tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/gouvernance-23847/articlesgouvernance – The Conversation2024-03-19T13:17:58Ztag:theconversation.com,2011:article/2254052024-03-19T13:17:58Z2024-03-19T13:17:58ZProjet Northvolt : peut-on réussir un mégaprojet sans acceptabilité sociale ?<p>Ce serait le <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/en-direct/1010727/investissement-northvolt-batteries-transport">plus grand investissement privé de l’histoire du Québec</a>. Le projet Northvolt, annoncé en septembre 2023, prévoit l’établissement d’une gigantesque usine de batteries sur la Rive-Sud de Montréal. </p>
<p>Afin de persuader l’entreprise suédoise à s’installer au Québec, les gouvernements fédéral et provincial collaborent en finançant conjointement le projet à hauteur d’environ <a href="https://www.lapresse.ca/affaires/entreprises/2023-09-28/mega-usine-de-cellules-sur-la-rive-sud/un-pari-de-3-milliards.php">trois milliards de dollars</a>, soit 40 % du financement total, estimé à <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2013831/ottawa-quebec-7-milliards-projet-northvolt">sept milliards</a>. </p>
<p>Trois mille emplois seraient créés dans l’usine, qui couvrirait une superficie équivalente à celle de <a href="https://lactualite.com/actualites/northvolt-doit-officialiser-quelle-a-choisi-le-quebec-pour-son-usine-de-batteries/">75 terrains de football</a>.</p>
<p>L’annonce de l’arrivée du géant suédois au Québec a suscité de nombreux débats quant à son <a href="https://www.journaldemontreal.com/2024/01/27/northvolt-des-risques-bien-pires-que-pour-lenvironnement">opportunité économique</a> et aux <a href="https://www.ledevoir.com/environnement/806160/environnement-northvolt-detruira-milieux-naturels-haute-valeur-ecologique-selon-experts-gouvernement-legault">risques environnementaux</a> qui l’accompagnent, notamment sur les milieux humides.</p>
<p>L’enthousiasme des gouvernements pour ce projet est compréhensible. Il est cependant, selon nous, mal justifié et mal expliqué. Pourtant, le Québec se distingue mondialement en matière de participation publique et citoyenne autour des grands projets de développement. C’est un modèle qui s’est construit au fil des décennies, notamment autour du Bureau d’audiences publiques en environnement (<a href="https://www.bape.gouv.qc.ca/fr/">BAPE</a>). </p>
<p>En tant qu’enseignants-chercheurs en gestion de projets et management stratégique, nos travaux portent sur la gouvernance et l’innovation des mégaprojets, les projets d’infrastructure publique et leur acceptabilité sociale. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/northvolt-les-citoyens-peuvent-ils-encore-sopposer-a-un-projet-fait-au-nom-de-la-transition-energetique-223505">Northvolt : les citoyens peuvent-ils encore s’opposer à un projet fait au nom de la transition énergétique ?</a>
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<h2>Northvolt : un projet conduit loin du débat public et de l’expertise scientifique</h2>
<p>Vu l’ampleur du projet, il est étonnant que nos responsables politiques n’aient pas anticipé le débat qu’il susciterait, surtout à la lumière des événements marquants de la dernière décennie. </p>
<p>On pense à <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1864187/etude-impact-agence-federale">GNL Québec et à Gazoduq</a>, projet qui a finalement été rejeté et plus récemment, au projet de troisième lien entre Québec et Lévis. Très politisé, il n’avait <a href="https://theconversation.com/un-nouveau-projet-de-troisieme-lien-entre-levis-et-quebec-mais-toujours-pas-detudes-204254">pas fait l’objet de réelles études</a>. Le ministre de l’Environnement, Benoît Charrette, avait alors déclaré que <a href="https://www.journaldequebec.com/2021/11/02/aucune-etude-environnementale-nempechera-la-construction-du-3e-lien-previent-le-ministre-charette">le projet irait de l’avant, même en cas de recommandation défavorable du BAPE</a>. </p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/un-nouveau-projet-de-troisieme-lien-entre-levis-et-quebec-mais-toujours-pas-detudes-204254">Un nouveau projet de troisième lien entre Lévis et Québec, mais toujours pas d’études</a>
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<p>Il semble que la même attitude ait guidé Québec dans le cas de Northvolt. <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2054681/quebec-examen-bape-northvolt-reglement">Benoît Charrette a affirmé récemment avoir délibérément aidé Northvolt à éviter l’examen du BAPE</a> par crainte de perdre le projet, soutenant que le temps était critique et que l’on ne disposait pas de 18 à 24 mois. Or, un <a href="https://www.noovo.info/nouvelle/le-bape-est-une-source-dinspiration-et-de-critiques.html">examen du BAPE se déroule plutôt en quatre mois, et permet d’enrichir considérablement les projets</a> en informant toutes les parties prenantes de ses implications, notamment les citoyens et le promoteur.</p>
<p>Comme mécanisme de consultation publique, le BAPE semble ainsi <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2024-03-05/mega-usine-de-northvolt/on-n-aurait-pas-eu-de-projet-avec-un-bape-affirme-benoit-charette.php">être considéré comme un frein par nos dirigeants politiques</a>.</p>
<p>La transparence, essentielle à une démocratie saine, manque dans ce dossier. C’est son absence qui irrite les citoyens et brime leur relation de confiance avec le gouvernement.</p>
<p>Le projet paraît avoir bénéficié de faveurs visant à l’extraire du débat public, ce que les <a href="https://cms.equiterre.org/uploads/Rapport-complet_E%CC%81tude-sur-les-attitudes-des-Que%CC%81be%CC%81cois-a%CC%80-l%E2%80%99e%CC%81gard-de-l%E2%80%99usine-Northvolt.pdf">Québécois et Québécoises ne voient pas d’un bon œil, selon les résultats de ce sondage</a>. </p>
<p>Cependant, une majorité de citoyens <a href="https://www.newswire.ca/fr/news-releases/resultats-d-un-sondage-leger-plus-du-deux-tiers-70-de-la-population-locale-en-faveur-du-projet-northvolt-six-857283715.html">semblent toujours appuyer le projet Northvolt, selon cet autre sondage</a>. </p>
<h2>L’acceptabilité sociale selon les connaissances existantes</h2>
<p>L’acceptabilité sociale consiste dans l’évaluation, par une population ou une communauté, du caractère acceptable ou souhaitable d’un projet ou d’une industrie. Elle se forge en amont du lancement du projet et perdure tout au long de son cycle de vie. Elle ne se construit jamais lorsque le projet impacte déjà des zones sensibles en matière de biodiversité. </p>
<p>Comme <a href="https://doi.org/10.3917/herm.fourn.2022.01.0133">l’ont montré des experts</a>, il est considérablement moins onéreux de consacrer, en amont, un temps nécessaire à des consultations publiques sérieuses, plutôt que d’adopter uniquement une approche axée sur les aspects financiers pour convaincre. </p>
<p>Autrement dit, l’acceptabilité sociale des projets ne dépend pas uniquement des qualités intrinsèques et supposées du projet. Elle dépend aussi, et de manière significative, du processus mis en place et de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/emre.12620">la crédibilité des promoteurs</a>, en particulier de ceux et celles qui défendent le projet sur la scène publique. </p>
<h2>Un projet construit sans appropriation locale ni recherche d’acceptabilité sociale</h2>
<p>Dans le cas du projet Northvolt, on remet en question l’ensemble des connaissances sur l’acceptabilité sociale des projets de politiques publiques et <a href="https://www.revuegestion.ca/acceptabilite-sociale-cinq-bonnes-pratiques-a-promouvoir">leur appropriation par les communautés locales</a>. </p>
<p>Par exemple, pourquoi Northvolt a-t-elle obtenu l’autorisation d’implanter une usine, sur un terrain <a href="https://www.ledevoir.com/environnement/805137/northvolt-detruira-site-juge-important-biodiversite-experts-gouvernement">où un autre promoteur a vu ses autorisations refusées pour des raisons environnementales</a> ? Pourquoi des projets immobiliers canadiens <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2050430/northvolt-justifications-scientifiques-disparues-analyse">sont entravés</a> sur des zones humides, tandis qu’une entreprise étrangère obtient ce droit ?</p>
<p>Au nom de quel principe les fonctionnaires se permettent d’exclure Northvolt du débat public en lançant le projet et en imposant ainsi une situation de fait accompli à la société ?</p>
<h2>En matière de mégaprojets et de transition énergétique, deux perspectives contradictoires ?</h2>
<p>Comme pour d’autres mégaprojets, deux visions s’opposent autour du projet Northvolt. </p>
<p>Une vision d’abord <a href="https://www.quebec.ca/gouvernement/ministere/economie/publications/developpement-filiere-batterie/northvolt/retombees-economiques">économique</a>, portée par le gouvernement et axée sur le développement, la création de richesses attendue, les emplois directs et indirects, et les retombées financières que générerait le projet. </p>
<p>Dans cette perspective, la mobilisation sociale qui s’organise contre l’implantation de Northvolt <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2043516/hydro-quebec-energie-fitzgibbon">freine le développement économique du Québec et effraie les investisseurs</a>.</p>
<p>Une deuxième vision, civique et environnementale, s’intéresse aux retombées environnementales du projet.</p>
<p>Par exemple, le développement de la filière des batteries est présenté comme une opportunité environnementale. Pourtant, en matière d’électrification, de nombreux experts <a href="https://www.ledevoir.com/opinion/libre-opinion/807669/libre-opinion-northvolt-nouveau-mont-orford">ne considèrent pas la voiture électrique comme un véritable catalyseur de la transition socioécologique</a>. Le ministre Pierre Fitzgibbon lui-même affirmait récemment <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2005797/reduction-baisse-vehicules-routes-parc-automobile-ges-fitzgibbon-forum-economique-mondial">qu’une réduction de 30 à 50 % du parc automobile serait nécessaire</a> pour une pleine adhésion à la transition socioécologique. </p>
<h2>Concilier les perspectives économiques, civiques et environnementales</h2>
<p>Les perspectives économiques, civiques et environnementales ne nous semblent pas contradictoires. </p>
<p>Elles peuvent être harmonisées, à condition que les citoyens et les scientifiques soient <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/chroniques/2024-03-10/la-parole-trahie.php">considérés comme des alliés dans la poursuite d’un développement économique durable</a>. Plutôt que de les percevoir comme des opposants au développement économique, leur intelligence collective devrait être appréciée et mobilisée sur le sujet. </p>
<p>Le Québec dispose de toutes les ressources nécessaires pour entreprendre des projets d’envergure, tel que Northvolt, tout en respectant les impératifs d’un développement durable, inclusif et équitable. </p>
<p>Par sa taille, sa visibilité et sa vision, le projet Northvolt peut apporter une dimension supplémentaire, notamment symbolique, à la transition socioécologique au Québec. </p>
<p>Nos dirigeants, s’ils le souhaitent, pourraient concilier leur perspective économique et technique avec la perspective environnementale et civique. Pour ce faire, ils auraient avantage à favoriser un dialogue constructif avec la société civile et les experts en dynamiques sociales autour des grands projets de développement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225405/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maude Brunet a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Nathalie Drouin est titulaire de la Chaire INFRA-S sur la valorisation sociale des infrastructures. Elle est professeure titulaire à l’École des Sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal (ESG, UQAM), professeure adjointe à l’University of Technology, Sydney (UTS), en Australie, où elle a également été reçue professeure éminente invitée (Distinguished Visiting Scholar). Elle est la rédactrice en chef de l’International Journal of Managing Project in Business. Ses activités de recherche se concentrent sur la gestion organisationnelle de projet, le leadership au sein des projets, les bénéfices non financiers intégrés aux grands projets d’infrastructure et la valorisation sociale des infrastructures dont l'intégration des critères ESG.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Sofiane Baba a reçu des financements de Mitacs, du Fonds de recherche du Québec (FRQSC) et du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH).</span></em></p>Dans le projet Northvolt, Québec peut-il se dispenser d’expertise et de participation publique ? Pour les auteurs, il gagnerait à comprendre les dynamiques sociales entourant les mégaprojets.Maude Brunet, Professeure agrégée, Gestion de projets, HEC MontréalNathalie Drouin, Titulaire de la Chaire INFRA-S sur la valorisation sociale des infrastructures et Professeure titulaire à la maîtrise en gestion de projet à l'ESG UQAM, Université du Québec à Montréal (UQAM)Sofiane Baba, Professeur agrégé de management stratégique, Université de Sherbrooke Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2252402024-03-07T16:16:40Z2024-03-07T16:16:40ZLes femmes dirigeantes, un catalyseur des performances environnementales et sociales pour les entreprises<p>La féminisation des instances dirigeantes (comités exécutifs et de direction) des grandes entreprises françaises est en cours. Le <a href="https://www.ifa-asso.com/mediatheques/barometre-ifa-ethics-boards-de-la-mixite-des-instances-dirigeantes-2024/">rapport 2024 IFA-Ethics&Boards</a> montre qu’en 2024, 44 % des entreprises du SBF120 (indice boursier regroupant les 120 principales sociétés cotées) respectent déjà le seuil de 30 % de dirigeantes, objectif fixé par la <a href="https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/l-actualite-du-ministere/article/la-loi-rixain-accelerer-la-participation-des-femmes-a-la-vie-economique-et">loi Rixain</a> de 2021 pour toutes les entreprises de plus de 1000 salariés à partir de 2026.</p>
<p>Les conseils d’administration ont quant à eux atteint la quasi-parité, avec 46,4 % de femmes en moyenne dans les conseils des entreprises du SBF120, dépassant les paliers des quotas de genre prévus par la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000023489685/">loi Copé-Zimmerman</a> de 2011 (20 % en 2014 et 40 % en 2017).</p>
<p>Cette féminisation concerne également les comités mis en place au sein des conseils des sociétés du SBF120 : les femmes représentent 51,8 % des comités d’audit, 49,9 % des comités de rémunération et même 64,8 % des comités dédiés à la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociale des entreprises</a> (RSE). Elles sont désormais majoritaires dans les présidences des comités d’audit (53,3 %), les comités de nomination (53 %), de rémunération (58,3 %) et RSE (76,6 %).</p>
<p><iframe id="hOj3z" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/hOj3z/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Les quotas de femmes entraînent également des modifications en profondeur de la composition des équipes et des conseils avec un rajeunissement, ainsi qu’une plus grande <a href="https://theconversation.com/conseils-dadministration-du-cac-40-leviction-des-polytechniciens-mais-pas-des-hec-paris-lautre-effet-de-la-loi-cope-zimmermann-149397">diversité de formation</a> et <a href="https://theconversation.com/les-femmes-avec-une-experience-rh-de-plus-en-plus-nombreuses-dans-les-conseils-dadministration-162869">d’expériences antérieures</a>.</p>
<h2>Une expertise précieuse</h2>
<p>Si la féminisation des conseils est acquise, et celle des comités exécutifs en marche, la question de leur impact sur les performances financières et boursières des entreprises reste cependant loin d’être tranchée. En effet, les différentes études présentent des résultats hétérogènes : certaines (les plus anciennes) relèvent un <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2010-1-page-167.htm">impact négatif sur les valorisations boursières</a> ; d’autres montrent au contraire que la présence de femmes permet <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0378426617302972">d’améliorer les performances comptables</a>, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0929119913001120">conduit à des acquisitions de meilleure qualité</a>, ou <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0929119920302789">réduit les fraudes dans l’entreprise</a>.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0929119923001451">article récent</a>, nous nous intéressons à l’impact de l’arrivée des femmes dans les conseils d’administration sur les performances environnementales et sociales (E&S) des entreprises. Parce qu’elles contribuent à la satisfaction des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/smj.2492">salariés</a>, des <a href="https://pubsonline.informs.org/doi/10.1287/mnsc.1120.1630">clients</a> et des <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304405X20300325">fournisseurs</a>, ces performances E&S sont susceptibles d’accroître la valeur de l’entreprise.</p>
<p>Nous montrons ainsi qu’après 2011 et l’implémentation des quotas, les performances E&S des entreprises concernées, mesurées par les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/criteres-environnementaux-sociaux-et-de-gouvernance-esg-126493">critères ESG</a> (pour environnementaux, sociaux et de gouvernance) d’Asset4 (du fournisseur américano-britannique de données sur les marchés financiers Refinitiv) ou de Vigeo-Eiris (de l’agence de notation financière Moodys), ont été significativement améliorées (+12 % en moyenne).</p>
<p>Pourquoi les femmes seraient-elles plus à même d’améliorer ces performances ? De nombreuses études montrent une appétence à la fois plus grande et plus ancienne des femmes pour les questions de transition environnementale et les aspects sociaux. Certaines femmes ont ainsi pu développer une expertise précieuse, dans leurs missions mais également dans le domaine de l’investissement où <a href="https://fortune.com/2020/01/24/responsible-esg-investing-women-finance/">elles ont été pionnières dans la prise en compte des questions E&S</a>.</p>
<p>Les fonds d’investissement dirigés par une femme apparaissent, par exemple, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=4214762">plus susceptibles de voter pour des résolutions liées à des questions E&S</a> en assemblée générale. De plus, selon une <a href="https://www.pwc.com/us/en/services/governance-insights-center/assets/pwc-2022-annual-corporate-directors-survey.pdf">enquête du cabinet de conseil PWC réalisée en 2022</a>, 66 % des administratrices déclarent que la réduction de l’impact du changement climatique constitue une priorité, même si elle a un impact négatif sur les performances à court terme, contre 45 % des administrateurs. 65 % des administratrices, mais seulement 55 % des administrateurs, pensent que les questions E&S sont liées aux choix stratégiques.</p>
<h2>Le rôle significatif des administratrices</h2>
<p>Comment procédons-nous pour établir nos résultats ? Lorsque la nomination d’administratrices relève uniquement de la volonté de l’entreprise, le lien de causalité entre la part des femmes dans les conseils et les stratégies E&S reste en effet difficile à prouver, les entreprises les plus responsables étant les plus susceptibles de nommer plus de femmes dans leurs conseils.</p>
<p>Dans notre article, nous considérons la loi Copé-Zimmerman sur les quotas dans les conseils comme un choc exogène, qui nous permet de mesurer l’impact d’une féminisation contrainte. Sur la période 2007-2016, nous comparons les performances E&S des entreprises françaises soumises à la loi des quotas à celles d’un groupe de contrôle d’entreprises non affectées.</p>
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<img alt="Dessin d’une femme d’affaires" src="https://images.theconversation.com/files/580383/original/file-20240307-30-vh51yk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/580383/original/file-20240307-30-vh51yk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/580383/original/file-20240307-30-vh51yk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/580383/original/file-20240307-30-vh51yk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/580383/original/file-20240307-30-vh51yk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/580383/original/file-20240307-30-vh51yk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/580383/original/file-20240307-30-vh51yk.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Selon une enquête du cabinet de conseil PWC réalisée en 2022, 66 % des administratrices déclarent que la réduction de l’impact du changement climatique constitue une priorité, contre 45 % des administrateurs.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://openclipart.org/detail/321050/business-woman-and-checklist">Openclipart.org/j4p4n</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Plusieurs pays européens ont également instauré des quotas dans les conseils d’administration (par exemple l’Italie, l’Espagne, ou plus récemment l’Allemagne) ou mis en place des codes de bonnes pratiques de gouvernance incitant à féminiser les conseils (Royaume-Uni) et ne peuvent être retenus comme groupe de contrôle.</p>
<p>C’est pourquoi, dans notre étude, nous comparons les entreprises françaises à des entreprises américaines similaires (même taille, même secteur et performances E&S comparables avant 2011). En effet, un seul État américain, la Californie, a introduit des quotas de femmes dans les conseils en 2018, <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/Papers.cfm?abstract_id=3303798">mais la loi a été invalidée en 2022</a>, et cette expérience temporaire s’est étendue sur une période postérieure à notre période d’étude.</p>
<p>Nous comparons également les entreprises françaises à des entreprises qui étaient cotées à Paris avant la loi sur les quotas, mais qui, ayant leur siège social hors de France, n’étaient pas concernées par la loi Copé-Zimmerman. Nos résultats montrent que les administratrices jouent un rôle significatif dans l’accroissement des performances E&S des entreprises, d’autant plus qu’elles atteignent une masse critique dans le conseil, représentant au moins 15 % de ses membres.</p>
<h2>Les comités RSE ne font pas tout</h2>
<p>Nous explorons ensuite les canaux par lesquels les administratrices sont susceptibles d’avoir un effet positif sur les performances E&S. En premier lieu, nous nous attachons à la structure des conseils d’administration. À la suite de l’instauration des quotas, nous observons que le nombre de comités RSE (qui peuvent avoir des dénominations diverses) a doublé. De surcroît, ces comités restent très fréquemment composés d’une majorité de femmes et présidés par une femme, ce que les statistiques précitées de l’étude IFA-Ethics&Boards confirment pour 2024.</p>
<p>Cependant, les comités RSE ne sont pas les seuls leviers de l’augmentation des performances E&S. En effet, l’impact de la part des femmes dans les conseils persiste même pour les entreprises qui ont choisi de ne pas créer un tel comité.</p>
<p>Les quotas ont également amené les femmes à être plus présentes dans les comités traditionnels, d’audit et de nomination en particulier, et de les présider plus fréquemment. Or ces comités jouent aussi un rôle majeur en termes de performances E&S. Le comité d’audit supervise la divulgation et le contrôle des informations E&S, tandis que le comité de nomination veille aux compétences E&S des administrateurs. Si les femmes sont plus orientées vers des politiques E&S, elles ont ainsi plus de pouvoir pour les mettre en œuvre.</p>
<h2>Plus d’expérience E&S que les hommes</h2>
<p>Pour finir, nous mettons en évidence les caractéristiques objectives des administratrices qui pourraient expliquer leur plus grande orientation vers des politiques E&S. Dans tous nos tests, nous tenons compte des différences d’indépendance, d’âge, de durée de présence dans les conseils et de la taille du réseau relationnel des administrateurs. Nous construisons un indicateur d’expérience E&S, qui retrace l’activité des administrateurs dans des domaines E&S (ressources humaines, éducation, environnement, comités E&S). Nous calculons également la longueur de cette expérience.</p>
<p>En utilisant ces indicateurs, nous constatons que, parmi les administrateurs, les femmes ont deux fois plus d’expérience E&S que les hommes, et pour une durée plus longue. Après 2011, les compétences moyennes des conseils d’administration en matière E&S ont ainsi augmenté en raison de l’arrivée de femmes ayant une expertise E&S, entrainant l’accroissement des performances E&S des entreprises.</p>
<p>Nous en concluons que la féminisation des conseils d’administration a permis aux femmes, dotées en moyenne de plus d’expérience E&S que les hommes, et grâce à leur pouvoir accru, de promouvoir plus largement les priorités et stratégies E&S dans les entreprises, qui restent particulièrement importantes en cette période de transition environnementale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/225240/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Edith Ginglinger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La féminisation des comités exécutifs et de directions conduit à une plus grande représentation de membres sensibles aux enjeux climatiques et sociaux dans la gouvernance des entreprises françaises.Edith Ginglinger, Professeur de finance, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2240322024-02-26T11:30:23Z2024-02-26T11:30:23ZVictime d’un manager incompétent ? Bienvenue en « kakistocratie » !<p>Alors que la compétence est vue comme un pilier du monde du travail, l’incompétence est partout. Le problème est qu’elle ne se niche pas uniquement dans les emplois subalternes, mais qu’on la retrouve dans les gouvernances de nombreuses organisations. Bienvenue en « kakistocratie », le monde de l’incompétence !</p>
<p>Le terme kakistocratie est construit à partir de deux mots grecs : <em>kakistos</em> (le pire) et <em>cratos</em> (le pouvoir). J’ai mené une enquête pendant trois années pour analyser le phénomène, plus répandu qu’on ne le pense, et comprendre comment on pouvait en sortir. On pourrait supposer que ce type de gouvernance est réservé à quelques grandes institutions publiques (les bureaucraties), avec quelques illustrations savoureuses en littérature (Ubu Roi) ou au cinéma (Les Tuche à l’Élysée). Or, j’ai pu constater qu’on la retrouve également dans des multinationales comme dans des start-up ou des très petites entreprises (TPE).</p>
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<p>Si les kakistocraties existent depuis le début de l’humanité, le sujet trouve une nouvelle actualité avec le développement exponentiel du numérique et tout particulièrement de l’intelligence artificielle (IA), qui génère la « présomption de compétences ».</p>
<p>Mais avec quelle consistance ? Quelle profondeur ?</p>
<h2>Souffrance et sous-performance</h2>
<p>Les effets de la kakistocratie sur les collaborateurs de l’entreprise sont toujours les mêmes : sentiment d’inutilité, d’incompréhension, de frustration, avec comme conséquences l’absentéisme, le désengagement, le départ et bien sûr la sous-performance. Marc*, 41 ans, qui travaille dans le secteur informatique, en témoigne :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai travaillé des années avec un manager incompétent. Le pire, c’est qu’il ne se remettait jamais en cause. On était obligés de faire à sa place, ou bien de réparer ses c**. J’ai souvent remonté l’info, preuves à l’appui. Rien n’y a fait. Il était protégé par la direction. Du coup, on est tous partis, petit à petit. C’était cause perdue ! »</p>
</blockquote>
<p>En général, la présence d’un manager incompétent oblige ses collaborateurs à faire à sa place, au prix de beaucoup de temps et d’énergie pour compenser ses manques. C’est aussi le sentiment de honte, honte pour l’image que cette incompétence renvoie. Être managé par des incompétents provoque également la perte de confiance. Il est en effet impossible d’avoir confiance en des personnes qu’on estime incompétentes.</p>
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<figcaption><span class="caption">La promotion par l’incompétence : la kakistocratie (Isabelle Barth, TEDxClermont, 2022).</span></figcaption>
</figure>
<p>Un autre sentiment partagé est celui d’injustice : les témoignages sont nombreux d’avoir le sentiment d’être piégé par sa compétence, à l’image de celui d’Émile, 46 ans, qui travaille dans le secteur industriel :</p>
<blockquote>
<p>« Ça fait 12 ans que je suis dans le même service. J’ai essayé d’obtenir des promotions. J’ai fait des demandes. Je suis allé en formation… Chaque fois, c’est quelqu’un d’autre qui a eu la place. Sans explication, des même pas bons. C’est dur à vivre ».</p>
</blockquote>
<p>Et puis, il y a la perte de repères, car en kakistocratie, on oublie ce qu’on a appris depuis qu’on est tout petit : la réussite est associée à l’effort, l’apprentissage, et surtout au mérite ! C’est tout le contraire en kakistocratie !</p>
<h2>Comment se construit une kakistocratie ?</h2>
<p>Quand on évoque l’incompétence au travail, apparait spontanément le « principe de Peter (1970) » : nous progressons dans nos fonctions jusqu’à ce que nous rencontrions notre seuil d’incompétence. Mais ce n’est pas la seule explication, loin de là !</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une illustration du « principe de Peter »" src="https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=476&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576826/original/file-20240220-16-dddb6p.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=598&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Une illustration du « principe de Peter ».</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Principe_de_Peter">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un autre principe est celui de Dilbert, inventé par l’humoriste américain Scott Adams : « Les gens les plus incompétents sont systématiquement affectés aux postes où ils risquent de causer le moins de dégâts : ceux de managers ».</p>
<p>Ensuite, il y a la peur de la compétence. Le manager ne veut pas recruter ni promouvoir des talents qui pourraient rapidement être des concurrents et le dépasser.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Illustration du « principe de Dilbert »" src="https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=810&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/576827/original/file-20240220-24-ng8zae.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1017&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Couverture du livre « Le principe de Dilbert » de l’humoritse Scott Adams.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://en.wikipedia.org/wiki/Dilbert_principle#/media/File:Dilbert_Principle.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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</figure>
<p>Une autre explication de l’incompétence au plus haut niveau des entreprises et des institutions est le développement de la « consultocratie », la délégation à des cabinets de conseil des missions complexes ou à caractère stratégique.</p>
<p>Enfin, l’entreprise peut fabriquer de l’incompétence, quand elle ne propose aucune formation.</p>
<p>La kakistocratie s’installe souvent par défaut, par glissements successifs, par lâcheté, par ignorance, par bêtise, mais il existe des organisations où la kakistocratie n’est pas le lot de quelques individus, mais bien un système organisé.</p>
<p>Ces kakistocraties organisées répondent à trois mécanismes :</p>
<ul>
<li><p>la <strong>dette</strong>, car en recrutant des incompétents, vous vous assurez de leur loyauté, puisqu’ils vous sont redevables.</p></li>
<li><p>la <strong>négation de l’individu au profit du système</strong> qui décide au mépris de la compétence. C’est le cas des dictatures.</p></li>
<li><p>et enfin, le <strong>système clanique</strong>. L’objectif d’un clan est la <a href="https://www.jstor.org/stable/2392231">préservation et la perpétuation de ses intérêts et de ses périmètres</a>, pas d’être performant ou compétent. On recrute pour la loyauté, par pour la compétence : le syndrome du « fils du patron » !</p></li>
</ul>
<h2>Comment renverser une kakistocratie ?</h2>
<p>Une bonne façon de supprimer une kakistocratie, c’est d’agir sur la cause racine : l’incompétence. Je propose ainsi 4 scénarios, qui ne sont pas exclusifs les uns des autres :</p>
<p>Le premier est le plus classique, il consiste à former, pour rendre les gens compétents ! Sont visées alors les compétences métiers mais aussi les compétences managériales.</p>
<p>Un autre est de mobiliser le <em>name and shame</em>, « nommer et couvrir de honte », pour dénoncer les kakistocrates ! Dans un monde où la réputation des entreprises compte de plus en plus, cela peut être efficace.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>On peut aussi recommander le recrutement de femmes. Les femmes dirigeantes ayant eu beaucoup plus de barrières à franchir pour parvenir au sommet, elles sont plus talentueuses que les hommes à statut égal. Les études montrent qu’elles ont aussi un rapport différent à la compétence, qui les rend exigeantes vis-à-vis d’elles-mêmes.</p>
<p>Le dernier scénario est le moins intuitif mais certainement le plus structurant pour sortir d’une kakistocratie : accepter l’incompétence, pour en faire quelque chose qui permet de se mettre en mouvement, d’avancer.</p>
<h2>L’incompétence, une valeur créatrice ?</h2>
<p>On peut en effet avancer l’idée que l’incompétence peut motiver la créativité, l’innovation même. Quand on ne sait pas, on peut apporter un regard nouveau et des idées disruptives pour résoudre un problème, à l’image de Yacine, 38 ans, d’une entreprise de service :</p>
<blockquote>
<p>« Je me suis mis à l’écoute des “pourquoi ? ”. Avant je les balayais du revers de la main, je répondais comme tout le monde : “parce qu’on a toujours fait comme ça ! ” Et c’est souvent passionnant. Quelle que soit l’issue, l’exercice du pourquoi est particulièrement utile ».</p>
</blockquote>
<p>Avec cette capacité réflexive, on entre dans ce mouvement d’une pensée managériale qui reconnait de mieux en mieux la vulnérabilité. Il ne s’agit plus d’opposer incompétence et compétence mais à les voir comme complémentaires. Après tout, nous sommes tous l’incompétent de quelqu’un d’autre.</p>
<p>Mais il ne faut pas être naïf, s’attaquer à la kakistocratie, c’est mettre en cause ceux qui gouvernent. Cela demande du courage ! En kakistocratie, le compétent est souvent l’empêcheur de ne pas bien travailler en rond ! L’indésirable !</p>
<p>Les kakistocraties ont encore de beaux jours devant elles.</p>
<p>Mais les nommer, les dénoncer est un point de départ. Le diagnostic est toujours le début de la guérison !</p>
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<p><em>*Les prénoms ont été modifiés</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Barth ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour un employé, les défaillances d’un supérieur hiérarchique peuvent générer une frustration qui favorise l’absentéisme, le désengagement et une sous-performance au travail.Isabelle Barth, Secrétaire général, The Conversation France, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2228192024-02-06T14:43:10Z2024-02-06T14:43:10ZSûreté nucléaire et fusion entre ASN et IRSN : l’originalité du modèle à la française<p>Après un cavalier législatif manqué au printemps 2023, le gouvernement avait soumis au parlement un <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/292470-projet-de-loi-surete-nucleaire-fusion-asn-et-irsn">projet de loi</a> visant à réformer la gouvernance de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Son article premier proposait de passer d’une organisation duale entre une Autorité de sûreté nucléaire (l’ASN) et un organisme de recherche et d’expertise, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (l’IRSN), à une organisation dite « intégrée ».</p>
<p>La commission du développement durable de l'Assemblée nationale a rejeté cet article premier le 5 mars dernier, mais le texte sera de nouveau examiné en séance plénière le 11 mars, pour un vote solennel prévu le mardi 19 mars.</p>
<p>Un établissement unique, l’Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), disposerait à la fois des fonctions de recherche, d’expertise et de décision en matière de sûreté nucléaire et radioprotection.</p>
<p>Ce projet a suscité de <a href="https://theconversation.com/surete-du-nucleaire-en-france-comprendre-la-brusque-reforme-voulue-par-le-gouvernement-201191">nombreuses critiques et interrogations</a> et questionne ce qui fait la spécificité historique du modèle français : le dialogue entre expert, contrôleur et exploitant.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/surete-du-nucleaire-en-france-comprendre-la-brusque-reforme-voulue-par-le-gouvernement-201191">Sûreté du nucléaire en France : comprendre la brusque réforme voulue par le gouvernement</a>
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</em>
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<h2>Aux origines du dialogue technique à la française</h2>
<p>Depuis les années 1960, l’expertise et le contrôle de la sûreté nucléaire sont assurés par un <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c#p=163&q=dialogue+technique&o=0&a=highlight">« dialogue technique »</a> entre spécialistes qui se déroule <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-1-2012-1-page-35.htm">dans des arènes fermées</a>.</p>
<p>D’abord internes au Commissariat à l’énergie atomique (CEA), puis étendues à EDF et aux différents constructeurs impliqués dans les projets, les discussions tournent autour d’incidents et d’accidents considérés comme « crédibles » au vu de l’expérience acquise et des meilleures connaissances disponibles.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/three-mile-island-tchernobyl-fukushima-le-role-des-accidents-dans-la-gouvernance-nucleaire-159375">Three Mile Island, Tchernobyl, Fukushima : le rôle des accidents dans la gouvernance nucléaire</a>
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<p>Le règlement des questions de sûreté est guidé par la recherche de consensus et le « jugement d’expert » constitue la base de toutes décisions. En pratique, ce dialogue n’est pas que technique et inclut ouvertement et librement tous les aspects liés aux décisions de sûreté (coût, retards, niveau de sûreté, développement des connaissances, compétitivité et comparaison internationale…).</p>
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<p>L’efficacité de ce dialogue dépend alors de deux valeurs cardinales :</p>
<ul>
<li><p>l’esprit des relations entre acteurs,</p></li>
<li><p>et la doctrine de la compétence.</p></li>
</ul>
<p>Il s’agit, pour chaque question technique, de respecter l’avis du plus compétent et cela indépendamment de son rattachement institutionnel. Ce fonctionnement requiert une certaine proximité, une bonne entente, un haut niveau de confiance mutuelle (permise par l’absence de cadre réglementaire formalisé) et enfin une totale autonomie vis-à-vis de la société et du pouvoir politique.</p>
<p>Autrement dit, la sûreté n’y est pas considérée comme un contrôle de conformité à des normes préétablies, mais comme un sujet devant être élucidé au cas par cas via le dialogue entre parties prenantes des projets.</p>
<p>En comparaison, les pays anglo-saxons développent dès les années 1950 des règles, des normes, des méthodes et un cadre légal spécifique pour la sûreté nucléaire qui demeurent sous contrôle des pouvoirs publics et de la justice.</p>
<p>Malgré le <a href="https://theconversation.com/un-nouveau-plan-nucleaire-pour-la-france-quand-lhistoire-eclaire-lactualite-181513">développement massif du nucléaire civil</a> en France, le modèle dialogique est maintenu dans les années 1970, avec <a href="https://www.cairn.info/revue-gerer-et-comprendre-2017-4-page-76.htm">l’instauration d’une réglementation « souple » qui respecte l’esprit des pionniers</a>.</p>
<p>Toutefois, en accompagnement du Plan Messmer, sont créées deux entités : un contrôleur au sein du ministère de l’Industrie (le Service central de sûreté des installations nucléaires (SCSIN)) et un institut de recherche et d’expertise au sein du CEA, l’Institut de protection et de sûreté nucléaire (IPSN).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=586&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=586&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=586&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=736&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=736&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/573478/original/file-20240205-15-1s2ceb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=736&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dates clés du système de gouvernance français du nucléaire civil.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.sfen.org/rgn/la-riche-histoire-du-systeme-francais-de-controle-et-dexpertise-de-la-surete-nucleaire/">SFEN</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un dialogue « à trois » se met alors en place pour expertiser et contrôler l’essor d’un gigantesque parc nucléaire de 58 réacteurs exploités par EDF, ainsi que de nombreux autres types d’installations nucléaires.</p>
<p>Les responsables de la sûreté affirment à cette époque ce qui fait l’originalité et la valeur du système français, à savoir : « <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c#p=179&a=TH.4.1.5.3">l’existence d’une expertise technique qui base sa compétence sur le contact avec les développeurs, et qui joue le rôle de soutien de l’administration qui détient, elle, le pouvoir</a> ».</p>
<p>Les débats dans ce « petit monde de la sûreté » peuvent être extrêmement durs et aboutir à des conflits ouverts devant les responsables politiques et parfois même le grand public lui-même. Après l’accident de Tchernobyl, par exemple, deux visions s’affrontent au plan médiatique :</p>
<ul>
<li><p>celle du nouveau directeur de l’autorité de sûreté, <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c#p=342&q=lav%C3%A9rie&o=0&a=highlight">Michel Lavérie, qui prône une plus grande ouverture vis-à-vis du public</a></p></li>
<li><p>et celle de <a href="http://theses.univ-lyon2.fr/documents/lyon2/2003/foasso_c#p=346&q=lav%C3%A9rie&a=TH.6.4.4.3">Pierre Tanguy, inspecteur général de la sûreté nucléaire (IGSN) à EDF et cadre historique de l’IPSN, qui souhaite que la sûreté nucléaire reste cantonnée dans le monde des spécialistes et loin du monde politique et médiatique</a>.</p></li>
</ul>
<p>Malgré cette divergence, les deux protagonistes s’accordent sur une chose : le modèle dialogique, permanent et continu entre expert, autorité et exploitant doit rester la base du modèle français.</p>
<h2>« French cooking », ou la cuisine nucléaire française face au modèle américain</h2>
<p>Après le choc de Tchernobyl, la <a href="https://www.lavoisier.fr/livre/environnement/une-longue-marche-vers-l-independance-et-la-transparence/saint-raymond/descriptif_2691813">gouvernance des risques nucléaires évolue progressivement</a> pour aboutir à la création de l’IRSN en 2002 (totalement détaché du CEA) et de l’ASN en 2006 (sous la forme d’une Autorité administrative indépendante (AAI)).</p>
<p>Toutefois, le modèle dialogique n’est pas abandonné et constitue toujours le fondement des expertises et des prises de décision liées à la <a href="https://www.asn.fr/l-asn-controle/reacteur-epr-de-flamanville">construction et au démarrage de l’EPR</a>, à l’après-Fukushima, aux <a href="https://www.asn.fr/l-asn-controle/reexamens-periodiques/reexamens-periodiques-pour-les-centrales-nucleaires">réexamens périodiques de sûreté</a> des réacteurs ou aux défaillances qui ont impacté récemment les réacteurs nucléaires français.</p>
<p>Ces différents épisodes montrent une autre spécificité du modèle français qu’est l’idée de « progrès continu ». Ce précepte constitue, selon l’économiste <a href="https://minesparis-psl.hal.science/hal-00827432v1/file/I3WP_13-ME-05.pdf">François Lévêque</a>, un point de divergence philosophique important par rapport au modèle américain de la sûreté : « On a affaire à une approche de la régulation fondée sur deux principes majeurs différents : à Washington, caler le niveau d’une sûreté assez sûre ; à Paris, faire continûment progresser la sûreté ».</p>
<p>En effet, la United States Nuclear Regulatory Commission (NRC) adopte, depuis les années 1980, un système basé sur la recherche de performance et d’efficacité à l’aide d’approches quantitatives (objectifs quantifiés, analyse coût-bénéfice, études probabilistes, doses reçues par les travailleurs ou la population…). Ces approches prennent une place croissante dans le processus de décision autour de la question « How safe is safe enough ? »</p>
<p>Du fait de leur différence, le modèle dialogique français est surnommé ironiquement <a href="https://www.annales.org/gc/2010/gc101/Rolina.pdf">« french cooking »</a> par les Anglo-Saxons pour appuyer sur le fait que tous les aspects liés à la sûreté se règlent entre spécialistes. Le « French cooking », qui a été mis en avant comme un facteur de réussite de la réalisation du programme nucléaire, est aujourd’hui régulièrement critiqué pour son <a href="https://www.cerna.minesparis.psl.eu/Donnees/data08/818-NukeMinesAEE.pdf">absence de prise en considération explicite d’objectifs quantifiés (et des coûts</a> associés) et une tendance à « toujours plus de sûreté ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-letatisme-plombe-t-il-la-filiere-nucleaire-francaise-209874">Débat : L’Étatisme plombe-t-il la filière nucléaire française ?</a>
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<p>Si le modèle dialogique a perduré, c’est qu’il a aussi été un moteur de changements. C’est par ce mode de fonctionnement que la sûreté en France s’est adaptée. D’abord à l’évolution du parc nucléaire, mais aussi aux progrès des connaissances scientifiques et techniques, au retour d’expérience des incidents/accidents, à l’internationalisation des standards de sûreté ainsi qu’à la nécessité croissante de transparence et d’implication du public.</p>
<p>Sur ce dernier point, depuis plusieurs années, l’ASN et l’IRSN ont tenté d’exporter, <a href="https://hal.science/hal-02896863v1/file/0000162400_001.PDF">non sans difficulté</a>, un modèle de « <a href="https://www.irsn.fr/page/dialogues-techniques">dialogue technique » vers la société</a>. <a href="https://www.radioprotection.org/articles/radiopro/pdf/2018/02/radiopro170063.pdf">Des associations comme les commissions locales d’information (CLI) présentes autour des sites nucléaires, jouent un rôle important pour entretenir et alimenter ce processus</a>.</p>
<h2>Quelle place pour le modèle dialogique dans la future ASNR ?</h2>
<p>La possible naissance d’un nouvel organisme issu de la fusion de l’IRSN et de l’ASN met à l’épreuve le fonctionnement historique de la gouvernance des risques nucléaires. Néanmoins, le <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/rapports/ots/l16b1519_rapport-information.pdf">rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) de juillet 2023</a>, consacré à la reforme de la gouvernance des risques nucléaires, préconise de ne pas abandonner le « dialogue technique » à la française, « garant de la fluidité et de la qualité des contrôles [et que] notre pays aurait tort de céder à la tentation de l’autodénigrement de ses propres méthodes de travail ».</p>
<p>Se pose alors la question de la possibilité de faire perdurer un modèle dialogique « à deux » entre les industriels et la future ASNR.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2021-4-page-123.htm?try_download=1">Certains travaux</a> ont en effet montré que le dialogue à trois est un puissant garde-fou face aux risques d’excès de zèle du binôme ASN/IRSN ou, à l’inverse, de sa <a href="https://www.theses.fr/2008PA090046">« capture »</a> par les intérêts de l’industriel : « La nette séparation en trois entités autonomes entretenant des rapports de confrontation et de coalitions instables, mais reliées par des objectifs communs (sûreté et préservation du cadre leur permettant d’exister), est apparue comme de nature à favoriser de nombreuses négociations, mais aussi d’en réguler les excès éventuels ou le risque de capture ».</p>
<p>Pour se prémunir de ce type de dérives, le projet de loi préconise de conserver une forme de séparation entre expertise et décision avec, d’un côté, le corps d’experts/chercheurs de l’IRSN et les chargés d’affaires de l’ASN et, de l’autre, un <a href="https://www.asn.fr/tout-sur-l-asn/presentation-de-l-asn/l-organisation-de-l-asn#le-college">collège décisionnaire</a>, qui existe déjà au sein de l’ASN.</p>
<p>Toutefois, cette garantie semble oublier que seules les décisions stratégiques sont prises par le collège à l’heure actuelle tandis que les décisions du « quotidien », qui constituent le plus grand nombre, <a href="https://hal.science/hal-03338579/document">se règlent par consensus ou compromis à différentes étapes d’un dialogue pas que technique</a>.</p>
<p>La spécificité du modèle dialogique français est donc un argument à double tranchant.</p>
<ul>
<li><p>D’un côté, il est mobilisé par certains promoteurs de la réforme en raison de la proximité entre acteurs et d’une forme de porosité entre expertise et décision : s’il n’existe pas de séparation nette, on est en droit de se demander l’intérêt de conserver deux organismes distincts.</p></li>
<li><p>De l’autre, le dialogue à trois a été jugé efficace pour développer le parc nucléaire dans les années 1970-1980 et est aujourd’hui reconnu, tant au plan national qu’international. Il permet notamment d’éviter certaines dérives : excès de zèle ou capture du pouvoir.</p></li>
</ul>
<p>Dans tous les cas, le projet de réforme touche au fondement du fonctionnement du modèle dialogique qui a fait la force et la stabilité du système de gouvernance des risques nucléaires français. Reste à voir si ce nouveau modèle sera aussi efficace que le précédent pour assurer tant la sûreté que la réussite industrielle dans le contexte de développement d’un nouveau parc nucléaire et de <a href="https://theconversation.com/prolongement-des-centrales-nucleaires-comment-se-calculent-les-couts-93885">prolongation de la durée de vie des centrales existantes</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/222819/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michaël Mangeon effectue régulièrement des travaux pour l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Mathias Roger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La fusion de l'ASN et de l’IRSN proposée par le gouvernement est loin d'être anodine. Elle remet en cause ce qui fait la force du modèle français de gouvernance des risques nucléaires.Michaël Mangeon, Chercheur associé EVS-RIVES ENTPE, enseignant vacataire, consultant, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresMathias Roger, Chercheur en histoire et sociologie des sciences et des techniques, IMT Atlantique – Institut Mines-TélécomLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2206962024-01-10T18:56:21Z2024-01-10T18:56:21ZLes comités de durabilité ne sont pas toujours efficaces pour responsabiliser les entreprises<p>De plus en plus d'entreprises mettent aujourd'hui en place des «comités de durabilité» pour promouvoir activement des pratiques durables et rendre compte de ces activités. Ces comités, nommés par le conseil d'administration, sont censés aider les organisations à mieux aligner leur véritable performance environnementale. Leurs divulgations visent ainsi à réduire l'engagement des entreprises dans des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/1467-8551.12695">pratiques de découplage</a>, définies comme l'écart entre ce que les organisations communiquent en termes de performance sociale et environnementale et ce qu'elles font réellement.</p>
<p>Cependant, certaines entreprises peuvent mettre en place des comités de durabilité purement symboliques ou pour <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-012-1331-5">se donner une image plus responsable</a> auprès des parties prenantes. En enquêtant sur un échantillon mondial d'entreprises de 37 pays, nous avons ainsi mis en évidence une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/csr.2631">association négative significative</a> entre l'existence d'un comité de durabilité et le découplage environnemental. Ainsi, la nomination d'un comité ne semble pas suffire à contrôler le comportement de découplage des dirigeants.</p>
<h2>Des performances exagérées</h2>
<p>Dans notre recherche, nous avons postulé que la création d'un comité de durabilité spécialisé améliorait l'alignement entre la divulgation liée à l'environnement et la performance environnementale réelle. En principe, le comité de durabilité agit en effet d'abord en tant que canal approprié pour contrôler la discrétion managériale sur les questions de durabilité, jouant ainsi un <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/corg.12279">rôle décisif dans les effets de la gouvernance</a> de l'entreprise.</p>
<p>Or, dans notre échantillon, les entreprises soit exagèrent leur performance en matière de durabilité pour <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1525/cmr.2011.54.1.64">renforcer leur légitimité</a>, soit sous-estiment leurs activités de développement durable dans les rapports afin de <a href="https://www.jstor.org/stable/43661016">détourner l'attention d'éventuelles initiatives coûteuses</a>. Par conséquent, un <a href="https://link.springer.com/article/10.1057/s41267-018-0171-7">écart se crée</a> entre la divulgation de durabilité et la performance réelle malgré l'existence d'un comité de durabilité.</p>
<p>Pourtant, ce découplage entre la pratique et les objectifs affichés en termes de responsabilité sociétale et environnementale (RSE) peut avoir des impacts désastreux sur la rentabilité et la réputation d'une entreprise. L'écart, s'il est révélé, peut présenter des coûts importants pour les entreprises, notamment lorsque les parties prenantes <a href="https://www.jstor.org/stable/43660871">externes surveillent la performance en matière de RSE</a>.</p>
<h2>Une question de genre</h2>
<p>Dans notre échantillon, nous avons néanmoins constaté que des comités de durabilité plus indépendants et diversifiés sur le plan du genre sont efficaces pour réduire le niveau de découplage environnemental. Les résultats offrent donc des implications pour les entreprises : il s'agit pour elles de nommer davantage de directeurs indépendants et féminins au sein des comités de durabilité.</p>
<p>La diversité des genres au sein des conseils est notamment reconnue pour son impact positif sur les résultats financiers et non financiers. La recherche suggère ainsi que la présence de femmes au sein des conseils améliore la prise de décision en matière de RSE en raison de leur orientation sociale. La Norvège a été le premier État à introduire une législation sur les quotas de genre au sein des conseils d'administration, une mesure visant à remédier à la domination masculine de longue date dans les échelons supérieurs du monde des entreprises.</p>
<p>En réponse à la vague mondiale de promotion de l'égalité des genres, la France a introduit en janvier 2011 des quotas obligatoires afin d'accroître la diversité des genres au sein des conseils d'administration des entreprises. En vertu de ces quotas, les entreprises françaises sont tenues de nommer <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/jbfa.12409">au moins 40 % de femmes</a> dans leur conseil d'administration. Autant de mesures qui permettent in fine de corriger les défauts des conseils de durabilité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220696/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Selon un travail de recherche, la mise en place de structures de gouvernance pour promouvoir des pratiques durables répond parfois d'abord à des enjeux d'image.Rizwan Mushtaq, Assistant Professor, Finance, Economics & Law, EDC Paris Business SchoolAitzaz Ahsan Alias Sarang, Assistant Professor, Iqra UniversityAmmar Ali Gull, Associate Professor, Accounting & Finance, Pôle Léonard de VinciTanveer Ahsan, Associate Professor, Finance and Accounting, Rennes School of BusinessLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2197562023-12-18T18:58:42Z2023-12-18T18:58:42ZSmart city ? La technologie ne fait pas tout !<p>Depuis 15 ans, l’<a href="https://theconversation.com/topics/politiques-publiques-54327">action publique locale</a> a été profondément impactée par l’essor des technologies numériques : déploiement de la fibre optique (<a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/infrastructures-numeriques-amenagement-territoire-impacts-economiques-sociaux-plan">Plan France très haut débit</a>), dématérialisation des procédures administratives (<a href="https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/action-publique-2022-pour-transformation-service-public">programme Action publique 2022</a>), ouverture des données (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000031589829/">loi pour une République numérique</a>), utilisation du numérique comme <a href="https://www.cairn.info/revue-gestion-et-management-public-2022-2-page-9.htm">levier de gestion de l’austérité budgétaire</a>, etc.</p>
<p>De manière plus générale, la société et l’économie se sont également fondamentalement transformées sous l’influence du numérique. La première est entrée dans l’ère de la <a href="https://www.cairn.info/culture-numerique--9782724623659.htm">culture numérique</a>, tandis que la seconde reste marquée par le succès des plates-formes et la systématisation de l’exploitation des données, conduisant certains auteurs à alerter sur les risques du <a href="https://www.zulma.fr/wp-content/uploads/2022-01-Capitalisme-de-surveillance-Za.pdf">« capitalisme de surveillance »</a>.</p>
<p>Dans ce contexte, les acteurs publics locaux français ont notamment réagi en s’emparant du concept d’origine anglo-saxonne de <a href="https://theconversation.com/topics/villes-intelligentes-27675"><em>smart city</em></a> et en le déclinant sous forme de politiques du même nom, ou le plus souvent en le traduisant sous l’appellation « <a href="https://theconversation.com/topics/villes-23233">villes</a> et territoires intelligents ».</p>
<p>Cette dynamique a alors fait l’objet d’une attention particulière de l’État au regard des enjeux économiques et de souveraineté numérique. Trois rapports ont ainsi été publiés en <a href="https://www.gouvernement.fr/partage/9140-rapport-de-m-luc-belot-sur-les-smart-cities">2017</a>, <a href="https://univ-tlse2.hal.science/hal-02053591">2018</a> et <a href="https://www.entreprises.gouv.fr/fr/etudes-et-statistiques/dossiers-de-la-dge/de-la-smart-city-la-realite-des-territoires-connectes">2021</a>. 200 projets de ce type y ont été recensés en 2021. Depuis, la dynamique s’est renforcée avec le lancement de l’appel à projets Territoires intelligents et durables en 2022. Une <a href="https://www.banquedesterritoires.fr/la-communaute-des-territoires-connectes-se-met-en-place-sous-legide-de-la-banque-des-territoires">communauté des territoires connectés</a> est également en cours de mise en place sous l’égide la Banque des territoires.</p>
<p>La compréhension des modalités de mise en œuvre de ce type de politiques et des conditions de leur réussite semble donc plus que jamais nécessaire. C’est l’objet de deux <a href="https://www.cairn.info/revue-politiques-et-management-public-2021-3-page-235.htm">publications</a> <a href="https://www.cairn.info/revue-gestion-et-management-public-2023-4-page-9.htm">récentes</a>, nourries d’observations empiriques issues de trois études de cas français : le projet <a href="https://www.angersloiremetropole.fr/un-territoire-en-mouvement/territoire-intelligent/index.html">« Angers Territoire intelligent »</a> conduit depuis 2018 par Angers Loire-Métropole, la politique « ville des intelligences » engagée par la <a href="https://www.smartcitymag.fr/article/719/mulhouse-se-reinvente-avec-ses-habitants">Ville de Mulhouse</a> et la stratégie <em>smart city</em> pilotée par la <a href="https://www.calameo.com/ville2biarritz/read/0012420115e97adcc08e2">Ville de Biarritz</a>. Nous identifions dans ces travaux deux grands facteurs clés de succès pour expliquer la réussite de ces démarches innovantes.</p>
<h2>Se centrer sur les usages</h2>
<p>Nous avons d’abord observé l’importance de penser la <em>smart city</em> sous forme de politiques publiques mobilisant de manière cohérente et organisée les technologies numériques et les données massives au service d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-gestion-et-management-public-2023-3-page-22.htm?ref=doi">ambition de création de valeur publique</a> multidimensionnelle, mise en œuvre par des acteurs internes et/ou externes, avec des financements publics et/ou publics-privés.</p>
<p>Cette ambition, au sens d’une réponse aux attentes des citoyens sous forme de <a href="https://www.ctg.albany.edu/media/pubs/pdfs/dgo2011_opengov.pdf">résultats tangibles</a> et de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1467-8500.2007.00545.x">processus générateurs de confiance ou d’équité</a> peut être pensée à deux niveaux. De manière globale, il est possible d’identifier une thématique dominante, à l’instar de la qualité de vie et de la transition écologique pour Angers Loire-Métropole, de la ville du quart d’heure pour Mulhouse, et du renouvellement des relations de proximité pour Biarritz.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1541722342228910080"}"></div></p>
<p>Au niveau des actions et des outils ensuite, l’enjeu est de n’engager des déploiements qu’après avoir travaillé sur les cas d’usage et en créant les conditions pour établir un bilan création/destruction de valeur publique. Compte tenu du potentiel des technologies numériques, les cas d’usages apparaissent très diversifiés. On peut toutefois distinguer trois grandes catégories.</p>
<p>D’abord, les projets d’optimisation des infrastructures par les technologies numériques orientés vers la préservation des ressources naturelles (eau et assainissement, arrosage des espaces verts, éclairage public). Ensuite, les outils facilitant l’aide à la décision, l’information et la concertation des habitants.</p>
<p>Angers Loire-Métropole utilise ainsi un <a href="https://www.geodatadays.fr/_medias/afigeo/files/GDD_2022/Supports_ppt/3D_Jumeaux_numeriques/4-GDD22-ANGERSLOIREMETROPOLE-JUTEAU.pdf">jumeau numérique de territoire</a> pour améliorer la planification urbaine sur deux thématiques : les îlots de chaleur urbains et la prévention du risque d’inondation. Mulhouse travaille sur un outil aux fonctionnalités similaires, en l’enrichissant de l’ambition d’en faire une <a href="https://www.mulhouse.fr/wp-content/uploads/2023/01/CP-Le-jumeau-numerique-un-dispositif-innovant-pour-concevoir-le-futur-quartier-DMC.pdf">plate-forme collaborative urbaine</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1199987568365985792"}"></div></p>
<p>Enfin, le renouvellement des relations de proximité motive le déploiement d’applications interactives dans lesquelles les habitants peuvent signaler des dysfonctionnements, suivre l’avancée de leurs demandes, recevoir des informations personnalisées, participer à des consultations ciblées, etc. L’objectif est alors de renforcer le niveau de satisfaction et de confiance des utilisateurs dans les acteurs publics. Dans les trois cas, les impacts sur les organisations sont importants, impliquant de travailler sur les modalités de gouvernance de ces politiques publiques.</p>
<h2>Développer une gouvernance proactive et ouverte</h2>
<p>Nos recherches ont ainsi permis de mettre en évidence l’importance, mais aussi la difficulté, de conduire les politiques de villes et de territoires intelligents dans une approche équilibrée entre <a href="https://www.cairn.info/revue-politiques-et-management-public-2021-3.htm">gouvernance « proactive » et gouvernance « ouverte »</a>.</p>
<p>Dans les trois collectivités étudiées, nous constatons en effet l’intérêt d’un leadership politique et administratif fort, c’est-à-dire d’un engagement constant des maires et/ou de leurs adjoints et des directions générales. Les instances réglementaires des collectivités restent un point de passage important, mais le pilotage opérationnel se fait au travers d’une « comitologie » spécifique, orientée vers l’agilité et la réactivité.</p>
<p>À Biarritz, Angers ou Mulhouse, nous constatons également la mise en œuvre de pratiques de gouvernance ouverte. La dynamique est d’abord interne, en direction des services et des agents. La transversalité est essentielle. L’ouverture est ensuite à destination des acteurs du territoire, qu’il s’agisse des autres acteurs publics, des opérateurs économiques, des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, ou des citoyens. Sur ce dernier point, le <a href="https://www.banquedesterritoires.fr/sites/default/files/2019-02/Guide%20des%20outils%20num%C3%A9riques%20pour%20la%20participation%20citoyenne%20dans%20les%20collectivit%C3%A9s%20territoriales.pdf">potentiel de co-création offert par les technologies numériques</a> reste immense. Dans une ville comme Biarritz, sujette à de très fortes variations saisonnières de sa population, il est par exemple particulièrement intéressant pour développer de nouvelles formes de proximité dans la co-construction de l’action publique.</p>
<p>Toutefois, nos observations convergent sur la difficulté rencontrée par les acteurs publics locaux pour pratiquer de manière simultanée gouvernance proactive et gouvernance ouverte. Les prérequis technologiques et organisationnels à la mutation des propositions de valeur publique et au développement des processus de co-création, conjugués à de fortes tensions sur les ressources, constituent des facteurs limitatifs forts.</p>
<p>La fiabilisation des socles technologiques constitue un chantier souvent chronophage. La tension sur les ressources ne se limite pas aux seules ressources opérationnelles. Elle affecte aussi les responsables politiques et administratifs. La prise en compte de cette dimension est donc essentielle pour réussir à conduire des politiques créatrices de valeur publique.</p>
<h2>Déconstruire ou construire différemment ?</h2>
<p>Dès lors, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/le-meilleur-des-mondes/ville-de-demain-faut-il-deconstruire-la-smart-city-7191900">« faut-il déconstruire la <em>smart city</em> ? »</a> La question, encore récemment posée par un grand média et sur laquelle la recherche s’interroge, témoigne de l’importance du questionnement sur les finalités de ces politiques publiques, qui ne doivent pas se limiter aux seules dimensions technologiques.</p>
<p>De notre point de vue, l’enjeu est plutôt de poursuivre la construction de politiques publiques de villes et de territoires intelligents, ou plutôt de politiques de villes et de <a href="https://www.entreprises.gouv.fr/fr/actualites/territoires-connectes-durables-rapport-ministre-delegues-numerique">territoires « connectés »</a>, pour dépasser les limites sémantiques de la traduction en français du mot <em>smart</em> et mieux valoriser les dynamiques d’interconnexion technologique et humaine à l’œuvre. Ces politiques de Territoires connectés doivent alors être assorties d’objectifs ambitieux et multidimensionnels, co-construits avec les parties prenantes des territoires, portées par une gouvernance à la fois proactive et ouverte, et inscrites dans des démarches de co-évaluation de leurs résultats.</p>
<hr>
<p><em>Pierre Marin, fonctionnaire de sécurité des systèmes d’information au ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, a contribué à la rédaction de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219756/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Carassus, via la chaire OPTIMA, a reçu des financements de la fondation INDARRA pour réaliser une recherche sur les smart cities. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Didier Chabaud est directeur de la Chaire entrepreneuriat Territoire innovation de l'IAE Paris-Sorbonne qui bénéficie de financements d'acteurs publics et privés pour effectuer ses recherches.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pascal Frucquet a reçu des financements du fonds de dotation INDARRA, via la chaire OPTIMA, pour réaliser ses recherches sur la Smart City.</span></em></p>Deux études récentes relèvent l’importance de la gouvernance et de la prise en compte des attentes des habitants dans les politiques de Smart City ou de Territoires connectés.David Carassus, Professeur en sciences de gestion, IAE Pau-BayonneDidier Chabaud, Directeur de la Chaire entrepreneuriat Territoire innovation, Professeur en sciences de gestion - SRM/LAB IAE Paris-Sorbonne, IAE Paris – Sorbonne Business SchoolPascal Frucquet, Directeur d'hôpital (Disponibilité) - Doctorant en Sciences de gestion (LIREM, UPPA), IAE Pau-BayonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2198422023-12-17T15:34:36Z2023-12-17T15:34:36ZLa mixité en entreprise, l’autre enjeu du système éducatif<p>Malgré les récentes avancées, l’égalité femmes-hommes dans les entreprises, notamment dans les instances de gouvernance, reste l’un des grands enjeux de nos sociétés modernes. Longtemps, des pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) discriminantes à l’égard des femmes ont été accusées d’être à l’origine de la faible mixité des instances de gouvernance. Le législateur est venu corriger cet état de fait en 2011 en imposant un quota de 40 % de femmes dans les conseils d’administration (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000023487662/">loi Copé-Zimmermann</a>) et dans les comités exécutifs (comex) à compter de 2029 (<a href="https://travail-emploi.gouv.fr/actualites/l-actualite-du-ministere/article/la-loi-rixain-accelerer-la-participation-des-femmes-a-la-vie-economique-et">loi Rixain</a> votée en 2021).</p>
<p>Dans un <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2021-5-page-97.htm">article</a> de recherche publié en 2021, j’avais montré à quel point cette législation coercitive a été efficace pour favoriser la diversité dans les instances de gouvernance. Cependant, la loi ne peut régler tous les problèmes en matière de mixité dans les entreprises. De même, les pratiques de GRH se heurtent à des mécanismes sur lesquels les employeurs ont peu ou pas d’emprise.</p>
<h2>Une politique volontariste est possible</h2>
<p>Les <a href="https://www.skema-bs.fr/facultes-et-recherche/recherche/observatoire-de-la-feminisation">travaux de l’Observatoire Skema de la féminisation des entreprises</a> ont ainsi mis en évidence une grande hétérogénéité en termes de mixité au sein des comités exécutifs, mais également dans la population de « managers intermédiaires » (catégories ingénieurs et cadres) qui constitue le vivier de talents dans lequel les entreprises puisent pour recruter les membres de leur direction.</p>
<p>Si certains employeurs peuvent être suspectés de discrimination dans la mesure où ils disposent d’un vaste vivier de femmes managers intermédiaires mais n’emploient que peu de femmes dans leur comex (LVMH, EssilorLuxottica, Danone), d’autres en revanche ne disposent pas d’un tel vivier de talents féminins (Airbus, Thalès, STMicroelectronics).</p>
<p>Paradoxalement, il y a plus d’entreprises ayant déjà atteint le quota de 40 % de femmes au comex fixé par la loi Rixain parmi celles qui ont un vivier limité de femmes managers intermédiaires (Orange, Schneider Electric et Engie) que parmi celles qui disposent d’un vivier plus conséquent (Vivendi et Crédit Agricole). Une politique volontariste de promotion des talents féminins semble donc possible, même dans les entreprises disposant d’un vivier réduit dans leur population d’encadrement.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/565446/original/file-20231213-15-ufzwaj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.skema-bs.fr/facultes-et-recherche/recherche/observatoire-de-la-feminisation">Observatoire Skema de la féminisation des entreprises (2023)</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>En revanche, la faible présence des femmes dans le management intermédiaire apparaît moins liée aux pratiques de GRH des employeurs qu’à des mécanismes externes aux entreprises et que ces dernières ne peuvent que difficilement influencer. Dans une recherche récente, j’ai montré qu’au-delà de la discrimination et de l’existence d’un plafond de verre au sein des entreprises, deux autres mécanismes influencent la mixité en entreprise : les <a href="https://www.cairn.info/revue-agrh1-2018-2-page-83.htm">choix éducatifs et les préférences professionnelles</a> qui restent aujourd’hui sexués.</p>
<h2>Peu de femmes ingénieures</h2>
<p>Ainsi, les entreprises industrielles dont le management intermédiaire est composé essentiellement de diplômés d’écoles d’ingénieurs font face à la faible présence de filles dans ces institutions éducatives. En moyenne, les filles représentent 28 % des effectifs des écoles d’ingénieurs (contre environ 50 % dans les écoles de management) avec de grandes disparités entre les écoles. À peine 17 % à Polytechnique, 18 % à CentraleSupélec, 16 % aux Arts et Métiers mais 65 % à AgroParisTech. Les entreprises industrielles recrutant des ingénieurs font face au faible nombre de diplômées formées par le système éducatif.</p>
<p>Certes, les entreprises peuvent influencer les choix éducatifs des filles. Un <a href="https://academic.oup.com/ej/article-abstract/133/653/1773/7055938">article</a> récent, publié dans <em>The Economic Journal</em>, a montré les effets positifs du programme d’ambassadrices scientifiques que L’Oréal délègue dans les lycées depuis 2014 pour lutter contre les stéréotypes genrés et inciter les étudiantes à s’orienter vers les cursus de sciences, technologie, ingénierie et mathématique. Cette recherche montre que les jeunes filles exposées à ce programme de sensibilisation s’orientent plus vers les prépas scientifiques aux grandes écoles. Cependant, l’expérience reste anecdotique au regard de l’importance de la population de lycéennes et du faible rôle donné aux entreprises au sein du système éducatif.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-legalite-entre-les-sexes-nefface-t-elle-pas-les-segregations-dans-les-filieres-scientifiques-152272">Pourquoi l’égalité entre les sexes n’efface-t-elle pas les ségrégations dans les filières scientifiques ?</a>
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<p>Le vivier limité de diplômées des écoles d’ingénieurs s’est également réduit sous l’effet d’un autre mécanisme : les préférences professionnelles, elles aussi genrées. Ainsi, L’Oréal est l’employeur préféré des ingénieures mais n’est que le 35<sup>e</sup> pour leurs homologues masculins. Inversement, les constructeurs automobiles sont plutôt bien considérés par les garçons ingénieurs mais beaucoup moins par les filles.</p>
<p>Cette dichotomie genrée se retrouve dans les écoles de management et les femmes sont attirées par des secteurs déjà très féminisés (luxe, santé, agroalimentaire) et moins par les secteurs industriels comme l’énergie, la construction ou l’automobile.</p>
<p>Aujourd’hui, les employeurs et les associations de femmes ingénieures s’efforcent de promouvoir les métiers de l’industrie auprès des filles. Cependant, leur capacité d’influence reste limitée car les choix éducatifs et les préférences professionnelles se construisent hors et avant l’entrée des individus sur le marché du travail.</p>
<h2>Une responsabilité de toute la société et du système éducatif</h2>
<p>Les pouvoirs publics et de nombreuses parties prenantes ont pendant longtemps attribué à des pratiques discriminantes des entreprises la faible mixité dans les postes à responsabilité. La réalité semble cependant plus subtile puisqu’une partie de la responsabilité incombe aussi au système éducatif au sens large, c’est-à-dire à l’école, aux parents et à la société en général.</p>
<p>Comme l’a montré la sociologue américaine Shelley Correll, tant les parents que les instituteurs tendent à <a href="https://www.journals.uchicago.edu/doi/full/10.1086/321299">s’inquiéter beaucoup plus quand les petits garçons éprouvent des difficultés en mathématiques</a> et consacrent plus d’énergie pour les aider à progresser que lorsqu’il s’agit de petites filles, renforçant ainsi dès les petites classes les stéréotypes sexués en matière d’appétence à l’égard des disciplines scientifiques.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lenjeu-societal-de-la-ghetto-sation-sexuelle-des-grandes-entreprises-178078">L’enjeu sociétal de la ghettoïsation sexuelle des grandes entreprises</a>
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<p>Pour reprendre <a href="https://www.lessaintsperes.fr/77-le-deuxieme-sexe-9791095457565.html">l’intuition de Simone de Beauvoir</a>, la société construit les sexes de manière différenciée et cela oriente les choix éducatifs et professionnels des filles et des garçons pour à terme influencer la mixité dans les entreprises. Au-delà de l’école et des parents, les médias, la publicité, la littérature et l’industrie cinématographique construisent une image genrée du scientifique, de l’ingénieur, de l’innovateur ou de l’entrepreneur à laquelle peuvent s’identifier les garçons dès leur plus jeune âge et beaucoup moins les jeunes filles qui sont renvoyées à d’autres stéréotypes.</p>
<p>C’est donc le rôle du système éducatif d’imaginer des dispositifs pédagogiques qui remettent en cause les stéréotypes genrés afin d’orienter les jeunes filles vers les filières scientifiques et les sciences de l’ingénieur. L’enjeu n’est pas uniquement en matière d’équité sociale, mais également en termes de performances économiques et <a href="https://theconversation.com/les-femmes-plus-soucieuses-de-lenvironnement-oui-parce-quelles-ont-appris-a-letre-131314">environnementales</a>. Dans un <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/09585192.2022.2093121">article</a> publié en 2021, nous avions ainsi montré que les entreprises les plus mixtes sont également plus rentables que celles qui sont très masculines ou très féminines.
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L’économiste Xavier Jaravel, dans son ouvrage récent au titre évocateur, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/marie-curie-habite-dans-le-morbihan-xavier-jaravel/9782021545838"><em>Marie Curie habite dans le Morbihan. Démocratiser l’innovation</em></a> (éditions du Seuil) met d’ailleurs en évidence la nécessité pour nos sociétés et notre système éducatif d’inciter les jeunes filles talentueuses à s’orienter vers des carrières scientifiques pour contribuer au bien-être collectif et développer des innovations responsables.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219842/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Ferrary ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les difficultés à atteindre les objectifs d’égalité hommes-femmes dans certaines entreprises s’expliquent par des choix d’orientation et des préférences professionnelles qui restent fortement genrés.Michel Ferrary, Professeur de Management à l'Université de Genève, Chercheur-affilié, SKEMA Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2170332023-11-09T14:52:00Z2023-11-09T14:52:00ZExplosion des coûts dans les mégaprojets : pire au Québec, vraiment ?<p>À en croire le ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, il est tout simplement impossible de réaliser un <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1980666/quebec-projets-depassements-couts-fitzgibbon">grand projet sans que les coûts explosent</a>. Certains croient par ailleurs <a href="https://www.journaldemontreal.com/2023/11/02/oups-un-autre-depassement-de-couts#cxrecs_s">que les Québécois sont pires que d’autres et ne savent pas gérer ces projets majeurs</a>, aussi appelés mégaprojets. </p>
<p>À titre d’experte sur ces questions, je tiens à apporter certaines précisions afin que l’on comprenne mieux ce qu’il en est, et ce que l’on peut faire pour améliorer la gestion des grands projets.</p>
<h2>Très peu de projets respectent les délais, les coûts et les exigences</h2>
<p>Il y a beaucoup de recherche dans le monde en lien avec les mégaprojets et les dépassements de coûts. </p>
<p>Une des sommités dans ce domaine, le professeur d’Oxford Bent Flyvbjerg, <a href="https://pmiquebec.qc.ca/revue-du-livre-de-bent-flyvbjerg-et-dan-gardner-2023-how-big-things-get-done/">vient de publier un ouvrage grand public qui vulgarise ses 30 dernières années de recherche sur la question</a>. Il a établi au fil des ans une des bases de données les plus complètes au monde, provenant de plus de 16 000 mégaprojets. </p>
<p>Constat principal : à l’international, seulement 0,5 % des projets répertoriés ont respecté la triple contrainte, soit le respect des délais, des coûts et des exigences. Ce chiffre est très éloquent. Et nous sommes loin d’être les seuls à avoir des projets hautement problématiques. Bien que ces résultats soient remis en question par des chercheurs du domaine, et que la question de la valeur générée soit de plus en plus centrale, cela montre tout de même la tendance lourde.</p>
<p>Les projets les plus susceptibles de dépassements de coûts extrêmes sont ceux qui souffrent de manque de planification, qui sont hors norme et demandent des innovations, qui n’ont pas été éprouvées (par exemple, de faire construire le plus gros tunnelier du monde pour creuser un tunnel), ou ceux qui ne peuvent tabler sur la réplicabilité et modularité pour favoriser l’apprentissage en cours de route. </p>
<p>À l’inverse, des projets modulaires, tels que l’installation de panneaux solaires ou d’éoliennes en y allant par section, sont plus faciles à contrôler, peuvent être mis en production plus rapidement et on peut en tirer des leçons pour ajuster le tir en cours de route. Les mégaprojets de centrales nucléaires ou de barrages hydroélectriques sont quant à eux très difficiles à évaluer en amont, et sont souvent associés à des dépassements de coûts plus importants.</p>
<p>Pour ce qui est des transports en commun, ce qui augmente la complexité, au-delà du volet technique, est leur intégration plus large dans leur environnement, générant de nombreux risques systémiques. Ici aussi, il est difficile de bien estimer les coûts en amont. Cependant, c’est possible. </p>
<figure class="align-center ">
<img alt="un parc éolien en bordure de mer" src="https://images.theconversation.com/files/558089/original/file-20231107-253800-pryje6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/558089/original/file-20231107-253800-pryje6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/558089/original/file-20231107-253800-pryje6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/558089/original/file-20231107-253800-pryje6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=196&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/558089/original/file-20231107-253800-pryje6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=246&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/558089/original/file-20231107-253800-pryje6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=246&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/558089/original/file-20231107-253800-pryje6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=246&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Parc éolien à l’Île du Prince-Édouard. Leur installation est plus facile à contrôler et peut être mise en production plus rapidement.</span>
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</figure>
<h2>Les Québécois, compétents</h2>
<p>Contrairement aux discours ambiants, non seulement nous ne sommes pas en queue de peloton au Québec pour la gestion des grands projets, mais nous sommes au contraire très compétents. Notre expertise a été mainte fois reconnue à l’international. Avec Alejandro Romero-Torres, de l’ESG UQAM, à titre de co-directeur, <a href="https://www.editionsjfd.com/boutique/management-1209/la-gestion-de-projets-au-quebec-11108">nous avons documenté, avec plusieurs collaborateurs, ces grands projets à succès</a>, québécois et méconnus. </p>
<p>Par exemple, le projet de revitalisation de la Tour de Montréal, l’illumination du pont Jacques-Cartier, l’agrandissement de l’aéroport de Québec, le développement du Quartier des spectacles, pour ne nommer que ceux-ci. Nous relevons également plusieurs bonnes pratiques intéressantes, que je résumerai ici.</p>
<p>En premier lieu, comme ces projets sont pour la majorité publics, il importe de bien clarifier la gouvernance, la prise de décision et l’imputabilité des principaux acteurs. Si le projet du REM de la CDPQ Infra peut être <a href="https://transitcenter.org/on-track-for-success-decoding-montreals-rem-model-for-efficient-transit-projects-in-the-u-s/">qualifié de succès à plusieurs égards</a>, c’est notamment grâce à leurs superpouvoirs légiférés et à leur approche modulaire, par tronçons (le premier vient d’être livré et est déjà opérationnel). </p>
<p>Les dirigeants ont cependant minimisé la co-construction et le dialogue en amont avec les parties prenantes externes, les résidents du secteur, la société civile, et les autres sociétés de transports, ce qui est problématique, et va à l’encontre des tendances dans le domaine. En effet, bien que cela puisse paraître contre-productif d’impliquer plusieurs parties prenantes en amont, cela favorise l’acceptabilité sociale. Cela permet aussi de formuler un projet générant plus de bénéfices et d’inclure des réponses aux principales préoccupations. À cet effet, la transparence est primordiale. </p>
<p>L’utilisation de techniques innovantes, telles que la modélisation des données du bâtiment, permet d’estimer et de gérer avec précision l’explosion des coûts lors de la réalisation de projets. En ce sens, la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2023011/bruno-marchand-annonce-tramway">proposition du maire de Québec d’agir à titre de maître d’œuvre pour son projet de tramway</a> peut paraître risquée, mais elle me semble à priori intéressante. Je ne suis pas la seule à envisager que <a href="https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/801141/transports-plan-b-realiser-tramway-quebec-est-plausible">cette solution soit non seulement plausible</a>, mais aussi qu’elle <a href="https://www.lapresse.ca/dialogue/chroniques/2023-11-08/tramway-de-quebec/une-bonne-affaire-meme-a-8-milliards.php">permette de générer une valeur sociétale intéressante</a>. </p>
<h2>Valoriser les compétences critiques des organisations publiques</h2>
<p>Les organisations publiques ont perdu au fil du temps leurs compétences à l’interne pour gérer de grands projets (<a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2022907/entretien-ponts-ministere-transports-amp">on peut citer ici le ministère des Transports du Québec, qui a été à plusieurs reprises visé par des rapports du Vérificateur général du Québec à ce sujet</a>. Dans la foulée du courant du <a href="https://dictionnaire.enap.ca/dictionnaire/docs/definitions/defintions_francais/nouveau_mp.pdf">Nouveau Management public</a>, initié il y a quelques décennies, les institutions publiques ont en effet coupé leurs ressources à l’interne pour se tourner davantage vers le secteur privé. </p>
<p>Il est cependant intéressant de considérer le développement interne de certaines expertises névralgiques, notamment l’estimation et la gestion de projets. On constate maintenant que certaines compétences sont critiques et doivent être développées et maintenues du côté public. Cela permet d’assurer des ententes contractuelles, des estimations et des suivis afin d’assurer la qualité de ce qui est livré et une gouvernance favorisant le succès. </p>
<p>Je tiens à souligner que nous avons, au Québec, l’expertise pour gérer de grands projets. Ce qui est primordial, c’est d’assurer que les acteurs politiques soient sensibilisés sur leurs enjeux fondamentaux, en termes de valeur générée, d’acceptabilité sociale, de <a href="https://www.mckinsey.com/capabilities/operations/our-insights/delivering-sustainable-infrastructure-insights-from-industry-leaders?linkId=246741229">contribution à la décarbonation et à la transition énergétique</a>, de calendrier de réalisation allant au-delà des mandats des élus, et à leurs complexités inhérentes. </p>
<p>La transparence est de mise, tout comme l’implication en amont des parties prenantes externes, incluant la société civile et les chercheurs qui s’y connaissent sur ces questions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217033/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maude Brunet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À l’international, seulement 0,5 % des projets répertoriés ont respecté la triple contrainte, soit le respect des délais, des coûts et des exigences.Maude Brunet, Professeure agrégée, Gestion de projets, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2143242023-10-24T17:06:11Z2023-10-24T17:06:11ZComment les sciences de gestion peuvent-elles préparer les organisations au monde qui advient ?<p>Nouvelles menaces sanitaires, effondrement de la biodiversité, révolutions technologiques… Si les mutations ne sont pas nouvelles, elles interpellent cependant par leur nombre et leur ampleur au cours des dernières décennies. Parce qu’elles bouleversent les sociétés et leurs modèles économiques aux échelles collective et individuelle, les mutations doivent être étudiées avec attention.</p>
<p>À l’échelle macroéconomique et macrosociale, ces mutations font l’objet d’incessants débats et de résolutions lors de conférences et sommets mondiaux : <a href="https://unfccc.int/fr/process/bodies/supreme-bodies/conference-of-the-parties-cop">Conférences des parties pour le climat</a>, pour la biodiversité, <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/274833-quest-ce-quun-sommet-de-la-terre">Sommets de la Terre</a>, Forum de Davos, assemblées de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), Sommets de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur la <a href="https://www.oecd.org/fr/presse/sommet-sur-la-transformation-numerique-l-ocde-appelle-a-plus-d-efforts-pour-reduire-les-fractures-numeriques-developper-les-competences-et-elargir-l-acces-aux-donnees.htm">transformation numérique</a>, Sommets du G7 et du G20, etc.</p>
<p>À l’échelle microéconomique et microsociale, les dirigeants pris dans ce tourbillon s’inquiètent aussi des répercussions sur leurs organisations : comment anticiper et s’adapter aux mutations sociétales, environnementales ou technologiques ? Sur ce point, les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/sciences-de-gestion-27976">sciences de gestion</a> peuvent contribuer à cette réflexion et apporter des pistes de solution.</p>
<p>D’éminents collègues regrettaient d’ailleurs fin 2020 la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2020-3-page-11.htm?contenu=resume">relative absence des spécialistes de la gestion dans le débat sur la crise de la Covid-19</a>, comme si les spécialistes de l’organisation, du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/management-20496">management</a> et de l’innovation, n’avaient rien à dire en pareilles circonstances !</p>
<p>Pourtant, cette discipline regorge de travaux sur les crises et les mutations. Ces études pourraient être mobilisées par les décideurs pour les aider à faire face aux défis qu’ils affrontent. Les sciences de gestion, grâce à leur fort ancrage dans les sciences humaines et sociales, offrent des grilles de lecture d’évolutions des comportements humains.</p>
<h2>Des critères autres que financiers</h2>
<p>Paru en 2023 aux éditions EMS, l’ouvrage collectif <a href="https://www.editions-ems.fr/boutique/mutations-societales-et-organisations/"><em>Mutations sociétales et organisations. Des repères théoriques et pratiques pour préparer les organisations au monde qui advient</em></a> se veut une réponse aux difficultés d’appropriation par les praticiens des connaissances scientifiques. Il présente des réponses concrètes et étayées fondées sur des études de cas, résultats d’enquête ou synthèses de la littérature académique dans une logique interdisciplinaire.</p>
<p>Ainsi, les chapitres sur le <a href="https://theconversation.com/fr/topics/finance-participative-crowdfunding-142378">financement participatif</a> (<em>crowdfunding</em>), les financements verts et l’investissement éthique offrent notamment des synthèses de la littérature académique qui permettent aux managers d’avoir un point de vue actualisé des travaux.</p>
<p>Par exemple, pour réduire les inégalités sociales ou professionnelles, les modes de gouvernance et management évoluent vers plus d’inclusivité ; et de nouveaux dispositifs de financement apparaissent. Des critères, autres que financiers, sont introduits à divers niveaux. Les objectifs financiers sont complétés par des paramètres tenant compte du respect de l’environnement ou des droits humains.</p>
<p>Ensuite, le chapitre sur le métier de contrôleur de gestion en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociétale des entreprises (RSE)</a>, qui mesure la performance extrafinancière des entreprises, laisse entrevoir des tendances susceptibles d’inspirer les praticiens en quête d’une veille d’opportunités métier. Il présente une réflexion fondée sur une analyse d’offres d’emploi qui permet de repenser le métier de contrôleur de gestion dans une perspective de durabilité forte.</p>
<p>En rejetant l’idée de compenser les capitaux financier, social et naturel, ce nouveau contrôleur de gestion peut relever le défi de la mesure et du pilotage de la durabilité. Il répond à de nouvelles demandes des ressources humaines (prévention et suivi des risques psychosociaux, qualité de vie au travail, diversité, égalité femme/homme…) et environnementales (bilan carbone, budget vert, reporting extrafinancier, tableaux de bord verts, matrice de matérialité…).</p>
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<p>Ce nouveau type de contrôleur de gestion traite à la fois des données financières et non financières touchant à des domaines hétérogènes (air, eau, énergie, biodiversité, déchets, bruits, transport, formation, coûts environnementaux, etc.). Doté de compétences en gestion des paradoxes, il est facilitateur et garant de la cohérence entre les trois dimensions du développement durable. Un rattachement à la direction générale ou à la direction RSE semble plus propice pour garantir son indépendance vis-à-vis des clients internes.</p>
<p>Diverses mutations de l’environnement – au sens large – transforment aussi les marchés en profondeur. Par exemple, du côté de l’offre touristique, les crises terroristes, alimentaires, sanitaires et géopolitiques, couplées aux dérèglements climatiques, ont conduit à une véritable métamorphose des stratégies des opérateurs. Du côté de la demande, on observe une évolution des attentes des consommateurs liées à la prise de conscience des mutations en cours, entraînant à son tour une évolution des stratégies des producteurs comme des distributeurs. Les travaux en sciences de gestion permettent de mieux comprendre ces évolutions, voire de les orienter vers plus de durabilité et de responsabilité, sans occulter la dimension éthique d’une telle ambition.</p>
<p>Pour faire face au phénomène de désindustrialisation affectant leur économie, de nombreux pays ont lancé des plans visant la modernisation de leur outil industriel par le déploiement de nouvelles technologies numériques. En France, les plans « Usine du Futur » puis « Industrie du Futur » visaient ainsi à favoriser le déploiement d’une vingtaine de technologies au sein des usines comme la robotique, la réalité augmentée, le numérique, l’intelligence artificielle, l’impression 3D… Toutefois, pour de nombreux dirigeants, la transformation de leur usine en Usine du Futur est un véritable défi tant les enjeux sociaux et techniques sont nombreux et entremêlés. Le chapitre consacré à cette mutation industrielle peut aider les praticiens à conduire ces transformations en proposant une méthode de conduite du changement reposant sur l’intéressement des acteurs.</p>
<h2>Gérer la complexité</h2>
<p>Enfin et non des moindres, les sciences de gestion et du management peuvent aussi entrer dans les débats de société en évaluant l’efficacité de politiques, comme celles non pharmaceutiques pour lutter contre la Covid-19. Les résultats du chapitre d’ouvrage suggèrent une surprise. Chiffres à l’appui, les politiques jugées efficaces ne le seraient pas. Les fermetures de lieux de travail, les restrictions des rassemblements et déplacements internes et internationaux ne seraient pas associées à une baisse du nombre de morts.</p>
<p>Cependant, ces résultats surprenants pourraient être des artefacts, liés à l’application de ces politiques. Selon la sociologie des organisations, ces accidents pourraient donc être normaux compte tenu certes <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/bf02701322">du fort couplage et de la complexité de la situation à gérer</a>, mais surtout d’un choix politique en faveur de la rentabilité, au détriment de la santé publique…</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=931&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=931&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=931&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1170&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1170&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/550071/original/file-20230925-21-u3eqzc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1170&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editions-ems.fr/boutique/mutations-societales-et-organisations/">Éditions EMS</a></span>
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<p>Au travers de ces réflexions foisonnantes et souvent interdisciplinaires, il ne s’agit pas de faire des prédictions, mais bien d’offrir un état des techniques et pratiques difficiles à obtenir quand on est aux affaires, alors que l’universitaire peut faire ce travail de veille avec un accès à des bases plus larges et un horizon temporel plus long.</p>
<p>Au bilan, il faut souhaiter que l’ensemble des publications en sciences de gestion soient davantage lues par les décideurs d’aujourd’hui et employées dans la formation de ceux de demain. Pour cela, c’est à nous qu’il revient – en tant que chercheurs de la discipline – de faire les premiers pas. Nous pouvons participer à la vulgarisation de nos travaux en publiant sur des médias s’adressant à un public non composé uniquement d’universitaires comme cela est le cas du site The Conversation. Les chercheurs en sciences de gestion peuvent se rapprocher de décideurs pour organiser des événements communs (conférences, tables rondes, etc.) portant sur des enjeux de gestion auxquels ils sont confrontés. Nous pouvons aussi créer de manière plus systématique dans les grandes manifestations scientifiques de nos disciplines des espaces de discussion avec les décideurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214324/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>La recherche en management peut apporter des réponses aux décideurs qui s’interrogent sur les mutations environnementales, sociétales ou technologiques en cours.Kirsten Burkhardt-Bourgeois, Maître de conférences, IAE Dijon, Université de Bourgogne – UBFCAdrien Bonache, Maître de Conférences HDR en Sciences de Gestion, Université de Bourgogne – UBFCAngèle Renaud, Professeure des universités, Directrice du CREGO, IAE Dijon - Université de BourgogneJérémy Vignal, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, IAE Dijon - Université de BourgogneYohan Bernard, Maître de conférences en Sciences de gestion et du management, Université de Franche-Comté – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2148842023-10-03T16:33:13Z2023-10-03T16:33:13ZConseils d’administration : la communauté LGBTQI+ reste largement sous-représentée<p>La plupart des entreprises aiment montrer leur engagement envers les personnes homosexuelles. En raison des progrès réalisés en matière de droits et de reconnaissance juridique au cours des dernières décennies, il est désormais courant d’afficher un logo arc-en-ciel au mois de juin, pendant le mois des fiertés LGBTQI+. De grandes entreprises telles que North Face, Anheuser-Busch InBev, Target ou encore Kohl’s ont ainsi récemment lancé des campagnes publicitaires inclusives mettant en lumière des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queers et intersexes (<a href="https://theconversation.com/fr/topics/lgbtq-64508">LGBTQI+</a>).</p>
<p>D’un point de vue commercial, il s’agit d’une stratégie qui porte ses fruits, « l’argent rose » pesant <a href="http://www.lgbt-capital.com/index.php?menu_id=2">3 500 milliards d’euros dans le monde, dont 874 milliards d’euros dans l’Union européenne</a>. Toutefois, de nombreux membres de la communauté LGBTQI+ <a href="https://www.washingtonpost.com/business/2023/06/16/lgbt-marketing-advertising-history-pride-month/">qualifient ces actions de « pinkwashing »</a> si elles ne sont pas soutenues par des mesures plus substantielles.</p>
<p>L’absence de ces mesures apparaît notamment lorsque l’on se penche sur les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/conseils-dadministration-101154">conseils d’administration</a> des <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprises</a>. En effet, mes recherches sur le <a href="https://escp.eu/faculty-research/erim/Impact-Papers/Better-Business-Creating-Sustainable-Value">rôle des entreprises dans la sphère politique</a>, notamment sur les <a href="https://escp.eu/faculty-research/erim/Impact-Papers/Geopolitics-and-Global-Business-Impact">questions sociales</a> telles que les <a href="https://thechoice.escp.eu/tl-dr/advancing-global-lgbt-rights-through-the-big-business-of-sport/">droits des personnes LGBTQI+</a>, montrent que les plus hautes instances reflètent mal la diversité encore aujourd’hui.</p>
<p>Selon les <a href="https://outleadership.com/wp-content/uploads/2022/03/OutQUORUM-Report-2022-2.pdf">estimations d’OutLEADERSHIP, moins de 1 %</a> des 5 670 sièges des conseils d’administration des 500 plus grandes sociétés américaines en chiffre d’affaires sont ainsi occupés par des administrateurs membres de la communauté LGBTQI+. En Europe, nous ne disposons d’aucune donnée en la matière, ce qui peut paraître d’autant plus surprenant que la Commission européenne <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/ALL/?uri=CELEX:52020DC0698">s’est engagée en 2020 à multiplier les opportunités pour la communauté</a>.</p>
<h2>Des politiques homophobes coûteuses</h2>
<p>Les arguments en faveur de la diversité au sein des conseils d’administration apparaissent pourtant très convaincants. Selon l’un des plus grands <a href="https://www.accaglobal.com/gb/en/student/exam-support-resources/professional-exams-study-resources/strategic-business-leader/technical-articles/diversifying-the-board.html">organismes comptables</a> au monde, elle se traduit par « des prises de décision plus efficaces, une meilleure utilisation du vivier de talents [et] une consolidation de la réputation de l’entreprise et des relations avec les investisseurs ».</p>
<p>Les recherches menées par les cabinets de conseil <a href="https://www.bcg.com/publications/2018/how-diverse-leadership-teams-boost-innovation">BCG</a> et <a href="https://www.mckinsey.com/featured-insights/diversity-and-inclusion/diversity-wins-how-inclusion-matters">McKinsey</a> révèlent également que la diversité des équipes dirigeantes améliore la productivité, favorise l’innovation et augmente les performances financières.</p>
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<p>Sur la base de données provenant de 657 entreprises américaines cotées en bourse entre 2003 et 2016, des <a href="https://www.forbes.com/sites/josiecox/2021/05/24/pride-pays-lgbt-friendly-businesses-are-more-profitable-research-shows/?sh=6d73b8523d07">chercheurs finlandais de l’université Aalto et de l’université de Vaasa</a> ont aussi observé que les entreprises ayant adopté des politiques de soutien à la communauté LGBTQI+ étaient à la fois plus rentables et mieux valorisées sur le marché boursier. Par exemple, en améliorant d’un écart-type sa note dans le <a href="https://www.hrc.org/resources/corporate-equality-index">Corporate Equality Index</a> de la Human Rights Campaign Foundation, une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/acfi.12787">entreprise peut voir sa valeur boursière augmenter de 7 %</a>.</p>
<p>À l’inverse, les politiques homophobes et transphobes coûtent de l’argent. <a href="https://open-for-business.org/cee-economic-case">Open for Business</a> a publié un rapport estimant que la Hongrie, la Pologne et la Roumanie perdaient près de 7 milliards d’euros par an du fait de leurs politiques discriminatoires à l’encontre des personnes LGBTQI+. Pourtant, en augmentant de 10 % les droits des membres de cette communauté, ces pays pourraient enregistrer une hausse de 3 400 euros de leur PIB par habitant.</p>
<p>Par ailleurs, un conseil d’administration véritablement diversifié permettrait aux entreprises d’améliorer leur évaluation en matière de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ainsi que ceux, <a href="https://www.sshrc-crsh.gc.ca/funding-financement/nfrf-fnfr/edi-fra.aspx">promus au Canada</a>, relatifs à l’équité, la diversité et l’inclusion (EDI). En occupant des postes de pouvoir, les membres de la communauté LGBTQI+ contribuent à renforcer la mission de leur entreprise au profit de la communauté mondiale. Ils peuvent notamment défendre les droits des minorités sexuelles dans les <a href="https://theconversation.com/companies-must-advocate-for-lgbt-rights-everywhere-in-the-world-not-just-where-its-easy-167915">quelque 70 pays où les relations homosexuelles constituent toujours un délit</a>.</p>
<h2>Comment progresser ?</h2>
<p>Il faut donc à présent se poser la bonne question : comment les entreprises peuvent-elles induire le changement ? Depuis longtemps, le recrutement des membres des conseils d’administration est perçu comme un exercice réservé aux initiés, où les administrateurs en fonction invitent leurs amis à siéger à leurs côtés. Quand ce n’est pas le cas, nombre de conseils d’administration <a href="https://hbr.org/2019/03/when-and-why-diversity-improves-your-boards-performance">recherchent des personnes occupant ou ayant occupé le poste de président-directeur général ou de directeur financier</a>.</p>
<p>Or, cette situation ne facilite guère les choses, car non seulement les LGBTQI+, <a href="https://theconversation.com/direction-dentreprise-les-femmes-perdent-du-terrain-elles-doivent-etre-strategiques-mais-la-culture-doit-aussi-changer-195508">mais également les femmes</a>, se battent déjà pour briser le plafond de verre afin d’obtenir des postes de direction. Pour diversifier le vivier de candidats qualifiés, les comités de nomination se doivent donc d’élargir leurs critères au-delà des personnes bénéficiant d’une expérience en tant que chef d’entreprise au sein de sociétés cotées en bourse.</p>
<p>Créée en 2022, l’<a href="https://lgbtqdirectors.org/">Association of LGBTQ+ Corporate Directors</a> affirme que le processus secret et non transparent de recrutement des membres des conseils d’administration fait obstacle à l’inclusion. Surtout, elle attire l’attention sur le nombre de <a href="https://blog.nacdonline.org/posts/lgbtq-inclusion-boardroom">personnes LGBTQI+ prêtes à siéger dans les conseils d’administration</a>.</p>
<p>Sur ce point, le programme <a href="https://outleadership.com/developing-talent/outquorum/">OutQUORUM BoardFit</a>, une initiative de OutLEADERSHIP, a été lancé en 2016 pour préparer les leaders LGBTQI+ à prendre place au sein des conseils d’administration. Dans le cadre de ce programme, une base de données de personnes prêtes à siéger au conseil d’administration a été créée. L’organisation encourage ainsi les directeurs et directrices d’entreprise LGBTQI+ à se déclarer, à se faire connaître et à encadrer les candidats qualifiés pour siéger au conseil d’administration.</p>
<p>Si les systèmes basés sur le volontariat tels que ceux énumérés ci-dessus échouent, il sera peut-être bientôt temps pour la Commission européenne de s’appuyer sur sa <a href="https://commission.europa.eu/strategy-and-policy/policies/justice-and-fundamental-rights/combatting-discrimination/lesbian-gay-bi-trans-and-intersex-equality/lgbtiq-equality-strategy-2020-2025_en">stratégie 2020-2025 en faveur de l’égalité des personnes LGBTQ</a> I+ pour rendre obligatoire la représentation des minorités sexuelles au sein des conseils d’administration. Toutefois, il reste préférable que les entreprises n’attendent pas d’être obligées à agir pour le faire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214884/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ken Chan siège au conseil d'administration d'Open For Business et au conseil consultatif de l'Association canadienne des administrateurs de sociétés LGBTQ+.</span></em></p>Les habitudes en termes de nomination dans les plus hautes instances des entreprises freinent aujourd’hui les opportunités de carrières des employés issus des minorités sexuelles.Ken Chan, Global Executive PhD Candidate.As a practitioner-scholar, Ken's research interests are in corporate political activity and the role businesses play in the policy sphere including on social issues such as LGBTQ+ rights., ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2094822023-09-21T15:32:01Z2023-09-21T15:32:01ZLes entreprises ont intérêt à aller au-delà de la simple conformité à la loi sur la protection des données personnelles<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/545634/original/file-20230830-17-rktnmq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C2%2C983%2C558&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une gestion saine des données personnelles requiert un effort important. Au-delà des contraintes imposées par la loi, une telle gestion offre aux entreprises une occasion de mieux structurer leurs données dans leur ensemble.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>La nouvelle législation sur la protection des renseignements personnels (découlant de l’adoption de la <a href="https://www.quebec.ca/gouvernement/ministeres-et-organismes/institutions-democratique-acces-information-laicite/acces-documents-protection-renseignements-personnels/pl64-modernisation-de-la-protection-des-renseignements-personnels">loi 25</a>) permet notamment aux entreprises de se prémunir contre des scandales de fuite de données, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1952657/vol-massif-desjardins-ecoute-electronique-vendeur">tels que ceux qu’a connus Desjardins en 2019</a>.</p>
<p>La loi 25, dont la dernière phase d’application s’achève le 22 septembre 2024, comprend de multiples obligations de gouvernance, de transparence et de divulgation de l’information. Ces règles protègent les données des individus et offrent aux entreprises une occasion inespérée de développer une gouvernance globale de leurs données, et par la même occasion, de renforcer la sécurité de celles-ci. </p>
<p>Les compagnies plus avisées pourraient saisir cette opportunité pour aller au-delà de la simple conformité à la loi, en effectuant un inventaire global de leurs données, et en tirer des bénéfices considérables.</p>
<p>Experts en gestion des technologies de l’information et du numérique, nous proposons d’apporter un éclairage sur l’importance, pour les entreprises, de développer une gouvernance globale et cohérente de leurs données.</p>
<h2>Les changements réglementaires</h2>
<p>Le Québec a promulgué une nouvelle loi en septembre 2021, la <a href="https://www.quebec.ca/gouvernement/ministeres-et-organismes/institutions-democratique-acces-information-laicite/acces-documents-protection-renseignements-personnels/pl64-modernisation-de-la-protection-des-renseignements-personnels">loi 25</a>, pour protéger les informations personnelles détenues par les entreprises. </p>
<p>De son côté, le Canada étudie un projet de loi similaire (<a href="https://www.justice.gc.ca/fra/sjc-csj/pl/charte-charter/c27_1.html">C-27</a>). De telles mesures sont également en application en Europe. </p>
<p>Ces dispositions obligent les entreprises à construire un inventaire détaillé des données qu’elles conservent sur les personnes, qu’il s’agisse d’employés ou de clients. Désormais, ces données ne peuvent être utilisées qu’aux fins pour lesquelles elles ont été recueillies, avec le consentement des personnes concernées. Tout bris de confidentialité doit être consigné et déclaré aux autorités compétentes dans des délais spécifiques.</p>
<p>Par exemple, si une entreprise conserve des curriculum vitae à la suite de l’affichage d’un emploi, elle devra identifier le responsable de ces données, leur contenu, leur provenance, leur usage, qui peut y avoir accès, ainsi qu’un calendrier de conservation. Pour faciliter cet inventaire, l’utilisation d’un outil simple comme celui proposé ci-après pourrait être appliquée à l’ensemble des données de l’entreprise.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/537099/original/file-20230712-25-fxfky5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/537099/original/file-20230712-25-fxfky5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/537099/original/file-20230712-25-fxfky5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=129&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/537099/original/file-20230712-25-fxfky5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=129&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/537099/original/file-20230712-25-fxfky5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=129&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/537099/original/file-20230712-25-fxfky5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=162&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/537099/original/file-20230712-25-fxfky5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=162&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/537099/original/file-20230712-25-fxfky5.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=162&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Exemple d’inventaire de données qui pourrait être utilisé par une entreprise.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Benoît A. Aubert), Fourni par l’auteur</span></span>
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<h2>Les efforts requis</h2>
<p>Jusqu’à récemment, les données ne suscitaient pas autant d’intérêt que la sécurité des systèmes informatiques, par exemple les systèmes de marketing et de gestion des ventes, de ressources humaines ou de comptabilité. Les données étaient souvent partagées ou réutilisées. On pouvait par exemple revendre une liste de clients à une autre entreprise qui l’utilisait à des fins de marketing. Il y avait peu de protection pour les données individuelles détenues par les entreprises. </p>
<p>Avec la nouvelle législation, ces pratiques ne seront plus permises sans l’autorisation explicite des individus concernés par ces données. </p>
<p>En premier lieu, les organisations devront identifier l’ensemble des données personnelles qu’elles possèdent, comprendre comment et où elles sont gérées et stockées, et s’assurer que les bonnes personnes en soient responsables. Elles auront ainsi un portrait des données qui permettra d’indiquer à une personne qui le demande quelles données la concernant sont gardées. </p>
<p>Dans plusieurs entreprises, les données de vente sont gérées par le marketing, les données sur les personnes employées par les ressources humaines, et les comptes clients par les finances. Or, on ignore souvent qui détient quoi. Sans le savoir, des données sur une même personne peuvent se retrouver dans deux ou trois départements différents, et dans plusieurs bases ou entrepôts de données.</p>
<p>Les nouvelles lois exigent une approche plus structurée pour connaître et gérer ses données. Ceci implique d’identifier les processus et ressources nécessaires pour y parvenir, afin d’en tirer parti de façon responsable.</p>
<h2>Une opportunité se présente</h2>
<p>Une gestion saine des données personnelles requiert un effort important. Au-delà des contraintes imposées par la loi, une telle gestion offre aux entreprises une occasion de mieux structurer leurs données dans leur ensemble. Cette organisation leur permettra non seulement de les rentabiliser, mais également d’obtenir une meilleure performance.</p>
<p>Tant qu’à construire un inventaire sur les données personnelles, pourquoi ne pas y ajouter les données sur les produits et sur les processus ? Avec un inventaire complet des données, l’organisation pourra mieux analyser ses activités, améliorer ses services, être prête à exploiter l’intelligence artificielle, et être en mesure de traiter ses données comme un actif à valeur stratégique.</p>
<p>Un tel inventaire aura comme premier effet d’améliorer la qualité des données dans l’organisation. En effet, en construisant cet inventaire, on pourra définir une seule source fiable à utiliser, des paramètres d’évaluation de la qualité des données, et les personnes responsables de ces dernières. Une augmentation de la qualité des données aura un impact positif sur d’autres activités comme le suivi de performance ou l’ajout de nouveaux services. Il deviendra alors possible de mieux servir les clients de l’organisation. De manière réciproque, les personnes qui transmettront leurs données aux entreprises seront assurées qu’elles seront utilisées aux fins prévues, et mises à jour correctement.</p>
<h2>Faire d’une pierre deux coups</h2>
<p>Une fois les données identifiées et de bonne qualité, les entreprises pourront en tirer profit. Comment ? En donnant accès à des services reposant sur leurs données, par exemple. Elles pourront ainsi laisser leurs clients accéder aux données de manière à intégrer leurs produits plus facilement aux offres de service. </p>
<p>Par exemple, des compagnies de livraison ouvrent déjà une partie de leurs données aux services de ventes en ligne afin que le consommateur puisse facilement suivre la livraison de ses commandes. Les livraisons sont suivies à la trace pour en assurer la performance, et les clients apprécient la possibilité de suivre la progression de leur commande.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/545632/original/file-20230830-15-3zewor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="livreur à mobilette" src="https://images.theconversation.com/files/545632/original/file-20230830-15-3zewor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/545632/original/file-20230830-15-3zewor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/545632/original/file-20230830-15-3zewor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/545632/original/file-20230830-15-3zewor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/545632/original/file-20230830-15-3zewor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/545632/original/file-20230830-15-3zewor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/545632/original/file-20230830-15-3zewor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des compagnies de livraison ouvrent une partie de leurs données aux services de ventes en ligne afin que le consommateur puisse facilement suivre la livraison de ses commandes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
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<h2>Regard vers le futur</h2>
<p>La gestion des données personnelles est désormais une obligation légale. Si elle est exécutée sans autre objectif que celui de respecter la loi, elle requerra un effort important sans procurer de bénéfice tangible, et représentera une occasion manquée. </p>
<p>Or, si cette gestion est étendue au-delà des seules données personnelles, un monde de possibilités s’ouvrira aux entreprises, qui pourront commencer à traiter les données comme une ressource stratégique, au même titre que les ressources financières ou humaines. Ces données pourront permettre la création de modèles d’affaires complètement différents. Tant les entreprises que les individus y gagneront.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209482/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nothing to disclose.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Benoit A. Aubert et Ryad Titah ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les compagnies doivent aller au-delà de la simple conformité à la loi sur la protection des données personnelles, en effectuant un inventaire global de leurs données.Benoit A. Aubert, Professeur titulaire en Technologies de l'information, HEC MontréalGregory Vial, Associate professor of Information Technology, HEC MontréalRyad Titah, Professeur Agrégé, Directeur du Département de Technologies de l'Information, HEC MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2134012023-09-13T19:50:11Z2023-09-13T19:50:11ZLes entreprises familiales sont davantage exposées au risque de décrochage boursier<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/547760/original/file-20230912-17-m1ifyo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C20%2C1099%2C727&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Plus de 6 entreprises sur 10 étaient des entreprises familiales en France en 2017.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/photo/stock-exchange-board-210607/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les sociétés contrôlées par des familles, ou entreprises familiales, occupent historiquement une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304405X02001460">place importante</a> dans les économies occidentales. En 2017, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0148296317301145">61,65 % des entreprises françaises</a> étaient des structures familiales. Or, ces entreprises, lorsqu’elles sont cotées en bourse, présentent davantage de risques de voir le cours de leur action dévisser brutalement et significativement.</p>
<p>C’est ce qui ressort de notre <a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2020-5-page-109.htm">étude</a> récente, qui analyse l’impact du contrôle familial sur le risque de chute de cours d’une action (RCA) ainsi que l’effet de l’indépendance du conseil d’administration.</p>
<p>Nous montrons que ce RCA est généralement associé au comportement opportuniste du dirigeant, qui a tendance à retarder sur une période plus ou moins longue la publication des mauvaises nouvelles. Au-delà d’un certain seuil, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304405X09000993">l’accumulation de mauvaises nouvelles</a> révélées au marché conduit à une chute significative et brutale du cours de l’action.</p>
<h2>Conflits d’intérêts</h2>
<p>Dans les sociétés familiales, les conflits d’intérêts entre dirigeants et actionnaires sont considérablement réduits du fait d’un contrôle renforcé du dirigeant par la famille ou de la convergence des intérêts dirigeant-famille. En revanche, des <a href="https://www.jstor.org/stable/1833044">conflits qui opposent la famille et les actionnaires minoritaires</a> peuvent apparaître. Ces conflits traduisent la <a href="https://www.uts.edu.au/sites/default/files/ADG_Cons2015_Masulis%20Wang%20Xie%20Jf%202009.pdf">propension de la famille à s’approprier des bénéfices privés</a> au détriment des minoritaires.</p>
<p>Nous avons donc étudié le rôle du conseil d’administration, chargé de protéger les actionnaires en veillant notamment à la qualité de l’information fournie au marché. Notre analyse montre que, plus un conseil est indépendant, moins le dirigeant retarde la diffusion de mauvaises nouvelles, ce qui permet de limiter le RCA.</p>
<p>En utilisant un échantillon de 252 entreprises françaises cotées sur la période 2007-2016, nos résultats permettent donc de valider les explications du RCA basées sur les conflits d’intérêts et le degré d’implication de la famille. Toutefois, le contrôle familial, mesuré à partir du pourcentage de droits de vote, n’est significativement relié au RCA que si le dirigeant fait partie de la famille. Plus généralement, l’excès de contrôle, traduisant l’intensité des conflits d’intérêt famille-actionnaires minoritaires, est également relié positivement au RCA.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p>Nos montrons également que la présence d’administrateurs indépendants limite l’impact du contrôle familial sur le RCA mais uniquement quand le dirigeant de l’entreprise ne fait pas partie de la famille.</p>
<h2>Protéger les actionnaires minoritaires</h2>
<p>Nos résultats peuvent donc être utiles aux investisseurs dans le cadre de leurs décisions, d’une part en les éclairant sur ce type de risque, et d’autre part, en leur permettant d’identifier le profil des sociétés à RCA important.</p>
<p>Nos résultats peuvent également être utiles aux institutions chargées de réguler la transparence financière et plus généralement la vie des affaires. Le RCA des sociétés familiales est en effet le résultat d’un manque de transparence de l’information dû à une faible protection des actionnaires minoritaires.</p>
<p>Enfin, nous pouvons suggérer que, pour un conseil d’administration d’une entreprise familiale qui voudrait limiter son RCA, la solution optimale ne passe pas forcément par une modification de sa composition : les administrateurs peuvent en effet parfaitement choisir d’autres voies, par exemple celle d’une responsabilité accrue.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/213401/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Selon une étude, la présence d’un dirigeant membre de la famille retarde sur une période plus ou moins longue la publication des mauvaises nouvelles.Florence Depoers, Professeur des universités en sciences de gestion, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresAssil Guizani, Enseignant chercheur en Finance, EDC Paris Business SchoolFaten Lakhal, Professor in Accounting, EMLV Business School , Pôle Léonard de VinciLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2119592023-09-03T14:17:48Z2023-09-03T14:17:48ZTransmettre une entreprise familiale en s’associant à un fonds de private equity : mode d’emploi<p>Planifier la succession est un moment crucial dans la vie d’une entreprise familiale. Nous pouvons, par exemple, suivre dans les médias ce qui se passe au sein de LVMH, le plus grand groupe de luxe au monde, et observer le soin avec lequel Bernard Arnault semble <a href="https://www.rtl.fr/actu/economie-consommation/lvmh-comment-bernard-arnault-prepare-t-il-sa-succession-7900255979">préparer la prochaine génération</a> à prendre les commandes après son éventuel départ à la retraite. Tout en initiant ses héritiers à la gestion de l’entreprise, il met également en place des structures de gouvernance qui devraient assurer le contrôle de la famille à long terme.</p>
<p>Malgré l’existence de successeurs tout désignés, la possibilité de chercher en dehors de la famille demeure en effet. Au début de l’été, l’actuel PDG témoignait de son <a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/encore-trop-tot-pour-decider-de-sa-succession-a-la-tete-de-lvmh-selon-bernard-arnault_AD-202306220600.html">hésitation</a>, lui dont les cinq enfants travaillent au sein du groupe, les deux aînés siégeant également au conseil d’administration :</p>
<blockquote>
<p>« En fonction de la compétence des uns et des autres, il peut, mais cela n’est ni une obligation ni une nécessité, y avoir une succession à la direction qui soit également familiale, mais il est encore trop tôt pour en décider. »</p>
</blockquote>
<p>Toutes les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-familiales-92864">entreprises familiales</a> n’ont d’ailleurs pas les moyens financiers ou des héritiers préparés comme la famille Arnault. En lien avec nos recherches sur <a href="https://econpapers.repec.org/paper/haljournl/hal-00712946.htm">fonds de private equity</a> (capital-investissement), nous passons ici en revue différents éléments que les propriétaires familiaux devraient prendre en compte au moment de transmettre leur compagnie dans le cas où ils envisageraient de s’associer à pareils acteurs pour effectuer la transition.</p>
<h2>Des intérêts réciproques</h2>
<p>Identifier le successeur approprié, aligner vision et objectifs de l’entreprise, gérer les émotions liées aux relations familiales, tout cela émerge comme des obstacles significatifs au moment d’une transmission. Dans certains cas, la nouvelle génération peut ne pas être intéressée ou préparée à reprendre l’entreprise, ou bien peut-il y avoir des désaccords internes sur la direction future de l’entreprise.</p>
<p>C’est là qu’un fonds de private equity <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1111/j.1741-6248.2001.00011.x">présente une solution</a> grâce à son expérience et à son expertise en matière de gestion de transition. Il propose une perspective externe objective qui peut aider à <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/corg.12131">résoudre les désaccords internes</a> et à <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17449480.2022.2091465">aligner les objectifs de l’entreprise</a>. Ses investissements apportent des capitaux et des ressources qui aideront l’entreprise à se développer, à investir dans de nouvelles technologies et à se diversifier.</p>
<p>Du point de vue de la gouvernance, le fonds <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/corg.12131">solidifiera souvent les structures de gestion</a>, en assurant une séparation claire entre la propriété et la gestion. Cela peut permettre à l’entreprise de continuer à prospérer même si la famille choisit de prendre un rôle moins actif dans la gestion quotidienne.</p>
<hr>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s’interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».</em></p>
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<p>Réciproquement, les entreprises familiales représentent des cibles d’investissement attrayantes pour les fonds de private equity. Outre la <a href="https://www.pwc.com/ng/en/press-room/pwc-family-business-survey-2020.html">place significative qu’elles occupent dans l’économie mondiale</a>, elles sont <a href="https://www.jstor.org/stable/45176532">généralement caractérisées par une stabilité et une durabilité</a> qui découlent d’une approche de gestion à long terme.</p>
<p>Enracinées dans des valeurs familiales solides, ces entreprises possèdent une <a href="https://www.pwc.com/ng/en/press-room/pwc-family-business-survey-2020.html">connaissance approfondie de leur secteur</a> et entretiennent des relations fortes et durables avec leurs employés, leurs clients et leurs fournisseurs. Elles s’avèrent <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/15265941311288103/full/html">moins susceptibles de prendre des décisions impulsives</a> pour des gains à court terme, ce qui peut favoriser une croissance stable et constante. La <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/corg.12125">flexibilité et la réactivité</a> des structures familiales permettent donc aux entreprises de naviguer efficacement dans des environnements d’affaires en constante évolution.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1616043698927591424"}"></div></p>
<p>Dr. Martens, l’emblématique marque de chaussures britannique, a été pendant des décennies un symbole de la contre-culture. Confrontée à des difficultés financières au début des années 2000, la famille Griggs, qui dirigeait l’entreprise, a <a href="https://www.lesechos.fr/2013/10/les-celebres-dr-martens-reprises-par-le-fonds-permira-345588">vendu une participation majoritaire au fonds d’investissement privé Permira en 2013</a>. Sous la nouvelle direction, des changements stratégiques, notamment la délocalisation de la production en Asie et le renforcement de la présence en ligne, ont été opérés tout en préservant l’identité « punk » de la marque. Ces changements ont stimulé la croissance de Dr. Martens. En 2021, la marque a été introduite à la Bourse de Londres <a href="https://www.tradingsat.com/actualites/informations-societes/les-chaussures-dr-martens-se-vendent-moins-bien-que-prevu-le-groupe-plonge-de-25-en-bourse-1052965.html">même si la suite s’est avérée plus délicate que prévu</a>. Cette collaboration montre comment le capital-investissement peut revitaliser et moderniser une entreprise familiale tout en respectant son essence.</p>
<h2>Poser cartes sur table avant tout engagement</h2>
<p>L’association ne va malgré cela pas de soi et un certain nombre de défis sont à relever. L’un des plus notables est le <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0894486511423531">risque d’altération au cours de l’opération des valeurs fondamentales</a> qui sont au cœur d’entreprises familiales à succès. Loyauté envers les employés, engagement envers la communauté locale, accent mis sur la qualité du produit ou du service, tels sont des exemples d’éléments auxquels une famille peut accorder davantage d’importance qu’un fonds.</p>
<p>Lorsque pareil acteur s’implique en effet, les fonds de private equity apportent une <a href="https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=3465723">perspective plus axée sur le rendement financier</a>, cherchant à mettre en œuvre des changements qui peuvent, à première vue, sembler en contradiction avec ces valeurs. Et le lot de tensions qui va avec. Mettre les valeurs de l’entreprise familiale sur la table des négociations avant tout engagement mutuel paraît essentiel pour le bon déroulement de la transition.</p>
<p>Faute de cela, la Maison Taittinger, prestigieuse entreprise familiale de champagne, a ainsi été vendue en 2005 au fonds d’investissement américain Starwood Capital pour un <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/pierre-emmanuel-taittinger-a-redore-le-blason-du-domaine-familial-523993">bilan contrasté</a>. À la suite de cette vente, des inquiétudes se sont fait jour quant à l’avenir de l’entreprise et au respect de ses traditions. En réponse à ces pressions et en reconnaissance de l’importance culturelle de la maison, Starwood a alors revendu l’affaire (hormis la partie hôtellerie) en 2006 à un consortium dirigé par son ancien président Pierre-Emmanuel Taittinger. Ce rachat a permis d’assurer la continuité d’une partie de ce patrimoine familial et national, illustrant les défis culturels associés à l’intervention de fonds d’investissement privés dans des entreprises familiales.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1470460698803286020"}"></div></p>
<p>Un autre défi réside dans l’assimilation et l’intégration de nouvelles connaissances stratégiques et financières. Les entreprises familiales <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0894486512466258">adoptent souvent une gestion fondée sur des traditions qui ont fait leurs preuves</a> et qui se trouvent en opposition avec les <a href="https://www.hbs.edu/faculty/Pages/item.aspx?num=130">approches plus sophistiquées des fonds</a>. L’arrivée de l’expertise digitale et technologique, notamment, nécessite une refonte significative des opérations de l’entreprise, et une formation importante pour les employés. Elle expose également à de nouveaux risques, tels que les cyberattaques, auxquels les entreprises plus « vieille école » ne sont pas nécessairement préparées.</p>
<p>Comprendre les changements que le fonds de private equity peut apporter avant de signer la vente permet d’éviter des situations conflictuelles, en particulier en ce qui concerne les rôles opérationnels et de direction attendus des membres de la famille.</p>
<h2>Préparer la sortie</h2>
<p>Un autre point méritant l’attention est en effet la stratégie de sortie du fonds, qu’il s’agisse d’une vente directe des parts à une autre entreprise ou d’une introduction en bourse. Il convient de noter que, bien que les fonds de private equity aient des stratégies d’exit, ils sont également <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304405X16301088">soucieux de laisser l’entreprise dans une position solide et durable</a>. Cela signifie que la sortie est souvent planifiée et gérée de manière à assurer une transition en douceur pour l’entreprise et ses parties prenantes.</p>
<p>La décision de sortir dépend de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/jbfa.12221">plusieurs facteurs</a>. Une condition clé est l’atteinte des objectifs d’investissement du fonds : rentabilité, la réalisation de certaines améliorations opérationnelles ou la mise en place de certaines stratégies de croissance. Le timing représente également un élément crucial, car les fonds de private equity ont généralement une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0378426615001715">durée d’investissement prévue, souvent entre cinq et dix ans</a>.</p>
<p>Les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0378426615001715">conditions du marché jouent également un rôle</a>. Une introduction en bourse serait plus attrayante dans un marché haussier, tandis qu’une vente à un acquéreur stratégique pourrait être plus attrayante dans un marché où il y a beaucoup de fusions et acquisitions. Le rachat ultérieur par la famille peut faire partie des négociations. Ici encore, il semble également nécessaire de clarifier les conditions au préalable.</p>
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<p><em><a href="https://www.linkedin.com/in/paul-harl%C3%A9/">Paul Harlé</a>, étudiant du Master in corporate finance à l’IÉSEG a également contribué à la rédaction de cet article</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/211959/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raul Barroso Casado a reçu des financements de LEM (Lille Economie & Management, UMR CNRS 9221).</span></em></p>Si entreprises familiales et fonds de capital-investissement ont intérêt à s’associer lors d’une transmission, il est important de discuter d’un certain nombre d’éléments avant tout engagement.Raul Barroso Casado, Assistant Professor in Accounting, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2125082023-08-30T16:31:02Z2023-08-30T16:31:02ZLa rentrée sans tambours du président Macron<p>La réunion de tous les partis politiques à l’initiative du chef de l’État ce mercredi 30 août, dans le souci de <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/08/30/emmanuel-macron-sonde-les-partis-politiques-pour-relancer-son-quinquennat_6187024_823448.html">« relancer »</a> un élan d’ampleur, fait penser à ce trait de Jules Renard dans ses <a href="https://www.actes-sud.fr/node/16942"><em>Carnets</em></a> (1898) : « Quand on n’a plus à compter sur rien, il faut compter sur tout. » Après un été où le temps politique lui aussi semblait figé dans une brume de chaleur, cet effort présidentiel se lit comme une fin de parenthèse <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-republique_en_jachere_2016_2023_de_macron_a_janus_claude_patriat-9782140489150-77598.html">dans un champ politique en attente</a>. </p>
<p>Après une première année de second mandat <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-la-verticale-du-vide-202672">brûlante</a> d’une <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-comment-se-construit-une-crise-politique-202284">contestation sociale violente</a> attisée par des oppositions refusant tout compromis, chacun semble revenu à ses moutons. À droite comme à gauche, on fixe obstinément les yeux sur l’horizon 2027 dont on attend, après le départ d’Emmanuel Macron, qu’il remette la vie politique sur ses « vrais » rails, ceux occupés par les <a href="https://theconversation.com/les-partis-politiques-peuvent-ils-se-relever-des-crises-150763">vieux partis</a> de gouvernement.</p>
<h2>Impasses</h2>
<p><a href="https://theconversation.com/les-republicains-face-a-leur-declin-195692">La droite erre</a>, désorientée, dans un labyrinthe où s’affrontent les ombres antagonistes du populisme et celles du tropisme centriste. <a href="https://theconversation.com/la-social-democratie-est-elle-de-retour-209417">La gauche</a> épuise ses faibles forces pour tenter de sortir vivante de l’impasse dans laquelle l’ont plongée ses insuffisances passées et le radicalisme de la <a href="https://theconversation.com/la-france-insoumise-peut-elle-se-donner-les-moyens-de-ses-ambitions-189731">France Insoumise</a>. Profitant de cette inertie, l’extrême droite incarnée par le RN poursuit quant à elle son agenda, en marchant sans bruit, discrète depuis <a href="https://www.courrierinternational.com/article/vu-de-suisse-pourquoi-le-rn-se-fait-discret-sur-les-retraites">l’épisode des retraites</a>.</p>
<p>Or, rien n’interdit de penser que les Français pourraient se lasser de <a href="https://theconversation.com/la-crise-de-confiance-dans-les-partis-politiques-une-specificite-francaise-155780">cette guerre de tranchées</a> sans autre horizon que de revenir en arrière, soit à des jeux partisans clairement condamnés.</p>
<h2>Des Français désabusés</h2>
<p>Au fil des années de contestation sur fond de crises – « gilets jaunes », Covid, puis réforme des retraites –, une séparation s’est instituée entre <a href="https://theconversation.com/la-france-desenchantee-185048">l’État et la société</a>, mettant en grande fragilité le système représentatif et la légitimité des gouvernants. Il faudrait donc inventer un <a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">nouveau rapport au politique</a> pour réconcilier les Français et les partis.</p>
<p>Mais ce nouveau rapport des citoyens à l’État, n’était-ce pas le cœur même de la proposition dont se réclamait Emmanuel Macron en 2017 ? N’était-ce pas le sens profond de sa démarche ? <a href="https://theconversation.com/un-an-apres-lelection-demmanuel-macron-que-reste-t-il-de-la-macronie-203629">Condamné aujourd’hui à une politique des petits pas</a>, étroitement borné par une majorité relative, le projet a fait long feu.</p>
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<a href="https://theconversation.com/quartiers-populaires-40-ans-de-deni-209008">Quartiers populaires : 40 ans de déni ?</a>
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<p>Entre un jeune premier président entamant une réforme en profondeur du système social, et un néo-président devant se contenter d’un ajustement paramétrique de l’âge du départ en retraite, <a href="https://theconversation.com/emmanuel-macron-president-candidat-rassembleur-et-aseptise-178616">il y a à l’évidence un fossé</a>. Encore lui fallut-il avoir recours à toutes les ressources constitutionnelles pour parvenir à ses fins, quitte à provoquer un surcroît de fièvre des opposants contre sa gouvernance. Il s’agit pour lui, à présent, de reprendre l’initiative et de tracer la voie de son second mandat.</p>
<h2>Gouverner, c’est tenir</h2>
<p>Dans son interview au <em>Point</em> du 24 août 2023, Emmanuel Macron <a href="https://www.lepoint.fr/politique/exclusif-emmanuel-macron-la-grande-explication-23-08-2023-2532581_20.php">réaffirme</a> d’abord sa ferme volonté de présider « jusqu’au dernier quart d’heure ! » Pas d’abandon de poste, mais pas non plus de retour au projet de départ : de la continuité tenace, intégrant les nouvelles contraintes qui pèsent sur l’Europe et la France.</p>
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<a href="https://theconversation.com/le-rn-est-il-devenu-un-parti-comme-les-autres-201690">Le RN est-il devenu un parti comme les autres ?</a>
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<p>Il interprète la crise de la démocratie comme une crise de l’efficacité qui se conjugue et se cumule avec le dérèglement géopolitique, le dérèglement climatique et le dérèglement technologique : cette exaspération des usages numériques, nivelant les paroles et les valeurs, contribuant à saper l’autorité politique. Mais en face de ce rude constat, le président ne propose plus de révolution ni de réformes radicales. L’heure n’est plus aux grands chantiers, si l’on excepte <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/29/macron-attal-l-ecole-en-double-commande_6186918_3232.html">cette place centrale accordée à l’École</a> pour reconstruire le vivre ensemble : la voici qui devient le cœur de son projet, au point d’élargir pour elle la <a href="https://www.cairn.info/droit-institutions-et-systemes-politiques--9782130399896-page-43.htm">grammaire gaullienne du pouvoir</a>, en la faisant rentrer dans le « domaine réservé » présidentiel.</p>
<p>Mais de réforme des institutions, sujet de tensions contradictoires, il n’en est plus question ; de remédiation à la crise du système représentatif, non plus.</p>
<p>L’heure est à la quête d’un consensus apaisé, Emmanuel Macron confirmant sa volonté de poursuivre la recherche œcuménique de compromis de circonstance avec les oppositions en constituant des « majorités de projets », voire en organisant un <a href="https://www.ouest-france.fr/politique/emmanuel-macron/un-referendum-a-plusieurs-questions-emmanuel-macron-ouvert-a-lidee-assure-oliver-veran-5d093f2a-456e-11ee-b1e4-bd520a28f26a">référendum</a>.</p>
<p>Est-il vraiment convaincu de l’efficacité de cette démarche ? Rien n’est moins sûr : l’affaire des retraites a montré les limites d’une stratégie d’ouverture. Mais l’important, c’est de garder l’apparence du dialogue, et s’il ne réussit pas, que la faute en soit portée sur des opposants s’entêtant dans le refus obstiné ou dans la surenchère.</p>
<h2>La carte du temps</h2>
<p>Emmanuel Macron a choisi de jouer la carte du temps, de laisser celui-ci faire son travail d’éclaircissement, sinon de clarification. La Nupes, sur fond d’élections européennes, montre les limites d’une entente électorale de circonstance et semble engagée dans un processus d’autodissolution ; la droite cherche un passage au flanc de la majorité présidentielle dont elle veut se distinguer tout en récupérant ses voix le moment venu.</p>
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<p>Et dans son propre camp, le maintien à Matignon d’Elisabeth Borne, longtemps <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/elisabeth-borne-a-t-elle-eu-sa-carte-au-parti-socialiste-9088123">proche du parti socialiste</a>, permet au président de contenir le tropisme prématuré et droitier de certains de ses ministres…</p>
<p><a href="https://www.leparisien.fr/politique/cest-assez-violent-pap-ndiaye-francois-braun-la-claque-du-remaniement-pour-les-ministres-de-la-societe-civile-12-08-2023-SX5Z5OKCI5CJDPINCDRUZGSIHU.php">Le remaniement</a> lui a d’ailleurs permis d’élaguer quelques branches devenues encombrantes pour mieux installer des fidèles inconditionnels aux commandes des ministères sensibles.</p>
<h2>Profonde mutation</h2>
<p>À l’heure où l’économie française fait preuve d’une santé enviable et où il est tout à fait possible de laisser du temps au temps, l’opposition systématique érode image et confiance. Et si d’aventure, à l’occasion de l’utilisation de l’article 49.3, une censure était adoptée par les oppositions réunies pour l’occasion, une voie serait ouverte à Emmanuel Macron pour sortir de la nasse où on le tient enfermé. Plutôt que de dissoudre immédiatement, confier le poste de premier ministre, <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/comment-la-constitution-organise-t-elle-la-cohabitation">comme la constitution le prévoit</a>, à l’un des chefs d’opposition : à charge pour le censeur de dégager une majorité et de proposer un gouvernement de cohabitation.</p>
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<figcaption><span class="caption">Emmanuel Macron reçoit les différents partis politiques le 30 août.</span></figcaption>
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<p>L’affaire mettrait en évidence l’incapacité de formuler et conduire une proposition alternative, autorisant le président à en appeler au peuple pour trancher la question. Mais sauf accident on n’en est pas là : jusqu’aux élections européennes, l’horizon politique risque fort de n’être qu’un horizon d’attente.</p>
<h2>Inconscience ou impréparation ?</h2>
<p>Après avoir accompli la première phase de son ambition et décapité les partis de gouvernement qui monopolisaient la scène en alternance, puis entamé l’exécution de ses premiers engagements, le président Macron s’est rapidement trouvé d’abord freiné, puis véritablement empêché.</p>
<p>Malgré une majorité plus que confortable à l’Assemblée nationale, il s’est heurté au mur étanche formé par <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-de-limpossible-compromis-au-49.3-185879">l’absence totale de culture de compromis de la classe politique française</a>, puis par la montée de la défiance sociale suractivée par les réseaux socionumériques et amplifiée par les populistes.</p>
<p>Inconscience ou impréparation ? Emmanuel Macron n’a pas été en situation de choisir les chemins qui auraient pu l’aider à contourner l’obstacle : l’utilisation des ordonnances en matière sociale, par exemple, était certes un moyen de gagner du temps, mais pas de rompre avec les méthodes verticales de ses prédecesseurs. Plus grave, le refus de transformer « En Marche » en véritable mouvement politique capable de faire face aux autres en développant un corpus socialement et politiquement partagé, pèsera très lourd dans le déficit électoral.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">À 65 ans, la Vᵉ République devrait-elle partir à la retraite ?</a>
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<p>Enfin, tarder à entamer, puis enterrer la réforme des institutions et du système démocratique, c’était se priver des moyens d’une remédiation en profondeur. Les élections sénatoriales, puis les élections locales mettront cruellement en évidence la faiblesse de son enracinement territorial. D’une certaine manière, ce président, sans doute élu trop tôt et désarmé face à des opposants solidement assis dans leurs bases locales, s’est aussi empêché d’empêcher…</p>
<p>Le projet macronien était pourtant porteur d’une vraie tentative de sortir la politique française de son manichéisme stérilisant. Comme l’a très bien montré dans ces colonnes Speranta Dumitru, Emmanuel Macron s’inspirait du <a href="https://theconversation.com/quest-ce-que-le-liberalisme-egalitaire-comprendre-la-philosophie-de-macron-76808">libéralisme égalitaire</a> théorisé par John Rawls. Ces idées font d’ailleurs écho à la pensée <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/Mounier_Emmanuel/qu_est-ce_que_le_personnalisme/qu_est-ce_que_le_personnalisme.html">d’Emmanuel Mounier</a> et des socialistes français : promouvoir un développement centré sur la personne et son autonomie, donner à chacun la capacité de choisir les moyens de se réaliser. Devrons-nous aller attendre sous l’orme qu’on oublie cette occasion manquée ?</p>
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<p><em>L’auteur vient de publier <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-republique_en_jachere_2016_2023_de_macron_a_janus_claude_patriat-9782140489150-77598.html">République en jachère. 2016-2023. De Macron à Janus</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/212508/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Patriat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’initiative présidentielle ne permet aucune réinvention politique alors même que les principaux concernés, partis comme citoyens, restent dans l’expectative.Claude Patriat, Professeur émérite de Science politique Université de Bourgogne, Université de Bourgogne – UBFCLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2100762023-07-20T15:54:19Z2023-07-20T15:54:19ZLa chute de Casino consacre-t-elle l’avènement d’un « capitalisme de corrida » ?<p>La liste des futurs « scandales » qui seront débattus dans les cours de gouvernance d’entreprise s’allonge avec un nouveau cas, celui du groupe de distribution Casino (Géant Casino, Casino Supermarchés, Petit Casino, Monoprix, Franprix, Leader Price, Cdiscount, etc.). Le lundi 17 juillet 2023, le conseil d’administration a annoncé la poursuite des négociations pour relancer le groupe avec l’homme d’affaires tchèque Daniel Kretinsky et le milliardaire français Marc Ladreit de Lacharrière, associés au fonds britannique Attestor, actant la chute du groupe dirigé par Jean-Charles Naouri qui avait conduit au placement sous procédure de sauvegarde des principales holdings en 2019.</p>
<p>Rappelons brièvement l’intrigue. Le 17 décembre 2015, le fond activiste américain Muddy Waters, dirigé par Carson Block, <a href="https://www.ege.fr/infoguerre/2019/09/retenir-de-loffensive-de-muddy-waters-casino">lance une attaque contre Casino et ses holdings</a> de portage en publiant un rapport d’alerte au vitriol. Ce rapport met en évidence le surendettement des holdings qui détiennent les sociétés du groupe, ainsi qu’une trajectoire stratégique défavorable qui ne permettrait pas de générer suffisamment de liquidités pour rembourser les dettes à long terme.</p>
<p>L’opacité de la structure de gouvernance était étrillée. Les auteurs du rapport soulignaient que ce manque de transparence pouvait faciliter tous les abus. La conclusion était sans appel : il était urgent de vendre les actions, de préférence « à découvert ». Et Muddy Waters de se précipiter pour mettre cette recommandation en pratique, provoquant une chute de 20 % du cours de bourse.</p>
<h2>Un travail de justicier… autoproclamé</h2>
<p>Cet épisode 2015-2023 fait immanquablement penser au film <em>Wall Street</em> (1987) d’Oliver Stone. Le personnage principal, Gordon Gekko (incarné par Michael Gouglas), fait figure de matador sans pitié qui repère ses proies et ne parie que quand il est certain. Il l’assume : nous vivons dans un monde darwinien ; les dirigeants sont toujours suspectés d’abuser de leurs positions d’autorité pour s’enraciner et s’enrichir indûment sur le dos de la société, et donc des actionnaires ; dans ces conditions, il répond à ses détracteurs qu’il « ne détruit pas les sociétés » mais qu’au contraire, il les « libère ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Extrait du film d’Oliver Stone <em>Wall Street</em> (1987) : « Greed is good » (l’avidité est une bonne chose).</span></figcaption>
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<p>Omettant bien sûr, en public lors des assemblées générales, de répéter ce qu’il confie au jeune apprenti Bud Fox en privé : que le destin d’un mouton est de se faire tondre.</p>
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<figcaption><span class="caption">Extrait du film d’Oliver Stone « Wall Street » (1987) : « The art of war » (l’art de la guerre).</span></figcaption>
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<p>Adaptée au cas Casino et à la figure de Muddy Waters Research et de son dirigeant Carson Block, l’analogie est frappante. On retrouve dans les discours les mêmes postulats d’une forme de darwinisme économique et financier, fondé sur l’efficience à long terme des marchés.</p>
<p>Dans cette conception, les faillites et disparitions sont considérées comme nécessaires et donnent sa dynamique au système. Le travail du justicier est donc d’identifier les cibles à abattre puis de hâter le processus de mise à mort par les cessions de titres à découvert.</p>
<p>C’est exactement ce qui s’est produit dès 2015 avec le rapport de Muddy Waters sur Casino. Mais par-delà ce cas déjà emblématique, ce sont les mêmes ressorts argumentatifs et idéologiques que l’on trouve au cœur de l’attaque de <a href="https://investir.lesechos.fr/actu-des-valeurs/la-vie-des-actions/gotham-city-research-accuse-de-nouveau-ses-imagotag-1959962">Gotham City Research</a> contre la pépite française SES-imagotag. C’est avec ce même procédé que <a href="https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/matthew-earl-le-tombeur-de-wirecard-revient-sur-son-combat-pour-faire-eclater-le-scandale-1221031">Zatarra Research</a> et son dirigeant Mattew Earl auront fait tomber <a href="https://theconversation.com/vendeurs-activistes-et-analystes-financiers-des-expertises-antagonistes-183687">l’entreprise allemande de services financiers Wirecard</a> en juin 2020.</p>
<h2>« Tunnel d’attention »</h2>
<p>L’analyse sur la base de la <a href="https://www.editions-ems.fr/boutique/encyclopedie-de-la-strategie/">recherche en sciences de gestion</a> permet cependant d’éclairer plus précisément les différents éléments de la stratégie de Muddy Waters Research pour précipiter la chute de sa cible.</p>
<p>Premier point, il apparaît essentiel d’évaluer l’impact autoréalisateur des prophéties de Muddy Waters Research dans sa communication, le rapport de 2015 ayant conduit à une chute du cours de bourse (un épisode similaire interviendra en 2018 après un simple tweet de Muddy Waters).</p>
<p>Autrement dit, de réinterroger le « <a href="https://www.economie.gouv.fr/facileco/ronald-coase">théorème de Coase</a> » selon lequel la nature du financement serait sans impact sur la nature de l’allocation des ressources et des droits de propriété comme sur les décisions d’investissement. Les ventes massives de titres à découvert ont contribué à asphyxier le financement dès lors que l’entreprise faisait appel aux marchés financiers. Avec cette grille de lecture, le rapport de 2015 perd son statut de rapport d’alerte et devient plutôt l’allumette du pompier pyromane, avec l’objectif – d’ailleurs assumé – de rompre la confiance entre la société et les investisseurs.</p>
<p>Deuxième point : l’un des enseignements majeurs de la recherche en stratégie est que la capacité de vigilance et d’attention managériale pour saisir les opportunités nouvelles de développement est l’actif le plus rare et précieux des dirigeants et de leurs équipes de direction. C’est notamment ce qui conduit les chercheurs Robert Simons and Antonio Dávila à proposer de substituer le <a href="https://www.google.com/search?client=safari&rls=en&q=how+high+is+your+return+on+management&ie=UTF-8&oe=UTF-8">« return on management »</a> (ROM) aux traditionnels « return on equity » (ROE) ou « return on investment » (ROI). C’est avec une logique très proche que William Ocasio a proposé dans les pages du <em>Strategic Management Journal</em> une <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/%28SICI%291097-0266%28199707%2918%3A1%2B%3C187%3A%3AAID-SMJ936%3E3.0.CO%3B2-K"><em>attention based-view of the firm</em></a>, une vision de l’entreprise fondée sur l’attention.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/casino-comment-lempire-de-la-distribution-sest-effondre-208035">Casino : comment l’empire de la distribution s’est effondré</a>
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<p>Autrement dit, à la lumière de tels décadrages/recadrages théoriques, il est loisible de considérer qu’en contraignant les dirigeants d’un groupe à la seule focalisation sur les résultats court terme et à la valeur des actions qui garantissent les dettes, les attaques enferment en quelque sorte les équipes de direction dans un « tunnel d’attention ». Or, si la prophétie d’une disruption de la distribution alimentaire par Amazon envisagée par Muddy Waters dans son rapport de 2015 ne s’est en rien réalisée, les attaques ont assurément privé Casino d’une capacité stratégique d’attention et de vigilance pour gérer la succession des crises (Covid-19, Ukraine, inflation des prix des matières premières, hausse des taux d’intérêt, etc.).</p>
<p>Troisième point : le cas Casino montre qu’il y a une urgence scientifique à aider les entreprises françaises et européennes à s’armer au plan conceptuel et théorique pour les aider à mieux comprendre les ressorts des attaques des Gordon Gekko des temps modernes. Cette question fut en effet largement étudiée avant que le primat de la gouvernance actionnariale ne la disqualifie et ne la fasse disparaître des agendas de recherche. Cela passe par une gouvernance d’entreprise conçue aussi comme un art de la légitime défense.</p>
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<p>Autrement dit, un système de gouvernance à l’européenne réellement capable d’exister face aux attaques ne pourra s’arrêter à la seule question des principes, tels que ceux formulés dans la loi Pacte promulguée en France en 2019 pour repenser la place et le rôle des entreprises dans la société.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/538284/original/file-20230719-16-7vsyk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/538284/original/file-20230719-16-7vsyk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/538284/original/file-20230719-16-7vsyk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/538284/original/file-20230719-16-7vsyk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/538284/original/file-20230719-16-7vsyk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=857&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/538284/original/file-20230719-16-7vsyk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/538284/original/file-20230719-16-7vsyk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/538284/original/file-20230719-16-7vsyk3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1077&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Encyclopédie de la stratégie », ouvrage coordonné par Jean-Philippe Denis, Taïeb Hafsi, Alain-Charles Martinet et Franck Tannery.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editions-ems.fr/boutique/encyclopedie-de-la-strategie/">Éditions EMS (première édition Vuibert, 2014)</a></span>
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<p>Des travaux dans l’esprit de ceux menés par Yves Gendron, Luc Paugam et Hervé Stolowy démontrent ainsi comment les fonds activistes jouent de la mise en scène et de la rhétorique <a href="https://theconversation.com/shorteurs-activistes-comment-les-fonds-speculatifs-jouent-les-justiciers-sur-les-marches-156765">pour assurer la performativité de leurs prédictions</a> pour parvenir très concrètement à leurs fins. En ce sens, ils renouent avec une certaine tradition de la <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2005-6.htm">recherche de langue française</a> et se révèlent d’une utilité majeure.</p>
<p>En conclusion, alors que la marche actuelle du capitalisme prend de plus en plus des allures d’arènes de Corridas et de mises à mort préméditées, on gagnerait assurément à méditer non seulement le traditionnel <em>Fly me to the moon</em> de Frank Sinatra (bande-originale du film <em>Wall Street</em>) mais aussi d’excellents titres français, moins connus à l’international, comme <em>La Corrida</em> de Francis Cabrel.</p>
<p>Puisqu’il suffit à l’évidence désormais d’un rapport publié sur Internet par un fonds activiste à découvert pour transformer une entreprise de distribution valorisée plusieurs dizaines de milliards en simple taureau du spectacle.</p>
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<p><em>Une version « long format » de cet article est disponible en <a href="https://www.dba-knowledge.com/post/vers-le-capitalisme-de-corrida-casino-jurisprudence-strat%C3%A9gique-et-organisationnelle-%C3%A0-m%C3%A9diter">français</a>, en <a href="https://en.dba-knowledge.com/post/vers-le-capitalisme-de-corrida-casino-jurisprudence-strat%C3%A9gique-et-organisationnelle-%C3%A0-m%C3%A9diter">anglais</a> et en <a href="https://de.dba-knowledge.com/post/auf-dem-weg-zum-corrida-kapitalismus-casino-eine-rechtsprechung-zum-nachdenken">allemand</a> sur le site <a href="https://www.dba-knowledge.com">dba-knowledge</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210076/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Dès 2015, le fonds activiste Muddy Water lançait des attaques contre le distributeur, aujourd’hui en phase de reprise, l’asphyxiant financièrement et l’empêchant de déployer une autre stratégie.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayAlain-Charles Martinet, Professeur émérite en Sciences de Gestion, Management stratégique, Université Jean-Moulin Lyon 3Franck Tannery, Chercheur associé du laboratoire CoActis, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2091702023-07-06T17:19:49Z2023-07-06T17:19:49ZCasino, une débâcle prévisible depuis plus d’une décennie<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/535850/original/file-20230705-20369-vloj9y.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C1%2C1004%2C677&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Casino présente aujourd’hui une dette financière abyssale de 7,4&nbsp;milliards d’euros.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Casino_Super_France_2.JPG">Wikimedia commons/Groupe Casino</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le 4 juillet 2023, deux offres de reprise de Casino sont officialisées : Daniel Kretinsky et Marc Ladreit de Lacharrière, d’un côté, et Xavier Niel, Matthieu Pigasse et Alexandre Zouari, de l’autre se sont portés candidats du groupe de distribution qui connaît aujourd’hui de grandes difficultés. Casino présente aujourd’hui une dette financière abyssale de 7,4 milliards d’euros (contre 5,8 milliards en 2021) et sa part de marché encore perdu environ 1,1 point en un mois pour s’établir <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/grande-distribution-leclerc-grappille-des-parts-de-marche-casino-chute-encore-1467976">à moins de 6 % en mai 2023</a>.</p>
<p>Était-il possible de prédire la chute de ce fleuron de la distribution ? Oui, car l’analyse financière complète des comptes du groupe montrait déjà les risques de défaillance de Casino, notamment en raison du surendettement déjà observé entre 2005 et 2011. En 2021, nous nous étions d’ailleurs appuyés sur ce cas à part pour établir un des fils rouges de notre ouvrage <a href="https://www.pearson.fr/fr/book/?GC%5Blink%20text%5D(https://theconversation.com/fr/topics/endettement-24846)%20OI=27440100453070"><em>Les 12 travaux de l’analyste financier</em></a> (Éditions Pearson).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1676153519240359936"}"></div></p>
<p>L’<a href="https://theconversation.com/fr/topics/analyse-financiere-56156">analyse financière</a>, dans sa définition la plus stricte, consiste en un examen approfondi des comptes d’une entreprise et de ses perspectives dans un but d’évaluation, de mesure de solvabilité ou de diagnostic interne. Elle est la discipline de base de tous les métiers de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/finance-20382">finance</a> au sens large, le principal outil utilisé pour comprendre, financer et évaluer les entreprises.</p>
<p>Le secteur de la distribution est plus complexe qu’il n’y paraît, il n’est pas homogène et est décomposé en une multitude de segments. Il faut tout d’abord établir un distinguo entre la distribution alimentaire et non alimentaire. Les formats de magasins sont également très divers : d’un côté les hypermarchés et de l’autre les petits magasins de proximité, notamment dans les centres-villes. Une autre segmentation existe entre les supermarchés traditionnels et les hard-discounters. Enfin, une nouvelle segmentation a émergé, celle séparant l’e-commerce du commerce physique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/casino-comment-lempire-de-la-distribution-sest-effondre-208035">Casino : comment l’empire de la distribution s’est effondré</a>
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<p>Le groupe Casino, qui a réalisé de nombreuses acquisitions dans les années 2000-2010, est présent sur tous ces segments et s’est très bien positionné en France. Sa stratégie s’est également internationalisée sur cette même période avec une prise de contrôle de distributeurs sud-américains et asiatiques. C’est, à première vue, en 2011, une belle entreprise, mais il restait à entrer dans les détails de chaque division et de chaque activité pour véritablement appréhender la complexité du groupe.</p>
<h2>Cascade de holdings</h2>
<p>En examinant les chiffres de Casino et de Carrefour, l’un de ses principaux concurrents, il était à noter que le premier s’en sortait mieux que le second sur le marché français mais subissait néanmoins une baisse de chiffre d’affaires et de marges dans ses hypermarchés. La part de marché de Casino ne progressait que marginalement malgré la bonne performance de Monoprix, comme l’indiquent les graphiques ci-dessous.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/535852/original/file-20230705-7861-bph6pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535852/original/file-20230705-7861-bph6pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535852/original/file-20230705-7861-bph6pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=223&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535852/original/file-20230705-7861-bph6pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=223&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535852/original/file-20230705-7861-bph6pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=223&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535852/original/file-20230705-7861-bph6pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=281&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535852/original/file-20230705-7861-bph6pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=281&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535852/original/file-20230705-7861-bph6pv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=281&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Groupe Casino : variation du chiffre d’affaires par divisions et parts de marché en France.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pearson.fr/fr/book/?GCOI=27440100453070">Autrice</a>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Nous pouvions voir que les segments de la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/grande-distribution-22123">grande distribution</a> avaient des niveaux de croissance très différents, avec des positions de marché non identiques. Par exemple, les formats d’hypermarchés et de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/supermarches-22124">supermarchés</a> stagnaient, voire déclinaient. Casino y conservait néanmoins de fortes positions dans ce qui était devenu la « vache à lait » du groupe.</p>
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<p>La structure de l’actionnariat de Casino peut également apporter des éclairages sur les difficultés actuelles. La société est détenue à 49,9 % par le groupe Rallye qui détient en outre 61,2 % des droits de vote. Rallye est une holding et Casino son principal actif. Le groupe Rallye est également coté et détenu par à 55,55 % par une autre holding, et ainsi de suite.</p>
<p>En fait, le groupe Casino est contrôlé par une cascade de holdings remontant jusqu’à Jean-Charles Naouri, son président-directeur général (P-DG). Il en décide donc la stratégie, et ce sans véritable contre-pouvoir. Il préside un conseil d’administration pléthorique de 15 administrateurs, dont seulement un tiers sont considérés comme indépendants. En plus de sa position au sein de Casino, Naouri occupe le poste de P-DG de Rallye et préside évidemment la holding familiale en haut de la pyramide.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/535853/original/file-20230705-20369-qjvyfw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535853/original/file-20230705-20369-qjvyfw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535853/original/file-20230705-20369-qjvyfw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=233&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535853/original/file-20230705-20369-qjvyfw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=233&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535853/original/file-20230705-20369-qjvyfw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=233&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535853/original/file-20230705-20369-qjvyfw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=292&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535853/original/file-20230705-20369-qjvyfw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=292&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535853/original/file-20230705-20369-qjvyfw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=292&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Groupe Casino : structure de l’actionnariat et de ses holdings de tête.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pearson.fr/fr/book/?GCOI=27440100453070">Autrice</a></span>
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<p>Cette cascade de holdings a deux autres conséquences majeures sur la stratégie du groupe : d’abord, elle oblige Casino à verser d’importants dividendes, à remonter de manière régulière et continue du cash vers les holdings de tête. C’est autant d’argent non utilisé dans les investissements et le désendettement.</p>
<p>Or, ces dernières se caractérisaient déjà par un fort niveau d’endettement : Rallye avait une dette de 3,4 milliards d’euros, la foncière Euris près de 460 millions d’euros et Finatis 215 millions d’euros. Comme les remboursements de ces dettes nécessitent des flux réguliers de dividendes, près de 60 % des bénéfices du groupe Casino sont ainsi distribués aux actionnaires. En 2010, Rallye avait reçu près de 150 millions d’euros rien que pour payer les intérêts de sa dette.</p>
<p>La seconde conséquence de cette structure en cascade est d’obliger le groupe à prendre soin de ses actionnaires et de son cours de bourse. Même avec la majorité absolue des droits de vote, il était possible de noter (dans le rapport annuel du groupe) que 17,2 % des actions de Casino que détient Rallye étaient nanties pour garantir une partie de la dette que porte la holding. </p>
<p>En 2011, les actions Casino détenues par Rallye avaient une valeur d’environ 4 milliards d’euros, à comparer à la valeur de la dette de Rallye de 3,4 milliards d’euros. Si le cours de bourse venait à baisser de plus de 15 %, la valeur de l’actif deviendrait inférieure au passif. Les banques pourraient alors demander leur clause de nantissement, devenir propriétaire de 17,2 % du groupe et revendre ces actions.</p>
<h2>Un risque financier « significatif » depuis 2011</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/535820/original/file-20230705-17-5lf8x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/535820/original/file-20230705-17-5lf8x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/535820/original/file-20230705-17-5lf8x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=845&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/535820/original/file-20230705-17-5lf8x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=845&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/535820/original/file-20230705-17-5lf8x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=845&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/535820/original/file-20230705-17-5lf8x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1062&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/535820/original/file-20230705-17-5lf8x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1062&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/535820/original/file-20230705-17-5lf8x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1062&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les 12 travaux de l’analyste financier : Un récit, une enquête, une méthodologie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pearson.fr/fr/book/?GCOI=27440100453070">Éditions Pearson (2021)</a></span>
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<p>L’analyse de l’endettement à partir des bilans de Casino de 2005 à 2011 pouvait également pointer les risques de défaillance du groupe. L’endettement du groupe était déjà important et en constante augmentation, bien qu’à première vue non excessif. En effet, le <em>gearing</em> du groupe (le ratio dette financière nette/capitaux propres qui évalue la solidité financière) qui était proche de 100 % en 2005, passait à moins de 60 % en 2011 ; et le ratio de dette financière nette sur Ebitda (Bénéfices avant intérêts, impôts et dotations aux amortissements et aux provisions sur immobilisations), qui mesure la capacité de l’entreprise à rembourser sa dette, n’était que de 2,7 contre 3,5 auparavant.</p>
<p>À première vue, les ratios de solvabilité s’amélioraient donc entre 2005 et 2011 et le groupe respectait également très largement ses engagements financiers. Cependant, son ratio de couverture des frais financiers s’est dégradé, en raison de la hausse des taux d’intérêt sur cette période. Les agences de notation confirmaient cette analyse en considérant le profil économique du groupe comme « solide » et le profil de risque financier comme « significatif ».</p>
<p>La liquidité était un peu tendue, mais semblait acceptable. Sa seule trésorerie ne couvrait alors que 30 % du passif exigible à court terme, ce qui la mettait à risque de tomber en défaut de paiement à trois ans. Or, comme le groupe ne pouvait ni couper ses dividendes ni réaliser d’augmentation de capital (risque de dilution pour l’actionnaire), la seule solution était un refinancement auprès des banques et donc plus d’endettement. Casino a réussi à garder une notation financière correcte qui lui a permis de continuer à emprunter, jusqu’en mai dernier. Depuis plus d’une décennie, la messe était donc dite.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209170/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Jeny ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une analyse financière des données financières du groupe de grande distribution entre 2005 et 2011 montrait déjà plusieurs signaux de fragilité.Anne Jeny, Professor, Accounting Department, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2068022023-06-04T16:07:39Z2023-06-04T16:07:39ZL’activisme actionnarial, un levier de création de valeur pour les entreprises<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/529356/original/file-20230531-8016-rqonrt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=33%2C19%2C1017%2C689&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En 2022, le nombre de campagnes d’activisme actionnarial a augmenté de 36&nbsp;% en Europe.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://cdn.pixabay.com/photo/2020/07/08/05/39/success-5382639_960_720.jpg">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>De nombreuses <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-20563">entreprises</a> cotées sont aujourd’hui confrontées à la pression d’un ou plusieurs investisseurs dits « activistes actionnariaux », qui acquièrent une participation minoritaire dans une entreprise afin d’en influencer la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gouvernance-23847">gouvernance</a>. Cette forme d’engagement n’a cessé de se renforcer depuis le milieu des années 1990, constituant désormais une source majeure d’influence sur la gouvernance des entreprises aux États-Unis. De même, le nombre total de campagnes d’activisme actionnarial bat actuellement des records en Europe, avec une <a href="https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/L-activisme-actionnarial-mondial-connait-un-nombre-record-de-campagnes-europeennes-selon-un-rapport--42758502/">augmentation de 36 % en 2022</a> par rapport à l’année précédente.</p>
<p>Les engagements des investisseurs activistes durent en moyenne un an. Les activistes essayent d’influencer la direction dans le sens de leurs objectifs. Ils peuvent avoir des discussions amicales avec la direction ou utiliser la presse pour se faire entendre. Ils peuvent accroître leur implication en cherchant à avoir des représentants au conseil d’administration. À l’extrême, l’activisme actionnarial peut devenir hostile lorsque la direction les ignore ou refuse d’engager un échange ou des changements. Dans ce cas, les activistes peuvent imposer un vote sur leurs propres propositions, intenter des actions en justice ou finalement remplacer la direction.</p>
<p>Aux États-Unis, par exemple, le cofondateur de la société de vélos d’appartement Peloton a été <a href="https://www.ft.com/content/33c8306c-abad-41f6-874f-e95bb23c6460">contraint de démissionner</a> sous la pression de fonds spéculatifs activistes après l’effondrement de la valeur boursière de l’entreprise. De même, le PDG de la marque Hugo Boss a annoncé sa démission en 2020 sous la pression de l’investisseur activiste Bluebell Capital. Ce fonds a également contribué à <a href="https://theconversation.com/danone-une-illustration-des-fragilites-du-statut-dentreprise-a-mission-156544">l’éviction du PDG de Danone</a>, Emmanuel Faber, en 2021.</p>
<p>Dans les scénarios favorables, la campagne se termine par un accord visant à mettre en œuvre immédiatement les propositions des activistes. Ces propositions comprennent des réformes de la gouvernance de l’entreprise ou des modifications de la stratégie commerciale et du processus de production. Mais cette stratégie d’influence produit-elle des résultats concrets en matière de gouvernance d’entreprise ? Plus précisément, crée-t-elle de la valeur ? Dans notre récent article intitulé <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0304405X21003950"><em>Value creation in shareholder activism</em></a>, publié dans le <em>Journal of Financial Economics</em>, nous répondons par l’affirmative.</p>
<h2>Prime de rendement</h2>
<p>En moyenne, le marché réagit positivement à l’annonce d’un investissement visant à influencer la gouvernance d’une entreprise publique : pour tous les dossiers déposés auprès de la Securities and Exchanges Commission (SEC), le gendarme boursier américain, entre 1996 et 2017, le cours de l’action de l’entreprise ciblée a augmenté de 6,34 %. Mais cette réaction peut inclure non seulement la création de valeur attendue, mais aussi la correction d’un titre sous-évalué, un transfert de valeur des investisseurs à long terme vers les investisseurs à court terme, ou encore une réaction biaisée ou brouillée.</p>
<p>Pour isoler la valeur ajoutée induite par l’activiste en influençant directement les politiques et la gouvernance de l’entreprise, que l’on appelle <a href="https://economics.mit.edu/sites/default/files/publications/Treatment%20Effects.pdf">effet de traitement</a>, nous utilisons une technique de modélisation statistique et économique connue sous le nom d’estimation structurelle. Nous comparons pour cela cette valeur potentielle au rendement attendu si le même investisseur avait acquis une participation tout aussi importante dans la même entreprise mais était resté passif (seul un pur effet de « stock picking » serait alors perceptible).</p>
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<p>Cette technique nous a permis d’identifier tous les autres investissements passifs déclarés, c’est-à-dire les acquisitions de participations minoritaires sans intention d’influencer la gouvernance de l’entreprise, par le même investisseur au cours de la même période et dans des entreprises ciblées similaires. La prime de rendement liée à l’annonce de l’intention de s’engager auprès de la direction de l’entreprise ciblée, par rapport au rendement lié à la passivité, est en moyenne de 4,75 %.</p>
<h2>D’où vient la valeur supplémentaire ?</h2>
<p>Comment les activistes actionnariaux parviennent-ils à réaliser de tels gains ? Comment « traitent-ils » l’entreprise ciblée pour dégager autant de valeur à leur profit et à celui des actionnaires ? Il est plus difficile de répondre à cette question qu’à la précédente : cela implique un examen minutieux des objectifs déclarés et des réalisations à long terme de toutes les campagnes activistes répertoriées.</p>
<p>Heureusement, les chercheurs Alon Brav et Wei Xiang ont déjà fait une grande partie du travail. Dans une série d’articles clés, ils montrent que les campagnes militantes peuvent avoir des objectifs très différents et atteindre des buts différents. En effet, les activistes actionnariaux peuvent apporter une valeur ajoutée en <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/j.1540-6261.2008.01373.x">améliorant les performances opérationnelles de l’entreprise ciblée</a>, en augmentant la productivité par la <a href="https://academic.oup.com/rfs/article/28/10/2723/1581066">vente d’actifs sous-performants</a> ou en optimisant les <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0304405X18301727">dépenses de recherche et développement</a>.</p>
<p>Nous avons par ailleurs constaté que la valeur ajoutée provient de l’efficacité de la campagne elle-même : les engagements qui génèrent le plus de valeur sont également plus susceptibles d’être amicaux et brefs, évitant ainsi l’incertitude et les retards liés aux affrontements par procuration.</p>
<p>Enfin, nous avons constaté que le montant de la valeur ajoutée par engagement est concentré parmi les quelques <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fonds-activistes-52359">fonds activistes</a> qui ont mené à bien beaucoup plus de campagnes que les autres. En fait, l’expérience de l’activiste est un bien meilleur prédicteur de la création de valeur que les caractéristiques de la cible.</p>
<h2>Un activisme actionnarial encore rare</h2>
<p>Ces campagnes sont coûteuses, tant en termes d’efforts et de temps pour influencer ou prendre le contrôle d’une entreprise, qu’en termes financiers (frais de conseil et frais juridiques). Un fonds activiste ne s’engagera dans une campagne sur une entreprise donnée que si le rendement escompté dépasse le coût de l’activisme. Nous estimons que les investisseurs activistes obtiennent en moyenne un rendement net de 1,74 %. Tous les autres actionnaires, en revanche, économisent les coûts de l’activisme mais bénéficient de l’intégralité du rendement.</p>
<p>En outre, l’activisme actionnarial reste rare : de nombreuses cibles pertinentes existent mais il n’y a pas de création de valeur par ce mécanisme parce que les fonds activistes passent à côté de ces transactions, jugeant celles-ci trop peu rentables pour eux.</p>
<p>Nous concluons notre travail par une expérience : supposons que les coûts de l’activisme soient partagés équitablement entre tous les investisseurs en remboursant les frais de campagne de l’activiste ou en améliorant la transparence du processus de diligence raisonnable. Dans ce cas, beaucoup plus de campagnes seraient lancées, en particulier par les activistes actionnariaux novices. Pour les entreprises concernées, les grands investisseurs passifs s’engageraient plutôt dans l’activisme et débloqueraient des gains supplémentaires substantiels.</p>
<p>Le principal enseignement de cette recherche est donc que la coopération entre les activistes actionnariaux et les (autres) actionnaires paraît essentielle pour accroître la création de valeur. Il est souvent dans l’intérêt des deux parties de parvenir rapidement à un accord, tout en incluant des clauses de remboursement et des dispositions relatives au partage d’informations.</p>
<p>De telles dispositions apparaissent plus fréquemment dans les accords de règlement, mais elles sont loin d’être la norme. Et les inclure est plus facile à dire qu’à faire : les entreprises ont de bonnes raisons d’être patientes, attendant d’être sélectionnées par les meilleurs activistes. Il semble donc que l’avenir de l’activisme actionnarial, un mécanisme important de la gouvernance d’entreprise, dépendra beaucoup des innovations apportées aux contrats entre les activistes et leurs entreprises cibles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206802/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Une étude montre que la valeur d’une l’action augmente d’environ 4,75 % en moyenne après une prise de participation minoritaire qui vise à influencer la gouvernance de l’entreprise.Enrique Schroth, Professor, Director of the PhD in Finance Program, EDHEC Business SchoolRui Albuquerque, Seidner Family Faculty Fellow Professor of Finance at Carroll School of Management, Boston CollegeVyacheslav Fos, Associate Professor in the Finance Department, Boston CollegeLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2003102023-02-24T18:27:30Z2023-02-24T18:27:30ZCoopératives agricoles : la grande panne du modèle de gouvernance<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/511166/original/file-20230220-20-y7azd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=102%2C0%2C1005%2C779&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Dans les coopératives qui dégagent plus de 75&nbsp;millions d’euros de chiffre d’affaires par an, moins de 25&nbsp;% des membres participent aux votes.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sybarite48/28860656548">Daniel Jolivet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/cooperatives-agricoles-62996">coopératives agricoles</a> représentent aujourd’hui la <a href="https://www.routledge.com/Farmers-Cooperatives-and-Sustainable-Food-Systems-in-Europe/Gonzalez/p/book/9780367510947">moitié des activités agricoles mondiales</a>. Fondées par des agriculteurs, qui seront à l’honneur comme chaque année fin février à l’occasion du <a href="https://theconversation.com/fr/topics/salon-de-lagriculture-25013">Salon de l’agriculture</a> de la porte de Versailles, à Paris, les coopératives conservent un <a href="https://www.quae.com/produit/1699/9782759233588/gouverner-les-cooperatives-agricoles/commentaires-clients">système de gouvernance original</a> qui permet la représentation des intérêts des paysans.</p>
<p>Leur stratégie s’inscrit généralement dans le long terme et dans une perspective <a href="https://www.cairn.info/revue-recma-2020-4-page-23.htm">moins financiarisée que leurs homologues privés et cotés</a>. Les choix stratégiques des coopératives sont donc déterminants à la fois pour la <a href="https://www.euractiv.fr/section/agriculture-alimentation/interview/100-des-cooperatives-sont-engagees-dans-les-transitions-agroecologiques-selon-dominique-charge/">qualité de notre alimentation</a> comme pour les sujets relatifs à la durabilité et à la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=0iXj-2TWO74">souveraineté alimentaire</a>.</p>
<p>À la différence des autres entreprises, le bon fonctionnement des coopératives repose sur un pilier essentiel, qui conditionne leur développement et leur <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gouvernance-23847">gouvernance</a> : <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/cjag.12015">l’engagement réel et effectif de leurs adhérents</a>. Les adhérents ont la particularité d’entretenir une <a href="https://www.cairn.info/revue-recma-2016-1-page-19.htm">triple relation</a> avec la coopérative : ils sont détenteurs de parts sociales, fournisseurs (ils apportent leurs récoltes afin qu’elles soient vendues ou valorisées) et également clients (ils achètent des produits et services à la coopérative). Du fait de cette triple fonction, l’engagement des adhérents est crucial pour que la coopérative, par le biais de sa gouvernance, soit en mesure de concevoir et de mettre en œuvre une stratégie pertinente, porteuse de sens et qui bénéficie également aux membres de l’organisation.</p>
<p>Or, depuis plusieurs années, des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/cjag.12015">chercheurs</a>, des observateurs mais aussi les représentants des coopératives elles-mêmes tirent la sonnette d’alarme : les adhérents sont de moins en moins engagés, désertent parfois les réunions et participent très peu aux élections jusqu’à devenir parfois des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/apce.12205">passagers « fantômes »</a>.</p>
<h2>Des coopérateurs de moins en moins engagés</h2>
<p>Selon les derniers chiffres de <a href="https://actualites-agricoles.lacooperationagricole.coop/images/files/2021/AA-2021-07-23/Observatoire%20gouvernance%20coop%20Juin%202021.pdf">l’Observatoire de la gouvernance des coopératives agricoles</a>, 75 % des coopératives interrogées (764 coops soit 83 % du chiffre d’affaires du secteur coopératif), identifient un risque important lié à l’engagement des adhérents. Cela se traduit notamment par une faible participation aux instances essentielles de la coopérative (assemblée générale et/ou de section). Le taux de participation chute en dessous de 25 % des membres dès le seuil de 75 millions de chiffre d’affaires franchi.</p>
<p>Cette même inquiétude était partagée dans le rapport de la récente mission parlementaire portant sur <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-eco/l15b5040_rapport-information">« le secteur coopératif dans le domaine agricole »</a>. Ainsi peut-on y lire :</p>
<blockquote>
<p>« La faible participation en assemblée générale, parfois réduite en moyenne à 20 % pour les grandes coopératives, traduit une certaine distension du lien entre les associés coopérateurs et les coopératives, en particulier dans les plus grandes d’entre elles ».</p>
</blockquote>
<p>La faible représentation des adhérents pose évidemment un problème politique majeur dans des organisations démocratiques, chaque adhérent n’ayant qu’une voix, quel que soit le nombre de parts sociales détenues. En effet, comment justifier et rendre légitime des décisions s’appliquant à l’ensemble des adhérents quand seule une petite minorité est présente à l’heure des décisions ? Cela renvoie à une <a href="https://www.jstor.org/stable/20024687">forme de « tyrannie » de la minorité</a> et interroge les fondements mêmes de la coopérative.</p>
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<p>Face à ce constat inquiétant, comment relever le défi de l’engagement des adhérents ? La recherche en sciences sociales s’est penchée de longue date sur le sujet. L’engagement revêt trois dimensions majeures : une dimension affective (attachement émotionnel et sentiment d’appartenance) ; un engagement normatif (je me dois de rester dans l’organisation) ; et une dimension de continuité (je n’ai pas d’autres choix que de rester ou si je souhaite partir cela m’est relativement coûteux).</p>
<p>La situation idéale est évidemment constituée par un alignement de ces trois dimensions. En revanche, si une des dimensions est manquante ou pénalisée, c’est l’engagement global des individus qui peut être <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/agr.21321">significativement affecté</a>.</p>
<h2>Le risque d’un cercle vicieux</h2>
<p>Au terme d’un travail de terrain, notre recherche récente nous a permis de dégager une typologie des adhérents de coopératives. Le désengagement se manifeste de diverses façons. Au-delà des adhérents les plus désengagés (les « absents »), deux cas de figure intermédiaires relèvent de formes intermédiaires et pernicieuses du désengagement.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=283&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/511168/original/file-20230220-28-xfgul0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=356&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Typologie des adhérents de coopératives.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Auteur.</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Nous avons observé des adhérents faisant plus ou moins acte de présence mais qui ne s’investissent jamais dans leur structure ou ne participent pas à l’effort collectif, ce sont en quelque sorte des présents « passifs » et très peu moteurs (les adhérents « passifs »).</p>
<p>À l’inverse, nous avons observé des adhérents investis sur le terrain ou auprès de leurs collègues mais peu présents dans les instances ou ne souhaitant pas exercer de fonction ou de mandat (les adhérents « discrets »).</p>
<p>Or, il est absolument vital que les coopératives puissent s’appuyer sur des adhérents qui s’investissent, consacrent du temps et de l’énergie à leur coopérative et qui participent en même temps aux assemblées afin de légitimer la prise de décision qui en découle. À défaut, c’est bien un véritable cercle vicieux du désengagement qui est susceptible de se mettre en place.</p>
<p>En effet, les adhérents risquent d’être insatisfaits et d’être encore moins représentés, ce qui les conduit à ne plus croire au système politique de la coopérative et les incite à se désengager davantage au point de devenir des adhérents fantômes. Dans ce cas de figure, la coopérative est vidée de sa substance réelle, de sa nature coopérative et se retrouve livrée au bon vouloir d’une poignée d’élus ou de dirigeants. Il y a alors un risque fort de dérive « autocratique » ou de personnalisation du pouvoir, à l’opposé des principes coopératifs, qui sont, par essence le collectif et la démocratie.</p>
<h2>Quelques pistes de solution</h2>
<p>Face à ce constat (qui certes simplifie la diversité des situations), les coopératives, les élus et les adhérents peuvent cependant explorer quelques pistes.</p>
<p>En premier, sur ce qui fonde l’engagement des individus. Les coopératives doivent permettre le développement de la triple dimension de l’engagement : affectif, normatif et continuité. Concrètement, cela passe par la fierté et le sentiment d’appartenance. Ce qui suppose que les adhérents se sentent bien « traités » (notion de justice) et qu’ils se projettent avec fierté dans les projets portés et développés par leur coopérative.</p>
<p>À cette condition, ils seront en mesure d’avoir un engagement normatif et de s’inscrire dans une relation de continuité voulue et non subie avec leur coopérative. Au-delà du contrat liant juridiquement l’adhérent à sa coopérative, un « <a href="https://www.cairn.info/psychologie-du-travail-et-des-organisations--9782100738113-page-136.htm">contrat psychologique</a> », qui comprend les attentes non formalisées, se superpose et peut éventuellement évoluer en devenant de nature plus transactionnelle alors qu’il est idéalement de nature relationnelle.</p>
<p>Mais tout ne repose pas uniquement sur l’animation de la vie coopérative. Dès l’accueil des nouveaux adhérents comme à certains moments clés de l’année, il peut être utile de rappeler ce que « participer » veut réellement dire. On a la chance de pouvoir s’appuyer sur les <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/participer-essai-sur-les-formes-democratiques-de-la-participation/">travaux de la philosophe Joëlle Zask</a> qui a clarifié ce concept de participation : il s’agit de prendre <em>part</em> (participer à une aventure collective et être associé à un destin commun) ; d’apporter une <em>part</em> (apporter sa contribution qui permet au collectif d’exister) et enfin de bénéficier d’une <em>part</em> (sa participation est reconnue).</p>
<p>Ces quelques pistes brièvement esquissées constituent des pistes permettant d’avancer vers une véritable stratégie construite et pertinente pour faire « garantir » un contexte favorable à l’engagement réel, durable et contributif des adhérents à leur(s) coopérative(s). Car il en va au fond de la « survie » effective d’un modèle qui pèse 40 % du système agroalimentaire français et la moitié de l’agriculture mondiale.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’appuie sur une étude terrain à laquelle ont été associés Rodolphe Bonsacquet et Elsa Bonnard, ingénieurs agronomes, ayant évolué au contact de nombreuses coopératives et leurs adhérents</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200310/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Xavier Hollandts ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les adhérents, qui sont à la fois clients, fournisseurs, et détenteurs de parts sociales des structures coopératives, se montrent de moins en moins engagés dans les processus de décisions collectives.Xavier Hollandts, Professeur de stratégie et entrepreneuriat, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1997002023-02-12T17:24:32Z2023-02-12T17:24:32ZComment Renault ou Nissan pourraient-ils gérer un échec dans la mise en place de leur nouvel accord ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/509455/original/file-20230210-26-duv4me.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C5926%2C3929&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">(De gauche à droite:) Makoto Uchida, CEO de Nissan, Jean-Dominique Senard, président de Renault, Takao Kato, CEO de Mitsubishi Motors et Luca de Meo, CEO de Renault ont entériné le 6 février 2023 une nouvelle alliance devant la presse.</span> <span class="attribution"><span class="source">Daniel Leal / AFP</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Renault et Nissan (ainsi que Mitsubishi) vont donc refondre leur alliance. Pour les 15 prochaines années, chacun gardera 15 % du capital de l’autre. 15 % et pas davantage. Ce sera également la participation que prendra Nissan dans <a href="https://www.agefi.fr/corporate/actualites/quotidien/20230206/renault-nissan-actent-leur-nouvelle-alliance-358495">Ampère</a>, filiale du groupe français consacrée aux véhicules électriques. La marque au losange n’a <a href="https://www.bfmtv.com/economie/entreprises/renault-nissan-le-president-de-l-alliance-assure-que-renault-n-est-pas-perdant-dans-le-nouvel-accord_AV-202302080744.html">pas à y perdre</a>, assure le président de l’alliance Jean-Dominique Senart, même si elle possédait 44 % de la firme nippone dans le cadre d’un précédent accord jugé « un peu paralysant ».</p>
<p>Face à la mondialisation et la digitalisation, les stratégies d’alliances, <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0969593114000432?via%3Dihub">ne cessent de se multiplier</a> et jouissent d’une grande popularité dans le monde des affaires. En octobre 2022, c’étaient Microsoft et Meta, concurrents directs sur bien des points, qui mettaient des énergies en commun pour que le nouveau casque professionnel de réalité virtuelle, le <a href="https://gamergen.com/actualites/meta-et-microsoft-allient-partir-assaut-monde-professionnel-329617-1">Meta QuestPro</a>, puisse être utilisé dans la suite Microsoft Office et en particulier Teams.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1579891481237950464"}"></div></p>
<p>Il s’agit pourtant d’une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/strategie-21680">stratégie</a> risquée. Malgré les bienfaits attendus, le taux d’échec moyen <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9781315543673/strategic-alliance-management-brian-tjemkes-pepijn-vos-koen-burgers">avoisine les 50 %</a>. Création de valeur inférieure aux objectifs, dissolution concertée anticipée ou rupture unilatérale de la part d’un des partenaires, les performances s’avèrent souvent <a href="http://faculty.baruch.cuny.edu/tkdas/publications/das-teng_jom00_resourcebasedtheory_31-61.pdf">décevantes</a>.</p>
<p>Alors que la littérature a bien documenté les bénéfices à attendre d’une <a href="https://theconversation.com/fr/topics/alliance-76658">alliance</a> et les mécanismes qui peuvent être mis en place pour la protéger, peu de travaux, à l’instar des <a href="https://www.theses.fr/2021PA01E052">nôtres</a>, se sont intéressés à la façon de gérer l’échec, quand bien même il survient dans la moitié des cas.</p>
<h2>Éviter l’échec</h2>
<p>Selon la <a href="https://www.jstor.org/stable/3094067">définition</a> la <a href="https://journals.openedition.org/fcs/3368">plus citée</a> dans la littérature académique, celle de Ranjay Gulati, professeur à la Harvard Business School, les alliances stratégiques sont « des accords volontaires entre entreprises impliquant l’échange, le partage ou le co-développement de produits, technologies ou services ».</p>
<p>Les chercheurs ont exploré nombre des motifs les animant. Elles peuvent viser à <a href="https://www.worldcat.org/fr/title/13947161">améliorer des positions sur le marché</a> avec un <a href="https://psycnet.apa.org/record/1989-31391-001">renouvellement de sa stratégie</a> ou à en <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/09652549300000005">atteindre de nouveaux</a>, par exemple en s’ouvrant des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/smj.4250090406">canaux de distribution</a> supplémentaires. L’idée peut aussi être de <a href="http://faculty.baruch.cuny.edu/tkdas/publications/das-teng_jom00_resourcebasedtheory_31-61.pdf">développer un avantage concurrentiel</a>, en réalisant notamment des <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/35171512/Mohr_SMJ-libre.pdf">économies d’échelle</a> ou en <a href="https://www.scirp.org/(S(i43dyn45teexjx455qlt3d2q))/reference/referencespapers.aspx ?referenceid=1428760">partageant des risques</a>. Il peut également s’agir, comme dans le cas d’Ampère, d’<a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/smj.4250120908">acquérir ou combiner des compétences</a> et d’accéder à de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/smj.4250160804">nouvelles technologies</a>.</p>
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<p>Pour maximiser la réussite de cette stratégie et par là en éviter l’échec, la littérature gestionnaire s’est en outre attachée à en comprendre les facteurs et à proposer des moyens de promouvoir les succès.</p>
<p>C’est ainsi pour réajuster les rapports de force que <a href="https://theconversation.com/fr/topics/renault-24607">Renault</a> et Nissan ont revu leur partenariat. Leur déséquilibre compte en effet parmi les facteurs internes identifiés comme étant <a href="https://www.taylorfrancis.com/books/mono/10.4324/9780203077757/strategies-joint-venture-success-rle-international-business-peter-killing">sources d’échec</a>, au même titre que le <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/revue-interdisciplinaire-d-etudes-juridiques-2016-1-page-51.htm">manque de confiance</a> interfirmes et des <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/014920630002600105">conflits sur les orientations</a> à court ou long terme à donner au partenariat. Certaines causes en revanche ne touchent pas à l’alliance elle-même mais au cadre plus large dans lequel elle survient : l’état du marché, son <a href="https://www.jstor.org/stable/2098529">degré de concurrence</a>, la <a href="https://d1wqtxts1xzle7.cloudfront.net/55463459/OrgSci2013-libre.pdf">substituabilité des partenaires</a> et les <a href="https://www-cairn-info.ezproxy.universite-paris-saclay.fr/revue-francaise-de-gestion-2006-5-page-33.htm">réseaux d’autres alliances</a> gravitant autour.</p>
<p>Avoir identifié ces éléments a permis de formuler un certain nombre de recommandations, dans la lignée notamment des travaux d’Olivier Williamson, prix « Nobel » d’économie en 2009. Celui-ci insistait sur les structures de gouvernance permettant de limiter les comportements opportunistes.</p>
<p>Dans leur nouvel accord, Renault et Nissan ont ainsi défini des droits de vote réciproques correspondant à leur part dans le capital des deux groupes, élément qui était absent auparavant.</p>
<blockquote>
<p>« Nissan avait 15 % d’une belle entreprise qui s’appelle Renault mais sans droit de vote, c’est un peu frustrant ; de l’autre côté il y avait Renault qui avec 44 % d’une entreprise au Japon n’avait, en réalité, pas son mot à dire. Je me souviens être assis dans les assemblées générales de Nissan sans avoir le droit de parler, ce n’était pas normal », a expliqué Jean-Dominique Senard devant les caméras de BFM Business.</p>
</blockquote>
<p>Cette gouvernance peut s’incarner dans une fonction de gestion dédiée, celle d’« alliance manager » que décrivent notamment Laurène Blavet et Estelle Boucher-Pellegrin, respectivement ingénieur d’étude et maître de conférences à l’université de Montpellier.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/i7PhMbP29dk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Malgré ces recommandations et bonnes pratiques, que se passe-t-il cependant si l’échec survient ? Comment les acteurs concernés en sont-ils informés, et plus largement les parties prenantes ? Comment la dissolution de l’alliance est-elle gérée ?</p>
<p>On parle d’échec, ici, si l’alliance est résiliée, si elle ne crée pas de valeur ou si les objectifs ne sont pas atteints. On exclut par ailleurs les résiliations des alliances de type intérimaire qui visent à atteindre un objectif à court terme et dont la disparition connote plus souvent un succès.</p>
<h2>Renouveler le renouvellement stratégique ?</h2>
<p>Il y a bien là un enjeu de management que nos <a href="https://www.theses.fr/2021PA01E052">travaux</a> de recherche ont tenté d’éclairer à partir d’un cas dans le secteur de la grande distribution. Un enjeu trop souvent, au regard de la fréquence des ruptures anticipées, laissé de côté par la littérature qui vise plutôt à maximiser le succès des partenariats.</p>
<p>Nous montrons premièrement que l’échec ne survient pas du jour au lendemain. C’est tout un processus et les informations quant aux difficultés liées à la création de valeur et à la performance de l’alliance se diffusent en fait progressivement au sein des organisations partenaires. Les acteurs pressentent l’échec, ils « n’y croient plus », n’en « seraient pas étonnés », ils anticipent la dissolution.</p>
<p>Pour autant, vient toujours le moment où les autorités pilotes de l’alliance (en l’espèce, le comité de surveillance) formalisent cet échec par la décision de dissolution. L’annonce est alors gérée de deux façons différentes et par deux types d’acteurs en fonction de l’audience concernée. Auprès des membres de l’alliance, la décision est présentée comme un non-évènement, ou en tout cas un évènement non surprenant :</p>
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<p>« Comme vous vous y attendiez, nous avons décidé de dissoudre cette alliance. »</p>
</blockquote>
<p>Ces mots sont accueillis par les acteurs comme un soulagement pour certains, comme une issue logique pour d’autres. Pour tous, l’enjeu principal porte sur la redéfinition de leurs rôles : les fonctions des acteurs et leurs périmètres d’action dans la nouvelle configuration organisationnelle doivent être adaptés rapidement.</p>
<p>Auprès des fournisseurs et des actionnaires, en revanche, les directions générales des organisations partenaires présentent l’acte comme un « renouvellement stratégique ». Pareil discours peut prêter à sourire dans la mesure où le renouvellement stratégique était au départ… un motif de formation de l’alliance ! Un simple moyen de garder la face ? La chose suggère en tout cas l’importance de penser, en même temps qu’une alliance, et même si cela donne l’impression que l’on ne veut pas croire en ses chances de succès, la manière dont on appréhenderait son échec. Sa probabilité, rappelons-le, est bien loin d’être nulle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/199700/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anaïs Boutru ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Se poser la question n’est pas sans pertinence, même si l’on veut toujours croire à un succès au moment de se lancer : la moitié des alliances échoue et la situation est souvent gérée à l’improviste.Anaïs Boutru, Maîtresse de Conférences en Sciences de gestion et du Management, Université Paris Dauphine – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1926522022-10-25T16:19:16Z2022-10-25T16:19:16ZDécentralisation : la gouvernance des collectivités locales est-elle assez fiable ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/490039/original/file-20221017-25-w5v4ok.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=233%2C328%2C1520%2C1048&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">En juillet dernier, le Sénat a présenté un rapport préconisant d’élargir les compétences des régions, départements et communes (Ici, mairie de Serres-Castet, dans les Pyrénées-Atlantiques).
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mairie_de_Serres-Castet.png">Marcel Roblin/Wikimedia commons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>La cause semble entendue : il faut décentraliser la République ! C’est ainsi que Gérard Larcher, le président du Sénat, a déclaré <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/regions/le-senat-esquisse-une-nouvelle-etape-de-decentralisation-1220729">« Le temps de l’hypercentralisation est révolu »</a> le 2 juillet 2022 lors de la présentation d’un rapport regroupant 50 propositions « pour le plein exercice des libertés locales » élaboré par tous les groupes politiques du Sénat. C’est dire si la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/decentralisation-23118">décentralisation</a> est appelée des vœux de tous les élus représentant les collectivités locales.</p>
<p>Pour le président du Sénat, la forte <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/06/29/au-second-tour-des-municipales-abstention-record-et-percee-ecologiste_6044563_823448.html">abstention des dernières élections municipales</a> relève d’un « mal plus profond et plus ancien » :</p>
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<p>« Nos compatriotes réclament moins de discours, moins de bureaucratie, plus de proximité […] Seul un nouvel équilibre des pouvoirs entre l’État et les collectivités territoriales me semble permettre de restaurer la confiance et de donner un nouvel élan à notre pays […]. Nous voulons donner aux collectivités la pleine et entière responsabilité de compétences qu’elles nous paraissent pouvoir mieux exercer que l’État, parce qu’elles sont en proximité, parce que leur exercice pourra être plus souple et plus réactif. »</p>
</blockquote>
<p>L’idée est donc de donner aux collectivités de nouvelles compétences concernant l’emploi, la santé et l’écologie. Pourquoi pas ? Mais avant de valider un tel constat (qui reste à démontrer) et de telles demandes, il convient de s’interroger sur la gouvernance des collectivités locales. Dans quelle mesure cette gouvernance est-elle exemplaire ? Dans quelle mesure est-elle mieux à même que l’État d’assurer ces nouvelles missions et surtout dans quelle mesure est-elle est plus démocratique ?</p>
<h2>Une gouvernance bien différente des entreprises</h2>
<p>Bien sûr, les collectivités locales, et au premier chef les communes, sont en proximité avec la population. Mais si cela est vrai des communes, est-ce le cas des départements et de régions ? On peut en douter. Pour la plupart de nos concitoyens, les compétences des départements et des régions <a href="https://www.ouest-france.fr/elections/departementales/elections-departementales-flou-dans-les-competences-des-departements-3203587">restent floues</a>. C’est d’ailleurs <a href="https://www.observationsociete.fr/modes-de-vie/vie-politique-et-associative/participationvote/">pourquoi les électeurs votent davantage pour les municipales</a> que pour les élections régionales ou législatives.</p>
<p>Si les rapports en faveur de plus de décentralisation sont nombreux, rares sont ceux qui s’interrogent sur la gouvernance effective des collectivités locales. Alors que l’exécutif de l’État doit composer avec l’Assemblée nationale et le Sénat pour valider ses propositions de loi, rien de tel avec un exécutif régional, départemental ou municipal. Il leur suffit de faire approuver par leur majorité au sein de leurs conseils les délibérations qu’ils veulent faire appliquer.</p>
<p>Le cas des communes est particulièrement exemplaire. Le système électoral pour les communes a été construit afin de donner à la liste gagnante sortie des urnes une solide majorité de façon à assurer la stabilité de l’exécutif local. C’est ainsi que, dans les communes de plus de 1000 habitants, la liste gagnante obtient <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/20204-municipales-quel-mode-de-scrutin-dans-les-communes-de-1000-hab-et-plus">50 % des sièges des conseillers municipaux</a> et que le reste des sièges est réparti au prorata des voix obtenues par toutes les listes. Concrètement, si au second tour de l’élection il ne reste que deux listes, la liste gagnante qui a obtenu, par exemple 60 % des voix, rafle 50 % des sièges plus 60 % des sièges restants, soit au total 80 % (50 % + 30 %). La minorité s’en sort avec 20 % alors qu’elle avait obtenu 40 % des suffrages. C’est donc une forte distorsion dans la représentativité des élus municipaux qui va s’instaurer.</p>
<p>Ainsi, tant que le maire a la confiance de sa majorité il va pouvoir faire voter toutes les délibérations qu’il souhaite, même un budget non sincère. L’opposition aura beau demander des débats contradictoires, faire des amendements et manifester rien ne changera : le maire aura gain de cause, et cela pendant six ans. Hormis ses électeurs en vue du prochain scrutin, il ne devra en outre de comptes à personne, sauf à la trésorerie et à la préfecture pour des aspects purement administratifs. Le seul risque réel pour le maire est donc de voir sa majorité se fracturer, aussi il est important pour lui de soigner sa cohésion.</p>
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<p>Au total, le maire va pouvoir diriger sa commune sans contre-pouvoir réel. On est ici bien loin de la gouvernance des entreprises privées avec leurs conseils d’administration, voire de surveillance, avec des représentants des actionnaires. En effet, ces derniers sont relativement indépendants car ils n’ont pas été élus sur la liste conduite par le PDG (comme pour le maire) et qu’ils ont également des comptes à rendre à leurs mandants.</p>
<h2>Le précédent des « emprunts toxiques »</h2>
<p>Ces dernières années, la gestion des 36 000 communes de France a connu quelques ratés spectaculaires. Le cas des « emprunts toxiques » est à cet égard exemplaire. Dans les années 2004-2008, plus de 850 collectivités locales ont souscrit à des emprunts qui se sont avérés être des emprunts toxiques. Or, non seulement les élus savaient ce qu’ils faisaient – contrairement à ce qu’ils ont affirmé régulièrement – mais <a href="https://theconversation.com/emprunts-toxiques-certains-elus-locaux-savaient-ce-quils-faisaient-55924">plus les élus savaient, plus ils signaient</a>.</p>
<p>Dans un <a href="https://theconversation.com/emprunts-toxiques-entre-ignorance-et-petits-calculs-57709">article</a> publié en 2016, nous montrions à partir de l’expérience de la métropole grenobloise comment les élus responsables avaient fourvoyé leurs collectivités avec de tels montages financiers. Comme de très nombreuses collectivités locales, la métropole grenobloise a pu sortir de la nasse des emprunts toxiques grâce à l’appui de l’État, via le Fonds de soutien (SFIL). Mais outre que cette sortie a été <a href="https://theconversation.com/emprunts-toxiques-la-douloureuse-sortie-de-la-metropole-grenobloise-62053">très coûteuse financièrement</a>, elle a eu également un coût politique.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/emprunts-toxiques-entre-ignorance-et-petits-calculs-57709">Emprunts toxiques : entre ignorance et petits calculs</a>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/emprunts-toxiques-la-douloureuse-sortie-de-la-metropole-grenobloise-62053">Emprunts toxiques : la douloureuse sortie de la Métropole grenobloise</a>
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<p>Autre exemple emblématique : la région Poitou-Charentes qui sous la présidence de Ségolène Royal a souscrit pour près de <a href="https://www.lepoint.fr/economie/emprunts-toxiques-5-5-milliards-aux-frais-des-contribuables-21-02-2017-2106276_28.php">200 millions d’euros d’emprunts devenus toxiques</a>, dont 47 millions à très haut risque, selon le cabinet EY. On pourrait malheureusement citer bien d’autres exemples de la mauvaise gestion financière de ces collectivités.</p>
<p>Si on peut comprendre les élus des collectivités demandant davantage de compétences et de responsabilités afin d’élargir leurs pouvoirs, on peut néanmoins s’interroger si « un nouvel équilibre des pouvoirs entre l’État et les collectivités territoriales permettra de restaurer la confiance et de donner un nouvel élan à notre pays », pour reprendre les mots du président du Sénat. À tout le moins, si cela devait se faire il conviendrait de revoir sérieusement la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gouvernance-23847">gouvernance</a> des collectivités locales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192652/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Albouy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le cas des « emprunts toxiques » souscrits dans les années 2000 a révélé des modes de décision qui interrogent au moment où le Sénat veut lancer une nouvelle étape dans la décentralisation.Michel Albouy, Professeur émérite de finance, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1918822022-10-10T19:00:14Z2022-10-10T19:00:14ZGouvernance : une loi Pacte II serait-elle suffisante pour mieux associer les salariés ?<p>Dans leur article paru dans The conversation le 27 septembre 2022 et dans leur <a href="https://presses-universitaires.univ-amu.fr/reforme-lentreprise-modele-francais-codetermination">livre</a> intitulé <em>La réforme de l’entreprise : un modèle français de codétermination</em>, les chercheurs Xavier Hollandts et Nicolas Aubert ont retracé l’histoire de la codétermination française, c’est-à-dire la détermination <em>en commun</em> des décisions par les salariés et les actionnaires.</p>
<p>Ils décrivent notamment les prémisses françaises de cette codétermination en citant le socialisme utopique, le catholicisme social ou encore le mouvement coopératif. Montrant que la réhabilitation du pouvoir des salariés dans les organes de gouvernance a en partie des racines historiques, les auteurs invitent à une extension de la codétermination.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/associer-les-salaries-a-la-gouvernance-dentreprise-une-invention-francaise-et-pas-allemande-191197">Associer les salariés à la gouvernance d’entreprise, une invention française (et pas allemande)</a>
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<p>Nous rejoignons parfaitement leur propos tant les avancées françaises en ce domaine, bien qu’enracinées dans une histoire, demeurent encore timides. Le pacte plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises, dit <a href="https://theconversation.com/fr/topics/loi-pacte-49810">loi Pacte</a>, promulguée le 22 mai 2019, a certes abaissé de 12 à 8 le seuil d’effectif du conseil d’administration ou de surveillance déclenchant l’obligation d’avoir deux représentants des salariés.</p>
<p>Dans les entreprises de plus de 1,000 salariés, les sociétés doivent ainsi désigner au moins deux représentants des salariés lorsque le conseil d’administration est composé de plus de 8 membres et un représentant lorsque le conseil d’administration est composé de 8 membres ou moins.</p>
<p>Cependant, on est encore bien loin du <a href="https://www.entreprises.gouv.fr/files/files/directions_services/politique-et-enjeux/simplifications/rapport-louis-gallois-competitivite.pdf">rapport</a> Gallois de 2012 qui posait les jalons de la loi Pacte mais qui recommandait la mise en place d’au moins 4 représentants des salariés au conseil d’administration ou de surveillance. On est également bien loin d’un objectif plus ambitieux qui consisterait à donner le même pouvoir aux représentants du travail qu’aux représentants du capital, voire même à conférer aux salariés un rôle de premier plan dans les organes de décision.</p>
<h2>Une réforme de l’ensemble du droit</h2>
<p>Pour se rapprocher de cet objectif, on pourrait augmenter le nombre de représentants du travail dans les organes de gouvernance, imposer l’association des salariés à la gouvernance dans d’autres structures sociétaires, et étendre la règle à des entreprises de plus petite taille. Voilà les trois orientations que l’on pourrait attendre d’une loi Pacte II en la matière.</p>
<p>Mais est-il vraiment possible de faire de la codétermination la forme normale du gouvernement d’entreprise sans réformer le droit dans sa globalité ? En d’autres termes, les évolutions touchant à la participation des salariés au pouvoir de décision ne seraient-elles pas condamnées à être symboliques, fragmentées ou secondaires dès lors qu’elles feraient fi du droit dans son intégralité ?</p>
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<p>Entendons par là que ce n’est pas seulement la composition des organes de gouvernance qui mérite d’être réformée, mais la définition même de la structure sociétaire. Actuellement, l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006444041/">article 1832 du Code civil</a> indique que « la société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d’affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui pourra en résulter. » Ainsi, la structure sociétaire poursuit une seule finalité, faire des bénéfices et les partager entre ses associés.</p>
<p>Ne faudrait-il pas, pour redéfinir la structure sociétaire, repenser la structuration du droit dans son ensemble et, comme le révélaient déjà depuis un certain temps les chercheurs du Collège des Bernardins, questionner la <a href="https://journals.openedition.org/lectures/7965">séparation entre le droit des sociétés et le droit du travail</a> ?</p>
<p>Si l’on osait remettre en cause cette séparation entre deux droits (droit des sociétés et droit du travail) et deux contrats (contrat de société et contrat de travail), on pourrait alors concevoir un droit de l’entreprise… L’entreprise serait alors juridiquement composée d’un ensemble de parties prenantes (associés et salariés) et orientée vers une finalité supérieure au partage des bénéfices.</p>
<h2>Une recherche d’une finalité supérieure</h2>
<p>Quelle pourrait être cette finalité supérieure ? Peut-on faire du bien commun une finalité supérieure ? Qu’est-ce que le bien commun ? Nous avons tenté de répondre à ces questions dans notre récent <a href="https://www.nouvellecite.fr/product/128505/l-entreprise-et-le-bien-commun/">ouvrage</a>, <em>L’entreprise et le bien commun</em>, (Nouvelle Cité, 2022)</p>
<p>À première vue, le bien commun se rapproche des notions constitutives de l’intérêt commun : intérêt social ou intérêt de l’entreprise. Ces notions juridiques visent à éviter des comportements abusifs fondés sur des intérêts personnels distincts de l’intérêt collectif. Cependant, la notion de bien commun va plus loin : elle cherche certes à empêcher le sacrifice de l’intérêt collectif au nom d’un intérêt individuel, mais elle s’efforce également d’allier poursuite du bien communautaire et poursuite du bien personnel.</p>
<p>En d’autres termes, la recherche du bien commun commence par une prise de conscience de l’intérêt commun. Parce que la poursuite de l’intérêt commun nous aide à nous libérer d’une focalisation sur nos intérêts individuels, il y a dans l’intérêt commun l’amorce d’une démarche ascendante. Mais la notion d’intérêt commun présente un risque, celui d’une focalisation sur les intérêts économiques d’une catégorie d’individus.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-lentreprise-et-le-bien-commun-191885">Bonnes feuilles : « L’entreprise et le bien commun »</a>
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<p>C’est là que la perspective du bien commun se révèle pertinente : elle invite les individus, quels qu’ils soient, salariés, associés, clients, partenaires, peut-être même concurrents, à dépasser leurs intérêts catégoriels en s’interrogeant sur la possibilité de créer ou de rejoindre une communauté de travail. Pas n’importe quelle communauté de travail, une communauté à la fois soucieuse 1) de répondre aux besoins réels de la société, et 2) de porter attention aux besoins personnels de chacun des membres de la communauté.</p>
<h2>Une nouvelle définition juridique comme tremplin</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1173&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1173&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1173&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1474&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1474&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/488045/original/file-20221004-4918-bn0u57.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1474&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« L’entreprise et le bien commun », de Sandrine Frémeaux.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.nouvellecite.fr/product/128505/l-entreprise-et-le-bien-commun/">Nouvelle Cité, 2022</a></span>
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<p>La communauté parfaite n’existe pas, certes. Elle est en construction permanente et ne se fortifie que par nos actions, nos efforts pour la faire vivre. Il n’y a pas d’entreprise du bien commun sans une quête partagée du bien commun. Mais pour que cette quête du bien commun soit rendue possible, il faut encore que les règles, en particulier les règles du droit de l’entreprise, soient ainsi faites que nous pouvons percevoir l’orientation éthique qu’elles délivrent.</p>
<p>Comme l’énonçait dès 1949 la philosophe Simone Weil dans <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/L-enracinement"><em>L’enracinement</em></a>, les règles doivent être « assez stables, assez peu nombreuses, assez généreuses pour que la pensée puisse se les assimiler une fois pour toutes ».</p>
<p>En faisant référence à la quête du bien commun, la définition juridique de l’entreprise pourrait devenir un tremplin à des actions dont l’utilité économique, sociale et écologique ne ferait aucun doute. Elle soutiendrait l’émergence ou la réorientation d’activités permettant de répondre aux besoins réels et non artificiels de la société tout en donnant sens aux actions des différentes parties prenantes, investisseurs et travailleurs.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191882/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandrine Frémeaux ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La codétermination en entreprise pourrait être renforcée par une évolutiuon du droit qui définirait clairement des notions comme la structure sociétaire ou encore le bien commun.Sandrine Frémeaux, Professeur, AudenciaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1915432022-09-30T11:18:57Z2022-09-30T11:18:57ZVerdict France Télécom : une nouvelle « logique de l’honneur » en entreprise ?<p>Ce vendredi 30 septembre, la cour d’appel de Paris a rendu un verdict particulièrement attendu dans le procès des dirigeants de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/france-telecom-71183">France Télécom</a> pour <a href="https://theconversation.com/fr/topics/harcelement-moral-71371">harcèlement moral</a> après une vague de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/suicide-36096">suicides</a> de salariés chez l’opérateur dans les années 2000.</p>
<p>La cour <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/09/30/harcelement-moral-a-france-telecom-peine-allegee-en-appel-pour-l-ex-pdg-didier-lombard_6143819_3224.html">a réduit les peines prononcées en première instance</a>. L’ex-PDG Didier Lombard, aujourd’hui âgé de 80 ans, et l’ex-numéro deux Louis-Pierre Wenès ont chacun ainsi écopé d’un an de prison avec sursis (contre une peine de prison ferme avec quatre mois de sursis en première instance), assorti de 15 000 euros d’amende. Deux autres prévenus ont également été sanctionnés moins lourdement en appel qu’à l’issue du premier procès.</p>
<p>Non seulement le verdict, mais aussi les comportements, notamment émotionnels, des principaux prévenus, en particulier de l’ex-PDG, se sont distingués de ceux observés dans le précédent procès. Et ces changements individuels pourraient en entrainer d’autres, plus systémiques, dans les entreprises françaises, comme nous allons le voir.</p>
<p>Comme cela fut observé par plusieurs journalistes, ce ne sont pas des larmes furtives, mais des <a href="https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/proces-france-telecom-decision-le-30-septembre-1771661">« sanglots » qui sonnèrent la fin des audiences de ce procès</a>. Le haut fonctionnaire et président d’entreprise Didier Lombard semblait avoir donc fendu l’armure, en dévoilant, volontairement ou non, sa part de fragilité. La figure hiératique, droite dans son costume-cravate, masquant ses émotions, s’est alors effacée, un moment, derrière le visage d’un être qui montre son désarroi face à un drame humain massif. Les ex-dirigeants, accusés de « harcèlement moral institutionnel », ont paru, enfin, clairement exprimer leur désarroi, et leur préoccupation pour les victimes parmi les employés et cadres du groupe.</p>
<p>Cette attitude observée à la fin des audiences du procès en appel tranche avec la position de la défense lors de la première audience. Celle-ci s’était ouverte avec l’image de <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/05/12/a-l-ouverture-du-proces-en-appel-de-france-telecom-des-prevenus-en-colere_6125708_3224.html">prévenus en colère</a>. Le premier jour, Didier Lombard s’était dit « profondément blessé » par les attendus du jugement » ; son bras droit, Louis-Pierre Wenès, déclara que le jugement l’a tellement rempli de colère et d’émotion » qu’« il lui a fallu des semaines pour pouvoir le lire ». Le jugement de première instance, pourtant, soulignait « les qualités humaines, d’écoute, de respect, d’échanges dont sont indiscutablement pourvus les prévenus et dont ils ont témoigné au cours de leur parcours professionnel ».</p>
<p>C’est l’un des faits marquants de ce procès d’appel : les ex-dirigeants ont exprimé leurs émotions avec beaucoup plus de liberté que pendant la première audience.</p>
<p>Mais il nous faut aussi essayer de comprendre pourquoi et comment les prévenus ont pu passer de l’expression de leur indignation face à leur situation individuelle, à l’expression appuyée de compassion devant une souffrance collective au travail. Et des implications possibles, à terme, de ce changement pour les entreprises.</p>
<h2>Des droits et devoirs liés au statut</h2>
<p>Lors du premier procès, les prévenus ont paru parfois peu ouverts. Selon le réquisitoire, « la seule chose qu’ils veulent entendre, c’est que leur action était <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/proces-france-telecom-quoi-ca-sert-d-etre-chef-si-vous-n-assumez-rien#.YzVm9C8RpQI">indispensable au sauvetage de l’entreprise</a> ». L’ancien PDG soutenait ainsi que les dégâts sociaux et humains du plan qu’il avait conçu avec ses collaborateurs étaient dus à une « rupture, à un moment donné, dans la chaîne hiérarchique ». Autrement dit, il n’aurait fait que son devoir, alors que certains de ses collaborateurs y auraient failli.</p>
<p>Plus généralement, la logique de justification des dirigeants français, bien longtemps avant les faits reprochés aux anciens dirigeants de France Télécom, avait été décrite par le sociologue des organisations Philippe d’Iribarne, dans une vaste étude comparative internationale. Il l’a appelée « <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-logique-de-l-honneur-gestion-des-entreprises-et-traditions-nationales-philippe-d-iribarne/9782020107099">logique de l’honneur</a> ». Selon cette logique, les dirigeants français justifient leurs comportements par les droits et les devoirs qu’ils attribuent à leur statut.</p>
<p>Ce modèle a été utilisé pour tenter de comprendre et prévoir le comportement des cadres français dans de nombreuses recherches en sciences de gestion, dont une de <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/ncmr.12103">nos études académiques portant sur l’interculturalité</a>, où nous analysons les perceptions mutuelles des comportements des négociateurs latino-américains et français. Nous avons relevé dans nos entretiens et analyses que l’attitude des négociateurs français était parfois perçue par leurs interlocuteurs comme des marques d’intransigeance, voire d’« arrogance » (sic). Ce qui rejoint, à propos des ex-dirigeants de France Télécom, les mots cinglants de la procureure : « <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/flash/proces-france-telecom-quoi-ca-sert-d-etre-chef-si-vous-n-assumez-rien#.YzVm9C8RpQI">ils ont l’exaltation de ceux qui détiennent la vérité</a> ».</p>
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<p>Les émotions, dans cette « logique de l’honneur », ne sont pas absentes, mais sont souvent retenues, contenues. Par exemple, Napoléon Bonaparte écrivait à Frédéric VI, à propos de la meurtrière campagne de Russie : <a href="https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/correspondance-generale-de-napoleon-bonaparte-tome-13-le-commencement-de-la-fin-janvier-juin-1813-introduction-au-volume/">« mes pertes sont réelles, mais l’ennemi ne peut s’en attribuer l’honneur »</a>. De même, pendant le premier procès de l’opérateur, l’attitude et le comportement des prévenus, dans l’ensemble, firent transparaître peu d’empathie. Dans cette vision de la « logique de l’honneur », le dirigeant, comme l’ex-PDG de France Télécom, se doit avant tout d’être, selon l’expression utilisée jadis par un premier ministre français face à de longues grèves, « droit dans ses bottes ».</p>
<p>Suivant cette « logique de l’honneur », être accusé d’avoir négligé un devoir sonne comme un lourd reproche, qui peut libérer des émotions fortes, et des sentiments d’indignation. Ainsi s’expliquerait, comme relevé par les juges, que, même en première instance, « les prévenus […] ont même manifesté un <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/harcelement-moral-a-france-telecom-debut-du-proces-en-appel-des-anciens-dirigeants_812767.">profond sentiment d’incompréhension, voire d’injustice</a> ».</p>
<p>Cette colère n’a probablement pas été apaisée par le jugement qui suivit, qui condamna l’ancien PDG et son bras droit à des peines de prison ferme ainsi qu’à des amendes. Ce sentiment d’incompréhension explique peut-être, pourquoi, à la différence de l’entreprise jugée et – condamnée – comme personne morale (Orange – ex. France Télécom), les ex-dirigeants ont souhaité tous faire appel (seul l’un d’eux s’est par la suite désisté). Selon le mot d’un conseil d’un prévenu, son client entendait « contester le jugement rendu (en première instance) <a href="https://www.challenges.fr/entreprise/harcelement-moral-a-france-telecom-debut-du-proces-en-appel-des-anciens-dirigeants_812767.">dans toutes ses composantes</a> ».</p>
<h2>Un renouvellement de la « logique de l’honneur » ?</h2>
<p>Sur le fond, pendant ce second procès, les arguments des parties en présence n’ont pas beaucoup changé par rapport au premier procès. La défense a fait valoir une approche étroite de la « logique de l’honneur » que les dirigeants voulaient sauver l’entreprise, qu’ils n’avaient pas eu l’intention de nuire aux salariés, et n’avaient pas été impliqués personnellement dans les pratiques de harcèlement. Ce qui a été d’ailleurs reconnu par le jugement de première instance.</p>
<p>De leur côté, les procureurs ont argumenté que lorsqu’il est établi que des pratiques de harcèlement découlent directement de la stratégie de l’entreprise, les auteurs de cette stratégie – à savoir les dirigeants – en demeurent responsables. Quand bien même les personnes harcelées sont séparées des dirigeants par plusieurs niveaux hiérarchiques. En effet, selon l’avocat général, la politique de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/ressources-humaines-rh-120213">ressources humaines</a> fut fixée « en <a href="https://www.lefigaro.fr/societes/harcelement-moral-a-france-telecom-des-peines-alourdies-requises-au-proces-en-appel-20220624">haut de façon quasi militaire</a> et déclinée à tous les niveaux de la hiérarchie ».</p>
<p>Ce matin, la cour d’appel a eu, sur les faits, la même lecture que les juges en première instance, qui avaient estimé que la fin (sauver l’entreprise) ne peut justifier le moyen invoqué (la création d’un climat anxiogène). Ce jugement d’appel confirme donc la nouvelle notion de « harcèlement moral institutionnel » et la possibilité de condamner une stratégie d’entreprise, et ceux qui l’ont conçue et appliquée. Comme le précédent jugement, il sonne donc comme une charge contre une vision étriquée de la « logique de l’honneur », et sous-entend qu'elle doit inclure aussi une préoccupation pour le bien-être des personnes qui travaillent dans l’entreprise.</p>
<p>Dans ce procès en appel, les marques d’empathie observées finalement chez les prévenus, qui avaient paru longtemps engoncés dans une étroite « logique de l’honneur », les ont rendus, enfin, plus proches de la base de leur ancienne organisation, et de celles et ceux qui y travaillaient. Bien sûr, nous ne savons pas dans quelle mesure l’allègement des peines en appel est lié à la perception de changements d’attitudes et de comportements émanant des prévenus pendant le second procès, en particulier de l’ancien PDG de l’entreprise.</p>
<p>Mais surtout, au terme de ce second procès, semble émerger une vision plus empathique et inclusive de la « logique de l’honneur » que celle qui anime traditionnellement les dirigeants français. Cette approche de l’honneur, certainement, est plus satisfaisante, tant pour les entreprises et les personnes dont ils ont la responsabilité, que pour la société.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191543/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sébastien Fosse ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Contrairement au premier procès, les ex-dirigeants en poste au moment de la vague de suicides dans les années 2000 ont montré leurs émotions devant la cour d’appel.Sébastien Fosse, Professeur de comportement organisationnel et de responsabilité sociétale, ESC Clermont Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1911972022-09-27T20:00:51Z2022-09-27T20:00:51ZAssocier les salariés à la gouvernance d’entreprise, une invention française (et pas allemande)<p>Par une étrange ironie de l’histoire, la France semble aujourd’hui se réconcilier, notamment via la loi Pacte (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises) <a href="https://www.economie.gouv.fr/plan-entreprises-pacte">promulguée en 2019</a>, avec une tradition séculaire, historique, vivace et qui a fondé un des piliers de notre système de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/gouvernance-23847">gouvernance</a>. Alors que la vision financiarisée de l’entreprise exclut par principe et <em>sui generis</em> les salariés, les évolutions les plus récentes des entreprises permettent en effet de <a href="https://ideas.repec.org/a/dij/revfcs/v22y2019i1p63-88..html">réhabiliter la présence des salariés au cœur de la gouvernance</a>.</p>
<p>Avec la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/loi-pacte-49810">loi Pacte</a>, la codétermination, c’est-à-dire la détermination <em>en commun</em> des décisions par les salariés et les actionnaires, se manifeste concrètement par la participation, au sein du conseil d’administration ou de surveillance de représentants désignés par les salariés.</p>
<p>Ainsi, les articles <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000042012257/">184</a> à <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000038497812">186</a> de la loi Pacte (à la suite de la loi Rebsamen de 2015) rendent obligatoire et renforcent la présence des salariés au sein des conseils d’administration ou de surveillance dans les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire (Société anonyme et Société en commandite par actions de plus de 1 000 personnes en France ou 5 000 personnes en France et à l’étranger). La loi introduit la présence d’un administrateur salarié lorsque le conseil compte jusqu’à 8 administrateurs, et de deux administrateurs salariés au-delà de ce seuil qui était jusqu’alors fixé à 12 administrateurs.</p>
<p>Cela n’est pas sans rappeler les systèmes germaniques et nordiques d’association des salariés à la gouvernance regroupés sous le terme de codétermination. Pourtant, cette idée d’impliquer les salariés dans la gouvernance émerge en France dès 1945, soit 30 ans avant la généralisation de ce modèle en Allemagne (1976), qui sert très souvent de point de référence historique sur le sujet. La participation des salariés figure d’ailleurs au <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/preambule-de-la-constitution-du-27-octobre-1946">huitième alinéa du préambule de la Constitution</a> française du 27 octobre 1946 :</p>
<blockquote>
<p>« Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises. »</p>
</blockquote>
<p>Certes, le système allemand fait figure de modèle incontournable mais peu de personnes savent que la France a développé après-guerre une école de pensée autonome et novatrice dont les influences sont (partiellement) traduites dans les dernières lois qui permettent aux salariés de participer à la gouvernance et donc à l’orientation de leur entreprise.</p>
<h2>Dépasser la conflictualité</h2>
<p>Les prémisses proviennent de courants aussi différents que le socialisme utopique et le catholicisme social au XIX<sup>e</sup> siècle ou encore le mouvement coopératif au début de XX<sup>e</sup> siècle. Ces courants ont un peu plus tard influencé le général de Gaulle lorsqu’il a développé l’idée d’association du capital et du travail dès la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’association, cette troisième voie qu’il appelait de ses vœux était censée permettre d’éviter une fracture de la société.</p>
<p>L’association est ensuite devenue la participation des salariés (mise en place entre 1959 et 1967) qui comprenait trois volets : la participation au capital au travers de l’actionnariat salarié, la participation aux profits évoquée ces derniers mois avec le débat sur le dividende salarié et enfin, la participation aux décisions.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-participation-des-salaries-ameliore-le-pouvoir-dachat-et-limite-la-financiarisation-des-entreprises-181531">La participation des salariés améliore le pouvoir d’achat… et limite la financiarisation des entreprises</a>
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</em>
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<hr>
<p>Nous avons montré dans un <a href="https://presses-universitaires.univ-amu.fr/reforme-lentreprise-modele-francais-codetermination">ouvrage</a> récent que différents textes ou ouvrages jalonnent notre histoire de celui de l’ex-ministre du Travail Paul Bacon (1946) à la loi Pacte (2019). Ils convergent autour d’une réflexion : la « Réforme de l’entreprise ». À la différence des pensées marxistes ou collectivistes, l’ambition n’est pas de renverser l’entreprise capitaliste. L’idée est plutôt de la faire évoluer vers un modèle dépassant la conflictualité pour fonder une organisation plus équilibrée et respectueuse des parties prenantes internes. Une forme de préfiguration des travaux ultérieurs sur la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/responsabilite-societale-des-entreprises-rse-21111">responsabilité sociale de l’entreprise</a> (RSE).</p>
<h2>Propositions enterrées</h2>
<p>Cette « Réforme de l’entreprise » connut son apogée en 1975 avec le comité et le rapport sur le sujet confiés au haut fonctionnaire Pierre Sudreau par le président Valéry Giscard d’Estaing. Pierre Sudreau réunit un comité qui rassemble tous les partenaires sociaux pour travailler à un véritable projet de réforme de l’entreprise.</p>
<p>Il réussit le tour de force de réunir et de faire travailler ensemble tous les représentants des partenaires sociaux, sans exception, pour proposer des réformes novatrices de l’entreprise. Le comité rédige un <a href="https://www.persee.fr/doc/ridc_0035-3337_1976_num_28_4_16781">rapport</a> comprenant 69 propositions de réformes dont la modernité est plus que frappante. Le rapport est très attendu et est même un succès de librairie : il se vend à plus de 200 000 exemplaires.</p>
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<p>La proposition la plus médiatique est la cosurveillance. Ce terme désigne une forme allégée de codétermination avec des conseils d’administration ou de surveillance composés de salariés pour un tiers. Un an avant l’implantation d’un système similaire en Allemagne, la France manque ce rendez-vous historique puisque le rapport Sudreau comme ses propositions seront enterrés. Seule la <a href="https://www.doctrine.fr/l/texts/lois/JORFTEXT000000339023">loi Beullac de 1977</a> sur le bilan social constituera la traduction d’une de ces 69 propositions.</p>
<p>La cosurveillance proposée par le rapport Sudreau n’a pas été adoptée pour plusieurs raisons liées à la conjoncture économique et politique. En 1975, l’économie française entre en récession avec une croissance du PIB négative pour la première fois depuis 30 ans. Les désaccords au sommet de l’État qui culmineront avec la démission de Jacques Chirac de son poste de premier ministre en 1976 ne sont sans doute pas étrangers aux changements de priorités. L’absence d’un réel soutien politique a ainsi relégué la cosurveillance au second plan au moment où l’Allemagne généralisait ce système en 1976.</p>
<h2>Communauté humaine</h2>
<p>Oubliée pendant quarante ans, la codétermination a <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/10/05/la-codetermination-est-une-idee-porteuse-d-avenir-qui-doit-trouver-sa-place-dans-la-loi_5196511_3232.html">resurgi dans le débat public</a> ces dernières années. Elle partait d’une réflexion sur la nature de l’entreprise, une entreprise analysée comme une communauté humaine. Cette analyse fait aujourd’hui défaut pour comprendre les problèmes de recrutement et de fidélisation que traversent les entreprises. Le <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-cours-du-college-de-france/le-travail-n-est-pas-une-marchandise-contenu-et-sens-du-travail-au-XXIe-si%C3%A8cle-par-alain-supiot-4554405">travail n’étant pas une marchandise</a>, il ne peut être dissocié de la personne qui le réalise qui éprouve un besoin naturel de participer à la définition de sa finalité. Cela est d’autant plus vrai pour les entreprises où le travail est le principal ingrédient de leur valeur.</p>
<p>Au sein de cette communauté humaine, le travail n’est pas une partie prenante comme les autres mais une partie prenante constitutive de l’entreprise. Par une pirouette de l’Histoire, au regard de la prédominance des sujets de responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ou de durabilité, la place des salariés n’est désormais plus fondamentalement remise en cause comme dans les années 1970 ou 1980.</p>
<p>Les crises successives, tant financières que sociétales, du début du XXI<sup>e</sup> siècle ont en effet révélé la responsabilité des entreprises et par conséquent de son mode de décision et sa gouvernance. L’entreprise est tenue responsable vis-à-vis de ses parties prenantes et, parmi ces parties prenantes, les salariés jouent un rôle de premier plan.</p>
<p>Les conclusions des rapports qui ont précédé la loi Pacte, de nombreux rapports internationaux et de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne <a href="https://www.cairn.info/revue-d-economie-financiere-2018-2-page-181.htm">vont dans ce sens</a> : elles préconisent sans ambiguïté la participation des salariés à la gouvernance. Ce même raisonnement qui était au cœur du courant français de la réforme de l’entreprise, il y a près de 40 ans…</p>
<h2>Extension de la loi Pacte</h2>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Couverture du livre « La réforme de l’entreprise : un modèle français de codétermination », par Nicolas Aubert et Xavier Hollandts" src="https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=948&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=948&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=948&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1191&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1191&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/486097/original/file-20220922-7052-jyub19.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1191&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">« La réforme de l’entreprise : un modèle français de codétermination », par Nicolas Aubert et Xavier Hollandts (2022).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Presses universitaires d’Aix-Marseille</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Quelle perspective s’ouvre dans les prochaines années ? Si l’on considère que la loi Pacte préfigure des tendances à venir, on devrait en toute logique assister à une généralisation de la codétermination. Son extension était d’ailleurs prévue dans la loi après une <a href="https://www.strategie.gouv.fr/publications/comite-de-suivi-devaluation-de-loi-pacte-deuxieme-rapport">évaluation du dispositif actuel réalisée par France Stratégie</a> en 2021.</p>
<p>L’extension de la codétermination aurait pour conséquence que les salariés soient de plus en plus présents au sein des conseils d’administration ou de surveillance de plus en plus d’entreprises. Une telle extension pourrait également concerner les petites et moyennes entreprises (PME) à l’avenir et non plus seulement les grandes entreprises et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) comme à l’heure actuelle.</p>
<p>L’approfondissement de la codétermination alignerait le modèle de gouvernance sur le modèle allemand. Parmi les autres pays européens, plus de la moitié associent les salariés aux conseils avec des nuances diverses. La codétermination est ainsi analysée comme la <a href="https://riodd.net/colloque-college-des-bernardins-paris-16-17-mars-2018-gouvernement-participation-et-mission-de-lentreprise/">forme normale du gouvernement d’entreprise</a>. Le Danemark le prévoit par exemple pour les PME.</p>
<p>Dans les grandes entreprises allemandes de plus de 2000 salariés, les conseils de surveillance sont pour moitié composés de salariés. Ces particularités interrogent sur la constitution d’un véritable régime européen de codétermination qui ferait figure de modèle très avancé, largement alimenté par des courants historiques puissants dont l’objectif était bel et bien de réformer l’entreprise.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191197/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le général de Gaulle développait l’idée d’une meilleure association du capital et du travail dans le but d’éviter une fracture de la société.Xavier Hollandts, Professeur de stratégie et entrepreneuriat, Kedge Business SchoolNicolas Aubert, Professeur des Universités en Finances, IAE, IAE Aix-Marseille Graduate School of Management – Aix-Marseille UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1900282022-09-19T18:40:51Z2022-09-19T18:40:51ZIntelligence artificielle : demain, les robots « créatifs » toucheront-ils des royalties ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/485349/original/file-20220919-27-b6qzxe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'Intelligence Artificielle Midjourney a conçu cette oeuvre, nommée « Théâtre d'opéra spatial ».</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.presse-citron.net/ce-tableau-nest-pas-loeuvre-dun-humain-mais-dune-ia/">Jason M. Allen par Midjourney</a></span></figcaption></figure><p>Les avancées de la robotique et de l’informatique cognitive permettent d’envisager à très court terme une « autonomie » assez large pour les robots ayant accès à une intelligence artificielle (IA), en particulier une autonomie créative.</p>
<p>En effet, les IA dotées de facultés d’apprentissage contribuent, et vont contribuer toujours plus <a href="https://theconversation.com/serie-video-musicialite-lintelligence-artificielle-un-instrument-comme-un-autre-186525">au monde des créations</a>, y compris dans des domaines traditionnellement qualifiés d’artistiques, <a href="https://theconversation.com/lintelligence-artificielle-peut-elle-creer-une-poesie-dun-genre-nouveau-171170">littéraires</a> ou inventifs.</p>
<p>Ainsi, les IA se sont mises à générer des lignes de codes, et ceci correspond à une production intellectuelle, et artistique, qu’elle soit littéraire ou musicale. À titre d’exemples, on peut lire ceux donnés par le site <a href="https://intelligence-artificielle.com/generative-ai-tout-savoir/">Intelligence artificielle</a> (qui pour le reste se complaît dans l’anthropomorphisme) : amélioration d’images à faible résolution, génération de personnages de jeux vidéo, écriture de morceaux de musique.</p>
<p>Il faut néanmoins encadrer de larges guillemets le mot « autonomie » : ces machines spontanément, tombent en panne ; les règles qu’elles se donnent sont purement formelles : ce ne sont que des règles de calcul, et pas des normes conçues, considérées, et admises comme lois par les agents numériques. On est ici bien loin de l’autonomie comme composante de <a href="https://www.fayard.fr/1001-nuits/de-la-liberte-des-anciens-comparee-celle-des-modernes-9782755505702">la liberté des modernes</a>. C’est-à-dire celle d’agents qui peuvent eux-mêmes reconfigurer leur règle d’action, parce qu’ils y comprennent quelque chose et cherchent à accomplir leur volonté propre.</p>
<p>Pourtant, l’illusion est tenace.</p>
<p>Les experts qui ont participé à ces avancées peuvent alors, bercés de <a href="https://www.google.com/search?q=Cybern%C3%A9tique+et+soci%C3%A9t%C3%A9.+L%27usage+humain+des+%C3%AAtres+humains&rlz=1C5CHFA_enFR802FR802&oq=Cybern%C3%A9tique+et+soci%C3%A9t%C3%A9.+L%27usage+humain+des+%C3%AAtres+humains&aqs=chrome..69i57j0i22i30.199j0j7&sourceid=chrome&ie=UTF-8">représentations cybernétiques</a>, s’identifier au <a href="https://theconversation.com/frankenstein-et-le-transhumanisme-71200">docteur Frankenstein</a>, à qui sa créature échappe en se personnifiant. Les robots dotés de fonctions d’autoapprentissage semblent capables de corriger eux-mêmes leurs erreurs et d’inventer de nouvelles solutions, de manière assez imprévisible : on se met alors à parler de créativité autonome.</p>
<p>Les robots corrigent bien leurs paramètres, mais seulement dans la couche haute, « logicielle » du système (autrement dit : un programme d’autoapprentissage qui s’arrête, ne se remettra pas en marche, et ne se reconfigurera pas pour éviter l’écueil à l’avenir). Deuxièmement, s’il y a production automatique de nouveaux algorithmes, cela reste une production semi-aléatoire de code logiciel : on ne disposera d’une « nouvelle solution » que dans la mesure où quelqu’un (un être humain), y trouvera intérêt, et un nouveau moyen de l’implémenter.</p>
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<p>Une telle explication technique, anti-anthropomorphique, ne convaincra néanmoins que les informaticiens. Le commun des mortels continuera à se demander si l’on peut parler de créativité et d’œuvre artificielle.</p>
<p>Or le juriste (en particulier celui qui se préoccupe de propriété intellectuelle) peut éclairer cette question de la créativité des IA. Il dispose en effet d’une référence, le droit d’auteur, longuement élaboré et démocratiquement délibéré. Sa première question sera de savoir si les productions artificielles peuvent être qualifiées « d’œuvres de l’esprit ».</p>
<h2>Le droit d’auteur en France</h2>
<p>Sans remonter aux origines (au moins <em>l’imprimatur</em> papale et les patentes royales), le développement du droit d’auteur en France est fortement lié à l’époque révolutionnaire. <a href="https://www.senat.fr/rap/l05-308/l05-3084.html">La propriété de l’auteur sur son œuvre</a> est alors perçue comme « la plus sacrée, la plus légitime, la plus inattaquable, la plus personnelle de toutes ». La justification est le talent de l’écrivain et sa contribution à l’édification commune : Victor Hugo s’exclamera « l’écrivain propriétaire, c’est l’écrivain libre ! ». Ainsi, l’auteur de l’œuvre se voit reconnaître un monopole sur sa création. C’est en fait comme si les idéologies successives s’étaient emparées du droit d’auteur. <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/F/bo5954330.html">L’école de Chicago</a> saura proposer des modèles mathématiques d’optimisation de ses règles en vue de sa plus grande efficience sur le marché.</p>
<p>Les développements techniques et technologiques, à partir du XIX<sup>e</sup> siècle, ont ouvert la voie à un élargissement du domaine d’application du droit d’auteur : protection de l’aspect immatériel des photographies, des enregistrements audio, des œuvres cinématographiques, etc., jusqu’à trouver une application pour le programme logiciel, dont les lignes de code ne sont rien d’autre qu’un texte écrit dans un certain langage. La propriété de ce code est attribuée à la personne qui l’a écrit, comme le serait un roman, dans la mesure où ce code est original.</p>
<h2>La production des IA, une œuvre originale ?</h2>
<p>Nous pouvons alors ici passer le cas de la production artificielle au filtre de la notion d’œuvre originale, autour de laquelle s’articule le régime du droit d’auteur. Nous découvrirons s’il est juridiquement correct de parler d’œuvres artificielles, dont il s’agirait ensuite d’attribuer la titularité.</p>
<p>La jurisprudence européenne mobilise plusieurs notions et conditions autour de cette question de l’œuvre originale (l’identification précise et objective, l’absence de trop forte contrainte technique, la règle de l’effet utile, l’absence d’emprise sur les idées, etc.) L’analyse permet d’affirmer qu’elles s’articulent globalement autour d’un schème (qui s’avère être aussi une règle du Code français de la propriété intellectuelle) : celui de la conception réalisée.</p>
<p>Le même juge fait également droit au très central critère d’originalité. Il l’entend souvent comme la « marque de l’apport intellectuel propre à l’auteur. » Comment comprendre juridiquement l’expression ? L’apport intellectuel de l’auteur, c’est celui qu’il a pu concevoir dans son esprit créatif. Il ne fait pas que concevoir l’œuvre, il la réalise (il en fait quelque chose de concret). D’où la possibilité qu’il marque l’œuvre de son apport intellectuel propre.</p>
<h2>La notion d’« œuvre originale » appliquée au cas artificiel</h2>
<p>Revenons aux créations des agents numériques. Ceux-ci ne « conçoivent » rien : c’est le propre du langage informatique (un langage formel calculable) de ne véhiculer aucune signification.</p>
<p>Les instructions informatiques sont dénuées de sens, et le programme informatique n’est pas une pensée. Il est l’assemblage de toutes les instructions ; au mieux (lorsque le logiciel est stable et bien programmé), il fournit un ou des outputs, dont on ne peut pas dire qu’ils procèdent d’une conception… sauf à exhiber le fameux « algorithme ». Il est vrai que d’un certain point de vue, parler de l’algorithme permet de décrire la logique du code, ce qu’on cherche à faire à travers lui. Mais un programme logiciel est composé de très nombreux algorithmes qui d’ailleurs, doivent être implémentés, autant dire : dégradés en formulations de programmation.</p>
<p>Nous sommes ici bien éloignés du créateur humain qui a l’idée de faire œuvre, décide d’une stratégie créative, et mobilise ses idées en vue d’une création.</p>
<p>Dès lors qu’aucune « conception » n’est présente, la « réalisation » est celle d’autre chose. La réalisation des agents numériques, ou celle des opérateurs humains autour du système d’IA, c’est la production technique d’un output technique, à travers un process technique. Que ce dernier soit purement déterministe, ou partiellement aléatoire, ne change rien à l’affaire. Le travail créatif des programmeurs logiciel par exemple, concerne la machine productive, pas la production. Dès lors, l’output global du système ne peut juridiquement pas être appelé « œuvre de l’esprit ». Si l’on cherche des œuvres, on les trouve éventuellement au cours du processus pré-aléa. Ce sont des œuvres logicielles, autrement dit du programme capable de générer la production artificielle. On les trouve encore comme données d’entrées de tout ce processus. Mais nullement en sortie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quand-lemotion-viendra-aux-robots-61651">Quand l’émotion viendra aux robots</a>
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<p>La production artificielle ressemble comme deux gouttes d’eau à la création humaine, mais n’a pas été produite comme une œuvre. D’ailleurs, elle est le plus souvent sérielle (comme les <em>Mille milliards de poèmes</em> de Raymond Queneau) : on a affaire à un très grand nombre de produits artificiels. C’est pire encore : elle est sérielle et continue ; c’est-à-dire que les outputs (dans lesquels nous reconnaissons éventuellement des œuvres) s’accumulent dans des bases de données tant que personne n’a songé à arrêter la machine.</p>
<p>Il n’y aurait dès lors aucun sens, économique ou juridique, à privatiser cette production à travers le droit d’auteur.</p>
<h2>Le règne des machines à gouverner</h2>
<p>Pourquoi persistons-nous à croire aux « robots créatifs » ? Formulons une hypothèse pour expliquer la puissance de cette illusion. Depuis au moins la période moderne, se déploient ce que l’on appelle des « machines à gouverner ».</p>
<p>Ce sont d’abord les lois, procédures puis tous les programmes logiciels. On peut les assimiler dans une catégorie unique, parce qu’ils contiennent tous des prescriptions formelles opérables logiquement. En effet le commandement juridique, au cours de la modernisation du droit sera toujours plus systématisé (on songe à son organisation dans des codes), formalisé exactement (ce qui fait aujourd’hui l’objet de la science dite légistique) de manière à être très bien exécuté (prépondérance du « syllogisme juridique »). Or un système d’instructions formelles calculables n’est rien d’autre qu’un programme logiciel.</p>
<p>Ainsi, le projet juridique moderne s’accomplit dans l’informatique ; ou encore : l’ordinateur est l’environnement de test de la modernité politique.</p>
<p><a href="https://www.larcier.com/fr/sous-le-regne-des-machines-a-gouverner-2022-9782802771678.html">Le règne des machines à gouverner</a> c’est donc le déploiement incessant depuis des siècles de ces commandements juridiques (et commandes informatiques). Ces millions de prescriptions, plus ou moins instrumentées pour être obéies, sont toujours plus efficientes dans un système (d’information) et toujours moins efficaces dans la réalité. Cette dégradation, qui est aussi celle du « gouvernement » en « gouvernance » est inévitable.</p>
<p>Donnons quelques raisons (techniques et non idéologiques) de l’échec annoncé des modernes, en tant qu’ils s’appuient sur la prescription légale puis informatique :</p>
<ul>
<li><p>pour être calculée, l’instruction formelle <a href="http://www-igm.univ-mlv.fr/%7Eberstel/Mps/Travaux/A/1963-7ChomskyAlgebraic.pdf">doit être dénuée de signification</a> ;</p></li>
<li><p>on ne dispose jamais par avance du modèle gouvernant pertinent, encore moins du modèle complet ;</p></li>
<li><p>les mécanismes qui président aux reconfigurations du système sont bien plus dépendants de contingences diverses, que d’un pur volontarisme éclairé ;</p></li>
<li><p>trop nombreuses, les prescriptions vouées à être traitées logiquement paralysent un système pris de contradictions logiques.</p></li>
</ul>
<p>Nous sommes donc pris dans un système artificiel, fait de normes, de règles et de procédures, système globalement non signifiant. Sous le règne des machines à gouverner, nous perdons le sens commun, et la charge de la preuve s’est globalement renversée en faveur du modèle, contre la vie. Réduisant le territoire à la carte, le projet moderne nous a enfermé dans un monde absurde… un monde (ou plutôt sa représentation) théoriquement calculable, mais fort peu praticable. La loi, rédigée à l’avance et souvent gravée dans le silicium, ne laisse que peu de place au bien-faire en circonstance : occupé à obéir formellement (à exécuter l’instruction, si je suis un robot) je n’ai aucune opinion sur le caractère souhaitable de cette obéissance. S’il m’arrive de bonnes choses, ce n’est plus du fait d’une mobilisation vertueuse, mais seulement par hasard.</p>
<p>Gageons alors que les juristes trouveront un moyen de consacrer juridiquement (à travers une nouvelle série de prescriptions très formelles) les outputs de la machine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190028/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Arnaud Billion est salarié d'IBM France et membre du think tank Présaje. Il a bénéficié d'un financement de Présaje pour la publication de son dernier ouvrage, aux éditions Larcier.</span></em></p>La production artificielle ressemble comme deux gouttes d’eau à la création humaine, mais n’a pas été produite comme une œuvre.Arnaud Billion, Doctorant, AI/IT ethics and sustainability, Université Jean-Moulin Lyon 3Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1858072022-06-26T19:49:10Z2022-06-26T19:49:10ZEntreprises familiales : comme Bernard Arnault, les dirigeants sont nombreux à retarder leur succession<p>Objet de toutes les convoitises depuis la nuit des temps et sujet de bien des discordes encore aujourd’hui, le pouvoir séduit, attire, habite, au point parfois de ne faire qu’un avec son détenteur ; cependant, en politique comme en entreprise, la détention du pouvoir a une durée de vie limitée, tout au moins officiellement. Se pose alors la question du lâcher-prise au « bon » moment.</p>
<p>Cette question est encore plus complexe lorsqu’on regarde de près la transmission du pouvoir (propriété et leadership) dans les <a href="https://theconversation.com/fr/topics/entreprises-familiales-92864">entreprises familiales</a>, entreprises où les scénarios sont multiples, à l’image de la singularité des histoires des familles et des profils des dirigeants.</p>
<p>Actualité récente : a priori, <a href="https://www.lvmh.fr/groupe/identite/gouvernance/comite-executif/bernard-arnault/">Bernard Arnault, 73 ans, ne quitterait pas ses fonctions de directeur général</a> de LVMH en 2024 comme prévu par les statuts d’avant le 21 avril 2022, date à laquelle 81,63 % des actionnaires du groupe de luxe ont exprimé un <a href="https://www.capital.fr/entreprises-marches/lvmh-bernard-arnault-pourra-rester-dg-7-ans-de-plus-1434442">vote favorable</a> pour étendre la limite d’âge de retraite du DG à 80 ans au lieu des 75 ans initialement prévus.</p>
<p>D’aucuns seraient tentés de se perdre dans un labyrinthe d’interprétations ; mais si cette décision nous dit bien quelque chose, c’est que vraisemblablement ce n’est pas encore le « bon » moment de passer le flambeau du leadership chez LVMH.</p>
<h2>Le « bon » moment, mais pour qui ?</h2>
<p>Bien que Bernard Arnault ne dévoile aucune piste sur son futur successeur aux commandes de LVMH, il a jusqu’à présent mis le plus grand soin à former la __ génération suivante des Arnault puisqu’aujourd’hui ces cinq enfants occupent des postes de responsabilité dans le business familial. Autre fait majeur, il leur a déjà transmis 75 % du groupe de luxe en nue-propriété, ainsi qu’à ses deux neveux (enfants de sa sœur décédée). Il conserve donc 25 % du groupe et l’usufruit de la totalité, selon <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2021/07/26/le-clan-arnault-ou-la-fabrique-des-heritiers_6089594_3451060.html">Le Monde</a>.</p>
<p>Dans les entreprises familiales, si les stratégies des individus et des organisations diffèrent face à la transmission du pouvoir, on ne peut que constater les multiples dimensions de ce qu’on pourrait définir comme le « bon » moment, tant les facteurs qui entrent en jeu varient selon les contextes et les situations. Arrive alors une question essentielle : le « bon » moment pour qui ?</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1517118297531199488"}"></div></p>
<p>Le processus successoral implique de façon directe ou indirecte plusieurs parties prenantes, lesquelles ont des attentes et enjeux différents : le dirigeant familial, le(s) potentiel(s) successeur(s), les actionnaires familiaux et non familiaux, les fournisseurs historiques, etc., pour ne citer que ceux-là. Leur perception de la réalité n’est pas toujours la même : le « bon » moment du point de vue des actionnaires par exemple, peut sembler trop tôt pour le dirigeant ou trop tard pour le potentiel successeur.</p>
<p>Les résultats de mes <a href="https://www.cairn.info/revue-recherches-en-sciences-de-gestion-2018-4-page-161.htm">travaux de recherche</a> sur le sujet, menés avec mes co-auteurs, permettent d’identifier par ailleurs ce manque d’alignement des perceptions parmi les freins potentiels à la réussite de la transmission. Autant les entreprises familiales sont capables de créer des ressources très difficiles à imiter grâce à la « familiness », autant elles sont <a href="https://www.researchgate.net/profile/Sascha-Kraus-2/publication/236616463_Psychological_Aspects_of_Succession_in_Family_Business_Management/links/5f0ddc13299bf1e548b44299/Psychological-Aspects-of-Succession-in-Family-Business-Management.pdf">menacées de ne pas pouvoir transférer ces ressources</a> à la génération suivante.</p>
<p>Cela peut s’expliquer en partie par le sentiment de propriété psychologique chez le dirigeant familial, sentiment qui se traduit par un lien émotionnel fort entre lui et son entreprise. Ces liens affectifs peuvent <a href="https://re.public.polimi.it/bitstream/11311/1069313/3/INNOVATIONTHROUGHTRADITION--AMP--Public.pdf">devenir un réel obstacle</a> l’empêchant de quitter ses fonctions et de passer le contrôle à la génération suivante. Un manque de confiance dans les capacités du successeur à pérenniser l’héritage familial vient parfois accentuer l’enracinement du dirigeant. C’est notamment le cas s’il a peur de laisser son entreprise entre les mains d’un <em>Fredo</em>, en référence à Alfredo Corleone (Fredo) dans <em>Le Parrain</em> de Francis Coppola, comme on le soulignait dans un <a href="https://kedge.edu/insights/le-destin-fou-des-jeunes-successeurs-familiaux">article</a> paru dans le monde des grandes écoles en février dernier.</p>
<h2>« Un grand coup de spleen »</h2>
<p>Marcel Dassault, fondateur du groupe Dassault, n’a laissé son fauteuil de PDG à son fils Serge, qu’à la suite de son décès en 1986 ; Marcel avait alors 94 ans et son successeur Serge 61 ans. Depuis, <a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2018/05/28/mort-de-l-ancien-senateur-serge-dassault-industriel-de-l-armement-et-de-la-presse_5306014_3382.html">Serge Dassault</a> s’est battu pour gagner en légitimité. Il réussira à développer le groupe familial pour en faire un réel empire et devenir une des plus grandes fortunes de France.</p>
<p>Cependant, il quittera à son tour ce monde en 2018 à l’âge de 93 ans en laissant à Charles Edelstenne, 80 ans à l’époque, son bras droit et successeur de transition, le soin de mener à bien la succession du groupe, avec le soutien du comité des sages qu’il avait créé en 2006.</p>
<p>Serge Dassault n’en a pas fait une affaire personnelle, comme il le soulignait dans le <a href="https://www.dassault-aviation.com/fr/passion/actu/livre-dassault-de-marcel-a-serge/">livre</a> <em>de Dassault de Marcel à Serge</em> (éditions Perrin) de Claude Carlier :</p>
<blockquote>
<p>« Les actionnaires choisiront le meilleur, le plus apte à diriger le groupe qu’il soit de la famille ou non et ce sera dans l’intérêt de tous. J’ai fait mon choix pour ma propre succession en nommant Charles Edelstenne au poste de président statutaire successif. Ce sera à lui, en concertation avec la famille et avec l’aide du comité des sages de nommer le sien, le moment venu. La seule chose que j’exige, c’est que le capital du groupe reste dans la famille ».</p>
</blockquote>
<p>Autre famille, autre histoire de succession : en 2003, chez les Pinault, François Pinault, alors âgé de 67 ans et encore en pleine forme, cède la présidence d’Artémis à son fils François-Henri à qui il dit : « Si j’avais ton âge, je voudrais avoir le pouvoir alors je te le donne », <a href="https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2021/07/29/chez-les-pinault-une-transmission-orchestree-par-l-incontournable-patriarche_6089950_3451060.html">mais il admet avoir accusé le coup</a> un an plus tard :</p>
<blockquote>
<p>« Je n’avais pas anticipé que ce serait si dur. Comme j’avais dit à tout le monde de voir désormais les choses avec mon fils, du jour au lendemain il n’y a plus eu d’appels téléphoniques. Rien. J’ai eu un grand coup de spleen ».</p>
</blockquote>
<p>C’est là que la préparation de la transmission et son étalement dans le temps auraient pu permettre une transition plus douce.</p>
<p>Les chercheurs américains Jeffrey A. Sonnenfeld et Padraic L. Spence, auteurs de l’article de recherche <em>The Parting Patriarch of a Family Firm</em> (1989_)_, proposent une typologie avec <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1111/j.1741-6248.1989.tb00004.x">quatre styles de sorties/départs</a> des dirigeants familiaux : le « monarque » qui s’attache à son fauteuil jusqu’au bout ; le « général » qui dit se retirer, mais reste très présent, en espérant qu’on ait besoin de lui pour sauver l’entreprise ; le « gouverneur » qui a un comportement réel de retrait avec le plus souvent une période de départ clairement annoncée ; et l’« ambassadeur » qui se retire de ses fonctions dans l’entreprise familiale dans la sérénité tout en acceptant, si besoin, d’apporter ses conseils et son expertise dans un domaine spécifique.</p>
<p>Dans les faits, un dirigeant familial peut avoir un mix d’attitudes et de comportements face au processus successoral, voire évoluer d’un style vers un autre à travers le temps.</p>
<p>Au sein du Centre d’expertise en entrepreneuriat et entreprises familiales de KEDGE Business School, je mène actuellement avec des collègues une recherche non pas sur les facteurs de réussite de la transmission intrafamiliale mais sur les facteurs explicatifs de l’échec. Nos premiers résultats sont sans équivoque : manque de compétence réel ou perçu chez le(s) successeur(s), manque de confiance entre les parties prenantes clés (dirigeant, nouvelle génération, successeur(s) potentiel(s), actionnaires, fournisseurs, clients, banques, etc.), violation/rupture du contrat psychologique et insuffisance/inefficience des dispositifs de gouvernance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185807/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sara Bentebbaa ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le manque de compétence réel ou perçu chez le(s) successeur(s) ou encore les liens affectifs entre le chef d’entreprise et sa société peuvent freiner le passage de témoin.Sara Bentebbaa, Professeure en entrepreneuriat et stratégie, Responsable du Centre d'Expertise en Entrepreneuriat et Entreprises Familiales, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.