tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/geopolitique-21437/articlesgéopolitique – The Conversation2024-03-26T19:07:57Ztag:theconversation.com,2011:article/2266662024-03-26T19:07:57Z2024-03-26T19:07:57ZL’attaque de l’État islamique (EI-K) à Moscou risque d’aggraver la guerre entre la Russie et l’Ukraine<p>Un concert de musique dans la banlieue de Moscou a été le théâtre d’une attaque terroriste sanglante le 22 mars, lorsque des hommes équipés d’armes automatiques et de cocktails Molotov <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/videos/1-8913079/attentat-moscou-au-moins-143-morts-et-182-blesses">ont tué plus de 140 personnes</a> et en ont blessé des dizaines d’autres. </p>
<p>Immédiatement après l’attentat, des spéculations sont apparues pour déterminer qui étaient les responsables.</p>
<p>Bien que l’Ukraine ait rapidement <a href="https://www.lesoir.be/576371/article/2024-03-22/une-attaque-moscou-fait-au-moins-40-morts-lukraine-nie-toute-implication">nié toute implication</a>, le président russe <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240323-attentat-de-moscou-poutine-%C3%A9voque-l-ukraine-qui-r%C3%A9fute-tout-r%C3%B4le-dans-la-tuerie-revendiqu%C3%A9e-par-l-ei">Vladimir Poutine a fait une brève déclaration télévisée</a> à sa nation pour suggérer, sans preuve, que l’Ukraine était prête à aider les terroristes à s’échapper.</p>
<p>Cependant, l’État islamique et plus particulièrement sa filiale afghane État islamique-Khorasan, EI-K, a par la suite <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Y1kuQ7aK8zY">revendiqué la responsabilité de l’attaque</a>.</p>
<p>La Russie <a href="https://www.rfi.fr/fr/europe/20240325-attentat-de-moscou-poutine-impute-l-attaque-%C3%A0-des-islamistes-radicaux-mais-pointe-toujours-l-ukraine">a fini par reconnaître l’implication d’islamistes radicaux dans l’attentat</a>, mais Vladimir Poutine pointe toujours l’Ukraine comme « commanditaire » du massacre. </p>
<p>Mais indépendamment de l’identité des terroristes, l’attentat de Moscou met en évidence deux problèmes majeurs.</p>
<p>Premièrement, les organisations terroristes — c’est-à-dire celles qui recourent à la violence à des fins politiques sans l’appui spécifique d’un gouvernement — peuvent utiliser des conflits préexistants et l’attention médiatique qui en résulte pour promouvoir leurs intérêts. Deuxièmement, les actions de ces organisations peuvent exacerber les conflits en cours.</p>
<h2>L’utilisation d’entités paramilitaires infra-étatiques</h2>
<p>De nombreux pays jugent utile d’employer des entités infra-étatiques et des paramilitaires pour atteindre leurs objectifs. <a href="https://theconversation.com/paramilitaries-in-the-russia-ukraine-war-could-escalate-and-expand-the-conflict-206441">La Russie et l’Ukraine ont eu recours et continuent d’avoir recours à de tels groupes</a> pour mener des actions que leurs soldats ne sont pas en mesure d’exécuter.</p>
<p>Si l’utilisation de ces forces présente certains <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9781003193227/serbian-paramilitaries-breakup-yugoslavia-iva-vuku%C5%A1i%C4%87">avantages pour un pays</a>, elle est en même temps problématique parce qu’elle conduit à se demander qui sont réellement derrière les actes.</p>
<p>Les attaques menées au début de l’année par des groupes houthis basés au Yémen contre des navires en mer Rouge en sont un exemple. Les Houthis sont <a href="https://www.cfr.org/in-brief/irans-support-houthis-what-know">généralement considérés</a> comme un groupe mandataire de l’Iran. Même s’il existe des liens étroits entre les deux, les Houthis <a href="https://theconversation.com/yemens-houthis-and-why-theyre-not-simply-a-proxy-of-iran-123708">ne sont pas contrôlés par l’Iran</a>. Supposer que l’Iran est directement à l’origine de l’attaque contre les navires de la mer Rouge est au mieux discutable, au pire carrément faux.</p>
<p>S’il est difficile d’évaluer le rôle d’un État dans la <a href="https://www.lawfaremedia.org/article/five-myths-about-sponsor-proxy-relationships">direction de ses proxys et paramilitaires</a>, cela n’est rien en comparaison de la difficulté à établir un lien entre les États et les organisations terroristes internationales. C’est une ambiguïté que les groupes terroristes peuvent exploiter.</p>
<h2>L’attention des médias : de l’oxygène pour les terroristes</h2>
<p>Définir le terrorisme est un exercice périlleux. La <a href="https://www.cambridge.org/core/books/abs/disciplining-terror/terrorism-fever-the-first-war-on-terror-and-the-politicization-of-expertise/12E123D58AA0437750CB882B066E2B6B">politisation du terme</a> depuis la guerre contre le terrorisme qui a suivi le 11 septembre 2001 a donné un nouveau sens à l’expression selon laquelle <a href="https://www.theatlantic.com/politics/archive/2012/05/is-one-mans-terrorist-another-mans-freedom-fighter/257245/">« le terroriste de l’un est le combattant de l’autre »</a>.</p>
<p>En règle générale, cependant, les <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/defining-terrorism">décideurs politiques</a> <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/political-science-research-and-methods/article/is-terrorism-necessarily-violent-public-perceptions-of-nonviolence-and-terrorism-in-conflict-settings/9BA6C161346EEE1563A7DC2639066A02">et les universitaires</a> définissent les groupes terroristes comme des organisations non étatiques qui cherchent à recourir à la violence ou à la menace de violence contre des civils pour atteindre des objectifs politiques, avec une certaine ambiguïté quant aux entités qui peuvent s’en charger.</p>
<p>Au XXI<sup>e</sup> siècle, la diffusion des <a href="https://www.igi-global.com/dictionary/scales-dynamics-outsourcing/14566">technologies de communication</a> et le <a href="https://archive.org/details/whatsnextproblem0000unse/page/82/mode/2up">cycle d’information 24 heures sur 24</a> ont donné aux groupes terroristes de nouveaux moyens d’attirer l’attention de la communauté internationale.</p>
<p>Des vidéos peuvent être téléchargées en temps réel par des groupes terroristes, et l’attention internationale ne tarde pas à suivre. Les médias d’information sont toutefois <a href="https://www.aljazeera.com/opinions/2019/7/9/the-problem-is-not-negative-western-media-coverage-of-africa/">très sélectifs</a> dans ce qu’ils couvrent.</p>
<p>En raison de la sélectivité des médias, les organisations terroristes cherchent <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0047272717301214">à maximiser leur audience</a>. L’un des moyens d’y parvenir est de lier leurs activités à des événements en cours. L’attaque de l’EI-K à Moscou illustre cette tendance.</p>
<p>La décision de l’EI-K d’attaquer la salle de concert de Moscou n’était pas purement opportuniste. L’État islamique et ses organisations subsidiaires <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/fusillade-en-russie-l-etat-islamique-et-la-russie-ont-une-dette-de-sang-qui-remonte-a-plusieurs-annees-analyse-un-specialiste-du-jihadisme-apres-la-revendication-de-Daech_6441190.html">reprochent à la Russie</a> son rôle dans la destruction de l’EI en Syrie et en Irak.</p>
<p>L’attaque de l’EI-K contre Moscou correspond donc à son propre agenda, tout en faisant progresser ses objectifs. Le problème est le potentiel d’escalade.</p>
<h2>L’escalade du conflit entre la Russie et l’Ukraine</h2>
<p>Il reste encore beaucoup d’inconnues sur l’attaque. Il est toutefois possible d’en tirer certaines conséquences potentielles.</p>
<p>Les autorités américaines avaient <a href="https://www.youtube.com/watch?v=iDEkly_6P4A">précédemment averti la Russie</a> qu’une attaque était imminente. Les autorités russes n’ont pas tenu compte de cet avertissement.</p>
<p>Poutine a même déclaré avant l’attaque que les <a href="https://www.rtbf.be/article/attentat-a-moscou-washington-avait-averti-poutine-parlait-alors-de-mensonges-11348726">avertissements américains à cet effet</a> étaient une forme de chantage. Ainsi, même un avertissement sincère des États-Unis a été perçu par les autorités russes à la lumière du conflit plus large entre la Russie et l’Ukraine.</p>
<p>Les suites de l’attaque risquent d’amplifier ces inquiétudes. Poutine a affirmé que quatre personnes impliquées dans le conflit avaient été capturées en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/russie/attaque-terroriste-pres-de-moscou/direct-attentat-terroriste-pres-de-moscou-les-quatre-suspects-ont-ete-places-en-detention-provisoire_6445771.html">tentant de fuir</a> vers l’Ukraine.</p>
<p>Cela semble discutable : la frontière entre la Russie et l’Ukraine est l’un des endroits les plus militarisés du pays en raison de la guerre. Le résultat, cependant, est que la tentative d’évasion présumée a permis aux politiciens russes de <a href="https://www.lapresse.ca/international/europe/2024-03-26/le-fsb-accuse-l-ukraine-et-l-occident-d-avoir-facilite-l-attentat-pres-de-moscou.php">relier l’attaque</a> aux autorités ukrainiennes, malgré les <a href="https://fr.news.yahoo.com/pr%C3%A9sidence-ukrainienne-affirme-navoir-rien-194842346.html">protestations contraires</a> de ces dernières.</p>
<p>Les autorités russes devront agir, comme le ferait n’importe quel État à la suite d’une telle agression. Mais les représailles sont d’autant plus probables que <a href="https://www.nytimes.com/2024/03/23/world/europe/putin-russia-moscow-attack.html">Poutine</a> se présente comme le protecteur du peuple russe.</p>
<p>L’élimination du terrorisme est cependant une tâche <a href="https://www.nytimes.com/2021/09/10/world/europe/war-on-terror-bush-biden-qaeda.html">extrêmement difficile, voire impossible</a>, comme le montre l’expérience américaine. La guerre entre la Russie et l’Ukraine offre toutefois aux autorités russes un terrain propice pour canaliser ailleurs le chagrin et l’indignation suscités par le tragique attentat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226666/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>James Horncastle ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Ukraine a nié toute implication dans l’attentat terroriste de Moscou. Cela ne signifie pas que la Russie n’essaiera pas d’utiliser cet événement pour intensifier sa guerre avec l’Ukraine.James Horncastle, Assistant Professor and Edward and Emily McWhinney Professor in International Relations, Simon Fraser UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2228442024-02-13T15:42:01Z2024-02-13T15:42:01ZPourquoi une telle indifférence de l’UE à l’égard de l’Indonésie ?<p>Ces dernières années, les spécialistes européens de la sécurité et de la politique étrangère, qu’il s’agisse des universitaires ou des praticiens, ont progressivement cessé d’employer la formule « Asie-Pacifique » au profit du terme « Indo-Pacifique », devenu à la mode aux États-Unis.</p>
<p>Après trois décennies passées à privilégier le commerce et l’investissement dans un contexte multilatéral, le discours <em>geoéconomique</em> a cédé la place à un discours <em>géopolitique</em> centré sur « l’inflation des menaces » et sur la coopération en matière de sécurité. Après la <a href="https://www.defense.gouv.fr/dgris/enjeux-regionaux/strategie-francaise-indopacifique">France</a> (2018), puis <a href="https://allemagneenfrance.diplo.de/fr-fr/actualites-nouvelles-d-allemagne/01-Politiquefederale/-/2618320#">l’Allemagne</a> et les <a href="https://www.government.nl/documents/publications/2020/11/13/indo-pacific-guidelinesen2020">Pays-Bas</a>, l’UE a lancé sa <a href="https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2022-0276_FR.html">Stratégie indo-pacifique</a> en septembre 2021. Après une <a href="https://www.eeas.europa.eu/eeas/forum-pour-la-coop%C3%A9ration-dans-lindo-pacifique_fr">première édition en 2022</a>, le <a href="https://agenceurope.eu/fr/bulletin/article/13339/12">deuxième forum UE-Indo-Pacifique</a> s’est tenu à Bruxelles fin janvier 2024.</p>
<p>Qu’il soit question d’Asie-Pacifique ou d’Indo-Pacifique, ces formules et les discours qui les emploient ne permettent pas de dissocier les particularités des pays de la région concernée, à l’exception de la Chine, de l’Inde et du Japon. Après la fin de la guerre du Vietnam en 1975, l’attention européenne en Asie s’est largement déplacée vers l’Asie du Nord-Est – d’abord avant tout vers le Japon puis, progressivement, vers la Corée du Sud et désormais vers la Chine. L’expression « Asie-Pacifique » concernait en réalité surtout les relations économiques entretenues avec ces trois États, les pays de l’Asie du Sud-Est étant relégués au deuxième plan. Quant à la formule « Indo-Pacifique », elle désigne, pour l’essentiel, la vision géopolitique qu’a Washington de la rivalité sino-américaine, et ignore largement les objectifs et les actions propres des autres pays asiatiques surtout en Asie du Sud-est.</p>
<p>Le cas de l’Indonésie est particulièrement éclairant de ce point de vue. L’UE a pu à l’occasion souligner que l’Asean représente pour elle un partenaire soutenant un ordre international multilatéral et avec lequel elle a engagé des négociations pour un accord de libre-échange (le <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2024/02/02/joint-statement-of-the-24th-eu-asean-ministerial-meeting/">24ᵉ sommet UE-Asean</a> vient de se tenir à Bruxelles le 2 février 2024) ; mais le plus grand État de la région figure rarement dans les réflexions de l’Union, en dehors de son statut de membre de l’Asean. Dans les faits, les invocations rituelles par l’UE de la « centralité de l’Asean » et de la nécessité de promouvoir l’« interrégionalisme » réduisent l’Indonésie à un simple rouage d’un mécanisme régional secondaire. Cependant, l’Indonésie va sans doute bientôt rejoindre d’autres « tigres asiatiques » comme la Corée du Sud, en adhérant à ce « club des riches » qu’est l’OCDE.</p>
<h2>Une « démocratie imparfaite » ?</h2>
<p>Or l’Indonésie n’est pas seulement le plus grand pays de l’Asean, mais aussi le plus grand pays à majorité musulmane du monde, fort de quelque 280 millions d’habitants qui, ce 14 février, seront <a href="https://www.la-croix.com/international/presidentielle-en-indonesie-205-millions-d-electeurs-dans-larchipel-aux-milliers-diles-20240213">appelés aux urnes</a> pour choisir leur nouveau président ainsi que les 580 députés du Parlement national et des élus locaux dans le cadre d’élections qui s’annoncent <a href="https://www.nytimes.com/2024/02/12/world/asia/indonesia-presidential-election-explained.html">libres et équitables</a>. Cependant, la préparation du scrutin a été entachée par des <a href="https://www.rfi.fr/en/international-news/20240212-vote-buying-shadows-indonesian-election">accusations d’achat de voix</a> et, surtout, par des décisions juridiques discutables comme la <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20231019-pr%C3%A9sidentielle-2024-indon%C3%A9sie-les-candidats-dont-le-fils-du-pr%C3%A9sident-peuvent-d%C3%A9sormais-se-d%C3%A9clarer-joko-widodo">baisse par la Cour suprême de l’âge minimal pour être candidat</a>, afin de permettre au fils aîné du président Widodo de se porter candidat à la vice-présidence.</p>
<p>Cinq débats thématiques télévisés de deux heures et demie chacun mettant aux prises les candidats à la présidence et à la vice-présidence ont eu lieu depuis la fin décembre 2023. Ils ont été suivis avec attention par une population politiquement active. La sobriété relative des analyses politiques avancées lors de ces débats et le taux de participation annoncé, qui devrait s’établir à environ 70 % des inscrits, pourraient susciter l’envie de nombreux Occidentaux.</p>
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<p>L’<em>Economist Intelligence Unit</em> <a href="https://www.eiu.com/n/campaigns/democracy-index-2022/">classe l’Indonésie dans la même catégorie que les États-Unis</a>, à savoir celle des « démocraties imparfaites ». Comme aux États-Unis, mais à un moindre degré, les candidats indonésiens sont placés devant la difficile tâche de trouver les financements considérables nécessaires pour payer leur campagne. Malgré ces problèmes, les élections à venir permettront selon toute probabilité de confirmer que la <a href="https://hal.science/hal-03046614/document">transition démocratique</a> a été largement réussie, grâce à une consolidation démocratique ininterrompue depuis la <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/430">fin de la dictature de Suharto en 1998</a>. Et contrairement aux États-Unis, il apparaît certain que les perdants des élections du 14 février accepteront leur défaite.</p>
<p>Ces 25 dernières années a été mis en place un modèle de gouvernance décentralisée qui a su maintenir l’unité nationale de cet État archipélagique composé de quelque 18 000 îles – dont un tiers sont habitées –, de 1 340 groupes ethniques et de près de 600 langues et dialectes. Les armoiries indonésiennes portent d’ailleurs une devise qui se traduit par « Unité dans la diversité » ; c’est précisément ce que promeut l’Union européenne.</p>
<p>Après la fin de la dictature de Suharto, l’Indonésie a lancé une transition assez inhabituelle. Ainsi,le dictateur déchu a été autorisé à se retirer et est mort paisiblement en 2008, <a href="https://www.ladepeche.fr/article/2008/01/27/429463-l-ex-dictateur-indonesien-suharto-est-mort.html">sans avoir été jugé</a>. Les Indonésiens souhaitaient une <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/indonesie-l-indonesie-contemporaine/10-la-chute-de-suharto-et-l-avenement-de-la-reformasi/">Reformasi</a> (réforme) et non une révolution. Aucune nouvelle Constitution n’a été immédiatement imposée et, si les militaires ont d’abord conservé leurs 20 % de sièges au Parlement national, ce nombre a été progressivement réduit à zéro.</p>
<p>Le transfert de ressources et l’octroi d’un certain degré d’autonomie ont permis de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/14678802.2019.1705071">mettre fin à une longue rébellion séparatiste à Aceh</a>. Malgré sa diversité, la langue s’est également révélée être une force unificatrice dans la création d’un État-nation. L’adoption dès l’indépendance (en 1945) du bahasa indonesia – une variante du malais – a été un cas d’école d’imposition réussie d’une langue nationale unificatrice.</p>
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<p>Cette trajectoire progressivement démocratique n’a pas fait les gros titres aux États-Unis et en Europe mais ses conséquences sont profondes, comme le démontrent la conscience politique et les exigences de la <a href="https://jakartaglobe.id/news/first-time-voters-how-is-gen-z-voting-in-the-2024-election">génération Z de l’Indonésie, qui jouera un rôle décisif dans l’issue du scrutin</a> du 14 février.</p>
<h2>Un pays méconnu des Occidentaux ?</h2>
<p>En Europe, l’Indonésie et sa langue ne sont étudiées de façon approfondie que dans quelques établissements spécialisés tels que la <a href="https://www.soas.ac.uk/research/publications/soas-journals-and-books/indonesia-and-malay-world">SOAS</a> à Londres, <a href="http://www.inalco.fr/evenement/conference-place-indonesie-scene-internationale">l’INALCO</a> à Paris et, pour des raisons historiques, <a href="https://www.universiteitleiden.nl/en/dossiers/indonesia">plusieurs universités aux Pays-Bas</a>.</p>
<p>De même, au niveau de la politique étrangère, l’Europe manque d’intérêt et de compréhension pour l’Indonésie et son rôle dans les affaires mondiales. Le comportement international de Djakarta a considérablement mûri depuis l’époque de l’annexion brutale du Timor oriental sous Suharto en 1975. Après sa chute, son successeur immédiat (et ancien vice-président) B. J. Habibie a autorisé la tenue en 1999 d’un référendum sur l’indépendance du Timor oriental, qui a abouti à <a href="https://theconversation.com/timor-oriental-une-democratie-tenace-20-ans-apres-lindependance-182729">l’indépendance de celui-ci en 2002</a>. Habibie a également ratifié plusieurs des principaux textes des Nations unies relatifs aux droits humains.</p>
<p>Un examen attentif de la politique étrangère indonésienne révèle que celle-ci se caractérise par un degré d’innovation dont les dirigeants européens et américains, pris dans leur jeu à somme nulle consistant à compter leurs alliés dans la rivalité entre les États-Unis et la Chine, pourraient s’inspirer. La communauté européenne de la sécurité et de la politique étrangère peut apprendre d’États comme l’Indonésie qui ne souscrivent ni à une vision binaire – libérale ou révisionniste – de l’ordre mondial ni à une vision tout aussi binaire – économique (« Asie-Pacifique ») ou géopolitique (« Indo-Pacifique »), de la région indonésienne.</p>
<h2>Une voix singulière sur la scène internationale</h2>
<p>L’Indonésie est un exemple positif de puissance moyenne démocratique émergente ayant une longue tradition d’indépendance de pensée et d’action. Rappelons qu’elle a été <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/publications/manuel_d_histoire_critique/a53274#">à l’origine du mouvement des pays non alignés en 1955</a>. Son architecte, le premier président indonésien, Sukarno, considérait le groupe de Bandung comme un forum intergouvernemental sur la démocratie, et non pas entre les démocraties.</p>
<p>Le gouvernement indonésien cherche aujourd’hui encore à se positionner en tant qu’acteur international responsable dans d’autres cadres institutionnels multilatéraux tels que le G20, dont il a assuré la présidence en 2022.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573844/original/file-20240206-24-f69bcm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573844/original/file-20240206-24-f69bcm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573844/original/file-20240206-24-f69bcm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573844/original/file-20240206-24-f69bcm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573844/original/file-20240206-24-f69bcm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573844/original/file-20240206-24-f69bcm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573844/original/file-20240206-24-f69bcm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Joe Biden, Narendra Modi et le président indonésien Joko Widodo lors du G20 à Bali le 16 novembre 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://picryl.com/media/president-biden-met-with-prime-minister-modi-and-president-widodo-at-the-margins-a0ae08">Executive Office of the President of the United States</a></span>
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<p>L’Indonésie a une <a href="https://issues.fr/la-fin-de-bebas-aktif-la-politique-etrangere-de-lindonesie-a-la-croisee-des-chemins/">vision distincte et évolutive de l’ordre international</a>, projetant une conception asiatique des normes démocratiques qui lui permet de s’engager de manière constructive, et non servile, dans les affaires du monde. Sa volonté de contribuer à l’intégration régionale est clairement en harmonie avec la vision européenne de l’ordre international ; et ses préoccupations concernant l’influence souvent indue et ouvertement autoritaire des grandes puissances sur cet ordre mondial devraient également donner des idées à l’UE dans la recherche d’une certaine autonomie stratégique.</p>
<p>La pensée indonésienne en matière de politique étrangère est restée cohérente dans le temps. En pleine guerre froide, Mohammad Hatta, le premier vice-président de l’Indonésie, a été l’un des premiers à préconiser un positionnement international médian – une posture exprimée dans le concept de <a href="https://asianews.network/indonesias-diplomacy-rowing-between-two-reefs-in-a-fast-changing-world/">« naviguer entre deux récifs »</a>.</p>
<p>S’inspirant de la notion de patrie propre à l’Indonésie – qui implique la terre mais aussi la mer –, le ministre des Affaires étrangères Adam Malik a été l’un des principaux architectes de la <a href="https://www.imo.org/fr/ourwork/legal/pages/unitednationsconventiononthelawofthesea.aspx">Convention des Nations unies sur le droit de la mer</a> de 1973. L’Indonésie a également défini le <a href="https://www.defnat.com/e-RDN/vue-article.php?carticle=2081">concept d’État archipélagique</a> doté d’une forme particulière de souveraineté territoriale. Plus récemment, Marty Natalegawa, ministre des Affaires étrangères de 2009 à 2014, a avancé l’idée d’« équilibre dynamique », qui rejette une formule d’ordre mondial déterminé par la rivalité des grandes puissances.</p>
<h2>Le multilatéralisme comme principe central de politique étrangère</h2>
<p>Le poids international croissant de l’Indonésie, en particulier au sein de l’Asean, se reflète aussi dans l’adoption par l’organisation, en 2019 des <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2023-1-page-105.htm">Perspectives de l’Asean sur l’Indo-Pacifique</a> (Asean Outlook on the Indo-Pacific, AOIP), qui préconisent un ordre régional prudent, mais néanmoins inclusif, vis-à-vis de la Chine. Cela contraste fortement avec les vues actuelles de Washington et de ses partenaires les plus proches sur l’« Indo-Pacifique ».</p>
<p>En cette période de polarisation de plus en plus sensible au niveau mondial, l’Indonésie reste partisane du principe, inscrit dans le système des Nations unies, de l’action collective multilatérale pour la résolution des problèmes, et continue d’afficher son attachement à certains des principes fondamentaux d’un ordre libéral, de la démocratie et des droits de l’homme, et en particulier aux avantages matériels en matière de développement qui découlent de la démocratie. Elle pratique largement ces principes, mais rejette les tentatives occidentales de les universaliser. Elle a choisi de <a href="https://eastasiaforum.org/2023/10/25/why-indonesia-chose-autonomy-over-brics-membership/">ne pas rejoindre les BRICS</a> mais considère que son positionnement de moyenne puissance atypique du « Sud global » l’autorise à s’exprimer aussi bien <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/fr%C3%A9quence-asie/20231014-quelles-sont-les-positions-de-l-indon%C3%A9sie-sur-le-conflit-isra%C3%A9lo-palestinien">sur la guerre entre Israël et Hamas</a> que <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/l-indonesie-propose-un-plan-de-paix-pour-l-ukraine-et-la-russie-20230603">sur la guerre en Ukraine</a>. Elle souhaite <a href="https://eastasiaforum.org/2023/09/10/indonesias-quest-to-join-the-oecd-and-become-a-high-income-country/">devenir le troisième membre asiatique de l’OCDE</a>, et les membres actuels de l’OCDE (à l’exception aujourd’hui d’Israël) souhaitent son adhésion.</p>
<p>En résumé, compte tenu de l’importance croissante de l’Indonésie en tant qu’acteur international majeur, le manque d’attention de l’Europe à son égard est un manque de vision. Cette négligence est à tout le moins contre-productive sur le plan économique et malavisée sur le plan stratégique, à une époque où la confrontation géopolitique est exacerbée. À l’ère moderne, rares sont les États dont la politique étrangère est largement motivée, en plus de la promotion de leurs propres intérêts, par un engagement croissant en faveur de leurs valeurs démocratiques, comme c’est le cas de l’Indonésie depuis la fin du XX<sup>e</sup> siècle. L’Europe ferait bien d’en prendre conscience.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222844/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’UE ne prête pas une attention suffisante à l’Indonésie, ce géant asiatique qui depuis 25 ans est engagé dans une transition démocratique réussie et mène une politique étrangère équilibrée.David Camroux, Senior Research Associate (CERI) Sciences Po; Professorial Fellow, (USSH) Vietnam National University, Sciences Po Richard Higgott, Distinguished Professor of Diplomacy (Brussels School of Governance), Emeritus Professor of International Political Economy at the University of Warwick, University of WarwickLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2210462024-02-05T15:13:19Z2024-02-05T15:13:19ZLe basketball, élément majeur de l’affirmation nationale de la Lituanie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/572443/original/file-20240131-27-19vs3b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C5%2C3458%2C2004&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le 24&nbsp;février 2002, jour du début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, des supporters du Zalgiris Kaunas brandissent des drapeaux lituaniens et un drapeau ukrainien, ainsi qu’une banderole proclamant en ukrainien «&nbsp;Ukrainiens&nbsp;! La Lituanie est avec vous&nbsp;!&nbsp;» Le club a toujours intégré une dimension politique dans son action.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://twitter.com/bczalgiris/status/1496795504742739971?lang=ar-x-fm">Compte X (anciennement Twitter) du Zalgiris Kaunas</a></span></figcaption></figure><p>La date du 15 juillet 1410 est aussi bien connue des écoliers lituaniens que celle de la bataille de Marignan l’est des écoliers français. Ce jour-là, lors de la <a href="https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/192516">bataille de Zalgiris</a> (prononcer Jalgiris) (Grunwald pour les Polonais, Tannenberg pour les Allemands), l’alliance du royaume de Pologne et du grand-duché de Lituanie y écrasa les chevaliers teutoniques et mit un coup d’arrêt à leurs visées expansionnistes. Dès lors, il y a une dimension symbolique à ce que le principal club lituanien de basketball, fondé le 15 avril 1944, pendant l’occupation nazie, à Kaunas (la deuxième ville du pays) se nomme précisément <a href="https://zalgiris.lt/">« Zalgiris »</a>.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2023/08/05/le-basket-en-lituanie-un-symbole-de-liberte-face-a-la-russie-on-se-disait-que-si-on-battait-l-equipe-de-l-armee-rouge-on-pouvait-devenir-independants_6184495_4500055.html">Le basketball</a> joue un rôle important dans l’histoire nationale de la Lituanie. Ce sport a été l’un des premiers moyens d’affirmation de ce petit État balte, indépendant de 1918 à 1940, grâce aux victoires de l’équipe nationale lors des championnats d’Europe de 1937 et 1939, sous la conduite de Pranas Lubinas (Frank Lubin). Né aux États-Unis de parents lituaniens, il gagne la médaille d’or au sein de l’équipe nationale américaine aux Jeux olympiques de 1936, avant de rejoindre le pays de ses parents l’année suivante ; son rôle de joueur et d’entraîneur lui vaudra le surnom de <a href="https://www.lrt.lt/en/news-in-english/19/1056268/godfather-of-lithuanian-basketball-lubinas-to-be-memorialized-in-us">« père fondateur du basketball lituanien »</a>, même s’il devra fuir devant l’avancée nazie et revenir aux États-Unis.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569050/original/file-20240112-25-hhrkk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569050/original/file-20240112-25-hhrkk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569050/original/file-20240112-25-hhrkk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569050/original/file-20240112-25-hhrkk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=490&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569050/original/file-20240112-25-hhrkk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569050/original/file-20240112-25-hhrkk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569050/original/file-20240112-25-hhrkk8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=616&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Pranas Lubinas sous le maillot lituanien au Championnat d’Europe 1939.</span>
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<p>Avant la guerre, et plus encore après, que ce soit durant l’appartenance à l’URSS ou à partir de la nouvelle indépendance effective en 1990, le basketball s’est affirmé comme le sport numéro un du pays, pour ne pas dire une seconde religion.</p>
<h2>Époque soviétique : le Zalgiris, incarnation du patriotisme lituanien</h2>
<p>Devenue à son corps défendant une république de l’URSS après la Seconde Guerre mondiale, à l’instar des deux autres pays baltes (l’Estonie et la Lettonie), la Lituanie a vu son identité nationale menacée par la soviétisation, laquelle s’est notamment traduite par la <a href="https://gulag.online/articles/soviet-repression-and-deportations-in-the-baltic-states">déportation de centaines de milliers de personnes</a> dans la seconde moitié des années 1940.</p>
<p>Il est significatif que le basketball ait été populaire à la fois dans les camps de réfugiés d’Europe occidentale et dans les goulags de Sibérie. Ce sport est devenu un symbole d’identification et d’expression personnelle pour les communautés lituaniennes émigrées en <a href="https://www.researchgate.net/publication/233157721_A_Revitalized_Dream_Basketball_and_National_Identity_in_Lithuania">Australie, en Amérique du Sud et aux États-Unis</a>.</p>
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<p>Pendant la période d’occupation, le Zalgiris Kaunas a été intégré au système sportif soviétique, remportant pour la première fois le championnat d’URSS dès 1947. Le basketball soviétique était marqué par une forte rivalité entre les clubs baltes, géorgiens, ukrainiens et les équipes russes de Moscou et de Saint-Pétersbourg (Leningrad à l’époque). Au-delà des querelles de clocher locales, le Zalgiris s’est solidement affirmé comme une fierté nationale dépassant le cadre sportif.</p>
<p>Jusqu’au milieu des années 1980, c’est le CSKA Moscou qui remporte régulièrement la palme. En tant que club de l’Armée rouge, il bénéficie du réservoir humain des forces armées et symbolise la mainmise moscovite sur les républiques soviétiques. Mais à partir de 1985, le Zalgiris Kaunas gagne plusieurs fois le championnat d’URSS (1985/1986/1987), ainsi que la <a href="https://www.fiba.basketball/intercontinentalcup/2020/news/long-rich-history-of-fiba-intercontinental-cup">Coupe intercontinentale</a> en 1986, à Buenos Aires.</p>
<p>Les témoignages des joueurs et du staff de l’équipe à propos de cette dernière victoire sont édifiants : c’est à cette occasion qu’ils ont pu voir pour la première fois le <a href="https://www.taurillon.org/de-rejet-en-rejet-jusqu-a-la-continuite-histoire-mouvementee-du-drapeau">véritable drapeau de leur pays</a> (brandi par des expatriés lituaniens en Argentine) et non celui imposé par Moscou. L’entraîneur de l’époque se fera même confisquer la cassette du match par un agent du KGB à son retour <a href="https://www.youtube.com/watch?v=IJUw3elgEbk">car on y voyait ces drapeaux</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569052/original/file-20240112-15-qefiua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569052/original/file-20240112-15-qefiua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569052/original/file-20240112-15-qefiua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569052/original/file-20240112-15-qefiua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=414&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569052/original/file-20240112-15-qefiua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569052/original/file-20240112-15-qefiua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569052/original/file-20240112-15-qefiua.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=521&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’équipe du Žalgiris Kaunas après la victoire en finale de 1986.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.15min.lt/24sek/naujiena/lietuva/jie-nugaledavo-cska-ka-dabar-veikia-auksines-karstliges-laiku-zalgirieciai-875-1610784">15min.lt</a></span>
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<p>Ces succès ont eu un impact significatif sur le moral des Lituaniens et ont renforcé leur identité nationale. De fait, dans cette période de transformation de la fin des années 1980, les matchs entre le CSKA et Žalgiris ont attiré plus que jamais l’attention du public et ont même donné lieu à des manifestations antisoviétiques.</p>
<p>Ces rencontres – et spécialement les victoires remportées par l’équipe lituanienne dans le sillage notamment de sa star Arvydas Sabonis, sans doute à ce jour le sportif lituanien le plus célèbre de l’histoire – ont été considérées comme des étapes majeures dans le processus de reconquête de l’indépendance de la Lituanie dans la mesure où elles ont donné au peuple lituanien une plate-forme pour réaliser que la grande Union soviétique pouvait être vaincue, même si ce n’était que métaphoriquement.</p>
<p>En réalité, le succès de Žalgiris et l’intensité du soutien dont le club bénéficie en Lituanie ont constitué une arme à double tranchant pour les autorités soviétiques, qui <a href="https://www.jstor.org/stable/43212193">tentaient d’utiliser le sport comme outil de rapprochement entre les peuples de l’Union soviétique</a>.</p>
<p>En cas de victoire l’enthousiasme et la mobilisation des Lituaniens étaient incommensurables, à tel point qu’à leur retour victorieux de Moscou en 1987, l’avion des joueurs n’a pas pu se poser sur la piste de l’aéroport de Kaunas envahie par des milliers de supporters.</p>
<p><a href="https://www.dukeupress.edu/big-game-small-world">Selon l’ancien président de la République de Lituanie Valdas Adamkus</a> (1998-2003 et 2004-2009), « pendant les 50 années d’occupation, le basketball était une expression de la liberté. Le pays tout entier essayait de battre les Russes et de montrer que nous étions supérieurs dans ce domaine. Le jeu reflétait notre volonté de gagner contre nos oppresseurs et soutenait notre espoir et notre détermination ».</p>
<h2>L’ouverture sur le monde occidental</h2>
<p>Par ailleurs, la victoire obtenue en championnat en 1986, qui a permis à l’équipe lituanienne de participer à la coupe d’Europe, a constitué une fenêtre sur le monde occidental que les joueurs emblématiques (Arvydas Sabonis, mais aussi Valdemaras Chomicius ou encore Rimas Kurtinaitis) de l’époque ont su saisir. L’équipe, tout comme la sélection nationale pas la suite (médaillée de bronze aux Jeux olympiques de 1992), a acquis une importance culturelle majeure en raison des restrictions que les Lituaniens avaient subies pendant les longues années du régime soviétique. Elle symbolisait une équipe générationnelle qui cherchait à faire valoir les orientations, les systèmes de valeurs et l’éthique de son pays d’origine.</p>
<p>Naturellement, le basketball n’a pas été l’unique élément de l’identité nationale lituanienne : des mouvements artistiques, intellectuels et scientifiques ont existé à côté de lui et ont également eu un impact notable. En outre, la politique de russification et de soviétisation n’a pas été entièrement menée à bien, de sorte que la langue lituanienne a été préservée dans les écoles et l’église.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-le-rugby-est-devenu-un-element-majeur-de-lidentite-irlandaise-216467">Comment le rugby est devenu un élément majeur de l’identité irlandaise</a>
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<p>Néanmoins, le basketball a influencé la formation de l’identité nationale depuis son introduction en Lituanie jusqu’à aujourd’hui. Il a fourni à l’ensemble du peuple, et pas seulement aux fans de sport, des héros nationaux emblématiques qui ont promu la Lituanie dans le monde entier, ainsi que des symboles forts. Le club de Zalgiris peut indéniablement être considéré comme l’un de ces symboles.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/569055/original/file-20240112-21-va5dfq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Soutien affiché à l’Ukraine lors d’un match d’Euroleague.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Après l’indépendance de la Lituanie en 1990, le Zalgiris s’est rapidement intégré dans les compétitions sportives continentales, remportant l’EuroLeague, la plus prestigieuse compétition de basketball en Europe en 1999.</p>
<p>Désormais, c’est au sein de la Zalgirio Arena, une arène ultramoderne à Kaunas, que le club a élu domicile et continue à faire passer des messages, spécialement au voisin russe, comme en témoigne le <a href="https://basketnews.com/news-167248-zalgiris-organized-a-shipment-of-medicines-to-ukrainian-people.html">soutien indéfectible à l’Ukraine</a> qui y est déployé à chaque match.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221046/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Serry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Zalgiris de Kaunas est un symbole majeur de l’identité nationale du petit pays balte, et porte depuis l’époque soviétique de nombreux combats qui dépassent le cadre du sport.Arnaud Serry, Maitre de conférences en géographie, Université Le Havre NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2220152024-01-29T08:32:00Z2024-01-29T08:32:00ZLe procès pour génocide intenté contre Israël est le moment le plus glorieux de la politique étrangère de l'Afrique du Sud depuis trois décennies<p>Le 11 janvier 2024, l'Afrique du Sud a <a href="https://www.icj-cij.org/case/192">traduit</a> Israël devant la Cour internationale de justice (CIJ) pour violation de la <a href="https://www.un.org/fr/genocideprevention/genocide-convention.shtml">Convention sur le génocide de 1948</a>. Cette accusation porte sur les bombardements indiscriminés et le siège de Gaza par Israël à la suite de l'attaque meurtrière du 7 octobre contre Israël par le Hamas, qui a coûté la vie à 1 200 Israéliens.</p>
<p>Plus de 25 000 Palestiniens, dont au moins la moitié sont des enfants, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2043356/gaza-plus-25000-morts-israel-poursuit-bombardements">auraient été tués</a> dans les attaques de représailles israéliennes. Le siège a provoqué une crise humanitaire, avec des civils ayant du mal à se procurer de la nourriture et n'ayant pas accès aux hôpitaux, qui ont été <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/gouvernement-de-gaza-isra%C3%ABl-a-d%C3%A9truit-plus-de-61-des-maisons-dans-la-bande-de-gaza/3079004">presque totalement détruits</a>.</p>
<p>L'équipe d'avocats sud-africains a plaidé auprès de la Cour pour l'instauration de <a href="https://theconversation.com/south-africas-genocide-case-against-israel-expert-sets-out-what-to-expect-from-the-international-court-of-justice-220692">mesures provisoires</a> - des ordonnances temporaires visant à mettre fin à des dommages irréparables, incluant un cessez-le-feu immédiat - pendant que la Cour examine le bien-fondé de l'affaire.</p>
<p>En tant qu'observateurs des relations internationales de l'Afrique du Sud, nous considérons cette initiative comme le couronnement de la politique étrangère du pays depuis la fin de l'apartheid en 1994.</p>
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Read more:
<a href="https://theconversation.com/south-africas-foreign-policy-under-ramaphosa-has-seen-diplomatic-tools-being-used-to-provide-leadership-as-global-power-relations-shift-218966">South Africa's foreign policy under Ramaphosa has seen diplomatic tools being used to provide leadership as global power relations shift</a>
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</p>
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<p>La libération de l'Afrique du Sud est parfois présentée comme le <a href="https://global.oup.com/academic/product/postscripts-on-independence-9780199479641?cc=us&lang=en&%20;">dernier acte</a> de la décolonisation du XXe siècle : l'apogée de la solidarité du <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMDictionnaire/1517">tiers-monde</a>. La nouvelle approche du pays en matière de politique étrangère symbolisait les espoirs des pays qui luttaient pour la liberté. Le document de discussion de l'ANC (aujourd'hui au pouvoir) de 1994 <a href="https://www.anc1912.org.za/policy-documents-1994-foreign-policy-perspective-in-a-democratic-south-africa/">déclarait</a> : </p>
<blockquote>
<p>une Afrique du Sud démocratique sera solidaire de tous ceux dont la lutte se poursuit.</p>
</blockquote>
<h2>De Mandela à Ramaphosa</h2>
<p>Nelson Mandela, le premier président de l'Afrique du Sud démocratique, <a href="https://www.dakaractu.com/Les-combats-de-Mandela-pour-la-paix-et-la-justice-en-Afrique_a57484.html">plaidait en faveur des droits de l'homme</a>, parfois même aux dépens des <a href="https://www.icirnigeria.org/mandela-begged-abacha-not-to-execute-ken-saro-wiwa-and-companions/">partenaires africains</a>. Cette promesse initiale a été progressivement mise en veilleuse. </p>
<p>En 1995, par exemple, Mandela a supplié le chef d'État militaire nigérian de l'époque <a href="https://www.liberation.fr/planete/1998/06/09/nigeria-mort-brutale-du-dictateur-abacha-le-chef-d-etat-aurait-ete-victime-d-une-crise-cardiaque_240764/">Sani Abacha</a> d'épargner la vie de <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/ken-saro-wiwa/">Ken Saro-Wiwa</a> et de huit autres militants Ogoni. Ils étaient des critiques de l'inaction du gouvernement nigérian à l'égard des compagnies pétrolières étrangères qui causent des dommages à l'environnement, ils furent accusés d'avoir assassiné des chefs ogoni. Les supplications de Mandela étaient restées lettre morte et ils furent <a href="https://www.hrw.org/legacy/french/reports/nigeria96/6.htm">exécutés</a>.</p>
<p>Dans sa <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1995/11/12/le-commonwealth-suspend-le-nigeria-apres-la-pendaison-d-opposants-l-ecrivain-ken-saro-wiwa-et-huit-autres-militants-de-la-cause-ogonie-ont-ete-executes-vendredi-10-novembre_3883656_1819218.html">réponse cinglante</a>, Mandela avait demandé que le Nigeria soit exclu du Mouvement des non-alignés et du Commonwealth jusqu'à ce qu'il établisse un régime démocratique. L'Afrique du Sud avait également rappelé son ambassadeur à Lagos pour consultations.</p>
<p>Depuis la fin des années 1990, sous les présidences successives de Thabo Mbeki, Jacob Zuma et Cyril Ramaphosa, le gouvernement sud-africain a souvent apporté son soutien à des régimes autoritaires dans le Sud, souvent au détriment des luttes populaires. Parmi les exemples, on peut citer la <a href="https://www.theguardian.com/world/2011/sep/27/dalai-lama-banned-south-africa">Chine</a>, la <a href="https://www.actionsa.org.za/human-rights-will-be-the-light-that-guides-actionsas-foreign-policy/">Russie</a>, le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/07/07/arrestation-d-al-bachir-la-cpi-juge-que-l-afrique-du-sud-a-manque-a-son-devoir-mais-s-abstient-de-sanction_5157268_3212.html">Soudan</a> et le <a href="https://www.aljazeera.com/opinions/2023/6/8/south-africa-is-failing-and-its-failing-zimbabwe-too">Zimbabwe</a>. </p>
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Read more:
<a href="https://theconversation.com/south-africa-and-russia-president-cyril-ramaphosas-foreign-policy-explained-198430">South Africa and Russia: President Cyril Ramaphosa's foreign policy explained</a>
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<p>La politique étrangère sud-africaine est souvent décrite comme <a href="https://open.uct.ac.za/items/9dbfd78a-e95b-469c-8131-f2bd263f385d">incohérente</a>, <a href="https://www.jstor.org/stable/10.18772/22010105027.14">peu claire et peu sincère</a>. </p>
<p>La Palestine demeure le seul dossier de libération d'un peuple sur lequel le soutien de l'Afrique du Sud a été indéniablement constant. </p>
<h2>Solidarité avec la Palestine</h2>
<p>Pendant la guerre froide, les États sud-africain de l'apartheid et israélien ont <a href="https://www.sahistory.org.za/archive/unspoken-alliance-israels-secret-relationship-apartheid-south-africa-sasha-polakow-suransky">collaboré</a> sur des questions militaires, diplomatiques et nucléaires. Les mouvements de libération de ces deux pays - à savoir l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et le Congrès national africain (ANC) - pratiquaient une forme alternative d'internationalisme. Il s'agissait d'un internationalisme subversif, inspiré par la solidarité des peuples du tiers-monde. </p>
<p>En 1974, lorsque le chef de l'OLP, Yasser Arafat, <a href="https://www.un.org/unispal/wp-content/uploads/1974/11/a238ec7a3e13eed18525624a007697ec_French.pdf">s'est adressé</a> à l'Assemblée générale des Nations unies, devenant ainsi le premier dirigeant de mouvements de libération à le faire, il a demandé que ce droit soit étendu à d'autres mouvements de libération. Arafat avait profité de l'occasion pour dénoncer le régime d'apartheid avec la même véhémence que celle qu'il mettait à critiquer Israël.</p>
<p>Deux ans plus tard, le président de l'ANC de l'époque, <a href="https://theconversation.com/south-africas-anc-is-celebrating-the-year-of-or-tambo-who-was-he-85838">Oliver Tambo</a>, a pris la parole devant la même instance et a <a href="http://www.gutenberg-e.org/pohlandt-mccormick/pmh03i.html">salué</a> le leadership d'Arafat sur cette question tout en exprimant sa “solidarité inébranlable” avec les Palestiniens.</p>
<p>Outre le soutien diplomatique, les deux mouvements partageaient les mêmes tactiques de résistance.</p>
<p>La faction d'Arafat au sein de l'OLP, le Fatah, a aidé l'ANC et d'autres mouvements de résistance <a href="https://global.oup.com/academic/product/armed-struggle-and-the-search-for-state-9780198292654?lang=en&cc=gb">à acquérir des formations et des armes</a>. Il est important de noter que les relations entre Tambo et Arafat étaient basées sur la confiance. En 1988, Tambo a demandé à Arafat de l'aider à obtenir des fonds des pays du Moyen-Orient et a demandé à l'OLP de devenir l'administrateur financier des fonds provenant de cette région. </p>
<h2>Le pilier</h2>
<p>Cette cohérence d'approche et de soutien s'est reflétée dans le dossier de l'Afrique du Sud devant la Cour Internationale de Justice, ramenant ainsi la promesse de libération au coeur de la conscience nationale sud-africaine. Cette initiative illustre une clarté souvent négligée dans la politique étrangère du pays en raison de ses <a href="https://open.uct.ac.za/items/9dbfd78a-e95b-469c-8131-f2bd263f385d">incohérences</a> qui ont abouti à des choix contradictoires au 21e siècle. </p>
<p>Elle reste fidèle aux <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/south-africa/1993-12-01/south-africas-future-foreign-policy">principes fondateurs</a> de la politique post-apartheid. Non seulement cela était nécessaire dans l'approche du pays sur les questions internationales, mais cela revêt également une importance capitale pour la restauration de l'estime de soi. </p>
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Read more:
<a href="https://theconversation.com/south-africas-foreign-policy-new-paper-sets-the-scene-but-falls-short-on-specifics-188253">South Africa's foreign policy: new paper sets the scene, but falls short on specifics</a>
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<p><a href="https://theconversation.com/south-africas-legal-team-in-the-genocide-case-against-israel-has-won-praise-who-are-they-221019">L'équipe sud-africaine</a> à La Haye comprenait des opposants au gouvernement de l'ANC. Alors que les membres de l'équipe exposaient les arguments juridiques et éthiques contre les ambitions génocidaires d'Israël, la nation les observait avec espoir. </p>
<p>Pouvait-on enfin s'attendre à ce que sa diplomatie soit à la hauteur des idéaux élevés que le pays s'était fixés à la fin de l'apartheid? </p>
<p>La comparution de l'Afrique du Sud devant la Cour internationale de Justice confirme le besoin de retrouver la boussole morale que le gouvernement de l'ANC a <a href="https://pari.org.za/new-book-state-capture-in-south-africa-how-and-why-it-happened/">perdue</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222015/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>The authors do not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and have disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>La uestions palestine demeure le seul dossier de libération d'un peuple sur lequel le soutien de l'Afrique du Sud a été indéniablement constant.Peter Vale, Senior Research Fellow, Centre for the Advancement of Scholarship, University of Pretoria., University of PretoriaVineet Thakur, Assistant Professor, International Relations, Leiden UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2212412024-01-17T16:48:30Z2024-01-17T16:48:30ZÉlection de Lai Ching-te à Taïwan : quel impact sur la relation avec Pékin ?<p>Le 13 janvier 2024, le vice-président sortant Lai Ching-te (William Lai), membre du Parti démocrate progressiste (DPP) de la présidente Tsai Ing-wen (élue en 2016 et réélue en 2020), a <a href="https://fr.euronews.com/2024/01/13/election-presidentielle-a-taiwan-les-taiwanais-ont-vote-le-candidat-du-parti-au-pouvoir-fa">remporté l’élection présidentielle taïwanaise</a> avec 40,1 % des suffrages. Il devance les représentants des deux autres grands partis taïwanais : Hou You-yi (Kuomintang, 33,5 %) et Ko Wen-je (Parti populaire taïwanais, 26,5 %). Ces deux formations avaient brièvement envisagé une candidature commune mais n’étaient pas parvenues à s’entendre et se présentèrent en ordre dispersé.</p>
<p>Lai, 64 ans, sera pour les quatre prochaines années le septième président de la République de Chine (Taïwan), le cinquième démocratiquement élu et le troisième issu du DPP. Si l’élection présidentielle est marquée par la continuité du pouvoir du DPP, qui s’engage dans un troisième et inédit troisième mandat consécutif, le parti présidentiel, qui disposait d’une majorité absolue au Yuan législatif (Parlement, 113 sièges au total) avec 61 sièges, doit désormais affronter une opposition qui s’appuie potentiellement sur 60 sièges. En effet, à l’issue des législatives tenues le même jour que la présidentielle, le DPP a perdu 10 sièges et en dispose aujourd’hui de 51, tandis que le Kuomintang (KMT) en a remporté 14 et en possède désormais 52. Le Parti populaire taïwanais (TPP) est passé de son côté de 5 à 8 sièges entre 2020 et 2024.</p>
<p>Le nouveau président doit surtout son succès à l’incapacité de ses opposants à composer un ticket unique, à la mobilisation des électeurs du DPP et au <a href="https://www.lepoint.fr/monde/tsai-ing-wen-la-presidente-taiwanaise-meconnue-au-bilan-presque-parfait-20-12-2023-2547763_24.php">bilan globalement positif</a> du gouvernement de Tsai Ing-wen, dont il restera le vice-président jusqu’à la passation de pouvoirs le 20 mai. Il bénéficie par ailleurs d’une image positive auprès de la population. Son score est cependant très nettement inférieur à celui de Tsai, qui avait rassemblé plus de 57 % des suffrages en 2020, et 2,5 millions de voix supplémentaires. Son élection est donc un succès relatif et même mitigé pour le DPP.</p>
<h2>Prévisible maintien, voire intensification, des tensions avec Pékin</h2>
<p>Si la coexistence d’un exécutif aux couleurs du DPP et d’un Parlement dans lequel le KMT a retrouvé la place de premier parti se traduira par des oppositions sur les questions économiques et sociales, ou encore sur la politique énergétique de Taïwan (sur le nucléaire civil notamment), elle aura aussi un impact sur la relation que Taipei entretient avec Pékin.</p>
<p>Une relation difficile que l’arrivée au pouvoir de Tsai Ing-wen en 2016 avait tendue en raison de sa couleur politique, la RPC multipliant au cours des années suivantes les mesures visant à renforcer l’isolement diplomatique de Taïwan, et menant des <a href="https://www.brut.media/fr/international/6-questions-tres-simples-sur-la-crise-entre-la-chine-et-taiwan-7d562e5d-44b2-4fa5-b5fc-718bf2bfd7fd">manœuvres militaires associées à un discours musclé</a>.</p>
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<p>Pékin n’a d’ailleurs pas manqué de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/01/14/apres-la-presidentielle-a-taiwan-la-chine-repete-que-toute-initiative-en-faveur-de-l-independance-sera-severement-punie_6210763_3210.html">réagir à l’élection de Lai</a>, pointant du doigt son supposé attachement à la promulgation officielle de l’indépendance de l’île, et le fait que son score est très nettement inférieur à ceux obtenus par Tsai Ing-wen lors des scrutins précédents, comme pour remettre en cause sa légitimité.</p>
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<p>Déjà en 2016 et encore en 2020, la Chine avait manifesté son hostilité à l’égard de l’exécutif taïwanais, et fustigé la présidence de Tsai avant même qu’elle ne fût investie. Tout au long de ses deux mandats, la présidente taïwanaise s’est évertuée à <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230520-ta%C3%AFwan-la-pr%C3%A9sidente-tsai-ing-wen-promet-de-maintenir-le-statu-quo-avec-p%C3%A9kin">conserver un statu quo avec Pékin</a>, ne remettant pas en cause le bilan de son prédécesseur du KMT, Ma Ying-jeou, sur la nécessité d’entretenir une relation économique et commerciale soutenue avec la Chine, mais en insistant sur l’importance de la souveraineté taïwanaise, tant territoriale que politique.</p>
<p>Tsai Ing-wen a également rejeté le <a href="https://thediplomat.com/2022/07/the-1992-consensus-why-it-worked-and-why-it-fell-apart/">« consensus de 1992 »</a>, pierre angulaire du dialogue entre le KMT et le Parti communiste chinois (qui est d’ailleurs interprété différemment des deux côtés du détroit), provoquant l’ire de Pékin et la multiplication des provocations chinoises, notamment de nombreux <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230819-des-man%C5%93uvres-militaires-lanc%C3%A9es-par-la-chine-autour-de-ta%C3%AFwan-%C3%A0-titre-de-mise-en-garde">exercices militaires à proximité de Taïwan</a>. On se souvient en particulier des conséquences de la <a href="https://theconversation.com/ta-wan-la-strategie-indo-pacifique-des-etats-unis-a-lepreuve-189074">visite de la speaker de la Chambre des Représentants américaine, Nancy Pelosi</a>, en août 2022, et l’important déploiement de forces chinoises autour de Taïwan qui s’ensuivit.</p>
<p>La relation entre Taipei et Pékin s’est détériorée au cours des huit dernières années, et le discours chinois sur l’unification, <a href="https://www.bfmtv.com/economie/taiwan-la-menace-de-la-chine-est-elle-serieuse_VN-202401150592.html">par la force si nécessaire</a>, s’est structuré autour de <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n163/article/le-reve-taiwanais-de-xi-jinping">l’objectif de 2049</a>, année du centenaire de la République populaire de Chine.</p>
<p>Dans ce contexte, et dès lors que Pékin semble diaboliser le DPP comme étant son principal ennemi à Taïwan, les tensions vont se perpétuer dans les quatre prochaines années et la Chine poursuivra ses manœuvres militaires visant à démontrer sa détermination et ses capacités. Difficile en revanche de savoir si ces tensions seront plus fortes, cela étant lié à l’agenda stratégique chinois et à la capacité de Taipei à faire baisser la pression sans faire de compromis sur sa souveraineté.</p>
<h2>Comment les partis taïwanais travailleront-ils ensemble sur le dossier des relations avec la RPC ?</h2>
<p>La question de la souveraineté de Taïwan, notamment <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/selon-sa-presidente-taiwan-restera-libre-pendant-des-generations-979444.html">mise en avant par Tsai Ing-wen</a>, est au cœur de la relation inter-détroit telle que la conçoit Lai Ching-te.</p>
<p>Le <a href="https://www.cairn.info/revue-monde-chinois-2012-2-page-113.htm&wt.src=pdf">projet indépendantiste du DPP</a>, qui avait sous la présidence de Chen Shui-bian (2000-2008) considérablement tendu la relation avec Pékin, a évolué vers une position plus modérée, axée sur un principe de coexistence pacifique et de statu quo. De son côté, le KMT a évolué d’une posture favorable à l’unification à une relation de bon voisinage avec la Chine. De fait, aucun grand parti politique taïwanais ne prône l’unification – une <a href="https://fr.statista.com/statistiques/1325518/avis-population-taiwainaise-avenir-du-pays/">perspective de moins en moins soutenue par la société taïwanaise</a> – et l’on observe ainsi une convergence entre le KMT et le DPP sur ce sujet. Si les deux partis n’ont pas manqué de se critiquer mutuellement lors de la campagne, c’est essentiellement autour de slogans défendant la démocratie (pour le DPP) et la paix (pour le KMT), tandis qu’indépendance et unification ont quasiment disparu des argumentaires.</p>
<p>Dans ce contexte, et compte tenu des rapports de force au Parlement, un dialogue renforcé entre les deux grands partis politiques (auquel pourrait se joindre le TPP) est envisageable, et le nouveau président pourrait même s’appuyer sur la capacité du KMT à dialoguer avec Pékin, les deux partis n’ayant plus de divergences de fond sur le sujet. La très forte animosité entre le KMT et le DPP a laissé place à des débats de fond et à un respect mutuel, que l’impératif de coopération ne peut que renforcer.</p>
<h2>Une nouvelle phase dans l’affirmation démocratique de Taïwan</h2>
<p>De nombreux commentaires dans le monde occidental ont résumé le résultat de l’élection du 13 janvier à une <a href="https://www.wsj.com/articles/taiwans-victory-for-democracy-0594c04d">victoire pour la démocratie</a>. Cela est à la fois excessif et vérifié.</p>
<p>Excessif car aucun parti en compétition lors de l’élection n’est anti-démocratique, pas plus qu’aucun n’est pro-unification, et donc favorable à Pékin. C’est d’ailleurs Lai lui-même qui, à l’occasion d’un débat télévisé opposant les trois candidats, rappela qu’aucun d’entre eux n’était le candidat de Pékin. Par ailleurs, les deux vaincus concédèrent leur défaite très rapidement et félicitèrent le vainqueur, dans une atmosphère de respect mutuel et des institutions démocratiques taïwanaises.</p>
<p>Ce constat est cependant vérifié, ou plus exactement vérifiable, dès lors qu’il met en avant non seulement la bonne tenue de l’élection, en dépit des pressions exercées par Pékin, mais aussi la perspective d’une collaboration indispensable entre les différents partis pour faire adopter des lois. Le KMT dispose de la majorité au Yuan législatif, mais n’aura la majorité absolue qu’avec le TPP, et doit donc travailler avec le jeune parti fondé par Ko Wen-je. De son côté, l’exécutif ne pourra ignorer le poids du Parlement, et devra ainsi engager des pourparlers avec les deux partis d’opposition.</p>
<p>Ce n’est pas la première fois que l’exécutif est confronté à une forte opposition parlementaire (ce fut notamment le cas lors du second mandat de Chen Sui-bian, de 2004 à 2008), mais le fait que le parti présidentiel ne soit pas le premier parti représenté au Yuan législatif est en revanche inédit. Dès lors, la coopération est inévitable, sauf à envisager un blocage des institutions, ce qu’aucun des partis taïwanais ne semble aujourd’hui considérer. Jeune démocratie aujourd’hui reconnue à échelle internationale pour la force et le respect de ses institutions, Taïwan continue de marquer de précieux points qui ne font que renforcer sa visibilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221241/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Barthélémy Courmont ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le nouveau président hérite d’une situation très tendue avec la République populaire de Chine, mais aussi d’un climat politique intérieur relativement apaisé.Barthélémy Courmont, Directeur du master Histoire -- Relations internationales, Institut catholique de Lille (ICL)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175772023-11-19T16:35:43Z2023-11-19T16:35:43ZLe duo Israël/États-Unis face à la cohésion croissante des pays arabes et musulmans<p>L’assaut mené par le Hamas le 7 octobre et l’opération déclenchée en représailles par Israël a causé des dommages majeurs aux intérêts israéliens et américains au Moyen-Orient.</p>
<p>L’image de force, voire d’invulnérabilité de l’armée israélienne a volé en éclats, et le <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">rapprochement du pays avec l’Arabie saoudite</a>, qui s’était accéléré ces derniers mois, semble désormais relever de l’histoire ancienne ; les États-Unis, pour leur part, se retrouvent dans une position très délicate, leur volonté de se désengager du Proche-Orient entrant en contradiction directe avec leur soutien militaire à Israël – un soutien qui, là aussi, implique une nette montée des tensions avec les pays de la région.</p>
<h2>L’image d’Israël durablement affaiblie</h2>
<p>Premièrement, l’attaque du 7 octobre achève de briser la réputation d’invincibilité de l’armée israélienne, réputation qui s’était déjà érodée à la suite de la <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2007-1-page-14.htm">guerre du Liban</a> de 2006. La publication du <a href="https://blog.mondediplo.net/2008-01-30-Israel-le-rapport-Winograd">rapport Winograd</a> en 2008 avait mis en lumière les vulnérabilités psychologiques d’une armée dotée d’un outil militaire puissant et technologiquement avancé mais qui, dans ses affrontements avec le Hezbollah durant la guerre de 2006 puis en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/palestine/gaza/israel-reconnait-le-conflit-de-2014-a-gaza-comme-une-guerre-une-premiere_786587.html">2014 avec le Hamas à Gaza</a> a perdu la maîtrise du combat d’infanterie et du combat urbain.</p>
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<p>L’attaque du 7 octobre, quand les commandos du Hamas n’ont eu aucune difficulté à franchir la barrière de sécurité « en 29 points » après avoir neutralisé les <a href="https://www.lemonde.fr/en/international/article/2023/10/10/hamas-attack-exposes-israel-s-military-fiasco_6160795_4.html">« unités d’observation longue distance »</a>, a illustré de façon spectaculaire les limites de la stratégie de bunkerisation de l’armée israélienne et la fragilité intrinsèque d’un modèle analysé par l’anthropologue américain Jeff Halper dans son livre <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt183pct7"><em>War Against the People : Israel, the Palestinians and Global Pacification</em></a> (Pluto Press, 2015). L’auteur y explique que :</p>
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<p>« L’occupation représente une ressource pour Israël dans deux sens : économiquement, elle fournit un terrain d’essai pour le développement d’armes, de systèmes de sécurité, de modèles de contrôle de la population et de tactiques sans lesquels Israël serait incapable d’être compétitif sur les marchés internationaux de l’armement et de la sécurité ; mais, et ce n’est pas moins important, le fait d’être une puissance militaire majeure au service d’autres services militaires et de sécurité dans le monde entier confère à Israël un statut international parmi les hégémons mondiaux qu’il n’aurait pas eu autrement. »</p>
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<p>Or si, jusqu’à présent, de nombreuses entreprises voulaient <a href="https://orientxxi.info/magazine/les-entreprises-veulent-avoir-le-mossad-chez-elles,4708">« avoir le Mossad chez elles »</a> du fait des capacités de cybersécurité d’Israël, l’épisode du 7 octobre montre les limites de la « politique de sécurité » d’Israël et de ses systèmes de surveillance sophistiqués. Cette attaque a remis en cause l’idée de « sûreté » d’un État qui se présente comme un pôle de ralliement des diasporas juives, et pourrait à plus long terme, nuire au secteur technologique israélien, <a href="https://fr.euronews.com/next/2023/10/10/conflit-israel-hamas-le-secteur-technologique-de-letat-hebreu-sur-le-pied-de-guerre">« déjà confronté à un ralentissement en 2023 »</a>.</p>
<h2>Le mécontentement des alliés de Washington</h2>
<p>Par ailleurs, le 7 octobre illustre également l’échec cuisant de l’approche américaine consistant à promouvoir la désescalade et l’intégration régionale à travers les accords de normalisation tout en ignorant la question palestinienne dans un Moyen-Orient rétrogradé en visibilité. Dans cette région, Washington, dont les préoccupations stratégiques se cristallisent ces dernières années sur la Chine et la Russie, a opté pour la gestion quotidienne de la vie des populations à travers une diplomatie du chéquier.</p>
<p>En Cisjordanie, l’Autorité palestinienne, maintenue sous perfusion, reçoit une assistance financière de la part de Washington pour aider la population à survivre dans un contexte d’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/04/cisjordanie-occupee-six-pays-europeens-dont-la-france-disent-leur-opposition-a-la-progression-de-la-colonisation-par-israel_6164132_3210.html">intensification de la colonisation</a> qui sape tout espoir d’une solution politique au conflit. <a href="https://arabcenterdc.org/resource/international-aid-to-the-palestinians-between-politicization-and-development/">Selon l’OCDE</a> :</p>
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<p>« L’aide aux Palestiniens s’est élevée à plus de 40 milliards de dollars entre 1994 et 2020. La majeure partie de cette aide (35,4 %) a servi à soutenir le budget de l’Autorité palestinienne, tandis que le reste a été alloué à divers services et secteurs économiques dans les territoires palestiniens. La majeure partie de l’aide – près de 72 % – provient de dix donateurs : l’Union européenne (18,9), les États-Unis (14,2), l’Arabie saoudite (9,9), l’Allemagne (5,8), les Émirats arabes unis (5,2), la Norvège (4,8), le Royaume-Uni (4,3), la Banque mondiale (3,2), le Japon (2,9) et la France (2,7). »</p>
</blockquote>
<p>Dans le même temps, l’assistance à Israël demeure une constante de la politique américaine. Comme le notait en juillet 2020 une <a href="https://quincyinst.org/wp-content/uploads/2020/07/Ending-America%E2%80%99s-Misguided-Policy-of-Domination_FINAL_COMPRESSED.pdf">étude du think tank américain Quincy Institute</a> :</p>
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<p>« Le soutien militaire inconditionnel des États-Unis à Israël a facilité la poursuite de l’occupation du territoire palestinien (qui pourrait culminer avec l’annexion de la Cisjordanie) et réduit les incitations à rechercher une solution pacifique au conflit […]. La politique américaine au Moyen-Orient est souvent justifiée par la nécessité de protéger le statu quo pour préserver la stabilité, mais les politiques actuelles compromettent clairement la stabilité régionale et la sécurité des États-Unis. »</p>
</blockquote>
<p>De son côté, le Hamas recevait depuis plusieurs années une <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2018/11/10/01003-20181110ARTFIG00033-le-qatar-fait-tomber-une-pluie-de-dollars-sur-gaza.php">aide financière du Qatar pour gérer la bande de Gaza</a>, avec l’aval des États-Unis et d’Israël. Ces dernières années, la question de la résolution du conflit était l’objet d’un désintérêt croissant de la part des États-Unis, mais reculait également dans les préoccupations régionales des pays arabes, qui se sont engagés dans la voie de la <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230405-accords-d-abraham-les-leaders-palestiniens-ne-r%C3%A9alisent-pas-que-la-r%C3%A9gion-est-en-train-de-changer">normalisation avec Israël</a>.</p>
<p>Or l’assaut du 7 octobre vient rappeler qu’aucune stabilisation du Moyen-Orient n’est possible sans solution au conflit. Le prince héritier d’Arabie saoudite Mohamad Ben Salmane, engagé dans des <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">pourparlers avec les États-Unis depuis plusieurs mois</a> et qui déclarait explicitement en septembre dernier <a href="https://www.dw.com/en/has-hamas-reset-the-israeli-arab-agenda/a-67042746">« chaque jour, nous nous rapprochons »</a> de la conclusion d’un accord avec Israël, a publiquement affirmé son soutien aux Palestiniens et rappelé sa position en faveur de la solution des deux États. Une nouvelle fois, les alliés régionaux s’écartent politiquement de Washington (divergence de vues qui s’était déjà exprimée dans le contexte de la guerre en Ukraine et le refus de sanctionner la Russie).</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5RsYuugt4bY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En dépit des pressions américaines, l’Égypte a rejeté le plan du ministère du Renseignement israélien visant à transférer les 2,3 millions d’habitants de la bande de Gaza dans la péninsule égyptienne du Sinaï, redoutant <a href="https://apnews.com/article/israel-gaza-population-transfer-hamas-egypt-palestinians-refugees-5f99378c0af6aca183a90c631fa4da5a">« qu’un afflux massif de réfugiés de Gaza hypothèque la cause nationaliste palestinienne »</a>.</p>
<p>Le roi Abdallah de Jordanie <a href="https://www.euronews.com/2023/10/21/cairo-peace-summit-demands-ceasefire-and-increased-aid-for-gaza">a ouvertement critiqué la communauté internationale</a> pour son inaction, et son épouse a dénoncé, dans une interview donnée à CNN, le <a href="https://www.huffingtonpost.co.uk/entry/queen-rania-jordan-israel-hamas-palestinians_uk_65390ea9e4b0783c4b9f5266">deux poids deux mesures des puissances occidentales</a>.</p>
<p>Le soutien inconditionnel des puissances occidentales à Israël – qui, <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-67356581">malgré quelques déclarations</a>, ne s’embarrasse guère de considérations humanitaires – pèse aujourd’hui de plus en plus dans les représentations des pays du Sud global, consternés par la situation à Gaza qualifiée par le secrétaire général de l’ONU de <a href="https://www.francebleu.fr/infos/international/guerre-israel-hamas-violents-combats-a-gaza-coupee-en-deux-selon-l-armee-israelienne-2949481">« cimetière pour les enfants »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/proche-orient-le-retour-de-la-cause-palestinienne-216213">Proche-Orient : le retour de la « cause palestinienne »</a>
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<p>Cette inadéquation entre la posture des puissances occidentales et celle du reste du monde pourrait entraîner des conséquences durables dans les relations avec les pays du Sud. Elle risque également de nourrir, au sein des sociétés arabes, un puissant ressentiment qui pourrait se révéler un important levier de mobilisation pour les acteurs non étatiques armés, à la fois relais de <a href="https://theconversation.com/comment-liran-mobilise-son-axe-de-la-resistance-face-a-israel-216306">l’influence iranienne dans la région</a> et dotés de leur propre agenda sécuritaire et politique. L’autre danger pour les États-Unis serait de voir les acteurs régionaux transcender leurs anciennes rivalités, notamment leurs alliés qui ont longtemps perçu l’Iran comme une puissance déstabilisatrice, pour converger sur le règlement de la question palestinienne, perçue de nouveau comme la condition indispensable d’une stabilisation régionale.</p>
<p>Enfin, alors que les États-Unis ont cherché depuis plusieurs années à réduire leur empreinte militaire au Moyen-Orient pour se focaliser sur leurs priorités stratégiques en Asie-Pacifique, la crainte d’un nouvel enlisement de Washington dans la région est aujourd’hui réelle.</p>
<h2>Un nouvel enlisement dans la région</h2>
<p>Les Américains ont <a href="https://www.reuters.com/world/us-aircraft-carriers-what-they-bring-middle-east-2023-10-15/">envoyé en Méditerranée orientale le porte-avions <em>Gerald R. Ford</em></a> – une surréaction inédite. En 1973, après l’attaque-surprise d’Israël par l’Égypte et la Syrie, les États-Unis avaient établi un pont aérien pour venir en aide à leur allié organique engagé sur deux fronts, mais ils n’ont jamais envoyé de porte-avions.</p>
<p>Cette fois, la donne a changé. Le 15 octobre, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain, John Kirby, a <a href="https://www.reuters.com/world/us-aircraft-carriers-what-they-bring-middle-east-2023-10-15/">publiquement affirmé</a> que « les États-Unis sont prêts à agir si un acteur hostile à Israël envisage d’essayer d’intensifier ou d’élargir cette guerre ». Même si l’effet recherché par cette déclaration est dissuasif, la mobilisation de puissants moyens militaires est révélatrice à la fois de l’absence de stratégie américaine au Moyen-Orient, mais également du risque pour Washington de s’embourber dans une région qui ne figurait plus au premier ordre des préoccupations stratégiques.</p>
<p>Comme l’a rappelé le 3 novembre dernier <a href="https://richardhaass.substack.com/p/pause-november-3-2023">l’ancien président du Council on Foreign Relations, Richard Haas</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Pour les États-Unis, tout cela augmente les risques et les coûts de cette crise inattendue et non désirée. La présence militaire américaine dans la région a été renforcée pour faire face aux menaces potentielles de l’Iran contre les forces américaines en Syrie et en Irak, et elle a déjà abattu des missiles tirés par les rebelles houthis soutenus par l’Iran au Yémen. La dernière chose dont les États-Unis ont besoin est une crise prolongée au Moyen-Orient, étant donné l’impératif stratégique d’aider l’Ukraine contre la Russie et de renforcer leur capacité de dissuasion et, le cas échéant, de défense contre la Chine qui s’attaque à Taïwan. »</p>
</blockquote>
<h2>La fin de l’ère américaine</h2>
<p>La guerre israélienne contre Gaza pourrait engendrer une recomposition régionale aux conséquences importantes pour Tel-Aviv et Washington.</p>
<p>L’approche américaine a atteint ses limites. La déconnexion actuelle entre la posture des puissances occidentales et celles pays du sud global qui réprouvent le soutien inconditionnel à Israël dans l’offensive en cours, de même que le refus réitéré des alliés régionaux des États-Unis de se rallier à leurs vues témoignent d’un contexte géopolitique profondément transformé. Sur ce point, l’article <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/middle-east/2006-11-01/new-middle-east">« The new Middle East »</a> du même Richard Haas publié en 2006, apparaît aujourd’hui comme étant prophétique :</p>
<blockquote>
<p>« Un peu plus de deux siècles après l’arrivée de Napoléon en Égypte, qui a annoncé l’avènement du Moyen-Orient moderne, et quelque 80 ans après la disparition de l’Empire ottoman, 50 ans après la fin du colonialisme et moins de 20 ans après la fin de la guerre froide, l’ère américaine au Moyen-Orient, la quatrième de l’histoire moderne de la région, a pris fin. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/217577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La guerre de Gaza semble rassembler la plupart des États musulmans dans un front hostile à Israël et à son allié américain.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2173202023-11-12T16:21:02Z2023-11-12T16:21:02ZQui gouvernera l’IA ? La course des nations pour réguler l’intelligence artificielle<p>L’intelligence artificielle (IA) est un terme très large : il peut désigner de nombreuses activités entreprises par des machines informatiques, avec ou sans intervention humaine. Notre familiarité avec les technologies d’IA dépend en grande partie de là où elles interviennent dans nos vies, par exemple dans les outils de reconnaissance faciale, les chatbots, les logiciels de retouche photo ou les voitures autonomes.</p>
<p>Le terme « intelligence artificielle » est aussi évocateur des géants de la tech – Google, Meta, Alibaba, Baidu – et des acteurs émergents – OpenAI et Anthropic, entre autres. Si les gouvernements viennent moins facilement à l’esprit, ce sont eux qui façonnent les règles dans lesquelles les systèmes d’IA fonctionnent.</p>
<p>Depuis 2016, différentes régions et nations férues de nouvelles technologies en Europe, en Asie-Pacifique et en Amérique du Nord, ont mis en place des <a href="https://unicri.it/topics/ai_robotics">réglementations ciblant l’intelligence artificielle</a>. D’autres nations sont à la traîne, comme l’<a href="https://www.theguardian.com/australia-news/2023/nov/07/australia-ai-artificial-intelligence-regulations-back-of-pack">Australie</a> [<em>ndlr : où travaillent les autrices de cet article</em>], qui étudie encore la possibilité d’adopter de telles règles. </p>
<p>Il existe actuellement plus de <a href="https://oecd.ai/en/dashboards/overview">1 600 politiques publiques et stratégies en matière d’IA</a> dans le monde. L’Union européenne, la Chine, les États-Unis et le Royaume-Uni sont devenus des <a href="https://iapp.org/resources/article/global-ai-legislation-tracker/">figures de proue du développement et de la gouvernance de l’IA</a>, alors que s'est tenu un <a href="https://www.gov.uk/government/topical-events/ai-safety-summit-2023">sommet international sur la sécurité de l’IA</a> au Royaume-Uni début novembre.</p>
<h2>Accélérer la réglementation de l’IA</h2>
<p>Les efforts de réglementation de l’IA ont commencé à s’accélérer en avril 2021, lorsque l’UE a proposé un cadre initial de règlement appelé <a href="https://www.europarl.europa.eu/news/fr/headlines/society/20230601STO93804/loi-sur-l-ia-de-l-ue-premiere-reglementation-de-l-intelligence-artificielle"><em>AI Act</em></a>. Ces règles visent à fixer des obligations pour les fournisseurs et les utilisateurs, en fonction des risques associés aux différentes technologies d’IA.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/peut-on-detecter-automatiquement-les-deepfakes-212573">Peut-on détecter automatiquement les deepfakes ?</a>
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<p>Alors que la <a href="https://theconversation.com/intelligence-artificielle-normes-techniques-et-droits-fondamentaux-un-melange-risque-189587">loi européenne sur l’IA était en attente</a>, la Chine a proposé ses propres réglementations en matière d’IA. Dans les médias chinois, les décideurs politiques ont évoqué leur volonté d’être les <a href="https://36kr.com/p/2357903521299721">premiers à agir</a> et d’offrir un leadership mondial en matière de développement et de gouvernance de l’IA.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/souverainete-et-numerique-maitriser-notre-destin-171014">Souveraineté et numérique : maîtriser notre destin</a>
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<p>Si l’UE a adopté une approche globale, la Chine a réglementé des aspects spécifiques de l’IA les uns après les autres. Ces aspects vont des <a href="https://www.gov.cn/zhengce/zhengceku/2022-01/04/content_5666429.htm">« recommandations algorithmiques »</a> (par exemple des <a href="https://theconversation.com/maths-au-quotidien-comment-youtube-sait-il-quelle-video-nous-recommander-142426">plateformes comme YouTube</a>) à la <a href="https://www.gov.cn/zhengce/zhengceku/2022-12/12/content_5731431.htm">synthèse d’images ou de voix</a> ou aux <a href="https://theconversation.com/peut-on-detecter-automatiquement-les-deepfakes-212573">technologies utilisées pour générer des « deepfake »</a> et à l’<a href="http://www.cac.gov.cn/2023-07/13/c_1690898327029107.htm">IA générative</a>.</p>
<p>La gouvernance chinoise de l’IA sera complétée par d’autres réglementations, encore à venir. Ce processus itératif permet aux régulateurs de renforcer leur <a href="https://carnegieendowment.org/2023/07/10/china-s-ai-regulations-and-how-they-get-made-pub-90117">savoir-faire bureaucratique</a> et leur capacité réglementaire, et laisse une certaine souplesse pour mettre en œuvre une nouvelle législation face aux risques émergents.</p>
<h2>Un avertissement pour les États-Unis ?</h2>
<p>Les avancées sur la réglementation chinoise en matière d’IA ont peut-être été un signal d’alarme pour les États-Unis. En avril, un législateur influent, <a href="https://www.reuters.com/world/us/senate-leader-schumer-pushes-ai-regulatory-regime-after-china-action-2023-04-13/">Chuck Shumer</a>, a déclaré que son pays ne devrait pas « permettre à la Chine de prendre la première position en termes d’innovation, ni d’écrire le code de la route » en matière d’IA.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1719420925131526187"}"></div></p>
<p>Le 30 octobre 2023, la Maison Blanche a publié un <a href="https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2023/10/30/fact-sheet-president-biden-issues-executive-order-on-safe-secure-and-trustworthy-artificial-intelligence/">décret (<em>executive order</em>)</a> sur l’IA sûre, sécurisée et digne de confiance. Ce décret tente de clarifier des questions très larges d’équité et de droits civiques, en abordant également des applications spécifiques de la technologie.</p>
<p>Parallèlement aux acteurs dominants, les pays dont le secteur des technologies de l’information est en pleine expansion, comme le Japon, Taïwan, le Brésil, l’Italie, le Sri Lanka et l’Inde, ont également cherché à mettre en œuvre des stratégies défensives pour atténuer les risques potentiels liés à l’intégration généralisée de l’IA.</p>
<p>Ces réglementations mondiales en matière d’IA reflètent une course contre l’influence étrangère. Sur le plan géopolitique, les États-Unis sont en concurrence avec la Chine, que ce soit économiquement ou militairement. L’UE met l’accent sur l’établissement de sa propre <a href="https://www.weforum.org/agenda/2021/03/europe-digital-sovereignty/">souveraineté numérique</a> et s’efforce d’être indépendante des États-Unis.</p>
<p>Au niveau national, ces réglementations peuvent être considérées comme favorisant les grandes entreprises technologiques en place face à des concurrents émergents. En effet, il est souvent coûteux de se conformer à la législation, ce qui nécessite des ressources dont les petites entreprises peuvent manquer.</p>
<p>Alphabet, Meta et Tesla ont soutenu les appels en faveur d’une <a href="https://www.reuters.com/technology/musk-zuckerberg-gates-join-us-senators-ai-forum-2023-09-13/">réglementation de l’IA</a>. Dans le même temps, <a href="https://techcrunch.com/2023/10/27/ais-proxy-war-heats-up-as-google-reportedly-backs-anthropic-with-2b/">Google</a>, propriété d’Alphabet, a comme Amazon investi des milliards dans Anthropic, le concurrent d’OpenAI ; tandis qu’xAI, propriété d’Elon Musk, le patron de Tesla, vient de lancer son premier produit, un <a href="https://mashable.com/article/elon-musk-x-ai-update">chatbot appelé Grok</a>.</p>
<h2>Une vision partagée</h2>
<p>La loi européenne sur l’IA, les réglementations chinoises sur l’IA et le décret de la Maison Blanche montrent que les pays concernés partagent des intérêts communs. Ensemble, ils ont préparé le terrain pour la <a href="https://www.gov.uk/government/publications/ai-safety-summit-2023-the-bletchley-declaration/the-bletchley-declaration-by-countries-attending-the-ai-safety-summit-1-2-november-2023">« déclaration de Bletchley »</a>, publiée le 1<sup>er</sup> novembre, dans laquelle 28 pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, l’Australie et plusieurs membres de l’UE [<em>ndlr : dont la France et l’Union européenne elle-même</em>], se sont engagés à coopérer en matière de sécurité de l’IA.</p>
<p>Les pays ou régions considèrent que l’IA contribue à leur développement économique, à leur sécurité nationale, et à leur leadership international. Malgré les risques reconnus, toutes les juridictions s’efforcent de soutenir le développement et l’innovation en matière d’IA.</p>
<p>D’ici 2026, les dépenses mondiales consacrées aux systèmes centrés sur l’IA pourraient <a href="https://www.idc.com/getdoc.jsp?containerId=prUS49670322">dépasser les 300 milliards de dollars américains</a>, selon une estimation. D’ici 2032, selon un rapport de Bloomberg, le marché de l’IA générative <a href="https://www.bloomberg.com/company/press/generative-ai-to-become-a-1-3-trillion-market-by-2032-research-finds/">pourrait valoir à lui seul 1,3 billion de dollars américains</a>.</p>
<p>De tels chiffres tendent à dominer la couverture médiatique de l’IA, ainsi que les bénéfices supposés de l’utilisation de l’IA pour les entreprises technologiques, les gouvernements et les sociétés de conseil. Les voix critiques sont <a href="https://theconversation.com/lia-profite-dune-couverture-partiale-des-medias-204238">souvent mises de côté</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/presenter-lia-comme-une-evidence-cest-empecher-de-reflechir-le-numerique-211766">Présenter l’IA comme une évidence, c’est empêcher de réfléchir le numérique</a>
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<h2>Intérêts divergents</h2>
<p>Au-delà des promesses économiques, les pays se tournent également vers les systèmes d’IA pour la défense, la cybersécurité et les applications militaires.</p>
<p>Lors du sommet international sur la sécurité de l’IA au Royaume-Uni, les <a href="https://www.reuters.com/technology/china-took-part-leaders-ai-meeting-even-though-uk-did-not-acknowledge-2023-11-03/">tensions internationales étaient manifestes</a>. Alors que la Chine a approuvé la déclaration de Bletchley faite le premier jour du sommet, elle a été exclue des événements publics le deuxième jour.</p>
<p>L’un des points de désaccord est le <a href="https://theconversation.com/le-pour-et-le-contre-faut-il-sinspirer-du-systeme-de-credit-social-chinois-176171">système de crédit social</a> de la Chine, qui fonctionne de manière peu transparente. Le <em>AI Act</em> européen considère que les systèmes de notation sociale de ce type créent un risque inacceptable.</p>
<p>Les États-Unis perçoivent les investissements de la Chine dans l’IA comme une <a href="https://www.nscai.gov/2021-final-report/">menace pour leurs sécurités nationale et économique</a>, notamment en termes de cyberattaques et de campagnes de désinformation. Ces tensions sont bien sûr susceptibles d’entraver la collaboration mondiale sur des réglementations contraignantes en matière d’IA.</p>
<h2>Les limites des règles actuelles</h2>
<p>Les réglementations existantes en matière d’IA présentent également des limites importantes. Par exemple, il n’existe pas de définition claire et commune d’une juridiction à l’autre des différents types de technologies d’IA.</p>
<p>Les définitions juridiques actuelles de l’IA ont tendance à être très larges, ce qui soulève des inquiétudes quant à leur applicabilité en pratique, car les réglementations couvrent en conséquence un large éventail de systèmes qui présentent des risques différents et pourraient mériter des traitements différents.</p>
<p>De même, de nombreuses réglementations ne définissent pas clairement les notions de risque, de sécurité, de transparence, d’équité et de non-discrimination, ce qui pose des problèmes pour garantir précisément une quelconque conformité juridique.</p>
<p>Nous constatons également que les juridictions locales lancent leurs propres réglementations dans le cadre national, afin de répondre à des préoccupations particulières et d’équilibrer réglementation et développement économique de l’IA.</p>
<p>Ainsi, la <a href="https://www.shrm.org/resourcesandtools/legal-and-compliance/state-and-local-updates/pages/california-artificial-intelligence-regs.aspx">Californie</a> a introduit deux projets de loi visant à réglementer l’IA dans le domaine de l’emploi. <a href="http://english.scio.gov.cn/chinavoices/2022-09/23/content_78435351.htm">Shanghai</a> a proposé un système de classement, de gestion et de supervision du développement de l’IA au niveau municipal.</p>
<p>Toutefois, une définition étroite des technologies de l’IA, comme l’a fait la Chine, présente le risque que les entreprises trouvent des moyens de contourner les règles.</p>
<h2>Aller de l’avant</h2>
<p>Des ensembles de « bonnes pratiques » pour la gouvernance de l’IA émergent de juridictions locales et nationales et d’organisations transnationales, sous le contrôle de groupes tels que le <a href="https://press.un.org/en/2023/sga2236.doc.htm">conseil consultatif de l’ONU sur l’IA</a> et le <em>National Institute of Standards and Technology</em> des États-Unis. Les formes de gouvernance qui existent au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Europe et, dans une moindre mesure, en Chine, sont susceptibles de servir de cadre de travail à une gouvernance globale.</p>
<p>La collaboration mondiale sur la gouvernance de l’IA sera sous-tendue par un consensus éthique et, plus important encore, par des intérêts nationaux et géopolitiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217320/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>L’approche globale de l’Europe, les lois ciblées de la Chine et le décret spectaculaire des États-Unis laissent entrevoir trois voies à suivre.Fan Yang, Research fellow at Melbourne Law School, the University of Melbourne and the ARC Centre of Excellence for Automated Decision-Making and Society., The University of MelbourneAusma Bernot, Postdoctoral Research Fellow, Australian Graduate School of Policing and Security, Charles Sturt UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2169972023-11-06T17:01:22Z2023-11-06T17:01:22ZLes Terres australes et antarctiques françaises, des territoires méconnus face à des défis majeurs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/557567/original/file-20231104-29-7wjmuo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=39%2C46%2C4342%2C2879&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Paysage côtier des îles Kerguelen.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://whc.unesco.org/fr/list/1603/gallery/&index=13&maxrows=12">Geoffrey Bertrand</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>La France accueille du 8 au 10 novembre 2023 le <a href="https://oneplanetsummit.fr/les-evenements-16/one-planet-polar-summit-284">One Planet – Polar Summit</a>. Parmi les annonces attendues, celle du vote de la <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b1588_proposition-loi">proposition de loi</a> de programmation polaire pour les années 2024 à 2030, portée par les députés Jimmy Pahun et Clémence Guetté, co-présidents du groupe d’études <a href="https://www2.assemblee-nationale.fr/instances/fiche/OMC_PO807261">« Arctique, Antarctique, TAAF et grands fonds océaniques »</a> de l’Assemblée nationale. Pour la première fois, cette proposition de loi <a href="https://polarjournal.ch/fr/2023/08/01/quatre-cent-cinquante-millions-deuros-pour-rester-influents-dans-les-poles/">« aligne les budgets de la recherche polaire sur l’ambition historique de la France dans ces régions »</a>.</p>
<p>Les Terres australes et antarctiques françaises (TAAF) sont au cœur de ces ambitions. Composées de cinq districts – l’archipel Crozet, les îles Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam, les îles Éparses et la terre Adélie –, ces territoires constituent pourtant l’une des collectivités ultra-marines les plus méconnues du grand public. Ces territoires si spécifiques n’en sont pas moins confrontés à des <a href="https://cecoji.labo.univ-poitiers.fr/colloque-les-terres-australes-et-antarctiques-francaises-terres-des-marges-au-coeur-des-enjeux-territoriaux/">défis statutaires, géopolitiques et environnementaux</a> importants.</p>
<h2>Le statut ambigu des TAAF</h2>
<p>Les TAAF présentent des caractéristiques particulières, tenant notamment à leur éloignement géographique par rapport à la métropole, à leur difficulté d’accès et à l’absence de population humaine permanente. Ces caractéristiques expliquent que ces territoires soient soumis à une gouvernance originale.</p>
<p>C’est une <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000879815">loi du 6 août 1955</a>, complétée par un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000019463499">décret du 11 septembre 2008</a>, qui fixe le statut, empreint d’ambiguïtés, des TAAF. La loi de 1955 les qualifie « territoire d’outre-mer » (TOM), alors que cette catégorie juridique a été supprimée par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 qui lui substitue la notion de « collectivité d’outre-mer » (COM). Jusqu’à présent, le législateur continue de qualifier les TAAF de « TOM » sans véritablement se justifier.</p>
<p>Il est d’ailleurs peu probable que la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/2023-10/2023-10-04-allocution-emmanel-macron.pdf">réforme constitutionnelle annoncée par Emmanuel Macron début octobre</a> concernant l’organisation territoriale de la République y compris les outre-mer, soit l’occasion d’une clarification sur ce point.</p>
<h2>Un régime législatif à part</h2>
<p>La nature juridique des TAAF peut donc être questionnée : s’agit-il d’une véritable collectivité territoriale ? La réponse est délicate : en l’absence de population humaine permanente, il n’y a ni élections locales, ni conseils élus, ni démocratie locale. Devrait-on alors considérer les TAAF comme une collectivité à statut particulier ?</p>
<p>Particulier, ce statut l’est d’autant plus que les TAAF sont régies par le principe de spécialité législative, c’est-à-dire que les lois françaises y sont inapplicables sauf exception. Il en va ainsi du Code de la route, du Code de la construction ou du Code de l’éducation. Cela ne signifie pas que les TAAF ne sont soumises à aucune réglementation française puisque, par exception, le code pénal, le code civil ou encore les règles relatives à la nationalité demeurent applicables.</p>
<p>Il est ainsi possible – bien que rare – qu’un <a href="https://www.ouest-france.fr/societe/mariage/kerguelen-les-maries-du-bout-du-monde-4627042">mariage soit célébré dans les TAAF</a>. En 2014, un ressortissant français a été <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/2014/02/13/10-000-euros-d-amende-pour-des-sejours-touristiques-non-autorises-en-antarctique-121589.html">condamné à 10 000 euros d’amende pour avoir organisé illégalement des séjours touristiques</a> en Antarctique et violé le Code de l’environnement.</p>
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<h2>Position incertaine et différends territoriaux</h2>
<p>Méconnues sinon inconnues, les TAAF n’en restent pas moins connectées aux grands enjeux géopolitiques. Elles se situent aux pourtours de cet Indopacifique dont la France, à la suite notamment du Japon, des États-Unis, de l’Inde ou de l’Indonésie, a fait un <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2019-3-page-23.htm">élément central de sa politique extérieure</a>.</p>
<p>Ce nouveau concept stratégique actualise les approches qui prévalaient jusqu’alors, en insistant davantage sur la <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2023-1-page-83.htm">situation des îles de la zone</a>. Parmi elles, les TAAF, tout en étant constamment arrimées à cet ensemble <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/08/28/conference-des-ambassadrices-et-des-ambassadeurs-le-discours-du-president-emmanuel-macron">dans les discours</a>, occupent une position incertaine.</p>
<p>Elles font également l’objet de différends territoriaux entre la France et certains de ses voisins. Il faut à cet égard réserver le cas de la terre Adélie, « secteur » de plus de 430 000 km<sup>2</sup> situé sur la côte est du continent. Le Traité sur l’Antarctique du <a href="https://theconversation.com/traite-sur-lantarctique-les-60-ans-dun-accord-international-pas-comme-les-autres-127266">1ᵉʳ décembre 1959</a> a en effet « gelé » les prétentions territoriales des sept États dits « possessionnés » (Argentine, Australie, Chili, France, Norvège, Nouvelle-Zélande, Royaume-Uni), ce qui a eu pour effet de ne pas contester, sans pour autant consacrer, ces revendications.</p>
<p>La terre Adélie peut donc demeurer française du point de vue de Paris, tout en constituant un espace « internationalisé » pour Washington, Pékin ou Moscou.</p>
<h2>Îles Éparses, une souveraineté contestée</h2>
<p>Si elle n’est désormais plus contestée dans ses prétentions à posséder les trois terres australes (Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam ou Crozet), la France affronte en revanche une double opposition dans celles à exercer sa souveraineté territoriale sur les îles Éparses.</p>
<p>Madagascar, tout d’abord, lui dispute les quatre îles du canal du Mozambique (Europa, Juan de Nova, Bassas da India, Les Glorieuses). La <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/10/24/emmanuel-macron-premier-president-a-poser-le-pied-sur-la-grande-glorieuse_6016682_3244.html">venue d’Emmanuel Macron en octobre 2019</a> sur l’Île des Glorieuses, une première pour un chef de l’État, a <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/08/02/les-iles-eparses-des-confettis-administres-par-la-france-en-contentieux-avec-madagascar_5495898_3210.html">relancé l’opposition</a> et crispé la position de Tananarive. Depuis lors, les négociations sont au point mort.</p>
<p>Il en va de même pour l’autre contentieux territorial concernant l’île Tromelin, entre la France et l’île Maurice. Un accord-cadre de cogestion a pourtant été adopté le 7 juin 2010, qui organise la coopération des États sur les questions liées à la recherche, à la protection de l’environnement et à la gestion des ressources halieutiques.</p>
<p>Il n’est cependant <a href="https://shs.hal.science/halshs-03664309">toujours pas entré en vigueur</a>, faute pour le Parlement français d’en autoriser la ratification. Les raisons tiennent aux craintes, exprimées par certains parlementaires, que ne s’ouvre la boîte de Pandore d’une <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2017/01/18/qu-est-ce-que-cette-ile-de-tromelin-qui-fait-autant-reagir_5064820_4355770.html">perte de souveraineté à l’égard de ces îles disputées</a>.</p>
<h2>Biodiversité sanctuarisée</h2>
<p>Sur le plan environnemental, l’isolement géographique a largement contribué à préserver l’extraordinaire biodiversité de l’ensemble des TAAF, qui servent de refuge à de très nombreuses espèces protégées. La préservation de ce cadre unique est une préoccupation de plus en plus urgente face aux impacts des activités humaines et des changements environnementaux globaux.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/557563/original/file-20231104-25-vrhe2i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/557563/original/file-20231104-25-vrhe2i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557563/original/file-20231104-25-vrhe2i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557563/original/file-20231104-25-vrhe2i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557563/original/file-20231104-25-vrhe2i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=598&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557563/original/file-20231104-25-vrhe2i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557563/original/file-20231104-25-vrhe2i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557563/original/file-20231104-25-vrhe2i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=752&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Archipel Crozet.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://whc.unesco.org/fr/list/1603/gallery/">Antoine Dervaux</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Ici aussi, le cas de la terre Adélie est à distinguer de celui des autres TAAF. Son environnement spécifique est protégé par un cadre juridique particulier puisqu’elle est soumise à la réglementation issue du <a href="https://www.ats.aq/f/antarctictreaty.html">Traité sur l’Antarctique de 1959</a>, en particulier le <a href="https://www.ats.aq/f/protocol.html">Protocole de Madrid</a> et ses six annexes. L’ensemble établit une protection globale de l’environnement en Antarctique et a permis jusqu’ici, de manière plutôt efficace, de préserver la biodiversité de la région.</p>
<p>Pour les autres TAAF, l’État mène depuis une vingtaine d’années une politique volontariste de sanctuarisation de ces espaces vulnérables. En 2006 a ainsi été créée la <a href="https://www.reserves-naturelles.org/terres-australes-francaises">Réserve naturelle des Terres australes françaises</a> autour de l’archipel Crozet et des îles Kerguelen, Saint-Paul et Amsterdam.</p>
<p>Cette réserve, dont la superficie étendue en 2022 atteint désormais 1,6 million de km<sup>2</sup><sup></sup>, est l’une des plus grandes aires marines protégées du monde, <a href="https://whc.unesco.org/fr/list/1603/">classée depuis 2019 au patrimoine mondial de l’Unesco</a>. S’y ajoute sur 43 000 km<sup><sup>2</sup></sup> la <a href="https://www.reserves-naturelles.org/archipel-des-glorieuses">réserve naturelle nationale de l’archipel des Glorieuses</a>, dont la protection a été <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043630106">renforcée en 2021</a>.</p>
<h2>Une protection insuffisante ?</h2>
<p>Ce mouvement de sanctuarisation des milieux naturels, certes à saluer, suscite cependant deux remarques.</p>
<p>D’une part, ce processus peut cacher une instrumentalisation de la protection du milieu marin dans le contexte des différends de souveraineté persistants. Ainsi, la <a href="https://geoimage.cnes.fr/fr/geoimage/ocean-indien-les-iles-eparses-un-levier-daffirmation-de-la-france-outre-mer">création de l’aire marine protégée des Glorieuses en 2021</a> à l’entrée nord du canal du Mozambique a provoqué une vive opposition de Madagascar, qui n’a pas manqué de rappeler ses prétentions concurrentes de souveraineté sur les îles Éparses.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/557566/original/file-20231104-15-v94ux0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="albatros dans un paysage" src="https://images.theconversation.com/files/557566/original/file-20231104-15-v94ux0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557566/original/file-20231104-15-v94ux0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557566/original/file-20231104-15-v94ux0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557566/original/file-20231104-15-v94ux0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557566/original/file-20231104-15-v94ux0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557566/original/file-20231104-15-v94ux0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557566/original/file-20231104-15-v94ux0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Un couple d’albatros d’Amsterdam (Diomedea amsterdemensis) en parade, Plateau des tourbières, île d’Amsterdam.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://whc.unesco.org/fr/list/1603/gallery/">Roald Harivel</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>On peut interroger d’autre part l’efficacité de la protection des espaces protégés, une fois qu’ils ont été désignés. L’élaboration des plans de gestion permettant d’atteindre les objectifs définis et la mobilisation des moyens pour parvenir à ces objectifs se révèlent en effet très souvent insuffisantes.</p>
<p>Par ailleurs, l’établissement de réserves naturelles n’exclut pas totalement les activités humaines : les TAAF accueillent ainsi des activités scientifiques, de pêche et touristiques. Si ces activités sont soumises à déclaration préalable ou autorisation du Préfet, administrateur des TAAF, il est crucial de veiller à ce que leurs impacts sur cet environnement si vulnérable soient strictement limités.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216997/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florian Aumond est membre du Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anne Choquet est membre du Comité de l'Environnement Polaire, de la délégation de la France à la Réunion consultative du Traité sur l'Antarctique et du Comité National Français des Recherches Arctiques et Antarctiques (CNFRAA) . </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sabine Lavorel a reçu des financements de la Fondation Ice Memory, dans le cadre de la Chaire de recherche Ice Memory Law & Governance. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Ludovic Chan-Tung ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces territoires font pourtant face à des défis géopolitiques, environnementaux et statutaires importants, abordés lors du sommet One Planet – Polar Summit.Florian Aumond, Maître de conférences en droit public, Université de PoitiersAnne Choquet, Enseignante chercheure en droit, laboratoire Amure (UBO, Ifremer, CNRS), Université de Bretagne occidentale Ludovic Chan-Tung, Maître de conférences en droit public, Université Grenoble Alpes (UGA)Sabine Lavorel, Maître de conférences en droit public, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2167752023-11-03T14:21:54Z2023-11-03T14:21:54ZLa crise au Proche-Orient, une aubaine pour la Russie ?<p>Depuis le début des combats entre le Hamas et Israël, la Fédération de Russie joue à fond de sa position très particulière au Moyen-Orient. Ses liens structurels avec tous les acteurs de la crise actuelle lui permettent de mener des actions et de tenir des discours qu’aucun autre pays européen n’est prêt à assumer.</p>
<p>Le 26 octobre, le représentant spécial de la présidence russe pour le Proche-Orient, Mikhaïl Bogdanov, <a href="https://fr.timesofisrael.com/moscou-accueille-une-delegation-du-hamas-et-un-vice-ministre-iranien-israel-fulmine/">a reçu des dirigeants du Hamas à Moscou</a>. Dans le même temps, la relation entre Israël et la Russie reste forte, entretenue notamment à travers la <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2015-2-page-363.htm">nombreuse et influente communauté immigrée en Israël en provenance de l’ex-URSS</a>.</p>
<p>Pour Moscou, la série d’événements qui a démarré le 7 octobre dernier constitue une diversion qui confine à l’aubaine. La guerre en Ukraine est passée au second plan de l’attention médiatique et diplomatique, et le <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/vu-de-russie/20231020-vladimir-poutine-appelle-%C3%A0-la-paix-au-proche-orient-son-arm%C3%A9e-rase-avdiivka-en-ukraine">Kremlin se présente comme un faiseur de paix entre Israël et le Hamas</a>. La <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/themes/guerre/la-guerre-de-soukkot/">« guerre de Soukkot »</a> peut-elle permettre à la Russie de se relancer sur la scène internationale tout en marquant des points dans son bras de fer géopolitique avec les États-Unis, qu’elle désigne comme les <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/10/30/guerre-israel-hamas-vladimir-poutine-affirme-que-les-etats-unis-sont-responsables-du-chaos-mortel-au-moyen-orient-11552053.php">grands responsables du chaos actuel au Proche-Orient</a> ?</p>
<h2>Exploiter une aubaine stratégique</h2>
<p>Pour la stratégie russe en Europe, cette crise constitue une occasion inespérée. Elle intervient en effet à un moment où la Fédération a besoin d’une pause dans la mobilisation internationale contre son opération militaire en Ukraine. Le relatif <a href="https://www.lefigaro.fr/international/attaque-du-hamas-contre-israel-comment-moscou-utilise-le-conflit-pour-detourner-l-attention-de-l-ukraine-20231009">passage au second plan du conflit russo-ukrainien</a> lui profite directement et massivement. Ne serait-ce que parce que <a href="https://www.axios.com/2023/10/19/us-israel-artillery-shells-ukraine-weapons-gaza">Washington a envoyé à Israël des armes initialement destinées à l’Ukraine</a>…</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En cet automne 2023, les efforts de reconquête ukrainiens <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/guerre-en-ukraine-le-podcast/l-armee-ukrainienne-en-difficulte-4624488">peinent à produire des effets stratégiques</a>. Les territoires repris depuis début juin par les armées de Kiev sont conséquents, mais restent sans commune mesure avec les 20 % du territoire national occupés et <a href="https://theconversation.com/annexions-russes-de-territoires-ukrainiens-un-air-de-deja-vu-192288">annexés illégalement par la Russie</a>. Pour Moscou, la crise au Moyen-Orient permet de tourner encore plus rapidement la page de la contre-offensive ukrainienne afin d’achever de la <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/15/ukraine-larmee-russe-progresse-y-compris-autour-davdiivka-selon-poutine">faire passer pour un non-événement</a>.</p>
<p>De plus, la crise au Proche-Orient absorbe l’attention et les activités des chancelleries mondiales au moment où se manifestent certains fléchissements dans le soutien à l’Ukraine, en <a href="https://theconversation.com/comprendre-les-tensions-polono-ukrainiennes-215109">Pologne</a> du fait du conflit lié à l’importation en Europe des céréales ukrainiennes, <a href="https://www.iris-france.org/178787-guerre-en-ukraine-le-soutien-americain-incertain-a-lapproche-des-elections/">aux États-Unis</a> dans un contexte de crise institutionnelle au Congrès ou encore en Europe centrale comme en <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/25/slovaquie-robert-fico-forme-un-gouvernement-avec-les-pro-russes">Slovaquie</a>, où la victoire de Robert Fico affaiblit l’unité de l’UE dans son bras de fer avec la Russie.</p>
<p>Au-delà des dirigeants, ce sont aussi les médias et les opinions publiques à travers le monde qui, actuellement, s’intéressent un moins moins au théâtre ukrainien et des féroces combats qui se déroulent dans le Donbass, pour se focaliser sur le conflit au Proche-Orient, ce qui offre à la Russie une forme de répit.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À New York, le 18 octobre 2023, des manifestants pro-palestiniens font face à des manifestants pro-israéliens. Le conflit proche-oriental occupe aujourd’hui les esprits davantage que celui en cours en Ukraine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Syndi Pilar/Shutterstock</span></span>
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<p>La façon dont la Russie va exploiter cette période de relatif répit médiatique et diplomatique ne se manifestera pas immédiatement. Les repositionnements de troupes au sol, les campagnes diplomatiques bilatérales, la mobilisation des amis du Kremlin dans les organisations multilatérales, l’élaboration d’un nouveau narratif sur la guerre en Ukraine, etc. : tout cela est en préparation à Moscou. Mais les effets ne se verront que vers la fin de l’année, notamment à l’occasion de la traditionnelle conférence de presse du président Poutine.</p>
<p>Assurément, la Russie se repositionnera non plus comme un acteur régional en Europe oriental mais comme un acteur global, au Moyen-Orient notamment. C’est ainsi qu’elle a déposé un texte de résolution à l’ONU visant à obtenir un cessez-le-feu à Gaza ; le <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/10/1139707">rejet de ce texte</a>, du fait des votes « contre » des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France et du Japon, lui a permis de renforcer, aux yeux des pays dits du Sud et, spécialement, des États musulmans, sa posture de leader du camp anti-occidental, soucieux de protéger la population civile gazaouie, tout en <a href="https://eng.belta.by/politics/view/lavro-on-differences-in-russian-us-draft-resolutions-on-israel-palestine-conflict-162944-2023/">dénonçant l’alignement des Occidentaux sur Israël</a> et en allant jusqu’à se présenter comme un <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/russia-says-israels-gaza-bombardment-is-against-international-law-2023-10-28/">pays défendant le droit international</a>.</p>
<h2>Mobiliser ses alliés dans la région</h2>
<p>Pour les Realpolitiker russes, cette crise présente aussi l’occasion de mobiliser leurs réseaux d’alliances dans les mondes arabe, turc, persan et plus largement musulman. Dès avant l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, la <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2017-3-page-109.htm?ref=doi">Fédération de Russie a constamment renforcé ses relais dans la région</a>.</p>
<p><a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/loffensive-de-charme-de-poutine-vis-vis-moyen-orient">Dans le monde arabe</a>, à partir de 2015, elle a réactivé l’ancienne alliance avec la famille Al-Assad pour littéralement sauver le régime en Syrie par une intervention militaire cruciale. Elle a en outre resserré ses liens traditionnels avec l’Égypte dans les domaines de l’armement, de l’agro-alimentaire et de l’énergie. Elle a cultivé son <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/06/15/a-moscou-la-russie-et-l-algerie-renouvellent-leur-partenariat-strategique_6177821_3212.html">allié algérien</a> et a repris pied en Libye avec son <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/10/07/en-libye-la-relation-securitaire-entre-khalifa-haftar-et-moscou-s-intensifie_6192985_3212.html">soutien au maréchal Haftar</a>. Elle s’est même engagée dans une <a href="https://www.defnat.com/e-RDN/vue-tribune.php?ctribune=1414">coopération avec le royaume saoudien</a> dans le cadre de l’OPEP+.</p>
<p>Par-delà le monde arabe, elle a <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/11/guerre-en-ukraine-que-sont-les-drones-iraniens-utilises-par-la-russie_6145369_3210.html">trouvé dans l’Iran un fournisseur de drones pour la guerre en Ukraine</a> ainsi qu’un soutien dans les enceintes internationales. Et les <a href="https://theconversation.com/la-turquie-une-puissance-mediatrice-entre-la-russie-et-lukraine-203782">rapprochements entre les présidents russe et turc</a> sont réels même s’ils ne doivent pas susciter l’illusion d’une alliance solide.</p>
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<p>La crise actuelle lui permet de raviver ces alliances structurelles autour d’une question ancienne et passée au second plan dans le monde musulman après les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-qu-est-ce-que-les-accords-d-abraham-10-10-2023-2538807_24.php">accords d’Abraham</a> : la cause palestinienne. La spécificité de la position de la Russie dans la région à la faveur de ce conflit doit être soulignée : elle est capable de mobiliser ses alliés par-delà les lignes de clivage internes à la région. Et la crise actuelle, qui réactive <a href="https://theconversation.com/proche-orient-le-retour-de-la-cause-palestinienne-216213">l’hostilité à Israël dans les opinions arabes, persanes et musulmanes au sens large</a>, souligne la centralité d’un acteur dont les Occidentaux ont pourtant voulu faire un paria.</p>
<p>Là encore, les effets de cette position ne se manifesteront pas tous immédiatement : c’est à moyen terme que la Russie tentera de tirer bénéfice de sa position actuelle pour contester encore davantage le poids des États-Unis dans la région. Toutefois, il est certain que l’aubaine immédiate peut être complétée par des gains stratégiques dans la zone : la Russie peut utiliser la crise pour souligner sa centralité, pour rappeler à ses alliés qu’elle parle à tous et peut donc prétendre au rôle de médiateur.</p>
<p>À condition toutefois de préserver sa relation avec Israël.</p>
<h2>Préserver ses relais en Israël</h2>
<p>Si la Russie prétend à une position œcuménique au Moyen-Orient, elle est actuellement handicapée, en Israël, par plusieurs facteurs. <a href="https://www.lemonde.fr/international/video/2023/10/30/au-daghestan-un-aeroport-pris-d-assaut-par-une-foule-hostile-a-israel_6197355_3210.html">Les mouvements de foule au Daghestan</a>, république autonome de la Fédération de Russie à majorité musulmane, contre les passagers d’un vol en provenance de Tel-Aviv, ont été perçus avec beaucoup d’inquiétude dans l’État hébreu.</p>
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<p>Après avoir revendiqué le rôle de pionnier dans la lutte contre l’islamisme sunnite violent, comment la Russie pourrait-elle prétendre au rôle de médiateur alors qu’elle accueille désormais fréquemment des dirigeants du Hamas ?</p>
<p>Plusieurs leaders en Israël redoutent le renforcement de <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-sinquiete-dun-axe-russie-iran-hamas-2025584">l’axe Moscou-Téhéran-Hamas</a> dans le contexte de l’opération israélienne à Gaza. La symbiose entre la République islamique d’Iran et la Fédération de Russie préoccupe tout particulièrement Israël : elle peut jouer en faveur d’une modération du Hezbollah, mais elle peut aussi contribuer à la régionalisation des hostilités.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-liran-mobilise-son-axe-de-la-resistance-face-a-israel-216306">Comment l’Iran mobilise son « Axe de la Résistance » face à Israël</a>
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<p>Dans la crise, la Russie a beaucoup à perdre avec Israël. Ses relais d’influence y sont multiples : plus d’un million d’habitants (sur 9 millions) sont issus de l’ex-URSS. Ils constituent la première communauté immigrée en Israël et disposent de figures publiques influentes dans les domaines politiques, économiques, financiers, médiatiques ou technologiques. La Russie est-elle condamnée par sa position actuelle à dilapider son capital en Israël ? Nombreux sont les observateurs à estimer que les <a href="https://www.agenzianova.com/en/news/russia-israel-kommersant-bilateral-relations-are-in-deep-crisis/">relations bilatérales Moscou-Tel-Aviv sont à un plus bas historique</a>.</p>
<p>En somme, la position russe au Moyen-Orient se trouve à un croisement. Soit elle se contente se traiter la crise actuelle comme une diversion : elle profitera alors du répit médiatique et de la baisse de pression diplomatique pour renforcer encore ses positions en Ukraine ; soit elle endosse le rôle de ciment des acteurs anti-Israël au Moyen-Orient : elle rompra encore davantage avec des Occidentaux mobilisés en faveur de la sécurité d’Israël ; soit, enfin, elle choisit la voie étroite de médiateur potentiel : il lui faudra alors, pour être acceptée comme telle par les Israéliens, remédier aux nombreuses tensions de la relation bilatérale Moscou-Tel-Aviv.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216775/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’attention mondiale s'est reportée de l’Ukraine à Gaza. La Russie en bénéficie largement, d'autant qu'elle cherche à apparaître comme un faiseur de paix au Proche-Orient.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2142962023-11-02T21:01:38Z2023-11-02T21:01:38ZFootball : le modèle de la Saudi Pro League peut-il s’imposer ?<p>Le pari est peut-être déjà gagnant. Karim Benzema au cœur de l’actualité <a href="https://www.sport.fr/football/spl-karim-benzema-ny-arrive-pas-avec-al-ittihad-1089662.shtm">sportive</a> et <a href="https://www.sudouest.fr/politique/guerre-israel-hamas-karim-benzema-au-coeur-d-un-match-nul-entre-gerald-darmanin-et-jean-luc-melenchon-17233600.php">politique</a>, des <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20231023-saudi-football-club-deletes-tweet-expressing-solidarity-with-gaza/">polémiques sur un soutien à la Palestine</a> mais aussi des <a href="https://www.agbi.com/analysis/saudi-football-sells-tv-rights-in-hope-of-net-profit/">contrats de diffusion</a> signés dans des dizaines de pays (dont Canal+ en France et le service de streaming sportif DAZN au Royaume-Uni)… le championnat de football saoudien, la Saudi Pro League (SPL), s’est clairement imposé dans l’actualité ces derniers mois. S’il est encore tôt pour évoquer le succès sportif de la compétition, la réussite médiatique semble déjà au rendez-vous.</p>
<p>À l’ère de la géopolitique du sport, le Moyen-Orient en est devenu le champion. Nation majeure sur le plan économique, culturel et géographique de la région, l’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/arabie-saoudite-23722">Arabie saoudite</a> demeurait cependant en <a href="https://www.routledge.com/The-Geopolitical-Economy-of-Sport-Power-Politics-Money-and-the-State/Chadwick-Widdop-Goldman/p/book/9781032390598">retrait</a> eu égard à son influence. Le royaume a commencé à rattraper son retard. Le succès retentissant de son voisin et rival qatarien à l’occasion de la Coupe du monde 2022 semble en effet avoir incité le prince héritier Mohammed Ben Salmane <a href="https://theconversation.com/apres-le-qatar-larabie-saoudite-joue-la-carte-du-soft-power-par-le-sport-201513">à investir plus en profondeur le terrain du sport</a>.</p>
<p>Avec la SPL mais aussi le <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2021/10/07/football-un-fonds-saoudien-rachete-le-club-anglais-de-newcastle_6097525_3242.html">rachat du club anglais de Newcastle</a> ou encore l’investissement dans les <a href="https://www.lequipe.fr/Golf/Actualites/Le-pga-tour-et-le-liv-fusionnent/1401103">compétitions de golf au plus haut niveau</a>, la géopolitique du sport saoudien est entrée depuis quelques mois dans une phase d’accélération. Le mardi 31 octobre, une nouvelle étape a été franchie lorsque le président de la FIFA, Gianni Infantino, a annoncé que l’Arabie saoudite organiserait le Mondial de football en 2034.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1719413104474243189"}"></div></p>
<p>Au-delà de sa dimension géopolitique, les footballeurs arrivés en SPL cet été marquent un changement dans l’organisation du sport professionnel. Au début de l’été 2023, le Public Investment Fund (PIF), <a href="https://www.vision2030.gov.sa/en/vision-2030/overview/">bras armé du plan de développement du pays intitulé « Vision 2030 »</a>, avait en effet investi pour obtenir 75 % des droits de propriété des quatre clibs les plus populaires et titrés du pays, Al-Nassr, Al-Hilal, Al-Ahli et Al-Ittihad (champion en titre).</p>
<h2>Recrutement 5 étoiles</h2>
<p>Avec ces fonds, les clubs ont animé le marché des transferts cet été en recrutant massivement des joueurs connus et reconnus, avec le Portugais Cristiano Ronaldo (arrivé dès l'hiver précédent), le Français Karim Benzema et le Brésilien Neymar en têtes d’affiche. En conséquence, la valeur totale des joueurs du championnat a presque triplé en un an, passant de 350 à 1200 millions d’euros.</p>
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<p>Contrairement aux précédents championnats qualifiés d’« exotiques » ayant lourdement investi par le passé, le championnat saoudien marque par ses choix stratégiques et réfléchis. Si le <a href="https://www.sportspromedia.com/news/saudi-pro-league-pif-al-nassr-hilal-ittihad-ahli-takeover-privatisation-aramco-neom/?zephr_sso_ott=XVXWho">PIF annonce que les clubs rachetés agiront de manière autonome</a>, la stratégie sportive menée semble en effet on ne peut plus centralisée.</p>
<h2>Pas que Ronaldo et Neymar</h2>
<p>La Chine, pays qu’il est pourtant difficile de battre sur le sujet de la planification et de la centralisation de la gouvernance, <a href="https://www.nytimes.com/2023/03/29/sports/soccer/china-soccer.html">s’était heurtée à ce manque de synergie</a> n’ayant pas permis à la Chinese Super League de prendre de l’ampleur espérée sur le long terme. À l’âge d’or des investissements de l’empire du Milieu, chaque équipe essayait tour à tour de faire son coup d’éclat. Ce constat peut être étendu au championnat américain de football, la MLS (Major League Soccer), autre compétition qui a été affublée du sobriquet d’<a href="https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Guide-des-destinations-exotiques-de-transfert-tome-2/707922">« exotique »</a>.</p>
<p>Cet été, les clubs saoudiens mentionnés précédemment ont, eux, tous mis en place une stratégie avec le dessein d’avoir un produit marketing international, dans laquelle le niveau sportif n’est pas le seul déterminant des choix de recrutement.</p>
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<p>La SPL a ainsi mené à bien son projet de récupérer l’ensemble des meilleurs joueurs musulmans en activité (le Français Karim Benzema, l’Algérien Riyad Mahrez et le Sénégalais Sadio Mané, liste à laquelle aurait presque pu être ajouté Mohamed Salah, dont le <a href="https://www.africatopsports.com/2023/09/04/mohamed-salah-liverpool-rejette-une-offre-incroyable-dal-ittihad/">transfert a finalement échoué</a>). La religion islamique devient là un <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315745480-17/islamic-sport-marketing-sport-marketing-muslim-countries-communities-guillaume-bodet-mahfoud-amara?context=ubx&refId=8feff6ac-c925-4490-a6c5-f1bd07de4ea6">outil marketing</a> pour faire rayonner le championnat dans tout le monde arabe.</p>
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<p>Les recruteurs se sont en parallèle portés vers des joueurs avec de très grosses communautés internationales comme le Portugais Cristiano Ronaldo et le Brésilien Neymar (respectivement 605 et 215 millions d’abonnés sur Instagram) ainsi que sur des joueurs majeurs de deux grands pays africains, le Sénégal (Kalidou Koulibaly, Sadio Mané, Édouard Mendy) et la Côte d’Ivoire (Franck Kessié et Seko Fofana).</p>
<p>Cette stratégie de communauté comprend également le recrutement de joueurs internationaux de grandes équipes européennes et sud-américaines (le Français N’Golo Kanté, l’Espagnol Aymeric Laporte, le Croate Marcelo Brozovic, le Serbe Sergej Milinkovic-Savic ou encore le Brésilien Fabinho). Le dernier profil concentre lui des joueurs jeunes avec une très grosse côte et promis à un avenir radieux (le Français Allan Saint-Maximin, l’Espagnol Gabri Veiga et le Portugais Diogo Jota).</p>
<h2>Distorsion de concurrence</h2>
<p>Avec ces choix sportifs et stratégiques, l’Arabie saoudite dévoile une bascule marketing du sport professionnel, d’un spectacle à un média « global » qui cherche à faire parler de lui au travers d’une intrigue reprise par d’autres supports, médias traditionnels ou réseaux sociaux. C’est le modèle qu’a par exemple suivi le youtubeur Squeezie début octobre : en ralliant différentes communautés en ligne, il a réuni <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/24h-du-mans/gp-explorer-l-interet-ne-porte-pas-sur-le-niveau-sportif-mais-sur-l-intrigue-decrypte-un-chercheur-a-propos-du-succes-de-la-course-creee-par-squeezie_6043037.html">1,3 million de viewers sur la plate-forme de streaming Twitch</a> pour suivre la course automobile qu’il avait organisée. Avec un modèle similaire, les décideurs saoudiens veulent mettre en place une réelle alternative à l’existant avec une offre nouvelle, la SPL en étant l’un des fers de lance.</p>
<p>Marqué par les effets de la numérisation, le secteur du sport professionnel observe en effet un virage stratégique avec ce projet. La guerre <a href="https://hbr.org/2014/06/how-to-succeed-in-business-by-bundling-and-unbundling">du regroupement et dégroupement</a> de contenu a mis fin à beaucoup d’initiatives dans le divertissement avec la mort de Mixer ou HBO Max. Ce même phénomène a été érigé comme un <a href="https://hbr.org/2014/06/how-to-succeed-in-business-by-bundling-and-unbundling">frein à la consommation de spectacles sportifs par les fans</a>. Le projet saoudien s’inspire de ce secteur et de ces funestes échecs pour atteindre sa stratégie médiatique, économique et géopolitique – avec l’atout de ne pas avoir à prendre en considération la rentabilité directe.</p>
<p>Le championnat saoudien peut-il ainsi espérer se construire une place plus solide que les autres championnats « exotiques » dans le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/football-20898">football</a> mondial ? S’il est difficile de répondre pour l’instant à cette question, on peut d’ores et déjà lister un certain nombre d’atouts. Première certitude, la SPL change l’équilibre du marché du football professionnel. Il est rare de voir émerger des stratégies de fortes croissances externes dans le secteur du sport professionnel. Le championnat saoudien a fait passer le message qu’il avait les moyens de ses ambitions et que même les plus puissants Européens avaient besoin d’argent.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/apres-le-qatar-larabie-saoudite-joue-la-carte-du-soft-power-par-le-sport-201513">Après le Qatar, l’Arabie saoudite joue la carte du « soft power » par le sport</a>
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<p>Deuxième constat, <a href="https://theconversation.com/us/topics/european-super-league-103233">l’échec du projet de Super Ligue européenne</a> en 2021 a laissé une porte ouverte pour une compétition footballistique d’un genre nouveau qui viendrait concurrencer le football européen. Or, les investissements du Moyen-Orient exercent une distorsion du marché et de la concurrence en Europe. Les récents achats onéreux par des clubs qatariens d'Abdou Diallo, Marco Verratti et Julian Draxler, joueurs du PSG propriété du Qatar, interrogent sur des <a href="https://www.eurosport.fr/football/transfers/2022-2023/mercato-transferts-de-verratti-draxler-et-diallo-l-uefa-surveillerait-les-transferts-du-psg-vers-le-_sto9803126/story.shtml">possibles nouvelles pratiques économico-géopolitiques</a>. Les instances du football européen, l’UEFA, examineraient d’ailleurs actuellement ces transferts pour s’assurer qu’ils respectent les règles de fair-play financier. </p>
<p>Enfin, dans le cadre de nos recherches, nous avons identifié que le projet de PIF était marqué par une modification profonde de l’offre, de la structure et de l’organisation, ce que nous qualifions d’<a href="https://easm2023.com/wordpress/wp-content/uploads/2023/09/EASM-Belfast-2023-Conference-Abstracts.pdf">« effets institutionnels »</a>.</p>
<p>Le projet saoudien présent donc de nombreux atouts. Dépourvue d’un enjeu de rentabilité économique, la pérennité de la SPL dépendra dès lors de sa capacité à renouveler ses joueurs internationaux, mais aussi à adopter au mieux les codes du divertissement aujourd’hui attendus par les consommateurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214296/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Baptiste Brossillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Hit de l’été et tourbillon médiatique, le championnat saoudien de football vient proposer un nouveau modèle économique pour le sport professionnel – au-delà des buzz relayés mondialement.Baptiste Brossillon, Doctorant en économie et management du sport, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2163062023-10-30T19:08:14Z2023-10-30T19:08:14ZComment l’Iran mobilise son « Axe de la Résistance » face à Israël<p>L’attaque dévastatrice du Hamas le 7 octobre a changé la donne au Moyen-Orient. Le dossier israélo-palestinien, relégué au second plan depuis au moins une dizaine d’années, est brutalement revenu au cœur de la géopolitique régionale.</p>
<p>Alors que la guerre en cours entre le Hamas et Israël <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/risks-wider-war-iran-and-its-proxies">enhardit les mandataires de l’Iran dans la région</a>, tous les acteurs impliqués (étatiques ou non étatiques) manœuvrent dans un jeu de pouvoir très complexe qui peut conduire à une guerre régionale à part entière ; mais un tel scénario peut être évité par une fin négociée.</p>
<h2>Vers une « unité des fronts »</h2>
<p>Nous sommes entrés en territoire inconnu, car les <a href="https://theconversation.com/quelle-strategie-israelienne-pour-gaza-216050">objectifs politiques et militaires israéliens n’ont pas été définis de façon claire</a>, ce qui rend cette guerre de vengeance différente de toutes les opérations israéliennes précédentes contre le Hamas, que ce soit en termes de durée, d’objectifs ou de nombre de victimes des deux côtés.</p>
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<p>La rhétorique des responsables israéliens, dont certains ont nié l’existence de civils innocents à Gaza, <a href="https://news.yahoo.com/israeli-president-says-no-innocent-154330724.html">comme l’a fait le président de l’État hébreu</a>, a oscillé entre une position maximaliste et minimaliste, allant de l’appel à une occupation totale de Gaza <a href="https://www.lapresse.ca/international/2023-10-15/israel-et-le-hamas-en-guerre/l-occupation-de-gaza-par-israel-serait-une-grave-erreur-selon-biden.php">malgré les avertissements du président américain</a> à la création d’une zone tampon et à la « simple » destruction de l’infrastructure du Hamas.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1716804959881343181"}"></div></p>
<p>Le 7 octobre, au moment où le Hamas déclenchait son opération sans précédent, Mohammed Deif, le commandant militaire de sa branche armée a <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/le-commandant-du-hamas-a-gaza-exhorte-les-arabes-israeliens-et-les-etats-voisins-a-prendre-les-armes/">appelé</a> tous les Arabes et musulmans et, spécialement, l’Iran et les États et organisations qu’il domine, à se lancer dans une guerre totale contre Israël. Il a cité, dans cet ordre, le Hezbollah libanais, l’Iran, le Yémen, les milices chiites irakiennes et la Syrie. Il a proclamé ce jour comme « celui où votre résistance contre Israël converge avec la nôtre », dans ce que l’on appelle <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1334129/le-hezbollah-consacre-lunite-des-fronts-.html">« l’unité des fronts »</a>, qui est une stratégie de dissuasion initiée par le Hezbollah.</p>
<p>Cette stratégie de dissuasion consiste à coordonner, politiquement et militairement, les réponses de toutes les milices mandataires de l’Iran dans la région et à se rassembler pour se soutenir mutuellement si l’une d’entre elles est attaquée. La multiplicité des fronts dominés par les milices par procuration de l’Iran peut dissuader les adversaires de Téhéran de passer à l’action… ou au contraire accélérer la descente de la région dans un chaos total.</p>
<h2>Tensions majeures à la frontière libanaise</h2>
<p>Après le 7 octobre, la situation sécuritaire s’est rapidement détériorée à la frontière libanaise d’Israël, du fait d’escarmouches de plus en plus intenses entre Tsahal et le Hezbollah.</p>
<p>De plus, deux nouveaux éléments intéressants sont apparus sur le front libanais. Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile, nous avons assisté à la réémergence « temporaire » des forces Al-Fajr, la branche militaire de la Jamaa Islamiya. Cette milice libanaise islamiste sunnite, qui a été dissoute en 1990, a annoncé qu’elle participait aux hostilités au-delà des frontières libanaises israéliennes « en défense de la souveraineté libanaise, de la mosquée Al Aqsa et en solidarité avec Gaza et la Palestine ». Le 29 octobre, elle a <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1355189/israel-intensifie-son-offensive-contre-gaza-internet-en-cours-de-retablissement-dans-lenclave-j-23-de-la-guerre-israel-hamas.html">lancé des missiles depuis le Liban vers Kiryat Shmona, dans le nord d’Israël</a>. Cette milice combat de façon quasi-indépendante du Hezbollah (même s’il existe une coordination militaire entre les deux organisations).</p>
<p>En outre, le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1354234/le-hezbollah-entraine-le-liban-dans-la-guerre-armee-israelienne.html">Hamas et le Jihad islamique palestinien au Liban</a> ont publié des communiqués assumant l’entière responsabilité de plusieurs attaques contre Israël. Ils ont lancé ces attaques depuis les territoires libanais, rappelant les années où le sud du Liban était dominé par les activités militaires de l’OLP palestinienne (à partir de 1969), au point d’être surnommé <a href="https://www.naharnet.com/stories/en/300905">« Fatah Land »</a>.</p>
<p>Leur participation aux hostilités est encore limitée, mais elle est importante en termes symbolique. Il est clair que le Hezbollah coordonne les activités de toutes les milices opérant à la frontière libanaise pour envoyer un message clair : la zone est ouverte à toutes les factions islamistes et non islamistes, invitées à se joindre, même symboliquement, à la lutte contre Israël dans le but d’exprimer leur solidarité avec Gaza. En d’autres termes, le Hezbollah déclare que ce combat n’est pas sectaire, mais qu’il unit les musulmans et concerne tous les Arabes et les musulmans.</p>
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<p>Ce message d’unité musulmane contre Israël intervient après des années de sectarisation du Moyen-Orient. Le Hezbollah n’a mené que des attaques limitées contre Israël depuis la fin de la guerre israélo-libanaise de 2006, et est <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-du-monde-arabo-musulman-et-du-sahel/consequences-lintervention-militaire-hezbollah-syrie-sur-population-libanaise-chiite-rapports-avec-israel-2017">intervenu militairement en Syrie pour appuyer le régime de Damas</a>, combattant alors dans le camp opposé au Hamas, lequel s’était porté au soutien du camp anti-Assad.</p>
<p>Cette prise de position avait valu au Hezbollah de devenir très impopulaire aux yeux des populations sunnites de la région. En se joignant à la lutte contre Israël, le Hezbollah se réaffirme aux yeux de l’ensemble des Arabes de la région non pas en tant qu’acteur sectaire, mais plutôt en tant que groupe révolutionnaire islamique qui vise à mettre fin à l’arrogance israélienne.</p>
<p>Ce recadrage correspond à l’image qu’il se faisait de lui-même. Le Hezbollah se considère en effet comme un modèle pour le Hamas et d’autres forces islamiques qui luttent contre Israël. Malgré leurs divergences sur la guerre en Syrie, ils ont restauré leurs relations en août 2007 et les hauts commandants du Hamas, comme <a href="https://youtu.be/pgjiAF98s_s?si=VakJEkLE1cxkRhwc">Ismaël Haniyeh</a> (le chef du bureau politique du Hamas) et <a href="https://youtu.be/Hje4sfEmv0M?si=5gzcb-0hlOfjJy3z">Yahia Sinwar</a> (chef du bureau politique du Hamas à Gaza), ont publiquement remercié l’Iran pour son aide précieuse en matière de financement, de logistique et d’approvisionnement en armes.</p>
<h2>Le rôle des Houthis du Yémen</h2>
<p>L’attaque du Hamas est survenue à un moment au Moyen-Orient où les États-Unis ont tenté d’étendre les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-qu-est-ce-que-les-accords-d-abraham-10-10-2023-2538807_24.php">accords de paix d’Abraham</a> (qui ont permis ces dernières années, un rapprochement entre Israël et plusieurs États arabes, sous la férule de Washington) à <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Ces accords, qui visent à établir les bases d’une nouvelle architecture de sécurité au Moyen-Orient afin d’assurer une meilleure sécurité régionale aux alliés des États-Unis, <a href="https://www.iris-france.org/179388-hamas-israel-quelles-consequences-diplomatiques-et-securitaires-au-moyen-orient/">sont désormais menacés</a>, et la normalisation entre Israël et Riyad <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/09/attaque-du-hamas-le-rapprochement-entre-israel-et-l-arabie-saoudite-a-l-epreuve-de-la-guerre_6193318_3210.html">semble à présent une perspective fort improbable</a>.</p>
<p>L’échec annoncé de ce réchauffement est d’autant plus dommageable pour Washington que les Chinois ont, il y a quelques mois, enregistré un succès diplomatique majeur en <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">négociant une détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a>, après de longues années de soutien de Téhéran aux milices yéménites houthies qui combattaient l’Arabie saoudite au Yémen. Dans le cadre de ce rapprochement entre Riyad et Téhéran, des <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230920-guerre-au-y%C3%A9men-apr%C3%A8s-des-entretiens-positifs-les-rebelles-houthis-ont-quitt%C3%A9-riyad">pourparlers se sont tenus entre les houthis et les Saoudiens</a> pour soutenir le processus de paix au Yémen.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1715667908280406330"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-2-page-17.htm">Houthis</a> sont une autre partie de l’axe iranien dans la région. Leur ascension en tant qu’acteur politique et militaire yéménite les a enhardis. Ils ont déclaré qu’ils étaient <a href="https://www.aa.com.tr/en/middle-east/yemen-rebels-threaten-to-join-hamas-attack-on-israel-if-us-intervenes-in-conflict/3014839">prêts à se joindre au Hamas dans une guerre totale contre Israël</a> pour défendre Gaza et la mosquée Al-Aqsa. En guise de démonstration de force, ils ont lancé le 19 octobre trois missiles de croisière et des drones qui ont été <a href="https://www.opex360.com/2023/10/20/le-navire-americain-uss-carney-a-intercepte-des-missiles-et-des-drones-lances-depuis-le-yemen/">interceptés par un destroyer américain en mer Rouge</a>. Selon les États-Unis, ces missiles se dirigeaient « potentiellement vers Israël ». L’attaque est en soi symbolique, mais elle envoie un message politique fort qui réaffirme la primauté stratégique des liens des Houthis avec <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2022/10/Asia-Focus-185.pdf">« l’Axe de la résistance »</a> soutenu par l’Iran et signale la volonté de la milice de s’engager militairement dans des guerres ou des tensions régionalisées ou internationalisées.</p>
<p>Cela a été clairement défini dans le <a href="https://youtu.be/3o81HN19Uic?si=f88VMotBX40E8izo">discours de leur chef</a>. Les Houthis disposent d’un formidable <a href="https://www.mei.edu/publications/houthis-red-sea-missile-and-drone-attack-drivers-and-implications">arsenal de missiles à longue portée</a> qui seraient capables de frapper Israël. Tous ont été soit saisis à l’État yéménite en 2014, soit acheminés par l’Iran.</p>
<p>Les attaques de missiles lancées par les Houthis ont coïncidé avec d’autres <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1354940/les-forces-americaines-attaquees-16-fois-en-syrie-et-en-irak-depuis-le-debut-du-mois.html">attaques menées par des milices chiites soutenues par l’Iran</a>, visant des bases américaines et des garnisons accueillant des soldats américains en Irak et en Syrie. L’Iran a stratégiquement externalisé le risque de confrontation directe avec les États-Unis et Israël via son <a href="https://www.defense.gouv.fr/dems/syntheses-documentaires-supprimer/axe-resistance-lexpansionnisme-regional-iranien">Axe de la Résistance</a> : quand de telles attaques ont lieu, sa responsabilité n’est pas directement engagée. Ce positionnement accroît son influence dans les négociations directes et indirectes ainsi que son influence régionale.</p>
<h2>Une guerre totale est-elle possible ?</h2>
<p>Pour conclure, tous les acteurs semblent marcher sur une corde suspendue au-dessus du cratère d’un volcan. Ils attendent tous d’en savoir plus sur les objectifs politiques et militaires de la guerre israélienne à Gaza et de pouvoir évaluer les capacités de résistance du Hamas à l’attaque dont il fait l’objet.</p>
<p>Si l’armée israélienne enregistre des pertes importantes, la position stratégique de l’axe soutenu par l’Iran s’améliorera, sans frais pour Téhéran mais à un coût terrible pour la population de Gaza et à Hamas.</p>
<p>Mais que se passerait-il si Israël menaçait l’existence même du Hamas après une invasion terrestre ? Les intenses escarmouches aux frontières libanaises d’Israël se transformeraient-elles alors en une guerre à part entière ? L’Iran se joindrait-il aux hostilités ? Et si Israël se sentait renforcé par le soutien inconditionnel de l’Occident à son droit à se défendre et considérait cette solidarité comme un blanc-seing pour frapper l’Iran, dont l’ambition nucléaire effraie les responsables de l’État hébreu ? Dans un tel cas de figure, et face à la riposte de Téhéran, les États-Unis utiliseront-ils leurs destroyers dans la région de la Méditerranée orientale pour attaquer l’Iran et défendre Israël ?</p>
<p>À ce stade, impossible d’apporter de réponse tranchée à toutes ces questions. Nous pouvons seulement constater que la région semble se diriger vers une nouvelle phase où la sectarisation des politiques étrangères des acteurs régionaux sera reléguée au second plan, la détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite se consolidera, la question palestinienne s’imposera pour longtemps au premier plan, et les milices mandataires iraniennes s’affirmeront de plus en plus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216306/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hussein Abou Saleh ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Iran rechigne à entrer directement en guerre contre Israël, mais mobilise volontiers les Houthis du Yémen et les milices chiites d’Irak, ainsi que le Hezbollah libanais.Hussein Abou Saleh, Docteur associé au Centre d'études et de recherches internationales (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2150262023-10-18T17:02:40Z2023-10-18T17:02:40ZLes séries télévisées, des armes culturelles géopolitiques ?<p><em>Elles battent sans cesse de nouveaux records d’audience, elles attirent des stars qui auparavant ne se consacraient qu’au cinéma, elles alimentent les conversations en famille, entre collègues et entre amis… et cela, partout sur la planète. Les séries télévisées, dont un grand nombre sont désormais traduites en de multiples langues et diffusées sur tous les continents, ont un impact réel sur les représentations que nous nous faisons du monde, et reflètent et même façonnent à leur manière la très complexe réalité géopolitique.</em></p>
<p><em>Nous vous proposons ici quelques extraits de l’introduction d’un récent ouvrage co-signé par Virginie Martin, professeure de sciences politiques et de sociologie à Kedge Business School, et Anne-Laure Melquiond, docteure en études cinématographiques, <a href="https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807357990-j-assure-en-geopolitique-grace-aux-series">« J’assure en géopolitique grâce aux séries »</a>, qui vient de paraître aux éditions De Boeck, ainsi que des passages consacrés à certaines des quinze séries analysées dans le livre, dont « Fauda », que la tragique actualité du Proche-Orient invite aujourd’hui à voir ou à revoir.</em></p>
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<p>Le phénomène des séries a pris un tournant particulier avec l’apparition récemment des plates-formes comme Netflix, Disney +, Amazon ou Apple, qui diffusent sur l’ensemble de la planète des séries qu’elles produisent elles-mêmes. Cette concentration dans la diffusion, voire dans la production, a des effets d’impact puissants et participe à modifier en retour la géopolitique du pays concerné.</p>
<p>Si le monde des séries intéresse la géopolitique, c’est à un double niveau : d’une part, comme inspiration et, d’autre part, comme vecteur politique. Les fictions sérielles sont d’abord des témoins de l’actualité et de l’histoire en marche : elles s’inscrivent dans leur monde et évoquent fréquemment les rapports de force géopolitiques. Mais au-delà de refléter ces réalités, elles en sont elles-mêmes des actrices. Chaque pays joue avec sa production sérielle afin de créer sa propre image, sa propre histoire, son propre <em>storytelling</em> pour l’utiliser comme arme de <em>soft power</em>, notion <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1991_num_41_1_394547">développée par Joseph Nye</a> dans les années 1990.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-les-series-historiques-turques-epousent-la-vision-du-pouvoir-168398">Quand les séries historiques turques épousent la vision du pouvoir</a>
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<p>Pour influencer le monde, cette « puissance douce » – par opposition au <em>hard power</em> de la « vraie » guerre avec armes et drones – compte sur le fait de séduire ou d’attirer certaines catégories de population, idéalement le plus largement possible, à travers notamment la culture populaire des séries, utilisée comme arme massive d’influence. Le « monde en séries » révèle de manière puissante le pouvoir des objets culturels sur nos sociétés. Les séries participent à une tentative d’hégémonie culturelle comme l’avait théorisé Antonio Gramsci, penseur communiste italien au début du XX<sup>e</sup> siècle, dans ses <a href="https://www.cairn.info/cahiers-de-prison--9782072901492.htm"><em>Cahiers de prison</em></a>.</p>
<p>C’est ce qui se joue à pleine puissance avec les plates-formes, armes de domination et d’appropriation culturelle.</p>
<p>Dans cette guerre idéologique, des pays sortent du lot pour la qualité et la performance de leurs séries, par exemple Israël avec des productions comme « Hatufim » ou « Fauda ».</p>
<p>Comme l’a largement montré Virginie Martin dans <a href="https://www.humensciences.com/livre/Le-charme-discret-des-series/85"><em>Le Charme discret des séries</em></a>, depuis une dizaine d’années les séries télévisées israéliennes sont devenues un puissant instrument de <em>soft power</em> car, au-delà du simple divertissement, elles diffusent subtilement des discours contribuant à positiver et embellir l’image du pays à l’étranger. L’Inde n’est pas en reste avec des séries télévisées comme « Delhi Crime », « Le Seigneur de Bombay », « Leila » ou « Bombay Begums ».</p>
<p>Déjà par son industrie cinématographique prolifique, Bollywood a souvent été perçu comme un vecteur du <em>soft power</em> de l’Inde. Les pays scandinaves eux-mêmes maîtrisent cet art du <em>soft power</em>, valorisant leur culture et leur vision politique du monde et des sociétés, avec des séries comme « Occupied » ou « Borgen » qui permettent par exemple de faire connaître et de diffuser leurs initiatives environnementales.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-serie-occupied-une-dystopie-europeenne-117067">La série « Occupied », une dystopie européenne ?</a>
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<p>Les relations Sud-Sud sont aussi parfois très fortement présentes : le Sénégal, par exemple, consomme des séries brésiliennes, ou le Maroc diffuse les séries indiennes, séries qui ne sont que très rarement doublées en anglais.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/cinema-et-series-au-senegal-la-portee-politique-dun-divertissement-tres-populaire-161464">Cinéma et séries au Sénégal : la portée politique d’un divertissement très populaire</a>
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<p>Ce « monde en séries » révèle plus que jamais un théâtre multipolaire, voire apolaire. Notre environnement est devenu extrêmement complexe depuis la chute du mur de Berlin en 1989 et l’explosion du digital rebat les cartes dans la possibilité pour une ou deux puissances de maîtriser à elles – seules la planète. C’est aussi cette complexité que racontent ces fictions et qui montre combien la série est un outil de géopolitique au sens strict.</p>
<h2>Le conflit au Proche-Orient avec « Fauda »</h2>
<p>Fauda met en scène un face-à-face qui s’inscrit dans le conflit israélo – palestinien. Aucun camp n’est valorisé : un commandant du Hamas peut être montré avec des sentiments alors qu’un soldat israélien peut se comporter comme une brute. Mais l’unité d’infiltrés se bat contre un nouvel ennemi à chaque saison, le Hamas, l’État islamique, le Hezbollah… La série montre que, même si tout le monde veut la paix, on ne cherche pas la paix, on cherche à gérer le conflit.</p>
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<p>La question de la langue est fondamentale dans la série, comme le prouve déjà son titre : Fauda (qui signifie « chaos » en arabe). C’est donc une série israélienne qui porte un titre arabe. On entend d’ailleurs ce mot prononcé par les membres de l’unité lorsqu’ils sont en grande difficulté en territoire occupé, démasqués par les Palestiniens et qu’ils n’arrivent plus à se sortir du bourbier.</p>
<p>De fait, on parle principalement arabe dans la série, puisqu’elle se déroule au sein d’une unité arabophone de l’armée israélienne. Tous les membres de cette unité sont issus de pays arabes, parlent l’arabe et peuvent se fondre dans la masse : « Un Israélien de Tel-Aviv qui arrive à un café à Naplouse est repéré en exactement 45 secondes. Eux, ils savent demander un café avec l’accent de Naplouse et ils savent se fondre dans la population et c’est toute la spécificité de cette guerre souterraine que mène Israël contre des réseaux palestiniens », explique Pierre Haski lors d’une conférence dans le cadre de Série Mania en janvier 2023.</p>
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<p>Inversement, dans la série, des Palestiniens apprennent l’hébreu pour eux aussi s’infiltrer en Israël. Dans la première saison, l’épouse du frère de la Panthère, qui s’est fait tuer le jour de son mariage, cherche à se venger des assassins de son mari. Elle apprend quelques mots d’hébreu pour pouvoir commander un coca sans se faire repérer dans un café branché de Tel-Aviv où elle va faire exploser une bombe. Elle arrive dans le bar, complètement bouleversée par ce qu’elle va faire. La serveuse, ignorant tout de ses intentions, se méprend et pense qu’elle a été victime d’une agression sexuelle (on est à Tel-Aviv, ville israélienne très ouverte, très occidentale). La femme va faire exploser la bombe, et la serveuse mourra également. Toutes deux sont victimes d’un conflit qui les dépasse.</p>
<p>Dans la série, la maîtrise de la langue de « l’ennemi » (comme le dit, dans la deuxième saison, un membre de l’État islamique qui apprend l’hébreu à l’université pour s’infiltrer) est un enjeu central, tout comme la bonne connaissance des us et coutumes. Un soldat israélien infiltré dans une prison israélienne et qui se fait passer pour un prisonnier palestinien du Hamas dans le but de faire parler un détenu l’apprendra à ses dépens. Il se fait démasquer parce qu’il exprime à son codétenu son souhait de manger de l’akkoub quand il sortira de prison. Or, l’akkoub est un plat qui ne se mange pas à Gaza, d’où il prétend venir (S02 E08).</p>
<p>Si la langue est un enjeu dans la série, c’est parce qu’elle l’est dans la réalité puisque l’arabe et l’hébreu étaient les deux langues officielles du pays.</p>
<h2>L’Inde, un supergéant tout en paradoxes avec « Bombay Begums »</h2>
<p>Dans « Bombay Begums », Ayesha, une jeune provinciale nouvellement arrivée à Bombay se fait agresser sexuellement par son patron. Après un moment d’hésitation, elle décide de le dénoncer sur un forum, qui ressemble à s’y méprendre à MeToo :</p>
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<p>« J’ai 23 ans. C’est le directeur adjoint de ma banque. Il m’a agressée. Il me touchait, me caressait, m’embrassait. Je ne pouvais rien faire. J’étais sans défense. Je me sens si mal. J’ai honte de l’avoir laissé faire. Il a fait comme si de rien n’était. C’est normal ? »</p>
</blockquote>
<p>Dans un premier temps, la banque couvre son directeur général adjoint qui remercie ses collègues :</p>
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<p>« Merci d’avoir géré aussi bien cette histoire débile. Depuis MeToo, le monde est devenu fou. »</p>
</blockquote>
<p>Finalement, la PDG, elle-même victime d’agression sexuelle lorsqu’elle était plus jeune, va dénoncer son bras droit, qui sera arrêté. Cette affaire renvoie évidemment au mouvement MeToo (mentionné à maintes reprises dans la série), arrivé en Inde une année après avoir ébranlé Hollywood.</p>
<p>Tout comme le mouvement américain, c’est dans le milieu du cinéma indien que démarre le trouble avec l’accusation de l’actrice Tanushree Dutta contre l’acteur Nana Patekar. Après les premières plaintes déposées à Bollywood, de nombreuses femmes ont publié leurs histoires de harcèlement et d’agression sexuelle mettant en cause des hommes puissants dans leurs domaines. Le mouvement a enregistré en octobre 2018 une première victoire importante avec la démission d’un ministre du gouvernement Modi, ancien rédacteur en chef du journal <em>The Asian Age</em>, M. J. Akbar, alors accusé par une vingtaine de femmes. Plusieurs journalistes ont aussi dû quitter leur poste, notamment le rédacteur politique du <em>Hindustan Times</em>, Prashant Jha.</p>
<h2>Économie et consommation avec « Mad Men »</h2>
<p>Le générique de <em>Mad Men</em> est iconique, ce sont 38 secondes où tout est résumé : un homme, Don Draper, tombe d’un building, des façades sont couvertes de publicités, et Don continue de tomber pour finir sur son canapé de bureau, une cigarette à la main.</p>
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<p>Un détail est important à relever dans les dessins préparatoires du générique de la série <em>Mad Men</em> : Don Draper chute donc d’un building (ce qui n’est pas sans rappeler l’image du « Falling Man » du 11 Septembre). Mais, au départ, l’idée était que le héros s’écrase au sol pour voler en éclats comme du verre. Cette animation finale a été modifiée, car elle rappelait trop l’ima – gerie liée aux attentats du 11 septembre 2001.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-limportance-des-generiques-de-series-170824">De l’importance des génériques de séries</a>
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<p>Finalement, Don Draper tombe, mais il atterrit sur son canapé, un verre de whisky à la main et une cigarette entre les doigts, une Lucky Strike.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/555627/original/file-20231024-27-sp2m39.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/555627/original/file-20231024-27-sp2m39.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/555627/original/file-20231024-27-sp2m39.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/555627/original/file-20231024-27-sp2m39.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/555627/original/file-20231024-27-sp2m39.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=932&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/555627/original/file-20231024-27-sp2m39.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/555627/original/file-20231024-27-sp2m39.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/555627/original/file-20231024-27-sp2m39.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1171&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cet extrait est tiré de « Les Russes veulent-ils la guerre ? », qui vient de paraître aux Éditions du Cerf.</span>
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<h2>L’Europe et ses marges avec « Serviteur du Peuple »</h2>
<p>Arte a remis au goût du jour une fiction ukrainienne absolument incroyable. L’histoire d’un acteur-clown, du nom de Volodymyr Zelensky, qui est le protagoniste de la série « Serviteur du Peuple ». L’acteur Zelensky joue le rôle d’un professeur d’histoire qui, notamment encouragé pas ses élèves, finira président de l’Ukraine ; une fiction devenue littéralement réalité. À la fin de la diffusion de la série, l’acteur-clown Zelensky va effectivement devenir le président de l’Ukraine que l’on connaît, l’homme aux tee-shirts kaki vu sur Instagram, qui défend son pays contre la Russie de Poutine.</p>
<p>En somme, nous retrouvons une histoire qui nous emmène aux confins de la raison démocratique, peut-être au sommet du génie de la communication politique, ou plutôt du super-marketing politique. Nous avons ici une histoire folle qui donne corps et réalité à une pure fiction sérielle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215026/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Virginie Martin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De l’israélienne « Fauda » à l’ukrainienne « Serviteur du Peuple », les séries télévisées reflètent l’état du monde… et peuvent même, dans une certaine mesure, l’influencer.Virginie Martin, Docteure sciences politiques, HDR sciences de gestion, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2130552023-09-14T17:32:10Z2023-09-14T17:32:10ZGéopolitique de la Coupe du monde de rugby 2023<p>Depuis la semaine dernière et pour encore plusieurs semaines, le visage de la France sera ovale : du 8 septembre au 28 octobre, la Coupe du monde de rugby à XV sera la vitrine du pays, avec ses 20 sélections en compétition, ses 48 matchs retransmis par 42 télévisions étrangères et ses 30 sponsors internationaux.</p>
<p>L’événement est d’ores et déjà devenu un enjeu de politique intérieure : Emmanuel Macron, présent à la cérémonie d’ouverture et cible de <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/coupe-du-monde-de-rugby-apres-les-sifflets-contre-emmanuel-macron-chacun-son-interpretation_222844.html">sifflets</a>, a placé le succès du XV de France <a href="https://www.leparisien.fr/sports/rugby/coupe-du-monde/coupe-du-monde-de-rugby-vous-etes-la-plus-grande-equipe-lance-emmanuel-macron-au-xv-de-france-04-09-2023-7TBSNHO57NA5ZBHSV3LBAF4YWQ.php">sous le signe de l’exemplarité française</a>.</p>
<p>Quel impact international cette dixième Coupe du monde peut-elle avoir pour le pays organisateur, pour les États représentés et, plus largement, pour un sport qui cherche à élargir son empreinte internationale ?</p>
<h2>De la désoccidentalisation du monde à la provincialisation du rugby ?</h2>
<p>Moins mondialisé que les Jeux olympiques et moins universellement populaire que le football, le rugby à XV a-t-il une influence sociale dépassant le milieu des supporters ? Si la géopolitique <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/mav/39/BONIFACE/55359">du football</a> et des <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/focus/20230726-jeux-olympiques-le-cio-%C3%A0-l-%C3%A9preuve-de-la-g%C3%A9opolitique">Jeux olympiques</a> est désormais bien documentée et bien connue, celle du rugby est plus embryonnaire.</p>
<p>La faute au « provincialisme » d’une discipline quasi inexistante dans de nombreux pays du monde, à commencer par la Chine et l’Inde, et très secondaire aux États-Unis ?</p>
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<p>Les racines britanniques du rugby le condamnent-elles à n’avoir, pour ses compétitions internationales, qu’un rayonnement limité au <em>Commonwealth</em> et à quelques zones anglophiles ou francophiles d’Amérique latine ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1697488804465029554"}"></div></p>
<p>Son <a href="https://webetab.ac-bordeaux.fr/Primaire/64/EPS64/pedagogie/proposition/rugby/INTERDISCIP/origines%20rugby.pdf">histoire</a>, qui remonte à la première moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, est celle de l’amateurisme (contrairement au rugby à XIII créé en 1895 et professionnalisé très tôt, ce qui permet à ce jeu de compter parmi les <a href="https://www.paris2024.org/fr/sport/rugby/">sports officiels des Jeux olympiques entre 1900 et 1924)</a>.</p>
<p>Il n’y reviendra, sous la forme de rugby à VII, <a href="https://olympics.com/fr/infos/le-rugby-fait-son-retour-sur-la-grande-scene-olympique-a-rio">qu’en 2016 à Rio</a>, après avoir été privé de cette visibilité mondiale pendant plusieurs décennies. En la matière, le tournoi de référence oppose les quatre nations britanniques dès 1882 (avant le retour des premiers JO), devenu Tournoi des cinq nations en 1910 (incorporation de la France), puis Tournoi des six nations avec l’Italie en 2000. Alors que les Coupes du monde de football et les JO rythment la politique du XX<sup>e</sup> siècle, la première Coupe du monde de rugby n’apparaît qu’en 1987. Le rugby s’est donc précocement institutionnalisé au niveau européen, mais tardivement constitué au niveau mondial. Et sa visiblité internationale en a évidemment pâti.</p>
<p>La portée géopolitique de la Coupe du monde restera-t-elle limitée au statut de sport régional du Commonwealth et de l’Europe ? Ne nous hâtons pas de conclure. Examinons le potentiel non sportif de cette compétition pour la France et pour les États de la petite « planète rugby ».</p>
<h2>Répétition générale pour les Jeux olympiques de Paris 2024</h2>
<p>Le premier enjeu international tient au <em>nation branding</em> (ou amélioration de l’image de marque du pays) que le pays hôte, la France, sera en mesure de réaliser par et pour cette compétition.</p>
<p>L’événement intervient dans un contexte où l’image de la France est sérieusement écornée sur la scène mondiale. Sans remonter à la médiatisation teintée de <em>Schadenfreude</em> du mouvement des Gilets jaunes ou des questions de laïcité en interne et des critiques de la diplomatie française en externe, le pays, ses institutions et sa population ont été principalement traités par les médias internationaux sous l’angle des crises durant toute l’année 2023.</p>
<p>La succession de coups d’État en Afrique – présentés à tort ou à raison <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/stephen-smith-la-france-en-afrique-pourquoi-tant-de-haine-20230123">comme des revers pour Paris</a> ; le retentissement international des <a href="https://theconversation.com/comment-la-mort-de-nahel-m-enflamme-une-republique-deja-sur-des-braises-208894">émeutes de juin et juillet 2023 consécutives à la mort de Nahel Merzouk</a> ; la couverture donnée aux manifestations contre la réforme des retraites de janvier à mai ; etc. Tous ces éléments ont brouillé, terni et même écorné le rayonnement du pays, aux yeux de ses adversaires comme de ses partenaires. Malgré le retour des investissements étrangers en France, favorisé par le <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/choose-france">programme « Choose France »</a> et la <a href="https://www.lesechos.fr/economie-france/social/malgre-la-panne-de-croissance-le-chomage-continue-de-baisser-1965469">baisse du chômage</a>, l’image internationale de la France peut être, au moins partiellement, redressée à l’occasion de cette compétition.</p>
<p>48 matches ne font pas une politique d’influence et un événement sportif ne peut pas tenir lieu de diplomatie. Mais le premier objectif des institutions, des entreprises et des associations françaises qui contribuent à la compétition sera d’en tirer parti pour améliorer l’image de la France.</p>
<p>Plusieurs défis sont à relever pour que, fin octobre, la France puisse s’assurer qu’accueillir la Coupe du monde aura été bénéfique à son prestige international. En priorité, les organisateurs et les services de sécurité doivent rétablir leur réputation en matière de sûreté, de maintien de l’ordre, de gestion des foules et de protection des personnes. Longtemps, les forces de l’ordre françaises ont joui d’une réputation de grand savoir-faire dans le domaine. Or, la <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/ligue-des-champions-la-polemique-enfle-sur-lorganisation-de-la-finale-1409956">finale de la Ligue des champions le 28 mai 2022</a> a ébranlé cette réputation : les incidents graves survenus aux alentours du Stade de France ont suscité <a href="https://www.publicsenat.fr/actualites/politique/securite-de-la-coupe-du-monde-de-rugby-gerald-darmanin-tire-les-enseignements-du-fiasco-du-stade-de-france">bien des questionnements</a> sur les capacités françaises dans ce domaine.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1535249960391757826"}"></div></p>
<p>La réussite de l’événement en termes de sécurité conditionnera l’idée que les 600 000 visiteurs attendus se feront du pays. Surtout, elle déterminera à l’avance la <a href="https://www.france24.com/fr/sports/20230903-la-coupe-du-monde-de-rugby-%C3%A0-xv-un-ballon-d-essai-avant-les-jeux-olympiques">capacité du pays à faire des Jeux Olympiques Paris d’été Paris 2024 une réussite</a> en termes de rayonnement et d’influence.</p>
<p>Le défi est national, mais les implications sont internationales : la dixième Coupe du monde de rugby permettra-t-elle au pays de couper court au <em>French bashing</em>, de tourner la page des manifestations et des émeutes, de faire un peu oublier les slogans anti-France scandés à Bamako, Ouagadougou ou Bangui ? En somme, peut-elle lancer une tendance, en vue de l’été 2024, où le dynamisme de la France se manifestera dans ses événements sportifs mondiaux ?</p>
<p>Depuis longtemps, la capacité à organiser avec succès des événements sportifs médiatisés à l’échelle mondiale est un attribut de puissance. Dans la période récente, le Qatar a consacré son rôle international, malgré les polémiques, par <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-jt/france-2/20-heures/coupe-du-monde-2022-quel-bilan-pour-le-qatar-apres-la-competition_5552139.html">l’organisation réussie de la Coupe du monde de football en 2022</a>. Dans cet événement comme pour les autres aspects du <em>soft power</em> français, la réussite de la compétition en termes d’organisation et de médiatisation est une condition de son attractivité et de son influence. Il en va pour la France aujourd’hui comme pour tous les pays qui désirent organiser cette compétition.</p>
<h2>Provincialisme de la planète rugby et universalité occidentale</h2>
<p>L’autre enjeu géopolitique de cette Coupe du monde concerne la mondialisation du sport. Moins universel que le football et moins mondialisé que les Jeux olympiques, le rugby professionnel est un sport encore très occidental et peu féminisé.</p>
<p>Les 132 fédérations nationales membres du <a href="https://www.world.rugby/organisation/about-us/overview">World Rugby</a> – l’instance internationale de la discipline – ne doivent pas faire illusion : l’empreinte internationale du rugby à XV est secondaire par rapport à celle de la Coupe du Monde FIFA et des Jeux olympiques d’été. Pour ne prendre qu’un seul indicateur de l’impact mondial de ces compétitions : la finale de la dernière Coupe du monde de football a réuni <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/coupe-du-monde/coupe-du-monde-la-finale-france-argentine-a-battu-un-record-d-audience-a-travers-le-monde-aa69bfe4-97c0-11ed-b3d5-273349710fc9">1,5 milliard de téléspectateurs</a> alors que la finale de la Coupe du monde de rugby de 2019 n’avait attiré que <a href="https://www.world.rugby/news/564996?lang=fr">44,9 millions de personnes</a>.</p>
<p>Les différentiels sont encore plus importants en termes de pratiquants à travers le monde (dans les 10 millions pour le rugby, environ 270 millions pour le football). Quant au <a href="https://www.women.rugby/news/836825/global-rugby-participation-increasing-ahead-of-rugby-world-cup-2023">rugby féminin</a>, il est beaucoup moins développé que son homologue masculin. Enfin, la planète rugby n’est pas unifiée comme celle du football, régie par des règles uniformes : le XV voisine avec le XIII et le VII, certes moins populaires mais représentant toutefois une concurrence non négligeable.</p>
<p>En somme, le rugby fait pâle figure auprès du football, mais aussi d’autres sports comme l’athlétisme qui ont réussi leur internationalisation et, en grande partie, leur <a href="https://theconversation.com/fr/topics/coupe-du-monde-feminine-2023-141703">féminisation</a>.</p>
<p>La secondarité du rugby et de sa Coupe du monde résulte-t-elle de ses origines européennes, au cœur des empires coloniaux du XIX<sup>e</sup> siècle ? La <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2023-2-page-31.htm">désoccidentalisation du monde</a> annonce-t-elle une stagnation du rugby comme discipline et phénomène social ? Les limites à l’universalité du rugby sont-elles de même ordre que les déboires de l’universel revendiqué par l’Occident ? Rien ne s’apparente ici à un destin : le football comme l’athlétisme ont été créés et codifiés au Royaume-Uni et en Europe occidentale, et sont devenus pleinement universels. De plus, le rugby a gagné des rivages inattendus, hors du Commonwealth et de la vieille Europe – au Japon, en Géorgie, en Roumanie ou encore au Portugal.</p>
<p>Le rayonnement de la discipline comme celui des pays qui la pratiquent peuvent bénéficier de plusieurs atouts. D’une part, ce sport est encore protégé de l’instrumentalisation de plusieurs grandes puissances : les États-Unis, la Russie, la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Allemagne ont des fédérations. Mais leur désintérêt pour le rugby à XV fait que la Coupe du monde n’est pas encore un champ d’affrontement entre elles. Pour le moment, le rugby n’offre pas de confrontations emblématiques comme les matchs de football <a href="https://www.lemonde.fr/football/article/2022/11/29/coupe-du-monde-2022-iran-etats-unis-l-illusion-d-une-diplomatie-du-football_6152078_1616938.html">États-Unis-Iran</a>.</p>
<p>Cela ouvre des possibilités de visibilité internationale pour des pays qui passent d’ordinaire au second plan : les îles du Pacifique (Fidji, Samoa, Tonga) peuvent y briller et faire passer leurs messages nécessaires sur le changement climatique ; les États d’Europe orientale (Roumanie, Géorgie) peuvent y trouver un motif de fierté nationale souvent maltraitée ; le Japon peut y cultiver son ancrage dans l’univers européen par-delà les distances ; le rugby féminin peut y trouver l’occasion de s’affirmer, certes encore à la remorque de la version masculine de la discipline. En l’espèce, la féminisation du sport est non seulement pour lui un relais de croissance mais aussi un gage de sa modernité. Réciproquement, la cause des femmes peut être elle aussi servie par une féminisation de ce sport par trop virilisé, même si le <a href="https://www.ouest-france.fr/sport/rugby/mondial-de-rugby-feminin-pourquoi-le-haka-est-il-different-chez-les-femmes-et-chez-les-hommes-3a757ac0-4ba3-11ed-87fe-e4a9e39ff44f"><em>haka</em> néo-zélandais est pratiqué tant chez les femmes que chez les hommes</a>.</p>
<p>Rien ne condamne le rugby à un destin international à l’image provinciale et machiste qu’aiment à caricaturer ses détracteurs. La Coupe du monde qui se déroule actuellement présente de véritables enjeux pour le prestige du pays organisateur comme pour la capacité du sport à s’universaliser encore davantage.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213055/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La compétition permettra-t-elle à la France d’améliorer son image, et le rugby peut-il à cette occasion séduire les nombreux pays pour lesquels il reste encore un sport largement méconnu ?Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2102232023-09-05T17:03:58Z2023-09-05T17:03:58ZDeux siècles de Grand Jeu géopolitique pour les grandes puissances<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541949/original/file-20230809-23-a4bief.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=3%2C7%2C1189%2C790&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">«&nbsp;The Last Stand&nbsp;», de William Barnes Wollen (1898), dépeint Le 44<sup>e</sup> régiment d’infanterie britannique attaqué par les Afghans lors de la bataille de Gandamak, en Afghanistan, en 1842.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/f/f2/The_Last_Stand%2C_by_William_Barnes_Wollen_%281898%29.jpg/1200px-The_Last_Stand%2C_by_William_Barnes_Wollen_%281898%29.jpg">Getty - DeAgostini</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>L’expression « Grand Jeu », popularisée par Rudyard Kipling, désignait au XIX<sup>e</sup> siècle la rivalité coloniale et diplomatique qui mettait aux prises, au Caucase et en Asie centrale, l’Angleterre victorienne et la Russie tsariste – avec, au centre de l’échiquier, l’Afghanistan, « cimetière des empires ». Cette notion est encore souvent employée de nos jours pour décrire les complexes manœuvres auxquelles se livrent, dans cette même région, les puissances actuelles – qu’il s’agisse de la Russie désormais poutinienne, de la Chine ou encore des États-Unis.</em></p>
<p><em>Dans son nouvel ouvrage, <a href="https://www.nouveau-monde.net/catalogue/sur-lechiquier-du-grand-jeu/">« Sur l’Échiquier du Grand Jeu »</a>, qui paraît aux Éditions Nouveau Monde ce 6 septembre, et dont nous vous présentons ici un extrait, Taline Ter Minassian, professeure d’histoire de la Russie et du Caucase à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), retrace deux cents ans de cette partie géopolitique aux règles et aux limites sans cesse fluctuantes.</em></p>
<hr>
<p>« Quand tout le monde est mort, le Grand Jeu est terminé. Pas avant. Écoute-moi jusqu’à la fin… » Le lecteur de <em>Kim</em>, le roman de Kipling, aura compris que l’histoire du Grand Jeu, commandée par une fatalité géopolitique implacable, n’a pas de fin. Tout comme la guerre froide, le Grand Jeu se nourrit d’espaces de confrontations réels, mais aussi de référents symboliques porteurs de mythes et</p>
<p>de mythologies.</p>
<p>Le Grand Jeu, qui fut initié au début du XIX<sup>e</sup> siècle par l’immense problème de la défense de l’Inde britannique « le plus loin possible et avec le moins de moyens possible », s’est perpétuellement modifié depuis lors, déplaçant le champ des tensions sur un échiquier toujours plus vaste entre des joueurs plus nombreux. Deux siècles de voyages intrépides, de sombres intrigues nouées dans le bazar de Tabriz ou de Boukhara, d’embuscades et de hauts faits dans les rocailles du Waziristan ont abouti à des centaines de milliers de morts au cours de cinq guerres successives en Afghanistan, perdues par la Grande Bretagne, l’URSS et les États-Unis.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1632984553257160714"}"></div></p>
<p>Pour échapper au vertige du décompte des morts, on est tenté de se réfugier dans le temps de l’innocence qui fut aussi celui de l’ignorance. On songe à William Moorcroft et à ses dix mille pages d’archives dormant dans les fonds de l’India Office, couvertes d’une écriture fiévreuse chamboulée par le balancement cadencé de sa monture, yak ou chameau. Ce détail émouvant contient toute la puissance d’évocation du Grand Jeu. En 1974, dans un village des fins fonds de l’Hindou Kouch, Garry Alder a rencontré un beau vieillard aux traits classiques dont le père se souvenait avoir entendu dire qu’un certain petit docteur anglais passant par là avait rendu la vue à des aveugles. Dans ces vallées reculées où il pratiquait, on s’en souvient, l’opération de la cataracte, Moorcroft était tout simplement devenu un dieu.</p>
<p>L’histoire du nouveau Grand Jeu depuis les années 1990 pourrait être le sujet d’un livre entier. Depuis la chute de l’Union soviétique, le terme s’est répandu au point de devenir banal, dans un océan de références, d’articles et d’expertises diverses à propos des tensions et des enjeux politiques et économiques de l’Asie centrale et du Caucase du Sud. Une fois encore, la notion a suscité une certaine réserve dans le milieu académique anglo-saxon, les tensions géopolitiques actuelles ayant été jugées au cours des années 2000 d’une nature très différente, notamment au plan économique, de celles du Grand Jeu classique.</p>
<p>Un autre argument avancé serait l’absence manifeste d’un dessein occidental affiché face à l’atavisme impérialiste de la Russie ou de la Chine. D’où le doute.</p>
<p>Le nouveau Grand Jeu existe-t-il seulement ? Formule simplement séduisante, label destiné aux gros titres, le nouveau Grand Jeu ne serait pas un concept « dur » rigoureusement élaboré. Selon ses détracteurs, il ne serait que l’analogie fautive du Grand Jeu classique (dont l’existence au passage est ainsi admise) et le produit d’une sur-interprétation romantique d’une époque révolue. Or le Grand Jeu, ancien comme nouveau, est essentiellement une métaphore performative des tensions géopolitiques et non une grille de lecture des relations internationales au sens strict.</p>
<p>Elle implique souvent, comme on l’a vu, la capacité d’initiative d’agents isolés qui s’aventurent vers le cœur de l’échiquier. « La Grande Bretagne recommence le Grand Jeu », titrait en 2020 une revue russe de stratégie à propos de la nomination du nouveau patron du MI6, Richard Moore. Suggérant le rôle que la Grande-Bretagne aurait pu jouer auprès de la Turquie lors du déclenchement de la seconde guerre du Karabagh (27 septembre-10 novembre 2020), l’article s’attarde sur le profil de ce diplomate diplômé de l’Université d’Oxford, parlant couramment le turc et réputé proche de Recep Tayyip Erdoğan.</p>
<blockquote>
<p>« L’impression grandit que “l’Anglaise” a lancé un nouveau Grand Jeu qui ne se limitera pas au Caucase […]. La géographie des questions qui ont été discutées lors de la visite de Moore à Ankara reflète de manière assez significative les plans grandioses de l’alliance anglo-turque. Et nous n’avons pas encore mentionné l’Ukraine dont le président, après avoir rencontré le même Moore, s’est rendu auprès d’Erdoğan et en Asie centrale. »</p>
</blockquote>
<p>D’empoisonnements en disparitions mystérieuses d’oligarques ou d’anciennes taupes, en opérations de cyberguerre et en piratage divers, sans parler des expertises publiques des services secrets britanniques à propos des fiascos militaires russes en Ukraine, les exemples de la guerre anglo-russe des services secrets ont abondé au cours des deux dernières décennies en Europe comme sur le territoire du Grand Jeu.</p>
<p>Sur le terrain, les tensions géopolitiques ont été récurrentes jusqu’à atteindre le point d’incandescence du 24 février 2022, jour du lancement de « l’opération militaire spéciale » en Ukraine. Si les frictions se manifestent sur l’échiquier classique, elles débordent de beaucoup de celui-ci, sur un arc de confrontation courant de l’Ukraine au Caucase, opposant désormais la Russie à l’« Occident collectif ».</p>
<p>Depuis 2008, la Russie a mené ou est intervenue dans plusieurs guerres : Géorgie (7-16 août 2008), Syrie (30 septembre 2015), conclusion d’un cessez-le-feu au Haut-Karabagh (10 novembre 2020) se soldant par l’envoi d’une force de maintien de la paix et, depuis le 24 février 2022, l’intervention militaire massive, menée simultanément sur six fronts, en Ukraine.</p>
<p>Le constat s’impose : depuis 2008, « l’arc des crises », notion héritée du fameux Rimland des théoriciens de la géopolitique, s’est transformé, à l’issue d’une implacable montée en tensions, en un « arc de confrontation » directe avec l’OTAN et le camp occidental. Si l’on admet l’existence d’un nouveau Grand Jeu, son champ géographique s’est considérablement élargi, de l’Asie centrale, soit des « Balkans de l’Eurasie » selon la célèbre formule de Zbigniew Brzezinski, jusqu’aux rives ukrainiennes de la mer Noire. Mais une constante s’impose : l’effondrement de l’URSS a laissé dans le voisinage de la Fédération de Russie une vacuité où se sont engouffrés les jeux d’influences politiques, économiques, de hard et soft power.</p>
<p>Comme au début du XIX<sup>e</sup> siècle, l’Asie centrale est devenue, au début du XXI<sup>e</sup> siècle, le « ventre mou » de la Russie. Réalité ou métaphore, le nouveau Grand Jeu se déploie sur une multitude de théâtres. Citons pêle-mêle la guerre des tubes d’un « Pipelinistan » étendu de l’Asie centrale au Caucase jusqu’à la Baltique. L’enquête sur le sabotage le 26 septembre 2022 des gazoducs Nord-Stream 1 et 2 n’a abouti à aucune conclusion probante sur la responsabilité de la Russie, selon le Washington Post. De son côté, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov ne s’est pas privé de mettre en cause les services secrets britanniques en déclarant que « nos services de renseignement disposent de preuves suggérant que l’attaque a été dirigée et coordonnée par des spécialistes militaires britanniques ».</p>
<p>De « nouvelles routes de la soie » dans le cadre de la Belt and Road Initiative (BRI) jusqu’au projet de corridor économique entre la Chine et le Pakistan (CPEC), de Gwadar à Kachgar à travers le massif himalayen, la Chine est devenue la puissance montante sur l’échiquier du nouveau Grand Jeu, suscitant, côté russe, le fameux « pivot vers l’Est ». Le tournant russe vers l’Asie est en effet une politique de diversification économique et diplomatique en direction de la Chine. Préconisée de longue date par Moscou, cette bascule devrait permettre à la Russie de profiter du dynamisme de l’économie chinoise tout en coupant les ponts avec l’Europe, dans le contexte des sanctions consécutives à la guerre menée par la Russie en Ukraine.</p>
<p>Conservées au Texas, les archives de George Crile montrent qu’à la veille de sa mort, il travaillait à un nouveau projet de livre, la suite de <em>My Enemy’s Enemy</em> (ou Charlie Wilson’s War). Bombardements américains en Afghanistan et au Soudan, talibans au Pakistan et en Afghanistan, Ben Laden, Charlie Wilson, Gust Avrakotos, Milt Bearden… les titres des dossiers de travail sont très évocateurs du projet que George Crile était sur le point d’entreprendre.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=964&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=964&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=964&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538753/original/file-20230721-19-urxwwk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1212&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Ce texte est issu du livre « Sur l’Échiquier du Grand Jeu », de Taline Ter Minassian.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>« Comme dans Charlie Wilson’s War, on y trouvera le récit de faits jusqu’ici non documentés, révélant des lieux exotiques et improbables et une histoire secrète qui a conduit aux défis auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. […] Il permettra au lecteur de saisir les mystères profondément troublants qui entourent la confrontation toujours plus dangereuse de l’Amérique avec l’Islam », écrit-il dans ses notes préparatoires. Les années qui suivirent les attentats du 11 Septembre livrèrent en effet le spectacle dégrisant des séquelles de l’alliance désastreuse de la CIA et du djihad en Afghanistan.</p>
<p>La traque puis l’assaut héliporté du complexe fortifié d’Oussama Ben Laden à Abbottabad au Pakistan le 2 mai 2011, suivi en direct par Barack Obama et ses conseillers depuis la Maison Blanche, fut une réussite spectaculaire sans lendemains. La ville d’Abbottabad où Ben Laden avait trouvé refuge est située sur l’une des « nouvelles routes de la soie ».</p>
<p>Elle est désormais desservie par l’autoroute Hazara construite par les Chinois, dont les six voies serpentent entre les montagnes au nord d’Islamabad. Le projet de corridor économique entre la Chine et le Pakistan (CPEC) est présenté au Pakistan comme « l’événement qui change la donne » (game changer) dans le nouveau Grand Jeu. Les images de la chute annoncée de Kaboul et du retrait chaotique des Américains le 30 août 2021, au terme de la plus longue guerre jamais engagée par les États-Unis, ont fait le tour du monde. Et le monde déplora l’abandon de l’Afghanistan, retombé aux mains des talibans. Kaboul désertée par les ambassades occidentales est depuis lors investie par la « diplomatie silencieuse » et singulièrement pragmatique du Kremlin. Une nouvelle partie du nouveau Grand Jeu a d’ores et déjà commencé.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210223/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Taline Ter Minassian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Du Caucase aux confins de la Chine, en passant par l’Asie centrale, les grandes puissances internationales se livrent depuis près de deux siècles un « Grand Jeu » sans cesse renouvelé.Taline Ter Minassian, Historienne, professeure des universités. Directrice de l'Observatoire des États post-soviétiques (équipe CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2104852023-07-27T19:37:28Z2023-07-27T19:37:28ZLa Nouvelle-Calédonie se rappelle au bon souvenir de la stratégie Indo-Pacifique<p>Du 24 au 26 juillet 2023, Emmanuel Macron s’est rendu en Nouvelle-Calédonie pour la deuxième fois en tant que président de la République. Cinq ans auparavant, en mai 2018, c’est depuis cette collectivité française d’outre-mer que le chef de l’État avait <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/05/05/discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-sur-la-nouvelle-caledonie-a-noumea">formalisé</a> une stratégie indo-pacifique française, et précisé le rôle clé que la Nouvelle-Calédonie serait amenée à jouer dans cette région.</p>
<p>Ainsi que le président <a href="https://www.youtube.com/watch?v=nHzw-39oYuM">l’a rappelé</a> lors de son discours :</p>
<blockquote>
<p>« Nous devons conforter la Nouvelle-Calédonie comme une puissance océanienne et un levier de rayonnement international et Indo-Pacifique de la France. »</p>
</blockquote>
<p>En effet, l’archipel mélanésien est une pierre angulaire de la stratégie française dans la zone. Située en plein cœur du Pacifique océanien, théâtre d’une rivalité sino-américaine croissante, la Nouvelle-Calédonie est également le <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/nouvelle-caledonie-top-5-producteurs-mondiaux-nickel-849722.html">quatrième producteur mondial de nickel</a> et dispose d’une vaste zone économique exclusive potentiellement riche en matière première.</p>
<p>Si depuis 2018 la nouvelle nomenclature Indo-Pacifique est devenue un <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/fr_a4_indopacifique_022022_dcp_v1-10-web_cle017d22.pdf">leitmotiv</a> du discours diplomatique français, en 2023 à Nouméa, il fut moins question de projet géopolitique que d’évolution statutaire et de réforme constitutionnelle.</p>
<h2>Un processus de décolonisation inachevée ?</h2>
<p>La Nouvelle-Calédonie est un archipel sous souveraineté française situé dans le Pacifique Sud, à 1 200 km à l’est-nord-est des côtes australiennes et à 1 500 km au nord-nord-ouest de la Nouvelle-Zélande. Peuplée par des populations mélanésiennes depuis plus de 3 000 ans (les Kanaks), la Grande terre, l’île principale de l’archipel, est mise en lumière dans le monde occidental par le navigateur britannique James Cook en 1774, et proclamée Française en 1853 <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/nouvelle-caledonie-165-ans-dune-histoire-mouvementee">sous la pression des frères maristes</a> alors en pleine guerre des clochers dans le Pacifique.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539577/original/file-20230726-17-u6wb0g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539577/original/file-20230726-17-u6wb0g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539577/original/file-20230726-17-u6wb0g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539577/original/file-20230726-17-u6wb0g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539577/original/file-20230726-17-u6wb0g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539577/original/file-20230726-17-u6wb0g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539577/original/file-20230726-17-u6wb0g.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Carte de la Nouvelle-Calédonie.</span>
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</figure>
<p>D’abord <a href="https://www.lhistoire.fr/la-nouvelle-cal%C3%A9donie-%C2%AB-une-colonisation-pas-comme-les-autres-%C2%BB">discriminé</a> par l’autorité coloniale, à travers la spoliation des terres et un régime civil inique, le peuple kanak va progressivement accéder aux droits civiques. Mais il reste largement en marge du développement économique, provoqué par le <a href="https://www.mncparis.fr/uploads/Nickel_MNC.pdf">boom du nickel des années 1960</a>. Les indépendances successives dans le Pacifique Sud (îles Samoa 1962, Nauru 1968, Fidji et Tonga 1970, îles Salomon 1975, Vanuatu 1980) contribuent au développement d’une conscience identitaire et à l’émergence de revendications nationales kanak, sous la houlette notamment de leaders politiques tels que Jean-Marie Tjibaou.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/h8QgvL-q6EI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Jean-Marie Tjibaou : son combat pour une Nouvelle-Calédonie indépendante (Franceinfo INA).</span></figcaption>
</figure>
<p>De 1984 à 1988, la situation politique s’envenime marquant le début des « événements », appellation pudique pour <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/documentaire-waan-yaat-sur-une-terre-de-la-republique-eclaire-un-episode-sanglant-des-evenements-de-nouvelle-caledonie-1399278.html">qualifier une situation de guerre civile</a>.</p>
<p>Le paroxysme des tensions est atteint en 1988 lorsque quatre policiers français sont assassinés par des militants indépendantistes, et 26 autres pris en otage sur l’île d’Ouvéa. Une opération de libération menée par l’armée française se soldera par la mort de 19 militants indépendantistes et de deux militaires français.</p>
<p>La médiation de Michel Rocard aboutit à la signature des <a href="https://www.nouvelle-caledonie.gouv.fr/Actions-de-l-%C3%89tat/Elections/Elections-2020/REFERENDUM-2020/Les-etapes-du-processus-institutionnel">accords de Matignon en juin 1988</a>, prévoyant la mise en place d’un statut de transition de dix ans qui devait se solder par un référendum et un rééquilibrage économique. L’accord de Nouméa de 1998 repousse l’échéance électorale de vingt ans et institutionnalise une forte autonomie de la collectivité, avec des transferts de compétences inédits sous la V<sup>e</sup> République, rapprochant la France d’une organisation quasi fédérale, dans laquelle l’État partage avec la Nouvelle-Calédonie différentes compétences législatives, juridictionnelles et administratives.</p>
<p>Parallèlement au combat mené pour réformer les normes juridiques françaises et locales, la Nouvelle-Calédonie est réinscrite sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU depuis 1986 (<a href="https://daccess-ods.un.org/access.nsf/Get?OpenAgent&DS=A/RES/41/41&Lang=F">résolution 4141</a>).</p>
<h2>Trois référendums, deux volontés de « vivre ensemble »</h2>
<p>En 2018, conformément aux accords de Nouméa, les Calédoniens étaient invités à se prononcer par voie de référendum pour répondre à la question suivante : « voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » En cas de réponse négative, deux autres référendums pouvaient être organisés dans un délai de 4 ans. Ce fut le cas. Lors des deux premières échéances (2018, 2020), une majorité de « Non » l’a emporté, mais les résultats furent plus serrés que ne l’avait prédit les sondages (56,67 % en 2018 et 53,26 % en 2020, soit 10 000 voix d’écart).</p>
<p>La corrélation entre l’appartenance communautaire et le vote fut quasi parfaite. Les Kanaks ont voté pour l’indépendance, les autres communautés ont voté contre.</p>
<p>Les statistiques ethniques <a href="https://www.isee.nc/population/recensement/communautes">étant autorisées</a> en Nouvelle-Calédonie, cette ethnicisation du vote <a href="https://outremers360.com/politique/expertise-referendum-en-nouvelle-caledonie-la-double-impasse-electorale-par-pierre-christophe-pantz">a été démontrée</a>.</p>
<p>Pour le 3<sup>e</sup> référendum du 12 décembre 2021, les principaux partis indépendantistes avaient appelé au boycott en raison du contexte sanitaire de la crise du Covid. Les résultats (96,5 % « NON ») ont donc été fragilisés d’une abstention massive.</p>
<p>Processus référendaire en Nouvelle-Calédonie :</p>
<p>Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/539578/original/file-20230726-27-fjupaj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539578/original/file-20230726-27-fjupaj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539578/original/file-20230726-27-fjupaj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539578/original/file-20230726-27-fjupaj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=304&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539578/original/file-20230726-27-fjupaj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539578/original/file-20230726-27-fjupaj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539578/original/file-20230726-27-fjupaj.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=382&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">résultats des referendums.</span>
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<p>Ainsi, le processus référendaire qui devait déboucher sur une évolution statutaire consensuelle s’apparente désormais comme le début d’une période de confrontation politique. L’ethnicisation du vote est une réalité, même si elle va à l’encontre du destin commun prôné par l’État depuis 1988.</p>
<p>Les partis indépendantistes ont déjà contesté la légitimité démocratique du dernier referendum auprès d’organisations internationales (ONU, Forum des îles du Pacifique, Groupe de fer-de-lance mélanésien).</p>
<p>Et maintenant ? Telle était la question que pouvait se poser le président Macron avant d’atterrir à Nouméa le 24 juillet 2023.</p>
<h2>« Ne pas jeter la poussière sous le tapis »</h2>
<p>L’accord de Nouméa reste évasif en cas de choix de maintien au sein de la République française à l’issue des trois referendums. Les spécialistes de droit constitutionnel débattent des dispositions à adopter. Le statut actuel est-il devenu caduc ou les dispositions prévues par les accords sont irréversibles ?</p>
<p>Le principal point d’achoppement concerne la restriction du corps électoral pour les scrutins locaux et référendaires à toute personne installée sur le territoire après 1994. Cette revendication historique des partis indépendantistes exclut près de 34 000 personnes, soit 17 % de l’électorat. Un seul point semble faire l’unanimité : une révision constitutionnelle <em>a priori</em> inévitable.</p>
<p>Emmanuel Macron <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/emmanuel-macron-a-nouvelle-caledonie-la-1ere-je-vais-ouvrir-des-chemins-d-avenir-mais-il-faut-le-faire-de-facon-consensuelle-1416461.html">l’a annoncé</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Les provinciales 2024 se tiendront. Ensuite il faudra de toute façon un changement de la Constitution […]beaucoup avant moi avaient poussé la poussière sous le tapis […] Procrastiner et faire du sur place, ce n’est pas être respectueux. »</p>
</blockquote>
<p>Il faut donc inventer un nouveau statut et renouer le fil du dialogue avant les prochaines élections provinciales prévues en 2024. Vaste projet, surtout que les partis des <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/04/12/nouvelle-caledonie-independantistes-et-loyalistes-se-croisent-de-nouveau-a-matignon_6169125_823448.html">deux camps</a> refusent pour l’instant de se parler. Et que certains élus indépendantistes ont <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/nouvellecaledonie/emmanuel-macron-en-nouvelle-caledonie-pourquoi-l-uc-n-a-pas-participe-a-la-reunion-avec-le-president-1416680.html">refusé</a> de rencontrer le Président. </p>
<h2>Dissonances franco-françaises en Indo-Pacifique ?</h2>
<p>La vie n’est donc pas un vaste océan tranquille pour Emmanuel Macron dans le Pacifique océanien. Car la Nouvelle-Calédonie n’est pas la seule complexité française de la région. Ainsi, les habitants de Polynésie française <a href="https://thediplomat.com/2023/05/french-polynesias-new-pro-independence-leadership/">ont élu</a> en 2023 une assemblée et un président indépendantiste.</p>
<p>De surcroît, le voyage présidentiel qui devait mener Emmanuel Macron dans un autre archipel français, Wallis-et-Futuna, <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/wallisfutuna/emmanuel-macron-ne-viendra-finalement-pas-a-wallis-et-futuna-1414658.htm">fut annulé brusquement</a>, sans raison officielle, mais officieusement en raison d’une grève qui dure depuis deux mois.</p>
<p>Le président a néanmoins poursuivi son périple dans le grand océan, entre autres, pour promouvoir la francophonie au Vanuatu et protéger les forêts en Papouasie-Nouvelle-Guinée.</p>
<p>Dans le Pacifique français, stratégie internationale de l’État et réalités politiques locales ne s’articulent pas toujours.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210485/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paco Milhiet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La situation en Nouvelle-Calédonie reflète les points de tensions et les rapports de force ethniques que doit appréhender la diplomatie française dans l’Indo-Pacifique.Paco Milhiet, Visiting fellow au sein de la Rajaratnam School of International Studies ( NTU-Singapour), Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2091742023-07-12T15:39:58Z2023-07-12T15:39:58Z14 Juillet : pourquoi Narendra Modi, l’invité de marque d’Emmanuel Macron, fait débat<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/537123/original/file-20230712-20-pmgu4z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C0%2C5733%2C3844&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En juin 2017, Narendra Modi avait été l’un des premiers chefs d’État étrangers à se rendre en France après l’élection d’Emmanuel Macron. Il revient en grande pompe six ans plus tard.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/paris-france-june-3-2017-president-657978733">Frederic Legrand - COMEO/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>C’est une tradition qui, depuis plusieurs années, tend à se systématiser : la France invite officiellement un pays, représenté par son chef d’État, au défilé du 14 Juillet. Cet invité d’honneur assiste à la cérémonie du haut de la tribune, aux côtés du président français.</p>
<p>On se souvient de l’émotion du roi Hassan II, qui allait mourir neuf jours plus tard, voyant défiler <a href="https://maroc-diplomatique.net/14-juillet-1999-quand-la-garde-royale-defilait-sur-les-champs-elysees/#">trois compagnies de la garde royale marocaine</a> sur les Champs-Élysées, en 1999 ; des <a href="https://www.leparisien.fr/politique/ce-matin-les-anglais-conduisent-le-defile-14-07-2004-2005139778.php">troupes britanniques</a> en 2004 ; de <a href="https://www.rfi.fr/fr/france/20140714-14-juillet-le-symbole-allemagne-champs-elysees">l’Allemagne</a> dix ans plus tard ; ou encore des <a href="https://www.tf1info.fr/politique/video-14-juillet-un-defile-sous-le-signe-de-l-ukraine-2222369.html">neuf pays d’Europe centrale et orientale</a> en 2022. En 2017, <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/defile-du-14-juillet-2017-le-jour-ou-donald-trump-fut-ebloui">Donald Trump</a>, invité lui aussi, fut si impressionné, dit-on, qu’il avait envisagé un temps d’organiser les mêmes défilés aux États-Unis.</p>
<p>Associer une puissance étrangère à la parade militaire de cette fête nationale remplit plusieurs fonctions. Cela permet d’abord d’inscrire la geste militaire dans une atmosphère de coopération et d’ouverture au monde, et non de défi guerrier, de nationalisme bravache ou de démonstrations d’intimidation. Les défilés militaires russes (<a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/defense/russie-le-defile-militaire-du-9-mai-tres-reduit-declenche-les-moqueries-de-kiev_AV-202305100307.html">bien pâle cette année</a> pour des raisons évidentes), <a href="https://www.lejdd.fr/international/video-defile-militaire-pekin-la-demonstration-de-force-80930">chinois</a> ou a fortiori <a href="https://www.rfi.fr/fr/asie-pacifique/20230209-la-cor%C3%A9e-du-nord-d%C3%A9voile-une-quantit%C3%A9-record-de-missiles-lors-d-une-grande-parade-militaire">nord-coréens</a> sont, eux, assumés comme étant tout à la gloire d’un régime.</p>
<p>Cela permet, ensuite, de profiter d’un attribut français de rayonnement symbolique : le 14 Juillet et la Révolution sont des événements historiques ayant une grande portée mondiale, et inviter à l’occasion de leur célébration des personnalités étrangères met en valeur cet aspect souvent exalté de l’histoire française… même si les présidents français aiment également inviter leurs homologues dans le symbole de la monarchie qu’est <a href="https://www.lefigaro.fr/culture/patrimoine/dans-la-tradition-emmanuel-macron-recoit-son-homologue-emirien-a-versailles-20220718">Versailles</a>.</p>
<p>Enfin, cela donne la possibilité de mettre l’accent sur une relation, une priorité politique, mais aussi de créer une attente : qui aura l’honneur d’être convié ? Des anniversaires peuvent justifier le choix : <a href="https://www.clan-r.org/portail/premiere-guerre-hollande-invite-72-pays-au">72 pays</a> en 2014 pour le centenaire de la Première Guerre mondiale, et <a href="https://www.france24.com/fr/20160713-video-soldats-australiens-neo-zelandais-invites-honneur-14-juillet-defile-paris-champs-elys">l’Australie et la Nouvelle-Zélande</a> en 2016, à l’occasion des 100 ans de la bataille de la Somme.</p>
<p>En 2023, c’est donc l’Inde, dirigée depuis huit ans par <a href="https://theconversation.com/fr/topics/narendra-modi-44900">Narendra Modi</a>, qui est à l’honneur. Un choix qui a <a href="https://rmc.bfmtv.com/actualites/international/modi-invite-d-honneur-du-14-juillet-pourquoi-l-invitation-d-emmanuel-macron-fait-polemique_AN-202305120596.html">suscité des réserves</a>.</p>
<h2>Un geste toujours scruté</h2>
<p>Les questions « Pourquoi l’Inde ? » et « Pourquoi Narendra Modi ? » ne présentent pas les mêmes enjeux. Il est possible de mettre un pays à l’honneur à travers des manifestations culturelles (des « années » culturelles se tiennent régulièrement et, exemple parmi d’autres, l’ambassade d’Inde à Paris vient d’organiser le festival <a href="https://festivalnamastefrance.fr/">Namasté France</a>. Inviter des <a href="https://www.defense.gouv.fr/actualites/14-juillet-2023-linde-invitee-dhonneur-du-defile">troupes à défiler</a> présente une tout autre tonalité. Et inviter un chef d’État ou de gouvernement peut susciter des protestations au vu de son image et de sa pratique du pouvoir.</p>
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<p>En 2010, <a href="https://www.lesechos.fr/2010/07/treize-pays-africains-au-defile-du-14-juillet-a-paris-428034">l’invitation de 13 pays africains</a> et de leurs chefs d’État par Nicolas Sarkozy avait fait polémique. Si le continent africain mérite toujours l’attention (et Paris venait d’aligner les pensions militaires versées à des vétérans africains ayant combattu dans les armées françaises sur celles des Français), des associations se sont émues de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/664425/Defile_controverse_des_troupes__de_13_pays_africains_pour_le_14_juillet.html">l’accueil de « dictateurs » et d’armées accusées d’exactions</a>.</p>
<p>Deux ans plus tôt, en 2008, alors qu’il s’agissait de lancer une nouvelle <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2008-1-page-51.htm">Union pour la Méditerranée</a>, c’est la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2008/06/12/01003-20080612ARTFIG00063-bachar-al-assad-officiellement-invite-au-defile-du-juillet.php">présence du président syrien Bachar Al-Assad</a> qui indigna.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/QVGe8R2drj4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Bachar Al-Assad au défilé du 14 juillet (Archive INA, 14 juillet 2008).</span></figcaption>
</figure>
<p>L’invitation faite cette même année à d’autres leaders peu connus pour leur attachement à la démocratie – le Tunisien Ben Ali, l’Égyptien Hosni Moubarak – a aussi choqué : « À la tribune officielle du 14 juillet, place de la Concorde, il y aura le carré des dictateurs », écrivait un <a href="https://www.liberation.fr/planete/2008/06/11/le-dictateur-syrien-bachar-el-assad-invite-officiel-au-defile-du-14-juillet_21147/">quotidien peu avant les festivités</a>. Quelques années plus tôt, le président syrien était encore boycotté par Jacques Chirac pour <a href="https://www.lejdd.fr/International/proces-de-lassassinat-de-rafiq-harir-le-spectre-de-bachar-el-assad-a-la-haye-3762554">son rôle probable dans l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais Rafic Hariri en 2005</a>.</p>
<h2>La realpolitik a ses raisons que le cœur ignore</h2>
<p>Mais la <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2007-3-page-95.htm">realpolitik</a> a ses raisons que le cœur ignore. Si Jacques Chirac boycotta Bachar Al-Assad après 2005, il avait été en 2000 l’un des seuls représentants occidentaux <a href="https://www.leparisien.fr/politique/chirac-et-bouteflika-aux-obseques-d-assad-13-06-2000-2001436412.php">présents aux obsèques de son père Hafez Al-Assad</a> (président de la Syrie de 1970 à sa mort), et croyait alors que le fils pourrait être un réformateur. Nicolas Sarkozy estimait pour sa part que son projet d’Union pour la Méditerranée nécessitait une invitation de l’ensemble des leaders de la région, même autoritaires. Les moments de recueillement ou de célébrations servent aussi à cette diplomatie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/qui-sont-les-infrequentables-sur-la-scene-internationale-201040">Qui sont les « infréquentables » sur la scène internationale ?</a>
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<p>Depuis son arrivée au poste de premier ministre, Narendra Modi (qui avait déjà <a href="https://www.telegraph.co.uk/news/worldnews/asia/india/9625212/Britain-ends-10-year-boycott-of-Narendra-Modi.html">fait l’objet d’un véritable boycott de la part des Occidentaux auparavant</a>, quand il était à la tête de l’État du Gujarat) est régulièrement critiqué par les ONG. Pour autant, il n’est pas Bachar Al-Assad.</p>
<p>D’abord parce qu’il est à la tête d’une puissance nucléaire, <a href="https://information.tv5monde.com/international/linde-devient-le-pays-le-plus-peuple-du-monde-2438307">pays le plus peuplé au monde</a> et bientôt troisième économie de la planète. Ensuite parce qu’il n’a pas mené une guerre civile contre son propre peuple, avec le double soutien russe et iranien, et n’a pas été <a href="https://onu.delegfrance.org/bachar-al-assad-s-est-rendu-coupable-de-crimes-de-guerre">accusé de crimes de guerre par le représentant français aux Nations unies</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/linde-nation-multiculturelle-aux-immenses-ambitions-internationales-203777">L’Inde, nation multiculturelle aux immenses ambitions internationales</a>
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<p>Il n’en reste pas moins qu’une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/indignation-la-derive-autoritaire-de-l-inde-et-le-silence-de-l-occident">dérive autoritaire</a> est aujourd’hui imputée au leader indien, qui semble inamovible depuis qu’il est devenu premier ministre en 2014, à la tête d’un parti nationaliste hindouiste (le BJP, pour Bharatiya Janata Party).</p>
<p>Une <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20200109-derives-pouvoir-nationaliste-hindou-inde">dérive nationale-religieuse</a> aussi, dans un pays où l’on craint désormais pour les <a href="https://theconversation.com/violences-anti-musulmanes-en-inde-quelle-responsabilite-pour-le-gouvernement-modi-132884">droits des musulmans</a> (16 % de la population, environ 200 millions de personnes), et où <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/271071-religion-et-politique-dans-linde-de-narendra-modi">l’identité hindouiste est désormais glorifiée</a>.</p>
<p><a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/inde-l-opposant-rahul-gandhi-condamne-a-de-la-prison-pour-diffamation-envers-modi-20230323">L’arrestation</a> du principal opposant, Rahul Gandhi, pour diffamation contre le premier ministre, ainsi que différents <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/scandale-fiscal-en-inde-adani-enterprises-reussit-a-faire-bondir-son-titre-en-bourse-de-15-5-950905.html">scandales financiers liés au BJP</a>, incitent de nombreux observateurs à affirmer qu’en Inde la démocratie est en recul. Des instituts comme <a href="https://thewire.in/rights/india-autocratiser-v-dem-report-2023">V-Dem</a> (Suède) ou <a href="https://freedomhouse.org/country/india/freedom-world/2023">Freedom House</a> (États-Unis) ne veulent plus qualifier le pays de « plus grande démocratie du monde », soulignant les pratiques d’intimidation du pouvoir. L’inquiétude existe donc. Doit-elle prévaloir ? Quelle posture adopter face à ce type de situation ?</p>
<h2>Le choix de l’Inde</h2>
<p>On peut écouter ceux qui, dans un souci de vigilance, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/24/miser-sur-l-inde-est-un-calcul-de-court-terme-pour-la-france_6174696_3232.html">préconisent de ne pas parler avec les régimes autoritaires</a>. Lorsque Emmanuel Macron reçoit le <a href="https://www.france24.com/fr/france/20220722-emmanuel-macron-re%C3%A7oit-son-homologue-%C3%A9gyptien-abdel-fattah-al-sissi-%C3%A0-l-%C3%A9lys%C3%A9e">président égyptien Sissi</a> (janvier 2022) ou le <a href="https://www.lepoint.fr/politique/emmanuel-macron-recoit-le-prince-heritier-saoudien-ce-vendredi-16-06-2023-2524705_20.php">prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane</a> (juin 2023), les mêmes arguments se font entendre.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1669672182094483459"}"></div></p>
<p>On peut également entendre d’autres voix, qui estiment que la diplomatie ne consiste pas à discuter uniquement <a href="https://www.la-croix.com/diplomatie-cest-parler-aussi-gens-tres-desagreables-2023-06-24-1101272810">avec les pays avec lesquels nous serions d’accord sur tout</a>. Elle serait même faite pour le contraire, c’est-à-dire pour aplanir les différends et maintenir le dialogue.</p>
<p>L’actuel président français n’a jamais caché que telle était sa conception, même lorsqu’il s’agissait de <a href="https://www.bfmtv.com/international/asie/russie/pourquoi-emmanuel-macron-continue-t-il-de-parler-avec-vladimir-poutine_VN-202211210815.html">parler avec Vladimir Poutine</a> au lendemain de l’invasion de l’Ukraine. </p>
<h2>Entretenir un partenariat stratégique</h2>
<p>À cet égard, l’invitation lancée à Modi peut être perçue comme un moyen d’entretenir le <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/128895-discours-de-mjacques-chirac-president-de-la-republique-sur-les-fondem">partenariat stratégique initié avec l’Inde en 1998 par Jacques Chirac</a>, dans un effort alors salué pour ouvrir des horizons asiatiques à la diplomatie française (un autre partenariat stratégique avait été signé avec Pékin l’année précédente).</p>
<p>Mais il y a plus. Face à la montée en puissance chinoise, et plus globalement du fait de son propre essor, l’Inde est devenue un acteur majeur du système international, diplomatique, économique et militaire. La visite d’État de Narendra Modi aux États-Unis en juin 2023 (soumise d’ailleurs aux <a href="https://time.com/6289932/the-biden-modi-meeting-was-a-failure-for-democracy/">mêmes critiques</a>), et la qualité de l’accueil qui lui a été réservé par Joe Biden, ont montré que ce rôle indien n’avait pas échappé à Washington.</p>
<p>L’Inde fait partie du <a href="https://theconversation.com/le-quad-pilier-de-la-strategie-indo-pacifique-de-ladministration-biden-158966">QUAD</a> (dialogue quadrilatéral pour la sécurité), cette alliance informelle en Asie-Pacifique, aux côtés des États-Unis, du Japon et de l’Australie. Le pays, qui entretient également la diaspora la plus nombreuse du monde, est aujourd’hui courtisé. La France doit-elle s’extraire de ce jeu ? Bien entendu, répondre à cette question par la négative ne signifie pas qu’il faille souscrire à tout ce qui se passe en Inde.</p>
<p>Autres points : <a href="https://www.jstor.org/stable/48562559">Paris défend le vocable de « région Indo-Pacifique »</a> pour évoquer les questions asiatiques, notamment du fait de sa double présence dans l’océan Indien et l’océan Pacifique, avec ses territoires d’outre-mer.</p>
<p>New Delhi est également un client potentiel, notamment dans le domaine de l’armement (on évoque <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/defense/le-rafale-proche-dun-nouveau-contrat-en-inde-la-marine-locale-le-prefere-au-modele-de-boeing_838410">l’achat de 26 Rafale Marine</a>). Emmanuel Macron <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/06/21/la-france-propose-une-participation-d-emmanuel-macron-au-sommet-des-brics-en-afrique-du-sud_6178547_3212.html">souhaite par ailleurs être invité au prochain sommet des BRICS</a> (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) qui se tiendra à l’automne en Afrique du Sud, pour relancer sa relation avec le Sud global. Autant de raisons de ne pas bouder le premier ministre indien.</p>
<p>L’aspiration de plusieurs géants du Sud à une nouvelle reconnaissance, <a href="https://theconversation.com/avec-le-conflit-russie-ukraine-le-renouveau-des-non-alignes-184295">leurs griefs contre un Occident jugé hégémonique</a> qui voudrait maintenir un statu quo anachronique dans la hiérarchie des puissances internationales, sont des réalités qu’un boycott ne ferait pas disparaître. Cesser le dialogue serait même contreproductif. </p>
<p>Pour autant, n’attendons pas de miracles. Lorsque Modi parle avec Washington, Londres ou Paris, c’est pour être écouté et traité en égal. Pas pour se faire chapitrer, ni entraîner dans une guerre russo-ukrainienne vue depuis le Sud comme une affaire d’Européens et <a href="https://www.lexpress.fr/monde/asie/un-pays-pauvre-doit-il-rejeter-la-russie-lambassadeur-indien-en-france-se-confie-GSJT5SKNUNGSNKOU4NUUSXS6IY/">dont il estime qu’elle n’est pas la sienne</a>.</p>
<p>Si l’invitation de Modi ne sert qu’à cautionner les dérives qu’on lui impute, alors le bilan sera négatif. Mais si derrière les images de la tribune officielle du 14 juillet un dialogue pouvait perdurer, permettant de contribuer à éviter en bonne intelligence des dérives politiques nuisibles, alors le protocole et la tradition auraient du bon.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209174/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Frédéric Charillon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ce 14 juillet, le controversé premier ministre indien sera l’invité d’honneur de la cérémonie du 14 juillet. Une invitation qui a suscité une polémique liée à sa politique nationaliste et autoritaire.Frédéric Charillon, professeur de science politique, Université Clermont Auvergne (UCA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2065352023-06-08T18:01:06Z2023-06-08T18:01:06ZFinale de la Ligue des Champions : Abu Dhabi et Pékin, déjà sur le toit de l’Europe du football<p>La saison des clubs de <a href="https://theconversation.com/topics/football-20898">football</a> européens se terminera en beauté, le samedi 10 juin, avec la finale de la Ligue des Champions à Istanbul en Turquie. Elle opposera le club anglais de Manchester City, que beaucoup considèrent comme <a href="https://www.francetvinfo.fr/sports/foot/ligue-des-champions/manchester-city-real-madrid-les-mancuniens-rejoignent-l-inter-milan-en-finale-de-ligue-des-champions-en-ecrasant-les-merengues_5829305.html">favori</a> après sa démonstration en demi-finale retour contre le Real Madrid (4-0), aux Italiens de l’Inter Milan. Club anglais contre club italien, certes, pour le rendez-vous de ballon rond le plus attendu de l’année européenne, mais au-delà, City évolue sous pavillon <a href="https://theconversation.com/topics/emirats-arabes-unis-39689">émirati</a>, tandis que Suning, géant <a href="https://theconversation.com/topics/chine-20235">chinois</a> de la distribution de produits électroniques, est actionnaire majoritaire de l’Inter.</p>
<p>En 2008, City avait été racheté par l’Abu Dhabi United Group for Development and Investment, une organisation étroitement liée au gouvernement de l’émirat du Golfe. A été nommé à sa présidence Khaldoon Khalifa Al Moubarak qui est, entre autres, directeur général de la Mubadala Investment Company, le fonds souverain d’Abu Dhabi. </p>
<p>Suning Holdings Group, fondée en 1990 par Zhang Jindong, membre du Parti communiste chinois, avait pour sa part mis la main sur le club intériste en 2016. C’est le fils de Jindong, Kangyang (appelé aussi Steven), qui en est président. Le groupe reste proche du pouvoir, le gouvernement chinois ayant notamment récemment demandé aux prêteurs nationaux de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/07/07/crible-de-dettes-l-empire-suning-recoit-une-bouee-de-sauvetage-de-pekin_6087354_3234.html">renflouer Suning</a> pour qu’il puisse faire face à ses problèmes financiers liés à la crise sanitaire.</p>
<p>Les deux clubs sont devenus des panneaux publicitaires mondiaux pour les nations de leurs propriétaires respectifs ; City est sponsorisé par des sociétés d’Abu Dhabi telle que la compagnie aérienne publique Etihad qui a donné son nom au stade dans lequel le club évolue. Parmi les sponsors de l’Inter, on retrouve des entreprises chinoises telles que <a href="https://www.lenovo.com/fr/fr/smarter/sports/inter-milan-boosts-game-with-lenovo-tech/">Lenovo</a>, <a href="https://www.internazionale.fr/articles/inter-milan/nouveau-partenariat-avec-hisense-d%E2%80%99autres-%C3%A0-venir-et-des-actions-contre-digitalbits%C2%A0-r17356/">Hisense</a> et <a href="https://www.internazionale.fr/articles/inter-milan/officiel%C2%A0-l%E2%80%99aventure-continue-avec-volvo-r13536/">Volvo</a> (dont la société mère, Geely, est chinoise depuis 2010).</p>
<p>Posséder ainsi deux clubs de football européens prestigieux et prospères n’est ni une question de vanité ni un simple exercice de marketing. C’est d’abord de la <a href="https://theconversation.com/topics/geopolitique-21437">géopolitique</a>.</p>
<h2>Pékin et Abu Dhabi, des intérêts convergents</h2>
<p>L’investissement d’Abu Dhabi dans City a évolué à tel point qu’il s’agit désormais d’un réseau mondial de franchises, connu sous le nom de City Football Group (CFG). <a href="https://rmcsport.bfmtv.com/football/premier-league/football-le-groupe-qui-detient-manchester-city-rachete-le-club-bresilien-de-bahia_AD-202305040992.html">Douze autres clubs</a> hormis Manchester en font partie, dont le New York FC, Palerme et Troyes. Bien que certains observateurs considèrent cette évolution comme une tentative de domination sportive, le réseau est sans doute plus un instrument de politique et de stratégie géopolitique qu’autre chose.</p>
<p>Fin 2015, China Media Capital (CMC) a acquis une <a href="https://www.lepoint.fr/sport/manchester-city-des-investisseurs-chinois-prennent-13-du-club-01-12-2015-1986206_26.php">participation dans le City Football Group</a>. Elle représente actuellement 8,2 % de l’ensemble des actions après la vente d’une partie des parts à l’automne 2022 au <a href="https://www.bignonlebray.com/silver-lake-actionnaire-du-manchester-city-football-club/?">groupe américain Siler Lake</a>. L’annonce en 2015 a coïncidé avec la <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Le-president-chinois-xi-jinping-en-visite-a-manchester-city/601355">visite du président chinois Xi Jinping à Manchester</a>, au cours de laquelle il a rencontré Al Moubarak et le premier ministre britannique de l’époque, David Cameron. Le président de la CMC, <a href="https://www.weforum.org/people/li-ruigang">Li Ruigang</a>, un autre membre du Parti communiste chinois et ancien fonctionnaire, était également présent.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/528598/original/file-20230526-15349-pgqw7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/528598/original/file-20230526-15349-pgqw7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/528598/original/file-20230526-15349-pgqw7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=362&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/528598/original/file-20230526-15349-pgqw7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=362&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/528598/original/file-20230526-15349-pgqw7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=362&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/528598/original/file-20230526-15349-pgqw7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/528598/original/file-20230526-15349-pgqw7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/528598/original/file-20230526-15349-pgqw7o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=454&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Khaldoon Al Mubarak, président de Manchester City, Xi Jinping, président chinois et David Cameron, premier ministre britannique, réunis à Manchester en 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/number10gov/22404180472">Georgina Coupe/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Les intérêts convergents d’Abu Dhabi et de la Chine à Manchester City ne représentent qu’une partie des relations entre les deux pays. Depuis près d’une décennie, ces relations ont été qualifiées d’étroites et de fraternelles.</p>
<h2>Les routes de la soie du football</h2>
<p>C’est ainsi qu’en 2015 également, un fonds commun de coopération en matière d’investissement a été lancé. Entre-temps, l’État du Golfe a continué à <a href="https://www.globaltimes.cn/page/202210/1277104.shtml">soutenir la <em>Belt and Road Initiative</em></a> (BRI) de Xi, un grand projet de « <a href="https://theconversation.com/topics/nouvelles-routes-de-la-soie-36140">nouvelles routes de la soie</a> » visant à promouvoir le développement des infrastructures et du commerce à l’échelle mondiale.</p>
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<p>En 2018, le président Al Moubarak avait obtenu une fonction supplémentaire en tant qu’<a href="https://www.thenationalnews.com/uae/government/uae-names-khaldoon-al-mubarak-first-presidential-envoy-to-china-1.782350">envoyé spécial présidentiel d’Abu Dhabi en Chine</a>. Un an plus tard, le City Football Group annonçait l’ouverture d’une nouvelle franchise chinoise à Chengdu, une ville dont la réputation n’est pas très éloignée de celle de Manchester (en tant que centre de la musique, des arts et de la culture). Plus important encore, la veille de cette annonce, Etihad a confirmé que <a href="https://www.albawaba.net/business/pr/etihad-airways-deploy-latest-generation-787-dreamliners-all-its-flights-china-1251886">l’aéroport de Chengdu</a> deviendrait un centre de transit majeur pour la compagnie aérienne.</p>
<p>Les liens entre le City Football Group, Abu Dhabi, la Chine et la BRI ne se sont pas arrêtés là. Certains <a href="https://www.revueconflits.com/la-sicile-une-ile-strategique-a-ne-pas-laisser-a-la-chine/">analystes</a> ont même demandé que l’ensemble soit examiné de plus près, notamment en 2022 quand la franchise de football a acquis le club italien de Palerme, dans le cadre d’une transaction chiffrée à <a href="https://www.dailymail.co.uk/sport/football/article-10973833/Manchester-City-owners-agree-deeds-buy-Palermo-13m-takeover.html">13 millions d’euros</a>.</p>
<p>En parallèle, la Chine s’était en effet engagée dans des investissements portuaires dans le cadre de l’initiative BRI à travers la Méditerranée, le <a href="https://www.captainferry.com/fr/ports/palerme-2">port</a> sicilien de Palerme, carrefour entre l’Europe et l’Afrique présentant donc un intérêt particulier pour le Parti communiste chinois.</p>
<h2>Milan comme plaque tournante ?</h2>
<p>Le football semble avoir souvent été le moyen d’atteindre d’autres objectifs sous-jacents pour Abu Dhabi et la Chine. L’organisation qui détient les droits de retransmission des matchs de la Serie A italienne au Moyen-Orient et en Afrique du Nord en est une autre indication : elle n’est autre qu’<a href="https://www.lefigaro.fr/sports/football/italie/italie-la-serie-a-trouve-un-diffuseur-au-moyen-orient-20220630">Abu Dhabi Media</a>, une entreprise publique. En outre, Mubadala, le fonds souverain émirati, a récemment <a href="https://www.cfnews.net/L-actualite/CFNEWS-Asie-Pacifique/Mubadala-injecte-1-Md-dans-les-vehicules-asiatiques-de-KKR-419453">misé gros sur la Chine</a>, investissant des centaines de millions de dollars dans le pays.</p>
<p>Comme Abu Dhabi, l’Italie est membre de la « Belt and Road Initiative », même si, ces derniers mois, le pays a mis en place des plans pour la quitter. Milan n’offre pas les avantages portuaires ou côtiers stratégiques de Palerme, mais les liens entre le club et le PCC ont permis à la Chine de se projeter dans des territoires clés, par exemple l’<a href="https://www.lanouvellerepublique.fr/a-la-une/les-chinois-debarquent-par-l-adriatique">Adriatique</a> où elle a également investi dans le <a href="https://www.total-croatia-news.com/business/31721-china-planning-to-invest-billion-in-croatia">football croate</a>.</p>
<p>À Milan même, la création d’un nouveau stade fait l’objet de discussions depuis plus d’une décennie. L’Inter partage le stade Giuseppe Meazza, plus communément nommé « San Siro », avec son rival de la ville, l’AC Milan. La China Railway Construction Company (CRCC) souhaitait un temps prendre la tête de la <a href="https://www.latribune.fr/journal/edition-du-1906/special-euro-2012/704119/l-inter-de-milan-quitte-le-mythique-stade-de-san-siro-et-s-embarque-avec-la-chine.html">construction de la nouvelle enceinte</a>. Celle-ci a d’ailleurs fait l’objet d’une ordonnance du gouvernement des États-Unis interdisant à toute société ou tout particulier américain de détenir ses actions en raison de ses liens avec l’Armée populaire de libération de la Chine (APLC).</p>
<p>Inter ou City ? L’issue du match se trouvera dans les pieds des joueurs. Quel qu’en soit le résultat néanmoins, les grands gagnants de ce concours très médiatisé sont peut-être d’ores et déjà Abu Dhabi et Pékin.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206535/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La finale oppose Manchester City, club sous pavillon émirati, à l’Inter Milan, propriété chinoise - deux nations proches et qui ont fait du football un levier de développement.Simon Chadwick, Professor of Sport and Geopolitical Economy, SKEMA Business SchoolPaul Widdop, Reader of Sport Business, Manchester Metropolitan UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2054952023-05-16T18:39:59Z2023-05-16T18:39:59ZQuand les États-Unis voient leurs alliés leur échapper…<p>Le contexte de la guerre en Ukraine a révélé l’importance de la stratégie du <a href="https://academic.oup.com/irap/article-abstract/19/3/367/5563899?redirectedFrom=fulltext">« hedging »</a>, une notion <a href="https://www.ig.com/fr/strategies-de-trading/le-hedging-explique-apprendre-a-trader-avec-la-strategie-du-hedging-190418">venue de l’univers de la finance</a> et qui désigne une approche consistant, pour un État, à assurer sa sécurité et à préserver ses intérêts en multipliant les partenariats.</p>
<p>Alors que l’hégémonie des États-Unis a longtemps reposé sur l’adhésion de leurs partenaires à l’agenda stratégique global américain à travers la construction d’alliances pérennes, l’ordre mondial est, aujourd’hui, de plus en plus caractérisé par la fluidification des rapports internationaux, l’affirmation d’intérêts nationaux et régionaux qui ne s’alignent plus sur les intérêts américains, et l’essor de <a href="https://orientxxi.info/magazine/bertrand-badie-les-alliances-de-bloc-sont-mortes-et-l-occident-ne-le-comprend,5706">« connivences fluctuantes »</a>. Plusieurs exemples l’illustrent actuellement de manière frappante.</p>
<h2>Un « monde non aligné ? »</h2>
<p>Comme le note avec justesse la revue <em>Foreign Affairs</em> dans l’introduction de son numéro de mai-juin 2023, consacré au <a href="https://www.foreignaffairs.com/issues/2023/102/3">« Monde non aligné »</a>, « étant donné que les hedgers attachent de l’importance à la liberté d’action, ils peuvent former des partenariats de convenance pour poursuivre des objectifs de politique étrangère spécifiques, mais il est peu probable qu’ils concluent des alliances générales. Il s’agit d’éviter la pression de choisir entre la Chine, la Russie et les États-Unis. »</p>
<p>La Chine, <a href="https://theconversation.com/quand-la-chine-organise-un-nouvel-espace-de-vassalite-190932">favorable à une transformation de l’architecture de gouvernance mondiale</a>, encourage ces « connivences fluctuantes » qui apparaissent aujourd’hui comme une manifestation, voire le fondement d’un nouvel ordre international. À cet égard, le politologue français Bertrand Badie <a href="https://youtu.be/NBLp3BfYtTI">rappelle</a> que « l’un des postulats de la diplomatie chinoise est que la Chine a besoin d’un monde stable et d’une économie mondiale prospère, à défaut de quoi le pari chinois de prendre la tête de la mondialisation viendrait à s’effondrer ; c’est la raison pour laquelle elle n’a aucun intérêt à une aggravation des conflits ». Pour Bertrand Badie, cette orientation sonne le glas de la <a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-de-leurope-en-miettes-a-leurope-en-blocs-179392">géopolitique de blocs</a>, car Pékin promeut, dans une approche pragmatique, la multiplication des partenariats au détriment des alliances exclusives et pérennes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/avec-le-conflit-russie-ukraine-le-renouveau-des-non-alignes-184295">Avec le conflit Russie-Ukraine, le renouveau des non alignés ?</a>
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<p>De leur côté, les partenaires traditionnels de Washington ne veulent pas se laisser entraîner dans une polarisation géopolitique, comme l’a illustré, dans le contexte de la guerre en Ukraine, le <a href="https://www.washingtonexaminer.com/policy/foreign/which-countries-have-decided-not-to-sanction-russia">refus d’un certain nombre d’entre eux d’imposer des sanctions à la Russie</a>.</p>
<p>Ils perçoivent l’émergence de la Chine comme une opportunité de manœuvrer afin d’accroître leur autonomie décisionnelle. Deux exemples frappants illustrent aujourd’hui la consécration de ces « connivences fluctuantes » au détriment de la géopolitique de blocs : la <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">normalisation entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a>, intervenue grâce à la médiation chinoise ; et l’évolution de la <a href="https://theconversation.com/la-turquie-une-puissance-mediatrice-entre-la-russie-et-lukraine-203782">relation entre la Turquie et la Russie</a>.</p>
<h2>La connivence Iran/Arabie</h2>
<p>Ces deux acteurs étaient en conflit depuis plusieurs années. Dès 2013, l’Arabie saoudite, ainsi que les Émirats arabes unis, s’est fortement impliquée dans la guerre en Syrie, à la fois pour contrer l’influence de la Turquie et du Qatar (qui soutenaient également l’opposition à Bachar Al-Assad) et pour s’opposer à l’Iran, allié du régime de Damas.</p>
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<p>La confrontation entre Riyad et Téhéran s’est durcie à partir de 2015 <a href="https://geopolri.hypotheses.org/2590">du fait de la guerre au Yémen</a>, qui a mis à mal la crédibilité américaine et ses engagements de défense envers ses alliés du Golfe, Washington n’ayant guère réagi à la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/14/arabie-saoudite-deux-installations-petrolieres-attaquees-par-des-drones_5510368_3210.html">première attaque contre les installations pétrolières du géant saoudien Aramco en 2019</a>.</p>
<p>Ce contexte a accéléré le changement de paradigme en Arabie saoudite et donné naissance à une volonté d’appliquer une politique alternative pour apaiser la confrontation régionale tout en diversifiant les partenariats afin de préserver au mieux les intérêts saoudiens.</p>
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<p>Bien que les États-Unis demeurent un partenaire privilégié de Riyad, les <a href="https://theconversation.com/joe-biden-a-riyad-les-lecons-dun-echec-187645">tensions politiques restent persistantes</a>. L’Arabie saoudite a parallèlement renforcé son partenariat avec la Russie, allant jusqu’à refuser de souscrire aux demandes américaines d’augmenter sa production pétrolière et <a href="https://www.irsem.fr/publications-de-l-irsem/breves-strategiques/breve-strategique-n-47-2022-la-politique-petroliere-de-l-arabie-saoudite-et-des-eau.html">s’accordant avec Moscou sur une baisse</a>.</p>
<p>Dans cette approche visant à réduire les tensions régionales et à favoriser des formes de convergence, <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/turquie-arabie-saoudite-rivalite-rapprochement-2022">l’Arabie saoudite a également renoué avec la Turquie</a>, perçue comme un concurrent régional depuis 2011. Mais l’évolution la plus spectaculaire a été le resserrement des liens avec la Chine, devenue <a href="https://trends.levif.be/a-la-une/international/comment-la-chine-est-devenue-le-premier-partenaire-commercial-de-larabie-saoudite/">son premier partenaire commercial</a>. Riyad a approuvé la médiation chinoise sur le dossier iranien et <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/l-arabie-saoudite-resserre-ses-liens-avec-la-chine-en-s-associant-a-l-organisation-de-cooperation-de-shanghai-957175.html">s’est associé à l’Organisation de coopération de Shanghaï</a>.</p>
<p>En acceptant le parrainage chinois pour le rétablissement de ses relations avec l’Iran, l’Arabie saoudite a <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/2023/05/08/united-states-influence-middle-east-iran-china/">mis à l’écart les États-Unis</a> qui, historiquement, ont toujours joué un rôle politique de premier plan au Moyen-Orient. Cette évolution est contraire aux intérêts américains, notamment parce que la réconciliation Riyad-Téhéran intervient dans un contexte de redéfinition des relations internationales – qui connaissent une évolution des alliances stables et durables vers ces « connivences fluctuantes » – et d’émergence, encouragée par Pékin, d’un monde non aligné.</p>
<p>La Chine tente en effet de <a href="https://www.courrierinternational.com/article/repositionnement-la-chine-se-reve-en-acteur-diplomatique-global-pour-contrer-washington">refonder l’ordre international</a> à travers une diplomatie de plus en plus active, un rôle de médiateur sur les dossiers régionaux, la multiplication des accords et des structures régionales de coopération et des rencontres politiques (BRICS, Asean, Organisation de Shanghaï, sommets Chine-pays arabes et Chine-Afrique…) qui remettent en cause le monopole du leadership américain.</p>
<p>Un autre cas mérite une attention particulière : la relation entre Moscou et Ankara, qui illustre une approche pragmatique des deux parties et une convergence d’intérêts, en dépit de contradictions persistantes.</p>
<h2>Turquie-Russie : un partenariat de convenance</h2>
<p>Les antagonismes entre la Russie et la Turquie se sont cristallisés en <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/la-tension-monte-en-syrie-entre-la-turquie-et-la-russie-1171604">Syrie</a>, en <a href="https://www.portail-ie.fr/univers/influence-lobbying-et-guerre-de-linformation/2021/la-libye-typologie-dune-guerre-dinfluence-russo-turque/">Libye</a>, mais aussi <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/13/haut-karabakh-tiraillements-entre-la-russie-et-la-turquie-sur-la-supervision-du-cessez-le-feu_6059600_3210.html">dans le Caucase</a>. Pourtant, sur tous ces terrains de conflits, Russes et Turcs ont trouvé un modus vivendi et mis en place des mécanismes de gestion pacifiés.</p>
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<p>Par ailleurs, bien que dans le contexte de la guerre en Ukraine, Ankara ait publiquement affirmé son soutien à l’intégrité territoriale du pays et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-enjeux-internationaux/la-guerre-en-ukraine-vitrine-du-drone-turc-bayraktar-7094729">armé Kiev</a>, elle <a href="https://www.huffingtonpost.fr/international/article/guerre-en-ukraine-a-quoi-joue-la-turquie_196423.html">s’est toujours refusée à appliquer des sanctions contre la Russie</a>, dont elle dépend pour son approvisionnement en gaz.</p>
<p>En outre, malgré son statut de membre de l’OTAN, la <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/la-turquie-est-prete-a-utiliser-le-systeme-antimissile-russe-s-400-1453226">Turquie a fait le choix d’acquérir des S-400 russes</a> pour son système de défense anti-missiles, une décision qui a fait ressurgir les tensions dans sa relation avec Washington.</p>
<p>Enfin, <a href="https://english.aawsat.com/home/article/4254811/%E2%80%98normalization%E2%80%99-talks-between-ankara-damascus-kick-moscow">Ankara a accepté de s’engager dans un dialogue avec le régime de Damas, sous l’égide de la Russie</a>, et contre l’avis de Washington – une évolution qui laisse entrevoir une possible normalisation prochaine dans les relations bilatérales turco-syriennes.</p>
<p>Notons toutefois qu’une éventuelle victoire de Kemal Kiliçdaroglu, plus sensible aux positions européennes et plus réceptif aux demandes américaines qu’Erdogan, <a href="https://foreignpolicy.com/2023/04/14/turkey-election-kemal-kilicdaroglu-chp-platform-erdogan/">pourrait rebattre les cartes</a>. Mais au vu des résultats du premier tour, le président sortant semble <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230515-turquie-recep-tayyip-erdogan-en-position-de-force-avant-le-deuxi%C3%A8me-tour-de-la-pr%C3%A9sidentielle">mieux placé pour l’emporter</a>.</p>
<h2>La fin des alliances stables</h2>
<p>En définitive, la diversification des partenariats stratégiques des alliés historiques des États-Unis et leur volonté de construire des convergences conformes à leur propre représentation de leurs intérêts stratégiques témoignent aujourd’hui d’une tendance de fond : la fin des alliances stables et le dépassement de la logique de polarisation géopolitique nécessaire au maintien de l’hégémonie américaine.</p>
<p>Cette évolution est encouragée par la Chine dans un contexte où Pékin incite également à une <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/04/26/10-points-sur-les-sanctions-americaines-et-la-dedollarisation/">remise en cause de la domination incontestée du dollar</a>. En mars dernier, la transaction inédite de TotalEnergies avec le géant chinois des hydrocarbures CNOOC <a href="https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/totalenergies-livre-a-la-chine-du-gnl-paye-en-yuans-une-premiere-957227.html">libellée en yuans</a> a provoqué la surprise. Plus récemment, c’est l’Argentine qui a pris la décision de régler ses importations chinoises en <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/l-argentine-abandonne-le-dollar-au-profit-du-yuan-pour-payer-ses-importations-chinoises-960393.html">yuans plutôt qu’en dollars</a>…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205495/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alliées historiques de Washington, l’Arabie saoudite (en se rapprochant de l’Iran) et la Turquie (en suivant sa propre ligne vis-à-vis de la Russie) s’émancipent de la tutelle américaine.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2048782023-05-14T15:20:49Z2023-05-14T15:20:49ZEn relations internationales, le non-alignement existe-t-il vraiment ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/525678/original/file-20230511-33794-7w8lnm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=40%2C72%2C1837%2C1182&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">18e (et dernier à ce jour) sommet du Mouvement des non-alignés en 2019 à Bakou, Azerbaïdjan.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/f/f5/18th_Summit_of_Non-Aligned_Movement_gets_underway_in_Baku_069.jpg">Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Ces dernières années, dans un contexte marqué par l’intensifcation de la confrontation sino-américaine et, spécialement depuis le 24 février 2022, par l’effondrement des relations russo-occidentales, <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/relations-internationales/l-autre-guerre-froide/">l’invocation de la guerre froide s’impose de plus en plus</a> dans les commentaires sur l’état du monde.</p>
<p>L’un des aspects majeurs du retour de la rhétorique de la guerre froide est l’emploi fréquent de la formule de « non-alignement », en référence au Mouvement portant ce nom, <a href="https://globalsouthstudies.as.virginia.edu/key-moments/belgrade-1961-non-aligned-conference">instauré en 1961</a> et qui existe toujours officiellement : il compte aujourd’hui 120 pays et a tenu son dernier sommet à Bakou en 2019.</p>
<p>Aujourd’hui, comme à l’époque, un certain nombre d’États dits « du Sud » <a href="https://www.cairn.info/revue-naqd-2023-1-page-406.html">refuseraient de s’inscrire clairement dans un camp ou dans un autre</a>, et se rapprocheraient les uns des autres pour faire valoir leurs intérêts spécifiques. De même que, durant la guerre froide, l’Ouest accusait souvent le Mouvement des non-alignés (MNA) d’être instrumentalisé par Moscou, il déplore aujourd’hui que nombre d’États du Sud rechignent à s’associer aux sanctions contre la Russie et à <a href="https://theconversation.com/avec-le-conflit-russie-ukraine-le-renouveau-des-non-alignes-184295">condamner l’agression russe contre l’Ukraine</a>.</p>
<p>Il apparaît dès lors utile de rappeler ce que fut - et ce que ne fut pas - le Mouvement des non-alignés durant la guerre froide, afin de comprendre dans quelle mesure la référence à cette organisation et à cette période est pertinente de nos jours.</p>
<h2>Une importance historique exagérée</h2>
<p>Le non-alignement a été un mythe unificateur pour quelques pays leaders du mouvement et pour leurs régimes (notamment la Yougoslavie et l’Algérie) qui, via leur adhésion à ce concept, ont renforcé leur statut international et leur <a href="https://books.openedition.org/iheid/4165?lang=fr">légitimité intérieure</a>.</p>
<p>Rappelons cependant que le MNA a mis beaucoup de temps à se structurer. Après la <a href="https://www.cambridge.org/core/books/cold-wars/9A581A5A18BE15169D34FE39D2D962E1">brève rencontre de Brioni (1956) entre Tito, Nehru et Nasser</a>, la conférence de Belgrade (1961, avec 23 pays) a été la <a href="https://direct.mit.edu/jcws/article-abstract/18/4/79/13902/On-the-Road-to-Belgrade-Yugoslavia-Third-World?redirectedFrom=fulltext">première réunion formelle des pays qui ont ensuite constitué le mouvement</a>. Il n’y a pas eu de conférence dans la seconde moitié des années 1960, après <a href="https://www.bloomsbury.com/uk/nonaligned-movement-summits-9781350032095/">celle du Caire en 1964</a> : le mouvement s’institutionnalise seulement entre les conférences de Lusaka (1970) et d’Alger (1973).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/525634/original/file-20230511-23-ayrauu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/525634/original/file-20230511-23-ayrauu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/525634/original/file-20230511-23-ayrauu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/525634/original/file-20230511-23-ayrauu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/525634/original/file-20230511-23-ayrauu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/525634/original/file-20230511-23-ayrauu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/525634/original/file-20230511-23-ayrauu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=484&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Première conférence du Mouvement des non-alignés en 1961 à Belgrade, Yougoslavie.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>La fameuse <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/publications/manuel_d_histoire_critique/a53274">conférence de Bandung (1955)</a> avait certes une certaine dimension de non-alignement, voulue notamment par l’Inde et la Chine après la création de l’Organisation de l’Asie du Sud-Est (OTASE) par les États-Unis en septembre 1954. Toutefois, elle n’a pas proscrit l’appartenance à des alliances, et nombre de pays alliés des États-Unis y ont condamné l’impérialisme communiste.</p>
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<p>À partir de 1959, les tensions sino-indiennes, et plus encore <a href="https://mondesasiatiques.wordpress.com/2018/10/23/20-octobre-1962-debut-de-la-guerre-sino-indienne/">la guerre entre les deux pays en 1962</a>, ont conduit à un affrontement entre le mouvement afro-asiatique, mené par la Chine (et l’Indonésie), et le MNA dont l’Inde était un des leaders.</p>
<p>Le schisme sino-soviétique a encore plus compliqué le paysage. L’opposition entre « radicaux » et « modérés » marque <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/07075332.2023.2187429">le début des années 1960</a> et la fin des années 1970. L’échec chinois (et indonésien) à réunir une « seconde conférence de Bandung » à Alger en 1965 montre <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/histoire-du-monde-se-fait-en-asie_9782738148773.php">l’impasse de l’afro-asiatisme militant</a>.</p>
<p>Même au sein des « radicaux », des désaccords profonds existaient. Kwame Nkrumah (président du Ghana de 1960 à 1966) était bien plus hostile à l’influence des idées occidentales (de l’Ouest ou de l’Est) qu’Ahmed Ben Bella (premier président de l’Algérie, de 1963 à 1965), obsédé par le développement et qui voulait utiliser le non-alignement pour <a href="https://www.cornellpress.cornell.edu/book/9781501767913/the-ideological-scramble-for-africa/">obtenir des ressources financières des deux camps</a>. Pour nombre de pays non-alignés, comme l’Afghanistan, il s’agissait là clairement d’un objectif majeur.</p>
<p>Le mouvement connaît un certain âge d’or au début des années 1970, influençant l’agenda international, notamment en promouvant un <a href="https://muse.jhu.edu/issue/31641">Nouvel ordre économique international</a>, également poussé à l’ONU par le <a href="https://www.un.org/fr/chronicle/article/limportance-historique-du-g77">G77</a>, créé en 1964 pour que les pays en voie de développement pèsent dans l’organisation. De nouveaux leaders s’affirment, comme Julius Nyerere en Tanzanie. </p>
<p>Mais l’Inde commence à s’aligner sur l’URSS à partir de 1971, notamment contre la Chine, et l’Égypte sur les États-Unis. Le sommet de 1979 se tient à La Havane, ce qui met mal à l’aise nombre des 93 États présents, qui craignent de le voir récupéré par l’URSS. L’invasion par cette dernière de l’Afghanistan à la fin de l’année suscite un second malaise, incitant par exemple la Birmanie à devenir <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1868103421992068">le premier État à quitter volontairement le MNA</a>.</p>
<p>Tito, dernière figure historique du mouvement, meurt en 1980, alors même que <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/08/DERENS/58989">la diplomatie active de la Yougoslavie dans les pays du Sud</a> montre ses limites : Belgrade craint le radicalisme cubain et se rapproche des États-Unis, de la Chine et de la CEE. En outre, en cette période de double choc pétrolier, les pays du Sud non pétroliers critiquent l’égoïsme des membres de l’OPEP, dont certains font partie des non-alignés.</p>
<p>Les conflits Sud-Sud créent des tensions : l’invasion de l’Ouganda par la Tanzanie et celle du Cambodge par le Vietnam, en 1978, l’isolement de l’Égypte dans le monde arabe après sa paix avec Israël, la guerre Irak-Iran qui débute en 1980 (Téhéran <a href="https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1982_num_47_2_3141">fait capoter le projet d’un sommet des non-alignés à Bagdad en 1982</a>), ou les ambitions libyennes au Tchad. Cuba et l’Inde sont hostiles à la Chine, ne condamnent pas l’intervention soviétique en Afghanistan, soutiennent le Vietnam qui a envahi le Cambodge, et s’en prennent aux pays du Sud qui soutiennent les résistances (Chine, Pakistan, pays de l’Asean).</p>
<p>Au début des années 1980, nombre d’États du Sud profitent du retour à la guerre froide consécutif à la fin de la Détente pour s’aligner davantage sur un des deux Grands, dans le but d’en tirer des bénéfices économiques et stratégiques. Certains privilégient alors des formes de construction régionale contribuant à une fragmentation du Sud. Le MNA <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/15907476-1989-l-annee-ou-le-monde-a-bascule-pierre-grosser-tempus-perrin">perd de sa visibilité</a>.</p>
<h2>Aujourd’hui, un Sud uni face à l’Occident ?</h2>
<p>Il est beaucoup question aujourd’hui de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/michel-duclos-la-desoccidentalisation-du-monde-est-une-lame-de-fond-GYP7Y6X3XRASJJFUUXDA4GHSYI/">désoccidentalisation du monde</a> et d’affirmation du Sud, à travers les pays dits « émergents » - en réalité souvent émergés depuis plusieurs décennies et qui tirent désormais la croissance économique mondiale.</p>
<p>Certains intellectuels indonésiens ont voulu, il y a une dizaine d’années, renommer le MNA en « Mouvement de Solidarité du Sud ». La Chine ravive ses anciennes prétentions à <a href="http://french.peopledaily.com.cn/International/n3/2017/0914/c31356-9268798.html">exercer un leadership du Sud</a>, tout en appréciant les formats bilatéraux ainsi que <a href="https://twitter.com/MoritzRudolf/status/1655607912511799296">les organisations régionales +1</a>.</p>
<p>Alors que les travaux historiques sur les relations Est-Sud au temps de la guerre froide <a href="https://www.degruyter.com/document/doi/10.1515/9783110642964/html">se multiplient</a>, la Russie rejoue elle aussi la carte de la solidarité internationale, <a href="https://www.hurstpublishers.com/book/russia-in-africa/">notamment en Afrique</a>, son ministre des Affaires étrangères y vantant <a href="https://tass.com/politics/1053570">la nécessaire égalité des États</a>, alors que son pays piétine, comme dans le passé, ses petits voisins. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dans-les-coulisses-du-groupe-wagner-mercenariat-business-et-diplomatie-secrete-200492">Dans les coulisses du groupe Wagner : mercenariat, business et diplomatie secrète</a>
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<p>La possible <a href="https://www.20minutes.fr/monde/russie/4035115-20230502-non-g7-ridiculise-car-19-pays-veulent-adherer-brics">extension du groupe des BRICS</a> est présentée par ses promoteurs et ses partisans comme une saine revanche du Sud, derrière le leadership de Pékin et Moscou, dans une croisade contre l’unipolarité et l’unilatéralisme des États-Unis, l’imposition des « valeurs » occidentales et l’exportation de la démocratie, et plus largement contre la domination de l’Occident et le prétendu bellicisme otanien.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1624471104491253761"}"></div></p>
<p>Que le « Reste » uni se dresse contre l’Occident suscite au sein de ce dernier des craintes - ou des espoirs - souvent excessifs. Parler de « non-alignement » permet de vanter l’« agentivité » des acteurs du Sud (qui, en fait, a toujours existé, même au <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/appels-dempire-9782213595948">temps de l’unipolarité</a>), de prôner un monde multipolaire qui serait par nature plus stable et juste (ce qui reste à prouver), d’épouser des grands principes (égalité, justice, priorité aux questions globales, résolutions pacifique des conflits, désarmement…) qui ne sont guère respectés et parfois instrumentalisés par nombre d’États du Sud, de surévaluer la convergence des intérêts entre pays du Sud si différents entre eux (apparente déjà dans les organisations régionales), et de considérer qu’on peut dégéopolitiser les questions économiques, sociales, technologiques et environnementales. </p>
<p>Or il n’y a, entre tous ces nombreux pays du Sud, <a href="https://www.foreignaffairs.com/world/global-south-defense-fence-sitters">ni identité commune ni recherche de projet commun</a>. Rares sont les pays qui peuventp parler à tout le monde pour éviter les fossés entre Nord et Sud et entre Occident et alignement sino-russe, comme l’Indonésie a prétendu le faire en présidant le G20 de novembre dernier… avec peu de succès.</p>
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<p>Nombre de pays cherchent à parier économiquement sur la Chine, désormais aussi sur l’Arabie saoudite ou le Brésil, tout en continuant de se « couvrir », notamment dans le domaine de la sécurité, du côté américain. « Tenir les deux bouts » permet d’être courtisé, et de faire du chantage à davantage d’alignement. C’est ainsi qu’on interprétait la politique chinoise de la Russie jusqu’aux années 2000 : « Retenez-moi ou je fais un malheur en me jetant dans les bras de Pékin ». De fait, nombre de pays ont conscience des capacités coercitives des États-Unis, mais aussi du risque d’être vassalisés par la Chine.</p>
<h2>Un multi-alignement plus qu’un non-alignement</h2>
<p>En réalité, le jeu de la plupart des États est pro-actif. Il existe une vraie diplomatie des puissances « moyennes » qui évitent l’alignement non par de grandes déclarations de principe ou à travers la participation à des grand-messes où les discours se succèdent, mais par du <a href="https://www.stimson.org/2022/brics-quad-and-indias-multi-alignment-strategy/">multi-alignement</a> comme le fait l’Inde, qui jongle entre le <a href="https://theconversation.com/le-quad-pilier-de-la-strategie-indo-pacifique-de-ladministration-biden-158966">Quad</a>, les BRICS et <a href="https://theconversation.com/quand-la-chine-organise-un-nouvel-espace-de-vassalite-190932">l’Organisation de Coopération de Shanghai</a>), ou par des diplomaties à la fois multivectorielles (comme le <a href="https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2014-4-page-189.htm">Kazakhstan</a> depuis les années 1990), et transactionnelles dans le bilatéral (<a href="https://passes-composes.com/book/325">ainsi de la Turquie</a>), ou encore par des formes diverses de « minilatéralisme », la multiplication des partenariats, et la <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2023-1-page-93.htm">« polygamie institutionnelle »</a>. </p>
<p>Bref, on peut toujours prétendre qu’on est retourné au monde de la guerre froide, simplifié rétrospectivement autour de quelques cartes ; mais les stratégies des pays qui jouent avec la question de l’alignement montrent bien qu’un monde avec trois ensembles distincts n’existe pas aujourd’hui.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204878/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Grosser ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Durant la guerre froide, plus d’une centaine de pays en développement affichaient leur « non-alignement » vis-à-vis des grandes puissances. Cette notion a de nouveau le vent en poupe aujourd’hui.Pierre Grosser, Professeur de relations internationales, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2050812023-05-04T20:16:49Z2023-05-04T20:16:49ZNavire espion russe en mer du Nord : quelles menaces pour les infrastructures sous-marines ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/524460/original/file-20230504-27-5ym9v5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=6%2C13%2C4336%2C2474&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le navire de recherche océanographique Amiral Vladimirsky, photographié ici en 2019 à Kronstadt, aurait été récemment vu en mer du Nord en février dernier. Il est soupçonné d'être utilisé pour des activités d'espionnage,
</span> <span class="attribution"><span class="source">Alexander Chizhenok/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3QFW3kLDo_M">documentaire</a> produit par un collectif de radiodiffuseurs publics de Suède, du Danemark, de Finlande et de Norvège a révélé ce qui apparaît comme une menace profonde pour les infrastructures énergétiques et de communication en mer du Nord et dans la région de la Baltique.</p>
<p>Le documentaire <a href="https://www.thetimes.co.uk/article/russian-ghost-ships-prepare-sabotage-of-britain-in-the-north-sea-t2gll75t6"><em>The Shadow War</em></a> montre notamment un navire de recherche russe, l’Amiral Vladimirsky, qui recueillerait des données sur des parcs éoliens, des gazoducs, des câbles électriques et des câbles Internet.</p>
<p>Le film, qui a fait l’objet d’une <a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/defense/un-documentaire-evoque-la-preparation-de-sabotages-d-infrastructures-sous-marines-europeennes-par-la-russie_AN-202304190605.html">large couverture médiatique</a>, affirme que la Russie cartographie systématiquement les infrastructures maritimes en mer du Nord afin d’en identifier les points faibles – par exemple, les endroits où se croisent les pipelines et les câbles Internet sous-marins, ce qui faciliterait une opération de sabotage si le Kremlin le jugeait nécessaire.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1648813419099824129"}"></div></p>
<p>Ces révélations n’apprennent rien de nouveau aux experts en sécurité maritime : nous savons depuis longtemps que les forces russes cartographient les infrastructures maritimes, notamment les parcs éoliens, les câbles de communication et les pipelines. Même dans les années 1990 et 2000, lorsque l’OTAN et la Russie coopéraient sur certaines questions de sécurité, les <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2015/11/03/01003-20151103ARTFIG00009-les-cables-sous-marins-objet-de-toute-l-attention-de-l-armee-russe.php">activités d’espionnage russes dans les eaux nordiques</a> n’avaient pas cessé. En 2013, j’ai embarqué sur un navire de la Royal Navy en mer du Nord, dont la mission consistait notamment à repérer les navires espions russes.</p>
<p>Mais depuis l’occupation de la Crimée par la Russie en 2014, <a href="https://doi.org/10.1080/13523260.2021.1907129">ces activités se sont intensifiées</a>. Dans les eaux européennes, y compris dans les eaux irlandaises et portugaises et en Méditerranée, des <a href="https://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document/EXPO_IDA(2022)702557">navires russes ont été repérés</a> en train de mener des opérations de renseignement.</p>
<h2>Le sabotage du gazoduc Nord Stream</h2>
<p>En septembre 2022, le <a href="https://theconversation.com/nord-stream-pipeline-sabotage-how-an-attack-could-have-been-carried-out-and-why-europe-was-defenceless-191895">sabotage du gazoduc Nord Stream</a>, qui a gravement endommagé cet important gazoduc dans la mer Baltique, et dont les responsables n’ont toujours pas été identifiés, a suscité de vives inquiétudes à l’Ouest quant aux dommages qu’une puissance hostile pourrait causer en détruisant ou en perturbant des infrastructures énergétiques ou de communication disposées au fond des mers.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/si-la-russie-coupe-les-cables-sous-marins-leurope-peut-perdre-son-acces-a-internet-169858">Si la Russie coupe les câbles sous-marins, l’Europe peut perdre son accès à Internet</a>
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<p>L’OTAN et l’UE ont mis en place des plans ambitieux pour améliorer la résilience des infrastructures maritimes. Les deux organisations ont créé de nouveaux <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/news_212887.htm">groupes de travail</a> et <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/news_211919.htm">organes de coordination</a> afin d’élaborer de meilleures stratégies de protection et de coordonner les agences civiles et militaires.</p>
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<p>En mars, la Commission européenne a publié un plan d’action ambitieux dans le cadre de la <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_23_1483">stratégie de sécurité maritime de l’UE</a> actualisée. Il prévoit des études pour identifier les vulnérabilités les plus graves et pour améliorer leur surveillance. Mais tous ces projets vont-ils assez loin ?</p>
<h2>Pourquoi la mer du Nord est-elle si importante ?</h2>
<p><a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/la-mer-du-nord-suscite-toujours-lappetit-des-petroliers-1138066">Les réserves de gaz et de pétrole de la mer du Nord</a> constituent une ressource importante pour l’ensemble du marché européen de l’énergie.</p>
<p>Les efforts croissants consacrés à la production d’énergie verte renforcent encore cette dimension stratégique. Plus de <a href="https://map.4coffshore.com/offshorewind/">40 parcs éoliens</a> sont implantés dans la région et, les conditions étant idéales pour l’énergie éolienne, les installations se développent continuellement et rapidement. La mer du Nord joue donc un rôle essentiel pour réduire la dépendance des pays européens aux combustibles fossiles et diminuer les émissions de CO<sub>2</sub>.</p>
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<img alt="Carte montrant les mouvements d’un navire russe dans la mer Baltique et la mer du Nord" src="https://images.theconversation.com/files/522115/original/file-20230420-26-lqt44u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/522115/original/file-20230420-26-lqt44u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/522115/original/file-20230420-26-lqt44u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/522115/original/file-20230420-26-lqt44u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=442&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/522115/original/file-20230420-26-lqt44u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=556&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/522115/original/file-20230420-26-lqt44u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=556&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/522115/original/file-20230420-26-lqt44u.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=556&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le documentaire retrace les mouvements du « navire espion » russe Amiral Vladimirsky.</span>
<span class="attribution"><span class="source">The Shadow War</span></span>
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<p>Compte tenu des soupçons qui pèsent aujourd’hui sur les services de renseignement russes et les activités de sabotage possibles, la mer du Nord doit désormais être considérée comme un espace particulièrement vulnérable.</p>
<p>Un acte de sabotage concerté, endommageant les câbles électriques sous-marins, par exemple, peut considérablement nuire aux marchés de l’énergie. La coupure des câbles de données sous-marins peut limiter la connectivité Internet, y compris de part et d’autre de l’Atlantique, puisque d’importants câbles de données relient, par exemple, le Danemark et les États-Unis.</p>
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<p>Les réparations en mer sont coûteuses car elles nécessitent des navires spécialisés, qui ne peuvent opérer que si les conditions météorologiques le permettent. Or la mer du Nord constitue un environnement difficile.</p>
<p>Les initiatives récentes de l’OTAN et de l’UE sont axées sur <a href="https://euobserver.com/opinion/156255">l’amélioration de la surveillance</a>. Elles visent à améliorer la détection des activités suspectes, telles que celles rapportées par le film documentaire nordique. Les satellites, les radars et les patrouilles, y compris de drones, la vidéosurveillance de toutes les infrastructures mais aussi les contributions des usagers de la mer, tels que les pêcheurs qui signalent des activités suspectes, peuvent grandement contribuer à <a href="https://www.safeseas.net/themes/mda/">améliorer la sensibilisation générale</a>.</p>
<p>Cela peut contribuer à des réponses rapides et peut également avoir un effet dissuasif. L’échange d’informations entre États et entre les puissances publiques et les industriels est primordial. L’OTAN, l’UE, le Royaume-Uni et la Norvège doivent travailler en étroite collaboration, car aucun d’entre eux ne peut se charger seul de la sécurité des mers nordiques. Il est nécessaire de rassembler différentes sources d’information afin d’identifier les déplacements de navires suspects.</p>
<h2>Importance d’une réparation rapide</h2>
<p>La question des réparations des infrastructures endommagées est un aspect souvent négligé. Pourtant, en cas de dégradation de ces infrastructures, il est essentiel de pouvoir réparer les dégâts le plus rapidement possible afin de revenir à la normale. De plus, s’il existe une capacité de réparation avérée dans la région, cela réduit la valeur stratégique – et donc la probabilité – d’une attaque.</p>
<p>Mais à l’heure actuelle, ces capacités de réparation essentielles, telles que les navires de réparation spécialisés et les dépôts de câbles, sont <a href="https://www.europarl.europa.eu/thinktank/en/document/EXPO_IDA(2022)702557">très limitées en Europe</a>.</p>
<p>De nouveaux modèles de collaboration entre les reponsables des politiques sécuritaires et les industriels sont nécessaires pour développer des capacités de réparation à la hauteur du danger. Il pourrait s’agir de partenariats public-privé qui exploiteraient des navires de réparation et seraient susceptibles de réagir rapidement et de façon adéquate en cas de crise. Cela présenterait le double avantage d’améliorer les capacités de réparation et, peut-être, en même temps, d’améliorer l’efficacité des infrastructures concernées, en réduisant les temps de réparation – en mer du Nord et ailleurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205081/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bueger a reçu des financements de la Fondation Velux pour effectuer des recherches sur les infrastructures maritimes.</span></em></p>Un navire russe aurait récemment recueilli des données sur les infrastructures énergétiques et de communication en mer du Nord et dans la mer Baltique.Christian Bueger, Professor of International Relations, University of CopenhagenLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2040942023-04-20T15:59:02Z2023-04-20T15:59:02ZLe Japon en passe de devenir une grande puissance militaire de l’Indo-Pacifique<p>L’organisation du <a href="https://www.g7hiroshima.go.jp/en/">G7 à Hiroshima</a> en mai prochain a vu le premier ministre japonais Fumio Kishida multiplier les initiatives diplomatiques depuis le début de l’année 2023 : tournée en Europe et aux États-Unis, sommet historique avec la Corée du Sud, <a href="https://theconversation.com/la-reaction-japonaise-a-linvasion-de-lukraine-179913">visite à Kiev</a>… Ces déplacements – où les questions de sécurité, et avant tout la guerre en Ukraine et le dossier de Taïwan tiennent une part significative – accompagnent une mutation notable de la posture stratégique globale de l’archipel.</p>
<p>En décembre 2022, le Japon a en effet publié deux nouveaux documents relatifs à sa défense, dont une <a href="https://www.mod.go.jp/j/approach/agenda/guideline/pdf/security_strategy_en.pdf">Stratégie de sécurité nationale</a> et une <a href="https://www.mod.go.jp/j/approach/agenda/guideline/strategy/pdf/strategy_en.pdf">Stratégie de défense nationale</a>.</p>
<p>Parmi les mesures annoncées, l’acquisition de moyens de « contre-attaque », c’est-à-dire la capacité de frapper des bases ennemies avec des missiles à longue portée, a été la plus commentée. Les <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2022/11/30/national/japan-buy-tomahawk-missiles/">États-Unis ont accepté de livrer des missiles de croisière Tomahawk</a> à Tokyo, un privilège jusqu’ici octroyé au seul Royaume-Uni. Washington cherche ainsi à accroître l’interopérabilité avec les Forces d’Autodéfense nippones (FAD) afin de renforcer la force de dissuasion de l’alliance dans un Indo-Pacifique sous tension.</p>
<h2>Une évolution stratégique remarquée</h2>
<p>Si la Chine et la Russie se sont empressées de dénoncer la <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2022/12/22/national/russia-on-jpn-defense-plan/">« militarisation débridée »</a> de l’archipel, on assiste en réalité, plus simplement, à une étape supplémentaire dans la normalisation de l’appareil de défense du pays.</p>
<p>Au demeurant, cela ne s’est pas fait sans à-coups. Il aura fallu attendre l’accumulation de menaces régionales résultant des premiers tirs balistiques puis nucléaires de la Corée du Nord en 1998 puis 2006 et de la crise montante autour des iles Senkaku avec la Chine depuis 2010 pour voir les cercles dirigeants nippons se montrer plus actifs dans la professionnalisation de leur outil militaire et l’acquisition de nouvelles capacités, notamment à travers le <a href="https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2011-1-page-129.htm">développement d’une défense antimissile avec l’aide des États-Unis</a>.</p>
<p>Ces derniers ont fortement encouragé et accompagné le Japon dans sa quête d’une posture stratégique plus affirmée à l’échelle régionale comme internationale. Tokyo a par ailleurs su s’adapter aux contraintes de sa <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/jp1946.htm">Constitution</a>, dont l’article 9 renonce à l’usage de la force dans les relations internationales et à l’entretien de forces armées, en soulignant le caractère défensif de sa démarche.</p>
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<p>Les documents publiés ces derniers jours indiquent que Tokyo ne craint plus de s’afficher comme un acteur stratégique majeur. L’archipel confirme ainsi son rôle de premier plan et son engagement aux côtés des États-Unis dans la défense d’un Indo-Pacifique libre et ouvert <a href="https://www.mofa.go.jp/policy/other/bluebook/2020/html/fr/tokushu04.html">(<em>Free and Open Indo-Pacific, FOIP</em>)</a> et au-delà, d’un ordre international libéral mis à mal par les comportements agressifs de la Chine et la Russie.</p>
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<p>L’augmentation envisagée du budget militaire nippon à 2 % du PIB sur cinq ans, contre 1 % actuellement, pourrait classer Tokyo parmi les cinq premiers acteurs de défense mondiaux, alors qu’il se situe actuellement au <a href="https://www.iiss.org/blogs/analysis/2022/02/military-balance-2022-further-assessments">8ᵉ rang, avec un buget militaire de 49,3 milliards de dollars</a>.</p>
<h2>L’exploitation de l’héritage stratégique de Shinzo Abe</h2>
<p>Shinzo Abe, ancien premier ministre (2006-2007 puis 2012-2020) <a href="https://theconversation.com/assassinat-de-shinzo-abe-quel-est-vraiment-le-poids-de-la-secte-moon-au-japon-187194">tragiquement assassiné en juillet 2022</a>, avait donné une impulsion significative au renforcement militaire de l’archipel en faisant adopter une nouvelle législation sur la sécurité nationale en 2015.</p>
<p>Désormais, les FAD peuvent faire usage de la force et porter secours à des pays amis, notamment les États-Unis, dans certaines situations mettant en jeu des intérêts nationaux vitaux (survie du Japon, menace sur les droits constitutionnels des Japonais) – et cela sans limites géographiques. Elles peuvent donc théoriquement intervenir partout.</p>
<p>Le renforcement des capacités militaires des FAD visait entre autres à donner de la substance à la promotion de ce fameux Indo-Pacifique libre et ouvert, un concept géopolitique <a href="https://www.project-syndicate.org/commentary/realizing-vision-of-free-and-open-indo-pacific-by-abe-shinzo-2022-09">dont Shinzo Abe a assuré avec conviction la promotion</a>. Il ralliera notamment à sa vision son homologue indien Narendra Modi dès 2015, puis Donald Trump en 2017.</p>
<p>Mettant en avant la connectivité stratégique existant entre les océans Indien et Pacifique, son approche suppose entre autres un accès libre pour l’ensemble de la communauté internationale aux mers d’Asie, à leurs principaux détroits et aux voies de navigation commerciales. Elle explique le rapprochement voulu par Abe avec les démocraties maritimes d’Asie – États-Unis, Inde et Australie – que l’expansion et l’agressivité des forces de la marine, des garde-côtes et des flottilles de pêche chinoises inquiètent.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-loi-chinoise-sur-les-garde-cotes-va-t-elle-provoquer-de-nouvelles-tensions-sur-les-mers-dasie-155417">La loi chinoise sur les garde-côtes va-t-elle provoquer de nouvelles tensions sur les mers d’Asie ?</a>
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<p>Ce rapprochement s’est incarné dans l’organisation du Dialogue quadrilatéral pour la sécurité (QUAD), un partenariat informel créé en 2004 et que Shinzo Abe a contribué à renforcer à partir de 2007 en y arrimant solidement l’Inde et l’Australie aux côtés des États-Unis. Depuis, <a href="https://theconversation.com/le-quad-pilier-de-la-strategie-indo-pacifique-de-ladministration-biden-158966">Joe Biden a fait du QUAD le cadre élargi d’une coopération multidimensionnelle</a> se posant comme une alternative aux Nouvelles Routes de la Soie chinoises.</p>
<h2>L’impact de la guerre en Ukraine</h2>
<p>Le choc créé par <a href="https://asia.nikkei.com/Politics/International-relations/Indo-Pacific/Transcript-Japan-PM-Kishida-s-speech-at-Shangri-La-Dialogue">l’invasion russe de l’Ukraine</a> a été l’un des éléments qui ont influencé la rédaction des nouveaux documents stratégiques du Japon.</p>
<p>Fumio Kishida a été parmi les premiers dirigeants asiatiques à se joindre aux pays occidentaux pour imposer des sanctions à la Russie, même si cette décision a <a href="https://www.nippon.com/fr/in-depth/a08105/">ruiné la poursuite des négociations</a> nippo-russes sur l’avenir des territoires du Nord (Kouriles pour la Russie), dont quatre îles restent disputées entre les deux pays depuis 1945.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1638470706865250305"}"></div></p>
<p>Le coup de force russe en Europe a <a href="https://theconversation.com/les-inquietantes-lecons-de-la-guerre-dukraine-pour-lavenir-de-ta-wan-185835">convaincu les cercles dirigeants japonais qu’une attaque de Taïwan par la Chine pouvait se produire</a> et que l’archipel ne pourrait rester à l’écart d’une crise dans le détroit.</p>
<p>Par ailleurs, le gouvernement japonais a mesuré combien le soutien de l’UE et de l’OTAN à l’Ukraine s’est accru dès lors que Kiev a montré sa résolution à se battre. Il en a déduit que la meilleure façon de s’assurer de l’appui des États-Unis et d’autres partenaires en cas de crise était de consentir un réel investissement dans sa propre défense.</p>
<p>C’est en ce sens qu’il faut comprendre la <a href="https://www.lopinion.fr/international/invite-a-madrid-tokyo-japon-attend-beaucoup-de-lotan-en-asie">présence de Kishida au sommet de l’OTAN</a> du 30 juin 2022 à Madrid, une première, ainsi que ses propos sur l’idée <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/06/29/le-japon-et-la-coree-du-sud-invites-du-sommet-de-l-otan-souhaitent-l-ouverture-de-l-alliance-a-l-asie_6132513_3210.html">que la sécurité de l’Europe et celle de l’Indo-Pacifique étaient liées</a>. L’augmentation envisagée du budget de défense japonais par la nouvelle stratégie correspond d’ailleurs à l’engagement des États membres de l’OTAN à consacrer 2 % de leur PIB aux dépenses militaires à horizon de 2024.</p>
<h2>Des changements de fond, mais une analyse géopolitique prudente</h2>
<p>Dans la nouvelle Stratégie de sécurité nationale, la perspective d’attaques de missiles contre le Japon est décrite comme une « menace palpable », d’où la nécessité pour le pays de se doter de moyens supérieurs à ses défenses existantes.</p>
<p>Ces éclaircissements renvoient à la réalité d’une forte dégradation de l’environnement proche du Japon : en août 2022, après la visite à Taïwan de la présidente de la Chambre des représentants des États-Unis, Nancy Pelosi, Pékin a procédé à des exercices militaires d’ampleur, lançant notamment des missiles balistiques dont <a href="https://www.japantimes.co.jp/news/2022/08/04/national/japan-china-missiles-eez/">cinq ont atterri dans la zone économique exclusive du Japon</a>. Cet épisode s’est ajouté aux multiples incursions maritimes et aériennes chinoises dans les eaux territoriales et l’espace aérien des îles Senkaku (Diaoyu pour la Chine), situées à quelque 410 km de l’archipel japonais d’Okinawa.</p>
<p>Le document constate que la diplomatie et les activités militaires de Pékin sont « très préoccupantes » et représentent un « défi stratégique majeur » sans précédent pour le Japon et la communauté internationale. Quant à la Russie, depuis la guerre en Ukraine, elle constitue une « forte préoccupation de sécurité ».</p>
<p>Il est souligné que la stratégie du Japon restera « défensive » et que les « contre-attaques » ne seront utilisées que dans certaines conditions limitées. Les frappes préemptives ne sont pas autorisées.</p>
<p>Enfin, face au développement de stratégies hybrides (ingérence politique, désinformation, propagande), le Japon entend améliorer ses capacités spatiales et ses moyens de lutte contre les cyberattaques et la guerre informationnelle. <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/cybersecurite-grand-bond-avant-japon-2023">La composante de cybersécurité passera à 4 000 personnes</a> d’ici à 2027, contre 800 actuellement, ce qui permettra au gouvernement de combler d’importantes lacunes.</p>
<h2>Vers un « JAUKUS » ?</h2>
<p>L’administration Biden a salué les annonces du Japon et les grandes lignes d’une Stratégie nationale de défense qui constitue un écho à <a href="https://www.whitehouse.gov/wp-content/uploads/2022/11/8-November-Combined-PDF-for-Upload.pdf">celle qu’elle vient elle-même de publier</a>.</p>
<p>Pour les États-Unis, engagés dans une compétition multidimensionnelle avec la Chine, il convient d’utiliser au mieux l’innovation, mais aussi la mise en réseau des capacités technologiques et opérationnelles disponibles. Le partenariat <a href="https://theconversation.com/aukus-la-france-grande-perdante-du-duel-americano-chinois-168786">AUKUS</a> signé en 2021 avec le Royaume-Uni et l’Australie, au-delà de la fourniture de sous-marins à propulsion nucléaire, implique ainsi des collaborations poussées dans des secteurs clés comme l’intelligence artificielle, le calcul quantique, l’hypersonique ou encore les capacités sous-marines autonomes.</p>
<p>Le Japon et les États-Unis coopèrent déjà étroitement en matière de technologie militaire. Les forces aériennes japonaises mettent en œuvre l’avion de combat F-35 et utilisent le système de défense antimissile Aegis, tous deux construits par l’entrepreneur américain Lockheed Martin. L’alliance avec les États-Unis est plus que jamais vitale pour Tokyo, dont la dépendance en matière de renseignement et de détection avancée est déjà forte dans le cadre de la défense antimissiles. Une dépendance qui devrait s’accroître avec l’acquisition de missiles Tomahawk, d’autant que Tokyo envisage d’en doter ses destroyers équipés du système antimissiles Aegis.</p>
<p>Au demeurant, les responsables japonais ne seraient pas hostiles à des partenariats élargis, voire à un <a href="https://www.aspistrategist.org.au/is-now-the-time-for-jaukus/">« JAUKUS »</a>. Alors que la compétition technologique avec la Chine s’intensifie, le Japon estime qu’il peut donner un avantage décisif à son grand allié américain au regard de sa maîtrise dans des secteurs de pointe comme l’intelligence artificielle, la robotique, les technologies quantiques ou les semi-conducteurs.</p>
<p>En octobre 2022, durant une visite remarquée à Canberra, Fumio Kishida a <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/22/face-a-la-montee-en-puissance-militaire-de-la-chine-le-japon-et-l-australie-signent-un-pacte-de-securite-historique_6146899_3210.html">renouvelé un ancien accord</a> portant notamment sur le partage de renseignements d’origine électronique avec l’Australie. La signature a relancé les supputations sur une <a href="https://www.csis.org/analysis/resolved-japan-ready-become-formal-member-five-eyes">possible adhésion du Japon à l’alliance de renseignement « Five Eyes</a> », qui rassemble les plus proches alliés des États-Unis : le Royaume-Uni, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada.</p>
<p>On l’aura compris : l’époque où le Japon était <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1981/07/11/tokyo-fait-la-sourde-oreille-aux-demandes-americaines-d-effort-militaire_2719940_1819218.html">« un géant économique mais un nain militaire »</a> est bel et bien révolue…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204094/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marianne Péron-Doise ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Face à la menace que la Chine fait peser sur la région indo-pacifique, le Japon abandonne sa posture prudente traditionnelle, réarme massivement et se range résolument dans le camp des États-Unis.Marianne Péron-Doise, Chercheur Asie du Nord et Sécurité maritime Internationale, chargé de cours Sécurité maritime, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2037822023-04-19T16:57:04Z2023-04-19T16:57:04ZLa Turquie, une puissance médiatrice entre la Russie et l’Ukraine ?<p>Au cours de ces dernières années, la politique étrangère conduite par la Turquie – en <a href="https://www.cairn.info/la-guerre-de-l-information-aura-t-elle-lieu--9782100759729-page-196.htm">Syrie</a>, en <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2021-HS3-page-70.htm">Libye</a> au <a href="https://theconversation.com/haut-karabagh-cessez-le-feu-sur-une-ligne-de-faille-geopolitique-149958">Haut-Karabakh</a> ou encore en <a href="https://theconversation.com/que-veut-la-turquie-en-mediterranee-orientale-147694">Méditerranée orientale</a> – a souvent été perçue par ses partenaires occidentaux traditionnels (États-Unis et UE) comme excessivement interventionniste, voire agressive. Les tensions étaient multiples entre Ankara d’un côté, Washington et les Européens de l’autre.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/tensions-entre-la-turquie-et-la-france-un-effet-miroir-149245">Tensions entre la Turquie et la France, un effet miroir ?</a>
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<p>Depuis février 2022, le conflit en Ukraine a rebattu les cartes. <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/13/guerre-en-ukraine-erdogan-se-pose-en-mediateur-aupres-de-poutine_6145659_3210.html">Se positionnant en tant que médiatrice</a> entre Kiev et Moscou, Ankara est redevenue un acteur incontournable sur la scène internationale.</p>
<p>Au même titre que la crise économique ou les <a href="https://theconversation.com/seisme-en-turquie-pourquoi-autant-de-degats-et-dimpuissance-203191">séismes du 6 février dernier</a>, l’activisme diplomatique turc pèsera sans doute sur les prochaines élections présidentielle et législatives, qui se tiendront le 14 mai et pourraient aboutir à la fin de l’ère Recep Tayyip Erdogan et de son parti AKP, entamée en 2002.</p>
<h2>Ankara-Moscou : vingt ans de rapprochement</h2>
<p>Alors que durant la guerre froide, la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2003-3-page-209.htm">Turquie et l’URSS avaient été des adversaires idéologiques</a>, Ankara a développé avec la Russie, au cours des vingt dernières années, un <a href="https://www.ifri.org/fr/publications/etudes-de-lifri/russieneireports/russia-and-turkey-strategic-partners-and-rivals">« partenariat stratégique » fondé sur une relation ambivalente</a> : coopération politique, économique et militaire renforcée d’un côté, rivalités régionales de l’autre (en Syrie, en Libye et au Haut-Karabakh, les deux parties ont soutenu, et soutiennent encore, des camps opposés).</p>
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<p>Le volume des échanges commerciaux <a href="https://data.tuik.gov.tr/">n’a cessé de croître depuis vingt ans</a> et la Turquie est aujourd’hui fortement dépendante de Moscou pour ses besoins énergétiques (la Russie est <a href="https://www.dailysabah.com/business/energy/turkeys-gas-imports-up-65-in-august-as-russia-top-supplier">son premier fournisseur de gaz</a>) et la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-chronique-d-anthony-bellanger/histoires-du-monde-du-mardi-17-mai-2022-5201337">société russe Rosatom est en train d’y construire une centrale nucléaire</a>. Le <a href="https://fr.euronews.com/2022/09/15/rebond-du-tourisme-en-turquie-les-touristes-russes-sont-nombreux-sur-les-rives-du-bosphore">tourisme en provenance de Russie</a>, estimé à plusieurs millions de visiteurs par an, représente aussi un apport de devises essentiel pour la Turquie.</p>
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<p>Dans le contexte de la dégradation des relations entre la Russie et les pays européens, ces échanges devraient sans doute se renforcer dans l’avenir, facilités par l’absence de visa pour voyager entre les deux pays et le maintien de liaisons aériennes directes entre la Turquie et la Russie malgré les sanctions européennes.</p>
<p>De plus, de nombreux entrepreneurs russes utilisent la Turquie pour acheter des marchandises européennes en contournant les sanctions occidentales, ce qui conduit certains à considérer la Turquie comme le <a href="https://www.courrierinternational.com/article/le-chiffre-du-jour-la-turquie-cheval-de-troie-des-sanctions-contre-la-russie">« cheval de Troie » des sanctions contre la Russie</a>.</p>
<p>Enfin, le rapprochement stratégique entre les deux pays s’est traduit par la mise en œuvre d’une coopération militaire dont témoigne <a href="https://www.frstrategie.org/publications/defense-et-industries/export-russe-systemes-anti-aeriens-s-400-intentions-strategiques-atouts-industriels-politiques-limites-2019">l’achat par Ankara en 2017 de systèmes de défense antiaérienne S-400</a> auprès de Moscou, ce qui a entraîné les protestations des alliés de la Turquie au sein de l’OTAN et l’adoption de sanctions par les États-Unis : en juillet 2019, l’administration Trump a exclu la participation de la Turquie du programme de construction de l’avion de chasse américain F-35. En décembre 2020, les <a href="https://www.france24.com/fr/am%C3%A9riques/20201214-les-%C3%A9tats-unis-sanctionnent-la-turquie-pour-l-achat-de-missiles-russes-s-400">États-Unis interdisent tout nouveau permis d’exportation d’armes</a> à l’agence gouvernementale turque en charge des achats d’armement. À terme, ces sanctions étatsuniennes pourraient conduire la Turquie à se rapprocher d’autres partenaires que ses alliés occidentaux.</p>
<h2>Ankara-Kiev : un partenariat militaire intense</h2>
<p>Parallèlement à cette <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2018-1-page-113.htm?ref=doi">proximité croissante avec la Russie</a>, la Turquie a développé depuis la disparition de l’URSS des relations économiques importantes avec l’Ukraine, les deux pays étant riverains de la mer Noire.</p>
<p>Ankara importe des céréales et des oléagineux depuis l’Ukraine, dont les touristes affluent tout au long de l’année sur les côtes turques (2 millions en 2021, en troisième position après la Russie et l’Allemagne). Le tourisme en provenance de Russie et Ukraine, qui représentait un quart du total en 2021, s’est <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/en-direct-du-monde/en-turquie-la-guerre-en-ukraine-gache-la-saison-touristique_4976706.html">brutalement arrêté à partir de février 2022</a>, malgré les efforts des autorités turques pour le relancer. Par ailleurs, la Turquie est devenue un <a href="https://data.unhcr.org/en/situations/ukraine">pays d’accueil pour de nombreux réfugiés ukrainiens ayant fui la guerre</a>, mais aussi pour de nombreux Russes qui fuient la répression dans leur pays, la mobilisation ou les effets des sanctions occidentales.</p>
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<p>Surtout, depuis l’affaiblissement de ses liens avec ses partenaires occidentaux, Ankara s’est tournée vers Kiev pour développer une coopération renforcée en matière d’industrie de défense et exporter sa production de drones. En mai 2016, un premier accord d’armement officiel acte la fourniture des drones turcs Bayraktar à l’Ukraine.</p>
<p>En août 2020, un accord bilatéral prévoit une coopération accrue entre les industries de défense turque et ukrainienne, avec la mise en place de projets communs en matière de production de navires de guerre, de drones et un échange de savoir-faire et d’équipements. En 2021, des marins militaires ukrainiens sont formés par la Turquie. Un accord est signé pour la production conjointe de drones en novembre 2021 et <a href="https://www.frstrategie.org/publications/notes/turquie-arbitre-guerre-ukraine-2022">l’ouverture d’une usine qui produira le drone turc TB2 Bayraktar SİHA en Ukraine est prévue pour fin 2023</a>.</p>
<p>Les drones turcs ont été <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/l-ukraine-utilise-des-drones-turcs-pour-frapper-les-s%C3%A9paratistes-dans-la-r%C3%A9gion-du-donbass/2404410">utilisés par l’Ukraine contre les séparatistes pro-russes du Donbass</a> pour la première fois en octobre 2021. Depuis le déclenchement de l’agression russe en 2022, ils ont été employés à de multiples reprises contre les colonnes blindées russes en Ukraine, et auraient aussi joué un rôle dans l’attaque du croiseur russe Moskva en avril 2022, suscitant <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/04/18/guerre-en-ukraine-les-drones-bayraktar-pomme-de-discorde-entre-ankara-et-moscou_6122641_3210.html">l’irritation de Vladimir Poutine</a>. </p>
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<p>Lors d’une visite du président Erdogan à Kiev début février 2022, les deux pays ont signé un accord de libre-échange qui favorise l’approfondissement de la coopération militaire et technologique bilatérale à travers la multiplication de projets de défense communs, incluant notamment des transferts de technologies. Au cours du premier trimestre 2022, les exportations d’armements turcs vers l’Ukraine ont été <a href="https://www.reuters.com/world/ukraines-defence-imports-turkey-jumped-30-fold-q1-turkish-data-2022-04-06/">multipliées par 30</a>. La Turquie bénéficie aussi, pour le développement de ses drones, du niveau technologique de l’Ukraine en matière de motorisation aérienne.</p>
<h2>Une posture de médiation</h2>
<p>La relation de dépendance de la Turquie à l’égard de la Russie, dont témoigne le <a href="https://www.mfa.gov.tr/relations-between-turkey-and-the-russian-federation.en.mfa">fort déséquilibre des échanges économiques et commerciaux entre les deux pays</a>, combinée à ses liens privilégiés avec l’Ukraine sur les plans économique et militaire, a conduit Ankara à ne pas prendre totalement parti pour l’un ou l’autre camp dans le conflit, et à tenter de jouer un rôle de médiation.</p>
<p>D’un côté, la Turquie a toujours exprimé sa solidarité à l’égard de l’Ukraine dans son conflit avec la Russie. Elle a condamné l’annexion de la Crimée en 2014 et <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/erdogan-reconnaitre-les-republiques-separatistes-pro-russes-est-inacceptable-20220222">n’a jamais reconnu les républiques autoproclamées</a> du Donbass. Elle a dénoncé l’agression russe contre l’Ukraine, appelé Moscou à retirer ses troupes et <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/03/03/guerre-en-ukraine-la-turquie-verrouille-ses-detroits-aux-navires-russes_6115976_3210.html">fermé les détroits de la mer Noire</a> au passage des navires de guerre russes. Mais, de l’autre côté, elle n’applique pas les sanctions européennes contre Moscou. C’est dans ce contexte qu’elle a proposé ses bons offices pour le règlement du conflit.</p>
<p>Depuis février 2022, trois rencontres ont été organisées entre les diplomaties russe et ukrainienne sur le territoire turc. Parallèlement, Recep Tayyip Erdogan est l’un des rares dirigeants mondiaux à pouvoir s’entretenir avec Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky, qu’il a tous deux rencontrés personnellement au cours de l’année 2022.</p>
<p>La Turquie a également joué un rôle décisif en signant en juillet 2022 <a href="https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/cereales-ukrainiennes-les-enjeux-de-l-accord-entre-l-ukraine-la-russie-et-la-turquie-1658494066">l’accord céréalier</a>, ukraino-russe sous l’égide de l’ONU, qui a permis à près de 25 millions de tonnes de céréales ukrainiennes d’être exportées en sortant du blocus imposé à l’Ukraine et d’atteindre leur destination au Moyen-Orient et Afrique pour éviter une crise alimentaire mondiale. En mars 2023, la Turquie et l’ONU ont annoncé la <a href="https://www.liberation.fr/international/europe/extension-de-120-jours-de-laccord-sur-les-cereales-ukrainiennes-20230318_DDEISXC43RF2HHB34D42RJRAJA/">prolongation de l’accord international sur l’exportation des céréales ukrainiennes</a>. </p>
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<img alt="Recep Tayyip Erdogan serre la main du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres sous les yeux de Volodymyr Zelensky" src="https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521316/original/file-20230417-16-9ekbcz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Recep Tayyip Erdogan serre la main du secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres devant Volodymyr Zelensky à Lviv (Ukraine), le 18 août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Mykola Tys/Shutterstock</span></span>
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<p><a href="https://www.liberation.fr/international/turquie-la-crise-ukrainienne-est-une-opportunite-historique-pour-erdogan-de-montrer-son-importance-20220608_KKIQYMHA3JGPZFTVGH7PYXBHGE/">Certains observateurs</a> ont interprété cette posture comme une opportunité, pour la Turquie, de redynamiser sa politique étrangère, confrontée à de multiples errements et échecs au cours des dernières années dans la région. </p>
<h2>Quelles conséquences sur les relations avec les alliés de la Turquie ?</h2>
<p>Au plus bas à cause des facteurs cités plus haut, les relations entre Ankara et l’Occident se sont dernièrement réchauffées, les Occidentaux appréciant l’intérêt que présente la posture d’intermédiaire entre Moscou et Kiev qu’a adoptée la Turquie et, bien sûr, sa position stratégique, qui fait d’elle la gardienne des détroits de la mer Noire. Aux yeux des partenaires occidentaux, la Turquie retrouve une valeur stratégique qu’elle semblait avoir perdue.</p>
<p>En outre, face à la menace plus sensible que jamais posée par la Russie, la Finlande et la Suède, traditionnellement neutres, ont décidé de rejoindre l’OTAN. La Turquie, membre de l’Alliance, est incontournable dans le processus d’adhésion des deux nouveaux pays candidats en raison de l’unanimité requise des pays membres de l’organisation.</p>
<p>Si la <a href="https://theconversation.com/finlande-une-nouvelle-ere-203576">Finlande a été admise en mars 2023</a>, la Suède voit pour l’instant son adhésion bloquée par la Turquie (ainsi que la Hongrie). Les autorités turques <a href="https://fr.euronews.com/2023/01/21/adhesion-a-lotan-la-turquie-annule-une-visite-du-ministre-suedois-de-la-defense-a-ankara">reprochent à la Suède d’héberger des militants kurdes</a> qu’elle considère comme des terroristes, et réclame leur extradition. Plusieurs <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20230124-otan-nouvel-incident-diplomatique-entre-la-turquie-et-la-su%C3%A8de-apr%C3%A8s-une-manifestation">incidents diplomatiques</a> ont également dégradé les relations entre les deux pays, malgré de nombreux contacts au plus haut niveau et un <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/organismes-internationaux/otan/la-turquie-donne-son-accord-pour-soutenir-l-entree-de-la-suede-et-de-la-finlande-dans-l-otan-580f39f2-f713-11ec-8d9e-ebb0bb3f5c46#">mémorandum d’accord</a> levant le blocage d’Ankara à la candidature de Stockholm (et de Helsinki) signé en juin 2022.</p>
<h2>Et après le 14 mai ?</h2>
<p>Le conflit russo-ukrainien offre ainsi à la Turquie un levier qu’elle peut utiliser aussi bien envers la Russie pour affaiblir son influence en mer Noire par une coopération renforcée avec l’Ukraine qu’envers ses partenaires occidentaux, afin de leur rappeler qu’elle demeure un allié utile dans ce conflit en sa qualité de puissance régionale médiatrice, puisqu’elle est le seul pays membre de l’OTAN à dialoguer avec les deux belligérants.</p>
<p>L’inconnue demeure l’évolution de la politique étrangère turque après les élections du 14 mai 2023. En cas de victoire de l’opposition, une inflexion dans le discours des autorités turques pourrait être envisageable. La « table des six », qui réunit six partis d’opposition autour de son candidat unique Kemal Kiliçdaroglu, a promis le retour à une diplomatie institutionnalisée et une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/03/elections-en-turquie-les-dirigeants-europeens-doivent-se-preparer-a-l-eventualite-d-une-alternance-au-sommet-de-l-etat-turc_6168028_3232.html">normalisation des rapports avec l’OTAN</a>. Dans la pratique, en revanche, une certaine continuité des orientations de la politique étrangère d’Ankara semble toutefois probable sur plusieurs enjeux (question chypriote, relations avec la Russie), en raison de la position géopolitique de la Turquie et de ses liens de dépendance avec ses voisins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203782/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La Turquie de Recep Tayyip Erdogan cherche à jouer les médiateurs dans le conflit russo-ukrainien, retrouvant ainsi une place centrale dans la géopolitique régionale, voire mondiale.Nicolas Monceau, Maître de conférences en science politique, Université de BordeauxBayram Balci, Chercheur au CERI-Sciences Po, ancien directeur de l'Institut français d'études anatoliennes-Georges Dumézil d'Istanbul, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2039422023-04-18T15:36:34Z2023-04-18T15:36:34Z« Nixon in China » : quand la géopolitique s’invite sur une scène d’opéra<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/521623/original/file-20230418-21-ztxs92.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C35%2C5973%2C3961&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le couple Nixon, invité en Chine en 1972, ici mis en scène par Valentina Carrasco.</span> <span class="attribution"><span class="source">Elena Bauer / ONP</span></span></figcaption></figure><p>L’opéra <em>Nixon in China</em> (1987), œuvre majeure de la fin du XX<sup>e</sup> siècle, est entré tout récemment au répertoire de l’Opéra national de Paris. Drame historique et politique en trois actes, l’œuvre de John Adams est composée sur un livret d’Alice Goodman, et mise en scène dans cette version par Valentina Carrasco.</p>
<p>Son intrigue repose sur un <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-opera_et_geopolitique_l_art_lyrique_entre_rayonnement_artistique_et_enjeux_politiques_matthieu_wagner-9782343236803-71526.html">événement emblématique des mutations géopolitiques</a> de la fin du XX<sup>e</sup> siècle : la visite de Richard Nixon en Chine en février 1972.</p>
<h2>Mettre en musique l’histoire récente</h2>
<p>À la lumière des tensions croissantes des relations sino-américaines et de la <a href="https://theconversation.com/macron-a-pekin-les-europeens-peuvent-ils-freiner-le-rapprochement-sino-russe-201980">visite récente</a> d’Emmanuel Macron et d’Ursula Von Der Leyen à Xi Jinping, cette production est une occasion de convoquer les grandes questions internationales du XX<sup>e</sup> et du XXI<sup>e</sup> siècles sous l’angle de l’opéra et du chant lyrique.</p>
<p>Non que la représentation de la politique à l’opéra soit une nouveauté : il est admis que le <a href="https://www.rtbf.be/article/nabucco-lopera-qui-a-marque-lhistoire-de-verdi-et-de-litalie-10950414"><em>Nabucco</em></a> (1842) de Verdi illustre et même engendre les prémices de l’unité italienne, de même que la dernière phase de l’expansion de l’Empire russe au XIX<sup>e</sup> siècle trouve sa voix, dans les appartements du Kremlin, dans la célèbre leçon de géographie de Fiodor dans le <em>Boris Godounov</em> (1869) de Moussorgski.</p>
<p>Mais dans ces deux cas, comme dans beaucoup d’autres opéras, la transposition dans d’autres époques et d’autres lieux induit une distance temporelle considérable entre l’époque de la composition et l’univers de l’opéra. L’histoire y a donc essentiellement un statut métaphorique alors même que la musique produit à chaque représentation un effet inverse d’immédiateté. Trépidation rythmique, pics d’intensité, hardiesses harmoniques et chant lyrique agissent sur les émotions et le corps du spectateur éprouvé dans l’époque et dans l’instant même de la performance.</p>
<p>Si l’opéra peut déclencher des passions politiques, la politique elle-même n’est-elle pas une forme d’opéra ? Fondé sur les temps forts du voyage de Nixon à Pékin en février 1972 au cours duquel le président américain, accompagné de son épouse et du conseiller Henry Kissinger – <a href="https://www.lemonde.fr/livres/article/2012/03/20/de-la-chine-d-henry-kissinger-la-chine-de-kissinger_1672096_3260.html">architecte de cette visite historique</a> – rencontre les hauts dignitaires du régime communiste chinois, <em>Nixon in China</em> répond à cette question.</p>
<p>Cet opéra a pour originalité de présenter à l’époque de sa composition un argument tiré de l’histoire récente, voire de l’histoire immédiate. L’idée d’un opéra consacré à la visite de Nixon en Chine aurait germé dans l’esprit de Peter Sellars après sa lecture des <em>Mémoires</em> de Henry Kissinger. À cette époque, Sellars songeait également à concevoir sa propre version d’un ballet communiste chinois.</p>
<p>Ce fut <em>Nixon in China</em>, né de sa collaboration avec John Adams et Alice Goodman, tous trois issus de Harvard, une œuvre qui fait finalement écho aux mêmes critères de modernité thématique et musicale que les <a href="https://www.nytimes.com/2006/03/29/movies/yang-ban-xi-a-documentary-on-chinese-operas-as-propaganda.html"><em>yangbanxi</em></a>, les « œuvres modèles de la scène », opéras conçus pendant la Révolution culturelle et promus par Jiang Qing, la dernière épouse de Mao Zedong.</p>
<p>Dans le second acte de <em>Nixon in China</em>, le président américain et son épouse, la dévouée Pat, assistent aux côtés de Jiang Qing à une représentation du fameux ballet <em>Le Détachement Féminin Rouge</em> dont l’histoire célèbre l’héroïsme d’un régiment de femmes à l’époque de la guerre civile, dans les années 1930, dans l’île de Hainan – ballet auquel ils ont effectivement assisté.</p>
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<p>Cette mise en abyme – la représentation d’un ballet chinois à thème contemporain dans un opéra américain – montre la réussite du pari initial de Peter Sellars : <em>Nixon in China</em> répond effectivement aux mêmes critères de contemporanéité qu’un ballet communiste chinois. Mais s’il s’agit de s’emparer d’un sujet contemporain et qui plus est, de le traiter sur un mode réaliste et même documentaire, <em>Nixon in China</em> ne se réduit pas à ce que ses détracteurs ont appelé à l’époque de sa création un « CNN opéra ».</p>
<h2>Une semaine qui a changé le monde ?</h2>
<p>Lors de sa création sur la scène de l’opéra de Houston en octobre 1987, Peter Sellars n’avait pas lésiné sur les moyens : les époux Nixon et Kissinger sortaient de l’avion présidentiel reconstitué sur scène, le <em>Spirit of ‘76</em> – qui n’est rien d’autre que Air Force One – dont le nom rappelle l’esprit de la Déclaration d’Indépendance des États-Unis.</p>
<p>Tout un symbole que Valentina Carrasco, née à Buenos Aires, n’a pas voulu reprendre à la lettre : dans la mise en scène de l’opéra Bastille, un autre emblème de l’Amérique, un terrifiant aigle de métal aux yeux rouges, se pose sur le tarmac de l’aéroport de Pékin. Il faut se souvenir que le 21 février 1972, la poignée de main entre Mao et Nixon a eu à l’époque un retentissement historique presque aussi grand que le premier pas de Neil Armstrong sur la lune trois ans plus tôt.</p>
<p>Au terme de cette <a href="https://asialyst.com/fr/2022/02/21/50-ans-apres-visite-nixon-chine-laisse-gout-amer/">semaine de voyage officiel en Chine</a>, Nixon avait porté un toast en déclarant : « nous avons été ici une semaine. Une semaine qui a changé le monde ». Alors que la guerre du Viet Nam battait son plein et que l’anticommunisme américain voyait dans le schisme sino-soviétique une opportunité diplomatique, la visite de Nixon en Chine contribua-t-elle réellement à la détente ?</p>
<p>Le texte d’Alice Goodman habilement construit sur une succession de scènes décrivant le faste des réceptions officielles et des moments intimistes de solitude et de doute, renvoie les deux protagonistes dos à dos.</p>
<p>Lorsque Nixon, par la voix du baryton Thomas Hampson, chante « Joignons nos mains, faisons la paix, pour une fois/L’histoire est notre mère », un Mao incarné par le ténor John Matthew Myers, lui répond : « L’histoire est une sale truie/Si par chance nous échappons à son groin/Elle nous écrase ».</p>
<p>Le président américain tente de le ramener à des considérations géopolitiques plus concrètes : « Parlons à présent de Taïwan/Du Vietnam et des problèmes de là-bas, du Japon… ».</p>
<p>On ne peut que constater, à l’aune de l’actualité récente, l’étonnant continuo des questions internationales évoquées dans <em>Nixon in China</em>, un des airs principaux revenant à Pat Nixon, incarnée par Renée Fleming, soprano lyrique américaine au statut de star internationale.</p>
<p>En manteau rouge, elle joue à cache-cache et sympathise avec le dragon chinois. Préfigurant la fameuse « fin de l’histoire » théorisée par Francis Fukuyama après la chute de l’Union soviétique en 1991, l’air de Pat Nixon, « This is Prophetic » débute ainsi : « Voici la prophétie ! Je vois/Qu’un temps va venir où le luxe/Se dissoudra dans l’atmosphère/Comme un parfum, où de toutes parts/Les vertus les plus simples prendront racine/Et donneront des branches,/Des feuilles et des fleurs ».</p>
<p>L’éloquence des personnages portée par les vers d’Alice Goodman est renforcée par la musique de John Adams, un compositeur minimaliste de la seconde génération inspiré par Philip Glass, Steve Reich et Terry Riley. Consonante et répétitive, caractérisée par un certain statisme harmonique créant chez l’auditeur un sentiment d’attente, la musique se colore de rythmes syncopés et des interventions éclatantes des cuivres. Sur ce riche tapis orchestral, les parties vocales se déploient en phrases mélodiques tour à tour déclamatoires, introspectives ou virtuoses. L’air de Jiang Qing, la femme de Mao <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2012/02/25/une-chanteuse-future-premiere-dame-de-chine_4326993_1819218.html">qui était elle-même actrice et chanteuse</a>, est chanté par Kathleen Kim. Il s’agit d’un morceau de bravoure réservé à une soprano colorature à la manière de la Reine de la Nuit.</p>
<p>Notons que Peng Liyuan, l’épouse de Xi Jingping, est une soprano reconnue en Chine : en 1980, jeune soldate de l’Armée populaire de libération, elle est remarquée pour son talent vocal et se produit dans des spectacles pour soutenir le moral des troupes ; elle deviendra ensuite une artiste très populaire.</p>
<h2>De la diplomatie du ping-pong à la Révolution culturelle</h2>
<p>Valentina Carrasco a voulu, pour cette première production à l’Opéra national de Paris, traiter le fait historique de la visite de Nixon en Chine d’un point de vue métaphorique. Elle a en tous cas, cherché à se démarquer de la mise en scène « réaliste » qui avait été celle de la création de l’œuvre à l’opéra de Houston.</p>
<p>À la base même de toute sa mise en scène, la diplomatie du ping-pong : en 1971, au cœur de la guerre froide, alors que les relations entre la Chine et les États-Unis étaient au point mort, les équipes nationales chinoises et américaines de tennis de table avaient participé au Japon aux Championnats du monde. Alors que toute relation entre sportifs chinois et américains était interdite, des échanges amicaux eurent tout de même lieu, incitant finalement les autorités chinoises à convier les sportifs américains en Chine.</p>
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<p>Ainsi, le sport aurait joué un rôle de médiation diplomatique et permis l’invitation reçue, quelques mois plus tard, par Richard Nixon. La metteuse en scène est donc partie de l’idée intuitive d’une table de ping-pong, « une belle image pour symboliser le jeu politique : deux espaces s’affrontent où les joueurs se renvoient la responsabilité. Le ping-pong est aussi très percussif, comme la musique de John Adams. Plusieurs pages de la partition évoquent le va-et-vient rythmique d’une balle. C’est aussi un sport très chorégraphique ; ce qui est intéressant pour cette œuvre où les scènes de chœur sont nombreuses », confie la metteuse en scène. Au chœur reviennent en effet, des <a href="https://youtu.be/_RSP1HH0CPg">parties très brillantes de l’œuvre</a>, composées selon une écriture verticale, non contrapuntique, les chœurs chantant d’une seule voix à l’image de la foule endoctrinée.</p>
<p>On peut être moins convaincu par l’usage un peu trop didactique d’extraits documentaires à propos de la guerre du Viet Nam et des horreurs de la révolution culturelle (1966-1976). À l’acte I, la surélévation du plateau au moment de la rencontre de Nixon et de Kissinger permet de saisir les dessous de la rencontre officielle.</p>
<p>Dans le bureau de Mao Zedong, les protagonistes échangent des considérations philosophico-politiques tandis que dans les entrailles de la scène transformées en sinistres geôles, des gardes rouges procèdent à un autodafé continuel précipitant dans un four rougeoyant, livres et instruments interdits, notamment un violon, référence à un extrait du documentaire de Murray Lerner <em>De Mao à Mozart</em> (1981)_ <a href="https://www.youtube.com/watch?v=SlDJ2aE7iGs">projeté ensuite</a>. Une manière sans doute un peu trop appuyée de rappeler que la révolution culturelle avait <a href="https://theconversation.com/chine-la-musique-objet-hautement-politique-161784">totalement proscrit la pratique de la musique occidentale</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/manhattan-science-en-fiction-75523">« Manhattan », science (en) fiction</a>
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<p>Devenu classique, ce premier opéra de John Adams a été suivi par d’autres œuvres inspirées de l’histoire du second XX<sup>e</sup> siècle comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=FtnXSra0ZYQ"><em>The Death of Klinghoffer</em></a> (1991) à propos de la prise d’otages de l’<em>Achille Lauro</em> sur un livret d’Alice Goodman ou encore <a href="https://www.youtube.com/watch?v=PKvKHl9qskk"><em>Doctor Atomic</em></a> (2005) évoquant Robert Oppenheimer et le projet Manhattan sur un livret de Peter Sellars.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203942/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Taline Ter Minassian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Fondé sur les temps forts du voyage de Nixon à Pékin en 1972, cet opéra mis en scène par Valentina Tarrasco expose des enjeux de politique internationale qui font écho à l’époque contemporaine.Taline Ter Minassian, Historienne, professeure des universités. Directrice de l'Observatoire des États post-soviétiques (équipe CREE), Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2035762023-04-12T21:48:25Z2023-04-12T21:48:25ZFinlande : une nouvelle ère ?<p>L’année qui vient de s’écouler a propulsé la Finlande à une place qu’elle évite d’ordinaire : l’avant-scène de la politique européenne.</p>
<p>En quelques jours, du 2 au 4 avril 2023, la République nordique est sortie de sa discrétion coutumière : lors des élections législatives, elle a <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/04/03/legislatives-en-finlande-les-conservateurs-l-emportent-apres-une-campagne-dominee-par-l-economie_6168006_3210.html">changé de majorité au Parlement</a> et remplacé au poste de premier ministre la sociale-démocrate Sanna Marin, au pouvoir depuis fin 2019 à la tête d’une coalition de centre gauche, par le conservateur Petteri Orpo, chef du parti de droite Coalition nationale.</p>
<p>Le surlendemain, la Finlande a <a href="https://www.lemonde.fr/international/video/2023/04/05/otan-pourquoi-l-integration-de-la-finlande-est-elle-un-fait-historique_6168366_3210.html">officiellement rejoint l’OTAN</a>, devenant ainsi le 31<sup>e</sup> membre de l’Alliance et aussi celui qui possède, de loin, la plus longue frontière commune avec la Russie (1 340 km), ce qui, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conflit-russo-ukrainien-117340">dans le contexte actuel</a> constitue un enjeu majeur pour la protection des frontières externes de l’UE et de l’Alliance : la <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-65173043">zone de contact OTAN-Russie double en longueur</a>, passant de 6 % à 12 % des frontières de la Russie.</p>
<p>La double décision de tourner la page du gouvernement Sanna Marin, très visible en Europe depuis le début de l’invasion de l’Ukraine et, surtout, de <a href="https://theconversation.com/candidature-de-la-finlande-et-de-la-suede-a-lotan-rester-neutre-nest-plus-possible-en-europe-183147/">rompre avec 75 ans de neutralité</a> a placé ce pays de 5,2 millions d’habitants au centre de l’attention internationale.</p>
<p>Après une année 2022 très intense, 2023 sera-t-elle celle d’un tournant historique, qui fera d’Helsinki un centre de gravité politique et stratégique pour l’UE et l’OTAN ? La Finlande cherchera-t-elle à peser davantage en Europe ou bien reviendra-t-elle à une politique nationale plus introvertie ?</p>
<h2>L’entrée dans l’OTAN, une rupture géopolitique majeure</h2>
<p>La primature de la trentenaire Sanna Marin a connu une dernière phase très active et très médiatisée en Europe.</p>
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<p>Dès l’hiver 2021, elle a adopté une posture extrêmement ferme à l’égard de la Russie, se plaçant à l’avant-garde stratégique de l’UE aux côtés des États baltes (en <a href="https://theconversation.com/lombre-de-la-guerre-en-ukraine-sur-les-legislatives-en-estonie-203102">particulier l’Estonie de Kaja Kallas</a>) et de la Pologne de Mateusz Moraviecki.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guerre-en-ukraine-de-leurope-en-miettes-a-leurope-en-blocs-179392">Guerre en Ukraine : de l’Europe en miettes à l’Europe en blocs ?</a>
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<p>La position du gouvernement Marin n’a pas manqué de panache : le pays, on l’a dit, partage une très longue frontière terrestre avec son puissant voisin ; il est confronté depuis une décennie à des <a href="https://fr.euronews.com/2022/05/04/l-espace-aerien-de-la-finlande-viole-par-un-helicoptere-russe">incursions russes</a> dans ses espaces aérien, terrestre, maritime et cyber ; ses eaux territoriales se trouvent à proximité immédiate de la <a href="https://syria.mil.ru/fr/index/syria/news.htm?id=4790@egClassification&ra=egNews">Flotte de la mer Baltique</a>, basée à Kronstadt et Saint-Pétersbourg ; et, surtout, en entrant dans l’OTAN, la Finlande sort de sept décennies et demie marquées par la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/02/02/crise-ukrainienne-l-hypothese-de-la-finlandisation-ou-la-neutralite-obligee_6111937_3232.html">« finlandisation »</a> (<em>horresco referens</em> à Helsinki), cette politique de neutralité que <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/858">lui avait imposée l’URSS en 1948</a>, quatre ans après sa défaite dans la <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/guerres-traces-m%C3%A9moires/fronts-de-guerre/la-%C2%AB%C2%A0guerre-de-continuation%C2%A0%C2%BB-sovi%C3%A9to-finlandaise-25-juin-1941-19-septembre-1944">Guerre de continuation</a> qui l’avait privée d’une de ses régions historiques, la Carélie, annexée par l’URSS et appartenant aujourd’hui à la Russie.</p>
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<figcaption><span class="caption">La Finlande devient le 31ᵉ membre de l’OTAN • France 24, 7 avril 2023.</span></figcaption>
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<p>L’adhésion à l’OTAN constitue une rupture majeure pour le pays : le voici désormais protégé par <a href="https://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_110496.htm">l’Article 5</a>, dit d’assistance mutuelle, du Traité de l’Atlantique nord, et engagé dans un processus de remilitarisation significatif.</p>
<p>Il entend <a href="https://www.tf1info.fr/international/la-finlande-entame-la-construction-de-son-mur-a-la-frontiere-avec-la-russie-2249584.html">se séparer physiquement de la Russie par un mur dans la partie la plus vulnérable de sa frontière</a>. Ce mur a une portée politique et symbolique tout autant que militaire. En effet, la Finlande redoute de subir une instrumentalisation des migrants semblable à <a href="https://theconversation.com/crise-migratoire-entre-la-bielorussie-et-lue-tragique-geopolitique-171885">celle mise en œuvre en 2021 par la Biélorussie pour faire pression sur la Pologne</a>. Elle entend également marquer aux yeux de Moscou l’inviolabilité physique de cette frontière pour éviter les <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2013/09/27/01003-20130927ARTFIG00550-moscou-poursuit-son-grignotage-en-georgie.php">« grignotages territoriaux »</a> que l’on constate en Géorgie depuis 2008. L’intérêt strictement militaire du mur est plus limité : la progression de troupes russes serait ralentie mais pas stoppée.</p>
<h2>En quatre ans, une évolution rapide sous l’effet de la guerre en Ukraine</h2>
<p>La rupture extérieure s’appuie sur une évolution politique intérieure.</p>
<p>Qu’on mesure le contraste entre la Finlande de 2019 et celle de 2023 : la campagne électorale des législatives du 14 avril 2019 avait été centrée sur des problématiques internes, comme la réforme du système de santé, la lutte contre le chômage et les controverses sur le multiculturalisme nourries par le nationaliste <a href="https://www.euractiv.fr/section/politique/news/le-parti-des-finlandais-rejoint-le-groupe-des-conservateurs-et-reformistes-europeens/">Parti des Finlandais</a>. Et la présidence finlandaise de l’UE (second semestre 2019) avait placé au premier plan la transparence des institutions européennes et la protection du climat, sous l’égide du très consensuel slogan « Europe durable – avenir durable ».</p>
<p>Le contraste est saisissant quatre ans plus tard : la Finlande de 2023 s’est affirmée comme l’un des acteurs majeurs de la réponse européenne à l’agression russe contre l’Ukraine. Elle a transféré à cette dernière pour <a href="https://um.fi/finland-s-support-to-ukraine">760 M€ d’équipements militaires</a> et a constamment milité pour l’adoption de sanctions plus dures contre la Russie. Ses entreprises, longtemps en symbiose avec le voisin russe, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/04/01/les-entreprises-finlandaises-font-une-croix-sur-la-russie_6167866_3234.html">se désengagent</a>. Alors que la candidature du pays à l’OTAN avait longtemps divisé les Finlandais, l’agression de l’Ukraine par la Russie a rallié une large majorité d’habitants à cette option. Si bien que, durant la campagne, les débats sur la Russie, l’Ukraine et l’OTAN ont eu un impact limité car un consensus transpartisan <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-65141461">s’est instauré sur ces sujets</a>. Même le Parti des Finlandais, hostile à une adhésion à l’OTAN depuis sa création, s’est rallié à l’atlantisme.</p>
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<img alt="Sanna Marin et Volodymyr Zelensky" src="https://images.theconversation.com/files/520242/original/file-20230411-24-ipda9s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/520242/original/file-20230411-24-ipda9s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/520242/original/file-20230411-24-ipda9s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/520242/original/file-20230411-24-ipda9s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/520242/original/file-20230411-24-ipda9s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/520242/original/file-20230411-24-ipda9s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/520242/original/file-20230411-24-ipda9s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La première ministre finlandaise Sanna Marin s’était rendue à Kiev en mars dernier, pour assurer Volodymyr Zelensky du soutien. Sa défaite au législatives et son remplacement par Petteri Orpo ne devraient pas d’avoir d’impact sur l’appui de la Finlande à l’Ukraine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">photowalking/Shutterstock</span></span>
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<p>C’est dans ce contexte que les électeurs ont rétrogradé les Sociaux-Démocrates à la troisième place en sièges au Parlement (43 sièges) tout en leur confiant 3 sièges de plus que lors de l’élection législative de 2019, derrière les conservateurs (48 sièges, soit un gain de 10 sièges) et derrière le Parti des Finlandais (46 sièges, soit un gain de 7 sièges).</p>
<p>La défaite de Sanna Marin est à relativiser dans sa portée géopolitique : les Finlandais n’ont pas rejeté la ligne atlantiste de son gouvernement, partagée par son successeur Petteri Orpo, qui doit plutôt sa victoire au <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/apr/04/why-did-sanna-marin-lose-finland-election">scepticisme de la population sur les ambitieux projets d’investissements publics</a> du gouvernement sortant.</p>
<p>À l’issue d’une année de guerre en Ukraine et de campagne électorale, la Finlande n’est plus un nain politique condamné à la discrétion par sa position géographique. Elle a diffusé sa vision de la géopolitique européenne en affirmant que la neutralité avait cessé d’être une assurance-vie pour <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/may/18/finland-sweden-nato-russia-vladimir-putin-ukraine">devenir une vulnérabilité</a>. Est-ce à dire que l’Union doit désormais se préparer à l’émergence d’un nouveau poids lourd politique en son sein ? Pas nécessairement. En réalité, bien des signes laissent penser qu’un « retour à la normale » – c’est-à-dire à une posture plus discrète – s’annonce à Helsinki.</p>
<h2>Vers un « retour à la normale » ?</h2>
<p>Sur le plan international, après la procédure d’adhésion à l’OTAN, marquée par <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/otan/la-turquie-approuve-l-adhesion-de-la-finlande-a-l-otan_5742569.html">d’âpres négociations avec la Turquie</a>, dernier pays de l’Alliance à donner son feu vert à l’adhésion d’Helsinki, la Finlande va tout faire pour montrer qu’elle reprend le fil de sa doctrine de sécurité nationale traditionnelle.</p>
<p>Adhérente depuis 1994 au <a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_50349.htm">Partenariat Pour la Paix</a> lancé par l’OTAN, elle a participé chaque année depuis cette date à des exercices militaires avec les Alliés en Baltique (<a href="https://www.nato.int/cps/fr/natohq/news_196240.htm">BALTOPS</a>). Son effort de défense – c’est-à-dire le rapport entre son budget militaire et le PIB – <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/la-finlande-va-augmenter-de-40-son-budget-de-la-defense-d-ici-2026-20220406">va assurément croître</a> ; mais la Finlande rappelle régulièrement qu’elle n’a jamais désarmé pour engranger les « dividendes de la paix » : même avant d’intégrer l’OTAN, elle avait conservé des effectifs consistants et <a href="https://www.lesechos.fr/industrie-services/air-defense/la-finlande-prefere-le-f-35-au-rafale-et-passe-une-commande-de-8-milliards-deuros-1371680">effectué des acquisitions militaires ambitieuses</a>, entretenant également une Base industrielle et technologique de défense (BITD) dotée de fleurons tels que <a href="https://www.patriagroup.com/">Patria</a>.</p>
<p>Autrement dit, par son entrée dans l’OTAN, elle rompt avec une « finlandisation » qu’elle a toujours récusée… mais elle adoptera, au sein de l’Alliance, un profil bas, soulignant la continuité entre le Partenariat pour la paix et l’adhésion pleine et entière à l’Alliance, de façon à ne pas attiser la <a href="https://www.ledevoir.com/monde/787894/la-russie-promet-des-contre-mesures-apres-l-adhesion-de-la-finlande-a-l-otan">réaction russe</a>. Celle-ci ne s’est pas fait attendre : Moscou a déclaré qu’elle <a href="https://www.lepoint.fr/monde/adhesion-de-la-finlande-a-l-otan-la-russie-va-renforcer-ses-capacites-militaires-03-04-2023-2514740_24.php">accentuerait son effort militaire dans la zone de contact avec la Finlande</a> et souligné que la Finlande devait d’attendre à supporter les conséquences de son choix.</p>
<p>La ligne pro-ukrainienne de Sanna Marin ne sera pas remise en cause, mais Petteri Orpo <a href="https://www.politico.eu/article/finland-elections-petteri-orpo-sanna-marin-mr-dependable-finlands-election-winner/">se concentrera avant tout sur les questions intérieures</a>. La formation du nouveau gouvernement <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-04-04/finnish-election-winner-asks-all-rivals-to-join-government-talks">s’annonce déjà ardue</a>, si bien que le pays retournera dans les prochaines semaines à une politique partisane très classique, <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/apr/03/finland-shifts-to-the-right-coalition-talks-petteri-orpo-ncp-sanna-marin-election">se montrant moins présent sur la scène politique internationale</a>.</p>
<p>En somme, après une longue année d’extraversion contrainte, la Finlande semble tentée par un retour à sa discrétion politique coutumière et à ses préoccupations internes. La tentation du « pour vivre heureux, vivons cachés » est souvent forte à Helsinki. Les révolutions politiques y semblent immédiatement tempérées par une tendance à l’introversion… mais en renonçant à sa neutralité et en rejoignant l’Alliance atlantique au moment où celle-ci est aux prises avec son puissant et belliqueux voisin russe, la Finlande a franchi un Rubicon : même si Helsinki cherche désormais à adopter une posture plutôt apaisante envers la Russie, le « pays des mille lacs » sait que plus rien ne sera comme avant.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203576/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En trois jours, la Finlande vient de changer de gouvernement et de rompre avec sa neutralité historique en rejoignant l’OTAN. Ce pays discret se retrouve au cœur de l’actualité internationale.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2031022023-04-11T17:00:19Z2023-04-11T17:00:19ZL’ombre de la guerre en Ukraine sur les législatives en Estonie<p>Les législatives estoniennes tenues le 5 mars 2023 se sont soldées par une large victoire du Parti de la Réforme de la première ministre sortante, Kaja Kallas. Avec <a href="https://rk2023.valimised.ee/et/election-result/index.html">31 % des suffrages</a>, cette formation de centre droit devance nettement l’extrême droite (Parti populaire conservateur estonien, EKRE, 16,1 %) et le centre gauche (Parti du Centre, <em>Keskerakond</em>, 15,3 %). La Réforme dispose d’une majorité confortable (37 sièges sur les 101 du Parlement) et s’apprête à créer une coalition gouvernementale avec le parti Estonie 200 (droite progressiste et ultralibérale, 13,3 %) et les Sociaux-démocrates (gauche progressiste, SDE, 9,3 %).</p>
<p>Si les négociations en cours aboutissent, l’Estonie pourra se targuer d’avoir à sa tête une nouvelle coalition globalement représentative d’une démocratie libérale et progressiste. Même s’il y a des limites à cette belle unité (les SDE prônent une politique plus sociale que les deux autres formations, acquises aux modèles économiques ultra-libéraux ; et la Réforme émet des réserves sur l’adoption du mariage pour tous, souhaitée par les SDE et Estonie 200), le pays a, au grand soulagement de nombreux habitants, évité le retour d’une <a href="https://www.liberation.fr/planete/2021/01/13/en-estonie-la-fin-de-la-coalition-entre-conservateurs-et-extreme-droite_1815898/">coalition réunissant les conservateurs et l’extrême droite</a> (comme celle issue des élections de 2019, et qui avait gouverné jusqu’en 2021).</p>
<p>Le contexte de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conflit-russo-ukrainien-117340">guerre en Ukraine</a> a évidemment pesé sur le scrutin. Kaja Kallas prône sans ambiguïté un <a href="https://dcubrexitinstitute.eu/2023/03/estonias-liberal-wave/">soutien résolu de Tallinn à Kiev</a>, même si ce soutien a un coût socio-économique certain que l’extrême droite estonienne a tenté d’exploiter à son profit durant la campagne.</p>
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<h2>La posture ambiguë de l’extrême droite à l’égard de Moscou</h2>
<p>À de très rares exceptions près (comme lors du référendum sur l’adhésion à l’UE en 2003 ou l’intervention des troupes estoniennes dans la guerre en Irak en 2003), l’orientation pro-occidentale et la politique étrangère n’ont jamais véritablement constitué un objet de débat en Estonie.</p>
<p>Dès le début de la guerre en Ukraine, un <a href="https://news.err.ee/1608913331/poll-two-thirds-of-estonian-residents-back-continued-ukraine-military-aid">large consensus</a> s’est fait jour dans le pays sur la nécessité de soutenir Kiev et de sanctionner Moscou. Tous les partis politiques estoniens ayant obtenu le seuil nécessaire de 5 % pour rentrer au Parlement (<em>Riigikogu</em>) en 2023 s’accordent également sur la nécessité d’augmenter les dépenses budgétaires visant d’accroître les garanties de sécurité du pays.</p>
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<p>Toutefois, si EKRE a soutenu cette dernière mesure, la formation d’extrême droite s’est distinguée durant la campagne avec des <a href="https://www.populismstudies.org/the-impact-of-the-russia-ukraine-war-on-right-wing-populism-in-estonia/">positions pour le moins ambivalentes</a>. Elle a ainsi critiqué l’envoi de matériel militaire estonien en Ukraine, et s’est opposée à l’accueil des <a href="https://theconversation.com/lue-face-au-defi-de-lafflux-de-refugies-ukrainiens-181005">réfugiés ukrainiens</a>, affirmant que leur immigration massive ferait des Estoniens une minorité dans leur propre pays.</p>
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<p>S’y ajoutent les révélations, à la veille des élections, sur de supposés <a href="https://estonianworld.com/security/politico-russian-paramilitary-group-tried-to-interfere-with-estonian-politics-through-ekre/">liens de l’extrême droite estonienne avec Evguéni Prigojine</a>, le chef de la compagnie militaire privée <a href="https://theconversation.com/dans-les-coulisses-du-groupe-wagner-mercenariat-business-et-diplomatie-secrete-200492">Wagner</a> – ce que EKRE nie, évidemment.</p>
<p>Si ce positionnement visait en partie à attirer vers EKRE les électeurs russophones (près de 28 % des 1,3 million d’habitants), il lui a sans doute aussi coûté des voix parmi ses électeurs ultra-nationalistes, traditionnellement très hostiles envers la Russie. À l’inverse, la constance de la Réforme en matière de politique étrangère fut un élément déterminant de sa victoire.</p>
<h2>Les enjeux économiques de la campagne</h2>
<p>La campagne a également été marquée par de vifs débats autour du pouvoir d’achat, de l’inflation (25,4 % en août 2023) et des inégalités sociales et régionales.</p>
<p>En 2022, 1,4 % de la population vivait dans la pauvreté absolue et <a href="https://estonianworld.com/life/almost-a-quarter-of-estonians-live-at-the-risk-of-poverty/">22,8 % dans la pauvreté relative</a>, c’est-à-dire avec moins de 763 euros par mois. Le taux de pauvreté relative est le plus élevé dans deux régions périphériques : au Nord-Est (<em>Ida-Virumaa</em>), peuplé dans la ville de Narva de quelque 95 % de russophones, et au Sud-Est du pays (<em>Võrumaa, Valgamaa, Põlvamaa</em>), seules régions où la Réforme n’a pas dominé.</p>
<p>Dans ce contexte économique et social difficile, les Sociaux-démocrates et le Parti du Centre promouvaient une meilleure redistribution des richesses et une attention particulière aux régions sinistrées. En revanche, les programmes de la Réforme et d’Estonie 200, qui promeuvent un modèle économique libéral, une intervention minime de l’État dans l’économie et la baisse des impôts, ne disaient pratiquement rien sur le pouvoir d’achat ou sur les déséquilibres sociaux et régionaux.</p>
<p>Le fait que la première ministre semblait davantage préoccupée par la politique étrangère (Ukraine) que par la situation intérieure fut rapidement instrumentalisé par l’extrême droite. EKRE a en effet trouvé un terrain fertile pour ses messages populistes au vu de l’insécurité économique des électeurs, accusant l’élite au pouvoir d’incompétence dans la gestion de l’inflation et des prix de l’énergie.</p>
<p>Si la virulence de l’extrême droite sur ces questions lui a valu d’obtenir la deuxième position à l’échelle du pays et la première (26,5 %) dans le Sud-Est, l’absence d’une offre plus sociale face à la crise socio-économique n’a pas réussi à dissuader les électeurs de reconduire la Réforme.</p>
<p>En réalité, plus que les questions sociales et économiques (sujets moins mobilisateurs en Estonie), cette campagne fut particulièrement dominée par l’opposition entre libéraux et conservateurs. Ce clivage s’est constitué progressivement depuis des années en Estonie, bien avant la guerre en Ukraine.</p>
<h2>D’un clivage ethnique à un clivage politique</h2>
<p>La vie politique estonienne des années 1990 et 2000 se caractérisait essentiellement par un processus de déconstruction du passé soviétique, la consolidation de l’État-nation, l’intégration euro-atlantique et la mise en œuvre de réformes économiques libérales.</p>
<p>Le principal clivage de cette période consistait surtout en une division entre forces politiques présentées comme « pro-estoniennes » (Pro Patria, Réforme…), et celles s’adressant aussi aux minorités russophones et, souvent, plus conciliantes avec la Russie (le Parti du Centre, les Sociaux-démocrates…). Ce clivage « ethnique » fut particulièrement visible au moment du conflit autour du <a href="https://www.liberation.fr/planete/2007/03/05/estonie-statue-de-la-discorde_86640/">déplacement du monument soviétique « Le Soldat de Bronze »</a> au printemps 2007, décision prise par les forces de droite au pouvoir et qui se solda par <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2007-4-page-6.htm">d’importantes émeutes à Tallinn</a> entre des russophones nostalgiques de l’URSS et des militants nationalistes estoniens irrités par l’usage des symboles soviétiques dans l’espace public.</p>
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<p>À partir de 2012, ce clivage entre « pro-estoniens » et « pro-russes » s’efface progressivement au profit d’un clivage entre forces progressistes et forces conservatrices. Cette évolution s’explique d’abord par l’apparition en 2012 d’EKRE, issu de la fusion d’un parti conservateur et agrarien, l’Union populaire estonienne et d’un groupuscule ultranationaliste, le Mouvement patriotique estonien.</p>
<p>Dans les années suivantes, pendant les débats autour du <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/ailleurs/l-imbroglio-de-l-union-civile-pour-homosexuels-en-estonie-7845679">projet d’union civile pour les homosexuels</a> en 2014 puis ceux sur <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/europe/en-estonie-la-peur-des-migrants-et-le-poids-de-lhistoire-201509221610-00002141.html">l’accueil des réfugiés en 2015-2016</a>, EKRE mobilise avec succès les Estoniens les plus conservateurs, ce qui participe à une division de la société qui s’accentue encore plus au moment de la crise sanitaire, quand le parti (de nouveau dans l’opposition à partir de janvier 2021) <a href="https://www.crisp.be/crisp/wp-content/uploads/analyses/2021-12-14_ACL-Biard_B-2021-Espace_de_libertes-extreme_droite_face_au_Covid-19_en_Europe_centrale_et_orientale.pdf">proteste</a> contre les mesures de restriction prises par le pouvoir.</p>
<p>Toutes ces situations de crise favorisent l’extrême droite qui réussit à attirer, aussi bien parmi les Estoniens « de souche » que parmi les russophones (la popularité de EKRE atteint 21 % chez les russophones en février 2022), un électorat conservateur et qui se méfie de « l’élite politique ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lextreme-droite-au-parlement-europeen-ou-le-renard-dans-le-poulailler-194216">L’extrême droite au Parlement européen, ou le renard dans le poulailler</a>
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<h2>Le retour de la « question russe »</h2>
<p>Face à l’émergence progressive de ce clivage entre conservateurs et progressistes, la division entre les forces « pro-estoniennes » et « pro-russes » s’est donc estompée, mais elle est revenue sur le devant de la scène depuis le début de la guerre en Ukraine.</p>
<p>Le Parti du Centre, seule formation estonienne ayant pu vraiment être considérée comme « pro-russe », a formellement mis fin en 2022 au mémorandum de coopération qu’il avait signé en 2004 avec le parti du Kremlin <em>Russie unie</em> et a condamné l’invasion russe en Ukraine. Alors que, jusqu’à récemment, le Centre bénéficiait du soutien écrasant des russophones du pays (quasiment 78 % à son apogée), ce soutien est actuellement en baisse. La voix des russophones, une <a href="https://fr.euronews.com/2022/03/22/le-dilemme-des-russophones-d-estonie-entre-soutien-a-poutine-et-loyaute-a-l-ue">communauté très hétérogène</a>, est aujourd’hui de plus en plus dispersée entre les partis centristes ou libéraux mais aussi entre les forces les plus radicales, allant de l’extrême droite à l’extrême gauche.</p>
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<p>Si l’électorat de base de l’EKRE est nationaliste, eurosceptique et anti-russe, ce parti a aussi gagné en popularité auprès des russophones les plus âgés, les plus conservateurs et les plus hostiles à l’accueil des réfugiés d’Ukraine ou du Moyen-Orient. D’autant que la solidarité des principaux partis estoniens avec Kiev et certaines mesures récentes (déplacement des monuments soviétiques, <a href="https://estonianworld.com/knowledge/estonias-russian-schools-to-switch-to-estonian-language-schooling/">plan de transition vers un enseignement intégralement en estonien dans toutes les écoles du pays)</a> ont incité une partie considérable des russophones (<a href="https://news.err.ee/1608906971/ida-viru-county-vote-magnet-they-paid-for-accommodation-and-tickets">30 % des voix dans le Nord-Est)</a> à voter pour les candidats les plus critiques envers la politique du parti de la Réforme.</p>
<p>La nouvelle coalition devra gérer ces dissensions tout en s’engageant sérieusement dans la <a href="https://regard-est.com/estonie-au-seuil-dune-transition-energetique-radicale">transition énergétique</a> et en faisant face aux problèmes socio-économiques suscités par la <a href="https://www.rse-magazine.com/L-UE-investit-354-millions-d-euros-pour-que-l-Estonie-abandonne-le-schiste-bitumeux_a5123.html">fin de la production de schistes bitumineux</a>, dont les gisements se trouvent dans le Nord-Est du pays. La situation est donc complexe ; il n’en reste pas moins que, à ce jour, il est peu vraisemblable que l’Estonie (ou, d’ailleurs, les autres pays baltes) prenne un tournant illibéral : les gouvernements de coalition y sont toujours la norme, ce qui réduit la probabilité pour un parti comme EKRE de gouverner un jour seul.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203102/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Katerina Kesa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le parti de centre droit au pouvoir a remporté les législatives en Estonie, en prônant la poursuite d’un soutien résolu à l’Ukraine.Katerina Kesa, Politologue et Maîtresse de conférences en civilisation de l'espace baltique, membre du Centre de Recherches Europes-Eurasie (CREE) à l'INALCO. Co-rédactrice en chef de la revue Nordiques., Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.