tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/conseil-constitutionnel-25234/articlesConseil constitutionnel – The Conversation2024-02-17T13:13:08Ztag:theconversation.com,2011:article/2231332024-02-17T13:13:08Z2024-02-17T13:13:08ZLa crise politique perdure au Sénégal : ce qui doit changer<p><em>Le 3 février, moins de trois semaines avant le scrutin, le président sénégalais Macky Sall a pris un décret <a href="https://www.rfi.fr/fr/afrique/20240203-s%C3%A9n%C3%A9gal-l-%C3%A9lection-pr%C3%A9sidentielle-du-25-f%C3%A9vrier-report%C3%A9e-sine-die">reportant indéfiniment l'élection</a>, en attendant une enquête sur des allégations de corruption de juges du Conseil constitutionnel. Le 5 février, le Parlement <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20240205-s%C3%A9n%C3%A9gal-le-report-de-la-pr%C3%A9sidentielle-au-15-d%C3%A9cembre-approuv%C3%A9-%C3%A0-l-assembl%C3%A9e-nationale">a décidé</a>, de son côté, de reporter le vote de près de 10 mois, le fixant au 15 décembre.</em></p>
<p><em>Cependant, le Conseil constitutionnel <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/crgk12vd22no">a déclaré</a> le jeudi 15 février que la loi adoptée par le Parlement était contraire à la Constitution et a ordonné l'annulation du décret de M. Sall reportant l'élection.</em></p>
<p><em>La décision inattendue et sans précédent de Sall depuis l'introduction des élections multipartites dans le pays a eu l'effet d'un choc. Dans un discours à la nation, il a justifié le report par un différend entre l'Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, l'arbitre du jeu électoral. Cette situation a plongé le Sénégal dans une crise politique dont l'issue est désormais incertaine. Elle soulève également des questions juridiques.</em></p>
<p><em>Abdoul Aziz Mbodji est enseignant-chercheur sur<a href="https://base.afrique-gouvernance.net/docs/gouvernance_et_constitutionnalisation_des_ressources_naturelles.pdf"> l'organisation et le fonctionnement de l'Etat et le droit constitutionnel</a>, à l'université Alioune Diop de Bambey, au Sénégal. Il analyse la décision de Macky Sall, la décision du Conseil constitutionnel et les réformes pour éviter de futures crises similaires.</em></p>
<h2>Y a-t-il une base légale au report de la présidentielle?</h2>
<p>La réponse est claire : il n'existe aucune base légale pour un tel report de la présidentielle.</p>
<p>Tout d’abord, le décret qui a stoppé le processus est arbitraire, ne s'appuie sur aucun texte et viole d'ailleurs la Constitution en son 31 article qui dispose : </p>
<blockquote>
<p>Le scrutin pour l’élection du président de la République a lieu quarante-cinq jours francs au plus et trente jours francs au moins avant la date de l’expiration du mandat du président de la République en fonction.</p>
</blockquote>
<p>Il viole aussi l'article LO 137 du code électoral qui dispose que “les électeurs sont convoqués par décret publié au journal officiel au moins 80 jours avant le jour du scrutin”. Le décret défie la décision du juge constitutionnel portant proclamation de la liste des candidats à l'élection présidentielle. Cette décision est contraignante pour tous, en vertu de l'article 92 de la Constitution qui dispose : </p>
<blockquote>
<p>Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d’aucune voie de recours. Elles s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles.</p>
</blockquote>
<p>Ensuite, la loi constitutionnelle est intervenue dans un domaine protégé, dans une matière qui ne peut pas faire l’objet de révision conformément à l’article 103 alinéa 7 de la Constitution qui dit clairement que la durée et le nombre de mandats consécutifs du président de la République ne peuvent faire l’objet de révision. Encore, elle agit dans le sens contraire de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à <a href="https://conseilconstitutionnel.sn/2018/08/29/decision-n-1-c-2016-du-12-fevrier-2016-affaire-n-1-c-2016/">l’avis du 12 février 2016</a> sur le référendum de mars 2016. </p>
<p>Le juge déclare dans le considérant 31 que “considérant, en effet, que ni la sécurité juridique, ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique ou au gré des circonstances notamment, la durée des mandats politiques en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait, quel que soit au demeurant l’objectif recherché, être réduite ou prolongée.</p>
<h2>Comment tenir l'élection à bonne date, après l'annulation du report par le Conseil constitutionnel?</h2>
<p>Le Conseil constitutionnel a été saisi de deux types de requête :</p>
<ol>
<li><p>des requêtes contre le décret portant abrogation du décret portant convocation du corps électoral;</p></li>
<li><p>des recours contre la loi portant report de l’élection du 25 février au 15 décembre 2024.</p></li>
</ol>
<p>Dans <a href="https://www.bbc.com/afrique/articles/crgk12vd22no">sa décision du 15 février</a>, les juges du Conseil constitutionnel ont décidé de que la loi repoussant de 10 mois l'élection prévue le 25 février et permettant le maintien du Président Sall à son poste au-delà du terme de son mandat était contraire à la constitution.</p>
<p>En annulant également le décret présidentiel qui modifiait de facto le calendrier électoral, le Conseil constitutionnel ne propose pas de nouvelle date pour le scrutin. Reconnaissant le retard accumulé dans le processus, il constate simplement "l’impossibilité d’organiser l’élection présidentielle à la date initialement prévue” du 25 février et “invite les autorités compétentes à la tenir dans les meilleurs délais. </p>
<h2>Dans ces conditions, comment tenir l'élection à bonne date?</h2>
<p>C’est simple! Deux hypothèses peuvent être décidées par le juge.
Le processus devra se poursuivre comme prévu. Dans ces circonstances, l'administration devra continuer à organiser les élections dans le temps restant, ce qui entraînera malheureusement une campagne électorale courte.</p>
<p>Le Conseil constitutionnel peut, en vertu d'une interprétation de l'article 34 de la Constitution, fixer une nouvelle date pour permettre à l'administration de rattraper les retards et de remédier aux manquements. </p>
<h2>Quelles réformes à envisager, compte tenu de la crise actuelle pour ne plus tomber dans le scénario actuel ?</h2>
<p>Il est quasi difficile de reformer contre l’abus de pouvoir et le coup de force. Mais je crois qu'il serait important de doter le Conseil constitutionnel des moyens pour sauvegarder l’intégrité du processus électoral. </p>
<p>Il est crucial d'élargir le champ de compétence du Conseil constitutionnel en précisant sa compétence face aux lois de révision ainsi qu'à toutes les matières relatives aux élections nationales. De même, une réforme du mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel est nécessaire pour briser le monopole présidentiel sur les nominations.</p>
<p>L'extension du droit de saisine aux partis politiques, aux citoyens et aux organisations de la société civile est également importante.</p>
<p>Enfin, cette pratique devrait être constitutionnalisée et perpétuée. La présence au moins d’un théoricien en droit public parmi les membres du Conseil constitutionnel est aussi souhaitable</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223133/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Abdoul Aziz Mbodj est affilié à un parti d'oppostion au Sénégal. </span></em></p>Le Conseil constitutionnel n'a pas fixé une nouvelle date pour l'élection présidentielle, laissant planer le doute sur la manière de procéder.Abdoul Aziz Mbodj, Enseignant-chercheur en droit public, Université Alioune Diop de BambeyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216902024-01-24T17:14:09Z2024-01-24T17:14:09ZComment travaille le Conseil constitutionnel ?<p>Le Conseil constitutionnel doit remettre une importante décision de constitutionnalité à propos de la loi immigration portée par Gérald Darmanin. Quelles sont les méthodes de travail de cette juridiction trop souvent perçue comme obscure et politique ? Parfois décrites comme « secrètes », pour rester loin des pressions partisanes, elles n’en sont pas moins <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782275019284-contentieux-constitutionnel-des-droits-fondamentaux-1e-edition-michel-verpeaux-bertrand-mathieu/">codifiées et méthodiquement arrêtées</a> par des textes fondamentaux, comme l’ordonnance portant <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000705065">loi organique du 7 novembre 1958</a> relative au fonctionnement du Conseil constitutionnel.</p>
<h2>Une procédure plus qu’un contentieux</h2>
<p>Le Conseil constitutionnel est d’abord « saisi » par des autorités politiques. Il peut s’agir de députés ou sénateurs (plus de 60 sont requis), des présidents des deux assemblées, du premier ministre ou du président de la République. Ces autorités lancent alors un délai d’examen par le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/saisir-le-conseil/qui-peut-saisir-le-conseil-constitutionnel">Conseil de la conformité de la loi à la Constitution</a>, qui ne peut excéder un mois.</p>
<p>Conformément à l’article 61 de la Constitution, les juges constitutionnels disposent d’un mois, après enregistrement de la saisine au greffe, pour rendre une décision.</p>
<p>La saisine pour la loi immigration a été faite en l’occurrence par le président de la République, la présidente de l’Assemblée nationale et les députés et sénateurs de la gauche.</p>
<p>Comme tous les juges, ceux qui forment le Conseil constitutionnel suivent une procédure avant de rendre leur jugement. Néanmoins les concepts de contentieux, parties, instruction, mémoires ou contradiction ne sont pas adaptés à cette juridiction d’un type particulier. Ainsi, le vocabulaire normal de la justice n’est pas utilisé pour le Conseil constitutionnel, tant son office est particulier.</p>
<p>Ayant à juger une question purement objective, c’est-à-dire ne s’intéressant qu’à la conformité́ d’une norme à une autre dans l’intérêt du Droit, le Conseil constitutionnel ne tranche pas un contentieux entre parties. Il se prononce en droit sur la constitutionnalité́ de la loi mais ne donnera pas raison ou tort aux partis politiques qui s’affrontent.</p>
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<p>Ces raisons expliquent le particularisme de la procédure qui conduit au rendu de la décision ; les robes d’avocats ne bruissent pas dans des salles des pas perdus animées où des dossiers papiers s’amoncellent. Les ambiances sont plutôt à l’exact inverse : un peu entre la chambre parlementaire et la juridiction, les couloirs feutrés moquettés laissent le silence régner entre les bureaux fermés des neuf membres et de leurs services, qui communiquent par échanges informels au cours de nombreuses réunions, avant de parvenir à une décision consensuelle dans la salle des délibérés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-conseil-constitutionnel-les-anciens-presidents-de-la-republique-pourraient-ils-etre-les-remparts-des-droits-et-libertes-195377">Au Conseil constitutionnel, les anciens présidents de la République pourraient-ils être les remparts des droits et libertés ?</a>
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<h2>Un principe du contradictoire aménagé</h2>
<p>La décision suit une procédure de fabrication, une véritable « instruction », mais il n’y a pas d’opposition de points de vue entre deux « parties » opposées. Il est difficile d’imaginer au Conseil constitutionnel un « demandeur » et un « défenseur » de la loi comme dans n’importe quel litige, puisque gouvernement et Parlement ont, ensemble, construit une loi et qu’il n’y a donc pas à proprement parler de « parties au procès ».</p>
<p>Pourtant, depuis 1993, par le truchement de <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/la-qpc-et-le-parlement-une-bienveillance-reciproque">Robert Badinter</a>, les groupes parlementaires ont la possibilité de venir exposer un point de vue sur un dossier, mais peu s’en sont emparés.</p>
<p>C’est donc le <a href="https://www.gouvernement.fr/secretariat-general-du-gouvernement-sgg">secrétariat général du gouvernement</a>, actuellement Claire Landais, qui vient dialoguer avec le secrétariat général du Conseil constitutionnel, Jean Maïa, dont nous allons voir qu’il joue un rôle central.</p>
<p>Dans le cas qui nous occupe, la réunion a dû être particulièrement originale, entre un secrétariat général du gouvernement censé défendre la constitutionnalité de la loi, et un secrétaire général du Conseil constitutionnel qui a suivi de près les aveux d’inconstitutionnalité tenus par le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/20/loi-immigration-les-mesures-susceptibles-d-etre-censurees-par-le-conseil-constitutionnel_6206980_3224.html">président de la République en personne, la première ministre Elisabeth Borne et le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Laurent Fabius rappelle le rôle du Conseil constitutionnel (Public Sénat, 11 janvier).</span></figcaption>
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<p>Les « fiches » du secrétariat général du gouvernement quant à la constitutionnalité de la loi sont censées être préparées bien en amont de la prise de décision, afin de donner des pistes au Conseil constitutionnel pour comprendre le processus qui a conduit à adopter la loi. Dans le cas présent, la secrétaire générale se retrouve dans une position politique compliquée. Outre ces discussions de couloirs, la procédure est bien formalisée autour de plusieurs temps forts et acteurs clefs.</p>
<h2>Des acteurs clés</h2>
<p>Le Conseil constitutionnel est composé de <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-membres/statut-des-membres">neuf membres</a>, surnommés « les Sages » par les médias, dont le président de l’institution, Laurent Fabius, qui a un collaborateur personnel attaché à l’organisation de son agenda.</p>
<p>Ils sont nommés pour un mandat de neuf ans et renouvelés par tiers tous les trois ans. Trois membres, dont le président, sont nommés par le président de la République, trois autres par le président de l’Assemblée nationale, et les trois derniers par le président du Sénat.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570894/original/file-20240123-15-bpuebm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les neuf « Sages » du Conseil Constitutionnel.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-membres">Conseil Constitutionnel</a></span>
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<p>Si le président Laurent Fabius est la figure médiatique de l’institution, son rôle ne saurait masquer l’ascendant d’un homme sur l’organisation des travaux : le secrétaire général, aujourd’hui <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-conseil-constitutionnel/les-services-du-conseil">Jean Maïa</a>. Il est nommé par décret du président de la République, sans durée de temps indicative. Devant s’adapter telle une vigie au renouvellement régulier des membres, il veille plus longuement que les autres à la continuité des travaux de l’institution.</p>
<p>C’est lui qui rédige les fiches informatives, qui renseigne les points juridiques clés, qui prépare le projet de « Commentaire aux Cahiers », <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/les-nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel">publications phares</a> de l’institution, pour expliquer, déminer, dé-politiser. Son œuvre pédagogique est <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782130631255-contentieux-constitutionnel-francais-4e-edition-guillaume-drago/">cardinale</a> pour qu’une décision soit rendue. Sans lui, point de rendez-vous qui tienne, sans lui, pas de colonne vertébrale.</p>
<p>Il est tout et il n’est rien ; autorité administrative et technique, le secrétaire général n’est pas membre de l’institution et ne peut donc rien faire « en son nom ». Tel un administrateur d’une assemblée, il prépare mais n’écrit pas. Le membre rapporteur du texte (nommé par les neuf membres en cooptation pour organiser les travaux de manière équitable) est le seul à préparer « l’avant-projet de décision ».</p>
<h2>Un combat inégal</h2>
<p>Le Conseil constitutionnel est aussi un adepte du temps précontentieux et deux services clés, la documentation et le service juridique, suit les travaux parlementaires dès la rentrée de l’Assemblée nationale et du Sénat.</p>
<p>Ce travail en amont est important notamment pour connaître la procédure ayant conduit à l’adoption des futures lois potentiellement déférées à la haute institution, prendre connaissance de celles-ci et rechercher les dispositions qui pourraient être inconstitutionnelles, avant même que les parlementaires (ou d’autres autorités) ne les évoquent.</p>
<p>En préparant le débat de constitutionnalité, les services – chapeautés par le secrétaire général et le membre rapporteur, souvent nommé « pré-rapporteur » de lois dont la saisine est pressentie – s’émancipent de la critique politique nécessairement contenue dans les mémoires de saisine.</p>
<p>Ces derniers ne font autre chose que de continuer la joute de l’intérêt général devant un juge qui ne peut trancher qu’à partir d’éléments juridiques dépassionnés. Dans ce combat inégal, le Conseil constitutionnel doit toujours faire gagner le droit et le rechercher, là où les artifices, les atours du vocabulaire de communication des gouvernants, noient le <a href="https://www.cairn.info/fiches-de-culture-juridique--9782340029897-page-221.htm">discours légistique</a>.</p>
<h2>Un jour fatidique</h2>
<p>Les débats au sein de la haute instance conduisent à rendre une décision de justice d’une manière très originale : par délibération « collégiale ».</p>
<p>La décision n’est pas rendue « au nom du peuple français » comme pour les autres juges (assise, judiciaire, administratif par exemple), mais elle n’est pas rendue non plus au nom d’une seule personne (comme les arrêtés ministériels ou autres décisions administratives). Elle est rendue au nom de l’intégralité des membres présents, au moins sept, lors de la délibération.</p>
<p>Ainsi, le rapporteur arrive avec un avant-projet qu’il présente ; c’est un moment de grand oral important, à l’image d’un ministre qui vient défendre son projet dans un Conseil des ministres ; il faut emporter avec soi la conviction des huit autres membres de l’instance. Pour éviter toute pression politique, le nom du membre rapporteur reste secret dans toutes les affaires. Ainsi, aucune fuite n’a permis d’identifier qui rapportera sur la loi immigration.</p>
<p>Sont présents autour de la table en U – l’ordre protocolaire autour du président est arrêté en fonction des années de nomination –, le greffe, pour consigner ce qui est dit, le service juridique et le secrétaire général pour éclairer les débats.</p>
<p>Ce n’est qu’une fois que les neuf membres sont d’accord avec ce qui est présenté que la décision peut être prise ; dans le cas contraire, les membres discutent point par point avec le rapporteur du texte sur la rédaction qui sera adoptée et qui fera consensus.</p>
<p>Tout y est pesé ; le poids juridique, l’impact politique, les remous médiatiques. Chaque président a imprimé son style, Robert Badinter pour la juridictionnalisation (soit le fait de remettre à une juridiction le contrôle d’une situation), Laurent Fabius pour la communication.</p>
<h2>Une décision déceptive</h2>
<p>Aujourd’hui, la décision à rendre contient une <a href="https://www.leparisien.fr/politique/decision-du-conseil-constitutionnel-sur-la-loi-immigration-des-experts-redoutent-une-dimension-politique-22-01-2024-V6ZUCLACFJCJ3MLFQ4PA2JLZBE.php">charge politique inédite</a>. Le gouvernement attend du Conseil constitutionnel qu’il « nettoie » le texte des addenda venant du groupe Les Républicains, auquel il a concédé politiquement.</p>
<p>Œuvrant à la manière du projet de loi de réforme des retraites – dont les censures par le juge constitutionnel étaient prévisibles et portaient précisément sur les <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/04/14/retraites-ce-que-le-conseil-constitutionnel-a-garde-ou-ecarte-des-differentes-saisines_6169591_4355770.html">mesures sociales</a> censées servir la dureté de la réforme – le gouvernement engage donc le juge à son corps défendant dans une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/01/17/incompetence-des-juges-absence-d-independance-reelle-les-entorses-du-conseil-constitutionnel-a-la-democratie_6211253_3232.html">querelle politique</a>.</p>
<p>Pour autant, la décision à venir générera nécessairement de la déception de part et d’autre, puisqu’en portant un regard juridique sur la loi, elle n’apportera pas de solution au débat politique.</p>
<p>On l’aura compris, les membres sont accompagnés par des services et dirigés par un rapporteur qui travaillent sur le projet de loi depuis de longues semaines, épluchant les travaux parlementaires, les différentes versions du texte, les jurisprudences antérieures du juge constitutionnel, de manière à concilier deux textes fondamentaux : la loi voulue par le pouvoir politique et la Constitution du peuple français.</p>
<p>L’une assure la confiance politique du pays en ses gouvernants le temps d’un mandat, l’autre assure la protection d’une ligne fondamentale de droits humains qui traverse les âges.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221690/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Charlène Bezzina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Conseil constitutionnel est une juridiction souvent perçue comme obscure et politique malgré un protocole très codifié et singulier, dans le paysage juridique français. Décryptage.Anne-Charlène Bezzina, Constitutionnaliste, docteure de l'Université Paris 1 Sorbonne, Maître de conférences en droit public à l'université de Rouen, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2050452023-05-04T20:16:22Z2023-05-04T20:16:22ZRéférendum d’initiative partagée : la réforme souhaitée par Emmanuel Macron fera-t-elle bouger les lignes ?<p>Le discours d'Emmanuel Macron quant à un possible assouplissement <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/10/04/emmanuel-macron-propose-de-reviser-la-constitution-sur-le-champ-du-referendum-et-sur-le-referendum-d-initiative-partage_6192402_823448.html">des conditions de mise en œuvre du référendum d’initiative partagée</a> pourra-t-il vraiment faire évoluer cette disposition et la portée politique de cet outil ? </p>
<p>Récemment, deux propositions de référendum d’initiative partagée (RIP) prévoyant de limiter l’âge de départ à la retraite à 62 ans (proposition n°959 du 20 mars 2023 et proposition n°530 du 13 avril 2023) avaient été rejetées par le Conseil constitutionnel (CC), une première fois le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/20234RIP.htm">14 avril</a> et une seconde fois le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/20235RIP.htm">3 mai 2023</a>.</p>
<p>Cela porte à cinq <a href="https://theconversation.com/le-referendum-dinitiative-partagee-un-instrument-democratique-neutralise-193869">les tentatives d’utilisation du RIP</a>, après la proposition de loi visant à affirmer le caractère de service public national de <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/273802-cloture-du-referendum-dinitiative-partagee-sur-la-privatisation-dadp">l’exploitation des aérodromes de Paris</a> (2019), celle de programmation pour garantir un <a href="https://www.la-croix.com/France/Hopital-public-Conseil-constitutionnel-rejette-referendum-dinitiative-partagee-2021-08-06-1201169727">accès universel à un service public hospitalier de qualité</a> (2021) et celle sur la création <a href="https://www.liberation.fr/politique/taxation-des-superprofits-le-projet-de-referendum-de-la-nupes-retoque-20221025_EYLVVAMQZFBPFHQKXSAE4MVAPY/?redirected=1">d’une taxe sur les superprofits</a> (2022).</p>
<p>Le CC doit en effet assurer le contrôle préalable de la proposition référendaire prévue à l’article 11 de la constitution. À ce titre, le juge a vérifié que les deux propositions étaient soutenues respectivement par 252 et 253 parlementaires sachant que le minimum exigé est d’un cinquième des parlementaires (soit 185). De plus une proposition de référendum ne peut pas avoir pour objet d’abroger une loi promulguée il y a moins d’un an. Le CC s’est prononcé sur ce point en prenant en compte la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2019/20191RIP.htm">date d’enregistrement de la proposition</a>, soit le 23 mars et le 13 avril. Or à cette date, la loi portant l’âge de départ à la retraite à 64 ans n’était pas promulguée : la condition était donc remplie.</p>
<p>Par les décisions du 14 avril et du 3 mai le CC a cependant fermé la possibilité d’organiser un RIP portant sur le maintien de l’âge de départ de la retraite, en confirmant l’interprétation restrictive de l’objet du référendum, tout en précisant que le pouvoir du peuple est encadré par la constitution et en contribuant à confiner le RIP dans un rôle d’instrument de l’opposition parlementaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-conseil-constitutionnel-a-deja-pris-des-decisions-plus-politiques-que-juridiques-lexemple-des-langues-dites-regionales-203771">Le Conseil Constitutionnel a déjà pris des décisions plus politiques que juridiques : l’exemple des langues dites régionales</a>
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<h2>Une interprétation restrictive de l’objet d’un référendum</h2>
<p>L’article 11 de la constitution prévoit que la question posée par la proposition doit porter « sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ». Or, si le plafonnement de l’âge de la retraite à 62 ans concernait évidemment le domaine de la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/20212RIP.htm">politique sociale</a>, encore fallait-il que cette proposition constitue une « réforme ». Ce point précis n’avait pas été retenu dans la décision n°2022-3 RIP du 25 octobre 2022 justement en raison du défaut d’ampleur et de pérennité de la mesure objet de la proposition (taxe sur les superprofits).</p>
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<p>Il s’agissait donc de savoir si la règle en vigueur (âge de départ à la retraite fixé à 62 ans) était identique à celle proposée (l’âge de la retraite ne peut être supérieur à 62 ans). Sur ce point, le CC précise dans la décision du 14 avril :</p>
<blockquote>
<p>« la proposition de loi visant à affirmer que l’âge légal de départ à la retraite ne peut être fixé au-delà de 62 ans n’emporte pas de changement de l’état du droit. »</p>
</blockquote>
<p>Cette affirmation nous paraît être un amalgame. En effet, il y a évidemment une différence entre fixer un âge et fixer un plafonnement à cet âge. En réalité le CC fait une confusion entre d’une part l’existence ou non d’une nouvelle règle (donc celle d’une « réforme ») et d’autre part la possibilité qu’une telle norme soit adoptée par référendum. Certes, le juge est habilité dans le cadre du contrôle qu’il opère à se prononcer sur ces deux questions. Mais leur objet est distinct.</p>
<p>Les deux propositions de référendum prévoyaient ainsi de fixer un plafond c’est-à-dire un âge maximum de départ à la retraite qui se serait imposé au législateur. Or, on sait que le législateur n’est pas compétent pour s’auto-limiter et que <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1982/82142DC.htm">seule une norme constitutionnelle peut le faire</a>.</p>
<p>Donc, fixer un plafond revient à produire une interdiction contraire aux normes constitutionnelles. Le CC étant compétent pour <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000028278925/">contrôler le respect de l’ensemble des normes constitutionnelles</a>, pouvait estimer que la proposition était non conforme parce qu’elle violait une norme constitutionnelle. Cependant ce n’est pas le parlement qui est amené in fine à se prononcer sur cette proposition, mais bien le peuple.</p>
<h2>Un pouvoir du peuple encadré par la constitution</h2>
<p>À ce stade la question devient beaucoup plus délicate. Il s’agit de se prononcer non plus sur le pouvoir du parlement de s’autolimiter mais sur celle du peuple de limiter le pouvoir du législateur.</p>
<p>Le CC devait donc se prononcer sur la nature du pouvoir dont dispose le peuple lorsqu’il adopte une proposition par référendum. Le CC a retenu ici une approche fonctionnelle du peuple en considérant que ce dernier, sollicité sur la base du RIP, remplace le parlement et a les mêmes pouvoirs et limites.</p>
<p>D’une part :</p>
<blockquote>
<p>« le législateur peut toujours modifier, compléter ou abroger des dispositions législatives antérieures, qu’elles résultent d’une loi votée par le Parlement ou d’une loi adoptée par voie de référendum » (donc en admettant que la proposition soit adoptée par référendum elle pourra être modifiée par le parlement, auquel elle ne s’impose nullement)</p>
</blockquote>
<p>D’autre part :</p>
<blockquote>
<p>« ni la circonstance que ses dispositions seraient adoptées par voie de référendum ni le fait qu’elles fixeraient un plafond contraignant pour le législateur ne permettent davantage de considérer que cette proposition de loi apporte un changement de l’état du droit » (nouvelle confusion entre le pouvoir du peuple et le caractère novateur de la proposition).</p>
</blockquote>
<p>C’est une évolution notable de la position antérieure du CC selon laquelle « les lois adoptées par le peuple à la suite d’un référendum, constituent l’expression directe de la souveraineté nationale » justifiant qu’elles ne soient pas contrôlées contrairement à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/cons/id/CONSTEXT000017665198">celles produites émises par le parlement</a>.</p>
<p>Il est vrai que cette jurisprudence avait été émise avant la <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/268318-la-reforme-de-2008-sur-la-modernisation-des-institutions">révision de la constitution de 2008</a> introduisant le RIP et son contrôle.</p>
<h2>Un RIP confiné au rôle d’instrument de l’opposition parlementaire</h2>
<p>Par ailleurs, les décisions du 14 avril et du 3 mai 2023 participent à la tendance qui réduit le RIP <a href="https://theconversation.com/le-referendum-dinitiative-partagee-un-instrument-democratique-neutralise-193869">à une manœuvre parlementaire</a> dans le droit fil de la décision du CC du 25 octobre 2022.</p>
<p>La procédure de dépôt d’une proposition de référendum apparaît ainsi moins comme une tentative de mettre en œuvre un mécanisme de démocratie directe qu’un moyen supplémentaire pour l’opposition de faire entendre sa voix et de peser dans son rapport de force politique avec l’exécutif.</p>
<p>Ainsi, la proposition déposée pour empêcher la privatisation d’Aéroports de Paris n’avait recueilli qu’un million de soutiens populaires mais avait tout de même convaincu le gouvernement de renoncer à cette privatisation.</p>
<p>À la différence de la saisine du CC par la minorité parlementaire pour contrôler la constitutionnalité des lois (article 61 de la constitution), cette arme de guérilla parlementaire risque de mettre le Conseil constitutionnel à rude épreuve car il pourrait apparaître comme celui qui empêche la consultation populaire, alors que ce contrôle préalable est nécessaire puisque le CC refuse de contrôler une loi adoptée par référendum (décision n°62-20 DC du 6 novembre 1962 et n°92-313 DC du 23 septembre 1992).</p>
<h2>Prudence institutionnelle</h2>
<p>De son côté l’opposition parlementaire a perfectionné sa stratégie d’usage du RIP. On a ainsi pu constater l’intensification du recours à la proposition référendaire : après une première proposition enregistrée le 23 mars, une nouvelle demande a été déposée le 13 avril 2023 donnant lieu aux deux décisions du CC.</p>
<p>Or, la seconde proposition constituait sans nul doute une amélioration de la première (au moins sur le plan formel) et cette activité de perfectionnement de la demande se serait certainement poursuivie par le dépôt d’une troisième demande à la suite de la décision du CC si le président de la République n’avait pas promulgué dans la nuit du 14 au 15 avril la loi sur la réforme de l’âge de départ à la retraite validée partiellement par le CC.</p>
<p>Cette pratique partisane du RIP incite le juge constitutionnel à adopter une fonction d’arbitre institutionnel entre opposition et majorité, d’autant plus délicate que les membres du Conseil sont nommés par des autorités politiques et que le contexte de majorité relative peut pousser le juge à favoriser la stabilité institutionnelle par prudence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205045/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean Fougerouse ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les récentes tentatives d’utilisation du RIP pour s’opposer à des projets gouvernementaux ont toutes été rejetées, une tendance qui interroge le rôle politique de cet outil.Jean Fougerouse, Maitre de conférences en droit public, Université d'AngersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2043842023-04-25T22:49:32Z2023-04-25T22:49:32ZLa réforme des retraites, un court répit pour les finances publiques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/522573/original/file-20230424-23-xm8aau.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=62%2C5%2C1113%2C792&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des hausses d’impôt sont-elles à prévoir&nbsp;?
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/129231073@N06/27734592992">Fred Romero/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Après une longue séquence de manifestations très majoritairement soutenue par la population et un parcours législatif particulièrement chaotique, la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/reforme-des-retraites-82342">réforme des retraites</a> a été validée dans ses grandes lignes le 14 avril 2023 <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/actualites/loi-de-financement-rectificative-de-la-securite-sociale-pour-2023">par le Conseil constitutionnel</a>.</p>
<p>Le Conseil a d’abord jugé que le recours à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS) n’était pas subordonné à l’urgence, à des circonstances exceptionnelles ou à un déséquilibre majeur des comptes sociaux. Sur le fond, concernant la mesure-phare du texte, le recul de l’âge légal de 62 ans à 64 ans, le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conseil-constitutionnel-25234">Conseil constitutionnel</a> a rappelé qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer l’équilibre financier du système de retraite par répartition pour en garantir la pérennité.</p>
<p>Les « sages » de la rue de Montpensier ont également estimé que la réforme permettait des retraites anticipées pour les carrières longues, les personnes en incapacité au travail ou encore les travailleurs handicapés. Des mesures qui vont légèrement limiter la réponse au besoin de financement du système social français qui constituait l’un des objectifs de la réforme. Le président de la République, Emmanuel Macron, avait ainsi évoqué des « <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/03/16/reforme-des-retraites-macron-invoque-des-risques-financiers-trop-grands-pour-justifier-le-49.3_6165798_823448.html">risques financiers trop grands</a> » pour justifier le recours au 49.3 mi-mars.</p>
<h2>Une réforme un peu plus équitable que le projet initial</h2>
<p>Preuve de l’utilité du travail parlementaire, les débats des deux assemblées ont permis d’amender le projet de loi vers un peu plus d’équité sans trop en perturber l’équilibre financier global. Ainsi la revalorisation des petites retraites s’appliquera non seulement aux nouveaux retraités mais également à tous les retraités actuels qui ont eu une carrière complète. Un retraité qui a travaillé au smic toute sa vie touchera donc une pension de près de 1 200 euros brut, soit 85 % du salaire minimum net (sachant qu’aux environs du smic il n’y a <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A15517">pas ou peu de différence entre le brut et le net</a>). Selon le Sénat, <a href="https://www.senat.fr/rap/l22-375/l22-3751.pdf">1,8 million de retraités</a>, dont 60 % de femmes, bénéficieront d’une majoration pour un gain mensuel moyen de 33 euros. Parmi ceux-ci 125 000 retraités obtiendront une hausse de 100 euros par mois.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/retraites-lallongement-de-la-duree-du-travail-la-moins-mauvaise-des-solutions-198519">Retraites : l’allongement de la durée du travail, la moins mauvaise des solutions ?</a>
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<p>L’amélioration la plus significative par rapport au projet initial concerne les carrières longues. Celles et ceux qui auront commencé à travailler avant 16 ans pourront partir à taux plein dès 58 ans, à 60 ans pour un début de carrière entre 16 et 18 ans et à 62 ans entre 18 et 20 ans.</p>
<p>Quant aux personnes handicapées, elles pourront désormais solder leur retraite à 55 ans à taux plein dès que leur taux de handicap dépasse les 50 % (<a href="https://www.faire-face.fr/2023/03/21/reforme-retraites-peu-changements-travailleurs-handicapes/">contre 80 % actuellement</a>). Les personnes invalides ou inaptes pourront toujours partir à 62 ans voire à 50 ans pour celles qui ont été reconnues exposées à l’amiante.</p>
<p>Au nom de la politique familiale, la majoration de pension pour familles nombreuses d’au moins trois enfants est étendue aux professions libérales et les mères qui auront atteint la durée de cotisation nécessaire pour partir à taux plein dès 63 ans bénéficieront après cet âge d’une surcote pouvant aller jusqu’à 5 %.</p>
<h2>Des inégalités persistantes selon les secteurs</h2>
<p>Après cette réforme, la classe politique bénéficie toujours d’avantages exorbitants du droit commun. Même si leur régime est depuis 2018 aligné sur celui des fonctionnaires, les députés continueront de bénéficier d’un <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/folder/les-deputes/le-statut-des-deputes/la-remuneration-des-deputes2">droit à une pension mensuelle de 684 euros net</a> pour chaque mandat de 5 ans. Quant au président de la République, il touche dès la fin de son mandat une pension d’<a href="https://www.lopinion.fr/politique/retraite-macron-na-toujours-pas-mis-fin-au-privilege-presidentiel">environ 5 200 euros net mensuels</a>. Mais l’inéquité la plus extravagante est sans conteste la retraite des sénateurs qui reste une oasis intouchable. Leur régime est d’ailleurs tellement opaque que même les concernés <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/220323/retraite-secrete-des-senateurs-gerard-larcher-ne-lache-toujours-rien">ne peuvent en connaître les règles de calcul</a>.</p>
<p>D’autres corporations bénéficient également de régimes de faveur. C’est le cas du transport aérien, les contrôleurs aériens et les personnels navigants des compagnies aériennes ayant <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/comment-le-gouvernement-a-lache-sur-les-retraites-dans-le-transport-aerien-pour-assurer-la-paix-sociale-1922050">obtenu des garanties gouvernementales en amont de la réforme</a>. Si les régimes spéciaux les plus importants (RATP, Industries électriques et gazières) sont désormais mis en extinction, les salariés embauchés avant le 1<sup>er</sup> septembre 2023 conserveront leurs avantages.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/regimes-speciaux-quel-cout-pour-letat-128826">Régimes spéciaux : quel coût pour l’État ?</a>
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<p>Enfin les transporteurs routiers garderont jusqu’en 2030 leur congé de fin d’activité permettant de cesser le travail cinq ans avant l’âge légal en conservant de 80 à 100 % de leur salaire, pour un coût de <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/retraites-comment-le-gouvernement-a-evite-les-blocages-massifs-de-chauffeurs-routiers-1914033">l’ordre de 1 milliard d’euros par an</a>.</p>
<h2>Pas de forte réduction du déficit public</h2>
<p>Au bilan, selon l’analyse de l’Institut Rexecode publiée le 18 avril 2023, l’allongement de la durée du travail et l’accélération de la réforme de 2014 devraient réduire les dépenses des régimes de retraite de <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/retraites-comment-le-gouvernement-a-evite-les-blocages-massifs-de-chauffeurs-routiers-1914033">14 milliards d’euros en 2030</a> et les mesures d’exemption et d’accompagnement coûter 7 milliards, soit une économie d’environ 7 milliards d’euros. Le surplus de recettes pouvant être estimé à 6 milliards, l’effet de la réforme serait donc de 13 milliards d’euros en 2030, soit 0,4 % du PIB, ce qui assurerait à peu près l’équilibre du système.</p>
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<p>La réforme des retraites améliorera également les recettes publiques d’environ 18 milliards d’euros soit, après prise en compte de moindres dépenses de retraite de 4 milliards, une réduction du déficit de 22 milliards en 2030 ou 0,6 % du PIB. Cette économie reste toutefois très insuffisante pour réduire significativement le déficit structurel actuellement à 5 % du PIB soit <a href="https://theconversation.com/letrange-estimation-gouvernementale-du-deficit-structurel-francais-en-2020-155089">l’un des niveaux plus élevés en Europe</a>.</p>
<h2>Inévitables hausses d’impôts à venir ?</h2>
<p>Dans ces conditions, les prochains gouvernements vont devoir à la fois limiter les dépenses publiques et trouver de nouveaux prélèvements obligatoires pour faire fondre le déficit. La piste la plus vraisemblable est celle de la réduction des niches fiscales illégitimes à commencer par celle des retraités qui n’ont pas été mis à contribution avec cette réforme alors même que <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4922950">leur niveau de vie est supérieur à celui des actifs</a>.</p>
<p>Le relèvement de la CSG sur les pensions les plus élevées semble inévitable pour faire cesser l’injustice permettant à un retraité touchant une pension de 5 000 euros ou plus par mois de n’acquitter que 8,3 % de CSG alors qu’un salarié au smic verse 9,2 %. L’abattement pour frais professionnels (sic) de 10 % sur les pensions plafonné à 4 123 euros par foyer en 2022 est également une niche qui coûte 4,2 milliards d’euros par an à l’État, par nature régressive puisqu’elle ne profite qu’aux foyers imposables, et sans aucune légitimité.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-est-il-si-difficile-de-reformer-les-niches-fiscales-191801">Pourquoi est-il si difficile de réformer les niches fiscales ?</a>
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<p>Enfin, les pensions des retraités fiscalement domiciliés hors de France qui échappent aux prélèvements sociaux (jusqu’à 10,1 % de la pension brute) pourraient voir leur cotisation d’assurance maladie (COTAM) actuellement de 3,2 % augmenter.</p>
<p>Concernant les actifs, déjà mis à contribution par la réforme, l’exonération fiscale et sociale des heures supplémentaires (environ 2 milliards de pertes de recettes publiques par an) dont la légitimité est plus que douteuse pourrait être remise en cause. Il en est de même de l’exonération des sommes versées au titre de la participation et de l’intéressement (également 2 milliards).</p>
<p>Quelles que soient les hypothèses démographiques et économiques, le maintien d’un très haut niveau de protection sociale voulu par les Français et qui se traduit toujours par l’espérance de vie en retraite la <a href="https://www.economist.com/graphic-detail/2023/03/27/retirement-has-become-much-longer-across-the-rich-world">plus élevée au monde</a> a un prix qu’il faudra bien payer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204384/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les nouvelles mesures devraient engendrer une réduction du déficit public de 0,6 % du PIB, bien loin des 5 % de déficit structurel qu’enregistre aujourd’hui la France.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2037712023-04-13T12:22:18Z2023-04-13T12:22:18ZLe Conseil Constitutionnel a déjà pris des décisions plus politiques que juridiques : l’exemple des langues dites régionales<p>Le passage de la loi sur la réforme des retraites devant le Conseil Constitutionnel (CC) a suscité autant de vives attentes que de vives inquiétudes, soulevant des interrogations sur la nature de la décision rendue vendredi 14 avril. </p>
<p>D’une part, des spécialistes de droit constitutionnel avaient longuement débattu sur les motifs qui pouvaient conduire, ou pas, à déclarer une non-conformité partielle ou totale à la constitution, car il y a toujours une <a href="https://actu.dalloz-etudiant.fr/a-la-une/article/linterpretation-de-la-regle-de-droit-les-auteurs-de-linterpretation-episode-1/h/ad30d8537c4d99ca6b3c8bde580d28b9.html">part d’interprétation du droit</a>.</p>
<p>D’autre part, on avait surtout beaucoup commenté ces derniers temps la composition même ce conseil dont les membres sont davantage des politiques que des juristes, et qu’on soupçonne de pouvoir rendre des décisions de conformité plus <a href="https://aoc.media/analyse/2022/04/10/le-conseil-constitutionnel-sujet-dinquietude/">politiques que juridiques</a>.</p>
<p>Finalement, le Conseil aura décidé de valider largement le texte de la réforme des retraites, tout en rejetant la proposition d'un référendum d'initiative partagé (RIP). Une deuxième demande pour un RIP a été déposée. </p>
<p>Les interrogations sur le CC persistent et une façon d'y répondre est d’examiner des décisions qu'il a déjà rendues. Le domaine des langues dites régionales de France (LdRF) est éclairant sur ce point.</p>
<h2>Une construction régulière d’une jurisprudence</h2>
<p>Le CC a été amené depuis les années 1990 à se prononcer plusieurs fois sur la constitutionnalité de dispositions portant sur les LdRF, notamment sur:</p>
<ul>
<li><p>les statuts particuliers de la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1991/91290DC.htm">Corse</a> (1991) et de la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1996/96373DC.htm">Polynésie</a> (1996) qui généralisent l’offre d’enseignement du corse et du tahitien,</p></li>
<li><p>le projet de ratification de la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1999/99412DC.htm">Charte européenne des langues régionales et minoritaires</a> (1999),</p></li>
<li><p>l’interprétation de l’<a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2011/2011130QPC.htm">article 75-1 de la Constitution</a> (2011)[5] ajouté en 2008 dans le titre XII portant sur les collectivités territoriales : «Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France»,</p></li>
<li><p>la loi «Molac» <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/2021818DC.htm">«relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion»</a> (2021).</p></li>
</ul>
<p>Ces saisines et décisions sont principalement fondées sur l’alinéa ajouté en 1992 à l’article 2 de la Constitution de 1958 : «La langue de la République est le français», mais aussi sur l’article 1 de la Constitution : «La France est une République indivisible».</p>
<p>L'argumentation pour toutes ces questions met en avant «le principe d’égalité», le refus d’un «droit spécifique» à utiliser une langue autre que le français, autrement dit d’un «droit ou liberté opposable par les particuliers et les collectivités».</p>
<p>En découle que «l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public. Les particuliers ne peuvent se prévaloir, dans leurs relations avec les administrations et les services publics, d'un droit à l'usage d'une langue autre que le français». Le tout est inscrit sous les «principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français».</p>
<p>En conséquence, le CC va systématiquement censurer les textes reconnaissant des droits aux locuteurs et locutrices d'autres langues que le français, notamment et y compris les langues pourtant dites «de France».</p>
<h2>Une argumentation mal fondée qui outrepasse le texte constitutionnel</h2>
<p>Le CC pose comme principe fondamental une <a href="https://www.cnrtl.fr/antonymie/unicit%C3%A9">unicité</a> du peuple français, qui, dans ce contexte et dans son potentiel sémantique, est opposé à pluralité. Or cette unicité <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/l-unite-et-la-diversite-dans-la-republique">n’est pas prévue dans la Constitution</a>, où n’est même pas mentionnée la notion d’unité. Il va ainsi bien au-delà du texte constitutionnel qu’il est supposé interpréter, pour imposer un principe d’unicité linguistique opposé à la reconnaissance d’une <a href="https://theconversation.com/la-france-un-rapport-complique-avec-les-langues-53851">pluralité linguistique</a>.</p>
<p>Le CC va jusqu’à affirmer en 1999 que «Les dispositions combinées de la Charte confèrent des droits spécifiques à des “groupes” de locuteurs de langues régionales ou minoritaires» alors que la Charte ne confère aucun droit collectif à aucun groupe et uniquement des droits individuels dans les rapports avec la justice pour garantir l'équité de traitement des justiciables.</p>
<p>Le CC considère que ne reconnaitre que le droit à s'exprimer en français garantit l'égalité des personnes. Ce postulat ne tient pas face <a href="https://theconversation.com/lenseignement-des-langues-regionales-et-lembarras-constitutionnel-161515">à la réalité sociolinguistique de la France</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Présentation de la loi dite Molac par le député Paul Molac, adoptée par le Parlement et ensuite partiellement censurée par le Conseil Constitutionnel en mai 2021.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il crée, à l'inverse, une inégalité de droits et de fait entre, d'une part, les personnes dont le français est la langue première (maternelle, principale, historique) qui bénéficient de tous leurs droits dans leur langue première et, d'autre part, les personnes dont la langue première est autre et qui n'ont aucun droit dans leur langue première.</p>
<p>Ces personnes sont nombreuses en France et, en l'occurrence, de nationalité française parlant une LdRF : plus de 80% de la population dans les outre-mer, autour de 10% en moyenne dans les régions concernées de France dite métropolitaine, avec des pics entre 25 et 50% dans certaines zones <a href="https://www.mintzaira.fr/fileadmin/documents/Enquete_sociolinguistique/EJ-ren_aurkezpena__FR__01.pdf">basques</a>, <a href="https://www.isula.corsica/assemblea/docs/rapports/2022O2303-annexe.pdf">corses</a>, <a href="https://www.olcalsace.org/fr/observer-et-veiller/le-dialecte-en-chiffres">alsaciennes</a>, <a href="https://www.bretagne.bzh/app/uploads/Etude-sur-les-langues-de-bretagne.pdf">bretonnes</a> ou <a href="https://www.ofici-occitan.eu/wp-content/uploads/2020/09/OPLO_Enquete-sociolingusitique-occitan-2020_Resultats.pdf">occitanes</a> [9].</p>
<h2>Une ignorance des traités internationaux ratifiés par la France</h2>
<p>Le CC ne mentionne pas et ne prend jamais en compte les traités internationaux contraignants, pourtant déjà ratifiés par le France, qui garantissent des droits linguistiques fondamentaux et interdisent les discriminations à prétexte linguistique. Il s'agit notamment de l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ONU, ratifié par la France en 1980) ; des articles 2.1 et 29.1 de la Convention relative aux Droits de l'Enfant (ONU ratifiés par la France en 1990) ; de l'article 14 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales (Conseil de l'Europe, ratifiée intégralement par la France en 1974) ; des articles 21 et 22 de la Charte Européenne des Droits Fondamentaux (Union européenne, devenue contraignante pour tous les états les membres de l'UE en 2007).</p>
<p>D'après <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/role-et-pouvoirs-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-de-l-assemblee-nationale/les-fonctions-legislatives/la-ratification-des-traites">l'Assemblée nationale et le Conseil d'État</a>, les traités internationaux ont pourtant une valeur supérieure à celle d'une loi française.</p>
<h2>Une méconnaissance des textes légaux déjà en vigueur</h2>
<p>Ces décisions du CC sont aussi en contradictions avec diverses lois françaises, dont la constitutionnalité n'a pas été contestée. Ainsi, en 2016 à l'occasion du vote de la loi «Pour une justice du XXI<sup>e</sup> siècle» portant notamment adaptation du droit français au droit européen, l'article 225 du code pénal, qui interdit les discriminations, a été modifié par cet ajout :</p>
<blockquote>
<p>«Constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques [ou morales] sur le fondement […] de leur capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français».</p>
</blockquote>
<p>Le code du travail (art. L-1132-1 et L-1321-6), le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (art. L-526-1 t L-723-6) et le Code de procédure pénale (art. L-803-5 et D-594) comprennent différents articles qui donnent la possibilité ou l'obligation de fournir des documents aux personnes non ou peu francophones «dans une langue qu'elles comprennent» et le droit de s'exprimer dans leur langue. <a href="https://www.zinfos974.com/Ne-comprenant-pas-le-creole-les-juges-obliges-de-recourir-a-un-interprete_a188134.html">Ce droit a été récemment appliqué</a> pour un prévenu réunionnais s'exprimant uniquement en créole.</p>
<h2>Des décisions qui relèvent d'un dogme national</h2>
<p>Le CC met ainsi en œuvre une conception politique orientée de la France, qu'on peut résumer comme un projet d'assimilation exclusive à l'une des communautés linguistiques de France, où les personnes qui parlent des LdRL, y compris comme langue première ou unique, sont privées de droits.</p>
<p>Cette <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-de-la-lcd-lutte-contre-les-discriminations-2018-2-page-27.htm">idéologie linguistique</a> est <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2022-4-page-87.htm">bien connue et étudiée</a>.</p>
<p>Elle est bien résumée par le <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2007/04/19/encreve-braudeau-la-passion-du-francais-vivant_898247_3260.html">sociolinguiste Pierre Encrevé</a>:</p>
<blockquote>
<p>«l'idéologie linguistique française (ILF) […] instaurait le culte de la langue française (orale et écrite) en religion d'État ; d'où il suivait que le citoyen devait non seulement parler français mais ne parler que français en France. […] On peut caractériser l'ILF en quelques phrases : s'il y a des droits linguistiques, ce ne peuvent être que les droits exclusifs de la langue française ; laquelle, figure par excellence de l'identité unitaire de la nation, a tous les droits».</p>
</blockquote>
<p>Dans un entretien avec le journaliste Michel Feltin-Palas, un ancien secrétaire général du CC, qui avait en charge la préparation des décisions du CC sur ce sujet de 1997 à 2007, <a href="https://www.lexpress.fr/culture/la-loi-molac-le-conseil-constitutionnel-et-l-acharnement-artificiel_2150525.html">reconnaît l'ampleur de son ignorance</a>, de ses préjugés et la force de ses orientations idéologiques sur les LdRL.</p>
<p>Les décisions du CC concernant les LdRF ont ainsi fait l'objet de critiques sévères pour leurs errements idéologiques, tant de la part d’<a href="https://www.lexpress.fr/culture/lre/langues-de-france-l-etrange-sagesse-du-conseil-constitutionnel_2108961.html">observateurs</a>, de <a href="https://www.persee.fr/doc/diver_1769-8502_2007_num_151_1_2818">travaux de sociolinguistes</a> <a href="https://books.openedition.org/msha/1843?lang=fr">ici</a> ou <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2011-1-page-69.htm">là</a>, que de <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-droit-constitutionnel-2001-1-page-3.htm">juristes</a>.</p>
<p>Il n'est pas impossible que des décisions plus politiques que juridiques soient à nouveau prises pour d'autres sujets. Mais rien n'est sûr, puisque ce n'est pas qu'une affaire de droit constitutionnel.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203771/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Philippe Blanchet est membre de la Ligue des Droits de l'Homme. </span></em></p>Le Conseil Constitutionnel a déjà pris des décisions de conformité plus politiques que juridiques comme le montre l'exemple des langues régionales.Philippe Blanchet, Chair professor, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1873782022-08-15T20:26:31Z2022-08-15T20:26:31ZEt si les citoyens participaient aux référendums initiés par le président ?<p>Le premier mandat d’Emmanuel Macron, par rapport à ceux de ses prédécesseurs, a eu la particularité de voir monter une critique de la verticalité des institutions de la V<sup>e</sup> République et de la toute-puissance présidentielle, dont a témoigné, entre autres, le mouvement des « gilets jaunes ». Cette critique s’est en quelque sorte matérialisée dans les résultats des législatives. Alors que depuis l’alignement des deux élections consécutif à la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/les-revisions-constitutionnelles/loi-constitutionnelle-n-2000-964-du-2-octobre-2000">réforme de 2000</a>, les Français avaient plutôt semblé considérer qu’il fallait donner au président venant d’être élu une majorité pour gouverner, il semble qu’ils aient voulu cette fois obtenir le résultat inverse : obliger l’hôte de l’Élysée, en lui refusant la majorité absolue à laquelle il aspirait, <a href="https://theconversation.com/legislatives-lelection-de-la-rupture-184949">à composer avec les forces politiques</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, on peut aussi spéculer sur le recours au référendum présidentiel prévu par <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000019241004">l’article 11 de la constitution</a>, qui permet au chef de l’État, sur proposition du premier ministre (ou des assemblées), de soumettre directement au peuple un projet de loi. Le président réélu en avril pourrait être tenté d’en faire un usage minoritaire, en l’absence d’une majorité parlementaire en faveur d’un texte, un peu à la manière de Gaulle au début de la <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100996600">Vᵉ République</a>, et plus encore en l’absence, amplifiée par un taux d’abstention hors-normes aux dernières élections législatives, d’une majorité dans le pays – ce qui est sans doute ici une différence avec le fondateur de la V<sup>e</sup> République. Il s’agirait alors d’assurer une légitimité plus forte à certaines réformes difficiles.</p>
<h2>Exclure catégoriquement la révision de la constitution par l’article 11</h2>
<p>Il n’est pas souhaitable en revanche que l’article 11 soit utilisé pour réviser la constitution. On touche ici à un débat récurrent sous la V<sup>e</sup> République, qui commença avec le recours à deux reprises par le général de Gaulle à cet article pour modifier le texte de 1958. La première fois, avec succès, en 1962, pour introduire l’élection directe par les Français du président de la République (le texte de 1958 prévoyait son élection par un collège d’environ 80 000 élus) ; la seconde fois en 1969, après les événements de mai 1968, pour réaliser une double réforme du Sénat et des régions censée répondre aux aspirations du mouvement de contestation.</p>
<p>Fatigués de Gaulle, les Français répondirent cette fois par la négative, sachant qu’un échec entraînerait la démission de l’intéressé, ce qui se produit effectivement, mettant fin à la carrière politique du grand homme.</p>
<p>Rappelons en effet qu’il n’y a qu’une seule procédure de révision constitutionnelle prévue par la constitution, celle de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGISCTA000006095847">article 89</a>, qui dispose qu’un texte doit être voté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat et soit ensuite soumis au référendum sauf si le président de la République décide de le soumettre au Congrès (qui doit alors l’approuver à la majorité des 3/5).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/referendums-assemblees-citoyennes-des-propositions-a-ne-pas-sous-estimer-108927">Référendums, assemblées citoyennes : des propositions à ne pas sous-estimer</a>
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<p>À l’exception des gaullistes, les partis s’étaient unanimement élevés contre l’usage de l’article 11 pour réformer la constitution en 1962. Le président du Sénat de l’époque, Gaston Monnerville, parla <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-politique-2010-3-page-4.htm">d’acte de forfaiture</a> et l’Assemblée nationale vota la censure du gouvernement Pompidou, coupable d’avoir proposé le référendum au président de la République.</p>
<p>Les partis étaient évidemment défavorables à l’élection directe du chef de l’État, qui les dépossédait d’une prérogative. C’est ce qui explique que le général de Gaulle n’ait pas recouru à l’article 89, qui aurait supposé une approbation préalable de la réforme par le parlement. Mais les <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/10/17/la-validite-du-scrutin-du-28-octobre_2359463_1819218.html">juristes</a> condamnèrent tout autant ce qui était à leurs yeux un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1962/07/19/i-l-election-du-president-de-la-republique-au-suffrage-universel_2373199_1819218.html">détournement de procédure</a>.</p>
<p>Pour autant, saisi pour contrôler la constitutionnalité de la loi référendaire, le Conseil constitutionnel se déclara incompétent, estimant qu’il ne pouvait se prononcer que sur des lois votées par le parlement. Le problème qui se posait était celui du moment du contrôle de la part, en outre, d’une institution (le tout jeune Conseil constitutionnel) disposant d’une faible légitimité. Ce dernier ne s’était pas encore affirmé à l’époque comme gardien de la constitution. Le vote référendaire approuvant la réforme a ainsi été considéré comme légitimant a posteriori le recours à l’article 11.</p>
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<h2>La protection de la constitution</h2>
<p>Une telle pratique n’est plus du tout admissible aujourd’hui. La France est une démocratie constitutionnelle qui s’est engagée dans le respect de la prééminence du droit. Si une procédure spéciale, plus lourde que pour la loi ordinaire, est prévue pour réviser la constitution, comme c’est le cas dans la plupart des autres démocraties, cette procédure doit être respectée car elle sert précisément à empêcher que l’on ne modifie trop facilement la constitution et s’en prenne notamment à des libertés et des droits qu’elle garantit.</p>
<p>L’hypothèse d’un recours à l’article 11 pour réformer la constitution a ressurgi dans le débat public lors de la dernière campagne présidentielle après que certains candidats, notamment d’extrême droite, <a href="https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/revision-de-la-constitution-par-referendum-marine-le-pen-dans-une-impasse">aient annoncé qu’ils pourraient l’envisager</a>. À juste titre, la plupart des juristes ont estimé que la jurisprudence du Conseil constitutionnel depuis 2000 indiquait que celui-ci pourrait bloquer un tel usage. En effet, à l’occasion du référendum sur la révision de l’article 6 de la constitution, relatif à la durée du mandat présidentiel (passage du septennat au quinquennat), correctement engagé dans le cadre de la procédure de l’article 89, le Conseil constitutionnel a accepté de contrôler les actes préparatoires à l’organisation d’un référendum, dans le cadre des compétences qu’il tient de l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527548">article 60 de la constitution</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Traité européen 2005 : la France se prononce contre lors du referendum.</span></figcaption>
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<p>Cinq ans plus tard, il était amené à se prononcer sur la constitutionnalité du décret convoquant le référendum sur le projet de loi de ratification du Traité constitutionnel européen, qui intervenait cette fois dans le cadre de l’article 11. Interrogé notamment sur la conformité du Traité à la Charte de l’environnement, qui venait juste d’être insérée dans la constitution, il ne s’est pas clairement déclaré incompétent et a même considéré qu’« en tout état de cause » le <a href="https://www.researchgate.net/publication/278817550_La_decision_Hauchemaille_et_Meyet_du_24_mars_2005_un_nouveau_pas_en_matiere_de_controle_des_referendums">traité n’était pas contraire à la Charte</a>. Ce qui montre que, bien que restant très évasif sur l’étendue de sa compétence, il pourrait à l’occasion de ce contrôle des actes préparatoires à tout référendum, considérer que la procédure normale de révision de la constitution n’est pas respectée.</p>
<p>On ne saurait pour autant conclure de cette jurisprudence que le président de la République est désormais contrôlé dans son usage de l’article 11 et ne pourrait plus l’utiliser pour réformer la constitution. Seule une révision de cet article faisant apparaître explicitement l’interdiction de réviser la constitution par son biais et introduisant un véritable contrôle préventif par le Conseil constitutionnel de conformité du projet de loi au cadre formel et matériel prévu par la constitution peut offrir une telle garantie.</p>
<p>Il reste qu’une révision constitutionnelle se doit de passer par l’article 89, qui requiert a minima une approbation parlementaire de la majorité des membres de chaque Chambre. Dans le contexte actuel d’absence de majorité et de polarisation extrême des forces politiques, les chances d’aboutissement d’une réforme de l’article 11 apparaissent donc minces. Rappelons que sous la législature précédente, bien que doté d’une majorité écrasante à l’Assemblée nationale, Emmanuel Macron n’avait pu mener à bien ses deux projets successifs de réforme institutionnelle faute d’un soutien du Sénat.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reviser-la-constitution-par-referendum-la-pratique-peut-elle-contredire-le-texte-181425">Réviser la Constitution par référendum : la pratique peut-elle contredire le texte ?</a>
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<h2>Mieux associer les citoyens au référendum présidentiel ?</h2>
<p>Le véritable enjeu de ce quinquennat est plutôt un usage rénové, impliquant plus les citoyens, du référendum présidentiel. Celui-ci s’est vu souvent reproché, à juste titre, son caractère trop personnalisé et le glissement d’enjeu qui en résulte.</p>
<p>Cela est évidemment dû au fait que le président est le seul à pouvoir, selon les termes de l’article 11, décider d’organiser un référendum, qui plus est, exclusivement sur un projet de loi. Une réforme de l’objet du référendum présidentiel ne devrait sans doute pas se limiter à écarter les révisions constitutionnelles de son champ. Elle devrait, a contrario, élargir cet objet en permettant qu’il ne porte pas seulement sur des projets de loi mais aussi sur des propositions de loi d’initiative citoyenne, telles que celles émanant d’assemblées de citoyens tirés au sort, à l’égard desquelles l’actuel président a montré son intérêt en organisant la Convention citoyenne sur le climat.</p>
<p>Actuellement le chef d’État n’a d’autre choix que de reprendre à son compte une proposition législative d’une telle assemblée pour pouvoir la soumettre au peuple par l’article 11, ce qui est propice au glissement d’enjeu sur sa personne.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pMia0dnhThI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Convention citoyenne pour le climat, portraits, France 3.</span></figcaption>
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<p>En <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/nouveaux-cahiers-du-conseil-constitutionnel/la-transformation-de-l-ecriture-de-la-constitution-l-exemple-islandais">Islande</a>, ou une convention de citoyens tirés au sort a élaboré un projet de réforme de la constitution en 2010, dont les principales propositions ont ensuite été reprises par un comité de réforme de la constitution élu en 2011, le gouvernement a soumis les principaux points de ce projet (sous forme de questions générales) au vote consultatif des citoyens. De même en <a href="https://laviedesidees.fr/Les-assemblees-citoyennes-en-Irlande.html">Irlande</a>, les amendements de la constitution préconisés par la « Convention constitutionnelle » (composée de citoyens tirés au sort et d’élus) en 2012, puis par l’« Assemblée de citoyens » (exclusivement composée de citoyens tirés au sort) en 2016, qui furent soumis au référendum et aboutirent notamment à la légalisation du mariage entre personnes du même sexe et de l’avortement, avaient été approuvés au préalable par le parlement mais apparaissaient bien comme émanant de ces assemblées. Les expériences de ce type ont tendu à se multiplier ces dernières années et <a href="https://books.openedition.org/dice/10570">comportent de plus en plus souvent des référendums</a>).</p>
<p>Ici aussi cependant, il est illusoire de croire que le parlement en fonction puisse approuver une révision. Un éventuel référendum sur une proposition formulée par une assemblée tirée au sort, ou comportant des citoyens tirés au sort, devra se présenter formellement comme un référendum sur un projet de loi de l’exécutif.</p>
<h2>De nouvelles expérimentations citoyennes ?</h2>
<p>En l’absence d’une réforme de l’article 11, on peut néanmoins suggérer qu’un éventuel recours à un référendum législatif par le président de la République s’accompagne d’une innovation ne nécessitant aucune révision de cet article, et qui permettrait d’impliquer plus activement les citoyens dans la campagne référendaire. Il pourrait s’agir d’instituer en amont de celle-ci une chambre citoyenne tirée au sort, sur le modèle des commissions d’examen des initiatives citoyennes (« Citizens Initiative Review », CIR) <a href="https://olis.oregonlegislature.gov/liz/2019R1/Downloads/CommitteeMeetingDocument/173979">mises en place dans l’Oregon</a> et imitées dans d’autres États américains et qui sont actuellement objets <a href="https://global.oup.com/academic/product/hope-for-democracy-9780190084523?cc=us&lang=en&">d’expérimentations en Suisse et dans d’autres pays européens</a>. Les CIR, qui émettent des avis sur les propositions référendaires, ont été jusqu’ici utilisés dans le cadre de référendums d’initiative populaire, mais rien n’empêche d’y recourir pour des référendums d’initiative présidentielle.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/et-si-les-municipales-etaient-loccasion-de-mettre-en-place-un-ric-130896">Et si les municipales étaient l’occasion de mettre en place un RIC ?</a>
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<p>Ces commissions seraient chargées d’étudier le projet de loi présidentiel et de livrer des analyses et recommandations au grand public en vue du vote. Leur avantage, dans la situation politique actuelle, serait d’offrir un point de vue sur un projet de loi soumis au vote – par exemple la réforme des retraites, la lutte contre le réchauffement climatique, etc. – dégagé des logiques de compétition et d’affrontement partisans qui font perdre de vue le sens de l’intérêt général et transforment le référendum présidentiel en vote pour ou contre le président.</p>
<p>Avec le grand débat national, puis la Convention citoyenne pour le climat, Emmanuel Macron a montré son intérêt pour des formules permettant de mieux intégrer les citoyens dans la prise de décision politique. Il a aussi récemment annoncé pour la seconde semaine de septembre l’institution d’un <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/le-conseil-national-de-la-refondation-installe-la-2e-semaine-de-septembre-annonce-veran-20220721">Conseil National de la Refondation</a> (CNR), bien que l’on ne sache pas encore clairement si cette instance comportera ou non des citoyens tirés au sort aux côtés des représentants institutionnels et de la société civile. Il n’est pas totalement exclu de l’espérer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187378/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le président pourrait être tenté de faire un usage minoritaire du référendum mais sous quelles modalités ? Explications.Laurence Morel, Maitre de conférences, science politique, Université de LilleMarthe Fatin-Rouge Stefanini, Directrice de recherches au CNRS, laboratoire de Droit International, Comparé et Européen, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1615152021-05-26T18:50:26Z2021-05-26T18:50:26ZL’enseignement des langues régionales et l’embarras constitutionnel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/402644/original/file-20210525-13-uu6g4o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Conseil constitutionnel a rejeté la question d'un enseignement immersif des langues régionales.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Saisi par une soixantaine de députés de la majorité, après le vote au Parlement le 8 avril dernier d’une proposition de <a href="https://www.lexpress.fr/culture/le-conseil-constitutionnel-censure-l-essentiel-de-la-loi-molac-sur-les-langues-regionales_2151263.html">loi</a> « relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion » déposée par le député breton Paul Molac, le Conseil constitutionnel <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/05/21/saisi-par-la-majorite-le-conseil-constitutionnel-censure-une-partie-de-la-proposition-de-loi-sur-les-langues-regionales_6081087_823448.html">vient de rendre un verdict</a> qui suscite de vives réactions.</p>
<p>Le groupe parlementaire de Paul Molac, « Libertés et territoires », envisage des recours auprès des institutions européennes ; et le président du MoDem, <a href="https://twitter.com/bayrou/status/1395753720793681929">François Bayrou</a>, s’insurge : « Sur l’immersion, c’est une vision totalement dépassée. Si le sens de la décision du Conseil constitutionnel est de mettre en cause le principe des écoles Diwan, Ikastolas, Calendrettas, Bressaola, alors la situation sera explosive »</p>
<p>Le Conseil constitutionnel s’en est pris avant tout à <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/278001-loi-sur-les-langues-regionales-loi-molac">l’article 4</a> qui étend « les formes dans lesquelles peut être proposé, dans le cadre des programmes de l’enseignement public, un enseignement facultatif de langue régionale » et prévoit que « cet enseignement peut être proposé sous la forme d’un enseignement immersif en langue régionale, sans préjudice d’une bonne connaissance de la langue française ».</p>
<p>Et le Conseil constitutionnel rappelle qu’« aux termes du premier alinéa de l’article 2 de la constitution, la langue de la République est le français »</p>
<h2>30 ans de débats</h2>
<p>On se retrouve ainsi dans un débat récurrent depuis une trentaine d’années. Le 5 novembre 1992, le Conseil de l’Europe adopte une « <a href="https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/treaty/148">Charte européenne</a> des langues régionales et minoritaires » au nom d’« une Europe fondée sur le principe de la démocratie et de la diversité culturelle ». Le préambule déclare « imprescriptible » le droit à la pratique des langues régionales « dans la vie publique et privée ».</p>
<p>Contrairement à la plupart des pays de la Communauté européenne, la France refuse de signer la Charte. Les raisons invoquées sont que la Charte va à l’encontre de l’« identité républicaine » et de l’« égalité des citoyens » de la Constitution française, et que le traité de Villers-Cotterêts de 1539 impose l’usage du français (au lieu du latin) dans les affaires judiciaires.</p>
<p>Toutefois, Jack Lang, un Européen très convaincu, s’enflamme publiquement pour la signature de la Charte, dès janvier 1993, en relevant la « contradiction » entre l’action qu’il mène en faveur des langues régionales au sein même de l’Éducation nationale, et le refus de la France de signer. Mais il n’obtient pas gain de cause.</p>
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<figcaption><span class="caption">Polémique sur les langues régionales (INA Société/France 2, 2012).</span></figcaption>
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<p>François Bayrou, qui prend le relais de Jack Lang à la tête du ministère de l’Éducation nationale au printemps 1993 est lui aussi un « européen » très convaincu et un partisan résolu de l’enseignement des langues régionales. Il annonce une « ère nouvelle, celle de la reconnaissance des langues et cultures régionales ».</p>
<p>Changement de ton avec son successeur <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2001/04/30/claude-allegre-critique-le-plan-sur-les-langues-regionales-mais-soutient-jack-lang_177710_1819218.html">Claude Allègre</a>, qui déclare le 29 avril 2001 sur France Inter : « La première priorité, c’est le français ; la deuxième priorité, c’est de parler anglais ; les langues régionales, cela vient après ».</p>
<h2>Principes constitutionnels</h2>
<p>Il est vrai que le processus d’une signature de la « Charte » avait été enclenché deux ans plus tôt, mais sans succès. Le 7 mai 1999, le ministre délégué aux Affaires européennes Serge Moscovici signe la « Charte » à Budapest. Le texte doit être soumis à la ratification du Parlement en 2000. Cette signature est assortie d’une déclaration liminaire « restrictive » : la France</p>
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<p>« interprète la Charte dans un sens compatible avec le préambule de la Constitution qui assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi et ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ».</p>
</blockquote>
<p>Elle déclare n’envisager la ratification que « dans la mesure où elle ne vise pas à la reconnaissance et à la protection de minorités, mais à promouvoir le patrimoine linguistique européen, et que l’emploi du terme de “groupes” de locuteurs ne confère pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires ». Onze des alinéas, sur les trente-neuf articles retenus dans la Charte, relèvent principalement du domaine scolaire.</p>
<p>Le Président de la République Jacques Chirac saisit le Conseil constitutionnel qui juge le préambule de la « Charte européenne des langues régionales ou minoritaires » ainsi que son article 7 (qui a un caractère général et contraignant) contraires à la Constitution. Et cela, en dépit de la déclaration liminaire accompagnant la signature.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1395668688502620162"}"></div></p>
<p>Lors de sa campagne des présidentielles de 2007, Nicolas Sarkozy a clairement écarté tout projet de ratification. Dans le cadre de sa réforme constitutionnelle, en 2008, il a certes accepté d’inclure à l’article 75-1 l’appartenance des langues régionales « au patrimoine de la France ». Mais il a réitéré, lors de sa deuxième campagne présidentielle, publiquement et explicitement, son opposition à tout projet de ratification.</p>
<p>En revanche, lors de ces mêmes présidentielles de 2012, l’engagement d’une ratification de la Charte a été pris formellement par trois des candidats : Éva Joly, François Bayrou et François Hollande (c’était même l’une de ses « 60 propositions »). La ratification de la Charte a d’ailleurs été relancée par le Premier ministre Jean‑Marc Ayrault en décembre 2013.</p>
<p>Mais la proposition de loi constitutionnelle est complétée par une « déclaration interprétative » qui expose d’une part que la Charte ne confère pas « de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires » et d’autre part qu’elle pose « un principe général n’allant pas à l’encontre de l’article 2 de la Constitution ». Cela n’alla pas plus loin. Et on est toujours dans cette situation voire cette expectative.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/161515/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Saisi par une soixantaine de députés après le vote de la proposition de loi Molac, le Conseil constitutionnel vient de rendre un verdict qui suscite de vives réactions. Mise en perspective historique.Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1520302020-12-16T19:17:20Z2020-12-16T19:17:20ZComment le fichage policier est-il contrôlé ?<p><a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/12/07/le-gouvernement-elargit-trois-fichiers-de-renseignement_6062511_4408996.html">Quelques médias</a> s’en sont fait récemment l’écho : le gouvernement a très récemment étendu les possibilités de collecte d’informations ayant trait aux opinions politiques et mêmes religieuses dans le cadre de certains fichiers de police. Cette modification résulte de plusieurs <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042607323">décrets du 2 décembre</a> dernier et concerne trois fichiers déjà contestés et relatifs aux troubles à <a href="https://www.laurent-mucchielli.org/index.php?post/2011/04/03/Trois-nouveaux-fichiers-pour-%8Etendre-cette-fois-ci-la-m%8Emoire-gendarmique">la sécurité publique</a> : PASP, GIPASP et EASP.</p>
<p>La critique contre <a href="https://journals.openedition.org/champpenal/10843?lang=fr">les fichiers de police</a> n’est pas nouvelle, et revient régulièrement sur le devant de l’actualité. Que ce soit suite à la mise en place du <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/674441/non-respect-du-confinement-pourquoi-le-delit-est-il-conteste/">confinement</a>, suite à des événements ayant mobilisé <a href="https://www.leparisien.fr/societe/migrants-un-decret-va-creer-un-fichier-des-mineurs-isoles-31-01-2019-8000997.php">l’opinion publique</a>, ou dans le cadre de <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/cinq-questions-sur-le-fsprt-le-fichier-sur-la-radicalisation-en-france-1243291">la lutte antiterroriste</a>, le fichage policier semble prendre de plus en plus de place dans la boite à outils des gouvernements.</p>
<h2>Un régime de fichiers de police original</h2>
<p>Pourtant, le fichage est en France relativement encadré. Si les fichiers de police échappent au <a href="https://www.cnil.fr/fr/reglement-europeen-protection-donnees">Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD)</a>, ils ne sont pas hors de contrôle. Au niveau européen, c’est la <a href="https://www.cnil.fr/fr/directive-police-justice-de-quoi-parle-t">directive police – justice</a> qui en fixe les contours généraux. </p>
<p>À l’échelle nationale, les fichiers de police entrent dans le cadre législatif de tout traitement de données à caractère personnel : la <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-loi-informatique-et-libertes">loi Informatique et Libertés</a> du 6 janvier 1978, régulièrement modifiée et amendée.</p>
<p>Pour autant, le régime des fichiers de police est original en plusieurs points. </p>
<p>Si les droits accordés aux <a href="https://www.cnil.fr/fr/le-droit-dacces-aux-fichiers-de-police-de-gendarmerie-et-de-renseignement">individus fichés</a> sont nécessairement moindres que ceux qui bénéficient aux utilisateurs de services commerciaux (ne serait-ce que quant à l’éventualité d’un droit de retrait par exemple), c’est surtout quant à leur processus d’édiction (établissement d'un acte de loi) et de contrôle que l’étude précise devient intéressante.</p>
<h2>Naissance et évolution des fichiers de police</h2>
<p>Tout d’abord, comment naissent ou évoluent les fichiers de police ? Les articles 31 et 32 de la loi Informatique et Libertés imposent un processus clair : les fichiers de police sont « autorisés par arrêté du ou des ministres compétents », ou, lorsque le fichier porte sur des données particulièrement sensibles, par « décret en Conseil d’État », c’est-à-dire par le Premier ministre, après avis du Conseil d’État. </p>
<p>Juridiquement, les arrêtés ou les décrets sont des textes réglementaires : ils sont pris par le pouvoir exécutif, sans consultation, ni débat, ni vote du Parlement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Être fiché S, ça veut dire quoi ?</span></figcaption>
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<p>Bien que cette compétence soit régulièrement contestée (ici compris par un <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/13/rap-info/i4113.asp">rapport parlementaire</a>), au nom de l’impact que peuvent avoir ces fichiers sur les libertés fondamentales et de la nécessité d’un <a href="https://theconversation.com/fichiers-sanitaires-un-destin-trace-vers-la-surveillance-generalisee-141894">débat démocratique</a> sur ces questions, la très grande majorité des fichiers de police est ainsi issue de textes réglementaires. La récente extension n’échappe pas à la règle puisqu’il s’agit de trois décrets.</p>
<h2>Peu de contraintes</h2>
<p>Pour autant, le gouvernement n’est pas seul à la barre. Les mêmes articles 31 et 32 précisent ainsi que, dans tous les cas, les projets d’institution ou de modification des fichiers de police doivent être soumis, pour avis, à la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL). L’avis rendu doit également être publié.</p>
<p>Ce contrôle, en apparence rassurant puisque la CNIL est une autorité administrative parfaitement indépendante et garante des libertés, n’en est pourtant pas un. L’avis rendu n’a en effet aucune portée contraignante pour le gouvernement : comme elle le <a href="https://www.cnil.fr/fr/publication-des-decrets-relatifs-aux-fichiers-pasp-gipasp-et-easp-la-cnil-precise-sa-mission">souligne</a> elle-même, « cet avis ne constitue pas une « autorisation » ou un « refus » de la CNIL ».</p>
<p>Cette absence de contrainte résulte d’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000441676?r=d0uDwmyoje">modification législative de 2004</a>, puisque avant cette date, l’autorité disposait d’un véritable droit de veto, dont elle est désormais privée.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1336046145320181762"}"></div></p>
<p>L’exemple de l’extension récente des trois fichiers de police est sur ce point éclairant. Dans <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042608200">son avis</a>, si la CNIL validait certains points rendus nécessaires, elle mettait en garde le gouvernement sur de nombreux autres, notamment sur le périmètre très étendu de certaines données ou sur leur caractère automatisé.</p>
<p>Les décrets finalement publiés n’ont tenu aucun compte de ces critiques. Plus encore, des ajouts ont été faits après la consultation de la CNIL, notamment sur les données relatives aux opinions politiques, comme le souligne l'autorité dans un récent <a href="https://www.cnil.fr/fr/publication-des-decrets-relatifs-aux-fichiers-pasp-gipasp-et-easp-la-cnil-precise-sa-mission">communiqué de presse.</a></p>
<p>Il faut rappeler d’ailleurs que le projet transmis à la CNIL est souvent incomplet, ou très différent de celui finalement publié. Le délai est également très court : la CNIL ne dispose que de huit semaines, pour étudier parfois des centaines de pages lors de la mise en place d’un nouveau fichier.</p>
<h2>La CNIL contrôle mais pour quels résultats ?</h2>
<p>La CNIL n’est pas la seule à intervenir lors du processus d’édiction ou de modification des fichiers. <a href="https://www.conseil-etat.fr/le-conseil-d-etat/missions">Le Conseil d’État</a>, organe napoléonien de conseil et de contrôle du gouvernement, doit également donner son avis avant la publication des décrets qui portent sur des données particulièrement sensibles : ce sont les « décrets en Conseil d’État » mentionnés plus haut. Les avis rendus sont tenus secrets, sauf volonté explicite du gouvernement, et l’avis ne contraint pas non plus le gouvernement.</p>
<p>Le gouvernement n’a donc les mains liées par aucun acteur, et peut librement prendre tout arrêté ou tout décret en matière de fichiers de police. Quid alors du contrôle, a posteriori, de ces textes ? Là encore, ce sont les mêmes acteurs que l’on retrouve : la CNIL et le Conseil d’État.</p>
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<figcaption><span class="caption">La CNIL, 40 ans et toujours dans l’air du temps !</span></figcaption>
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<p>La CNIL, en tant qu’autorité indépendante, a en effet aussi en charge le contrôle et le suivi des <a href="https://www.cnil.fr/fr/comment-se-passe-un-controle-de-la-cnil">fichiers en activité</a>, dont les fichiers de police. Ce pouvoir permet à la CNIL de se déplacer dans les lieux de stockage et de consultation des données, et d’accéder au fichier pour faire une vérification précise et rigoureuse.</p>
<p>Néanmoins, ces contrôles nécessitent des moyens humains importants, alors que la CNIL est l’une des autorités de régulation des données les moins dotées de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vie-privee-union-europeenne-une-si-delicate-protection-des-donnees">l’Union Européenne</a>. La CNIL ne dispose en outre d’aucun pouvoir de sanction face à l’État, comme elle en a pourtant <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/cookies-la-cnil-inflige-des-amendes-de-100-et-35-millions-d-euros-a-google-et-amazon-20201210">en matière commerciale</a> : elle peut seulement ici adresser un avertissement, là encore non contraignant, à l’autorité publique, en cas de <a href="https://www.liberation.fr/societe/2013/06/13/les-fichiers-de-police-toujours-truffes-d-erreurs_910680">défaillances</a>, qui sont pourtant régulières. Les rapports issus de ces visites ne sont en outre pas rendus publics.</p>
<p>Certains décrets à l’origine de fichiers de police excluent même tout contrôle de la CNIL, ce que l’article 19 paragraphe IV de <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-loi-informatique-et-libertes#article19">la loi de 1978</a> permet, mais ce n’est pas le cas pour les fichiers concernés par les modifications du 2 décembre dernier.</p>
<h2>Le rôle du Conseil d'Etat</h2>
<p>Le Conseil d’État, en tant cette fois qu’organe de contrôle des actes administratifs, apparaît alors comme le seul véritable vecteur d’un contrôle contraignant. En effet peut être attaqué directement devant lui <a href="https://www.conseil-etat.fr/demarches-services/les-fiches-pratiques-de-la-justice-administrative/introduire-une-requete-devant-le-conseil-d-etat">tout acte</a> réglementaire de portée nationale. Les arrêtés ou décrets instituant ou modifiant des fichiers de police peuvent donc faire l’objet d’un recours par ce biais.</p>
<p>C’est alors la « section du contentieux » du Conseil d’État qui se prononce, qui est <a href="https://www.conseil-etat.fr/le-conseil-d-etat/organisation">statutairement étanche</a> de la « section de l’intérieur » qui joue le rôle de conseil du gouvernement. Dit autrement, ce ne sont pas les mêmes conseillers que ceux qui avaient rendu l’avis. Le Conseil d’État a ici le rôle d’une juridiction de contrôle des actes réglementaires, à la fois de leur légalité (conformité à la loi), de leur constitutionnalité (conformité à la constitution, dans une certaine mesure) et de leur conventionnalité (conformité aux textes internationaux, comme la <a href="https://www.echr.coe.int/documents/convention_fra.pdf">Convention Européenne des Droits de l’Homme</a>).</p>
<p>Les modifications des fichiers PASP, GIPASP et EASP issus des décrets du 2 décembre pourront donc être portées devant le Conseil d’État. Un recours est d’ailleurs en préparation par plusieurs associations, dont la <a href="https://www.laquadrature.net/2020/12/08/decrets-pasp-fichage-massif-des-militants-politiques/">Quadrature du Net</a>. Néanmoins, les procédures judiciaires sont longues, et les résultats en matière de fichage <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/conseil-d-etat-valide-en-l-encadrant-decret-creant-fichier-des-mineurs-isoles">souvent décevants</a>. Par ailleurs, en attendant ce recours et son résultat, les fichiers ainsi modifiés sont d’ores et déjà en activité, puisque les textes réglementaires sont d’application immédiate.</p>
<h2>Le Conseil constitutionnel impuissant</h2>
<p>D’aucuns pourraient ici penser à une intervention du Conseil constitutionnel, dont <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2020/2020801DC.htm">les censures</a> sont souvent médiatiques (comme par exemple lors de la récente loi Avia sur les contenus haineux sur Internet). Il n’en est pas question ici. En effet, le Conseil constitutionnel ne contrôle que <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/19551-quel-est-le-role-du-conseil-constitutionnel">la constitutionnalité</a> des lois, et non des règlements.</p>
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<figcaption><span class="caption">Haine sur Internet : la loi Avia censurée par le Conseil constitutionnel.</span></figcaption>
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<p>Il est d’ailleurs intéressant de noter ici que <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000042611567/2020-12-05">le fichier PASP</a> prévoit une durée de conservation des données de « dix ans après l'intervention du dernier événement » alors même que ce type de limitation potentiellement infinie avait été <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2011/2011625DC.htm">déclaré inconstitutionnel</a>(§72) par le Conseil constitutionnel lors du contrôle d’un des rares textes législatifs en matière de fichiers de police. Mais ici, pas de Conseil constitutionnel donc.</p>
<p>Avec une CNIL relativement impuissante, un Conseil d’État souvent peu protecteur et des textes réglementaires qui semblent prévoir une collecte de données toujours plus importante, les fichiers de police ont un bel avenir devant eux, sans, pour le moment, de débat démocratique ni de limites véritables. L'application des décrets du 2 décembre 2020 devra donc être particulièrement surveillée. </p>
<hr>
<p><em>L'auteur de l'article effectue sa thèse sous la direction de Virginie Peltier.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152030/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yoann Nabat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les récentes critiques contre les fichiers de polices ravivent le débat concernant les libertés et la protection des données individuelles. De la CNIL au Conseil d'Etat qui contrôle le fichage ?Yoann Nabat, Doctorant en droit privé et sciences criminelles, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1273012019-11-21T20:51:22Z2019-11-21T20:51:22ZAugmenter les droits d’inscription à l’université : une autre conception du service public ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/302716/original/file-20191120-491-su70c2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C7%2C992%2C658&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La hausse des frais d'inscription à l'université n'est pas seulement technique et comptable, elle reflète des choix politiques.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/money-coins-saving-set-increase-concept-1416886850?src=4261dc7f-3058-40ea-bde5-01437bbcb45e-2-90">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La situation précaire de nombreux étudiants est très souvent analysée à la lumière de <a href="https://theconversation.com/precarite-etudiante-de-la-difficulte-dune-evaluation-126872">leurs ressources</a>. Mais la lecture de leurs dépenses est tout aussi instructive. Au premier rang, on y retrouve la hausse des frais de scolarité. Une évolution trop souvent avancée comme technique et comptable, quand elle est en réalité fondamentalement politique…</p>
<p>L’augmentation des droits d’inscription à l’université, souvent présentée comme <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid97011/la-situation-financiere-des-universites.html">« sensible politiquement et socialement »</a>, est en réalité une hypothèse qui a depuis longtemps migré des eaux agitées du débat de société vers les étendues placides du consensus politique. A l’été 2011, <a href="http://tnova.fr/rapports/faire-reussir-nos-etudiants-faire-progresser-la-france">Terra Nova</a> et l’<a href="https://www.institut-entreprise.fr/archives/financement-de-lenseignement-superieur-quel-role-pour-les-entreprises">Institut de l’Entreprise</a>, deux <em>think tanks</em> dont on admettra qu’ils n’ont pas la même posture idéologique, plaidaient déjà quasi simultanément pour une augmentation de ces droits.</p>
<p>Cela n’a rien d’étonnant. La mise à contribution des usagers semble être devenue la solution privilégiée pour maintenir à flot certains services publics, alors même que le consentement à l’impôt montre d’inquiétantes limites.</p>
<p>C’est le cas pour ce même service public d’enseignement supérieur dans d’autres pays, comme les États-Unis : dans leur ouvrage sur la <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/313089/the-fourth-revolution-by-john-micklethwait-and-adrian-wooldridge/">« quatrième révolution »</a>, John Mickelthwait et Adrian Wooldridge constatent ainsi que les étudiants des universités d’État californiennes avaient vu leur contribution au financement de leurs établissements passer de 12 % en 1990 à près de la moitié de nos jours. C’est le cas aussi en France dans plusieurs autres secteurs, comme pour les <a href="https://www.culture.gouv.fr/Espace-documentation/Rapports/Evaluation-de-la-politique-de-developpement-des-ressources-propres-des-organismes-culturels-de-l-Etat">organismes culturels de l’État</a> par exemple.</p>
<h2>Stratégie de financement</h2>
<p>Augmenter la <a href="http://www.theses.fr/2015AIXM1036">contribution des usagers</a> pour assurer l’équilibre financier d’un service n’a pourtant rien d’évident. Schématiquement, cela ne peut se défendre que dans trois circonstances :</p>
<ul>
<li><p>Lorsque, parmi l’ensemble des contribuables de la collectivité, la part des usagers du service diminue. Si la quasi-totalité des contribuables sont usagers du service, alors le financement par l’impôt s’impose. À l’inverse, un service qui ne bénéficierait qu’à un nombre très limité de contribuables devrait lui prioritairement être financé par une redevance.</p></li>
<li><p>Lorsque la part des contribuables parmi les usagers du service est de moins en moins importante. Cela peut être le cas lorsqu’un service est quasi exclusivement dédié aux touristes, par exemple.</p></li>
<li><p>Lorsque l’on constate que le service rendu a de moins en moins d’impact pour les contribuables qui ne l’utilisent pas. Si les usagers en sont considérés comme les uniques bénéficiaires, alors un financement majoritaire, voire exclusif, par une redevance plutôt que par l’impôt se justifie.</p></li>
</ul>
<p>On ne change donc pas la <a href="http://rennesmetropole.reference-syndicale.fr/2018/02/faut-il-en-finir-avec-le-paiement-du-service-par-le-contribuable-plutot-que-lusager/">structure</a> de financement d’un service sans que la nature elle-même du service n’ait évolué, qu’il s’agisse du public qu’il attire ou de son rayonnement pour la collectivité. Qu’en est-il du service public d’enseignement supérieur ?</p>
<h2>Mutations en cours</h2>
<p>Une augmentation des droits d’inscription pourrait s’envisager dans le cadre d’une baisse des contribuables parmi les inscrits. C’est une hypothèse que nous écarterons. S’il y a bien sûr le dernier quart de siècle une augmentation de la part des étudiants étrangers dans l’enseignement supérieur, les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1371985?sommaire=1372045">évolutions constatées</a> ne nous semblent pas suffire à motiver une translation vers d’un financement par l’impôt à un financement par des frais d’inscription.</p>
<p>L’augmentation pourrait aussi s’envisager dans le cadre d’une baisse du public concerné. Là aussi, c’est une hypothèse que l’on pourrait être tenté d’écarter, puisque c’est en réalité la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/2492222?sommaire=2492313">tendance inverse</a> qui est à l’œuvre : en 2015, 49 % des femmes et 41 % des hommes ayant entre 25 et 34 ans étaient diplômés de l’enseignement supérieur, contre seulement 39 % des femmes et 27 % des hommes nés deux décennies plus tôt.</p>
<p>Notons que cet élargissement du monde étudiant doit cependant être nuancé. La hausse des effectifs ne doit pas masquer leur évolution qualitative : l’enseignement supérieur ne se serait pas tant ouvert à toutes les classes de la population, il se serait seulement élargi aux classes moyennes, tout en continuant à ne bénéficier que marginalement aux classes populaires…</p>
<h2>Vague libérale</h2>
<p>Enfin, l’augmentation de frais pourrait se faire si le rayonnement du service pour la collectivité diminuait. Il s’agit là de la composante la plus subjective, ou en tout cas la moins objectivable, de notre grille d’analyse. Le service public d’enseignement supérieur serait alors de moins en moins considéré comme participant à l’éducation des citoyens et de plus en plus comme un outil d’insertion personnelle sur le marché du travail.</p>
<p>C’est un glissement sociétal dont il est difficile de contester la résonance, ne serait-ce qu’à travers le <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2016/02/29/le-gouvernement-tente-de-deminer-le-debat-sur-la-selection-en-master_4873345_4401467.html">débat</a> sur la sélection à l’entrée des masters.</p>
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<figcaption><span class="caption">Extrait de journal télévisé sur les nouvelles règles d’entrée en master (CNews).</span></figcaption>
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<p>Parce que son public n’évolue qu’à la marge, l’augmentation de la contribution des étudiants au financement de l’enseignement supérieur peut être interprétée comme un « déclassement » de ce service. La <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2019/2019809QPC.htm">récente décision du Conseil constitutionnel</a> affirmant le principe de gratuité de l’enseignement supérieur public s’apparente presque, on peut le regretter, à un baroud d’honneur.</p>
<p>L’affirmation si tardive d’un tel principe pourra-t-elle résister à une vague idéologique libérale à l’œuvre depuis des décennies ? Seuls les futurs contrôles du respect par le pouvoir réglementaire de la modicité et de l’adaptation aux capacités financières des étudiants pourront nous l’apprendre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/127301/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Eisinger est membre du Bureau de l'AFIGESE</span></em></p>Financer l’enseignement supérieur par l’impôt, c’est le considérer avant tout comme un service public participant à l’éducation des citoyens. Une vision en mutation aujourd’hui ?Thomas Eisinger, Professeur associé en droit, gestion financière et management des collectivités, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1256672019-10-23T19:55:26Z2019-10-23T19:55:26ZDébat : La gratuité garantit-elle l’accessibilité de l’enseignement supérieur ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/298175/original/file-20191022-55641-1y57h1v.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C5%2C998%2C655&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le suivi d’études supérieures représente un effort financier qui va bien souvent au-delà des frais de scolarité.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/hat-graduation-model-on-money-coins-1299673117?src=3gEwOgpfSXR4PJVZy6xhzQ-1-67">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Le 11 octobre 2019, le Conseil constitutionnel <a href="https://www.lemonde.fr/education/article/2019/10/11/le-conseil-constitutionnel-acte-la-gratuite-de-l-enseignement-superieur_6015091_1473685.html">a confirmé</a> le devoir de l’État français en matière de gratuité de l’enseignement supérieur public. Cette décision s’appuie sur le préambule de la constitution du 27 octobre 1947 qui, dans son alinéa 13, stipule que :</p>
<blockquote>
<p>« La Nation garantit l’égal accès de l’enfant et de l’adulte à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. »</p>
</blockquote>
<p>En 1947, les étudiants de l’enseignement supérieur représentaient une infime minorité de chaque génération, et la question était surtout de faire en sorte que chaque enfant puisse fréquenter, sans bourse délier, l’enseignement primaire et secondaire, qui était souvent dispensé à proximité. Mais dans cet alinéa, le Conseil constitutionnel lit aussi que l’enseignement public doit être gratuit à tous les niveaux, y compris après le bac.</p>
<p>Cela semble tout à fait raisonnable au premier abord, puisque la gratuité paraît être une condition pour assurer l’accessibilité pour tous. Si cela vaut pour la formation initiale, rien n’indique que ce ne serait pas le cas pour la formation continue. La première phrase de l’alinéa 13 semble le suggérer.</p>
<p>Les établissements publics devraient alors délivrer gratuitement leurs programmes destinés aux chômeurs, entrepreneurs et salariés – alors même que le ministère de l’Enseignement supérieur les encourage à développer leur activité dans ce domaine pour diversifier leurs ressources financières !</p>
<p>Il est vrai qu’en 1947, la formation continue pour adultes était peu développée et n’a peut-être pas été clairement identifiée par les membres de l’Assemblée nationale constituante. En revanche, il est probable qu’ils voulaient que l’enseignement, quel qu’en soit le niveau, soit accessible à tous.</p>
<h2>Des coûts au-delà des frais de scolarité</h2>
<p>Le suivi d’études supérieures représente un <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2019/08/19/les-organisations-etudiantes-s-inquietent-de-la-hausse-du-cout-de-la-rentree-et-de-la-vie-universitaire_5500566_4401467.html">effort financier</a> qui va bien souvent au-delà des frais de scolarité. Pour beaucoup d’étudiants s’ajoutent des coûts de déplacement et de logement qui sont souvent importants, et que le dispositif de bourses ne suffit à prendre en charge. La gratuité de l’enseignement n’est finalement qu’un des éléments de son accessibilité.</p>
<p>A contrario, le <a href="http://www.ove-national.education.fr/enquete/enquete-conditions-de-vie/">développement</a> important des prêts étudiants (quasi inexistants en 1947) s’avère un tremplin non négligeable vers des formations payantes, qu’elles soient dispensées par des établissements publics ou privés. Assortis de taux d’intérêt réduits, ils contribuent à développer l’accessibilité aux formations supérieures.</p>
<p>Ceci n’est que partiel, car les banques demandent généralement aux parents de se porter caution. Il est alors évident que l’accessibilité de l’enseignement supérieur est un leurre pour les jeunes issus de milieu modeste.</p>
<p>En réalité, l’enseignement supérieur français rencontre bien des difficultés pour être au rendez-vous du préambule de la Constitution du 27 octobre 1947. L’état des finances publiques rend difficilement réalisable le principe de gratuité dans l’ensemble des formations, surtout si on veut garantir une véritable accessibilité à chacun, quels que soient son milieu familial et sa situation géographique.</p>
<p>En outre, l’accroissement du <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid146031/previsions-des-effectifs-dans-l-enseignement-superieur-rentrees-2019-et-2020.html">nombre d’étudiants</a> chaque année, tend à réduire les moyens consacrés à chaque étudiant, et ce sont les plus fragiles qui en sont les victimes. Relativement peu de jeunes issus de milieu défavorisé, entrent dans l’enseignement supérieur, et lorsque c’est le cas, ils échouent beaucoup plus souvent que les autres. Nous sommes bien loin de l’intention des rédacteurs de ce préambule.</p>
<h2>Modèle australien</h2>
<p>Cependant, certains pays ont trouvé le moyen de faire face à ce <a href="https://www.cairn.info/revue-commentaire-2019-1-page-141.html?contenu=article">challenge</a> : être accessible au plus grand nombre et offrir un enseignement supérieur de qualité pour tous. Il est vrai qu’ils s’appuient sur des dispositifs qui ont vu le jour après 1947.</p>
<p>Par exemple, depuis 1989, l’Australie a mis en place le système des prêts à remboursement contingent (PARC) qui permettent à l’enseignement supérieur de bénéficier d’un financement public complété par un financement assuré par les bénéficiaires de la formation. Les étudiants australiens suivent des études supérieures sans payer 1 dollar AU de frais de scolarité mais, une fois diplômés, s’ils occupent des emplois suffisamment rémunérateurs, ils remboursent le prêt qui leur a été octroyé.</p>
<p>Ainsi, les diplômés qui ne trouvent pas un bon emploi, ne remboursent rien, et si leur revenu annuel est supérieur à 45 881 dollars AU (27 987 euros), ils consacrent 1 à 10 % de celui-ci au remboursement de leur dette, sachant que ce pourcentage croît avec le revenu. Comme le clame une publicité, 100 % des gagnants ont joué ; mais avec ce dispositif, personne ne peut perdre. Difficile d’imaginer mieux.</p>
<p>Le modèle s’est révélé vertueux pour les étudiants australiens et pour l’ensemble de la société. Depuis 1989, le pays a connu une croissance ininterrompue et un taux de chômage très faible, notamment en raison de l’impact positif des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2014/10/01/le-pret-etudiant-plus-fort-que-les-bourses_4498225_3224.html">PARC</a> sur l’accroissement du capital humain et l’innovation. L’impact positif de l’éducation, et en particulier de l’enseignement supérieur, sur la croissance économique et la compétitivité a été démontré dans l’<a href="https://scholar.harvard.edu/aghion/publications/causal-impact-education-economic-growth-evidence-us">article</a> de P. Aghion, L. Boustan, C. Hoxby et J. Vandenbussche, et <a href="https://www.nber.org/papers/w22501">dans celui</a> de Anna Valero et John Van Reenen.</p>
<h2>Risques pris en charge</h2>
<p>Le modèle australien permet de lever deux obstacles au financement de l’enseignement supérieur par les étudiants :</p>
<ul>
<li><p>l’absence de caution qui permet à tous les jeunes de bénéficier des prêts ; elle est assurée par l’État</p></li>
<li><p>les difficultés potentielles de trésorerie des emprunteurs, dans la mesure où le remboursement n’est prélevé que lorsque le revenu est suffisamment élevé, et pour une fraction limitée de celui-ci.</p></li>
</ul>
<p>Ainsi, le taux maximal de revenu affecté au remboursement, 10 %, concerne les diplômés qui gagnent plus de 79 300 euros (130 000 dollars AU).</p>
<p>Avant 1989, l’enseignement supérieur était gratuit en Australie. Les observations menées notamment par <a href="https://researchers.anu.edu.au/researchers/chapman-bj">Bruce Chapman</a> de l’Australian National University montrent que l’introduction de frais de scolarité, accompagnés d’un dispositif de prêts à remboursement contingent, n’a pas eu d’impact sur la mixité socio-économique de la population étudiante, alors que le nombre d’étudiants a doublé, qu’ils soient d’origine modeste ou plus aisée.</p>
<p>Les universités australiennes ont bénéficié de moyens suffisants pour accueillir, de façon qualitative, un nombre croissant d’étudiants australiens et sont devenues très attractives pour les étudiants internationaux.</p>
<p>Une <a href="https://www.researchcghe.org/publications/working-paper/the-end-of-free-college-in-england-implications-for-quality-enrolments-and-equity/">étude récente</a>, sur le <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2018-1-page-143.htm?contenu=resume">cas de l’Angleterre</a>, qui a adopté le modèle des PARC en 1997, alors que la gratuité prévalait auparavant, aboutit aux mêmes conclusions. Les moyens affectés à chaque étudiant ont augmenté (ce qui a permis d’améliorer la qualité de la formation) et le nombre de ceux-ci a progressé, sans qu’il y ait de changement en matière de proportion d’étudiants issus de milieu défavorisé.</p>
<h2>Nouvelles équations</h2>
<p>Finalement, gratuité ne rythme pas avec accessibilité et l’accessibilité peut être excellente, même si les études sont payantes. Pour que cette dernière condition soit remplie, il faut, comme en Australie, que l’État se porte caution pour les prêts étudiants et donc qu’il assume le risque financier de l’échec des diplômés.</p>
<p>Enfin, lorsque la gratuité induit une qualité médiocre, faute de moyens financiers publics suffisants, l’étudiant accroît son risque d’échec pendant les études et le diplômé n’est pas armé pour trouver un bon emploi.</p>
<p>C’est une question qui se pose dans les pays aux finances publiques fragiles, et qui veulent que l’enseignement supérieur soit exclusivement financé par de l’argent public. La paupérisation absolue ou relative de l’enseignement supérieur met en danger les jeunes et compromet l’avenir économique et social du pays.</p>
<p>Mais cet enjeu n’était pas nécessairement perceptible en 1947, sinon les rédacteurs de l’alinéa 13 du Préambule de la Constitution auraient peut-être écrit : « La Nation garantit l’égal accès de tous les citoyens à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture. L’organisation de l’enseignement public et laïc, de qualité et accessible à tous, à tous les degrés est un devoir de l’État. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125667/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Philippe Ammeux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que le Conseil constitutionnel a confirmé la gratuité de l’enseignement supérieur public, regards sur un autre modèle, celui de l’Australie, et son système des prêts à remboursement contingent.Jean-Philippe Ammeux, Directeur, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1170062019-05-13T19:10:52Z2019-05-13T19:10:52ZQuand le RIP dérape : brouillamini constitutionnel<blockquote>
<p>« Ah ! Ne me brouillez point avec la république. » Corneille, « Nicomède », II, 3</p>
</blockquote>
<p>Jeudi 9 mai, le temps se brouilla rue de Montpensier, où les neuf Sages chargés de garantir l’ordre constitutionnel ont pris une décision qui fera date politiquement tout autant que juridiquement.</p>
<p>Pour la seconde fois de son histoire, le Conseil constitutionnel se voit confronté au piège référendaire. Déjà, en novembre 1962, il avait été amené à se prononcer sur l’usage de l’article 11 de la Constitution du 4 octobre 1958, voie qu’avait choisie l’exécutif pour réviser le mode d’élection du président de la République en contournant le Parlement. Il s’était alors sorti du bourbier en se déclarant incompétent pour trancher d’une loi référendaire, s’appuyant sur la lettre constitutionnelle qui ne lui permettait d’être saisi qu’entre l’adoption d’une loi et sa promulgation !</p>
<p>Ironie de l’histoire, la décision n°2019-I RIP du 9 mai 2019 est rendue sur requête de parlementaires qui souhaitent d’eux-mêmes se dessaisir, au bénéfice d’un vote populaire, d’une question qu’ils ont débattue. Ne pouvant cette fois éluder leur compétence, les gardiens du Temple parviennent néanmoins à esquiver le fond du débat, en s’appuyant sur une lecture littérale de l’article 11 pour laisser s’engager la procédure.</p>
<p>Mais si, formellement, ils pensent sortir indemnes de l’impasse en s’en tenant à une position strictement technique, cela pourrait bien n’être que provisoire, tant leur décision ouvre la fenêtre sur un champ d’incertitudes, tout en jetant un voile pudique sur la nature réelle de l’exercice proposé par les 248 parlementaires signataires de la proposition de Loi référendaire.</p>
<h2>Arlequin serviteur de deux maîtres</h2>
<p>Certes, l’enjeu du débat n’est pas du niveau de 1962, mais dans un cas comme dans l’autre, le Conseil constitutionnel se trouve placé entre le marteau démocratique et l’enclume parlementaire. Gardien de l’ordre juridique, il doit avant tout veiller à l’équilibre institutionnel entre les pouvoirs constitués. Toutefois, la procédure législative référendaire met en jeu une autre dimension du système : le partage de l’exercice de la souveraineté entre les représentants et le peuple – l’article 3 de la Constitution disposant : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du referendum. »</p>
<p>Dans un système d’abord représentatif, la priorité dans l’exercice du pouvoir revient aux représentants élus, le référendum ne devant jouer qu’un rôle d’adjuvant exceptionnel. Se pose donc inévitablement la détermination des frontières hiérarchiques entre les deux niveaux. Voilà qui place le Conseil constitutionnel dans une position très inconfortable.</p>
<p>À la confluence de la démocratie directe et de la démocratie représentative, la réponse qu’il apportera ne peut qu’être un objet de débat : déclarer la demande constitutionnellement irrecevable ? C’est prendre le risque de se voir réduit au rôle de pâle serviteur du pouvoir exécutif. La déclarer conforme et en valider l’ouverture ? Ne sera-ce pas une manière de cautionner une initiative avant tout destinée à bloquer la majorité parlementaire et à fausser le système institutionnel ?</p>
<p>L’affaire est, de surcroît, rendue éruptive pour deux raisons : d’abord, parce qu’il s’agit de la première utilisation d’une procédure qui prenait la poussière dans les caves du Parlement. La décision du Conseil constitutionnel vaudra donc jurisprudence.</p>
<p>Ensuite, parce que le contexte politique actuel surexpose la question référendaire. On a entendu, de ronds-points en boulevards, de manifestations en réseaux sociaux, la perte de confiance dans les partis et les représentants élus se coaguler dans une exigence de prise en compte directe de la volonté populaire. Le RIC (référendum d’initiative citoyenne) se voit érigé en sésame de la reconquête par le peuple de sa souveraineté.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/D57ZlEs2BfQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Dès lors, le RIP (référendum d’initiative partagée) prend les couleurs attrayantes d’un compromis qui pourrait être acceptable tant pour les élus que pour les citoyens. Ce que n’a pas manqué de souligner le président de la République, lorsqu’il a proposé d’alléger considérablement les conditions du soutien des électeurs (1 million au lieu des 4 717 396 exigés actuellement).</p>
<h2>La lettre et/ou l’esprit du texte constitutionnel</h2>
<p>Ainsi, on comprend mieux la position adoptée par les Sages, peu pressés d’entrer dans un débat miné par le contexte politique, ni d’interférer avec les orientations présidentielles. Pour éviter l’accusation d’un jugement d’opportunité, ils s’en sont tenus à une interprétation strictement technique : en greffiers scrupuleux, ils ont vérifié que les conditions fixées par l’article 11 étaient respectées. Elles l’étaient. Vieille tactique bien connue sous la IV<sup>e</sup> République, où l’on disait que la meilleure manière de résoudre un problème c’était d’éviter de le poser ! Et pourtant, il y avait un sérieux problème : non pas sur la valeur du contenu de l’initiative, mais sur son fondement juridique constitutionnel lui-même.</p>
<p>Aussi bien dans les travaux préparatoires que dans le libellé de l’article 11, tout est fait pour circonscrire précisément le RIP à une procédure complémentaire et exceptionnelle palliant une éventuelle insuffisance du travail parlementaire. L’esprit clairement affiché de cette mesure est de permettre à des représentants, épaulés par des citoyens, de s’emparer d’une question que la majorité parlementaire s’abstiendrait d’aborder. Pas de contester une décision majoritaire prise dans le cadre d’un débat législatif ordinaire.</p>
<p>Rien n’autorise à conclure que la réforme de 2008 entendait établir une concurrence entre les deux voies. Au contraire : tout est dit pour qu’il ne s’agisse que d’une alternative à une inaction, pas une revanche de l’opposition sur la majorité gouvernementale, en guise de second tour législatif. Et le texte rejoint l’esprit, quand il exclut tout RIP tendant à abroger une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. Ou quand il établit de lourdes conditions de recevabilité assorties de longs délais. Le Conseil constitutionnel lui-même a bien précisé, dans sa décision du 5 décembre 2013 sur la loi organique portant application de l’article 11, que cette procédure ne pouvait en aucun cas contourner les règles régissant le travail législatif ordinaire.</p>
<p>De plus, cette même loi organique prévoit que l’initiative n’est soumise à référendum que si, à l’expiration d’un délai de six mois, le Parlement ne s’est pas saisi de la proposition ! Voilà qui confirme la volonté du législateur de considérer le RIP uniquement comme une procédure de substitution en cas de défaillance parlementaire.</p>
<p>Tout invitait, donc, le Conseil constitutionnel à examiner les inévitables interférences entre le processus législatif en cours et l’initiative des 248 parlementaires. D’autant qu’il était lui-même directement interpellé : trois recours, en effet, ont été déposés contestant la conformité à la Constitution de la loi pour la croissance et la transformation des entreprises adoptée définitivement par le Parlement le 11 avril 2019. L’article 135 de celle-ci, celui qui a pour objet d’autoriser « le transfert au secteur privé de la majorité du capital social de la société Aéroport de Paris », est directement visé.</p>
<p>Or, la proposition de loi de RIP, déposée le 10 avril, tend à faire de cette gestion des aéroports de Paris « un service public national », donc à rendre impossible sa privatisation ! Soit le très exact contre-pied de la loi adoptée par le Parlement.</p>
<h2>Validation du détournement de procédure</h2>
<p>Une première évidence éclate au grand jour : la question de la gestion des infrastructures aéroportuaires n’est absolument pas omise par le Parlement. Au contraire, celui-ci est intervenu profondément sur cette matière et a adopté une position tranchée. L’initiative de RIP des parlementaires, qui appartiennent tous à l’opposition, n’a donc pas pour objet de pallier une carence, de combler un vide, mais de contredire une loi adoptée définitivement au moment de son examen par le Conseil constitutionnel, et de la vider de sa substance sur ce point précis.</p>
<p>Il s’agit clairement de contester l’action de la majorité parlementaire, la minorité utilisant le détour référendaire pour tenter de faire prévaloir un point de vue qu’elle n’a pu imposer dans la procédure normale. Les 130 députés et les 118 sénateurs signataires forment un large spectre de l’opposition des deux chambres : si la gauche y est majoritaire des deux tiers (161), la droite n’est pas absente avec 85 de ses membres. Baroque convergence, qui tire toute sa puissance de la résonance qu’elle établit avec une opinion publique prévenue contre ses représentants.</p>
<p>En validant ce qui a tous les caractères d’un détournement de procédure, le Conseil constitutionnel a ouvert une situation juridiquement confuse et politiquement incertaine. Juridiquement d’abord : sauf à ce qu’il déclare non conforme à la Constitution l’article 135 de la Loi PACTE, sa décision n’interdit pas au Président de le promulguer avec l’ensemble de la loi, quitte à suspendre sa mise en œuvre. Mais pendant toute la période de collecte des signatures, il y aura une loi promulguée depuis moins d’un an que le RIP aura pour unique objet de demander aux citoyens d’effacer, prenant de ce fait tous les caractères d’un référendum abrogatoire.</p>
<p>Plus insidieusement, mais aussi plus profondément, la validation de l’initiative de l’opposition contribue à saper un peu plus la mécanique de la démocratie représentative : en autorisant la minorité à jouer le vote populaire contre la majorité élue pour imposer son point de vue, on met l’autorité du Parlement en concurrence avec celle du peuple hors cycle électoral. Plus que celle du gouvernement, c’est la légitimité même du Parlement qui se voit entamée.</p>
<p>Politiquement, on mesure le risque d’instabilité, voire de paralysie que renferme cette utilisation détournée de l’article 11. Sur quel fondement, désormais, empêcher le recours au RIP par une opposition soucieuse d’entraver l’action gouvernementale ? On dira : c’est une procédure lourde et longue, qui ne pourra être maniée que rarement… Mais sa lourdeur, et surtout sa longueur font tout son intérêt. Si l’objectif est de paralyser l’action de la majorité, peu importe que l’initiative aille jusqu’à son terme. Son seul déclenchement est une promesse d’inertie pour 18 mois : plus de temps qu’il n’en faut pour casser un projet.</p>
<p>Tous les coups d’essai ne sont pas des coups de maître : le RIP dérape dès son démarrage. En se dérobant par l’escalier de service technique, le Conseil constitutionnel nous invite à méditer Molière qui s’exclamait, dans <em>Les fourberies de Scapin</em> :</p>
<blockquote>
<p>« Que vouliez-vous donc qu’il fît ? Eussiez-vous voulu qu’il se fût laissé tuer ? »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/117006/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Il s’agit de contester l’action de la majorité parlementaire, la minorité utilisant le détour référendaire pour faire prévaloir un point de vue qu’elle n’a pu imposer dans la procédure normale.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/861022017-10-22T21:06:43Z2017-10-22T21:06:43ZLa suppression de la taxe sur les dividendes va coûter 10 milliards à l’État<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/191258/original/file-20171021-13955-28vc23.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bercy : le ministère de l'Économie et des Finances à Paris.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://visualhunt.com/f2/photo/15273230198/b26abb29a4/">Philippe Clabots/Visual Hunt</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>En 2012 le gouvernement Ayrault, dont la frénésie fiscale n’est plus à démontrer, a institué une <a href="http://bit.ly/2gtD8HV">taxe de 3 % sur les dividendes</a> versés par les entreprises. C’est la seconde loi de finances rectificative du 16 août 2012 qui introduit une « contribution additionnelle » à l’impôt sur les sociétés (IS) au titre des montants distribués.</p>
<p>Cette nouvelle taxe ne visait que les entreprises françaises et étrangères passibles de l’impôt sur les sociétés en France. Toutefois les PME, c’est-à-dire les entreprises de moins de 250 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel n’excédait pas 50 millions d’euros ou dont le total du bilan était inférieur à 43 millions d’euros, ont été exemptées de cette taxe. Comme l’IS, la taxe sur les dividendes, n’était pas considérée comme une charge déductible pour le calcul du résultat imposable à cet impôt. <a href="http://bit.ly/2yErDFO">S’agissant d’une charge pour la société distributrice</a> – et non de la société bénéficiaire, comme dans le cadre d’une retenue à la source – cette taxe ne venait pas en diminution du montant des dividendes versés par les actionnaires. Il s’agissait donc bien d’une nouvelle charge fiscale qui pesait sur les moyennes et grandes entreprises.</p>
<p>Naturellement, cette nouvelle taxe fut dénoncée en son temps par les responsables des grandes entreprises, mais sans effet. Le gouvernement Ayrault et le président Hollande restèrent sourds, d’autant plus que taxer les dividendes apparaissait comme une belle « mesure de gauche ». Oui, taxer les généreux dividendes que versent à leurs actionnaires les grandes entreprises ne pouvait que démontrer la volonté de ce gouvernement d’afficher son ancrage à gauche. Et puis, 3 % qu’est-ce que c’est pour des entreprises qui versent plus de 50 milliards d’euros leurs actionnaires ? Le gouvernement jouait sur du velours et remplissait les caisses de l’État à peu de frais !</p>
<h2>Une taxe inconstitutionnelle</h2>
<p><a href="http://bit.ly/2yAayiy">Vendredi 6 octobre 2017, le Conseil constitutionnel</a> invalidait totalement la taxe de 3 % sur les dividendes du gouvernement Ayrault. Cette décision était anticipée dès lors que la <a href="http://bit.ly/2zsHjem">Cour de justice de l’Union européenne,</a> saisie par des entreprises françaises, avait retoquée la taxe sur les dividendes reçus d’une filiale établie dans l’Union européenne. Mais, les dividendes en provenance des filiales établies en France ou dans les États hors de l’Union européenne restaient toujours assujettis à cette taxe.</p>
<p>Dès lors, il était prévisible que le Conseil constitutionnel retoquerait définitivement la taxe de 3 % sur les dividendes au motif que cette différence de traitement était contraire à la Constitution puisque cette situation était contrevenait aux « principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques ».</p>
<p>Selon le <a href="http://bit.ly/2irhDMb">Conseil constitutionnel</a> :</p>
<blockquote>
<p>« En l’absence d’une différence de situation, seul un motif d’intérêt général aurait pu justifier la différence de traitement contestée. Or, en instituant la contribution en cause, le législateur a poursuivi un objectif de rendement budgétaire. »</p>
</blockquote>
<p>Dès l’instauration de cette contribution visant à compenser la suppression d’une taxe sur les OPCVM étrangers, l’Association française des entreprises privées (AFEP) avait exprimé ses vives réserves tant sur ses conséquences économiques pour les entreprises françaises que sur sa conformité au droit européen.</p>
<p>Aujourd’hui le Conseil constitutionnel lui a finalement donné raison et l’AFEP a pris acte de cette décision qui « était extrêmement défavorable à la localisation des sièges sur le territoire national et à l’investissement dans les entreprises françaises ».</p>
<h2>Une taxe boomerang</h2>
<p>Avec la décision du Conseil constitutionnel, l’État va maintenant devoir régler une facture dont le montant, encore incertain, serait <a href="http://bit.ly/2irgvbp">entre 9 et 10 milliards d’euros</a>. Une belle bombe à retardement laissée par le président Hollande et son gouvernement à son successeur. Ainsi, après avoir bénéficié de la manne de la taxe sur les dividendes, l’État se retrouve maintenant à devoir rendre l’argent. Le problème c’est que le budget pour 2018 est tiré au cordeau et que les marges de manœuvre sont quasiment inexistantes. En effet, inscrire une nouvelle dépense pour un montant de 10 milliards d’euros reviendrait à ne pas respecter l’engagement de revenir sous la barre des 3 % de PIB de déficit public.</p>
<p>Anticipant la décision des sages du Conseil constitutionnel, le <a href="http://bit.ly/2xVOKyv">gouvernement d’Édouard Philippe avait supprimé la recette de la taxe contestée</a> de son budget pour 2018 et même provisionné 5,7 milliards d’euros sur cinq ans pour les remboursements. Mais cette provision ne sera pas suffisante a reconnu le ministre de l’Économie Bruno Le Maire.</p>
<p>Pris à la gorge, le <a href="http://bit.ly/2hWllcT">gouvernement d’Édouard Philippe</a> envisagerait de se retourner vers les entreprises en leur demandant de négocier un « étalement dans le temps » des remboursements dus aux entreprises. Mais si cela devait s’avérer insuffisant, Bruno Le Maire n’hésite pas à brandir une contribution exceptionnelle pour un petit nombre de grands groupes concernés car « les grandes entreprises françaises ont aussi une responsabilité vis-à-vis de la Nation ». Ainsi, la taxe sur les dividendes qui a été versée indûment par les entreprises devrait être compensée par une contribution exceptionnelle ; de l’art de renvoyer la balle dans le camp des entreprises.</p>
<h2>L’insoutenable légèreté de l’État en matière fiscale</h2>
<p>En février 2012, François Hollande, alors candidat socialiste à la présidence de la République relance sa campagne en promettant <strong>d’imposer à 75 % la part des revenus dépassant un million d’euros par an</strong>. Aussitôt la Ligue de football professionnel dénonce une mesure qui scellerait « la mort du football français », le premier ministre britannique David Cameron se dit prêt dérouler le tapis rouge aux entreprises et aux cadres concernés par ce projet et Gérard Depardieu quitte la France pour la Belgique et s’expatrie en Russie. Un départ qui sera jugé « minable » par le premier ministre Ayrault qui ne marquera pas les points espérés auprès des Français vu la popularité de l’acteur de cinéma.</p>
<p>Le <a href="http://lemde.fr/2zEZNtb">29 décembre 2012, le Conseil constitutionnel retoque la taxe à 75 %</a> au motif de son caractère « confiscatoire », ce qui n’empêche pas le président Hollande, qui « n’aime pas les riches », de promettre en mars 2013 une nouvelle taxe qui sera cette fois payée par les entreprises. Une fois de plus les entreprises sont mises à contribution pour un impôt, qui au départ, ne les concernait pas. Mais l’argument est tout trouvé : cela incitera les entreprises à modérer les niveaux de rémunération de leurs dirigeants.</p>
<p>Sauf que, pour les grandes entreprises mondialisées le niveau de ces rémunérations est fixé en fonction du marché mondial des dirigeants, comme pour les footballeurs. Finalement, cette nouvelle taxe, bien que validée par le Conseil constitutionnel, ne sera pas reconduite par le premier ministre Valls et elle disparaîtra début 2015. Cette taxe qui fit couler beaucoup d’encre et enflamma la classe politique ne rapporta in fine que 400 millions d’euros en deux ans. Mais comme chacun sait, les symboles n’ont pas de prix.</p>
<p><a href="http://bit.ly/2xbr84p">Un autre fiasco fiscal de l’État</a> pourrait être rappelé ici : <strong>la taxe sur les poids lourds,</strong> mesure phare du Grenelle de l’environnement en 2007 qui devait permettre de financer et d’entretenir les infrastructures de transport. Cette taxe qui n’a jamais été mise en service a été <a href="http://bit.ly/2gtnhck">suspendue en octobre 2013</a> après la fronde des « bonnets rouges ». L’État a été condamné à verser presque un milliard d’euros d’indemnités au consortium franco-italien Ecomouv’ qui était chargé de la mise en place des portiques pour collecter l’écotaxe. Un échec de politique publique qui sera épinglé par le rapport 2017 de la Cour des comptes.</p>
<p>Ainsi, après le fiasco de la taxe à 75 % sur les salaires supérieurs à un million d’euros et celui de l’écotaxe, l’État se voit à nouveau pris en défaut avec cette taxe de 3 % sur les dividendes. Pour un État qui peut s’appuyer sur une haute fonction publique réputée, peuplée d’énarques, cela fait beaucoup.</p>
<p>Au-delà du caractère ubuesque de ces situations, la question de fond que soulèvent ces ratés fiscaux est l’extrême légèreté du comportement de l’État en matière fiscale. Tout se passe comme si l’État pouvait se permettre tout et n’importe quoi, même au mépris de nos lois fondamentales.</p>
<p>Aujourd’hui l’État est incarné par le président Macron et son premier ministre qui naturellement rejette la faute sur les gouvernements précédents. C’est de bonne guerre. Cependant, cela pose quelque part la question de la gouvernance de l’État et de l’excès de latitude discrétionnaire de ses plus hauts dirigeants. Comment faire pour que de tels agissements ne se reproduisent pas ? Ne devrait-on pas préalablement à la publication et la mise en œuvre d’une nouvelle taxe ou impôt se poser la question de leur constitutionnalité ?</p>
<p>Par ailleurs, cette légèreté alimente l’<a href="http://lemde.fr/2eALizO">instabilité fiscale</a> dans laquelle les entreprises et les ménages se débattent. L’énergie qui est dépensée dans ces batailles juridiques et fiscales est autant de moins qui pourrait être consacré au développement de nos entreprises et c’est bien regrettable. Chaque nouveau gouvernement a pris l’habitude depuis de trop nombreuses années de réformer, toujours et encore, la fiscalité de façon à la rendre « plus juste », « plus efficace », « plus simple », etc. Il faut dire que cela permet de montrer que le gouvernement est actif à moindres frais…</p>
<p>C’est en effet beaucoup plus facile de créer une nouvelle taxe que de mettre en place les conditions qui permettent aux entreprises de créer des emplois et de se développer. Le résultat de cette activité débordante est un entassement de taxes et de réglementations changeantes qui ne permettent pas aux acteurs économiques de se projeter à long terme. Espérons, sans trop y croire, que les leçons seront retenues par les gouvernements futurs. On peut toujours rêver !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86102/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Albouy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur le feuilleton de la taxe de 3 % sur les dividendes et quelques autres mésaventures de l’État qui alimentent l’instabilité fiscale.Michel Albouy, Professeur senior de finance, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/646992016-09-05T17:01:56Z2016-09-05T17:01:56ZLa sécurité, un droit fondamental<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/136485/original/image-20160903-20255-1lhtw01.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Leviathan</span> </figcaption></figure><p>Depuis près de 18 mois, le terrorisme islamisme a tué 237 personnes en France. Jamais depuis l’instauration de la cinquième République, la France n’a connu pareille situation. Ces attentats atroces ont eu pour effet secondaire de fissurer l’unité de notre Pays. De fait, les Français ne semblent plus faire confiance au gouvernement pour assurer leur sécurité. Ce sentiment s’il est largement légitime et objectif semble souffrir d’une confusion entre le rôle et la responsabilité de l’état en matière de sécurité. En effet, la souveraineté d’une Nation repose, entre autres, sur sa capacité à assurer la sécurité de ses citoyens.</p>
<h2>De Platon à Max Weber</h2>
<p>La notion de sécurité est ancienne. Dès l’antiquité, Platon et Aristote qui n’avaient certes pas l’idée d’une liberté individuelle à préserver, théorisaient déjà sur la nécessité de mettre en place des pouvoirs pour assurer la sécurité aux frontières et éviter les conflits dans la Cité. La sécurité justifiait, alors, l’emploi de gardiens professionnels pour Platon aussi bien dans <em>La République</em> que dans <em>Les Lois</em>. Ces gardiens doivent obéissance au pouvoir central, qui, idéalement, est celui du roi-philosophe ou du philosophe-roi. Autrement dit, la sécurité dépend exclusivement du pouvoir central et n’autorise aucune dérogation de la part des citoyens. C’est ce modèle qui était dominant dans les Cités de la Grèce archaïque et que Platon tentera d’imposer en Sicile, à Syracuse.</p>
<p>Ensuite, Thomas Hobbes va justifier dans _Le Léviathan _la mainmise exclusive de l’État sur la sécurité et la nécessité d’une monarchie absolue seule apte à assurer la sécurité des citoyens. La base du contrat est bien la protection d’un droit individuel, la propriété de son corps et le droit à sa sécurité. Et seul le désir de préserver un droit naturel, celui de se maintenir en vie, conduit à accepter de perdre potentiellement tous les autres droits afin de permettre à l’État de monopoliser toute la violence légitime sous peine de retomber dans cette jungle de la guerre de tous contre tous, alimentée par l’orgueil et le désir infini. Par conséquent, l’État peut, s’il le juge utile, s’opposer à toutes les libertés sauf à ce droit à la sécurité, source de sa légitimité. D’où, d’ailleurs, cette image du Léviathan, ce monstre sorti des eaux qui inspire la terreur et auquel aucun humain ne peut résister reprise du « Livre de Job » dans la Bible.</p>
<p>Enfin, la thèse de Max Weber qui postule que la sécurité est l’une des composantes de la souveraineté de l’État par son idée du monopole de la <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/weber_max.html">contrainte physique légitime</a>, ne fait que reprendre un débat, qui, après deux mille ans, n’a jamais été clos. Ce qui signifie que la question de la démocratie reste pour lui un équilibre difficile à tenir entre ce droit à la sécurité et ces autres libertés, dont il perçoit bien par ailleurs qu’il est instable dans toute République libérale. Et sans doute faut-il voir dans cette difficulté ses thèses favorables, avant la Seconde guerre mondiale, à un <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/weber_max.html">exécutif fort</a>.</p>
<p>Après la guerre, il se prononce plus clairement encore pour une démocratie autoritaire par le soutien à un modèle de démocratie plébiscitaire, de type gaulliste, contre le parlementarisme de type lockien, qui lui paraît par essence inapte à une bonne gouvernance. Cette façon d’essayer de se tenir entre autoritarisme et libéralisme après l’échec de la République de Weimar et celui de la IV<sup>e</sup> République, l’amène en vérité plus proche d’une vision étatiste de la sécurité (voir R. Harmsen, « De Gaulle et Max Weber : problèmes et problématique de la légitimité », <a href="http://www.charles-de-gaulle.org/pages/la-fondation/etudier/publications/actes-de-colloque-et-publications-de-la-fondation-charles-de-gaulle/de-gaulle-en-son-siecle/de-gaulle-en-son-siecle-tome-ii.php"><em>De Gaulle en son siècle : tome II</em></a>).</p>
<h2>Politique de sécurité et culture nationale</h2>
<p>Sans doute faut-il voir dans ces difficultés à aborder la question du rôle de l’État, les affirmations et déclarations politiques plus ou moins pensées qui tentent de poser les fonctions régaliennes de l’État dans ce jeu des libertés avec les nouveaux risques et les nouvelles menaces. Ceux-ci contraignent à se poser la question de l’efficacité d’une politique de sécurité publique dans le cadre d’un respect de la culture d’une nation. Ce qui revient à rejeter tout dogmatisme pour reprendre la problématique aristotélicienne dans son questionnement pragmatique : quel type de sécurité et pour quelle responsabilité ?</p>
<p>L’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme impose aux États membres, le droit à la vie comme une <a href="http://www.asylumlawdatabase.eu/fr/content/fr-affaire-osman-c-royaume-uni-requ%C3%AAte-no-2345294">obligation de maintien de l’ordre</a>.</p>
<p>Les articles 1<sup>er</sup> de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et de la Constitution de 1958 évoquent l’égalité comme corollaire à la sécurité.</p>
<p>Le Conseil constitutionnel dans une décision a créé un lien entre le maintien de l’ordre et les libertés en admettant que </p>
<blockquote>
<p>« la prévention des atteintes à l’ordre public et la recherche des auteurs d’infractions [sont] tous deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes à <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2010/2010-25-qpc/decision-n-2010-25-qpc-du-16-septembre-2010.49343.html">valeur constitutionnelle</a> ». </p>
</blockquote>
<p>Le législateur a affirmé à plusieurs reprises que <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000369046&dateTexte=19950124">« l’État a le devoir d’assurer la sécurité »</a>. Il a, également, reconnu lors du vote de la loi relative à la sécurité quotidienne que la sécurité</p>
<blockquote>
<p>« est un devoir pour l’État, qui veille sur l’ensemble du territoire de la République, à la protection des personnes, de leur biens et des prérogatives de leur citoyenneté, à la défense de leur institution et des intérêts nationaux, au respect des lois, au maintien de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000222052">paix et de l’ordre publics</a> ».</p>
</blockquote>
<h2>La sécurité, un droit fondamental ?</h2>
<p>Ces dispositions suffisent-elles à faire de la sécurité un droit fondamental ?</p>
<p>Un droit est considéré comme fondamental s’il est protégé par des normes constitutionnelles, européennes et internationales. Par ailleurs, un droit fondamental doit présenter les critères d’un droit subjectif c’est-à-dire un <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-con..c/decision-n-2003-467-dc-du-13-mars-2003.855.html">droit inhérent à la personne</a>.</p>
<p>S’agissant d’abord de la notion de droit fondamental, le droit à la sécurité a été reconnu à plusieurs reprises par le législateur : en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000005617582">1995</a> ; en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000412199">2003</a> ; comme en <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000222052">2001</a>. Pourtant, cette reconnaissance législative n’est pas suffisante pour faire de la sécurité un droit fondamental. En effet, le principe veut qu’un droit soit fondamental lorsqu’il reçoit une consécration au rang de norme supralégislative. Or tel, n’est pas le cas. Il ne s’agit ni plus ni moins que d’un « droit fondamental législatif » pour reprendre la formule du professeur Didier Ribes. D’ailleurs, le Conseil d’État a déjà eu l’occasion, en rejetant une requête en référé-liberté d’indiquer que le droit à la sécurité <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000008018963&fastReqId=1751747937&fastPos=1">ne pouvait constituer une liberté fondamentale</a>.</p>
<p>Pour le Doyen Louis Favoreu, un droit fondamental désigne</p>
<blockquote>
<p>« un droit subjectif de valeur constitutionnelle ou conventionnelle qui s’accompagne d’un mécanisme de contrôle juridictionnel lui permettant de produire ses effets à l’encontre des <a href="http://www.blogdroitadministratif.net/index.php/2007/10/11/174-les-melanges-favoreu">normes inférieures</a> ».</p>
</blockquote>
<p>En effet, les pouvoirs publics n’ont pas d’obligation de résultat, mais une obligation de moyens dans leur mission de sécurité. Dans une décision, le Conseil d’État a reconnu que si</p>
<blockquote>
<p>« l’autorité administrative a pour obligation d’assurer la sécurité publique, la méconnaissance de cette obligation ne constitue pas par elle-même une atteinte grave <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriAdmin.do?oldAction=rechJuriAdmin&idTexte=CETATEXT000008018963&fastReqId=1751747937&fastPos=1">à une liberté fondamentale</a> ».</p>
</blockquote>
<p>Autrement dit, la sécurité n’est pas un droit opposable à l’État ce qui lui retire pour conclure ce point toute portée fondamentale.</p>
<h2>L’ordre public</h2>
<p>S’agissant ensuite, de la reconnaissance d’un droit subjectif à la sécurité, un droit est subjectif lorsqu’il s’accompagne d’un mécanisme de <a href="http://www.dalloz-bibliotheque.fr/bibliotheque/Droit_des_libertes_fondamentales-49490.htm">contrôle juridictionnel</a>. De plus, le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de dire sur le droit fondamental à la sécurité contenu dans la loi pour la sécurité intérieure qu’il ne créait aucun droit au profit des individus et ne générait aucune obligation nouvelle sans donner de nouveaux pouvoirs à l’administration. En effet, si le Conseil constitutionnel a reconnu la sécurité des personnes et des biens comme un principe à valeur constitutionnelle, il n’en a pas <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-con..decision-n-80-117-dc-du-22-juillet-1980.7773.html">pour autant déduit un droit à la sécurité</a>.</p>
<p>D’ailleurs, Marc-Antoine Granger estime que le droit fondamental à la sécurité est <a href="http://www.dalloz-revues.fr/RSC-cover-280.htm">inexistant</a>. Toutefois et à considérer que la sécurité publique pourrait faire l’objet d’une constitutionnalisation ce n’est qu’au travers de sa notion d’ordre public comme composante essentielle de la police administrative comme l’affirme très justement le <a href="http://www.lexisnexis.fr/communiques/03-2014/Code_de_la_sxcuritx_intxrieure_LexisNexis_.pdf">professeur Olivier Gohin</a>.</p>
<h2>Des réparations comme reconnaissance d’un doit à la sécurité ?</h2>
<p>Néanmoins, le législateur, conscient de ses lacunes, a ouvert deux dispositifs permettant à un individu d’agir en cas de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?idArticle=LEGIARTI000006417218&cidTexte=LEGITEXT000006070719">légitime défense</a> et lorsqu’il est victime <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071154&idArticle=LEGIARTI000006575113&dateTexte=&categorieLien=cid">d’un vol ou d’une dégradation</a>. Il s’agit là de mesures destinées à pallier aux carences de l’État dans sa mission de sécurité.</p>
<p>Toutefois, certaines victimes obtiennent réparation auprès de fonds spéciaux ou directement auprès de l’État après avoir subi un préjudice consécutivement à une atteinte à leur bien ou à leur personne. N’est-ce pas la reconnaissance d’un droit à la sécurité ?</p>
<p>Par exemple, le tribunal administratif de Nîmes a condamné, le 12 juillet 2016, l’État dans l’affaire Mohamed Merah. Le juge administratif a considéré à cette occasion que</p>
<blockquote>
<p>« les fautes commises par les services de renseignements dans la surveillance de Mohamed Merah ont fait perdre une chance d’éviter le décès d’Abel Chennouf ».</p>
</blockquote>
<p>Le tribunal a reproché à l’État d’avoir commis une faute dans la surveillance du terroriste. L’État a été condamné à indemniser la famille de la victime.</p>
<p>Une autre décision du 10 février 1982 contredit cette condamnation. Cet arrêt a refusé à la Compagnie aérienne Air-Inter la réparation d’un préjudice subit après un attentat. La plus haute juridiction administrative a relevé à cette occasion « la difficulté de prévoir la nature, la date, le lieu et les <a href="https://www.doctrine.fr/d/CE/1982/CETATEXT000007683827">objectifs</a> » d’une attaque terroriste. Le Conseil d’État a simplement mis à la charge de l’État l’obligation de mobiliser les moyens suffisants pour prévenir la survenance d’actes terroristes.</p>
<p>Pour conséquent, la responsabilité de l’État peut être engagée en cas de négligence ou de carence ce qui ne permet pas d’en déduire qu’il s’agit d’un droit à la sécurité. En effet, la chambre civile de la Cour de cassation a rejeté l’idée qu’il pouvait exister une solidarité nationale en faveur des infractions des victimes pénales (Civ. 2e, 8 sept. 2005, n° 04-12.277.). Pour obtenir réparation, la victime doit démontrer une faute lourde de l’État ce qui n’est pas toujours simple.</p>
<h2>L’État n’a qu’une obligation de moyen, mais…</h2>
<p>Pour conclure, l’État ne dispose pas d’une obligation de résultat en matière de sécurité. Il a à sa charge, tout au plus, une obligation d’intervention ou de non-intervention sauf lorsqu’il s’agit de mission tenant à la sauvegarde de <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/1985/85-187-dc/decision-n-85-187-dc-du-25-janvier-1985.8162.html">l’ordre public</a>.</p>
<p>Un droit à la sécurité est-il, par ailleurs, souhaitable ? Imaginons qu’un tel droit puisse exister. Cela reviendrait à donner la possibilité à tout individu de demander réparation et/ou demander la mise en place d’un dispositif spécifique pour assurer sa sécurité. Il va sans dire qu’une telle politique serait trop onéreuse, voire impossible à mettre en œuvre.</p>
<p>C’est probablement pour cette raison que le Conseil constitutionnel a fait de la sécurité un objectif à valeur constitutionnelle mettant ainsi à la charge de l’État qu’une obligation de moyen.</p>
<p>Conclure sur cette obligation de moyen, c’est revisiter le pacte ayant permis de passer de l’état de nature à l’état de droit. En effet, les individus ont abandonné leurs droits naturels notamment de se défendre au profit de l’État sous réserve qu’elle assume correctement ses missions.</p>
<p>Les carences de l’État poussent, aujourd’hui, d’une part certains élus à créer des polices municipales souvent en concurrence avec la police nationale et d’autre part des individus à se regrouper pour assurer leur sécurité en dehors de tout cadre légal.</p>
<p>Il existe, aujourd’hui, un danger de délitement de notre système si le législateur ne redéfinit pas correctement ses missions dites prioritaires et les autres missions qui pourraient faire l’objet d’un transfert aux collectivités et aux acteurs privés de la sécurité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/64699/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Driss Aït Youssef ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Existe-t-il un droit à la sécurité dont l’État serait le garant et le responsable ? Analyse d’un concept au centre de nombreux débats.Driss Aït Youssef, Docteur en droit, chargé de cours, président de l'Institut Léonard de Vinci, Pôle Léonard de VinciLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/554062016-02-25T22:01:59Z2016-02-25T22:01:59ZÉtat d’urgence, deuxième secousse<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/112956/original/image-20160225-15156-35ylpp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C82%2C2044%2C1306&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Conseil constitutionnel, Paris.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/actualitte/21400658800/in/photolist-6cny8U-GVAh4-bq7s5s-65rMoV-dNeVde-jYZMxx-dd5gxo-dd7Wr7-e3iqMP-jYZMtz-anYWp6-yB6YgS-yRpskW-yUv27K-ySHKzj-yB7Xhd-yB6Yqj-xWQfSv-fTqmvY-fTqooC-fTqmCw-fTqKov-fTpn3Q">ActuaLitté/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>À la suite des attentats du 13 novembre 2015, le président de la République a décrété l’état d’urgence qui sera prorogé par la loi n°2015-1501 du 20 novembre 2015 relative à l’état d’urgence. Cette mesure a fait l’objet d’une nouvelle prolongation par le Parlement le 16 février dernier. Cette loi reste, donc, en vigueur jusqu’au 26 mai 2016 soulevant ainsi de nombreuses inquiétudes des magistrats, avocats et associations de sauvegarde des droits de l’Homme.</p>
<p>Cette tension est d’autant plus palpable que le Conseil d’État dans une <a href="http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Selection-des-decisions-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/Ordonnance-du-22-janvier-2016-M.-B">ordonnance du 22 janvier 2016</a> avait, déjà, suspendu un arrêté du ministre de l’intérieur <a href="https://theconversation.com/etat-durgence-premiere-secousse-54260">relatif à une assignation à résidence</a>. C’est maintenant au Conseil constitutionnel de recadrer sérieusement les mesures d’urgence en acceptant certes l’absence du juge pour le contrôle des mesures d’urgence notamment lorsqu’il s’est agi d’assigner un individu à résidence, mais en interdisant la copie ou plutôt la saisie des données informatiques.</p>
<h2>L’absence de contrôle du juge lors des mesures administratives</h2>
<p>La loi du 13 novembre 2015 renforce les pouvoirs de l’administration en particulier celui des préfets. En effet, les représentants de l’État dans le département peuvent interdire, la circulation des personnes ou des véhicules ou encore interdire de séjour toute personne cherchant à entraver l’action des pouvoirs publics. Plus encore, la modification législative du 20 novembre permet, aujourd’hui, d’assigner à résidence une personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace alors que cette mesure ne s’appliquait dans la version du 3 avril 1955 uniquement aux personnes présentant une activité dangereuse.</p>
<p>Cette version moderne de l’état d’urgence a emporté l’adhésion du Conseil d’État puisqu’il a jugé conforme les assignations en <a href="http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Selection-des-decisions-faisant-l-objet-d-une-communication-particuliere/CE-11-decembre-2015-M.-H-X">marge de la COP 21</a>. Toutefois, les assauts répétés du Défenseur des droits auront convaincu le Conseil constitutionnel de refréner la curiosité des policiers lors des perquisitions administratives.</p>
<h2>Une absence de contrôle du juge tolérée pour les assignations à résidence</h2>
<p>L’article 6 de la loi du 3 avril 1955 dans sa rédaction du 20 novembre 2015 permet au</p>
<blockquote>
<p>ministre de l’intérieur (de) prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe, de toute personne résidant dans la zone fixée par le décret mentionné à l’article 2 et à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics dans les circonscriptions territoriales […]</p>
</blockquote>
<p>Cette disposition ne peut s’appliquer que lorsque l’état d’urgence est décrété. En effet, ce régime d’exception puise sa force dans l’article 1 de la loi du 3 avril 1955 qui évoque « un péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public ». Par ailleurs, l’assignation ne peut, en principe, s’appliquer que si il existe « des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ».</p>
<p>D’ailleurs, le Conseil constitutionnel a jugé que le régime des assignations à résidence était conforme à la constitution et qu’il ne portait pas une atteinte disproportionnée à la <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2015/2015-527-qpc/decision-n-2015-527-qpc-du-22-decembre-2015.146719.html">liberté d’aller et venir</a>. Sans qu’il ne soit besoin de prolonger ce développement, il apparaît utile d’éclairer le lectorat sur les possibilités de contestation d’une mesure d’assignation à résidence. En effet, si le juge administratif est compétent pour connaître du référé-liberté introduit par les assignés, son examen n’a pas toujours été automatique en raison notamment d’un défaut d’urgence. Il aura fallu une décision du Conseil d’État pour fixer les règles d’examen du référé-liberté sur le fondement de l’article L.521-2 du <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r3495.asp">code de justice administrative</a>.</p>
<p>Pour conclure, les procédures d’assignation à résidence vont encore prospérer malgré les sérieuses contestations qui s’opposent à l’absence d’un contrôle du juge judiciaire.</p>
<h2>Une absence de contrôle du juge contestée pour les saisies administratives</h2>
<p>Lorsque l’état d’urgence est activé, le paragraphe I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 confrère à l’administration des pouvoirs pour mener des perquisitions et des saisies administratives. Ces actes administratifs peuvent avoir lieu de jour comme de nuit. Le procureur de la République est informé sans délai de la mesure prononcée par le préfet. Cette mesure ne peut s’opérer que s’il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. Les dispositions du troisième alinéa de l’article 11 permettent à l’administration de copier les données stockées dans un système informatique.</p>
<p>En matière pénale, les perquisitions et saisies s’effectuent toujours sous le contrôle du juge judiciaire, garant de la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;?idArticle=LEGIARTI000006527558&cidTexte=LEGITEXT000006071194">liberté individuelle</a> qu’il s’agisse lors <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071154&idArticle=LEGIARTI000006575124&dateTexte=&categorieLien=cid">d’une enquête préliminaire</a>, de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071154&idArticle=LEGIARTI000006575024&dateTexte=&categorieLien=cid">flagrance</a> ou d’une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichCodeArticle.do?cidTexte=LEGITEXT000006071154&idArticle=LEGIARTI000006575474">information judiciaire</a>.</p>
<p>En matière administrative, la loi autorise l’administration à procéder à des perquisitions et saisies dans le cadre des mesures d’urgence ; ce dont elle ne s’est pas privée puisqu’un rapport de la commission des lois de l’Assemblée nationale relatif au contrôle parlementaire de l’état d’urgence recense 2 944 perquisitions administratives, dont 582 ayant abouti à une procédure judiciaire. Le parquet a engagé à la suite de ces procédures <a href="http://www2.assemblee-nationale.fr/14/commissions-permanentes/commission-des-lois/controle-parlementaire-de-l-etat-d-urgence/controle-parlementaire-de-l-etat-d-urgence/donnees-de-synthese/suivi-judiciaire-des-mesures-prises-pendant-l-etat-d-urgence.">212 poursuites</a>.</p>
<p>Plusieurs parlementaires, associations et personnalités se sont insurgés contre des procédures sans lien avec le terrorisme. Cette contestation semble justifiée au regard du maigre butin dont peut se prévaloir le Gouvernement. Officiellement, cinq individus ont été mis en cause dans des affaires de terrorisme, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a tenté de se défendre en affirmant qu’« une grande partie des éléments récupérés lors des perquisitions n’ont pas encore été exploités, <a href="http://www.assemblee-nationale.fr/14/rapports/r3495.asp#P125_21284.">notamment les données informatiques</a> ». Selon lui, ce nombre pourrait évoluer. C’était sans compter sur l’intervention du Conseil constitutionnel puisque dans une décision du 19 février 2016, les sages de la rue Montpensier ont jugé que les saisies de données informatiques <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2016/2016-536-qpc/decision-n-2016-536-qpc-du-19-fevrier-2016.146991.html">étaient contraires à la Constitution</a>.</p>
<p>À l’origine de cette décision, la ligue des droits de l’homme soutenait, dans une question prioritaire de constitutionnalité que le paragraphe I de l’article 11 de la loi du 3 avril 1955 « méconnaît l’exigence constitutionnelle de contrôle judiciaire des mesures affectant l’inviolabilité du domicile, laquelle est protégée au titre de la liberté individuelle et du droit au respect de la vie privée ». Selon la LDH, seul le juge judiciaire devrait être habilité à porter atteinte à la liberté individuelle.</p>
<p>C’est peine perdue, puisque Le Conseil constitutionnel a déjà statué sur cette question notamment en matière douanière en admettant dans une affaire que compte tenu de « la mobilité des navires et les difficultés de procéder au contrôle des navires en mer », les agents des douanes sont « habilités à visiter les navires y compris dans leurs parties affectées à un <a href="http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2013/2013-357-qpc/decision-n-2013-357-qpc-du-29-novembre-2013.138841.html">usage privé ou de domicile</a> ». C’est donc tout naturellement que dans sa décision du 16 février 2016, le Conseil constitutionnel a écarté le grief selon lequel, les perquisitions devaient s’effectuer sous l’autorité du juge judiciaire (considérant n°4).</p>
<p>En revanche et s’agissant des saisies de données numériques, le cinquième alinéa du paragraphe I de l’article 11 dispose que « lorsqu’une infraction est constatée, l’officier de police judiciaire en dresse procès-verbal, procède à toute saisie utile et en informe sans délai le procureur de la République ». Le même texte organise la saisie des données en autorisant l’accès</p>
<blockquote>
<p>par un système informatique ou un équipement terminal présent sur les lieux où se déroule la perquisition, à des données stockées dans ledit système ou équipement ou dans un autre système informatique ou équipement terminal, dès lors que ces données sont accessibles à partir du système initial ou disponibles pour le système initial. Les données auxquelles il aura été possible d’accéder dans les conditions prévues au présent article peuvent être copiées sur tout support.</p>
</blockquote>
<p>Cependant, le Conseil constitutionnel au terme d’une démonstration assimile volontairement la « copie » à une « saisie », ce qui place l’autorité administrative dans une situation pour le moins embarrassante eu égard aux prérogatives de l’administration insuffisamment encadrées en la matière.</p>
<p>Par ailleurs, ce qui a été véritablement sanctionné, c’est la saisie et l’exploitation de données informatiques alors même qu’elles n’ont été autorisées par aucun juge. Plus frappant encore, l’absence d’infraction précédant la copie des données serait une violation de la vie privée protégée par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’Homme de 1978. En effet, comment peut-on saisir, sans l’appui d’un juge, des données, quelques fois, intimes d’individus pour lesquels, il n’existe encore aucune infraction ? Rappelons-le, la perquisition administrative est une formule destinée à prévenir les troubles à la sécurité et à l’ordre publics.</p>
<p>Enfin, les sages ont regretté le déséquilibre frappant entre la conciliation de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et le droit au respect de la vie privée rendant, par conséquent, cette mesure inconstitutionnelle ce qui ouvre la voie à de nombreux recours pour annuler l’exploitation des données saisies. En attendant, le ministre de l’intérieur pourra toujours soulever l’argument de la porosité entre la délinquance et le terrorisme pour justifier ses incursions liberticides.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/55406/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Driss Aït Youssef ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Conseil constitutionnel recadre l’état d’urgence décidé par le gouvernement en interdisant la saisie des données informatiques. Analyse de cette position et de ses conséquences.Driss Aït Youssef, Docteur en droit, chargé de cours, président de l'Institut Léonard de Vinci, Pôle Léonard de VinciLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.