tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/daech-22670/articlesDaech – The Conversation2024-03-28T16:37:56Ztag:theconversation.com,2011:article/2268372024-03-28T16:37:56Z2024-03-28T16:37:56ZLe Tadjikistan, nouvelle base arrière de la menace djihadiste ? Un raccourci trompeur<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/585002/original/file-20240328-18-j06pze.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=50%2C5%2C1147%2C792&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Migrants tadjiks contrôlés à Moscou, 2023.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://asiaplustj.info/ru/news/opinion/20230531/v-rossii-otkrita-ohota-na-tadzhikskih-migrantov">The Insider Russia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’attentat du Crocus Hall dans les faubourgs de Moscou marque l’échec du renseignement russe (FSB) à lutter contre la menace terroriste en Russie depuis qu’il est <a href="https://cepa.org/article/putin-orders-his-spies-to-chase-phantom-enemies/">occupé à contenir toute opposition à la guerre en Ukraine</a>. N’ayant pu prévenir cette attaque, le FSB s’est empressé de trouver des coupables : une dizaine de migrants tadjiks, parmi lesquels les quatre assaillants présumés, dont les aveux ont visiblement été <a href="https://www.la-croix.com/international/attentats-de-moscou-la-russie-assume-le-recours-a-la-torture-20240325">obtenus sous la torture</a>.</p>
<p>L’identité tadjike des terroristes et la revendication de l’attaque par l’État islamique au Khorassan ont rapidement orienté les analystes et journalistes vers l’Asie centrale, une région présentée depuis plus de vingt ans comme la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2001/09/20/l-asie-centrale-dans-la-ligne-de-mire">poudrière du monde</a>. Pourtant, faire du Tadjikistan la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/03/24/attentat-de-moscou-l-asie-centrale-nouvelle-tete-de-pont-de-l-organisation-etat-islamique_6223938_3210.html">nouvelle tête de pont du djihadisme</a> est un raccourci trompeur.</p>
<h2>Le Tadjikistan, une expérience unique d’islam politique en Asie centrale</h2>
<p>En accédant à l’indépendance en 1991, le <a href="https://www.cairn.info/les-etats-postsovietiques--9782200271633-page-224.htm">Tadjikistan</a>, peuplé aujourd’hui d’environ 10 millions d’habitants s’est divisé entre deux visions diamétralement opposées de la place de l’islam dans la vie politique : face à la continuité d’une société laïque portée par les anciens communistes, l’opposition réclamait un retour aux fondements de l’islam sunnite et l’établissement d’un régime islamo-démocrate.</p>
<p>Ce conflit idéologique entraîna une véritable <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre2-2016-3-page-123.htm">guerre civile</a>, sur laquelle le pouvoir actuel s’est construit. C’est en effet l’arrivée au pouvoir en 1996 du premier régime taliban en Afghanistan, avec lequel le Tadjikistan partage plus de 1 000 kilomètres de frontière, qui a précipité la résolution du conflit dans le but d’éviter un effet domino de l’islamisme sunnite en Asie centrale.</p>
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<p><a href="https://www.liberation.fr/planete/1997/06/28/paix-au-tadjikistan-cette-fois-l-accord-parait-viable_208469/">L’accord de paix signé en juin 1997</a> après une médiation active de la Russie et de l’Iran stipulait la création d’un gouvernement d’union nationale entre les ex-communistes au pouvoir, autour de la figure de l’actuel président Emomali Rahmon, et l’opposition dominée par le Parti de la Renaissance Islamique du Tadjikistan (PRIT), qui contrôlait 30 % du territoire. Ce partage du pouvoir a permis l’avènement au Tadjikistan d’un islam politique, expérience unique à ce jour en Asie centrale.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/585007/original/file-20240328-20-b14zqd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Fête de l’Aïd à Khoudjand, Tadjikistan.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Hélène Thibault</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Mais au cours des années 2000, la <a href="https://cacianalyst.org/publications/analytical-articles/item/13279-violence-in-tajikistan-emerges-from-within-the-state.html">consolidation autoritaire du régime</a> s’est traduite par une marginalisation progressive de l’opposition islamique au fil d’élections contrôlées par le pouvoir. Le glas de cet islam politique tadjik a sonné en 2015 lorsque, fort du soutien international dans la lutte contre l’islamisme, le <a href="https://globalfreedomofexpression.columbia.edu/cases/case-islamic-renaissance-party-tajikistan/">gouvernement a classé le PRIT organisation terroriste</a> et interdit la création de partis politiques à base religieuse. Les représentants de cette mouvance se retrouvèrent en exil ou dans les geôles du pays, et les Tadjiks favorables à une revalorisation de l’islam se retrouvaient désormais orphelins.</p>
<p>Le gouvernement leur offrait seulement la perspective d’un État séculier (article 1<sup>er</sup> de la <a href="https://www.refworld.org/legal/legislation/natlegbod/1994/en/32040">Constitution de 1994</a>) avec une surveillance stricte du culte. Dans une société de culture musulmane, l’interdiction du port de la barbe ou du hidjab dans l’espace public pouvait être perçue par une partie de la population comme une <a href="https://www.state.gov/reports/2022-report-on-international-religious-freedom/tajikistan/">violation de la liberté de conscience</a> et générer un profond ressentiment à l’égard du régime.</p>
<h2>L’État islamique, un exutoire idéologique pour une minorité de Tadjiks</h2>
<p>En l’absence de perspective au sein d’un Tadjikistan de plus en plus répressif vis-à-vis des pratiques non officielles de l’islam, l’avènement en 2013 de l’État islamique en Irak et au Levant (EI) est apparu comme une alternative pour les Tadjiks en quête d’une société conforme aux préceptes de l’islam. Mais les <a href="https://www.rferl.org/a/foreign-fighters-syria-iraq-is-isis-isil-infographic/26584940.html">estimations des ralliements à l’EI</a> indiquent que les Tadjiks sont proportionnellement moins nombreux que bien des pays arabes et même européens, avec en 2015 un taux de combattants de l’EI par million d’habitants (24) situé entre celui du Danemark (27) et de la France (18).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/584998/original/file-20240328-18-sqf0j9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Proportion de combattants au sein de l’État islamique par pays d’origine, 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.rferl.org/a/foreign-fighters-syria-iraq-is-isis-isil-infographic/26584940.html">Radio Free Europe/Radio Liberty</a></span>
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<p>Deux facteurs vont accélérer les départs. La défection pour l’EI en mai 2015 du colonel Khalimov, chef des forces spéciales de police du Tadjikistan, et d’une partie de ses troupes fait l’effet d’une bombe pour le régime. Nommé ministre de la Guerre de l’EI, il joue un rôle central dans le <a href="https://www.orfonline.org/research/iskps-recruiting-strategies-and-vulnerabilities-in-central-asia">recrutement de volontaires en Asie centrale</a>.</p>
<p>La chute de l’EI en 2019 et son redéploiement en Afghanistan sous la forme de <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-letat-islamique-au-khorassan-qui-a-revendique-lattentat-de-laeroport-de-kaboul-166938">l’État islamique au Khorassan (EI-K)</a> rapprochent la mouvance islamiste de l’Asie centrale. Alors que la langue russe avait longtemps été privilégiée par l’EI pour diffuser à moindre coût sa propagande djihadiste auprès des musulmans de tout l’espace post-soviétique, désormais l’EI-K développe une stratégie de communication à destination des militants de la région, dans les deux langues les plus répandues, l’ouzbek et le tadjik. Bénéficiant d’algorithmes de traduction devenus très performants, la fondation Al-Azaim, organe de presse officiel de l’EI-K, dispose ainsi de services en plusieurs langues locales <a href="https://gnet-research.org/2023/03/03/the-islamic-movement-of-uzbekistans-enduring-influence-on-is-khurasan/">qui lui permettent de cibler le Tadjikistan, et plus généralement l’Asie centrale</a>, pour le recrutement des combattants, la collecte de fonds auprès des militants et la dénonciation des régimes « impies ».</p>
<p>Si les Tadjiks sont restés minoritaires au sein des troupes de l’EI et de l’EI-K, ils conservent un rôle important dans les instances et les opérations extérieures de l’organisation. Rien d’étonnant donc que leur ethnonyme soit associé ces derniers mois aux actions de l’EI-K : en décembre 2023, la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/cologne-prolongation-de-la-garde-a-vue-de-deux-suspects-pour-un-projet-d-attentat-visant-la-cathedrale-20240101">tentative d’attentat</a> contre la cathédrale de Cologne ; en janvier 2024, les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/04/iran-l-organisation-etat-islamique-revendique-l-attentat-qui-a-fait-84-morts-a-kerman_6209072_3210.html">deux attaques terroristes</a> de Kerman en Iran, et la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/29/l-etat-islamique-revendique-l-attaque-dans-une-eglise-d-istanbul_6213635_3210.html">fusillade</a> contre une église d’Istanbul. L’attentat du Crocus Hall du 22 mars se produit donc dans la continuité de ces attaques, mais il n’est pas le premier commis par cette mouvance en Russie. Le 7 mars, le FSB avait déjà déjoué une tentative d’attentat contre une synagogue de la région de Moscou, tuant 2 ressortissants kazakhs <a href="https://www.rferl.org/a/kazakhstan-confirms-two-citizens-killed-russia/32855177.html">accusés d’appartenir à l’EI-K</a>.</p>
<p>Pour autant, il serait hâtif d’en conclure que le Tadjikistan est le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/03/27/attentat-de-moscou-le-tadjikistan-pays-d-asie-centrale-le-plus-permeable-aux-infiltrations-de-l-ei_6224430_3210.html">ventre mou de l’Asie centrale</a>, par où s’infiltreraient les djihadistes. Le profil des assaillants présumés du Crocus Hall montre qu’il s’agit de travailleurs migrants installés en Russie depuis un certain temps, et non pas d’individus arrivés de fraîche date dans le but de commettre un attentat.</p>
<h2>Les travailleurs migrants, une cible privilégiée de l’EI-K</h2>
<p>Selon les <a href="https://nsk.rbc.ru/nsk/24/08/2023/64e6c63a9a79471c6e4adea5">données officielles de 2023</a>, il y aurait en Russie 1,3 million de migrants tadjiks parmi plus de 5 millions de ressortissants étrangers. Il faut ajouter à cela 600 000 Tadjiks ayant obtenu la citoyenneté russe, en vertu d’un accord de double citoyenneté entre la Russie et le Tadjikistan, un cas unique dans l’espace post-soviétique. Au total donc, ce sont près de deux millions de Tadjiks qui travaillent en Russie de manière permanente ou saisonnière, soit le tiers de la population active du pays, et plus de la moitié des hommes adultes, sachant que la migration de travail des Tadjiks est essentiellement masculine.</p>
<p>Ce flux migratoire place le Tadjikistan et la Russie dans une relation d’interdépendance : pour le premier, la Russie représente un déversoir démographique indispensable pour tempérer les revendications économiques et sociales de la population, mais également une source considérable de revenus. À l’exception des années Covid, les transferts des migrants représentent le <a href="https://asiaplustj.info/en/news/tajikistan/economic/20221202/tajikistan-likely-received-record-high-amounts-of-remittances-from-russia-in-2022-says-word-bank-report">tiers du PIB du Tadjikistan</a>. Quant à la Russie, dont le déclin démographique est notoire, l’immigration fournit depuis le milieu des années 2000 une main-d’œuvre essentielle à l’économie rentière et aux services. L’invasion de l’Ukraine en 2022 et l’envoi au front de centaines de milliers d’hommes issus pour la plupart des classes les plus défavorisées ont rendu plus précieuse encore cette force de travail non qualifiée.</p>
<p>Comment comprendre dès lors que ces migrants tadjiks, arrivés en Russie pour des raisons avant tout économiques, décident soudainement de s’engager dans une entreprise terroriste ? Tout simplement parce que leur radicalisation n’est pas liée à leur pays d’origine ou à leur identité ethnique, mais plutôt à leur expérience migratoire. À l’heure où les réseaux djihadistes opèrent selon des logiques transnationales, il est plus utile d’observer les modalités de socialisation des migrants en Russie même, et non pas dans leur village d’origine, où le régime laïciste liberticide empêche toute expression de défiance à l’égard de l’islam officiel.</p>
<p>Pour les travailleurs isolés – ceux partis seuls en migration –, la mosquée est bien souvent leur unique espace de sociabilité, en dehors du lieu de travail et du logement collectif. Et c’est précisément au contact de leurs coreligionnaires de Russie, notamment les Tatars et les Tchétchènes, que ces migrants découvrent une religiosité décomplexée. Ils peuvent ainsi explorer une identité musulmane longtemps brimée dans leur pays d’origine, développer des réseaux et acquérir des ressources nécessaires à leur <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/russieeurasiereports/islam-politique-societe-ouzbekistan-enquete">renaissance islamique</a>. Être musulman, c’est appartenir à un réseau de solidarité religieuse.</p>
<p>Une solidarité d’autant plus chère aux migrants qu’ils se retrouvent éloignés du noyau familial qui constitue au Tadjikistan un socle fédérateur solide, sont marginalisés au sein d’une société russe qui les considère au mieux comme des <em>gastarbeiter</em> au pire des <em>tchiorny</em> (« noirs »), vivent reclus dans des quartiers pauvres et périphériques, et sont souvent privés d’un réseau social protecteur. C’est bien en jouant sur la fibre solidaire, sur le sentiment d’identité collective et de justice sociale que les recruteurs islamistes parviennent à convertir les travailleurs migrants en <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09596410.2022.2049110"><em>born-again</em> radicalisés</a>.</p>
<p>Ce n’est donc pas en Asie centrale mais bien en Russie qu’il faut chercher les fondements de la radicalisation des migrants tadjiks, à travers les réseaux religieux qui ont pignon sur rue, les relations de dépendance entre le pouvoir politique et la religion, et les <a href="https://obsreligion.cnrs.fr/bulletin/les-effets-paradoxaux-de-linstrumentalisation-de-lislam-en-tchetchenie/">effets paradoxaux de l’instrumentalisation de l’islam</a>.</p>
<p>En attendant, l’identité ethnique des quatre assaillants présumés du Crocus Hall a stigmatisé l’ensemble de la communauté tadjike et déclenché une <a href="https://eurasianet.org/tajik-diaspora-in-russia-living-in-terror-following-crocus-city-massacre">vague sans précédent d’actes racistes</a> à l’encontre des migrants : insultes, menaces, harcèlement accru de la part des forces de l’ordre. Au point que le ministère des Affaires étrangères du Kirghizstan <a href="https://rus.azattyk.org/a/32876343.html">a recommandé</a> de suspendre tout déplacement en Russie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1772971845165146578"}"></div></p>
<p>À l’instar de tous les pays du monde, les dirigeants d’Asie centrale ont condamné l’attaque terroriste, le président Rahmon déclarant même à son homologue russe : <a href="https://www.themoscowtimes.com/2024/03/24/terrorists-have-no-nationality-tajik-president-tells-putin-a84602">« les terroristes n’ont pas de nationalité »</a>. Mais aucun n’a exprimé à ce jour la moindre inquiétude pour la sécurité de ses ressortissants, pas plus qu’au cours des derniers mois alors même que les <a href="https://www.rferl.org/a/russia-migrants-raids-attacks-pressure-fight-ukraine/32703657.html">raids de la police russe</a> se multipliaient pour enrôler les migrants sur le front ukrainien.</p>
<p>Outre les intimidations, chantages et autres duperies pour forcer les travailleurs migrants à s’engager « volontairement » dans l’armée, ces contrôles massifs et souvent violents visent à <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/27/a-moscou-la-chasse-aux-migrants-pour-garnir-les-rangs-de-l-armee_6196764_3210.html">trier sur le volet ceux qui ont disposent de la citoyenneté russe</a> pour les rappeler à leur devoir militaire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1583748470560563200"}"></div></p>
<p>De toute évidence, la perspective de l’enrôlement forcé des migrants dans une guerre dénuée de sens a accentué depuis 2022 leurs griefs à l’égard des autorités russes et, par voie de conséquence, l’adhésion de certains d’entre eux au discours plus séduisant d’un combat pour la justice divine. Si l’attentat du Crocus Hall est lié à la guerre en Ukraine, comme l’affirme le Kremlin, ses racines ne sont à chercher en priorité ni à Kiev, ni à Douchanbé, mais avant tout en Russie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226837/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Ferrando est administrateur de l'organisation non-gouvernementale ACTED.</span></em></p>Le Tadjikistan compte deux millions de migrants travaillant actuellement en Russie. C’est parmi eux qu’ont été, semble-t-il, recrutés les auteurs du massacre de Moscou.Olivier Ferrando, Enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lyon, spécialiste des sociétés d'Asie centrale, Université catholique de Lyon (UCLy)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2265382024-03-25T16:42:08Z2024-03-25T16:42:08ZDans le viseur de l’État islamique au Khorassan : la Russie, mais aussi l’Asie centrale et l’Europe<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/584036/original/file-20240324-24-g8ybij.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C90%2C1270%2C868&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des sauveteurs dans les ruines du Crocus City Hall, Krasnogorsk, le 24&nbsp;mars 2024.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/c/c6/Crocus_City_Hall_amphitheater_after_terrorist_attack_%282024%29.jpg">Ministère des Situations d’Urgence de la Fédération de Russie</a></span></figcaption></figure><p><em>Le 22 mars 2024, la Russie a subi la <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/attaque-a-moscou-deuil-national-en-russie-apres-le-massacre-du-crocus-city-hall-20240324_2SVPFHCSXFBAFFFG2YKVMSOJZ4/">pire attaque terroriste sur son sol depuis une génération</a>. Au moins 137 personnes ont été tuées par des terroristes lors d’un concert en banlieue de Moscou. L’attentat a été <a href="https://www.letemps.ch/monde/asie-oceanie/l-ei-k-branche-la-plus-meurtriere-de-l-etat-islamique-le-visage-du-terrorisme-venu-d-asie-centrale">revendiqué par le groupe État islamique au Khorassan</a> (EIK). Et bien que les autorités russes aient <a href="https://www.lefigaro.fr/international/frappes-par-une-attaque-terroriste-a-moscou-les-russes-vivent-leur-bataclan-20240323">exprimé des doutes</a> sur la réalité de cette revendication, de façon à imputer l’attaque à l’Ukraine, des responsables américains ont <a href="https://apnews.com/article/russia-moscow-concert-hall-attack-islamic-state-753291d25dad26a840459ee8f448d59e">déclaré à l’Associated Press</a> qu’ils pensaient que l’EIK, que l’on peut qualifier de section locale de Daech en Asie du Sud et en Asie centrale, était effectivement à l’origine de l’assaut.</em></p>
<p><em>Les chercheuses <a href="https://www.clemson.edu/cbshs/about/profiles/index.html?userid=ajadoon">Amira Jadoon, de l’Université de Clemson</a>, et <a href="https://www.american.edu/profiles/students/sh5958a.cfm">Sara Harmouch, de l’American University</a>, deux spécialistes qui suivent de près les activités de l’EIK – expliquent à The Conversation ce que l’attentat de Moscou nous apprend sur les forces et le programme de l’organisation.</em></p>
<h2>Qu’est-ce que l’EIK ?</h2>
<p>L’EIK <a href="https://ctc.westpoint.edu/the-islamic-state-threat-in-taliban-afghanistan-tracing-the-resurgence-of-islamic-state-khorasan/">opère principalement dans la zone Afghanistan-Pakistan</a>, mais est présent dans tout le « Khorassan » historique – une région qui s’étend sur des parties de l’Afghanistan et du Pakistan mais aussi de l’Iran et d’autres pays d’Asie centrale.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1724371446292496465"}"></div></p>
<p>Créé en 2015, <a href="https://theconversation.com/what-is-isis-k-two-terrorism-experts-on-the-group-behind-the-deadly-kabul-airport-attack-and-its-rivalry-with-the-taliban-166873">l’EIK vise à établir</a> un « califat » – un système de gouvernance soumis à la plus stricte application de la charia et placé sous l’autorité de responsables religieux – dans cette région à cheval sur l’Asie du Sud et l’Asie centrale.</p>
<p>L’EIK partage l’idéologie de son organisation mère, le groupe État islamique, qui promeut une interprétation extrême de l’islam et considère les gouvernements laïques, ainsi que les populations civiles non musulmanes mais aussi les groupes et individus musulmans ne partageant pas sa vision de l’islam comme des cibles légitimes.</p>
<p>Le groupe est connu pour son extrême brutalité et pour avoir fréquemment pris pour cible des institutions gouvernementales et des civils, y compris des mosquées, des établissements d’enseignement et des espaces publics.</p>
<p>Après le retrait des États-Unis d’Afghanistan en 2021, les <a href="https://www.wilsoncenter.org/article/isis-k-resurgence">principaux objectifs de l’EIK</a> ont été de <a href="https://warontherocks.com/2021/10/the-taliban-cant-take-on-the-islamic-state-alone/">remettre en cause la légitimité des talibans actuellement au pouvoir</a> dans ce pays ravagé par la guerre, de s’affirmer comme le leader légitime de la communauté musulmane dans sa zone et d’apparaître comme le principal adversaire régional des régimes existants.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1771526331588555205"}"></div></p>
<p>En outre, la transition des talibans d’un groupe insurrectionnel à une entité gouvernementale a laissé de nombreuses factions militantes afghanes sans force unificatrice – une lacune que l’EIK s’est efforcé de combler.</p>
<h2>Pourquoi la Russie a-t-elle été prise pour cible par l’EIK ?</h2>
<p>L’EIK <a href="https://jamestown.org/program/the-islamic-states-anti-russia-propaganda-campaign-and-criticism-of-taliban-russian-relations/">présente depuis longtemps la Russie comme l’un de ses principaux adversaires</a>. Il utilise largement un discours anti-russe dans sa propagande et s’en est déjà pris aux intérêts russes en Afghanistan, commettant notamment en 2022 un <a href="https://www.voanews.com/a/blast-in-kabul-kills-2-russian-embassy-staff-/6731342.html">attentat-suicide</a> contre l’ambassade de Russie à Kaboul qui a fait deux morts parmi le personnel de l’ambassade russe et de quatre passants afghans.</p>
<p>L’État islamique au sens large s’en prend aussi à la Russie, et cela pour plusieurs raisons. Il s’agit notamment de <a href="https://ctc.westpoint.edu/the-enduring-duel-islamic-state-khorasans-survival-under-afghanistans-new-rulers/">griefs de longue date</a> liés aux violentes interventions passées de Moscou dans des régions à majorité musulmane comme l’Afghanistan et la Tchétchénie. De plus, les alliances de Moscou avec des régimes opposés au groupe État islamique, notamment la Syrie et l’Iran, ont <a href="https://doi.org//10.1080/09546553.2019.1657097?journalCode=ftpv20">fait de la Russie un adversaire majeur</a> aux yeux de l’organisation terroriste et de ses affiliés. En particulier, la Russie est un <a href="https://www.aljazeera.com/features/2020/10/1/what-has-russia-gained-from-five-years-of-fighting-in-syria">allié clé du président syrien Bachar Al-Assad</a> depuis le début de la guerre civile en Syrie en 2011, et lui fournit un soutien militaire pour lui permettre de combattre divers groupes qui cherchent à le renverser, y compris l’État islamique. Cette opposition directe au groupe terroriste et à ses ambitions de califat a fait de la Russie une cible privilégiée aux yeux de l’EI en général et de l’EIK en particulier.</p>
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<p><a href="https://carnegieendowment.org/politika/90584">La coopération de la Russie</a> avec les talibans – le principal ennemi de l’EIK en Afghanistan – ajoute une couche d’animosité supplémentaire. Le groupe État islamique considère les pays et les groupes qui s’opposent à son idéologie ou à ses objectifs militaires, y compris les acteurs qui cherchent à établir des relations avec les talibans, <a href="https://extremism.gwu.edu/sites/g/files/zaxdzs5746/files/Criezis_CreateConnectDeceive_09222022_0.pdf">comme des ennemis de l’islam</a>.</p>
<p>En frappant des cibles russes, l’EIK cherche en partie à dissuader la Russie de s’impliquer davantage au Moyen-Orient. Mais ces attentats font également une grande publicité à sa cause et visent à inspirer ses partisans dans le monde entier. Ainsi, pour la « marque » État islamique, l’attentat de Moscou représente à la fois une vengeance à l’encontre de la Russie et une opération de communication d’ampleur mondiale. Cette approche peut s’avérer très payante, en particulier pour sa filiale d’Asie du Sud et d’Asie centrale, dans la mesure où elle peut lui apporter de nouvelles recrues, de nouveaux financements et une hausse de son influence dans la nébuleuse djihadiste.</p>
<h2>Que nous apprend cette attaque sur les capacités et la stratégie de l’EIK ?</h2>
<p>Le simple fait que l’EIK soit associé au carnage de Moscou – que son implication y ait été directe ou indirecte – renforce la réputation du groupe. Cet épisode témoigne de son influence croissante et de sa détermination à faire sentir sa présence sur la scène mondiale.</p>
<p>En effet, commettre un attentat très médiatisé dans une grande ville située à des milliers de kilomètres de sa base afghane montre que l’EIK est en capacité d’étendre sa portée opérationnelle – soit directement, soit par le biais d’une collaboration avec des factions terroristes partageant les mêmes idées.</p>
<p>L’ampleur et la sophistication de l’attaque témoignent d’une planification, d’une coordination et de capacités d’exécution avancées, et réaffirment sans équivoque la volonté de l’EIK de se montrer toujours plus actif au niveau international.</p>
<p>À l’instar de l’attentat <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20240104-journ%C3%A9e-de-deuil-en-iran-apr%C3%A8s-un-double-attentat-meurtrier">perpétré par l’EIK en Iran en janvier 2024</a>, qui a fait plus de 100 morts, le dernier massacre en date souligne la place de l’EIK au sein du programme djihadiste mondial promu par le groupe État islamique, et contribue à élargir l’attrait de son idéologie et de sa campagne de recrutement grâce à l’attention accrue que lui portent les médias internationaux. Cela lui permet de rester un acteur politique de premier plan aux yeux de ses sympathisants en Asie du Sud et en Asie centrale, et aussi au-delà. Mais cela permet aussi de détourner l’attention de ses revers locaux. Comme son organisation mère, le groupe État islamique, l’EIK a subi, ces dernières années, des défaites militaires, des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/afghanistan-le-chef-de-Daech-responsable-de-l-attentat-de-l-aeroport-de-kaboul-tue-par-les-talibans">pertes de territoires et de dirigeants</a> et une diminution de ses ressources.</p>
<p>Dès lors, le rôle supposément joué par l’EIK dans l’attentat de Moscou rappelle aux observateurs la persistance de la menace que représente l’organisation.</p>
<p>En ciblant une grande puissance comme la Russie, l’EIK vise à envoyer un message d’intimidation à tous les États participant aux opérations de lutte contre le groupe État islamique et à ébranler le sentiment de sécurité de leurs citoyens. Au-delà, sa stratégie s’inscrit dans un processus d’« internationalisation » qu’il poursuit avec une vigueur renouvelée depuis 2021 en ciblant les pays présents en Afghanistan, notamment le Pakistan, l’Inde, l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, la Chine et la Russie, ce qui marque une expansion délibérée de son objectif opérationnel au-delà des frontières locales.</p>
<p>L’attaque de Moscou, qui fait suite à celle de janvier en Iran, suggère que l’EIK intensifie ses efforts pour exporter son combat idéologique directement sur les territoires de nations souveraines. Il s’agit d’une stratégie soigneusement calculée et susceptible de semer l’effroi dans de nombreuses capitales, comme le montrent déjà les <a href="https://www.lopinion.fr/politique/le-niveau-dalerte-passe-en-urgence-attentat-en-france-apres-lattaque-terroriste-a-moscou">premières réactions internationales au carnage du Crocus City Hall</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226538/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’État islamique au Khorassan (EIK), qui vient de frapper la Russie, cherche à s’imposer comme une organisation terroriste mondiale.Sara Harmouch, PhD Candidate, School of Public Affairs, American UniversityAmira Jadoon, Assistant Professor of Political Science, Clemson UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2264792024-03-24T17:58:04Z2024-03-24T17:58:04ZLa Russie face au terrorisme<p>En Europe, le <a href="https://www.20minutes.fr/monde/russie/4082892-20240323-attaque-moscou-direct-plus-60-personnes-tuees-salle-concert">massacre perpétré le 22 mars au soir</a> dans une salle de concert de la région de Moscou ne peut que susciter l’horreur. Mais il peut aussi interroger, et même surprendre.</p>
<p>D’abord, par le lieu de son déroulement, Krasnogorsk, à quelques kilomètres à peine de Moscou, et par l’ampleur de son bilan, plus de 130 victimes : comment un attentat de masse a-t-il pu être préparé et perpétré dans le centre névralgique d’un État où la <a href="https://www.themoscowtimes.com/2023/08/17/mass-survellience-in-russia-expands-rapidly-since-ukraine-invasion-mt-russian-a82151">place des services de sécurité est si importante</a> ? La <a href="https://www.liberation.fr/international/quest-ce-que-lei-k-cette-filiale-de-letat-islamique-qui-pourrait-etre-derriere-lattaque-terroriste-dune-salle-de-concert-pres-de-moscou-20240323_KFZXNM6XRBB3JCFJRQ3G2BXV74/">revendication par l’organisation État islamique au Khorassan</a> peut, elle aussi, prendre les Européens à contrepied : pourquoi l’EI frapperait-il la Russie alors même que ses cibles privilégiées, lors de son apogée, étaient les démocraties libérales de l’Ouest ? Enfin, les réactions des pouvoirs publics russes – et de la présidence au premier chef – peuvent également susciter un certain étonnement de ce côté-ci du continent : pourquoi <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240323-attentat-de-moscou-poutine-%C3%A9voque-l-ukraine-qui-r%C3%A9fute-tout-r%C3%B4le-dans-la-tuerie-revendiqu%C3%A9e-par-l-ei">faire supposer une complicité de Kiev</a> alors même que la menace islamiste est, en Russie, ancienne, profonde et même antérieure à la crise ukrainienne ?</p>
<p>Notre étonnement ou notre surprise se dissipent si l’on examine en détail l’exposition structurelle de la Russie au terrorisme islamiste et sa doctrine de l’anti-terrorisme. Malheureusement, les meurtres de masse du Crocus City Hall sont un épisode tragique supplémentaire dans la longue histoire de l’affrontement entre la Fédération de Russie et certains réseaux islamistes.</p>
<h2>Le terrorisme, ennemi des sociétés ouvertes… et des régimes autoritaires</h2>
<p>Depuis le 11 septembre 2001, l’idée s’est profondément enracinée que les terroristes islamistes ont pour cibles principales les démocraties libérales : en elles, ils viseraient tout à la fois des « infidèles » (à l’islam), des « croisés » (autrement dit des colonisateurs invétérés) et des « décadents » (coupables d’un relâchement moral inacceptable).</p>
<p>En outre, les islamistes exploiteraient les marges d’action ménagées par les « sociétés ouvertes », pour reprendre <a href="https://www.cairn.info/philosophie-auteurs-et-themes--9782361060275-page-112.htm">l’expression de Karl Popper</a> – les libertés d’opinion, de croyance, de mouvement, d’association, etc. – pour les retourner contre les Occidentaux. D’où l’incrédulité, parmi les Européens, devant le massacre de Krasnogorsk. Comment un tel attentat est-il envisageable dans un État explicitement fondé sur l’autorité, le rétablissement de la <a href="https://theconversation.com/comment-vladimir-poutine-a-mis-en-place-une-verticale-de-la-peur-en-russie-201796">« verticale du pouvoir »</a> et l’hypertrophie des services de sécurité (les siloviki) ?</p>
<p>Cette vision des choses est toutefois contredite par ce constat que font de nombreux observatoires du terrorisme (tel <a href="https://www.fondapol.org/etude/les-attentats-islamistes-dans-le-monde-1979-2021/">celui de la Fondation pour l’Innovation Politique</a>) : les attentats islamistes se multiplient aussi dans des États non libéraux, spécialement en <a href="https://www.rts.ch/info/monde/9016433-le-terrorisme-tue-vingt-fois-plus-en-afrique-quen-europe.html">Afrique</a> et <a href="https://www.europe1.fr/international/attentat-en-iran-malgre-un-net-recul-dans-la-region-la-menace-de-daesh-na-jamais-vraiment-disparu-au-moyen-orient-4223438">au Moyen-Orient</a>. Même dans des régimes policiers, les services de sécurité ne peuvent être ni omniscients ni omnipotents. En outre, l’organisation État islamique n’est-elle pas <a href="https://www.cairn.info/revue-regards-croises-sur-l-economie-2017-1-page-136.htm?ref=doi">née de la double contestation du régime syrien de Bachar Al-Assad et du « nouvel Irak »</a> issu de l’invasion américaine et de l’installation d’un pouvoir chiite à Bagdad ? L’attentat de Krasnogorsk doit nous inviter à réviser notre idée trop définitive sur l’affrontement entre démocratie et islamisme : elle est exacte, mais très partielle.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=237&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=237&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=237&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=298&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=298&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/583880/original/file-20240324-22-irw02l.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=298&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les attentats islamistes dans le monde (1979-2019). Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.fondapol.org/carte-des-attentats-islamistes-dans-le-monde/">Site de la Fondapol</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Le terrorisme en général et celui de l’EI en particulier visent aussi bien les démocraties libérales que les régimes autoritaires. La section de l’EI au Khorassan qui a revendiqué le massacre en Russie est en effet implantée en Asie centrale et défie, par la violence, des États politiquement bien éloignés des membres de l’UE. Elle a notamment pris pour cibles, ces dernières années, aussi bien les <a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/letat-islamique-khorasan-terroristes-plus-sanguinaires-dafghanistan">talibans afghans</a> que le <a href="https://www.voanews.com/a/us-warned-iran-of-isis-k-threat-ahead-of-deadly-blasts-us-official-says/7457546.html">régime iranien</a>.</p>
<p>C’est tout le problème que pose le terrorisme djihadiste aujourd’hui : défait militairement au Moyen-Orient et jugulé en Europe et aux États-Unis, il s’est reporté vers des zones comme le Sahel, l’Afrique centrale, l’Afrique orientale ou encore l’Asie centrale, où les États sont autoritaires mais souvent faibles. <a href="https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/attaque-a-moscou-ce-que-l-on-sait-des-11-suspects-arretes-dont-quatre-assaillants-presumes_AV-202403230289.html">Les suspects arrêtés par les forces russes quelques heures après l’attentat</a>, même s’il convient en la matière de se garder de conclusions trop hâtives, sont d’ailleurs des ressortissants du Tadjikistan, un pays identifié depuis plusieurs années comme un <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/le-djihadisme-tadjik-nouvelle-menace-pour-l-europe-20240118">terrain de recrutement fertile pour les djihadistes</a>.</p>
<p>D’un point de vue géopolitique, le massacre de Krasnogorsk ouvre une perspective inquiétante : les réseaux reconstituent leurs forces dans ces aires « molles » ou « grises » pour se reporter sur des théâtres plus centraux en Europe. Le profond antagonisme actuel entre la Fédération de Russie et l’Union européenne ne doit pas masquer la réalité : du point de vue des islamistes de l’EI, les régimes politiques respectifs des deux entités se valent et <a href="https://www.politico.com/magazine/story/2017/04/russia-jihadists-number-one-target-214977/">sont des cibles au même titre l’un que l’autre</a>.</p>
<h2>Pourquoi viser la Russie ?</h2>
<p>Que le rival géopolitique de l’UE, envahisseur de l’Ukraine et adversaire autoproclamé de l’Occident, soit victime d’un attentat de masse ne peut étonner que si le regard reste rivé sur l’affrontement avec l’Ukraine, latent depuis les années 2000 et virulent depuis 2013.</p>
<p>En effet, le risque terroriste est très élevé en Russie depuis la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) et, plus encore, <a href="https://www.nytimes.com/2024/03/23/world/europe/moscow-attacks-shootings-bombings.html">depuis l’accession de Vladimir Poutine à la primature puis à la présidence de la Fédération</a>, en 2000. La première menace terroriste contre la Russie est interne : radicalisant une frange de la forte minorité (<a href="https://www.themoscowtimes.com/2019/03/05/russia-will-be-one-third-muslim-in-15-years-chief-mufti-predicts-a64706">10 % environ</a>) musulmane historique (non issue de l’immigration) du pays, exploitant les rancœurs des périphéries (Daghestan, Tchétchénie) contre le centre russe anciennement conquérant et colonisateur, utilisant des vétérans et des fonds venus d’Asie centrale (Afghanistan) et du Golfe, les réseaux terroristes ont commis contre la population civile et les forces de sécurité russes de nombreux attentats.</p>
<p>Plusieurs d’entre eux – sans même parler des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2002/11/17/qui-a-commis-les-attentats-de-1999_4247480_1819218.html">explosions de plusieurs immeubles d’habitation en 1999</a> quand Poutine était premier ministre, officiellement attribuées aux Tchétchènes mais dont bon nombre d’observateurs <a href="https://bibliobs.nouvelobs.com/en-partenariat-avec-books/20131011.OBS0834/le-crime-qui-a-fait-poutine.html">soupçonnent les services russes d’avoir été les auteurs</a> – ont profondément marqué les présidences Poutine : la <a href="https://www.rtbf.be/article/russie-20-ans-apres-la-tragique-prise-dotages-du-theatre-de-moscou-les-proches-des-victimes-se-souviennent-11092368">prise d’otages du théâtre de la Doubrovka en 2002</a> (130 morts, dont sans doute une majorité du fait de l’intervention des services de sécurité) ; la <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/1er-septembre-2004-la-prise-d-otages-de-beslan-par-un-commando-tchetchene_3065109.html">prise d’otages dans une école à Beslan (Ossétie du Nord) en 2004</a> (334 morts dont 186 enfants) ; les <a href="https://www.lejdd.fr/international/double-attentat-moscou-60591">explosions dans le métro de Moscou en 2010</a> (40 morts) et <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/russie/saint-petersbourg-ce-que-l-sait-sur-l-explosion-dans-le-metro-4903758">celles dans le métro de Saint-Pétersbourg en 2017</a> (14 morts), liste loin d’être exhaustive.</p>
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<p>Toutes ces actions violentes de masse ont été revendiquées par des réseaux islamistes implantés en Fédération de Russie même. L’importance du risque terroriste islamiste interne est si grande qu’elle a en partie justifié la <a href="https://www.jstor.org/stable/20788646">reconstitution de services de sécurité intérieure très puissants</a> et qu’elle a conduit Moscou à laisser le violent et imprévisible <a href="https://theconversation.com/chechnyas-boss-and-putins-foot-soldier-how-ramzan-kadyrov-became-such-a-feared-figure-in-russia-216418">Ramzan Kadyrov</a> gérer à sa guise « sa » Tchétchénie, dès lors qu’il y réprime avec la plus grande dureté la moindre menace, réelle ou supposée, de résurgence de djihadisme.</p>
<p>À l’extérieur également, la lutte contre l’islamisme armé est une priorité politique ancienne. C’est contre elle que la Russie et la Chine ont <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2001-4-page-99.htm">créé en 2001 l’Organisation de Coopération de Shanghai</a>, installant le centre de lutte contre celle-ci à Tachkent et <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2018/05/21/lorganisation-de-cooperation-de-shaghai-face-au-terrorisme-dasie-centrale/">fournissant aux États d’Asie centrale formations, renseignements et matériel</a>.</p>
<p>C’est – officiellement – pour lutter contre le terrorisme islamiste que la Russie a répondu aux demandes de la présidence syrienne, en août 2015, pour <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2017-7-page-30.htm">déclencher la première opération militaire extérieure loin de ses frontières</a>. C’est aussi au nom de la lutte contre l’islamisme que, non officiellement, des experts militaires et des mercenaires russes sont intervenus et sont toujours implantés en Afrique du Nord (<a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Les-societes-militaires-privees-russes-au-Moyen-Orient-2-2-En-Libye-le-groupe.html">Libye</a>), en Afrique de l’Ouest (<a href="https://www.theguardian.com/world/2023/may/20/russian-mercenaries-behind-slaughter-in-mali-village-un-report-finds">Mali</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/11/15/le-burkina-faso-resserre-son-alliance-avec-la-russie_6200216_3212.html">Burkina Faso</a>) et en Afrique centrale (<a href="https://www.rts.ch/info/monde/13264727-quand-les-mercenaires-russes-de-wagner-deboisent-la-foret-centrafricaine.html">République centrafricaine</a>).</p>
<p>Enfin, et surtout pour les Européens, les soutiens de Moscou dans l’Union ont, avant 2015 et surtout 2022, tiré argument de ses actions anti-terroristes pour <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/marine-le-pen/terrorisme-de-moscou-le-pen-appelle-cooperer-avec-la-russie-4881050">attribuer à la Russie un rôle de pionnier de la défense de l’Occident</a>. Dans le narratif global russe, avant l’invasion de l’Ukraine, la lutte contre le terrorisme islamiste était l’un des principaux « titres de gloire » revendiqué par le Kremlin.</p>
<p>Viser la Russie fait sens, pour les terroristes islamistes en général et pour l’EI en particulier : les forces russes ont en effet contribué à la défaite militaire de l’EI en Syrie (et au maintien du régime de Bachar Al-Assad). Même si elle n’a rien d’une démocratie libérale, la Russie est pour l’EI une cible d’autant plus privilégiée qu’il tente de se replier notamment sur la zone centrasiatique. Le massacre du Crocus City Hall, qui n’est qu’un épisode supplémentaire dans la longue série des attentats terroristes perpétrés en Russie, illustre la résurgence de la menace islamiste dans ces zones de fragilité pour Moscou que sont l’Asie centrale mais aussi le Caucase russe (début mars, le FSB a ainsi annoncé <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-russie-dit-avoir-tue-six-terroristes-lors-d-une-operation-en-ingouchie-20240303">avoir démantelé une cellule djihadiste en Ingouchie</a>).</p>
<h2>Vers de nouveaux fronts ?</h2>
<p>Une fois rappelée l’histoire longue de la menace terroriste en Russie, les allusions et les sous-entendus des autorités russes sur une implication ou une connivence ukrainienne paraissent d’autant plus opportunistes et fantaisistes.</p>
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<p>Que le moment de l’attentat soit un défi à l’autorité de Vladimir Poutine, triomphalement réélu (en l’absence de la moindre opposition) quelques jours plus tôt, c’est l’évidence. Que l’éventuel affaiblissement de son pouvoir qui pourrait résulter du massacre (si les Russes reprochent au régime de s’être montré incapable de prévenir une attaque d’une telle ampleur) serve indirectement l’Ukraine, c’est manifeste. Mais de la conjonction des crises à la convergence des luttes, il y a un pas que la connaissance du terrorisme islamiste en Eurasie ne permet pas de franchir.</p>
<p>L’invasion de l’Ukraine est une décision militaire de politique extérieure contre une ancienne République socialiste soviétique (RSS) tentée de rejoindre l’Union européenne et l’OTAN. La lutte contre le terrorisme islamiste est un défi intérieur et extérieur qui se rattache aux actions de la Russie sur ses marches sud.</p>
<p>Le narratif manifestement opportuniste déployé par le Kremlin <a href="https://www.tbsnews.net/worldbiz/europe/not-isis-rt-editor-chief-moscow-concert-attack-814951">et par ses propagandistes</a> justifiera peut-être des actions supplémentaires contre l’Ukraine. Mais ce qui mérite l’examen, c’est l’inflexion que les politiques russes, intérieures et extérieures, sont susceptibles de prendre à court et moyen terme.</p>
<p>Tout d’abord, il est fort possible que, ayant fixé le front ukrainien et ayant engagé le <a href="https://theconversation.com/annexions-russes-en-ukraine-quand-la-force-tord-le-bras-au-droit-192125">processus d’intégration de quatre districts ukrainiens</a>, la Russie se reporte sur d’autres fronts : en Europe du Nord pour « tester » la résistance des deux nouveaux membres de l’OTAN (Suède et Finlande) ; en Asie centrale, pour relancer sa coopération avec la Chine et les anciennes RSS de la région, et la cimenter par une reprise de la lutte contre le terrorisme ; vis-à-vis de l’Occident, au mieux pour critiquer son absence de solidarité et au pire pour l’accuser de complaisance ; au Moyen-Orient en relançant des actions estampillées anti-terroristes avec ses alliés locaux (Iran, Turquie, Syrie).</p>
<p>Sur le plan intérieur, en outre, l’attentat du 22 mars sera immanquablement interprété comme un outrage à la « verticale du pouvoir ». La lutte contre le terrorisme est déjà la cause d’une vague d’arrestations de suspects. Mais elle peut donner un nouveau motif à une plus large vague de répression. Car le rapport de la Russie au terrorisme est en partie différent de celui de l’Europe : pour les pouvoirs publics russes, les attentats sont non seulement des meurtres de civils et des troubles à l’ordre public, mais surtout un défi inacceptable à l’État.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226479/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le massacre de Krasnogorsk s’inscrit dans une longue litanie d’actes terroristes djihadistes visant la Russie.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2234992024-02-20T14:44:11Z2024-02-20T14:44:11ZLafarge, « complice de crimes contre l’humanité » en Syrie ? Vers un procès sans précédent pour une multinationale<p>Le 16 janvier 2024, la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/16/lafarge-en-syrie-la-cour-de-cassation-valide-la-mise-en-examen-pour-complicite-de-crime-contre-l-humanite-mais-annule-la-mise-en-danger-des-ouvriers_6211143_3224.html">Cour de cassation</a>, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire en France, a confirmé la mise en examen pour « complicité de <a href="https://theconversation.com/topics/crimes-contre-lhumanite-22671">crimes contre l’humanité</a> » de la société française Lafarge, une première pour une firme de cette envergure. Très attendue par la société civile et les victimes, cette reconnaissance de la compétence des juridictions françaises pour juger des crimes internationaux commis à l’étranger par des acteurs économiques constitue un tournant décisif en ce qui concerne la responsabilité pénale des personnes morales.</p>
<p>Cette affaire qui peut sembler technique, avec à l’origine quatre chefs d’accusation (dont un a été écarté), touche à la question sensible de la possibilité de poursuivre au pénal des entreprises <a href="https://theconversation.com/topics/multinationales-22485">multinationales</a>. Ce terme désigne des ensembles de sociétés réparties dans différents pays et obéissant à une stratégie commune fixée par une société mère. Ces grands groupes semblent parfois bénéficier d’une forme d’impunité, sentiment qui ressort de <a href="https://www.internationalcrimesdatabase.org/Case/43/Presbyterian-Church-Of-Sudan-v-Talisman-Energy/">décisions précédentes</a>, notamment américaines. Le juge français pourrait ainsi venir poser les jalons d’une rupture.</p>
<h2>Différents chefs d’accusation</h2>
<p>Lafarge, société mère de droit français, avait créé en 2010 une filiale de droit syrien pour détenir et exploiter sa cimenterie de Jalabiya, dans le nord de la Syrie. Entre 2010 et 2014, les alentours du site ont fait l’objet de violents affrontements entre divers groupes armés, dont l’État islamique qui a fini par s’en emparer en septembre 2014. Pour poursuivre ses activités malgré le contexte de conflit armé, Lafarge aurait distribué en 2013 et 2014 quelque <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/16/lafarge-en-syrie-la-cour-de-cassation-valide-la-mise-en-examen-pour-complicite-de-crime-contre-l-humanite-mais-annule-la-mise-en-danger-des-ouvriers_6211143_3224.html">13 millions d’euros</a> à ces groupes armés commettant de graves exactions selon l’étude d’un cabinet de conseil missionné par Holcim, le groupe suisse qui a racheté Lafarge depuis. L’enquête française a estimé ces versements entre 4,8 et 10 millions d’euros pour le seul groupe État islamique.</p>
<p>En 2016, une <a href="https://www.asso-sherpa.org/affaire-lafarge-syrie">plainte</a> a été déposée en France par le ministère de l’Économie à la suite de révélations dans la presse, puis par l’association Sherpa, le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains et 11 anciens salariés de Lafarge en Syrie, conduisant à l’ouverture d’une information judiciaire. En 2018, la société Lafarge, en tant que personne morale, ainsi que plusieurs de ses cadres, a été mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », « financement d’une entreprise terroriste », « mise en danger de la vie d’autrui » et « violation d’un embargo ».</p>
<p>Le <a href="https://www.asso-sherpa.org/confirmation-de-la-mise-en-examen-de-lafarge-complicite-crimes-contre-humanite">18 mai 2022</a>, la Cour d’appel avait confirmé la mise en examen de la société Lafarge pour « complicité de crimes contre l’humanité » et « mise en danger de la vie d’autrui », charges ensuite contestées dans un pourvoi en cassation. </p>
<p>La décision du 16 janvier 2024 est venue confirmer la mise en examen pour « complicité de crimes contre l’humanité », considérant que la multinationale avait connaissance des graves exactions commises par les groupes armés. En revanche, la Cour de cassation a écarté la mise en examen pour la mise en danger de la vie d’autrui, estimant que la loi française n’était pas applicable aux salariés syriens. Un choix <a href="https://www.asso-sherpa.org/lafarge-en-syrie-decision-determinante-de-la-cour-de-cassation-sur-les-mises-en-examen-de-la-multinationale">déploré par Sherpa</a> pour qui pareille interprétation restrictive des règles de conflit de lois, malgré la forte implication de Lafarge dans la gestion de sa filiale syrienne, entrave l’accès à la justice pour les travailleurs de multinationales.</p>
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<p>Pour les deux autres chefs d’accusation, le Parquet national antiterroriste a demandé son renvoi en correctionnel le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/09/lafarge-en-syrie-un-premier-proces-requis-contre-le-cimentier-et-neuf-personnes-pour-financement-du-terrorisme_6215693_3224.html">9 février 2024</a> pour financement d’une entreprise terroriste et pour violation d’un embargo, disjoignant ainsi les deux volets de l’affaire.</p>
<h2>Une porte ouverte par le droit français</h2>
<p>S’agissant des infractions de « financement du terrorisme » et de « complicité de crime contre l’humanité », celles-ci sont prévues, d’une part, dans la <a href="https://www.un.org/french/millenaire/law/cirft.htm">Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme de 1999</a>, d’autre part, dans le <a href="https://www.icc-cpi.int/sites/default/files/NR/rdonlyres/ADD16852-AEE9-4757-ABE7-9CDC7CF02886/283948/RomeStatuteFra1.pdf">Statut de Rome de la Cour pénale internationale de 1998</a>. Ces deux conventions ont été ratifiées par la France respectivement en 2002 et 2000.</p>
<p>Le financement du terrorisme s’entend, selon l’article 2 de la Convention sur le terrorisme, comme tout acte consistant à fournir ou à réunir des fonds « dans l’intention de les voir utilisés ou en sachant qu’ils seront utilisés, en tout ou partie, en vue de commettre » des actes relevant du terrorisme. Le crime contre l’humanité s’entend, quant à lui, selon l’article 7 du Statut de Rome, comme des exactions commises dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile, incluant des actes tels que le meurtre, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation forcée, la torture ou encore le viol.</p>
<p>Si le Statut de Rome a retenu la seule responsabilité pénale individuelle, son article 25 précise qu’« aucune disposition du présent Statut relative à la responsabilité pénale des individus n’affecte la responsabilité des États en droit international ». La Convention sur le financement du terrorisme dispose, quant à elle, en son article 5 :</p>
<blockquote>
<p>« Chaque État Partie, conformément aux principes de son droit interne, prend les mesures nécessaires pour que la responsabilité d’une personne morale située sur son territoire ou constituée sous l’empire de sa législation soit engagée lorsqu’une personne responsable de la direction ou du contrôle de cette personne morale a, en cette qualité, commis une infraction visée [par la présente convention]. Cette responsabilité peut être pénale, civile ou administrative ».</p>
</blockquote>
<p>À cet égard, le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000021796078/#LEGISCTA000021796940">Code pénal français</a> prévoit des mécanismes répressifs à l’encontre des sociétés transnationales qui relèvent de la législation française ou qui ont commis des infractions pénales sur le territoire français. En outre, son article 121-7, relatif au régime général de la complicité, requiert uniquement que le <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/cour-de-cassation-ouvre-voie-une-mise-en-examen-de-lafarge-pour-complicite-de-crime-contre-l-h">complice</a> ait sciemment facilité la préparation ou la consommation d’un crime, sans critère géographique.</p>
<p>Si, avec l’affaire <em>Lafarge</em>, la France a ainsi l’opportunité de poser les prémices de la poursuite pénale d’une personne morale pour complicité de crime contre l’humanité, cela n’est toutefois pas sans poser de redoutables défis.</p>
<h2>Vers la fin de l’impunité <em>de facto</em> des sociétés transnationales ?</h2>
<p>Depuis longtemps, les multinationales semblent bénéficier d’une certaine forme d’impunité, tirant profit de la complexité des régimes juridiques internationaux et de la difficulté d’imposer des normes juridiques uniformes à l’échelle mondiale. En effet, les règles encadrant leurs activités n’offrent notamment pas un cadre répressif avec des peines adaptées à la nature d’infractions comme le financement du terrorisme ou la complicité pour crimes contre l’humanité. Des efforts ont, certes, été déployés au niveau international pour les rendre responsables de leurs actions, comme l’adoption en 2011 par le Conseil des droits de l’homme des <a href="https://www.ohchr.org/sites/default/files/Documents/Publications/GuidingPrinciplesBusinessHR_FR.pdf">Principes directeurs des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme</a>. L’absence d’un régime de responsabilité pénale internationale spécifique pour ces entités suggère néanmoins qu’elles pourraient potentiellement esquiver toute responsabilité pour leurs actions.</p>
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<p>Tel a été le cas dans l’affaire <a href="https://www.internationalcrimesdatabase.org/Case/43/Presbyterian-Church-Of-Sudan-v-Talisman-Energy/"><em>Presbyterian Church of Sudan et al. v. Talisman Energy, Inc. and the Republic of the Sudan</em></a>. Des plaignants avaient intenté une action en justice contre l’entreprise Talisman Energy en vertu de l’<em>Alien Tort Statute</em>, une loi américaine de 1789 accordant aux tribunaux fédéraux compétence sur les affaires civiles déposées par des étrangers pour des violations du droit international. Ils alléguaient que cette société pétrolière canadienne était complice de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et de graves violations des droits humains perpétrés par le gouvernement soudanais dans les régions pétrolifères où elle opérait. En 2009, la requête a été rejetée et la société n’a pas été tenue pénalement responsable en raison pour partie d’un manque de preuves, mais surtout de la quasi-impossibilité d’engager la responsabilité d’une société transnationale sur le fondement du droit international. Un tel précédent a laissé planer l’ombre de l’impunité des sociétés transnationales et entretenu, à leur égard, le mythe d’une irresponsabilité pénale.</p>
<p>Face à l’inadéquation des mécanismes généraux de la responsabilité internationale et à une société civile de plus en plus déterminée à lutter contre l’impunité des personnes morales, la mise en examen de Lafarge apparaît comme un précédent qui pourrait relancer le débat sur la question de la pénalisation des activités des sociétés transnationales. Lafarge est, en effet, la première société transnationale au monde, en tant que personne morale, à être mise en examen sur le fondement de complicité de crimes contre l’humanité. Les juges français vont ainsi, quelle que soit l’issue du procès, poser d’importants jalons susceptibles d’inspirer une évolution de la justice pénale internationale.</p>
<p>Ces jalons seront d’autant plus importants que d’autres affaires similaires sont en cours. L’association Sherpa, avec d’autres, a notamment déposé une <a href="https://www.asso-sherpa.org/complicite-de-crimes-de-guerre-au-yemen-une-plainte-deposee-contre-des-entreprises-darmement-francaises">plainte pénale</a> contre plusieurs entreprises d’armement pour leur éventuelle complicité dans des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés au Yémen, lesquels auraient été commis grâce à l’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.</p>
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<p><em>Kadoukpè Babaodi, étudiant en Master 2 à l’Institut des droits de l’homme de l’Université catholique de Lyon a également contribué à la rédaction de cet article.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Maia ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les firmes multinationales semblent parfois jouir d’une forme d’impunité pénale. Que la justice française se saisisse du cas Lafarge pourrait bien marquer une rupture d’envergure.Catherine Maia, Professeure de droit international à l’Université Lusófona (Portugal) et professeure invitée à Sciences Po Paris (France), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2073392023-06-13T17:57:44Z2023-06-13T17:57:44ZL’État islamique est-il défait ?<p><em>Si depuis la perte de ses fiefs irakien et syrien, Mossoul et Raqqa, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/etat-islamique-20355">l’État islamique</a> n’administre plus aucun territoire, l’organisation, dont se réclament plusieurs entités terroristes en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/mali/le-point-sur-les-franchises-de-Daech-qui-frappent-en-afrique_4354447.html">divers points de la planète</a>, continue d’inquiéter. En témoigne un <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/02/1132162">rapport onusien</a> présenté au Conseil de sécurité en 2022 : la <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20220525-afghanistan-l-organisation-%C3%A9tat-islamique-revendique-quatre-attentats-%C3%A0-la-bombe">reprise d’attentats dans ses anciens bastions</a> et son extension sur le continent africain, notamment <a href="https://fr.africanews.com/2023/04/21/au-sahel-le-groupe-etat-islamique-etend-sa-predation/">au Sahel</a>, révèlent entre autres la persistance de l’idéologie de l’État islamique. Dans son nouvel ouvrage <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/l-etat-islamique-est-il-defait/#">« L’État islamique est-il défait ? »</a>, qui vient de paraître aux Éditions CNRS, Myriam Benraad, politologue française spécialiste du monde arabe, professeure en relations internationales à l’Université internationale Schiller et chercheuse associée à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM, unité mixte de recherche qui associe le CNRS et l’Université d’Aix-Marseille) dresse une typologie des facteurs de la défaite de l’organisation jihadiste</em>. </p>
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<p>« La nuit dernière, sous ma direction, les forces armées américaines, dans le nord-ouest de la Syrie, ont mené avec succès une opération de contre-terrorisme visant à protéger les citoyens américains et nos alliés, et à faire du monde un lieu plus sûr. Grâce à la compétence et au courage de nos forces, nous avons supprimé du champ de bataille Abou Ibrahim al-Hachimi al-Qouraychi, leader de l’État islamique ». </p>
<p>Dans <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/02/03/statement-by-president-joe-biden-3/">cette adresse du 3 février 2022</a>, Joe Biden prenait acte de la liquidation d’un des dirigeants jihadistes les plus recherchés au monde. Le président américain se gardait néanmoins d’évoquer une « défaite » de l’État islamique. </p>
<p>Depuis son apparition en Irak à l’automne 2006, plusieurs de ses commandants ont en effet été tués, par trois administrations successives, sans jamais que la mort d’un seul de ces hommes ne conduise à la dissolution définitive du mouvement : <em>[Al-Baghdadi en 2019, puis Al-Qouraychi en février 2022]</em>, puis Abou Hassan, mort quelques mois plus tard en octobre 2022 lors d’une opération de l’Armée syrienne libre dans la province de Deraa, lui-même remplacé par Abou Hussein, vétéran du jihad irakien. Cela étant, les pertes et les destructions endurées par les jihadistes ont été si lourdes au cours des dernières années qu’ils n’ont jamais pu reprendre la main. Dès lors, peut-on raisonnablement parler de défaite de l’État islamique ? </p>
<p>Cette question ne manquera pas d’interpeller les lecteurs, profanes ou fins connaisseurs, tant ce mouvement a fait couler d’encre ces dernières années. Au-delà des réponses hétérogènes que l’on serait tenté d’y apporter, il faut revenir sur la notion de « défaite » pour poser le décor.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guerre-contre-le-terrorisme-comment-sortir-de-la-spirale-sans-fin-de-la-vengeance-204862">Guerre contre le terrorisme : comment sortir de la spirale sans fin de la vengeance ?</a>
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<p>Relevons qu’il n’existe aucune définition fixe du terme dans le champ des études stratégiques, et en science politique plus largement. Une « défaite » n’est-elle que militaire et physique ? Revêt-elle au contraire une connotation plus symbolique ? De plus, pour s’ancrer dans la durée, une défaite ne doit-elle pas s’assortir de transformations sociopolitiques, économiques et culturelles plus profondes ? </p>
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<p>S’interroger sur la « nature » de la défaite de l’État islamique, pour reprendre <a href="https://www.routledge.com/Understanding-Victory-and-Defeat-in-Contemporary-War/Angstrom-Duyvesteyn/p/book/9780415481649">l’approche théorique développée par Jan Angstrom et Isabelle Duyvesteyn</a>, permet sans doute de repositionner un certain nombre de débats clés, en particulier au moment où les doutes grandissent quant à l’avenir des opérations de contre-insurrection au Moyen-Orient.</p>
<p>Parmi les mouvances jihadistes ayant altéré le cours de l’histoire, il n’est pas excessif de dire que l’État islamique fait figure de chef de file. Partout où il s’est établi, puis déployé, de son terreau moyen-oriental jusqu’en Asie et en Afrique, il a meurtri les sociétés exposées à ses actes, lorsqu’il ne les a pas tout simplement dévastées.</p>
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<p>Chronologiquement, l’État islamique a émergé au croisement d’une trajectoire irakienne brutalisée et d’une transhumance militaire à travers une partie importante du monde musulman. Puisant son inspiration et son orientation dans un registre salafiste-jihadiste, le groupe terroriste n’a jamais eu pour but de réformer les systèmes établis mais plutôt de les anéantir au nom de son utopie.</p>
<p>À ce titre, sa défaite ne fait aucun doute. Tout entier lancé dans une conquête internationale, l’État islamique a échoué à s’ancrer dans l’espace. De la même manière, ses attaques spectaculairement meurtrières ont fini par se retourner contre lui. Ses capacités et ressources sont ainsi fortement diminuées. Assiégé et écrasé dans ses bastions irakien et syrien, l’État islamique a été pourchassé partout où il sévissait. </p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « L’État islamique est-il défait ? »" src="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=879&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/530954/original/file-20230608-17-bqub2y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1105&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu du livre « L’État islamique est-il défait ? » paru aux éditions CNRS le 1ᵉʳ juin 2023.</span>
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<p>Pour autant, aborder la problématique de sa défaite implique de ne pas céder au piège d’une lecture manichéenne, ou d’une simplification de l’idée même de défaite. L’État islamique est vaincu, certes, mais n’oublions pas que le phénomène surpasse sa seule dimension armée. </p>
<p>Il est aussi une militance intergénérationnelle dont les racines remontent au jihad antisoviétique des années 1980, une tentation nihiliste détruisant aussi bien la géographie que l’altérité. Par-delà sa défaite, l’État islamique a surtout su produire du temps, s’implanter aux marges de sociétés en proie à de violents conflits, et transcender sa base partisane première.</p>
<p>Pour mesurer au plus près sa défaite, il faut se méfier en outre des récits officiels et médiatiques en vogue, des perspectives trop statiques, envisager la déroute des jihadistes dans ce qu’elle contient de tangible, d’objectif, de durable. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207339/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des années durant, Daech a terrorisé les populations syrienne et irakienne, et commis de nombreux attentats en Europe, en Afrique, en Asie. Aujourd’hui, peut-on dire que la nébuleuse a disparu ?Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2048622023-05-31T16:21:02Z2023-05-31T16:21:02ZGuerre contre le terrorisme : comment sortir de la spirale sans fin de la vengeance ?<p>Au cours des deux dernières décennies, de nombreux commandants du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/djihadisme-20566">djihad mondial</a> ont été éliminés lors d’opérations conduites par les États qui, depuis le 11 septembre 2001, déclarent être « en guerre contre la terreur » et affichent leur détermination à réduire à néant les groupes terroristes partout où ils se trouvent et opèrent.</p>
<p>Fin avril dernier, le chef présumé de l’État islamique (EI), <a href="https://www.nouvelobs.com/terrorisme/20230501.OBS72817/le-chef-presume-de-l-etat-islamique-neutralise-en-syrie-annonce-erdogan.html">Abou Hussein al-Qouraïchi</a>, a été tué par les services de sécurité turcs dans le nord-ouest de la Syrie. Il avait succédé à <a href="https://www.lejdd.fr/International/terrorisme-le-groupe-etat-islamique-annonce-la-mort-de-son-chef-et-nomme-son-successeur-4151302">Abou Hassan al-Qouraïchi</a>, troisième « calife » du mouvement terroriste, abattu en novembre 2022 dans la province syrienne de Deraa lors de combats ayant impliqué l’Armée syrienne libre. Lui-même, au mois de février précédent, avait remplacé <a href="https://www.20minutes.fr/monde/3228831-20220203-armee-americaine-elimine-dirigeant-groupe-etat-islamique">Abou Ibrahim al-Qouraïchi</a>, tué deux ans et demi après avoir pris la tête de l’EI à la suite de l’élimination d’<a href="https://theconversation.com/la-mort-de-baghdadi-est-un-coup-dur-pour-Daech-mais-elle-ne-sera-pas-fatale-a-lorganisation-terroriste-125979">Abou Bakr al-Baghdadi</a> par les forces spéciales américaines à l’automne 2019.</p>
<p>Et, bien sûr, chacun garde en tête l’élimination par un drone américain du chef d’Al-Qaida, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/02/les-etats-unis-ont-tue-ayman-al-zawahiri-le-chef-d-al-qaida-selon-des-medias-americains_6136882_3210.html">Ayman al-Zawahiri</a>, en juillet 2022, sur le territoire afghan, et celle, onze ans plus tôt, d’<a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/ils-l-ont-vecu/la-fin-de-ben-laden-9680478">Oussama Ben Laden</a> au Pakistan.</p>
<p>Chacune de ces opérations est l’occasion pour Washington et ses partenaires d’affirmer non seulement que la menace terroriste serait durablement freinée grâce à ces missions mais, plus encore, que justice aurait été rendue : ce sont, par exemple, les termes employés par Donald Trump <a href="https://trumpwhitehouse.archives.gov/briefings-statements/united-states-brought-leader-isis-justice/">après la disparition d’Al-Baghdadi</a>, et par Joe Biden <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2022/08/01/remarks-by-president-biden-on-a-successful-counterterrorism-operation-in-afghanistan/">après celle d’Al-Zawahiri</a>.</p>
<p>On peut dès lors s’interroger aujourd’hui sur une « justice » qui semble imprégnée de vengeance, d’un désir de châtier les crimes perpétrés – une vengeance <a href="https://www.cairn.info/terrorisme-les-affres-de-la%20vengeance--9791031804729-page-9.htm">qui n’est pas sans rappeler</a>, toutes choses égales par ailleurs, celle promise par les djihadistes eux-mêmes. Ces opérations qui visent à assassiner les leaders terroristes sont-elles vraiment efficaces dans la lutte contre le terrorisme en général ou relèvent-elles d’autre chose ? </p>
<h2>Réciprocité négative et impasse de la violence</h2>
<p>Ce cercle vicieux de la violence procède d’un principe de « réciprocité négative » qui pose la question de l’issue de la longue guerre livrée aux terroristes. Celle-ci peut-elle être remportée ?</p>
<p>À chaque disparition d’un de ses chefs, l’EI a en effet systématiquement <a href="https://www.terrorism-info.org.il/en/isis-announces-campaign-to-avenge-the-death-of-its-former-leader-and-spokesman/">juré de le venger</a> au nom d’une justice placée sous le sceau de la transcendance divine. Persuadés de pouvoir compter sur des légions d’adeptes à travers le monde, les émirs djihadistes n’ont jamais réagi à leurs défaites par l’abandon ou l’abnégation, et encore moins par le renoncement à la violence, mais au contraire par l’annonce de nouvelles représailles.</p>
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<p>Souvenons-nous comment la traque sans relâche, puis la mort de Ben Laden avaient déjà inspiré un terrible <a href="https://www.reuters.com/article/uk-binladen-qaeda-confirmation-idUKTRE7452MP20110506">désir de vengeance chez ses disciples</a>, ou comment à la mort d’Al-Baghdadi l’EI avait enjoint à ses partisans de venger ses chefs au long cours. En avril 2022, un message diffusé sur l’application Telegram et intitulé « Incursion vengeresse pour les deux cheikhs » énonçait ainsi <a href="https://newlinesinstitute.org/isis/revenge-for-the-two-sheikhs-isis-renews-itself-in-the-syrian-desert/">« qu’avec le soutien de Dieu, l’État islamique lançait une campagne bénie de vengeance »</a>.</p>
<p>Ces pulsions vengeresses chez les djihadistes comme chez leurs ennemis pointent-elles vers l’impasse d’une guerre sans fin ? <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2689715/">Le concept de réciprocité fait souvent référence à une coopération positive</a>, mais il peut recouvrir une dimension nettement négative, orientée vers l’hostilité. D’ailleurs, dans certains cas, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/cogs.12773">ce type de réciprocité négative</a> se généralise au point de dominer l’ensemble des interactions et des relations entre parties adverses, avec pour conséquence directe une spirale interminable de vengeances mutuelles.</p>
<h2>La vengeance comme « norme rétributive »</h2>
<p>Dans cette optique, les <a href="https://link.springer.com/referenceworkentry/10.1007/978-1-4020-9160-5_58">représailles djihadistes peuvent être conçues comme une norme rétributive</a> dont le dessein n’est autre que de provoquer à terme le renoncement chez leurs cibles. Lue à travers ce prisme, la volonté se veut en effet dissuasive : le djihadiste déstabilise le camp opposé en instillant la peur, provoquant certes une réponse elle-même violente dans un premier temps, obéissant à la vengeance, mais avec pour ultime intention d’obliger ses adversaires, progressivement épuisés, à abandonner toute action durable.</p>
<p>Il s’agissait déjà de la pensée véhiculée par la <a href="https://www.cairn.info/al-qaida-dans-le-texte--9782130547716-page-62.htm">« Déclaration du Front islamique mondial pour le djihad contre les Juifs et les Croisés »</a>, signée par Ben Laden et ses associés en 1998 et invitant les musulmans à « tuer les Américains et leurs alliés » pour les inciter à « se retirer des terres d’islam, vaincus et incapables de nuire aux croyants ».</p>
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<p>Les différences qui existent entre systèmes culturels et valeurs morales n’enlèvent d’ailleurs rien aux traits universels de la réciprocité <a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2016-1-page-165.htm">que l’on retrouve dans toutes les sociétés humaines</a> et dont les manifestations oscillent en fonction notamment des modes d’administration de la justice. Cette réciprocité est par nature talionique, se référant au fameux proverbe « œil pour œil, dent pour dent ».</p>
<p>Les représailles revendiquées par les djihadistes sont assimilées par ces derniers à une justice vengeresse nécessaire pour réparer les crimes et les dommages supposément causés aux musulmans. Néanmoins, la riposte de leurs adversaires, au fur et à mesure de l’escalade de la violence, a elle aussi peu à peu abandonné toute considération morale ou juridique quant au bien-fondé et à la licéité d’un usage débridé de la force.</p>
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<p>Les <a href="https://www.lexpress.fr/monde/terrorisme-la-france-et-ses-allies-ont-ils-le-droit-d-assassiner-leurs-propres-ressortissants_1725341.html">exécutions extrajudiciaires de djihadistes</a> en sont une illustration édifiante ; elles échappent en large part au contrôle démocratique, de même qu’à la définition traditionnelle de la vengeance talionique – du mot latin <em>talio</em> (rétribution), provenant lui-même de <em>talis</em> (« choses qui sont égales en nature »). Le talion consiste en réalité à fixer des limites autant qualitatives que quantitatives à l’application d’une peine déterminée.</p>
<p>Dans un ordre d’idées similaire, la vengeance prescrit en théorie un équilibre pacifique entre opposants, axé autour d’une rétribution qui doit demeurer proportionnelle et en aucun cas conduire à une surenchère meurtrière et prolongée des affrontements.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-tribunal-international-pour-juger-les-djihadistes-de-daech-130588">Un tribunal international pour juger les djihadistes de Daech ?</a>
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<p>Or de nombreux civils ont perdu la vie à l’occasion des opérations de contre-insurrection destinées à exterminer les djihadistes, tombant vite dans la catégorie des <a href="https://www.cairn.info/propagande-imperiale-et-guerre-financiere--9782748900743-page-187.htm">« dommages collatéraux »</a>. </p>
<h2>Une guerre contre la terreur sans fin ?</h2>
<p>On touche ici à l’impasse, sinon au drame, qu’incarne depuis plus de vingt ans la guerre globale contre la terreur. Faut-il conclure, en effet, que le recours à la force des Américains et de leurs alliés n’a fait qu’exacerber le désir vengeur des djihadistes, leur attirer de nouveaux partisans et <a href="https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-2018-1-page-479.htm">alimenter la violence qu’il était supposé contenir</a> ? Les détracteurs les plus virulents de cette guerre ont toujours soutenu que, <a href="https://www.nytimes.com/2021/09/10/world/europe/war-on-terror-bush-biden-qaeda.html">bien loin d’avoir endigué le terrorisme, elle l’a en quelque sorte intensifié</a> en fabriquant une réciprocité négative qui paraît à présent <a href="https://www.bbc.com/news/world-53156096">insurmontable</a>.</p>
<p>De plus, il est utile de souligner que les répliques punitives contre les djihadistes ne visent pas seulement à affaiblir leurs organisations, mais aussi à éteindre la propension à la vengeance d’opinions publiques d’abord laissées sans voix par les actions terroristes, <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/ajps.12692">puis vite assaillies d’un profond ressentiment</a>.</p>
<p>Cette soif de vengeance a-t-elle depuis été apaisée ? Symptomatiquement, les opinions occidentales ne connaissent plus les noms des chefs de l’EI ou d’Al-Qaida, et les tuer ne semble pas prioritaire dans la hiérarchie de leurs préoccupations ; depuis Al-Baghdadi, trois émirs de l’EI ont été éliminés, sans pour autant faire la une de l’actualité. Peut-être, et même si les organisations terroristes sont loin d’avoir déposé les armes, faut-il voir dans cette lassitude apparente les prémices de la fin du cycle de la vengeance qui se trouve au cœur même de la guerre contre la terreur…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204862/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La « guerre contre la terreur » proclamée après le 11 septembre 2001 est soutenue par une rhétorique centrée sur la vengeance.Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1881002022-08-02T20:17:12Z2022-08-02T20:17:12ZAprès l’élimination d’Ayman al-Zawahiri, Al-Qaïda représente-t-elle toujours une menace ?<p>Le gouvernement américain vient d’annoncer qu’Ayman al-Zawahiri, le chef d’Al-Qaïda et cerveau des attentats du 11 septembre 2001, a été <a href="https://apnews.com/article/ayman-al-Zawahri-al-qaida-terrorism-biden-36e5f10256c9bc9972b252849eda91f2">tué par un drone</a> à Kaboul, capitale de l’Afghanistan.</p>
<p>Al-Zawahiri était le successeur d’Oussama ben Laden. Sa mort permet aux familles de ceux qui ont été tués dans les attaques de 2001 de « tourner la page », a déclaré le président des États-Unis, Joe Biden, lors d’une <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/speeches-remarks/2022/08/01/remarks-by-president-biden-on-a-successful-counterterrorism-operation-in-afghanistan/">allocution télévisée</a> le 1<sup>er</sup> août 2022.</p>
<p>Cet assassinat ciblé a eu lieu près d’un an après que les troupes américaines <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20210830-les-derni%C3%A8res-troupes-am%C3%A9ricaines-ont-quitt%C3%A9-l-afghanistan-pentagone">ont quitté l’Afghanistan</a> après des décennies de combats dans ce pays. Quel sera l’impact de l’élimination du chef d’Al-Qaïda, et que dit cette opération de la lutte antiterroriste conduite par les États-Unis en Afghanistan sous le régime des talibans ? The Conversation a demandé à <a href="https://ctc.usma.edu/team/dr-daniel-milton/">Daniel Milton</a>, expert en terrorisme à l’Académie militaire américaine de West Point, et à <a href="https://extremism.gwu.edu/dr-haroro-ingram">Haroro J. Ingram</a> et <a href="https://extremism.gwu.edu/andrew-mines">Andrew Mines</a>, chargés de recherche au Programme sur l’extrémisme de l’Université George Washington, d’apporter de premiers éléments de réponse à ces questions.</p>
<h2>Qui était Ayman al-Zawahiri ?</h2>
<p>Ayman al-Zawahiri, né en 1951 en Égypte, était devenu le principal dirigeant d’Al-Qaïda en 2011 après que l’élimination de son prédécesseur, Oussama ben Laden, dans été une <a href="https://www.lemonde.fr/mort-de-ben-laden/">opération américaine</a>.</p>
<p>Au cours des dernières années précédant la mort de Ben Laden, de nombreux responsables d’Al-Qaïda avaient été tués par des <a href="https://www.cairn.info/revue-a-contrario-2019-2-page-63.htm">frappes de drones américains au Pakistan</a>, et Ben Laden avait <a href="https://www.ctc.usma.edu/letters-from-abbottabad-bin-ladin-sidelined/">rencontré de plus en plus de difficultés</a> à exercer un contrôle réel sur le réseau mondial qu’était devenue son organisation.</p>
<p>En 2011, Al-Zawahiri a succédé à Ben Laden malgré une réputation mitigée. Bien qu’il ait été impliqué de longue date dans la lutte djihadiste, il était considéré par de nombreux observateurs et, aussi, par certains djihadistes comme un orateur soporifique sans qualifications religieuses officielles ni expérience sur le champ de bataille.</p>
<p>Nettement moins charismatique que son prédécesseur, Al-Zawahiri était connu pour sa tendance à <a href="https://www.universiteitleiden.nl/binaries/content/assets/customsites/perspectives-on-terrorism/2017/issue-1/0620171-deciphering-ayman-al-zawahiri-and-al-qaeda%E2%80%99s-strategic-and-ideological-imperatives-by-sajjan-m.-gohel.pdf">se lancer dans de longs discours sinueux</a> et souvent archaïques. Il a également eu du mal à se défaire des rumeurs selon lesquelles il aurait été un <a href="https://www.pulitzer.org/winners/lawrence-wright">informateur</a> des autorités égyptiennes lors de son séjour en prison dans son pays d’origine (1981-1984) et, <a href="https://www.pulitzer.org/winners/lawrence-wright">comme l’a expliqué le journaliste Lawrence Wright</a>, il a rendu compliquées les relations entre le jeune Ben Laden et le mentor de celui-ci, Abdullah Azzam.</p>
<p>L’influence d’Al-Zawahiri s’est encore affaiblie du fait du <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/reporters/20210205-2011-une-histoire-de-printemps-les-r%C3%A9volutions-arabes-vues-par-france-24">Printemps arabe qui a balayé l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient</a> : Al-Qaïda est alors apparue déconnectée des événements et incapable d’exploiter efficacement le déclenchement de la guerre en Syrie et en Irak. Pour les analystes comme pour ses djihadistes, Al-Zawahiri est apparu comme le symbole d’une Al-Qaïda dépassée et rapidement éclipsée par d’autres groupes qu’elle avait <a href="https://www.cairn.info/le-terrorisme--9782738129543-page-251.htm">autrefois aidé à s’imposer sur la scène mondiale</a>, notamment l’État islamique.</p>
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<figcaption><span class="caption">Qui était Ayman Al-Zawahiri, chef d’Al-Qaïda ? • France 24, 2 août 2022.</span></figcaption>
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<p>Mais avec <a href="https://www.cnews.fr/monde/2016-05-17/Daech-sur-le-declin-729701">l’effondrement du califat du groupe État islamique</a> en 2019, le retour au pouvoir en Afghanistan des talibans, alliés d’Al-Qaïda, et la persistance des filiales d’Al-Qaïda <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/mali/le-point-sur-les-franchises-de-Daech-qui-frappent-en-afrique_4354447.html">notamment en Afrique</a>, certains experts <a href="https://warontherocks.com/2022/05/how-strong-is-al-qaeda-a-debate/">affirment</a> qu’Al-Zawahiri a guidé Al-Qaïda pendant sa période la plus difficile et que le groupe reste une menace puissante. Un haut responsable de l’administration Biden <a href="https://apnews.com/article/ayman-al-Zawahiri-al-qaida-terrorism-biden-36e5f10256c9bc9972b252849eda91f2">a déclaré à l’Associated Press</a> qu’au moment de sa mort, Al-Zawahiri continuait à exercer une « direction stratégique » et était considéré comme un personnage dangereux.</p>
<h2>Où sa mort laisse-t-elle Al-Qaïda ?</h2>
<p>L’assassinat ou la capture des principaux chefs terroristes est un outil clé de la lutte contre le terrorisme depuis des décennies. Ces opérations permettent de retirer les chefs terroristes du champ de bataille et de provoquer les <a href="https://cup.columbia.edu/book/terror-in-transition/9780231192255">luttes de succession</a> qui perturbent la cohésion du groupe et peuvent exposer ses vulnérabilités en matière de sécurité. Contrairement à l’État islamique, dont les <a href="https://theconversation.com/islamic-state-leader-killed-in-us-raid-where-does-this-leave-the-terrorist-group-176410">pratiques de succession des dirigeants</a> sont claires et ont été mises en œuvre à quatre reprises depuis la mort de son fondateur Abou Moussab al-Zarqaoui en 2006, celles d’Al-Qaïda sont plutôt opaques. Le successeur d’Al-Zawahiri ne sera que le troisième dirigeant du mouvement <a href="https://archives.fbi.gov/archives/news/testimony/al-qaeda-international">depuis sa création</a> en 1988.</p>
<p>Le <a href="https://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/S%202022%20547.pdf">principal prétendant</a> est un autre Égyptien. Ancien colonel de l’armée égyptienne et, comme Al-Zawahiri, membre du Djihad islamique égyptien, affilié à Al-Qaïda, <a href="https://www.fbi.gov/wanted/wanted_terrorists/saif-al-adel">Saif al-Adel</a> est lié aux attentats à la bombe de 1998 contre les ambassades américaines en Tanzanie et au Kenya, qui ont fait d’Al-Qaïda une menace djihadiste mondiale. Sa réputation d’expert en explosifs et de stratège militaire lui vaut une vraie popularité au sein du mouvement Al-Qaïda. Toutefois, un certain nombre d’autres possibilités se cachent derrière Al-Adel : un récent <a href="https://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/S%202022%20547.pdf">rapport du Conseil de sécurité des Nations unies</a> identifie plusieurs successeurs possibles.</p>
<p>Quoi qu’il en soit, Al-Qaïda se trouve aujourd’hui à la croisée des chemins. Si le successeur d’Al-Zawahiri est largement reconnu comme légitime à la fois par le noyau dur d’Al-Qaïda et par ses affiliés, il pourrait contribuer à stabiliser le mouvement. Mais toute ambiguïté concernant le plan de succession d’Al-Qaïda pourrait entraîner une remise en question de l’autorité du nouveau chef, ce qui pourrait fracturer davantage le mouvement.</p>
<p>Tout porte à croire qu’Al-Qaïda en tant que mouvement mondial survivra à la mort d’Al-Zawahiri, tout comme elle a survécu à celle de Ben Laden. Le réseau a connu un certain nombre de succès récents. Les talibans, ses alliés de longue date, ont réussi à prendre le contrôle de l’Afghanistan avec l’aide d’<a href="https://cisac.fsi.stanford.edu/mappingmilitants/profiles/al-qaeda-indian-subcontinent-aqis">Al-Qaïda dans le sous-continent indien</a> – une filiale qui étend actuellement ses opérations au Pakistan et en Inde. Pendant ce temps, les groupes affiliés sur le continent africain – du Mali et de la région du lac Tchad à la Somalie – demeurent une menace, certains s’étendant au-delà de leurs zones d’opérations traditionnelles.</p>
<p>D’autres groupes affiliés, comme Al-Qaïda dans la péninsule arabique, basée au Yémen, restent fidèles au noyau dur et, selon l’équipe de surveillance des Nations unies, sont désireux de relancer des attaques à l’étranger contre les États-Unis et leurs alliés.</p>
<p>Le successeur d’Al-Zawahiri cherchera à conserver l’allégeance des affiliés d’Al-Qaïda afin que celle-ci continue de représenter une menace réelle.</p>
<h2>Qu’est-ce que cette élimination nous apprend sur les opérations américaines en Afghanistan sous les talibans ?</h2>
<p>Le retrait américain d’Afghanistan en août 2021 a suscité des interrogations quant à la capacité des États-Unis à maintenir la pression sur Al-Qaïda, <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-letat-islamique-au-khorassan-qui-a-revendique-lattentat-de-laeroport-de-kaboul-166938">l’État islamique au Khorassan</a> et les autres djihadistes présents dans le pays.</p>
<p>Les responsables américains ont <a href="https://www.nationaldefensemagazine.org/articles/2021/11/20/sof-leader-calls-over-the-horizon-ops-in-afghanistan-hard-but-doable">expliqué</a> qu’une stratégie de surveillance de loin (« over-the-horizon ») – consistant à lancer des frappes chirurgicales et des raids d’opérations spéciales depuis l’extérieur d’un État donné – permettrait aux États-Unis de répondre à des défis tels que les préparatifs d’attaques terroristes et la résurgence de groupes armés.</p>
<p>Mais de nombreux experts <a href="https://foreignpolicy.com/2022/01/05/over-the-horizon-biden-afghanistan-counter-terrorism/">ne sont pas de ce cet avis</a>. Et lorsqu’une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/13/les-militaires-americains-responsables-de-la-frappe-de-drone-a-kaboul-ne-seront-pas-poursuivis_6105923_3210.html">erreur de frappe d’un drone américain</a> a tué sept enfants, un travailleur humanitaire employé par les États-Unis et d’autres civils l’automne dernier, cette stratégie a fait l’objet d’un examen approfondi.</p>
<p>Mais à ceux qui doutaient que les États-Unis aient encore la volonté de s’attaquer aux principaux terroristes en Afghanistan, l’assassinat d’Al-Zawahiri apporte une réponse claire. <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20220802-u">Cette frappe</a> aurait impliqué une surveillance à long terme du leader d’Al-Qaïda et de sa famille, et des discussions approfondies au sein du gouvernement américain avant de recevoir l’approbation présidentielle. Joe Biden affirme que l’élimination d’Al-Zawahiri n’a pas fait d’autres victimes.</p>
<p>Il convient cependant de remarquer qu’il a fallu onze mois aux États-Unis pour frapper leur première cible de grande valeur en Afghanistan sous le régime des talibans. Cela contraste avec les <a href="https://www.voanews.com/a/us-military-significantly-reduced-global-airstrikes-in-2021-/6392771.html">centaines de frappes aériennes</a> effectuées dans les années qui ont précédé le retrait américain d’août 2021.</p>
<p>La frappe a eu lieu dans un quartier de Kaboul où résident de nombreux hauts responsables talibans. <a href="https://apnews.com/article/ayman-al-Zawahiri-al-qaida-terrorism-biden-36e5f10256c9bc9972b252849eda91f2">La planque elle-même appartenait</a> à un collaborateur de haut rang de Sirajuddin Haqqani, un terroriste <a href="https://www.fbi.gov/wanted/terrorinfo/sirajuddin-haqqani">recherché par les États-Unis</a> et un haut dirigeant taliban.</p>
<p>Apporter de l’aide à Al-Zawahiri constituait une violation de l’<a href="https://www.state.gov/wp-content/uploads/2020/02/Agreement-For-Bringing-Peace-to-Afghanistan-02.29.20.pdf">accord de Doha</a> de 2020, en vertu duquel les talibans avaient accepté de « ne pas coopérer avec des groupes ou des individus menaçant la sécurité des États-Unis et de leurs alliés ». Les circonstances de l’attaque suggèrent que si les États-Unis veulent mener des opérations efficaces « au-delà de l’horizon » en Afghanistan, ils <a href="https://foreignpolicy.com/2019/08/26/how-to-partner-with-the-taliban/">ne peuvent pas compter sur</a> le soutien des talibans.</p>
<p>L’élimination d’Al-Zawahiri ne nous dit pas non plus si la stratégie américaine après le retrait peut contenir d’autres groupes djihadistes dans la région, comme l’État islamique au Khorassan, qui est farouchement opposé aux talibans et <a href="https://ctc.usma.edu/the-islamic-state-threat-in-taliban-afghanistan-tracing-the-resurgence-of-islamic-state-khorasan/">à leur expansion en Afghanistan</a>.</p>
<p>En effet, si un plus grand nombre de djihadistes perçoivent les talibans comme étant trop faibles pour protéger les principaux dirigeants d’Al-Qaïda et de ses affiliés, tout en étant incapables de gouverner l’Afghanistan sans l’aide des États-Unis, beaucoup d’entre eux pourraient considérer l’État islamique au Khorassan comme le meilleur choix.</p>
<p>Ces dynamiques, ainsi que d’autres, illustrent les nombreux défis que pose la poursuite du contre-terrorisme en Afghanistan aujourd’hui – défis qui ne seront probablement pas résolus par des frappes de drones et des assassinats occasionnels très médiatisés.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188100/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>The views expressed by Dr. Milton are his own and not of the U.S. Military Academy, the Department of the Army, or any other agency of the U.S. Government</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Andrew Mines et Haroro J. Ingram ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>L’élimination de celui qui en était le chef depuis onze ans porte sans doute un rude coup à Al-Qaïda, mais d’autres groupes djihadistes pourraient profiter de la nouvelle donne.Haroro J. Ingram, Senior Research Fellow at the Program on Extremism, George Washington UniversityAndrew Mines, Research Fellow at the Program on Extremism, George Washington UniversityDaniel Milton, Director of Research, United States Military Academy West PointLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1668682021-09-07T18:24:29Z2021-09-07T18:24:29ZLes djihadistes peuvent-ils gagner ?<p>Les attentats du 11 septembre 2001 furent un choc incommensurable pour l’Amérique. Le président des États-Unis, George W. Bush, compara cet événement à l’attaque-surprise de Pearl Harbor en 1941. Il répliqua par le déclenchement d’une « guerre globale contre le terrorisme » dont le premier théâtre fut l’Afghanistan. Le régime taliban – qui avait refusé de livrer Oussama Ben Laden – fut balayé en quelques semaines et les camps d’entraînement d’al-Qaïda furent détruits. Nul n’aurait alors songé que 20 ans plus tard, les talibans seraient de retour à Kaboul, ni qu’al-Qaïda et ses épigones auraient <a href="https://www.csis.org/analysis/evolution-salafi-jihadist-threat">essaimé dans de nombreux pays</a>.</p>
<p>Deux décennies après l’effondrement des tours du World Trade Center, les djihadistes peuvent-ils gagner ? Cette question est plus compliquée qu’il n’y paraît. Commençons par rappeler que les djihadistes – partisans d’une doctrine politico-religieuse qui prône la lutte armée au nom d’une conception fondamentaliste de l’islam – ne forment pas un ensemble homogène. Une manière de les différencier consiste à distinguer les groupes ayant des objectifs locaux de ceux poursuivant des buts globaux.</p>
<h2>Djihad local et djihad global</h2>
<p>Les talibans sont généralement classés dans la première catégorie, mais ils entretiennent historiquement des liens avec al-Qaïda qui appartient à la seconde catégorie. Un point essentiel de l’<a href="https://www.state.gov/wp-content/uploads/2020/02/Agreement-For-Bringing-Peace-to-Afghanistan-02.29.20.pdf">accord de Doha</a>, signé en février 2020 par le diplomate américain Zalmay Khalilzad et le mollah Abdul Ghani Baradar, est que l’émirat islamique d’Afghanistan s’engageait à ne pas héberger al-Qaïda ni à lui fournir la moindre assistance. De sérieux doutes, émis notamment par <a href="https://www.undocs.org/pdf?symbol=fr/S/2021/486">l’Organisation des nations unies</a>, existent néanmoins sur la crédibilité de cet engagement, d’autant que la formulation de l’accord était relativement ambiguë.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/laccord-entre-les-etats-unis-et-les-talibans-un-jeu-de-dupes-134060">L’accord entre les États-Unis et les talibans : un jeu de dupes ?</a>
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<p>Les États-Unis, de leur côté, promettaient de retirer leurs troupes du pays. Profitant de ce retrait et de l’effondrement subséquent de l’armée nationale afghane, les talibans ont réussi à s’emparer du pouvoir à l’été 2021, à l’issue d’une offensive-éclair. Ils ont ainsi gagné leur guerre et rempli leur objectif stratégique. On ne peut pas en dire autant d’al-Qaïda – même si <a href="https://english.alarabiya.net/News/gulf/2021/08/19/Al-Qaeda-in-Yemen-congratulates-Taliban-vows-to-continue-campaigns">différentes</a> <a href="https://ent.siteintelgroup.com/Statements/aqim-and-jnim-issue-joint-statement-congratulating-taliban-promoting-its-victory-as-justifying-jihad.html">filiales</a> de l’organisation terroriste se sont réjouies de la victoire talibane.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1433487420125859840"}"></div></p>
<p>Oussama Ben Laden avait exposé publiquement ses objectifs : « chasser les juifs et les croisés » des terres d’islam, renverser les gouvernements « apostats » et unifier la communauté des croyants sous l’autorité d’un calife. Force est de constater qu’au cours des deux dernières décennies, ces buts n’ont été atteints ni par al-Qaïda, ni par son principal concurrent au sein de la mouvance djihadiste internationale : Daech. Si ces deux organisations paraissent aujourd’hui affaiblies, minées par leurs divisions internes et traquées par les unités contre-terroristes, elles disposent néanmoins de trois grands atouts qui ont rendu jusqu’à présent leur éradication impossible.</p>
<h2>La force de l’idéologie</h2>
<p>Le premier atout est la force de l’idéologie <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/salafi-jihadism/">salafo-djihadiste</a> qui plonge ses racines dans les écrits d’<a href="https://brill.com/view/book/9789004412866/BP000005.xml">Ibn Taymiyya</a> (1263-1328), <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Sayyed-Qutb.html">Sayyid Qutb</a> (1906-1966) ou encore <a href="https://www.cambridge.org/core/books/caravan/F92B16194E70D55E6ABF362A06271E71">Abdallah Azzam</a> (1941-1989). Les partisans de cette mouvance ont le sentiment de défendre l’islam contre des agresseurs et d’œuvrer pour une cause sacrée. Ils perçoivent l’interventionnisme occidental dans le monde musulman comme une forme de guerre contre l’<em>oumma</em> et présentent l’engagement dans le « djihad défensif » comme une obligation individuelle pour tous les musulmans. Ceux qui refusent de suivre ce précepte ne peuvent être considérés à leurs yeux comme de véritables croyants. Dans cette vision de la « guerre sainte », les « croisés » doivent être combattus jusque sur leurs terres, ce qui permet de légitimer les attentats dans les pays occidentaux.</p>
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<p>Les djihadistes sont persuadés de jouir d’une forme de supériorité morale et développent par conséquent une détermination hors du commun au service d’une cause sacrée. Ils mènent une guerre totale et se vantent de ne pas craindre d’aller au-devant de la mort. Leur propension à mourir est d’autant plus élevée que mille félicités sont promises aux « martyrs ». La devise « Nous aimons la mort autant que vous aimez la vie » n’a pas uniquement vocation à terroriser les adversaires : elle est aussi le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-djihad-et-la-mort-olivier-roy/9782757876534">reflet d’un système de valeurs</a> fondamentalement différent de celui des Occidentaux. La lutte contre le djihadisme n’est peut-être pas un <em>clash</em> des civilisations, mais c’est assurément un choc de valeurs.</p>
<h2>La capacité à innover</h2>
<p>L’idéologie est un socle essentiel pour motiver les combattants et attirer de nouvelles recrues, mais elle ne suffit pas à garantir la puissance d’un mouvement. Or, d’un point de vue matériel, les djihadistes ne font pas le poids face à leurs ennemis. S’ils engageaient toutes leurs forces dans un combat frontal face aux armées occidentales – sans même mentionner d’autres adversaires comme la Russie ou l’Iran –, ils seraient vaincus. Conscients de cette faiblesse matérielle, ils misent sur un deuxième atout : la capacité à surprendre et à déstabiliser leurs opposants en misant sur l’innovation.</p>
<p>Ainsi, al-Qaïda et Daech ont su innover à différents niveaux : organisationnel, stratégique et tactique. Un exemple d’évolution organisationnelle est la décentralisation de la nébuleuse qaïdiste qui a pris deux formes : d’une part, l’ouverture de <a href="https://www.cairn.info/un-monde-de-ruptures--9782100745562-page-48.htm?contenu=plan">« filiales » régionales</a> et, d’autre part, le déploiement d’un <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/focus-strategique/web-social-djihadisme-diagnostic-aux-remedes">vaste appareil de propagande sur Internet</a> en vue, notamment, de susciter du « terrorisme d’inspiration ». L’innovation stratégique peut être illustrée par la volonté d’Abou Bakr al-Baghdadi d’unifier les théâtres syrien et irakien en 2013, puis de rétablir le califat en 2014. Au niveau tactique, enfin, les exemples sont nombreux, de l’utilisation quasi industrielle de véhicules-suicides à la <a href="https://www.defenseone.com/technology/2017/01/drones-isis/134542/">confection de drones armés artisanaux</a>.</p>
<h2>La mobilité stratégique</h2>
<p>Ces savoir-faire tactiques peuvent être déployés sur différents théâtres car les djihadistes bénéficient d’un troisième atout : leur mobilité stratégique. Ils ont su, au cours des deux dernières décennies, faire passer le centre de gravité de leurs actions de l’Afghanistan à l’Irak puis à la Syrie, à la Libye et à l’Afrique subsaharienne. Ils savent se greffer sur des conflits locaux, profiter de la mauvaise gouvernance, des injustices et des inégalités, nouer des alliances tribales et promouvoir les mérites de leur <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/politique-etrangere/articles-de-politique-etrangere/sahel-soubassements-dun-desastre">modèle alternatif</a>. Dans des États faillis ou marqués par des fractures ethno-sociales, les djihadistes ne gagnent pas seulement du terrain en terrorisant les populations réfractaires mais aussi en se présentant comme les défenseurs d’un ordre islamique plus équitable.</p>
<p>Ces trois atouts offrent à la mouvance djihadiste internationale une capacité de résilience remarquable. Ils peuvent lui permettre de continuer à porter des coups à ses adversaires et lui fournir les bases d’une possible remontée en puissance. Ils ne sauraient toutefois suffire à offrir la victoire à des combattants irréguliers opposés aux États les plus puissants. Souvenons-nous de la formule de <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2011-2-page-281.htm">Gérard Chaliand</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Si la guérilla est l’arme du faible, le terrorisme, utilisé de façon exclusive, est l’arme du plus faible encore. »</p>
</blockquote>
<p>En définitive, après vingt ans de guerre contre le terrorisme, les États occidentaux continuent d’être confrontés à un ennemi qu’ils ne parviennent pas à éradiquer, mais qui n’est pas en mesure de l’emporter. La victoire des talibans pourrait agir comme un trompe-l’œil stratégique, laissant penser à une mouvance djihadiste enhardie qu’elle est capable de mettre l’Occident à genoux. Or, ce n’est pas le cas. Les dirigeants américains ont décidé de cesser le combat parce qu’ils ne voyaient plus dans cette guerre lointaine une priorité et qu’ils mesuraient les limites de leur action. S’ils l’avaient voulu, ils auraient néanmoins pu tenir Kaboul encore des années.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Marc Hecker a récemment publié, avec Élie Tenebaum, <em>La Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIᵉ siècle</em>, aux éditions Robert Laffont.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Robert Laffont</span></span>
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<p>La situation est différente de celle de l’URSS à la fin des années 1980. On se souvient qu’Oussama Ben Laden était persuadé que les moudjahidines, du fait de leur victoire contre l’Armée rouge en Afghanistan, avaient joué un grand rôle dans la chute de l’Union soviétique. Cette perception avait conduit l’émir d’al-Qaïda à développer une forme d’hybris, à déclarer le djihad aux États-Unis et à <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/afghanistan/2021-08-13/osama-bin-ladens-911-catastrophic-success">anticiper de façon erronée la réaction des Américains aux attentats du 11 septembre 2001</a>. Il est peu probable que l’histoire se répète, mais les pays occidentaux ne sont pas à l’abri d’une nouvelle surprise stratégique. Les conditions chaotiques du retrait américain d’Afghanistan risquent en tout cas de renforcer la détermination des djihadistes à poursuivre le combat et Washington pourrait avoir du mal à clore définitivement le cycle de la <em>global war on terror</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166868/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Hecker est directeur de la recherche et de la valorisation à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Il est aussi rédacteur en chef de la revue Politique étrangère.</span></em></p>Chasser « les juifs et les croisés » des terres d’islam, renverser les gouvernements « apostats » et unifier l’oumma : c’était l’objectif de Ben Laden, et c’est toujours celui de ses épigones.Marc Hecker, Enseignant à Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1660642021-09-02T17:55:46Z2021-09-02T17:55:46ZSyrie : pourquoi le groupe Lafarge est-il resté si longtemps malgré la guerre ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/415859/original/file-20210812-26-zmc7q6.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C1258%2C823&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Cour de cassation doit rendre sa décision, le 7&nbsp;septembre, sur les pourvois portant sur les accords financiers passés entre le cimentier Lafarge et Daech.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Wikimedia commons</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 7 septembre, la Cour de cassation a <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2021/09/07/lafarge-en-syrie-la-cour-de-cassation-invalide-l-annulation-des-poursuites-pour-complicite-de-crimes-contre-l-humanite-en-syrie_6093747_1653578.html">invalidé</a> les annulations des poursuites pour « complicité de crimes contre l’humanité » concernant les activités du groupe Lafarge en Syrie entre 2011 et 2014, et plus particulièrement les accords financiers passés avec des groupes armés, dont Daech. </p>
<p>Différentes parties civiles et des ONG de lutte contre les crimes économiques étaient à l’origine de ces pourvois. Elles contestaient l’annulation par la chambre de l’instruction, en novembre 2019, de la mise en examen du groupe en tant que personne morale pour « complicité de crime contre l’humanité », prononcée l’année précédente par les juges d’instruction. Avec cette décision, la Cour de cassation renvoie à présent le dossier vers une autre chambre de l’instruction afin qu’elle se prononce à nouveau.</p>
<p>Cette décision était attendue au-delà de l’affaire Lafarge. En effet, elle <a href="https://theconversation.com/le-cas-lafarge-dans-le-debat-des-presidentielles-entreprises-et-crimes-contre-lhumanite-76301">pourrait influencer de prochaines instructions menées contre des multinationales</a>, comme dans le cas de la récente affaire du groupe viticole Castel, dont une filiale est soupçonnée d’avoir <a href="https://www.challenges.fr/politique/une-filiale-du-groupe-castel-accusee-de-financer-des-groupes-armes-en-centrafrique_777460">financé des groupes armés en Centrafrique</a>. Dans ces cas, les processus de mise en accusation restent néanmoins toujours délicats car la responsabilité de l’entreprise en tant que telle reste difficile à prouver par rapport aux responsabilités individuelles à cause, notamment, de la complexité organisationnelle.</p>
<p>Ainsi, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0007650320934389">notre recherche</a> sur le cas Lafarge montre que semble s’être développé ce que nous appelons une « myopie organisationnelle ». Celle-ci aurait conduit le cimentier à poursuivre ses activités en Syrie jusqu’en 2014, alors que des entreprises comme Total ou Air Liquide quittaient le pays dès le début de la guerre civile en 2011.</p>
<p>Cette « myopie organisationnelle » repose sur plusieurs éléments centraux, dont une volonté sans faille de protéger les investissements sur place. Toutefois, les logiques économiques restent insuffisantes pour expliquer que la production n’ait pas été arrêtée. Une interprétation défaillante du danger entre le siège et la filiale ainsi que des décisions entraînant une dépendance forte à un nombre restreint d’acteurs locaux apparaissent aussi comme des facteurs de cette « myopie organisationnelle ».</p>
<h2>Une lente montée en pression</h2>
<p>La chronologie du cas est à ce sujet éclairante. Dans une première phase, entre mi-2011 et juillet 2012, l’entreprise ne va pas réellement voir l’intérêt de partir, malgré les tensions. Quelques mois plus tôt, en octobre 2010, Lafarge inaugurait la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2010/02/08/grace-au-rachat-de-l-egyptien-orascom-lafarge-tisse-sa-toile-au-moyen-orient_1302664_3234.html">plus grande cimenterie de la région</a> moyenne orientale dans le nord de la Syrie, à environ 60 kilomètres de la frontière turque. Le coût du projet est de 680 millions d’euros, ce qui représente pour l’époque un très gros investissement pour l’entreprise.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/415857/original/file-20210812-23-lvi6g5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Localisation de la cimenterie de Lafarge en Syrie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Capture d’écran Google maps.</span></span>
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<p>Au départ, les salariés sont très satisfaits de cette implantation, notamment dans une région où les opportunités d’emploi sont très rares. Les premières contestations de début 2011 ne sont localisées que dans l’est de la Syrie, assez loin de l’usine et ce n’est que le 1<sup>er</sup> décembre 2011, le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme déclare la Syrie en état de guerre civile.</p>
<p>En mars 2012, la France décide de <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/la-revolte-syrienne/20120207.OBS0770/la-france-rappelle-son-ambassadeur-en-syrie.html">rappeler son ambassadeur en Syrie</a>. L’entreprise décide alors de rapatrier ses expatriés, mais aucune décision n’est prise quant à un arrêt des activités sur place. L’entreprise mise alors sur un dialogue et des négociations avec les parties prenantes, notamment <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2016/11/12/le-jeu-dangereux-de-lafarge-en-syrie_5030048_3210.html">différents groupes armés</a> présents dans la région.</p>
<p>Un premier intermédiaire, un Syrien possédant une participation dans l’usine, est choisi pour assurer les discussions et les transactions. L’entreprise décide, par ces mesures, d’assurer la continuité de ses activités et la sécurité de ses salariés, mais dans une zone qui commence à se tourner vers une <a href="https://www.mediterraneanaffairs.com/wp-content/uploads/2015/07/ECFR97_SYRIA_BRIEF_AW.pdf">économie de guerre</a> basée sur le racket.</p>
<p>Certes, dans cette zone de gouvernance limitée (c’est-à-dire où l’autorité étatique n’était que partiellement reconnue), il était très difficile, à l’époque, de distinguer la création de groupes armés issus de la lutte anti-Damas (kurdes ou de l’Armée syrienne libre) d’autres groupes aux obédiences diverses et volatiles, attirés uniquement par l’appât du gain que représente la seule multinationale présente localement. Néanmoins, la décision de Lafarge n’était déjà pas en accord avec leur <a href="https://www.holcim.com/sites/default/files/atoms/files/04102012-press_publication-2011_annual_report-uk.pdf">code de conduite</a> de l’époque.</p>
<p>Une autre décision organisationnelle peut permettre de mieux comprendre le contexte de la prise de décision. À cette même période de l’été 2012, le directeur de la filiale est envoyé de Damas au Caire d’où il gérera les activités. Si cette mesure s’explique aisément pour sa sécurité personnelle dont doit légalement répondre l’entreprise, cette décision va entraîner une gestion à distance dont les <a href="https://go.gale.com/ps/i.do?id=GALE%7CA20916740&sid=googleScholar&v=2.1&it=r&linkaccess=abs&issn=00178012&p=AONE&sw=w&userGroupName=anon%7E8839d7e9">travaux académiques</a> en sciences de gestion ont déjà montré les grandes limites en temps de paix, à savoir la compréhension des problèmes locaux et la transmission de l’information qui se révèlent souvent partielles.</p>
<h2>Un excellent réseau d’informateurs</h2>
<p>L’entreprise, et notamment son comité de sûreté composé de cadres dirigeants et du directeur général adjoint, entérine ainsi sa décision de rester sur place malgré les premières alertes et le conflit civil.</p>
<p>Mais à partir de l’été 2012, une nouvelle période plus tendue se profile. Plusieurs salariés sont kidnappés. Lafarge paye une rançon mais pas à chaque fois. À partir de ce moment, le comité de sûreté analyse, en novembre 2012, la situation de la façon suivante : « Nous ne pouvons en aucun cas garantir que nous soyons capables de nous opposer avec succès à une action d’enlèvement ». Il existe une <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/01/16/menaces-par-Daech-ces-salaries-que-lafarge-a-abandonnes-en-syrie_1622870">« menace directe et nominative contre Lafarge »</a> et « la présence des extrémistes du Front al-Nosra constitue une menace supplémentaire ».</p>
<p>Cette dernière référence montre que les dirigeants du siège semblent informés de la dangerosité de certains groupes par rapport à d’autres, mais aussi avoir conscience des dangers encourus par leurs salariés sur place.</p>
<p>Une grande partie de la compréhension de ce cas (avec les données actuelles) porte alors sur cette décision de rester dans un pays en guerre, avec des groupes armés qui ne répondent plus forcément qu’à une logique économique et de racket mais à des logiques politiques et idéologiques fortes. La présence dans la zone du Front al-Nosra constituait une première alerte par sa proximité notoirement connue avec Al-Qaida.</p>
<p>En outre, <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/offensive-jihadiste-en-irak/video-un-echange-de-mails-revele-que-lafarge-versait-25-000-euros-par-mois-a-Daech_2667508.html">plusieurs e-mails</a> montrent que Lafarge avait mis en place depuis le début des événements un excellent réseau d’informateurs. À tel point que des rencontres entre le directeur de la sécurité du groupe et la direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) auraient amené à des <a href="https://www.lepoint.fr/monde/lafarge-en-syrie-le-role-trouble-de-la-dgse-22-03-2018-2204690_24.php">échanges d’informations</a>, Lafarge restant un point d’observation absolument stratégique (par la localisation de l’usine dans une zone frontalière et étant une des très rares grandes multinationales restant dans le pays).</p>
<p>Pour légitimer le fait de rester sur place, certains responsables de Lafarge mettent en avant le fait que le Quai d’Orsay aurait demandé à l’entreprise de rester, étant donné les informations qui pouvaient être prodiguées par l’entreprise. Une version contestée par le ministère des Affaires étrangères. L’enquête est toujours en cours.</p>
<h2>Daech entre en jeu</h2>
<p>Entre fin 2012, début 2013, un nouveau groupe apparaît dans la région en provenance d’Irak. Il s’agit de Daech. En mars 2013, Raqqa (à 87 kilomètres au sud de la cimenterie) est prise par différents groupes islamistes, dont le Front Al-Nosra, qui prête allégeance à Al-Qaida et tombe donc sous le coup des sanctions du Conseil de Sécurité́ de l’ONU.</p>
<p>En octobre 2013, le Conseil européen confirme les sanctions à l’encontre de certaines entités terroristes, dont le Front Al-Nosra, Al-Qaida et Daech. À ce moment-là, Lafarge sait donc que tout contact avec ces groupes les expose à des sanctions internationales (et plus à un simple délit de corruption).</p>
<p>Au même moment, le directeur de la sécurité de l’usine demande son retour au siège se disant recherché par le régime, les groupes rebelles et Daech. Devant cette situation, Lafarge recrute un autre directeur de la sécurité, un Syrien non qualifié dans ce domaine, qui va interagir avec ces nouveaux acteurs locaux.</p>
<p>Les premiers paiements à Daech semblent intervenir à partir de novembre 2013, toujours par le même intermédiaire et avec l’intervention d’un second. Au-delà des paiements, c’est également des achats de pétrole et la vente de ciment au groupe terroriste qui seraient en cause.</p>
<p>La dernière période qui s’ouvre en 2014 va marquer un point de non-retour. En mars 2014, Daech envahit la ville de Manbji où résident la plupart des salariés de Lafarge et leurs familles (sur demande de Lafarge depuis 2012). Ces derniers poussent leurs familles à partir, sans l’aide réelle de l’entreprise.</p>
<p>En parallèle, d’un point de vue organisationnel, en mai 2014, le directeur de la filiale syrienne en poste en Égypte, est remplacé par un nouveau directeur. Ces changements nécessitent un <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/palgrave.jibs.8490083">temps d’ajustement</a>, comme le montrent des travaux académiques, et sont souvent source de déperdition d’informations lors du transfert de connaissances entre les deux expatriés.</p>
<p>Dans une période normale, ces problèmes ne sont pas insurmontables, mais dans un contexte aussi conflictuel, la compréhension des enjeux géopolitiques locaux et internationaux était cruciale. Or, il semble à la lecture des <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/09/20/ce-que-revele-l-enquete-judiciaire-sur-les-agissements-du-cimentier-lafarge-en-syrie_5188546_3210.html">témoignages du second dirigeant de la filiale</a> et des comptes rendus d’une rencontre de celui-ci avec l’ambassade de France en Jordanie que cette compréhension ait été limitée.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/415861/original/file-20210812-24-1xm8s6v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/415861/original/file-20210812-24-1xm8s6v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/415861/original/file-20210812-24-1xm8s6v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/415861/original/file-20210812-24-1xm8s6v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=360&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/415861/original/file-20210812-24-1xm8s6v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/415861/original/file-20210812-24-1xm8s6v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/415861/original/file-20210812-24-1xm8s6v.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=452&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La menace Daech a-t-elle était sous-estimée par les dirigeants de Lafarge ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/130163120@N03/16275643438">Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>En outre, le fait de ne pouvoir se rendre sur place a créé une dépendance involontaire sur un nombre limité d’acteurs réellement problématique (d’autant plus que les salariés ayant porté plainte ont exprimé beaucoup de doutes sur les liens du responsable de l’usine avec les groupes armés locaux et sur ses compétences managériales). Si le contexte général n’est pas la responsabilité de l’entreprise, le choix des personnes pour le gérer l’est pourtant bien.</p>
<p>Pendant l’été 2014, plusieurs attaques de Daech sont perpétrées contre des camions de l’usine. Le 15 août 2014, une résolution des Nations unies interdit toute relation financière avec les groupes terroristes présents en Syrie. Au même moment, de nouvelles sommes auraient été versées à Daech. Sur le site, la production est suspendue quelques jours puis reprend jusqu’à mi-septembre 2014. À cette date, Daech envahit l’usine sans que Lafarge ait mis en place un plan d’évacuation d’après les ex-salariés. Les locaux resteront occupés jusqu’à fin 2015, puis repris par la coalition.</p>
<h2>Transfert de connaissance altéré</h2>
<p>Il ressort de cette brève chronologie séquentielle qu’il serait beaucoup trop simpliste de réduire cette succession de décisions à une logique strictement économique (même si elle est bien entendu présente). Des logiques organisationnelles semblent avoir également joué. Tout d’abord, le groupe a pu tirer de la confiance d’une certaine « culture du risque » puisqu’il a déjà été présent dans d’autres zones sensibles, notamment en Afrique. Certaines pratiques, comme recours rapide à des intermédiaires pour réaliser les transactions financières, semblent en témoigner.</p>
<p>Par ailleurs, le choix des expatriés aux postes clés (direction de la filiale et de la sécurité notamment) et leur capacité à comprendre le contexte, surtout à distance, ainsi que leur sensibilité à l’éthique, ont pu aussi peser sur la décision de rester. En outre, le <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/0148296392900257">transfert de connaissance a pu être altéré</a> dans la relation siège/filiale par les changements de personnel à ces mêmes postes clés, dans un lieu de conflit et où la situation politique, les groupes armés et les allégeances pouvaient changer de mois en mois.</p>
<p>Enfin, le respect de ses propres règles de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et de ses engagements internationaux (l’entreprise avait <a href="https://www.lafargeholcim.com/sites/default/files/atoms/files/06152005-publications_sustainable_development-lafarge_sustainable_report_2004-fr.pdf">signé les principes du Global Compact des Nations unies</a>) apparaît comme un dernier élément important : est-ce que des garde-fous internes avaient été mis en place à différents niveaux pour évaluer la dangerosité ou la légalité des actions, comme annoncé ? Si oui, alors ceux-ci ne semblent pas avoir correctement fonctionné.</p>
<p>Il faut donc retenir que, dans cette affaire, les logiques internes de l’entreprise doivent être aussi observées à la lumière de la culture organisationnelle et pas uniquement au travers de la rationalité économique. Elles doivent surtout être repensées quand l’entreprise se retrouve en zone de conflit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166064/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Belhoste ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les impératifs économiques ne suffisent pas à expliquer la poursuite des activités du cimentier entre 2011 et 2014. Des facteurs liés à l’organisation de l’entreprise ont également pu peser.Nathalie Belhoste, Enseignant chercheur, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1669382021-08-28T19:25:05Z2021-08-28T19:25:05ZQu’est-ce que l’État islamique au Khorassan, qui a revendiqué l’attentat de l’aéroport de Kaboul ?<p>L’<a href="https://www.nytimes.com/live/2021/08/27/world/afghanistan-taliban-biden-news">attentat suicide doublé d’une fusillade</a> commis devant l’aéroport de Kaboul le 26 août 2021 a fait au moins 100 morts, dont <a href="https://apnews.com/article/bombings-evacuations-kabul-bb32ec2b65b54ec24323e021c9b4a553">au moins 13</a> soldats américains. L’État islamique au Khorassan (EIK) <a href="https://www.reuters.com/world/islamic-state-claims-responsibility-kabul-airport-attack-2021-08-26/">a revendiqué</a> cette opération survenue quelques jours seulement après que le <a href="https://deadline.com/2021/08/joe-biden-terror-attack-warning-afghanistan-taliban-infrastructure-vote-g7-kamala-harris-1234821064/">président Joe Biden a averti</a> que ce groupe – une filiale de Daech active en Afghanistan – « cherchait à cibler l’aéroport et à attaquer les forces américaines et alliées ainsi que des civils innocents ».</p>
<p>Amira Jadoon, <a href="https://www.westpoint.edu/social-sciences/profile/amira_jadoon">spécialiste du terrorisme à l’Académie militaire américaine de West Point</a>, et Andrew Mines, <a href="https://extremism.gwu.edu/andrew-mines">chargé de recherche au Programme sur l’extrémisme de l’Université George Washington</a>, qui étudient l’EIK depuis des années, ont répondu aux questions de The Conversation US sur ce groupe terroriste et la menace qu’il représente.</p>
<h2>Pouvez-vous présenter l’EIK ?</h2>
<p>L’État islamique de la province de Khorasan, également connu sous les acronymes anglas ISIS-K, ISKP et ISK, est une filiale du groupe État islamique en Irak et en Syrie, <a href="https://www.ctc.usma.edu/pledging-baya-a-benefit-or-burden-to-the-islamic-state/">reconnue</a> par les principaux dirigeants de cette dernière organisation, laquelle est également désignée par l’acronyme arabe Daech.</p>
<p>L’EIK a été officiellement fondé en janvier 2015. En peu de temps, il est parvenu à prendre le contrôle de plusieurs districts ruraux du <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/qari-hekmats-island-a-Daech-enclave-in-jawzjan/">nord</a> et du <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/the-islamic-state-in-khorasan-how-it-began-and-where-it-stands-now-in-nangarhar/">nord-est</a> de l’Afghanistan, et a lancé une campagne meurtrière à travers l’Afghanistan et le Pakistan. Au cours de ses trois premières années d’existence, l’EIK a commis des <a href="https://ctc.usma.edu/allied-lethal-islamic-state-khorasans-network-organizational-capacity-afghanistan-pakistan/">attentats</a> contre des groupes minoritaires, des espaces publics et des institutions publiques, ainsi que des cibles gouvernementales, dans plusieurs des principales villes d’Afghanistan et du Pakistan.</p>
<p>En 2018, l’EIK était déjà devenu l’une des <a href="https://www.visionofhumanity.org/wp-content/uploads/2020/11/GTI-2019-web.pdf">quatre organisations terroristes les plus meurtrières</a> au monde, selon l’indice mondial du terrorisme établi par l’Institute for Economics and Peace.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1431304845097676808"}"></div></p>
<p>Mais la coalition dirigée par les États-Unis et ses partenaires afghans ont infligé à l’EIK d’importantes <a href="https://ctc.usma.edu/broken-not-defeated-examination-state-led-operations-islamic-state-khorasan-afghanistan-pakistan-2015-2018/">pertes</a> (aussi bien en termes de territoires contrôlés qu’en termes humains, bon nombre de ses responsables et soldats de rang ayant été tués). Le recul de l’organisation a culminé avec la <a href="https://undocs.org/S/2020/53">reddition</a> de plus de 1 400 de ses combattants et de leurs familles au gouvernement afghan fin 2019 et début 2020. Si bien que certains ont pu considérer que l’EIK avait été <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2020/02/09/afghanistan-claims-islamic-state-was-obliterated-fighters-who-got-away-could-stage-resurgence/">vaincue</a>.</p>
<h2>Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les origines du groupe ?</h2>
<p>L’EIK a été <a href="https://www.ctc.usma.edu/situating-the-emergence-of-the-islamic-state-of-khorasan/">fondé</a> par d’anciens membres des talibans pakistanais, des talibans afghans et du Mouvement islamique d’Ouzbékistan. Au fil du temps, cependant, des militants de divers autres groupes ont rejoint ses rangs.</p>
<p>L’une des plus grandes forces de l’EIK est sa capacité à tirer parti de l’expertise locale de ces combattants et commandants. Le groupe a commencé par consolider son emprise territoriale dans les <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/the-islamic-state-in-khorasan-how-it-began-and-where-it-stands-now-in-nangarhar/">districts méridionaux de la province de Nangarhar</a>, laquelle est située à la frontière nord-est de l’Afghanistan avec le Pakistan. C’est dans cette zone, plus précisément dans la région de Tora Bora, que se trouvait l’ancien bastion d’Al-Qaïda.</p>
<p>Son contrôle de certaines parties de la zone frontalière a permis à l’EIK de s’approvisionner et de recruter dans les zones tribales pakistanaises, ainsi que de s’appuyer sur l’expertise d’autres groupes locaux avec lesquels il a forgé des <a href="https://ctc.usma.edu/allied-lethal-islamic-state-khorasans-network-organizational-capacity-afghanistan-pakistan/">alliances opérationnelles</a>.</p>
<p>Des preuves substantielles montrent que le groupe a reçu de <a href="https://www.undocs.org/S/2016/629">l’argent</a>, des conseils et une <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/islamic-state-khorasan/">formation</a> de la part de l’organe organisationnel central du groupe État islamique en Irak et en Syrie. Certains <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/islamic-state-khorasan/">experts</a> ont estimé que cette aide s’élève à ce jour à plus de 100 millions de dollars américains.</p>
<h2>Quels sont ses objectifs et ses procédés ?</h2>
<p>La stratégie générale de l’EIK consiste à établir une tête de pont qui permettra à l’État islamique d’étendre son « califat » à l’Asie centrale et à l’Asie du Sud.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/nX4Ijph6noc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo du 3 mai 2017.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il vise à s’imposer comme la principale organisation djihadiste de la région, notamment en s’appropriant l’héritage des groupes djihadistes qui l’ont précédé. Cet objectif apparaît de façon évidente dans le message du groupe, qui attire des combattants djihadistes chevronnés ainsi que des militants plus jeunes issus de <a href="https://www.usip.org/publications/2020/06/bourgeois-jihad-why-young-middle-class-afghans-join-islamic-state">zones urbaines</a>.</p>
<p>Comme son homonyme en Irak et en Syrie, l’EIK tire parti de l’expertise de son personnel et de ses <a href="https://ctc.usma.edu/allied-lethal-islamic-state-khorasans-network-organizational-capacity-afghanistan-pakistan/">alliances opérationnelles</a> avec d’autres groupes pour mener des attaques dévastatrices. Ces attaques visent des minorités comme les <a href="https://www.forbes.com/sites/ewelinaochab/2021/05/09/bombings-outside-a-school-in-afghanistan-kill-over-68-people-mostly-children/?sh=3472baea1f3a">Hazaras</a> et les <a href="https://www.theguardian.com/world/2020/mar/25/afghanistan-dozens-killed-in-attack-on-kabul-sikh-temple">Sikhs</a> d’Afghanistan, ainsi que des <a href="https://www.nytimes.com/2020/12/10/world/asia/afghanistan-journalist-malalai-maiwand.html">journalistes</a>, des <a href="https://www.theguardian.com/world/2018/jan/24/explosion-attack-save-the-children-office-jalalabad-afghanistan">travailleurs humanitaires</a>, des membres des forces de sécurité et les infrastructures gouvernementales.</p>
<p>L’objectif de l’EIK est de créer toujours plus de chaos afin d’attirer les combattants désabusés appartenant pour l’instant à d’autres groupes et de démontrer l’incapacité du gouvernement en place à assurer la sécurité de la population.</p>
<h2>Quelle relation l’EIK entretient-il avec les talibans ?</h2>
<p>L’EIK considère les talibans afghans comme ses rivaux stratégiques. Il qualifie les talibans afghans de <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/iskps-battle-for-minds-what-are-their-main-messages-and-who-do-they-attract/">« nationalistes crasseux »</a> dont l’ambition se limite à former un gouvernement confiné aux frontières de l’Afghanistan. Une ambition qui ne s’inscrit pas dans l’objectif de l’État islamique, qui est d’établir un califat mondial.</p>
<p>Depuis sa création, l’EIK a tenté de recruter des membres des talibans afghans tout en ciblant les positions des talibans dans tout le pays.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1431325560727384067"}"></div></p>
<p>Ces efforts ont rencontré un certain succès, mais les talibans ont tout de même réussi à endiguer l’expansion de l’EIK en menant des <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/en/reports/war-and-peace/qari-hekmats-island-overrun-taleban-defeat-iskp-in-jawzjan/">opérations</a> contre ses combattants et contre les zones situées sous son contrôle.</p>
<p>Lors de ces affrontements avec l’EIK, les talibans ont souvent bénéficié de l’appui de la puissance aérienne et des offensives terrestres des <a href="https://www.washingtonpost.com/outlook/2020/10/22/taliban-isis-drones-afghanistan/">États-Unis et de l’Afghanistan</a>, bien que l’on ne sache pas à ce jour dans quelle mesure ces opérations ont été coordonnées.</p>
<p>Ce qui est clair, c’est que la majorité des <a href="https://ctc.usma.edu/broken-not-defeated-examination-state-led-operations-islamic-state-khorasan-afghanistan-pakistan-2015-2018/">pertes d’effectifs et de dirigeants</a> de l’EIK ont été le résultat des opérations menées par les États-Unis et par les troupes officielles afghanes, et spécialement des frappes aériennes américaines.</p>
<h2>Quelle est la menace que représente l’EIK en Afghanistan et pour la communauté internationale ?</h2>
<p>L’EIK ayant été relativement affaibli, ses objectifs immédiats consistent avant tout à reconstituer ses rangs et à afficher sa détermination en menant des attaques de grande envergure. Ce faisant, le groupe cherche à rester un acteur important dans le paysage afghan et pakistanais. Il souhaiterait sans doute s’en prendre aux États-Unis et à leurs partenaires à l’étranger, il n’y a <a href="https://www.nytimes.com/2019/08/02/world/middleeast/isis-afghanistan-us-military.html">pas de consensus au sein de l’armée américaine et de la communauté du renseignement</a> quant à sa capacité à frapper des territoires éloignés de l’Afghanistan.</p>
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<p>Mais en Afghanistan même, l’EIK apparaît comme un danger majeur. Outre ses attaques contre les minorités et les institutions civiles afghanes, le groupe a massacré des <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/isis-islamic-state-afghanistan-wilayat-khorasan-red-cross-aid-workers-killed-shot-gunmen-massacre-a7568791.html">travailleurs humanitaires internationaux</a> et des <a href="https://thediplomat.com/2021/06/10-killed-in-attack-on-demining-camp-in-afghanistan/">démineurs</a>, et a même tenté, en janvier 2021, d’<a href="https://www.cnn.com/2021/01/13/middleeast/isis-assassination-attempt-us-intl/index.html">assassiner</a> le principal envoyé américain à Kaboul.</p>
<p>Il est encore trop tôt pour savoir à quel point le retrait des États-Unis d’Afghanistan profitera à l’EIK, mais l’attentat de l’aéroport de Kaboul illustre tragiquement la menace permanente que le groupe fait peser sur le pays.</p>
<p>À court terme, l’EIK continuera probablement à chercher à semer la panique et le chaos, à perturber le processus de retrait des troupes américaines et à démontrer que les talibans afghans sont incapables d’assurer la sécurité de la population.</p>
<p>Si le groupe parvient à reconstituer un certain niveau de contrôle territorial à long terme et à recruter davantage de combattants, il sera très probablement en mesure de retrouver le niveau qui était le sien il y a encore deux ou trois ans et à représenter une menace très réelle aux niveaux national, régional et international.</p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie le 30 septembre et le 1er octobre 2021 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166938/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Amira Jadoon est professeure adjointe au Combating Terrorism Center et au département des sciences sociales de l'Académie militaire américaine de West Point, à New York. Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne représentent pas le Combating Terrorism Center, l'Académie militaire américaine, le ministère de la Défense ou le gouvernement américain.
</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Andrew Mines ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Deux experts présentent l’État islamique au Khorassan, la branche afghane de Daech, active depuis plusieurs années, qui a revendiqué le sanglant attentat commis le 26 août devant l’aéroport de Kaboul.Amira Jadoon, Assistant Professor at the Combating Terrorism Center, United States Military Academy West PointAndrew Mines, Research Fellow at the Program on Extremism, George Washington UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1628022021-06-24T17:23:12Z2021-06-24T17:23:12Z« Secrets de Terrain » : Estelle et les cœurs brûlants<iframe src="https://embed.acast.com/60d195a7bd48f300133e720d/60d197c746932700145db855" frameborder="0" width="100%" height="190px"></iframe>
<p><iframe id="tc-infographic-593" class="tc-infographic" height="100" src="https://cdn.theconversation.com/infographics/593/60623770d32fd45e2499f2207291a9821793cfa3/site/index.html" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>En 2014, le monde occidental découvrait le sort tragique des yézidis <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2014/08/12/la-communaute-kurdophone-yezidie-cible-des-djihadistes-de-l-etat-islamique_4470471_3218.html">cibles des bourreaux de Daech</a>. Cette communauté monothéiste, kurdophone, forte de plus d’un demi-million de personnes vit dispersée entre la Syrie, l’Irak, la Turquie, l’Arménie et la Géorgie.</p>
<p>Suite à la prise de Sinjar par Daech le 3 août 2014, les souffrances des yézidis ont été relatées dans les médias internationaux. Des voix comme celle de <a href="https://news.un.org/fr/story/2020/09/1078482">Nadia Murad</a>, témoin et activiste yézidie, prix Nobel de la paix 2018 ont largement contribué à faire connaître les horreurs qui se sont déroulées : massacre systématique des hommes et des personnes âgées, kidnapping des femmes et des enfants. En 2020, 2800 femmes et enfants yézidis seraient encore captifs en Irak ou dans les pays environnants.</p>
<p>Mais l’histoire des yézidis ne commence évidemment pas avec Daech : cette communauté ancienne et discrète a vécu aux marges ou au sein d’autres sociétés, développant des mécanismes propres de récit, de mémoire et de transmission.</p>
<p>L’anthropologue Estelle Amy de la Bretèque s’intéresse depuis de nombreuses années aux répertoires musicaux intimistes et intimes au Proche-Orient. Au début de l’année 2006 elle quitte son laboratoire de Nanterre et prend un billet pour l’Arménie. C’est là qu’elle fait une rencontre déterminante.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/406512/original/file-20210615-22-1jm2dmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/406512/original/file-20210615-22-1jm2dmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/406512/original/file-20210615-22-1jm2dmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/406512/original/file-20210615-22-1jm2dmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/406512/original/file-20210615-22-1jm2dmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/406512/original/file-20210615-22-1jm2dmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/406512/original/file-20210615-22-1jm2dmr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Village de Rya Taze, Arménie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Estelle Amy de la Bretèque</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p><strong>Pour aller plus loin</strong> :</p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/les-yezidis-du-trauma-au-combat-politique-142424">« Les yézidis, du trauma au combat politique »</a>, The Conversation.</p></li>
<li><p><a href="https://journals.openedition.org/terrain/20066">« Des larmes pour ambassade. Les yézidis sur la scène internationale après les massacres de Sinjar »</a>, revue <em>Terrain</em>, n°73.</p></li>
<li><p><a href="https://journals.openedition.org/terrain/16327">« Cœurs brûlants. Paroles sur le mort et sacrifice de soi chez les yézidis d’Arménie »</a>, revue <em>Terrain</em>, n°68.</p></li>
<li><p><a href="https://www.francemusique.fr/emissions/carnet-de-voyage/les-longs-sanglots-du-caucase-17227"><em>Les longs sanglots du Caucase</em></a>, carnet de voyage par Édouard Fouré Caul-Futy, France musique.</p></li>
<li><p>Site d’<a href="http://www.ebreteque.net/">Estelle Amy de la Bretèque</a> et son ouvrage sur la <a href="http://ethnomusicologie.fr/parolesmelodisees/">parole mélodisée</a>.</p></li>
</ul>
<p><strong>Références sonores et crédits</strong></p>
<ul>
<li><p>Tous les enregistrements sont issus des travaux de terrain d’Estelle Amy de la Bretèque.</p></li>
<li><p>Jingle : Boginoo duu : voix chantée, vièle à deux cordes [enregistrement sonore]/Hamayon, Roberte (collectrice), Mongolie, environs de Ulan Bator, population Khalkha, 1973. Remerciements : Roberte Hamayon.</p></li>
<li><p>Consultation publique en ligne sur le site du <a href="https://archives.crem-cnrs.fr/archives/items/CNRSMH_I_1973_008_002_17">CREM</a>.</p></li>
</ul>
<p>Provenance : Archives sonores CNRS/Musée de l’Homme gérées par le Centre de Recherche en Ethnomusicologie (LESC UMR 7186, CNRS/Université Paris Nanterre) avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication.</p>
<ul>
<li>L’illustration « Secrets de Terrain » a été gracieusement accordée par le dessinateur <a href="https://www.adriafruitos.com/">Adrià Fruitos</a>.</li>
</ul>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/408368/original/file-20210625-13-1qh3j0p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/408368/original/file-20210625-13-1qh3j0p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=197&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/408368/original/file-20210625-13-1qh3j0p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=197&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/408368/original/file-20210625-13-1qh3j0p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=197&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/408368/original/file-20210625-13-1qh3j0p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=248&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/408368/original/file-20210625-13-1qh3j0p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=248&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/408368/original/file-20210625-13-1qh3j0p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=248&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Secrets de Terrain est un podcast conçu et animé par Clea Chakraverty, réalisé et monté par Vanessa Tubiana-Brun (CNRS-Nanterre/MSH Mondes). Il est produit par The Conversation France et la revue d’anthropologie et de sciences sociales <a href="https://journals.openedition.org/terrain/"><em>Terrain</em></a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/162802/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>membre du comité de rédaction de la revue Terrain.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Estelle Amy de la Bretèque ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans cet épisode de « Secrets de Terrain », Estelle Amy de la Bretèque raconte comment, en Arménie, elle découvre les lamentations et le monde intime des femmes yézidies.Estelle Amy de la Bretèque, Anthropologue, Ethnomusicologue, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresClea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1598782021-05-03T18:34:59Z2021-05-03T18:34:59ZBonnes feuilles : « La Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIᵉ siècle »<p><em>Cette guerre peut-elle se terminer un jour ? La question s’impose plus que jamais aujourd’hui, près de vingt ans après que des avions de ligne se sont écrasés sur le World Trade Center et le Pentagone. Depuis, le terrorisme djihadiste, s’il n’a plus réussi d’opérations d’aussi grande ampleur, a continué d’endeuiller aussi bien les pays occidentaux que le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Asie, prenant de multiples formes et suscitant des réponses variées et diversement efficaces de la part des États ciblés. Marc Hecker et Élie Tenenbaum, chercheurs à l’Institut français des relations internationales (Ifri) et enseignants à Sciences Po, livrent avec <a href="https://www.lisez.com/livre-grand-format/la-guerre-de-vingt-ans/9782221250976"><em>La Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIᵉ siècle</em></a> _qui vient de paraître aux Éditions Robert Laffont le fruit d’une longue enquête de terrain sur cette tragédie inachevée qu’ils divisent en cinq actes majeurs.</em></p>
<hr>
<p>La lutte contre le terrorisme a déjà fait couler beaucoup d’encre. Certains auteurs se sont intéressés aux djihadistes, leurs doctrines, leurs pratiques, leur sociologie ou encore leur psychologie. Toute une discipline, la « djihadologie », a émergé, traversée depuis par des débats fiévreux entre spécialistes sur le sens à donner au phénomène. D’autres chercheurs se sont penchés sur le champ des « contre- » : contre-terrorisme, contre-insurrection, contre-discours. Discuté tantôt par des « experts » relayant le discours des autorités, tantôt par des critiques plus ou moins virulents des politiques sécuritaires, ce champ aussi est marqué par une forte polarisation des points de vue.</p>
<p>Chacune de ces approches est nécessaire, mais aucune n’est suffisante. Adopter un point de vue stratégique suppose de s’intéresser aux différentes parties d’un conflit. La guerre, comme l’écrit Clausewitz, est une « action violente [où] chacun des adversaires impose sa loi à l’autre ». Prolongeant cette idée, <a href="https://www.hachette.fr/livre/introduction-la-strategie-9782818502990">André Beaufre</a> la décrivait comme le produit d’une dialectique des volontés, une escrime où il faut savoir « attaquer, menacer, surprendre, feindre, tromper, forcer, fatiguer, parer, riposter, esquiver, rompre ». L’ambition de ce livre est d’essayer de comprendre la chaîne d’actions et de réactions ayant conduit à prolonger la guerre contre le terrorisme pendant deux décennies, sans qu’on en voie véritablement la fin.</p>
<p>Revenons à la tragédie. En 1935 Louis Jouvet faisait donner au théâtre de l’Athénée <em>La guerre de Troie n’aura pas lieu</em> de Jean Giraudoux, plaidoyer pacifiste sur le caractère évitable des conflits à la veille d’une nouvelle conflagration mondiale. Un demi-siècle plus tard, Jean Baudrillard publiait en clin d’œil <a href="http://www.editions-galilee.fr/f/index.php?sp=liv&livre_id=2680"><em>La guerre du Golfe n’a pas eu lieu</em></a>. Dans cet essai paru après la défaite de Saddam Hussein en 1991, le philosophe affirmait que le résultat de la confrontation était connu d’avance, tant la supériorité des États-Unis et de leurs alliés était nette. L’événement qui s’était déroulé à cette époque au Koweït et en Irak ne pouvait même pas être qualifié de guerre car le choc des deux armées n’avait pas véritablement eu lieu. Les forces américaines s’étaient contentées d’écraser à distance, en 42 jours, un adversaire technologiquement dépassé et incapable de réagir.</p>
<p>La guerre contre le terrorisme dure, elle, depuis plus de 7 000 jours. La supériorité technologique et militaire des Occidentaux face aux djihadistes est encore plus flagrante qu’en 1991 face à l’armée irakienne. Et pourtant, les djihadistes ne sont pas demeurés spectateurs de leur défaite. Ils ont ingénieusement pratiqué l’escrime de la stratégie et appris à esquiver, fatiguer, feindre et rompre autant qu’à attaquer et menacer. Ils ne sont pas pour autant parvenus à rééditer un attentat aussi spectaculaire que celui du 11-Septembre, ni à conserver plus de quelques années une assise territoriale comparable à celle dont ils bénéficiaient en Afghanistan avant 2001. L’État islamique en Irak et au Levant n’est plus qu’une chimère et le califat universel est redevenu une utopie, ou plutôt une dystopie à l’aune des atrocités de Daech.</p>
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<p>Il n’y aura ni unité de temps, ni unité de lieu, ni unité d’action dans les pages qui suivent. La guerre de vingt ans n’est pas une pièce de théâtre mais un drame bien réel, <a href="https://www.cairn.info/revue-a-contrario-2005-2-page-130.htm">non linéaire</a>, qui a charrié son lot de victimes des contreforts de l’Hindou Kouch aux plaines de Mésopotamie, en passant par les sables du Sahara et les métropoles de la vieille Europe. Seule concession faite aux règles de la dramaturgie classique : cinq actes se succèderont.</p>
<p>Le premier, de 2001 à 2006, est celui de l’hyperterrorisme et des guerres post-11-Septembre. Suivant toujours le schéma de la tragédie grecque, la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2011-3-page-495.htm"><em>némésis</em> ne manque pas de succéder à l’<em>hubris</em></a>. On pense ici au péché d’orgueil d’Oussama Ben Laden qui croyait <a href="https://editions.flammarion.com/lhistoire-secrete-du-djihad/9782081407305">être en capacité de mettre l’Amérique à genoux</a>, mais aussi à celui de George W. Bush qui s’est engagé dans le projet prométhéen d’imposer la démocratie par la force à travers le « grand Moyen-Orient ».</p>
<p>Le deuxième acte, de 2006 à 2011, correspond à l’ère de la contre-insurrection. Au début de cette période, les États-Unis et leurs alliés paraissent s’enliser dans les guerres en Afghanistan et en Irak. Ils finissent par adapter leurs méthodes de combat aux conflits asymétriques et lorsqu’Oussama Ben Laden est tué en mai 2011, al-Qaïda semble aux abois.</p>
<p>Le troisième acte, de 2011 à 2014, voit la mouvance djihadiste se relancer à la faveur des révoltes qui secouent le monde arabe. La Syrie devient progressivement le nouveau centre névralgique du djihadisme international. C’est aussi pendant cette période que la France cède aux sirènes de la guerre contre le terrorisme. Alors que les dirigeants français rejetaient jusque-là ce concept, ils finissent par l’endosser en se lançant dans leur propre guerre au Mali.</p>
<p>Au quatrième acte, de 2014 à 2017, le leadership d’al-Qaïda au sein de la nébuleuse djihadiste est contesté par Daech. Ce dernier ébranle le Moyen-Orient en y créant un État terroriste qui provoque le monde entier par sa férocité. Alors qu’une coalition internationale se forme pour s’y opposer, le groupe conduit ou inspire des attentats dans de nombreux pays. La France, notamment, est durement frappée et développe en réponse un nouvel arsenal antiterroriste.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=942&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/398344/original/file-20210503-19-iy155o.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1184&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu de <em>La Guerre de vingt ans. Djihadisme et contre-terrorisme au XXIᵉ siècle</em> qui vient de paraître aux éditions Robert Laffont.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Robert Laffont</span></span>
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<p>Le cinquième acte commence en 2017 avec la reprise de Mossoul aux combattants de l’État islamique (EI) et perdure jusqu’à aujourd’hui. Le califat s’effondre sous les coups de boutoir de ses nombreux en-nemis mais Daech survit pour mieux renaître de ses cendres. La mouvance djihadiste est affaiblie sans être vaincue. Du Sahel à la Corne de l’Afrique en passant par la péninsule arabique et l’Asie centrale, ses combattants poursuivent le combat. De guerre lasse, les Occidentaux, eux, souhaitent réduire leur engagement, alors que de nouveaux défis frappent à la porte de l’Histoire. La guerre contre le terrorisme entre dans sa troisième décennie et tous se demandent quand, enfin, le rideau retombera.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159878/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Hecker est directeur de la recherche et de la valorisation de l'Institut français des relations internationales (Ifri). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Élie Tenenbaum est membre de l'Institut Français des Relations Internationales. </span></em></p>Vingt ans après les attentats du 11 septembre 2001, la « guerre contre la terreur » est loin d’être achevée. Un ouvrage très complet rend compte des multiples étapes de ce conflit appelé à durer.Marc Hecker, Enseignant à Sciences Po, Sciences Po Élie Tenenbaum, Directeur du Centre des Études de Sécurité de l’IFRI, enseignant à Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1565292021-03-04T19:11:53Z2021-03-04T19:11:53ZLes paris du pape François en Irak<p>Malgré la montée, depuis deux semaines, des <a href="https://www.courrierinternational.com/depeche/irak-dix-roquettes-sur-une-base-abritant-des-americains-deux-jours-avant-la-visite-du-pape.afp.com.20210303.doc.9468lb.xml">tensions entre l’Iran et les États-Unis</a> – un conflit dont l’Irak reste un terrain majeur – et malgré l’escalade des violences intérieures, notamment dans la province de Dhi Qar, où le pouvoir <a href="https://raseef22.net/article/1081783">réprime la contestation</a>, le voyage pastoral et diplomatique du pape François entre les 5 et 8 mars 2021 a été maintenu.</p>
<p>L’intensité des préparatifs, entamés de longue date par le Saint-Siège et les autorités locales, dont le très actif cardinal et Patriarche des Chaldéens Louis Raphaël Sako, finit par intriguer. Que vient faire le pape dans ce pays meurtri et sous influence ? Quelles sont ses intentions et peuvent-elles être couronnées de succès ?</p>
<h2>L’enjeu de la présence chrétienne en Irak</h2>
<p>La première raison de ce voyage est bien sûr de conforter les chrétiens d’Irak. Une occasion exceptionnelle leur est offerte de sensibiliser le monde à leur <a href="https://www.arabnews.fr/node/64706/monde-arabe">tragédie</a>, dans l’accumulation des tragédies irakiennes.</p>
<p>L’enjeu, pour les responsables chrétiens du pays, est de retrouver leurs ressources humaines et financières en prévision d’un retour de leur communauté éparse, à la faveur de la paix, <a href="https://www.la-croix.com/Religion/chretiens-Bagdad-revent-dexil-visite-pape-2021-02-05-1201139030">ce qui semble à courte vue irréaliste</a>. Regroupant désormais moins de 1 % des 38,4 millions d’Irakiens, les chrétiens de l’ancienne Mésopotamie sont en cours de transplantation migratoire.</p>
<p>Ayant connu de grandes tribulations aux XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles, on estime qu’ils étaient encore 6 % avant 2003, dont près de 800 000 à Bagdad. Aujourd’hui, leur nombre dans la capitale a chuté à 75 000. L’intervention américaine a transformé leur singularité en dernier stigmate. À Bagdad, les lieux de culte ont été attaqués dès les premiers attentats de 2004 : la cathédrale syriaque <em>Sayidat al-Najat</em> – où le pape va se rendre – a subi une <a href="https://www.theguardian.com/world/2004/aug/02/iraq.michaelhoward">explosion à la voiture piégée</a> dans une attaque simultanée contre plusieurs églises, commanditée par le chef terroriste Zarqaoui. Cette même cathédrale a essuyé une autre <a href="https://www.liberation.fr/planete/2010/11/02/messe-de-bagdad-l-obscur-carnage_690718/">attaque d’Al-Qaeda</a>, pendant l’office de la Toussaint 2010, faisant une soixantaine de victimes dont le prêtre en chaire, le père Thar.</p>
<p>L’<a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-zoom-de-la-redaction/le-zoom-de-la-redaction-19-aout-2020#:%7E:text=Ils%20%C3%A9taient%201%2C5%20million,av%C3%A8nement%20du%20groupe%20%C3%89tat%20Islamique.">hémorragie des chrétiens d’Irak</a> a précédé la fuite par millions des Irakiens à partir de 2004. Leur exode s’est <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2015/01/24/refugies-etat-islamique-irak_n_6537886.html">accéléré</a> avec l’installation de Daech dans les terres sunnites. À Mossoul – autre lieu de passage de François –, surnommée jadis la <a href="https://www.la-croix.com/Monde/En-pleine-reconstruction-Mossoul-attend-chretiens-2021-03-02-1201143407">Jérusalem de Mésopotamie</a>, les chrétiens assyriens et syriaques étaient près de 50 000 avant la première guerre du Golfe. Leur nombre est passé à 5 000 en 2014.</p>
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<p>Le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/224254/irak-elect-violence">kidnapping</a> de l’archevêque syriaque Basil George Casmoussa en 2005, une série d’<a href="http://chiesa.espresso.repubblica.it/articolo/145921%26fr%3Dy.html">attentats et d’enlèvements ciblés en 2007</a>, l’assassinat après torture de l’évêque assyro-chaldéen <a href="https://www.nytimes.com/2008/03/14/world/middleeast/14iraq.html">Paulo Faraj Rahho</a> en 2008, l’attentat contre un <a href="https://www.cath.ch/newsf/bombe-contre-un-bus-d-etudiants-dans-la-plaine-de-ninive/">bus d’étudiants</a> venus de Qaraqosh en 2010 : tous ces évènements ont précipité leur fuite, avant même l’arrivée de l’État islamique.</p>
<p>70 familles seulement vivraient encore à Mossoul. Les 150 000 chrétiens de la plaine de Ninive, dont 50 000 syriaques de Qaraqosh – autre ville que <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Voyage-pape-Irak-Qaraqosh-recherche-legerete-perdue-2021-03-02-1201143323">visitera François</a> – ont tout quitté pour échapper au <a href="https://www.20minutes.fr/monde/1431911-20140825-irak-onu-accuse-etat-islamique-nettoyage-ethnique-religieux">nettoyage ethnoreligieux</a> qui a également frappé les <a href="https://www.infochretienne.com/en-irak-les-chretiens-et-les-yezidies-subissent-un-nettoyage-ethnique/">yézidis</a>, les <a href="https://lephenixkurde.tumblr.com/post/114786953522/les-shabaks-victimes-meconnues-de-Daech">Shabaks</a> et les <a href="https://www.trt.net.tr/francais/turquie/2017/07/06/ankara-indigne-apres-le-massacre-de-turkmenes-d-irak-par-Daech-765535">Turkmènes</a> chiites. Ils se sont réfugiés dans l’antique terre d’Erbil (Arbèle) devenue kurde – où le pape se rendra aussi – et dans les camps de réfugiés, au Liban, en Jordanie et en Turquie. Depuis, 55 000 d’entre eux ont réussi à quitter le Moyen-Orient. <a href="https://www.jadaliyya.com/Details/27531">25 000 sont revenus à Qaraqosh</a>. Les autres sont restés à Erbil. La petite <a href="https://www.cath.ch/newsf/les-communautes-religieuses-en-irak-les-armeniens-7-7/">Église arménienne</a>, issue de la diaspora marchande et des réfugiés du génocide ottoman, s’est vidée de ses fidèles depuis 2003. À Bassorah, sur les 4 500 familles assyriennes présentes avant 2003, <a href="http://fraternite-en-irak.org/a-bassorah-fraternite-en-irak-offre-un-refuge-aux-plus-pauvres/">il n’en reste plus que 200</a>.</p>
<p>Tout cela est éminemment tragique et douloureux. Mais pour le dire crûment, beaucoup d’Irakiens ont énormément souffert, et l’exode des chrétiens d’Irak ne les émeut pas outre mesure, d’autant que les chrétiens n’ont jamais été présents partout dans le pays.</p>
<h2>L’enjeu de l’unité œcuménique</h2>
<p>Qu’en est-il pour les chrétiens qui ne sont pas partis ? De grands efforts matériels ont été déployés pour réparer les édifices emblématiques, comme le couvent dominicain et le clocher de <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/irak-retour-a-mossoul-sur-le-chantier-de-notre-dame-de-l-heure-ravagee-par-Daech-7900004464">Notre-Dame de l’Heure à Mossoul</a> qui a servi de centre de torture sous Daech. Idem pour <a href="https://www.mesopotamiaheritage.org/monuments/leglise-chaldeenne-al-tahira-de-mossoul/">l’église chaldéenne Al-Tahira</a> que le pape visitera. De même, <a href="https://www.mesopotamiaheritage.org/monuments/leglise-syriaque-catholique-mar-touma-de-mossoul/">l’église syriaque orthodoxe de Mar-Touma</a> est en train d’être reconstruite, grâce au financement de l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflit (<a href="https://www.aliph-foundation.org/fr">ALIPH</a>), qui a par ailleurs soutenu la réhabilitation du <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Mar-Behnam-renaissance-dun-lieu-saint-partage-2017-12-14-1200899373">mausolée-monastère de Mar Benham</a>, dynamité par Daech en 2015.</p>
<p>Mais l’autre véritable enjeu – outre la sécurisation des personnes, l’effort éducatif et médical et les opportunités de travail, à l’instar des besoins de tous les Irakiens – est de finaliser, en le rendant tangible avec cette visite, <a href="https://www.la-croix.com/Debats/Le-Saint-Siege-Eglises-dIrak-role-novateur-pape-Francois-2021-02-26-1201142740">l’effort de communion entrepris depuis le concile catholique de Vatican II</a> entre les différentes Églises chrétiennes d’Orient que le Pape va rencontrer. Ces dernières, par leurs strates et leur diversité, récapitulent des siècles de morcellements ou d’empiètement entre territoires canoniques, justifiés par des divergences théologiques qui échappent aujourd’hui à l’entendement.</p>
<p>Ainsi les Assyriens descendent-ils de <a href="https://www.choisir.ch/societe/histoire/item/3735-l-histoire-de-de-l-eglise-assyrienne-de-l-orient">l’Église d’Orient</a>, dite aussi Église de Mésopotamie ou Église perse, entièrement autocéphale sous l’Empire sassanide. Elle a aujourd’hui deux branches : l’Église « historique », siégeant à Erbil, et l’Église chaldéenne, qui est son pendant catholique à Bagdad. À côté des Assyriens, une autre Église des origines un peu plus « tardive », l’Église syriaque, s’est formée avec les descendants des chrétiens syriens et arabes de l’Église d’Antioche, qui ont fui la répression de l’Empire byzantin au VI<sup>e</sup> siècle. L’Église syriaque a deux branches, comme l’assyrienne.</p>
<p>Un tel émiettement, auquel s’ajoute la présence de chrétiens convertis, soit anciennement, soit plus récemment au protestantisme évangélique – <a href="https://www.cairn.info/revue-les-champs-de-mars-irsem-2015-1-page-108.htm">par ailleurs mal vu pour son prosélytisme et ses origines américaines</a> – affaiblit la voix et les intérêts communs des chrétiens d’Irak, si on enlève leur avantage démultiplicateur comme réseau d’émigration. Le regroupement œcuménique des Églises en un lien opérationnel et protecteur, dont Rome serait le garant et qui rattacherait les diasporas entre elles en les « universalisant », pourrait fabriquer une cohérence à double détente. Il permettrait des actions concertées, de répartition et de coordination entre les acteurs de terrain ; surtout, il mettrait en évidence le cercle vertueux de la bonne entente qui servirait d’exemple à suivre pour le dialogue interreligieux.</p>
<h2>L’enjeu de l’unité irakienne ?</h2>
<p>C’est ici que se situe l’enjeu le plus audacieux mais peut-être aussi le plus problématique de la visite de François, si l’on tentait de le conjecturer.</p>
<p>Il s’agirait de fabriquer, à partir de l’établissement pérenne de relations interconfessionnelles entre l’ensemble des acteurs religieux d’Irak, un chemin exemplaire de réconciliation nationale et, très paradoxalement, de dépolarisation religieuse.</p>
<p>La démarche est celle de la diplomatie interreligieuse, comme antidote à la toxicité confessionnelle qui a contaminé toute la société irakienne depuis l’embargo qui a suivi la première guerre du Golfe, avec la <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2001-3-page-138.htm">« campagne pour la foi »</a> de Saddam Hussein. Durant ces années déterminantes où le tissu social a commencé à se déliter, alors que les bombardements de cette première guerre avaient détruit toutes les infrastructures et affaibli l’État, le ressentiment communautaire s’est développé, ressentiment que la brutale politique de <a href="https://journals.openedition.org/remmm/3451">dé-baassisation</a>, parallèle au processus de démocratisation, a renforcé après 2003, quand les États-Unis ont semblé favoriser les chiites. C’est ainsi que sont apparues les milices sunnites, les groupes islamistes terroristes et les contre-milices chiites…</p>
<p>Certes, la jeunesse irakienne d’aujourd’hui, très nombreuse mais <a href="https://www.france24.com/fr/20190219-irak-avenir-economie-chomage-masse-jeunesse-corruption-austerite-entreprenariat">sans travail et sans ressources</a>, est épuisée par le discours sectaire. Elle <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/28/sans-pays-pas-d-ecole-la-jeunesse-irakienne-rejoint-le-mouvement-de-contestation_6017200_3210.html">manifeste</a> ardemment, depuis deux ans, sunnites et chiites confondus, une aspiration vitale pour la liberté, la démocratie, la fin de la corruption et la fin de la mainmise iranienne sur le pays. Elle a même obtenu la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/contestation-en-irak-sunnites-et-chiites-unis-contre-le-pouvoir">démission d’un premier ministre</a>.</p>
<p>Certes, le cardinal chaldéen Louis Raphaël Sako a réussi à organiser une <a href="https://www.lavie.fr/actualite/geopolitique/le-pape-en-irak-rencontrer-le-grand-ayatollah-ali-al-sistani-cest-rencontrer-le-monde-chiite-71757.php">rencontre historique entre le pape et le Grand ayatollah Ali-Al-Sistani</a> dans la ville de Najaf, <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2004/01/22/al-sistani-le-pape-chiite-de-nadjaf_350041_1819218.html">décrite</a> par Pierre-Jean Luizard comme le Vatican chiite. Al-Sistani <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Le-pape-rencontre-layatollah-Sistani-conscience-irakienne-2021-02-27-1201142859">est devenu « la conscience irakienne »</a>, défenseur d’un Irak indépendant des influences étrangères, c’est-à-dire de l’Iran, <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2013-2-page-93.htm">dont la présence par milices</a> et partis politiques (Coalition Sairoun et Coalition Al-Fatha) interposés est absolument prégnante.</p>
<p>Al-Sistani est connu pour refuser <a href="https://journals.openedition.org/assr/21941">l’interprétation iranienne du velayat-e-faqhi</a> (littéralement la tutelle des jurisconsultes) et pour défendre une citoyenneté nationale commune transcendant les clivages religieux et ethniques du pays. Mais, même si Al-Sistani ne peut être comparé en rien à <a href="https://www.france24.com/fr/20200212-contestation-en-irak- %C3 %A0-quoi-joue-le-leader-chiite-moqtada-al-sadr">Moqtada Al-Sadr</a>, leader chiite des quartiers pauvres et ancien chef de l’Armée du Madhi, les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/31/en-irak-l-emprise-des-milices-chiites_6064924_3210.html">milices chiites qui se sont formées à son appel contre l’État islamique en 2014</a> poursuivent leur mainmise dans les territoires sunnites, à côté de l’armée irakienne, et en opposition aux autres milices chiites pro-iraniennes également bien présentes, malgré l’assassinat du général iranien Ghassem Soleimani à Bagdad en janvier 2020.</p>
<p>Ces milices entretiennent la peur et la rancœur par leurs méthodes. Elles restent dominantes au cœur du pouvoir irakien où les institutions chiites nationales n’ont jamais eu autant d’influence. Le pouvoir religieux chiite, anti-ou pro-iranien, n’est pas un truchement de la réconciliation en Irak.</p>
<p>Enfin, du côté sunnite, <a href="https://www.courrierinternational.com/article/impair-les-sunnites-oublies-de-la-visite-du-pape-francois-en-irak">aucune rencontre n’est prévue</a>, alors même que François va rencontrer des représentants kurdes à Erbil et <a href="https://rcf.fr/la-matinale/ur-le-pape-rencontrera-les-minorites-religieuses-heritieres-d-abraham">prier avec des Yézidis, mandéens et Kakaïs à Ur</a>, ville de naissance d'Abraham selon la Bible. Comment comprendre un tel manque, dans cette manœuvre interreligieuse ? Est-ce parce qu’il n’y a aucun responsable sunnite qui soit suffisamment représentatif de la population ? Est-ce parce qu’il n’y a actuellement aucun contact entre dignitaires sunnites, chrétiens et chiites ? Est-ce parce que les personnes pressenties ont décliné la proposition ? Est-ce parce que personne ne veut se rapprocher des sunnites considérés comme infréquentables après le soutien d’une partie d’entre eux à l’État islamique ? En tout cas, cette absence <a href="https://raseef22.net/article/1081783">a été critiquée par le député sunnite de la province de Salâh ad-Dîn</a>, Muthanna al-Samarrai, critique reprise par les médias arabes. Elle risque de réduire à néant les chances de mise en place d’une « coalition » interreligieuse qui plaiderait pour un Irak uni et indépendant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/156529/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Blandine Chelini-Pont ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La visite du pape François en Irak vise à conforter les derniers chrétiens de ce pays et à contribuer au dialogue inter-religieux. Mais le pape ne rencontrera aucun représentant sunnite…Blandine Chelini-Pont, Professeur des Universités en histoire contemporaine, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1497542020-11-12T21:57:31Z2020-11-12T21:57:31ZSur les réseaux sociaux, une djihadosphère en constante évolution<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/369045/original/file-20201112-13-1ogsgi7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=333%2C37%2C1241%2C902&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des centaines de personnes adhérant à l'idéologie djihadiste créent des communautés clandestines sur des réseaux sociaux publics.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/c%C3%A2lin-silhouette-de-l-homme-visages-2709635/">Pixabay/geralt</a></span></figcaption></figure><p>Depuis l’assassinat de Samuel Paty, le 16 octobre 2020, 187 enquêtes ont été ouvertes pour « menaces » ou « apologie du terrorisme » en France, des propos illicites tenus essentiellement sur les réseaux sociaux rapporte <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/terrorisme/enseignant-decapite-dans-les-yvelines/attentat-de-conflans-sainte-honorine-187-enquetes-pour-apologie-du-terrorisme-menaces-ou-provocations-ouvertes-depuis-l-assassinat-de-samuel-paty_4168581.html">France Info</a>.</p>
<p>Ces plates-formes et autres sites web où se retrouvent des individus prônant le djihad armé (combat sacré contre les ennemis de l’islam) constituent ce que nous nommons la « djihadosphère » : des espaces numériques protéiformes aux frontières floues.</p>
<p>En effet, loin d’être un monde clos, divers acteurs s’y côtoient : sympathisants d’organisations terroristes, simples « likeurs » de contenus violents, profils aux discours ambigus (difficiles à catégoriser), et même détracteurs de l’idéologie djihadiste qui tentent d’y faire entendre leur voix.</p>
<p>Or, bien qu’ils se savent épiés, tant par les plates-formes que par les services de renseignement, ces cyber-militants francophones n’en demeurent pas moins <a href="http://www.theses.fr/s191132">actifs et créatifs</a>. Dénonçant la traque numérique dont ils font l’objet, ils adaptent ainsi leurs usages des réseaux comme leurs messages.</p>
<h2>Le cyberdjihadisme, un phénomène en mutation permanente</h2>
<p>Comme on peut le voir dans une vidéo diffusée en octobre 2018 par al-Hayat Media Center (organe de presse de l’État islamique, EI) et citée par Laurence Bindner et Raphael Gluck, <a href="http://ultimaratio-blog.org/archives/9135">spécialistes des stratégies digitales des groupes extrémistes</a>, les consignes des organisations terroristes sont claires :</p>
<blockquote>
<p>« Luttez avec patience dans l’arène numérique et ne laissez aux infidèles aucun répit : s’ils suppriment un compte, bâtissez-en 3, et s’ils en suppriment 3, bâtissez-en 30 » (« Inside the Caliphate », vidéo de l’EI)</p>
</blockquote>
<p>Le combat consiste alors à épuiser les plates-formes dans un mouvement continu de re-création de comptes supprimés, ainsi qu’à diversifier les canaux de communication pour augmenter les chances de survie d’un profil. En outre, se dire djihadiste en ligne revêt des formes différentes selon les périodes.</p>
<p>Les années 2015 à 2017 sont marquées par la représentation du combat : imagerie violente, soutien explicite à l’EI, diffusion de supports de propagande.</p>
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<img alt="image d’archives" src="https://images.theconversation.com/files/368365/original/file-20201109-13-1yz26d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/368365/original/file-20201109-13-1yz26d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/368365/original/file-20201109-13-1yz26d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/368365/original/file-20201109-13-1yz26d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/368365/original/file-20201109-13-1yz26d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/368365/original/file-20201109-13-1yz26d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/368365/original/file-20201109-13-1yz26d3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Images de propagande de l’EI (État islamique) massivement publiées sur les réseaux en 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Images de l’EI" src="https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/368366/original/file-20201109-15-1ioxjou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Images de propagande de l’EI (État islamique) massivement publiées sur les réseaux en 2015.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Mais à partir de 2018, la technique du camouflage devient reine. Il s’agit moins de cacher son identité (dans une perspective de « taqîya », de dissimulation des opinions religieuses) que de la rendre méconnaissable et difficilement visible pour l’ennemi. L’objectif pour ces militants : développer un savoir-faire pour faire savoir qu’ils sont là tout en échappant à la surveillance dont ils font l’objet.</p>
<h2>Des signes plus discrets : le camouflage de la haine en ligne</h2>
<p>Depuis fin 2017, à l’heure des <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2017/12/10/01003-20171210ARTFIG00070-apres-trois-ans-de-combats-l-irak-declare-la-fin-de-la-guerre-contre-l-etat-islamique.php">défaites militaires</a> pour l’EI et d’une modération accrue par les <a href="https://www.franceculture.fr/numerique/twitter-etait-une-plateforme-de-choix-pour-les-djihadistes">plateformes</a>, le cyberdjihadisme a muté, tout comme le phénomène d’apologie du terrorisme.</p>
<p>Si de nombreux messages glorifient sans détour un attentat ou son auteur, d’autres, plus implicites, passent sous les radars des algorithmes mais aussi des opérateurs multilingues qui analysent <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/10/08/derriere-les-ecrans-de-sarah-t-roberts-le-sale-boulot-des-modos_6055230_3260.html">manuellement les posts signalés</a>.</p>
<p>Un paradoxe est à relever : les stratégies de résistance des sympathisants djihadistes s’opèrent à partir des plates-formes, avec et contre elles.</p>
<p>En effet, l’apologie du terrorisme en ligne est à l’image des discours numériques eux-mêmes : de nature hybride, alliant technique (éléments mis à disposition par le réseau social comme les likes par exemple) et langagier (textes ou images).</p>
<p>Dès lors, un message illicite réside autant dans un discours de haine explicite (« Je veux décapiter des Français ») que dans un faisceau convergent de traces techniques et discursives dont seule la conjugaison fait sens.</p>
<p>En conséquence, un message en apparence anodin peut constituer un discours de haine camouflé.</p>
<p>Par exemple :</p>
<blockquote>
<p>« C’est Valls qu’il faut remercier 🎵🎵🎵 » (publication du 13 novembre 2017).</p>
</blockquote>
<p>Révélateur du <a href="https://journals.openedition.org/praxematique/4796">phénomène de connivence ironique</a>, ce post fonctionne sur le mode du clin d’œil et fait implicitement l’apologie du terrorisme.</p>
<p>En effet, l’expression « c’est Valls qu’il faut remercier » constitue le refrain d’un chant djihadiste bien connu, « Ma vengeance », appelant à <a href="https://actu17.fr/des-commissariats-dile-de-france-ont-recu-des-appels-avec-des-chants-djihadistes/">commettre des attentats en France</a> et rendant hommage aux kamikazes du Bataclan.</p>
<p>L’équation est alors sans équivoque : date (13 novembre) + texte (« c’est Valls qu’il faut remercier ») + emoji (notes de musique) = apologie du terrorisme.</p>
<p>Sur ce modèle, les tactiques de camouflage se diversifient pour faire la promotion du djihad armé :</p>
<ul>
<li><p>Utilisation d’images-texte et de vidéos (où la reconnaissance automatique du texte mais aussi d’émojis est plus difficile, et la détection de contenus problématiques plus délicate)</p></li>
<li><p>Recours au streaming (puisque les algorithmes de filtrage peinent à détecter la violence en direct)</p></li>
<li><p>Emploi d’un langage codé (emojis/icônes/hashtags)</p></li>
<li><p>Exploitation des memes ou des gifs pour faire passer des messages violents sous le prisme de l’humour</p></li>
<li><p>Publication à des dates particulières qui peuvent faire référence à des actes terroristes</p></li>
<li><p>Floutage des images de propagande</p></li>
</ul>
<h2>Un terrain mouvant</h2>
<p>Néanmoins, le terrain concerné est mouvant. Contexte international et attentats sont susceptibles de provoquer l’effacement temporaire comme l’effervescence de la djihadosphère.</p>
<p>Octobre 2019 donne lieu à plusieurs événements : mort du leader de l’EI, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/la-mort-d-abou-bakr-al-baghdadi-et-ses-consequences_2105088.html">Al Bagdadi</a>, retrait des troupes américaines en Syrie, opération militaire déclenchée par la Turquie contre les Kurdes, évasion supposée de djihadistes français dans le camp <a href="https://www.leparisien.fr/international/en-syrie-les-kurdes-laissent-s-echapper-des-djihadistes-francaises-14-10-2019-8172942.php">d’Aïn Issa</a> et <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/10/09/au-mali-le-pouvoir-ebranle-par-l-assaut-meurtrier-du-camp-de-boulkessi_1756533">attentats au Mali</a>.</p>
<p>Cet enchaînement provoque l’ébullition de la djihadosphère avec le retour éphémère d’une imagerie ultra violente. De même, la pandémie de Covid-19 suscite une certaine agitation et des hommages au « soldat Corona », <a href="https://twitter.com/MEMRIReports/status/1242017226582118400">meilleur allié de la cause djihadiste</a>.</p>
<p>En outre, les opérations de suppression massive des comptes djihadistes (comme sur Telegram en <a href="http://ultimaratio-blog.org/archives/9135">novembre 2019</a>) ou le durcissement de la modération entraînent de nouvelles techniques de contournement et d’adaptation.</p>
<p>Si aucune manifestation d’adhésion à l’idéologie djihadiste n’est figée, la détermination à rester actifs en ligne est une constante.</p>
<h2>Une persévérance affichée</h2>
<p>Malgré le discours véhément de ces cyber-militants contre la censure des plates-formes, l’acharnement déployé pour y maintenir une visibilité est un invariable. A chaque suppression de profil succède son retour sous un autre pseudonyme, un autre compte, une autre adresse.</p>
<p>Cette persévérance est brandie comme la preuve d’un engagement majeur pour « la cause ». Un même individu peut se constituer des dizaines de profils sur plusieurs réseaux différents, plusieurs individus alimenter un même profil, un homme se cacher derrière un compte de femme et réciproquement ; tout comme un agent infiltré peut semer le doute sur la sécurité du « groupe ».</p>
<p>Difficile de savoir qui sont derrière ces avatars de « moudjahidines » (résistants ou combattants pour la foi, définis comme une poignée de véridiques qui s’engagent dans le djihad armé), mais qu’importe : leurs récits nous permettent de comprendre pourquoi et comment ces acteurs recourent à des médias qu’ils critiquent pour s’exprimer.</p>
<h2>Du cyber-djihadisme au cyber-califat</h2>
<p>L’objectif est d’abord d’y mener une guerre médiatique, pour propager l’idéologie djihadiste tout en remédiant au silence dit coupable des médias traditionnels sur l’oppression de la Oumma (la communauté des musulmans indépendamment de leur nationalité). En cela, ils poursuivent les objectifs des organisations terroristes qui légitiment l’usage de la violence pour venger les musulmans de l’oppression occidentale. Les vidéos de massacres de Syriens, de Palestiniens, de Ouïghours ou de Rohingyas birmans sont au cœur de la propagande de l’EI, partagée sur les réseaux sociaux.</p>
<p>D’ailleurs, selon l’ex-djihadiste repenti Mourad Benchelali, Al-Qaeda recourrait déjà à ce procédé <a href="https://www.fmsh.fr/sites/default/files/files/Rapport%20Propagande%20Bdef.pdf">il y a quinze ans</a> : « Tous les vendredis dans le camp, on nous montrait des vidéos avec des musulmans persécutés dans le monde ».</p>
<p>Mais au-delà d’une tribune ou d’un espace de recrutement, les plates-formes sont des lieux d’apprentissage de la « science religieuse ». On y discute de ce qu’est un « vrai musulman » à coup de versets coraniques et de hadiths. La grande question qui revient : comment être un bon combattant sur les réseaux et non un combattant de vitrine, un faux moudjahid ?</p>
<p>Le discours est jargonneux, les sources citées avec rigueur et la connaissance d’Allah au cœur des interactions. Les échanges amicaux comme les débats y ont leur place car c’est aussi un lieu de socialisation, où l’on déjoue la solitude tout en la mettant en scène. En effet, on se plaint d’être isolé tout en revendiquant une forme de marginalité. La solitude y est donc tourmentée et heureuse puisque c’est celle de l’« étranger » (« ghuraba ») auxquels ces individus s’identifient.</p>
<p>L’étranger, dans le lexique arabe, c’est le musulman qui se sait prisonnier de ce bas monde et qui vit dans la promesse de l’au-delà. C’est cet exilé, sans attaches terrestres, dont la solitude est le bienfait caché d’une détresse illusoire.</p>
<p>Mais ces espaces numériques sont enfin et surtout des lieux d’action en constante transformation, des lieux d’opérations guerrières. Comme si la logique militaire de reconquête territoriale de l’EI s’étendait virtuellement sur le web social, en tant que prolongement voire substitut du champ de bataille.</p>
<p>Dans cette arène médiatique investie par les sympathisants djihadistes, cohabitent ainsi le monde réel, l’ici et maintenant dont l’idéologie dominante est combattue, et l’ailleurs, soit le monde fantasmé du Califat islamique.</p>
<h2>Des communautés en ligne publiques et clandestines</h2>
<p>On pourrait parler d’« hétérotopie de crise » au sens <a href="https://foucault.info/documents/heterotopia/foucault.heteroTopia.fr/">foucaldien du terme</a> : un endroit réservé aux personnes qui rejettent les règles de la société dans laquelle ils vivent ; un contre-emplacement relevant d’un monde virtuel mais dans un espace bien réel, ancré dans les interfaces des plates-formes.</p>
<p>Une chose est sure : ces acteurs du cyberdjihad parviennent à construire des collectifs en ligne, à s’affilier et à se doter d’un territoire, même en l’absence d’espace dédié à leurs membres.</p>
<p>En effet, en parallèle des discussions privées et échanges via messageries cryptées, ils développent sur ces réseaux une visibilité publique au vu et au su de tous. C’est d’ailleurs le propre des hétérotopies de crise : être isolées mais accessibles. Comme le formule justement sur <a href="http://www.psyetgeek.com/internet-une-heterotopie">son blog</a>, Yann Leroux, docteur en psychologie :</p>
<blockquote>
<p>« Elles sont ouvertes, mais sur l’extérieur de sorte que son occupant de passage se trouve comme enfermé dehors. »</p>
</blockquote>
<p>En conclusion, ils développent des signes d’interreconnaissance pour faire groupe, pour communiquer et agir ensemble.</p>
<p>De ce bricolage d’une identité collective et évolutive naissent des communautés en ligne de sympathisants djihadistes ; des communautés publiques et pourtant clandestines.</p>
<hr>
<p><em>L'autrice effectue <a href="http://www.theses.fr/s191132">sa thèse</a> sous la direction de Julien Longhi.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149754/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurène Renaut ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dénonçant la traque numérique dont ils font l’objet, les cyber-militants du djihad armé adaptent leurs usages des réseaux comme leurs messages.Laurène Renaut, Doctorante, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1483622020-10-21T20:09:56Z2020-10-21T20:09:56ZTadjikistan et Kirghizistan : deux foyers d’incertitude aux portes de la Chine<p>La Chine a commencé à s’intéresser véritablement au Tadjikistan (pays persanophone de près de 9 millions d’habitants) et au Kirghizistan (pays turcophone de près de 6 millions d’habitants) dans les années 1990, en raison de leurs ressources naturelles et de l’impératif de sécurisation de son espace proche au lendemain de l’effondrement de l’URSS. Depuis, son influence dans ces deux États avec qui elle partage des frontières communes n’a fait que croître.</p>
<p>Les enjeux sont multiples : accès aux marchés de l’Asie centrale, lutte contre le terrorisme et les narcotrafics mais aussi coopération multilatérale à travers l’<a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/organisation-de-cooperation-de-shanghai-ocs">Organisation de coopération de Shanghai</a> (OCS), dont chacun de ces pays est membre. La Chine est devenue le principal investisseur, prêteur et mécène de ces pays, comme le rappelle le <a href="https://novastan.org/fr/politique/le-livre-jaune-un-regard-chinois-sur-lasie-centrale/">« Livre jaune sur l’Asie centrale »</a>, paru en juin dernier et émanant de chercheurs de l’Académie chinoise des sciences sociales, spécialistes de cette région du monde.</p>
<h2>L’Asie centrale entre enjeux économiques et politiques</h2>
<p>Les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/10/10/le-kirghizistan-s-enfonce-dans-le-chaos-politique_6055550_3210.html">troubles survenus dernièrement au Kirghizistan</a>, auxquels s’ajoute une <a href="https://centreasia.eu/wp-content/uploads/2018/06/24-Kellner-ChineAsie-Centrale_Mars2018.pdf">très forte sinophobie</a> ayant gagné l’ensemble de l’Asie centrale, et que la pandémie de la Covid-19 a amplifiée, pourraient, par contagion, renforcer le dispositif de répression mis en place par Pékin dans la province ouïgoure du Xinjiang (qui se trouve de l’autre côté de la frontière sino-kirghize) ou au contraire, en <a href="https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3104574/china-calls-bordering-kyrgyzstan-resolve-election-turmoil-and">déstabiliser la sécurité</a>.</p>
<p>Pour ce qui concerne la coopération avec le Tadjikistan, le secteur minier y est <a href="https://novastan.org/fr/tadjikistan/la-chine-partout-presente-au-tadjikistan/">privilégié par les entreprises chinoises</a>. La plus importante est la coentreprise Zarafchon, située dans la province de <a href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Pendjikent">Pendjikent</a>, dans le nord-ouest du pays, et détenue à 75 % par Zijin Mining, qui fournit près de 70 % de l’or extrait au Tadjikistan. Pakrout, propriété de la China Nonferrous Gold Limited, exploite quant à elle les mines aurifères de <a href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Vahdat">Vahdat</a>. En 2018, la société chinoise TVEA a obtenu les licences d’exploitation des gisements de Douobat et de Verkhny Koumarg, dans la province d’<a href="https://en.m.wikipedia.org/wiki/Ayni,_Ayni_District">Aïni</a>, après avoir construit une centrale thermique à Douchanbé.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Chine, la Russie et la mystérieuse OCS (<em>Le Dessous des cartes</em>, Arte).</span></figcaption>
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<p>Durant l’été 2018, le gouvernement tadjik avait signé un accord qui octroyait une licence d’exploitation de l’énorme mine de Yakdjilva, dans la province de <a href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Murghab_(Tadjikistan)">Mourgab</a>, à la société Kashi Xinyu Dadi Mining Investment Limited. Pour l’acheminement de ces ressources, China Road a reconstruit la route reliant Douchanbé à la frontière tadjiko-ouzbèke, longue de 410 kilomètres, grâce à un prêt chinois d’environ 300 millions de dollars (274,2 millions d’euros). Cette société a également entrepris la restauration de la route Douchanbé-<a href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Kulob">Kulob</a>, du réseau routier de Douchanbé et de la route allant de la capitale jusqu’à la frontière ouzbèke. L’achèvement de ce dernier projet était prévu pour début 2020.</p>
<p>China Road a par ailleurs construit des tunnels routiers ainsi que des tunnels et ponts ferroviaires ; lesquels – via la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Route_M41">route M 41</a> – donnent désormais accès aux régions de l’ouest de l’Asie centrale et à <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2009-2-page-111.htm">l’Afghanistan, convoité depuis longtemps</a>.</p>
<h2>Une frénésie d’aménagements : contrôle et maillage du territoire</h2>
<p>China Road réalise en ce moment des travaux préliminaires sur la route <a href="https://en.m.wikipedia.org/wiki/Qal%27ai_Khumb">Kalaikhoum</a> – <a href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Rushan_(Tadjikistan)">Rushan</a>, à la frontière afghane. Pékin a débloqué 230 millions de dollars (210,2 millions d’euros) pour reconstruire cette section longue de 92,3 kilomètres.</p>
<p>La China Railway Corporation vient pour sa part d’achever la reconstruction de la route reliant <a href="https://en.m.wikipedia.org/wiki/Konibodom">Kanibadam</a> à Patar. Dans le même temps, TVEA a terminé la construction de la ligne à haute tension reliant le centre du Tadjikistan à la province de <a href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Sughd">Soughd</a>, dans le nord. Elle avait auparavant construit une centrale thermique dans la capitale, une ligne à haute tension entre <a href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Khatlon">Khatlon</a> et <a href="https://en.m.wikipedia.org/wiki/Lolazor">Lolazor</a> et plusieurs stations souterraines.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Chine, sur les nouvelles routes de la soie » (Arte).</span></figcaption>
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<p>De son côté, la China National Petroleum Corporation (CNPC), en collaboration avec Tadjiktransgaz, la coentreprise issue de Trans-Tadjik Gas Pipeline Company, a entamé la construction de la quatrième section du gazoduc Asie centrale-Chine. CNPC, qui prospecte le sol tadjik pour y trouver des hydrocarbures, a annoncé l’implantation de sa filiale China Petroleum Engineering & Construction Corporation (CPECC), spécialisée dans l’ingénierie pétrolière, la production, la construction et la conclusion de contrats.</p>
<p>En 2014, la société privée chinoise Xinjiang Production and Construction a loué près de 500 hectares dans la province de <a href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Khatlon">Khatlon</a> pour une période de 50 ans.</p>
<p>Dans la même région, Xinjiang Yinghai et Hai Li ont loué des terres (280 hectares) pour 49 ans, ce qui n’est pas sans froisser les susceptibilités dans la région et au-delà, notamment au <a href="https://asialyst.com/fr/2018/01/16/nouvelles-routes-soie-kazakhstan-terrain-glissant-avec-chine/">Kazakhstan</a>, où l’on observe des pratiques similaires.</p>
<p>En outre, la coentreprise « Développement de l’agriculture au Tadjikistan et en Chine » cultive notamment du coton, du maïs et du blé dans cette province.</p>
<p>Le riz et le coton sont les principales ressources cultivées. Les agriculteurs chinois souhaitent augmenter progressivement la quantité de terres louées.</p>
<p>Cette emprise chinoise s’est traduite plus récemment par <a href="https://www.washingtonpost.com/world/asia_pacific/in-central-asias-forbidding-highlands-a-quiet-newcomer-chinese-troops/2019/02/18/78d4a8d0-1e62-11e9-a759-2b8541bbbe20_story.html">l’aménagement d’une base militaire dans le pays</a>, la deuxième après Djibouti et dans le monde. Bien que ses activités soient discrètes, elle offre à la Chine une profondeur stratégique et lui permet de tenir à la fois en respect l’Inde, qui aimerait prendre le contrôle de la <a href="https://eurasiantimes.com/india-ayni-airbase-in-tajikistan-russian/">base aérienne tadjike d’Ayini</a>. Dans les faits, la <a href="https://eurasianet.org/tajikistan-secret-chinese-base-becomes-slightly-less-secret">base « secrète » chinoise</a> reflète l’influence sécuritaire de Pékin dans la zone. Des exercices militaires et policiers communs à la vente de matériel militaire en passant par la formation dans les académies militaires chinoises, la Chine accroît une forme d’emprise dans cette partie quasi vide et stratégique de son environnement régional.</p>
<p>Même constat côté kirghize. L’aménagement de routes financées par la Chine ou la coopération avec Pékin dans l’aménagement <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2018-10-page-53.html">d’une raffinerie pour la ville industrielle de Kara-Balta</a> (à deux cents kilomètres de la capitale, Bichkek) s’accompagnent d’importants échanges linguistiques destinés à la formation de jeunes Kirghizes travaillant pour l’industrie minière ou les télécommunications, notamment pour <a href="https://www.minexforum.com/en/china-s-huawei-to-implement-smart-city-project-in-kyrgyzstan/">Huawei</a>.</p>
<p>Une partie de la classe politique locale s’est d’ailleurs très tôt émue de <a href="https://www.reuters.com/article/us-kyrgyzstan-protests-china-idUSKCN1PB1LJ">cette présence chinoise</a>. La troisième crise politique en quinze ans survenue récemment à Bichkek n’y est pas étrangère. Les fraudes électorales ainsi que la corruption d’une partie de l’élite dirigeante du pays, soupçonnée de concussion favorable à la Chine, ont radicalisé le mouvement des manifestations. Mais comment reprocher aux dirigeants d’un des pays les plus pauvres du monde (son PIB est tout juste supérieur à celui de la Somalie et inférieur à celui du Niger) d’accepter l’offre chinoise ?</p>
<p>Les tensions n’en sont pas moins fortes dans ce petit pays enclavé qui, comme le Tadjikistan voisin, n’est pas à l’abri de la radicalité islamiste. Moscou, dont une base militaire est installée dans ce pays où s’exerce son influence par le biais de <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/glossaire/organisation-du-traite-de-securite-collective-otsc">l’Organisation du traité de sécurité collective</a>, suit cette crise de près. Elle s’ajoute à celles en cours au Haut-Karabagh et en Biélorussie, et pourrait provoquer, à terme, une onde de choc dans d’autres pays de l’ex-Union soviétique.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1316707649841364995"}"></div></p>
<p>Plus que tout, Moscou, comme son partenaire chinois, redoute que ces troubles ne fassent à terme le <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2017/05/Asia-focus-30.pdf">jeu des islamistes ou de mouvements séparatistes</a>. Ainsi, en août 2016, <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2016/08/30/au-kirghizistan-l-ambassade-de-chine-cible-d-un-attentat-suicide_4989740_3216.html">l’ambassade chinoise à Bichkek</a> avait été la cible du premier attentat d’envergure touchant les intérêts de Pékin à l’étranger. L’enquête, dont les conclusions officielles n’ont toujours pas été rendues publiques à ce jour, privilégie la piste de radicaux ouïghours. Cette ethnie originaire du Xinjiang en Chine a une importante diaspora au Kirghizistan. Bien que le nombre et les moyens des radicaux demeurent très limités, leur potentiel de nuisance dans la petite république centre-asiatique demeure significatif eu égard à la faiblesse des services de sécurité locaux. Pékin craint que les radicaux ouïghours sévissent de nouveau contre ses intérêts à l’étranger, faute de pouvoir commettre des attentats en Chine même.</p>
<h2>Coopération sécuritaire, continuité politique autoritaire et modèle de développement</h2>
<p>À ce défi, la Chine a répondu par des investissements sur le long terme en optant pour une pacification de la région afin de la rendre moins perméable aux risques de déstabilisation (trafic de drogue, paupérisme, contagion salafiste…).</p>
<p>Cette politique globale de Pékin s’est traduite par un <a href="http://french.xinhuanet.com/2020-10/12/c_139434792.htm">soutien inconditionnel accordé au président tadjik Emomalii Rahmon</a>. Ce dernier est d’ailleurs populaire car c’est lui qui a réussi à surmonter la guerre civile, survenue au lendemain de l’effondrement de l’URSS. Il a su s’entendre avec le <a href="https://journals.openedition.org/asiecentrale/81">Parti de la résurrection islamique du Tadjikistan</a> (PRIT), et ce, durant une quinzaine d’années, avant d’expulser récemment les membres de son gouvernement. </p>
<p>Cela n’augure rien de bon pour l’avenir du pays d’autant que le Tadjikistan est le pays le plus vulnérable à l’influence afghane. Des mouvements très actifs liés au terrorisme international, comme <a href="https://www.asie21.com/tag/east-turkestan-islamic-movement/">l’East Turkestan Islamic Movement (ETIM)</a>, peuvent effectivement embraser la région autonome chinoise et musulmane du Xinjiang. Sur les 4 000 combattants d’origine centre-asiatique, <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2017/06/ASIA-FOCUS-34.pdf">300 Ouïghours en provenance de Chine auraient rallié des organisations terroristes proches de Daech</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Asie centrale, l’appel de Daech » (Arte).</span></figcaption>
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<p>Des velléités de coup d’État au Tadjikistan même ne sont pas à exclure. Il faut savoir par exemple qu’un Tadjik, l’ex-colonel des forces spéciales de la police, <a href="https://novastan.org/fr/tadjikistan/pourquoi-autant-de-citoyens-tadjiks-ont-rejoint-Daech/">Goulmorod Khalimov</a>, a assumé le commandement militaire de Daech. Les Tadjiks sont environ 1 000 combattants dans les rangs de Daech, ce qui représente le double voire le triple des autres pays d’Asie centrale. Même si Goulmorod Khalimov semble avoir succombé, en 2017, à des bombardements en Syrie, sa mémoire reste vivante et des partisans de Daech auraient infiltré la police tadjike. Ces risques de déstabilisation existent.</p>
<p>Dans ces deux pays aux structures claniques, la moindre anicroche peut mettre le feu aux poudres. Ainsi, a-t-on vu en août 2019 les forces spéciales kirghizes lancer une opération au domicile de l’ancien <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/08/kirghizistan-nouvel-assaut-des-forces-de-l-ordre-pour-arreter-l-ex-president_5497736_3210.html">président Almazbek Atambaïev</a>. Les partisans de ce dernier avaient répliqué avec des pierres et des barricades. Pékin semblait avoir misé sur un développement économique de la région en incitant ces pays membres de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) à collaborer davantage dans le domaine à la fois sécuritaire et militaire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1317145782928265218"}"></div></p>
<p>Au reste, <a href="http://french.peopledaily.com.cn/Chine/n/2014/0912/c31354-8782052.html">Douchanbe</a> (capitale du Tadjikistan) comme <a href="http://french.peopledaily.com.cn/Chine/n3/2019/0615/c31354-9588076.html">Bichkek</a> ont accueilli, chacune à leur tour, plusieurs sommets de l’OCS. Depuis 2016 au moins, des <a href="https://jamestown.org/program/sino-tajik-exercises-the-latest-chinese-encroachment-into-russias-sphere-of-influence/">opérations de contre-terrorisme</a> sont menées conjointement par les autorités chinoises et tadjikes. Plus que jamais, cette coopération est un gage de stabilité régionale. Le succès du projet <em>Belt and Road Intitiative</em> lancé par Xi Jinping en 2013 (dans le pays voisin du Kazakhstan) est aussi à ce prix. Toutefois les événements de Bichkek pourraient en annoncer sinon le crépuscule, tout <a href="https://www.scmp.com/news/china/diplomacy/article/3105145/kyrgyzstan-unrest-may-scare-future-chinese-and-other-foreign">au moins une très grande fragilité</a>.</p>
<p>L’influence de la Chine dans ces deux pays fragiles, dont la <a href="https://thediplomat.com/2017/12/can-central-asias-poorest-states-pay-back-their-debts-to-china/">dette à son égard</a> dépasse plusieurs milliards de dollars, se structure aussi par la formation des élites de demain. En effet, les <a href="https://www.aiddata.org/publications/silk-road-diplomacy">Instituts Confucius occupent un espace important, en particulier au Kirghizistan</a>.</p>
<p>Alors que l’influence américaine est en repli et que la puissance russe est sujette à de fortes interrogations et remises en question, la présence chinoise tous azimuts, la corruption endémique et la très grande asymétrie des relations laissent entrevoir une influence durable de Pékin. La jeunesse de ces pays, la crise du coronavirus et la crise économique sont autant de défis et de paramètres pouvant faire basculer la région dans l’instabilité et l’insécurité, ferment de <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/karine_asie_centrale_islam_radical_fr_2017.pdfcal_fr_2017.pdf">nouveaux foyers djihadistes</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/148362/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du FDBDA.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Chine exerce déjà une grande influence au Tadjikistan et au Kirghizistan, deux anciennes républiques soviétiques pauvres, aux structures fragiles, et où le danger islamiste est réel.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1476262020-10-16T14:33:33Z2020-10-16T14:33:33ZRapatriement des enfants de djihadistes : que doit faire le Canada ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/362482/original/file-20201008-22-1t39ak6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Samira, originaire de Belgique, marche avec son fils au Camp Roj, dans le nord de la Syrie. Son mari français est emprisonné pour des liens avec l'EI. Elle essaie de rentrer en Belgique où elle dit vouloir réintégrer la société. Mais leur rapatriement suscite la controverse. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Maya Alleruzzo)</span></span></figcaption></figure><p>Ils vivent dans des camps de réfugiés, surpeuplés, dans des conditions insalubres, sans éducation et parfois, sans les soins de base. Ils sont pourtant nés de parents canadiens. Mais ces derniers sont partis faire le djihad et à ce titre, leur rapatriement n’est ni populaire, ni considéré comme prioritaire.</p>
<p>Le 5 octobre, le gouvernement canadien a annoncé le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1738798/amira-orpheline-syrienne-rapatriement-canada-famille">rapatriement de l’un d’eux, la petite Amira</a>, une orpheline canadienne de cinq ans. Ses parents, qui avaient rejoint Daech, ont été tués en 2019 à Baghouz lors d’une frappe aérienne.</p>
<p>Cette « exfiltration » intervient à la suite d’un âpre combat mené par sa famille torontoise. Celle-ci a d’ailleurs intenté une poursuite judiciaire contre l’État canadien afin d’obtenir son rapatriement. Réticent à accueillir ces ressortissants considérés comme des <a href="https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/pblc-rprt-trrrsm-thrt-cnd-2018/index-fr.aspx?wbdisable=true">voyageurs extrémistes canadiens (VEC)</a>, le Canada a été critiqué à maintes reprises pour son manque de proactivité et <a href="https://www.latribune.ca/actualites/il-faut-ramener-les-enfants-des-canadiens-radicalises-croit-le-professeur-david-morin-1eaf4c16d013c1bbd5d079cbd188fcaa">interpellé</a> afin de faciliter le retour des enfants des VEC.</p>
<p>Quel traitement le Canada doit-il réserver à ces enfants et aux mineurs canadiens qui reviennent des zones considérées comme des foyers en puissance et de formation au terrorisme ?</p>
<p>Je m’intéresse à l’encadrement des sorties de violences dans le cadre de mes recherches doctorales. En étudiant les trajectoires des individus ayant rejoint les organisations terroristes, j’en suis venue à réfléchir à la façon dont les États doivent encadrer le retour de ces citoyens « problématiques ». Quels sont les principaux enjeux que soulèvent ces situations délicates et controversées ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/363287/original/file-20201013-23-jbf9nt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/363287/original/file-20201013-23-jbf9nt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/363287/original/file-20201013-23-jbf9nt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/363287/original/file-20201013-23-jbf9nt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/363287/original/file-20201013-23-jbf9nt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/363287/original/file-20201013-23-jbf9nt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/363287/original/file-20201013-23-jbf9nt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des enfants jouent dans une flaque de boue dans la section pour les familles étrangères du camp Al-Hol, en Syrie. Malgré les appels de leurs mères pour un retour dans leurs pays d’origine, les gouvernements sont réticents à autoriser le retour de leurs ressortissants. (AP Photo/Maya Alleruzzo).</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Maya Alleruzzo</span></span>
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<h2>Rapatriement massif ou au cas par cas</h2>
<p>Contrairement à la France ou aux États-Unis, le Canada n’a <a href="https://www.hrw.org/sites/default/files/media_2020/06/canada0620fr_summary_recs.pdf">qu’une très faible proportion de VEC dans la zone syro-irakienne</a> soit huit hommes, 13 femmes et 25 enfants. Toutefois, l’opinion publique est partagée entre d’une part, les obligations internationales en matière de droits des enfants et d’autre part, celles relatives aux impératifs sécuritaires. Le gouvernement canadien a toujours justifié ses réserves pour procéder au rapatriement en raison de l’absence de représentation diplomatique dans ces zones sensibles et la <a href="https://www.ledevoir.com/politique/canada/587244/un-premier-enfant-de-combattants-en-syrie-rapatrie-au-canada?fbclid=IwAR1D_U0MkwavdzlA0R8RGnaUxLmzpozSAAvervjY14T5wN54Gh1frwRuGXM">complexité des opérations de sauvetage</a>, qui nécessite une planification logistique importante.</p>
<p>Il y a de plus absence de consensus sur le plan international concernant la démarche à suivre par les États pour faire face à ces retours souhaités par les ex-djihadistes eux-mêmes ou par les familles de ces derniers.</p>
<p>L’<a href="https://www.un.org/press/fr/2020/sc14292.doc.htm">énième échec</a> de l’adoption d’une résolution le 31 août par le Conseil de Sécurité sur le sort des combattants djihadistes étrangers reflète bien la cristallisation des deux tendances qui s’opposent sur la scène internationale. Tandis que les <a href="https://www.justice.gov/opa/pr/united-states-has-repatriated-27-americans-syria-and-iraq-including-ten-charged-terrorism">États-Unis</a> et la <a href="https://www.france24.com/en/20190611-repatriation-families-islamic-state-group-jihadists-children">Russie</a> soutiennent le rapatriement systématique de tous les ressortissants ayant rejoint l’État islamique, plusieurs pays européens militent pour qu’on les traduise en justice « au plus près de l’endroit » où leurs crimes ont été commis et pour le rapatriement au cas par cas. Cette position est également partagée par le gouvernement canadien qui ne procède jusqu’ici au rapatriement que pour des cas « exceptionnels ».</p>
<p>Or, cette « compassion » à géométrie variable est difficile à justifier eu égard aux principes d’égalité et de non-discrimination. Les États ont des obligations légales et internationales à l’égard de leurs ressortissants. En outre, cette empathie sélective freine également les réflexions sur l’élaboration de politiques et la mise en œuvre de stratégies qui seraient adaptées pour gérer ces rapatriements.</p>
<p>Ces réticences s’expliquent en partie en raison des nombreux obstacles auxquels la justice fait face pour juger les VEC au Canada pour des crimes commis en Irak ou en Syrie. Il faut en effet rappeler que les individus qui ont rejoint Daech sont présumés avoir participé à des <a href="https://news.un.org/fr/story/2019/11/1057011">exactions graves</a>, et qu’ils peuvent constituer une sérieuse menace à leur retour. Toutefois, l’enjeu sécuritaire mérite pourtant ici d’être remis en question s’agissant des enfants de VEC.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/363540/original/file-20201014-23-1w28293.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/363540/original/file-20201014-23-1w28293.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/363540/original/file-20201014-23-1w28293.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/363540/original/file-20201014-23-1w28293.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/363540/original/file-20201014-23-1w28293.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/363540/original/file-20201014-23-1w28293.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/363540/original/file-20201014-23-1w28293.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des enfants dorment alors que des dizaines de femmes et d’enfants liés aux combattants du groupe de l’État islamique attendent de monter dans des bus et des camions, quittant le camp surpeuplé d’Al-Hol, en Syrie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Maya Alleruzzo, File</span></span>
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<h2>Accueillir les enfants de VEC : entre panique morale et réalité de la menace</h2>
<p>Sur le terrain médiatique, le retour des VEC et/ou de leur progéniture est resté très controversé en raison des motifs sécuritaires et des risques d’endoctrinement à la suite de leurs trajectoires.</p>
<p>Plusieurs travaux académiques ont en effet mis en lumière les méthodes de Daech pour former des <a href="https://doi.org/10.1080/1057610X.2016.1221252">soldats du califat</a> à travers l’utilisation par exemple de <a href="https://doi.org/10.1080/15507394.2020.1728027">manuels scolaires comme outils de propagande</a>.</p>
<p>Toutefois, la tendance médiatique accrue à présenter ces enfants comme étant systématiquement une nouvelle génération de « terroristes mineurs », des <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/ces-enfants-soldats-de-Daech-appeles-bombes-a-retardement-je-les-ai-rencontres_fr_5d569e4be4b056fafd0aa8c5">bombes à retardement</a> ou de <a href="https://heinonline.org/HOL/LandingPage?handle=hein.journals/jijis9&div=17&id=&page=">« folk devils »</a> peut s’assimiler à la panique morale, théorie développée dans les travaux du chercheur <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1007/978-3-319-61821-0_2">Stanley Cohen</a>. Elle conduit à définir un groupe de personnes comme un danger pour la société, ce qui oriente la mise en place de contrôles sociaux plus sévères.</p>
<p>Ce portrait pourtant très stéréotypé des enfants de djihadistes en général fait de ceux-ci des boucs émissaires d’une situation dans laquelle ils n’ont pas choisi d’être. De plus, la moyenne d’âge des enfants de VEC, qui est de six ans, permet de relativiser les risques qu’ils sont censés représenter pour la société et montre l’intérêt de les intégrer rapidement à une vie normale. La crainte d’accueillir ces enfants parce qu’ils ont eu des liens présumés étroits avec Daech ne devrait certainement pas occulter le fait qu’ils sont retenus dans des camps de détention en Syrie où ils vivent dans des conditions dégradantes.</p>
<p>Des chercheurs ont également mis en lumière, dans une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0145213420304099">étude récente</a>, l’impact des expériences traumatiques des enfants qui reviennent de territoires anciennement contrôlés par Daech sur leur développement et leur bien-être. Dans la même veine, des <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/series/ma-fille-sous-influence">initiatives</a> visant à humaniser ces derniers et à nuancer l’opinion publique quant à leur sort ont été entremises à travers des documentaires à l’instar du balado <a href="https://www.telequebec.tv/documentaire/les-poussieres-de-Daech/"><em>Poussières de Daech</em></a> qui illustre bien la détresse des familles et l’étendue de la complexité de ces enjeux.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/363538/original/file-20201014-19-11ebpgm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/363538/original/file-20201014-19-11ebpgm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/363538/original/file-20201014-19-11ebpgm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/363538/original/file-20201014-19-11ebpgm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/363538/original/file-20201014-19-11ebpgm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/363538/original/file-20201014-19-11ebpgm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/363538/original/file-20201014-19-11ebpgm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des femmes font la queue pour obtenir des fournitures d’aide au camp Al-Hol, en Syrie. Le camp a dépassé sa pleine capacité, avec plus de 70 000 résidents provenant des anciennes zones contrôlées par l’État islamique en Syrie.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Maya Alleruzzo, File</span></span>
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<h2>Une synergie dans les interventions</h2>
<p>En attendant que sur le plan international les pratiques et réglementations s’harmonisent au moyen de la coopération diplomatique, le gouvernement canadien doit se pencher sur le cas des enfants qui courent les risques d’apatridie parce qu’ils sont nés dans les territoires contrôlés par Daech. </p>
<p>Les difficultés éventuelles pour le placement des fratries sont aussi à considérer, tandis qu’un accompagnement particulier doit être fait pour la reconstitution de ces familles. En outre, il est nécessaire d’assurer une synergie dans les interventions. Il faut coordonner une approche multisectorielle, notamment entre la Gendarmerie royale du Canada, les services de la protection de l’enfance et la jeunesse ainsi que les services psychosociaux.</p>
<p><em>In fine</em>, au risque de faire la politique de l’autruche, une réflexion doit être nécessairement menée concernant le rapatriement des VEC adultes et les mesures pénales qui doivent leur être appliquées. Il serait en effet questionnable de la part d’un pays respectueux des droits humains d’organiser uniquement les retours des orphelins ou d’arracher des enfants à leurs parents au motif qu’ils sont des VEC.</p>
<p>Pour les mères qui accompagnent ces enfants et qui ont parfois perdu leurs époux dans ces zones, le Canada doit aussi développer une stratégie pertinente pour faciliter leur réintégration ou encore, leur judiciarisation, si leurs <a href="https://www.lecho.be/dossier/etatislamique/les-femmes-de-Daech-etaient-souvent-pires-que-les-hommes/10117187.html">exactions peuvent être prouvées</a>. Ces réflexions s’imposent d’ailleurs, dans la mesure où les autorités kurdes viennent d’annoncer la <a href="https://information.tv5monde.com/video/syrie-les-autorites-kurdes-annoncent-la-liberation-de-milliers-de-prisonniers-du-camp-d-al-hol">libération de milliers de prisonniers et de familles de djihadistes</a> du plus grand camp de réfugiés de Syrie, Al-Hol. Ils sont pour la majorité des citoyens occidentaux dont le rapatriement fait toujours l'objet de débat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/147626/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lydie C. Belporo a reçu un financement du Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC). </span></em></p>Après avoir investi d’importants efforts pour la prévention contre l’extrémisme violent, il reste difficile pour les États de gérer la phase post Daech et notamment le retour des anciens combattants.Lydie C. Belporo, Doctorante à l'École de Criminologie, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1462452020-09-15T20:44:18Z2020-09-15T20:44:18ZBonnes feuilles : « Dix attentats qui ont changé le monde »<p><em>Dans son essai <a href="https://m.armand-colin.com/dix-attentats-qui-ont-change-le-monde-comprendre-le-terrorisme-au-XXIe-siecle-9782200627829">« Dix attentats qui ont changé le monde. Comprendre le terrorisme au XXIᵉ siècle »</a>, le géopoliticien Cyrille Bret revient en détail sur les 10 attaques terroristes les plus marquantes de ces vingt dernières années : le 11 septembre 2001 à New York et Washington (États-Unis) ou « 9/11 » ; le 11 mars 2004 à Madrid (Espagne) ou « 11-M » ; le 1<sup>er</sup> septembre 2004 à Beslan (Russie) ; le 26 novembre 2008 à Mumbai (Inde) ; le 22 juillet 2011 à Utoya et Oslo (Norvège) ; le 18 mars 2015 à Tunis (Tunisie) ; le 13 novembre 2015 à Paris (France) ; le 22 mars 2016 à Bruxelles (Belgique) ; le 4 avril 2017 à Khan Cheikhoun (Syrie) ; et le 15 janvier 2019 à Nairobi (Kenya). La seule énumération des pays frappés suffit à rappeler à quel point le phénomène du terrorisme est devenu universel, au-delà de son hétérogénéité idéologique et opérationnelle. Nous publions ici un extrait de l’introduction, où l’auteur présente la démarche à l’origine de cet ouvrage.</em></p>
<hr>
<h2>Dix attentats peuvent-ils résumer un siècle encore jeune ?</h2>
<p>Toutes les victimes du terrorisme sont égales en malheur et en dignité. Mais tous les attentats n’ont pas la même portée. En matière de violence politique, il n’est rien de plus indigne que la compétition des bilans qui fixe l’importance d’un événement au nombre des victimes qu’il a faites. La place historique d’un attentat ne se mesure pas à la douleur qu’il inflige : elle est toujours maximale et inacceptable. Mais la signification politique dépend d’autres éléments qu’il faut mettre en évidence. Il en va du récit collectif des communautés meurtries.</p>
<p>Au fil des deux décennies écoulées, bien plus d’une dizaine d’attentats ont marqué des villes, des régions et des pays. L’analyse détaillée de dix attentats ne saurait donc suffire à rendre compte des évolutions du XXI<sup>e</sup> siècle, ni même à retracer l’histoire de la violence politique depuis 2001. Sélectionner, c’est éliminer. Et choisir les événements emblématiques, c’est s’exposer à la critique d’en avoir négligé d’autres par incompétence, oubli ou biais idéologique.</p>
<p>Les limites d’une telle sélection sont trop évidentes pour qu’il soit nécessaire de les détailler. Ainsi, pour analyser la propagation de l’hyperterrorisme d’Al-Qaïda en Europe, il aurait fallu non seulement décrire les attentats de Madrid en 2004 mais aussi passer en revue les dizaines d’attentats revendiqués par Al-Qaïda perpétrés contre des Européens au Maghreb et au Moyen-Orient. Il aurait été utile de consacrer un chapitre entier aux attentats de Londres en 2005 car ils ont suscité dans la démocratie parlementaire la plus ancienne d’Europe un tournant sécuritaire préoccupant.</p>
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<p>De même, pour dresser un état des lieux du terrorisme en France aujourd’hui, il aurait fallu analyser aussi précisément les attentats de janvier 2015 contre la rédaction de <em>Charlie Hebdo</em> et contre les clients de l’Hypercacher de la porte de Vincennes que les attentats du 13 novembre 2015 au Stade de France, dans les rues du quartier de la République et au théâtre du Bataclan. Et pour comprendre « l’africanisation » du terrorisme, il aurait été nécessaire de ne pas se limiter aux attentats perpétrés par les Chebabs à Nairobi en 2013 et en 2019 mais de détailler aussi les exactions de Boko Haram au Nigeria ou encore d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) au Sahel.</p>
<p>Enfin, la radicalisation violente de l’extrême droite occidentale mériterait une analyse non seulement à travers le cas d’Anders Behring Breivik mais aussi dans les attentats perpétrés en 2019 à Christchurch en Nouvelle-Zélande et à Halle en Allemagne en 2020. Les attentats commis contre la Russie auraient pu eux aussi être davantage détaillés. L’explosion criminelle d’un charter de touristes russes le 31 octobre 2014 au-dessus du Sinaï et les attentats du métro de Saint-Pétersbourg le 3 avril 2017 auraient trouvé leur place dans l’analyse du « moment Daech » en Europe.</p>
<p>Mais l’ambition de cet ouvrage n’est pas encyclopédique. Il faut le juger non sur son exhaustivité mais sur la justesse dans son analyse des « effets de terreur ».</p>
<p>Nous avons donc identifié les événements terroristes qui ont eu le plus de poids politique dans les deux décennies ouvertes par le 11 septembre. Dans cette sélection à la fois macabre et difficile, plusieurs critères ont été retenus.</p>
<p>Tout d’abord et avant tout, nous avons cherché à mettre en évidence ce que nous avons constaté à travers le monde : chaque culture politique, chaque communauté nationale est obsédée par « ses » attentats historiques. C’est un des effets recherchés de la terreur : enfermer une communauté sur elle-même, la rendre nombriliste.</p>
<p>Ainsi, la France et la Belgique ont-elles entamé des examens de conscience douloureux suite aux attentats de 2015 et 2016. Mais Français et Belges ne doivent pas oublier que d’autres États ont eux aussi été frappés par des acteurs identiques et selon des scénarios proches. On néglige, tout à sa douleur, le fait que le terrorisme devient une violence politique universelle. Nous avons donc choisi de mettre en lumière des attentats qui ont pu nous paraître éloignés, dans le temps et l’espace, pour rappeler combien d’autres pays sont eux aussi en proie aux doutes et à l’horreur face au terrorisme. Qui, en France et en Europe, hormis les spécialistes, a sérieusement pris en compte les attentats de Mumbai en 2008 ou de Nairobi en 2013 et en 2019 ? Ces événements ont pourtant pesé sur l’histoire nationale et sur les destinées mondiales. Et surtout, les terroristes, eux, se comparent entre eux et rivalisent à travers la planète. On verra à quel point les attentats de Mumbai de 2008, négligés en Europe, auront servi de modèle tragique à la campagne de Daech en Europe et en Afrique.</p>
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<p>Le deuxième objectif de cet ouvrage est de montrer ce qui, dans les vies politiques, chez nous et à travers le monde, est en passe de changer. Les attentats terroristes, les réactions officielles et populaires à ces violences, les réformes juridiques et administratives qui en découlent transforment rapidement des cultures politiques. Dans les actions violentes les plus choquantes, les traditions ressurgissent, les tensions oubliées se ravivent, les mouvements d’opinion se précisent. La crise terroriste joue le rôle d’un révélateur des situations politiques.</p>
<p>Ainsi, la Norvège a pris douloureusement conscience, en 2011, de l’islamophobie qui travaille une partie de son opinion. De même, l’Inde de la prospérité s’est tragiquement remémoré le conflit non résolu du Cachemire en 2008 lors des attaques de Mumbai. À chaque fois, nous avons essayé de mesurer ce qui se manifestait des cultures politiques à travers les violences terroristes.</p>
<p>Enfin, nous avons choisi ici d’aborder les attentats par leurs conséquences. Ces dix attentats ont eu des effets de souffle considérables sur la vie collective et individuelle. Dans les réactions officielles comme dans les protestations individuelles, ce sont nos passions fondamentales qui ont été réactivées : la douleur, l’indignation, la colère et le dégoût au premier chef. Mais il nous a semblé essentiel d’aller au-delà de ces réactions immédiates. Si ces événements ont acquis un statut historique, c’est qu’ils ont cristallisé des conflits latents et eu des effets durables et profonds. Ils sont des conséquences et des symptômes bien sûr, mais ils sont aussi des causes. L’Inde a ainsi accéléré son tournant identitaire après les attentats de Mumbai. La radicalisation hindouiste était certes déjà présente auparavant, mais elle a pris un virage essentiel en 2008. De même, la présidentialisation du régime russe s’est explicitement affirmée en 2004 après les attentats de Beslan.</p>
<p>Pour commémorer les victimes, analyser dix attentats est assurément dérisoire. Et pour dresser une encyclopédie du terrorisme contemporain, c’est bien insuffisant. En revanche, pour repérer les événements qui ont modifié le cours politique de notre jeune siècle, la relecture de ces dix événements emblématiques est éclairante. Elle permet de saisir ce que chaque vague terroriste a de spécifique.</p>
<p>Et d’apercevoir, dans un moment critique, les tendances à l’œuvre dans les traditions politiques nationales et internationales.</p>
<p>Il faut donc scruter les faits eux-mêmes pour les connaître et identifier leur portée politique et leur puissance symbolique. Puis mettre à jour leurs rouages et mesurer la propagation, par cercles concentriques, de l’« effet de terreur » dans le temps, l’espace et les différentes strates de la société.</p>
<h2>Décrypter les « effets de terreur »</h2>
<p>Décrypter les attentats et comparer leurs impacts politiques respectifs permet de dissiper plusieurs illusions entretenues sur le phénomène terroriste.</p>
<p>Cette « brève histoire de la violence politique » fait apparaître une erreur récurrente, qui fait prendre la partie pour le tout. Depuis le 11 septembre 2001, « terroriste » est devenu synonyme de « djihadiste ». Or, malheureusement, le terrorisme n’est pas l’apanage des mouvements islamistes. Comme l’ont montré les années 1970, la violence terroriste est aussi utilisée dans des luttes sociales, ethniques, nationales sans rapport avec le fanatisme religieux. Réduire la lutte contre le terrorisme à un conflit entre islam politique armé et Occident civilisé est bien illusoire et même fort dangereux. L’extrême droite a commencé à utiliser le meurtre de masse contre des civils comme instrument de propagande. L’exemple tragique des attentats de Norvège en 2011 et de Nouvelle-Zélande en 2019 doit résonner comme un avertissement.</p>
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<p>Une deuxième illusion sur le terrorisme à abandonner concerne les auteurs des violences terroristes. Là encore, l’ombre portée du 11 septembre ne doit pas induire en erreur. Les organisations infra-étatiques clandestines n’ont pas le monopole du terrorisme car les États eux-mêmes l’ont abondamment utilisé, qu’il s’agisse des États totalitaires ou des dictatures affaiblies. L’exemple tragique des attaques chimiques perpétrées par le régime de Bachar Al-Assad en Syrie au fil de la décennie doit nous prémunir contre cette idée : tout acteur politique, quel que soit son statut juridique, peut être tenté de recourir à des tactiques terroristes.</p>
<p>Une dernière illusion à bousculer est commune à tous ceux qui consacrent leur travail au terrorisme, aux attentats et aux terroristes. L’histoire du XXI<sup>e</sup> siècle ne se résume pas à cette forme de violence politique. Une Histoire du monde écrite par les terroristes ou par les services de lutte contre le terrorisme ressemblerait sans doute à un catalogue d’attaques. La révolution numérique, les défis démographiques, la propagation du populisme dans les démocraties, la montée en puissance militaire de la Chine, les pandémies, etc., tout cela serait passé sous silence ou minoré.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « Dix attentats qui ont changé le monde »" src="https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=921&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/358121/original/file-20200915-24-b1oxq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1157&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est extrait de « Dix attentats qui ont changé le monde » de Cyrille Bret, qui vient de paraître aux éditions Armand Colin.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Armand Colin éditions</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Par leurs effets et les réactions de tout le corps social, les attentats terroristes significatifs donnent des éléments essentiels pour comprendre la vie collective. Miroirs déformants, symptômes éloquents, tournants stratégiques, ils jalonnent eux aussi notre expérience commune.</p>
<p>En somme, les crises terroristes ont un triple pouvoir de révélation, de concentration et d’accélération des processus politiques. La crise terroriste rend douloureusement évidentes des tendances encore mal connues : elle a une puissance de révélation. Elle concentre en elle les tensions et les conflits d’une communauté politique – c’est sa fonction de condensation ou de concentration.</p>
<p>Et enfin, elle précipite les évolutions politiques comme un accélérateur de la vie collective. Ce sont ces trois fonctions de l’attentat que nous avons mises en évidence tout au long du livre.</p>
<p>Dix attentats ne créent pas à eux seuls un nouveau monde. Mais ils le changent durablement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146245/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cet ouvrage présente une analyse détaillée de dix attentats qui ont endeuillé le siècle – des États-Unis à l’Inde en passant par le Kenya, la Syrie, la Russie, la France ou encore la Norvège.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1424242020-09-10T18:39:26Z2020-09-10T18:39:26ZLes yézidis : du trauma au combat politique<p>En août 2014 l’État islamique (EI) a attaqué les yézidis de la région de Sinjar (Irak). Des milliers d’hommes ont été tués, des milliers de femmes et enfants ont été kidnappés et des centaines de milliers de yézidis ont été contraints à l’exil. Les <a href="https://oxfordre.com/religion/view/10.1093/acrefore/9780199340378.001.0001/acrefore-9780199340378-e-254">yézidis</a>, (communauté confessionnelle ou ethno-confessionnelle partagée entre l’Irak, la Syrie, la Turquie et le Caucase) inconnus de l’Occident, ont fait la une des journaux, portant leur attention, dans la très grande majorité des cas, sur les esclaves sexuelles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=553&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356784/original/file-20200907-16-1e5icxw.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=696&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Répartition de la population yézidie en Irak et en Syrie.</span>
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<p>Les yézidis, dans leur malheur, ont incarné pour l’Occident les victimes par excellence de l’EI. Dans un élan de compassion, des actions ont été mises en place par les gouvernements ou par des ONG et associations : programmes d’aide humanitaire, programmes de soutien psychologique pour les femmes ex-captives, procédures d’accueil. La nomination de Nadia Murad ex-captive de l’EI pour le <a href="https://www.lemonde.fr/prix-nobel/article/2018/10/05/nadia-murad-des-chaines-de-l-etat-islamique-au-prix-nobel-de-la-paix_5365315_1772031.html">prix Nobel de la Paix en 2018</a> s’inscrit dans cette suite d’actions.</p>
<h2>Du salon de beauté au prix Nobel pour la paix</h2>
<p>Nadia Murad est une jeune femme d’origine modeste. Son destin bascule le 3 août 2014, lorsque son village – Kocho, au sud des monts Sinjar – est envahi par l’EI. Les assaillants divisent les habitants en plusieurs groupes : les hommes et les personnes âgées sont exécutés et jetés dans des fosses communes ; les femmes et les enfants sont enlevés.</p>
<p>Ces femmes sont par la suite vendues sur des marchés aux esclaves, tandis que les enfants sont enrôlés dans les rangs de l’EI. <a href="https://www.nobelprize.org/prizes/peace/2018/murad/55710-nadia-murad-nobel-lecture-3/">Nadia Murad a alors 21 ans</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Je rêvais de finir mes études secondaires, d’ouvrir un salon de beauté dans notre village et de vivre près de ma famille à Sinjar. Mais ce rêve a tourné au cauchemar. »</p>
</blockquote>
<p>En quelques heures, elle voit périr sa mère et six de ses frères avant d’être emmenée avec deux de ses sœurs à Mossoul. Elle racontera plus tard aux médias occidentaux comment elle fut contrainte à l’esclavage sexuel, comment elle tenta une première fois de s’enfuir, comment elle fut rattrapée et sévèrement punie. Pendant des semaines, elle passa de propriétaire en propriétaire jusqu’au jour où elle parvint à s’échapper. Elle courut alors dans les rues en frappant aux portes jusqu’à ce qu’une famille musulmane sunnite accepte de l’héberger. Celle-ci lui donna les papiers d’identité de leur fille pour qu’elle puisse passer la frontière et rejoindre un camp de réfugiés près de Dohuk au Kurdistan irakien.</p>
<p>Sous un prénom d’emprunt, Nadia Murad réalisa un <a href="https://www.lalibre.be/international/la-sixieme-nuit-j-ai-ete-violee-par-tous-les-gardes-salman-a-dit-elle-est-a-vous-maintenant-54e9fd2a35701001a1dfe527">premier témoignage</a> en février 2015, publié dans le journal <em>La Libre Belgique</em>. En septembre 2015, l’ONG américaine Yazda l’aida à rejoindre sa sœur en Allemagne. L’association avait été fondée un an plus tôt par des yézidis vivant aux États-Unis pour porter assistance aux yézidis de la région de Sinjar.</p>
<p>Elle sut mettre à profit pour Nadia Murad et d’autres femmes dans la même situation une politique de quotas que le gouvernement du Baden-Württemberg venait d’adopter. Le sort de Nadia, parvenue en Allemagne, attira l’attention de l’avocate <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2019/02/10/le-combat-damal-clooney-en-faveur-des-yezidis/">Amal Clooney</a>, spécialiste du droit international. Par son entremise, Nadia Murad est amenée à témoigner devant le Conseil de sécurité des Nations unies. À la suite de cette intervention, le Conseil s’engage à aider l’Irak à réunir les preuves des crimes commis contre les yézidis. La jeune femme est nommée en 2016 « Ambassadrice de bonne volonté de l’ONU pour la dignité des survivants de la traite des êtres humains ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Alexandria Bombach,On her shoulders, Los Angeles, RYOT Films, 95 min, 2018.</span></figcaption>
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<p>La même année, elle reçoit le prix Sakharov pour la liberté de l’esprit avec Lamia Haji Bachar, autre rescapée de l’EI, et le prix des droits de l’homme Václav-Havel. En 2018, elle reçoit le prix Nobel de la paix, partagé avec Denis Mukwege. Nadia Murad est l’auteur <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/pour-que-je-sois-la-derniere-9782213705545">d’un récit</a> sur son calvaire paru en 2018. Un film documentaire lui a également été consacré, ainsi que de nombreux articles de journaux dans la presse internationale.</p>
<h2>Des victimes exemplaires</h2>
<p>Depuis 2014, les médias occidentaux ont porté à maintes reprises leur attention sur le sort des yézidis, et en particulier sur celui des esclaves sexuelles. Les femmes interviewées sont questionnées sur les violences personnelles qu’elles ont subies. Le portrait de ces femmes est celui de victimes exemplaires ayant enduré les pires supplices tout en conservant leur foi. Dans une époque que Didier Fassin et Richard Rechtman décrivent comme un <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/hors-collection/l-empire-du-traumatisme">« empire du traumatisme »</a>, les esclaves sexuelles ont ému l’Occident et semblent avoir gagné, par leur histoire personnelle traumatique, le statut de « victimes légitimes ».</p>
<p>Leur trauma n’est plus considéré comme une simple condition psychique qui les affecte et leur confère une communauté de destins. Il acquiert, continuent les auteurs, une « légitimité » morale en vertu de laquelle est établie la justesse de leurs plaintes.</p>
<p>Nadia Murad est ainsi devenue, contre toute attente, la porte-parole principale des yézidis, rompant avec les règles strictes qui dominent la communauté yézidie, régie par un système de groupes endogames, héréditaires et strictement hiérarchisés.</p>
<h2>Un court-circuit des autorités traditionnelles</h2>
<p>Traditionnellement, les porte-paroles des yézidis sont le <em>mîr</em>, chef spirituel des yézidis (dont le statut est héréditaire), et le conseil spirituel dirigé par le <em>baba cheikh</em> et constitué d’hommes issus de <a href="https://books.google.fr/books/about/Yezidism_its_Background_Observances_and.html?id=OTQqAQAAMAAJ&redir_esc=y">lignages religieux</a>.</p>
<p>Nadia Murad est une femme, jeune, d’un lignage de disciples (<em>mirîd</em>). Rien ne la prédestinait à devenir ambassadrice de son groupe. Au regard des règles en vigueur dans la communauté, Nadia Murad aurait même dû être excommuniée pour avoir eu des relations sexuelles avec des non-yézidis.</p>
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<img alt="Deux chefs religieux yezidis" src="https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356941/original/file-20200908-18-ise3nc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mîr Tahsin Saied Beg (à gauche) avec le baba cheikh Khurto Hajji Ismail, chefs religieux des Yezidis d’Iraq.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Jesidische_Geistliche.jpeg">Shalwol/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Cette règle était appliquée jusqu’en 2014 de manière stricte. Cependant, au vu du nombre des viols – des femmes ont été kidnappées dans la quasi-totalité des familles de la région de Sinjar –, le <em>mîr</em> a déclaré que les femmes réduites en esclavage par l’EI pourraient effectuer un « baptême de réintégration » au temple de Lalesh.</p>
<h2>« Redevenir » yézidies</h2>
<p>Situé dans les montagnes du Kurdistan irakien, ce temple constitue le lieu de pèlerinage principal des yézidis. Le rituel, qui inclut des ablutions avec l’eau de la source sacrée (<em>kaniya spî</em>), fut inventé pour ce cas spécifique et a permis aux anciennes captives de « redevenir » yézidies.</p>
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<img alt="Temple yezidi de Lalish" src="https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/354572/original/file-20200825-14-rt5o29.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Temple de Lalish ou Lalesh, dans les montagnes du Kurdistan irakien.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Lalesh#/media/Fichier:Lalish.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Les dispositifs médico-sociaux mis en place en Occident à leur égard et l’attention médiatique qu’elles ont reçue ont certainement également contribué à leur préserver une place au sein de la communauté.</p>
<p>Mes interlocuteurs yézidis apprécient Nadia Murad. Ils la suivent sur Facebook et postent des commentaires en pluies de cœurs à chacune de ses actions. Ils admirent son courage pour parler de choses si intimes en public et son combat pour la cause de leur communauté. C’est surtout le cas des plus jeunes d’entre eux : les personnes âgées sont parfois plus réservées. D’après Rehan, une yézidie de 18 ans originaire de Sinjar, réfugiée dans la Drôme :</p>
<blockquote>
<p>« les vieux pensent à l’honneur (namûs) et à la honte (șerm) et ils n’aiment pas qu’on parle trop de Nadia ».</p>
</blockquote>
<p>La publicité internationale autour de l’esclavagisme sexuel pratiqué par l’EI a souligné l’incapacité des hommes yézidis à défendre l’honneur de leurs femmes.</p>
<p>Lors de la commémoration du génocide de Sinjar organisée le 3 août 2019 à Sarcelles par l’ONG Voice of Ezidis, Diler, 25 ans, originaire de Sinjar et réfugié à Soissons, <a href="https://www.rfi.fr/en/france/20190805-yazidi-genocide-commemoration-france-islamic-state-iraq">confiait à une journaliste de RFI</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Quand ta sœur est kidnappée et utilisée comme esclave sexuelle et que tu réalises que tu ne peux rien faire, alors tu perds ta dignité et ton respect. »</p>
</blockquote>
<p>Ce genre de témoignage est en fait peu courant dans les médias, où les paroles d’hommes, d’enfants et de personnes âgées sont rares. Les voix qui s’éloignent du stéréotype narratif sur les yézidis – les femmes captives et la narration victimaire qui y est associée – s’expriment surtout dans les discussions intracommunautaires, mais restent sous-représentées dans les médias.</p>
<h2>« Le visage du génocide »</h2>
<p>Aujourd’hui, Nadia Murad est peu ou prou la seule personne yézidie connue internationalement. Sa visibilité et sa légitimité sont le fruit d’un travail complexe mené largement en dehors de sa communauté d’origine.</p>
<p>L’Américaine Elizabeth Schaeffer-Brown fut l’une des personnes impliquées dans ce processus. En tant que cofondatrice d’une société de conseil et de relations publiques aux États-Unis, <a href="https://www.latimes.com/opinion/story/2019-10-10/yazidi-nobel-peace-prize-nadia-murad">elle prit en charge</a> la campagne de promotion de Nadia Murad :</p>
<blockquote>
<p>« C’était mon travail de persuader l’élite sociale, économique et politique que soutenir Nadia et les yézidis leur permettrait de se présenter au monde comme vertueux. Notre petite équipe avait travaillé à faire augmenter la valeur (value) de Nadia […] en faisant d’elle le visage du génocide. Quand Nadia a gagné le prix Nobel, elle est devenue une marque (<em>a brand</em>), une célébrité. Les pays, les millionnaires et les ONG ont payé cher la fondation Nadia’s Initiative pour que Nadia vienne leur parler. »</p>
</blockquote>
<p>Ce travail parfaitement ciblé et informé permit à la narration victimaire de Nadia Murad de se transformer en un combat politique. Nadia Murad demande aujourd’hui une réparation collective : la reconnaissance du crime de génocide commis par l’EI à Sinjar et le jugement des coupables par une cour internationale.</p>
<h2>Impact concret</h2>
<p>En incarnant les victimes de l’EI et en leur donnant voix, Nadia Murad occupe une place stratégique au croisement des intérêts des yézidis et de ceux de la communauté internationale. Érigée en victime exemplaire, elle a désormais accès aux plus hautes instances diplomatiques et politiques (ONU, gouvernements, G10, etc.).</p>
<p>Ceci lui permet de demander, voire de « proposer », d’égal à égal. À la suite, par exemple, de l’entretien qu’elle eut avec le président français Emmanuel Macron en 2018, un <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/10/26/communique-entretien-du-president-de-la-republique-avec-mme-nadia-murad-prix-nobel-de-la-paix-201">communiqué de l’Élysée annonçait</a> :</p>
<blockquote>
<p>« en réponse à la proposition de Nadia Murad, la France accueillerait 100 femmes yézidies victimes de l’EI, libérées mais actuellement bloquées et sans soins dans les camps de réfugiés du Kurdistan irakien ».</p>
</blockquote>
<p>Une telle communication montre à la fois la force et les limites de l’action d’une victime diplomate. Sa « proposition », telle qu’elle est entendue et représentée par la diplomatie française, ne semble porter que sur les femmes.</p>
<h2>Les limites de l’approche victimaire</h2>
<p>Dans les faits, la France a également accueilli leurs enfants, et parfois leur mari lorsque celui-ci était encore en vie (près de 500 personnes en tout). Mais dans le contexte émotionnel induit par la figure de Nadia Murad, les victimes à secourir n’étaient pas ces familles yézidies vivant dans la détresse. L’aide mise en place ne devait concerner spécifiquement que les femmes qui ouvraient l’accès au droit d’asile pour les autres survivants, comme si la cause des yézidis en tant que communauté était subordonnée à celle des femmes en tant que genre opprimé.</p>
<p>Le rôle politique d’une victime exemplaire est également limité par le principe même de sa légitimité : son statut lui permet de dénoncer et de demander réparation, mais pas de prendre part aux choix concrets qui affectent la politique régionale, ni même de promouvoir auprès de son auditoire international les particularités culturelles de sa communauté d’origine.</p>
<p>Ainsi, alors que différents groupes politiques pourraient soutenir un projet de reconstruction de la région de Sinjar (prokurde ou pro-Irak par exemple), Nadia Murad ne se prononce pour aucune d’entre elles. Elle ne parle jamais des spécificités de la communauté yézidie comme l’obligation d’endogamie ou l’organisation en castes hiérarchisées.</p>
<h2>Un diplomatie par l’émotion</h2>
<p>Nadia Murad incarne ainsi parfaitement la barbarie de l’État islamique et justifie le combat à l’encontre de cette idéologie. Mais elle ne porte, elle-même, aucune autre cause si ce n’est celle fort générale de la justice et des droits de l’Homme. Pour les yézidis eux-mêmes, elle n’est qu’une des nombreuses victimes exemplaires dont ils gardent la mémoire.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=426&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/356918/original/file-20200908-18-1mjk3kw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=535&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des bougies sont allumées sur la stèle en hommage aux victimes de Sinjar le 3 août 2020 à Sarcelles (commémoration organisée par les associations « Voice of Ezidis » et « Union des Yezidis de France »).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Estelle Amy de la Bretèque</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Davantage que les méfaits d’un système de pensée totalitaire et extrémiste, ces figures incarnent l’un des rares points de consensus au sein de la communauté et dans ses relations avec les sociétés environnantes. Le massacre de Sinjar n’est en effet pas le premier dont les yézidis furent victimes. Dans le calendrier yézidi, Sinjar est le 74ème massacre (<em>ferman</em>). Pour ne citer que les deux précédents <em>ferman</em>, le 73ème, en 2007, est l’explosion de deux voitures piégées dans la région de Sinjar (à Qahtaniya et Siba Cheikh Khidir) qui a fait plus de 500 victimes. Le 72ème <em>ferman</em> était le génocide arménien de 1915-16 au cours duquel de nombreux yézidis ont aussi été tués.</p>
<p>La mémoire des persécutions fait émerger une diplomatie par l’émotion qui constitue aujourd’hui le cadre dans lequel les yézidis peuvent faire entendre leur voix et espérer agir en tant que minorité dans l’arène internationale.</p>
<hr>
<p><em>Billet publié en collaboration avec le <a href="http://blogterrain.hypotheses.org/">blog de la revue Terrain</a>. Dans le numéro 73, <a href="https://journals.openedition.org/terrain/19542">« Homo diplomaticus »</a>, Terrain s’écarte de la diplomatie traditionnelle pour observer des pratiques émergentes, ou non occidentales, en prêtant une attention spéciale aux adaptations et aux inventions des vaincus</em>.</p>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/142424/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Estelle Amy de la Bretèque remercie le Cpa-Ethnopôle « Migrations frontières, mémoires » de Valence pour son soutien logistique lors de ses recherches de terrain auprès des Yézidis de la Drôme.</span></em></p>Victimes par excellence de l’État Islamique, les yezidis sont aujourd’hui représentés par Nadia Murad, figure de la scène internationale qui rompt pourtant avec les traditions de sa communauté.Estelle Amy de la Bretèque, Anthropologue, Ethnomusicologue, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1369822020-05-04T19:42:29Z2020-05-04T19:42:29ZLe djihad au temps du Covid-19<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/332145/original/file-20200503-42903-1265tug.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C17%2C5678%2C3976&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/terrorist-staying-home-during-covid19-coronavirus-1688517469">Marijus Auruskevicius/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>La pandémie qui secoue le globe n’est pas sans conséquence sur la nébuleuse djihadiste qui se retrouve de fait concurrencée par un ennemi qui, comme elle, sème la mort, est invisible et potentiellement omniprésent. Le mode opératoire du plus médiatique des groupes djihadistes, l’État islamique, consistait précisément à miser sur cette sensation de viralité. Par simple déclaration d’allégeance (<em>bay’a</em>) chaque soldat de Dieu pouvait frapper à tout moment sur n’importe quelle partie du globe. Daech a d’une certaine manière inventé le concept de terrorisme free-lance. Mais au jeu de la viralité anxiogène, difficile de battre un… virus.</p>
<p>De fait, le Covid-19 a réussi à balayer médiatiquement l’État islamique qui avait fait de l’<a href="https://www.franceculture.fr/emissions/du-grain-moudre-d-ete/peut-parler-d-une-uberisation-de-Daech">« ubérisation »</a> l’une de ses principales marques de fabrique. La couverture médiatique des attaques djihadistes survenues dernièrement est particulièrement illustrative de cette mise en périphérie. Il y a d’abord eu l’attaque au couteau perpétrée par Abdallah Ahmed Osman à Romans-sur-Isère le 4 avril dernier. Bien que non revendiquée par une quelconque organisation, cette attaque à l’arme blanche sur une cible indifférenciée s’inscrit dans les <a href="https://www.ouest-france.fr/terrorisme/al-souri-le-theoricien-djihadiste-de-la-guerre-civile-en-europe-4942021">modes opératoires prônés par les théoriciens de référence de Daech</a>. Ensuite, l’attaque à la voiture-bélier du 27 avril au cours de laquelle trois policiers furent fauchés à Colombes et qui a été commise par un terroriste se revendiquant de l’État islamique au Sahel. Outre-Rhin, le <a href="https://www.letelegramme.fr/monde/l-allemagne-dejoue-des-projets-d-attentats-islamistes-contre-des-militaires-americains-15-04-2020-12539530.php">démantèlement d’une cellule djihadiste tadjique</a> affiliée à Daech qui s’apprêtait à commettre des attaques meurtrières contre des installations de l’armée de l’Air américaine est passé quasiment inaperçu dans les grands médias nationaux.</p>
<h2>Un « châtiment divin »</h2>
<p>Conscientes de cette relégation symbolique, les différentes organisations djihadistes n’ont pas hésité à surfer et à capitaliser sur le « succès » planétaire du Covid-19 pour asseoir un peu plus leur propagande et/ou leur discours apocalyptique. Les communicants de Daech puis ceux des autres groupes djihadistes (Al-Qaïda, Boko Haram…) se sont ainsi spontanément félicités de ce fléau planétaire (l’État islamique a été dès janvier le premier groupe djihadiste à se réjouir du désastre sanitaire, définissant le virus comme une <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/le-covid-19-a-t-il-un-impact-sur-Daech-et-sa-strategie-terroriste-1-2-845100.html">« manifestation de la colère de Dieu contre les sociétés païennes dans le monde »</a>). La pandémie qui a lourdement frappé les Européens, les Américains et l’ennemi chiite iranien est interprétée comme un signe divin, un châtiment céleste destiné à punir les croisés et tous les adversaires de l’islam. Les Chinois sont également cités comme <a href="https://thediplomat.com/2020/03/divine-retribution-the-islamic-states-covid-19-propaganda/">cible divine privilégiée en raison de leur athéisme et de leurs persécutions à l’encontre de la minorité musulmane ouïghoure</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1249379312064749575"}"></div></p>
<p>Il est intéressant de constater qu’à la différence de certaines branches de l’ultra-droite ou de l’ultra-gauche, les djihadistes de l’État islamique n’ont pas développé de grandes théories conspirationnistes autour de la pandémie. Ils tendent au contraire à se démarquer de ces postures qui font écho, selon eux, à celles des dirigeants arabo-musulmans toujours enclins à accuser l’Occident et Israël. En affichant ce décalage, ils pointent non seulement l’impuissance des leaders musulmans dans le champ des relations internationales mais également une forme de conduite anti-islamique de ces mêmes dirigeants qui, par leur attitude, hissent la force des intrigues humaines au-dessus de la volonté du Tout-Puissant. Or, pour de « véritables » djihadistes, aucune conspiration <a href="https://www.conspiracywatch.info/les-djihadistes-sont-ils-immunises-contre-les-theories-du-complot-sur-le-covid-19.html">ne saurait contrecarrer les desseins divins</a>.</p>
<h2>L’affaiblissement des régimes des pays musulmans</h2>
<p>Quelles que soient leurs affiliations, les groupes djihadistes voudront très certainement tenter d’exploiter une pandémie qui impacte à des degrés divers les sphères sociopolitiques et économiques de l’espace musulman. Car le défi de la gestion du Covid-19 met à nu les carences des systèmes de santé d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. La situation désastreuse des infrastructures médicales agit comme un puissant révélateur des inégalités sociales et régionales à l’intérieur de nombreux pays (Sud tunisien, Maroc, Égypte…). Ce constat est encore plus flagrant dans les pays d’Afrique noire où des États tels que le Burkina Faso ou la Somalie ne compteraient par exemple que <a href="https://www.jeuneafrique.com/924087/societe/nombre-de-lits-de-reanimation-et-de-respirateurs-ou-en-est-lafrique/">15 lits médicalisés pour l’ensemble de leur population</a>. De même, la République centrafricaine et le Niger ne disposeraient respectivement que de 3 et 5 respirateurs artificiels.</p>
<p>Ces profondes inégalités sont de nature à exacerber un sentiment d’injustice déjà très ancré dans la plupart des opinions publiques de ces pays et à alimenter des mouvances radicales, qu’elles soient de nature islamiste ou autre. S’y ajoute la <a href="https://theconversation.com/on-brade-le-petrole-137261">baisse sensible du prix des hydrocarbures</a>. Le déclin des cours du brut, qui risque de se poursuivre dans les prochains mois, va directement impacter les trésoreries des pays les plus dépendants de leur rente pétrolière (Algérie, Arabie saoudite, Pays du Golfe). L’économie algérienne dont les hydrocarbures (pétrole et gaz) représentent près de 90 % des recettes d’exportation serait selon certains économistes <a href="https://www.elwatan.com/pages-hebdo/sup-eco/impact-du-covid-19-sur-le-marche-petrolier-en-afrique-des-pertes-colossales-et-des-risques-latents-06-04-2020">au bord du gouffre</a>. En Arabie saoudite, où <a href="https://www.nytimes.com/2020/04/08/world/middleeast/coronavirus-saudi-royal-infections.html">150 membres de la famille royale seraient infectés par le Covid-19</a>, Mohammed Ben Salmane va être contraint de revoir ses dépenses à la baisse dans un contexte tendu par la lutte autour de la succession du roi Salmane. Cette configuration politique pourrait intensifier la répression des voix discordantes et radicaliser les forces d’opposition.</p>
<p>La forte interdépendance économique des pays du Moyen-Orient constitue un facteur aggravant de cette crise pétrolière. Les grands pourvoyeurs de main-d’œuvre des États du Golfe que sont la Jordanie, le Liban ou encore l’Égypte pourraient en être les principales victimes collatérales. Face à la récession économique, les pétromonarchies ont déjà largement <a href="https://www.challenges.fr/monde/virus-golfe-les-travailleurs-etrangers-premieres-victimes-de-la-crise_706886">fermé leurs frontières à toute main-d’œuvre étrangère</a>, ce qui aura pour conséquence de tarir le niveau des transferts de devises vers des pays pour lesquels ces ressources financières diasporiques sont stratégiques.</p>
<p>Tous ces facteurs de dégradation socioéconomique sont susceptibles de constituer un carburant pour la déstabilisation et la polarisation de ces sociétés. Les différents groupes djihadistes ne manqueront pas de chercher à convertir les sentiments d’injustice et de mécontentement social qui traversent l’espace arabo-musulman en opportunité d’asseoir leur discours de rupture et de renforcer leur influence.</p>
<h2>Des menaces accrues</h2>
<p>L’effet de sidération produit par le Covid-19 a naturellement réduit la présence des puissances militaires occidentales occupées à redéployer leurs ressources humaines et matérielles dans le sauvetage de leurs concitoyens. S’il demeure difficile de pronostiquer clairement l’impact à long terme qu’aura la pandémie sur les orientations décisionnelles et stratégiques des acteurs djihadistes, on constate déjà que ces organisations cherchent à profiter du trouble ambiant pour mener des opérations spéciales <a href="https://www.dailymail.co.uk/news/article-8282389/ISIS-takes-advantage-Covid-crisis-launch-attacks-Iraq-Syria.html">sur le territoire syro-irakien</a>.</p>
<p>De même, le blocage en quelques semaines de très larges pans de l’économie mondiale donne à voir in vivo tout l’intérêt que pourrait avoir pour ces groupes la conduite d’attaques biologiques ou bactériologiques contre des nations. Bon marché et nécessitant que peu d’infrastructures, le rapport coût/bénéfices de ces armes apparaît extrêmement intéressant tant du point de vue de la létalité qu’au niveau du climat social, politique et psychologique qu’elles produisent sur les sociétés concernées. Des inquiétudes à cet égard ont déjà été exprimées <a href="https://www.algemeiner.com/2020/04/24/covid-19-crisis-has-exposed-us-weaknesses-to-bioterror/">par des responsables américains de haut niveau</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/136982/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elyamine Settoul ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En affaiblissant les nations occidentales et les régimes des pays musulmans, la pandémie de Covid-19 offre aux mouvements djihadistes de nombreuses occasions de déployer leur propagande.Elyamine Settoul, Maitre de conférences en science politique, Equipe Sécurité Défense, CNAM Paris, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1358862020-04-08T18:45:25Z2020-04-08T18:45:25ZQuand la propagande djihadiste s’empare de la crise sanitaire<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/326218/original/file-20200407-33428-13dlng0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C102%2C1595%2C850&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">John Martin, _La septième plaie d'Égypte_, 1823. Pour les djihadistes, l'épidémie de Covid-19 relève d'un châtiment divin.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Martin,_John_-_The_Seventh_Plague_-_1823.jpg">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Il n’aura pas fallu beaucoup de temps aux mouvances djihadistes mondiales pour s’exprimer au sujet de la crise du Covid-19 et tenter d’en exploiter le déroulement et les effets sur le mode coutumier de la vengeance. </p>
<p>Dans un éditorial en février dernier ouvrant sa principale publication arabophone « An-Naba’ », entièrement consacré à la pandémie, l’État islamique (EI) soutenait ainsi que Dieu prenait là une <a href="https://thediplomat.com/2020/03/divine-retribution-the-islamic-states-covid-19-propaganda/">revanche impitoyable contre les « croisés » et les « adversaires de l’islam »</a> – au premier rang desquels la Chine, l’Europe, les États-Unis et l’Iran chiite –, leur infligeant un supplice inouï, durable, et des souffrances décuplées répondant à celles subies par les musulmans sunnites partout sur la planète. Des groupes comme <a href="https://www.memri.org/reports/al-qaeda-central-covid-19-divine-punishment-sins-mankind-muslims-must-repent-west-must">Al-Qaïda</a> ou <a href="https://foreignpolicy.com/2020/04/01/boko-haram-islamist-terrorists-strike-chad-while-world-distracted-by-coronavirus/">Boko Haram</a> se sont également félicités de ce drame global.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1245945196103245824"}"></div></p>
<p>Le désastre sanitaire survient dans un environnement stratégique où les mouvances djihadistes sont considérablement affaiblies en différents points du globe après une succession de défaites, mais demeurent très actives. <a href="https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-baghdadi-confirmation/islamic-state-vows-revenge-against-u-s-for-baghdadi-killing-idUSKBN1XA25A">Depuis l’élimination de leur « calife » autoproclamé Abou Bakr al-Baghdadi en octobre 2019, les combattants de l’EI sont tout entiers consacrés à venger sa mort</a> et ont orchestré des dizaines d’attaques sanglantes sur tous leurs théâtres d’opérations.</p>
<h2>Rétribution divine contre les « ennemis de l’islam »</h2>
<p>Une telle exploitation vengeresse n’est pas surprenante pour quiconque étudie de longue date la <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2017-4-page-53.htm">narration militante des radicaux et ses ressorts</a>. Celle-ci s’inscrit de manière cumulative au cœur du discours extrémiste porté par l’écrasante majorité des mouvements visés. <em>Tha’r</em>, <em>qisas</em>, <em>intiqam</em> : ces trois termes signifiant la vengeance dans le lexique arabe abondent dans tous les supports de propagande djihadiste et trouvent une actualité renouvelée dans le nouveau contexte géopolitique ouvert par la propagation à large échelle du virus.</p>
<p>L’EI qualifie le Covid-19 de <a href="http://www.aymennjawad.org/2020/03/islamic-state-editorial-on-the-coronavirus">« pire cauchemar » des « nations croisées »</a>, de « tourment douloureux » et de « rude châtiment » imposés à ses adversaires « rebelles » et « idolâtres ». À l’opposé des « mécréants », les « musulmans obéissants » à Dieu et qui « se tiennent à ses côtés » sont supposés accueillir cette « bénédiction » et seront sauvés, à commencer par les djihadistes eux-mêmes qui se posent à leur avant-garde.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1238194444987445250"}"></div></p>
<p>Mais bien conscient, par-delà les mots, du danger qu’encourt objectivement sa base, l’EI a donné certaines consignes pour la préserver. Le groupe a <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/coronavirus-l-etat-islamique-deconseille-a-ses-membres-de-voyager-en-europe-7800260476">proscrit à ses membres tout voyage vers l’Europe, actuellement épicentre de la maladie</a>. Dans le même temps, le vieux continent appartient toujours au « domaine de la guerre » (<em>dar al-harb</em>) aux yeux des militants. Quoique non formellement revendiquée par l’EI, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/06/a-romans-sur-isere-un-effroyable-parcours-terroriste_6035706_3224.html">l’attaque à l’arme blanche perpétrée le 5 avril par le Soudanais Abdallah Ahmed Osman à Romans-sur-Isère</a> pourrait bien s’être inspirée du mode opératoire préconisé par ce groupe. Dans l’absolu, la détermination meurtrière des djihadistes demeure intacte.</p>
<p>Replacé au sein du <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/03/26/myriam-benraad-la-quete-de-vengeance-est-consubstantielle-a-l-ensemble-du-ddjihadisme-contemporain_5276544_3232.html">dispositif vindicatoire consubstantiel au djihadisme dans son ensemble</a>, le coronavirus se voit donc interprété comme la dernière pierre apportée à l’édifice d’une punition céleste appuyant puissamment la cause djihadiste.</p>
<h2>Des mises en garde initiales à l’injonction vengeresse</h2>
<p>Au-delà de ce narratif vengeur usuel, de ce continuum de récits justiciers composant leur ligne politique directrice, qu’attendent les djihadistes en s’emparant de la crise ?</p>
<p>Beaucoup y voient en premier lieu un moyen symbolique de terroriser un adversaire vulnérable et, ainsi, d’<a href="https://www.dw.com/en/coronavirus-islamic-state-seeks-to-profit-from-pandemic/a-52886753">affaiblir la lutte antiterroriste</a> dans un moment de grande incertitude. L’EI considère que la peur, en définitive, a déjà fait plus de mal à ses ennemis déclarés que la pandémie elle-même. Le virus a obligé gouvernements, polices et armées à se centrer entièrement sur la gestion de la catastrophe en cours en <a href="https://www.crisisgroup.org/global/contending-isis-time-coronavirus">se détournant partiellement d’autres problématiques sécuritaires clés</a>. En créant une pression inédite, il a indirectement pavé la voie à une reprise des attentats. Conformément à sa <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/syriasource/between-the-jurisprudence-of-blood-and-the-management-of-savagery-islamic-state-advances-terror-methods/">« feuille de route »</a> qui vise à semer la guerre civile partout où il opère, l’EI enjoint à ses partisans de tirer bénéfice de l’« agitation » là où ils le peuvent.</p>
<p>Les djihadistes tablent ensuite sur une érosion des capacités militaires de l’Occident et sur de nouvelles opportunités de revigorer leur action et leur recrutement <a href="https://ctc.usma.edu/insurgents-again-the-islamic-states-calculated-reversion-to-attrition-in-the-syria-iraq-border-region-and-beyond/">alors qu’ils sont revenus, depuis de longs mois, à la clandestinité après une domination de courte durée au Moyen-Orient</a>. Les injonctions à la lutte se suivent et se ressemblent, certes, mais l’épidémie, lue comme une vengeance divine supérieure, est susceptible de renforcer chez de nombreux sympathisants la croyance que tous les signes d’une victoire finale et inéluctable du djihad sont à présent réunis et qu’il faut donc redoubler de violence.</p>
<p>Aussi le Covid-19 est-il intégré à la conviction des combattants d’être le bras d’une vindicte absolue, les « serviteurs » <a href="https://yaleglobal.yale.edu/content/climate-change-expands-terrorist-threat">d’une justice sauvage mais suprême dans ses fondements, qui s’abat avec brutalité sur la Terre à l’instar d’autres cataclysmes récents</a> dont les djihadistes s’étaient également réjouis. Dans cet ordre d’idées, le virus est dépeint comme la conséquence cruelle des épreuves infligées à l’<em>oumma</em> (la communauté des croyants), un retour de bâton naturel et nécessaire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1246109421157171200"}"></div></p>
<p>L’EI se délecte de la suspension des activités dans toutes les sociétés occidentales, de la récession économique et financière qui guette, et d’un confinement des populations qui relève d’après lui d’un principe de réciprocité : le <a href="https://english.alaraby.co.uk/english/news/2019/4/30/is-chief-baghdadi-threatens-revenge-attacks-following-defeat">mouvement rappelle ainsi le sort des populations de Baghouz il y a un an en Syrie</a>, celui des civils de Mossoul en Irak ou de Syrte en Libye, frappés par la misère et la faim, bombardés sans relâche, et les conditions de vie de « milliers de musulmans » emprisonnés ou <a href="http://www.syriahr.com/en/?p=121497">maintenus contre leur volonté dans des « camps de l’humiliation »</a> au Levant.</p>
<h2>Un désastre sanitaire mué en présage apocalyptique</h2>
<p>Dans les faits, les contaminations progressent aux quatre coins du monde. Le repli temporaire des troupes de la coalition dans plusieurs zones, sous la contrainte générée par la crise, contribue à renforcer cette idéologie de la rétribution. Les expressions de soutien sur les plates-formes virtuelles prisées par les radicaux en témoignent : la <a href="https://gnet-research.org/2020/03/13/the-coronavirus-and-islamic-state-supporters-online/">notion de vengeance intégrale trouve un public réceptif, sinon déjà pleinement conquis</a>. Certaines interventions militaires étrangères connaissant un temps d’arrêt, les djihadistes entendent bien en profiter.</p>
<p><a href="https://foreignpolicy.com/2020/03/26/self-isolation-might-stop-coronavirus-but-spread-extremism/">Le confinement et le temps passé sur Internet par des individus déjà plus ou moins conditionnés par cette propagande ou qui la découvrent favorisent la radicalisation des esprits les plus faibles</a>, qui pourront toujours prêter main-forte au djihad ultérieurement. Dans l’immédiat, s’il est impossible, sinon douteux, d’établir un lien systématique entre la pandémie et tous les actes vengeurs commis par l’EI (plusieurs attaques majeures depuis la fin 2019, de l’Irak à la Syrie, en passant par l’Afghanistan et l’Afrique), la crise accroît manifestement la résolution des terroristes et le « feu de la vengeance » qui « brûle » en eux.</p>
<p>En somme, le Covid-19 fait irruption sur la scène comme du pain bénit pour ces mouvements. Ce bouleversement <a href="http://www.slate.fr/story/151451/apocalypse-Daech-pas-annulee-juste-retardee-fin-du-monde">conforte leur croyance, transmuée en appel à la résistance armée, d’une fin des temps prochaine, d’une implosion programmée et inévitable dont tous les indices seraient observables</a> : après les guerres ayant ravagé le monde musulman, voici que les rues sont vidées de leurs habitants au cœur même de cet Occident honni par eux. Des images de terreur et de désolation émergent ici et là, les violences interpersonnelles paraissent se multiplier… Le spectre du chaos est proche. Prophétisée il y a quelques années par l’EI à Dabiq en Syrie, l’apocalypse n’avait pas eu lieu. Une déconvenue semble-t-il oubliée et qui ne retire rien à l’immense potentiel de persuasion et de mobilisation de l’organisation djihadiste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/135886/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les mouvances djihadistes interprètent la crise sanitaire actuelle comme un signe évident de la colère de Dieu contre les « nations croisées ». Leur détermination s’en trouve encore renforcée.Myriam Benraad, Chercheuse et professeure associée en science politique et relations internationales, IREMAM,, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1305882020-02-06T18:19:20Z2020-02-06T18:19:20ZUn tribunal international pour juger les djihadistes de Daech ?<p>La fin de l’État islamique (EI) approche et laisse place à de nouvelles interrogations concernant le sort de ses combattants, dont il faut rappeler qu’ils sont issus de plus de 50 pays différents. Au niveau européen, d’après le <a href="https://f.hypotheses.org/wp-content/blogs.dir/2725/files/2020/01/CAT_conf7nov2019.pdf">Centre d’analyse du terrorisme</a>, pas moins de 5 000 personnes ont rejoint la zone irako-syrienne, dont 1 300 Français. Au total, d’après le <a href="https://undocs.org/fr/S/2019/570">dernier rapport rendu à l’ONU</a>, il y aurait actuellement sur les territoires syrien et irakien 30 000 combattants étrangers encore en vie.</p>
<p>Selon certaines informations, 12 000 combattants de l’EI, dont 2 500 à 3 000 étrangers, seraient <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/17/irak-le-drian-a-bagdad-pour-discuter-du-sort-des-combattants-etrangers-de-l-etat-islamique_6015847_3210.html">détenus dans des prisons contrôlées par les Kurdes en Syrie</a>. D’autres, dont le nombre n’est pas connu, sont détenus dans des prisons irakiennes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=295&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/313935/original/file-20200206-43128-1w6epep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=370&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Image du documentaire <em>Daech, naissance d’un État islamique</em>, de Jérôme Fritel (2015).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Troisième Œil Productions/Arte</span></span>
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</figure>
<h2>Quel tribunal existant serait compétent pour les juger ?</h2>
<p>La première hypothèse serait de faire juger ces personnes par leurs États respectifs, c’est-à-dire les États dont ils possèdent la nationalité (sachant que les lois d’extradition varient d’un État à l’autre). Cette solution présenterait l’avantage que chaque individu soit effectivement jugé. Toutefois, elle aurait aussi le net désavatange de soumettre ces individus à des droits différents, des peines différentes, mais surtout des garanties en matière de droit au procès équitable différentes. Il n’en reste pas moins que c’est ce que souhaitent les autorités sur place. Le ministre des Affaires étrangères irakien, Mohamed Ali Al-Hakim, a estimé en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/10/25/le-jugement-en-irak-des-combattants-etrangers-de-l-ei-est-de-plus-en-plus-compromis_6016826_3210.html">octobre 2019</a> au sujet des combattants étrangers que « les pays concernés doivent prendre des mesures nécessaires et appropriées pour les juger ».</p>
<p>La seconde hypothèse à l’échelon national serait de laisser les États où les crimes ont été commis juger les djihadistes de Daech. Toutefois, certains avocats français et observateurs d’ONG estiment que les <a href="https://www.lci.fr/terrorisme/djihadistes-francais-condamnes-a-mort-en-irak-la-france-est-elle-dans-l-illegalite-2129548.html">prévenus ne bénéficient pas d’un procès équitable en Irak et en Syrie</a>. Des associations de familles de djihadistes ont dernièrement dénoncé les humiliations et les tortures qu’ont pu subir les condamnés. C’est notamment le cas du <a href="http://www.famillesunies.fr/">collectif « Familles unies »</a>. De <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041515060&categorieLien=id">nombreuses condamnations à mort ont déjà été prononcées</a> (dont au moins <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/un-jour-dans-le-monde/un-jour-dans-le-monde-29-janvier-2020**">11</a> à l’encontre de Français). Cette solution ne semble donc pas la plus appropriée.</p>
<p>Les États de l’UE, entre autres, sont globalement favorables à cette solution qui aurait l’avantage de ne pas rapatrier les djihadistes sur le territoire européen, où ils pourraient, même depuis la prison, propager leur idéologie. La position française a toutefois légèrement changé ces derniers mois. En effet, début janvier, la ministre de la Justice a estimé qu’il faudrait peut-être songer à <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/12/nicole-belloubet-emet-l-hypothese-d-un-rapatriement-des-djihadistes-francais_6025572_3224.html">juger nos nationaux en France</a>.</p>
<h2>Qu’en est-il de la Cour pénale internationale ?</h2>
<p>La CPI a compétence pour juger les actes constitutifs de crime contre l’humanité, de génocide, de crime de guerre ou d’agression dès lors qu’ils sont commis sur le territoire d’un État membre ou par un ressortissant d’un État membre.</p>
<p>Concrètement, la Cour pourrait juger certains de ces individus non pas pour « terrorisme » (la Cour n’a pas compétence pour ce crime spécifique) mais pour crime contre l’humanité, de guerre, d’agression ou génocide. Pour cela, deux hypothèses sont à étudier.</p>
<p>Selon la première, il faudrait que les faits aient été commis sur le territoire d’un État membre. Or le territoire de Daech communément admis correspondait à une zone à cheval sur l’Irak et la Syrie, deux États qui ne sont pas parties à la Cour. La CPI ne peut donc pas juger les faits qui y ont été commis. Bagdad et Damas pourraient, en théorie, « consentir à ce que la Cour exerce sa compétence » pour une période précise (Article 12-3 du <a href="https://legal.un.org/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf">Statut de la Cour</a>). Une solution qui semble peu réalisable.</p>
<p>Mais Daech a également agi (par le biais d’attentats par exemple) sur le territoire de certains États parties à la CPI (Afghanistan, Mali, France…).</p>
<p>Pour la seconde, il faudrait que les djihadistes soient ressortissants d’un État partie à la CPI. Ce serait par exemple le cas des djihadistes français, belges, allemands… Actuellement, 122 États ont ratifié le Statut de la Cour ; potentiellement, tous les djihadistes ressortissants d’un de ces États pourraient être poursuivis devant la Cour.</p>
<p>Là encore, l’issue risque d’être compliquée car, pour mener ses enquêtes, la Cour aurait besoin de se rendre sur place, et cela ne se fera pas sans la coopération des États où les actes ont été commis… Ce qui semble très peu probable pour une bonne partie des États concernés, à commencer par l’Irak et la Syrie.</p>
<p>Concrètement, cela signifie que la Cour pénale internationale n’aurait qu’une compétence très limitée concernant les faits commis par des djihadistes, et aucune compétence pour les faits commis par des djihadistes n’ayant pas la nationalité d’un État partie sur le territoire syrien et irakien.</p>
<p>Il ne serait pas dans l’intérêt de ces deux États de coopérer avec la Cour pénale internationale car les enquêteurs se doivent d’être indépendants et neutres. Ce qui signifie qu’ils devraient enquêter sur la situation globale : sur les actes commis par les membres de Daech, mais aussi sur ceux commis par des représentants des régimes officiels irakien et syrien. Et l’on comprend aisément que les dirigeants de ces États ne voudront pas qu’une Cour se mèle de leurs affaires internes.</p>
<h2>Pourquoi pas un tribunal international ?</h2>
<p>La dernière solution serait de créer un tribunal international pour juger de cette situation précise, un tribunal <em>ad hoc</em>. Il existe deux types de tribunaux internationaux. D’une part, ceux établis par des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU : le <a href="https://www.icty.org/fr/le-tribunal-en-bref">Tribunal international pour la Yougoslavie</a> (1993) et le <a href="https://unictr.irmct.org/fr/accueil">Tribunal international pour le Rwanda</a> (1994). D’autre part, ceux créés à travers des accords passés entre les Nations unies et les États concernés : <a href="https://ihl-databases.icrc.org/applic/ihl/dih.nsf/0/1adf75435d6055ebc1256c21003d544c">Tribunal spécial pour la Sierra Leone</a> (2002), <a href="https://www.eccc.gov.kh/fr/node/39457">Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens</a> (2003), <a href="https://www.stl-tsl.org/fr">Tribunal international pour le Liban</a> en (2006). Le droit y est mixte, et la procédure aussi.</p>
<p>L’idée de la mise en place d’un tribunal international chargé de juger les crimes commis par Daech est notamment défendue par Karim Khan, Conseiller spécial de l’ONU et chef de l’équipe d’enquêteurs sur Daech créée en 2017 par la <a href="https://www.un.org/securitycouncil/fr/content/sres2379-2017">résolution 2379</a>. Il estime, en effet, qu’il faudrait <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-moyen-orient/le-chef-des-enqueteurs-de-l-onu-plaide-pour-un-nuremberg-de-Daech_2092171.html">« juger Daech avec un tribunal à l’image de Nuremberg »</a>.</p>
<p>Toutefois, on imagine mal les États membres du Conseil de sécurité se mettre d’accord pour imposer la création d’un tel tribunal. En effet, les situations irakienne et syrienne ne font pas l’unanimité au sein du Conseil de Sécurité. Les États-Unis et la Russie ne partagent pas du tout les mêmes positions, n’ont pas les mêmes alliés dans la région. Il semble très peu concevable qu’ils se mettent d’accord sur la façon dont cela devrait être géré, d’autant qu’ils craindraient sans doute que leurs propres agissements soient jugés…</p>
<p>Et on imagine encore moins que l’Irak ou la Syrie demandent la création, en collaboration avec les Nations unies, d’un tribunal destiné à juger les actes commis sur leur territoire (ne serait-ce que parce que, comme dans le cas de la CPI évoqué plus haut, un tel tribunal devrait pouvoir juger les membres des différents « camps »).</p>
<p>Toutes ces solutions ont des avantages et des défauts. La plus souhaitable serait probablement la création d’un tribunal international où le droit serait uniforme et le droit au procès équitable garanti, mais une telle option semble quasiment impossible. La solution la plus plausible et à moindre mal serait que les États de nationalité des djihadistes se chargent des procès (plutôt que laisser cette charge aux tribunaux irakiens et syriens). Cette solution serait probablement, de toutes les options possibles, la moins attentatoire aux droits de l’homme.</p>
<p>Toutefois, là encore, les États ne sont pas tous d’accord sur le sort à accorder à leurs nationaux. Certains, on l’a dit, souhaitent que les États où les faits ont été commis jugent leurs nationaux (le but étant de ne pas avoir à récupérer des djihadistes dans leurs prisons afin qu’ils convertissent d’autres prisonniers). D’autres, comme le Royaume-Uni, l’Allemagne, la Belgique, ou encore les Pays-Bas, préconisent la création d’un tribunal sous l’égide des Nations unies. Enfin, quelques États commencent, à l’instar de la France, à vouloir juger eux-mêmes leurs ressortissants. Le débat reste ouvert…</p>
<hr>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130588/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Cressent ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment juger les combattants de Daech ? Tour d’horizon des diverses options envisageables, des tribunaux locaux à des juridictions internationales qui seraient créées ad hoc.Camille Cressent, Doctorante en droit international public - ATER, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1309132020-02-04T19:50:48Z2020-02-04T19:50:48ZAprès la mort de Soleimani, peut-on mettre un terme aux guerres au Moyen-Orient ?<p>Dans les jours qui ont suivi la disparition de Ghassem Soleimani et d’Abou Mehdi al-Mouhandis, des <a href="https://www.ft.com/content/4d0e4e78-2df1-11ea-a126-99756bd8f45e">commentateurs</a> ont voulu voir dans cet acte l’annonce d’une <a href="https://www.newyorker.com/news/daily-comment/the-dangers-posed-by-the-killing-of-qassem-suleimani">possible guerre au Moyen-Orient</a>. Ce discours, parfois combiné à un éloge de la stabilité que l’action contre le chef de guerre iranien aurait mise en péril, tend quelque peu à faire oublier ce qu’est la région aujourd’hui.</p>
<h2>Une région en état de guerre depuis des années</h2>
<p>Au cours des neuf dernières années, la guerre en Syrie a fait plus de <a href="https://www.nytimes.com/2018/04/13/world/middleeast/syria-death-toll.html">500 000 morts</a> ; celle au Yémen s’est traduite par <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/oct/31/death-toll-in-yemen-war-reaches-100000">plus de 100 000 victimes</a> ; l’Irak est loin d’être pacifié et la Libye encore moins.</p>
<p>Il faut ajouter à ce tableau la poursuite de manifestations d’ampleur en Iran, où la répression, en décembre, a entraîné la <a href="https://www.reuters.com/article/us-iran-protests-specialreport/special-report-irans-leader-ordered-crackdown-on-unrest-do-whatever-it-takes-to-end-it-idUSKBN1YR0QR">mort d’environ 1 500 personnes</a> ; les <a href="https://www.nbcnews.com/news/us-news/hundreds-injured-lebanon-amid-continued-crackdown-beirut-protests-n1118621">mouvements de protestation au Liban</a> continuent ; et les <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/?destination=%2fworld%2fmiddle_east%2fegypt-expands-its-crackdown-to-target-foreigners-journalists-and-even-children%2f2019%2f10%2f30%2fd83ef1ae-f1a2-11e9-b2da-606ba1ef30e3_story.html%3f">violations des droits de l’homme en Égypte</a> se sont encore accrues en 2019. En outre, <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20190702-us-experts-Daech-not-defeated-despite-losing-territory-in-iraq-syria/">Daech aussi est loin d’être vaincu</a>.</p>
<p>Au Moyen-Orient, les guerres – aux dimensions simultanément civile et extérieure – ne sont pas une réalité future, mais un fait présent. Les premières victimes en sont les civils.</p>
<p>Les « récits » sur la stabilité – qu’on ne confondra pas avec la désescalade – paraissent courts, quand ils ne visent pas à conforter les régimes autoritaires et leurs parrains. Si le <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2020/01/qassem-solemani-iran-response-hezbollah-hamas/604849/">fait de tuer Soleimani</a> n’est <a href="https://theconversation.com/elimination-de-ghassem-soleimani-une-dangereuse-escalade-dans-la-politique-americaine-dassassinats-cibles-129308">pas un acte légal</a> et si l’on peut discuter de son opportunité, les <a href="https://www.aljumhuriya.net/en/content/soleimani-syria-legacy-death-and-devastation">massacres que le général a supervisés</a> et les <a href="https://www.newstatesman.com/world/middle-east/2020/01/qasem-soleimani-brutalised-middle-east-bloodshed-far-over">actions de déstabilisation qu’il a engagées</a> en Irak, en Syrie et au Liban <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/jan/05/soleimani-death-huge-blow-to-iran-plans-for-regional-domination">ne font l’objet d’aucun doute</a>. </p>
<p>Ces faits ont été justement <a href="https://fr.franceintheus.org/spip.php?article9512">rappelés par la France</a>. Certains se sont inquiétés d’une <a href="https://www.lepoint.fr/debats/araud-que-signifie-l-assassinat-de-soleimani-par-les-americains-06-01-2020-2356261_2.php">guerre plus qu’improbable</a> entre les États-Unis et l’Iran, mais nul ne peut considérer qu’il convient de laisser le Moyen-Orient dans l’état où il se trouve aujourd’hui. Il est trop aisé, aussi, d’estimer que la <a href="https://www.lemonde.fr/blog/filiu/2020/01/12/liran-a-deja-gagne-sa-guerre-dirak-contre-les-etats-unis/">mort de Soleimani entérinerait la victoire de l’Iran</a>.</p>
<p>Les menées déstabilisatrices de l’Iran comme de la Russie exigent une réponse et une stratégie que nul n’a aujourd’hui formulées. La stabilisation, devant des acteurs qui œuvrent dans le sens contraire, n’est pas une politique car elle signifierait l’acceptation du fait accompli et de leur emprise. Une intervention massive n’est pas plus souhaitable. Dès lors, que faire ?</p>
<h2>Peut-on sauver l’Irak ?</h2>
<p>L’Irak est dans un état de quasi-conflit permanent depuis quarante ans : guerre Iran-Irak (1980-1988, plus d’un million de victimes et utilisation d’armes chimiques par Saddam Hussein), première guerre du Golfe (1990-1991), intervention américaine (2003-2011) et guerre civile (2006-2008), seconde guerre civile à partir de 2011 et apparition de l’État islamique (2013), formation de la coalition anti-Daech (2014), nouvelles manifestations durement réprimées en 2019 (<a href="https://news.un.org/en/story/2019/12/1052641">plus de 400 morts</a>), etc.</p>
<p>Au cours des dernières périodes, les milices irakiennes chiites – principalement les forces de mobilisation populaire soutenues par l’Iran sous l’autorité de Soleimani – ont joué un rôle déterminant dans le contrôle du pays, le <a href="https://www.wsj.com/articles/the-sinister-genius-of-qassem-soleimani-11578681560">général de la force Al-Qods ayant d’ailleurs également favorisé certains éléments sunnites</a>. Un temps considéré comme l’incarnation du courant chiite anti-iranien, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1203657/moqtada-sadr-a-lassaut-de-la-revolution.html">Moqtada al-Sadr paraît désormais jouer la carte de Téhéran</a> comme en témoigne la manifestation qu’il a organisée le 24 janvier 2020 contre la présence américaine.</p>
<p>Toutefois, tous les chiites irakiens sont loin de prêter allégeance à Téhéran. <a href="https://time.com/5723831/iraq-protests/">Lors des dernières manifestations</a> en Irak, on a vu, à l’instar du Liban, apparaître une volonté de <a href="https://www.france24.com/en/20200120-iraq-protesters-battle-security-forces-in-bid-to-shut-baghdad-streets">lutter contre le régime dans toutes ses composantes</a> et de bannir la division sectaire chiites/sunnites en <a href="https://www.newyorker.com/news/news-desk/the-middle-easts-great-divide-is-not-sectarianism">large partie imposée de l’extérieur</a> et <a href="https://tcf.org/content/report/waning-relevance-sunni-shia-divide/">qui ne correspond que très imparfaitement aux conflits réels</a>.</p>
<p>Enfin, <a href="https://www.pbs.org/newshour/show/why-the-caliphates-fall-is-a-milestone-but-not-the-end-for-isis">après la chute de Mossoul et de Raqqa</a>, Daech a <a href="https://syriadirect.org/news/with-new-tactics-and-targets-isis-demonstrates-resilience-in-syria-interactive-map/">changé de tactique de combat</a> en <a href="https://www.mei.edu/sites/default/files/2018-11/PP10_Hassan_ISISCT.pdf">se fondant dans la population</a>.</p>
<p>L’Irak n’est jamais sorti de ses divisions. Son président et son premier ministre ne contrôlent pas réellement l’ensemble du territoire, <a href="https://warontherocks.com/2019/11/a-state-with-four-armies-how-to-deal-with-the-case-of-iraq/">ni même l’ensemble des forces armées</a>. La <a href="https://www.transparency.org/country/IRQ">corruption</a> y est l’une des plus élevées du monde, rendant le pays <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-lirak-peut-il-devenir-un-lieu-sur-pour-les-investisseurs-internationaux-1029811">impropre à recevoir des investissements</a> étrangers significatifs, et la pauvreté <a href="https://thearabweekly.com/poverty-resentment-corruption-among-engines-continuing-protests-iraq">atteint plus d’un cinquième de ses habitants</a>.</p>
<p>Les États-Unis, depuis la chute de Saddam Hussein, n’ont jamais eu une <a href="https://www.csis.org/analysis/americas-failed-strategy-middle-east-losing-iraq-and-gulf">stratégie cohérente pour le pays</a>. Le premier dilemme est le suivant : d’un côté, au-delà de la lutte contre Daech, un départ complet des forces américaines laisserait le champ libre à l’Iran ; de l’autre, devant le slogan répété « ni Iran, ni États-Unis », l’Amérique doit montrer qu’elle peut être un élément de sécurité et de bonne administration. Est-ce encore possible ? Le passif de Washington est trop lourd et la <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2020/01/12/iran-middle-eastern-problem-soleimani-figured-out-097350">diffusion de l’influence iranienne</a>, fût-elle rejetée par une majorité, semble trop profonde. D’où un second dilemme : au-delà de la tendance au désengagement de Donald Trump, une présence militaire forte de l’Amérique paraît peu acceptable pour la population, mais une assistance à la marge est condamnée à ne produire aucun effet.</p>
<h2>La Syrie au cœur de notre abandon</h2>
<p>En Syrie, l’Iran, mais aussi la Russie, agissent en terrain conquis en raison de leur appui au régime Assad qui, sans eux, se serait effondré en 2015 – d’où le <a href="https://www.reuters.com/article/us-mideast-crisis-syria-soleimani-insigh/how-iranian-general-plotted-out-syrian-assault-in-moscow-idUSKCN0S02BV20151006">plaidoyer de Soleimani auprès de Poutine</a> pour une intervention. Au-delà de leur <a href="https://www.mei.edu/publications/russia-iran-and-competition-shape-syrias-future">concurrence dans la prédation des richesses du pays</a>, Moscou et Téhéran ont le même intérêt en termes de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/vladimir-poutine-guerre-russe-syrie-change-ordre-du-monde-XXI-e-siecle_fr_5c931dbee4b0da33837f0675">déstabilisation de la région et de destruction des normes internationales</a>. Les différences sont aussi tangibles : les crimes de guerre commis par Assad et ses alliés sont sans comparaison. La guerre y est ouverte et permanente.</p>
<p>Autant la situation en Irak rendait une nouvelle intervention d’ampleur infaisable politiquement et militairement, autant en Syrie, après les attaques chimiques contre la Ghouta, <a href="https://theconversation.com/la-guerre-dextermination-en-syrie-et-la-fin-du-sens-commun-66342">pendant le siège d’Alep</a>, voire aujourd’hui, une action pour éviter les massacres du régime était possible. Nous aurions pu non seulement sauver des centaines de milliers de vies, mais aussi mettre un terme aux opérations de la Russie et de l’Iran. Nous avons abandonné les civils, mais également <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/sommes-nous-trop-laches-pour-mettre-fin-a-la-guerre-dextermination-dassad-et-poutine-en-syrie_fr_5e060cb5e4b0843d36058f98">renoncé à toute politique de dissuasion</a> et refusé de prendre au sérieux les menaces stratégiques posées par ces pays. Nous avons laissé ces influences prospérer au cœur du Moyen-Orient sans en mesurer les conséquences d’ensemble.</p>
<h2>S’engager pour le Liban</h2>
<p>Le Liban est le champ d’affrontements liés à un récit sectaire qui a donné lieu à une guerre civile (1975-1990) dont le bilan oscille entre 130 et 200 000 victimes civiles. Les affrontements comme les attentats n’y ont jamais entièrement cessé. Si le Liban n’est plus le quasi-protectorat syrien qu’il fut jusqu’au milieu des années 2000, les <a href="https://thearabweekly.com/syria-political-influence-beats-odds-again-lebanon">liens avec le régime Assad persistent dans une partie de la classe politique</a>.</p>
<p>Les accords de partage du pouvoir – et des ressources – entre chrétiens et chiites liés au Hezbollah soutenu par l’Iran ont montré leur fragilité et se sont traduits par une impasse politique et économique. Le Liban continue d’être soumis à des influences extérieures et n’est pas parvenu à s’en émanciper. Les protestations actuelles ont traduit, en même temps que l’écœurement devant la corruption, la <a href="https://carnegie-mec.org/2019/11/10/for-emergency-economic-rescue-plan-for-lebanon-pub-80307">crise économique</a> et la faillite du gouvernement, une <a href="https://www.institutmontaigne.org/blog/manifestations-au-liban-les-raisons-de-la-colere">envie d’unité et de fierté nationale retrouvées</a>. Ce sentiment prévaut dans l’ensemble des « communautés », y compris chez les chiites.</p>
<p>Au-delà des rivalités prédatrices des clans au pouvoir, la seule effective « stabilisation » du Liban ne peut provenir que d’un combat contre les ingérences étrangères, en particulier de l’Iran et de la Syrie. Le renforcement définitif du régime de Damas grâce à ses parrains pourrait avoir des conséquences sur l’existence du Liban en tant qu’État indépendant. Les États occidentaux ne semblent pas savoir comment agir devant la crise qui sous-tend le pays, la plupart de leurs contacts anciens paraissant promis à un retrait de la scène politique. Or, s’ils abandonnaient le Liban comme ils ont lâché la Syrie, ils subiraient une défaite stratégique supplémentaire en laissant le contrôle du pays à des régimes hostiles à nos valeurs et menaçants pour notre sécurité.</p>
<h2>La stratégie au Moyen-Orient commence par les récits</h2>
<p>S’il fallait rappeler la situation dans ces trois pays, c’est d’abord pour montrer que l’Iran est, depuis longtemps, le facteur majeur de déstabilisation de la région. Il faut y ajouter le Yémen où les Houthis, pourtant membres à l’origine de la <a href="http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1381963-yemen-la-guerre-actuelle-n-est-pas-un-conflit-chiites-sunnites-c-est-plus-complexe.html">secte zaydite en rupture avec le chiisme iranien</a>, se sont de plus en plus tournés vers Téhéran, le jeu des puissances régionales et l’absence de stratégie de l’Occident ayant <a href="https://theconversation.com/yemen-strategie-de-lurgence-lurgence-dune-strategie-98862">exporté dans ce pays un conflit sectaire qui lui était étranger</a>. Cette déstabilisation définit la <a href="https://www.iiss.org/publications/strategic-dossiers/iran-dossier/iran-19-03-ch-1-tehrans-strategic-intent">stratégie du régime iranien, qui y a consacré des ressources considérables</a>. En Syrie, la Russie y a vu un élément concordant avec la sienne.</p>
<p>Un autre récit, empruntant à un <em>whataboutisme</em> devenu commun, met en avant le danger représenté par l’Arabie saoudite plutôt que sur celui de Téhéran. Or, autant il importe de condamner les <a href="https://www.france24.com/fr/20190903-yemen-crimes-guerre-arabie-saoudite-rapport-experts-onu-condamnation-tribunal">crimes de guerre de Riyad au Yémen</a>, la <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/ ?destination= %2fworld %2f2019 %2f11 %2f26 %2fsaudi-arabias-crackdown-dissent-keeps-going-here-are-latest-arrests %2f %3f">répression sans fin de ses dissidents</a>, l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/12/23/cinq-condamnations-a-mort-prononcees-a-l-encontre-des-meurtriers-de-khashoggi_6023872_3210.html">assassinat barbare de Jamal Khashoggi</a> et le financement par <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/comment-le-salafisme-d-arabie-saoudite-gangrene-l-islam-des-balkans_1911343.html">certains réseaux wahhabites du salafisme en Europe</a>, autant il n’existe pas d’expansionnisme régional et de volonté de déstabilisation du Moyen-Orient de la part du Royaume.</p>
<p>On doit plutôt craindre, <a href="http://www.slate.fr/story/170586/arabie-saoudite-confiance-politique-internationale">comme nous l’avions souligné</a>, une absence de stratégie et de vision globale qui empêche de considérer Riyad comme un allié conséquent, y compris pour contrer Téhéran. Les <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/syriasource/bashar-al-assad-and-the-greater-arab-world/">déclarations accommodantes du Prince héritier envers Assad</a>, déterminées par sa hantise du Printemps arabe, en sont l’un des signes.</p>
<p>Dès lors, une <em>pax persica</em> ne signifierait en rien une « stabilisation », mais au contraire la poursuite d’un chaos dont profiteraient sur le plan stratégique la Russie, la Chine et Daech. Elle rendrait aussi la Turquie, membre de l’OTAN, encore plus dépendante de la Russie. Elle renforcerait la tendance à l’autoritarisme de tous les régimes de la région, leur action de répression ajoutant à l’instabilité et au développement du terrorisme. Enfin, elle ferait peser une menace sécuritaire directe sur l’Europe et l’Amérique.</p>
<p>Le contrôle par Téhéran ou ses milices des gouvernements en Syrie, en Irak et au Liban ne saurait être considéré comme acceptable pour l’Occident, ni sur le plan des principes, ni en termes stratégiques. Ces trois pays sont les pièces d’une stratégie coordonnée. « Traiter » l’action de l’Iran en Irak sans le faire en Syrie et au Liban, voire au Yémen, n’aurait aucun sens. On ne saurait dissocier dans une nécessaire contre-offensive Téhéran et Moscou. Cela signifie pour l’Europe comme pour les États-Unis une stratégie qui repose sur trois principes clairs.</p>
<p>D’abord, nous devons accroître notre présence et notre action d’assistance envers l’Irak tout en prêtant une attention plus forte à la lutte contre la corruption et aux populations civiles. Ensuite, il nous faut aider le Liban à se débarrasser de l’ancienne division sectaire et être plus clairs sur les réformes que le gouvernement doit mettre en place pour sortir le pays de son impéritie. Enfin, voire surtout, en <a href="https://www.washingtonpost.com/gdpr-consent/ ?destination= %2fopinions %2fglobal-opinions %2fsoleimanis-death-offers-a-chance-to-fix-us-policy-on-syria %2f2020 %2f01 %2f09 %2faded2716-330d-11ea-a053-dc6d944ba776_story.html %3f">Syrie</a>, nous ne pouvons considérer comme acceptable que le pays soit aux mains d’un <a href="https://www.internationalaffairs.org.au/australianoutlook/justice-syria-international-criminal-court/">criminel contre l’humanité</a> et ses parrains. Vouloir lutter, comme le fait Israël, contre la menace iranienne dans ce pays en recourant à des frappes ciblées n’a qu’une portée limitée si cela s’accompagne d’une <a href="https://www.haaretz.com/middle-east-news/.premium-syria-s-assad-has-become-israel-s-ally-1.6240499">impunité pour le régime Assad et la Russie</a>. Ces actions supposent un réengagement diplomatique avec les pays du Golfe aujourd’hui enclins à accepter le fait accompli dans le contexte du vide laissé par le désengagement américain, commencé sous Obama et amplifié sous Trump, et la pusillanimité de l’Europe devant les menées du Kremlin.</p>
<p>Existe-t-il toutefois une telle volonté des deux côtés de l’Atlantique ?</p>
<hr>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/130913/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nicolas Tenzer est président du Centre d'étude et de réflexion pour l'action politique (CERAP), un think tank français neutre politiquement et indépendant de tout parti et groupe d'intérêts.</span></em></p>Ghassem Soleimani n’incarnait pas la stabilité, au contraire. Pour autant, son assassinat ne va évidemment pas apaiser un Moyen-Orient en proie aux guerres et à la déstabilisation politique.Nicolas Tenzer, Chargé d'enseignement International Public Affairs, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1284232019-12-09T19:43:20Z2019-12-09T19:43:20ZSous la carapace idéologique, comment comprendre le chemin de radicalisation des terroristes solitaires<p>Les « terroristes acteurs solitaires » (<em>lone actor terrorists</em>) sont devenus le cauchemar des services de renseignements. </p>
<p>Vendredi soir 16 octobre, un enseignant de Conflans-Saint-Honorine, dans les Yvelines, a été décapité alors qu'il aurait mené un cours sur la liberté d'expression quelques jours plus tôt en lien avec les caricatures de Mahomet, dans ce qui ressemble à un acte isolé mais motivé par une radicalisation certaine. Le suspect a été abattu par les forces de l'ordre. </p>
<p>Trois semaines plus tôt, le vendredi 25 septembre, une attaque à l'arme blanche avait eu lieu près des anciens locaux de <em>Charlie Hebdo</em> .</p>
<p>Les attaques précédentes, en début d'année, à <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/metz-un-homme-brandissant-un-couteau-blesse-par-la-police-20200105">Metz</a> et à <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/01/06/attaque-de-villejuif-le-profil-du-tueur-se-precise_6024912_3224.html">Villejuif</a> (Val de Marne) sur des passants par des individus souffrant de troubles psychiatriques mais aussi radicalisés font écho à celle de <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/attentat-de-londres-usman-khan-voulait-suivre-des-seances-de-deradicalisation-7799593360">Londres</a> ou <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/apres-lattentat-a-halle-stephan-balliet-reconnait-le-motif-antisemite_fr_5da04d18e4b06ddfc51801c7">celle de Halle en Allemagne</a> pour s’en tenir à deux exemples de l’année 2019. </p>
<p>Elles rappellent aussi les attentats commis à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/ce-que-lon-sait-de-patrick-crusius-le-tireur-del-paso_fr_5d46ca0ee4b0acb57fcddd51">El Paso</a> ou <a href="http://www.leparisien.fr/faits-divers/attentat-de-christchurch-brenton-tarrant-plaide-non-coupable-14-06-2019-8092956.php">Christchurch</a>.</p>
<p>Nos travaux sur le terrorisme nous ont amenés à reconsidérer la question du « loup solitaire » auquel nous préférons le terme « terroriste acteur solitaire » (TAS). </p>
<p>C’est à travers le profil psychologique de ces individus que nous avons cherché à comprendre leur passage à l’acte. Car sous leur carapace idéologique, très logiquement exprimée, qui peut aveugler les interlocuteurs (experts, enquêteurs ou chercheurs), les acteurs solitaires ont des troubles psychiques importants, apparus plus ou moins tôt et parfois mal diagnostiqués.</p>
<h2>Autonomes mais pas déconnectés</h2>
<p>L’expression « loup solitaire » remonte à une stratégie d’abord prônée par des suprémacistes blancs américains <a href="https://web.archive.org/web/20120914151830/http://www.adl.org/learn/ext_us/curtis.asp?LEARN_Cat=Extremism&LEARN_SubCat=Extremism_in_America&xpicked=2&item=curtis">Alex Curtis et Tom Metzger</a> et fut ensuite largement encouragée par des groupes terroristes comme Al Qaïda et Daech.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/305429/original/file-20191205-38984-mbxlt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/305429/original/file-20191205-38984-mbxlt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/305429/original/file-20191205-38984-mbxlt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=812&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/305429/original/file-20191205-38984-mbxlt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=812&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/305429/original/file-20191205-38984-mbxlt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=812&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/305429/original/file-20191205-38984-mbxlt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1020&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/305429/original/file-20191205-38984-mbxlt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1020&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/305429/original/file-20191205-38984-mbxlt9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1020&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Couverture du magazine <em>Inspire</em> (Al-Qaeda) qui publiait en 2011 un article « fais une bombe dans la cuisine de ta mère » qui inspira les frères Tsarnaev, auteurs de l’attentat de Boston en 2013.</span>
<span class="attribution"><span class="source">auteurs</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Si la notion est devenue un véritable « buzz politico-médiatique » depuis <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/dossier/tuerie-toulouse-montauban-attentat-mohammed-merah">l’attentat commis par Mohammed Merah</a> en 2012, elle a été cependant assez mal interprétée ou comprise en France. Comme le soulignait récemment le chercheur <a href="http://www.slate.fr/story/153540/polemiques-loup-solitaire">Nicolas Lebourg</a>, ces individus ne sont pas complètement détachés de tout contact avec une organisation terroriste ou un environnement radical.</p>
<p>Ainsi, pour éviter toute mystification et rester au plus près de la réalité d’un mode d’action, on préfère aujourd’hui le terme plus sobre de « terroristes acteurs solitaires » (TAS).</p>
<p>Or, ces individus ont fait l’objet d’évaluations intéressantes. Notamment 20 et 60 % d’entre eux auraient des troubles psychiques connus, voire <a href="https://www.semanticscholar.org/paper/A-false-dichotomy-Mental-illness-and-lone-actor-Corner-Gill/80343e8000b307bd2cc0df2d9d22b7e31cb6fc18">souffriraient de troubles psychiatriques</a> avant leur passage à l’acte. </p>
<p>Cependant le fonctionnement et l’implication de ces troubles dans l’acte terroriste sont rarement analysés dans le détail, notamment en France.</p>
<h2>Un nexus de psychopathologie et d’idéologie</h2>
<p><a href="https://ea3071.unistra.fr/qui-sommes-nous/enseignantschercheurs/patricia-cotti/">Nos propres études</a> de cas de terroristes acteurs solitaires nous ont mené à reconstituer très précisément la manière dont un fonctionnement pathologique préexistant, ou qui se fait jour, va trouver dans l’idéologie extrémiste, islamiste ou non, des représentations qui vont alimenter son mécanisme.</p>
<p>Selon nos recherches, il se forme chez l’individu terroriste en devenir ce que certains d’entre nous nomment un <a href="https://pdfs.semanticscholar.org/6735/0f1342b95b93909b5b0cf3bf779ac6ab0837.pdf">« nexus de psychopathologie et d’idéologie »</a>.</p>
<p>Cet agencement semble principalement composé de trois pôles psychiques : persécution, dépression, mégalomanie. Chacun est plus ou moins développé selon les individus. Le chemin de radicalisation qui mène à l’acte terroriste solitaire privilégie le développement de ces trois pôles qui en viennent à prendre le dessus sur le reste de la personnalité, quelle qu’elle soit, au fur et à mesure que croît l’engagement.</p>
<h2>Un sentiment victimaire</h2>
<p>Le premier pôle psychique, un sentiment victimaire ou de persécution, émerge à la suite d’une frustration et engendre un intense ressenti d’injustice ou d’humiliation. </p>
<p>En France, il y a un an, un <a href="https://www.parismatch.com/Actu/Societe/Cherif-Chekatt-fini-de-tuer-1595532">homme de 29 ans, Cherif Chekatt</a> attaquait des passants à Strasbourg en plein marché de Noël au cri de « Allah Akbar ». Cet attentat au couteau et à l’arme à feu aura fait cinq morts et onze blessés. Cherif Chekatt se montrait intolérant à la frustration, avec des tendances à la violence depuis longtemps. Loin de pouvoir reconnaître le bien-fondé des condamnations à son égard, il avait développé une véritable haine du système et notamment des policiers.</p>
<p>Rappelons que Cherif Chekatt avait été diagnostiqué psychotique à l’âge de 9 ans, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/07/18/radicalisation-la-reconquete-se-joue-aussi-sur-le-terrain-du-social_5490591_3224.html">selon des informations</a> de Muriel Domenach, ancienne directrice du CIPDR.</p>
<p>Il était passé sans succès par différentes structures d’aide sociales et d’aide à l’enfance.
Multirécidiviste, il avait été condamné 27 fois pour vol et violences sur personnes en France en Suisse et en Allemagne.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/mutilations-barbarie-torture-peut-on-comprendre-ces-passages-a-lacte-93672">Mutilations, barbarie, torture : peut-on comprendre ces passages à l’acte ?</a>
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<h2>La projection vers l’idéologie radicale</h2>
<p>Le sentiment victimaire ou de persécution peut se généraliser (par projection) en une véritable idéologie politique ou religieuse radicale.</p>
<p>Si Cherif Chekatt semblait pratiquant au point d’avoir un cal sur le front, son entourage se questionnait sur le fondement de sa foi. Cherif fustigeait ceux qui ne lui semblaient pas assez croyants. Des proches le décrivaient comme « trop rigide » et « violent » dans ses idées religieuses.</p>
<p>Chez Chekatt, le recours à une foi extrémiste lui désignant des ennemis diaboliques et lui demandant leur mort a alimenté son fonctionnement pathologique préexistant, sans qu’il ait nul besoin de se sentir responsable de sa dérive. Quelque chose s’énonce alors comme :</p>
<blockquote>
<p>« Ce n’est pas moi qui suis responsable de mon échec, c’est le système, les hypocrites qui font tout pour que je ne m’en sorte pas, qui m’ont rendu faible, pauvre, etc. »</p>
</blockquote>
<p>Les théories complotistes se développent souvent lors de cette phase. Elles sont particulièrement vives chez certains terroristes d’extrême droite comme chez les islamistes. A l’issue de cette phase, le ressentiment personnel provoqué par un ou des événements de vie (échec, prison, violences familiales) s’est transformé en indignation morale.</p>
<p>La personne n’envisage plus sa situation individuelle comme le produit d’une histoire singulière mais tous ses affects et sa rage sont désormais tournés vers une lutte politique et une histoire dont il se sent victime. Dès lors, l’emploi de la violence se trouve légitimé. Au chauffeur de taxi qu’il a pris en otage Chekatt a dit :</p>
<blockquote>
<p>« Tu sais ce que j’ai fait ? J’ai tué des gens ! […] Pour nos frères morts en Syrie » (France Info)</p>
</blockquote>
<h2>La conviction d’un destin extraordinaire</h2>
<p>Bien souvent, une certaine dépressivité, le poids de traumatismes infantiles, sont directement responsables de la vision apocalyptique du monde de ces terroristes acteurs solitaires.</p>
<p>Les idéologies extrémistes savent très bien vendre des idées et visions de fin du monde en lien avec cette dépressivité : « destruction de l’homme blanc », catastrophe planétaire et imminence du jugement dernier. Cherif Chekatt a vécu dans un environnement familial violent. Comme chez les Merah, <a href="https://calmann-levy.fr/livre/mon-frere-ce-terroriste-9782702144268">remettre en question la dynamique familiale</a> est trop déstabilisant ou douloureux, la haine est ainsi reportée vers l’extérieur.</p>
<p>La dépressivité et le désinvestissement du monde qui l’entoure peut très bien voisiner avec l’idée d’un au-delà radieux, qu’il s’agisse de rejoindre le paradis des martyrs ou de se projeter dans une utopie politique de l’après-révolution.</p>
<p>Ainsi le terroriste acteur solitaire en gestation qui a survécu à des angoisses intenses se reconstruit autour de l’idée d’un royaume imaginaire à venir.</p>
<p>Le sentiment de grandeur, ou une véritable mégalomanie, constituent le troisième pôle psychique du fonctionnement du terroriste acteur solitaire. Avoir sa place près de Dieu ou, pour d’autres, être reconnu comme un précurseur de la révolution conservatrice, nourrit l’utopie et le projet du terroriste. Quelquefois le terroriste est emporté dans une véritable mythomanie.</p>
<p>Anders Breivik (Oslo, 2011) se disait « chevalier Templier » adoubé par un mystérieux ordre pour être le commandeur de Norvège mais aucun ordre ou cellule d’aucune sorte ne furent jamais trouvés. Il s’est aussi photographié avec les médailles qu’il pensait mériter et que, selon lui, l’Histoire allait fatalement lui attribuer. C’est encore cette mégalomanie qui apparaît dans le nom de djihadiste que c’était choisi Tamerlan Tsarnaev, « le Glorifié – Épée de Dieu » (Muaz-Seyfullah).</p>
<p>Ces re-nominations et ces titres affirment souvent l’élection du terroriste. Ils disent son espoir renouvelé dans un regard élogieux. <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/signes-des-temps/un-22-juillet-de-paul-greengrass-virilite-et-violence-politique-extreme">Un père imaginaire</a> qui vient distinguer le terroriste pour la haine et la terreur qu’il dispense.</p>
<h2>Des processus similaires chez les jeunes signalés pour radicalisation</h2>
<p>Il est intéressant de voir que des processus semblables interviennent, mais de manière moins marquée, chez des jeunes signalés pour radicalisation.</p>
<p>Un sentiment victimaire conduit à l’idée d’une lutte pour sortir l’Oumma de l’humiliation (islamistes) ou pour sauver le peuple blanc (néo-nazis). Une frustration ou un épisode dépressif les a fait désespérer totalement du monde qui les entourent, mais ils ont trouvé leur voie après une sorte de révélation religieuse ou politique qui vient donner un sens à leur vie.</p>
<p>En particulier chez les jeunes radicalisés comme chez les terroristes acteurs solitaires on note des conflits liés aux identifications sexuelles. Ils vont recouvrir ces conflits en s’inscrivant dans des idéologies masculinistes, qui marquent la différence entre les rôles des femmes et des hommes et surtout rejettent et méprisent l’homosexualité. Là encore les radicalisés et les terroristes se réclamant de l’extrême droite comme de l’islamisme violent fonctionnent de manière assez semblable.</p>
<p>Bien souvent ces processus sont l’émanation de différents traumatismes (violences et abus) ou carences (affectives et éducatives) qui resurgissent à l’adolescence.</p>
<p>L’idéologie extrémiste sert alors de carapace et de contention, qui permet une identité sociale contestataire. À partir de là, le jeune peut envisager un départ vers une zone de combat ou une action violence. Un type de parcours que connaissent bien les <a href="https://www.sos-aide-aux-habitants.fr/nos-services/prevention-prise-charge-de-radicalisation/">acteurs de terrain</a> dans leur suivi de jeunes radicalisés et de leur famille.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ladministration-face-au-terrorisme-jeunes-en-danger-ou-jeunes-dangereux-103811">L’administration face au terrorisme : jeunes en danger ou jeunes dangereux ?</a>
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<h2>Examiner les écrits et les histoires de vie</h2>
<p>Alors que l’action terroriste est très difficile à anticiper et à prévenir, l’étude des antécédents psychiques des terroristes acteurs solitaires peut en revanche contribuer à comprendre les motivations profondes de leur passage à l’acte et notablement aider à réfléchir à leur prévention.</p>
<p>Nombre d’entre eux laissent derrière eux des éléments biographiques ou des récits personnels qui permettent d’analyser leurs motifs intimes, notamment lorsqu’ils ont eu affaire aux services judiciaires, d’aide sociale ou psychologiques. Breivik a laissé <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2011/07/26/anders-behring-breivik-a-mis-en-ligne-un-manifeste-peu-avant-ses-crimes_1552847_3214.html">1 500 pages de manifeste</a>. D’autres prennent pour cible un élément faisant écho à une humiliation passée. Tamerlan Tsarnaev (Boston 2013) a ainsi autant choisi de poser des bombes au marathon de Boston <a href="https://www.nytimes.com/2013/04/28/us/shot-at-boxing-title-denied-tamerlan-tsarnaev-reeled.html">pour se venger</a> de n’avoir pu participer à un championnat de boxe que pour suivre les recommandations d’Al Qaïda.</p>
<p>Les études de cas montrent ainsi un parcours qui n’est souvent ni glorieux ni élogieux, mettant en évidence l’origine de la violence dans les interactions précoces avec le milieu familial et les problèmes psychiques.</p>
<p>C’est d’ailleurs pour cette raison que plusieurs de ces terroristes préfèrent que ne soit pas révélés leur histoire notamment <a href="https://www.parismatch.com/Actu/International/Dylann-Roof-face-a-ses-parents-Je-veux-rendre-tout-ca-encore-pire-125848">psychologiques</a> car cela risque d’écorner leur image de combattant politique. La psychanalyse, en questionnant les motivations profondes, les complexes sous-jacents, dégonfle souvent la baudruche idéologique dont s’est entouré le terroriste.</p>
<p>Mais en France, contrairement au monde anglo-saxon, l’absence de minutes des procès, d’accès aux expertises psychiatriques et <a href="https://fedepsychiatrie.fr/wp-content/uploads/2019/02/rapport-FFP-CNPP-psychiatrie-et-radicallsation.pdf">l’étanchéité entre les différents services</a> (psychiatriques, carcéraux ou de protection de l’enfance), continuent à rendre l’analyse du fonctionnement psychologique de ces terroristes très difficiles.</p>
<p>Si les études actuelles n’inclinent pas vers une généralisation du lien entre maladie mentale, au sens strict du terme, et radicalisation violente, les modes de fonctionnements pathologiques que l’on retrouve dans l’étude des terroristes acteurs solitaires ne sont ni banals, ni ordinaires. Appelés « folie » par l’homme du commun, ces fonctionnements psychiques défient le lien social et les interdits fondamentaux sur lesquels il se fonde. Leur étude nous paraît dès lors indispensable.</p>
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<p><em>Khadija Zitouni, sociologue, Directrice du pôle Mineurs et familles à SOS-Aide aux habitants. France Victimes, Strasbourg, a contribué à cet article dans le cadre du programme de recherche ANR 2017 Rigoral (rigorismes, religiosités intensives et radicalités).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128423/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patricia Cotti a reçu des financements dans le cadre du projet de recherche ANR Rigoral 2017 .</span></em></p>Persécution, dépression, mégalomanie : ces trois pôles nourrissent le chemin de radicalisation qui mène à l’acte terroriste solitaire.Patricia Cotti, Maître de conférences – HDR en psychologie et psychopathologie clinique, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1280662019-12-01T19:25:02Z2019-12-01T19:25:02ZQuelles stratégies pour compléter la réponse militaire contre le terrorisme ?<p>L’<a href="https://www.20minutes.fr/societe/2661423-20191127-crash-helicopteres-mali-hommage-national-lieu-lundi-invalides">hommage national</a> aux <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/27/apres-la-mort-de-treize-soldats-au-mali-macron-face-au-defi-de-la-presence-francaise-au-sahel_6020663_3210.html">13 soldats morts</a> dans le crash de deux hélicoptères au Mali aura lieu ce lundi 2 décembre, une semaine après l’accident survenu lors d’une opération d’envergure lancée quelques jours plus tôt dans la vallée d’Eranga, située au sud d’Indelimane, dans le Liptako, région du centre-est du Mali où sévit l’organisation État islamique au grand Sahara (EIGS).</p>
<p>Cette région dite des « trois frontières » située entre Mali, Burkina et Niger, est la zone d’action du groupe EIGS depuis sa création en 2015. Il compte <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/assassinat-d-un-militaire-francais-ce-que-l-on-sait-de-l-etat-islamique-au-grand-sahara_2105536.html">100 à 200 combattants</a> sur ce territoire du centre-nord du pays.</p>
<p>En août 2014, 22 pays se sont unis pour lutter militairement contre Daech, mais maintenant que les frappes de la coalition <a href="http://www.rfi.fr/moyen-orient/20191014-syrie-retrait-americain-recompose-militaire">ont cessé en Syrie</a>, il ne reste plus guère que la France pour combattre la progression des mouvements djihadistes au Sahel. Protéger notre sécurité et nos libertés qui sont nos biens communs, c’est pourtant l’affaire de tous.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/NcSMyQ_NvT0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Mali : Florence Parly salue « les 13 héros morts pour la France » (ministère des Armées).</span></figcaption>
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<p>La mort des treize soldats français ne cessera de nous rappeler que l’État islamique et l’instauration du « califat » ne concernent plus seulement la Syrie et l’Irak. Le chef de Boko Haram, Abubakar Shekau a proclamé un <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2014/08/24/boko-haram-califat-islamique-nigeria_n_5704319.html">« califat islamique »</a> au nord-est du Nigeria le 24 août 2014. Ce groupe islamiste nigérian lié à Al-Qaïda prend de l’ampleur en essayant de gagner du terrain dans cette zone. Il menace les pays voisins, tout comme l’État islamique le faisait au Moyen-Orient. Le modus operandi de ces deux organisations présente de nombreuses similitudes bien que la spécificité de Boko Haram se situe dans le fait d’<a href="https://www.france24.com/fr/20150223-femmes-armes-guerre-boko-haram-nigeria-secte-islamiste-attentat-suicide-fillette">utiliser des femmes et de très jeunes filles</a> pour commettre des attentats-suicides.</p>
<h2>Appréhender le problème autrement</h2>
<p>Pour honorer la mémoire des victimes du terrorisme et celles des soldats morts au combat, il faut donc tout mettre en œuvre pour venir à bout de ces hydres malveillantes.</p>
<p>De nouvelles pistes doivent être explorées. La première mènerait vers une compréhension plus pointue de la résilience du mouvement en étudiant l’architecture organisationnelle complexe de Daech qui agrège divers sous-systèmes. Cette structure permet au mouvement de fonctionner même lorsque l’un de ces systèmes est atteint ou affaibli. Le système de filiales et de franchises apporte des éclairages essentiels sur la capacité de Daech à fédérer des mouvements djihadistes dispersés dans le monde qui risquent de former à terme une « méta-organisation Daech 2.0. ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1196542931785662465"}"></div></p>
<p>Dans une <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00408514/document">méta-organisation</a>, les membres ne sont pas des individus mais des organisations qui partagent un trait d’identité en commun et décident de créer une entité pour les représenter, pour partager l’information, pour agir en commun afin de mieux maîtriser leur environnement. Daech a créé une nouvelle forme organisationnelle rampante, imprévisible, difficile à qualifier, et donc in extenso à combattre.</p>
<h2>La réponse militaire reste insuffisante</h2>
<p>Considérer que Daech est une organisation militaire relève, comme le souligne le spécialiste du renseignement Jean‑François Gayraud, d’une <a href="https://books.google.fr/books?id=QFI7DwAAQBAJ&pg=PT148&lpg=PT148&dq=Jean%E2%80%91Fran%C3%A7ois+Gayraud+persistance+r%C3%A9tinienne">« persistance rétinienne »</a>. Autrement dit, l’application de modèles connus à des phénomènes sociaux émergents mènerait à préparer la guerre de demain avec des conceptions d’hier.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.asafrance.fr/images/legrier_fran%C3%A7ois-regis_la-bataille-d-hajin.pdf">article</a> intitulé « La bataille d’Hajin : victoire tactique, défaite stratégique ? » publié dans la « Revue Défense Nationale » de février 2019, François-Régis Legrier, commandant la task force Wagram au Levant d’octobre 2018 à février 2019, écrivait :</p>
<blockquote>
<p>« Une bataille ne se résume pas à détruire des cibles comme au champ de foire […] Seul une vue globale du problème aurait permis d’ébaucher une stratégie globale et d’éviter le constat amer de voir Daech resurgir là où on l’a chassé il y a deux ans. »</p>
</blockquote>
<p>En Syrie, l’excellente connaissance du territoire (topographie, météo, localisation des ressources) a conféré à Daech le coup d’avance. À ceci s’opposerait donc une excellente connaissance de Daech.</p>
<p>Sur le plan financier et matériel, la deuxième piste consisterait à identifier des moyens d’assécher les ressources du mouvement de manière à empêcher les investissements dans de nouvelles actions.</p>
<p>Une surveillance accrue des systèmes financiers internationaux, notamment par des applications de l’intelligence artificielle qui permettent le traitement d’une grande quantité de données et la corrélation de variables que seule la puissance d’une machine peut effectuer. À cela s’ajoute une surveillance accrue des infrastructures de transport qui constituent des bases arrières logistiques et des lieux de transfert de marchandises, de matériel et d’armes.</p>
<p>Enfin, un système de détection d’émergence d’activités djihadistes assurerait un monitoring en temps réel des zones sensibles avec la collaboration des acteurs présents sur le terrain (ONG, entreprises, etc.). Des systèmes de remontée d’information immédiate seraient mis en place pour déceler les modifications dans l’environnement avec des paramètres spécifiques.</p>
<h2>Pauvreté et vulnérabilités</h2>
<p>Les avis divergent quant à l’espérance de vie du mouvement mais les zones de prédilection de Daech possèdent des caractéristiques spécifiques : un gouvernement faible, la présence d’une minorité musulmane opprimée, un grand nombre de ressources naturelles et des groupes ethniques qui se déchirent. Ces lieux sont relativement faciles à identifier. L’État islamique se nourrit également du délitement d’états quasi impossibles à réformer. Ces derniers ne peuvent en effet plus représenter l’ensemble de la population et se sont rendus vulnérables par une corruption endémique et une incapacité à assumer leurs responsabilités (par exemple, le paiement des fonctionnaires).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=429&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/260187/original/file-20190221-195892-neyyc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=539&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les mouvements djihadistes en question sont les suivants : Al-Qaeda au Maghreb islamique, Ansar Dine, Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’Ouest, Al-Morabitoune, Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, État islamique au Grand Sahara, Ansaroul Islam.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La pauvreté de certains territoires peut inciter des populations isolées à rejoindre les mouvements djihadistes pour obtenir une source de revenus. Les agences internationales et bailleurs du fonds de l’aide au développement sont également concernés car une partie de l’aide versée peut être détournée dans les régions les plus pauvres, soit par l’extorsion, soit par des incitations plus ou moins coercitives à acheter des « services de sécurité ». En témoignent les <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/justice/les-activites-du-cimentier-francais-lafarge-en-syrie-a-jalabiya_1870732.html">déboires du cimentier Lafarge</a> en Syrie.</p>
<h2>Atouts de l’économie dématérialisée</h2>
<p>D’autres éléments favorisent la résilience du mouvement comme l’impossibilité de réguler Internet pour empêcher son expansion virtuelle. L’usage des outils et des technologies de collaboration du Web 2.0 lui confère une grande agilité. Les adhérents deviennent des acteurs d’un écosystème et rejoignent des communautés de membres et des groupes d’intérêts dispersés dans le monde. Ce sens du collectif permet de réunir des expertises internes et externes, d’évoluer vers une plus grande transversalité et d’exploiter les brèches des systèmes traditionnels dans le secteur financier par exemple.</p>
<p>Daech joue de la complexité du difficile traçage des comptes pour bâtir et exploiter son propre réseau bancaire et l’inscrire dans un système international. L’ouverture des marchés, le déclin de l’État-providence, les privatisations, la déréglementation de la finance et du commerce international tendent à favoriser la croissance des activités illicites, ainsi que l’internationalisation d’une économie criminelle concurrente.</p>
<p>Dans la phase initiale, l’organisation criminelle introduit ses bénéfices illégaux sur les circuits financiers à travers une série de déplacement des fonds, souvent dans des centres financiers off shore, communément appelés « paradis fiscaux », afin de les éloigner de leur source. La seconde phase consiste à réintégrer ces fonds dans des activités économiques légitimes pour leur donner l’apparence d’une origine légale afin de pouvoir les utiliser.</p>
<p>Seule une stratégie à 360° permettra donc de faire converger ces divers champs d’analyse. Le succès de cette démarche découlera en conséquence nécessairement de collaborations disciplinaires, interorganisationnelles et interétatiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128066/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Frank ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’accident qui a coûté la vie à 13 soldats français au Mali, le 25 novembre dernier, rappelle que d’autres pistes doivent être explorées.Laurence Frank, Professeure de management stratégique, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1269452019-11-18T19:55:34Z2019-11-18T19:55:34ZDaech, un écran de fumée idéologique sur un business très rentable<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/301495/original/file-20191113-77300-1xa1w83.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=79%2C10%2C1038%2C698&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les puits de pétrole controlés par l'État islamique, qui lui assuraient 25% de des ses ressources en 2015, ont été détruits lorsque ses combattants ont battu en retraite.</span> <span class="attribution"><span class="source">Odd Andersen / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Le 27 octobre 2019, le président américain Donald Trump a annoncé sur Twitter la <a href="https://www.sudouest.fr/2019/10/27/le-chef-de-daesh-est-mort-confirme-trump-6752716-6093.php">mort du chef de Daech</a>, Abou Bakr al-Baghdadi, lors d’une opération militaire américaine menée dans le nord-ouest de la Syrie. Cet événement constitue le point d’orgue des opérations militaires de la coalition internationale antijihadiste menée par les États-Unis et clos l’offensive menée en février 2019 par la coalition arabo-kurde des Forces démocratiques syriennes (FDS) pour liquider territorialement <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/etat-islamique-daech-daesh/">l’État islamique</a>. </p>
<p>La mort d'al-Baghdadi marquera-t-elle la fin de Daech ? Rien n’est moins sûr. L'organisation est devenue en quelques années le groupe le plus puissant et le plus attractif de toutes les formations djihadistes. Si les frappes des Occidentaux ont réduit le territoire occupé, Daech conserve une capacité de mobilisation idéologique dans de nombreuses régions du monde, en Occident, au Sahel, aux Philippines ou encore en Somalie. </p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1188948812339011590"}"></div></p>
<p>Daech a bâti, grâce à l’assise territoriale, un système économique autosuffisant et diversifié qui repose sur un large éventail d’activités industrielles et commerciales, de ressources naturelles et de matières premières, du pétrole aux denrées agricoles en passant par les minerais. </p>
<p>Selon les dernières données disponibles issues de l'analyse de 26 rapports parlementaires, la valeur théorique des actifs sous le contrôle de l’État islamique (réserves de pétrole, réserves gazières, minerais, actifs monétaires) était estimée à <a href="http://cat-int.org/wp-content/uploads/2017/03/Financement-EI-2015-Rapport.pdf">2 260 milliards dollars</a> fin 2015, date de l'apogée de l'organisation. </p>
<p>Et si le califat n’était qu’un écran destiné à masquer un business model extrêmement lucratif ? Le califat ne serait donc ni un projet de société, ni une terre promise, ni la réminiscence d’un modèle de cité islamique de l’âge d’or, mais une stratégie d’affaires savamment élaborée, fondée sur le pillage, pour accumuler des richesses en un temps record.</p>
<h2>Une ingénierie financière redoutable</h2>
<p>Le <a href="http://www.slate.fr/story/89025/finance-eiil-irak">pillage de la banque de Mossoul</a> a rapporté près de 400 millions de dollars à Daech en 2014, ce qui lui a permis de changer de dimension et de verser, dans la durée, des salaires aux combattants, de fidéliser des soutiens et d’acheter des armes. </p>
<p>Daech a contrôlé jusqu'à une vingtaine de puits de pétrole en Syrie et en Irak, captant <a href="http://cat-int.org/wp-content/uploads/2017/03/Financement-EI-2015-Rapport.pdf">60% de la production irakienne</a>. 10% du PIB de l’Irak aurait été aux mains de Daech, soit 40 milliards de dollars. Les revenus de la vente/contrebande du pétrole auraient oscillé selon les estimations entre 500 000 et un million de dollars par jour. </p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=644&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301489/original/file-20191113-77300-1mlbyyd.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=809&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://cat-int.org/wp-content/uploads/2017/03/Financement-EI-2015-Rapport.pdf">Centre d'analyse du terrorisme</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 2015, le pétrole a rapporté 600 millions de dollars au mouvement, l’exploitation du phosphate 250 millions de dollars, la production de gaz près de 60 millions, le ciment 400 millions et l’agriculture 200 millions. L’extorsion, qui constituait la première source de financement sous la forme de diverses taxes, amendes, redevances et confiscations, a rapporté près de 800 millions. Le montant des dons atteignait lui environ 50 millions.</p>
<p>Daech affiche une grande maîtrise des canaux de financement possibles en combinant diverses sources : </p>
<ul>
<li><p>Le système de revenus physiques : recettes locales, fiscalité, amendes et droits de douanes, commerce des ressources naturelles, racket des citoyens et des entreprises, confiscations de biens, commerce des otages, pillages d’antiquités, trafics d’êtres humains, de matériel de guerre et d’œuvres d’art ;</p></li>
<li><p>Le système de revenus dématérialisés : systèmes financiers virtualisés, contrôle de succursales bancaires, nouvelle monnaie indexée sur le cours de l’or convertible en Turquie, crypto-actif (monnaies virtuelles), financement participatif (<a href="https://theconversation.com/terrorisme-et-optimisation-fiscale-la-face-sombre-du-financement-participatif-125506">crowdfunding</a>), dons en provenance de pays sympathisants comme la Turquie, l’Arabie saoudite et le Qatar.</p></li>
</ul>
<p>Le mouvement bénéficie de complicités bancaires à l’échelle internationale. De gros soupçons pèsent sur la porosité de l’infrastructure bancaire du Liban, de Chypre, de Malaisie, d’Indonésie ou encore de la Turquie. Des prête-noms et des sociétés-écrans émettent de faussent factures et enregistrent des transactions fictives. L’importante trésorerie disponible a d’ailleurs permis de corrompre des fonctionnaires de plusieurs pays, dont des Syriens opposés au régime de Bachar al-Assad. </p>
<p>Daech paye à prix d’or des intelligences bancaires pour ouvrir des comptes, via des sociétés-écrans, reproduisant en quelque sorte « le <a href="http://www.iiac.cnrs.fr/article1242.html">modèle supranational d’al-Qaïda</a> », explique Dawod Hosham chercheur au CNRS. Il faut transférer du cash pour assurer aux têtes pensantes du groupe un moyen de se mettre à l’abri, y compris les proches et familles, mais aussi pour permettre aux cellules de se projeter vers de nouvelles opérations terroristes.</p>
<h2>Daech dans la guerre des talents</h2>
<p>Daech a capté l’immense potentiel qu’offrent les nouvelles technologies pour créer une organisation résiliente et pérenne. Derrière les images moyenâgeuses de combattants du désert se cache un système d’affaires des plus actuels. Le progrès offre à Daech une couverture globale de l’idéologie qui permet à tout sympathisant, où qu’il soit dans le monde, de rallier le mouvement. En plus de la presse écrite (Dabiq, Dar al-Islam), Daech aurait produit près de 15 000 documents de propagande, dont 800 vidéos et une vingtaine de revues traduites en 11 langues, dont le mandarin. </p>
<p>Entre 2011 et 2017, la propagande a permis de construire un bataillon de 20 000 à 50 000 hommes avec des prisonniers libérés et des transfuges d’Al-Qaïda. Les troupes comprenaient en 2017, 4 000 Saoudiens, 2 000 Tunisiens, 450 Allemands, 200 Belges, 300 britanniques, 1 432 Français et des combattants d’Afghanistan, de Somalie, de Bosnie, de Tchétchénie, du Waziristan (nord-ouest du Pakistan), du Mali, du Liban, du Maroc et de l’Algérie, selon les données issues des différents rapports des commissions d'enquête parlementaires. </p>
<p>Le mythe de l’adhésion de personnes peu instruites et en situation de désarroi a été largement déconstruit. Daech recrute des cerveaux et cible des intellectuels, des financiers et des hauts diplômés tels que des médecins et des ingénieurs pour conduire des opérations internationales d’une grande complexité. Ces professionnels perçoivent des salaires plus élevés que ceux du marché local. </p>
<h2>Structure 2.0.</h2>
<p>La stratégie de recrutement de Daech s’est avérée efficace et peu coûteuse. L’État islamique est ainsi devenu l’organisation terroriste la plus riche et le mouvement le plus violent du monde. La rentabilité de ce business model induit aujourd'hui un risque de « franchisage ». Le modèle opérationnel extrêmement lucratif, pourrait en effet le devenir encore davantage s’il était vendu à d’autres groupes terroristes en échange de redevances (royalties). </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301491/original/file-20191113-77300-1gjlc8i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La franchise, nouvel axe de développement ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">Musaib Mushtaq / Shutterstock</span></span>
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<p>Mais la grande force du modèle se situe dans la capacité du mouvement à s’approprier et à combiner des pratiques issues du crime organisé, du terrorisme, des sectes, du domaine militaire, de la société civile, du monde de l’entreprise et de l’administration publique. La structure de type 2.0., immatérielle et mondialisée, permet de poursuivre l’expansion du mouvement sans territoire physique, ce qui amène de nouvelles difficultés à lui appliquer un cadre juridique et à exercer une surveillance internationale qui permettrait de contrer sa propagation. </p>
<hr>
<p><em>Cet article est extrait de l'étude plus détaillée « L’État Islamique/Daech : Business model et terrorisme 2.0 » (à paraître) qui reconstitue le modèle économique et la configuration organisationnelle de Daech rédigée en collaboration avec Alain Bauer, professeur de criminologie au CNAM de Paris.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/126945/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurence Frank ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'assise territoriale que l'organisation terroriste a pu se constituer entre 2014 et 2019 lui a permis de développer de plusieurs sources de revenus à la fois physiques et dématérialisés.Laurence Frank, Professeure de management stratégique, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.