tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/colombie-28860/articlesColombie – The Conversation2023-06-19T17:51:45Ztag:theconversation.com,2011:article/2079432023-06-19T17:51:45Z2023-06-19T17:51:45ZEnfants dans la jungle colombienne : comment ils ont utilisé les savoirs autochtones<p><a href="https://www.liberation.fr/international/amerique/bouteille-de-soda-boite-a-musique-et-aucune-blessure-les-premiers-details-sur-la-survie-des-enfants-dans-la-jungle-colombienne-20230612_3OP6GCID4RFRHH6CZULBS7THEY/">La découverte et le sauvetage de quatre jeunes enfants indigènes</a>, 40 jours après que l’avion dans lequel ils voyageaient se soit écrasé dans la forêt tropicale colombienne, ont été qualifiés par la presse internationale de <a href="https://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20230612-%C3%A0-la-une-miracle-dans-la-jungle-colombienne-quatre-enfants-perdus-retrouv%C3%A9s-vivants">« miracle dans la jungle »</a>. Toutefois, en tant qu’anthropologue <a href="https://www.academia.edu/100474974/Amazonian_visions_of_Visi%C3%B3n_Amazon%C3%ADa_Indigenous_Peoples_perspectives_on_a_forest_conservation_and_climate_programme_in_the_Colombian_Amazon">ayant mené des recherches ethnographiques sur le terrain</a> pendant plus d’un an parmi les Andoke de la région, je ne peux me contenter de qualifier cet événement de miraculeux. </p>
<p>En tout état de cause, il ne s’agit pas d’un miracle au sens classique du terme. Si ces enfants ont survécu plus d’un mois durant dans un environnement si hostile, c’est plutôt grâce à leur connaissance de la forêt et à leur capacité d’adaptation transmises de génération en génération par les populations indigènes. </p>
<h2>Des apprentissages fondamentaux dès le plus jeune âge</h2>
<p>Tout au long des opérations de recherche, j’étais en contact avec Raquel Andoque, une ancienne <em>maloquera</em> (propriétaire d’une maison longue cérémonielle) et sœur de l’arrière-grand-mère des enfants. Elle a exprimé à plusieurs reprises sa conviction inébranlable que les enfants seraient retrouvés vivants, insistant sur l’autonomie, l’intelligence et la résistance physique propres aux enfants de la région. </p>
<p>Avant même d’entrer à l’école primaire, les enfants de cette région accompagnent leurs parents et leurs aînés dans diverses activités telles que le jardinage, la pêche, la navigation sur les rivières, la chasse et la récolte de miel et de fruits sauvages. Les enfants acquièrent ainsi des compétences et des connaissances pratiques, comme celles dont ont fait preuve Lesly, Soleiny, Tien et Cristin au cours de leur périple de 40 jours. </p>
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<p>Les enfants indigènes apprennent généralement dès leur plus jeune âge à ouvrir des chemins dans une végétation dense et à distinguer les fruits comestibles de ceux qui ne le sont pas. Ils savent comment trouver de l’eau potable, construire des abris contre la pluie et poser des pièges à animaux. Ils peuvent identifier les empreintes et les odeurs des animaux et éviter les prédateurs tels que les jaguars et les serpents qui rôdent dans les bois.</p>
<p>Les enfants d’Amazonie n’ont généralement pas accès aux jouets et jeux industriels avec lesquels les enfants des villes grandissent. Ils deviennent donc d’habiles grimpeurs d’arbres et s’adonnent à des jeux qui leur apprennent à utiliser des outils d’adultes fabriqués à partir de matériaux naturels, tels que des rames ou des haches. Cela enrichit leur compréhension des activités physiques et les aide à apprendre quelles plantes servent à des fins spécifiques.</p>
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<img alt="Une jeune fille brandit un insecte tandis que sa famille travaille à côté" src="https://images.theconversation.com/files/532019/original/file-20230614-31-hrdd5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532019/original/file-20230614-31-hrdd5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532019/original/file-20230614-31-hrdd5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532019/original/file-20230614-31-hrdd5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532019/original/file-20230614-31-hrdd5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532019/original/file-20230614-31-hrdd5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532019/original/file-20230614-31-hrdd5z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une jeune fille indigène ramasse des larves comestibles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Eliran Arazi</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Des activités dont la plupart des enfants occidentaux seraient privés – manipulation, écorchage et dépeçage du gibier, par exemple – permettent de tirer des leçons de zoologie inestimables et favorisent sans doute la résilience émotionnelle. </p>
<h2>Compétences de survie</h2>
<p>Lorsqu’ils accompagnent leurs parents et leurs proches dans la jungle, les enfants autochtones apprennent à s’orienter dans la végétation dense d’une forêt en suivant l’emplacement du soleil dans le ciel. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Carte de la région du Moyen Caqueta en Colombie" src="https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=551&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=551&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=551&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=692&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=692&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532012/original/file-20230614-29-ii5s0u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=692&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte indiquant la région du Moyen Caqueta, d’où sont originaires les quatre enfants.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gadiel Levi</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Comme les grands fleuves de la plupart des régions de l’Amazonie coulent dans une direction opposée à celle du soleil, les individus peuvent s’orienter à partir de ces fleuves. </p>
<p>Les traces de pas et les objets laissés par les quatre enfants révèlent qu’ils se sont dirigés vers la rivière Apaporis, où ils espéraient sans doute être repérés. </p>
<p>Les enfants auraient également appris de leurs parents et de leurs aînés où trouver les plantes et les fleurs comestibles. Une méthode consiste par exemple en l’étude des relations entre les plantes, de sorte que là où se trouve un certain arbre, on peut trouver des champignons ou de petits animaux qui peuvent être piégés et mangés. </p>
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<h2>Histoires, chansons et mythes</h2>
<p>Les savoirs contenus dans les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-marche-de-l-histoire/amazonie-le-chamanisme-et-la-pensee-de-la-foret-1211432">récits mythiques transmis par les parents et les grands-parents</a> constituent une autre ressource inestimable pour naviguer dans la forêt. Ces histoires décrivent les animaux comme des êtres à part entière, se livrant à la séduction et à la malice, assurant la subsistance ou même sauvant la vie de leurs congénères. </p>
<p>Si ces épisodes peuvent sembler incompréhensibles pour un public non autochtone, ils résument en réalité les relations complexes entre ces innombrables habitants de la forêt qui ne sont pas des êtres humains. Le savoir autochtone se concentre sur les relations entre les hommes, les plantes et les animaux et sur la manière dont ils peuvent s’unir pour préserver l’environnement et prévenir les dommages écologiques irréversibles. </p>
<p>Ce patrimoine de connaissances s’est développé au cours de millénaires durant lesquels les peuples autochtones se sont non seulement adaptés à leurs territoires forestiers mais les ont aussi activement façonnés. Il s’agit d’un savoir que les populations autochtones locales apprennent dès leur plus jeune âge, de sorte qu’il devient pour elles une seconde nature. </p>
<h2>Prendre soin les uns des autres</h2>
<p>L’un des aspects de cette histoire « miraculeuse » qui a émerveillé les Occidentaux est la façon dont, après la mort de la mère des enfants, Lesly, âgée de 13 ans, a réussi à s’occuper de ses jeunes frères et sœurs, y compris Cristin, qui n’avait que 11 mois au moment où l’avion s’est écrasé.</p>
<p>Mais dans les familles indigènes, les sœurs aînées sont censées jouer le rôle de mères de substitution pour leurs jeunes parents dès leur plus jeune âge. Iris Andoke Macuna, une membre de la famille, m’a dit :</p>
<blockquote>
<p>« Pour certains Blancs [les personnes non indigènes], le fait que nous emmenions nos enfants travailler dans le jardin et que nous laissions les filles porter leurs frères et s’occuper d’eux n’est pas une bonne chose. Mais pour nous, c’est tout l’inverse : nos enfants sont indépendants, et c’est pourquoi Lesly a pu s’occuper de ses frères pendant tout ce temps. Cela l’a endurcie et elle a appris ce dont ses frères avaient besoin. » </p>
</blockquote>
<h2>Le côté spirituel</h2>
<p>Au cours de la disparition des enfants, les anciens et les chamans ont pratiqué des rituels basés sur des croyances traditionnelles qui impliquent des relations humaines avec des entités connues sous le nom de <em>dueños</em> (propriétaires) en espagnol et sous divers noms dans les langues indigènes (comme <em>i’bo ño̰e</em>, qui signifie « personnes de ces lieux » en andoquois). </p>
<p>Ces puissants propriétaires sont considérés comme les esprits protecteurs des plantes et des animaux qui vivent dans les forêts. Les enfants sont leur sont présentés lors de cérémonies d’attribution de noms, qui garantissent que ces esprits reconnaissent leur relation avec le territoire et leur droit d’y prospérer.</p>
<p>Pendant la recherche des enfants disparus, les anciens ont dialogué et négocié avec ces entités dans leurs maisons cérémonielles (<em>malocas</em>) dans tout le <a href="https://www.researchgate.net/figure/Middle-and-Lower-Caqueta-River-region-State-of-Amazonas-Colombia-Map-from_fig1_255580310">Caquetá moyen</a> et dans d’autres communautés indigènes qui considèrent que le site de l’accident fait partie de leur territoire ancestral. Raquel m’a expliqué :</p>
<blockquote>
<p>« Les chamans communiquent avec les sites sacrés. Ils offrent de la coca et du tabac aux esprits et disent : “Prends ça et rends-moi mes petits-enfants. Ils sont à moi, pas à toi”. »</p>
</blockquote>
<p>Ces croyances et pratiques ont une signification importante pour mes amis du Moyen Caqueta, qui croient fermement que la survie des enfants doit plus à ces processus spirituels qu’aux moyens technologiques employés par les équipes de secours de l’armée colombienne. </p>
<p>Il peut être difficile pour les non-autochtones d’adhérer à ces idées traditionnelles. Mais ces croyances auraient inculqué aux enfants la foi et la force émotionnelle indispensables pour persévérer dans la lutte pour la survie. Et elles auraient encouragé les autochtones qui les recherchaient à ne pas perdre espoir. </p>
<p>Les enfants savaient que leur destin n’était pas de mourir dans la forêt, et que leurs grands-parents et leurs chamans remueraient ciel et terre pour les ramener vivants à la maison.</p>
<p>Malheureusement, ce savoir traditionnel, qui a permis aux populations indigènes non seulement de survivre, mais aussi de prospérer en Amazonie depuis des millénaires, est menacé. L’empiètement croissant sur leurs terres par l’agro-industrie, l’exploitation minière et les activités illicites, ainsi que la négligence de l’État et ses interventions effectuées sans le consentement des populations ont rendu ces peuples vulnérables.</p>
<p>Cette situation met en péril les fondements mêmes de la vie où ces connaissances sont ancrées, les territoires qui leur servent de base, ainsi que les personnes elles-mêmes qui préservent, développent et transmettent ces connaissances.</p>
<p>Il est impératif de préserver ces connaissances inestimables et les compétences qui donnent vie aux miracles. Nous ne devons pas les laisser dépérir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207943/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eliran Arazi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les enfants indigènes assimilent dès leur plus jeune âge des techniques de survie dans la jungle amazonienne, un savoir transmis de génération en génération.Eliran Arazi, PhD researcher in Anthropology, Hebrew University of Jerusalem and the School for Advanced Studies in the Social Sciences (Paris)., Hebrew University of JerusalemLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1985272023-01-31T19:32:12Z2023-01-31T19:32:12ZFonds pour l’Amazonie : le retour d’une initiative enterrée il y a 10 ans<p>Le 23 janvier 2023, la nouvelle ministre brésilienne de l’Écologie Marina Da Silva a déclaré que la situation environnementale de son pays était « bien pire » que ce qu’elle imaginait et assuré que la lutte contre la déforestation serait en tête de ses priorités après quatre années dévastatrices pour l’Amazonie sous Jair Bolsonaro.</p>
<p>La première forêt tropicale est un symbole écologique mondial depuis des décennies, tant pour <a href="https://theconversation.com/des-yeux-et-des-oreilles-technologiques-pour-percer-les-secrets-de-la-biodiversite-amazonienne-191612">son exceptionnelle biodiversité</a> et sa contribution à la régulation du climat sud-américain, que pour son rôle dans l’atténuation du changement climatique. Cette contribution à l’atténuation est d’ailleurs conditionnée à ce que l’Amazonie ne devienne pas, risque identifié par les scientifiques, une savane, zone émettrice nette de carbone.</p>
<p>Et l’enjeu de sa préservation est de longue date considéré comme mondial – ce qui avait donné lieu en 2019 à un moment de <a href="https://theconversation.com/lamazonie-en-proie-aux-incendies-et-aux-calculs-politiques-122653">tension diplomatique entre Emmanuel Macron et Jair Bolsonaro</a>. Alors que le président français défendait la prise en compte de l’Amazonie comme <a href="https://theconversation.com/declarer-la-foret-amazonienne-bien-commun-de-lhumanite-une-idee-pas-si-neuve-127085">bien commun international</a>, celui qui était encore à la tête du Brésil lui opposait le principe de souveraineté.</p>
<p>Dans le cadre de la préparation de la conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, le président colombien Gustavo Petro a proposé d’aller plus loin, en créant un <a href="https://www.rfi.fr/es/m%C3%A1s-noticias/20221108-desde-la-cop27-petro-y-maduro-llaman-a-una-alianza-amaz%C3%B3nica-con-todo-por-hacer">fonds multilatéral pour financer la protection de l’Amazonie</a>. Il se fixe l’objectif de réunir 400 millions de dollars par an pendant 20 ans, la Colombie y contribuant pour moitié.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505718/original/file-20230122-28471-kntkja.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<h2>Ne pas opposer souveraineté et bien commun</h2>
<p>L’intérêt de cette formulation est qu’elle tente de dépasser cette opposition rigide entre bien commun et souveraineté. Les partisans de la notion de biens communs peuvent avoir pour eux tous les arguments légitimes sur la nécessité de la protection écologique de tel ou tel espace, le respect du principe de souveraineté reste la pierre angulaire du système international, et la gauche sud-américaine, marquée par les ingérences étatsuniennes, y est également attachée.</p>
<p>Dans le compromis proposé par Gustavo Petro, les modalités de protection des biens communs, ici l’Amazonie, doivent être principalement déterminées par les pays qui, souvent au Sud, les comptent sur leur territoire. C’est ce que nous pouvons appeler le multilatéralisme souverain.</p>
<p>Le Venezuela et le Brésil, désormais présidé par Lula Ignacio da Silva, se sont ralliés à l’initiative. <a href="https://expresso.pt/internacional/2023-01-02-Lula-da-Silva-e-Gustavo-Petro-discutem-um-grande-pacto-a-favor-da-Amazonia-7a80e61c">Lula et Petro ont ainsi déclaré vouloir élaborer</a> « un grand pacte pour sauver la forêt amazonienne au bénéfice de toute l’humanité ». <a href="https://www.infobae.com/america/agencias/2023/01/19/colombia-anuncia-en-davos-una-cumbre-de-paises-amazonicos-para-mayo/">Un sommet des pays amazoniens vient d’être annoncé à Davos pour mai 2023</a> afin de structurer la proposition diplomatique en cours de formation.</p>
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<img alt="forêt au bord du fleuve Amazonie" src="https://images.theconversation.com/files/506327/original/file-20230125-18-v1usc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/506327/original/file-20230125-18-v1usc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/506327/original/file-20230125-18-v1usc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/506327/original/file-20230125-18-v1usc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/506327/original/file-20230125-18-v1usc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/506327/original/file-20230125-18-v1usc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/506327/original/file-20230125-18-v1usc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Paysage d’Amazonie à l’ouest de Manaus, au Brésil.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Amazonie#/media/Fichier:Amazonie.jpg">LecomteB/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<h2>« Yasuní-ITT », le précédent équatorien</h2>
<p>Mais le président colombien n’est pas le premier à formuler une proposition en ce sens, ce que nous tenons à rappeler ici. L’idée d’un fonds abondé tous les ans pendant vingt ans est sans aucun doute inspirée de la proposition équatorienne avortée il y a dix ans, l’initiative Yasuní ITT. Les similitudes sont en effet nombreuses.</p>
<p>Issue des rangs de la gauche sud-américaine, sous le gouvernement de Rafael Correa, cette dernière suggérait aussi un fonds multilatéral pour compenser l’absence d’exploitation du pétrole sur une partie des zones d’exploitation du parc naturel et territoire indigène Yasuní. L’Équateur voulait également abonder le fonds pour moitié, car l’initiative était fondée sur la valorisation de la non-exploitation de pétrole : il s’agissait alors d’abonder pendant 13 ans un fonds à raison d’environ 540 millions de dollars par an. Cette valorisation de l’absence d’exploitation pétrolière était présentée par la diplomatie équatorienne comme nécessaire, afin de protéger l’Amazonie.</p>
<p>Le même esprit se retrouve dans le <a href="https://www.cancilleria.gov.co/newsroom/news/presidente-petro-aseguro-cop-27-egipto-enfrentar-crisisclimatica-solucion-mundo">discours de Gustavo Petro à la COP égyptienne</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il est temps de dévaloriser l’économie des hydrocarbures en s’appuyant sur des dates définies pour sa fin, et valoriser les branches de l’économie décarbonée. La solution est un monde sans pétrole et sans charbon ».</p>
</blockquote>
<h2>Des stratégies internationales différentes</h2>
<p>Dans un cas comme l’autre, ces diplomaties mettent en avant la <a href="https://www.cancilleria.gov.co/newsroom/news/presidente-petro-aseguro-cop-27-egipto-enfrentar-crisisclimatica-solucion-mundo">responsabilité des structures économiques capitalistes dans le désastre écologique actuel</a> : « la décarbonation est un changement réel et profond du système économique qui domine. C’est l’heure de l’humanité, et non des marchés ».</p>
<p>La différence substantielle se trouve dans la stratégie mise en place au niveau international. L’Équateur avait fait le choix osé de s’adresser d’emblée au monde entier en demandant que les pays du Nord et leurs entreprises transnationales soient les premiers à contribuer à la non-exploitation du pétrole en Amazonie. La stratégie de la Colombie semble être une fusée à deux étages : d’abord constituer une alliance multilatérale entre pays amazoniens, ensuite renforcer cette demande internationale.</p>
<p>Notons que la Colombie a d’ores et déjà acquis une forme de <em>leadership</em> régional à ce sujet, comme le suggère l’obtention par ce pays de 73,5 millions de dollars versés par la Banque internationale de développement <a href="https://www.semana.com/nacion/articulo/bid-anuncia-apoyo-de-73-millones-de-dolares-al-gobierno-de-gustavopetro-para-proteger-la-amazonia/202321/">pour la protection de l’Amazonie et la transition énergétique</a>.</p>
<h2>L’importance géopolitique de la proposition</h2>
<p>Dans le cadre d’une diplomatie multilatérale sur le climat et la biodiversité assez atone, compte tenu de l’immensité des enjeux posés par le changement climatique et la sixième extinction de masse des espèces, le mouvement opéré par la Colombie sur la scène internationale est à suivre de près.</p>
<p>Au niveau régional, l’Amérique du Sud peut présenter comme fer de lance d’une conception de la justice climatique que contenait déjà l’initiative équatorienne échouée en 2013. La France, qui compte parmi les territoires amazoniens, à partir de la Guyane française, aurait tout intérêt à participer de ce renouveau sud-américain de la diplomatie climatique.</p>
<p>En ce début d’année, la Norvège, <a href="https://www.rfi.fr/es/programas/grandes-reportajes-de-rfi/20221226-colombia-proponen-creaci%C3%B3n-deun-fondo-en-la-amazon%C3%ADa-para-proteger-los-bosques">qui avait suspendu le versement de 500 millions d’euros au Brésil</a> sous le mandat de Jair Bolsonaro, l’a rétabli, dans le cadre du fonds Amazonie brésilien. Le renforcement de la gauche sud-américaine donne l’occasion d’ouvrir une nouvelle page de la géopolitique du climat.</p>
<p>Avec la proposition colombienne de fonds multilatéral pour l’Amazonie renaît un principe offrant un contenu effectif à l’idée de justice climatique. Une telle démarche diplomatique est de nature à crédibiliser encore davantage les propositions émises en la matière depuis cette partie du globe. Souhaitons qu’elles soient entendues, discutées et prises au sérieux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198527/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Par honnêteté intellectuelle, je tiens à souligner que la renaissance de cette initiative m’a été signalée lors d’un colloque sur la souveraineté, tenu à l’IEP de Paris, par Pierre Charbonnier. </span></em></p>Le président colombien a relancé à l’occasion de la COP27 l’idée d’un fonds multilatéral pour l’Amazonie. Une idée prometteuse, qui revient de loin.Pierre-Yves Cadalen, Docteur en science politique - relations internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1857242022-06-23T20:21:00Z2022-06-23T20:21:00ZL’arrivée de la gauche au pouvoir en Colombie : la fin d’un tabou<p>Dimanche 19 juin était un jour d’élections. Si en France, le second tour des législatives a causé une secousse dans le paysage politique, en Colombie l’élection du nouveau président Gustavo Petro constitue un véritable tremblement de terre, annoncé toutefois par la <a href="https://static.nuso.org/media/articles/downloads/3502_1.pdf">progression de la gauche depuis une vingtaine d’années</a>.</p>
<p>Alors que la menace de violences politiques avait pesé sur toute la campagne (<a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/monde/presidentielle-en-colombie-le-spectre-de-l-assassinat-politique_2173484.html">cinq candidats à la présidence ont été assassinés depuis 1948 en Colombie</a>), Gustavo Petro, le candidat du parti Colombia Humana, candidat pour la troisième fois et qui avait été battu au second tour en 2018, a finalement été élu, accompagné de sa vice-présidente, la très populaire Francia Márquez, militante des droits humains et de l’environnement, féministe et surtout la première vice-présidente afrodescendante de ce pays.</p>
<h2>Une gauche longtemps déconsidérée</h2>
<p>L’Amérique latine a connu de <a href="https://www.cairn.info/la-gauche-en-amerique-latine-1998-2012%E2%80%939782724612707.htm">nombreux présidents de gauche aujourd’hui et par le passé</a>, mais la Colombie constituait jusqu’au 19 juin dernier un véritable bastion de la droite continentale, la gauche n’ayant jamais gouverné le pays.</p>
<p>Plusieurs éléments avaient contribué à la marginalisation et à la diabolisation de la gauche dans le pays. D’une part, le conflit armé qui se prolonge depuis bientôt soixante ans, et dont le <a href="https://www.amnesty.org/fr/location/americas/south-america/colombia/report-colombia/">nombre de victimes civiles, de disparus et de déplacés ne cesse d’augmenter</a>, avait contribué à associer la gauche aux mouvements insurgés, au premier rang desquels les <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2006-4-page-9.htm">Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC)</a>. Malgré les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/05/j-ai-assassine-des-innocents-en-colombie-des-militaires-se-reconnaissent-coupables-de-crimes-contre-l-humanite_6124805_3210.html">nombreuses exactions commises par l’armée officielle</a>, la rhétorique officielle a toujours fait peser sur les guérillas marxistes la responsabilité entière du conflit. Après la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/10/03/pourquoi-la-colombie-a-vote-non-a-l-accord-de-paix-avec-les-farc_5007519_3210.htm">courte victoire du non au référendum sur les accords de paix en octobre 2016</a>, de nouveaux accords remaniés ont été ratifiés fin 2016 par le Congrès. La <a href="https://www.france24.com/fr/20200926-quatre-ans-apr%C3%A8s-les-accords-de-paix-la-colombie-toujours-en-proie-%C3%A0-la-violence">situation n’est toutefois pas totalement stabilisée</a> : l’ancienne guérilla des FARC, mais aussi des observateurs internationaux dénoncent régulièrement les manquements aux accords de la part du gouvernement, tandis qu’un certain nombre de groupes armés continuent à opérer dans la clandestinité.</p>
<p>D’autre part, les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0094582X06296356">États-Unis ont longtemps accordé une attention particulière à la Colombie</a>. Dans le cadre de la guerre froide, Washington a massivement soutenu Bogota dans sa répression des groupes insurrectionnels et plus tard dans la <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1057/9781137450999_4">« Guerre contre la Drogue »</a>. En retour, la Colombie s’est positionnée comme un allié solide des États-Unis à l’international (notamment dans ses votes à l’ONU et en devenant <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_143936.htm">partenaire de l’OTAN</a>) et dans la région, en particulier en ce qui concerne l’isolement du Venezuela.</p>
<p><a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/billet-retour/20220218-venezuela-une-crise-sans-fin">L’évolution du Venezuela</a>, dirigé de 1999 à 2013 par Hugo Chavez et depuis 2013 par son successeur Nicolas Maduro, est l’élément le plus récent ayant contribué à faire de la gauche un véritable repoussoir dans la région. Pour la Colombie, qui partage avec le voisin bolivarien une frontière de plus de 2 000 km de long, traversée par d’innombrables trafics mais surtout par des flux migratoires sans précédent (la Colombie <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/colombie-terre-d-exil-pour-les-venezueliens-1290747">accueille</a> deux des cinq millions de Vénézuéliens éxilés), cette relation s’est traduite par des crises diplomatiques successives, jusqu’à la <a href="https://biblat.unam.mx/hevila/Nuevasociedad/2020/no287/1.pdf">rupture des relations diplomatiques et la fermeture de la frontière en 2019</a>.</p>
<h2>Les raisons de la victoire</h2>
<p>Dans ce contexte, comment expliquer cette victoire de la gauche ? D’une part, le contexte socioéconomique du pays est très marqué par une <a href="https://www.larepublica.co/economia/mas-de-21-millones-de-personas-viven-en-la-pobreza-y-7-4-millones-en-pobreza-extrema-3161813">recrudescence des inégalités</a> (la Colombie est aujourd’hui le pays le plus inégal du continent, lui-même le plus inégal du monde) et de la pauvreté.</p>
<p>Ainsi, la pandémie a <a href="https://www.courrierinternational.com/article/le-chiffre-du-jour-en-colombie-la-pandemie-fait-des-ravages-chez-les-classes-moyennes">entraîné un recul d’une décennie</a> en termes de lutte contre la pauvreté, avec 3,6 millions de nouveaux pauvres. Dans certains départements comme la Guajira ou le Chocó, c’est environ 65 % de la population qui vit sous le seuil de pauvreté. Ces régions ont massivement voté pour Petro, dont la promesse de mettre en place des politiques sociales universelles et, surtout, de gouverner pour tout le pays, et pas uniquement depuis et pour les grands centres urbains du centre de la Colombie, a séduit en priorité les zones côtières et périphériques.</p>
<p>Le mandat d’Iván Duque, président sortant élu en 2018, avait également été émaillé de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/ameriques/colombie-le-president-sous-pression-apres-une-semaine-de-manifestations_4613349.html">manifestations massives</a>, liées au mécontentement de la population quant aux politiques économiques, sociales et environnementales et au manque de volonté politique d’appliquer les accords de paix. Ces manifestations avaient été brutalement réprimées, <a href="https://elpais.com/internacional/2021-12-15/la-onu-responsabiliza-a-la-policia-de-al-menos-28-muertes-durante-las-protestas-de-este-ano-en-colombia.html">l’ONU parlant d’au moins 28 morts pour le seul mois de décembre 2021</a>. L’usage de la force de la part du gouvernement, la quasi-disparition de la guérilla avec les accords de paix, qui prive le camp de la droite de son épouvantail, l’incapacité de mettre fin aux assassinats de leaders sociaux et de militants environnementaux sont autant d’éléments qui ont fini de miner la crédibilité de la droite colombienne.</p>
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<figcaption><span class="caption">Colombie : une semaine de manifestations meurtrières, France24, 6 mai 2021.</span></figcaption>
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<p>Les accords de paix et la sortie progressive du conflit armé ont obligé les candidats à se positionner sur d’autres thèmes, économiques, sociaux en environnementaux, sur lesquels Petro et Márquez jouissaient d’un avantage face à la droite. Lors de son discours de victoire électorale, ses sympathisants scandaient ainsi « ¡No más guerra ! » (plus de guerre !), confirmant également que le camp de la droite, historiquement opposé aux accords de paix et traînant des pieds pour mettre en œuvre les <a href="https://www.justiceinfo.net/fr/77473-pourquoi-colombie-pionniere-justice-reparatrice.html">mesures de réparation</a>, n’a pu offrir aux Colombiens une transition convaincante vers la paix.</p>
<p>Gustavo Petro a donc été élu avec une participation historique, dans les provinces les plus touchées par la pauvreté et les plus périphériques, mais aussi massivement à Bogotá. La carte du vote en faveur de Petro rejoint ainsi presque parfaitement le vote du oui au référendum sur les accords de paix d’octobre 2016.</p>
<p>L’influence des Églises évangéliques sur la politique colombienne avait été largement <a href="https://www.lastampa.it/vatican-insider/en/2016/10/18/news/colombia-referendum-christians-reject-peace-agreement-1.34789808">commentée</a> au moment de ce référendum sur les accords de paix. Certaines méga-Églises (ces dénominations évangéliques dont l’assistance compte des milliers de fidèles) avaient en effet fait campagne en faveur du non, notamment en raison des <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/10/06/colombie-la-paix-les-farc-et-la-theorie-du-genre_5009083_3222.html">positions réelles ou supposées contenues dans le texte des accords sur la question du genre</a>.</p>
<p>Cependant, le plus ancien parti évangélique du continent, le Mouvement indépendant de rénovation absolue (<a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Independent_Movement_of_Absolute_Renovation">MIRA</a>), avait fait campagne pour le oui. Ainsi, le <a href="http://www.scielo.org.co/scielo.php?script=sci_arttext&pid=S0121-51672018000100241">caractère décisif de leur influence est loin d’être établi</a>. Les fidèles évangéliques ne suivent pas nécessairement en masse les instructions de leur pasteur sur les questions électorales, et celles-ci ne sont d’ailleurs pas forcément les mêmes d’une Église à une autre. Ainsi, les deux partis évangéliques étaient au premier tour divisés entre une candidature propre, obtenant à peine 1,29 % des votes (alors que le secteur représente environ 18 % de la population).</p>
<h2>Un ancien guérillero au pouvoir… comme dans plusieurs autres pays du continent</h2>
<p>Les adversaires de Petro ont bien tenté de le délégitimer pendant toute la campagne en insistant sur son <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-sud/colombie-gustavo-petro-ancien-guerillero-et-premier-president-de-gauche_2175583.html">passé de guérillero</a>, pourtant relativement limité et abandonné il y a plus de trente ans.</p>
<p>En se détournant de la voie des armes pour se lancer dans le combat politique électoral, Petro a rejoint un certain nombre d’autres personnalités majeures du continent, socialisés politiquement à une époque où la gauche n’existait que dans la clandestinité et qui, avec les transitions démocratiques, ont elles-mêmes opéré une <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2005-3-page-283.htm">transition vers la politique électorale et institutionnelle</a>. Avant d’accéder à la présidence, il avait élu député à trois reprises, maire de Bogotá à deux reprises et sénateur à deux reprises ; en étant élu à la tête de l’État, il intègre un group où l’on retrouve déjà des figures comme Pepe Mujica en Uruguay (2010-2015), Dilma Rousseff au Brésil (2011-2016), ou encore Salvador Sánchez Cerén au Salvador (2014-2019), tous venus de la gauche clandestine et armée avant de finir par diriger démocratiquement leur pays.</p>
<p>Les défis qui l’attendent sont majeurs : la lutte contre la pauvreté et les inégalités requièrent la mise en place de programmes sociaux ambitieux, et donc d’une importante réforme fiscale (la <a href="https://www.oecd.org/tax/tax-policy/brochure-estadisticas-tributarias-en-america-latina-y-el-caribe.pdf">fiscalité rapportée au PIB est de presque 15 points inférieure à la moyenne de l’OCDE</a>). La poursuite du processus de paix et l'amélioration de la protection des droits humains se heurteront à une opposition et des intérêts réticents ; mêmes problématiques en ce qui concerne tout comme la question persistante du <a href="https://www.reuters.com/world/americas/left-wing-colombian-candidate-plans-drug-war-shakeup-2022-05-26/">trafic de drogue</a>, le rétablissement des relations diplomatiques avec le voisin vénézuelien ou encore l’adaptation au changement climatique, aspect fondamental pour un <a href="https://www.geo.fr/environnement/rechauffement-climatique-la-colombie-a-perdu-18-de-ses-glaciers-en-7-ans-190531">pays qui y est particulièrement vulnérable</a>. </p>
<p>Gustavo Petro devra composer avec une <a href="https://ideas4development.org/la-colombie-en-pleine-tourmente-financiere/">dette qui a fortement augmenté</a> depuis la pandémie, un peso largement dévalué et la nécessité d’une réforme fiscale toujours délicate. En plus de ces difficultés économiques et budgétaires, Petro devra tenter d’appliquer son programme alors qu'il ne dispose pas de majorité claire au Congrès. Il faudra donc probablement modérer les réformes pour convaincre l’opposition - fragmentée et dénuée de leadership - de les voter. Les prochaines années constitueront probablement une jeu d’équilibriste difficile, entre des négociations obligées avec l’opposition et l’impératif de ne pas décevoir l’espoir de changement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185724/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claire Nevache a reçu des financements du Système National de Recherche (SNI) au Panama. Elle est membre du CEVIPOL (Université de Bruxelles) et du CIEPS (Panama). </span></em></p>Longtemps, la gauche colombienne, associée à la guérilla des FARC et au chavisme vénézuélien, est restée aux portes du pouvoir. L’élection à la présidence de Gustavo Petro ouvre une nouvelle ère.Claire Nevache, Doctorante en sciences politiques, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1645412021-07-21T16:34:16Z2021-07-21T16:34:16ZRépressions violentes en Colombie: le Canada doit clarifier sa position<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/412513/original/file-20210721-21-491o7t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=40%2C13%2C4500%2C2923&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des manifestants se heurtent à la police lors d’une manifestation contre le gouvernement à Cali, en Colombie, le mardi 20 juillet 2021, alors que le pays fête le jour de son indépendance.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP/Andres Gonzalez)</span></span></figcaption></figure><p>Le 7 juillet, la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) a publié un <a href="https://www.oas.org/en/iachr/jsForm/?File=/en/iachr/media_center/preleases/2021/167.asp">rapport détaillé</a> sur sa visite de trois jours en Colombie. Le même jour, le Président Iván Duque Márquez a rejeté les recommandations de la CIDH au motif que <a href="https://colombiareports.com/colombia-clashes-with-oas-over-damning-human-rights-report/">« personne ne peut recommander à un pays de tolérer des actes criminels »</a>.</p>
<p>Les forces de sécurité colombiennes ont commis de graves violations des droits de la personne, en réponse aux gigantesques rassemblements pacifiques organisés dans les villes principales du pays depuis le 28 avril. La grève nationale – connue sous le nom de <em>Paro Nacional</em> – a commencé en réaction au projet du gouvernement d’augmenter la taxe de vente de 5 à 19 % sur certains produits de base. Mais elle reflète aussi une <a href="https://www.crisisgroup.org/latin-america-caribbean/andes/colombia/90-pandemic-strikes-responding-colombias-mass-protests">frustration populaire</a> beaucoup plus vaste qui s’est manifestée à nouveau <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/21/en-colombie-des-milliers-de-manifestants-a-nouveau-dans-la-rue_6088968_3210.html">lors la Fête de l’indépendance</a>.</p>
<p>La troublante répression dont a été témoin la <a href="http://www.oas.org/en/iachr/mandate/composition.asp">CIDH</a> place le Canada à la croisée des chemins. Sa récente <a href="https://www.canada.ca/fr/affaires-mondiales/nouvelles/2021/07/le-ministre-garneau-sentretient-avec-la-vice-presidente-et-ministre-des-affaires-etrangeres-de-la-colombie.html">déclaration de préoccupation du 14 juillet</a> ne traite pas explicitement des abus commis par les forces de sécurité. Soutenir les recommandations de la CIDH clarifierait que toutes les sphères de la politique étrangère du Canada (commerce, développement, sécurité, etc.) exigent le respect des droits de la personne.</p>
<h2>Recours à la force au lieu du dialogue</h2>
<p>Depuis le début, l’administration Duque traite la grève nationale comme une question de sécurité plutôt que par le dialogue démocratique. Par exemple, la vice-présidente colombienne Marta Lucía Ramírez a récemment prétendu <a href="https://www.un.org/press/en/2021/sc14579.doc.htm">devant le Conseil de sécurité des Nations unies</a> que « Les décès survenus lors des manifestations – bien que regrettables – sont le résultat d’éléments marginaux qui se sont infiltrés dans les manifestations, parfois armées, pour commettre des actes de vandalisme. »</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/412456/original/file-20210721-27-13jkgci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C11%2C3982%2C2646&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/412456/original/file-20210721-27-13jkgci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/412456/original/file-20210721-27-13jkgci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/412456/original/file-20210721-27-13jkgci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/412456/original/file-20210721-27-13jkgci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/412456/original/file-20210721-27-13jkgci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/412456/original/file-20210721-27-13jkgci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des jeunes hommes jouent du tambour lors d'une manifestation contre les réformes du gouvernement, à Bogota, en Colombie, le 20 juillet 2021, jour de fête nationale.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP/Ivan Valencia)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pourtant, en date du 26 juin, <a href="https://www.temblores.org/comunicados">2 005 cas de détention arbitraire par la police ont été rapportés, 1 617 cas de brutalité policière, 82 blessures aux yeux, 73 homicides et 28 cas de violences sexuelles</a>. Des vidéos troublantes circulant sur les <a href="https://www.instagram.com/jahfrann/">réseaux sociaux</a> montrent la police tirant sur des manifestants, parfois accompagnée par des civils faisant de même.</p>
<p>Le 17 juillet, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association a exprimé <a href="https://twitter.com/cvoule/status/1416404427469099015">sa préoccupation</a> à l’endroit de l’immobilisation par la Police nationale d’autobus transportant des manifestants se rendant à Cali.</p>
<h2>Pression internationale</h2>
<p>Le 14 mai, la CIDH a <a href="http://www.oas.org/en/iachr/jsForm/?File=/en/iachr/media_center/preleases/2021/125.asp">demandé à la Colombie</a> l’autorisation d’effectuer une visite d’observation au pays. La demande a d’abord été rejetée, mais, cédant aux pressions nationales et internationales, l’administration Duque a finalement <a href="https://www.oas.org/es/CIDH/jsForm/?File=/es/cidh/prensa/comunicados/2021/143.asp">accepté une visite</a> qui s’est déroulée du 8 au 10 juin.</p>
<p>La CIDH a reçu plus de 300 soumissions et a rencontré plus de 500 personnes. Son rapport détaillé confirme que la gestion du <em>Paro Nacional</em> par la Colombie <a href="https://www.oas.org/es/cidh/informes/pdfs/ObservacionesVisita_CIDH_Colombia_SPA.pdf">« a été caractérisée par un usage excessif et disproportionné de la force, y compris, dans de nombreux cas, la force létale »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/face-aux-injustices-la-colombie-senflamme-et-letat-reprime-brutalement-160667">Face aux injustices, la Colombie s'enflamme et l'État réprime brutalement</a>
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<p>La CIDH a formulé 41 recommandations, notamment : 1) s’abstenir de stigmatiser ou d’inciter à la violence à l’encontre des manifestants, 2) s’abstenir d’interdire de manière générale l’utilisation de barrages routiers comme forme de manifestation, 3) fournir les informations techniques nécessaires pour traiter les plaintes contre les coupures d’Internet, 4) retirer la Police nationale et son Escadron mobile antiémeute (ESMAD) du ministère de la Défense, et 5) établir une commission spéciale pour localiser les personnes disparues.</p>
<p>Fait intéressant, la CIDH a également annoncé la création d’un <a href="https://www.oas.org/en/iachr/activities/follow-up/special-mechanisms.asp">mécanisme spécial de suivi</a> de ses propres recommandations, similaire à ceux établis au sujet du Venezuela et du Nicaragua.</p>
<h2>Clarifier la position du Canada</h2>
<p>Dans sa déclaration initiale du 9 mai, le ministre des Affaires étrangères du Canada, Marc Garneau, s’est dit <a href="https://www.canada.ca/fr/affaires-mondiales/nouvelles/2021/05/le-canada-est-preoccupe-par-la-violence-persistante-en-colombie.html">préoccupé</a> par « l’usage disproportionné de la force par les forces de sécurité » ainsi que « les actes de vandalisme et les attaques dirigées contre des agents publics ».</p>
<p>Le fait qu’au moins deux policiers et un inspecteur de police soient décédés et que des centaines d’autres policiers aient été blessés ne donne pas lieu à des exceptions aux règles strictes de <a href="https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=27093&LangID=E">nécessité et de proportionnalité</a> qui s’appliquent à l’usage de la force contre des manifestants.</p>
<p>En comparaison avec la position ambivalente du Canada, des membres du Congrès américain ont <a href="https://mcgovern.house.gov/news/documentsingle.aspx?DocumentID=398720">appelé à la suspension des appuis à la police colombienne ainsi que des ventes d’armes à l’ESMAD</a>. Des élus italiens ont aussi <a href="https://twitter.com/HRI_ONG/status/1400191637641379846">demandé à la Cour pénale internationale de faire enquête</a>. La Chambre des lords <a href="https://hansard.parliament.uk/lords/2021-07-12/debates/9AAA9886-CD52-4D96-AF6B-B9C3F33D0461/ColombiaHumanRights">vient tout juste de débattre</a> de la conformité ou non des actions du gouvernement colombien avec les dispositions sur les droits de la personne de l’accord de libre-échange avec le Royaume-Uni.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1416795297972461569"}"></div></p>
<p>La confrontation de la CIDH par le Président Duque presse le Canada de clarifier que sa politique étrangère en Colombie priorise les droits de la personne. Fait positif : le compte-rendu de la rencontre du ministre Garneau avec la vice-présidente Ramírez le <a href="https://www.canada.ca/fr/affaires-mondiales/nouvelles/2021/07/le-ministre-garneau-sentretient-avec-la-vice-presidente-et-ministre-des-affaires-etrangeres-de-la-colombie.html">14 juillet</a> révèle que le Canada a réitéré « les préoccupations du Canada concernant la violence en Colombie […] dans le contexte des manifestations sociales » et appelé le gouvernement « à tenir quiconque a violé les droits de la personne responsable de ses actes. »</p>
<p>Toutefois, le manque de référence directe aux violations attribuables aux forces de sécurité et aux recommandations de la CIDH de même que l’annonce d’un « nouveau financement de plus de 3 millions de dollars » pour des opérations de paix risque de légitimer l’approche de l’administration Duque.</p>
<h2>Trois pistes d’actions prioritaires</h2>
<p>En tant que chercheurs spécialisés en droits de la personne et ayant un intérêt particulier pour la Colombie, nous identifions trois pistes d’action prioritaires.</p>
<p>Premièrement, le Canada <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2021/07/colombia-las-autoridades-deben-cumplir-con-las-recomendaciones-de-la-cidh-relativas-a-las-violaciones-de-derechos-humanos-denunciadas-en-el-contexto-del-paro-nacional/">devrait publiquement appuyer les recommandations de la CIDH à la Colombie</a> et les efforts à venir de son mécanisme de suivi. Le Canada devrait avertir l’administration Duque que la poursuite de relations normales entre les deux pays est conditionnelle à l’acceptation de ces recommandations.</p>
<p>Le Canada vient tout juste d’imposer de <a href="https://www.international.gc.ca/world-monde/international_relations-relations_internationales/sanctions/nicaragua.aspx?lang=fra">nouvelles sanctions</a> contre le Nicaragua et a joué un rôle actif en tant que membre du <a href="https://www.international.gc.ca/world-monde/international_relations-relations_internationales/latin_america-amerique_latine/2021-01-05-lima_group-groupe_lima.aspx?lang=fra">Groupe de Lima sur la crise vénézuélienne</a>. Il a donc des antécédents de leadership en matière de droits de la personne dans les Amériques sur lesquels s’appuyer.</p>
<p>La deuxième priorité concerne la coopération du Canada avec la police et l’armée colombiennes. À la suite de son soutien à l’accord de paix de 2016, le <a href="https://www.canada.ca/fr/affaires-mondiales/nouvelles/2017/10/le_canada_apportesonsoutienalacolombie.html">Canada avait déjà investi 297 000 $</a> pour aider à transformer l’armée colombienne en une force professionnelle en temps de paix et déployé des policiers en Colombie à des fins de formation.</p>
<p>De plus, <a href="https://pbicanada.org/2021/05/19/canada-should-conduct-a-human-rights-review-its-export-of-military-goods-to-the-colombian-police-and-army/">au moins trois ventes de véhicules blindés</a> par des entreprises canadiennes au gouvernement colombien ont eu lieu au cours de la dernière décennie. L’un des ces véhicules <a href="https://pbicanada.org/2021/07/18/international-mission-calls-on-colombia-to-guarantee-the-right-to-mobility-assembly-and-social-protest/">aurait été impliqué</a> dans l’incident du 17 juillet mentionné plus haut.</p>
<p>Étant donné la gravité des actes reprochés aux forces de sécurité colombiennes, le Canada devrait s’assurer que toute coopération et toute vente d’équipement soient conditionnelles à des réformes décisives, comme le démantèlement de l’Escadron mobile antiémeute (ESMAD) et le retrait de la police du ministère de la Défense.</p>
<p>La troisième priorité consiste à effectuer un examen approfondi des relations entre le commerce, l’investissement et les droits de la personne au sein de la politique étrangère canadienne. En 2019, les sociétés minières canadiennes <a href="https://www.rncan.gc.ca/cartes-outils-et-publications/publications/publications-rapports-mines-materiaux/actifs-miniers-canadiens/actifs-miniers-canadiens-amc-selon-le-pays-et-la-region-2018-et-2019/15407?_ga=2.136844528.1112918262.1626318920-1770555787.1622691641">détenaient 1, 4 milliards de dollars d’actifs en Colombie</a>, en faisant une importante source de richesse pour notre pays.</p>
<p>Malheureusement, l’exploitation minière en Colombie est également associée à <a href="https://doi.org/10.1016/j.jclepro.2018.07.142">« des niveaux élevés de pauvreté, d’illégalité et de violence »</a> pour les communautés locales. Un rapport sur les violations des droits de la personne commises dans six projets miniers canadiens en Colombie a observé <a href="http://www.dplf.org/sites/default/files/report_canadian_mining_executive_summary.pdf">« l’impunité des auteurs et un manque d’accès à la justice à tous les niveaux pour les victimes »</a>.</p>
<p>Pour s’assurer que les entreprises canadiennes ne contribuent pas à de futures crises des droits de la personne en fragilisant l’état de droit en Colombie et dans d’autres pays en conflit, le Canada devrait <a href="https://doi.org/10.1017/bhj.2019.26">remédier aux lacunes</a> de son <a href="https://core-ombuds.canada.ca/core_ombuds-ocre_ombuds/index.aspx?lang=fra">Ombudsman de la responsabilité des entreprises</a> et offrir aux communautés locales un recours effectif au Canada contre les entreprises canadiennes dont les actions atteignent aux droits de la personne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/164541/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christopher Campbell-Duruflé a reçu du financement de recherche doctorale de la part du gouvernement du Canada, du gouvernement de l'Ontario et de la Fondation Pierre Elliott Trudeau. Il a travaillé pour Avocats sans frontières Canada en Colombie en 2012 et pour la Commission interaméricaine des droits de l'Homme en 2013-2014.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Leila Celis est membre du Projet accompagnement solidarité Colombie (PASC)</span></em></p>Le jour de l’indépendance en Colombie a été marqué par d’autres manifestations réprimées violemment. Le Canada doit clarifier sa position sur ses actes de violation des droits de la personne.Christopher Campbell-Duruflé, Doctoral Candidate, Faculty of Law, University of TorontoLeila Celis, Professor, Sociology, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1606672021-05-14T13:05:15Z2021-05-14T13:05:15ZFace aux injustices, la Colombie s'enflamme et l'État réprime brutalement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/400602/original/file-20210513-13-dw6a58.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=33%2C6%2C4433%2C2768&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des manifestants se heurtent à la police lors d'une manifestation anti-gouvernementale à Bogota, en Colombie, mercredi 12 mai 2021. </span> <span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Fernando Vergara</span></span></figcaption></figure><p>« Je n’ai pas choisi de devenir professeur pour voir mes étudiants mourir. »</p>
<p>Cette phrase répétée par des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=AiO6mO04ujs">professeurs d’universités</a> durant les manifestations en cours en Colombie depuis le 28 avril, reflète toute la violence de la répression du gouvernement d’Iván Duque contre les opposants aux réformes fiscales.</p>
<p><a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1791500/colombie-manifestations-crise-analyse">Le gouvernement veut augmenter les taxes sur les biens de consommation et baisser les seuils d’imposition</a>, ce qui aurait des conséquences désastreuses sur les personnes déjà marginalisées économiquement.</p>
<p><a href="https://www.elespectador.com/colombia2020/pais/relatos-del-horror-las-torturas-que-habrian-sufrido-capturados-por-la-policia-en-el-paro-nacional/?outputType=amp">La majorité des victimes de la répression sont des jeunes et des étudiants</a>. Les informations diffusées sur les réseaux sociaux donnent froid dans le dos : <a href="https://twitter.com/HRI_ONG/status/1390896542207389696">1330 personnes blessées (1040 civils et 290 policiers)</a>, des disparitions forcées, des détentions arbitraires, des assassinats par les forces policières ainsi que des violences sexuelles.</p>
<p><a href="https://www.elespectador.com/colombia2020/pais/relatos-del-horror-las-torturas-que-habrian-sufrido-capturados-por-la-policia-en-el-paro-nacional/?outputType=amp">Un reportage de Laura Dulce</a>, une journaliste du quotidien colombien réputé <em>El Espectador</em>, fait état de tortures vécues dans les centres de détention par des personnes capturées lors des manifestations.</p>
<p>Devant la critique, tant locale qu’internationale, le gouvernement a <a href="https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/2021-05-07/colombie/le-gouvernement-denonce-une-campagne-de-stigmatisation-contre-la-police.php">voulu justifier les actes de répression</a> en arguant que les manifestations auraient été « infiltrées » par des groupes insurgés toujours actifs tels que la dissidence des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et l’Armée de libération nationale (ELN).</p>
<h2>Le symptôme d’un mal plus grand</h2>
<p>La porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies responsable du respect des droits humains, <a href="https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=27054&LangID=E">Marta Hurtado</a>, s’est opposée, le 4 mai dernier, à la répression étatique lors des manifestations meurtrières à Cali. Comment un État qui se dit l’une des plus vieilles « démocraties » d’Amérique latine peut-il réprimer sa population de manière aussi violente ?</p>
<p>En fait, la répression actuelle n’est que le symptôme d’un processus plus large de militarisation de l’État, endurci par plus de 50 ans de conflit armé interne impliquant une multitude d’acteurs : guérillas de gauche, groupes paramilitaires et cartels de drogue, entre autres.</p>
<p>La crise actuelle prend aussi ses racines dans les inégalités socio-économiques persistantes et accentuées par la pandémie de Covid-19. En Colombie, près de <a href="https://www.worldometers.info/coronavirus/country/colombia/">78 000 personnes</a> sont décédées, <a href="https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-56932013">500 000 commerces ont dû fermer leurs portes et 4,1 millions de personnes sont actuellement sans emploi</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/covid-19-en-colombie-recrudescence-des-violences-et-des-inegalites-135651">Covid-19 en Colombie : recrudescence des violences et des inégalités</a>
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<p>Selon le Département administratif national de statistiques (DANE), <a href="https://www.dane.gov.co/files/investigaciones/condiciones_vida/pobreza/2020/Comunicado-pobreza-monetaria_2020.pdf">42,5 % de la population est en condition de pauvreté, comparativement à 35,7 % en 2019</a>, 3,5 millions de Colombiens vivent sous le seuil de la pauvreté et 2,8 millions se sont ajoutés à la population en situation d’extrême pauvreté.</p>
<p>Nous avons suivi les événements des derniers jours de près, puisque nos recherches doctorales portent sur la participation politique des personnes ex-combattantes ayant fait partie de groupes insurgés (comme les FARC) ainsi que sur le rôle de la société civile dans les processus de construction de la paix en Colombie.</p>
<h2>Plusieurs causes réunies</h2>
<p>Les manifestations ont débuté en réponse aux réformes fiscales, mais elles dénoncent maintenant aussi la violence policière, la corruption, le retard dans la mise en œuvre de l’accord de paix, signé en 2016 avec la guérilla des FARC, et les inégalités sociales. Dans plusieurs villes comme Bogotá, Cali, Barranquilla et Bucaramanga, des milliers de personnes ont pris la rue. Des représentants autochtones se sont également joints aux manifestations en réclamant la <a href="https://www.semana.com/nacion/articulo/paro-nacional-movimientos-indigenas-piden-la-renuncia-del-presidente-ivan-duque/202137/">démission du président Duque</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des autobus remplis de manifestants circulent parmi la foule de marcheurs rassemblés dans les rue de Cali, en Colombie" src="https://images.theconversation.com/files/400614/original/file-20210513-23-19tfgew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/400614/original/file-20210513-23-19tfgew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/400614/original/file-20210513-23-19tfgew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/400614/original/file-20210513-23-19tfgew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/400614/original/file-20210513-23-19tfgew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/400614/original/file-20210513-23-19tfgew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/400614/original/file-20210513-23-19tfgew.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des manifestants autochtones participent à une manifestation à Cali, en Colombie, le mercredi 12 mai 2021. Les Colombiens sont descendus dans la rue pour contester les réformes fiscales du gouvernement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Andres Gonzalez</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les récentes manifestations s’inscrivent dans continuité de <a href="https://theconversation.com/la-colombie-en-ebullition-pourquoi-le-peuple-est-il-en-colere-127400">celles qui ont eu lieu à la fin de 2019 et début 2020</a> et qui ont été interrompues en raison de la pandémie. Le confinement lié à la Covid-19 a joué un double rôle : il a contribué à faire taire les manifestants et a mis en évidence les faiblesses institutionnelles. En effet, dans plusieurs régions, ce sont les <a href="https://www.e-ir.info/2020/06/10/opinion-covid-19-in-colombia-migration-armed-conflict-and-gendered-violence/">groupes armés – et non l’État – qui ont « appliqué » les mesures sanitaires</a>, souvent de façon violente.</p>
<p>C’est dans ce contexte difficile que le gouvernement Duque propose des mesures qui auraient augmenté le prix de certains biens de base affectant ainsi les populations les plus marginalisées. Le 2 mai 2021, le <a href="https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-56966451">président est revenu sur sa décision</a> et a demandé au Congrès de retirer le projet de loi (pour l’instant). Le ministre responsable de la réforme a également démissionné. La situation des droits de la personne en Colombie s’est néanmoins nettement dégradée dans les derniers jours.</p>
<h2>Un historique de répression</h2>
<p>La <a href="https://www.semana.com/nacion/articulo/atencion-informe-de-la-defensoria-del-pueblo-habla-de-24-muertos-y-89-desaparecidos-en-las-protestas/202131/"><em>Defensoria del Pueblo</em></a> (Bureau de l’ombudsman) rapporte que 24 personnes sont mortes et 89 sont portées disparues depuis le début des manifestations. Par contre, ces chiffres officiels ne rendent pas compte de ce qui se passe vraiment sur le terrain.</p>
<p>Les <a href="https://www.facebook.com/photo?fbid=10158003507737927&set=pcb.10158003509232927">ONG Temblores et Indepaz</a> rapportent 1876 actes de brutalité policière, 39 assassinats allégués commis par les forces de l’ordre, 12 cas de violence sexuelle et 28 victimes de lésions aux yeux. Human Rights Watch (HRW) a également dénoncé <a href="https://www.dw.com/es/hrw-polic%C3%ADa-lanza-proyectiles-desde-tanquetas-a-manifestantes-en-colombia/a-57455522">l’usage de véhicules blindés lançant des projectiles sur les personnes manifestantes</a>. Puis, les organisations de la société civile cherchent encore à identifier 548 personnes toujours portées disparues.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-la-colombie-utilise-la-xenophobie-comme-bouclier-politique-157476">Comment la Colombie utilise la xénophobie comme bouclier politique</a>
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<p>De son côté, le gouvernement a justifié l’usage de la force en disant que plusieurs commissariats de police locaux ont été pris d’assaut et brûlés dans les derniers jours. Or, cet argument de « vandalisme » occulte les revendications légitimes des manifestants et le bilan peu reluisant des forces de l’ordre. D’autant plus que <a href="https://www.bbc.com/mundo/noticias-america-latina-56910574">depuis sa création en 1999</a>, l’escouade anti-émeute (ESMAD) a fait l’objet de plus de 40 000 processus disciplinaires contre ses agents. Au fil du temps, cette organisation a été tenue responsable de multiples évictions, blessures aux yeux et assassinats.</p>
<h2>Un État complice</h2>
<p>L’historien <a href="https://www.cairn.info/revue-problemes-d-amerique-latine-2012-1-page-9.htm?contenu=resume">Daniel Pécaut</a> souligne qu’en Colombie, le conflit armé entre l’État, les guérillas et les groupes paramilitaires a entraîné une banalisation des pratiques d’atrocités. Celles-ci prennent plusieurs formes incluant les enlèvements, les déplacements forcés, les assassinats et massacres et ce, par divers acteurs armés. Or, dans le passé, l’État a souvent orchestré ou été complice de plusieurs actes contre la population civile.</p>
<p>Par exemple, le <a href="https://www.eltiempo.com/archivo/documento/CMS-8602081">scandale des « faux positifs » met en lumière certaines pratiques atroces au sein des forces armées</a>. Lors de la présidence d’Álvaro Uribe Vélez (de 2002 à 2010), les militaires recrutaient des jeunes provenant de milieux défavorisés sous de fausses promesses d’aide économique.</p>
<p>Ces jeunes étaient ensuite exécutés par les militaires et leurs corps étaient revêtus d’uniformes de la guérilla afin de faire passer leur assassinat comme des victoires sur le champ de bataille. La Juridiction spéciale pour la paix (JEP), le tribunal créé dans le sillon de l’accord de paix de 2016 avec la guérilla des FARC-EP, a établi à <a href="https://coljuristas.org/nuestro_quehacer/item.php?id=463">6402 le nombre de victimes des « faux positifs » depuis 2002</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1392691191045574657"}"></div></p>
<p>L’ordre de « réprimer par balles » a une longue histoire en Colombie. L’usage disproportionné de la violence est normalisé et justifié – non seulement par l’État, mais par de larges pans de la société. Néanmoins, dans le contexte de post-accord de paix avec les FARC, les violences auparavant « cachées par la guerre » sont maintenant plus apparentes.</p>
<h2>Une refonte est nécessaire</h2>
<p>L’organisation <a href="http://www.indepaz.org.co/wp-content/uploads/2021/04/Informe-Li%CC%81deres.pdf">Indepaz</a> rapporte 1090 assassinats de militants pour les droits de la personne depuis la signature des accords de paix avec les FARC en 2016 jusqu’en décembre 2020.</p>
<p>De même, entre le 1<sup>er</sup> janvier et le 30 avril 2021, <a href="http://www.indepaz.org.co/lideres-sociales-y-defensores-de-derechos-humanos-asesinados-en-2021/">57 activistes et 22 signataires</a> de l’accord de paix ont été tués. Durant la même période, <a href="http://www.indepaz.org.co/informe-de-masacres-en-colombia-durante-el-2020-2021/">35 massacres ont été commis</a>, par divers groupes armés, dont des groupes paramilitaires ayant une longue histoire de collusion avec les forces de l’ordre.</p>
<p>Les manifestations actuelles révèlent un mécontentement amplifié par le conflit armé, la <a href="http://opiniojuris.org/2021/01/15/an-intersectional-approach-to-colombian-transitional-justice-and-covid-19/">crise humanitaire causée par la pandémie, et par les migrations massives des populations vénézuéliennes</a>. La répression de l’État témoigne d’un resserrement de l’accès à l’espace public alarmant en Colombie. L’idée même de la démilitarisation de la police semble bien éloignée ; pourtant, les manifestations persistent. Conduiront-elles à une refonte nécessaire de l’État ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160667/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les recherches doctorales de Priscyll Anctil Avoine ont été financées par les bourses d'études supérieures du Canada Vanier. Elle est membre de la Fundación Lüvo, une ONG colombo-canadienne.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Les recherches doctorales de Simon Pierre Boulanger Martel sont financées par une bourse d'études supérieures Joseph-Armand-Bombardier du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) du Canada. </span></em></p>Les manifestations révèlent un mécontentement social amplifié par le conflit armé toujours en cours, la crise humanitaire occasionnée par la pandémie et par les migrations massives des Vénézuéliens.Priscyll Anctil Avoine, Candidate au doctorat en science politique - spécialiste en études féministes de sécurité, Université du Québec à Montréal (UQAM)Simon Pierre Boulanger Martel, Candidat au doctorat en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1574762021-04-07T17:04:55Z2021-04-07T17:04:55ZComment la Colombie utilise la xénophobie comme bouclier politique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/391506/original/file-20210324-21-8p9xd8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C4%2C3106%2C2069&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La mairesse de Bogotá, Claudia López, que l'on voit ici lors de sa cérémonie d'investiture le 1er janvier 2020, a alimenté les discours haineux envers les migrants vénézuéliens par ses déclarations récentes. </span> <span class="attribution"><span class="source">Photo AP/Ivan Valencia</span></span></figcaption></figure><p>En Colombie, la xénophobie contre les ressortissants du Venezuela a atteint des proportions sans précédent dans les dernières semaines. Le 10 mars, <a href="https://www.eltiempo.com/bogota/policia-muerto-en-bogota-revelan-video-del-asesinato-de-edwin-caro-572692">un policier a été assassiné dans la capitale du pays</a>, Bogotá. Mais ce que la presse ainsi que les politiciens et politiciennes en ont retenu, c’est la nationalité de celui qui a commis le crime : un Vénézuélien. </p>
<p>Les propos de la mairesse de Bogotá, Claudia López, n’ont pas manqué de susciter de vives critiques. Elle a affirmé qu’une <a href="https://www.eltiempo.com/bogota/claudia-lopez-habla-sobre-delincuencia-venezolana-en-homenaje-a-patrullero-572606">« minorité de Vénézuéliens, violents, sont un facteur d’insécurité »</a>. Conséquemment, et en dépit <a href="https://www.eltiempo.com/bogota/claudia-lopez-se-disculpa-por-senalamientos-a-migrantes-venezolanos-574638">du fait qu’elle ait exprimé des excuses postérieures</a>, elle a légitimé et alimenté les discours haineux déjà forts présents dans la société colombienne.</p>
<p>En Colombie comme ailleurs, l’utilisation des minorités comme bouclier politique afin de contrer les perceptions citoyennes sur la détérioration de l’efficacité gouvernementale est monnaie courante. La situation migratoire entre le Venezuela et la Colombie a servi la rhétorique populiste de la classe dirigeante colombienne, qui tente d’associer l’insécurité à la migration vénézuélienne, tandis que le pays continue de faire face à un <a href="http://opiniojuris.org/2021/01/15/an-intersectional-approach-to-colombian-transitional-justice-and-covid-19/">conflit armé interne, des déplacements forcés de population et des assassinats systématiques d’activistes des droits de la personne</a>.</p>
<p>Une fois de plus, la mairesse de Bogotá emploie un discours dangereux contre les personnes vénézuéliennes afin de masquer l’incapacité institutionnelle à résoudre les problèmes de sécurité dans la capitale colombienne.</p>
<p>Nos recherches portent sur les enjeux politiques entourant à la fois la situation du conflit armé colombien et la situation migratoire des populations vénézuéliennes, plus particulièrement depuis l’augmentation des mouvements de population depuis 2016. La complexité des manifestations de la violence et l’instrumentalisation politique de la crise migratoire nous amènent à faire une réflexion critique sur la montée des discours xénophobes en Colombie.</p>
<h2>La rhétorique de l’insécurité</h2>
<p>L’histoire commune forte et les migrations massives de part et d’autre entre le Venezuela et la Colombie n’ont pas empêché l’émergence des discours associant la migration à la menace « communiste » (castro-chavisme) et à l’équation directe faite entre migration et insécurité.</p>
<p>La population vénézuélienne en Colombie représente 3,6 % de la population totale. Cependant, en décembre 2020, les <a href="https://colombiacheck.com/chequeos/venezolanos-no-son-responsables-del-aumento-del-crimen-en-colombia">données du bureau du procureur général (fiscalía) montrent qu’un dossier judiciaire avait été ouvert pour seulement 0,4 % des personnes vénézuéliennes</a>, principalement pour des crimes reliés au trafic de drogue, au vol et, dans une moindre mesure, à des homicides. En termes absolus, cela signifie que plus de 96 % des crimes sont commis par des personnes de nationalité colombienne.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391265/original/file-20210323-22-1nj8fu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391265/original/file-20210323-22-1nj8fu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391265/original/file-20210323-22-1nj8fu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391265/original/file-20210323-22-1nj8fu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391265/original/file-20210323-22-1nj8fu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391265/original/file-20210323-22-1nj8fu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391265/original/file-20210323-22-1nj8fu4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La population vénézuélienne est aujourd’hui disséminée dans plus de 90 pays dans le monde. 80 % des Vénézuéliens qui ont quitté leur pays se trouvent en Amérique latine, dont plus de 1,7 million en Colombie. Cela représente 3.6 % de la population.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Luis Robayo/AFP</span></span>
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<p>Bogotá ne fait pas exception. Entre 2018 et 2020, les personnes vénézuéliennes arrêtées pour un crime ne représentaient que <a href="https://www.infobae.com/america/colombia/2021/03/12/11800-migrantes-venezolanos-fueron-capturados-entre-2018-y-2020-delinquiendo-en-bogota/">3,46 % du total</a>, et cela ne signifie pas qu’elles étaient coupables. La participation de personnes du Venezuela dans les structures criminelles et la formation de groupes binationaux est indéniable. Cependant, les chiffres ne soutiennent aucunement les affirmations de la mairesse de Bogotá. Il convient donc de réfléchir sur les vraies causes, profondes et structurelles, de l’insécurité à Bogotá et en Colombie.</p>
<p>En réalité, l’insécurité touche également les personnes migrantes du Venezuela. Des études montrent que le <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w27620/w27620.pdf">nombre de victimes de crimes violents d’origine vénézuélienne a augmenté</a>.</p>
<p>Les preuves empiriques et les avertissements du procureur général de la République montrent le double risque vécu par les personnes migrantes et réfugiées en tant que <a href="https://www.procuraduria.gov.co/iemp/media/file/ejecucion/Recomendaciones%20poblacio%CC%81n%20vulnerable%20y%20COVID-19%20IEMP.pdf">population vulnérable et victimes de violences</a>, en particulier les femmes, les enfants et les adolescent-es.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/covid-19-en-colombie-recrudescence-des-violences-et-des-inegalites-135651">Covid-19 en Colombie : recrudescence des violences et des inégalités</a>
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<p>À cela s’ajoute les graves <a href="https://oig.cepal.org/sites/default/files/mujeres_y_hombres_brechas_de_genero.pdf">inégalités de genre en Colombie</a> qui affectent considérablement les femmes et les jeunes filles du pays. <a href="https://www.profamilia.org.co/wp-content/uploads/2020/04/Desigualdades-en-salud-de-la-poblacion-migrante-y-refugiada-venezolana-en-Colombia-Como-manejar-la-respuesta-local-dentro-de-la-emergencia-humanitaria.pdf">Un récent rapport</a> a montré que les femmes et jeunes filles en situation de migration étaient exposées à de nombreuses insécurités, notamment l’exploitation sexuelle, la traite de personne et plusieurs violations à leurs droits sexuels et reproductifs.</p>
<p>L’arrivée massive de personnes migrantes du Venezuela opère donc dans un contexte complexe de mobilité humaine forcée en Colombie. En effet, plus de <a href="https://www.unidadvictimas.gov.co/es/registro-unico-de-victimas-ruv/37394">9 millions de personnes</a> sont victimes du conflit armé et, jusqu’à la fin de 2019, la <a href="https://news.un.org/es/story/2020/06/1476202">Colombie est restée le pays au monde avec le plus grand nombre de personnes déplacées</a> à l’intérieur du pays.</p>
<p>Par conséquent, même si la migration apporte son lot d’enjeux sociopolitiques, affirmer que les personnes migrantes sont un facteur déterminant des <a href="https://www.brookings.edu/wp-content/uploads/2020/09/migration-crime-latam-eng-final.pdf">niveaux de criminalité dans les villes colombiennes</a> ne tient pas la route. Les conséquences économiques de la <a href="https://www.procuraduria.gov.co/iemp/media/file/ejecucion/Recomendaciones%20poblacio%CC%81n%20vulnerable%20y%20COVID-19%20IEMP.pdf">pandémie, les multiples formes de violence armée et les hauts taux de précarité et d’inégalités sociales</a> constituent plutôt les véritables éléments qui favorisent l’insécurité. Par contre, politiquement, ce n’est pas commode pour la classe dirigeante de le reconnaître.</p>
<h2>Le renforcement des imaginaires xénophobes</h2>
<p>Même sans chiffres pour étayer ses affirmations, Claudia López renforce la construction d’imaginaires sociaux qui alimentent l’aporophobie – ou l’hostilité envers la pauvreté – et la xénophobie à travers un discours systématiquement discriminatoire et profondément populiste. </p>
<p>Cette stratégie lui permet de regagner la sympathie des citoyens et citoyennes qui subissent quotidiennement les assauts de sa politique sécuritaire infructueuse. C’est le cas de ses déclarations du 11 mars 2021, <a href="http://barometrodexenofobia.org/2021/03/11/comunicado-barometro-de-xenofobia-declaraciones-alcaldes/">qui ont augmenté de plus de 500 % les discours de haine envers les personnes provenant du Venezuela</a> dans les conversations numériques en Colombie.</p>
<p>Comment ces stratégies opèrent-elles pour détourner l’attention de la population colombienne de l’inefficacité gouvernementale ?</p>
<p>En effet, tout cela survient à un moment crucial de l’évolution de la politique migratoire en Colombie, en raison de la mise en œuvre prochaine du <a href="https://www.asuntoslegales.com.co/actualidad/presidente-duque-firmo-el-estatuto-de-proteccion-temporal-a-migrantes-venezolanos-3132859">Statut de protection temporaire des migrants vénézuéliens (ETPMV)</a> décrété le 1<sup>er</sup> mars dernier par le président Iván Duque.</p>
<p>Cette politique migratoire reconnaît la volonté des personnes migrantes du Venezuela de rester au pays et leur permet d’accéder à des mesures de protection, sous la condition qu’elles remplissent les exigences établies pour bénéficier d’un permis de protection temporaire. L’ETPMV devrait entraîner un changement substantiel dans l’égalisation des chances d’intégration socio-économique et d’accès aux droits fondamentaux pour la population vénézuélienne. En effet, la politique migratoire reconnaît la nécessité de régulariser le statut politique de cette population afin d’atténuer les vulnérabilités découlant de la migration qualifiée « d’irrégulière ».</p>
<p>Malheureusement, Claudia López a profité de l’occasion pour préciser sa position sur l’ETPMV, qu’elle critique comme des mesures qui « privilégient » uniquement les personnes vénézuéliennes et qui favorisent la « concurrence déloyale » pour l’accès à l’emploi, « portant atteinte » aux <a href="https://www.asuntoslegales.com.co/actualidad/los-colombianos-necesitamos-garantias-no-es-la-primera-vez-que-esto-ocurre-3137711">garanties constitutionnelles des colombiens et colombiennes</a>.</p>
<p>Une fois de plus, les <a href="https://www.dropbox.com/s/udld8y6oh58fq8r/Wages_Col_Immigration_LADP_2020.pdf">données empiriques réfutent ces affirmations</a>, puisqu’il n’y a aucune preuve d’impact négatif de la migration sur l’emploi formel. De fait, la population vénézuélienne en Colombie est principalement engagée dans des activités économiques informelles, gagnant des revenus inférieurs à la moyenne nationale.</p>
<p>Les femmes migrantes sont particulièrement touchées, <a href="https://migravenezuela.com/web/articulo/brechas-de-genero-de-los-migrantes-venezolanos-en-colombia/2514">recevant de moins bons revenus</a> et étant souvent responsables des enfants. </p>
<p>Ainsi, affirmer qu’un mécanisme de régularisation du statut encourage la concurrence déloyale fait partie intégrante du discours visant à promouvoir délibérément la discrimination contre la population vénézuélienne. D’autant plus qu'avec <a href="https://www.lapresse.ca/international/amerique-latine/2021-04-05/venezuela/deux-autres-soldats-tues-lors-de-combats-pres-de-la-colombie.php">les récents événements à la frontière</a>, les relations colombo-vénézuéliennes ne cessent de s’envenimer, avec plus de 5000 personnes forcées de se déplacer pour éviter les affrontements entre les forces armées vénézuéliennes et des groupes armés, notamment les dissidences des FARC-EP (Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple). </p>
<p>Claudia López a été élue sous un programme politique « progressiste ». Elle a voulu insuffler un vent de changement à la mairie de Bogotá en affirmant à la fois son identité de femme et lesbienne, tout en se positionnant fortement face au gouvernement d’Iván Duque et sa gestion lente des mesures sanitaires pour lutter contre la pandémie, <a href="https://www.colombia.com/actualidad/politica/claudia-lopez-culpa-situacion-coronavirus-bogota-gobierno-ivan-duque-272103">par exemple en menaçant de fermer l’aéroport El Dorado de Bogota</a>.</p>
<p>Or elle semble avoir ainsi oublié <a href="https://mspgh.unimelb.edu.au/news-and-events/beyond-sex-and-gender-analysis-an-intersectional-view-of-the-covid-19-pandemic-outbreak-and-response">l’analyse intersectionnelle en politique publique</a>. Une telle analyse permettrait de voir l’imbrication entre les différents vécus des personnes migrantes, qui vivent des situations d’insécurité croissante et de xénophobie dans plusieurs pays d’Amérique latine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157476/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les recherches doctorales de Priscyll Anctil Avoine ont été financées par les bourses d'études supérieures du Canada Vanier. Elle est membre de la Fondation Lüvo, une ONG colombo-canadienne.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mairene Tobón Ospino receives funding from Ministerio de Ciencia y Tecnología e Innovación. Project: Territorial dynamics of Venezuelan migration in Colombia.</span></em></p>En Colombie comme ailleurs, l’utilisation des minorités comme bouclier politique afin de contrer les perceptions citoyennes sur la détérioration de l’efficacité gouvernementale est monnaie courante.Priscyll Anctil Avoine, Candidate au doctorat en science politique - spécialiste en études féministes de sécurité, Université du Québec à Montréal (UQAM)Mairene Tobón Ospino, Postdoctoral assistant, Universidad de los Andes Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1416302020-07-22T19:05:20Z2020-07-22T19:05:20ZCovid-19, politique et religion : en Colombie, la laïcité malmenée par la pandémie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/348440/original/file-20200720-133010-1a8i72t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C10%2C1108%2C768&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au coeur de la pandémie, la rhétorique religieuse est largement utilisée par le gouvernement colombien pour susciter l’adhésion des croyants.</span> <span class="attribution"><span class="source">Luis Robayo / AFP</span></span></figcaption></figure><p>En décidant en 2012 d’entamer des négociations de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), l’ex-président Juan Manuel Santos a fait entrer le pays dans le XXIe siècle. Depuis soixante ans, le conflit opposant l’armée à cette guérilla d’origine communiste accaparait le débat public, ne laissant aucune place à des propositions politiques étrangères à la question de la défense nationale.</p>
<p>En 2016, les négociations aboutissent enfin à la signature des accords de paix à La Havane. L’organisation illégale la plus importante du pays décide de déposer les armes, après un demi-siècle d’une confrontation qui a fait des millions de déplacements forcés et de 220 000 morts – la plupart étant des civils, selon les statistiques <a href="http://www.centrodememoriahistorica.gov.co/descargas/informes2013/bastaYa/basta-ya-colombia-memorias-de-guerra-y-dignidad-2016.pdf">du rapport ¡Basta Ya !</a>.</p>
<p>La démobilisation d’environ 12 000 combattants a depuis pacifié beaucoup de régions dans le pays et le débat politique s’est métamorphosé. La participation de groupes politiques émergents est devenue plus visible. Des leaders communautaires, notamment dans les régions où le conflit a existé autrefois, ont finalement pu exprimer leurs réclamations. Bref, la guerre intérieure ne monopolise plus le débat politique.</p>
<p>Dans ce nouveau paysage, les liens entre religion et politique demeurent forts, comme l’ont révélé plusieurs épisodes au cours des dernières années, et plus encore la pandémie actuelle.</p>
<h2>Prêtres insurgés, guerres civiles et laïcité</h2>
<p>Depuis 1991, la Constitution du pays consacre la laïcité comme position officielle de l’État colombien face à la diversité religieuse de ses ressortissants.</p>
<p>Pour autant, l’ancienne alliance entre l’Église et l’État n’est pas encore définitivement dépassée. Au XIX<sup>e</sup> siècle, plusieurs guerres civiles ont été suscitées par des questions religieuses, et de la fin du XIX<sup>e</sup> siècle à 1930, l’archevêque de Bogotá devait donner son placet au candidat présidentiel du parti conservateur.</p>
<p>Pendant la période connue comme <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Violencia">La Violencia</a> (1946-1958), au cours de laquelle le pays a été déchiré par un conflit entre les deux partis traditionnels, des <a href="https://journals.openedition.org/assr/28233#xd_co_f=YTk3ZWJjMjMtZThjMC00MjcyLTk1MjYtMGI4NTQ3MGQ1MTk2%7E">prêtres sont devenus chefs de groupes d’insurgés</a> ou même inquisiteurs de la pensée libérale, considérée comme un péché.</p>
<p>À la fin du XX<sup>e</sup> siècle, les prélats se tournent davantage vers l’appareil social de l’Église (écoles, hôpitaux, banques alimentaires, assistance sociale) et s’engagent pour la réconciliation des Colombiens. L’Église catholique a aussi joué un rôle important comme intermédiaire dans les conflits, pour promouvoir le dialogue et intervenir dans la libération d’otages.</p>
<p>Depuis une vingtaine d’années, elle est pourtant concurrencée par l’émergence de nouveaux acteurs religieux dans le pays. Bien que la Colombie demeure majoritairement catholique (<a href="https://obsdemocracia.org/publicaciones/noticias/caracteristicas-y-actitudes-de-los-colombianos-seg/">73 % de la population en 2016</a>), les courants évangéliques et les nouveaux mouvements religieux (comme les pentecôtistes ou les témoins de Jéhovah) gagnent de plus en plus d’adeptes (16 % en 2016 selon la même étude).</p>
<p>Des partis politiques ont même été créés dans les rangs des mouvements pentecôtistes, et la visite des candidats politiques à leurs « mega-churches » fait désormais partie des parcours de campagne. Le soutien des pasteurs peut aider à compléter les voix manquantes pour une victoire électorale. Certaines décisions politiques restent largement influencées par des intérêts religieux.</p>
<h2>Le langage religieux instrumentalisé en politique</h2>
<p>Le 2 octobre 2016, les accords conclus entre l’État colombien et les FARC à La Havane sont rejetés par 50,2 % des électeurs lors d’un référendum. Sous l’impulsion de l’ex-président Alvaro Uribe (droite), les opposants ont réussi à rallier de nombreux catholiques et pentecôtistes, sous le faux motif que les accords prônaient une certaine <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/10/06/colombie-la-paix-les-farc-et-la-theorie-du-genre_5009083_3222.html">« idéologie de genre »</a> et que les écoles seraient des lieux d’endoctrinement en faveur de l’homosexualité et de la pornographie.</p>
<p>Le même Alvaro Uribe déclare <a href="https://twitter.com/AlvaroUribeVel/status/991305565258252288?s=20">sur Twitter</a> le 1<sup>er</sup> mai 2018 que son candidat pour l’élection présidentielle qui se tiendra le mois suivant, Iván Duque (qui sera effectivement élu), construira une « économie chrétienne, solidaire, unissant employeurs et employés, sans aucune haine de classes ». La phrase est utilisée à plusieurs reprises pour attaquer l’adversaire de Duque au second tour, Gustavo Petro (gauche), désigné par Uribe comme un socialiste héritier de Fidel Castro et de Hugo Chávez – le terme de « castro-chaviste » est créé pour l’occasion. L’adjectif « socialiste » est parfois remplacé par celui de « communiste », les deux étant utilisés de manière très floue. Ces catégories renforcent le discours politique de la droite colombienne, et soutiennent un programme idéologique qui fait de la religion une alliée dans le débat politique.</p>
<p>Les catégories de « castro-chaviste », « socialiste » et « communiste », utilisées indifféremment, visent à renforcer un discours anticommuniste qui, dans le cas colombien, s’appuie sur le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Secrets_de_F%C3%A1tima">message de Fatima</a> datant de 1917, dans lequel la Vierge Marie aurait dénoncé l’idéologie à l’origine de la révolution russe. Mettre sur le même plan le communisme soviétique et le prétendu communisme des opposants politiques en Colombie est une stratégie peu honnête du point de vue intellectuel, mais qui a son succès dans les urnes.</p>
<p>Par ailleurs, la fabrication de catégories économiques comme celle d’« économie chrétienne », ou d’étiquettes politiques comme « castro-chaviste » ou programme éducatif de « l’idéologie de genre » n’est pas suivie d’un approfondissement théorique sur un plan discursif. Ces éléments de langage ne servent qu’à disqualifier des opposants politiques de manière émotionnelle et non argumentée. Or le vote de beaucoup de citoyens est <a href="https://www.elcolombiano.com/colombia/acuerdos-de-gobierno-y-farc/entrevista-a-juan-carlos-velez-sobre-la-estrategia-de-la-campana-del-no-en-el-plebiscito-CE5116400">fondé sur la colère</a>, comme l’a révélé le référendum sur les accords de paix.</p>
<h2>La foi pour masquer l’incurie du gouvernement</h2>
<p>La pandémie du Covid-19 a permis de dévoiler certains aspects de cette instrumentalisation du langage religieux au service de la politique. En premier lieu, le confinement obligatoire pour réduire la contamination du virus n’a pas été respecté par les 47 % de travailleurs colombiens qui occupent des emplois informels. Faute de ressources, ils ont dû continuer à gagner leur vie, accélérant la propagation du virus <a href="http://www.rfi.fr/fr/am%C3%A9riques/20200502-en-colombie-le-confinement-frappe-durement-les-quartiers-populaires-bogota">dans leurs quartiers</a>.</p>
<p>Si cette forme d’emploi a chuté de dix points depuis dix ans <a href="https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---americas/---ro-lima/documents/publication/wcms_245615.pdf">selon l’Organisation internationale du travail (OIT)</a> et l’Institut de statistiques colombien <a href="https://www.dane.gov.co/index.php/estadisticas-por-tema/mercado-laboral/empleo-informal-y-seguridad-social">(DANE)</a>, la corruption de son côté n’a pas bougé dans la dernière décennie, et absorbe <a href="https://www.eltiempo.com/politica/gobierno/colombia-sigue-con-alta-percepcion-de-corrupcion-454500">selon Transparency International</a> 4 % du PIB. La crise sanitaire a également durement touché les prisons, suscitant des mutineries dans tout le pays et dévoilant que la fraternité chrétienne dont s’enorgueillit le gouvernement n’est pas réelle.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1261149383262982144"}"></div></p>
<p>Malgré la situation et l’impréparation manifeste de la présidence, des membres du gouvernement n’ont pas hésité à recourir à nouveau au langage religieux pour tenter de conjurer sinon la pandémie et ses conséquences, du moins l’animosité des Colombiens insatisfaits de la gestion de la crise : la maladie du Covid-19 a montré la précarité d’emploi de la moitié des travailleurs du pays, l’oubli de certaines régions du pays – comme l’Amazonie, frontalière du Brésil, dépourvue d’infrastructures adéquates –, la corruption dans la gestion des aides de l’État ou même les fréquents scandales d’écoutes illicites réalisées par des militaires, entre autres.</p>
<p>Pour le président et le vice-président, l’une des réponses a été de <a href="https://www.semana.com/opinion/articulo/duque-el-predicador-de-formula-religiosa-contra-el-covid-19-maria-jimena-duzan/671834">consacrer le pays</a> à Notre-Dame de Fatima, le 13 mai 2020, ou de prier Notre-Dame de Chiquinquirá, la patronne du pays. Bien qu’elles soulèvent des critiques de la part des opposants au gouvernement, ce genre d’initiatives, en jouant sur l’émotion, ravivent en même temps l’adhésion d’une partie de la population – plutôt pratiquante – à un gouvernement qui utilise la morale chrétienne comme outil électoral.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141630/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Juan Correa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Malgré la laïcité officielle de la Colombie, la classe politique continue d’instrumentaliser la religion à des fins électorales. La pandémie l’a encore plus dévoilé.Juan Correa, Doctorant en histoire moderne et contemporaine, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1376632020-05-10T21:44:17Z2020-05-10T21:44:17ZAmérique latine : une victoire dans la lente marche vers la légalisation de l’avortement<p>Deux ans après le premier mouvement massif en faveur de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), qui s’était traduit par un rejet de la légalisation par le Sénat, les Argentines ont enfin obtenu le droit à l'avortement. </p>
<p>Le projet de loi soutenu par le président Alberto Fernandez <a href="https://www.courrierinternational.com/article/droits-des-femmes-largentine-legalise-lavortement-au-terme-dune-longue-bataille">légalisant l'IVG</a> a été approuvé avec 38 voix contre 29 dans la Chambre Haute. Le texte autorise l’IVG pendant les quatorze premières semaines de grossesse.</p>
<p>Ce sont donc des cris de joie et de soulagement qui ont retenti cette nuit en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/12/30/l-argentine-legalise-enfin-l-ivg-le-reste-de-l-amerique-latine-a-la-traine_1809910">Argentine</a>. </p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/76xhgwCI0R0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le Congrès argentin adopte la loi légalisant l'avortement.</span></figcaption>
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<p>Cette victoire ne doit pas masquer pour autant la situation dans le reste de l’Amérique latine. Le sujet divise ces pays encore fortement empreints par le catholicisme et les femmes peinent toujours à faire valoir leurs droits. </p>
<h2>Des évolutions très lentes</h2>
<p>L’accès à l’avortement demeure à ce jour extrêmement inégal et légalement très restrictif. En 2017, il était ainsi totalement <a href="https://www.ined.fr/fichier/rte/41/population%202018-2/avortement_pop2018_2.pdf">interdit dans 6 pays</a> de la région (Haïti, Honduras, Nicaragua, République dominicaine, El Salvador et Suriname).</p>
<p>Il n’est totalement autorisé à la demande de la femme que dans quatre pays (Cuba, Porto Rico, Guyana et Uruguay), dans les territoires français d’outre-mer et depuis hier soir en Argentine. Les autres pays ne l’autorisent que dans des situations restrictives, c’est-à-dire pour protéger la vie de la mère (dans 10 pays) ou sa santé (seulement dans deux pays), et parfois en cas de malformation du fœtus, de viol ou d’inceste.</p>
<p>Le Mexique illustre bien l’hétérogénéité des règles en la matière, leur évolution et les discriminations d’accès qui existent. Dans ce pays fédéral, chacun des 32 États dispose d’une législation propre, définie par le code pénal. Dans l’ensemble du pays, l’avortement est en théorie autorisé en cas de viol mais, dans les faits, de nombreuses femmes se voient refuser l’accès à ce droit. Certains États mexicains l’autorisent par ailleurs pour préserver la vie et la santé de la femme ou en cas de malformation du fœtus.</p>
<p>Seuls deux États (celui de la <a href="https://elpais.com/internacional/2007/04/25/actualidad/1177452003_850215.html">ville de Mexico</a> et <a href="https://www.latimes.com/espanol/mexico/articulo/2019-09-25/en-uno-de-los-estados-mas-pobres-de-mexico-legalizan-el-aborto">l’État d’Oaxaca</a>) l’ont légalisé à la demande de la femme jusqu’à 12 semaines de grossesses. Une vingtaine d’autres ont au contraire ajouté récemment des clauses constitutionnelles protégeant le droit à la vie dès la conception, ce qui crée une confusion et une incertitude juridiques entre les dispositions de leur code pénal et leur Constitution.</p>
<p>Dans l’ensemble du sous-continent, les législations de l’avortement ont très peu évolué depuis les années 2000, et ce malgré des tentatives au Honduras, au Salvador ou en République dominicaine, à l'exception de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/30/en-argentine-un-vote-historique-en-faveur-de-l-avortement_6064817_3210.html">l'Argentine</a> où les femmes et le mouvement des foulards verts ont obtenu gain de cause.</p>
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<figcaption><span class="caption">L'Uruguay légalise l'avortement.</span></figcaption>
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<p>L’Uruguay, pays connu pour sa laïcité et ses avancées sociétales pionnières dans la région, a modifié sa loi pour autoriser l’avortement à la demande de la femme <a href="https://elpais.com/sociedad/2012/10/18/actualidad/1350515928_579435.html">jusqu’à 12 semaines de grossesse</a>. Les législations ont été assouplies en Colombie et à Sainte Lucie, où l’avortement n’est plus seulement possible pour sauver la vie de la femme, mais également pour des raisons de santé, et en cas de viol, inceste ou malformation du fœtus. </p>
<p>Au Chili, où l’avortement était totalement interdit de 1989 à 2017, il est <a href="https://www.minsal.cl/wp-content/uploads/2018/02/LEY_21030.pdf">désormais possible</a> pour préserver la vie de la mère, ainsi qu’en cas de viol et de malformation du fœtus. </p>
<p>Au Nicaragua, l’avortement thérapeutique a été <a href="https://www.elmundo.es/elmundosalud/2006/11/20/mujer/1164036226.html">totalement interdit en 2006</a>, alors qu’il y était auparavant légal pour des raisons médicales.</p>
<h2>Manque d'informations et fortes controverses</h2>
<p>Par ailleurs, à ces règles plus ou moins restrictives s’ajoutent d’autres obstacles auxquelles se heurtent bien souvent les femmes. Tout comme les personnels de santé, elles ne sont pas toujours bien informées des conditions de l’exercice de ce droit.</p>
<p>Elles peinent parfois à obtenir les autorisations nécessaires lorsqu’elles ont été violées ou revendiquent un avortement pour des raisons de santé. Le refus des personnels de santé reste également fréquent, certains invoquant leur droit à l’objection de conscience pour ne pas pratiquer cet acte jugé contraire à leur éthique professionnelle et à leur morale personnelle.</p>
<p>Enfin, la pression des autorités religieuses pèse lourdement sur ces femmes, leurs familles et les personnels de santé. Considérant l’avortement comme un crime, ils endurent parfois des menaces d’excommunication afin de les dissuader de pratiquer ou d’avoir une IVG.</p>
<p>Comme souvent, ces discriminations d’accès affectent plus particulièrement les jeunes femmes les moins instruites et les plus défavorisées, qui n’ont pas forcément accès à la contraception ni les ressources pour pratiquer un avortement dans un contexte d’illégalité.</p>
<p>En Amérique latine, la question de l’avortement demeure l’objet de débats et controverses virulents, <a href="https://www.ceped.org/IMG/pdf/realidades_y_falacias_lerner_guillaume_melgar.pdf">où s’affrontent des positions très polarisées</a>.</p>
<p>Les groupes favorables à la dépénalisation de l’avortement prônent le droit des femmes à disposer de leur corps, à choisir le moment de leur maternité et revendiquent un libre accès à l’avortement et à la contraception. Ce droit est considéré comme une question de justice sociale et un droit à la santé.</p>
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<figcaption><span class="caption">Salvador : En prison pour fausse couche ou IVG.</span></figcaption>
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<p>De l’autre côté, les groupes opposés à sa légalisation invoquent la défense d’un droit à la vie dès la conception et la protection du non-né, sans considération pour la liberté des femmes à poursuivre ou non une grossesse non désirée. Cette position, fortement influencée par les Églises (catholique et évangélique) et les pouvoirs conservateurs, cantonne la féminité à un rôle reproductif en valorisant la maternité au risque de perpétuer un modèle de société patriarcale.</p>
<h2>Avortements illégaux et conditions sanitaires</h2>
<p>Pourtant, interdire l’avortement n’a jamais empêché les femmes d’y recourir, comme on l’a constaté dans le monde entier : dans cette région, le taux d’avortement tourne autour de 44 pour 1 000 femmes entre 15 à 44 ans. Ce même taux est inférieur à 20 pour 1 000 dans les régions où il est légal, <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/27179755">comme en Europe de l’Ouest ou du Nord</a>.</p>
<p>Certaines femmes contournent les restrictions d’accès en migrant vers les pays ou les États aux lois plus permissives (par exemple les <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2006-1-page-19.htm?contenu=resume">pays des Caraïbes</a> ou le <a href="https://www.ceped.org/IMG/pdf/realidades_y_falacias_lerner_guillaume_melgar.pdf">Mexique</a>), quand d’autres avortent clandestinement, soit par elles-mêmes soit en recourant à des personnes non qualifiées, dans des conditions sanitaires inadéquates. Méthodes à base de plantes, produits chimiques dangereux pour la santé, médicaments inappropriés souvent surdosés… Ces pratiques employées pour interrompre la grossesse ne sont pas sans risque pour la santé de la mère. Alors qu’un avortement pratiqué dans un cadre légal n’est pas une procédure à risques.</p>
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<figcaption><span class="caption">Brésil, le tabou des avortements illégaux.</span></figcaption>
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<p>En Amérique latine, la méthode la plus répandue consiste à utiliser du misoprostol. Ce médicament utilisé à l’origine pour le traitement des ulcères gastriques est connu pour ses propriétés abortives. Dans les pays où l’interruption de grossesse est légale, il est prescrit seul ou en association avec une autre molécule (la mifepristone) <a href="https://www.who.int/reproductivehealth/publications/unsafe_abortion/9789241548434/fr/">pour les avortements médicamenteux</a>.</p>
<p>Son efficacité est reconnue lorsqu’il est employé avec la posologie correcte et à un terme approprié de la grossesse. Ce n’est pas toujours le cas lorsque les femmes se le procurent à travers des réseaux informels sans qu’on leur fournisse les informations adéquates. L’utilisation massive de ce médicament a toutefois réduit les risques sanitaires <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/28964589">associés aux avortements illégaux</a>.</p>
<h2>L’urgence de la dépénalisation</h2>
<p>La pénalisation a de fortes conséquences sur la vie, la santé et le statut juridique et social des individus impliqués. Sa pratique expose les femmes et les professionnels de santé qui les aident à de lourdes condamnations. Peines de prison, amendes ou obligation de réaliser des travaux d’intérêt public. Le personnel médical risque de son côté des suspensions d’activité.</p>
<p>À ces sanctions légales s’ajoutent souvent des discriminations et une forte stigmatisation sociale. Dans ce contexte, la dépénalisation apparaît comme la seule voie qui permettra d’éviter les risques associés aux avortements clandestins et, au-delà, de respecter les droits des femmes à préserver leur santé et de choisir leur sexualité et leur reproduction, à l'instar de l'Argentine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137663/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agnès Guillaume ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le droit à l’avortement a été approuvé en Argentine, une victoire pour des milliers de femmes. Il est pourtant loin d’être pleinement acquis en Amérique latine.Agnès Guillaume, Chercheuse, démographe spécialisée sur les questions de santé reproductive, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1367902020-04-21T16:32:11Z2020-04-21T16:32:11ZGuerres et coronavirus : les trêves en temps de crise ne suffisent pas à rétablir la paix<p>Alors que la pandémie de coronavirus se poursuit, <a href="https://www.un.org/press/en/2020/sgsm20018.doc.htm">l’ONU</a> appelle à un cessez-le-feu mondial afin de protéger les populations des zones de conflit.</p>
<p>Les groupes armés au <a href="https://www.crisisgroup.org/middle-east-north-africa/gulf-and-arabian-peninsula/yemen/coronavirus-ceasefire-offers-way-out-war-torn-yemen">Yémen</a> et en <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20200331-35000-syrians-return-to-idlib-following-ceasefire">Syrie</a> ont immédiatement donné leur accord. Pour eux, c’est une question de survie. Car dans ces pays ravagés par la guerre où les infrastructures sanitaires sont complètement détruites, l’arrivée du virus est particulièrement dangereuse.</p>
<p>Les hostilités ont également cessé dans des pays où les infrastructures et les perspectives sanitaires sont bien meilleures. Fin mars, la Nouvelle armée du peuple (NPA), la branche armée du Parti communiste aux Philippines, <a href="https://www.rappler.com/nation/255767-cpp-npa-declares-ceasefire-coronavirus-march-2020">a proposé un cessez-le-feu dans une guerre qui dure depuis 50 ans</a> pour permettre à l’ensemble de la population d’accéder aux tests et traitements. En Colombie, l’Armée de libération nationale (ELN), la plus ancienne guérilla active dans le pays, <a href="https://www.bbc.com/news/world-latin-america-52090169">a accepté un cessez-le-feu d’un mois</a> à compter du 1<sup>er</sup> avril.</p>
<p>Si la suspension des hostilités peut être un tremplin pour la paix, la résolution des conflits n’est pas aussi simple. <a href="https://global.oup.com/ushe/product/ripe-for-resolution-9780195059311?cc=fr&lang=en&">Des études montrent</a> que la paix repose sur un agencement complexe de facteurs. Bien que les <a href="https://www.who.int/hac/techguidance/hbp/cease_fires/en/">cessez-le-feu pour des raisons sanitaires</a> ne soient pas nouveaux (ils ont été utilisés lors de campagnes de vaccination contre la polio, par exemple), ils ne conduisent pas nécessairement à la paix.</p>
<p>Il est peu probable que les gouvernements signent des accords de paix en pleine crise sanitaire, étant donné qu’ils peuvent y voir l’occasion de fragiliser l’ennemi. Un choc extérieur tel que le coronavirus suspend le conflit mais n’en change nullement les structures sous-jacentes, telles que le contrôle des territoires, l’accès aux armes et aux sources de financement, et le soutien des diasporas.</p>
<p>Il importe donc de savoir si le coronavirus peut changer la dynamique du conflit de façon à ce que la paix devienne envisageable.</p>
<h2>L’exemple d’Aceh</h2>
<p>Le 26 décembre 2004, un tsunami frappait la côte d’Aceh, une petite province du nord-est de l’Indonésie, tuant <a href="https://www.eastwestcenter.org/publications/supporting-peace-aceh-development-agencies-and-international-involvement">plus de 150 000 personnes</a>, faisant des centaines de milliers de sans-abri et détruisant une grande partie des zones côtières. À l’époque, le gouvernement indonésien menait une campagne sanglante contre le Mouvement pour un Aceh libre (GAM) ; l’année précédente, l’armée indonésienne avait tué <a href="https://web.archive.org/web/20081028190213/http://www.kairoscanada.org/e/countries/indonesia/background.asp">quelque 2 000 personnes, principalement des civils</a>. Toute la région était soumise à la loi martiale et complètement coupée du monde.</p>
<p>Dans les jours qui ont suivi le tsunami, l’armée indonésienne a intensifié ses attaques contre les combattants du GAM à Aceh. <a href="https://www.asiabookroom.com/pages/books/160589/damien-kingsbury/peace-in-aceh-a-personal-account-of-the-helsinki-peace-process">Selon ses propres déclarations</a>, son offensive a fait plus de 220 morts.</p>
<h2>Reconnaissance internationale</h2>
<p>Le facteur principal dans le changement de stratégie du gouvernement indonésien n’a pas été le tsunami mais l’arrivée des médias étrangers, envoyés pour couvrir la catastrophe et rapidement suivis par la communauté internationale venue apporter son aide à la reconstruction de la province. Les projecteurs internationaux ont été braqués sur cette région jusque-là méconnue, et sur un conflit dont personne ne parlait.</p>
<p>Les organisations humanitaires et les Nations unies s’inquiétaient de la poursuite des combats car elle constituait un véritable obstacle <a href="https://www.asiabookroom.com/pages/books/160589/damien-kingsbury/peace-in-aceh-a-personal-account-of-the-helsinki-peace-process">à la mise en place des aides</a>. Le Mouvement pour un Aceh libre, quant à lui, <a href="https://reliefweb.int/report/indonesia/indonesia-aceh-rebels-want-peace-talks">appelait à un cessez-le-feu</a> et entamait des négociations en étant <a href="https://www.eastwestcenter.org/publications/supporting-peace-aceh-development-agencies-and-international-involvement">reconnu par la communauté internationale</a>, une condition sine qua non qu’il recherchait depuis deux ans pour entamer des pourparlers. En neuf mois, les différents camps sont parvenus à un accord de paix qui perdure aujourd’hui.</p>
<p>Ce n’est pas le tsunami lui-même mais les <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2014/dec/29/2004-indian-ocean-tsunami-how-aceh-recovered-and-sri-lanka-declined">conséquences de la catastrophe</a> qui ont rendu cette paix possible. L’arrivée de la communauté internationale a changé la dynamique du conflit, encourageant le gouvernement indonésien à légitimer le GAM et à négocier avec lui.</p>
<h2>Le problème de l’engagement</h2>
<p>Ce qui dissuade surtout les groupes rebelles de faire la paix, c’est l’incertitude quant à leur sécurité une fois le conflit terminé. Comme souvent dans ces situations, ils hésitent à rendre les armes car si le gouvernement renie ses engagements, ils seront incapables de se défendre. On appelle cela le <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691089317/committing-to-peace">problème d’engagement</a>. Les combattants ont du mal à croire aux promesses des autorités et sont donc extrêmement réticents à l’idée d’entamer des <a href="https://www.annualreviews.org/doi/abs/10.1146/annurev.polisci.10.101405.135301">négociations</a>.</p>
<p><a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0022002720909884">L’étude</a> que j’ai menée sur les amnisties accordées par les gouvernements durant un conflit a montré que les groupes rebelles redoutent par-dessus tout l’annulation des amnisties et le risque de poursuites. Des amnisties plus contraignantes, sous forme de loi, sont plus susceptibles d’aboutir à des accords réussis. Celle de 1999 en Algérie, par exemple, a été approuvée par référendum par 98 % de la population. Le caractère contraignant est l’expression de l’engagement gouvernemental envers le processus de paix.</p>
<p>Le problème de l’engagement explique pourquoi les groupes rebelles les mieux armés acceptent davantage de négocier. Parce qu’ils sont à même <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0022343313486281">d’employer les grands moyens</a> contre le gouvernement, ils retardent au maximum le moment de rendre les armes, dans l’hypothèse d’un échec à un stade ultérieur. En cas de nouvelle menace, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0022343313491587">ils sont ainsi en capacité</a> de se regrouper rapidement et de mobiliser combattants et financements.</p>
<p>Une menace telle que le coronavirus ne modifie pas en soi les forces des différents camps et n’aide pas un groupe déjà affaibli à exiger quoi que ce soit. Mais elle l’isole davantage et le rend, de fait, insignifiant. Face à l’impossibilité de combattre et à la contamination qui les rendrait vulnérables, certains groupes armés voient dans un cessez-le-feu un moyen de survivre.</p>
<h2>Maintien de la paix internationale</h2>
<p>Un important corpus de recherches a montré que les processus de paix sont plus efficaces lorsqu’ils se déroulent sous la <a href="https://www.prio.org/Publications/Publication/?x=11189">surveillance de représentants de la communauté internationale</a>, tels que les <a href="https://assets.cambridge.org/97805218/81388/frontmatter/9780521881388_frontmatter.pdf">Casques bleus</a> ou les <a href="https://econpapers.repec.org/article/blapstrev/v_3a12_3ay_3a2014_3ai_3a3_3ap21.htm">médiateurs internationaux</a>. Pour les groupes armés, leur présence garantit que la communauté internationale tiendra le gouvernement national responsable s’il trahit les termes de l’accord.</p>
<p>Bien que l’ONU fasse pression pour instaurer des cessez-le-feu partout dans le monde, il n’est pas certain que la communauté internationale ait actuellement la capacité de s’engager pleinement dans la mise en œuvre de nombreux processus de paix. Elle est souvent défaillante, même en des temps moins troublés, et sa priorité actuelle est de lutter contre le coronavirus. Par ailleurs, de nombreux pays se détournent des solutions internationales en <a href="https://theconversation.com/coronavirus-reveals-how-important-the-nation-is-to-our-daily-lives-135125">prenant des décisions nationales contre le coronavirus</a>, comme la fermeture des frontières et la sécurisation nationale du matériel indispensable pour lutter contre la pandémie.</p>
<p>Si la menace que représente le coronavirus peut conduire certains combattants et gouvernements à un revirement, elle ne suffira pas en l’absence des conditions essentielles à un retour à la paix : la volonté de négocier et la surveillance internationale.</p>
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<p><em>Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast ForWord</a>.</em>`</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Créé en 2007 pour accélérer les connaissances scientifiques et leur partage, le Axa Research Fund a apporté son soutien à environ 650 projets dans le monde conduits par des chercheurs de 55 pays. Pour en savoir plus, visiter le site <a href="https://www.axa-research.org/en">Axa Research Fund</a> ou suivre sur Twitter @AXAResearchFund.</em></p>
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136790/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lesley-Ann Daniels a reçu le soutien du Fonds Axa pour la Recherche.</span></em></p>Un choc externe tel que la pandémie de Covid-19 ne fait que mettre les conflits sur pause et offre peu d'espoir de solutions durables.Lesley-Ann Daniels, Research Fellow, Institut Barcelona Estudis InternacionalsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1356512020-04-17T17:23:04Z2020-04-17T17:23:04ZCovid-19 en Colombie : recrudescence des violences et des inégalités<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/328132/original/file-20200415-153302-1awdb00.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des voyageurs portant des masques pour se protéger de la propagation du coronavirus font la queue pour un bus qui les emmènera dans leur ville d'origine, devant le principal terminal de Bogota, le 24 mars. Le gouvernement impose des restrictions strictes sur les mouvements des citoyens.
</span> <span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Fernando Vergara</span></span></figcaption></figure><p>La crise internationale que nous traversons affecte de manière très différente la population mondiale, notamment <a href="https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/5122">« le Sud global et les secteurs les plus vulnérables en Occident »</a>, comme l’a souligné Noam Chomsky, en se référant aux <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/1536504212436479">déséquilibres de pouvoir</a> qui se manifestent entre les pays, mais également à l’intérieur de ceux-ci.</p>
<p>La Colombie ne fait pas exception : dans ce pays dévasté depuis près de 60 ans par un conflit armé interne et internationalisé, les inégalités sociales sont toujours aussi alarmantes et les <a href="https://nacla.org/news/2019/12/16/colombia-national-strike-duque">multiples revendications portées par les mobilisations sociales de 2019 n’ont vraisemblablement pas été entendues</a>.</p>
<p>En mars, alors que les mesures contre le Covid-19 étaient lentement mises en place dans le pays, 14 personnes militantes des droits de la personne ont été tuées. Le gouvernement d’Iván Duque a réagi de manière sommaire, offrant très peu de réponses aux enjeux économiques avec lesquels la majorité de sa population devra composer. <a href="http://www.laizquierdadiario.com/Protestas-en-Colombia-Duque-decreta-cuarentena-sin-medidas-sociales">Des manifestations ont d’ailleurs eu lieu</a> dans le centre de la capitale, mais aussi dans plusieurs prisons.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-colombie-en-ebullition-pourquoi-le-peuple-est-il-en-colere-127400">La Colombie en ébullition : pourquoi le peuple est-il en colère ?</a>
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<p>Ces dynamiques propres à la Colombie et à la manière dont son gouvernement a géré la crise changent la donne pour contrecarrer le virus. Au moment d’écrire cet article, <a href="https://www.elespectador.com/coronavirus/en-vivo-van-19-muertos-y-1161-casos-por-covid-19-en-colombia-articulo-906414">1 161 cas de Covid-19 ont été répertoriés en Colombie</a>, dont 19 décès. Le gouvernement Duque a été largement critiqué pour sa lenteur à prendre des mesures. Pourtant, comme le soulignent <a href="https://mspgh.unimelb.edu.au/news-and-events/beyond-sex-and-gender-analysis-an-intersectional-view-of-the-covid-19-pandemic-outbreak-and-response">Hankivsky et Kapilashrami</a>, respectivement chercheuses à l’Université de Melbourne et à l’Université Queen Mary of London, le leadership pour trouver des solutions à le Covid-19 passe inévitablement par la diversification des mesures et des décisions. Mais qu’en est-il des conséquences de ces mesures calquées sur celles de pays européens et nord-américains ?</p>
<p>Nos recherches portent sur les enjeux politiques entourant le post-accord de paix entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc-ep). Tout spécialement, nous sommes intéressées par les conséquences vécues par les différentes populations face aux violences politiques, aux problématiques migratoires liées à la crise vénézuélienne ainsi qu’à la réincorporation des ex-combattants : bref, un paysage sociopolitique radicalement changé par la pandémie actuelle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/327812/original/file-20200414-117553-13br88v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/327812/original/file-20200414-117553-13br88v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/327812/original/file-20200414-117553-13br88v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/327812/original/file-20200414-117553-13br88v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=353&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/327812/original/file-20200414-117553-13br88v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/327812/original/file-20200414-117553-13br88v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/327812/original/file-20200414-117553-13br88v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=443&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La police utilise un canon à eau pour nettoyer l’un des plus grands centres de distribution alimentaire d’Amérique latine, afin de contenir la propagation du nouveau coronavirus à Bogota, le 10 avril. Le centre sera fermé pendant quatre jours, le temps que les autorités le désinfectent.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Fernando Vergara</span></span>
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<h2>Des impacts disproportionnés pour les femmes</h2>
<p>De fait, les <a href="https://data2x.org/an-intersectional-approach-to-a-pandemic-gender-data-disaggregation-and-covid-19/">données</a> qui permettent d’élaborer les politiques de santé publique – souvent uniformisées au modèle occidental – ne sont pas neutres. En effet, les femmes, et plus particulièrement des femmes racisées et des classes moins privilégiées, sont affectées de façon disproportionnée. Selon un <a href="https://www2.unwomen.org/-/media/field%20office%20colombia/documentos/publicaciones/2020/01/covid19_onu_mujeres-colombia.pdf">rapport de l’ONU Femmes</a> en Amérique latine, les femmes représentent 74 % des personnes travaillant dans le secteur de la santé et le secteur social, bien qu’elles soient exclues des positions de leadership.</p>
<p>Selon le même rapport, seulement 53 % des femmes participent au marché du travail formel alors qu’elles sont surreprésentées dans l’économie informelle. Souvent, leur survie économique dépend de la division sexuelle du travail. Le confinement représente donc une immense entrave à leur vie quotidienne, notamment parce qu’elles sont très nombreuses à travailler dans des emplois domestiques et qu’elles étaient déjà très précarisées à la base.</p>
<p>Le confinement en Colombie, comme dans la plupart des pays, a entraîné une hausse des violences que vivent les femmes au sein de leur foyer. Le pays continue d’avoir un taux élevé de féminicides : 258 au 25 décembre 2019 selon l’organisme <a href="https://www.facebook.com/pg/FeminicidiosColombia.Org/posts/">Feminicidios Colombia</a>. Durant le confinement, dans un contexte où les femmes sont davantage exposées à leurs agresseurs, un <a href="https://www.eltiempo.com/colombia/otras-ciudades/cuarentena-en-cartagena-un-hombre-asesino-a-su-esposa-su-cunada-y-su-suegra-477272">triple féminicide</a> a eu lieu à Carthagène.</p>
<p>Également, la militante des droits des femmes Carlota Isabel Salinas Pérez, travaillant pour <a href="http://organizacionfemeninapopular.blogspot.com/p/inicio.html">l’Organisation féminine populaire</a>, a été assassinée le 25 mars dernier. Dans un communiqué de presse, l’organisation <a href="https://www.kairoscanada.org/kairos-canada-condena-la-violencia-que-ha-sido-exacerbada-por-covid-19-en-colombia">Kairos</a> a affirmé que les groupes armés profitaient <a href="https://www.kairoscanada.org/kairos-canada-condena-la-violencia-que-ha-sido-exacerbada-por-covid-19-en-colombia">« des fissures institutionnelles et gouvernementales exacerbées par la pandémie mondiale »</a> pour attaquer les groupes de défense des droits des femmes et groupes LGBTIQ+.</p>
<h2>Les autochtones particulièrement vulnérables</h2>
<p>Les impacts de la Covid-19 ne sont pas seulement marqués selon le genre, mais aussi racialement et selon la classe. <a href="http://www.minvivienda.gov.co/sala-de-prensa/noticias/2020/marzo/gobierno-prohibe-los-desalojos-y-congela-el-canon-de-arrendamiento-en-colombia-en-el-marco-de-la-emergencia-economica">Même si le ministre de l’Habitation de Colombie</a> a affirmé que les « évictions étaient interdites durant les urgences économiques », la réalité est toute autre pour les autochtones et personnes migrantes du Venezuela. <a href="https://www.semana.com/nacion/articulo/no-pueden-tratarnos-como-la-basura-el-drama-de-los-indigenas-desalojados-en-bogota/660793">Plus de 500 familles de la communauté Emberá ont été expulsées</a> des endroits où elles vivent et paient un loyer quotidien, fruit de la vente de leurs produits artisanaux. C’est le résultat direct de l’interdiction de travailler dans le secteur informel durant la quarantaine.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/328134/original/file-20200415-153347-1lthglg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/328134/original/file-20200415-153347-1lthglg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/328134/original/file-20200415-153347-1lthglg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/328134/original/file-20200415-153347-1lthglg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/328134/original/file-20200415-153347-1lthglg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/328134/original/file-20200415-153347-1lthglg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/328134/original/file-20200415-153347-1lthglg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une famille Embará, dans leur logement de Bogota. Même si les évictions sont interdites, la réalité est toute autre pour les autochtones et les migrants.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Fernando Vergara</span></span>
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<p>Si la Cour interaméricaine des droits humains qualifie les peuples autochtones de sujets requérant une protection spéciale, la crise du système capitaliste dans la pandémie de Covid-19 démontre que le classisme et le racisme persistent toujours. Comme le souligne Zygmunt Bauman dans son livre <a href="https://www.gallimardmontreal.com/catalogue/livre/vies-perdues-la-modernite-et-ses-exclus-bauman-zygmunt-9782743619435"><em>Vies perdues : la modernité et ses exclus</em></a> la modernité a produit des résidus humains, des parias de la mondialisation néolibérale ; un sentiment de dépossession que les <a href="https://www.semana.com/nacion/articulo/no-pueden-tratarnos-como-la-basura-el-drama-de-los-indigenas-desalojados-en-bogota/660793">autochtones emberás</a> ont résumé en affirmant : « ils ne peuvent nous traiter comme des poubelles ».</p>
<p>Les conditions des <a href="https://www.eluniversal.com.mx/mundo/asi-enfrentan-los-migrantes-venezolanos-en-colombia-el-covid-19">personnes migrantes provenant du Venezuela</a> sont particulièrement critiques ; déjà dans le marché informel et surtout, dans une précarité grandissante et souvent sans documents, elles font face à de nouvelles vagues de xénophobie. D’autant plus que, l’idée de « rester à la maison » perd tout son sens quand celle-ci n’existe tout simplement pas. Près de deux millions de Vénézuéliens ont migré vers la Colombie depuis que la crise dans leur pays a éclaté en 2016, desquels la moitié n’ont pas de statut régularisé, ce qui les <a href="https://www.diariolasamericas.com/america-latina/coronavirus-un-nuevo-obstaculo-migrantes-venezolanos-colombia-n4195841">prive d’accès au système de santé</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/327814/original/file-20200414-117573-row90h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/327814/original/file-20200414-117573-row90h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/327814/original/file-20200414-117573-row90h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/327814/original/file-20200414-117573-row90h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=388&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/327814/original/file-20200414-117573-row90h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/327814/original/file-20200414-117573-row90h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/327814/original/file-20200414-117573-row90h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=488&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des migrants vénézuéliens partent à pied vers la frontière vénézuélienne, dans le but de quitter la Colombie après un verrouillage ordonné par le gouvernement afin de prévenir la propagation du nouveau coronavirus, à Bogota, Colombie, le 6 avril. De nombreux Vénézuéliens en Colombie disent qu’ils n’ont pas pu trouver de travail dans un pays en raison du confinement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Fernando Vergara</span></span>
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<h2>Les violences politiques au temps de la Covid-19</h2>
<p>La violence faisant partie du paysage politique de la Colombie depuis plusieurs décennies, la question de la pandémie doit donc se poser autrement. Tel que l’affirme <a href="https://elpais.com/internacional/2020-03-26/el-coronavirus-no-detiene-la-violencia-en-colombia.html">Catalina Oquendo</a> « des milliers de paysans doivent confronter une double préoccupation : la pandémie et les organisations armées ».</p>
<p>Par exemple, la région du Catatumbo colombien, située à la frontière avec le Venezuela, continue d’être très instable politiquement : tandis que le conflit armé se poursuit durant la pandémie, des <a href="https://www.elespectador.com/noticias/nacional/incendios-en-el-catatumbo-no-se-detienen-mas-de-300-hectareas-estan-afectadas-articulo-912575">incendies font ravage depuis le 27 mars 2020 dans la région affectant l’écosystème, dont 200 000 habitants</a>. De plus, dans cette région, comme dans d’autres zones rurales de Colombie, les barrières d’accès à la santé pour les femmes sont multiples.</p>
<p>Le gouvernement Duque a non seulement été dénoncé pour sa piètre gestion de la crise de le Covid-19, mais on a aussi déploré <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2019/12/colombia-peace-farc/604078/">son inaction sur la mise en œuvre de l’accord de paix signé en 2016</a> avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie. Dans ce contexte, les ex-combattants des Farc-ep qui ont décidé de se réincorporer à la vie civile n’ont aucune garantie de sécurité. Par ailleurs, il est estimé que <a href="http://www.indepaz.org.co/wp-content/uploads/2020/03/SEPARATA-DE-ACTUALIZACIO%CC%81N-2020-28-02.pdf">plus de 800 militants des droits de la personne ont été tués depuis l’accord de paix</a>, dont 71 depuis janvier 2020 ainsi que 20 personnes ex-combattantes depuis la même date, selon l’institut <a href="http://www.indepaz.org.co/paz-al-liderazgo-social/">INDEPAZ</a>.</p>
<p>En somme, comme le souligne <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/idees/576139/la-ou-le-confinement-peut-tuer?fbclid=IwAR2wzIN1pejllipQv3MLfqLOs-wy4qp4VHA4zSyDfj5CosNTgrH2_x7b2Ak">Maïka Sondarjee</a>, chercheuse postdoctorante à l’Université de Montréal, l’universalisation des mesures prises par l’Occident ne fait qu’exacerber les différences de pouvoir entre les pays et aura probablement les effets contraires. Cela nous amène à nous demander, comme la philosophe américaine Judith Butler, quelles sont les conséquences de cette pandémie sur <a href="https://www.versobooks.com/blogs/4603-capitalism-has-its-limits">l’équité, l’interdépendance globale et nos responsabilités face aux autres ?</a></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135651/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Priscyll Anctil Avoine receives funding from the Vanier Canada Graduate Scholarship and she is an active member of Fundación Lüvo, a non-profit organization based in Colombia.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Jakeline Vargas Parra receives funding from Universidad Autónoma de Bucaramanga for her research projects and she is an active member of CreSer, a non-profit organization in Colombia.</span></em></p>En Colombie, la Covid-19 survient dans un pays dévasté depuis 60 ans par un conflit armé, aux prises avec des inégalités sociales et des mobilisations sociales qui n'ont pas été entendues.Priscyll Anctil Avoine, Candidate au doctorat en science politique - spécialiste en études féministes de sécurité, Université du Québec à Montréal (UQAM)Jakeline Vargas Parra, PhD Candidate in Political Sciences and International Relations, Universidad Complutense de Madrid. Researcher on Peacebuilding and Gender, Universidad Autónoma de Bucaramanga.Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1274002019-12-04T17:56:23Z2019-12-04T17:56:23ZLa Colombie en ébullition : pourquoi le peuple est-il en colère ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/305213/original/file-20191204-70116-t4fvdz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La police disperse des manifestants antigouvernementaux lors d'une grève nationale sur la place Bolivar au centre-ville de Bogota, le 21 novembre. Groupes syndicaux et étudiants appellent à une grève pour protester contre les politiques du président colombien Ivan Duque.</span> <span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Fernando Vergara</span></span></figcaption></figure><p>La Colombie vit des heures troubles, alors que les manifestations se poursuivent, et que des appels à la grève se multiplient contre le président Ivan Duque, très impopulaire après moins de 16 mois au pouvoir.</p>
<p>Au terme de douze jours d’une mobilisation jamais vue, le président Duque a dit accepter de rencontrer les organisateurs officiels du mouvement, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/03/en-colombie-la-mobilisation-continue-a-bogota-medellin-et-cali_6021461_3210.html">tout en leur demandant de renoncer à la troisième journée nationale de grève</a> et de manifestations qui se sont finalement déroulées comme prévues, mercredi 4 décembre. </p>
<p>Malgré quelques avancées, notamment l’élection, le 27 octobre, de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/28/colombie-claudia-lopez-la-premiere-femme-elue-maire-de-bogota_6017135_3210.html">la toute première femme mairesse de la capitale Bogota, la gauchiste Claudia Lopez</a>, les raisons de la colère sont nombreuses.</p>
<p>Une série d’événements ont précipité l’indignation collective : la semaine dernière, un étudiant de 18 ans, Dilan Cruz, blessé à la tête au cours du week-end par la police antiémeute, a succombé à ses blessures. Cela a amplifié le mécontentement, notamment des jeunes qui réclament la dissolution de l’Escadron mobile anti-trouble (ESMAD).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/305005/original/file-20191203-66982-6rrizo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/305005/original/file-20191203-66982-6rrizo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/305005/original/file-20191203-66982-6rrizo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/305005/original/file-20191203-66982-6rrizo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/305005/original/file-20191203-66982-6rrizo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/305005/original/file-20191203-66982-6rrizo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/305005/original/file-20191203-66982-6rrizo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des jeunes pleurent lors d’une veillée pour Dilan Cruz, blessé lors d’affrontements entre manifestants antigouvernementaux et policiers, à Bogota, le 24 novembre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Ivan Valencia</span></span>
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<p>Le 29 octobre, un massacre a eu lieu dans le département du Cauca : <a href="https://www.elespectador.com/noticias/nacional/dos-indigenas-asesinados-y-cuatro-heridos-en-toribio-cauca-articulo-888603">cinq autochtones ont été assassinés</a>, dont Cristina Bautista, autorité de la communauté NASA.</p>
<p>Par ailleurs, de nouvelles informations sur le bombardement d’un campement des Farc-ep – soit les guérilleros et guérilleras qui n’ont pas laissé les armes ou qui se sont postérieurement réarmés après le processus de paix signé en 2016 – ont grandement bouleversé la Colombie. On croyait au départ que huit enfants avaient péri <a href="https://apnews.com/867c6944fc6f420080926c32ed248b0b">dans le bombardement qui a eu lieu en août 2016</a>. Mais tout semble indiquer qu’il s’agissait plutôt de 18 mineurs, selon la communauté où l’attaque a eu lieu.</p>
<p>L’unique réaction du président Duque a été de nommer un nouveau ministre de la Défense à la suite de la démission du précédent, tout en laissant intacte la structure militaire à l’origine de bombardement. Autrement, le président colombien a fait silence sur les violences commises à l’encontre des populations rurales.</p>
<p>Mes recherches doctorales en science politique et études féministes à l’UQAM et au sein du <a href="https://www.capedmontreal.com">CAPED, le Collectif de recherche Action Politique</a> et Démocratie, portent justement sur la réincorporation des femmes ex-combattantes des Farc-ep. Cela m’a permis d’observer, durant les six dernières années, l’évolution du contexte politique de la Colombie et de réfléchir aux raisons qui ont conduit à la mobilisation nationale et internationale du 21 novembre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lamerique-du-sud-en-ebullition-les-raisons-de-la-colere-126825">L’Amérique du Sud en ébullition : les raisons de la colère</a>
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<h2>Un accord de paix qui n’a pas rempli ses promesses</h2>
<p>Il y a trois ans, le 24 novembre 2016, le gouvernement colombien a signé un accord de paix historique avec la plus vieille guérilla d’Amérique latine, les Farc-ep. La fin du conflit avec ce groupe armé a signifié des changements politiques importants, notamment la participation politique des ex-combattants.</p>
<p>D’ailleurs, pour la première fois, un ex-combattant vient d’être élu maire dans la municipalité de Turbaco.</p>
<p>Mais un profond conflit social persiste.</p>
<p>On note d’abord une augmentation des assassinats des activistes des droits humains <a href="https://www.eltiempo.com/colombia/198-indigenas-han-sido-asesinados-en-colombia-desde-2016-432546?fbclid=IwAR005zAUr4qORekKGxdsPFO5kjGh9mn4ugGHEYX0vdEc_YA5pKiI_p-u11w">tout spécialement des peuples autochtones</a>. On estime qu’un autochtone est assassiné chaque 72 heures en Colombie : l’<a href="https://www.eltiempo.com/unidad-investigativa/cuantos-indigenas-asesinan-cada-dia-en-colombia-428886?fbclid=IwAR2zkLvJGgU-8V4rfYg27vOelvRq8YfoxflPwbK0O0B_uYirvH6srpxKTSM">Organisation nationale autochtone de Colombie</a> (ONIC) affirme que 120 d’entre eux ont été tués depuis le début de 2019. L’année 2018 a été caractérisée par une <a href="https://theconversation.com/violence-climbs-in-colombia-as-president-chips-away-at-landmark-peace-deal-with-farc-guerrillas-115112">augmentation des assassinats</a> après une période de relative décroissance des faits violents. De fait, entre la signature de l’accord de paix en 2016 et mai 2019, ce sont plus de <a href="https://www.elespectador.com/noticias/judicial/702-lideres-sociales-y-135-excombatientes-habrian-sido-asesinados-desde-firma-del-acuerdo-articulo-862367">700 défenseur·e·s des droits humains et 135 ex-combattant·e·s qui se sont fait assassiné-e-s</a>.</p>
<p>L’accord de paix prévoyait une restructuration des régions rurales du pays afin de pouvoir soutenir les processus de substitution des cultures de coca. Mais la <a href="https://theconversation.com/violence-climbs-in-colombia-as-president-chips-away-at-landmark-peace-deal-with-farc-guerrillas-115112">lenteur des processus bureaucratiques</a>, le sous-financement de la mise en œuvre de l’accord de paix et le désintérêt marqué du gouvernement envers l’urgence de la situation rendent la situation volatile et complexe en zone rurale.</p>
<p>Dans plusieurs régions du pays, l’abandon de l’État est une constante historique. Peu de changements se sont fait sentir depuis la signature de l’accord de paix en dépit de l’aide venue de la coopération internationale pour certains projets de réconciliation ou d’assistance technique au développement.</p>
<p>Ces projets de la communauté internationale sont pensés sur le court terme. Ils créent des dépendances à l’aide extérieure au développement. Comme le souligne la sociologue Camille Boutron, le contexte actuel est <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/15423166.2018.1468799">très propice à la dépendance financière à l’aide internationale des organisations locales de femmes</a>.</p>
<p>De son côté, l’État s’est lentement désengagé du processus de paix, tout particulièrement depuis l’élection de Duque en 2018, qui s’y était fervemment opposé.</p>
<p>À cela s’ajoute un paysage politique complexifié depuis 2016 : <a href="https://www.laopinion.com.co/region/mexicanos-controlan-el-80-de-la-coca-del-catatumbo-187270?f#OP">plusieurs sources confirment la présence de plus en plus grande des cartels de drogue mexicains</a>, notamment celui de Sinaloa.</p>
<p>De même, le pays fait face à la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14616742.2018.1487266">reconfiguration du paramilitarisme</a>, au réarmement d’une partie des Farc-ep qui ont décidé de ne plus poursuivre leurs engagements avec l’État colombien de même qu’aux divers groupes criminels liés au trafic de stupéfiants.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/305002/original/file-20191203-66998-fdypq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/305002/original/file-20191203-66998-fdypq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/305002/original/file-20191203-66998-fdypq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/305002/original/file-20191203-66998-fdypq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/305002/original/file-20191203-66998-fdypq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/305002/original/file-20191203-66998-fdypq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/305002/original/file-20191203-66998-fdypq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un étudiant jette une cartouche de gaz lacrymogène sur la police lors d’affrontements à l’Université nationale de Bogota, en Colombie, le 26 novembre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Ivan Valencia</span></span>
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<h2>Ce que le 21N a changé</h2>
<p>Dans la foulée des manifestations contre les gouvernements en place en Amérique du Sud, une journée nationale de grève a été convoquée en Colombie contre le gouvernement de Duque le 21 novembre, appelée depuis « 21N ». Ce qui devait être une manifestation d’une journée s’est intensifié et prolongé face à la <a href="https://www.foxnews.com/world/colombia-protests-government-crackdown-latin-america">posture agressive du gouvernement de Duque</a>.</p>
<p>Historiquement, la répression des manifestations politiques est une constante en Colombie. <a href="https://www.telesurtv.net/news/esmad-historia-casos-represion-colombia-20191127-0002.html">L’action violente de l’État contre la population civile est courante lors des manifestations étudiantes, ouvrières ou autochtones</a>.</p>
<p>Cette <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2358593">criminalisation de la contestation sociale</a> a des effets sur le long terme, particulièrement en renforçant le contrôle étatique par la désapprobation « morale » de la contestation sociale qui est assimilée à la « déviance » et au « vandalisme ».</p>
<p>Le président Duque ne reconnaît pas la violence étatique à l’égard des jeunes et on lui reproche son inaction face aux assassinats systématiques des activistes des droits humains. Il a d’ailleurs utilisé une stratégie langagière de l’appel à la « non-violence » lors des manifestations politiques afin de pouvoir, ultimement, justifier la militarisation des lieux clés des protestations.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/305004/original/file-20191203-67017-x0jb2t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/305004/original/file-20191203-67017-x0jb2t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/305004/original/file-20191203-67017-x0jb2t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/305004/original/file-20191203-67017-x0jb2t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/305004/original/file-20191203-67017-x0jb2t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/305004/original/file-20191203-67017-x0jb2t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/305004/original/file-20191203-67017-x0jb2t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des soldats font la queue avant de partir patrouiller les rues de Bogota, en Colombie, le 23 novembre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Ivan Valencia</span></span>
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<p>Cependant, ce 21 novembre, les manifestants se sont montrés déterminés à ne pas laisser les discours haineux et violents gagner la partie. À l’aube de la manifestation, il y avait un trop plein de revendications : la précarisation continue de l’emploi, les bombardements indiscriminés de l’État, les assassinats d’activistes des droits humains, le non-respect du processus de paix, et l’inertie du gouvernement face aux meurtres de populations autochtones.</p>
<p>Le 21N s’est avérée une manifestation d’une grande importance historique vue la conjoncture politique actuelle en Amérique du Sud, avec les protestations en cours au Chili et en Bolivie notamment. Plusieurs secteurs se sont ralliés à la marche du 21N, notamment des artistes qui <a href="https://www.rollingstone.com.co/principales/blog/artistas-dicen-presente-en-la-marcha-del-21-de-noviembre?fbclid=IwAR3hkaqpEmZ1H8eAJflyVk-dnntdAOxzHuew9eP6ZTKpcYfjxRlA-_oRvjI">ont utilisé les réseaux sociaux pour convoquer à la manifestation</a>. Alors que les universités publiques sont souvent celles qui sont au-devant des luttes sociales, certaines universités privées ont également libéré le corps étudiant des charges académiques pour appuyer la manifestation nationale.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/305003/original/file-20191203-66994-1fv103c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/305003/original/file-20191203-66994-1fv103c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/305003/original/file-20191203-66994-1fv103c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/305003/original/file-20191203-66994-1fv103c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/305003/original/file-20191203-66994-1fv103c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/305003/original/file-20191203-66994-1fv103c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/305003/original/file-20191203-66994-1fv103c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mayila Lara, à droite, participe à des manifestations antigouvernementales à Bogota, le 25 novembre. Âgée de 26 ans, elle dit marcher pour que le président Ivan Duque améliore les conditions de vie des groupes autochtones, dont les dirigeants ont été pris pour cible par des groupes armés illégaux.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Christine Armario</span></span>
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<p>En dépit de l’annonce du président Duque d’entamer une conversation nationale, les Colombiens et Colombiennes ont sorti leurs casseroles dans les grandes villes, <a href="https://www.pri.org/stories/2019-11-26/kitchenware-cacophony-how-cacerolazos-became-symbol-colombia-s-anti-government">devenant un symbole de la lutte contre le gouvernement</a>. Cette stratégie non violente s’avère très efficace : c’est un puissant message contre le silence et la violence étatique.</p>
<p>Il semble que le gouvernement de Duque a été victime de sa propre stratégie langagière à l’encontre du 21N, qui marquera sans doute un tournant dans la compréhension de la mobilisation sociale en Colombie.</p>
<p>[<em>Ne manquez aucun de nos articles écrits par nos experts universitaires</em>. <a href="https://theconversation.com/ca-fr/newsletters">Abonnez-vous à notre infolettre hebdomadaire</a>. ]</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127400/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Priscyll Anctil Avoine receives funding from the Vanier Canada Graduate Scholarship and she is an active member of Fundación Lüvo, a non-profit organization based in Colombia.</span></em></p>Les Colombiens ont de nombreuses raisons de protester contre leur gouvernement. Leurs manifestations sont souvent réprimées, mais le mouvement ne s'affaiblit pas.Priscyll Anctil Avoine, Priscyll Anctil Avoine est candidate au doctorat en science politique et études féministes - spécialiste en études féministes de sécurité., Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1022772018-09-06T18:33:01Z2018-09-06T18:33:01ZLa tranquille pénétration chinoise en Amérique latine et Caraïbes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/235255/original/file-20180906-190650-1nrr25t.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=27%2C43%2C2005%2C1356&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Deux diplomates chinois lors d'une visite dans le nord du Brésil (ici en 2011).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/prefeituradeolinda/6323844431/in/photolist-aCPmCx-5PAk4s-8rPeJi-4ULBrG-f7BCD3-dYKLvF-XrmmjS-8YHTGy-7oocmY-58JLdy-e26FrC-7rj1d3-eU91hW-ddwGTC-7zwEyz-dUirhY-CdbAo2-eTZ3uv-oC4vxQ-faJceh-67zPdo-Y2aEmR-cEmncE-qazVKu-8YERF2-gpvSqQ-6hnqbY-9gMM53-izLQmd-YZCJGJ-YDFz8L-4xJZqW-XXGxzs-pWWLrh-8idtKm-ddx15n-BWkqqQ-qekwpF-cWNG7f-67nHwX-cWNGLY-cYZ8B9-cWNGmh-cWNmCJ-cWNFju-nFu9PT-cWNjsq-4xENQk-7vTPgW-237j87Z">Pire/Pref.Olinda/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>En 2008, la République populaire de Chine (RPC) publiait son premier <em>Policy Paper</em> définissant stratégiquement ses relations avec l’Amérique latine et les Caraïbes (ALC). Depuis, en l’espace d’une décennie, elle s’est affirmée comme un partenaire commercial et financier incontournable dans cette zone longtemps considérée comme l’arrière-cour de Washington. Pourtant, vus d’Europe, les intérêts et l’action de Pékin dans le sous-continent latino-américain restent encore largement méconnus, voire ignorés.</p>
<h2>Une pénétration économique et financière croissante</h2>
<p>Le volume des échanges en marchandises entre la Chine et l’ALC est passé de négligeable en 1990 à 10 milliards de US dollars en 2000, avant de s’envoler après 2008 pour atteindre 266 milliards de dollars US en 2017, selon les <a href="https://repositorio.cepal.org/bitstream/handle/11362/43213/S1701250_es.pdf">chiffres de la Commission économique pour l’Amérique latine et les Caraïbes</a>. Soit l’équivalent du commerce de marchandises entre les États-Unis et les pays de la région.</p>
<p>Grâce aux liens commerciaux tissés avec ses partenaires latino-américains – Brésil, Argentine, Venezuela –, Pékin a sécurisé des ressources stratégiques (hydrocarbures, ressources minérales, productions alimentaires, etc.) ainsi que des matières premières pour alimenter sa consommation intérieure, tout en ouvrant de nouveaux marchés pour ses entreprises.</p>
<p>Outre le commerce, la RPC est aussi devenue un important investisseur (par le biais des investissements directs sur sites vierges et mais aussi sous forme de fusions-acquisitions) et fournisseur de capitaux sous forme de prêts pour un nombre croissant de pays de l’ALC. Elle a ainsi pratiquement doublé le montant de ses prêts à destination de ces pays à une période où le financement des banques de développement occidentales envers le sous-continent connaissait au contraire une diminution graduelle : en 2010 et en 2015, où ils atteignaient respectivement 36 et 29,1 milliards de US dollars, le montant des prêts concédés par la Chine ont dépassé ceux combinés de la Banque mondiale, de la Banque interaméricaine de développement (BID) et de la Corporation andine de développement (CAF).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/235264/original/file-20180906-190639-njnu5i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span></span>
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<p>L’engagement économique et financier chinois dans le sous-continent latino-américain est massif. Une politique qui offre des opportunités <a href="https://www.palgrave.com/gb/book/9783319667201">vu les intérêts croisés des deux parties</a>, qui n’est cependant <a href="https://www.palgrave.com/br/book/9781137439765">pas sans risques et défis</a>, à la fois pour la Chine – comme le montre la situation économique désastreuse du Venezuela qui laisse planer le doute quant aux capacités de Caracas d’honorer les dettes contractées auprès de la RPC – mais aussi <a href="https://www.e-elgar.com/shop/china-the-european-union-and-the-developing-world?___website=uk_warehouse">pour ses partenaires latino-américains</a>. Certains d’entre eux pourraient ainsi être confrontés au surendettement.</p>
<h2>Une vulnérabilité accrue pour les pays de la région</h2>
<p>Ce risque de surendettement ne doit pas être pris à la légère. <a href="https://www.cgdev.org/publication/examining-debt-implications-belt-and-road-initiative-policy-perspective">Une étude</a> montre en effet que 8 des 68 pays impliqués dans l’initiative BRI (Belt and Road Initiative, le nom officiel depuis 2017 de l’initiative One Belt One Road annoncée en 2013 par Xi Jinping) lancée par Pékin sont d’ores et déjà confrontés à des niveaux d’endettement insoutenables. Cette étude ne couvre malheureusement pas le cas des pays ALC. Outre les difficultés socio-économiques, il les rendrait vulnérables à d’éventuelles pressions de la part de leur créancier comme on a pu le constater ailleurs. Pékin a en effet obtenu du Sri Lanka, incapable de rembourser ses emprunts, la cession à bail pour 99 ans du port d’Hambantota !</p>
<p>Ce n’est pas le seul problème. Certaines études soulignent l’asymétrie des relations commerciales établies avec la RPC, la « primarisation » des exportations des pays latino-américains, l’accélération de la désindustrialisation dont ils pourraient être victimes du fait de la concurrence des produits chinois ou l’<a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/01436597.2012.691834">émergence possible d’un nouveau phénomène de « dépendance »</a> que ces relations économiques pourraient créer, <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-china-triangle-9780190246730?cc=be&lang=en&">pour n’en citer que quelques-uns</a>.</p>
<p>De plus, le financement inconditionnel chinois peut être détourné dans les pays d’accueil pour des gains personnels ou politiques. L’investissement et les prêts sans conditionnalité de Pékin peuvent aussi favoriser la <a href="https://pdfs.semanticscholar.org/2f1b/5247360f944646bbbe8126defbc03245f0fe.pdf">mauvaise gouvernance</a>, les atteintes à l’environnement ou <a href="https://nationalinterest.org/feature/chinese-loans-hurt-south-american-us-interests-26226">perpétuer la corruption dans la région</a>, voire semer les graines d’une nouvelle crise de la dette latino-américaine – ce qui n’est pas une bonne nouvelle pour les populations locales.</p>
<p>Bref, une présence croissante et des relations commerciales et financières qui soulèvent bien des questions, dans un contexte où la Chine revoit ses ambitions à la hausse dans la région. Lors du premier sommet entre dirigeants chinois et de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC), qui s’est tenu à Brasilia en juillet 2014, Pékin a énoncé sa volonté de faire passer le commerce Chine-ALC à 500 milliards de dollars US en 2025 et d’investir 250 milliards de dollars dans la région au cours de la prochaine décennie. En janvier 2018, Pékin a par ailleurs invité les pays latino-américains à se joindre à <a href="https://theconversation.com/la-nouvelle-route-de-la-soie-une-strategie-dinfluence-mondiale-de-la-chine-75084">son initiative des Routes de la Soie</a> !</p>
<h2>Une projection facilitée par la neutralité politique de Pékin</h2>
<p>La pénétration commerciale et financière chinoise s’est accompagnée d’une projection politique, facilitée par l’orientation très critique de Washington vis-à-vis de certains régimes locaux et par une politique étrangère de Pékin guidée par le principe de non-ingérence dans les affaires intérieure des États, la neutralité quant à la nature des systèmes politiques et une coopération soustraite aux formes de conditionnalité promues par les puissances occidentales et les institutions internationales qu’elles ont façonnées. Ces dernières irritent de nombreux pays.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/235260/original/file-20180906-190662-1djey3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Visite d’État en 2016 du président Xi Jinping en Équateur (ici avec son homologue Rafael Correa).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:VISITA_DE_ESTADO_-_XI_JINPING_(31072546255).jpg">Carlos Rodríguez/Andes/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Sur le plan bilatéral, Pékin a multiplié depuis Hu Jintao, avec une forte accélération sous Xi Jinping, les visites et les contacts entre hauts responsables politiques. Il a établi des relations de proximité avec les États ALC <a href="http://www.nids.mod.go.jp/english/publication/joint_research/series3/pdf/3-cover.pdf">par le biais d’accords de <em>partenariats stratégiques</em></a>. Certaines de ces relations ont atteint le plus haut niveau de la hiérarchie des « partenariats » établie par la diplomatie chinoise. C’est le cas du Brésil, du Venezuela, du Mexique, de l’Argentine, du Pérou, du Chili et de l’Équateur. L’Uruguay pourrait suivre prochainement.</p>
<p>Ces partenariats dits « compréhensifs » (complets) comprennent tous les aspects des relations bilatérales : politiques, économiques, financiers, culturels, technologiques, etc., mais aussi de sécurité. Dans le secteur militaire, les liens avec les États ALC sont encore de faible intensité mais suffisants pour éveiller l’attention, voire l’inquiétude d’observateurs à Washington. En plus des ventes d’armes à certains pays, Pékin a développé une dimension humanitaire et de <em>peacekeeping</em> en direction de la région (Haïti). Il entretient des échanges de haut niveaux réguliers avec des responsables militaires de ces pays et favorise des transferts de technologies (la Chine est par exemple l’une des principales plates-formes de développement satellitaire pour l’ALC). Un Forum multilatéral portant sur la coopération militaire logistique a aussi été mis en place.</p>
<h2>Un <em>soft power</em> efficace</h2>
<p>La RPC a consolidé ses relations politiques bilatérales par la création d’une plate-forme multilatérale : le <a href="http://www.chinacelacforum.org/eng/">Forum sur la coopération Chine-CELAC</a>. Xi Jinping l’a établi en 2014. Des consultations régulières sur les questions régionales et internationales d’intérêt mutuel sont organisées : Forum ministériel de coopération, Forum agricole, Forum de l’innovation scientifique et technologique, Business Forum, Forum des think-tanks, Forum des jeunes dirigeants politiques, Forum sur la coopération en matière d’infrastructure, Forum pour l’amitié de peuple à peuple, Forum des partis politiques.</p>
<p>En plus de cette structure, Pékin met à profit les sommets des <a href="https://theconversation.com/limportance-des-brics-ne-se-dement-pas-67349">BRICs</a> (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) pour cultiver les rapports Sud-Sud avec les pays latino-américains.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/235259/original/file-20180906-190653-1lxclti.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Lors du sixième sommet des BRICs à Brasilia.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.fr/search?biw=1193&bih=627&tbs=sur%3Afmc&tbm=isch&sa=1&ei=bkaRW_jtLJGZlwTDzoawCw&q=Xi+Jinping+in+South+America&oq=Xi+Jinping+in+South+America&gs_l=img.3...20240.23781.0.24061.13.13.0.0.0.0.124.739.11j2.13.0....0...1c.1.64.img..0.1.109...0i5i30k1j0i8i30k1.0.9so3mkAYsSw#imgrc=uoSoVNUTGwLdwM:">Service de presse du Kremlin/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Enfin, la RPC a complété sa présence économique, financière et politique par l’essor d’une diplomatie publique destinée à promouvoir son <em>soft power</em> dans le sous-continent latino-américain et dans les Caraïbes. Elle est particulièrement visible à travers l’augmentation du nombre d’Instituts et de classes Confucius établis dans les pays de la région ou la <a href="http://theasiadialogue.com/2018/05/28/chinese-state-media-in-latin-america-profile-and-prospects/">présence de médias destinés à un public hispanophone</a>.</p>
<p>De plus, dans certains pays, Pékin peut utiliser le relais potentiel que constitue la présence d’une diaspora chinoise relativement ancienne. L’Amérique latine et les Caraïbes abritent en effet dans leur ensemble <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/2057150X16655077">plus de 1,8 million de Chinois d’outre-mer</a>.</p>
<p>Si on en croit l’<a href="http://www.pewglobal.org/database/indicator/24/">enquête d’opinion réalisée par l’Institut Pew au printemps 2017</a>, la RPC semble avoir réussi à diffuser une image favorable de ses activités et de sa présence multiforme croissante auprès l’opinion publique de certains pays d’ALC. C’est le cas de 61 % des personnes interrogées au Pérou, de 52 % de celles interrogées au Brésil et au Venezuela et de 51 % de celles interrogées au Chili. Ailleurs, son score est plus mitigé : 43 % de personnes favorables en Colombie et au Mexique et 41 % en Argentine.</p>
<h2>Un nouveau compétiteur géopolitique de taille</h2>
<p>Au total, loin des regards européens, la Chine est devenue en l’espace d’une décennie un acteur dont on ne peut ignorer les activités et l’influence croissante dans le sous-continent latino-américain et les Caraïbes, même si sa présence multiforme actuelle suscite des questions et se heurte à des limites.</p>
<p>Certains y voient l’entrée en lice d’un compétiteur géopolitique de taille notamment pour Washington, alors que d’autres considèrent que ce type d’inquiétude est surestimé au stade actuel, signalant au contraire les importants obstacles auxquels les ambitions chinoises sont confrontées sur le continent.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, il n’en s’agit pas moins d’une transformation majeure des relations internationales. Cette pénétration chinoise est un phénomène encore en cours et ses conséquences économiques, financières, <a href="https://orbi.uliege.be/handle/2268/227541">normatives</a>, <a href="https://www.raco.cat/index.php/RevistaCIDOB">politiques et géopolitiques</a>, voire sociétales et environnementales au long cours, tant pour les sociétés locales que pour les partenaires plus traditionnels des États du sous-continent latino-américain, restent aujourd’hui autant de questions ouvertes à discussion.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs de cet article organisent un <a href="http://msh.ulb.ac.be/agenda/colloque-chine-amerique-latine-et-caraibes-bilan-et-perspectives/">colloque à l’Université libre de Bruxelles</a> le 30 novembre 2018, : une quinzaine d’experts internationaux y feront le point sur ces questions.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102277/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Depuis, en l’espace d’une décennie, la Chine s’est affirmée comme un partenaire commercial et financier incontournable dans cette zone longtemps considérée comme l’arrière-cour de Washington.Thierry Kellner, Chargé de cours (politique étrangère de la Chine), Université Libre de Bruxelles (ULB)Sophie Wintgens, Chargée de recherches du F.R.S.-FNRS en Relations internationales, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/985902018-06-19T18:59:15Z2018-06-19T18:59:15ZÉlections au Venezuela et en Colombie: la démocratie en clair-obscur<p>A quelques semaines d’intervalle, le Venezuela et la Colombie ont tenu des élections présidentielles que tout oppose.</p>
<p>Le 20 mai, au Venezuela, Nicolas Maduro a mis en scène sa réélection à l’issue d’un simulacre de scrutin que l’opposition avait boycotté. La participation électorale n’a pas atteint les 50 %, alors qu’elle avait flirté avec les 80 % en 2013, et le candidat chaviste a été crédité de 67 % des voix.</p>
<p>La Colombie, de son côté, a connu ses premières élections sans violence dans un contexte inédit de post-conflit. La participation a atteint 53 % au premier comme au second tour (27 mai et 17 juin) – ce qui représente un progrès notable. La droite menée par Iván Duque l’a emporté avec 54 % des suffrages exprimés, mais avec 42 % la gauche réalise un score historique qui lui permet d’envisager l’avenir avec sérénité. L’appel au vote blanc des candidats centristes n’a guère été entendu (4 %). Débarrassée du conflit avec la guérilla des FARC, la Colombie est aujourd’hui politiquement polarisée.</p>
<h2>Qu’attendre de la période post-électorale ?</h2>
<p>Maduro règne désormais en maître au Venezuela. Il a devant lui un horizon politique de plusieurs années sans élection qui va le contraindre à assumer ses responsabilités. Les batailles électorales passées, il pourra toujours continuer à évoquer des agressions extérieures, mais le roi est désormais nu et doit gouverner.</p>
<p>Sauf inflexion rapide et profonde permettant de juguler l’hyperinflation et d’enrayer l’effondrement de l’économie et la terrible crise humanitaire qui l’accompagne, la révolution bolivarienne creuse sa propre tombe. L’isolement international du Venezuela et les sanctions dont il est l’objet compliquent singulièrement la tâche du gouvernement. La survie du régime est hypothéquée, sans qu’il soit possible de décrire un scénario de transition.</p>
<p>Disposant d’une large majorité au Congrès, Duque a, lui aussi, les coudées franches. Il a promis d’apporter des modifications aux accords de paix, afin que les membres des FARC soupçonnés de crime soient jugés et privés de leurs droits politiques. Son discours d’unité au soir de sa victoire montre qu’il compte construire un consensus autour d’une Colombie en paix. Devant assumer un accord de paix auquel il s’était opposé en 2016, il est paradoxalement plutôt bien placé pour mener à bien cette tâche.</p>
<p>Mais dans un pays où l’État est absent de vastes régions qui sont violemment disputées par des bandes de trafiquants, l’agenda conservateur de Duque risque de consolider une paix mafieuse. La réactivation de la guérilla est très improbable, mais le scénario salvadorien d’une paix assortie de violence délinquante est déjà une réalité.</p>
<p>Par ailleurs, l’ensemble des parlementaires colombiens impliqués dans des scandales de corruption ayant pris parti pour Duque, le pays ne s’achemine pas vers une opération « main propre » à la brésilienne. L’opposition, désormais conduite par Gustavo Petro au Sénat (en vertu de la loi colombienne, le candidat défait au 2<sup>e</sup> tour de la présidentielle siège automatiquement au Sénat), s’apprête à exercer une vigilance de tous les instants, afin de donner davantage encore de crédibilité à son projet politique, en vue des élections locales de 2019 et de la présidentielle de 2022.</p>
<h2>Election et clientélisme</h2>
<p>Les élections au Venezuela viennent consolider une dérive autoritaire perceptible depuis au moins décembre 2015 quand les chavistes, ayant perdu les élections législatives, avaient dépossédé l’Assemblée nationale élue de tout pouvoir. Depuis, se sachant minoritaire dans le pays, le gouvernement a usé de tous les ressorts du clientélisme, et probablement de la fraude, pour remporter les élections régionales en 2017 et présidentielle en 2018. Le « carnet de la patrie » contrôlé le jour du scrutin a permis de subordonner l’aide alimentaire, fournie par le Comités locaux d’approvisionnement et de production (CLAP), à la participation électorale.</p>
<p>En Colombie, le clientélisme est aussi traditionnellement un outil de perpétuation de la domination des partis politiques traditionnels depuis le XIXème siècle. Les achats de voix dans les zones rurales sont monnaie courante. En 2018 cependant, les candidats soutenus par ce que les Colombiens appellent la « machine » (<em>maquinaria</em>) ont été évincés du 2<sup>e</sup> tour, donnant à penser aux médias colombiens que l’ère du « vote d’opinion » était advenue.</p>
<p>Il est vrai que les programmes des deux prétendants – Iván Duque et Gustavo Petro – étaient radicalement opposés, selon un clivage droite-gauche jamais vu en Colombie. Pour autant, et sous réserve d’analyses plus fines, plus qu’une adhésion à un programme, les électeurs se sont probablement résolus à écarter la personnalité la moins détestable. Entre l’accusation de « castro-chavisme » proférée contre la gauche et celle de « dictature uribiste » contre la droite, les deux candidats qualifiés pour le 2<sup>e</sup> tour affichaient des taux de rejet importants.</p>
<p>Rappelons ici qu’Alvaro Uribe, président de 2002 à 2010, et mentor politique de Duque, reste l’homme politique le plus populaire de Colombie. Sa politique de « sécurité démocratique » a affaibli les FARC et pacifié certaines régions du pays, mais au prix de violations massives des droits de l’homme.</p>
<h2>Elections et démocratie</h2>
<p>Tant en Colombie qu’au Venezuela, l’interaction entre les gouvernements et leur opposition est au cœur de la consolidation de la démocratie. Afin de prendre la mesure de l’importance du moment politique, il convient d’historiciser ces élections. Les deux pays ont installé la démocratie à la fin des années cinquante sur la base d’un « pacte » politique qui excluait des forces politiques de gauche.</p>
<p>Le pacte de Benidorm (1956, révisé en 1957) a permis à la Colombie de mettre fin à une période de violence et de stabiliser la vie politique pendant seize ans grâce à une formule de partage du pouvoir entre partis traditionnels.</p>
<p>Au Venezuela, le pacte de Puntofijo en 1958 a ouvert une période de 40 ans d’alternance entre deux partis modérés représentant les intérêts des mêmes catégories sociales. En 1998, le projet d’Hugo Chavez a fait voler en éclat ce système corrompu de répartition de la rente pétrolière entre amis. Dans les deux cas, l’opposition de gauche était réduite à la clandestinité. La lutte armée a été pour elle une option.</p>
<p>Les deux pays, longtemps considérés par la science politique comme des modèles de démocratisation, masquaient des comportements intolérants. La démocratie n’y était pratiquée que dans la mesure où les vainqueurs des élections étaient connus d’avance, et les opposants étaient traités comme des adversaires à éliminer.</p>
<p>Ainsi au Venezuela, en 1998, les partis traditionnels n’ont pas accepté leur défaite et ils ont tout fait pour débarrasser le pays d’Hugo Chavez : coup d’Etat (2002), grève « civique » (2003), procédure d’impeachment (2004). Les chavistes, de leur côté, n’ont jamais envisagé la défaite électorale, car leur agenda de réformes ne pouvait s’accommoder de délais aussi brefs qu’un ou deux mandats. Les élections de 2018 ont confirmé que le Venezuela n’est plus un pays démocratique. Mais en appelant à boycotter l’élection, l’opposition possède une part de responsabilité dans cette dérive.</p>
<p>Dans la Colombie de ces cinquante dernières années, la gauche n’a jamais été considérée comme un adversaire politique légitime et ses candidats étaient assimilés à des complices des guérillas. L’élection de 2018 permet d’entrevoir une autre Colombie. Les 8 millions de Colombiens qui ont apporté leur voix à Gustavo Petro ont notamment montré que la rhétorique intolérante sur le « castro-chavisme » avait une portée de plus en plus limitée.</p>
<p>Il reste aux acteurs en présence, au premier rang desquels Duque et Petro, de montrer qu’ils sont capables de s’affranchir du passé, de faire preuve de respect mutuel et de débattre sereinement des différentes options dont ils sont porteurs pour l’avenir du pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98590/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Dabène receives funding from Sciences Po</span></em></p>Au Venezuela, la révolution bolivarienne creuse sa propre tombe. En Colombie, le scénario salvadorien d’une paix assortie de violence délinquante est déjà une réalité.Olivier Dabène, Professeur des universités, Président de l’Observatoire politique de l’Amérique latine et des Caraïbes (OPALC) du CERI , Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/950042018-04-15T19:56:42Z2018-04-15T19:56:42ZJustice climatique : en Colombie, une décision historique contre la déforestation<p>Par un jugement historique rendu le 5 avril 2018, la Cour suprême de la Colombie a <a href="https://www.dejusticia.org/wp-content/uploads/2018/01/Fallo-Corte-Suprema-de-Justicia-Litigio-Cambio-Clim%C3%A1tico.pdf?x54537&x54537">ordonné au gouvernement</a> colombien de mettre fin à la déforestation, lui rappelant son devoir de protéger la nature et le climat au nom des générations présentes et futures.</p>
<p>Elle a ainsi donné raison à un groupe de 25 enfants et jeunes qui, accompagnés par l’ONG <a href="https://www.dejusticia.org/">Dejusticia</a>, ont poursuivi l’État pour ne pas garantir leurs droits fondamentaux à la vie et à l’environnement. La Haute Cour leur a accordé une « tutelle », dispositif créé en 1991 qui garantit aux citoyens un examen rapide des plaintes pour violation des droits constitutionnels.</p>
<p>Dans le commentaire de leur décision, les <a href="https://www.climateliabilitynews.org/2018/04/05/colombia-amazon-climate-change-deforestation/">juges ont enjoint</a> le gouvernement, les gouverneurs des différentes provinces et les municipalités d’élaborer un plan d’action dans les cinq mois à venir pour préserver la forêt.</p>
<h2>Une obligation « climatique »</h2>
<p>Dans la même ligne que les contentieux climatiques les plus emblématiques de 2015 – les affaires Urgenda aux Pays-Bas et Leghari au Pakistan –, cette décision démontre que la Colombie et les pays du Sud <a href="http://theconversation.com/changement-climatique-la-societe-civile-multiplie-les-actions-en-justice-74191">rejoignent le mouvement</a> de tous ceux qui, par le biais des tribunaux, demandent à leurs gouvernements de prendre des mesures plus efficaces et plus immédiates pour lutter contre le changement climatique.</p>
<p>Selon les chiffres de l’Institut d’hydrologie, de météorologie et d’études environnementales de Colombie (<a href="http://institucional.ideam.gov.co/jsp/index.jsf">IDEAM</a>), le pays aurait perdu en 2016, 178 597 hectares de forêt vierge ; un chiffre impressionnant témoignant d’une augmentation de 44 % par à 2015. 70 074 hectares auraient disparu en Amazonie, l’un des endroits les plus riches en biodiversité de la planète et qui joue un rôle fondamental dans la régulation des cycles hydrologiques et climatiques.</p>
<p>En dépit du fait que le gouvernement colombien avait pris des engagements internationaux pour réduire la déforestation dans cette région, les <a href="https://www.dejusticia.org/wp-content/uploads/2018/01/Fallo-Corte-Suprema-de-Justicia-Litigio-Cambio-Clim%C3%A1tico.pdf?x54537">plaignants ont alerté</a> sur le caractère incontrôlable du phénomène.</p>
<p>S’il n’y a aucun chiffre consolidé pour 2017-2018, toutes les prévisions indiquent que la déforestation sera beaucoup plus élevée que les années précédentes. L’Amazonie a concentré <a href="http://www.ideam.gov.co/web/ecosistemas/alertas-tempranas-por-deforestacion">66 % des alertes</a> de déboisement précoce. Et pour le seul mois de février, ce sont plus de <a href="http://www.minambiente.gov.co/index.php/noticias/3292-estrategia-integral-de-control-a-la-deforestacion-y-gestion-de-los-bosques-una-busqueda-de-oportunidades-legales-economicas-y-productivas">20 000 hectares de forêt</a> qui ont disparu en raison de brûlis illégaux pour établir des fermes d’élevage de bétail, des cultures et des routes.</p>
<h2>Le précédent de 2016</h2>
<p>La Haute Cour a également déclaré que l’Amazonie bénéficie de droits juridiques et de protection en vertu de la loi, une approche inhabituelle, mais pas inédite. La Cour constitutionnelle colombienne avait en effet déjà statué en 2016 (décision T-622) que le fleuve Atrato, très pollué, avait des « droits » à la protection et la conservation.</p>
<p>Dans <a href="https://www.dejusticia.org/wp-content/uploads/2018/01/Fallo-Corte-Suprema-de-Justicia-Litigio-Cambio-Clim%C3%A1tico.pdf?x54537&x54537">sa décision du 5 avril dernier</a>, la Cour Suprême, s’appuyant sur ce précédent, affirme que :</p>
<blockquote>
<p>« Les droits accordés par la Constitution de la Colombie impliquent une transversabilité et concernent les êtres humains qui y habitent et qui doivent pouvoir jouir d’un environnement sain leur permettant de mener une vie digne et de jouir du bien-être. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"982222418763591681"}"></div></p>
<h2>Climat et nature, sujets de droit</h2>
<p>L’utilisation des droits fondamentaux de nature constitutionnelle dans les <a href="https://www.academia.edu/35859908/Climate_Justice_Le_contentieux_climatique_quels_apports_au_droit_de_lenvironnement_Ou_comment_faire_du_neuf_avec_du_vieux_in_Revue_Droit_de_lEnvironnement_n_263_janvier_2018">contentieux relatifs à l’environnement</a> – et plus particulièrement dans les actions en justice climatique – a fait ces dernières années son chemin et trouve aujourd’hui un écho auprès de tribunaux, à différents niveaux de justice (internationale, régionale, nationale).</p>
<p>On pourra citer l’action de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, créée par des pays d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud pour défendre et faire appliquer la Charte interaméricaine des droits de l’Homme ; le 13 février 2018, elle publiait un <a href="http://www.aida-americas.org/sites/default/files/oc23_corte_idh.pdf">avis historique</a> qui assimile la protection de l’environnement aux droits de l’homme, invitant à lutter plus énergétiquement contre le changement climatique.</p>
<p>Par cet avis, la Cour interaméricaine a reconnu pour la première fois le droit fondamental à un environnement sain ; ce concept ne manquera pas de contribuer à la protection de l’environnement et du climat.</p>
<p>Alors qu’un certain nombre de poursuites en matière de climat ont été déposées partout dans le monde, l’avis de la Cour interaméricaine et la décision de la Cour suprême de Bogota sont sans doute décisives et annonciatrices d’un effet boule de neige.</p>
<p>L’ONG nord-américaine Our Children’s Trust, qui pilote l’action en justice climatique Juliana versus US a déjà entrepris ce type d’action en 2016. <a href="https://www.ourchildrenstrust.org/us/federal-lawsuit/">Cette plainte</a> vise l’affirmation des droits constitutionnels à la vie et à la liberté dans le but de faire émerger un « droit à un climat stable et durable » pour préserver les générations futures contre les effets dévastateurs du changement climatique. </p>
<p>Portée par 21 jeunes, cette action a remporté une victoire cruciale en mars 2018 quand une cour d’appel a statué contre le gouvernement fédéral. Malgré les efforts de l’administration Trump pour mettre fin à cette démarche, le procès intenté par ce groupe de jeunes aura bien lieu en octobre 2018. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"985310500039864321"}"></div></p>
<h2>Une « tutelle » pour les générations futures</h2>
<p>La décision historique en Colombie affirme également l’existence d’une « justice intergénérationnelle ». <a href="https://www.dejusticia.org/wp-content/uploads/2018/01/Fallo-Corte-Suprema-de-Justicia-Litigio-Cambio-Clim%C3%A1tico.pdf?x54537&x54537">La Cour reconnaît</a> catégoriquement que « les générations futures sont sujets des droits » et qu’il « appartient au gouvernement de prendre des mesures concrètes pour protéger le pays et la planète dans lesquels ils vivent ».</p>
<p>Cet argument s’appuie sur différents travaux scientifiques, notamment ceux du chercheur américain James E. Hansen (Columbia University), présentés comme <a href="https://www.dictionnaire-juridique.com/definition/amicus-curiae.php">amicus curiae</a> – document appuyant la cause du demandeur – dans le but de soutenir la tutelle présentée par les jeunes plaignants colombiens.</p>
<p>Scientifique de premier plan dans le domaine du changement climatique, Hansen a cherché à sensibiliser sur les dangers imminents de ce phénomène et proposer des solutions pour <a href="http://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0081648">garantir aux générations futures</a> leur droit à un environnement sain.</p>
<h2>Justice climatique et sociale</h2>
<p>En établissant un précédent juridique, cette décision constitue aussi un progrès dans le déploiement d’une justice climatique ; et vient alimenter la liste de plus de 700 actions climatiques engagées auprès des tribunaux partout dans le monde depuis 2012. Ce nombre a considérablement augmenté depuis 2015, suite à l’affaire Urgenda et au momentum créé par l’Accord de Paris.</p>
<p>En déclarant l’Amazonie comme sujet de droit, la justice climatique s’entend au sens large de justice sociale. Dans la décision de la Cour suprême colombienne, la paysannerie est désignée comme devant faire partie des acteurs du nouveau Pacte intergénérationnel et social. Les juges <a href="https://www.dejusticia.org/column/el-campesinado-debera-ser-contado-jueces-reactivan-su-dialogo-con-el-estado/">renouvellent ainsi le dialogue</a> entre les paysans et l’État.</p>
<p>Le gouvernement colombien ne pourra pas faire appel de la décision de la Cour suprême. Mais l’affaire pourrait être contestée devant la Cour constitutionnelle pour examen car les réclamations constitutionnelles en matière climatique sont rares.</p>
<p>Toutefois, la décision de la Cour suprême est définitive et exige que les autorités nationales et locales s’acquittent de leur mandat dans les cinq mois. Le gouvernement devra désormais élaborer ce « plan intergénérationnel en faveur de la vie de l’Amazonie colombienne » avec une large participation sociale, des plaignants, des scientifiques et des membres des communautés amazoniennes, pour prévenir la déforestation et réduire les émissions de gaz à effet de serre. Une nouveauté au niveau mondial qui devrait sans doute inspirer d’autres pays et d’autres juges dans les mois à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/95004/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marta Torre-Schaub ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Cour suprême colombienne a reconnu, le 5 avril 2018, l’Amazonie comme sujet de droit, rappelant au gouvernement l’urgence à protéger cet espace vital pour les générations futures.Marta Torre-Schaub, Directrice de recherche CNRS, juriste, spécialiste du changement climatique et du droit de l’environnement et la santé, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/808602017-07-16T22:10:04Z2017-07-16T22:10:04ZJournée pour la justice internationale : le poids de l’utopie, le choc des réalités<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/178108/original/file-20170713-12241-fokcg2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue sur le siège de la Cour pénale internationale de La Haye (Pays-Bas).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/96/International_Criminal_Court_building_%282016%29_in_The_Hague.png">OSeveno/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>D’utopie au XIX<sup>e</sup> siècle, la justice internationale célébrée en ce 17 juillet (en 1998, le statut de la Cour Pénale internationale était adopté ce jour-là à Rome) est devenue une réalité à la fin du XX<sup>e</sup> siècle, d’abord avec les conflits de l’ex-Yougoslavie et le génocide au Rwanda ; puis en 2002, avec la mise en œuvre de la Cour pénale internationale (CPI). Mais ce passage de l’utopie à la réalité a été un choc, dont on commence seulement à prendre la mesure.</p>
<h2>Soif de justice</h2>
<p>La soif de justice des sociétés est inextinguible. De la <a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">Syrie</a> à la République démocratique du Congo (RDC), en passant par des dizaines de conflits autour de la planète, les crimes de guerre forment une terrible et quasi-infinie litanie, à laquelle répond en écho le besoin de dignité et de reconnaissance de populations martyrisées.</p>
<p>Mais les tribunaux pénaux peuvent-ils répondre à ces demandes ? Comment peuvent-ils concilier la logique des rapports de force et l’équité que suppose la justice internationale, alors que ni les États-Unis, ni la Chine, ni la Russie n’ont ratifié les statuts de la Cour pénale internationale ? Comment la justice internationale peut-elle agir alors qu’elle dépend si étroitement des États pour bâtir les actes d’accusation et appréhender les inculpés ?</p>
<p>Comment ne pas reconnaître, aussi, que certains tribunaux pénaux ont été instrumentalisés à des fins politiques, sans réussir pour autant à les atteindre ? Pensons au <a href="https://www.stl-tsl.org/fr/">Tribunal spécial pour le Liban</a>, dont l’existence végétative se poursuit car nul État au Conseil de sécurité de l’ONU n’ose prendre la responsabilité de reconnaître son échec absolu.</p>
<h2>L’alibi Trump</h2>
<p>De toute évidence, la justice internationale n’est pas une île détachée des brutales réalités du monde. Ces dernières années, la montée en force des régimes autoritaires en Russie, en <a href="https://theconversation.com/bannis-de-nos-vies-les-intellectuels-pleurent-la-turquie-qui-fut-73864">Turquie</a> et ailleurs témoigne d’un environnement où les droits de l’Homme sont perçus comme un empêchement à la bonne marche des affaires.</p>
<p>La justice internationale subit aussi le contrecoup de l’ère de la post-vérité dans laquelle nous vivons, des inégalités qui se creusent à l’intérieur des sociétés du Nord comme du Sud et des frustrations et des colères qu’elles engendrent. La politique unilatéraliste du président Trump, marquée notamment par des coupes drastiques aux Nations unies et à l’aide à l’Afrique (exceptés les programmes anti-terroristes), compensées par sa foi naïve dans la force militaire, donnent un alibi supplémentaire à des gouvernements dictatoriaux pour affaiblir les droits de l’homme, dont la justice internationale est l’un des piliers.</p>
<p>Rappelons ce qu’observait déjà <a href="http://www.penseesdepascal.fr/Raisons/Raisons20-moderne.php">Pascal</a> au XVII<sup>e</sup> siècle :</p>
<blockquote>
<p>« La justice sans la force est impuissante, la force sans la justice est tyrannique. »</p>
</blockquote>
<h2>Impératif de justice, recherche de la paix</h2>
<p>Nous faut-il pour autant désespérer ? Étrangement, non. Les obstacles sont innombrables, mais ces vingt-cinq dernières années nous ont permis de prendre conscience de certains faits.</p>
<p>D’abord, la justice internationale est une réalité. Une réalité certes souvent niée, malmenée, voire même dans des cas extrêmes manipulée. Mais cette exigence de justice des sociétés demeure, même si, par exemple, en <a href="https://theconversation.com/pourquoi-la-crise-centrafricaine-dure-et-va-durer-78104">Centrafrique</a>, la nouvelle Cour pénale spéciale devra faire la preuve de son efficacité alors que le pays reste largement aux mains des groupes armés.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=415&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/178111/original/file-20170713-4303-1nqe2ik.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=522&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cérémonie de signature de la paix entre le gouvernement de Colombie et la guérilla des FARC.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jefa_de_Estado_participa_en_ceremonia_de_la_Firma_de_la_Paz_entre_el_Gobierno_de_Colombia_y_las_FARC_E.P._(29659979080).jpg">Gouvernement du Chili/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p><a href="https://theconversation.com/la-colombie-sur-le-sentier-perilleux-de-la-paix-66098">En Colombie</a> comme en Ouganda, de manière radicalement différente, le même défi existe comme dans bien d’autres lieux de conflit : comment articuler le mieux possible l’impératif de justice et celui de la recherche de la paix ? Les débats sur les contours des amnisties admissibles restent plus que jamais largement ouverts.</p>
<p>La justice internationale n’est pas une bureaucratie judiciaire installée dans une capitale assoupie d’Europe occidentale (La Haye, aux Pays-Bas). Elle reste une ligne d’horizon. Le temps de l’utopie est fini. Commence enfin celui des défis !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/80860/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Hazan est conseiller éditorial de <a href="http://www.justiceinfo.net">www.justiceinfo.net</a>. </span></em></p>La soif de justice des sociétés est inextinguible. Mais les tribunaux pénaux peuvent-ils répondre à ces demandes ?Pierre Hazan, professeur associé, Université de NeuchâtelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/763012017-04-20T18:18:03Z2017-04-20T18:18:03ZLe cas Lafarge dans le débat des présidentielles : entreprises et crimes contre l’humanité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/165684/original/image-20170418-32716-1u666el.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lafarge, derrière les murs.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/question_everything/4093454497/in/dateposted/">Let Ideas Compete/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Le 4 avril dernier lors du débat télévisé, François Fillon et Jean‑Luc Mélenchon ont tous deux évoqué le fait que l’entreprise Lafarge soit accusée d’avoir payé des <a href="http://lemde.fr/2fTL4DI">taxes et droits de passage à l’organisation État islamique</a>. Cette « entente cordiale » de façade entre en résonnance avec une question de fond qui se pose ailleurs dans le monde vis-à-vis de la responsabilité des firmes multinationales sur les questions de crimes contre l’humanité. Cet événement est l’occasion de détailler cette pratique et les implications qui en découlent pour les entreprises.</p>
<h2>Le cas Lafarge en Syrie</h2>
<p>Entre 2013 et 2014, Lafarge se serait fourni en pétrole et aurait cherché à financer plusieurs groupes terroristes (l’EI mais aussi la branche syrienne d’Al-Qaida et le Front Al-Nostra) afin de pouvoir continuer à faire fonctionner sa cimenterie de Jalabiya au nord de la Syrie alors que l’Union européenne interdit d’entretenir des relations avec les organisations terroristes présentes en Syrie et d’acheter du pétrole dans le pays.</p>
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<p>Suite aux révélations du journal <em>Le Monde</em> en juin 2016, c’est l’<a href="http://bit.ly/2fBPfB0">ONG Sherpa qui dépose plainte</a> en novembre 2016, conjointement avec onze employés du groupe et le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’homme, auprès d’un juge d’instruction de Paris pour financement de terrorisme, complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Cette dernière accusation est la plus grave portée contre l’entreprise et rejoint une tendance actuelle à mettre les entreprises multinationales face à cette responsabilité.</p>
<h2>En Colombie, les entreprises et les milices</h2>
<p>Un mois avant, la presse colombienne annonçait que 200 entreprises locales et multinationales devraient répondre de crimes contre l’humanité pour la première fois en Colombie pour avoir financé des groupes paramilitaires dans le nord du pays. La <a href="http://bit.ly/2cchzsf">plainte vise notamment quatre grands groupes multinationaux</a> : Chiquita, Del Monte et Dole Food Company (communément appelé le « banana block ») ainsi que Coca-Cola (auquel pourrait se rajouter BP).</p>
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<p>Ils sont accusés <a href="http://bit.ly/2kEdBPu">d’avoir financé notamment</a> les Forces unies d’auto-défense de la Colombie (ou AUC). Créées en 1997 par certains barons de la drogue, elles sont issues de la fusion de milices de droite pour lutter contre les kidnappings et extorsions principalement perpétrés par les mouvements d’origine marxistes comme les FARC et l’Armée de libération nationale (ELN). Pour cette raison, elles ont eu pendant longtemps le soutien des politiques locaux. Cependant, ces milices paramilitaires sont également responsables du kidnapping et de la mort de la <a href="http://bit.ly/2nZNSnq">majorité des victimes civiles</a> dans l’ensemble du conflit colombien. Actif jusqu’à son démantèlement en 2006, ce groupe terroriste a pu compter jusqu’à <a href="http://bit.ly/2pwcww9">17 000 membres</a>.</p>
<p>En 2007, le groupe Chiquita avait déjà été condamné à une amende de 25 millions de dollars (dans l’affaire Doe contre Chiquita Brands International) pour avoir versé à l’AUC 1,7 million de dollars entre 1997 et 2004 afin de protéger ses opérations locales et ses salariés. La demande d’extradition des principaux responsables du groupe par le parquet colombien n’avait à l’époque pas été suivie.</p>
<p>Certes, en Amérique du Sud, le rôle de certaines multinationales dans la géopolitique locale était déjà connu, mais sous couvert de la raison d’État. En 1954 <a href="https://orda.revues.org/2667">, la CIA avait par exemple demandé l’aide (notamment logistique) de l’entreprise United Fruit Company</a> (désormais Chiquita Brands depuis 1989) pour renverser le gouvernement en place au Guatemala notamment car les réformes agraires auraient nui aux intérêts de l’entreprise dont beaucoup de membres étaient proches du gouvernement (ce coup d’État sera à l’origine d’un conflit de plus de 35 ans et de milliers de morts).</p>
<h2>Des entreprises accusées de crime contre l’humanité</h2>
<p>La question de poursuivre les multinationales et leurs dirigeants de crime contre l’humanité n’est pas un cas isolé et il existe des précédents. Le procès de Nuremberg avait déjà mis en cause la responsabilité des dirigeants de Krupp, Flick et IG Farben soit pour destruction et exploitation des territoires occupés ou pour participation au meurtre ou à l’aide à déportation de civils. Cependant, le <a href="http://bit.ly/2pe2n7h">processus de mise en accusation reste délicat</a>.</p>
<p>Premièrement, car la notion de crime contre l’humanité est large et il n’y a pas de définition communément admise, même si la Cour Pénale Internationale liste le périmètre des crimes dans son <a href="http://bit.ly/2fH174W">article 7</a>.</p>
<p>Deuxièmement, les multinationales sont, par définition, des entités internationales et qu’il est difficile alors de les faire dépendre d’une juridiction plutôt que d’une autre (et nier la compétence et de l’autorité d’une cour est généralement l’argumentaire utilisé par celles-ci pour ne pas être poursuivi).</p>
<p>En outre, il est difficile de poursuivre l’entité dans son ensemble et la complexité organisationnelle de ces entreprises fait qu’il est peu aisé de trouver les responsables au sein de l’entité. C’est d’ailleurs actuellement tout le problème de la Cour pénale internationale de La Haye, chargée de poursuivre les crimes contre l’humanité, qui ne peut poursuivre que des personnes physiques mais pas des personnes morales (article 25 du statut de Rome).</p>
<p>Enfin, les charges à établir sont très restrictives. Par exemple, Guus Kouwenhoven, ancien directeur de la Royal Timber Company au Libéria, a été arrêté et poursuivi pour crimes de guerre et violation de l’embargo de l’ONU sur les armes après la guerre civile (entre 2000 et 2003). Il a finalement été déclaré non coupable pour crimes de guerre (même si un autre procès est en cours actuellement aux Pays-Bas).</p>
<h2>Les entreprises, acteurs géopolitiques</h2>
<p>Au-delà de l’image désastreuse et de la responsabilité des entreprises vis-à-vis du territoire où elles se développent, ce que les cas français et colombiens doivent nous faire réaliser est tout d’abord que les entreprises sont désormais des acteurs géopolitiques à part entière. Elles sont capables d’alimenter et d’influer sur des conflits existants ainsi que de prendre une part active aux questions de politique interne afin de limiter l’influence de celles-ci sur leur territoire d’action et leurs activités.</p>
<p>Nos hommes politiques devraient donc considérer de façon plus attentive le rôle de ces entreprises dans le champ des relations internationales car elles sont également des étendards de l’image d’un pays et peuvent impacter par leurs actions (ou exactions) le cadre de la diplomatie. Les multinationales ne sont bien entendu pas responsables de l’ensemble des conflits en eux-mêmes, mais il devient de plus en plus évident que beaucoup d’entre elles ont contribué à la sédimentation de ceux-ci.</p>
<p>Ce en quoi ces cas pourront être révélateurs est de savoir si et comment les entreprises vont repenser leurs actions politiques au travers de leurs actions de responsabilité sociale (RSE) et dans leur <a href="https://humanitaire.revues.org/595">arsenal juridique</a>. Resteront-elles, comme actuellement, dans la prévention du risque en se barricadant derrière le flou juridique ou la difficulté d’établir les preuves, ou feront-elles preuve d’anticipation en intégrant une réelle pensée responsable et géopolitique de leur approche territoriale ? Vu la tendance actuelle au développement de ces plaintes, la deuxième approche serait préférable.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76301/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Belhoste ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les multinationales qui usent de leur pouvoir pour tisser des liens avec des groupes terroristes (Daech) ou paramilitaires meurtriers doivent-elles être poursuivies ?Nathalie Belhoste, Enseignant chercheur, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/660982016-09-28T04:36:11Z2016-09-28T04:36:11ZLa Colombie sur le sentier périlleux de la paix<p>Malgré l’échec du référendum du 2 octobre, la pression internationale reste très forte sur la Colombie, comme le prouve le prix Nobel de la paix accordé ce vendredi au président José Manuel Santos pour ses <a href="http://www.nobelprize.org/nobel_prizes/peace/laureates/2016/press.html">« efforts en vue d’achever la guerre civile de plus de 50 ans »</a>. Sous sa direction, le gouvernement colombien avait trouvé un accord, signé le 26 septembre à Cartagène, avec la guérilla des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie). <a href="http://www.france24.com/fr/20160825-images-52-ans-guerre-farc-bogota-accord-paix-colombie-guerilla-diaporama">Après plus de 50 ans d’insurrection communiste</a>, ces dernières ont décidé de poursuivre les mêmes objectifs mais par d’autres moyens : l’accès au pouvoir politique non plus par les armes mais par les urnes. Mais, à la faveur de ce référendum, le peuple colombien a <a href="http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/10/03/colombie-victoire-du-non-a-l-accord-de-paix-avec-les-farc_5007006_3222.html">rejeté le compromis historique</a>, créant une période d’incertitude et obligeant à de nouveaux pourparlers entre les deux parties.</p>
<h2>Nuit debout à la colombienne</h2>
<p>Les raisons de ce rejet sont <a href="http://www.lemonde.fr/international/article/2016/10/03/pourquoi-la-colombie-a-vote-non-a-l-accord-de-paix-avec-les-farc_5007519_3210.html">multiples</a> et incertaines : l’abstentionnisme, le passage de l’ouragan Matthew, l’opposition de fond à l’amnistie et à l’intégration des Farc sur la scène politique que les accords prévoyaient… La campagne pour le « non » a suscité des débats passionnés en Colombie, et même parfois des propos <a href="http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/10/06/colombie-la-paix-les-farc-et-la-theorie-du-genre_5009083_3222.html">homophobes</a>. Et cette stratégie a porté ses fruits.</p>
<p>Le processus de paix avec les Farc doit à présent entrer dans une nouvelle phase de négociations, au cours desquelles le gouvernement va perdre le monopole de la décision. Une opposition renforcée, sous la direction de l’ex-président Alvaro Uribe, veut garder la main sur les points les plus sensibles de l’accord et exige la modifications. Dans le même temps, le gouvernement a annoncé la fin de la période de cessez-le-feu pour le 31 octobre, et les Farc ont amorcé leur retour dans leurs campements munis de leurs armes. Et une troisième force est entrée sur la scène publique : les partisans du « oui » sont sortis massivement dans la <a href="http://www.lemonde.fr/ameriques/video/2016/10/06/de-nombreux-colombiens-dans-la-rue-pour-soutenir-le-processus-de-paix-avec-les-farc_5009382_3222.html">rue</a> et se mobilisent suivant le modèle de « Nuit débout » en France pour exiger une participation plus active dans les négociations.</p>
<p>Mais la tâche reste difficile. Après quatre ans de négociations, l’accord du 26 septembre entre le gouvernement colombien et les Farc visait à la fois à encadrer le passage de la lutte armée à la lutte politique, à assurer la réparation les victimes, tout en prévoyant un développement axé sur le monde rural et l’arrêt de la culture de la drogue. Divisé en six points, il est considéré comme le plus complet que le pays ait jamais connu dans sa longue histoire de conflits.</p>
<p>Aujourd’hui, il semble difficile que les Farc renoncent à certains points substantiels, comme le souhaitent les partisans du « non ». Si le chef des Farc, Rodrigo Londoño, s’est dit prêt à effectuer une <a href="http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/10/03/colombie-les-farc-se-disent-pretes-a-rectifier-l-accord-de-paix_5007490_3222.html">rectification des accords</a>, le dialogue sera à coup sûr des plus ardus.</p>
<h2>Les accords, point par point</h2>
<p>Le dernier point substantiel sur lequel un accord avait été trouvé (point 3) est celui qui traduit matériellement la fin des Farc. Le groupe s’engageait à arrêter la guerre, rendre les armes et se réinsérer dans la vie civile dans une période de six mois. L’objectif principal de l’accord est en effet que les Farc cessent d’être un mouvement armé et deviennent un parti politique.</p>
<p>Pour ce faire, l’État s’engageait à assurer le financement du nouveau mouvement politique pendant dix ans, et à lui assurer cinq sièges de député (sur 166) et cinq de sénateur (sur 102) pendant les deux prochaines législatures. Il promettait aussi d’assurer leur sécurité en renforçant la protection individuelle des membres politisés des Farc, mais également de l’ensemble des partis et mouvements politiques. Par ailleurs, l’État participait économiquement à la réinsertion civile des anciens combattants à travers le versement d’aides sociales autour de 90 % du salaire minimum – 200 euros – pendant deux ans et celui de subventions pour la création d’entreprises.</p>
<p>Toutefois, pour que le processus prenne effet, il fallait que la ratification de cet accord, sa mise en œuvre et sa vérification (point 6) soient effectives. Rejeté par la population dans les urnes, le 2 octobre 2016, la démobilisation des Farc n’est plus assurée. Le président avait fait de cette idée de ratification populaire l’un de ses étendards lors des pourparlers, de même qu’il a insisté sur la présence d’observateurs internationaux comme garants du processus.</p>
<p>Si l’accord avait été ratifié tel quel, l’exécutif disposait d’un cadre législatif spécial durant six mois augmentant ses prérogatives tout en rendant la prise de décision parlementaire plus rapide. L’idée était de faciliter la mise en place des accords. Mais surtout, ces accords prétendaient avoir une valeur constitutionnelle pour assurer leur viabilité en cas d’alternance politique. Car l’un des grands enjeux concernant l’application de ces accords sera lié au maintien, dans la durée, du système de justice transitionnelle.</p>
<h2>Une juridiction spéciale pour la paix</h2>
<p>Après plus de cinquante ans de conflit armé, la Colombie compte plus de <a href="http://rni.unidadvictimas.gov.co/RUV">7 millions de victimes</a> et, par conséquent, un nombre très important de bourreaux. Le point sur les victimes (point 5) cherchait à répondre aux demandes des victimes – vérité, justice, réparation – en même temps qu’il incitait les combattants démobilisés à se soumettre à une <em>juridiction spéciale pour la paix</em> plus attractive que la justice normale.</p>
<p><a href="https://www.amnesty.org/fr/countries/americas/colombia/report-colombia/">Cette juridiction</a> devait être composée de 24 juges nationaux et internationaux avec le rôle d’enquêter, de juger et de sanctionner les responsables des crimes. L’objectif était surtout d’établir la vérité sur les responsables des atrocités commises pendant le conflit, d’où le fait que cette juridiction puisse également juger les combattants ou complices non affiliés aux Farc. Si la collaboration avec la justice devait être effective, les personnes condamnées pouvaient bénéficier de peines alternatives à l’incarcération, à l’exception notable des cas des crimes contre l’humanité, qui conduiront, eux, à des peines de prison, mais réduites.</p>
<p>Par ailleurs, tous les délits annexes à la rébellion politique étaient amnistiés, et les peines n’étaient pas assorties de restrictions de participation à la vie politique. Car un des objectifs de l’accord était d’éviter la reprise du conflit armé, à travers l’assurance d’une participation politique ample et diverse (point 2). Le but de l’accord n’est pas seulement d’assurer la participation politique des Farc mais bien d’ouvrir cette perspective en garantissant un cadre juridique à l’opposition et aux formes de contestation non partisanes.</p>
<p>Toutefois, la violence politique est une « tradition » en Colombie et les défis liés à cette participation politique échappent à l’État. D’une part, la gauche a été historiquement stigmatisée et rattachée de la lutte armée, d’où un biais culturel qui sera difficilement résolu à court terme. D’autre part, la guerre ne disparaît pas avec les accords : les <a href="http://www.huffingtonpost.fr/2016/09/26/accord-de-paix-colombie-eln-guerilla_n_12192118.html">Farc ne sont pas le seul groupe armé du pays</a>.</p>
<p>Même si l’État partage la responsabilité de la violence politique, c’est historiquement la confrontation entre des groupes armés illégaux qui est responsable de l’anéantissement des oppositions politiques. Tant que ces groupes continuent à exister, la paix, même si signée avec les Farc, reste <a href="https://theconversation.com/la-colombie-au-bord-de-la-paix-61790">incertaine</a>. Un fait qui souligne l’importance d’avoir une vision consensuelle du développement.</p>
<h2>L’enjeu crucial du développement des campagnes</h2>
<p>Les deux premiers points sur lesquels un accord avait été trouvé sont ceux relatifs aux questions sociales. Les accords s’ouvrent avec une réforme agraire (point 1) qui est considérée comme l’enjeu originel du conflit et le seul à pouvoir permettre la consolidation d’une paix stable et durable. L’objectif principal était d’assurer le développement socio-économique dans les campagnes colombiennes afin de résoudre la pauvreté et les inégalités, dans l’un des pays les plus inégalitaires d’Amérique latine.</p>
<p>Les instruments à disposition sont d’apparence facile mais coûteuse. Le but est de revaloriser le travail paysan à travers de l’amélioration des infrastructures, de la productivité, de l’éducation, de la santé, en même temps que l’accès à la terre est démocratisé. Cela suppose la régularisation de titres de propriété inexistants (estimés à 7 millions d’hectares) et la création d’un fonds de 3 millions d’hectares à distribuer entre les paysans sans terre.</p>
<p>La Colombie reste également l’un des pays les plus inégalitaires en terme d’accès à la terre. Or si l’accord cherche remédier à ces problèmes, il ne remet pas en cause le modèle agricole basé sur la (grande) propriété privée. De là naissent des défis énormes pour une mise en place effective de ce volet : alors que l’accès à la terre constitue un point d’entrée vers le développement, l’accès à la propriété n’empêche pas – à long terme – le déclin du monde paysan. L’enjeu de l’accord est d’assurer le développement socio-économique avec des investissements privés permettant d’éviter que les paysans ne se tournent vers des marchés illégaux comme celui des drogues.</p>
<h2>Vaincre le nerf de la guerre, les drogues</h2>
<p>L’enjeu des drogues est surtout de nature économique. En Colombie, les drogues ont été le nerf de la guerre. Le pays en exporte massivement de façon illicite depuis les années 1970, et depuis deux décennies, celles-ci sont le mode de financement par excellence des groupes armés. Pour cette raison, les accords cherchaietn à trouver une solution à la participation massive de la Colombie dans ce trafic (point 4).</p>
<p>Suivant la ligne du président Santos <a href="https://theconversation.com/le-consensus-international-sur-la-repression-des-drogues-seffrite-59789">sur la scène internationale</a>, les accords pretendaient promouvoir une approche humaine et sociale envers les cultivateurs et les consommateurs. Ainsi, le pilier n’est plus l’éradication des cultures mais leur substitution par des produits légaux afin que les paysans mettent un terme, de manière durable et définitive, à la culture des drogues. Or, même si la philosophie de l’accord prêche pour que cette transition soit faite collectivement dans les communautés, les bénéfices du marché des drogues seront difficilement égalés avec des productions légales. D’où un scepticisme important sur la véritable portée de ces accords, alors que les cultures illicites repartent justement <a href="http://www.lemonde.fr/photo/portfolio/2016/06/15/en-colombie-la-culture-illegale-de-la-coca-progresse_4951034_4789037.html">à la hausse</a>.</p>
<p>En somme, l’accord est ambitieux… mais suscite des oppositions viscérales. Les défis à venir sont grands. D’autant que les opposants des accords on remporté provisoirement une victoire contre les Farc, le 2 octobre dernier, non pas par les armes mais cette fois dans les urnes. Et le nouveau Prix Nobel de la Paix, le président Santos, aura fort à faire dans les mois qui viennent pour répondre aux fortes attentes placées en lui sur la scène internationale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/66098/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luis Rivera Velez reçoit un financement de Sciences Po. Il participe actuellement à l'organisation de l'association ECHO.</span></em></p>Le Prix Nobel de la Paix octroyé ce vendredi au président José Manuel Santos vise à encourager le délicat mais prometteur processus de paix engagé par Bogota avec la guérilla des Farc.Luis Rivera-Vélez, Doctorant au CERI sur la politique des drogues en Amérique latine, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/617902016-06-29T21:28:04Z2016-06-29T21:28:04ZLa Colombie au bord de la paix<p>Jeudi 23 juin, à la Havane, le gouvernement colombien et la guérilla des Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie) ont signé un accord sur les conditions du cessez-le-feu. Il ne s’agit certes pas d’un accord final, comme pouvait notamment le laisser penser la présence du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon. Néanmoins, la signature de ce texte marque un tournant décisif dans les négociations, dont l’issue semble de plus en plus certaine.</p>
<h2>Zones de normalisation</h2>
<p>Sur le plan pratique, cet accord lève plusieurs équivoques quant aux conditions de démobilisation et désarmement des Farc, et notamment des points sensibles, à l’instar des modalités de rassemblement des combattants sur vingt-trois zones dites « de normalisation ». De surcroît, il porte également sur une question plus générale, l’approbation des accords finaux par référendum – un point sur lequel le gouvernement a emporté l’accord de la guérilla.</p>
<p>Mais c’est certainement sur le plan symbolique que l’importance des événements du 23 juin est la plus significative. Le déplacement du Président Juan Manuel Santos à la Havane visait à marquer le caractère inéluctable de la démobilisation des Farc. Présenté comme « l’accord de la fin du conflit » par les représentants de l’État et par la plupart des <a href="https://www.youtube.com/watch?time_continue=66&v=TYOHcEwX_uY">médias colombiens</a>, le geste cherche à lever les nombreux doutes qui persistaient quant à la capacité des deux parties de poursuivre les négociations jusqu’au bout. Il faut dire que dans un pays où tous les gouvernements depuis 1982 ont mené des pourparlers plus ou moins officiels avec les groupes armés – guérillas et paramilitaires – l’issue ne pouvait être tenue pour acquise.</p>
<h2>« Déradicalisation » du jeu politique</h2>
<p>Et pour cause : l’engagement de ces négociations est le résultat d’un contexte politique singulier, marqué notamment par une profonde recomposition des droites colombiennes. Suite aux deux périodes présidentielles d’Alvaro Uribe (2002-2010), durant lesquelles le jeu politique s’est clairement droitisé et radicalisé, l’arrivée aux affaires de son ancien ministre de la Défense, <a href="https://fr.Wikim%C3%A9dia.org/wiki/Juan_Manuel_Santos">Juan Manuel Santos</a>, semblait se placer dans la continuité. Or, c’est sur des postures bien plus modérées que le nouveau Président a engagé son premier mandat en 2010.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/128658/original/image-20160629-15248-g9tiht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/128658/original/image-20160629-15248-g9tiht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/128658/original/image-20160629-15248-g9tiht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/128658/original/image-20160629-15248-g9tiht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=422&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/128658/original/image-20160629-15248-g9tiht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/128658/original/image-20160629-15248-g9tiht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/128658/original/image-20160629-15248-g9tiht.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=531&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Juan Manuel Sanchez, le président colombien aux portes de l’Histoire.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/globovision/4656119776/in/photolist-86rQcb-csAkTY-ombtx6-oCFsBc-sujTR6-omb7yJ-57fmJD-oEpJcZ-oCDHRz-oEpJ9H-omb5j4-csAmzu-57jwSo-csAksd-csAmnh-csAm5m-oC2ng5-h4gQWK-oEqqRK-8xNx5a-8xRyvd-oCDJUM-oEqqHP-csAmYY-oCreVN-nDpNQg-omb5ue-omaows-ombtuR-omb5mP-oACEKj-86oDQ8-oCreBS-omanK7-oEpJuH-86oDLz-nTRZwh-oCDK3n-bxeSzg-nVUtup-8qk55z-86mS5Q-h49t4U-bCnhZT-jhgmCu-mnJ3Sg-nrsbm8-ezJgyR-iRy2kW-nVMpTC">Globovisión/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Reconnaissant la nécessité d’ouvrir des espaces de dialogue avec la guérilla, infléchissant un langage qui avait tendance à criminaliser l’opposition et laissant une plus grande marge de manœuvre à l’action de la justice, Santos a très vite été renié par son ancien mentor. Le résultat de cette rupture a été une recomposition de l’espace partisan, avec une minorité conservatrice qui est restée acquise à l’ancien Président et une majorité aux orientations idéologiques beaucoup plus variées qui a soutenu le nouveau chef de l’État.</p>
<p>L’<a href="http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2014/06/16/colombie-juan-manuel-santos-reelu-president_4438702_3222.html">autre nouveauté des deux présidences Santos</a> a été l’intégration progressive de la gauche au jeu des alliances. Ainsi, c’est avec le soutien du principal parti de gauche, le Pôle Démocratique Alternatif (PDI), que Santos remporte son second mandat en 2014. On constate donc une certaine « déradicalisation » du jeu politique, même si les partisans d’Alvaro Uribe – aujourd’hui sénateur et leader du parti Centre démocratique – demeurent nombreux et puissants.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/128660/original/image-20160629-15274-1778ali.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/128660/original/image-20160629-15274-1778ali.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/128660/original/image-20160629-15274-1778ali.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/128660/original/image-20160629-15274-1778ali.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/128660/original/image-20160629-15274-1778ali.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/128660/original/image-20160629-15274-1778ali.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/128660/original/image-20160629-15274-1778ali.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=517&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Passation de pouvoir entre Alvaro Uribe (au second plan) et Juan Manuel Santos, en 2010.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/globovision/4877129561/in/photolist-79RvRx-9LfcFx-8qYyFk-8kiBYo-8r2G6E-8r2FVd-8r2G5C-8qYyGH-8r2FPd-8qhtmo-8qhVPp-8r2FWu">Globovisión/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Cette recomposition n’est d’ailleurs pas étrangère au large soutien que Santos a réussi à mobiliser dans des secteurs puissants de la société. Homme de l’élite, élevé au cœur du pouvoir, il a recueilli l’appui de la majorité des grandes fortunes du pays, ainsi que des médias. Multipliant les garanties quant à la modération des transformations qui découleraient des accords de paix, il a pu imposer l’idée d’une sortie de conflit qui ne chamboulerait pas le modèle économique et politique en vigueur. Ce constat devrait d’ailleurs suffire pour modérer les espoirs de changement social que certains pourraient nourrir dans le contexte actuel.</p>
<h2>La paix, une perspective incertaine</h2>
<p>Si Santos a réussi à obtenir des appuis divers, cela ne veut pas dire que la supposée « fin du conflit » soit devenue un problème politique central. Les scènes de joie vues à Bogota le 23 juin ne doivent pas induire en erreur : les négociations avec les Farc, qui durent depuis 2012, ont généré, plus que du soutien passionné ou de l’opposition fervente, de l’indifférence.</p>
<p>Si Santos avait choisi d’axer sa campagne de 2014 sur cette question, sa mise en ballottage défavorable au premier tour face au candidat de la droite dure qui prônait une position intransigeante vis-à-vis des Farc illustre bien l’insuffisance de l’argument. Dans un pays où le conflit armé a été contenu à des limites tolérables, du moins pour la population urbaine et les classes moyennes, les problèmes économiques, la délinquance urbaine ou encore l’incurie des élites politiques suscitent des mobilisation plus fortes que la perspective incertaine de la « paix ».</p>
<p>Et pourtant, les défis de la sortie de conflit sont énormes. Le premier d’entre eux est justement la poursuite de la guerre. Certes, les Farc sont un acteur majeur. Cependant, un autre groupe de guérilla, à l’organisation très dissemblable, demeure en place : l’Armée de libération nationale, ELN. Si cet acteur avait été très affaibli par les actions de l’armée et des groupes paramilitaires, il a aujourd’hui reconquis du terrain, récupérant le contrôle sur des zones stratégiques pour le trafic de cocaïne.</p>
<p>L’ELN a engagé des pourparlers exploratoires avec le gouvernement, mais il ne semble pas disposé à prendre le train en marche, ce qui le reléguerait à une position subordonnée. Prêt à se lancer dans la surenchère politique et militaire, l’ELN constitue à la fois une menace pour la crédibilité du processus de paix et un danger pour la mise en œuvre de politiques de sortie de conflit.</p>
<p>L’autre acteur armé significatif, ce sont les groupes armés « héritiers des paramilitaires ». Après la démobilisation de ces milices, <a href="http://www.karthala.com/recherches-internationales/3068-gouverner-dans-la-violence-le-paramilitarisme-en-colombie-9782811116279.html">qui naviguaient entre contre-insurrection et affairisme</a>, une diversité de structures armées est apparue. Allant de simples gangs de quartier à des réseaux armés à portée nationale, ces « bandes criminelles » – ou « Bacrim » – comme les appelle la presse et le gouvernement, font craindre que la paix ne soit pas vraiment moins meurtrière que la guerre. La compétition armée pour le territoire étant, moins qu’un danger, une certitude.</p>
<p>C’est la capacité des Farc à mobiliser les réseaux sociaux d’anciens combattants – comme le montre d’ailleurs l’exemple <a href="http://www.stabilityjournal.org/article/10.5334/sta.gk/">d’autres conflits armés</a> – qui déterminera, en grande partie, l’issue de ces problématiques sécuritaires. Si ces réseaux trouvent à s’insérer dans un jeu politique pacifié et dans des activités économiques soutenables, ils pourront contribuer à la stabilisation des situations locales et à la construction d’alternatives économiques au trafic des drogues.</p>
<p>Si, au contraire, ils ne fonctionnent que comme une porte d’entrée dans la criminalité organisée, il est à craindre que la guerre ne se poursuive, avec des caractéristiques différentes, mais par les mêmes moyens.</p>
<p><em>Jacobo Grajales vient de publier « Gouverner dans la violence. Le paramilitarisme en Colombie » (Paris, Karthala, 2016).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/61790/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jacobo Grajales a reçu des financements du CERAPS (Centre d'études et de recherches administratives, politiques et sociales, Université de Lille) du CERI (Centre de recherches internationales, Sciences Po Paris) et de la Fondation de la Maison des Sciences de l'Homme (Paris).</span></em></p>Après l’accord du 23 juin, les Colombiens se montrent prudents. Le pays est en effet aux prises avec de multiples groupes armés, qui seront difficiles à neutraliser et réinsérer socialement.Jacobo Grajales, Maître de conférences en science politique, chercheur au CERAPS (Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales), Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.