tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/ethnie-44963/articlesethnie – The Conversation2023-01-05T19:23:22Ztag:theconversation.com,2011:article/1899962023-01-05T19:23:22Z2023-01-05T19:23:22ZQu’est-ce qu’une personne « racisée » ? Trois définitions pour éclairer le débat<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/491918/original/file-20221026-4274-8g7fsa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C8%2C5875%2C3984&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La notion de personne racisée a émergé ces dernières années dans le débat public et la politique. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/groupe-de-personnes-debout-a-l-interieur-3184396/">Pexels</a></span></figcaption></figure><p>Nécessaire <a href="https://www.liberation.fr/debats/2017/11/23/blanchite-racise-racisme-d-etat-m-blanquer-ces-concepts-sont-legitimes-dans-le-debat-public_1612004">au débat</a> et à la lutte contre le racisme <a href="https://www.madmoizelle.com/le-mot-racise-arrive-dans-le-petit-larousse-illustre-et-ce-nest-pas-anodin-1124896">pour les uns</a>, la notion de « personne racisée » apparaît à d’autres comme la <a href="https://www.lesoir.be/353510/article/2021-02-06/ismael-saidi-racise-cest-la-pire-insulte-que-vous-puissiez-me-faire">« pire insulte qui soit »</a> ou comme un <a href="https://www.slate.fr/story/154250/jean-michel-blanquer-face-autoritaire">« des mots les plus épouvantables du vocabulaire politique »</a>.</p>
<p>Qu’est-ce donc qu’une personne racisée et pourquoi cette notion fait-elle tant polémique ? Il existe aujourd’hui une diversité de définitions et cela occasionne malentendus et confusions dans le débat public.</p>
<p>Au moins trois définitions coexistent et une personne racisée renvoie respectivement à :</p>
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<li><p>Une personne <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/les-risques-du-politiquement-correct_1950917.html">non-blanche</a>.</p></li>
<li><p>Une personne <a href="https://information.tv5monde.com/info/eric-fassin-les-racises-ne-sont-pas-definis-par-leur-couleur-mais-par-leur-experience-d">victime</a> de <a href="https://dictionnaire.lerobert.com/definition/racise">racisme</a>.</p></li>
<li><p>Une personne qu’on qualifie en anglais académique de <a href="https://laviedesidees.fr/Race-et-intersectionnalite.html">« racialisée »</a> (<a href="https://journals.openedition.org/remi/5365">« racialised »</a>) et il faut a minima <a href="https://www.jstor.org/stable/41418993">entendre</a> <a href="https://www.jstor.org/stable/10.1086/648588">par</a> <a href="https://philpapers.org/rec/HOCRAD">là</a> que certains considèrent cette personne, fût-ce à tort, comme étant membre d’une race biologique. Des <a href="https://academic.oup.com/book/4911?login=false">auteurs</a> ajouteraient des conditions, par exemple l’existence d’inégalités entre les groupes qui rassemblent ces personnes mais je les mets de côté car elles n’affectent pas fondamentalement l’analyse qui suit.</p></li>
</ol>
<p>Qu’entend-on en revanche ici par race biologique ? Certaines définitions contemporaines ne font intervenir que l’<a href="https://www.routledge.com/A-Theory-of-Race/Glasgow/p/book/9780415990738">apparence physique</a>, éventuellement héréditaire <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674975668">et</a> /ou l’<a href="https://www.jstor.org/stable/10.1086/677694">origine</a>. D’<a href="https://philpapers.org/rec/APPR-2">autres</a> vont plus loin et <a href="https://www.cornellpress.cornell.edu/book/9780801488153/im-not-a-racist-but/#bookTabs=1">exigent</a> en plus que des facultés et/ou un tempérament héréditaires soient partagés par (quasiment) tous les membres de chaque race et uniquement par eux. Dans ce sens, nous savons aujourd’hui que les <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674975668">races n’existent pas chez les êtres humains</a>.</p>
<p>Ces trois définitions étant distinguées, on peut maintenant s’essayer à clarifier plusieurs controverses glanées dans le débat public.</p>
<h2>Tous les non-Blancs et rien que les non-Blancs ?</h2>
<p>Les non-Blancs sont-ils tous racisés et sont-ils les seuls à l’être ? C’est évident si on retient la définition <strong>1</strong> et on peut en conséquence avoir du mal à comprendre comment cela peut être remis en question. C’est toutefois faux si on retient la définition <strong>3</strong> qui identifie les personnes racisées aux personnes racialisées et que l’on comprend <a href="https://global.oup.com/academic/product/what-is-race-9780190610173?cc=fr&lang=en&">« Blancs » et « non-Blancs »</a> comme il est <a href="https://www.jstor.org/stable/41418993">d’usage</a> dans le débat académique contemporain, à savoir comme désignant justement des personnes racialisées.</p>
<p>Si on fait ces choix, <a href="https://www.arretsurimages.net/emissions/arret-sur-images/rokhaya-diallo-les-blancs-sont-aussi-racises-a-leur-avantage">« Blancs »</a> et « non-Blancs » sont par définition racisés.</p>
<p>Concrètement, ma compagne est racisée car d’aucuns la considèrent comme appartenant à une des prétendues races biologiques « non-blanches » mais je le suis également puisque certains me considèrent comme appartenant à une prétendue race biologique « blanche ».</p>
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<p>Qu’en est-il si on retient la définition <strong>2</strong> et que les personnes racisées renvoient aux victimes de racisme ? Tous les non-Blancs sont-ils victimes de racisme et sont-ils les seuls à l’être ? Certains, dans le débat public et académique, répondent par l’affirmative et leur réponse repose à mon sens sur deux hypothèses.</p>
<p>La première est que les Blancs seraient « dominants » dans le sens qu’ils seraient en moyenne mieux lotis que les autres groupes racialisés et ce, selon certains indicateurs comme le revenu, le pouvoir politique, l’exposition aux bavures policières, etc.</p>
<p>La seconde hypothèse est que les « victimes de racisme » ne seraient par <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0002764215586826">définition</a> rien d’autre que les membres des groupes racialisés <a href="https://www.basicbooks.com/titles/beverly-daniel-tatum/why-are-all-the-black-kids-sitting-together-in-the-cafeteria/9781541616585/">« dominés »</a>, c’est-à-dire ceux qui seraient en moyenne moins bien lotis du point de vue de ces indicateurs.</p>
<p>Les personnes racisées seraient donc les membres des groupes racialisés « dominés » et, si les Blancs « dominent » la société française actuelle, alors <a href="https://information.tv5monde.com/info/eric-fassin-les-racises-ne-sont-pas-definis-par-leur-couleur-mais-par-leur-experience-du">ils n’y sont pas victimes de racisme</a> et ne sont donc pas racisés selon la définition <strong>2</strong>.</p>
<p>Les non-Blancs sont quant à eux tous victimes de racisme et, partant, racisés et ce, quel que soit leur vécu ou leur position sociale personnelle. Ce qui compte, c’est la situation moyenne de leur groupe racialisé.</p>
<p>Les choses changent si on remet en cause l’une ou l’autre de ces deux hypothèses et, par exemple, si on retient une autre définition possible pour le racisme et qu’on considère que les « victimes de racisme » renvoient plutôt aux personnes ayant été la cible d’actes motivés par certaines attitudes comme l’hostilité raciale ou par la croyance qu’elles appartiendraient à une race biologique inférieure. On peut dans ce cas au moins imaginer le cas d’une personne non-blanche qui ne serait pas racisée car elle n’aurait jamais été victime de (ce) racisme ainsi que le cas d’une personne blanche qui en aurait été victime, fût-ce ponctuellement et qui serait donc racisée.</p>
<h2>Un retour de la race ?</h2>
<p>Deuxième controverse : assiste-t-on avec la notion de personne racisée à une <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/jean-michel-blanquer-je-suis-tres-oppose-au-mot-racise-7900065163">résurgence</a> de la <a href="https://www.neonmag.fr/dou-viennent-les-mots-souchien-et-racise-499678.html">notion</a> de <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/rachel-khan-le-discours-victimaire-des-pseudo-antiracistes-m-est-insupportable-20210312">race</a> ? Classe-t-on par exemple les gens <a href="https://www.liberation.fr/france/2017/11/21/blanquer-porte-plainte-contre-un-syndicat-qui-a-utilise-l-expression-racisme-d-etat_1611537/">« sur la base de leur origine »</a> voire <a href="https://www.licra.org/scandale-de-non-mixite">« en fonction de critères dignes d’une exposition coloniale »</a> ?</p>
<p>On peut le penser si on retient la définition <strong>1</strong>, qui définit « personne racisée » comme « personne non-blanche », et qu’on la comprend comme faisant référence à des personnes qui ne seraient pas de « race biologique blanche » et qui seraient distinguées de personnes qui, elles, le seraient.</p>
<p>Cette implication disparaît toutefois si on stipule comme je l’ai fait précédemment que Blancs et non-Blancs renvoient non pas à des races biologiques mais à des groupes de personnes racialisées qui, pour rappel, rassemblent des personnes que certains considèrent comme appartenant à une prétendue race biologique.</p>
<p>Si on comprend de cette manière la définition <strong>1</strong> ou qu’on retient les définitions <strong>2</strong> ou <strong>3</strong>, alors on ne prend pas position sur la question de savoir si des races existent en soutenant que les personnes racisées, elles, existent.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le chercheur (et actuel ministre de l’Éducation) Pap Ndiaye lors d’une conférence en 2021.</span></figcaption>
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<h2>Je ne suis pas qu’une victime</h2>
<p>Supposons à présent qu’on vous qualifie de personne racisée. En seriez-vous réduit à un <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/rachel-khan-le-discours-victimaire-des-pseudo-antiracistes-m-est-insupportable-20210312">statut</a> ou à une <a href="https://mediateur.radiofrance.com/infos/racialise-la-reponse-de-iannis-roder/">identité</a> de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/12/26/non-souchiens-ou-racise-e-s-la-novlangue-des-devots-de-la-race_5234542_3212.html">victime</a> ?</p>
<p>Déjà, aucune des trois définitions proposées ne réduit les personnes racisées à quoi que ce soit : elles définissent une personne racisée comme une personne qui possède une certaine caractéristique (ex : être victime de racisme) et non comme une personne dont l’identité se réduit à cette caractéristique.</p>
<p>Votre interlocuteur peut donc très bien reconnaître les différentes facettes de votre identité. Un autre pourrait certes vous réduire à n’être qu’une personne racisée ou accorder simplement trop d’importance à l’idée que vous seriez racisé mais ce serait alors sa faute et non celle de la notion de personne racisée.</p>
<p>Ensuite, votre interlocuteur n’utilise pas forcément la définition qui fait intervenir la notion de victime, à savoir la <strong>2</strong>, et il veut peut-être uniquement dire que certaines personnes vous considèrent comme étant membre d’une prétendue race biologique.</p>
<p>Supposons enfin que votre interlocuteur vous qualifie bien de personne racisée dans le sens <strong>2</strong> : pour lui, vous seriez victime de racisme. Dans de nombreux contextes, ne peut-on pas au moins lui reprocher de vous catégoriser sans posséder les informations permettant de le faire ? Que sait-il de ce que vous avez vécu ? En ce qui me concerne, je ne sais par exemple pas si vous avez déjà fait personnellement l’expérience de l’hostilité raciale…</p>
<p>Le reproche fait mouche pour certaines définitions du racisme mais il manque en revanche sa cible dans le cas de la définition étudiée précédemment qui permettait d’identifier la catégorie des racisés et celle des groupes racialisés « dominés ». Comme je l’ai dit, la question de savoir si vous êtes « dominé » dépend en effet non pas de votre expérience personnelle mais de la situation moyenne de votre éventuel groupe racialisé.</p>
<h2>Une notion utile à la recherche ?</h2>
<p>La notion de « personne racisée » est-elle enfin une notion utile, voire indispensable à la recherche scientifique ? Au point où nous en sommes, on comprend déjà que des gens peuvent ne pas être d’accord sur cette utilité tout en employant des définitions différentes et, partant, en ne parlant pas de la même chose. Qu’en est-il sur le fond ?</p>
<p>L’intérêt pour la recherche des définitions <strong>1</strong> et <strong>2</strong> ne me saute pas aux yeux : pourquoi parler de « personne racisée » alors qu’on pourrait parler directement de « personne non-blanche » ou de « personne victime de racisme » ?</p>
<p>Même si ça ne semble pas indispensable et qu’on pourrait également chercher à défendre l’emploi du terme « racialisé », il est en revanche utile d’avoir un mot pour qualifier à peu de frais le phénomène consistant à être considéré par certains comme appartenant à une prétendue race biologique.</p>
<p>Cela, car les chercheurs s’appuient aujourd’hui (entre autres) sur ce phénomène afin de penser le racisme et, plus généralement, les phénomènes « raciaux » de nos sociétés. Tout comme on dira qu’être considéré comme appartenant à une prétendue race biologique – être racisé si on retient la définition <strong>3</strong> – est une <a href="https://www.jstor.org/stable/10.1086/648588">condition nécessaire</a> pour pouvoir être victime de racisme, on pensera par exemple la discrimination raciale comme une discrimination frappant quelqu’un en raison de son assignation à une prétendue race biologique, autrement dit de sa <a href="https://global.oup.com/academic/product/what-is-race-9780190610173?cc=fr&lang=en&">racisation dans le sens <strong>3</strong></a>.</p>
<p>Quoi qu’il en soit de leur utilité pour la recherche, les trois définitions que j’ai présentées peuvent être utilisées pour dire des choses vraies, qui ne font pas resurgir le concept de race et qui ne réduisent pas les personnes qu’elles catégorisent.</p>
<p>Mais, selon la définition que l’on choisit, on ne dit toutefois pas les mêmes choses et c’est à l’origine de polémiques qui n’ont pas lieu d’être. Plus important serait qu’on s’intéresse à tel emploi de telle définition, par tel acteur, dans tel contexte : nous aide-t-il à mieux prendre la mesure, sur le plan théorique comme sur le plan pratique, du fait qu’il y a des personnes qui sont considérées comme appartenant à de prétendues races biologiques « blanches » et « non-blanches » et que certaines d’entre elles sont victimes de racisme ?</p>
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<p><em>L’auteur a récemment publié <a href="https://livre.fnac.com/a16803360/Vincent-Aubert-Dis-c-est-quoi-le-racisme">« Dis, c’est quoi le racisme ? »</a> aux éditions Renaissance du Livre.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189996/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pour sa thèse, Vincent Aubert a reçu des financements de la Fondation Bernheim (<a href="https://www.fondationbernheim.be/fr">https://www.fondationbernheim.be/fr</a>). </span></em></p>Le terme de personne « racisée » revient régulièrement dans le débat public. Analyse d'une expression polémique.Vincent Aubert, Maître de conférences, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1869552022-07-14T21:03:59Z2022-07-14T21:03:59ZSri Lanka : comment la population a mis fin à la « Gotacratie »<p>Le dernier membre du clan Rajapaksa à s’accrocher encore au pouvoir, Gotabaya, devait annoncer sa démission le mercredi 13 juillet. <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Sri-Lanka-president-Gotabaya-Rajapaksa-fuite-2022-07-09-1201224203">Chassé samedi du palais présidentiel</a> par une foule de manifestants en colère, le président a pris la fuite sous la protection de l’armée et se trouve dorénavant en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/07/14/gotabaya-rajapaksa-le-president-du-sri-lanka-quitte-les-maldives-pour-singapour_6134772_3210.html">exil</a>.</p>
<p>Il semble donc que les protestations de ces trois derniers mois ont eu raison d’un régime corrompu, autoritaire, discriminatoire et fortement militarisé. Au-delà d’un cri de colère contre une gestion accablante du pays débouchant sur des pénuries de carburant, de gaz, de pétrole, de médicaments et de nourriture, une inflation spectaculaire, et plus globalement la <a href="https://theconversation.com/sri-lanka-de-la-crise-economique-a-la-crise-politique-183157">faillite économique et politique de l’île</a>, ces protestations donnent à voir l’organisation et la structuration progressive d’une société civile sur laquelle il est important de revenir tant cette dernière pourrait permettre d’échapper au processus de bipolarisation de la vie politique à Sri Lanka et à son corollaire longtemps mortifère : la création <a href="https://journals.openedition.org/conflits/10982?lang=es">d’identités prédatrices</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/au-sri-lanka-des-musulmans-moderes-pris-dans-la-tourmente-des-attentats-115934">Au Sri Lanka, des musulmans modérés pris dans la tourmente des attentats</a>
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<h2>D’une marche pacifique</h2>
<p>Cet élan de protestation apparaît comme le prolongement de la marche pacifique du 3 février 2021 qui permettait de relier en cinq jours <a href="https://www.colombotelegraph.com/index.php/from-pottuvil-to-polikandi-rally-a-perspective/">Pottuvil à Polikandy</a>, deux localités correspondant aux limites sud et nord du territoire traditionnellement occupé par les Tamouls et revendiqué en tant que tel par les organisations séparatistes. On compte parmi ces dernières les LTTE ou <a href="https://www.cairn.info/milices-armees-d-asie-du-sud--9782724610024-page-95.htm">Tigres de Libération de l’Eelam Tamoul</a>, mouvement luttant jusqu’en 2009 pour l’autodétermination des Tamouls dans une « patrie » tamoule composée des provinces unies du Nord et de l’Est, formant un État souverain indépendant appelé Tamil Eelam).</p>
<p>Un grand nombre de familles de victimes de la guerre civile – entre 80 000 et 100 000 victimes selon l’ONU, mais pour certains auteurs, le nombre de morts <a href="https://www.theguardian.com/books/2012/oct/26/sri-lanka-civil-war-review">reste à évaluer</a> - a organisé cette marche aux côtés d’associations de la société civile, des prêtres de différentes religions (christianisme, hindouisme, islam) et des politiciens tamouls. Cette marche dite « <a href="https://www.einnews.com/pr_news/535441814/massive-tamil-p2p-rally-reinforces-call-for-referral-of-sri-lanka-to-international-criminal-court-icc-tgte">P2P</a> », avait pour objectif d’alerter la communauté internationale.</p>
<p>En effet, les conditions de vie réservées aux populations tamoules et musulmanes de l’île se sont détériorées depuis la fin du conflit en 2009 dans un contexte d’escalade militaire, d’autoritarisme et de favoritisme concernant la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09584935.2018.1528210">population majoritaire de l’île</a>, cinghalaise, principalement de confession bouddhiste.</p>
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<h2>Suprématie bouddhiste cinghalaise</h2>
<p>Dès son arrivée au pouvoir en 2019, Gotabaya Rajapaksa s’est en effet engagé à renforcer la suprématie bouddhiste cinghalaise et à limiter le <a href="https://www.hrw.org/world-report/2021/country-chapters/sri-lanka">droit des minorités</a> (ethniques, religieuses, sexuelles), sans pouvoir pour autant réussir à concrétiser les « perspectives de prospérité » promises dans son programme électoral.</p>
<p>Au lieu de cela, la baisse des revenus du tourisme due aux attaques du dimanche de <a href="https://theconversation.com/attentats-a-sri-lanka-comment-se-met-en-place-le-climat-de-terreur-115821">Pâques 2019</a> – que les partisans de Gotabaya ont transformé en un <a href="https://www.usip.org/publications/2021/04/two-years-after-easter-attacks-sri-lankas-muslims-face-backlash">discours anti-islamique</a> a renforcé le sentiment majoritaire des bouddhistes cinghalais et projeté Gotabaya comme un sauveur national.</p>
<p>La mauvaise gestion de l’économie, avec des réductions d’impôts drastiques au profit des classes les plus aisées et une tentative désastreuse de passer à <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/06/13/au-sri-lanka-une-revolution-biologique-sabotee_6130035_3244.html">l’agriculture biologique</a> du jour au lendemain, ont contribué à décrédibiliser la mince marge de manœuvre politique du président.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/attentats-a-sri-lanka-comment-se-met-en-place-le-climat-de-terreur-115821">Attentats à Sri Lanka : comment se met en place le climat de terreur</a>
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<h2>Une participation inédite</h2>
<p>Après des décennies de violences et de méfiance mutuelle, la participation (évaluée de 50 000 à 70 000 personnes selon les sources) conjointe à cette marche de citoyens tamouls et musulmans est inédite.</p>
<p>Cet éveil des consciences s’est poursuivi et s’est massifié pour culminer en avril dernier à <a href="https://www.dailynews.lk/2022/04/26/features/277662/galle-face-green-turns-carnival-place">Galle Face Green</a>, vaste espace public de Colombo, qui à partir du 9 s’est transformé en « Gota-go-gama » (<em>gama</em> signifiant « village », par extension, « Gotabaya doit quitter le village »), épicentre de la protestation contre le gouvernement de Gotabaya Rajapaksa, avec d’autres sites de protestation (de moindre envergure) qui ont essaimé dans de nombreuses villes du pays.</p>
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<figcaption><span class="caption">Gota-go-gama, Gotabaya doit quitter le village.</span></figcaption>
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<p>Ces manifestations, qui se sont multipliées depuis la fin février en réaction à la pire crise économique que le Sri Lanka ait connue en près de 75 ans d’indépendance, se sont progressivement transformées en un soulèvement national. La vague de protestation a pris de l’ampleur lorsque les résultats de la mauvaise gestion financière et économique du gouvernement sont devenus de plus en plus visibles, avec la disparition rapide des <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20220625-le-sri-lanka-n-a-pratiquement-plus-de-p%C3%A9trole-ni-de-devises-pour-acheter-des-aliments">réserves de devises et des pénuries généralisées</a>.</p>
<h2>La colère de la classe moyenne</h2>
<p>Les manifestations, qui se sont poursuivies pendant plus de trois mois, ont été principalement organisées par le grand public, y compris des enseignants, des étudiants, des médecins, des infirmières, des professionnels de l’informatique, des agriculteurs, des avocats, <a href="https://www.themorning.lk/bearers-of-the-brunt-of-protests/">quelques officiers de police</a>, des activistes des droits sociaux, des sportifs, des ingénieurs et des membres issus des minorités sexuelles : bref des membres de la classe moyenne, souvent celle-là même qui avait conduit par ses voix le clan Rajapaksa au pouvoir. Il s’agit en grande partie d’un mouvement dirigé par des jeunes, <a href="https://www.sundaytimes.lk/220612/plus/protest-and-art-workshop-players-take-their-act-to-galle-face-485344.html">utilisant l’art et la culture de manière créative</a>, abordant au quotidien les questions de justice économique et sociale, notamment la longue histoire des <a href="https://srilankabrief.org/sri-lanka-aragalaya-will-end-in-the-victory-of-the-people-this-is-an-oath-we-can-take-in-the-name-of-truth-justice-and-equality/">violations des droits de l’homme et de l’impunité à Sri Lanka</a></p>
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<p>La communauté LGBTQ+ qui a longtemps été humiliée, ridiculisée et stigmatisée à Sri Lanka, a largement participé à ces protestations. Pour la première fois dans l’histoire de l’île cette communauté a même pu organiser, en lien avec ces protestations, la <a href="https://ceylontoday.lk/2022/07/02/moving-forward-with-pride/">marche des fiertés</a>.</p>
<p>Ces manifestants ont sacrifié leur confort, sont restés résolument apolitiques et ont gagné l’admiration d’un grand nombre de sympathisants, tant à Sri Lanka qu’à l’étranger, le tout relayé par les <a href="http://www.srilankaguardian.org/2022/04/the-next-phase-of-aragalaya-in-sri-lanka.html">diasporas</a> tamoule, cinghalaise et musulmane.</p>
<h2>Une lutte entre deux camps</h2>
<p>Progressivement, ce qui se joue à Sri Lanka, est désormais une lutte acharnée entre deux camps – le camp de Diyawannawa (du nom du vaste espace public qui fait face au Parlement), composé des 225 parlementaires et de leurs alliés issus des classes aisées, et le camp de Galle Face Green, composé de la lutte – ou <em>Aragalaya</em> – de gens ordinaires.</p>
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<figcaption><span class="caption">5ᵉ jour de mobilisation à Galle Face Green (13 avril 2022).</span></figcaption>
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<p>Cette lutte ne vise pas seulement le retrait de la famille Rajapaksa de la vie politique. Les manifestants de Galle Face Green exigent depuis plusieurs mois des enquêtes approfondies sur les allégations de corruption à grande échelle et de crimes politiques largement attribués à la <a href="https://www.crisisgroup.org/asia/south-asia/sri-lanka/sri-lankas-economic-meltdown-triggers-popular-uprising-and-political-turmoil">famille au pouvoir et à ses associés</a>.</p>
<p>Ils veulent aussi renouveler la classe politique dans son entièreté à commencer par l’éviction des 225 membres du Parlement comme le suggère certains slogans mobilisés au sein de Galle Face : pour en finir avec la <a href="https://www.colombotelegraph.com/index.php/aragalaya-versus-gotacracy/">Gotacratie</a>.</p>
<h2>Une histoire de désobéissance civile</h2>
<p>L’histoire contemporaine de l’île est jalonnée de tels moments de désobéissance civile dont le plus illustre est le <a href="https://www.wsws.org/en/articles/2020/09/02/hart-s02.html"><em>hartal</em> (grève) de 1953</a> ayant conduit à la démission du Premier ministre et à la préservation des droits (en l’occurrence une subvention sur le riz).</p>
<p>Majoritairement pacifistes, les manifestations de Galle Face sont malgré tout émaillées de sursaut de violence : certaines des factions sont impliquées dans des réactions violentes contre les députés du gouvernement, voire même <a href="https://www.republicworld.com/world-news/rest-of-the-world-news/sri-lanka-ruling-party-mp-amarakeerthi-athukorala-killed-amid-violent-clashes-and-emergency-articleshow.html">l’assassinat d’un député</a> – Amarakeerthi Athukorala – et ont détruit leurs propriétés, un signe de l’effondrement social plus large de la légitimité de la classe dirigeante. Tout comme l’est l’occupation du palais et secrétariat présidentiels, une première dans l’histoire de Sri Lanka. Le régime a tout de même réagi avec une force écrasante : passages à tabac, arrestations massives, tirs. Si la réputation de <a href="https://www.amnesty.org/fr/location/asia-and-the-pacific/south-asia/sri-lanka/">répression politique</a> des Rajapaksas avait auparavant dissuadé de nombreux manifestants, la colère croissante semble néanmoins cette fois avoir vaincu la peur.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/l-indo-pacifique-au-dela-du-slogan-94251">L’« Indo-Pacifique », au-delà du slogan</a>
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<h2>Briser l’ordre économique et social existant</h2>
<p>Forte de nombreux relais médiatiques et d’un soutien depuis plusieurs mois, la mission de l’aragalaya est aussi d’apporter un changement systémique vers un mouvement démocratique de grande ampleur, dépassant les clivages ethniques, raciaux et de classe.</p>
<p>Dédié à la mise en place d’un nouvel ordre socio-politique et économique, le mouvement cherche à combiner constitutionnellement la démocratie avec l’état de droit et une économie qui garantirait un niveau minimum de subsistance à tous (et plus seulement à destination de la classe urbaine aisée).</p>
<p>Dès les premières années de la nation indépendante srilankaise, le pays a été marqué par une polarisation autour des questions ethniques et/ou religieuses. Le premier gouvernement, dirigé par le Premier ministre SWRD Bandaranaike (1956 à 1959) avait ainsi adopté le <a href="https://www.jstor.org/stable/2753947">Sinhala Only Act</a> qui fait du cinghalais l’unique langue officielle. Ses successeurs jusqu’à Gotabaya Rajapaksa, ont poursuivit cette idée de bâtir la nation sur des fondations d’abord <a href="https://www.crisisgroup.org/asia/south-asia/sri-lanka/sri-lanka-sinhala-nationalism-and-elusive-southern-consensus">nationalistes</a>.</p>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/dictionnaire-des-politiques-publiques--9782724625110-page-533.htm">référentiel srilankais</a> s’est peu à peu nourri de la démocratie parlementaire, du néolibéralisme et <a href="https://www.cetri.be/Will-the-Neoliberal-Economy-Change">du clientélisme</a>. Ce dernier a permis l’établissement d’une <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/international/world-news/rajapaksa-family-totally-responsible-for-lankan-crisis/articleshow/90714561.cms?from=mdr">oligarchie</a> (le clan Rajapaksa) qui s’est considérablement enrichie aux dépens du pays et de ses masses.</p>
<h2>Une situation volatile</h2>
<p>Cependant, il n’est pas certain que les partis d’opposition soient prêts à assumer la responsabilité de voir le Sri Lanka traverser la crise économique, étant donné que les créanciers internationaux (<a href="https://www.wsj.com/articles/sri-lankas-debt-crisis-tests-chinas-role-as-financier-to-poor-countries-imf-bailout-11657735179">comme la Chine</a>) sont certains d’imposer des conditions pour de nouveaux prêts qui obligeront cette classe moyenne mobilisée depuis des mois à faire des sacrifices douloureux. Ce qui aura pour corollaire de rendre impopulaire celui qui sera au pouvoir.</p>
<p>La situation est toutefois volatile. La paralysie politique pourrait entraîner un effondrement économique encore plus profond ou des troubles sociaux plus graves. Les autorités pourraient à leur tour utiliser les troubles pour justifier une répression violente et un rôle encore plus important de l’armée dans la gouvernance. Pour le moment, le mouvement aragalaya n’est ni homogène, ni unifié, ni doté d’une direction centrale distincte.</p>
<p>C’est d’ailleurs cette absence de forme du mouvement qui a permis à tant de groupes – étudiants, groupes affiliés à des partis politiques, syndicats, activistes de la société civile, artistes et familles – de se rassembler sous la bannière aragalaya. Mais cela signifie également que de nombreuses contradictions non résolues subsistent et pourraient <a href="https://www.newsfirst.lk/2022/07/08/the-aragalaya-is-for-you-too-sf-appeals-tri-forces/">être instrumentalisées</a> : <a href="https://www.causecommune-larevue.fr/l_ancien_meurt_et_le_nouveau_ne_peut_pas_naitre_gramsci">l’ancien meurt mais le nouveau ne peut pas naître</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186955/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les protestations des derniers mois à Sri Lanka donnent à voir la structuration progressive d’une société civile mobilisée pour un changement démocratique radical.Anthony Goreau-Ponceaud, Géographe, enseignant-chercheur, UMR 5115 LAM, Institut Français de Pondichéry, Université de BordeauxDelon Madavan, Chercheur en géographie, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1604872021-05-19T16:35:19Z2021-05-19T16:35:19ZBalkans : le dangereux projet de redécoupage des frontières<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/400541/original/file-20210513-18-17ra8a6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=44%2C14%2C4947%2C3727&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un nouveau découpage des frontières des États issus du démantèlement de la Yougoslavie ne se ferait pas sans heurts.</span> <span class="attribution"><span class="source"> Harvepino/shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>À la mi-avril, le site slovène Necenzurino a <a href="https://necenzurirano.si/clanek/aktualno/objavljamo-slovenski-dokument-o-razdelitvi-bih-ki-ga-isce-ves-balkan-865692">publié</a> un document-choc présenté comme un « non paper » relatif aux Balkans occidentaux <a href="https://www.total-slovenia-news.com/politics/8124-slovenian-website-releases-non-paper-proposing-changes-to-w-balkan-borders">provenant du gouvernement slovène</a> et destiné au président du Conseil européen Charles Michel. Dans la pratique diplomatique, un <a href="https://www.eea.europa.eu/help/glossary/chm-biodiversity/non-paper">« non paper »</a> permet d’introduire une discussion sur une thématique sensible sans en endosser la responsabilité et de proposer des idées parfois provocantes sans se laisser enfermer dans un cadre de négociation.</p>
<p>Si le principe même du « non papier » est de pouvoir en nier l’existence, ce que les <a href="https://www.total-slovenia-news.com/politics/8192-slovenian-foreign-minister-claims-paper-re-drawing-western-balkans-doesn-t-exist">autorités slovènes n’ont pas manqué de faire</a>, et malgré l’étonnant silence du cabinet de Charles Michel, il semble que sa réalité soit avérée par les recoupements effectués par la presse locale et les confirmations de certains acteurs, parmi lesquels le premier ministre albanais <a href="https://euobserver.com/opinion/151741">Edi Rama</a>. Le sujet a également pesé sur le tout récent <a href="https://europeanwesternbalkans.com/2021/05/17/brdo-brijuni-declaration-eu-is-able-to-absorb-the-wb-serbias-phrasing-of-the-point-on-regional-borders-rejected/">sommet du groupe de Brdo-Brijuni</a>, une initiative diplomatique lancée par la Croatie et la Slovénie en 2013 en vue de collaborer à la stabilisation la région et d’accélérer les processus d’adhésion dans l’Union européenne des pays de la région des Balkans occidentaux.</p>
<h2>« Achever la dissolution de la Yougoslavie »</h2>
<p>Dans les <a href="https://ba.n1info.com/english/news/alleged-non-paper-on-wb-leaks-out-merging-of-rs-and-serbia-kosovo-and-albania/">grandes lignes</a>, ce document propose d’« achever la dissolution de la Yougoslavie » en résolvant les problèmes supposément laissés en suspens à la fin des années 1990.</p>
<p>Autrement dit, il propose, carte à l’appui, de redessiner totalement les frontières de la région pour constituer des États ethniquement homogènes en procédant à un dépeçage de la Bosnie-Herzégovine, à une partition du Kosovo et de la Macédoine du Nord, et à un rétrécissement du déjà petit Monténégro au profit de l’Albanie, de la Croatie et de la Serbie qui en sortiraient agrandies.</p>
<p>Le tout se ferait sans consultation des peuples concernés mais dans le cadre d’un grand accord diplomatique signé entre les gouvernements et parrainé par les États-Unis et l’Europe. Par exemple, la Bosnie ainsi dépecée, qui serait alors peuplée en très grande majorité de Bosniaques musulmans, procéderait à un référendum pour choisir entre un avenir européen ou « auprès de la Turquie » (sic).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=593&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/400997/original/file-20210517-13-1q2hjpy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=745&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La carte de la région si le projet slovène était mis en œuvre.</span>
<span class="attribution"><span class="source">News1.mk</span></span>
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<p>Un tel big bang, alors que la Slovénie et son premier ministre, le très trumpiste <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/slovenie-la-derniere-bataille-du-marechal-tweeto-janez-jansa_2139149.html">Janez Jansa</a>, prendront la présidence tournante de l’Union européenne le 1<sup>er</sup> juillet prochain, n’a pas manqué de faire réagir, à la fois <a href="https://www.courrierdesbalkans.fr/changer-les-frontieres-des-balkans-un-non-paper-qui-bouleverse-la-region">dans la région</a>, mais aussi au-delà, à Bruxelles et à <a href="https://euobserver.com/world/151572">Washington</a>. D’où qu’elles viennent, ces réactions sont unanimes dans la condamnation de ces propositions dont on souligne l’inanité et la dangerosité.</p>
<p>Dès lors, puisque tout le monde semble opposé à ces idées, à tel point qu’on finit par se demander s’il s’est trouvé quelqu’un pour écrire ce document et tracer cette carte, quel intérêt y a-t-il à en discuter davantage ? N’y a-t-il pas un risque d’en faire la promotion au prétexte de le combattre ?</p>
<h2>Une volonté d’homogénéisation ethnique des États</h2>
<p>C’est pourtant un risque à prendre, pour plusieurs raisons. D’abord, Ljubljana entend faire des Balkans occidentaux l’une des priorités de sa présidence de l’UE. Pour des membres lointains de l’Union, il y a une tendance assez naturelle à s’en remettre à la Slovénie, elle-même issue de la Yougoslavie, pour traiter de ces questions, en considérant qu’elle en a la légitimité et les connaissances. Par conséquent, l’impact d’un document pareil n’est pas le même selon qu’il émane de la Slovénie ou, par exemple, de la Finlande ou du Portugal.</p>
<p>Ensuite, quand bien même le document est condamné de toutes parts, il part d’un constat avec lequel on peut difficilement être en désaccord : les États candidats à l’intégration européenne n’ont strictement aucune perspective d’y parvenir à court et moyen terme (2025-2030) – sauf, peut-être, le Monténégro qui pourrait être sauvé par sa petite taille.</p>
<p>Face à ce constat lucide, une approche consiste à considérer que le blocage est endogène au processus, en raison d’une double fatigue de la part de l’UE et des pays candidats, malgré le récent <a href="https://ec.europa.eu/neighbourhood-enlargement/news_corner/news/revised-enlargement-methodology-questions-and-answers_en">changement de méthodologie</a> exigé par la France et dont on verra s’il produit des effets positifs. On peut en douter.</p>
<p>Une autre, défendue dans le fameux « non papier » slovène, estime que les États des Balkans occidentaux n’ont aucune chance de rejoindre l’UE parce qu’ils sont intrinsèquement dysfonctionnels car ethniquement hétérogènes, ce qui s’explique par le fait que le processus de dissolution de la Yougoslavie n’a pas été tout à fait mené à son terme. Le corollaire de cette hypothèse est que des États ethniquement homogènes (comme la Slovénie) seraient mieux à même de se développer, et donc de rattraper leur retard sur le plan économique et démocratique afin d’atteindre les standards européens. Une théorie qui ne repose sur rien de tangible, qui est balayée par la réalité même de l’UE, mais qui semble toujours intuitivement séduisante dans certains cercles identitaires.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4GzqvPZmM8U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Documentaire de France 3 sur la Yougoslavie.</span></figcaption>
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<p>Or, c’est dans le vide politique et géostratégique laissé par les Européens dans les Balkans qu’émergent à la fois les alternatives géopolitiques – en particulier l’idée d’un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/03/19/la-serbie-sas-d-entree-vers-l-europe-pour-pekin_6073757_3210.html">net rapprochement avec la Chine</a> –, mais aussi les idées « out of the box » comme celles contenues dans ce « non papier », puisque rien d’autre ne semble fonctionner.</p>
<p>Et si personne n’endosse la paternité du document, la région ne manque pas de défenseurs de ces idées de redécoupage des frontières, à commencer par le premier ministre slovène <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/05/08/en-slovenie-le-premier-ministre-janez-jansa-en-marche-dans-les-pas-d-orban_1787764/">Janez Jansa</a>, trumpiste assumé, nous l’avons dit, dont le modèle européen est Viktor Orban. Il est appuyé en cela par plusieurs responsables et partis politiques de la région qui n’ont pas manqué de saisir l’opportunité de cette publication aller dans le même sens.</p>
<p>Milorad Dodik, l’homme fort de la Republika Srpska, l’entité serbe de Bosnie, ne cesse ainsi de <a href="https://ba.n1info.com/english/news/dodik-republika-srpska-entity-also-has-a-non-paper-on-bosnia/">répéter</a> qu’il faut aller vers une dissolution pacifique de la Bosnie-Herzégovine, qui permettrait à la Republika Srpska de se rattacher in fine à la Serbie. L’actuel ministre de l’Intérieur serbe Aleksandar Vulin <a href="https://www.klix.ba/vijesti/bih/vulin-o-srpskom-svetu-proces-ujedinjenja-je-poceo-i-to-se-vise-nece-moci-zaustaviti/210501066">répète</a> également que l’objectif stratégique de son pays est l’union des Serbes dans une même sphère.</p>
<p>Côté croate, les principaux responsables croates de Bosnie, aidés en cela par les autorités de Zagreb, poussent depuis longtemps pour créer une entité croate, prélude à un morcellement plus prononcé de la Bosnie.</p>
<p>Quant aux Albanais, si l’idée d’une réunification avec le Kosovo, à laquelle l’actuel premier ministre du Kosovo Albin Kurti est <a href="https://www.euronews.com/2021/02/16/i-would-vote-to-unify-albania-and-kosovo-election-winner-albin-kurti-tells-euronews">favorable</a>, apparaît lointaine et irréaliste aujourd’hui, elle pourrait revenir <a href="https://www.euronews.com/2021/04/15/how-eu-enlargement-apathy-could-push-kosovo-and-albania-to-join-forces">si le chemin européen de l’Albanie et du Kosovo est durablement fermé</a>.</p>
<p>On voit donc que la région ne manque pas d’ambitieux qui n’attendent qu’un signal pour littéralement reprendre les choses là où elles se sont arrêtées à la fin des années 1990 et « achever la dissolution de la Yougoslavie », c’est-à-dire ni plus ni moins qu’achever ce pour quoi eux ou leurs prédécesseurs se sont fait la guerre.</p>
<p>Car il ne faut pas s’y tromper : rien de tout cela ne pourrait advenir de façon pacifique et chacun le sait. On emploie donc des formules et des périphrases qui masquent de moins en moins une réalité simple : ni du côté croate, ni du côté serbe on n’a renoncé au but de guerre commun de 1992, à savoir dépecer la Bosnie et la réduire à un État croupion autour de Sarajevo dont on pointera à nouveau le caractère musulman, donc exogène à l’Europe chrétienne, donc illégitime, donc à éliminer. Cette rhétorique identitaire, déjà à l’œuvre dans les années 1990 dans le discours de propagande serbe touchant aussi bien les Bosniaques que les Albanais du Kosovo, a retrouvé de la vigueur ces derniers temps, que ce soit dans les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/le-massacre-de-christchurch-ravive-les-blessures-des-balkans-17-03-2019-2301722_24.php">inspirations</a> d’un terroriste suprémaciste à l’autre bout du monde ou dans les <a href="https://www.francesoir.fr/politique-france/grand-remplacement-et-kosovo-le-fantasme-de-zemmour-et-marion-marechal">discours de l’extrême droite française</a>.</p>
<h2>Un projet loin d’être enterré</h2>
<p>Ce « non papier » a donc des effets performatifs immédiats puisqu’il <a href="https://www.euractiv.com/section/politics/short_news/effects-of-non-paper-dodik-wants-peaceful-split-izetbegovic-thinks-war-possible/">crée des tensions</a> dans la région en alimentant les craintes des uns et les fantasmes des autres. On aurait tort de croire que son rejet immédiat suffira à enterrer ce dessein.</p>
<p>Le précédent du <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/serbie-kosovo-options-scenarios-2018">débat</a> sur le changement de frontière entre la Serbie et le Kosovo comme base d’un compromis en 2018 nous renseigne sur ce que deviennent des idées jetées en l’air, ou plus exactement sur des cartes. D’une idée marginale défendue dans certains cercles eux-mêmes marginaux, il n’a fallu que quelques mois pour qu’elle devienne la nouvelle martingale, défendue à la fois par les deux présidents de la Serbie et du Kosovo, mais aussi par une série de hauts responsables européens et américains (<a href="https://www.politico.eu/article/federica-mogherini-kosovo-serbia-defends-border-change-talks/">dont l’ancienne Haute Représentante Federica Mogherini</a>), non sans susciter quelques interrogations sur les pratiques employées pour se faire, <a href="https://prishtinainsight.com/border-changes-promoted-with-taxpayer-money/">notamment en France</a>. Seule l’Allemagne a alors campé sur sa position de principe qu’il ne fallait pas toucher aux frontières et que l’argument consistant à dire que « si tout le monde est d’accord sur place, qui sommes-nous pour l’empêcher ? » était purement rhétorique car ce « si » ne peut en aucun cas advenir.</p>
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<p>Par conséquent, ce n’est pas parce que ce « non papier » et sa carte sont rejetés aujourd’hui que le sujet est fermé. Au contraire, il est désormais ouvert. Il suffira d’une crise sérieuse savamment orchestrée dans la région, d’une ouverture géopolitique avec un nouveau Trump à la Maison Blanche qui n’aura que faire des engagements historiques des Américains dans la région et raisonnera en termes ethno-religieux, pour que les projets des années 1990, aujourd’hui ressuscités sous couvert de la prétendue possibilité de leur accomplissement pacifique, ne soient à nouveau considérés comme concevables par un plus grand nombre de décideurs.</p>
<p>Impossible ? Loin de là, puisque les dirigeants occidentaux sont ceux qui ont raisonné en ces termes dans les années 1990, qui ont accepté d’emblée les narratifs ethno-nationalistes dans les plans de paix en Bosnie, qui ont <a href="https://www.iris-france.org/87849-pourquoi-les-balkans-comptent-partie-2/">essentialisé une région réduite dans leur vision à des haines ancestrales</a>. Qu’on ne doute pas qu’il en serait à nouveau ainsi si la situation se représentait. Et c’est toute la stratégie d’un Dodik en Bosnie que de rendre le pays le plus dysfonctionnel possible, jusqu’à ce qu’une opportunité s’ouvre et que l’on se mette à accepter l’idée qu’après tout, si ça ne marche pas, il vaudrait peut-être mieux redécouper tout ça. À ceci près que, répétons-le, un tel développement déclenchera nécessairement un nouveau conflit armé.</p>
<p>Enfin, ce « non papier » est aussi un signe qu’au sein de l’Europe, les forces illibérales, sous couvert de défense de l’identité chrétienne, balaient sans ciller les valeurs de l’UE, ses textes, et l’héritage des Pères fondateurs. Les propositions de ce document sont un retour à la diplomatie du XIX<sup>e</sup> siècle si bien que, si l’on suit cette logique, il n’y a aucune raison de considérer que le raisonnement proposé ne s’appliquerait pas à d’autres régions du monde dont on dirait qu’elles dysfonctionnent parce qu’elles ne sont pas des États-nations homogènes. Un débat tranché en Afrique lors des indépendances des anciennes colonies, précisément parce qu’indépendamment des problèmes créés par les frontières héritées des puissances coloniales, on savait que se lancer dans un redécoupage qui correspondrait à des appartenances identitaires déboucherait sur des conflits sans fin.</p>
<p>Il faut donc voir dans ce « non papier » un avertissement. Ces idées sont encore vivantes, et nul doute que les mêmes causes produiraient les mêmes conséquences si elles venaient à être appliquées. Partant de là, il incombe à l’Europe de redonner une dimension stratégique à son action dans les Balkans, par-delà une rhétorique de l’intégration à laquelle personne ne croit plus vraiment de part et d’autre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160487/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Loïc Tregoures ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un « non paper » attribué au gouvernement slovène secoue actuellement les Balkans. Ce document diplomatique non officiel a pour projet de redéfinir les frontières des pays issus de l’ex-Yougoslavie.Loïc Tregoures, Docteur en science politique, Université Lille 2, spécialiste des Balkans, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1493992020-11-05T20:03:56Z2020-11-05T20:03:56Z« Les mots de la science » : R comme race<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/393244/original/file-20210402-13-v1f1hn.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1724%2C8000%2C4383&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">.</span> </figcaption></figure><p>Anthropocène, coronavirus, intelligence artificielle, essentialisation, décroissance… Ce jargon vous dit quelque chose, bien sûr ! Mais nous utilisons parfois, souvent, ces mots sans bien savoir ce qu’ils veulent dire. Dans l’émission <em>Les mots de la science</em>, nous revenons donc sur l’histoire et le sens de ces mots clés avec des chercheuses et chercheurs capables de nous éclairer.</p>
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<p><a href="https://open.spotify.com/episode/1PQhq8UlyxW7OyJZYAjCQj?si=UU8tv1LNTve-dF3fO3_HMQ"><img src="https://images.theconversation.com/files/321535/original/file-20200319-22606-1l4copl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=183&fit=crop&dpr=1" width="268" height="70"></a>
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<a href="https://www.deezer.com/en/episode/257156072?utm_campaign=clipboard-generic&utm_source=user_sharing&utm_medium=desktop&utm_content=talk_episode-257156072"><img src="https://images.theconversation.com/files/370281/original/file-20201119-15-jxert0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=218&fit=crop&dpr=2" alt="Listen on Deezer" width="268" height="80"></a></p>
<p>Nous dédions cet épisode à la notion de race, un outil d’analyse critique devenu majeur en sciences sociales, qui suscite de houleux débats tant dans les champs académique que politique. Pour nous expliquer comment ce concept a été façonné et est utilisé, les recherches qui ont pu ainsi être menées en France, mais aussi s’intéresser aux limites du mot, nous accueillons la chercheuse Sarah Mazouz, sociologue au CNRS, rattachée à l’<a href="https://www.college-de-france.fr/site/institut-convergences-migrations/index.htm">Institut Convergences Migrations</a>, également membre de l’initiative interdisciplinaire <a href="https://global-race.site.ined.fr/">« Global Race »</a>. Sarah Mazouz est l’autrice de <em>La République et ses autres. Politiques de l’altérité dans la France des années 2000</em> (ENS-Editions, 2017) et de <em>Race</em> (aux éditions Anamosa, 2020).</p>
<p>Bonne écoute !</p>
<hr>
<p><em>L’émission « Les mots de la science » est animée par Iris Deroeux, journaliste à The Conversation, notamment en charge de la rubrique Fact check US dédiée à la politique américaine.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/149399/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Cet épisode est dédié à la notion de race, outil d’analyse critique majeur en sciences sociales, qui suscite de houleux débats.Sarah Mazouz, chargée de recherche au CNRS (CERAPS - Université de Lille, CNRS, Sciences Po Lille), Université de LilleIris Deroeux, journaliste , The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1469932020-10-06T19:00:32Z2020-10-06T19:00:32ZLe grand désarroi de la majorité blanche aux États-Unis<p>Le mirage d’une Amérique « post-raciale », apparu dans le sillage de l’élection du premier président noir en 2008, s’est vite dissipé. Dans un pays où la <a href="https://www.lesechos.fr/2018/06/aux-etats-unis-le-declin-de-la-population-blanche-saccelere-997266">proportion des Blancs dans la population diminue</a> et celle des minorités ethniques progresse, comment expliquer la résilience républicaine dans les urnes qui a porté Donald Trump à la Maison Blanche en 2016 mais aussi des majorités républicaines au Congrès en 2010 et plus encore en 2014, sans parler des législatures d’États ?</p>
<p>Au-delà des artifices comme le <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2013-2-page-129.htm">charcutage électoral</a> (<a href="https://books.google.fr/books/about/Race_and_Partisanship_in_California_Redi.html?id=RaOTDwAAQBAJ">gerrymandering</a>), la réponse tient largement au fait que la perception d’un déclin des Blancs, véhiculée sinon célébrée par les médias, est vécue par une partie de ces mêmes Blancs comme une menace pour le maintien de leur statut social (<a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S235282731830291X"><em>status threat</em></a>)</p>
<p>Ce phénomène est loin d’être réductible à un simple racisme auquel on pourrait renoncer par la raison. Les sciences sociales, et particulièrement la psychologie politique, ont mis en lumière les mécanismes qui expliquent les liens entre perception d’un déclin identitaire et glissement idéologique vers la droite. La centralité de cette notion de menace, inconsciente, permet de comprendre l’impact contre-intuitif de politiques, de discours ou de mesures visant à combattre les inégalités.</p>
<h2>Un sentiment de dépossession</h2>
<p>Le mieux est l’ennemi du bien : la tentation de remédier aux injustices sociales par des politiques publiques et, plus encore, par des moyens symboliques, notamment sémantiques, peut produire des effets qui semblent disproportionnés au premier abord. Ainsi, la <a href="https://www.nytimes.com/2020/07/05/insider/capitalized-black.html">décision de la rédaction du <em>New York Times</em></a> de changer ses conventions typographiques pour mettre désormais une majuscule à l’adjectif « black » et non à « white » n’est pas qu’une incohérence linguistique : c’est un acte politique, vécu comme une humiliation par des Blancs qui perçoivent leur blanchité comme centrale à leur identité.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1298344285079838720"}"></div></p>
<p>De même, la <a href="https://theconversation.com/la-cancel-culture-ou-comment-lyncher-sans-reflechir-sur-les-reseaux-sociaux-144095">« cancel culture »</a> et l’ensemble des mesures décriées comme <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/etats-unis-quand-le-politiquement-correct-fait-des-ravages-1224163">« politiquement correctes »</a> imposées par les activistes <a href="https://www.rtl.fr/actu/international/black-lives-matter-qu-est-ce-que-le-woke-cet-etat-d-esprit-eveille-7800605402">« woke »</a> sont vécues comme autant de violences symboliques. Les populations blanches à forte conscience raciale ont tendance à voir les fortunes des groupes ethnoraciaux comme un <a href="http://pps.sagepub.com/content/6/3/215">jeu à somme nulle</a> : si les Noirs progressent, c’est forcément au détriment des Blancs, ce qui a pour effet de mettre à mal une <a href="http://pss.sagepub.com/content/25/2/439">hiérarchie</a> implicite et archétypale de l’histoire américaine, où les Blancs sont en haut de la hiérarchie, et où les « vrais » Américains sont blancs (et chrétiens). Cette thèse du jeu à somme nulle fait écho à la <a href="https://link.springer.com/article/10.1023/A:1007655818083">« power devaluation theory »</a> (sentiment de dépossession économique et politique) de Rory McVeigh, par laquelle il expliquait la popularité du Ku Klux Klan dans les années 1920.</p>
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<p>L’importance de la dimension symbolique a été mise en avant par le sociologue <a href="https://books.google.fr/books/about/Symbolic_Crusade.html?id=IGlBeGp3sR0C&redir_esc=y">Joseph Gusfield</a> dans les années 1960. Il montre magistralement comment la prohibition est le résultat d’une « croisade symbolique » menée par une Amérique anglo-protestante, rurale, traditionnelle, qui a l’impression d’être remplacée par une nouvelle Amérique, catholique, juive ou orthodoxe, urbaine, moins attachée aux valeurs traditionnelles (qui joue et boit le dimanche) et originaire d’Europe du Sud et de l’Est. L’imposition de la prohibition par la voie législative est un moyen de réaffirmer symboliquement qui tient les rênes du pouvoir politique et des normes culturelles. La loi permet de rétablir la légitimité d’un groupe qui se voit comme archétypal (le <em>in-group</em>), au détriment d’un autre perçu comme un usurpateur (<em>out-group</em>).</p>
<h2>Une société plus diverse… et moins tolérante</h2>
<p>Le contexte démographique récent présente des analogies avec les bouleversements du tournant du XX<sup>e</sup> siècle. Ainsi, le <a href="https://www.brookings.edu/blog/the-avenue/2018/03/14/the-us-will-become-minority-white-in-2045-census-projects/">Bureau du recensement</a> projette depuis une dizaine d’années que les Blancs deviendront minoritaires aux États-Unis dans les années 2040. La médiatisation de cette projection la rend impossible à ignorer. L’activation (<a href="https://fr.ryte.com/wiki/Effet_priming">_priming</a>, <a href="https://study.com/academy/answer/what-are-cues-in-psychology.html">cues_</a>) de la thématique migratoire par les <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/j.1467-9221.2012.00928.x">médias</a> est soit d’ordre neutre (c’est un fait), soit d’ordre positif (<em>success story</em>), soit d’ordre négatif à travers le prisme du danger, personnel (<a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691176192/white-backlash">criminalité</a>) ou culturel (dénaturation d’une Amérique archétypale, éternelle).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1302212909808971776"}"></div></p>
<p>On pourrait croire qu’une population de plus en plus diverse a vocation à devenir de plus en plus tolérante, mais de nombreux travaux de psychologie politique montrent le contraire. La diversification entraîne un « retour de bâton blanc » (<a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691176192/white-backlash"><em>White Backlash</em></a>) qui va de la perception (négative) des minorités à l’identification partisane et au vote (républicain), en passant par le soutien aux mesures anti-immigration et de réduction de prestations sociales perçues comme essentiellement destinées au « out-group », ainsi que de la réduction des impôts qui rendent possibles ces politiques redistributrices. L’hostilité croissante au <em>out-group</em> ethnoracial s’accompagne d’une identification et d’une solidarité croissantes au <em>in-group</em>. En d’autres termes, une partie des Blancs <em>découvre</em> sa blanchité en tant que groupe dont l’existence et le statut sont menacés, développe une conscience et une solidarité de groupe, et résiste au spectre du déclin par le vote et le soutien à des politiques publiques.</p>
<h2>Un phénomène antérieur à l’ascension de Donald Trump</h2>
<p>Si ce genre de mécanisme évoque immédiatement le succès de Donald Trump, de nombreuses études ont été publiées alors qu’il n’était pas encore candidat. Celles de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0956797614527113">Craig et Richeson</a> sur le paradoxe d’une société <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0146167214524993">plus diverse et moins tolérante</a> datent de 2014, comme celle de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1948550614546355">Danbold et Yuo</a> sur la réaction défensive de Blancs face à la perte de leur « prototypicalité ». Celle d’<a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0146167211418531">Outten et al</a>, explicitement intitulée « Feeling threatened about the Future », date de 2011, et une étude parue en 2016 de <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2770186">Willer et al</a>. porte non pas sur Trump mais sur l’explication de l’adhésion au « Tea Party » en fonction de la perception des menaces au statut. Dans cette étude, notamment, l’élection d’un président noir joue un rôle explicite.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"780439003891924992"}"></div></p>
<p>Ces études amalgament souvent « les Blancs » d’une façon peu satisfaisante : le succès de Trump se vérifie surtout chez les <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1368430216677304">Blancs à forte conscience de leur blanchité</a> (<em>high in ethnic identification</em>), par opposition aux Blancs dont la blanchité n’est pas un pan central de l’identité (<em>low in ethnic identification</em>). Les Blancs à forte conscience identitaire sont ceux qui se sentent menacés, qui soutiennent Trump et les mesures anti-immigration, et qui s’opposent le plus à ce qui relève du « politiquement correct ». Trump n’invente donc rien mais capitalise sur des mécanismes déjà bien identifiés par les sciences sociales. La thèse remarquable d’Ashley Jardina (2014, publiée en 2019), fait un bel usage de cette distinction et met à profit cette littérature pour produire une somme intitulée <a href="https://www.cambridge.org/core/books/white-identity-politics/5C330931FF4CF246FCA043AB14F5C626"><em>White Identity Politics</em></a>.</p>
<p><a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0956797614527113">Craig et Richeson</a> ont mis en évidence en 2014 que des activations (<em>cues</em>) à caractère racial provoquaient chez les sujets un glissement idéologique vers la droite, se manifestant notamment par le soutien de politiques répressives (<em>policy backlash</em>), ce que montrent également <a href="https://press.princeton.edu/books/paperback/9780691176192/white-backlash">Abrajano et Hajnal</a> dans <em>The White Backlash</em> (2015). Dès 2009, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0022103109000948">Nail et al</a>. avaient montré plus largement que des stimuli de menaces pouvaient provoquer des comportements conservateurs même chez des sujets progressistes, ce qui contribuait à illustrer la thèse de Jost et son équipe, pour qui le conservatisme en particulier (<a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12784934/">2003</a>) et l’idéologie en général (<a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s11031-011-9260-7">2012</a>) doivent être considérés comme des formes de « social cognition ». Ce lien privilégié entre stimuli phobiques et glissement conservateur, sorte de repli identitaire comparable à un réflexe immunitaire, s’explique par des différences physiologiques à l’intérieur du cerveau des sujets, principalement au niveau de l’amygdale. On ne choisit pas le volume de son amygdale et on demeure prisonnier de ses perceptions.</p>
<h2>Quels effets sur la présidentielle ?</h2>
<p>Les Démocrates sont donc contraints à un numéro d’équilibriste : mobiliser une clientèle de plus en plus composée de minorités en s’aliénant le moins possible un électorat blanc certes en déclin, mais qui représente encore une large majorité de l’électorat américain. Ce qui pousse le politiste <a href="https://www.cambridge.org/core/books/turnout-gap/1B79B19C880A93C462FD1DF22F65DD15">Bernard Fraga</a>, spécialiste du différentiel de mobilisation entre Blancs et minorités, à rappeler comme en avertissement que « White Votes Matter ». <a href="https://www.hoover.org/research/unstablemajorities">Morris Fiorina</a> met quant à lui en garde contre la tentation de l’<a href="https://www.hoover.org/sites/default/files/research/docs/fiorina_temptationtooverreach.pdf"><em>overreach</em></a>.</p>
<p>En cas de victoire à la présidentielle et au Sénat, les Démocrates auraient une fenêtre de tir de deux années pour lancer des réformes et corriger la politique des années Trump. Cependant, un réformisme trop ambitieux (<em>overreach</em>) a déjà coûté très cher aux Démocrates (1994, 2010, 2014) : ils sont donc condamnés à frustrer leur aile gauche pour éviter une déroute aux élections de mi-mandat de 2022.</p>
<p>Pour l’instant, si l’électorat blanc diplômé, surtout féminin, penche du côté démocrate, c’est nettement moins le cas des hommes, et encore davantage des Blancs sans diplôme. Toute la difficulté pour les Démocrates serait donc d’évaluer quels segments de l’électorat blanc ils peuvent se permettre de négliger dans leurs politiques publiques, sans compromettre leurs chances de conserver le pouvoir – et leur capacité réformatrice – de 2022 à la présidentielle de 2024.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146993/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lauric Henneton ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une partie considérable des Blancs américains vivent douloureusement l’érosion progressive du statut dominant – sur le plan démographique, politique et culturel – qui a longtemps été le leur.Lauric Henneton, Maître de Conférences HDR, expert politique et religion aux États-Unis, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1314992020-02-25T20:35:07Z2020-02-25T20:35:07ZDis-moi qui tu ne veux pas pour voisin : les Européens et la tolérance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/314750/original/file-20200211-146700-1el5b07.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C26%2C3000%2C1962&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">'Qui, sur cette liste, n’aimeriez-vous pas avoir comme voisins ?' Une enquête livre quelques indications sur la tolérance des Européens.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Il est beaucoup question dans l’actualité des logiques de rejet qui s’exprimeraient en Europe contre les <a href="https://www.opensocietyfoundations.org/explainers/islamophobia-europe/fr">minorités ethniques ou religieuses</a>, au point de nécessiter une mobilisation <a href="https://www.coe.int/fr/web/no-hate-campaign/european-commission-against-racism-and-intolerance-ecri1">contre les discours de haine</a>.</p>
<p>Que peut-on dire toutefois sur le degré d’ouverture ou de fermeture dans les pays européens ? La tolérance est-elle en hausse ou en déclin ? Se présente-t-elle de la même façon dans tous les pays et pour tout type de minorités ?</p>
<h2>Mesurer la tolérance</h2>
<p>Les analyses documentées sont rares car difficiles. Les indicateurs utilisés pour mesurer la tolérance ne sont pas toujours bien adaptés. C’est pourquoi nous proposons d’apporter un autre éclairage à partir des <a href="https://europeanvaluesstudy.eu/">European Values Study (EVS)</a>.</p>
<p>Ces enquêtes, qui sont réalisées périodiquement depuis 1981, présentent plusieurs avantages : elles sont supervisées par des universitaires, elles sont répétées tous les neuf ans (la dernière vague a été réalisée en 2017-2018) et elles couvrent un grand nombre de pays européens (une trentaine).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/315066/original/file-20200212-61935-1xsdrhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Carte des pays enquêtés.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://europeanvaluesstudy.eu/methodology-data-documentation/survey-2017/fieldwork-progress/">EVS</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Concernant la dernière vague, seules les données françaises ont pour l’heure <a href="https://www.pug.fr/produit/1663/9782706143168/la-france-des-valeurs">donné lieu à une publication</a>.</p>
<p>Parmi les questions qui sont utilisées dans l’EVS, l’une d’elles concerne plus particulièrement la tolérance : elle porte sur les voisins indésirables. Dans la version française, cette question est ainsi formulée :</p>
<blockquote>
<p>« Sur cette liste figurent différentes catégories de gens. Voulez-vous m’indiquer s’il y en a que vous n’aimeriez pas avoir comme voisins ? »</p>
</blockquote>
<p>Comme on le voit, l’originalité de cette question est de mettre les individus en situation : les répondants ne sont pas interrogés de manière abstraite sur leur niveau de tolérance mais sont invités à déclarer quels types de personnes ils n’aimeraient pas avoir pour voisins. Ajoutons que cette question est aisément compréhensible par tous, même si la notion de voisin peut être jugée équivoque.</p>
<p>La liste des voisins proposée en 2017 comprend neuf groupes (voir tableau 1). On peut regretter que cette liste ait été réduite par rapport aux enquêtes antérieures. En particulier, elle n’a pas conservé les minorités politiques (en l’occurrence les extrémistes de droite et les extrémistes de gauche) ainsi que d’autres groupes comme les personnes ayant un casier judiciaire. Malgré tout, cette liste est suffisamment large pour tirer quelques enseignements.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=319&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314728/original/file-20200211-146690-1g98938.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=401&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Tableau des groupes identifiés par l’enquête.</span>
<span class="attribution"><span class="source">EVS</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Alcooliques et drogués : les voisins mal-aimés</h2>
<p>Le premier constat est qu’il existe en Europe de grandes variations selon le type de voisins. En moyenne, seuls deux groupes sont majoritairement refusés : les alcooliques (65 %) et les drogués (77 %). À l’autre bout du spectre, les personnes qui sont les moins refusées sont les chrétiens (6 %).</p>
<p>Entre ces deux extrêmes, il existe une certaine graduation : les groupes les plus rejetés sont les « gitans » (40 %), les homosexuels (30 %), les musulmans (24 %) et les immigrés (21 %). Loin derrière viennent les gens de « différentes races » (14 %) et les juifs (12 %). Ces rejets ne sont pas de même nature : certains se cumulent assez bien (par exemple, le rejet des voisins musulmans est très corrélé au refus immigrés) et d’autres non (le refus des juifs n’est pas corrélé au refus des drogués).</p>
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<span class="caption">Graphique 1.</span>
<span class="attribution"><span class="source">EVS</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Par rapport à ces moyennes européennes, la France se présente comme un pays très tolérant. La hiérarchie des rejets y est globalement la même (ce sont toujours les drogués et les alcooliques qui sont le moins souhaités en tant que voisins) mais l’ampleur des rejets est nettement plus faible.</p>
<p>En particulier, les musulmans et les personnes de différentes races sont trois fois moins cités que dans le reste de l’Europe, ce qui invalide au passage l’idée selon laquelle la France serait inhospitalière envers ces populations.</p>
<p>Ce résultat permet aussi de comprendre pourquoi la France a été précocement une terre d’immigration, qui accueille aujourd’hui la principale communauté musulmane d’Europe de l’Ouest, que ce soit en <a href="http://www.fondapol.org/etude/vincent-tournier-portrait-des-musulmans-deurope-unite-dans-la-diversite/">chiffres absolus ou en chiffres relatifs</a>, avec une population estimée à 5,7 millions d’individus, soit <a href="https://www.pewforum.org/2017/11/29/europes-growing-muslim-population/">8,8 %</a>.</p>
<h2>Clivages entre l’Est et l’Ouest</h2>
<p>Si on regarde à présent les résultats par pays, on peut constater qu’il existe d’importants écarts entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est.</p>
<p>Le clivage Est/Ouest se vérifie d’abord pour les minorités ethno-religieuses (graphiques 1 et 2). À l’Ouest ou au Nord de l’Europe, le rejet des voisins de confession musulmane et de différentes races est très faible, alors qu’il est important à l’Est (on retrouve le même type de clivage avec l’indicateur sur les voisins juifs).</p>
<p>Ce clivage Est/Ouest se renforce depuis 2008 car le rejet a plutôt tendance à baisser à l’Ouest et à augmenter à l’Est, ce qui accroît la polarisation. Par exemple, en Hongrie, où les évolutions ont été particulièrement spectaculaires entre 2008 et 2018, le rejet des voisins musulmans est passé de 11 % à 38 % et le rejet des voisins de différentes races de 9 % à 28 %. On vérifie à nouveau que la France compte parmi les pays où le rejet des musulmans et des gens de différentes races est très faible. En 2008, la France était même le pays où les musulmans étaient les moins rejetés en tant que voisins.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/314731/original/file-20200211-146682-1jehy03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/314731/original/file-20200211-146682-1jehy03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/314731/original/file-20200211-146682-1jehy03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/314731/original/file-20200211-146682-1jehy03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/314731/original/file-20200211-146682-1jehy03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=323&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/314731/original/file-20200211-146682-1jehy03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/314731/original/file-20200211-146682-1jehy03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/314731/original/file-20200211-146682-1jehy03.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=406&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Graphique 2.</span>
<span class="attribution"><span class="source">EVS</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Dans le cas des voisins homosexuels (graphique 3), le clivage entre l’Europe de l’Ouest et l’Europe de l’Est est encore plus marqué. À l’Ouest, à l’exception de l’Espagne, aucun pays ne connaît une hausse du rejet, ce qui confirme que l’homosexualité bénéficie d’une forte dynamique d’acceptation en Occident. À l’Est, le rejet des voisins homosexuels est beaucoup plus fréquent, même s’il existe une grande amplitude entre les pays (23 % en Tchéquie, 82 % en Arménie). Le clivage Est/Ouest s’accentue depuis 2008 principalement parce que le rejet des voisins homosexuels continue de baisser à l’Ouest (Pays-Bas, Allemagne, Italie, Autriche) alors qu’à l’Est, malgré des évolutions favorables en Pologne ou en Croatie, la plupart des pays se maintiennent à des niveaux élevés, voire évoluent vers moins d’acceptation.</p>
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<span class="caption">Graphique 3.</span>
<span class="attribution"><span class="source">EVS</span></span>
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</figure>
<p>Un dernier cas de figure concerne les voisins drogués ou alcooliques. Cette fois-ci, même si les écarts entre l’Est et l’Ouest sont toujours importants, le rejet apparaît plus généralisé : non seulement il est nettement plus élevé partout mais de plus il se renforce quasiment dans tous les pays depuis 2008. On le voit très bien dans le cas de la drogue (graphique 4) : seuls les habitants du Danemark et de la Géorgie sont moins nombreux à ne pas vouloir de voisins drogués.</p>
<p>En France, où l’acceptation des voisins drogués était parmi les plus élevées en 2008, le rejet passe de 40 % à près de 60 %. Les évolutions sont comparables lorsqu’on interroge les Européens sur les voisins alcooliques : au mieux, le refus d’avoir ce type de voisin est stable, mais dans beaucoup de pays il augmente. Seuls deux pays (le Danemark et la Finlande) sont devenus plus tolérants.</p>
<figure class="align-center ">
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<span class="caption">Graphique 4.</span>
<span class="attribution"><span class="source">EVS</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Un autre regard sur les partis populistes</h2>
<p>Comme on le voit, les minorités ethno-religieuses ou sexuelles ne sont donc pas rejetées partout de la même façon, loin s’en faut. Toute une partie de l’Europe de l’Ouest fait au contraire preuve d’une très grande ouverture en matière de voisinage.</p>
<p>Ce résultat invite à porter un autre regard sur l’émergence de partis dits populistes. Ces partis ont en effet tendance à être analysés à l’aide de la même grille de lecture, comme si le populisme était un phénomène homogène.</p>
<p>Or, les données EVS sur les voisins incitent à penser que les ressorts de ces partis ne sont pas comparables car les électorats n’ont pas les mêmes prédispositions psychologiques, les mêmes bases anthropologiques. Cette diversité n’est sans doute pas pour rien dans les difficultés qu’ils rencontrent pour <a href="https://www.lesechos.fr/elections/europeennes/parlement-europeen-les-nationaux-populistes-pas-en-mesure-de-destabiliser-lue-1024464">s’unifier au niveau européen</a>.</p>
<p>Il est toutefois possible de s’interroger sur la valeur des résultats. Quelle est la sincérité des sondés ? Leurs réponses témoignent-elles de ce qu’ils pensent vraiment ou reflètent-elles surtout les normes et les tabous qui prévalent dans chaque pays ?</p>
<h2>Comprendre les tabous</h2>
<p>Cette seconde interprétation doit être prise au sérieux car, en Europe de l’Ouest, le racisme et la xénophobie ont fait l’objet d’un puissant mouvement de délégitimation depuis la Seconde Guerre mondiale et la décolonisation ; parallèlement, l’homosexualité a bénéficié d’une visibilité et d’une légitimité croissantes.</p>
<p>Il est donc possible que les répondants préfèrent taire leurs opinions réelles, conformément à la logique de la <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-1989-1-page-181.htm">spirale du silence</a> : face à la crainte de se retrouver isolé dans son environnement social, l’individu a tendance à taire son avis. On peut aussi évoquer l’impact de la <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674707580">falsification des préférences</a> qui conduit les individus à modifier temporairement dans certains contextes sociaux leurs goûts ou leurs comportements. Ces deux mécanismes découragent les avis dissidents de s’exposer publiquement.</p>
<h2>Le rôle des affinités</h2>
<p>Si elle comporte une part de vérité, cette analyse mérite cependant d’être complexifiée. Nous avancerons l’hypothèse que, lorsque les gens sont interrogés sur les voisins qu’ils souhaitent, leurs réponses vont être tributaires de deux principes contradictoires : un principe de similarité et un principe de normativité. Par principe de similarité, expression que nous reprenons à <a href="https://books.google.fr/books?id=Y4R0DwAAQBAJ&pg=PT108&lpg=PT108&dq=laurent+cordonier+pr%C3%A9f%C3%A9rence+pour+la+similarit%C3%A9">Laurent Cordonier</a> nous entendons le fait que les individus ont spontanément tendance, pour se rassurer, à privilégier les personnes qui leur ressemblent dans le choix de leurs relations sociales.</p>
<p>Cette préférence pour la ressemblance passe par différents critères comme la langue, l’ethnicité ou la culture. Dans l’enquête EVS, ce principe de similarité se manifeste par le fait que les chrétiens figurent parmi les voisins les moins rejetés, alors que les gitans suscitent davantage de défiance. On retrouve ici ce que Paul Collier appelle la <a href="https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2016-4-page-121.html">« distance culturelle »</a> : plus cette distance est élevée, plus la méfiance augmente.</p>
<p>C’est une attitude bien connue : les individus se sentent toujours plus proches de ceux avec qui ils se sentent une affinité ou une proximité, comme le confirme le phénomène du <a href="https://www.psychologie-sociale.com/index.php/fr/experiences/influence-engagement-et-dissonance/257-le-phenomene-du-mort-kilometrique">« mort kilométrique »</a>. Même les individus qui se disent non-racistes ont une propension à aider ou à privilégier les <a href="https://www.science-et-vie.com/questions-reponses/notre-cerveau-est-il-predispose-au-racisme-54059">gens qui leur ressemblent</a>.</p>
<h2>Principe de normativité</h2>
<p>Toutefois, il faut tenir compte d’un second paramètre : le principe de normativité. Ce principe se situe dans le registre des valeurs. La période post-1945 a été marquée par un <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00997117/">processus d’individualisation très fort</a>. Par individualisation, on entend ici la valorisation de l’individu comme être autonome et responsable, émancipé et libre de ses choix. Les enquêtes EVS ont largement confirmé l’existence de ce processus d’individualisation, mais elles montrent aussi que celui-ci s’est surtout affirmé dans la <a href="https://www.armand-colin.com/atlas-des-europeens-9782200287818">partie occidentale de l’Europe</a> pour de multiples raisons : prospérité économique, sécularisation religieuse, contexte de paix et de démocratie, hausse du niveau d’éducation, instauration de l’État-providence.</p>
<p>Devenu un principe normatif majeur dans les sociétés occidentales, l’individualisme incite à juger autrui en fonction non pas de ses origines ou de ses appartenances collectives (nations, religions, classes sociales) mais de ses qualités personnelles, voire de ses mérites : chacun doit être jugé pour ce qu’il fait, non pour ce qu’il est. L’injonction désormais systématique de ne pas faire « d’amalgame » à propos des attaques islamistes le montre bien : seuls les individus peuvent être tenus pour responsables de leurs actes, non les groupes.</p>
<h2>Des principes qui se contredisent</h2>
<p>Or, ce principe normatif est susceptible de venir contredire le principe de similarité. En Europe occidentale, où les valeurs individualistes sont très développées, il est peu concevable de refuser a priori un voisin en raison de ses origines, de sa race ou de sa religion.</p>
<p>En revanche, suivant ce même raisonnement, il est parfaitement acceptable de rejeter les alcooliques ou les drogués car leur situation est très différente. Ces deux catégories sont en effet définies par leur mode de vie : ce sont des individus qui ont adopté un comportement critiquable sur le plan moral, ou simplement problématique car imprévisible et dangereux.</p>
<p>On trouve une confirmation de cette explication dans le fait que, d’après l’enquête EVS, une proportion croissante de la population juge acceptable de consommer des drogues douces, alors que les voisins drogués sont mal acceptés. Cela peut paraître contradictoire, mais on peut y voir une illustration de l’individualisation des mœurs : le fait de se droguer est jugé acceptable au nom de la liberté individuelle, mais l’adoption de ce comportement n’en jette pas moins une suspicion sur celui qui s’y livre. Chacun est libre de ses choix mais chacun doit aussi les assumer.</p>
<h2>Accepter les coutumes des autres</h2>
<p>Cette grille de lecture permet de comprendre pourquoi nombre de personnes, bien qu’elles se disent largement ouvertes à l’idée de voisiner avec des gens issus de minorités ethno-religieuses, puissent avoir des pratiques bien différentes dans la vie réelle. Il s’agit moins de fuir les individus eux-mêmes qu’un certain type de comportements jugés inadaptés dans une société gagnée par l’individualisation, qui peuvent être les incivilités, le sexisme, l’intolérance ou le communautarisme.</p>
<p>On peut en voir une confirmation dans un autre indicateur utilisé dans l’enquête EVS : souhaite-t-on que les immigrés maintiennent leurs propres coutumes et traditions, ou qu’ils adoptent celles du pays d’accueil ?</p>
<p>Cette question est présentée sous la forme d’une échelle qui va de 1 à 10 où 1 signifie que les immigrés doivent conserver leurs propres coutumes et 10 qu’ils doivent adopter les coutumes du pays d’accueil.</p>
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<span class="caption">Graphique 5.</span>
<span class="attribution"><span class="source">EVS</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Le graphique 5 présente la proportion de gens qui ont opté pour les réponses 1 à 4, autement dit ceux qui souhaitent que les immigrés conservent leurs coutumes, donc qui se situent davantage sur le versant multiculturaliste que sur le <a href="https://www.robert-schuman.eu/fr/questions-d-europe/0449-les-modeles-d-integration-en-europe">versant assimilationniste</a>.</p>
<p>Comme on le voit, le modèle multiculturaliste est beaucoup moins soutenu à l’Ouest qu’à l’Est, et la dynamique entre 2008 et 2018 joue nettement dans le sens d’un déclin du modèle multiculturaliste, y compris dans des pays comme l’Autriche et l’Allemagne où il a bénéficié d’un certain soutien dans les populations de ces deux pays mais fait désormais l’objet de <a href="https://journals.openedition.org/allemagne/655">critiques</a>.</p>
<p>C’est dire si l’individualisation se présente comme un processus complexe : d’un côté, ce processus favorise une plus grande tolérance au nom de la liberté individuelle, mais de l’autre il peut mener au rejet de ceux qui n’entrent pas dans un certain cadre, dans un certain type de sociabilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/131499/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Tournier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les derniers résultats de l’enquête « European Values Study » sur les Européens invitent à porter un autre regard sur l’émergence de partis dits populistes.Vincent Tournier, Maître de conférence de science politique, Sciences Po Grenoble, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1146222019-04-07T19:49:15Z2019-04-07T19:49:15ZMali : des pistes pour enrayer la spirale de la violence dans le centre du pays<p>Dans un article publié <a href="http://theconversation.com/entre-faux-djihadistes-et-faux-chasseurs-traditionnels-les-civils-pieges-dans-le-centre-du-mali-105181">ici même</a>, l’universitaire Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré notait que dans le centre du Mali le terme djihadiste était devenu synonyme de « Peul armé ». Cela est d’autant plus incontestable que cette représentation, loin d’être un moyen déguisé de régler les conflits anciens, semble fortement ancrée au sein des autres communautés locales (bambara, dogon, bozo), mais aussi partagée par une partie des soldats maliens opérant dans cette zone.</p>
<p>Si en France ou en Angleterre une partie de la population, bien que majoritairement instruite, tombe parfois dans le piège du « musulman complice du djihadiste », au point que les musulmans soient contraints de se dissocier publiquement des actes commis par l’État islamique en leur nom (la campagne « Not in my name »), on peut alors aisément comprendre ce qui se joue dans le centre du Mali.</p>
<p>Cette représentation sociale qui fait du Peul un djihadiste apparaît aujourd’hui – et même depuis quelques années – beaucoup plus forte que toute réalité qui viserait à expliquer que les Peuls constituent une communauté très majoritairement paisible et qu’ils ne sauraient globalement être responsables des actes condamnables de quelques membres encouragés par certains.</p>
<p>Comment en est-on arrivé là ? De quelle marge de manœuvre disposent les autorités politiques pour ramener la paix entre les communautés au centre du Mali ?</p>
<h2>Les Peuls, seuls contre tous</h2>
<p>Une pléthore de groupes communautaires d’autodéfense opère un peu partout au Mali, aussi bien au nord qu’au centre. Pourquoi donc seules les milices peules sont-elles fréquemment accusées de djihadisme par l’ensemble des autres groupes d’autodéfense, avec les répercussions que l’on sait sur les civils ?</p>
<p><a href="https://doi.org/10.1080/03066150.2018.1474457">Dans un article</a> consacré aux motivations d’adhésion des pasteurs peuls aux groupes djihadistes, Benjaminsen et Ba adoptent une approche dite d’« écologie politique matérialiste » pour expliquer la situation conflictuelle dans le centre du Mali. Cette approche renvoie à la gestion de l’environnement et des terres pastorales.</p>
<p>Si l’on en croit leur analyse, les frustrations des Peuls seraient, d’une part, liées à la gouvernance inégalitaire des terres et des ressources naturelles : les éleveurs de bétail seraient mécontents à l’égard d’un modèle qui favorise l’expansion agricole au détriment du pastoralisme. La conséquence est que les pâturages clés sont perdus et les corridors pour le bétail bloqués par de nouveaux champs agricoles. Les éleveurs devant toutefois passer avec leur bétail nonobstant le blocage des couloirs, cela conduit souvent à des conflits.</p>
<p>D’autre part, ajoutent ces mêmes auteurs, les Peuls seraient en colère à l’égard de l’État prédateur et corrompu : d’abord, parce que ce dernier ne fait que tirer profit de la paysannerie rurale. Les autorités judiciaires de la région tarderaient ainsi à résoudre les conflits d’utilisation des terres, car cela leur permettrait de continuer à accepter des paiements des différents protagonistes pour appuyer leurs revendications respectives. En outre, il est aussi reproché aux services des eaux et forêts d’infliger des amendes au hasard à des femmes qui ramassent du bois de chauffage et à des bergers qui font paître leur bétail.</p>
<p>Dès lors, les Peuls nourriraient un fort ressentiment anti-État et anti-élite, exacerbé par les discours pro-pastoraux que tiennent les leaders djihadistes. Du point de vue des auteurs, ce sentiment antigouvernemental croissant engendre l’enrôlement de nombreux jeunes Peuls dans des groupes armés qualifiés de djihadistes dans la région de Mopti (Centre).</p>
<h2>Le partage des ressources, facteur clé du conflit</h2>
<p>Pour sa part, le chercheur Baba Dakono, <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/03/27/au-mali-l-ampleur-du-massacre-est-inedite-mais-elle-etait-previsible_5442286_3212.html">plutôt que de conflits intercommunautaires</a>, préfère évoquer des conflits entre groupes socioprofessionnels qui s’affrontent pour des ressources naturelles très limitées.</p>
<p>C’est aussi la thèse développée <a href="https://dandurand.uqam.ca/publication/relations-de-pouvoir-locales-logiques-de-violence-et-participation-politique-en-milieu-peul-region-de-mopti/">dans un rapport intitulé « Stabiliser le Mali »</a> : ce document impute les violences dans le centre du Mali à une compétition pour les ressources disponibles dans le delta du Niger (pâturages, champs, poissons), <a href="https://dandurand.uqam.ca/publication/relations-de-pouvoir-locales-logiques-de-violence-et-participation-politique-en-milieu-peul-region-de-mopti/">à l’évolution des règles qui structurent l’accès à ces ressources</a> et aux revendications entourant ces ressources.</p>
<p>Pour mieux appréhender ce qui se passe actuellement dans le centre du Mali et notamment comment ces représentations sociales se sont développées, il importe de ne pas occulter la genèse des tensions liées aux accusations de djihadisme proférées à l’encontre des Peuls, et encore moins les faits d’armes des milices peules contre l’armée et les autres communautés locales. C’est la tâche que nous nous étions assignés <a href="https://lamenparle.hypotheses.org/606">dans un précédent article</a>.</p>
<h2>Un sujet commun au Mali, au Burkina Faso et au Niger</h2>
<p>Comme le mentionne très bien le chercheur Boukary Sangaré, des conflits ont toujours et partout en Afrique opposé les <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-du-monde-arabo-musulman-et-du-sahel/peuls-et-djihadisme-dans-les-pays-du-sahel-et-d-afrique-de-l-ouest-201911">cultivateurs sédentaires aux éleveurs généralement nomades pratiquant la transhumance</a>. Aujourd’hui, au Mali, au Burkina Faso et au Niger, la communauté peule est pointée du doigt pour sa proximité supposée avec les groupes djihadistes. Cela signifierait que les dynamiques liées à la compétition pour les terres et les ressources, présentées par de nombreux observateurs comme les principaux facteurs de violences intercommunautaires, se reproduiraient à l’identique dans les différents pays de la zone ?</p>
<p>Le Burkina Faso a vu apparaître, depuis 2016, un mouvement armé baptisé Ansaroul Islam, se réclamant de l’État islamique et dont le leader était le prédicateur peul Malam Ibrahim Dicko (donné pour mort, il a été remplacé par son frère Jafar Dicko). À l’instar du centre du Mali, des milices se sont formées au Burkina Faso pour se défendre contre les attaques attribuées aux Peuls.</p>
<p>Le 1<sup>er</sup> janvier 2019, l’assassinat de six Mossis à Yirgou (centre-nord du Burkina Faso) par des présumés djihadistes peuls a donné lieu à des représailles sanglantes qui ont fait 46 morts au sein de la communauté peule. Le même jour avait également lieu au Mali l’attaque de Koulogon (centre) faisant 37 morts parmi les Peuls.</p>
<p>Le Niger, quant à lui, subit régulièrement des attaques terroristes, aussi bien au sud-est, dans les régions frontalières avec le Nigeria, qu’à l’ouest, dans les régions proches du Mali. Les assaillants venus du Mali sont fréquemment des Peuls – des Nigériens ou des individus d’origine nigérienne – <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-du-monde-arabo-musulman-et-du-sahel/peuls-et-djihadisme-dans-les-pays-du-sahel-et-d-afrique-de-l-ouest-201911">qui se sont installés au Mali dans les années 1990</a>.</p>
<h2>L’attaque d’Ogossagou, la suite hélas prévisible d’un cycle de représailles</h2>
<p>Si l’<a href="https://theconversation.com/peuls-et-dogons-dans-la-tourmente-au-mali-histoire-dune-longue-relation-ambivalente-114396">attaque d’Ogossagou du 23 mars 2019</a> a interpellé l’opinion nationale et internationale par son ampleur et sa violence, ce n’est en réalité rien d’autre que la suite hélas prévisible d’une spirale, d’un cycle de représailles et de vengeances enclenchés entre les différents acteurs dans le centre du Mali depuis 2015.</p>
<p>La décision de la milice dogon Da na Amassagou de chasser les Peuls de la zone allant de Bandiagara à Bankass (centre du Mali) aurait été prise lors d’une réunion tenue le 13 mars 2019, suite à l’attaque, deux semaines plus tôt, de deux villages dogon dans la région de Bandiagara <a href="https://www.crisisgroup.org/fr/africa/sahel/mali/centre-du-mali-enrayer-le-nettoyage-ethnique">par des éléments armés identifiés comme étant peuls</a>. Depuis le massacre d’Ogossagou, le rôle hautement négatif des milices communautaires en général, et de la milice dogon Dan na Amassagou en particulier, est pointé du doigt. Les démentis formels de cette dernière quant à son implication dans le massacre n’ont pas dissuadé le gouvernement malien de prononcer sa dissolution, lors du conseil des ministres extraordinaire du 24 mars 2019.</p>
<p>Le massacre d’Ogossagou, qui a coûté la vie à 160 membres de la communauté peule, est par ailleurs intervenu seulement quelques jours après l’attentat contre le camp militaire de Dioura (le 17 mars 2019), ayant causé la mort d’une trentaine de militaires maliens. Un attentat revendiqué par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), comme une vengeance à l’encontre des crimes commit par l’armée malienne et les milices visant la communauté peule.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1114847284959698944"}"></div></p>
<p>Dans son communiqué de revendication,le GSIM n’a pas manqué de préciser que l’attaque avait été menée par des hommes du Macina – la <em>katiba (brigade)</em> sud du groupe djihadiste Ansar Dine –, actif dans le centre du Mali, et que les opérations avaient été personnellement conduites <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20190323-mali-dioura-gsim-macina-revendique-attaque-militaires-amadou-koufa">par le prédicateur peul Amadou Kouffa lui-même</a>.</p>
<p>Précisons, enfin, que la grande majorité des combattants de la <em>katiba</em> Macina sont des Peuls, ou identifiés comme tels. Ce facteur pourrait expliquer pourquoi l’armée tarde à s’interposer contre les exactions visant des Peuls – une lenteur que l’on observe toutefois dans les attaques visant les autres communautés de la région.</p>
<h2>Les milices comme palliatif face à un État malien défaillant</h2>
<p>L’Etat malien fait, depuis plusieurs années, face à une situation dans laquelle ses institutions sont loin d’être en mesure de répondre à la demande exponentielle de sa population en matière de sécurité.</p>
<p>L’autorité souveraine n’assure plus le monopole du <em>policing</em> (l’ensemble des fonctions d’application de la loi et de maintien de l’ordre, que celles-ci soient assurées par des acteurs publics ou privés, à l’échelon national et local). Celui-ci est désormais envisagé comme une activité multilatérale s’exerçant par une diversité d’arrangements institutionnels : <a href="http://journals.openedition.org/champpenal/620">publics, privés, communautaires, hybrides</a>.</p>
<p>Certaines de ces configurations émergent plus ou moins spontanément. C’est, en général, le cas des milices communautaires d’autodéfense qui se mettent en place pour pallier l’absence des forces de l’ordre et pour garantir la sécurité des membres de la communauté. Leur mise en place est souvent encouragée par l’État défaillant et peut apparaître positive lorsque ces milices s’investissent dans une mission de contrôle social et de résolution des conflits en anticipant les menaces réelles ou ressenties résultant de la vie en collectivité.</p>
<p>À cet égard, on constate qu’en réponse à l’annonce de la dissolution de son groupe par le gouvernement, le « chef d’État-major » de Dan na Amassagou, Youssouf Toloba, a exigé du gouvernement comme préalable au dépôt des armes le retour de l’armée pour sécuriser les populations, <a href="https://www.maliweb.net/insecurite/le-chef-detat-major-youssouf-toloba-suite-a-la-decision-du-gouvernement-de-dissoudre-son-mouvement-danna-amassagou-peut-etre-dissout-a-une-seule-condition-le-retour-de-l-2811445.html">et le désarmement des autres milices</a>.</p>
<p>La question reste entière : l’État malien a-t-il les moyens de déployer la force publique partout où le besoin de sécurité l’impose ?</p>
<h2>Comment lutter contre les amalgames ?</h2>
<p>Le président de l’Association malienne pour la protection et la promotion de la culture dogon (« Ginna Dogon »), Mamadou Togo, juge hâtive la décision du gouvernement de dissoudre Da na Amassagou. Il affirme que cela ne saurait mettre fin au problème localement. Par ailleurs, sa déclaration laisse entrevoir la persistance des amalgames, lorsqu’il affirme que l’ethnie peule est le dénominateur commun de toutes les violences qui interviennent dans le centre du Mali : <a href="https://www.journaldumali.com/2019/03/28/mamadou-togo-raison-devancera-coeur-finirons-retrouver/">« Quand une seule ethnie est citée dans plusieurs conflits de ce genre, elle doit faire un examen de conscience. Elle doit se demander : que faire pour arrêter ça ? »</a></p>
<p>L’autodéfense devient problématique, note l’universitaire Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré, quand elle induit des amalgames qui « créent les conditions d’une révolte des Peuls soumis à des vagues d’arrestations, de meurtres et d’intimidations par des milices issues de communautés voisines et des fonctionnaires de l’État malien, eux-mêmes mus <a href="http://theconversation.com/entre-faux-djihadistes-et-faux-chasseurs-traditionnels-les-civils-pieges-dans-le-centre-du-mali-105181">par la peur, la soif de vengeance ou la volonté d’affirmer leur légitimité en attaquant des boucs émissaires ».</a></p>
<p>Elle l’est aussi quand certaines milices peules affichent leur proximité avec des mouvements djihadistes avec qui elles s’associent dans des attaques contre militaires et civils au nom de la défense de l’identité peule. Outre leur adhésion pure et simple aux idéologies djihadistes, l’utilisation de ce label « djihadiste » par ces milices d’autodéfense peule consisterait aussi, <a href="http://theconversation.com/entre-faux-djihadistes-et-faux-chasseurs-traditionnels-les-civils-pieges-dans-le-centre-du-mali-105181">toujours selon le même Ba-Konaré</a>, à tirer simplement parti de la puissance du terrorisme pour instiller la peur et se montrer menaçant face aux autres groupes armés.</p>
<p>Dans la situation actuelle du centre du Mali, une atténuation des tensions intercommunautaires pourrait reposer ainsi sur quelques points principaux :</p>
<ul>
<li><p>Un démarcage total de l’État avec les groupes armés communautaires incontrôlables et aux activités répréhensibles, et leur désarmement voire leur dissolution pure et simple ;</p></li>
<li><p>Une fermeté affichée de l’État vis-à-vis des prévarications des militaires (obligation pour eux de répondre à l’appel des communautés dans le besoin), et vis-à-vis de ceux coupables d’exactions extrajudiciaires. L’État devra, en outre, identifier, appréhender et punir les auteurs de crimes afin de combattre l’impunité qui a fortement contribué à l’expansion du niveau des violences sur le terrain ;</p></li>
<li><p>La Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) pourrait enfin concrètement s’investir de son rôle de protection des civils et de facilitation du dialogue entre les parties ;</p></li>
<li><p>Des campagnes de sensibilisation inclusives, visant à faire évoluer les représentations qui aujourd’hui font systématiquement du Peul un djihadiste, pourraient être initiées par le gouvernement de Bamako. Mais cela passerait aussi forcément par un démarcage des populations peules des actes répréhensibles commis en leurs noms par certains des leurs, ou qui s’identifient comme tels, <a href="https://www.nouvelobs.com/les-internets/20140925.OBS0334/not-in-my-name-la-colere-des-musulmans-contre-l-etat-islamique-traverse-la-manche.html">à l’exemple de la campagne « Not in my name » des musulmans de Grande-Bretagne contre l’État islamique</a>.</p></li>
</ul>
<p>Les autorités politiques, les observateurs nationaux et internationaux pourront produire autant d’études et formuler autant de propositions qu’ils le veulent, les tensions s’estomperont difficilement sans que ne s’opère au préalable un changement des mentalités localement.</p>
<p>Nous remarquons d’ailleurs que chaque acte – quel que soit son ampleur –, commis par une milice peule, ou qui s’identifie comme telle, donne systématique lieu à des représailles des plus violentes contre cette communauté, n’épargnant désormais ni les femmes, ni les enfants. La dernière attaque d’Ogossagou, consécutive à l’attaque de deux villages dogon et à l’attentat contre le camp militaire de Dioura, en est une triste illustration.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114622/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Boubacar Haidara ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi seules les milices peules sont-elles fréquemment accusées de djihadisme par l’ensemble des autres groupes d’autodéfense, avec les répercussions que l’on sait sur les civils ?Boubacar Haidara, Chercheur associé au laboratoire Les Afriques dans le Monde (LAM), Sciences-Po Bordeaux, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1145662019-03-31T14:41:26Z2019-03-31T14:41:26ZRumeur sur les Roms : quand la fragmentation sociale et culturelle produit du non-sens<p>L’archaïsme de la haine, de la violence et des rumeurs s’appuie sur l’hyper-modernité des réseaux sociaux et des téléphones mobiles pour faire des agressions <a href="https://theconversation.com/lynchages-de-roms-les-mecanismes-du-stereotype-114517">dont viennent d’être victimes des Roms</a> dans les banlieues du nord-est de Paris – un « fait social total », selon l’expression de l’anthropologue Marcel Mauss.</p>
<p>Ces évènements, en effet, nous invitent à conduire une réflexion à la croisée de multiples enjeux, parmi lesquels les « fake news », le racisme, les phénomènes migratoires, les problèmes dits de banlieue ou bien encore – ce qui exige plus de hauteur par rapport aux faits – la mutation sociale et culturelle dans laquelle notre pays est engagé et les fractures qui s’approfondissent au fil de cette transformation.</p>
<h2>Les rumeurs, et le passage à l’acte</h2>
<p>Les rumeurs, d’abord, et le passage à l’acte. Le 8 mars dernier, des plaignants déposent au Commissariat de Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis) des mains courantes à propos d’un véhicule, une camionnette blanche, dont les occupants, des Roms, chercheraient à enlever des enfants. Viennent ensuite diverses accusations de trafic d’organes, puis d’autres témoignages relatifs à des soi-disant tentatives de rapt d’enfants.</p>
<p>Tout ceci est totalement mensonger, démenti par les autorités locales, mais n’empêche pas la persistance de rumeurs que complète l’annonce d’expéditions punitives, le lundi 25 mars. Et effectivement, les agressions et exactions à l’encontre de Roms se multiplient alors, tandis que le mensonge fleurit sur les réseaux sociaux, et que les commentateurs en arrivent à parler de « petit pogrom ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1110518853879193600"}"></div></p>
<p>Ces rumeurs et ces violences renouent avec des accusations et des pratiques anciennes qui visent traditionnellement les gens du voyage, les nomades, mais aussi les Juifs, accusés depuis l’essor du christianisme, de crimes rituels, et victimes fréquentes de persécutions.</p>
<p>À ces dimensions classiques s’en ajoute une qui les favorise dans l’imaginaire des porteurs de la haine : les Roms, en effet, sont à la fois l’objet de préjugés tenaces, enracinés, presque immémoriaux, et pour certains d’entre eux des migrants récents – et on sait à quel point l’opinion aujourd’hui est hostile aux migrants.</p>
<h2>La rumeur révèle le social et le culturel</h2>
<p>La sociologie a depuis longtemps identifié ces éléments, comme dans les travaux de Françoise Reumaux (voir notamment la réédition de son ouvrage de 1998, <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/2762-abc-de-la-rumeur"><em>ABC de la rumeur. Message et transmission</em></a>) ou dans la célèbre enquête d’Edgar Morin à Orléans, à la fin des années 60 (<a href="https://www.canal-u.tv/video/fmsh/la_rumeur_d_orleans_un_entretien_avec_edgar_morin.37745"><em>La rumeur d’Orléans</em></a>, Paris, Seuil, 1969).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jRCgoOg4LeA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>La rumeur révèle le social et le culturel, nous dit quelque chose des peurs et des rêves de ceux qui y adhèrent et la font circuler. Elle propose à leurs yeux une explication, elle confère un sens à leur situation, et souvent met en branle des imaginaires centrés sur les femmes, les enfants et des trafics touchant à la vie et à la mort – ce qui renvoie à la reproduction et à l’identité profonde du groupe humain auquel appartiennent ceux qui en sont les vecteurs.</p>
<p>Ainsi, la rumeur qui visait les commerçants juifs du centre-ville d’Orléans après 1968 en les accusant de droguer leurs clientes pour les envoyer dans des réseaux de traite des blanches opérait-elle dans un contexte de crainte conservatrice, alors que l’époque était à l’émancipation des femmes.</p>
<h2>Un contexte de fragmentation sociale et culturelle</h2>
<p>Quel est, aujourd’hui, le contexte, qui autorise non seulement les rumeurs, mais aussi le passage à l’acte ? C’est celui, avant tout, d’une fragmentation sociale et culturelle de notre pays, comme de beaucoup d’autres, sur fond de crise du système politique et, plus largement, de la démocratie.</p>
<p>Dans une telle situation, certains ensembles humains aux contours plus ou moins flous fonctionnent en tendant à ne croire que ce qui provient de leurs propres membres, ou de leurs amis, qui sont désormais ceux à qui chacun est relié <a href="https://theconversation.com/lensauvagement-du-web-95190">via les réseaux sociaux</a>. Ces derniers fonctionnent sur le mode de la fermeture, ne réunissant que des personnes partageant les mêmes orientations. Et symétriquement, chaque ensemble se défie des idées ou des informations qui proviennent d’ailleurs, au point parfois que se déploie la paranoïa, qui est à la <a href="https://theconversation.com/fake-news-et-complotisme-pourquoi-une-telle-acceleration-91202">base du « complotisme »</a>.</p>
<p>La puissance des fake news et, parmi elles, des rumeurs, d’une part, et d’autre part celle des visions complotistes de la vie collective, tient à la dissociation qui s’opère entre le dedans de chaque groupe, et le dehors. Entre « eux » et « nous », entre les « amis » qui veulent du bien au groupe et le considèrent, et les « ennemis » supposés l’ignorer, le maltraiter ou le menacer. Tout ce qui provient des « amis » est acceptable et vrai par définition, y compris les mensonges les plus grossiers ; tout ce qui vient d’ailleurs est suspect, voire maléfique.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/fake-news-et-post-verite-20-textes-pour-comprendre-et-combattre-la-menace-97807">L’ère de la « post-vérité »</a>, où les opinions subjectives acquièrent sans la moindre démonstration valeur de vérité, cette ère qui est aussi celle du soupçon, de la dénonciation, de la délation, n’est pas seulement marquée par l’apport technologique d’Internet et des réseaux sociaux, qui certes lui facilitent l’existence. Elle est avant tout sociale et culturelle.</p>
<h2>Quand le sens s’abolit dans le non-sens</h2>
<p>Dans la phase historique actuelle, toute sorte de fractures séparent ainsi différents groupes sociaux ou culturels sans qu’existent les conditions du traitement politique ou négocié de ce qui les sépare, les oppose et qui divise la société. Et quand ces fractures constituent autant de plaies qu’exacerbent le sentiment d’être oubliés ou invisibles, et l’<a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-contre-emmanuel-macron-aux-racines-de-lincommunication-108048">arrogance du pouvoir</a> – réelle ou perçue comme telle –, le sens se perd ou s’abolit dans le non-sens, puis dans la violence, la raison cédant alors la place à la rage ou à la haine.</p>
<p>L’information recueillie et mise en circulation par des professionnels sérieux et compétents recule au profit de la rumeur. Des boucs émissaires sont désignés, et compte tenu des préjugés accumulés au fil des siècles, les <a href="https://theconversation.com/lantisemitisme-aujourdhui-111774">Juifs</a> et « les gens du voyage » sont, ici, en première ligne.</p>
<p>Cela concerne nombre de fragments de la société, <a href="https://theconversation.com/fractures-territoriales-et-sociales-portrait-dune-france-en-morceaux-112154">éventuellement définis aussi en termes territoriaux</a>, et peut jaillir ici et là, un jour par exemple parmi les habitants d’une banlieue populaire, un autre parmi des « gilets jaunes », jusqu’ici fort éloignés les uns des autres. Ce qui ne disqualifie ni les uns ni les autres, dans leur ensemble, mais souligne bien les carences contemporaines de la démocratie, à la peine s’il s’agit de traiter les demandes sociales qui façonnent les peurs et la violence et de transformer la crise en débats, en conflits institutionnalisés et en négociations.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114566/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka dirige avec Jean-Pierre Dozon le Panel international sur la sortie de violence (IPEV), un projet de la Plateforme Violence et sortie de la violence (FMSH). La Carnegie Corporation of New York en est le principal soutien. </span></em></p>Le contexte qui autorise les rumeurs et le passage à l’acte est celui, avant tout, d’une fragmentation sociale et culturelle de notre pays, sur fond de crise du système politique.Michel Wieviorka, Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1145172019-03-29T17:50:35Z2019-03-29T17:50:35ZLynchages de Roms : les mécanismes du stéréotype<p>Ving-huit attaques contre des populations roms <a href="https://www.bastamag.net/Attaques-anti-Rroms-Nous-appelons-a-un-sursaut-de-solidarite-antiraciste-sur-le">ont été comptabilisées fin mars par l’association La Voix des Rroms</a>. Ce collectif a d’ailleurs appelé à une manifestation en solidarité avec ces populations le vendredi 29 mars devant la Mairie de Saint-Denis (93), <a href="https://www.rtl.fr/actu/justice-faits-divers/aulnay-sous-bois-nouvelle-agression-contre-des-roms-en-seine-saint-denis-779731190">département</a> où se sont déroulées les agressions les plus récentes.</p>
<p>Ces dernières font suite à des messages circulant en France au sujet d’enlèvements présumés d’enfants par des Roms conduisant une camionnette blanche. Les motifs évoqués ? Viols d’enfants ou <a href="https://www.lci.fr/justice/enlevements-d-enfants-a-colombes-autopsie-d-une-rumeur-persistante-2115997.html">« trafics d’organes »</a>.</p>
<p>Or ces rumeurs, suivies d’actes extrêmement graves sont loin d’être récentes ou anodines en France : plusieurs agressions et attaques avaient déjà été commises en 2018, notamment dans l’Essonne (91). Désormais <a href="https://www.humanite.fr/de-la-rumeur-au-lynchage-anti-roms-670003">elles se sont intensifiées</a>.</p>
<p>Comment comprendre ces mécanismes psychologiques qui entretiennent et nourrissent la rumeur au point de déclencher de véritables assauts organisés à l’encontre d’une population ?</p>
<h2>Le Tzigane voleur d’enfant</h2>
<p>Bobigny, Clichy-sous-Bois, Montreuil, Bondy, Colombes, Montfermeil, St Ouen, Champs-sur-Marne, Aulnay et Sevran… <a href="http://www.romeurope.org/agressions-racistes-en-ile-de-france-recensement/">Les attaques antitsiganes</a> ont été provoquées par une rumeur raciste <a href="https://www.facebook.com/plugins/post.php?href=https%3A%2F%2Fwww.facebook.com%2FCNDHRomeurope%2Fposts%2F2211649838858058&width=500">« relayée par 16 millions de contenus d’incitation à la haine et au meurtre sur les réseaux sociaux »</a>. Des jeunes en colère s’organisent et se rendent dans les squats et les bidonvilles habités par les Roms. Ils cherchent la fameuse « fourgonnette blanche qui circule entre les villes de Nanterre et Colombes pour enlever des enfants ».</p>
<p>Le prétendu enlèvement d’enfants par des « Tziganes » est un sujet bien présent dans l’imaginaire général : « soyez sage sinon vous serez enlevés par des Tziganes » est une expression souvent utilisée <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0147176716302851">dans plusieurs pays européens pour gronder les enfants</a>. Déjà au début du XVII<sup>e</sup> siècle, Miguel Cervantes se plongeait à décrire une héroïne voleuse d’enfants dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Petite_Gitane"><em>La Petite Gitane</em></a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266508/original/file-20190329-70982-1xxhym7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266508/original/file-20190329-70982-1xxhym7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266508/original/file-20190329-70982-1xxhym7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266508/original/file-20190329-70982-1xxhym7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266508/original/file-20190329-70982-1xxhym7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266508/original/file-20190329-70982-1xxhym7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266508/original/file-20190329-70982-1xxhym7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>La petite Gitane</em> (F. Coullaut-Valera, 1960). Détail du monument à Cervantes sur la Place d’Espagne de Madrid.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Petite_Gitane#/media/File:Monumento_a_Miguel_de_Cervantes_-_La_Gitanilla.jpg">Carlos Delgado/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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</figure>
<p>Comment ne pas rappeler non plus se rappeler des polémiques suscitées en 2013 par l’histoire de <a href="https://mobile.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/les-roms-voleurs-d-enfants-histoire-d-un-mythe_3230389.html?fbclid=IwAR3F3hWib_NP2ZTPq6Lamcb-QsZ1ePQupEHIUQl-p4gxBSRdo0QRI8rmC8w">« l’ange blond »</a>, au sujet d’une enfant soi-disant kidnappée et retrouvée dans un camp rom en Grèce (et qui s’avérait être une enfant rom d’origine bulgare) ?</p>
<h2>Les stéréotypes fluctuent avec le temps</h2>
<p>Si certains stéréotypes s’épuisent avec le temps, d’autres que l’on pensait inactifs <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/03/27/la-haine-anti-tziganes-revient-toujours-par-secousses-dans-l-histoire-de-l-europe_5442268_3224.html">ressurgissent</a> et se diffusent en <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0147176716302851">fonction des contextes</a> et des <a href="https://www.press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/R/bo26260138.html">relations entre les Roms et la société majoritaire</a> où ils s’établissent.</p>
<p>Une fois mobilisés, ils ont une influence profonde sur les représentations et les imaginaires, et ce même si l’intensité des préjugés dépend du niveau d’éducation.</p>
<p>En France, le niveau général d’hostilité contre les Roms, les Manouches et plus généralement les « Tziganes » <a href="https://www.academia.edu/36227450/Le_lent_reflux_des_pr%C3%A9jug%C3%A9s_anti-Roms">a certes légèrement baissé au cours des cinq dernières années</a> mais plus de la moitié de la société française continue de penser que les Roms – et plus spécifiquement les Roms migrants – <a href="https://bit.ly/2WgCSPs">ne veulent pas s’intégrer en France</a>.</p>
<h2>Répondre aux rumeurs</h2>
<p><a href="http://www.romeurope.org/communique-de-presse-violences-anti-roms-indignation-et-appel-a-laction/?fbclid=IwAR0pDoSTSze9fXnbYJqqViMKUyQnNIDAOJxAFNXoiMiEfqnigSYIAnVkoO8">En Ile de France</a>, les Préfectures de police et les maires ont répondu adroitement aux stéréotypes et rumeurs en les réfutant avec des communiqués rappelant l’inexistence d’actes d’enlèvement d’enfants dans les territoires concernés :</p>
<blockquote>
<p>« Après vérification auprès des forces de l’ordre, aucun fait avéré ne correspond à ce qui se propage. »</p>
</blockquote>
<p><a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/rapt-d-enfants-par-des-roms-le-reveil-d-une-rumeur-qui-date-du-moyen-age_2069732.html">La presse n’a pas été en reste non plus</a>, démontant les clichés et les « faits », explicitant la genèse et l’historique de la rumeur, de « la bêtise » et de sa propagation via les réseaux sociaux.</p>
<p>Enfin l’intervention d’associations est également un moyen de lutter contre les stéréotypes tout comme la mobilisation des personnes concernées elles-mêmes. <a href="https://www.metropolitiques.eu/Les-politiques-locales-face-aux.html">Leur prise de parole devient alors un instrument puissant</a> qui permet de créer des liens avec l’ensemble de la population et démonte les fake news qui circulent dans les réseaux.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266592/original/file-20190329-71016-7yrc52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266592/original/file-20190329-71016-7yrc52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266592/original/file-20190329-71016-7yrc52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266592/original/file-20190329-71016-7yrc52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266592/original/file-20190329-71016-7yrc52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266592/original/file-20190329-71016-7yrc52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266592/original/file-20190329-71016-7yrc52.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des femmes Romni se rencontrent pour organiser une initiative en faveur du projet Dream de lutte contre le sida en Afrique (S. Egidio).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stefano Pasta</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Le poids de la suspicion</h2>
<p>Malgré ces efforts et la <a href="http://www.leparisien.fr/seine-saint-denis-93/proces-a-bobigny-vous-croyez-encore-que-les-roms-volent-des-enfants-28-03-2019-8042064.php">reconnaissance de faits infondés</a>, la suspicion demeure.</p>
<p>En effet, les phénomènes de propagation de lynchages renforcent finalement encore plus les stéréotypes négatifs sur les Roms.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266510/original/file-20190329-70993-5dv5pt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La mobilisation des associations comme la parole des personnes attaquées est essentielle.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.facebook.com/243541745667724/photos/a.467597499928813/2529521987069677/?type=3">Facebook</a></span>
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<p>Il y a quelques années, par exemple, l’anthropologue Sabrina Tosi Cambini a analysé 29 cas de tentative de vol de mineurs de la part de <a href="http://www.cisu.it/index.php?page=shop.product_details&flypage=flypage_images.tpl&product_id=55&category_id=10&option=com_virtuemart&Itemid=1&vmcchk=1&Itemid=1">femmes « tziganes » en Italie qui ont fait l’objet d’un processus pénal</a>.</p>
<p>Il s’agit toujours de cas présumés d’enlèvement d’enfant et de tentatives infructueuses. Vingt-trois témoins auraient vu les ravisseurs s’enfuir, sans certitude absolue qu’il s’agisse de « Gitans ».</p>
<p>Six affaires survenues entre 1985 et 2007 et analysées plus en détail par l’auteure, ont abouti à des arrestations et à l’ouverture de procédures et de poursuites. Mais aucune preuve n’a pu être établie et les personnes suspectées ont été relâchées. Comme le démontre la chercheuse, dans ces cas précis, les enfants auraient été enlevés par des individus en lien avec de grands réseaux pédocriminels, ou par des proches. Néanmoins, ce sont d’abord les Roms qui ont été pointés du doigt par l’opinion publique.</p>
<h2>Un phénomène de psychose ?</h2>
<p>Le stéréotype peut se cristalliser sur de multiples figures comme la femme voleuse d’enfant prise à partie. Dans cette configuration la mère, ou un proche parent de l’enfant, accuse une Romni d’avoir essayé de voler son enfant. Le lieu de la querelle a tendance à être public et bondé (marchés, rues commerçantes). Il n’y a cependant jamais de témoins pouvant attester des faits commis, en dehors des parents et d’autres personnes inconnues dans les environs qualifiées immédiatement de « groupe de Roms » complices, prêts à dissimuler l’enfant si besoin.</p>
<p>Il ne s’agit pourtant pas de « psychose », <a href="http://siba-ese.unisalento.it/index.php/palaver/article/view/20295">mais de simples processus de catégorisation qui activent un schéma stéréotypé</a>.</p>
<p>Un stéréotype n’agit pas seulement lorsque les sujets exercent des jugements attributifs et des attributions de culpabilité, mais imprègne l’ensemble du processus cognitif, tant dans les prémisses que dans les inférences, jusqu’à la manière dont l’information est extraite de la mémoire.</p>
<p>Le comportement est interprété du point de vue de l’enlèvement, à commencer par le fait que le récit du plaignant se veut intrinsèquement logique et cohérent, sans éléments contradictoires ; il n’est pas considéré comme faux parce que l’accusé est inconnu de l’accusateur. Dans la logique de ce dernier, il n’y a pas de raisons racistes qui lui fait soupçonner un Rom, ce dernier n’ayant a aucun avantage à accuser un Rom.</p>
<p>Une partie des explications aux lynchages en France aujourd’hui est justifiée par une interprétation raciste, d’extrême droite qui tend à dire qu’il ne s’agit que d’un règlement de comptes entre différents groupes d’immigrés, dont le contact et les frictions ne peuvent que conduire au désordre et à la violence.</p>
<p>Nous sommes loin de la réalité, et une explication plus complexe montre au moins quatre types de mécanismes différents qui alimentent les stéréotypes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266591/original/file-20190329-70996-ck7bzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266591/original/file-20190329-70996-ck7bzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266591/original/file-20190329-70996-ck7bzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266591/original/file-20190329-70996-ck7bzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266591/original/file-20190329-70996-ck7bzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266591/original/file-20190329-70996-ck7bzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266591/original/file-20190329-70996-ck7bzf.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tableau de Ceija Stojka, représentant les persécutions nazies contre les Roms.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tommaso Vitale</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>« Pas de feu sans fumée »</h2>
<p>Le premier mécanisme est ce que la sociologie appelle généralement la « tautologie », pour reprendre le mot de <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Enigmes-et-complots">Luc Boltanski</a>. Le simple fait que quelqu’un consacre du temps et de l’énergie à lyncher un Rom apparaît en soi comme une confirmation que la victime a de toute façon dû faire quelque chose de grave sinon elle n’aurait pas provoqué une réaction aussi intense.</p>
<p>Des journalistes de LCI ont ainsi recueilli plusieurs témoignages à <a href="https://www.lci.fr/justice/enlevements-d-enfants-a-colombes-autopsie-d-une-rumeur-persistante-2115997.html">ce propos</a> : « Pourquoi voulez-vous que des jeunes s’en prennent gratuitement à des passants en voitures ? » sous entendant que, peut-être, il existe une justification.</p>
<p>La propagation dans l’espace d’actes de lynchage au lieu d’être interprétée par l’opinion publique comme une forme de <a href="https://www.jstor.org/stable/43287811">mimétisme d’un répertoire de violence raciste</a>, est au contraire interprétée comme la confirmation que les Roms ont partout réalisé des actes graves, et qu’ils doivent donc être reconnus comme responsables.</p>
<h2>Le blâme des victimes, la parole des plaignants</h2>
<p>Le deuxième mécanisme est ce que l’on pourrait appeler « blâmer les victimes ». Il s’agit d’un mécanisme qui fait penser que si les Roms ont une mauvaise image aux yeux de la population, <a href="https://www.lci.fr/social/rien-ne-justifie-de-tels-actes-les-roms-s-inquietent-face-a-la-violence-provoquee-par-une-rumeur-2116673.htm">ce serait en raison de leur comportement</a>.</p>
<p>Cette image ne serait ni une généralisation indue, ni une représentation culturelle qui circulerait en absence de preuves de la réalité. Au contraire, ce serait les Roms eux-mêmes qui susciteraient cette image de par leurs actes : menus larcins, mendicité.</p>
<p>Le troisième mécanisme pourrait être défini comme du « réalisme présumé ». Puisque les parents se soucient tellement de leurs enfants, de leur bien-être et de leur sécurité, ils ne peuvent se tromper ou commettre une faute ou un faux témoignage.</p>
<p>Donc s’ils disent qu’un Rom a essayé de voler leur enfant, il faut leur faire confiance. De par leur posture de parents, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1354571X.2011.622472">leur parole et observation seraient fiable, non biaisée et réaliste</a>.</p>
<p>Enfin, un dernier mécanisme est typique de la dynamique performative des rumeurs circulant dans les réseaux sociaux. Le fait qu’un message ne nous soit pas transmis une seule fois par un seul émetteur, mais qu’il continue à nous être envoyé plusieurs fois, « amplifié » par des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chambre_d%27%8Echo_(m%8Edias)">« chambres d’écho »</a>, c’est-à-dire par un plus grand nombre de personnes que nous connaissons, apprécions et aimons, a un puissant effet de légitimation, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14616696.2018.1494295">comme bien étudié par la politiste Caterina Froio</a>.</p>
<p>C’est ce qu’on pourrait appeler un mécanisme de « renforcement social des convictions », typique du régime néo-médiatique dans lequel nous vivons, que les sociologues appellent généralement un « régime post-vérité ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/266596/original/file-20190329-70999-193beis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/266596/original/file-20190329-70999-193beis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/266596/original/file-20190329-70999-193beis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/266596/original/file-20190329-70999-193beis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/266596/original/file-20190329-70999-193beis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/266596/original/file-20190329-70999-193beis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/266596/original/file-20190329-70999-193beis.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De jeunes Roms participent à un loto dans une maison de retraite défiant les clichés.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stefano Pasta</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Primauté des convictions personnelles et des émotions</h2>
<p>Nous sommes dans un tel <a href="https://theconversation.com/fr/search?utf8=%E2%9C%93&q=complot">climat de méfiance propice au complotisme</a> qu’il est devenu compliqué d’établir la réalité puisque les autorités traditionnelles (médias, État) elles-mêmes sont questionnées. Cette crise de légitimité des sources a laissé place à une réalité fondée non pas sur des faits établis mais des convictions personnelles et des émotions.</p>
<p>Bien évidemment les individus sont prudents et réflexifs. Mais cela ne suffit pas notamment face à la puissance de la circulation de messages provenant de multiples contacts « amis », les nouvelles « sources » faisant autorité.</p>
<p>L’une des enquêtes les plus approfondies à ce sujet, <a href="http://www.cremit.it/razzismi-2-0-analisi-socio-educativa-dellodio-online-un-libro-di-stefano-pasta/">conduite par Stefano Pasta</a>, montre comment l’environnement numérique et les réseaux sociaux – marqués par l’augmentation de la rapidité de la pensée, par le rôle des images et des <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/M%8Fme_Internet">mèmes</a>, par la banalisation des contenus et par de nouveaux canons de l’autorité (le nombre de <em>like</em> et de <em>share</em>) – favorisent une attitude « cyber-stupide », ou superficielle par rapport au résultat de nos actions en ligne.</p>
<h2>L’effet de marge</h2>
<p>Le producteur que chacun d’entre nous est devenu, smartphone à la main, joue un rôle très efficace dans le renforcement social des stéréotypes. Et chacun entre nous est particulièrement exposé <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/0003122412465743">à ce que le sociologue Christopher Bail appelle « l’effet de marge »</a>.</p>
<p>Il montre que les informations, opinions les plus extrêmes et les plus radicales deviennent les plus visibles et créent une attraction <a href="https://press.princeton.edu/titles/10395.html">gravitationnelle qui restructure les contours du sujet en cause</a>, brouillant les mécanismes logiques.</p>
<p>Outre la pensée critique il nous faut donc aujourd’hui redonner la parole aux Roms concernés et faire l’effort de comprendre l’articulation entre l’<a href="https://theconversation.com/faire-connaitre-lhistoire-et-les-cultures-des-roms-pour-mieux-lutter-contre-les-prejuges-94532">autorité des institutions et la réalité de faits ancrés dans l’histoire</a>, ainsi que les responsabilités de chacun dans la production de l’information et de son interprétation.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/114517/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tommaso Vitale ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment comprendre les mécanismes psychologiques qui entretiennent et nourrissent la rumeur anti-Roms au point de déclencher de véritables assauts organisés à leur encontre ?Tommaso Vitale, Associate professor, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1085642018-12-18T21:25:01Z2018-12-18T21:25:01ZRoms : pourquoi sont-ils aussi haïs ?<p>Les Roms sont l’un des groupes les plus marginalisés et les plus persécutés en Europe, et les <a href="https://www.questionsdeclasses.org/IMG/pdf/cncdh_-_la_persistance_des_prejuges_anti-roms.pdf">attitudes anti-Roms sont en hausse</a>.</p>
<p>Dans de nombreuses sociétés, il est parfaitement acceptable de les dénigrer en invoquant des traits et caractéristiques négatifs que tous les Roms sont censés posséder (criminalité, délinquance, mode de vie parasitaire…).</p>
<p>La romophobie est manifeste dans le discours de haine prononcé par le ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini, qui a appelé au profilage ethnique des Roms, mais aussi dans les attaques de néo-nazis qui ont détruit des maisons et tué d’innocents Roms en Ukraine, ou dans l’<a href="http://www.errc.org/press-releases/equality-law-fails-roma-evictions-increase-in-france">expulsion forcée de 8 161 Roms de leur maison par les autorités françaises en 2017</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Matteo Salvini veut mettre en place un profilage « ethnique » des Roms.</span></figcaption>
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<p>Les Roms occupent la position la plus basse dans pratiquement tous les indicateurs socio-économiques, y compris le niveau d’instruction et la progression scolaire, le chômage, l’espérance de vie et la mortalité infantile. <a href="https://openknowledge.worldbank.org/handle/10986/17340">Une étude sur les attitudes sociétales à l’égard de différents groupes</a> – dirigée par Sadaf Lakhani, Audrey Sacks et Rasmus Heltberg pour la Banque mondiale en 2014 – a révélé que les Roms occupaient une position aussi basse que les pédophiles et les trafiquants de drogue dans certains États européens. Depuis leur arrivée en Europe au XIV<sup>e</sup> siècle (en provenance de l’Inde), les Roms ont subi exclusion et discrimination. Il est impératif d’essayer de comprendre pourquoi.</p>
<h2>La romophobie en question</h2>
<p>Dans mon livre <a href="https://www.zedbooks.net/shop/book/romaphobia/"><em>Romaphobia : The Last Acceptable Form of Racism</em></a>, je montre que les préjugés anti-Roms ne sont pas seulement un artefact historique, mais se révèlent activement reproduits par des acteurs et des institutions qui cherchent à renforcer leur position au pouvoir. La romophobie se définit tout d’abord comme la haine ou la peur des personnes perçues comme étant Roms, Tsiganes ou « du voyage » et implique l’attribution négative de l’identité d’un groupe. La romophobie est donc une forme de racisme, taillée dans la même étoffe que celui-ci. Elle entraîne marginalisation, persécution et violences.</p>
<p>Pour comprendre d’où vient la romophobie, il est nécessaire de saisir les relations et les processus qui l’ont historiquement créée et l’alimentent aujourd’hui. Le nationalisme s’est avéré à maintes reprises la tactique privilégiée pour pacifier les peuples, en renforçant les liens affectifs de solidarité avec leurs soi-disant semblables.</p>
<p>Cette identité collective est construite par une élite politique qui revendique un territoire commun, une histoire, un mythe d’origine, une langue et/ou une religion commune afin de favoriser la solidarité. Cependant, la construction d’une identité collective est source de division et implique nécessairement la démarcation de frontières entre « eux » et « nous ». Ceci est délibéré : le but est de produire solidarité et stabilité au sein de la Nation. Mais cela peut s’effectuer en ciblant les minorités (y compris les communautés musulmanes et juives) qui, sans le vouloir, jouent un rôle important dans les processus de construction des nations en Europe.</p>
<h2>Pourquoi les Roms plutôt qu’une autre communauté ?</h2>
<p>La clé pour comprendre pourquoi les <a href="http://www.educ-revues.fr/DVST/AffichageDocument.aspx?iddoc=39304">Roms sont marginalisés</a> à travers l’Europe réside dans notre conception du territoire et de l’espace, ainsi que dans les processus de construction et de maintien de l’identité. Un exemple de ce travail identitaire est le <a href="https://www.liberation.fr/societe/2012/08/22/non-les-roms-ne-sont-pas-nomades-et-autres-cliches_840988">stéréotype des Roms comme « nomades » itinérants</a> qui n’ont ni foyer, ni racines fixes, ce qui sert à justifier leur exclusion.</p>
<p>Nulle part, les Roms ne sont considérés comme étant « des nôtres », comme membres de la société. En tant que peuple sans territoire, les Roms ne correspondent pas à la conception du <a href="https://www.canalacademie.com/ida1003-1648-Westphalie-ou-la-creation-de-l-Europe-moderne.html">nationalisme westphalien</a> dans lequel une nation se confond avec un territoire souverain. Ils sont ainsi exclus de la vie publique, considérés comme une communauté problématique qui ne « rentre » pas dans la projection de la Nation. Cela fait des Roms des boucs émissaires de choix.</p>
<p>Dès les prémisses d’édification des nations, les Roms sont instrumentalisés pour servir les intérêts de l’élite politique. Ils sont exclus de l’articulation de la Nation, leur différence exploitée tel un carburant pour construire la Nation comme correspondant à « nous » (la majorité) et non pas à « eux » (Roms). Les Roms, en tant qu’identité fortement construite et policée, deviennent ces « autres » nécessaires, positionnés en dehors de la Nation. Ceci est la règle historique et non une exception récente. Les Roms n’ont pas seulement été exclus de quelques nations, mais de toutes les nations d’Europe. Ils ont été stigmatisés et persécutés dans tous les États européens à un moment ou à un autre. L’expérience historique des communautés roms en Roumanie, en Slovaquie ou en Espagne a été singulière dans chaque cas, mais elle traduit cette même romophobie. Les politiciens « construisent » les Roms et les traitent comme une entité distincte et problématique habitant l’État, mais séparée de la Nation. Avec des résultats prévisibles.</p>
<p>Historiquement, tous les actes de violence généralisée et le traitement déshumanisant des Roms (expulsion, déportation, assassinat, mise en esclavage…) ont été appuyés par des projets de construction nationale. Il est donc raisonnable de se demander si l’exclusion des Roms est délibérée, en tant que sous-produit de la construction de l’État et de la Nation. Si tel est le cas, alors la romophobie ferait partie de la matrice du nationalisme européen et les exemples persistants de romophobie ne devraient pas nous surprendre.</p>
<h2>La romophobie, dernière forme acceptable de racisme</h2>
<p>Au vu des attitudes très majoritairement négatives à l’égard des Roms à travers l’Europe, la romophobie apparaît <a href="https://www.courrierinternational.com/article/2013/07/23/il-y-a-en-france-un-racisme-anti-roms">largement acceptable</a>. Celle-ci est présente dans les conversations informelles à la maison et au travail, dans les représentations stéréotypées de gitans carnavalesques dans les médias, lorsque les autorités de l’État accusent les Roms d’enlever des enfants aux <a href="http://www.lefigaro.fr/international/2013/10/21/01003-20131021ARTFIG00368-la-grece-cherche-a-percer-le-mystere-de-l-ange-blond.php">cheveux blonds et aux yeux bleus</a>, lorsque les urbanistes placent les Roms dans des <a href="https://www.espacestemps.net/articles/les-pouvoirs-publics-et-les-grands-bidonvilles-roms-au-nord-de-paris/">ghettos</a>, lorsque les élites politiques prennent les communautés roms pour cibles et rasent leurs maisons ou les expulsent en masse…</p>
<p>L’identité même des Roms est considérée comme dérangeante ou menaçante.</p>
<p>La confusion généralisée entre culture rom et criminalité dans des pays comme la Hongrie ou l’Italie en témoigne, tout comme l’expulsion récurrente des communautés roms de leurs foyers en France.</p>
<p>En Europe aujourd’hui, il importe de tenir compte des leçons du passé, comme la manière dont le ciblage des Roms a conduit à la tentative de <a href="https://www.slate.fr/story/75746/hitler-tues-roms-bourdouleix">leur extermination</a> par les Nazis.</p>
<p>Le fascisme et le populisme de droite ne sont plus marginaux, mais redevenus ordinaires : ils font l’objet de discussions ouvertes dans les médias par des politiciens en quête de moyens expéditifs pour engranger des soutiens. Le nationalisme contribue ainsi toujours aussi efficacement à répandre cette idéologie de haine et d’exclusion.</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=279&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/197451/original/file-20171203-5416-cd2l2x.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=350&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article a d’abord été publié sur le journal de RFIEA, <a href="http://fellows.rfiea.fr/dossier/le-racisme-contemporain-en-europe/article/racisme-anti-roms-un-heritage-du-processus-de?language=fr">Fellows n°47</a>. Édition et traduction Aurélie Louchart. Le réseau des quatre instituts d’études avancées a accueilli plus de 500 chercheurs du monde entier depuis 2007. Découvrez leurs productions sur le site <a href="http://fellows.rfiea.fr/">Fellows</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/108564/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aidan McGarry est junior fellow EURIAS,
membre du réseau RFIEA. <a href="http://www.2018-2019.eurias-fp.eu/fellows/aidan-mcgarry">http://www.2018-2019.eurias-fp.eu/fellows/aidan-mcgarry</a></span></em></p>Dans certains États européens, les Roms occupent une position sociale aussi basse que les pédophiles et les trafiquants de drogue. Pourquoi subissent-ils exclusion et discrimination ?Aidan McGarry, Reader in International Politics at Institute for Diplomacy and International Governance (IDIG), Loughborough University, Réseau français des instituts d’études avancées (RFIEA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1021202018-10-02T15:48:37Z2018-10-02T15:48:37ZPeut-on être à la fois « Africain » et « Français » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/237783/original/file-20180924-85764-1sm0fa9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C73%2C1000%2C648&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Collège de la Sagesse », Chéri Samba, Africa Remix 2004-2007.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://zawiki.free.fr/wk/index.php?title=Ch%C3%A9ri_Samba"> Beauté Congo/Fondation Cartier </a></span></figcaption></figure><p>Au lendemain de la coupe du monde de football, Trevor Noah, le présentateur sud-africain du talk-show étatsunien <em>The Daily Show</em>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=g62BcUsR2fg">célébrait la « victoire africaine » de la France</a>. La réponse que lui avait alors opposé Gérard Araud, ambassadeur de France aux États-Unis, avait été abondamment <a href="http://www.liberation.fr/france/2018/07/19/polemique-sur-l-afrique-gagnante-du-mondial-l-humoriste-trevor-noah-s-explique_1667607">commentée</a>.</p>
<p>Les échanges qui suivirent entre les deux hommes révélèrent la persistance et la prégnance d’un malaise français concernant la reconnaissance des sentiments communautaires de minorités, notamment lorsque ces sentiments se fondent sur la couleur ou la race.</p>
<p>La « race » est ici bien sûr entendue comme « race sociale » ; l’humanité a été historiquement catégorisée sur la base de critères physiques et culturels non-scientifiques durant l’<a href="https://www.persee.fr/doc/ierii_1764-8319_1972_mon_2_1">histoire coloniale</a>. Ces catégories continuent néanmoins à avoir un impact politique, culturel et social (racisme, discrimination et sentiments d’appartenance) qu’analysent historiens, sociologues et ethno-anthropologues.</p>
<p>La question de la place de communautés ethnico-raciales au sein de la République française ne se limite pas uniquement à des rapports de domination mais s’articule également avec des <a href="https://www.cairn.info/revnces-sociales-2001-4-p-66.htm">logiques d’auto-identification subjectives</a>. En l’occurrence, les propos de Trevor Noah questionnent plus précisément la possibilité de concilier deux sentiments d’appartenance : l’un qu’il qualifie d’ africain et l’autre français.</p>
<h2>Ce qu’être « noir » signifie</h2>
<p>Les manières dont s’exprime un sentiment d’appartenance noir ou africain ne peuvent pas être d’emblée disqualifiées comme du communautarisme ou du racisme mortifères qui causent forcément des divisions et des tensions.</p>
<p>Il existe bien certaines tendances radicales qui renversent le discours raciste pour affirmer une supériorité noire. Néanmoins, la célébration de la noirceur est surtout l’expression d’une quête de fierté dans des contextes sociaux et culturels où, y compris en France (outre-mer et dans l’hexagone), un complexe d’infériorité <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/peau-noire-masques-blancs-frantz-fanon/9782757841686">s’est durablement enkysté dans les mentalités</a>.</p>
<p>Ce complexe s’explique notamment par le fait que l’utilisation du terme « noir », pour désigner un individu ou des populations, est héritée de l’histoire de la colonisation de l’Afrique, <a href="http://catalogue.sciencespo.fr/ark:/46513/sc0001087434">des traites négrières et des esclavages</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les routes de l’esclavages, Arte, 2018.</span></figcaption>
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<p>Il en est de même pour les représentations souvent dévalorisantes du continent africain et des cultures et individus qui lui sont plus ou moins directement liés généalogiquement. En dépit de l’existence d’élites et de royaumes africains connus des Européens avec lesquels ils échangent au moins de puis le XV<sup>e</sup> siècle, l’<a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/les-routes-de-lesclavage-9782226400741">image d’un continent arriéré</a> sur le plan technique et culturel et d’hommes et de femmes noir·e·s aux aptitudes physiques <a href="http://catalogue.sciencespo.fr/ark:/46513/sc0001173585">inversement proportionnelles</a> à leur capacité intellectuelle se sont imposées.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/237765/original/file-20180924-85764-1h566m3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/237765/original/file-20180924-85764-1h566m3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/237765/original/file-20180924-85764-1h566m3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/237765/original/file-20180924-85764-1h566m3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/237765/original/file-20180924-85764-1h566m3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/237765/original/file-20180924-85764-1h566m3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/237765/original/file-20180924-85764-1h566m3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Josephine Baker est emblématique de la période où « jovialité » et « sensualité » exotiques sont mises en avant pendant l’entre-deux guerres, ici aux Folies-Bergere à Paris, (1926).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Ann%C3%A9es_folles#/media/File:Baker_Charleston.jpg">French Walery/Wikimedia</a></span>
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<p>Et ce y compris dans les <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/095715580101203404?journalCode=frca">tendances négrophiles</a> manifestées notamment dans l’entre-deux-guerres en <a href="http://www.medias-presse.info/polemique-autour-du-bal-negre-le-racisme-est-partout/69002/">France</a> et aux États-Unis exaltant la créativité, la jovialité et la sensualité « africaines ».</p>
<h2>Inverser le stigmate</h2>
<p>En réponse à ce racisme, dans une logique d’inversion du stigmate, des consciences noires se sont ainsi construites essentiellement sur le désir de revaloriser une identité négative, assignée à travers les histoires coloniales. Le mouvement de la Négritude incarnée notamment par Aimé Césaire en <a href="https://la-plume-francophone.com/2011/03/05/romuald-fonkoua-aime-cesaire-1913-2008/">est l’un des plus beaux exemples</a>. S’il a existé des relations entre populations, communautés et ensembles politiques africains bien avant la colonisation européenne, il n’est pas excessif de considérer que l’idée <a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Africa_Unite__-9782707176875.html">d’unité africaine</a> naît en réponse à la domination et émane d’ailleurs souvent des descendants de captifs africains réduits en esclavage dans les Amériques.</p>
<p>À Saint-Domingue, en Guadeloupe et en Jamaïque ou encore à l’île de la Réunion, pour ce qui concerne l’Océan indien, à travers des révoltes d’esclaves, la constitution de populations d’esclaves fugitifs ou encore de la création, d’institutions communautaires telles que la <a href="https://www.naacp.org/">National Association for the Advancement of Colored People</a>, des identités noires en références parfois directe au continent africain se sont construites de manière métonymique (références bibliques à l’Éthiopie) ou en en lien avec les ancêtres.</p>
<p>C’est le cas du rastafarisme ou par exemple du mouvement plus récent de redéfinition <a href="https://journals.openedition.org/civilisations/1925">d’une identité Akan</a> (Ghana) dans certains réseaux noirs états-uniens.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/237766/original/file-20180924-85773-1jwyx43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/237766/original/file-20180924-85773-1jwyx43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/237766/original/file-20180924-85773-1jwyx43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/237766/original/file-20180924-85773-1jwyx43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=484&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/237766/original/file-20180924-85773-1jwyx43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=608&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/237766/original/file-20180924-85773-1jwyx43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=608&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/237766/original/file-20180924-85773-1jwyx43.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=608&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Quatre des militants les plus actifs de la NAACP, brandissant un poster contre l’état du Mississippi en 1956 (Henry L. Moon, Roy Wilkins, Herbert Hill, Thurgood Marshall).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:NAACP_leaders_with_poster_NYWTS.jpg">Library of Congress/Wikimedia</a></span>
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<p>Aussi bien le racisme anti-noir que certaines doctrines qui visent à le combattre en affirmant une identité noire ou africaine reposent sur un essentialisme théoriquement et politiquement problématique.</p>
<h2>Essentialisme « noir »</h2>
<p>Certaines théories afrocentristes ou panafricaines telles que celle de l’égyptologue sénégalais <a href="http://www.presenceafricaine.com/livres-histoire-politique-afrique-caraibes/634-nations-negres-et-culture-2708706888.html">Cheikh Anta Diop</a>, visent ainsi tout autant à réhabiliter ce que les politiques et théories esclavagistes et coloniales ont contribué à dénigrer qu’à affirmer la grandeur d’une « race » ou d’une « civilisation africaine ».</p>
<p>Ainsi, loin de se limiter aux populations du continent, la catégorie d’« Africain » est employée par des citoyens de pays européens, américains ou caribéens afin de revendiquer cette identité primordiale.</p>
<p>Certains mouvements noirs plus radicaux et minoritaires ont même parfois cherché et cherchent encore à subvertir et <a href="https://livre.fnac.com/a6960517/Molefi-Kete-Asante-L-afrocentricite-et-l-ideologie-de-la-renaissance-africaine">inverser le discours eurocentré pour définir l’Afrique</a> (parfois nommée Kemet en référence à l’Égypte antique) comme l’origine de <em>la</em> civilisation humaine et les « Africains », au sens large, comme supérieurs aux Blancs ou Européens sur les plans culturels et biologiques.</p>
<p>Toutefois comme toute doctrine politique ou religieuse, il convient d’analyser les manières dont ceux qui y souscrivent en viennent à adhérer à de tels postulats.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/237770/original/file-20180924-85767-k00ieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/237770/original/file-20180924-85767-k00ieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/237770/original/file-20180924-85767-k00ieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/237770/original/file-20180924-85767-k00ieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=394&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/237770/original/file-20180924-85767-k00ieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/237770/original/file-20180924-85767-k00ieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/237770/original/file-20180924-85767-k00ieu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=495&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’essayiste polémique Kemi Seba en interview à Bamako en juillet 2017. Il a co-fondé notamment l’organisation Tribu Ka, dissoute en France par décret pour incitation à la haine raciale.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Fichier:Kemi_Seba_en_interview_Mali_2017.jpg">Boubs Sidibe/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<h2>Attribuer du sens via l’afrocentrisme</h2>
<p>Sans nécessairement souscrire à des théories racialistes aussi radicales, certaines femmes et hommes estiment que leur attachement génétique, généalogique ou spirituel à l’Afrique constitue une part essentielle de leur identité. Ils trouvent à travers l’afrocentrisme un moyen de valoriser à tout prix l’Afrique et les populations noires.</p>
<p>Cela se produit dans des contextes où ces personnes et communautés peinent à trouver des sources d’identification positives. Comme l’avait déjà signalé Frantz Fanon, il s’avère en réalité <a href="https://player.ina.fr/player/embed/PH909013001/1/1b0bd203fbcd702f9bc9b10ac3d0fc21/wide/1">impossible de retrouver une essence pure</a> d’avant la colonisation.</p>
<p>Ce type de bricolage sert précisément à attribuer du sens à des trajectoires personnelles et communautaires diasporiques conflictuelles et complexes. C’est, selon un libraire du Quartier Latin, le cas de nombre de jeunes noirs et métis qui, en l’absence d’une transmission culturelle par le biais de leurs parents, semblent particulièrement friands d’écrits afrocentristes radicaux.</p>
<p>En dépit des similitudes que révèlent les expériences communes des personnes d’ascendance africaine, compte tenu de la pluralité et de la diversité des expériences noires et africaines, les contours de la conscience africaine s’avèrent ainsi beaucoup plus flous et labiles qu’il n’y paraît.</p>
<p>Le souci de revalorisation se retrouve chez bien des personnes identifiées et s’identifiant comme noires ou africaines qui n’adhèrent pas aux postulats (modérés ou plus radicaux) de l’afrocentrisme.</p>
<p>Les propos de Trevor Noah sur l’équipe de France de football tout comme son engouement manifeste pour le film <em>Black Panthers</em> (partagé à l’échelle planétaire notamment au sein des populations noires), montrent plutôt à quel point les personnes africaines, d’ascendances africaines (ou qui, à défaut d’endosser cette identité, se la voit assigner du fait de leur type physique) sont avides de modèles d’identification positifs.</p>
<p>En creux, cela révèle également, plus de 65 ans après la publication de <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/fanon_franz/peau_noire_masques_blancs/peau_noire_masques_blancs.html"><em>Peau noire, masques blancs</em></a> de Franz Fanon, à quel point un sentiment d’infériorité continue à être ressenti.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=814&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=814&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=814&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1023&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1023&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/237773/original/file-20180924-85785-7qhufi.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1023&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Portrait du psychiatre Frantz Fanon (1925-1961).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Frantzfanonpjwproductions.jpg?uselang=fr">Pacha J. Willka/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>Ce sentiment demeure plus ou moins largement partagé mais il ne s’enracine pas pour autant dans une conscience communautaire forte et univoque. Outre le fait, et c’est là une évidence, que les personnes et populations perçues ou se définissant comme noires ou africaines diffèrent entre elles sur bien des points, la « conscience noire » qu’elles partagent ne les empêche nullement par ailleurs de se différencier elles-mêmes, dans certains contextes, sur la base de critères nationaux, ethniques, de classe sociale voire encore de race et de couleur.</p>
<h2>Se défaire des implicites raciaux</h2>
<p>Lorsque l’on est conscient des ressorts théoriques de certains mouvements noirs, il est tout à fait légitime de s’interroger sur les issues attendues de ceux qui se focalisent sur l’exaltation d’une identité primordiale africaine au soubassement parfois racialistes.</p>
<p>Et tout comme le présentateur Trevor Noah, on peut néanmoins tout autant se questionner sur ce que signifie le refus absolu d’entendre le désir de faire reconnaître une spécificité alors que les considérations liées à la couleur et à la race façonnent les relations sociales de multiples façons.</p>
<p>Certes, a contrario, les modèles multiculturalistes britanniques, étatsuniens ou canadiens peuvent entraîner une exacerbation du racial qui débouche potentiellement sur une reconnaissance plus ou moins solide des différences ethnico-raciales tout en minimisant voire occultant les mécanismes d’exclusion de nature sociale.</p>
<p>Néanmoins, en Angleterre par exemple, la reconnaissance d’une présence et d’une identité noire <a href="https://blackculturalarchives.org">ne s’est pas faite au détriment</a> de l’identité nationale britannique.</p>
<p>En dépit de la mobilisation de codes afrocentristes, une diversité d’expériences coloniales, postcoloniales, de migration, de réussites et d’épreuves difficiles ont, tant bien que mal, été intégrées <a href="https://www.cairn.info/revue-d-histoire-moderne-et-contemporaine-2005-5-page-64.htm">au récit national</a>.</p>
<p>La France et l’Angleterre ayant chacune leur histoire propre, il est bien sûr impossible de calquer sans les adapter aux réalités françaises ce type de politiques. Il s’avère néanmoins, en tout état de cause, qu’il est bien possible de trouver une manière originale de concilier sentiment d’appartenance noir ou africain, d’une part, et citoyenneté/nationalité européenne, de l’autre.</p>
<p>La question se pose donc de savoir selon quelles modalités cela pourrait se produire en France. Une partie du processus consistera nécessairement à se défaire des implicites raciaux derrières les catégories d’africain (« noir ») et de français (« blanc »). La condition d’autres minorités, notamment celles s’identifiant comme arabes ou musulmanes (ou encore à qui une telle identité est assignée de manière fantasmagorique) devra également être prise en compte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102120/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ary Gordien ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La polémique sur les origines africaines des Bleus révèle le malaise français autour de la reconnaissance de sentiments communautaires fondés sur la couleur ou la race.Ary Gordien, Anthropologue, postdoctorant, Cercle de Recherche sur le Racisme et l’Antisémitisme (Paris 8), enseignant, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1025932018-09-13T03:29:21Z2018-09-13T03:29:21ZSégrégation ethnique : une réalité de l’école d’aujourd’hui ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/235759/original/file-20180911-144482-19zl5jo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C7%2C991%2C624&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Si l'école est en apparence ouverte à tous, les chemins des élèves se séparent très vite selon leurs origines sociales.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Dans son projet historique, l’école de la République a une double visée : d’une part, l’établissement d’un système méritocratique, d’autre part, l’unification des différences par la construction scolaire d’une nation. Sur le terrain pourtant, la mixité, qu’elle soit sociale ou ethnique, est loin d’être la règle. Peut-on parler de ségrégation ethnique voire même d’éducation séparée dans l’école de 2018 ?</p>
<p>Si le système scolaire s’est massifié, avec la création du collège unique depuis la <a href="http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/enseignement-secondaire-college/college-unique/">réforme Haby (1975)</a>, la séparation scolaire n’a pas disparu. On peut la repérer à partir de la différenciation des publics selon les filières, qu’il s’agisse de types de scolarisation, de types d’établissements, de séries de baccalauréat ou de classes peu perméables. Les chercheurs ont depuis longtemps analysé les différenciations sociales. Aujourd’hui, cette ségrégation sociale se combine avec une ségrégation ethnique, engendrant une désillusion collective face à l’école et de nouvelles frustrations.</p>
<h2>L’envers des 80 % au bac</h2>
<p>Plus l’école est en apparence ouverte au plus grand nombre, plus l’échec scolaire est perçu par les familles et par les enseignants comme à l’origine d’un sentiment de « déshonneur » individuel. <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/histoires-d-info-en-1985-chevenement-fixe-l-objectif-de-mener-80-d-une-classe-d-age-au-niveau-du-bac_2247837.html">Lancée par Jean‑Pierre Chevènement en 1985</a>, l’injonction politique de 80 % d’une génération atteignant le niveau du baccalauréat sert d’étalon à la mesure des trajectoires scolaires individuelles.</p>
<p>L’objectif statistique ainsi déterminé participe à la relégation de jeunes – ici des banlieues et souvent issus de l’immigration – dans des filières dévalorisées du lycée et du premier cycle universitaire. L’orientation et la sélection sont sans doute plus significatives comme critères d’évaluation des performances scolaires et des hiérarchies qui leur sont associées qu’un objectif « aveugle » de 80 % d’une classe d’âge obtenant le niveau baccalauréat.</p>
<p>L’école ne se contente pas de subir la ségrégation urbaine et son évolution. Elle fabrique elle-même de la ségrégation, voire en génère : on voit ainsi interagir les stratégies résidentielles et scolaires des familles, le découpage mais aussi l’assouplissement de la carte scolaire, la gestion des dérogations, les politiques des établissements (offre d’options spécifiques, par exemple) et la constitution des classes. Or il existe, <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2004-3-page-441.html">selon Marie Duru-Bellat</a>, une influence de la composition sociale du public scolaire sur les attitudes et les comportements des élèves et des enseignants. Toutes les recherches empiriques confirment notamment que la quantité et la qualité de l’enseignement dispensé en classe sont modulées par la composition sociale du public.</p>
<h2>Une réalité qui échappe aux statistiques</h2>
<p>Ainsi, la ségrégation est porteuse d’une diversification qui est source d’inégalités, puisque les conditions d’un enseignement stimulant semblent davantage réunies dans les établissements à public homogène. Souvent renforcée par la constitution de classes de niveaux, la ségrégation sociale entre établissements, si elle affecte de manière modérée les apprentissages des élèves, marquerait encore davantage leur expérience scolaire. Cela se répercute aussi sur la construction de leur personnalité, via à la fois les réactions à visée adaptative des enseignants et la dynamique qui s’instaure avec eux et entre les élèves eux-mêmes.</p>
<p>Il y a « éducation séparée » quand se conjuguent en même temps des chances statistiques d’être scolarisé dans tel et tel établissement, différentes selon l’appartenance sociale et/ou ethnique, et les conséquences négatives de cette mise à l’écart sur le parcours scolaire. Cette réalité est difficilement mesurable. En France, les statistiques ethniques sont officiellement interdites, comme si la statistique elle-même était performative et discriminatoire, alors même que c’est bien la réalité qui l’est.</p>
<p>On y analyse donc les inégalités de recrutement en liant les catégories sociales (professions des parents) et les inégalités scolaires. Les critères aisément disponibles sur l’origine des jeunes, tels la nationalité des élèves et le lieu de naissance des parents, ne sont pas pertinents : la majorité des jeunes dont les parents sont issus de l’immigration postcoloniale possèdent la nationalité française.</p>
<h2>La stratégie des prénoms</h2>
<p>Pour résoudre cette difficulté, les sociologues ont recours à plusieurs stratégies : <a href="https://www.inegalites.fr/La-segregation-ethnique-a-l-ecole-reste-un-sujet-tabou-entretien-avec-Georges">Georges Felouzis</a>, par exemple, se fonde sur les prénoms des élèves, sans oblitérer les erreurs systématiques que cela induit. Il agrège dans une même catégorie les prénoms musulmans, turcs et africains dans le groupe allochtones, non qu’ils appartiennent à une même culture ou origine, mais parce que les individus originaires de ces aires culturelles peuvent faire l’objet de pratiques ségrégatives et discriminantes.</p>
<p>La mesure de la ségrégation ethnique par les prénoms a bien sûr des limites car le lien n’est pas direct et systématique et certains liens significatifs ne sont pas apparents. Ainsi, le groupe allochtone sous-estime les élèves susceptibles d’être l’objet d’une ségrégation ethnique puisqu’il ne prend pas en compte les élèves noirs des territoires et départements d’outre-mer ni les élèves de nationalité française d’origine d’Afrique noire et de confession chrétienne dont les prénoms sont codés autochtones.</p>
<p>Du point de vue qui nous intéresse, soit la mesure de la ségrégation ethnique dans les établissements scolaires, ces limites sont minorées. Certains prénoms sont plus « fiables » que d’autres car quasi exclusivement employés par des familles d’origine étrangère. C’est le cas des prénoms musulmans qui ne sont que très marginalement utilisés par les classes moyennes autochtones. Les élèves dont le prénom est « Mohamed », « Malika » ou « Youssef » sont très majoritairement issus de familles musulmanes. En tenant compte des limites inhérentes à l’indicateur et sans gommer les polémiques initiées par la démarche du maire de Béziers, l’utilisation du prénom a du sens pour faire un diagnostic des ségrégations ethniques entre établissements, entre séries et entre classes.</p>
<h2>Une éducation séparée</h2>
<p>Les travaux de Felouzis montrent une ségrégation ethnique (et sociale) entre établissements scolaires, corrélée à la fois aux stratégies résidentielles de familles, à la carte scolaire définie à partir de territoires socialement ségrégués et aux dérogations demandées et accordées plus fréquemment aux publics favorisés. Les collèges les plus ségrégués d’un point de vue ethnique le sont aussi socialement et scolairement et les élèves du Maghreb, d’Afrique noire et de Turquie cumulent les handicaps sociaux et scolaires. Ces derniers sont cantonnés dans des proportions considérables dans les établissements les plus défavorisés.</p>
<p>La ségrégation en fonction de l’origine ethnique des élèves est bien plus marquée que celle qui s’opère en fonction des origines sociales ou économiques, et cette mise à l’écart est un facteur déterminant de leurs acquis scolaires plus faibles. Ces disparités se traduisent par des conséquences pédagogiques, les enseignants adaptant leur niveau d’attentes, leurs critères d’évaluation. Cette adaptation « par le bas » accroît encore les disparités. Cela implique pour ces élèves des conditions de scolarisation peu favorables aux apprentissages et un climat scolaire dégradé.</p>
<p>Ce phénomène n’est évidemment pas propre aux collèges. Il affecte aussi les écoles maternelles et élémentaires, même s’il n’est pas simple d’obtenir des données. À titre illustratif, voici deux nuages de mots très significatifs : ils concernent les prénoms des enfants de deux maternelles du Vaucluse, situées à cinq kilomètres l’une de l’autre. Les données de septembre 2018 correspondent à <a href="http://www.editionsdelaube.fr/catalogue/fatimamoinsbiennot%C3%A9equemarianne">celles que nous avions obtenues en mai 2015</a>.</p>
<p>Bien sûr, ce n’est pas une démonstration en ce que nous ne présentons ici que deux écoles maternelles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/235775/original/file-20180911-144461-1yq9mxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/235775/original/file-20180911-144461-1yq9mxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/235775/original/file-20180911-144461-1yq9mxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/235775/original/file-20180911-144461-1yq9mxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/235775/original/file-20180911-144461-1yq9mxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/235775/original/file-20180911-144461-1yq9mxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/235775/original/file-20180911-144461-1yq9mxj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Prénoms les plus fréquents dans le premier établissement.</span>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/235776/original/file-20180911-144476-7lbk1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/235776/original/file-20180911-144476-7lbk1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/235776/original/file-20180911-144476-7lbk1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/235776/original/file-20180911-144476-7lbk1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=300&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/235776/original/file-20180911-144476-7lbk1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/235776/original/file-20180911-144476-7lbk1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/235776/original/file-20180911-144476-7lbk1u.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=377&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Prénoms les plus représentés dans le deuxième établissement.</span>
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<p>Il s’agit donc d’une véritable homogénéisation ethnico-scolaire. Le pourcentage de prénoms arabo-musulmans est quasiment de 100 % dans la première école et de 0 % dans la seconde école. Bien sûr ce n’est pas une démonstration en ce que nous ne présentons ici que deux écoles maternelles mais l’illustration d’un phénomène que nous pensons massif.</p>
<p>Des observations comparables peuvent se faire entre les lycées, voire même entre les classes et les filières (les prénoms arabo-musulmans étant surreprésentés dans la série STG, série socialement plus dévalorisée).</p>
<p>Un diagnostic de grande ampleur s’impose. L’Éducation nationale est-elle prête à donner accès à ces listes d’élèves à des chercheurs pour permettre des résultats fiables ? Tel est l’enjeu qui permettrait une politique éducative de mixité sociale et ethnique car au-delà d’inégalités scolaires, cette éducation « séparée » est dommageable au vivre-ensemble.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/102593/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Beatrice Mabilon-Bonfils ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’école ne se contente pas de subir la ségrégation urbaine et son évolution. Elle fabrique elle-même des inégalités qu’il est urgent de mesurer.Beatrice Mabilon-Bonfils, -Sociologue, Directrice du laboratoire BONHEURS - Université de Cergy-Pontoise, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/973772018-07-05T21:24:26Z2018-07-05T21:24:26ZQuand les commerçants jula faisaient rayonner l’Afrique de l’Ouest<p>Comment comprendre les tensions politiques qui agitent la Côte d’Ivoire contemporaine en ignorant les profondes mutations propres à son histoire longue ?</p>
<p>Trop souvent, les analystes résument ces dernières à l’ascension et au parcours de l’ambitieux Alassane Ouattara, l’actuel président <a href="http://www.jeuneafrique.com/588504/politique/alassane-ouattara-dissout-le-gouvernement/">qui vient de dissoudre le gouvernement</a>.</p>
<p>Alassane Ouattara appartient au groupe social malinké (aussi appelé mandingue), originaire du Mandé, espace compris aujourd’hui entre le Mali et la Guinée Conakry. C’est de cette communauté que sont issus les Jula (ou Dioula), une importante classe commerçante.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/226242/original/file-20180705-122277-ic33g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226242/original/file-20180705-122277-ic33g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226242/original/file-20180705-122277-ic33g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226242/original/file-20180705-122277-ic33g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226242/original/file-20180705-122277-ic33g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226242/original/file-20180705-122277-ic33g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226242/original/file-20180705-122277-ic33g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226242/original/file-20180705-122277-ic33g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le pays mandingue sur une carte de 1900.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Mandingues#/media/File:Gwinea1900.jpg">Wikimedia</a></span>
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<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/226241/original/file-20180705-122271-j75hhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226241/original/file-20180705-122271-j75hhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226241/original/file-20180705-122271-j75hhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226241/original/file-20180705-122271-j75hhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226241/original/file-20180705-122271-j75hhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226241/original/file-20180705-122271-j75hhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226241/original/file-20180705-122271-j75hhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226241/original/file-20180705-122271-j75hhk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=464&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Étendue géographique des langues mandingues en Afrique de l’Ouest, 2008. Aire des Bambaras.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Langues_mandingues#/media/File:Manding.png">Famille.lecamus/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>Cette communauté aurait tout particulièrement bouleversé les équilibres traditionnels de la société ivoirienne depuis ces dernières décennies, en brisant les cadres sociaux et politiques dans lesquels elle évoluait.</p>
<p>Mais l’émancipation des Jula est-elle si récente ? Cette dernière en effet influencé les pratiques économiques, les transferts culturels et les circulations humaines en Afrique de l’Ouest contemporaine.</p>
<p>Dans un article publié en 1982, Yves Person, <a href="https://www.openedition.org/12674">spécialiste reconnu de la civilisation mandingue</a>, faisait d’ailleurs remarquer que l’Afrique ne pourrait se comprendre sans prendre en compte la longue histoire du monde mandingue.</p>
<h2>Une économie-monde</h2>
<p>Le phénomène commercial jula, né au plus tard au XV<sup>e</sup> siècle, est aujourd’hui encore un agent culturel dont la migration a une projection planétaire. On doit à Fernand Braudel la notion <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/braudel-wallerstein-systeme-deconomie-monde/00016988">d’économie-monde</a> entendue comme :</p>
<blockquote>
<p>« un morceau de la planète économiquement autonome, capable pour l’essentiel de se suffire à lui-même et auquel ses liaisons et ses échanges intérieurs confèrent une certaine unité organique ».</p>
</blockquote>
<p>Ce postulat théorique laisse entendre que l’Europe est loin d’être l’unique centre de gravité du commerce mondial au XVI<sup>e</sup> siècle, ce qui suggère l’existence de divers réseaux commerciaux et culturels à travers la planète.</p>
<p>La célèbre métaphore de l’historien portugais Vittorino Maghalaes Godinho de <a href="https://www.persee.fr/doc/rural_0014-2182_1977_num_66_1_2207_t1_0068_0000_3">« la victoire de la caravelle sur la caravane »</a> pour caractériser la suprématie du commerce portugais en Afrique dès le XV<sup>e</sup> siècle ne rend que partiellement compte de l’insertion du continent noir dans les circuits commerciaux globalisés.</p>
<p>C’est à l’époque médiévale, bien avant la geste portugaise, que les échanges économiques à longue distance se sont imposés en Afrique. Ils étaient animés par les réseaux marchands Jaxanké sur l’axe de la Gambie, Haoussa entre Tchad et Niger et Jula dans la Boucle du Niger.</p>
<h2>Une expansion autour de l’or</h2>
<p>L’ouverture de la mer commença lorsque l’expansion mandingue relia le Soudan nigérien à la côte Atlantique, depuis la Sénégambie jusqu’à la côte de l’Or. À El mina sur les côtes de l’actuel Ghana les Jula apportaient au XV<sup>e</sup> siècle des marchandises en provenance de la boucle du Niger. Partis de Djenné et de Tombouctou, ces commerçants musulmans allaient jusqu’à Begho chercher l’or qui était destiné au trafic avec l’Afrique du Nord et l’Europe.</p>
<p>Cet or soudanais allait se trouver au cœur des bouleversements économiques qui redistribueraient les <a href="https://www.histoire-image.org/fr/etudes/europeens-cotes-afrique-fin-xviiie-siecle">cartes en Europe</a>, au XV<sup>e</sup> siècle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226246/original/file-20180705-122247-kt3fzy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226246/original/file-20180705-122247-kt3fzy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226246/original/file-20180705-122247-kt3fzy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226246/original/file-20180705-122247-kt3fzy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226246/original/file-20180705-122247-kt3fzy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226246/original/file-20180705-122247-kt3fzy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226246/original/file-20180705-122247-kt3fzy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Soudan occidental (VIIIᵉ-XVIᵉ siècle), issu de <em>Les territoires du médiéviste</em>, « Fabriquer le territoire en Afrique au</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://books.openedition.org/pur/docannexe/image/8202/img-1.png">Brahim Diop/OpenEdition</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Durant les premières décades de ce siècle, l’or du Soudan commence à ne plus parvenir, du moins en quantité aussi considérable, jusqu’aux villes d’Afrique du Nord qui font office de relais entre les mines du Soudan et l’Europe, via la Méditerranée. <a href="https://www.persee.fr/doc/ahess_0395-2649_1946_num_1_1_3177">Comme l’explique Braudel</a>, c’est la capture des trafics sahariens par les Portugais dès 1482 qui prive brusquement l’Europe d’une part importante de son ravitaillement en or. À cette époque, les Portugais se présentent sur la côte de la « Mine » avec des tissus, des hambels (les grosses et rustiques couvertures de l’Alemtejo), des bassins de cuivre fournis par le commerce anversois et, denrées plus précieuses encore, des chevaux et du blé marocains.</p>
<p>Ils se procurent en échange des esclaves noirs et de la poudre d’or. Les Portugais détournent à leur profit une grosse part, sinon la totalité, du métal précieux produit par les orpailleurs soudanais. Ils y réussissent en poussant leurs propres marchands, agents politiques, aventuriers, découvreurs de routes et initiateurs de trafics, à travers les États et les tribus indigènes, entre le golfe et le bassin du Niger.</p>
<h2>Une ramification jula mondialisée</h2>
<p>Il s’agit, pour Braudel, d’un événement capital, de portée mondiale. Le rôle des Portugais est immense : voilà l’or soudanais dérouté vers l’Atlantique. Voilà également comment l’Afrique, par le biais de ses réseaux marchands, celui des Jula en particulier, s’est positionnée comme un acteur majeur du commerce international au XV<sup>e</sup> siècle. À cet égard, ces réseaux constituèrent un rameau actif des réseaux de l’Ancien Monde qui contribuèrent à intégrer et relier les sociétés locales à l’ensemble du système spatial transcontinental.</p>
<p>Cette pure rationalité économique cadre imparfaitement avec la labilité de l’identité jula irréductible à la seule dimension d’<em>Homo economicus</em> qui a longtemps structuré les études sur leur diaspora marchande.</p>
<p>Je partage sur ce point l’<a href="https://www.persee.fr/doc/cea_0008-0055_1980_num_20_77_2358">analyse</a> d’Yves Person et de Richard Roberts qui contestent l’approche trop purement économique du commerce de l’ancienne Afrique, notamment à l’œuvre dans le désormais classique <em>Economic History of West Africa</em> de l’historien britannique <a href="https://www.goodreads.com/book/show/3709819-an-economic-history-of-west-africa">Gérald Hopkins</a>.</p>
<h2>Triade islam-commerce-migration</h2>
<p>En effet, les marqueurs identitaires jula, stables sur une longue durée, sont construits autour de la triade islam-commerce-migration. Ils renvoient aux phénomènes d’hybridation qui caractérisent les situations de contact, donc de transferts de culture. Connecteurs d’espaces économiques, mais également passeurs de civilisations, les Jula sont connus pour leur rôle dans l’islamisation de franges importantes des sociétés d’accueil, au gré de leurs longues pérégrinations en Afrique de l’Ouest.</p>
<p>La musique mandingue (dont la kora est l’instrument de base), les fêtes religieuses islamiques (ramadan, tabaski, etc.), le style vestimentaire incarné par le port du boubou traditionnel, etc. ont contribué à asseoir une identité culturelle qui se diffuse encore aujourd’hui grâce à l’existence de communautés diasporiques en Afrique de l’Ouest et ailleurs dans le monde.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pJUE03aeaQ4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La kora, un instrument clef. Ali Farka Touré & Toumani Diabaté – Debe live at Bozar, World Circuit Records, 2011.</span></figcaption>
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<h2>La reconversion vers l’entreprenariat politique</h2>
<p>Ce champ historique transnational défini par les commerçants jula se révéla décisif au moment des luttes africaines pour l’indépendance entre les années 1940 et 1960. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rassemblement_d%C3%A9mocratique_africain">Le Rassemblement démocratique africain</a> (RDA créé en 1946) s’appuya par exemple sur les réseaux économiques et sociaux transfrontaliers jula dans sa lutte contre l’ordre colonial français.</p>
<p>Ce tournant est d’autant plus visible en Côte d’Ivoire, <a href="http://www.jeuneafrique.com/128203/archives-thematique/la-mort-d-houphou-t-boigny-2/">aux lendemains du décès de Félix Houphouët Boigny</a> décédé en 1993 et tout premier Président de la République de Côte d’Ivoire (1960- 1993).</p>
<p>La reconversion d’une frange importante de Jula en entrepreneurs politiques
devient l’une des tendances majeures des mutations à l’œuvre dans le monde malinké dans la <a href="http://www.karthala.com/recherches-internationales/2967-cultures-dempires-echanges-et-affrontements-culturels-en-situation-coloniale-9782811114015.html">Côte d’Ivoire postcoloniale</a>.</p>
<p>Si certaines oppositions violentes à l’expansion jula se sont manifestées chez certains peuples du sud de la Côte d’Ivoire, en raison de leurs accointances avec l’ordre colonial français, il reste que la distribution spatiale des communautés, essentielle dans l’issue des joutes politiques ivoiriennes à fort relent d’ethnicisme, reste sustentée par le maillage territorial à l’œuvre de longue date chez les Jula de Côte d’Ivoire, un <a href="https://www.connectionivoirienne.net/95679/cote-divoire-les-racines-ethniques-de-la-longue-crise-politique">maillage toujours aussi puissant aujourd’hui</a>.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est une version modifiée de celui qui a été publié dans le numéro 39 de Fellows , <a href="http://fellows.rfiea.fr/dossier/glocalisation/article/l-afrique-de-l-ouest-dans-l-economie-monde-le-facteur-jula">« Glocalisation ;»</a>. Le <a href="http://rfiea.fr/">Réseau français des instituts d’études avancées</a> (RFIEA) a accueilli plus de 500 chercheurs internationaux depuis 2007.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97377/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Chikouna Cissé ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La longue histoire du monde mandingue a influencé les pratiques économiques, les transferts culturels et les circulations humaines en Afrique contemporaine.Chikouna Cissé, Maître de conférence, histoire de l'Afrique, Université Félix Houphouet Boigny d’Abidjan, Fellows 2012, IEA de Nantes, Réseau français des instituts d’études avancées (RFIEA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/988892018-07-05T02:23:37Z2018-07-05T02:23:37ZOuïghours : des oasis du Xinjiang aux champs de guerre d’Afghanistan et de Syrie<p>Situé au nord-ouest de la Chine et grand comme trois fois la France, le Xinjiang compte une vingtaine de millions d’habitants. Il regorge de ressources énergétiques et occupe une position stratégique dans l’initiative chinoise des nouvelles routes de la soie.</p>
<p>En dépit de liens anciens avec l’Empire du milieu, la région, peuplée majoritairement de turks musulmans, les Ouïghours, <a href="https://cup.columbia.edu/book/eurasian-crossroads/9780231139243">n’a été conquise définitivement qu’au milieu du XVIIIᵉ siècle</a>. Elle a été le <a href="http://www.ceri-sciencespo.com/publica/etude/etude110.pdf">théâtre de soulèvements au nom de l’islam</a> voire de brefs épisodes d’indépendance conduits au XX<sup>e</sup> siècle au nom d’un nationalisme turcophone anticolonial.</p>
<p>L’arrivée de l’<a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/armee-rouge-chine/">Armée populaire de libération</a> au tournant des années 1950 a changé la donne. Via la mise en place d’un contrôle social et politique très étroit et via la promotion d’une colonisation démographique massive, l’État communiste a fermement arrimé cet espace au reste du territoire chinois.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/225341/original/file-20180628-117430-1ficq24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225341/original/file-20180628-117430-1ficq24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225341/original/file-20180628-117430-1ficq24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225341/original/file-20180628-117430-1ficq24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225341/original/file-20180628-117430-1ficq24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225341/original/file-20180628-117430-1ficq24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=615&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225341/original/file-20180628-117430-1ficq24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=615&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225341/original/file-20180628-117430-1ficq24.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=615&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte administrative de la Chine en français, 2017, au nord-ouest le Xinjiang.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:RP_Chine_administrative2.jpg?uselang=fr">Ismoon/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<h2>La régénération de l’anticolonialisme ouïghour</h2>
<p>Avec l’arrivée au pouvoir des réformateurs, le contrôle étatique s’est brièvement desserré dans les années 1980. Alors qu’une scène militante nationaliste prodémocratique tentait de mobiliser les <a href="http://www.ceri-sciencespo.com/publica/etude/etude110.pdf">campus et les cercles intellectuels</a>, se structuraient dans les <em>madrasas</em> du sud (écoles coraniques) des cercles islamo-nationalistes politiquement plus marginaux et au départ focalisés sur la découverte d’un islam épuré. S’inscrivant dans des univers idéologiques différents, ces deux scènes se nourrissent alors des mêmes frustrations.</p>
<p>Elles dénoncent la relégation socio-économique des Ouïghours face aux Chinois ethniques (les Hans) ainsi qu’une colonisation démographique massive. En un demi-siècle, les Hans passent en effet de 7 % à 40 % de la population régionale alors que les Ouïghours qui composaient les trois quarts de la population <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2006-3-page-257.htm">ne finissent par représenter plus que 45 % de cette dernière</a>. Elles dénoncent une autonomie régionale rendue factice par le contrôle étroit du PCC régional.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/225340/original/file-20180628-117385-1ht1irz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225340/original/file-20180628-117385-1ht1irz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225340/original/file-20180628-117385-1ht1irz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225340/original/file-20180628-117385-1ht1irz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225340/original/file-20180628-117385-1ht1irz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225340/original/file-20180628-117385-1ht1irz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225340/original/file-20180628-117385-1ht1irz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225340/original/file-20180628-117385-1ht1irz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le désert de Lop Nur, Xinjiang, Chine, image satellite de l’ancienne mer de Lop Nur où ont été fait les essais nucléaires.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/9/98/Helix_of_Lop_Nur_90.55E%2C_40.10N.jpg">NASA/Wikimedia</a></span>
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<p>Elles s’insurgent aussi contre les <a href="https://www.independent.co.uk/news/chinas-secret-nuclear-tests-leave-legacy-of-cancer-and-deformity-1176260.html">essais nucléaires conduits sur le site du Lop Nor jusqu’en 1996</a>, et à partir des années 1990 contre les restrictions des libertés culturelle et religieuse et la répression.</p>
<h2>Le tournant des années 1990 et le basculement vers la violence</h2>
<p>Les années 1990 constituent un tournant dans l’histoire des rapports entre l’État central et ses minorités. Ce dernier se lance dans une modernisation à marche forcée s’appuyant sur d’importants investissements destinés à développer, notamment, les régions occidentales. Ainsi, l’État central finance au Xinjiang près de la moitié du budget provincial afin d’accélérer le développement.</p>
<p>Ce modèle va de pair avec une sinisation à marche forcée des minorités, comme le relate le <a href="https://www.hrw.org/news/2018/05/13/china-visiting-officials-occupy-homes-muslim-region">récent rapport d’Human Rights Watch</a> afin de les intégrer dans la nation chinoise. Les Ouïghours ont ainsi connu une avalanche de mesures mal vécues telles la sinisation du système scolaire, des restrictions liées du port du voile ou tout simplement l’interdiction de pratiquer l’islam pour les fonctionnaires ou les étudiants sous peine de sanctions.</p>
<p>Ce modèle qui s’appuie aussi sur une surveillance et une répression à tout va a fini par imposer une chape de plomb sur ces sociétés.</p>
<p>Dans ce contexte, ces deux mouvances vont connaître des destins politiques radicalement différents.</p>
<h2>Une scène militante nationaliste essentiellement active dans la diaspora</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225542/original/file-20180629-117436-1vemw55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225542/original/file-20180629-117436-1vemw55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225542/original/file-20180629-117436-1vemw55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225542/original/file-20180629-117436-1vemw55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225542/original/file-20180629-117436-1vemw55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225542/original/file-20180629-117436-1vemw55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225542/original/file-20180629-117436-1vemw55.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Rebiya Kadir ici en 2012. Née en 1947, cette femme d’affaires ouïghoure incarcérée par les autorités chinoises et libérée suite à l’intervention des États-Unis a dirigé suite à son exil le Congrès mondial ouïghour avant de se retirer au profit Dolkun Isa en 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">United Nations at Geneva. U.S. Mission Photo by Eric Bridiers</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Les militants nationalistes laïcs les plus actifs sont arrêtés ou se réfugient dans les diasporas. À l’étranger, les leaders tels que Rebiya Kadir ou Dolkun Isa s’alignent peu à peu sur les standards politiques occidentaux.</p>
<p>Ils calquent leurs modes d’action politique sur le lobbying non violent de la diaspora tibétaine <a href="https://www.cairn.info/article_p.php?ID_ARTICLE=RI_145_0087">afin de capter le soutien des opinions et des gouvernements étrangers</a>.</p>
<p>Cette stratégie donne naissance en 2004 à la fédération des associations nationalistes de la diaspora au sein du Congrès mondial ouïghour longtemps incarné par sa présidente réfugiée aux États-Unis, Rebiya Kadir.</p>
<h2>Une scène islamiste dont les marges se sont radicalisées</h2>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225543/original/file-20180629-117430-ohohje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225543/original/file-20180629-117430-ohohje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=744&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225543/original/file-20180629-117430-ohohje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=744&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225543/original/file-20180629-117430-ohohje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=744&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225543/original/file-20180629-117430-ohohje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=935&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225543/original/file-20180629-117430-ohohje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=935&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225543/original/file-20180629-117430-ohohje.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=935&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dolkun Isa, 50 ans, leader en exil de la scène étudiante ouïghoure des années 1980, est depuis 2017, le nouveau président du Congrès mondial ouïghour.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dolkun_Isa#/media/File:Dolkun_Isa_DUQ.jpg">Tarim116/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Le courant islamo-nationaliste était quant à lui plus marginal sur la scène militante.</p>
<p>Au tournant des années 1990, les autorités ferment la plupart des écoles coraniques et verrouillent la sphère religieuse. L’absence d’espace d’expression politique et religieuse pousse certains militants à basculer vers une action armée structurée par ces cellules souterraines. Le premier et le plus large de ces réseaux est le Parti islamique du Turkestan oriental (PITO).</p>
<p>Ayant émergé autour des madrasas du sud du Xinjiang à la toute fin des années 1980, il a vite essaimé à la fermeture de ces derniers. Mené par de jeunes étudiants sans expérience du combat politique, ce réseau souterrain se structure sans moyen ni connexion extérieure en vue de préparer le soulèvement de la région dans la foulée de la victoire des moudjahidines afghans contre les Soviétiques. Démasqué, il lance dans la précipitation en avril 1990 à Barin, près de Kachgar, un djihad rapidement écrasé par les forces chinoises.</p>
<p>Suite à cet échec, certains militants basculent alors vers l’action terroriste. Ils constituent des cellules visant à attirer l’attention de la communauté internationale et à « palestiniser » le Xinjiang pour tenter de déstabiliser la souveraineté chinoise.</p>
<h2>La connexion avec le djihadisme international</h2>
<p>La seconde moitié des années 1990 constitue un nouveau tournant dans l’histoire des réseaux islamo-nationalistes. Contrairement aux cercles nationalistes largement majoritaires de la diaspora, ces réseaux restent confidentiels, isolés et particulièrement exposés à l’appareil de sécurité chinois, ce qui conduit à des vagues de démantèlement répétés.</p>
<p>C’est à cette époque qu’un étudiant en religion, Hasan Makhsum, décide de régénérer le mouvement à l’étranger en 1997-1998, avec une poignée d’anciens du PITO, rencontrés dans les madrasas de Karghilik dans les années 1980.</p>
<p>Ce jeune homme au départ versé dans la prédication bascule aux côtés de ces réseaux dans l’action violente au tournant des années 1990. Arrêté plusieurs fois par les forces de sécurité chinoises, <a href="http://centralasiaprogram.org/wp-content/uploads/2016/04/CAP-Papers-159-April-2016-Security-Workshop.pdf">il est incarcéré quelques années</a> avant de s’exiler avec quelques camarades de lutte pour reconstituer des réseaux d’action armée sanctuarisés à l’étranger.</p>
<p>Essuyant une fin de non-recevoir des organisations nationalistes de la diaspora les jugeant trop fondamentalistes, ils profitent alors des reconfigurations politiques dans les marges pakistano-afghanes. Ils bénéficient de la protection du nouveau pouvoir taliban, installent des bases logistiques sur place afin d’y entraîner des militants qui pour certains seront renvoyés pour structurer sans grand succès des cellules terroristes au Xinjiang. À partir de 2001, le groupuscule – qui sera ensuite connu sous le nom de East Turkestan Islamic Movement est affaibli par l’intervention des forces de la coalition internationale en Afghanistan et part aux côtés d’autres réseaux djihadistes se réfugier dans les zones tribales pakistanaises.</p>
<h2>L’intégration dans la nébuleuse Al-Qaïda</h2>
<p>L’élimination d’<a href="http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/3343241.stm">Hasan Makhsum en 2003</a> lors d’une opération de l’armée pakistaine désorganise le réseau mais il se régénère <a href="http://centralasiaprogram.org/wp-content/uploads/2016/04/CAP-Papers-159-April-2016-Security-Workshop.pdf">à la veille des Jeux olympiques de 2008 sous le nom de Parti islamique du Turkestan (PIT)</a>.</p>
<p>Dirigé dès lors par Abdulhaq, le PIT est désormais encadré par une poignée de militants pleinement intégrée dans la nébuleuse jihadiste internationale implantée au Waziristan, région tribale à la frontière du Pakistan et de l’Afghanistan. Après une accalmie, le <a href="https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/05/20/attentats-ouigours-la-chine-confrontee-au-terrorisme-de-masse_4422114_3216.html">Xinjiang connaît suite aux émeutes de 2009</a>, une recrudescence des tensions interethniques et actes de violence. Ceux-ci sont alors souvent attribués par les autorités chinoises au PIT mais la réalité est plus complexe. Une poignée d’entre eux a été probablement téléguidée ou inspirée par ce dernier.</p>
<p>Pour autant, fréquemment, le PIT se contente souvent de se féliciter des attentats ou attaques contre les représentants de l’État sans revendiquer une filiation directe. Derrière ces actes de violence se cachent fréquemment des actions plus ou moins préparées par des groupes de jeunes sans contact direct avec ce dernier mais radicalisés par leur ressentiment vis-à-vis de l’État chinois.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/226152/original/file-20180704-73300-1pc1a2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C28%2C1192%2C689&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/226152/original/file-20180704-73300-1pc1a2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/226152/original/file-20180704-73300-1pc1a2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/226152/original/file-20180704-73300-1pc1a2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/226152/original/file-20180704-73300-1pc1a2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/226152/original/file-20180704-73300-1pc1a2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/226152/original/file-20180704-73300-1pc1a2k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une après midi à Kashgar. Les modes de vie quotidien et la société uïghurs ont été profondément affectés par la sinisation, poussant certains vers la radicalisation.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/carsten_tb/26308837348/">Carsten ten Brink</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>Certains se lancent, arme blanche au poing, <a href="https://www.thedailybeast.com/chinas-uighur-terror-attack">dans des actions de représailles</a> contre la police, des Hans ou des « collaborateurs ouïghours », alors que d’autres s’inspirent des <em>modus operandi</em> diffusés sur les sites djihadistes et notamment ceux du PIT pour préparer des attentats sans grands moyens logistiques.</p>
<p>Très actif sur le net, dénonçant le modèle démocratique et les valeurs trop occidentalisées des militants nationalistes, le PIT même s’il tente de positionner comme le seul canal d’opposition violente à Pékin reste très peu lisible dans une société ouïghoure peu encline à défendre l’établissement d’un État islamique.</p>
<h2>L’impact du conflit syrien</h2>
<p>Au milieu des années 2010, l’organisation s’est redéployée en partie à cause des attaques de drones américaines et des opérations militaires pakistanaises. Le mouvement apparaît désormais fréquemment dans des vidéos sur le théâtre afghan où il mène des opérations aux côtés des talibans. Cependant, c’est surtout le conflit syrien qui lui a permis de prendre une ampleur que peu auraient pu imaginer. À partir de 2013 et surtout de 2015, ce conflit lui a en effet permis de bénéficier d’un nouveau sanctuaire, de capter de nouvelles ressources et de gagner de nouveaux alliés.</p>
<p>Via ses réseaux de recrutement – et <a href="https://jamestown.org/program/uyghur-militants-in-syria-the-turkish-connection">certains</a> disent d’appuis en Turquie –, le mouvement a bénéficié d’un afflux important de recrues venues des diasporas de Turquie, d’Asie centrale, du monde arabe et surtout de réfugiés ouïghours fuyant le Xinjiang.</p>
<p>Après s’être illustré dans la <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-32461693">capture de la ville de Jisr al-Shugur</a>, dans la région d’Idlib, la brigade du PIT a fait de ce territoire sa principale base.</p>
<p>Changeant d’échelle, le mouvement compterait, selon les estimations de l’<a href="https://www.cacianalyst.org/publications/analytical-articles/item/13438-central-asian-militants%E2%80%99-shifting-loyalties-in-syria-the-case-of-the-turkistan-islamic-party.html">analyste américain Jacob Zenn</a>, de plusieurs centaines à plus d’un millier d’individus.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/225723/original/file-20180702-116152-1ihnlu7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/225723/original/file-20180702-116152-1ihnlu7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/225723/original/file-20180702-116152-1ihnlu7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/225723/original/file-20180702-116152-1ihnlu7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=480&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/225723/original/file-20180702-116152-1ihnlu7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/225723/original/file-20180702-116152-1ihnlu7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/225723/original/file-20180702-116152-1ihnlu7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=603&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le nombre de radicalisés reste mal connu dans une société ouïghoure peu encline à défendre l’établissement d’un État islamique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/prestonrhea/5016403587/">Preston Rhea/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Le PIT, contrairement à d’autres mouvements djihadistes, est resté fidèle à son alliance avec les réseaux d’Al-Qaïda et aux talibans suite aux dissensions apparues entre les deux grandes franchises du djihadisme international en 2014. Quelques Ouïghours ont été recrutés dans les rangs de Daech mais la plupart ont été utilisés comme chair à canon, et ont péri ou déserté.</p>
<p>Sans « véritable concurrence », le mouvement capitalise la communication et les réseaux qu’il développe dans le cadre de sa participation active aux opérations militaires dans le nord-ouest de la Syrie. Alors que plusieurs de ses cadres sont ou ont été membres du directoire d’Al-Qaïda, il est désormais un mouvement reconnu au son sein.</p>
<p>Cependant, sa difficulté à se projeter au Xinjiang ne fait pas de lui un véritable facteur de déstabilisation. C’est finalement sa dimension internationale qui en fait une menace croissante contre des intérêts chinois de plus en plus globalisés, grâce, en partie, aux insatiables nouvelles routes de la Soie.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est publié dans le cadre des activités de la <a href="http://www.fmsh.fr/fr/recherche/24279">Plateforme Violence et sortie de la violence</a> (FMSH), dont The Conversation France est partenaire.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98889/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rémi Castets a reçu des bourses d'études de Fondation nationale des sciences politiques, du Ministère des Affaires étrangères, du Gouvernement chinois, du CEFC, de la Chancellerie des universités de Paris.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sylvain Antichan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Certains parmi les Ouïghours, censurés politiquement et religieusement par la Chine, se tournent vers la violence radicale et le djihad.Rémi Castets, Maître de conférence, laboratoire TELEM, Université Bordeaux MontaigneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/981032018-06-13T22:50:05Z2018-06-13T22:50:05ZMondial 2018 : quand la fête vire au nationalisme, au racisme et à la xénophobie<p>Le premier match de la Coupe du monde de football 2018 aura lieu, à Moscou, ce jeudi 14 juin. Comme il se doit, il opposera au Stade Loujniki entièrement rénové pour la circonstance le pays hôte, la Russie, à l’Arabie saoudite en match de poule. Nul doute, à cette occasion, que les 81 000 places de ce stade sont occupées, même si l’enjeu est inexistant et l’issue de la rencontre certaine.</p>
<h2>Le sport planétaire par excellence</h2>
<p>Il est des événements sportifs qui drainent les foules. La Coupe du monde est de ceux-là. Rassemblant, à chaque édition, environ 3 milliards de téléspectateurs, il s’agit du second événement sportif le plus diffusé et… regardé au monde derrière les Jeux olympiques d’été, mais devant, respectivement le Tour de France, les Jeux olympiques d’hiver, la Ryder Cup et… la Coupe du monde de cricket !</p>
<p>Depuis des semaines, les médias de tous les pays évoquent l’événement, rappellent les équipes qualifiées, établissent des pronostics, diffusent des images des douze sites, totalement réhabilités ou construits pour l’occasion, qui accueilleront la compétition, vantent les villes hôtes et l’occasion d’allier tourisme et football – un simple détour par le <a href="https://fr.fifa.com/worldcup/">site officiel</a> permet de s’en rendre compte – dans un pays « qui sait recevoir », décrivent avec force détails les équipes et les joueurs qui les composent. Sans oublier d’insister sur l’aspect festif et rassembleur de cet événement planétaire.</p>
<p>Car le football est bien le sport le plus populaire au monde. Pratiqué sur toute la planète, que ce soit en club ou plus simplement dans la rue : chacun peut jouer au football, même sans équipement particulier, quel que soit son âge, son sexe ou son niveau. Un ballon, une balle ou une boîte de conserve suffisent pour organiser une rencontre. La pratique du football, longtemps réservée aux hommes, s’est lentement ouverte aux femmes, et surtout les publics se sont féminisés.</p>
<p>La simplicité du jeu a fait du football le <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Decouvertes-Gallimard/Decouvertes-Gallimard/Culture-et-societe/La-Balle-au-pied">sport populaire par excellence</a>, bien avant que les médias ne s’en emparent ou que les industriels et les marques ne l’utilisent comme vecteur de vente. Il est tout simplement devenu, comme le suggère Christian Bromberger <a href="https://www.amazon.fr/Football-bagatelle-plus-s%C3%A9rieuse-monde/dp/2227137584">« la bagatelle la plus sérieuse du monde »</a>.</p>
<h2>La « bagatelle la plus sérieuse du monde »</h2>
<p>« Bagatelle la plus sérieuse du monde », car le jeu draine <a href="https://theconversation.com/football-la-ligue-1-vaut-elle-vraiment-1-2-milliard-97585">des droits télévisuels en expansion</a>, attirant des sponsors qui investissent d’une manière qui frise la démesure et engendrant la vente massive de produits dérivés.</p>
<p>Le football, c’est aussi l’image d’un club ou d’une ville. Dans le cadre de la coupe du monde, c’est l’image d’un pays, le pays hôte qui est en jeu. La compétition, l’intensité de la fête, la qualité de l’organisation et l’efficacité de la sécurité servent en effet de vitrine au pouvoir en place et aux idéologies. La Coupe du monde football, est donc tout à la fois une opération marketing et une démonstration de force politique que <a href="http://www.lcdpu.fr/livre/?GCOI=27000100597120">Jean‑Marie Brohm</a> a décrite depuis fort longtemps.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/222847/original/file-20180612-112605-u6jt5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/222847/original/file-20180612-112605-u6jt5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/222847/original/file-20180612-112605-u6jt5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/222847/original/file-20180612-112605-u6jt5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/222847/original/file-20180612-112605-u6jt5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/222847/original/file-20180612-112605-u6jt5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/222847/original/file-20180612-112605-u6jt5x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Finale de la Coupe du monde 2014, vue de Berlin.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/en/world-cup-finals-football-soccer-594622/">Pixabay</a></span>
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<p>« Bagatelle la plus sérieuse du monde », car le football rassemble en un même lieu, physique (le stade) ou médiatique (télévision, réseaux sociaux) des milliers d’individus pour mieux les opposer… Tous commenteront les rencontres, discuteront les actions de jeu et remettront en cause les décisions de l’arbitre ; tous parleront des joueurs dont ils classeront les mérites ; tous contesteront ou, au contraire, salueront, les décisions des sélectionneurs – que ce soit en termes de choix stratégiques et tactiques ou de composition d’équipe.</p>
<h2>L’envers du décor</h2>
<p>Ces enthousiasmes et élans festifs pourraient nous faire oublier l’envers du décor : le nationalisme, le racisme et la xénophobie qui entourent les rencontres et dont témoignent les actes de certains spectateurs et supporters. Nationalisme, racisme et xénophobie qui ne s’expriment pas seulement en mots ou en borborygmes, à l’image des cris de singes destinés aux joueurs noirs, mais qui dégénèrent très souvent en violences extrêmes, rarement retransmises par les télévisions. Non que le football et la Coupe du monde soient intrinsèquement porteurs de ces dérives, mais ils en sont des théâtres d’expression privilégiés.</p>
<p>En s’identifiant à leur équipe et à leur pays, certains spectateurs et supporters témoignent de manière inacceptable, c’est incontestable, des transformations sociales et sociétales de leur pays. Il s’agit, tout à la fois, d’une revanche et d’une contestation sociale face aux transformations d’une société qu’ils rejettent ou dans laquelle ils ne trouvent pas ou plus leur place.</p>
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<p>Il ne faut pas surcharger de sens ces manifestations racistes, xénophobes et/ou nationalistes mais bien sérier les phénomènes pour mieux agir. Disant cela, il n’est nullement question d’amoindrir, justifier ou soutenir ce qui est – et doit rester – de l’ordre de l’inqualifiable et de l’inacceptable, dans tous les cas, et sans aucune restriction.</p>
<p>Il s’agit simplement d’objectiver et d’analyser ces phénomènes, pour mieux les comprendre et les prévenir. Car ce qui relève en apparence de la même expression, du même affichage (démonstrations racistes et xénophobes), ne renvoie cependant ni aux mêmes soubassements, ni aux mêmes finalités. <a href="https://www.amazon.fr/larmes-Marianne-Comment-devient-%C3%A9lecteur/dp/2200267037">Comprendre n’est donc en rien accepter</a>, mais doit, en fait, permettre d’adapter les réponses politiques et sociales afin de tenter de <a href="http://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Racisme_et_modernite-9782707121905.html">se prémunir</a> de <a href="https://wieviorka.hypotheses.org/75">ces violences</a>. </p>
<h2>Exubérances et vociférations</h2>
<p>Si certaines de ces violences ne sont que des exubérances et des vociférations dont le sens échappe à maints supporters, capables d’encourager dans le même temps les joueurs noirs de leur équipe et de faire le cri du singe à l’encontre de ceux de l’équipe adverse, d’autres s’ancrent dans un racisme confirmé par des engagements politiques avérés, utilisant les tribunes, les abords du stade et la rencontre de football comme moyens d’expression d’une idéologie politique.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2008-1-p-147.htm">Ce phénomène d’ancrage</a> est redoutablement simple et mérite pour cela toutes les attentions : aux manifestations racistes et xénophobes non étayées par un quelconque ancrage politique qui se manifestent dans maints stades, peuvent insensiblement se substituer des comportements beaucoup plus dangereux, agrégeant dans un processus spiralaire : la manifestation d’idéologie politique, comme ce fut le cas à la Lazio de Rome ; l’instrumentalisation de supporters par des partis politiques d’extrême droite, comme en Hongrie, voire la porosité entre ces mêmes partis et les groupes de supporters, pour en arriver finalement à l’expression d’un nationalisme exacerbé dans lequel se mélangent et se confondent rejet et haine de l’autre (un « autre » forcément différent de moi, et responsable de la situation sociale et économique), désir d’exister, réactivation des antagonismes historiques et nationalistes, maux divers et variés pour lesquels une victime émissaire devient nécessaire.</p>
<p>On peut en arriver alors, à l’instar de l’ex-Yougoslavie, comme dans le cas de l’Obilic de Belgrade, à la transformation d’un groupe de supporters nationalistes, en une milice paramilitaire mortifère dirigée par leur leader : Arkan. Bien sûr ce modèle spiralaire ne s’appliquera pas à tous, bien évidemment tous ceux qui pousseront le cri du singe ne finiront pas nationalistes et génocidaires. Mais il est probable, à l’inverse, que ceux qui ont commis ces atrocités ont commencé par des faits jugés bénins.</p>
<h2>Un « laboratoire social »</h2>
<p>Si leur expression est éminemment condamnable, il faut observer et accepter, en tant que gestionnaire d’un pays ou d’un sport, que le football puisse devenir une sorte de « laboratoire social ». Quand l’économie se transforme radicalement au point de laisser pour compte une partie de sa population, la visibilité de la réaction (violence, revendications politiques extrémistes) devrait devenir un signal politique compris et perçu par les gouvernants.</p>
<p>Dire cela ne revient pas à affirmer qu’il faut laisser s’installer les idéologies racistes, xénophobes et violentes dans les tribunes, mais simplement accepter l’idée qu’il est sans doute mieux pour la société de les voir s’exprimer dans un espace clos, réglementé et structuré (le stade) que dans la rue, et qu’il est essentiel de pouvoir observer ainsi, avant que le malaise ne s’installe définitivement ou de manière plus cruciale au sein de la société, la <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2008-1-p-147.htm">déstructuration sociale</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/98103/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>En s’identifiant à leur équipe et à leur pays, certains spectateurs et supporters témoignent, de manière inacceptable, des transformations sociales et sociétales de leur pays.Dominique Bodin, Professeur des Universités en sociologie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Luc Robène, Professeur des Universités en Sciences de l’Éducation, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/975732018-06-10T20:24:33Z2018-06-10T20:24:33ZLes deux corps de Philip Roth<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/221265/original/file-20180531-69514-1317t9k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=14%2C23%2C1982%2C1973&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Philip Roth.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.newarkhappening.com/listings/philip-roth/1003/">Newark happening</a></span></figcaption></figure><p>L’annonce de la mort de Philip Roth a trouvé un <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/la-dispute/arts-plastiques-enfers-et-fantomes-dasie-au-fil-du-siecle-1918-2018-les-chefs-doeuvre-de-la">immense écho dans les médias français</a> ; sa résonance s’est prolongée bien au-delà du spectre, très large, de son lectorat. La richesse des thématiques et des sujets ; la complexité des structures narratives et la diversité des registres d’écriture (comique, dramatique, épique, chronique…) donnent à son œuvre une place centrale dans la littérature de la seconde moitié du XX<sup>e</sup> et du début de ce siècle.</p>
<h2>Diversité et dédoublement</h2>
<p>L’œuvre de Roth est structurée par la diversité et le dédoublement. Diversité des sources, des thématiques et des sujets qui confrontent la vie intérieure et intime des personnages aux secousses et aux troubles d’une Amérique urbaine dans la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle. Dédoublement des personnages qui, à partir de la « cellule souche » qu’est Philip Roth, se présentent comme autant de figures de fiction générées par le cheminement de l’auteur dans une galerie de glaces parallèles et déformantes. L’écriture de Roth crée des fictions qui éclairent l’expérience commune ; son œuvre tient son unité des expériences de vie de personnages dont la matrice comportementale est celle d’un intellectuel (écrivain, professeur, marionnettiste…) de la classe moyenne juive.</p>
<p>À sa parution, en 1969, <em>Portnoy et son complexe</em> fut qualifié par le magazine <em>Life</em>, d’« événement majeur dans la culture américaine ». Ce roman comique et subversif, dans une époque où la jeunesse allait remettre à en cause les règles, les comportements, les autorités qui s’opposaient à l’expression du désir et de la liberté fut pour Roth un acte d’écriture iconoclaste : « Je renversais mon éducation littéraire, je renversais mes trois premiers livres », <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Hors-serie-Litterature/Roth-delivre">déclarait-il dans une interview</a>.</p>
<p>Un humour ravageur conduit Roth, en prologue au roman, à attribuer la définition du « complexe de Portnoy » à un psychanalyste imaginaire, auteur d’un article, tout aussi fictif, « Le pénis perdu ». Les troubles névrotiques caractéristiques de ce « complexe » seraient le produit d’un perpétuel conflit « entre de vives pulsions d’ordre éthique et d’irrésistibles exigences sexuelles souvent de tendance perverse ».</p>
<p>Ainsi le récit romanesque qui semblait décrire le soubassement de la mythologie judéo-américaine de la mère juive – si présente dans le cinéma, le cabaret et le théâtre –, acquiert une dimension structurelle universelle. Le complexe de Portnoy étant le pendant inversé du complexe d’Œdipe. La « farce juive », vécue et racontée par le héros de Roth à son psychanalyste, est en réalité une machine génératrice de culpabilité. La mère juive est le prototype d’autres mères « monstrueuses », d’autres traditions culturelles et d’autres destinées collectives, dont l’angoisse pour la vie de leurs enfants fait d’eux des hommes immatures. Le roman de Roth est un récit délirant, produit d’une mécanique désirante libérée par l’écriture. Il a fallu du temps à Roth, comme il l’explique lui-même, dans un essai daté de 1974, pour ancrer la figure maternelle <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Du-monde-entier/Du-cote-de-Portnoy-et-autres-essais">« dans le reconnaissable, le vérifiable, l’historique »</a>, c’est-à-dire dans les cuisines et les salles de bains de Newark, sa ville natale.</p>
<p>Le développement économique et social d’une petite bourgeoisie intellectuelle, celle de sa ville natale de Newark en particulier, s’est trouvé confronté aux dérèglements et aux dérives de la société américaine illustrés par le maccarthysme et la guerre du Vietnam. Dans les années d’après-guerre, Newark juxtaposait des communautés diverses regroupées dans des lieux qui, selon Roth, pouvaient donner l’impression qu’on vivait « dans une Europe miniature, une Europe qui bouillonnait à petit feu ».</p>
<h2>Un combat entre lui et le monde</h2>
<p>Comme Kafka qu’il admirait, sa dualité s’exprime dans une double position à l’égard du monde : lutter contre lui (par l’écriture ?) et l’aider à se défendre. Comme tout écrivain, il a pu se sentir différent du commun des hommes et contraint d’affirmer sa singularité. Celle-ci se vivait dans une passion exclusive pour la littérature : il ne pouvait être autre chose qu’écrivain, affirmait-il. L’écriture, comme pour Kafka, avait chez lui, une fonction de réduction de la distance entre son monde et la réalité. Et peut-être, tout comme Kafka, pouvait-il penser dans les dernières années de sa vie, que la littérature, en l’enfonçant dans l’isolement, avait pu le détourner <a href="http://www.livredepoche.com/journal-franz-kafka-9782253029823">« de la joie de vivre d’un homme sain et utile »</a>.</p>
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<p>La dualité, ce combat entre lui et le monde, se concrétise dans sa personnalité et son expression littéraire que Marc Weitzman qualifie de « mélange d’une grande sophistication et de la plus grande spontanéité ». Par exemple, sa sensibilité musicale pouvait osciller entre la démesure, qui en faisait un « fan » de Jimi Hendrix et la rigueur qui se manifestait dans sa passion pour la musique de chambre ou encore dans ses goûts littéraires partagés entre la sophistication de Henry James et la simplicité d’un Walt Whitman. L’espace littéraire de Roth voit se croiser une composante lumineuse et une composante sombre qui construisent ces grands romans tragiques de la trilogie dont <em>Pastorale américaine</em> fait partie avec <em>J’ai épousé un communiste</em> et <em>La Tache</em>.</p>
<p>Le dédoublement des personnages s’épanouit sur une grande partie de l’œuvre (sept romans) avec le héros récurrent, Nathan Zuckerman ou encore avec un personnage de fiction qui vient, comme dans Opération Shylock, s’imposer au vrai Philippe Roth et prendre sa place. Dans La Contrevie, ce roman que Josiane Savigneau qualifie de « chef d’œuvre de construction narrative, d’humour et d’interrogation sur l’identité », Zuckerman se fabrique une autre vie, sa « contrevie ». Il déconstruit et recompose son identité. Le récit de fiction et l’écriture ont pris le pouvoir et s’imposent au lecteur. C’est en cela que Roth est résolument moderne. Le personnage dans ses multiples facettes n’est pas seulement le sujet du roman, il est aussi cet artefact qui permet de s’interroger sur l’art du roman.</p>
<p>Clement Greenberg, le grand critique d’art américain, affirmait dans <a href="http://www.editionsmacula.com/livre/17.html"><em>Art et Culture</em></a> que la conscience de soi caractérisait la modernité : l’art d’inspiration moderniste s’interrogeant sur lui même.</p>
<h2>Les deux corps de l’écrivain</h2>
<p>En annonçant à l’automne 2012, qu’il mettait fin à son activité d’écrivain, Philip Roth, selon les mots de Josiane Savigneau, est devenu « posthume de son vivant ». La personne de l’écrivain a quitté le monde des vivants, celui de ses lecteurs. Le corps de l’écrivain, celui qui debout, devant son pupitre écrivait ses livres, n’est plus. En revanche, son autre corps – celui qui est constitué par l’œuvre, et qui se présente comme une totalité, est vivant dans ses livres et ses personnages de fiction. Ce qui est en question ici est la souveraineté de l’écriture et sa place dans la littérature.</p>
<p>La nature et le destin littéraire de l’œuvre de Roth autorisent alors à transposer la <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Histoires/Les-Deux-Corps-du-Roi">distinction que le philosophe polonais Kantorowicz établissait</a>, à propos de la personne et de la responsabilité royale.</p>
<p>Les théologiens du Moyen Âge distinguaient le corps terrestre et mortel du roi du corps politique et immortel. La formulation des deux corps du roi était une pensée de la communauté constituée par le royaume.</p>
<p>Le concept des deux corps peut s’appliquer aux auteurs qui ont imposé leur marque dans la littérature mondiale. <a href="https://editions-verdier.fr/livre/corps-du-roi/">Pierre Michon</a>, à propos de Beckett, est le premier qui effectue le déplacement de l’ordre du pouvoir politique à l’ordre du pouvoir de l’écriture.</p>
<p>Et il ne s’agit pas seulement d’une métaphore. Cette transposition est légitime dans le cas d’écrivains comme Shakespeare, Joyce, Kafka ou encore Beckett… Ils occupent un « trône » que rien ni personne ne peut leur disputer. C’est à propos d’une photo de Beckett que Michon voit « l’apparition simultanée du corps de l’auteur et de son incarnation ponctuelle, le verbe vivant… ». Dans le même moment, où se révèle la photo de l’homme nommé Beckett, apparaît « le portrait du roi, la littérature en personne ». Michon dans sa rêverie poétique, prête à Beckett cette pensée : « Je suis le texte, pourquoi ne serais-je pas l’icône. Je suis Beckett, pourquoi n’en aurais-je pas l’apparence ? »</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/221263/original/file-20180531-69508-18188d3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/221263/original/file-20180531-69508-18188d3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/221263/original/file-20180531-69508-18188d3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/221263/original/file-20180531-69508-18188d3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/221263/original/file-20180531-69508-18188d3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=901&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/221263/original/file-20180531-69508-18188d3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/221263/original/file-20180531-69508-18188d3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/221263/original/file-20180531-69508-18188d3.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1133&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La couverture du livre de Claudia Roth Pierpoint.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Farrar, Straus et Giroux.</span></span>
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<p>On pourrait en dire autant des portraits de Roth qui figurent sur les couvertures des livres de Josyane Savigneau et de Claudia Roth Pierpoint. Dans le premier, le regard proche et lointain de Roth semble traverser celui du « regardeur » pour l’interpeller avec les mots de Baudelaire : « Hypocrite lecteur – mon semblable – mon frère ! ». Dans le second, Roth saisi en contre-plongée, dans une position de maîtrise qui n’exprime aucune supériorité, semble considérer les « petits hommes » que nous sommes, ses lecteurs, ses semblables, avec étonnement et détachement.</p>
<h2>Aporie apparente</h2>
<p>L’art de Roth est profondément nourri par sa vie. Comme il l’écrit dans <em>Zuckerman délivré</em>, « La fiction n’est pas autobiographique et, pourtant, toute fiction, j’en suis convaincu, s’ancre de quelque façon dans l’autobiographique, encore que les liens avec les faits réels puissent être des plus ténus, voire même inexistants. Nous sommes, après tout, la totalité de nos expériences et l’expérience inclut non seulement ce que nous faisons, mais aussi ce que nous imaginons ».</p>
<p>Juif américain, Roth détestait être considéré comme un « écrivain juif américain ». Cette double affirmation est problématique ; elle peut plonger le lecteur de Roth dans l’embarras. Cette aporie n’est pas une contradiction logique : elle est illustrative de la souveraineté de Roth. Américain, il l’est par la langue, l’éducation, les thèmes, les références littéraires, les préoccupations formelles… Il se veut écrivain américain, tout en étant reconnaissant qu’une grande partie de son imaginaire est traversé par l’expérience de la judéité. L’exergue de son premier ouvrage, <em>Goodbye Columbus</em>, constitué de six nouvelles est un proverbe yiddish, « The heart is half a prophet ». Roth raconte que Saul Bellow, écrivain qu’il admirait, fut pour lui, le libérateur des limites de la tradition littéraire juive. Le roman de son aîné, <em>Les Aventures de Augie March</em>, lui ouvrit les yeux sur « le genre de littérature qu’un juif pouvait écrire sur les juifs : exubérante, moderne, consciente ». La leçon qu’il en retint, ainsi que de la lecture de Malamud, était que « l’expérience juive pouvait être transformée en littérature américaine ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/221262/original/file-20180531-69487-1b662d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/221262/original/file-20180531-69487-1b662d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/221262/original/file-20180531-69487-1b662d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/221262/original/file-20180531-69487-1b662d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=882&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/221262/original/file-20180531-69487-1b662d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1109&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/221262/original/file-20180531-69487-1b662d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1109&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/221262/original/file-20180531-69487-1b662d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1109&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Couverture du livre de Josyane Savigneau.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Gallimard</span></span>
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<p>La résolution par l’écriture de l’apparente aporie est précisément ce qui institue l’existence des deux corps de Roth. Son identité complexe et singulière s’est cristallisée dans une figure qui règne sur le monde du roman moderne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/97573/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Je suis président de l'association CDJSFA — Centre de jeunes et de séjour au festival d'Avignon — qui regroupe : une association d'éducation populaire, les CEMÉA —Centres d'entraînement aux méthodes éducatives et artistique —, le Festival d'avignon et la ville d'Avignon.</span></em></p>En annonçant à l’automne 2012, qu’il mettait fin à son activité d’écrivain, Philippe Roth, selon les mots de Josiane Savigneau, est devenu « posthume de son vivant ».Jean Caune, Professeur émérite en sciences de la communication, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/965452018-05-15T21:03:52Z2018-05-15T21:03:52ZL’islam au cœur de la quête identitaire du Pakistan<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/218759/original/file-20180514-178757-11604or.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C80%2C2688%2C1436&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Mural in Karachi. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/wasifmalik">Wasif Malik/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>« Un jeune Pashtoun qui refuse de se taire ». C’est en ces termes que <em>Times of India</em> a <a href="https://timesofindia.indiatimes.com/world/pakistan/pakistan-pashtun-rights-movement-grows-defying-military/articleshow/63889944.cms">récemment décrit</a> Manzoor Pashteen. Cet activiste de 26 ans <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Moyen-Orient/Pakistan-reveil-peuple-pachtoune-2018-04-25-1200934350?id_folder=1200824494&from_univers=lacroix&position=0">dénonce les exactions commises par l’armée pakistanaise</a> et son rôle présumé dans la disparition de milliers de Pashtouns, une ethnie du nord-ouest du Pakistan. Le week-end du 21 et 22 avril, <a href="http://www.bbc.com/news/world-asia-43827660">des millions de personnes se sont rassemblées à Lahore</a>, défiant les autorités et l’armée, qu’elles ont accusé de collusion avec des groupes extrémistes islamistes.</p>
<p>Pourquoi les propos de Manzoor Pashteen sont-ils relayés par tant d’autres Pakistanais aujourd’hui ? Peut-être parce qu’on a souvent cru, à tort, que le pays était exclusivement bâti sur une identité nationale islamique, au mépris du multiculturalisme et du rôle controversé de l’islam dans la définition de cette identité.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/EliocH-sCBs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Dans cette vidéo diffusée en mars la foule acclame la « rock star » des activistes, Manzoor Pashteen.</span></figcaption>
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<h2>Le tout premier État musulman</h2>
<p>Créé en 1947, le Pakistan est le premier État musulman défini comme tel (c’est, avec Israël, l’un des deux seuls cas de nationalisme religieux des temps modernes).</p>
<p>Cependant, bien que l’islam soit clairement reconnu comme religion officielle dans la constitution, son rôle dans la vie de la nation reste très controversé, et le restera probablement au XXI<sup>e</sup> siècle. L’explication réside dans l’<a href="https://www.hurstpublishers.com/book/making-sense-of-pakistan/">histoire du pays</a>, une histoire chargée d’incertitudes sur la prépondérance de l’islam dans la <a href="https://www.brookings.edu/book/the-idea-of-pakistan/">définition même du Pakistan</a>.</p>
<p>La question centrale est de savoir si (a) le Pakistan a été conçu comme une <a href="http://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674979833">patrie sûre pour les musulmans</a>, libérée de la domination de la majorité hindoue dans l’Inde indépendante ou si (b) il répondait au désir de voir naître un <a href="http://admin.cambridge.org/academic/subjects/history/south-asian-history/creating-new-medina-state-power-islam-and-quest-pakistan-late-colonial-north-india">État régi par la loi islamique</a>, où le Parlement et le peuple seraient assujettis à la volonté de Dieu par l’entremise d’une élite religieuse.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ZAx3cxLVAI0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Discours de Muhammad Ali Jinnah sur la création du Pakistan, en 1946.</span></figcaption>
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<p>Au Pakistan, instrumentaliser le langage de l’islam dans un but politique est devenu une habitude chez certains partis se disant laïcs, comme le <a href="https://books.google.fr/books?id=dObxI9xahSYC&pg=PA159&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false">Parti du peuple pakistanais</a> (dirigé au fil des années par différents membres de la <a href="https://journals.openedition.org/echogeo/2663">famille Bhutto</a>) et, dans une moindre mesure, le <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Muttahida_Qaumi_Movement">Muttahida (ex-Mohajir) Qaumi,</a> ou Mouvement national uni. Cette tendance aggrave la confusion parmi les citoyens et brouille encore plus les frontières entre des visions politiques concurrentes.</p>
<p>Faute d’un véritable consensus autour de la notion d’« islam » – en <a href="http://books.openedition.org/editionsmsh/4708">tant que foi, culture ou idéologie</a> –, la définition de l’identité pakistanaise et de sa relation à la religion musulmane reste problématique.</p>
<h2>Des minorités au sein de la majorité</h2>
<p>À première vue, le Pakistan, avec sa population remarquablement homogène (elle est composée à près de 97 % de musulmans), semble être à l’abri de toute discorde en ce qui concerne le lien entre islam et l’État. Pourtant, la division sectaire entre la majorité sunnite et la minorité chiite du pays, <a href="https://www.zmo.de/Dietrich/Sectarianism.pdf">qui s’est accrue avec le temps</a>, démontre le contraire.</p>
<p>Le problème est apparu dans les années 1980 lorsque les chiites, qui représentent environ 25 % de la population (et constituent la deuxième plus grande communauté chiite au monde, après celle de l’Iran) se sont mis à soupçonner l’État de s’être engagé dans un processus de « sunnitification » du pays, sous couvert d’islamisation, à travers la promotion d’une identité sectaire distincte auprès de la majorité sunnite et la mise en place de politiques fondées sur une <a href="http://press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/P/bo20851120.html">interprétation sunnite de la loi islamique.</a></p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-minorites-musulmanes-et-issues-de-lislam-histoire-dune-non-reconnaissance-93835">Les minorités musulmanes et issues de l’islam : histoire d’une non-reconnaissance</a>
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<p>Depuis, le <a href="https://www.hrw.org/news/2014/07/07/pakistans-shia-under-attack">nombre croissant d’attaques contre les chiites</a> par des groupes acquis à la cause d’un État pakistanais sunnite dans lequel la population chiite serait considérée comme une minorité non-musulmane alimente la crainte que les chiites soient un jour relégués au rang de citoyens de seconde zone.</p>
<p>Ces inquiétudes ne sont pas sans fondement. En 1974, un <a href="http://www.pakistani.org/pakistan/constitution/amendments/2amendment.html">amendement à la Constitution</a>, toujours en vigueur, a privé la minorité religieuse ahmadi de son statut musulman, <a href="http://www.anthempress.com/the-ahmadis-and-the-politics-of-religious-exclusion-in-pakistan">restreignant du même coup ses droits civiques.</a></p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/217011/original/file-20180501-135837-1w5udk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/217011/original/file-20180501-135837-1w5udk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=866&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/217011/original/file-20180501-135837-1w5udk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=866&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/217011/original/file-20180501-135837-1w5udk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=866&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/217011/original/file-20180501-135837-1w5udk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/217011/original/file-20180501-135837-1w5udk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/217011/original/file-20180501-135837-1w5udk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1088&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mirza Ghulam Ahmad (13 février 1835–26 mai 1908), religieux indien fondateur du mouvement ahmadi (vers 1897).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Mirza_Ghulam_Ahmad#/media/File:Mirza_Ghulam_Ahmad_(c._1897).jpg">Makhzan-e-Tasaweer/Wikimedia</a></span>
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<p>Cette mesure a rendu les ahmadis vulnérables aux agressions perpétrées par d’autres musulmans, sunnites comme chiites. Ils se considèrent pourtant comme musulmans et continuent de croire en l’islam. Mais ils ne s’identifient ni aux chiites ni aux sunnites.</p>
<p>Ils appartiennent à une secte messianique apparue au XIX<sup>e</sup> siècle au Penjab (région alors sous domination britannique) sous l’impulsion d’un réformateur local, <a href="https://www.britannica.com/biography/Mirza-Ghulam-Ahmad">Mirza Ghulam Ahmad</a>. Le statut de prophète-messie dont il jouit parmi ses adeptes explique l’accusation d’hétérodoxie portée contre les ahmadis (qui la réfutent) et les <a href="https://www.reuters.com/article/us-pakistan-election-ahmadis/pakistans-long-persecuted-ahmadi-minority-fear-becoming-election-scapegoat-idUSKBN1DG04H">mesures discriminatoires</a> de l’État à leur encontre.</p>
<h2>Des minorités au statut précaire</h2>
<p>La notion même d’islam étant violemment remise en question, le statut des autres religions et minorités est devenu encore plus précaire. Les petites minorités chrétiennes et hindoues, concentrées dans les provinces du Penjab et du Sindh, ont vu leurs droits se réduire comme peau de chagrin sur fond de débat sur le rôle de l’islam et sa capacité à garantir l’égalité de tous les citoyens.</p>
<p>De récentes <a href="https://www.la-croix.com/Monde/Asie-et-Oceanie/Les-fanatiques-anti-blaspheme-mobilisent-Pakistan-2016-03-28-1200749543">lois anti-blasphème extrêmement strictes</a>, destinées à défendre la sainteté et la réputation du prophète Mahomet, ont suscité la controverse et aggravé ces inquiétudes car elles visent les minorités non-musulmanes. Ces dernières sont ainsi accusées d’enfreindre la loi, ce qui <a href="https://theconversation.com/pakistans-outdated-blasphemy-laws-are-not-fit-for-the-21st-century-77515">sème le doute</a> sur la capacité du Pakistan à tenir son rôle d’État-nation, adapté aux enjeux du XXI<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Les tensions inhérentes à ces mesures se font particulièrement sentir pour les minorités régionales, qui sont en outre confrontées aux mêmes problèmes que d’autres minorités religieuses au Pakistan.</p>
<p>C’est le cas des chiites hazâra de la province du Balouchistan. Ils font depuis longtemps l’objet d’une campagne de nettoyage ethnique et de persécutions religieuses orchestrées par des groupes militants sunnites. Ces derniers cherchent à promouvoir une politique sectaire anti-chiite et encouragent les préjugés sous-entendant que les <a href="https://thediplomat.com/2013/07/the-plight-of-the-hazaras-in-pakistan">hazâra</a> seraient des agents de l’Iran.</p>
<h2>Une famille qui se déchire</h2>
<p>Mais le combat autour de l’islam et de sa place dans la définition de l’identité nationale pakistanaise va bien au-delà du schisme entre sunnites et chiites.</p>
<p>Les divergences doctrinales au sein de la majorité sunnite ne sont pas moins importantes. Deux conceptions opposées de l’islam et de sa relation à l’État ont ainsi causé de profondes fractures entre les courants dits <a href="http://www.karthala.com/science-politique-comparative/2444-soufisme-et-politique-au-pakistan-le-mouvement-barelwi-a-l-heure-de-la-guerre-contre-le-terrorisme.html">barelvis</a> et <a href="https://www.palgrave.com/us/book/9781349949656">deobandis.</a></p>
<p>Les premiers, majoritaires parmi les sunnites du Pakistan, sont très présents sur de vastes portions du territoire, en particulier dans les zones rurales, où ils entretiennent un lien étroit avec les sanctuaires soufis locaux. Toutefois, comparés à leurs rivaux, les sunnites deobandis, ils ont relativement peu contribué à modeler les contours de l’État pakistanais.</p>
<p><a href="https://www.franceculture.fr/emissions/cultures-dislam/dimensions-politiques-du-soufisme">Les divergences de point de vue</a> entre ces deux groupes portent principalement sur la place de l’intercession dans la pratique de la religion, les barelvis mettant l’accent sur le rôle des médiateurs spirituels et la dévotion personnelle envers le prophète Mahomet, tandis que les deobandis privilégient la responsabilité individuelle et les pratiques religieuses conformes à la sharia.</p>
<p>Depuis le début du XXI<sup>e</sup> siècle, cependant, des groupuscules barelvis ont adopté une politique plus musclée pour forcer l’État à imposer une définition de plus en plus rigoriste de ce qu’est un musulman, dans le but de durcir le profil islamique du Pakistan.</p>
<p>L’exemple le plus récent date de la fin 2017, quand des barelvis partisans de la ligne dure ont poussé le <a href="http://indianexpress.com/article/opinion/columns/pakistan-protests-tehreek-e-labaik-return-of-a-spectre-called-blasphemy-4974379">ministre de la Justice à démissionner en l’accusant de blasphème</a>, sous le prétexte qu’il aurait cherché à affaiblir la profession de foi imposée aux musulmans en modifiant les termes d’une nouvelle loi électorale.</p>
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<figcaption><span class="caption">Les lois sur le blasphème au Pakistan, France 24.</span></figcaption>
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<p>Si le pouvoir politique des barelvis doit encore être consolidé, celui des deobandis est déjà bien établi. Leur influence <a href="https://cup.columbia.edu/book/islamist-networks/9780231133654">s’est considérablement développée dans les années 1980</a> lorsque des organisations deobandis ont reçu le soutien financier de l’État pour avoir contribué à l’expansion de la politique djihadiste du Pakistan en Afghanistan et servi de bras armé à l’État contre les <a href="https://theconversation.com/global/topics/kashmir-9419">troupes indiennes au Cachemire</a>.</p>
<p>Cette position privilégiée a permis aux deobandis de se poser en acteurs majeurs de la scène politique pakistanaise. Ils ont ainsi remporté plusieurs succès notables dans leur quête de faire de l’islam conservateur l’idéologie dominante de l’État.</p>
<h2>« Saouditisation » du Pakistan ?</h2>
<p>Néanmoins, l’exclusivité du duel politique entre les barelvis et les deobandis est régulièrement remise en question par d’autres courants sunnites, y compris les salafistes, connus au Pakistan sous le nom d’<a href="http://www.oxfordscholarship.com/view/10.1093/acprof:oso/9780199333431.001.0001/acprof-9780199333431-chapter-6">Ahl-i-Hadis</a>. Bien que très minoritaires parmi les sunnites pakistanais, ils cherchent eux aussi à convaincre l’État de s’aligner sur leur lecture stricte et littérale de l’islam.</p>
<p>Ce faisant, ils ont orchestré de violentes attaques contre des sanctuaires soufis locaux <a href="https://theconversation.com/why-sufi-shrines-are-targeted-by-islamic-state-73561">qu’ils jugent anti-islamiques</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/217016/original/file-20180501-135848-sml3ub.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/217016/original/file-20180501-135848-sml3ub.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/217016/original/file-20180501-135848-sml3ub.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/217016/original/file-20180501-135848-sml3ub.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=373&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/217016/original/file-20180501-135848-sml3ub.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/217016/original/file-20180501-135848-sml3ub.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/217016/original/file-20180501-135848-sml3ub.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=469&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un sanctuaire à Multan, dédié au célèbre Hazrat Baha-ud-din Zakariya, saint soufi mort en 1257. C’est le plus vieil exemple de décor en céramique bleue du sous-continent indien.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Baha-ud-din_Zakariya_Mazar_Shah_Rukn-e-Alam_tomb_Fort_Multan_Pakistan_Oct_2015_027_(23351168032).jpg">Wasif Malik/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Pour bien comprendre l’influence des Ahl-i-Hadis, il faut prendre en compte les liens exceptionnellement étroits qui existent entre le Pakistan et l’Arabie saoudite, pays à dominance salafiste. Cette relation particulière a gommé la diversité des expressions de l’islam au Pakistan et provoqué un phénomène de <a href="http://eacpe.org/content/uploads/2017/05/Saudization-of-Pakistan-updated.pdf">« saouditisation » du Pakistan</a>.</p>
<p>Autre facteur essentiel, la proximité de la principale organisation Ahl-i-Hadis du pays, <a href="http://carnegieendowment.org/2011/07/19/storming-world-stage-story-of-lashkar-e-taiba-pub-45096">Lashkar-i-Tayyaba</a> (qui opère actuellement sous le nom de Jamaat-ud-Dawa), avec les autorités militaires pakistanaises. Lakshkar-i-Tayyaba est devenu tristement célèbre dans le monde entier pour avoir perpétré les <a href="https://www.brookings.edu/articles/mumbai-terror-attack-group-lashkar-e-tayyiba-now-more-dangerous-than-al-qaeda/">attentats de Bombay en 2008</a>. Cette organisation promeut l’idée d’une identité islamique du Pakistan faisant ainsi écho à l’<a href="https://scroll.in/article/876410/as-nehrus-india-is-undone-by-modi-it-is-becoming-easier-to-see-it-as-pakistans-mirror-image">idée d’une « Inde hindoue »,</a></p>
<h2>De nouvelles divisions</h2>
<p>Ces fractures discursives ont nettement accentué les divergences d’opinions sur la relation putative entre l’islam et l’identité nationale pakistanaise. Même si le 11 septembre a brièvement conduit le Pakistan à tempérer les exhortations privilégiant une interprétation monolithique de l’islam comme base de l’identité du pays, cet épisode éphémère n’a pas permis de dépasser les contradictions fondamentales au cœur du problème.</p>
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<figcaption><span class="caption">Dans le film <em>Khuda Kay Liye</em> (2007), un religieux (joué par l’acteur indien Naseeruddin Shah) tient un discours devenu depuis célèbre sur les dérives de l’islam.</span></figcaption>
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<p>Le XXI<sup>e</sup> siècle a même engendré de nouvelles divisions sur l’identité du Pakistan, nourries par la complexité d’un islam mondialisé. Parmi celles-ci, la plus importante est l’opposition construite entre l’islam dit « extrémiste », dont le Pakistan s’efforce de se distancier, et un <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt2jbww1">islam « modéré », acceptable aux yeux de la communauté internationale</a>, auquel le Pakistan voudrait se rattacher.</p>
<p>L’avenir nous dira si ces récentes tentatives de redéfinir l’identité nationale pour en faire un exemple d’islam « modéré » pourra réduire les fractures du pays sur la question religieuse et apaiser les violents conflits actuels entre différentes visions du Pakistan.</p>
<p>En attendant, le pays et sa population continuent de payer un lourd tribut à l’état d’incertitude chronique née de cette relation épineuse à l’islam.</p>
<hr>
<p><em>Cet article est une version modifiée de celui qui a été publié dans le numéro 38 de Fellows, <a href="http://fellows.rfiea.fr/node/176">« Islam and Identity in 21st-Century Pakistan »</a> (« Islam et identité dans le Pakistan du XXI<sup>e</sup> siècle »). Le <a href="http://rfiea.fr/">Réseau français des instituts d’études avancées</a> (RFIEA) a accueilli plus de 500 chercheurs internationaux depuis 2007.</em></p>
<p><em>Traduit de l’anglais par Iris Le Guinio pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast for Word</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96545/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Farzana Shaikh est Associate Fellow du Royal Institute of International Affairs (Chatham House), Londres.</span></em></p>Le Pakistan, loin d’être exclusivement bâti sur une identité nationale islamique, est une nation au multiculturalisme complexe où la religion joue un rôle controversé.Farzana Shaikh, Professor, Political Sciences, Fellow 2012- IEA de Paris, Institut d'études avancées de Paris (IEA) – RFIEALicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/954542018-04-23T21:06:37Z2018-04-23T21:06:37ZAu Nigeria, sous les conflits « ethniques », une crise environnementale sans précédent<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/215903/original/file-20180423-133876-wiy3tn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=26%2C134%2C5945%2C3312&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La survie du bétail et la répartition des terres sont au cœur des tensions entre bergers et fermiers nigérians. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/native-cattle-walking-along-empty-land-677046721?src=98X0w1I0i9yBHguWMD9n2A-1-1">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Au Nigeria, un conflit majeur oppose bergers nomades et agriculteurs. Ces heurts ont déjà causé la mort de 2 500 personnes, déplacé 62 000 autres et entraîné la perte de <a href="http://www.vanguardngr.com/2017/10/nigeria-loses-13-7bn-annually-farmers-herdsmen-conflicts-says-abdulsalami/">13,7 millions de dollars de recettes</a>. Rien qu’en janvier 2018, le conflit a fait <a href="http://www.amnesty.org/en/latest/news/2018/01/nigeria-dozens-killed-as-military-launches-air-attacks-on-villages-beset-by-spiralling-communal-violence/">168 victimes</a>.</p>
<p>Les bergers sont surtout des Peuls, peuple majoritairement musulman qui vit dispersé en Afrique de l’Ouest. Les agriculteurs sont eux principalement chrétiens. Quand la violence éclate entre ces deux groupes et se concrétise par des destructions symboliques d’églises, rien d’étonnant qu’au Nigeria comme ailleurs, on explique que le conflit est motivé par la <a href="https://theconversation.com/growing-herdsmen-militancy-is-adding-to-west-africas-security-threats-81966">religion et l’origine éthnique</a> des populations qui s’affrontent.</p>
<h2>L’accès aux ressources, le cœur du problème</h2>
<p>Mais quelque chose manque cruellement pour bien comprendre la situation ; et ce quelque chose c’est la situation environnementale du pays. Le Nigeria s’étend sur plus de 1 000 km : le Sud y est verdoyant et tropical tandis que le Nord côtoie le désert du Sahara. Il faut également rappeler que le désert se déplace vers le sud à un rythme de <a href="http://www.fao.org/3/a-av139e.pdf">600 mètres par an</a>. Il y a aussi la situation dramatique du lac Tchad, dans le nord-est du pays, qui est pratiquement asséché.</p>
<p>Les bergers peuls, qui dépendaient autrefois du lac, ont ainsi dû se déplacer vers le sud à la recherche de pâturage et d’eau pour leur bétail. Or plus l’on se dirige vers le sud, plus la population se christianise ; c’est ainsi que des conflits ayant pour cause l’accès aux ressources naturelles prennent des airs de tensions religieuses.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/207542/original/file-20180222-152366-1kqixfh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/207542/original/file-20180222-152366-1kqixfh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/207542/original/file-20180222-152366-1kqixfh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/207542/original/file-20180222-152366-1kqixfh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/207542/original/file-20180222-152366-1kqixfh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/207542/original/file-20180222-152366-1kqixfh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/207542/original/file-20180222-152366-1kqixfh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/207542/original/file-20180222-152366-1kqixfh.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le lac Tchad a perdu 95 % de sa superficie. Sa portion nigériane a, elle, pratiquement disparu.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Lake_Chad_map_showing_receding_water_area_and_level_1972-2007.svg">wiki</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>De tels conflits entre bergers et fermiers n’ont rien d’une nouveauté. À la fin des années 1960, une sécheresse a ainsi entraîné une lutte pour les terres <a href="http://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/002070207503000304">au cœur du Sahel</a> ; les Peuls ont également des antécédents <a href="https://www.abc-clio.com/ABC-CLIOCorporate/product.aspx?pc=A3435C">d’annexion stratégique de territoires</a>.</p>
<h2>Une crise environnementale inédite</h2>
<p>La nouveauté, c’est que ce conflit a pris une échelle totalement différente : un problème autrefois limité au nord du Nigeria est aussi devenu en enjeu majeur dans le Sud.</p>
<p>Cette évolution s’explique par une crise environnementale sans précédent qui a provoqué la migration massive des Peuls à travers l’Afrique de l’Ouest et le sud du Nigeria ; et Abuja n’est pas parvenu à empêcher les nomades de passer ses frontières. Cette arrivée de nouvelles populations a perturbé les relations et les équilibres qui existaient entre les communautés d’agriculteurs locaux et les bergers nomades.</p>
<p>Ces explications sont toutefois souvent négligées au profit d’un débat autour des aspects religieux ou ethniques du conflit. Une telle approche verse généralement dans l’émotion, empêchant une authentique analyse des forces qui sous-tendent ces tensions. Cette prédominance d’un récit portant sur la « guerre ethnique » rend ainsi compliquée l’émergence d’approches globales et durables ; dans un pays composé d’un mix de cultures et de religions, un tel état de fait constitue une menace pour l’unité nationale et les efforts de paix.</p>
<h2>Des autorités muettes</h2>
<p>Face à cette situation, le gouvernement nigérian reste terriblement silencieux. Dans ce vide, les discours politisés servant des intérêts particuliers ont prospéré. Par exemple, les élites et les leaders politiques des régions affectées soupçonnent le président nigérien, Muhammadu Buhari, d’être complice des attaques (bien qu’ils aient <a href="https://www.vanguardngr.com/2018/02/no-campaigns-benue-till-crisis-ortom/">cessé de le mettre en cause</a> directement). Or il n’y a à ce jour aucune preuve d’une telle implication du président ; mais dans une société nigériane très hiérarchisée, l’avis des élites est parole d’Évangile.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"965382965722169345"}"></div></p>
<p>Le président nigérian a également évoqué le projet de redonner au lac Tchad sa superficie initiale, en y amenant l’<a href="https://www.ajol.info/index.php/afrrev/article/download/91435/80922">eau du fleuve Ubangi</a>, situé dans le bassin du Congo ; cette option a été récemment évoquée lors de la <a href="https://www.vanguardngr.com/2018/02/restoring-lake-chad-head-solution-terrorism-africa/">dernière conférence</a> de l’Union africaine. Mais pour l’heure, le lac Tchad ne fait toujours pas partie de la stratégie du gouvernement pour régler le conflit entre agriculteurs et bergers.</p>
<h2>Un lac en bonne santé, des populations en paix</h2>
<p>Quelle serait donc une solution équitable et durable au conflit actuel ?</p>
<p>Il ne fait pas de doute que le lac Tchad nécessite d’être « rempli » à nouveau et qu’une politique ambitieuse de plantations d’arbres et de gestion de l’eau doit être conduite en parallèle. Une telle démarche aura besoin de l’engagement des pays frontaliers du Nigeria qui font face chacun à de <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-tchad-est-le-pays-le-plus-expose-au-rechauffement-climatique-79257">sérieux problèmes environnementaux</a> ; il faudra aussi le soutien des bailleurs de fonds internationaux. Une telle mobilisation contribuerait grandement à endiguer les migrations des bergers vers le sud, réduisant d’autant les possibilités de conflits.</p>
<p>Le gouvernement nigérian doit également reconnaître, et ce de manière publique, qu’il s’agit bien d’un conflit portant sur les ressources ; un conflit exacerbé par une crise environnementale. Il faut le rappeler sans relâche pour éviter les discours biaisés.</p>
<p>Quant aux médias nigérians, qui font bien souvent leur miel des histoires attisant les passions, ils se doivent de traiter ces heurts entre bergers et agriculteurs de façon moins sensationnelle ; il s’agit de donner davantage de place à l’investigation pour permettre de traiter ce problème complexe de manière nuancée. Car la situation ne se réduit pas aux seuls aspects ethniques et les enjeux environnementaux ne peuvent plus longtemps être ignorés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/95454/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olalekan Adekola ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Évoquer les tensions ethniques et religieuses entre bergers peuls et agriculteurs nigérians ne rend pas compte de la véritable source de la crise nigériane qui concerne l’accès aux ressources.Olalekan Adekola, Senior Lecturer in Geography, York St John UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/910122018-02-01T05:38:29Z2018-02-01T05:38:29ZLa démocratie pervertie : un antisémitisme sans antisémites<p>Nous vivons une époque formidable, celle de l’indistinction. Aussi certains intellectuels ne savent-ils plus toujours si les propos antisémites, sexistes, homophobes ou encore xénophobes font partie des opinions ouvertes à la discussion ou, à l’opposé, sont condamnables au nom des droits humains ou, plus simplement, des principes de la démocratie. Mais c’est justement une incompréhension fondamentale sur la nature de cette dernière qui autorise cette interrogation.</p>
<h2>De l’égalité à l’indistinction</h2>
<p>Tocqueville avait utilement alerté sur cette question : dans une société démocratique, expliquait-il, les individus vouent un véritable culte à l’égalité qui constitue une passion dominante. Ainsi « les théories conduisant à la conclusion que toutes les opinions doivent être respectées et traitées sur une base égalitaire, voire considérées comme équivalentes, tendent à être l’objet d’une attention sélective et à être retenues en priorité » (Raymond Boudon, <a href="https://matabvodiscra.firebaseapp.com/2130461751.pdf">« Les deux sociologies de la connaissance scientifique »</a>).</p>
<p>Ainsi, le fondamental principe d’égalité se corrompt trop souvent dans le désir, plus ou moins avoué, d’indistinction. Cette pente est particulièrement redoutable puisqu’elle incite au scepticisme radical, et elle tend à considérer l’éthique et l’épistémologie comme des illusions. La démocratie, qui, à beaucoup d’égards, peut être définie comme une organisation des séparations (par exemple du politique et de l’ethnico-religieux), a tout à perdre à promouvoir l’indistinct.</p>
<p>C’est à l’aune de l’indistinction que nous pouvons comprendre l’apparition d’un phénomène nouveau : l’antisémitisme sans antisémites. Il est en effet frappant de constater le déni ou l’euphémisation (généralement par l’affirmation d’un antisionisme radical) devant le procès en antisémitisme. Ces attitudes (que l’on peut ne pas distinguer) sont généralement fondées, d’une part, sur l’incompréhension de la nature de l’antisémitisme, d’autre part, sur la distinction – dont nous montrerons l’inconsistance – entre antiracisme moral et antiracisme politique. Il va de soi que ces deux points entretiennent de profondes affinités.</p>
<h2>Racisme colonial et antisémitisme</h2>
<p>Le modèle dominant de lutte contre le racisme, développé à partir de 1945, établissait une équivalence structurelle entre colonisés et juifs dans leur fonction de détournement (mécanisme bien documenté du bouc-émissaire) de l’insatisfaction sociale. Dans cette stratégie argumentative, la spécificité du génocide des juifs constituait une réelle difficulté. Il fallait donc que le racisme nazi soit une forme particulière de racisme colonial. La distinction entre ces deux formes de racisme a été pourtant, dès 1967, posée avec vigueur par Jeanne Hersch (« Sur la notion de race », <a href="https://www.abebooks.fr/DIOGENE-1967-revue-trimestrielle-publi%C3%A9e-auspices/1193861909/bd">dans <em>Diogène</em></a>).</p>
<p>Dans une étude consacrée à la notion de race et à l’examen de deux textes établis sous l’égide de l’Unesco, elle montrait que dans le cas du racisme colonial les différences physiques stigmatisées par les colonialistes étaient manifestes, alors que celles dénoncées par les nazis étaient extrêmement imprécises.</p>
<p>Elle ajoutait, en outre, que les colonialistes justifiaient l’exploitation de leurs victimes à l’aide d’un préjugé raciste, celui de l’infériorité intellectuelle des exploités, tandis que les nazis usaient comme moteur de leur haine l’envie qu’inspiraient les juifs, auxquels le préjugé raciste prêtait une supériorité intellectuelle dangereuse. Aussi, pour les colonialistes fallait-il maintenir la présence de l’« autre race » en tant que source de profit ; alors que pour les nazis le but était son élimination et sa destruction.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/204290/original/file-20180131-157485-nqxbne.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/204290/original/file-20180131-157485-nqxbne.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/204290/original/file-20180131-157485-nqxbne.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/204290/original/file-20180131-157485-nqxbne.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=761&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/204290/original/file-20180131-157485-nqxbne.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/204290/original/file-20180131-157485-nqxbne.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/204290/original/file-20180131-157485-nqxbne.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=957&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">En Allemagne, en 1933. Sur la pancarte : « Allemands, défendez-vous ! N’achetez pas chez les Juifs ! »</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Antisemitisme_Duitsland_1933.jpg#file">National Archives and Records Administration/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour le racisme d’extermination, c’est donc le caractère incertain des différences physiques de l’autre qui entretient une suspicion diffuse, une hantise du mélange. Or si ce racisme a désigné le juif comme l’ennemi absolu, c’est parce que la différence juive, hors du champ religieux, est insaisissable. Elle est, en conséquence, la plus dangereuse pour l’identité collective du groupe.</p>
<p>Comme le notaient, il y a assez longtemps, <a href="http://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1966_num_7_4_2828">P. H. Maucorps, A. Memmi et J. F. Held</a>, les juifs parce qu’ils « constituent une minorité tellement fluide que très peu d’individus considérés comme tels réunissent toutes les déterminations réelles ou supposées de leur groupe sont objet de racisme en tant que simple incarnation de l’Altérité. »</p>
<p>On voit, à travers ces lignes, la particularité de l’antisémitisme qu’avait, à sa manière, évoquée Édouard Drumont lorsqu’il écrivait : <a href="https://books.google.fr/books?id=juoJCwAAQBAJ&pg=PT52&lpg=PT52&dq=Le+Juif+dangereux,+c%27est+le+Juif+vague&source=bl&ots=gMtlWPT6Ra&sig=7Yp57eb1PTJFWtKwuahaiwKBF0U&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjTvKC9xYLZAhUNY1AKHbqfBpUQ6AEINTAF#v=onepage&q=Le%20Juif%20dangereux%2C%20c%E2%80%99est%20le%20Juif%20vague&f=false">« Le juif dangereux, c’est le juif vague. »</a></p>
<h2>Le péril indiscernable</h2>
<p>En d’autres termes, le plus grand péril pour le raciste, c’est le péril indiscernable. Le juif, trop semblable au point de ne pouvoir être distingué, exaspère chez l’antisémite l’horreur du métissage, la peur de la dégénérescence par l’effet du mélange. Aussi l’expression de l’hostilité à l’égard des juifs n’est-elle nullement soucieuse de donner une explication causale de la menace sociale, mais manifeste une crainte face à un danger mal compris susceptible de fissurer l’armature sociale de la communauté.</p>
<p>Dans une société moderne où un changement brusque dans les conditions d’existence provoque une profonde incertitude vis-à-vis de soi-même, l’angoisse se transforme aisément en hostilité à l’égard des autres. Ce que l’on pourrait appeler une identité floue se construit ainsi par le rejet de la différence de l’autre perçue comme portant atteinte à ma propre différence. Sentiment d’autant plus violent que la différence est insaisissable.</p>
<p>Il paraît, par conséquent, illusoire de penser aujourd’hui les tâches de l’antiracisme sans partir de cette réalité : l’antisémitisme appartient à un registre spécifique. La lutte contre lui ne peut être efficace que si elle est distinguée de la lutte contre les autres formes de racisme. Est-il utile de préciser que l’accent mis ici sur la particularité du registre antisémite n’induit nullement une volonté de méconnaître les autres expressions de la haine ou de hiérarchiser celles-ci à l’aune de leur malfaisance ?</p>
<h2>Antiracisme « politique » et antiracisme « moral »</h2>
<p>Afin de défendre, au moins implicitement, les positions défendues par le PIR (Parti des Indigènes de la République) et, plus particulièrement, par sa présidente, Houria Bouteldja, dans <a href="http://www.liberation.fr/debats/2016/05/24/la-derive-identitaire-de-houria-bouteldja_1454884"><em>Les Blancs, les Juifs et nous : vers une politique de l’amour révolutionnaire</em></a>, certains auteurs éminents construisent une étrange opposition entre deux formes d’antiracisme.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/204293/original/file-20180131-157455-1uxivii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/204293/original/file-20180131-157455-1uxivii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/204293/original/file-20180131-157455-1uxivii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/204293/original/file-20180131-157455-1uxivii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=900&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/204293/original/file-20180131-157455-1uxivii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/204293/original/file-20180131-157455-1uxivii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/204293/original/file-20180131-157455-1uxivii.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1131&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Houria Bouteldja, l’auteure du livre « Les Blancs, les Juifs et nous : vers une politique de l’amour révolutionnaire ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Houria_Bouteldja_par_Claude_Truong-Ngoc_avril_2016.jpg">Claude Truong Ngoc/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>D’un côté, ils distinguent un antiracisme moral coupable de se méprendre sur la nature du racisme, se contentant ainsi de « répéter le principe universel de l’égalité des êtres humains, affirmer la disqualification scientifique du concept de race biologique, rappeler à l’envie qu’« il n’y a qu’une seule race : la race humaine" » (<a href="https://blogs.mediapart.fr/hourya-bentouhami/blog/150118/pour-une-defense-de-l-antiracisme-politique-et-de-la-democratie">sur le blog de Hourya Bentouhami</a>). De l’autre, ils pointent un antiracisme politique, lequel affirmerait deux choses fondamentales : « Premièrement, le racisme a des conditions historiques et politiques ayant présidé à son émergence et déterminant sa forme, variable au cours de l’Histoire » et « deuxièmement le racisme produit des <em>conséquences</em> politiques ».</p>
<p>Comment peut-on ainsi enfoncer doctement des portes ouvertes ? Qui, parmi les antiracistes, pourrait contester de telles évidences ? Et quelle peut bien être la portée heuristique de l’opposition entre antiracisme moral et antiracisme politique ? La posture morale est évidemment le point de départ d’une indignation qui doit trouver son expression politique.</p>
<h2>Un prétendu « philosémitisme d’État »</h2>
<p>On a reproché à l’idéologie des Indigènes d’essentialiser les races. Ce reproche est rejeté comme la preuve de la mauvaise foi des « antiracistes moraux ». Alors comment devons-nous interpréter le propos d’Hourya Bentouhami :</p>
<blockquote>
<p>« On ne peut pas penser le féminisme, la lutte contre l’homophobie et même la lutte des classes de la même manière selon que l’on est blanc ou non ? »</p>
</blockquote>
<p>Comment, en outre, comprendre l’acharnement à imposer la notion de « philosémitisme d’État » ? Ne voit-on pas que, contrairement aux intentions proclamées, seuls les arabo-musulmans et les Noirs seraient les vrais « racisés », les juifs ne pouvant l’être puisque bénéficiant de la protection de l’État ?</p>
<p><a href="http://www.cncdh.fr/fr/publications/rapport-2016-sur-la-lutte-contre-le-racisme-lantisemitisme-et-la-xenopobie">Les données de la CNCDH</a>, montrant la forte distorsion entre les actes antisémites (dont l’<a href="http://lemonde.fr/police-justice/article/2018/01/31/le-mobile-antisemite-retenu-apres-l-agression-d-un-jeune-garcon-portant-une-kippa-a-sarcelles_5249584_1653578.html">agression à Sarcelles</a> d’un enfant de 8 ans portant une kippa fournit un nouveau douloureux exemple) et les actes anti-arabo-musulmans (au détriment, bien entendu, des premiers), sont-elles connues de ceux qui, insidieusement, évoquent la protection dont les juifs tireraient profit ? <em>Insidieusement</em>, parce que ce qui se cache derrière ce prétendu philosémitisme est l’idée que l’État est asservi aux puissances financières, lesquelles, qui en douterait, sont aux mains des juifs.</p>
<h2>Comment rendre l’antisémitisme respectable…</h2>
<p>Autre intéressant registre rhétorique, l’antiracisme <em>politique</em> utilise quelques intellectuels juifs pour éloigner tout soupçon d’antisémitisme. Ce phénomène bien connu a été nommé <a href="https://theconversation.com/heidegger-theoricien-et-acteur-de-lextermination-des-juifs-86334">par François Rastier</a>, dans son important livre sur Heidegger (<em>Naufrage d’un prophète. Heidegger aujourd’hui</em>, PUF, 2015), la « lustration par les Juifs » : « Toute énormité apologétique en faveur du nazisme doit s’appuyer sur au moins un élève juif de Heidegger ». Autrement dit, qui cherche à cautionner la pensée du Maître se réfère à des auteurs juifs plus ou moins consentants.</p>
<p>De même, l’idée, exprimée par un collectif de juifs « antiracistes et anticolonialistes », d’une « profonde rupture, après la Shoah, entre les Juifs et les autres peuples racisés » (voir <a href="https://lundi.am/La-bonne-conscience-des-intellectuels-francais">« La bonne conscience des intellectuels juifs »</a>), suggère également que les juifs ne sont pas des racisés comme les autres. Et s’ils ne sont pas comme les autres, c’est parce que pèse sur eux l’accusation de sionisme, sans que l’on sache très bien à quoi elle renvoie, tant le mot est polysémique.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/1bhDZyAYfQU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Mais on comprend aisément, nonobstant le nombre considérable de juifs critiques à l’égard de la politique de colonisation israélienne, que tout juif est un sioniste potentiel, autrement dit un ennemi du genre humain, comme l’était autrefois le « juif vague » cher à Drumont. La stratégie d’euphémisation, liée au discrédit de la notion de race, rend ainsi, pour un nombre de plus en plus grand de nos contemporains, l’antisémitisme respectable.</p>
<p><a href="http://www.liberation.fr/france/2018/01/08/les-francais-sont-complotistes-mais-ceci-n-est-pas-un-complot_1620874">La prolifération des thèses complotistes</a> est un indicateur inquiétant de la fragilité d’une opinion démocratique, trop souvent incapable de se prémunir contre la corruption de l’égalité, celle de la dignité de chacun, dans l’indistinction, soit fondamentalement la confusion du vrai et du faux.</p>
<p><a href="https://www.20minutes.fr/culture/2212043-20180131-syndicat-etudiant-demande-annulation-spectacle-nordiste-texte-charb">L’opposition du syndicat étudiant Solidaires</a> à la représentation, ce mercredi 31 janvier, à l’université Paris Diderot, du texte de Charb, <em>Lettre aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes</em>, parce qu’une telle représentation chercherait à légitimer les « actes de violence tournés spécifiquement vers les personnes musulmanes », constitue le dernier avatar de cette funeste confusion.</p>
<p>Pourtant si la vérité devait être sacrifiée, les plus faibles ne disposeraient plus d’aucune protection contre l’arbitraire des plus forts.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/91012/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Policar ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>C’est à l’aune de l’indistinction que nous pouvons comprendre l’apparition d’un phénomène nouveau : l’antisémitisme sans antisémites.Alain Policar, Chercheur en science politique (Cevipof), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/865682017-11-02T20:51:39Z2017-11-02T20:51:39ZPodcast : « Nous et les autres », la fabrique de la différence<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/192446/original/file-20171030-18725-6skc68.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C411%2C704%2C526&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">images</span> </figcaption></figure><p>The Conversation France s’associe aux étudiants de la Licence Information-communication de l’Université Paris 13 (pilotés par leur enseignante Judith Mayer) pour une série de podcasts autour de l’exposition <a href="http://www.museedelhomme.fr/fr/visitez/agenda/exposition/nous-autres-prejuges-racisme">« Nous et les Autres, des préjugés au racisme »</a> du Musée de l’homme. Dans ce second podcast, les étudiants ont <a href="http://www.museedelhomme.fr/fr/node/3936">rencontré Aude Seurrat, chercheuse en sciences de l’information et de la communication, dans le cadre de son intervention lors d’un atelier Decrypt’image organisé par le Musée</a> et l’ont questionnée sur la façon dont les médias construisent la différence entre « nous » et « les autres »</p>
<p>Cette série d’émissions sera également diffusée sur la webradio des étudiants, <a href="http://webradio.univ-paris13.fr/">Treizièm’onde</a>.</p>
<hr>
<p><em><strong>Conception et montage</strong> : Arinieva Razanamasy et Norman Benmoussa. <strong>Interview</strong> : Arinieva Razanamasy, Zine-eddine Belal.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86568/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aude Seurrat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>C’est l’ouvrage éponyme de Tzvetan Todorov qui a donné son titre à l’exposition « Nous et les Autres ». Mais comment s’opère cette distinction, comment‑elle construite, notamment par les médias ?Aude Seurrat, Maîtresse de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’université Paris 13, Université Sorbonne Paris NordLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/855772017-10-25T19:53:23Z2017-10-25T19:53:23ZL’Afrique est-elle rongée par les guerres ethniques ?<p>« L’ethnie tue ! » C’est du moins ce que laissent entendre de nombreuses analyses des guerres en Afrique.</p>
<p>Nous avons tous en tête, le génocide rwandais, qui opposait deux ethnies : les Hutus et les Tutsis. D’avril à juillet 1994, entre 500 000 et 1 million de Rwandais périrent (800 000 selon l’ONU). En France, très tôt, ce conflit a fait l’objet de controverses. Pour le rôle qu’aurait pu jouer la France, mais surtout sur l’interprétation des causes du génocide.</p>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/220036?seq=1#page_scan_tab_contents">La lecture ethnique</a> est très rapidement venue se confronter aux lectures plus complexes sur les causes sociologiques, politiques, historiques et régionales du génocide. Selon cette première lecture, les Tutsis et les Hutus seraient destinés à s’affronter, et les massacres seraient le résultat d’une opposition raciste héréditaire et pratiquement constitutive de l’ADN des Rwandais, et plus largement, des Africains, condamnés aux tueries et aux barbaries spontanées sans dimension politique ni instrumentalisation.</p>
<p>Cette lecture n’est pas réservée uniquement aux conflits africains, mais l’explication ethnique se trouve être plus répandue concernant cette région du monde. Ainsi, à la veille des élections présidentielles kenyanes prévues le 26 octobre, le pays semble plus divisé que jamais par les ressentiments ethniques.</p>
<h2>L’ethnie, une réalité et un vecteur</h2>
<p><a href="https://nyuscholars.nyu.edu/en/publications/what-is-ethnic-identity-and-does-it-matter">La littérature sur le lien entre ethnie et conflit</a> est très riche, et de nombreuses controverses ont opposé les analystes. Pour les uns, le continent africain serait « condamné » aux affrontements ethniques, et pour les autres, les ethnies n’existent pas et ne seraient que des groupes artificiels créés à des fins de manipulation ou de domination politique, notamment par le colonisateur.</p>
<p>Nous ne nions pas l’existence d’« ethnie », au sens d’une « identité » distincte d’un autre groupe. En revanche, il est aisé de démontrer que l’ethnie n’est pas une cause unique de conflit. Si tel était le cas, tous les groupes ethniques du monde seraient perpétuellement en conflit, alors que la plupart du temps, ils vivent paisiblement côte à côte. Donc, l’ethnie seule n’est pas une cause de conflit. Cela ne veut pas dire que les appartenances identitaires ne sont pas cruciales, dans la guerre. Elles peuvent même très certainement venir alimenter le conflit.</p>
<p>Pour <a href="http://eu.wiley.com/WileyCDA/WileyTitle/productCd-1509509046.html">Paul D. Williams</a>, les analystes doivent s’intéresser à l’« ethnie plus », c’est-à-dire chercher les causes additionnelles aux conflits. L’ethnie n’est qu’un <em>vecteur</em>. Ce qui apparaît à première vue comme des combats entre ethnies est bien souvent entièrement lié à des luttes entre les élites, pour la puissance politique ou matérielle. Ainsi, au Soudan du Sud, le conflit était au départ une opposition entre élites pour l’accès au pouvoir, avant de se cristalliser sur l’appartenance ethnique et une opposition entre Dinka et Nuer. Ce conflit est devenu effectivement un conflit semblant de nature ethnique, mais sa cause est bien plus complexe.</p>
<h2>Difficultés de gouvernance</h2>
<p>Parmi les causes des conflits, l’on retrouve ainsi les manipulations politiques, les crises politiques (assassinats politiques, entre autres), les crises économiques, comme l’accès aux ressources ou à la terre. Ainsi, en <a href="https://theconversation.com/ethiopie-le-prix-politique-du-developpement-a-marche-forcee-68041">Éthiopie</a>, la dimension ethnique est forte dans le conflit qui oppose les Oromos et les Amharas, au régime éthiopien, mais c’est une <a href="http://www.liberation.fr/planete/2016/08/19/ethiopie-la-colere-reprimee-a-huis-clos_1473535">erreur d’analyse</a> que de réduire ces tensions à une question ethnique. Les Oromo, les Amhara et les Tigréens représentent chacun des groupes très hétérogènes.</p>
<p>Les contestations qui ont conduit à l’instauration de l’état d’urgence, en 2016, et à la répression de l’opposition, trouvent leurs racines dans l’annonce par l’administration de la capitale Addis-Abeba d’intégrer plusieurs municipalités voisines à son plan d’extension urbaine, et donc d’empiéter sur la région Oromo. Les manifestants ne rejettent pas le fédéralisme ethnique en lui-même, mais le fait que le régime ne se soit jamais démocratisé, et que les retombées économiques ne bénéficient pas à tous.</p>
<p>On retrouve les mêmes difficultés de gouvernance dans d’autres pays d’Afrique. Les dirigeants considèrent l’État comme leur bien personnel et s’accaparent ainsi les ressources du pays. Le statut de président devient celui de « big man », inspiré par une stratégie d’accumulation financière, pour s’assurer une clientèle électorale dépendante. Le Kenya est un bon exemple de gouvernance dite néopatrimoniale, où l’ethnie constitue un mode de mobilisation commode pour les politiciens qui se disputent le pouvoir et les ressources attenantes à celui-ci.</p>
<h2>Le cas du Kenya</h2>
<p>Dans ce pays, les élections de 2007 ont conduit à la mort de 1 000 personnes et provoqué 350 000 déplacés. Les élections organisées le 8 août 2017 se sont déroulées dans un climat relativement serein. Néanmoins, la Cour suprême a décidé, le 1<sup>er</sup> septembre d’invalider les élections au regard des irrégularités de la Commission indépendante électorale. Si cette décision est une avancée démocratique notable, dans l’immédiat, la réorganisation des scrutins a <a href="https://theconversation.com/au-kenya-des-elections-sous-le-signe-des-institutions-fortes-et-des-hommes-forts-85785">radicalisé les différents camps et ethnicisé les discours</a>.</p>
<p>Les racines de l’amalgame patrimonial remontent à l’histoire du pays ; la colonisation britannique s’accompagnait en effet d’une ségrégation territoriale. L’accès à la propriété foncière était défini par l’appartenance communautaire. <a href="https://www.cairn.info/magazine-alternatives-internationales-2008-6-p-31.htm">Claire Médard</a> l’a démontré :</p>
<blockquote>
<p>« C’est bien l’existence d’inégalités matérielles et le fait que ceux qui en sont victimes les interprètent en termes ethniques alors qu’elles résultent d’un clientélisme politique, qui expliquent les violences récentes. »</p>
</blockquote>
<p>Au Kenya, les hommes politiques ont joué sur les réactions identitaires, mais ce sont des enjeux économiques et fonciers qui sont la véritable source des oppositions politiques.</p>
<h2>La question du rapport observateur-observé</h2>
<p>On le voit, l’approche uniquement ethnique exclue toute analyse des évènements ayant conduit au conflit, et les « dépolitise ». De quoi cette lecture est-elle le symptôme ? Comment expliquer qu’elle soit particulièrement répandue dans l’étude des conflits en Afrique ?</p>
<p>Il semblerait qu’au-delà des classifications identitaires, l’analyse dépend du <a href="https://www2.bc.edu/marian-simion/th406/readings/0420anderson.pdf">rapport entre l’observateur et l’observé</a>. La lecture exclusivement ethnique est, en partie, héritière des travaux sur l’anthropologie de la race, élaborée à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle. Cette littérature refuse de penser le racisme en Afrique comme une idéologie construite politiquement et socialement. L’étude de la <a href="https://theconversation.com/pourquoi-le-concept-dethnie-ne-nous-sert-plus-a-rien-64651">trajectoire du concept d’« ethnie »</a> est particulièrement éclairante.</p>
<p>Les Grecs opposaient les « ethnè » et la « polis ». Les sociétés, unies par la culture mais non organisées en cités-États, étaient des « ethnè ». L’ethnologie serait littéralement la science des sociétés qui sont « a-politiques » et qui, à ce titre, ne peuvent être des « sujets » de leur propre histoire. Cette définition « négative » se perpétue dans la tradition ecclésiastique, qui appelle « ethnè » les païens, par opposition aux chrétiens.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=763&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/190670/original/file-20171017-30422-1cgaty3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=959&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Arthur de Gobineau, théoricien des races.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Arthur_de_Gobineau.jpg">Inconnu/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est à partir du XIX<sup>e</sup> siècle que le critère racial est intégré. Il faut noter que cette période correspond à la domination européenne sur le reste du monde. Dans l’« Essai sur l’inégalité des races humaines » (1854), le comte de Gobineau utilise l’adjectif « ethnique » d’une façon ambiguë, le mot commençant à désigner par moment le mélange des races, et la dégénérescence qui en résulte. Si l’usage du terme « ethnie » s’est popularisé au détriment d’autres mots comme celui de « nation », c’est sans doute qu’il s’agissait de classer à part certaines sociétés, en leur déniant une qualité spécifique.</p>
<p>Cette qualité, dont l’absence les rendait dissemblables et inférieures aux sociétés européennes, c’est l’historicité ; et, en ce sens, les notions d’« ethnie » et de « tribu » sont liées aux autres distinctions par lesquelles s’opère le grand partage entre anthropologie et sociologie : société sans histoire-société à histoire, société préindustrielle-société industrielle, société sans écriture-société à écriture.</p>
<h2>Jeux de pouvoir</h2>
<p>Il convient de se méfier des explications simplistes et essentialistes où les conflits sont vus comme inhérents aux cultures africaines, déterminés uniquement <a href="https://la-plume-francophone.com/2007/02/11/les-identites-meurtrieres-damin-maalouf/">par les identités</a>. Pourtant, cette lecture continue d’être reprise et guide les commentaires sur les conflits en Afrique. Or, sur ce continent, comme partout ailleurs, l’ethnie n’est pas une réalité figée ou immuable, mais au contraire se trouve en <a href="http://www.persee.fr/doc/outre_0300-9513_1991_num_78_291_2886_t1_0270_0000_2">constante évolution</a>. Elle est le fruit d’un continuel processus d’hybridation et de sédimentation historique.</p>
<p>Il faut donc porter notre attention sur les jeux de pouvoir locaux, sur les relations internationales africaines, et sur l’intégration du continent au grand jeu mondial. La lecture exclusivement ethnique est extrêmement réductionniste, très spéculative et profondément fallacieuse. Les variables identitaires, plus que politiques, sont perçues comme suffisantes pour expliquer les mobilisations sociales.</p>
<hr>
<p><em>Ce texte est d’abord paru dans l’ouvrage <a href="https://www.youtube.com/watch?v=148b0hwStJc">« Notre monde est-il plus dangereux : 25 questions pour vous faire une opinion »</a>, éditions Armand Colin.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/85577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sonia Le Gouriellec ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>« L’ethnie tue ! » C’est du moins ce que laissent entendre de nombreuses analyses des guerres en Afrique. Trop sommaire.Sonia Le Gouriellec, Chercheur à l'Institut de Recherche Stratégique de l'Ecole militaire (IRSEM), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/860792017-10-23T19:09:46Z2017-10-23T19:09:46ZPodcast : La représentation de « la diversité » dans la publicité<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/191184/original/file-20171020-22987-1gojvjr.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C14%2C515%2C389&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Au Musée de l'Homme.</span> </figcaption></figure><p>The Conversation France s’associe aux étudiants de la Licence Information-communication de l’Université Paris 13 (pilotés par leur enseignante Judith Mayer) pour une série de podcasts autour de l’exposition <a href="http://www.museedelhomme.fr/fr/visitez/agenda/exposition/nous-autres-prejuges-racisme">« Nous et les Autres, des préjugés au racisme »</a> du Musée de l’homme. Dans ce premier podcast, les étudiants ont <a href="http://www.museedelhomme.fr/fr/node/3936">rencontré Emmanuelle Bruneel, chercheuse en sciences de l’information et de la communication, dans le cadre de son intervention lors d’un atelier Decrypt’image organisé par le Musée</a> et l’ont questionnée sur la représentation de « la diversité » dans la publicité.</p>
<p>Cette série d’émissions sera également diffusée sur la webradio des étudiants, <a href="http://webradio.univ-paris13.fr/">Treizièm’onde</a>.</p>
<hr>
<p><em><strong>Conception et montage</strong> : Léa Guillée, Chloé Brassière, Valentine Théodorou et Camille Rousselot. <strong>Interview</strong> : Léa Guillée, Chloé Brassière et Camille Rousselot.</em></p>
<p><em><strong>Erratum d'Emmanuelle Bruneel</strong> : l'ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) est le nouveau nom de l'ancien BVP (Bureau de vérification de la publicité) et a produit des études sur « la diversité » dans la publicité entre 2005 et 2009.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/86079/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuelle Bruneel ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De la nécessité de déconstruire la publicité pour en comprendre les significations en termes de rapports sociaux.Emmanuelle Bruneel, Doctorante en Sciences de l'information et de la communication, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/844812017-09-29T00:28:54Z2017-09-29T00:28:54ZBirmanie : comment l’Empire britannique a « créé » les Rohingyas<p>L’exode des musulmans Rohingya, causé par les violences de la terrible Tatmadaw, nom donné à l’armée birmane, ne semble pas ralentir. Des milliers de personnes fuient actuellement le pays à majorité bouddhiste vers le Bangladesh. <a href="http://www.unhcr.org/rohingya-emergency.html">Un demi-million de Rohingyas</a> ont déjà passé la frontière.</p>
<p>Pourtant, il ne s’agit pas pour le gouvernement birman d’un « nettoyage ethnique », <a href="http://www.aljazeera.com/news/2017/09/myanmar-crisis-textbook-ethnic-cleansing-170911081528888.html">terme employé</a> par Zeid Ra’ad Al Hussein, le Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme et <a href="http://www.huffingtonpost.fr/2017/09/19/a-lonu-emmanuel-macron-promet-une-initiative-contre-le-nettoyage-ethnique-en-birmanie_a_23215180/">repris depuis</a> par le Président français Emmanuel Macron, mais d’une campagne de lutte antiterroriste qui vise à neutraliser la menace islamiste dont la Birmanie serait victime. L’attentat du 25 août, commis par l’Arakan Salvation Rohingya Army (ARSA) dans le nord du Rakhine, aurait ainsi justifié une telle campagne et, de fait, déclenché la crise actuelle.</p>
<h2>Déni de citoyenneté</h2>
<p>Aung San Suu Kyi, ministre des Affaires étrangères de Birmanie et leader de la démocratie sous la junte militaire, maintes fois sollicitée depuis le début de la crise, semble en minimiser l’ampleur. <a href="https://www.youtube.com/watch?v=NJkg2_72uUo&t=37s">Dans une allocution télévisée à la nation</a> le 19 septembre 2017, elle affirme rechercher les causes de cet exode massif. Elle appelle aussi au rapatriement des réfugiés vers la Birmanie, mais elle précise que les personnes souhaitant regagner leurs villages devront présenter des preuves de leur citoyenneté. Ce qui exclut donc les Rohingyas, apatrides, de toute possibilité de retour au pays.</p>
<p>L’État birman refuse en effet la citoyenneté aux Rohingyas <a href="http://www.ibiblio.org/obl/docs/Citizenship%20Law.htm">depuis 1982</a> et ne reconnaît pas ce groupe comme originaire de Birmanie.</p>
<p>Amnesty International rappelle, dans son <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2017/09/myanmar-scorched-earth-campaign-fuels-ethnic-cleansing-of-rohingya-from-rakhine-state/">rapport</a> sur la situation des Rohingyas en Birmanie, que ces derniers <a href="https://theconversation.com/retour-en-arakan-ou-comment-comprendre-la-lente-exclusion-des-rohingyas-84004">sont victimes depuis plusieurs décennies d’une discrimination systématique</a>. Ainsi, ils ont toujours été considérés comme « étrangers » tant par le pouvoir central que par les autorités locales du Rakhine, et ont peu à peu été privés de tous leurs droits (accès à la propriété de la terre, à l’éducation, à la santé…).</p>
<p>Il faut cependant revenir à la période coloniale britannique pour comprendre les origines de cette haine.</p>
<h2>La responsabilité de l’occupant britannique</h2>
<p>L’arrivée des Britanniques en Birmanie au XIX<sup>e</sup> siècle, puis leur prise de contrôle de tout le territoire birman en <a href="http://www.fayard.fr/histoire-de-la-birmanie-contemporaine-9782213655529">1886</a>, bouleverse les relations entre les différents groupes ethniques du pays.</p>
<p>Afin de mieux régner, les Britanniques divisent volontairement les différentes ethnies, et privilégient certaines minorités par rapport à la majorité birmane (dite Bamar) en favorisant notamment l’<a href="http://www.fayard.fr/histoire-de-la-birmanie-contemporaine-9782213655529">accès de certaines populations</a> chrétiennes ou provenant du reste de l’Inde britannique à l’administration coloniale. Jusqu’au début du XX<sup>e</sup> siècle par exemple, les professions d’élite telles que <a href="http://www.burmalibrary.org/docs09/Defert-Rohingyas-red.pdf">juriste ou médecin</a> sont occupées quasi exclusivement par des Indiens, ce qui attise durablement la jalousie des Bamars : l’idée d’une « supériorité indienne », instaurée par les Britanniques, explique en partie la haine des Birmans envers les populations d’origine indienne telles que les habitants de l’Arakan (autre nom du Rakhine), pourtant très peu représentés dans ces postes prestigieux.</p>
<p>En outre, un régime spécial de gouvernance, officialisé par le <a href="https://myanmar-law-library.org/IMG/pdf/government_of_burma_act_.1935.pdf">Burma Act de 1935</a>, est mis en place pour les minorités ethniques : tandis que la « Birmanie Ministérielle » (<em>Ministerial Burma</em>) est soumise au contrôle direct de la métropole, la « Birmanie des Frontières » (<em>Frontier Areas</em>), qui correspond aux zones géographiques où les minorités ethniques sont plus nombreuses que les Birmans – et dont l’Arakan fait partie – est gouvernée de manière indirecte. Les chefs des différentes ethnies jouent le rôle de relais de l’autorité coloniale sur le terrain et bénéficient donc d’un certain degré d’autonomie au niveau local.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/187857/original/file-20170927-24173-1bigwyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/187857/original/file-20170927-24173-1bigwyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/187857/original/file-20170927-24173-1bigwyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/187857/original/file-20170927-24173-1bigwyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=594&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/187857/original/file-20170927-24173-1bigwyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/187857/original/file-20170927-24173-1bigwyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/187857/original/file-20170927-24173-1bigwyg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=746&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un officier britannique et ses aides indiens, sur la route de Meiktila, 29 mars 1945, Birmanie (Myanmar).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:British_commander_and_Indian_crew_encounter_elephant_near_Meiktila_2.jpg">Imperial War Museum/Wikimedia</a></span>
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<p>La Seconde Guerre mondiale et l’<a href="https://books.google.fr/books/about/A_History_of_Modern_Burma.html?id=8nPpruP9n60C&redir_esc=y">invasion de la Birmanie</a> par les Japonais en 1942 confirment la donne : soucieuses de ne pas se retrouver soumises au contrôle de la majorité Bamar si le pays obtient son indépendance, plusieurs minorités ethniques restent fidèles aux Britanniques tandis que les autorités nationalistes birmanes s’allient aux Japonais pour chasser l’occupant britannique.</p>
<p>L’État du Rakhine illustre ces divisions au sein de la société birmane : les Rakhines bouddhistes accueillent favorablement l’arrivée des Japonais dans le pays en 1942, tandis que les populations musulmanes, parmi lesquelles les Rohingyas, préfèrent soutenir les Britanniques, qui leur promettent de mettre en place une <a href="http://www.burmalibrary.org/docs09/Defert-Rohingyas-red.pdf">zone autonome musulmane</a> au lendemain de la guerre. Mais les Japonais prennent le contrôle du pays et, victimes de représailles, les Rohingyas sont contraints de fuir vers l’Inde.</p>
<p>Lorsqu’ils regagnent la Birmanie en 1945, les Rohingyas sont dans une situation délicate. On leur reproche leur « trahison », dans un contexte où la rhétorique nationaliste prône l’union de tous les peuples du pays pour mettre fin au régime colonial, et une indépendance au sein d’une république unique. La tragédie de la partition de l’Inde survenue en 1947 – des millions de personnes sont contraintes de choisir entre l’Inde et le Pakistan nouvellement créé – devient un modèle à éviter à tout prix.</p>
<p>Accédant à l’indépendance en janvier 1948, l’« Union de Birmanie », nom donné à la jeune nation, cache cependant de profondes divisions entre les différentes ethnies qui constituent le pays.</p>
<h2>Un processus de « birmanisation » de la société</h2>
<p>Dès le début des années 1950, <a href="https://books.google.fr/books/about/A_History_of_Modern_Burma.html?id=8nPpruP9n60C&redir_esc=y">plusieurs minorités</a> entrent en guerre contre le pouvoir central. Si les Rohingyas ne sont pas officiellement exclus de la citoyenneté birmane par la <a href="https://www.ilo.org/dyn/natlex/docs/ELECTRONIC/79573/85699/F1436085708/MMR79573.pdf">Constitution de la nouvelle République indépendante</a>, ils sont considérés comme des « Indiens » et restent donc marginalisés au sein de la société.</p>
<p>Le Général Ne Win, qui prend le contrôle du pays en 1962 et instaure un régime militaire, lance une campagne de « birmanisation » de la société afin d’atténuer les spécificités des différentes ethnies : c’est l’<a href="http://www.burmalibrary.org/docs09/Defert-Rohingyas-red.pdf">identité bamar</a>, incarnée notamment par la langue birmane et la religion bouddhiste, qui devient de plus en plus associée à l’identité nationale.</p>
<p>Les minorités ethniques sont discriminées dans l’accès à la propriété par exemple, mais ce sont les populations d’origine indienne telles que les Rohingyas qui sont les plus touchées, leur origine rappelant aux Birmans les faveurs qu’elles avaient obtenues à la période coloniale.</p>
<p>Les années 1970 marquent l’apogée des discriminations envers les Rohingyas : le Général Ne Win intensifie sa campagne de « birmanisation » en faisant de la <a href="https://books.google.fr/books?id=iSSOCgAAQBAJ&pg=PA111&lpg=PA111&dq=ne+win+burmanization&source=bl&ots=g-NgkofsA3&sig=POugZB7pZGZU7Isow3VUoupOGZ0&hl=fr&sa=X&ved=0ahUKEwjOzeHj7MLWAhWJfxoKHa9DDGEQ6AEIKjAA#v=onepage&q=ne%20win%20burmanization&f=false">lutte contre les étrangers</a> une priorité de l’État. En parallèle, l’indépendance du Bangladesh en 1971 et les violences qui l’accompagnent incitent de nombreux Bangladais à <a href="http://www.burmalibrary.org/docs09/Defert-Rohingyas-red.pdf">se réfugier en Arakan</a>. Les Rohingyas sont alors plus que jamais amalgamés avec les Bangladais et, considérés comme des étrangers, ils deviennent la cible première de la campagne de Ne Win.</p>
<p><a href="http://www.ibiblio.org/obl/docs/Citizenship%20Law.htm">La loi sur la citoyenneté de 1982</a> confirme ainsi une situation déjà bien en place : elle fixe un chiffre officiel de minorités ethniques (135) et exclut durablement les Rohingyas du monde birman. Cette loi instaure également un certificat d’enregistrement pour les étrangers (« Foreigner Registration Certificate ») qui octroie une forme de statut officiel aux non-citoyens de Birmanie, tout en les excluant des affaires du pays. Les Rohingyas sont ainsi privés du droit de vote. Or, les autorités birmanes rechignent à délivrer ces certificats aux Rohingyas qui, au fil des générations, se retrouvent dépourvus de papiers prouvant leur identité et leur lieu de résidence.</p>
<h2>Une solution qui tarde à venir</h2>
<p>Aujourd’hui, bien que les recherches menées par l’<a href="http://www.unhcr.org/rohingya-emergency.html">Agence des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR)</a> aient montrées qu’une grande partie des familles Rohingya sont présentes sur le sol birman depuis au moins deux générations, la minorité musulmane est plus que jamais perçue comme « étrangère » à la Birmanie.</p>
<p>La société birmane <a href="https://www.cambridge.org/core/books/buddhism-politics-and-political-thought-in-myanmar/B093B39AD8C9A345C38384C062CCA6F6">reste majoritairement bouddhiste</a> (entre 85 et 90 % de la population totale) et connaît depuis quelques années l’influence d’un mouvement bouddhiste nationaliste, incarné par la figure du moine extrémiste <a href="http://content.time.com/time/covers/asia/0,16641,20130701,00.html">U Wirathu</a>, qui répand la peur d’une menace islamique parmi la population birmane et cristallise les sentiments de haine envers les Rohingyas.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/4bUDqaXOA9o?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">‘Le vénérable W’, de Barbet Schroede, Films du Losange, 2017.</span></figcaption>
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<p>A l’intérieur de cet état fragile, sous gouvernement civil depuis 2011 seulement, les Rohingya semblent servir de boucs émissaires : selon la rhétorique du gouvernement, la population birmane doit s’unir face à un ennemi commun, le « terrorisme musulman », incarné sur leur sol par les Rohingyas.</p>
<p>Pour les autres minorités ethniques, pourtant loin de jouir des mêmes droits que la majorité birmane, il paraît essentiel de prouver son appartenance à la Birmanie en marquant son opposition à cet ennemi intérieur. Ainsi, les <a href="http://www.bbc.com/news/world-asia-18395788">Rakhines</a>, habitants de l’État Rakhine majoritairement bouddhistes, sont parmi les premiers à exprimer leur désir d’expulser les Rohingyas de Birmanie. Ils qualifient les Rohingyas de « Bengalis » pour les associer au Bangladesh voisin et donc les exclure du champ national.</p>
<p>Malgré plusieurs crises au cours de ces dernières décennies (la précédente date d’octobre 2016), il aura fallu attendre l’exode de 2017, d’une ampleur extraordinaire, pour que les pays occidentaux commencent à s’inquiéter réellement du sort des Rohingyas. Avant fin 2010, date à laquelle la Birmanie passe sous gouvernement civil, la <a href="http://www.bbc.com/news/world-asia-16546688">fermeture du pays</a> et l’absence de presse d’opposition participent à la méconnaissance de cette minorité persécutée.</p>
<p>Encore aujourd’hui, la mission indépendante de l’ONU, chargée d’enquêter sur les abus de l’armée birmane dans le Rakhine, peine à accéder aux zones touchées et se heurte à l’<a href="https://www.hrw.org/news/2017/08/03/un-myanmars-threat-block-fact-finding-mission">absence de coopération des dirigeants birmans</a>, qui se montrent très méfiants vis-à-vis de toute intervention extérieure.</p>
<p>Aung San Suu Kyi elle-même a montré sa réticence à nommer clairement les « Rohingyas », laissant à penser que les dirigeants birmans continueront malgré tout à exclure ces populations des réalités de leur pays.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84481/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lauriane Simony a reçu des financements du Ministère de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (bourse de thèse).</span></em></p>Les Rohingyas ont longtemps été discriminés au Myanmar, marginalisés en partie à cause du rôle qu’ils ont joué sous le joug britannique.Lauriane Simony, Chargée de cours en civilisation britannique ; thèse en civilisation britannique sur la présence britannique dans la Birmanie post-coloniale., Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/846512017-09-26T22:01:16Z2017-09-26T22:01:16ZAu Kurdistan irakien, une nouvelle étape sur le chemin de l’indépendance<p>Le peuple du Kurdistan irakien a enfin choisi, en votant pour son indépendance. « Sur 3 305 925 votants, le oui a obtenu 92,73 % et le non 7,27 % », a indiqué, mercredi 27 septembre, la commission électorale, précisant que la participation avait atteint 72,16 %. Le nom du Kurdistan existe depuis plus de huit cents ans, mais le « le pays des Kurdes » ne connaît qu’une indépendance partielle, et <em>de facto</em>, depuis 1991.</p>
<p>Écartelé entre quatre États – l’Irak, la Turquie, l’Iran et la Syrie –, le Kurdistan ne dispose d’une forme de statut juridique que dans sa partie irakienne (intégré au sein de la Fédération irakienne). À l’issue du référendum d’indépendance du 25 septembre 2017, ce statut est fortement invité à évoluer vers un État indépendant ou vers une confédération irako-kurdistanaise.</p>
<p>À ce stade, il convient de préciser d’emblée que le terme de Kurdistan désigne la région où les Kurdes sont majoritaires. Sur place, d’autres ethnies sont présentes : les Assyriens, les Chaldéens, les Arméniens, les Turkmènes et les Arabes. En parcourant cet article, le lecteur rencontrera le terme « kurdistanais ». Bien que rarement utilisé dans la langue française, il est le plus approprié pour désigner les habitants et institutions du Kurdistan irakien. Cette distinction met en exergue la portée de cet article qui ne se limite pas au cadre du droit des minorités kurdes, mais tente de définir le statut d’un territoire peuplé principalement par les Kurdes.</p>
<h2>Maîtres de chez eux</h2>
<p>L’idée de référendum d’indépendance n’est pas bien reçue dans une région du monde qui souffre d’instabilité permanente et des guerres confessionnelles, le Moyen-Orient.</p>
<p>L’apparition récente de l’État islamique en Irak et au Levant à la frontière de régions peuplées des Kurdes a changé la donne au Moyen-Orient. Grâce à leurs combattants, les Kurdes sont parvenus à protéger leur région. Malgré la guerre entre les <em>peshmarga</em> (les combattants kurdes) et l’État islamique, cette situation a favorisé l’aspiration nationale kurde à l’indépendance. Les Kurdistanais sont en effet les seuls maîtres de leur territoire en Irak.</p>
<p>L’histoire de l’Irak se répète avec peu ou prou les mêmes acteurs. Aujourd’hui comme il y a 100 ans, ce pays est divisé en trois parties : une partie à majorité kurde (le Kurdistan) en quête d’indépendance depuis 1991, une partie à majorité arabe sunnite et une troisième à majorité arabe chiite.</p>
<p>La région du Kurdistan mène un double combat. Le premier est militaire : contre l’État islamique qui contrôle les zones majoritairement arabes sunnites en Irak et en Syrie. Le deuxième combat, qui est d’ordre économique et politique, se déroule avec le gouvernement fédéral qui exerce uniquement son pouvoir à Bagdad et dans le sud du pays à majorité arabe chiite. Ce pouvoir, en revanche n’est toujours pas parvenu à trouver un juste équilibre national, ethnique et religieux pour gérer le pays par-delà les appartenances confessionnelles et sans recourir à l’intervention des États voisins.</p>
<h2>L’État kurde, un projet historique</h2>
<p>Les Kurdes ne sont pas une nation sans histoire. Le traité de paix signé le 10 août 1920 entre puissances alliées (et associées) et la Turquie, plus connu sous le nom de Traité de Sèvres (non ratifié par la Turquie) avait prévu la création de l’État du Kurdistan. Il était également stipulé, dans son article 64, que les Alliés n’émettraient aucune objection à l’adhésion volontaire des Kurdes habitant le Wilayet de Mossoul au futur État indépendant du Kurdistan.</p>
<p>En 1925, la Société des Nations a envoyé une commission internationale pour vérifier la situation sur le terrain. Cette Commission déclarait alors :</p>
<blockquote>
<p>« Les Kurdes forment la majorité de la population. Ils ne sont ni Turcs ni Arabes […] Seuls les Kurdes et les Arabes habitent en masse compacte de grands territoires. Seuls ces deux éléments de la population pourraient, par leur répartition, fournir la base de tracé d’une ligne de séparation des races. […] S’il fallait tirer une conclusion de l’argument ethnique isolément, elle conduirait à préconiser la création d’un État kurde indépendant […].<br>(Rapport de la Commission de l’enquête sur la question de la frontière entre la Turquie et l’Irak, Société des Nations, 1925).</p>
</blockquote>
<p>En effet, depuis l’intégration des Kurdes en Irak en 1925, les Kurdes n’ont pas hésité de confirmer leur volonté indépendantiste.</p>
<h2>Le référendum et l’État-nation en marche</h2>
<p>Bien qu’ils représentent le quatrième peuple quantitativement au Moyen-Orient – après les Arabes, les Perses et les Turcs – et constituent l’une des plus grandes nations apatrides du monde, les Kurdes n’ont toujours pas un État indépendant, ni de représentant à l’Organisation des Nations unies (ONU).</p>
<p>Une question revient de manière récurrente : les Kurdes sont-ils une nation ? En dehors de la portée juridique et politique de cette interrogation, il s’agit là d’un véritable défi académique pour un enseignant de droit international public au Kurdistan-Irak, surtout lorsqu’il l’aborde devant les étudiants kurdes. À cet égard, le référendum du 25 septembre semble bien attester de la construction d’un État-nation.</p>
<p>Dans l’ordre juridique irakien, il est proprement incompréhensible d’affirmer qu’il existe une nation irakienne, une nation syrienne, etc. Dans cette partie du monde, en effet, chaque individu s’identifie d’abord par sa langue, par son ethnie ou par sa confession, tandis que la citoyenneté vient en second lieu. Par exemple, le sentiment d’appartenir à une nation kurde est plus puissant que la citoyenneté irakienne. Dans le même ordre d’idée, l’article 3 de la Constitution irakienne de 2005 stipule que l’Irak est un pays composé de multiples nations (<em>Qaumyat</em>), religions et confessions.</p>
<p>Cette réalité amène à appréhender d’une manière différente le rapport de la nation et de l’État que celle véhiculée par le modèle des États européens.</p>
<h2>Les nations, un « État dans l’État »</h2>
<p>La devise connue comme <em>in varietate concordia</em> n’est pas d’actualité en Irak. La définition de l’État multinational retenue par le <a href="http://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1995_num_60_4_4479_t1_1055_0000_2">professeur Stéphane Pierré-Caps</a> est celle d’un État composé « de deux ou plusieurs nations existant en tant que communautés différentes, chacune ayant conscience de sa spécificité et manifestant le désir de la conserver. » Elle ne trouve pas sa traduction en Irak. En effet, lorsque le seul moyen pour <em>conserver cette spécificité</em> est le rapport de force, l’existence même d’un État multinational perd sa signification. Ainsi, l’ancien Président irakien, Saddam Hussein, a commis des crimes internationaux massifs contre les Kurdes.</p>
<p>Plus l’État se montre incapable d’être véritablement multinational, en Irak mais aussi en Syrie, plus le sentiment national kurde en faveur de l’indépendance s’épanouit.</p>
<p>Certes, personne ne peut nier l’existence de l’État en Irak et en Syrie. Certes, il existe bien une nationalité irakienne ou syrienne. En revanche, il est bien difficile d’affirmer l’existence d’une nation irakienne. Les pays arabes sont quasiment unanimes sur le fait qu’ils font partie d’une nation arabe. La quasi-totalité de leur Constitution affirme cette appartenance, au détriment de la présence des minorités. Dans cette partie du monde, officialiser les nations revient à entériner l’existence d’un État dans l’État.</p>
<h2>Le sort des régions disputées</h2>
<p>Le référendum du 25 septembre 2017 s’est déroulé non seulement au Kurdistan irakien mais également dans les régions disputées entre le gouvernement de Bagdad et le gouvernement du Kurdistan. Ce sont les forces kurdes qui ont protégé ces zones pendant la guerre de Daech (2014-2017). Les forces irakiennes ont en effet abandonné ces territoires, les laissant dans un vide sécuritaire total.</p>
<p>Un mécanisme comportant plusieurs étapes est prévu dans l’article 140 de la Constitution irakienne de 2005 permettant théoriquement aux Kurdes de rattacher administrativement les régions conflictuelles mentionnées auparavant au Kurdistan. La dernière étape pour y parvenir stipule en effet l’organisation d’un référendum dans ces territoires. Dès lors, le vote du 25 septembre constitue, aux yeux des Kurdes, l’application stricte de la Constitution : ce référendum permet ainsi de rattacher de facto ces territoires à la région du Kurdistan.</p>
<h2>Le droit à l’autodétermination face au principe de l’intégrité territoriale</h2>
<p>L’éternel débat entre le droit à l’autodétermination et le principe de l’intégrité territoriale n’est toujours pas résolu. <a href="https://www.un.org/press/fr/2017/sgsm18682.doc.htm">Dans une récente déclaration, le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres</a>, considère que « toute décision unilatérale d’organiser un référendum en ce moment dérogerait à la nécessité de vaincre EIIL ». En même temps, il rappelle le respect de « la souveraineté, intégrité territoriale et l’unité de l’Irak » et considère que « toutes les questions en suspens entre le gouvernement fédéral et le gouvernement de la région du Kurdistan devraient être résolues dans le cadre d’un dialogue structuré et d’un compromis constructif ».</p>
<p>Le principe de l’intégrité territoriale apparaît, en définitive, comme un moyen de protéger les frontières. A cet égard, le professeur Pierre-Marie Dupuy note à propos du peuple kurde que :</p>
<blockquote>
<p>« réclamant avec constance depuis des temps reculés son indépendance à l’égard des quatre États sur le territoire desquels il est dispersé (Iran, Irak, Syrie et la Turquie), le principe de l’intégrité territoriale est invoqué indépendamment de celui de <em>l’uti possedetis juris</em> puisqu’il ne s’agit pas, à titre principal, d’une situation héritée de la colonisation. »<br>(Droit international public, Dalloz, 8<sup>e</sup> édition, 2006).</p>
</blockquote>
<p>Mais, comme le souligne la Cour internationale de justice, <a href="http://www.icj-cij.org/fr/affaire/141">dans son avis concernant l’indépendance du Kosovo en 2008</a>, « la portée du principe de l’intégrité territoriale est limitée à la sphère des relations interétatiques. » Se pose alors la question suivante : le droit international public se divise-t-il selon deux sphères – étatique et non-étatique ? Selon cette formule de la Cour, les nations sans État, comme les Kurdes, ne font pas partie de la « sphère des relations interétatiques ». En se dotant d’un État, une nation passerait donc d’une sphère à une autre. Chaque sphère a ainsi ses propres principes et ses lois. <a href="http://www.cairn.info/revue-civitas-europa-2015-1-p-111.htm">André Moine</a> souligne, à juste titre, que « le respect de l’intégrité territoriale n’[est] pas opposable à une entité non étatique ».</p>
<h2>Deux poids, deux mesures</h2>
<p><a href="http://www.un.org/press/fr/2017/sc13002.doc.htm">Dans un communiqué de presse du 22 septembre 2017</a>, les membres du Conseil de sécurité s’étaient dit « inquiets de l’effet déstabilisateur que pourrait avoir le projet du gouvernement de la région du Kurdistan. » Dans cette partie du monde, la priorité de la communauté internationale semble être « les opérations menées contre l’EIIL (Daech) – au sein desquelles les forces kurdes ont joué un rôle essentiel », et le « retour librement consenti et en toute sécurité de plus de trois millions de réfugiés et de déplacés », qui vivent majoritairement au Kurdistan irakien.</p>
<p>Pourtant, la région contrôlée par les Kurdes en Irak reste le territoire le plus sûr pour les minorités linguistiques et religieuses ainsi que pour les réfugiés. Suite à l’avancée de l’État islamique en Irak et en Syrie, des centaines des milliers des chrétiens et des Yézidis, des Turkmènes et des Shabak s’étaient réfugiés au Kurdistan irakien.</p>
<p>Les mouvements séparatistes sont perçus par les Nations Unies comme des perturbateurs de l’ordre international. Ainsi, une majorité d’États s’opposent au référendum d’indépendance du Kurdistan irakien, un mécanisme pourtant totalement démocratique. Les raisons de cette opposition varient selon l’intérêt des États.</p>
<p>Le Kurdistan n’est pas un exemple isolé de tentative de gouverner un territoire et de revendication du droit à l’autodétermination. La situation du Kurdistan est parfois comparée – mais pas analogue – au Kosovo, à la Palestine, la Crimée, le Haut-Karabakh la Tchétchénie, le Tibet, le Cachemire, Taiwan, l’Écosse, Québec, etc.</p>
<p>Autre paradoxe : si le Secrétaire général des Nations Unies a critiqué le référendum du Kurdistan, les Nations Unies n’ont procédé à aucune déclaration par rapport à un autre référendum d’indépendance unilatéral, celui qui se déroulera le 1<sup>er</sup> octobre à Catalogne. Faut-il y voir un effet du principe bien connu du deux poids et deux mesures ? Ou, doit-on considérer seulement que la position géopolitique du Kurdistan et de la Catalogne sont radicalement différentes ?</p>
<h2>La crainte de l’effet domino</h2>
<p>La proclamation d’un État indépendant au Kurdistan irakien se heurterait à des oppositions non seulement en Irak, mais également de la part des pays voisins. Pour la Syrie, l’Iran et la Turquie, l’indépendance du Kurdistan ne constitue pas une solution, mais bien un problème qui touche à leur sécurité nationale. Chaque revendication des Kurdes est perçue par ces pays comme une expression du séparatisme. À l’inverse, dans l’esprit des Kurdes, chaque avancée sur le plan juridique est considérée comme une nouvelle étape franchie sur le chemin du futur État indépendant.</p>
<p>Le premier référendum d’indépendance peut-il faire vaciller un domino proche ? C’est la plus grande crainte des voisins du Kurdistan irakien. Cette question ne se pose pas seulement pour les pays où habitent les Kurdes. Une telle évolution pourrait créer un précédent pour d’autres régions et minorités au Moyen-Orient, en proie à une instabilité permanente.</p>
<p>Dans le discours des dirigeants kurde, le recours au référendum d’indépendance et son application en faveur des nations sans État pourraient apaiser une partie des tensions –- mais pas l’ensemble – au Moyen-Orient. Du point de vue des Kurdes, ce référendum n’est qu’une manifestation de justice.</p>
<p>La question qui se pose, enfin, est de savoir si la guerre contre l’État islamique est le « dernier combat » pour les Kurdes avant l’indépendance. Sachant que les combattants kurdes sont aujourd’hui en première ligne sur le champ de bataille contre le terrorisme international, seront-ils récompensés par la reconnaissance d’un État indépendant par la société internationale ?</p>
<p>Pour les Kurdes, la guerre contre le terrorisme international est bien perçue comme une guerre d’indépendance. C’est cet objectif qui les a poussés à combattre, et non pas la volonté de défendre l’intégrité territoriale de l’Irak. Par le biais du référendum d’indépendance, les Kurdes ont voulu délivrer au monde entier un message clair : « Nous voulons notre État ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/84651/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bryar S. Baban ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans cette partie du monde, chaque individu s’identifie d’abord par sa langue, par son ethnie ou par sa confession, tandis que la citoyenneté vient en second lieu.Bryar S. Baban, Maître de conférences en droit public, Salahaddin University-ErbilLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/646512016-09-02T04:37:10Z2016-09-02T04:37:10ZPourquoi le concept d’ethnie ne nous sert plus à rien<p><em>Ce texte est publié en partenariat avec le site <a href="https://www.archivesdupresent.com/">Les Archives du Présent</a> où l’on peut retrouver l’intégralité de l’<a href="https://www.archivesdupresent.com/video/51/">interview de Michel Agier</a>.</em></p>
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<p>Les politiques anti-migratoires menées aux frontières, notamment en Europe, nous ont fait changer de paradigme dans les manières de concevoir le rapport aux autres et au monde. La « solution » du mur est du même ordre que la <a href="http://info.arte.tv/fr/nulle-part-en-france-de-yolande-moreau">« solution » du camp</a>, qui se développe et s’installe dans les politiques et dans les têtes.</p>
<p>Comme si, depuis la fin de la Guerre froide, avec la découverte d’un monde unique et fini, cet espace commun avait eu besoin d’être à nouveau séparé, segmenté, fractionné, par des réactions de type autochtonistes que l’on voit à l’œuvre un peu partout dans le monde, comme réaction viscérale d’autoprotection face à un changement mondial.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/136137/original/image-20160831-30780-1rmupni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/136137/original/image-20160831-30780-1rmupni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/136137/original/image-20160831-30780-1rmupni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/136137/original/image-20160831-30780-1rmupni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/136137/original/image-20160831-30780-1rmupni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/136137/original/image-20160831-30780-1rmupni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/136137/original/image-20160831-30780-1rmupni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/136137/original/image-20160831-30780-1rmupni.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La chute du mur de Berlin, en 1989.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/vivaopictures/3404656762/in/photostream/">Raphaël Thiémard/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>La réponse à ce changement n’est pas l’abolition de toutes les frontières, mais bien la renégociation de l’organisation du monde à l’échelle de la planète. À mon sens, la liberté de circuler fait aujourd’hui l’objet d’un conflit central : beaucoup de guerres que l’on dit locales ou régionales ont pour enjeu souterrain la liberté de circulation et la distribution des espaces.</p>
<p>Je ne vois pas d’un œil particulièrement inquiet le fait que des régions, des pays, des communautés, des micro-États se redessinent <a href="http://www.histoire-immigration.fr/2015/8/comment-penser-la-frontiere">des frontières</a>, mais lorsque celles-ci sont converties en murs, lorsqu’on ne peut plus concevoir une limite qu’en termes de séparation par l’enfermement, de soi ou de l’autre, alors on change de paradigme.</p>
<p>Cette <a href="http://www.spottorno.com/web/europe-closes-border-0">forme de mur</a> nie la fonction des frontières, c’est-à-dire la <a href="http://www.valeriovincenzo.com/borderline-frontiers-of-peace">possibilité de la relation et de l’échange</a>. C’est, me semble-t-il, le moment historique que nous sommes en train de vivre avec ce basculement de la frontière à la clôture.</p>
<h2>Pour une anthropologie de la mobilité</h2>
<p>Cette nécessité de redéfinir en permanence les frontières touche aussi la manière de faire de l’anthropologie. Travailler sur la mobilité humaine, comme c’est mon cas depuis de nombreuses années, oblige l’anthropologue à repenser sa discipline, puisque celle-ci est née sur l’étude de lieux homogènes, de groupes institués, de la permanence des structures familiales, sociales ou religieuses.</p>
<p>Or, l’augmentation exponentielle de la mobilité humaine a rendu tous ces lieux, ces groupes, ces structures, de plus en plus instables, mouvants, hybrides. Pour continuer à faire de l’anthropologie, je crois qu’il faut s’adapter à cette situation, de même que, depuis la naissance de la science sociale à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, il a toujours fallu adapter ses concepts et méthodes à l’évolution des sociétés humaines.</p>
<p>Cela implique par exemple, sur le terrain, d’apprendre à faire des enquêtes multi-situées, donc à se déplacer avec les gens qui se déplacent. Se déplacer, c’est-à-dire savoir aussi <a href="http://www.persee.fr/doc/hom_0439-4216_1986_num_26_97_368696">déplacer ses propres concepts</a> : si on suit les populations qui bougent avec en tête, par exemple, le concept d’ethnie – <a href="https://traces.revues.org/155">concept traditionnel de l’anthropologie</a> –, on risque de manquer la nouveauté des situations.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/136092/original/image-20160831-30801-16jiekh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/136092/original/image-20160831-30801-16jiekh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=515&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/136092/original/image-20160831-30801-16jiekh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=515&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/136092/original/image-20160831-30801-16jiekh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=515&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/136092/original/image-20160831-30801-16jiekh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=647&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/136092/original/image-20160831-30801-16jiekh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=647&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/136092/original/image-20160831-30801-16jiekh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=647&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’ethnie, un concept hérité des colonisations.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://digitalcollections.nypl.org/items/510d47e0-22a4-a3d9-e040-e00a18064a99#">http://www.nypl.org/</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Le concept d’ethnie est historiquement situé. Il correspond au moment, à partir du XV<sup>e</sup> siècle, mais plus encore à partir des conquêtes coloniales du XIX<sup>e</sup> siècle, de la découverte par les Européens de sociétés autres. On a décrit ces sociétés comme « ethnos » : des peuples, et non des nations, opposant ainsi l’État-nation au peuple sans État. Ce concept me semble aujourd’hui inopérant.</p>
<h2>Recompositions identitaires</h2>
<p>Le concept d’ethnie est discutable en lui-même puisqu’il correspond à un moment de la vision occidentale savante sur les peuples « autres », avec tous les dégâts que cette manière de nommer les ethnies, d’assigner des identités, et donc d’exclure au nom de la différence, ont pu faire dans l’histoire. Mais surtout, il est inadapté au monde éclaté d’aujourd’hui, dans lequel les parcours sont – et pas seulement pour les Occidentaux – très individualisés.</p>
<p>Les regroupements, les associations, les formes de vie commune sont instables, n’engagent plus pour toute la vie ni le tout de la vie. Pas plus moi que le Dogon du Mali qui va se dire Dogon à un moment donné parce que des touristes sont là pour voir des Dogons – je pars au Mali pour voir des Dogons, on me montre <a href="http://http://recherche.univ-montp3.fr/cerce/r5/a.d.htm">des Dogons qui jouent aux Dogons</a>. Ce genre de réinvention ou de fiction ethnique n’est ni vrai ni faux. Être Dogon peut fort bien être l’un des aspects par lesquels une personne se présente, autant en hommage à ses ancêtres que par stratégie économique à l’égard de l’ethno-tourisme.</p>
<p>Il s’agit là d’identité ethnique et non pas, ou plus, d’ethnie au sens d’une organisation sociale, économique, culturelle cohérente et stable. Et cette identité ethnique est elle-même une identification parmi d’autres possibles. Les mêmes individus qui se sont dits Dogons dans un contexte d’ethno-tourisme, se retrouvant en France, vont être dits Maliens, ou travailleurs africains, ou tout à fait autre chose. Toutes ces formes d’identification à des collectifs, ces identités, sont très provisoires.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/136099/original/image-20160831-30765-771oiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/136099/original/image-20160831-30765-771oiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/136099/original/image-20160831-30765-771oiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/136099/original/image-20160831-30765-771oiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/136099/original/image-20160831-30765-771oiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/136099/original/image-20160831-30765-771oiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/136099/original/image-20160831-30765-771oiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/136099/original/image-20160831-30765-771oiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">La danse rituelle « dogon » d’un individu aux identités multiples.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/ginagleeson/7966036394">Gina Gleeson/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>L’ethnie des autres</h2>
<p>Une certaine anthropologie traditionnelle peut bien continuer à chercher comment « l’ethnie » continue de se réaliser dans ces situations nouvelles, mais je pense que c’est plutôt le concept même d’ethnie qui ne nous sert plus à rien. L’anthropologie a longtemps eu pour compétence de dire quelle est l’identité des « autres » tandis que « nous », nous savons bien que nous nous référons à de multiples identités dans nos vies, en tenant plus que tout à notre singularité d’individus. Mais si nous y tenons, les autres y tiennent aussi. Pour prendre en compte la mobilité humaine et ses effets mondiaux, cette conception de l’ethnie appliquée aux autres (les décrivant comme attachés à un lieu, à une identité, à une origine, à une place) est à revoir.</p>
<p><em>Depuis avril 2016, Michel Agier mène un programme de recherche collective et d’ateliers publics, soutenu par l’<a href="http://www.agence-nationale-recherche.fr/">Agence Nationale de la Recherche</a> et intitulé <a href="https://anrbabels.hypotheses.org/">BABELS</a> (Border Analysis and Border Ethnographies in Liminal Situations) ou « La ville comme frontière ». Prochain atelier public sur le thème « De Lesbos à Calais, comment l’Europe fabrique des camps » le 28 septembre de 9h à 13h à Paris (inscriptions et contact : stefan.le-courant@ehess.fr).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/64651/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Agier reçoit un soutien financier de l'ANR (Agence nationale de la recherche) pour la réalisation du projet de recherche collective "Babels - La ville comme frontière. Ce que les villes font aux migrants, ce que les migrants font à la ville" (2016-2018)</span></em></p>Dans un monde éclaté, où les parcours individuels sont aussi mobiles que multiples, le concept d’ethnie fixe artificiellement l’identité des êtres.Michel Agier, Anthropologue, Directeur de Recherche à l’IRD et Directeur d’études à l’EHESS, École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.