tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/corruption-21440/articlescorruption – The Conversation2024-03-18T15:33:22Ztag:theconversation.com,2011:article/2251382024-03-18T15:33:22Z2024-03-18T15:33:22ZCorruption bancaire : le rôle clé de la conception du « leadership » selon les pays<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/579921/original/file-20240305-30-jcla9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C60%2C1905%2C1299&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les cas de corruption concernent aussi bien les grandes banques que les plus petites.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.publicdomainpictures.net/fr/free-download.php?image=rejet-des-pots-de-vin-et-de-la-corruptio&id=493834">Publicdomainpictures.net/Mohamed Mahmoud Hassan</a></span></figcaption></figure><p>Ces dernières années, les cas de corruption ont régulièrement alimenté la chronique et de grandes banques internationales ont été <a href="https://www.globalwitness.org/en/campaigns/corruption-and-money-laundering/banks-and-dirty-money">condamnées à des amendes pour de telles affaires</a>. Bien que ces cas concernent principalement des banques de pays développés, le problème reste néanmoins tout aussi grave dans les pays en développement, à l’image des exemples récents de la <a href="https://www.benarnews.org/english/news/bengali/bank-embezzlement-case-charges-06122023142707.html">Basic Bank au Bangladesh</a> en 2023 ou de la <a href="https://www.voanews.com/a/former-bank-of-china-chairman-indicted-for-bribery-in-anticorruption-drive/7493948.html">Bank of China</a> début 2024.</p>
<p>Or, la corruption peut nuire à la fonction première d’<a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304393206001437">allocation efficace des crédits</a>, ce qui a des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1540-6261.2005.00727.x">conséquences négatives sur la croissance des entreprises</a>. En outre, les comportements contraires à l’éthique peuvent avoir des effets négatifs sur la satisfaction des clients, la <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-023-05546-2">valeur et la réputation de la banque</a>, ainsi que sur la <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3292740">qualité des prêts et les bénéfices de l’enseigne</a>.</p>
<h2>Le rôle de la culture nationale</h2>
<p>Mais quels sont les facteurs qui expliquent la corruption, outre l’appât du gain au sens strict ? Dans une <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-023-05546-2">étude</a> récente que nous avons publiée dans le <em>Journal of Business Ethics</em>, nous nous sommes concentrés sur l’effet de la culture nationale. En effet, comme nous pouvons le constater sur la carte ci-dessous, des pays au niveau de développement équivalent peuvent afficher de grandes différences quant à l’ampleur de la corruption sur leur territoire.</p>
<p><iframe id="1hSbp" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/1hSbp/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Pour mener l’analyse, nous avons collecté des données à partir de deux sources principales. Tout d’abord, nous nous appuyons sur l’<a href="https://www.enterprisesurveys.org/en/enterprisesurveys">enquête</a> de la Banque mondiale sur les entreprises dans laquelle figure une question sur la corruption des agents bancaires. Ensuite, nous avons mobilisé les données issues d’autres travaux de recherche (<a href="https://globeproject.com/">ici</a> et <a href="https://us.sagepub.com/en-us/nam/culture-leadership-and-organizations/book226013">ici</a>) pour établir la mesure dans laquelle les différents pays approuvent différents styles de leadership. Ainsi, ces styles de leadership traduisent des préférences sociétales profondément enracinées.</p>
<p>Il existe six dimensions du leadership global approuvé par la culture : (i) charismatique/basé sur la valeur, (ii) axé sur l’équipe, (iii) participatif, (iv) axé sur l’humain, (v) autonome et (vi) autoprotecteur. Dans notre étude, chaque pays s’est vu attribuer un score différent sur chacune des dimensions du leadership en fonction de ses préférences pour ce style de leadership.</p>
<p>Par exemple, les États-Unis affichent sur ces différentes dimensions des scores de 6,12 (charismatique/basé sur la valeur), 5,80 (orienté vers l’équipe), 5,93 (participatif), 5,21 (orienté vers l’humain), 3,75 (autonome), 3,15 (autoprotecteur). En revanche, dans le cas de la Malaisie, les scores sont respectivement de 5,89, 5,80, 5,12, 5,24, 4,03 et 3,49.</p>
<p>Pour les besoins de notre analyse, nous avons utilisé les scores des 6 dimensions globales pour définir <a href="https://ideas.repec.org/a/spr/soinre/v127y2016i1d10.1007_s11205-015-0959-9.html">trois grands prototypes de leadership</a> : égoïste, prosocial et non autonome.</p>
<p>Nous avons constaté que, si les prototypes de leadership prosocial et non autonome n’avaient pas d’importance, un leadership « égoïste » avait un effet statistiquement significatif. Ainsi, un leadership égoïste entraînerait une augmentation de 5,4 points de pourcentage de la probabilité qu’une entreprise considère la corruption bancaire comme un obstacle majeur et une diminution de 13,3 points de pourcentage de la probabilité qu’une entreprise considère la corruption bancaire comme n’étant pas un obstacle à la croissance de l’entreprise.</p>
<p>Par exemple, les États-Unis présentent une culture de leadership moins « égoïste » que la Malaisie (avec un écart-type de 1 sur cette dimension). Ainsi, si le score des États-Unis était remplacé par celui de la Malaisie, la probabilité que les entreprises américaines déclarent la corruption bancaire comme un obstacle majeur augmenterait de 5,4 points de pourcentage et la probabilité qu’elles déclarent la corruption bancaire comme un obstacle nul diminuerait de 13,3 points de pourcentage.</p>
<h2>Un besoin de puissants superviseurs</h2>
<p>Autrement dit, un style de leadership égocentrique augmente la probabilité de corruption bancaire. Ainsi, pour limiter le phénomène, les dirigeants des banques peuvent essayer d’adopter des styles de leadership compatibles avec un style participatif et non égocentrique. De tels styles leur permettraient d’accorder aux subordonnés plus d’autonomie et de responsabilité dans la prise de décision, d’être ouverts à leurs opinions et suggestions, et de faire preuve de respect et de sollicitude dans leurs relations avec eux.</p>
<p>Au niveau national, nous comprenons bien entendu qu’il est difficile pour les décideurs politiques de modifier (du moins à court terme) des caractéristiques sociétales profondément enracinées, telles que les idéaux de leadership partagés par la culture. Cependant, il semble que l’existence de puissants superviseurs bancaires et d’un registre public/bureau privé puisse au moins atténuer les effets négatifs du style de leadership égocentrique. Le régulateur pourrait donc prendre des mesures dans ce sens.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225138/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une étude montre que l’ampleur du problème de la corruption dans un pays ne dépend pas uniquement du niveau de richesse.Chrysovalantis Gaganis, Professor of Finance, University of CreteFotios Pasiouras, Professor of Banking and Finance, Montpellier Business SchoolMenelaos Tasiou, Associate Professor in Finance, University of SurreyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2228352024-02-20T14:43:48Z2024-02-20T14:43:48ZUkraine : où en est le combat contre la corruption ?<p>Le 7 novembre 2023, la Commission européenne a <a href="https://france.representation.ec.europa.eu/informations/adhesion-de-lukraine-lue-comment-ca-marche-2023-12-07_fr">officiellement recommandé</a> l’ouverture des négociations avec l’Ukraine et la Moldavie en vue de leur adhésion à l’Union. Parmi les sept exigences que l’UE avait demandé à l’Ukraine de remplir pour accéder à ces négociations, la <a href="https://op.europa.eu/webpub/eca/special-reports/ukraine-23-2021/fr/">lutte contre la corruption</a> tenait une place prépondérante.</p>
<p>Se pencher sur la question de la corruption en Ukraine demande d’aller à l’encontre de forts présupposés, le pays étant dépeint depuis des années par ses détracteurs <a href="https://www.cairn.info/l-ukraine-de-l-independance-a-la-guerre--9791031805634-page-131.htm">comme étant profondément affecté par ce fléau</a>. La situation en la matière est pourtant loin d’être univoque.</p>
<h2>Une réalité nuancée qui échappe aux affirmations radicales</h2>
<p>Une chose est à poser d’emblée : il n’est pas possible d’évaluer la corruption de façon objective. Au même titre que les autres pratiques informelles, illicites et rejetées par la société, la corruption ne se déploie pas au grand jour.</p>
<p>En dépit de leur utilité, les indicateurs dont nous disposons sont tous imparfaits, y compris le plus connu d’entre eux, <a href="https://transparency-france.org/nous-connaitre/nos-publications/indice-de-perception-de-la-corruption/">l’Index de perception de la corruption</a> fourni chaque année par l’organisation Transparency International. Comme l’indique son nom, celui-ci se fonde sur la <em>perception</em> de la corruption ; or cette perception n’a pas la même valeur en fonction de la diversité de tolérance ou même de définition de la corruption dans les différentes sociétés interrogées.</p>
<p><a href="https://www.transparency.org/en/cpi/2023/index/ukr">Cet indicateur</a> attribue à chaque pays un score situé entre 0 et 100, la corruption étant jugée omniprésente à zéro et absente à 100. L’Ukraine a obtenu en 2023 un score de 36, ce qui la classe au 104<sup>e</sup> rang des pays du monde. Proche des scores de la Serbie et de la Bosnie-Herzégovine, elle est largement devant la Russie qui a obtenu un score de 26 points et la 141<sup>e</sup> place du classement. Il est également à noter que le score de l’Ukraine a connu une montée continue depuis la dernière année de pouvoir de Viktor Ianoukovitch, 2013, quand il était de 26.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1752367149434146998"}"></div></p>
<p>Les indicateurs à disposition étant limités par nature, il peut être tentant, afin de se faire une idée plus précise, de se plonger dans <a href="https://time.com/6249941/ukraine-corruption-resignation-zelensky-russia/">l’inventaire</a> des nombreuses affaires de corruption qui ont émaillé la société ukrainienne ces dernières années. Pour en citer quelques-unes, rappelons qu’en 2019 le président en exercice Petro Porochenko lui-même a fait les frais de l’implication du fils d’un de ses partenaires politiques dans un <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/ukraine/ukraine-soupcons-sur-porochenko-le-president-anti-corruption-6246374">scandale d’attribution d’appels d’offres de fournitures à l’armée</a>. Cette affaire a probablement pesé dans sa défaite à la présidentielle d’avril 2019, remportée par Volodymyr Zelensky.</p>
<p>Quatre ans plus tard, en août 2023, c’est le président Volodymyr Zelensky qui se voit forcé de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/08/12/en-ukraine-volodymyr-zelensky-decapite-le-service-de-recrutement-des-soldats_6185179_3210.html">limoger tous les responsables régionaux du recrutement militaire</a>, pour mettre à bas un système de corruption permettant d’échapper à la conscription.</p>
<p>Ces affaires montrent qu’il serait bien évidemment faux d’affirmer que l’Ukraine serait épargnée par la corruption. Ce phénomène y existe bel et bien, et prend de multiples formes. Pour autant, le simple fait que tant d’affaires aient été rendues publiques et aient suscité une profonde <a href="https://www.csmonitor.com/World/Europe/2023/1025/As-corruption-costs-lives-on-battlefield-Ukrainians-demand-change">indignation au sein de la société ukrainienne</a> indique que la tolérance pour les pratiques corruptives n’a pas cours en Ukraine. Les réactions de l’État aux scandales les plus récents illustrent aussi une certaine force du système politique ukrainien, capable de s’assainir même en temps de guerre et de s’attaquer à des personnes qui auraient été jugées intouchables avant Maïdan en 2014. La démonstration en a été faite plusieurs fois, notamment lors de l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/05/17/ukraine-le-president-de-la-cour-supreme-arrete-pour-corruption_6173689_3210.html">arrestation</a> en mai 2023 du président en exercice de la Cour suprême.</p>
<p>La mise en lumière de ces affaires est également l’illustration du fait que la société a fait le choix de s’ouvrir à la transparence des affaires depuis 2014. À titre d’exemple, il a longtemps été plus simple d’obtenir l’identité des bénéficiaires finaux d’une société en Ukraine qu’en <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/01/05/transparence-financiere-la-france-suspend-en-catimini-son-registre-des-beneficiaires-effectifs-de-societes_6156758_4355770.html">France</a>. Cette forte disponibilité des informations en sources ouvertes a permis des travaux d’investigation de presse toujours plus précis et professionnels.</p>
<h2>Une dynamique encourageante</h2>
<p>Même s’il n’est pas aisé d’appréhender le phénomène de la corruption dans toutes ses nuances, celui-ci n’est pas complètement insaisissable, surtout si l’on se concentre sur la dynamique plutôt que sur la simple photographie. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que cette dynamique va à l’encontre des clichés. Le changement de perception de la population, les réformes politiques mises en place et la transformation du cadre réglementaire en Ukraine sont notables.</p>
<p>Plusieurs facteurs concomitants expliquent ce rejet grandissant des pratiques corruptives en Ukraine. Le plus fort et transformateur d’entre eux reste sans conteste la séquence de la <a href="https://www.cairn.info/journal-etudes-2015-3-page-7.htm">Révolution de la dignité</a> en 2014, quand la population a fortement exprimé son rejet de l’opacité dans la conduite des affaires et la persistance des inégalités économiques fondées sur le privilège de quelques-uns.</p>
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<figcaption><span class="caption">Agence ukrainienne de lutte contre la corruption : le vote au Parlement est considéré comme la principale revendication des manifestants de Maïdan, 7 octobre 2014.</span></figcaption>
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<p>Comme évoqué plus haut, la lutte contre la corruption fait aussi partie des exigences exprimées par l’UE. La reprise de l’invasion russe, il y a tout juste deux ans, en février 2022, est venue d’autant plus catalyser l’application des recommandations de l’Union que l’accession à celle-ci apparaît désormais pour l’Ukraine tout à la fois comme une protection contre les menaces géopolitiques et comme la consécration d’un choix de modèle de société opposé à celui imposé par le Kremlin.</p>
<h2>Un impressionnant train de réformes anticorruption</h2>
<p>Qu’il s’agisse de Petro Porochenko (2014-2019), ou de Volodymyr Zelensky (élu depuis 2019), les deux présidents ukrainiens ont mis en place un nombre considérable de réformes pour faire progresser la lutte contre la corruption, alors même que leur pays subit une invasion depuis 2014.</p>
<p>Les institutions dédiées ont en effet été significativement renforcées, avec la création du <a href="https://nabu.gov.ua/en/about-the-bureau/struktura-ta-kerivnitctvo/istoriya-stanovlennya/">Bureau national anti-corruption d’Ukraine</a> (NABU), du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/04/ukraine-contre-la-corruption-nous-sommes-devenus-plus-efficaces_6180469_3210.html">Bureau du procureur spécial anti-corruption</a> (SAPO), de <a href="https://nazk.gov.ua/en/">l’Agence nationale de prévention de la corruption (NAPC/NAZK)</a> en 2015, puis de la <a href="https://www.u4.no/publications/launching-an-effective-anti-corruption-court">Haute Cour Anticorruption</a> en 2018 dans les derniers mois du mandat de Petro Porochenko. Le lancement officiel le 5 septembre 2019 de cette dernière institution a marqué une étape importante dans la lutte contre la corruption. D’autres mesures plus ciblées comme l’obligation de déclaration publique des revenus et du patrimoine des fonctionnaires ou la très remarquée <a href="https://www.worldbank.org/content/dam/Worldbank/document/eca/georgia/11-procurement/Ukraine-ENG.pdf">réforme des marchés publics</a> ont participé à ce même mouvement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Guerre contre la corruption en Ukraine : des journalistes traquent les abus (France 24, 22 décembre 2023).</span></figcaption>
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<p>Parmi les initiatives législatives les plus récentes, il convient de citer la loi n°1780-IX, adoptée en 2021, plus connue simplement comme la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/30/en-ukraine-une-loi-pour-limiter-l-influence-des-oligarques_6096582_3210.html">« loi anti-oligarques »</a>, qui cherche à encadrer le rôle politique de ces influents hommes d’affaires. Fin 2023, l’Ukraine a encore renforcé ce travail législatif demandé par l’Union en adoptant un contrôle financier accru sur les personnes considérées comme <a href="https://ubn.news/ukraine-has-fulfilled-its-imf-and-eu-requirements-and-strengthened-control-over-the-expenses-of-politically-exposed-persons-and-moves-toward-another-beacon/">politiquement exposées</a>.</p>
<p>L’Ukraine n’aurait probablement pas à rougir d’une comparaison avec les autres <a href="https://www.touteleurope.eu/les-pays-candidats-a-l-adhesion-europeenne/">pays candidats à l’accession</a> à l’Union engagés dans le même processus de réformes.</p>
<p>En dépit de ces avancées certaines, le système politique et social ukrainien doit poursuivre sa transformation et doit encore contourner un certain nombre d’écueils non négligeables.</p>
<h2>Une question cruciale : le rythme du déploiement des réformes</h2>
<p>La rapidité de la mise en place de ces lois fait courir le risque qu’elles soient vidées de leur sens à l’usure ou instrumentalisées politiquement par la suite. C’est justement les réserves que la Commission européenne pour la démocratie par le droit du Conseil de l’Europe, plus connue sous le nom de <a href="https://www.venice.coe.int/WebForms/pages/default.aspx">Commission de Venise</a>, a adressées à l’Ukraine en juin 2022 concernant la loi anti-oligarques. La jugeant punitive et facilement instrumentalisable politiquement, elle a incité le gouvernement ukrainien a mettre le déploiement de cette loi sur pause car la guerre était venue diminuer si drastiquement l’influence des oligarques que sa nécessité était moindre qu’avant la reprise de l’invasion par la Russie.</p>
<p>En retour, si la guerre est une excuse tout à fait recevable pour comprendre les retards de mise en œuvre de politiques, la <a href="https://www.ukrinform.fr/rubric-ato/3749516-volodymyr-zelensky-prolonge-la-loi-martiale-et-la-mobilisation-generale-en-ukraine.html">loi martiale</a> ne doit pas hypothéquer indéfiniment certaines actions majeures de transparence politique et financière. Il est heureux que l’Ukraine ait remis en service, en novembre 2023, l’accès public aux déclarations de revenus et de patrimoine des fonctionnaires. D’autres retours au respect de la législation se font encore attendre, comme l’obligation de déclaration des financements des partis politiques, annoncée pour le <a href="https://nazk.gov.ua/uk/novyny/vidnovlennya-zvituvannya-politychnyh-partiy-nazk-provelo-navchannya-dlya-predstavnykiv-politpartiy/">printemps 2024</a>.</p>
<p>L’Ukraine doit aussi conserver ce qui fait sa force, et veiller à soutenir sa très précieuse et active <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/en/content/la-societe-civile-ukrainienne-pendant-la-guerre-la-force-des-liens-faibles">société civile</a>. Ses organisations militant pour la transparence du système judiciaire, sa presse d’investigation et cette capacité à questionner constamment l’action de ses hommes et femmes politiques doivent être préservées à tout prix.</p>
<p>Enfin, l’Ukraine serait tout aussi inspirée de mettre fin une bonne fois pour toutes à la <a href="https://ti-ukraine.org/en/news/increasing-sbu-involvement-in-anti-corruption-investigations-draft-law-analysis/">compétition</a> entre différentes institutions de lutte contre la corruption, le NABU et le SBU : le second a encore compétence sur les crimes économiques alors qu’il est chargé du renseignement et dépend du pouvoir exécutif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222835/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paul Cruz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Ukraine est volontiers présentée par la Russie comme un pays totalement corrompu. Une vision très partielle qui ne tient pas compte des nombreux efforts accomplis par Kiev ces dernières années.Paul Cruz, Centre Émile Durkheim, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211862024-01-21T14:41:25Z2024-01-21T14:41:25ZPortugal : élections sous haute tension<p>« Ah ! les affaires, quelle eau trouble, empoisonnée et salissante ! », écrit Émile Zola en 1898 dans son roman <em>Paris</em> peu après le scandale du canal de Panama, au moment de s’engager dans la tempête de l’affaire Dreyfus. Comme un écho lointain, le premier ministre portugais Antonio Costa martèle « évidemment » – « obviamente ! » – en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/07/portugal-le-premier-ministre-antonio-costa-a-demissionne-eclabousse-par-un-scandale-de-corruption_6198745_3211.html">annonçant sa soudaine démission</a> le 7 novembre 2023.</p>
<p>« Évidemment », une fois considéré, non sans dignité, que ses fonctions ne sont pas compatibles avec la moindre suspicion mettant en cause son intégrité dans une sombre affaire de corruption où seraient impliqués certains de ses proches, dont son chef de cabinet et l’un de ses principaux conseillers, sans compter son propre ministre des Infrastructures. « Évidemment », puisque des écoutes téléphoniques, diligentées par le ministère public, semblent l’attester.</p>
<p>Sauf que, une fois la démission annoncée et la décision prise dans la foulée par le président de la République de convoquer des élections législatives anticipées, les chefs d’accusation s’avèrent flous. L’affaire des écoutes téléphoniques révèle même une <a href="https://www.lejdd.fr/international/portugal-vise-par-un-scandale-de-corruption-le-premier-ministre-demissionnaire-victime-dune-confusion-de-nom-139632">confusion de noms</a> entre le chef du gouvernement et son ministre de l’Économie, Antonio Costa Silva.</p>
<p>Procureure générale de la République portugaise depuis 2018, Lucília Gago en sort ébranlée. D’aucuns laissent entendre que l’affaire fait « pschitt », avec beaucoup de bruit pour rien. Une affaire en « eau trouble, empoisonnée et salissante », à l’arrière-goût amer, propice à toutes les interrogations et inquiétudes quant à l’issue du scrutin programmé le 10 mars prochain.</p>
<h2>Pourquoi voter de nouveau ?</h2>
<p>« C’est une étape qui se clôt », a précisé le premier ministre en annonçant sa démission, mettant un terme à huit années de présidence du Conseil. Avant de préciser quelques jours plus tard qu’il n’occuperait plus de charges publiques au Portugal, renonçant également à sa fonction de secrétaire général du Parti socialiste qu’il exerçait depuis 2014. De fait, c’est une page qui se tourne avec l’effacement contraint de la personnalité politique phare de la vie politique portugaise des dix dernières années, par ailleurs figure de proue de la social-démocratie européenne.</p>
<p>Alors qu’Antonio Costa avait remporté haut la main les élections législatives anticipées en janvier 2022, le PS obtenant la majorité absolue des sièges au Parlement, comment en est-on arrivé là ?</p>
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<p>La démission du premier ministre s’inscrit dans un climat fortement dégradé depuis fin 2022, sous l’ombre portée du <a href="https://www.lesechos.fr/monde/europe/au-portugal-le-tapgate-provoque-une-crise-au-sommet-de-letat-1942058">« TAPgate »</a>, la compagnie aérienne nationale en voie de privatisation dont le nom a été accolé à divers scandales et démissions au sein du gouvernement. Dont celle, le 4 janvier 2023, de Pedro Nuno Santos, influent ministre des Infrastructures et du Logement, pour couvrir sa secrétaire d’État, ancienne salariée de la TAP accusée d’avoir perçu une importante indemnité lors de son départ de la compagnie.</p>
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<figcaption><span class="caption">Antonio Costa démissionne après une enquête pour corruption.</span></figcaption>
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<p>À la fin du printemps 2023, le successeur de Pedro Nuno Santos, João Galamba, est déjà sur la sellette, en raison de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/au-portugal-la-gauche-rattrapee-par-ses-demons-76BOYBUMMZC65GMEHQLWII2ME4/">son rôle jugé équivoque</a> dans l’attribution de juteuses concessions pour l’exploration de lithium – <a href="https://blog.leslignesbougent.org/portugal-riche-grace-au-lithium/">l’une des grandes richesses du Portugal de demain</a> – lorsqu’il était secrétaire d’État à l’Énergie. Antonio Costa refuse alors de démettre Joao Galamba de ses fonctions, comme le réclame pourtant avec vigueur le président de la République Marcelo Rebelo de Sousa, professeur de droit et président du PSD (parti social-démocrate, centre droit) de 1996 à 1999, élu début 2016 et réélu en 2021 dès le premier tour.</p>
<p>C’est le début d’une séquence qui s’est refermée début novembre avec la démission du premier ministre. Une séquence qui souligne les limites d’une cohabitation, souvent montrée en exemple depuis 2016, entre un chef de l’État et un chef du gouvernement de sensibilités politiques différentes. Et qui illustre toutes les ambiguïtés de la nature d’un régime qualifié le plus souvent de semi-présidentiel depuis <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire/1804">l’adoption de la Constitution en 1976</a> et, avec <a href="https://www.theses.fr/2001PA010327">l’apparition du fait majoritaire en 1987</a>, de « mixte parlementaire-présidentiel » ou de « premier-présidentiel », voire de « parlementariste à correction présidentielle ».</p>
<p>Par son droit de veto suspensif et, surtout, de dissolution de l’Assemblée de la République – la chambre unique du Parlement portugais –, le chef de l’État dispose de pouvoirs constitutionnels importants qui lui permettent de peser dans le jeu politique. Et cela, d’autant plus lorsque le président de la République se révèle particulièrement habile et visible sur la scène médiatique, comme c’est le cas de Marcelo Rebelo de Sousa.</p>
<p>Avec la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/30/portugal-le-premier-ministre-socialiste-antonio-costa-obtient-une-nette-victoire-electorale-mais-sans-majorite-absolue_6111627_3210.html">majorité absolue</a> obtenue par le Parti socialiste en janvier 2022, lors d’élections législatives anticipées suite à la mise en minorité du gouvernement d’Antonio Costa sur le vote du budget 2022, l’espace politique et médiatique du chef de l’État s’était mécaniquement réduit.</p>
<p>La décision de celui-ci de recourir à de nouvelles élections législatives anticipées s’inscrit dans ce contexte de tension institutionnelle et médiatique, alors qu’un autre choix était possible : celui d’accepter la démission du premier ministre en nommant une personnalité issue du parti disposant de la majorité au Parlement, comme cela avait été le cas à l’été 2004 et début 1981.</p>
<h2>Un choix risqué</h2>
<p>En ouvrant cette nouvelle séquence électorale, deux ans seulement après les précédentes législatives, le chef de l’État a opté pour la solution de retourner aux urnes malgré <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/11/10/portugal-des-elections-legislatives-convoquees-apres-la-demission-du-premier-ministre_6199240_3210.html">l’avis réservé du Conseil d’État</a> le 9 novembre. C’est le choix d’un vote démocratique pour donner aux électeurs la possibilité de s’exprimer et de clarifier la situation, non sans arrière-pensée politique peut-être : le président espère probablement que le scrutin permettra de remettre en selle le PSD.</p>
<p>Mais c’est un choix risqué au regard du contexte qui a conduit à la démission du chef du gouvernement, sur fond de ténébreuse affaire de favoritisme, sinon de corruption, dont la justice n’a pu établir pour l’heure la véracité. Cette discordance des temps judiciaire, politique et médiatique renforce le climat de défiance à l’égard d’une classe politique souvent pointée du doigt, avec les effets en cascade de ces scandales de corruption.</p>
<p>Ces <em>spillover effects</em> érodent la confiance dans les institutions, tout en nourrissant un sentiment délétère d’impunité. Entre classement sans suite comme dans <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/portugal-l-instruction-de-l-affaire-de-l-ex-premier-ministre-socrates-touche-a-sa-fin-20210409">l’affaire José Socrates</a> au printemps 2021 – après sept ans d’instruction, les charges de corruption active pesant sur l’ancien premier ministre (PS) de 2005 à 2011, incarcéré en 2014 et 2015, ont été abandonnées – et <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2017/03/26/affaire-petrobras-retour-sur-les-trois-annees-qui-ont-marque-le-bresil_5100932_3222.html">syndrome Lava Jato</a> qui, dans le cas brésilien, a montré tous les dangers depuis la <a href="https://www.lemonde.fr/ameriques/article/2016/08/31/bresil-la-presidente-dilma-rousseff-destituee_4990645_3222.html">destitution de la présidente Dilma Rousseff</a> à l’été 2016, perçue comme un coup d’État judiciaire ayant ouvert la voie à l’extrême droite et Jair Bolsonaro, entre « business as usual » et « catch me if you can », l’opinion publique oscille, déboussolée et désenchantée.</p>
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<figcaption><span class="caption">José Socrates mis en cause et arrêté dans une affaire de corruption.</span></figcaption>
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<p>Autant dire qu’avec l’émergence en 2019 du parti d’extrême droite <a href="https://www.ritimo.org/Portugal-Chega-un-parti-d-extreme-droite-present-dans-le-systeme-politique">Chega</a>, le choix de recourir à de nouvelles élections se fait sous haute tension. Le parti fondé et dirigé par André Ventura, jeune transfuge du PSD élu député en octobre 2019, a rapidement occupé l’espace médiatique et pesé sur la recomposition de la droite, alors que le Portugal avait <a href="https://theconversation.com/portugal-le-pays-qui-dit-nao-a-lextreme-droite-125472">longtemps été épargné par l’onde de droite radicale populiste</a> observée ailleurs en Europe.</p>
<p>Avec ses 12 députés à l’Assemblée (sur 230) et les 7,5 % de suffrages obtenus aux législatives de janvier 2022, Chega ne peut que viser plus haut, les sondages le créditant de plus de 15 % d’intentions de vote – soit, avec la représentation proportionnelle, au moins une trentaine d’élus au Parlement. Plus encore que l’immigration, le principal carburant de ce parti est la dénonciation de <a href="https://www.tdg.ch/crise-politique-au-portugal-l-affaire-des-liasses-de-billets-dope-l-extreme-droite-421113087741">« la corruption des élites »</a>. Chega appelle à une grande lessive, qui devrait commencer par le Parti socialiste. Des affiches grand format sont placardées dans les rues en 2023 ; André Ventura y apparaît en « chevalier blanc » de la démocratie avec comme slogan « Le Portugal a besoin d’un grand nettoyage ».</p>
<h2>Une majorité introuvable ?</h2>
<p>Face à ce danger, les deux principaux partis de gouvernement, PS et PSD, s’organisent. Le PS tente de tourner la page d’un Antonio Costa resté très actif, avec <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/portugal/portugal-pedro-nuno-santos-remporte-les-primaires-du-parti-socialiste-dbbedae3-24c6-4ac3-9928-b9b7a3d285d4">l’élection mi-décembre</a> de son nouveau secrétaire général Pedro Nuno Santos, 46 ans, ancien ministre des Relations avec le Parlement (2015-2019), puis des Infrastructures et du Logement (2019-2022).</p>
<p>Élu avec près des deux tiers des suffrages au terme d’une primaire interne l’ayant opposé à un candidat plus centriste, Pedro Nuno Santos entend bien succéder à Antonio Costa comme premier ministre et incarner la stabilité. Il a rapidement réorganisé le PS, dont le solide ancrage local constitue un précieux atout, sans exclure une nouvelle alliance à gauche avec le Bloco de Esquerda (Bloc de Gauche), en revitalisant l’idée d’une nouvelle <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2017/10/DARCY/58001"><em>geringonça</em></a>, ce « bidule brinquebalant » qui avait fonctionné entre 2015 et 2019.</p>
<p>Quant au PSD, en proie depuis 2015 à une crise de leadership et aux coups de boutoir de Chega, il tente d’incarner l’espoir à droite d’un retour au pouvoir, suite à sa « victoire volée » d’octobre 2015, quand la coalition PSD-CDS (Centre démocratique et social) était arrivée en tête sans pouvoir gouverner, mise en minorité à l’Assemblée suite au vote d’une motion de censure par l’ensemble des forces de gauche, donnant naissance à la <em>geringonça</em>.</p>
<p>Ces nouvelles élections législatives, deux ans après l’échec de janvier 2022, semblent donner à la droite une occasion inespérée de reprendre l’ascendant. Sous la direction de son <a href="https://lepetitjournal.com/lisbonne/politique-luis-montenegro-president-psd-portugal-339241">nouveau président élu à l’été 2022</a>, Luís Montenegro, le PSD a opté pour la solution d’une nouvelle coalition avec le CDS, absent au Parlement depuis 2022, et le petit Parti populaire monarchiste (PPM), revitalisant la légendaire « Alliance démocratique », vainqueur des élections fin 1979 autour de <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1980/12/06/francisco-sa-carneiro-le-gout-de-l-autorite_2808335_1819218.html">Francisco Sá Carneiro</a>, leader charismatique du centre droit, nommé premier ministre avant de disparaître tragiquement dans un accident d’avion en décembre 1980.</p>
<p>On le voit bien, c’est la solution des alliances qui est privilégiée pour tenter d’obtenir une majorité à l’Assemblée. En l’état, aucun parti ne paraît en mesure de recueillir seul une majorité claire, sinon absolue. Si, à gauche, la voie d’une nouvelle <em>geringonça</em> semble s’esquisser, à droite l’épouvantail Chega pèse sur la recomposition de cette famille politique.</p>
<p>Malgré les <a href="https://www.euractiv.fr/section/elections/news/vers-une-coalition-des-partis-pour-isoler-lextreme-droite-au-portugal/">dénégations de son président</a>, d’aucuns suspectent le PSD de ne pas exclure une alliance avec Chega, afin de réunir une majorité parlementaire pour gouverner. Avec comme précédent le cas de l’assemblée régionale des Açores où deux conseillers Chega avaient <a href="https://rr.sapo.pt/noticia/politica/2020/11/24/acores-bolieiro-cita-sa-carneiro-na-tomada-de-posse-e-reconhece-exigente-missao/216069/">fourni l’appoint en 2020</a> pour faire basculer au PSD cette région autonome.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569598/original/file-20240116-27-xk1ief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Santiago Abascal, leader du parti d’extrême droite espagnol Vox et Andre Ventura, leader du parti d’extrême droite portugais Chega, durant la campagne des élections législatives portugaises de 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/voxespana/51814205056">Flickr</a></span>
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<p>Entre normalisation rapide et lutte pour l’hégémonie, Chega a déjà débauché quelques élus du PSD, cherchant à s’affirmer comme le principal parti de droite, « l’unique chemin pour battre le socialisme au Portugal », comme l’a de nouveau déclaré son président André Ventura, réélu avec plus de 98 % des voix lors de la sixième convention nationale de sa formation les 13 et 14 janvier 2024.</p>
<h2>25 avril toujours ?</h2>
<p>Avec pour toile de fond les commémorations du 50<sup>e</sup> anniversaire de la <a href="https://editionschandeigne.fr/revue-de-presse-sous-less-oeillets-le-revolution/">Révolution des Œillets</a> en avril prochain, ces élections sont bien sous haute tension. Certains acquis du 25 avril 1974 – à commencer par la Constitution « marxiste maçonnique » de 1976 – sont clairement dans le viseur de Chega, dont le président vient de déclarer que le choix se fera entre « le Portugal de 2024 », qu’il prétend incarner, et « le Portugal de 1974 », celui de Pedro Nuno Santos.</p>
<p>Nul doute que le système politique portugais peut de nouveau se révéler « résilient », malgré – ou peut-être grâce à – un <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Abstention-comment-sen-sortent-autres-pays-europeens-2021-06-21-1201162352">taux d’abstention élevé</a>, un faible intérêt pour la politique et le <a href="https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/monnaie-surevaluee-vieillissement-desindustrialisation-ce-que-le-portugal-dit-de-lue">vieillissement de l’électorat</a>.</p>
<p>Nul doute également que la société portugaise se révèle <a href="https://migrant-integration.ec.europa.eu/news/portugal-survey-finds-public-increasingly-tolerant-migrants_en">l’une des plus ouvertes à l’immigration</a>, comme l’ont rappelé les enquêtes de European Social Survey en 2023. Chega et Ventura peuvent connaître un revers analogue à <a href="https://www.lepoint.fr/monde/l-espagne-brise-l-envol-de-l-extreme-droite-en-europe-24-07-2023-2529349_24.php">celui de Vox</a> et de Santiago Abascal en Espagne lors des législatives de juillet 2023.</p>
<p>Mais le vote du 10 mars pourrait se révéler un pari risqué si, faute de majorité parlementaire, la stabilité qui a dominé la vie politique portugaise depuis une quarantaine d’année, était remise en cause. Née du 25 avril, la démocratie a montré jusqu’ici sa solidité. Alors, « 25 de Abril sempre ! » (25 avril toujours !) ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221186/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yves Léonard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Au Portugal, les législatives anticipées de mars s’annoncent serrées, la gauche cherchant à conserver le pouvoir face à un centre droit qui devra composer avec la montée de l’extrême droite.Yves Léonard, Membre du Centre d'histoire de Sciences Po et chercheur associé à l’université de Rouen-Normandie, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162202023-12-03T16:57:27Z2023-12-03T16:57:27ZLe président élu pourrait ne jamais gouverner : la tentative de coup d’État judiciaire au Guatemala provoque une mobilisation jamais-vu<p>La victoire historique de forces progressistes et anticorruption au Guatemala lors des élections présidentielles en août a provoqué une bataille judiciaire et politique d’ampleur inédite, dont l’issue déterminera dans une grande mesure l’avenir de la démocratie dans ce pays. </p>
<p>Bernardo Arévalo et Karina Herrera, le binôme présidentiel du parti Semilla, ont créé la surprise lors du premier tour des élections générales, le 25 juin, puis lors de leur victoire en août. Mais Arévalo pourrait ne pas réussir à devenir officiellement président, en janvier, si les tentatives d’entrave se poursuivent.</p>
<p>En effet, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2016383/guatemala-bernardo-arevalo-president-corruption">trois fonctionnaires, qui se trouvent sur une liste d’acteurs corrompus et antidémocratiques dressée par le département d’État américain, complotent pour voler son élection</a>. C’est du moins ce qu’en concluent les Guatémaltèques, qui manifestent leur colère depuis des semaines en manifestant partout au pays.</p>
<p>Candidate au doctorat en science politique à l’Université de Montréal, je travaille, dans le cadre de ma thèse, sur les usages des droits humains par les acteurs politiques guatémaltèques.</p>
<h2>Le pacte des corrompus</h2>
<p>Quel a été le déroulé des évènements dans ce pays d’Amérique centrale de 17 millions d’habitants, ayant connu la démocratie seulement lors d’une courte période de 1944 à 1954, puis plus récemment, depuis 1985 ?</p>
<p>Dès les jours suivant le premier tour de juin, une coalition de partis perdants tentait de faire invalider les résultats au moyen de divers recours légaux et administratifs. Cette initiative était soutenue officieusement par l’actuel président depuis 2020, Alejandro Giammattei, et ses alliés, placés à des postes clés de l’État, en particulier au sein du système judiciaire. </p>
<p>Ceux qu’on appelle le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/14/au-guatemala-les-interferences-du-pacte-des-corrompus-dans-l-election-presidentielle_6181991_3210.html">« pacte des corrompus »</a> est ainsi une une alliance informelle d’élites économiques et politiques conservatrices, liées au crime organisé, impliquées dans de nombreuses affaires de corruption et toutes relativement proche du gouvernement sortant.</p>
<p>Tous voient d’un très mauvais œil l’investiture de Bernardo Arévalo, dont le parti propose un programme anticorruption. Le trio de fonctionnaires à la tête de la contestation actuelle est composé de la procureure générale Consuelo Porras, du procureur du bureau spécial contre l’impunité (FECI) Rafael Curruchiche et du juge Fredy Orellana. </p>
<p>Le processus électoral précédant le premier tour avait été entaché d’irrégularités. En particulier, plusieurs candidats et candidates s’étaient vus interdire de participer, sous des prétextes souvent douteux. Le parti Semilla n’étant pas alors pris au sérieux, il avait pu se présenter. Aucun observateur n’avait par ailleurs relevé de fraude au moment du scrutin lui-même, ou de manquements pouvant amener à remettre en question les résultats. </p>
<p>Puis le 20 août, malgré une faible participation (44 %), la victoire de Sémilla a été écrasante, remportant 70 % des suffrages exprimés contre 30 % pour l’UNE de Sandra Torres. Cette dernière est connue par ailleurs pour ses pratiques clientélistes et ses liens avec différents membres du « pacte des corrompus ».</p>
<h2>Les résultats électoraux attaqués</h2>
<p>Comme l’avaient déjà illustré les attaques durant l’entre deux tours, ceux et celles dont les intérêts sont particulièrement menacés par le programme d’Arévalo n’ont pas accepté un tel dénouement. Les offensives administratives et légales se sont donc multipliées. Elles tentent d’un côté de faire invalider le parti Semilla lui-même et de l’autre, de poursuivre en justice, pour des motifs fallacieux, certaines personnalités centrales du mouvement. </p>
<p>Les ripostes de la part du parti et de ses soutiens ont été immédiates, mais le manque de transparence et d’indépendance du système judiciaire rend ces stratégies peu efficaces pour les vainqueurs de l’élection. </p>
<p>Le principal espoir résidait dans la possibilité que le Tribunal Suprême Electoral (TSE) considère le processus électoral encore en cours jusqu’à l’investiture d’Arévalo, prévue pour le 14 janvier. </p>
<p>Mais le 30 octobre, le TSE a finalement tranché et a déclaré la période électorale terminée, entérinant la suspension de Semilla. Une nouvelle offensive, le 16 novembre a vu <a href="https://www.bnnbloomberg.ca/guatemala-prosecutors-seek-to-revoke-president-elect-s-immunity-1.1999669">l’émission de 27 mandats d’arrêt afin de placer en détention provisoire plusieurs personnalités liées à Semilla et à l’opposition, et tente de faire révoquer l’immunité d’Arévalo</a>.</p>
<h2>Des manifestations d’une ampleur inédite</h2>
<p>En réaction aux manœuvres du « pacte des corrompus », et dans un contexte de nette régression démocratique depuis plusieurs années, les Guatémaltèques sont descendus dans les rues, à travers des <a href="https://www.liberation.fr/international/amerique/le-guatemala-se-mobilise-pour-defendre-son-futur-president-20231025_7NKB7NUO35CYDKPEPYPPEZJNVA/">mobilisations à la portée immense</a>, au sein d’un mouvement populaire absolument inédit. </p>
<p>Le mot d’ordre est avant tout la démission de Consuelo Porras et de Rafael Curruchiche, et au-delà, du président Giammattei. Ceux-ci constituent en effet les clés de voûte de l’offensive du pouvoir en place contre Semilla, et plus généralement, de cette tentative de coup d’État judiciaire.</p>
<p>Ces mobilisations, loin d’être les seules de ces dernières années, ont toutefois été inédites par leur durée. On a assisté à plus d’un mois de blocage et plus de 15 jours de mise à l’arrêt quasi totale du pays – interrompue par des négociations avec le gouvernement. </p>
<p>Elles l’ont été aussi par leur ampleur. Elles réunissent des dizaines de milliers de personnes, réparties dans tout le pays. Habituellement, ce sont les manifestations au sein de la capitale qui sont les plus médiatisées. Ici, grâce aux réseaux sociaux notamment, de nombreux autres lieux de protestation de l’intérieur du pays ont été placés au centre de l’attention. </p>
<p>Elles l’ont été également par leur inventivité. Certes, les manifestations sont traditionnellement des espaces d’expressions artistiques, mais ici la danse, les chants, voire le yoga, ont pris une place exceptionnelle. </p>
<p>Dernier aspect fondamental de ces événements : le soutien immense que les organisations de peuples autochtones ont démontré à l’égard de la défense du processus électoral. Si ces groupes sont traditionnellement très actifs politiquement, leurs revendications d’ampleur nationale et leur engagement aux côtés d’autres secteurs politiques montrent qu’il s’agit d’un moment crucial pour la politique guatémaltèque.</p>
<h2>Un tournant pour le Guatemala ?</h2>
<p>L’analyse des derniers développements me permet donc de dresser deux constats :</p>
<p>1) Le succès d’Arévalo a montré que les aspirations à une solide démocratie demeuraient largement partagées. Les citoyennes et citoyens expriment aujourd’hui un souhait de transformation profonde, en particulier en termes de transparence et de justice sociale. Ces projets sont, de surcroît, soutenus par des acteurs traditionnellement conservateurs (comme c’est notamment le cas des jeunes entrepreneurs).</p>
<p>2) L’issue de ces évènements a le potentiel de créer un précédent important, en montrant la mesure dans laquelle il est possible (ou non) de freiner, voire de renverser un processus de fermeture autoritaire et d’érosion démocratique qui semblait bien en marche. Les acteurs prodémocratiques disposent encore d’une marge de manœuvre pour tenter de faire avancer leurs revendications. </p>
<p>Les prochains mois et les prochaines années nous montreront si les événements en cours sont les points de départ de véritables changements de paradigmes, ou de simples soubresauts dans la trajectoire historique et politique du Guatemala.</p>
<p>En effet, malgré tout l’espoir dont ces évènements sont porteurs, les défis restent immenses. Si le président Arévalo parvient à être investi, son parti ne gouvernera qu’avec une minorité au sein du Congrès. Par ailleurs, il faut prendre en compte les conditions structurelles du Guatemala, produits d’une trajectoire historique mouvementée (un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2012/07/12/au-guatemala-les-plaies-a-vif-de-la-guerre-civile_1732841_3210.html">conflit armé interne de 1960 à 1996</a>, de très fortes inégalités, une violence endémique, le manque de capacité de l’État, un racisme systémique envers les peuples autochtones, une forte dépendance économique). Ce sont des éléments qui, malgré toute la bonne volonté politique du monde, prendront des décennies à être transformés.</p>
<p>La communauté internationale aura-t-elle un rôle à jouer ? Comme on peut le lire dans cette <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/08/l-europe-et-la-france-doivent-faire-pression-sur-le-gouvernement-sortant-du-guatemala-afin-qu-il-respecte-l-expression-de-la-volonte-populaire_6193137_3232.html">tribune du journal français <em>Le Monde</em></a>, signée par plus de 80 intellectuels, politiques et magistrats francophones, la communauté internationale doit exercer toute la capacité de pression possible sur le gouvernement sortant afin qu’il respecte l’expression de la volonté populaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216220/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Garance Robert est membre de l'ODPC, de l'ÉRIGAL et de la Chaire du recherche du Canada Participation et Citoyenneté-s.</span></em></p>La victoire des forces progressistes au Guatemala lors des dernières élections a provoqué une bataille judiciaire et politique, dont l’issue déterminera l’avenir de la démocratie dans ce pays.Garance Robert, Candidate au doctorat en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2109042023-08-02T18:06:45Z2023-08-02T18:06:45ZDonald Trump de nouveau inculpé, mais ses procès pourraient ne pas l’empêcher de faire campagne<p>La plupart des commentateurs qui ont discuté des procès pénaux en cours de Donald Trump à New York, en Floride et désormais du prochain à venir avec avec l’inculpation le 1<sup>re</sup> août 2023 par un grand jury de Washington, DC, pour <a href="https://www.nytimes.com/live/2023/08/01/us/trump-indictment-jan-6">son rôle dans les émeutes du 6 janvier</a>, ont conclu que ces procès nécessiteraient sa présence. Et que cela pourrait compromettre sa capacité à faire vigoureusement campagne pour l’investiture républicaine et la présidence.</p>
<p>La Constitution américaine protège en effet le droit des <a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/470/522/">accusés</a> à assister à leur procès pénal, en interdisant au gouvernement d’organiser des procès en l’absence de l’accusé. Cette règle différencie les États-Unis des autres démocraties qui autorisent la tenue de procès pénaux sans la présence de l’accusé. Par exemple, <a href="https://www.npr.org/sections/thetwo-way/2013/08/26/215756246/amanda-knox-wont-attend-new-italian-trial-lawyer-says">l’Italie a jugé et condamné l’Américiane Amanda Knox</a> pour le meurtre de sa colocataire Meredith Kercher alors qu’elle n’était pas là. La condamnation a été annulée par la suite.</p>
<p>Dans les poursuites fédérales de surcroit, une <a href="https://www.law.cornell.edu/rules/frcrmp/rule_43">règle fédérale de procédure pénale</a> semble exiger que le plaignant assiste à l’intégralité du procès. Mais, quand on regarde en détail, cela ne signifie pas pour autant que l’accusé se présentera au tribunal jour après jour. Dans le cas de Trump, la question se pose : l’ancien président pourrait-il boycotter ses procès ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme en costume parle à un pupitre à l’avant d’une salle de réunion, avec un drapeau américain derrière lui" src="https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539614/original/file-20230726-19-zw4cjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Alvin Bragg, procureur de Manhattan, lors d’une conférence de presse tenue le 4 avril 2023 à la suite de la mise en accusation de l’ancien président des États-Unis Donald Trump.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/manhattan-district-attorney-alvin-bragg-speaks-during-a-news-photo/1250778290?adppopup=true">Kena Betancur/Getty Images</a></span>
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<h2>Poursuites fédérales</h2>
<p>Conformément à la <a href="https://www.law.cornell.edu/rules/frcrmp/rule_43">règle 43 des règles fédérales de procédure pénale</a>, le prévenu « doit être présent » lors de la mise en accusation, au moment du plaidoyer, à chaque étape du procès, y compris la constitution du jury et le prononcé du verdict, ainsi qu’au moment de la condamnation. Cette règle consacre le droit constitutionnel de l’accusé à être présent au procès. Et en vertu des précédents de la Cour suprême des États-Unis qui <a href="https://supreme.justia.com/cases/federal/us/506/255/">interprètent la règle 43</a>, un accusé doit absolument être présent au début d’un procès pénal fédéral.</p>
<p>Mais après le début du procès, de nombreux tribunaux ont reconnu le droit du prévenu de s’absenter volontairement du reste du procès. À tout le moins, plusieurs tribunaux ont reconnu que le juge de première instance avait le pouvoir discrétionnaire d’autoriser l’absence du prévenu. Ces décisions mentionnent de la renonciation consciente de ce dernier à son droit constitutionnel d’être présent à son procès.</p>
<p>De plus, ces textes soulignent une exception à la règle fédérale 43 <a href="https://www.federalrulesofcriminalprocedure.org/title-ix/rule-43-defendants-presence/">qui permet aux défendeurs de renoncer à leur droit</a> d’être présent au procès « lorsque le prévenu est volontairement absent après le début du procès, que le tribunal ait ou non informé le défendeur de son obligation de rester ».</p>
<p>Au moins un tribunal fédéral <a href="https://casetext.com/case/united-states-v-sterling-10?__cf_chl_tk=9S3Qt_Ap17Qy49CSCp1KSLtG8qMTzHrD20dh8LxeTpI-1690483077-0-gaNycGzNDhA">a jugé</a> qu’un procès fédéral commence au plus tard le jour de la sélection du jury.</p>
<p>Ainsi, tant que Trump renonce sciemment à son droit d’être présent à son propre procès pénal, le juge qui préside peut accepter que ses circonstances uniques – sa candidature à la présidence – constituent des motifs suffisants pour reconnaître et approuver ce renoncement.</p>
<h2>Poursuites au niveau de l’État</h2>
<p>De même, lorsque Trump fait l’objet de poursuites au niveau de l’État, à <a href="https://case-law.vlex.com/vid/people-v-epps-894221707">New York</a> et potentiellement en <a href="https://casetext.com/case/pennie-v-state">Géorgie</a>, les deux États autorisent une renonciation volontaire de l’accusé à son droit d’assister à son procès pénal. Les constitutions des États de Géorgie et de New York et les lois de ces deux États protègent le droit du défendeur d’être présent à tous les stades d’un procès pénal. Mais elles permettent également à l’accusé de renoncer à ce droit, à condition que cette renonciation soit volontaire.</p>
<p>Cela signifie que Trump n’aurait pas même besoin d’essayer de retarder un procès pénal en refusant tout simplement d’y assister.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Cinq personnes assises d’un côté d’une table avec des documents sur la table devant eux" src="https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539636/original/file-20230726-29-44gjjc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">L’ancien président Donald Trump avec ses avocats à l’intérieur de la salle d’audience lors de sa mise en accusation au tribunal pénal de Manhattan le 4 avril 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/former-us-president-donald-trump-appears-in-court-at-the-news-photo/1250772070?adppopup=true">Seth Wenig/AFP</a></span>
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<h2>Dommages potentiels</h2>
<p>Chaque fois qu’un accusé refuse d’assister à son propre procès pénal, il peut néanmoins y avoir des conséquences.</p>
<p>Par exemple, le juge qui prononce la sentence peut interpréter le refus d’un prévenu d’assister à son procès comme un acte de manque de respect envers le tribunal. Ou, dans le cas d’un procès avec jury, les jurés peuvent être irrités par l’absence volontaire de l’accusé.</p>
<p>En tant que <a href="https://search.asu.edu/profile/3033197">spécialiste du droit constitutionnel</a>, je ne doute pas que les avocats de Donald Trump lui conseilleront d’être présent. Mais aucun de ces facteurs n’a d’importance pour l’ancien président, qui semble se concentrer sur la délégitimation des poursuites qu’il considère comme des <a href="https://apnews.com/article/trump-retribution-indictment-documents-biden-american-democracy-5a8ec37b359fee85d0f0956139d79f51">persécutions à caractère politique</a>.</p>
<p>Trump n’est par ailleurs peut-être pas capable d’assister jour après jour à un procès pénal, étant donné <a href="https://www.axios.com/2017/12/15/report-nato-altering-meeting-to-fit-trump-attention-span-1513302313">ce que l’on sait de sa faible capacité d’attention</a>.</p>
<p>Même s’il est en mesure de s’absenter volontairement d’un ou de plusieurs des procès en cours, Trump pourrait en tout cas faire valoir auprès de l’opinion, et il le fera probablement, qu’il est confronté à un choix difficile : assister au procès et perdre la présidence, ou boycotter le procès et perdre sa liberté.</p>
<p>Nombre de ses partisans rejetteront l’une ou l’autre de ces scénarios.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210904/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stefanie Lindquist ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Donald Trump a été inculpé pour des crimes liés à ses efforts pour renverser l’élection de 2020. Pourra-t-il ou non boycotter ses prochains procès ?Stefanie Lindquist, Foundation Professor of Law and Political Science, Arizona State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2078472023-06-29T19:12:04Z2023-06-29T19:12:04Z« La Grande Bellezza », film-allégorie du berlusconisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/534770/original/file-20230629-25-6bmvvo.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1833%2C1079&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Jep Gambardella, double jouisseur, narcissique et excessif de Silvio Berlusconi dans le film de Sorrentino.</span> <span class="attribution"><span class="source">Allociné</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://theconversation.com/italie-silvio-berlusconi-ou-la-revolution-liberale-qui-na-jamais-eu-lieu-207848">Silvio Berlusconi</a>, figure emblématique de la droite italienne, est mort le 12 juin dernier. Sa carrière fut marquée par une série de scandales publics et privés et par le mouvement de pensée et phénomène sociétal et de mœurs qu’elle a suscité, le <a href="https://www.treccani.it/vocabolario/berlusconismo/">« berlusconisme »</a>. De nombreux films italiens <a href="https://www.rollingstone.it/cinema-tv/film/silvio-berlusconi-il-cinema-del-caimano-i-film-che-lo-hanno-raccontato/755244/">s’en sont fait l’écho</a> depuis les années 1990.</p>
<p>Un réalisateur s’est particulièrement distingué dans l’exploration des stigmates berlusconiens sur la société italienne : Paolo Sorrentino. Dans <em>Silvio et les autres</em> (<em>Loro</em>), en 2018, il évoquait très directement la figure sulfureuse du Cavaliere.</p>
<p>Mais, déjà, dans <em>La Grande Bellezza</em> (Oscar du meilleur film en langue étrangère en 2014), les grands thèmes associés au leader de droite <a href="https://journals.openedition.org/transalpina/448">sont clairement dessinés par le réalisateur</a>, de façon un peu moins directe, puisque le film est centré sur le bouleversement existentiel du protagoniste, Jep Gambardella, sexagénaire mondain et désabusé qui finira par retrouver son élan vital en revisitant intérieurement un passé enfoui.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/PA_eiQRppOY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Le divertissement comme « impératif catégorique »</h2>
<p>Des quatre traits saillants du berlusconisme donnés à voir dans <em>La Grande Bellezza</em>, le plus éclatant est celui de la jouissance individuelle comme valeur première. Sorrentino a déclaré, dans une interview, que Berlusconi avait lourdement contribué à imposer le divertissement comme <a href="https://www.smh.com.au/entertainment/movies/life-among-italys-ruins-20140122-318zw.html">« impératif catégorique »</a>.</p>
<p>La longue scène mémorable, fellinienne, de la fête débridée en discothèque, dans la toute première partie du film, constitue en soi une allégorie de cet impératif de jouissance. Pour un spectateur italien en 2013, les outrances de la fête peuvent renvoyer aux <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/berlusconi-et-les-soirees-bunga-bunga-une-prostituee-mineure-et-un-scandale-majeur-finalement-impuni-20230612_2MEELUBKXRD4XDYOMZU7FJLLVE/">scandales de mœurs</a> dans lesquels Berlusconi était directement impliqué : soupçons d’abus de mineure dans l’affaire Noemi Letizia en 2008, d’usage de la prostitution avec l’affaire D’Addario en 2009 puis avec l’affaire Ruby en 2010. Elles semblent un calque hyperbolique des fêtes libertines organisées dans les villas du « Cavaliere » et que la presse italienne dévoilait alors à grand renfort de photos.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-faits-divers-a-fait-de-societe-comment-le-viol-est-peu-a-peu-devenu-un-sujet-politique-145744">De « faits divers » à fait de société, comment le viol est peu à peu devenu un sujet politique</a>
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<p>Deux personnages incarnent chacun une facette qu’il est aisé de relier à la figure de Berlusconi : l’être désiré et l’être désirant. D’un côté, Jep Gambardella, l’organisateur de la fête, celui qui attire toutes les convoitises et aimante les regards lubriques des danseuses éméchées ; de l’autre, son ami Lello Cava, homme d’affaires hors pair, à la libido incendiaire, qu’on voit trépigner d’excitation au pied d’une jeune femme dansant sur un cube – laquelle, comme beaucoup des jeunes femmes qui graviteront autour de Berlusconi, <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2017-4-page-88.htm">voudrait percer dans le monde du spectacle</a>.</p>
<h2>Télévision et culte de soi</h2>
<p>Le second trait rattaché au berlusconisme est celui de la télévision, média indissociable de la réussite financière et de l’ascension politique de Berlusconi. La fête est en effet placée sous l’égide de « Lorena », une femme opulente qui sort de l’énorme gâteau d’anniversaire de Jep. Or, le rôle est joué par une actrice, Serena Grandi, qui fut un sex-symbol dans l’Italie des années 1980 et 1990 et qui participa à plusieurs émissions de divertissement télé dans les années 1980 et 2000. Dans le film, elle joue une sorte de caricature de son personnage public qui rassemble donc deux thèmes (le sexe et la télévision) étroitement liés au personnage Berlusconi – dont les chaînes de télévision sont par ailleurs bien connues pour privilégier les figures de pin-up.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534768/original/file-20230629-29-7yoje7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534768/original/file-20230629-29-7yoje7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534768/original/file-20230629-29-7yoje7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534768/original/file-20230629-29-7yoje7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534768/original/file-20230629-29-7yoje7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534768/original/file-20230629-29-7yoje7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534768/original/file-20230629-29-7yoje7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Serena Grandi dans son propre rôle d’ex-égérie de la fête.</span>
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<p>Le troisième trait du berlusconisme traité par Sorrentino est le culte de soi. Dans le film, le narcissisme est incarné dans la première partie du film par le personnage d’Orietta, une femme qui passe son temps à se photographier et envoyer ses autoportraits à ses admirateurs. L’obsession de la beauté et de la jeunesse se traduit ensuite dans une scène hallucinante où, dans un riche salon privé, un gourou du botox fait des injections hors de prix à des patients qui le vénèrent comme un guide spirituel, renvoyant le spectateur à une pratique, la chirurgie esthétique, dont Berlusconi a amplement usé pour lui-même et dont il vantait les mérites, considérant que les femmes ainsi opérées étaient <a href="https://www.corriere.it/politica/11_settembre_13/stella-berlusconi_561cc2f6-ddcd-11e0-aa0f-d391be7b57bb.shtml">« plus belles »</a>.</p>
<h2>Corruption à tous les étages</h2>
<p>Le dernier grand trait saillant du berlusconisme qui ressort dans le film est celui de la corruption, thème étroitement lié à la figure de Berlusconi, mis en cause dans une kyrielle de procès pour des chefs d’accusation <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/affaires-et-scandales-en-serie-pour-berlusconi_773092.html">allant de la falsification de bilan à la corruption d’avocat</a> et dont le bras droit, Marcello Dell’Utri, a été inculpé <a href="https://lejournal.info/article/berlusconi-et-la-mafia-le-pacte-impuni/">pour complicité d’association mafieuse</a>.</p>
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<p>Ce volet de l’activité berlusconienne, qui comprend encore des zones d’ombre, se retrouve dans le personnage de Giulio Moneta, homme d’affaires énigmatique, voisin du protagoniste, qui fait des apparitions depuis son balcon haut perché et dont on découvrira qu’il sert en réalité les intérêts de la pègre. Arrêté par la police à la fin du film, il déclarera, menottes aux poings, être de ceux qui font « avancer le pays » – stratégie de défense typique des avocats berlusconiens ou de Berlusconi lui-même.</p>
<h2>Mise en perspective historique</h2>
<p>La force de la représentation du berlusconisme tient également à sa mise en perspective historique, Sorrentino amenant le spectateur, par un langage tout en image, à comprendre que le triomphe du berlusconisme est rendu possible par le déclin des deux idéologies majeures qui ont fait l’histoire de l’Italie au XX<sup>e</sup> siècle : l’idéologie socialiste (et son dérivé, l’idéologie marxiste) et l’idéologie catholique.</p>
<p>Le déclin du marxisme est représenté dans une scène à la fois solennelle et grotesque dans laquelle une artiste célèbre du Body art, dont le pubis teint en rouge laisse apparaître le blason de la faucille et du marteau, vient percuter tête baissée un aqueduc romain, signifiant par sa performance spectaculaire (elle en saigne) l’impasse à laquelle a conduit l’application soviétique de la pensée marxiste.</p>
<p>Dans le même temps, le protagoniste est confronté quotidiennement à la religion dans la ville de Rome : par les nombreux religieux ou religieuses qu’il peut y observer dans les rues ou depuis son balcon ; par la pluralité des monuments religieux qui parsèment la ville éternelle. Or, le regard de Jep Gambardella sur la religion, empreint de nostalgie et d’étrangeté, s’inscrit typiquement dans le cadre d’une société sécularisée où la religion n’a plus le rôle premier d’instance organisatrice.</p>
<p>L’idée que le berlusconisme a pu s’épanouir dans un vide idéologique créé par le déclin de ces deux grandes idéologies est exprimée dans le passage de la première à la seconde séquence du film. <em>La Grande Bellezza</em> s’ouvre en effet par une déambulation sur le mont Janicule qui offre une série d’images évoquant d’un côté l’idéologie de type socialiste : la statue de Garibaldi à cheval, les bustes de partisans garibaldiens exposés dans un jardin public, de l’autre l’idéologie chrétienne avec une vue sur la fontaine dite de « l’Acqua Paola », commanditée par Paul V en 1608 et le coup de canon quotidien – première image du film – institué par Pie IX en 1948 pour permettre aux cloches romaines de sonner à l’unisson.</p>
<p>La transition vers la seconde séquence, celle de la fête en discothèque, est opérée de manière brutale par le cri hystérique d’une convive filmée en gros plan, comme un cri de détresse pour exprimer le passage des idéologies fortes, mais passées, à l’idéologie de la jouissance individualiste et narcissique, apparemment insouciante.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/534809/original/file-20230629-15-5oudti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/534809/original/file-20230629-15-5oudti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/534809/original/file-20230629-15-5oudti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/534809/original/file-20230629-15-5oudti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=301&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/534809/original/file-20230629-15-5oudti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/534809/original/file-20230629-15-5oudti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/534809/original/file-20230629-15-5oudti.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=378&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le cri de « transition » entre les époques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran</span></span>
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</figure>
<p><em>La Grande Bellezza</em>, dont le tournage commença en août 2012, est tout entier empreint d’un âcre parfum de décadence qui renvoie à la fin du règne politique de Berlusconi, contraint quelques mois plus tôt à la démission forcée de son poste de président du Conseil, le 12 novembre 2011, suite aux scandales de mœurs qui le touchent et à la situation financière dramatique de l’Italie, « au bord du précipice », <a href="https://st.ilsole24ore.com/art/notizie/2011-11-05/sullorlo-baratro-081010.shtml?uuid=AapHDvIE&refresh_ce=1">comme le titrait quelques jours plus tôt</a> le journal économique <em>Il Sole 24 ore</em>. Une situation que symbolisait parfaitement la coque chavirée du Costa Concordia, ce navire de croisière qui avait fait naufrage le 12 janvier 2012 et que le protagoniste, dans la dernière partie du film, regarde fixement, sans mot dire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207847/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice De Poli ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans le film oscarisé de Paolo Sorrentino, « La Grande Bellezza », les grands thèmes associés au leader de droite sont clairement dessinés.Fabrice De Poli, enseignant-chercheur en Etudes Italiennes (poésie, prose et cinéma de l'Italie - XIX-XXème s.), Université Savoie Mont BlancLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2075702023-06-18T15:40:49Z2023-06-18T15:40:49ZAu-delà des liens entre le RN et la Russie : le grand projet illibéral européen<p>Le Rassemblement national aurait servi de « courroie de transmission » pour la Russie, conclut <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/ceingeren/l16b1311-t1_rapport-enquete">l’enquête parlementaire sur l’ingérence étrangère dans la politique française</a> dont le rapport a été rendu public le 1<sup>er</sup> juin dernier.</p>
<p>La commission d’enquête a été <a href="https://lcp.fr/actualites/ingerences-etrangeres-le-rn-veut-creer-une-commission-d-enquete-pour-laver-son-honneur">créée et présidée</a> par le député RN Jean-Philippe Tanguy dans le but de faire taire les accusations répétées selon lesquelles Marine Le Pen et son parti auraient une <a href="https://theconversation.com/entre-le-rassemblement-national-et-la-russie-une-longue-lune-de-miel-181633">connivence trop marquée avec le régime de Vladimir Poutine</a>. L’exercice, censé dédouaner le RN, <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/video/russie-le-rn-pris-a-son-propre-piege-avec-la-commission-d-enquete-sur-les-ingerences_218621.html">a eu l’effet inverse</a>.</p>
<p>Toutefois, le rapport n’évoque guère un phénomène particulièrement inquiétant pour les démocraties de l’UE : ce qu’il convient de voir, au-delà de la posture « pro-russe » du RN, c’est la progression des idées dites de « démocratie illibérale » au sein de la droite dure (l’extrême droite et certains segments de la droite républicaine), en Europe centrale comme en Europe occidentale.</p>
<h2>Les liens bien connus du FN/RN avec Moscou</h2>
<p>Le rapport met en évidence les <a href="https://theconversation.com/entre-le-rassemblement-national-et-la-russie-une-longue-lune-de-miel-181633">liens de longue date</a> existant entre le Front national/RN et la Russie. Dès la fin des années 1960, Jean-Marie Le Pen a noué avec des figures nationalistes et antisémites russes des contacts qui <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1996/02/20/m-le-pen-justifie-ses-liens-avec-m-jirinovski_3707658_1819218.html">se sont développés à la chute de l’URSS</a> et se sont ensuite étendus à <a href="https://www.planet.fr/politique-les-troublants-reseaux-russes-de-la-famille-le-pen.718541.29334.html">certains cercles proches du président Poutine</a>.</p>
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<p>En 2011, Marine Le Pen reprend le flambeau du parti et continue à entretenir les liens initiés par son père. Elle-même a effectué quatre voyages officiels en Russie, <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/coulisses/2015/05/26/25006-20150526ARTFIG00235-la-mysterieuse-visite-de-marine-le-pen-a-moscou.php">accueillie chaque fois par Sergueï Narychkine</a>, président de la Douma de 2011 à 2016, proche conseiller de Poutine et aujourd’hui chef du SVR, le service de renseignement extérieur russe. Elle a également eu un entretien avec le président russe en mars 2017, peu avant la présidentielle française.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1516865412100669442"}"></div></p>
<p>Avec l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du FN, cet impératif de rapprochement avec le Kremlin s’est étendu au reste du parti. On a vu se multiplier les visites d’élus FN/RN en Russie, ainsi qu’en Crimée et au Donbass, pour <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/05/06/l-etonnant-charter-des-observateurs-francais-d-extreme-droite-pour-le-referendum-de-poutine_6079391_3210.html">observer, et légitimer, des élections</a> jugées illégales par la communauté internationale. Notons que les élus FN/RN n’étaient pas les seuls : quelques élus des <a href="https://www.ledauphine.com/vaucluse/2019/03/20/jean-claude-bouchet-a-rencontre-poutine">Républicains</a> et <a href="https://www.charentelibre.fr/charente/legislatives-en-russie-le-depute-lambert-observe-le-vote-en-crimee-et-suscite-un-vif-emoi-6041494.php">du PS</a> ont fait de même.</p>
<p>Cette proximité avec la Russie de Poutine s’est reflétée dans le comportement des députés RN au Parlement européen, où ils s’alignaient « systématiquement », selon le rapport de l’enquête, sur les intérêts de Moscou.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532290/original/file-20230615-15-rukuzp.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=475&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Extrait du rapport de la commission parlementaire. Ici, les votes des députés RN dans les années précédant l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/ceingeren/l16b1311-t1_rapport-enquete#_Toc256000067">Assemblée nationale</a></span>
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<p>Depuis le 24 février 2022, les députés RN ont certes condamné l’agression russe contre l’Ukraine, mais la majorité de leurs <a href="https://www.lexpress.fr/politique/marine-le-pen-et-lukraine-un-soutien-de-facade-ce-que-revelent-les-votes-rn-3MH5RSBKWZCQTPYJRWJHLHWJJQ/">autres votes</a> continuent de refléter leur tropisme : ils se sont notamment abstenus lors du vote en faveur de <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2023-0015_FR.html">l’établissement d’un tribunal sur les crimes d’agression</a> contre l’Ukraine.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-crimes-commis-en-ukraine-pourront-ils-un-jour-faire-lobjet-dun-proces-international-181021">Les crimes commis en Ukraine pourront-ils un jour faire l’objet d’un procès international ?</a>
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<p>Les conclusions de la commission se concentrent en particulier sur l’aspect financier de la proximité du RN avec la Russie : une banque tchéco-russe a accordé un <a href="https://www.bfmtv.com/economie/quelle-est-cette-banque-russe-qui-a-octroye-un-pret-de-9-millions-d-euros-au-rn_AV-202204210437.html">prêt au Front national</a> (9 millions d’euros) et une autre son fondateur Jean-Marie Le Pen (2 millions) en 2014.</p>
<p>Le rapport, qui insiste évidemment sur le timing suspect de ce financement arrivé, <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/020415/crimee-et-finances-du-fn-les-textos-secrets-du-kremlin">comme l’avait déjà montré Mediapart</a>, juste après que <a href="https://www.liberation.fr/france/2015/04/03/au-fn-la-russie-reconnaissante_1234468/">Marine Le Pen ait soutenu l’annexion de la Crimée</a>, échoue toutefois à démontrer une causalité directe entre le financement octroyé au FN/RN et ses prises de position.</p>
<p>Plus généralement, en lisant le rapport attentivement, on ne peut que s’étonner de sa faible profondeur analytique et de son absence totale de contextualisation.</p>
<h2>Client ou partenaire ?</h2>
<p>La notion de « courroie de transmission » employée dans le rapport pour désigner le RN est problématique, car elle suppose la passivité du transmetteur, lequel se contenterait de recevoir des ordres de Moscou et de les exécuter. C’est mal comprendre la nature de la relation qui unit Marine Le Pen, et plus généralement les figures de la droite dure européenne, à la Russie.</p>
<p>En réalité, ces formations sont maîtresses de leur jeu politique et de leur agenda idéologique, et décident elles-mêmes de s’identifier (ou non) à Moscou, suivant le contexte national.</p>
<p>Dans les pays voisins de la Russie marqués par une grande tradition de défiance envers le puissant voisin, comme en <a href="https://www.europeaninterest.eu/article/finns-party-applies-for-group-change-in-european-parliament/">Finlande</a>, en <a href="https://www.dw.com/en/polands-duda-approves-controversial-russian-influence-bill/a-65764029">Pologne</a> ou en <a href="https://balkaninsight.com/2021/10/08/in-echo-chambers-of-nationalist-romanian-party-russias-favourite-narratives/">Roumanie</a> les extrêmes droites sont russophobes, même si leurs valeurs idéologiques sont très souvent en résonance avec les narratifs promus par les outils d’influence russe.</p>
<p>Dans les pays plus lointains, afficher son soutien à la Russie ou son admiration à l’égard de Vladimir Poutine permet de renforcer l’image de marque du parti ou du leader, et incarne la résistance à « l’establishment », au « mainstream », aux « élites ». Jusqu’au 24 février 2022, la Russie et Poutine étaient, aux yeux de bon nombre de partis d’extrême droite, des marques idéologiques symbolisant la rébellion et la révolte contre l’ordre établi – intérieur comme international.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fHJzbS51TnY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La relation entre la Russie et les leaders de la droite dure européenne comme Marine Le Pen, Matteo Salvini pour l’Italie, Heinz-Christian Strache pour l’Autriche, de nombreuses figures de l’AfD en Allemagne, est une relation de <em>confluence</em> idéologique et d’intérêts mutuels bien compris, non <em>d’influence</em> de Moscou sur des pions passifs et instrumentalisés.</p>
<p>La Russie peut les soutenir politiquement et financièrement, car elle estime que leur victoire l’avantagerait, mais elle ne dicte pas pour autant leur agenda domestique, pas plus qu’elle ne les transforme en marionnettes à son service. Comme le formule la politologue <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/1354068821995813?journalCode=ppqa">Maria Snegovaya</a>, « l’ordre du jour de ces groupes [nationaux-populistes] est rarement fixé par le Kremlin, mais il peut ponctuellement correspondre aux intérêts de celui-ci ». Là encore, il s’agit d’une <em>confluence</em> plus que d’une <em>influence</em>.</p>
<h2>L’obsession pour la Russie empêche de voir la structuration d’une internationale illibérale</h2>
<p>En outre, la priorité donnée à la recherche des preuves de l’influence de la Russie passe sous silence les autres influences existantes dans le monde de l’extrême droite européenne : les grandes fondations de la <a href="https://www.opendemocracy.net/en/5050/the-american-dark-money-behind-europes-far-right/">droite chrétienne américaine</a> comme la <a href="https://billygraham.org/">Billy Graham Evangelistic Association</a>, la <a href="https://charleskochfoundation.org/">Charles Koch Foundation</a>, l’<a href="https://www.acton.org/">Acton Institute</a>, etc. ont elles aussi dépensé des dizaines de millions d’euros pour aider leurs confrères européens, et pourtant elles sont rarement un sujet médiatique sensationnalisé comme l’est l’argent russe.</p>
<p>Steve Bannon, l’ancien conseiller de Donald Trump, représentant de l’alt-right américaine, a <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-44926417">longtemps espéré unifier</a> l’extrême droite européenne derrière les États-Unis. Le cas italien de Georgia Meloni et de son parti Fratelli d’Italia, ainsi que le régime national-conservateur polonais, confirment qu’une extrême droite européenne pro-américaine et antirusse est également à l’ordre du jour.</p>
<p>Au-delà des affinités pro-russes de Marine Le Pen, c’est la construction d’un réseau international de l’extrême droite européenne, souvent sous le label plus respectable du « national-conservatisme », qui est en jeu.</p>
<p>Marine Le Pen a par exemple rencontré à deux reprises le premier ministre hongrois Victor Orban : en 2021 tout d’abord, pour partager ses critiques à l’encontre de l’UE et asseoir son statut de présidentiable (ainsi que pour répondre à ses concurrents Éric Zemmour et sa propre nièce Marion Maréchal, précédemment reçus par le dirigeant hongrois), en 2022 ensuite aux côtés du leader du parti d’extrême droite espagnol Vox et du premier ministre polonais pour <a href="https://www.lexpress.fr/societe/marine-le-pen-avec-ses-allies-europeens-a-madrid-pour-eteindre-le-feu-francais_2167043.html">acter</a> la construction d’une stratégie européenne des droites dures.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1487201692806430724"}"></div></p>
<p>C’est d’ailleurs un prêt hongrois de 10,7 millions d’euros qui a <a href="https://www.challenges.fr/politique/poutine-orban-les-encombrants-allies-de-marine-le-pen_808974">financé</a> une partie de la campagne de Marine Le Pen de 2022, et Orban a publiquement <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/04/15/presidentielle-2022-entre-marine-le-pen-et-le-nationaliste-hongrois-viktor-orban-une-proximite-tres-inspiree_6122256_6059010.html">soutenu</a> sa candidature.</p>
<p>Là encore, il ne s’agit pas de voir en Marine Le Pen la « courroie de transmission » de la Hongrie d’Orban, mais de comprendre les stratégies de soutien mutuel et d’alliance que se portent ces leaders afin d’avancer des agendas idéologiques partagés.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-autrichienne-soutien-indefectible-de-la-hongrie-de-viktor-orban-207055">L’extrême droite autrichienne, soutien indéfectible de la Hongrie de Viktor Orban</a>
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<p>Les enjeux géopolitiques sont par ailleurs aujourd’hui « minorés » par la guerre en Ukraine, en particulier car la Hongrie et la Pologne, qui s’épaulent mutuellement dans leur déconstruction démocratique, appartiennent à deux camps différents dans leur vision du conflit.</p>
<p>En outre, bien que la Hongrie soit souvent vue comme un « cheval de Troie » prorusse au sein de l’EU, le régime orbánien <a href="https://www.illiberalism.org/blues-on-the-danube-cpacs-return-to-hungary/">vient de recevoir</a> à Budapest la grand-messe réactionnaire américaine de la CPAC (Conservative Political Action Conference), accueillant des dizaines de représentants des droites dures américaines et des figures européennes plus atlantistes que russophiles.</p>
<p>La recherche systématique de « la main de la Russie » derrière les postures des partis d’extrême droite peut conduire à négliger, voire à ignorer totalement, la transnationalisation illibérale en cours.</p>
<h2>Des arguments inefficaces pour lutter contre le RN</h2>
<p>Le rapport de la commission parlementaire a donné lieu à une nouvelle vague de dénonciation de la « poutinophilie » de Marine Le Pen. Toutefois, espérer que cette dénonciation suffira pour délégitimer l’offre politique du RN dans l’arène nationale, alors que Marine Le Pen <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/sondage-marine-le-pen-atteint-son-plus-haut-niveau-avec-36-dopinions-favorables">caracole en tête dans les enquêtes de popularité</a>, est pour le moins naïf.</p>
<p>Le RN et bon nombre de ses alliés européens promeuvent la souveraineté nationale aux dépens des prérogatives de l’UE, souhaitent que l’UE devienne moins atlantiste et plus « continentale », et disent vouloir protéger les valeurs dites traditionnelles (sur le plan des rapports de genre, de la famille, comme de la définition de la nation). Tous ces sujets ne sont pas mineurs pour notre société. Ils méritent d’être discutés de manière frontale.</p>
<p>L’Italie est aujourd’hui dirigée par une figure bien plus réactionnaire que Marine Le Pen – mais pro-atlantiste –, l’Espagne pourrait rejoindre le bloc des droites dures à la suite des élections qui se tiendront fin juillet, et l’AfD (<a href="https://www.dw.com/en/germanys-far-right-afd-gets-a-boost/a-65803522">atteint des intentions de vote très élevées en Allemagne</a> (18 %). Dans un tel contexte, sortir du chapeau la carte prorusse contre Marine Le Pen semble un combat perdu d’avance qui ne donne pas la part belle au vrai débat d’idées, seul capable d’aboutir à un affaiblissement durable de l’extrême droite.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207570/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Se focaliser sur les liens entre le RN et la Russie peut conduire à négliger le projet, caressé par plusieurs partis d’extrême droite de l’UE, consistant à édifier un espace illibéral européen.Marlene Laruelle, Research Professor and Director at the Institute for European, Russian and Eurasian Studies (IERES), George Washington UniversityPérine Schir, Research fellow at the Illiberalism Studies Program, the George Washington University ; PhD student in political philosophy, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2070542023-06-11T16:19:55Z2023-06-11T16:19:55ZInculpations, scandales… Comment expliquer la popularité de Donald Trump auprès des électeurs républicains ?<p>Après une <a href="https://theconversation.com/donald-trump-mis-en-examen-quelles-consequences-pour-sa-candidature-a-la-presidentielle-de-2024-203071">première inculpation</a>, en mars dernier, par le procureur de Manhattan dans l’affaire Stormy Daniels, Donald Trump vient d’être à nouveau inculpé, cette fois au niveau fédéral, pour des motifs beaucoup plus graves : il est accusé d’avoir <a href="https://www.nytimes.com/2023/06/08/us/politics/trump-indictment-charges.html">violé la loi sur l’espionnage</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/10/comment-donald-trump-a-voulu-dissimuler-la-conservation-illegale-de-documents-classifies_6176977_3210.html">mis en danger la sécurité des États-Unis</a> en conservant illégalement, après son départ de la Maison Blanche, des documents classés secret défense.</p>
<p>Un coup dur pour sa candidature à la présidentielle 2024 ? Pas nécessairement.</p>
<h2>« Une attaque politique des Démocrates »</h2>
<p>Sans surprise, face à cette inculpation fédérale, Trump <a href="https://www.youtube.com/watch?v=IwRLNazAFG8">clame son innocence</a>, accusant l’administration Biden d’« ingérence électorale au plus haut niveau » et d’« instrumentalisation du Département de la Justice et du FBI ». Cette défense, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=XIs78EJqCEQ">reprise par Fox News</a>, est aussi celle adoptée par des <a href="https://www.rollingstone.com/politics/politics-news/trump-second-indictment-republicans-defend-1234767431/">ténors du Parti républicain</a>, y compris Kevin McCarthy, le président de la Chambre des représentants. </p>
<p>Même <a href="https://www.nytimes.com/2023/06/09/us/politics/trump-republicans-polls-2024.html">ses adversaires aux primaires</a>, à commencer par son principal rival, <a href="https://thehill.com/homenews/campaign/4041851-trump-indictment-desantis-blasts-weaponization-of-federal-law-enforcement/">Ron DeSantis</a>, se trouvent forcés d’adhérer à ce récit : une inculpation qui serait une attaque politique de Joe Biden contre l’un des principaux candidats à l’investiture présidentielle du Parti républicain. </p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Si les Républicains les plus en vue défendent l’ancien président ou restent silencieux, c’est que Donald Trump reste très populaire chez leurs électeurs. Il est en <a href="https://projects.fivethirtyeight.com/polls/president-primary-r/2024/national/">tête des sondages</a> aux primaires avec plus de 50 % des intentions de vote. Surtout, il distance son adversaire principal DeSantis par 30 points, un écart qui continue de se creuser, y compris <a href="https://www.fau.edu/newsdesk/articles/april2023-voter-poll">dans l’État de Floride</a> où DeSantis a pourtant été <a href="https://www.nytimes.com/2022/11/08/us/politics/desantis-wins-florida-governor.html">réélu gouverneur à une très large majorité</a> en 2022.</p>
<p>Cette nouvelle inculpation, comme les affaires et scandales précédents, a peu de chances d’entamer le soutien des électeurs républicains à l’ancien président. Elle pourrait même le renforcer, d’autant que, s’il est reconnu coupable, Trump <a href="https://medium.com/@natroll/archives-de-la-maison-blanche-non-trump-ne-sera-pas-in%C3%A9ligible-1adbe29173de">resterait de toute façon éligible</a>.</p>
<p>En effet, selon la Constitution et le <a href="https://constitution.congress.gov/browse/amendment-14/#:%7E:text=No%20State%20shall%20make%20or,equal%20protection%20of%20the%20laws.">14ᵉ amendement</a>, seule une <a href="https://www.lawfareblog.com/disqualification-office-donald-trump-v-39th-congress">condamnation pour insurrection ou rébellion</a> pourrait le disqualifier. Théoriquement, il pourrait donc faire campagne depuis une prison, comme l’a déjà fait un autre candidat, <a href="https://www.washingtonpost.com/dc-md-va/2019/09/22/socialist-who-ran-president-prison-won-nearly-million-votes/">Eugene Debbs, en 1920</a>. Et s’il venait à être élu, il tenterait sans doute de <a href="https://verdict.justia.com/2023/04/12/can-a-president-serve-from-prison-we-might-find-out#:%7E:text=Yes%2C%20he%20would%20be%20subject,unlikely%20to%20invoke%20those%20processes.">se gracier lui-même</a> de ses crimes fédéraux. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/531213/original/file-20230610-63747-wx78ok.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/531213/original/file-20230610-63747-wx78ok.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/531213/original/file-20230610-63747-wx78ok.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/531213/original/file-20230610-63747-wx78ok.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/531213/original/file-20230610-63747-wx78ok.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/531213/original/file-20230610-63747-wx78ok.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/531213/original/file-20230610-63747-wx78ok.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tweet de Kevin McCarthy en soutien à Donald Trump.</span>
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<p>Comment Donald Trump, qui <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/01/07/etats-unis-donald-trump-le-president-insurrectionnel_6065424_3210.html">a encouragé une insurrection</a>, subi <a href="https://www.pbs.org/newshour/politics/majority-of-house-members-vote-for-2nd-impeachment-of-trump">deux procédures de destitution</a>, été <a href="https://www.lopinion.fr/international/donald-trump-mis-en-examen-ce-quil-faut-savoir">mis en examen</a> et reconnu <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/05/09/donald-trump-reconnu-responsable-de-l-agression-sexuelle-de-l-ex-journaliste-e-jean-carroll-par-un-tribunal-civil-de-new-york_6172691_3210.html">coupable d’agression sexuelle</a>, qui fait toujours l’objet de <a href="https://www.nytimes.com/article/trump-investigations-civil-criminal.html">nombreuses enquêtes judiciaires</a> – y compris pour <a href="https://www.cnbc.com/2023/03/20/trump-seeks-to-block-georgia-election-interference-criminal-charges.html">interférence dans des élections</a>, et qui continue de <a href="https://www.pbs.org/newshour/politics/trump-continues-insults-of-rape-accuser-pushing-election-lies-during-cnn-town-hall">nier le résultat de la présidentielle de 2020</a>, peut-il encore dominer le camp républicain ?</p>
<p>Sur le papier, il semble pourtant y avoir un espace pour une alternative à Trump au sein du parti. Malgré les apparences, les pro-Trump qui soutiennent l’ancien président de manière indéfectible <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2022/11/america-has-anti-maga-majority/672047/">sont minoritaires</a> au sein des sympathisants républicains. Selon des calculs effectués en 2022, ils représenteraient environ le <a href="https://theconversation.com/how-a-divided-america-including-the-15-who-are-maga-republicans-splits-on-qanon-racism-and-armed-patrols-at-polling-places-193378">tiers des Républicains (30 à 37 %)</a>, soit à peu près 15 % des électeurs américains, un chiffre confirmé par un <a href="https://www.nbcnews.com/meet-the-press/meetthepressblog/share-republicans-identifying-trump-supporters-ticks-indictment-poll-f-rcna81195">sondage récent de NBC</a>.</p>
<h2>Des Républicains divisés</h2>
<p>Le problème réside dans le fait que, hormis cette base pro-Trump <a href="https://fivethirtyeight.com/features/trump-polls-very-conservative-voters-2016-2024/amp/">très radicalisée</a>, homogène et unie autour de l’ancien président, les <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/apr/10/republican-party-2024-divided7">électeurs républicains sont divisés</a>. Ceux qui seraient éventuellement prêts à opter pour un autre candidat que lui le sont pour des raisons variées et à des degrés divers. Et presque un tiers d’entre eux (soit 20 % des électeurs républicains) semblent ne pas avoir trouvé de candidat alternatif et se disent donc prêts à se rallier à Trump. </p>
<p>Le défi de n’importe quel concurrent de l’ancien président consiste non seulement à rassembler un pourcentage suffisamment important d’électeurs républicains sous une même bannière, mais aussi à se placer à la fois comme héritier et rival de Donald Trump. Or ce dernier n’hésite pas à attaquer violemment tout adversaire pouvant constituer une menace sérieuse, comme il le <a href="https://www.reuters.com/world/us/trump-is-attacking-desantis-hard-policy-amid-flurry-insults-2023-05-17/">fait avec DeSantis</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/etats-unis-la-democratie-en-sursis-196524">États-Unis : la démocratie en sursis ?</a>
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<p>En dehors de l’ancien gouverneur du New Jersey <a href="https://edition.cnn.com/2023/06/06/politics/chris-christie-2024-announcement/index.html">Chris Christie</a> et de l’ex-vice-président <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0juZRV-u_S4">Mike Pence</a>, déjà perçus comme déloyaux avant même leur entrée en campagne, les candidats aux primaires évitent pourtant de s’en prendre frontalement à Trump, préférant <a href="https://thehill.com/homenews/campaign/4019501-why-gop-candidates-are-piling-on-desantis-not-trump/">réserver leurs coups à DeSantis</a>. Attaquer Trump, c’est aussi laisser entendre que ses électeurs se sont trompés ou qu’ils ont été trompés.</p>
<p>En outre, l’ex-président <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/08/donald-trump-voit-d-un-bon-il-la-multiplication-des-candidatures-a-l-investiture-republicaine-pour-2024_6176660_3210.html">bénéficie de la multiplication de candidatures aux primaires</a> et de l’éparpillement des voix qu’elle engendre. Ils sont déjà une <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2023/05/27/top-10-gop-2024-presidential-candidates/">petite dizaine</a> à s’être officiellement déclarés, mais <a href="https://pro.morningconsult.com/trackers/2024-gop-primary-election-tracker">aucun ne semble encore émerger</a>. En effet, le scrutin majoritaire à un tour appliqué pour les primaires et le fait que, dans la plupart des États, le <a href="https://nymag.com/intelligencer/2023/03/2024-delegate-rules-could-give-trump-and-or-desantis-a-boost.html">candidat qui a obtenu le plus grand nombre de voix</a> remporte l’ensemble des délégués profitent à l’ex-locataire de la Maison Blanche. Fort de son socle électoral solide, ce dernier devrait d’autant plus facilement devancer ses poursuivants que ceux-ci seront nombreux et se déchireront entre eux. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1666819489823096832"}"></div></p>
<p>Enfin, il ne faut pas oublier que seule une toute petite minorité d’électeurs votent aux primaires . Il y avait <a href="https://www.pewresearch.org/short-reads/2016/06/10/turnout-was-high-in-the-2016-primary-season-but-just-short-of-2008-record/">moins de 15 % de participation</a> chez les Républicains en 2016, le taux le plus élevé en plus de 30 ans. Il est communément admis que c’est la frange la plus radicalisée qui vote pour ce scrutin, bien que les <a href="https://www.newamerica.org/political-reform/reports/what-we-know-about-congressional-primaries-and-congressional-primary-reform/are-primaries-a-problem/">études à ce sujet soient peu concluantes</a>.</p>
<h2>DeSantis : un rival plus radical mais moins charismatique</h2>
<p>La stratégie adoptée par Ron DeSantis est de faire une campagne à la droite de Trump sur des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/05/31/etats-unis-l-iowa-terre-privilegiee-de-l-affrontement-entre-donald-trump-et-ron-desantis_6175516_3210.html">thèmes de guerre culturelle</a> : il se positionne comme étant radicalement <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2023/may/24/florida-governor-ron-desantis-history">anti-woke</a>, <a href="https://apnews.com/article/florida-abortion-ban-approved-c9c53311a0b2426adc4b8d0b463edad1">anti-avortement</a>, <a href="https://www.nbcnews.com/nbc-out/out-politics-and-policy/desantis-signs-dont-say-gay-expansion-gender-affirming-care-ban-rcna84698">anti-transgenre et LGBT</a>, mais aussi <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-02-15/desantis-strategy-to-win-voters-with-gun-laws-poses-2024-campaign-risk">pro-armes</a>. Reste que, ce faisant, DeSantis cherche à séduire un segment de l’électorat assez similaire à celui de Trump.</p>
<p>Décrit par le <em>Financial Times</em> comme un <a href="https://www.ft.com/content/3aa3b7a6-8f72-4c37-82dd-d98946198aa7">« Donald Trump avec un cerveau et sans le mélodrame »</a>, il <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2023/03/14/desantis-charisma-presidency/">n’a pas le charisme</a> de ce dernier. Son style de gouvernance en Floride, basé sur <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2023/03/ron-desantis-2024-florida-authoritarian/673483/">l’autoritarisme</a> et une <a href="https://www.wsj.com/articles/disney-says-desantis-allies-are-weaponizing-the-power-of-government-eab0e30b">instrumentalisation politique</a> des institutions, y compris les <a href="https://nymag.com/intelligencer/2023/01/ron-desantis-florida-schools-censorship-universities-dont-say-gay-stop-woke.html">établissements d’enseignement</a>, rappelle davantage <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2022/4/28/23037788/ron-desantis-florida-viktor-orban-hungary-right-authoritarian">celui de Viktor Orban</a> que celui de l’ancien président américain. De plus, après avoir chanté les louanges de Donald Trump, il doit maintenant l’attaquer sans sembler se contredire ou, pis, passer pour un <a href="https://www.politico.com/newsletters/florida-playbook/2022/11/11/trump-rips-desantis-as-disloyal-00066427">traître</a> auprès de la base.</p>
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<figcaption><span class="caption">Spot de campagne de DeSantis en 2018 en vue de l’élection du gouverneur de Floride.</span></figcaption>
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<h2>Le ressentiment racial et une crise identitaire comme facteurs d’unité</h2>
<p>Dès que l’ancien président est mis en difficulté, par exemple au moment de sa première mise en examen, une <a href="https://www.nbcnews.com/politics/2024-election/nbc-news-poll-nearly-70-gop-voters-stand-trump-indictment-investigatio-rcna80917">vaste majorité (70 %) de sympathisants républicains</a> s’est ralliée à lui et a semblé adhérer à l’idée que toute inculpation est <a href="https://www.politico.com/news/2023/03/31/donald-trump-indictment-00090001">motivée par des considérations politiques</a>. De même, et de façon plus inquiétante, une majorité continue de <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2023/03/14/election-deniers-evidence-belief/">croire que l’élection de 2020 leur a été volée</a>, y compris une partie de ceux qui reconnaissent, aujourd’hui, l’absence de preuve.</p>
<p>Cette permanence du soupçon illustre non seulement que la perception compte davantage que la réalité, mais aussi qu’il existe une forme de paranoïa symptomatique d’une crise identitaire dont les racines se situent dans <a href="https://www.washingtonpost.com/news/monkey-cage/wp/2017/12/15/racial-resentment-is-why-41-percent-of-white-millennials-voted-for-trump-in-2016/">l’anxiété économique et le ressentiment racial</a>. La recherche a largement documenté (<a href="https://www.cambridge.org/core/services/aop-cambridge-core/content/view/537A8ABA46783791BFF4E2E36B90C0BE/S1049096518000367a.pdf/explaining_the_trump_vote_the_effect_of_racist_resentment_and_antiimmigrant_sentiments.pdf">ici</a>, <a href="https://academic.oup.com/poq/article-abstract/83/1/91/5494625">ici</a>, <a href="https://centerforpolitics.org/crystalball/articles/the-transformation-of-the-american-electorate/">ici</a> ou <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691174198/identity-crisis">ici</a>) que les électeurs de Donald Trump étaient essentiellement blancs, non diplômés, évangéliques et de classe moyenne. Ces études concluent également que ce sont d’abord les questions d’identité – surtout liées à la race, à l’immigration, à la religion et au genre –, davantage que l’économie, qui ont été les forces motrices de l’élection de Trump en 2016.</p>
<p>Pour une partie de cet électorat américain blanc, il existe en effet ce que la <a href="https://www.goodreads.com/book/show/28695425-strangers-in-their-own-land">sociologue Arlie Hochschild</a> appelle <a href="https://www.theatlantic.com/ideas/archive/2020/12/deep-story-trumpism/617498/">« une histoire profonde »</a> :celle de Blancs de la classe moyenne qui seraient mis à l’écart par des groupes minoritaires, abandonnés par le gouvernement, <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2021/01/13/new-research-shows-connection-between-political-victimhood-white-support-trump/">victimisés</a> et traités avec mépris par une élite de gauche.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-grand-desarroi-de-la-majorite-blanche-aux-etats-unis-146993">Le grand désarroi de la majorité blanche aux États-Unis</a>
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<p>Le ressentiment de ces Blancs non diplômés qui se jugent délaissés vient en partie de leur affaiblissement démographique : leur part dans l’électorat est passée de <a href="https://centerforpolitics.org/crystalball/articles/the-transformation-of-the-american-electorate/">69 % en 1980 à 39 % en 2020, et devrait tomber à 30 % d’ici à 2032</a>. </p>
<h2>Une stratégie de l’émotion</h2>
<p>Le succès de Donald Trump vient de son charisme et de sa capacité à utiliser une <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/sep/02/donald-trump-strategy-republican-national-convention">stratégie de l’émotion</a> basée sur la peur, le sentiment de rancune et d’humiliation. Ceci en s’appuyant sur <a href="https://www.politico.com/magazine/story/2018/11/01/donald-trump-elite-trumpology-221953/">sa propre rancœur envers les élites</a> new-yorkaises, puis envers Barack Obama à travers ses allégations de <a href="https://theconversation.com/birtherism-trump-and-anti-black-racism-conspiracy-theorists-twist-evidence-to-maintain-status-quo-174444"><em>birtherism</em></a>, l’élection d’un président noir ayant contribué à <a href="https://www.washingtonpost.com/business/how-evangelical-voters-swung-from-carter-to-trump/2023/03/01/e43a7112-b833-11ed-b0df-8ca14de679ad_story.html">polariser encore plus la politique américaine autour de la question raciale</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/530991/original/file-20230608-16844-qptkll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530991/original/file-20230608-16844-qptkll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530991/original/file-20230608-16844-qptkll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530991/original/file-20230608-16844-qptkll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530991/original/file-20230608-16844-qptkll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530991/original/file-20230608-16844-qptkll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530991/original/file-20230608-16844-qptkll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation pro-Trump à New York pendant sa comparution devant la justice dans le cadre de l’affaire Stormy Daniels, le 4 avril 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/protrump-supporters-rally-new-york-criminal-2284802573">Lev Radin/Shutterstock</a></span>
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<p>Ce qui est remarquable, et peut-être contre-intuitif, c’est que ce récit de ressentiment racial est parfois même adopté par des minorités qui éprouvent de <a href="https://www.nbcnews.com/think/opinion/trump-vote-rising-among-blacks-hispanics-despite-conventional-wisdom-ncna1245787">l’antipathie à l’égard d’autres groupes minoritaires</a>. Une <a href="http://www.beacon.org/Racial-Innocence-P1822.aspx">étude récente</a> montre, par exemple, la croissance du nombre de Latinos, comme d’autres personnes de couleur, dans le mouvement suprémaciste blanc.</p>
<p>Enfin, Trump a pu s’appuyer sur la peur des chrétiens blancs évangéliques, comme l’a montré <a href="https://wwnorton.com/books/9781631495731">Kristin Kobes Du Mez</a>, en leur offrant un récit du « carnage américain » qui résonne avec leurs croyances eschatologiques de <a href="https://www.vox.com/policy-and-politics/2020/7/9/21291493/donald-trump-evangelical-christians-kristin-kobes-du-mez">déclin et de destruction à la fin des temps</a>.</p>
<h2>Trump, martyr et superhéros</h2>
<p>Donald Trump a construit autour de sa personne un récit où il est une <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2017/11/victim-in-chief/544463/">victime</a>, voire un martyr, auquel <a href="https://www.psypost.org/2021/01/egocentric-victimhood-is-linked-to-support-for-trump-study-finds-59172">s’identifie cet électorat</a> et, en même temps, un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=vk_RjS_P_tM">superhéros</a> <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1536504220920189">hypemasculinisé</a> dans lequel ses partisans peuvent se projeter, y compris quand la victime annonce qu’elle se fera bourreau des responsables de leurs malheurs . À la veille des élections de 2016 il se disait ainsi être la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ehvUQrRDyyU">voix des « oubliés »</a> ; avant celles de 2024, il <a href="https://www.youtube.com/watch?v=qG0ko3rMWig">se présente</a> comme leur « guerrier » et leur justicier, promettant d’être la « rétribution » et le « châtiment » pour « ceux qui ont été lésés et trahis ».</p>
<p>Cette vengeance pourrait même s’abattre sur les Républicains qui le trahiraient. N’oublions pas que le leadership à la Chambre de Kevin McCarthy dépend d’une majorité si faible qu’il est <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2023/jan/15/kevin-mccarthy-house-speaker-trump-republican-influence">à la merci de la frange la plus pro-Trump des élus</a> de son parti. De la même façon, le Grand Old Party est pris en otage par <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2023/05/18/donald-trump-paradox-gop-00097458">ce mouvement minoritaire mais puissant</a>, dont la seule constance est la loyauté envers son chef, Donald Trump, quitte à affaiblir le parti et faire perdre des élections. </p>
<p>Dans un tel contexte, on peut légitimement se poser la question de ce qui se passerait si Trump devait perdre les primaires républicaines. Il n’est pas impossible qu’il rejette alors les résultats, et affirme qu’elles ont été truquées. S’il se présentait, alors, en tant qu’indépendant, presque <a href="https://www.politico.com/news/2023/02/28/trump-voters-republican-primary-00084652">30 % des électeurs républicains seraient prêts à la suivre</a>, même si des <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2023/03/06/trump-third-party-chances/">études montrent</a> qu’il n’aurait presque aucune chance de l’emporter. Il ferait en tout état de cause exploser le Parti républicain, une possibilité qui ne fait que renforcer sa domination sur un parti déjà très affaibli, <a href="https://theconversation.com/apres-la-defaite-de-donald-trump-que-va-devenir-le-parti-republicain-149772">incapable de se redéfinir sur une ligne idéologique et intellectuelle claire</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207054/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Donald Trump demeure le grand favori aux primaires républicaines de 2024, malgré l’entrée en lice de nouveaux candidats. La multiplication des candidatures pourrait même le favoriser.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2031912023-04-13T17:49:53Z2023-04-13T17:49:53ZSéisme en Turquie : Pourquoi autant de dégâts et d’impuissance ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/519941/original/file-20230407-22-g3cadh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C8192%2C5457&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le tremblement de terre du 6&nbsp;février 2023, qui a frappé une zone frontalière turco-syrienne, a fait plus de 50&nbsp;000 morts.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/turkey-earthquake-kahramanmaras-gaziantep-adana-hatay-2261981611">FreelanceJournalist/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>À un mois de <a href="https://www.france24.com/fr/europe/20230310-pr%C3%A9sidentielle-en-turquie-l-opposition-unie-face-%C3%A0-un-erdogan-plus-fragilis%C3%A9-que-jamais">l’élection présidentielle en Turquie</a>, le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan essuie de nombreuses critiques du fait de sa gestion du <a href="https://theconversation.com/seisme-en-turquie-la-catastrophe-humanitaire-sexplique-aussi-par-la-corruption-generalisee-200568">tremblement de terre du 6 février dernier</a>, qui a provoqué un traumatisme national. Dans les heures suivant la catastrophe, la société civile s’est mobilisée en un temps record pour envoyer de l’aide humanitaire dans la région. L’État, lui, a semblé tétanisé, et n’a commencé à réagir qu’au bout de 48 heures.</p>
<p>Chacun a pu constater que l’État n’était pas vraiment préparé à un plan d’action d’urgence en cas de séisme de grande ampleur et que ses services étaient largement dysfonctionnels. Au-delà, la catastrophe a également mis en évidence les immenses lacunes de la Turquie en matière de mise en œuvre d’une urbanisation rationnelle tenant compte du <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-y-a-des-seismes-en-cascade-en-turquie-et-en-syrie-199350">risque sismique</a>.</p>
<p>Ce risque n’a pourtant rien de nouveau dans le pays, qui a déjà connu, par le passé, des secousses comparables, notamment le <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20230207-la-turquie-une-longue-histoire-de-s%C3%A9ismes-d%C3%A9vastateurs">séisme d’Elazığ en 1939, qui avait causé la mort de 33 000 personnes</a>. Rien que depuis 1999, la Turquie a subi (si l’on tient compte du 6 février dernier) 11 tremblements de terre d’une magnitude de plus de 6 sur l’échelle de Richter, qui ont causé au total plus de 70 000 morts et des dégâts colossaux.</p>
<p>Pourquoi la Turquie n’arrive-t-elle toujours pas à mettre en place un système de construction fiable et solide et une politique urbanistique adaptée aux réalités géologiques ? Le 6 février en a tragiquement rappelé l’urgence, d’autant que les spécialistes indiquent qu’un séisme de grande ampleur <a href="https://www.courrierinternational.com/article/geologie-istanbul-tarde-a-se-premunir-contre-le-seisme-qui-vient">va très probablement bientôt frapper la métropole d’Istanbul</a> et ses 16 millions d’habitants…</p>
<h2>Cent ans d’urbanisation prenant très peu en compte les risques sismiques</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2017-2-page-54.htm">L’urbanisation</a> a été une priorité de l’État dans les premières années suivant la fondation de la République (1923). Le gouvernement de Mustafa Kemal Atatürk avait alors convié des aménageurs français et allemands pour planifier et développer des villes, notamment la capitale <a href="https://books.openedition.org/ifeagd/2700?lang=fr">Ankara</a>, selon des normes modernes.</p>
<p>Néanmoins, dès la fin des années 1930, cette volonté s’est heurtée à deux phénomènes devenus endémiques jusqu’à nos jours : d’une part, le manque de moyens ; de l’autre, la spéculation et les intérêts fonciers des dirigeants eux-mêmes.</p>
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<p>Dès les années 1940, les politiques d’urbanisation et de logement sont pratiquement devenues lettre morte et les villes se sont développées d’une manière anarchique, les grandes métropoles se couvrant d’habitats informels (gecekondus). Si bien que, dans les années 1990, 72 % des habitants d’Ankara vivaient dans ce type de logements.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/519940/original/file-20230407-26-xepsrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/519940/original/file-20230407-26-xepsrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/519940/original/file-20230407-26-xepsrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/519940/original/file-20230407-26-xepsrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/519940/original/file-20230407-26-xepsrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/519940/original/file-20230407-26-xepsrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/519940/original/file-20230407-26-xepsrk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue de bidonvilles à Ankara.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Cem Aytas/Shutterstock</span></span>
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<p>Mis à part quelques tentatives infructueuses, les gouvernements ont longtemps laissé faire, et n’ont pas tenté de transformer à grande échelle les gecekondus, craignant une sanction électorale dans ces zones fortement peuplées.</p>
<p>Cette position a évolué à la suite <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-reportage-de-la-redaction/turquie-ao%C3%BBt-1999-17-000-morts-en-moins-de-quarante-secondes-4517831">du grand tremblement de terre de 1999</a> dans la mer de Marmara près d’Istanbul, qui a causé la mort de 16 000 personnes et la destruction de 20 000 bâtiments, et de la <a href="https://www.persee.fr/doc/tiers_1293-8882_2003_num_44_175_5414">crise financière de 2001</a>, qui a provoqué une rupture politique et économique considérable.</p>
<p>Porté au gouvernement après la crise de 2001, le Parti de la justice et du développement (AKP) a massivement utilisé l’argument du risque sismique pour entreprendre de vastes projets urbains : transformation ou rénovation des quartiers informels ou vétustes, construction de grandes infrastructures comme des ponts, des autoroutes et des aéroports. L’idée était de relancer la croissance économique du pays en stimulant le secteur de la construction. Malheureusement, l’urbanisation rapide ainsi mise en œuvre n’a guère pris en compte les normes anti-sismiques, ce qui aurait pu sauver des milliers de vies au vu des séismes qui se sont produits par la suite et qui, pour la plupart, étaient prévisibles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/519051/original/file-20230403-26-mwa3tf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/519051/original/file-20230403-26-mwa3tf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/519051/original/file-20230403-26-mwa3tf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/519051/original/file-20230403-26-mwa3tf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/519051/original/file-20230403-26-mwa3tf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/519051/original/file-20230403-26-mwa3tf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/519051/original/file-20230403-26-mwa3tf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Institution nationale des statistiques de Turquie (TÜIK).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les projets d’urbanisation ont souvent été justifiés par la nécessité d’adapter les bâtiments et infrastructures du pays aux risques sismiques mais, dans les faits, les normes correspondantes n’ont que très peu été appliquées, et ces projets ont surtout servi à enrichir les entreprises proches de l’AKP et, partant, à renforcer le pouvoir en place.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/520272/original/file-20230411-1531-2y20ky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520272/original/file-20230411-1531-2y20ky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520272/original/file-20230411-1531-2y20ky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520272/original/file-20230411-1531-2y20ky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=219&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520272/original/file-20230411-1531-2y20ky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520272/original/file-20230411-1531-2y20ky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520272/original/file-20230411-1531-2y20ky.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=275&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/pdf/10.1111/1468-2427.12154">Erdi-Lelandais, 2014</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L’urbanisation conduite par l’AKP a abouti à la destruction des gecekondus et au déplacement forcé de leurs habitants vers les marges des villes. Comme le montre le tableau ci-dessus, la construction de nouveaux bâtiments suite à une catastrophe naturelle comme le séisme est restée minime (0,1 %), la priorité étant donnée à l’édification d’immeubles générant de hauts profits et rapportant de l’argent à l’État (75,25 %).</p>
<h2>La centralisation des politiques d’urbanisme</h2>
<p>En termes de construction et de protection contre les désastres naturels, la Turquie possède un arsenal législatif couvrant l’ensemble des domaines de l’urbanisation.</p>
<p>Dès son arrivée au pouvoir, l’AKP décide de restructurer la gouvernance du marché immobilier et de l’urbanisme en renforçant le rôle des institutions étatiques dans ce secteur.</p>
<p>En 2003, il élargit les compétences de l’Administration des Logements Collectifs (TOKI), autorisée à édifier des logements sur les terrains appartenant à l’État. En 2004, la TOKI obtient le pouvoir de procéder à des expropriations dans les zones de rénovation urbaine, d’établir des partenariats avec des entreprises privées et des trusts financiers, et de développer des projets de transformation dans les zones de gecekondus. En 2007, elle devient la seule autorité responsable de la détermination des zones de construction et de la vente des terrains publics. Enfin, en 2012, la « loi sur la transformation des zones à risques de catastrophe » donne au gouvernement les mains libres pour entreprendre des projets de renouvellement, toujours via la TOKI, en utilisant l’argument du « risque ». Les propriétaires des logements situés dans des zones déclarées à risque sont obligés de les vendre à la municipalité ou de les démolir à leurs propres frais.</p>
<p>Depuis le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/04/16/le-premier-ministre-turc-proclame-la-victoire-du-oui-au-referendum-constitutionnel_5112199_3210.html">référendum constitutionnel de 2017</a>, le pouvoir politique est plus que jamais centralisé autour du président Erdogan qui gère plusieurs domaines comme la défense, le patrimoine national, les affaires religieuses voire la communication, via des décrets présidentiels, sans passer par le Parlement. Cette centralisation se reflète au niveau local : les mairies métropolitaines deviennent compétentes dans l’ensemble des départements où elles se trouvent, y compris les villages et les zones rurales. Elles peuvent entreprendre des actions d’expropriation ou changer la caractéristique des sols, ouvrant les zones agricoles à la construction.</p>
<h2>Clientélisme et corruption</h2>
<p>Si l’ultra-centralisation aurait pu fournir à l’État la possibilité d’améliorer l’ensemble du parc immobilier du pays de façon à le rendre plus résistant aux séismes, la législation n’a pas été utilisée en ce sens.</p>
<p>L’État a utilisé l’urbanisation et la construction pour faire des profits grâce au développement de projets dans des zones à haute valeur foncière, ces projets étant sous-traités à des entreprises privées de construction « amies » : Limak, Cengiz, Kolin, Kalyon et Makyol… Les dirigeants de ces entreprises figurent dans le cercle rapproché d’Erdogan et constituent ensemble la <a href="https://www.jstor.org/stable/2777096">« machine de croissance » urbaine</a> du pays, selon les termes du sociologue Harvey Molotch.</p>
<p>Le candidat de l’opposition à la prochaine élection présidentielle, <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/turquie/turquie-qui-est-kemal-kilicdaroglu-l-homme-qui-va-defier-recep-tayyip-erdogan-dans-les-urnes_5703293.html">Kemal Kılıçdaroğlu</a>, utilise la formule <a href="https://www.duvarenglish.com/erdogan-sues-main-opposition-chp-leader-kemal-kilicdaroglu-for-1-million-liras-for-calling-him-money-collector-of-five-construction-firms-news-60772"><em>Beşli Çete</em> (Gang des Cinq)</a> pour désigner ces entreprises. Celles-ci accumulent les contrats publics et se sont constitué, d’après l’opposition, une fortune d’environ 418 milliards de dollars attribués uniquement par l’État.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JwoPBVOVdaE?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Cette gouvernance où s’imbriquent et se chevauchent des liens amicaux, familiaux, économiques, financiers mais aussi politiques se retrouve non seulement dans la construction et les infrastructures physiques (transport, facilités portuaires, canalisation, approvisionnement en eau, etc.) mais aussi dans les infrastructures sociales (éducation, culture, technologie…). Mais le secteur de la construction est particulièrement marqué par le clientélisme. Jusqu’à récemment, les constructeurs pouvaient choisir eux-mêmes l’entreprise chargée d’inspecter la conformité de leurs bâtiments aux normes antisismiques.</p>
<p>Les intérêts financiers ont toujours dépassé l’intérêt public et le pouvoir a fermé les yeux pendant des années sur ces relations. Aucun système efficace, susceptible de sanctionner ces dérives, n’a été établi.</p>
<p>Depuis des années, des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/turquie-le-seisme-revele-le-manque-d-anticipation-des-autorites-20230207">scientifiques annonçaient l’imminence d’un grand séisme dans la région</a>, mais le gouvernement a fait la sourde oreille et continué d’autoriser la construction de bâtiments au-dessus des lignes de faille.</p>
<p>Le comble a été <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/seisme-en-turquie-et-en-syrie/seisme-en-turquie-une-loi-d-amnistie-a-autorise-durant-plus-de-40-ans-la-construction-illegale-de-logements_5660081.html">l’adoption en 2018 d’une loi rendant légaux les bâtiments construits dans des zones à risques</a> illégalement et sans respecter les normes sismiques. Ce faisant, au lieu de consolider le bâti résistant au séisme, l’État a laissé en place de nombreux bâtiments mal conçus, ce qui a, de fait, augmenté le nombre de pertes humaines le 6 février dernier.</p>
<p>On l’aura compris : l’État turc actuel, ultra-centralisé, focalisé sur les intérêts financiers d’entreprises proches du pouvoir, voit ses institutions publiques de tous les niveaux pratiquement paralysées et incapables d’agir pour réduire les risques sismiques. À chaque niveau, l’accord des supérieurs hiérarchiques est nécessaire, ce qui empêche ainsi un fonctionnement souple. À titre d’exemple, l’envoi de soldats dans la zone du séisme du 6 février pour participer aux opérations de sauvetage a pris deux jours car (en partie à cause de la méfiance envers l’armée consécutive à la <a href="https://theconversation.com/erdogan-la-guerre-tous-azimuts-64916">tentative de putsch de 2016</a>) hormis le président Erdogan, personne n’était habilité à prendre cette décision. La transformation du fonctionnement du système politique et étatique en Turquie apparaît aujourd’hui plus nécessaire que jamais. Il aura fallu les dizaines de milliers de morts du 6 février pour que cette prise de conscience s’opère…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203191/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gülçin Erdi a reçu des financements de l'ANR France pour un projet de recherche sur les villes capitales (SPACEPOL) </span></em></p>Le bilan du tremblement de terre qui a dévasté le 6 février dernier une zone à cheval entre la Turquie et la Syrie s’explique en partie, côté turc, par des décennies d’urbanisation incohérente.Gülçin Erdi, Chargée de recherches CItés, TERritoires, Environnement, Sociétés (CITERES), CNRS, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2033722023-04-06T13:46:06Z2023-04-06T13:46:06ZOubliez Stormy Daniels et Michael Cohen – ce sont les comptables qui auront la tête de Donald Trump<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/519689/original/file-20230405-16-35dlbz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1920%2C1281&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’ex-président Donald Trump avec ses avocats dans un tribunal de Manhattan. Premier président américain inculpé au criminel, il est accusé d’avoir falsifié des registres d’entreprise dans le cadre d’une enquête sur des pots-de-vin. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Seth Wenig)</span></span></figcaption></figure><p>Donald Trump est formellement <a href="https://www.ledevoir.com/depeches/787950/donald-trump-s-est-rendu-aux-autorites-a-new-york-pour-sa-mise-en-accusation">inculpé de 34 chefs d’accusation pour falsification de registres d’entreprises</a> à la suite d’une enquête sur des paiements occultes à trois personnes, dont une actrice porno.</p>
<p>L’ancien président américain a <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/en-direct/1009620/donald-trump-accusation-inculpation-new-york">plaidé non coupable</a>.</p>
<p>Les <a href="https://thehill.com/homenews/3933605-read-trump-indictment-and-statement-of-facts/">procureurs allèguent</a> que Donald Trump « a falsifié à plusieurs reprises et frauduleusement des registres d’entreprise de New York pour dissimuler une conduite criminelle qui contenait des informations préjudiciables aux électeurs lors de l’élection présidentielle de 2016 ».</p>
<p>Il s’agit notamment d’informations sur les paiements effectués à la star de films pornos Stephanie Clifford alias Stormy Daniels, à la mannequin de Playboy Karen McDougal et à un ex-portier affirmant que son ancien patron de la Trump Tower avait eu un enfant hors mariage avec une femme de ménage.</p>
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<img alt="L’arrière de la tête d’un homme aux cheveux blonds est vue à l’entrée d’un tribunal" src="https://images.theconversation.com/files/519381/original/file-20230404-20-tpbne3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/519381/original/file-20230404-20-tpbne3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/519381/original/file-20230404-20-tpbne3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/519381/original/file-20230404-20-tpbne3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/519381/original/file-20230404-20-tpbne3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/519381/original/file-20230404-20-tpbne3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/519381/original/file-20230404-20-tpbne3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Donald Trump arrivant au bureau du procureur de Manhattan.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/John Minchillo)</span></span>
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<p>Donald Trump est par ailleurs menacé pour d’autres affaires — pour avoir prétendument caché des documents gouvernementaux classifiés dans sa propriété en Floride, pour avoir tenté de manipuler le vote en Géorgie après l’élection présidentielle de 2020 et pour avoir encouragé l’insurrection du 6 janvier 2021.</p>
<p>Mais maintenant que des accusations formelles ont été déposées à New York, les procureurs suivent la piste comptable du paiement effectué à Stormy Daniels par l’homme de confiance de l’ex-président, Michael Cohen, l’ex-avocat déjà condamné pour crime et témoin clé de l’accusation.</p>
<p>Depuis 2016, ce paiement — effectué juste avant l’élection présidentielle — soulève des questions juridiques et éthiques. Y a-t-il eu violation des lois fédérales sur le financement des campagnes électorales, soit parce qu’il n’a pas été divulgué en tant que contribution à la campagne, soit parce que des fonds de la campagne auraient été utilisés pour régler une affaire privée ?</p>
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<img alt="Un homme en costume sombre marche le soir dans une rue" src="https://images.theconversation.com/files/519136/original/file-20230403-24-5kqu35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/519136/original/file-20230403-24-5kqu35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/519136/original/file-20230403-24-5kqu35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/519136/original/file-20230403-24-5kqu35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/519136/original/file-20230403-24-5kqu35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/519136/original/file-20230403-24-5kqu35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/519136/original/file-20230403-24-5kqu35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Michael Cohen quittant le bureau du procureur de New York après son témoignage devant un grand jury en mars 2023. (AP Photo/Yuki Iwamura).</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Yuki Iwamura)</span></span>
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<p>En 2018, Michael Cohen <a href="https://www.justice.gov/usao-sdny/pr/michael-cohen-pleads-guilty-manhattan-federal-court-eight-counts-including-criminal-tax">a finalement plaidé coupable sur huit chefs d’accusation</a> pour lesquelles il a <a href="https://www.lapresse.ca/international/etats-unis/201812/12/01-5207769-lex-avocat-de-trump-michael-cohen-condamne-a-trois-ans-de-prison.php">écopé de trois ans de prison</a>.</p>
<p>Mais compte tenu de son dossier criminel, sa parole ne constitue pas le témoignage le plus solide. Les avocats de Donald Trump se feront un malin plaisir à attaquer la crédibilité d’un parjure, radié du barreau et qui sort de prison.</p>
<p>Cela signifie-t-il que Trump n’a rien à craindre ? Pas vraiment. Parce que cette fois, au vu de la nature des charges qui pèsent sur lui, il devra désormais composer avec des témoins autrement plus redoutables :les <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01900692.2021.2009855">comptables</a>.</p>
<h2>La piste de l’argent</h2>
<p>Dans les années 1920, <a href="https://www.thedailybeast.com/the-bean-counter-who-put-al-capone-in-the-slammer">c’est un comptable tenace qui a provoqué la chute du gangster Al Capone</a>. Et dans les années 1970, c’est aussi en <a href="https://www.lefigaro.fr/elections-americaines-2008/2008/06/13/01017-20080613ARTFIG00331-suivez-l-argent.php">« suivant l’argent »</a> que les journalistes ont révélé le scandale du Watergate.</p>
<p>Comment les comptables peuvent-ils <a href="https://www.thenation.com/article/archive/could-an-army-of-accountants-bring-down-trump/">décider du destin de Donald Trump</a> ?</p>
<p>D’abord, grâce à un fait démontrable : l’ancien président est réputé ne pas payer ses factures. En 2016, <em>USA Today</em> rapportait que Donald Trump <a href="https://www.usatoday.com/story/news/politics/elections/2016/06/09/donald-trump-unpaid-bills-republican-president-laswuits/85297274/">« a été impliqué dans plus de 3 500 procès » concernant des allégations de factures impayées</a> sur trois décennies.</p>
<p>Selon le quotidien, ces accusations impressionnent par leur variété : une entreprise verrière, un marchand de tapis, des agents immobiliers, 48 serveurs, des barmans à la dizaine, des petits entrepreneurs et du personnel de ses hôtels.</p>
<p>Plus grave : Donald Trump aurait escroqué « plusieurs cabinets d’avocats l’ayant représenté dans ses procès », selon <em>USA Today</em>.</p>
<p>En outre, le journal indique que toutes ces allégations et ces affaires judiciaires suggèrent que « soit ses entreprises ont de mauvais antécédents en matière d’embauche de travailleurs et d’évaluation des entrepreneurs, soit elles ne respectent pas leurs contrats ».</p>
<p>Aujourd’hui encore, de nombreuses factures demeurent impayées — et continuent de s’accumuler.</p>
<p>Par exemple, <a href="https://www.ctvnews.ca/world/cities-angry-with-trump-over-millions-in-unpaid-rally-expenses-1.5269495">certaines villes américaines — dont la ville de Wildwood, au New Jersey — affirment que Donald Trump leur doit toujours près de 2 millions de dollars pour des rassemblements remontant à 2016</a>. Selon <a href="https://www.foxbusiness.com/features/trump-social-media-app-facing-financial-fallout"><em>Fox Business</em></a>, sa plate-forme de médias sociaux, Truth Social, aurait également <a href="https://www.salon.com/2022/08/26/trump-never-pays-his-bills-truth-social-reportedly-stiffs-contractor-amid-financial-disarray/">arnaqué un entrepreneur</a>, ce qui constitue un nouveau signe du désarroi financier de ce réseau censé rivaliser avec Twitter.</p>
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<img alt="Un homme corpulent aux bras levés s’exprime dans un micro sur un podium portant le sceau présidentiel" src="https://images.theconversation.com/files/519135/original/file-20230403-1441-zmvvtn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/519135/original/file-20230403-1441-zmvvtn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/519135/original/file-20230403-1441-zmvvtn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/519135/original/file-20230403-1441-zmvvtn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/519135/original/file-20230403-1441-zmvvtn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/519135/original/file-20230403-1441-zmvvtn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/519135/original/file-20230403-1441-zmvvtn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Donald Trump en campagne dans le New Jersey en janvier 2020. La ville de Wildwood attend toujours le remboursement des dizaines de milliers de dollars en heures supplémentaires pour les services de police et de sécurité.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Evan Vucci)</span></span>
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<h2>Le chèque à Michael Cohen</h2>
<p>Lors du procès de Donald Trump à New York, les comptables n’auront qu’à poser la question qui tue. Étant donné que l’accusé refuse constamment d’acquitter ses factures et qu’il arnaque systématiquement ceux avec qui il fait affaire, comment se fait-il qu’il ait immédiatement envoyé un chèque de 130 000 dollars à Cohen sans même demander une facture détaillée ?</p>
<p>Dans ses premiers commentaires publics sur le scandale en 2018, Trump avait <a href="https://www.cbsnews.com/news/trump-says-he-was-unaware-of-stormy-daniels-payment/">nié avoir eu connaissance du paiement à Stormy Daniels</a>. Peu de temps après, il changeait son fusil d’épaule en admettant en avoir été informé, invoquant un accord de confidentialité pour mettre fin aux « accusations mensongères » visant à « l’extorquer ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"991992302267785216"}"></div></p>
<p>Ce qui importe ici, ce n’est ni ces louvoiements, ni même le témoignage de Michael Cohen sur l’objet du versement de 130 000 dollars. Ce qui sera déterminant pour l’affaire, c’est le fait que Donald Trump n’ait demandé ni preuve ni justificatif pour ce versement.</p>
<p>Pour accumuler 130 000 dollars d’honoraires facturables, Michael Cohen aurait dû travailler des centaines d’heures. Il est difficile de croire qu’un grippe-sou aussi notoire que Donald Trump n’ait posé aucune question, ni exigé aucun détail, ni ventilation et ni justificatif concernant une facture d’honoraire de 130 000 dollars et d’autres paiements onéreux.</p>
<p>Au cours des procédures judiciaires à venir, les comptables soulèveront cette question potentiellement accablante : pourquoi Donald Trump a-t-il acquitté une facture de 130 000 dollars si rapidement pour être ensuite la déclarée, dans les termes les plus vagues possibles, comme de simples honoraires d’avocat ?</p>
<p>Oubliez Stormy Daniels. Oubliez Michael Cohen. Voilà la question à laquelle Donald Trump ne veut pas répondre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203372/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jerry Paul Sheppard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les comptables ont provoqué la chute d’Al Capone et le scandale du Watergate a été révélé lorsque les journalistes ont « suivi l’argent ». Vont-ils aussi faire tomber Donald Trump ?Jerry Paul Sheppard, Associate Professor of Business Administration, Simon Fraser UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2030712023-03-31T11:25:44Z2023-03-31T11:25:44ZDonald Trump mis en examen : quelles conséquences pour sa candidature à la présidentielle de 2024 ?<p>Un grand jury de Manhattan vient de <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/donald-trump/etats-unis-un-grand-jury-a-new-york-a-vote-pour-inculper-au-penal-donald-trump-26f935ba-5f7d-45a6-a284-b21529a07a2a">mettre en examen l’ancien président Donald Trump</a>. Les chefs d’inculpation exacts n’ont pas été rendus publics, mais ils sont liés à <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/donald-trump/etats-unis-on-vous-resume-l-affaire-qui-lie-donald-trump-a-l-actrice-de-films-pornographiques-stormy-daniels_5719274.html">l’enquête</a> ouverte par le procureur de Manhattan Alvin Bragg sur le versement d’une importante somme d’argent à une <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/etats-unis/donald-trump/etats-unis-stormy-daniels-lactrice-de-films-x-qui-fait-trembler-donald-trump-1309d542-1f46-4ba5-85b2-588b73c09ee1">actrice de films pornographiques</a> juste avant l’élection présidentielle de 2016.</p>
<p>C’est la première fois dans toute l’histoire du pays qu’un président ou ancien président des États-Unis est inculpé.</p>
<p>Pour autant, Trump ne va sans doute pas renoncer à sa <a href="https://www.donaldjtrump.com/">campagne présidentielle</a> qui doit, espère-t-il, lui permettre de retrouver en 2024 le poste qu’il a perdu en 2020 face à Joe Biden.</p>
<p>Quelles conséquences cette mise en examen et le procès sur lequel elle pourrait déboucher auront-ils sur la campagne et, si cette dernière est couronnée de succès, sur le mandat 2024-2028 de Donald Trump ?</p>
<h2>Que dit la Constitution ?</h2>
<p><a href="https://constitution.congress.gov/browse/article-2/section-1/clause-5/#:%7E:text=No%20Person%20except%20a%20natural,been%20fourteen%20Years%20a%20Resident">L’article II de la Constitution américaine</a> énonce des conditions très explicites pour <a href="https://theconversation.com/no-an-indictment-wouldnt-end-trumps-run-for-the-presidency-he-could-even-campaign-or-serve-from-a-jail-cell-194425">l’exercice de la présidence</a> : le président doit être âgé d’au moins 35 ans, résider aux États-Unis depuis au moins 14 ans et en être un citoyen de naissance.</p>
<p>Par le passé, dans des affaires comparables ayant trait à des membres du Congrès, la <a href="https://www.oyez.org/cases/1968/138">Cour suprême a statué</a> que les conditions indiquées dans la Constitution pour accéder aux postes électifs représentaient un « plafond constitutionnel » et qu’aucune condition supplémentaire ne pouvait y être ajoutée d’aucune façon que ce soit.</p>
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<p>Ainsi, puisque la Constitution n’exige pas que le président ne soit pas inculpé, condamné ou emprisonné, il s’ensuit qu’une personne inculpée ou emprisonnée peut se présenter à ce poste et peut même exercer la fonction présidentielle.</p>
<p>C’est la norme juridique qui s’applique à Donald Trump : selon la Constitution, son inculpation et son éventuel procès ne l’empêcheraient pas de se porter candidat et, le cas échéant, d’exercer la fonction suprême.</p>
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<p>Il n’en demeure pas moins qu’une inculpation et, à plus forte raison, une condamnation, sans même parler d’une peine d’emprisonnement, compromettraient considérablement la capacité d’un président à exercer ses fonctions. Et la Constitution ne fournit pas de réponse facile au problème que poserait l’exercice du pouvoir par un chef de l’exécutif aussi affaibli.</p>
<h2>Que dit le ministère de la Justice ?</h2>
<p>Un candidat à la présidence peut être inculpé, poursuivi et condamné par les autorités d’un des 50 États du pays ou par les autorités fédérales. L’inculpation pour un délit au niveau d’un État (ce qui est le cas dans l’affaire Trump/Daniels, le procureur de Manhattan relevant de l’État de New York) peut sembler moins importante que des accusations fédérales portées par le ministère de la Justice. Mais en fin de compte, le spectacle d’un procès pénal, qu’il se tienne dans un tribunal d’État ou dans un tribunal fédéral, aura nécessairement un impact majeur sur la campagne présidentielle d’un candidat et sur sa crédibilité de président s’il venait tout de même à être élu.</p>
<p>Tous les accusés sont présumés innocents jusqu’à ce que leur culpabilité soit prouvée. Mais en cas de condamnation, une incarcération – que ce soit dans une prison d’État ou dans une prison fédérale – impliquerait évidemment des restrictions de liberté qui compromettraient considérablement la capacité du président à diriger le pays.</p>
<p>Le fait qu’il serait difficile à un président d’exercer ses fonctions s’il était mis en examen ou condamné a été souligné dans une <a href="https://www.justice.gov/sites/default/files/olc/opinions/2000/10/31/op-olc-v024-p0222_0.pdf">note de service rédigée par le ministère de la Justice en 2000</a>. Cette note s’inspirait d’une <a href="https://s3.documentcloud.org/documents/4517361/092473.pdf">note antérieure</a> intitulée « Possibilité pour le président, le vice-président et d’autres fonctionnaires de faire l’objet de poursuites pénales fédérales pendant qu’ils sont en fonction ». Cette dernière avait été rédigée en 1973, pendant le Watergate, quand le <a href="https://www.britannica.com/event/Watergate-Scandal">président Richard Nixon faisait l’objet d’une enquête</a> pour son rôle dans ce scandale tandis que le <a href="https://archive.nytimes.com/www.nytimes.com/learning/general/onthisday/big/1010.html">vice-président Spiro Agnew faisait pour sa part l’objet d’une enquête du grand jury pour fraude fiscale</a>.</p>
<p>Ces deux notes portaient sur la question de savoir si, en vertu de la Constitution, un président en exercice pouvait être inculpé pendant qu’il était en fonction. Les deux textes ont conclu que ce n’était pas le cas.</p>
<p>Mais qu’en serait-il d’un président inculpé, condamné, ou les deux… <em>avant</em> son entrée en fonctions, comme cela pourrait être le cas pour Trump ?</p>
<p>Les notes de 1973 et de 2000 mettent en évidence les conséquences d’une inculpation sur l’exercice de ses fonctions par le président, la note de 1973 employant des termes particulièrement forts : « Le spectacle d’un président inculpé essayant encore d’exercer ses fonctions de chef de l’exécutif dépasse l’imagination. »</p>
<p>De façon plus précise, les deux notes observent que des poursuites pénales à l’encontre d’un président en exercice pourraient entraîner « une interférence physique avec l’exercice par le président de ses fonctions officielles qui équivaudrait à une incapacité », ne serait-ce que parce qu’un procès pénal réduirait considérablement le temps que le président pourrait consacrer à ses lourdes fonctions… et parce que, naturellement, un tel procès pourrait aboutir à un emprisonnement du chef de l’État.</p>
<h2>Un président emprisonné pourrait-il s’acquitter de ses fonctions essentielles ?</h2>
<p>Selon la note de 1973, « le président joue un rôle à nul autre pareil dans l’exécution des lois, la conduite des relations extérieures et la défense de la nation ».</p>
<p>Ces fonctions essentielles nécessitent des réunions, des communications ou des consultations avec l’armée, les dirigeants étrangers et les représentants du gouvernement aux États-Unis et à l’étranger. Très difficilement envisageable pour un président se trouvant derrière les barreaux. C’est pourquoi le spécialiste du droit constitutionnel <a href="https://www.universitypressscholarship.com/view/10.12987/yale/9780300123517.001.0001/upso-9780300123517-chapter-2">Alexander Bickel a fait remarquer en 1973</a> que « de toute évidence, la présidence ne peut pas être exercée depuis la prison ».</p>
<p>En outre, de nos jours, les présidents voyagent constamment dans leur pays et dans le monde pour rencontrer d’autres responsables locaux et internationaux, <a href="https://georgewbush-whitehouse.archives.gov/infocus/katrina/">inspecter les conséquences des catastrophes naturelles</a> sur le territoire national, <a href="https://www.reaganlibrary.gov/archives/speech/remarks-announcing-intention-nominate-sandra-day-oconnor-be-associate-justice">célébrer les succès historiques du pays et les événements d’importance nationale</a> ou <a href="https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2016/10/13/remarks-president-opening-remarks-and-panel-discussion-white-house">échanger en personne avec des citoyens et leurs groupes représentatifs à propos de diverses questions d’actualité</a>. Il est évident que tout cela serait impossible pour un président ne pouvant pas sortir de sa prison.</p>
<p>En outre, les présidents doivent pouvoir accéder à des informations classifiées et prendre part à des réunions d’information. Un emprisonnement rendrait cela particulièrement difficile, voire impossible, de telles informations devant souvent être <a href="https://www.nbcnews.com/politics/politics-news/what-scif-who-uses-it-n743991">stockées et consultées dans une pièce sécurisée</a>, protégée contre toute forme d’espionnage par diverses mesures, y compris le blocage des ondes radio – ce qui n’est pas le cas des prisons.</p>
<p>En raison des diverses fonctions et obligations du président, les notes de 1973 et 2000 concluaient que « l’enfermement physique du chef de l’exécutif à la suite d’une condamnation empêcherait incontestablement le pouvoir exécutif d’exercer les fonctions qui lui sont assignées par la Constitution ».</p>
<p>Traduction : le président ne pourrait pas faire son travail.</p>
<h2>Diriger le pays depuis une prison</h2>
<p>Et si, malgré tout, les citoyens venaient à élire un président inculpé ou incarcéré ? Une telle perspective n’est pas une simple vue de l’esprit. Lors de l’élection de 1920, un candidat incarcéré, Eugene Debs, a recueilli <a href="https://www.270towin.com/1920_Election/">près d’un million de voix sur un total de 26,2 millions de suffrages exprimés</a>.</p>
<p>L’une des réponses possibles à une telle situation est contenue dans le 25<sup>e</sup> amendement, qui permet au cabinet du président de déclarer ce dernier « incapable de s’acquitter des pouvoirs et des devoirs de sa charge ».</p>
<p>Les deux notes du ministère de la Justice notent toutefois que les auteurs du 25<sup>e</sup> amendement n’ont jamais envisagé ou mentionné l’incarcération comme motif d’incapacité à s’acquitter des pouvoirs et des devoirs de la fonction présidentielle, et que remplacer le président en vertu du 25<sup>e</sup> amendement « ne donnerait pas suffisamment de poids au choix réfléchi du peuple quant à la personne qu’il souhaite voir occuper le poste de chef de l’exécutif ».</p>
<p>Tout cela rappelle la <a href="https://lawliberty.org/holmes-if-my-fellow-citizens-want-to-go-to-hell-i-will-help-them-its-my-job-and-he-meant-it/">fameuse formule</a> du juge Oliver Wendell Holmes (1841-1935), qui siégea à la Cour suprême des États-Unis de 1902 à 1932, sur le rôle de la Cour suprême : « Si mes concitoyens veulent aller en enfer, je les aiderai. C’est mon travail. »</p>
<p>Cette réflexion provient d’une lettre dans laquelle Holmes faisait part de son opinion sur le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Sherman_Antitrust_Act">Sherman Antitrust Act</a>. Tout en soulignant que, à titre personnel, il jugeait cette loi insensée, le juge indiquait qu’il était prêt à faire le nécessaire pour qu’elle soit mise en œuvre car elle traduisait la volonté populaire exprimée démocratiquement et relevant de l’autodétermination du peuple. Une réflexion similaire s’impose peut-être dans le cas de figure présent : si le peuple élit un président entravé par des sanctions pénales, il s’agira, là aussi, d’une manifestation de l’autodétermination des citoyens des États-Unis. Ce qui engendrerait une situation problématique à laquelle la Constitution ne propose pas de solution prête à emploi…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203071/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stefanie Lindquist ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment Donald Trump fera-t-il campagne à présent qu’il a été inculpé ? Et comment gouvernerait-il s’il était de nouveau élu président… alors qu’il se trouverait en prison ?Stefanie Lindquist, Foundation Professor of Law and Political Science, Arizona State UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2017962023-03-22T23:52:43Z2023-03-22T23:52:43ZComment Vladimir Poutine a mis en place une « verticale de la peur » en Russie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/515155/original/file-20230314-3634-mnk1jl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C19%2C4249%2C2803&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La «&nbsp;dictature de la loi&nbsp;» que Vladimir Poutine a promis d’instaurer dès son arrivée au Kremlin obéit à un fonctionnement complexe dont l’effet principal est que personne n’est à l’abri du procès et de l’emprisonnement.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/paris-june-21-vladimir-putin-during-181590401">Frederic Legrand - COMEO/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>À son arrivée à la présidence de la Fédération de Russie, en 2000, Vladimir Poutine s’était engagé à restaurer une « verticale du pouvoir » qui aurait été, selon lui, mise à mal durant les années 1990, marquées par un profond délitement de l’État. Dans son ouvrage qui vient de paraître aux éditions La Découverte, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_verticale_de_la_peur-9782348077333">« La Verticale de la peur. Ordre et allégeance en Russie poutinienne »</a>, le chercheur Gilles Favarel-Garrigues, spécialiste des questions de violence, de police et de justice dans l’espace post-soviétique, décrypte les mécanismes politiques, juridiques et, souvent, para-légaux, par lesquels le chef de l’État a réussi à mettre en œuvre un système fondé bien plus sur la crainte qu’éprouvent aussi bien les élites que les simples citoyens de se retrouver broyés par la machine répressive que sur le respect scrupuleux de la loi. Une peur omniprésente dans la société russe, qui est notamment un élément explicatif à prendre en compte lorsque l’on analyse les causes du déclenchement de la guerre en Ukraine et la nature de la réaction de la société russe. Nous vous présentons ici un extrait de l’introduction de l’ouvrage, qui en présente les thèses principales.</em></p>
<hr>
<p>« Après avoir formé la verticale du pouvoir, Vladimir Poutine se lance dans la construction de l’horizontale du pouvoir. Il aura ainsi achevé de bâtir la cage du pouvoir en 2002. »</p>
<p>Cette blague, qui circulait au tout début du règne poutinien, résonne différemment deux décennies plus tard, alors que la guerre en Ukraine fait rage et que la répression des opposants en Russie bat son plein. Comment expliquer que le président se soit maintenu au pouvoir aussi longtemps et parvienne à imposer un agenda politique aussi implacable ? En dépit des sanctions infligées par les pays occidentaux à la Russie depuis 2014 et destinées à saper la légitimité de ses dirigeants, ni rébellion des élites ni mouvement contestataire ne semblent pour l’heure s’esquisser. Que doit la longévité de l’équipe dirigeante aux peurs qu’elle suscite, aux intérêts économiques qu’elle sécurise et aux soutiens sociaux dont elle bénéficie ?</p>
<p>Cet ouvrage explore les ressorts de l’exercice du pouvoir en Russie. Il traite des usages politiques et sociaux de la coercition, en analysant la mise au pas des responsables politiques et administratifs, l’usage de l’intimidation dans le monde des affaires et les initiatives citoyennes dans la lutte contre la délinquance et les incivilités.</p>
<p>Comment l’administration présidentielle brandit-elle les règles à l’encontre des élus et des hauts fonctionnaires ? Comment la loi est-elle mobilisée dans les règlements de comptes locaux ? Comment des justiciers autoproclamés se saisissent-ils du droit pour maintenir l’ordre dans l’espace public ? Ces pratiques s’inscrivent dans la « dictature de la loi » que promettait le chef de l’État dès 2000, usant d’une expression provocatrice au moment où élites politiques russes et experts occidentaux ne juraient que par la nécessité de démocratiser le pays et de bâtir un « État de droit ».</p>
<p>Cette « dictature » visait initialement à restaurer l’autorité de l’État, notamment dans les régions que les élites locales géraient comme des fiefs. Valorisant trois compétences professionnelles – la collecte de renseignements, la fabrique de scandales médiatiques et l’exercice de la justice –, elle aboutit à faire de l’intimidation par le droit une activité concurrentielle et lucrative.</p>
<p>Contrairement à une idée reçue, la société russe ne consacre pas le règne du « nihilisme juridique » : la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.2747/1060-586X.28.2.149?journalCode=rpsa20">plupart des litiges ordinaires sont jugés dans le respect de la légalité</a>. Mais la loi peut aussi être mobilisée, de manière plus transgressive, dans le but de défendre les prébendes des dirigeants, de servir d’arme contre les rivaux ou de prétexte aux abus des redresseurs de torts. Loin d’être un rempart à l’arbitraire, le droit est alors l’un de ses véhicules, au service du plus fort.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-parodie-de-justice-navalny-et-la-culture-de-la-maskirovka-juridique-en-russie-154876">Une parodie de justice : Navalny et la culture de la « maskirovka » juridique en Russie</a>
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<p>La « dictature de la loi » s’applique en premier lieu aux élus et aux responsables administratifs. Les <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2020-4-page-125.htm?ref=doi">prisonniers politiques</a> ne sont pas les seuls à faire les frais de la répression : au cours des années 2010, rares sont les États qui ont placé sous les verrous un nombre aussi significatif de ministres, de gouverneurs, de maires et de hauts fonctionnaires. Leur allégeance au pouvoir présidentiel les fait bénéficier d’une impunité, mais celle-ci est conditionnelle : ils sont placés dans l’insécurité en étant exposés à des <a href="https://www.jstor.org/stable/10.7591/j.ctt7zdpw">procédures judiciaires jouées d’avance</a> et à des magistrats soumis aux injonctions hiérarchiques. Au sein d’un « système » <a href="https://www.cambridge.org/core/books/can-russia-modernise/8DA7EF0B727BA67909073122838B2CF7">clientélaire</a> où l’on doit son poste – et les ressources afférentes, licites ou non – à un protecteur plus haut placé, l’instrumentalisation du droit et de la justice joue un rôle disciplinaire crucial. L’accusation de corruption est la plus usuelle, avec ses détectives aussi à l’aise dans les services répressifs que dans les officines privées, ses maîtres chanteurs, ses professionnels du scandale, ses hérauts médiatiques et ses juges aux ordres.</p>
<p>Cette mise au pas n’est pas dénuée de légitimité aux yeux de la société. Nombreux sont ceux qui, en Russie, <a href="https://journals.openedition.org/lectures/55214?lang=es">expriment leur méfiance vis-à-vis des élites</a> et appellent à renforcer la répression. Cette demande de sévérité est d’ailleurs exploitée par l’ensemble des protagonistes du jeu politique, de Vladimir Poutine à Alexeï Navalny. Elle explique qu’en dépit de la mauvaise réputation internationale d’une classe dirigeante jugée sans foi ni loi, la répression de la corruption constitue une constante de l’agenda politique depuis plusieurs décennies, dès avant la chute de l’URSS. Le soutien populaire à la répression s’explique notamment par la prégnance d’une figure du bouc émissaire – le fonctionnaire corrompu – qui consolide la légitimité présidentielle. Dans le discours des dirigeants, auquel adhère une partie de la population, c’est en effet à cet intermédiaire qu’est imputée l’application déficiente des politiques publiques, et non au chef de l’État.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"804414792354197505"}"></div></p>
<p>La lutte anticorruption réussit ainsi le tour de force d’éliminer des adversaires tout en passant pour une politique vertueuse. Est-ce à dire que la « dictature de la loi » fonctionne conformément aux objectifs qui lui étaient assignés ? Doit-on en d’autres termes considérer que la « cage du pouvoir » est désormais achevée ? Si la « dictature de la loi » contribue au maintien de l’ordre politique, elle ne doit pas accréditer une représentation pyramidale, conforme à la « verticale du pouvoir » que promeut le chef de l’État. Ce serait alors relayer la communication présidentielle, qui tend à personnaliser le pouvoir politique, à l’attribuer <em>in fine</em> à un souverain omnipotent, seul au sommet.</p>
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<p>Les trois compétences requises pour exercer la « dictature de la loi » – renseignement, médias, justice – sont disponibles au niveau local et se prêtent à des usages marchands. Des acteurs sociaux ne manquent pas de s’en saisir, en toute autonomie. Deux déclinaisons de la « dictature de la loi » s’observent à l’échelle locale : les règlements de comptes en lien avec des différends financiers et l’engagement de volontaires dans le maintien de l’ordre à des fins lucratives.</p>
<p>Comme au niveau central, ces rapports de force sont fondés sur la vulnérabilité juridique de l’adversaire, l’instrumentalisation de la loi et l’invocation d’une demande sociale. En faisant planer le risque de débordements, ces déclinaisons sont aussi de potentielles sources de désordre qui défient les autorités fédérales. La « dictature de la loi » doit composer avec des forces centrifuges et la « verticale du pouvoir », soumise à de fortes pressions, vacille en permanence.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"941666873749528576"}"></div></p>
<p>En se focalisant sur des <a href="https://journals.openedition.org/sociologie/923">configurations de pouvoir</a> et sur leur évolution, cet ouvrage entreprend d’éviter deux écueils. D’une part, il propose de décaler le regard par rapport aux analyses valorisant les cercles intellectuels, les éminences grises et les courants de pensée censés inspirer l’idéologie des dirigeants du pays. Il prend le parti d’étudier des coalitions mettant en commun des compétences professionnelles pour exercer le pouvoir, des rapports de forces entre rivaux, ainsi que des <a href="https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal:150604">interdépendances</a> entre personnel politique et représentants autoproclamés de la société civile. En étant attentif aux inflexions qui se produisent depuis deux décennies, il entend d’autre part se démarquer des travaux qui cherchent à clore l’analyse du régime politique en lui accolant l’étiquette la plus appropriée. Que de débats sur ce sujet depuis la fin de l’URSS ! Déçus par la performance russe, les experts en « transition démocratique » ont rivalisé d’imagination : <a href="https://www.journalofdemocracy.org/articles/ten-years-after-the-soviet-breakup-russias-hybrid-regime/">« régime hybride »</a> ou <a href="https://www.cambridge.org/core/books/crisis-of-russian-democracy/B404BBCD537E4A6D61B00DB3ED5389A2">« dual »</a>, démocratie « qualifiée » ou <a href="https://wwnorton.com/books/9780393331523">« illibérale »</a>, autoritarisme <a href="https://www.cambridge.org/core/books/competitive-authoritarianism/20A51BE2EBAB59B8AAEFD91B8FA3C9D6">« concurrentiel »</a> ou <a href="https://www.nationalreview.com/2013/09/vladimir-putin-neo-soviet-man-clifford-d-may/">« néo-soviétique »</a>… Si plus personne ne se risque à associer la Russie à une démocratie, même imparfaite, le débat académique fait toujours rage en évaluant notamment la pertinence de considérer ce pays comme une <a href="https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691211411/spin-dictators">« dictature »</a>, voire un État <a href="https://www.nytimes.com/2022/05/19/opinion/russia-fascism-ukraine-putin.html">« fasciste »</a>.</p>
<p>Le pouvoir en Russie est fréquemment comparé à un ordre mafieux. Le politiste russe <a href="https://upittpress.org/books/9780822963684/">Vladimir Gelman</a> cite ainsi <em>Le Parrain</em> pour illustrer le concept de « consensus imposé », qu’il définit comme une « offre qu’on ne peut refuser », parce que les bénéfices qu’on tire de la position occupée sont, selon lui, supérieurs au coût de la contestation. Observée depuis la fin des années 1990, la <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-criminalite_organisee_prison_et_societes_post_sovietiques-9782747509497-3910.html">diffusion de l’argot de la pègre dans le monde politique</a> sert souvent de preuve à la démonstration. L’analogie est également reprise par les opposants, notamment Alexeï Navalny lorsqu’il qualifie en 2011 Russie unie de « parti des voleurs et des escrocs », le terme de « voleur » se référant à un statut dans le milieu criminel. L’accusation revient à plusieurs reprises dans cet ouvrage, associant la « dictature de la loi » à des « méthodes de gangsters ». […] </p>
<p>Cette analogie s’est imposée dans de <a href="https://www.jstor.org/stable/10.7591/j.ctvrf8b6f">nombreux travaux historiques et sociologiques</a>. Les pratiques décrites dans cet ouvrage rappellent en effet celles que les acteurs violents déploient pour se maintenir sur un territoire : le clientélisme, c’est-à-dire l’octroi de faveurs en échange de l’allégeance, l’adhésion à des conventions non écrites, l’art de l’intimidation et du chantage, la légitimation par la réponse à une demande d’ordre ou encore la valorisation d’une identité et de valeurs communes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/515141/original/file-20230314-3604-2wbdi8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/515141/original/file-20230314-3604-2wbdi8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/515141/original/file-20230314-3604-2wbdi8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/515141/original/file-20230314-3604-2wbdi8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/515141/original/file-20230314-3604-2wbdi8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/515141/original/file-20230314-3604-2wbdi8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/515141/original/file-20230314-3604-2wbdi8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/515141/original/file-20230314-3604-2wbdi8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « La Verticale de la peur. Ordre et allégeance en Russie poutinienne », paru en mars 2023 aux éditions La Découverte. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions La Découverte</span></span>
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<p>[…]</p>
<p>Irrigué par deux décennies d’enquêtes sur l’usage de la coercition en Russie, ce livre valorise des personnages et des cas qui me semblent illustrer emblématiquement les ressorts ordinaires de l’exercice du pouvoir. Il s’appuie non seulement sur mes travaux, mais aussi sur ma propre expérience : j’ai assisté à la progression de l’autoritarisme dans ce pays et j’ai moi-même fait les frais de la « dictature de la loi » en étant accusé d’espionnage économique, jugé et expulsé du pays en 2008. Rédigé après le début de la guerre en Ukraine, le présent ouvrage tente de faire sens de ces observations à la lumière de l’offensive en cours. Dans un contexte aussi pesant, suscitant colère et amertume, le risque est grand de succomber à la tentation de la sur-rationalisation rétrospective. Le conflit actuel n’était pas inscrit dans les gènes du poutinisme et la formation de l’État russe, soumis sans cesse à des forces contraires et à des évolutions contradictoires, construit par à-coups, accélérations et retours en arrière, aurait pu suivre un cours bien différent. Afin d’éviter tout déterminisme, il s’agit moins d’identifier des causes que de faire sens d’indices montrant comment les forces à l’œuvre dans la « dictature de la loi » depuis plus de vingt ans accompagnent le raidissement autoritaire du régime.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201796/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gilles Favarel-Garrigues ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un récent ouvrage propose une radiographie du poutinisme en évitant aussi bien l’écueil de la focalisation excessive sur la personnalité du président russe que celui du déterminisme culturel.Gilles Favarel-Garrigues, Directeur de recherche, Sciences Po-CERI, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2005682023-02-23T20:32:02Z2023-02-23T20:32:02ZSéisme en Turquie : la catastrophe humanitaire s’explique aussi par la corruption généralisée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511962/original/file-20230223-2744-jvfo37.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=187%2C0%2C1088%2C720&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au moins 45&nbsp;000 personnes ont trouvé la mort après le séisme de magnitude 7,8 sur l’échelle de Richter qui a frappé la Turquie et la Syrie début février.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:2023_Turkey–Syria_earthquake_montage.jpg#/media/File:2023_Turkey_Earthquake_Damage.jpg">Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 6 février 2023, un séisme de magnitude <a href="https://earthquake.usgs.gov/earthquakes/eventpage/us6000jllz/executive">7,8 sur l’échelle de Richter</a> a frappé la Syrie et la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/turquie-21579">Turquie</a>, détruisant notamment Antakya (l’antique cité d’Antioche). Pour les assureurs, il s’agit d’un « act of god », une catastrophe naturelle sans cause humaine, mais l’ampleur des victimes avec 45 000 décès recensés à ce jour (et peut-être plus de 100 000 avec les disparus) et des millions de sinistrés a très vite suscité la colère des Turcs contre l’exécutif.</p>
<p>En réponse, le pouvoir a dénoncé leur indécence face à la « catastrophe du siècle » qui ne serait due qu’à <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/160223/seisme-en-turquie-la-colere-prend-le-pas-sur-le-deuil">« la main du destin »</a> selon le président Recep Tayyip Erdogan. Les autorités ont très vite <a href="https://www.lemonde.fr/en/international/article/2023/02/08/twitter-down-in-turkey-as-quake-response-criticism-mounts_6014930_4.html">coupé le réseau Twitter</a> comme de nombreux sites Internet et procédé à <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2023/02/08/erdogan-turkey-aftermath-earthquake-politics/">l’arrestation des critiques des secours</a> puis le Conseil supérieur de la radio-télévision a sanctionné le 22 février <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/22/seisme-trois-medias-turcs-sanctionnes-pour-avoir-critique-le-pouvoir_6162898_3210.html">trois chaines de télévision</a> qui avaient blâmé le gouvernement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1624740523733819395"}"></div></p>
<p>Les risques sismiques dans la région étaient en effet parfaitement <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-64566296">connus des scientifiques</a>, comme le rappelait le sismologue néerlandais Frank Hoogerbets du Solar System Geometry Survey (SSGEOS) dans un tweet du 3 février dernier « tôt ou tard il y aura un séisme d’une magnitude d’environ 7,5 dans cette région ».</p>
<p>Les accusations se sont ainsi rapidement cristallisées sur l’autorité de gestion d’urgence des catastrophes naturelles, l’AFAD, créée en 2009 et dirigée par Ismail Palakoglu, un diplômé d’une faculté de théologie qui a réalisé l’essentiel de sa carrière au ministère des Affaires religieuses et dénué de compétences dans le domaine. Les équipes d’aide internationales ont d’ailleurs déploré la désorganisation des premiers secours et le peu d’appui de l’AFAD dans leur travail.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1621479563720118273"}"></div></p>
<p>Le gouvernement a même tenté d’entraver l’aide civile : le ministre de l’Environnement, de l’urbanisation et du changement climatique, Murat Kurum, a ainsi décrété que les dons ne pourront être collectés que par l’intermédiaire de l’AFAD et que le <a href="https://rojinfo.com/le-gouvernement-turc-entrave-laide-aux-regions-sinistrees-par-le-seisme/">matériel de secours des organisations non gouvernementales (ONG) sera confisqué</a>.</p>
<h2>Engagements non tenus</h2>
<p>Quand l’actuel président <a href="https://theconversation.com/fr/topics/recep-tayyip-erdogan-21581">Recep Tayyip Erdogan</a> est devenu premier ministre en 2003, quatre ans après le séisme d’Izmit qui avait fait <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Seisme-Turquie-1999-tremblement-terre-dIzmit-faisait-17-000-morts-2023-02-07-1201254106">plus de 17 000 victimes</a>, il s’était engagé à renforcer les normes de construction et les constructions existantes. Pourtant, fin 2022, après un séisme de magnitude 5,9, l’Union des architectes et ingénieurs turcs affirmait dans un communiqué que « la Turquie avait <a href="https://time.com/6253208/turkey-earthquake-syria-updates/">échoué à prendre les mesures nécessaires</a> en cas de tremblement de terre », relevant de sérieux problèmes dans la conception, la construction et le contrôle des bâtiments.</p>
<p>Les premiers responsables de la fragilité des bâtiments sont les promoteurs qui cherchent systématiquement à réduire leurs coûts de construction en employant massivement le béton peu cher et en limitant la quantité d’acier destinée à le renforcer.</p>
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<p>Les dispositifs antisismiques existent pourtant depuis longtemps, comme en atteste la résistance des bâtiments dans des pays à haut risque sismique comme le Japon et le Chili où on a dénombré <a href="https://lepetitjournal.com/istanbul/actualites/seisme-en-turquie-linevitable-questionnement-du-respect-des-normes-de-construction-356572">525 morts et disparus</a> dans un séisme bien plus puissant, de magnitude 8,8 le 27 février 2010. Plus grave encore, pour agrandir les espaces dans les étages inférieurs, les promoteurs turcs détruisent fréquemment certaines colonnes de soutien des immeubles, pour pouvoir ouvrir des magasins ou des chaines de supermarchés.</p>
<p>Pour tenter de calmer la colère populaire, les autorités ont immédiatement arrêté et incarcéré une quarantaine d’entrepreneurs et maîtres d’ouvrage. Pour leur défense, ces derniers ont rejeté la faute sur les autorités locales qui ont accordé les permis de construire, ces dernières reconnaissant ne pas disposer de compétences en interne et se défaussant à leur tour sur les bureaux de certification privés sous-traitants.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Photo de Tayyip Recep Erdogan" src="https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511959/original/file-20230223-787-238kgx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Devenu premier ministre en 2003, Tayyip Recep Erdogan s’était engagé à renforcer les normes de construction.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Recep_Tayyip_Erdogan_%282020-03-05%29_02.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Comme ailleurs dans le monde, ce sont les administrations locales qui délivrent les permis de construire, mais la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/corruption-21440">corruption</a> est telle en Turquie qu’il est facile d’obtenir un permis moyennant le versement d’un pot-de-vin. Preuve par l’absurde d’une corruption locale généralisée, Erzin, une ville de 42 000 habitants située dans une région dévastée n’a subi ni dommage, ni victimes, ni blessés.</p>
<p>Le maire de la commune, Okkes Elmasoglu, a en effet expliqué qu’à la différence de nombre de ses confrères, il n’avait jamais autorisé de construction illégale. « Certains ont essayé », a-t-il précisé, interrogé par <em>Le Monde</em>, « Nous les avons alors signalés au bureau du procureur et pris la décision de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/02/16/derriere-le-bilan-humain-des-seismes-en-turquie-des-annees-de-corruption-et-de-laisser-faire-du-pouvoir_6162015_3210.html">démolir les édifices</a> » en chantier. Dans sa ville, à la différence de ses voisines, la majorité des habitations sont soit individuelles, soit à quatre étages et le bâtiment le plus élevé n’en compte que six.</p>
<h2>Amnisties récurrentes</h2>
<p>La corruption ne se limite pas aux potentats locaux au contraire, elle est même le résultat d’un système généralisé au niveau national mêlant incurie, incompétence, détournement de fonds publics, népotisme et électoralisme méthodiquement tissé depuis vingt ans par Erdogan et son parti, l’AKP.</p>
<p>Créée en 1984 pour pallier le manque de logements sociaux et freiner l’étalement des quartiers informels, l’Agence nationale du logement social (TOKI) rattachée au bureau du premier ministre en 2004 puis au président en 2018 s’est vite imposée comme l’acteur et le promoteur le plus puissant du secteur foncier et immobilier du pays. Outil principal des grands chantiers de logements et d’infrastructures du parti au pouvoir depuis 20 ans, elle a pour mission de faciliter l’accès à la propriété des nouvelles classes moyennes et populaires, cœur électoral du pouvoir en place.</p>
<p>La connivence croissante entre le pouvoir politique et le secteur de la construction, de notoriété publique, a fini par éclater au grand jour le 17 décembre 2013 avec <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2013/12/17/vaste-coup-de-filet-dans-l-entourage-de-m-erdogan-en-turquie_4336062_3214.html">l’arrestation d’une cinquantaine de personnalités</a> accusées de malversations, de corruption et de blanchiment d’argent ainsi que d’avoir délivré des permis de construire mettant en danger la sécurité de certains édifices. Mais six mois plus tard, le nouveau procureur chargé du volet immobilier des enquêtes <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S2212567115000118">abandonnait subitement les charges contre tous les suspects</a>.</p>
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<img alt="Réfugiés dans un gymnase" src="https://images.theconversation.com/files/511961/original/file-20230223-25-lm89i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511961/original/file-20230223-25-lm89i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511961/original/file-20230223-25-lm89i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511961/original/file-20230223-25-lm89i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511961/original/file-20230223-25-lm89i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511961/original/file-20230223-25-lm89i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511961/original/file-20230223-25-lm89i6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le séisme du 6 février a fait des millions de sinistrés.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:2023_Turkey–Syria_earthquake_montage.jpg#/media/File:2023_Gaziantep_Earthquake_Shelter.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>Après chaque séisme, le gouvernement turc procède rituellement à des arrestations de promoteurs qui sont non moins rituellement amnistiés un peu plus tard. Au total, les pouvoirs publics ont accordé une dizaine d’amnisties générales dans le secteur de la construction depuis 2002, permettant ainsi aux propriétaires de logements non conformes de régulariser leur situation moyennant le paiement de droits.</p>
<p>Plus de 7 millions de bâtiments en ont bénéficié, dont 300 000 se trouvent dans les dix villes les plus touchées par l’actuel tremblement de terre. Au moment du séisme, une nouvelle loi d’amnistie était d’ailleurs en discussion au parlement en prévision des prochaines élections…</p>
<h2>Le pouvoir en place fragilisé</h2>
<p>Comme dans les tragédies antiques, le drame du 6 février est peut-être le signe avant-coureur de la fin du règne du président Erdogan. L’État de droit s’est d’ailleurs <a href="https://carnegieeurope.eu/strategiceurope/88887">considérablement affaibli ces 20 dernières années</a> et la Turquie pointe aujourd’hui seulement à la <a href="https://rsf.org/fr/classement-mondial-de-la-libert%C3%A9-de-la-presse-2021-le-journalisme-est-un-vaccin-contre-la">149ᵉ place sur 180 États</a> dans le classement l’ONG Reporters sans frontières en matière de liberté de la presse.</p>
<p>En outre, le niveau de vie des Turcs est laminé par une inflation officiellement proche de 60 % (mais en réalité sans doute du <a href="https://globalvoices.org/2022/09/01/undertones-in-turkeys-plunging-economy-conspiracy-and-corruption-allegations-abound/">double</a> selon les économistes indépendants) provoquée par une politique monétaire absurde qui prétend la <a href="https://www.economist.com/special-report/2023/01/16/the-turkish-economy-is-in-pressing-need-of-reform-and-repair">réduire en diminuant les taux d’intérêt</a>.</p>
<p>Le président Erdogan avait avancé les élections présidentielle et législative initialement prévues en juin au 14 mai 2023 mais le séisme a bousculé ses plans en exacerbant la colère populaire. La constitution interdit en l’état de repousser les législatives (sauf en cas de guerre) et le parti présidentiel ne dispose que de 333 sièges, loin du seuil des 400 parlementaires nécessaire à la modifier.</p>
<p>L’opposition craint toutefois que le pouvoir qui a déclaré l’état d’urgence (et non pas, comme cela aurait été plus logique, l’état de catastrophe naturelle) pour trois mois ne demande un délai pour se consacrer à la reconstruction du pays en transformant l’état d’urgence actuel en un état permanent.</p>
<p>À l’approche du <a href="https://www.herodote.net/29_octobre_1923-evenement-19231029.php">centenaire de la proclamation la République turque</a>, le 29 octobre 1923 par Mustafa Kemal Atatürk, autour des principes de sécularisation, d’occidentalisation et de modernisation du pays, la démocratie turque vit sans doute aujourd’hui son heure de vérité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200568/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Pichet est membre de l'association anticorruption française Anticor et de l'organisation non gouvernementale Amnesty international France.</span></em></p>Les villes qui sont parvenues à limiter les constructions illégales ont enregistré des bilans humains moins lourds après le tremblement de terre du 6 février.Éric Pichet, Professeur et directeur du Mastère Spécialisé Patrimoine et Immobilier, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1988382023-02-01T19:08:25Z2023-02-01T19:08:25ZCorruption et guerre : deux fléaux qui se nourrissent l’un de l’autre<p>L’ONG <a href="https://www.transparency.org/">Transparency International</a> vient de publier son <a href="https://www.transparency.org/en/press/2022-corruption-perceptions-index-reveals-scant-progress-against-corruption-as-world-becomes-more-violent">palmarès des pays du monde selon le niveau de corruption perçue en 2022</a>.</p>
<p>L’étude de ce document confirme, une fois de plus, les liens étroits qui existent entre le degré de corruption d’un pays et le risque que ce pays soit engagé dans une guerre, extérieure ou civile. Dans un cercle vicieux inextricable, un pays plongé dans un conflit voit aussi son niveau de corruption croître.</p>
<h2>Comment évalue-t-on la corruption dans un pays ?</h2>
<p>Depuis sa création en 1995, l’<a href="https://www.transparency.org/en/news/how-cpi-scores-are-calculated">Indice de perception de la corruption (IPC</a>) est devenu le principal indicateur, à l’échelle mondiale, de la corruption dans le secteur public.</p>
<p>Il permet de classer 180 pays et territoires plus ou moins corrompus, en utilisant des données provenant de 13 sources externes, dont celles de la Banque mondiale, du Forum économique mondial, de sociétés privées de conseil et de gestion des risques, de groupes de réflexion et autres.</p>
<p>Les scores attribués – sur une échelle qui va de zéro (0 = forte corruption) à cent (100 = aucune corruption), en fonction du degré de perception de la corruption dans le secteur public – reflètent l’opinion d’experts et de personnalités du monde des affaires.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=278&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=349&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=349&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/507339/original/file-20230131-4525-l80beb.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=349&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Indice de perception de la corruption 2022. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Transparency International</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<h2>La corruption ronge les États…</h2>
<p>La médaille d’or au <a href="https://www.transparency.org/en/cpi/2022">concours des pays les plus corrompus</a> vient d’être remise à la Somalie, suivie du Soudan du Sud, de la Syrie, du Venezuela, du Yémen, de la Libye, du Burundi, de la Guinée équatoriale, de Haïti, et de la Corée du Nord.</p>
<p>Détentrice du titre peu envié de pays le plus corrompu de la planète depuis 2007, la Somalie a <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14747730701695729">plusieurs points communs</a> avec ses « challengers » liés à leur haut niveau de corruption.</p>
<p>Les pays très corrompus sont caractérisés par une grande faiblesse de l’État. La Somalie n’a quasiment plus d’État. Depuis 30 ans, elle a connu deux guerres civiles, des <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/reporters/20221014-somalie-le-cycle-de-la-famine">famines catastrophiques</a>, des <a href="https://journals.openedition.org/rha/7214">interventions internationales ratées</a>, des <a href="https://www.unhcr.org/fr/news/stories/2021/8/611cc7aea/deplaces-refugies-somaliens-peinent-reprendre-cours-vie-face-frequentes.html">flux de réfugiés</a>, des morts par centaines de milliers, la corruption entraînant une absence continue de services et d’institutions étatiques même rudimentaires.</p>
<p>Les Somaliens <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/03056240500329379">vivent dans un environnement de prédations</a>, de menaces omniprésentes et de privations, cette insécurité impliquant des comportements de survie, comme le recours à la corruption pour avoir accès à de la nourriture ou à des médicaments.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LrvwxAHxu4k?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La faiblesse d’un État détérioré par la guerre et la corruption se manifeste aussi au niveau du système judiciaire. Quand l’État est déstabilisé, c’est la loi du plus fort qui s’applique et le plus corrompu peut avoir gain de cause dans un procès, même s’il est coupable. C’est ainsi le cas de la <a href="https://www.stabilityjournal.org/articles/10.5334/sta.522/">Syrie</a>, deuxième sur la liste (à égalité avec le Soudan du Sud), où l’enchevêtrement de la <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2020/07/26/madame-assad-au-coeur-de-la-corruption-detat-en-syrie/">corruption</a> et de la terrible guerre civile a fait du système judiciaire une <a href="https://www.stabilityjournal.org/articles/10.5334/sta.522/">jungle où gagnent ceux qui corrompent le mieux les juges</a>.</p>
<p>Naturellement, la corruption entraîne une perte de confiance des populations dans les institutions publiques, <a href="https://www.researchgate.net/publication/320862388_Corruption_in_sub-Saharan_Africa%E2%80%99s_established_and_simulated_democracies_the_cases_of_Ghana_Nigeria_and_South_Sudan">détruisant la moindre considération dans le système politique</a>, ce qui accroît le risque d’une chute dans la violence politique, comme on le constate notamment au <a href="https://www.brookings.edu/book/dragon-in-the-tropics-2nd-edition/">Venezuela</a>, classé quatrième, qui s’est retrouvé ces dernières années <a href="https://www.rcf.fr/articles/actualite/le-venezuela-un-pays-au-bord-de-la-guerre-civile">au bord de la guerre civile</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-corruption-peut-elle-assassiner-la-democratie-lecons-du-venezuela-111268">La corruption peut-elle assassiner la démocratie ? Leçons du Venezuela</a>
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<h2>… tue la démocratie…</h2>
<p>La corruption détériore le système démocratique par différents biais : les populations reçoivent de l’argent pour voter en faveur du pouvoir, les commissions électorales sont achetées pour proclamer des plébiscites en faveur des dirigeants en place, les candidats indépendants sont menacés et même parfois assassinés…</p>
<p>Ainsi, le <a href="https://www.hrw.org/world-report/2021/country-chapters/south-sudan">Soudan du Sud, deuxième du classement, est un cauchemar démocratique</a>. Ce pays indépendant depuis 2011 et <a href="https://www.msf.fr/decryptages/soudan-du-sud-un-pays-devaste-par-la-guerre">dévoré par la guerre civile depuis 2013</a> est le théâtre de violations permanentes des droits de l’homme : arrestations arbitraires, détentions illégales, tortures, meurtres… Avec la guerre, l’insécurité s’accroît et la corruption se développe encore plus.</p>
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<p>En outre, la <a href="https://diginole.lib.fsu.edu/islandora/object/fsu:204413/datastream/PDF/view">corruption détruit la liberté de la presse</a>. Dans des pays très mal classés en <a href="https://rsf.org/en/index">termes de liberté de la presse</a>, comme la Corée du Nord ou la Russie, la propagande des autorités se déploie sans que le moindre désaccord ne puisse être formulé dans l’espace public, ce qui laisse se propager le discours belliqueux des dirigeants et les agressions se multipliaient.</p>
<p>Pays particulièrement corrompu, le Yémen, cinquième au classement établi par Transparency International, est <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-2-page-17.htm">ravagé par la guerre depuis 2014</a> – un conflit alimenté par la sous-information des populations du fait d’une presse aux ordres des acteurs qui contrôlent les diverses zones du pays. L’ONG Reporters Sans Frontières <a href="https://rsf.org/fr/pays/y%C3%A9men">présente ainsi</a> la situation du pays : « Les médias yéménites sont polarisés par les différents acteurs du conflit et n’ont d’autre choix que de se conformer au pouvoir en place, en fonction de la zone de contrôle dans laquelle ils se trouvent, sous peine de sanctions. »</p>
<h2>… et accroît les inégalités économiques</h2>
<p>Enfin, dans une nation où règne la corruption, une <a href="http://www.accessecon.com/Pubs/EB/2013/Volume33/EB-13-V33-I4-P240.pdf">petite minorité accapare la richesse nationale</a>, la corruption pouvant être <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1056492615579081">définie</a> comme « l’utilisation de son pouvoir personnel à des fins d’intérêts privés contre l’intérêt collectif ».</p>
<p>Quand l’injustice sociale règne, les tensions économiques se développent, ce qui crée un terreau particulièrement favorable à la guerre civile. Le Soudan du Sud a été ainsi dépeint comme une <a href="https://sites.tufts.edu/reinventingpeace/2014/07/30/when-kleptocracy-becomes-insolvent-brute-causes-of-the-civil-war-in-south-sudan/">kleptocratie</a>, un système dans lequel la <a href="https://www.amazon.fr/Thieves-State-Corruption-Threatens-Security/dp/0393239462">classe dirigeante s’approprie les ressources publiques</a> pour son propre profit au détriment du bien-être public.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1230736929953480704"}"></div></p>
<p>L’histoire d’Haïti est également parsemée de despotes, comme la <a href="https://www.jstor.org/stable/pdf/165747.pdf">famille Duvalier</a>, qui ont mis en place un système de prédation économique visant à les enrichir au détriment de leur population.</p>
<h2>Cercle vicieux</h2>
<p>Au final, un cercle vicieux s’est installé qui débute par la corruption, impliquant des tensions permanentes puis des conflits et, par suite, plus de crimes et de guerres.</p>
<p>Comme le montre le dernier indice de corruption de Transparency International, les pays les plus corrompus sont tous des pays instables économiquement, politiquement et socialement. Si tous ne sont pas en guerre, tous sont, selon des modalités différentes en crise profonde.</p>
<p>Au fil des conflits, toutes les institutions de gouvernance ont été détruites. L’insécurité incite à se livrer à tous les trafics. Sans institutions de contrôle, un sentiment d’impunité totale s’installe et la corruption devient systémique. La diffusion de la corruption en fait alors une norme sociale : « corrompre, c’est la seule manière de survivre », pourraient s’exclamer en cœur les populations des pays les plus corrompus…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198838/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bertrand Venard ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’examen du classement mondial des pays selon le degré de corruption que vient de rendre public Transparency International confirme que la corruption alimente la guerre, et réciproquement.Bertrand Venard, Professor, AudenciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963702022-12-12T18:37:06Z2022-12-12T18:37:06ZScandale présumé Qatar–Parlement européen : la nécessité de faire évoluer les règles liées au lobbying<p>Eva Kaili, vice-présidente du Parlement européen, et trois autres personnes ont été <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20221211-%F0%9F%94%B4-corruption-pr%C3%A9sum%C3%A9e-au-parlement-europ%C3%A9en-l-%C3%A9lue-grecque-eva-kaili-%C3%A9crou%C3%A9e">inculpées et écrouées</a> dimanche 11 décembre dans le cadre d’une enquête sur des soupçons de corruption en lien avec le Qatar.</p>
<p>Mme Kaili, députée grecque socialiste, en charge des relations avec le Moyen-Orient au titre de son mandat de vice-présidente, avait récemment <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/CRE-9-2022-11-21-INT-1-137-0000_EN.html">expliqué à ses pairs</a> que le Qatar était « en pointe dans le domaine du droit du travail », que l’organisation de la Coupe du Monde de football dans ce pays était un signe de grand progrès démocratique, et que les élus qui se montraient critiques vis-à-vis du Qatar se livraient à du « harcèlement ».</p>
<p>Samedi 10 décembre, la police belge a trouvé chez elle de pleins sacs de billets <a href="https://www.lecho.be/economie-politique/belgique/general/des-sacs-d-argent-liquide-trouves-au-domicile-de-la-vice-presidente-du-parlement-europeen/10433834.html">(au moins 600 000 euros)</a>, après avoir intercepté son père avec une grosse valise remplie d’argent, qu’il s’apprêtait à ramener en Grèce. Un autre député socialiste, le Belge <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/soupcons-de-corruption-au-sein-du-parlement-europeen-marc-tarabella-eurodepute-belge-a-son-tour-perquisitionne_5538495.html">Marc Tarabella</a>, est également mis en cause. Vice-président de la délégation du Parlement européen pour les relations avec la Péninsule arabique, il estimait récemment que le Qatar était un <a href="https://www.politico.eu/article/qatar-world-cup-2022-human-rights-labor-laws-football-emmanuel-macron-gianni-infantino/">« exemple à suivre »</a> pour les autres pays de la région.</p>
<p>On ne peut pas dire de cette affaire qu’elle est typique de ce qui se passe au Parlement européen. L’institution n’avait, en effet, jamais été confrontée jusqu’ici à un scandale de corruption de cette ampleur.</p>
<p>Mais les révélations illustrent néanmoins deux phénomènes, et appellent à un sursaut.</p>
<h2>Les méthodes du Qatar mises en cause</h2>
<p>Ces faits font voler en éclats le récit que cherchent à imposer depuis des années, et plus encore depuis le début de la compétition, les <a href="https://www.qna.org.qa/fr-FR/News-Area/News/2022-09/15/l%E2%80%99entretien-de-son-altesse-avec-le-magazine-fran%C3%A7ais-le-point">autorités du Qatar</a> et certains de leurs thuriféraires, qui affirment volontiers que le pays serait devenu irréprochable d’un point de vue éthique.</p>
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<p>Si les faits sont avérés, ils confirmeraient une politique mise en place depuis longtemps par un pays dont les autocrates veulent améliorer l’image afin de faciliter leur <a href="https://www.lenouveleconomiste.fr/christian-chesnot-le-qatar-en-100-questions-95494/">stratégie d’investissement à l’échelle internationale</a> et de développer des partenariats commerciaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1601571453073518592"}"></div></p>
<p>À ce jour, le Qatar n’a pas fait la preuve qu’il accueille la Coupe du Monde pour se nourrir des idées des supporters venus des démocraties libérales ou pour en finir avec le conservatisme. Pour l’instant, les autorités demeurent attachées à leur <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2013-1-page-29.htm">vision très traditionnelle de la société</a>. Les leaders qataris semblent surtout se ménager des alliés à coups de millions en embauchant des consultants et des <a href="https://rmcsport.bfmtv.com/football/coupe-du-monde/coupe-du-monde-2022-beckham-signe-un-enorme-contrat-avec-le-qatar-pour-etre-ambassadeur_AV-202110240056.html">porte-parole</a>, et en invitant à Doha toutes sortes de gens influents à assister aux réjouissances.</p>
<p>L’affaire du Parlement, si elle est confirmée par la justice, pourrait montrer une étape supplémentaire : la corruption de responsables politiques, administratifs, économiques et médiatiques. On sait par ailleurs que la justice française enquête sur les conditions de l’attribution de la Coupe du Monde à la monarchie et <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/14/attribution-du-mondial-au-qatar-nicolas-sarkozy-michel-platini-et-le-rachat-du-psg-au-c-ur-de-l-enquete-de-la-justice-francaise_6149853_3224.html">sur un déjeuner à l’Élysée</a>.</p>
<h2>Une évolution nécessaire du fonctionnement du Parlement européen</h2>
<p>Ce scandale présumé illustre aussi le besoin de changement et de réformes au Parlement européen.</p>
<p>De nombreuses affaires révélées par la presse montrent ainsi que la <a href="https://www.rtbf.be/article/quel-depute-europeen-a-rencontre-quel-groupe-dinfluence-quelles-sont-les-regles-du-lobbying-europeen-11121264">pression des lobbies sur ses membres</a> s’accroît proportionnellement à <a href="https://www.touteleurope.eu/institutions/le-parlement-europeen/">l’évolution de ses compétences</a> et de son influence. La présence et les activités des groupes de pression sont déjà <a href="https://www.hatvp.fr/lobbying/actualites/la-regulation-du-lobbying-au-niveau-de-lunion-europeenne/">fortement régulées à l’échelle des institutions européennes</a>, par voie de comparaison avec bien des États membres, mais il faut constamment faire évoluer le droit et les pratiques pour s’adapter au renouvellement de leurs stratégies.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1602048261321543680"}"></div></p>
<p>Il convient aussi de créer un environnement qui n’encourage pas les lobbies à déraper et qui n’attire pas les politiciens les moins soucieux d’éthique. Ainsi, il n’est pas normal que les députés européens puissent encore <a href="https://www.europe1.fr/politique/avocats-consultants-ou-joueur-de-poker-les-deputes-europeens-cumulent-les-activites-paralleles-3706436">exercer des activités de consultant ou d’avocat en marge de leur mandat</a>, et que les émissaires des pays tiers ne soient pas astreints à s’inscrire sur le <a href="https://commission.europa.eu/about-european-commission/service-standards-and-principles/transparency/transparency-register_fr">registre de transparence</a> qui s’impose à toutes les autres personnes qui entendent fréquenter les institutions européennes.</p>
<p>Il est aussi grand temps que les députés européens déclarent la totalité des personnes qu’ils rencontrent dans le cadre de leurs fonctions, et que des règles encadrent strictement les pratiques de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/10/19/pantouflage-a-bruxelles-la-mediatrice-de-l-union-europeenne-pousse-les-feux_6099036_3234.html">pantouflage</a> à l’issue de leur passage au Parlement européen. Il est enfin indispensable que les partis se préoccupent davantage de la probité des candidats à la députation européenne, et que l’Union se dote d’un comité d’éthique indépendant, disposant de larges pouvoirs d’enquête et de sanction.</p>
<p>Voilà déjà trente ans que le Parlement européen débat de ces questions, et de nombreux think tanks, ONG et experts ont formulé de multiples <a href="https://www.anticor.org/2019/02/12/les-propositions-danticor-pour-les-elections-europeennes-2019/">suggestions en la matière</a>. Des progrès ont été faits, mais à un rythme trop lent pour circonvenir les lobbyistes les plus dénués de principes et les députés les plus avides.</p>
<h2>Des leçons à tirer pour l’avenir</h2>
<p>Certes, aucune règle ne pourra jamais empêcher un parlementaire véreux de monnayer son influence auprès d’un commanditaire peu regardant. Mais si les dérives étaient combattues plus fermement par le Parlement européen, si la transparence, la probité et l’éthique étaient au cœur de l’organisation de son travail, l’institution cesserait d’attirer les indélicats et les partis ne prendraient plus le risque de les y envoyer.</p>
<p>Les corrupteurs seraient également plus prudents dans leurs initiatives. Il convient aussi que les autorités européennes et nationales laissent la justice passer, et qu’on ne retrouve pas dans cinq ans les protagonistes de la pantalonnade qatarie dans quelque fonction officielle.</p>
<p>Enfin, il faut combattre le relativisme qui sous-tend la politique étrangère de l’Union européenne. Tous les pays tiers ne sont pas des amis, et tous leurs représentants ne se comportent pas d’une manière acceptable. Certains États, dont chacun devine la liste, emploient des méthodes crapuleuses vis-à-vis de leurs partenaires européens – et le déni et l’angélisme ne sont pas les réponses les plus appropriées à leurs menées.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196370/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Costa est membre de l'Observatoire de l'éthique publique</span></em></p>Le scandale de corruption qui vient d’éclater au sein du Parlement européen jette une lumière crue aussi bien sur les pratiques du Qatar que sur certaines failles des institutions de l’UE.Olivier Costa, Directeur des Études politiques au Collège d'Europe, Directeur de recherche au CNRS, CEVIPOF, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1945872022-11-16T14:27:28Z2022-11-16T14:27:28ZLe boycott de la Coupe du monde aura ses limites, mais le Qatar ne s’en sortira pas indemne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/495482/original/file-20221115-11-eoau6e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C12%2C8614%2C5716&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un homme se prend en photo sur la corniche de Doha, capitale du Qatar, le 11 novembre 2022. Les multiples scandales dans l'organisation de l'événement vont ternir la réputation du pays hôte.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hassan Ammar)</span></span></figcaption></figure><p>Après 36 ans d’attente, l’équipe masculine canadienne de soccer va participer pour la deuxième fois de son histoire à la Coupe du monde 2022 qui se déroulera au Qatar. La compétition commence le 20 novembre et se conclut le 18 décembre prochain.</p>
<p>L’événement, d’envergure planétaire, qui suscite ferveur et passion, est malencontreusement entaché par la nomination comme pays hôte du Qatar, <a href="https://www.amnesty.org/fr/location/middle-east-and-north-africa/qatar/report-qatar/">jugé liberticide et discriminatoire par Amnesty International</a>, et par les préparatifs de la compétition.</p>
<p>Je suis passionné par le soccer (le football) depuis de nombreuses années. J’ai vécu de grands moments individuels et collectifs lors des Coupes du monde précédentes. Or, celle-ci au Qatar me laisse perplexe. Je m’interroge sur le boycott ou non de la présente édition, à titre d’amateur et de sociologue.</p>
<p>En adoptant une sociologie de l’engagement, je souhaite ainsi décortiquer les principaux scandales qui ont secoué le monde sportif, associatif et politique depuis cette nomination, et les limites des appels au boycott qu’on entend depuis.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495486/original/file-20221115-13642-wtm1rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495486/original/file-20221115-13642-wtm1rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495486/original/file-20221115-13642-wtm1rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495486/original/file-20221115-13642-wtm1rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495486/original/file-20221115-13642-wtm1rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495486/original/file-20221115-13642-wtm1rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495486/original/file-20221115-13642-wtm1rn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des activistes protestent contre la tenue de la Coupe du monde et appellent au boycott de l’événement lors d’une manifestation devant l’ambassade du Qatar à Paris, le 15 novembre 2022. Les manifestants ont rendu hommage aux travailleurs migrants qui sont morts pendant les travaux de construction.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Francois Mori)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Scandale sportif et politique</h2>
<p>Depuis l’attribution de la Coupe du monde au Qatar, en décembre 2010, <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20221019-une-coupe-du-monde-achet%C3%A9e-depuis-2010-des-soup%C3%A7ons-de-corruption-p%C3%A8sent-sur-le-qatar">il existe des soupçons de corruption</a>. L’émirat gazier aurait acheté la prestigieuse compétition. Son <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/du-palais-de-l-elysee-aux-couloirs-de-la-fifa-une-attribution-sous-influence-6306577">dossier technique était le moins bon de tous les candidats</a>.</p>
<p><a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/du-palais-de-l-elysee-aux-couloirs-de-la-fifa-une-attribution-sous-influence-6306577">Plusieurs enquêtes de la part des autorités américaines, suisses et françaises</a> corroborent la présence de pot-de-vin.</p>
<p>Cela s’ajoute à la <a href="https://www.lapresse.ca/sports/soccer/2022-11-10/documentaire-sur-netflix/la-corruption-a-la-fifa-exposee.php">longue liste de scandales touchant la gouvernance de la FIFA</a> depuis des décennies.</p>
<h2>Scandale des conditions de travail</h2>
<p>En 2021, le quotidien britannique <a href="https://www.theguardian.com/global-development/2021/feb/23/revealed-migrant-worker-deaths-qatar-fifa-world-cup-2022"><em>The Guardian</em></a> a publié les résultats d’un rapport sur les conditions de travail des travailleurs migrants (majoritairement en provenance du Népal et du Bengladesh). Pour la période de 2011 à 2020, près de 6 750 de ces travailleurs étrangers seraient morts lors des travaux des infrastructures qatariennes (il a fallu construire une dizaine de stades).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495487/original/file-20221115-21-j9vuxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495487/original/file-20221115-21-j9vuxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495487/original/file-20221115-21-j9vuxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495487/original/file-20221115-21-j9vuxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495487/original/file-20221115-21-j9vuxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495487/original/file-20221115-21-j9vuxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495487/original/file-20221115-21-j9vuxu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des travailleurs s’affairent aux derniers préparatifs en vue de la Coupe du monde, à Doha, le 12 novembre 2022. Des milliers d’entre eux seraient morts pendant les travaux de construction. Le Qatar nie les abus.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hassan Ammar)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les conditions de travail ont maintes fois été dénoncées par les <a href="https://www.theguardian.com/global-development/2019/oct/07/sudden-deaths-of-hundreds-of-migrant-workers-in-qatar-not-investigated">médias</a> et les organisations non gouvernementales (ONG), telles que <a href="https://www.hrw.org/news/2022/10/24/will-qatar-and-fifa-remedy-abuse-migrant-workers">Human Rights Watch</a> et <a href="https://www.amnesty.fr/campagnes/qatar-2022-coupe-du-monde-football-ramenez-la-coupe-a-la-raison">Amnesty International</a>. Outre l’extrême chaleur et la rémunération aléatoire, une majorité de travailleurs se sont vu leur passeport confisqué.</p>
<h2>Scandale des droits de la personne</h2>
<p>Outre la discrimination envers les femmes, le Qatar « <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2022/07/11/la-coupe-du-monde-de-la-honte-la-fifa-neglige-les-droits-des-lgbt-au-qatar">réprime les droits des personnes LGBT et punit les relations sexuelles entre personnes de même sexe d’une peine pouvant aller jusqu’à sept ans de prison</a>. »</p>
<p>Le Qatar a garanti que les personnes LGBT+ ne seront pas discriminées, mais Human Rights Watch a récemment « <a href="https://www.liberation.fr/societe/droits-des-femmes/mondial-2022-le-qatar-accuse-de-maltraiter-des-personnes-lgbt-20221024_NW63RYGABBGCHHYPUELBVOFHAU/">documenté six cas de passage à tabac sévères et répétés et cinq cas de harcèlement sexuel en garde à vue entre 2019 et 2022</a> » envers des personnes LGBT+.</p>
<p>Par ailleurs, l’ancien footballeur international qatari et ambassadeur de la Coupe du monde 2022, Khalid Salman, <a href="https://www.lemonde.fr/football/article/2022/11/08/un-ambassadeur-qatari-du-mondial-2022-qualifie-l-homosexualite-de-dommage-mental_6148958_1616938.html">a qualifié il y a quelques jours l’homosexualité de « dommage mental »</a>.</p>
<h2>Scandale environnemental</h2>
<p>La compétition se déroulera au milieu du désert et, pour une première fois de son histoire, la Coupe du monde aura lieu en hiver. Malgré cette mesure pour atténuer les conséquences des chaleurs extrêmes du pays, les stades seront climatisés. Ajoutons que plus de 150 trajets quotidiens en avion sont prévus pour déplacer les supporters vers les stades.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/495485/original/file-20221115-17-dvb80b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/495485/original/file-20221115-17-dvb80b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/495485/original/file-20221115-17-dvb80b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/495485/original/file-20221115-17-dvb80b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/495485/original/file-20221115-17-dvb80b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/495485/original/file-20221115-17-dvb80b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/495485/original/file-20221115-17-dvb80b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le stade Khalifa International, à Doha, au Qatar, le 15 octobre 2022. Comme les autres stades neufs qui accueilleront les compétitions, il sera climatisé durant la durée du tournoi, une ‘aberration écologique ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Nariman El-Mofty)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour les défenseurs de l’environnement, cette compétition est <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20221028-qatar-derri%C3%A8re-la-neutralit%C3%A9-carbone-la-coupe-du-monde-du-greenwashing">l’une des plus grandes aberrations écologiques</a> de l’histoire de la Coupe du monde.</p>
<h2>Regarder ou pas la Coupe du monde ?</h2>
<p>À quelques jours du début de la compétition, une question éthique ou morale s’impose aux amateurs : <a href="https://www.francetvinfo.fr/coupe-du-monde/c-est-la-coupe-du-monde-du-scandale-sportifs-politiques-supporters-ils-racontent-pourquoi-ils-boycottent-le-mondial-au-qatar_5450416.html">faut-il ou non regarder la Coupe du monde de football au Qatar</a>, dans un contexte marqué par les nombreuses aberrations humaines, sociales et écologiques de l’évènement ?</p>
<p>Eric Cantona, ancien footballeur français, <a href="https://www.dailymail.co.uk/sport/football/article-10393613/Eric-Cantona-delivers-crippling-verdict-Qatar-World-Cup.html">a lancé le débat en janvier dernier</a> :</p>
<blockquote>
<p>Le Qatar, ce n’est pas un pays de football, c’est seulement une histoire d’argent, et la manière dont ils ont traité les gens qui construisent les stades est une horreur, des milliers de gens sont morts.</p>
</blockquote>
<p>D’autres personnalités publiques ou politiques, comme l’ancien président de la République française François Hollande, ont affirmé qu’elles boycotteraient cette compétition. Pour <a href="https://www.francetvinfo.fr/coupe-du-monde/c-est-la-coupe-du-monde-du-scandale-sportifs-politiques-supporters-ils-racontent-pourquoi-ils-boycottent-le-mondial-au-qatar_5450416.html">l’écrivain Olivier Guez</a>, « c’est la Coupe du monde du scandale, celle qui illustre toutes les dérives du football. »</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1572930849972310017"}"></div></p>
<p>Enfin, des <a href="https://ici.radio-canada.ca/sports/1914813/quotidien-boycotter-coupe-monde-qatar-ile-reunion--">médias</a> et des <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20221006-boycott-des-%C3%A9crans-g%C3%A9ants-pour-le-mondial-au-qatar-un-choix-politique-%C3%A9conomique-hypocrite">villes</a>, comme <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/coupe-du-monde/coupe-du-monde-2022-a-son-tour-paris-ne-diffusera-pas-les-rencontres-sur-ecran-geant-944106ca-4331-11ed-beb6-555db4e87ef8">Paris</a>, Marseille, Bordeaux ou Lille, ont décidé de boycotter la Coupe du monde pour des raisons morales et économiques. Elles ne diffuseront pas les rencontres sur des écrans géants, comme par le passé.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1575981740380016640"}"></div></p>
<p>Une décision qui ne fait pas l’unanimité. Le maire de Dijon, François Rebsamen, qualifie même le boycott de la compétition de démagogique : « <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20221006-boycott-des-%C3%A9crans-g%C3%A9ants-pour-le-mondial-au-qatar-un-choix-politique-%C3%A9conomique-hypocrite">curieusement, aucune voix ne s’est élevée en 2018 lors du Mondial en Russie, alors même que l’armée de Poutine avait annexé la Crimée</a>. »</p>
<h2>Boycotter la Coupe du monde peut-il vraiment changer la donne ?</h2>
<p>Selon les auteures belges Ingrid Nyström et Patricia Vendramin, qui ont écrit <em>Le Boycott</em>, celui-ci <a href="https://www-cairn-info.proxy.bib.uottawa.ca/le-boycott--9782724617108-page-51.htm">« est un cas tout à fait singulier d’articulation des niveaux d’action individuelle et collective »</a>.</p>
<p>Le fait de boycotter un événement sportif représente une action individuelle à portée collective, car la somme des actions individuelles se matérialise dans une action collective.</p>
<p>Individuellement, le boycott est une opportunité citoyenne de manifester son désaccord concernant une situation dont il n’a pas le contrôle (nomination du Qatar) et que les autres voies diplomatiques n’ont pas résolu (les nombreux scandales et l’absence de réponse adéquate des associations membres de la FIFA, des commanditaires et des diffuseurs). Toujours selon les auteurs de <em>Le Boycott</em>, le citoyen <a href="https://www-cairn-info.proxy.bib.uottawa.ca/le-boycott--9782724617108-page-51.htm">« veut agir en son nom propre, en cohérence avec ses valeurs »</a>, tout en exerçant un poids économique à une organisation (perte de revenus). Le citoyen veut avant tout consommer un produit qui s’inscrit dans une logique cohérente avec ses valeurs.</p>
<p>Cela dit, le mouvement de boycott risque de ne rien changer au déroulement de la Coupe du monde. Ce mouvement arrive trop tard, selon plusieurs observateurs.</p>
<p>Ainsi, selon <a href="https://theconversation.com/profiles/eric-monnin-1319122">Eric Monnin, sociologue du sport</a>, le boycott <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/zoom-zoom-zen/zoom-zoom-zen-du-jeudi-22-septembre-2022-3641289">« n’a aujourd’hui plus beaucoup de sens</a>. Arrêtons de rêver. Il n’y aura pas de boycott significatif parce qu’il y a tellement d’enjeux économiques que, globalement, c’est impossible ! »</p>
<p>En revanche, les nombreux débats sur la pertinence du boycott ou non ont permis de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=B6EDQGr7wlQ">mettre en lumière les enjeux sociaux et environnementaux entourant cette Coupe du monde</a>. Le Qatar a ainsi attiré sur lui des projecteurs qui ont révélé des faits qu’il aurait préféré tenir cachés.</p>
<p>D’ici quelques jours, le partisan de soccer devra décider s’il suivra ou non cette compétition. Il risque de se retrouver coincé entre le désir de vivre des émotions fortes associées à la Coupe du monde tout en voulant être cohérent avec ses valeurs personnelles. <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Avant-la-coupe-du-monde-au-qatar-les-bleus-s-engagent-par-ecrit-pour-les-droits-humains/1364992">Des joueurs ont manifesté leurs malaises</a>. Une question demeure : jusqu’où les partisans, médias, joueurs, fédérations et commanditaires sont-ils prêts à sacrifier leurs valeurs individuelles ou organisationnelles afin de vivre leur passion ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194587/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian J. Y. Bergeron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des scandales financiers, humains et environnementaux secouent la Coupe du monde de la FIFA. Même si les appels au boycott n’empêcheront pas la compétition d’avoir lieu, l’image du Qatar sera ternie.Christian J. Y. Bergeron, Professeur en sociologie de l’éducation, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1942062022-11-09T23:44:48Z2022-11-09T23:44:48ZVladimir Poutine et le fiasco des services secrets russes en Ukraine<p><em>Quand la Russie a lancé son invasion à grande échelle de l’Ukraine le 24 février 2022, Vladimir Poutine s’attendait sans doute à ce que cette « opération militaire spéciale » (selon l’euphémisme systématiquement employé par le Kremlin, qui réfute contre toute logique le terme de « guerre ») se solde par un rapide triomphe. Plus de huit mois plus tard, il n’en est rien : l’Ukraine s’est révélée bien plus déterminée – et bien plus soutenue – que le Kremlin l’avait prévu. Pour comprendre l’erreur d’analyse initiale de la direction russe, nous vous proposons ici un extrait du <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/le-livre-noir-de-vladimir-poutine/9782221265383">« Livre noir de Vladimir Poutine »</a>, ouvrage collectif dirigé par Stéphane Courtois et Galia Ackerman, qui paraît le 11 novembre aux éditions Robert Laffont/Perrin. Ce passage est issu d’un chapitre que l’historien Andreï Kozovoï (Université de Lille), auteur notamment de <a href="https://www.tallandier.com/livre/les-services-secrets-russes/">« Les services secrets russes »</a>, consacre à ce fiasco des services de renseignement dont Moscou n’a pas fini de payer le prix.</em></p>
<hr>
<p>Début mars 2022, moins de deux semaines après le début de l’invasion russe de l’Ukraine, plus aucun doute n’était permis : en lieu et place d’une entrée triomphale dans Kiev, sous les vivats de ses habitants, la glorieuse armée de Poutine fut mise en déroute, subissant de lourdes pertes. L’ombre de la guerre d’Afghanistan (1979-1989) commença à planer sur l’« opération militaire spéciale », les rumeurs allant bon train sur le fait que Vladimir Poutine, « intoxicateur » professionnel, avait lui-même été « intoxiqué ».</p>
<p>Au vu de l’humiliation, de nombreuses têtes devaient inévitablement tomber. En toute logique, Poutine aurait dû d’abord s’en prendre à Alexandre Bortnikov, le directeur du FSB, le Service fédéral de sécurité, et à Nikolaï Patrouchev, secrétaire du Conseil de Sécurité qui, à en croire un <a href="https://www.amazon.fr/Overreach-Owen-Matthews/dp/0008562776/ref=sr_1_5?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&crid=1WDXF3HET3L38&keywords=owen+matthews&qid=1667917227&qu=eyJxc2MiOiIzLjE0IiwicXNhIjoiMi40NyIsInFzcCI6IjIuNDUifQ%3D%3D&sprefix=owen+matthew%2Caps%2C69&sr=8-5">ouvrage à paraître</a>, l’auraient convaincu de privilégier la solution militaire en Ukraine. Poutine aurait dû s’en prendre au ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, et au chef de l’état-major, Valeri Guerassimov, qui l’avaient rassuré en lui vantant « la grande expérience » des troupes russes. […] Les punir pour l’exemple et en public aurait cependant pu s’avérer contre-productif et constituer un aveu d’échec, alors qu’officiellement la Russie n’avait pas dévié d’un iota de son plan en Ukraine. Et puis, Bortnikov, Patrouchev, Choïgou et Guerassimov ont sans doute plaidé « non coupables » en clamant qu’eux aussi avaient été bernés par des rapports, fournis par les services secrets. Des rapports qui décrivaient l’armée ukrainienne comme non opérationnelle, Volodymyr Zelensky en bouffon sans réelle étoffe de président, et misaient sur un Occident désuni et passif, comme en 2014 après l’annexion de la Crimée.</p>
<p>Ces services de renseignement, rappelons-le, sont constitués de trois organisations principales : une militaire, connue sous son nom de la GRU (Direction principale du renseignement) –, placée sous le commandement du ministre de la Défense, mais en réalité de Poutine ; et deux organisations civiles dépendant directement du président de la Fédération de Russie, le SVR, Service de renseignement extérieur, et le FSB, Service fédéral de sécurité, chargé du contre-espionnage, mentionné plus haut.</p>
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<p>Contrairement aux services occidentaux, juridiquement encadrés et contrôlés, les services secrets russes forment l’ossature du système poutinien, l’alpha et l’oméga de sa gouvernance. Leur particularité est de ne pas seulement s’occuper du renseignement, de la collecte et de l’analyse d’informations, mais aussi de remplir des fonctions de police politique, de répression (voire d’élimination) des opposants et des « traîtres », dans la pure tradition soviétique. Les empoisonnements au Novitchok de l’ancien colonel de la GRU <a href="https://www.lemonde.fr/long-format/article/2018/10/22/sur-les-traces-de-serguei-skripal-l-espion-russe-empoisonne-au-novitchok-a-londres_5372660_5345421.html">Sergueï Skripal</a>, en 2018, et de l’opposant <a href="https://theconversation.com/la-memoire-empoisonnee-de-la-russie-aux-origines-de-laffaire-navalny-145207">Alexeï Navalny</a>, en 2020, sont deux exemples récents d’opérations pour lesquelles l’implication des services secrets russes a été démontrée – deux exemples parmi de nombreux autres. Leurs cadres, les <em>siloviki</em> (du mot russe <em>sila</em>, « la force »), sont une « nouvelle noblesse », expression que l’on doit à Nikolaï Patrouchev, ancien directeur du FSB, désormais secrétaire du Conseil de sécurité, qui est perçu comme le plus grand « faucon » du Kremlin.</p>
<p>Au final, ce ne sont donc ni Choïgou, ni Guerassimov, ni Patrouchev, ni aucune autre personnalité de l’entourage de Poutine qui allait faire les frais du fiasco de la « guerre éclair » russe en Ukraine, mais des « seconds couteaux » issus des services secrets et d’abord du FSB, parmi lesquels un haut gradé, Sergueï Besseda, un général de 68 ans, [chef depuis 2008] du Cinquième Service du FSB, le Service des informations opérationnelles et des relations internationales. Accusé en mars 2022 de corruption et d’avoir « sciemment désinformé » ses supérieurs, celui-ci fut d’abord placé en résidence surveillée. Vers la mi-avril, dans le contexte du <a href="https://theconversation.com/de-la-perte-du-croiseur-moskva-au-naufrage-de-la-russie-en-ukraine-181403">naufrage du croiseur <em>Moskva</em></a>, quand Poutine fut incapable de contenir sa colère et exigea des coupables, il fut transféré dans le plus grand secret à Lefortovo, célèbre prison moscovite réservée aux personnalités éminentes.</p>
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<p>[…]</p>
<p>Même si la GRU et le SVR avaient leurs réseaux en Ukraine, c’est le <a href="https://intelnews.org/tag/fsb-fifth-service/">Cinquième Service</a> qui, de l’avis de plusieurs experts, aurait eu la plus grande influence auprès du Kremlin avant le lancement de l’« opération militaire spéciale ». De fait, l’unité ukrainienne dont il avait la charge <a href="https://www.businessinsider.com/russia-fsb-started-expanding-ukraine-unit-years-before-invasion-report-2022-8?r=US&IR=T">passa de 30 personnes en 2019 à 160 à l’été 2021</a>. Des agents envoyés en Ukraine se voyaient confier l’objectif de recruter des collaborateurs et de neutraliser des adversaires de Moscou. C’est Besseda qui aurait donc exercé une influence déterminante sur Poutine par ses analyses et l’aurait convaincu de donner son feu vert. Mais a-t-il « sciemment » désinformé le président russe ? N’était-il pas lui-même convaincu que la conquête de l’Ukraine serait une promenade de santé ? Après tout, on sait aujourd’hui que quelques jours avant l’invasion, les hommes de Besseda avaient envoyé à leurs agents ukrainiens l’ordre de laisser les clés de leurs appartements aux « hommes de Moscou » qui seraient venus organiser l’installation d’un régime marionnette après la victoire de la Russie.</p>
<p>À la décharge de Besseda, il a pu exister au sein du renseignement russe une tendance sinon à désinformer, du moins à croire exagérément dans les chances de succès de cette opération, et ce pour plusieurs raisons. En effet, le renseignement militaire avait amorcé une « mue agressive » depuis 2011, avec la nomination, au poste de premier adjoint du directeur, du général Vladimir Alekseïev. Celui-ci profita du renforcement du rôle de la GRU sous la direction de Choïgou pour devenir le principal collecteur de l’information en provenance d’Ukraine.</p>
<p>À une certaine prudence propre au renseignement militaire aurait succédé, avec cet ancien membre des forces spéciales – les <em>spetsnaz</em> –, la volonté de prendre plus de risques, ce qui pourrait expliquer les opérations d’empoisonnement, dont la plus connue fut celle de Sergueï Skripal en Grande-Bretagne. Ajoutons-y les effets délétères sur l’information de la concurrence entre les renseignements militaire et civil, la GRU et le FSB, qui aurait pu pousser Besseda à vouloir « surenchérir » pour ne pas laisser son adversaire occuper le terrain.</p>
<p>[…]</p>
<p>« Personne n’aime les porteurs de mauvaises nouvelles. » Au fil des ans et des élections truquées, le président a peu à peu perdu le sens des réalités, réduisant son cercle d’amis et de confidents. Les seuls susceptibles d’avoir encore une influence sur lui étaient Alexandre Bortnikov, le directeur du FSB, et Sergueï Narychkine, le directeur du SVR, pour le renseignement civil. Or, Poutine méprise le renseignement – ainsi Narychkine fut-il publiquement humilié le 21 février 2022, trois jours avant l’invasion, en pleine réunion du Conseil de sécurité ; et l’amiral Igor Kostioukov, l’actuel patron de la GRU, serait affublé de sobriquets. Si les services secrets occupent une place centrale dans le processus décisionnel poutinien, paradoxalement, Poutine ne les tient pas en haute estime. […]</p>
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<figcaption><span class="caption">Ukraine : l’échange lunaire entre Poutine et le chef du renseignement extérieur russe, <em>Le Parisien</em>, 21 février 2022.</span></figcaption>
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<p>Dans ce contexte, que restait-il aux « seconds couteaux » comme Besseda, sinon de trier soigneusement l’information pour conforter le Maître dans ses illusions ? […]</p>
<p>Besseda [aurait été libéré et] serait revenu travailler à son bureau de la Loubianka. Il ne faut pas y voir la trace d’une quelconque volonté de le réhabiliter, et encore moins le signe d’une prise de conscience, tardive, chez le président, de ses propres erreurs de jugement, mais plutôt la volonté de limiter le risque d’une aggravation de la situation. […]</p>
<p>De fait, si l’arrestation de Besseda doit être interprétée comme un avertissement lancé aux services de renseignement, au FSB en particulier, sa libération correspond à un « repli tactique » destiné à couper court aux rumeurs sur les divisions internes et les dissensions entre les dirigeants et la « base ». Il s’agit de rassurer les « seconds couteaux » dont dépendent à bien des égards la stabilité du système et la bonne gestion du processus décisionnel.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/494119/original/file-20221108-21-12codc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/494119/original/file-20221108-21-12codc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/494119/original/file-20221108-21-12codc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=941&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/494119/original/file-20221108-21-12codc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=941&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/494119/original/file-20221108-21-12codc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=941&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/494119/original/file-20221108-21-12codc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1183&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/494119/original/file-20221108-21-12codc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1183&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/494119/original/file-20221108-21-12codc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1183&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de « Le Livre noir de Vladimir Poutine », qui vient de paraître aux éditions Robert Laffont/Perrin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Robert Laffont/Perrin</span></span>
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<p>Ce monde de l’ombre est soumis à la pression de l’exécutif, mais également aux sanctions occidentales qui ont mis à mal les réseaux de renseignement russe à l’étranger. Entre février et avril 2022, plus de 450 « diplomates » russes ont été expulsés de 27 pays et d’organisations internationales, soit trois fois plus qu’après le scandale de l’affaire Skripal. Poutine a d’autant plus intérêt à ménager ses cadres du renseignement qu’il est confronté à la présence d’un <a href="https://desk-russie.eu/2022/10/28/comment-les-turbo-patriotes.html">« parti de la guerre »</a>, une fraction des <em>siloviki</em> en désaccord avec les objectifs revus à la baisse de l’« opération militaire spéciale » – non plus la conquête de l’Ukraine, mais l’occupation et l’annexion du Donbass. Ces cadres de la base voudraient voir Poutine annoncer la mobilisation générale et utiliser des armes de destruction massive pour en finir au plus vite.</p>
<p>[…]</p>
<p>La libération de Besseda semble donc indiquer que Poutine tenterait d’apprendre de ses erreurs. L’effet de cette prise de conscience sera-t-il durable ? Cela est peu probable tant que Poutine sera aux commandes, avec sa vision paranoïde du monde et de l’Histoire, son système de valeurs anti-occidental et son obsession d’une Ukraine « dénazifiée », mais aussi tant que le principal modèle d’inspiration des services secrets russes restera le KGB d’Andropov et, de plus en plus, le NKVD stalinien.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194206/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Andreï Kozovoï ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si les services russes ont promis à Vladimir Poutine que l’Ukraine s’effondrerait très rapidement, c’est moins par incompétence que par volonté de lui dire ce qu’il voulait entendre.Andreï Kozovoï, Professeur des universités, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1871962022-08-03T17:41:10Z2022-08-03T17:41:10ZÀ Sri Lanka, deux conceptions de la démocratie se font face<p>Le 20 juillet 2022, les parlementaires sri lankais <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20220720-%F0%9F%94%B4-sri-lanka-l-ex-premier-ministre-ranil-wickremesinghe-%C3%A9lu-pr%C3%A9sident-par-le-parlement">ont élu président</a> à une large majorité Ranil Wickremesinghe pour succéder à Gotabaya Rajapaksa, <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/asie/sri-lanka-on-vous-explique-pourquoi-le-president-a-du-fuir-son-palais_5246857.html">contraint à démissionner par d’amples manifestations</a>. Le vote s’est déroulé avec le décorum hérité de la tradition parlementaire britannique, dans le bâtiment du nouveau Parlement inauguré en 1982, isolé au milieu d’un lac, situé à bonne distance de la capitale et de son agitation.</p>
<p>Dès le lendemain, le nouveau président, après avoir proclamé l’état d’urgence, a fait procéder en pleine nuit à <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220722-sri-lanka-le-principal-camp-de-manifestants-d%C3%A9mantel%C3%A9-par-les-forces-de-l-ordre">l’évacuation des manifestants</a> qui occupaient pacifiquement le bâtiment de l’ancien Parlement datant de 1930, situé au cœur de Colombo, alors qu’ils avaient promis de le quitter le lendemain. Cette action a été <a href="https://www.lesoleil.com/2022/07/22/sri-lanka-le-campement-de-la-contestation-brutalement-demantele-inquietudes-pour-la-dissidence-e1ea1c42d2a1f437b40aca57403afcc5">menée avec brutalité</a> par les forces spéciales de la police et de l’armée, restées proches du président déchu.</p>
<h2>Nouveau gouvernement, anciens ministres</h2>
<p>« On en a assez des combines ! Assez des 225 ! » (225 est le nombre des parlementaires), proclament les leaders de l’<em>Aragalaya</em> (la lutte), qui à partir d’un noyau militant (syndicalistes étudiants, membres du Frontline Socialist Party, jeunes juristes, moines bouddhistes et religieux catholiques) avaient <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2022/07/MEYER/64869">mobilisé contre le régime</a>, entre avril et juillet 2022, des secteurs de plus en plus larges de la population. Ils avaient promis solennellement le 19 juillet, lors d’une <a href="https://www.newsfirst.lk/programs/news1stprimetimebulletin/">conférence de presse</a>, de ne pas entraver le processus légal de désignation du président, tout en récusant la légitimité de Ranil Wickremesinghe, considéré comme l’incarnation d’une classe politique déconsidérée.</p>
<p>En face de lui se présentait Dullas Alahapperuma, dissident du parti créé par les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/12/les-rajapaksa-saga-d-un-clan-qui-a-precipite-le-sri-lanka-dans-l-abime_6134440_3210.html">Rajapaksa</a>, qui ont dominé la vie politique de l’île 17 ans durant, mais poussé par un membre de leur entourage. Le chef de l’opposition, Sajith Premadasa, leader d’une coalition, le Samagi Jana Balawegaya, d’où Wickremesinghe avait été exclu, avait accordé son soutien à Alahapperuma en échange d’une promesse de poste de premier ministre dans un cabinet d’union nationale.</p>
<p>Au sein du nouveau gouvernement, nombre de soutiens de Gotabaya Rajapaksa ont retrouvé les postes qu’ils avaient détenus du temps où ce dernier était à la tête du pays. Ils sont issus d’une coalition dominée par le <em>Sri Lanka Podujana Peramuna</em> (SLPP), plus connu sous le nom de <em>Pohottuwa</em> (le bouton de lotus, emblème bouddhiste choisi comme symbole électoral).</p>
<p>Créée par les Rajapaksa pour gagner les <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-53688584">élections de 2020</a>, cette coalition regroupe des politiciens issus d’une tradition de gauche (comme Dinesh Gunawardena, que Wickremesinghe a choisi comme premier ministre) et des fidèles du vieux parti nationaliste de l’ancienne première ministre Sirimavo Bandaranaike, le Parti de la Liberté de Sri Lanka (SLFP), dont les frères Rajapaksa avaient été autrefois membres dirigeants avant d’en être exclus.</p>
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<p>Du côté de l’opposition, l’ancien parti conservateur-libéral de droite, l’<em>United National Party</em> (UNP), transformé en un parti populiste implanté dans les quartiers urbains, avait pris la tête, à l’occasion des élections de 2020, de la coalition baptisée <em>Samagi Jana Balavegaya</em> (SJB), citée ci-dessus. Son leader, Sajith Premadasa, après avoir écarté la vieille garde représentée par Ranil Wickremesinghe, avait été rejoint par un parti de moines bouddhistes anti-modernistes, le <em>Jathika Hela Urumaya</em> (JHU), et par deux petites formations représentant les minorités tamoule et musulmane.</p>
<h2>Les vestiges d’une politique post-coloniale</h2>
<p>Ce paysage politique confus signe la décadence d’un parlementarisme dont les origines remontent à la <a href="https://www.cambridgescholars.com/resources/pdfs/978-1-5275-4432-1-sample.pdf">période coloniale britannique</a>.</p>
<p>Dès 1931, le gouvernement britannique accorde à l’île un statut d’autonomie assorti d’un système représentatif fondé sur le suffrage universel des deux sexes : il s’agit d’une expérience qui vise à démontrer les vertus universelles du parlementarisme, face aux mouvements nationalistes qui agitent l’Inde voisine. Elle s’appuie sur la présence d’une bourgeoisie enrichie dans l’économie de plantations, composite par ses origines ethnolinguistiques (Cingalais, Tamouls, Eurasiens), et profondément anglicisée. Entre 1931 et 1948, date de l’indépendance de l’île sous forme de dominion, cette classe superficiellement nationaliste soigne sa popularité par une politique de distribution de terres irriguées, et de subventions aux produits alimentaires.</p>
<p>Après l’indépendance, elle gouverne en s’appuyant sur l’UNP créé par D. S. Senanayake. Mais un de ses membres, Salomon Bandaranaike, fait défection pour créer un parti rival, le <em>Sri Lanka Freedom Party</em> (SLFP), qui se proclame le défenseur de la culture majoritaire (la langue cingalaise et la religion bouddhique) et des classes populaires, et emporte les élections de 1956.</p>
<p>Durant un demi-siècle, la démocratie représentative est structurée par la rivalité électorale entre l’UNP et le SLFP, qui alternent au pouvoir, et par les effets de la discrimination en faveur de la majorité cingalaise, qui pousse les représentants de la minorité tamoule (à l’époque 20 % de la population) à former un parti autonomiste. Les institutions ont évolué durant cette période, d’abord par l’abandon du statut de dominion (1972) puis par l’adoption d’un <a href="https://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/srilanka-cst-2000.htm">système présidentiel à la française</a> (1978).</p>
<h2>La décadence du parlementarisme</h2>
<p>Ce système parlementaire a été contesté depuis ses débuts : durant la dépression des années 1930, par des intellectuels trotskistes qui dénoncent les effets dramatiques de l’intégration de l’économie du pays au marché mondial ; dans les années 1940 par des moines radicaux qui cherchent à combiner les principes du bouddhisme et du socialisme ; à la fin des années 1960, par un mouvement étudiant clandestin, inspiré du guévarisme, qui diffuse au sein de la jeunesse cingalaise un idéal de révolution sociale et d’autarcie économique.</p>
<p>Ce <em>Janata Vimukthi Peramuna</em> (JVP) lance en avril 1971 une insurrection qui est écrasée par le gouvernement alors dirigé par le SLFP. Peu après, la jeunesse tamoule se jette à son tour dans l’action armée, avec l’appui de la population du nord de l’île : dès 1974, l’objectif affiché est l’indépendance des régions de culture tamoule, sous le nom d’Eelam. C’est un gouvernement dirigé par le président J. R. Jayewardene (UNP) qui à partir de 1981 entreprend de réprimer violemment ce mouvement sans y parvenir.</p>
<p>Organisés sous la férule d’un seul chef, Prabhakaran, les <em>Liberation Tigers of Tamil Eelam</em> (LTTE) prennent le contrôle au cours des années 1990 de territoires étendus et de populations nombreuses, avant d’être acculés en 2009 à la défaite, accompagnée de massacres de civils, sous la présidence de Mahinda Rajapaksa (alors SLFP). Parallèlement, le JVP reconstitué lance entre 1988 et 1990 une campagne d’assassinats ciblés contre des politiciens cingalais accusés de faiblesse face à l’expansionnisme indien, et ses membres sont les victimes d’une <a href="https://www.amnesty.ch/fr/sur-amnesty/publications/magazine-amnesty/2013-3/sri-lanka-l-horreur-etouffee">répression atroce</a>, sous la présidence de Ranasinghe Premadasa (UNP).</p>
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<figcaption><span class="caption">Sri Lanka : Colombo fête la victoire, Franc 24, 20 mai 2009.</span></figcaption>
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<p>La décadence du parlementarisme vient en partie de son incapacité à intégrer les revendications de la jeunesse, sa seule réponse étant la répression : entre 1971 et 2009, une génération entière de jeunes a été victime des combats, traumatisée par les massacres, ou partie en émigration. L’armée et la police sont devenues les principaux employeurs du pays.</p>
<p>Il est facile d’imputer cet échec à la force des réflexes communautaires qui ont empêché l’émergence d’un sentiment national, mais en dernière analyse, c’est l’incapacité de l’ensemble de la classe politique cingalaise à fidéliser sa base électorale autrement que par le recours à une démagogie identitaire qui en est responsable. L’instrumentalisation du bouddhisme présenté comme constitutif de l’identité de la majorité cingalaise a visé le christianisme présenté comme le produit du colonialisme, dans une moindre mesure l’hindouisme shivaïte considéré comme vecteur de l’hégémonie indienne, enfin l’islam identifié à l’esprit conquérant de ses adeptes.</p>
<p>Elle se traduit sur le plan symbolique par la primauté donnée au bouddhisme dans la Constitution depuis 1972, sur le plan matériel par des donations considérables de l’État au Sangha (l’ensemble des moines), et sur le plan politique par des liens étroits noués entre chaque parti et telle ou telle section du Sangha.</p>
<h2>Le népotisme, une tradition sri lankaise</h2>
<p>Une autre tare originelle du système est <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/12/les-rajapaksa-saga-d-un-clan-qui-a-precipite-le-sri-lanka-dans-l-abime_6134440_3210.html">l’esprit de clan et le népotisme</a>. L’UNP a été dirigé par D. S. Senanayake, puis son fils Dudley, son neveu J. R. Jayewardene, enfin un autre neveu, Ranil Wickremesinghe.</p>
<p>À Salomon Bandaranaïke, fondateur du SLFP, a succédé sa veuve Sirimavo, puis sa fille Chandrika. Les quatre fils de D. A. Rajapaksa, cofondateur du SLFP, Chamal, Mahinda, Basil et Gotabaya, ainsi que son petit-fils Namal, dominent la vie politique depuis 2005.</p>
<p>Sajith Premadasa est le fils de l’ancien président Ranasinghe Premadasa, et Dinesh Gunawardena le fils du fondateur du LSSP. Le favoritisme s’étend au-delà des liens familiaux : le parti au pouvoir fait bénéficier sa clientèle de cadeaux, promotions, dégrèvement d’impôts, privilèges divers (« <em>perks</em> »), toute demande ou candidature auprès des services de l’État requiert une recommandation écrite (« <em>chit’</em> »).</p>
<p>Les politiciens entretiennent des milices mafieuses tolérées par la police qui exécutent leurs basses œuvres. Et le système se finance en ayant recours au marché mondial des capitaux.</p>
<h2>Vers un modèle de démocratie directe</h2>
<p>Face à cet état de choses, longtemps a prévalu le fatalisme : la corruption des politiciens était considérée comme normale, tant que l’économie restait à flot et que la paix civile était préservée. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/17/presidentielle-au-sri-lanka-rajapaksa-en-tete-des-premiers-decomptes_6019466_3210.html">L’élection de Gotabaya Rajapaksa à la présidence</a> en novembre 2019, sur fond de promesses démagogiques et de manipulation du sentiment anti-musulman avant et après les <a href="https://theconversation.com/attentats-a-sri-lanka-comment-se-met-en-place-le-climat-de-terreur-115821">attentats de Pâques 2019</a> (plus de 300 morts dans des attaques contre des églises chrétiennes et des hôtels de luxe, revendiquées a posteriori par l’État islamique), a été suivie de la crise sanitaire, qui a <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Au-Sri-Lanka-Covid-19-accroit-pauvrete-2022-01-05-1201193307">contribué à la faillite financière</a>.</p>
<p>Les pénuries qui en ont résulté ont mis en évidence l’incapacité et la corruption du pouvoir, et déclenché un <a href="https://theconversation.com/sri-lanka-de-la-crise-economique-a-la-crise-politique-183157">mouvement de masse inédit par son ampleur</a>, son caractère non violent et son dépassement des identités ethnoreligieuses. La mobilisation était déjà en gestation dans la « société civile » : en 2015, exigeant un « bon gouvernement » (<em>Yahapalana</em>), elle avait abouti à la défaite de Mahinda Rajapaksa, puis s’était enlisée dans les combines parlementaires. Cette fois, nombre de militants ont pour objectif de réinventer la politique sur le modèle de la démocratie directe.</p>
<p>Proches des idées de la gauche radicale européenne, ils remettent en cause non seulement le régime présidentiel, mais aussi le principe représentatif, proposant la création des conseils populaires contrôlant les élus. Cette tendance fait débat parmi les soutiens de l’<em>Aragalaya</em> comme en témoigne un <a href="https://groundviews.org/2022/07/19/taking-aragalaya-ideas-seriously/">article</a> du politologue Jayadeva Uyangoda qui s’interroge sur la capacité des deux formes de démocratie à « entrer en conversation » – selon ses propres termes. En tout état de cause, le cas sri lankais, si particulier soit-il, ne peut qu’éveiller des échos chez un lecteur européen.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187196/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Paul Meyer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Sri Lanka doit choisir entre deux formes de gouvernance. L’une est l’héritière de près d’un siècle de parlementarisme. L’autre s’inspire des mouvements radicaux qui prônent la démocratie directe.Éric Paul Meyer, Professeur émérite à l'Inalco. Historien, spécialiste du sous-continent indien, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1874002022-07-21T16:28:57Z2022-07-21T16:28:57ZEn Russie, sur fond de guerre en Ukraine, l’élite se débarrasse de ses derniers « libéraux »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/475450/original/file-20220721-10125-5qzshv.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C1%2C1191%2C840&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vladimir Maou, ici décoré par Vladimir Poutine au Kremlin en 2017, ne rencontrera plus le président russe avant longtemps : arrêté le 30 juin dernier, il risque dix ans d’emprisonnement.</span> <span class="attribution"><span class="source">Service de presse de la présidence de la Fédération de Russie</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 30 juin 2022 dernier, provoquant <a href="https://twitter.com/McFaul/status/1542513432930287616">l’étonnement</a> des observateurs de la vie politique russe jusqu’aux plus avertis, le ministère russe de l’Intérieur a annoncé <a href="https://www.themoscowtimes.com/2022/06/30/top-russian-university-head-vladimir-mau-detained-on-fraud-charges-a78164">l’arrestation pour « détournement de fonds par le biais d’emplois fictifs »</a> de Vladimir Maou, économiste reconnu et réputé proche du pouvoir. Assigné à résidence jusqu’au 7 août, il encourt jusqu’à dix ans de colonie pénitentiaire.</p>
<p>Vladimir Maou, 62 ans, est alors le recteur de la puissante <a href="https://www.ranepa.ru/en/">Académie russe de l’économie nationale et de l’administration publique (RANKhiGS)</a>. Celle-ci, également connue sous le sigle anglais de RANEPA, accueille, chaque année, jusqu’à 200 000 auditeurs – qu’ils soient étudiants ou cadres des secteurs privé et public – dont les plus prometteurs sont admis au sein de sa Haute école d’administration publique (VSGU), surnommée « l’école des gouverneurs » car bon nombre de personnalités ayant par la suite été nommées à la tête de sujets de la Fédération de Russie y ont fait un passage.</p>
<p>Comment ce personnage de premier plan, que Vladimir Poutine avait encore largement congratulé lors de <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/64144">leur dernière rencontre publique</a>, en octobre 2020, et qui venait d’être réélu au Conseil d’administration de Gazprom, peut-il se retrouver ainsi dans la tourmente judiciaire ?</p>
<p>Détenteur de la prestigieuse distinction d’« économiste émérite de la Fédération de Russie », régulièrement honoré par le pouvoir, recteur d’une institution de premier plan fondamentale pour l’avenir du régime, Vladimir Maou semblait intouchable. Son cas interpelle d’autant plus qu’il s’était toujours montré parfaitement accommodant avec le Kremlin – et cela, depuis une bonne trentaine d’années.</p>
<h2>Un économiste du régime réputé intouchable</h2>
<p>Ce qui frappe dans la trajectoire de Vladimir Maou depuis les années 1980, c’est le caractère irrésistible de l’ascension d’un économiste non seulement reconnu comme brillant – outre ses deux thèses russes, il a également soutenu une <a href="http://www.theses.fr/1999GRE21055">thèse de doctorat en économie appliquée en France</a>, et est un auteur particulièrement prolifique à l’international – mais aussi dépeint comme un fin tacticien, capable de résister à d’importants changements politiques, voire d’en tirer habilement parti.</p>
<p>Après un cursus au sein du prestigieux <a href="https://www.rea.ru/en/Pages/default.aspx">Institut Plekhanov</a>, et alors qu’il est chercheur à l’Académie des sciences, sa carrière prend un premier tournant décisif sous la première présidence de Boris Eltsine (1991-1996). Il intègre alors le « Centre des réformes économiques » dirigé par <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2009/12/17/egor-gaidar-ancien-premier-ministre-russe_1282091_3382.html">Egor Gaïdar</a>, l’architecte de la <a href="https://www.lesechos.fr/1991/11/boris-eltsine-pret-a-appliquer-une-therapie-de-choc-a-la-russie-955953">thérapie de choc</a> mise en œuvre dès 1991 en Russie et censée permettre un « passage à l’économie de marché sans délai ». Quand Gaïdar est nommé à la tête du gouvernement, le 15 juin 1992, Maou est nommé conseiller du premier ministre, à tout juste 32 ans.</p>
<p>Il accompagne son mentor au sein de l’exécutif pendant deux ans (Gaïdar est premier ministre jusqu’en décembre 1992, puis vice-premier ministre de septembre 1993 à janvier 1994), avant de réintégrer l’Institut Gaïdar et de renouer avec la recherche en science économique. Il en devient le directeur adjoint avant d’être choisi, en 1997, pour diriger le nouveau Centre d’analyse de la politique économique auprès du gouvernement.</p>
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<p>En 2002, et alors que Vladimir Poutine a succédé à Boris Eltsine depuis le 31 décembre 1999, Vladimir Maou devient recteur de l’Académie de l’économie nationale (ANKh), poste auquel il sera reconduit en 2007. Et en septembre 2010, quand Dmitri Medvedev crée, par oukase présidentiel, l’Académie russe de l’économie nationale et de l’administration publique, c’est Maou qui est nommé à sa tête. Il devient également directeur exécutif du comité d’organisation du <a href="https://www.gaidarforum.ru/en/about/">Forum Gaïdar</a>.</p>
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<img alt="Vladimir Mau à l’écran pendant une conférence" src="https://images.theconversation.com/files/475454/original/file-20220721-14525-uiri9t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/475454/original/file-20220721-14525-uiri9t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/475454/original/file-20220721-14525-uiri9t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/475454/original/file-20220721-14525-uiri9t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/475454/original/file-20220721-14525-uiri9t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/475454/original/file-20220721-14525-uiri9t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/475454/original/file-20220721-14525-uiri9t.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vladimir Maou pendant une rencontre du Gaidar Forum autour de la ministre française de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal (deuxième à partir de la droite), en janvier 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ambassade de France en Russie</span></span>
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<h2>Un architecte de la formation des élites et de « l’avenir de la Russie »</h2>
<p>En tant que recteur de la RANKhiGS, Maou occupait une position de pouvoir au croisement des champs de l’enseignement supérieur et de la recherche, de la fonction publique, et de l’expertise sur les réformes et la modernisation de l’État.</p>
<p>Si elle n’existe formellement que depuis 2010, la RANKhiGS est en réalité le produit de l’assemblage de quinze établissements d’enseignement supérieur et de formation continue, préparée et mise en œuvre à l’initiative de l’ancienne équipe de l’Académie de l’économie nationale, dont Maou était, nous l’avons dit, le recteur depuis 2002. Aujourd’hui, cette académie qui se présente comme l’un des « établissements leaders du pays » sur le marché international de l’enseignement supérieur et s’autoproclame « l’avenir de la Russie » est un immense complexe protéiforme comptant plus de cinquante filiales régionales et infrarégionales issues des anciennes écoles du Parti du PCUS. Un réseau que l’équipe de Maou avait pour tâche de réorganiser en en rationalisant le fonctionnement, y compris en fermant les filiales les moins performantes.</p>
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<p>Université au sens traditionnel d’accueil d’étudiants issus du secondaire, la RANKhIGS se veut aussi une <em>business school</em> de haut niveau incarnant la modernité de la formation en management et distribuant des MBA aux cadres du secteur privé ; un conglomérat de centres de recherche en sciences sociales, économiques et juridiques ; un incubateur de start-up ; une école d’administration à destination des hauts fonctionnaires du régime ; ou encore un <em>think tank</em> au service du gouvernement russe. Largement favorisée par le pouvoir depuis sa création en 2010, l’Académie s’est progressivement installée dans le paysage russe de l’enseignement supérieur et la recherche et a développé une intense activité internationale de partenariats et de coopérations afin d’accroître sa légitimité en dépit de son jeune âge.</p>
<h2>Un silence coupable pour tout crime de lèse-majesté</h2>
<p>L’arrestation récente de Vladimir Maou s’inscrit dans une <a href="https://meduza.io/en/news/2021/10/06/russia-s-former-deputy-education-minister-arrested-on-embezzlement-charges">affaire de plus grande ampleur</a> dont les premiers développements judiciaires datent de l’automne 2021 et impliquent, au premier chef, l’ancienne vice-ministre de l’Éducation Marina Rakova, accusée d’avoir fourni des emplois fictifs au sein de la RANKhIGS à douze employés du ministère de l’Éducation, et emprisonnée depuis octobre 2021. Dans le cadre de l’instruction, Marina Rakova aurait, au côté d’autres complices présumés, mis en cause Vladimir Maou.</p>
<p>Mais l’événement déclencheur de l’affaire Maou se cache peut-être dans une liste de noms… où n’apparaît justement pas le sien. En effet, le 4 mars 2022, soit huit jours après le début de l’invasion de l’Ukraine, l’<a href="https://rsr-online.ru/orgstruktura/">Union russe des Recteurs (RSR)</a> publiait un <a href="https://rsr-online.ru/news/2022/3/4/obrashenie-rossijskogo-soyuza-rektorov/">texte</a> soutenant l’« opération militaire spéciale » et affirmant que « les universités ont toujours été un pilier de l’État » et que leur objectif prioritaire doit être de « servir la Russie et de développer son potentiel intellectuel ». L’absence de la signature du recteur Maou interroge et certains médias russes s’en font rapidement l’écho : pourquoi Maou ne soutient-il pas publiquement Vladimir Poutine – se marginalisant <em>de facto</em> ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1546599897293635586"}"></div></p>
<p>On évoque alors ses liens avec la France, où il dispose d’un permis de séjour – circonstance aggravante s’il en est dans le contexte actuel. <a href="https://sibkray.ru/news/2127/952465/">On ajoute</a> qu’un petit groupe de personnes à la tête de l’Académie aurait acquis des biens immobiliers dans le sud de la France où certaines d’entre elles auraient leurs habitudes. De plus, certaines sources rapportent à ce moment-là que le recteur Maou a ni plus ni moins disparu depuis le 24 février, premier jour de la guerre.</p>
<h2>Guerre de palais ou coup de force ?</h2>
<p>Les affaires judiciaires qui secouent actuellement l’Académie présidentielle offrent une visibilité particulière à une guerre intérieure qui ne dit pas son nom mais rejoue un air bien connu des observateurs de la vie politique russe que Marie Jégo, alors correspondante du <em>Monde</em> résumait ainsi : <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2009/12/17/siloviki-contre-siviliki-la-guerre-des-clans-du-kremlin_1282073_3214.html">« Siloviki contre siviliki »</a>. Le premier terme qualifiant les hommes des structures de force (ministères de la Défense et de l’Intérieur, armée, services de sécurité, prokuratura), le second englobant la frange de l’élite au pouvoir traditionnellement plus tournée vers l’occident et gagnée à l’économie de marché qu’on désigne parfois comme les « libéraux systémiques ».</p>
<p>Au-delà du seul cas de Maou et de la question de l’avenir de la RANKHiGS, l’arrestation du recteur corrobore en effet l’hypothèse d’une tentative du régime de se débarrasser des derniers représentants de la frange libérale de l’élite au pouvoir. Dès le jour de l’arrestation de Maou, un recteur par intérim, Maxim Nazarov, était nommé « en lien avec le congé prévu du recteur » (sic). Nazarov faisait déjà partie, depuis 2013, de l’équipe de direction de l’Académie. Seulement, parmi les treize membres composant cette équipe, il était le seul à ne jamais avoir travaillé au sein de l’ANKh sous la direction de Maou. Loin d’être anodine, cette particularité est sans doute l’un des facteurs ayant présidé à sa désignation. Nazarov apparaît désormais en pole position pour succéder à Maou à la tête du paquebot de la formation des cadres de la Russie de demain.</p>
<p>« Première arrestation d’une figure majeure depuis plusieurs années » selon la politologue Ekaterina Schulmann, l’attaque contre Vladimir Maou sonne l’heure des siloviki tandis que leurs traditionnels opposants au sein de l’élite au pouvoir, les « libéraux systémiques », sont aux abonnés absents. En effet, on n’entend guère les principaux représentants de ce camp tels que <a href="https://www.ft.com/content/3450c840-c0a4-11e8-95b1-d36dfef1b89a">Guerman Gref, PDG de la Sberbank</a> ou Alexeï Koudrine, ancien ministre des Finances et <a href="https://fr.obsfr.ru/report/4898/11505/">actuellement à la tête de la Cour des comptes</a>, qui a pourtant osé, par le passé, <a href="https://theconversation.com/economie-russe-quand-un-poids-lourd-du-regime-tire-la-sonnette-dalarme-125770">faire entendre sa voix</a>. Ce dernier serait lui aussi, selon certaines sources journalistiques russes qui se font les relais des enquêteurs, susceptible d’être rattrapé par l’affaire Maou…</p>
<p>De ce point de vue, l’affaire en cours à l’Académie présidentielle résonne avec des condamnations plus anciennes comme celle, en 2016, de l’ancien ministre de l’Économie, <a href="https://www.courrierinternational.com/article/en-russie-verdict-severe-pour-lex-ministre-de-leconomie">Alexeï Oulioukaev</a>, pour corruption, et relance une lutte interne à l’élite que les nécessités de la guerre semblaient avoir un temps apaisée.</p>
<p>Parallèlement à la marginalisation des libéraux qui ne sont pas partis d’eux-mêmes, comme l’a fait l’ancien ministre Anatoli Tchoubaïs, lequel a <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/24/en-russie-anatoli-tchoubais-conseiller-de-poutine-et-figure-liberale-fait-defection_6118948_3210.html">quitté le pays dès le début de la guerre</a>, la montée en puissance des siloviki montre que la guerre en cours a déjà des conséquences sur la composition et les équilibres de l’élite au pouvoir en Russie. Ce nouveau basculement du régime au profit des partisans d’une ligne dure qui se manifeste par une tolérance zéro à la moindre forme de déloyauté annonce très probablement un durcissement encore plus notable du régime.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187400/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Victor Violier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’arrestation du président de la gigantesque Académie russe de l’économie nationale et de l’administration publique montre que la répression s’exerce désormais jusque dans les rangs du pouvoir.Victor Violier, Docteur en science politique de l'Université Paris Nanterre, chercheur postdoctoral au CERI Sciences Po, résident à l'IRSEM, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1867502022-07-14T21:05:32Z2022-07-14T21:05:32ZMalgré la loi Sapin II, les dispositifs internes anticorruption des entreprises restent peu mobilisés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/473345/original/file-20220711-23-23fudb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C1266%2C841&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Malgré la protection des lanceurs d'alerte, les professionnels ne font généralement pas remonter l'information au-delà de leur espace de proximité dans l'organisation.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/homme-d-affaire-silhouette-1477601/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Depuis 2016 et la loi dite <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000033558528">« Sapin II »</a>, la notion <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ethique-20383">d’éthique</a> dans le management a pris une tournure plus concrète. Cette loi vise à renforcer la transparence des pratiques organisationnelles et ambitionne de lutter contre la corruption ou encore le trafic d’influence dans le secteur privé comme celui du secteur public.</p>
<p>Cependant, un rapport parlementaire publié début juillet vient d’en souligner les limites, ce qui pourrait <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/rapport-gauvain-marleix-une-loi-sapin-iii-est-elle-ineluctable-894223.html">ouvrir la voie à une nouvelle version</a> du texte. Plus tôt, en mars 2022, une <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/la-protection-des-lanceurs-d-alerte-quoi-qu-il-en-coute-918364.html">nouvelle loi</a> avait déjà été adoptée pour renforcer la protection des lanceurs d’alerte, en abandonnant l’octroi de ce statut au caractère « grave et manifeste » de la violation dénoncée.</p>
<p>En l’état, le texte de loi Sapin II repose sur <a href="https://datalegaldrive.com/8-piliers-loi-sapin-2/">huit fondamentaux</a> dont l’établissement d’un code de conduite anticorruption, la mise en place de dispositif de lancement d’alerte dans les organisations, l’élaboration d’une cartographie des risques de corruption, l’instauration de procédures d’évaluation des tiers sur leurs pratiques managériales éthiques, l’assurance du caractère honnête des procédures de contrôles comptables, la mise en place de formations ainsi que de mesures disciplinaires et un dispositif de contrôle et d’évaluation interne du management.</p>
<p>La loi Sapin 2 s’inscrit dans trois moments spécifiques de la vie des organisations. Tout d’abord, il s’agit du temps de la prévention de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/corruption-21440">corruption</a> grâce à la mise en place de formations, de codes de conduite ou encore de procédures d’évaluation des pratiques des parties prenantes externes partenaires comme les fournisseurs ou encore les distributeurs.</p>
<p>Le second moment est celui de la détection des comportements non éthiques ; celui-ci devient possible par l’instauration de dispositif de lancement d’alerte ou encore des méthodes de contrôles internes et comptables transparents et vertueux. Le troisième moment concerne la remédiation qui consiste à la mise en place par l’organisation de mesures correctives des pratiques non conformes à l’éthique et l’application de sanctions disciplinaires lorsque la charte éthique organisationnelle n’a pas été respectée.</p>
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<p>Malgré ces dispositions très précises, nous montrons dans nos <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/ri/2021-v76-n4-ri06748/1086004ar/resume/">travaux</a> de recherche qu’il existe encore des insuffisances en faveur du lancement d’alerte sur le terrain, comme l’ont souligné les députés Olivier Marleix (LR) et Raphaël Gauvain (Renaissance). Trois raisons principales peuvent être avancées : les relations avec les parties prenantes de proximité, les risques pour la carrière professionnelle à long terme et les risques de sanction immédiate.</p>
<h2>Dilemmes</h2>
<p>Au quotidien, les managers gèrent des problématiques d’innovation, de délais, de coût, de qualité et de gestion des relations commerciales à plus long terme. Il apparaît que ces objectifs multiples occasionnent des situations dilemmes complexes. Ainsi un acheteur, un logisticien ou un donneur d’ordre peut être incité à accepter de collaborer avec un fournisseur en échange d’un intérêt en retour, d’un cadeau ou parce qu’il se trouve proche d’un des cadres de l’entreprise prestataire.</p>
<p>Dans nos travaux, réalisés au cours de l’année 2021, nous avons exposé 173 professionnels issus de divers secteurs (grande distribution, luxe, banque, transport routier, construction navale, automobile, etc.) à cinq situations dilemmes différentes qui décrivent de façon exhaustive les situations rencontrées par les managers opérationnels :</p>
<ul>
<li><p>La <strong>coercition et le contrôle</strong>, qui renvoient à des forces externes qui contraignent l’individu dans la prise de décision par la menace, l’exercice d’un pouvoir ou le chantage. Cela se retrouve lorsqu’une personne se présente comme déterminante et s’impose dans la réussite d’une affaire en contrepartie d’une compensation financière.</p></li>
<li><p>Le <strong>conflit d’intérêt</strong>, qui caractérise les situations dans lesquelles les objectifs poursuivis s’opposent, dont au moins l’un d’entre eux pourrait aller à l’encontre de l’intérêt organisationnel. Par exemple lorsqu’une personne détient des informations clés protégées par une clause de confidentialité et que l’entreprise tente de les obtenir malgré la loi.</p></li>
<li><p>L’<strong>environnement physique</strong>, qui désigne la prise en compte de l’environnement dans le processus décisionnel en sachant que cet intérêt spécifique peut aller à l’encontre de celui de l’organisation.</p></li>
<li><p>Le <strong>paternalisme</strong>, qui correspond à la recherche d’un équilibre entre les finalités du fournisseur et son autonomie individuelle dans le processus décisionnel. Par exemple, lorsqu’un individu décide seul sans prendre en compte les conséquences possibles des pratiques professionnelles.</p></li>
<li><p>Enfin, l’<strong>intégrité personnelle</strong> détermine les problèmes de conscience du décideur. Cela représente les situations pour lesquelles les décideurs tranchent dans leur décision de diffusion d’information entre enjeux professionnels ou respect de la morale, notamment lorsque la santé des consommateurs peut être menacée, même sur du long terme.</p></li>
</ul>
<p>Nos résultats montrent que les professionnels ne perçoivent pas toujours le caractère non éthique dans les 5 situations présentées. Ils réagissent essentiellement lorsque la santé des consommateurs est clairement menacée ; la santé des parties prenantes est un élément de vigilance privilégié par les managers opérationnels.</p>
<h2>Le poids du contexte</h2>
<p>Par ailleurs, nous montrons que les pratiques managériales éthiques ne peuvent s’appréhender de manière générique ; il faut plutôt prendre en considération leur caractère contingent ainsi que les caractéristiques spécifiques de l’individu, notamment le degré moral cognitif de chacun.</p>
<p>Ce développement moral se retrouve dans le célèbre <a href="https://www.worldcat.org/title/development-of-modes-of-moral-thinking-and-choice-in-the-years-10-to-16/oclc/4612732">dilemme de Heinz</a> : l’épouse de M. Heinz est très malade et elle ne peut survivre que si elle prend un médicament spécifique très cher que son mari ne peut pas acquérir. Il demande au pharmacien s’il peut l’acheter à crédit mais ce dernier refuse aussi on peut se demander comment est susceptible de réagir M. Heinz, doit-il voler le produit ou accepter la situation ?</p>
<p>Ce dilemme renvoie au stade de développement moral cognitif des individus qui peut se subdiviser en trois étapes distinctes :</p>
<ul>
<li><p>La morale préconventionnelle, lorsque les individus raisonnent selon une logique de sanction/récompense. Par exemple Heinz peut craindre de finir en prison s’il vole le médicament.</p></li>
<li><p>La morale conventionnelle, quand les règles et les normes sont respectées. Heinz se résigne à la situation car il respecte la loi.</p></li>
<li><p>La morale postconventionnelle lorsque les personnes fondent leurs décisions selon leurs propres valeurs, logiques. Heinz peut décider d’opter pour une décision alternative en lançant un appel à l’aide citoyen.</p></li>
</ul>
<p>Nos travaux montrent en outre que le management éthique ne peut s’envisager sans considérer le contexte car les professionnels ne décident pas sur les mêmes critères en fonction des situations dilemmes. Un modèle « circomplexe » émerge de nos travaux. Il comprend deux éléments principaux : le degré de risque perçu par les individus face aux situations dilemmes rencontrées et le degré de développement moral des professionnels.</p>
<h2>Secret de proximité</h2>
<p>Selon la loi Sapin II, les professionnels qui sont confrontés à des situations dilemmes doivent lancer l’alerte en respectant 3 étapes clés : (1) informer la hiérarchie, (2) saisir le comité éthique interne, les autorités judiciaires ou administrative, et finalement (3) alerter le grand public.</p>
<p>Bien que la loi prévoit de protéger les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/lanceurs-dalerte-20710">lanceurs d’alerte</a> de représailles de la part de l’entreprise, certains ont témoigné des difficultés rencontrées après leurs révélations, à l’image du <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/actualite/affaire-ubs-nicolas-forissier-le-chemin-de-croix-d-un-lanceur-d-alerte_2175145.html">« chemin de croix »</a> décrit par l’ancien auditeur interne Nicolas Forissie, licencié il y a 13 ans pour avoir dénoncé des pratiques illégales du groupe bancaire suisse UBS.</p>
<p>Les professionnels préfèrent ainsi généralement partager le secret dans leur espace micro-social de proximité, c’est-à-dire avec leurs collègues proches, leur « N+1 » ou leur famille proche. Il apparaît qu’alerter est perçu comme un acte de trahison et que les individus préfèrent privilégier la qualité de leurs relations avec les parties prenantes proches.</p>
<p>Le dilemme rencontré se transforme en secret, car il pourrait devenir un fardeau qui risque de menacer l’équilibre de leur environnement de travail. Si un début de divulgation émerge au sein des espaces de proximité dans le travail et dans le cercle familial, le lancement d’alerte dans des cercles de relation plus « lointains » (professionnels trop éloignés des problématiques de la gestion quotidienne, journalistes, grand public) n’est que très rarement envisagé.</p>
<p>Les professionnels optent donc pour le silence plutôt que la divulgation du secret, même s’ils connaissent l’existence de dispositifs internes anticorruption. En effet, les risques perçus à lancer l’alerte restent trop importants au regard des bénéfices éventuels, même moraux, qu’ils perçoivent à transmettre l’information.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186750/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Un travail de recherche montre notamment que ceux qui pourraient lancer l’alerte ne réalisent pas toujours le caractère non éthique de la situation ou n’osent pas franchir le pas.Anne Goujon Belghit, Maître de Conférences HDR, IAE BordeauxJocelyn Husser, Professeur des Universités, IAE Aix-Marseille Graduate School of Management – Aix-Marseille UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1830672022-05-18T18:21:30Z2022-05-18T18:21:30ZÉlection présidentielle aux Philippines : le triomphe du népotisme dynastique<p>L’élection présidentielle qui vient de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/10/aux-philippines-ferdinand-marcos-junior-le-fils-de-l-ex-dictateur-en-passe-d-etre-elu-president-de-la-republique_6125399_3210.html">se dérouler le 9 mai aux Philippines</a> a permis au pays de battre le record du monde du népotisme dynastique de nature oligarchique pour une démocratie.</p>
<p>Les Philippines sont en effet considérées comme une « démocratie imparfaite » dans le <a href="https://www.eiu.com/n/campaigns/democracy-index-2021/">classement annuel bien connu</a> de l’Economist Intelligence Unit, qui leur donne un score de 6,62 sur un maximum de 10 et une 54<sup>e</sup> place (juste derrière l’Indonésie avec 6,71, au 52<sup>e</sup> rang) et un « régime partiellement libre » par le non moins réputé <a href="https://freedomhouse.org/reports">rapport annuel de Freedom House</a>, avec un score de 55 sur un maximum de 100 (contre 59 pour l’Indonésie).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1524711784476999680"}"></div></p>
<p>Ce népotisme dynastique est un mal très répandu dans le monde et tout particulièrement en Asie où il sévit d’ouest en est, des quatre pays du sous-continent indien aux deux frères ennemis de la péninsule coréenne, en passant par la plupart des nations du Sud-Est asiatique.</p>
<h2>Un népotisme caractéristique des États asiatiques…</h2>
<p>Il y a évidemment des différences de degré d’un pays à l’autre, mais le phénomène est bien omniprésent dans toute l'Asie :</p>
<ul>
<li><p>Pakistan (familles <a href="https://www.ledevoir.com/monde/170101/pakistan-la-famille-bhutto-une-dynastie-marquee-par-la-tragedie">Bhutto</a> et <a href="https://www.france24.com/fr/20170801-pakistan-dynastie-nawaz-sharif-frere-shahbaz-armee-pouvoir-bhutto">Sharif</a>) ;</p></li>
<li><p>Inde (famille <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/03/19/les-nehru-gandhi-une-dynastie-a-bout-de-souffle_6073664_4500055.html">Nehru-Gandhi</a>) ;</p></li>
<li><p>Bangladesh (familles <a href="https://www.lepoint.fr/monde/un-des-meurtriers-du-pere-fondateur-du-bangladesh-a-ete-pendu-12-04-2020-2371058_24.php">Mujibur Rahman</a> et <a href="https://www.britannica.com/biography/Ziaur-Rahman">Ziaur Rahman</a>) ;</p></li>
<li><p>Sri Lanka (familles <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/sirimavo-bandaranaike/">Bandaranaike</a> et <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220511-splendeur-et-chute-d-une-dynastie-politique-dans-un-sri-lanka-%C3%A0-genoux">Rajapaksa</a>) ;</p></li>
<li><p>Birmanie (famille <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/aung-san/">Aung San</a>) ;</p></li>
<li><p>Thaïlande (famille <a href="https://www.courrierinternational.com/article/en-thailande-le-clan-thaksin-de-retour-sur-lechiquier-politique">Thaksin</a>) ;</p></li>
<li><p>Cambodge (famille <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Au-Cambodge-dynastie-Hun-Sen-simpose-2021-12-29-1201192329">Hun</a>) ;</p></li>
<li><p>Singapour (famille <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/13/une-querelle-de-famille-affaiblit-le-premier-ministre-singapourien_5509874_3210.html">Lee</a>) ;</p></li>
<li><p>Indonésie (familles <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/sukarno/">Sukarno</a> et <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/2015/08/12/indonesie-la-famille-suharto-devra-rembourser-324-millions-de-dollars-278011.html">Suharto</a>) ;</p></li>
<li><p>Taiwan (famille <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Jiang_Jieshi/125933">Chiang</a>) ;</p></li>
<li><p>Corée du Sud (famille <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/park/">Park</a>) ;</p></li>
<li><p>Corée du Nord (l’inamovible et ubuesque dynastie des <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/infographie-coree-du-nord-l-incroyable-famille-kim_1951506.html">Kim</a>, qui constitue le record du monde absolu en matière de népotisme dynastique).</p></li>
</ul>
<h2>… auquel n’échappent pas les Philippines</h2>
<p>Depuis <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1946/07/05/l-independance-des-philippines_1880209_1819218.html">leur indépendance en 1946</a> et jusqu’à ce jour, les Philippines se sont toujours distinguées en la matière. C’est notamment le cas pour ce qui est de la fonction présidentielle. Il y a déjà eu deux cas dans l’histoire récente où un « fils ou fille de » a succédé à la tête du pays à son père ou à sa mère.</p>
<p>Le premier est celui de <a href="https://www.britannica.com/biography/Gloria-Macapagal-Arroyo">Gloria Macapagal</a>, qui a dirigé le pays de 2001 à 2010 dans un parfum de corruption effrénée, dans la continuité de son père <a href="https://www.britannica.com/biography/Diosdado-Macapagal">Diosdado Macapagal</a> qui a gouverné à partir de 1961 jusqu’en 1965, année où il a été battu dans les urnes par <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-61379915">Ferdinand Marcos</a>, qui allait imposer une dictature violente et vénale pour plus de vingt ans.</p>
<p>Le deuxième est celui de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/06/24/l-ex-president-des-philippines-benigno-aquino-est-mort_6085481_3210.html">Begnino Aquino III</a> qui a été président de 2010 à 2016, deux décennies après sa mère <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2010-1-page-185.htm">Cory Aquino</a> qui avait elle-même occupé ce poste entre 1986 et 1992. Les deux familles font partie de cette <a href="https://www.persee.fr/doc/receo_0338-0599_1997_num_28_3_2874">oligarchie politique et foncière</a> qui domine le pays depuis toujours et lui a donné la plupart de ses premiers présidents, de <a href="https://www.britannica.com/biography/Manuel-Quezon">Manuel Quezon</a> (1935-1944) à <a href="https://www.britannica.com/biography/Manuel-Roxas-y-Acuna">Manuel Roxas</a> (1946-1948) et <a href="https://www.britannica.com/biography/Ramon-Magsaysay">Ramon Magsasay</a> (1953-1957).</p>
<p>Mais cette fois, tous les précédents records sont battus.</p>
<p>Les Philippins viennent en effet d’élire triomphalement à la présidence <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/asie/philippines-quatre-choses-a-savoir-sur-ferdinand-bongbong-marcos-dont-la-victoire-a-la-presidentielle-inquiete-les-defenseurs-des-droits_5127274.html">Ferdinand Romualdez « Bonbong » Marcos</a>, fils de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/05/10/aux-philippines-le-retour-des-marcos-au-pouvoir_6125456_3210.html">Ferdinand Marcos</a> et de son insatiable épouse <a href="https://www.courrierinternational.com/article/philippines-imelda-marcos-veuve-du-dictateur-enfin-condamnee">Imelda</a>, qui ont régné par la loi martiale, la corruption et la violence, déclenchant la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/philippines-la-dictature-et-le-populisme-en-heritage-3255701">révolution du « People’s Power »</a> qui amènera <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2011-3-page-160.htm">Cory Aquino</a> au pouvoir en 1986.</p>
<figure>
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<figcaption><span class="caption">Philippines : Ferdinand Marcos Junior élu président, la renaissance d’un clan (France 24).</span></figcaption>
</figure>
<p>Par ailleurs, dans une élection séparée, – les Philippines n’ont pas adopté la méthode du « ticket présidentiel » de leur ancienne puissance coloniale étasunienne et l’élection à la présidence et à la vice-présidence ont lieu le même jour mais séparément –, ils ont choisi de confier la vice-présidence à <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Philippines-Sara-Duterte-fille-Rodrigo-Duterte-elue-vice-presidente-2022-05-10-1201214439">Sara Duterte</a>.</p>
<p>Elle est la fille du président sortant <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/philippines-duterte-defend-son-bilan-dans-son-dernier-discours-sur-letat-de-la-nation-1334719">Rodrigo Duterte</a>, élu en 2016 et arrivé au terme de l’unique mandat de six ans autorisés par la Constitution. Ce tribun national-populiste, <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20160510.OBS0134/10-sorties-du-president-philippin-duterte-qui-font-de-trump-un-enfant-de-ch-ur.html">violent et vulgaire</a>, mais toujours très populaire, a fait régner <a href="https://www.france24.com/fr/20170202-philippines-rodrigo-duterte-portrait-president-philippin-drogues-obama-hitler-insultes">l’ordre par la terreur</a> dans l’archipel. Sara lui avait d’ailleurs déjà succédé en 2016 comme <a href="https://www.reuters.com/article/philippines-election-idFRKBN2HU11T">maire de Davao</a>, la grande ville de l’île sud de Mindanao, le fief sur lequel il avait régné pendant près de 25 ans et où il avait « rétabli l’ordre » par les méthodes violentes qu’il privilégie. Beaucoup trouveront certainement navrants l’amnésie, l’aveuglement et le goût obstiné et masochiste des Philippins pour ce genre de personnages…</p>
<h2>La politique des Philippines, fondée sur les dynasties</h2>
<p>En élargissant la réflexion au-delà des élections présidentielles, on s’aperçoit que ce modèle dynastique façonne en profondeur toute la vie politique d’un pays que les élites oligarchiques ont toujours dominé. Dans une démocratie comme les Philippines où les élections sont affaire d’argent, de clientélisme et de désinformation, les partis politiques sont très faibles et au service des représentants de ces riches familles dynastiques.</p>
<p>D’après <a href="https://information.tv5monde.com/info/aux-philippines-le-fils-du-dictateur-ferdinand-marcos-elu-la-tete-du-pays-455939">Julio Teehankee</a>, professeur à l’Université de La Salle à Manille, quelque 320 familles dynastiques se seraient consolidées dans le pays depuis 1898, quand les États-Unis ont supplanté l’Espagne comme puissance coloniale, et en 2009, les membres de 234 d’entre elles détiendraient toujours des fonctions électives !</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1524995393955713024"}"></div></p>
<p>Et selon lui, leur mainmise sur la politique nationale ne fait que s’aggraver. Ainsi, 80 % des gouverneurs de province appartiennent à ces riches dynasties, et elles contrôleraient actuellement 67 % des sièges à la Chambre des représentants et 53 % des postes de maires, contre respectivement 57 %, 48 % et 40 % en 2004. Leur stratégie est basée sur le contrôle héréditaire de fiefs régionaux, provinciaux et municipaux.</p>
<h2>Le maintien des clans Marcos et Duterte</h2>
<p>Le clan Marcos a été particulièrement efficace dans ce domaine. Depuis le <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1991/10/19/philippines-mme-imelda-marcos-annonce-son-retour-a-manille-pour-le-4-novembre_4036393_1819218.html">retour d’exil de leur mère Imelda en 1991</a>, après la <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/10/03/la-mort-de-l-ancien-president-marcos-le-grand-manipulateur_4128055_1819218.html">mort de son mari Ferdinand</a> en 1989 à Honolulu, leur fils « Bonbong » et leur fille Imee se sont « refilé » entre eux, puis avec leur propres fils et filles ou neveux et nièces, les postes de gouverneurs, de sénateurs et de députés de la province d’Ilocos Nord.</p>
<p>Ainsi, après avoir déjà été une première fois gouverneur de la province de 1983 à 1986, avant la chute de son père, « Bonbong », l’est redevenu de 1998 à 2007, puis il a transmis la sinécure à sa sœur Imee de 2010 à 2019 pour occuper des sièges de député de 2007 à 2010 puis de sénateur de 2010 à 2016, année où il a vainement essayé de se faire élire vice-président de Rodrigo Duterte, le candidat qu’il avait soutenu pour la présidence.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1143531895172423680"}"></div></p>
<p>Actuellement, c’est le fils d’Imee, <a href="https://laoagcity.gov.ph/governance/citymayor.html">Michael Keon Marcos</a>, qui est gouverneur, alors qu’elle-même occupe l’un des deux postes de sénateur de la province et que le fils de « Bonbong » est candidat à la députation. La famille Duterte, établie de plus fraîche date, moins riche et plus éloignée de Manille, n’est toutefois pas en reste. Le président sortant le reconnaît d’ailleurs ouvertement quand il dit être fier de son bilan en déclarant :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai une fille candidate à la vice-présidence, un fils membre du Parlement et un autre maire de Davao, je suis comblé. »</p>
</blockquote>
<h2>Quel avenir pour le népotisme aux Philippines ?</h2>
<p>On le voit, toute la politique philippine est une affaire de dynastie, la conquête du pouvoir et sa conservation étant basées sur le système de relève népotique au sein des principales familles oligarchiques du pays.</p>
<p>Il faudrait bien sûr légiférer pour mettre fin à cette mise en coupe réglée de la démocratie et <a href="https://www.ifes.org/philippines">réformer le système électoral du pays</a>, mais il est impensable qu’un Parlement peuplé par des représentants des dynasties politiques adopte des mesures qui entraveraient leur pouvoir. Comme le dit avec humour le même professeur Teehankee cité précédemment : « C’est comme demander à Dracula de garder la banque du sang ! »</p>
<p>Certes, le népotisme dynastique n’est pas l’apanage de l’Asie et on le retrouve sous diverses formes ailleurs dans le monde. Nos démocraties ne sont pas exemptes de ce genre de maux comme le prouve notamment le cas des familles Kennedy, Bush et Clinton aux États-Unis. Cela mériterait toutefois une analyse plus large et approfondie qui dépasse l’objectif restreint de cet article sur les Philippines.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/183067/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Luc Maurer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le retour du clan Marcos au pouvoir, le 9 mai dernier, rappelle l’emprise du népotisme aux Philippines.Jean-Luc Maurer, Professeur honoraire en études du développement, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1796282022-05-18T14:04:56Z2022-05-18T14:04:56ZÉlections au Brésil : quels défis pour Lula face à Jair Bolsonaro ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/455832/original/file-20220401-23422-91v85r.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C1280%2C846&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lula auprès de militants du Mouvement des sans terre, le 21 mars 2022. En avance dans les sondages sur le président sortant, Jair Bolsonaro, sa victoire n'est cependant pas assurée.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://twitter.com/LulaOficial/status/1506001069675003907/photo/1">(LulaOfficial)</a></span></figcaption></figure><p>À cinq mois des élections au Brésil, l’ancien président Lula a une avance confortable sur le président sortant, Jair Bolsonaro. Mais le candidat du Parti des travailleurs a de nombreux défis devant lui.</p>
<p>Les élections présidentielles brésiliennes se tiendront le 2 octobre prochain. À cinq mois de l’échéance, l’ancien président et figure de proue du Parti des travailleurs (PT), Lula da Silva, qui a officialisé sa candidature en grande pompe le 7 mai, est donné favori face au président sortant Jair Bolsonaro avec 42 % contre 35 % d’intentions de vote <a href="https://www.poder360.com.br/poderdata/poderdata-bolsonaro-para-de-crescer-e-lula-mantem-vantagem/">selon les sondages</a>.</p>
<p>En cas de second tour, 11 points sépareraient les deux rivaux. Président de 2002 à 2010, Lula jouit encore d’une très forte popularité, particulièrement dans le nord-est du pays. Déjà candidat à sa réélection en 2018, l’ancien ouvrier métallurgiste avait d’ailleurs appuyé sa campagne sur le bilan positif de ses mandats avec l’idée d’un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=FawNXIwp1UM">« Brésil heureux à nouveau »</a>.</p>
<p>Quatre années après son élection, le gouvernement Bolsonaro a produit des effets dramatiques sur la société brésilienne. <a href="https://theconversation.com/covid-19-au-bresil-comment-jair-bolsonaro-a-cree-un-enfer-sur-terre-159746">Sa gestion catastrophique de la pandémie de Covid-19</a> a fait du géant latino-américain le second pays le plus endeuillé au monde, avec plus d’un demi-million de morts. La déforestation et l’extraction illégale de ressources en territoires autochtones <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1753643/climat-bresil-foret-amazonienne-jair-bolsonaro">ont atteint des records durant son mandat</a>. Son hostilité vis-à-vis des pouvoirs judiciaires ainsi que ses pratiques clientélistes, militaristes et népotiques <a href="https://www.hrw.org/pt/news/2021/09/15/379911">ont quant à elles durablement affaibli une démocratie brésilienne déjà très fragmentée</a>.</p>
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<img alt="Le président brésilien Jair Bolsonaro, fait un salut avec son bras" src="https://images.theconversation.com/files/463704/original/file-20220517-12-xszi6n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463704/original/file-20220517-12-xszi6n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463704/original/file-20220517-12-xszi6n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463704/original/file-20220517-12-xszi6n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463704/original/file-20220517-12-xszi6n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463704/original/file-20220517-12-xszi6n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463704/original/file-20220517-12-xszi6n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le président brésilien Jair Bolsonaro salue ses partisans à son arrivée au rassemblement de la Fête du travail et de la liberté, à Brasilia, le 1ᵉʳ mai 2022. Ses quatre années au pouvoir ont produit des effets dramatiques sur la société brésilienne.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Eraldo Peres)</span></span>
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<p>Doctorant en science politique et spécialisé dans l’étude des mouvements sociaux au Brésil, j’ai notamment travaillé avec des activistes du PT au cours des élections de 2018. Dans cet article, je souhaite revenir sur les principaux défis qui attendent Lula et le Parti des travailleurs à l’approche d’une élection qui s’annonce déterminante pour un pays devenu paria sur la scène internationale depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro.</p>
<h2>Destitution, emprisonnement et scandales de corruption</h2>
<p>En 2016, dans ce qu’elle qualifiera plus tard de <a href="https://g1.globo.com/politica/processo-de-impeachment-de-dilma/noticia/2016/08/integra-do-discurso-de-dilma-apos-impeachment.html">coup d’État parlementaire</a>, la présidente Dilma Rousseff (PT) s’est vue destituée pour motif de « pédalage fiscal » : accusée d’avoir maquillé le déficit budgétaire pour favoriser sa réélection. Le PT s’était quant à lui vu repoussé hors de l’exécutif, malgré sa victoire aux élections présidentielles deux ans plus tôt.</p>
<p><a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/19460171.2017.1363066">Un grand nombre de spécialistes</a>, tant à <a href="https://journals.openedition.org/ideas/2227">l’intérieur qu’à l’extérieur du Brésil</a> ont <a href="https://scielo.conicyt.cl/pdf/revcipol/v37n2/0718-090X-revcipol-37-02-0281.pdf">condamné la procédure</a>, en tant qu’alternance politique non démocratique <a href="https://www.cairn.info/revue-cites-2016-3-page-137.htm">indicatrice d’une inquiétante érosion démocratique</a>.</p>
<p>Deux ans plus tard, Lula se présentait comme candidat à un troisième mandat dans le cadre des élections présidentielles de 2018. <a href="https://theconversation.com/brazil-in-political-crisis-over-jailed-president-4-essential-reads-91143">Emprisonné pour corruption</a> seulement quelques mois avant l’échéance électorale et après une procédure judiciaire douteuse, notamment en raison de sa rapidité d’exécution, son timing et <a href="https://theconversation.com/presidential-corruption-verdict-shows-just-how-flawed-brazils-justice-system-is-90794">surtout son manque de preuves tangibles</a>, il a vu son dauphin Fernando Haddad se qualifier pour un second tour face à Jair Bolsonaro.</p>
<p>Le juge qui avait condamné Lula à huit années de prison, Sergio Moro, était quant à lui pressenti en tant que candidat à la présidence, avant de suspendre sa candidature le 31 mars pour rejoindre le parti conservateur União Brasil. Depuis sa libération en novembre 2019 après 580 jours d’emprisonnement, Lula retrouve la tête d’un Parti des travailleurs durablement associé à la corruption et à la mauvaise gouvernance aux yeux d’une partie de la société brésilienne.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une femme se tient devant un abri temporaire, composé de toiles noires" src="https://images.theconversation.com/files/463705/original/file-20220517-15181-q66vy6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463705/original/file-20220517-15181-q66vy6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463705/original/file-20220517-15181-q66vy6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463705/original/file-20220517-15181-q66vy6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=411&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463705/original/file-20220517-15181-q66vy6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463705/original/file-20220517-15181-q66vy6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463705/original/file-20220517-15181-q66vy6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=516&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une opération en cours visant à retirer les installations utilisées par les sans-abri et les toxicomanes du centre de Sao Paulo, le 4 avril 2022. La population des sans-abri de Sao Paulo a augmenté de 30 % pendant la pandémie de Covid-19. La gestion de la pandémie par le gouvernement Bolsonaro a été catastrophique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Andre Penner)</span></span>
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<h2>Perte de l’assise locale du PT</h2>
<p>Actuellement, le Parti des travailleurs est profondément dépendant de ses leaders nationaux, dont Lula, qui dispute, à 76 ans, sa septième campagne présidentielle. Bien qu’il performe toujours au niveau national (avec cinq qualifications au second tour, dont quatre victoires lors d’élections présidentielles depuis 2002) et qu’il reste la principale force d’opposition au gouvernement, le PT voit son implantation locale s’effriter depuis 2016.</p>
<p>Lors des élections d’octobre 2016, le PT n’a remporté que 254 municipalités, contre 644 en 2012. En 2020 le parti n’obtient que 183 municipalités, et aucune capitale d’État, une première depuis la fin du régime militaire en 1985.</p>
<p>Face à la perte de son implantation locale, ce PT toujours plus centralisé autour de ses leaders ne semble pas s’engager dans la direction d’une reconstruction par le bas, <a href="https://www.sciencespo.fr/opalc/content/amerique-latine-lannee-politique-lapo.html">ni d’un renouvellement de son administration et de sa base militante</a>.</p>
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<img alt="Des arbres en feu avec, à l’avant plan, une vache" src="https://images.theconversation.com/files/463706/original/file-20220517-21-o0swm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463706/original/file-20220517-21-o0swm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463706/original/file-20220517-21-o0swm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463706/original/file-20220517-21-o0swm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463706/original/file-20220517-21-o0swm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463706/original/file-20220517-21-o0swm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463706/original/file-20220517-21-o0swm7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un incendie brûle une zone dans la région d’Alvorada da Amazonia, dans l’État de Para, au Brésil, le 25 août 2019. La déforestation a atteint des niveaux records durant la mandat de Jair Bolsonaro.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Leo Correa)</span></span>
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</figure>
<h2>Constitution d’un front démocratique : la stratégie conciliatrice de Lula</h2>
<p>Pour vaincre l’ex-militaire et président d’extrême droite Jair Bolsonaro, Lula espère constituer autour de lui un vaste front démocratique. Pour cela, le PT a renoué le dialogue avec certains membres du Mouvement démocratique brésilien (MDB), allié de centre droite du PT jusqu’en 2016, avant un retournement soudain d’alliance.</p>
<p>Lula a également choisi comme colistier un rival historique, Geraldo Alckmin, qu’il avait affronté à deux reprises (2002 et 2018), alors que ce dernier était membre du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), alligné à droite. Cette stratégie de conciliation avec des élites de la droite annonce une libéralisation du programme pétiste et confirme le repositionnement du parti vers le centre de l’échiquier politique.</p>
<p>Le PT a également établi une alliance avec le Parti socialisme et liberté (PSOL), d’extrême gauche, dont le président Guilherme Boulos était parvenu au second tour des élections municipales de São Paulo en 2020. En revanche, aucune alliance ne semble à ce stade possible avec Ciro Gomes, candidat de centre gauche arrivé troisième en 2018 avec 12 % des voix.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463435/original/file-20220516-16-yl79xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463435/original/file-20220516-16-yl79xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=614&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463435/original/file-20220516-16-yl79xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=614&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463435/original/file-20220516-16-yl79xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=614&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463435/original/file-20220516-16-yl79xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=771&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463435/original/file-20220516-16-yl79xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=771&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463435/original/file-20220516-16-yl79xi.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=771&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Intentions de vote au premier tour.</span>
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<h2>Vers une polarisation Lula-Bolsonaro</h2>
<p>En face, le président d’extrême droite Jair Bolsonaro (Partido Liberal) <a href="https://noticias.uol.com.br/politica/ultimas-noticias/2021/11/29/pesquisa-atlas---governo-bolsonaro.htm">a vu son taux d’approbation chuter à 19 % fin novembre 2021</a>, notamment en raison de sa gestion catastrophique de la crise sanitaire.</p>
<p>Depuis janvier 2022, il voit les intentions de vote en sa faveur remonter lentement, à mesure que la pandémie se stabilise (environ 75 % des Brésiliens sont aujourd’hui complètement vaccinés). Malgré plusieurs rechutes, en raison notamment de la hausse du prix des combustibles, l’ex-militaire voit l’écart qui le sépare de Lula se résorber progressivement. Dans cette optique, il rallie ses soutiens parmi les évangélistes pour encourager un <a href="https://www.gazetadopovo.com.br/eleicoes/2022/como-bolsonaro-age-para-ampliar-apoio-entre-evangelicos/">vote religieux en sa faveur</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="En gris foncé votes blancs et nuls, en gris clair indécis" src="https://images.theconversation.com/files/463420/original/file-20220516-25-r0etgg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463420/original/file-20220516-25-r0etgg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463420/original/file-20220516-25-r0etgg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463420/original/file-20220516-25-r0etgg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463420/original/file-20220516-25-r0etgg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463420/original/file-20220516-25-r0etgg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463420/original/file-20220516-25-r0etgg.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Intentions de vote en cas de second tour Lula – Bolsonaro.</span>
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<p>Depuis août 2012, Jair Bolsonaro multiplie également les attaques à l’encontre du système de vote électronique, <a href="https://www.nytimes.com/2021/08/10/world/americas/brazil-vote-bolsonaro.html">pourtant effectif au Brésil depuis 25 ans</a>, laissant craindre un refus d’admettre les résultats électoraux en cas de défaite.</p>
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<img alt="Des hommes portant le masque s’affairent autour d’ordinateurs" src="https://images.theconversation.com/files/463701/original/file-20220517-16-547noj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463701/original/file-20220517-16-547noj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463701/original/file-20220517-16-547noj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463701/original/file-20220517-16-547noj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463701/original/file-20220517-16-547noj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463701/original/file-20220517-16-547noj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463701/original/file-20220517-16-547noj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des analystes testent le système de vote électronique au siège du Tribunal suprême électoral à Brasilia, Brésil, le 13 mai 2022. Cette année, les tests du système de vote sont suivis de près, car le président Jair Bolsonaro met en doute l’intégrité du système.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Eraldo Peres)</span></span>
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<p>Ainsi, malgré une avance a priori confortable dans les sondages, la victoire de Lula da Silva est loin d’être garantie, à cinq mois de l’échéance. Pour concrétiser son avantage, il devra consolider une alliance hétéroclite et rassembler autour de lui un véritable front démocratique, capable de répondre à un candidat critiquant publiquement les processus électoraux et démocratiques. La reconstruction du Parti des travailleurs et le renouvellement de son administration devront quant à eux patienter.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/179628/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jonas Lefebvre a travaillé avec des activistes du Parti des travailleurs au cours des élections de 2018.</span></em></p>À 5 mois des élections au Brésil, l’ancien président Lula a une avance confortable sur le président sortant, Jair Bolsonaro. Mais le candidat du Parti des travailleurs a de nombreux défis devant lui.Jonas Lefebvre, Doctorant en science politique, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1818272022-05-11T12:48:01Z2022-05-11T12:48:01ZÉlections au Liban : est-ce la fin pour les dirigeants kleptocrates qui ont mis le pays en faillite ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/462153/original/file-20220510-12-fw3qjj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2048%2C1290&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur cette photo prise le 9 août 2020, cinq jours après l'explosion meurtrière dans le port de Beyrouth, on peut voir un graffiti où il est écrit: « Mon gouvernement a fait ça ». La corruption et l'incompétence de l'élite dirigeante libanaise a fait sombré le pays dans une crise sans précédent.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP/Hussein Malla)</span></span></figcaption></figure><p>Des élections législatives auront lieu le 15 mai au Liban. Elles surviennent trois ans après le début d’une <a href="https://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2021/05/01/lebanon-sinking-into-one-of-the-most-severe-global-crises-episodes">crise économique et financière majeure</a> qui frappe toujours le pays, et moins de deux ans après la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Explosions_au_port_de_Beyrouth_de_2020">dévastatrice explosion du port de Beyrouth</a>, qui a tué 215 personnes et blessé plus 6 500 autres, avec des dégâts estimés à près de quatre milliards d’euros par la Banque mondiale.</p>
<p>Selon la Banque mondiale, <a href="https://www.worldbank.org/en/country/lebanon/publication/lebanon-economic-monitor-fall-2020">cette crise intentionnelle, l’une des pires que le monde ait connues depuis les années 1850, est le résultat</a> de décisions prises par l’élite politique du pays. Son caractère délibéré a fait l’objet d’un documentaire de la journaliste libano-australienne Daizy Gedeon, <a href="https://www.fanforcetv.com/pages/enough">« Enough ! Lebanon’s Darkest Hour »</a>.</p>
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<img alt="Une femme en pleurs tient une photo d’un jeune homme" src="https://images.theconversation.com/files/462113/original/file-20220509-17-d347sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462113/original/file-20220509-17-d347sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462113/original/file-20220509-17-d347sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462113/original/file-20220509-17-d347sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462113/original/file-20220509-17-d347sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462113/original/file-20220509-17-d347sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462113/original/file-20220509-17-d347sw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une mère dont le fils a été tué lors de l’explosion survenue en août 2020 dans le port maritime de Beyrouth tient un portrait de ce dernier lors d’un rassemblement, le 4 avril 2022, pour marquer les vingt mois écoulés depuis la tragédie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hussein Malla)</span></span>
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<p>Nous sommes un groupe de professeurs en science économique, tous d’origine libanaise. En plus de nos postes académiques à l’Université d’Ottawa, à l’University of Sydney, en Australie et à la Lebanese American University, au Liban, nous avons agi à titre de consultants auprès de différent ministères et organismes nationaux et auprès d’organisations internationales.</p>
<p>Nous aimerions partager avec vous notre réflexion basée sur nos résultats de recherche ainsi que sur des résultats produits par d’autres économistes.</p>
<h2>Les origines d’un système népotique</h2>
<p>Depuis l’époque de la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Guerre_du_Liban">guerre civile de 1975-1990</a>, la vie politique libanaise est contrôlée par des chefs de milice et des politiciens extrêmement corrompus. En 1990, les accords de fin de guerre (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Accord_de_Ta%C3%ABf">Accords de Taëf</a>), ont consacré l’emprise de cette élite politique sur le pays.</p>
<p>Ces chefs de milices et leurs alliés politiques, issus des principaux groupes religieux au Liban, ont établi un système économique et politique de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1296329/ghassan-salame-le-liban-est-arrive-a-un-point-ou-un-regime-radicalement-different-doit-etre-envisage.html">kleptocratie redistributive</a>. La nature de ce système népotique est extrême. Les membres de cette élite politique extraient et se partagent le maximum possible de l’État libanais. Ils en redistribuent une petite partie à leur base politique, souvent sous forme d’emplois dans le secteur public.</p>
<p>Ainsi, ce système a amené le pays dans un mauvais équilibre. Aucun membre individuel de cette base politique n’a un intérêt à arrêter de supporter son chef de clan si les autres individus continuent de supporter le système en place. En déviant seul, un individu risque de perdre sa part du peu qui est redistribué et de sombrer dans la pauvreté.</p>
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<img alt="Manifestants" src="https://images.theconversation.com/files/462105/original/file-20220509-15-shi01k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462105/original/file-20220509-15-shi01k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462105/original/file-20220509-15-shi01k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462105/original/file-20220509-15-shi01k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462105/original/file-20220509-15-shi01k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462105/original/file-20220509-15-shi01k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462105/original/file-20220509-15-shi01k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des manifestants tiennent des pancartes lors d’une manifestation contre un nouveau projet de loi sur le contrôle des capitaux qui limiterait le montant que les déposants peuvent retirer, devant le bâtiment du parlement, dans le centre de Beyrouth, le 26 avril 2022. La pancarte à droite indique : Où est la compensation pour le déposant de la livre libanaise.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hussein Malla)</span></span>
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<h2>Un système de Ponzi national</h2>
<p>Vers la fin 2015, l’état libanais étant mis à sac par cette élite politique depuis des décennies, la Banque du Liban (BDL), présentait déjà un déficit de 4,8 milliards USD dans ses réserves nettes.</p>
<p>En avril 2016, ce problème inquiétant a été signalé par le Fonds monétaire international (FMI) dans un <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/before-lebanons-current-financial-crisis-central-bank-faced-47-billion-hole-2021-10-28/">mémo adressé aux autorités libanaises</a>. Cependant, ce mémo n’a jamais été divulgué publiquement à la demande du gouvernement libanais, qui faisait alors face à une forte baisse de confiance de la part de la population.</p>
<p><a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0304407621002311">Dans une de nos études</a>, nous avions analysé les fluctuations du niveau de confiance de la population libanaise envers ses institutions publiques. Les résultats de notre analyse indiquaient en effet une baisse substantielle de la confiance de la population envers toutes les institutions publiques. Les autorités libanaises ont réussi à convaincre le FMI de supprimer cette information de leur rapport officiel de janvier 2017 étant donné leur situation politique précaire et du fait que le parlement devait être réélu en 2018.</p>
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<img alt="Manifestants et soldats" src="https://images.theconversation.com/files/462109/original/file-20220509-17-jumqq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462109/original/file-20220509-17-jumqq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462109/original/file-20220509-17-jumqq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462109/original/file-20220509-17-jumqq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462109/original/file-20220509-17-jumqq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462109/original/file-20220509-17-jumqq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462109/original/file-20220509-17-jumqq1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des manifestants et des soldats se bousculent lors d’une manifestation, le 26 avril 2022. La crise financière et économique a plongé de nombreux libanais dans la pauvreté.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Hussein Malla)</span></span>
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<p>Dans ce contexte politique, les législateurs ont accéléré un système de Ponzi national qu’ils avaient déjà mis en place. Ils ont ainsi voté de <a href="http://www.businessnews.com.lb/cms/Story/StoryDetails/6162/Salary-scale-ratified-by-Parliament">nouvelles échelles de salaires publics avec des augmentations massives des dépenses d’État</a>. Elles ont été financées par ce système qui consistait à attirer des dépôts bancaires en dollars américains dans les banques privées libanaises, qui offraient des taux d’intérêt anormalement élevés. Ces dépôts étaient ensuite utilisés pour financer la dette publique. Cette coordination entre les banques et la classe dirigeante a été rendue possible en raison des <a href="https://oxford.universitypressscholarship.com/view/10.1093/oso/9780198799870.001.0001/oso-9780198799870-chapter-13">fortes connexions entre le secteur bancaire et l’élite politique</a>.</p>
<h2>Acheter les électeurs</h2>
<p>Des <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1077108/grille-des-salaires-le-parlement-vote-les-mesures-de-financement-amendees.html">preuves anecdotiques</a> suggèrent que l’objectif de cette augmentation de l’échelle des salaires était d’acheter l’approbation de l’opinion publique et de préparer le terrain pour leur réélection en 2018. <a href="https://www.ilo.org/beirut/publications/WCMS_732567">Le secteur public emploie 14 % des travailleurs</a>, et cette proportion non négligeable de fonctionnaires constitue une part importante de la base électorale des partis politiques via un système élaboré de favoritisme politique.</p>
<p>Cette base électorale est d’autant plus importante dans le contexte électoral libanais où le <a href="https://www.lcps-lebanon.org/articles/details/2479/understanding-turnout-in-the-lebanese-elections">taux de participation des électeurs est de moins de 50 %</a>. Selon <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0304407621002311">notre étude</a>, ces hausses massives de salaires ont permis à l’élite politique de ralentir la chute du niveau de confiance dans les institutions publiques entre 2016 et 2018.</p>
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<img alt="Un homme tient des fruits dans les mains, en manifestant" src="https://images.theconversation.com/files/462106/original/file-20220509-19-70h3t6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462106/original/file-20220509-19-70h3t6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462106/original/file-20220509-19-70h3t6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462106/original/file-20220509-19-70h3t6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462106/original/file-20220509-19-70h3t6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462106/original/file-20220509-19-70h3t6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462106/original/file-20220509-19-70h3t6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un manifestant tient des œufs et des tomates qui seront jetés sur les voitures de législateurs, lors d’une manifestation contre un nouveau projet de loi sur le contrôle des capitaux, dans le centre de Beyrouth, le 26 avril 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hussein Malla)</span></span>
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</figure>
<h2>Une inflation de 154 % !</h2>
<p>Comment analyser l’impact de toutes ces manœuvres politiques sur le bien-être et la pauvreté de la population ? Malheureusement, le Liban, comme la plupart des pays arabes, <a href="https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/33843">produit très peu d’enquêtes sur les revenus des ménages</a> et lorsqu’il en produit, il en restreint fortement l’accès.</p>
<p>L’objectif de cette opacité statistique est d’empêcher l’évaluation de la performance des dirigeants. Cependant, ceci rend aussi impossible l’élaboration de politiques publiques basées sur des données probantes. <a href="https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/33475">Selon une étude récente de la Banque Mondiale</a>, cette opacité statistique impose une perte de 7 % à 14 % du produit intérieur brut (PIB) per capita dans le monde arabe.</p>
<p>Afin d’atténuer cette opacité statistique, nous avons produit récemment une <a href="https://humcap.uchicago.edu/RePEc/hka/wpaper/Makdissi_Marrouch_Yazbeck_2022_monitoring-poverty-data-Lebanon.pdf">autre étude</a> dans laquelle nous utilisons des sources de données alternatives afin d’étudier les changements dans la distribution du revenu au Liban entre 2016 et 2021.</p>
<p>Nous y constatons une baisse artificielle de la pauvreté au Liban entre 2016 et 2018, compatible avec un financement du type de Ponzi. Cette baisse artificielle s’est produite juste avant les élections, permettant ainsi la réélection de la même classe politique.</p>
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<img alt="Un garçon est consolé par un homme âgé" src="https://images.theconversation.com/files/462107/original/file-20220509-22-44jsj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462107/original/file-20220509-22-44jsj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462107/original/file-20220509-22-44jsj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462107/original/file-20220509-22-44jsj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462107/original/file-20220509-22-44jsj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462107/original/file-20220509-22-44jsj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462107/original/file-20220509-22-44jsj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un garçon et son père assistent à des funérailles à Tripoli, le 27 avril 2022. Une semaine plus tôt, un bateau transportant une soixantaine d’hommes, de femmes et d’enfants, qui tentaient de rejoindre l’Europe, a coulé en Méditerranée après être entré en collision avec un navire de la marine. La crise pousse de nombreux libanais à fuir leur pays.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hassan Ammar)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Malheureusement, le niveau de dépenses publiques étant insoutenable, ce système s’est effondré peu après les élections. Cela a entraîné une crise bancaire majeure imposant aux déposants sans connexion politique des difficultés majeures à accéder <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/04/03/le-braquage-du-si%C3%A8cle-des-banques-au-liban_6075475_3210.html">à leurs comptes bancaires</a>.</p>
<p>En plus d’avoir des difficultés à accéder à leur épargne, les Libanais ont dû faire face à des <a href="https://data.worldbank.org/indicator/FP.CPI.TOTL.ZG?locations=LB">taux d’inflation de 84,9 % en 2020 et de 154,8 % en 2021 alors que l’inflation a été en moyenne de 3.1 % durant les dix années précédentes</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un homme de dos charge des sacs de farine dans un camion" src="https://images.theconversation.com/files/462321/original/file-20220510-22-yg49aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462321/original/file-20220510-22-yg49aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462321/original/file-20220510-22-yg49aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462321/original/file-20220510-22-yg49aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462321/original/file-20220510-22-yg49aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462321/original/file-20220510-22-yg49aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462321/original/file-20220510-22-yg49aa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un homme charge des sacs de farine dans un camion chez Modern Mills of Lebanon, à Beyrouth, le 12 avril 2022. La Banque mondiale a approuvé un prêt de 150 millions de dollars pour la sécurité alimentaire au Liban, afin de stabiliser les prix du pain pour les six prochains mois. Le prix des denrées alimentaires a augmenté de 1000 %.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Hussein Malla)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le prix des denrées alimentaires a été encore plus affecté, puisque selon le Programme alimentaire mondial des Nations unies, <a href="https://twitter.com/WFPLebanon/status/1498219348762284035?s=20&t=kjP1ULSSPpfUEfJbD148sw">elles ont augmenté de 1000 %</a> (c.-à-d., multiplié par onze). Notre étude indique que la stratégie d’achat de votes coûteuse a ainsi contribué à une <a href="https://humcap.uchicago.edu/RePEc/hka/wpaper/Makdissi_Marrouch_Yazbeck_2022_monitoring-poverty-data-Lebanon.pdf">augmentation de la pauvreté entre 2018 et 2021</a> l’entraînant à des niveaux plus élevés que ceux de 2016.</p>
<p>Face à ce coût énorme imposé, est-ce que les Libanais auront le courage de s’opposer à cette élite politique traditionnelle lors des élections du 15 mai ? Ou resteront-ils prisonniers de ce mauvais équilibre social qui met le pays entier sur le respirateur artificiel ? Espérons que cette élection sera au moins une première étape vers l’organisation des forces de l’opposition, qui pourront faire face à ce régime kleptocratique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181827/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span><a href="mailto:walid.marrouch@lau.edu.lb">walid.marrouch@lau.edu.lb</a> est membre de Lebanese American University, CIRANO, et ERF. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Ali Fakih, Myra Yazbeck, Paul Makdissi et Rami Tabri ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Des chefs de milices et leurs alliés politiques ont établi un système économique et politique de kleptocratie redistributive. Ils extraient et se partagent le maximum possible de l’État libanais.Paul Makdissi, Professor of Economics, L’Université d’Ottawa/University of OttawaAli Fakih, Associate professor, Lebanese American UniversityMyra Yazbeck, Associate professor, L’Université d’Ottawa/University of OttawaRami Tabri, Senior Lecturer, University of SydneyWalid Marrouch, Associate professor, Lebanese American UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1826872022-05-09T18:38:08Z2022-05-09T18:38:08ZGuerre en Ukraine : l’économie russe est à la peine<p>Après des semaines de guerre, comment l’économie russe se porte-t-elle ? En deux mots : moins bien qu’anticipé, et le pire reste à venir.</p>
<p>Avant la guerre, l’économie russe, bien que <a href="https://www.themoscowtimes.com/2021/03/02/has-russia-beaten-boom-and-bust-a73126">stagnante</a>, était considérée comme à l’abri des crises macroéconomiques. Pour utiliser une image couramment employée par les économistes : enlisée dans une tourbière, elle était peu susceptible de chuter d’une falaise.</p>
<p>Depuis 2013, son PIB a progressé d’environ 1 % par an en moyenne. Côté face, la conjonction de la corruption, de la pesanteur de l’État, du lien intime des hommes d’affaires avec la politique et de son isolement vis-à-vis de l’économie mondiale a miné sa croissance potentielle. Mais, côté pile, d’un point de vue macroéconomique, elle a su rester stable en bénéficiant d’une dette souveraine peu importante, d’un fonds souverain conséquent et d’importantes réserves de change. Par ailleurs, son régime fiscal conservateur et sa politique monétaire de lutte contre l’inflation ont également contribué à une croissance modeste et régulière.</p>
<p>Ainsi, à l’approche de la guerre, les économistes avaient coutume de présenter l’économie russe comme une « forteresse » résistant aux sanctions. Seule une éventuelle déconnexion décidée par l’Occident du <a href="https://theconversation.com/us-eu-sanctions-will-pummel-the-russian-economy-two-experts-explain-why-they-are-likely-to-stick-and-sting-177896">système mondial de paiement interbancaire Swift</a> semblait de nature à faire vaciller le système. C’est pourquoi, après la menace proférée par les États-Unis d’exclure la Russie de Swift en 2014, Moscou a développé un système alternatif : le <a href="https://abtc.ng/russias-alternative-to-swift-what-is-spfs/">SPFS (System for Transferring Financial Messages</a>). Bien qu’imparfait et limité à la seule Russie, il est fonctionnel depuis 2017.</p>
<h2>L’Occident s’attaque à la forteresse Russie</h2>
<p>Depuis le début de la guerre, l’Occident a mis en œuvre des sanctions beaucoup plus sévères. La tour centrale de la forteresse a été réduite en ruines. Les sanctions ont également visé la Banque centrale, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/10/guerre-en-ukraine-le-gel-des-reserves-de-la-banque-centrale-russe-un-coup-de-tonnerre-sur-la-planete-monetaire_6116860_3232.html">gelant les réserves de devises étrangères</a>, touchant par là même l’indispensable fonds souverain.</p>
<p>La panique financière qui s’en est suivie a conduit la Banque centrale à contrôler les capitaux, à relever son taux d’intérêt directeur de 9,5 % à 20 % et à fermer les marchés financiers pendant plusieurs semaines. Le gouvernement a également demandé aux principaux exportateurs de combustibles fossiles de rapatrier 80 % de leurs recettes d’exportation et de les convertir en roubles. Malgré ces mesures, l’inflation est montée en flèche, atteignant 2 % par semaine au cours des trois premières semaines, puis 1 % par semaine par la suite (1 % par semaine équivaut à 68 % par an).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/TIEw4lKcvqY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">En Russie, une population résignée face à l’inflation galopante (France 24, 28 mars 2022).</span></figcaption>
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<p>Les contrôles à l’exportation et le boycott du marché russe par les entreprises occidentales ont davantage isolé la Russie de l’économie mondiale. Les États-Unis et le Canada ont interdit l’achat de pétrole russe, et de nombreuses entreprises européennes ont suivi leur exemple. Plus important encore, les <a href="https://www.federalregister.gov/documents/2022/03/03/2022-04300/implementation-of-sanctions-against-russia-under-the-export-administration-regulations-ear">États-Unis</a> et l’Europe ont interdit l’exportation de technologies de pointe vers la Russie, et le secteur privé s’est joint à l’embargo. Des entreprises allant d’Ikea et McDonald’s à Airbus et Boeing ont suspendu leur activité en Russie.</p>
<p>Or, la plupart des industries russes dépendent de manière critique de la technologie et des apports occidentaux. Ainsi, le secteur automobile est au point mort, frappé de plein fouet par sa dépendance extrême à l’égard des composants importés jusqu’alors sous-estimée. Au mois de mars, les <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-04-06/russian-car-sales-collapse-as-war-leads-to-supply-price-shocks">ventes de voitures</a> ont été trois fois moins élevées qu’à la même période en 2021. Ce phénomène est d’autant plus frappant qu’en période de forte inflation, les ménages ont tendance à orienter leurs achats sur des biens durables.</p>
<h2>Des signes annonciateurs</h2>
<p>Dans ce contexte, aucune surprise à ce que les prévisions du PIB pour 2022 aient été immédiatement revues à la baisse. Avant la guerre, on s’attendait à une croissance de 3 % pour 2022, à la suite de la récession consécutive à la pandémie. Aujourd’hui, la <a href="https://interfax.com/newsroom/top-stories/76360/">Banque centrale</a> prévoit une baisse de 8 %. De son côté, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement anticipe une <a href="https://www.ebrd.com/news/2022/ebrd-sees-war-on-ukraine-causing-major-growth-slowdown.html">baisse de 10 %</a>, prévision sur laquelle s’accordent de nombreuses banques d’investissement. Une telle baisse signifierait que la Russie connaîtrait sa pire récession depuis le début des années 1990. L’Institute for International Finance, basé à Washington, annonce pour sa part une <a href="https://www.reuters.com/markets/rates-bonds/russias-gdp-fall-15-this-year-ukraine-linked-sanctions-iif-2022-03-10/">baisse de 15 %</a>.</p>
<p>Toutefois, le pire est à venir. Même si l’économie russe pourrait construire un nouvel équilibre en un an ou deux, elle ne parviendra pas de sitôt à retrouver les niveaux d’avant-guerre, et continuera de prendre du retard sur les économies développées. Premièrement, les sanctions la maintiendront isolée du marché mondial des capitaux et des technologies avancées. Deuxièmement, elle s’est tournée vers un régime hautement répressif, annihilant les perspectives des entrepreneurs nationaux. Troisièmement, dans les premières semaines de la guerre, des <a href="https://apnews.com/article/russia-ukraine-putin-immigration-kazakhstan-technology-c041eb0b7472668087bb94207de2f71d">centaines de milliers de travailleurs qualifiés</a> – spécialistes des technologies de l’information, chercheurs, ingénieurs, médecins, etc. – ont quitté la Russie, comprenant qu’y rester n’est ni prudent ni favorable à leur carrière. Cette fuite de capital humain va se poursuivre, sapant plus sérieusement et à long terme les perspectives de croissance.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1501936349980475400"}"></div></p>
<p>Enfin, il est probable que l’Occident impose des sanctions supplémentaires. Alors que les <a href="https://www.hrw.org/news/2022/04/03/ukraine-apparent-war-crimes-russia-controlled-areas">preuves des crimes de guerre présumés de la Russie</a> ne cessent de s’accumuler, une pression croissante s’exerce sur les responsables politiques européens afin qu’ils attaquent l’épine dorsale de l’économie russe – les hydrocarbures. Ces dernières années, le <a href="https://www.bbc.com/future/article/20211115-climate-change-can-russia-leave-fossil-fuels-behind">pétrole et le gaz</a> ont représenté à eux seuls 35 à 40 % des recettes du budget fédéral et 60 % des exportations russes. Le Parlement européen a déjà adopté une <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/en/press-room/20220401IPR26524/meps-demand-full-embargo-on-russian-imports-of-oil-coal-nuclear-fuel-and-gas">résolution</a> exigeant un embargo sur les importations russes de ces combustibles. Et le plus éminent diplomate de l’Union européenne, Josep Borrell, a <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/nato-remarks-high-representative-josep-borrell-upon-arrival-ministerial-meeting-0_en">déclaré</a> que « tôt ou tard – au plus tôt j’espère – cela se produira ».</p>
<h2>De sombres perspectives</h2>
<p>Lorsque l’embargo européen sur le pétrole et le gaz sera mis en place, la Russie sera confrontée à des défis budgétaires majeurs, réduisant encore son potentiel de croissance. Par ailleurs, lorsque l’Europe rejoindra les États-Unis et le Canada, l’Occident uni fera pression sur la Chine, éliminant ainsi les espoirs de la Russie en vertu desquels les <a href="https://www.themoscowtimes.com/2022/04/13/russia-china-trade-surges-in-2022-a77333">revenus et la technologie venant de Chine</a> pourraient remplacer ceux de l’Occident.</p>
<p>Même si les contrôles des capitaux et des devises mis en place par la Banque centrale permettent de soutenir le rouble et, à terme, de ralentir l’inflation, les facteurs sous-jacents susmentionnés rendront sans doute improbable le retour de l’économie russe à son niveau d’avant-guerre, sans même parler de la possibilité de rattraper ses voisins.</p>
<p>Nul ne sait à quel horizon ce choc économique débouchera sur un changement politique. Mais il est bien possible qu’au bout du compte, Vladimir Poutine finisse par manquer de ressources pour payer ses soldats, ses propagandistes, ses mercenaires ainsi que ses policiers qui contiennent le mécontentement grandissant de la population.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182687/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sergei Guriev ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les mesures prises par les pays occidentaux à l’encontre de la Russie affecteront durement son économie, même si les efforts de la Banque centrale lui permettent pour l’instant de résister.Sergei Guriev, Professor of economics, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1812252022-04-25T21:27:53Z2022-04-25T21:27:53ZLes oligarques ukrainiens en ordre de bataille face à la Russie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/458285/original/file-20220414-26-78ncu2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=35%2C8%2C5866%2C3931&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Depuis le début de la guerre, le milliardaire Petro Porochenko, ancien président de l’Ukraine (2014-2019) et adversaire politique de Volodymyr Zelensky, a pris la tête d’une brigade de la défense territoriale. Ici le 26&nbsp;février à Kiev.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Drop of Light/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Des phénomènes politiques uniques en leur genre se sont développés en Ukraine depuis l’accession du pays à l’indépendance en 1991. Le président Volodymyr Zelensky, dont le <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3242195-20220225-guerre-ukraine-volodymyr-zelensky-clown-chef-guerre-parcours-atypique">parcours</a> n’a pas fini de nous interpeller, en est un exemple emblématique. Les <a href="https://muse.jhu.edu/article/610188/summary">oligarques</a>, figures centrales des systèmes politique et économique ukrainiens, en sont un autre. Leur rôle a été prépondérant durant les 30 dernières années, quels que soient les responsables au pouvoir. Qu’en est-il de leur action aujourd’hui, quand leur pays est en proie à la violente attaque russe depuis plus de deux mois ?</p>
<h2>Un cas dissemblable de la Russie</h2>
<p>Élite économique ayant bâti leur fortune dans le sillage du passage à l’économie de marché au cours des années 1990, les oligarques ont largement joué, durant les 30 dernières années, des liens personnels qu’ils ont tissés avec les acteurs politiques pour servir leurs intérêts économiques.</p>
<p>Leur émergence rappelle <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2013-3-page-115.htm">celle de leurs homologues russes</a>, qui ont su, sous la présidence Eltsine (1991-1999), tirer profit de l’imperfection des réformes pour s’assurer richesse et influence. Fin février, il était ainsi frappant de voir, comme à travers un miroir, les présidents <a href="https://www.news18.com/news/world/russia-invades-ukraine-latest-day-3-once-rivals-now-friends-ukraines-billionaires-stand-with-zelensky-as-russia-wages-war-4813946.html">ukrainien</a> et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/10/guerre-en-ukraine-les-oligarques-russes-avant-postes-du-systeme-poutine-et-nouvelles-cibles-des-occidentaux_6116861_3210.htm">russe</a> convoquer chacun leurs troupes oligarchiques respectives pour s’assurer de leur soutien dans les heures précédant la guerre.</p>
<p>Le parallèle entre les systèmes oligarchiques ukrainien et russe contemporains s’arrête toutefois à ces deux réunions. Depuis une vingtaine d’années, les oligarques russes ont été <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/non-les-oligarques-russes-ne-sont-pas-pres-de-renverser-poutine-905888.html">mis au pas par Vladimir Poutine</a>, et bien peu d’entre eux osent aujourd’hui grogner contre la guerre menée par le Kremlin, qui dévaste pourtant leurs actifs économiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1505821526096072704"}"></div></p>
<p>Au contraire, les oligarques ukrainiens constituent depuis des années des forces autonomes, et ont largement façonné le système politique national en y projetant leurs rivalités d’affaires. Certes clientéliste, celui-ci était caractérisé, avant le bouleversement induit par la guerre, par un indéniable pluralisme.</p>
<h2>2014 : les oligarques en première ligne</h2>
<p>Les oligarques ukrainiens ont tenu un rôle spécifique face à chacune des agressions du Kremlin sur leur territoire. Toutefois, ce rôle a largement évolué depuis l’annexion de la Crimée et l’apparition des républiques séparatistes du Donbass en 2014.</p>
<p>Appartenant par nature tant au monde politique qu’à celui des affaires, les oligarques ont vu leur double nature poussée à son paroxysme pendant le conflit de 2014, au point qu’ils se sont parfois substitués à des institutions étatiques ébranlées. Face à la <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20140417-ukraine-est-deroute-armee-slaviansk-kramatorsk-milices-prorusses">déroute de l’armée ukrainienne dans l’Est</a>, les oligarques ont en effet remplacé par leurs réseaux personnels la chaîne administrative, utilisé leurs propres sources de revenus pour financer des missions relevant du régalien et ont occupé le devant de la scène politique.</p>
<p>Au plus fort de la crise, certains de ces hommes d’affaires <a href="https://www.opendemocracy.net/en/odr/how-eastern-ukraine-was-lost/">sont devenus gouverneurs de régions</a> : ainsi, <a href="https://www.theguardian.com/world/2014/apr/17/ukrainian-oligarch-offers-financial-rewards-russians-igor-kolomoisky">Ihor Kolomoïsky</a> a pris la tête de l’oblast de Dniepropetrovsk (mars 2014–mars 2015) et <a href="https://www.theguardian.com/world/2014/apr/25/billionaire-ukraine-troubled-region-serhiy-taruta">Serhiy Taruta</a> celle de l’oblast de Donetsk (mars-octobre 2014).</p>
<p>D’autres ont tenu le rôle de négociateurs directs avec les séparatistes ou avec le Kremlin : ce fut notamment le cas de <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Ukraine-premier-entretien-entre-Poutine-chefs-separatistes-2017-11-16-1300892383">Viktor Medvedtchouk</a> et de <a href="https://www.lapresse.ca/international/dossiers/ukraine/201405/22/01-4768868-rinat-akhmetov-le-milliardaire-mediateur.php">Rinat Akhmetov</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"477500590822793216"}"></div></p>
<p>Les exemples de leur implication dans les affaires politiques et militaires à cette époque <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/six-ans-apres-maidan-l-ukraine-peine-toujours-a-diminuer-l-influence-des-oligarques-sur-son-systeme-politique-856865.html">abondent</a>. Il serait difficile de ne pas citer Petro Porochenko, l’une des premières fortunes du pays, élu président en 2014 à la suite de la fuite en Russie de son prédécesseur Viktor Ianoukovitch (2010-2014). À la tête d’un mouvement pro-européen, Petro Porochenko avait alors confié à un autre milliardaire, <a href="https://www.forbes.com/profile/yuriy-kosiuk/">Iouri Kossiouk</a>, le poste stratégique de chef adjoint de l’administration présidentielle en charge du contrôle des armées.</p>
<p>Son successeur au sommet de l’État, Volodymyr Zelensky, novice en politique avant son élection en 2019, avait durant la campagne présidentielle été présenté par ses adversaires comme une marionnette d’Ihor Kolomoïsky, bien connu, au-delà de son passage au poste de gouverneur de l’obast de Dniepropetrovsk, pour avoir pris en charge le <a href="https://www.vox.com/2015/3/23/8279397/kolomoisky-oligarch-ukraine-militia">financement des bataillons armés de volontaires</a> venus épauler l’armée ukrainienne dans le Donbass.</p>
<p>Ihor Kolomoïsky avait effectivement mis ses chaînes de télévision au service du candidat Volodymyr Zelensky et, après la victoire de celui-ci, a réussi pendant un pendant un temps à imposer <a href="https://www.ft.com/content/6ed20a5a-7c07-11e9-81d2-f785092ab560">son avocat personnel à la tête de l’administration présidentielle</a>.</p>
<h2>Quand Zelensky tente de « désoligarchiser » l’Ukraine</h2>
<p>Après ces épisodes de faste pour le système oligarchique ukrainien, l’année 2020 a constitué un tournant. Volodymyr Zelensky, en poste depuis mai 2019, s’est alors décidé à <a href="https://ecfr.eu/publication/faltering-fightback-zelenskys-piecemeal-campaign-against-ukraines-oligarchs/">réduire l’influence de l’ensemble des figures oligarchiques du pays</a>. Les objectifs de cette entreprise étaient pour lui nombreux. Il s’agissait tout autant de tenir ses promesses de lutte contre la corruption, de se libérer de soutiens bien encombrants, de brider des concurrents politiques et de se conformer aux demandes de réformes des bailleurs de fonds internationaux.</p>
<p>Cette « désoligarchisation » s’est traduite par la ratification, en novembre 2021, de la <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/ukrainealert/ukraines-anti-oligarch-law-could-make-president-zelenskyy-too-powerful/">loi</a> sur « l’influence excessive de personnalités économiques ou politiques sur la vie publique (oligarques) » qui vise à encadrer les activités politiques des milliardaires, notamment leur financement des partis. Plus tôt, le Parlement avait voté le le 13 mai 2020 en faveur d’une <a href="https://www.jeantet.fr/en/2020/05/ukraine-legal-alert-governments-steps-to-support-businesses/">loi</a> qui empêchait les banques déclarées insolvables ou nationalisées d’être récupérées par leurs précédents propriétaires, et dont la finalité était à ce point destinée à contrecarrer un oligarque en particulier qu’elle est désormais passée à la postérité sous le nom de <a href="https://www.themoscowtimes.com/2020/05/14/ukraine-set-for-imf-support-after-approving-anti-kolomoisky-banking-law-a70274">« loi anti-Kolomoisky »</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1443642105444937729"}"></div></p>
<p>L’activisme des autorités ukrainiennes a également eu pour effet de dresser des obstacles sur la route d’oligarques étant ou se rêvant concurrents politiques de Volodymyr Zelensky, comme Petro Porochenko ou Viktor Medvedtchouk. Certains observateurs s’accordent à dire que les procédures légales pour soupçons de trahison lancées en 2021 contre ce dernier, <a href="https://time.com/magazine/europe/6144693/february-14th-2022-vol-199-no-5-europe/">relais plus que notoire de Vladimir Poutine en Ukraine</a>, n’ont pas été sans conséquences sur la dégradation des relations entre Kiev et le Kremlin.</p>
<p>Ces actions ont aussi pu avoir pour effet de détériorer les canaux de communication entre la présidence et les hommes d’affaires. Dans les heures précédant l’invasion, plusieurs sources de presse ont annoncé le <a href="https://intellinews.com/ukraine-s-oligarchs-fleeing-the-country-234856/">départ de nombreux oligarques ukrainiens vers l’étranger</a>. Ces errements ont obligé Volodymyr Zelensky à resserrer les rangs lors de la réunion évoquée au début de cet article.</p>
<h2>En 2022, les oligarques acceptent de laisser l’État ukrainien prévaloir</h2>
<p>L’entièreté des conclusions sur le rôle précis des oligarques ukrainiens dans ce conflit ne pourra être tirée qu’à la fin de celui-ci. Pour autant, leurs actions pendant cette première phase de la guerre permettent déjà d’esquisser quelques hypothèses.</p>
<p>Huit années après la <a href="https://www.france24.com/fr/billet-retour/20181123-ukraine-bilan-revolte-maidan-kiev-corruption-russie-ianoukovitch">révolution du Maïdan</a>, les oligarques ukrainiens ont cette fois-ci choisi de soutenir l’État plutôt que de se substituer à son action. Confronté de nouveau à l’invasion de son territoire par la Russie, le gouvernement ukrainien s’est affirmé dans son rôle, laissant moins de marge de manœuvre aux oligarques qu’en 2014.</p>
<p>Au lieu d’endosser des fonctions régaliennes, les plus grandes fortunes d’Ukraine ont <a href="https://forbes.ua/ru/inside/de-naybagatshi-ukraintsi-03032022-4099">cette fois mis leurs ressources au service du gouvernement</a>, contribuant à le renforcer. Ce fut notamment le cas de <a href="https://www.tf1info.fr/international/ukraine-lhomme-le-plus-riche-du-pays-prend-le-parti-de-kiev-1550139.html">Rinat Akhmetov</a>, qui a offert une avance sur l’impôt de ses sociétés, de <a href="https://www.bloomberg.com/profile/person/16038668">Iouri Kossiouk</a>, qui a fait don de la quasi-totalité de la production agro-alimentaire de son groupe MHP à l’effort de guerre et à des organismes de charité, ou encore de <a href="https://www.pinchukfund.org/en/about_pinchuk/biography/">Viktor Pintchouk</a>, qui a fourni à l’armée du matériel destiné à la construction de fortifications antichars via son groupe industriel Interpipe.</p>
<p>Une deuxième conclusion se dessine aussi clairement. Mis à part quelques acteurs isolés comme le pro-russe Viktor Medvedtchouk, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/13/moscou-prend-ses-distances-avec-viktor-medvedtchouk-le-depute-prorusse-arrete-en-ukraine_6122057_3210.html">interpellé</a> le 13 avril, les acteurs du système oligarchique se caractérisent cette fois par la grande homogénéité de leur jeu vis-à-vis du Kremlin. Tous font preuve d’unité pour soutenir la résistance ukrainienne et condamnent sans réserve l’invasion russe.</p>
<p>Illustration de l’ironie d’un patriotisme ukrainien renforcé involontairement par Vladimir Poutine, même les oligarques ukrainiens qui soutenaient par le passé l’idée d’une relation renforcée avec le Kremlin lui <a href="https://www.forbes.com/sites/giacomotognini/2022/02/24/richest-ukrainians-with-billions-to-lose-close-ranks-as-putin-unleashes-war/">ont désormais tourné le dos</a>. C’est le cas d’acteurs importants comme <a href="https://www.nicematin.com/conflits/lhomme-le-plus-riche-dukraine-ex-prorusse-denonce-des-crimes-contre-lhumanite-752276">Rinat Akhmetov</a>, mais aussi de figures moins connues comme les époux Oleksandre et Galina Gerega, bénéficiaires du groupe de distribution Epicentr, qui ont annoncé mettre la totalité de leur flotte de véhicules à disposition de l’armée ukrainienne. Oleksandre Gerega avait siégé au Parlement ukrainien de 2012 à 2014 sous l’étiquette du <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2012/10/29/ukraine-le-parti-des-regions-devrait-conserver-le-controle-du-parlement_1782530_3214.html">Parti des Régions</a> de Viktor Ianoukovitch, et s’en était détaché quelques jours avant la <a href="https://carnegiemoscow.org/commentary/59172">destitution de ce dernier</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1500163128130256896"}"></div></p>
<p>Cette évolution des rapports avec l’État n’invalide pas l’existence du système oligarchique ukrainien, mais révèle sa grande capacité d’adaptation plastique. Aujourd’hui, comme en 2014 et comme <a href="https://www.rferl.org/a/ukraine-coronavirus-oligarchs-medicine/30492082.html">pendant la crise du Covid</a>, le gouvernement puise chez les oligarques les ressources et le soutien susceptible de l’aider à traverser les épisodes de crise les plus intenses.</p>
<p>Interrogé début mars 2022 sur le processus de désoligarchisation, Volodymyr Zelensky a laconiquement répondu que celui-ci avait été initié « dans une autre vie ». Une vie qu’a essayé d’interrompre l’invasion lancée par Vladimir Poutine le 24 février dernier, et dont il faut espérer et favoriser le retour.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/181225/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paul Cruz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis l’invasion de l’Ukraine, les oligarques font bloc autour du gouvernement ukrainien. Leurs rapports avec l’État n’ont pourtant pas toujours été si clairs.Paul Cruz, Doctorant en science politique au Centre Émile Durkheim, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.