tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/extremisme-24200/articlesextrémisme – The Conversation2024-01-23T16:37:34Ztag:theconversation.com,2011:article/2201832024-01-23T16:37:34Z2024-01-23T16:37:34ZLes féministes d’aujourd’hui sont-elles extrémistes ?<p>Les féministes d’aujourd’hui sont-elles extrémistes ? Des magazines tels <em>Causeur</em> et <em>Valeurs actuelles</em> font leurs gros titres sur la <a href="https://www.causeur.fr/feminisme-lahaie-fourest-menard-vienet-33706">« terreur féministe »</a> et la radicalité des combats que des militantes <a href="https://www.journaldesfemmes.fr/societe/combats-de-femmes/2625279-valeurs-actuelles-alerte-les-feministes-sont-devenues-folles/">« devenues folles »</a> mèneraient contre le genre masculin. Le Rapport annuel 2024 sur l’état des sexismes en <a href="https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/stereotypes-et-roles-sociaux/actualites/article/6e-etat-des-lieux-du-sexisme-en-france-s-attaquer-aux-racines-du-sexisme">France</a> qui met en avant une augmentation des idées machistes chez les jeunes hommes de 24-35 ans déplace le pôle de la radicalité en question.</p>
<p>« Faisons du sexisme de l’histoire ancienne », commente le rapport 2024. Ces débats sur le postulat de l’extrémisme féministe d’aujourd’hui et le constat de la montée concomitante des conservatismes masculins à l’égard des femmes intéressent assurément l’histoire et renvoient aux positionnements des <a href="https://www.puf.com/antifeminismes-et-masculinismes-dhier-et-daujourdhui">antiféminismes et masculinismes d’hier</a>.</p>
<p>Un exemple édifiant est la loi qui a permis aux jeunes filles d’accéder à l’enseignement secondaire en France. Adoptée le 21 décembre 1880, sous la III<sup>e</sup> République, la <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/9844-la-loi-camille-see-ouvre-l-enseignement-secondaire-aux-jeunes-filles">« loi Camille Sée »</a> a révélé un masculinisme agitant le chiffon rouge de ce qui était perçu à l’époque comme de l’extrémisme féministe.</p>
<p>Tout à la fois, cette loi républicaine est novatrice et conservatrice.</p>
<p>Novatrice, car elle instaure pour les jeunes filles ce que le Second Empire n’a pas réussi à faire. Soucieux de promouvoir un enseignement secondaire féminin, le ministre de l’Instruction publique <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Victor_Duruy">Victor Duruy</a> avait posé avec la circulaire du 30 octobre 1867 le projet de la création de Cours d’enseignement secondaire pour les jeunes femmes. Cette initiative avait soulevé une violente opposition de l’Église catholique qui contribuera à l’échec de cette entreprise. La politique scolaire du ministre se situait dans le contexte d’un Second Empire qui avait initié une ébauche d’instruction féminine dans le primaire, avec la loi Falloux qui permettait l’ouverture d’une école primaire pour les filles dans chaque commune de plus de 800 habitants et la loi de Victor Duruy du 10 avril 1867 qui abaissait ce seuil à 500. Ces mesures étaient des avancées au regard de la loi de juin 1833 de <a href="https://www.guizot.com/fr">François Guizot</a> qui, sous la monarchie de Juillet, avait obligé l’ouverture d’écoles primaires pour les garçons dans chaque commune de plus de 500 habitants, en faisant l’impasse sur l’instruction primaire des filles.</p>
<p>Cette loi républicaine du 21 décembre 1880 est aussi conservatrice car elle crée de façon volontaire un enseignement féminin qui n’a ni le même cursus, ni le même programme, ni le même diplôme que celui des garçons. Il se déroule en cinq ans, au lieu de sept pour eux. Il privilégie un enseignement ménager et de couture pour elles. Et il n’inclut dans son programme aucun cours de philosophie et de langues anciennes. Or, ces matières sont <a href="https://www.decitre.fr/livres/histoire-du-baccalaureat-9782350770901.html">obligatoires au baccalauréat</a>. La fin du cursus donne accès non pas un baccalauréat, mais à un « diplôme de fin d’études secondaires » qui ne permet pas aux filles d’accéder à l’université. Les républicains ont donc profité du revers du Second Empire pour créer un enseignement féminin à leur convenance. Mais s’ils ont œuvré pour que la jeune fille ne soit plus élevée « sur les genoux de l’église », selon la formule chère à leur adversaire clérical, Monseigneur Dupanloup, ils ont aussi agi pour qu’elle soit élevée sur les genoux républicains du foyer familial.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-maths-pour-les-garcons-le-francais-pour-les-filles-comment-les-stereotypes-de-genre-se-perpetuent-a-lecole-202392">Les maths pour les garçons, le français pour les filles ? Comment les stéréotypes de genre se perpétuent à l’école</a>
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<p>Cet inégalitarisme de scolarisation entre filles et garçons n’est pas le fait du hasard. Dans ce <a href="https://galeries.limedia.fr/histoires/les-stereotypes-de-genre-au-XIXe-si%C3%A8cle/">XIX<sup>e</sup> siècle masculiniste</a>, il résulte d’une peur que les hommes ont que les femmes puissent accéder à autre chose qu’un simple enseignement élémentaire. Cette <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f1.item.r=lyc%C3%A9es%20et%20coll%C3%A8ges%20de%20jeunes%20filles%20documents%20rapports%20et%20discours">frayeur tourne autour d’une trilogie</a> que scandent législateurs et autres théoriciens de l’éducation dans les discours, ouvrages et articles dont ils sont les auteurs : les femmes studieuses seraient des femmes orgueilleuses, hideuses, dangereuses. Les délibérations qui se tiennent à la Chambre des députés en décembre 1879 et janvier 1880 ainsi qu’au Sénat en novembre et décembre 1880 permettent de bien rentrer dans le <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f1.item.r=lyc%C3%A9es%20et%20coll%C3%A8ges%20de%20jeunes%20filles%20documents%20rapports%20et%20discours">détail de ces émois</a>.</p>
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<h2>Femmes studieuses, femmes orgueilleuses</h2>
<p><a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/oeuvre/les_Femmes_savantes/119250"><em>Les Femmes savantes</em></a> de Molière et <a href="https://www.livre-rare-book.com/book/20676660/12142"><em>Les Bas-Bleus</em></a> de Barbey d’Aurevilly sont dans toutes les têtes lors des débats parlementaires et sénatoriaux. Ces pédantes ridicules sans talent sont des repoussoirs absolus. Dans l’introduction à son projet de loi, le député Camille Sée <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54988777/f84.image.r=Chrysale%20a">rassure</a> ses collègues parlementaires :</p>
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<p>« Il ne s’agit ni de détourner les femmes de leur véritable vocation, qui est d’élever leurs enfants et de tenir leurs ménages, ni de les transformer en savants, en bas-bleus, en ergoteuses. » (ndlr, « bas-bleu » est expression péjorative pour désigner une femme cultivée)</p>
</blockquote>
<p>Pas plus par snobisme hautain que par surcroît d’intellectualité, il leur promet que la femme républicaine n’abandonnera les tâches culinaires qui lui reviennent :</p>
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<p>« L’économie domestique leur est indispensable ; Chrysale a raison : il faut songer au pot-au-feu. On le dédaignait par mondanité ; il ne faut pas qu’on le dédaigne par excès de capacité. »</p>
</blockquote>
<p>Sur les bancs de ces nobles assemblées, des cris fusent contre les « habits déchirés » que la femme, trop « occupée de hautes études » ne voudra plus recoudre pour son mari. Ils s’indignent aussi du « rôti brulé » et du « pot-au-feu manqué » qu’elle ne manquera pas de lui servir.</p>
<p>Toutes ces admonestations sur les « savantes », les « bas-bleus », les « ergoteuses » avec leur « mondanité », leur « capacité » et leurs « hautes études » sont des doigts sévèrement pointés sur celles qui sont perçues comme de futures orgueilleuses instruites et diplômées qui ne pourront que regarder de haut les tâches subalternes des habits à recoudre et du dîner à préparer. Même après la proclamation de la loi, les recommandations restent tenaces contre « l’orgueil » de la jeune fille instruite.</p>
<p>Tout ce qui relève du scientifique exacerbe particulièrement les élites de l’époque. Le 28 juillet 1882, l’ancien ministre de l’Instruction publique Jules Simon déclare lors d’une remise de prix à de jeunes lycéennes :</p>
<blockquote>
<p>« Je soutiens qu’il est parfaitement inutile d’enseigner la chimie et la physique aux filles […] »</p>
</blockquote>
<p>Le risque de ces sciences, continue-t-il, est de faire de ces jeunes femmes des mères infatuées qui ne s’abaisseront plus à nourrir leur progéniture. Elles utiliseront un langage châtié pour vérifier que leur servante ait bien mis du sucre dans le bouillon de leur petit. Jules Simon se moque du ridicule qu’aurait leur style ampoulé :</p>
<blockquote>
<p>« [Elles] ne manqueront pas […] de s’écrier en molestant la nourrice de leur enfant – car elles ne nourriront certainement plus elles-mêmes – “Avez-vous donné à mon fils son potage sacchariné ?” »</p>
</blockquote>
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<a href="https://theconversation.com/ces-hommes-qui-mexpliquent-la-vie-de-nouvelles-solutions-a-un-tres-vieux-probleme-120646">« Ces hommes qui m'expliquent la vie » : de nouvelles solutions à un très vieux problème</a>
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<h2>Femmes studieuses, femmes hideuses</h2>
<p>La femme hideuse, c’est la « virago », cette mégère autoritaire aux allures masculines que généreront ces études secondaires. Trois jours après la séance sénatoriale du 22 novembre 1880, l’écrivain <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/sans-oser-le-demander/qui-etait-octave-mirbeau-3439692">Octave Mirbeau</a> dans le journal <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k523648k/f1.image"><em>Le Gaulois</em></a> s’étrangle de colère devant la politique républicaine en cours :</p>
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<p>« Qu’est-ce que j’apprends ? Et où allons-nous, mon Dieu ? Ne voila-t-il pas, maintenant, qu’ils veulent prendre nos filles pour en faire des hommes ! »</p>
</blockquote>
<p>Après quelques considérations sur « la barbe au menton » qu’elles ne manqueront pas d’avoir, il dénonce le sabotage d’identité qui se trame :</p>
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<p>« II s’agit de les déniaiser, de les savantiser, de les bas-bleuiser, de les garçonniser, de les viriliser. »</p>
</blockquote>
<p>Tous horizons politiques confondus, le « bas-bleu » n’est donc pas seulement une prétentieuse qui pérore à tout va. C’est aussi une femme qui trahit hideusement sa nature féminine. Un « homme manqué », un « hermaphrodite » qui s’échine à vouloir ressembler à son homologue masculin pour mieux le toiser. Charles Baudelaire, Georges Proudhon ou Jules Barbey d’Aurevilly se déchainent sur les affreuses métamorphoses à venir. En femme de plume célèbre, George Sand est une de leurs cibles favorites. Plus cyniques que jamais, les <a href="https://laffont.ca/livre/journal-des-goncourt-t-3-ne-a-paraitre-97822211t41267/">frères Goncourt</a> s’en prennent aussi à elle pour attester des mutations en cours :</p>
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<p>« Si on avait fait l’autopsie des femmes ayant un talent original, comme Mme Sand […] on trouverait chez elles des parties génitales se rapprochant de l’homme, des clitoris un peu parent de nos verges. »</p>
</blockquote>
<h2>Femmes studieuses, femmes dangereuses</h2>
<p>On s’effraie des « bas-bleus » dégénérés autant que des « bas-rouges » révoltés à venir. Le lendemain du vote en première lecture de la loi sur les lycées de jeunes filles, le journal catholique <em>L’Univers</em> <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k703581x">fait son miel</a> du péril imminent que préparent les savoirs et diplômes féminins. Les « futures doctoresses et avocates », élevées « sans religion » et « bourrées de cette science-frelatée » ne seront que les répliques des violences de 1848 et 1870 :</p>
<blockquote>
<p>« La haine de ces bas-rouges sera d’autant plus féroce que leurs appétits seront plus vastes ; elles voudront réformer une société où elles ne sauraient trouver place, et s’en iront, avec les Hubertine Auclert et les Louise Michel, courir les réunions publiques et réclamer les droits de la femme. »</p>
</blockquote>
<p>Lors des débats parlementaires précédant le vote de la loi, le sénateur bonapartiste Georges Poriquet agite également l’épouvantail de l’émeutière communarde. « Même améliorée par la République », il ne veut pas de cette « femme savante, électeur et orateur, la <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/la_commune-9782707186805">Louise Michel</a> du présent et de l’avenir ».</p>
<p>Dangereuses pour les autres, les femmes studieuses le seraient aussi pour elles-mêmes. Ces littératures prédisent que, désœuvrées par ces nouveaux savoirs, elles se donneront « au premier homme qui passera », « qu’elles se tueront », qu’elles « deviendront folles »…</p>
<p>Les hommes du XIX<sup>e</sup> siècle ont eu peur des évolutions à venir. Et ils ont fait peur à leurs contemporains pour que ces progrès ne se fassent pas. Leur refus d’un enseignement secondaire à égalité avec celui des garçons a été extrême. Il a rejeté de toutes ses forces ces changements en dramatisant leurs enjeux. Il faudra attendre le décret de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9on_B%C3%A9rard_(homme_politique)">Léon Bérard</a> en 1924 pour que les filles puissent commencer à passer un baccalauréat identique à celui des garçons ; soit cent seize ans après le décret impérial du 17 mars 1808 de Napoléon 1er.</p>
<p>Deux siècles plus tard, les conservateurs s’offusquent de l’extrémisme des féminismes d’aujourd’hui. Ces femmes seraient une fois encore <a href="https://www.entreprendre.fr/le-neo-feminisme-nouveau-totalitarisme-engendrant-des-monstres/">orgueilleuses</a>, <a href="https://mamanvogue.fr/bien-etre/enfants/psychologie-enfants/comment-le-feminisme-met-en-danger-la-feminite/">hideuses</a>, <a href="https://atlantico.fr/article/decryptage/le-neo-feminisme-une-ideologie-totalitaire-feministes-militants-societe-france-critiques-pensee-philosophie-revendications-jean-gabard">dangereuses</a>… Ce n’est rien de neuf sous le soleil noir des <a href="https://theconversation.com/il-faut-quon-parle-de-la-maniere-dont-on-parle-des-incels-182928">conservatismes sexistes</a> du XXI<sup>e</sup> siècle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220183/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Barreau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les féministes du XXIᵉ siècle sont parfois taxées d’extrémisme. L’Histoire nous montre que ce chiffon rouge est souvent agité notamment lors des débats sur l’accès des femmes à l’éducation secondaire.Jean-Michel Barreau, Professeur émérite en Sciences de l'éducation. Historien de l'école et de l'éducation. Spécialiste des normes et valeurs scolaires., Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175782023-12-06T17:45:34Z2023-12-06T17:45:34ZDe Twitter à X : un an après, les suprémacistes blancs sont-ils de retour ?<p>Le 28 octobre 2022, un jour seulement après avoir fait l’acquisition de Twitter, Elon Musk publie un message qui résume à lui seul sa vision pour le futur de la compagnie : « L’oiseau est libéré ».</p>
<p>Le bleu symbolique, partagé par les premiers réseaux sociaux, cède rapidement sa place au <a href="https://theconversation.com/desinformation-et-souverainete-des-continents-virtuels-de-linternet-113523">X noir du dark web</a> lorsque la X Corp., filiale de X Holdings Corp. et détenue par Elon Musk, prend le contrôle de Twitter. Dans la foulée, le milliardaire annonce la <a href="https://www.platformer.news/p/why-some-tech-ceos-are-rooting-for">restauration de 62 000 comptes préalablement suspendus</a>, y compris, ce qui fera les gros titres, de celui de Donald Trump.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/twitter-2-0-le-populisme-assume-delon-musk-195476">Twitter 2.0 : le populisme assumé d’Elon Musk</a>
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<p>De fait, le magnat de la technologie énonce clairement son dessein : métamorphoser Twitter en une plate-forme où la liberté de parole se rapprocherait de l’absolu. Il se place ainsi en <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/11/14/twitter-supprime-une-grande-partie-de-ses-capacites-de-moderation_6149773_4408996.html">rupture radicale</a> avec les dispositifs de modération encouragés par le <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2020/10/27/facebook-twitter-et-google-devant-le-senat-americain-pour-repondre-de-leur-responsabilite-sur-les-contenus-publies_6057588_4408996.html">Congrès états-unien</a> pour tenter de contenir les discours haineux et de contrer l’épidémie de désinformation.</p>
<p>Cette nouvelle orientation engendre des réactions polarisées aux États-Unis. Certains craignent une montée de l’extrémisme, en particulier des mouvements suprémacistes, en raison de la possibilité de voir se propager et normaliser des <a href="https://www.tf1info.fr/international/elon-musk-accuse-de-faire-une-promotion-abjecte-de-l-antisemitisme-sur-x-twitter-par-la-maison-blanche-2276594.html">contenus à caractère raciste et antisémite</a>. Parallèlement, de nombreuses voix s’élèvent sur Twitter pour réclamer le rétablissement des comptes de leaders nationalistes blancs qui aspirent à retrouver leur place sur la plate-forme, appels manifestés par des interpellations directes faites à Musk.</p>
<p>Un peu plus d’un an plus tard, alors que, à l’occasion de l’anniversaire de son rachat, Musk a retweeté son message initial en l’agrémentant du mot « Freedom », quelle est la situation effective des comptes nationalistes blancs sur le réseau social, et quelles sont les implications prévisibles pour l’évolution de l’extrémisme dans le discours public ?</p>
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<h2>La suspension persistante des leaders nationalistes blancs</h2>
<p>Les équipes de X ont procédé à une première vague de restaurations des comptes suspendus <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/11/24/elon-musk-annonce-le-retablissement-des-comptes-suspendus-sur-twitter_6151502_4408996.html">à partir de novembre 2022</a>.</p>
<p>Parmi les comptes dont le retour était le plus craint se trouvent ceux de leaders nationalistes blancs suspendus de 2017 à 2021, lors de vagues de <a href="https://dictionary.cambridge.org/fr/dictionnaire/anglais/deplatform">déplatforming</a> consécutives aux <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/aux-etats-unis-les-reseaux-sociaux-mobilises-contre-les-extremistes-blancs_115584">événements de Charlottesville</a> puis à <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/usa/presidentielle/direct-violences-au-capitole-twitter-suspend-le-compte-de-donald-trump-de-facon-permanente_4250747.html">l’assaut du Capitole</a>.</p>
<p>Avaient alors été suspendus les comptes de personnalités notoires comme la figure emblématique du Ku Klux Klan, <a href="https://www.francetvinfo.fr/internet/reseaux-sociaux/twitter/twitter-suspend-le-compte-de-david-duke-l-ancien-chef-du-ku-klux-klan_4063395.html">David Duke</a>. La mesure avait également concerné des individus moins médiatisés mais tout aussi importants, tels le théoricien du « réalisme racial » <a href="https://www.cnet.com/culture/white-nationalist-jared-taylor-american-renaissance-sues-twitter-for-account-suspension/">Jared Taylor</a>, fondateur du site suprémaciste blanc <a href="https://www.amren.com/">American Renaissance</a>, ou encore <a href="https://academic.oup.com/book/25370/chapter-abstract/192454202?redirectedFrom=fulltext">Greg Johnson</a>, éditeur du magazine nationaliste blanc <a href="https://counter-currents.com/">Counter-Currents</a>.</p>
<p>Contre toute attente, même avec l’arrivée de Musk, ces comptes sont demeurés inaccessibles. Ayant en commun la promotion organisée d’un État racial aux États-Unis, basé sur une identité blanche homogène, leurs contenus sont restés en contradiction avec les nouvelles règles de sécurité de la plate-forme X, qui interdisent les <a href="https://help.twitter.com/en/rules-and-policies/x-rules">associations avec les entités violentes ou haineuses</a>. D’autres comptes clés ont ainsi été désactivés par les équipes d’Elon Musk, comme celui du psychologue antisémite et nationaliste blanc <a href="https://www.splcenter.org/fighting-hate/extremist-files/individual/kevin-macdonald">Kevin MacDonald</a> en avril 2023.</p>
<p>Si l’absence persistante de ces leaders prive un mouvement fragmenté de points de convergence idéologique, cela ne signifie pas pour autant que le racialisme anti-démocratique est absent de la plate-forme. De nombreux comptes de personnalités secondaires, déjà présents sur Twitter, sont parvenus à passer entre les mailles du filet des nouvelles règles de X et à exploiter la situation pour s’établir comme les nouvelles voix à suivre.</p>
<p>En outre, X a procédé à une deuxième vague de restaurations en janvier 2023. Sans rétablir les théoriciens du racialisme, des groupes que l’on peut qualifier d’adjacents au nationalisme blanc tels que les <a href="https://www.isdglobal.org/explainers/groypers/">Groypers de Nick Fuentes</a> ont ainsi tenté de réinvestir la plate-forme.</p>
<h2>Le dark web intellectuel ou l’authentique X de droite</h2>
<p>Le Twitter de Musk tend à ouvrir ses portes à une ligne essentialisante de <a href="https://intellectualdarkweb.site/">l’Intellectual dark web</a>, ensemble hétéroclite de personnalités médiatiques revendiquant leurs qualifications académiques pour se définir comme penseurs. Leur idéologie commune s’appuie néanmoins sur une conception biologique des genres, cristallisant des rôles traditionalistes qui confinent l’homme à une puissance masculine productive, tout en assignant à la femme une féminité délicate et protectrice du foyer.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1604080906746355719"}"></div></p>
<p>Le compte de l’influenceur Stefan Molyneux, qui a fait partie de la <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/08/16/etats-unis-qu-est-ce-que-l-alt-right-et-le-supremacisme-blanc_5173096_4355770.html">mouvance alt-right</a>, est l’un de ceux qui ont été rétablis dès novembre 2022. Suivi par plusieurs centaines de milliers d’abonnés, il est connu pour ses prises de position libertariennes au sein des sphères de la <a href="https://unherd.com/2021/12/why-the-right-is-obsessed-with-masculinity/">« manosphère »</a>. Cette manosphère est une version particulièrement réactionnaire du masculinisme, largement caractérisée par une hostilité militante à l’encontre de tout ce qui relève, aux yeux de ses membres, du wokisme. Cette tendance idéologique a été confortée par la <a href="https://www.tvqc.com/2022/11/19/news/video/twitter-jordan-peterson-remercie-elon-musk-davoir-reactive-son-compte/">réactivation des comptes de Jordan B. Peterson</a> et de <a href="https://www.louderwithcrowder.com/james-lindsay-exclusive-part-one">James Lindsay</a>, deux figures controversées de ce mouvement.</p>
<p>La manosphère tend en outre à servir de porte d’entrée à d’autres groupes adjacents au nationalisme blanc. La synthèse identitaire est incarnée par le retour sur X de Bronze Age Pervert – dit « BAP » par ses followers – pseudonyme provocateur du philosophe roumano-américain <a href="https://www.theatlantic.com/magazine/archive/2023/09/bronze-age-pervert-costin-alamariu/674762/">Costin Alamariu</a>. Son marketing repose sur une hiérarchie sexuelle explicite dominée par des mâles alpha amateurs de séductions éphémères. Il y rajoute également l’ambiguïté d’amitiés viriles marquées par une esthétique guerrière.</p>
<p>Depuis le feu vert offert par Elon Musk, le contenu proposé par « BAP » rencontre un public croissant qui dépasse désormais les 130 000 fidèles, soit une augmentation de deux tiers en un an. Sa présence a permis de rendre sa structure pyramidale à un mouvement qui se désigne couramment comme l’authentique Twitter de Droite (Right-Wing Twitter). Elle favorise en outre un glissement du libertarianisme anti-woke vers le néofascisme.</p>
<p>En effet, BAP n’est pas si différent des comptes nationalistes blancs pourtant inaccessibles sur X. <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2023/07/16/bronze-age-pervert-masculinity-00105427">Promoteur décomplexé d’un projet antidémocratique</a>, il souscrit à une philosophie néo-nietzschéenne qui oppose sa notion élitiste de la fraternité à des groupes ethniques qu’il décrit comme de simples « ferments ». Les rapports sociaux sont essentialisés à leur paroxysme : ils ne sont plus euphémisés, mais sublimés par l’illusion d’appartenir à une communauté basée sur la célébration d’une force qui se réalise dans la seule domination d’autrui.</p>
<h2>Vers une même cohérence politique masculiniste anti-woke, la mouvance NatCon</h2>
<p>Il peut de prime abord sembler paradoxal de refuser, comme le fait actuellement Twitter-X, la présence de comptes explicitement racialistes ou antisémites tout en admettant la présence et la croissance d’un réseau néofasciste adjacent. Plusieurs explications sont envisageables.</p>
<p>D’un point de vue sémiotique, cette faction de la droite extrême a développé ses propres codes de langage qui lui permettent de contourner les algorithmes de recommandation. Au niveau thématique, les discours masculinistes, qui se positionnent contre les théories du genre, semblent <a href="https://www.europe1.fr/people/elon-musk-une-biographie-depeint-les-obsessions-et-les-methodes-brutales-du-milliardaire-4203220">rencontrer les faveurs d’Elon Musk</a>. Celui-ci a en effet exprimé sans détour son opposition au « virus woke » quand il a rétabli le <a href="https://www.foxnews.com/media/the-babylon-bees-twitter-account-reinstated-elon-musk-suspension-transgender-joke-back">compte satirique Babylon Bee</a>. Enfin, les influenceurs de la droite extrême réadmis sur la plate-forme répondent à une cohérence idéologique qui tend à étayer un projet politique convergent.</p>
<p>En effet, ces acteurs gravitent autour de la mouvance NatCon, un <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2019/07/national-conservatism-conference/594202/">conservatisme nationaliste</a> rassemblant diverses branches politiques illibérales, <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2019/07/national-conservatism-conference/594202/">sous la houlette de Yoram Hazony</a>. Alors qu’il ne peut être catégorisé comme conservateur nationaliste, BAP a <a href="https://newrepublic.com/article/174656/claremont-institute-think-tank-trump">bénéficié dès 2019 du relais du Claremont Institute</a>, un think tank étroitement associé au réseau NatCon, pour la <a href="https://claremontreviewofbooks.com/are-the-kids-altright/">promotion de son ouvrage _Bronze Age Mindset</a>_.</p>
<p>Cette inclusion dans une organisation clé du conservatisme national établit un lien vers le <a href="https://reason.com/2020/08/02/wait-wasnt-peter-thiel-a-libertarian">libertaire Peter Thiel</a>, fondateur de Palantir, co-fondateur de Paypal et ancien associé d’Elon Musk, devenu l’un des principaux influenceurs du mouvement. La relation entre un magnat de la Silicon Valley et un philosophe masculiniste peut sembler ténue. Pourtant, Thiel est un important donateur du Parti républicain et n’a jamais caché son adhésion à une idéologie antidémocratique proche de la <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/28/opinion/marc-andreessen-manifesto-techno-optimism.html">pensée néo-réactionnaire de Curtis Yarvin</a>. Bénéficiant d’importants soutiens, le BAPtisme se situe à l’extrême du <a href="https://www.vanityfair.com/news/2022/04/inside-the-new-right-where-peter-thiel-is-placing-his-biggest-bets">continuum promouvant une « Nouvelle Droite »</a>. Cette New Right est une actualisation de la faction non racialiste de l’alt-right qui tente de gagner en prépondérance en utilisant la plate-forme X.</p>
<p>La question du nationalisme blanc peut donc se poser en termes stratégiques. Malgré une proximité idéologique, le refus des organisateurs des conférences NatCon d’accepter la présence des leaders du mouvement est justifié par le <a href="https://www.buzzfeednews.com/article/rosiegray/national-conservatism-trump">souci de ne pas voir leur image liée à une mouvance aussi ouvertement extrême</a>. L’association avec ce qui est étiqueté « nationalisme blanc » est considérée comme dommageable à l’attraction d’une audience large et diversifiée. La mise en scène de son rejet permet au contraire de rassurer et de renforcer la respectabilité du NatCon.</p>
<p>Dans les salles de conférence comme sur X, le NatCon semble avoir entrepris de reconstruire un mouvement sur la base de nouveaux codes et de nouvelles figures. Ce sont ces choix qui détermineront si le projet antidémocratique peut être perçu comme acceptable par le plus grand nombre. Et si l’extrémisme masculiniste peut devenir la norme politique du Parti républicain. En 2022 déjà, le républicain Blake Masters, candidat malheureux à la fonction de Sénateur de l’Arizona, a su rassembler le soutien de la droite dure grâce à un programme à la fois traditionaliste et protectionniste.</p>
<p>L’oiseau Twitter est peut-être libéré, mais le X se montre sélectif. Un an après la prise de contrôle du réseau social par Elon Musk, il apparaît que les craintes sur la montée en puissance du nationalisme blanc ont plus que jamais besoin d’être contextualisées et rationalisées. L’étude des comptes influents effectivement actifs montre que les termes du débat risquent de passer de l’alt-right à la New Right. À l’approche des élections de 2024, ce cadre sera d’une grande importance pour analyser la résurgence de toutes les formes de suprémacisme aux États-Unis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217578/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Après la prise de contrôle de Twitter par Elon Musk en octobre 2022, beaucoup s’inquiètent de la réapparition des comptes nationalistes qui avaient été suspendus auparavant.Sarah Rodriguez-Louette, Doctorante à l’Université Sorbonne Nouvelle, membre de la Chaire Unesco « Savoir Devenir à l'ère du développement numérique durable»., Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 Divina Frau-Meigs, Professeur des sciences de l'information et de la communication, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2007842023-03-23T17:48:47Z2023-03-23T17:48:47ZConversion à l’Islam : au-delà des préjugés, une étude interroge les femmes concernées<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/514230/original/file-20230308-1070-6tkgcw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C7%2C5067%2C3375&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une membre du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) distribue des pains au chocolat devant la gare Saint-Lazare le 10 octobre 2012 à Paris pour protester contre les propos tenus par Jean-François Cope (LR ex-UMP) au sujet d'un garçon qui se serait fait voler son "pain au chocolat" par des "voyous" pendant le mois de jeûne du ramadan.</span> <span class="attribution"><span class="source">Thomas Samson / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Depuis toujours, la figure du converti fascine et inquiète. De Jack Ward, corsaire anglais du XVII<sup>e</sup> siècle devenu Yusuf Rais, à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/terrorisme/article/fabien-clain-voix-de-la-revendication-du-13-novembre-a-ete-tue-en-syrie_140606.html">Fabien Clain</a>, terroriste de Daesh tristement connu pour être la voix revendiquant les attaques du 13 novembre, les convertis sont des figures anxiogènes. Les femmes ne font pas exception. On les dépeint souvent revêtues d’un niqab d’où ressortiraient seulement des yeux bleus.</p>
<p>La femme convertie concentre en effet les paniques morales du XXI<sup>e</sup> siècle : <a href="https://theconversation.com/expliquer-la-radicalisation-1-individus-interactions-identites-et-croyances-53520">extrémisme</a>, séparatisme, <a href="https://theconversation.com/terrorisme-radicalisation-islam-michel-wieviorka-en-conversation-avec-marc-sageman-86574">terrorisme</a>. Il est indéniable que plusieurs converties ont <a href="https://theconversation.com/le-martyre-djihadiste-feminin-un-post-feminisme-regressif-67279">joué un rôle</a> important au sein de ce terrorisme djihadiste. Il convient aussi de souligner que le phénomène reste extrêmement minoritaire.</p>
<p>La <a href="https://journals.openedition.org/cedref/1336#ftn29">conversion réfléchie et volontaire</a> de femmes qui n’ont aucun lien direct ou hérité avec l’Islam est loin des stéréotypes qui leurs sont souvent assignés. Chaque conversion fait en réalité partie d’un ensemble de circonstances sociales et intimes. Mon analyse se fonde sur les résultats d’une <a href="https://doi.org/10.4000/cedref.1336">enquête qualitative</a>, menée de 2017 à 2019 en France et en Irlande. Les données proviennent de 35 entretiens approfondis et de nombreux entretiens informels effectués pendant des périodes d’observation participante. Les interviewées étaient toutes des femmes converties à l’islam, nées et socialisées en France ou en Irlande, sans lien préalable avec l’Islam. Elles avaient entre 17 et 71 ans lors de l’enquête. Leur âge moyen au moment de la conversion était de 20 ans.</p>
<p>La conversion est un parcours au cours duquel la convertie va <a href="https://journal.fi/temenos/article/view/5151">créer et négocier des identités</a> nouvelles ou <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2017-4-page-637.htm">hybrides</a>. Bien qu’elle soit souvent officialisée par la <em>shahada</em> (profession de foi), la conversion est avant tout un <a href="https://journals.openedition.org/cedref/1336#bodyftn30">processus au long cours</a>. L’adhésion est souvent constituée de multiples essais, suivis de l’adoption plus ou moins progressive d’un système de croyances islamique et des comportements associés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1612487224096083968"}"></div></p>
<p>Les événements déclencheurs sont très variés : quête spirituelle, réflexion politique, voyage, réseaux d’amis, mariage, choc suite à un attentat. Bien que chaque conversion soit unique, il est possible de distinguer trois approches : par friction (de proximité ou maritales), spirituelles, et réactives (de curiosité ou politiques).</p>
<h2>Pourquoi se convertir ?</h2>
<p>Les conversions les plus courantes sont liée à une proximité spatiale et émotionnelle avec des personnes musulmanes. Ce sont les conversions que je nomme « par friction ». Elles comprennent les conversions maritales, à but de convenance, qui demeurent rares, et les conversions de proximité. <a href="https://journals.openedition.org/assr/45612">« L’islamophilie »</a> est un aspect clé de ces dernières. Les femmes entretiennent des liens proches (souvent amicaux) avec des personnes de culte musulman. Lorsque la relation est <a href="https://theconversation.com/quand-lislam-2-0-fascine-les-latino-americaines-105462">d’ordre romantique</a>, elle n’est pas nécessairement suivie d’un mariage. Ce dernier se décide ultérieurement, une fois le cheminement spirituel abouti, souvent à la demande de la femme pour rendre l’union licite aux vues de ses nouvelles croyances :</p>
<blockquote>
<p>« Au moment où on s’est mis ensemble, il était musulman de naissance, mais il ne priait pas encore. Ça lui arrivait d’aller au McDo et de pas manger halal, donc il était musulman, mais pas très pratiquant on va dire. Et au moment où je me suis convertie, lui a pratiqué plus aussi […] D’ailleurs je le tanne un peu pour [qu’on se marie]. J’espère que ça sera le plus vite possible, et ça sera religieux, ça sera musulman. Et je dirais même que des fois c’est plus moi qui suis insistante sur ces points que lui. »</p>
</blockquote>
<p>Louise, étudiante, 25 ans, union libre, sans enfants</p>
<p>Les conversions dites spirituelles sont l’aboutissement d’une quête religieuse, rationnelle et intellectuelle. L’islam peut aussi être découvert après l’essai de plusieurs religions moins stigmatisées (bouddhisme, protestantisme), ce qui permet une rationalisation sociale de leur choix :</p>
<blockquote>
<p>« Je cherchais un peu. Comme en plus dans mes voyages je rencontrais des religions plutôt animistes, je me disais, peut être que les objets ont une âme […], mais sans vraiment que ça m’accroche trop. […] Et comme je sors d’une famille protestant[e], je me suis dit ben voilà je vais m’intéresser. [Je suis allée au Culte] mais […] ça ne me parlait pas comme religion […]. Du coup j’ai continué à lire sur l’islam […], naturellement je me suis dit […] quitte à choisir une religion, enfin j’avais besoin de choisir une religion, je me suis dit bah voilà, je vais devenir musulmane. » (Anaïs, 27 ans, urbaniste, célibataire, sans enfants)</p>
</blockquote>
<p>Enfin, les conversions réactives peuvent être politiques ou dites « de curiosité ». Les premières, plus rares, se définissent par des positionnements idéologiques vus comme une forme de résistance sociale contre l’exclusion, ou bien une adhésion à un courant d’islam politique porteur d’un projet social. Les conversions de curiosité sont plus fréquentes. Dans ce cas, l’intérêt pour la religion est suscité par la remise en question de la représentation négative de l’islam dans les médias.</p>
<h2>Briser le stéréotype de la musulmane oppressée</h2>
<p>Bien que les représentations médiatiques des femmes musulmanes se soient quelque peu <a href="https://www.valeriebaeriswyl.com/reportages/convertie/">diversifiées</a> ces dernières années, le stéréotype prédominant persiste à les dépeindre comme simultanément « réprimées » et « menaçantes ». Les personnes que j’ai interrogées étaient parfaitement conscientes de ces stéréotypes avant de se convertir et les partageaient même parfois :</p>
<blockquote>
<p>« J’étais de plus en plus attirée par [l’Islam] […] j’avais besoin de m’identifier, mais en même temps, dès que je disais “musulmane”, tout en moi se crispait. C’était “non ! Pas musulmane !”. Pas cette représentation, avec ce vieux foulard, ces vieilles croyances… » (Delphine, enseignante, 23 ans, mariée, sans enfants)</p>
</blockquote>
<p>Pour contrer ce sentiment, beaucoup de converties insistent sur la relation entre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=V4vGz7gln8k">féminismes et Islam</a>, et la question de <a href="https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/coran-un-djihad-pour-l-egalite-des-femmes,4651">l’émancipation féminine par l’Islam</a>. Elles tentent de briser le stéréotype de la musulmane oppressée (par un mari, une culture, une religion) par leur comportement.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/E_flQbtI1U4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Amina Wadud, ancienne chercheuse, convertie, est très impliquée dans le droit des femmes en Islam.</span></figcaption>
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<p>Plusieurs <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1469-8676.2009.00082.x">stratégies</a> peuvent être identifiées. Certaines préfèrent rester « invisibles », soit en ne portant aucun signe religieux identifiable, soit en portant un couvre-chef qui n’est pas reconnaissable comme islamique (bandeau, bonnet). D’autres choisissent de porter un <a href="https://theconversation.com/comment-le-voile-a-donne-naissance-a-la-hijabista-mondiale-76886"><em>hijab</em></a> plus conventionnel et l’accompagnent de micro-actions qui vont pousser à leur reconnaissance en tant que musulmanes et « modernes » (coordination des couleurs, attitude avenante, mise en avant d’un niveau d’éducation élevé).</p>
<p>D’autres préfèrent se séparer symboliquement de leur société d’origine en adoptant des vêtements très couvrants comme le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/06/11/niqab-hijab-burqa-des-voiles-et-beaucoup-de-confusions_4651970_4355770.html"><em>jilbab</em></a> ou le <a href="https://www.academia.edu/27642556/Niqab_un_autre_regard"><em>niqab</em></a>, mais tout en faisant appel au principe fondamental de la liberté de choix. Quelle que soit la stratégie employée, la majorité des converties invoque ces notions de liberté de choix et d’agentivité, reflets directs de leur expérience dans une société libérale.</p>
<h2>Une nouvelle identité féminine</h2>
<p>Pour beaucoup de converties, l’adoption de l’islam nécessite la redéfinition des notions précédemment acquises sur le féminisme et la féminité.</p>
<p>Lorsqu’elles parlent de droits des femmes, elles font la distinction entre les musulmanes européennes et celles dans des pays musulmans. La composante patriarcale présente dans certains pays musulmans est fréquemment critiquée, tandis que l’Islam est mis en avant comme une religion progressiste – en utilisant souvent des modèles issus de l’histoire des femmes proches du Prophète (Khadija, Aïcha, Fatima).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1613915567857057792"}"></div></p>
<p>La plupart contribuent néanmoins à la consolidation de normes de genre conservatrices. Cela ne les empêche pas de trouver un accomplissement personnel dans ces nouvelles <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2014-2-page-183.htm">articulations pieuses</a> du soi.</p>
<p>Par ailleurs, comme d’autres femmes qui se réclament du <a href="https://blogs.mediapart.fr/jean-michel-barreau/blog/081020/une-femme-peut-elle-etre-fiere-d-etre-conservatrice-0">« conservatisme »</a>, les converties qui ont tendance à rejoindre une tradition religieuse stricte le font car cette communauté reflète leurs besoins. C’est précisément parce que les <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780429337345-9/gender-experience-conversion-case-returnees-modern-orthodox-judaism-lynn-davidman-arthur-greil">groupes religieux conservateurs légitiment</a> le désir de certaines femmes d’avoir une identité « traditionnelle » d’épouse et de mère qu’elles les trouvent attrayants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200784/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anastasia Athénais Porret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La conversion à l’islam volontaire, en particulier de femmes, est souvent mal comprise.Anastasia Athénais Porret, Sociologue, spécialiste des conversions à l'islam, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1907602022-10-12T19:12:29Z2022-10-12T19:12:29ZL’ombre de Donald Trump sur les primaires aux États-Unis<p>Dans un <a href="https://twitter.com/RafJacob/status/1570085311300128771">tweet du 14 septembre</a>, un chercheur canadien spécialisé dans la politique états-unienne écrivait : « On a commencé le calendrier des primaires il y a six mois avec une question principale : à quel point Donald Trump domine-t-il toujours le Parti républicain ? Le processus des primaires a pris fin hier soir, et la réponse est claire : il le domine toujours. Outrageusement. »</p>
<p>Cette remarque semble répondre à la question principale que se posent tous ceux qui s’intéressent à ce pays et va, selon leur camp, les rassurer ou raviver leurs craintes, au moment où les États-Unis s’apprêtent à organiser, le 8 novembre prochain, les élections de mi-mandat (l’ensemble des 435 sièges de la Chambre des représentants seront renouvelés, ainsi qu’un tiers des 100 sièges du Sénat ; en outre, les Chambres et Sénats de nombreux États seront renouvelés ce jour-là, de même que les deux tiers des gouverneurs et d’autres postes électifs).</p>
<p>Cela signifie-t-il que Trump a fait la pluie et le beau temps dans les primaires du Parti républicain qui ont été organisées pour désigner les candidats à tous les postes en jeu ? Qu’il a choisi la majorité des candidats ? Qu’il a influencé le programme du parti ? Qu’il a tissé un réseau qui va le reconduire directement à la Maison Blanche en 2024 ? Qu’il a écarté tous les autres prétendants possibles ? Et puis, question complémentaire : est-il à ce point inoxydable que rien ne peut effectivement l’atteindre et que toutes les affaires dont les journaux parlent du matin au soir ne pourront finalement pas le rattraper ?</p>
<h2>Trump a-t-il vraiment pesé sur les primaires ?</h2>
<p>La domination décrite dans le tweet, et qui est largement et régulièrement évoquée dans les médias, parait répondre à toutes ces interrogations. Pourtant, levons tout de suite un doute : Donald Trump n’est pas une composante particulière du Parti républicain, un « courant », qui aurait pesé et fait élire au cours des primaires une majorité de candidats chargés de porter leur propre programme.</p>
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<p>Tout d’abord, il n’y aucun programme particulier auquel les candidats « trumpistes » ou MAGA (pour <em>Make America Great Again</em>, son slogan fétiche) peuvent se référer, sur lequel ils se retrouvent toutes et tous, si ce n’est la dénonciation du « Big Lie » (Le Grand Mensonge) – l’affirmation que l’élection de 2020 a été <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9co-tech/20201106-%C3%A9lections-am%C3%A9ricaines-stop-the-steal-l-op%C3%A9ration-%C3%A9clair-des-pro-trump-contre-biden">volée par Joe Biden</a>, ce à quoi il convient de rajouter quelques thèses complotistes, du moins pour certains d’entre eux.</p>
<p>Par ailleurs, sur les plusieurs milliers de postes en jeu, Donald Trump n’a soutenu que 236 candidats, le faisant très souvent au dernier moment, à quelques jours du scrutin, par opportunisme, en choisissant celui ou celle qui était (souvent largement) en tête dans les sondages, comme <a href="https://thehill.com/homenews/campaign/3670638-trump-praises-gubernatorial-candidate-tudor-dixon-at-rally-in-mich/">Tudor Dixon</a> dans le Michigan, ou associant son nom à côté de candidats qui n’avaient aucun opposant dans leur circonscription, et ne pouvaient donc pas perdre (pour plus de la moitié de ceux qu’il a soutenus, dont 61 qui n’avaient aucun opposant). La victoire ainsi promise alimentait une légende qui reposait donc sur du vent.</p>
<p>La propagande a bien entendu exploité ce filon du pouvoir de Trump sur le Parti républicain. Ses équipes de communication et ses supporters ont notamment beaucoup insisté sur les 21 candidats à des postes de sénateurs qui lui devraient leur victoire dans les primaires. Or ce total est là encore très exagéré puisque onze de ces candidats soutenus par Trump – John Boozman (Arkansas), Mike Crapo (Idaho), Chuck Grassley (Iowa), John Hoeven (Dakota du Nord), Mike Lee (Utah), Jeremy Moran (Kansas), Rand Paul (Kentucky), Ron Johnson (Wisconsin), John Neely Kennedy (Louisiane), Tim Scott (Caroline du Sud) et Marco Rubio (Floride) – étaient des sortants et n’avaient besoin de personne pour remporter leurs primaires respectives (96 % des sénateurs sortants sont réélus). Et sur les 10 restants, il n’y a en réalité eu que 7 victoires aux primaires : Katie Britt (Alabama), Ted Budd (Caroline du Nord), Adam Laxalt (Nevada), Blake Masters (Arizona), Mehmet Oz (Pennsylvanie), James David Vance (Ohio) et Herschel Walker (Géorgie). Avec peu de chances toutefois qu’elles se concrétisent en autant de postes au Capitole en novembre, mis à part Adam Laxalt, qui est déjà la surprise de ce scrutin, de par ses bons sondages.</p>
<p>On a aussi abondamment parlé des <a href="https://www.politico.com/news/2021/06/06/gop-convention-491993">« verdicts » rendus par Donald Trump</a>, condamnant à la défaite ceux qui l’avaient trahi, ne l’avaient pas soutenu comme il le souhaitait ou – pis encore – <a href="https://www.reuters.com/world/us/trumps-revenge-endorsements-drive-republican-congressman-race-2021-09-09/">avaient voté pour sa destitution en janvier 2021</a>. La légende des « félons battus » a été largement diffusée, commentée et exagérée : chaque défaite d’un des <a href="https://www.nouvelobs.com/l-amerique-selon-trump/20210114.OBS38835/ils-se-rebellent-contre-trump-10-elus-republicains-ont-vote-pour-sa-destitution.html">dix Républicains qui avaient voté en faveur de l’<em>impeachment</em></a> a semblé donner corps à sa force de frappe, portée par son désir de revanche.</p>
<p>Sauf que la réalité a été amplement déformée : quatre de ces élus ne se représentaient pas et, si trois sur les six restants ont effectivement été battus, c’est un peu léger pour en faire la base d’une démonstration quelconque.</p>
<p>Porter au crédit de Trump le fait que certains de ses adversaires au sein du parti ne se sont pas représentés cette fois est également ridicule : les mêmes observateurs affirmeront-ils que Biden a conduit 15 à 20 % des membres du Congrès à ne pas se représenter en 2024 ? C’est pourtant bien ce qui devrait arriver, mais pour une raison très simple et très logique : 23 % des membres du Congrès actuel ont plus de 70 ans. Pour rester sérieux, il y a des gens qui ne se représentent pas, à chaque élection, tout comme il y a des battus, y compris parmi les sortants.</p>
<p>Cette année, 39 Démocrates et 117 Républicains ont perdu leur siège lors des primaires, qu’ils aient concouru pour la Chambre ou le Sénat des États-Unis ou pour la Chambre ou le Sénat de leur État. Mais remettons tout cela en perspective : il y avait 1 901 sortants républicains et 1 432 démocrates. 156 des défaites recensées sont dues au <a href="https://www.la-croix.com/Monde/%C3%89tats-Unis-Texas-bras-fer-redecoupage-electoral-2021-12-11-1201189694">redécoupage électoral</a>, qui a été décidé l’année dernière. Trump n’y est pas pour grand-chose.</p>
<p>Et puis, il y a eu les battus chez Trump, qu’il faut aussi évoquer, les plus connus étant Madison Cawthorn, le plus MAGA des MAGA, défait en Caroline du Nord, Charles Hebster, battu dans le Nebraska, David Perdue en Georgie ou Janice McGechin, vaincue en Idaho.</p>
<p>Si on fait dire ce qu’on veut aux chiffres et aux événements, il a été de façon surprenante presque ignoré que Trump a fini par sombrer totalement en Géorgie, lorsque Brian Kemp a remporté la primaire pour le poste de gouverneur et <a href="https://www.tvanouvelles.ca/2022/09/21/les-enquetes-autour-de-donald-trump">Brad Raffensperger</a> (l’homme qui avait refusé de « trouver 11 700 voix » pour Trump en 2020) celui de secrétaire d’État. Ils étaient bien pourtant tous les deux, aux yeux de Trump, des cibles privilégiées à abattre en priorité.</p>
<p>Ajoutons que lorsque les candidats soutenus par Trump fléchissaient dans les intentions de vote, l’ancien président n’a pas hésité à leur retirer son soutien, comme <a href="https://edition.cnn.com/2022/06/16/politics/donald-trump-mo-brooks-loyalty-alabama-senate/index.html">dans le cas de Mo Brooks en Alabama</a>, ou à jouer le flou artistique en lançant un étrange <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2022/08/02/trump-missouri-senate-eric/">« vote Eric »</a>, lorsque Eric Schmidt a été annoncé vainqueur par les sondages dans le Missouri… alors que l’ancien président avait apporté son soutien officiel à Eric Greitens, qui a finalement fait un piètre score et a perdu, le soutien du chef des MAGA ne lui ayant rien apporté.</p>
<h2>Quelques camouflets cinglants</h2>
<p>Il n’y a donc rien de bien nouveau : on a été confronté à une stratégie d’enfumage et de manipulation, que le 45<sup>e</sup> président maîtrise parfaitement bien. Rendons à César ce qui est sien : quelques candidats ont pleinement bénéficié de son aura, qui leur a permis de gagner dans des combats difficiles, comme J.D. Vance en Ohio ou Mehmet Oz en Pennsylvanie.</p>
<p>Mais comme il s’agissait de confrontations au sein même du Parti républicain, comment ne pas s’étonner que la supposée domination outrancière de Trump n’ait pas suffi à éliminer la concurrence acharnée à laquelle « ses » candidats ont été confrontés ? D’ailleurs, même un « très bien élu » comme <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/blake-masters-associe-de-peter-thiel-et-soutenu-par-donald-trump-futur-senateur-de-l-arizona-927635.html">Blake Masters</a> en Arizona n’a finalement récolté que 40 % des voix des votants s’étant identifiés comme sympathisants du Parti républicain, ce qui signifie que 60 % n’ont pas souhaité pour le candidat de Trump.</p>
<p>N’est-ce pas le même Trump dont on nous disait qu’il était soutenu par 90 % des électeurs du GOP avant qu’il ne soit battu en 2020 ? Si on ajoute que le même Blake Masters avait également le soutien du richissime businessman <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2021/11/19/peter-thiel-le-cavalier-solitaire-de-la-silicon-valley_6102636_4500055.html">Peter Thiel</a>, qui a déversé ses millions sur cette campagne, le score obtenu est vraiment très décevant.</p>
<p>Ni Trump, ni les candidats qui ont reçu son soutien n’ont dominé les primaires. Elles ont même été très difficiles pour eux, et le Parti démocrate a parfois joué avec le feu en finançant des vidéos pour attaquer certains d’entre eux, en ne doutant pas une seconde du résultat engendré : cette campagne inattendue projetait le candidat en question sur le devant de la scène et lui apportait le plus souvent les quelques voix qui lui manquaient. Pour les Démocrates, il s’agissait de rejeter le Parti républicain à l’extrême droite, pour qu’il soit plus facile de le battre en novembre, lors de la véritable élection.</p>
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<p>Trump n’a donc rien contrôlé du tout. Pis encore : en panne d’idées, il a poursuivi sa stratégie de division, durcissant son discours et se montrant de plus en plus complotiste, notamment sur son réseau <a href="https://www.20minutes.fr/high-tech/3348411-20220910-truth-social-reseau-social-donald-trump-nouveau-repaire-complotistes">Truth Social</a>. La conséquence a été perceptible dans les élections partielles, provoquées par une démission ou un décès.</p>
<p>En Virginie, <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2022/07/14/youngkin-trump-republican-00045766">Glenn Youngkin</a> l’a emporté en ne citant pas une seule fois le nom de Trump. Cette victoire, quasiment inespérée sur une terre qui avait été reprise en 2016 par les Démocrates, a montré qu’il y avait une autre voie possible. En juillet 2021, le républicain <a href="https://www.texastribune.org/2021/07/29/jake-ellzey-donald-trump-texas-6-congressional-seat/">Jake Ellzey</a> a suivi ce même chemin et a battu la candidate soutenue par le boss, Susan Wright, causant un véritable émoi au plan national. Pas encore de quoi retourner les esprits et encourager à la fronde ; mais tout de même, il s’était passé quelque chose… Rien ne s’est arrangé par la suite, jusqu’à la défaite surprise de Sarah Palin en Alaska qui, de surcroît, donnait le siège à une Démocrate ! Et dans la campagne de réélection (il s’agissait d’une partielle), et à trois semaines du scrutin, l’ancienne candidate à la vice-présidence des États-Unis est à la traîne de plus de 25 points d’après les sondages. L’effet Trump a fait pschitt.</p>
<h2>Le début de la fin pour Trump ?</h2>
<p>Tout le monde a parfaitement compris que la stratégie de Donald Trump n’allait pas changer : tout comme il avait réussi à agglomérer 74 millions de voix autour de son nom en 2020, il lui semblait évident qu’il lui fallait cultiver les divisions de l’Amérique pour être placé sur la rampe de lancement d’un retour prévu en 2024. Il a donc commencé à évoquer ce retour, à faire miroiter une annonce imminente.</p>
<p>Mais on a désormais l’habitude : la politique américaine n’aime pas beaucoup les scénarios écrits d’avance… La cote personnelle de Trump n’a pourtant pas chuté auprès de ses partisans, et tous les sondages confirment qu’il reste toujours aussi aimé au sein du Parti républicain. Mais, cruellement, ces mêmes sondages commencent aussi à faire entendre une autre musique.</p>
<p>Telle la reine dans Blanche-Neige qui n’était plus la plus belle dans le reflet de son miroir, les électeurs de droite posent désormais leurs regards, dans la perspective de la prochaine présidentielle sur quelques autres, dont l’ancien vice-président Mike Pence, qui a entamé une <a href="https://abcnews.go.com/Politics/mike-pence-campaigns-republican-candidates-iowa-fueling-2024/story?id=88636266">grande campagne</a> dès le début de l’été, ou le gouverneur de Floride, <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/06/10/qui-est-ron-desantis-le-republicain-qui-pourrait-affronter-donald-trump_6129714_4500055.html">Ron de Santis</a>, souvent appelé le « mini-Trump » et qui n’espère qu’une chose : devenir plus grand. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/21/des-utilisateurs-de-tiktok-revendiquent-le-sabotage-du-meeting-de-trump_6043657_3210.html">Les meetings de Donald Trump</a> ont commencé à se vider, les salles ne se remplissent plus : même au congrès de la Conservative Political Action Conference en février, il n’y avait que 1 500 convaincus dans une salle prévue pour 3 000 personnes. En Arizona, à 28 jours de l’élection et dans un des États les plus critiques, ils n’étaient pas plus nombreux.</p>
<p>Enfin, n’oublions pas les potentiels <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/09/22/etats-unis-la-famille-trump-poursuivie-pour-avoir-gonfle-sa-fortune_6142644_3210.html">ennuis judiciaires</a> à venir de Donald Trump. En effet, à partir du 9 novembre, tout le monde s’intéressera à 2024. Mais Trump aura très certainement d’autres préoccupations en tête : le ministre de la Justice a donné la consigne de ne pas inculper l’ancien président pendant la période électorale. Il n’a pas parlé de ce qui va se passer après…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190760/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Éric Branaa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Donald Trump continue certes de peser sur la vie du Parti républicain, mais il n’a pas influencé les primaires du parti autant qu’il le prétend, loin de là.Jean-Éric Branaa, Maître de conférences politique et société américaines (Paris 2 Panthéon-Assas), Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1829282022-06-07T13:47:31Z2022-06-07T13:47:31ZIl faut qu’on parle de la manière dont on parle des incels<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/464362/original/file-20220519-11-zq16cc.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C15%2C5114%2C3430&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Alors que la violence misogyne continue, les chercheurs et les journalistes devront prendre garde quant au traitement à accorder à la sous-culture du célibat involontaire (Incel).</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Le militantisme pour les droits masculins est apparu au milieu des <a href="https://www.crimejusticejournal.com/article/view/800">années 1970</a>, en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0891243298012003002">réaction aux études féministes</a>. Mais ce militantisme nourrit désormais des <a href="https://xyonline.net/sites/xyonline.net/files/2020-08/Horta%20Ribeiro%2C%20From%20Pick-Up%20Artists%20to%20Incels%202020.pdf">points de vue de plus en plus extrêmes et misogynes</a> – dont les plus violents sont les « Célibataires involontaires », ou « incels » pour l’acronyme anglais.</p>
<p>Les recherches sur les « incels » se multiplient. En décembre 2021, un groupe de chercheurs de l’université de New York (NYU) a publié un <a href="https://nyu.app.box.com/s/8tpb98ekkoviu1h6q2z3oiz8e72qosfd">rapport intitulé « Incels : Inside the world of involuntary celibates »</a> (Incel : Dans l’univers des célibataires involontaires). Malgré son glossaire utile de l’idéologie « incel » et sa terminologie, ce document suscite cependant un certain malaise, comme pour de nombreux écrits sur les « incels » (et sur d’autres terroristes violents).</p>
<p>Car s’il est impératif de mieux connaître cette sous-culture, le risque est bien réel que ces écrits exploratoires servent aussi d’amplificateurs et contribuent à donner à ce mouvement davantage de visibilité.</p>
<p>Les chercheurs comme moi qui travaillent dans une perspective critique de ces idéologies doivent être conscients du fait qu’ils peuvent, par inadvertance, légitimer ce qu’ils cherchent à condamner.</p>
<p>Cette limite est très facile à franchir, comme le montrent plusieurs bons exemples fournis par deux chercheuses en communications, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1097184X17706401">Debbie Ging</a> et <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/2056305118768302">Adrienne Massanari</a>. Et le rapport de l’université de New York, malheureusement, n’échappe pas à cette tendance.</p>
<h2>Il faut éviter de créer des adorateurs et des imitateurs</h2>
<p>La question brûlante pour tous ceux qui écrivent sur la violence d’extrême droite et misogyne est celle-ci : faut-il <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0002764217730854">identifier les agresseurs</a> ?</p>
<p>Le fait de nommer des agresseurs et de les désigner « incels » <a href="https://openscholarship.wustl.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=2113&context=law_journal_law_policy">augmente l’impact de ce qui est publié</a>. Mais, quelle que soit l’intention de l’auteur, l’agression en devient alors plus visible. Et il arrive que l’agresseur devienne un phénomène culturel et même un martyr de la cause.</p>
<p>L’exemple le plus significatif est sans doute celui de la <a href="https://www.bbc.com/news/world-us-canada-43892189">tuerie d’Isla Vista</a>, en Californie (six personnes assassinées en 2014). À l’échelle des États-Unis, <a href="https://everytownresearch.org/issue/mass-shootings/">on a vu pire</a>. Mais ce massacre a profité d’une visibilité énorme du fait de la couverture médiatique quasi constante dont il a fait l’objet, en plus d’être très largement cité dans les recherches universitaires.</p>
<p>Cette information, constamment republiée, a beaucoup contribué à perpétuer la mémoire d’un assassin <a href="https://jezebel.com/saint-elliot-rodger-and-the-incels-who-canonize-him-1825567815">devenu une icône au sein de la communauté « incel »</a>, laquelle vénère ceux qui « meurent pour la cause ».</p>
<h2>Une étiquette à risque qui donne du pouvoir aux « incels »</h2>
<p>Il en va de même de l’étiquette « incel », qui doit être manipulée avec soin.</p>
<p>Par exemple, le rapport de NYU déclare que l’auteur de la <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/tragedie-de-polytechnique">tragédie de l’École Polytechnique</a> en 1989 a été le tout premier « incel ».</p>
<p>Or, ce n’est pas possible. Certes, l’assassin avait des <a href="http://researcharchive.vuw.ac.nz/bitstream/handle/10063/8915/thesis_access.pdf">comportements qui l’apparentent aux « incels » actuels</a>, sauf que le terme n’est <a href="https://muse.jhu.edu/article/777134">apparu que dix ans plus tard à la fin des années 1990</a>. L’inclusion de la tuerie de Montréal dans l’histoire de la violence « incel » à proprement parler est une fabrication visant à donner à certains positionnements idéologiques des racines plus profondes.</p>
<p>Une telle inclusion minimise les nuances et les complexités de la violence misogyne et dessert ceux qui s’efforcent d’y mettre fin. Au contraire, elle contribue à construire une « légitimité » en lui accordant une présence historique précoce qu’elle n’a jamais eue.</p>
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<img alt="Un groupe d’hommes regardant avec colère une femme" src="https://images.theconversation.com/files/459888/original/file-20220426-20-6tpq8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/459888/original/file-20220426-20-6tpq8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/459888/original/file-20220426-20-6tpq8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/459888/original/file-20220426-20-6tpq8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/459888/original/file-20220426-20-6tpq8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/459888/original/file-20220426-20-6tpq8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/459888/original/file-20220426-20-6tpq8y.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les célibataires involontaires se radicalisent selon un processus connu qu’il est possible d’enrayer suivant les méthodes de luttes à la radicalisation.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Comprendre la radicalisation « incel »</h2>
<p>Dans le contexte de la couverture médiatique et des écrits universitaires, les « incels » sont à la mode ; ils attirent du clic. Mais cet intérêt tend à brouiller un certain nombre de nuances essentielles – <a href="https://www.nytimes.com/2019/03/08/style/misogyny-women-history-photographs.html">notamment quant aux aspects les plus « banals » et quotidiens de misogynie violente</a>.</p>
<p>En réalité, le cheminement vers la radicalisation suit un processus de mieux en mieux compris, dans lequel la violence misogyne extrême des « incels » s’inscrit plutôt en fin de parcours.</p>
<p>Avant d’être complètement obnubilés, plusieurs « célibataires involontaires » commencent par participer à des <a href="https://ijoc.org/index.php/ijoc/article/view/13216">« communautés de séduction »</a> les [soi-disant « pickup artists »] – dans lesquels des hommes échangent des conseils de séduction. C’est souvent là qu’ils prennent conscience de leur état, s’exposent à des discours plus misogynes, se radicalisent et passent à la violence réelle.</p>
<p>Or, <a href="https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fpsyg.2019.00437/full">cet engrenage présente des possibilités d’intervention</a>. Le fait que les « incels » se rassemblent, en personne ou virtuellement, permet <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/1057610X.2014.879379">d’en intercepter certains afin de les orienter autrement</a> avant qu’ils ne commettent l’irréparable, ou en encouragent d’autres à le faire.</p>
<p>Comme l’a montré le projet <a href="https://www.groundswellproject.org/">Groundswell</a> au Royaume-Uni, il est même possible de déradicaliser des hommes « convertis » à l’« incel ».</p>
<p>Et c’est pourquoi la manière d’écrire sur les « incels » importe tant. En tant qu’auteurs et chercheurs, nous avons la responsabilité de faire mieux.</p>
<p>Il faut absolument éviter de perpétuer ce que l’on tente de neutraliser en magnifiant une idéologie et une sous-culture de subjugation et d’agression des femmes.</p>
<p>Cette forme de violence n’a pas sa place au Canada, et nous avons la responsabilité d’y mettre fin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182928/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Luc Cousineau a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines. Il est directeur de recherche à l'Institut Canadien d'études sur l'extrême-droite.</span></em></p>Donner trop de temps et d’énergie à l’idéologie incel finit par la perpétuer, au lieu de l’arrêter.Luc Cousineau, Postdoctoral Fellow in International Network on Technology, Work, and Family, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1826152022-05-18T18:00:37Z2022-05-18T18:00:37ZD’une extrême droite à l’autre : géographie des votes Zemmour et Le Pen<p>L’élection présidentielle qui s’est achevée le 24 avril dernier a vu la participation simultanée de deux formations politiques d’« extrême droite ». Éric Zemmour (candidat de Reconquête) est ainsi arrivé en quatrième position avec 7,07 % des suffrages exprimés tandis que Marine Le Pen (candidate du RN) s’est qualifiée pour le second tour avec un score de 23,15 % des suffrages exprimés. Dans un contexte général de montée de l’extrême droite à travers l’Occident, cette mouvance pèserait désormais en France environ le tiers des suffrages exprimés.</p>
<p>Pourtant, la comparaison des structures géographiques au 1<sup>er</sup> tour des deux courants politiques censés composer ce « bloc d’extrême droite » montre que cette association est à nuancer.</p>
<p>Les géographies d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen semblent différentes. La géographie d’Éric Zemmour, tout d’abord, ressemble de façon étonnante à celle du Front national originel, celui de Jean-Marie Le Pen dans les années 1980. Visualisée à l’échelle régionale, on retrouve un <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00849332">gradient ouest-est prononcé</a>. Le vote Zemmour est supérieur à sa moyenne nationale dans la France de l’Est.</p>
<p>Cette France historiquement urbanisée, industrialisée et concernée par l’immigration, identifiée du temps de Le Pen père comme la partie est d’un axe Le Havre-Perpignan, s’oppose à une France de l’Ouest historiquement plus rurale, moins dense et davantage marquée par la <a href="https://www.persee.fr/doc/espos_0755-7809_2003_num_21_3_2098">culture démocrate-chrétienne</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/463404/original/file-20220516-13-7zcdr5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463404/original/file-20220516-13-7zcdr5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463404/original/file-20220516-13-7zcdr5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463404/original/file-20220516-13-7zcdr5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463404/original/file-20220516-13-7zcdr5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463404/original/file-20220516-13-7zcdr5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463404/original/file-20220516-13-7zcdr5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463404/original/file-20220516-13-7zcdr5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 1 : Vote Zemmour par région ( % des suffrages exprimés).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de l’Intérieur, Observatoire des votes en France</span></span>
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</figure>
<p>Ce gradient ouest-est est ensuite complété par des zones de force régionales typiques du <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00849332">FN historique</a> : le pourtour méditerranéen, la région lyonnaise, l’Île-de-France et à un niveau moindre la Lorraine, l’Alsace et la Bourgogne.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463406/original/file-20220516-19-bbvezx.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Figure 2 : Vote Zemmour par commune ( % des suffrages exprimés).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de l’Intérieur, Observatoire des votes en France</span></span>
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</figure>
<h2>Un vote Zemmour fort dans le cœur urbain</h2>
<p>À l’échelle plus fine des communes, une autre caractéristique du vote Zemmour se repère, typique du FN des années 1980 : le vote Zemmour est au-dessus de sa moyenne nationale dans le cœur du monde urbain français, c’est-à-dire à Paris (8,2 % des suffrages exprimés), Lyon (7,6 % des s.e.) et Marseille (11,1 % des s.e.). Il est aussi fort dans des centres urbains du sud comme Toulon (13,7 % des s.e.), Nice (14,3 % des s.e.) et Cannes (17,3 % des s.e.). Par contre, il est clairement absent des grandes villes universitaires comme Grenoble (5,4 % des s.e.) ou Clermont-Ferrand (5,9 % des s.e.).</p>
<p>Un zoom sur l’Île-de-France, où le vote MLP est très faible (5,5 % des s.e.), aide à suggérer les ressorts du vote urbain pour Zemmour. D’une part, même si la tendance majoritaire est au vote Mélenchon, certaines banlieues de l’Est francilien populaire, comme Créteil (7,5 % des s.e.), ont placé Éric Zemmour a un score supérieur à sa moyenne nationale. D’autre part, dans l’ouest francilien bourgeois, le vote Zemmour est également fort (Yvelines et Hauts-de-Seine).</p>
<p>Des analyses encore plus fines menées à l’échelle des bureaux de vote dans le Paris intra-muros ont même montré que le vote Zemmour est fort dans certains bureaux des « beaux quartiers », où il dépasse les <a href="https://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/macron-melenchon-le-pen-zemmour-ou-vivre-a-paris-selon-son-bord-politique-notre-carte-exclusive-21-04-2022-6BWFLZWBSBAX7NI553E4ZL7WGM.php">20 % des suffrages exprimés</a>.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=437&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463407/original/file-20220516-11-t97dpl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=549&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 3 : Vote Zemmour en Île-de-France par commune ( % des suffrages exprimés).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de l’Intérieur, Observatoire des votes en France</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Quelle géographie pour le RN ?</h2>
<p>Quant à la géographie du RN, elle s’organise d’abord sur une base régionale marquée schématiquement par ses deux traditionnelles zones de force : le littoral méditerranéen et la France historiquement industrielle du Nord et de l’Est, dans laquelle s’ancre le RN <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2003-4-page-513.htm">depuis la fin des années 1990</a> et où Zemmour est faible, surtout dans les Hauts-de-France.</p>
<p>La science politique a noté ce caractère dual du RN, repéré <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2019-2-page-223.htm">dès la présidentielle de 1995</a> et opposant un RN du Nord porté par certains segments des classes populaires dans des territoires de vieille industrie où les structures d’encadrement de la gauche <a href="https://journals.openedition.org/echogeo/20473">se sont affaiblies</a> à un RN du Sud porté par des classes moyennes, notamment des artisans et des commerçants.</p>
<p>Cependant, la concurrence de Zemmour pourrait avoir eu comme effet d’amoindrir cette dualité. En effet, en visualisant la variation du score RN entre 2017 et 2022 à l’échelle régionale, il apparaît que ses pertes les plus fortes se localisent en PACA et en Corse, alors que le RN renforce légèrement sa présence dans un vaste cadran nord-est où seul lui résiste l’Île-de-France (si l’on fait exception du Grand Est où il baisse un peu). Le <a href="https://theconversation.com/une-maree-bleu-marine-plongee-dans-lelection-presidentielle-du-bassin-minier-du-nord-pas-de-calais-182307">caractère nordiste</a> du RN est donc légèrement plus prononcé en 2022.</p>
<hr>
<p>
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<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/une-maree-bleu-marine-plongee-dans-lelection-presidentielle-du-bassin-minier-du-nord-pas-de-calais-182307">Une marée bleu Marine ? Plongée dans l’élection présidentielle du bassin minier du Nord-Pas-de-Calais</a>
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</p>
<hr>
<h2>Une géographie « périphérique » ?</h2>
<p>À côté de cette géographie régionale, existe une géographie que l’on qualifiera ici de « périphérique ». À l’échelle communale, se distinguent nettement les grandes villes françaises (les métropoles comme Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, etc. et les villes de second rang comme Poitiers, Dijon, Metz, etc.), foyers de résistance face à leurs périphéries où le vote RN est fort. Ce clivage centre-périphérie, encore à éclaircir, (publication à venir à l’automne 2022), imputé parfois à la métropolisation du <a href="https://www.cairn.info/la-france-peripherique--9782081347519.htm">territoire français</a>, parfois à la <a href="https://www.espacestemps.net/articles/vote-et-gradient-urbanite/">périurbanisation</a>, semble lié en partie au contenu social des périphéries des grandes villes. Ces périphéries concentreraient des classes populaires, notamment ouvrières, autrefois présentes dans les centres urbains qu’elles auraient quittées <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre-atlas-des-nouvelles-fractures-sociales-en-france-de-christophe-noye.html">pour diverses raisons</a> (gentrification, insécurité, prix de l’immobilier).</p>
<p>Dans ce cas, relégation spatiale et relégation sociale se combineraient pour produire un vote RN fort.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=485&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462040/original/file-20220509-17-q9p55o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=609&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 4 : Vote Le Pen par commune ( % des suffrages exprimés).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de l’Intérieur, Observatoire des votes en France</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>L’ouest de la France voit la plus forte progression du vote RN</h2>
<p>Enfin, l’ouest de la France, hermétique au vote Zemmour, voit la plus forte progression du vote RN entre 2017 et 2022. Le vote RN se rééquilibre donc entre les régions. La tendance est donc à un léger renforcement de la géographie périphérique.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=651&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=651&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=651&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=818&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=818&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/462043/original/file-20220509-13-2wk01a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=818&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Figure 5 : Variation du vote Le Pen entre 2017 et 2022 par région ( % des suffrages exprimés).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ministère de l’Intérieur, Observatoire des votes en France</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En somme, la géographie du RN en 2022 suggère que l’électorat qui porte ce parti est davantage populaire, que ce soient des classes populaires des territoires désindustrialisés du Nord et de l’Est, ou des classes populaires des périphéries des grandes agglomérations. Cette prolétarisation de l’électorat RN est confirmée par les <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/presidentielle-2022-quels-sont-les-profils-des-electeurs-qui-ont-plebiscite-macron-le-pen-melenchon-et-zemmour-au-premier-tour_5075776.html">enquêtes par sondages</a>.</p>
<p>La géographie d’Éric Zemmour suggère à l’inverse que ce dernier a renoué avec certains fondamentaux du vote FN originel : un vote inter-classiste à enjeu sur la question de l’immigration, travaillant des territoires spécifiques comme le pourtour méditerranéen et certaines banlieues de grandes villes, et une radicalisation de certaines franges de la bourgeoisie traditionnelle de droite. Cette suggestion reste à confirmer sur une base plus rigoureuse et chiffrée en comparant les scores électoraux de Zemmour en 2022 à ceux obtenus par Jean-Marie Le Pen lors du scrutin présidentiel de 1988 par exemple.</p>
<h2>Une analyse de la variance</h2>
<p>Ces constats visuels sont précisés par une analyse de la variance. <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Analyse_de_la_variance">Cette méthode statistique</a> permet d’estimer le poids de différents découpages géographiques dans les votes Zemmour et Le Pen. Les unités spatiales manipulées sont les communes de France métropolitaine, à laquelle nous nous restreignons. Nous travaillons sur les scores en % d’inscrits afin de neutraliser l’effet de l’abstention. Les données électorales sont pondérées par le nombre d’inscrits dans la commune pour gommer au mieux les effets de taille. Le clivage centre-périphérie est approximé en s’appuyant sur le maillage du territoire métropolitain de l’Insee. Sur cette base, le centre correspond aux 41 plus grandes aires urbaines françaises (12 aires métropolitaines + 29 grandes aires urbaines), qui selon l’Insee constituent l’armature urbaine ancrant la <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/1280952">France dans la mondialisation</a>.</p>
<p>La périphérie correspond au reste du territoire métropolitain. Ce choix se justifie par le fait que le clivage centre-périphérie ne s’observe pas seulement pour les grandes métropoles mais aussi pour des villes de second rang (Caen, Le Mans, Poitiers, etc.).</p>
<p>Enfin, le gradient ouest-est est construit sur une base départementale en séparant approximativement les départements français en deux groupes à partir de l’axe Le Havre–Perpignan.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463413/original/file-20220516-14-ap3u9v.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463413/original/file-20220516-14-ap3u9v.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=129&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463413/original/file-20220516-14-ap3u9v.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=129&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463413/original/file-20220516-14-ap3u9v.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=129&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463413/original/file-20220516-14-ap3u9v.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=162&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463413/original/file-20220516-14-ap3u9v.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=162&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463413/original/file-20220516-14-ap3u9v.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=162&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Figure 6 : Analyse de la variance du vote Zemmour.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Luciardi</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463414/original/file-20220516-17-7eb8hy.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463414/original/file-20220516-17-7eb8hy.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463414/original/file-20220516-17-7eb8hy.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463414/original/file-20220516-17-7eb8hy.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=133&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463414/original/file-20220516-17-7eb8hy.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=168&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463414/original/file-20220516-17-7eb8hy.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=168&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463414/original/file-20220516-17-7eb8hy.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=168&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Figure 7 : Analyse de la variance du vote Le pen.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Luciardi</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cette analyse de la variance montre d’emblée que les votes Zemmour et Le Pen doivent encore être expliqués par d’autres facteurs (le résidu est de l’ordre de 50 %). Du reste, le gradient ouest-est pèse effectivement très faiblement dans le vote Le Pen (faisant écho à sa progression dans l’Ouest) et le clivage centre-périphérie a un poids probant. Chez Zemmour, c’est l’inverse. Pour les deux candidats, l’échelle régionale est celle qui compte le plus. Cependant, rappelons que l’analyse de variance reste un instrument limité, car le clivage centre-périphérie qui marque le vote RN se fait à des niveaux différents en fonction du contexte régional ou de la taille du centre urbain (plus prononcé pour Paris, moins intense dans le Sud), subtilité que ne capture pas cet instrument.</p>
<p>Ces différences probantes ne signifient pas pour autant une totale absence de convergence entre les deux géographies. Par exemple, la région PACA est clairement une zone de force commune à Eric Zemmour et Marine Le Pen, ce qui pose la question d’un électorat sudiste motivé par le thème de l’immigration et qui a pu tenter le choix Zemmour ou rester fidèle à Le Pen par vote utile.</p>
<h2>Votes Zemmour et Le Pen par taille de commune</h2>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/463415/original/file-20220516-13-ac4dvi.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463415/original/file-20220516-13-ac4dvi.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463415/original/file-20220516-13-ac4dvi.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463415/original/file-20220516-13-ac4dvi.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=296&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463415/original/file-20220516-13-ac4dvi.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463415/original/file-20220516-13-ac4dvi.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463415/original/file-20220516-13-ac4dvi.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=372&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Figure 8 : votes Zemmour et Le Pen par catégorie de taille de commune (moyenne pondérée).</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Luciardi</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le calcul du score moyen des deux candidats par catégorie de taille de commune indique aussi leurs différences de trajectoire. Pour Le Pen, plus l’importance démographique de la commune est faible, plus le score est haut, culminant pour les communes de moins de 2000 habitants, c’est-à-dire les communes définies comme rurales par l’Insee <a href="https://www.insee.fr/fr/information/5360126">jusqu’en 2020</a>. La trajectoire de Zemmour est opposée et ressemble davantage à celle de Jean-Marie Le Pen dans les années 1980 quand ce type de traitement permettait d’appuyer le <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2003-4-page-513.htm">modèle urbain du vote FN</a>. Zemmour est équilibré dans toutes les catégories de commune, mais atteint son maximum pour Paris, Lyon et Marseille.</p>
<p>Cet exercice a cependant ses limites car des communes très différentes sont amalgamées dans les catégories. Par exemple, les catégories « 50 000 à 100 000 habitants » et « plus de 100 000 habitants » agrègent des banlieues de grandes métropoles, comme Saint-Denis où le vote Zemmour est très faible (3,1 % des suffrages exprimés), et des centres urbains importants du Sud, comme Cannes où il performe (17,3 % des suffrages exprimés).</p>
<h2>Une alliance aux législatives ?</h2>
<p>La différenciation des implantations géographiques d’Eric Zemmour et de Marine Le Pen fournit quelques enseignements pour aborder les élections législatives à venir.</p>
<p>Si Eric Zemmour est fort dans les communes-centres des trois plus grandes métropoles françaises, avec des bons scores dans certains quartiers bourgeois, Marine Le Pen, dont la géographie est davantage périphérique et populaire en 2022, y est faible. La pertinence d’une alliance entre ces deux courants du « bloc d’extrême droite » n’a donc rien de naturel, ni d’automatique.</p>
<p>Seul sur le pourtour méditerranéen, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/legislatives-dans-le-sud-comment-le-pen-veut-achever-zemmour_2173317.html">aire régionale probante</a> où se rejoignent les deux géographies, la pertinence d’une telle alliance semble claire. Ainsi, le choix récent de la direction du RN de ne pas s’allier à Reconquête, malgré l’appel à l’union lancé par Eric Zemmour, ne s’explique pas seulement par une volonté de « tuer dans l’œuf » ce dernier, mais sans doute aussi par des raisons moins politiciennes et plus profondes.</p>
<p>L’élection présidentielle de 2022 semble avoir un peu plus entériné l’évolution de l’électorat RN commencée dans les années 1990. Cet électorat, toujours plus populaire et périphérique, est désormais motivé par des préoccupations qui hybrident de manière complexe crainte identitaire et peur du déclassement social.</p>
<hr>
<p><em>L’auteur effectue sa thèse sous la direction de Gilles Van Hamme (Université Libre de Bruxelles, faculté des sciences) et Jean-Michel De Waele (Université Libre de Bruxelles, faculté de philosophie et sciences sociales).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182615/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Luciardi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La comparaison des structures géographiques des votes au premier tour en faveur des deux courants politiques censés composer le « bloc d’extrême droite » montre que cette association est à nuancer.François Luciardi, Doctorant, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1769072022-02-13T19:59:33Z2022-02-13T19:59:33ZLe Rassemblement national : fin de partie ?<p>« Éric Zemmour ne se bat pas pour gagner mais pour “tuer le Rassemblement national” » <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/marine-le-pen-je-suis-lassee-du-bruit-et-de-la-fureur-j-ai-envie-d-efficacite-20220203">affirmait sa présidente</a>, Marine Le Pen, dans un entretien pour <em>Le Figaro</em> le 3 février dernier.</p>
<p>À quelques semaines du 1<sup>er</sup> tour de l’élection présidentielle, et alors que le combat pour être présent au second tour aux côtés d’Emmanuel Macron <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/presidentielle-2022-pecresse-le-pen-et-zemmour-au-coude-a-coude-20220211">s’intensifie</a>, le propos ne manque pas d’étonner.</p>
<p>Quelle analyse peut-on faire de cette crainte à la lumière de l’histoire du Rassemblement national ? La concurrence d’Éric Zemmour et de son mouvement Reconquête ! est-elle à ce point un danger pour le mouvement de Marine Le Pen ?</p>
<h2>De l’anonymat des débuts aux premiers succès</h2>
<p>Le Front national, ancien nom du Rassemblement national, est fondé le 5 octobre 1972 à <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2016-2-page-5.htm">l’instigation de responsables du groupuscule néofasciste Ordre nouveau</a>. Son président élu est Jean‑Marie Le Pen, ancien directeur de campagne du candidat d’extrême droite <a href="https://www.youtube.com/watch?v=CNfL1swW6q4">Jean‑Louis Tixier-Vignancour lors de l’élection présidentielle de 1965</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jean‑Louis Tixier-Vignancour, campagne présidentielle 1965 (Archive INA).</span></figcaption>
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<p>Après plusieurs années de relatif anonymat, le Front national connaît <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/110217/dans-le-retro-du-fn-1988-ou-la-tentative-de-vendre-la-candidature-le-pen">son premier succès électoral à Dreux en 1983</a> lorsque la liste de Jean‑Pierre Stirbois, le secrétaire général du parti, obtient 16,72 % des voix au 1<sup>er</sup> tour des élections municipales.</p>
<p>Un an plus tard, le <a href="https://www.liberation.fr/france/2019/05/08/1984-la-france-decouvre-le-fn_1725759/">parti frontiste confirme sa percée</a>, cette fois-ci au niveau national, en obtenant 10,95 % des suffrages lors des élections européennes.</p>
<h2>Frictions et scissions</h2>
<p>Cette montée en puissance semble marquer un coup d’arrêt en 1999. Bruno Mégret, numéro 2 du parti, exclu en raison du conflit qui l’oppose à Jean‑Marie Le Pen, décide de créer le <a href="https://theconversation.com/dou-vient-lobsession-identitaire-de-la-politique-francaise-175540">Mouvement national républicain</a>. Un grand nombre d’élus et de cadres du Front national rejoint à l’époque le nouveau mouvement.</p>
<p>Si cette scission est principalement due à des divergences sur la <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=yDbVpq7RCNkC">stratégie à employer pour arriver au pouvoir</a>, elle vient rappeler que le Front national n’est pas un bloc monolithique et qu’il fait l’union, au gré des entrées et des sorties, entre des courants et des <a href="https://books.google.fr/books/about/Histoire_de_l_extr%C3%AAme_droite_en_France.html?id=MQY5jgEACAAJ">familles hétérogènes et désunis</a> (catholiques, royalistes, néofascistes, nationalistes, poujadistes, lepénistes…).</p>
<p>Trois ans plus tard, c’est le parti frontiste et Jean‑Marie Le Pen qui sortent définitivement vainqueurs de cet affrontement en <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/2016/12/27/35003-20161227ARTFIG00145-21-avril-2002-jean-marie-le-pen-prive-lionel-jospin-de-second-tour.php">accédant au second tour de l’élection présidentielle de 2002</a> alors que Bruno Mégret ne rassemble que 2,34 % des suffrages.</p>
<h2>La stratégie de « dédiabolisation »</h2>
<p>En 2011, Jean‑Marie Le Pen est <a href="https://www.france24.com/fr/20110116-front-national-tours-congres-marine-le-pen-remplace-pere-jean-marie-president-vote-militants">remplacé par sa fille Marine</a> à la tête du parti d’extrême droite.</p>
<p>Marine Le Pen met en place une stratégie de normalisation et de crédibilisation du Front national, qualifiée de <a href="https://www.cairn.info/les-faux-semblants-du-front-national--9782724618105-page-25.htm?contenu=article">« dédiabolisation »</a> par les stratèges du parti frontiste.</p>
<p>Elle tourne le dos aux excès et aux dérapages de son père et exclut ou écarte les membres et les sympathisants proches des courants les plus extrêmes (notamment néo-nazis et intégristes catholiques), en particulier lorsqu’ils se rendent ouvertement coupables de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2013/11/28/ces-candidats-que-le-fn-ecarte-pour-se-dediaboliser_3510206_823448.html">propos ou d’actions antisémites, racistes ou xénophobes</a>.</p>
<p>Dans un premier temps, cette stratégie va porter ses fruits électoralement. Lors de ses premières élections présidentielles, en 2012, Marine Le Pen rassemble plus de voix que son père en 2002 et termine en 3<sup>e</sup> position avec 17,9 % des suffrages. Surtout, le <a href="https://www.letemps.ch/monde/front-national-19712017">Front national devient pour la première fois le premier parti de France</a> en nombre de suffrages lors des élections européennes de 2014 avec 24,86 % des voix.</p>
<p>Portée par cet élan, elle parvient, à l’instar de son père, et pour la seconde fois pour un candidat d’extrême droite sous la V<sup>e</sup> République, à se qualifier pour le second tour de l’élection présidentielle de 2017 face à Emmanuel Macron.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-rassemblement-national-par-ses-electorats-161836">Le Rassemblement national par ses électorats</a>
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<h2>Une dynamique brisée par l’échec de 2017</h2>
<p>Cet entre-deux tours est notamment marqué par le traditionnel débat télévisé entre les deux finalistes. <a href="https://www.lesechos.fr/weekend/business-story/macron-le-pen-la-vraie-histoire-du-debat-presidentiel-de-2017-1278305">La prestation de Marine Le Pen se révèle calamiteuse</a> et elle perd finalement assez largement au second tour, en ne recueillant que 33,90 % des suffrages.</p>
<p>Cette séquence va avoir au moins trois conséquences notables pour Marine Le Pen : celle d’inverser une dynamique électorale jusqu’à présent ascendante ; celle de questionner à nouveau l’efficacité de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-despagne-marine-le-pen-et-le-rassemblement-national-pris-au-piege-de-la-dediabolisation">sa stratégie</a> ; et surtout celle de mettre en doute sa crédibilité et son leadership.</p>
<p>D’un point de vue électoral, après des élections européennes 2019 où la liste du Front national, menée par Jordan Bardella et non Marine Le Pen, obtient encore 23,34 % des suffrages, le Front national, devenu en 2018 le Rassemblement national, va connaître un <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/29/municipales-2020-un-scrutin-au-bilan-mitige-pour-le-rassemblement-national_6044514_823448.html">premier recul lors des élections municipales de 2020</a>. Ce recul se confirme de manière encore plus nette <a href="https://www.franceinter.fr/politique/regionales-et-departementales-2021-le-revers-du-rn-en-5-chiffres">lors des élections régionales et départementales de 2021</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/des-terrils-bleu-marine-quelle-place-pour-le-rassemblement-national-dans-le-bassin-minier-164668">Des terrils « bleu Marine » : quelle place pour le Rassemblement national dans le bassin minier ?</a>
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<h2>Stratégie et positionnement</h2>
<p>Malgré l’échec de la présidentielle et le <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2017/09/21/florian-philippot-annonce-qu-il-quitte-le-front-national_5188871_823448.html">départ</a> de son vice-président Florian Philippot, qui avait été à l’origine d’une inflexion idéologique sociale, étatiste et souverainiste, Marine Le Pen décide de garder le cap de sa stratégie de normalisation.</p>
<p>Encore en cours aujourd’hui, elle explique aussi les difficultés actuelles d’un parti de tout temps tiraillé entre les tenants d’une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/03/12/fn-nouveau-look-pour-une-meme-vie_5269355_823448.html">ligne dure</a>, ouvertement d’extrême droite et refusant les compromis avec les autres partis, et les tenants d’une ligne visant à essayer de le banaliser pour qu’il apparaisse comme un <a href="https://www.franceculture.fr/politique/le-front-national-est-il-un-parti-dextreme-droite">parti capable de gouverner le pays</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Marine Le Pen déclare que le parti de son concurrent Éric Zemmour accueille encore « quelques nazis » (BFM TV, 4 février).</span></figcaption>
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<p>Avec l’émergence d’Éric Zemmour, adepte de la <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2021/11/03/la-theorie-complotiste-du-grand-remplacement-chemine-avec-eric-zemmour_6100783_823448.html">théorie du grand remplacement</a>, et la droitisation des propositions de la <a href="https://www.letemps.ch/monde/pecresseciotti-droite-francaise-choisit-cap-national-liberal">candidate de la droite républicaine Valérie Pécresse</a>, le Rassemblement national se retrouve coincé entre un mouvement au discours plus extrême séduisant les tenants d’une ligne dure (Reconquête !) et une organisation reprenant une grande partie de son offre politique tout en disposant de la respectabilité à laquelle il aspire (Les Républicains).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-eric-zemmour-embarrasse-t-il-autant-la-droite-170846">Pourquoi Éric Zemmour embarrasse-t-il autant la droite ?</a>
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<h2>La question centrale du leadership</h2>
<p>Le culte du chef est un élément clef et structurant de la pensée des mouvements populistes de droite et de gauche en général, et des <a href="https://www.cairn.info/le-retour-des-populismes--9782348037436-page-83.htm">organisations d’extrême droite en particulier</a>.</p>
<p>Jean‑Marie Le Pen a su, pendant des années, incarner <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2013/07/06/mythologie-du-discours-frontiste_3443681_3232.html">ce chef et cet homme providentiel de l’extrême droite française</a> pour affirmer son autorité et installer un leadership autocratique parfois teinté de paternalisme.</p>
<p>Mais les temps ont changé. Ce type d’autorité, assimilable en management à un <a href="https://www.cairn.info/la-boite-a-outils-de-la-strategie-3e-ed--9782100791651-page-150.htm">leadership narcissique</a>, montre aujourd’hui ses limites et doit de plus en plus <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S142025301630084X">laisser place à un leadership transformationnel</a> misant sur la confiance aux autres et mettant en avant la compétence et la capacité à convaincre et à partager sa vision stratégique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-rassemblement-national-isole-lechec-du-lepenisme-municipal-141245">Le Rassemblement national isolé : l’échec du lepénisme municipal</a>
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<p>Le débat raté de 2017 constitue de ce point de vue, pour Marine Le Pen, un tournant et explique aussi ses difficultés du moment. D’abord parce qu’il interroge aux yeux de tous la stratégie <a href="https://www.nouvelobs.com/presidentielle-2017/20170503.OBS8902/debat-marine-le-pen-a-sabote-sa-propre-strategie-de-dediabolisation.html">ouvertement agressive</a> employée à cette occasion. Ensuite parce qu’il met en question ses compétences et sa vision, comme lorsqu’elle aborde le thème de la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/politique/elections/sortie-de-l-euro-le-naufrage-en-direct-de-marine-le-pen_1905031.html">sortie de l’euro</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le débat « raté » de Marine Le Pen lors de l’entre-deux tours en 2017.</span></figcaption>
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<p>Pour beaucoup de sympathisants et de cadres du parti, cette séquence a jeté un <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2022/02/08/election-presidentielle-2022-les-cinq-annees-ou-marine-le-pen-a-tente-de-faire-oublier-son-echec-de-2017_6112855_6059010.html">doute sur sa capacité à incarner ce chef</a> visionnaire, à la fois craint et respecté, capable de les mener à la victoire.</p>
<h2>L’importance de la famille Le Pen</h2>
<p>La place de la famille Le Pen dans l’histoire du Rassemblement national est centrale et singulière tant leurs destins sont intimement liés.</p>
<p>Être une Le Pen <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2011/01/14/01002-20110114ARTFIG00673-marine-le-pen-elue-presidente-du-front-national.php">a aidé Marine à accéder à la présidence du parti</a> et lui procure une indéniable aura dans les cercles d’extrême droite et auprès des sympathisants du parti. Mais cette filiation peut aussi constituer un handicap et même un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1985/10/17/l-effet-le-pen-devient-un-effet-repoussoir_2736081_1819218.html">repoussoir</a>.</p>
<p>Eric Zemmour a su en profiter pour lancer avec succès son mouvement et a aussi réussi à fédérer autour de lui les personnalités vexées ou mises à l’écart par Marine Le Pen (à l’image du chef de file du Rassemblement national au parlement européen, Jérôme Rivière, ou du <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/01/21/gilbert-collard-s-apprete-a-rallier-eric-zemmour_6110492_823448.html">médiatique député européen Gilbert Collard</a>).</p>
<h2>Marion Maréchal la fossoyeuse</h2>
<p>C’est dans ce contexte d’affaiblissement, et alors que Marine Le Pen semble adopter ces dernières semaines une <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2022/01/29/marine-le-pen-a-madrid-en-quete-du-soutien-de-ses-allies-souverainistes_6111510_823448.html">stratégie de victimisation face aux attaques des partisans de Zemmour</a>, que Marion Maréchal, la nièce de Marine Le Pen (qui a abandonné le nom Le Pen et s’est récemment mariée avec un leader de la droite dure italienne) a laissé entendre qu’elle pourrait <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/marion-marechal-j-ai-envie-de-retourner-en-politique-20220128">soutenir Éric Zemmour voir même rejoindre le mouvement Reconquête !</a>.</p>
<p>Cette prise de position n’est pas sans évoquer l’adhésion de Marie-Caroline Le Pen, la fille de Jean‑Marie Le Pen et la sœur de Marine, au Mouvement national républicain de Bruno Mégret en 1999. Elle rappelle aussi que la préférence entre liens familiaux et ambitions politiques reste un sujet délicat dans la famille Le Pen comme l’a montré le <a href="https://twitter.com/lepenjm/status/1487020373279494146 ?ref_src=twsrc %5Etfw %7Ctwcamp %5Etweetembed %7Ctwterm %5E1487020373279494146 %7Ctwgr %5E %7Ctwcon %5Es1_&ref_url=https %3A %2F %2Fwww.cnews.fr %2Ffrance %2F2022-01-28 %2Fpresidentielle-jean-marie-le-pen-veut-parler-dans-les-prochains-jours-marine-le">tweet de Jean‑Marie Le Pen</a> qui affirme vouloir s’entretenir avec sa fille et sa petit-fille dans la perspective « des débats présidentiels et législatifs à venir ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/marion-marechal-lheritiere-qui-bouscule-les-codes-du-champ-politique-154524">Marion Maréchal : l’héritière qui bouscule les codes du champ politique</a>
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<p>Marion Maréchal défend <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2017-1-page-144.htm">une idéologie et un positionnement décomplexés</a> proche du positionnement des soutiens d’Éric Zemmour… tout en se déclarant favorable à <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/marine-le-pen/presidentielle-eric-zemmour-est-credible-dans-cette-histoire-d-union-des-droites-selon-un-expert-de-la-fondation-jean-jaures_4926879.html">l’Union des Droites</a> également préconisée par ce dernier. La logique politique voudrait donc qu’elle <a href="https://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/presidentielle-2022-marion-marechal-ne-trahit-pas-c-est-de-la-politique-considere-zemmour-20220201">rejoigne le mouvement Reconquête !</a>.</p>
<h2>Un RN en sursis ?</h2>
<p>Une telle décision, couplée à l’élimination de Marine Le Pen au 1<sup>er</sup> tour de la présidentielle 2022, pourrait mettre en péril la survie du Rassemblement national. La qualification d’Éric Zemmour pourrait même en sonner définitivement le glas.</p>
<p>Mais Marion Maréchal, <a href="https://www.decitre.fr/livres/memoires-9791090947245.html">proche de son grand-père</a>, humainement et politiquement, pourrait aussi aspirer à prendre les rênes de la formation qu’il a fondée, pour en réorienter la stratégie et en réaffirmer l’autorité.</p>
<p>Sa jeunesse et sa capacité à incarner la synthèse entre un positionnement idéologique assumé, un leadership fort et moderne et une tradition familiale qui a embrassé tous les combats nationalistes, de l’après-guerre à nos jours, sont des atouts que ne semblent posséder ni Marine Le Pen… ni Éric Zemmour.</p>
<p>À ce titre, Marion Maréchal jouera un rôle clef dans la recomposition que ne manquera pas de connaître l’extrême droite française après les élections présidentielles et législatives de 2022. Son engagement aura un impact majeur sur la survie de la formation créée par son grand-père.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176907/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Olivier Guyottot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Rassemblement national joue-t-il ses dernières cartes ? Les positions de la candidate Valérie Pécresse et celles d’Éric Zemmour prennent le parti fondé par Jean‑Marie Le Pen en étau.Olivier Guyottot, Enseignant-chercheur en stratégie et en sciences politiques, INSEEC Grande ÉcoleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1761662022-02-10T16:05:22Z2022-02-10T16:05:22ZBrésil : que deviendra le bolsonarisme après la disparition de l’idéologue de l’extrême droite ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/445641/original/file-20220210-25-1noflf3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=9%2C0%2C3143%2C2366&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le 27&nbsp;mai 2019&nbsp;dans la ville de Maceio, un vendeur de rue propose des drapeaux brésiliens, des tshirts représentant Olavo de Carvalho et d’autres floqués au nom de Jair Bolsonaro.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/maceio-al-brazil-may-26-2019-1407977357">estevesf/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Olavo de Carvalho, « accoucheur » de la nouvelle droite brésilienne, <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/deces-lextreme-droite-bresilienne-perdu-son-gourou-olavo-de-carvalho">est décédé le 25 janvier dernier</a> à l’âge de 74 ans.</p>
<p>Le président Jair Bolsonaro, avec qui il partageait une farouche opposition au communisme et au « marxisme culturel », a décrété une journée de deuil national en hommage à celui qui a souvent été présenté comme son mentor. À quelques mois de la présidentielle d’octobre prochain, quel impact la perte de l’un de ses principaux idéologues aura-t-elle sur le bolsonarisme ?</p>
<h2>Un militant communiste devenu idéologue de la droite dure</h2>
<p>« L’un des plus grands penseurs de l’histoire de notre pays, le philosophe et professeur Olavo Luiz Pimentel de Carvalho, nous quitte aujourd’hui », a tweeté Jair Bolsonaro en réaction au décès de l’une des figures les plus marquantes de son gouvernement, avant de compléter :</p>
<blockquote>
<p>« Olavo était un géant de la lutte pour la liberté et un phare pour des millions de Brésiliens. Son exemple et ses enseignements nous marqueront à jamais. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1485857287780675590"}"></div></p>
<p>Né à Campinas, dans l’État de Sao Paulo, en 1947, l’essayiste et philosophe autodidacte Olavo de Carvalho avait dans sa jeunesse milité au Parti communiste brésilien (PCB). Il s’était alors opposé à la <a href="https://www.rts.ch/archives/9920321-bresil-la-dictature.html">dictature militaire (1964-1985)</a> avant de devenir dans les années 1990 <a href="https://www.bbc.com/portuguese/brasil-38282897">l’un des principaux idéologues</a> de la guerre contre « l’hégémonie culturelle de la gauche ».</p>
<p>Entre la fin des années 1970 et les années 1980, il se tourne vers l’astrologie et se rapproche de la <em>tariqa</em> (confrérie soufie) de Frithjof Schuon, métaphysicien et maître spirituel suisse lié à la pensée <a href="https://www.penguin.co.uk/books/315/315812/war-for-eternity/9780141992037.html">pérennialiste</a>). Mais c’est surtout à partir des années 1990, après la redémocratisation brésilienne et la fin de la guerre froide, que Carvalho se dédie à la publication de ses écrits politiques, largement consacrés à la question du <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/08/28/le-marxisme-culturel-fantasme-prefere-de-l-extreme-droite_5503567_3232.html">« marxisme culturel »</a> et de la menace qu’il représente pour la civilisation occidentale.</p>
<p>Longtemps cantonné à des polémiques en tant que chroniqueur de journaux grand public et méprisé par la plupart des universitaires, Carvalho est devenu une figure incontournable de la pensée conservatrice brésilienne au cours de la dernière décennie. En témoigne la publication de son premier best-seller, <em>Le minimum que vous devez savoir pour ne pas être un idiot</em> (Record, 2013), par une grande maison d’édition de Rio de Janeiro. Le livre se trouvait sur le bureau de Bolsonaro lorsqu’il a enregistré le <em>live</em> célébrant le résultat de l’élection préidentielle qui venait de le porter au pouvoir en 2018.</p>
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<span class="caption">Jair Bolsonaro lors de son live pour célébrer sa victoire et remercier les électeurs.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Agência Brasil</span></span>
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<h2>L’idéologue de la guerre culturelle au Brésil</h2>
<p>Carvalho voyait dans la transformation de la conscience populaire, dans le cadre d’une <a href="https://journals.openedition.org/quaderni/863">lutte pour l’hégémonie culturelle</a>, une condition préalable à la transformation du système politique. L’auteur <a href="https://www.dissentmagazine.org/article/the-gramsci-of-the-brazilian-right">reprend cette idée</a> des travaux du théoricien marxiste italien Antonio Gramsci (1891-1937), auquel il attribue la genèse d’un projet de destruction de la civilisation occidentale par la manipulation des esprits.</p>
<p>Le « marxisme culturel » serait ainsi à la racine des attaques menées sur plusieurs fronts par l’<em>establishment</em> progressiste, lequel aurait pris le contrôle des plus diverses institutions, allant des universités aux partis politiques, en passant par les médias et le monde des arts. Comme l’explique le politologue <a href="https://katakrak.net/cas/editorial/libro/el-odio-como-pol-tica">Luiz Felipe Miguel</a>, « l’idée que la lutte politique a, pour moment central, la dispute autour de projets et de visions du monde », soutenue par Gramsci, est interprétée comme une stratégie « visant à saper les consensus qui permettent à la société de fonctionner ».</p>
<p>Afin de la combattre, Carvalho soutenait qu’il faut retourner leurs propres armes contre ces élites en reconquérant les espaces dont elles se sont emparées et, au bout du compte, en disputant ce qui est historiquement autorisé à se penser et à se dire. Inspirée par ses travaux, la remise en cause de ces <em>régimes de vérité</em> a bien souvent dérivé vers des théories radicales ou complotistes, allant jusqu’au déni du changement climatique et de la pandémie de Covid-19, ou encore le « terreplatisme », comme l’affirme l’anthropologue <a href="https://www.planetadelivros.com.br/livro-amanha-vai-ser-maior/309393">Rosana Pinheiro-Machado</a>.</p>
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<p>Étonnamment, la pensée de Carvalho prend de l’ampleur à une époque où le poids du communisme dans le système politique brésilien s’estompe : le PCB est électoralement affaibli et le Parti des travailleurs (PT), le grand parti de la gauche, représente un réformisme très modéré. Il n’en demeure pas moins que la peur de ce <em>communisme diffus</em> a servi de puissant repoussoir, jetant dans les bras de la nouvelle droite une partie importante des Brésiliens.</p>
<h2>« L’accoucheur » de la nouvelle droite brésilienne</h2>
<p>Cela a demandé du temps et un travail souterrain, impulsé par Internet. Après la fin de la dictature, la droite brésilienne est largement discréditée et ne trouve plus sa place dans le système structuré autour des deux grands partis qui ont dominé le paysage politique jusqu’à l’élection de Bolsonaro : le PT et le PSDB (Parti de la social-démocratie brésilienne, centre droit). Dans ce contexte, « Carvalho était considéré par ses admirateurs comme l’une des seules voix capables de rassembler les militants et sympathisants de droite qui ne se sentaient pas représentés institutionnellement », explique la politologue <a href="https://katakrak.net/cas/editorial/libro/el-odio-como-pol-tica">Camila Rocha</a>.</p>
<p>Même sans avoir complété de formation universitaire, <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/amerique-sud/bresil-olavo-de-carvalho-le-gourou-de-bolsonaro_2072377.html">Carvalho dispensait depuis 2009 son cours en ligne de philosophie</a> à des milliers d’étudiants et était très actif sur les réseaux sociaux. En remettant en cause les consensus de la société libérale, l’auteur a donné à la droite la possibilité de « sortir du placard ». C’est en ce sens qu’il se définissait comme « l’accoucheur » de la nouvelle droite brésilienne. Selon le politologue Marcos Paulo Quadros, Carvalho a été un précurseur dans la structuration « d’une culture conservatrice qui dépasserait la conscience populaire et fissurerait le récit progressiste tant répandu depuis la redémocratisation ».</p>
<p>Mais c’est surtout à partir de 2013, avec les <a href="https://www.france24.com/fr/20150816-bresil-nouvelle-journee-manifestations-depart-dilma-rousseff-corruption-crise">manifestations</a> qui déstabilisent le gouvernement de Dilma Rousseff (2011-2016), qu’une fenêtre d’opportunité s’ouvre pour cette nouvelle droite. La délégitimation du gouvernement du PT est progressivement étendue à l’ensemble de la classe politique, favorisant la réception des idées de Carvalho. Aux côtés de nostalgiques de la dictature, de défenseurs du libéralisme économique et des représentants des Églises évangéliques, il infuse de nouvelles idées dans le débat public, offrant aux Brésiliens une nouvelle grille de lecture pour la crise qui éclatait devant leurs yeux – et ouvrant la voie à l’élection de Bolsonaro.</p>
<h2>L’éminence grise du clan Bolsonaro</h2>
<p>Bolsonaro n’est pas exactement une création de Carvalho ou de la nouvelle droite. Son élection a certainement été favorisée par le climat politico-culturel qu’ils ont créé. Mais Bolsonaro était déjà l’un des rares politiciens se revendiquant ouvertement de droite après la fin de la dictature. L’ancien capitaine avait été influencé par son parcours militaire et apportait avec lui l’anticommunisme de la guerre froide. Ce que Carvalho lui a donné, ce sont les fondements d’un anticommunisme adapté au XXI<sup>e</sup> siècle, dissolvant la menace en une entité fantasmagorique qui hante toutes les sphères de la vie sociale.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/444918/original/file-20220208-18-zoirx3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/444918/original/file-20220208-18-zoirx3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/444918/original/file-20220208-18-zoirx3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/444918/original/file-20220208-18-zoirx3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/444918/original/file-20220208-18-zoirx3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/444918/original/file-20220208-18-zoirx3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/444918/original/file-20220208-18-zoirx3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jair Bolsonaro et Olavo de Carvalho (assis à sa droite) lors d'un dîner à la résidence officielle de l'ambassadeur du Brésil à Washington (États-Unis), en 2019.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Misant sur son attrait populaire, Bolsonaro <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2020/02/CALIL/61307">était le pari sûr</a> de Carvalho pour mettre en pratique sa vision du monde. L’auteur affirmait qu’il se souciait moins de la politique professionnelle que de la lutte pour la conscience populaire. Malgré cela, son influence a été particulièrement intense au début du mandat de Bolsonaro. Des postes clés, tels que ceux de ministre des Affaires étrangères et de l’Éducation, ont été confiés à des « olavetes », qui ont mené une politique d’opposition au « globalisme » et à « l’endoctrinement » dans les écoles et les universités.</p>
<p>Carvalho a profondément marqué le noyau dur du clan Bolsonaro, composé par le président lui-même et ses trois fils aînés. Cependant, son influence a succombé à la conjoncture et aux alliances que Bolsonaro a été amené à conclure pour se maintenir au pouvoir. Avec les militaires, les libéraux et les évangéliques, Carvalho et ses disciples se sont trouvé un ennemi commun : la gauche. Mais cela n’a pas suffi à établir un consensus durable. Des alliés ont été éjectés au fur et à mesure, laissant un cercle chaque fois plus restreint dans la formulation des grandes lignes du gouvernement.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1486136212104658946"}"></div></p>
<h2>Le monde d’après</h2>
<p>Dans ces conditions, Carvalho et ses disciples se sont heurtés à plusieurs reprises à des membres du gouvernement, en particulier les militaires, ce qui a rendu son influence sur Brasilia impraticable. Cela ne sous-entend pas que ses idées ont été complètement purgées du gouvernement, et encore moins du clan Bolsonaro. D’une part, c’est parce que le président lui-même a été affaibli par l’exercice du pouvoir que la position de Carvalho a pu être restreinte par les alliances tissées pour préserver son mandat. D’autre part, les idées de l’auteur ont produit un effet difficilement réversible, étant donné l’ampleur qu’a prise la nouvelle droite brésilienne.</p>
<p>Carvalho a fourni à Bolsonaro et à son entourage immédiat les armes idéologiques nécessaires pour créer l’ennemi commun qui leur a permis de dominer les réseaux de la droite brésilienne. Ces idées déterminent largement la manière dont ce groupe perçoit le système politique et cherche à le modifier. Cependant, la guerre contre le « marxisme culturel » s’est révélée bien moins efficace pour garder le pouvoir entre les mains de Bolsonaro que pour le faire élire. <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2022/01/16/grandeur-et-decadence-du-professeur-de-jair-bolsonaro_6109669_4500055.html">En pleine pandémie</a> et face aux enquêtes qui se rapprochaient du noyau dur de son clan, les querelles entre son éminence grise et les principaux membres du gouvernement sont devenues insupportables.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/07/31/bresil-donne-perdant-a-la-presidentielle-de-2022-bolsonaro-fait-planer-une-menace-sur-la-tenue-de-l-election_6090104_3210.html">Alors qu’approchent les élections</a> qui définiront le destin politique de Jair Bolsonaro, il sera important d’observer la direction que prendra sa campagne. Carvalho déclarait, malgré tout, qu’il soutiendrait le président actuel dans l’élection « par manque d’alternatives ». Face à l’ancien président de gauche Lula <a href="https://www.rtbf.be/article/bresil-lula-donne-vainqueur-de-la-presidentielle-au-1er-tour-face-a-bolsonaro-selon-un-sondage-10899738?id=10899738">(en tête des sondages)</a> et après quatre ans de mandat, il est peu probable que le chef de l’État actuel retrouve les mêmes conditions qu’en 2018. Avec ou sans lui après 2022, un retour au Brésil d’avant Bolsonaro (et Carvalho) semble difficile à réaliser, et le vide laissé derrière eux devrait être vite rempli par d’autres forces.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/176166/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bruno Ronchi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Décédé fin janvier, Olavo de Carvalho avait joué un rôle majeur dans l’essor de la droite dure brésilienne et la victoire de Jair Bolsonaro en 2018. Sans lui, le « bolsonarisme » est-il menacé ?Bruno Ronchi, Doctorant en science politique, Université de Rennes 1 - Université de RennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1718662021-11-28T23:06:16Z2021-11-28T23:06:16ZVit-on vraiment le retour des années 1930 ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/433465/original/file-20211123-25-171gkuc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C923%2C610&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Militants du francisme en 1934. 'Marcel Bucard entraîne [ses partisans] au salut à la Romaine'. Marthe Hanau, Écoutez-moi..., n° 41, 22 décembre 1934.
"</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.vikidia.org/wiki/Ligues_d%27extr%C3%AAme-droite#/media/File:Francisme.jpg">Marthe Hanau/Vikidia</a></span></figcaption></figure><p>« Je mesure la droitisation des esprits, ce danger qui progresse depuis des années : on ne peut pas s’empêcher de penser à l’avant-guerre ». Annie Ernaux, dans cet <a href="https://www.nouvelobs.com/bibliobs/20211118.OBS51133/amour-politique-cinema-etre-une-femme-rencontre-avec-annie-ernaux-dans-sa-maison-de-cergy.html">entretien accordé au <em>Nouvel Obs</em></a>, croit reconnaître les années 1930, pour le pire, dans le visage incertain du monde qui se reconfigure 30 ans après l’espoir d’une <a href="https://www.franceculture.fr/histoire/lhistoire-de-la-fin-de-lhistoire">« fin de l’histoire »</a> marquée par le triomphe de la démocratie libérale sur le bloc soviétique.</p>
<p>Les publicistes sont saisis par l’effroi de l’éternel retour. En 2014, l’universitaire Philippe Corcuff publie <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/les-annees-30-reviennent-et-la-gauche-est-dans-le-brouillard"><em>Les années 30 reviennent et la gauche est dans le brouillard</em></a>. En 2017, Farid Abdelouahab et Pascal Blanchard <a href="https://livre.fnac.com/a10176110/Pascal-Blanchard-Les-Annees-30-Et-si-l-histoire-recommencait">s’inquiètent</a> : <em>Les Années 30. Et si l’histoire recommençait</em> ? La quatrième de couverture assume la réduction du raisonnement analogique à la répétition : « Notre présent apparaît comme un fascinant écho de ces années 30 ».</p>
<h2>La hantise de la répétition</h2>
<p>Le philosophe Michaël Foessel relit le passé à partir des préoccupations présentes, avec son <a href="https://www.puf.com/content/R%C3%A9cidive_1938"><em>Récidive. 1938</em></a>, qui interroge plus subtilement la permanence des périls qui ont existé dans les années 1930 ; il se plonge dans la presse de 1938, pris « d’un doute sur la réalité du bégaiement de l’histoire ».</p>
<p>D’autres titres versent dans le prophétisme, pour ne pas dire le simonisme (monnayer des prophéties) comme l’écrit François Langlet, dans <a href="https://www.albin-michel.fr/tout-va-basculer-9782226441942"><em>Tout va basculer</em></a>. La pandémie virale aiguise cette crainte qui prospère depuis le milieu des années 2010. <a href="https://www.commentaire.fr/numeros/automne-2020-171">Un diplomate essayiste</a> voit se lever « l’ombre portée des années 1930 » qui « doit inspirer stupeur et humilité » en levant le regard sur l’avenir. Les hommes politiques ne sont pas immunisés contre cette hantise. L’analogie vient à Manuel Valls en 2014. Le ministre de l’Intérieur trouve à notre temps un « point commun avec les années 1930 » :</p>
<blockquote>
<p>« L’anti-républicanisme et la détestation violente dans les mots comme dans les actes » des valeurs et principes républicains (<em>Le Journal du Dimanche</em>, 2 février 2014).</p>
</blockquote>
<p>Emmanuel Macron, élu à la présidence de la République sur le refus du clivage bi-partisan, donne en novembre 2018 un <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/info-ouest-france-emmanuel-macron-le-moment-que-nous-vivons-ressemble-l-entre-deux-guerres-6045961">entretien à <em>Ouest-France</em></a> titré : « Le moment que nous vivons ressemble à l’entre-deux-guerres ».</p>
<p>Le ressort analogique conduit à comparer les difficultés de notre temps à celles des années 1930. La crise financière de 2008 rappelle celle de 1929, avec son lot de malheurs sociaux. L’affirmation de la Chine rappelle le passage de relais de l’entre-deux-guerre au profit des États-Unis.</p>
<h2>Le retour des « égoïsmes nationaux »</h2>
<p>La pandémie mondiale et les réponses apportées, frontières closes, ruées rivales des États sur les moyens de lutte contre la propagation du virus, rappellent le retour des <a href="https://www.babelio.com/livres/Margairaz-LEtat-les-finances-et-leconomie-Histoire-dune-/377471">« égoïsmes nationaux »</a> des années 30, lorsque les gouvernements choisissaient la hausse des tarifs douaniers et les dévaluations compétitives.</p>
<p>La floraison de régimes illibéraux et populistes, enfin, fait craindre le retour des régimes totalitaires qui cernaient la France des années 1930.</p>
<p>L’anticipation d’une catastrophe possible explique probablement notre fascination pour cette décennie qui se termine par la disparition de la démocratie, abîmée dans la défaite, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-orphelins-de-la-republique-olivier-wieviorka/9782021283747">liquidée le 10 juillet 1940 avec la IIIᵉ République</a>.</p>
<h2>Non, nous n’allons pas revivre les années 30, nous les avons déjà vécues</h2>
<p>En dehors de toute réflexion théorique sur la validité de la comparaison entre périodes, l’historien doit rappeler ce truisme que nous n’allons pas revivre les années 30. C’est bien pire : « nous » les avons vécues, nous sommes façonnés par elle et, par-là, nous les vivons encore.</p>
<p>Reste à savoir comment ! Il n’est pas fatal de se laisser happer par cette angoisse mémorielle. Si la hantise de répéter l’expérience passée, et le mécanisme de reproduction compulsif a été identifié dès le début du XX<sup>e</sup> siècle par Sigmund Freud chez ses patients, il a fallu attendre l’aube du XXI<sup>e</sup> siècle pour que le <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-memoire-l-histoire-l-oubli-paul-ric-ur/9782020563321">philosophe Paul Ricœur suggère</a> d’appliquer aux sociétés ce travail d’interprétation des évènements traumatiques, travail de deuil auquel Freud invitait ses patients pour échapper à la répétition pathologique après une perte qui n’a pas été regardée en face.</p>
<p>Les historiens professionnels eux-mêmes, qui ont construit d’artificielles « périodes », ne s’arrachent jamais complètement à l’illusion d’un temps cyclique. Le péril n’est pas « qu’adviennent » à nouveau les années 1930, comme si notre condition historique était passive, mais que nous soyons à ce point traumatisés par le point d’aboutissement de la décennie 1930 que nous ne puissions pas nous <a href="https://www.lepoint.fr/editos-du-point/sebastien-le-fol/pierre-laval-un-cauchemar-francais-17-10-2018-2263513_1913.php">réconcilier avec notre passé</a>, pour qu’il ne pèse plus sur notre devenir comme une fatalité.</p>
<h2>D’autres années 1930</h2>
<p>Peut-on modestement appeler à une meilleure connaissance de ce passé, dans toute l’amplitude de ses potentialités, sans se polariser sur la catastrophe de 1940, pour se réconcilier avec lui – et ne pas subir ses effets ? Lorsqu’en janvier 2021 Marine Le Pen <a href="https://www.lepoint.fr/politique/crise-sanitaire-le-pen-denonce-une-politique-du-chien-creve-au-fil-de-l-eau-25-01-2021-2411055_20.php">fustige</a> « la politique du chien crevé au fil de l’eau » du gouvernement Castex, la presse y voit la reprise d’une attaque de François Fillon ciblant François Hollande huit ans plus tôt.</p>
<p>Elle répète en réalité la pique d’André Tardieu, disciple de Georges Clemenceau, qui visait en 1921 la politique étrangère du président du conseil Aristide Briand formulée en 1921, suspect de détricoter le traité de Versailles.</p>
<p>L’insulte revient sous la plume des journalistes d’extrême droite à l’aube des années 1930, lorsque Tardieu, devenu président du conseil à son tour, maintient Briand au Quai d’Orsay et se rallie à sa politique de conciliation avec l’Allemagne de Weimar. L’Action française fustige inlassablement Tardieu qui contribue au démantèlement du traité de Versailles. Au point que l’emploi de l’expression « chien crevé au fil de l’eau » se généralise dans les journaux de toutes tendances. En 1935, <em>L’Humanité</em> l’applique à Pierre Laval (<em>L’Humanité</em>, « Où nous conduit M. Laval ? Scandale diplomatique ! », le 8 novembre 1935, p. 3] dont la politique étrangère indécise hésite entre la volonté de séparer l’Italie de l’Allemagne nazie et l’exigence juridique de condamner le régime fasciste, agresseur de l’Ethiopie.</p>
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<figcaption><span class="caption">Le 30 juin 1936, devant la Société des Nations à Genève, le négus Haïlé Sélassié plaide la cause de son pays, l’Éthiopie, envahi par l’armée de Mussolini.</span></figcaption>
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<p>Cet exemple permet de rappeler les permanences – la réserve rhétorique de Marine Le Pen vient de l’extrême droite des années 1930 – et les discontinuités : Tardieu, inquiet de l’impuissance du parlementarisme, pressé par une partie de son camp de rompre avec la politique de conciliation avec l’Allemagne de Weimar, s’y est rallié – avant de prendre ses distances avec le régime parlementaire.</p>
<h2>Notre présent se fabrique le passé de son choix</h2>
<p>Les années 30 pèsent sur notre temps, mais ne sommes-nous pas aussi les enfants d’autres décennies ? Cette évidence masque un phénomène subtil : selon les époques, tel moment de notre généalogie s’impose au souvenir collectif.</p>
<p>Notre présent se fabrique le passé de son choix. Pour nous représenter les conséquences des années 1930, une <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/face-au-passe-essais-sur-la-memoire-contemporaine">mémoire traumatisée</a> par la honte de la défaite et de la Collaboration nous ramène compulsivement à la défaite et la Collaboration.</p>
<p>Un défaut de connaissance ne nous permet pas de situer ces années comme un chaînon dans une généalogie plus longue. Cela permettrait d’amoindrir leur exceptionnalité en dépit du caractère visible des crises qui s’y jouent. Les émeutes du 6 février 1934 et la haine du parlementarisme ; l’abandon des Républicains espagnols, les <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2018/09/28/26010-20180928ARTFIG00315-accords-de-munich-1938-la-tchecoslovaquie-sacrifiee-sur-l-autel-d-une-paix-illusoire.php">accords de Munich</a> qui cèdent les Sudètes aux nazis ; les élans du Front populaire dissous dans les pleins pouvoirs ; la chute de la III<sup>e</sup> République : ceci est advenu.</p>
<p>Ces traumatismes font-ils perdre confiance dans notre avenir ? Pourtant aucun de ces évènements n’est né en 1930. La question de la compatibilité entre démocratie et représentation court toute <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-histoire/Le-Peuple-introuvable">l’histoire de la modernité politique</a>, avant et après le 6 février 1934.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=433&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/433112/original/file-20211122-15-r8j0s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cavaliers de la garde républicaine mobile contre émeutiers sur la place de la Concorde le 7 février.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Crise_du_6_f%C3%A9vrier_1934#/media/Fichier:Place_de_la_Concorde_7_f%C3%A9vrier_1934.jpg%20**">L’Ouest-Éclair, journal républicain du matin, n° 13609, 9 février 1934</a></span>
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<p>La non-intervention en Espagne <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-economie-et-societe-2014-2-page-3.htm">s’inscrit dans l’histoire longue</a> d’une expression formulée pour la première fois en 1830 lorsque la France libérale récusait le droit des Puissances conservatrices à réprimer l’émancipation du peuple belge, dominé par le roi de Hollande (la notion devient ambiguë lorsque l’intervention russe en Pologne redevient un outil de répression des révolutions libérales nationales).</p>
<p>L’antisémitisme ? L’affaire Dreyfus a eu lieu avant <a href="https://www.cairn.info/les-grands-proces--9782130558309-page-287.htm">l’affaire Stavisky</a>, cet escroc ayant profité de la complaisance d’élus, de patrons de presse et de magistrats, dont la mort dans des conditions troubles réactive la haine des Juifs récemment immigrés.</p>
<p>La peur de la démocratie sociale des années 1930 ? Elle hérite des journées de juin 1848 ou de la Commune, etc. Pourtant, on compte moins de casquettes d’ouvriers le 6 juin 1934 que de chapeaux bourgeois…</p>
<h2>Dépasser le stade obsessionnel</h2>
<p>Si l’on veut comprendre la richesse des années 1930, on peut partir du souvenir actuel que nous en conservons, à savoir un traumatisme pour l’unité (sommes-nous démocrates ?) et l’identité (qu’est-ce qu’être Français, à l’heure des grands brassages des hommes, des choses, des pratiques et des idées ?), pourvu qu’on n’en reste pas au stade obsessionnel, qui empêche de déployer tout ce qui fut et aurait pu être, et qui résonne dans un temps plus long.</p>
<p>L’analogie de Corcuff, par exemple, qui s’inquiète du retour des années 30, identifie parmi les « nouvelles équipes » qui cherchaient une tierce voie entre libéralisme et communisme, les individus qui ont rallié l’antiparlementarisme fascisant. Ces généalogies pessimistes limitent les années 30 aux trajectoires les plus décevantes des « non conformistes » insatisfaites de matérialisme technophile. Or, les racines de notre prise de conscience écologique, par exemple, procèdent également des <a href="https://theconversation.com/redecouvrir-la-pensee-de-jacques-ellul-pionnier-de-la-decroissance-80624">Jacques Ellul</a>, <a href="https://theconversation.com/bernard-charbonneau-ce-pionnier-meconnu-de-lecologie-francaise-130094">Bernard Charbonneau</a> ou Denis de Rougemont, qui s’inscrivaient dans cette 3<sup>e</sup> voie, porteuse d’autres devenirs que la révolution nationale de Vichy.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/171866/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Renaud Meltz a reçu des financements d'organisations publiques.</span></em></p>Si l’on veut comprendre la richesse des années 1930, il nous faut confronter la mémoire que nous en avons tout en dépassant le stade obsessionnel.Renaud Meltz, Historien, Université de Haute-Alsace (UHA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1699652021-11-04T19:18:55Z2021-11-04T19:18:55ZComment le djihadisme pourrait prospérer dans l’Afghanistan des talibans<p>Le retour au pouvoir des talibans en Afghanistan a été <a href="https://www.sudouest.fr/international/asie/afghanistan/afghanistan-la-victoire-des-talibans-a-donne-un-enorme-coup-de-pouce-aux-djihadistes-du-monde-entier-5216875.php">célébré</a> par les djihadistes du monde entier. Le Middle East Institute, un groupe de réflexion de Washington, estime que leur succès représente une <a href="https://www.mei.edu/blog/taliban-victory-would-be-major-win-global-jihadist-movement">« victoire majeure »</a> pour les groupes djihadistes comme Al-Qaïda ou l’État islamique (EI).</p>
<p><a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20210903-afghanistan-poutine-esp%C3%A8re-que-les-talibans-deviendront-civilis%C3%A9s">Moscou</a>, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2021/09/18/pekin-demande-aux-talibans-d-eradiquer-les-organisations-terroristes-en-afghanistan_6095153_3210.html">Pékin</a>, <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/afghanistan-linde-face-a-linfluence-grandissante-du-pakistan-et-de-la-chine-1346669">New Delhi</a> et même <a href="https://www.mediapart.fr/journal/international/290921/le-pakistan-au-risque-des-talibans?onglet=full">Islamabad</a> sont profondément préoccupés par la situation sécuritaire en Afghanistan. Et pour cause : les liens des talibans avec Al-Qaïda n’ont jamais été rompus, leur lutte contre l’EI est loin d’être évidente, et plusieurs autres groupes djihadistes régionaux peuvent capitaliser sur leur récente victoire.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-pakistan-et-les-talibans-les-liaisons-dangereuses-167383">Le Pakistan et les talibans : les liaisons dangereuses</a>
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<h2>Al-Qaïda</h2>
<p>Récemment, Al-Qaïda <a href="https://www.politico.com/news/magazine/2021/09/07/al-qaeda-taliban-complex-relationship-509519">a déclaré</a> que la prise de pouvoir par les talibans était une preuve que « la voie du djihad est la seule qui mène à la victoire ».</p>
<p>Les talibans afghans entretiennent avec <a href="https://www.fdd.org/analysis/2021/06/04/al-qaeda-is-still-in-afghanistan/">Al-Qaïda</a> des liens <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/le-monde-d-apres/le-monde-d-apres-de-jean-marc-four-du-mercredi-15-septembre-2021">toujours actifs</a> dans toute la région Afghanistan-Pakistan. Ainsi, le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a récemment <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2021/08/26/taliban-bin-laden/?utm_campaign=wp_main&utm_medium=social&utm_source=facebook&fbclid=IwAR3o4b6U1-xrMuUl_mEuer7jTX_zOETWobMNd7NpGv9JWxK4jBZvFBasZT0">nié</a> qu’Oussama Ben Laden était responsable du 11 Septembre, illustrant ainsi la proximité des deux groupes.</p>
<p>Les spécialistes de la région pensent que les talibans continueront à fournir un soutien <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20210816-taliban-to-give-al-qaeda-covert-not-overt-support-analysts">discret</a> à Al-Qaïda à présent qu’ils sont de nouveau au pouvoir. Mais ils pourraient aussi utiliser la présence d’Al-Qaïda comme un atout pour renforcer leurs positions contre l’État islamique, ainsi que comme moyen de chantage sur la scène régionale et mondiale, en exerçant une pression sécuritaire sur différents pays pour obtenir l’<a href="https://news.un.org/fr/story/2021/10/1106092">aide internationale</a> dont ils ont tant besoin.</p>
<h2>L’État islamique</h2>
<p>Les talibans affirment qu’ils <a href="https://www.newsweek.com/taliban-says-we-can-control-terrorism-blames-kabul-airport-attack-u-s-1626445">peuvent</a> et <a href="https://apnews.com/article/afghanistan-cabinets-taliban-militant-groups-3652ae786079637a56a4edff5063fe5f">vont</a> contrôler les cellules terroristes de l’EI dans le pays. Mais le peuvent-ils vraiment, et le feront-ils ?</p>
<p>La <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/L-%C3%89tat-islamique-dans-le-Khorasan-1-2.html">présence de cellules actives de l’EI à Kaboul et à Kandahar</a> montre la capacité de cette organisation à évoluer dans un pays éloigné de sa zone d’origine, et cela malgré sa rivalité avec les talibans. <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/attentat-a-l-aeroport-de-kaboul-le-recit-d-un-carnage-aux-consequences-internationales_2157360.html">L’attentat du 26 août</a> contre l’aéroport international Hamid Karzai de Kaboul, qui a fait au moins 182 morts, témoigne de sa capacité à frapper la capitale.</p>
<p>Les attaques terroristes de l’EI se sont poursuivies depuis le retrait des États-Unis, à <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afghanistan/afghanistan-deux-morts-dans-un-attentat-devant-une-mosquee-a-kaboul_4793789.html">Kaboul</a>, à <a href="https://www.courrierinternational.com/article/afghanistan-un-attentat-suicide-dans-une-mosquee-kunduz-fait-des-dizaines-de-victimes">Kunduz</a>, ainsi qu’à <a href="https://www.reuters.com/world/asia-pacific/blast-hits-mosque-afghan-city-kandahar-heavy-casualties-officials-2021-10-15/">Kandahar</a>.</p>
<p>L’EI est également actif dans les provinces de <a href="https://www.france24.com/en/asia-pacific/20210831-afghanistan-do-islamic-state-group-jihadists-pose-a-real-challenge-to-the-taliban">Nangarhar et Kunar</a>, à la frontière des provinces pakistanaises du Waziristan et des <a href="https://www.refworld.org/pdfid/5804925e4.pdf">Zones tribales</a>. Cette région est un bastion du djihadisme et du trafic d’armes, et a contribué au succès des talibans eux-mêmes. L’EI est également présent dans la province pakistanaise du <a href="https://dakarinfo.net/letat-islamique-est-accuse-davoir-tue-des-sikhs-au-pakistan/">Baloutchistan</a>.</p>
<p>Le but de l’EI est de remplacer les talibans et de s’emparer de l’Afghanistan pour en faire leur <a href="https://theconversation.com/what-is-isis-k-two-terrorism-experts-on-the-group-behind-the-deadly-kabul-airport-attack-and-its-rivalry-with-the-taliban-166873">nouveau sanctuaire</a>. Pour cela, ils ont recours aux mêmes <a href="https://www.reuters.com/world/asia-pacific/islamic-state-uses-talibans-own-tactics-attack-afghanistans-new-rulers-2021-09-23/">tactiques</a> que les talibans ont longtemps utilisées pour attaquer les États-Unis.</p>
<p>Les combattants de l’ancienne Armée nationale afghane pourraient par ailleurs être tentés de rejoindre les forces de l’EI après avoir été chassés par les talibans. Ce processus <a href="https://english.alarabiya.net/perspective/features/2014/06/26/In-Iraq-former-militia-program-eyed-for-new-fight">s’est déjà produit</a> en Irak, où l’armée nationale et la Sahwa, une milice sunnite, ont toutes deux été dissoutes et renvoyées chez elles, permettant l’émergence d’Al-Qaïda et de l’État islamique dans le pays.</p>
<p>Les talibans suivent les préceptes de l’école <a href="https://www.refworld.org/docid/403dd2624.html">déobandi</a> de l’islam, originaire d’Inde, alors que l’État islamique est salafiste. Ils sont concurrents stratégiquement, mais compatibles idéologiquement. Ils disposent également de réseaux interconnectés, emploient des méthodes coercitives similaires, ont des ennemis identiques et entretiennent des contacts indirects au travers du <a href="https://www.liberation.fr/international/afghanistan-les-haqqani-dynastie-de-la-terreur-20210821_TIR64DXY7VHUBN2X7P3GLNLPYY/">réseau Haqqani</a>.</p>
<p>Responsable de nombreuses <a href="https://web.stanford.edu/group/mappingmilitants/cgi-bin/groups/print_view/363#cite34">attaques</a> en Afghanistan, « y compris l’utilisation d’escadrons de la mort pour des exécutions publiques, ainsi que des vidéos de décapitations massives et d’assassinats brutaux », le réseau Haqqani <a href="https://foreignpolicy.com/2021/08/26/afghanistan-kabul-airport-attack-taliban-islamic-state/">fait le lien</a> entre les talibans et Al-Qaïda, mais aussi entre les talibans et l’EI. Son chef, Sirajuddin Haqqani, a récemment été nommé ministre de l’Intérieur.</p>
<p>Si les talibans adoptent une stratégie de coopération avec les puissances étrangères contre l’EI, ils seront considérés comme des dirigeants faibles collaborant avec l’ennemi. Dans le monde djihadiste, cela équivaut au discrédit ultime, et pourrait favoriser le recrutement, le financement et l’action de l’État islamique.</p>
<p>À l’inverse, si les talibans choisissent de se rapprocher de l’EI pour éviter les attaques sur leur sol, l’organisation se retrouvera alors plus ou moins dans la position d’Al-Qaïda avant 2001. L’organisation pourrait alors utiliser l’Afghanistan comme base arrière, gouverner en coulisses ou bien conquérir le pays.</p>
<h2>Les autres groupes de la région</h2>
<p>La situation actuelle en Afghanistan favorise les organisations sunnites radicales implantées au Pakistan.</p>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/le-pakistan-et-les-talibans-les-liaisons-dangereuses-167383">Tehreek-e-Taliban Pakistan</a> (TTP), également connu sous le nom de « talibans pakistanais », est l’une d’elles. Il a récemment absorbé une fraction de l’organisation terroriste Lashkar-e-Janghvi ; ainsi que le <a href="https://jamestown.org/program/hizb-ul-ahrar-pakistans-cross-border-taliban-problem-remains-critical/">groupe</a> Hizb-ul-Ahrar, qui a commis de nombreux <a href="https://www.start.umd.edu/gtd/search/Results.aspx ?perpetrator=40837">attentats</a> en 2019 ; le groupe Hakimullah Mehsud, une cellule active des Zones tribales <a href="https://2009-2017.state.gov/documents/organization/146935.pdf">liée</a> à Al-Qaïda ; ainsi que le <a href="https://www.nytimes.com/2014/08/27/world/asia/hard-line-splinter-group-galvanized-by-isis-emerges-from-pakistani-taliban.html">Jamaat-ul-Ahrar</a>, auparavant affilié à l’État islamique.</p>
<p>En outre, le TTP a récemment <a href="https://jamestown.org/program/tehreek-e-taliban-pakistans-discursive-shift-from-global-jihadist-rhetoric-to-pashtun-centric-narratives/">accueilli en son sein</a> deux sous-groupes d’Al-Qaïda dans le sous-continent indien.</p>
<p>Les talibans pakistanais rassemblent ainsi des forces provenant à la fois d’Al-Qaïda et de l’EI. Intimement allié aux talibans afghans, le TTP recentre actuellement sa dynamique sur le Pakistan plutôt que sur la scène globale, mais les connexions de certains de ses groupes avec les deux grandes organisations djihadistes demeurent récentes.</p>
<p>En Asie centrale, les factions du Mouvement islamique d’Ouzbékistan <a href="https://cisac.fsi.stanford.edu/mappingmilitants/profiles/islamic-movement-uzbekistan#highlight_text_10187">affiliées à l’EI</a> ainsi que celles <a href="https://www.longwarjournal.org/archives/2016/06/islamic-movement-of-uzbekistan-faction-emerges-after-groups-collapse.php">alliées aux talibans</a>, pourraient également utiliser l’Afghanistan comme base arrière pour préparer des attaques dans cette région.</p>
<p>Enfin, le <a href="https://warontherocks.com/2019/01/chinas-foreign-fighters-problem/">Parti islamique du Turkestan</a>, qui s’étend du Xinjiang chinois à la province syrienne d’Idleb, pourrait prospérer sous le nouveau régime en Afghanistan, de manière plus ou moins clandestine, en profitant de ce pivot entre l’Asie centrale, l’Asie du Sud et le Moyen-Orient.</p>
<p>La reprise de l’Afghanistan par les talibans est une défaite stratégique indubitable, mais c’est aussi un revers doctrinal pour le contre-terrorisme. Au cœur de l’Asie, les groupes djihadistes régionaux et mondiaux disposent désormais d’une nouvelle plate-forme, et la communauté internationale ne dispose plus guère de solutions pour prévenir les conséquences prévisibles de cette nouvelle menace sécuritaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169965/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julien Théron ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les talibans promettent qu’ils ne permettront pas aux mouvements djihadistes de prospérer sous leur autorité. Mais il est presque certain que les groupes locaux profiteront de leur prise de pouvoir.Julien Théron, Lecturer, Conflict and Security Studies, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1606292021-05-30T20:42:21Z2021-05-30T20:42:21ZQui est « identitaire » ? Enquête dans les quartiers populaires<p>En France, des « identitaires » auto-proclamés, liés à la tradition de <a href="https://www-cairn-info.iepnomade-2.grenet.fr/vers-la-guerre-des-identites--9782707188120-page-220.htm">l’extrême droite</a>, essentialisent et racialisent l’appartenance nationale, de manière explicite, afin de distinguer, contre la tradition civique et républicaine française, des <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20180227.OBS2804/rokhaya-diallo-traitee-de-francaise-de-papier-nadine-morano-dans-les-pas-de-charles-maurras.html">« faux » et « vrais »</a> Français selon leur origine.</p>
<p>Dans le débat public cependant, ce sont souvent des collectifs antiracistes luttant contre les discriminations, voire les universitaires travaillant sur la question raciale, qui se voient accusés « d’essentialiser des identités », de verser dans <a href="https://theconversation.com/islamo-gauchisme-sen-prendre-a-la-recherche-montre-limpossible-decolonisation-de-luniversite-149411">« l’islamogauchisme »</a> et de menacer la cohésion de la République. Sont mises en cause notamment certaines organisations (par ailleurs en conflit) comme le Comité Adama ou le Parti des Indigènes de la République (PIR), qui sont parfois qualifiées « d’entrepreneurs identitaires ». Ce terme désigne des personnes ou organisations qui viseraient à promouvoir des appartenances collectives selon un critère ethnique – une notion qui s’applique, de manière privilégiée, à des groupes nationalistes ou <a href="https://www.cairn.info/a-la-recherche-de-la-democratie--9782845863231-page-59.htm">ethno-religieux</a>.</p>
<p>Ces collectifs comme d’autres moins controversés, (associations locales par exemple), mais aussi des universitaires ou des agents publics alertant sur l’ampleur des discriminations ethno-raciales, sont présentés comme responsables de la « racialisation des identités ». Ce faisant, des acteurs dont les démarches sont à la fois diverses et différentes se trouvent amalgamés et stigmatisés.</p>
<p>Dans cette perspective, les membres de minorités ethno-raciales tendraient à leur emboîter le pas, s’appropriant des identités raciales réifiées ou figées.</p>
<p>Qu’en est-il réellement ? Au-delà des fantasmes, <a href="https://www.puf.com/content/L%C3%A9preuve_de_la_discrimination">l’enquête</a> par entretiens (N = 245) et par observations que nous avons conduite dans des quartiers populaires en France et à l’étranger entre 2014 et 2018 apporte des réponses empiriques à cette question. Elle permet notamment de comprendre comment se construisent des modes d’identification minoritaires. Cette enquête montre à cet égard le rôle prépondérant des discriminations ethno-raciales, territoriales et religieuses.</p>
<h2>Des identités plurielles : origine, quartier, classe…</h2>
<p>En sciences sociales, la <a href="https://www.cairn.info/journal-geneses-2005-4-page-134.htm">notion d’identification</a> rend compte depuis longtemps du caractère labile des « identités » : selon les situations, les individus se réfèrent à une pluralité de critères identitaires – une même personne ayant tendance à se penser plutôt comme femme, par exemple, ou comme jeune, noire, française, musulmane, membre des classes populaires ou habitante d’un quartier populaire, etc., en fonction des contextes.</p>
<p>Accuser les sciences sociales de vouloir essentialiser les identités témoigne ainsi d’une forme d’ignorance : les mots en – tion (identification, racialisation) visent précisément à souligner le caractère processuel et contingent des « identités ». Qu’en est-il des catégories mobilisées par les personnes interrogées dans le cadre de notre enquête ?</p>
<p>Ces enquêtés représentent une diversité de quartiers populaires (dans différentes villes) et de générations et sont membres, le plus souvent, d’une minorité ethno-raciale. S’ils ne se réfèrent pas systématiquement à un « nous » – « nous les Maghrébins », « musulmans », « habitants d’un quartier populaire », etc. – beaucoup mobilisent malgré tout dans le cours de l’entretien, plus ou moins ponctuellement, ces marqueurs identitaires. Contrairement à une idée répandue dans les sciences sociales, le marqueur ethno-racial (« nous les noirs », « les Arabes », etc.) est ici plus souvent mobilisé (par un tiers des enquêtés) que le marqueur territorial (« nous membres des quartiers populaires », qu’évoque un enquêté sur huit). De même, il est fait un peu plus souvent référence à la religion (« nous les musulmans ») qu’au territoire.</p>
<h2>Des marqueurs identitaires imbriqués</h2>
<p>La mobilisation de catégorisations ethno-raciales est d’abord liée à l’expérience des discriminations dont la moitié renvoie, dans notre corpus, à l’origine (contre 21 % à la religion supposée, et 13 % seulement au lieu de résidence). Si les identifications ethno-raciales et religieuses sont bel et bien saillantes au sein des quartiers populaires, elles restent malgré tout labiles et plurielles : ainsi par exemple, si le « nous, habitants des quartiers populaires » est peu mis en avant, il tend à le devenir quand les individus évoquent l’action de la police. Ce marqueur identitaire est rendu saillant par le sentiment qu’ont certaines personnes d’être ciblées comme membres de ces quartiers, notamment <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2016-5-page-729.htm">par la police</a> – ce qui illustre le caractère relationnel, ou la dimension dialectique, des « identités ».</p>
<p>De plus, les marqueurs identitaires apparaissent couramment imbriqués plutôt qu’opposés, le « nous » pouvant renvoyer à la fois au quartier et au critère de « l’origine » – les deux appartenances étant souvent mêlées. La souffrance suscitée par les expériences de discrimination ou de stigmatisation découle bien souvent de formes d’altérisation fortement imbriquées où classe, race et quartier s’entremêlent, à l’image de l’expérience relatée par Cyntia, qui associe la classe (« J’étais la seule qui avait une mère aide-soignante ») et la race (« j’ai toujours été la seule Noire dans ma classe ») :</p>
<blockquote>
<p>« On était dans le vestiaire de sport avec ma classe, ça se passe en 6<sup>e</sup>. Tout le monde disait “tes parents font quoi ?” et j’avais presque la moitié de ma classe qui disait “mon père est avocat, chirurgien”. Vraiment des grands métiers ! Et j’étais la seule qui disait “ma mère elle est aide-soignante”. J’ai une élève qui m’a demandé c’était quoi aide-soignante ? ! J’avais expliqué “elle s’occupe des malades”. “Comme une infirmière ?”, je dis “non, elle les change, elle les lave”, alors elle fait “Aaaah…”, comme ça, dégoûtée ! Je me suis sentie mal ! Je me suis sentie très très mal ! J’avais l’impression que j’étais toute seule dans ma classe. J’ai toujours été la seule Noire dans ma classe. » (Cyntia, F, 19 ans, BAC STMG, étudiante, Villepinte)</p>
</blockquote>
<p>Cela peut témoigner d’un « nous » aux frontières floues. On a bien affaire, quoi qu’il en soit, à des identifications rendues (ou non) saillantes dans un contexte donné – en aucun cas à des identités essentialisées.</p>
<h2>Le poids des discriminations : des identités réactives</h2>
<p>Labiles, les identités apparaissent principalement réactives : c’est d’abord l’expérience d’une discrimination ou d’une minoration qui rend saillant un « nous » stigmatisé. Autrement dit, les individus font d’abord le constat qu’ils sont désignés ou traités, de manière récurrente, en tant que membres d’une catégorie – dans laquelle, souvent, ils ne se reconnaissent pas. Comme le dit Malika à Roubaix, Française d’origine algérienne âgée de 47 ans, au chômage en dépit de son Bac+3 :</p>
<blockquote>
<p>« On nous pousse… jamais je n’aurais pensé un jour dire “on” ou “nous”. À force, on se pose la question du “on”. »</p>
</blockquote>
<p>Le « on » dont il est question ne renvoie pas à l’idée d’une « essence » (ethnique ou raciale), mais au partage d’une même expérience, celle d’interactions quotidiennes marquées, souvent depuis l’enfance, par la différenciation ou la minoration – voire simplement du racisme.</p>
<p>L’appartenance réelle ou supposée à cette catégorie devient alors pertinente : elle renvoie à une « réalité », celle de l’assignation identitaire (une identité subie, imposée de l’extérieur) et de l’expérience d’une stigmatisation ou discrimination.</p>
<p>Ainsi l’enquête confirme que le racisme, la stigmatisation ou la minoration contribuent à produire des appartenances minoritaires, ou la race <a href="https://anamosa.fr/livre/race/">au sens sociologique du terme</a>, comme catégorie de sens commun pouvant venir à faire sens pour les individus.</p>
<p>Des collectifs ou des militants peuvent toujours viser à retourner le stigmate associé à ces catégories, en se les réappropriant de manière positive. Mais les catégories que promeuvent certains <a href="https://hal.umontpellier.fr/hal-02892525/file/521-4438-1-PB.pdf">mouvements antiracistes</a> – « racisés », « indigènes », etc. – souvent jugées dangereuses dans le débat public, ne sont quasiment pas mobilisées par les personnes que nous avons rencontrées.</p>
<p>Pour notre enquête, nous avons suivi onze associations, des collectifs locaux créés par les habitants de quartiers populaires portant, de manière indirecte parfois, sur la lutte contre les discriminations (à partir d’une action culturelle, d’éducation populaire, au sein de centres sociaux, etc.). À la différence des mouvements évoqués ci-dessus, ces associations, qui sont directement en contact avec les habitants, ne reprennent pas à leur compte ces catégorisations.</p>
<p>Si elles s’emparent des enjeux de discrimination ethno-raciale, c’est toujours, bien loin d’un supposé « séparatisme » ou <a href="https://laviedesidees.fr/Communautarisme-4176.html">« communautarisme »</a>, dans une logique d’aspiration à la reconnaissance et à l’égalité.</p>
<h2>« Être français, c’est quand tu m’accepteras »</h2>
<p>Les enquêtés ont très souvent le sentiment que leur appartenance à la communauté nationale leur est symboliquement refusée ou déniée. C’est le cas d’Amir, quand l’enquêteur lui demande s’il se sent français :</p>
<blockquote>
<p>« Je suis allé faire le service militaire. Pendant un an, j’ai appris à côtoyer le drapeau français […] Et aujourd’hui, on veut me faire comprendre qu’il y a de bons Français, enfin des Français de souche et des mauvais Français. Être Français c’est quoi ? Être Français c’est quand tu m’accepteras. C’est vrai que je ne suis pas né ici. Mais je ne me suis jamais posé la question. Je vis en France. Je travaille en France. Je me suis marié en France. J’ai mes enfants en France. Et vous me posez la question : est-ce que vous vous sentez français ? Je suis ému, je ne me suis jamais posé ce genre de question. » (Amir, H, 52 ans, marié, licence, formateur en auto-école, originaire des Comores, Vaulx-en-Velin)</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/y1lGaaoCePQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">FR 4 Latifa Ibn Ziaten à l’Assemblée nationale, extrait de « Latifa, le cœur au combat ».</span></figcaption>
</figure>
<blockquote>
<p>« Je suis français, je suis né en France, mais j’ai l’impression qu’on ne veut pas que je sois Français. » (Amine, H., 19 ans, lycéen bac S, parents franco-algériens, Vaulx-en-Velin)</p>
</blockquote>
<p>Ce sentiment d’un <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/halshs-01265551">déni de francité</a> résulte largement de <a href="https://www.researchgate.net/profile/Patrick-Simon-6/publication/281249422_Une_citoyennete_controversee_descendants_d%27immigres_et_imaginaire_national/links/5ee37770299bf1faac4e8e0f/Une-citoyennete-controversee-descendants-dimmigres-et-imaginaire-national.pdf">l’expérience des discriminations</a>, à laquelle les enquêtés l’associent spontanément – surtout lorsqu’il s’agit de discriminations institutionnelles, émanant notamment de la police, ou qui surviennent dans le cadre scolaire.</p>
<p>Il peut renvoyer également, pour certains enquêtés, à des discours ou propositions politiques : ainsi du projet de loi sur la déchéance de nationalité, du débat sur le thème de l’identité nationale, ou des propos stigmatisant les musulmans après les attentats terroristes de 2015.</p>
<blockquote>
<p>« On nous rabâche à longueur de temps : “Vous n’êtes pas française”. On finit par y croire ! » (Aya, F, 27 ans, master étudiante en école d’infirmière, parents ivoiriens, Villepinte)</p>
</blockquote>
<p>Ali quant à lui s’interroge :</p>
<blockquote>
<p>« En France, j’ai été considéré comme un étranger depuis toujours […] Au bout d’un moment on se dit : “Je ne suis ni un Arabe, ni un Français. Je suis quoi ? Je suis rien ?” » (Ali, H, 27 ans, CAP, sans emploi, mère algérienne, Vaulx-en-Velin)</p>
</blockquote>
<p>Pour certains enquêtés, peu nombreux, le déni de francité, l’assignation subie à des catégories ethno-raciales ou religieuses et ses effets pratiques – discriminations, humiliations, brimades… – peuvent mener jusqu’à des formes d’exit ou de rupture d’avec la communauté nationale.</p>
<p>Ainsi quelques personnes au sein de notre corpus déclarent ne plus se sentir, au bout du compte, françaises. Alors que les enquêtés rejettent massivement le « communautarisme » – lui préférant de loin l’idéal de « mixité » – quelques individus finissent par opter pour une forme de repli sur une communauté autre – le plus souvent religieuse, pour des individus se disant <em>salafi</em> – leur assurant une protection face aux attaques extérieures.</p>
<h2>Des minorités qui aspirent à l’égalité</h2>
<p>À rebours des discours sur le séparatisme qui irriguent le débat public, nos résultats montrent que la concentration spatiale des minorités dans les quartiers populaires est le plus souvent subie, <a href="https://www.persee.fr/doc/socco_1150-1944_1999_num_33_1_1751">fruit de politiques de peuplement discriminatoires</a> – ces minorités aspirant fortement à la <a href="https://journals.openedition.org/metropoles/4769">mixité</a>, et à être traitées à égalité avec les autres citoyens.</p>
<p>En témoigne l’interpellation, le 19 avril dernier, d’Emmanuel Macron lors de <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20210419.OBS43001/mon-fils-m-a-demande-si-le-prenom-pierre-existait-vraiment-macron-interpelle-sur-la-mixite-a-montpellier.html">sa visite d’un quartier populaire de Montpellier</a>, par une habitante réclamant davantage de mixité sociale :</p>
<blockquote>
<p>« Mon fils de 8 ans m’a demandé si le prénom de Pierre existait vraiment ou s’il n’était que dans les livres parce qu’il n’en connaît aucun. »</p>
</blockquote>
<p>Enfin, certains enquêtés envisagent ou ont fait le choix de quitter la France et trouvent, au Canada ou en Angleterre notamment, non pas une société exempte de tout <a href="https://www.sociologicalscience.com/download/vol-6/june/SocSci_v6_467to496.pdf">racisme</a>, mais où ils font <a href="https://theconversation.com/face-aux-discriminations-les-musulmans-et-les-minorites-demandent-legalite-127413">l’expérience</a> d’une inclusion, d’une tolérance et d’un accueil meilleurs.</p>
<h2>C’est d’abord le racisme qui « essentialise »</h2>
<p>Le constat n’est pas nouveau : la stigmatisation produit des catégories et des identités réactives, et c’est le racisme qui crée et <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/un-monde-en-negre-et-blanc-aurelia-michel/9782757880050">invente historiquement la race</a>. La société française s’est crue longtemps « aveugle à la couleur ». Des <a href="https://www.cairn.info/de-la-question-sociale-a-la-question-raciale--9782707158512.htm">études empiriques nombreuses</a> montrent que les assignations raciales, souvent implicites ou « masquées », y sont en fait courantes.</p>
<p>Actant l’existence de fait de catégories ethno-raciales et de leur caractère contingent, différents collectifs ou acteurs se voient accusés de les réifier et de promouvoir, ce faisant, des « identités » figées et irréconciliables. Une démarche intellectuelle rigoureuse et honnête implique de raisonner autrement qu’à partir de quelques cas choisis d’une façon partiale, qui peuvent être marginaux.</p>
<p>Notre enquête montre que les minorités sont loin de se référer à des identités figées ou exclusives : les appartenances minoritaires, et l’appartenance ethno-raciale spécialement, ne constituent jamais à leurs yeux une « essence » (ou une race au sens de la pensée raciste).</p>
<p>Si des marqueurs identitaires ou des catégories apparaissent, dans certains contextes, pertinents c’est parce qu’elles désignent des personnes qui partagent l’expérience d’une discrimination ou d’une mise à l’écart – une assignation identitaire subie. Et si la tentation de l’exit ou du « repli » existe, nos résultats montrent qu’elle ne résulte ni de l’influence de mouvements ou d’organisations de lutte contre les discriminations, ni des analyses de la question raciale, mais bien de l’existence, massive et largement invisibilisée, de discriminations et de l’exclusion symbolique d’une partie des citoyens de la communauté nationale.</p>
<hr>
<p><em>Les auteurs sont membres du collectif DREAM</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/160629/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anaïk Purenne a reçu des financements de l'ANR et de la Fondation de France.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Hélène Balazard a reçu des financements de l'ANR</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Julien Talpin a reçu des financements de l'Agence Nationale de la Recherche et de l'Université de Lille</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Marion Carrel a reçu des financements de l'ANR. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Samir Hadj Belgacem a reçu des financements de l'ANR. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Guillaume Roux et Sümbül kaya ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les résultats d’une enquête récente montrent que les minorités sont loin de se référer à des identités figées ou exclusives et celles-ci ne constituent jamais à leurs yeux une « essence ».Guillaume Roux, Chercheur, sciences politiques, FNSP, laboratoire PACTE, Université Grenoble Alpes (UGA)Anaïk Purenne, sociologue, chargée de recherche à l’Université de Lyon, ENTPEHélène Balazard, Chercheure en science politique à l’Université de Lyon, ENTPEJulien Talpin, Chargé de recherche en science politique au CNRS, Université de LilleMarion Carrel, Professeure de sociologie, Université de LilleSamir Hadj Belgacem, Maître de Conférence en sociologie à l'Université Jean Monnet de Saint-Étienne, Université Jean Monnet, Saint-ÉtienneSümbül kaya, Chercheure, Responsable des Études contemporaines IFEA, Institut français d’études anatoliennesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1554142021-04-15T20:29:22Z2021-04-15T20:29:22ZVoile intégral : en Israël, la frumka intrigue<p>Une nouvelle religiosité féminine est apparue en Israël dans la seconde moitié des années 2000, qui consiste à se voiler le visage. Cette tendance a émergé au sein d’un groupe de <em>haredim</em>, littéralement « ceux qui craignent Dieu » (traduit en français par ultra-orthodoxes), d’abord dans la ville de Bet Shemesh puis à Jérusalem dans le <a href="https://www.jstor.org/stable/41804782?seq=1">quartier religieux de Mea Shearim</a>.</p>
<p>Le voile intégral chez les Juives, couvrant le corps et le visage sur le modèle du niqab saoudien, est appelé <em>frumka</em>. Ce mot-valise est composé du terme yiddish <em>frum</em>, qui qualifie une personne religieuse, et du suffixe – ka, diminutif féminin yiddish jouant sur l’assonance avec le mot burka. Ce costume est aussi désigné par le mot <em>shal</em> (châle, <em>shwal</em> en anglais) et qualifié d’extrême <em>tsniout</em> (pudeur). Il s’agit d’une nouvelle manifestation de piété féminine dans le judaïsme, même si la pratique du visage voilé est attestée dans l’histoire des Juives du Yémen, d’Afghanistan et d’Irak.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/392259/original/file-20210329-13-3jl585.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/392259/original/file-20210329-13-3jl585.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/392259/original/file-20210329-13-3jl585.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/392259/original/file-20210329-13-3jl585.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/392259/original/file-20210329-13-3jl585.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/392259/original/file-20210329-13-3jl585.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/392259/original/file-20210329-13-3jl585.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Arrivée en Israël d’une famille juive du Yémen, aéroport Ben Gourion, 14 août 2013. Pour les Juives yéménites, le voile facial est un costume traditionnel sans rapport avec la frumka.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Moshik Brin, The Jewish Agency</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Les femmes qui dissimulent leur visage, <em>neshot ha shalim</em> (expression tirée de leur usage du <em>shal</em>), sont des « born again ». Issues de familles peu pratiquantes, elles se sont engagées dans un processus de <em>techouva</em> (retour à la religion) à l’âge adulte. Elles incarnent la figure de la religiosité extrême qui renvoie aujourd’hui à l’islam radical, d’où le surnom qui leur est fréquemment attribué de <a href="https://books.google.fr/books?hl=fr&lr=&id=REYrDwAAQBAJ">« femmes talibanes »</a> par certains Israéliens.</p>
<p>Ces <em>harediot</em> (féminin de <em>haredim</em>) revendiquent un retour aux origines bibliques en prétendant imiter les matriarches Sarah, Rébecca, Léa et Rachel (épouses des patriarches Abraham, Isaac et Jacob) qui, selon la tradition juive, portaient un voile facial. C’est ainsi que s’explique la substitution de Rachel par Léa par le beau-père de Jacob le jour de son mariage. Elles expriment publiquement leur nouvelle religiosité visible par ce vêtement rigoriste qui paraît traditionnel mais procède en réalité d’une réinvention propre à la modernité.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3OvS8EZOprs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Reportage de France 24, 2017.</span></figcaption>
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<p>David Levy est un ultra-orthodoxe quinquagénaire. Sa sœur porte la frumka, comme quelques centaines de Juives en Israël. Selon lui, la pratique est rejetée dans le pays parce qu’elle est nouvelle, ce qui explique que les usagères se fassent insulter dans la rue ou refuser dans les lieux et les transports publics. Mais il n’exclut pas que la frumka se normalise un jour. De carrure imposante, rencontré à son domicile de Bet Shemesh à 30 kilomètres à l’ouest de Jérusalem, David est originaire d’Irak, d’où sont venus ses parents installés en Israël. Il a de nombreux griefs contre le gouvernement :</p>
<blockquote>
<p>« Ce que subissent les femmes intégralement voilées n’est qu’un exemple des exactions contre les religieux. Bruria Keren ([promotrice du visage voilé]) a été arrêtée arbitrairement au prétexte qu’elle menaçait l’État israélien. Son arrestation est une pression de l’État pour faire taire les religieux car ceux-ci remettent en cause la légitimité du pouvoir. »</p>
</blockquote>
<h2>Un nouveau sujet de société</h2>
<p>La frumka a été médiatisée en Israël quand Bruria Keren a été arrêtée en 2009 puis condamnée pour abus sur ses douze enfants, avant d’être libérée en 2012. Les « femmes talibanes » se couvrant entièrement deviennent alors un sujet d’actualité dans les médias israéliens, notamment dans trois reportages : d’<a href="https://www.ynetnews.com/articles/0,7340,L-4703307,00.html">Ariella Sternbach</a> en immersion en 2015, du photographe <a href="https://www.gettyimages.ch/detail/nachrichtenfoto/ultra-orthodox-jewish-women-known-in-israel-as-neshot-nachrichtenfoto/652956628?language=fr">Menahem Kahana</a> en 2017, ainsi que de la chaîne israélienne <a href="https://www.youtube.com/watch?v=me7QmFBB_kA">i24 News</a> en 2019. À noter : elles ne sont jamais présentées comme « soumises » ou obéissant à une injonction masculine, contrairement aux musulmanes voilées dans la plupart des médias occidentaux.</p>
<p>La frumka a fait l’objet d’une <a href="https://www.imj.org.il/en/exhibitions/veiled-women-holy-land">exposition</a> intitulée « Veiled Women of the Holy Land. New Trends in Modest Dress », au Israel Museum de Jérusalem du 16 avril 2019 au 31 décembre 2020. La commissaire de l'exposition, <em>No'am Bar'am Ben-Yossef</em>, est l'autrice du catalogue fruit d'une longue recherche dans les différentes communautés religieuses de Jérusalem. L’exposition a présenté en outre une œuvre vidéo d’Ari Teperberg intitulée <em><a href="https://vimeo.com/376362867">Vous devez être prêt à abandonner ce que l’œil voit</a></em> : une femme de chacune des trois religions monothéistes exprime son besoin de se couvrir entièrement le corps, dans une approche personnelle à la pudeur.</p>
<p>L’intransigeant David Levy refuse cependant toute analogie entre frumka et niqab. Les musulmanes portant le voile intégral n’obéissent pas, selon lui, à un idéal de pudeur :</p>
<blockquote>
<p>« Elles se déshabillent en rentrant chez elles, portent des débardeurs et des tenues légères. Il ne faut pas que les musulmanes portent le niqab car on peut les confondre avec des juives <em>tsniout</em>. Dieu alors n’arrive plus à faire la différence entre des juives sincères et des partisanes du Hezbollah. Seules les juives sont légitimes à endosser le <em>shal</em> ! »</p>
</blockquote>
<h2>Condamnation rabbinique</h2>
<p>Ces <em>shal women</em> sont souvent mal perçues par la société israélienne, et les laïcs ne sont pas les plus virulents. Selon le <a href="https://www.youtube.com/watch?v=98OGos3rzKI">témoignage</a> en hébreu filmé de l’une d’elles restée anonyme, daté de 2011, les plus agressifs sont les <em>haredim</em> des quartiers religieux :</p>
<blockquote>
<p>« À Mea Shearim, on m’insulte, on me crie dessus en me traitant de femme talibane. J’ai même reçu des coups. Car le monde <em>haredi</em> n’est pas comme il devrait être. C’est dur pour eux de me voir habillée comme nos matriarches. […] Si je ne mets pas le <em>shal</em> sur la tête, je me sens terriblement mal. C’est comme si quelqu’un marchait pied nu sur des ronces. C’est ma richesse et c’est ma joie. Ça me rapproche de Dieu. Quand je porte le <em>shal</em>, j’ai l’impression que Dieu me protège. »</p>
</blockquote>
<p>La frumka a rapidement fait l’objet d’une condamnation de l’Edah Haredit, institution ultra-orthodoxe, qui a édité deux <em>pashkevilim</em> (affiches murales) en 2010. Ceux-ci mettent en garde les femmes contre « l’adoption de nouvelles coutumes en opposition à leur mari, comme porter des vêtements étranges et habiller leurs filles selon diverses contraintes ». Cette condamnation par l’Edah Haredit est commentée par Hannah Katsman, une Israélienne née aux États-Unis et créatrice d’un blog, <a href="http://www.amotherinisrael.com/update-edah-discourages-veils">A Mother of Israël</a>, dans lequel de nombreux articles sont consacrés au phénomène des <em>shal women</em>.</p>
<h2>La burka, un fétiche sexuel ?</h2>
<p>Les religieux condamnent une démarche qu’ils considèrent comme opposée à la <em>tsniout</em> du fait que ces femmes attirent l’attention, ce qui révèle le paradoxe d’une pudeur tellement extrême qu’elle en devient impudique. Elles sont marginalisées et dissidentes au sein des <em>haredim</em>.</p>
<p>Des rabbins <em>haredi</em> ont par ailleurs publié un décret selon lequel la <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/israel/7919501/Israeli-rabbis-clamp-down-on-burka.html">« burka représente un fétiche sexuel aussi immoral que la nudité »</a></p>
<p>Ces femmes s’opposent également à leur entourage en défiant l’autorité masculine. Certains époux ont porté plainte contre leur compagne, notamment contre deux femmes « membres du culte <em>shalim</em> » arrêtées <a href="https://www.timesofisrael.com/2-women-from-taliban-jewish-cult-held-on-suspicion-of-child-abduction-neglect/">à Jérusalem le 4 septembre 2018</a>, soupçonnées d’enlèvement d’enfants (dont elles n’avaient pas la garde légale) et de négligence. Le journaliste Adrian Blomfield <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/middleeast/israel/7919501/Israeli-rabbis-clamp-down-on-burka.html">mentionne</a> en outre :</p>
<blockquote>
<p>« Un homme s’est présenté devant un tribunal rabbinique pour tenter d’obtenir une décision contraignant son épouse à cesser de porter la burka. Le tribunal a jugé que le comportement de cette femme était si “extrême” qu’il a ordonné au couple de se soumettre à un divorce religieux immédiat. »</p>
</blockquote>
<h2>L’implication des hommes</h2>
<p>Si les autorités rabbiniques s’opposent à la frumka, rappelons que l’initiateur de ce mouvement féminin de <em>tsniout</em> radicale est un rabbin ultra-orthodoxe. Aharon Tzvi Rumpler, décédé le 25 novembre 2019 à l’âge de 65 ans, est considéré comme l’initiateur du mouvement des <em>shal women</em>. Il aurait réussi à convaincre des femmes de se voiler entièrement et de se marier contre l’avis de leurs parents, en opposition à l’Edah Haredit.</p>
<p>David Levy reste fasciné par la frumka qui excite son désir. Il sort des photos d’une réunion présidée par une femme en voile intégral bleu et un homme avec de longues <em>peot</em> (papillotes). Puis d’autres photos présentent la même femme montrant son visage.</p>
<p>Il la regarde avec malice, le sourire aux lèvres. Il joue un jeu curieux mêlant voyeurisme et respect pour ces femmes dont il loue la vertu. Quand je lui demande si son épouse est une <em>shal woman</em>, il se résigne en baissant la tête : « Mon épouse ne l’accepte pas, je n’insiste pas, c’est nouveau. »</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155414/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Agnès De Féo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le voile intégral n’est pas limité aux musulmanes salafistes. Quelques centaines de femmes juives l’ont investi en Israël se distinguant par ce zèle de leurs coreligionnaires.Agnès De Féo, Sociologue, chercheuse associée Iremam, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1553092021-02-18T20:40:01Z2021-02-18T20:40:01ZLa Charte des principes pour l’islam de France interroge<p>Le Conseil français du culte musulman (CFCM) a publié sur son site, le 18 janvier 2021, une « Charte des principes pour l’islam de France », destinée à être le <a href="https://www.cfcm-officiel.fr/presentation-de-la-charte-des-principes-pour-lislam-de-france-au-president-de-la-republique/">socle</a> normatif du futur Conseil national des imams (CNI), dans le cadre du débat actuel sur la réforme de l’islam menée sous le quinquennat d’Emmanuel Macron.</p>
<p>Élaborée sous la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/19/emmanuel-macron-obtient-une-charte-des-principes-pour-l-islam-de-france_6066736_3224.html">pression de l’État</a>, dans un climat plombé par l’effroi des attentats successifs, cette Charte porte la marque d’une rhétorique de la menace islamique – la référence au « terrorisme » étant par exemple explicite (art. 9)</p>
<p>Prenant acte des vives inquiétudes exprimées par les autorités, les rédacteurs du CFCM y répondent dans les termes mêmes de la commande, et font démonstration ostensible de loyauté aux pouvoirs publics et d’assimilation culturelle.</p>
<p>Mais ce faisant, ils assument dans leur discours les préventions antimusulmanes de l’opinion majoritaire. Ceci, en reprenant parfois un discours polarisant « la communauté nationale […] et tous les musulmans vivant sur le territoire de la République » (art. 1), et en concédant des engagements exorbitants du droit commun – dans le sens, où, comme nous le verrons, la charte imposerait aux imams des obligations qui excèdent le droit en vigueur.</p>
<p>Trois des fédérations du CFCM ont fait publiquement <a href="https://www.saphirnews.com/Islam-de-France-les-raisons-de-la-non-signature-de-la-charte-par-CCMTF-Milli-Gorus-et-Foi-Pratique-exposees_a27796.html">état de réserves</a> fondées pour l’essentiel sur le droit. Il s’agit du Comité de coordination des musulmans turcs de France (émanant du ministère turc des affaires religieuses) et de la Confédération islamique Milli Görüs (islam conservateur) – représentant environ 15 % des lieux de culte en France –, ainsi que de Foi & Pratique (réseaux de la Jamaat Tabligh). La Charte pourrait faire long feu.</p>
<h2>Une pression politique maximale</h2>
<p>Avant même les attentats de Conflans-Sainte-Honorine et de Nice (16 et 29 octobre 2020), le président Emmanuel Macron, dans son <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/02/la-republique-en-actes-discours-du-president-de-la-republique-sur-le-theme-de-la-lutte-contre-les-separatismes">discours aux Mureaux du 2 octobre</a>, avait dénoncé en termes alarmants, « le séparatisme islamiste » :</p>
<blockquote>
<p>« C’est un projet conscient, théorisé, politico-religieux, affirmait-il, qui se concrétise par des écarts répétés avec les valeurs de la République, qui se traduit souvent par la constitution d’une contre-société et dont les manifestations sont la déscolarisation des enfants, le développement de pratiques sportives, culturelles, communautarisées qui sont le prétexte pour l’enseignement de principes qui ne sont pas conformes aux lois de la République ».</p>
</blockquote>
<p>Dans la foulée, le chef de l’État avait lancé un « ultimatum » au CFCM, pour poser les bases d’un <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/01/06/tensions-autour-du-projet-de-conseil-national-des-imams_6065319_3224.html">Conseil</a> visant « à certifier les imams, dans l’espoir de lutter contre l’extrémisme ».</p>
<p>Avec cette description de la situation, le chef de l’État reprenait à son compte l’inquiétude d’une partie de l’opinion publique, en énumérant des points critiques qui se retrouvent dans le <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3649_projet-loi">projet de loi</a> « confortant le respect des principes de la République ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/V6shlaEaFSU?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le discours d’Emmanuel Macron sur les « séparatismes ».</span></figcaption>
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<p>Mais il prenait le risque d’être démenti par la réalité. En effet, ce diagnostic est loin des analyses qu’a développées par exemple Bernard Godard, longtemps chargé de mission au <a href="https://www.liberation.fr/societe/2012/04/05/bernard-godard-la-personnalite-du-culte_808450/">Bureau central des cultes</a> au ministère de l’Intérieur. Cet ancien agent des renseignements généraux, qui se prévaut pourtant d’une <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/la-question-musulmane-en-france-9782213682488">approche</a> « sans concessions », résumait en 2015 son propos par ces mots :</p>
<blockquote>
<p>« l’islam est le révélateur de nos appréhensions face à l’avenir ».</p>
</blockquote>
<p>Même les <a href="https://www.fayard.fr/documents-temoignages/inchallah-lislamisation-visage-decouvert-9782213705897">enquêtes</a> qui dénoncent certaines pratiques erratiques chez des musulmans <a href="https://www.puf.com/content/Les_territoires_conquis_de_lislamisme">ne valident pas</a> l’hypothèse d’une emprise globale que leurs titres généralisants suggèrent.</p>
<p>Les travaux de terrain, tels que <a href="https://agone.org/livres/lesimamsenfrance/lesimamsenfrance">l’enquête de Solenne Jouanneau</a> ou l’<em>Étude sociologique sur les imams de France</em>, réalisée par Franck Frégosi et Marie-Laure Boursin pour le Bureau des cultes du ministère de l’Intérieur (2018, non publiée), n’ont en effet pas identifié chez les imams de France un quelconque projet politico-religieux oppositionnel. Elles montrent même le contraire.</p>
<p>Comme le démontrent encore les <a href="https://www.repository.cam.ac.uk/handle/1810/290549">travaux doctoraux de Margot Dazey</a>, les acteurs associatifs musulmans souhaitent ardemment être reconnus comme des interlocuteurs respectables par les autorités publiques – la Charte en est un exemple manifeste.</p>
<h2>Démonstration de loyalisme politique</h2>
<p>Dès ses premières lignes, le texte de la Charte est émaillé de ces symboles de républicanisme qu’affectionne un certain discours politique : « valeurs républicaines », « respect des lois de la République », « une page importante de l’histoire de France », « le territoire de la République » (art. 1), « dans le cadre des principes et règles de la République qui fondent l’unité et la cohésion de notre pays » (art. 2), etc.</p>
<p>Même le plan de la Charte égrène, en intertitre et dans l’ordre, les principes de la devise républicaine : « La liberté » (titre de l’art. 3), « L’égalité » (art. 4), « La fraternité » (art. 5), en y ajoutant « L’attachement à la raison et au libre arbitre » (art. 7) et « L’attachement à la laïcité et aux services publics » (art. 8).</p>
<p>Le problème est que cette proclamation de loyalisme va de pair avec l’abaissement de la religion musulmane, comme on va le voir. Et c’est sans doute le trait le plus frappant, venant de responsables qui s’expriment en tant que représentants du culte musulman à l’échelle nationale, et s’adressent à des personnes qui exercent un magistère musulman à l’échelle locale.</p>
<p>La comparaison avec la <a href="http://www.zentralrat.de/3037.php">Charte du Conseil central des musulmans en Allemagne</a> est éloquente à cet égard. Rédigée en écho aux attentats du 11 septembre 2001, ce texte paisible et apaisant s’ouvre sur une leçon d’islam, comme les titres en témoignent : Article 1, « L’islam est la religion de la paix » ; article 2, « Nous croyons en un Dieu miséricordieux » ; article 3, « Le Coran est une révélation orale d’origine divine », etc.</p>
<p>Il faut attendre l’article 11 pour voir attester la conformité de l’islam au droit public allemand : « Les musulmans acceptent l’ordre juridique fondamental garanti par la Constitution » (art. 11), « Nous ne cherchons pas à établir une théocratie cléricale » (art. 12), « Il n’y a pas de contradiction entre la doctrine islamique et les droits fondamentaux de l’homme en Occident » (art. 13), etc.</p>
<p>Les derniers articles témoignent d’une logique d’inclusion, qui n’abdique rien de la fierté d’être musulman : « S’intégrer tout en maintenant l’identité islamique » (art. 19), « Une vie digne au sein de la société » (art.20).</p>
<h2>Démonstration d’assimilation culturelle</h2>
<p>À l’inverse de leurs homologues allemands, les rédacteurs de la Charte française insistent dès le préambule du texte sur « le respect » des « valeurs républicaines » et des « lois de la République », pour dire la subordination de l’islam de France aux lois communes.</p>
<p>Or, bien que la question de la hiérarchie entre religion et lois soit souvent posée dans les sondages (notamment pour soutenir <a href="https://www.lepoint.fr/politique/pour-57-des-jeunes-musulmans-la-charia-plus-importante-que-la-republique-05-11-2020-2399511_20.php">l’interprétation</a> selon laquelle, « pour les jeunes musulmans, la charia est plus importante que la République », elle n’en est pas moins aberrante dans notre régime de libertés.</p>
<p>Le principe de laïcité protège l’existence de deux espaces normatifs incommensurables, celui des lois humaines et celui des religions, largement autonomes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1351502031169744899"}"></div></p>
<p>La Charte des principes proclame :</p>
<blockquote>
<p>« Aucune conviction religieuse ne peut être invoquée pour se soustraire aux obligations des citoyens » ; « nos convictions religieuses […] ne sauraient supplanter les principes qui fondent le droit et la Constitution de la République. » (préambule)</p>
</blockquote>
<p>Pourtant il n’y a pas concurrence, les convictions religieuses n’ont à passer ni devant ni derrière, elles sont d’un autre ordre – c’est le principe même de « séparation des Églises et de l’État », qui fonde la loi de 1905.</p>
<p>Elles sont sujettes à sanction si elles suscitent des pratiques qui contreviennent à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, et autres critères prévus par la loi. Rappelons ainsi le célèbre article 9 de la <a href="https://www.echr.coe.int/documents/convention_fra.pdf">Convention européenne des droits de l’homme</a>, qui fait partie de notre bloc de constitutionnalité :</p>
<blockquote>
<p>1.« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. »</p>
<p>2.« La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. » (Nous soulignons)</p>
</blockquote>
<h2>Quel besoin d’inventer un « pacte » moral ?</h2>
<p>De ce point de vue, cette seule formule de la « Charte des principes » du CNI devrait suffire : « Nous exerçons notre mission dans le cadre des principes et règles de la République qui fondent l’unité et la cohésion de notre pays » (art. 2).</p>
<p>Quel besoin d’inventer un « pacte » moral qui lierait spécifiquement les musulmans, comme s’ils n’appartenaient pas pleinement et légitimement à l’espace français ?</p>
<blockquote>
<p>« Les musulmans […] sont liés à la France par un pacte. Celui-ci les engage à respecter la cohésion nationale, l’ordre public et les lois de la République. » (art. 1)</p>
</blockquote>
<p>Un tel « pacte » n’est requis d’aucune autre catégorie de citoyens. L’ordre public et les lois s’imposent à tout un chacun, pas de pacte en cette affaire.</p>
<p>Et qu’est-ce qu’implique des musulmans le « respect de la cohésion nationale » ? Sous couvert de donner des gages de loyauté, cette Charte requiert des imams des démonstrations de <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/les_frontieres_de_lidentite_nationale-9782707169365">bonne assimilation</a>, à l’instar de celles qui conditionnent la « naturalisation » des <a href="https://journals.openedition.org/lectures/23052">étrangers</a>.</p>
<h2>La main de l’étranger</h2>
<p>De fait, le texte est tissé de références au partage entre Français et étranger. Il entend arracher symboliquement les musulmans de France et leurs imams à l’influence d’États dont l’extranéité est associée, dans la Charte, exclusivement à des activités nuisibles : ils « dictent » des « jugements » qui « disqualifient » certains coreligionnaires (art. 5), « soutiennent des politiques étrangères hostiles à la France » (art. 6), « visent, en toute méconnaissance des réalités de notre société, à créer la discorde et à nous diviser » (art. 9).</p>
<p>Sur ce fond d’altérisation nationale, la Charte appelle les musulmans de France, et les imams au premier chef, à « rejeter clairement toute ingérence de l’étranger dans la gestion de leurs mosquées et la mission de leurs imams » (art. 6).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1351590991162175488"}"></div></p>
<p>Ces récusations répétées des liens transnationaux sont dénoncées notamment par les fédérations de musulmans d’origine turque, non-signataires du texte. Mais elles étonnent plus généralement et paraissent relever surtout ici d’un conformisme discursif. En effet, les fédérations signataires sont elles aussi, dans leur majorité, liées à des États (Algérie et Maroc, en particulier) avec lesquels les pouvoirs publics français sont en relation constante sur les questions afférant à l’islam de France.</p>
<h2>Accepter la discrimination</h2>
<p>En fin de texte est évoqué le racisme. La Charte déplore que les musulmans en France « soient trop souvent la cible d’actes hostiles ». Mais, sans analyser plus avant le phénomène, elle enchaîne directement sur une nouvelle attestation de loyauté à l’État et au « peuple français » :</p>
<blockquote>
<p>« Ces actes sont l’œuvre d’une minorité extrémiste qui ne saurait être confondue ni avec l’État ni avec le peuple français. Dès lors, les dénonciations d’un prétendu racisme d’État, comme toutes les postures victimaires, relèvent de la diffamation. Elles nourrissent et exacerbent à la fois la haine antimusulmane et la haine de la France. » (art. 9)</p>
</blockquote>
<p>Quoi qu’on pense du concept de « racisme d’État », on dispose de <a href="https://www.contretemps.eu/racisme-etat-institutionnel-police-administrations-discriminations-france-antiracisme-politique/">connaissances</a> sur la <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/16632961-du-racismedetat-en-france--fabrice-dhume-xavier-dunezat-camille-gourdeau--le-bord-de-l-eau">(re)production institutionnelle du racisme</a>.</p>
<p>Et depuis que la plainte en diffamation de Jean‑Michel Blanquer contre le syndicat Sud éducation 93 pour avoir « parlé de racisme d’État » en 2017 a été <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/02/07/racisme-d-etat-la-plainte-de-jean-michel-blanquer-contre-un-syndicat-classee-sans-suite_1628125">classée sans suite</a>, on sait qu’il n’y a pas de base juridique pour cette allégation.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-peut-on-parler-de-racisme-detat-138189">Débat : Peut-on parler de « racisme d’État » ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Une interprétation forte de la non-compétence des religieux en matière politique</h2>
<p>Le discours pseudojuridique de la Charte montre en creux l’étau dans lequel sont pris ses rédacteurs : il est attendu des imams de France qu’ils s’interdisent absolument de critiquer l’État, ses politiques, et ses agents. Or, cette interprétation forte de la non-compétence des religieux en matière politique n’est imposée à aucun autre organisme religieux.</p>
<p>Mais en outre, le texte tend à interdire aux imams de prêter l’oreille aux éventuelles plaintes pour discriminations et de se faire l’écho des dénonciations d’un « racisme d’État », en (dis)qualifiant ces critiques politiques de « postures victimaires » et de « diffamation » (art. 9).</p>
<p>Au vu de la <a href="https://www.ined.fr/fr/publications/editions/grandes-enquetes/trajectoires-et-origines/">prévalence des discriminations</a> à raison de l’origine et de la religion supposées, cette présentation du problème du racisme <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/11/06/selon-un-sondage-40-des-musulmans-de-france-ont-fait-l-objet-de-racisme_6018225_3224.html">semble relever</a> du déni.</p>
<p>En bref, selon notre analyse, la Charte des principes pour l’islam de France appelle les imams à une performance d’assimilation culturelle et de soumission.</p>
<p>Cet appel ne saurait être entendu autrement que par pression morale, puisque le CFCM n’a pas d’autorité administrative sur les imams. Mais quel ascendant un organe peut-il exercer sur des hommes qu’il prétend attirer dans sa mouvance lorsqu’il parait entériner les préjugés et les discriminations dont ceux-ci souffrent au quotidien ?</p>
<p>La réponse est donnée par la réaction des fédérations qui refusent de se joindre aux signataires : dans ces conditions, la logique de la pression morale se retourne en défaveur de ceux qui l’exercent.</p>
<p>Ainsi ce texte suscite-t-il déjà de <a href="https://blogs.mediapart.fr/tribune-de-la-dignite/blog/090221/tribune-de-la-dignite">fortes critiques</a>, et risque d’ajouter au <a href="https://www.senat.fr/rap/r15-757/r15-7571.pdf">discrédit du CFCM parmi les musulmans</a>, sans résoudre aucunement la question de la peur de l’islam dans la population majoritaire, autrement dit sans régler la question cruciale de la confiance et de l’acceptation de l’islam comme religion de France.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/155309/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabrice Dhume a reçu, pour plusieurs de ses recherches, un soutien financier du Défenseur des droits, de l'ARDIS et du FASILD/ACSE.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Françoise Lorcerie ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Prenant acte des vives inquiétudes exprimées par les autorités sur l’islam et ses liens avec le terrorisme, les rédacteurs du Conseil français du culte musulman ont proposé une charte polarisante.Fabrice Dhume, Sociologue, chercheur à CRISIS, associé à l'URMIS, Université Paris CitéFrançoise Lorcerie, Professeure, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1526042021-01-25T18:02:24Z2021-01-25T18:02:24ZYogi Adityanath, le moine-ministre qui effraie l’Inde progressiste<p>Il y a quelques semaines, plusieurs observateurs s’étonnaient de la manière dont s’est déroulée la visite d’Emmanuel Lenain, ambassadeur français à New Delhi, à Yogi Adityanath, homme politique membre du parti au pouvoir, à Lucknow, capitale de l’État de l’Uttar Pradesh.</p>
<p>Yogi Adityanath, est le ministre en chef de cet État d’environ 204 millions d’habitants, et membre du Bharatiya Janata Party, dont est aussi issu le premier ministre Narendra Modi.</p>
<p>Certes, cette visite avait comme objectif premier de signer <a href="https://www.indiatvnews.com/news/india/french-ambassador-emmanuel-lenain-up-cm-ygi-adityanath-gorakhnath-temple-feeds-cow-667624">trois protocoles d’entente entre l’Alliance française et des universités de la ville</a>, rien de plus naturel dans le cadre des politiques de coopération bilatérales entre l’Inde et la France.</p>
<p>Cependant, ce que reprochent journalistes, chercheurs et défenseurs des droits humains réside dans la démarche même de l’ambassadeur français.</p>
<p>Son Excellence Lenain, lors d’une visite au temple de Gorakhpur, quartier général des Gorakhnathis, ordre religieux auquel appartient le Yogi, a participé activement à des rituels religieux hindous et <a href="https://www.hindustantimes.com/india-news/french-ambassador-visits-gorakhnath-temple-in-up-joins-prayers-feeds-cows/story-V2mX8cIIwDaOBlgIRRRKoN.html">au maternage d’une vache</a> dans une mise en scène politico-religieuse chère aux défenseurs d’une vision radicale et extrémiste de l’hindouisme revendiquée par le ministre en chef de l’Uttar Pradesh.</p>
<h2>Un hindouisme politique extrémiste</h2>
<p>Adityanath s’inscrit en effet dans la lignée de <a href="https://www.asianstudies.org/publications/eaa/archives/on-the-difference-between-hinduism-and-hindutva/">l’hindutvā</a>, mouvance politique créée lors du processus d’indépendance du sous-continent indien au tournant du XX<sup>e</sup> siècle, en opposition, d’une part, au <a href="https://sos-racisme.org/28-decembre-1885-fondation-du-congres-national-indien/">Congrès national indien</a> – représenté, entre autres, par Gandhi – et d’autre part, aux orientations plus tardives de la <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/Ligue_musulmane/129923">Ligue musulmane de toute l’Inde</a>.</p>
<p>L’hindutvā est aussi l’idéologie au fondement du mouvement <a href="https://indianexpress.com/article/india/hindu-mahasabha-the-waning-fringe-outfit-shouting-to-stay-politically-relevant-5563082/">Hindu Mahāsabhā</a> et du <a href="https://narendramodifacts.com/faq_Sangh.html">Saṅgh Parivār</a>, une large « famille d’organisations » paramilitaires d’extrême droite hindoues qui militent pour une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09584935.2018.1545009">hégémonie hindoue sur l’ensemble du territoire indien</a>, voire sud-asiatique.</p>
<p>Adityanath est ainsi à l’hindouisme indien ce que <a href="https://www.courrierinternational.com/article/birmanie-wirathu-le-moine-bouddhiste-islamophobe-vise-par-un-mandat-darret">Wirathu est au bouddhisme birman</a>.</p>
<p>Wirathu est un moine qui se trouve notamment à la tête de <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-montee-de-la-rhetorique-bouddhiste-nationaliste-en-asie-12-03-2018-2201700_24.php">milices</a> responsables de massacres de milliers de Rohingyas en Birmanie.</p>
<p>Dans ce contexte, la visite d’Emmanuel Lenain a suscité nombre de commentaires et rumeurs alimentés notamment par l’extrême droite indienne. Celle-ci <a href="https://swarajyamag.com/world/emmanuel-macron-yogi-adityanath-and-the-hammurabi-code-how-to-deal-with-islamic-radicals-in-a-modern-nation-state">se targue</a> en effet que la France, via son représentant, partagerait une politique dure et radicale vis-à-vis de l’islam, forcément « radical ».</p>
<p>Pourquoi la France n’a-t-elle pas pris toute la mesure de cette visite ? Loin d’être anodine, la double position religieuse et politique de Yogi Adityanath pose les fondements d’une Inde tendant de plus en plus vers l’extrémisme religieux et sa traduction en actes politiques graves.</p>
<h2>Un moine activiste radical</h2>
<p><a href="https://www.dailypioneer.com/2017/columnists/nath-order-of-yogis-a-primer.html">Yogi Adityanath est à la tête d’une importante communauté monastiques de l’Inde</a>, le Gorakhnath Sampradaya. Ce regroupement ascétique serait comparable aux ordres monastiques bénédictin et trappiste en Occident et regroupe essentiellement des hommes – très peu de femmes – ayant tous fait le vœu de chasteté et d’obéissance à leur gourou. Gorakhnath lui-même, fondateur de cet ordre au XII<sup>e</sup> ou XIII<sup>e</sup> siècle, serait, <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/A/bo3683579.html">selon certaines traditions</a>, l’instigateur du hatha-yoga.</p>
<p>Les membres de cet ordre sont donc connus comme étant des « yogis » et bien des Indiens sont convaincus que les <a href="https://journals.openedition.org/assr/22055">ascètes</a> y appartenant ont développé des pouvoirs surnaturels. Ces ascètes ont par ce fait même une grande ascendance sur la population hindoue.</p>
<p>Déjà au tout début du XX<sup>e</sup> siècle, la mouvement ascétique gorakhnathi fait sienne la théorie de l’hindutva afin de favoriser la création d’une Inde hindoue. Débute alors une politisation de cet ordre à l’origine exclusivement monastique.</p>
<h2>L’ascension d’Adityanath</h2>
<p>Né Ajay Singh Bisht, le futur « yogi » devient ascète sous l’égide d’Avaidyanath.</p>
<p>Avaidyanath était alors fort impliqué dans le Hindu Mahasabha, dirigeait l’ordre Gorakhnathi et était député au Parlement ; déjà, il militait pour la création d’une Inde exclusivement hindoue.</p>
<p>À peine une année après être devenu moine au sein du Gorakhnath Sampradaya, Adityanath devient le supérieur de l’ordre Gorakhnathi.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=896&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/379482/original/file-20210119-14-1qa74zr.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1126&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Un jeune « gorakh ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">M. Boisvert</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En 1998, tout comme son prédécesseur Avaidyanath, Yogi Adityanath entre en politique, élu à la Chambre basse (Lokh Sabha) au Parlement indien : l’objectif de cette implication « ascétique » en politique était <a href="https://www.hindustantimes.com/lok-sabha-elections/yogi-adityanath-s-mentor-mahant-avaidyanath-introduced-dining-with-dalits-in-1980s/story-xxWdoJDwUhEaFCyO1uTKyI.html">officiellement la protection des droits des hindous</a>.</p>
<p>Suite aux élections nationales de 2014, remportées massivement par le <a href="https://www.lapresse.ca/international/asie-oceanie/201303/31/01-4636345-inde-un-nationaliste-hindou-controverse-se-rapproche-des-elections.php">parti nationaliste hindou Bharatya Janata Party (BJP)</a>, Adityanath surfe sur cette vague nationaliste hindoue et devient, en 2017, le ministre en chef de l’État indien de l’Uttar Pradesh.</p>
<h2>Islamophobie revendiquée</h2>
<p>Il incite toujours différentes milices informelles hindoues à <a href="https://scroll.in/article/974721/how-uttar-pradesh-became-a-vigilante-state-under-adityanath">mener des actions plus concrètes</a> – violentes, voire meurtrières – contre ceux qui contreviendraient <a href="https://scroll.in/latest/976848/ups-law-on-cow-slaughter-being-misused-against-the-innocent-says-allahabad-hc">à la loi étatique pour la protection de la vache</a>.</p>
<p>Les personnes visées par ces mesures sont bien entendu les musulmans, qui constituent près de 20 % de la population de l’État, mais également les <a href="http://www.asianews.it/news-en/Uttar-Pradesh-introduces-harsher-penalties-for-those-who-slaughter-or-transport-a-cow-50320.html">Dalits, ces castes dites inférieures, et les chrétiens</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, rien de surprenant qu’Adityanath ait <a href="https://www.liberation.fr/planete/2017/04/04/yogi-adityanath-un-moine-extremiste-a-la-tete-du-plus-grand-etat-de-l-inde_1559382">affirmé</a> que « tous ceux refusant le yoga n’ont qu’à quitter l’Inde ou à se noyer dans l’océan ».</p>
<p>Depuis quelques années, avant son arrivée au poste de ministre en chef de l’Uttar Pradesh, le Yogi menaçait déjà ouvertement les <a href="https://www.jstor.org/stable/43613088?seq=1">couples mixtes</a>, à savoir hindou et musulman, notamment quand la femme ou fiancée se convertissait à l’islam pour se marier. Il a été moteur d’une véritable campagne complotiste visant à établir sous le terme « love jihad » que des hommes musulmans séduisaient des femmes hindoues dans le seul but de les convertir.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pZZuGN-9R_s?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Love Jihad NDTV.</span></figcaption>
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<p>Depuis décembre 2020, les ratonnades ont fait place, en Uttar Pradesh, à des lois iniques visant les conversions dans le cadre de <a href="https://www.dw.com/en/india-uttar-pradesh-becomes-first-state-to-outlaw-love-jihad-marriages/a-55718001">ces mariages mixtes</a>.</p>
<h2>Ayodhya, au cœur des luttes</h2>
<p>C’est aussi en Uttar Pradesh que se joue une lutte aussi politique que religieuse. Depuis des décennies, de nombreux militants et religieux revendiquent la « propriété » du site dit d’Ayodhya, perçu comme dernier vestige du <a href="https://www.outlookindia.com/website/story/india-news-archaeologists-who-discovered-remains-of-ram-temple-below-babri-mosque-in-ayodhya-not-among-invitees/358016">royaume de Ram</a>, héros de l’épopée du Ramayana et figure religieuse.</p>
<p>C’est sur ce lieu que l’empereur moghol Babur aurait fait construire, en 1527, une mosquée, un acte (présumé !) sacrilège pour de nombreux fidèles.</p>
<p>Ce postulat est à l’origine de la destruction violente de la Babri masjid d’Ayodhya en 1992, d’attentats et des <a href="https://www.courrierinternational.com/article/pour-comprendre-la-mosquee-dayodhya-vingt-cinq-ans-de-discorde-entre-hindous-et-musulmans">violences intercommunautaires meurtrières qui suivirent</a>.</p>
<p>Dès 1990, le jeune Adityanath aurait <a href="https://www.opindia.com/2019/11/ram-mandir-ayodhya-yogi-adityanath-mahant-avaidyanath-idol/">dédié sa vie à la « libération » d’Ayodhya</a>.</p>
<p>Dix ans plus tard, en 2002, toujours en lien avec la « ré-appropriation » du site d’Ayodhya, d’autres <a href="https://www.liberation.fr/planete/2005/01/19/inde-retour-sur-des-pogroms-antimusulmans_506560">pogroms éclatent</a> ; des milliers de personnes trouvent la mort dans des conditions atroces.</p>
<p>La même année, Adityanath fonde le <a href="https://caravanmagazine.in/vantage/hindu-yuva-vahinis-constitution-tells-us-yogi-adityanaths-regime-uttar-pradesh">Hindū Yuvā Vāhinī</a>, une organisation hindoue calquée sur le modèle des Jeunesses hitlériennes et dont l’objectif premier est la promotion de l’hindutvā. Dans les années qui suivirent, ce mouvement fut <a href="https://www.worldwatchmonitor.org/tag/hindu-vanihi/">responsable de plusieurs événements de violence</a> à l’encontre des <a href="http://www.coastaldigest.com/yogi-led-hindu-yuva-vahinis-barbarism-triggers-alarm-bells-bjp?page=2">musulmans</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1123836334349651968"}"></div></p>
<p>Objet de propagande, de contre-discours et terrain politique sensible, Ayodhya est officiellement <a href="https://www.deccanherald.com/national/national-politics/faith-evidence-prove-masjid-was-on-rams-birthplace-774808.html">reconnu depuis décembre 2019 comme lieu historique</a> de naissance du personnage mythique Ram.</p>
<h2>Un temple symbole d’une ère nouvelle</h2>
<p>En décembre 2020, <a href="https://indianexpress.com/article/india/ram-mandir-is-rashtra-mandir-yogi-adityanath-7118948/">Adityanath a souligné à plusieurs reprises l’importance de reconstruire</a> le temple original à Rāma, érigié sur le lieu de naissance de la divinité.</p>
<p>Ce temple deviendrait alors <a href="https://indianexpress.com/article/india/up-cm-yogi-adityanath-ram-temple-in-ayodhya-will-be-rashtra-mandir-6171200/">l’âme de la nation</a>.</p>
<p>Selon Adityanath, le royaume de Rāma aurait été l’exemple par excellence de bonne gouvernance, et la reconstruction du temple <a href="https://indianexpress.com/article/india/ram-mandir-is-rashtra-mandir-yogi-adityanath-7118948/">s’impose rapidement</a>.</p>
<p>Cette vision d’une Inde comme étant une terre hindoue, forgée sur des mythes qui ne souffrent ni critique ni remise en cause, y compris dans leur pendant historique, rompt avec la vision laïque de l’Inde défendue aussi bien par les fondateurs de l’Inde indépendante que par des personnages religieux du siècle dernier tel Ramakrishna.</p>
<p>Pourtant, la popularité de Yogi Adityanath ne cesse de croître dans cette république indienne, toujours pour le moment, laïque.</p>
<p>Selon le journal <em>The Wire</em>, <a href="https://thewire.in/politics/uttar-pradesh-model-sangh-parivar-yogi-adityanath">son action en Uttar Pradesh</a> le pose déjà comme futur candidat au poste de premier ministre lors des prochaines élections législatives en 2024.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152604/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Boisvert ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Qui est le Yogi Adityanath, moine et dirigeant politique extrémiste, à qui l’ambassadeur français en Inde vient de rendre visite ?Mathieu Boisvert, Directeur, Centre d'études et de recherches sur l'Inde, l'Asie du Sud et sa diaspora, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1528532021-01-07T16:02:52Z2021-01-07T16:02:52ZQAnon et l’assaut du Capitole : l’effet réel des théories du complot en ligne<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/377598/original/file-20210107-21-1phtqec.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un partisan de Donald Trump, vu portant une chemise QAnon, se confronte à des officiers de la police du Capitole devant la salle du Sénat. </span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Manuel Balce Ceneta)</span></span></figcaption></figure><p>Quel est le coût de la propagande, de la désinformation et des théories du complot ? La démocratie et la sécurité publique, pour ne citer que deux éléments.</p>
<p>Les États-Unis ont reçu une dure leçon sur l’impact de la propagande et de la désinformation en ligne dans le monde réel.</p>
<p>Pendant des semaines, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1747389/president-sortant-donald-trump-maison-blanche-election">Donald Trump a prétendu à tort que l’élection présidentielle de novembre avait été truquée</a> et que c’était la raison pour laquelle il n’avait pas été réélu. Les paroles du président ont reflété et alimenté les théories du complot des partisans du <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1727900/mouvement-qanon-conspirationniste-complot-web-approche">mouvement QAnon</a>.</p>
<p>Alors que les théoriciens de la conspiration sont souvent considérés comme des « fous » sur les médias sociaux, les partisans du mouvement QAnon étaient en première ligne lors de la prise d’assaut du Capitole.</p>
<p>QAnon est un mouvement extrémiste décentralisé, idéologiquement motivé et violent, enraciné dans une théorie du complot sans fondement selon laquelle une cabale mondiale, induite par un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tat_profond">« État profond »</a> constitué d’élites pédophiles sataniques, est responsable de tout le mal dans le monde. Les adeptes de QAnon croient également que cette même cabale cherche à renverser Donald Trump, qu’ils considèrent comme le seul espoir du monde pour la vaincre.</p>
<h2>L’évolution de QAnon</h2>
<p>Bien qu’il ait commencé comme une série de théories du complot et de fausses prédictions, QAnon a évolué, au cours des trois dernières années, vers une idéologie politico-religieuse extrémiste.</p>
<p>J’étudie le mouvement depuis plus de deux ans. QAnon est ce que j’appelle une <a href="https://religiondispatches.org/in-the-name-of-the-father-son-and-q-why-its-important-to-see-qanon-as-a-hyper-real-religion/">hyper-réelle religion</a>. Le mouvement utilise des artefacts culturels populaires et les intègre dans un cadre idéologique.</p>
<p>Depuis trois ans, QAnon est une <a href="https://ctc.usma.edu/the-qanon-conspiracy-theory-a-security-threat-in-the-making/">menace pour la sécurité</a>.</p>
<p>La pandémie de Covid-19 a joué un rôle important dans la popularisation du mouvement QAnon. Les données de Facebook depuis le début de 2020 montrent que le nombre de ses membres a augmenté de 581 % — la plupart de ces augmentations ont eu lieu après que les États-Unis ont fermé leurs frontières, en mars dernier, dans le cadre de leur stratégie de confinement du coronavirus.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/377495/original/file-20210107-23-5tkg9r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/377495/original/file-20210107-23-5tkg9r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/377495/original/file-20210107-23-5tkg9r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/377495/original/file-20210107-23-5tkg9r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=630&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/377495/original/file-20210107-23-5tkg9r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/377495/original/file-20210107-23-5tkg9r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/377495/original/file-20210107-23-5tkg9r.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=792&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Croissance globale du nombre de membres de QAnon dans les groupes et pages Facebook entre janvier et septembre 2020. Données collectées et visualisées le 4 septembre 2020, par CrowdTangle.</span>
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</figure>
<p>Comme l’a noté le chercheur en médias sociaux Alex Kaplan, 2020 a été l’année où <a href="https://www.mediamatters.org/qanon-conspiracy-theory/2020-qanon-became-all-our-problem">« QAnon est devenu notre problème à tous »</a>. Le mouvement a d’abord pris de l’ampleur en répandant les <a href="https://theconversation.com/qanon-conspiracy-theories-about-the-coronavirus-pandemic-are-a-public-health-threat-135515">théories du complot et la désinformation liées à la Covid</a> et a ensuite été repris par <a href="https://theconversation.com/qanon-conspiracy-theory-followers-step-out-of-the-shadows-and-may-be-headed-to-congress-141581">97 candidats au Congrès américain qui ont publiquement montré leur soutien à QAnon</a>.</p>
<h2>Un réconfort dans une période incertaine</h2>
<p>L’essence de QAnon réside dans ses tentatives de délimiter et d’expliquer le mal. Il s’agit de <a href="https://www3.dbu.edu/mitchell/theodicy_brief_overview.htm">théodicée</a>, et non de preuves scientifiques. QAnon offre à ses adhérents un réconfort dans une époque incertaine — et sans précédent.</p>
<p>QAnon devient le maître du récit, capable d’expliquer de manière simpliste divers événements complexes. Il en résulte une vision du monde caractérisée par une distinction nette entre le bien et le mal.</p>
<p>Peu importe la quantité de preuves que les journalistes, les universitaires et la société civile offrent pour contrer les revendications promues par le mouvement, la croyance en QAnon comme source de vérité est une question de foi — plus précisément dans leur foi en Trump et en « Q », la personne anonyme qui a lancé le mouvement en 2017 en publiant une série de théories folles sur « l’État profond ».</p>
<h2>Des théories validées par Trump</h2>
<p>L’année 2020 a aussi été celle où Donald Trump a enfin donné à QAnon ce qu’il a toujours voulu : le respect. Comme l’a récemment écrit Travis View, chercheur en théorie du complot et animateur <a href="https://nymag.com/intelligencer/amp/2020/12/trump-gave-qanon-what-it-always-wanted-respect.html">du podcast <em>QAnon Anonymous</em></a> : « Au cours des derniers mois, Trump a reconnu la communauté des QAnon d’une manière dont ses adeptes n’auraient pu que rêver lorsque j’ai commencé à suivre la croissance du mouvement il y a plus de deux ans. »</p>
<p>Trump, ainsi que les avocats <a href="https://www.nytimes.com/2020/12/19/us/politics/trump-sidney-powell-voter-fraud.html">Sidney Powell</a> et <a href="https://www.huffingtonpost.ca/entry/who-is-lin-wood-trump-tweets_n_5ff335d7c5b6e7974fd514c1?ri18n=true">Lin Wood</a>, et <a href="https://www.insider.com/trump-shares-voter-fraud-conspiracy-theories-of-qanon-star-ron-watkins-2020-12">Ron Watkins, « étoile montante » de QAnon</a> ont tous activement enflammé les désirs apocalyptiques et anti-establishment des adeptes de QAnon en promouvant des théories de fraude électorale.</p>
<p>Des doutes sur la validité de l’élection ont circulé dans les milieux d’extrême droite ainsi que dans les cercles QAnon. En octobre dernier, j’ai écrit que si le <a href="https://icct.nl/publication/q-pilled-conspiracy-theories-trump-and-election-violence/">résultat final de l’élection présidentielle était retardé ou compliqué</a>, cela alimenterait probablement une croyance préexistante en la non-validité de l’élection et favoriserait un environnement chaotique qui pourrait conduire à la violence.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/377510/original/file-20210107-17-1td8eki.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/377510/original/file-20210107-17-1td8eki.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/377510/original/file-20210107-17-1td8eki.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/377510/original/file-20210107-17-1td8eki.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/377510/original/file-20210107-17-1td8eki.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/377510/original/file-20210107-17-1td8eki.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/377510/original/file-20210107-17-1td8eki.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un homme torse nu connu sous le nom de « chaman QAnon » était l’un des membres les plus en vue des partisans de Trump qui ont envahi le Capitole américain.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AP Photo/Manuel Balce Ceneta</span></span>
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<h2>Espoir de miracles</h2>
<p>La prise d’assaut du Capitole américain a vu l’aboutissement de ce qui se tramait depuis des semaines : l’espoir dans les cercles QAnon <a href="https://abcnews.go.com/Politics/trump-pressure-pence-reject-bidens-win-congress-wednesday/story?id=75057551">qu’un miracle arriverait par le vice-président Mike Pence</a> et d’autres sortilèges constitutionnels qui renverseraient les résultats des élections.</p>
<p>Au lieu de cela, les partisans de la théorie QAnon sont maintenant confrontés à la fin de la présidence de Donald Trump — où ils avaient le champ libre — et à la crainte de ce que la présidence de Joe Biden pourrait apporter.</p>
<p>Il y a longtemps que nous avons dépassé le stade de la simple question : comment les gens peuvent-ils croire en QAnon alors que tant de ses affirmations vont à l’encontre des faits ? L’attaque du Capitole a montré les dangers réels des adeptes de QAnon.</p>
<p>Leur idéologie militante et anti-establishment — enracinée dans un désir quasi apocalyptique de détruire le monde existant et corrompu et d’inaugurer un âge d’or promis — a été exposée au monde entier. Qui pourra désormais ignorer l’homme torse nu portant un chapeau de fourrure, <a href="https://www.wric.com/news/u-s-world/horned-shirtless-man-at-the-capitol-demonstration-identified/">connu sous le nom de chaman QAnon</a>, menant la charge dans la rotonde du Capitole ?</p>
<p>Que va-t-il se passer maintenant ? Les partisans de QAnon, ainsi que d’autres acteurs d’extrême droite, poursuivront probablement leurs objectifs d’insurrection. D’autres événements violents pourraient avoir lieu, alors que l’idéologie du mouvement QAnon continue à se développer dans la culture américaine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152853/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc-André Argentino reçoit un financement de l'Université Concordia. Il est affilié au Réseau mondial sur l'extrémisme et la technologie, à l'Institut pour le dialogue stratégique et au Centre d'expertise et de formation sur les intégrismes religieux, les idéologies politiques et la radicalisation</span></em></p>Les théories du complot diffusées en ligne sont à la base des mensonges de Donald Trump sur sa défaite aux élections américaines. Leurs conséquences dans le monde réel ont éclaté au grand jour.Marc-André Argentino, PhD candidate Individualized Program, 2020-2021 Public Scholar, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1328842020-03-04T18:09:27Z2020-03-04T18:09:27ZViolences anti-musulmanes en Inde : quelle responsabilité pour le gouvernement Modi ?<p>Depuis plus de trois mois, l’Inde est en proie à une immense agitation. Le climat social semble ne cesser de se détériorer, comme en témoignent les affrontements sanglants entre hindous et musulmans qui ont eu lieu fin février. À titre d’exemple, des <a href="https://www.persee.fr/doc/tiers_1293-8882_2003_num_44_174_5389">affrontements similaires avaient fait en 2002 dans l’État du Gujarat</a> des milliers de victimes. </p>
<p>Le ministre en chef de cet État et son administration avaient alors été accusés d’avoir <a href="https://www.bbc.com/news/world-south-asia-13170914">laissé faire les émeutiers et retenu la police</a>. Certains membres de cette administration avaient alors été interdits de séjour à l’étranger et <a href="https://india.blogs.nytimes.com/2012/08/31/stiff-sentence-for-former-gujarat-minister/">quelques-uns avaient été condamnés</a>. Le ministre en chef du Gujarat était alors nul autre que Narendra Modi.</p>
<h2>Le premier mandat de Modi : politique économique libérale et rhétorique sectaire</h2>
<p>Auréolé de l’élan économique qu’a connu le Gujarat à l’époque où il le dirigeait (de 2001 à 2014), Narendra Modi a été élu premier ministre de l’Union indienne en 2015, en mettant en avant des promesses de libéralisme et de dynamisme économique. Il s’agissait de faire rivaliser l’Inde avec la Chine, d’engager son économie sur un sentier de croissance soutenu et long en allégeant la bureaucratie, d’ouvrir le pays aux investissements directs étrangers et de le doter, au travers du programme <a href="http://www.makeinindia.com/home">« make in India »</a>, d’un secteur manufacturier performant (pour des raisons historiques, ce secteur avait toujours été atrophié).</p>
<p>L’orientation de ce programme aurait pu faire oublier les racines idéologiques du parti auquel Narendra Modi appartient, le Baratiya Janata Party (BJP), à savoir l’« Hindutva ». Cette idéologie, selon laquelle l’Inde ne saurait être qu’hindoue, prône le retour à une culture fantasmée comme purement indienne, c’est-à-dire celle d’avant l’Empire moghol (1526-1857), désormais présenté dans les manuels d’histoire comme un joug étranger ayant longtemps pesé sur l’Inde hindoue. Certains courants de l’Hindutva affirment également que tous les hindous partageraient la même origine ethnique tandis que les membres des autres communautés seraient les fils d’un autre sol, issus de mariages mixtes plus ou moins consentis. Ajoutons que le BJP entretient des rapports étroits avec le Rashtriya Swayamsevak Sangh (Organisation patriotique nationale, RSS), organisation paramilitaire fondée en 1925 sur le modèle des phalanges fascistes afin de promouvoir l’idéologie de l’Hindutva. Narendra Modi a <a href="https://www.britannica.com/biography/Narendra-Modi">commencé sa carrière dans les rangs du RSS</a>.</p>
<p>Au cours de son premier mandat, le gouvernement de M. Modi a engagé des réformes profondes comme <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2016/08/04/en-inde-le-parlement-federal-adopte-la-tva-unique_4978259_3234.html">l’unification de la TVA</a>, mais aussi créé un traumatisme économique au travers de la <a href="https://www.lesechos.fr/monde/asie-pacifique/inde-la-demonetisation-a-ete-un-cuisant-echec-pour-new-delhi-137686">démonétisation</a> – c’est-à-dire la suppression, sans préavis, du cours légal des billets les plus couramment utilisés.</p>
<p>Ces initiatives économiques audacieuses ont pu reléguer dans l’ombre les mesures ou déclarations vexatoires prises envers les communautés religieuses minoritaires, en particulier les musulmans, ainsi que le développement de milices ou de « vigilantes », groupes de citoyens se faisant fort d’appliquer ce qu’ils pensent être ou devraient être la loi. Certains de ces groupes, au motif de vérifier l’application de la loi interdisant l’abattage de bovidés, <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-02-20/cow-vigilantes-in-india-killed-at-least-44-people-report-finds">lynchent des musulmans et des personnes issues des basses castes</a>. D’autres humilient, parfois violemment les <a href="https://www.indiatoday.in/india/story/hindu-yuva-vahini-members-beat-couple-in-court-premises-in-up-cry-love-jihad-1144707-2018-01-14">couples issus de confessions différentes</a>. Ces groupes, dont les actions illégales n’entraînent que peu de poursuites, agissent avec un sentiment croissant d’impunité, et sont encouragés, voire organisés, par certaines figures du BJP qui ne cachent pas leur aversion pour les minorités religieuses et revendiquent la suprématie hindoue. Mais le grand public, avant tout tourné vers les initiatives et promesses économiques, n’y a pas nécessairement prêté attention et n’a peut-être pas perçu à quel point le climat devenait menaçant pour la communauté musulmane.</p>
<h2>Un second mandat placé sous le signe de la division</h2>
<p>En 2019, les perspectives économiques commencent à s’assombrir. En janvier, un rapport de la Commission nationale des statistiques faisant état d’un taux de chômage au plus haut depuis une cinquantaine d’années fuite dans la presse ; le gouvernement est accusé d’en <a href="https://www.nytimes.com/2019/01/31/world/asia/india-unemployment-rate.html">retarder la publication en amont des élections législatives tenues entre le 11 avril et le 19 mai</a>. Le taux de croissance de l’économie indienne commence à montrer des signes de ralentissement, de même que les investissements et la consommation. L’opposition ne se prive pas de souligner ce mauvais bilan économique. La campagne de M. Modi est alors centrée sur l’insécurité, <a href="https://www.dawn.com/news/1475670">mettant en cause des migrants illégaux du Bangladesh</a>. Servi par les circonstances d’un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/02/14/cachemire-indien-au-moins-33-morts-dans-l-attentat-le-plus-meurtrier-depuis-2002_5423608_3210.html">attentat au Cachemire</a>, il parvient à apparaître comme un chef de guerre capable d’en imposer au Pakistan. En mai 2019, le premier ministre sortant remporte une <a href="http://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20190523-inde-nouveau-mandat-une-victoire-ecrasante-narendra-modi">victoire écrasante</a> aux législatives.</p>
<p>Le second mandat de Narendra Modi met clairement l’accent sur les questions intérieures, à commencer par un grand projet de refonte de la nationalité au travers de la possible création d’un registre des citoyens. Une première initiative est menée en août 2019 dans l’État de l’Assam, voisin du Bangladesh. Afin de lutter contre de potentiels « étrangers exfiltrés », il est demandé aux habitants de cet État d’apporter la preuve de la présence de leurs familles sur le territoire indien avant 1971 afin de confirmer leur citoyenneté indienne. Dans cet État où un habitant sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté et ne sait pas lire, il n’est pas aisé pour ces familles d’apporter ce genre de preuves écrites. </p>
<p>À l’issue de ce processus, 1,9 million d’individus se considérant indiens, en majorité des musulmans, sont <a href="https://edition.cnn.com/2019/08/30/asia/assam-national-register-india-intl-hnk/index.html">devenus apatrides</a>. En décembre 2019, une <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/12/12/loi-sur-la-nationalite-en-inde-les-musulmans-mis-au-ban_1768931">loi sur la nationalité</a> a été votée. Elle garantit aux ressortissants du Pakistan, de l’Afghanistan et du Bangladesh présents sur le territoire l’accès à une procédure accélérée d’obtention de la nationalité indienne… mais les musulmans sont exclus de cette disposition. Les défenseurs de ce texte brandissent un argument humanitaire : selon eux, la loi vise à protéger les minorités ; or l’islam est la religion majoritaire dans ces trois pays.</p>
<p>L’adoption de cette loi a provoqué une indignation et une vague de mobilisation sans précédent en Inde – et cela, pour trois raisons. D’une part, elle est contraire à la Constitution qui garantit la neutralité religieuse de l’État, neutralité qui est au cœur des institutions. Deuxièmement, cette loi arrive après de nombreuses vexations envers la communauté musulmane indienne, par exemple <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/11/09/en-inde-la-justice-autorise-la-construction-d-un-temple-hindou-sur-un-site-dispute-avec-les-musulmans_6018585_3210.html">l’attribution du site d’Ayodhya aux hindous</a> ou le <a href="https://www.npr.org/2019/04/23/714108344/india-is-changing-some-cities-names-and-muslims-fear-their-heritage-is-being-era?t=1583231725259">changement de plusieurs noms de ville qui rappelaient le passé moghol</a> pour n’en citer que quelques-unes. Ces provocations de la part du gouvernement n’ont cessé de s’accumuler. Troisièmement, cette loi apparaît pour beaucoup comme le signe avant-coureur d’une remise en cause de la citoyenneté pleine et entière de tous les musulmans de l’Inde. La mobilisation pacifique contre cette loi <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/immigration/inde-manifestations-contre-la-loi-sur-la-citoyennete_3751783.html">dure maintenant depuis plus de deux mois</a>.</p>
<p>Les milices hindoues qui, on l’a dit, ont pris l’habitude d’agir en toute liberté et impunité, ont désormais décidé de s’en prendre violemment aux opposants de la loi. Le 5 janvier dernier, des membres d’un syndicat étudiant a priori proche du RSS ont <a href="https://theconversation.com/inde-les-universites-face-au-pouvoir-129940">mis à sac une université en plein cœur de Delhi</a> et passé à tabac étudiants et enseignants. La police a été accusée de complaisance envers les agresseurs. Fin février 2020, des milices ont <a href="https://www.lefigaro.fr/international/new-delhi-le-dechainement-de-violences-contre-les-musulmans-en-photos-20200301">semé la terreur dans les quartiers musulmans du nord-est de Delhi</a>, détruisant commerces et mosquées et lynchant, voire abattant par balles des dizaines d’habitants. La police a encore été accusée de passivité, de la même manière qu’elle avait été accusée d’avoir fermé les yeux sur les pogroms du Gujarat de 2002.</p>
<h2>Le double discours du gouvernement</h2>
<p>Certes, les affrontements intercommunautaires sont de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=RngV5nEpehc">plus en plus rares et géographiquement circonscrits en Inde</a>, et les récents événements de Delhi ne resteront pas parmi les plus meurtriers. Ils n’en sont pas moins très préoccupants car ils mettent en lumière le double discours du gouvernement. D’une part, celui-ci se défend d’entretenir la division et s’abrite systématiquement derrière des justifications de bon aloi – comme un souci humanitaire dans le cas de la loi sur la nationalité – tout en soufflant sur les braises de la discorde et en laissant les dirigeants en vue de son parti exhorter la population à la haine. D’autre part, l’habitude prise par les milices de faire régner leurs lois et la terreur fait peser une menace réelle sur l’avenir de l’état de droit.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/132884/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Catherine Bros ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les pogroms anti-musulmans qui ont récemment ensanglanté New Delhi ne sont pas un épiphénomène : ils représentent un aboutissement logique de l’idéologie extrémiste du parti au pouvoir.Catherine Bros, Maître de Conférences en économie, HDR, Université Gustave Eiffel, affiliée au laboratoire DIAL, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1255722019-10-28T19:25:30Z2019-10-28T19:25:30ZLa crise en Catalogne, levier pour l’extrême droite espagnole<p>Le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/17/faute-de-majorite-l-espagne-se-prepare-a-de-nouvelles-elections_5511622_3210.html">10 novembre 2019</a>, l’Espagne connaîtra sa quatrième élection législative en quatre ans. La dispersion des votes lors des derniers scrutins nationaux ont entraîné quatre dissolutions du parlement, rendant l’Espagne difficilement gouvernable au cours des dernières années. L’actuel Premier ministre socialiste espagnol Pedro Sánchez n’a pas été en mesure de former un nouveau gouvernement. Ces élections se dérouleront sous fond de tension entre les partis et leaders indépendantistes catalans et Madrid. Dans ce climat d’exaspération, l’extrême droite quant à elle tente d’avancer ses pions dans le paysage politique espagnol.</p>
<p>Le <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/espagne/catalogne/espagne-de-9-13-ans-de-prison-pour-les-dirigeants-independantistes-catalans-6563054">réveil des tensions en Catalogne</a> a démarré le 14 octobre 2019 lorsque la Cour suprême espagnole a condamné des dirigeants indépendantistes catalans à des peines allant de 9 à 13 ans de prison. Pour rappel, ces derniers, sous la houlette notamment de Carles Puigdemont, avaient organisé le 1<sup>er</sup> octobre 2017 un référendum sur l’indépendance de la Catalogne. Le gouvernement espagnol, par l’intermédiaire de Mariano Rajoy, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2017/09/29/catalogne-a-j-2-avant-le-referendum-sur-l-independance-comprendre-les-enjeux-du-scrutin_5193225_3210.html">avait jugé cette consultation illégale</a> et pris à son encontre un certain nombre de mesures – notamment la fermeture de la plupart des bureaux de vote.</p>
<h2>Une mobilisation massive en Catalogne</h2>
<p>Depuis cette date, le ton n’a eu de cesse de monter entre les dirigeants catalans indépendantistes et les gouvernements à Madrid, plongeant de fait l’Espagne dans une crise profonde. Le verdict rendu par la Cour suprême espagnole a poussé les indépendantistes à descendre dans la rue et à organiser des grèves. La ville de Barcelone fait depuis l’objet de <a href="https://www.equinoxmagazine.fr/2019/10/22/jusqua-quand-vont-durer-les-manifestations-a-barcelone/">nombreuses manifestations</a>, au cours desquelles de violentes émeutes ont éclaté.</p>
<p>Celles-ci ont paralysé une grande partie de la Catalogne avec des axes de transports bloqués (gares, aéroports, routes), mais ont également entraîné le report du célèbre match du Clásico entre le FC Barcelone et le Real Madrid puisqu’à la même date une gigantesque manifestation était annoncée – le samedi 26 octobre – à l’appel d’associations indépendantistes et de quelques syndicats.</p>
<p>La journée du vendredi 18 octobre a été particulièrement violente dans les rues de Barcelone. La manifestation a rassemblé <a href="https://www.france24.com/fr/20191019-espagne-barcelone-violences-militants-independantistes-police-manifestation">autour de 5O0 000 personnes</a> et, à la nuit tombée, des affrontements ont opposé indépendantistes radicaux, quelques groupuscules d’extrême droite et les forces de l’ordre. C’est au cours de ces heurts qu’ont surgi dans les médias des images de saluts nazis chez des manifestants extrémistes. <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/barcelone-neo-nazis-decryptage_fr_5da9b2ece4b04c4d24eb1e7c">Sur les réseaux sociaux</a>, des vidéos d’agressions violentes ont également circulé.</p>
<h2>L’indépendance catalane, moteur de Vox</h2>
<p>Ces manifestants néonazis sont pour la plupart des soutiens actifs du parti d’extrême droite espagnol Vox, fermement opposé à l’indépendantisme. Pour situer ce parti, il a été fondé en 2013 après la scission de membres du Parti populaire, ayant pour objectif d’incarner une nouvelle droite nationaliste en Espagne. Le parti ne cache pas sa nostalgie du franquisme, comme le soulignent les <a href="https://elpais.com/elpais/2019/10/04/hechos/1570201976_753128.html">propos révisionnistes</a> de son secrétaire général Javier Ortega Smith, tenus le 4 octobre dernier alors qu’il s’exprimait sur son opposition à l’exhumation de Franco.</p>
<p>À l’occasion des élections générales en 2015, Vox n’avait recueilli que 0,23 % des voix, mais lors des élections en Andalousie en décembre 2018, le parti était parvenu à 10,96 % de suffrages, et douze sièges au Parlement d’Andalousie. Il est alors le premier parti d’extrême droite à faire son entrée au Parlement espagnol depuis la fin du franquisme.</p>
<p>Enfin, lors des récentes élections générales espagnoles de 2019, <a href="https://theconversation.com/fpo-afd-vox-les-partis-dextreme-droite-a-loffensive-116602">Vox recueille 10,3 % des suffrages</a> et aspire désormais à s’installer sur la scène politique espagnole grâce à une adhésion de plus en plus croissante des jeunes. C’est entre autres le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/04/26/le-nationalisme-de-vox-est-une-reaction-contre-le-regionalisme-catalan_5455097_3210.html">débat sur l’indépendance de la Catalogne</a> qui a permis à Vox de gagner quelques points dans les sondages et de s’inviter dans le débat politique espagnol. Il n’est d’ailleurs pas étonnant de voir le parti s’emparer de la crise en Catalogne pour pointer du doigt le laxisme et le manque de courage du gouvernement face aux indépendantistes catalans.</p>
<p>Rappelons que, lors des dernières élections d’avril 2019, la <a href="https://www.franceinter.fr/monde/la-crise-catalane-principal-moteur-du-vote-d-extreme-droite-en-espagne">question de la gestion catalane</a> avait déjà été un moteur du vote en faveur de Vox dans la plupart des régions. S’il avait abondamment utilisé ce thème, il avait néanmoins réalisé des scores faibles dans les régions ayant une culture autonomiste ou indépendantiste.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1123819927453020161"}"></div></p>
<h2>La naissance d’un mouvement indépendantiste ultra</h2>
<p>Pour autant, certaines thèses de l’extrême droite se retrouvent également <a href="https://www.abc.es/espana/catalunya/politica/abci-extrema-derecha-independentista-emerge-cataluna-201905081337_noticia.html">dans le camp indépendantiste</a>. Une organisation catalane appelée « Movimiento Identitario Catalán » (Mouvement identitaire catalan) serait ainsi en train de gagner en influence dans les différentes manifestations des derniers jours à Barcelone. Bien que ce mouvement soit pour le moment ultra minoritaire, certains de ses membres n’en restent pas moins des fervents partisans voire parfois des militants du parti Vox.</p>
<p>Cette faction ultra affiche des thèses similaires aux mouvements suprémacistes dans d’autres pays. Ses militants, par exemple, sont favorables à une Catalogne catalane dans laquelle les aides sociales seraient exclusivement versées aux Catalans de « souche ».</p>
<p>Face à ces troubles, plusieurs voix se sont élevées pour demander l’arrêt de toutes les violences survenues en marge des manifestations ou affrontements. Les leaders des deux grands partis catalans, Républicains de gauche et Libéraux de centre droit, ont notamment appelé à la tenue de manifestations pacifistes tout en condamnant fermement tous les débordements.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1000942967178350593"}"></div></p>
<h2>La position jugée ambiguë du Président catalan</h2>
<p>Mentionnons également la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/espagne-le-president-de-la-catalogne-propose-un-nouveau-vote-sur-l-independance_2103929.html">réaction tardive</a> de l’actuel Président indépendantiste catalan, Quim Torra. Défiant ouvertement le gouvernement espagnol, il s’est engagé dans une escalade verbale, appelant même à une nouvelle élection pour statuer sur l’indépendance de la Catalogne d’ici la fin de la mandature actuelle soit 2022. Nombreux, parmi les anti-indépendantistes, sont ceux à penser qu’il réagit plus en tant que <a href="https://elpais.com/politica/2019/10/19/actualidad/1571511156_829840.html">fervent militant indépendantiste</a> qu’en tant qu’élu.</p>
<p>À l’échelle nationale, l’actuel chef du gouvernement espagnol (Pedro Sánchez) et Pablo Casado, chef de l’opposition et leader du Parti populaire (PP), <a href="https://www.lepoint.fr/monde/la-catalogne-au-centre-de-la-campagne-electorale-en-espagne-21-10-2019-2342511_24.php">se sont rendus à Barcelone</a> pour aller à la rencontre des forces de l’ordre et des blessés. Pedro Sánchez a toutefois refusé de s’afficher aux côtés de Quim Torra, à qui il reproche des propos ambigus concernant les évènements qui agitent la Catalogne. Alors que les Espagnols vont être amenés à voter dans quelques semaines, la situation actuelle en Catalogne est devenue le sujet le plus commenté de la campagne électorale. D’après un récent sondage, le parti d’extrême droite <a href="https://www.elmundo.es/espana/2019/10/22/5dae018bfdddff17ab8b4626.html">semble profiter de la crise catalane</a> et pourrait gagner des élus.</p>
<p>C’est donc dans un climat très tendu que les Espagnols s’apprêtent à retourner aux urnes le 10 novembre 2019. Sur fond de tension entre Madrid et Barcelone, ces élections risquent de voir le parti d’extrême droite Vox s’implanter durablement comme la troisième force politique du pays. Si tout laisse à penser que la situation conflictuelle en Catalogne perdurera au-delà de ces élections, celles-ci n’en demeurent pas moins essentielles pour garantir une stabilité politique et démocratique à l’Espagne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125572/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Benjamin Rojtman-Guiraud est Conseiller municipal d'opposition Les Républicains à Maxéville (54).</span></em></p>Les mobilisations indépendantistes en Catalogne constituent une nouvelle occasion pour l’extrême droite d’avancer des pions dans le jeu politique espagnol.Benjamin Rojtman-Guiraud, Doctorant en Sciences politiques, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1236262019-09-22T17:57:05Z2019-09-22T17:57:05ZTraquer la haine sur les réseaux sociaux exige bien plus qu’un algorithme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/293199/original/file-20190919-22425-cqwp0l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C38%2C5168%2C3406&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les groupes de haine sont protéiformes et se reconstituent sans cesse sur des espaces physiques ou temporels difficiles à maitriser.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/8LfE0Lywyak">Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Qui a dit que la lutte contre les contenus haineux sur les réseaux sociaux était un combat désespéré ? <a href="https://www.theguardian.com/technology/2019/sep/17/facebook-teams-up-with-police-to-stop-live-streaming-of-terror-attacks">Facebook compte équiper à partir du mois prochain des policiers en caméras pour mieux pister les tueries en ligne</a>. Il y a deux mois, Twitter <a href="https://www.bbc.com/news/technology-48922546">introduisait de nouvelles règles</a> pour freiner les attaques contre les groupes religieux, allant même jusqu’à <a href="https://techcrunch.com/2019/07/09/twitter-updates-hate-speech-rules-to-include-dehumanizing-speech-around-religion">détailler</a> le type de posts qui s’exposent à des interdictions :</p>
<blockquote>
<p>« Nous devons exterminer les rats. Les [Groupe religieux] sont dégoûtants, [Groupe religieux] devraient être punis. Nous ne faisons pas assez pour nous débarrasser de ces sales bêtes. »</p>
</blockquote>
<p>Début septembre, YouTube dressait un bilan d’étape prometteur, <a href="https://edition.cnn.com/2019/09/03/tech/youtube-hate-speech/index.html">annonçant</a> le retrait sur trois mois (entre avril et juin 2019) de plus de 100 000 vidéos et 17 000 chaînes et plus de 500 millions de commentaires compromettants.</p>
<p>Les deux plates-formes emboîtaient le pas à Facebook qui avait supprimé une année auparavant, après une alerte du blog consacré à la sécurité en ligne, <a href="https://krebsonsecurity.com/2018/04/deleted-facebook-cybercrime-groups-had-300000-members/">KrebsOnSecurity</a>, près de 120 groupes de discussion privés rassemblant plus de 300 000 membres faisant l’apologie d’activités illicites.</p>
<p>Les réseaux sociaux tiennent manifestement à donner des gages de bonne volonté pour contrebalancer les effets d’une des faces les plus hideuses du cyberespace. En sont-ils seulement capables ?</p>
<h2>Prise de conscience</h2>
<p>Récemment, on a vu une multiplication de pressions institutionnelles et réglementaires visant à lutter contre la haine en ligne, comme pour la loi Avia en France, dont la proposition a été adoptée par l’Assemblée nationale en juillet dernier (sans pour autant faire l’unanimité). Cette dernière impose aux plates-formes de retirer un contenu en 24 heures. En Allemagne, la loi NetzDG qui soumet les réseaux sociaux aux mêmes délais sous peine d’amendes pouvant atteindre jusqu’à 50 millions d’euros.</p>
<figure>
<iframe src="https://player.vimeo.com/video/122138817" width="500" height="281" frameborder="0" webkitallowfullscreen="" mozallowfullscreen="" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo relative aux standards de la communauté de Facebook, qui représente en quelque sorte ses directives pour le contenu qu’elle autorise sur sa plate-forme.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ces mesures ne sont sans doute pas étrangères à la prise de conscience des propriétaires des réseaux sociaux face à ces montées haineuses.</p>
<p>Mais cela peut-il endiguer un phénomène de plus en plus accru ? Plus de la moitié des Américains ont déclaré avoir été victimes de discours haineux et de harcèlement en <a href="https://www.usatoday.com/story/news/2019/02/13/study-most-americans-have-been-targeted-hateful-speech-online/2846987002/">2018</a>. En Europe, 75 % des personnes qui suivent ou participent à des débats en ligne <a href="https://youthforeurope.eu/hate-speech-a-old-current-battle/">ont été témoins ou ont été victimes d’abus, de menaces ou de contenu haineux</a>.</p>
<h2>L’IA à la rescousse ?</h2>
<p>Si de nombreux pays commencent à s’en préoccuper, c’est que le processus de cyberviolence a changé de temporalité et d’espace aussi. Au début de l’aventure Internet, la diffusion des discours haineux était <a href="https://link.springer.com/chapter/10.1057/9780333977705_13">à sens unique, transposée exclusivement de la vie réelle vers le numérique</a>.</p>
<p>Aujourd’hui, sans pour autant faire disparaître la première, c’est la tendance inverse qui est constatée, souvent avec des prolongements tragiques, comme pour les attentats de Christchurch où un suprémaciste blanc filmait en direct sa tuerie ou pour le meurtre de la <a href="https://theconversation.com/uk/search?utf8=%E2%9C%93&q=jo+cox">députée britannique Jo Cox</a> : 50 000 tweets <a href="https://www.bcu.ac.uk/news-events/news/research-finds-mp-jo-coxs-murder-was-followed-by-50000-tweets-celebrating-her-death">célébraient</a> sa mort. </p>
<p>Cette avalanche de chiffres communiqués par les réseaux sociaux traduit aussi les spectaculaires avancées permises par l’intelligence artificielle (IA) et le champ de la <a href="https://repositorio.inesctec.pt/bitstream/123456789/9541/1/P-00P-M24.pdf">linguistique informatique</a> (comme pour le traitement automatique du langage naturel, connu sous l’acronyme TALN).</p>
<p>De manière opérationnelle, celles-ci s’expriment à travers le déploiement d’une logistique d’<a href="https://www.aaai.org/ocs/index.php/ICWSM/ICWSM18/paper/viewFile/17885/17024">apprentissage par la machine (machine learning)</a> pour la traque de messages haineux en mobilisant des algorithmes comme les « K plus proche voisin », qui vont même jusqu’à prédire, en fonctionnant sur le modèle des prédicteurs textuels de nos smartphones, l’orientation de futurs contenus, ou encore ceux de la « reconnaissance d’entités nommées » (Named Entity Recognition, NER), programmes qui permettent d’identifier et de classer plus efficacement l’information textuelle : le processus va consister, dans une chaîne de texte par exemple à identifier un certain nombre de mots clefs pertinents : lieux, personnes, organisations.. Un arsenal pour lequel les GAFA se livrent à de féroces batailles de suprématie</p>
<h2>Traiter la masse de renseignements sur chaque profil</h2>
<p>Les données sur Internet renvoient à une pléthore de renseignements qui peuvent aider à mieux cerner le profil : contributions des internautes, mais aussi les données de navigation ou journaux d’activités (appelés <em>logs</em> dans le jargon), ou encore les gisements du web sémantique, une extension du World Wide Web qui a ouvert de nouvelles perspectives pour Internet et ses nombreuses applications, en améliorant par rapport à l’architecture originelle inventée par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Tim_Berners-Lee">Tim Berners-Lee</a>, la qualité des données interprétables par les machines.</p>
<p>Intensément <a href="https://arxiv.org/pdf/1511.06858.pdf">investi par la recherche ces dernières années</a>, le développement d’outils capables de prédire et d’identifier ce type de contenu commence présentement à porter ses fruits. La puissance des systèmes automatisés a permis à YouTube par exemple de détecter puis de supprimer <a href="https://youtube.googleblog.com/2019/09/the-four-rs-of-responsibility-remove.html">plus de 87 % des 9 millions de vidéos au cours du deuxième trimestre 2019</a>.</p>
<h2>Les limites de l’éthique numérique</h2>
<p>Tout n’est pas gagné pour autant. Les efforts de déploiement d’une éthique numérique continuent de se heurter à de nombreux écueils.</p>
<p>Une partie des difficultés tient aux discussions interminables <a href="http://www.jenserikmai.info/Papers/2016_BigDataPrivacy.pdf">sur le caractère privé Vs public des données personnelles</a> ou à l’équilibre introuvable entre la lutte contre les discours haineux et la préservation de la liberté d’expression comme s’en défendait fin août 2019, la PDG de YouTube dans une <a href="https://youtube-creators.googleblog.com/2019/08/preserving-openness-through-responsibility.html">lettre</a> à son audience.</p>
<p>C’est d’ailleurs l’alibi brandi par la filiale de Google pour justifier son <a href="https://publications.parliament.uk/pa/cm201617/cmselect/cmhaff/609/609.pdf">refus de bloquer la vidéo</a> intitulée « Les Juifs admettent avoir organisé le génocide blanc » postée par David Duke, militant d’extrême droite américain et proche un moment du KKK ou encore la réouverture de deux comptes qui auraient inspiré le terroriste de Christchurch.</p>
<h2>Un anonymat opportun</h2>
<p>Mi-aout 2019, la ligue anti-diffamation, une ONG de lutte contre l’antisémitisme, <a href="https://www.adl.org/blog/despite-youtube-policy-update-anti-semitic-white-supremacist-channels-remain">constatait</a> que 29 chaînes au moins sur YouTube relevaient de la catégorie antisémites et suprémacistes blancs. L’anonymat permis par de nombreuses plates-formes complique également la traque.</p>
<p>Il constitue un environnement favorable dans ce que les travaux en sociologie et/ou en psychologie décrivent en tant que propension à s’autoriser en ligne des comportements qu’on n’accepterait pas dans la vie réelle ou ce que John Suler nomme l’<a href="https://www.researchgate.net/publication/8451443_The_Online_Disinhibition_Effect">« effet de désinhibition »</a>.</p>
<p>La plate-forme « Secret » créée en 2013 par des anciens cadres de Google, et dont le modèle économique s’appuyait en grande partie sur l’anonymat des messages, en a fait les frais, fermée au bout de deux ans d’activité car <a href="https://www.bbc.com/news/technology-3253117">accusée de favoriser</a> la cyberintimidation ou de ne rien faire pour prévenir le risque suicidaire chez les adolescents en dépit de la multiplication des <a href="https://pando.com/2014/08/03/campaigner-secret-was-too-busy-raising-money-to-care-about-teen-suicide-warning/">demandes d’aide</a> des victimes.</p>
<h2>Les risques du tout technologique</h2>
<p>Le tout technologique n’est pas non plus une garantie de résultat dans la lutte contre la cyberhaine. Les approches mobilisées peuvent contribuer à amplifier des biais, signalant par erreur des messages comme étant offensants ou haineux. Une nouvelle recherche montre d’ailleurs que les principaux modèles d’intelligence artificielle avaient <a href="https://homes.cs.washington.edu/%7Emsap/pdfs/sap2019risk.pdf">1,5 fois plus de risques</a> de qualifier « d’offensants » les tweets rédigés par des Africains-Américains !</p>
<p>Les impératifs de contextualisation, les vocabulaires pouvant concerner des situations non liées à la haine, tiennent avant tout à la qualité des répertoires de mots ou des catégorisations de données établis, lesquels ne sont jamais suffisamment exhaustifs.</p>
<p>Twitter a par exemple accidentellement suspendu un compte parce que son algorithme a buggé sur une photo de profil où <a href="https://www.thedailybeast.com/twitter-suspends-an-account-for-tweeting-a-cartoon-of-captain-america-punching-a-nazi">Captain America frappait un nazi</a>.</p>
<p>Plus préoccupant, la récente recherche menée par l’équipe du professeur Neil Johnson, du département de physique de l’université George Washington, et dont les résultats ont été publiés en août dans la revue <a href="https://www.nature.com/articles/s41586-019-1494-7"><em>Nature</em></a>, confirme bien l’existence d’autoroutes de la haine en ligne et des grappes, hautement interconnectées et auto organisées à travers différents plates-formes (Facebook, Twitter, VKontakte), pays et langues.</p>
<p>Ces réseaux peuvent associer une variété de thèmes haineux (antisémitisme, anti-immigrés, anti-LGBT+).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/292846/original/file-20190917-19068-1jwud60.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/292846/original/file-20190917-19068-1jwud60.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/292846/original/file-20190917-19068-1jwud60.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/292846/original/file-20190917-19068-1jwud60.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=408&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/292846/original/file-20190917-19068-1jwud60.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/292846/original/file-20190917-19068-1jwud60.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/292846/original/file-20190917-19068-1jwud60.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=512&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La cyberhaine alimente un réseau complexe d’autoroutes et de grappes. Le mouvement xénophobe sud-africain « Stop white genocide in South Africa », par exemple, étudié par les équipes de N. Johnson a noué des ponts (indiqués par les cercles verts sur ce graphe) entre Facebook et VKontakte, des réseaux sociaux non seulement indépendants sur le plan opérationnel mais concurrents.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://fornewscience.cc/info.aspx?t=3&amtid=65264981&d=10.1038/s41586-019-1494-7">Johnson 2019</a>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Lorsqu’ils se sentent menacés, ces systèmes ou grappes font preuve d’une surprenante résilience face aux attaques. Toute stratégie tentant d’interdire un groupe haineux en une zone A, par exemple, est vouée à l’échec dans la mesure ou la grappe se reconstitue rapidement dans une Zone B. Paradoxalement, cette « réincarnation » intervient alors mêmes que les deux zones peuvent correspondre à des plates-formes non seulement indépendantes mais concurrentes (Facebook Vs VKontakte dans le cas d’espèce), et que les groupes de la haine peuvent être éloignés géographiquement, linguistiquement et culturellement.</p>
<h2>Quelle méthode face aux grappes de la haine</h2>
<p>Compte tenu de leurs complexité, Johnson et son équipe préconisent d’ailleurs entre autres approches d’interdire, au hasard, de petits échantillons de la grappe au lieu de cibler une grappe tout entière sous peine d’échec.</p>
<p>Cette solution tranche avec celles adoptées actuellement par les plates-formes, lesquelles consistent soit à exclure individuellement les contrevenants soit à bannir des groupes entiers de comptes haineux. On l’a bien compris, dans ce débat la question est de savoir si la méthode est la bonne.</p>
<p>Mais, au-delà il s’agit aussi de s’interroger sur l’ensemble des valeurs véhiculées sur ces plates-formes.</p>
<p>En effet, ce sont les nouvelles perceptions des notions mêmes de démocratie qui paraissent désormais en jeu. Aux États-Unis, par exemple, <a href="https://www.pewresearch.org/fact-tank/2015/11/20/40-of-millennials-ok-with-limiting-speech-offensive-to-minorities/">quatre jeunes sur dix</a> seulement considèrent que le gouvernement devrait sévir contre des contenus offensants à l’égard des minorités.</p>
<p>Comment alors évaluer les stratégies de lutte sans les croiser avec les transformations, pour le meilleur et malheureusement pour le pire aussi, de nos sociétés contemporaines ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/123626/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamed Benabid est membre-expert de l'institut marocain d'intelligence stratégique, un think tank apolitique consacré à l'intelligence économique. </span></em></p>Les réseaux sociaux tiennent manifestement à donner des gages de bonne volonté pour contrebalancer les effets d’une des faces les plus hideuses du cyberespace. En sont-ils seulement capables ?Mohamed Benabid, Docteur en Sciences de gestion, Docteur en Sciences de l'information et de la Communication, Université Paris 8 -Vincennes Saint-Denis chercheur associé l'ENCG Casablanca, Université Hassan II Casablanca – AUFLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1225662019-09-05T18:38:18Z2019-09-05T18:38:18ZComment s’explique la prolifération des groupes extrémistes au Burkina Faso ?<p>Le Burkina Faso, qui avait échappé jusque-là à l’instabilité régionale causée parla chute du régime libyen en 2011, a vu sa résilience s’effriter progressivement par les soubresauts politiques connus par le pays à la suite de l’insurrection populaire de l’automne 2014. Depuis cette période, le Burkina Faso présente un environnement sécuritaire précaire, soumis à des périls divers. Depuis 2016, le pays est ainsi menacé par des groupes djihadistes venus du Mali et qui ont trouvé dans la région du Sahel burkinabé un terreau propice pour se développer.</p>
<p>Progressivement, le djihadisme est devenu endogène, incarné par certaines figures burkinabés comme l’imam <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/12/21/jafar-dicko-le-nouveau-visage-du-djihadisme-au-burkina-faso_5232877_3212.html">Malam Dicko</a>. Si ces groupes djihadistes utilisent toujours le <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/23/du-mali-au-burkina-faso-une-spirale-de-violence_5480307_3210.html">Mali comme base arrière</a>, ils s’appuient de fait, en grande majorité, sur des citoyens du Burkina Faso.</p>
<p>Certains opéraient au Mali depuis 2012 dans les rangs d’<a href="https://www.huffingtonpost.fr/news/al-qaida-au-maghreb-islamique/">Al-Qaïda au Maghreb islamique</a> et <a href="https://www.huffpostmaghreb.com/news/ansar-dine/">Ansar Dine à Tombouctou</a>, ou dans les rangs du <a href="https://www.un.org/securitycouncil/fr/sanctions/1267/aq_sanctions_list/summaries/entity/mouvement-pour-l%E2%80%99unification-et-le-jihad-en">Mouvement pour l’unification et le jihad en Afrique de l’Ouest</a> (MUJAO) dans le <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20190401-mali-barkhane-region-gourma-terrorisme-sahel-france">Gourma</a> et dans le cercle d’<a href="https://reliefweb.int/report/mali/analyse-locale-des-dynamiques-de-conflit-et-de-r-silience-dans-les-cercles-d-ansongo">Ansongo</a>. Ils ont réorienté leurs actions sur le Burkina Faso à partir de 2016. D’autres, nouvellement engagés dans la nébuleuse djihadiste, ont été recrutés sur la base de facteurs proprement locaux – qu’ils soient sociaux, religieux, économiques ou politiques.</p>
<h2>Une forte expansion géographique</h2>
<p>Si la région du Sahel reste un sanctuaire pour les groupes djihadistes évoluant au Burkina, ils n’ont eu de cesse de changer de stratégies en s’adaptant à l’évolution de la situation, et d’y étendre leurs attaques d’ouest en est en prenant le soin de faire à chaque fois la jonction entre les différentes zones : dans les régions du Nord et de la Boucle du Mouhoun depuis 2017, et jusqu’à la région de l’est du pays depuis le printemps 2018. Mais, depuis le début de l’année 2019, les régions qui concentrent les plus grands nombres d’attaques sont le centre-nord et le Sahel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291144/original/file-20190905-175700-fdnhyy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291144/original/file-20190905-175700-fdnhyy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291144/original/file-20190905-175700-fdnhyy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291144/original/file-20190905-175700-fdnhyy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291144/original/file-20190905-175700-fdnhyy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291144/original/file-20190905-175700-fdnhyy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291144/original/file-20190905-175700-fdnhyy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Leur zone d’action a changé et s’est donc énormément étendue, de façon progressive et méthodique. L’année 2019 semble être une phase de consolidation des zones occupées avec un forte pression et un harcèlement régulier et intense sur toutes les provinces du Sahel, et particulièrement celle autour de la région du centre-nord qui semble être désormais leurs cibles privilégiées.</p>
<p>Cet enchaînement bien orchestré et méthodique pourrait laisser croire qu’une stratégie bien élaborée a été mise et un agenda et/ou qu’un plan serait en train d’être déroulé sans encombre. Car la réponse des autorités paraît inadaptée devant un ennemi qui semble avoir chaque fois en avance et disposer d’une capacité d’anticipation sur les stratégies de mise en place par l’État.</p>
<h2>Focalisation sur les zones rurales</h2>
<p>Le mode de conquête des groupes terroristes semble être focalisé sur les zones rurales, là où l’absence de l’État est marquée, mais aussi paradoxalement par sa présence. Les populations délaissées par le pouvoir central se sont retrouvées face à des groupes extrémistes, ces derniers pouvant distiller leurs discours radicaux au sein des communautés d’autant plus facilement qu’aucune autorité n’était présente pour déconstruire leurs discours. Ce qui a permis d’accentuer davantage cette mauvaise perception que les populations ont de l’État.</p>
<p>À l’inverse, donc, sa présence a parfois contribué à faire basculer la population du côté des groupes extrémistes, celui-ci étant perçu dans certaines zones comme l’entité qui réduit les opportunités des populations rurales au profit des populations urbaines (vente des terres, des réserves, industrialisation du secteur minier aux dépens de l’exploitation artisanale). Une telle situation a été très bien exploitée par les groupes extrémistes pour s’implanter.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291126/original/file-20190905-175686-1lno0gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291126/original/file-20190905-175686-1lno0gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291126/original/file-20190905-175686-1lno0gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291126/original/file-20190905-175686-1lno0gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291126/original/file-20190905-175686-1lno0gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291126/original/file-20190905-175686-1lno0gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291126/original/file-20190905-175686-1lno0gs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Carte du niveau de sécurité dans le Sahel (avril 2019).</span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Ils ont ainsi créé des sanctuaires là ou l’État a produit de la violence. La particularité des groupes extrémistes au Burkina, c’est qu’ils ne s’installent pas dans les zones qu’ils ont conquises. Ils ont adopté un style de gouvernance à distance aidée par l’absence de l’État, en profitant de la faiblesse du maillage sécuritaire.</p>
<h2>Un recrutement de plus en plus local</h2>
<p>À l’origine, les combattants des groupes terroristes au Burkina étaient majoritairement exogènes et les recrutements se faisaient en dehors des frontières burkinabè. Les premières attaques sur la capitale Ouagadougou ont été revendiquées en janvier 2016 par Aqmi.</p>
<p>Depuis un certain temps, leur stratégie d’occupation du territoire ainsi que leur mode de recrutement ont changé, devenant de plus en plus local, principalement dans leurs bastions.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291129/original/file-20190905-175678-15t97gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291129/original/file-20190905-175678-15t97gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291129/original/file-20190905-175678-15t97gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291129/original/file-20190905-175678-15t97gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291129/original/file-20190905-175678-15t97gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291129/original/file-20190905-175678-15t97gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291129/original/file-20190905-175678-15t97gj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="source">DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Pour augmenter le nombre de leurs adeptes, ils ont su exploité les désordres locaux, et sont passés maîtres dans l’art d’alimenter les tensions sociales, et d’attiser les conflits communautaires. <a href="http://www.rfi.fr/afrique/20190404-burkina-conflits-communautaires-arbinda-yirgou">Citons les drames de Yirgou et celui d’Arbinda</a> dont ont les accuse d’être les instigateurs.</p>
<p>Mais il ne faut pas non plus perdre de vue que l’État et l’armée dans la lutte contre les groupes extrémistes ont utilisé des méthodes et adopté des attitudes qui ont fini par faire basculer ceux qui étaient encore résiliant zones. Les tensions communautaires et les exactions commises par les forces de défense et de sécurité drainent de nouveaux adeptes vers les groupes djihadistes/</p>
<h2>Une cible prédéfinie et bien localisée</h2>
<p>Les groupes terroristes au Burkina Faso se caractérisent par la nature de leurs cibles, lesquelles sont clairement identifiées et localisées : tout ce qui est symbole de l’État, les forces de défenses et de sécurité et les autorités coutumières. Ils constituent 75 % à 80 % des cibles de ces attaques.</p>
<p>Ce faisant, les terroristes s’assurent non seulement la sympathie d’une partie de la population, tout en s’érigeant en justiciers venant au secours du peuple opprimé par son propre État prétendument instrumentalisé par les puissances occidentales.</p>
<p>C’est, en tout cas, ce type de messages qu’ils véhiculent pour justifier le fait de s’en prendre aux symboles de l’État.</p>
<h2>Qui sont ces groupes ?</h2>
<p>Deux grands groupes sont clairement identifiés : le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) et l’État islamique au Grand Sahara (EIGS). Autour d’eux gravitent des petits groupes plus ou moins structurés.Ils ne constituent pas un front uni mais forment une alliance de circonstance.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-sexpliquent-les-attaques-contre-la-communaute-chretienne-au-burkina-faso-118751">Comment s’expliquent les attaques contre la communauté chrétienne au Burkina Faso ?</a>
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<p>Dans le nord du Burkina, le GSIM agit avec comme un mode opératoire bien défini : enlèvements, attaques contre les symboles de l’État et pose d’IED. Il est le chef de file de ces groupes dans la zone et autour de lui gravite Ansarul Islam (du moins, ce qui reste de ce groupe <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/12/21/jafar-dicko-le-nouveau-visage-du-djihadisme-au-burkina-faso_5232877_3212.html">après le décès de Malam Dicko</a>) et des groupuscules de trafiquants et criminels.</p>
<p>Ces petits groupes locaux mènent leurs activités criminelles sous la protection du GSIM et surtout avec son appui logistique et technique. En contrepartie, ils contribuent à déstabiliser la région par leurs attaques et les enlèvements.</p>
<p>À l’Est opère l’État islamique au Grand Sahara (EIGS) qui mènent des attaques complexes et très violentes. Celui-ci est bien implanté dans le septentrion de la région de l’Est, à cheval entre le Niger et le Burkina. Il contrôle la presque totalité des sites d’or de la zone.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/291145/original/file-20190905-175710-tsu1sy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/291145/original/file-20190905-175710-tsu1sy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/291145/original/file-20190905-175710-tsu1sy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/291145/original/file-20190905-175710-tsu1sy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=424&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/291145/original/file-20190905-175710-tsu1sy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/291145/original/file-20190905-175710-tsu1sy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/291145/original/file-20190905-175710-tsu1sy.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=533&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le niveau de sécurité dans la région est.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DR</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>L’EIGS est aussi le chef de file des groupes terroristes alliés dans cette région, des groupes locaux qui se sont réparti les zones d’action dans la région de l’Est en fonction des objectifs ou des intérêts qu’ils poursuivent. L’EIGS leur apporte, lui aussi, une assistance technique et logistique et tente de coordonner leurs actions.</p>
<h2>Quel pourrait être leur agenda ?</h2>
<p>Au regard de leurs modes opératoires, de leurs cibles, et de la stratégie qu’ils mettent en place pour atteindre leurs objectifs, nous pouvons émettre plusieurs hypothèses quant à leur agenda :</p>
<ul>
<li><p>Agenda militaire et géographique : ces groupes hétérogènes, bien structurés, se répartissent les tâches et les zones – ce qui les rend plus fluides et difficilement localisables. Cette stratégie leur permet de mettre à rude épreuve les armées régulières, puisqu’ils élargissent au maximum le front du combat.</p></li>
<li><p>Agenda économique : créer un couloir pour fluidifier et alimenter l’économie grise au sahel et dans le Sahara.</p></li>
<li><p>Agenda politique : exacerbation des tensions communautaires, harcèlement et déstabilisation de l’État.</p></li>
</ul>
<p>Mais ces groupes terroristes ne sont pas les seuls à remettre en cause l’État et son autorité, il convient aussi de mentionner les groupes d’autodéfense.</p>
<h2>Les groupes d’autodéfense : une boîte de Pandore</h2>
<p>À l’est, au centre, sur le plateau central et dans la région du centre-nord, on peut mesurer l’influence grandissante des groupes d’autodéfense liée à l’affaiblissement de l’État. Cette situation a notamment permis la montée en puissance <a href="http://www.rfi.fr/hebdo/20160318-burkina-faso-koglweogo-milices-populaires-associations">des koglweogos</a>.</p>
<p>Leur attitude laisse à penser qu’ils concurrencent et même parfois remplacent l’État dans son rôle régalien d’assurer la sécurité des populations. Cet état de fait a eu, là encore, pour conséquence de faciliter l’installation des groupes terroristes dans certaines régions, tout en radicalisant d’autres groupes d’autodéfense locaux dont le niveau de violence augmente de manière inhabituelle. Un contrôle de tous ces groupes d’autodéfense s’impose urgemment afin de prévenir les conflits communautaires, alors que la campagne des législatives et de la présidentielle s’annonce.</p>
<p>Au regard de la dégradation continue de la situation sécuritaire, et après bientôt plus de quatre années de lutte et de réaction militaire face à une menace sans cesse mouvante, n’est-il pas temps de réadapter la lutte face à cette menace ? La lutte militaire est-elle un combat incompatible avec le dialogue ? Ou est-il possible d’agir en parallèle sur ces deux fronts ? Si l’option militaire est parfois nécessaire, elle ne suffira pas, à elle seule, à vaincre le terrorisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/122566/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mahamoudou Savadogo ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La réponse paraît inadaptée devant un ennemi qui semble avoir chaque fois en avance et disposer d’une capacité d’anticipation sur les stratégies de mise en place par l’État.Mahamoudou Savadogo, Chercheur sur les questions de l'extrémisme violent, Université Gaston BergerLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1163232019-05-05T19:45:05Z2019-05-05T19:45:05ZAfghanistan : peut-on faire la paix avec les talibans ?<p>Nouveau <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/08/donald-trump-annonce-la-fin-des-negociations-de-paix-engagees-en-afghanistan_5507827_3210.html">coup de théâtre ce week-end</a> de la part du président américain. Contre toute attente, ce dernier a annulé une rencontre secrète avec les talibans, prévue ce dimanche aux États-Unis, à Camp David (Maryland) en présence de représentants politiques afghans. L'objectif était de concrétiser le processus de paix en Afghanistan, engagé dans un conflit depuis dix-huit. </p>
<p>Le tweet de Donald Trump, envoyé samedi soir, dénonce une énième attaque meurtrière à Kaboul à la veille de ces pourparlers, remettant en cause la sincérité des talibans à vouloir aboutir le processus de paix.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1170469618177236992"}"></div></p>
<p>Quiconque a en tête l’image la plus répandue des talibans, bien peu flatteuse, peut être en effet amené à se demander si on peut vraiment faire la paix avec eux, si leur idéologie radicale et fondamentaliste ne les amènera pas à jouer un « double jeu ».</p>
<p>Mais pour répondre à cette question, il faut d’abord savoir de qui on parle, quand on évoque les talibans aujourd’hui.</p>
<h2>Évolution idéologique des talibans</h2>
<p>Nous savons, aujourd’hui, qu’une partie de nos certitudes à propos des talibans sont en fait erronées ou plus vraiment d’actualité.</p>
<p>Ainsi, quand on pense aux talibans des années 1990, on imagine d’abord des déracinés, issus des écoles religieuses situées à la frontière afghano-pakistanaise, et surtout des camps de réfugiés afghans au Pakistan. Cela n’a pas vraiment de sens, surtout pour leur leadership, et notamment ceux qui ont exercé des responsabilités militaires dès les années 1990 : il s’agit, le plus souvent, d’hommes qui ont déjà combattu les Soviétiques, donc plus âgés que ceux qui sont nés et ont grandi dans ces camps de réfugiés.</p>
<p>En fait, comme le montrent <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/publication/aan-papers/ideology-in-the-afghan-taliban-a-new-aan-report/">Anand Gopal et Alex Strick van Linschoten</a> dans leur analyse fouillée de l’idéologie des talibans, leur leadership, et l’idéologie qu’ils ont promue, sont d’abord issus de l’environnement rural, villageois, pachtoune en territoire afghan. Il ne s’agit donc pas d’une idéologie étrangère à l’Afghanistan, mais bien au contraire d’une pensée ancrée dans une population bien définie.</p>
<p>Et si leur idéologie fut d’abord fondamentaliste dans les années 1990, elle a évolué dans une certaine mesure : les leaders des talibans ont compris que leur politique passée leur avait aliéné jusqu’à la population pachtoune censée les soutenir, expliquant leur incapacité à résister aux Américains. Peu à peu, l’idéologie des talibans, après 2001, a convergé vers une approche islamiste plus traditionnelle, mettant de côté les éléments les plus rédhibitoires de son fondamentalisme passé.</p>
<h2>Le pragmatisme des talibans face à la société afghane : l’exemple de l’éducation</h2>
<p>Ainsi, loin de rejeter la technologie, ils l’utilisent pleinement pour leur propagande. Et plutôt que de s’opposer systématiquement à l’éducation d’État, notamment des filles, ils préfèrent la contrôler. En effet, au lieu d’attaquer les écoles financées par Kaboul, ils les <a href="https://foreignpolicy.com/2018/09/12/the-talibans-fight-for-hearts-and-minds-aghanistan/">cooptent</a>, assurant leur protection, surtout en milieu rural, où les forces de sécurité pro-gouvernementales ne sont pas assez fortes pour s’opposer à eux.</p>
<p>Mieux, ils sont responsables de la sélection des enseignants, et ils s’assurent que ces derniers ne se contentent pas de recevoir leurs salaires sans venir assurer les cours… Le but des talibans est de montrer à la population qu’ils sont plus qu’une rébellion, qu’ils sont prêts à gouverner et à le faire efficacement.</p>
<p>Certes, comme on peut le voir sur la question de l’éducation des filles, on voit bien que la vision du monde des talibans n’a pas totalement changé sur tous les sujets. Ils imposent la séparation des sexes à la puberté, avec bien sûr un besoin d’enseignantes femmes. Or il y a moins d’écoles de garçons que d’écoles pour filles, et seuls 20 % du corps enseignant est composé de femmes : les talibans peuvent donc s’appuyer sur les <a href="https://www.hrw.org/news/2017/10/17/afghanistan-girls-struggle-education">insuffisances</a> du gouvernement afghan et de ses soutiens occidentaux (qui ont abusivement présenté l’éducation des filles comme un succès) pour se dédouaner des limites imposées à l’éducation des filles.</p>
<p>Par ailleurs, il ne faut pas oublier que l’Afghanistan est un pays où jusqu’à un <a href="https://www.hrw.org/news/2017/04/20/will-afghanistan-follow-through-promise-end-child-marriage">tiers</a> des jeunes filles sont mariées avant 18 ans. Si sur ce sujet, les talibans n’ont que peu évolué, ils sont, hélas, le reflet d’une société… et de l’insuffisance des soutiens de Kaboul qui ont, sur l’éducation des filles comme sur bien d’autres sujets, clamé victoire un peu trop vite.</p>
<h2>Les talibans, porte-drapeaux d’un islamo-nationalisme pachtoune</h2>
<p>En revanche, fait particulièrement marquant, la haine des chiites qui tissait, dans les années 1990, un lien fort entre les plus radicaux des fondamentalistes afghans et les djihadistes étrangers, s’estompe : les talibans n’hésitent plus à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/didier-chaudet/iran-chiites-afghans-talibans_b_7627792.html">coopérer avec les chiites</a>, alors que cette hostilité est toujours d’actualité vis-à-vis de Daech.</p>
<p>En fait, le discours islamiste mis en avant par les talibans s’apparente principalement à un nationalisme utilisant le vocabulaire religieux, l’islam étant fondamentalement associé à l’identité afghane : les questions de l’indépendance nationale et du rejet de la présence étrangère dominent leurs propos aujourd’hui.</p>
<p>Mais ce nationalisme, s’il essaye de parler à tous les Afghans, et s’il réussit à recruter <a href="https://www.afghanistan-analysts.org/the-non-pashtun-taleban-of-the-north-a-case-study-from-badakhshan/">localement</a> des non-Pachtounes, reste d’abord profondément ethnique, et associé à la défense des <a href="https://nationalinterest.org/feature/taliban-and-changing-nature-pashtun-nationalism-41182">intérêts strictement pachtounes</a>. En cela, il demeure dans la continuité de l’Histoire récente, le phénomène des talibans ayant en partie émergé par réaction à la montée en puissance des Tadjiks après la guerre contre les Soviétiques.</p>
<h2>Une force incontestable, ancrée dans l’Afghanistan rural</h2>
<p>La rébellion, qui discute actuellement avec les Américains, est incontestablement en position de force aujourd’hui : comme souvent dans ce type de guerre, on ne cherche pas la paix parce qu’on « fait confiance » à l’ennemi, mais plutôt parce qu’on a été incapable de l’écraser militairement. En <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-42863116">2017</a>, les talibans étaient déjà présents sur 70 % du territoire afghan. Après 17 ans de combats, le gouvernement légal de Kaboul ne contrôle donc réellement que 30 % du pays. De fait, l’Afghanistan rural a été perdu.</p>
<p>La capacité de recrutement des rebelles est réelle, preuve que leurs idées attirent certains Afghans. Les Américains n’évoquaient qu’un millier de talibans en 2004, l’universitaire Antonio Giustozzi a avancé le chiffre de 17 000 pour 2006, et en 2018 on compte de <a href="https://www.pressreader.com/france/diplomatie/20181101/281582356645352">60 000 à 77 000 combattants</a> dans leurs rangs.</p>
<p>Ce recrutement n’est pas forcément dû à une forme d’adhésion idéologique : il est souvent motivé par une réaction de révolte face à des injustices ou des tensions politiques locales, d’abord associées à la corruption et à la guerre elle-même, avec les violences et les « dommages collatéraux » qu’elle implique.</p>
<p>Or ce type de souffrances touche de façon disproportionnée l’<a href="https://www.trtworld.com/opinion/let-s-face-the-truth-rural-afghanistan-has-been-lost-25853">Afghanistan rural</a>, notamment dans le sud, dominé par l’ethnie pachtoune. Cet Afghanistan rural n’a que très peu bénéficié des avancées sociales et économiques mises en avant par une partie de l’Afghanistan des villes, et est historiquement conservateur et patriote. C’est ce même Afghanistan rural qui s’est opposé aux Anglais au XIX<sup>e</sup> siècle, mais aussi aux réformes inspirées de l’Occident voulues par le roi Amanullah Khan (qui perdra son trône en 1929).</p>
<h2>Une religiosité conservatrice compatible avec le mouvement taliban</h2>
<p>D’un point de vue idéologique, à l’instar de leur vision de l’éducation, les talibans, loin d’être une minorité hors sol, représentent une façon de voir qu’on retrouve largement dans la société afghane. Le caractère très conservateur des prêches dans certaines mosquées sunnites en Afghanistan, même à Kaboul, peut certes prendre par surprise l’analyste habitué à ne voir le pays qu’avec les lunettes des ambassades étrangères et des élites libérales.</p>
<p>Or si l’Afghanistan, en mai 2011, comptait 3 325 mosquées « officielles », il existait pas moins de <a href="https://ctc.usma.edu/radicalization-processes-in-afghanistan/">60 000 lieux de culte</a> non-enregistrés auprès des autorités, avec toutes les dérives que cela implique. Quiconque a passé du temps en Afghanistan ne peut que constater l’importance de ces mosquées de quartier dans la vie quotidienne de la population.</p>
<p>Elles ne prônent pas forcément un islamisme radical, bien entendu. Mais elles sont souvent très conservatrices, au point d’être compatibles avec la logique des talibans. Et cette religiosité conservatrice n’hésite pas à s’immiscer dans le débat public : ainsi <a href="https://gandhara.rferl.org/a/afghanistan-in-push-for-afghan-peace-society-weighs-tradition-and-modernity/29898990.html">récemment</a> à Hérat, quand les autorités religieuses ont réussi à interdire les concerts en plein air et la Saint-Valentin.</p>
<p>Les talibans représentent donc une force politique et militaire locale, enracinée notamment dans un Afghanistan qu’on connaît peu : l’Afghanistan rural, conservateur, principalement en zone pachtoune, et non pas celui des villes et encore moins des élites anglophones.</p>
<h2>Peut-on leur faire confiance ?</h2>
<p>Quand on sait qui ils sont véritablement, la question de savoir si l’on peut faire confiance aux talibans devient à la fois plus simple et plus complexe. Plus simple, car comment faire autrement que d’accepter de parler à une rébellion qui représente une partie non négligeable de l’Afghanistan ? Plus complexe, car du fait de leur force, mais aussi de leurs divisions internes, leur volonté d’ouverture et de dialogue pourrait être limitée dans le temps, du moins si ce dialogue n’entraîne pas des résultats concrets.</p>
<p>En effet, cette force n’est pas aussi unie qu’on pourrait le penser. Son leadership est associé à la « choura » (conseil consultatif) de Quetta, dirigée d’abord par le mollah Omar, et aujourd’hui par le mollah Haibatullah Akhundzada. Mais il existe d’autres chouras, qui n’acceptent <a href="https://www.pressreader.com/france/diplomatie/20181101/281582356645352">pas toujours</a> le leadership actuel. Alors que le mouvement des talibans s’est idéologiquement construit d’abord sur l’obéissance absolue au leader, depuis la confirmation de la mort du mollah Omar (décédé le <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-47519157">23 avril 2013</a> en Afghanistan), il est devenu plus difficile de maintenir l’unité du mouvement.</p>
<p>Par ailleurs, les talibans vont devoir donner des gages assurant que l’Afghanistan ne redeviendra pas un refuge pour djihadistes après le retrait définitif des militaires américains (<a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-47860816">14 000</a> encore présents sur place). Or des commandants rebelles considèrent certains djihadistes étrangers, tels les Ouzbeks de l’Union du djihad islamique (UDI), comme <a href="https://www.longwarjournal.org/archives/2018/04/islamic-jihad-union-conducts-joint-raid-with-the-taliban.php">des compagnons d’armes</a>.</p>
<p><a href="https://www.longwarjournal.org/archives/2019/03/un-al-qaeda-continues-to-view-afghanistan-as-a-safe-haven.php">Un rapport de l’ONU</a>, datant de janvier 2019, met en avant le danger que représente, notamment pour l’Asie centrale (et le Tadjikistan en particulier), la présence d’environ 500 combattants étrangers, placés sous l’autorité des talibans (et fonctionnant grâce à un financement d’Al Qaïda, semble-t-il) en ce moment, dans le <a href="https://www.google.com/maps/place/Badakhshan,+Afghanistan/@36.94676,70.1947248,7z/data=!3m1!4b1!4m5!3m4!1s0x38c4231357c720dd:0xc17ecd087c7ffe57!8m2!3d36.7347725!4d70.8119953">Badakhshan</a>, dans le nord-est de l’Afghanistan.</p>
<p>L’emploi de ces combattants étrangers est potentiellement dangereux pour l’environnement régional. S’ils veulent voir satisfaite leur principale revendication – le départ des militaires étrangers de leur pays –, les talibans vont donc devoir donner des assurances sur ce sujet.</p>
<h2>L’impact de l’État islamique</h2>
<p>Pourtant, depuis plusieurs années, une <a href="https://www.huffingtonpost.fr/didier-chaudet/chine-russie-iran-pakistan-daccord-sur-le-dossier-afghan_a_21629245/">conviction</a> semble dominer dans les pays voisins de l’Afghanistan : le dialogue avec les talibans est d’autant plus envisageable que ces derniers doivent gérer la compétition avec Daech en Afghanistan.</p>
<p>De fait, les talibans <a href="https://taskandpurpose.com/isis-taliban-afghanistan">sont déjà très actifs</a> dans la lutte contre l’État islamique, et passent même parfois pour être la force la <a href="https://www.nytimes.com/2018/08/04/world/asia/islamic-state-prisoners-afghanistan.html">plus efficace</a> pour tenter de liquider ce danger djihadiste.</p>
<p>Toutefois, si le dialogue avec les Américains (puis l’éventuel processus de paix inter-afghan) ne leur semble pas satisfaisant, <a href="https://worldview.stratfor.com/article/afghanistan-divided-taliban-poses-obstacle-peace">certaines forces</a> à l’intérieur de la rébellion afghane pourraient être tentées de s’émanciper. Et les plus radicales, ou les plus ambitieuses, pourraient se laisser séduire par l’<a href="https://www.theguardian.com/world/2015/may/07/taliban-young-recruits-isis-afghanistan-jihadis-islamic-state">alternative</a> que représente la <a href="https://www.mei.edu/publications/peace-taliban-could-stem-isis-growth-afghanistan"><em>Wilayat Khorasan</em></a> (Daech en Afghanistan).</p>
<h2>La voie de la paix, un pari de plus en plus accepté… pour l’instant</h2>
<p>Une chose est sûre : l’approche militaire n’a pas liquidé la rébellion, et les Américains comme leurs alliés ne peuvent considérer le conflit afghan comme leur unique priorité sécuritaire. Dans une telle situation, le dialogue apparaît comme la seule voie de bon sens.</p>
<p>Point rassurant pour les partisans du dialogue entre Américains et talibans, le discours tenu par les rebelles est désormais constant, dans leurs prises de parole officielles comme dans leur <a href="https://thediplomat.com/2017/01/the-rise-of-taliban-diplomacy/">diplomatie régionale</a> : volonté de paix affirmée avec tous les voisins, assurance donnée par leurs représentants que le territoire ne servira pas de base pour des groupes terroristes souhaitant frapper la région et affirmation très claire que le but de la rébellion n’est pas d’accaparer tout le pouvoir local.</p>
<p>Certains de leurs anciens ennemis jurés, telle la <a href="https://asialyst.com/fr/2018/02/22/afghanistan-pourquoi-russie-joue-taliban-contre-Daech/">Russie</a> ou l’<a href="https://www.reuters.com/article/us-iran-afghanistan-taliban/iran-in-talks-with-afghan-taliban-iranian-state-media-report-idUSKCN1OP0O6">Iran</a> ainsi que des personnalités politiques afghanes comme l’ancien Président <a href="https://www.rferl.org/a/afghan-taliban-moscow-talks/29751787.html">Hamid Karzai</a>, ont ainsi accepté de dialoguer avec eux.</p>
<p>Du côté des talibans, s’ils sont assez robustes pour résister sur le champ de bataille depuis plusieurs années, ces années de combat leur ont également prouvé qu’ils ne pourraient pas prendre Kaboul par la force, et encore moins se débarrasser de la présence occidentale par la violence. S’ils sont assez forts pour être incontournables, ils demeurent trop faibles pour pouvoir s’imposer.</p>
<p>Le dialogue est donc possible. Du point de vue des talibans, c’est sans doute la meilleure option. Il en va de même pour les Américains et leurs alliés s’ils souhaitent que la guerre en Afghanistan ait bel et bien une fin. Mais s’il traîne en longueur, ce dialogue pourrait vite faire naître des frustrations de part et d’autre, et ne devenir qu’un mirage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/116323/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Didier Chaudet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Loin d’être une force extérieure ou marginale, les talibans sont une force politique et militaire bien enracinée, notamment dans l’Afghanistan rural, conservateur, principalement en zone pachtoune.Didier Chaudet, Attaché scientifique, Institut français d'études sur l'Asie centraleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1155992019-04-22T20:42:55Z2019-04-22T20:42:55ZComment les sociétés tolérantes se laissent porter par la haine<p>L'attentat xénophobe qui s'est déroulé à Hanau, près de Francfort, le 19 février 2020 et a fait neuf morts dans un bar à chicha <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/20/allemagne-au-moins-huit-morts-dans-deux-fusillades-a-hanau_6030139_3210.html">lors d'une fusillade</a>, a plongé l'Allemagne dans <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/21/a-hanau-l-horreur-l-incomprehension-et-la-colere_6030286_3210.html">la stupeur et la colère</a>.</p>
<p>«<a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/allemagne/le-racisme-est-un-poison-le-spectre-neonazi-inquiete-en-allemagne_3835369.html">Le racisme est un poison</a>» a ainsi martelé la chancelière Angela Merkel le lendemain de l'attaque.</p>
<p>Ces événements sont alarmants car ils s'inscrivent dans une montée en puissance de la haine au niveau sociétal, un phénomène déjà disséqué il y a une décennie par le réalisateur autrichien Michael Haneke dans son film <a href="https://www.theguardian.com/film/2009/nov/12/the-white-ribbon-review"><em>Le Ruban blanc</em></a>.</p>
<p>L’action se déroule à l’été 1914 dans un petit village protestant du nord de l’Allemagne, au moment où une série d’événements violents et mystérieux, dont des actes de vandalisme, des incendies volontaires et des passages à tabac, vient troubler le calme qui y régnait.</p>
<p>Des enfants du village sont suspectés d’être les coupables, mais les crimes restent malgré tout non élucidés par la communauté et, par conséquent, impunis. À la fin du film, la nouvelle de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche et de l’éclatement du conflit qui lancera la Première Guerre mondiale s’abat sur les villageois.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du <em>Ruban blanc</em> (Michael Haneke, 2009).</span></figcaption>
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<p>Pourquoi <em>Le Ruban blanc</em> est-il aussi pertinent aujourd’hui ? À travers une métaphore bien ficelée, le film décortique la montée de l’intolérance en l’espace d’une génération. Un quart de siècle plus tard, la génération constituée par les résidents du village constituera en effet le noyau dur du Troisième Reich, comme le décrit Daniel Jonah Goldhagen dans <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/les-bourreaux-volontaires-de-hitler-les-allemands-ordinaires-et-l-holocauste-daniel-jonah-goldhagen/9782020289825"><em>Les Bourreaux volontaires de Hitler</em></a> (1997).</p>
<p>De la même manière, le précédent polar du réalisateur, <em>Caché</em> (2005), portait en réalité sur la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09639489.2011.588792">colonisation française de l’Algérie</a>. À la sortie du film, un critique du <a href="https://www.lemonde.fr/cinema/article/2005/10/04/cache-les-racines-historiques-de-la-barbarie_695624_3476.html"><em>Monde</em></a> notait :</p>
<blockquote>
<p>« Haneke semble dépeindre un monde civilisé qui aurait expulsé toute barbarie, mais ce qui s’affirme vraiment dans son cinéma, c’est que l’éradication de celle-ci, utopie avouée ou non de la société contemporaine occidentale, pourrait n’être qu’une autre manière de la faire revenir. »</p>
</blockquote>
<p>Depuis le 11-Septembre, les sociétés du monde entier sont de plus en plus gagnées par l’intolérance. Pareille introspection est donc nécessaire.</p>
<p>A quoi peut-on attribuer la radicalisation non pas d’un seul groupe mais d’une société tout entière ? De quelle manière et à quel moment une communauté auparavant tolérante et civilisée dérive-t-elle vers des formes d’interaction – entre ses citoyens et avec les personnes extérieures – qu’on pourrait qualifier d’extrémistes ? Que faire quand on assiste à la lente <a href="https://www.letemps.ch/opinions/retour-racisme">prolifération et acceptation de la haine</a> ?</p>
<p>Comme le montre l’allégorie de Michael Haneke, une telle transformation peut survenir en une seule génération. Elle est surtout encouragée par l’effondrement du système éducatif, le détournement du savoir et, ce qui est plus problématique, la passivité politique et éthique.</p>
<h2>Une chasse aux sorcières d’un type nouveau</h2>
<p>Le caractère inédit du 11-Septembre dans les relations internationales a parfois été exagéré, mais l’événement n’en reste pas moins à l’origine de la phase actuelle ou se jouent ces dynamiques.</p>
<p>Comme l’ont démontré de manière saisissante les violations des droits humains commises dans les prisons d’Abou Ghraib et de Guantanamo et la <a href="http://nymag.com/intelligencer/2016/03/poll-majority-of-americans-okay-with-torture.html">justification de la torture</a>, le 11-Septembre a eu pour effet d’introduire les principaux éléments de cette nouvelle socialisation en devenir, a savoir la <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-new-american-militarism-9780199931767">militarisation des affaires internationales</a>, la <a href="https://nyupress.org/9781479876594/the-securitization-of-society/">sur-sécurisation de la société</a>, les <a href="https://www.penguin.com.au/books/rogue-justice-9780804138239">violations de l’État de droit</a>, la <a href="https://www.plutobooks.com/9780745337166/the-islamophobia-industry-second-edition/">normalisation des discours et des pratiques discriminatoires</a> et la surveillance généralisée.</p>
<p>Avec le temps a déferlé une vague de <a href="https://jhupbooks.press.jhu.edu/title/authoritarianism-goes-global">néo-autoritarisme</a>, assurée par la monétisation de la démocratie, comme l’explique Jane Mayer dans <a href="https://www.penguinrandomhouse.com/books/215462/dark-money-by-jane-mayer/9780307947901/"><em>Dark Money</em></a>, ouvrage qui expose en détail la manière dont certains milliardaires ont injecté de l’argent dans l’extrême-droite américaine.</p>
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<figcaption><span class="caption"><em>The Secrets of Abu Ghraib</em>, CBS (2009).</span></figcaption>
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<p>Le terrorisme transnational létal d’<a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/distributed/T/bo27405381.html">Al-Qaïda et de l’État islamique</a>, mais aussi, paradoxalement, l’horizon mental de recherches en sciences sociales presque exclusivement concentrées sur la violence des groupes armés islamistes ont permis le développement de politiques publiques répressives, ainsi que la poussée d’un populisme d’un genre nouveau, adepte de la chasse aux sorcières, chasse devenue de plus en plus acceptable sur le plan politique. On remarque moins ces aspects car, dans les faits, ils sont largement répandues et problématiques, et donc plus difficiles à repérer.</p>
<h2>La normalisation des propos haineux</h2>
<p>Dans un tel contexte, la quasi-normalisation des discours haineux a <a href="https://www.washingtonpost.com/national/in-the-united-states-right-wing-violence-is-on-the-rise/2018/11/25/61f7f24a-deb4-11e8-85df-7a6b4d25cfbb_story.html">fait augmenter l’extrémisme de certains groupes</a>, tant et si bien que les militants antiracistes se retrouvent sur la défensive, tandis que les propos haineux sont désormais simplement considérés comme « l’expression d’une opinion différente ».</p>
<p>Le 27 janvier 2017, sept jours seulement après le début de sa présidence et, symbole fort, à l’occasion de la Journée internationale dédiée aux victimes de l’Holocauste, Donald Trump a signé le <a href="https://www.whitehouse.gov/presidential-actions/executive-order-protecting-nation-foreign-terrorist-entry-united-states/">décret présidentiel 13769</a>. Couramment appelée le « Muslim Ban », cette loi a officiellement introduit une discrimination à l’encontre de certains individus du fait de leur religion, une interprétation validée par la Cour suprême des États-Unis.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/269601/original/file-20190416-147522-q69wb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/269601/original/file-20190416-147522-q69wb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/269601/original/file-20190416-147522-q69wb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/269601/original/file-20190416-147522-q69wb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/269601/original/file-20190416-147522-q69wb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/269601/original/file-20190416-147522-q69wb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/269601/original/file-20190416-147522-q69wb6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Manifestation contre le « Muslim Ban » à Minneapolis, États-Unis, le 31 janvier 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/fibonacciblue/32600494826">Fibonacci Blue/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Aussi, les extrémistes se sont alors habilement engouffrés dans la brèche pour diffuser plus largement leurs idées. Les néo-nazis et les militants du Ku Klux Klan se sont rassemblés à Charlottesville, en Virginie, au mois d’août de la même année, pour promouvoir ouvertement la suprématie d’une pseudo-race blanche. Quand un de ces nationalistes a foncé dans un groupe de contre-manifestants avec sa voiture, tuant une femme, le Président américain n’a pas parlé de terrorisme et a estimé qu’il y avait <a href="https://www.nytimes.com/2017/08/15/us/politics/trump-charlottesville-white-nationalists.html">« des gens très bien des deux côtés »</a>.</p>
<p>Plus que jamais, en particulier dans les sociétés occidentales, les idées de l’extrême-droite trouvent un écho très large, notamment sur les questions d’identité, de culture et de religion. Cette tendance toxique se manifeste aussi dans certaines sociétés non-occidentales, comme en <a href="https://theconversation.com/kashmir-india-and-pakistans-escalating-conflict-will-benefit-narendra-modi-ahead-of-elections-112570">Inde</a>, au <a href="https://theconversation.com/rightist-bolsonaro-takes-office-in-brazil-promising-populist-change-to-angry-voters-106303">Brésil</a> et en <a href="https://theconversation.com/israel-how-benny-gantzs-campaign-has-turned-state-violence-and-dead-palestinians-into-political-capital-113145">Israël</a>.</p>
<p>Paradoxalement, dans les années 2010, l’idéologie intolérante et antidémocratique des groupes violents qui ont pris l’Occident pour cible dans les années 2000 est devenue courante dans ce même monde occidental. Le racisme y est désormais reproduit en son sein, à des niveaux élevés. Ces points de vue racistes génèrent à leur tour un terrorisme d’extrême-droite, à l’instar du récent massacre dans deux mosquées de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, en mars 2019, qui a fait une cinquantaine de victimes.</p>
<p>Ceci, alors même que ces sociétés tolèrent nonchalamment de telles idées en leur sein tout en dénonçant l’extrémisme violent des autres, <a href="https://edition.cnn.com/2019/03/27/europe/paris-fake-kidnapping-scli-intl/index.html">leur propre radicalisation leur échappe</a>.</p>
<h2>Italie, Allemagne, États-Unis et France</h2>
<p>L’Italie, l’Allemagne, les États-Unis et la France sont parmi les principaux précurseurs de cette nouvelle phase inquiétante. Célébrée par le <a href="https://www.newyorker.com/news/news-desk/what-a-white-supremacist-told-me-after-donald-trump-was-elected">Ku Klux Klan</a>, l’élection de Donald Trump n’a pas tant initié cette tendance que dévoilé au grand jour des dystrophies en cours depuis quinze ans.</p>
<p>Le racisme est le plus visible de toutes celles-ci. Il prend la forme de l’islamophobie, du racisme anti-noir et anti-latino, ou encore de l’antisémitisme, et se développe parmi les citoyens qui disent <a href="http://time.com/5388356/our-racist-soul/">« ne pas être gênés par le racisme »</a>. Pour autant, le terme « extrémisme » est rarement utilisé dans ce contexte, étant avant tout réservé à l’islamisme radical.</p>
<p>En France, le malaise socio-économique de ces dernières années a donné naissance au mouvement des <a href="https://theconversation.com/why-frances-gilets-jaunes-protesters-are-so-angry-108100">« gilets jaunes »</a>. Bien que les tendances d’extrême-droite de ce mouvement soient <a href="https://newrepublic.com/article/152853/ugly-illiberal-anti-semitic-heart-yellow-vest-movement">tangibles</a>, il est généralement décrit comme un mouvement citoyen, composé de personnes ordinaires, non politisées, menacées par la mondialisation, dont la violence devrait donc pour certains observateurs être <a href="https://www.versobooks.com/blogs/4242-understanding-the-gilets-jaunes">« compréhensible »</a>.</p>
<p>De façon plus globale, l’offensive haineuse lancée par des dirigeants ouvertement racistes – Viktor Orbán en Hongrie, Rodrigo Duterte aux Philippines ou Jair Bolsonaro au Brésil – n’a eu d’égal que la tiédeur des réactions face aux idées apparues dans ce courant dominant d’intolérance à l’échelle du globe.</p>
<h2>Signes inquiétants</h2>
<p>Cette tendance des années 2010 laisse présager que la radicalisation des sociétés risque de se consolider dans les années 2020.</p>
<p>La montée du <a href="https://www.washingtonpost.com/national/in-the-united-states-right-wing-violence-is-on-the-rise/2018/11/25/61f7f24a-deb4-11e8-85df-7a6b4d25cfbb_story.html?utm_term=.64aeb5f95e7a">terrorisme d’extrême-droite</a>, la prolifération des <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/feb/28/italys-intelligence-agency-warns-of-rise-in-racist-attacks">attaques contre les migrants</a>, la nouvelle définition du populisme comme l’expression anodine d’un anti-élitisme, la <a href="https://www.aljazeera.com/news/2019/03/italy-bannon-backed-populists-academy-draws-criticism-190303111226073.html">réécriture des manuels et des programmes scolaires</a> et, bien sûr, la réutilisation de vieilles techniques telles que la <a href="https://foreignpolicy.com/2019/02/27/according-to-italys-leaders-rap-music-is-un-italian-sanremo-mahmood-m5s-salvini-di-maio-league/">criminalisation de formes artistiques comme le rap</a> témoignent de la progression sans entraves du climat actuel d’animosité dans le monde entier.</p>
<p>Exactement comme un siècle auparavant.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Laure Motet pour <a href="http://www.fastforword.fr/">Fast for Word</a>.</em></p>
<hr>
<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 23 et 24 septembre 2022 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/115599/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Assisterions-nous à la lente prolifération et acceptation de la haine ? Celle-ci est encouragée par l'effondrement du système éducatif, le détournement du savoir et la passivité politique et éthique.Mohammad-Mahmoud Ould Mohamedou, Professor of International History, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1122742019-02-22T08:44:04Z2019-02-22T08:44:04ZAu Mozambique, une insurrection mystérieuse et meurtrière<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/260265/original/file-20190221-195867-an1tfs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C1%2C1019%2C682&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La province du Cabo Delgado au Mozambique, un terrain fertile pour l’extrémisme. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/fhmira/3911465523/in/photolist-6XDhqK-kA5Px5-kA41NM-hFr6qH-2azXU3L-9EyYTa-7UGkUP-2dDPQ5x-R6r1u3-bUL1S2-bX7m9s-U53Wns-chJwD7-dDc5Jh-d8L4q1-bYy6Gd-GJTNE6-bCBz8A-dzGF9W-iGLH8T-bVfGD7-bXaa11-2azXTXL-c1dDt1-ULqoY7-AUL1x2-Pt59xT-c4Q72C-chJCLu-dym4nL-drDx63-Vi6dCA-HfqH2M-oc7qGr-U58iH5-ekDicN-dDntDr-7NWkUb-dzsBHU-2dg51Bf-bWw6eX-dAnc4d-dyRDxw-cGhjDA-2e87egZ-dirfuD-VmHumZ-bYDsMs-o8DLSP-dys4u2">Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Depuis près de 17 mois, la province du Cabo Delgado, dans le nord du Mozambique, est prise en otage par des insurgés. Les attaques armées, les décapitations et la destruction sont devenus <a href="https://theconversation.com/mozambiques-own-version-of-boko-haram-is-tightening-its-deadly-grip-98087">monnaie courante</a> et beaucoup craignent que la violence s’intensifie et déstabilise l’économie du pays.</p>
<p>Le problème, c’est que personne ne sait vraiment qui sont les insurgés. Faute de communication de leur part, leurs motivations restent difficiles à cerner.</p>
<p>Les spéculations et les théories du complot vont bon train et nombreux sont ceux – y compris parmi les représentants de l’État et le nouveau président de <a href="https://macua.blogs.com/files/perdiz-n%C2%BA-245.pdf">la Renamo</a>, le parti d’opposition – qui estiment que l’insurrection est la conséquence d’une lutte au sein de l’élite nationale pour le contrôle des richesses pétrolières, gazières et minérales de la province.</p>
<p>Le gouvernement donne peu d’explications, et celles-ci sont souvent contradictoires. Il a par exemple déclaré que les violences étaient commises par <a href="https://clubofmozambique.com/news/no-attacks-in-cabo-delgado-just-crimes-say-police-mozambique">des « criminels » locaux désoeuvrés</a> et que les attaques avaient pour but d’importer le <a href="https://clubofmozambique.com/news/president-nyusi-warns-that-cabo-delgado-terrorists-can-spread-to-other-neighbouring-countries/">djihadisme mondial</a> au Mozambique.</p>
<p>Ce manque d’information et ces incohérences n’aident évidemment pas à comprendre la situation dans la province du Nord et à décider des actions à prendre pour endiguer le problème.</p>
<h2>Les racines de l’insurrection</h2>
<p>La population locale appelle le groupe armé « al-Shabab », ce qui signifie « jeunesse » en arabe et se réfère, bien sûr, au groupe islamiste somalien éponyme (bien qu’il n’existe aucun lien formel entre les deux). Les origines du nouveau groupe remontent aux années 2000, lorsque des jeunes hommes du Conseil islamique ont commencé à prôner une <a href="https://journals.openedition.org/lusotopie/1074#ftn89">nouvelle lecture du Coran et une nouvelle pratique de l’islam</a>.</p>
<p>Dans la province du Cabo Delgado, ils ont créé une sous-organisation légale au sein du Conseil islamique, <a href="https://www.dn.pt/lusa/interior/academico-recomenda-cuidado-ao-governo-para-nao-alienar-apoio-popular-no-norte-de-mocambique-10470432.html">Ansaru Sunna</a>, qui a construit de nouvelles mosquées et prêché une application plus stricte de l’islam dans toute la province. Très vite, Ansaru Sunna a donné naissance à une secte encore plus radicale et militante, que la population locale appelle « al-Shabab ».</p>
<p>Ce groupe, opposé à l’État laïc, s’est d’abord occupé des pratiques et débats religieux. En 2010, les villageois de Nhacole, dans le district de Balama, ont voulu se débarrasser de lui en détruisant la mosquée. Les membres de la secte se sont réfugiés à Mucojo, dans le district de Macomia, et des tensions ont éclaté avec la population et les autorités locales.</p>
<p>La police est intervenue à deux reprises, dont une fois en 2015 après que la secte a tenté, par la force, d’interdire l’alcool dans la ville. L’intervention s’est terminée <a href="http://www.jornaldomingo.co.mz/index.php/reportagem/7791-tumultos-em-pangane-provocam-morte-e-feridos">par la mort d’un policier</a>, poignardé par l’un des membres du groupe.</p>
<h2>Recours aux armes</h2>
<p>Particulièrement inquiètes des actions du groupe, des personnalités et des organisations musulmanes – parmi lesquelles le Conseil islamique, dont « al-Shabab » s’est séparée – ont <a href="https://www.dw.com/pt-002/ataque-em-moc%C3%ADmboa-da-praia-ter%C3%A1-sido-caso-isolado/a-40977442">demandé plusieurs fois au gouvernement d’intervenir</a>.</p>
<p>Fin 2016, le gouvernement a finalement accédé à leur demande et commencé à arrêter et traduire en justice certains leaders dans toute la province. Ceux-ci ont été accusés de désinformation, de rejet de l’autorité de l’État, de refus d’envoyer leurs enfants à l’école et <a href="http://www.magazineindependente.com/www2/detidos-tres-membros-grupo-muculmano-promove-desinformacao-cabo-delgado">d’utilisation de couteaux pour se protéger</a>.</p>
<p>On ne sait pas quand les membres d’« al-Shabab » ont commencé leur entraînement militaire, mais les actions de l’État contre leurs leaders semblent avoir marqué leur passage au conflit armé. <a href="http://opais.sapo.mz/jovens-radicais-sonham-com-califado-em-mocimboa-da-praia-">Leur première attaque</a> a eu lieu en octobre 2017 dans la ville de Mocímboa da Praia et dans les communautés environnantes.</p>
<p>Depuis, les membres de la secte ont établi leur camp dans la forêt d’où ils attaquent des villages isolés. Le nombre d’attaques et leur brutalité n’ont cessé d’augmenter en 2018. L’insurrection s’est davantage organisée et concentrée sur une bande côtière d’environ 150 km, de la capitale de la province de Pemba à la frontière tanzanienne.</p>
<h2>Les graines de la discorde</h2>
<p>Il est clair que l’insurrection s’est construite sur certaines tensions sociales, religieuses et politiques locales. La province du Cabo Delgado est la plus pauvre du Mozambique : le taux de chômage y est élevé, en particulier chez les jeunes, elle est en grande partie rurale et les <a href="https://globalinitiative.net/northern_mozambique_violence/">services publics n’y sont pas efficaces</a>.</p>
<p>Les récentes <a href="https://edition.cnn.com/2017/05/03/africa/mozambique-oil-and-gas-hub/index.html">découvertes de pétrole et de gaz dans la région</a> ont suscité beaucoup d’espoirs, mais les communautés <a href="https://clubofmozambique.com/news/poverty-and-unemployment-fuels-cabo-delgado-insurgency-admits-nyusi-by-joseph-hanlon/">n’en ont tiré que très peu d’avantages</a>, voire aucun, en particulier dans les zones rurales.</p>
<p>Le fait que les musulmans se sentent particulièrement marginalisés dans la province du Cabo Delgado, alors que leurs voisins ethniques ont un accès privilégié au pouvoir politique national <a href="https://journals.openedition.org/lusotopie/1410">depuis l’indépendance</a>, contribue en outre à expliquer l’ascension d’un discours islamiste anti-État.</p>
<p>On a beaucoup parlé des liens du groupe avec la <a href="http://www.verdade.co.mz/nacional/67947-atanasio-mtumuke-reinsiste-que-os-ataques-armados-em-cabo-delgado-tem-mao-externa">Somalie, la République démocratique du Congo et l’Ouganda</a>, mais il a surtout des relations avec la Tanzanie.</p>
<p>Les imams mozambicains se forment en Tanzanie depuis plus d’un siècle et les échanges entre les communautés religieuses des deux côtés de la frontière ont lieu depuis plus longtemps encore. Il n’est donc pas surprenant que l’« al-Shabab » du Mozambique ait noué des liens avec des musulmans aux vues similaires en Tanzanie dans les années 2010.</p>
<p>Lorsque les radicaux tanzaniens <a href="https://www.state.gov/j/ct/rls/crt/2017/282841.htm">sont passés à la violence</a> et que l’État a réagi par la force après 2015, et plus particulièrement au début de 2017, certains ont rejoint « al-Shabab » au Mozambique, ce qui a renforcé et partiellement internationalisé l’insurrection.</p>
<h2>À la recherche de solutions</h2>
<p>Puisque « al-Shabab » au Mozambique n’est pas né d’un complot interne ou externe, l’État doit se concentrer sur les dynamiques sociales, religieuses et politiques en jeu pour contrôler et combattre l’insurrection.</p>
<p>Si l’armée mozambicaine a réussi à contenir l’expansion géographique de la secte armée, le gouvernement doit s’employer avec la même force à se pencher sur les problèmes que rencontre la population, et que les insurgés exploitent.</p>
<p>Le chercheur mozambicain Yussuf Adam <a href="https://pt.euronews.com/2018/10/05/yussuf-adam-nega-jihadismo-nos-ataques-de-cabo-delgado">a avancé une idée intéressante à ce propos</a>. Il fait valoir que l’État devrait organiser des « états généraux » pour identifier les problèmes et élaborer des solutions, depuis la base et de manière inclusive.</p>
<hr>
<p><em>Traduit de l’anglais par Karine Degliame-O’Keeffe pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast for Word</a></em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/112274/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eric Morier-Genoud ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans cette région du Mozambique riche en ressources, les suppositions et les théories du complot abondent au sujet des insurgés qui sèment la violence.Eric Morier-Genoud, Senior Lecturer in African history, Queen's University BelfastLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1095462019-01-09T20:57:13Z2019-01-09T20:57:13ZComment la controverse du temple Sabarimala fait le jeu des nationalistes hindous<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/252884/original/file-20190108-32151-10j5bje.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=16%2C24%2C5447%2C3047&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Pèlerins se rendant au temple de Sabarima, au sud de l'Inde où se déroulent actuellement des affrontements liés à l'entrée de femmes dans l'enceinte sacrée.</span> <span class="attribution"><span class="source">Mathieu Boisvert</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>J’ai visité pour la première fois Sabarimala en janvier 2000. Je voyageais alors dans le sud de l’Inde et rencontrais régulièrement des groupes d’hommes, toutes générations confondues, marchant nus pieds, souvent vêtus de noir et scandant « Swami Ayyapppa saranam ! ».</p>
<p>J’ai donc suivi l’un de ces groupes jusqu’à Sabarimala, le temple principal d’Ayyappa, l’une des divinités les plus vénérées dans cette région située dans la jungle du Kerala à la frontière du Tamil Nadou, au sud de l’Inde.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=434&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252989/original/file-20190109-32142-17fpeu0.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=545&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Situation géographique du temple de Sabarimala.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Google</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le temple n’est ouvert que quelques mois par année, et la saison haute du pèlerinage est en décembre et janvier, culminant le 14 janvier de chaque année. Si les hommes effectuent ce pèlerinage hindou, également effectué par les filles prépubères et les femmes ménopausées, les femmes en état de concevoir en sont en revanche catégoriquement exclues. </p>
<p><a href="https://www.indiatoday.in/india/story/sabarimala-legend-women-lord-ayyappa-1351674-2018-09-28">En effet, selon la légende</a>, afin de vaincre un démon qui menaçait le pays, Vishnu avait pris une apparence féminine, sous la forme de Mohini. En route pour cette confrontation qui rétablirait l’ordre du monde, notre Mohini croisa le dieu Shiva.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=753&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=753&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=753&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252886/original/file-20190108-32145-11nl5ho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Mohini est représentée ici nue, tenant un lotus et un perroquet, symbole de l’érotisme. Les sages la vénèrent, leurs phallus tournés vers elle. Détail en bois sur le site Ayodhyapattinam Sri Rama temple.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Mohini#/media/File:Wood_carving_detail2_-_Vishnu_Mohini.jpg">Balaji Srinivasan/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Un seul regard de celui-ci posé sur la ravissante Mohini, et celle-ci tomba enceinte. De cette chaste union naquit Ayyappa qui fut, par la suite, élevé par un couple humain : nul autre que le roi et la reine du royaume de Pampa, où se situe présentement Sabarimala. Plusieurs années plus tard, Ayyappa se retira dans la jungle pour se dédier à l’ascétisme et au célibat : l’endroit où il établit résidence devint par la suite le fameux temple de Sabarimala. En raison de son vœu de célibat, aucune femme fertile ne peut visiter le temple, de peur de perturber les chastes pratiques de la divinité.</p>
<h2>Des liens intergénérationnels fortifiés via l’exclusion</h2>
<p>J’avais alors trouvé que cette pratique était, paradoxalement une habile façon de fortifier les liens familiaux intergénérationnels. Les groupes sont souvent constitués de membres d’une même famille et d’amis proches de celle-ci, regroupant généralement des « représentants » de générations différentes, du genre : trois frères et deux de leurs amis, deux oncles et trois de leurs amis, et le grand-père. Une préparation de 40 jours est nécessaire, pendant laquelle se conjuguent abstinence sexuelle, abstinence d’alcool et de tabac et, bien entendu, une pratique religieuse plus assidue.</p>
<p>Puis l’on se met en marche, nus pieds, avec une offrande pour Ayyappa qui ne doit jamais toucher le sol lors du périple… Selon le lieu de départ du pèlerinage la route prend plusieurs jours, voire semaines ! Mais aussi, il est possible de « tricher », et de prendre le bus jusqu’à un certain point, de se joindre au flot impressionnant de pèlerins et de compléter le trajet à pied. Peu importe la méthode choisie, ce voyage entre « famille » constituait à mes yeux un rite de cohésion masculin permettant une <a href="http://www.cerias.uqam.ca/IMG/pdf/cv_boisvert-fr_b_.pdf">transmission intergénérationnelle</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/253000/original/file-20190109-32124-190s7jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/253000/original/file-20190109-32124-190s7jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/253000/original/file-20190109-32124-190s7jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/253000/original/file-20190109-32124-190s7jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/253000/original/file-20190109-32124-190s7jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/253000/original/file-20190109-32124-190s7jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/253000/original/file-20190109-32124-190s7jd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les liens intergénérationnels à l’œuvre dans le respect des traditions : les femmes en âge de procréer n’ont pas le droit de se rendre au temple consacré à Ayappa. Février 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/e/e3/Dolly_service_in_Sabarimala.jpg/2048px-Dolly_service_in_Sabarimala.jpg">Praveenp/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Mythe reconstitué et transgressions</h2>
<p>Les pèlerins se rendant au temple de Sabarimala doivent nécessairement effectuer un périple de plusieurs jours pour se rendre à cet endroit difficilement accessible. À la fin de chaque journée de voyage, ils se posent à un bord de route, y établissent campement, ou bien louent une petite chambre d’hôtel, et partagent cet endroit restreint pour la nuit. Une grande promiscuité est présente.</p>
<p>Comme la pratique du pèlerinage remet en scène bien souvent le <a href="http://www.editionsliber.com/catalogue.php?p=289">mythe qui lui donne sens</a>, pourrait-on se demander ici s’il n’y aurait pas un lien à effectuer entre l’aventure érotique de nos deux divinités mâles (Shiva et Visnu, bien que ce dernier ait temporairement adopté une apparence féminine), et nos pèlerins cheminant vers le temple ?</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252996/original/file-20190109-32124-qku8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252996/original/file-20190109-32124-qku8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252996/original/file-20190109-32124-qku8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252996/original/file-20190109-32124-qku8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252996/original/file-20190109-32124-qku8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252996/original/file-20190109-32124-qku8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252996/original/file-20190109-32124-qku8hs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pèlerins faisant halte le soir pour se restaurer.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mehrensvard/16114797801">Mehrensvard/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Ce ne serait pas la première fois qu’un pèlerinage hindou puisse permettre – temporairement et de façon totalement ponctuelle – une <a href="https://www.pum.umontreal.ca/catalogue/les-hijras">relation sexuelle généralement perçue comme illicite</a>.</p>
<p>L’auteur tamoul <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Perumal_Murugan#Controversy_surrounding_Madhorubhagan_(%E2%80%98One_Part_Woman%E2%80%99)">Perumal Murugan</a> présente une situation semblable dans son roman <em>Madhorubhagan (One Part Woman)</em> : une femme mariée dont le mari est stérile se rend seule en pèlerinage au temple de Kailasanathar à Tiruchengode afin d’être « inséminée » par la divinité.</p>
<p>Le temple d’Aravan, au Tamil Nadou, offre également la possibilité, lors de son grand pèlerinage annuel, à certains hommes d’avoir une relation sexuelle rituellement légitimée avec des « transgenres » (<em>thirunangai</em> en tamoul, <em>hijra</em> en hindi).</p>
<p>Certaines pratiques socialement taboues sont donc permises dans un contexte de pèlerinage précis, dans cet espace liminaire, hors du quotidien.</p>
<p>C’est dans ces contextes de frontières et de transgressions entre licite et illicite, monde sanctuarisé et profane qu’il faut situer le mythe d’Ayyappa et l’exclusion des femmes en âge de procréer. Or, l’interprétation du mythe dans ce contexte précis vient directement s’opposer à la Constitution indienne.</p>
<h2>Un rite d’institution</h2>
<p>En septembre 2018, la <a href="https://economictimes.indiatimes.com/news/politics-and-nation/supreme-court-allows-women-to-enter-sabarimala-temple/articleshow/65989807.cms">Cour Suprême de l’Inde décrète que les femmes</a> ne peuvent être exclues du temple au nom de la Constitution indienne qui reconnaît femmes et hommes comme citoyens égaux.</p>
<p>Cette victoire vient couronner de succès de nombreux groupes féministes et/ou de défense des droits autochtones tel le <a href="http://www.newindianexpress.com/states/kerala/2019/jan/05/more-women-to-trek-police-feel-pressure-1920709.html">Sabarimala Adivasi Rights Restoration Committee</a> qui ont à maintes reprises demandé devant que les femmes puissent avoir accès au temple d’Ayyappa à Sabarimala et ce afin d’y accomplir le <em>darśan</em> – voir et être vue par la divinité –, un <a href="https://www.persee.fr/doc/arss_0335-5322_1982_num_43_1_2159">« rite d’institution »</a> crucial pour les hindous.</p>
<p>Ce rite vient en effet vient marquer la différence entre tous ceux qui pourraient sensiblement l’accomplir un jour, et toutes celles qui ne peuvent et ne pourront jamais l’effectuer ; car ce rite d’institution exclue.</p>
<p>S’opposent ici deux visions difficilement conciliables : l’une, enracinée dans une constitution laïque et l’autre, dans une vision bien précise de la tradition – souvent, <a href="https://journals.openedition.org/enquete/319">elle-même réinventée</a>.</p>
<p>Le rapport de force prend corps lorsque, le 24 décembre, deux femmes tentent de se rendre à Sabarimala. Elles sont rapidement forcées de faire volte-face en raison des vives protestations sur place. Nous sommes présentement en haute saison du pèlerinage à Sabarimala. Le 1<sup>er</sup> janvier, quelques millions de femmes se sont mobilisées et ont créé une chaîne humaine de 640 kilomètres, de Thiruvanthapuram à Kasaragod, presque l’ensemble de la longueur du Kerala, pour protester contre cette interdiction qui pèse toujours sur l’accès des femmes au temple, et ce, malgré le jugement de la Cour suprême. Une mobilisation sans parallèle, pourrait-on dire ; mais également, une réalité qui défie la Constitution du pays.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HqkBqjfVJIQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Le mur des femmes, reportage de CNN India, janvier 2018.</span></figcaption>
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<p>Le 2 janvier, deux femmes, Bindu et Kenaka Durga, toutes deux d’une quarantaine d’années, ont <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/01/03/inde-en-entrant-dans-le-temple-de-sabarimala-deux-femmes-soulevent-une-tempete-politique_5404678_3210.html">pénétré le <em>sanctum sanctorum</em> du temple</a> – par la porte de derrière, précisons-le – accompagnées de policiers pour les protéger.</p>
<p>L’une est professeure d’université en droit et l’autre, employée du gouvernement. Aucun autre détail n’est révélé ; elles craignent pour leur sécurité. Personne ne s’y attendait, car plusieurs milliers de miliciens hindous étaient déjà sur place pour s’assurer qu’aucune femme n’ait accès au temple. <a href="http://www.newindianexpress.com/states/kerala/2019/jan/04/two-womens-entry-it-was-invisible-gorilla-technique-1920247.html">Selon Prashad Amore</a>, un psychologue de Kochi qui accompagnait les deux femmes ayant pénétré le temple le 4 janvier, celles-ci étaient mues par un réel désir de rendre hommage à Ayyappa. Un dispositif spécial a cependant été mis en place par la police pour contourner la vigilance des miliciens. Le psychologue a d’ailleurs qualifié ce dispositif de <a href="http://www.theinvisiblegorilla.com/gorilla_experiment.html"><em>invisible gorilla technique</em></a> : les deux femmes sont arrivées en ambulance, telles deux malades.</p>
<h2>Un prétexte opportun pour l’extrémisme hindou</h2>
<p>Le 3 janvier, le lendemain de l’entrée des deux femmes au temple de Sabarimala, le Kerala était en état d’urgence : des violences sans précédent survenaient dans l’ensemble de l’état. Certaines factions politiques avaient déclaré un <em>hartal</em> (bandh), journée où tout magasin, entreprise doit demeurer fermés. Banques, bureau de poste, taxis ont été immobilisés.</p>
<p>Des manifestations afin d’interdire l’accès au temple aux femmes se sont également déroulées dans l’ensemble du Kerala. Des voitures de police, des autobus ont été incendiés, le système ferroviaire de l’état a été mis à l’arrêt et 5 377 personnes ont été arrêtées pour violences dans la journée même.</p>
<p>De son côté, le comité en charge de la gestion du temple de Sabarimala (Sabarimala Thantri Kandaravu Rajeevaru) a adopté un moyen symbolique – mais d’une efficacité qu’on ne peut sous-estimer – en fermant le temple pour une heure, lors de ce mois le plus achalandé de l’année, afin d’accomplir un rituel pour purifier l’endroit suite à l’entrée des deux femmes.</p>
<p>Le premier ministre du Kerala, Pinarayi Vijayan, représentant la coalition Left Demoncratic Front – constituée majoritairement du Communist Party of India (CPI) et du Communist Party of India, Marxist (CPI-M) – blâme, sur son site Facebook le Bharatiya Janata Party (BJP) et le Rashtryia Swayamsevak Sangh (RSS). Le BJP, « le parti du peuple indien » – lire ici « hindou » –, est présentement le parti au pouvoir en Inde ; le RSS, ou l’« Organisation patriotique nationale » est un <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/artcj1.pdf">regroupement nationaliste hindou</a> paramilitaire et étroitement associé au BJP.</p>
<p>Alors que le premier ministre de l’état affirme qu’il ne fait que mettre en place les mesures nécessaires pour faire respecter la décision de la Cour Suprême, ses opposants, quant à eux, l’accusent de <a href="https://www.ndtv.com/kerala-news/after-womens-entry-to-sabarimala-nair-body-slams-kerala-government-1973413">promouvoir l’athéisme</a> et de miner la pureté des pratiques rituelles – en permettant l’accès au temple aux femmes – sous le couvert d’une certaine « renaissance ».</p>
<p>S’opposent ici deux coalitions politiques, l’une représentant un jugement de Cour Suprême, lui-même basé sur la constitution d’une « république souveraine, socialiste, laïque et démocratique », l’autre, une faction grandissante voulant faire de l’Inde un <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2018/12/12/au-kerala-les-radicaux-hindous-ne-veulent-pas-de-femmes-dans-leur-temple_5396164_4500055.html">pays hindou</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252887/original/file-20190108-32145-1wbjpry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252887/original/file-20190108-32145-1wbjpry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252887/original/file-20190108-32145-1wbjpry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252887/original/file-20190108-32145-1wbjpry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=395&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252887/original/file-20190108-32145-1wbjpry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252887/original/file-20190108-32145-1wbjpry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252887/original/file-20190108-32145-1wbjpry.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=497&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Gestion de la foule près de l’enceinte du temple, 5 décembre 2007.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/8a/Sabarimala_pilgrims.jpg">Ragesh Ev/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<h2>Une controverse nationale</h2>
<p>Le Kerala se retrouve au cœur d’une controverse nationale, ne laissant aucun·e hindou·e indifférent. L’ensemble de l’Inde est à l’affût. Certains laissent entendre que le gouvernement central de Narendra Modi (BJP) <a href="https://bangaloremirror.indiatimes.com/news/india/bjp-demands-presidents-rule-in-kerala/articleshow/67421085.cms">pourrait imposer le « president’s rule »</a>, le « régime du président » <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/President%27s_rule">dispositif constitutionnel</a> permettant à l’état central de suspendre le gouvernement d’un état, afin de rétablir l’ordre – entendre, ici, s’assurer que les femmes ne puissent avoir accès au temple et, ainsi, ramener le calme au Kerala.</p>
<p>Les 8 et 9 janvier, deux autres journées de <em>bandh</em> ont frappé l’ensemble du Kerala. Il me semble cependant douteux que le gouvernement de Narendra Modi use du régime présidentiel pour imposer sa loi au Kerala.</p>
<p>La droite nationaliste hindoue a plutôt intérêt à ce que les tensions montent et que se mobilise d’avantage l’indignation d’une population hindoue en dehors hors des sphères politiques traditionnelles.</p>
<p>Des élections nationales se tiendront en mai prochain. La rhétorique de la droite nationaliste hindoue se fera plus d’autant plus acrimonieuse que de grands festivals religieux hindous dont Sabarimala, (le 14 janvier) mais également la Kumbha Mela – <a href="https://www.tourmyindia.com/kumbhmela/bathing-dates.html">qui débute le 15 janvier à Allahabad</a> - rassembleront des milliers de croyants et offriront au pouvoir en place des moments propices pour propager une indignation bien plus idéologique que religieuse.</p>
<hr>
<p><em>Mathieu Boisvert vient de publier « Les Hijras : portrait socioreligieux d’une communauté transgenre sud-asiatique », Presses de l’Université de Montréal, 2018.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109546/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mathieu Boisvert effectue un séjour de cinq mois en Inde et se trouve actuellement au Kerala.</span></em></p>Le temple de Sabarimala est au cœur d’une polémique polito-religieuse en Inde depuis que des femmes ont pénétré l’enceinte, dont elles étaient auparavant exclues.Mathieu Boisvert, Professeur, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1051602018-10-29T20:48:36Z2018-10-29T20:48:36ZEn Belgique, un ethnologue au cœur du parti Islam<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/242750/original/file-20181029-76384-1oxe7ar.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C1%2C1266%2C956&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue sur la rue Saint-Jean dans le quartier de Molenbeek, à Bruxelles.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.com/search?site=imghp&tbs=sur%3Afmc&tbm=isch&sa=1&ei=aRXXW9qWNs6KlwTkur3oBw&q=Belgique+Molenbek&oq=Belgique+Molenbek&gs_l=img.3...4572.4572.0.5108.1.1.0.0.0.0.48.48.1.1.0....0...1c.1.64.img..0.0.0....0.DQsqTxcNAG8#imgrc=HSiKg6Z1OqEKfM:">Michielverbeek/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Entre octobre 2016 et février 2017, j’ai mené une ethnographie au sein du parti Islam – un parti musulman belge à l’origine de nombreuses controverses – avec l’accord de ses membres. Mon travail de recherches m’a mené à un ouvrage, paru en octobre, <a href="http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=60998"><em>Le parti Islam. Filiations politiques, références et stratégies</em></a>, aux éditions Academia.</p>
<p>L’accueil par le parti fut bienveillant et le terrain se déroula dans une atmosphère relativement apaisée. Durant cinq mois, je mis en œuvre une observation participante dite « périphérique » – selon la typologie établie par le <a href="https://academic.oup.com/sf/article-abstract/36/3/217/2226541?redirectedFrom=fulltext">sociologue Raymond Gold</a> (1958) – au sein et autour du parti Islam. Écrire « au sein » est ici un abus de langage dans la mesure où le parti ne disposait pas d’un local où il aurait pu se réunir périodiquement, il se retrouvait dans des appartements privés.</p>
<p>De plus, son « noyau dur » étant composé en grande partie de travailleurs à temps plein, les rencontres étaient donc prioritairement réservées aux soirées et aux week-ends. Observation « périphérique » car je ne fus jamais un membre actif du parti, je ne distribuai aucun tract ni ne fus sollicité pour aucune action. J’avais été accepté en tant qu’observateur et je pris la décision de tenir ce rôle.</p>
<p>Certes je fus soupçonné de diverses allégeances secrètes (médias, renseignements, etc.) autant que je dus composer avec les tentatives d’instrumentalisations multiples de la part des membres du parti (le livre comme futur produit publicitaire, devenir l’« anthropologue du parti » ou l’« assistant parlementaire du futur député Islam », etc.) mais ceci fut négligeable en regard de cette autre certitude : l’exposition médiatique du parti impliquait, à court terme, la mienne, appelé à répondre ici de la « dangerosité » du groupe Islam et là au lieu commun de « l’arbre qui cache la forêt » d’une « islamisation » rampante du pays. Bref, l’ethnologue était alors transformé en juge et les hypothèses de recherche en préoccupations morales.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/241854/original/file-20181023-169834-1wosof3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/241854/original/file-20181023-169834-1wosof3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=271&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/241854/original/file-20181023-169834-1wosof3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=271&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/241854/original/file-20181023-169834-1wosof3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=271&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/241854/original/file-20181023-169834-1wosof3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/241854/original/file-20181023-169834-1wosof3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/241854/original/file-20181023-169834-1wosof3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=340&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>« L’État islamique de Belgique », les coulisses d’un strike médiatique</h2>
<p>En 2012, le parti Islam est fondé à Bruxelles. À la fois référence explicite et revendiquée à la religion musulmane et acronyme d’« Intégrité, Solidarité, Liberté, Authenticité, Moralité », il propulse aux élections communales belges de la même année deux de ses trois candidats – qui constituaient également le trio fondateur du parti et la totalité du groupe – dans deux conseils communaux bruxellois (respectivement Lhoucine Aït-Jeddig à Molenbeek et Redouane Ahrouch à Anderlecht).</p>
<p>Aux élections communales d’octobre 2018, le parti a échoué à conserver ses élus et réalisé des scores bien moindres qu’en 2012, et ce malgré une exposition médiatique dont il n’avait pu bénéficier alors. À Molenbeek, <a href="http://bru2018.brussels/fr/results/municipalities/6082/index.html">il passe entre 2012 et 2018</a> de 1 478 voix à 695 et à Bruxelles-Ville de 1 833 à 1 125.</p>
<p>Les interventions médiatiques de ceux qui se présenteront comme les « premiers véritables élus musulmans de Belgique » – principalement Redouane Ahrouch – seront à l’origine de nombreuses déclarations massivement relayées et commentées dans l’espace médiatique belge.</p>
<p>Ils exposent, entre autres, leur volonté de créer un <a href="https://www.courrierinternational.com/article/belgique-faut-il-interdire-le-parti-islam">« État islamique de Belgique »</a>, d’établir une <a href="https://www.7sur7.be/7s7/fr/1502/Belgique/article/detail/3279737/2017/10/10/Le-parti-ISLAM-veut-appliquer-une-charia-occidentale.dhtml">« sharî’a occidentale »</a> ou encore une <a href="https://www.levif.be/actualite/belgique/le-parti-islam-croit-en-l-avenir-islamiste-de-bruxelles-maingain-veut-le-faire-interdire/article-normal-823059.html">« démocratie islamiste »</a>.</p>
<p>Le 25 octobre 2012, ils organisent leur première conférence de presse dans laquelle le récent élu anderlechtois réalisera son premier « strike communicationnel », pour paraphraser la métaphore qu’il emploiera lors d’un entretien.</p>
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<figcaption><span class="caption">Conférence de presse du parti Islam en Belgique, 2012.</span></figcaption>
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<p>À dire vrai, les mots <em>sharî’a</em> et <em>État islamique</em> <a href="http://www.revuenouvelle.be/Entre-risque-de-sous-estimation-et-hysterie">n’apparaissent pas dans le programme</a>, ni ne sont prononcés lors de la conférence de presse à proprement parler mais après, lors de l’interview par la <a href="https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_le-parti-islam-espere-que-la-belgique-devienne-un-jour-un-etat-islamique?id=7865358">RTBF de Redouane Ahrouch</a>.</p>
<p>Cette courte intervention permettra au parti d’acquérir une visibilité nationale, voire <a href="https://www.euronews.com/2018/04/26/islam-party-stirs-controversy-ahead-of-belgian-elections">internationale</a>, sans précédent par rapport aux formations politiques bruxelloises antérieures (Parti Citoyenneté Prospérité, Parti Jeunes Musulmans, Noor, Musulmans.be) dont il constitue le dernier avatar.</p>
<h2>« Une histoire méconnue »</h2>
<p>L’apparition fulgurante du parti Islam dans la sphère médiatique, a donné soit l’illusion de son caractère anhistorique, soit a indiqué une possible filiation politique timidement établie au travers de quelques noms de personnes ou de partis. Mais, globalement, c’est avant tout un parti dont on ne sait presque rien et sur lequel, parfois, se greffent différents fantasmes.</p>
<p>C’est pourquoi le premier objectif de ce livre était de reconstituer la généalogie de cette activité politique musulmane sur Bruxelles, par l’imbrication d’une histoire « documentée » avec la mémoire que les acteurs en ont.</p>
<p>Le document ethnographique ainsi créé, qui laisse une grande place à la parole des acteurs, nous fait remonter aux années 1990 avec la fondation du Centre Islamique Belge (CIB, à ne pas confondre avec le CICB, le Centre Islamique et Culturel de Belgique), qui était auparavant une association sans but lucratif (Jeunesse bruxelloise sans Frontières), cofondée à Molenbeek par l’ancien imam franco-syrien d’Aix-en-Provence, Bassam Ayachi, et le médiatique converti, <a href="https://www.rtbf.be/tv/emission/detail_tout-ca-ne-nous-rendra-pas-le-congo/actualites/article_tiens-toi-au-coran-video-2003?id=5796253&emissionId=40">surnommé « Barberousse », Jean‑François Bastin</a>. Les jeunes étaient alors formés à la « gestion et à l’administration d’un État islamique » (Redouane Ahrouch) et appelés à rejoindre les talibans en Afghanistan. C’était le temps de « l’émirat » dira Redouane Ahrouch.</p>
<h2>Pressions</h2>
<p>Suite à la pression nouvelle exercée par l’État et par l’apparition – ou la réactivation – de la figure du « djihadiste » dans l’opinion publique après l’électrochoc des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, le répertoire d’actions locales est considéré comme devant être étoffé. C’est ainsi qu’émergera le Parti Citoyenneté et Prospérité en 2002, destiné à « emmerder l’État belge »(Redouane Ahrouch) dans un contexte post-attentats où le CIB sentait qu’il était devenu une « cible ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Jean‑François « Abdullah » Bastin conteste l’affichage électoral en 2006, il est à l’époque à la tête du Parti Jeunes Musulmans.</span></figcaption>
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<p>L’ancien conseiller communal anderlechtois Redouane Ahrouch tirera de ce compagnonnage avec Jean‑François Bastin et de son intérêt pour la politique belge la volonté de rediriger vers le plat pays un projet qui ne le concernait préalablement pas, celui de devenir un « État islamique ». C’est de cette filiation dont le parti ISLAM est la dernière initiative.</p>
<h2>« Nourrir l’épouvante »</h2>
<p>Entre 2012 et 2018, la provocation médiatique à des fins de visibilisation dans l’espace public devient la stratégie quasi exclusive d’ISLAM. En effet, le trio fondateur, qui use de provocation afin de s’exposer, participe également à l’alimentation d’un climat d’épouvante lui-même maintenu par un flou terminologique caractérisé par une interchangeabilité de termes en « isme », comme le note le chercheur en sciences politiques <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures-religieuses-2016-3-page-13.htm">Haoues Seniguer</a> : intégrisme, fondamentalisme, islamisme, salafisme, communautarisme, etc.</p>
<p>Ainsi, il remarque que la notion de « radicalisation » (radicalisme) qui est aujourd’hui d’un usage courant autant que sa « prévention » est l’objet de politiques publiques, est victime d’un amalgame qui établit l’idéologie extrême et le passage à l’acte violent comme indissociables et dès lors, il semble difficile d’appréhender l’individu « radical » en-dehors de la pente terroriste sur laquelle il serait invariablement engagé. Bref, radicalisme et terrorisme deviennent des notions interchangeables.</p>
<p>Cette stratégie de provocation sensationnelle – autant que contextuelle – s’exprimera également au travers du bref partenariat avec l’ex-député du Parti Populaire <a href="https://www.rtbf.be/info/belgique/detail_le-parti-populaire-exclut-laurent-louis-son-unique-depute?id=5563213">Laurent Louis</a> (2014), qu’on peut situer à l’extrême-droite de l’échiquier politique, tandis qu’elle en compromettra d’autres et rendra finalement impossible les tentatives de structuration ou de diversification entamées en interne par les nouveaux membres (2016) qui se virent constamment opposer une résistance de la part du « noyau dur ».</p>
<p>Ces tensions sont apparues progressivement et concernaient la volonté d’ouverture et de transparence, mais aussi la redistribution progressive du pouvoir et de l’influence au sein du parti. Si le nom du parti ne faisait pas l’unanimité, le refus de transparence vis-à-vis de l’origine des financements, la volonté quasi explicite de maintenir le parti à un petit groupe et d’en exclure les femmes, l’absolue nécessité de toujours passer par le trio et le refus de discuter comme de voter les points du programme, furent progressivement des motifs sérieux de discorde.</p>
<p>Finalement, ces nouveaux membres seront à l’origine de la scission du groupe ISLAM (2017-2018) et à la naissance d’un nouveau parti, <a href="https://salem.brussels/">Salem</a>, qui s’est d’ailleurs présenté aux élections communales du mois d’octobre 2018, sans réaliser de scores notables.</p>
<h2>« Il ne s’agit pas d’un monolithe idéologique »</h2>
<p>La formation partisane ISLAM constitue une <a href="https://journals.openedition.org/etudesafricaines/1528">expression de « branchements »</a> déjà réalisés au cours du XIX<sup>e</sup> et du XX<sup>e</sup> siècle. Il lie ainsi participation aux systèmes électoraux, à un pouvoir libéral, organisation en partis politiques et volonté d’établissement d’un État islamique (qui recoupe la <a href="https://journals.openedition.org/mideo/2303?lang=fr">conception européenne traditionnelle de l’État</a>).</p>
<p>Mais, ce faisant, il est lui-même à l’origine de branchements inédits entre des événements historiques symboliques comme celui de la <a href="https://www.humanite.fr/node/239184">république du Rif d’Abdelkrim El Khattabi</a>, la réalité politique et administrative de la Belgique, le discours d’unité de l’islam propre aux Frères musulmans et les positions d’un <em>marja’</em> controversé – le <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01861743"><em>marja</em> est une source, une référence religieuse dans l’islam chiite</a> –, de la ville de Qom (Iran).</p>
<p>Cette reconfiguration des références et des identités fait sens dans un monde globalisé où l’on observe une redéfinition des rapports politiques, une accélération du phénomène d’hybridation et de ces « branchements » inédits rendus possibles depuis la révolution digitale.</p>
<p>Ces ancrages idéels multiples s’expriment toutefois dans une « localité » précise, ce sont des ailleurs ancrés ; c’est en cela que le parti se considère comme un jalon de l’émancipation de la communauté musulmane de Belgique, instrumentalisée au même titre que sa religion qui serait, selon eux, devenue le « bouc-émissaire » de l’Occident dans un <a href="https://www.islam2012.be/president">« monde post-URSS »</a>.</p>
<p>Cet ouvrage entend témoigner, même dans le cas d’un groupe aussi décrié que celui du parti ISLAM, d’un individu qui ne se laisse plus penser comme étant inféodé à un système centré ou hiérarchique (<a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Capitalisme_et_schizophr%C3%A9nie_2___Mille_plateaux-2015-1-1-0-1.html">à l’instar du « rhizome » chez Deleuze et Guattari</a>).</p>
<h2>Pris dans la tempête médiatique</h2>
<p>Plusieurs tempêtes médiatiques eurent lieu autour du parti ISLAM et je fus moi-même projeté dans l’une d’elles. Les réactions consécutives <a href="https://www.rtbf.be/auvio/detail_lionel-remy-a-vecu-5-mois-avec-le-parti-islam?id=2334285">à mon apparition à la télévision</a> (RTBF) et dans la presse furent nombreuses et il est crucial de souligner qu’elles vinrent tantôt m’accuser, tantôt me soutenir, bref elles furent une modalité psychologique dans laquelle j’ai dû engager l’écriture de ce livre.</p>
<p>Les controverses au sujet de la juste distance, de l’implication militante et de la neutralité rencontrent celles de la position du chercheur dans l’espace public médiatique, tout à la fois légitimé par un statut « d’expert » et enfermé la plupart du temps dans un rôle de « commentateur » du réel.</p>
<p>C’est l’une des raisons pour lesquelles l’ouvrage devait, nécessairement, s’ouvrir par un chapitre réflexif. Quel peut être l’intérêt de plonger le lecteur dans l’antichambre des résultats produits ? N’est-ce pas l’affaire d’un carnet de terrain, d’un journal intime (qui se confondent bien souvent d’ailleurs) ? L’une des réponses à cette vaste question apparaît d’elle même lorsqu’un chercheur se trouve par exemple contraint de rassurer quant à sa « moralité », ce fut le cas de Daniel Bizeul, le sociologue français qui fit une enquête <a href="https://www.cairn.info/avec-ceux-du-FN--2707140481.htm">chez les militants du Front national en France</a>. Bizeul fut un <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1998_num_39_4_4840">grand secours méthodologique</a> dans mon cas, car il avait établi un précédent dans la littérature.</p>
<p>Il nous faut continuer la description de ce chercheur, celui qui évolue sur un mince défilé : d’un côté, avoir sur ses contradictions morales une lucidité suffisante que pour ne pas rédiger un texte à charge ou faire terrain sans empathie, de l’autre se refuser absolument à égaliser toutes les conduites, au risque de devenir « partisan » malgré soi.</p>
<hr>
<p><em>_L’auteur vient de publier <a href="http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=60998">« Le parti Islam. Filiations politiques, références et stratégies »</a>, aux éditions Academia.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105160/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lionel Remy a reçu des financements du Fonds Baillet Latour. </span></em></p>Une enquête au sein d’un parti controversé révèle les difficultés auxquelles se confronte le chercheur autant que des stratégies médiatiques abusant des polémiques.Lionel Remy, Doctorant, anthropologue, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1056242018-10-25T13:20:10Z2018-10-25T13:20:10ZÀ Washington, la Bible falsifiée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/242131/original/file-20181024-71020-1g7qyuc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=2%2C4%2C1592%2C893&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Musée de la Bible, à Washington</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.museumofthebible.org">Museum of the Bible</a></span></figcaption></figure><p>Le 22 octobre 2018, le très controversé Musée de la Bible, à Washington, <a href="https://www.museumofthebible.org/press/press-releases/museum-of-the-bible-releases-research-findings-on-fragments-in-its-dead-sea-scrolls-collection">annonçait</a> le retrait de cinq manuscrits jugés contrefaits. Qu’en est-il réellement ? D’où viennent ces fragments et comment sont-ils arrivés là ? Serait-ce l’arnaque du siècle ? Explications.</p>
<h2>Le Musée de la Bible</h2>
<p>Le Musée de la Bible a ouvert ses portes il y a moins d’un an, le 17 novembre 2017, en plein cœur de la capitale américaine. Un bâtiment de 40 000 m<sup>2</sup> sur huit étages entièrement consacré à la Bible et à son histoire, proposant entrée gratuite et animations dignes de studios hollywoodiens : qui donc est à l’origine de ce projet pharaonique ? Un milliardaire nommé Steve Green, patron de la chaîne de magasins Hobby Lobby. Fervent chrétien évangélique, petit-fils de pasteur pentecôtiste, il consacre sa fortune à l’apologie de la foi et de la Bible. Celle-ci est, selon lui, parole de Dieu, exempte d’erreur, autorité ultime et infaillible en matière de foi et de mœurs. Il entreprend de faire l’acquisition des plus anciens manuscrits de la Bible afin de démontrer la constance et la fiabilité des saintes Écritures à travers les millénaires.</p>
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<h2>Les plus anciens manuscrits de la Bible</h2>
<p>Steve Green n’est pas le seul dans la course : d’autres évangéliques américains cherchent, eux aussi, à mettre la main sur les plus anciens manuscrits de la Bible afin de s’acheter une crédibilité scientifique tout en maintenant leur approche fondamentaliste. Les enjeux financiers sont considérables : grâce à l’acquisition de tels manuscrits, un établissement d’enseignement privé évangélique s’est même permis de se <a href="https://www.apu.edu/media/news/release/14307/">comparer</a> au célèbre <a href="https://oi.uchicago.edu/">Oriental Institute</a> de l’université de Chicago, espérant ainsi attirer de nouveaux étudiants prêts à débourser des dizaines de milliers de dollars par an.</p>
<p>Loi de l’offre et de la demande oblige, le prix du moindre fragment se met à flamber. Comptez plusieurs centaines de milliers de dollars pour un confetti de quelques centimètres carrés datant du tournant de notre ère et préservant l’un ou l’autre verset de la Bible. Mais d’ailleurs, d’où viennent ces manuscrits ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/242109/original/file-20181024-71017-zlz0hy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242109/original/file-20181024-71017-zlz0hy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242109/original/file-20181024-71017-zlz0hy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242109/original/file-20181024-71017-zlz0hy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242109/original/file-20181024-71017-zlz0hy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242109/original/file-20181024-71017-zlz0hy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242109/original/file-20181024-71017-zlz0hy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242109/original/file-20181024-71017-zlz0hy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Qumrân, grotte 4.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Michael Langlois</span></span>
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<p>Les premiers sont découverts en 1946-47 par des Bédouins qui fouillent les rives de la mer Morte. Cachés dans des grottes près d’un oued appelé Qumrân, emmaillotés et scellés dans des jarres, ces rouleaux ont résisté aux outrages du temps et traversé les siècles pour nous transmettre les plus belles œuvres littéraires du judaïsme antique – y compris la Bible. Ces manuscrits sont vieux de 2 000 ans, alors que la <a href="http://www.aleppocodex.org">plus ancienne Bible hébraïque</a> connue à ce jour date du X<sup>e</sup> siècle après Jésus-Christ. Nous voilà donc soudain projetés 1 000 ans en arrière à la découverte du texte biblique des origines.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/242111/original/file-20181024-71011-y3nty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242111/original/file-20181024-71011-y3nty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242111/original/file-20181024-71011-y3nty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242111/original/file-20181024-71011-y3nty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242111/original/file-20181024-71011-y3nty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242111/original/file-20181024-71011-y3nty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242111/original/file-20181024-71011-y3nty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242111/original/file-20181024-71011-y3nty.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Codex d’Alep.</span>
<span class="attribution"><span class="source">http://www.aleppocodex.org</span></span>
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</figure>
<h2>Une Bible infaillible ?</h2>
<p>Or, n’en déplaise aux fondamentalistes, les plus anciens manuscrits ne correspondent pas exactement à la Bible que l’on lit aujourd’hui. Les quelque 250 manuscrits bibliques de la mer Morte présentent de nombreuses variantes par rapport au texte classique avec, parfois, des chapitres entiers absents ou déplacés. C’est le cas, par exemple, d’un rouleau des Psaumes conservé au <a href="https://bibleterresainte.wordpress.com/le-musee/">musée Bible et Terre Sainte</a>, à Paris, où le Psaume 31 est immédiatement suivi du Psaume 33, faisant l’impasse sur le Psaume 32.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/242120/original/file-20181024-71014-157s7g9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242120/original/file-20181024-71014-157s7g9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242120/original/file-20181024-71014-157s7g9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242120/original/file-20181024-71014-157s7g9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242120/original/file-20181024-71014-157s7g9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=365&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242120/original/file-20181024-71014-157s7g9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242120/original/file-20181024-71014-157s7g9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242120/original/file-20181024-71014-157s7g9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=459&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Manuscrit des Psaumes conservé au Musée Bible et Terre Sainte (4Q98).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Musée Bible et Terre Sainte</span></span>
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<p>Il y a plus. Les manuscrits de la mer Morte ont parfois livré plusieurs exemplaires d’un même livre de la Bible ; non seulement ceux-ci divergent du texte traditionnel, mais ils diffèrent également entre eux. On trouve donc, dans la même grotte, plusieurs versions du livre de la Genèse, des Psaumes ou de Jérémie. On trouve même des ouvrages qui seront plus tard rejetés par les autorités religieuses juives et chrétiennes. C’est le cas du livre d’Hénoch, canonisé par l’Église orthodoxe d’Éthiopie mais exclu des autres Bibles juives et chrétiennes.</p>
<figure class="align-left zoomable">
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<span class="caption">Livre d’Hénoch en éthiopien (BNF, Manuscrits, éthiopien 49, f. 3 r°).</span>
</figcaption>
</figure>
<p>La Bible, telle qu’elle se présente à Qumrân, est tout sauf immuable et infaillible. Sa table des matières n’est pas finalisée, ses scribes sont aussi rédacteurs, son texte est encore sur le métier. La découverte des rouleaux de la mer Morte est une véritable révolution pour l’étude de la Bible, et ces manuscrits fragiles méritent bien mieux qu’une simple récupération idéologique, religieuse ou <a href="https://theconversation.com/jerusalem-mentionnee-dans-un-papyrus-plurimillenaire-en-pleine-polemique-a-lunesco-68089">politique</a>. Encore faut-il qu’ils soient authentiques.</p>
<h2>La Bible falsifiée</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/242124/original/file-20181024-71011-1epta3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242124/original/file-20181024-71011-1epta3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242124/original/file-20181024-71011-1epta3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=728&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242124/original/file-20181024-71011-1epta3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=728&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242124/original/file-20181024-71011-1epta3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=728&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242124/original/file-20181024-71011-1epta3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=915&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242124/original/file-20181024-71011-1epta3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=915&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242124/original/file-20181024-71011-1epta3d.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=915&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Khalil Iskandar Shahîn, dit Kando.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Zev Radovan</span></span>
</figcaption>
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<p>En 1947, les Bédouins montrent leur trouvaille à un <a href="https://next.liberation.fr/culture/2010/06/12/qumran-manuscrits-plein-les-fouilles_658569">antiquaire de Bethléem surnommé Kando</a>. Il contacte des acquéreurs potentiels pendant que ceux-ci continuent de fouiller la région en quête de nouveaux rouleaux. Lorsque les archéologues entreprennent des fouilles officielles, en 1949, il est déjà trop tard : la plupart des grottes ont déjà été visitées et nettoyées de leur précieuse marchandise. Ils n’ont d’autre choix que de négocier avec Kando, qui s’impose comme fournisseur officiel des manuscrits de la mer Morte.</p>
<p>En 1993, un collectionneur norvégien demande au vieux Kando s’il lui reste des rouleaux. « Ces jours sont révolus ! » lui répond-il. Pourtant, quelques années plus tard, William, l’un des fils de Kando, propose à la vente plusieurs fragments. Personne ne doute de leur authenticité étant donnés la réputation et le quasi-monopole de la famille Kando. Quelques voix isolées se font néanmoins entendre ; en 2006, alors en doctorat, j’émets des doutes quant à l’authenticité de l’un de ces fragments, mais ne puis l’examiner.</p>
<p>La situation change lorsque, en 2012, le même collectionneur norvégien et son équipe me sollicitent pour étudier les manuscrits en sa possession. J’y retrouve le fameux fragment et d’autres plus ou moins douteux. Je repère des incohérences au niveau de la surface et du tracé des lettres, et finis par avouer à mes collègues norvégiens que nombre de ces manuscrits sont, selon moi, des contrefaçons. D’abord surpris, ils acceptent de poursuivre l’enquête et se rallient à mon opinion.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/242132/original/file-20181024-71042-mf1li8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/242132/original/file-20181024-71042-mf1li8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/242132/original/file-20181024-71042-mf1li8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/242132/original/file-20181024-71042-mf1li8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=441&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/242132/original/file-20181024-71042-mf1li8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/242132/original/file-20181024-71042-mf1li8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/242132/original/file-20181024-71042-mf1li8.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=554&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un manuscrit de la mer Morte (contrefait) du Musée de la Bible.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Museum of the Bible</span></span>
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<p>Je réalise alors que le futur Musée de la Bible pourrait, lui aussi, <a href="https://www.newsweek.com/2016/04/15/hobby-lobby-steve-green-bible-museum-washington-dc-444752.html">héberger des faux</a> : je crois reconnaître la même écriture maladroite sur une photographie de mauvaise qualité qui circule sur Internet. L’un de nos collaborateurs, Kipp Davis, partage mes doutes et dispose de photographies de meilleure qualité, mais il n’est pas autorisé par le musée à nous les montrer. Lorsque ces manuscrits sont <a href="https://brill.com/view/title/33413">publiés fin 2016</a>, je feuillette l’ouvrage et tombe sous le choc : pas un fragment n’est authentique ! Ce sont tous des faux, copiés par la même équipe de faussaires.</p>
<p>J’alerte mes collègues à plusieurs reprises, y compris lors d’une <a href="https://youtu.be/4EioN0pBB2g">rencontre scientifique à Berlin en 2017</a>. Le Musée de la Bible, qui s’apprête à ouvrir ses portes, s’exerce au <em>damage control</em> : il maintient l’exposition de ses manuscrits de la mer Morte, mais ajoute un encart indiquant que leur authenticité est remise en question par certains spécialistes. Il décide même de financer des analyses complémentaires. Ce sont ces analyses matérielles qui ont conduit le musée à annoncer, le 22 octobre dernier, le retrait de cinq fragments. Est-ce à dire que les autres sont authentiques ? Non. Ils n’ont tout simplement pas encore fait l’objet des mêmes analyses, accordant ainsi au musée un répit supplémentaire, mais je reste d’avis que les treize manuscrits publiés sont des faux.</p>
<h2>Biens mal acquis…</h2>
<p>Le Musée de la Bible et d’autres institutions évangéliques américaines se sont targués d’avoir acquis certains des plus anciens manuscrits de la Bible. Ils espéraient ainsi gagner en crédibilité scientifique mais, ironie du sort, c’est l’inverse qui s’est produit, puisque leurs spécialistes ne se sont pas rendu compte qu’il s’agissait de contrefaçons. Pire encore, lorsqu’ils ont été avertis, ils ont fait la sourde oreille jusqu’à ce que les médias ébruitent l’affaire. Sans parler d’autres antiquités, acquises illégalement par le Musée de la Bible qui, pris la main dans le sac, a écopé d’une amende record de <a href="https://www.justice.gov/usao-edny/pr/united-states-files-civil-action-forfeit-thousands-ancient-iraqi-artifacts-imported">3 millions de dollars</a>. Entre instrumentalisation, contrefaçon et contrebande, ces farouches défenseurs de la Bible semblent avoir oublié un verset pourtant bien connu : <a href="https://lire.la-bible.net/76/detail-traduction/chapitres/verset/proverbes/10/2/BFC">« Bien mal acquis ne profite jamais »</a>.</p>
<hr>
<p><em>Pour aller plus loin : <a href="http://editions.bnf.fr/qumr%C3%A2n-le-secret-des-manuscrits-de-la-mer-morte">« Qumrân, le secret des manuscrits de la mer Morte »</a>, sous la direction de Laurent Héricher, Michael Langlois et Estelle Villeneuve, Paris, Seuil, 2010. <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/799/la-bibliotheque-de-qumran-3a">« La Bibliothèque de Qumrân »</a>, sous la direction de Katell Berthelot, Michael Langlois et Thierry Legrand, Paris, Cerf, 2008.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/105624/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michael Langlois a reçu des financements de l’Institut universitaire de France, du programme Hubert-Curien, et du Helsinki Collegium for Advanced Studies.</span></em></p>Le très controversé Musée de la Bible, à Washington, vient d’annoncer le retrait de cinq manuscrits jugés contrefaits. D’où viennent ces fragments et comment sont-ils arrivés là ?Michael Langlois, Docteur ès sciences historiques et philologiques, membre du HCAS, chercheur au CRFJ, maître de conférences HDR, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.