’est pas neuf, surtout en France où les <a href="https://theconversation.com/faut-il-vraiment-changer-le-statut-de-lentreprise-90665">propositions de réformes de l’entreprise ont toujours été nombreuses</a> : de <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2012-2-page-183.htm#pa14">François Bloch-Lainé</a> (1967) au <a href="https://www.latribune.fr/actualites/economie/france/20140828trib0df591d0c/les-grands-inconnus-de-l-histoire-4-4-pierre-sudreau-l-homme-qui-a-voulu-reinventer-le-dialogue-social.html">rapport de Pierre Sudreau</a> (1975)en passant par les nationalisations de 1981 qui étaient censées créer les <a href="http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k33289273">« meilleures conditions pour que puisse s’épanouir l’esprit d’entreprise »</a>.</p>
<p>Parmi les dix propositions de la Fondation Jean Jaurès, trois nous paraissent particulièrement importantes même si, de notre point de vue, elles ne sont pas susceptibles de modifier véritablement les équilibres du pouvoir dans l’entreprise et surtout les décisions stratégiques.</p>
<h2>Réécriture de l’article 1833 du code civil et rédaction d’un article 1833 bis</h2>
<p>Il s’agirait d’affirmer juridiquement que l’entreprise n’est pas au seul service de ses associés ou actionnaires : « Toute société doit avoir un objet licite, être constituée dans l’intérêt des parties constituantes de l’entreprise et prendre en compte l’intérêt des parties prenantes. » De son côté, l’article bis permettrait d’introduire dans le code civil « la société commerciale à mission élargie ».</p>
<p>La question que pose la réécriture de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444056&cidTexte=LEGITEXT000006070721">article 1833 du code civil</a> est qu’en cas de conflit au sein de l’entreprise, il sera encore plus difficile qu’aujourd’hui d’arbitrer entre les intérêts opposés des différentes parties prenantes. La marge discrétionnaire des juges risque fort d’augmenter considérablement. Par ailleurs, si l’inscription de la responsabilité sociale dans l’objet social des entreprises est une clause bienveillante, rien ne permet de s’assurer que les dirigeants et les administrateurs la respecteront.</p>
<p>De même, et si on en croit les expériences tirées des provinces canadiennes de Colombie-Britannique et de Nouvelle-Écosse, il semble que l’existence d’une réglementation propre aux sociétés par actions à vocation sociale ne garantit pas une plus grande prise en compte des considérations sociales et solidaires de la part des entreprises, <a href="http://www.contact.ulaval.ca/article_blogue/des-lois-pour-des-entreprises-plus-responsables-1re-partie/">comme le souligne Ivan Tchotourian</a>. Ainsi, au Canada, les règles juridiques qui prévalent en matière de responsabilité des administrateurs conduisent à une certaine impunité en cas de non-respect de l’inscription statutaire. Qu’en sera-t-il en France ?</p>
<h2>L’augmentation du nombre des administrateurs salariés</h2>
<p>Selon la Fondation Jean Jaurès, il faudrait >« augmenter significativement le nombre d’administrateurs salariés au sein des entreprises, afin qu’ils soient au nombre de deux pour les sociétés entre 500 et 5 000 salariés et à proportion d’un tiers au-delà de 5 000 et respecter strictement la parité entre les femmes et les hommes chez les administrateurs salariés. »</p>
<p>Rappelons qu’actuellement et suite à la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000027546648">loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013</a>, la présence de représentants des salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance s’impose dans les entreprises qui ont leur siège social en France et qui emploient au moins 5 000 salariés permanents, en France également. Elle est aussi obligatoire dans les entreprises qui ont leur siège social en France et à l’étranger, et qui emploient au moins 10 000 salariés permanents à l’échelle mondiale. Deux administrateurs salariés peuvent être désignés dans les conseils d’administration de plus de 12 membres, et un seul en dessous. De plus, les entreprises organisées avec une holding de tête n’employant que très peu de salariés ne peuvent plus échapper à cette obligation.</p>
<p>La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031046061&categorieLien=id">loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi</a> (loi Rebsamen) a élargi le dispositif en abaissant le seuil à 1 000 salariés en France ou 5 000 en France et à l’étranger.</p>
<p><a href="https://www.cfdt.fr/portail/actualites/la-loi-sur-la-securisation-de-l-emploi/representants-des-salaries-dans-les-conseils-d-administration-un-mandat-strategique-a-investir-srv2_405756">Selon la CFDT</a>, la présence d’administrateurs salariés « permet que soit entendue une voix différente, qui porte les intérêts du long terme […]. Leur voix permet de sortir de la logique financière qui prévaut dans nombre de conseils ».</p>
<h2>La création d’un Comité des parties prenantes</h2>
<p>Il s’agirait de créer un comité des parties prenantes au sein de la gouvernance de l’entreprise. Un rapport annuel de ses préconisations serait délivré au conseil d’administration. Le président du comité des parties prenantes deviendrait membre du conseil d’administration. Rappelons que les parties prenantes comprennent, selon la Fondation Jean Jaurès, les fournisseurs, les clients, les acteurs de la société civile, des territoires et les générations futures.</p>
<p>On ignore comment seraient désignés ces représentants des parties prenantes et quel serait l’impact de leurs travaux sur les décisions de l’entreprise, notamment quand il s’agira de prendre des décisions difficiles de réorganisation. Quel sera l’avis de ce comité en cas de dépôt d’une offre publique d’achat (OPA) visant le capital de la société ?</p>
<h2>Les limites de la représentation des salariés</h2>
<p>Comme on l’a vu, si la présence des administrateurs salariés au sein des conseils d’administration ou de surveillance n’est pas une nouveauté, la question qui se pose à leur sujet est la suivante : des administrateurs salariés, très bien, mais… pour quoi faire concrètement ? Selon la CFDT et la Fondation Jean Jaurès, leur rôle serait de porter la voix des salariés au cœur même du conseil. Mais, à moins de donner une majorité aux représentants du personnel, on ne voit pas très bien ce que leur avis pourra changer si des décisions difficiles doivent être prises.</p>
<p>Pierre Allanche, qui a été représentant des salariés au sein du CA de Renault de 1997 à 2004, <a href="http://www.larevuecadres.fr/renault-c%C3%B4t%C3%A9-cour-un-salari%C3%A9-au-conseil-d%E2%80%99administration">montre bien les limites de la représentation des salariés et, surtout, le pouvoir très important des dirigeants face à leurs administrateurs</a>, y compris indépendants. Le grand patron y apparaît comme un dirigeant de droit divin. En 2009, Xavier Fontanet, PDG d’Essilor, se réjouissait de l’actionnariat salarié dans la mesure où cela permettait aux salariés <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2009-8-page-413.htm#pa38">« de devenir plus responsables puisqu’ils risquent leur argent »</a> comme les autres investisseurs. Une vision pragmatique un peu éloignée quand même de la Fondation Jean Jaurès.</p>
<p>Pierre Allanche déclarait également « ne pas vouloir tous les pouvoirs pour les salariés », mais rechercher <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2009-8-page-413.htm#pa36">« une meilleure répartition des droits et des devoirs des différentes parties prenantes, notamment le personnel »</a>. Effectivement, tout ce qui peut permettre d’améliorer la connaissance du conseil d’administration en faisant partager la vision et les difficultés du personnel ne peut qu’être positif.</p>
<p>Ceci étant, il convient de rester modeste sur le véritable impact que peuvent avoir les représentants salariés lorsque des décisions difficiles de réorganisation, voire de fermeture d’un site industriel, doivent être prises. Le risque est grand que les administrateurs fassent un pré-conseil de façon à s’entendre à l’abri des représentants des salariés.</p>
<h2>Administrateurs salariés, administrateurs impuissants ?</h2>
<p>Les exemples de l’actualité ne manquent pas pour illustrer le peu d’impact qu’ont les administrateurs salariés sur la marche de l’entreprise. Ainsi, récemment, le plan de transformation visant à redresser Carrrefour (115 000 employés en France) prévoit selon les syndicats que <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2018/02/05/carrefour-pourquoi-le-plan-social-sera-plus-saignant-que-ne-le-dit-son-pdg-alexandre-bompard_a_23352908/">plus de 5 000 employés seront touchés</a>. Dès 2020, la direction prévoit deux milliards d’euros de réduction de coûts et un plan de départs volontaires. Quel est l’impact des administrateurs salariés, à part d’assister impuissants à ces déclarations ?</p>
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<p>On pourrait également citer Danone, qui se veut pourtant exemplaire en matière de responsabilité sociale, mais qui a annoncé un plan d’économies d’un milliard d’euros pour <a href="http://www.leparisien.fr/flash-actualite-economie/danone-annonce-un-plan-d-economies-pour-reveiller-sa-croissance-15-02-2017-6683199.php">« réveiller sa croissance »</a> et améliorer sa marge opérationnelle courante afin de la porter à 16 % contre 13,6 % en 2016. Contrairement à Carrefour, cette augmentation de la rentabilité devrait se trouver dans la capacité du groupe à se réinventer dans ses métiers, ainsi qu’aux synergies liées à l’acquisition de Whitewave. Il s’agit d’une stratégie classique d’entreprise privée multinationale. Tant mieux si elle permet de sauver des emplois.</p>
<p>Autre entreprise où le dialogue social n’est pas amélioré malgré la présence d’administrateurs salariés : Air France. Alors que pour la troisième année consécutive Air France-KLM a enregistré en 2017 un résultat d’exploitation positif, les syndicats ont appelé à la grève pour la seconde fois cette année (le 23 mars, après celle du 22 février) afin d’ obtenir une augmentation de salaire de 6 %. <a href="http://www.liberation.fr/direct/element/les-pilotes-dair-france-prets-a-une-greve-dure_78995/">Cette demande n’est pas raisonnable</a> selon le PDG du groupe, Jean‑Marie Janaillac, qui pointe l’écart de rentabilité entre les compagnies françaises et néerlandaise : 4 % pour Air France et 9 % pour KLM. On pourrait également citer la SNCF qui est incapable de s’autoréformer avec son conseil pourtant composé de nombreux administrateurs salariés.
C’est <em>in fine</em> à l’État, l’actionnaire de référence, qu’il revient de proposer les réformes qui sont supposées sauver l’entreprise. </p>
<p>Bref, et sans vouloir allonger la liste, il apparaît que la présence d’administrateurs salariés ne permet pas vraiment d’accompagner les réformes pourtant nécessaires à la survie et la croissance de l’entreprise surtout quand celles-ci sont douloureuses. Ce point est d’autant plus intéressant à relever que l’argument généralement mis en avant par les tenants d’une réforme visant à accroître la représentation des salariés est que les salariés ont une « vision à long terme » contrairement à celle supposée à court terme des investisseurs. À noter que cette hypothèse, toujours répétée en boucle, n’est pas validée empiriquement.</p>
<h2>Des propositions peu en phase avec la réalité de l'entreprise</h2>
<p>Le problème avec les propositions de réforme de la gouvernance des entreprises telles que proposées par la Fondation Jean Jaurès et d’autres spécialistes est que ces réformes partent de l’hypothèse que l’entreprise est une institution pérenne, quasi insubmersible, comme peuvent l’être des communes ou des collectivités locales. Or, la finalité ultime de l’entreprise privée est de fournir des biens et des services à ses clients et de répondre à leur demande, dans un univers fortement concurrentiel. C’est dans la mesure où elle répond à cette demande qu’elle peut créer des emplois et se développer tout en respectant les contraintes légales et environnementales. Dire cela ne justifie pas que les dirigeants ne prennent pas en compte les attentes de leurs salariés, mais souligne que seule une entreprise rentable peut se développer et créer des emplois. </p>
<p>Malheureusement, la vie économique d'une entreprise n’est pas un long fleuve tranquille. C’est tous les jours qu’elle doit s’adapter et relever les défis qui se présentent à elle. Quand tout va bien et qu'elle est en croissance, il est plus facile d’associer les administrateurs salariés aux décisions que dans le cas contraire. D’une certaine façon, la gouvernance des entreprises ressemble à la tenue de route d’une voiture : ce n’est pas sur une route droite et sèche qu’on peut l’évaluer, mais bien sur une route sinueuse et verglacée…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92906/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Albouy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le dernier rapport de la Fondation Jean Jaurès propose des pistes pour réconcilier les entreprises et la société. Retour sur le potentiel et les limites de ces propositions.Michel Albouy, Professeur senior de finance, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/929882018-03-07T21:52:25Z2018-03-07T21:52:25ZLoi PACTE : favoriser les entrepreneurs politiques, pour le meilleur et pour le pire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/209337/original/file-20180307-146655-1gvawt6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C17%2C5834%2C2807&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'implication des entrepreneurs sur des thématiques impactant la Cité, jusqu'ici domaine réservé du politique, devrait être favorisée par la loi PACTE. </span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La mission Notat-Senard sur la réforme de l’objet social de l’entreprise vient de boucler ses travaux avec une publication officielle du rapport ce vendredi. Ses membres préconisent une modification du code civil afin de responsabiliser les entreprises sur les conséquences économiques, sociales et environnementales de leurs activités. Couplés aux autres propositions du gouvernement sur les fondations d’entreprises et la création d’un nouveau statut, ces changements vont redessiner en profondeur le capitalisme français.</p>
<p>Décryptage des conséquences juridiques, organisationnelles et surtout sociétales de ces propositions de réforme qui vont favoriser une nouvelle caste de dirigeants : les entrepreneurs politiques.</p>
<h2>Le big bang juridique n’aura pas lieu</h2>
<p>Les propositions de réforme des articles du code civil ont une conséquence immédiate : elles reconnaissent <em>de facto</em> que les parties constituantes et les parties prenantes sont concernées par un même contrat de société et le projet économique qu’il sous-tend. Les dirigeants et mandataires sociaux n’ont plus le devoir fiduciaire d’augmenter indéfiniment la valeur financière au bénéfice des seuls actionnaires (ils ne l’ont d’ailleurs jamais eu). Ces derniers ont la responsabilité de trouver des équilibres entre les attentes des différents acteurs concernés et impactés par le projet économique de l’entreprise. Ces modifications qui touchent à l’objet social impliquent-elles un risque de multiplication des contentieux entre l’entreprise et ses parties prenantes ? Non, bien évidemment.</p>
<p>Seules les parties prenantes que l’on qualifiera de spécifiques, c’est-à-dire qui réalisent des investissements particuliers dans le cadre du projet économique de l’entreprise, sont concernées au premier chef. Or ces parties prenantes bénéficient d’ores et déjà de garanties contractuelles dans le cadre des partenariats ou des relations commerciales qu’elles nouent avec l’entreprise. Ce n’est donc pas avec ce projet de réforme du code civil que les entreprises et leurs parties prenantes découvrent qu’elles doivent protéger leurs investissements.</p>
<p>Il est important de rappeler à cet égard que les coopératives, qu’elles soient de salariés, agricoles ou bancaires, sont des entreprises qui ont une mission sociale incorporée au sein de leurs statuts. Pour autant, elles ne sont pas assaillies par leurs parties prenantes qui, sous prétexte d’un objet social étendu, chercheraient en permanence à contester ou orienter en leur faveur le projet économique de l’entreprise. Les travaux que nous avons menés dans le cadre de la <a href="http://alter-gouvernance.org/">Chaire Alter-Gouvernance</a> sur la gouvernance des coopératives montrent au contraire que les entreprises qui savent gérer leurs relations avec leurs parties prenantes spécifiques développent des avantages concurrentiels.</p>
<h2>Les externalités, sources de contentieux ?</h2>
<p>Les choses sont sensiblement différentes pour les parties prenantes qui supportent des dommages collatéraux ou des nuisances (désignées par le terme d’« externalités »). Ces parties prenantes doivent consentir à des investissements pour se protéger et, qui plus est, subissent parfois des pertes de valeurs qui peuvent être conséquentes. Les propositions de réforme du code civil tendent à faire de la responsabilité sociale et de la prise en charge des externalités une dimension non plus volontaire mais bien incontournable. De la capacité des parties prenantes qui supportent des externalités à s’organiser collectivement pourrait effectivement découler des risques de contentieux avec les entreprises qui ne prendraient pas suffisamment en considération leurs externalités.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/209360/original/file-20180307-146697-td08nz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/209360/original/file-20180307-146697-td08nz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/209360/original/file-20180307-146697-td08nz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/209360/original/file-20180307-146697-td08nz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/209360/original/file-20180307-146697-td08nz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=479&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/209360/original/file-20180307-146697-td08nz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=479&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/209360/original/file-20180307-146697-td08nz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=479&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les préconisations de la mission commandée à Nicole Notat et Jean‑Dominique Sénard ne devraient pas produire de big bang juridique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thomas Samson, Eric Piermont / AFP</span></span>
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<p>Néanmoins, il ne faut pas non plus s’attendre à un big bang juridique sur ce point, car les entreprises ont amorcé depuis plusieurs années des programmes et des démarches pour traiter leurs externalités via des pratiques de responsabilité sociale. Par ailleurs de nombreux textes de lois existent d’ores et déjà pour amener les entreprises à mieux considérer les impacts négatifs de leurs activités sur les parties prenantes et l’environnement. Ajoutons qu’une partie de la finance dite responsable oriente et valorise les démarches des entreprises en la matière.</p>
<p>Les propositions de modifications du code civil ne vont pas multiplier les contentieux juridiques et insécuriser les entreprises françaises comme le redoutent certains représentants du monde patronal. Le chiffon rouge de l’insécurité juridique qui masque la recherche du <em>statu quo</em> ne doit pas empêcher les retouches du code civil. D’autant moins que ces propositions de modifications réaffirment les dispositions législatives de ces vingt dernières en matière de responsabilités sociale et environnementale des entreprises.</p>
<h2>Un redimensionnement des conseils d’administration</h2>
<p>La réforme du code civil rappelle une évidence que la rhétorique de la valeur actionnariale de ces quarante dernières années a eu tendance à gommer : les mandataires sociaux et les dirigeants ont la responsabilité de chercher et trouver les équilibres nécessaires entre les attentes des différents acteurs concernés par le projet économique de l’entreprise. Le rappel de cette évidence n’est pas sans conséquence pratique et il implique des évolutions potentiellement importantes dans la composition, la structuration et le fonctionnement des conseils d’administration (ou conseil des de surveillance).</p>
<p>En premier lieu, la place des salariés est appelée à se renforcer (comme le préfiguraient les lois de 2013 et 2015), ce qui pourrait dessiner à terme un régime de co-surveillance à la française. Toutefois, il convient également d’inclure les autres parties prenantes, qui sont essentielles au bon fonctionnement du projet économique de l’entreprise ou qui supportent des externalités. Pour les entreprises les plus grandes, cette représentation impose la création d’un comité des parties prenantes au sein des conseils d’administration, destiné à apporter des informations et une connaissance précise sur les risques ou les externalités supportées par les parties prenantes. Certains suggèrent la création de comités d’entreprises élargis qui intégreraient les parties prenantes et permettraient d’engager un dialogue avec les dirigeants.</p>
<p>Les propositions de réforme du code civil redessinent les contours des conseils d’administration (ou de surveillance). Ceux-ci ne peuvent plus être appréhendés comme des chambres d’enregistrement des prérogatives actionnariales mais deviennent des organes qui intègrent le pluralisme des attentes exprimées par les parties prenantes. Il faudra plusieurs années et sans doute d’autres transformations juridiques pour atteindre cet objectif. <a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2018/02/20/le-role-du-president-du-medef-est-de-proteger-les-entreprises-des-exces-de-la-finance-mondialisee_5259852_3232.html">Comme nous le suggérions dans une tribune collective</a>, les changements proposés au sein du code civil et du code du commerce par la mission Notat-Senard imposent une inévitable réécriture du code Afep/Medef qui structure et oriente la gouvernance des grandes sociétés. On va sans doute revenir à cet égard à l’esprit du rapport Vienot de 1995 qui était beaucoup plus équilibré et pertinent par rapport à la version actuelle qui date de 2016.</p>
<h2>Une véritable révolution sociétale : la consécration des entrepreneurs politiques</h2>
<p>Pris dans leur ensemble, les propositions du rapport Notat-Senard sur le code civil et les propositions du gouvernement sur les entreprises à mission et les fondations d’entreprises tendent à profondément transformer la nature de l’entreprise et les objectifs qu’elle poursuit. Les transformations qu’elles engendrent pourraient changer radicalement le visage du capitalisme français.</p>
<p>Si le caractère lucratif ne disparaît bien évidemment pas, l’entreprise se positionne ou développe la possibilité de se positionner sur des projets d’intérêts généraux. Ce glissement est bien visible dans les <a href="https://www.atabula.com/2017/12/05/emmanuel-faber-danone-agroalimentaire-local-alimentation/">discours d’Emmanuel Faber</a>, PDG de Danone, dont le projet stratégique consiste à assurer la souveraineté alimentaire et développer les droits à une alimentation durablement saine. Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture, pourrait afficher les mêmes ambitions. Ce positionnement d’un dirigeant d’entreprise sur des enjeux de société et des prérogatives qui relèvent pleinement du politique est surprenant.</p>
<p>Emmanuel Faber va bien au-delà du <a href="https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2014-2-page-49.htm">double projet économique et social qu’Antoine Riboud avait théorisé</a>, il développe un véritable projet politique. Il se transforme en entrepreneur politique qui se donne le droit et la possibilité de transformer la société. Les propositions de réforme de la mission Notat-Senard et celles du gouvernement, qui sont très logiquement soutenues par le PDG de Danone, donnent un pouvoir d’action et des moyens juridiques sans précédent pour les dirigeants d’entreprises qui voudront se positionner sur des projets économiques d’intérêts généraux.</p>
<h2>Mutation du monde entrepreneurial</h2>
<p>Les propositions de réforme contenues dans le projet de loi PACTE vont faire entrer les entreprises françaises dans un monde nouveau. La responsabilité des dirigeants n’est plus de concilier l’économique et le social à travers des démarches de RSE mais bien de penser la contribution de l’entreprise à la société à partir de projets politiques et d’un certain nombre de défis sociétaux à relever : <a href="https://theconversation.com/le-vol-de-la-fusee-heavy-falcon-vers-une-privatisation-de-lespace-91540">coloniser Mars pour SpaceX</a>, <a href="https://www.challenges.fr/top-news/Facebook-plaide-sa-cause-en-europe_561908">bâtir des communautés pour Facebook</a>, garantir la souveraineté alimentaire pour Danone, <a href="https://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:MFNlxx1bdcQJ:https://www.lesechos.fr/28/03/2017/lesechos.fr/0211922553772_quand-les-patrons-de-la-silicon-valley-revent-d-immortalite.htm+&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=fr">favoriser la révolution transhumaniste</a> pour Google, <a href="https://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:Bb4x3UayHQYJ:https://www.lesechos.fr/18/10/2017/lesechos.fr/030684691655_alibaba--bien-plus-qu-un-geant-du-commerce.htm+&cd=1&hl=fr&ct=clnk&gl=fr">bâtir la première infrastructure commerciale mondiale pour Alibaba</a>…</p>
<p>On ne sait pas si, comme le souhaite Bruno Le Maire, les propositions de réforme vont permettre de réconcilier les Français avec l’entreprise mais ce qui est certain c’est qu’elles vont renforcer la place de cette dernière dans la Cité. Les dirigeants d’entreprises ont désormais les capitaux et les ressources juridiques nécessaires pour devenir de véritables entrepreneurs politiques en dehors de toutes délibérations et mandats démocratiques.</p>
<p>À ce titre, cette réforme est parfaitement en phase avec une évolution considérable du rapport qu’entretiennent désormais les Français avec l’entreprise. Ils sont aujourd’hui <a href="http://havasparis.com/lobservatoire-des-marques-dans-la-cite-les-francais-appellent-de-leurs-voeux-les-entreprises-a-mission/">67 % à considérer que « les projets de société les plus ambitieux sont aujourd’hui portés par des chefs d’entreprise » et 63 % pensent que « les grandes entreprises seront à l’avenir de plus en plus traitées comme des États »</a>.</p>
<h2>Vers la fin de la social-démocratie à la française ?</h2>
<p>La réforme du code civil, la création d’un nouveau statut d’entreprise à objet social étendu et la possibilité de développer des fondations d’entreprises parachèvent au final le déclin de la social-démocratie française. L’entreprise n’est plus simplement un acteur économique dont il faut corriger les excès ou les inégalités qu’elle génère à travers des normes et contraintes issues d’un processus délibératif démocratique. Elle devient un acteur politique de premier plan qui s’empare, en dehors de toutes délibérations démocratiques, d’enjeux d’intérêts généraux pour transformer la société. Pour le meilleur comme pour le pire…</p>
<p>Que l’on ne s’y trompe pas : la financiarisation de la gouvernance est devenue au fil du temps une barrière à l’investissement des entreprises dans des projets politiques ; elle les empêchait de relever des défis sociétaux. Les propositions contenues dans la loi PACTE permettront de lever les obstacles grâce à de nouveaux outils et dispositifs juridiques. La création des sociétés anonymes par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006069563&dateTexte=&categorieLien=cid">loi du 24 juillet 1867</a> a permis au capitalisme industriel d’émerger et de prospérer. Les propositions actuelles, si elles sont reprises par le Parlement, engendreront la multiplication et le développement des entrepreneurs politiques. Restera à savoir si nous avons vraiment besoin d’aller sur Mars…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92988/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les propositions conjuguées du rapport Notat-Senard et du gouvernement favorisent l’émergence des entrepreneurs politiques. Les prémices d’une transformation radicale du capitalisme français ?Bertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises - co-titulaire de la Chaire Alter-Gouvernance, Université Clermont Auvergne (UCA)Xavier Hollandts, Professeur de Stratégie et Entrepreneuriat, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/928112018-03-04T21:09:48Z2018-03-04T21:09:48ZLoi PACTE : une urgence, clarifier la responsabilité des parties prenantes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/208812/original/file-20180304-65525-o1ciyk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5607%2C3732&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Quelle responsabilité pour l'actionnaire vis-à-vis de l'entreprise, à l'ère du trading à haute vitesse ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/new-york-usa-sept-22-2011-720579289?src=K3C5T-rXWu7JprUKp3DUjw-1-0">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La probable modification de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444056&cidTexte=LEGITEXT000006070721">article 1833 du code civil</a> par la loi PACTE satisfera sans doute tout le monde. Si l’article stipule aujourd’hui que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés », la nouvelle rédaction introduira vraisemblablement la prise en compte de l’intérêt plus large des parties prenantes, au-delà de celui des associés. La principale difficulté consistera toutefois à trouver une formule équilibrée, à la fois suffisamment ouverte pour prévenir la multiplication des risques juridiques, et suffisamment précise pour constituer un progrès, au moins symbolique, sur la dimension « sociétale » de l’entreprise.</p>
<h2>Éviter la caricature</h2>
<p>Ceux qui pensent que la réécriture d’un article de loi peut suffire à modifier la réalité des affaires et changer, comme par magie, le fonctionnement du capitalisme seront probablement déçus par le futur texte. Il est vrai les caricatures auxquelles a été réduit le débat sur la vocation de l’entreprise ne favorise pas une appréhension sereine des enjeux. D’autant moins quand ces visions simplistes sont complaisamment véhiculées par certains médias grand public. Ainsi, en janvier, l’Express se demandait si la modification de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006444040">article 1832</a> pourrait permettre de dire <a href="https://lentreprise.lexpress.fr/gestion-fiscalite/droit-des-affaires/adieu-l-entreprise-pour-le-fric_1976119.html">« adieu à l’entreprise pour le fric »</a>). À la même période, sur Europe 1, on s’interrogeait : cette réécriture sonnera-t-elle <a href="http://www.europe1.fr/economie/est-ce-la-fin-de-lentreprise-uniquement-tournee-vers-les-benefices-3546707">« la fin de l’entreprise uniquement tournée vers les bénéfices ? »</a>.</p>
<p>Poser l’enjeu en ces termes, c’est le manquer. Faire espérer que le toilettage d’un article du code civil vieux de deux siècles constitue le signal d’un bouleversement de l’ordre économique (fut-il « symbolique ») expose seulement à créer de la déception. Si la loi s’ajuste un peu mieux à la pratique (car dans les faits, les parties prenantes sont déjà prises en compte dans la définition de l’orientation d’une entreprise), ce sera déjà un progrès du bon sens, et il faudra s’en féliciter.</p>
<h2>Quelle responsabilité pour les parties prenantes ?</h2>
<p>Le véritable danger d’une telle réécriture du texte réside moins dans la désillusion qu’il pourrait susciter que dans l’excès de satisfaction qui accompagnerait cette « victoire symbolique ». Comme j’ai eu l’occasion de le défendre, la définition de la responsabilité de l’entreprise à l’égard de ses parties prenantes est un sujet intellectuellement intéressant mais politiquement secondaire dans le contexte actuel. À l’inverse, le véritable sujet concerne plutôt la responsabilité des parties prenantes à l’égard de l’entreprise ! Et, au premier chef, celle de ses actionnaires.</p>
<p>Si l’article discuté stipule que la société « est constituée dans l’intérêt commun des associés », la question d’actualité porte, en effet, sur cet « intérêt commun ». Je crains que l’élargissement de la notion d’associés aux parties prenantes, pour parfaitement justifiée qu’elle soit, ne détourne l’attention du sujet principal : comment se définit et se justifie « l’intérêt commun » des parties prenantes que l’entreprise est supposée réaliser ? Et quelles sont, en conséquence, leurs responsabilités dans la poursuite de cet objectif « commun » ?</p>
<p>Dans ce contexte, je plaide pour que la loi PACTE apporte d’abord des précisions sur la responsabilité des parties prenantes. À commencer, car c’est essentiel, sur la responsabilité des actionnaires.</p>
<h2>Un contexte très différent du XIX<sup>e</sup> siècle</h2>
<p>L’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006444040">article 1832 du code civil</a> stipule que des personnes s’associent en affectant « à une entreprise commune des biens ou leur industrie » (une définition qui peut convenir à toute partie prenante qui apporte soit des biens, soit son « industrie » c’est-à-dire, en termes modernes, ses compétences…). L’existence d’une « entreprise commune » constitue le cœur du sujet. Cela signifie, dans le lexique d’aujourd’hui, un projet par rapport auquel se définit non seulement l’entreprise mais aussi l’intérêt de ceux qui s’associent.</p>
<p>Lorsque l’article fut rédigé, au début du dix-neuvième siècle, des commerçants s’associaient pour monter une opération en commun, armer un bateau, exploiter une mine ou un procédé industriel. La responsabilité dans la réalisation du projet leur conférait le pouvoir souverain sur son organisation, pouvoir d’assurer sa continuité en légitimant les gérants chargés de le mettre en œuvre. Ce pouvoir souverain se traduit par trois droits associés à la détention de parts sociales : droit de vote aux assemblées générales, droit d’information et droit de se partager les résultats.</p>
<p>Ce contexte n’est plus tout à fait le nôtre. Non seulement l’entreprise est devenue, au-delà d’un projet, une organisation complexe impliquant de multiples parties prenantes, mais la responsabilité immédiate des associés portant le projet, si évidente au début, s’est diluée avec le temps. Depuis les années 1980, la financiarisation a porté aussi loin que possible ce processus de distanciation entre les actionnaires et l’entreprise. Les très grandes compagnies possèdent désormais un actionnariat international, éparpillé, sans <a href="https://www.impots.gouv.fr/portail/professionnel/questions/puis-je-creer-une-societe-sans-associe"><em>affectio societatis</em></a>, volontiers spéculatif ou considérant les titres comme un patrimoine indifférent au support économique que constitue « l’entreprise réelle ».</p>
<h2>Avant tout, préciser le rôle de l’actionnaire</h2>
<p>Il ne s’agit là pas d’une dénonciation morale mais d’un constat objectif : la dispersion des actionnaires, la réduction de leur responsabilité financière à leurs seuls apports pécuniaires et leur éloignement à l’égard de la réalité du travail dans les organisations ont transformé radicalement leur relation à l’égard de l’entreprise. On est très loin des associés commerçants du dix-neuvième siècle. Au point qu’il est aujourd’hui difficile de trouver une définition claire de la responsabilité des actionnaires.</p>
<p>Sur plus de 350 <a href="https://cercrid.univ-st-etienne.fr/_attachments/gouvernance-d-entreprise-article/dossier%2520gouvernance%2520entreprise.pdf?download=true">codes de gouvernance</a> utilisés dans le monde aujourd’hui, très rares sont ceux qui, à l’exemple du <a href="http://www.middlenext.com/IMG/pdf/2016_CodeMiddlenext-PDF_Version_Finale.pdf">code français Middlenext</a> osent telle définition : « assumer la continuité de l’entreprise en confirmant, en dernier ressort, son orientation et en légitimant ceux qui en décident. » Pas étonnant que le dividende soit devenu le plus petit commun dénominateur pour définir « l’intérêt commun » des associés…</p>
<p>Pourtant l’actionnariat continue de détenir le pouvoir souverain sur les entreprises, par le maintien d’une fiction légale, comme s’il s’agissait encore de commerçants du début du XIX<sup>e</sup> siècle. C’est là que se tiennent l’anomalie et le danger pour les entreprises comme pour la société. Et c’est donc là que la loi doit intervenir de manière urgente : préciser le rôle et la responsabilité de l’actionnaire dans le contexte d’aujourd’hui. Cette clarification est même préalable à l’élargissement des associés aux « parties prenantes » de l’entreprise. Car un tel élargissement risque d’accroître la confusion et l’irresponsabilité généralisée s’il ne se fonde pas d’abord sur une définition juridique du rôle de l’associé.</p>
<h2>Le code Middlenext, un bon point de départ</h2>
<p>Puisque la <em>soft law</em> française a déjà introduit cette définition depuis 2009 dans le <a href="http://www.middlenext.com/IMG/pdf/2016_CodeMiddlenext-PDF_Version_Finale.pdf">code Middlenext</a>, la loi PACTE pourrait reprendre très simplement l’acquis de ce texte et compléter l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006444040">article 1832 du code civil</a> en stipulant que « les associés assument la continuité de l’entreprise en confirmant, en dernier ressort, son orientation et en légitimant ceux qui en décident. Cette responsabilité se traduit par trois droits : le vote aux assemblées générales, le droit d’information et le droit aux dividendes. » Les dividendes sont rappelés comme la rémunération légitime d’un engagement pour la continuité de l’entreprise et non le droit d’y puiser comme dans une tirelire.</p>
<p>Pour participer à la définanciarisation des entreprises, cette clarification serait plus utile et plus courageuse qu’un simple élargissement de la responsabilité de l’entreprise aux parties prenantes. Elle permettrait donner une base juridique au rôle de ceux qui, d’une manière ou d’une autre, « affectent à une entreprise commune des biens ou leur industrie. » Le court-termisme pourrait être réduit en formulant que, pour que l’entreprise serve un intérêt commun, elle nécessite le souci de sa pérennité de la part de ceux qui détiennent le pouvoir de l’orienter.</p>
<p>On pourrait ainsi finalement remettre les choses dans le bon ordre : il n’y a pas d’entreprise responsable sans une responsabilité partagée de ses parties prenantes… pour qu’elle se poursuive en tant qu’entreprise.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/92811/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Yves Gomez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La loi PACTE remaniera probablement les textes de loi qui définissent l’entreprise. Pour que leur réécriture soit pertinente, elle devra éclaircir la responsabilité des parties prenantes. Une gageure.Pierre-Yves Gomez, Professeur, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/915822018-02-11T19:59:19Z2018-02-11T19:59:19ZRéforme de l’entreprise : pour un comité des parties prenantes spécifiques au sein des conseils d’administration<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/205717/original/file-20180209-51731-1p1smxx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ouvrir les conseils d'administration.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/2250469019/e7154ffef7/">Paul S. Wansen/VisualHunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Après l’Italie, les États-Unis et le Royaume-Uni, un débat majeur vient de s’ouvrir en France <a href="http://lemde.fr/2DU3eB3">sur la nature et la finalité de l’entreprise</a>.</p>
<h2>Réforme de l’entreprise : pour une voie médiane</h2>
<p>Ce débat oppose deux visions qui semblent irréconciliables. D’un côté, les partisans d’une refonte de l’entreprise et de sa gouvernance qui appellent à une réécriture des articles 1832 et 1833 du code civil afin de pousser les entreprises à mieux prendre en considérations les attentes des différentes parties prenantes. De l’autre, les partisans d’un statu quo qui soulignent le risque important de déstabiliser les entreprises françaises en changeant le contenu de ces articles, transformations qui reviendraient à ouvrir « la boîte de Pandore » et exposer les entreprises à de <a href="http://bit.ly/2Ebf6en">multiples risques juridiques</a>.</p>
<p>Quels sont les contenus de ces deux articles 1832 et 1833 et quelles propositions de modifications ?</p>
<p>Vieux de 200 ans et rédigés par les juristes du code Napoléon, ces deux articles portent sur le contrat de société qui conduit à donner vie à une société de capitaux. L’article 1832 indique que « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter ». Quant à l’article 1833, il indique que « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ».</p>
<p>Les propositions de modifications visent à ajouter une ouverture du contrat de société à des tiers (les parties prenantes de l’entreprise) afin que leurs attentes soient prises en considération. La modification porte en particulier sur l’article 1833 auquel certains verraient bien l’ajout d’une mention que l’on peut résumer de la manière suivante : « toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés <em>et</em> doit tenir compte des intérêts des différents acteurs qui concourent au développement de l’entreprise ». <a href="http://bit.ly/2H3A9SJ">Plusieurs reformulations circulent et sont débattues</a> mais l’esprit général de ces propositions vise à intégrer aux articles 1832 et 1833 la notion d’entreprise et d’intérêt des parties prenantes.</p>
<h2>Le conseil d’administration en première ligne</h2>
<p>Ce projet de réécriture des articles 1832 et 1833 du code civil pour refonder l’entreprise impacte directement la composition et le fonctionnement du conseil d’administration car c’est au niveau de cet organe de gouvernance que se sont discutées les grandes orientations stratégiques de l’entreprise. Que font les administrateurs et quels intérêts doivent-ils servir ?</p>
<p>La mission principale des administrateurs est d’assurer le bon fonctionnement de la société qui constitue le support juridique de l’entreprise. Cela passe par un respect des règles du droit des sociétés, essentiellement contenu dans le code civil et le code du commerce.</p>
<p>Le conseil d’administration est composé d’au moins trois membres et les statuts de la société fixent le nombre maximum d’administrateurs qui ne peut dépasser dix-huit. Les administrateurs sont nommés par l’assemblée générale des actionnaires. La durée de leurs mandats qui peuvent être renouvelables ne peut excéder six ans. Le conseil d’administration nomme un président qui organise et dirige le fonctionnement du conseil d’administration à travers un investissement des administrateurs dans des comités spécialisés (comité des rémunérations, comité d’éthique, comité d’audit…). Le président rend compte à l’assemblée générale du bon fonctionnement du conseil d’administration et de l’investissement des administrateurs.</p>
<p>C’est également le conseil d’administration qui nomme et révoque les dirigeants et fixe leurs rémunérations (directeur général et directeurs généraux délégués). Les dirigeants proposent et opérationnalisent une stratégie qui est collectivement discuté et validé par le conseil d’administration. Il revient enfin aux administrateurs le soin d’organiser la communication d’informations fiables et sincères aux actionnaires et aux marchés financiers. En droit, la mission principale du conseil d’administration est de gouverner la société et d’assurer la pérennité de son projet économique pour le bénéfice des associés.</p>
<p>Face à ces principes juridiques clairs, les différents codes de gouvernance aussi bien français qu’étrangers ont introduit une nuance dont on mesure aujourd’hui les conséquences. Ces codes de gouvernance amènent le conseil d’administration à se prononcer sur les orientations stratégiques de l’entreprise qu’ils co-construisent et valident avec les dirigeants exécutifs.</p>
<p>Pour ce qui est du cas de la France, le code Afep-Medef stipule que le conseil d’administration « agit en toute circonstance dans l’intérêt social de l’entreprise ».</p>
<p>Il est également noté que :</p>
<blockquote>
<p>« La détermination des orientations stratégiques est la première mission du conseil d’administration. Il examine et décide les opérations importantes, éventuellement après étude au sein d’un comité ad hoc. Les membres du conseil d’administration sont informés de l’évolution des marchés, de l’environnement concurrentiel et <a href="http://bit.ly/2Eefr4G">des principaux enjeux</a> ».</p>
</blockquote>
<p>Ce glissement qui en première lecture peut apparaître anecdotique, change beaucoup de choses car les codes de gouvernance poussent les conseils d’administration à gouverner non pas la société mais l’entreprise. Les administrateurs deviennent co-responsables des choix stratégiques, des performances mais également des erreurs et des prises de risques de l’entreprise. Ce glissement introduit dans la <em>soft law</em> et que le droit français n’a jamais validé change la donne car le conseil d’administration est subrepticement devenu l’organe qui gouverne la société mais également l’entreprise.</p>
<p>C’est cette incursion des conseils d’administration vers l’entreprise et son projet stratégique que les partisans d’une réécriture des articles 1832 et 1833 du code civil souhaitent renforcer et institutionnaliser. Le projet de réécriture du code civil vise en effet à responsabiliser les administrateurs sur les conséquences de la stratégie de l’entreprise sur l’environnement et les parties prenantes. Rien de plus logique finalement puisque cette responsabilité des conseils d’administration dans la gouvernance de l’entreprise est déjà inscrite dans les codes de gouvernance.</p>
<p>À travers le contenu de son code de gouvernance, le monde patronal français s’est lui-même placé en difficulté car il pousse les administrateurs à gouverner la société ET l’entreprise et au final il rend ces derniers comptables des attentes et revendications des parties prenantes impactées par le projet économique de l’entreprise. En toute logique et selon le droit, c’est les dirigeants qui à travers le projet stratégique qu’ils déploient doivent intégrer et traiter les attentes des parties prenantes et pas les administrateurs.</p>
<p>Le monde patronal et les réformateurs du code civil sont finalement d’accord sur un point : les administrateurs sont responsables du projet stratégique de l’entreprise. Reste désormais à savoir si il faut rendre responsable ces administrateurs des conséquences du projet stratégique sur les parties prenantes à travers une ré-écriture du code civil.</p>
<h2>Faut-il ré-écrire le code civil pour responsabiliser les administrateurs ?</h2>
<p>Le débat sur la refonte de l’entreprise et la ré-écriture du code civil revient à reconsidérer la composition et le fonctionnement d’un conseil d’administration qui gouvernerait à la fois la société et l’entreprise. Une proposition mortifère est avancée. Elle consiste à faire siéger au sein du conseil d’administration les représentants des parties prenantes qui sont directement <a href="http://lemde.fr/2DLsUMZ">impactées par l’entreprise</a>.</p>
<p>Comme le notent certains juristes, cette proposition entraînerait inéluctablement une paralysie dans le fonctionnement de cet organe clé et une surpolitisation des <a href="http://lemde.fr/2ERnm4W">questions stratégiques</a>. Elles auraient des conséquences dramatiques sur la compétitivité des entreprises françaises. Une autre voie plus réaliste et praticable nous semble préférable.</p>
<p>Les travaux menés dans le cadre de la <a href="http://alter-gouvernance.org/">Chaire Alter-Gouvernance</a> nous amènent à faire une proposition qui consiste à <strong>introduire un nouveau comité au sein des conseils d’administration des grandes sociétés cotées</strong>. Ce comité qui pourrait porter le nom de comité des parties prenantes spécifiques serait composé d’administrateurs nommés par les actionnaires. Il aurait une mission essentielle : s’assurer que les parties prenantes qui réalisent des investissements spécifiques, essentiels à la pérennité de l’entreprise, et qui supportent des risques sont bien prises en compte par les dirigeants dans la formulation de la stratégie.</p>
<p>À l’image du comité des risques qui aident les administrateurs à cartographier les principaux points d’attention sur lesquels les dirigeants doivent être vigilants, le comité des parties prenantes spécifiques indiquerait les acteurs auprès desquels les dirigeants de l’entreprise doivent formuler des réponses adaptées compte tenu des risques qu’ils prennent ou des externalités qu’ils supportent.</p>
<h2>À quoi servirait un comité des parties prenantes spécifiques ?</h2>
<p>La proposition de créer un comité des parties prenantes spécifiques a sans doute moins de panache qu’une réécriture des articles 1832 et 1833 du code civil mais elle est susceptible de pousser les dirigeants sous la pression des conseils d’administration à reconsidérer la finalité de l’entreprise et son fonctionnement. Elle a aussi l’avantage d’être politiquement réaliste et juridiquement réalisable. En tant que ministre de l’Économie, le Président de la République avait déjà sans succès essayé de <a href="http://lemde.fr/2H3uziY">modifier le code civil autour de ces enjeux</a>.</p>
<p>Ce comité des parties prenantes serait placé sous la responsabilité du président du conseil d’administration et il serait animé par des administrateurs nommés par l’assemblée générale des actionnaires. Ces administrateurs pourraient s’adjoindre les expertises et analyses de personnalités externes qui les aideraient dans leur mission principale qui consisterait à s’assurer et contrôler que les dirigeants de l’entreprise respectent les attentes des investisseurs spécifiques et mettent en place les démarches nécessaires pour sécuriser ces parties prenantes. Il n’est pas souhaitable selon nous que ce comité soit extérieur au conseil d’administration <a href="http://bit.ly/2E6doM0">comme certains peuvent le proposer</a>.</p>
<p>Le comité des parties prenantes doit être une émanation du conseil d’administration pour assurer une meilleure connaissance et prise en considération des parties prenantes spécifiques. Ce comité constitue en quelque sorte un pont entre la société et l’entreprise et donne aux administrateurs un levier d’action concret pour infléchir les choix stratégiques des dirigeants.</p>
<p>En étant une émanation du conseil d’administration, ce comité des parties prenantes spécifiques a également l’énorme avantage d’apporter une dimension nouvelle aux informations apportées aux actionnaires et marchés financiers. Lorsque le président du conseil d’administration rend compte des travaux du conseil d’administration, les travaux et actions de ce comité pourraient grandement aider les actionnaires dans l’évaluation du comportement socialement responsable de l’entreprise.</p>
<p>À l’heure du développement de l’<a href="http://lemde.fr/2DGlk6l">investissement socialement responsable</a> et de l’appel de certains de fonds de pension à ce que les entreprises <a href="http://bit.ly/2DggrR2">servent le bien commun</a>, le comité des parties prenantes spécifiques pourrait être un levier d’une grande efficacité pour amener les entreprises à mieux servir le bien commun et intégrer dans leurs stratégies leurs principales parties prenantes.</p>
<p>Si il est mené jusqu’à son terme, le débat que nous vivons peut marquer un changement d’époque car il contribue à faire jouer aux grandes entreprises un rôle économique mais également politique. Nous entrons dans l’ère de la <a href="http://lemde.fr/2GXMRC9">post responsabilité sociale et environnementale des entreprises</a> car il ne s’agit plus de réparer les dégâts générés par l’activité des entreprises mais bien de placer les parties prenantes et la question des externalités au cœur du projet stratégique des entreprises. Le comité des parties prenantes stratégiques pourrait être le vecteur de ce changement de paradigme.</p>
<hr>
<p><em>Une première version de cette idée de comité des parties prenantes spécifiques a été publiée dans <a href="http://lemde.fr/2nPP0bg">Le Monde</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91582/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Valiorgue a reçu des financements de la part de la fondation de l'Université Clermont Auvergne dans le cadre des travaux de la Chaire Alter-Gouvernance (<a href="http://www.alter-gouvernance.org">www.alter-gouvernance.org</a>).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Xavier Hollandts ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La proposition de créer un comité des parties prenantes spécifiques, moins radicale qu’une réécriture des articles 1832 et 1833 du code civil aidera à reconsidérer la finalité de l’entreprise.Xavier Hollandts, Professeur de Stratégie et Entrepreneuriat, Kedge Business SchoolBertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises - co-titulaire de la Chaire Alter-Gouvernance, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/906652018-01-30T21:20:37Z2018-01-30T21:20:37ZFaut-il vraiment changer le statut de l’entreprise ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/203584/original/file-20180126-100896-1259oy.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Qui sont les parties prenantes ? Que font-elles ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/photo/4131/">VisualHunt</a></span></figcaption></figure><p>Le gouvernement d’Emmanuel Macron a missionné deux personnalités pour <a href="http://bit.ly/2CLw8Uf">repenser la place de l’entreprise dans la société</a>. Il s’agit de Nicole Notat, ancienne secrétaire générale de la CFDT et de Jean‑Michel Senard, patron de Michelin. Selon la ministre du travail, <a href="http://lemde.fr/2Bv5OZ1">Muriel Pénicaud</a>, « il nous faut aujourd’hui faire évoluer le droit pour permettre aux entreprises qui le souhaitent de formaliser, voire amplifier leur contribution à l’intérêt général ».</p>
<p>Selon le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, il s’agit de <a href="http://bit.ly/2ndOYcR">« faire grandir les entreprises françaises »</a> et de mieux associer les salariés aux résultats). Un objectif connu et plus modeste néanmoins que celui qui vise à réformer l’objet social des entreprises. Rappelons que selon le code civil, toute société privée doit « être constituée dans l’intérêt commun des associés », autrement dit de ses actionnaires.</p>
<p>Mais pour certains politiques comme pour certains chercheurs en sciences de gestion, l’objet social ne peut se réduire au simple intérêt des actionnaires et leurs profits. Il faut élargir la mission et prendre davantage en compte les femmes et les hommes qui y travaillent ainsi que les autres parties prenantes, y compris l’environnement.</p>
<h2>La réforme de l’entreprise : une histoire française ancienne</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=855&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=855&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=855&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1075&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1075&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203587/original/file-20180126-100915-a7cdaf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1075&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>La question de la réforme du statut de l’entreprise n’est pas nouvelle en France ; un pays qui a toujours eu du mal avec le capitalisme et l’économie de marché. Rappelons-nous du rapport de l’inspecteur des finances François Bloch-Lainé <a href="http://bit.ly/2Bxf3rQ">« Pour une réforme de l’entreprise »</a> publié en 1967. Ce rapport s’attaquait déjà au statut juridique de l’actionnaire en distinguant les « simples épargnants » des « commanditaires véritables ». Il préconisait notamment de « limiter l’assemblée aux seuls actionnaires qui prendraient la position de commanditaires, en se liant à l’entreprise ». Pour avoir la qualité de commanditaire, « il faudrait sortir de l’anonymat, posséder des titres nominatifs et accepter de ne céder ces titres qu’avec l’accord de la majorité de ses pairs ».</p>
<p>Bref, une refonte totale du droit des actionnaires, notamment des milliers d’anonymes qui investissent et apportent leur épargne aux entreprises. Ces propositions n’ont jamais vu le jour.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=994&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=994&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=994&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1249&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1249&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203586/original/file-20180126-100893-1e9b7xo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1249&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Quelques années plus tard, en <a href="http://bit.ly/2rIXXaz">1975, Pierre Sudreau</a> publiait son rapport sur « La réforme de l’entreprise ». Ce rapport préconisait entre autres d’adapter « le droit des sociétés aux réalités d’aujourd’hui ». Ce rapport préconisait de « renforcer l’attrait des investissements en valeurs mobilières » mais également « d’instituer une représentation du personnel au niveau des groupes et holdings ». Conscient des changements à venir, le rapport reconnaissait cependant que « l’entreprise, sous peine de voir son existence menacée, se doit de répondre constamment aux impératifs du marché ».</p>
<p>En 1981, le programme commun de la gauche voulait aussi transformer l’entreprise, surtout la grande, en la nationalisant. On sait ce qu’il advint de ces nationalisations qui devaient « créer les meilleures conditions pour que puisse s’épanouir l’esprit d’entreprise et d’initiative appliquées à la production » (<a href="http://bit.ly/2DOzkhx">Projet socialiste pour la France des années 80</a>).</p>
<p>Depuis cette époque, les initiatives pour réformer la gouvernance des entreprises n’ont pas cessé. De nombreux chercheurs en économie et gestion se sont emparés du sujet, notamment avec la perspective de la gouvernance partenariale généralement opposée à la gouvernance actionnariale, censée n’agir que dans le seul intérêt des actionnaires.</p>
<h2>Les propositions récentes de réforme de la gouvernance des entreprises</h2>
<p>Plusieurs économistes et gestionnaires français se sont récemment attelés à revisiter la gouvernance des entreprises en voulant réduire l’importance des actionnaires au profit des salariés, voire de toutes les autres parties prenantes (clients, fournisseurs, créanciers, pouvoirs publics, etc.).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1109&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1109&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203590/original/file-20180126-100915-mro5fe.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1109&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Comment expliquer que la gouvernance reste dominée, malgré les critiques, par une approche davantage actionnariale que partenariale s’interrogent <a href="http://bit.ly/2DFbPbE">Segrestin et Hatchuel (2011)</a> ? Selon eux, cette rémanence s’expliquerait par une insuffisance du droit des sociétés qu’il conviendrait de réformer. En effet, c’est parce que les actionnaires sont propriétaires du capital de la société qu’ils choisissent les dirigeants « pour faire fructifier leur richesse en leur nom ».</p>
<p>Ce mandat a été largement étudié par la théorie de l’agence développée par <a href="http://bit.ly/2FE9HhH">Jensen et Meckcling (1976)</a>. Il faudrait le rééquilibrer pour promouvoir un « projet pluraliste ». Pourtant selon <a href="http://bit.ly/2Bn7Wa9">Tirole (2001)</a> le partage du contrôle des entreprises serait doublement inefficace : non seulement les managers devraient répondre à des attentes contraires, mais surtout les parties ne seraient plus incitées à contrôler la gestion de l’entreprise du mieux possible.</p>
<p>Rejetant la théorie de l’agence et ses propositions collatérales, nos critiques nous invite à « reconsidérer les droits des différentes parties prenantes, à restaurer le rôle de la société en tant que personne morale distincte des parties et à rappeler l’importance critique de la latitude managériale ». C’est ainsi qu’Hatchuel et Segrestin en arrivent à proposer de remplacer le statut de la société anonyme par celui d’« entreprise de progrès collectif ».</p>
<p>Parmi les différentes propositions de réforme, notons celle qui propose que « l’actionnaire restitue à l’entreprise une part de la plus-value qu’il réalise lorsqu’il revend son action avant un certain délai ». Cette règle limiterait, selon eux, la spéculation et accroîtrait le potentiel collectif.</p>
<p>On ignore ce que serait la réaction des actionnaires, notamment internationaux, face à une telle règle ? Déjà que nos entreprises manquent de fonds propres et d’actionnaires. De plus, rien n’est proposé en cas de moins-value, voire de faillite. En cas de pertes, devrait-on faire appel aux salariés ?</p>
<p>Au total, la ligne directrice de leurs propositions revient – on l’aura compris – in fine à réduire les droits des actionnaires et à faire en sorte que les salariés puissent peser davantage sur les choix de l’entreprise grâce à une réforme du droit des sociétés comme le montre <a href="http://journals.openedition.org/fcs/1437#bodyftn2">Albouy (2011)</a>. À noter que le client est toujours absent de leurs préoccupations. Tout se passe comme si l’organisation du pouvoir à l’intérieur de l’entreprise n’avait aucun impact sur sa capacité concurrentielle et son attractivité commerciale.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=925&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=925&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=925&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1163&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1163&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203591/original/file-20180126-100926-1arzjrb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1163&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Dans son ouvrage <a href="http://bit.ly/2nbvWTI">« Entreprises : la grande déformation »</a>, Favereau (2015) défend l’idée que l’entreprise est avant tout un lieu de coopération qui suppose une multiplicité d’acteurs engagés librement dans un ensemble de relations ordonné à l’obtention d’une fin commune.</p>
<p>Si on peut adhérer à l’idée que l’ensemble des acteurs doivent coopérer pour la réussite du projet de l’entreprise, il ne faut cependant pas être naïf et s’imaginer que les acteurs en question ne cherchent pas à défendre leurs intérêts bien compris dans le cadre juridique qui est le leur.</p>
<p>Cette position lui permet de rejeter l’idée que les actionnaires ne sont pas les propriétaires de l’entreprise. Il estime que : « le pouvoir des actionnaires, relayé par le développement de la sphère financière, pèse d’un poids extravagant » sur le gouvernement des entreprises et ses conséquences sont « toujours dévastatrices ». C’est ainsi qu’il faudrait « redistribuer le pouvoir en faveur du travail ». Encore une fois, le client et son comportement est absent de la réflexion. Tout se passe comme si les clients étaient toujours présents nonobstant la concurrence.</p>
<p><a href="http://bit.ly/2DjpWT6">Chassagnon et Hollands (2014)</a> s’interrogent également sur la propriété de la firme en opposant actionnaires et salariés. Pour ces auteurs il faudrait créer un « bicamérisme économique ». Pour ces économistes, « il n’y a plus aujourd’hui de bonne raison, ni en termes d’efficacité ni en termes de justice, de laisser dans les mains des seuls apporteurs en capitaux le droit de décider de la richesse des territoires, du développement des savoir-faire et de la dignité des salariés ». Pourquoi en effet, ne pas associer directement toutes les parties prenantes de l’entreprise et confier la tâche de direction aux seuls actionnaires ? On l’aura compris, les propositions de réformes du statut de l’entreprise sont multiples et variées mais vont cependant toujours dans le même sens : réduire le pouvoir des actionnaires.</p>
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<span class="caption">Ouvrier d’usine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mateeas/3409496402/in/photolist-6chyuJ-j6BVu-6chE6d-6cd1bM-9dBDm6-cisinS-8UKRy6-VW9gtV-5J88GN-6cd4DZ-bc3yKF-VW9hWe-bPm5wH-vjWF8x-8jeNri-691yg6-bsFybD-6chhmq-dvSmzY-6Zt99J-UiKPpW-3g9SST-o7tLr5-bArsro-691LbR-bzNdw6-ajBoZh-bmTor1-bzNedn-aWmqEi-62cZcE-j5z2JG-j41QPB-j38ua2-tfTy3-76hVCa-UTJZ6x-WywFbw-EVATxH-bca752-j6D4j-Ey6VRV-j6BVw-bzNeYx-fJF5u7-6Zpdfx-6ZpdSg-pTtVVc-6ZpaQ8-bXfDe4">Matias Garabedian/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>La place privilégiée des actionnaires ne signifie pas que les salariés soient ignorés</h2>
<p>Même ses actionnaires ne sont pas juridiquement propriétaires de l’entreprise c’est bien in fine eux qui, directement ou indirectement, déterminent ses choix stratégiques via son Conseil d’administration et l’Assemblée générale. En effet, les actionnaires ne sont pas juridiquement les propriétaires de l’entreprise : ils ne sont propriétaires que de leurs actions et non de ses murs ou de ses actifs.</p>
<p>À titre d’exemple un actionnaire détenant 1 % du capital d’une société ne peut vendre 1 % des actifs de cette entreprise. Il ne peut vendre que ses actions à un autre actionnaire qui prendra sa place. Mais si l’actionnaire n’est pas le propriétaire de l’entreprise ses actions (titres de propriété) lui confèrent des droits qui lui permettent d’agir (directement ou indirectement via son agent) sur les décisions stratégiques de l’entreprise.</p>
<p>Pourquoi un tel droit qui paraît excessif à nos critiques par rapport à ceux des autres parties prenantes ? La raison fondamentale se trouve dans le fait que l’actionnaire n’est pas une partie prenante comme les autres : salariés, fournisseurs, clients, banquiers. Il est le créancier résiduel. Il est le seul à ne pas être rémunéré contractuellement par la société.</p>
<p>Sa rémunération – <a href="http://bit.ly/2nfBaxX">qui ne se réduit pas aux dividendes</a> mais intègre la plus ou moins-value de son capital – dépend de l’exécution de l’ensemble des contrats noués entre la société et ses parties prenantes. Il n’a pas de contrat avec l’entreprise contrairement aux autres parties prenantes. Ce faisant, il lui faut avoir un œil (directement ou par délégation) sur l’ensemble des décisions de gestion de l’entreprise.</p>
<p>Cet œil c’est justement le Conseil d’administration dont la mission, entre autres, est de contrôler l’action des dirigeants dans l’intérêt des actionnaires. Est-ce à dire que le Conseil d’administration ne doit pas se préoccuper du sort des salariés, des fournisseurs et des clients ? Bien évidemment non. Car comment créer de la valeur pour les actionnaires sans employés motivés et performants ?</p>
<p>Comment créer de la valeur sans fournisseurs de qualité ? Enfin, comment créer de la valeur sans clients satisfaits ? Tous sont indispensables et leurs intérêts doivent être pris en compte par les représentants des actionnaires dans leur propre intérêt bien compris. En fait, la partie prenante la plus exigeante avec l’entreprise est certainement le client car de son comportement va dépendre la première ressource financière de l’entreprise : son chiffre d’affaires. Que celui-ci vient à fondre et ce sont ses employés, ses créanciers et ses actionnaires qui en subiront les conséquences.</p>
<p>Nombreuses sont les entreprises, par exemple l’Air Liquide, qui ont compris cette exigence. Ainsi pour Benoît Potier, Président-Directeur Général d’Air Liquide : « Une entreprise performante est toujours connectée à son environnement, ses marchés, ses clients, ses partenaires et ses actionnaires ». Cela ne l’empêche pas d’intégrer dans ses décisions l’intérêt de ses actionnaires, de les fidéliser et d’afficher une très belle croissance en terme de chiffre d’affaires comme d’emplois crée sur longue période.</p>
<p>Tout dirigeant d’entreprise et particulièrement ceux des entreprises innovantes savent que leur société est exposée à la concurrence pour son personnel qualifié et aux défis que constituent la recherche et la rétention du personnel qualifié, dont le départ peut compromettre la capacité de la firme à mener et développer efficacement ses activités. Il est donc essentiel pour le Conseil d’administration de prendre en compte les aspirations du personnel.</p>
<p>Eh oui, le personnel n’appartient pas à l’entreprise et il est même libre de la quitter ! Il n’aura même pas l’obligation de trouver un remplaçant comme l’actionnaire qui vend son action. Sa seule obligation est de respecter son contrat de travail. Quant à l’entreprise, il lui incombe naturellement de respecter le droit du travail et les différentes institutions représentant le personnel. On pourrait en dire de même avec les fournisseurs, les clients et les pouvoirs publics qui exercent chacun à leur façon une pression sur l’entreprise.</p>
<p>Les limitations du pouvoir des actionnaires au bénéfice des salariés n’amélioreraient pas la gouvernance des entreprises et leurs performances. Le risque est grand comme Albouy (2002) le souligne d’éloigner les investisseurs des entreprises alors, qu’en tant qu’apporteur de fonds propres, l’actionnaire joue un rôle irremplaçable dans une économie de marché.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=299&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=299&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=299&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203595/original/file-20180126-100919-10nbsg8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=376&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Atelier d’usine.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/cjp24/14349101630/in/photolist-WUQw16-96YwuU-8rd9j4-a1JBgW-nFe9Bw-gY2cbK-naim3R-8psHpS-ohBkq3-8rgBCh-4yUmL1-88qRL4-8rU2Bp-dZyF7M-4FAZQ7-osmuLg-4uxvS1-p7eSk4-T6k4r7-rqu1HY-7sswMe-8rgJoL-96YAsh-fJ3ykZ-RRpk8T-f6hjsv-bN1eCe-gY1zJo-ce5ZvG-c2QDqm-bzJjwn-4FAiUq-USuaGQ-D1Mn68-f5R8ZG-5NtLHP-7QMuek-dNbbXa-ob9bnF-Vyb9fK-dRkvN2-ftMc2e-p1xNUN-7NJSCx-81NqhD-nRYTZY-uQSPfQ-5nqFHn-a23ZFG-dqTSLE">JPC24M/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Quelle réforme du statut de l’entreprise ?</h2>
<p>Avec la réforme du code du travail voulue par le Président Macron, nombreux à gauche ont estimés qu’il fallait rééquilibrer le projet et corriger sa dérive libérale. C’est ainsi que pour les confédérations syndicales dites « réformiste », la CFDT attend des mesures susceptibles de « récompenser les efforts consentis ».</p>
<p>Bref, la réforme du statut de l’entreprise serait un donnant-donnant : plus de flexibilité sur le marché du travail contre plus de pouvoir à l’intérieur de l’entreprise et notamment son Conseil d’administration. Pour ces tenants d’une réforme, il faudrait ouvrir le Conseil d’administration (CA) des entreprises aux salariés, voire aux autres parties prenantes : clients, fournisseurs, créanciers, représentants des pouvoirs publics.</p>
<p>Avec de telles propositions, le CA risquerait fort de se transformer en tour de Babel. Comment en effet arbitrer entre les objectifs difficilement conciliables des différentes parties prenantes ? Par exemple, comment un tel CA pourrait prendre des mesures difficiles comme la fermeture d’un site, la délocalisation de la production, le changement de fournisseurs, etc. Si, in fine le pouvoir de décision appartient aux actionnaires majoritaires quel sera l’impact des représentants des salariés et éventuellement des autres parties prenantes sur la décision finale ? La représentation des salariés-actionnaires aux CA nous donne déjà une indication.</p>
<p>Selon la garde des sceaux, Nicole Belloubet « il ne faut rien s’interdire, mais bien prendre en compte les conséquences juridiques » d’un tel changement. Serait-ce un appel à la prudence ? Oui, il faut y regarder à deux fois avant de détrôner les actionnaires et instituer la codétermination dans la gestion des entreprises. Certes il y a l’<a href="http://bit.ly/2DSgPJ4">exemple de l’Allemagne avec sa cogestion</a>, mais est-ce une raison pour changer notre code civil ?</p>
<p>Oui, la cogestion existe en Allemagne et les entreprises allemandes semblent bien s’en porter. Ceci étant, outre que la mise en place de ce mode de gouvernance est très daté historiquement (c-à-d, lié à l’histoire de l’Allemagne), il n’est pas évident qu’il permette une meilleure association des employés aux décisions stratégiques des entreprises et une meilleure éthique de gestion. Le cas du <a href="http://bit.ly/2DSjxyr">Diesel Gate de Volkswagen</a> est là pour nous rappeler que la participation des salariés à la gestion de l’entreprise ne suffit pas pour rendre la firme vertueuse et rendre ses employés plus heureux.</p>
<p>Contrairement à ce que l’on peut croire, une entreprise, même grande, n’est pas une institution politique mais économique dont le but est de produire et de fournir des biens ou des services à destination de clients. Contrairement à une Collectivité locale ou un État, une entreprise peut mourir, surtout si elle ne répond pas aux besoins de ses clients.</p>
<p>Pour être gouvernée efficacement dans un monde concurrentiel, l’entreprise a besoin d’une direction claire, assumée et validée par ses actionnaires. Celle-ci ne peut être partagée et faire l’objet de négociations politiques permanentes. De ce point de vue, l’idée de faire siéger des représentants des différentes parties prenantes au Conseil d’administration, comme certains le recommandent dans le but de promouvoir une meilleure démocratie dans l’entreprise, nous paraît contre-productive car le risque est alors grand de transformer ce conseil en forum de discussion.</p>
<p>Même dans un conseil municipal, le maire a besoin d’avoir une majorité claire pour pouvoir appliquer sa politique. Oui, comme le dit avec prudence dit Nicole Belloubet « il faut bien prendre en compte les conséquences juridiques d’un changement de statut de l’entreprise ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90665/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Albouy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour bien comprendre la réforme en cours, retour sur les projets successifs, les analyses des chercheurs et les attentes des diverses parties prenantes.Michel Albouy, Professeur senior de finance, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/905762018-01-25T21:21:05Z2018-01-25T21:21:05ZQuel rôle pour l’entreprise au XXIᵉ siècle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/203268/original/file-20180124-107946-1jsoefu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">À qui profite la valeur produite par les entreprise ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/stock-exchange-board-210607/">Pixabay/Pexels</a></span></figcaption></figure><p>L’année 2018 s’est ouverte par un débat majeur pour les entreprises, et sans doute la société tout entière. Poussé par le gouvernement, il porte sur ni plus ni moins que la finalité de l’entreprise, et précède une possible évolution de son objet social au printemps dans le cadre de la <a href="http://www.gouvernement.fr/conseil-des-ministres/2017-10-25/plan-d-action-pour-la-croissance-et-la-transformation-des-en">loi PACTE</a> (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation de l’Entreprise).</p>
<h2>La place de l’entreprise dans la société : un débat ancien</h2>
<p>Les articles <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006070721&idArticle=LEGIARTI000006444040">1832</a> et <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006444056&cidTexte=LEGITEXT000006070721">1833</a> du code civil, qui fondent la définition de l’entreprise, pourraient être modifiés en vue de rétablir la place des parties prenantes au sens large (salariés, clients, fournisseurs, collectivité, etc.) aujourd’hui clairement ignorées par les textes. Tels que rédigés actuellement, les articles mentionnés font en effet clairement des associés (ou actionnaires) les destinataires finaux de la valeur créée par l’entreprise.</p>
<p>Au fond, ces articles du code civil traduisent bien la confiance placée dans le concept de <a href="https://www.cairn.info/revue-l-economie-politique-2009-4-page-28.htm">« main invisible »</a> développé quelques dizaines d’années avant leur rédaction par Adam Smith (1776). Ce dernier, postulant que la meilleure manière de contribuer à l’intérêt général consiste à se préoccuper avant tout de son intérêt particulier ou personnel, justifie la focalisation de la mission des entreprises sur la seule valeur apportée aux propriétaires ou actionnaires.</p>
<p>En dépit de remises en cause régulières, une telle vision demeurait relativement consensuelle et peu contestée jusqu’à la crise de 1929, qui aura notamment eu pour effet d’ébranler durablement la croyance selon laquelle le marché apporte toujours la meilleure solution aux problèmes les plus divers.</p>
<h2>Après-guerre, un capitalisme plus accommodant</h2>
<p>Le capitalisme qui se développe après-guerre se veut beaucoup plus conciliant et intégrateur des attentes des parties prenantes, qui ne sont pas encore nommées ainsi mais qui incluent déjà les salariés, les clients, les fournisseurs, la collectivité… Michel Aglietta (l’un des fondateurs de « l’école de la régulation » en France) qualifie ce capitalisme, qui trouve ses fondements dans la négociation collective et, partant, dans la reconnaissance de la diversité des attentes des parties prenantes, de <a href="http://www.cepii.fr/docs/CEPIICOLLOQUES/Materials/2017-09-06EM2018/AGLIETTA.pdf">« capitalisme contractuel »</a>.</p>
<p>Au cours des années 1970-1980, la crise remet en cause le bien-fondé d’un modèle qui n’a pas su protéger de l’émergence de nouveaux déséquilibres. La (<a href="http://www.lemonde.fr/economie/video/2017/10/13/favoriser-les-riches-pour-aider-les-pauvres-la-theorie-du-ruissellement-decryptee_5200215_3234.html">« théorie du ruissellement »</a> qui explique que la redistribution des richesses doit s’effectuer « par le haut » (autrement dit qu’en favorisant les profits, les retombées de ces derniers bénéficieront à tout le monde, grâce aux investissements qui seront réalisés et à l’emploi qui en découlera) pose les fondements du fameux <a href="http://www.atlantico.fr/decryptage/profits-aujourd-hui-sont-investissements-demain-et-emplois-apres-demain-40-ans-apres-quel-bilan-reel-pour-theoreme-helmut-2436009.html">« Théorème de Schmidt »</a>.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/203279/original/file-20180124-107974-uzlztl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/203279/original/file-20180124-107974-uzlztl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=829&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/203279/original/file-20180124-107974-uzlztl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=829&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/203279/original/file-20180124-107974-uzlztl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=829&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/203279/original/file-20180124-107974-uzlztl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1042&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/203279/original/file-20180124-107974-uzlztl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1042&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/203279/original/file-20180124-107974-uzlztl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1042&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le slogan du chancelier Helmut Schmidt « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » est devenu un théorème économique débattu.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Verteidigungsminister_Helmut_Schmidt.jpg">Wikimedia Commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<h2>L’émergence des parties prenantes</h2>
<p>La formule de l’ancien chancelier ouest-allemand sera remise en cause par la <a href="https://www.cairn.info/la-theorie-des-parties-prenantes--9782707146533.htm">théorie des parties prenantes</a> développée aux États-Unis dans les années 1990 par Edward Freeman. Cette théorie postule que le bénéfice d’une entreprise ne constitue que le résultat d’un processus reposant sur la coopération des parties prenantes. Ce n’est donc pas la philanthropie, mais plutôt une logique de rationalité économique qui justifie ici l’attention portée à la satisfaction des parties prenantes, seule garante de leur engagement et du développement de leur contribution primordiale à l’entreprise.</p>
<p>Plus récemment, la vision que nous développons au sein de la <a href="https://theconversation.com/fr/search?utf8=%E2%9C%93&q=paix+%C3%A9conomique">Chaire Mindfulness, Bien-être et Paix Economique de GEM</a> consiste à considérer que le but de l’entreprise est en réalité double : créer des richesses et contribuer au bien commun en renforçant le tissu social de manière durable et respectueuse de la <a href="https://theconversation.com/le-corps-et-lame-de-la-paix-economique-72936">dignité humaine et de la nature</a>. L’entreprise, ainsi positionnée au cœur de la cité, se veut un acteur positif de son environnement, contribuant notamment à la paix, en cohérence avec le rôle qu’attribuait Montesquieu au « doux commerce » : réduire les incitations à la violence entre des acteurs économiques devenus dépendants et partenaires.</p>
<h2>Changements de vision, changements de pratiques</h2>
<p>La question des destinataires de la valeur créée par les entreprises n’est donc pas nouvelle. Elle dépasse de loin le cadre juridique puisque l’étude des pratiques des entreprises sur le siècle écoulé permet de constater une succession de modes managériales, qui se développent souvent avec un temps de retard plus ou moins important par rapport aux théories évoquées précédemment. Ces évolutions des pratiques témoignent de la capacité des différentes parties prenantes à faire entendre leur voix et valoir leurs intérêts.</p>
<p>De ce point de vue, l’évolution des outils de pilotage des performances est particulièrement révélatrice. Les premiers outils de contrôle de gestion qui se développent dans les années 1920 aux États-Unis sont clairement financiers (notamment le <a href="https://services-numeriques.emse.fr/content/glossaire#ROI">ROI ou retour sur investissement</a>) et traduisent bien la volonté des propriétaires de contrôler les décisions des managers salariés récemment propulsés à la tête des entreprises. Dans les années 1980, la valeur est clairement créée pour les clients et s’exprime bien plus en termes de rapport qualité – prix qu’en termes de rentabilité. Les années 1990 voient le « retour de l’actionnaire » (titre d’un <a href="http://www.lextenso-editions.fr/ouvrages/document/1551">ouvrage de Sophie L’Hélias</a> paru en 1997) : l’émergence d’acteurs au poids considérable remet les actionnaires en position d’imposer leurs attentes (l’indicateur principal devenant l’<a href="https://www.cairn.info/revue-des-sciences-de-gestion-2005-3-page-43.htm#re1no34">EVA ou valeur économique ajoutée</a>).</p>
<h2>Rééquilibrer les relations</h2>
<p>Aujourd’hui, bien que les actionnaires demeurent souvent les plus audibles des parties prenantes, la pérennité semble s’imposer un peu plus chaque jour comme un objectif complémentaire face aux problématiques environnementales (réchauffement climatique, pollution, tarissement des ressources) ainsi qu’à l’accélération des cycles économiques, qui réduisent la durée de vie moyenne des entreprises. Le <a href="https://www.canal-u.tv/video/canal_aunege/tableau_de_bord_strategique_balanced_scorecard.16580">Balanced Scorecard</a> ou le <a href="https://www.cairn.info/revue-vie-et-sciences-de-l-entreprise-2008-2-page-22.htm#pa44">Prisme de Performance</a> sont clairement des outils de pilotage qui traduisent cette ambition de concilier les attentes des parties prenantes les plus diverses.</p>
<p>Ce coup d’œil dans le rétroviseur permet également de constater que certaines entreprises ont su tirer leur succès et leur pérennité de leur capacité à ne jamais céder aux modes managériales décrites ci-dessus pour parvenir à préserver les intérêts de toutes leurs parties prenantes (celles qu’Antoine Frérot, PDG de Véolia, qualifie aujourd’hui de « critical friends »). Elles y ont parfois sacrifié un peu de rentabilité potentielle à une résilience accrue et à une pérennité avérée.</p>
<h2>Les difficultés de l’élargissement de l’objet social des entreprises</h2>
<p>L’objet social élargi de l’entreprise était l’une des propositions du manifeste <a href="http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/134000625.pdf">pour une économie positive</a> dirigé par Jacques Attali en 2012. Elle reposait sur la reconnaissance de la pertinence de la théorie des parties prenantes. Une telle vision incite en effet fortement à élargir la définition de l’objet social de l’entreprise à des fins de pure pertinence économique. Bien que la pertinence du regard porté aux impacts de l’entreprise sur la société et l’environnement soit largement admise, y compris par le Medef, ce dernier, par l’intermédiaire de son Président Pierre Gataz, se montre hostile à toute modification du code civil qui ouvrirait la possibilité à de nombreux recours juridiques difficilement gérables par les entreprises. La campagne actuellement menée par les organisations patronales (Medef, Afep et Ansa) en défaveur des retouches évoquées en particulier sur l’article 1833 du code civil devrait fortement peser sur la décision qui sera prise dans quelques semaines, et qui commence d’ores et déjà à se dessiner.</p>
<h2>La voie du milieu, choix probable</h2>
<p>Une solution moins contraignante et portée par les organisations patronales consisterait à créer une nouvelle forme d’entreprise, « l’entreprise à mission » ou « à bénéfice public », s’inspirant des « public benefit corporations » américaines. Il s’agirait d’inclure dans les statuts de l’entreprise une mission sociale, scientifique ou environnementale qui viendrait compléter la recherche du profit. Les entreprises qui le souhaitent pourraient ainsi mieux prendre en compte l’intérêt général, ce dernier apparaissant clairement et sans ambiguïté comme l’une de leurs missions. Bien sûr certaines, par philanthropie ou par calcul, ne se privent pas de le faire dès à présent, mais le fait de l’écrire les rendrait plus légitimes et moins attaquables au moment de faire face aux reproches de certains actionnaires.</p>
<p>Il faut à ce sujet souligner à quel point il est caricatural de considérer que résultat et rentabilité constituent les seules attentes des actionnaires. Parmi ces derniers, nombreux sont ceux qui intègrent des critères de responsabilité et d’impact positif sur la société pour discriminer les entreprises qui recevront leurs investissements. Un <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/0301038612672-bourse-les-investisseurs-critiques-a-legard-des-dirigeants-juges-court-termistes-2139374.php">récent sondage du BCG</a>, réalisé auprès de 250 grands investisseurs, permet de constater que 88 % d’entre eux jugent que les dirigeants se focalisent trop sur le court-terme…</p>
<p>Si les débats restent ouverts, et risquent même de s’intensifier dans les semaines qui viennent, il y a de fortes chances qu’entre immobilisme et ambition controversée la voie du milieu ne finisse par s’imposer. D’autant plus qu’elle a aujourd’hui le vent en poupe grâce aux soutiens d’acteurs reconnus et engagés, notamment Antoine Frérot, PDG de Véolia, ou Emmanuel Faber, PDG de Danone. Dans ce cas, les résultats obtenus en termes de changement des comportements délétères seraient bien plus faibles que ceux initialement envisagés par les syndicats et le gouvernement. Le débat sur le rôle de l’entreprise dans la société n’en serait toutefois que légèrement reporté, et se verrait sans doute considérablement renforcé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/90576/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugues Poissonnier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avant la présentation de la loi PACTE, en avril, le débat sur l’objet social de l’entreprise va s’intensifier. Avec, en creux, une question : qui doit bénéficier de la valeur produite ?Hugues Poissonnier, Professeur d'économie et de management, Directeur de la Recherche de l’IRIMA, Membre de la Chaire Mindfulness, Bien-Etre au travail et Paix Economique, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/894192018-01-16T21:22:46Z2018-01-16T21:22:46ZRedéfinir l’entreprise et sa finalité : une révolution en marche ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/201974/original/file-20180115-101514-15h0ufz.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sociétés ? Entreprises ? Et pour quel objet ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/skyscrapers-in-city-against-sky-257856/">Pexels</a></span></figcaption></figure><p>Lors de ses vœux, le Président Macron a annoncé que le rythme des réformes n’allait pas faiblir avec pas moins de dix projets de loi attendus pour les prochains mois. Parmi ces projets, une révolution semble en marche sur la question de la gouvernance des entreprises et la participation des salariés.</p>
<p>Le gouvernement a ainsi confié à Nicole Notat (Vigeo) et Jean‑Dominique Senard (Michelin) une <a href="http://bit.ly/2DzfxAg">mission de réflexion sur l’articulation entre la finalité de l’entreprise et l’intérêt général</a>. Le gouvernement souhaite également inscrire dans la future <a href="http://bit.ly/2B41Q9I">loi PACTE</a> (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), présentée au printemps, des éléments allant clairement dans ce sens.</p>
<p>Cette initiative est précédée de l’action d’un groupe de députés socialistes qui a déposé une <a href="http://bit.ly/2Dzgp80">proposition de loi novatrice, discutée dès le 18 janvier 2018</a> à l’Assemblée. Pour le résumer simplement, cette proposition de loi vise ni plus ni moins à redéfinir le but des entreprises françaises et introduit également le concept de <a href="http://bit.ly/2FFVdO6">société à objet social étendu</a>. Décryptage des raisons et de la portée potentielle de cette proposition de loi et des éléments annoncés dans la future loi PACTE.</p>
<h2>Sortir de la seule logique du profit</h2>
<p>La première raison avancée tant par le gouvernement (dans la bouche de Bruno le Maire ou de Nicolas Hulot par exemple) est que le but (ultime) d’une entreprise ne pourrait se résumer à faire seulement du profit.</p>
<p>De nombreux observateurs ou experts ont eu l’occasion de dénoncer depuis de nombreuses années les dérives de cette idéologie largement répandue et qui consiste à ce que l’entreprise fasse le plus de profit possible (à le maximiser comme disent les économistes) : entreprises fermant des sites pourtant rentables, externalisation et focalisation sur le cœur de métier en vue de diminuer le coût du travail et d’augmenter les profits, focalisation exclusive sur la création de valeur actionnariale), stratégies d’optimisations fiscales et sociales, prolifération des externalités négatives dénoncées par une partie des patrons eux-mêmes…</p>
<p>Prenant acte de cette dérive qui remet en cause le pacte républicain et les équilibres écologiques, le gouvernement semble vouloir infléchir les pratiques et cette idéologie du tout profit en se faisant le promoteur d’un « capitalisme plus moral » qui ne se focaliserait plus uniquement sur le profit ou les dividendes des actionnaires mais qui aurait bien des objectifs plus larges permettant de prendre en considération d’autres parties prenantes (l’environnement, la société, les salariés).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=500&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201977/original/file-20180115-101514-1ccgqxk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=628&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Milton Friedman a écrit le 13 septembre 1970 une tribune dans le <em>New York Times</em> intitulée « The Social Responsibility of Business Is to Increase Its Profits ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://reason.com/blog/2012/07/31/vid-happy-100th-birthday-to-milton-fried">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>La défense habituelle des défenseurs de la valeur actionnariale est désormais bien connue : à quoi bon imposer un nouveau lot de contraintes, alors que l’entreprise se préoccupe déjà des salariés et de la société, en versant des salaires et en payant des impôts. Et leur argument semble imparable : c’est justement parce que l’entreprise cherche à maximiser ses profits qu’elle peut verser des salaires décents et des impôts conséquents.</p>
<p>Cette position est fort bien résumée depuis 1970 dans la fameuse <a href="http://www.crsdd.uqam.ca/pages/docs/04-2013.pdf">tribune de Milton Friedman</a> : <a href="http://nyti.ms/2B21fVW">« La seule responsabilité de l’entreprise est de faire des profits »</a>. La position des partisans et des adversaires de cette position semble clairement irréconciliables comme l’explique par exemple <a href="http://bit.ly/2EK94C7">Alex Edmans</a>.</p>
<h2>La remise en cause du « tout pour l’actionnaire » en trois actes</h2>
<p>Depuis 1970, les mentalités et les idéologies sous-jacentes ont néanmoins évolué et une approche beaucoup plus inclusive de la gouvernance des entreprises se répand peu à peu. Elle dispose de très solides arguments pour rejeter dans un premier temps la mainmise des actionnaires sur l’entreprise et faire la promotion dans un second temps d’une approche plus partenariale de l’entreprise, sa performance et sa gouvernance.</p>
<p>Cette remise en cause s’effectue en trois actes.</p>
<p><strong>Acte 1</strong> : Le premier argument, connu des juristes depuis des décennies, est de dire que <strong>l’entreprise n’existe pas en droit</strong>. Pour le dire de façon imagée, le droit de l’entreprise n’existe pas, on parle seulement du droit des sociétés. Le droit ne connaît pas l’entreprise mais seulement la société : on parle en effet de société par actions, de société à responsabilité limitée ou de société anonyme mais jamais d’entreprise anonyme.</p>
<p>Or, le tour de force d’éminents économistes aura été de nous faire croire que l’entreprise (et non la société) appartenait aux actionnaires ! <a href="http://bit.ly/2FE9HhH">L’un des articles les plus célèbres et les plus repris</a> en finance et en économie propage depuis 1976 cette vision simpliste et erronée d’une entreprise, simple coquille juridique, appartenant aux seuls actionnaires.</p>
<p><strong>Acte 2</strong> : L’entreprise n’existe pas, seule la société est reconnue en droit mais <strong>les actionnaires disposent-ils malgré tout de droits de propriété</strong> ? Là encore, la réponse des juristes est limpide. Les parts sociales ou les actions ne constituent et n’ont jamais constitué de titres de propriété en bonne et due forme. Il s’agit seulement de titres représentant des fractions de capital social offrant certains droits (droit de participer à l’assemblée générale, de pouvoir y voter, de toucher une partie des résultats de l’entreprise).</p>
<p>Les actions ou parts sociales ne constituent pas un quelconque titre de propriété. Un actionnaire ne pourrait en aucun cas rentrer dans une entreprise et en repartir avec une chaise ou un ordinateur au motif qu’il est propriétaire d’une fraction du capital. Ce serait assurément considéré comme de l’abus de bien social. Mais alors, à qui appartient l’entreprise ? Et bien justement à personne, comme nous l’expliquons dans un <a href="http://bit.ly/2DjpWT6">article publié en 2014</a>, car les actionnaires ne sont propriétaires de rien et sûrement pas de quelque chose qui n’existe pas !</p>
<p><strong>Acte 3</strong> : Une fois que l’on a examiné sérieusement cette question et conclu que les actionnaires ne sont pas propriétaires de l’entreprise, il reste à en déduire que la <strong>société est un être juridique autonome à part entière</strong>. À ce sujet, ne parle-t-on pas de personnes morales (dont certaines se font d’ailleurs condamner) pour désigner ces entités abstraites qui existent en droit ? Dès lors, si l’on considère que la société, personne morale, peut avoir des intérêts potentiellement différents des membres physiques qui la composent, on peut tout à fait admettre que l’intérêt des sociétés ne rejoint pas nécessairement celui de ses actionnaires, de ses dirigeants ou de ses salariés.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201979/original/file-20180115-101511-ug8c93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=574&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Qui possède quoi ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/p-360201/?no_redirect">Pixabay</a></span>
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<p>Ainsi, des dirigeants peuvent verser des dividendes trop élevés alors que la situation de l’entreprise nécessiterait plutôt que la société investisse ! De la même manière, une entreprise trop généreuse avec ses salariés peut potentiellement se retrouver en difficultés dans le futur alors que ces ressources auraient pu être consacrées à l’investissement ou la recherche et développement. C’est donc l’intérêt de la société elle-même et la pérennité du projet économique de l’entreprise qui doivent orienter la gouvernance et en aucun cas l’intérêt d’une des parties prenantes qui dans cette situation réaliserait un hold-up sur la valeur créée collectivement.</p>
<h2>Une proposition de loi qui remet en cause l’article 1833 du code civil</h2>
<p>La <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/15/propositions/pion0476.asp">proposition de loi discutée le 18 janvier</a> défend clairement cette optique et propose ainsi de redéfinir la finalité et les objectifs de la société. C’est le sens de l’article n°1 qui entend compléter l’article 1833 du Code civil (« Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ») par la phrase suivante, lourde de conséquences : « La société est gérée conformément à l’intérêt de l’entreprise, en tenant compte des conséquences économiques, sociales et environnementales de son activité. »</p>
<p>En voulant modifier cet article du code civil, les promoteurs de cette proposition de loi entendent ainsi sanctuariser la notion d’intérêt social de l’entreprise qui agit comme un paravent à toute tentative d’accaparement de la société par une de ses parties prenantes. La société ne serait ainsi plus seulement gérée dans l’intérêt unique et corporatiste de ses seuls actionnaires mais dans un intérêt commun et nécessairement collectif faisant coïncider intérêt de l’entreprise et intérêt sociétal.</p>
<p>Au-delà de ce premier article, la proposition de loi avance également, au travers de son article 10, la proposition de société à objet social étendu, qui inclut ainsi les parties prenantes essentielles au développement des organisations. Cette autre proposition révolutionnaire vise à « mobiliser tous les acteurs de l’entreprise autour d’un objet social incluant un objectif social ou environnemental ». La « mission de la société devra être définie à la fois par les actionnaires (qui l’inscriront dans les statuts) et par les salariés (qui la valideront par voie d’accord d’entreprise) ».</p>
<p>Deux chercheurs français, Armand Hatchuel et Blanche Segrestin, ont directement inspiré la réflexion conduisant à proposer cette nouvelle forme de société. S’inspirant fortement des expériences étrangères (notamment la <a href="http://bit.ly/2FFVdO6">Social Purpose Corporation</a> qui a succédé à la Flexible Purpose Corporation), ils avaient dès 2012, publié un ouvrage prémonitoire et visionnaire, <a href="http://bit.ly/2mHjP1a"><em>Refonder l’entreprise</em></a>, qui résumait à la fois l’ambition et la portée de cette évolution. Sous l’impulsion d’Emmanuel Faber ce statut a été récemment adopté par la filiale américaine de Danone en avril 2017.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=382&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/201982/original/file-20180115-101492-1b9xlkp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=480&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Code civil Napoléon (Historisches Museum der Pfalz).</span>
<span class="attribution"><span class="source">DerHexer/Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Une évolution à mener sous deux conditions</h2>
<p>Si le gouvernement entend « moraliser » le capitalisme et offrir un autre horizon aux entreprises que la seule maximisation du profit, il faudra sans doute vaincre de nombreuses résistances, tant du côté du patronat que des salariés d’ailleurs. C’est à ce prix que l’on pourra véritablement faire entrer la société et l’entreprise dans l’économie du XXI<sup>e</sup> siècle, qui ne peut qu’être plus inclusive et plus responsable. Cette évolution de la loi appelle toutefois deux précautions qui si elles ne sont pas anticipées pourraient se retourner contre les promoteurs :</p>
<p><strong>1. Certains commentateurs ont souligné les risques de modifier les articles du Code civil ou du Code Commerce, qui d’après certains juristes ne sont pas à l’origine des dérives que tentent de corriger cette proposition de loi.</strong> Corriger ou modifier les articles 1832 et 1833 du Code civil ne permet pas de s’attaquer fondamentalement à la racine du problème, qui, d’après une partie du patronat est la financiarisation extrême du capitalisme moderne. L’un des meilleurs experts de cette question précise que ce n’est pas tant les articles du Code civil qui posent problème que les impératifs de maximisation de la valeur actionnariale qui conduisent peu à peu à des dérives stratégiques, managériales et environnementales de plus en plus inacceptables. Pour le dire autrement, ce n’est pas le droit qui pose problème mais bien l’idéologie économique actuellement en vigueur qui conduit à ces dérives et qui s’incarne à travers les codes de gouvernance comme le code Afep-Medef pour le cas spécifique de la France.</p>
<p><strong>2. Deuxième écueil possible : Le risque en s’attaquant au cœur du Code civil est d’assister à une levée de boucliers de la plupart des acteurs de ce dossier.</strong> Le patronat n’a objectivement aucun intérêt, hormis quelques voix « dissidentes », tel qu’Emmanuel Faber (Danone) ou Antoine Frerot (Veolia), à soutenir cette initiative. Les salariés pourraient également s’y opposer (et être sur la même ligne que le patronat), tant il peut apparaître dangereux pour eux d’être associés directement aux décisions stratégiques, comme celles consistant par exemple à licencier…</p>
<h2>Revoir la loi… mais aussi les <em>soft laws</em> de la gouvernance</h2>
<p>Réformer la gouvernance des entreprises françaises en s’attaquant à des articles essentiels du Code civil et du droit des sociétés est à la fois ambitieux mais potentiellement risqué. Reste que l’action conjointe de cette proposition de loi et de la future loi PACTE laisse de côté un élément essentiel de la gouvernance de nos entreprises. En effet, à aucun moment, il n’est envisagé de réécrire ou de réaliser une nouvelle mouture des principaux <a href="http://bit.ly/2mAOKeG">guides de gouvernance</a>, dont le code AFEP-Medef qui fait autorité.</p>
<p>Or, c’est bien souvent cette « soft law » qui fixe des règles et des pratiques qui ont cours au sein de nos entreprises. Ainsi, 118 entreprises des 120 plus grandes entreprises françaises font explicitement référence dans les rapports annuels au code AFEP-Medef alors que plusieurs dispositions de ce code sont discutables, voire juridiquement fausses, mais profitent toujours in fine à certaines catégories d’actionnaires toujours plus préoccupés par la capture de dividendes que les projets stratégiques de long terme.</p>
<p>Ainsi les prochaines semaines peuvent marquer un tournant décisif pour notre modèle de gouvernance d’entreprise, à condition que de nombreuses résistances soient vaincues et que l’ensemble des acteurs comprend qu’un changement de logiciel est nécessaire pour renforcer en même temps la compétitivité et la responsabilité des entreprises !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/89419/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Valiorgue a reçu des financements de la fondation de l'Université Clermont Auvergne dans le cadre de la Chaire Alter-Gouvernance (<a href="http://www.alter-gouvernance.org">www.alter-gouvernance.org</a>).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Xavier Hollandts ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après les consultations achevées en décembre et d’autres en cours, le plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, devrait aboutir à un projet de loi au printemps.Xavier Hollandts, Professeur de Stratégie et Entrepreneuriat, Kedge Business SchoolBertrand Valiorgue, Professeur de stratégie et gouvernance des entreprises - co-titulaire de la Chaire Alter-Gouvernance, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/858392017-10-17T14:10:45Z2017-10-17T14:10:45ZQu’est-ce que l’entreprise ? Il est temps de mettre à jour sa définition juridique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/190579/original/file-20171017-30428-143kixa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=69%2C0%2C1949%2C1342&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'assemblée générale d'actionnaires vue par le journal satirique Le Charivari (30 septembre 1836). Il est temps de changer la définition de l'entreprise du code civil.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/wikimediacommons/16411412221/in/photolist-cyNqNJ-s3gyuh-7TwCZD-cAsx51-s2TKuY-shyEdb-shcebj-sjuceM-ro3Ka4-sjPjK6-cyNr19-cyNqUm-s3hw7b-cAswZb-cAswSW-YVzYw5-r3p7gp-9nhwEf-r1dM68-qGbXrQ-e1pqgo-YeDsEN-sjNVVi-qJrRv8-9RyhHJ-kqN92X-6dYy6J-aPNrK6-HegbMu-dyQGhN-buMNu3-fgi1WD-dyKdPn-dyKede-dyQFW7-dyKdj4-dyKe3M-9Zny13-dyQGmJ-dyKdBa-dyQGuf-dyQGx7-dyKdKn-dyKdnn-dyQG7Y-ERq5u1-s1a59H-PGPyUQ-PVGPQv-dyQFQU">Ashley Van Haeften /Flickr / Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le Président Emmanuel Macron a accordé dimanche soir à TF1 et LCI sa première interview télévisée depuis son arrivée à l’Élysée. Parmi d’autres sujets, il a évoqué une prochaine réforme de la participation qualifiée « de belle invention gaulliste ». Lorsqu’il était ministre de l’Économie il a déjà retouché à la marge les modalités de <a href="https://www2.editions-tissot.fr/actualite/droit-du-travail/loi-macron-les-nouveautes-concernant-l-interessement-et-la-participation">l’intéressement et de la participation</a> mais il semble que cette fois son ambition soit plus importante. Il l’a formulée ainsi : « Je veux qu’on réforme profondément la philosophie de ce qu’est l’entreprise. »</p>
<p>Si l’on essaie de décrypter l’intention du Président, notamment à la lumière de ce qu’il a déjà dit ou déjà fait, deux voies doivent être distinguées.</p>
<h2>Une meilleure redistribution de la valeur ajoutée</h2>
<p>La première est la plus évidente, elle consiste à mieux répartir ce qu’on appelait à l’époque gaulliste « les fruits de la croissance » et qui se traduit en comptabilité nationale par la part des salaires dans la valeur ajoutée. Comment assurer une meilleure redistribution aux salariés des richesses produites par l’économie tout en assurant un financement adéquat des entreprises ?</p>
<p>Le Président a évoqué à ce sujet la nécessité de revoir les mécanismes actuels notamment en période de prospérité : « Je veux aussi que tous les salariés aient leur juste part quand les choses vont mieux, par le dialogue » a-t-il dit. Le régime obligatoire de la participation et le régime facultatif de l’intéressement pourraient donc être revus pour aboutir à un partage des profits plus favorable aux salariés.</p>
<h2>Intérêt des associés ou intérêt général ?</h2>
<p>Il semble qu’une seconde voie, différente de la première, ait également été évoquée par le Président lorsqu’il a posé la question : « Qu’est-ce que l’entreprise ? ». Il n’a pas répondu directement à la question mais il est probable qu’il avait en tête l’<a href="http://bit.ly/2kTS4Ed">article 1833 du code civil</a> qui stipule que « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés ».</p>
<p>Dans le projet de <a href="http://bit.ly/29oHrQs">loi sur la croissance et l’activité</a> qu’il avait porté en tant que ministre en 2015 figurait déjà l’idée de faire suivre cette définition par :</p>
<blockquote>
<p>« Elle doit être gérée au mieux de son intérêt supérieur, dans le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental. »</p>
</blockquote>
<p>Cette disposition n’a finalement pas été retenue mais c’est bien elle qui porte en germe la réponse à la question posée sur la nature de l’entreprise.</p>
<h2>Intérêts légitimes de toutes les parties prenantes</h2>
<p>Dans la définition actuelle, il est difficile de considérer que l’entreprise serve d’autres intérêts que ceux de ses associés et il y a donc une confusion certainement préjudiciable entre les intérêts de l’entreprise et ceux de ses propriétaires. Il est cependant de plus en plus évident que l’entreprise est au centre des attentes de différents groupes de parties prenantes et que nombre d’entre eux ont des intérêts légitimes à faire valoir. Cette théorie due initialement à E. Freeman (<a href="http://bit.ly/2x0VqXy">Edward, Freeman R. « Strategic Management : A stakeholder approach »</a>) a été largement entérinée par les textes et les pratiques relatives à la responsabilité sociale (ou sociétale) de l’entreprise. La <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/ISO_26000">norme ISO 26 000</a> qui est devenue la norme de référence en la matière entérine cette idée. En France les textes récents, par exemple la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/eli/loi/2017/3/27/2017-399/jo/texte">loi concernant le devoir de vigilance des sociétés</a> mères et donneuses d’ordre du mois de mars 2017 font déjà référence aux parties prenantes.</p>
<p>« Le respect de l’intérêt général économique, social et environnemental » devra certainement être précisé, notamment pour savoir quels acteurs peuvent l’incarner. On sait que le concept de « parties prenantes » a souvent été critiqué pour son imprécision. La définition séminale de Freeman (« tout groupe qui peut affecter ou être affecté par la réalisation des objectifs de l’entreprise ») est certainement trop vague pour servir de base à une définition officielle.</p>
<h2>Modifier l’article 1833 du code civil</h2>
<p>Mais l’enjeu est bien là, comment modifier la rédaction de l’article 1833 du code civil pour faire en sorte que les associés ne soient plus les seuls mentionnés et que la place de l’entreprise dans la société soit (enfin) redéfinie. L’enjeu est important puisqu’on imagine que les décisions des juges pourront s’appuyer sur cette nouvelle rédaction pour trouver des bases légales aux multiples engagements de l’entreprise dans le développement durable.</p>
<p>En posant la question : « Qu’est-ce que l’entreprise ? » le président Macron remet en chantier la réflexion que le Président Giscard d’Estaing avait entamée lorsqu’il était arrivé au pouvoir en 1974 et qui avait donné lieu à de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Reforme_de_l%27entreprise">nombreux projets de réforme</a> dont malheureusement très peu avait abouti. Espérons qu’il en ira différemment car l’entreprise de 2017 est certainement très différente de celle de 1974 et il est temps que le droit en prenne acte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85839/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacques Igalens ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En posant la question : « Qu’est-ce que l’entreprise ? » le président Macron remet en chantier la réflexion lancée en 1974. L’entreprise de 2017 est très différente ; le droit doit en prendre acte.Jacques Igalens, Professeur Sciences de Gestion, IAE Toulouse et CRM-CNRS, Université Toulouse 1 CapitoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/843042017-09-21T19:42:17Z2017-09-21T19:42:17ZEmmanuel Macron, plus corporatiste que la CGT ?<p>Aujourd’hui, on parle de <a href="http://www.linternaute.com/dictionnaire/fr/definition/corporatisme/">corporatisme</a> pour désigner celui qui défend ses intérêts sans tenir compte de l’intérêt général : par exemple, on reproche régulièrement à un syndicat comme la <a href="http://www.cgt.fr">CGT</a> de défendre des causes <a href="http://www.lopinion.fr/edition/politique/gilles-savary-macron-defi-confiance-peuple-133971">corporatistes</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/186652/original/file-20170919-22705-p1encn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/186652/original/file-20170919-22705-p1encn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/186652/original/file-20170919-22705-p1encn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/186652/original/file-20170919-22705-p1encn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/186652/original/file-20170919-22705-p1encn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/186652/original/file-20170919-22705-p1encn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/186652/original/file-20170919-22705-p1encn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/186652/original/file-20170919-22705-p1encn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">manifestations contre la loi Travail.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nicolas Tucat/AFP</span></span>
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<p>Pourtant, historiquement, le corporatisme n’est pas opposé à l’intérêt général. Il fait plutôt écho à la notion de corporation sous l’Ancien Régime. Pour le professeur de droit, <a href="https://www.puf.com/content/Vocabulaire_juridique_1">Gérard Cornu</a>, il s’agit de la « doctrine préconisant l’organisation systématique des professions en corporations ». Ces institutions organisaient le travail dans la société, ainsi chaque profession pouvait édicter ses propres règles tant qu’elles ne portaient pas atteinte aux lois du Royaume.</p>
<p>Ces institutions existaient aussi ailleurs qu’en France, par exemple dans le <a href="http://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2006-4-page-555.htm">Saint-Empire germanique</a>, et le modèle économique allemand privilégiant des accords par branche s’inscrit dans une certaine filiation avec cet héritage corporatiste.</p>
<h2>La « fin des corporations »</h2>
<p>À la Révolution, la <a href="http://www.cairn.info/revue-histoire-et-mesure-2016-1-page-123.htm">Loi le Chapelier</a> prétendait rompre avec cette tradition corporatiste et instaurer la libre concurrence. Dans cette vision à la fois libérale et jacobine, la force de la loi devait alors se substituer aux normes corporatives. Dans un second temps, les grandes codifications napoléoniennes ont permis de préserver cet esprit révolutionnaire à travers les <a href="https://www.napoleon.org/jeunes-historiens/napodoc/masses-de-granit-de-nouvelles-institutions-napoleoniennes/">« masses de granit »</a>. Ces grandes institutions, lois et codes bâtis sous le Consulat et l’Empire ont durablement marqué la société française et accru la centralisation de l’État.</p>
<p>Cette inspiration <a href="https://revdh.revues.org/741">légicentriste</a> n’apparaissait pas à l’époque en contradiction avec une « conception libérale » de l’organisation économique. D’ailleurs, le code civil est considéré alors comme dans l’intérêt des « bourgeois », c’est-à-dire des propriétaires.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/186651/original/file-20170919-22691-110etld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/186651/original/file-20170919-22691-110etld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/186651/original/file-20170919-22691-110etld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/186651/original/file-20170919-22691-110etld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/186651/original/file-20170919-22691-110etld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/186651/original/file-20170919-22691-110etld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/186651/original/file-20170919-22691-110etld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/186651/original/file-20170919-22691-110etld.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Code du travail.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fred Tanneau/AFP</span></span>
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<p>Certes, notre code du travail enrichi de <a href="http://www.la-croix.com/Economie/Economie-et-entreprises/Le-code-travail-A-Z-2017-06-26-1200858059">« toutes les luttes sociales »</a> n’a jamais eu la même réputation. Il n’en demeure pas moins un esprit jacobin en son sein : les lois qu’il rassemble ont souvent une vocation générale et, la plupart du temps, l’ambition d’être opposables à tous. Il n’en est pas de même pour un accord de branche ou un accord d’entreprise.</p>
<h2>Inversion de la hiérarchie des normes ?</h2>
<p><a href="http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2017/08/170831-dp_travail.pdf">Le projet de loi Pénicaud</a> est souvent présenté dans les médias comme préconisant une <a href="http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2017/07/11/20002-20170711ARTFIG00094-code-du-travail-la-hierarchie-des-normes-au-coeur-des-debats.php">« inversion de la hiérarchie des normes »</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/186645/original/file-20170919-22632-xorbd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/186645/original/file-20170919-22632-xorbd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/186645/original/file-20170919-22632-xorbd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/186645/original/file-20170919-22632-xorbd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/186645/original/file-20170919-22632-xorbd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/186645/original/file-20170919-22632-xorbd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/186645/original/file-20170919-22632-xorbd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/186645/original/file-20170919-22632-xorbd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Pyramide des normes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipédia</span></span>
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<p>Cette formule est fondamentalement inexacte puisque le gouvernement compte faire voter une nouvelle loi pour déroger à la législation actuelle et lui substituer des accords de branche ou parfois d’entreprise. À défaut, c’est la loi ancienne qui s’appliquera. Dès lors, on ne peut pas parler d’inversion de normes stricto sensu. Ces normes, issues de négociations collectives qu’on pourrait presque qualifier de « corporatives », garderont un fondement parfaitement légal.</p>
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<h2>Une réforme corporatiste</h2>
<p>Cette réforme est souvent décrite comme « libérale » ou à l’avantage du <a href="http://www.medef.com/fr/">Medef</a>, principal syndicat patronal. Néanmoins, elle ne fait que réaffirmer la pratique paritaire déjà en vigueur. En cela, elle s’inscrit davantage dans le modèle allemand plutôt qu’anglo-saxon. Elle est plus girondine que libérale.</p>
<p>D’ailleurs, un accord de branche peut se révéler tout aussi contraignant, voire plus que le code du travail. Si la loi Le Chapelier abolit le principe de corporations, c’est le Front Populaire qui, en 1936, instaura le principe de <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/030578286237-la-precieuse-petite-graine-cachee-dans-la-loi-travail-2115149.php">négociation branche par branche</a> pour obtenir davantage de droits sociaux en faveur des salariés.</p>
<p>Pour les opposants à la Loi Travail, derrière cette « substitution de normes » se cacherait une <a href="https://www.canal-u.tv/video/universite_de_bordeaux/accords_de_branche_et_accords_d_entreprise.33653">remise en cause latente des droits sociaux</a>. Ils estiment qu’à un niveau subsidiaire, il sera plus difficile de défendre leurs droits. Cette vision pessimiste est directement liée au <a href="http://www.francetvinfo.fr/societe/debats/societe-les-francais-sont-las-et-n-ont-plus-confiance-en-leurs-politiques_1278375.html">manque de confiance</a> des Français dans leurs représentants syndicaux. Les syndicats français, qui n’ont pas la même vitalité que leurs voisins d’outre-Rhin, pourront-ils vraiment répondre au nouveau rôle que leur confère cette loi ?</p>
<h2>Les limites à la « primauté de la branche »</h2>
<p><a href="http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/09/12/les-questions-que-vous-vous-posez-sur-la-reforme-du-code-du-travail_5184510_4355770.html">La nouvelle place conférée aux accords de branche</a> reste toutefois très encadrée par la loi, et entrouvre la porte à plus d’accords d’entreprise. D’ailleurs, certains observateurs à contre-courant, comme <a href="http://www.liberation.fr/desintox/2017/09/07/non-le-role-de-la-branche-n-est-pas-preserve-par-la-reforme-penicaud_1594558">Emmanuel Dockès</a>, professeur en droit du travail à l’Université Paris-X-Nanterre, loin de constater une réaffirmation de la branche, s’inquiète pour son avenir :</p>
<blockquote>
<p>« La branche est puissamment affaiblie ; avant, les représentants dans les branches avaient une plénitude de négociation sur presque tous les champs du code du travail. En dehors de quelques exceptions, ce principe général disparaît. C’est une destruction de première importance de la force impérative de la branche. »</p>
</blockquote>
<p>On pourrait rétorquer que la branche se nourrit aussi de cette subsidiarité : si l’on considère comme positif que chaque branche puisse se réglementer par des négociations paritaires plutôt que de tout régler par la loi, pourquoi ne pas poursuivre ce <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/030578286237-la-precieuse-petite-graine-cachee-dans-la-loi-travail-2115149.php">dialogue social</a> au sein même de l’entreprise ?</p>
<p>Ainsi, le <a href="https://www.lextenso.fr/droit-social-de-lunion-europeenne">principe de subsidiarité</a> qui anime la réforme Pénicaud, cette volonté de laisser les professionnels créer leurs propres normes, n’est pas sans rappeler les corporations de l’ancienne France. Destin paradoxal d’une vieille institution aujourd’hui plus moderne que jamais.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84304/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Aujourd’hui on emploie le mot corporatisme de façon négative, mais qui des défenseurs de la loi Pénicaud ou de ses opposants sont les vrais corporatistes ?Guillaume Bagard, Doctorant contractuel en Histoire du Droit, Université de LorraineJordan Poulet, Doctorant contractuel en Histoire du Droit, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.