tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/emploi-20395/articlesemploi – The Conversation2024-03-18T10:51:39Ztag:theconversation.com,2011:article/2251202024-03-18T10:51:39Z2024-03-18T10:51:39ZPeut-on comparer les jeunes diplômés déçus par leur premier emploi aux romantiques du XIXᵉ siècle ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/580091/original/file-20240306-22-xwmeec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C3%2C722%2C521&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">_Le Voyageur contemplant une mer de nuages_, tableau de Caspar David Friedrich, peintre romantique allemand (1818).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/ueber-die-sammlung-19-jahrhundert-caspar-david-friedrich-wanderer-ueber-dem-d82346">Picryl</a></span></figcaption></figure><p>En 2013, l’anthropologue américain <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/auteur-David_Graeber-250-1-1-0-1.html">David Graeber</a> faisait le buzz avec un <a href="https://strikemag.org/bullshit-jobs/">article</a> publié dans <em>STRIKE ! Magazine</em> où il n’hésitait pas à mettre un mot sur un véritable phénomène de société : les <em>bullshit jobs</em> (ou « jobs à la con »). Ce qui frappe de prime abord lorsqu’on s’intéresse à ces <em>bullshit jobs</em>, c’est leur contradiction essentielle avec le système dans lequel ils sont insérés.</p>
<p>Vides de sens pour ceux qui les occupent, ces « jobs à la con » reposent sur un double paradoxe : d’une part, les métiers inutiles semblent impensables dans un système néo-libéral qui suppose une rémunération du travail en fonction de la performance économique et, d’autre part, le capitalisme est censé reposer sur la notion de rationalité, alors même qu’il succombe bien souvent à des effets de mode pour le moins contestables (standardisation, qualité, <em>compliance</em>, <em>process</em> ou encore agilité).</p>
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<p>Mais quel effet produit cette absurdité sur les individus, et plus particulièrement sur les jeunes diplômés qui arrivent sur le marché du travail et dont le premier poste peut les décevoir ? C’est la question que nous nous sommes posée dans un article de recherche co-écrit avec notre collègue <a href="https://www.theses.fr/2022AIXM0533">Marion Cina</a> à paraître prochainement dans la revue <a href="https://management-aims.com/index.php/mgmt/article/view/8277"><em>M@n@gement</em></a>.</p>
<p>Pour mieux comprendre cet effet, nous avons tenté de dresser un parallèle avec le <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/le_romantisme_en_litt%C3%A9rature/185879">romantisme</a> au XIX<sup>e</sup> siècle. Sur les décombres de <a href="https://www.lesbonsprofs.com/cours/lempire-napoleonien/">l’Empire napoléonien</a>, un « mal du siècle » se répandait à l’échelle européenne. Il en a découlé un mouvement littéraire qui résonne étrangement avec notre époque contemporaine : le romantisme. Ce courant artistique, voire spirituel, a fait de la mélancolie, du dégoût de l’époque vécue et de l’impossibilité à trouver sa place dans un monde vide de sens les leitmotivs d’une quête de grandeur.</p>
<h2>Un parallèle entre deux époques</h2>
<p>Entre les romantiques d’hier et les jeunes d’aujourd’hui, il semble en effet que l’histoire se répète. En d’autres termes, la jeunesse actuelle connaîtrait-elle les mêmes tourments que les romantiques d’hier ? Le parallèle serait alors riche d’enseignements. On nous objectera que comparaison n’est pas raison, et que tout cela est bien absurde. Eh bien justement ! Pour comprendre l’impensé, il apparaît nécessaire de mobiliser des outils nouveaux. Autrement dit, il faut combattre le mal par le mal.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/des-sciences-du-vivant-aux-sciences-de-gestion-quand-la-fiction-litteraire-fait-avancer-la-recherche-scientifique-146611">Des sciences du vivant aux sciences de gestion : quand la fiction littéraire fait avancer la recherche scientifique</a>
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<p>Nous nous sommes donc plongés dans les deux époques :</p>
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<li><p>Pour ce qui relève de l’époque contemporaine, nous avons mené 35 entretiens avec de jeunes diplômés entre 25 et 30 ans, tous diplômés d’une Grande École de commerce ou d’ingénieurs française. Notre panel d’interviewés regroupe plus spécifiquement des individus bien souvent passés par des classes préparatoires, qui est une des spécificités du système éducatif français. Entre travail intense et exigence maximale, ces structures préparent les étudiants pendant deux voire trois ans aux concours d’entrée des Grandes Écoles.</p></li>
<li><p>Pour la période romantique, nous avons convoqué les œuvres littéraires de ce mouvement du XIX<sup>e</sup> siècle dans lequel leurs auteurs (Balzac, Musset, Chateaubriand, etc.) s’épanchent sur leurs états d’âme d’élites désillusionnées. Nous avons extrait de ces ouvrages des passages qui nous semblaient particulièrement correspondre à l’expérience décrite par nos interviewés afin d’entendre les échos entre les deux époques.</p></li>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-la-fiction-modele-la-realite-76607">Quand la fiction modèle la réalité</a>
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<h2>Le choc de l’absurde</h2>
<p>De notre <a href="https://management-aims.com/index.php/mgmt/article/view/8277">enquête</a> menée entre deux siècles, nous tirons plusieurs enseignements. En premier lieu, l’absurde est un choc qui permet un dévoilement majeur pour les jeunes diplômés. Que ce soit en école ou en entreprise, ils perçoivent un décalage majeur entre les enseignements très riches et théoriques qu’ils ont pu suivre en classes préparatoires et la banalité des tâches et des activités qui leur sont confiées.</p>
<p>L’entrée dans le monde professionnel est particulièrement vécue comme une rupture brutale et déroutante. C’est ce qu’Estelle*, ancienne étudiante dans une Grande École de commerce, n’a pas manqué de rappeler lors de son entretien :</p>
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<p>« J’ai encore du mal à comprendre ce qui m’est arrivé quand je suis rentrée en entreprise… Je pense que le premier stage que j’ai fait a été un gros choc. J’ai pu constater la déconnexion entre l’école et l’entreprise ».</p>
</blockquote>
<p>Dans le même esprit, Mélanie* nous a fait part de son désarroi quand sa manageuse lui a demandé d’accomplir de basses besognes, totalement déconnectées du faste et de la grandeur de ses études :</p>
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<p>« J’épluchais toutes les annales depuis un mois, enfin tous les historiques des présentations, ce qui est rasoir en fait. J’étais le chien de toute la boîte ».</p>
</blockquote>
<p>Cette trivialité des tâches quotidiennes trouve son origine dans une modernité hyperrationnelle qui ôte toute poésie au monde. Dès la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, malgré la sacralisation du progrès par les organisations, des dissensions émergent, en particulier dans la sphère littéraire. Le poète <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Charles_Baudelaire/107873">Charles Baudelaire</a> est notamment atterré par les mutations en cours, annonçant alors la <a href="http://zeio.free.fr/poesies/baudelaire-lemondevafinir.htm">« fin du monde »</a>. Il révèle sans détour qu’une victoire de la matière va atrophier « en nous toute la partie spirituelle ».</p>
<h2>Accélération, flot et perte de repères</h2>
<p>Au XIX<sup>e</sup> siècle, l’accélération du quotidien accentuée par l’émergence de la presse crée une impression de tohu-bohu total, d’emballement généralisé dans lequel les individus et les choses se retrouvent prisonniers d’un « flot » continu d’événements.</p>
<p>La dépréciation brutale de la poésie entraîne une chute significative du marché poétique, illustrée par l’écrivain <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Honor%C3%A9_de_Balzac/107350">Honoré de Balzac</a> dans son roman <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/balzac/illusions-perdues"><em>Illusions perdues</em></a>. Cette transition vers la culture de masse engendre une grande désillusion littéraire, façonnant l’image de l’artiste isolé, incompris, voire du <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/repere/poetes-maudits">poète maudit</a>.</p>
<p>Dès 1833, Balzac propose de revenir sur « l’état actuel de la littérature ». Il y dépeint sans ambages le développement effréné d’une « masse lisante » qui n’attend qu’une seule chose : dévorer toujours plus de livres. Ici, le vrai monstre, c’est la presse, c’est la culture médiatique.</p>
<p>Pour Balzac, « le mal que produit le journalisme est bien plus grand [par rapport au commerce des livres]. Il tue, il dévore de vrais talents ». Ce qui terrifie Balzac et ses contemporains, c’est l’obsolescence programmée de la culture médiatique qui fait que, quelle que soit la pertinence d’un texte écrit, de toute façon il est effacé par le suivant.</p>
<p>On retrouve cette accélération tous azimuts dans les propos des jeunes diplômés d’aujourd’hui : ils évoquent des tâches qui se succèdent dans un flux perpétuel comme s’ils passaient leur temps à remplir le <a href="https://www.rtbf.be/article/les-danaides-et-leurs-jarres-percees-metaphore-de-nos-desirs-insatiables-11072471">tonneau des Danaïdes</a>.</p>
<p>Ainsi, Valentine* a tout simplement l’impression d’être prise au milieu d’un flot incessant d’« appels, de mails et de comptes-rendus ». Aujourd’hui, les modes de communication par courriel et/ou messageries instantanées (Slack, Teams, etc.) sont devenus les nouveaux avatars du flux médiatique. Pour Mareva*, il y a une obligation tacite à toujours devoir vérifier ses mails ou son téléphone :</p>
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<p>« Le plus énervant, c’est d’être tout le temps sur son téléphone je trouve. Oui, ce qui me fatigue le plus, c’est de devoir toujours cliquer sur mes mails et mes trucs pour être sûre qu’il n’y ait pas d’urgences ».</p>
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<h2>Le règne du double discours</h2>
<p>Dans <em>Illusions perdues</em>, Balzac dénonce également le règne de l’argent et la pratique du double discours, à la façon dont certains jeunes diplômés interrogés ont pu le faire concernant leurs organisations.</p>
<p>Dans ce roman balzacien, le personnage principal, <a href="http://classes.bnf.fr/essentiels/grand/ess_1832.htm">Lucien de Rubempré</a>, fait la rencontre de Vautrin, un ancien forçat qui se cache derrière l’habit d’un prêtre. Vautrin est un protagoniste qui appartient au monde du Mal mais qui a tout compris sur la société qui l’entoure. Cet ancien bagnard est surtout l’occasion pour Balzac d’insérer dans son roman sa conception réactionnaire du monde social. Non seulement la société moderne est profondément contradictoire, mais c’est aussi une société du mensonge caractérisé : ce qui importe le plus, c’est l’apparence.</p>
<p>En contexte organisationnel, le double discours et le mensonge font également partie de la panoplie de managers à l’éthique douteuse. C’est ce qu’a rappelé Iris* en évoquant sa manageuse qui n’hésitait pas à mentir aux candidats potentiels pour les attirer dans son entreprise :</p>
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<p>« En fait, elle invente, elle invente et je la regarde et je me dis mais on est dans la même boîte et tu me dis des choses qui n’existent pas. C’est absurde. Elle est capable pendant deux heures d’inventer du bullshit max, mais pour une mauvaise intention : attirer des candidats pour les mauvaises raisons et de les bloquer au début de leur vie professionnelle ».</p>
</blockquote>
<p>Parfois, le mensonge est même avoué et légitimé par les supérieurs et le management « pour améliorer les statistiques du service », comme nous le confiait Mélanie*. Dès lors, quelles sont les conséquences de tous ces bouleversements sur les jeunes du XIX<sup>e</sup> siècle et d’aujourd’hui ?</p>
<h2>Une quête d’idéal</h2>
<p>Pour se détourner de la médiocrité d’un monde où règnent l’accélération et le mensonge, les jeunes romantiques du XIX<sup>e</sup> siècle ne rejoignent pas des organisations non gouvernementales (ONG) ou des fermes écoresponsables : ils font de la poésie, de l’art. Ils créent des parenthèses artistiques dans un monde dénué de beauté, exprimant ainsi une dissidence ironique face à la réalité.</p>
<p>À l’heure actuelle, certains jeunes travailleurs, que la professeure <a href="https://www.cairn.info/publications-de-Pauline-P%C3%A9rez--661335.htm">Pauline Pérez</a> appelle les <a href="https://www.theses.fr/2014EHEC0007">« intermittents du travail »</a>, se désengagent des fonctions traditionnelles pour embrasser des activités jugées plus estimables malgré un confort apparemment réduit (petits boulots, intérims, temps partiel, jobs saisonniers…). Cette tendance traduit une volonté de reprise en main de leur destinée.</p>
<p><a href="https://www.arkhe-editions.com/livre/cassely-revolte-premier-classe/">Révolte</a>, retrait, dissidence sont autant de voies ouvertes par une jeunesse qui aspire à des lendemains qui chantent. « Jeunes gens, ayons bon courage ! Si rude qu’on nous veuille faire le présent, l’avenir sera beau » lancera à cet égard <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Victor_Hugo/124393">Victor Hugo</a> dans sa préface d’<a href="https://editions.flammarion.com/hernani/9782081433618"><em>Hernani</em></a>.</p>
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<p>*<em>Les prénoms ont été anonymisés</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225120/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les désillusions de la jeunesse romantique du XIXᵉ siècle peuvent éclairer les attentes et les déceptions des nouveaux entrants sur le marché du travail.Thomas Simon, Assistant Professor, Montpellier Business SchoolXavier Philippe, Enseignant-chercheur en sociologie du travail. Laboratoire Métis, EM NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2237752024-03-14T18:59:25Z2024-03-14T18:59:25ZL’e-sport, facteur d’inclusion et d’ascension sociale ?<p>Le jeu vidéo est la plus jeune industrie culturelle, mais aussi la plus importante, avec un marché <a href="https://www.leparisien.fr/economie/le-jeu-video-un-marche-plus-important-que-ceux-du-cinema-et-la-musique-reunis-22-10-2023-O544EA2EZ5AVTCHNL5IJOKY4FM.php">supérieur à ceux de la musique et du cinéma réunis</a>. La professionnalisation de ce divertissement a donné lieu à une nouvelle activité économique : l’e-sport.</p>
<p>Les compétitions internationales de jeux vidéo attirent une audience considérable, que ce soit via le streaming online ou lors d’événements physiques. En France, <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2023-05-19/plus-de-10-millions-de-personnes-pratiquent-ou-regardent-l-e-sport-mais-est-ce-vraiment-un-sport-a12f0d93-5b15-45ff-892e-366b10faa39d">10,8 millions de personnes pratiquent ou regardent l’e-sport</a>, en faisant un <a href="https://theconversation.com/le-jeu-video-counter-strike-un-eldorado-pour-investisseur-193885">secteur prometteur pour les investisseurs</a> et les annonceurs. <a href="https://www.sports.gouv.fr/faire-de-la-france-une-grande-nation-de-l-esport-et-donner-une-nouvelle-impulsion-la-strategie-1639">La France souhaite renforcer sa présence</a> en soutenant l’écosystème national et en créant de nouvelles grandes compétitions.</p>
<p>Cependant, la <a href="https://theconversation.com/le-sport-discipline-populaire-mais-en-crise-214331">pratique de l’e-sport</a> garde une image élitiste et excluante. Le coût et la qualité du matériel nécessaire en font une discipline réservée aux classes sociales les plus élevées – un PC de gamer coûte plusieurs milliers d’euros, sans parler du clavier, du micro, de la caméra… Mais depuis 2020, l’e-sport sur mobile, bien plus accessible, <a href="https://www.weforum.org/agenda/2020/11/gaming-games-consels-xbox-play-station-fun/">a atteint plus de 51 % du marché mondial</a>, dépassant à lui seul tous les autres supports réunis : PC, console, arcade, cloud et réalité virtuelle. Bien qu’<a href="https://afjv.com/news/11292_etude-mediametrie-2023-francais-jeux-video.htm">elles représentent 53 % des pratiquants réguliers de jeux vidéo en France</a>, seulement 10 % des joueurs professionnels sont des femmes, dans un <a href="https://www.lefigaro.fr/sports/autres-sports/e-sport-malgre-le-sexisme-les-femmes-plus-que-jamais-pretes-a-s-imposer-20230704">environnement qui peut parfois s’avérer sexiste</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">CS :GO, LoL, Fortnite : pourquoi il y a si peu de femmes dans l’e-sport ?</span></figcaption>
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<p>Pourtant, dans certains pays en développement, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0148296323007415">l’e-sport est un moyen de favoriser la diversité</a>, de valoriser les communautés, et de permettre l’ascension sociale. Bien que les ressources et les infrastructures y soient moins importantes, <a href="https://www.esportsearnings.com/countries">neuf des vingt pays qui dominent l’e-sport en termes de revenus sont des pays émergents</a> : la Chine, la Russie, le Brésil, l’Ukraine, la Thaïlande, la Pologne, Taïwan, les Philippines, et la Malaisie. Près de la moitié des revenus mondiaux de l’e-sport proviennent de ces pays émergents. Cet article se focalise sur les pratiques au Brésil et en Inde.</p>
<h2>L’e-sport mobile dans les favelas du Brésil</h2>
<p>Au Brésil, l’accès à Internet est à la fois coûteux et très rudimentaire en périphérie des grandes villes et le matériel informatique coûte plus cher que dans les pays occidentaux avec un salaire minimum proche de 200 euros. Grâce au jeu mobile, le Brésil est le deuxième pays au monde juste après les États-Unis qui a le <a href="https://worldpopulationreview.com/country-rankings/twitch-users-by-country">plus de spectateurs uniques mensuels sur Twitch avec 16,9 millions</a>. Les adolescents des favelas et des quartiers populaires voient dans l’e-sport un moyen de sortir de la pauvreté. Ils forment des communautés de joueurs où ils s’entraident pour progresser et s’efforcent de créer un écosystème favorable dans lequel ils pourront générer des revenus.</p>
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<p>Le <a href="https://ff.garena.com/en/">jeu <em>Free Fire</em></a> qui rassemble 71 % des joueurs brésiliens est le <a href="https://sambadigital.com/free-fire-brazils-hottest-video-game/">plus populaire car son fonctionnement ne nécessite qu’un smartphone ordinaire</a> et une connexion Internet stable. Ce jeu de <em>battle royale</em> qui mêle survie et tir selon la mécanique du <em>last man standing</em> (dernier survivant) et qui <a href="https://theconversation.com/fortnite-un-phenomene-economique-social-sportif-et-culturel-124543">ressemble beaucoup à <em>Fortnite</em></a> s’appuie sur une base de <a href="https://afkgaming.com/mobileesports/guide/how-many-fans-does-free-fire-have-in-the-world">plus de 196 millions de joueurs actifs mensuels</a> et 13 millions quotidiens pour concurrencer des jeux puissants sur mobile comme <em>Call of Duty</em> et <em>PUBG</em> (anciennement <em>PlayerUnknown’s Battlegrounds</em>).</p>
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<figcaption><span class="caption">Trailer des championnats du monde de <em>Free Fire</em> 2023.</span></figcaption>
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<p><a href="https://liquipedia.net/freefire/Liga_Brasileira_de_Free_Fire">La ligue professionnelle brésilienne de <em>Free Fire</em></a> est très active et produit de nombreux champions, dont le <a href="https://liquipedia.net/freefire/Nobru">streamer Nobru</a>, vainqueur du championnat du monde en 2019, qui compte <a href="https://www.instagram.com/nobru/">15 millions de followers sur Instagram</a> et <a href="https://www.youtube.com/@NobruTV">autant sur YouTube</a>. Cerol, autre célèbre joueur de <em>Free Fire</em>, a été élu meilleur streamer du pays en 2019. Mais les nouveaux rois de <em>Free Fire</em> sont les membres de <a href="https://loud.gg/">l’équipe brésilienne Loud</a>, qui en plus d’être leader sur Twitch, est le premier collectif e-sport au monde à atteindre le milliard de vues sur YouTube. Cette entreprise qui a connu une croissance fulgurante a été créée par le champion <a href="https://www.linkedin.com/in/brunobcoliveira/">Bruno « PlayHard » Bittencourt</a>, <a href="https://www.linkedin.com/in/jean-ortega-296303118/">Jean Ortega</a>, et <a href="https://www.linkedin.com/in/matthew-h-130990185/">Matthew Ho</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1735314056746013103"}"></div></p>
<p>PlayHard a recruté les meilleurs jeunes joueurs de <em>Free Fire</em> et convaincu les parents et les marques du potentiel de l’e-sport pour développer Loud. PlayHard souhaite favoriser une meilleure visibilité de la population noire sous-représentée parmi les streamers et créateurs de contenus. Il a particulièrement <a href="https://ge.globo.com/esports/valorant/noticia/2023/01/04/c-valorant-loud-entrara-no-cenario-feminino-com-quarteto-ex-b4.ghtml">encouragé les jeunes femmes à devenir pro-gameuses</a>, ayant perçu le fort potentiel commercial de l’e-sport féminin. En 2023, Loud a annoncé la <a href="https://www.meioemensagem.com.br/marketing/organizacoes-esports-inclusao">formation d’une équipe inclusive</a> composée de femmes cisgenres et transgenres, et de personnes non binaires. Loud est aussi à l’initiative de nombreuses actions humanitaires dans les favelas pour fournir du matériel informatique aux enfants et aux jeunes et leur proposer des formations aux nouvelles technologies numériques.</p>
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<figcaption><span class="caption">Au Brésil, l’e-sport détrône le football dans les favelas.</span></figcaption>
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<p>Avec la même vision, <a href="https://www.dazeddigital.com/life-culture/article/60998/1/afrogames-the-worlds-first-favela-e-sports-organisation-brazil">AfroGames est le premier centre d’entraînement pour athlètes e-sport au monde à être basé dans une favela</a>. Dans la zone nord de Rio de Janeiro, des centaines de jeunes vont se former pour devenir streamers et pro-gamers. Exclus de la société et immergés dans un environnement où la criminalité est la norme, ils voient dans l’e-sport un <a href="https://www.dazeddigital.com/life-culture/article/60998/1/afrogames-the-worlds-first-favela-e-sports-organisation-brazil">moyen de gagner leur vie honnêtement et de retrouver espoir dans l’avenir</a>. <a href="https://forbes.com.br/forbes-tech/2023/05/com-foco-em-integrar-jovens-da-periferia-aos-games-afrogames-expande-alem-do-rio/">AfroGames est soutenue par plusieurs marques</a> comme la compagnie aérienne GOL, la boutique de jeux en ligne Nuuvem et le fabriquant de mémoire informatique Kingston. Plusieurs autres associations et académies d’e-sport se sont développées pour détecter et accompagner les meilleurs talents de l’e-sport brésiliens comme <a href="https://loja.fluxo.gg/">Fluxo</a>, <a href="https://neverest.gg/">Neverest</a>, et <a href="https://intz.com.br/">INTZ</a>.</p>
<h2>Le défi de l’inclusion par le jeu vidéo en Inde</h2>
<p>L’Inde est aujourd’hui le <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/economy/indicators/india-becomes-the-most-populated-a-dividend-or-a-damper/articleshow/99619028.cms">pays le plus peuplé du monde</a>, ayant dépassé la Chine en 2022, avec 1,4 milliard d’habitants, dont plus de 370 millions de jeunes entre 10 et 25 ans. L’Inde souffre d’un niveau élevé de pauvreté et d’analphabétisme. <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/08/31/c-est-une-perte-de-temps-desillusionnes-et-frustres-nombre-d-indiens-quittent-le-marche-du-travail_6139659_3234.html">Le taux de chômage des jeunes dépasse 40 %</a>. Même les titulaires d’un master ont du mal à trouver un emploi et, lorsqu’ils y parviennent, le salaire est très bas, ce qui les empêche de subvenir à leurs besoins. Les taux d’équipement en ordinateurs et consoles sont très faible, mais il y a <a href="https://tech.hindustantimes.com/tech/news/india-to-have-over-800-million-smartphone-users-by-2022-cisco-study-story-nnYnDOiY6nulyiKRaZRsDP.html">800 millions d’utilisateurs de smartphones</a>, ce qui explique que l’e-sport soit essentiellement mobile.</p>
<p>Comme au Brésil, les <a href="https://esportsinsider.com/2023/06/esports-around-the-world-india">jeux de battle royale tels que <em>Free Fire</em>, <em>Fortnite</em> et <em>PUBG Mobile</em>, sont les plus populaires</a>, ainsi que <em>Call of Duty</em>, <em>Valorant</em>, <em>DOTA 2</em> et <em>League of Legends</em>. La pandémie de Covid-19 a stimulé l’usage des smartphones et le recours aux jeux vidéo comme passe-temps. De nombreux jeunes ayant perdu leur job étudiant ont transformé cette épreuve en opportunité en devenant entrepreneurs ou champions d’e-sport. Ainsi, en Inde les <a href="https://www.statista.com/statistics/1263250/india-esports-revenue-by-category/">revenus de l’e-sport ont plus que doublé entre 2021 et 2023</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Free Fire India, la version spécialement conçue pour l’Inde.</span></figcaption>
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<p>L’un des avantages de l’Inde dans le domaine de l’e-sport est que le coût de l’accès à Internet est l’un des plus bas au monde. YouTube y est très puissant avec environ 450 millions d’utilisateurs actifs. En plus des <a href="https://fr.babbel.com/fr/magazine/guide-des-langues-parlees-en-inde">22 langues officielles, plus de 200 langues autochtones</a> et des milliers de dialectes y sont parlés. Les marques souhaitent accéder à des ambassadeurs capables de promouvoir leurs produits dans les principales langues et à travers différentes communautés. Cela rend les streamers et les champions d’e-sports particulièrement intéressants d’un point de vue marketing, car ils peuvent <a href="https://www.game-insiders.com/blog/diversite-et-inclusion-dans-le-marketing-de-jeux-video-quelles-strategies-pour-un-marche-plus-inclusif">générer un taux d’engagement très élevé de manière inclusive</a> en termes de genre, de caste, de religion, et d’origine sociale.</p>
<p>C’est ce que propose <a href="https://www.youtube.com/watch?v=7R4rzPBvlYU">Tushaar Garg, le fondateur et PDG de StreamO</a> et Irony Esports. Expert en marketing sportif, il a travaillé pour plusieurs institutions, dont l’<em>Indian Premier League Cricket</em>, la plus grande ligue sportive d’Inde. En août 2020, il crée StreamO, une entreprise visant à développer de <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/blogs/voices/gender-inclusivity-in-the-gaming-sector-for-a-healthy-workplace-culture/">nouveaux espaces de rencontre inclusifs</a> centrés sur le jeu vidéo, à faciliter la formation de communautés de super fans de champions d’e-sport, à aider à monétiser le contenu des créateurs dédiés au jeu vidéo et à connecter les marques avec des publics jeunes ayant un haut niveau d’engagement.</p>
<p><a href="https://www.streamo.media/brands">Ces marques incluent</a> Amazon Prime, Netflix, Hyudai, Intel, Sony, Spotify et Puma. Plus de 5200 youtubeurs travaillent avec StreamO, ce qui représente plus de 100 millions d’abonnés. Grâce à StreamO, les streamers peuvent multiplier leur monétisation entre 10 et 20, selon la taille de leur communauté, ce qui leur permet de devenir eux-mêmes entrepreneurs, de développer leur structure, et d’avoir un impact positif sur la société et l’économie.</p>
<h2>Des modèles à suivre</h2>
<p>Bien que l’e-sport ne soit pas un exemple d’inclusivité en France et plus généralement dans les pays occidentaux, il est remarquable de constater que dans des pays comme le Brésil et l’Inde, des entrepreneurs audacieux utilisent le jeu vidéo comme un levier pour favoriser le développement social et la diversité. Malgré un manque de moyens et une maturité moins élevée, les efforts qui sont menés pour mettre en œuvre ces bonnes pratiques favorisent une société plus juste et plus inclusive dans ce secteur en plein essor.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223775/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Oihab Allal-Chérif ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La pratique de l’e-sport peut paraître élitiste et excluante. Pourtant, les initiatives inclusives en faveur de la diversité se multiplient, surtout dans les pays émergents.Oihab Allal-Chérif, Business Professor, Neoma Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2037802023-11-22T17:21:02Z2023-11-22T17:21:02ZPermis de conduire : les stéréotypes de genre influencent-ils les taux de réussite ?<p>Depuis le 1er janvier 2024, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2024/01/02/permis-de-conduire-a-17-ans-combien-de-jeunes-sont-concernes-qu-est-ce-que-ca-va-changer_6178978_4355771.html">l'âge légal pour passer le permis de conduire</a> est de 17 ans. Mais pour l'obtention de ce précieux sésame, filles et garçons ne sont pas en position d’égalité. En France, l’écart entre les taux de succès des unes et des autres est proche de 10 points au niveau des épreuves pratiques, alors que les taux de réussite sont les mêmes à l’épreuve théorique – soit le passage du Code de la route. L’écart est le même que l’on considère la population dans son ensemble ou qu’on se focalise sur les jeunes.</p>
<p>Les travaux de recherche sur l’accès au permis de conduire sont principalement centrés sur les causes du déclin de la détention de permis. La question du genre y est peu présente.</p>
<p>Quand elle est évoquée, c’est essentiellement pour voir comment, dans le temps long, le taux d’accès des femmes au permis de conduire a augmenté jusqu’à converger vers celui des hommes. On approche d’une situation de parité au milieu des années 1990. La fin du rattrapage des hommes par les femmes en matière d’accès au permis de conduire est d’ailleurs présentée comme l’un des déterminants du plafonnement de l’usage automobile, ou hypothèse du <a href="https://www.institutparisregion.fr/nos-travaux/publications/peak-car-la-baisse-de-la-mobilite-automobile-est-elle-durable/"><em>peak car</em></a>.</p>
<h2>Le permis de conduire, un atout pour l’emploi</h2>
<p>Les études sur le différentiel d’accès au permis de conduire entre les femmes et les hommes sont donc rares et les constats divergent selon les pays. Les femmes sont désavantagées dans la réussite au permis au Royaume-Uni ou en Finlande, mais pas en Suède ni aux Pays-Bas. En France, le taux de réussite à l’examen pratique du permis de conduire automobile est de <a href="https://www.securite-routiere.gouv.fr/etudes-et-medias/info-intox/les-filles-reussissent-moins-lexamen-pratique-b-que-les-garcons-info-ou">53,4 % pour les femmes contre 62,7 % pour les hommes en 2018</a>, soit un écart de 9,3 points. Cet écart se réduit légèrement d’une année à l’autre, puisqu’il était de 11,6 points en 2009.</p>
<p>Alors que les femmes réussissent aussi bien que les hommes l’épreuve théorique du permis de conduire, pourquoi ont-elles en France un taux de réussite de 10 points inférieur à celui des hommes à l’épreuve pratique du permis B ? Pourquoi réussissent-elles mieux l’épreuve théorique (70 %) que l’épreuve pratique (56 %) ? Pourquoi les hommes réussissent-ils mieux l’épreuve pratique alors qu’ils composent ensuite 86 % des conducteurs de moins de 24 ans tués sur la route ?</p>
<p>L’enjeu est d’importance. Le permis de conduire est l’examen le plus passé en France, avec près de 1,3 million de candidats chaque année. Sa réussite conditionne largement l’insertion professionnelle et sociale des personnes, en particulier <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0094119016300547">celle des jeunes les moins diplômés</a>. Une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01441647.2020.1747569">méta-évaluation récente</a> s’appuyant sur 93 études a mesuré quantitativement l’impact de l’accès à un véhicule sur les situations d’emploi. Il s’avère que la possession d’un véhicule augmente la probabilité d’être en emploi, en particulier pour les bénéficiaires de minima sociaux.</p>
<p>Les différences d’accès au permis de conduire entre les hommes et les femmes ont donc des conséquences potentielles sur l’insertion professionnelle et les trajectoires de vie des individus. Le respect du principe d’égalité recouvre aussi un enjeu fort pour les pouvoirs publics qui jouent un rôle de régulateur pour les centres de formation à la conduite et pour les centres d’examen.</p>
<h2>Les attentes des formateurs influencées par les stéréotypes de genre</h2>
<p>Nous nous intéressons au rôle joué par les stéréotypes de genre dans l’accès au permis de conduire. Les stéréotypes associés à la conduite ont été étudiés par les psychologues chez les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1369847811000337">adolescents</a> et les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1369847815001230">adultes</a>. Ils reposent sur une vision essentialiste où les compétences de conduite et les prises de risque au volant seraient directement liées au sexe biologique. Par ailleurs, des études par testing ont montré que les stéréotypes sexués sur le permis de conduire étaient utilisés par les employeurs pour qui le <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-d-economie-2011-4-page-33.htm">permis moto</a>, par exemple, envoie un signal de genre tout autant que de mobilité.</p>
<p>L’influence des stéréotypes de sexe – de manière générale et de manière spécifique à la conduite – a été suggérée comme <a href="https://hal.science/hal-01670593/">potentiel facteur explicatif</a> des différences dans la réussite de l’examen pratique du permis B. Ces stéréotypes peuvent être définis comme des croyances sociales sur ce que signifie dans une société donnée le fait d’être un homme ou une femme et ce qui est valorisé pour chaque sexe en termes d’apparence physique, d’attitudes, d’intérêts, de traits psychologiques, de relations sociales et d’occupations.</p>
<p>Les stéréotypes sur la conduite des femmes reposent sur une croyance sociale en l’incapacité des femmes à gérer les situations stressantes, demandant des prises de décisions rapides, comme le sont les situations routières. Au contraire, le fait d’être un homme amènerait une compétence naturelle pour la conduite, associée à des comportements à risque et infractionnistes. En ce sens, l’homme est considéré comme le prototype du conducteur, par rapport auquel la femme conductrice est définie de façon antonyme.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3J1qxHG2Y44?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Thionville : une bourse pour financer le permis de conduire à des jeunes contre 70 heures de travail (France-3 Grand Est, 2022).</span></figcaption>
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<p>Ces stéréotypes peuvent également influencer les performances des individus. La littérature scientifique sur les effets de menace du stéréotype pose l’hypothèse que, lors d’une tâche évaluative, la mise en <a href="https://psycnet.apa.org/record/1996-12938-001">saillance du stéréotype négatif</a> visant un groupe va avoir un effet direct sur les performances des membres du groupe. Ce phénomène a, par exemple, été largement étudié sur les performances des filles en <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-psychologie-sociale-2014-3-page-13.htm">mathématiques</a> et a été récemment montré auprès des femmes dans le cadre de la conduite automobile. Des études montrent que l’activation du stéréotype négatif de la femme au volant auprès de femmes conductrices a un effet perturbateur sur leurs performances au volant.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-maths-pour-les-garcons-le-francais-pour-les-filles-comment-les-stereotypes-de-genre-se-perpetuent-a-lecole-202392">Les maths pour les garçons, le français pour les filles ? Comment les stéréotypes de genre se perpétuent à l’école</a>
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<p>Les stéréotypes de genre créent aussi chez les éducateurs des attentes et des pratiques différenciées en fonction du sexe de l’apprenti. Ce phénomène, connu sous le nom de socialisation de genre, a été déjà bien étudié dans les pratiques éducatives parentales et a également été montré chez les enseignants. Pour autant, il n’existe à notre connaissance aucune étude sur l’effet du sexe de l’apprenti sur les attentes et les comportements des formateurs et des examinateurs dans le domaine de la conduite automobile.</p>
<h2>Un testing sur les auto-écoles</h2>
<p>Pour explorer cette hypothèse, nous avons réalisé une expérimentation par <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/00036846.2023.2203459">test de correspondance</a>. L’objectif du test est de déceler d’éventuelles différences de traitement entre des candidats et des candidates à la préparation du permis de conduire de la part des auto-écoles. Il s’agit de vérifier si des stéréotypes de genre en matière de compétences de conduite, pouvant s’élargir aux difficultés d’apprentissage et de réussite au permis de conduire, sont intégrés par les acteurs de la formation et de l’accompagnement au permis B.</p>
<p>Nous avons fait le choix d’un protocole très simple où une paire de candidats, semblables en tous points sauf par leur étiquette de sexe, effectuent des demandes d’informations aux mêmes auto-écoles. En premier lieu, nous avons créé deux identités fictives de candidats au passage du permis de conduire, une fille et un garçon, âgés de 21 ans, en utilisant des prénoms et des noms très répandus en France (Thomas Bernard et Léa Martin).</p>
<p>Nous avons rédigé deux messages de demandes d’information destinés à des auto-écoles sur le coût du permis de conduire et le nombre d’heures nécessaires, chaque message étant envoyé soit par Thomas, soit par Léa, de façon à ce que chaque auto-école reçoive deux messages différents mais équivalents.</p>
<p>Ensuite, nous avons constitué une base d’adresses d’auto-écoles représentative au niveau national, en sélectionnant au hasard 500 établissements parmi l’ensemble des établissements enregistrés au titre du code APE – NAF 8553Z, pour lequel environ 13 500 sociétés sont immatriculées en France.</p>
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<p>Sur cette base, on dispose d’un échantillon de 176 auto-écoles réparties sur le territoire français. Les résultats de l’étude montrent que le fait d’être une femme affecte positivement à la fois la probabilité d’obtenir une information sur le volume horaire mais également le nombre d’heures proposées. Une auto-école propose en moyenne un nombre d’heures de conduite plus élevé de près de 2 heures aux femmes qu’aux hommes.</p>
<p>En conclusion, il s’avère effectivement que le sexe de l’apprenti influence les appréciations des formateurs avant même le début de la phase d’apprentissage, les amenant à déterminer la durée et le contenu des apprentissages en fonction de croyances socialement partagées sur les compétences des hommes et des femmes au volant.</p>
<p>Dès lors que ces pratiques ont des conséquences dommageables sur l’accès à la conduite des femmes et partant, sur leur insertion sociale et professionnelle, le constat sollicite une intervention du régulateur. Dans ce domaine qui est celui des discriminations, il existe une large gamme d’actions publiques qui vont d’un rappel du cadre de la loi et du principe d’égalité des candidats à la mobilité routière, à des actions de formations et de sensibilisation des auto-écoles, qui sont des structures agréées par l’État.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203780/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Denis Anne a reçu des financements de l'I-Site Futur pour réaliser une partie de la collecte des données d'un article cité en référence.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marie-Axelle Granié, Sylvain Chareyron et Yannick L’Horty ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Une jeune femme qui s’inscrit dans une auto-école bénéficie-t-elle de la même formation qu’un jeune homme ? Regard sur ces différences d'accès au permis de conduire, accessible désormais à 17 ans.Denis Anne, Professeur associé, Université Gustave EiffelMarie-Axelle Granié, Directrice de Recherches en Psychologie Sociale du Développement, Université Gustave EiffelSylvain Chareyron, Maître de conférences en Sciences économiques, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Yannick L’Horty, Économiste, professeur des universités, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2178442023-11-19T16:32:53Z2023-11-19T16:32:53ZQuand les conditions de travail se dégradent, faut-il s’en accommoder ou changer d’emploi ?<p>Si la <a href="https://theconversation.com/quiet-quitting-au-dela-du-buzz-ce-que-revelent-les-demissions-silencieuses-192267">« grande démission »</a> n’a pas eu lieu et que les Français ne se sont pas détournés de l’emploi, faut-il pour autant en conclure qu’ils consentent pleinement à leurs <a href="https://theconversation.com/topics/conditions-de-travail-31410">conditions de travail</a> ?</p>
<p>Le grand nombre de <a href="https://theconversation.com/topics/demission-124250">démissions</a> s’explique par l’augmentation de la population active et la reprise de l’activité économique après la crise sanitaire plutôt que par un retrait du marché du travail. Au contraire, le taux d’emploi a atteint en août 2022 son plus haut niveau depuis que l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) le mesure, avec <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6658008#titre-bloc-10">68,3 % des 15-64 exerçant une activité rémunérée</a>. </p>
<p>La crise sanitaire n’a donc pas produit de phénomène massif de <a href="https://editionsdudetour.com/index.php/les-livres/le-refus-du-travail/#:%7E:text=Th%C3%A9orie%20et%20pratique%20de%20la%20r%C3%A9sistance%20au%20travail&text=Son%20but%20est%20de%20mettre,une%20autre%20vision%20du%20bonheur">« refus du travail »</a>. En revanche, paraphrasant le titre du dernier colloque du Groupe de recherche sur le travail et la santé au travail (<a href="https://gestes.cnrs.fr/">GIS Gestes</a>) – « Changer de travail ou changer le travail ? – nous observons qu’un faisceau d’indices pointe vers un refus des conditions de travail.</p>
<h2>Des contraintes de plus en plus fortes</h2>
<p>Les thématiques de la « grande démission » ou de la « démission silencieuse » sont à restituer dans un contexte de <a href="https://www.sciencespo.fr/liepp/fr/content/maelezig-bigi-dominique-meda-prendre-la-mesure-de-la-crise-du-travail-en-france.html">conditions de travail particulièrement dégradées</a> en France. C’est ce que nous montrons avec la sociologue Dominique Méda à partir des données de l’Enquête européenne sur les conditions de travail 2021.</p>
<p>Travailleurs et travailleuses en France sont davantage exposés aux facteurs de pénibilité physique (postures douloureuses, port de charges lourdes, mouvements répétitifs, exposition à des produits toxiques) qu’en Allemagne, aux Pays-Bas et au Danemark. La situation n’est pas meilleure sur le plan des facteurs psychosociaux de risques. Plus de la moitié des enquêtés travaillent par exemple dans des délais très stricts ou très courts.</p>
<p><iframe id="HEb72" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/HEb72/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ces expositions s’inscrivent dans le contexte d’organisations du travail où les contraintes sont plus fortes que les ressources pour y faire face. Ainsi tandis que seuls 36,7 % des salariés en France déclarent que leurs collègues les aident et les soutiennent ; ils sont 54,5 % au Danemark. De même, ils sont moins souvent consultés ou informés des décisions qui sont importantes pour leur travail.</p>
<p>Finalement, ils sont peu à estimer que le travail contribue à la construction de leur santé. Au contraire, près de 39 % des personnes interrogées estiment qu’elle est menacée par leur activité professionnelle. Si les atteintes physiques sont importantes (mal de dos, douleurs dans les membres inférieurs ou supérieurs), elles sont également très marquées du côté des atteintes psychiques : 49 % des enquêtés déclarent avoir souffert d’anxiété, contre 30,4 % en moyenne dans l’Union européenne et 7,6 % au Danemark.</p>
<h2>S’accommoder de mauvaises conditions de travail… ?</h2>
<p>La thèse du « compromis fordiste », inspirée par l’<a href="https://www.cairn.info/theorie-de-la-regulation-1-les-fondamentaux-2004%E2%80%939782707132161.htm">école de la régulation</a> en économie a pu laisser penser que de mauvaises conditions de travail (c’est-à-dire concernant l’activité elle-même) pouvaient être acceptées, en contrepartie de bonnes conditions d’emploi (salaire, congés, perspectives de carrières, liens sociaux…). Pour des auteurs comme Robert Boyer ou Alain Lipietz, les rares périodes de stabilité économique, comme celle des années 1950 à 1970, s’expliquent par l’adéquation entre le régime d’accumulation et les modes de régulation par les institutions.</p>
<p>S’inscrivant dans l’esprit de ces analyses, le livre publié en 2012 par le syndicaliste italien Bruno Trentin, <a href="https://laviedesidees.fr/Reconcilier-travail-et-citoyennete"><em>La Cité du travail. La gauche et la crise du fordisme</em></a>, soutient qu’une partie des acteurs de la critique sociale se seraient alors accommodés des mauvaises conditions de travail que produisent le taylorisme et le fordisme au nom de la dignité sociale et de l’intégration économique que ces modes d’organisation procurent aux travailleurs.</p>
<p>Pourtant, les <a href="https://www.cairn.info/revue-travailler-2023-2-page-31.htm">travaux</a> portant sur syndicalisme et santé au travail nous invitent à nuancer la thèse selon laquelle l’organisation du travail n’aurait pas ou peu fait l’objet de revendications, au profit des enjeux d’emploi et de rémunération, y compris sur les enjeux de souffrance au travail. Il faut donc se garder de conclure que les travailleurs et travailleuses se seraient satisfaits au cours d’un moment historiquement marqué par la croissance économique, d’abîmer leur santé au travail en contrepartie de meilleures conditions de vie.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1655829957665521670"}"></div></p>
<p>À partir du choc pétrolier de 1973, le récit du compromis fordiste peine doublement à tenir ses promesses. D’une part l’irruption du chômage de masse, la précarisation de l’emploi et les crises économiques qui se succèdent introduisent une compétition entre les travailleurs qui obère leur capacité à peser dans les négociations avec les employeurs. D’autre part, l’amélioration des conditions de travail qui était attendue des progrès techniques et organisationnels n’a pas lieu.</p>
<p>En France, au contraire, à partir du milieu des années 1980, le <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/292-le-travail-presse.html">travail s’intensifie</a> sous la forme d’une accumulation de contraintes industrielles et marchandes pesant en même temps sur des activités de plus en plus variées. Pour s’accommoder de ces conditions de travail, les individus usent de différentes méthodes comme l’autoaccélération décrite par la psychodynamique du travail.</p>
<p>Ainsi, dans les usines à colis d’aujourd’hui, les préparateurs de commandes qui travaillent sous commande vocale « jouent-ils » à faire de « belles palettes » et <a href="https://journals.openedition.org/nrt/240">rivalisent de vitesse entre eux pour tenir leur poste</a>. Travailler plus pour tenir n’est cependant pas le propre de l’usine. Pour les chercheurs de l’industrie énergétique, par exemple, travailler chez soi en <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-et-emploi-2016-3-page-27.htm">« débordement »</a> contribue, dans certains cas, à se maintenir en bonne santé en permettant de retrouver du sens à son activité.</p>
<h2>… ou changer d’emploi ?</h2>
<p>À côté de ces pratiques d’accommodement, de nombreux travaux nous montrent que les salariés cherchent aussi à améliorer leurs conditions de travail. Et la poursuite de cet objectif peut passer par un changement d’emploi, comme on l’observe en analysant les trajectoires des salariés dont les conditions travail s’améliorent ou se dégradent.</p>
<p>D’après les <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publications/faut-il-changer-d-emploi-pour-ameliorer-ses-conditions-de-travail">enquêtes</a> de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (la Dares, qui dépend du ministère du Travail), entre 2013 et 2016, les salariés dont les conditions de travail se sont améliorées le plus sont ceux qui ont changé d’emploi ou de profession. Celles et ceux qui font l’épreuve d’une perte de <a href="https://theconversation.com/et-si-vous-profitiez-de-lete-pour-reflechir-au-sens-de-votre-travail-210914">sens au travail</a> – défini comme l’alliance de l’utilité sociale, de la cohérence éthique et des possibilités de développement de soi – ont tendance à <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quand-le-travail-perd-son-sens">quitter leur emploi davantage que les autres</a>.</p>
<p>Si l’on considère que, dans un contexte de précarité de l’emploi, les possibilités de changer d’emploi sont inégalement réparties parmi les catégories socioprofessionnelles, il est intéressant d’interroger le désir de changement des salariés plutôt que leurs changements effectifs. L’enquête Défi du Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Cereq) montre qu’en 2015, un <a href="https://www.cereq.fr/se-reconvertir-cest-du-boulot-enquete-sur-les-travailleurs-non-qualifies">tiers des salariés</a> souhaitait changer d’emploi.</p>
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<p>Les travailleurs les moins qualifiés exprimaient plus souvent que les autres (39 %) un désir de changement, principalement pour sécuriser un emploi qui leur semble menacé. Les employés et ouvriers qualifiés qui indiquaient vouloir changer d’emploi (32 %) mettaient, eux, en avant la volonté d’échapper à des conditions de travail fortement taylorisées et d’avoir plus de flexibilité quant à l’articulation des temps sociaux. Enfin, les cadres (29 %), insistaient sur leurs conditions de travail (intérêt du travail, moins de débordement sur la vie personnelle) et anticipent des réorganisations au sein de leur entreprise, dont ils estiment que leur emploi ou leur carrière pourrait pâtir.</p>
<p>Le refus de mauvaises conditions de travail s’observe aussi en interrogeant les difficultés de recrutement des employeurs. En mars 2022, un <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/1c94dd73c9034a033a0f0c2bd87e133d/DI_MMO_T1%202022pdf.pdf">tiers des salariés</a> déclaraient travailler dans des entreprises ayant amélioré les conditions de travail et d’emploi pour pallier des difficultés de recrutement. Dans le contexte de reprise économique qui a suivi la sortie de la crise sanitaire, le rapport de force entre employeurs et salariés se serait légèrement infléchi en faveur du pouvoir de négociation de ces derniers.</p>
<p>Ces résultats confirment ceux de l’enquête Conditions de travail 2019 : les employeurs qui connaissent le plus de difficultés de recrutement sont aussi ceux qui estiment que leurs employés sont exposés à des pénibilités physiques ou psychiques, notamment les expositions physiques, le travail de nuit et les horaires imprévisibles et, du côté des facteurs psychosociaux de risques, le travail dans l’urgence, les tensions avec le public ainsi que l’impossibilité de faire un travail de qualité. Toutefois, ces difficultés de recrutement diminuent lorsque l’employeur estime que ses employés craignent de <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quelles-sont-les-conditions-de-travail-qui-contribuent-le-plus-aux-difficultes-de-recrutement">perdre leur emploi</a>.</p>
<h2>Une troisième voie ?</h2>
<p>Deux manières de composer donc avec de mauvaises conditions de travail : s’en accommoder ou changer d’emploi. Les vagues de démissions dans les secteurs connaissant une pénurie de main-d’œuvre à la sortie de la crise sanitaire soulignent le caractère déterminant du rapport de force entre salariés et employeurs dans le refus des conditions de travail alors qu’à l’inverse, la peur du chômage et les craintes de déclassement agissent comme de puissants leviers d’acceptation.</p>
<p>Une troisième voie consisterait à transformer les organisations du travail pour les rendre plus soutenables, en redonnant du pouvoir de négociation aux salariés par l’intermédiaire des instances représentatives du personnel. Toutefois, la disparition des <em>comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail</em> (CHSCT) au profit des comités sociaux et économiques (CSE) risque de réduire à portion congrue la mise en discussion des conditions de travail.</p>
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<p><em>Cette contribution à The Conversation France prolonge une intervention de l’auteur aux <a href="https://www.journeeseconomie.org">Jéco 2023</a> qui se sont tenues à Lyon du 14 au 16 novembre 2023</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217844/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maëlezig Bigi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Entre le départ et la résignation, une troisième voie apparaît dans le contexte actuel de pénurie de main-d’œuvre : peser sur les employeurs pour refuser l’intensification des contraintes.Maëlezig Bigi, Chercheuse affiliée au Centre d’études de l’emploi et du travail, Co-directrice du Groupe d’études sur le travail et la santé au travail (GIS Gestes), Maîtresse de conférences en sociologie, Conservatoire national des arts et métiers (CNAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171232023-11-08T20:43:31Z2023-11-08T20:43:31ZUn effondrement de la productivité des salariés français en trompe-l’œil<p>Aujourd’hui, le secteur privé produit 2 % de plus qu’en 2019. Pourtant, pour produire ces 2 % supplémentaires, il a besoin de 6,5 % de salariés en plus.</p>
<p>Avant la crise sanitaire liée au coronavirus, le salarié était chaque année <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/22-152.pdf">plus productif de 0,8 %</a> : à ce rythme, les salariés de 2019 produiraient près de 3 % de plus aujourd’hui. Autrement dit, puisque la production a été moindre, si la hausse de la <a href="https://theconversation.com/topics/productivite-37011">productivité</a> du travail avait suivi son rythme, il aurait fallu détruire autour de 180 000 <a href="https://theconversation.com/topics/emploi-20395">emplois</a> ; or, 1,13 million ont été créés.</p>
<p>Il y aurait ainsi 1,3 million d’emplois dont l’existence interroge : les travailleurs et travailleuses français seraient-ils donc devenus moins productifs ?</p>
<p><iframe id="HCeJp" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/HCeJp/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>On pourrait évoquer des facteurs comme la perte de sens ou l’émergence du télétravail. Avant d’émettre ces hypothèses néanmoins, d’autres pistes doivent être explorées.</p>
<h2>Non, le salarié n’est pas devenu beaucoup moins productif</h2>
<p>La première consiste à vérifier si la perte de productivité ne serait pas qu’apparente dans la mesure où le salarié, en moyenne, travaillerait moins longtemps. Le taux d’absence au travail, supérieur aujourd’hui à ce qu’il était avant crise (6,5 % contre 3,5 %), constitue un élément d’explication. En effet, même en arrêt de travail, un salarié reste comptabilisé dans l’emploi. Celui-ci ayant besoin d’être remplacé, il y aura mécaniquement plus de personnes comptabilisées pour produire autant. Au niveau macroéconomique, la productivité apparente diminue alors mathématiquement, mais cela ne revient pas à dire que l’individu en place est lui-même moins efficace à la tâche.</p>
<p>Un autre élément à prendre en considération est la forte croissance de l’<a href="https://theconversation.com/topics/apprentissage-21392">apprentissage</a>. De 350 000 avant la crise sanitaire, le nombre d’apprentis s’élève aujourd’hui à 900 000. Cela compte pour une bonne part des 1,13 million d’emplois créés. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/enseignement-superieur-lalternance-est-elle-en-train-de-simposer-comme-le-mode-de-formation-dominant-217143">Enseignement supérieur : l’alternance est-elle en train de s’imposer comme le mode de formation dominant ?</a>
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<p>Or, un salarié apprenti reste moins productif qu’un salarié non-apprenti. À nouveau, ce n’est peut-être pas le salarié en place qui est devenu moins productif mais la moyenne qui est tirée vers le bas en raison de l’arrivée de travailleurs qui ont encore besoin d’apprendre et qui ont généralement une durée du travail moins longue.</p>
<p>Il faut également garder en tête que le coût réel du travail a diminué depuis 2019 : le niveau des rémunérations s’est élevé moins rapidement que l’inflation. Si le travail est moins coûteux pour les entreprises, cela peut expliquer qu’elles aient recruté davantage.</p>
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<p>Enfin, la période récente a été marquée par les nombreuses aides apportées par l’État aux entreprises, avec notamment les prêts garantis par l’État. Elles ont peut-être été telles qu’ont été sauvées des entreprises qui auraient dû faire faillite même sans la crise sanitaire, et avec elles les emplois qu’elles abritent, c’est-à-dire les entreprises et les emplois les moins productifs. Des aides ont pu aussi être versées à des entreprises qui n’avaient pas particulièrement besoin de trésorerie et qui ont utilisé ce surplus pour embaucher.</p>
<p>D’après nos <a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/14-180OFCE.pdf">estimations</a>, ces quatre facteurs expliqueraient les deux tiers des créations d’emploi. Deux tiers de la baisse de productivité mesurée n’ont pas vraiment eu lieu donc.</p>
<h2>Quelles conséquences sur les salaires ?</h2>
<p>Quid du tiers restant ? Une analyse par secteur montre que ces quatre facteurs expliquent la totalité des créations d’emplois observées dans les services. En revanche, ils se montrent assez limités pour rendre compte des dynamiques dans les secteurs de l’industrie et de la construction. Le tiers inexpliqué réside ainsi dans ces secteurs.</p>
<p><iframe id="9qt70" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/9qt70/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>On peut ici formuler l’hypothèse que ce sont des phénomènes de rétention de main-d’œuvre qui s’exercent. L’emploi industriel est un emploi plutôt qualifié, et les qualifications requises deviennent des denrées rares. Aussi les entreprises du secteur sont-elles réticentes à licencier, même lorsqu’elles rencontrent des difficultés comme cela a été le cas ces dernières années avec les chocs consécutifs qu’ont été la pandémie et la crise énergétique liée à l’invasion de l’Ukraine : ce serait risquer de ne pas réussir à recruter au moment où l’activité repart à la hausse. Un retour de croissance dans l’industrie se ferait alors sans création d’emplois mais en utilisant à son plein potentiel une main-d’œuvre aujourd’hui comme un peu mise en veille.</p>
<p>Dire que tout ne s’explique pas par des baisses de productivité des salariés n’est pas chose anodine. Si les salariés étaient véritablement moins productifs, il faudrait que les salaires réels baissent d’autant pour que le partage de la valeur ajoutée entre travail et capital reste stable. Et donc que les salaires nominaux (ceux affichés sur la feuille de paie), augmentent bien moins vite que l’inflation. Autrement dit, on pourrait justifier des salaires qui augmentent moins vite que l’inflation par une efficacité au travail individuelle plus faible ; or, les pertes apparentes de productivité semblent majoritairement liées à d’autres éléments.</p>
<h2>Un rattrapage de la productivité attendu</h2>
<p>Ces quatre effets que nous mentionnons ne devraient en toute logique pas durer et la productivité va ainsi repartir à la hausse.</p>
<p>Les prêts garantis par l’État sont petit à petit en train d’être remboursés alors que l’échéance avait plusieurs fois été repoussée jusqu’à septembre 2022. Aujourd’hui, seulement 27 % des 143 milliards empruntés ont été remboursés. Les défaillances, les pertes d’emplois et par la même la productivité moyenne augmentent parallèlement aux remboursements.</p>
<p>L’effet lié à l’apprentissage lui aussi n’est vraisemblablement que transitoire. L’objectif gouvernemental est d’atteindre le million d’apprentis mais il ne semble pas tenable dans la mesure où une génération n’est composée que de 800 000 individus. Aujourd’hui, la hausse du nombre de contrats de ce type concerne plusieurs générations, mais à terme, il ne pourra logiquement pas dépasser le nombre d’individus d’une seule. Pour partie, de surcroît, la dynamique actuelle est liée à une prime exceptionnelle versée aux employeurs qui, comme son nom l’indique, n’est pas pérenne.</p>
<p>Il est plus délicat d’inférer ce qu’il adviendra de la durée du travail. Néanmoins, les dernières données montrent qu’elle se rapproche de son niveau d’avant crise. Les salaires, enfin, commencent aujourd’hui à augmenter légèrement plus vite que les prix.</p>
<h2>Hausse de la productivité, hausse du chômage ?</h2>
<p>Si la productivité est ainsi amenée à rattraper le cours qu’elle avait avant crise, alors sans doute que le <a href="https://theconversation.com/topics/chomage-20137">chômage</a> lui aussi devrait repartir à la hausse. C’est en tout cas l’<a href="https://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/pbrief/2023/OFCEpbrief121.pdf#page=16">estimation</a> que fait l’Observatoire français de la conjoncture économique (OFCE). Mesuré à 7,2 % à la fin du deuxième trimestre 2023, le taux de chômage est estimé à 7,4 % pour la fin de l’année et 7,9 % pour la fin 2024.</p>
<p>Deux différences majeures existent ici avec les projections du gouvernement. Les perspectives de croissance en 2024 sont estimées à 1,4 % par ce dernier quand nous les envisageons plutôt à 0,8 %. Surtout, nous estimons, contrairement à Bercy, qu’une partie de la productivité perdue va être rattrapée car les pertes ne sont pas structurelles. Peu de croissance avec des gains de productivité conduit mathématiquement à des destructions d’emplois.</p>
<p><iframe id="wCAq9" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/wCAq9/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Pour anticiper le taux de chômage, il faut de plus formuler des hypothèses sur la population active. Nous avons, dans nos calculs, utilisé les projections de l’Insee, critiquées par la direction générale du Trésor (une croissance moindre de la population active est envisagée par cette dernière). Elles intègrent notamment les premiers effets de la réforme des retraites. Les <a href="https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2023-08/RETRAITES23MAJ2928.pdf">modèles de simulation</a> suggèrent que 80 % des actifs supplémentaires seront en emploi et 20 % au chômage. Nous expliquons ici 0,1 point de taux de chômage en plus. La hausse anticipée du chômage est ainsi majoritairement liée aux destructions d’emplois et aux rattrapages en matière de productivité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217123/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Éric Heyer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La baisse observée de la productivité du travail s’explique par d’autres facteurs qu’une efficacité moindre des salariés. Ces causes s’estompant, des destructions d’emplois sont à anticiper.Éric Heyer, Directeur à l'OFCE, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2147992023-10-18T17:03:33Z2023-10-18T17:03:33ZProches aidants: comment rebondir professionnellement et socialement<p>Il y a un peu plus d’un an que le projet de loi plein emploi a été présenté en conseil des ministres le 7 septembre 2022 par Olivier Dussopt, ministre du Travail et par Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, de l’Autonomie et des Personnes handicapées.</p>
<p><a href="https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2018/06/rapport_gillot_-_tome2-_preserver_nos_aidants-_une_responsabilite_nationale.pdf">Ce projet</a> vise à autoriser « les proches aidants à faire valoir les compétences acquises dans la prise en charge de la dépendance ou de la fin de vie d’un membre de la famille », et prévoit également « la comptabilisation des périodes de mise en situation en milieu professionnel au titre de la durée minimale d’expérience requise pour prétendre à la VAE ». Ce type de déclarations publiques et politiques régulières depuis le Covid montrent qu’il y a un vrai engouement pour les questions de l’aidance en France.</p>
<p>Ainsi, en 2019, après le premier confinement à la suite du Covid, le président de la République évoque les aidants dans son discours du 25 avril 2019 :</p>
<blockquote>
<p>« Nous devons d’abord les [aidants] reconnaître, les nommer, mais aussi dans nos politiques publiques, leur bâtir une place dans notre réforme des retraites, leur construite des droits. »</p>
</blockquote>
<p>Puis, en 2020 le même déclarait sur Twitter (6 octobre 2020)</p>
<blockquote>
<p>« Il est souvent difficile pour les aidants de concilier vie personnelle et professionnelle, de souffler, de trouver un moment de répit, de penser à soi. Chacun a un rôle à jouer pour les soutenir, pour les soulager, pour alléger leur quotidien. La solidarité est à portée de tous. »</p>
</blockquote>
<p>En 2021, la <a href="https://www.lagazettedescommunes.com/765490/jean-castex-annonce-des-investissements-dans-les-ehpad-et-laide-a-domicile/">déclaration d’intention du premier ministre Jean Castex</a>, accompagné d’Olivier Véran alors ministre de la Santé et de Brigitte Bourguignon, ministre déléguée à l’Autonomie, souhaitaient renforcer le financement de l’aide à domicile et en institution, avec l’engagement de recrutement de 10 000 soignants supplémentaires d’ici 2025.</p>
<p>Concrètement, ces déclarations conduisent à la Loi n°2019-485 visant à favoriser la reconnaissance des proches aidants, au Décret n° 2022-88 du 28 janvier 2022 relatif à l’allocation journalière du proche aidant et à l’allocation journalière de présence parentale et, depuis la rentrée universitaire 2023, la revalorisation de quatre points de bourses pour les étudiants présentant un handicap et à ceux qui aident un <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A16754">parent en situation de handicap</a>.</p>
<h2>L’aidance : vers des compétences indiscutables…</h2>
<p>À partir des données recueillies dans le cadre d’un projet de recherche qui vise à faire ressortir le vécu des aidants de malades d’Alzheimer au travers d’entretiens réguliers, on constate que les aidants mobilisent quotidiennement de nombreuses compétences en termes de démarches administratives, de soins et nursing, de vigilance, de soutien psychologique, de communication, d’activité domestiques et d’aménagement du domicile.</p>
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<iframe src="https://player.vimeo.com/video/671328529" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Entretiens réalisés en 2021.</span></figcaption>
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<p>Anatolie [aidante de son père] : « Alors on a demandé aux infirmiers, pour être plus indépendants et pour pouvoir aller se promener avec papa sans se soucier de l’heure de leur passage.., alors on met un bocal dans la boîte aux lettres un petit post-it hop « Merci de mettre les médicaments dans le bocal parce que nous sommes absents » et voilà ça marche comme ça, et ça a changé notre organisation du week-end. »</p>
<p>Valérie [aidante de sa mère] : « Ma mère sortait la nuit alors on la suivait sur son téléphone et à la fin on a mis un détecteur d’ouverture de porte qui nous envoyait des alertes sur nos téléphones et donc les derniers mois je me rappelle à la fin on se relayait avec mes sœurs pour assurer une sorte de permanence la nuit parce il fallait prendre la voiture à trois ou quatre heures du matin pour aller chez elle et le pire c’est qu’elle ouvrait la porte mais elle sortait pas et ça du coup on était bien embêtées parce qu’on s’était déplacée et on a fini, contre vraiment notre volonté, par laisser allumée la webcam de l’ordinateur et comme l’appartement était assez petit, on pouvait voir ce qu’elle faisait. »</p>
</blockquote>
<h2>Des compétences peu (ou pas) valorisées</h2>
<p>Une étude menée en 2023 sur des <a href="https://hal.science/hal-03893834v1/document">profils LinkedIn</a> mentionnant une expérience d’aidance montre que cette dernière est loin d’être une expérience d’emploi comme les autres car elle n’a pas son équivalent en prestige et en revenu, elle est d’ailleurs souvent reléguée au second plan à la rubrique « expérience » et bénévolat et lorsqu’elle est mentionnée dans la rubrique « expérience professionnelle », elle n’est pas autant mise en avant que pourrait l’être une expérience dans le secteur privé.</p>
<p>Dans les profils où cette expérience est mise en avant, c’est pour valoriser le versant humaniste et de <em>care</em> de l’aidant (prise en charge, soin, empathie…) via le recours à l’énumération de savoir-faire et de savoir-être. D’ailleurs, cette expérience <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2022-4.htm">modifie et réoriente</a> parfois les trajectoires professionnelles dans le secteur de la prise en charge ou du soin porté aux autres dans le milieu associatif notamment. Cette expérience, si marquante pour certains, rend parfois difficile d’imaginer de devenir aidant pour autrui après le décès du proche.</p>
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<p>Arthur [aidant de sa grand-mère] : « Ben c’est un truc que j’ai pu faire parce que c’était ma famille parce que ben j’ai pu aider ma famille mais j’en ferais pas mon métier […] je pense qu’il faut avoir quand même du recul, de la maîtrise un minimum de soi parce que ça peut être énervant d’être face à du non-sens […] je pense pas que j’aurais été aussi patient et aussi compréhensif si elle n’avait pas été de ma famille, c’est ça que je veux dire, et j’aurais pas été méchant mais j’aurais pas pu faire la même chose parce qu’il me manquerait une certaine perméabilité, surtout que je suis un hypersensible donc euh ça aide pas les choses. »</p>
<p>Cécile [aidante de sa mère] et reconnue en qualité de travailleuse handicapée (RQTH) : « Pour moi c’est un plaisir [d’aider les autres], ça m’apporte, ça me nourrit, c’est comme les livres […] j’avais eu le projet d’aller vers Jalmalv – fédération <a href="https://www.jalmalv-federation.fr/">« Jusqu’à la mort accompagner la vie »</a> association reconnue d’utilité publique – et j’y suis toujours adhérente, et j’avais entamé une formation initiale qui était celle d’accompagnante et en fait, ma santé s’est dégradée et je m’demande si ça m’a pas rendu service parce que je me suis aperçue que tout compte fait, j’étais incapable de reproduire cela pour quelqu’un d’autre. »</p>
</blockquote>
<h2>Vers une reconnaissance des compétences acquises (VAE) de l’aidant</h2>
<p>Cette expérience, si marquante pour d’autres, conditionne des trajectoires de vie et après le décès du proche, l’aidant peut poursuivre son chemin vers l’aide à la personne en voulant faire reconnaître ses compétences par un parcours de VAE qui permet de valider les acquis de son expérience tout au long de sa vie pour favoriser son insertion ou son évolution professionnelle.</p>
<p>Aux côtés de l’enseignement scolaire et de la formation professionnelle continue, elle constitue un levier d’accès à la certification accessible à tous, sans condition d’âge, de nationalité, de statut, de niveau de formation ou de qualification. Bien qu’elle ne soit pas une formation à proprement parler, la VAE relève du champ de la formation professionnelle continue au même titre que les bilans de compétences.</p>
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<p>Pauline [aidante de sa mère jeune atteinte de la maladie d’Alzheimer] : « Ma mère avait 50 ans et une maison de retraite pour son âge, c’était pas du tout adapté, ça c’était sûr, et puis un pôle Alzheimer ou quelque chose comme ça enfin, il y avait pas là où on habitait, donc je l’ai gardée à la maison pendant 5 ans. […] et puis j’avais plaqué mon travail parce qu’il me plaisait pas pour m’occuper de ma mère et quand elle est morte, j’étais essoufflée, épuisée. Et puis il a bien fallu que je me remette à bosser et c’est là que ça s’corse. J’ai galéré, vous pouvez pas imaginer ! J’aurais bien voulu reprendre des études mais c’était compliqué, j’me voyais pas avec des jeunes de 20 ans. Et puis ben pour bosser dans le privé, j’avais un trou de cinq ans dans le cv donc vous passez pour une grosse fainéante. Donc j’me suis dit pourquoi pas devenir famille d’accueil. »</p>
</blockquote>
<p>Au regard des nombreuses compétences acquises au cours d’une expérience d’aidance et de la très forte tension dans le recrutement dans les métiers en relation à l’aide à la personne (aide à domicile, aide-soignant…), on peut espérer que le politique s’appuie sur ces deux constats pour mettre en place un dispositif qui valoriserait celles et ceux qui s’épanouissent dans l’accompagnement et/ou qui offrirait des possibilités de reconversion professionnelle, à celles ou ceux qui sont peu ou pas diplômés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214799/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Pugniere-Saavedra a reçu des financements de l'Iresp,(Inserm).</span></em></p>Les personnes accompagnant et aidant leurs proches face à des difficultés de santé pourraient faire requalifier leur expérience en compétences professionnelles.Frédéric Pugniere-Saavedra, Maître de conférences en sciences du langage, Université Bretagne SudLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2129222023-09-24T15:32:40Z2023-09-24T15:32:40ZLe pays le plus peuplé du monde peut-il fournir des emplois à sa jeunesse ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/548687/original/file-20230917-36057-kzuxov.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5356%2C3551&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mumbai, août 2017. Les Indiens migrent en grand nombre des campagnes aux villes, et dernièrement des villes aux campagnes, dans l’espoir de trouver un emploi.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/mumbai-india-august-8-2017-falling-1107077855">Emmanuel Nalli/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Depuis quelques mois, l’Inde est officiellement devenue le <a href="https://geoconfluences.ens-lyon.fr/actualites/veille/breves/inde-pays-le-plus-peuple">pays le plus peuplé du monde</a>, comptant 1,4 milliard d’habitants. Alors qu’elle a longtemps été considérée comme un pays pauvre, son économie surpasse désormais celle de son ancienne puissance coloniale, le Royaume-Uni, et se classe au cinquième rang mondial, tandis que son taux de croissance est <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/inde-le-pib-a-progresse-de-7-2-en-2022-23-20230531">l’un des plus élevés au monde</a>.</p>
<p>Ces indicateurs peuvent faire oublier les fragilités structurelles de l’économie indienne, au premier rang desquelles l’emploi et la pauvreté. <a href="https://pip.worldbank.org/country-profiles/IND">45 % de sa population vit avec moins de 3,65 dollars par jour</a>, et elle ne se place qu’au <a href="https://www.imf.org/external/datamapper/PPPPC@WEO/IND?zoom=IND&highlight=IND">127ᵉ rang mondial en termes de PIB par habitant</a>. Les taux de croissance spectaculaires de l’économie indienne au cours des vingt dernières années n’auront permis qu’une amélioration modeste des conditions de vie d’une vaste majorité d’Indiens. L’emploi est le principal canal de transmission de la croissance économique vers l’amélioration des conditions de vie ; or il est devenu un sujet majeur d’inquiétude.</p>
<h2>Une croissance sans emploi ?</h2>
<p>Une expansion économique qui ne créerait pas d’emplois ne saurait induire du développement humain. Et en Inde, l’élasticité emploi de la croissance, c’est-à-dire la variation en pourcentage du nombre d’emplois pour 1 % de croissance, n’a cessé de baisser depuis les années 1970. Elle était de 0,44 au début des années 2000, ce qui signifie que moins d’un demi-emploi est créé pour chaque point de croissance, et a continuellement décliné depuis, jusqu’à devenir négative en 2014 : la croissance détruisait alors des emplois.</p>
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<p>La croissance était alors qualifiée de « sans emploi » ou <a href="https://www.almendron.com/tribuna/wp-content/uploads/2013/03/Joblessness_Informalization_in_India.pdf">« jobless growth »</a>. Elle s’établit depuis aux alentours de 0,01. Cela signifie qu’un taux de croissance de 7,2 %, (celui enregistré sur l’année fiscale 2022-2023) permettrait de créer <a href="https://www.cmie.com/kommon/bin/sr.php?kall=warticle&dt=20220425122826&msec=57">6 millions d’emplois</a>, tandis que la population active croît de 10 millions d’individus par an, et alors que seuls 4 Indiens sur 10 en âge de travailler cherchent ou ont un emploi.</p>
<p>Cette fin de transition démographique et cet accroissement associé de la population active soulignent l’acuité de la question de l’emploi.</p>
<h2>L’emploi repose avant tout sur le secteur manufacturier</h2>
<p>La piètre capacité de la croissance indienne à créer des emplois trouve son origine d’une part dans le développement bridé du secteur manufacturier, et d’autre part dans l’essor précoce du secteur des services.</p>
<p>Au cours des années 1970, l’introduction conjuguée de deux législations a entravé la croissance des unités de production et leur capacité à bénéficier d’économies d’échelle.</p>
<p>Premièrement, les <a href="https://www.ilo.org/dyn/natlex/natlex4.detail?p_lang=fr&p_isn=5215">amendements de l’« Industrial Disputes Act »</a> en 1976 et 1984, ont introduit des rigidités sur le marché du travail, incitant les entreprises à recourir au travail informel, par ailleurs moins onéreux. Le coût moyen du travail baissant, les industries ont préféré utiliser ce facteur aux dépens du capital. L’intensité capitalistique du secteur était donc relativement faible, de même que la productivité du travail.</p>
<p>D’autre part, une réglementation a été introduite au cours des années 1970 et 1980 pour réserver la production de certains biens à de petites unités, ce qui a entravé l’accroissement de la taille des unités de production.</p>
<p>La conjugaison de ces deux phénomènes – salaires bas et protection des petites unités de production – a découragé le recours au capital et limité la capacité de ces industries à bénéficier d’économies d’échelle. L’emploi dans le secteur manufacturier était alors relativement abondant, mais la productivité du travail y était faible.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/JUC8op0uwDQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Au moment où, dans les années 1990 et au début des années 2000, l’Inde s’est lancée, en partie sous l’égide du FMI, <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2006-3-page-189.htmInternational">dans l’ouverture et la libéralisation de son économie</a>, les mesures de protection de ces petites industries ont été retirées. Ces dernières se sont alors trouvées confrontées non seulement à la concurrence interne mais également à celle des importations.</p>
<p>Elles ont cherché à accroître leur taille, en privilégiant le recours au capital au détriment du travail. La croissance du secteur manufacturier qui s’en est suivie s’est appuyée sur une hausse de la productivité du travail, tandis que son contenu en emplois a été faible. Ainsi, entre 2011 et 2018, le secteur manufacturier a connu un taux de croissance moyen de 5,8 %, <a href="https://data.worldbank.org/indicator/NV.IND.MANF.KD.ZG?end=2019&locations=IN&start=2011">tout en détruisant 3 millions d’emplois</a>. </p>
<h2>Un transfert intersectoriel de la main-d’œuvre trop lent</h2>
<p>La croissance de l’emploi dans le secteur manufacturier est essentielle pour l’amélioration du niveau de vie d’une grande partie de la population indienne, grâce au transfert intersectoriel de main-d’œuvre. Étant donné que 44 % de la population active est employée dans le secteur primaire – qui, par ailleurs, ne contribue qu’à 17 % du PIB – la productivité et donc la rémunération du travail agricoles sont faibles. Cette surabondance de main-d’œuvre peut en partie s’expliquer par le rôle d’assurance que joue le secteur agricole en Inde. L’emploi étant aux deux tiers informel, les travailleurs ne bénéficient d’aucun filet de sécurité, si ce n’est le travail sur la terre.</p>
<p>Ainsi, malgré une baisse tendancielle depuis trente ans de la part de la main-d’œuvre dans l’agriculture, celle-ci a à nouveau augmenté à partir de 2020 et suite aux mesures de confinement liées à l’épidémie de Covid-19. De nombreux Indiens, privés de moyens de subsistance, sont retournés dans leur village pour travailler dans les exploitations agricoles familiales. Un transfert de main-d’œuvre de l’agriculture vers l’industrie permettrait d’augmenter la productivité et donc les revenus agricoles, tandis que les rémunérations dans l’industrie sont en moyenne plus élevées.</p>
<p>De plus, compte tenu du niveau moyen de qualification de la main-d’œuvre indienne, un tiers de la population active n’a pas reçu d’instruction élémentaire. L’emploi manufacturier semble le plus à même d’absorber ces travailleurs. L’amélioration du niveau de vie de près d’un Indien sur deux dépend de ce transfert de main-d’œuvre, et donc de la création d’emplois dans l’industrie, création bien faible sur la période récente.</p>
<h2>La faible contribution du secteur des services</h2>
<p>Le secteur des services aurait également pu permettre la création d’emplois, si sa croissance n’avait pas reposé depuis les années 1980 sur des secteurs de niche extrêmement productifs requérant un niveau élevé de qualifications, tels que les services financiers, de communication ou aux entreprises. La part de ce sous-secteur dans la valeur ajoutée et l’emploi dans les services était, en 1983, respectivement de 9 % et 5 %. En 2012, il représentait 30 % de la valeur ajoutée dans les services mais n’employait que 10 % de la main-d’œuvre du secteur.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1701131135097733325"}"></div></p>
<p>L’expansion du secteur n’a pas conduit à une création massive d’emplois. Dans de nombreux pays comparables, les parts du secteur des services dans le PIB total et dans l’emploi sont équivalentes. En Inde, le secteur des services contribue aujourd’hui à 48 % de la création de valeur ajoutée, mais <a href="https://data.worldbank.org/indicator/NV.SRV.TOTL.ZS?locations=IN">n’emploie que 31 % de la main-d’œuvre</a>.</p>
<p>Non seulement la source de la croissance dans les services ne permet pas une création massive d’emplois, mais encore ces emplois requièrent un niveau élevé de qualification, que peu de travailleurs indiens possèdent. Nous l’avons dit : 78 % de la population active <a href="https://data.oecd.org/eduatt/adult-education-level.htm">n’a pas dépassé le niveau secondaire</a>.</p>
<h2>L’emploi : l’enjeu central de l’avenir économique de l’Inde</h2>
<p>La création d’emplois dans l’industrie est un enjeu crucial pour l’économie indienne afin d’absorber les nombreux nouveaux entrants sur le marché du travail, de permettre le transfert de la main-d’œuvre de l’agriculture vers d’autres secteurs et donc l’amélioration des conditions de vie, et de rendre la croissance soutenable en favorisant la demande intérieure, l’économie indienne étant peu tournée, pour l’instant, vers les exportations.</p>
<p>L’importance du développement du secteur manufacturier a été reconnue par le gouvernement au travers de la mise en place de plans visant à stimuler cette industrie tels que <a href="https://www.makeinindia.com/">« Make in India »</a> ou encore le volet industriel du programme <a href="https://www.investindia.gov.in/fr-fr/atmanirbhar-bharat-abhiyaan">« Atmanirbhar Bharat »</a> ou Inde autonome, ainsi que l’assouplissement du droit du travail.</p>
<p>Entre 2020 et 2022, le secteur manufacturier a, à nouveau créé huit millions de nouveaux emplois. Bien que ces chiffres soient encourageants, ils ne sont, pour l’instant, pas à la mesure du défi, compte tenu de l’entrée massive d’actifs sur le marché du travail. L’emploi est un enjeu central de l’expansion économique et de la stabilité politique de l’Inde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212922/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Bros ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Inde connaît une rapide croissance économique, mais peine à créer des emplois en nombre suffisant pour les millions de jeunes actifs qui arrivent chaque année sur le marché du travail.Catherine Bros, Professeur des universités en économie, Université de Tours - LEO, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2122062023-09-12T21:51:23Z2023-09-12T21:51:23ZQuand devenir enseignant, c’est accepter un déclassement social<p>Peut-on encore rêver de devenir enseignant en 2023 ? Alors que les <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/infographies-rentree-scolaire-dans-quelles-disciplines-et-academies-manque-t-il-le-plus-d-enseignants_5974619.html">pénuries de candidats dans le second degré</a> sont un refrain de la rentrée depuis plusieurs années, le primaire, sauf en région parisienne, semble moins touché. Les masters de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (<a href="https://www.devenirenseignant.gouv.fr/apres-une-licence-3-le-master-meef-217">MEEF</a>) remplissent leurs filières et, au-delà de jeunes ayant toujours rêvé de devenir professeur des écoles, accueillent aussi des <a href="https://journals.openedition.org/rechercheformation/4977">professionnels en reconversion</a>.</p>
<p>Parfois même deviennent <a href="https://theconversation.com/fr/topics/enseignants-24310">enseignants</a>, après avoir occupé un autre emploi, des personnes ayant connu des emplois bien plus rémunérateurs, comme le montrent les travaux de la recherche sur les <a href="https://calenda.org/996040?lang=pt">carrières atypiques</a>. Devenir enseignant peut revenir dans certains cas à accepter un <a href="https://shs.hal.science/halshs-03928177">déclassement social</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/nouveaux-profs-ces-enseignants-qui-viennent-du-monde-de-lentreprise-189190">Nouveaux profs : ces enseignants qui viennent du monde de l’entreprise</a>
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<p>Arrêtons-nous sur les choix de ces enseignants qui arrivent tardivement dans le métier. Quelles sont les conditions qui les permettent ? Comment ces enseignants reconvertis qui occupaient des postes à responsabilité vivent-ils leur nouvelle condition professionnelle ? À travers ces questions, il s’agit également d’éclairer certaines modalités de l’engagement dans l’Éducation nationale.</p>
<h2>Le sentiment de « passer à côté » de sa vie</h2>
<p>Prenons le cas de Romain, qui illustre bien la situation de ces très bons élèves dont l’orientation n’a pas été vraiment réfléchie : « On me disait que je pourrais faire une prépa, puis une école. […] L’idée, c’était qu’ingénieur, c’était mieux que prof. Et, de fait, c’était mieux payé ». Arrivé à un poste de directeur commercial dans une entreprise de produits pétrochimiques, il perçoit un « salaire fantastique ». « Mais je me disais : “À part le salaire, est-ce que j’ai toujours envie de rester là ?”, raconte-t-il ».</p>
<p>Même discours du côté de Ludovic, devenu enseignant après 15 ans comme directeur dans une entreprise pharmaceutique :</p>
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<p>« Je réussissais bien à l’école, j’avais un profil plutôt scientifique, j’ai fait des classes prépas, puis une école d’ingénieur. C’était quelque chose d’assez logique, je me suis jamais posé le temps de ce que vraiment j’avais envie de faire. »</p>
</blockquote>
<p>L’un comme l’autre a été rattrapé par le sentiment de « passer à côté de leur vie », comme nous le dira Ludovic et c’est après avoir fait leurs preuves dans un premier métier que l’enseignement est apparu comme une reconversion possible. Tentés par cette voie pendant leurs études, ils ne s’étaient pas autorisés à y aller, trouvant ce métier trop peu valorisé et rémunéré.</p>
<p>Aujourd’hui enseignante en CM2 dans une école en REP, après 18 ans comme contrôleuse technique dans le bâtiment, où elle dirigeait une équipe de cinq hommes, Christelle reconnaît que l’enseignement « était déjà une option » quand elle était jeune, mais que ses parents et profs lui avaient dit de « ne pas s’arrêter à ça ».</p>
<p>Ainsi, chez tous nos enquêtés, le métier d’enseignant n’apparait pas comme une voie d’orientation suffisamment légitime en sortant du lycée, parce qu’ils sont très bons élèves, soit qu’ils se sentent ainsi investis familialement de la charge de réaliser des études universitaires lorsqu’ils sont le ou la seule de la fratrie à faire des études supérieures, soit qu’ils s’inscrivent dans une fratrie où faire des études est la norme.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/declassement-manque-de-reconnaissance-ces-enseignants-qui-veulent-changer-de-metier-176293">Déclassement, manque de reconnaissance… ces enseignants qui veulent changer de métier</a>
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<p>Mais, au moment de faire les comptes de leur engagement dans leur premier métier, la condition enseignante est réévaluée au regard des contraintes ressenties jusqu’alors. Myriam évoque la volonté de rompre avec « la course éperdue au chiffre d’affaires » : « j’ai bossé en tant qu’ingénieure pendant 20 ans et puis au bout d’un moment, l’aspect humain de ma personnalité est venu me rappeler que c’était sympa de faire des calculs et des choses techniques mais que j’avais besoin de trouver une relation à l’autre, d’échanger des choses ».</p>
<h2>Perte de salaire mais niveau d’études reconnu</h2>
<p>Chez nos enquêtés, l’une des conditions de possibilité à l’engagement dans une carrière enseignante est le fait d’avoir préalablement réussi professionnellement dans une première carrière, d’avoir en quelque sorte déjà fait leurs preuves. Bénédicte l’affirme assez explicitement :</p>
<blockquote>
<p>« Quelque part, je suis contente d’avoir pu avoir dire qu’un jour, j’ai gagné mieux ma vie que mon compagnon. C’est quelque chose qui était important pour moi, et je pense que si j’avais pas vécu ça, j’aurais pas pu faire ce choix de devenir enseignante, ça m’aurait manqué en tant que femme, de prouver que je vaux mieux qu’un homme, enfin en tant que valeur monétaire salariale ! »</p>
</blockquote>
<p>Fabrice, ingénieur biomédical dans une grosse entreprise avant sa reconversion, assume : </p>
<blockquote>
<p>« Grosso modo, j’avais plus rien à prouver dans mon domaine et je voulais un boulot qui me permette de concilier la vie professionnelle et vie familiale – c’est ça la vraie raison. »</p>
</blockquote>
<p>Si cette reconversion est le résultat d’une quête de sens et de valeurs, ce métier offre aussi un certain nombre de caractéristiques soutenant la reconversion. La perte de salaire peut être justifiée pour soi, mais aussi revendiquée pour les autres au nom de valeurs décroissantes à l’instar de Romain, qui revendique « des convictions par rapport à l’écologie, l’environnement et même la décroissance. A quoi ça sert d’avoir une voiture à 50 000 euros si j’ai une voiture à 3 000 euros qui fait parfaitement l’affaire ? », remarque-t-il.</p>
<p>Devenir enseignant revient certes à diviser son salaire par deux ou trois mais ne conduit pas à perdre son niveau d’études. Comme l’explique Romain, « ce qui a facilité cette reconversion, je pense, c’est aussi qu’il faut bac +5 pour être professeur d’école ». Même s’il gagne moins qu’en tant qu’ingénieur, son bac +5 reste reconnu ». Notons que les <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/09/01/emmanuel-macron-veut-une-formation-des-l-apres-bac-pour-les-enseignants_6187438_3224.html">récentes déclarations du président Macron</a> voulant des concours enseignants recrutant à bac+3 vont à rebours des motivations affichées ici.</p>
<p>Pour autant, les récits de nos enquêtés montrent que leur reconversion ne va pas de soi pour leur entourage. « C’était inimaginable, c’était une folie » : c’est en ces termes que Romain décrit la réception par ses collègues de l’annonce de sa reconversion. Cette « folie » a trait notamment à la pente volontairement descendante de sa carrière, « alors même que du côté des patrons, tous les voyants étaient verts » puisqu’ils voulaient lui proposer de prendre en charge un nouveau secteur géographique en plus de ceux déjà gérés.</p>
<h2>Justifier sa reconversion auprès de son entourage</h2>
<p>Pour réhabiliter leur choix de ce métier, ces enseignants doivent démontrer qu’ils n’y viennent pas pour de mauvaises raisons. Il leur faut justifier un choix qui apparait comme improbable et, en conséquence, relativement incompris voire perçu avec méfiance. Comme l’explique Christelle : « j’ai divisé mon salaire par trois à peu près. Il y a une forme d’incompréhension : pourquoi est-ce qu’elle est venue ? Qu’est-ce qu’elle vient chercher dans l’éducation ? Pour qui elle se prend ? » Nombreux sont nos enquêtés à avoir rapporté de telles remises en question.</p>
<p>Une première parade consiste à romancer sa vocation pour l’enseignement. La faire remonter à l’enfance, mettre en scène les expériences de formation accumulées pendant ses études, voire même au sein de son premier métier. Manière de justifier qu’on vient à l’enseignement avec un peu d’expérience et surtout une solide appétence.</p>
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<p>Nos enquêtés n’hésitent pas également à valoriser toutes leurs autres expériences professionnelles comme des outils au service de leur pédagogie. Sabine a « dû remettre les pendules à l’heure » de sa propre mère qui avait « un peu de mal à digérer car elle m’avait payé des études à Paris, et je fais complètement autre chose… je lui ai dit que ce que j’avais appris n’était pas perdu, que je l’utilisais tous les jours et ne serais pas la même enseignante si je n’avais pas fait ce que j’ai fait comme études ! »</p>
<p>Nos enquêtés font de leur entrée tardive dans le métier une plus-value qui les distingue des autres enseignants. En promouvant leurs expériences tirées de l’entreprise en classe, nos enquêtés interrogent la définition du métier. Bénédicte a dit à ses filles de ne pas devenir professeurs des écoles à 22 ans » : « Vous devez aller voir ailleurs d’abord, ce n’est pas bon de ne jamais sortir de l’école ».</p>
<p>La valorisation des enseignants ayant eu d’autres expériences apparait comme un moyen de valoriser leur parcours de reconversion pour en faire un facteur de légitimité. Le fait d’être parent est aussi utilisé comme un faire-valoir. Ils aspirent ainsi à la reconnaissance qu’ils ne sont pas « partis de rien », comme le note Coralie : « Le fait d’avoir des expériences humaines différentes, c’est aussi une richesse par rapport aux relations avec des parents parfois » qui peut être revendiquée auprès des enfants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212206/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédérique Giraud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Certains professeurs des écoles se sont tournés vers l’enseignement après avoir exercé des responsabilités dans un autre secteur. Pourquoi ont-ils fait ce choix ? Comment vivent-ils leur métier ?Frédérique Giraud, Maîtresse de conférences en sociologie, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2054172023-09-03T14:18:17Z2023-09-03T14:18:17ZÉcologie, jeunes et diplômés des grandes écoles : le grand tournant, vraiment ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/525915/original/file-20230512-18344-4cs0n6.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C0%2C2118%2C1322&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lors de la remise des diplômes de l’école d’agronomie l’Ensat à Toulouse en juin 2022, de jeunes diplômés ont exprimé leur refus de contribuer à l’agro-industrie.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=lmgIpum4QOc">Bifurquer ne veut pas dire fuir - Remise des diplômes ENSAT (Juin 2022) / Capture d’écran YouTube</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Ces dernières années, les médias se sont largement fait l’écho des prises de position engagées des élèves des grandes écoles : ceux de Polytechnique qui refusaient récemment que <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/01/24/apres-totalenergies-lvmh-fait-volte-face-a-polytechnique-sur-le-plateau-de-saclay_6159076_3234.html">TotalEnergies et LVMH</a> deviennent mécènes de leur prestigieuse école, ou <a href="https://theconversation.com/reveil-ecologique-des-grandes-ecoles-ce-que-nous-ont-appris-les-discours-de-jeunes-diplomes-196263">ceux de Paris AgroTech</a> dénonçant en pleine cérémonie de remise des diplômes leur formation qui ne tiendrait pas assez compte de la crise écologique en cours.</p>
<p>Ces mobilisations de jeunes diplômés se traduisent par des initiatives telles que l’association « <a href="https://theconversation.com/climat-une-initiative-pour-former-les-futurs-employes-et-faire-pression-sur-les-entreprises-117329">Pour un réveil écologique</a> » qui réunit plus de 30 000 étudiants signataires exprimant ainsi leur « volonté de prendre leur avenir en main » en intégrant dans leur quotidien et leurs métiers les enjeux écologiques et en appelant au réveil la société ».</p>
<p>Tous ces signaux largement relayés seraient la traduction d’attentes fortes de la <a href="https://theconversation.com/face-a-lurgence-ecologique-comment-transformer-les-programmes-des-ecoles-et-universites-190090">nouvelle génération de diplômés</a> pour des entreprises toujours plus engagées en faveur de l’environnement.</p>
<p>Si le <em>story telling</em> est agréable à entendre, la perception qu’ont les médias de ce que les jeunes (et en particulier les jeunes diplômés) pensent, n’est peut-être pas tout à fait conforme à la réalité.</p>
<h2>La RSE en 26ᵉ position pour l’emploi</h2>
<p>L’entreprise Universum qui sonde chaque année en France plus de 31 000 étudiants de grandes écoles de commerce et d’ingénieur (niveau master 2, soit bac +5), <a href="https://universumglobal.com/fr/blog/les-enjeux-rse-meritent-mieux-que-des-idees-recues/">aboutit en effet</a> quasiment aux mêmes résultats sur les deux profils. En 2022, sur 40 critères étudiés, les premiers cités sont l’intérêt du poste et la perspective de revenus futurs élevés, l’ambiance, la possibilité d’avoir un travail ambitieux et un salaire de base compétitif.</p>
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<p>La politique de responsabilité sociale de l’entreprise apparaît, quant à elle, en 26<sup>e</sup> position parmi les critères pour l’ensemble des étudiants interrogés. Un résultat cependant variable selon le type d’études. Pour les futurs ingénieurs, ce sujet semble être une préoccupation relativement croissante passant de la 35<sup>e</sup> position à la 25<sup>e</sup> position entre 2020 et 2022. En revanche pour les étudiants en étude commerciale, il reste à la 31<sup>e</sup> position depuis 2020.</p>
<p>Autre surprise de cette étude Universum, le sujet de l’engagement de l’entreprise pour la diversité et l’inclusion est à la 38<sup>e</sup> position (sur 40 critères testés), quelle que soit la population sondée, étudiants d’écoles d’ingénieur ou de commerce.</p>
<p>Pire, <a href="https://universumglobal.com/fr/blog/index-rse-universum-2022-la-rse-est-elle-si-importante-pour-les-jeunes-en-recherche-demploi/">l’Index RSE Universum</a> réalisé en octobre 2022, montrait que 59 % des étudiants interrogés étaient prêts à travailler dans une entreprise non conforme à leurs valeurs, si le salaire était plus élevé (contre 27 % qui à l’inverse seraient prêts à refuser un emploi si celui-ci n’était pas conforme à leurs valeurs).</p>
<h2>Chez les jeunes en général, la rémunération reste en tête !</h2>
<p>En mars dernier, une enquête menée par l’institut Viavoice intitulée <a href="https://www.institut-viavoice.com/les-nouvelles-transitions-sociales-et-ecologiques-vues-par-les-francais-udes-aesio-mutuelle-upcoop-mars-2023/">« Les nouvelles transitions sociales et écologiques vues par les Français »</a> permettait de constater que l’aspect économique restait bien le critère numéro un chez les jeunes en général pour ce qui concerne l’emploi.</p>
<p>À la question « Que signifie pour vous un travail qui a du sens ? », la réponse « un travail qui a un impact positif sur l’environnement » arrivait en 6<sup>e</sup> position chez les 18-24 ans et en 11<sup>e</sup> position chez les 25-34 ans, derrière l’enjeu de la qualité de vie au travail ou de la rémunération.</p>
<p>Le salaire, suivi par l’intérêt pour le poste, reste de loin les deux éléments qui rendent un emploi attractif, tant auprès des 18-24 ans que des 25-34 ans.</p>
<h2>Attention aux bulles cognitives et biais de confirmation</h2>
<p>Mais alors d’où vient cette distorsion ? Depuis de nombreuses années, les sociologues américains se sont penchés sur les multiples biais cognitifs qui viennent modifier nos perceptions. <a href="https://impact.economist.com/projects/deliver-change/article/what-is-confirmation-bias-and-how-to-reduce-it/">L’un des plus fréquents est sans doute le biais de confirmation…</a></p>
<p>Quand nous prévoyons d’acquérir une voiture verte, nous ne voyons plus que des voitures vertes partout (cela confirme donc notre choix). Si je pense que cette jeune génération est particulièrement sensible aux enjeux RSE, voilà que je mets en avant les évènements qui vont dans ce sens ; et cela vient confirmer ma croyance – certains pourront arguer à l’inverse que j’ai sélectionné les études qui valident mon point de vue…</p>
<p>Les réseaux sociaux et les <a href="https://www.ted.com/talks/eli_pariser_beware_online_filter_bubbles?language=fr">bulles cognitives qu’ils créent</a> confirmeront cela auprès de journalistes qui achètent volontiers cette histoire sympathique – la jeune génération est engagée – mais pas tout à fait exacte. Certes certains jeunes sont engagés… mais est-ce généralisé ? Rien n’est moins sûr.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525903/original/file-20230512-17-nenfew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525903/original/file-20230512-17-nenfew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525903/original/file-20230512-17-nenfew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525903/original/file-20230512-17-nenfew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=291&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525903/original/file-20230512-17-nenfew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525903/original/file-20230512-17-nenfew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525903/original/file-20230512-17-nenfew.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=366&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Polytechnique : Voies/voix d’X face à l’urgence écologique et sociale.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.youtube.com/watch?v=0DkVf39KxSM">Capture d’écran/Youtube</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Ainsi, par exemple, le succès de marques de fast fashion telle que <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/05/05/a-paris-la-foule-se-presse-devant-shein-et-sa-boutique-ephemere-en-depit-des-controverses_6172248_3234.html">Shein</a> auprès des jeunes vient contredire de façon assez directe cette image d’Épinal.</p>
<h2>Des comportements qui nuancent les déclarations des jeunes</h2>
<p>Les sondages qui nous affirment que <a href="https://etudiant.lefigaro.fr/article/j-ai-le-sentiment-que-c-est-trop-tard-90-des-jeunes-sont-inquiets-a-l-egard-du-changement-climatique_9e0e03f8-6c01-11ed-81de-b79832c7425e/">90 % des jeunes sont inquiets à l’égard du réchauffement climatique</a> seraient-ils alors faux ? Bien sûr que non.</p>
<p>Mais tout dépend comment est posée la question… Demandez à quelqu’un, qu’il soit jeune ou non, si le réchauffement climatique l’inquiète : il y a fort à parier qu’il répondra par l’affirmative. Qui en effet oserait dire non ? Dès lors que cette interrogation est mise en balance avec d’autres critères (comme le salaire), l’enjeu devient en revanche moins prioritaire.</p>
<p>Prenons les voyages, par exemple. Une étude réalisée en mai dernier par Ipsos pour l’AFT (Alliance France Tourisme) intitulée <a href="https://www.alliance-france-tourisme.fr/posts/le-rapport-des-jeunes-francais-au-tourisme-dans-lere-post-Covid">« Les jeunes et le tourisme »</a> met en avant que le mode de transport privilégié des jeunes pour les vacances reste de loin la voiture (65 % des cas), suivi de l’avion (64 % des cas) et enfin du train (35 % des réponses).</p>
<p>Cette étude va même un peu plus loin dans l’analyse en interrogeant ces jeunes sur l’attention qu’ils portent à l’impact écologique de leur mode de transport. La réponse est sans appel : 53 % indiquent considérer toujours (17 %) ou souvent (36 %) ce paramètre, quitte à ce que le voyage dure plus longtemps. Mais lorsqu’il leur est proposé un billet d’avion gratuit pour un week-end dans une capitale européenne, ils sont 87 % à l’accepter (seuls 2 % assurent le refuser).</p>
<p>On est loin de l’image d’une génération soucieuse en permanence de son impact écologique, touchée par le phénomène du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Honte_de_prendre_l%27avion"><em>flygskam</em></a>, ou honte de prendre l’avion, à chaque voyage aérien.</p>
<h2>Sortir des perceptions pour la réalité : une nécessité</h2>
<p>Ce biais généralisé serait amusant s’il n’était pas économiquement et politiquement dangereux. Aveuglés par ces perceptions « évidentes » et ces « grandes tendances sociétales » qui sont pour la plupart largement moins partagées qu’annoncé, des décisionsmajeures sont en effet prises par les entreprises et l’État, qui parfois s’avèrent bien loin des préoccupations réelles des personnes auxquelles elles s’adressent.</p>
<p>Faut-il pour autant que les entreprises abandonnent toute politique RSE et engagement en faveur de l’environnement ? Évidemment non. Mais il est cependant essentiel de ne pas confondre les désirs des directeurs RSE ou de quelques jeunes très impliqués avec la réalité des attentes d’une génération sous peine d’engendrer une incompréhension croissante.</p>
<p>En effet, l’aboutissement de ce grand écart croissant entre réalité et perception peut s’avérer économiquement dramatique pour les entreprises. Ainsi, à l’heure où les grandes <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/emploi-plus-de-la-moitie-des-entreprises-ont-des-difficultes-a-recruter-958062.html">entreprises ont de plus en plus de mal à recruter</a>, il est urgent de répondre aux principales préoccupations de ces jeunes <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/07/pretendre-analyser-le-rapport-au-travail-au-prisme-de-l-age-ou-des-generations-est-tres-discutable_6164511_3232.html">plutôt qu’à celles qu’on leur attribue</a>, parfois à tort.</p>
<p>Les enjeux environnementaux et sociaux ne pourront être correctement traités que si les décisions politiques et économiques sont prises sur des faits et non des perceptions. Il en va de la légitimité du politique, de l’acceptation de la décision et, au final, du fondement de notre vie démocratique. Des points essentiels à l’heure où la <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Barometre%20de%20la%20confiance%20en%20politique%20-%20vague%2014%20-%20Fevrier%202023%20-%20vFR.pdf%20(1).pdf">défiance ne cesse de progresser en France</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205417/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Bloch est directeur responsabilité d’entreprise chez Thales.</span></em></p>L’idée que les jeunes tourneraient massivement le dos aux grandes entreprises polluantes et adopteraient des comportements vertueux n’est pas vraiment confirmée par certaines études.Emmanuel Bloch, Professeur associé en sciences de l’information et de la communication, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2109142023-08-13T13:07:41Z2023-08-13T13:07:41ZEt si vous profitiez de l’été pour réfléchir au sens de votre travail ?<p><em>Démissions en chaîne, refus des</em> bullshit jobs, <em>méfiance vis-à-vis des grandes entreprises, préférence pour le télétravail, réhabilitation des activités manuelles, réorientations en milieu de carrière : les questionnements sur le <a href="https://theconversation.com/topics/quete-de-sens-77720">sens</a> du <a href="https://theconversation.com/topics/travail-20134">travail</a> n’ont jamais été aussi nombreux. Ils font l’objet d’un <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/quand-le-travail-perd-son-sens">document d’études de la Dares</a>, ainsi que d’un essai intitulé</em> <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/redonner-du-sens-au-travail-thomas-coutrot/9782021503234">Redonner du sens au travail : une aspiration révolutionnaire</a>, <em>publié aux éditions du Seuil par Thomas Coutrot et Coralie Perez et dont nous vous proposons les <a href="https://theconversation.com/topics/bonnes-feuilles-77244">bonnes feuilles</a>.</em></p>
<hr>
<p>De nombreux aspects de la vie professionnelle peuvent contribuer à […] donner du sens [au travail] : un salaire suffisant pour vivre décemment, des perspectives de carrière, des liens sociaux et amicaux, de la reconnaissance, une harmonie entre temps professionnel et familial.</p>
<p>Les caissier·ères de la grande distribution, étudiées par la [sociologue et chercheuse associée à Harvard] Isabelle Ferreras, valorisent leur activité professionnelle en grande partie <a href="https://www.cairn.info/critique-politique-du-travail--9782724610123.htm">pour les liens sociaux</a> qu’elle leur permet de nouer en dehors de la sphère familiale. Les surveillant·e·s de prison ou les policier·ères « tiennent » <a href="https://journals.openedition.org/pistes/3077?lang=en">grâce à la reconnaissance et au soutien de leurs collègues</a>, bien qu’ils se sentent souvent « haïs par les détenus, méprisés par l’administration, mal aimés et peu considérés par l’opinion publique ».</p>
<p>Toutefois, si le salaire, la carrière, la convivialité ou la conciliation donnent du sens à quelque chose, ce n’est pas au travail, mais à l’emploi. L’emploi, c’est l’institution qui encadre l’exercice du travail, pas le travail lui‑même. Parler de « sens du travail » pour tous les aspects positifs attachés à l’occupation d’un emploi en ferait un concept attrape‑tout manquant d’intérêt.</p>
<p>Surtout, on passerait à côté de ce qui fait la spécificité du travail : une activité par laquelle la personne engage son corps et son esprit dans l’acte de produire, en mobilisant son savoir‑faire, sa dextérité, son intelligence, sa créativité, etc.</p>
<h2>« Jugement de beauté »</h2>
<p>Dans ce cadre, qu’est‑ce qui peut donner du sens à mon travail ?[…] On peut […] utilement distinguer [selon le psychiatre Christophe Dejours], <a href="https://www.multitudes.net/Cooperation-et-construction-de-l/">trois dimensions du sens du travail</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le sens par rapport à une finalité à atteindre dans le monde objectif ; le sens de ces activités par rapport à des valeurs dans le monde social ; le sens, enfin, par rapport à l’accomplissement de soi dans le monde subjectif ».</p>
</blockquote>
<p>Reprenons ces trois dimensions l’une après l’autre. La personne au travail ressent un « jugement d’utilité » quand elle voit que le produit concret de son travail permet de satisfaire les besoins de ses destinataires. Ce sentiment d’utilité sociale ne se confond pas avec la reconnaissance. Ainsi, beaucoup de salariés qu’on a pu qualifier d’« invisibles » (comme les assistantes maternelles, coiffeurs, aides à domicile, personnels de nettoyage) estiment faire un travail utile, tout en souffrant d’une faible reconnaissance symbolique et salariale.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/540796/original/file-20230802-17-78fvm6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/540796/original/file-20230802-17-78fvm6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/540796/original/file-20230802-17-78fvm6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/540796/original/file-20230802-17-78fvm6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/540796/original/file-20230802-17-78fvm6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=880&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/540796/original/file-20230802-17-78fvm6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/540796/original/file-20230802-17-78fvm6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/540796/original/file-20230802-17-78fvm6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1106&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
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</figure>
<p>Le sentiment d’utilité ne suffit pas : il doit être complété par la fierté du travail bien fait, la reconnaissance de la qualité du travail, le « jugement de beauté » porté par les collègues ou les supérieurs, qui connaissent le métier. Nous parlerons alors de « cohérence éthique ». Cette cohérence n’est jamais assurée à l’avance : de façon très générale, dans le rapport de subordination salariale, « les mobiles du salarié et le but de la tâche qui lui est assignée ne correspondent pas » [selon le l’enseignant-chercheur en médecine de santé et travail Philippe Davezies], les salarié·e·s ont une conception de ce qu’est un « travail bien fait » <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_travail_a_coeur-9782707164834">qui ne correspond jamais complètement</a> aux critères de qualité du travail définis par les managers.</p>
<p>Enfin, le travail doit transformer positivement la personne elle-même. Chaque épreuve rencontrée peut être l’occasion d’apprendre des choses nouvelles, de mettre en œuvre ses compétences et d’accroître son expérience. À condition que l’organisation du travaille permette, le déploiement du travail vivant est un facteur d’épanouissement.</p>
<h2>Bien plus qu’une question de rémunération</h2>
<p>Il y a deux manières de mesurer statistiquement le sens du travail. La première consiste à demander aux personnes si elles trouvent du sens à leur travail. En général, de 80 % à 90 % des gens répondent « oui » : la question est vague et il y a bien des raisons de trouver du sens à son travail, à commencer par la rémunération.</p>
<p>La deuxième façon s’appuie sur une théorie des raisons qui font qu’un travail peut avoir du sens. Selon notre cadre d’analyse, c’est se sentir utile aux autres, respecter ses valeurs éthiques et professionnelles, et développer ses capacités : telles seront donc les trois dimensions du sens du travail que nous allons analyser sur le plan statistique en mobilisant les <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/enquete-source/conditions-de-travail-2019">enquêtes Conditions de travail</a> de 2013 et 2016.</p>
<p>Le sentiment d’utilité sociale est décrit grâce à deux questions : « je fais quelque chose d’utile aux autres » et « Je suis fier(ère) de travailler dans cette entreprise (ou organisation) ». On peut supposer que la fierté revendiquée par les salariés repose sur la réputation dont bénéficie leur entreprise eu égard à la qualité de ses produits ou services.</p>
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<p>La cohérence éthique est appréhendée par trois questions : l’une en positif, « j’éprouve le sentiment du travail bien fait » ; deux en négatif, « je dois faire des choses que je désapprouve » et « je dois faire trop vite une opération qui demanderait davantage de soin ».</p>
<p>Quatre questions permettent d’évaluer la capacité de développement. Les deux premières portent directement sur ce sujet : « dans mon travail, j’ai l’occasion de développer mes compétences professionnelles » et « Je peux organiser mon travail de la manière qui me convient le mieux ». Les deux autres concernent le fait de (ne pas) « ressentir de l’ennui dans mon travail » et « la possibilité de faire des choses qui me plaisent ». […]</p>
<p>Globalement […], seule une minorité coche toutes les cases du sens : 1 % donnent la note maximale (« toujours ») et 32 % une note positive (« toujours » ou « souvent ») pour chacune des neuf questions évoquées. C’est ce que montre la figure ci‑dessous.</p>
<p><iframe id="FSsOa" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/FSsOa/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Si l’on attribue des notes allant de 0 pour une réponse très négative à 3 pour une réponse très positive, on peut construire trois sous‑scores en additionnant les notes de chaque question (2 pour l’utilité sociale, 3 pour la cohérence éthique et 4 pour la capacité de développement). Le score global de sens du travail s’obtient en additionnant les trois sous‑scores.</p>
<p>Par leurs variations, ces scores font apparaître des situations contrastées selon les caractéristiques des personnes et de leur environnement professionnel.</p>
<h2>Le palmarès du sens</h2>
<p>Ainsi, les ouvrier·ères de l’industrie (particulièrement des industries de process, de la mécanique et de la manutention) ainsi que les employé·e·s du commerce et de la vente, trouvent particulièrement peu de sens à leur travail en 2016 ; c’est aussi le cas des employé·e·s de la banque et des assurances, et des agent·e·s de gardiennage et de sécurité (figure 2). Autant de professions relativement peu qualifiées.</p>
<p><iframe id="OEjWZ" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/OEjWZ/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Le sens du travail serait‑il l’apanage du haut de la hiérarchie sociale ? En fait, c’est plus compliqué : les professions ayant les plus hauts scores de sens du travail sont les assistantes maternelles et, plus généralement, des professions du <a href="https://theconversation.com/manager-par-le-car%E2%80%A6"><em>care</em></a> (aides à domicile, agent·e·s d’entretien, médecins), auxquelles on peut adjoindre les enseignant·e·s, les formateur·trices et les professionnel·le·s de l’action sociale et de l’orientation.</p>
<p><iframe id="LsFx1" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/LsFx1/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Ainsi, les professions qui trouvent le plus de sens à leur travail présentent souvent la particularité, quel que soit le niveau de qualification, de placer leurs occupant·e·s en relation avec le public ou les client·e·s.</p>
<p>Cela est confirmé par une analyse écono‑ métrique permettant de raisonner « toutes choses égales par ailleurs » : le fait de travailler en contact avec le public accroît le sens du travail, en renforçant à la fois le sentiment d’utilité sociale et la capacité de développement, même si, en moyenne, cela favorise aussi les conflits éthiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210914/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Découvrez un extrait de l’essai « Redonner du sens au travail » (Éditions du Seuil) qui peut vous guider dans votre réflexion.Coralie Perez, Economiste, Ingénieure de recherche au Centre d'économie de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneThomas Coutrot, Chercheur associé à l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2104932023-08-01T16:19:43Z2023-08-01T16:19:43ZEmploi : pourquoi les politiques publiques à destination des quartiers prioritaires n’ont-elles pas fonctionné ?<p>En 2022, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) évaluait le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5414575">taux de pauvreté</a> des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/quartiers-101901">quartiers</a> dits « prioritaires » à 42,6 % (contre 14,8 % à l’échelle nationale) et le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/5414557">taux de chômage</a> à plus de 19,6 % pour les hommes et 16,5 % pour les femmes (contre respectivement environ 7,5 % et 7,1 % à l’échelle nationale). Face à ces inégalités économiques persistantes, de nombreuses mesures en faveur de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/emploi-20395">emploi</a> ont été mises en place, tels que les <a href="https://entreprendre.service-public.fr/vosdroits/F34547">« emplois francs »</a>, le <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/relance-activite/plan-1jeune-1solution/">plan « 1 jeune, 1 solution »</a> ou encore <a href="https://agence-cohesion-territoires.gouv.fr/cites-de-lemploi-571">« les Cités de l’emploi »</a>.</p>
<p>Or, dans <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/les-dispositifs-en-faveur-de-lemploi-des-habitants-des-quartiers-prioritaires-de-la">son rapport</a> faisant le bilan de ces dispositifs entre 2015 et 2021, la Cour des comptes dressait un constat sans appel :</p>
<blockquote>
<p>« Les dispositifs en faveur de l’emploi, tels qu’ils sont aujourd’hui conçus et déployés, ne sont pas en mesure de réduire les écarts entre les [quartiers prioritaires] et le reste de la population ».</p>
</blockquote>
<p>Comment expliquer cet échec durable des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/politiques-publiques-54327">politiques publiques</a> ?</p>
<h2>Des dispositifs inadéquats</h2>
<p>Selon la Cour des comptes :</p>
<blockquote>
<p>« Les spécificités des quartiers prioritaires de la politique de la ville et de leurs habitants sont insuffisamment prises en compte. »</p>
</blockquote>
<p>Contrairement aux idées reçues, la mobilité résidentielle et le trafic de stupéfiants ne suffisent pas à expliquer la précarité économique.</p>
<p><iframe id="aR1BA" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/aR1BA/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="TnHQO" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/TnHQO/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Plutôt, deux causes complémentaires semblent plus robustes et conduisent à un cercle vicieux : la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/pauvrete-21196">pauvreté</a> et le décrochage scolaire. Ce constat était déjà souligné par le Conseil d’analyse économique (CAE) dans une <a href="https://www.cae-eco.fr/Prevenir-la-pauvrete-par-l-emploi-l-education-et-la-mobilite">note rendue en avril 2017</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les enfants “héritent” en quelque sorte de la pauvreté de leurs parents : ils résident dans des zones défavorisées, ont davantage de difficultés scolaires et dès lors un accès plus difficile à l’emploi. »</p>
</blockquote>
<p>Or, les dispositifs en faveur de l’emploi ne se concentrent que sur trois axes : l’accompagnement vers un retour à l’emploi, l’aide pour faciliter le recrutement et la coordination des programmes. Dès lors, la source du problème lié au décrochage scolaire reste faiblement prise en compte et conduit à investir dans des mesures qui se concentrent davantage sur les conséquences finales que sur les causes premières.</p>
<p>Comme l’indique la note précitée :</p>
<blockquote>
<p>« Pour briser ce cercle vicieux de reproduction de la pauvreté, il est indispensable d’aller au-delà des aides monétaires octroyées aux plus modestes et de s’attaquer aux déterminants de la pauvreté : l’échec scolaire, les difficultés d’insertion professionnelle des peu ou pas diplômés, et la concentration de la pauvreté dans certains quartiers, contribuant à sa persistance. »</p>
</blockquote>
<h2>Un investissement mal ciblé</h2>
<p>Par ailleurs, notons la difficulté à évaluer de manière rigoureuse le montant des dépenses ainsi que leurs postes d’affectation. Selon le rapport de la Cour des comptes :</p>
<blockquote>
<p>« Le ministère chargé de l’emploi n’est pas en mesure de calculer le montant des moyens publics déployés en faveur de l’accès à l’emploi des habitants des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), pas même sur les seuls crédits budgétaires dont il a la responsabilité. »</p>
</blockquote>
<p>De plus, la part des dépenses à destination des quartiers prioritaires demeure insuffisante. Prenons le cas du <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/le-ministere-en-action/relance-activite/plan-1jeune-1solution/">plan « 1 jeune, 1 solution »</a> dont l’objectif est principalement de financer l’apprentissage. Le montant de ce dernier s’élève à 6,26 milliards d’euros au total.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Or, pour les habitants des QPV, le montant dépensé serait d’environ 563 millions d’euros, soit 9 % du total, soit « un pourcentage inférieur à la proportion de jeunes de QPV sur le territoire national et à la part des jeunes des QPV en recherche d’emploi ».</p>
<p><iframe id="aeRuM" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/aeRuM/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>À cela, s’ajoute une deuxième difficulté : « les dispositifs profitent souvent aux habitants les moins en difficulté ». Le cas des emplois d’avenir, déployés entre novembre 2012 et janvier 2018, illustre bien cette situation. Selon le <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/bdaecb66fc086b65afb8f692780dd749/DE_bilan_emplois%20d%27avenir.pdf">bilan</a> dressé en 2021 par la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (qui dépend du ministère du Travail) :</p>
<blockquote>
<p>« Le dispositif est moins efficace en termes d’insertion dans l’emploi pour les jeunes peu diplômés ou habitant en zones défavorisées, qui sont pourtant le cœur de cible des emplois d’avenir. »</p>
</blockquote>
<h2>Une organisation trop complexe</h2>
<p>En outre, l’organisation même du déploiement des dispositifs apparaît problématique. D’une part, la multiplicité des dispositifs et le défaut d’une communication renforcent l’éloignement des personnes les plus fragiles à leur égard. D’après l’enquête menée par la Cour des comptes, 65 % des habitants jugent les dispositifs peu connus. Cette proportion atteint même 72 % pour les moins de 35 ans. Aussi, qu’ils s’agissent des entreprises comme des usagers, la répartition de ces dispositifs entre différentes institutions rend leur compréhension et leur accès difficile.</p>
<p><iframe id="Bys87" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Bys87/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>D’autre part, au niveau national, la gestion partagée entre les ministères du Travail et de la Ville reste inefficace en raison d’un fonctionnement en « silo ». Ce cloisonnement est tel que des actions concurrentes sont mises en œuvre ; comme l’illustre le cas du <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/emploi-et-insertion/service-public-insertion-emploi-spie/">« Service public de l’insertion et de l’emploi »</a> (ministère du Travail) et des « Cités de l’emploi » (politique de la Ville). À cela s’ajoute l’absence totale du ministère de l’Éducation nationale, dont le rôle reste central dans la lutte contre le décrochage scolaire.</p>
<h2>Changer de paradigme</h2>
<p>Quelles sont, dès lors, les solutions pour que ces politiques deviennent efficaces ? En premier lieu, l’unité d’action qui fixe le cadre fondamental des politiques publiques doit se situer au niveau du citoyen et non des dispositifs. Comme l’indique la Cour des comptes,</p>
<blockquote>
<p>« La stratégie non encore explorée consisterait à s’adapter à la situation des personnes accompagnées dans toutes ses dimensions (sociale, éducative, professionnelle, etc.) plutôt que de leur demander sans cesse de s’adapter aux dispositifs. »</p>
</blockquote>
<p>Dès lors, cela implique de concevoir les dispositifs appropriés avec les citoyens concernés. Il s’agit de rompre avec une politique de la Ville qui, selon le <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2009-3-page-36.htm">sociologue des « quartiers sensibles Cyprien Avenel</a> :</p>
<blockquote>
<p>« encourage une démocratie participative mais développe un lien paternaliste avec la population et met en œuvre une action descendante (offre de service). »</p>
</blockquote>
<p>En ce sens, les <a href="https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2009-3-page-36.htm">travaux du sociologue</a> sur les modalités de cette participation sont précieux pour penser au mieux les défis d’une telle action.</p>
<p>Enfin, l’organisation même doit être revue notamment au niveau national où le décloisonnement administratif est indispensable tant il représente un frein aux avancées constructives. Au niveau local, la <a href="https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/ansa_rapportwwc_2017_vf.pdf">mise en place de « What Work Centers »</a> sur le modèle britannique, dont le rôle serait d’accompagner les expérimentations afin de pallier leurs lacunes et attesté de leur efficacité constitue une voie non explorée qui semblerait pertinente.</p>
<p>Enfin, <a href="https://theconversation.com/que-peuvent-apporter-les-entreprises-aux-quartiers-prioritaires-209456">l’idéal de justice sociale</a> doit demeurer le moteur central. S’il est un ordre à défendre, il n’est pas sécuritaire mais juridique ; celui qui fonde la dignité et la liberté des individus et nous oblige à la justice. Ainsi, comme l’énonçait le <a href="https://fr.wikisource.org/wiki/L%E2%80%99Id%C3%A9e_de_justice_sociale_d%E2%80%99apr%C3%A8s_les_%C3%A9coles_contemporaines">philosophe français Alfred Fouillée</a> au XIX<sup>e</sup> siècle :</p>
<blockquote>
<p>« Toutes les fois que la France se laisse dominer par des idées d’intérêt, ou par des idées de force, de lutte pour la vie, de guerre entre nationalités ou entre classes, elle sort de sa vraie tradition […]. Qu’elle s’appuie sur l’idée de justice et elle sera fidèle à son propre esprit. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/210493/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ousama Bouiss est membre de la chaire Reliance en complexité (Université de Montpellier). </span></em></p>Les dispositifs mis en place ces dernières années, mal calibrés et complexes, n’ont pas permis de faire reculer le taux de pauvreté dans les quartiers défavorisés.Ousama Bouiss, Doctorant en stratégie et théorie des organisations, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094562023-07-10T15:43:11Z2023-07-10T15:43:11ZQue peuvent apporter les entreprises aux quartiers prioritaires ?<blockquote>
<p>« Tout passe par l’entreprise et l’emploi. »</p>
</blockquote>
<p>Tel était l’intitulé du septième programme préconisé par le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/184000255.pdf#page=48">rapport « Borloo »</a> intitulé <em>Vivre ensemble, vivre en grand la République</em>. <a href="https://huffingtonpost.fr/politique/article/ce-que-contenait-le-plan-borloo-pour-les-banlieues-ecarte-par-macron-en-2018-et-qui-revient-dans-l-actualite-clx1_220197.html">Écarté en 2018</a> par le président de la République, le document a été remis sur le devant de la scène par les <a href="https://theconversation.com/topics/emeutes-66638">émeutes</a> consécutives à la mort de Nahel. Face à la misère économique des <a href="https://theconversation.com/topics/quartiers-populaires-53439">quartiers populaires</a>, la question du <a href="https://theconversation.com/topics/travail-20134">travail</a> y est qualifiée de « mère des batailles ». Il constituerait en effet « la manifestation la plus criante des inégalités, celle qui barre la route de l’avenir, qui fait perdre confiance en soi et dans notre République ».</p>
<p>Fruit d’une réflexion associant collectivités territoriales, associations, entreprises, et bien d’autres acteurs, le rapport souligne la relation complémentaire entre la lutte contre la <a href="https://theconversation.com/topics/pauvrete-21196">pauvreté</a>, le travail et l’<a href="https://theconversation.com/topics/entreprises-20563">entreprise</a>. Plus encore, il identifie cette dernière comme le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/184000255.pdf#page=6">moteur central</a> de la métamorphose de la vie de ces « 6 millions d’habitants » qui « vivent dans une forme de relégation voire parfois, d’amnésie de la Nation réveillée de temps à autre par quelques faits divers ».</p>
<h2>Contrat de travail, contrat social</h2>
<p>En conclusion de son <a href="https://www.editions-ems.fr/boutique/pourquoi-travailler/">ouvrage</a> <em>Pourquoi travailler ?</em>, Anthony Hussenot, professeur en sciences de gestion à l’université Côté d’Azur rappelle :</p>
<blockquote>
<p>« Le travail est une activité complexe » […], jamais totalement une activité aliénée et seulement rémunératrice ou une activité totalement libre et émancipatrice. »</p>
</blockquote>
<p>Il identifie ainsi cinq rôles principaux que joue le travail dans nos vies.</p>
<p>Il joue un <strong>rôle économique</strong> par le revenu que nous en tirons qui doit nous permettre de subvenir à nos besoins, un <strong>rôle social</strong> en ce qu’il « permet aux individus de se positionner dans la société » et un <strong>rôle identitaire</strong> car « nos façons de parler, de nous comporter, nos croyances, mais aussi dans une certaine mesure, nos idées politiques, économiques, nos goûts culturels, etc., sont en partie le résultat de nos relations avec notre milieu professionnel ». Il possède également un <strong>rôle juridico-politique</strong> car le travail est un « contrat social » entre l’individu, l’employeur et l’État. Il scelle la « promesse » qu’en échange du travail fourni, les individus peuvent vivre décemment, notamment en accédant à la société de consommation, en étant protégés par l’État et en pouvant espérer un avenir meilleur ». Il remplit enfin un <strong>rôle politique</strong> par lequel nous participons à la production et la reproduction des systèmes dans lesquels nous vivons.</p>
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<p>Le seul énoncé de ces rôles suffit à comprendre pourquoi le travail est « la manifestation la plus criante des inégalités ». Lorsque le salaire ne permet pas de vivre, quand la position sociale induite par la profession est dévaluée symboliquement et socialement alors le contrat social est fragilisé car le travail ne remplit pas sa « promesse ». Avec un taux de chômage entre deux et trois fois supérieur à la moyenne au sein des quartiers populaires, c’est même une forme d’exclusion de ce contrat social qui est en cause.</p>
<p><iframe id="0QMEV" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/0QMEV/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p><iframe id="eTx5d" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/eTx5d/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<h2>Avoir un travail ne saurait cependant suffire</h2>
<p>Les solutions proposées par le rapport « Borloo » s’articulent autour de deux axes principaux : former par l’apprentissage, l’alternance et l’accompagnement et mobiliser des entreprises dans le cadre de création d’emplois favorisant les populations issues des quartiers populaires.</p>
<p>Pour nécessaires et pertinentes soient-elles, ces propositions ne sauraient être suffisantes. Encore faut-il s’assurer que le travail remplisse son rôle en permettant à chacun d’en tirer un revenu satisfaisant, répondant à ses aspirations individuelles et contribuant à la reproduction d’un système politique conforme à l’idéal démocratique. Puisque l’entreprise participe à l’intégration politique et sociale du citoyen, le simple fait d’« avoir un travail » ne saurait suffire. Encore faut-il que ce dernier garantisse la possibilité d’une vie digne.</p>
<p>Le préambule de la <a href="https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:62:0::NO::P62_LIST_ENTRIE_ID:2453907">Constitution de l’Organisation internationale du travail</a> l’affirme :</p>
<blockquote>
<p>« Une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale. »</p>
</blockquote>
<p>Or comme le souligne Alain Supiot, spécialiste du droit du travail, dans <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-La_force_d_une_id%C3%A9e-589-1-1-0-1.html"><em>La force d’une idée</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Il existe des conditions de travail impliquant pour un grand nombre de personnes l’injustice, la misère et les privations, ce qui engendre un tel mécontentement que la paix et l’harmonie universelles sont mises en danger […]. Cet abandon de [la justice sociale] engendre l’accroissement vertigineux des inégalités, l’enfoncement des classes populaires dans la précarité et le déclassement, les migrations de masse de jeunes poussées par la misère. Ce qui suscite en retour des colères et des violences protéiformes et nourrit le retour de l’ethnonationalisme et la xénophobie. ».</p>
</blockquote>
<p>En replaçant la justice sociale au cœur de la réflexion sur le rôle des entreprises et du travail, il s’agit de contrer les <a href="https://theconversation.com/le-neoliberalisme-est-il-mauvais-pour-la-sante-153493">effets délétères du néolibéralisme</a> qui participe à l’isolement des individus. Aux discours qui promeuvent l’idéal d’une réussite individuelle fondée sur l’accumulation de richesses matérielle ou la domination symbolique, l’idéal démocratique de justice sociale invite à la solidarité comme condition nécessaire de la liberté et de l’égalité.</p>
<h2>Les outils sont disponibles</h2>
<p>Dès lors, démocratiser l’entreprise ne signifie pas seulement favoriser le dialogue mais, plus fortement, subordonner le critère de performance au critère de justice. De la même manière, démocratiser le travail ne signifie pas seulement « créer des emplois ». C’est aussi, selon les termes de la <a href="https://www.ilo.org/dyn/normlex/fr/f?p=1000:62:0::NO:62:P62_LIST_ENTRIE_ID:2453907:NO#declaration">Déclaration de Philadelphie</a>, qui a défini en 1944 les buts et objectifs de l’Organisation internationale du travail, favoriser « l’emploi des travailleurs à des occupations où ils aient la satisfaction de donner toute la mesure de leur habileté et de leurs connaissances et de contribuer le mieux au bien-être commun ».</p>
<p>En abordant la question du travail et de l’entreprise par le prisme de la lutte contre la misère et l’affirmation des principes démocratiques, ce sont nos modes de pensée que nous sommes invités à réviser. Les quartiers populaires nous offrent le miroir précieux des limites et des dangers de notre système économique. Il ne s’agit plus de placer la société au service de l’entreprise mais bien de placer l’entreprise au service de la société. D’un point de vue normatif, il s’agit d’actualiser les principes et valeurs démocratiques en tout lieu notamment ceux où nous passons le plus de temps comme les <a href="https://www.cairn.info.fr/c-est-complexe--9782100828838.htm">entreprises</a>.</p>
<p>D’ailleurs, comme l’indique le <a href="https://medias.vie-publique.fr/data_storage_s3/rapport/pdf/184000255.pdf#page=7">« rapport Borloo »</a>, « nous sommes capables de traiter l’essentiel de ces problèmes ». En effet, la recherche sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2012-9-page-167.htm">modèles d’organisation démocratiques</a>, les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/15/un-manifeste-pour-un-changement-de-modele-economique_6063407_3232.html">réflexions sur la relation entre la transition écologique et les nouveaux métiers</a> ou encore les propositions sur la réforme du <a href="https://www.librairiedalloz.fr/livre/9782130651697-critique-du-droit-du-travail-3e-edition-alain-supiot/">droit du travail</a> sont à notre disposition. Toutefois, pour en tirer profit, expérimenter et mettre en œuvre ces solutions, il nous faudra d’abord quitter « les angoisses de notre histoire, les dispositifs accumulés, entassés, sédimentés, inefficaces, contradictoires, éparpillés, abandonnés où l’annonce du chiffre spectaculaire tient lieu de politique ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209456/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ousama Bouiss ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Favoriser l’implantation des entreprises dans les banlieues comme le suggérait le rapport Borloo doit permettre une intégration politique et sociale des citoyens.Ousama Bouiss, Doctorant en stratégie et théorie des organisations, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2077712023-06-21T18:36:28Z2023-06-21T18:36:28ZLoi plein-emploi : en matière d’insertion professionnelle, l’union fait la force<p>Le mercredi 7 juin, le gouvernement a présenté son <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/france-travail-rsa-ce-que-prevoit-le-projet-de-loi-plein-emploi-1950084">projet de loi visant à atteindre le plein-emploi</a>, c’est-à-dire un taux de chômage de 5 % (contre 7,1 % actuellement). À travers un dispositif d’accompagnement des allocataires du revenu de solidarité active (RSE), dont le nombre stagne autour de 1,9 million, l’exécutif se fixe notamment de ramener dans le champ du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/marche-du-travail-63182">marché du travail</a> les personnes qui s’en sont éloignées.</p>
<p>Le texte prévoit ainsi la création de France travail, qui va succéder à Pôle emploi, pour mieux coordonner les acteurs du service public de l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/emploi-20395">emploi</a>. À partir du 1<sup>er</sup> janvier 2025, ce guichet unique permettra par exemple l’inscription automatique à France Travail pour toute demande de RSA à la Caisse des allocations familiales (CAF). Actuellement, environ 4 bénéficiaires du RSA sur 10 seulement sont également inscrits à Pôle emploi.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1666471134106189824"}"></div></p>
<p>France travail sera en outre organisé en réseau, en lien avec l’État, les missions locales pour les jeunes, les collectivités territoriales ou encore des associations spécialisées dans l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/insertion-professionnelle-115547">insertion professionnelle</a>. Le projet de loi prévoit que ces acteurs assureront les missions « d’accueil, d’orientation, d’accompagnement, de formation, d’insertion, de placement des personnes recherchant un emploi ou rencontrant des difficultés sociales ».</p>
<p>Cette organisation en réseau, qui établit un partenariat entre de multiples parties prenantes, apparaît en effet essentielle pour favoriser l’insertion professionnelle au sein des entreprises. Comme nous l’avons montré dans un travail de recherche récent, les partenariats multipartites (PMP) constituent en effet une réponse appropriée aux enjeux de qualification, de compétences et d’accès à l’emploi, en particulier pour les personnes issues de milieux défavorisés.</p>
<h2>« De plus en plus de partenariats originaux »</h2>
<p>Nous avons étudié ces PMP et leur action en matière d’insertion professionnelle épuise le début des années 1990 en France, en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/allemagne-24115">Allemagne</a> et en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/espagne-20941">Espagne</a>. Si ces trois pays ont connu des différences dans la mise en place et les modalités d’action, les structures ont globalement enregistré des résultats positifs. Et ils se sont rapprochés dans l’ambition de trouver une solution intégrative d’insertion.</p>
<p>La France fut précurseur en termes de PMP, qui ont toujours été encouragés par l’État, initialement par les « clauses sociales » et après par un événement relationnel majeur dit « Grenelle de l’Innovation ». Un des premiers rapprochements a été initié en 1996 par l’agence d’intérim Adecco et le Groupe ID’EES, structure spécialisée dans l’insertion professionnelle. Ce type de partenariats a ensuite connu un essor à la suite de la crise économique autour de 2010 (par exemple, le réseau Cocagne, un regroupement d’associations dans la production maraîchère, ou la Fondation Caritas, créée par le Secours catholique).</p>
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<p>Actuellement, le terrain reste propice à la multiplication de ces PMP. Comme nous l’a confié un représentant du syndicat patronal français, le Medef :</p>
<blockquote>
<p>« Il y a eu une réelle amélioration de ce que ce type d’organisation peut apporter à une entreprise privée. La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) a également gagné en importance… On voit donc de plus en plus de partenariats originaux ».</p>
</blockquote>
<p>En Espagne, où l’État s’est montré moins impliqué en termes de formation de PMP, celles-ci sont nées d’un mouvement de solidarité lors de la crise économique qui a frappé le pays au tournant des années 2010. Les premiers échanges entre les entreprises et les organisations à but non lucratif ont abouti en 2012 à la création de « Ensemble pour l’emploi des personnes les plus vulnérables » (Juntos por el empleo de los más vulnerables), qui rassemble désormais plus de 1000 organisations à but non lucratif, environ 70 entreprises et 13 agences publiques.</p>
<p>Si toutes les personnes que nous avons interrogées dans notre étude s’accordent à dire que le PMP « a constitué une réponse efficace à la crise économique », elles notent que le dispositif en reste encore au « stade expérimental » et que des marges de développement existent. Un chef d’entreprise accompagné par un PMP le souligne :</p>
<blockquote>
<p>« Nous vivons encore une période de découverte pour les entreprises privées ».</p>
</blockquote>
<p>En Allemagne, les PMP en matière d’insertion professionnelle ont connu leur essor à partir de la crise des réfugiés et la forte augmentation du nombre de demandeurs d’asile de 2015. Après une longue période stationnaire, le domaine est devenu très dynamique avec des constellations d’acteurs sans précédent apparaissant sur la scène. Parmi les structures qui ont émergé, nous pouvons notamment citer Arrivo – Refugee is not a profession, qui regroupe le gouvernement régional de la cité-État (Land) de Berlin, 50 entreprises, membres de la chambre de commerce locale, pour insérer professionnellement les réfugiés, ou encore Schlesische 27, une association culturelle à but non lucratif qui propose des programmes d’accompagnement personnalisé à des populations défavorisées.</p>
<h2>Un engagement civique</h2>
<p>L’afflux important de réfugiés et la culture d’accueil (Wilkommenkultur) de la chancelière Angela Merkel ont en effet conduit à une « politisation » du climat social, ce qui a incité les petites et moyennes entreprises à s’engager dans des efforts PMP. Ce veut dire que les entreprises commençaient à s’engager quand les problèmes ressemblaient une « crise morale » plutôt qu’une crise existentielle. Les motivations de s’engager concernent aussi bien le manque main-d’œuvre qualifiée que la volonté de s’engager pour la société. Là encore, l’idée d’aller plus loin dans l’institutionnalisation de la démarche transparaît, comme en témoigne un responsable d’association à but non lucratif :</p>
<blockquote>
<p>« Nous n’avons pas besoin de construire une énorme initiative individuelle. Notre conception est de donner un coup de pouce, d’initier quelque chose de plus grand ».</p>
</blockquote>
<p>Étant donné ces premières avancées, approfondir notre compréhension des PMP semble désormais essentiel, et sans doute pas seulement en matière d’insertion professionnelle. D’ailleurs, face à la pandémie de Covid-19, les décideurs politiques ont stimulé la collaboration multipartite, par exemple dans le cadre de l’alliance internationale GAVI, pour <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/radm.12456">accélérer la mise au point du vaccin</a>.</p>
<p>C’est pourquoi les parties prenantes de tous les secteurs sont appelées à explorer des approches de la collaboration <a href="https://www.jstor.org/stable/20159256">sans qu’ils soient contraints par les crises</a>, en particulier sans attendre que les manifestations extrêmes climatiques anticipées ne se produisent. En effet, on constate dans le bref historique précédemment dressé que ce sont les difficultés économiques ou sociales qui ont jusqu’à présent donné l’impulsion aux PMP.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207771/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gorgi Krlev ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les précédents rapprochements entre acteurs privés et publics en faveur de l’emploi ont donné des résultats concluants en France comme à l’étranger.Gorgi Krlev, Assistant Professor of sustainability, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2078452023-06-19T10:04:55Z2023-06-19T10:04:55ZAccros au travail, les « workaholiques » ne seraient-ils que des perfectionnistes passionnés ou névrosés ?<p>Recherche de sens, grande démission, <em>quiet quitting</em>, valeur travail, absentéisme… Depuis l’épidémie de Covid et les conflits sur les retraites, le chômage ou les aides sociales, la question du rapport au <a href="https://theconversation.com/topics/travail-20134">travail</a> s’impose dans le débat public. Le gouvernement, notamment, a invité les partenaires sociaux à dessiner « d’ici la fin de l’année » un <a href="https://www.tf1info.fr/politique/video-reforme-des-retraites-pacte-de-la-vie-au-travail-conditions-de-travail-salaires-les-propositions-de-emmanuel-macron-2254395.html">« pacte de la vie au travail »</a>, qui lui-même pourra se nourrir des <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/presse/dossiers-de-presse/article/conseil-national-de-la-refondation-assises-du-travail">conclusions des Assises du travail</a> rendues le 25 avril dans le cadre de du Conseil national de la refondation.</p>
<p>Pour les uns, les Français et notamment les <a href="https://www.observatoire-ocm.com/management/flemme-rapport-au-travail/">plus jeunes, seraient démotivés</a>, ne voudraient plus travailler, auraient perdu le sens du sacrifice ; pour d’autres, ce sont l’organisation, les <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/sites/default/files/fdd4af8f321cb905555cf1e9115a7591/TetE-168-NL-11-Coutrot-Perez-BAT.pdf">modes de management</a> des entreprises et la précarisation de l’emploi qui empêcheraient de trouver du sens aux efforts consentis.</p>
<p>Dans ce contexte, s’intéresser aux phénomènes d’<a href="https://theconversation.com/topics/addiction-26117">addiction</a> au travail, ou <em>workaholisme</em> en anglais (contraction des mots « travail » et « alcoolisme »), comme nous le faisons dans un <a href="https://lemanuscrit.fr/livres/laddiction-au-travail/">ouvrage</a> récent, peut paraître paradoxal mais n’en est pas moins instructif. Cette notion s’est développée en Amérique du Nord et l’intérêt qu’elle a suscité reflète les évolutions du marché de l’emploi et de la société outre-Atlantique. Début 2023, on comptait encore sur le site <em>google scholar</em> 35 fois plus d’articles scientifiques traitant de l’addition au travail en anglais qu’en français.</p>
<h2>L’addiction au travail, une affaire individuelle ?</h2>
<p>Selon l’historien étasunien Peter Stearn, l’addiction au travail en tant que concept, mais aussi en tant que pratique, trouverait sa <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=5CoeCwAAQBAJ">source dans l’idéologie du travail comme valeur en soi</a>. Celle-ci s’est développée au sein des classes moyennes traditionnelles, artisans, commerçants et autre profession libérale au XIX<sup>e</sup> siècle, c’est-à-dire dans des groupes qui devaient effectivement leur position sociale à leur travail.</p>
<p>Progressivement, au XX<sup>e</sup> siècle, sous l’effet de la standardisation du travail, puis, à partir de la fin des années 1970, de la remontée des inégalités, elle aurait perdu de sa vigueur en Europe, tandis qu’elle serait restée forte en Amérique du Nord. L’idée, pourtant de <a href="http://www.ncsociology.org/sociationtoday/v21/merit.htm">plus en plus en plus fausse</a>, que chacun peut réussir s’il s’en donne les moyens y est restée prégnante.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=929&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1167&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1167&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532164/original/file-20230615-17-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1167&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le pasteur Wayne Oates a défini le workaholisme à partir de lui-même.</span>
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<p>C’est Wayne Oates, un pasteur, théologien et psychologue américain né en 1917 dans une famille modeste, qui a <a href="https://drive.google.com/file/d/1_HzC8MestDR3IyesBVLYsKGkOrULbjQU/view?usp=sharing">popularisé l’idée</a> de <em>workaholisme</em>. Pour lui, rapprocher sa propre addiction au travail à l’alcoolisme de certaines de ses ouailles était un moyen de développer plus d’empathie, de compréhension, et donc de mieux aider à la fois ceux qui détruisent leur vie dans l’alcool, et ceux qui se réfugient dans le travail. D’après son expérience pastorale, les professions libérales et les femmes au foyer seraient particulièrement à risque de <em>workaholisme</em>.</p>
<p>La plupart des articles scientifiques sur l’addiction au travail ont, par la suite, cité son <a href="https://drive.google.com/file/d/1_HzC8MestDR3IyesBVLYsKGkOrULbjQU/view?usp=sharing">texte fondateur</a>, sans en retenir toutes les leçons. Le <em>workaholisme</em> est souvent défini comme le <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3835604/">fait de travailler de façon excessive et compulsive</a> par les chercheurs et sa cause serait à chercher dans les <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4117275/">traits de personnalité</a> des individus (narcissisme, perfectionnisme) ou dans un entourage familial qui ne saurait donner de marques d’affection qu’en fonction des résultats obtenus. Le <em>workaholique</em> aurait besoin de travailler de plus en plus dur, quelle que soit l’activité, pour se réassurer, de la même façon que le toxicomane serait à la recherche d’effets plus puissants.</p>
<p>La plupart des études empiriques adoptent ainsi une focale individuelle et portent sur les managers et professions libérales. Très peu ont été réalisées en population générale. Même si ces métiers suscitent par eux-mêmes un fort engagement, pour les addictologues, ils attireraient des <a href="https://www.researchgate.net/publication/258139612_Workaholism_Its_Definition_and_Nature">personnalités prédisposées</a>.</p>
<h2>Travailler beaucoup, le plus souvent par contrainte</h2>
<p>Une hypothèse alternative serait que de plus en plus de personnes deviennent addictes au travail du fait des évolutions de l’emploi et des modes de management. Ce ne serait pas tant une dérive individuelle qu’un fait social. Le site <em>Ngram Viewer</em> qui permet de suivre la fréquence d’usage du mot « workaholism » en anglais de 1950 à 2020 le suggère bien.</p>
<iframe name="ngram_chart" src="https://books.google.com/ngrams/interactive_chart?content=workaholism&year_start=1950&year_end=2019&corpus=en-2019&smoothing=3" width="100%" height="500" marginwidth="0" marginheight="0" hspace="0" vspace="0" frameborder="0" scrolling="no"></iframe>
<p>L’usage du terme explose dans une période de remontée des inégalités et de <a href="https://books.google.fr/books/about/The_Overworked_American.html?id=3iTgihqUSCwC&redir_esc=y">valorisation des entrepreneurs et du mérite individuel</a>, notamment aux États-Unis. Une part importante des « classes moyennes » américaines voit sa position relative se dégrader. Beaucoup sont obligés d’augmenter leur temps de travail, voire d’avoir plusieurs emplois, pour préserver leur niveau de vie, financer leur protection sociale et les études de leurs enfants. Il faut travailler plus, juste pour espérer se maintenir. Tout cela suggère que ce ne serait pas tant le fruit d’une pathologie individuelle que la conséquence d’un nouveau mode de gouvernance économique.</p>
<p>Lors de mes recherches, j’ai interrogé ou observé des centaines de travailleurs dont certains très engagés dans leur activité, sans rencontrer de personnes addictes au travail du fait d’une personnalité narcissique ou perfectionniste. Contrairement à ce que pensaient les addictologues, ceux qui travaillent beaucoup, par contrainte ou du fait d’une motivation socialement entretenue, en paient tout autant le prix sur leur santé et leur vie familiale que ceux qui le font en raison d’une personnalité compulsive.</p>
<p>Un jeune programmateur d’une salle dédiée aux « musiques actuelles » s’investissait par exemple à fond car passionné, mais aussi parce qu’il avait à cœur de présenter les meilleurs groupes, même dans les styles musicaux qu’il connaît moins, et de remplir sa salle. Au bout de quelques mois, sa copine le quitte, une partie de ses amis s’est éloignée. À la suite d’un différend avec la direction sur un choix musical, il fait une dépression.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Autre exemple, un artisan ébéniste en fin de carrière trouvait de plus en plus difficilement de nouveaux clients. Pour maintenir son entreprise à flot et garder ses deux salariés, deux choses qui importent beaucoup à ses yeux, il a augmenté sa charge de travail ce qui l’a rendu plus irritable avec ses proches et moins vigilant avec la sécurité. Lors d’un accident, il a perdu deux doigts. Finalement obligé de licencier, il a réduit son activité et en ressent de l’amertume.</p>
<p>L’approche exclusivement psychologique de l’addiction au travail réduit abusivement la question de l’engagement dans le travail comme celle de sa régulation sociale. Elle renvoie la responsabilité d’un rapport troublé et excessif au travail aux seuls individus. Or, l’addiction au travail semble également suscitée par un <a href="https://journals.openedition.org/lectures/1064">contexte d’étouffement des motivations intrinsèques</a> : gagner son indépendance financière mais aussi se sentir utile ; apporter, dans un <a href="https://www.puf.com/content/Essai_sur_le_don">don-contre don qui fonde le lien social</a>, aide et support aux collègues, usagers ou clients ; construire une identité individuelle et collective ; être fier de réalisations dans lesquelles on peut se reconnaître, qui font sens et sont appréciées de ceux qui connaissent le métier.</p>
<h2>Des <em>workaholiques</em> français sous contrainte</h2>
<p>Qui seraient les plus <em>workaholiques</em> en France ? D’après les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/4797600?sommaire=4928952">données du ministère du Travail</a>, les catégories socioprofessionnelles qui ont le plus long temps de travail hebdomadaire moyen en 2019 sont respectivement les agriculteurs exploitants (58,4 heures), les artisans, commerçants et chefs d’entreprise (50 heures) et les cadres et professions intellectuelles supérieures (43,5 heures).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=934&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=934&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=934&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1174&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1174&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/532162/original/file-20230615-19-4cido6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1174&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Les deux premières catégories travaillent beaucoup du fait de contraintes économiques fortes et de l’attachement à leur entreprise. Pour faire des économies d’échelle et rendre leur exploitation rentable, les agriculteurs doivent investir dans des produits phytosanitaires, des machines, s’agrandir. Cela les conduit à s’endetter et à devoir travailler plus pour rembourser. En droit romain, l’<em>addictus</em> était celui qui, parce qu’il ne peut payer ses dettes, est <a href="https://www.grea.ch/sites/default/files/art7_dep51.pdf">obligé de travailler gratuitement pour son créancier</a>. Les artisans sont également souvent poussés à travailler dur, notamment au début de leur installation, pour se constituer une clientèle stable leur permettant de vivre et de choisir les commandes les plus intéressantes.</p>
<p>Les raisons pour lesquels les cadres et professions intellectuelles supérieures travaillent plus que la moyenne sont variées et mêlent, elles, de façon complexe choix et contraintes. Les objectifs à atteindre, les <a href="https://www.lemonde.fr/emploi/article/2021/01/20/le-nouvel-horizon-de-la-productivite-chasser-le-surtravail_6066878_1698637.html">dysfonctionnements organisationnels</a> (injonctions contradictoires, réunions interminables), mais aussi l’intérêt de l’activité, l’importance des responsabilités, la reconnaissance et les gratifications, incitent ces salariés à beaucoup s’investir. Tout cela s’entremêle ; les entreprises peuvent alors être tentées de <a href="https://www.editions-eres.com/ouvrage/3674/le-travail-passionne">mobiliser les passions pour obtenir davantage de travail</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207845/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Loriol ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On considère souvent que devenir addict au travail est le fait d’une dérive individuelle ; ce pourrait bien plutôt être la conséquence des évolutions de l’emploi et des modes de gestion.Marc Loriol, Directeur de recherche CNRS, sociologue, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2064492023-05-28T15:36:27Z2023-05-28T15:36:27ZLes PME sont moins enclines à licencier que les grandes entreprises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/528315/original/file-20230525-15-rnw4f5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La proximité sociale dans les petites structures rend plus difficile la décision d'un licenciement.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/1436889">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Depuis le début de l’année 2023, les grandes entreprises de la tech américaine ont multiplié les annonces de suppression de postes : <a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/amazon/amazon-va-supprimer-27-000-postes-en-2023-annonce-son-directeur-general_5722667.html">27 000 chez Amazon</a>, <a href="https://fr.euronews.com/2023/01/19/10-000-licenciements-chez-microsoft">10 000 chez Microsoft</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/03/14/meta-va-supprimer-10-000-postes-de-plus_6165436_4408996.html">10 000 chez Meta</a>, la maison-mère de Facebook. Fin 2022, Elon Musk, nouveau patron de Twitter, annonçait <a href="https://www.latribune.fr/technos-medias/internet/hecatombe-dans-la-tech-plus-de-130-000-licenciements-en-2022-940762.html">3 700 licenciements dans le monde</a>.</p>
<p>En quelques mois, plusieurs des géants mondiaux de la tech auront ainsi supprimé entre 5 % et 50 % de leurs effectifs. Les dirigeants de ces entreprises justifient ces décisions par la nécessité de réduire les coûts et améliorer la performance financière dans un contexte de ralentissement économique lié à la hausse des taux d’intérêt et à une baisse de la demande.</p>
<p>Les vagues de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/licenciement-24562">licenciements</a> en cas de ralentissement de l’activité économique dans un secteur d’activité, comme aujourd’hui dans la tech, constituent un <a href="https://journals.aom.org/doi/abs/10.5465/amj.2018.1013">phénomène couramment observé depuis les années 1980</a>. Si l’on parle de vagues, c’est que les plans de licenciements dans les grandes entreprises semblent <a href="https://journals.aom.org/doi/10.5465/amj.2018.1013">résulter d’un certain mimétisme</a>.</p>
<p>Autrement dit, lorsqu’une entreprise annonce un plan de licenciements, ses concurrents font souvent rapidement de même, peut-être par crainte d’être taxés de passivité par leurs actionnaires quand d’autres prennent des décisions difficiles. Une pression à la performance exercée par les actionnaires et les marchés financiers contribuerait donc à expliquer les vagues de licenciements.</p>
<h2>Moins de pression sur les PME</h2>
<p>Les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/petites-et-moyennes-entreprises-pme-21112">petites et moyennes entreprises</a> (PME) sont, elles, moins concernées par ce phénomène. Dans un récent <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-023-05414-z">article</a> de recherche, nous montrons que la probabilité qu’un licenciement se produise est environ 5 % plus faible que dans les grandes entreprises, un chiffre assez stable dans le temps entre 2011 et 2019.</p>
<p>De surcroît, lorsque le chiffre d’affaires de l’entreprise considéré baisse, la probabilité d’observer des licenciements est également sensiblement plus faible dans les PME que dans les grandes entreprises. Ce n’est que dans les contextes de détresse financière, c’est-à-dire lorsque le risque de faillite devient très important, qu’il n’y a plus de différence entre PME et grandes entreprises. Enfin, lorsqu’un licenciement survient, il est d’une ampleur beaucoup plus faible dans une PME que dans d’autres types d’entreprises.</p>
<p>Comment l’expliquer ? Tout d’abord, contrairement aux grands groupes, la grande majorité des PME n’est pas cotée en bourse, et donc peu soumise à la pression des marchés financiers. De plus, les plus petites organisations sont couramment dirigées par le (ou les) actionnaires-gérants. Dès lors, la décision de licencier est prise au sein des PME directement par l’actionnaire-gérant qui travaille au quotidien directement, et parfois dans les mêmes bureaux que les salariés.</p>
<p>En conséquence, on ne licencie pas aussi facilement des collaborateurs avec qui l’on travaille au quotidien, parfois depuis des années, que des salariés que l’on n’a jamais rencontrés dans sa carrière. La probabilité plus faible de licenciement reflète ainsi une différence profonde qui existe en matière de proximité sociale entre les dirigeants et les salariés de PME d’une part et de grandes entreprises d’autre part.</p>
<h2>Un environnement plus sécurisant</h2>
<p>Nos travaux montrent donc que cette plus grande proximité sociale qui existe au sein des PME entre dirigeants et salariés est susceptible de protéger davantage ces derniers de licenciements que dans le cas de grandes entreprises. Nous avons fait l’hypothèse que, dans les contextes de baisse de la performance, les dirigeants de PME accordent plus d’importance au devenir de leurs salariés que ne le font les dirigeants de grandes entreprises, car ils se sentent plus proches d’eux. Dès lors, comme la décision de licencier serait plus difficile à prendre au sein des PME, le nombre de licenciements serait réduit.</p>
<p>Les PME représentent donc un environnement de travail plus sécurisant pour les salariés dont <a href="https://theconversation.com/fr/topics/emploi-20395">l’emploi</a> est moins susceptible d’être remis en question par les variations à court terme de la performance de l’entreprise. Dans la mesure où <a href="https://ec.europa.eu/docsroom/documents/42921">deux emplois sur trois créés par des PME au sein de l’Union européenne</a>, nos résultats soulignent l’importance économique et sociale d’une population dynamique de PME. Le soutien à leur émergence, à leur survie et à leur développement apparaît donc comme un enjeu majeur pour les pouvoirs publics.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206449/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vivien Lefebvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une étude montre que la probabilité qu’un licenciement se produise est environ 5 % plus faible dans les PME que dans les grandes entreprises, un chiffre qui reste assez stable depuis plus de 10 ans.Vivien Lefebvre, Enseignant-chercheur en finance, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2057112023-05-16T10:12:25Z2023-05-16T10:12:25Z« Controverses » : Repenser le travail<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/526274/original/file-20230515-26296-ummfq5.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un agriculteur laboure un champ de vignes. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/629583">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><hr>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em><a href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">« Controverses »</a> est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d’y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches</em>.</p>
<p><em>La série « travail » s’attache à décrypter des aspects improbables, parfois inconnus ou impensés autour de cette notion actuellement au cœur des débats politiques.</em></p>
<hr>
<h2><a href="https://theconversation.com/le-travail-pour-autrui-survivance-de-lesclavagisme-dans-nos-economies-150317">Le « travail pour autrui », survivance de l’esclavagisme dans nos économies</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/529839/original/file-20230602-23-6srr7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/529839/original/file-20230602-23-6srr7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/529839/original/file-20230602-23-6srr7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/529839/original/file-20230602-23-6srr7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/529839/original/file-20230602-23-6srr7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/529839/original/file-20230602-23-6srr7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/529839/original/file-20230602-23-6srr7t.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=546&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Les associations que nous formons entre des phénotypes, des accents, des vêtements, et des emplois ou des places nous viennent largement de la formation de l’économie coloniale que les Européens ont développée, à partir du XVe siècle, en recourant à l’esclavage.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Slavery_in_Brazil,_by_Jean-Baptiste_Debret_(1768-1848).jpg">J.B. Debret, « L'esclavage au Brésil », 1834. Wikipédia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous attribuons, en permanence, des couleurs au travail. Or, si l’on reprend son histoire, c’est le travail lui-même qui produit des couleurs.</p>
<hr>
<h2><a href="https://theconversation.com/mon-salaire-est-il-vraiment-le-fruit-de-mon-travail-204833">Mon salaire est-il vraiment le fruit de mon travail ?</a></h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="Kylan Mbappé assis sur un terrain de foot, ici en 2018" src="https://images.theconversation.com/files/526166/original/file-20230515-9834-7dmd16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C21%2C939%2C901&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/526166/original/file-20230515-9834-7dmd16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=592&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/526166/original/file-20230515-9834-7dmd16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=592&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/526166/original/file-20230515-9834-7dmd16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=592&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/526166/original/file-20230515-9834-7dmd16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=744&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/526166/original/file-20230515-9834-7dmd16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=744&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/526166/original/file-20230515-9834-7dmd16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=744&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un talent brut qui ne serait pas exploité par l’effort individuel n’aurait aucune valeur. Kylan Mbappé ici en 2018.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/52/Kylian_Mbapp%C3%A9_%282%29.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un lien idéologique fort s’est noué entre travail et appropriation des ressources, dont la notion de propriété. Pourtant certains penseurs questionnent ce rapport entre revenu et travail.</p>
<hr>
<h2><a href="https://theconversation.com/la-dette-nouvelle-forme-de-travail-des-femmes-204323">La dette, nouvelle forme de travail des femmes</a></h2>
<p>Dans différentes régions du monde, la gestion des dettes au quotidien représente un réel travail, principalement assumé par les femmes.</p>
<hr>
<p><em>À lire aussi</em></p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/le-beau-travail-une-revendication-ouvriere-trop-souvent-oubliee-173446">Le beau travail, une revendication ouvrière trop souvent oubliée</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/le-travail-ultime-lieu-de-fabrique-de-la-politique-et-de-labstention-178668">Le travail, ultime lieu de fabrique de la politique et de l’abstention</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/penser-lapres-seule-la-reconversion-ecologique-pourra-eviter-la-deshumanisation-du-travail-138008">Penser l’après : seule la reconversion écologique pourra éviter la déshumanisation du travail</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/travailler-oui-mais-pour-pouvoir-aussi-se-realiser-en-dehors-199613">Travailler oui mais pour pouvoir aussi se réaliser en dehors</a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/205711/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
La série « travail » s'attache à décrypter des aspects improbables, parfois inconnus ou impensés autour de cette notion actuellement au coeur des débats politiques.Clea Chakraverty, Cheffe de rubrique Politique + Société, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2048332023-05-15T18:02:30Z2023-05-15T18:02:30ZMon salaire est-il vraiment le fruit de mon travail ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/526166/original/file-20230515-9834-7dmd16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C21%2C939%2C901&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un talent brut qui ne serait pas exploité par l'effort individuel n'aurait aucune valeur. Kylan Mbappé ici en 2018.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/5/52/Kylian_Mbapp%C3%A9_%282%29.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em><a href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">« Controverses »</a> est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d’y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches. La série « travail » s’attache à décrypter des aspects improbables, parfois inconnus ou impensés autour de cette notion actuellement au cœur des débats politiques</em>.</p>
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<p>Au cours de la période moderne, un lien idéologique fort s’est noué entre travail et appropriation. Ce lien est un des piliers de ce que j’ai appelé l’idéologie propriétaire dans mon précédent ouvrage <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-part-commune/"><em>La part commune</em></a>. Une des croyances constitutives de cette idéologie consiste à considérer que seul le travail peut légitimer la propriété de quelque chose et, de façon complémentaire, que tout travail mérite salaire. Cette croyance rend très difficile de dissocier le revenu du travail. C’est pourtant aujourd’hui un enjeu de justice essentiel.</p>
<p>En réalité, pour s’approprier quelque chose, beaucoup d’autres voies sont possibles : on peut acheter, recevoir un don, trouver, chasser quelque chose, longtemps, par ailleurs, on acquérait des terres par la conquête et par la guerre. Inversement, certains travaux bénévoles ou invisibles – comme le travail parental plus souvent <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2012-3-page-5.htm">assumé par les femmes</a> – ne donnent lieu à aucun salaire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-dette-nouvelle-forme-de-travail-des-femmes-204323">La dette, nouvelle forme de travail des femmes</a>
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<h2>Tout travail mérite récompense : le legs de John Locke</h2>
<p>L’idée selon laquelle la forme naturellement légitime de l’acquisition devrait être le travail et que tout travail mériterait récompense a sans doute trouvé sa première formulation sous la plume du philosophe anglais du XVII<sup>e</sup> siècle, John Locke, au chapitre 5 du <a href="https://www.puf.com/content/Le_second_trait%C3%A9_du_gouvernement"><em>Second traité du gouvernement</em></a> (1689). Dans ce chapitre, Locke s’intéresse à la façon dont on peut devenir propriétaire d’une parcelle des ressources naturelles livrées par Dieu à tous les hommes.</p>
<p>Pour ce faire, il ne voit que le travail. Cela se comprend aisément à travers l’argument du mélange qu’il donne. Voici comment le restitue le professeur de philosophie <a href="https://www.asc.ox.ac.uk/person/professor-jeremy-waldron">Jérémy Waldron</a> :</p>
<ol>
<li><p>Un individu qui travaille une chose mélange son travail à la chose ; à condition que cette chose ne soit à personne ;</p></li>
<li><p>Or, cet individu est propriétaire du travail qu’il mélange à la chose ;</p></li>
<li><p>Donc la chose qui a été travaillée contient « quelque chose » qui appartient au travailleur ;</p></li>
<li><p>Donc enlever la chose au travailleur sans son consentement implique de lui retirer également ce « quelque chose » qu’il a mêlé à la chose par son travail et qui lui appartient ;</p></li>
<li><p>Donc personne ne peut retirer au travailleur la chose qu’il a travaillée sans le consentement de celui-ci ;</p></li>
<li><p>Donc l’objet est la propriété du travailleur.</p></li>
</ol>
<p>Le meilleur exemple de la structure de justification présentée ici abstraitement est peut-être celui de l’agriculteur qui mélange son travail à sa terre. Une fois le mélange réalisé, nul n’a plus aucune légitimité morale à prendre possession du sol, dans la mesure précise où notre paysan, en labourant son champ, y a mis quelque chose qui est naturellement à lui (et que personne n’aurait l’idée de lui contester), à savoir son effort laborieux. Par suite, maître en son domaine, il pourrait disposer à sa guise de ce qu’il a acquis par son labeur sans que nul n’ait l’autorisation d’interférer.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un agriculteur laboure un champ de vignes" src="https://images.theconversation.com/files/525606/original/file-20230511-21-st7auf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525606/original/file-20230511-21-st7auf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525606/original/file-20230511-21-st7auf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525606/original/file-20230511-21-st7auf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=425&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525606/original/file-20230511-21-st7auf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525606/original/file-20230511-21-st7auf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525606/original/file-20230511-21-st7auf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=534&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un agriculteur laboure un champ de vignes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/629583">Pxhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Certes, il faut remettre Locke dans son contexte et se garder d’en faire un théoricien de l’économie de marché comme a pu le faire le théoricien en sciences politiques canadien du milieu du XX<sup>e</sup> siècle <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crawford_Brough_Macpherson">Crawford Brought Macpherson</a>, car telle n’était pas sa perspective.</p>
<p>Il cherchait plutôt à asseoir une doctrine des droits naturels contre l’arbitraire. Et il appelait ces droits des propriétés naturelles des individus qu’il énumérait ainsi : l’existence, la liberté et les biens. C’est d’ailleurs cette ligne que suivra <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/10/15/il-y-a-trois-cents-ans-le-bill-of-rights_4133479_1819218.html">Guillaume d’Orange avec le « Bill of Rights »</a> (Charte des droits) de 1689. Or <a href="https://www.cairn.info/la-republique-et-le-prince-moderne--9782130585572-page-101.htm">Locke gravitait dans les cercles de Guillaume</a>, qui prit le pouvoir en Angleterre en 1689 suite à la deuxième révolution anglaise, dite Glorieuse révolution.</p>
<p>Néanmoins, on doit admettre qu’en mettant au jour un fondement moral aux droits individuels en vue d’établir une limite au-delà de laquelle un gouvernement légitime ne devait pas aller, Locke a participé à façonner une idéologie qui continue de structurer puissamment nos sociétés modernes.</p>
<h2>L’éthique protestante de Weber</h2>
<p>On pourrait aussi associer l’importance donnée au travail à ce que le sociologue et économiste allemand Max Weber a appelé <a href="https://editions.flammarion.com/lethique-protestante-et-lesprit-du-capitalisme/9782081416789">l’éthique protestante</a>. Le travail serait rédempteur et travailler ferait partie de la vocation spirituelle de l’être humain sur terre. Cette idée n’est d’ailleurs pas absente de la pensée de Locke dans la mesure où ce dernier présente le travail comme un devoir imposé par Dieu à ses créatures pour s’approprier les ressources nécessaires à leur conservation et pour mettre en valeur la Création.</p>
<p>Le travail est, en ce sens, un effort méritoire parce qu’il valorise la Création tout en permettant la satisfaction de nos besoins faisant ainsi se rejoindre le lexique de la loi de nature et celui des droits individuels. Le travail fonderait, en ce sens, un mérite et justifierait la récompense.</p>
<p>Ce n’est pas ici le lieu de revenir sur l’existence ou non de limites à l’appropriation dans la philosophie lockéenne. Il me semble plus intéressant de discuter le lien idéologique entre travail et propriété que Locke opère parce qu’il fait obstacle à bien des progrès.</p>
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<p>Pensons, par exemple, au revenu de base ou revenu universel. Un des arguments progressistes – par exemple ceux soulevés par le sociologue <a href="https://luxediteur.com/catalogue/contre-lallocation-universelle/">Mateo Alaluf</a> – pour en contester le principe est qu’il serait une manière de s’accommoder du chômage de masse au lieu de donner du travail à tous, avec l’idée sous-jacente que le revenu devrait nécessairement dériver du travail et qu’un revenu sans travail serait comme un effet sans cause.</p>
<p>En réalité, il y a bien des arguments contre cette thèse d’un lien naturel entre le travail et la propriété.</p>
<h2>Indemniser pour compenser ce qui a été produit sans effort</h2>
<p>Je me contenterai d’en examiner certains succinctement. On peut d’abord assez facilement montrer que le travail est un facteur insuffisant pour expliquer la production. En effet, il est évident que le paysan qui travaille un terrain fertile et celui qui travaille beaucoup une terre caillouteuse n’auront pas la même récolte et ce indépendamment de l’intensité et de la qualité de l’effort fourni.</p>
<p>Le travail du plus riche d’entre eux n’expliquera donc pas seul sa bonne fortune. Ce dernier ne fera pas que récolter les fruits de son labeur, mais profitera peut-être avant tout d’une ressource naturelle qu’il n’a pas créée et dont il a la chance de bénéficier à l’exclusion des autres. Évidemment cet exemple est généralisable : il entre dans toute production une partie que je n’ai pas produite mais dont mon effort dépend pour être productif.</p>
<p>Admettons que je sois propriétaire de mon travail, puis-je, pour autant, m’approprier la ressource naturelle que j’exploite à mon propre bénéfice alors que je ne l’ai pas produite, ne suis-je pas alors spoliateur en retirant au reste de l’humanité une ressource dont je tire un bénéfice exclusif ?</p>
<p>On pourrait certes répondre que ce bénéfice n’est pas exclusif parce qu’en récoltant les fruits des arbres qui poussent dans mon champ et en les vendant j’en fais profiter mes congénères. Mais, même si c’était le cas, cela ne retirerait rien au fait que je me suis approprié indûment quelque chose qui existait avant mon travail sous la forme d’une ressource naturelle commune.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Femmes cueillant des fruits" src="https://images.theconversation.com/files/525609/original/file-20230511-19-nmisnr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525609/original/file-20230511-19-nmisnr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525609/original/file-20230511-19-nmisnr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525609/original/file-20230511-19-nmisnr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525609/original/file-20230511-19-nmisnr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525609/original/file-20230511-19-nmisnr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525609/original/file-20230511-19-nmisnr.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Puis-je m’approprier la ressource naturelle que j’exploite à mon propre bénéfice alors que je ne l’ai pas produite ?</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/jardinier-ethnique-recolte-des-fruits-avec-sa-fille-5529012/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est cette intuition qui a été développée par le philosophe anglais et révolutionnaire français Thomas Paine, à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle dans son ouvrage, <a href="https://link.springer.com/book/9780333794678"><em>Agrarian Justice</em></a>.</p>
<p>Il considérait que les propriétaires devaient indemniser le reste de l’humanité qu’ils avaient spolié en abondant une caisse. Celle-ci serait capable de fournir de quoi donner à chaque jeune adulte un héritage universel pour lui permettre de débuter dans la vie adulte et à toute personne âgée incapable de travailler de recevoir une pension. C’est un équivalent de ce que, plus tard, au XIX<sup>e</sup> siècle, l’économiste américain Henry George appellera la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_George_( %C3 %A9conomiste)">« Land tax »</a>.</p>
<p>C’est aussi une idée dont tireront partie des philosophes libertariens de gauche comme Hillel Steiner, Peter Vallentyne ou Michel Otsuka. Tout en acceptant, comme les libertariens de droite, le principe de la propriété absolue de soi-même, les libertariens de gauche proposent une théorie normative qui permet de justifier des formes de justice redistributive.</p>
<p>Hillel Steiner, par exemple, affirme que tout ce que l’on produit ne nous revient pas parce que tout processus de production dépend de façon plus ou moins étroite de deux ensembles de ressources qui sont indépendantes de nos choix et de notre travail individuels. Ces deux ensembles sont les ressources externes (comme le champ dont nous venons de parler) d’une part et d’autre part ce qu’il appelle les ressources internes comme le patrimoine génétique que l’on reçoit comme un don de la nature.</p>
<p>De ce fait, nul ne peut être considéré comme plein propriétaire de tout ce qu’il produit en exploitant son patrimoine génétique quand celui-ci lui donne un avantage sur les autres. Inversement, les personnes en situation de handicap n’ont pas à pâtir d’une position qui leur porte préjudice indépendamment des efforts méritoires qu’elles peuvent, par ailleurs, fournir. Il conviendrait donc, selon Steiner, que les mieux dotés à la loterie génétique versent une compensation aux autres pour <a href="https://blackwells.co.uk/bookshop/product/An-Essay-on-Rights-by-Hillel-Steiner-author/9780631190271">corriger l’injustice génétique</a>.</p>
<h2>Tenir compte du contexte extérieur à soi</h2>
<p>Il ne s’agit pas de dire alors que tous nos talents viendraient de notre code génétique et seraient indépendants de notre travail. D’aucuns pourraient d’ailleurs dire qu’entre deux personnes génétiquement bien dotées, ce qui fera la différence c’est, précisément, le travail parce qu’un talent brut qui ne serait pas exploité par l’effort individuel n’aurait aucune valeur. Certes un champion de foot a pu profiter d’un patrimoine génétique avantageux, mais il a bien fallu qu’il travaille dur pour en tirer partie. C’est ce travail qui doit être récompensé.</p>
<p>Sauf que, cet argument lui-même, est discutable au sens où la capacité à se mettre au travail dépend, notamment, de la confiance en soi, de la croyance selon laquelle notre effort peut produire quelque chose qui a de la valeur aux yeux des autres, et cette confiance dépend très largement de l’amour parental et des expériences du passé qui auront ou non donné confiance à la personne.</p>
<p>La confiance en soi elle-même qui, seule, permet de se mettre au travail nous est donc très largement donnée par un contexte social extérieur à soi. Il est, par conséquent, extrêmement difficile de faire la part entre ce qui nous revient parce que nous avons travaillé pour l’obtenir et ce qui ne nous revient pas parce que cela provient d’un contexte extérieur sur lequel nous n’avons aucune prise par la volonté.</p>
<p>Outre les avantages que nous procurent indûment les ressources naturelles, nous avons toujours tendance à nous approprier également ce que les opportunités et les avantages de la vie sociale nous apportent en en tirant un bénéfice personnel exclusif.</p>
<p>Cette intuition peut s’exprimer dans la phrase pascalienne selon laquelle quand nous travaillons et produisons quelque chose, nous le faisons toujours <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Des_nains_sur_des_%C3%A9paules_de_g%C3%A9ants">juchés sur des épaules de géants</a>. Nous nous contentons de nous servir dans le tronc commun fournit par la société sans jamais nous demander si nous lui sommes redevables de cela.</p>
<h2>Une dette sociale</h2>
<p>Une telle thèse consiste à défendre que nous contractons, sans le savoir, une dette à l’égard du reste de la société du fait des avantages gratuits qu’elle nous fournit et desquels notre réussite personnelle dépend largement. Or si nous imaginons devoir être pleinement propriétaires des fruits de notre travail qui contiennent un matériau irréductiblement social, nous nous approprions à nouveau quelque chose qui ne nous revient pas.</p>
<p>C’est une intuition qui a été exploitée par des philosophes et hommes politiques <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Le-moment-republicain-en-France">appelés solidaristes</a>. Léon Bourgeois, par exemple, qui a été président du conseil en 1895, a défendu le principe de l’impôt sur le revenu (qui n’existait pas encore à cette époque) sur cette base : tout ce que nous gagnons ne vous revient pas parce que nous aurions toutes et tous une « dette sociale », dette qui s’accroîtrait à mesure que nous bénéficierions des avantages de la vie en société. L’idée que l’association humaine produit quelque chose qui ne se réduit pas à la somme des travaux individuels et qui rend tout individu débiteur de la société est d’ailleurs également une intuition centrale de la pensée ouvrière de la deuxième moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, par exemple <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/philosophie-et-histoire-des-idees/proudhon-contemporain/">chez Proudhon</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Montage photo" src="https://images.theconversation.com/files/525684/original/file-20230511-17-sg2wru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C12%2C2048%2C1348&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525684/original/file-20230511-17-sg2wru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525684/original/file-20230511-17-sg2wru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525684/original/file-20230511-17-sg2wru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525684/original/file-20230511-17-sg2wru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525684/original/file-20230511-17-sg2wru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525684/original/file-20230511-17-sg2wru.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les choses que nous achetons et que nous possédons sont-elles vraiment issues du labeur que nous consacrons à les acquérir ? Montage photographique « Morning Shopping. ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/eole/3669364668/in/photostream/">Éole Wind/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>On pourrait, par ailleurs, ajouter que c’est souvent la chance plutôt que le mérite qui explique les trajectoires de réussite sociale. Les phénomènes d’héritage distordent également en permanence la distribution des ressources au sein de la société et rendent bien difficile la possibilité d’attribuer telle ou telle fortune au seul <a href="https://www.puf.com/content/Les_transclasses_ou_la_non-reproduction">travail isolé d’une personne</a>. La propriété permet ainsi de ne pas travailler quand on est rentier, et le marché lui-même ne fonctionne pas au mérite et à la récompense du travail, il est simplement le <a href="https://www.vrin.fr/livre/9782711621606/abolir-le-hasard">résultat des échanges contractuels et de bien des hasards</a>.</p>
<p>Bref, il conviendrait de rompre avec l’idée que le travail serait la seule base légitime d’une distribution juste. Pourtant, aujourd’hui, y compris ceux qui critiquent l’exploitation du travail, restent, en un sens, fidèles à la pensée lockéenne, dans la mesure où ils estiment que la production devrait revenir aux travailleurs alors qu’elle est détournée par les propriétaires des moyens de production. Face à ces idées datées, il me semble urgent de dissocier travail et appropriation pour penser les cadres d’une société juste sur d’autres bases.</p>
<hr>
<p><em>À lire aussi</em></p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/la-dette-nouvelle-forme-de-travail-des-femmes-204323">La dette, nouvelle forme de travail des femmes</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/le-beau-travail-une-revendication-ouvriere-trop-souvent-oubliee-173446">Le beau travail, une revendication ouvrière trop souvent oubliée</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/le-travail-ultime-lieu-de-fabrique-de-la-politique-et-de-labstention-178668">Le travail, ultime lieu de fabrique de la politique et de l’abstention</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/penser-lapres-seule-la-reconversion-ecologique-pourra-eviter-la-deshumanisation-du-travail-138008">Penser l’après : seule la reconversion écologique pourra éviter la déshumanisation du travail</a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/204833/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Crétois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un lien idéologique fort s’est noué entre travail et appropriation des ressources, dont la notion de propriété. Pourtant, certains penseurs questionnent ce rapport entre revenu et travail.Pierre Crétois, Chercheur en philosophie, maître de conférence, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1873322023-04-12T13:41:26Z2023-04-12T13:41:26ZCinq façons de composer avec l’épuisement professionnel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/477918/original/file-20220805-23-oqjck0.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=29%2C29%2C3865%2C2586&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les travailleurs de la santé ont été confrontés à un épuisement excessif durant la pandémie.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>En raison de la pandémie – et des technologies qui nous rendent joignables en tout temps et en tout lieu, le travail est devenu une activité perpétuelle. Ajoutez à cela les pressions pour créer et livrer la marchandise toujours plus rapidement, et il devient difficile de prendre du recul.</p>
<p>Pas surprenant, donc, que beaucoup d’entre nous se sentent <a href="https://theconversation.com/were-all-exhausted-but-are-you-experiencing-burnout-heres-what-to-look-out-for-164393">épuisés</a>. L’épuisement professionnel – qui frappe souvent davantage les <a href="https://doi.org/10.1111/gwao.12567">femmes que les hommes</a> – est partout. Parmi les personnes particulièrement <a href="http://dx.doi.org/10.1136/postgradmedj-2020-137980">touchées durant la pandémie</a>, on trouve les <a href="https://theconversation.com/teacher-burnout-hits-record-high-5-essential-reads-185550">enseignants</a> et les <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/healthcare-workers-burnout-1.6492889?cmp=rss">travailleurs de la santé</a>.</p>
<p>Nous savons que l’épuisement professionnel existe <a href="https://www.forbes.com/sites/nazbeheshti/2021/04/15/the-pandemic-has-created-a-new-kind-of-burnout-which-makes-well-being-more-critical-than-ever/?sh=4742fe702f01">et que grand nombre d’entre nous le vivent</a>. Alors, comment s’en sortir ?</p>
<p>L’épuisement professionnel est un problème grave qui mérite toute notre attention. Mes travaux de recherche sur les personnes en emploi dans diverses organisations et leurs méthodes de travail m’aident à mieux comprendre comment prendre en charge des problèmes fréquents et répandus comme l’épuisement professionnel.</p>
<h2>1. Poser des limites</h2>
<p>Les gens ont besoin de <a href="https://doi.org/10.1111/eci.12494">limites</a> et y ont droit. Personne n’est obligé de se consacrer au <a href="https://theconversation.com/does-being-away-from-your-smartphone-cause-you-anxiety-the-fact-that-it-makes-you-available-24-7-could-be-the-reason-166329">travail 24 heures sur 24, sept jours sur sept</a>, et encore moins de se soumettre aux pressions sociales qui nous y poussent.</p>
<p>Il est essentiel de se reposer pour garder la santé, tout comme il est important de maintenir une bonne hygiène de <a href="https://doi.org/10.1016%2Fj.slsci.2015.09.002">sommeil</a>, de <a href="https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC4214609/">bonnes habitudes alimentaires</a>, une <a href="https://doi.org/10.1186/1471-244x-14-118">bonne forme physique</a> et une bonne <a href="https://doi.org/10.1308/rcsann.2020.0040">qualité de vie</a>.</p>
<p>Par ailleurs, lorsque nous ne tenons pas compte de nos limites, cela peut aussi avoir des répercussions sur <a href="https://doi.org/10.1177/1077558719856787">notre entourage</a>. Par exemple, l’épuisement professionnel chez les membres du personnel infirmier se traduit par des soins aux patients de moindre qualité et à un <a href="https://doi.org/10.1016/j.ijnurstu.2021.103933">engagement plus faible</a> au travail. Nos proches peuvent également en souffrir. En apportant le stress du travail à la maison, <a href="https://doi.org/10.1037/ocp0000298">nous devenons plus colériques, sommes moins présents pour nos proches et devenons plus renfermés</a>.</p>
<h2>2. S’en tenir aux engagements contractuels</h2>
<p>Vérifiez votre contrat de travail ou votre convention collective. Tentez d’évaluer le plus exactement possible ce à quoi l’on s’attend de vous et tenez-vous-en à cela. Avis aux amoureux et amoureuses de leur travail : <a href="https://workwontloveyouback.org/">il ne vous aimera pas en retour</a>.</p>
<p>Si vous avez droit à des vacances, prenez-les. Le même principe s’applique aux congés de maladie : si vous y avez droit, n’hésitez pas à en profiter pour prendre du repos quand vous ne vous sentez pas bien.</p>
<h2>3. S’accorder la priorité</h2>
<p>Vous devez connaître vos traits de personnalité, <a href="https://theconversation.com/je-suis-accro-au-travail-mais-je-me-soigne-la-pleine-conscience-au-secours-des-workaholics-185042">avoir conscience</a> de la manière dont vous passez vos journées, et de ce que vous voulez vraiment.</p>
<p>Demandez-vous pourquoi vous travaillez et ce que vous souhaitez en tirer. À quoi convenez-vous de renoncer pour y arriver, et que refusez-vous de sacrifier au profit du travail ? Qu’est-ce que vous ne voudriez pas regretter plus tard ?</p>
<p>Prenez le temps de réfléchir à ces questions et d’évaluer si votre vie s’accorde avec vos priorités. Vos journées reflètent-elles vos préférences ? Si non, pour quelles raisons et de quelles façons ?</p>
<p>Pensez à ce que vous pouvez changer, essayez de passer vos journées différemment et observez le résultat. Si une chose semble mieux fonctionner, intégrez-la dans votre rituel quotidien ; sinon, essayer autre chose.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une personne aux cheveux longs est assise, la tête posée sur un bureau" src="https://images.theconversation.com/files/472391/original/file-20220704-22-wrluud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/472391/original/file-20220704-22-wrluud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/472391/original/file-20220704-22-wrluud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/472391/original/file-20220704-22-wrluud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/472391/original/file-20220704-22-wrluud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/472391/original/file-20220704-22-wrluud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/472391/original/file-20220704-22-wrluud.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">L’épuisement n’est pas un problème isolé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Abbie Bernet/Unsplash)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>4. Parler d’épuisement au travail</h2>
<p>Il y a une limite à ce que l’on peut faire sur le plan personnel pour gérer l’épuisement, qui est <a href="https://www.psychologies.com/Travail/Souffrance-au-travail/Burn-out/Interviews/Le-burn-out-est-le-signal-d-un-dysfonctionnement-collectif">loin d’être un problème isolé</a>.</p>
<p>Comme employés, nous devons remettre en question, repenser et réformer les organisations qui engendrent une surcharge de travail – non seulement il est important d’avoir ces conversations avec soi, ses proches et sa famille, <a href="https://www.forbes.com/sites/pauladavis/2021/06/22/how-to-talk-about-burnout-at-work/">mais aussi d’en parler au travail</a>.</p>
<p>Les organisations devraient souhaiter s’attaquer à l’épuisement professionnel. Aller à l’opposé serait contre-productif étant donné que l’épuisement entraîne un <a href="https://doi.org/10.1136/bmj.l4774">plus grand roulement du personnel et des pertes de revenu, en plus d’être associé à un taux de productivité plus faible</a>. Les organisations sont toutefois difficiles à réformer.</p>
<p>Souvent, elles ne peuvent ou ne veulent pas voir en <a href="https://www.mckinsey.com/mhi/our-insights/addressing-employee-burnout-are-you-solving-the-right-problem">quoi cela constitue un écueil</a>. Elles tendent à vouloir régler un problème de nature collective ou systémique en <a href="https://doi.org/10.1037/cpb0000090">proposant des solutions individuelles</a>. Or, ce n’est pas en offrant des cours de yoga et des programmes de mieux-être que l’on diminue la surcharge de travail.</p>
<p>Si vous avez l’énergie et la volonté de vous attaquer à la surcharge de travail au sein de votre organisation, commencez doucement. Parlez-en d’abord à des collègues en qui vous avez confiance afin de connaître et de partager vos expériences respectives. Cela peut contribuer à sensibiliser votre milieu de travail à l’épuisement professionnel en tant que problème collectif.</p>
<h2>5. Reconnaître que le problème ne concerne pas uniquement autrui</h2>
<p>Un rôle important incombe aux cadres, car ce sont eux qui ont le pouvoir de changer les choses, et les ressources pour le faire. Si leurs employés s’épuisent au travail, c’est qu’ils jugent la situation acceptable.</p>
<p>Les dirigeants responsables devraient s’enquérir de la situation de leurs employés au regard des risques d’épuisement. Ils devraient <a href="https://theconversation.com/tackling-burnout-how-to-deal-with-stress-and-safety-in-the-workplace-161852">comprendre</a> en quoi leur entreprise contribue à l’épuisement professionnel. Il peut s’agir de s’informer sur la façon <a href="https://doi.org/10.1016/j.outlook.2020.06.008">dont est organisé le travail</a> ou <a href="https://doi.org/10.1093/jamia/ocy145">dont les technologies de l’information influent sur le travail</a>, ou encore <a href="https://doi.org/10.1080/10401334.2019.1638263">du soutien qui est offert – ou non – à leurs employés</a>.</p>
<p>Les cadres <a href="https://theconversation.com/corporate-leadership-why-the-tone-at-the-top-has-moral-consequences-172134">donnent le ton</a> et proposent un modèle de ce qui est acceptable – comme la surcharge de travail ou le besoin de prendre du temps pour soi. Au bout du compte, si la surcharge de travail s’inscrit dans la culture de l’entreprise, on doit reconnaître que le problème réside dans l’organisation elle-même.</p>
<p>L’épuisement professionnel est un problème grave qui requiert toute notre attention.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187332/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claudine Mangen a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.</span></em></p>L’épuisement professionnel est un problème grave qui mérite toute notre attention. Cet article propose quelques conseils pratiques pour faire face aux problèmes liés à l’épuisement professionnel.Claudine Mangen, RBC Professor in Responsible Organizations and Associate Professor, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2032632023-04-11T17:00:16Z2023-04-11T17:00:16ZTaux d’emploi des femmes : une stagnation après plusieurs décennies de forte progression<p>La progression de la participation des <a href="https://theconversation.com/topics/femmes-27381">femmes</a> au <a href="https://theconversation.com/topics/emploi-20395">marché du travail</a> depuis les années 1970 constitue une des évolutions majeures de nos sociétés. Soutien pour les revenus des ménages, carburant pour la croissance économique, elle a aussi joué un rôle important pour l’autonomie financière des femmes dans un contexte d’augmentation de la fréquence des <a href="https://www.lexpress.fr/societe/les-francais-divorcent-un-peu-moins_1798537.html">séparations conjugales</a>. Elle contribue également progressivement à l’amélioration des pensions de retraite des femmes et à leur rapprochement avec le niveau de celles des hommes.</p>
<p>Cette tendance se vérifie-t-elle néanmoins toujours ? Nos <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/population-et-societes/apres-plusieurs-decennies-de-forte-progression-le-taux-d-emploi-des-femmes-commence-a-stagner-en-france/">recherches</a> récentes, qui ont mobilisé 44 vagues de l’<a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/source/serie/s1223/">Enquête Emploi</a> de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), suggèrent un essoufflement, de la progression de l’emploi des femmes. Si le rapprochement avec le niveau d’emploi des hommes se poursuit, cela semble davantage le fait d’une baisse des indicateurs chez ces derniers que d’une hausse du côté des premières.</p>
<p>Avant d’entrer dans le détail des chiffres, une petite précision conceptuelle s’impose afin de bien saisir de quoi on parle. En statistiques, le <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1938">taux d’activité</a> à un âge A est défini comme le rapport entre le nombre d’actifs (des personnes soit en emploi soit au chômage) à l’âge A et l’ensemble de la population ayant le même âge. C’est, autrement dit, la proportion d’une classe d’âge insérée (en emploi) ou qui souhaite s’insérer dans l’emploi (au chômage). Le <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1332">taux d’emploi</a> à l’âge A représente, lui, la part des personnes d’âge A occupant un emploi. Il faut bien noter que son opposé n’est pas le taux de chômage : ne pas être en emploi, c’est soit être au chômage, soit être inactif.</p>
<h2>Rattrapage rapide jusqu’aux générations du baby-boom</h2>
<p>Le taux d’activité des femmes a fortement progressé depuis les années 1970, faisant de la France l’un des pays européens dans lequel il est le <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/revue-de-l-ofce-2018-4-page-77.htm">plus élevé</a> chez les 25-55 ans. À l’âge de 40 ans, il est passé de 69 % pour la génération née en 1945 à 86 % pour la génération née en 1975, soit une hausse de 17 points de pourcentage. Du fait de l’augmentation du chômage, cette hausse ne s’est pas totalement répercutée sur le taux d’emploi : il a, pour les mêmes âges et <a href="https://theconversation.com/topics/generations-39137">générations</a>, progressé pour sa part de seulement 15 points.</p>
<p><iframe id="x5cTf" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/x5cTf/4/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Cette hausse du taux d’emploi a, elle-même, pris, pour partie, la forme d’emplois à temps partiel : le taux d’emploi en équivalent temps plein, c’est-à-dire en tenant compte de la quotité de travail (un mi-temps apporte 0,5 au numérateur du calcul et 1 au dénominateur), a progressé de seulement 13 points. Autrement dit, une partie importante des femmes autrefois inactives occupent désormais un emploi mais celui-ci est fréquemment un emploi à temps partiel.</p>
<p>Ces tendances générales cachent en outre d’importantes disparités selon le niveau de diplôme. C’est essentiellement pour les plus diplômées que la progression de l’activité a pris la forme d’emploi à temps plein. La participation croissante des femmes a également été fortement déterminée par le nombre d’enfants à charge. L’augmentation a été assez modérée pour les femmes sans enfant qui travaillaient déjà souvent. En revanche, elle a été très marquée pour les femmes avec plus de deux enfants à charge dont une part significative était auparavant inactive. Pour celles-ci l’activité a très souvent pris la forme d’un emploi à temps partiel.</p>
<h2>Stagnation depuis les années 1970</h2>
<p>Les dernières données disponibles montrent que cette tendance à la progression de l’activité féminine s’essouffle, quand bien même les écarts restent importants : pour les femmes nées après 1975, activité et emploi ont cessé de progresser au fil des générations.</p>
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<p>Si l’écart avec leurs homologues masculins a continué de diminuer, c’est car le taux d’activité de ces derniers est en léger mais continuel reflux depuis plusieurs décennies. Les taux d’emploi ont décru à un rythme encore un peu plus rapide du fait de l’augmentation du chômage. A 40 ans, entre la génération née en 1945 et celle née en 1975, le taux d’activité des hommes a diminué de 4,5 points de pourcentage, passant de 97,6 % à 93,1 %. Le taux d’emploi a diminué de 8,3 points de pourcentage passant de 92,6 % à 84,3 %.</p>
<p>Comme pour les femmes, ces tendances cachent des disparités selon le niveau de qualification. Pour les hommes les plus diplômés, au même âge et pour les mêmes générations, le taux d’emploi a reculé de seulement 3 points de pourcentage contre 17,5 points pour les hommes les moins diplômés.</p>
<p>Les trentenaires mettent également bien en évidence la tendance. Les hommes de la génération 1985 avaient, à 30 ans des taux d’activité et d’emploi respectivement inférieurs de 3,5 et 5,9 points par rapport à la génération née en 1955 (trente ans auparavant).</p>
<p><iframe id="lts0S" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/lts0S/7/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>A 30 ans, pour la génération née en 1985 l’écart entre le taux d’emploi des hommes et celui des femmes demeure important : 14 points de pourcentage (84 % pour les hommes contre 70 % pour les femmes). Cet écart au même âge s’élevait à 32 points pour la génération née en 1945, à 26 points pour celle née en 1955 et encore à 17 points pour la génération née en 1965. En équivalent temps plein, l’écart entre les hommes et les femmes est encore plus important du fait de la forte proportion de femmes en emploi à temps partiel : à 30 ans pour la génération née en 1985 il est de 20 points de pourcentage. L’écart demeure donc important.</p>
<p>Les écarts d’activité et d’emploi entre les femmes et les hommes n’ont donc cessé de se réduire au fil des générations. Ce processus de rattrapage, qui a été très rapide pour les générations nées entre 1925 et 1970, ralentit très nettement pour les générations postérieures. Alors qu’il était autrefois tiré par la hausse de l’activité des femmes, il est désormais intégralement dû à la diminution de l’activité masculine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203263/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Henri Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’emploi des femmes continue depuis la génération 1975 à se rapprocher de celui des hommes, c’est aujourd’hui car le taux d’activité de ces messieurs tend à diminuer.Henri Martin, Economie, systèmes de retraite, protection sociale, inégalités, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2030652023-04-03T17:50:28Z2023-04-03T17:50:28ZChômage : un chiffre au plus bas mais qui masque le creusement des inégalités entre les territoires<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/518708/original/file-20230331-14-nkisrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=52%2C14%2C1146%2C779&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les régions Grand-Est et Hauts-de-France continuent d’être les plus touchées par le chômage. (Ici, une façade d’usine désaffectée à Tourcoing, dans le Nord)
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/126603373@N08/15145965333">Jacques Caffin/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Au quatrième trimestre 2022, le marché de l’emploi affiche une santé éclatante malgré le contexte macroéconomique morose. Avec 2,2 millions de personnes au <a href="https://theconversation.com/fr/topics/chomage-20137">chômage</a> <a href="https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1129">au sens du Bureau international du Travail (BIT)</a>, le <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6799848">taux de chômage en France s’établit à 7,2 %</a> de la population active et le taux d’activité est à son plus haut niveau historique. </p>
<p>Cette bonne tenue du marché du travail est confirmée par les <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/la-difficulte-de-recrutement-devient-le-cauchemar-numero-un-des-entreprises-1881800">difficultés de recrutement des entreprises</a>, notamment dans la construction, le transport et certaines activités industrielles. Par ailleurs, les <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6959807?sommaire=6795771">taux de marge des entreprises sont à la hausse</a> et, en 2022, les entreprises du CAC 40 ont été particulièrement généreuses, distribuant un montant record de <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/les-geants-du-cac-40-ont-reverse-80-milliards-deuros-a-leurs-actionnaires-en-2022-1895330">56,5 milliards d’euros de dividendes</a> à leurs actionnaires.</p>
<p>Cette situation s’explique en grande partie par le fait que l’économie est sous perfusion avec, depuis la pandémie de Covid-19, les aides d’urgence (le « quoi qu’il en coûte »), le plan <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/03/09/la-cour-des-comptes-etrille-le-plan-de-relance-de-2020_6116812_823448.html">« France relance »</a>, le plan <a href="https://www.economie.gouv.fr/france-2030">« France 2030 »</a>, les nouvelles <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/couteuses-aides-publiques-aux-entreprises-efficaces/00105830">exonérations de cotisations sociales</a> ou encore la suppression de la <a href="https://entreprendre.service-public.fr/actualites/A16251">cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises</a> sur deux ans. Les mesures pour limiter les <a href="https://www.ecologie.gouv.fr/bouclier-tarifaire-lelectricite-et-amortisseur-electricite">effets de la hausse des prix de l’énergie</a> sont récemment venues accroître les aides publiques aux entreprises.</p>
<p>Cette injection massive d’argent public dans l’économie sans contrepartie en matière d’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/emploi-20395">emploi</a> ou d’investissement demeure préoccupante. Elle interroge quant à la capacité de résilience et de rebond de l’économie française. Se pose également la question de la <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/2023-ou-la-difficile-sortie-du-quoi-qu-il-en-coute-945347.html">durabilité de cette situation</a>, ce qui appelle à une réflexion approfondie sur les enjeux économiques actuels et futurs.</p>
<h2>Tout va-t-il si bien que cela ?</h2>
<p>La situation économique française est en réalité plus mitigée. Plusieurs indicateurs, tels que le <a href="https://theconversation.com/rsa-le-non-recours-a-lallocation-un-probleme-bien-plus-important-que-la-fraude-184061">taux de non-recours aux prestations sociales</a>, révèlent des points de vigilance. La hausse des prix de l’énergie et des produits alimentaires <a href="https://www.bfmtv.com/economie/economie-social/inflation-les-menages-ages-ruraux-et-modestes-subissent-davantage-la-hausse-des-prix_AV-202303150519.html">pèse aussi lourdement sur les ménages les plus en difficulté</a>.</p>
<p>Du côté de l’industrie, les signes d’inquiétude sont également présents, avec un indice PMI, mesurant le niveau d’activité des directeurs des achats, pour l’industrie manufacturière en zone euro <a href="https://investir.lesechos.fr/marches-indices/economie-politique/europepmi-la-crise-dans-lindustrie-saccentue-1874932">au plus bas depuis 29 mois</a>. La production automobile, la cokéfaction et le raffinage, les industries extractives et le secteur de l’eau et de l’assainissement sont tous touchés.</p>
<p>La compétitivité extérieure française risque aussi de reculer davantage en raison de l’escalade de la guerre en Ukraine, qui pourrait entraîner une hausse des coûts de production des entreprises. Les contraintes d’approvisionnement et la <a href="https://theconversation.com/la-hausse-des-taux-dinteret-va-t-elle-deboucher-sur-une-nouvelle-crise-de-la-zone-euro-185872">hausse des taux d’intérêt</a> sont d’autres facteurs qui pèsent sur l’économie française. Enfin, la <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/biens-d-equipement-btp-immobilier/logements-neufs-chute-des-permis-de-construire-au-quatrieme-trimestre-apres-une-hausse-en-trompe-l-oeil-cet-ete-949603.html">chute du nombre de permis de construire</a> observée par la Fédération française du bâtiment annonce une possible baisse de l’activité des entreprises de la construction à moyen terme.</p>
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<p>Cette combinaison d’un taux de chômage à son plus bas niveau depuis 2008 et d’importantes difficultés macro-économiques est suffisamment exceptionnelle pour inquiéter les prévisionnistes. La Banque de France souligne par exemple que, même si la croissance du PIB français devrait atteindre <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/conjoncture/la-banque-de-france-plus-optimiste-pour-leconomie-francaise-en-2023-1917310">0,6 % en 2023</a>, elle reste inférieure à celle de la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) qui atteint 0,7 %.</p>
<p>Enfin, les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/inegalites-20617">inégalités</a> ne diminuent toujours pas. La situation des plus âgés s’améliore avec la <a href="https://www.ladepeche.fr/2022/09/20/revalorisation-du-minimum-vieillesse-quelle-somme-touchent-desormais-les-beneficiaires-10556090.php">hausse des montants du minimum vieillesse</a> ou de <a href="https://www.latribune.fr/economie/france/l-allocation-aux-adultes-handicapes-aah-sera-deconjugalisee-au-1er-octobre-2023-946110.html">l’allocation adulte handicapé</a> tandis que le projet de réforme des retraites pourrait <a href="https://www.inegalites.fr/Retraites-le-projet-de-reforme-est-il-injuste">pénaliser les femmes</a> et que la situation des jeunes <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sous-les-radars/precarite-etudiante-une-jeunesse-a-l-abandon-1695365">se détériore</a> (emplois précaires, bas salaires, taux de chômage supérieur à la moyenne).</p>
<p>À ces inégalités sociales s’ajoutent des inégalités territoriales.</p>
<h2>Des territoires laissés pour compte</h2>
<p>Déjà affaiblis par le recul tendanciel de l’industrie, la mise à l’arrêt de l’économie liée au Covid-19, les tensions sur les prix résultant de la reprise d’abord et de la guerre en Ukraine ensuite, nombre de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/territoires-33611">territoires</a> se trouvent aujourd’hui exposés à un fort risque économique.</p>
<p>L’évolution de l’emploi salarié privé, total et dans l’industrie (voir cartes ci-dessous) à l’échelle des zones d’emploi, reflète le maintien, voire l’aggravation, des disparités entre « la diagonale aride » et les façades maritimes. Pour rappel, une zone d’emploi désigne un ensemble de communes dans lequel la plupart des actifs résident et travaillent, et où les établissements peuvent trouver l’essentiel de leur main-d’œuvre. Le découpage réalisé par L’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) en 2020 identifie 305 zones d’emploi. Elle est considérée comme la maille spatiale la plus adaptée à l’étude des économies locales.</p>
<p><strong>Variation de l’emploi salarié privé entre 2009 et 2019</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/518704/original/file-20230331-22-nkisrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518704/original/file-20230331-22-nkisrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518704/original/file-20230331-22-nkisrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518704/original/file-20230331-22-nkisrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518704/original/file-20230331-22-nkisrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=554&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518704/original/file-20230331-22-nkisrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=697&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518704/original/file-20230331-22-nkisrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=697&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518704/original/file-20230331-22-nkisrp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=697&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Insee CLAP -- Calculs et cartographie : EconomiX</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p><strong>Variation de l’emploi salarié privé dans l’industrie entre 2009 et 2019</strong></p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/518705/original/file-20230331-14-ap08pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518705/original/file-20230331-14-ap08pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518705/original/file-20230331-14-ap08pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518705/original/file-20230331-14-ap08pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518705/original/file-20230331-14-ap08pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518705/original/file-20230331-14-ap08pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518705/original/file-20230331-14-ap08pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518705/original/file-20230331-14-ap08pd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Insee CLAP -- Calculs et cartographie : EconomiX</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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</figure>
<p>L’étude de ces zones d’emploi montre que les régions de grandes industries traditionnelles (Grand-Est, Hauts-de-France, Seine-Aval et Centre), déjà sévèrement touchées par le phénomène de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/desindustrialisation-36070">désindustrialisation</a> avant la crise sanitaire, pourraient l’être davantage. Mais c’est aussi le cas de territoires jusqu’alors relativement épargnés, comme le <a href="https://www.altares.com/fr/2023/03/06/defaillances-d-entreprises-en-pays-de-la-loire/">Val de Loire</a> ou la <a href="https://www.altares.com/fr/2023/02/23/defaillances-entreprises-2022-bretagne/">Bretagne</a> qui ont connu l’an dernier une forte hausse du nombre de faillites d’entreprises.</p>
<p>Les amortisseurs traditionnels, emplois publics et économie résidentielle notamment, ne semblent plus jouer leur rôle, alors que les vecteurs économiques de résilience (spécialisation industrielle, effets d’agglomération, services à forte intensité en connaissance) voient leur impact limité aux seuls territoires métropolitains. Cette dynamique concerne aussi l’industrie. Entre 2016 et 2019, <a href="https://theconversation.com/les-villes-premiers-moteurs-de-la-reindustrialisation-en-france-187167">60 % des emplois industriels ont été créés dans les métropoles et leurs aires d’attraction</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1568121431929634817"}"></div></p>
<p>Pour autant, <a href="https://www.pressesdesmines.com/produit/letonnante-disparite-des-territoires-industriels/">toutes les métropoles ne se portent pas bien</a>. Si Rennes, Nantes et Bordeaux connaissent un taux de croissance de l’emploi positif, nombreuses sont celles qui présentent aussi des difficultés (Grenoble et Saint-Étienne par exemple). La situation des métropoles centres peut, en outre, co-évoluer de différentes manières avec celle des zones d’emploi mitoyennes. Sur la figure ci-dessous, on voit ainsi que certaines métropoles affichent une dynamique de l’emploi (variation résiduelle de l’emploi dans les ZE métropolitaines) similaire à celle de leur périphérie (variation résiduelle de l’emploi dans les ZE adjacentes). Cette coévolution peut être positive comme dans les trois métropoles de l’Ouest ou négative comme à Metz, Clermont-Ferrand ou Nancy. Les évolutions peuvent aussi être opposées comme à Marseille où des emplois sont créés au centre mais détruits en périphérie alors que l’inverse se produit à Strasbourg ou Brest. Cette variété des situations remet largement en cause les politiques centrées sur les seules métropoles au profit de démarches mieux ancrées territorialement.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/518707/original/file-20230331-14-1lbwgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518707/original/file-20230331-14-1lbwgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518707/original/file-20230331-14-1lbwgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518707/original/file-20230331-14-1lbwgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518707/original/file-20230331-14-1lbwgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518707/original/file-20230331-14-1lbwgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518707/original/file-20230331-14-1lbwgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518707/original/file-20230331-14-1lbwgo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=407&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Effet local dans les zones d’emploi métropolitaines et les zones d’emploi mitoyennes. Note : L’effet résiduel est égal à la variation de l’emploi observée dans une zone d’emploi (ZE) moins la variation de l’emploi dans chaque secteur si tous se comportaient identiquement à la tendance nationale. Lecture : La variation résiduelle de l’emploi de la métropole lyonnaise est de +3,2 % alors qu’elle est légèrement négative (-0,4 %) dans les zones d’emploi contiguës.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Un avenir moins radieux est plausible</h2>
<p>Alors que les annonces du gouvernement et les réformes à l’œuvre (chômage, retraites) reposent sur l’hypothèse d’une reprise économique et d’une croissance retrouvée, un autre avenir, moins radieux à moyen – long terme, semble plausible. Des signaux, encore faibles, montrent un risque de superposition de chocs locaux d’ampleur inégale qui creuseraient les disparités entre les territoires.</p>
<p>Or, dans un contexte fortement inflationniste, la plupart des collectivités locales verront leur dotation globale de fonctionnement (DGF) seulement maintenue. On peut donc s’interroger sur l’avenir de l’offre de services publics locaux indispensables à la transition écologique, à la cohésion sociale et à l’égalité des territoires, au premier rang desquels les <a href="https://hal.science/hal-02489699">transports collectifs urbains</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203065/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nadine Levratto a reçu des financements de l'Institut pour la Recherche de la Caisse des Dépôts et du réseau Finances Locales. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Philippe Poinsot a reçu des financements du réseau Finances Locales. </span></em></p>Les chocs successifs ont aggravé les difficultés dans les zones d’emploi les plus touchées historiquement par la désindustrialisation.Nadine Levratto, Directrice de Recherche au CNRS, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresPhilippe Poinsot, Maître de conférences, Université Gustave EiffelLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1856522023-03-28T14:22:33Z2023-03-28T14:22:33ZPour pallier la pénurie de main-d’œuvre, il faut retenir les professionnels plus âgés en emploi. Voici comment<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/514990/original/file-20230313-2324-ji8h2b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=60%2C0%2C6720%2C4466&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bien des professionnels plus âgés souhaitent demeurer en emploi plus longtemps. Mais à certaines conditions.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Le secteur de la finance et des assurances est confronté à d’énormes pressions, dont celui de la pénurie de main-d’œuvre <a href="https://www.revuegestion.ca/penurie-de-main-douvre-la-catastrophe-annoncee">qui touche aussi d’autres secteurs d’activité au Québec</a>. </p>
<p>Or, une partie de cette main-d’œuvre quitte leur emploi parfois à contrecœur, n’ayant guère d’autres options : les professionnels plus âgés, qui ont le sentiment que leurs besoins ne sont pas comblés par leurs gestionnaires. </p>
<p>Comme chercheurs en management, les incidences du vieillissement de la population sur les pratiques de gestion des ressources humaines s’avèrent cruciales à investiguer. Ma collègue Marie-Ève Beauchamp-Legault et moi-même <a href="https://doi.org/10.3390/su14010484">avons mené une étude par entrevues auprès de 19 professionnels âgés entre 51 et 62 ans du secteur de la finance</a> afin de comprendre ce qui les motive à rester en emploi plus longtemps, ou les démotive à le faire. </p>
<p>On sait qu’une <a href="https://www.lesoleil.com/2022/03/11/penurie-de-main-duvre-des-incitatifs-pour-favoriser-le-retour-au-travail-des-aines-f3e6c09cbd4b943cc30786447869db53">meilleure rétention sur le marché du travail des travailleurs plus âgés</a> figure parmi les solutions pour atténuer la pénurie actuelle de main-d’œuvre. Mais comment faire ? Nos résultats confirment <a href="https://doi.org/10.1146/annurev-orgpsych-032516-113108">l’importance de satisfaire leurs besoins de compétences, d’autonomie et de relations</a> ainsi <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2018.01157/full">que celui de bienfaisance</a>. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quelles-solutions-pour-prolonger-la-vie-professionnelle-des-travailleurs-plus-ages-183177">Quelles solutions pour prolonger la vie professionnelle des travailleurs plus âgés ?</a>
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<hr>
<h2>Répondre aux besoins d’autonomie</h2>
<p>Nos résultats montrent que les professionnels âgés ont besoin d’accommodements personnalisés tant sur le plan du contenu du travail (charge, rythmes, tâches) que des horaires et du temps de travail (exemption des heures supplémentaires ou des quarts de nuit, congés supplémentaires, travail partagé, horaire flexible, temps partiel). </p>
<p>On peut penser ici que le travail entièrement ou partiellement à distance, très fréquent dans cette industrie, devrait favoriser le prolongement de la vie active des professionnels âgés. Évidemment, ces derniers doivent pouvoir bénéficier de ces pratiques sur une base volontaire pour satisfaire leur besoin d’autonomie. Si ces pratiques sont imposées, elles peuvent précipiter leur départ. </p>
<p>Voici quelques extraits à ces sujets, provenant de nos interviewés, hommes et femmes, âgés entre 51 ans et 62 ans. </p>
<blockquote>
<p>D’ici un an, je vais ralentir ou arrêter parce qu’il est clair que je ne veux pas continuer à 110 %. J’aimerais avoir la possibilité de travailler à distance, de ne pas être obligé d’être physiquement au bureau. Si l’organisation n’est pas en mesure de répondre à ce besoin-là, je devrai trouver une réponse à l’extérieur de l’organisation.</p>
<p>Un élément important pour la rétention en emploi, c’est la conciliation travail-famille. Les jeunes cherchent une flexibilité parce que l’enfant est à la garderie, puis à l’école. Pour les personnes plus âgées, leur conciliation travail-famille, c’est quelquefois avec un conjoint plus âgé qui est malade et qui a besoin d’attention.</p>
<p>J’ai un nouvel emploi depuis l’an passé qui est peu moins accaparant. Avant, je travaillais six jours par semaine. On m’a offert un emploi moins exigeant […] mais j’ai encore un défi intéressant et j’apprends encore.</p>
<p>J’ai demandé ouvertement de ralentir un an avant. […] j’ai demandé de ralentir, de diminuer mes responsabilités. J’ai demandé de me faire travailler à temps partiel, mais ils n’ont pas voulu. Je suis partie. </p>
</blockquote>
<p>Comme on sait <a href="https://www.jstor.org/stable/24883701">que les employés plus âgés peuvent aussi continuer à travailler par nécessité financière</a>, il importe de leur offrir une rémunération suffisante en reclassant leurs postes, en leur octroyant des primes, des congés plus nombreux ou plus long, des prestations d’assurance maladie ou d’autres avantages (conseils financiers ou de retraite, centres sportifs). </p>
<p>Il importe aussi de revoir les modalités de retraite (retraite progressive ou différée) ou la possibilité de continuer à travailler après l’âge de la retraite (prestations de transition supplémentaires, pensions accrues). </p>
<h2>Répondre aux besoins de compétences</h2>
<p>Comme le manque de compétences peut inciter les professionnels âgés à prendre une retraite anticipée, il importe d’investir dans leur perfectionnement, de leur offrir des défis ainsi que des promotions afin de signaler la valeur de leurs contributions. </p>
<p>On peut alors penser à revoir le contenu de leur travail de manière à ce qu’ils puissent maintenir ou améliorer leurs compétences au cours d’une deuxième carrière, des transferts, des affectations particulières comme la consultation, le mentorat ou l’encadrement de jeunes recrues. </p>
<blockquote>
<p>J’ai la chance de pouvoir bénéficier de formations. J’essaie de me tenir informée justement pour ne pas me sentir dépassée.</p>
<p>Il y a beaucoup de personnes qui ont quitté trop rapidement l’organisation. Ils n’ont pas eu le temps de transmettre ce qu’ils savaient […]. Un plus grand transfert des compétences du personnel âgé qui ont une valeur pour l’organisation favoriserait leur implication et leur rétention. </p>
</blockquote>
<h2>Répondre aux besoins de relation des travailleurs âgés</h2>
<p>Malgré l’absence de preuves empiriques, les stéréotypes négatifs à l’égard des travailleurs âgés peuvent persister (ils sont moins compétents, résistent au changement, ont moins de capacité d’apprendre) et les inciter à prendre leur retraite. </p>
<p>Selon certains participants, les professionnels de la finance sont susceptibles d’être considérés comme « vieux » plus tôt que ceux d’autres secteurs. Confronté à d’importants changements technologiques, le secteur des services financiers pourrait être plus vulnérable à l’âgisme, à la discrimination liée à l’âge et à la stigmatisation. Il importe de veiller à déployer une culture et un climat de travail où les contributions des employés plus âgés sont respectées et valorisées.</p>
<blockquote>
<p>Il faut savoir utiliser leur savoir pour les inciter à rester plus longtemps au travail. Il faut mêler les générations. Sinon, le travailleur âgé finit par décrocher un peu. Il ne se retrouve pas comme tout ce qu’il a mis en place n’est plus pareil. </p>
</blockquote>
<h2>Répondre aux besoins de se sentir utile</h2>
<p>Les participants à notre étude expriment également ressentir un besoin de bienfaisance, c’est-à-dire de se sentir utile et de <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2018.01157/full">faire une différence en mettant leurs expériences, compétences et temps aux services des autres</a>. Il importe alors de faire en sorte que le travail des employés âgés ait un sens ou soit significatif à leurs yeux.</p>
<blockquote>
<p>Pour moi, ce qui m’incite à poursuivre, c’est de me rendre utile, de servir à quelque chose. </p>
<p>Rendu à un certain âge, la chose la plus importante, c’est de se sentir utile pour la société. C’est ce qui m’incite à continuer à travailler. </p>
</blockquote>
<h2>À la recherche de nouvelles solutions</h2>
<p>Cette étude n’est pas sans certaines limites. Nos participants sont tous des professionnels âgés du secteur canadien des services financiers, de sorte que les résultats ne peuvent pas être généralisés à l’ensemble des secteurs. De plus, les comportements des employés âgés dépendent de mesures gouvernementales qui ne sont pas sous le contrôle des employeurs, ni celui des employés. </p>
<p>Des mesures fiscales doivent aussi encourager, du moins ne pas décourager, l’extension de la vie professionnelle. De plus, il est possible que nos participants minimisent ou sous-estiment l’importance de facteurs hors de leur contrôle et de celui de leur employeur, qui peuvent les inciter à prendre une retraite ou encore, à aller travailler ailleurs ou à leur compte. Pensons, par exemple, aux problèmes de santé d’un ou d’une proche, une fusion, une restructuration ou un licenciement massif. </p>
<p>Les employeurs doivent trouver de nouvelles solutions à leur problème de pénurie de main-d’œuvre et répondre aux travailleurs âgés en bonne santé qui souhaitent continuer à travailler. Les employés âgés veulent plus qu’une relation économique. Il importe de considérer leurs besoins afin de les retenir sur le marché de l’emploi plus longtemps <a href="https://doi.org/10.3917/rs1.078.0045">pour le bénéfice de tous : les employés, les employeurs et la société</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185652/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cette étude s'inscrit dans un programme de recherche financé par le Conseil de la recherche en sciences humaines (CRSH). Il a aussi été appuyé par Finance Montréal et MITACS.</span></em></p>Avec la pénurie de main-d’œuvre, la rétention au travail des employés plus âgés est essentielle. Pour ce faire, il importe de satisfaire leurs besoins de compétences, d’autonomie et de relations.Sylvie St-Onge, Professeur titulaire de Management et GRH/ Ph. D., ASC, CRHA Distinction Fellow et Chercheuse Fellow à CIRANO, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2002012023-03-08T15:07:47Z2023-03-08T15:07:47ZAvec les nouvelles générations, il faut voir autrement les cheminements de carrière – surtout ceux des femmes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/514263/original/file-20230308-20-syoheb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">shutterstock</span> </figcaption></figure><p>En juillet dernier, le Forum économique Mondial publiait son <a href="https://www.weforum.org/reports/global-gender-gap-report-2022">rapport sur les inégalités femmes-hommes dans le monde</a>. </p>
<p>Le rapport, qui en est à sa seizième édition, analyse l’évolution des écarts entre les sexes dans quatre domaines : participation et opportunités économiques, éducation, santé et pouvoir politique. Il propose une réflexion sur les sources des écarts entre les sexes et suggère des politiques et pratiques pouvant permettre une meilleure égalité femmes-hommes. </p>
<p>Sa conclusion-choc : il faudra encore 132 ans (contre 136 en 2021) pour combler l’écart entre les sexes.</p>
<p>Cela me conduit à une nouvelle réflexion sur le cheminement de carrière des femmes dans nos organisations. J’étudie la présence des femmes dans les hautes sphères administratives depuis des décennies, et je constate que les choses ne bougent pas rapidement. Or, <a href="https://www.imf.org/fr/Blogs/Articles/2018/11/28/blog-economic-gains-from-gender-inclusion-even-greater-than-you-thought">cette inégalité des chances entre les femmes et les hommes</a> « implique un coût économique colossal, car elle bride la productivité et pèse sur la croissance », écrivent Christine Lagarde, présidente de la Banque centrale européenne, et l’économiste américain Jonathan D. Ostry,</p>
<h2>Des cheminements de carrière conçus pour les hommes</h2>
<p>Ma vision d’une carrière réussie demeure encore aujourd’hui associée à l’atteinte de la plus haute fonction au sein d’une organisation, soit celle de PDG, poste majoritairement occupée par des hommes au fil des temps. </p>
<p>Les qualités de leadership requises pour gravir les échelons pour atteindre cette fonction ultime sont toujours davantage associées <a href="https://theconversation.com/le-mythe-du-leadership-feminin-149113">à celles des hommes (commandement, contrôle) plutôt que celles des femmes (empathie, compassion, collaboration)</a>. Dans cette vision traditionnelle de la carrière, l’homme qui occupait cette fonction phare pouvait compter sur l’appui d’une partenaire féminine qui veillait quasi exclusivement aux tâches domestiques, à s’occuper de l’éducation des enfants et à l’appuyer dans sa carrière de manière à ce qu’il puisse s’y consacrer totalement. </p>
<p>Encore aujourd’hui, <a href="https://www.mckinsey.com/%7E/media/mckinsey/featured%20insights/diversity%20and%20inclusion/women%20in%20the%20workplace%202022/women-in-the-workplace-2022.pdf">il existe un déséquilibre important entre les hommes et les femmes</a> en situation de direction dans les tâches reliées au bien-être familial.</p>
<p>Si un tel modèle s’avérait utile au milieu du siècle dernier, celui-ci s’est révélé progressivement dépassé avec l’arrivée sur le marché du travail de femmes ayant des ambitions professionnelles aussi élevées que les hommes, mais ne pouvant compter, dans un contexte familial, sur un partenaire masculin se dédiant uniquement à la réalisation de ses ambitions professionnelles. </p>
<p>Ce modèle traditionnel de parcours professionnel n’est également aucunement approprié pour les célibataires ou les couples sans enfant qui visent un équilibre de vie, et non une réussite professionnelle à tout prix.</p>
<h2>Reconsidérer le travail</h2>
<p>Cette quête de l’équilibre de vie est-elle seulement le propre des femmes ? Selon les résultats d’un sondage réalisé par le cabinet McKenzie <a href="https://www.mckinsey.com/capabilities/people-and-organizational-performance/our-insights/help-your-employees-find-purpose-or-watch-them-leave?cid=other-eml-mtg-mip-mck&hlkid=7715d335d9824fe7bfd956318e92ab14&hctky=1926&hdpid=b86f792c-6f49-4066-8d0e-eda38784e870">auprès de travailleurs américains</a>, près des deux-tiers ont déclaré que la Covid-19 les avait conduits à réfléchir sur leur but dans la vie. Près de la moitié ont répondu qu’ils reconsidéraient le type de travail qu’ils faisaient à cause de la pandémie. </p>
<p>Les millénariaux étaient trois fois plus susceptibles que les autres à vouloir réévaluer leur travail. Autre information intéressante à mentionner provenant de cette enquête : alors que 85 % des cadres intermédiaires et des cadres supérieurs ont déclaré qu’ils trouvaient un sens dans leur travail, seuls 15 % des gestionnaires et des employés de première ligne étaient d’accord. Cette nouvelle conception du travail <a href="https://www.nber.org/system/files/working_papers/w30833/w30833.pdf">conduit certains hommes à se repositionner et à y consacrer moins d’heures</a>.</p>
<p>Serait-il temps, face à l’expression de tels besoins tant par les femmes que les hommes de la nouvelle génération, de repenser les cheminements de carrière ?</p>
<h2>Le cheminement de carrière kaléidoscopique</h2>
<p>Une revue de la littérature sur le sujet m’a conduite à un concept intéressant nommé le <a href="https://core.ac.uk/reader/268541070">cheminement de carrière kaléidoscopique</a>. </p>
<p>Selon les conceptrices de cette approche, une carrière menée par une femme prend souvent la forme d’un kaléidoscope qui produit des motifs changeants selon la position du tube. Les éclats de verre tombent alors dans de nouveaux arrangements. Les femmes modifient le schéma de leur carrière en faisant pivoter différents aspects de leur vie pour organiser leurs rôles et leurs relations. Ce modèle comprend trois paramètres qui portent sur le début de carrière, le milieu de carrière et la fin de carrière :</p>
<p><strong>Authenticité :</strong> « Puis-je être moi-même dans ce choix de carrière et toujours être authentique ? »</p>
<p><strong>Équilibre :</strong> « Si je fais ce choix de carrière, puis-je équilibrer les différentes sphères de ma vie en un tout cohérent ? »</p>
<p><strong>Défi :</strong> « Si j’accepte cette option de carrière, aurais-je suffisamment de défis ? »</p>
<p>Une telle vision de l’évolution d’une carrière est ainsi en fonction des besoins de la personne et non seulement de ceux de l’organisation.</p>
<p>Enfin, si une telle approche offre une bonne lecture du chemin emprunté par plusieurs femmes pour vivre leurs ambitions professionnelles, il ne fait aucun doute à mon esprit que cette quête d’authenticité, d’équilibre et de défi <a href="https://www.cnbc.com/2023/01/18/70percent-of-gen-z-and-millennials-are-considering-leaving-their-jobs-soon.html">est aussi le propre des nouvelles générations et de plusieurs hommes</a>.</p>
<h2>Tout avoir, oui, mais pas tout en même temps</h2>
<p>On a longtemps vu la période de la trentaine comme le pivot d’un cheminement professionnel. Mais le contexte change : les postes de leadership pourraient reposer de plus en plus en plus sur des talents et des compétences en perpétuel changement, et non sur des échelons gravis verticalement à l’ancienne.</p>
<p><a href="https://nymag.com/intelligencer/2013/03/madeleine-albright-women-have-it-all.html">Comme le disait Madeleine Albright</a> : « Women can have it all, just not at the same time » (les femmes peuvent tout avoir, mais pas tout en même temps).</p>
<p>Je crois que ce sera, dans l’avenir, le propre tout autant des femmes que des hommes à la quête d’un meilleur équilibre de vie quel que soit leur âge, leur sexe, leur appartenance culturelle ou leur handicap.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200201/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Louise Champoux-Paillé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La nouvelle génération vise un meilleur équilibre de vie. Le marché du travail doit envisager autrement les différents cheminements de carrière – pas toujours linéaires – surtout pour les femmes.Louise Champoux-Paillé, Cadre en exercice, John Molson School of Business, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2009582023-03-05T16:50:15Z2023-03-05T16:50:15ZL’emploi des seniors : une culture des âges à faire évoluer ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/512922/original/file-20230301-20-g8wehi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C2%2C1920%2C1273&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Plutôt que de vouloir chasser les seniors de la vie active, l'OCDE propose de mettre en avant leur capacité à mener une vie productive, « au bénéfice tant de l’individu que de la collectivité ».</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/mains-vieille-dactylographie-545394/">Steve Buissine / Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La France reste loin de la moyenne de l’Union européenne en termes de taux d’emploi des seniors. Avec <a href="https://dares.travail-emploi.gouv.fr/publication/les-seniors-sur-le-marche-du-travail-en-2021">56 %</a> des personnes âgées de 55 à 64 ans en emploi en 2021, le pays pointe au seizième rang des 27, dont la moyenne est à 60,5 %. Ce taux étant calculé sur la population totale (et non sur les seuls actifs comme l’est le calcul du taux de chômage), une explication à cela réside dans le fait que l’âge de départ à la retraite y est des plus « jeunes » : 62 ans.</p>
<p>En quelques années, après l’abaissement de l’âge de départ de 65 ans à 60 ans en 1982, un nouveau modèle d’emploi semble s’être mis en place en France. Une seule génération (30-54 ans) se devait d’être au travail avec l’idée qu’il fallait, par tous les moyens, d’un côté inciter les jeunes à se former et de l’autre, évincer les « seniors » de l’emploi.</p>
<p>Dès 1998, l’OCDE propose toutefois une <a href="https://www.oecd-ilibrary.org/economics/maintaining-prosperity-in-an-ageing-society_9789264163133-en">autre stratégie</a> d’action. Plutôt que de considérer directement l’âge, il s’agirait plutôt de proposer une gestion des parcours et des temps sociaux avec l’avancée en âge. Plutôt que de parler de « senior », on parlera alors de <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/revue-retraite-et-societe1-2013-2-page-17.htm">« vieillissement actif »</a>. Est mis en avant « la capacité des personnes avançant en âge à mener une vie productive dans la société et l’économie au bénéfice tant de l’individu que de la collectivité ». En 2001, le <a href="https://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/00100-r1.%20ann-r1%20cor2.f1.html">Conseil européen</a>, réuni à Stockholm, précise de nouveaux objectifs, en lien avec la <a href="https://www.europarl.europa.eu/summits/lis1_fr.htm">stratégie dite « de Lisbonne »</a> établie un an auparavant. Est visé un taux d’emploi global de 70 % pour 2010, 50 % pour les 55-64 ans.</p>
<p>Le bilan global semble un échec. En 2013, l’<a href="https://www-cairn-info.fr/revue-retraite-et-societe1-2013-2-page-17.htm">analyse comparative</a> menée par la sociologue Anne-Marie Guillemard mettait déjà en évidence une grande disparité entre les pays membres à la fois dans leur capacité à maintenir les seniors sur le marché du travail et dans la mise en œuvre d’un vieillissement actif en emploi. Elle établissait que les trajectoires professionnelles différenciées de fin de carrière et les capacités des seniors à durer en emploi dépendaient des options de politiques de protection sociale, d’emploi et de formation retenues. Les options choisies révèlent en fait des cultures vis-à-vis de l’âge différentes selon les pays, élément que nous souhaiterions mettre en perspective dans les débats actuels.</p>
<h2>Comment inclure, comment indemniser ?</h2>
<p>La même auteure a proposé une <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/les-defis-du-vieillissement--9782200249205-page-101.htm">typologie</a> culturelle de la façon dont est saisie la question des deuxièmes parties de carrière. Quatre groupes s’y articulent selon deux dimensions : le niveau d’indemnisation du non-travail et les politiques d’inclusion ou d’exclusion des actifs vieillissants du marché de l’emploi.</p>
<p><iframe id="WkKHt" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/WkKHt/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>La culture de la « régulation par le marché du travail » se retrouve notamment dans les pays anglo-saxons, où les actifs vieillissants sans ressources financières n’ont pas d’autre choix que de se maintenir sur le marché du travail. Ils subissent alors de plein fouet la conjoncture du marché du travail. La possibilité de se maintenir ou le rejet est fonction du niveau de l’offre et de la demande de la main d’œuvre.</p>
<p>La « culture du devoir d’activité et du maintien en emploi », elle, se retrouve particulièrement au Japon où les salariés vieillissants bénéficient de plusieurs opportunités de maintien sur le marché du travail. C’est la catégorie qui correspond le plus à l’application du concept de vieillissement actif au sens de l’OCDE. Les hommes japonais sortaient ainsi du marché du travail en 2020 à un <a href="https://stats.oecd.org/OECDStat_Metadata/ShowMetadata.ashx?Dataset=PAG&Lang=fr">âge moyen de 68,2 ans</a>, le plus élevé des pays de l’OCDE avec la Nouvelle-Zélande.</p>
<p>Les pays scandinaves ainsi que les Pays-Bas sont ceux qui correspondent le mieux à la « culture du droit au travail à tout âge ». Le modèle propose des programmes préventifs de maintien de l’employabilité et de la capacité de travail. Des actions de réinsertion et de réhabilitation sont proposées à tous les âges permettant de se maintenir au travail.</p>
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<p>La France, elle, avec un niveau d’indemnisation élevé du risque de non-travail associé à une politique d’exclusion des actifs vieillissants du marché du travail, semble davantage touchée par une « culture de la sortie précoce ». Présente sur plusieurs décennies, elle a établi une norme, une sorte de privilège dont chaque actif vieillissant souhaite profiter comme ses prédécesseurs. Le niveau élevé et la durée des indemnités du non-travail contribuent à la réduction de l’offre de travail pour les actifs vieillissants. L’inactivité et le chômage sont finalement incités et accompagnés par les pouvoirs publics et les employeurs.</p>
<h2>L’image des seniors à valoriser</h2>
<p>Deux cultures des âges apparaissent les plus appropriées pour faire face au vieillissement de la population et atteindre l’équilibre des finances publiques : celles « du droit à tout âge » et « du devoir d’activité et du maintien en emploi ». Ces cultures suggèrent une approche d’inclusion, qui consiste à prévenir et organiser le travail des actifs vieillissants. L’idée est de favoriser le maintien des capacités à tout âge et la prolongation de la période active. Il s’agit de valoriser l’emploi des seniors alors que, en France, l’<a href="https://theconversation.com/valoriser-lemploi-des-seniors-le-prealable-oublie-de-la-reforme-des-retraites-197141">image des seniors</a> est souvent associée à une charge économique, un problème de cohésion interne et un risque de productivité.</p>
<iframe style="border-radius:12px" src="https://open.spotify.com/embed/episode/6xRT3ZQDtEKBBHqVfFAagk?utm_source=generator" width="100%" height="352" frameborder="0" allowfullscreen="" allow="autoplay; clipboard-write; encrypted-media; fullscreen; picture-in-picture" loading="lazy"></iframe>
<p>Les dernières <a href="https://acompetenceegale.com/wp-content/uploads/2022/10/ETUDE_EMPLOI_SENIORS_A-COMPETENCE-EGALE116007.pdf">études</a> sur la représentation des seniors mettent en lumière les principaux freins perçus tant par les candidats que les recruteurs : l’âge, leurs prétentions salariales, leur adaptabilité, leur flexibilité, leur familiarité avec les nouvelles technologies et enfin la fragilité de leur santé. La discrimination des candidats âgés à l’embauche générerait même une forme d’<a href="https://theconversation.com/seniors-comment-travailler-plus-longtemps-quand-personne-ne-vous-recrute-plus-198464">« invisibilisation »</a>.</p>
<p>Comment passer en France d’une culture d’exclusion du marché de l’emploi des actifs vieillissants à une culture d’inclusion ? Ce changement de paradigme nécessite une stratégie multidimensionnelle qui, au-delà de la réforme en débat, implique autant les politiques publiques que les organisations. Cette révolution culturelle des mentalités s’opère lentement et nécessite la réforme des modalités d’attribution et des niveaux d’indemnisation du non-travail ainsi qu’un changement de représentation à l’égard des actifs vieillissants. Ce dernier passera par la diffusion des bonnes pratiques organisationnelles facilitant l’amélioration de la qualité de vie et des conditions de travail pour tous, objet de nos <a href="https://www.researchgate.net/publication/273526922_Assessment_and_improvement_of_employee_job-satisfaction_a_full-scale_implementation_of_MUSA_methodology_on_newly_recruited_personnel_in_a_major_French_organisation">travaux passés</a> et à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200958/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bérangère Gosse est membre du bureau de l'association Référence RH et de la commission QVCT de l'ANDRH Rouen. </span></em></p>Quatre types culturels d’accompagnement des fins de carrière ont pu être identifiés dans les pays développés et le modèle français ne semble pas le plus approprié au contexte démographique.Bérangère Gosse, Maître de conférences en GRH, IAE Rouen Normandie - Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2004132023-03-01T15:20:48Z2023-03-01T15:20:48ZLa traduction a survécu à l’IA. D’autres métiers qui semblent menacés par ChatGPT survivront aussi<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511677/original/file-20230222-20-d72pev.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C4031%2C3024&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'interface web de DeepL, traduisant du français vers l'espagnol un court texte sur ChatGPT.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Jean-Hugues Roy)</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>C’est peut-être une de vos fiertés. D’une idée qui prend forme dans vos neurones, vous avez le talent de la transformer en une phrase complète, bien tournée, dans un français impeccable. Si votre plume vous permet de gagner votre vie, en tout ou en partie, il est possible que vous ayez éprouvé une certaine angoisse la première fois que vous avez utilisé <a href="https://chat.openai.com/chat">ChatGPT</a>.</p>
<p>Les traductrices et les traducteurs connaissent bien ce sentiment. Depuis 2016, leur travail a été bouleversé par des <a href="https://theses.hal.science/tel-03199494/document">systèmes de traduction automatique neuronale</a> (basés sur des réseaux de neurones). <a href="https://translate.google.ca/">Google Translate</a>, <a href="https://translator.microsoft.com/">Microsoft Translator</a> ou <a href="https://www.deepl.com/translator">DeepL</a> sont aussi redoutables en traduction que ChatGPT peut l’être en rédaction.</p>
<p>En tant que professeurs spécialisés dans des disciplines différentes, nous avons travaillé ensemble sur des projets qui combinent traduction et journalisme. Comme chercheurs pour qui la langue est une matière première et qui utilisent tous deux des méthodes computationnelles, la popularisation des systèmes de rédaction automatisée comme ChatGPT nous a interpellés.</p>
<h2>Un secteur en croissance</h2>
<p>Penchons-nous d’abord sur les craintes que ces systèmes suscitent. Selon plusieurs experts, dont <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4350925">Ali Zarifhonarvar</a>, doctorant en économie de l’Université de l’Indiana, les systèmes de rédaction automatisée sont des technologies à faible main-d’œuvre (<em>labour-saving technologies</em>) qui risquent de causer des pertes d’emploi en informatique, en communication, en droit et en éducation.</p>
<p>Pourtant, depuis l’arrivée de l’intelligence artificielle en traduction il y a une demi-douzaine d’années, le marché de l’emploi ne s’est pas tari. Il continue même de bénéficier de perspectives favorables selon <a href="https://www.quebec.ca/emploi/metiers-professions/explorer-metiers-professions/5125-traducteurs-traductrices-terminologues-et-interpretes">Emploi Québec</a>.</p>
<p>Les données de Statistique Canada sur la population active ayant travaillé toute l’année à temps plein et ayant déclaré un revenu d’emploi l’année précédente montrent que le nombre de traducteurs/traductrices, terminologues et interprètes est passé de 6 270 en <a href="https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/dp-pd/dv-vd/occ-pro/index-fra.cfm">2016</a>) à 7 400 en <a href="https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/dp-pd/dv-vd/occ-pro/index-fr.cfm">2021</a>). C’est une hausse de 18 % sur cinq ans, plus importante que l’augmentation du total pour toutes les professions, qui a crû de 6,1 % seulement au cours de la même période.</p>
<p>Ces données mettent en évidence que la catastrophe futuriste est restée une fiction. Non, la profession n’a pas été balayée par les robots. Ses effectifs ont même augmenté ! L’un des plus vieux métiers du monde a cependant dû s’adapter à l’intelligence artificielle.</p>
<h2>Nouveau défi, nouveau créneau</h2>
<p>Même si la traduction neuronale est désormais bien rodée, le sens de nombreux textes n’en demeure pas moins encore impénétrable pour les machines. C’est ainsi qu’a émergé depuis 2016 un nouveau métier qui consiste à réviser les traductions automatiques. Cette opération s’appelle la <em>post-édition</em>, expression qui nous vient de l’acception anglaise d’édition. La révision par un être humain fait même partie des <a href="https://www.iso.org/fr/standard/62970.html">normes de qualité de la traduction</a>, ainsi que celles qui régissent l’évaluation des systèmes automatiques.</p>
<p>Nous avons constaté à quel point l’intervention humaine demeurait cruciale dans une étude que nous avons réalisée ensemble sur l’<a href="https://archipel.uqam.ca/16286/">automatisation de la traduction dans la plus grande agence de presse au pays</a>. En 2018, La Presse canadienne a mis au point Ultrad, un système maison de traduction basé sur Google Translate. Les journalistes de l’agence peuvent s’en servir pour traduire les dépêches de leurs collègues anglophones ou de l’Associated Press. Le tableau ci-dessous présente quelques-unes des erreurs commises par le système et les corrections effectuées grâce à la vigilance des journalistes.</p>
<table><thead>
<tr>
<th>Source (anglais)</th>
<th>Traduction automatique (Ultrad)</th>
<th>Post-édition (humain)</th>
</tr>
</thead><tbody>
<tr>
<td>Steven Guilbeault will table a new <strong>greenhouse gas emissions plan</strong> in Parliament this morning.</td>
<td>Steven Guilbeault déposera ce matin au Parlement un nouveau <strong>plan d'émissions de gaz à effet de serre</strong>.</td>
<td>Steven Guilbeault déposera mardi matin au Parlement un nouveau <strong>plan <em>de réduction</em> des émissions de gaz à effet de serre</strong>.</td>
</tr>
<tr>
<td><strong>Lich</strong> was arrested Feb. 17 and <strong>initially denied bail</strong></td>
<td><strong>Lich</strong> a été <strong>arrêté</strong> le 17 février et <strong>a d'abord refusé la mise en liberté sous caution</strong></td>
<td><strong>Mme Lich</strong> avait été <strong>arrêtée</strong> le 17 février, à Ottawa. <strong>Sa demande de remise en liberté sous caution avait d'abord été rejetée</strong></td>
</tr>
<tr>
<td><strong>The province</strong> says the more than $5-billion investment</td>
<td><strong>La province</strong> affirme que l'investissement de plus de 5 milliards de dollars</td>
<td><strong>Le gouvernement ontarien</strong> affirme que l'investissement de plus de 5 milliards $</td>
</tr>
</tbody></table>
<p>Dans la première, le système ne savait pas que la réduction des émissions, sous-entendue en anglais, devait être précisée en français.</p>
<p>Dans la deuxième, il a masculinisé l’une des dirigeantes du mouvement des camionneurs qui ont occupé le centre-ville d’Ottawa, en 2022. Il a aussi compris qu’elle avait refusé sa propre mise en liberté, alors que celle-ci avait en fait été rejetée par un tribunal. </p>
<p>Dans la troisième, il n’a pas tenu compte que l’emploi de <em>province</em> au sens figuré pour référer à un gouvernement est admis en anglais, mais pas en français.</p>
<p>Certaines erreurs ont toutefois échappé à l’attention des humains. Le mot <em>section</em>, qui désigne en anglais un article dans une loi, a erronément été traduit par « section » dans un texte sur le projet de loi C-11 qui a été publié dans <a href="https://www.lapresse.ca/affaires/medias/2022-03-25/en-promouvant-le-contenu-canadien-youtube-craint-que-les-createurs-perdent-des-revenus.php">différents</a> <a href="https://www.ledevoir.com/depeches/691350/youtube-estime-que-le-projet-de-loi-pourrait-faire-perdre-de-l-argent-aux-createurs">articles</a> en <a href="https://lactualite.com/actualites/youtube-estime-que-le-projet-de-loi-pourrait-faire-perdre-de-largent-aux-createurs/">mars 2022</a>.</p>
<h2>Gare à l’objectivité mécanique</h2>
<p>Alors que les traducteurs devaient auparavant commencer par un texte dans la langue source, la traduction automatique leur propose une première version en apparence complète et bien tournée. Cette amorce a toutes les apparences d’un travail bien fait et y céder induit ce qu’on appelle l’<a href="https://doi.org/10.7146/hjlcb.v0i56.97201">« effet d’amorçage » (<em>priming effect</em>)</a>.</p>
<p>Cet effet peut de surcroît être renforcé par l’<a href="https://www.jstor.org/stable/2928741">objectivité mécanique</a>. De tout temps, les scientifiques ont cherché à écarter la subjectivité humaine dans leurs travaux. L’emploi d’appareils de mesure est donc associé à l’objectivité, la neutralité. Une certaine autorité épistémique accompagne leur utilisation, autorité qui est également conférée aux systèmes basés sur l’intelligence artificielle.</p>
<p>Les traductrices et les traducteurs connaissent bien ces phénomènes et ont appris à s’en méfier. Sous la surface polie des textes fabriqués par les systèmes de traduction automatique et des robots conversationnels comme ChatGPT se cachent subrepticement des erreurs de différentes natures que l’effet d’amorçage dissimule aux lecteurs peu attentifs. </p>
<p>Le travail en post-édition a habitué les professionnels de la traduction à les reconnaître, comme l’explique Thierry Grass, traducteur et professeur de traduction, dans son article <a href="https://journals.openedition.org/traduire/pdf/2763">« L’erreur n’est pas humaine »</a>. Il nous dit notamment que les systèmes de traduction automatisée produisent des textes en apparence parfaits sur le plan de la forme, mais qui peuvent contenir des failles sur le plan du fond, du contenu, de la logique.</p>
<p>Les professionnels de la traduction ont en quelque sorte été des éclaireurs qui peuvent nous apprendre à composer avec les systèmes de rédaction automatisée comme ChatGPT. Et c’est ainsi qu’ils et elles ont pavé la voie à un usage critique des systèmes de rédaction automatisée et à une meilleure compréhension de leurs limites : raisonnements fallacieux, équivoques, raccourcis, ellipses, idées reçues, autant de nouvelles rubriques pour le <a href="https://luxediteur.com/catalogue/petit-cours-dautodefense-intellectuelle/">classique de Normand Baillargeon, <em>Petit cours d’autodéfense intellectuelle</em></a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200413/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Hugues Roy est membre de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Éric Poirier est traducteur agréé (OTTIAQ) et président de l'Association canadienne des écoles de traduction, un organisme à but non lucratif qui regroupe les délégués des établissements d'enseignement supérieur du Canada qui offrent un programme de formation professionnelle en traduction, en interprétation et en terminologie.</span></em></p>Depuis l’arrivée de l’IA en traduction il y a une demi-douzaine d’années, le marché de l’emploi ne s’est pas tari, au contraire. Il en sera de même pour les métiers en apparence menacés par ChatGPT.Jean-Hugues Roy, Professeur, École des médias, Université du Québec à Montréal (UQAM)Éric Poirier, Traducteur agréé, Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1998162023-02-28T18:14:36Z2023-02-28T18:14:36ZEntrepreneurs et autoentrepreneurs, la grande confusion<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/509794/original/file-20230213-24-a1ald3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=73%2C95%2C1962%2C1437&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
Depuis 2009, au moins la moitié des créations d'entreprises en France se font sous le statut de « microentreprise ».
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/harry_nl/49470038047">Flickr/École polytechnique</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Depuis les années 1970, la France a <a href="https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=GEN_095_0027">multiplié les politiques publiques</a> visant à favoriser l’entrepreneuriat pour stimuler la croissance. Ces deux dernières décennies, le nombre de créations annuelles d’entreprises a doublé, notamment sous l’effet de l’apparition du statut d’autoentrepreneur en 2009 (renommé « microentrepreneur » en 2017). Depuis, au moins la moitié des créations se font sous ce statut et aujourd’hui, un entrepreneur sur deux exerce sous ce régime. Le développement des plates-formes numériques <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-socio-economie-2020-2-page-175.htm">qui recourent à des sous-traitants au lieu de salariés</a>, comme Uber ou Deliveroo, a en effet accentué la tendance.</p>
<p><iframe id="SBz4x" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/SBz4x/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Pour autant, peut-on dire que tout travailleur indépendant sous le régime de l’autoentrepreneuriat est un entrepreneur ? Comme nous l’avons montré dans nos récents <a href="https://www.cairn.info/revue-entreprendre-et-innover-2017-3-p-57.htm">travaux</a>, certainement pas.</p>
<p>Le statut d’autoentrepreneur a été créé pour encourager l’entrepreneuriat en réduisant les formalités administratives et en proposant des facilités économiques (exemption de TVA et de faibles cotisations sociales). S’il est tout à fait adapté à des activités complémentaires ou occasionnelles (se posant ainsi en incitation à « l’entrepreneuriat hybride », c’est-à-dire au cumul entre un emploi salarié et une création d’entreprise), il semble <a href="https://www.cairn.info/revue-entreprendre-et-innover-2017-3-p-57.htm">important de rappeler</a> l’écart entre entrepreneur et autoentrepreneur dès lors qu’il s’agit d’une activité principale.</p>
<h2>Pas d’autres emplois à la clef</h2>
<p>Un entrepreneur a une volonté de croissance et devrait, à terme, créer des emplois et dynamiser l’économie de son territoire (si ce n’est de son pays). À l’inverse, la majorité des autoentrepreneurs, qui ne font que créer leur propre activité, ne peuvent pas ou ne veulent pas croître, n’auront pas d’employés et n’ont probablement qu’un effet limité sur le dynamisme économique local (notamment en raison de <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1374690?sommaire=1374698">leurs faibles revenus</a>).</p>
<p>S’il s’agit bien de la création d’un emploi, il n’y en aura pas d’autres à la clef, c’est même implicite dans le nom originel du statut. Les « emplois » actuellement créés par les plates-formes (chauffeurs, livreurs, petits travaux, etc.) <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=F7haDwAAQBAJ">accentuent encore cet état de fait</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-culture-entrepreneuriale-est-elle-vraiment-plus-developpee-ailleurs-quen-france-195770">La culture entrepreneuriale est-elle vraiment plus développée ailleurs qu’en France ?</a>
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<p>Au fil du temps, plusieurs modèles ont essayé de définir ce qu’est un entrepreneur. Traditionnellement, il a été défini comme une personne qui <a href="https://academic.oup.com/qje/article-abstract/79/3/373/1923759">porte une innovation</a>, qui <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-institutional-economics/article/frank-knight-uncertainty-and-knowledge-spillover-entrepreneurship/F300A918645A049FA78307C3FABE5865">assume le risque</a> de l’activité ou encore qui assure la <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780203068489/social-economics-jean-baptiste-say-evelyn-forget">coordination d’une activité nouvelle</a>. Plus récemment, la recherche a proposé pour de compléter ce profil avec la <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/088390269090023M">volonté de croissance</a>, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/104225879101500405">certains traits de personnalité</a> ou de l’analyser dans une <a href="https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1177/104225870102500404">perspective évolutionniste</a> (selon laquelle l’entrepreneuriat s’explique par la culture d’une société).</p>
<p>Or, il est facile de constater que le simple fait de travailler à son compte ne correspond aucunement à certaines de ces définitions, et seulement de manière partielle à d’autres :</p>
<p><iframe id="gbliG" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/gbliG/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Un travailleur indépendant n’a pas à être innovant ou orienté vers la croissance. Il peut parfaitement assurer sa subsistance en réalisant seul et de manière constante dans le temps une activité classique, qualifiée (artisanat d’art, graphisme, conseil aux entreprises, etc.) ou non (artisanat simple, services aux particuliers, taxi, etc.).</p>
<p>La réalité pratique et juridique va d’ailleurs en ce sens, puisque la majorité des aides financières à la création d’entreprise, notamment toutes celles à l’innovation, ne peuvent être obtenues sous statut d’autoentrepreneur.</p>
<p>Il est donc nécessaire de clarifier la différence entre entrepreneuriat et travail indépendant, de distinguer leurs effets, leurs intérêts et leurs difficultés, et de mettre en place des politiques publiques distinctes.</p>
<h2>Un besoin de mesures plus précises</h2>
<p>Que pouvons-nous faire pour cela ? Il est possible d’apporter des réponses en tant que chercheurs, décideurs publics ou même simples citoyens.</p>
<p>En tant que chercheurs, il semble nécessaire de distinguer dans nos travaux entrepreneurs et travailleurs indépendants (« self-employed »). Comment espérer influer sur les politiques publiques lorsque le champ académique lui-même n’est pas capable de dépasser ces limites conceptuelles ? Ce déficit de distinction conduit à survaloriser l’entrepreneuriat comme une <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-entrepreneuriat-2017-1-p-7.html">réponse « héroïque »</a> et viable aux difficultés rencontrées par certaines populations, en construisant des conclusions sur la prégnance du travail indépendant.</p>
<p>Or, si le travail indépendant constitue une réponse possible et viable au chômage, il a aussi d’importantes limites en termes de revenus, de sécurité et de capacité à démultiplier le gain économique. En l’état de la littérature, le champ de la recherche sur l’entrepreneuriat n’est aujourd’hui que peu capable de traiter les questions soulevées par le statut d’autoentrepreneur (contrairement par exemple à nos collègues sociologues, qui se sont saisis avec pertinence de ses ambiguïtés).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1215878610382475268"}"></div></p>
<p>Au niveau des décideurs publics, il semble nécessaire de mesurer de manière plus précise les résultats et les externalités des politiques publiques associées à l’entrepreneuriat. Cela passe par distinguer systématiquement création d’entreprise et création d’autoentreprises. De même, mesurer le niveau de vie à moyen terme des personnes ayant bénéficié d’aides à la création semble nécessaire. N’aurait-il pas été plus pertinent de les aider à trouver un emploi « classique » ? Est-il souhaitable de créer une classe de « faux entrepreneurs précaires » sous prétexte de faire baisser le taux de chômage ?</p>
<h2>Des services classiques, simples et locaux</h2>
<p>La récente réforme de l’assurance chômage va-t-elle pousser davantage de personnes <a href="https://theconversation.com/le-maintien-dans-lemploi-des-seniors-lenjeu-oublie-de-la-reforme-des-retraites-128960">notamment des seniors</a>, vers ces statuts précaires, peu rémunérateurs et peu créateurs de valeur pour le système économique ? De nouveaux questionnements et de nouveaux indicateurs sont nécessaires pour répondre à ces questions. Et ces indicateurs doivent aussi exister au niveau des organismes non gouvernementaux. Par exemple, aujourd’hui, l’OCDE mesure l’entrepreneuriat et l’emploi indépendant comme des synonymes.</p>
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<p>Enfin, en tant que citoyens, nous pouvons bien sûr réclamer une meilleure évaluation des politiques publiques liées à l’entrepreneuriat. Quel est le montant des fonds distribués par la BPI, pour combien d’emplois créés et à quel terme ? Quels sont les fonds réellement consacrés à l’accompagnement de travailleurs indépendants à l’activité potentiellement pérenne ? Doit-on subventionner des plates-formes pour qu’elles créent des autoentrepreneurs paupérisés ?</p>
<p>Il s’agit aussi de faire la part des choses : certes, le contexte médiatique sature l’opinion publique d’histoires d’entrepreneurs héroïques et multimilliardaires, ou encore de start-up disruptives et révolutionnaires. Mais l’immense majorité des travailleurs indépendants s’efforce tout simplement de fournir des services classiques, simples et locaux. Ces derniers méritent certainement davantage de considération.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199816/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Yves Ottmann travaille en tant que prestataire pour plusieurs entreprises de services aux travailleurs indépendants.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Andrés Davila Valdiviezo, Cindy Felio et Fernanda Arreola ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les travailleurs des plates-formes numériques sont-ils des entrepreneurs comme les autres ?Jean-Yves Ottmann, Chercheur en sciences du travail, Université Paris Dauphine – PSLAndrés Davila Valdiviezo, Psychologue, chercheur en management, ESCE International Business SchoolCindy Felio, Psychologue, Chercheuse en Sciences de l’Information et de la Communication, Laboratoire MICA (EA 4426), Université Bordeaux MontaigneFernanda Arreola, Dean of Faculty & Research, ISC Paris Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.