tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/islam-21325/articlesislam – The Conversation2024-02-19T16:10:39Ztag:theconversation.com,2011:article/2236682024-02-19T16:10:39Z2024-02-19T16:10:39ZPakistan : la résistance imprévue d’Imran Khan<p>Les élections pakistanaises du 8 février 2024 ne devaient être qu’une formalité. Rentré d’exil trois mois plus tôt, l’ex-premier ministre Nawaz Sharif était réputé bénéficier du soutien de l’armée, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2023/11/GAYER/66283">l’institution la plus puissante du pays</a> et son faiseur de rois.</p>
<p>Fort de cet appui, le patriarche du clan Sharif semblait assuré de former le prochain gouvernement. En reconduisant au pouvoir son parti, la Pakistan Muslim League – Nawaz (PML–N), le scrutin devait conférer une onction démocratique à ce scénario négocié en coulisses depuis plusieurs mois. Les électeurs ne l’ont pas entendu de cette oreille, au grand dam des militaires et de la PML-N.</p>
<h2>Une élection jouée d’avance ?</h2>
<p>L’issue du scrutin faisait d’autant moins de doute que le principal parti d’opposition, le Pakistan Tehrik-e-Insaf (PTI), apparaissait affaibli par l’incarcération de ses principaux leaders, à commencer par le plus populaire d’entre eux, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/07/au-pakistan-imran-khan-tenu-a-l-ecart-des-elections-legislatives_6215265_3210.html">Imran Khan</a>, condamné en janvier et février 2024 à trois lourdes peines de prison, l’une de dix ans pour diffusion de secrets d’État, une autre de 14 ans pour corruption et la dernière de sept ans pour mariage illégal.</p>
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<p>Renversé par une motion de censure en avril 2022, l’ancien champion de cricket reconverti en politique s’était au cours des mois suivants engagé dans un conflit frontal avec l’armée, qu’il tenait responsable de son éviction.</p>
<p>En mai 2023, une première tentative d’arrestation du leader du PTI avait <a href="https://theconversation.com/pakistan-le-spectre-de-lembrasement-205902">précipité ses partisans dans les rues des grandes villes</a> et provoqué des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre – y compris des attaques contre des bâtiments militaires. Ces violences avaient servi à justifier une répression féroce contre le parti, dont les leaders refusant de tourner casaque avaient fini derrière les barreaux.</p>
<p>Comme si l’incarcération des principales figures du PTI n’y suffisait pas, la Commission électorale a dans la foulée invoqué des irrégularités dans les élections internes du parti pour priver ses candidats de leur symbole électoral (la batte, en référence au <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-india-19844270">passé sportif d’Imran Khan</a>). Validée par la Cour suprême, cette décision a contraint les candidats du PTI à se présenter comme indépendants, en rendant plus difficile leur identification par les électeurs.</p>
<p>La cause semblait donc entendue : le PTI prenait l’eau et tant ses derniers dirigeants en liberté que ses électeurs désorientés ne tarderaient pas à quitter le navire. Ce scénario bien huilé s’est pourtant heurté à une réalité que la PML-N et ses puissants protecteurs s’obstinaient à ignorer : le PTI reste le parti le plus populaire du pays.</p>
<h2>La popularité intacte d’Imran Khan</h2>
<p>Pour ses supporters, Imran Khan demeure le « kaptan » : le « capitaine », qui en 1992 a mené l’équipe pakistanaise de cricket à sa première – et à ce jour unique – victoire à la Coupe du monde. Pour un pays en butte à des crises politiques et économiques sans fin, ce fait d’armes reste une source de fierté et de réconfort, témoignant du potentiel de la nation pakistanaise dès lors qu’elle trouve leader à sa mesure.</p>
<p><em>Born-again Muslim</em> ayant renoncé à ses frasques d’antan pour se projeter en musulman rigoriste, Imran Khan a aussi séduit la frange la plus conservatrice de l’électorat par <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/07/les-metamorphoses-d-imran-khan-l-ancien-premier-ministre-du-pakistan_6176496_3210.html">ses postures islamo-nationalistes</a>. Outsider longtemps resté en marge du jeu politique, il a en outre fait de la lutte contre la corruption un thème rassembleur, promettant de débarrasser le pays de ses élites vénales. Ajoutée à son usage intense des réseaux sociaux, cette promesse d’un grand nettoyage lui a valu des soutiens bien au-delà des franges les plus conservatrices de la population, notamment <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2024/02/14/pakistan-election-imran-khan-youth/">chez les jeunes</a> – un atout considérable, dans un pays où 64 % de la population a moins de 30 ans.</p>
<p>Loin d’entamer le capital de sympathie du parti et de son chef emprisonné, la répression des derniers mois semble plutôt l’avoir renforcé. Dans les heures qui ont suivi la fermeture des bureaux de vote, les <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20240209-%C3%A9lections-au-pakistan-les-candidats-pro-imran-khan-en-t%C3%AAte-deux-morts-dans-des-violences">premières estimations</a> laissaient ainsi entrevoir une nette victoire du PTI, arrivant en tête dans une centaine de circonscriptions (sur 266 au total). À l’inverse, la PML-N payait le prix de son alliance avec l’armée, au point que de nombreux ténors du parti se trouvaient en mauvaise posture. Contre toute attente, la volonté populaire semblait prévaloir.</p>
<h2>Nouvelle intervention décisive de l’armée dans le processus politique</h2>
<p>La réaction ne s’est pas fait attendre. Comme à l’issue du scrutin précédent, l’annonce des résultats a été suspendue durant plusieurs heures, ce qui n’a pas manqué d’attiser les rumeurs de fraudes électorales.</p>
<p>En 2018, le rapport de force politique était pourtant inverse : tandis qu’Imran Khan bénéficiait du soutien de l’armée, Nawaz Sharif était <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/24/l-ex-premier-ministre-nawaz-sharif-a-nouveau-condamne-pour-corruption-au-pakistan_5401881_3210.html">condamné à de lourdes peines d’emprisonnement</a> pour corruption.</p>
<p>Versatile dans ses alliances, l’armée n’en est pas moins constante dans ses velléités de contrôle du jeu politique. Ainsi, quand les résultats définitifs ont commencé à tomber, dans la matinée du 9 février, le PTI s’est vu privé de victoire dans plusieurs circonscriptions où il arrivait en tête quelques heures plus tôt, <a href="https://www.dawn.com/news/1812970">notamment au Pendjab</a> – la province la plus peuplée et la plus prospère du pays, dont le contrôle est essentiel pour les aspirants au pouvoir au niveau national. Et tandis que la direction du PTI revendiquait la victoire dans plus de 150 circonscriptions, les candidats du parti n’ont finalement remporté que 93 sièges.</p>
<p>Ce score est nettement supérieur à celui de la PML-N et du Pakistan People’s Party (PPP), l’autre poids lourd de la vie politique nationale. Ces deux partis aux mains de dynasties indétrônables (les Sharif dans le cas de la PML-N et les Bhutto-Zardari pour le PPP) n’ont respectivement remporté que 75 et 54 sièges.</p>
<p>Si les élus du PTI constituent le groupe le plus important au sein de la nouvelle assemblée, leur affiliation partisane n’a pourtant pas été reconnue et ils n’ont donc pu prétendre aux 70 sièges réservés aux femmes et aux minorités, qui sont allés à leurs rivaux. Dans ces conditions, le PTI semble avoir renoncé à former le gouvernement.</p>
<p>C’est donc la PML-N qui devrait diriger à nouveau le Pakistan, en coalition avec le PPP, le Muttahida Qaumi Movement (MQM, un parti représentant la population ourdophone de Karachi) et une poignée de plus petits partis. D’emblée, des désaccords sont cependant apparus entre la PML-N et le PPP, qui refuse de participer au gouvernement et brigue plutôt la présidence de la République, de l’Assemblée nationale et du Sénat – des positions qui permettraient au PPP d’influer sur le jeu politique sans se compromettre ouvertement avec un gouvernement promis à l’impopularité.</p>
<p>Le retour au pouvoir de la PML-N, aussi discréditée soit-elle, semblait acté depuis que l’armée avait réaffirmé son soutien au statu quo. Dans sa première allocution post-électorale, le général Asim Munir, chef de l’armée de terre et bête noire d’Imran Khan, a ainsi <a href="https://www.bbc.com/news/world-asia-68260932">déclaré</a> que le Pakistan avait besoin « de stabilité et d’apaisement », pour mettre un terme à « la politique de l’anarchie et de la polarisation ». Cette allusion à peine voilée aux émeutes de mai 2023 adressait un message clair aux citoyens autant qu’aux responsables politiques : en dernier ressort, c’est à l’armée qu’il revient de désigner les personnes les plus aptes à diriger le pays.</p>
<h2>La victoire à la Pyrrhus de l’armée et du clan Sharif</h2>
<p>Pour l’armée et la PML-N, il s’agit d’une victoire à la Pyrrhus. L’institution militaire et le parti des Sharif sortent tous deux affaiblis du scrutin, privés de l’onction de légitimité qu’ils attendaient pour redorer leur blason.</p>
<p>Rarement le mythe de la neutralité de l’armée a-t-il été autant pris en défaut et les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Union européenne ont tous <a href="https://www.dawn.com/news/1813046">demandé une enquête</a> sur les accusations de fraudes. Fait rarissime, le secrétaire général des Nations unies a quant à lui <a href="https://www.reuters.com/world/asia-pacific/un-chief-concerned-by-violence-communication-restriction-pakistan-election-day-2024-02-08/">appelé les autorités pakistanaises</a> à résoudre les litiges post-électoraux « conformément au cadre légal ».</p>
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<p>Nawaz Sharif, de son côté, a été réélu dans sa circonscription de Lahore, mais il a essuyé une défaite cuisante dans une autre circonscription (celle de Mansehra, dans la province de Khyber Pakhtunkhwa). Peut-être après qu’on lui en eut soufflé l’idée, il a fini par renoncer à se présenter comme premier ministre, en s’effaçant au profit de son frère cadet, <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/pakistan/qui-est-shehbaz-sharif-le-multimillionnaire-devenu-premier-ministre-du-pakistan-4fcc937e-b9a2-11ec-857e-054a15b86122">Shahbaz Sharif</a>. En outre, la PML-N et le PPP apparaissent plus que jamais comme des partis régionaux, sinon ethniques. Tandis que la PML-N a remporté l’essentiel de ses sièges au Pendjab, la géographie des soutiens au PPP reste quant à elle cantonnée à la province du Sindh.</p>
<h2>Et maintenant ?</h2>
<p>Même si le PTI n’a remporté aucun siège dans le Sindh, il a consolidé sa stature de parti national et a confirmé l’ampleur de ses soutiens, qui transcendent largement les barrières de classe, de genre et d’ethnicité.</p>
<p>L’hostilité de l’armée lui barre pourtant l’accès au pouvoir. Ce blocage risque d’ajouter au discrédit des partis dominants, prêts à toutes les compromissions pour se maintenir au pouvoir. Le <a href="https://www.aa.com.tr/en/asia-pacific/watchdog-says-voter-turnout-in-pakistan-elections-around-47-/3133243">faible taux de participation</a> à ces élections (47 %, le plus bas depuis 2008) est révélateur de cette crise de confiance, qui pourrait encore s’approfondir.</p>
<p>En entravant de manière flagrante le processus démocratique, l’armée a montré les limites de sa stratégie d’influence à distance, ce qui pourrait la contraindre à s’impliquer de plus en plus ouvertement dans le jeu politique. La déclaration post-électorale du général Munir offre un aperçu des relations à venir entre civils et militaires : face à une armée assumant son interventionnisme, la marge de manœuvre du nouveau gouvernement sera extrêmement étroite.</p>
<p>Le PTI, de son côté, n’a sans doute pas dit son dernier mot. Convaincu de s’être vu <a href="https://www.aa.com.tr/en/asia-pacific/pakistan-jailed-imran-khan-warns-against-any-new-government-formed-with-stolen-votes-/3136653">voler la victoire</a>, il pourrait être tenté de relancer la stratégie d’agitation qui l’avait déjà opposé à Nawaz Sharif (en 2014) et à son frère Shahbaz Sharif (en 2022). Privé de sa direction et à la merci de la répression, le parti d’Imran Khan semble pourtant en mauvaise posture pour engager une épreuve de force. C’est sans doute devant les tribunaux que se jouera la prochaine manche. L’actuel Chief Justice, Qazi Faez Isa, en poste jusqu’en octobre 2024, est connu pour son hostilité à l’égard du PTI, et il s’opposera certainement à la tenue de nouvelles élections, autant qu’à la libération d’Imran Khan. Mais la haute magistrature est divisée et le PTI compte aussi de nombreux soutiens en son sein. Les juges risquent donc, à leur tour, d’être entraînés dans la mêlée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223668/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent Gayer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis sa prison, Imran Khan a vu son parti arriver en tête aux législatives. L’armée a manœuvré pour que le pouvoir sortant reste en place, mais le mécontentement populaire est patent.Laurent Gayer, Directeur de recherche CNRS au CERI-Sciences Po, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211592024-02-11T14:45:56Z2024-02-11T14:45:56ZEn Égypte et ailleurs, les multiples visages du salafisme<p><em>Le salafisme, qui préconise aux musulmans de vivre à l’image du Prophète et de ses compagnons, et qui repose sur un retour à la lettre du Coran et de la Sunna, a connu une diffusion spectaculaire au sein du monde sunnite au cours de ces dernières décennies. Au départ centré sur les normes de la vie quotidienne, il s’est progressivement rapproché du champ politique, notamment en Égypte, terre d’origine des Frères musulmans, avec lesquels le salafisme ne doit pas être confondu. C’est précisément en Égypte que Stéphane Lacroix, spécialiste reconnu de ce pays, professeur associé au CERI/Sciences Po et co-directeur de la Chaire d’Études sur le Fait Religieux de Sciences Po, a enquêté depuis 2010 pour les besoins d’un ouvrage appelé à faire date, <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/sciences-politiques-et-sociologie/le-crepuscule-des-saints/">« Le Crépuscule des Saints, Histoire et politique du salafisme en Égypte »</a>, qui vient de paraître aux éditions du CNRS. Nous vous proposons ici quelques extraits de l’introduction.</em></p>
<p>–—</p>
<p>En l’espace de quelques décennies, l’orthodoxie musulmane sunnite a changé de visage. C’est là le résultat de l’influence grandissante exercée dans le champ de l’islam par ce que l’on appelle le salafisme. Le terme, souvent mal compris, est revendiqué par des mouvements et individus aux positionnements politiques divers et parfois opposés, du loyalisme assumé des oulémas partenaires de la monarchie saoudienne au jihadisme sanglant de l’État islamique.</p>
<p>Tous néanmoins s’accordent sur une série de fondamentaux : prétention à incarner l’islam sunnite dans sa forme la plus stricte, excluant soufis et partisans de l’école théologique ash’arite qui prônait un rationalisme prudent et était restée dominante jusqu’au XX<sup>e</sup> siècle ; rejet inconditionnel des écoles non sunnites de l’islam, à commencer par le chiisme ; promotion de pratiques sociales et religieuses coulées dans une norme ultra-conservatrice, décrite comme héritée des premiers musulmans.</p>
<p>Au terme de ce qui s’est apparenté à une véritable révolution normative, ces fondamentaux en sont venus à constituer, pour un nombre croissant de musulmans, l’essence de la foi sunnite, même s’ils sont loin d’être toujours mis en œuvre par ceux qui les érigent en norme. Le salafisme semble avoir, en somme, pris l’ascendant dans la bataille des idées. Ce bouleversement est d’autant plus remarquable que, il y a à peine quelques décennies, ces interprétations étaient encore minoritaires parmi les croyants musulmans.</p>
<p>Les explications données à l’essor du salafisme ont souvent péché par une tendance à la monocausalité. On pointe beaucoup le rôle joué par le royaume d’Arabie saoudite, dont l’islam officiel se dit salafiste et qui se considère comme porteur d’une mission religieuse assumée. Il n’est ici nullement question de nier l’influence du prosélytisme saoudien, particulièrement depuis les années 1970 lorsque les revenus du pétrole ont donné au royaume les moyens de ses ambitions. Mais en se limitant à cette explication, on s’interdirait de comprendre pourquoi la greffe salafiste est parvenue à prendre, et pourquoi les effets s’en sont fait sentir plus fortement dans certains pays que dans d’autres.</p>
<p>Souligner le caractère transnational du « phénomène » salafiste ne doit pas en effet nous amener à occulter les dynamiques très localisées à l’œuvre dans son implantation et dans son essor. Il faut d’abord souligner le rôle qu’ont joué, dans chaque pays ou presque, des entrepreneurs religieux locaux mus par une authentique <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/le_savant_et_le_politique___une_nouvelle_traduction-9782707140470">éthique de conviction</a>. Le jeu des régimes leur a – plus ou moins volontairement – ouvert un espace. Les <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Questions_de_sociologie%C2%A0-1956-1-1-0-1.html">« logiques de champ »</a>, pour reprendre une expression de Pierre Bourdieu, ont fait le reste. Cela n’a pas été sans conséquence sur la doctrine : partout, en dépit de sa prétention à représenter une essence intangible, le salafisme s’est adapté aux conditions de ses sociétés d’implantation, produisant des structures d’autorité locales plus en phase avec les réalités de celles-ci.</p>
<p>L’Égypte en est un cas d’étude particulièrement intéressant. D’abord parce que l’ouverture du champ politique au lendemain de la chute de Moubarak a permis de mesurer dans les urnes l’attrait (et, plus encore, la banalisation) du salafisme. La véritable surprise des premières élections libres qu’a connues le pays à l’automne 2011 n’est pas la place de tête remportée par les Frères musulmans, mais le très bon score du parti salafiste al-Nour, créé quelques mois plus tôt et arrivé second avec plus de 25 % des suffrages.</p>
<p>Surtout, la libéralisation du champ religieux rend alors visible une religiosité salafiste dont beaucoup, surtout parmi les élites, ne soupçonnaient pas l’ampleur. Il suffisait pourtant, en 2011, de questionner un échantillon de musulmans égyptiens pour en prendre la mesure : interrogés sur le soufisme et le culte des saints, une majorité d’enquêtés répondaient que tout cela était contraire à l’islam (tout en concédant parfois être allés à l’une de ces <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1j1nsts">célébrations populaires</a> ; interrogés sur la tenue vestimentaire « idéale » pour une femme, beaucoup se prononçaient pour le <em>niqab</em> (tout en reconnaissant souvent que leur femme, leur sœur ou leur fille ne le portait pas).</p>
<p>La plupart des enquêtés ne se définissaient pas comme salafistes et une majorité ne portait aucun signe extérieur de religiosité. Mais pour un grand nombre d’entre eux, sans qu’ils en aient souvent conscience, le salafisme incarnait la norme islamique sunnite. Tout porte à croire que, quelques décennies plus tôt, les réponses obtenues auraient été bien différentes.</p>
<p>Cette transformation est d’autant plus remarquable que l’Égypte a historiquement représenté l’un des bastions de ce que nous appelons ici « l’islam traditionnel sunnite », dont le fondement se situe dans cette <a href="https://www.academia.edu/53417477/Brown_Jonathan_A_C_Hadith_Muhammads_Legacy_in_the_Medieval_and_Modern_World_Oneworld_Publications_2017_">« tradition sunnite tardive »</a> (selon les termes de Jonathan Brown) dont l’hégémonie normative s’était étendue à la quasi-totalité du monde sunnite à partir de sa cristallisation au tournant du XIV<sup>e</sup> siècle.</p>
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<figcaption><span class="caption">Quand les salafistes sortent de l’isoloir (<em>L’Effet Papillon</em>, 3 avril 2021).</span></figcaption>
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<p>Par son attachement à la théologie ash’arite (et, plus à l’est, maturidite, l’une et l’autre étant proches), aux écoles canoniques de jurisprudence, et la tolérance plus ou moins marquée qu’il affiche à l’égard du soufisme, cet « islam traditionnel » se situe aux antipodes de tout ce que le salafisme entend promouvoir. Au Caire, il s’incarne dans la prestigieuse et millénaire mosquée-université al-Azhar, qui en a longtemps constitué l’un des principaux points de rayonnement à l’échelle mondiale avant d’être elle-même gagnée par l’influence des sous-courants salafistes qui se sont développés en son sein (quoique sans jamais en ébranler le sommet). Comment expliquer dès lors qu’en Égypte, en l’espace de quelques décennies, un changement religieux aussi profond ait pu se produire ?</p>
<p>C’est la première question à laquelle s’attelle cet ouvrage, en proposant une socio-histoire du salafisme égyptien s’étendant sur le temps long, depuis son émergence organisée dans les cercles savants du Caire des années 1920 jusqu’à la période la plus récente. Il s’agira d’étudier, de manière diachronique, les transformations de la normativité islamique dans l’Égypte du XX<sup>e</sup> et du début du XXI<sup>e</sup> siècle, en portant le regard sur les acteurs individuels et collectifs à l’origine de ces transformations et sur les contextes politiques et sociaux dans lesquels ils ont opéré. […]</p>
<p>Ce travail est traversé par un second questionnement qui lui sert de fil rouge : comment penser la relation que le salafisme – cette fois plus seulement comme discours ou vision du monde, mais comme mouvance agissante – entretient avec le politique ?</p>
<p>La position de l’essentiel des salafistes égyptiens est certes relativement claire jusqu’aux années 1970 : elle consiste en un évitement de la chose politique complété, chaque fois que nécessaire, par de bruyantes déclarations d’allégeance aux autorités en place, quelles qu’elles soient. Cette position s’est néanmoins complexifiée depuis, lorsque le salafisme a commencé à subir les influences des mouvances islamiques concurrentes.</p>
<p>La naissance à la fin des années 1970 du premier mouvement social organisé se réclamant du salafisme, la Prédication salafiste, marque en ce sens une rupture. Plus de trente ans plus tard, ce même mouvement entrera dans l’Histoire en engendrant le parti al-Nour, seconde force politique du premier parlement démocratiquement élu de l’Égypte post-révolutionnaire.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/570951/original/file-20240123-21-pnnce9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/570951/original/file-20240123-21-pnnce9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/570951/original/file-20240123-21-pnnce9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/570951/original/file-20240123-21-pnnce9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/570951/original/file-20240123-21-pnnce9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=920&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/570951/original/file-20240123-21-pnnce9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/570951/original/file-20240123-21-pnnce9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/570951/original/file-20240123-21-pnnce9.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1156&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Cet extrait est issu de « Le Crépuscule des Saints, Histoire et politique du salafisme en Égypte », de Stéphane Lacroix, qui vient de paraître aux éditions du CNRS.</span>
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<p>Contre l’avis de ceux qui voudraient voir dans ces péripéties autant de revirements doctrinaux, cet ouvrage cherchera à décrypter la « grammaire » du salafisme égyptien, seule à même d’expliciter la logique des choix politiques faits par ses acteurs. Cette lecture « grammaticale » montrera aussi que le salafisme, devenu quasi hégémonique en tant que norme religieuse, peut aisément échapper à ceux qui s’en voudraient les promoteurs « grammaticaux » légitimes.</p>
<p>L’ouvrage se conclura ainsi sur le « salafisme révolutionnaire » de Hazim Abu Isma’il, cheikh salafiste au style populiste, véritable « ovni » politique et éphémère candidat à l’élection présidentielle de 2012 qui, étant parvenu à unir autour de lui un mouvement de soutien massif, avait un temps été pressenti pour l’emporter. Les évolutions postérieures à 2011 permettent en somme de mesurer les effets paradoxaux de la « victoire » religieuse du salafisme : devenu norme, il est voué à être réapproprié par autant d’acteurs qui en contestent le sens ; cette concurrence accrue accompagne sa politisation, qui vient remettre en cause sa prétention à la pureté doctrinale. C’est tout cela qui pourrait expliquer le reflux, certes encore très relatif, du salafisme en Égypte dans la période la plus récente.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221159/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphane Lacroix ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Traditionnellement associé à un ultra-conservatisme intransigeant en matière de mœurs, le salafisme revêt désormais une importante dimension politique.Stéphane Lacroix, Professeur associé à l'École des affaires internationales de Sciences Po (PSIA) et co-directeur de la Chaire d’Études sur le Fait Religieux, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2213242024-01-22T15:19:40Z2024-01-22T15:19:40ZL’enseignement musulman sous contrat dans le viseur des pouvoirs publics français<p>Les affaires récentes concernant l'établissement catholique <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/dossier/stanislas-et-l-affaire-oudea-castera">Stanislas</a> à Paris et le lycée musulman <a href="https://www.marianne.net/societe/education/rapport-elogieux-manquements-graves-comment-les-autorites-ont-navigue-a-vue-sur-le-lycee-averroes">Averroès</a> de Lille prouvent que l’enseignement confessionnel sous contrat reste un sujet de controverses politiques et médiatiques.</p>
<p>En août 2021, les parlementaires français votent <a href="https://www.seine-maritime.gouv.fr/Actions-de-l-Etat/Securite-et-Defense/Securite-publique/Lutte-contre-la-radicalisation-et-le-terrorisme/Loi-du-24-aout-2021-confortant-le-respect-des-principes-de-la-Republique-loi-CRPR/Loi-n-2021-1109-du-24-aout-2021-confortant-le-respect-des-principes-de-la-Republique-loi-CRPR#:%7E:text=La%20loi%20n%C2%B02021,Mureaux%20le%202%20octobre%202020.">la loi confortant les principes de la République</a>, créant un nouveau délit de séparatisme et instaurant un contrôle renforcé sur les établissements scolaires confessionnels hors contrat et sous contrat, notamment « musulmans ».</p>
<h2>Le cas emblématique du lycée Averroès</h2>
<p>C’est dans ce contexte que le préfet du Nord Georges-François Leclerc a annoncé le 8 décembre dernier <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/12/11/a-lille-le-lycee-averroes-de-l-excellence-a-la-chute_6205111_3224.html">la résiliation du contrat d’association</a> qui lie le lycée Averroès à l’État, invoquant entre autres des dysfonctionnements administratifs majeurs, des financements illicites et des contenus pédagogiques non conformes aux principes républicains, points qui ne figurent pourtant pas dans <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/hauts-de-france/nord-0/lille/lycee-musulman-averroes-syndicats-politiques-directeur-de-grande-ecole-tour-d-horizon-des-soutiens-affiches-2884994.html">les différents rapports d'inspection</a>.</p>
<p>Ouvert à Lille en 2003, il s’agit du plus ancien des trois lycées musulmans contractualisés par l’État en France métropolitaine. La mobilisation de moyens financiers, humains et administratifs consistants lui a permis de s’imposer rapidement comme un établissement scolaire d’excellence. Classé <a href="https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Actualite/France/Le-lycee-musulman-Averroes-de-Lille-meilleur-lycee-de-France-2013-03-28-926203">meilleur lycée de France</a>, puis <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1309270/article/2023-03-29/lille-averroes-et-faidherbe-dans-le-top-3-des-lycees-de-la-region">de la région</a>, la décision préfectorale prend donc une valeur fortement symbolique et politique.</p>
<p>Depuis sa création, ce lycée a déjà connu plusieurs épisodes intenses de <a href="https://www.liberation.fr/societe/2015/02/05/pourquoi-j-ai-demissionne-du-lycee-averroes_1196424/">controverses</a>. Au niveau local, l’extrême droite puis la droite se sont régulièrement opposées à son financement public, mettant en avant <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1271299/article/2022-12-26/subventions-regionales-le-conseil-d-etat-tranche-en-faveur-du-lycee-averroes">ses liens financiers (avérés et bien légaux) avec le Qatar</a>.</p>
<p>Mais le cas Averroès ne pose pas tant <a href="https://www.cairn.info/revue-les-sciences-de-l-education-pour-l-ere-nouvelle-2020-1-page-11.htm">la question anciennement portée par le camp laïque</a> de la fin du financement de l’enseignement privé. Il interroge fondamentalement la possibilité pour des établissements musulmans — derniers arrivés dans le paysage de l’enseignement confessionnel —, de bénéficier des mêmes <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/l-ecole-et-la-republique-p.html">« accommodements »</a> que les autres cultes. Au-delà de cela, il questionne la tolérance par les pouvoirs publics d’organisations islamiques (c’est-à-dire se référant à l’islam) autonomes dans le champ social français.</p>
<h2>Un système d'aides publiques qui n'a cessé de se renforcer</h2>
<p>Le financement public du secteur d’enseignement privé est le point crucial de l’approche de la laïcité qui s’est déployée sous la Vème République. Il scelle le contrat d’association instauré par <a href="https://books.openedition.org/pur/109889?lang=en">la loi Debré (1959)</a> entre l’État et les établissements d’enseignement privé qui le demandent.</p>
<p>Ce contrat permet le versement de fonds publics aux écoles privées moyennant le respect des règles et des programmes de l’enseignement public et l’accueil de tous les élèves sans discrimination. <a href="https://www.boutique-dalloz.fr/l-ecole-et-la-republique-p.html">Ce régime d’accommodement </a> a longtemps suscité l’ire des militants pour le service public unifié et laïque de l’Éducation nationale qui y voient une grave atteinte à l’interdiction du financement public des religions posée par la loi de 1905, dont le point culminant de la mobilisation a été les manifestations de 1984 pour la défense de <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000005866/la-mobilisation-des-partisans-de-l-ecole-privee-provoque-l-echec-de-la-loi-savary.html">la version initiale de loi Savary</a>.</p>
<p>Cependant, ce système d’aide n’a cessé de se renforcer. Les financements publics versés par l’État et les collectivités territoriales représentent aujourd’hui <a href="https://www.cafepedagogique.net/2023/06/02/enseignement-prive-8-milliards-de-fonds-publics-et-pas-de-controles/">73 % des dépenses de fonctionnement des établissements sous contrat</a>. Ces subventions atteignent annuellement environ 8 milliards d’euros, <a href="https://www.lgdj.fr/l-ecole-et-la-republique-9782247221158.html">soit 14 % du budget total de l’Éducation nationale</a>. Elles bénéficient d’abord aux établissements catholiques, très majoritaires parmi les établissements privés.</p>
<p>La légitimation du dispositif de la loi Debré s’est complexifiée avec le temps. Argumentée au départ par les besoins scolaires et la liberté d’éducation, l’existence d’un secteur d’enseignement privé financé par l’État est devenue dans les années 2000 un appui à la mise en œuvre d’une <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2003/05/25/seize-propositions-dans-le-rapport-sur-la-laicite-de-francois-baroin_4262905_1819218.html">« nouvelle laïcité »</a> exigeant des élèves <a href="https://www.senat.fr/seances/s200403/s20040302/s20040302003.html#int996">en établissement public</a> qu’ils et elles n’arborent aucun signe ostensible de leur affiliation religieuse.</p>
<p>Lors du vote de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000417977">la loi du 15 mars 2004</a> interdisant aux élèves, « en application du principe de laïcité », le port de signes et tenues manifestant ostensiblement une religion, la possibilité pour les élèves voilées exclues de rejoindre des établissements privés a été présentée comme <a href="https://esprit.presse.fr/article/patrick-weil/lever-le-voile-7559">un gage de leur liberté de conscience</a>.</p>
<h2>Des contrôles inégaux</h2>
<p>La question du contrôle des établissements sous contrat a été soulevée périodiquement. Dans un <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lenseignement-prive-sous-contrat">rapport paru en 2023</a>, la Cour des comptes estime que celui prévu par la législation, est au mieux minimaliste (du côté pédagogique), au pire inappliqué (concernant le financier).</p>
<p>Nos recherches nous amènent à nuancer ce constat : <a href="https://www.theses.fr/2021UPSLP080">les modalités de contrôle varient</a> considérablement <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/01416200.2022.2131735">d’un réseau à l’autre</a>. Du côté de l’enseignement catholique, les inspections suivent en gros le rythme de celles qui sont réalisées dans le public <a href="https://www.ccomptes.fr/fr/publications/lenseignement-prive-sous-contrat">(dans le cadre des trois « rendez-vous de carrière » des enseignants)</a>. En outre, ces établissements peuvent choisir sur des critères scolaires les élèves qu’ils accueillent. Cette sélection sur le niveau correspond peu ou prou à un tri social, ce qui aggrave <a href="https://laviedesidees.fr/Enseignement-prive-et-segregation-scolaire">la structure ségrégative du système scolaire français</a>. </p>
<p>Les collèges sous contrat scolarisent moins de 17 % d’élèves d’origine sociale défavorisés et concentrent 40 % d’élèves très favorisés, proportions qui sont <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/04/13/mixite-sociale-a-l-ecole-pap-ndiaye-face-a-la-delicate-implication-de-l-enseignement-prive_6169320_3224.html">strictement inverses dans le public</a>. En 2022, le ministre de l'Education nationale Pap Ndiaye a <a href="https://www.francetvinfo.fr/societe/education/mixite-sociale-a-l-ecole-l-enseignement-prive-catholique-signe-un-protocole-finalement-peu-contraignant_5829536.html">renoncé à imposer des obligations de mixité sociale</a> à l’enseignement catholique qui y était très hostile.</p>
<p>En raison des réticences des responsables administratifs et communautaires, l’enseignement juif a quant à lui historiquement été peu inspecté, malgré des entorses au contrat <a href="https://www.lgdj.fr/l-ecole-et-la-republique-9782247221158.html">bien documentées</a>. Il n’est pas rare que <a href="https://books.openedition.org/pur/109985?lang=fr">les établissements juifs</a> sélectionnent leurs élèves sur des critères religieux ou communautaires. </p>
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<p>L’enseignement musulman est à l’inverse <a href="https://www.theses.fr/265451752">très contrôlé</a>, qu’il s’agisse <a href="https://doi.org/10.1177/09571558221151001">des établissements hors contrat</a> (on compte environ 70 groupes scolaires musulmans ayant moins de dix ans d’existence), ou des rares établissements contractualisés partiellement (en métropole, aucun ne l’est pour l’ensemble de ses classes). À ce titre, l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche notait <a href="https://static.blast-info.fr/attachments/stories/2023/gS9HjS-QQnumCrLXl7NLOw/attachment-kaCAkdjcQz2hkp2n1H3ixA.pdf">en 2020</a> que treize inspections d’enseignants avaient été menées au sein du lycée Averroès depuis 2015, « ce qui doit en faire l’établissement le plus contrôlé de l’académie, sans que jamais aucune remarque défavorable n’ait été formulée à l’encontre des pratiques enseignantes observées ».</p>
<h2>De la surveillance à la sujétion de l’islam : une tendance lourde</h2>
<p>Si les écoles musulmanes ont initialement été conçues par leurs promoteurs ainsi que par les pouvoirs publics, comme une solution au « problème du voile à l’école », force est de constater qu’elles sont devenues aujourd’hui un nouveau problème public. Les attentats de 2015 ont porté <a href="https://journals.openedition.org/lectures/58369">le soupçon sur ce secteur</a>. </p>
<p>Bien qu’il n’existe aucun lien connu entre ces établissements et le terrorisme islamiste, les gouvernements successifs ont depuis lors cherché à restreindre l’ouverture d’établissements privés musulmans. Trois lois - <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000036798673/">la loi Gatel du 13 avril 2018</a>, <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/269264-loi-ecole-de-la-confiance-du-26-juillet-2019-loi-blanquer">la loi pour une école de la confiance du 26 juillet 2019</a> et <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/277621-loi-separatisme-respect-des-principes-de-la-republique-24-aout-2021">la loi « séparatisme » du 24 août 2021</a> - ont accru leurs contrôles.</p>
<p>La suppression du contrat d’association du lycée Averroès, <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/16/la-decision-de-deconventionner-le-lycee-averroes-a-lille-est-inequitable-et-disproportionnee_6206186_3232.html">dénoncée par certains observateurs comme inéquitable et disproportionnée</a> est à resituer dans l’ensemble plus vaste des dispositions qui tendent aujourd’hui à disperser les collectifs islamiques et à dévitaliser les institutions qu’ils tentent d’édifier.</p>
<p>La dissolution en janvier 2022 <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/09/25/le-conseil-d-etat-valide-la-dissolution-du-ccif-et-de-barakacity_6095981_3224.html">du Collectif contre l’islamophobie en France</a>, structure associative dédiée à la défense juridique des victimes, partenaire de plusieurs organisations internationales de défense des droits humanitaire en est un exemple. Le remplacement du Conseil français du culte musulman établi en 2003 avec une certaine autonomie par des <a href="https://www.prefectures-regions.gouv.fr/ile-de-france/Actualites/Assises-territoriales-de-l-Islam-de-France-lancement-de-la-concertation">Assises départementales de l’islam</a> dont les membres sont choisis par les préfets en est un autre. Autant de décisions qui témoignent d’une politique résolue d’affaiblissement des capacités d’organisation autonome de l’islam en France.</p>
<p>De manière générale, les établissements musulmans qui demandent à s’inscrire dans la continuité du service public par le biais du contrat obtiennent <a href="https://www.millenaire3.com/Interview/2018/les-difficultes-d-ouvrir-une-ecole-confessionnelle">rarement une réponse positive</a>. Au nom de la lutte contre le séparatisme islamiste, on en vient à entraver le développement d’un secteur d’enseignement privé musulman sous contrat qui, outre ses performances scolaires et sa conformité à <a href="https://www.cairn.info/revue-le-telemaque-2013-1-page-35.htm">la rhétorique méritocratique républicaine</a>, est très étroitement contrôlé par les autorités de tutelle tout en envoyant aux musulmans un message de reconnaissance de leur légitimité à exister en France en tant que tels.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221324/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Geisser est membre de organisation. Président du Centre d'information et d'études sur les migrations internationales (CIEMI, Paris)</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Carol Ferrara et Françoise Lorcerie ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les écoles musulmanes ont initialement été conçues par leurs promoteurs ainsi que par les pouvoirs publics comme une solution au « problème du voile à l’école .»Françoise Lorcerie, Professeure, Aix-Marseille Université (AMU)Carol Ferrara, Anthropologist & Assistant Professor, Department of Marketing Communication, Emerson CollegeVincent Geisser, Sociologue, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200782024-01-07T15:34:43Z2024-01-07T15:34:43ZEn Suède, la multiplication des autodafés du Coran met à l’épreuve le pari multiculturel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/567329/original/file-20231225-19-xykc6z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C313%2C2160%2C1807&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L’activiste et politicien dano-suédois Rasmus Paludan pendant un autodafé du Coran devant l’ambassade de Turquie à Stockholm le 21&nbsp;janvier 2023.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Rasmus_Paludan#/media/Fichier:Rasmus_Paludan_burning_the_Koran_2023-01-21_(2).jpg">Tobias Hellsten/ToHell.Wikipedia </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Entre l’enlisement de la guerre en Ukraine et les effets de l’embrasement de la bande de Gaza, l’année 2023 a été caractérisée, partout en Europe, par une dégradation du climat sécuritaire et par de brusques recompositions du cadre des relations diplomatiques. En Suède, des tensions sans précédent ont marqué l’actualité, assorties d’inquiétudes palpables et, hélas, justifiées, relatives à la sécurité des ressortissants suédois à l’étranger.</p>
<p>Cet été, à <a href="https://edition.cnn.com/2023/06/28/europe/sweden-quran-protest-intl/index.html">Ankara</a>, à <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1342756/coran-brule-en-suede-manifestation-devant-la-mosquee-al-amine-a-beyrouth.html">Beyrouth</a> et à <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1342773/pakistan-des-milliers-de-personnes-protestent-contre-lautodafe-dun-coran-en-suede.html">Islamabad</a>, des manifestants ont mis le feu au drapeau suédois ; en <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230720-des-partisans-de-moqtada-al-sadr-ont-incendi%C3%A9-l-ambassade-de-su%C3%A8de-%C3%A0-bagdad">Irak</a> et au <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/liban-un-cocktail-molotov-lance-contre-l-ambassade-de-suede-20230810">Liban</a>, les désordres ont été suivis de violences contre les ambassades du pays.</p>
<p><a href="https://www.tf1info.fr/international/direct-belgique-deux-personnes-decedees-dans-une-fusillade-a-bruxelles-2273181.html">Le 17 octobre, à Bruxelles</a>, un islamiste se revendiquant de l’État islamique a abattu deux supporters de l’équipe suédoise de football venus assister au match Belgique-Suède. Cet attentat a confirmé le bien-fondé des craintes de Stockholm. Depuis l’été, le gouvernement avait en effet recommandé à ses ressortissants de se montrer très précautionneux lorsqu’ils se trouvent à l’étranger : un choc pour un pays identifié depuis des décennies à des politiques migratoires généreuses et au souci du dialogue interculturel.</p>
<h2>Provocations anti-islam et menaces d’attentats</h2>
<p>Cette flambée d’hostilité tient à une cause : les autodafés du Coran, d’abord <a href="https://www.euronews.com/2019/04/25/denmark-s-quran-burning-politician-gathering-support-for-election-candidacy">organisés au Danemark</a> depuis la fin des années 2010, et qui ont désormais la Suède pour théâtre habituel.</p>
<p>L’initiateur de cette modalité de provocation anti-islamique est un citoyen dano-suédois, <a href="https://www.lemonde.fr/m-le-mag/article/2019/05/31/rasmus-paludan-le-visage-danois-de-l-extreme-xenophobie_5469724_4500055.html">Rasmus Paludan</a>, avocat de profession, aujourd’hui âgé de 41 ans. Leader du parti danois « Ligne dure » (<em>Hart Stram</em>), Paludan a émergé il y a quelques années comme un pourfendeur de « l’islamisation des sociétés européennes » et du brassage des cultures. Sa formation a récolté 1,8 % des suffrages aux élections législatives danoises de 2019. Après que son parti s’est vu exclu de la vie politique du pays pour avoir manipulé les listes de signatures nécessaires pour déposer des candidatures, Paludan s’est tourné vers la Suède, où les <a href="https://information.tv5monde.com/international/suede-la-question-de-limmigration-au-coeur-des-legislatives-29998">enjeux liés à l’immigration se trouvent</a> au cœur des débats de société depuis une dizaine d’années. </p>
<p>Son premier exploit, en 2020, a eu pour cadre Rosengården, un quartier de Malmö dont près de 90 % des habitants sont d’origine étrangère, épicentre des <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-39047455">révoltes urbaines des années 2015-2017</a>. L’action incendiaire de Paludan a entraîné une <a href="https://www.nst.com.my/world/world/2020/08/620385/riot-sweden-amidst-quran-burning-rally">recrudescence des violences</a>, ce qui lui a valu un arrêté d’interdiction de séjour sur le sol suédois. Sa condition de binational lui a toutefois permis de contourner la décision de justice et de concentrer son activité sur la Suède, où il a fait des émules, dont un réfugié irakien, <a href="https://www.lefigaro.fr/international/qui-est-salwan-momika-le-bruleur-de-coran-a-l-origine-d-une-crise-diplomatique-entre-la-suede-et-le-monde-musulman-20230721">Salwan Momika</a>.</p>
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<p>Les autodafés se sont vite multipliés, même si Paludan et Momika (qui s’est spécialisé dans la diffusion en direct des autodafés sur la plate-forme TikTok) restent les protagonistes les plus médiatisés de cette forme de contre-liturgie. Les sites où ils se déroulent sont choisis pour exacerber les tensions entre autochtones et immigrés : lieux de culte dédiés à l’islam, quartiers à haute concentration d’étrangers, ambassades de pays musulmans…</p>
<p>Au printemps 2022, Paludan s’est engagé dans une « tournée électorale » (d’après ses propres mots) à travers la Suède : une série de profanations dûment autorisées, qui ont occasionné d’une part des échauffourées violentes dans plusieurs villes, et d’autre part une dégradation de l’image du pays au Moyen-Orient. Une énième provocation, aux abords de l’ambassade de Turquie en janvier 2023, a suscité des réactions particulièrement virulentes d’Ankara, au point de compromettre le premier point de l’agenda de politique étrangère du gouvernement : l’adhésion à l’OTAN.</p>
<p>En effet, le <a href="https://www.letemps.ch/monde/adhesion-de-la-suede-a-l-otan-un-coran-brule-a-stockholm-seme-la-zizanie">Parlement turc a réagi en demandant le rejet de la demande de la Suède</a>, formalisée sept mois auparavant (rappelons qu’un pays ne peut pas rejoindre l’Alliance atlantique si l’un des pays membres s’y oppose ; la Turquie, qui a intégré l’OTAN en 1952, peut donc bloquer à elle seule l’entrée de la Suède). Pendant quelques jours, l’Institut suédois (agence officielle de diplomatie culturelle) comptabilisera 350 000 interventions <em>par heure</em> sur les médias sociaux en turc, dénonçant l’affront à la foi musulmane effectué par Paludan sans que les autorités suédoises n’interviennent. La plainte contre Paludan déposée auprès de la police par un citoyen suédois sera classée sans suite.</p>
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<p>Pour autant, les provocateurs ne cessent pas leurs actions. En juin, à l’ouverture des festivités de <a href="https://www.lepoint.fr/societe/qu-est-ce-que-l-aid-el-kebir-la-grande-fete-musulmane-28-06-2023-2526640_23.php">l’<em>Aid al-Adha</em></a>, un autodafé sous protection policière est organisé par Momika devant la grande mosquée de Stockholm. Il déclenchera un déluge de protestations, la Ligue des États arabes et l’Organisation de coopération islamique s’insurgeant contre l’intolérable… tolérance de la justice suédoise. Au Pakistan, en Iran et en Irak, où l’auteur d’un tel geste encourrait la peine de mort, des milliers d’individus manifestent pour exiger le boycott de la Suède, voire la vengeance à l’égard du pays.</p>
<p>Du fait de ces menaces, l’agence suédoise de contre-espionnage (SÄPO) a décidé au mois d’août de relever au niveau 4 (sur 5) le seuil d’alerte contre les attaques terroristes visant le pays : un retour au climat de 2016, lorsque la guerre en Syrie avait provoqué un bond historique du nombre des réfugiés en Suède, doublée de l’aggravation des tensions dans les banlieues. Et en octobre, nous l’avons dit, <a href="https://www.touteleurope.eu/societe/attentat-a-bruxelles-deux-suedois-tues-le-suspect-abattu-la-france-renforce-sa-securite/">deux Suédois mouraient à Bruxelles</a> sous les balles d’un homme qui les avait visés expressément du fait de leur nationalité.</p>
<h2>Des causes endogènes, et une nouvelle fracture du spectre politique</h2>
<p>Bien que l’activisme anti-islam, y compris dans la forme de la profanation du Coran, soit le fait d’acteurs transnationaux, c’est en Suède qu’il se manifeste de la manière la plus voyante. Les tensions interethniques qui secouent le pays depuis la crise migratoire des années 2015-2016 et la prolifération des <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/guerre-des-gangs-en-suede-des-victimes-toujours-plus-jeunes_6054725.html">règlements de comptes entre gangs</a>, ont participé à créer un terrain favorable. Selon le gouvernement, la Russie aurait également <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/jul/26/russia-using-disinformation-to-imply-sweden-supported-quran-burnings">fait jouer ses réseaux</a> pour attiser les conflits entre Suédois installés de longue date et nouveaux arrivants, afin de déstabiliser ce pays qui a pris le parti de l’Ukraine depuis le début de la guerre en février 2022 et a mis fin à deux siècles de neutralité pour rejoindre l’OTAN.</p>
<p>La polémique sur l’islam s’inscrit surtout dans une période marquée par un tournant en matière de politique intérieure : la percée, en septembre 2022, du Parti populiste des <a href="https://politiqueinternationale.com/revue/n178/article/lessor-des-democrates-de-suede-ou-la-fin-de-lexception-suedoise">« Démocrates de Suède »</a> (SD), qui fait de la lutte contre l’immigration – sur la base du postulat de la guerre des civilisations – l’axe de son discours. Depuis l’installation de l’exécutif dirigé par le libéral-conservateur Ulf Kristersson, les SD lui assurent une majorité par leur appui externe, tout en s’efforçant d’insuffler dans l’action du gouvernement leurs thèmes de prédilection. Leur dernière proposition en date est la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/polemique-l-extreme-droite-suedoise-en-guerre-contre-les-mosquees">démolition de nombre des mosquées existant dans le pays</a>.</p>
<p>La généralisation des autodafés n’a fait qu’exacerber la préoccupation du monde islamique face à la banalisation de ce type d’agissements ; mais la cible de la colère des représentants des communautés musulmanes est avant tout l’indifférence des autorités, qui détonne avec le cas de la France – mais aussi de voisins scandinaves, tels que la Finlande – où de tels projets sont <a href="https://www.20minutes.fr/france/704393-20110411-france-il-brule-urine-coran-trois-mois-sursis-requis">immédiatement jugulés</a>. Comment expliquer la posture passive des responsables suédois face à ce phénomène, à l’heure où la situation en matière politique de sécurité apparaît (d’après le <a href="https://europeanconservative.com/articles/news/swedish-pm-delivers-a-grim-christmas-speech/">discours de Noël 2022 du premier ministre Kristersson</a>) comme « la pire depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale » ?</p>
<h2>Les raisons culturelles de l’inaction des autorités</h2>
<p>La cause technique le plus souvent invoquée pour expliquer la généralisation des autodafés en Suède est l’absence d’un arsenal juridique qui les interdit. Le blasphème et la diffamation de la religion ont été rayés des textes de loi il y a plus de 50 ans. C’est donc autour de l’enjeu de la possibilité formelle d’enrayer cette provocation, plutôt que sur ses causes, ou son bien-fondé, que la discussion s’est cristallisée.</p>
<p>À ce jour, les tribunaux ont rechigné à mobiliser deux articles pertinents du code pénal qui répriment, respectivement, « les comportements vexatoires » et « l’incitation à la haine raciale ». Le premier exige que l’impact choquant du geste soit avéré – et non seulement probable – alors que dans le second cas de figure, l’interprétation qui prévaut chez les magistrats est que l’injure à l’égard d’un culte n’est pas assimilable à la discrimination d’un groupe ethnique.</p>
<p>La pratique, et plus généralement une approche antinormative de la liberté d’expression, découragent finalement l’activation de ces dispositifs légaux. C’est pourquoi les cours administratives d’appel ont été amenées à annuler des interdictions policières prononcées contre les actions de Paludan ou de Momika.</p>
<p>Face à une indignation qui fédère <a href="https://www.europe1.fr/international/coran-brule-le-president-turc-erdogan-fustige-la-suede-4191624">Erdogan</a>, <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/poutine-le-non-respect-du-coran-est-un-crime-r%C3%A9prim%C3%A9-par-la-l%C3%A9gislation-russe-/2933734">Poutine</a> et <a href="https://www.euractiv.fr/section/international/news/un-coran-brule-au-coeur-du-blocage-hongrois-pour-laccession-de-la-suede-a-lotan/">Orban</a>, mais aussi le <a href="https://www.letemps.ch/monde/le-conseil-des-droits-de-l-homme-condamne-les-autodafes-du-coran">Conseil des droits de l’homme de l’ONU</a>, l’opposition sociale-démocrate semble pencher vers un réajustement de l’arsenal juridique, alors que les déclarations des partis au gouvernement oscillent entre la critique des autodafés et le refus de « céder aux diktats étrangers ».</p>
<p>Il convient de rappeler que si le principe de la liberté d’expression représente depuis le XVIII<sup>e</sup> siècle un pilier de l’identité nationale, une législation souvent poussée par des urgences politiques en a restreint la portée. Depuis 1933, par exemple, le port de vêtements révélant une appartenance politique est interdit aux citoyens suédois. En 1996, un homme ayant arboré, lors de la fête nationale, un drapeau suédois orné de figures mythologiques et du mot <em>Valhalla</em> avait ainsi été condamné en justice. En 2014, les collages de l’artiste Dan Park – mettant en scène la pendaison de trois individus de couleur, identifiés par leur nom, comme après un lynchage – <a href="https://hyperallergic.com/154676/sentenced-swedish-artist-dan-park-incited-against-an-ethnic-group/">lui valurent</a> une lourde amende, six mois de prison et la destruction de ses œuvres.</p>
<p>La réticence à modifier la loi s’explique aujourd’hui par le rejet de l’idée que la sphère du sacré puisse être l’objet de tutelles ou d’interdits <em>ad hoc</em>. S’attaquer à un « symbole » – a statué le parquet dans le cas de l’autodafé organisé devant l’ambassade turque – n’est jamais illégal, pour autant que la manifestation n’a pas pour cible des croyants en chair et en os. Cette position est au cœur de l’exception suédoise, par rapport à la France, au Royaume-Uni ou au Danemark – capable de défendre farouchement le droit au blasphème lors de l’épisode des caricatures de Mahomet (2005), mais qui vient d’adopter, le 7 décembre, une <a href="https://fr.euronews.com/2023/12/08/le-danemark-interdit-de-bruler-le-cora">loi</a> qui pénalise le « traitement inapproprié » (incendie ou profanation) de textes religieux dans l’espace public.</p>
<p>Dans un spectre politique polarisé, la querelle a contribué à raidir les positions. Si les SD y ont vu l’occasion de s’ériger en défenseurs d’une vertu nationale – la tolérance, étendue aux expressions extrêmes du droit de réunion – le gouvernement se livre à un équilibrisme périlleux : dénoncer l’instrumentalisation du thème de l’islamophobie par des puissances étrangères souvent fort peu démocratiques et tolérantes par ailleurs, tout en se dissociant d’une manifestation du rejet de l’Autre aussi repoussante.</p>
<p>Une enquête publique a été lancée en août pour examiner le pour et le contre de la révision des normes sur la liberté d’expression : elle rendra ses conclusions le 1<sup>er</sup> juillet 2024. En s’appuyant sur des dispositifs consensuels bien rodés, l’establishment tâche de sortir d’une impasse qui place la Suède dans une position excentrée – et inconfortable – par rapport à la manière dont la majorité des pays occidentaux conçoivent l’équilibre entre droit d’expression des individus et sensibilité des communautés de foi.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220078/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Piero S. Colla ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Suède, des activistes très hostiles à l’islam brûlent des Corans en public, ce qui vaut au pays des critiques véhémentes venues des pays musulmans mais aussi des menaces terroristes très réelles.Piero S. Colla, Chargé de cours à l’université de Strasbourg, laboratoire « Mondes germaniques et nord-européens », Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200622024-01-01T15:44:36Z2024-01-01T15:44:36ZTurquie : où en est-on trois ans après la transformation de Sainte-Sophie en mosquée ?<p>En octobre 2023, le ministre turc de la Culture et du Tourisme a <a href="https://lepetitjournal.com/istanbul/actualites/visiter-sainte-sophie-va-devenir-payant-en-2024-371869">annoncé</a> que l’entrée dans l’ancienne basilique byzantine devenue mosquée allait redevenir payante à compter de janvier 2024, pour les visiteurs étrangers, afin de financer la préservation de l’édifice.</p>
<p>L’annonce est aussi l’occasion de faire un bilan du changement de statut de cet édifice emblématique dans le contexte des prochaines élections municipales qui s’annoncent disputées et tendues à Istanbul.</p>
<h2>Les multiples destinations de Sainte-Sophie (Ayasofya)</h2>
<p>Construite par les Byzantins au VI<sup>e</sup> siècle avant même l’apparition de l’islam, elle incarne la chrétienté d’Orient par ses dimensions tant matérielle que spirituelle, avant d’être, pendant un peu plus d’un demi-siècle, après la prise de Constantinople lors de la quatrième croisade en 1204 (qui se solde notamment par son pillage), le siège du patriarcat latin de la ville, qui dépend de l’Église de Rome. </p>
<p>Redevenue orthodoxe en 1261, quand les Byzantins reprennent la cité, Sainte-Sophie le restera pour presque deux siècles. En 1453, elle est convertie en mosquée au soir de la prise de Constantinople par les Ottomans, et devient le symbole de leur victoire sur la chrétienté.</p>
<p>Aménagée pour la pratique du culte musulman, « Ayasofya » (en turc) est dès lors, pendant près de cinq siècles, la grande mosquée impériale où le Sultan se rend solennellement, chaque semaine, pour la prière du vendredi. Sa coupole imposante, à laquelle des minarets ont été adjoints, inspire l’architecture de la plupart des mosquées ottomanes et turques, construites par la suite.</p>
<p>Après la <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2018/10/28/26010-20181028ARTFIG00116-mustafa-kemal-atatuumlrk-proclamait-la-republique-turque-il-y-a-95-ans.php">proclamation de la République</a> en 1923, la <a href="https://www.retronews.fr/religions/chronique/2021/01/11/abolition-du-califat-par-mustafa-kemal">fin du Califat</a> en 1924 et de spectaculaires <a href="https://www.cairn.info/20-idees-recues-sur-la-turquie--9791031802473-page-25.htm">réformes de modernisation</a>, Mustafa Kemal Atatürk entend promouvoir un islam national. Dès 1924, il a ainsi placé la religion majoritaire (le sunnisme hanéfite) sous l’autorité d’une présidence des affaires religieuses (Diyanet). L’appel à la prière se fait désormais en turc et une lecture du Coran a même lieu en 1932 dans cette langue à Ayasofya. </p>
<p>En 1934, le leader de la Turquie moderne, qui vient de signer un <a href="https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2006-1-page-283.htm">traité d’amitié</a> avec la Grèce et qui est en train de finaliser un <a href="https://www.jstor.org/stable/45344735">Pacte balkanique</a> avec des pays majoritairement orthodoxes, décide de transformer le bâtiment en musée pour le dédier symboliquement à l’humanité entière. Ce dernier devient alors l’un des symboles de la laïcité dans le pays ; il va aussi, au cours des décennies suivantes, se trouver au cœur des évolutions politiques de la Turquie, notamment de la tendance de plus en plus puissante qui prône un retour aux valeurs de l’islam.</p>
<p>Ainsi, dans les années 1950, le gouvernement du Parti démocrate d’Adnan Menderes, qui s’efforce d’assouplir le laïcisme kémaliste et qui restaure l’appel à la prière en arabe, fait réinstaller dans l’édifice de grands médaillons proclamant les noms d’Allah et des quatre premiers califes.</p>
<p>L’arrivée au pouvoir en 2002 des post-islamistes de l’AKP de Recep Tayyip Erdogan ne change pas immédiatement la donne pour Sainte-Sophie, ceux-ci étant surtout occupés à défendre la <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/adhesion-de-la-turquie-a-l-union-europeenne-ou-en-est-on/">candidature de leur pays à l’Union européenne</a>. Mais la deuxième décennie de l’AKP au pouvoir voit se multiplier les incidents et les polémiques. Des groupes radicaux tentent régulièrement de pénétrer dans l’enceinte du musée <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2013/12/12/sainte-sophie-fait-de-la-politique_4333435_3214.html">pour y prier</a>. </p>
<p>Les déclarations de Recep Tayyip Erdogan évoquant le retour d’<em>Ayasofya</em> au culte musulman se font de plus en plus pressantes. En 2019, notamment, le chef de l’État turc adresse une véritable mise en garde aux Occidentaux, en s’écriant : « Ceux qui demeurent silencieux face aux violations de la mosquée Al Aqsa [la plus grande mosquée de Jérusalem, située sur l’esplanade des mosquées à proximité du Dôme du Rocher, troisième lieu saint de l’islam] n’ont rien à nous demander en ce qui concerne le statut de Sainte-Sophie. »</p>
<h2>Réislamisation et préservation du patrimoine culturel</h2>
<p>En juillet 2020, alors qu’il mène une <a href="https://theconversation.com/que-veut-la-turquie-en-mediterranee-orientale-147694">politique très offensive en Méditerranée orientale</a> pour faire valoir ses intérêts dans le grand jeu gazier qui s’y joue, Erdogan obtient du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/10/en-turquie-recep-tayyip-erdogan-annonce-l-ouverture-de-l-ex-basilique-sainte-sophie-aux-prieres-musulmanes_6045870_3210.html">Conseil d’État turc</a> la reconversion du musée en mosquée. L’événement est un symbole de la réislamisation du pays, entreprise depuis plusieurs années.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-sainte-sophie-transformee-en-mosquee-comment-sortir-de-limpasse-politico-religieuse-143417">Débat : Sainte-Sophie transformée en mosquée : comment sortir de l’impasse politico-religieuse ?</a>
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<p>L’accès au bâtiment semblait toutefois initialement sauvegardé et même facilité, puisque n’étant plus un musée, il était devenu libre et gratuit. Il reste que le premier étage de la basilique, où se situent les plus belles mosaïques sauvegardées, a été fermé pour des travaux qui s’éternisent, et que depuis trois ans son caractère de lieu de culte s’est affirmé au détriment de sa destination patrimoniale et culturelle. </p>
<p>La tenue de prières régulières confine souvent les visiteurs dans le narthex et la partie basse de la nef. Les mosaïques du cœur sont cachées par des rideaux qui, contrairement aux promesses initiales, ne sont pas mobiles. Un lieu de prière pour les femmes a été créé. Paradoxalement, l’atmosphère religieuse du lieu est plus ostensiblement affirmée que dans les grandes mosquées ottomanes d’Istanbul.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Au cœur de l’édifice, les mosaïques sont cachées par des rideaux. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">I. Khillo, J. Marcou</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">La mosaïque chrétienne de La Vierge et l’Enfant dans le dôme de Sainte-Sophie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:La_mosaique_de_la_Vierge_et_l%27Enfant_dans_le_dome_de_Sainte_Sophie_-_panoramio.jpg">Corine Rezel/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p><a href="https://www.unesco.org/fr/articles/sainte-sophie-istanbul-declaration-de-lunesco?TSPD_101_R0=080713870fab20007120dfa926106f80e449d75135bb6904c6d51100f4d05b8481fcb7db80fbe469082ff89a8c143000f974b4f563c2c58089d4bffc38a9f0b13f883ff79035a51f6ab5b11bb7a1c7f6d68327b8fecf0508b4cd4eb489aaeb28">L’Unesco s’inquiète des évolutions en cours</a>. Alors qu’elle ne dépendait que du ministère de la Culture et du Tourisme, la gestion du bâtiment relève désormais de plusieurs autres instances, comme la Présidence des affaires religieuses (Diyanet), la direction des fondations et la préfecture d’Istanbul. La multiplication des acteurs rend plus difficiles les interventions visant à préserver l’édifice, lorsque des aménagements inappropriés sont réalisés. </p>
<p>En outre, la fin du paiement du droit d’entrée a privé l’État turc d’une manne financière pourtant nécessaire pour couvrir les énormes frais d’entretien et de préservation que les experts ont identifiés pour les cinquante années à venir. C’est ce qui explique la décision du ministère de la Culture de demander le paiement d’un droit d’entrée aux visiteurs étrangers à partir de 2024.</p>
<p>Il faut rappeler, en outre, que le changement de statut d’Ayasofya a été suivi, à Istanbul, par une reconversion similaire, celle de l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/22/turquie-apres-sainte-sophie-une-autre-ex-eglise-reconvertie-en-mosquee_6049594_3210.html">église Saint-Sauveur-in-Chora</a>, considérée comme l’un des joyaux de l’art byzantin les mieux préservés du fait de la beauté de ses fresques et de ses mosaïques. Comme celles-ci couvrent l’ensemble des murs de l’ancienne église, on peut se demander comment on pourra aménager le site en mosquée en préservant la visibilité de ce patrimoine.</p>
<h2>L’enjeu électoral</h2>
<p>Il est probable que dans la perspective des élections municipales du printemps prochain et, par ailleurs, eu égard à la situation qui prévaut actuellement à Gaza, Recep Tayyip Erdogan compte entre autres sur ces initiatives religieuses pour obtenir les voix qui lui permettront de reconquérir la mairie métropolitaine d’Istanbul, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/24/turquie-erdogan-perd-istanbul-c-ur-de-son-pouvoir_5480713_3210.html">remportée par le kémaliste Ekrem Imamoglu en 2019</a>. </p>
<p>Les <a href="https://www.lesoir.be/516063/article/2023-05-28/elections-en-turquie-erdogan-revendique-la-victoire-la-presidentielle">élections de 2023</a>, qui ont vu la reconduction du leader de l’AKP à la présidence, ont montré la solidité et la résilience du socle conservateur religieux du pays, en dépit de l’urbanisation de ses modes de vie, de la <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/turquie-l-inflation-reste-stable-en-octobre-mais-le-pays-reste-englue-dans-la-crise-982249.html">crise économique</a> sans précédent qu’il subit, et des séismes qui ont ravagé le sud-est de son territoire en février dernier.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/seisme-en-turquie-la-catastrophe-humanitaire-sexplique-aussi-par-la-corruption-generalisee-200568">Séisme en Turquie : la catastrophe humanitaire s’explique aussi par la corruption généralisée</a>
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<p>Mais Istanbul n’est pas l’Anatolie, et au-delà de l’importante influence de l’opposition dans l’ancienne capitale ottomane, même son électorat conservateur pourrait bien, comme en 2019, se servir de ce scrutin local pour manifester le mécontentement lors des prochaines municipales qu’il n’a pas osé exprimer lors des dernières élections générales. </p>
<hr>
<p>Imad Khillo et Jean Marcou sont membres du séminaire <a href="https://www.collegedesbernardins.fr/seminaires/geopolitique-et-religions-autour-de-la-mediterranee-entre-permanence-et-recomposition">Géopolitique et religions autour de la méditerranée : entre permanence et recomposition</a> du Collège des Bernardins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220062/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Trois ans après la transformation en mosquée de l’ancienne basilique Sainte-Sophie à Istanbul, où en est la stratégie de réislamisation de Recep Tayyip Erdogan ?Imad Khillo, Maître de conférences de droit public à Sciences Po Grenoble Chercheur associé à l'IREMMO-Institut de Recherche et d'Etudes Méditerranée Moyen-Orient, Sciences Po GrenobleJean Marcou, Directeur des relations internationales, Sciences Po GrenobleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2199152023-12-18T04:24:45Z2023-12-18T04:24:45ZSénégal : la langue arabe progresse, malgré la domination du français<p>Depuis 2012, la journée mondiale de la langue arabe, est célébrée le &_ décembre de chaque année, conférant ainsi à cette langue sémitique une stature de langue de communication internationale. La date du 18 décembre a été retenue pour commémorer le jour où l'arabe est devenue <a href="https://www.unesco.org/fr/world-arabic-language-day">langue officielle et de travail de l'ONU</a> en 1973.</p>
<p>Cette journée offre l'opportunité de reconnaître la richesse culturelle et linguistique portée par l'arabe. Au Sénegal, la célébration de cette journée revêt une signification particulière. Le français, héritage du passé colonial, a été imposé comme <a href="https://theconversation.com/recul-du-francais-au-senegal-de-lhegemonie-officielle-a-la-decheance-194392">langue officielle dominante dans l'administration</a>, reléguant au fil du temps l'arabe au statut de langue exclusivement associée au domaine religieux. </p>
<p>Cette orientation a conduit à ignorer sa contribution historique à l'édification des connaissances écrites au Sénégal.</p>
<p>Ce papier tente d’analyser les perspectives et les défis actuels de la langue arabe au Sénégal. Il ne sera pas question de dresser les francophones contre arabophones, mais, d’œuvrer au remembrement de notre héritage culturel, en mettant en valeur tous ces aspects occultés ou peut-être méconnus de la trajectoire intellectuelle du Sénégal qui est loin d’être unilingue, mais essentiellement plurilingue.</p>
<h2>Enjeux et défis d’une valorisation</h2>
<p>Au Sénégal, l'empreinte du passé colonial a considérablement redessiné le paysage linguistique attribuant au français le rôle prééminent de langue officielle dans l'administration et au sein de l'élite. Ce processus historique a fini par reléguer l’arabe au rang de langue associée à la pratique religieuse, dépourvue de toute considération intellectuelle. Alors qu’au Sénégal, et pendant longtemps, l’enseignement de l’arabe a été<a href="https://www.karthala.com/accueil/339-histoire-politique-du-senegal-9782865371181.htmla"> la première étape</a> dans la fabrication des savoirs écrits. </p>
<p>Ce qui se manifeste à travers ce qui est convenu d’appeler la littérature sénégalaise d’expression arabe et ajami (Ajami désigne les populations non arabes de la communauté musulmane et par extention la littérature produite dans les langues africaines avec les caractères arabes). </p>
<p>S’agissant de l’introduction de l’arabe dans l’école laïque sénégalaise, l’on peut dire que bien que <a href="https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers15-07/010065046.pdf">présent à l’élémentaire depuis 1963</a>, son enseignement a connu une longue période d’incertitude, dans la mesure où il n’existait aucun texte règlementaire fixant son programme et ses horaires.</p>
<p>Cependant, l’an 2002 marque une <a href="https://journals.openedition.org/cres/2428?lang=en">date charnière</a> dans l’histoire de l’enseignement de l'arabe dans le système éducatif au Sénégal. A partir de cette année, le temps alloué à cette offre éducative passe d’une heure à quatre heures par semaine, selon nos entretiens réalisé auprès de la division de l'enseignement arabe. Cette dynamique positive a été accompagnée d’une politique de recrutement d’enseignants en langue arabe au même titre que leurs collègues des autres disciplines. Le nombre d’enseignants en arabe qui était de 8 en 1962 passera à 13.358 en 2020 à l’élémentaire (classique et franco-arabe), selon Ousmane Ba, chef de la division de l'enseignement arabe. </p>
<p>Pour le moyen-secondaire, leur nombre actuel est de 2307 professeurs. En ce qui concerne l’encadrement, les inspecteurs en langue arabe étaient de 19 en 2000, contre 108 en 2022.</p>
<p>Ces différentes réformes intervenues dans le secteur de l’éducation ont mis fin à une précarité professionnelle, doublée d’une injustice sociale de l’enseignant en langue arabe, dépourvu de toute protection sociale, juridique et statuaire. </p>
<h2>Quel avenir ?</h2>
<p>Aujourd’hui, l’arabe est non seulement la langue officielle de 22 États, dont des puissances économiques et diplomatiques. Elle est également enseignée dans les plus grandes universités du monde, tout comme elle est utilisée par les plus grands médias du monde. </p>
<p>L’arabe fait aussi partie des langues de travail de l’Organisation des nations unies (ONU). Cet état de fait est loin d’être anodin, conformément au principe d’égale authenticité des versions traduites qui ont la même valeur juridique.</p>
<p>En service à l’ambassade du Sénégal en Russie, où presque tous les pays arabes sont représentés, Ndiaga Bèye souligne comment la langue arabe lui sert beaucoup dans le cadre de ses activités professionnelles, en tant que Premier conseiller, pour nouer des contacts à l’occasion de réceptions diplomatiques. Selon lui, la langue arabe contribue à la diversification de ses sources d’information en lui permettant également d’avoir une bonne grille de lecture. </p>
<p>De nos jours, les critiques ne manquent pas sur le modèle éducatif hérité de la colonisation. On reproche très souvent à cette école d’être élitiste et rigide, agnostique et peu respectueuse des coutumes africaines. La réinvention de cette école tant réclamée ne se fera pas sans une institutionnalisation de l’offre éducative dite arabo-islamique. </p>
<p>A ce propos, nous proposons une harmonisation maîtrisée des deux offres éducatives ou la mixité, en lieu et place d’une séparation. Cette séparation serait synonyme de ghettoïsation de l’enseignement arabe au sein de la République sénégalaise. De ce point de vue, l’espace scolaire devrait constituer le lieu le plus adéquat pour donner de la valeur et de la légitimité scientifique et sociale à une langue et aux personnes qui la pratiquent. </p>
<p>Laisser l’enseignement de la langue arabe aux seules initiatives privées reviendrait à en faire davantage une langue subversive et de la fermeture, une langue passéiste et de la peur, une langue suspecte et de la honte. </p>
<p>Au Sénégal, la langue arabe dispose d’un passé glorieux, d'un présent rassurant et d'un avenir prometteur. Pour s’en convaincre, il suffit juste de rappeler qu’elle ne cesse de progresser se diffuser à la faveur des initiatives des pouvoirs publics en sa faveur (création d’écoles publiques arabes, Baccalauréat arabe, accès des diplômés en arabe au concours d'entrée à l'École nationale d'administration, recrutement de professeurs et d’inspecteurs…). </p>
<p>Cependant, sa principale contrainte est le contexte politique et social dans lequel son enseignement a toujours évolué. Ce contexte a favorisé une sorte de confrontation avec la culture occidentale dont la domination s'est traduite par l’adoption du français comme langue officielle. Toutefois, l’enseignement de l'arabe a pu résister face à cette concurrence à la faveur de son ancrage social et territorial ainsi que la détermination salutaire des intellectuels arabophones qui, curieusement ne sont pas très souvent considérés comme tels par une certaine élite au Sénégal. </p>
<p>Aussi, devant l’idée d’une marginalisation supposée ou réelle de l’élite arabophone dans l’espace public sénégalais, les arabisants doivent également travailler à la maîtrise des autres langues de communication comme le français, la langue officielle, et accessoirement l’anglais, pour donner plus de valeur à leur compétence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219915/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Serigne Mbaye Dramé does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Laisser l’enseignement de la langue arabe aux seules initiatives privées reviendrait à en faire davantage une langue subversive et de la fermeture, une langue passéiste.Serigne Mbaye Dramé, Doctorant en études arabes et islamiques, Université Cheikh Anta Diop de DakarLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2172242023-11-22T15:02:41Z2023-11-22T15:02:41ZCode de la famille au Maroc : le long chemin vers l'égalité<p>Dans son <a href="https://lematin.ma/express/2022/fete-tro-voici-discours-integral-sm-roi-mohammed-vi/379166.html">discours du 30 juillet 2022</a> au moment de la fête du trône, le roi Mohammed VI appelait à une refonte profonde du code de la famille. Depuis lors, la question des droits des femmes marocaines traverse une phase cruciale qui peut s’avérer décisive quant au <a href="https://aujourdhui.ma/societe/demographie-mariage-fecondite-la-femme-marocaine-en-chiffres#:%7E:text=Selon%20les%20donn%C3%A9es%20du%20HCP%2C%20les%20femmes%20repr%C3%A9sentent,hommes%20%C3%A0%20vivre%20en%20ville%20%2811.788.000%20contre%2011.402.000%29">devenir de plus de la moitié de la société</a> marocaine.</p>
<p>En effet, dans l’ensemble des sociétés à majorité musulmane, la question de l’égalité entre les sexes à tous les échelons de la société est intrinsèquement liée au problème fondamental du droit de la famille. Celui-ci demeure ancré dans la charia (loi islamique), née durant la période médiévale, qui légalise et sacralise la domination masculine dans chaque foyer à travers notamment la <a href="https://books.openedition.org/iheid/6523">tutelle matrimoniale, la polygamie et l’inégalité successorale</a>. Or, une inégalité légalisée, sacralisée et intériorisée au sein du premier lieu de la socialisation, la famille, ne peut aucunement favoriser une égalité pleine et entière entre les femmes et les hommes dans l’espace public. </p>
<p>Dans le cadre de nos recherches, nous avons notamment réalisé des travaux sur <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-feminismes_arabes_un_siecle_de_combat_les_cas_du_maroc_et_de_la_tunisie_leila_tauil-9782343146430-59538.html">les féminismes arabes</a> et la <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-les_femmes_dans_les_discours_freristes_salafistes_et_feministes_islamiques_leila_tauil-9782806105127-65477.html">place des femmes dans les discours islamistes</a>.</p>
<p>Cet article met en lumière le rôle déterminant du politique dans le choix du projet de société, moderne et égalitaire ou conservateur et hiérarchique, à adopter. </p>
<h2>Histoire du statut des femmes</h2>
<p>Dans de nombreux pays musulmans, malgré la présence de théologiens réformistes de la fin du 19 ème et du début du 20 ème siècles qui défendent alors des <a href="https://books.google.ch/books/about/The_Liberation_of_Women.html?id=HsH8QTftEs8C&redir_esc=y">thèses favorables à l’émancipation féminine</a>, les gouvernements adoptent majoritairement, au moment des indépendances durant les années 1950-1960, au nom de l’islam d’Etat, des codes du statut personnel et de la famille, inspirés de la charia, qui infériorisent légalement les femmes. </p>
<p>Les mouvements féministes, en plus de lutter contre ces inégalités institutionnalisées, doivent faire face, depuis les années 1980, aux mouvements islamistes et de la réislamisation. Ces derniers prônent le voilement du corps des femmes et leur assignation à leur rôle dit premier d’épouse et de mère inscrit dans un rapport hiérarchique des sexes. Ils s’opposent systématiquement aux réformes égalitaires revendiquées par les féministes. </p>
<p>Pour revenir brièvement à l’histoire du statut des femmes au Maroc, au lendemain de l’indépendance, un <a href="https://books.openedition.org/puam/1011">code du statut personnel</a> basé sur le <a href="https://www.doctrine-malikite.fr/">rite malékite</a> est promulgué, entre 1957 et 1958. Celui-ci entérine la prééminence masculine (autorité maritale, répudiation, polygamie, etc.) et fait immédiatement l’objet de contestations, entre autres, par la pionnière féministe <a href="https://www.yabiladi.com/articles/details/73233/malika-fassi-seule-femme-signataire.html">Malika Al Fassi</a> qui réclame publiquement une réforme égalitaire.</p>
<p>En mars 1992,<a href="https://books.openedition.org/irdeditions/8700?lang=en">l’Union pour l’action féministe </a> lance une pétition “Un million de signatures pour une réforme égalitaire du code du statut personnel”. Celle-ci aboutit, en 1993, à une réforme certes mineure mais avec l’effet non négligeable de sa désacralisation dans la mesure où il pouvait désormais faire l'objet de critiques entraînant des modifications. </p>
<p>En 1999, le <a href="http://www.albacharia.ma/xmlui/bitstream/handle/123456789/31645/1448L%E2%80%99exp%C3%A9rience%20marocaine%20d%E2%80%99int%C3%A9gration.pdf">Plan national d’intégration des femmes au développement</a>, qui comprend les réformes du code du statut personnel, divise la société marocaine entre les féministes et les islamistes qui s’affrontent sur le devenir de la place des femmes dans la société.</p>
<p>Une controverse sociétale qui témoigne plus largement d’un affrontement entre deux projets de société opposés, à savoir: sécularisé et égalitaire ou islamiste et patriarcal. Le nouveau code de la famille, <a href="http://ism.ma/ismfr/francais/Textes_francais/cf.pdf">adopté en février 2004</a> comprend de grandes avancées égalitaires telles que la responsabilité conjointe des deux époux, le droit pour la femme de demander le divorce, l'élévation de l'âge du mariage à 18 ans, etc. </p>
<p>Néanmoins, il comporte des limites liées à son application et à la présence d’articles permettant son contournement (mariage de mineurs, etc.) et demeure inégalitaire en maintenant notamment la polygamie et le partage de l’héritage.</p>
<h2>Des réformes profondes</h2>
<p>Près d’une vingtaine d’années après le nouveau code de la famille, le roi Mohammed VI, favorable à l’émancipation des femmes, charge le chef du gouvernement de s’atteler à la proposition de réformes profondes du code de la famille. Ce travail se fait en collaboration et en concertation avec les différentes composantes politiques, religieuses et civiles de la société (Conseil supérieur des oulémas, Conseil national des droits de l’Homme, collectifs féministes, etc.). </p>
<p>L'objectif est de le conformer à la nouvelle<a href="https://www.doctrine-malikite.fr/"> Constitution de 2011</a> comprenant l’article 19 qui consacre la pleine égalité entre les femmes et les hommes.</p>
<p>Cependant, les islamistes s’opposent formellement à une réforme du code de la famille, particulièrement à l’épineuse question de l’inégalité successorale, entérinée par le Coran. </p>
<p>A ce titre, <a href="https://www.yabiladi.com/articles/details/137571/maroc-relance-debat-l-egalite-dans.html">dans un communiqué </a> publié en février 2023, le Parti islamiste pour la justice et le développement (PJD) affirme que “certains ont osé appeler explicitement à l'égalité dans l'héritage, contre le texte coranique explicite réglementant l'héritage (…). C’est une menace pour la stabilité nationale, liée à ce que le système successoral a établi dans la société marocaine depuis plus de 12 siècles”. </p>
<p><a href="https://www.bladi.net/pjd-reforme-code-famille-maroc,100497.html">La réaction du mouvement féministe</a> ne s’est pas fait attendre. Quelques jours plus tard, il dénonce la prise de position du PJD assimilée à “une forme d’intimidation” et appelle les islamistes à “faire preuve de rationalité et d’ijtihad [effort d'interprétation du Coran] dans un climat démocratique permettant d’élaborer des dispositions innovantes au service de l’intérêt général et de celui de la famille marocaine”. </p>
<p>A ce propos, <a href="https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2011-1-page-187.htm">Mohammed Arkoun</a> souligne que les mouvements islamistes s’inscrivent dans une “régression intellectuelle et culturelle” tant avec l’héritage de l’islam rationaliste classique (VIIe-XIIIe siècles) ouvert à la philosophie que celui de l’islam réformiste libéral (XIXe-XXe siècles) ouvert à la modernité.</p>
<p>Ainsi, en ce qui concerne par exemple le verset relatif à l’inégalité successorale, voici ce qu’Allah vous enjoint au sujet de vos enfants : </p>
<blockquote>
<p>Au fils, une part équivalente à celle de deux filles". (sourate 4, verset 11)</p>
</blockquote>
<p>Pour le théologien réformiste tunisien Tahar Haddad, ce verset ne constitue pas un dogme puisque le Coran contient également des versets égalitaires : </p>
<blockquote>
<p>Aux hommes revient une part de ce qu’ont laissé les père et mère ainsi que les proches ; et aux femmes une part de ce qu’ont laissé les père et mère ainsi que les proches, que ce soit peu ou beaucoup : une part fixée. (sourate 4, verset 7)</p>
</blockquote>
<p>En 1930, Tahar Haddad, qui défend une refonte de la charia inscrite dans la promotion d’une égalité des sexes, affirme audacieusement : “comme il fut possible à la loi musulmane de décréter l’abolition de l’esclavage, en s’appuyant sur le but libéral de cette décision, il peut en être de même pour établir <a href="https://nirvanaedition.com/produit/notre-femme-dans-la-charia-et-la-societe/">l'égalité entre l'homme et la femme</a> sur les plans de la vie pratique et aux yeux de la loi (…)”. </p>
<p>C’est pourquoi, il prône notamment l’abolition de la polygamie, de la répudiation, de la tutelle matrimoniale, l’abandon du voile et l’égalité successorale. </p>
<p>Aussi, souligne Mohammed Arkoun, l’enjeu actuel majeur pour l’exercice de la pensée islamique est son passage de <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-mohammed_arkoun_une_approche_critique_subversive_et_humaniste_de_l_islam_leila_tauil-9782140310683-75606.html">l’épistémè médiévale</a> travaillée par des rapports hiérarchiques – supériorité du musulman sur le non-musulman dhimmî (sourate 9, verset 29), du libre sur l’esclave (sourate 16, verset 71), de l’homme sur la femme (sourate 4, verset 34) – à l’épistémè moderne travaillée par le concept d’égalité citoyenne tout en reconnaissant l’historicité des textes scripturaires. </p>
<p>Or, si les acteurs religieux orthodoxes et islamistes acceptent majoritairement l’abolition du statut – entériné par le Coran – des minorités non-musulmanes (dhimmitude) et de l’esclavage, ils continuent à s'opposer avec force, sous la bannière d'un patriarcat sacralisé, à l’émancipation des femmes. </p>
<h2>Un tournant historique</h2>
<p>Pourtant, il serait grand temps que tous les acteurs religieux acceptent l'abolition du statut infériorisé des femmes, tant au niveau des lois que dans les discours islamiques, pour les considérer véritablement comme leurs égales. </p>
<p>Aussi, gageons que l’instance chargée au Maroc de la révision du code de la famille qui a auditionné, entre autres, en novembre 2023, la Coalition féminine pour un code de la famille basé sur l’égalité et la dignité, tienne compte des revendications de Saida El Idrissi, membre de la Coalition. Celle-ci souligne:</p>
<blockquote>
<p><a href="https://www.mapnews.ma/fr/actualites/social/r%C3%A9vision-du-code-de-la-famille-la-%E2%80%9Ccoalition-f%C3%A9minine-pour-un-code-de-la-famille">l’importance</a> de procéder à la révision du code de la famille sur la base des Hautes orientations royales, de la Constitution de 2011 et des principes des droits de l’Homme, et ce, en adéquation avec les <a href="https://www.ohchr.org/fr/publications/policy-and-methodological-publications/convention-elimination-all-forms-discrimination">conventions internationales</a> ratifiées par le Maroc. </p>
</blockquote>
<p>Enfin, le Maroc a un rendez-vous avec l’histoire et peut devenir le pays avant-gardiste du monde arabe en adoptant l’égalité, les libertés individuelles et la pleine démocratie qui peuvent s’avérer totalement compatibles avec un islam moderne et humaniste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217224/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Leïla Tauil does not work for, consult, own shares in or receive funding from any company or organisation that would benefit from this article, and has disclosed no relevant affiliations beyond their academic appointment.</span></em></p>Le Maroc peut devenir le pays avant-gardiste du monde arabe en adoptant l’égalité, les libertés individuelles et la démocratie qui peuvent s’avérer compatibles avec un islam moderne et humaniste.Leïla Tauil, Enseignante-chercheure, Université de GenèveLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171262023-11-08T20:46:22Z2023-11-08T20:46:22ZEngagements musulmans français pour Gaza : une cause politique ou communautaire ?<p>Derrière la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/28/interdites-ou-autorisees-des-manifestations-pour-la-palestine-ont-eu-lieu-dans-plusieurs-villes-de-france_6197055_3224.html">controverse publique</a> sur la porosité réelle ou supposée entre antisionisme et antisémitisme des mobilisations propalestiniennes en France se profile la question récurrente, presque obsédante, de l’islamité comme moteur d’action. En nous inspirant des travaux d’Albert Memmi sur la judéité, on nomme islamité, tout ce qui se rapporte « au fait, manière d’être musulman » dans la <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1965_num_6_1_1841">société française d’aujourd’hui</a>.</p>
<p>En effet, la présence de plus en plus <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/palestine/pourquoi-la-cause-palestinienne-resonne-t-elle-chez-les-musulmans-de-france-0fd7899a-73dc-11ee-95a0-ef7bd8d1bd16">visible</a> de citoyens français de confession musulmane parmi les manifestants interroge les observateurs sur les <a href="https://www.lepoint.fr/politique/manif-pro-palestine-a-paris-marine-tondelier-critique-les-allah-akbar-avant-de-s-excuser-21-10-2023-2540278_20.php">soubassements religieux</a> de tels mouvements.</p>
<p>D’aucuns y voient l’expression d’un phénomène générationnel somme toute logique. Le passage au politique des nouvelles générations issues de l’immigration postcoloniale s’opèrerait de plus en plus par le biais des grandes causes internationales, combinant une critique radicale de la politique étrangère française à un registre humanitaire de soutien <a href="https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/revue-societes-contemporaines-2022-3-page-121.htm">aux peuples musulmans opprimés</a> : Ouighours, Palestiniens, Rohingyas, etc.</p>
<p>D’autres, au contraire, interprètent cette visibilité musulmane dans les mouvements « palestinophiles » comme le signe inquiétant d’un repli communautaire des jeunes des quartiers populaires, influencés par la propagande politico-religieuse des <a href="https://journals.openedition.org/remmm/19732">Frères musulmans ou des salafistes</a> et leurs relais politiques et intellectuels au sein de la société française, les <a href="https://www.lopinion.fr/politique/allah-akbar-une-equivoque-tres-politique-au-c%C5%93ur-des-manifestations-pro-palestiniennes">« islamo-gauchistes »</a>.</p>
<h2>Une focalisation sur le facteur religieux</h2>
<p>Dans tous les cas, la question de la place du religieux dans les mouvements propalestiniens laisse rarement indifférent. Et ce dans un contexte sociopolitique fortement émotionnel, où la lutte contre le séparatisme islamiste et les dérives radicales en milieu scolaire est devenue une <a href="https://www-cairn-info.lama.univ-amu.fr/revue-migrations-societe-2021-1-page-3.htm">priorité de l’action gouvernementale</a>.</p>
<p>Ce n’est donc pas un hasard si les interprétations des mobilisations propalestiniennes centrées sur le facteur religieux tendent à prévaloir sur les explications sociologiques plus classiques : classes d’âges, niveaux d’études, socialisation familiale, orientations politiques, etc.</p>
<p>Dans une France profondément traumatisée par les attentats terroristes commis <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2019-1-page-5.htm">« au nom de l’islam »</a>, les lectures religieuses de l’engagement propalestinien des générations postcoloniales fournit un cadre d’interprétation particulièrement efficace et persuasif, reliant sur un mode anxiogène deux « radicalismes » : l’islamisme et l’antisionisme, censés partager la même haine d’Israël.</p>
<p>Le problème, c’est que ces approches axées sur la religiosité musulmane ne disent pas grand-chose sur les ressorts sociopolitiques de ces mobilisations.</p>
<p>Pourtant, ces interrogations autour de l’islamité réelle ou imaginaire comme moteur de l’engagement dans les mouvements propalestiniens ne datent pas d’aujourd’hui. Elles étaient déjà source de polémiques politico-médiatiques au début des <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/relations-internationales/israel-palestine/">années 2000</a>.</p>
<p>D’où la nécessité de faire un retour sur le passé récent pour mieux comprendre comment s’est produit ce « processus d’islamisation » du regard sur les mouvements de solidarité avec la cause palestinienne.</p>
<h2>Entre regard fantasmé et réalité sociodémographique</h2>
<p>Comme le montrent les travaux du <a href="https://doi.org/10.3917/come.086.0197">politiste Marc Hecker </a> et du sociologue <a href="https://theses.hal.science/tel-02936223">Alexandre Mamarbachi</a>, jusqu’à la fin des années 1990, les mobilisations pour la cause palestinienne en France restent dominées par les mouvances tiers-mondistes issues de l’extrême gauche post-soixante-huitarde, des milieux chrétiens progressistes et des juifs antisionistes, qui voient un prolongement des grandes luttes anticoloniales (l’Algérie, le Vietnam, le Congo, l’Afrique du Sud, etc.).</p>
<p>À l’exception des chrétiens de gauche, proches du Parti socialiste unifié (PSU) et lecteurs du journal <em>Témoignage Chrétien</em>, les référents religieux n’interviennent que marginalement dans les ressorts de la <a href="https://doi.org/10.3917/come.072.0103">mobilisation propalestinienne</a>.</p>
<p>En effet, les premières organisations françaises de soutien à la cause palestinienne (Association médicale franco-palestinienne fondée en 1974 ; Association France-Palestine, 1979 ; Union des juifs pour la paix, 1994) sont très majoritairement composées de militants laïques souvent athées et agnostiques, formés idéologiquement par les organisations marxistes orthodoxes (Parti communiste français, Union des étudiants communistes) ou par les <a href="https://www.cairn.info/revue-materiaux-pour-l-histoire-de-notre-temps-2009-4-page-59.htm%88">groupes maoïstes, trotskistes et situationnistes</a>.</p>
<p>À cette époque, la mouvance propalestinienne en France est aussi nourrie par l’apport des militants originaires du monde arabe qui animent les syndicats étudiants comme l’Union nationale des étudiants du Maroc (UNEM) et l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET) ou encore les quelques étudiants palestiniens inscrits dans des universités françaises, regroupés au sein de l’Union générale des étudiants palestiniens (GUPS).</p>
<h2>Le tournant de la seconde Intifada</h2>
<p>Ce n’est qu’à partir des années 2000, dans le contexte du déclenchement de la <a href="https://enseignants.lumni.fr/fiche-media/00000000213/la-seconde-intifada.html">seconde Intifada</a> et, encore davantage lors de le première guerre de Gaza durant l’hiver 2008-2009, que l’on peut observer sur le terrain une <a href="https://www.ifri.org/sites/default/files/atoms/files/intifada_francaise_importation_conflit_israelo_palestinien_hecker_ellipses_2012.pdf">évolution substantielle</a> de la sociologie des mobilisations françaises pour la cause palestinienne.</p>
<p>Outre l’ampleur du soutien, passant de quelques centaines de manifestants propalestiniens dans les années 1980-1990 à plusieurs milliers dans les années 2000, c’est la visibilité croissante des jeunes Français issus de l’immigration postcoloniale qui interroge et, ce d’autant plus, que certains parmi eux exhibent au cours des manifestations publiques des signes de religiosité musulmane (hijeb, qamis, slogans et banderoles à connotation politico-religieuse, etc.).</p>
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<figcaption><span class="caption">Le tournant de la Seconde Intifada.</span></figcaption>
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<p>Certains milieux médiatiques, politiques et associatifs de la société française sont alors gagnés par une forme de <a href="https://www.cairn.info/revue-sens-dessous-2015-1-page-5.htm">« panique morale »</a> face au risque d’une convergence protestataire entre les quartiers populaires, les organisations communautaires musulmanes et les militants antisionistes issus de la gauche radicale.</p>
<p>C’est précisément à cette époque qu’émerge la thèse de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2005-2-page-103.htm">« l’islamisation de la cause palestinienne » en France</a>, alimentée par des représentations anxiogènes comme « l’Intifada des mosquées françaises », la convergence entre l’antisionisme et l’antisémitisme musulmans ou encore <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre-2012-3-page-157.htm">« l’alliance islamo-gauchiste »</a>, thèmes déjà présents dans le débat public au début des années 2000.</p>
<p>Il convient de noter toutefois que la crainte de « l’entrisme islamiste » dans la mouvance propalestinienne française n’est pas seulement agitée par ses détracteurs mais elle fait aussi débat dans le <a href="https://doi.org/10.3917/come.086.0197">milieu associatif solidaire de la Palestine</a>, où certains soutiens laïques redoutent une captation de la « cause » par les militants de l’islam politique.</p>
<h2>Un cadrage politique avant d’être religieux</h2>
<p>Pour comprendre comment ces transformations affectent les mobilisations françaises de soutien à la cause palestinienne, il convient à la fois de mettre en évidence l’évolution des répertoires d’action et de déconstruire la représentation dichotomique, opposant systématiquement « mobilisations laïques universalistes » aux « mouvements religieux particularistes ».</p>
<p>Le positionnement des organisations musulmanes de France sur la cause palestinienne a largement évolué. Au début des années 2000 et de la seconde Intifada, il n’était pas rare que les imams et les responsables associatifs musulmans appellent les fidèles, notamment lors de la prière du vendredi (<em>joumou’a</em>), à manifester publiquement pour « les frères et les sœurs de Palestine ». Or ce type d’engagement politico-religieux apparait moins évident aujourd’hui.</p>
<p>Outre le contexte sécuritaire qui suscite inévitablement des réflexes d’autocensure – la <a href="https://www.cipdr.gouv.fr/wp-content/uploads/2022/10/DP_Loi-confortant-le-respect-des-principes-de-la-Republique-2022-1.pdf">loi récente sur le séparatisme</a> n’a fait que renforcer les attitudes de prudence.</p>
<p>L’agenda international des organisations musulmanes a glissé progressivement du registre politique au registre de bienfaisance. Le caritatif tend ainsi à prendre le pas sur le politique, la Palestine devenant principalement pour les associations musulmanes françaises une cause humanitaire, comme le souligne le <a href="https://journals.openedition.org/anneemaghreb/8134">politiste Lucas Faure</a>. Par exemple, aux Rencontres des musulmans de France organisées annuellement au Bourget, la maquette géante en carton-pâte de la mosquée Al-Aqsa et les stands de vente d’huile d’olive de Palestine ont remplacé les prises de parole militantes.</p>
<p>Ensuite, il est vrai que dans les années 2000, certains manifestants français de confession musulmane étaient tentés de recourir à un lexique politico-religieux pour exprimer publiquement leur soutien à la cause palestinienne.</p>
<p>On relevait ainsi des références à la ville sainte <a href="https://www.cairn.info/jerusalem--9791031805955-page-29.htm">Al-Qods</a> (Jérusalem), à la soi-disant islamité ancestrale de la Palestine ou encore son histoire prophétique – évocation de la <a href="https://www.oxfordreference.com/display/10.1093/oi/authority.2011080310035963">tribu juive des Banu Qurayza</a> vaincue par Mohammed. Au fil des années, ces slogans teintés de religiosité se sont faits plus discrets dans les manifestations françaises propalestiniennes. On peut ainsi parler d’un phénomène d’acculturation des militants musulmans <a href="https://www.jstor.org/stable/40988713">à la « culture manifestante »</a>.</p>
<p>Les thèmes appelant à la justice internationale et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes se sont progressivement substitués aux mots d’ordre à connotation « islamique », jugés décalés et disqualifiant.</p>
<p>Cela ne signifie pas nécessairement que les manifestants musulmans d’aujourd’hui soient moins religieux qu’hier mais qu’ils ont intériorisé davantage les codes en usage dans la mouvance propalestinienne française, mêlant antisionisme, antiimpérialisme et antioccidentalisme.</p>
<p>Ces courants hérités de la gauche radicale des années 1960-1970 ont retrouvé une nouvelle actualité protestataire, notamment depuis l’invasion de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2004-1-page-79.htm">l’Irak par les États-Unis en 2003</a>.</p>
<p>Enfin, pour l’immense majorité des musulmans français et francophones engagés pour la défense des droits des Palestiniens, les figures publiques et les personnes morales nourrissant directement leur perception du conflit se recrutent de moins en moins dans le champ islamique (imams, penseurs musulmans et prédicateurs) que chez des intellectuels acquis à la cause.</p>
<h2>Influence des militants politiques plutôt que religieux</h2>
<p>Des personnalités comme le médecin et militant <a href="https://www.philomag.com/articles/rony-brauman-rappeler-israel-au-respect-du-droit-tout-en-le-laissant-bombarder-gaza-est">Rony Broman</a>, ancien président de Médecins sans frontières, les journalistes <a href="https://www.humanite.fr/en-debat/attaque-du-hamas/dominique-vidal-la-mobilisation-des-peuples-en-faveur-de-la-paix-sera-determinante">Dominique Vidal</a> ou <a href="https://orientxxi.info/magazine/gaza-palestine-le-droit-de-resister-a-l-oppression,6777">Alain Gresh</a>, l’ancienne déléguée générale de la Palestine en France, Leila Shahid, le jeune essayiste <a href="https://www.humanite.fr/en-debat/armee-israelienne/israel-palestine-la-solution-a-deux-etats-est-elle-viable-par-thomas-vescovi">Thomas Vescovi</a>, ou encore l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri, etc., apparaissent dans nos recherches et observations bien plus déterminants dans leur engagement pour la cause palestinienne que n’importe quelle personnalité musulmane nationale ou transnationale.</p>
<p>Pour beaucoup de jeunes croyants, la parole publique des leaders musulmans français contrainte par le <a href="https://laviedesidees.fr/Antiterrorisme-et-Musulmans-de-France">contexte de surveillance apparaît trop timorée</a>. C’est d’ailleurs l’un des effets indirects de la politique de sécurisation du champ islamique officiel (les organisations reconnues par le ministère de l’Intérieur) que de favoriser l’émergence d’un espace contestataire musulman plus « radical ». On pense ainsi à l’association <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/10/28/l-association-humanitaire-barakacity-dissoute-en-conseil-des-ministres_6057670_3224.html">Barakacity</a>, aujourd’hui dissoute par décret présidentiel.</p>
<p>En définitive, l’<a href="https://xml.tremplin.ens-lyon.fr/exist/rest/db/rel/data-xhtml/LettresEtHumanites/ConstructionDeLHomoIslamicus/ConstructionDeLHomoIslamicus.xhtml"><em>Homo islamicus</em></a> n’existe pas plus dans la mouvance propalestinienne que dans les autres champs sociaux.</p>
<p>Si la religiosité des manifestants musulmans français doit être prise au sérieux par le sociologue comme ressort imaginaire, symbolique et matériel de la mobilisation, elle doit être aussi analysée comme un registre polymorphe et polysémique, agissant en concurrence ou en complémentarité avec d’autres répertoires d’action qui contribuent à structurer la cause palestinienne dans la France des années 2020.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217126/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Geisser ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le retour sur le passé récent permet de mieux comprendre comment s’est produit un certain « processus d’islamisation » de la cause palestinienne en France et de l’interroger.Vincent Geisser, Sociologue, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2166582023-11-02T20:54:08Z2023-11-02T20:54:08ZLe conflit Israël-Hamas, un facteur de division entre les pays membres de l’Asean ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/557128/original/file-20231101-15-r9qsb2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C5168%2C3406&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Manifestation pro-palestinienne à Bandung, Indonésie, le 21&nbsp;octobre 2023. L’Indonésie est le premier pays musulman du monde par sa population.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Algi Febri Sugita/Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://asean.org/">L’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (Asean)</a> est une organisation interrégionale créée en 1967 regroupant dix pays (Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Myanmar, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam). Organisation à vocation économique visant à favoriser les échanges entre les États membres, elle a souvent été <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/what-asean">critiquée</a> pour son absence de vision stratégique et son influence limitée sur les grands sujets de politiques internationales.</p>
<p>En effet, les règles de l’<a href="https://journals.openedition.org/revdh/3913?lang=en">« Asean way »</a> exigent que les décisions soient prises par consensus sans interférence dans les affaires intérieures des pays membres. En résulte souvent une impuissance politique à peser sur le cours des grandes problématiques des relations internationales.</p>
<p>On le constate à nouveau depuis le déclenchement de la « guerre de Soukkot » entre Israël et le Hamas le 7 octobre dernier, alors même que ce conflit est suivi avec une grande attention dans les pays de l’Asean et spécialement dans les États dont la population est majoritairement musulmane, notamment <a href="https://orientxxi.info/magazine/indonesie-equilibre-delicat-entre-orthodoxie-musulmane-et-nationalisme,6394">l’Indonésie, premier pays musulman du monde</a> et la Malaisie. </p>
<h2>Une déclaration conjointe minimaliste</h2>
<p>Concernant le conflit israélo-palestinien, l’Asean a toujours maintenu une <a href="https://www.bangkokpost.com/opinion/opinion/2665486">position constante</a> en soutenant une solution à deux États, conformément à la résolution <a href="https://documents-dds-ny.un.org/doc/RESOLUTION/GEN/NL3/462/16/PDF/NL346216.pdf">242</a> adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU en 1967.</p>
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<p>Il aura néanmoins fallu attendre 13 jours après les attaques terroristes du Hamas du 7 octobre 2023, pour que l’Association publie un <a href="https://asean.org/asean-foreign-ministers-statement-on-the-recent-escalation-of-armed-conflict-in-the-middle-east/">communiqué conjoint</a>. Celui-ci condamne les attaques contre les populations civiles, appelle à la libération des otages, et encourage un cessez-le-feu pour faciliter l’accès à l’aide humanitaire. Enfin, le communiqué réitère son soutien à la solution à deux États, précisant qu’elle est la seule solution globale, juste et durable pour parvenir à la paix.</p>
<p>En théorie, donc, les États membres défendent une position commune sur la situation au Proche-Orient. En pratique, les divers gouvernements nationaux n’avaient pas attendu le communiqué conjoint et avaient déjà réagi, affichant des prises de positions divergentes et difficilement conciliables.</p>
<h2>Des réactions différentes parmi les États membres</h2>
<p>Il est possible de dresser une typologie des réactions politiques des gouvernements nationaux de l’Asean, reflet de leurs positionnements géopolitiques hétéroclites vis-à-vis de la crise au Proche-Orient.</p>
<p>Le sultanat de <a href="https://www.thestar.com.my/aseanplus/aseanplus-news/2023/10/09/brunei-reiterates-solidarity-with-palestinians">Brunei</a>, <a href="https://www.benarnews.org/english/news/indonesian/jokowi-israeli-occupation-palestine-cause-conflict-10102023131333.html">l’Indonésie</a> et la <a href="https://www.scmp.com/week-asia/politics/article/3239053/height-barbarism-malaysias-anwar-slams-israel-over-gaza-strikes-thousands-flock-pro-palestine-rally">Malaisie</a>, pays où la majorité de la population est musulmane, ont soutenu sans équivoque le peuple palestinien.</p>
<p>Les trois gouvernements, qui <a href="https://thediplomat.com/2023/10/the-growing-significance-of-malaysia-and-indonesias-non-recognition-of-israel/">ne reconnaissent pas diplomatiquement l’État d’Israël</a>, n’ont pas condamné l’attaque du Hamas. Le premier ministre malaisien, Anwar Ibrahim, a même ouvertement défendu le fait que son pays entretenait une <a href="https://www.channelnewsasia.com/asia/malaysia-hamas-relationship-israel-conflict-disagree-western-pressure-condemn-3848951">relation officielle</a> avec le groupe terroriste.</p>
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<p>En Indonésie, des <a href="https://thediplomat.com/2023/10/protesters-in-malaysia-indonesia-come-out-in-support-of-palestine/">manifestations massives</a> de soutien au peuple palestinien ont été organisées, illustration du soutien massif de la société civile solidaire avec le peuple palestinien. Alors qu’approche une <a href="https://asie1000mots-cetase.org/Election-presidentielle-en-Indonesie-en-2024-qui-sera-le-prochain-president">élection présidentielle très attendue</a>, nul ne doute que les principaux partis multiplieront les signes de sympathie envers la cause palestinienne, qui fait l’unanimité au sein de la classe politique du pays.</p>
<p>D’autres pays membres de l’Asean revendiquent une posture neutre. C’est le cas du <a href="https://twitter.com/noansereiboth/status/1710945345344303343">Cambodge</a>, du <a href="https://www.vientianetimes.org.la/freefreenews/freecontent_198_Laocall_y23.php">Laos</a>, du <a href="https://vietnamnews.vn/politics-laws/1594905/viet-nam-profoundly-concerned-over-hamas-israel-violence-foreign-ministry.html">Vietnam</a> et de la <a href="https://www.nationthailand.com/thailand/general/40031729">Thaïlande</a>, qui ont tous appelé les deux camps à faire preuve de la plus grande retenue et à chercher des moyens de désescalade et de cessez-le-feu, sans prendre parti.</p>
<p>La Thaïlande, qui compte près de 26 000 travailleurs en Israël, est néanmoins plus directement concernée par cette crise. Selon le gouvernement de <a href="https://www.bangkokpost.com/thailand/general/2672016/two-more-thai-workers-die-in-israel-increasing-death-toll-to-33-fm.">Bangkok</a>, au moins 33 Thaïlandais ont été tués le 7 octobre, 18 ont été blessés, et 16 sont encore retenus en otage par le Hamas.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1718526586620654079"}"></div></p>
<p>Enfin, <a href="https://www.channelnewsasia.com/singapore/israel-hamas-gaza-violence-singapore-strongly-condemns-attacks-3828966">Singapour</a> et les <a href="https://www.rappler.com/nation/philippines-condemns-attacks-hamas-on-israel-october-8-2023/">Philippines</a>, pays traditionnellement plus proches des États-Unis ayant tissé des liens importants avec Israël, ont publié des réactions fermes condamnant l’attaque du Hamas, et rappelant le droit légitime d’Israël à défendre son territoire. Ces deux pays entretiennent des relations de défense étroite avec Tel-Aviv.</p>
<p>Au Myanmar, la junte au pouvoir a publié un communiqué <a href="https://www.voanews.com/a/myanmar-immigrants-in-israel-stay-put-citing-safety-woes-back-home-/7323651.html">prudent</a> pouvant le catégoriser comme un pays neutre. Néanmoins, le Myanmar est le seul pays de l’Asean avec Singapour à <a href="https://worldpopulationreview.com/country-rankings/countries-that-recognize-palestine">ne pas reconnaitre l’État palestinien</a> et est traditionnellement un acheteur de matériel militaire israélien.</p>
<h2>Un facteur de division entre les États membres ?</h2>
<p>Le positionnement des États membres de l’Asean diverge donc fortement sur la question israélo-palestinienne. Par exemple, la position de Singapour se différencie de celle de ces voisins musulmans, notamment dans sa dénonciation explicite du Hamas et dans son soutien à Israël. Pour autant, le gouvernement de la cité-État reste lui aussi prudent. En effet, 14 % des Singapouriens sont ethniquement malais, et disposent d’une reconnaissance particulière dans la Constitution en tant que <a href="https://sso.agc.gov.sg/Act/CONS1963?ProvIds=P113-">peuple autochtone</a>. Si les manifestations propalestiniennes ont été <a href="https://thediplomat.com/2023/10/singaporeans-turn-to-online-campaigns-after-police-reject-application-for-gaza-rally/">interdites</a> à Singapour, ce fut au nom du maintien de la cohésion nationale, comme l’explique le communiqué de police : « La paix et l’harmonie entre les différentes races et religions à Singapour ne doivent pas être considérées comme acquises, et nous ne devons pas laisser les événements extérieurs affecter la situation interne de Singapour. »</p>
<p>Le président et le premier ministre singapouriens ont aussi envoyé des <a href="https://www.businesstimes.com.sg/singapore/president-tharman-pm-lee-send-condolence-letters-palestinian-authority-counterparts">lettres</a> aux dirigeants palestiniens, exprimant leurs condoléances pour les pertes humaines dans la bande de Gaza et promettant un don de 300 000 dollars d’aide humanitaire.</p>
<p>Ces divisions internes à l’Asean sont-elles susceptibles de créer des divisions politiques entre les États membres ? Probablement pas, car conformément au principe de non-ingérence dans les affaires internes, aucun des gouvernements n’a ouvertement critiqué la position d’un autre État membre. Si certains y voient le signe de la traditionnelle <a href="https://theconversation.com/lasean-face-au-coup-detat-militaire-en-birmanie-impuissance-ou-complicite-166450">impuissance géopolitique</a> de l’Association, rappelons que la région fait toujours face à des <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2017/03/Asia-Focus-21-Terrorisme-mars-2017.pdf">menaces de terrorisme</a>, et reste le théâtre de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/16/en-birmanie-l-insurrection-armee-s-organise_6165768_3210.html">rébellions internes</a> et de <a href="https://www.chine-magazine.com/lasean-divisee-conflits-territoriaux/">différends territoriaux</a> entre États.</p>
<p>Fidèle à ses principes, l’Asean reste donc prudente et n’empiète pas sur la compétence des États membres sur les sujets de politiques internationales. Le conflit israélo-palestinien ne fait pas exception à la règle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216658/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Paco Milhiet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Asean, qui regroupe 10 États et quelque 620 millions d’habitants, dont plus de la moitié sont musulmans et attachés à la cause palestinienne, est apparue désunie après le 7 octobre.Paco Milhiet, Visiting fellow au sein de la Rajaratnam School of International Studies ( NTU-Singapour), chercheur associé à l'Institut catholique de Paris, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162132023-10-29T18:12:55Z2023-10-29T18:12:55ZProche-Orient : le retour de la « cause palestinienne »<p>Les <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/jour-de-colere-dans-le-monde-arabe-et-musulman-des-milliers-de-personnes-dans-la-rue-pour-defendre-la-cause-palestinienne-20231013_Q7ZE6BHLXNHD5PMBPCOYXH6ZR4/">manifestations</a> organisées dans de nombreux pays arabes et musulmans en soutien à la population de la bande de Gaza, depuis que la minuscule enclave palestinienne est <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/10/a-gaza-pris-au-piege-entre-les-bombardements-et-le-blocus-les-habitants-craignent-un-massacre_6193487_3210.html">pilonnée jour et nuit par Israël</a> en riposte aux <a href="https://theconversation.com/israel-palestine-les-consequences-devastatrices-de-lassaut-du-hamas-215243">attaques du Hamas le 7 octobre 2023</a>, ont replacé au cœur des discussions la problématique de la « cause palestinienne ».</p>
<p>La conflagration au Proche-Orient remet en effet à l’avant-plan des discussions l’avenir des Palestiniens, à Gaza mais aussi en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, où la situation s’est embrasée au cours des derniers jours. La cause palestinienne – une formule qui recouvre, on le verra, de nombreuses significations, parfois fort différentes – semble fédérer les opinions publiques dans le monde arabo-musulman, et cela <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2016-1-page-273.htm">depuis des décennies</a>. Mais qu’en est-il au juste, et dans quelle mesure l’escalade actuelle du conflit peut-elle renforcer ces sentiments parmi les populations de ces pays ?</p>
<h2>Résurgence spectaculaire du soutien à la Palestine</h2>
<p>L’attaque du Hamas – qui s’est soldée par l’assassinat de <a href="https://www.barrons.com/news/over-1-400-killed-in-hamas-attacks-on-israel-pm-office-787d2b0f">quelque 1 400 Israéliens</a>, presque tous des civils, et de nombreux <a href="https://www.europe1.fr/international/le-hamas-utilise-les-telephones-des-otages-pour-diffuser-les-videos-de-leur-assassinat-ou-enlevement-4208349">actes de barbarie</a> à l’égard des victimes, sans oublier la prise de quelque 200 otages, dont des enfants en bas âge – n’a pas fait l’unanimité dans le monde arabe et musulman. Il serait en effet caricatural d’affirmer que le Proche-Orient tout entier se serait en quelque sorte rangé derrière ces atrocités.</p>
<p>Néanmoins, on ne peut nier que les événements du 7 octobre ont été perçus par certains segments des sociétés de la région comme une manifestation compréhensible de la « résistance » à la longue <a href="https://www.amnesty.org/fr/location/middle-east-and-north-africa/israel-and-occupied-palestinian-territories/report-israel-and-occupied-palestinian-territories/">occupation des territoires palestiniens par Israël</a>.</p>
<p>Dès les premières heures de l’assaut, ce sont ainsi des centaines de personnes qui, de Ramallah à Beyrouth, en passant par Le Caire, Bagdad ou Damas, sont descendues dans les rues pour chanter, danser et scander leur soutien au peuple palestinien et à sa cause historique. Les réseaux sociaux ont par ailleurs été envahis d’expressions de solidarité avec le Hamas, décrit comme « héroïque » face au sort des Palestiniens depuis des décennies, tandis que se propageait comme tendance sur X (anciennement Twitter) le hashtag #Palestine-is-my-cause.</p>
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<p>Dans leur majorité, les dirigeants des pays arabes voisins ont fustigé Israël avec force et apporté leur soutien à Gaza, y compris dans ceux des pays qui avaient pu appuyer un rapprochement avec Tel-Aviv. Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a décrit la riposte militaire d’Israël comme une « réaction allant au-delà du droit de se défendre » et s’assimilant à une « punition collective » contre les habitants de Gaza. En Irak, le premier ministre Mohammed al-Soudani a rappelé le soutien indéfectible de son pays à la cause palestinienne. En Syrie, le ministre des Affaires étrangères a qualifié l’opération du Hamas d’« honorable » et de « seule manière pour les Palestiniens d’obtenir leurs droits légitimes ». On peut s’interroger sur la sincérité des sentiments ici exprimés, même si tous reflètent, <em>a minima</em>, une posture imposée par la perception qu’ont ces dirigeants des attentes de leurs opinions publiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1710916001687060662"}"></div></p>
<p>Beaucoup croyaient la cause palestinienne <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/09/14/la-cause-palestinienne-enterree-par-les-accords-d-abraham_1799360/">enterrée</a>, ou, à tout le moins, <a href="https://www.voaafrique.com/a/plan-trump-la-cause-palestinienne-est-elle-pass%C3%A9e-au-second-plan-/5268691.html">reléguée au second plan</a>, sur fond d’impasse des négociations de paix et d’une multiplication des crises au Proche-Orient qui avait recentré l’attention sur d’autres théâtres de conflit (Irak, Syrie, Yémen, Afghanistan…). Or la « question palestinienne » a désormais opéré son grand retour dans les cœurs et les esprits des peuples de la région, et plus largement sur la scène internationale.</p>
<p>La virulence des frappes israéliennes sur Gaza ces dernières semaines, et le <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/gaza-au-bord-d-une-catastrophe-humanitaire-980075.html">désastre humanitaire provoqué par l’imposition d’un blocus total par l’État hébreu</a>, sont indiscutablement autant de facteurs démultiplicateurs de l’appui apporté aux Palestiniens.</p>
<h2>Qu’entendre au juste par « cause palestinienne » ?</h2>
<p>L’expression d’un soutien à la cause palestinienne et la manifestation d’une solidarité envers Gaza et le drame vécu par ses populations civiles ne rendent toutefois pas évidente l’identification des contours exacts de cette cause. De manière intuitive, ses partisans y arriment la notion générale d’une violation historique des droits d’un peuple, sans toujours être en mesure d’expliciter ce que recouvrent ces droits.</p>
<p>Pour certains, la cause palestinienne aurait pour dessein premier la création d’un État palestinien indépendant, quoiqu’il n’existe aucun consensus quant à son territoire et ses frontières : s’agit-il de la Palestine historique, celle d’avant 1948 ? Parle-t-on de la Palestine de l’après-1948, de celle issue de la guerre des Six Jours de 1967 ? Est-ce la Palestine comprise sous l’angle de la solution à deux États ou au sein d’un seul et même État avec Israël – État qui serait donc binational ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/palestine-un-pays-virtuel-au-bout-dune-route-sans-raison-98134">Palestine : un pays virtuel au bout d’une route sans raison</a>
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<p>Pour d’autres, la cause palestinienne porte avant tout sur le droit au retour des réfugiés palestiniens sur leur terre originelle, dont ils avaient été contraints de fuir en 1948 lors de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-club-des-correspondants/la-nakba-reste-presente-dans-les-memoires-en-palestine-et-au-liban_5801198.html"><em>Nakba</em></a> – la catastrophe, le désastre en arabe.</p>
<p>Au regard de la complexité de la situation proche-orientale et du temps qui a passé depuis la fondation de l’État d’Israël, une telle indétermination définitionnelle n’est pas surprenante. Le pourrissement du conflit israélo-palestinien et de la situation à Gaza comme en Cisjordanie a aussi énormément contribué à cet éclatement graduel de ce qui pouvait naguère apparaître comme une cause unifiée en plusieurs causes distinctes et pas nécessairement articulées entre elles.</p>
<p>Symptomatiquement, l’Autorité palestinienne elle-même, dans sa quête de vision pour l’avenir, s’interroge aujourd’hui sur l’essence de cette cause – sans grande clarté néanmoins – et sur les moyens d’y rallier le plus grand nombre. Au mois de décembre 2021, Mahmoud Abbas <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20211103-abbas-heading-to-russia-soon-to-revive-international-quartet/">s’entretenait ainsi par téléphone avec le président russe Vladimir Poutine</a> au sujet des « derniers développements de la cause palestinienne », puis rencontrait le maréchal Sissi à Charm el-Cheikh, dans le Sinaï, pour demander le soutien de l’Égypte aux Palestiniens. Dans les deux cas, aucune proposition concrète pour promouvoir cette cause n’était cependant apportée.</p>
<h2>Pressions de la rue : la fin des Accords d’Abraham ?</h2>
<p>Il faut bien admettre que nombre d’États arabes, à commencer par l’Égypte, en paix formelle avec Israël depuis 1978, sont embarrassés par l’enchaînement des événements récents ; tout en acceptant de faciliter l’organisation et le passage de l’aide humanitaire vers Gaza, l’Égypte s’est d’ailleurs refusée à accueillir des flots de réfugiés palestiniens sur son territoire. Le discours d’appui des autorités à la cause palestinienne procède davantage de la pression exercée par la rue égyptienne, des milliers de manifestants clamant leur solidarité envers Gaza à travers le pays.</p>
<p>La colère est vive dans nombre d’autres capitales arabes, surtout après que le Hamas et le Hezbollah, avec le parrainage de l’Iran, ont appelé à plusieurs « jours de colère » en réponse à l’offensive d’Israël et au nombre toujours croissant de morts et de blessés parmi les civils à Gaza. « Mort à l’Amérique ! Mort à Israël ! », pouvait-on entendre ici et là dans les différents cortèges, ce qui illustre sans ambiguïté la persistance de la cause palestinienne, loin d’avoir été oubliée dans l’imaginaire collectif arabe et qui continue ainsi de résonner dans la conscience politique locale.</p>
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<p>La Jordanie, autre État du Proche-Orient en paix avec son voisin, a échoué à contenir des protestations massives en faveur de Gaza, et ce d’autant que les Palestiniens représentent une composante significative de la population. En Libye, des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Z5Attf7qDVk">centaines de manifestants ont brandi des drapeaux aux couleurs de la Palestine</a> et couvert leurs visages du célèbre <em>keffieh</em> palestinien, défilant en hommage aux « martyrs » de Gaza et de Cisjordanie. D’importantes foules se sont rassemblées en <a href="https://fr.timesofisrael.com/turquie-plus-de-60-blesses-lors-dune-manifestation-anti-israel/">Turquie</a> et en <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/iran-manifestations-de-soutien-aux-palestiniens-dans-plusieurs-villes-du-pays/3018904">Iran</a>, à l’extérieur des ambassades israéliennes, mais aussi britanniques, américaines et françaises, pour hurler leur indignation face à la situation et à l’inaction de la communauté internationale.</p>
<p>Se pose en outre inévitablement la <a href="https://www.iris-france.org/179388-hamas-israel-quelles-consequences-diplomatiques-et-securitaires-au-moyen-orient/">question de l’avenir des Accords d’Abraham</a> signés en septembre et décembre 2020 entre Israël et plusieurs pays arabes et musulmans (Émirats arabes unis, Bahreïn, rejoints plus tard par le Maroc et le Soudan), de même que celle de la normalisation des relations de l’État hébreu avec d’autres pays pivots du Proche-Orient, à commencer par <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">l’Arabie saoudite</a>, qui a d’ores et déjà <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231014-l-arabie-saoudite-suspend-les-discussions-sur-une-possible-normalisation-avec-isra%C3%ABl">suspendu tout processus de rapprochement diplomatique avec Israël</a>.</p>
<h2>Internationalisation : quel changement de donne ?</h2>
<p>À l’échelle internationale, le combat pour la reconnaissance des droits du peuple palestinien n’est pas une nouveauté ; mais la guerre de Gaza revivifie cette cause. Si l’on connaît les actions du <a href="https://bdsmovement.net/">mouvement BDS (Boycott, Divestment and Sanctions)</a> en Occident, qui vise à exercer des pressions sur Israël jusqu’à l’autodétermination pleine et souveraine des Palestiniens, on a pu voir émerger ces dernières années certaines tendances nouvelles, telle la mobilisation <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210518-palestinian-lives-matter-la-cause-palestinienne-en-plein-renouveau">« Palestinian Lives Matter »</a>, en référence au mouvement antiraciste Black Lives Matter aux États-Unis.</p>
<p>Évidemment, les Palestiniens accueillent positivement ce regain de solidarité, car ils ont toujours considéré que sans un appui extérieur fort, leur lutte de libération nationale demeurerait irréalisable. Rappelons que la <a href="https://www.imarabe.org/fr/rencontres-debats/heurs-et-malheurs-de-l-internationalisation-de-la-cause-palestinienne">cause palestinienne s’est internationalisée</a> dès les années 1960 ; à l’époque déjà, elle était principalement portée par les <a href="https://academic.oup.com/princeton-scholarship-online/book/15814/chapter-abstract/170661043?redirectedFrom=fulltext">mouvances étudiantes et politiques de gauche</a>, qui voient toujours dans cette cause une <a href="https://newleftreview.org/issues/i57/articles/fawwaz-trabulsi-the-palestine-problem-zionism-and-imperialism-in-the-middle-east.pdf">lutte d’émancipation contre une oppression coloniale impérialiste</a>. La jeune génération palestinienne axe d’ailleurs la plupart de ses demandes autour de l’idée d’une <a href="https://theelders.org/news/palestinian-perspectives-future">égalité de droits avec les Israéliens</a>, ce qui facilite la convergence de leur cause avec d’autres luttes, anticoloniales notamment.</p>
<p>Par-delà les risques d’instrumentalisation dont elle a toujours souffert, la cause palestinienne se reconfigure donc sous nos yeux, ouverte au monde et à différents possibles. Encore faudra-t-il apprécier dans quelle mesure les reconfigurations présentes, une fois passée l’actualité immédiate, le temps de la guerre, augureront d’un quelconque progrès au niveau politique à moyen et plus long terme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216213/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans le contexte actuel, la cause palestinienne, invoquée depuis 70 ans par les habitants et dirigeants des pays du Proche-Orient, revient au premier plan dans toute la région.Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI), IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2160382023-10-20T12:35:42Z2023-10-20T12:35:42ZTout comme Daesh, le Hamas diffuse les images de ses atrocités afin de maximiser leur impact psychologique<p>Le Hamas a chorégraphié très soigneusement <a href="https://ici.radio-canada.ca/recit-numerique/7097/guerre-israel-palestine-gaza-hamas-semaine1">son attaque contre des objectifs militaires et civils dans le sud d’Israël, le 7 octobre</a>. Même si leurs actions terroristes dans le passé ont parfois été très <a href="https://www.jpost.com/israel-news/on-this-day-suicide-bombing-kills-15-at-sbarro-pizzeria-676228">« spectaculaires »</a>, il y a cette fois un changement important dans la stratégie de propagande de l’organisation. </p>
<p>En effet, les membres de l’organisation ont soigneusement préparé l’opération, comme le montrent les <a href="https://www.pbs.org/newshour/world/hamas-posted-video-of-mock-attack-on-social-media-weeks-before-border-breach">vidéos enregistrées</a>, mais ils ont surtout pris soin de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Yt7TexDOTas">documenter visuellement</a> leurs actions terroristes et de les diffuser sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Comment expliquer ce changement dans leur stratégie de propagande ? </p>
<p>Je propose deux hypothèses : premièrement, le Hamas souhaitait maximiser l’impact de son attaque, tant par le nombre de victimes mortelles que par la prise d’otages ; deuxièmement, l’organisation palestinienne cherchait à obtenir un niveau élevé d’exposition publique de ses atrocités afin de nuire psychologiquement aux Israéliens et de gagner les faveurs d’une certaine opinion publique palestinienne, arabe et musulmane. </p>
<p>En ce sens, le Hamas se rapproche du modus operandi de communication de l’<a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/les-djihadistes-de-l-etat-islamique-ei-menace-au-moyen-orient_1562607.html">État islamique (EI)</a> — Daesh. Il a bien compris le pouvoir des images brutales comme arme dans leur guerre contre Israël.</p>
<p>J’ai étudié depuis un certain temps la question de la propagande des organisations islamistes. J’ai consacré un chapitre sur le sujet dans mon livre sur la <a href="https://www.routledge.com/Strategic-Communication-and-Deformative-Transparency-Persuasion-in-Politics/Nahon-Serfaty/p/book/9780367606794">« transparence grotesque »</a>, donc le dévoilement proactif (<em>proactive disclosure</em>, dans le langage stratégique) des images sanguinaires et dégradantes du corps humain, dans la communication publique. J’ai aussi étudié les stratégies de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/15245004221136223?icid=int.sj-abstract.citing-articles.25">recrutement</a> des organisations terroristes et analysé l’influence de la révolution iranienne dans la propagande terroriste islamiste, tant chiite que sunnite. </p>
<h2>L’impact « visuel » de la révolution iranienne</h2>
<p>En mettant fortement l’accent sur les images (décapitations, massacres, etc.), lors de sa campagne de terreur dans les années 2010, l’État islamique-Daesh défiait en quelque sorte l’un des principes les plus sacrés de l’islam sunnite, qui condamne les représentations visuelles du corps humain. À l’opposé, les talibans afghans appliquent rigoureusement cette prescription coranique, interdisant la diffusion d’images, le cinéma et la télévision. </p>
<p>Mais un changement s’est produit dans le monde islamique avec la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_iranienne">révolution iranienne</a>, en 1979, sous la direction des ayatollahs chiites. Cet événement a eu une influence significative sur d’autres groupes islamistes, même au sein d’organisations d’inspiration wahhabite-sunnite telles que EI-Daesh et Al-Qaida. </p>
<p>En effet, le chiisme est plus « libéral » sur l’utilisation d’images visuelles comme outil pour propager la foi et glorifier le comportement héroïque des martyrs. Les ayatollahs iraniens ont également revendiqué le martyre des kamikazes combattant les ennemis de l’Islam, soit des « ennemis proches » musulmans (lors de la guerre Iran-Irak entre 1980 et 1988), soit des « ennemis lointains » non musulmans (comme dans le cas de l’organisation chiite <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/what-hezbollah">Hezbollah</a> responsable de l'attentat au camion piégé contre la caserne des Marines américains à Beyrouth en 1983).</p>
<h2>Influences croisées</h2>
<p>L’organisation sunnite palestinienne <a href="https://catalog.swanlibraries.net/Record/a1153458?searchId=28670680&recordIndex=8&page=1&referred=resultIndex">Hamas</a>, étroitement liée aux Frères musulmans égyptiens, collabore avec le Hezbollah chiite et reçoit du financement de l’Iran, démontrant la pollinisation croisée idéologique et stratégique entre les deux principales branches de l’Islam en matière de terrorisme et de propagande.</p>
<p>La révolution iranienne de 1979 a marqué un tournant dans la re-politisation de l’Islam. Dans ses chroniques sur l’Iran, le philosophe français Michel Foucault observe avec enthousiasme la « politique spirituelle » qui anime le mouvement dirigé par l’ayatollah Khomeini. Pour Foucault, la révolution islamique représentait une rupture avec les valeurs occidentales et les prescriptions libérales/marxistes de modernisation, à travers la mobilisation de toute une société dotée d’une « volonté politique » et d’idéaux utopiques. Même si la « folie » de Foucault sur la révolution iranienne a été <a href="https://rauli.cbs.dk/index.php/foucault-studies/article/download/3989/4391">largement critiquée</a>, son analyse offre un aperçu pertinent de l’impact du mouvement social d’inspiration chiite dans le monde islamique et au-delà.</p>
<p><a href="https://www.leddv.fr/analyse/michel-foucault-patient-zero-de-lislamo-gauchisme-20211112">Foucault écrit</a> : </p>
<blockquote>
<p>Sa singularité qui a constitué jusqu’ici sa force risque bien de faire par la suite sa puissance d’expansion. C’est bien, en effet, comme mouvement ‘islamique’ qu’il peut incendier toute la région, renverser les régimes les plus instables et inquiéter les plus solides. L’Islam — qui n’est pas simplement une religion, mais un mode de vie, une appartenance à une histoire et à une civilisation — risque de constituer une gigantesque poudrière, à l’échelle de centaines de millions d’hommes. Depuis hier, tout État musulman peut être révolutionné de l’intérieur, à partir de ses traditions séculaires. </p>
</blockquote>
<p>La révolution iranienne a également influencé la légitimation stratégique de la violence comme moyen d’atteindre des objectifs politiques et religieux. </p>
<h2>Martyrs et guerre sainte</h2>
<p>Enracinée dans la glorification chiite du martyre — historiquement liée à l’assassinat de l’<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Al-Hussein_ibn_Ali">Imam Hussein</a>, petit-fils du Prophète, en l’an 680 par des opposants musulmans dans la ville de Karbala — la justification de la violence contre soi-même afin de détruire des ennemis infidèles a été largement adoptée par des organisations extrémistes d’<a href="https://www.cairn-int.info/article-E_RAI_009_0081--islamist-strategies-and-the-legitimizing.htm">inspiration sunnite</a>. </p>
<p><a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/129">Le jihad (la guerre sainte) mené contre l’Union soviétique par les moudjahidines (combattants)</a> de différents pays arabes et musulmans en Afghanistan a également prouvé la valeur stratégique de la violence contre une puissance occupante. Idéologiquement et opérationnellement, l’exemple afghan est devenu le modèle pour des milliers de militants qui sont retournés en héros victorieux dans leurs pays ou régions d’origine (Algérie, Cachemire, Bosnie, Irak, Pakistan, Tchétchénie).</p>
<p>Un autre effet de la révolution iranienne et de la guerre antisoviétique en Afghanistan a été la prise de conscience de l’importance de ce que le chercheur iranien <a href="https://academic.oup.com/joc/article-abstract/29/3/107/4371739?redirectedFrom=fulltext">Hamid Mowlana</a> appelle un « système de communication total », combinant les réseaux de communication traditionnels, tels que les mosquées ou les écoles religieuses (madrasas), avec les moyens de communication modernes. </p>
<p>Les moudjahidines combattant les Soviétiques ont exploité leurs prouesses militaires avec l’aide des réseaux de diffusion américains et européens et, paradoxalement, de l’appareil de propagande du gouvernement américain présidé par le républicain Ronald Reagan.</p>
<p>À l’ère d’un sectarisme virtuel non territorialisé, le Hamas, inspiré par les actions de l’EI-Daesh et sous l’influence de la glorification chiite des images des martyrs et de la « violence sainte », s’est lancé sur deux fronts dans cette étape de la guerre contre l’État juif : un front violent contre Israël par le terrorisme et les lancements de roquettes ; l’autre par la propagande et la guerre psychologique pour démoraliser ceux qu’ils appellent « l’ennemi » et gagner l’admiration de leurs <a href="https://www.youtube.com/watch?v=_foZMY8xfD8">supporteurs</a>, y compris ceux et celles du monde universitaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216038/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isaac Nahon-Serfaty ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En diffusant les images brutales de son opération du 7 octobre, le Hamas se rapproche du modus operandi de communication de l’État islamique. Il a bien compris leur pouvoir comme arme de guerre.Isaac Nahon-Serfaty, Associate Professor, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2159592023-10-20T12:35:21Z2023-10-20T12:35:21ZQue pensent les Palestiniens de Gaza du Hamas ? Des sondages révèlent qu'ils se soucient davantage de lutte contre la pauvreté que de résistance armée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/554569/original/file-20231017-19-wp5fj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=25%2C155%2C5725%2C3673&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Qui parle au nom des Palestiniens de Gaza ?</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/woman-walks-past-a-mural-painting-depicting-fellow-news-photo/1203649009?adppopup=true">Mohammed Abed/AFP via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Avec l’intensification de la guerre entre Israël et le Hamas, <a href="https://www.cnn.com/2023/10/16/opinions/israel-hamas-gaza-palestinians-oppose-terror-mohammed/index.html">des observateurs régionaux et internationaux formulent des hypothèses</a> sur le soutien des habitants de Gaza au Hamas.</p>
<p>Des affirmations erronées telles que celles de Ron DeSantis, candidat à la présidence des États-Unis, qui prétend que tous les habitants de Gaza sont « <a href="https://richardhetu.com/2023/10/16/tous-les-gazaouis-sont-antisemites-selon-desantis/">antisémites</a> », ou celles qui reprochent aux Gazaouis d’avoir « <a href="https://apnews.com/article/desantis-israel-hamas-gaza-palestinian-refugees-water-73a468f8d030e083844d16e82684c406">élu le Hamas</a> », peuvent influencer les débats non seulement en ce qui a trait à la perception de la guerre, mais aussi pour ce qui est des plans d’aide aux habitants de Gaza dans les mois à venir.</p>
<p>Tout <a href="https://twitter.com/JacobMagid/status/1714005428428816552?s=20">effort de reconstruction</a> ou de <a href="https://www.npr.org/2023/10/16/1206100831/israel-hamas-war-gaza-water-blinken-palestine">distribution d’aide</a> pourrait être mis en balance avec les craintes que des insurgés du Hamas se trouvent au sein de la population de Gaza.</p>
<p>Dans mes travaux de recherche sur le salafisme djihadiste et l’islamisme, j’ai constaté que des mouvements militants <a href="https://academic.oup.com/book/33569/chapter-abstract/288035047?redirectedFrom=fulltext">provoquaient des interventions militaires</a> pour exploiter le chaos qui s’ensuivait. En outre, ces groupes <a href="https://www.understandingwar.org/report/isis-governance-syria">prétendent souvent gouverner</a> dans l’intérêt « légitime » des populations qu’ils dominent, même si celles-ci <a href="https://merip.org/2018/10/mosul-will-never-be-the-same/">rejettent leur autorité</a>.</p>
<p>Comme <a href="https://warontherocks.com/2023/10/a-major-pivot-in-hamas-strategy/">l’ont fait remarquer plusieurs commentateurs</a>, le Hamas espère sans doute susciter une <a href="https://www.foreignaffairs.com/israel/war-hamas-always-wanted">réaction disproportionnée</a> de la part d’Israël, mais aussi utiliser les répercussions violentes de l’intervention pour entretenir la dépendance des habitants de Gaza à son égard et détourner l’attention de ses propres <a href="https://www.al-monitor.com/originals/2023/07/gaza-pressure-builds-hamas-solve-power-crisis-amid-heat-wave">échecs en matière de politique intérieure</a>.</p>
<h2>Politiciens et Gaza</h2>
<p>Les dirigeants des deux parties en conflit ont tenté de justifier leurs actions. Souvent, ils utilisent leur perception de l’opinion publique gazaouie pour soutenir leurs objectifs politiques.</p>
<p>Ismaïl Haniyeh, chef du bureau politique du Hamas, a affirmé que <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20231009-haniyeh-outlines-context-and-objectives-of-hamas-operation-al-aqsa-flood/">les actions du Hamas représentaient les habitants de Gaza</a> et « l’ensemble de la communauté arabo-musulmane ». Selon lui, le recours à la violence par le Hamas se fait au nom des Palestiniens <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/9/17/israeli-forces-attack-palestinian-worshippers-at-al-aqsa-mosque">agressés dans l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa</a> en septembre 2023, ou <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/former-hamas-chief-meshaal-says-israeli-captives-include-high-ranking-officers-2023-10-16/">qui ont souffert</a> aux mains des <a href="https://www.pbs.org/newshour/show/israel-military-launches-largest-attacks-on-west-bank-in-nearly-20-year">forces de sécurité israéliennes</a>, ou à cause des <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/10/6/palestinian-killed-as-israeli-settlers-attack-west-bank-town-of-huwara">colons</a> en <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-65973383">Cisjordanie.</a></p>
<p>Le président israélien Isaac Herzog a quant à lui suggéré que <a href="https://news.yahoo.com/israeli-president-says-no-innocent-154330724.html">tous les habitants de Gaza portaient une responsabilité</a> collective à l’égard du Hamas. En conséquence, a-t-il conclu, Israël agira contre Gaza et sa population pour défendre ses propres intérêts.</p>
<p>L’administration Biden, qui s’est bien gardée de condamner les bombardements israéliens, a cherché à adopter une approche plus large face à l’escalade. Dans une <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/15/us/politics/biden-israel-gaza.html">entrevue</a> et sur les médias sociaux, le <a href="https://x.com/POTUS/status/1713525125478228437">président américain Joseph Biden a affirmé</a> que « l’écrasante majorité des Palestiniens n’a rien à voir avec les attaques épouvantables du Hamas » et qu’au contraire, elle en souffre. <a href="https://www.cbsnews.com/news/president-joe-biden-2023-60-minutes-transcript/">Cette souffrance</a>, a ajouté M. Biden, nécessite la levée à terme du « <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67051292">siège total</a> » de Gaza mis en place par Israël.</p>
<p>Dans chaque exemple, les politiciens ont utilisé leurs présomptions concernant les habitants de Gaza pour appuyer leurs politiques. Mais ces derniers ont leur propre façon de voir les choses.</p>
<h2>Comment les Gazaouis perçoivent-ils le Hamas ?</h2>
<p>Une analyse de l’opinion publique gazaouie au fil du temps révèle un désespoir constant de vivre sous le blocus israélien.</p>
<p>Un sondage réalisé en juin 2023 par <a href="https://www.pcpsr.org/en/node/192">Khalil Shikaki</a>, professeur de sciences politiques et directeur du Centre palestinien de recherche sur les politiques et les sondages, indique que <a href="https://pcpsr.org/en/node/944">79 % des habitants de Gaza soutiennent l’opposition</a> armée à l’occupation israélienne du territoire palestinien. Un sondage réalisé par le Washington Institute en juillet 2023 révèle que seuls <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/polls-show-majority-gazans-were-against-breaking-ceasefire-hamas-and-hezbollah">57 % des Gazaouis ont une opinion « plutôt positive</a> » du Hamas.</p>
<p><iframe id="Dbv0L" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/Dbv0L/1/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<p>Une lecture poussée de ces sondages montre une situation plus nuancée. Considérons que, en 2018, environ <a href="https://www.unicef.org/sop/what-we-do/health-and-nutrition">25 % des femmes de Gaza risquaient de mourir en accouchant</a>, 53 % des Gazaouis vivaient dans la pauvreté et les fournitures de soins de santé essentiels étaient très limitées. La même année, Shikaki a constaté qu’un nombre croissant de Gazaouis étaient mécontents du gouvernement du Hamas et que près de 50 % d’entre eux espéraient <a href="https://pcpsr.org/en/node/740">quitter la bande de Gaza</a>.</p>
<p>Dans <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/polls-show-majority-gazans-were-against-breaking-ceasefire-hamas-and-hezbollah">un sondage réalisé en juin 2023</a> par le Washington Institute, 64 % des habitants de Gaza réclament une amélioration des soins de santé, de l’emploi, de l’éducation et souhaitent un retour à une certaine normalité au lieu de la « résistance » revendiquée par le Hamas. Plus de 92 % des Gazaouis se disent ouvertement mécontents de leurs conditions de vie.</p>
<p>En outre, comme l’a rapporté Shikaki, plus de 73 % des répondants estiment que le gouvernement du Hamas est corrompu. Les habitants de Gaza n’ont toutefois pas d’espoir de changement électoral. Aucune élection n’ayant eu lieu depuis 2006, la majorité des habitants actuels de Gaza <a href="https://www.cia.gov/the-world-factbook/countries/gaza-strip/#people-and-society">n’étaient pas en âge de voter pour le Hamas</a>.</p>
<p>Le soutien à la résistance armée n’a pas toujours existé. Quand le Hamas a ouvertement combattu l’Autorité palestinienne – qui gouverne la Cisjordanie et a remis en cause la légitimité de la victoire du Hamas – et pris le contrôle de la bande de Gaza en 2007, <a href="https://www.pcpsr.org/en/node/230">plus de 73 % des Palestiniens</a> se sont dits opposés à cette prise de pouvoir et à tout conflit armé.</p>
<p>À l’époque, moins d’un tiers des habitants de Gaza soutenaient une action militaire contre Israël et plus de 80 % d’entre eux <a href="https://www.pcpsr.org/en/node/231">condamnaient les enlèvements, les incendies criminels et la violence aveugle</a>.</p>
<h2>Évolution de l’opinion gazaouie</h2>
<p>Les sondages réalisés auprès des habitants de Gaza de 2007 à 2023 sont révélateurs. Ils montrent clairement que le soutien des Gazaouis à la résistance armée s’est accru parallèlement à une hausse de la frustration, de la colère et du désespoir devant l’absence de solution politique à leurs souffrances.</p>
<p>En 2017, <a href="https://cmes.fas.harvard.edu/people/sara-roy">Sara Roy</a>, chercheuse qui étudie l’économie palestinienne et l’islamisme, s’est penchée sur <a href="https://www.lrb.co.uk/the-paper/v39/n12/sara-roy/if-israel-were-smart">la tolérance des habitants de Gaza à l’égard du Hamas</a>, notant que « ce qui est nouveau, c’est le sentiment de désespoir que l’on peut constater du fait que les gens sont désormais prêts à repousser des limites qui étaient autrefois inviolables. »</p>
<p>Les Gazaouis, explique-t-elle, en particulier ceux de moins de 30 ans (75 % de la population), appuient largement, même si à des degrés divers, le Hamas ou ses prétentions à une légitimité islamique. Le Hamas, disent-ils, verse des salaires alors que peu d’organismes peuvent le faire. Risquer d’être pris pour cible par les soldats israéliens constitue un risque calculé et acceptable si cela permet de recevoir une paye.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="A man in a cap paints the word Hamas in large letters on a wall." src="https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=397&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554406/original/file-20231017-15-ig0cva.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=499&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un partisan du Hamas affiche son soutien avant les élections de 2006 à Gaza.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/palestinian-supporters-of-hamas-movement-write-slogans-for-news-photo/56511960?adppopup=true">Mahmud Hams/AFP via Getty Images.</a></span>
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<p>En 2019, <a href="http://pcpsr.org/en/node/752">27 % des Gazaouis considéraient que le Hamas</a> était responsable de leurs conditions de vie. Dans le même sondage, <a href="https://trumpwhitehouse.archives.gov/peacetoprosperity/">55 % des répondants soutenaient tout plan de paix qui inclurait</a> un État palestinien avec Jérusalem-Est comme capitale et un retrait israélien de tous les territoires occupés.</p>
<p>En 2023, lorsque <a href="https://pcpsr.org/en/node/944">les habitants de Gaza interrogés</a> par Shikaki ont exprimé leur soutien à la résistance armée, ils l’ont fait car ils considéraient que cette résistance pourrait alléger le blocus et le siège israéliens mieux que toute politique électorale. Cependant, les personnes interrogées ont aussi exprimé leur exaspération face à la corruption du Hamas et à la persistance du chômage et de la pauvreté dans la bande de Gaza.</p>
<h2>Désespoir palestinien et objectifs du Hamas</h2>
<p>Toute perspective de retour à la normale semble disparue pour de nombreux Gazaouis, et le Hamas affirme agir en tant que « <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20231009-haniyeh-outlines-context-and-objectives-of-hamas-operation-al-aqsa-flood/">résistance légitime</a> ».</p>
<p>Avec <a href="https://www.csis.org/analysis/war-gaza-and-death-two-state-solution">des négociations de paix</a> au point mort depuis 2001, le <a href="https://carnegieendowment.org/sada/84509">report des élections</a>, <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20231017-bande-de-gaza-qu-est-ce-que-le-poste-fronti%C3%A8re-de-rafah-bombard%C3%A9-par-isra%C3%ABl">l’impossibilité de sortir</a> de Gaza et l’aggravation de la <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/10/16/gazas-dire-humanitarian-crisis-explained">crise humanitaire</a>, toute une génération de Gazaouis se retrouvent devant un horizon bouché.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Several people, including women and children, running out of their homes. Behind them are some partially damaged buildings." src="https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=407&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/554403/original/file-20231017-17-3hn1z2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=511&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Des familles palestiniennes quittent précipitamment leurs maisons après que des frappes aériennes israéliennes ont visé leur quartier dans la ville de Gaza, au centre de la bande de Gaza, le 17 octobre 2023.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://newsroom.ap.org/detail/APTOPIXIsraelPalestinians/03fd329d897d481d8297182a223fd77a/photo?Query=gaza&mediaType=photo&sortBy=&dateRange=Anytime&totalCount=34246&currentItemNo=2">AP Photo/Abed Khaled</a></span>
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<p>« <a href="https://www.newsweek.com/im-gaza-i-cant-get-milk-my-crying-baby-i-feel-helpless-1835192">La mort est partout</a>, a déclaré Omar El Qattaa, 33 ans, photographe basé à Gaza, et la mémoire est effacée. »</p>
<p>Des sondages de 2023 ayant montré qu’une majorité de Gazaouis ne veut pas d’une rupture du cessez-le-feu avec Israël, le Hamas a mené ses attaques d’octobre contre la volonté populaire. Le désespoir ressenti par El Qatta et des <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/gaza-residents-who-have-lost-family-fear-more-destruction-ground-assault-looms-2023-10-15/">millions d’autres habitants de Gaza</a> risque d’être instrumentalisé par le Hamas. Comme l’écrit <a href="https://mleavitt.net/">Matthew Leavitt</a>, expert du Hamas, ce mouvement considère la politique, la charité, la violence politique et le terrorisme comme <a href="https://yalebooks.yale.edu/book/9780300122589/hamas/">des outils complémentaires et légitimes</a> pour poursuivre ses objectifs politiques.</p>
<p>Comme <a href="https://www.usatoday.com/story/news/world/2023/10/17/some-palestinians-support-hamas-attack-on-israel/71201312007/">l’affirme</a> Khaldoun Barghouti, chercheur palestinien basé à Ramallah, les bombardements continus d’Israël ont atténué la frustration à l’égard du Hamas, du moins à court terme. Ces agressions ont transformé la condamnation du Hamas pour les attaques d’octobre en une colère contre Israël.</p>
<p>Il reste à voir si cela se traduira par un soutien à des solutions alternatives au Hamas dans les mois à venir. Tout dépendra de la capacité des acteurs internationaux à regagner la confiance des Gazaouis tout en les aidant à trouver des options pour remplacer un gouvernement et un mouvement militant qu’ils considéraient comme corrompus et incapables de répondre à leurs besoins fondamentaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215959/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathan French ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les politiciens utilisent leurs présomptions concernant les habitants de Gaza pour appuyer leurs politiques. Mais ces derniers ont leur propre façon de voir les choses.Nathan French, Associate Professor of Religion, Miami UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2141842023-10-03T14:55:01Z2023-10-03T14:55:01ZManifs anti-trans : le parti conservateur pourrait tirer profit de la fracture sociale<p>La polarisation des débats sur les enjeux liés au genre et à la sexualité a donné lieu, la semaine dernière, à des manifestations et des contre-manifestations houleuses dans les villes du pays. </p>
<p>La coalition <a href="https://millionmarch4children.squarespace.com/educational-material">One Million March 4 Children</a>, à l’origine des mobilisations, a dans sa mire un ensemble de composantes des programmes d’éducation à la sexualité dans les écoles, <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tudes_de_genre">notamment la théorie du genre</a>. Elle <a href="https://millionmarch4children.squarespace.com/supporters">réunit des organisations de camionneurs, de droite radicale et différentes organisations religieuses</a>. </p>
<p>Porté par divers mouvements conservateurs, la <a href="https://theconversation.com/from-america-to-ontario-the-political-impact-of-the-christian-right-107400">présence des groupes chrétiens</a> à ces manifestations n’était pas surprenante. La forte présence de communautés immigrantes, notamment musulmanes, en a toutefois étonné plusieurs. Durant cette semaine-là, une association musulmane et le chroniqueur conservateur <a href="https://www.journaldemontreal.com/2023/09/23/justin-trudeau-haineux-en-chef-du-canada-devrait-cesser-dinsulter-les-canadiens-qui-ne-pensent-pas-comme-lui">Mathieu Bock-Côté</a>, aux spectres idéologiques opposés, ont tous deux dénoncé <a href="https://www.journaldemontreal.com/2023/09/26/identite-de-genre-lassociation-musulmane-denonce-les-propos-de-trudeau">l’appel à la tolérance du premier ministre Trudeau</a> dans des termes à peu près identiques. </p>
<p>Tant les politiques libertariennes en matière fiscale que très conservatrices en matière sociale ont le vent en poupe. Et il n’y a aucune raison qu’elles n’intéressent pas les membres de la diversité religieuse.</p>
<p>Alors que le Parti populaire (PPC) de Maxime Bernier fait des questions liées au genre son cheval de bataille, Pierre Poilievre s’est montré plus prudent à sauter dans la mêlée. Il a demandé à ses députés d’en faire autant. Mais son parti pourrait tirer profit de cette polarisation. Trois éléments semblent aller dans ce sens. </p>
<p>D’abord, le vote chrétien évangéliste sur les valeurs morales est déjà largement acquis au PCC. Deuxièmement, contrairement à plusieurs formations de droite populiste européenne, le PCC a peu de marge de manœuvre en matière de discours hostile à l’immigration. Un parti qui veut gagner les élections fédérales ne peut se mettre les communautés issues de l’immigration à dos. Puis, la recherche d’une ligne de fracture au sein des communautés immigrantes selon l’axe conservateur/libéral en matière de sexualité et de genre peut modifier l’équilibre des forces politiques à plus long terme. </p>
<p>Respectivement professeur de sociologie à l’UQAM et doctorant en science politique à l’Université de Montréal, nos recherches portent sur le nationalisme, le populisme et les conflits politiques au Québec et au Canada. </p>
<h2>La politisation des enjeux trans par la droite conservatrice</h2>
<p>Si la politisation des questions liées à la sexualité par la droite religieuse n’est pas nouvelle, les débats sur le genre et l’inclusion des personnes trans a récemment pris une importance accrue. </p>
<p>La droite américaine en fait un élément de sa critique du libéralisme depuis des années. <a href="https://www.hilltimes.com/story/2023/07/17/how-the-political-right-are-contesting-pride-month-in-canada/392313/">La récupération de ces enjeux est toutefois plus récente au Canada</a>. Le PPC de Maxime Bernier a inscrit son opposition à « l’idéologie du genre » à son programme. </p>
<p>Plus récemment, des projets de loi proposés par les gouvernements conservateurs du Nouveau-Brunswick et de <a href="https://theconversation.com/saskatchewan-naming-and-pronoun-policy-the-best-interests-of-children-must-guide-provincial-parental-consent-rules-212431">la Saskatchewan</a>, qui visent à obliger les directions d’écoles à avertir les parents d’une demande de changement de prénom ou de genre exprimée par leur enfant, <a href="https://policyoptions.irpp.org/fr/magazines/juillet-2023/poilievre-trans-republicains/">ont également suscité de vifs débats</a>. Ils opposent les « droits parentaux » aux droits des enfants trans de vivre en sécurité. Au Québec, l’utilisation de prénoms neutres et la <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/education/2023-09-12/blocs-sanitaires-dans-les-ecoles/drainville-exige-le-maintien-de-toilettes-non-mixtes.php">question des toilettes mixtes</a> s’ajoutent à cette liste des enjeux qui activent cette polarisation.</p>
<h2>Les valeurs conservatrices des minorités culturelles : une route vers la victoire ?</h2>
<p>Le PCC a obtenu des résultats en deçà de ses attentes aux trois dernières élections. Or, l’usure du pouvoir libéral, l’inflation et les difficultés d’accès à la propriété sont des thèmes permettant au parti de faire des gains chez les jeunes, particulièrement les hommes. </p>
<p>Aux dernières élections, le défi du PCC était de concilier le conservatisme social espéré par sa base, avec une plate-forme acceptable pour l’électorat centriste. Andrew Scheer et Erin O’Toole ont trébuché sur ce problème. </p>
<p>La majorité conservatrice de Stephen Harper en 2011 reposait sur la capture de circonscriptions à forte proportion immigrante, notamment à Mississauga, Brampton, Richmond Hill et Vaughan, dans la région de Toronto. Or, ces circonscriptions ne faisaient pas partie de la <a href="https://policyoptions.irpp.org/magazines/the-winner/the-emerging-conservative-coalition/">stratégie initiale de Harper</a>, mais la difficulté de rallier les nationalistes québécois l’a forcé à la réévaluer. Harper s’était alors tourné vers les minorités culturelles en banlieue de Toronto. Elles partageaient, outre les valeurs conservatrices, un attachement à la religion et à la libre entreprise. Harper a également introduit des <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/income-splitting-what-it-is-and-who-benefits-1.2818396">mesures fiscales favorables aux familles, majoritairement patriarcales</a>, qui valorisent le travail d’un seul parent et où un époux a des revenus beaucoup plus élevés que l’autre. </p>
<p>Aujourd’hui en avance dans les sondages, le PCC pourrait faire des gains aux dépens des libéraux à Markham, Vaughan, Richmond Hill, Whitby et Pickering-Uxbridge, dans certaines circonscriptions de Toronto, à Oakville et jusqu’aux banlieues de Hamilton. Le PCC pourrait aussi reprendre des circonscriptions dans le Grand Vancouver qu’il avait perdu aux mains des libéraux lors des dernières élections. </p>
<h2>La stratégie probable du PCC</h2>
<p>La politisation des enjeux liés au genre et à la sexualité est probablement perçue comme une opportunité par Poilievre de renouveler son électorat à l’approche de la prochaine élection. Pour y arriver, il est peu probable qu’il s’engage, à l’instar du Parti populaire, à limiter les droits des enfants transgenres ou à s’immiscer dans les champs de compétences des provinces. </p>
<p>Le PCC se contentera probablement de mobiliser des sifflets à chien dénonçant les « wokes » et d’appuyer les gouvernements provinciaux et les communautés religieuses dénonçant les programmes d’éducation sexuelle. </p>
<p>C’est ce que Poilievre a fait en août lors d’un rassemblement de la communauté pakistanaise de Toronto. Dans un <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/poilievre-lgbtq-pronouns-schools-1.6950029">discours prononcé dans le cadre des célébrations pour le Jour de l’Indépendance du Pakistan</a>, il s’est porté à la défense de la liberté de religion et du droit des parents de « transmettre leurs enseignements traditionnels à leurs enfants » et de les « élever avec leurs propres valeurs ». Plus tôt cet été, il s’était <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1991601/pierre-poilievre-plitique-713-taxe-carbone">opposé à ce que le gouvernement fédéral se mêle des débats au Nouveau-Brunswick</a>. </p>
<p>Le PCC pourrait bénéficier d’un <a href="https://angusreid.org/canada-culture-wars-gender-and-trans-issues/">appui</a> de la population sur ces enjeux. Même si les pratiques reliées aux transitions de genre <a href="https://www.lapresse.ca/dialogue/chroniques/ados-transgenres/la-verite-sur-les-transitions-medicales/2023-09-25/ados-transgenres/la-verite-sur-les-transitions-medicales.php">sont rarissimes</a>, elles suscitent l’ire des milieux conservateurs. </p>
<p>D’autres positions conservatrices, comme la <a href="https://nationalpost.com/news/local-news/poilievre-blames-wave-of-violence-in-alberta-on-prime-minister-justin-trudeau-and-ndp/wcm/d6805980-8a25-43ba-93be-fe44bd2d5b89">critique de la décriminalisation des drogues en Colombie-Britannique et du « wokisme » libéral en matière de criminalité</a>, pourraient aussi faire mouche. Ainsi, une stratégie axée sur le conservatisme fiscal, la loi et l’ordre, la famille traditionnelle et les valeurs conservatrices en matière de sexualité pourrait être très rentable pour le PCC. </p>
<h2>Quels dilemmes pour les partis d’opposition ?</h2>
<p>Cette stratégie du PCC remet également en question les stratégies du PLC et du NPD. Se présentant à la fois comme les défenseurs des communautés religieuses ou ethniques, des minorités sexuelles et de genre, mais aussi comme des critiques de la loi 21 du Québec sur la laïcité, ces partis ont entretenu des clientèles qui se retrouvent aux antipodes de cette polarisation sociale. </p>
<p>Cette évolution était prévisible. L’importante présence de certaines communautés culturelles dans les mobilisations anti-LGBTQ+ fait éclater l’idée simpliste véhiculée par la gauche identitaire selon laquelle la « diversité » serait nécessairement libérale et progressiste, parce que minoritaire. </p>
<p>Les communautés issues de l’immigration sont hétérogènes et leurs relations aux <a href="https://angusreid.org/canada-religion-interfaith-holy-week/">questions de liberté de conscience et d’expression</a> varient grandement. Mais leurs institutions communautaires, parfois religieuses et patriarcales, ne cadrent pas toujours avec l’orientation des libéraux et du NPD en matière de citoyenneté et diversité sexuelle.</p>
<p>Les réactions du milieu nationaliste québécois ont été équivoques sur ces questions. Le Bloc Québécois a manqué une occasion de prendre position en faveur des droits des minorités sexuelles avant ceux des parents à être indignés. Il a privilégié l’autonomie des provinces plutôt qu’une position de fond qui aurait été cohérente avec celle de Québec sur les dossiers de la liberté académique et de laïcité. </p>
<p>Le PCC pourrait cependant être confronté à l’éventualité où une province utilise la clause dérogatoire pour adopter une loi en lien avec les « droits parentaux », <a href="https://lactualite.com/actualites/une-injonction-est-accordee-sur-la-politique-sur-le-genre-a-lecole-en-saskatchewan/">utilisation récemment confirmée par Scott Moe en Saskatchewan</a>. Il serait délicat pour Poilievre de défendre l’utilisation de la clause dérogatoire dans les provinces conservatrices, mais de s’y opposer pour les lois du Québec sur la laïcité et la langue. </p>
<p>Une fenêtre semble ainsi s’ouvrir pour Poilievre et le PCC. L’usure du pouvoir, les cafouillages libéraux à répétition et les défis économiques y contribuent certainement. Cela dit, la croissance des communautés ethniques et religieuses et l’appui grandissant des jeunes au conservatisme s’inscrivent dans des changements sociaux et démographiques plus larges qui pourraient bousculer la donne politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214184/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le PCC de Pierre Poilièvre pourrait faire des gains en ralliant la droite libertarienne, les chrétiens évangélistes et les communautés immigrantes, notamment musulmanes, sur les enjeux de sexualité.Frédérick Guillaume Dufour, Professeur en sociologie politique, Université du Québec à Montréal (UQAM)François Tanguay, Doctorant, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2142802023-10-02T18:21:12Z2023-10-02T18:21:12ZLaïcité ou islamophobie ? De la Belgique à la France, le brouillage des catégories racistes<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/551433/original/file-20231002-15-1c63zu.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C31%2C4230%2C2803&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les différentes acceptions de laïcité et de neutralité, dans l'espace belge ou français, rendent parfois les discours politiques confus.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/photographie-en-accelere-de-personnes-marchant-sur-une-voie-pietonne-842339/">Pexels/Mike Chzi</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les polémiques autour de l’islam ont de nouveau agité la rentrée scolaire française, notamment en raison de l’<a href="https://o-re-la.ulb.be/analyses/item/4446-le-caract%C3%A8re-%C2%AB%20religieux%20%C2%BB-de-l%E2%80%99abaya-au-del%C3%A0-de-la-pol%C3%A9mique-fran%C3%A7aise.html">interdiction du port de l’abaya à l’école</a>. En Belgique aussi, le sujet crispe.</p>
<p>Début septembre, la militante Nadia Geerts dénonçait la présence d’une salle de prière clandestine dans les locaux de l’Université libre de Bruxelles (ULB) qui a ensuite déclaré l’interdiction de ce lieu. Cette décision a déclenché de <a href="https://www.7sur7.be/belgique/prieres-a-lulb-des-etudiants-denoncent-une-polemique-islamophobe-br%7Eae745c7e/">vives réactions</a> d’opposition, notamment de la part de jeunesses politiques et de syndicats étudiants.</p>
<p>Le monde politique bruxellois a lui aussi été éclaboussé par une <a href="https://www.lesoir.be/535320/article/2023-09-05/polemique-autour-de-la-nomination-dune-echevine-voilee-molenbeek-le-centre">controverse</a> suite au refus du parti libéral (Mouvement réformateur) de soutenir la nomination d’une échevine voilée au sein de la commune de Molenbeek. Ces polémiques ont en commun de faire circuler un terme dont le sens est en négociation permanente entre acteurs médiatiques, militants et politiques : <a href="https://www.lalibre.be/debats/edito/2023/09/01/le-rapide-proces-en-islamophobie-JOG4YKM3R5BFJNNXCJF6BXJWKI/">l’islamophobie</a>.</p>
<h2>L’islamophobie, un terme mouvant</h2>
<p>Le terme <em>islamophobie</em> émerge entre la fin du XIX<sup>e</sup> et le début du XX<sup>e</sup> siècle et dispose de deux acceptions : un traitement différencié des musulmans dans l’administration coloniale française en Afrique occidentale et un préjugé contre <a href="https://www.cairn.info/islamophobie-comment-les-elites-francaises--9782707189462.htm">l’islam</a>.</p>
<p>Pourtant, il n’est mis que très progressivement en circulation dans le débat public sous l’influence des milieux britanniques antiraciste, politique et académique dans les années 1990 avant d’être complètement popularisé à la suite des attentats <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2014-1-page-13.htm">du 11 septembre 2001</a>. Aujourd’hui, malgré un usage croissant, la définition du terme reste instable et disputée. D’une intolérance de l’islam, le terme est devenu pour certains, l’expression d’une nouvelle forme de racisme.</p>
<p>Ainsi, dans les débats, le concept d’islamophobie vient régulièrement en charrier d’autres tels que celui de <a href="https://www.revuepolitique.be/laicite-neutralite-et-multiculturalite/">laïcité en France ou de neutralité en Belgique</a>, parce qu’il questionne en partie la place accordée aux revendications religieuses.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/518712/original/file-20230331-16-bbmx2i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p><em><a href="https://theconversation.com/fr/topics/controverses-133629">« Controverses »</a> est un nouveau format de The Conversation France. Nous avons choisi d’y aborder des sujets complexes qui entraînent des prises de positions souvent opposées, voire extrêmes. Afin de réfléchir dans un climat plus apaisé et de faire progresser le débat public, nous vous proposons des analyses qui sollicitent différentes disciplines de recherche et croisent les approches</em>.</p>
<p><em>La série « » laïcité » » s’attache à décrypter les possibles incompréhensions, les polémiques mais aussi usages de ce terme et de ce qu’il recouvre au sein du débat public.</em></p>
<hr>
<h2>Indétermination belge</h2>
<p>Contrairement à la France, la Belgique dispose d’une séparation souple entre religion et État qui autorise la reconnaissance et le financement des cultes et <a href="https://www.crisp.be/crisp/wp-content/uploads/analyses/2009-12_Sagesser_Le_financement_public_des_cultes.pdf">facilite les accommodements, notamment religieux</a>. En effet, le pays n’est pas un état laïc mais un état neutre où ce qu’il convient d’entendre par neutralité reste largement indéterminé et débattu. Les discours politiques sont souvent le lieu privilégié de ces débats où le terme <em>neutralité</em> recouvre des réalités très éloignées en fonction de la position idéologique du locuteur :</p>
<p>Cette indétermination rend donc aussi bien possible une restriction ou une permission de la <a href="https://www.shs-conferences.org/articles/shsconf/pdf/2022/08/shsconf_cmlf2022_01011.pdf">visibilité religieuse dans l’espace public</a>. Si l’islamophobie est aussi un objet de débat en Belgique, les discussions sont moins passionnées qu’en France parce que le concept circule dans un contexte où la place du religieux est moins contestée. <a href="https://hal.science/hal-03167194v1/file/CALABRESE_GUARESI_JADT2020.pdf">Des travaux</a> ont d’ailleurs montré que le terme <em>islamophobie</em> se trouve moins problématisé dans le débat belge que le débat français :</p>
<p>Cependant, ces polémiques autour de l’islam invitent à nous interroger sur l’évolution de la perception qu’une société a du racisme. En effet, lorsqu’on observe la circulation du terme au fil du temps, on constate un glissement de sens allant d’un préjugé religieux non condamnable à un nouveau racisme. Dans un article à paraître, nous montrons que ce glissement est visible dans le discours médiatique en même temps que le terme se généralise, notamment sous l’action d’acteurs antiracistes.</p>
<h2>Un nouveau racisme dans l’antiracisme ?</h2>
<p>Si la plupart des chercheurs s’accordent pour dire que l’islamophobie est une idéologie <a href="https://www.persee.fr/docAsPDF/rhpr_0035-2403_2012_num_92_2_1629_t13_0352_0000_2.pdf">semblable au racisme</a>, ce rapprochement entre les deux concepts n’a pas toujours explicitement prévalu dans les discours de l’antiracisme belge. Parfois niée, parfois revendiquée, l’assimilation entre islamophobie et racisme est plutôt le résultat d’une construction progressive de la part des acteurs antiracistes.</p>
<p>Ces derniers sont nombreux en Belgique francophone mais les deux principaux sont : <a href="https://www.unia.be/fr">Unia</a> et le <a href="https://mrax.be">Mrax</a>. Le premier est une institution publique indépendante qui existe depuis 1993 et le second, considéré comme l’équivalent du Mrap en France, est créé en 1950 par des résistants juifs. Du côté des associations dédiées à la lutte contre l’islamophobie, le pays dispose depuis 2014 d’un acteur emblématique : le <a href="https://islamophobia.be">CIIB</a>, précédé par Muslim Rights Belgium (MBR) en activité entre 2012 et 2014.</p>
<p>D’abord entendu comme une intolérance vis-à-vis de l’islam, le terme devient progressivement une <a href="https://www.unia.be/files/Documenten/Jaarrapport/01_rapportcentre.pdf">manifestation implicite du racisme</a> avant d’être considéré comme un racisme à part entière <a href="https://mrax.be/wp-content/uploads/2014/01/Rapport_Annuel-2010.pdf">au début des années 2010</a>.</p>
<h2>L’ambigüité du terme</h2>
<p>Ce rapprochement islamophobie-racisme n’empêche pourtant pas l’ambigüité du terme qui conserve une importante polysémie. À titre d’exemple, dans les discours du CIIB, l’islamophobie renvoie à la fois à un racisme, une peur de l’islam (entre 2014 et 2018) et une forme de violence à l’encontre d’une personne musulmane ou supposée telle.</p>
<p>Des tentatives pour réduire cette polysémie ont été développées, notamment chez Unia qui distingue en 2008 l’islamophobie infractionnelle de l’islamophobie non infractionnelle. Il peut s’agir tant de propos que d’actes punissables par la <a href="https://www.belgium.be/fr/justice/victime/plaintes_et_declarations/discrimination">loi belge anti-discrimination</a>. <a href="https://www.unia.be/files/Documenten/Jaarrapport/Rapport_Annuel_2008_-FR.pdf">Plusieurs exemples</a> en témoignent :</p>
<blockquote>
<p>« Suite à sa conversation à l’islam, une personne subit des coups et blessures de la part des membres de sa famille. »</p>
<p>« Dans le cadre d’une plaidoirie dans une affaire de divorce, un avocat entretient clairement des propos islamophobes afin de convaincre le juge de donner la garde au parent non musulman. »</p>
</blockquote>
<p>Cependant, cette distinction n’est pas toujours reprise par les autres acteurs qui, le plus souvent, tentent de faire reconnaître l’islamophobie comme un tout condamnable en la définissant par exemple comme <a href="https://islamophobia.be/wp-content/uploads/CCIB_PUBLIC_PDF_RapportActivitesCCIB/ccibrapport2015juin2016-160704133300.pdf">« une violation des droits de l’homme »</a>.</p>
<h2>Un concept en discussion permanente</h2>
<p>La polysémie du concept va également engendrer des discussions voire des crispations au sein de l’antiracisme belge (chez Unia et au Mrax) contraignant les acteurs à débattre de la dénomination islamophobie <a href="https://www.cairn.info/revue-langages-2018-2-page-105.htm">pour en négocier le sens</a>.</p>
<p>En effet, au Mrax notamment, le terme fait débat et divise le mouvement entre une branche plus universaliste et une autre plus favorable à la particularisation des racismes.</p>
<p>Elle perçoit dans le terme une tentative d’empêcher la critique du religieux. L’autre branche, plus particulariste, est plus encline à l’usage du terme. Ce débat renvoie de manière plus globale à un clivage désormais bien installé dans l’antiracisme entre universalistes et particularistes, pour plus de précisions sur ce débat, nous renvoyons vers un <a href="https://journals.openedition.org/traces/14416">travail paru antérieurement</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/551435/original/file-20231002-25-w29flf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/551435/original/file-20231002-25-w29flf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/551435/original/file-20231002-25-w29flf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/551435/original/file-20231002-25-w29flf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/551435/original/file-20231002-25-w29flf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/551435/original/file-20231002-25-w29flf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/551435/original/file-20231002-25-w29flf.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La question structurante de ces discussions est toujours de situer la frontière entre la critique du religieux et la haine des personnes.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/fr/photos/45sjAjSjArQ">Unsplash/José Martin Ramirez Carrasco</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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</figure>
<p>Ces moments de débat s’observent par le recours au métadiscours, ou autrement dit, les mots qui discutent le sens d’autres mots, que nous utilisons parfois dans des conversations courantes pour préciser <a href="https://mrax.be/wp-content/uploads/2014/01/MRAX-RAPPORT_ACT2005.pdf">nos conceptions sur un même objet</a>.</p>
<p>La question structurante de ces discussions est toujours de situer la frontière entre la critique du religieux et la haine des personnes. En effet, le terme <em>islamophobie</em> oblige les acteurs à des explicitations constantes dans lesquelles ils précisent que la phobie de l’islam ne peut être condamnable que lorsqu’elle induit des actes de discriminations à l’encontre de personnes.</p>
<p>Si ces débats existent pour l’ensemble des acteurs étudiés et témoignent d’un travail de cadrage du concept, ils sont progressivement neutralisés dans les discours d’Unia et du Mrax par l’assimilation islamophobie-racisme. En revanche, les acteurs de la lutte contre l’islamophobie ne cessent pas d’user de ce métadiscours qu’ils mobilisent comme un argumentaire en faveur de la dénomination. Il existe pourtant des dénominations alternatives, comme <a href="https://www-tandfonline-com.ezproxy.ulb.ac.be/doi/pdf/10.1080/014198799329305?needAccess=true">racisme anti-musulman</a>, mais qui ne parviennent jamais à s’installer durablement dans le débat public.</p>
<p>Le terme <em>antisémitisme</em> pourrait suggérer un débat similaire, pourtant il est absent des discours des différents acteurs, témoignant par là d’un terme moins problématisé et dont le sens semble déjà bien intériorisé.</p>
<h2>La plasticité des phénomènes sociaux</h2>
<p>Ce travail de cadrage peut également se comprendre par la plasticité des phénomènes sociaux accolés au terme <em>islamophobie</em>. Les controverses sur l’interdiction du port du voile en milieu scolaire ou professionnel ou sur l’interdiction de l’abattage rituel sont représentatives de cette réalité malléable. En étant tantôt exclues, tantôt incluses du champ de l’islamophobie, elles participent à brouiller les frontières du phénomène et à renforcer la nature polémique du terme.</p>
<p>Si l’accusation d’islamophobie gagne en légitimité jusqu’à permettre parfois une modification des règlements <a href="https://mrax.be/interdiction-du-port-du-voile-a-francisco-ferrer/">d’ordre intérieur et des actions en justice</a>, c’est parce que le concept à fait l’objet d’un cadrage de la part de différents acteurs sur le temps long.</p>
<p>En étant progressivement assimilée au racisme dans les discours de l’antiracisme belge, la notion d’islamophobie s’est appuyée sur un concept à la fois sémantiquement plus stable dans l’imaginaire collectif (bien que comme tous les concepts sociaux, il reste débattu), plus chargé historiquement et plus solide juridiquement.</p>
<p>Cependant, ce que ces récentes polémiques montrent surtout, c’est que nos représentations du racisme sont en train de changer. Si la dénomination <em>islamophobie</em> oriente déjà le débat vers un enjeu religieux en raison de son étymologie, elle a avant tout brouillé les catégories du racisme ordinaire en s’appliquant à des mesures de restriction de la visibilité religieuse.</p>
<p>L’assimilation islamophobie-racisme évacue alors progressivement du débat la question des motivations de ces mesures de restriction qui deviennent, à priori, considérées comme racistes. En définitive, les passions se déchaînent souvent sur ce concept parfois moins en raison de son instabilité sémantique que de la nouvelle conception du racisme qu’il induit et qui met sous pression nos sociétés sécularisées.</p>
<hr>
<p><em>À lire aussi</em> :</p>
<ul>
<li><p><a href="https://theconversation.com/la-cite-comment-les-enfants-la-percoivent-ils-151860">Laïcité : comment les enfants la perçoivent-ils ?</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/signes-religieux-a-lecole-une-longue-histoire-deja-212646">Signes religions à l’école, une longue histoire déjà</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/la-cite-lexception-nest-pas-la-ou-les-francais-la-voient-128338">Laïcité : l’exception n’est pas là où les Français la voient</a></p></li>
<li><p><a href="https://theconversation.com/la-la-cite-vertu-ou-principe-192262">La laïcité : vertu ou principe ?</a></p></li>
</ul><img src="https://counter.theconversation.com/content/214280/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurye Joncret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans les débats, le concept d’islamophobie vient régulièrement en charrier d’autres tel que celui de laïcité en France ou de neutralité en Belgique.Laurye Joncret, Assistante doctorante en sciences de l'information et de la communication, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2144032023-10-01T15:40:16Z2023-10-01T15:40:16ZInondations en Libye : et après, le déluge ?<p>Rupture de barrages hydrauliques majeurs, zones entières submergées par les eaux, affaissements de terrain, dislocations spectaculaires, milliers de morts et de disparus dans tout l’Est du pays : le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/24/les-inondations-en-libye-ont-fait-plus-de-3-800-morts-selon-un-bilan-officiel-toujours-provisoire_6190738_3212.html">bilan, encore temporaire, des inondations qui ont ravagé la Libye en septembre</a> est loin de se limiter à ce bref et non moins terrifiant panorama de dévastation.</p>
<p>Face à l’ampleur des destructions et des scènes de détresse, certains commentateurs ont tôt fait de qualifier le cataclysme de « déluge », reprenant ainsi le <a href="https://www.cairn.info/les-grands-mythes--9782361064358-page-59.htm">célèbre mythe présent dans la Bible, mais aussi dans d’autres cultures</a>, et décrivant des inondations diluviennes et continues causées par Dieu (ou par les dieux) pour punir l’humanité. Cette inclination à une lecture mythique des événements est renforcée par le fait que le désastre a été provoqué par la <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-billet-vert/tempete-daniel-les-inondations-en-grece-et-en-lybie-sont-bien-liees-au-rechauffement-climatique_6045182.html">tempête Daniel</a>, cyclone méditerranéen portant le nom du prophète de l’Ancien Testament qui interprétait les rêves et entrevoyait l’avenir.</p>
<p>Il est notable que le <a href="https://www.la-croix.com/Definitions/Priere/Petite-theologie-temps-depidemie-chatiment-divin-sinterroge-Mgr-Jean-Pierre-Batut-eveque-Blois-2020-04-03-1701087698">thème du châtiment divin</a> ressurgisse dans les croyances populaires alors qu’on le pensait disparu avec les Lumières et l’entrée dans la modernité.</p>
<p>L’invocation de la <a href="https://www.jstor.org/stable/43712745">théologie rétributive</a> en laquelle croyaient les Anciens, fondée sur la <a href="https://www.cairn.info/revue-projet-2004-4-page-43.htm">vision d’un Dieu colérique et vengeur</a>, peut avoir pour effet d’occulter le poids des responsabilités humaines, morales comme politiques. Or cette théologie commode refait une nouvelle fois surface dans la discussion consacrée au drame libyen, comme pour pallier l’impuissance des populations et le sentiment de faute des élites.</p>
<h2>Punition surnaturelle, châtiment divin</h2>
<p>Depuis des millénaires, les <a href="https://www.cambridge.org/core/books/disasters-and-history/past-and-present/E22790AA6E26EF63841ED6A5D88E489B">hommes cherchent à comprendre et à interpréter les catastrophes qui les atteignent</a>. Cette interrogation, qui dépasse souvent tout cadre rationnel, est aujourd’hui réitérée en Libye comme elle l’a été dernièrement après les tremblements de terre survenus au <a href="https://theconversation.com/pour-une-analyse-geographique-des-catastrophes-le-cas-du-seisme-du-8-septembre-au-maroc-213668">Maroc</a>, en <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-y-a-des-seismes-en-cascade-en-turquie-et-en-syrie-199350">Syrie et Turquie</a>, et ailleurs. Appréhendées sur le plan de l’éthique, ces catastrophes fournissent toujours une occasion idéale de convier à la table des débats <a href="https://www.nature.com/articles/s41562-023-01558-0">l’idée selon laquelle la source de pareils désastres ne peut être que surnaturelle</a>, allant bien au-delà de la compréhension humaine, et qu’une vengeance – tantôt des dieux, tantôt de la nature elle-même – en est la cause la plus probable.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1216646357257277442"}"></div></p>
<p>Dans les pays de tradition musulmane, <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/17447140903197233">particulièrement dans les milieux les plus conservateurs</a>, la tendance à présenter ces calamités comme l’expression d’une colère divine, suivie du jugement et du châtiment des hommes, reste courante. Une telle intervention transcendantale viserait, selon les tenants de ces discours, à rappeler à l’humain qu’il n’est pas le maître du monde et qu’un « message » lui est envoyé en contrepartie de ses actes. Pourtant, <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/33354304/">cette attitude résignée ne repose en l’espèce sur aucun enseignement singulier de l’islam</a>. Aucun verset du Coran, ni aucun hadith n’enjoint en effet aux croyants de se complaire dans le fatalisme. L’islam prône au contraire la foi dans la bienveillance divine, au même titre que la science et la connaissance pour réduire les risques qui pèsent sur l’humanité.</p>
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<p>Mais les légendes qui recensent, au niveau historique, ces ébranlements d’apparence extraordinaire, de même que les réponses humaines qui leur sont apportées, ne sont pas récentes ; elles remontent aux civilisations les plus anciennes, pré-monothéistes. Tous les récits existants soulèvent la problématique du pourquoi et y apportent pour réponse ce qui procéderait d’une volonté de rétribution contre l’humanité.</p>
<h2>Géomythologie de l’« homme diluvien »</h2>
<p>En tant que discipline historico-scientifique, la <a href="https://theconversation.com/geomythology-can-geologists-relate-ancient-stories-of-great-floods-to-real-events-63434">géomythologie</a> se penche sur ces narrations surnaturelles et tente de relier les grands mythes diluviens du passé aux réalités historiques qui les ont accompagnés, d’établir la part de réel et d’objectif entre ce type d’inondations torrentielles et dévastatrices et les discours qui en sont issus. Le mythe du déluge, bien connu dans la culture judéo-chrétienne à travers l’épisode de l’Arche de Noé, n’est d’ailleurs pas caractéristique des seules cultures monothéistes : beaucoup d’autres sociétés ont transmis des histoires analogues de bouleversements destructeurs.</p>
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<figcaption><span class="caption">Sorti en 2014, « Noé », de Darren Aronofsky, reprend, avec quelques approximations, le récit biblique de l’annihilation par Dieu de la quasi-totalité de l’humanité pour la punir de son égarement.</span></figcaption>
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<p>On retrouve ces récits parmi la plupart des peuples et dans de nombreuses traditions orales et folkloriques en lien avec divers phénomènes naturels – séismes, éruptions volcaniques, tsunamis, ouragans, pestes, épidémies… Indépendamment des croyances ou religions qui les sous-tendent, ceux-ci ont pour dénominateur commun de vouloir expliquer la survenue de désastres à travers une fenêtre historique menant à la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0002716205285589">reconstruction d’un monde chargé de sens à la suite d’événements mystérieux, de situations considérées comme incontrôlables</a>.</p>
<p>Depuis la nuit des temps, la vie humaine a coexisté avec son environnement naturel, <a href="https://www.cairn.info/revue-natures-sciences-societes-2015-2-page-97.htm">dans une lutte perpétuelle pour le contrôle de ce dernier</a>. Dès lors, l’effort qui consiste à rechercher des significations à des événements accablants à l’échelle psychologique, car hautement traumatiques à l’instar de ce qui s’est produit en Libye, relève d’une agentivité en quête de causes, d’intentions, d’effets, <a href="https://www.cairn.info/revue-le-sujet-dans-la-cite-2012-1-page-162.htm">pour regagner la maîtrise d’une situation qui semble échapper à l’homme, autrement dit de son destin</a>. Nombre de systèmes de croyances affirment qu’une puissance surnaturelle ou divine ne se contente pas d’intervenir : elle châtierait en délivrant à l’humanité, prise en partie ou dans sa totalité, <a href="https://www.salon.com/2017/09/10/are-natural-disasters-part-of-gods-retribution_partner/">violences et souffrances pour mieux l’inviter à se réformer</a>.</p>
<h2>Repousser la responsabilité humaine ?</h2>
<p>Ne doit-on pas voir dans ces légendes et mythes une stratégie destinée à <a href="https://www.cairn.info/revue-quaderni-2021-1-page-39.htm">refouler la culpabilité directe des hommes dans ces désastres</a> ? Fables, créatures fantastiques et dieux vengeurs qui entourent les interprétations prémodernes des catastrophes s’abattant sur l’humanité ne sont-ils pas, en réalité, la preuve d’une <a href="https://www.rfi.fr/fr/emission/20130313-1-pourquoi-humains-sont-responsables-degradation-environnement">faute foncière quant à la dégradation environnementale</a> aux répercussions délétères ? Le thème du châtiment divin ou celui de représailles de « mère Nature » ne sert-il pas de prime abord à échapper à cette cruelle réalité ?</p>
<p>De fait, la notion de punition surnaturelle a pour conséquence première de créer l’illusion de cataclysmes exceptionnels, inexplicables, alors que les <a href="https://pubs.usgs.gov/circ/2004/circ1254/pdf/circ1254.pdf">inondations qui ont frappé la Libye et d’autres nations traversent toute l’histoire</a>. Les populations ne s’y sont pas trompées : les habitants de Derna, sinistrée par les eaux, ont d’emblée manifesté leur colère contre les autorités en <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/18/libye-les-habitants-de-derna-demandent-des-comptes-aux-autorites-apres-les-inondations-meurtrieres_6189931_3212.html">réclamant des comptes, exprimant ainsi une exigence de réponses rationnelles</a>. Les initiatives de secours sont d’autant plus difficiles à mettre en œuvre que la Libye est rongée par une guerre civile meurtrière depuis plus d’une décennie et que la <a href="https://www.europe1.fr/international/inondations-en-libye-pourquoi-lacheminement-de-laide-humanitaire-est-elle-si-delicate-4203868">coordination de l’assistance humanitaire aux victimes</a> est gérée par deux pouvoirs antagonistes.</p>
<p>Contre toute lecture superstitieuse ou apocalyptique qui viderait ces développements de leur cause humaine, le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/09/25/inondations-en-libye-le-procureur-ordonne-la-detention-de-huit-responsables_6190914_3212.html">Procureur général de Libye a ordonné la mise en détention de huit responsables</a> en charge des ressources hydrauliques, accusés d’avoir fait montre de mauvaise gestion et de négligence après que des fissures sur les barrages concernés leur furent signalées, sans action spécifique pour y remédier. Cette réaction, comme d’autres, suggère-t-elle pour autant que l’équation sur le terrain évoluera fondamentalement dans la bonne direction ? <a href="https://www.nouvelobs.com/monde/20230925.OBS78626/libye-la-catastrophe-va-renforcer-le-statu-quo-et-maintenir-de-facto-les-elites-au-pouvoir.html">Rien n’est moins sûr</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/214403/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Libye comme ailleurs, les catastrophes naturelles sont souvent présentées comme des manifestations d’un châtiment divin – ce qui permet d’exonérer les hommes de leurs responsabilités.Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI) - Chercheure associée / IREMAM (CNRS/AMU), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2109112023-08-03T21:33:46Z2023-08-03T21:33:46ZSinead O’Connor, une vie de quête spirituelle à travers la musique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/541037/original/file-20230803-27-los2z2.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C0%2C1815%2C1231&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La chanteuse au Paradiso, à Amsterdam, en mars 1988. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/irish-singer-sinead-oconnor-performs-at-paradiso-amsterdam-news-photo/997813120?adppopup=true">Paul Bergen/Redferns via Getty Images</a></span></figcaption></figure><p>Le 26 juillet 2023, alors qu’on apprenait la <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-66318626">mort de la chanteuse irlandaise Sinead O’Connor</a>, des anecdotes sur un célèbre incident ont refait surface.</p>
<p>Il y a 31 ans, après une interprétation envoûtante de la chanson « War » de Bob Marley, Sinead O’Connor avait déchiré une photo du pape Jean-Paul II en direct à la télévision, déclarant : « Combattez le véritable ennemi », en référence <a href="https://theconversation.com/the-catholic-church-sex-abuse-crisis-4-essential-reads-169442">aux abus sexuels commis par des ecclésiastiques</a>. Pendant les mois qui ont suivi, elle a été bannie, <a href="https://www.rollingstone.com/music/music-news/sinead-o-connor-booed-pope-bob-dylan-concert-1176338/">huée et moquée</a>, rejetée comme une rebelle et une folle.</p>
<p>Les commémorations qui ont suivi sa mort ont cependant jeté une lumière très différente sur cet épisode. Sa déclaration-choc au <em>Saturday Night Live</em> est désormais considérée comme « revigorante » <a href="https://www.nytimes.com/2023/07/26/arts/music/sinead-oconnor-snl-pope.html">écrit le critique pop du <em>New York Times</em></a> et comme « un appel aux armes pour les dépossédés ».</p>
<p>Les mentalités ont beaucoup changé depuis 1992, que ce soit à l’égard du catholicisme, du sexe et du pouvoir, que ce soit à New York ou à Dublin, la ville natale d’O’Connor. Aux yeux de nombreuses personnes, la crédibilité morale de l’Église catholique dans le monde <a href="https://news.gallup.com/poll/245858/catholics-faith-clergy-shaken.aspx">s’est effondrée</a>, et la confiance dans les institutions religieuses, quelles qu’elles soient, est <a href="https://news.gallup.com/poll/1597/confidence-institutions.aspx">au plus bas</a>. Les abus sexuels, dont on ne parlait autrefois qu’à voix basse, sont aujourd’hui évoqués ouvertement.</p>
<p>Je me joins au chœur des voix qui affirment aujourd’hui qu’O’Connor était en avance de plusieurs décennies sur son temps. Mais si l’on s’en tient à cela, on passe à côté de quelque chose de profond quant à la complexité et à la profondeur de son imagination religieuse. Sinead O’Connor était sans doute l’une des artistes les plus sensibles à la spiritualité de notre époque. </p>
<p>Je suis une <a href="https://www.fordham.edu/academics/departments/theology/faculty/brenna-moore/">spécialiste du catholicisme à l’époque moderne</a> et je m’intéresse depuis longtemps à ces personnages – les poètes, les artistes, les chercheurs – qui errent en <a href="https://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/K/bo90478851.html">marge de leur tradition religieuse</a>. Ces hommes et ces femmes déçus par les représentants du pouvoir religieux, mais dont l’imagination artistique et l’inspiration tiennent beaucoup à la spiritualité.</p>
<p>Tout au long de sa vie, O’Connor a défié les étiquettes religieuses, explorant de multiples croyances. L’exquise liberté de sa musique ne peut pas être dissociée de l’amour qu’elle porte à la religion.</p>
<h2>« Sauver Dieu de la religion »</h2>
<p>La religion est souvent considérée comme une affaire intime et personnelle : on est croyant ou on ne l’est pas. Mais en réalité, c’est rarement aussi simple.</p>
<p>L’Église catholique avait une forte emprise sur la société irlandaise à l’époque où Mme O’Connor grandissait – une « théocratie », comme elle l’a qualifiée <a href="https://www.theguardian.com/world/2010/sep/10/sinead-oconnor-pope-visit">dans des interviews</a> et dans ses mémoires, <a href="https://www.penguin.co.uk/authors/126006/sinead-oconnor"><em>Rememberings</em></a> – et pendant de nombreuses années, elle a <a href="https://www.reuters.com/article/us-oconnor/singer-sinead-oconnor-demands-pope-steps-down-idUSTRE5BA39Y20091211">alerté et appelé à plus de responsabilité</a> au sujet des abus sexuels commis par des ecclésiastiques. Mais elle aimait ouvertement d’autres aspects de la foi, même si c’était souvent de manière peu orthodoxe. Elle s’est fait tatouer Jésus sur la poitrine et a continué à critiquer l’Église tout en apparaissant à la télévision avec un collier de prêtre.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme en robe violette, au crâne rasé et au grand tatouage coloré, embrasse une femme blonde" src="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539864/original/file-20230727-27-jtkhdm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Sinead O’Connor, avec son tatouage de Jésus, embrasse la chanteuse Deborah Harry lors du gala Inspiration 2011 de l’amfAR à Los Angeles.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/singers-sinead-oconnor-and-deborah-harry-attend-the-the-news-photo/130660855?adppopup=true">Jeff Vespa/Getty Images for amfAR</a></span>
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<p>Dix ans après sa prestation au SNL, O’Connor a suivi des cours dans un séminaire de Dublin avec un prêtre dominicain catholique, le révérend Wilfred Harrington. Ensemble, ils lisaient les prophètes de la Bible hébraïque et les Psaumes : des écritures sacrées dans lesquelles les paroles de Dieu sont exprimées.</p>
<p>Inspirée par son professeur, elle lui a dédié le magnifique album <a href="https://www.youtube.com/watch?v=xncY5WP12BQ"><em>Theology</em></a>. L’album est un mélange de certaines de ses propres chansons inspirées par la Bible hébraïque – comme <a href="https://www.youtube.com/wat,h?v=Kf24-rgyOeI">« If You Had a Vineyard »</a>, inspirée par le Livre d’Isaïe, et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Jh7s5BKphw8">« Watcher of Men »</a>, qui s’inspire de l’histoire biblique de Job – et d’autres morceaux qui sont essentiellement des versions chantées de ses psaumes préférés.</p>
<p>Dans une <a href="https://wfuv.org/content/sinead-oconnor-words-and-music-2007">interview de 2007</a> pour la station de radio WFUV de l’Université Fordham, O’Connor a déclaré qu’elle espérait que l’album pourrait montrer Dieu aux gens lorsque la religion elle-même leur avait bloqué l’accès à Dieu. Il s’agissait en quelque sorte de « sauver Dieu de la religion », de « sortir Dieu de la religion ». Plutôt que de prêcher ou d’écrire, « la musique est le petit moyen que j’ai de le faire », a-t-elle déclaré, ajoutant : « Je dis cela en tant que personne qui a beaucoup d’amour pour la religion ».</p>
<h2>Lire les prophètes</h2>
<p>Ce faisant, elle s’inscrit dans la longue lignée de la tradition prophétique. Le livre <a href="https://www.harpercollins.com/products/the-prophets-abraham-j-heschel?variant=40970012721186"><em>Les prophètes</em></a> du grand penseur juif, le <a href="https://www.myjewishlearning.com/article/abraham-joshua-heschel-a-prophets-prophet/">rabbin Abraham Joshua Heschel</a> commence par cette phrase : « Ce livre traite de certaines des personnes les plus troublantes qui aient jamais vécu ». À maintes reprises, la Bible montre les prophètes comme des êtres humains.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une poignée de personnes tiennent des pancartes de protestation rouges, blanches et noires devant un bâtiment, avec une grande photo d’une femme déchirant une photographie devant eux" src="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539863/original/file-20230727-21-4u2iz1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Une photo de Sinead O’Connor déchirant la photographie du pape Jean-Paul II se trouve lors d’une manifestation à Cracovie, en Pologne, en 2023, accusant la hiérarchie de l’église d’avoir dissimulé des abus sexuels.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/banners-are-seen-during-a-protest-next-to-the-bishops-news-photo/1248867957?adppopup=true">Beata Zawrzel/NurPhoto via Getty Images</a></span>
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<p>Pour de nombreux catholiques horrifiés, l’apparition de Mme O’Connor dans le <em>SNL</em> et ses nombreuses autres critiques de l’Église étaient blasphématoires ou servaient juste à attirer l’attention sur sa personne. D’autres fans, en revanche, y ont vu une condamnation prophétique. Il ne s’agissait pas seulement d’une critique de la maltraitance, mais aussi d’une critique de la prétendue compassion des responsables de l’Église pour les enfants, tenant des propos moralisateurs <a href="https://www.theguardian.com/world/2009/nov/26/catholic-church-ireland-child-abuse">alors qu’ils couvraient la maltraitance</a>.</p>
<p>En dénonçant tout cela et bien d’autres choses encore, O’Connor a souvent été considérée comme dérangeante : pas seulement à cause de l’incident de la photo du pape, mais en raison de son androgynie, son crâne rasé, son ouverture sur ses propres luttes contre la maladie mentale. Mais pour de nombreux admirateurs, comme le montre le documentaire <a href="https://www.youtube.com/watch?v=-VLy1A4En4U"><em>Nothing Compares</em></a>, tout cela montrait qu’elle était libre et, comme les prophètes d’autrefois, qu’elle n’avait ni honte ni peur de provoquer.</p>
<h2>Du rasta à l’islam</h2>
<p>En même temps, l’imagination religieuse d’O’Connor représentait bien plus qu’une relation complexe avec le catholicisme. La religion autour d’O’Connor était éclectique et intense.</p>
<p>Elle était profondément influencée par les <a href="https://theconversation.com/reggaes-sacred-roots-and-call-to-protest-injustice-99069">traditions rastafari</a> de la Jamaïque, <a href="https://wfuv.org/content/sinead-oconnor-words-and-music-2007">qu’elle décrivait</a> comme « un mouvement spirituel antireligieux, mais massivement pro-Dieu ». Elle considérait le premier album de Sam Cooke avec les Soul Stirrers comme le meilleur album de gospel jamais réalisé. Elle compte parmi ses héros spirituels Muhammad Ali – et <a href="https://www.bbc.com/news/entertainment-arts-45987127">s’est convertie à l’islam en 2018</a>, changeant son nom en Shuhada’ Sadaqat.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme en robe à carreaux et coiffe chante avec passion devant des lumières violettes" src="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/539862/original/file-20230727-21-olv2cm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">O’Connor se produit lors d’un concert à l’Admiralspalast de Berlin en décembre 2019, après sa conversion à l’islam.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gettyimages.com/detail/news-photo/irish-singer-sinead-oconnor-aka-shuhada-sadaqat-performs-news-photo/1187273491?adppopup=true">Frank Hoensch/Redferns/AFP</a></span>
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<p>Pourtant, la vision d’O’Connor n’était pas fragmentée. Le miracle de Sinead O’Connor, c’est que tout est cohérent, d’une certaine manière, dans les mots d’une artiste qui refuse de mentir, de se cacher ou de ne pas dire ce qu’elle pense.</p>
<p>Interrogée sur la spiritualité, O’Connor a dit un jour qu’elle préférait la chanter plutôt que d’en parler – comme elle le fait dans de nombreuses chansons, depuis <a href="https://www.youtube.com/watch?v=XkP-0rnr_Gw">son chant lumineux de l’antienne</a>, un hymne marial chanté lors des services de Pâques, jusqu’à son album inspiré par les Rasta, <a href="https://pitchfork.com/reviews/albums/5945-throw-down-your-arms/"><em>Throw Down Your Arms</em></a>.</p>
<p>Dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=haYbyQIEgQk">« Something Beautiful »</a>, un morceau de l’album <em>Theology</em>, O’Connor s’adresse à la fois à Dieu et à l’auditeur : « Je veux faire/Quelque chose de beau/Pour toi et de toi/Pour te montrer/Je t’adore ».</p>
<p>Et c’est bien ce qu’elle a fait. Être ému par son art, c’est ressentir une transcendance, un regard sur une forme lumineuse de spiritualité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210911/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brenna Moore ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’emblématique chanteuse irlandaise s’est toujours imprégnée de spiritualité, tout en critiquant les institutions religieuses.Brenna Moore, Professor of Theology, Fordham UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2071732023-06-26T17:21:21Z2023-06-26T17:21:21ZAïd-el-Kébir : comment choisir son mouton au Sénégal ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/531218/original/file-20230610-26322-e051lp.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C1%2C1078%2C753&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue d’un point de vente de moutons à Saint-Louis, Sénégal.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Mouhamadou Moustapha Sow</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>Cette semaine, un cinquième de la population mondiale célébrera potentiellement la fête religieuse de l’Aïd-el-Kébir. Dans un pays comme le <a href="https://theconversation.com/tensions-politiques-au-senegal-sachemine-t-on-vers-une-impasse-201224">Sénégal</a>, on estime que près de 810 000 béliers sont sacrifiés durant cette journée. Aussi appelée Tabaski en <a href="https://theconversation.com/fr/topics/afrique-de-louest-107305">Afrique de l’Ouest</a>, cette fête musulmane est un événement majeur dans le calendrier de nombreux pays de la région. Elle marque la cérémonie de commémoration du sacrifice d’un bélier par Abraham en lieu et place de son fils. Au-delà de la dimension religieuse, la Tabaski représente d’importants enjeux économiques, sociaux et symboliques.</p>
<p>Quels sont ces enjeux ? Quels critères déterminent la valeur marchande et symbolique du mouton acheté ? Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé une enquête dans la région de Saint-Louis, au Sénégal, en 2021.</p>
<h2>La flambée des prix au Sénégal</h2>
<p>Le prix des moutons au Sénégal connaît depuis une dizaine d’années une augmentation continue. On estime que, en l’espace de dix ans, le prix moyen d’un mouton est passé de 80 000 à 140 000 francs CFA (120 à 215 euros). Entre 2020 et 2021, l’étude réalisée dans la région de Saint-Louis a mis en évidence une augmentation de 6 % du prix moyen sur les marchés. Plusieurs éléments d’explication permettent de comprendre une telle augmentation.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Premièrement, la hausse des prix peut s’expliquer par des facteurs liés à la production. D’une part, les coûts d’engraissement des moutons ont crû en raison de l’augmentation du prix des aliments industriels et de la raréfaction du fourrage. D’autre part, la multiplication des maladies ovines et la difficulté d’accéder à des traitements vétérinaires adaptés ont gonflé la facture.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HIqQGbxwnis?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Deuxièmement, la hausse des prix s’explique par l’engouement croissant autour de la Tabaski. La dimension symbolique de l’achat des moutons occupe une place centrale dans de nombreuses familles sénégalaises. L’achat du mouton constitue à la fois un symbole du prestige social de la famille, un devoir social et un rite religieux.</p>
<p>Des codes sociaux précis encadrent le prix réel (et supposé) de l’animal. Pour les éleveurs, cet événement constitue l’une des seules chances d’obtenir un retour sur investissement. En effet, dans les jours et semaines précédant la Tabaski, le prix des moutons est en moyenne nettement supérieur au reste de l’année. Ainsi, pour les éleveurs, cette période est le moment idéal pour la vente du cheptel.</p>
<p>Troisièmement, la flambée des prix peut également s’expliquer par une hausse de la demande. L’augmentation du pouvoir d’achat d’une partie de la population entraîne un accroissement des prix sur l’ensemble du marché.</p>
<h2>Un an de salaire pour s’acheter un mouton</h2>
<p>Le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/08/12/le-ladoum-mouton-star-de-la-tabaski-au-senegal_5498696_3212.html">Ladoum</a>, catégorie de mouton généralement élevée dans les grandes villes comme Dakar, Mbour, Thiès, Touba et Saint-Louis illustre parfaitement cette flambée des prix. Cette race ovine s’arrache à prix d’or dans les marchés durant la Tabaski. En 2018, un mâle géniteur nommé Galactic a été acheté par la bergerie Galoya pour un peu plus de 52 millions de francs CFA, soit plus de 80 000 euros. Ce prix, même s’il est exceptionnel, illustre bien la valeur et la dimension symbolique de l’achat du mouton. Ces dernières années, les prix pratiqués pour les Ladoums oscillent entre 450 000 et 1 200 000 francs CFA (entre 675 et 1 800 euros).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1160873263205093376"}"></div></p>
<p>Ces prix apparaissent d’autant plus importants au regard du salaire annuel moyen au Sénégal (nous ne disposons pas de données récentes concernant les salaires, mais le <a href="https://donnees.banquemondiale.org/indicator/NY.GDP.PCAP.KN?locations=SN">produit intérieur brut par habitant est de 840 736 francs CFA</a> par an en 2021, soit 1 280 euros). Pour la majorité des Sénégalais, l’achat du mouton pour la Tabaski constitue un sacrifice financier important. Beaucoup ont recours à l’argent de la diaspora pour se le permettre. De nombreuses familles s’endettent pour assurer l’ensemble des obligations sociales liées à cette fête. Cette situation plonge beaucoup de familles dans des dynamiques d’appauvrissement.</p>
<h2>Un symbole de réussite sociale</h2>
<p>La Tabaski est ainsi un baromètre qui permet de mesurer les difficultés économiques de la population sénégalaise.</p>
<p>Lors de l’achat des béliers, les femmes et enfants accompagnent les maris sur le marché afin de choisir l’animal. Les vendeurs proposent aux femmes les béliers avec la valeur marchande la plus importante.</p>
<p>Les acheteurs doivent alors arbitrer entre le prix du mouton et le prestige familial lié à l’achat d’un « beau » bélier. La dimension symbolique de l’animal s’illustre également par le fait que les familles conservent les plus beaux béliers devant leur maison. Ces derniers témoignent du prestige social de la famille et de la réussite économique de ses membres.</p>
<h2>Quel mouton acheter ?</h2>
<p>La valeur d’un bélier se caractérise par des critères précis comme la taille, le poids, la couleur, la posture, la dimension et l’orientation des cornes et des oreilles. Quelles caractéristiques sont privilégiées ?</p>
<p>Selon les 400 consommateurs interrogés lors de notre enquête, les béliers de couleur blanche sont les plus prisés (cette couleur permettrait de protéger le propriétaire du mauvais sort). Leur sacrifice témoigne d’un plus grand prestige social.</p>
<p>Les critères liés à la taille des cornes, de la queue et de l’animal sont également pris en compte. La taille des oreilles est particulièrement importante car elle peut être un critère de non-conformité religieuse du bélier. L’âge du bélier est un élément à prendre en considération : il doit avoir au minimum 12 mois. Le choix de l’animal en fonction de ce paramètre est influencé par les femmes – celles-ci prennent en compte le temps de cuisson de la viande. Les béliers âgés demandent plus de temps de cuisson, ce qui peut être contraignant pour l’organisation de la fête.</p>
<p>Pour résumer, le mouton idéal est d’une taille importante, de couleur blanche et d’âge moyen. Les grands béliers blancs se négocient à des prix nettement plus élevés, tandis que les béliers d’un âge avancé perdent de leur valeur.</p>
<p>La valeur de l’animal est ainsi quasi exclusivement fixée selon l’apparence du bélier. Des critères comme la qualité de la viande, l’utilisation d’antibiotiques ou encore la santé de l’animal ne sont que faiblement considérés. Lorsqu’on choisit un mouton pour la Tabaski, les critères symboliques priment.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/207173/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Le mouton acheté pour la fête religieuse de la Tabaski témoigne du prestige social d’une famille. Quels critères déterminent la valeur marchande et symbolique de l’animal ? Enquête au Sénégal.Léo Delpy, Socio-économiste au sein de l’Unité mixte de recherche « Animal, santé, territoires, risques et écosystèmes » (UMR ASTRE), CiradMouhamadou Moustapha Sow, PhD Student, Université Gaston BergerLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2031762023-04-20T15:58:12Z2023-04-20T15:58:12ZRamadan dans le football : une gestion singulière du fait religieux au travail ?<p>Le ramadan qui s’achève ce 21 avril aura eu son lot de polémiques dans le monde du <a href="https://theconversation.com/topics/football-20898">football</a> professionnel. Fallait-il par exemple accorder des pauses pour permettre aux joueurs pratiquants de s’hydrater ? </p>
<p>Dans un rappel à la règle aux arbitres, la Fédération française de football (FFF) a précisé que l’arrêt des matchs pour ce motif – qui n’a pas été explicitement demandé par les joueurs – n’était pas acceptable, en vertu de la neutralité du football et de la volonté de maintenir sport et religion à distance. </p>
<p>Ce courriel a par exemple suscité l’étonnement du défenseur international <a href="https://www.footmercato.net/a9011806871116954734-la-prise-de-position-forte-de-lucas-digne-sur-le-ramadan">Lucas Digne</a> qui indiquait dans une story Instagram :</p>
<blockquote>
<p>« 2023 on peut arrêter un match 20 minutes pour des décisions mais pas 1 minute pour boire de l’eau »</p>
</blockquote>
<p>En Angleterre, où il évolue, un choix différent à été posé. Que les règles soient souples ou plus strictes, les joueurs choisissent parfois délibérément de botter le ballon en touche pour permettre aux musulmans pratiquants, souvent peu nombreux, de rompre leur jeûne sur le bord du terrain sans interrompre le jeu. </p>
<p>Le gardien de la Tunisie a, lui, <a href="https://www.lefigaro.fr/le-scan-sport/2018/06/04/27001-20180604ARTFIG00193-le-gardien-de-la-tunisie-simule-un-malaise-en-plein-match-pour-rompre-le-jeune-du-ramadan.php">simulé un malaise en plein match pour cela</a>.</p>
<p>Plus encore, récemment, l’entraîneur du FC Nantes a <a href="https://www.20minutes.fr/sport/4030786-20230402-fc-nantes-antoine-kombouare-convoque-joueur-car-refuse-rompre-ramadan-jours-match">écarté un joueur qui observait le ramadan un jour de match</a>, estimant avoir posé cette règle pour protéger à la fois sa santé et ses performances, et donc celles de l’équipe. En face, certains mettent en avant les performances exceptionnelles de <a href="https://www.onzemondial.com/liga/real-madrid-benzema-booste-par-le-ramadan-la-theorie-se-confirme-827544">joueurs comme Karim Benzema</a> qui affirment pratiquer le jeûne. Ils seraient des exemples de l’absence d’effets négatifs sur le niveau de jeu, voire d’effets positifs.</p>
<p>Les accusations de <a href="https://www.leparisien.fr/sports/football/psg/christophe-galtier-accuse-de-propos-racistes-par-lex-directeur-du-football-de-nice-julien-fournier-12-04-2023-5QQNF7XUW5HCFHQ34MD3VV3ZNA.php">racisme</a> lancées contre Christophe Galtier, l’entraîneur du Paris Saint-Germain, l’an passé à Nice, par l’ancien directeur sportif azuréen Julien Fournier, s’y sont mêlées également. Ce cas montre à quel point la question de la gestion du fait religieux au travail est liée à celle de la liberté de culte mais surtout à la lutte contre les discriminations, ce qui rend le sujet très sensible.</p>
<p>Pour autant, du point de vue des chercheurs sur la gestion de l’expression religieuse au travail, ces différents cas relayés dans la presse demeurent en fait assez classiques.</p>
<h2>Le fait religieux au travail : une régulation généralement apaisée</h2>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/topics/fait-religieux-31975">fait religieux</a> au travail renvoie aux manifestations de la foi des personnes dans leur contexte professionnel. Il peut s’agir de prières sur le lieu de travail, de port d’un signe religieux ou encore de demandes d’aménagement horaires ou d’absence pour pratiquer. Certains éléments sont plus diffus car il n’est pas explicitement fait référence à leur caractère religieux, mais ils peuvent tout de même être identifiés comme tels par d’autres acteurs.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/521343/original/file-20230417-974-5x3idt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<p><em>Chaque lundi, que vous soyez dirigeants en quête de stratégies ou salariés qui s’interrogent sur les choix de leur hiérarchie, recevez dans votre boîte mail les clés de la recherche pour la vie professionnelle et les conseils de nos experts dans notre newsletter thématique « Entreprise(s) ».</em></p>
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<p>Factuellement, le fait religieux au travail est en général <a href="https://theconversation.com/fait-religieux-en-entreprise-un-phenomene-devenu-objet-de-management-105896">peu conflictuel</a>, et se règle le plus souvent <a href="https://theconversation.com/non-le-droit-ne-peut-tout-regler-en-matiere-de-religion-en-entreprise-75160">avec l’intervention d’un management de proximité</a>. Celui-ci peut s’appuyer sur une posture <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/ER-02-2021-0053/full/html">plus ou moins définie et mise en œuvre dans l’organisation</a>. La gestion s’effectue souvent à l’<a href="https://www.institutmontaigne.org/ressources/pdfs/publications/fait-religieux-entreprise-franc%CC%A7ais-note.pdf">échelle individuelle</a> et ne vise pas à transgresser les règles en place dans les organisations. Seule une minorité de faits le font et reçoivent une réponse rapide et ferme de la hiérarchie.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-la-cite-vertu-ou-principe-192262">La laïcité : vertu ou principe ?</a>
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<p>Certaines entreprises posent ainsi le choix d’encadrer plus ou moins explicitement l’expression religieuse dans le contexte du travail sur la base de critères définis par le <a href="https://www.village-justice.com/articles/religion-travail,38009.html">législateur et la jurisprudence</a> (sécurité, hygiène, intérêt commercial, etc.). Elles peuvent, pour cela, utiliser le règlement intérieur ou des guides. Toutefois, en vertu du principe de laïcité, ce qui prévaut en dehors des missions de service public est bien la liberté de conscience, toujours accompagnée de la liberté de culte.</p>
<h2>Du religieux dans le foot professionnel : rien de neuf !</h2>
<p>Les manifestations de la foi des joueurs de football dans le contexte de leur travail <a href="https://www.lemonde.fr/mondial-2006/article/2006/06/15/foot-et-religion-le-meilleur-et-le-pire_783998_669420.html">ne sont pas des sujets neufs</a>. Depuis de nombreuses années, y compris dans le Championnat de France, les équipes sont multiculturelles, pluriconfessionnelles, et tout simplement très diverses. Les questions d’identité ne sauraient rester à la porte de l’entreprise, même lorsqu’elle prend la forme d’un terrain d’herbe verte et que des milliers de personnes paient pour regarder ses salariés travailler.</p>
<p>Cela est d’autant plus vrai que les joueurs ont toutes les caractéristiques de ce que l’on appelle des « hauts performants », ou encore des « talents ». Cela leur donne un pouvoir de négociation assez fort et réduit les asymétries individu-organisation. De nombreux joueurs célèbrent ainsi leurs buts en faisant référence à leurs croyances, ou en louant directement le dieu qu’ils prient, par exemple en levant leurs index vers le ciel.</p>
<p>Certains joueurs ont aussi <a href="https://www.lesinrocks.com/actu/comment-mohamed-salah-est-en-train-de-changer-limage-de-lislam-dans-les-stades-145091-24-05-2018/">pour habitude de se prosterner après un but</a>, individuellement ou collectivement, en signe d’adoration, comme l’attaquant star de Liverpool Mohamed Salah. Il existe même des médias sportifs qui créent des <a href="https://www.sofoot.com/articles/lequipe-type-de-ceux-qui-sen-remettent-au-christ-foot-religion-journee-internationale-la-bible">équipes types par religion</a>. Il s’agit bien ici de fait religieux au travail.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1304497702013722626"}"></div></p>
<p>Plus encore, certains footballeurs ont toujours indiqué que leur foi était une ressource pour la motivation et l’engagement. Le joueur français Olivier Giroud évoque fréquemment <a href="https://www.la-croix.com/Sport/Olivier-Giroud-Je-suis-arme-bouclier-foi-2019-10-12-1201053809">sa foi chrétienne évangélique comme un levier d’apaisement et de patience</a> lorsque les résultats sportifs ne sont pas au rendez-vous. Il en a même fait un livre. On a enfin pu entendre parler de <a href="https://theconversation.com/jeunes-sportifs-dopes-au-neoliberalisme-et-a-la-religion-cherchent-avenir-meilleur-109462">« dopage par la religion »</a> dans le milieu du football.</p>
<h2>Un phénomène pourtant complexe</h2>
<p>Les polémiques qui ont traversé le monde du football ces derniers temps ne sont pas sans rappeler les <a href="https://www.aefinfo.fr/depeche/539555-a-quoi-doivent-s-attendre-les-drh-en-periode-de-ramadan-cefrelco">questions que se posent les DRH</a> pour les métiers où la fatigue physique et psychologique expose potentiellement les travailleurs dans l’exercice de leurs fonctions. Dans certains clubs, y compris en France, la gestion du ramadan se fait en lien avec le joueur, en adaptant le <a href="https://www.eurosport.fr/football/ligue-1/2022-2023/comment-la-ligue-1-s-adapte-au-ramadan-le-principal-defi-c-est-la-deshydratation_sto9550823/story.shtml">régime et les entraînements</a>.</p>
<p>Différents cas d’études rappellent quelques <a href="https://www.afmd.fr/manager-lexpression-religieuse-au-travail">éléments bien connus en gestion</a> du fait religieux au travail. D’abord, qu’il est important de définir une règle, de la communiquer et de garantir son application, puis de l’assumer. Sans juger le contenu de la règle, la FFF a, à ce titre, fait un choix et est en mesure de le justifier, que l’on soit ou non en accord avec celui-ci.</p>
<p>Ensuite, la gestion des comportements religieux au travail pose la question de l’articulation entre les règles communes et les règles individuelles. Arrêter le jeu pour tous, par exemple, change les règles du jeu communes au profit d’une règle religieuse individuelle. Être tolérant sur le temps de remise en jeu après une sortie de balle pour que les joueurs qui le veulent puissent rompre leur jeûne et s’hydrater maintient la règle commune mais montre la volonté collective de comprendre les particularismes, de leur donner une place mais pas la priorité.</p>
<p>Exclure du groupe un salarié qui jeûne, même en l’affichant publiquement, peut paraître dissonant par rapport à d’autres équipes et contextes qui adaptent les pratiques des staffs techniques ou les plans alimentaires aux contraintes du joueur. Des exemptions de participation aux doubles entraînements ont pu être décrétées aussi. D’un côté, l’identité individuelle permet de s’affranchir d’une règle collective, de l’autre les conditions de travail s’y adaptent. Deux accommodements qui ne sont pas de même nature.</p>
<p>Dans le football, comme ailleurs, la gestion du fait religieux au travail et sa gestion, soulèvent des problématiques de maintien de l’équité entre toutes les personnes, qu’elles soient ou non croyantes ou pratiquantes, de gestion des irréversibilités que peuvent générer les accommodements plus ou moins raisonnables et plus globalement, de respect des croyances individuelles et de leur accompagnement tant que celles-ci ne contreviennent pas aux règles de fonctionnement collectif et à la finalité de l’organisation considérée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203176/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Gaillard est membre du Bureau et du CA de l'AGRH.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Lionel Honoré collabore avec l'Institut Montaigne dans le cadre du baromètre du fait religieux au travail. </span></em></p>Du point de vue des sciences de gestion, les polémiques qui concernent le monde du football sur l’adaptation des entraînements et des matchs au ramadan relèvent de problématiques assez classiques.Hugo Gaillard, Maître de conférences en Sciences de gestion, Le Mans UniversitéLionel Honoré, Professeur des Universités, IAE de Brest, Université de Bretagne Occidentale, LEGO, IAE BrestLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2007842023-03-23T17:48:47Z2023-03-23T17:48:47ZConversion à l’Islam : au-delà des préjugés, une étude interroge les femmes concernées<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/514230/original/file-20230308-1070-6tkgcw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=23%2C7%2C5067%2C3375&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une membre du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) distribue des pains au chocolat devant la gare Saint-Lazare le 10 octobre 2012 à Paris pour protester contre les propos tenus par Jean-François Cope (LR ex-UMP) au sujet d'un garçon qui se serait fait voler son "pain au chocolat" par des "voyous" pendant le mois de jeûne du ramadan.</span> <span class="attribution"><span class="source">Thomas Samson / AFP</span></span></figcaption></figure><p>Depuis toujours, la figure du converti fascine et inquiète. De Jack Ward, corsaire anglais du XVII<sup>e</sup> siècle devenu Yusuf Rais, à <a href="https://www.huffingtonpost.fr/terrorisme/article/fabien-clain-voix-de-la-revendication-du-13-novembre-a-ete-tue-en-syrie_140606.html">Fabien Clain</a>, terroriste de Daesh tristement connu pour être la voix revendiquant les attaques du 13 novembre, les convertis sont des figures anxiogènes. Les femmes ne font pas exception. On les dépeint souvent revêtues d’un niqab d’où ressortiraient seulement des yeux bleus.</p>
<p>La femme convertie concentre en effet les paniques morales du XXI<sup>e</sup> siècle : <a href="https://theconversation.com/expliquer-la-radicalisation-1-individus-interactions-identites-et-croyances-53520">extrémisme</a>, séparatisme, <a href="https://theconversation.com/terrorisme-radicalisation-islam-michel-wieviorka-en-conversation-avec-marc-sageman-86574">terrorisme</a>. Il est indéniable que plusieurs converties ont <a href="https://theconversation.com/le-martyre-djihadiste-feminin-un-post-feminisme-regressif-67279">joué un rôle</a> important au sein de ce terrorisme djihadiste. Il convient aussi de souligner que le phénomène reste extrêmement minoritaire.</p>
<p>La <a href="https://journals.openedition.org/cedref/1336#ftn29">conversion réfléchie et volontaire</a> de femmes qui n’ont aucun lien direct ou hérité avec l’Islam est loin des stéréotypes qui leurs sont souvent assignés. Chaque conversion fait en réalité partie d’un ensemble de circonstances sociales et intimes. Mon analyse se fonde sur les résultats d’une <a href="https://doi.org/10.4000/cedref.1336">enquête qualitative</a>, menée de 2017 à 2019 en France et en Irlande. Les données proviennent de 35 entretiens approfondis et de nombreux entretiens informels effectués pendant des périodes d’observation participante. Les interviewées étaient toutes des femmes converties à l’islam, nées et socialisées en France ou en Irlande, sans lien préalable avec l’Islam. Elles avaient entre 17 et 71 ans lors de l’enquête. Leur âge moyen au moment de la conversion était de 20 ans.</p>
<p>La conversion est un parcours au cours duquel la convertie va <a href="https://journal.fi/temenos/article/view/5151">créer et négocier des identités</a> nouvelles ou <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2017-4-page-637.htm">hybrides</a>. Bien qu’elle soit souvent officialisée par la <em>shahada</em> (profession de foi), la conversion est avant tout un <a href="https://journals.openedition.org/cedref/1336#bodyftn30">processus au long cours</a>. L’adhésion est souvent constituée de multiples essais, suivis de l’adoption plus ou moins progressive d’un système de croyances islamique et des comportements associés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1612487224096083968"}"></div></p>
<p>Les événements déclencheurs sont très variés : quête spirituelle, réflexion politique, voyage, réseaux d’amis, mariage, choc suite à un attentat. Bien que chaque conversion soit unique, il est possible de distinguer trois approches : par friction (de proximité ou maritales), spirituelles, et réactives (de curiosité ou politiques).</p>
<h2>Pourquoi se convertir ?</h2>
<p>Les conversions les plus courantes sont liée à une proximité spatiale et émotionnelle avec des personnes musulmanes. Ce sont les conversions que je nomme « par friction ». Elles comprennent les conversions maritales, à but de convenance, qui demeurent rares, et les conversions de proximité. <a href="https://journals.openedition.org/assr/45612">« L’islamophilie »</a> est un aspect clé de ces dernières. Les femmes entretiennent des liens proches (souvent amicaux) avec des personnes de culte musulman. Lorsque la relation est <a href="https://theconversation.com/quand-lislam-2-0-fascine-les-latino-americaines-105462">d’ordre romantique</a>, elle n’est pas nécessairement suivie d’un mariage. Ce dernier se décide ultérieurement, une fois le cheminement spirituel abouti, souvent à la demande de la femme pour rendre l’union licite aux vues de ses nouvelles croyances :</p>
<blockquote>
<p>« Au moment où on s’est mis ensemble, il était musulman de naissance, mais il ne priait pas encore. Ça lui arrivait d’aller au McDo et de pas manger halal, donc il était musulman, mais pas très pratiquant on va dire. Et au moment où je me suis convertie, lui a pratiqué plus aussi […] D’ailleurs je le tanne un peu pour [qu’on se marie]. J’espère que ça sera le plus vite possible, et ça sera religieux, ça sera musulman. Et je dirais même que des fois c’est plus moi qui suis insistante sur ces points que lui. »</p>
</blockquote>
<p>Louise, étudiante, 25 ans, union libre, sans enfants</p>
<p>Les conversions dites spirituelles sont l’aboutissement d’une quête religieuse, rationnelle et intellectuelle. L’islam peut aussi être découvert après l’essai de plusieurs religions moins stigmatisées (bouddhisme, protestantisme), ce qui permet une rationalisation sociale de leur choix :</p>
<blockquote>
<p>« Je cherchais un peu. Comme en plus dans mes voyages je rencontrais des religions plutôt animistes, je me disais, peut être que les objets ont une âme […], mais sans vraiment que ça m’accroche trop. […] Et comme je sors d’une famille protestant[e], je me suis dit ben voilà je vais m’intéresser. [Je suis allée au Culte] mais […] ça ne me parlait pas comme religion […]. Du coup j’ai continué à lire sur l’islam […], naturellement je me suis dit […] quitte à choisir une religion, enfin j’avais besoin de choisir une religion, je me suis dit bah voilà, je vais devenir musulmane. » (Anaïs, 27 ans, urbaniste, célibataire, sans enfants)</p>
</blockquote>
<p>Enfin, les conversions réactives peuvent être politiques ou dites « de curiosité ». Les premières, plus rares, se définissent par des positionnements idéologiques vus comme une forme de résistance sociale contre l’exclusion, ou bien une adhésion à un courant d’islam politique porteur d’un projet social. Les conversions de curiosité sont plus fréquentes. Dans ce cas, l’intérêt pour la religion est suscité par la remise en question de la représentation négative de l’islam dans les médias.</p>
<h2>Briser le stéréotype de la musulmane oppressée</h2>
<p>Bien que les représentations médiatiques des femmes musulmanes se soient quelque peu <a href="https://www.valeriebaeriswyl.com/reportages/convertie/">diversifiées</a> ces dernières années, le stéréotype prédominant persiste à les dépeindre comme simultanément « réprimées » et « menaçantes ». Les personnes que j’ai interrogées étaient parfaitement conscientes de ces stéréotypes avant de se convertir et les partageaient même parfois :</p>
<blockquote>
<p>« J’étais de plus en plus attirée par [l’Islam] […] j’avais besoin de m’identifier, mais en même temps, dès que je disais “musulmane”, tout en moi se crispait. C’était “non ! Pas musulmane !”. Pas cette représentation, avec ce vieux foulard, ces vieilles croyances… » (Delphine, enseignante, 23 ans, mariée, sans enfants)</p>
</blockquote>
<p>Pour contrer ce sentiment, beaucoup de converties insistent sur la relation entre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=V4vGz7gln8k">féminismes et Islam</a>, et la question de <a href="https://orientxxi.info/lu-vu-entendu/coran-un-djihad-pour-l-egalite-des-femmes,4651">l’émancipation féminine par l’Islam</a>. Elles tentent de briser le stéréotype de la musulmane oppressée (par un mari, une culture, une religion) par leur comportement.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/E_flQbtI1U4?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Amina Wadud, ancienne chercheuse, convertie, est très impliquée dans le droit des femmes en Islam.</span></figcaption>
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<p>Plusieurs <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1469-8676.2009.00082.x">stratégies</a> peuvent être identifiées. Certaines préfèrent rester « invisibles », soit en ne portant aucun signe religieux identifiable, soit en portant un couvre-chef qui n’est pas reconnaissable comme islamique (bandeau, bonnet). D’autres choisissent de porter un <a href="https://theconversation.com/comment-le-voile-a-donne-naissance-a-la-hijabista-mondiale-76886"><em>hijab</em></a> plus conventionnel et l’accompagnent de micro-actions qui vont pousser à leur reconnaissance en tant que musulmanes et « modernes » (coordination des couleurs, attitude avenante, mise en avant d’un niveau d’éducation élevé).</p>
<p>D’autres préfèrent se séparer symboliquement de leur société d’origine en adoptant des vêtements très couvrants comme le <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/06/11/niqab-hijab-burqa-des-voiles-et-beaucoup-de-confusions_4651970_4355770.html"><em>jilbab</em></a> ou le <a href="https://www.academia.edu/27642556/Niqab_un_autre_regard"><em>niqab</em></a>, mais tout en faisant appel au principe fondamental de la liberté de choix. Quelle que soit la stratégie employée, la majorité des converties invoque ces notions de liberté de choix et d’agentivité, reflets directs de leur expérience dans une société libérale.</p>
<h2>Une nouvelle identité féminine</h2>
<p>Pour beaucoup de converties, l’adoption de l’islam nécessite la redéfinition des notions précédemment acquises sur le féminisme et la féminité.</p>
<p>Lorsqu’elles parlent de droits des femmes, elles font la distinction entre les musulmanes européennes et celles dans des pays musulmans. La composante patriarcale présente dans certains pays musulmans est fréquemment critiquée, tandis que l’Islam est mis en avant comme une religion progressiste – en utilisant souvent des modèles issus de l’histoire des femmes proches du Prophète (Khadija, Aïcha, Fatima).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1613915567857057792"}"></div></p>
<p>La plupart contribuent néanmoins à la consolidation de normes de genre conservatrices. Cela ne les empêche pas de trouver un accomplissement personnel dans ces nouvelles <a href="https://www.cairn.info/revue-cahiers-du-genre-2014-2-page-183.htm">articulations pieuses</a> du soi.</p>
<p>Par ailleurs, comme d’autres femmes qui se réclament du <a href="https://blogs.mediapart.fr/jean-michel-barreau/blog/081020/une-femme-peut-elle-etre-fiere-d-etre-conservatrice-0">« conservatisme »</a>, les converties qui ont tendance à rejoindre une tradition religieuse stricte le font car cette communauté reflète leurs besoins. C’est précisément parce que les <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780429337345-9/gender-experience-conversion-case-returnees-modern-orthodox-judaism-lynn-davidman-arthur-greil">groupes religieux conservateurs légitiment</a> le désir de certaines femmes d’avoir une identité « traditionnelle » d’épouse et de mère qu’elles les trouvent attrayants.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/200784/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anastasia Athénais Porret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La conversion à l’islam volontaire, en particulier de femmes, est souvent mal comprise.Anastasia Athénais Porret, Sociologue, spécialiste des conversions à l'islam, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1963712022-12-15T18:18:52Z2022-12-15T18:18:52ZLe football iranien, la Coupe du monde et la révolte<p>Rarement une équipe nationale aura participé à une Coupe du Monde dans un contexte aussi pesant que l’Iran cette année.</p>
<p>Le football est très populaire en Iran, où il a supplanté la lutte, qui fut longtemps le sport national. Son organisation est <a href="https://www.academia.edu/20492477/football_en_Iran_un_re_ve_lateur_des_tensions_au_sein_de_la_socie_te_">fortement tributaire de l’idéologie politique dominante</a>. On a encore pu le constater au cours de ces dernières semaines : la participation de l’équipe nationale à la Coupe du Monde organisée au Qatar s’est déroulée dans un contexte marqué par le soulèvement en cours dans le pays, et le comportement des joueurs était scruté par les observateurs du monde entier.</p>
<p>Si certains d’entre eux ont cherché à exprimer leur soutien à leurs compatriotes révoltés contre le régime, ils ont rapidement été contraints de mettre leurs critiques en sourdine. Retour sur la place du football dans la République islamique, et sur les enseignements d’une compétition qui, pour les Iraniens, n’aura pas été comme les autres.</p>
<h2>Une passion nationale surveillée de près par le régime</h2>
<p>Pendant les années qui suivirent la révolution islamique de 1979, ponctuées par la longue guerre contre l’Irak (1980-1988), la crispation et le rejet de l’ordre international dominèrent la scène politique et sportive.</p>
<p>À partir des années 1995, une ouverture se profile. L’équipe nationale d’Iran se qualifie pour la Coupe du monde en 1998 (ce qui ne lui était plus arrivé depuis 1978), puis pour celles de 2006, 2014, 2018 et 2022. Malgré cette reprise des compétitions internationales, le pouvoir islamique continue d’exercer son influence sur le football : les stades, où se déroulent des compétitions d’hommes, sont <a href="https://www.letemps.ch/sport/iran-femmes-restent-aux-portes-stades">interdits aux femmes</a> (cette interdiction a duré 43 ans et <a href="https://edition.cnn.com/2022/08/26/football/iran-women-domestic-football-attendance-intl-spt/index.html">ce n’est qu’en août 2022 qu’elle a été suspendue</a>) ; la pratique féminine du football fait l’objet de controverses et ce n’est qu’en 2005 qu’est créée une équipe nationale féminine dont les membres ne peuvent cependant <a href="https://www.20minutes.fr/sport/966823-20120705-fifa-autorise-port-voile-feminin-pendant-matchs">jouer qu’entièrement couvertes</a>, y compris dans la chaleur de l’été.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-controle-du-corps-des-femmes-un-enjeu-fondamental-pour-la-republique-islamique-diran-192157">Le contrôle du corps des femmes, un enjeu fondamental pour la République islamique d’Iran</a>
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<p>Autres signes de cette inféodation au pouvoir politique : les stades où peuvent s’exprimer des revendications autonomistes (par exemple à Tabriz, dans la province d’Azerbaïdjan) sont étroitement surveillés ; et après la performance décevante de l’équipe nationale de football au Mondial de 2006 en Allemagne, le président de la fédération est démis de ses fonctions par le gouvernement. Cette mesure, symbolisant l’inféodation du sport au pouvoir politique, suscita les protestations de la FIFA qui <a href="https://www.tehrantimes.com/news/132164/FIFA-suspends-Iran-Football-Federation">suspendit temporairement la fédération iranienne de football en novembre 2006</a>, jusqu’à ce qu’une solution conforme aux statuts de la fédération internationale fût trouvée (ce qui <a href="https://www.hindustantimes.com/india/blatter-defends-iran-s-reinstatement-in-football/story-yqGKmGBC4Ls3wdldPaoE7J_amp.html">fut le cas en décembre 2006</a>).</p>
<p>Par ailleurs, des joueurs recrutés par des clubs étrangers et ayant accepté de disputer un match contre une équipe israélienne ont été <a href="https://www.lefigaro.fr/le-scan-sport/2017/08/10/27001-20170810ARTFIG00159-l-iran-radie-deux-joueurs-qui-ont-joue-contre-des-israeliens.php">sanctionnés par le gouvernement</a> ; d’autres ont été rappelés à l’ordre en raison de leur tenue : vêtements trop près du corps, <a href="https://www.eurosport.fr/football/coupedumonde/2006/karimi-sort-de-l-ombre_sto902981/story.shtml">coiffure en queue de cheval</a>…</p>
<p>Le football est donc un sujet éminemment politique, y compris pour les joueurs, <em>a fortiori</em> s’ils évoluent ou ont évolué à l’étranger et connu un autre régime politique. Ainsi, en juin 2009, pendant le match qualificatif contre la Corée du Sud, plusieurs joueurs, dont Ali Karimi – « le Maradona de l’Asie », qui avait joué au Bayern Munich – <a href="https://www.rtl.be/sport/football/football-etranger/plusieurs-joueurs-portent-un-bracelet-vert-lors-d-un-match-de-l-iran-481550.aspx">portèrent un bracelet vert</a> en signe de protestation contre la réélection contestée de Mahmoud Ahmadinejâd et de soutien au <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2010-2-page-117.htm">« mouvement vert »</a> – une grande vague de contestation déclenchée après le scrutin. À leur retour en Iran, ces joueurs furent exclus à vie de leurs clubs par les autorités iraniennes mais réintégrés après une intervention de la FIFA. Ces exclusions-réintégrations <a href="https://www.sofoot.com/quand-l-iran-est-passe-chez-sosha-215025.html">rythment la vie footballistique en Iran</a>, et la participation de l’équipe nationale à la Coupe du Monde au Qatar, en pleine révolte contre le régime de Téhéran, a évidemment été un événement particulièrement chargé de sens de ce point de vue.</p>
<h2>L’équipe nationale à la Coupe du Monde : soutien initial à la révolte, puis silence</h2>
<p>La politisation du sport est intensément plus vive et plus visible depuis que l’Iran est en proie aux manifestations déclenchées en réaction au tabassage à mort dans un commissariat de Téhéran, le 16 septembre 2022, de Mâhsâ Amini, qui avait été interpellée par la police des mœurs pour port incorrect du voile.</p>
<p>Le 27 septembre, à l’occasion d’un match amical contre le Sénégal en Autriche, les joueurs de l’équipe iranienne, dissimulant leur maillot sous une parka noire, refusèrent de chanter l’hymne national de la République islamique, <em>Sorud·e melli-ye jomhuri-ye eslâmi-ye Irân</em>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1575006658475921409"}"></div></p>
<p>Sardâr Âzmoun, la vedette qui joue au Bayer Leverkusen, fut probablement le promoteur de cette initiative. Peu avant, il avait écrit sur son compte Instagram :</p>
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<p>« La [punition] ultime est d’être expulsé de l’équipe nationale, ce qui est un petit prix à payer pour même une seule mèche de cheveux d’une femme iranienne. Ça ne sera jamais effacé de notre conscience. Je n’ai pas peur d’être évincé. Honte à vous d’avoir si facilement tué le peuple et vive les femmes d’Iran. Si ces assassins sont des musulmans, que Dieu fasse de moi un infidèle. »</p>
</blockquote>
<p>Cette prise de position courageuse n’entraîna pas l’exclusion d’Âzmoun, à la suite des interventions de la FIFA et de <a href="https://www.lefigaro.fr/sports/football/coupe-du-monde/coupe-du-monde-les-joueurs-iraniens-ont-le-droit-de-s-exprimer-affirme-queiroz-20221115">Carlos Queiroz</a>, le sélectionneur de l’équipe. Toujours est-il que, contraints ou non, les joueurs <a href="https://fr.irna.ir/news/84943122/Le-pr%C3%A9sident-Ra%C3%AFssi-a-re%C3%A7u-les-membres-de-l-%C3%A9quipe-d-Iran-avant">serrèrent la main</a> du président conservateur, adepte de la répression, Ebrâhim Raïssi, avant leur départ pour le Qatar, tandis que le Guide suprême, Ali Khâmene’i, déclarait que l’équipe « ne devait pas manquer de respect » à l’Iran.</p>
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<p>Le 21 novembre, cependant, alors que la répression ne cessait de croître, l’équipe ne chanta pas l’hymne national avant le match contre l’Angleterre (2-6) et plusieurs joueurs manifestèrent leur solidarité avec les insurgés. La veille, en <a href="https://www.bbc.com/sport/football/63696125">conférence de presse</a>, le défenseur Ehsân Hâjsafi exprima ses condoléances aux familles des personnes tuées et dit espérer « que les conditions changeront selon les attentes des gens ».</p>
<p>L’équipe se fit plus discrète lors des matchs suivants : en ouverture d’Iran-Pays de Galles (2-0), et d’Iran-États-Unis (0-1), elle chanta l’hymne national et les joueurs ne s’exprimèrent plus sur les réseaux sociaux à propos du mouvement de révolte. Craignaient-ils des représailles à leur retour, contre eux et contre leur famille ? Sans doute. <a href="https://www.lemonde.fr/sport/article/2022/11/30/coupe-du-monde-2022-dans-un-climat-suffocant-les-etats-unis-eliminent-l-iran_6152253_3242.html"><em>Le Monde</em> rapporte</a> que le dernier match fut beaucoup plus contrôlé, par des agents iraniens en particulier, que les précédents. Devant le stade, des <a href="https://rmcsport.bfmtv.com/football/coupe-du-monde/iran-etats-unis-echauffourees-entre-supporters-iraniens-a-l-issue-du-match_AV-202211300046.html">échauffourées</a> éclatèrent entre partisans et opposants au régime. Des opposants furent frappés à la sortie du stade et un journaliste danois a été pris à partie par des supporters pro-régime alors qu’il les filmait attaquant des partisans du mouvement de contestation ; les forces de sécurité qataries <a href="https://www.independent.co.uk/tv/news/world-cup-qatar-police-denmark-iran-b2237116.html">l’ont brièvement arrêté</a> – le Qatar entretient de bonnes relations avec l’Iran – et lui ont demandé d’effacer la séquence.</p>
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<figcaption><span class="caption">Des heurts entre supporters iraniens en marge de la Coupe du monde (France 24, 30 novembre 2022).</span></figcaption>
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<p>Les défaites de l’Iran suscitèrent des <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20221130-manifestations-de-joie-en-iran-apr%C3%A8s-l-%C3%A9limination-de-la-s%C3%A9lection-nationale-du-mondial">manifestations de joie</a> dans plusieurs villes du pays. L’équipe nationale n’était-elle pas le symbole de la République islamique ? Mais il n’est pas sûr que dans un pays aussi patriote que l’Iran la défaite ait engendré une satisfaction unanime.</p>
<h2>Les leçons du Mondial</h2>
<p>L’attitude de l’équipe iranienne et les réactions qu’elle a suscitées illustrent le dilemme auquel est confrontée aujourd’hui la majorité de la population : se taire, exécuter les ordres… ou se rebeller au risque d’être sanctionné, emprisonné, <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20221212-r%C3%A9pression-en-iran-deuxi%C3%A8me-ex%C3%A9cution-li%C3%A9e-aux-manifestations">tué</a>. Certains assument, avec un courage exemplaire, leur révolte contre ce régime inique et répressif. Le gouvernement a ainsi c<a href="https://teknomers.com/fr/la-maison-de-lex-star-du-bayern-confisquee/">onfisqué la maison</a> que possédait à Téhéran Ali Karimi, désormais installé à Dubai, et qui soutient, comme par le passé, les manifestations et protestations contre l’État islamique.</p>
<p>Quant à Ali Daei, la grande gloire footballistique nationale, longtemps meilleur buteur, à l’échelle internationale, de l’histoire du football, il a décidé de <a href="https://www.sofoot.com/ali-daei-ne-se-rendra-pas-au-qatar-en-soutien-aux-manifestations-en-iran-521521.html">ne pas se rendre au Qatar</a> pour protester, à Téhéran même, contre la « répression meurtrière » des autorités iraniennes. Menacé à plusieurs reprises, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1320475/mise-sous-scelles-de-la-bijouterie-et-du-restaurant-dun-footballeur-contestataire.html">Daei a vu sa bijouterie et son restaurant placés sous scellés</a>, « à la suite de sa coopération avec des groupes contre-révolutionnaires » selon l’agence officielle Isna. </p>
<p>Et n’oublions pas, tout en risquant d’être incomplet, Voriâ Ghafouri, qui est kurde comme Mâhsâ Amini et est l’ancien capitaine d’Esteghlâl, un des deux clubs phares de Téhéran, qu’il fut contraint de quitter en raison de ses prises de position ; il dut rejoindre Fulâd, un club du Khouzistan, où <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20221125-iran-arrestation-du-c%C3%A9l%C3%A8bre-footballeur-voria-ghafouri-critique-du-pouvoir">il a été arrêté</a>, le 24 novembre, « pour s’être livré à de la propagande contre l’État ». Décidément, le pouvoir islamique n’en a pas fini avec la mise au pas de ses footballeurs…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/196371/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Bromberger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Rarement une équipe nationale aura participé à une Coupe du Monde dans un contexte aussi lourd que l’Iran cette année.Christian Bromberger, Anthropologue, professeur émérite, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1931592022-11-20T16:01:19Z2022-11-20T16:01:19ZPropos visant une communauté religieuse : où commence le délit ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/495439/original/file-20221115-11-f02xma.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C120%2C3489%2C2205&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les nuances et spécificités concernant le délit qui sanctionne les propos tenus à l'encontre d'une communauté religieuse en particulier dans l'espace public sont parfois complexes à saisir.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/dMh1A35w_BE">Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>La diffusion de propos tenus en public à l’égard de certaines parties de la population, en particulier les musulmans, est récurrente. La référence au « grand remplacement » ou la confusion désormais pérenne entre musulmans et étrangers, si elles peuvent être qualifiées de fake news au regard de leur <a href="https://fanxoa.archivesdelazonemondiale.fr/grand-remplacement-histoire-dune-idee-mortifere-documentaire-inedit-lcp/">évidente inexactitude</a>, invitent également à réinterroger les limites de la liberté d’expression.</p>
<p>Deux délits étaient initialement prévus dans la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/LEGITEXT000006070722/">loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse</a> : l’injure publique et la diffamation. La <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000864827">loi du 1ᵉʳ juillet 1972</a>, dite loi Pléven, y ajoute un troisième délit qui punit d’un an d’emprisonnement et/ou de 45000<sup>e</sup> d’amende ceux qui, par des propos tenus en public, « auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». C’est de ce délit que traite cet article.</p>
<p>À l’heure où les déclarations visant spécifiquement les musulmans <a href="https://www.ohchr.org/fr/2021/03/special-rapporteur-freedom-religion-or-belief-human-rights-council-islamophobia-result">se multiplient</a>, il convient de s’intéresser au curseur fixé par la juridiction judiciaire pour déterminer ce qui relève ou non de ce délit. Une vingtaine de <a href="https://www.europedeslibertes.eu/article/provocation-a-la-haine-a-la-discrimination-ou-a-la-violence-a-legard-dun-groupe-de-personnes-a-raison-de-leur-religion-le-curseur-fixe-par-la-cour-de-cassation-pour-qualifier-l/">décisions récemment étudiées</a> permet de dégager deux éléments qui font particulièrement l’objet de l’attention des juges : la détermination objective d’un groupe de personnes, et l’interprétation qu’il convient d’avoir de la « provocation ».</p>
<h2>Critique de la religion ou propos tenus à l’égard des pratiquants ?</h2>
<p>Pour entrer dans le champ d’application du délit, les propos tenus en public doivent viser « un groupe de personnes à raison de leur religion ». De façon claire et constante, le juge judiciaire exclut du champ d’application du délit les propos tenus à l’égard de la religion ou de ses prescriptions. Ainsi, les critiques même véhémentes de la religion sont à distinguer des propos tenus à l’égard des (présumés) pratiquants eux-mêmes. Par exemple, un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000017832313/">tract politique</a> dénonçant l’action de financer un culte musulman ou les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007625293/">critiques d’une pratique religieuse</a> comme l’égorgement des animaux n’entrent pas dans le champ d’application du délit puisqu’ils ne visent pas directement un groupe de personnes.</p>
<p>D’autres propos sont plus délicats à apprécier : par exemple, un <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000034337695/">pamphlet</a> dans lequel l’auteur imagine la disparition de l’islam et le sort réservé à ses adeptes. Ces propos nécessitent alors un contrôle beaucoup plus approfondi de la part du juge, seuls les propos visant les adeptes permettant de qualifier un « groupe de personnes à raison de leur religion ».</p>
<h2>Quels sont les propos condamnables ?</h2>
<p>La juridiction judiciaire est successivement passée d’une interprétation large de la « provocation », permettant ainsi de sanctionner les propos faisant naître un sentiment d’hostilité, de rejet ou de haine, à une interprétation stricte, permettant alors de ne sanctionner que les propos qui exhortent, invitent, même implicitement, à la haine, discrimination ou violence. Cette distinction comporte néanmoins une difficulté indéniable : le positionnement du curseur entre les propos créant un rejet, un sentiment d’hostilité à l’égard d’un groupe de personnes, et des propos provoquant à la haine ou invitant à une réaction, un agissement discriminatoire ou violent est particulièrement difficile à déceler. En effet, l’utilisation désormais <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-instant-m/l-instant-m-du-vendredi-01-avril-2022-1348887">banalisée</a> de l’expression « grand remplacement » – qu’il conviendrait pourtant d’interroger – ne peut être appréhendée comme une expression créant uniquement un sentiment d’hostilité ou de rejet. Des tueries ont déjà eu lieu sur la base de ces théories, qu’il s’agisse de la tuerie de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/asie/attentats-a-christchurch/">Christchurch</a> en Australie ou, plus récemment, de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/apres-la-tuerie-de-buffalo-l-etat-de-new-york-prend-des-mesures-plus-strictes-sur-les-armes-20220607">Buffalo</a> dans l’État de New York aux États-Unis.</p>
<p>Si, juridiquement, l’interprétation stricte de la provocation est plus conforme au principe d’interprétation stricte de la loi pénale, elle n’est pas nécessairement adaptée à la réalité de la société. Les effets de tels propos sur la cohésion sociale sont en effet indéniables et le curseur ainsi fixé laisse libre cours à des théories et propos qui peuvent s’avérer dangereux.</p>
<p>Cela pose également la question du canal de diffusion qui devrait davantage être pris en compte puisqu’il a un impact sur l’audience des propos. En tout état de cause, la seule pénalisation des déclarations contenant une « provocation », c’est-à-dire une incitation à agir, est insuffisante pour contrer les idéologies dangereuses et créant des problèmes en termes de cohésion sociale. L’accroissement exponentiel des invectives de ce type et la réalité médiatique mettent donc à l’épreuve cet état actuel du droit.</p>
<h2>Une jurisprudence à l’épreuve de l’augmentation des invectives</h2>
<p>Désormais, la notion de « grand remplacement » est utilisée dans le débat public français aux heures de grande antenne, sans susciter d’émois particuliers. Cette expression, mais aussi les allégations qui l’accompagnent, sont souvent tenues au prétexte de débats sur l’immigration et créent ainsi une confusion entre musulmans et étrangers. Ce phénomène, qui fait aujourd’hui partie de la scène médiatique et politique, est étudié par d’autres <a href="https://www.cairn.info/avec-l-immigration--9782707190246-page-232.htm">disciplines</a> et conduit à réinterroger l’état du droit actuel.</p>
<p>En effet, le dispositif pénal n’est pas figé et les infractions prévues par la loi évoluent en même temps que la société. Sur le terrain de la loi pénale, il serait donc possible, par exemple, de condamner les propos publics suscitant un sentiment d’hostilité ou de rejet. Un tel durcissement du droit pénal en matière de liberté d’expression serait, du reste, conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Celle-ci avait déjà déclaré cette position conforme à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme en <a href="https://www.doctrine.fr/d/CEDH/HFDEC/ADMISSIBILITYCOM/2017/CEDH001-172508">2004</a>. Encore <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22001-211599%22%5D%7D">récemment</a>, la CEDH a considéré que les propos assimilant les personnes de confession musulmane avec la délinquance et l’insécurité, tendent à susciter un fort sentiment de rejet et d’hostilité envers ce groupe. Il s’agirait donc d’adapter la législation à l’évolution de la teneur des propos tenus en public.</p>
<h2>La nécessité de mesures complémentaires efficaces</h2>
<p>Aucun dispositif pénal n’est efficace sans un véritable investissement dans l’éducation, un outil préventif de première importance. Les mesures complémentaires efficaces, notamment sur le terrain de la pédagogie et de la sensibilisation, sont donc essentielles. La Cour européenne des droits de l’Homme rappelle d’ailleurs, dans sa jurisprudence et <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre#%7B%22itemid%22:%5B%22001-62057%22%5D%7D">dès 1976</a>, que la liberté d’expression est nécessaire pour garantir le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique.</p>
<p>L’ampleur des discours de haine a d’ailleurs conduit le Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les droits de l’Homme à créer la <a href="https://unric.org/fr/vers-une-approche-globale-de-la-lutte-contre-les-discours-de-haine/">première Journée internationale de la lutte contre les discours de haine</a> en juin dernier. Par ailleurs, et comme le rappelle la chercheuse Charlotte Denizeau, le Conseil de l’Europe et l’Union européenne se sont construits <a href="https://www.google.com/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&ved=2ahUKEwiv9uPIiez6AhW9g_0HHeW7B6IQFnoECAsQAQ&url=https%3A%2F%2Fwww.revuegeneraledudroit.eu%2Fwp-content%2Fuploads%2FER2015_11.pdf&usg=AOvVaw3qd_exXBOgg1D2siEoVjXL">« en réaction contre les crimes fascistes, qui, avant d’être perpétrés, étaient inscrits dans des discours idéologiques »</a>. Le continent européen, de par son histoire, se doit donc de prévenir la progression des idéologies qui incitent à la haine, puis à la violence, envers des groupes de personnes déterminés.</p>
<p>Au niveau national, il serait donc pragmatique d’agir à deux niveaux : poursuivre l’évolution de la législation relative à la lutte contre la haine en ligne et investir plus largement la sensibilisation à ces questions, la mise à distance des propos tenus aux heures de grandes antennes et sur les réseaux sociaux, un seuil minimal de connaissances étant primordial pour garantir l’exercice pacifié et commun des libertés fondamentales.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193159/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lauren Bakir ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans quelle mesure les propos tenus à l’encontre de personnes en raison de leur confession peuvent-ils être condamnés ?Lauren Bakir, Ingénieur de recherche CNRS, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1937522022-11-16T14:40:40Z2022-11-16T14:40:40ZIslam en France, en Angleterre et en Allemagne : des histoires différentes par-delà les frontières<p>L’analyse de discours publics en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne montre que les récits sur l’islam et les musulmans constituent de véritables champs de bataille spécifiques à chaque contexte, comme je le décris dans mes travaux de <a href="https://www.theses.fr/s263315">thèse</a>.</p>
<p>En Allemagne, les discours sur l’islam s’articulent autour de la notion de culture. D’un côté, la majorité de l’élite politique défend une identité allemande fondée non plus sur une culture traditionnelle mais sur une adhésion constitutionnelle (<em>Verfassungspatriotismus</em>). De l’autre, une minorité politico-médiatique défend le retour d’une vision monoculturelle de l’identité allemande (<em>Leitkultur</em>).</p>
<p>Dans cette lutte narrative, l’extrême droite incarnée entre autres par l’AfD (<em>Alternative für Deutschland</em>), assimilée à l’héritage traumatique de l’Allemagne nazie, fait office <a href="https://www.faz.net/aktuell/politik/inland/merkel-ruft-zu-kampf-gegen-rechtsextremismus-auf-16248858.html">d’ennemi numéro 1</a>, bien plus que l’islam, même radical. Les discours sécuritaires sur l’islam, s’ils sont virulents, restent donc circonscrits à l’<a href="https://www.afd.de/wp-content/uploads/sites/111/2017/07/2017-07-20_afd-btw_faltblatt_islam-nicht-zu-deutschland.pdf">extrême droite</a> et à quelques discours médiatiques, comme ceux d’<a href="https://www.emma.de/artikel/islam-und-islamismus-eine-brisante-umfrage-338749">Alice Schwarzer</a> ou <a href="https://www.focus.de/politik/experten/gastbeitrag-von-birgit-kelle-es-gibt-keine-islamophobie-aber-sicher-einen-terror-im-namen-des-islam_id_12601630.html">Birgit Kelle</a> par exemple.</p>
<p>En Grande-Bretagne, les discours sur l’islam s’articulent autour de deux conceptions du libéralisme plutôt que de la pratique religieuse. D’un côté, un libéralisme idéologique, conçu comme le mode de vie britannique à préserver tantôt face à la menace terroriste, tantôt face à celle de l’Union européenne, sous domination allemande et permettant une immigration incontrôlée. Ce libéralisme idéologique s’est incarné, entre autres, par l’affirmation d’un <a href="https://webarchive.nationalarchives.gov.uk/ukgwa/20130102224134/http:/www.number10.gov.uk/news/pms-speech-at-munich-security-conference/">libéralisme « musclé »</a> par l’ancien premier ministre David Cameron contre un multiculturalisme jugé neutre et passif.</p>
<p>De l’autre, un libéralisme compris comme un mode de gestion des différences (<em>multiculturalism</em>), hérité de la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/13698230.2017.1398443">construction impériale britannique</a>, afin de faire face aux menaces populistes et nationalistes. Dans cette lutte, c’est l’Europe continentale qui, bien plus que l’islam, constitue l’objet d’identification et de contre-identification des élites <a href="http://www.voteleavetakecontrol.org/boris_johnson_the_liberal_cosmopolitan_case_to_vote_leave.html">politiques</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=3CNeDtZmpjU">médiatiques</a> britanniques, avec le Brexit comme paroxysme.</p>
<h2>Et en France ?</h2>
<p>En France, les récits sur l’islam se construisent par rapport à la religion, opposant deux conceptions de la laïcité. D’un côté, les partisans d’une <a href="https://journals.openedition.org/rdr/435">laïcité axiologique</a>, ou laïcité-valeur, conçoivent la laïcité comme la valeur refuge contre une « menace islamique », réelle ou perçue. De l’autre, les défenseurs de la <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/la-constitution/comment-la-constitution-protege-t-elle-la-laicite">laïcité constitutionnelle</a> mobilisent la laïcité comme un principe de régulation du fait religieux pour inclure les Français musulmans dans la République.</p>
<p>Alors qu’elle ne repose sur aucun texte de loi, la laïcité axiologique est parvenue à devenir la <a href="https://theconversation.com/la-cite-lexception-nest-pas-la-ou-les-francais-la-voient-128338">représentation majoritaire de la laïcité française</a>, et ce depuis la première <a href="https://www.cairn.info/revue-les-etudes-sociales-2021-2-page-239.htm">affaire du voile en 1989</a>. Paradoxalement, la laïcité constitutionnelle, qui repose pourtant sur la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État et sur le préambule de la constitution de 1946, peine à se faire entendre dans le débat public.</p>
<p>Les discours sur l’islam révèlent donc une lutte entre <a href="https://thenewpress.com/books/two-faces-of-liberalism">deux acceptations du libéralisme politique</a>. Les partisans de la <em>Leitkultur</em>, du <em>muscular liberalism</em> et de la laïcité axiologique conçoivent le libéralisme politique comme un ensemble de « valeurs communes », auxquelles les nouveaux arrivants doivent s’assimiler.</p>
<p>Au contraire, les partisans du <em>Verfassungspatriotismus</em>, du <em>multiculturalism</em> ou de la laïcité constitutionnelle, comprennent ce même libéralisme comme les <a href="https://philpapers.org/rec/RAWPL">« règles du jeu communes »</a> pour des sociétés <em>de facto</em> multiculturelles.</p>
<p>Ces champs de bataille narratifs européens donnent à voir ce qui est acceptable ou coûteux politiquement dans le débat public national.</p>
<h2>Des sensibilités propres à chaque contexte</h2>
<p>La désignation de la culture (musulmane) comme menace est plus acceptable en Allemagne et en Grande-Bretagne qu’en France, où les acteurs politiques s’aventurent rarement à cibler explicitement une culture. Au contraire, dénoncer la religion (musulmane) comme menace est plus acceptable dans le contexte français, où la religion est considérée comme une opinion, alors qu’elle comporte un coût politique élevé en Grande-Bretagne et en Allemagne, où la religion est considérée comme partie intégrante de l’identité de chacun.</p>
<p>Par exemple, l’usage du terme <em>islamophobie</em> n’est pas consensuel. Que ce soit le terme ou le phénomène, l’islamophobie n’est pas reconnue en France. D’un côté, l’islam, en tant que religion, n’est pas protégée par les textes. De l’autre, le phénomène de phobie est contesté, l’opposition à <a href="https://www.kreisgg.de/fileadmin/Buero_Landrat/Integration/Antirassismus_und_Integrationsmanagement/Fachstelle_gegen_Rassismus/Publikationen/Islamfeindlichkeit_Begriffe_.pdf">l’islam étant jugée rationnelle dans un contexte d’intégrisme accru</a>.</p>
<p>En Allemagne, le phénomène est bien reconnu, mais <a href="https://www.kreisgg.de/fileadmin/Buero_Landrat/Integration/Antirassismus_und_Integrationsmanagement/Fachstelle_gegen_Rassismus/Publikationen/Islamfeindlichkeit_Begriffe_.pdf">l’usage du terme est encore débattu</a> dans les discours officiels. Si les termes <em>islamophobie</em> et sa version germanique <em>Islamfeindligkeit</em> sont utilisés dans le débat public et scientifique, c’est le terme <a href="https://cik.leeds.ac.uk/wp-content/uploads/sites/36/2017/07/2017.07.26-WS1-Germany-Final.pdf"><em>Muslimfeindligkeit</em></a> (hostilité à l’égard des musulmans) qui s’est imposé dans les discours officiels depuis la <a href="https://www.deutsche-islam-konferenz.de/DE/Startseite/startseite_node.html">Conférence allemande sur l’islam</a> de 2011-2012.</p>
<p>En Grande-Bretagne, le phénomène est reconnu et le terme mobilisé officiellement depuis la publication du <a href="https://assets.website-files.com/61488f992b58e687f1108c7c/617bfd6cf1456219c2c4bc5c_islamophobia.pdf">rapport sur l’islamophobie</a> par la fondation Runnymede Trust en 1997. Et, depuis 2017, un <a href="https://appgbritishmuslims.org/">groupe parlementaire multipartis</a> travaille à l’adoption d’une <a href="https://www.research.manchester.ac.uk/portal/en/impact/all-party-parliamentary-group-on-british-muslims(e8c74de4-dec2-4ef7-b5b6-bcae59ccacbf).html">définition légale de l’islamophobie</a>.</p>
<p>Ces variations narratives et conceptuelles d’un contexte européen à l’autre révèlent des traumatismes historiques spécifiques à chaque pays.</p>
<h2>Le poids de l’histoire nationale dans les discours contemporains</h2>
<p>En Grande-Bretagne, l’Europe continentale polarise plus que l’islam pour deux raisons historiques. D’une part, l’Europe continentale, tantôt <a href="https://warwick.ac.uk/fac/cross_fac/iatl/reinvention/archive/volume5issue2/mayblinsmith/">catholique, tantôt absolutiste, tantôt impérialiste</a>, a toujours été perçue comme la menace principale pour les élites britanniques. D’autre part, l’islam fait partie de l’histoire britannique depuis la colonisation de l’Inde par le biais de ses comptoirs en 1600, et tous les sujets musulmans de l’Empire sont devenus citoyens britanniques à part entière par la <a href="https://www.legislation.gov.uk/ukpga/Geo6/11-12/56/introduction/enacted">loi de nationalité de 1948</a>. Désigner l’islam comme menace a donc peu de valeur, d’un point de vue électoral du moins, même à l’extrême droite de l’échiquier politique. En témoigne la défaite du parti UKIP aux élections parlementaires européennes de 2019 après que Nigel Farage, eurosceptique, a été remplacé par Gerard Batten, aux propos islamophobes, à la tête du parti en 2018, <a href="https://www.theguardian.com/politics/2019/jan/07/ukip-to-hold-leadership-election-later-this-year-gerard-batten">déclenchant le départ de certains de ses membres fondateurs</a>.</p>
<p>L’ambivalence des discours publics allemands à l’égard de l’islam est liée à l’héritage traumatique du nazisme et à la division de l’Allemagne pendant la Guerre froide. Ce double legs a façonné l’émergence d’un État unifié, démocratique et libéral autour du <a href="https://academic.oup.com/icon/article/6/1/67/669061">patriotisme constitutionnel</a>. Néanmoins, la politique d’accueil massif des réfugiés lancée par l’ex-chancelière allemande (<a href="https://www.bundesregierung.de/breg-de/aktuelles/pressekonferenzen/sommerpressekonferenz-von-bundeskanzlerin-merkel-848300">« <em>Wir Schaffen Das</em> »</a>) en 2015, a accentué la résurgence d’un courant culturaliste, autoritaire et nationaliste défendant une <a href="https://www.zvab.com/9783442755929/Europa-Identit%8At-Krise-multikulturellen-Gesellschaft-3442755921/plp"><em>Leitkultur</em></a> allemande, qui menace ce consensus.</p>
<p>En France, la victoire narrative de la <a href="https://www.cairn.info/revue-humanisme-2017-1-page-17.htm">laïcité axiologique</a> sur la laïcité constitutionnelle exprime un double legs. D’une part, la <a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08898480.2018.1553410">tradition laïque</a>, soit par anticléricalisme, soit par attachement à une laïcité de tradition catholique, exprime une réticence à la visibilité de l’islam dans l’espace public. De l’autre, la colonisation de l’Afrique du Nord, et avec elle le traumatisme de la décolonisation de l’Algérie, fait de <a href="https://www.researchgate.net/publication/45110512_L%27islam_comme_contre-identification_francaise_Trois_moments">l’Autre musulman</a> la figure qui structure encore aujourd’hui en grande partie l’identité française.</p>
<p>L’identité française continue donc de se construire en opposition à l’islam, tandis que l’identité britannique continue de se construire en opposition à l’Europe continentale, et l’identité allemande de se reconstruire en opposition à l’Allemagne nazie. Si l’avenir de l’Union européenne repose, en partie, sur une plus grande convergence d’intérêt et de vision, reconnaître le poids des histoires nationales dans les discours contemporains est un préalable indispensable à la construction d’une <a href="https://livre.fnac.com/a2572516/Benedict-Anderson-Imagined-communities">communauté imaginée</a> européenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/193752/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jeanne Prades travaille chez Technopolis France comme consultante sénior en évaluation des politiques publiques.</span></em></p>Les discours publics en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne sur l’islam et les musulmans montrent aussi les enjeux nationaux propres à chaque pays.Jeanne Prades, Docteure en Science politique - Chercheure associée au Laboratoire interdisciplinaire de Polytechnique (LinX), École polytechniqueLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1924152022-11-09T23:42:49Z2022-11-09T23:42:49ZDébat : Le traitement de l’islam en France est-il symptomatique d’une crise républicaine ?<p>Très récemment, Emmanuel Macron s’est rendu à la Grande Mosquée de Paris pour <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/10/20/cent-ans-de-la-grande-mosquee-de-paris-macron-defend-son-action-a-l-egard-de-l-islam-de-france_6146553_3224.html">commémorer le centième anniversaire</a> de cette institution. Si le président a prononcé un discours flatteur à l’attention de la communauté musulmane, le tournant pris par des secteurs de l’État français dans leurs relations avec l’islam interroge.</p>
<p>Dans un <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/la-republique-autoritaire/">ouvrage</a> paru récemment, j’ai tenté de décrypter et comprendre la manière dont se construit et se diffuse depuis les attentats de 2015 une tendance <a href="https://www.editionstextuel.com/livre/la_grande_confusion">« moralisatrice, sécuritaire et identitariste »</a> de la scène politique française, au premier chef de certains représentants de l’État, au sujet de l’islam et des musulmans.</p>
<p>Mon enquête montre qu’entre 2015 et 2022, des politiques et représentants étatiques (et donc non l’État dans son ensemble ni dans un absolu anhistorique) semblent ne plus viser simplement les terroristes dits islamistes sur des faits constitués ou bien encore des rigoristes sur le point de passer à l’acte violent, mais les discours et les comportements de musulmans apparemment trop conservateurs.</p>
<p>Ces derniers sont notamment visés quand ils formulent des critiques à l’endroit de certains discours et politiques publiques en leur direction. Mon travail de recherche <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2018-3-page-9.htm">questionne</a> justement la légitimité de l’État à censurer et réprimer ce type de critique, ou à juger de « modes de vie ». Si des conservateurs religieux respectent la loi, un État libéral digne de ce nom, ou attaché aux libertés individuelles, doit-il tout de même chercher à réguler ce qu’ils pensent et ce qu’ils montrent ostensiblement de leurs appartenances religieuses, quelle qu’en soit la nature ?</p>
<p>Un ordre moral rigide doit-il, au nom de la République, supplanter le polythéisme des valeurs à l’œuvre dans la société ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/de-la-mauvaise-defense-de-l-islamophobie-125780">De la mauvaise défense de l’« islamophobie »</a>
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<h2>Une progressive « intrusion de l’État »</h2>
<p>Une gestion étatique centralisatrice et régulatrice était déjà à l’œuvre depuis au moins la fin des années 1980 et la naissance en 1989 du CORIF (Conseil de réflexion sur l’islam de France), sous la férule de Pierre Joxe, ministre de l’Intérieur sous <a href="https://francearchives.fr/fr/facomponent/7ad9c7e334a0cb97816f2dfb332c6e6aec4636c2">François Mitterrand</a>.</p>
<p>Mais il y a eu clairement un effet d’emballement avec les premiers attentats islamistes dans les années 1990 puis surtout ceux de 2015, dans des accents de moins en moins dialogiques et, au contraire, de plus en plus répressifs et sécuritaires. Notons qu’il y a cependant eu des phases de dialogue dans l’intervalle, suivant les moments et les ministres en exercice.</p>
<p>On constate néanmoins de manière de plus en plus prégnante « l’intrusion de l’État […] dans les visions et styles de vie des musulmans », comme je l’écris dans mon livre, et qui se traduit par une <a href="http://1libertaire.free.fr/MFoucault106.html">« extension de la norme »</a>, autrement dit, au sens où l’entend le philosophe Michel Foucault (1926-1984), une « classification permanente des individus », musulmans en l’espèce, en « modérés », « républicains », « islamistes », « fondamentalistes », « séparatistes », etc. Je ne connais objectivement pas d’autres acteurs sociaux et de religion dans l’Hexagone rangés sous autant de qualificatifs, a fortiori dépréciatifs.</p>
<p>Ainsi, ce nouveau contexte de raidissement sur la question du fait islamique a semble-t-il connu un tournant avec le <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/10/02/la-republique-en-actes-discours-du-president-de-la-republique-sur-le-theme-de-la-lutte-contre-les-separatismes">discours des Mureaux</a> d’Emmanuel Macron en octobre 2020 et la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/que-contient-la-charte-des-principes-de-l-islam-de-france-1483150">Charte pour les principes de l’islam de France</a> initiée également par l’Elysée fin 2020, dans le cadre de la préparation de <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/277621-loi-separatisme-respect-des-principes-de-la-republique-24-ao%C3%BBt-2021">« la loi contre les séparatismes »</a>. Emmanuel Macron, conseillé notamment par quelques chercheurs, eut de plus en plus tendance à voir l’islamisme comme hégémonique sur l’islam de France et à supposer, ce faisant, que libéralisme religieux et encadrement plus étroit du culte islamique étaient la solution au « problème » musulman.</p>
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<figcaption><span class="caption">Discours et conférence de presse du président de la République depuis Les Mureaux, le 2 octobre 2020. YouTube.</span></figcaption>
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<h2>Vision critique et passage à l’acte ?</h2>
<p>Ce changement d’attitude au sommet de l’appareil étatique a donc également été nourri par le concours actif de <a href="https://www.cairn.info/revue-du-crieur-2021-2-page-142.htm">certains universitaires</a>, réunis autour d’une conviction : l’existence d’une continuité entre une vision critique de la société au nom de la religion musulmane, comprise quelquefois de façon intégraliste par des musulmans, et le passage à l’acte violent, en surdéterminant le rôle des « valeurs républicaines ».</p>
<p>Ainsi, ce qui est maintenant sanctionné, ce ne sont plus seulement les actes violents ou ce qui y mènerait décisivement, mais les discours qui constituent supposément un terreau favorable à la mise en cause « des valeurs de la République », par exemple la misogynie, l’égalité entre les hommes et les femmes, etc.</p>
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<p>Le changement majeur se situe à ce niveau-là : la mise en quarantaine de figures, individuelles ou collectives, susceptibles de nourrir une vision critique, acerbe de l’État, voire conservatrice de la société, ou de ne pas donner suffisamment de gages, de preuves tangibles de respect strict de la laïcité, moins en tant que principe d’ailleurs que valeur.</p>
<p>Prenons l’exemple du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), qui a été dissous par décret en Conseil des ministres fin 2020. Certes, l’association, du reste non confessionnelle, a été <a href="https://www.la-croix.com/Religion/Islam/Haoues-Seniguer-Limpense-ideologique-Collectif-contre-lislamophobie-France-2016-08-25-1200784559">mise en cause</a> à plusieurs reprises, mais l’accusation selon laquelle elle était « un organe de diffusion de l’islamisme et d’incitation à la haine de la France » a été jugée largement excessive par la Ligue des droits de l’Homme qui a évoquéune <a href="https://www.ldh-france.org/dissolution-politique-du-ccif/">dissolution politique</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lutte-contre-le-separatisme-une-loi-qui-stigmatise-les-minorites-159576">« Lutte contre le séparatisme », une loi qui stigmatise les minorités ?</a>
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<h2>Des confusions entre plusieurs tendances</h2>
<p>Des discours de représentants de l’État, de ministres, de préfets, actifs ou non, contribuent, tout en s’en défendant, à l’amalgame regrettable entre islam et islamisme, au travers justement de l’imprécision de la terminologie utilisée, et surtout de l’affirmation d’un continuum entre certaines pratiques religieuses jugées « rigoristes » (pratique religieuse assidue, port du voile dans l’espace public, etc.), politisation et radicalisation.</p>
<p>Je songe ici directement aux propos emblématiques de celui qui fut ministre de l’Intérieur de l’actuel chef de l’État, Christophe Castaner, devant la représentation nationale, en <a href="https://www.europe1.fr/politique/christophe-castaner-liste-les-signes-de-radicalisation-religieuse-vous-avez-une-barbe-vous-meme-lui-repond-un-depute-3924324">octobre 2019</a>.</p>
<p>Or pour ne pas donner dans l’amalgame, il faut distinguer trois phénomènes :</p>
<p>1/Les musulmans aux pratiques conservatrices, c’est-à-dire attachés <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/haoues-seniguer-faut-il-avoir-peur-de-lislamisme-en-france-20210509_2YRHYDNMHZAPLDP6Q4GSCBFAMU/">aux valeurs traditionnelles</a> de la famille, de l’autorité, du rapport entre les sexes, etc., politisés ou non, qui peuvent quelquefois prendre la parole dans l’espace public en critiquant telle ou telle orientation politique, sans en appeler nécessairement à la sédition. Ces personnes ne sont pas toujours rattachées à un courant idéologique déterminé ou liées à un corpus islamique bien défini. Il ne faut donc pas spontanément surdéterminer la place de l’idéologie dans leurs comportements et visions du monde.</p>
<p>2/L’islamisme que je qualifie de légaliste : celui-ci est incarné notamment en France par les <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/les-neo-freres-musulmans-et-le-nouvel-esprit-capitaliste-entre-rigorisme-moral-cryptocapitalisme-et-anticapitalisme/">néo-Frères musulmans</a>, à l’instar de la fédération Musulmans de France. Ses membres respectent la loi, tout en ayant une vision très conservatrice de l’ordre social, des mœurs. Les néo-Frères estiment vital l’engagement social et politique au nom de leur foi religieuse, en fonction du contexte et des rapports de force. À notre connaissance, sur la période récente, aucun membre de cette organisation française n’a appelé à combattre les lois de notre pays ; elle a au contraire immédiatement ratifié la Charte des principes de l’islam de France. Il est vrai toutefois qu’à l’étranger les Frères musulmans, ou les héritiers de leur idéologie, ont pu dans l’histoire commettre des actes de violence et pratiquer le terrorisme, en Égypte, en Algérie, au Maroc, etc., notamment en contexte autoritaire et répressif. Mais certains d’entre eux ont peu ou prou évolué.</p>
<p>3/Enfin, le terrorisme, l’islamisme radical qui lui passe par la voie des armes, les tentatives de meurtre, d’assassinat, d’intimidation, <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/culturesmonde/que-nous-veut-Daech-6183273">au nom d’une vision mortifère de l’islam</a>.</p>
<h2>Des critères flous</h2>
<p>Les critères flous de définition publique de la <a href="https://www.cairn.info/revue-histoire-monde-et-cultures-religieuses-2016-3-page-13.htm?contenu=resume">radicalisation</a> ont conduit, en particulier au lendemain de novembre 2015, à des erreurs et même à des fautes, relevées à juste titre par de nombreuses <a href="https://www.lesechos.fr/2017/05/amnesty-international-denonce-les-derives-de-letat-durgence-169382">ONG de défense des droits humains</a> et même par le <a href="https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/a-la-une/2016/01/audition-par-la-commission-des-lois-du-senat-sur-le-suivi-de-letat-durgence">Défenseur des droits</a>.</p>
<p>Les mesures initiées par l’État ont touché des <a href="https://www.ouest-france.fr/pays-de-la-loire/le-mans-72000/fiche-s-et-perquisitionne-lallonnais-clame-son-innocence-3852652">individus</a> et des <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/300321/apologie-du-terrorisme-des-eleves-accuses-un-fiasco-l-arrivee">familles</a>, déclarés a posteriori innocents par la justice française, par des perquisitions donc injustifiées, des privations de liberté, alors même qu’il n’y avait aucun lien avéré avec des cellules ou activités terroristes.</p>
<p>Cette confusion conceptuelle entre conservatisme, rigorisme, radicalisation, séparatisme, islamisme et djihadisme est effectuée et entretenue sans même que les acteurs politiques et décideurs en aient toujours pleine conscience.</p>
<p>Toutes ces confusions se traduisent aussi par l’immixtion dans les affaires privées des musulmans pour leur dire comment s’organiser sur le <a href="https://theconversation.com/les-ong-musulmanes-au-coeur-des-debats-sur-le-separatisme-149182">plan associatif</a>, cultuel, <a href="https://theconversation.com/piscine-et-nudite-le-maillot-de-la-discorde-184970">culturel</a>, comptable. Les récentes polémiques autour du voile en France et du soutien aux Iraniennes ont relancé ces questions.</p>
<h2>Une crise du modèle républicain</h2>
<p>Ce rapport heurté, malaisé à l’islam et aux musulmans de France de la part de certains secteurs de l’État, révèle pourtant quelque chose d’encore plus significatif.</p>
<p>En effet, le traitement public de l’islam et des musulmans semble surtout refléter l’illustration paroxystique d’une crise du modèle républicain <a href="https://theconversation.com/vers-un-universalisme-postcolonial-176814">universaliste</a> et <a href="https://www.cairn.info/de-la-question-sociale-a-la-question-raciale--9782707158512-page-158.htm">« colorblindness »</a>, en d’autres termes indifférent aux couleurs et origines.</p>
<p>Je donnerai deux brefs exemples pour aller à l’essentiel. D’une part, au début des années 2000, le <a href="https://www.grasset.fr/livres/quest-ce-quune-politique-juste-9782246654919">philosophe Alain Renaut</a> mettait en exergue l’incapacité des gouvernants français de l’époque, Jacques Chirac et Lionel Jospin principalement, à consentir, à intégrer réellement le fait linguistique pluraliste de la France dans la Constitution ; ces derniers esquivèrent effectivement la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, au nom de la prééminence de la langue française, censément garante de l’unicité de la Nation.</p>
<p>D’autre part, en lien avec ce qui précède, les <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01701292">écrits du philosophe</a> Jean Marc Ferry explicitent les ferments de la crise du modèle républicain ; dans sa difficulté à penser une « identité postnationale », qui n’est certainement pas la négation de l’idée nationale, mais son dépassement dans quelque chose de plus grand, une citoyenneté européenne à <a href="https://theconversation.com/contre-lhysterie-identitaire-le-cosmopolitisme-78009">vocation cosmopolitique</a>, dans laquelle les individus pourraient faire l’expérience « d’une reconnaissance de soi dans l’autre ».</p>
<p>On prétend donc traiter les citoyens en faisant abstraction de leurs appartenances culturelle, religieuse, linguistique, mais, dans les faits, les individus restent en quelque sorte toujours prisonniers de celles-ci.</p>
<h2>Le discours républicaniste</h2>
<p>Depuis 2015 s’est par conséquent développé un discours que l’on peut qualifier de <a href="https://www.cairn.info/les-theories-de-la-republique--9782707139092-page-3.htm">« républicaniste »</a>, mystificateur en l’occurrence, qui entend affirmer et réaffirmer, par un durcissement de la loi ainsi qu’une surveillance et répression policières, l’attachement aux <a href="https://theconversation.com/fact-check-les-valeurs-de-la-republique-empechent-elles-de-pratiquer-sa-religion-129853">« valeurs de la République »</a> ; et, dans le même temps, sanctionner les éventuels contrevenants.</p>
<p>En effet, certains représentants de l’État et acteurs associatifs qui cultivent une approche pour le moins policière, moralisatrice ou axiologique de la laïcité, promeuvent <em>in fine</em> une vision « unanimiste d’une nation que l’on rêve <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-republique-et-le-cochon-pierre-birnbaum/9782021108651">homogène dans ses valeurs et ses comportements</a> ». En contravention flagrante avec la nature même de la démocratie et des droits humains.</p>
<h2>Vers une discipline morale ?</h2>
<p>Est-ce au président de la République, Emmanuel Macron, chef d’un État laïque, d’en appeler à un <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/10/19/macron-reaffirme-son-voeu-d-un-islam-des-lumieres_1802888/">« islam des Lumières »</a> ?</p>
<p>L’ensemble des indices succinctement évoqués dans cette contribution pointe les usages et surtout mésusages du référentiel républicain. Ce n’est pas la République qui est pointée du doigt mais ce qu’on lui fait dire et faire.</p>
<p>Ce dévoiement du référentiel républicain assoit le doute sur « la loyauté » des musulmans à la république, et, ce faisant, justifie une espèce de discipline morale et comportementale de ceux qui seraient apparemment trop ostensiblement musulmans, trop visibles, et de surcroît auteurs de discours critiques des politiques publiques qui les touchent plus sensiblement.</p>
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<p><em>L’auteur de cet article vient de faire publier <a href="https://www.editionsbdl.com/produit/la-republique-autoritaire/">« La république autoritaire. Islam de France et illusion républicaine (2015-2022) »</a> aux éditions du Bord de l’eau.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192415/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Haoues Seniguer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’État semble ne plus viser simplement les terroristes ni les rigoristes sur le point de passer à l’acte violent mais tous les comportements de musulmans apparemment conservateurs.Haoues Seniguer, Maître de conférences en science politique. Spécialiste de l’islamisme et des rapports entre islam et politique, Sciences Po Lyon, laboratoire Triangle, ENS de LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1921572022-10-11T19:14:33Z2022-10-11T19:14:33ZLe contrôle du corps des femmes, un enjeu fondamental pour la République islamique d’Iran<p><em>Derrière la militante des droits humains <a href="https://www.liberation.fr/sciences/dans-un-monde-sous-tension-quel-prix-nobel-de-la-paix-en-2023-20231006_MQINAOMGBZBOJIMGEJIZJGLPZ4/">Narges Mohammedi</a>, 51 ans, qui purge actuellement une longue peine de prison, c'est l'ensemble des femmes iraniennes que le comité Nobel de la paix a récompensées ce vendredi. Sous le slogan « Femme, vie, liberté », devenu le cri de ralliement du mouvement de contestation qui secoue le pays depuis le meurtre il y maintenant un peu plus d'un an de Mahsa Alimi, les Iraniennes - rejointes d'ailleurs par de nombreux Iraniens - protestent, malgré une répression féroce, contre un régime dictatorial qui, depuis son instauration en 1979, a fait du contrôle du corps des femmes un aspect central de son idéologie. Nous vous proposons aujourd'hui de relire cette analyse consacrée à la façon dont les Iraniennes subissent ces normes extrêmement strictes… et à leur manière d'y résister.</em></p>
<p>En Iran, la « question des femmes » fait aujourd’hui les gros titres des journaux du monde entier, en raison de la révolte en cours depuis plusieurs semaines, <a href="https://www.nouvelobs.com/tribunes/20221007.OBS64237/iran-des-mouvements-eclates-a-la-revolte-des-femmes.html">violemment réprimée par un régime aux abois</a>. Cette « question » n’est pas nouvelle ; en réalité, elle a régulièrement été un terrain de contestation politique et culturelle depuis des décennies.</p>
<p>L’ancien régime de la <a href="https://www.cairn.info/histoire-de-l-iran-contemporain--9782707194541-page-39.htm">dynastie Pahlavi (1925-1979)</a> en avait fait son cheval de bataille et le symbole de la modernisation du pays. À rebours, le régime actuel en a fait le <a href="https://www.cairn.info/la-revolution-sous-le-voile--9782865373291-page-23.htm">pilier de son authenticité</a>, de son rejet du système précédent et de sa lutte contre l’impérialisme et l’occidentalisation.</p>
<h2>Avant 1979, ces intellectuels qui dénonçaient les droits des femmes</h2>
<p>Bien avant la révolution de 1979, le sociologue et militant politique <a href="https://www.cairn.info/les-mondes-chiites-et-l-iran--9782845868885-page-325.htm">Ali Shariati</a> (1933-1977), parfois considéré comme l’idéologue de la révolution iranienne, encourageait la participation politique et sociale des femmes en leur suggérant de s’inspirer des combattantes algériennes ou palestiniennes, en première ligne dans les luttes d’indépendance de leurs patries respectives, et non des femmes des classes moyennes qu’il stigmatisait comme <em>hich o poutch</em> (insignifiantes), oisives et obsédées par le sexe.</p>
<p>En outre, il mobilisait des images de femmes connues du chiisme, surtout celle de <a href="https://www.persee.fr/doc/jds_0021-8103_1945_num_2_1_2751">Fatima</a>, fille du prophète et épouse d’Ali (premier imam des chiites) qui, aujourd’hui encore, est promue comme le modèle idéal de la femme, mère et épouse, et célébrée durant la <a href="http://www.taghribnews.com/fr/news/535604/l-iran-c%C3%A9l%C3%A8bre-l-anniversaire-de-la-naissance-hazrat-fatima-et-f%C3%AAte-des-m%C3%A8res">Journée des mères</a> qui a remplacé celle du 8 mars.</p>
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<p>Un autre auteur avait également préparé le terrain. Dans son livre <a href="http://www.brygeog.net/uploads/7/9/8/5/7985035/occidentosis.pdf"><em>Occidentosis</em></a> (<em>Gharbzadegui</em>), publié en 1962, Jalal Al-e-Ahmad (1923-1969) dénonçait la « dégénérescence » de la culture iranienne due à la modernité, interprétée comme un processus essentiellement impérialiste et toxique. Cette <em>occidentosis</em> était selon lui une maladie dont la femme portait le virus et contre laquelle il fallait protéger la population.</p>
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<p>Dès l’instauration de la République islamique, en 1979, le voile (<em>hedjab</em>) assure ce rôle de protection. Selon les nouveaux maîtres du pays, il prémunit aussi bien l’homme que la femme, et immunise toute la population. Ce voile que les <a href="https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2018-1-page-101.htm">modernistes</a> considéraient comme un symbole de sous-développement culturel est érigé comme signe d’émancipation vis-à-vis du modèle « occidental » imposé par le régime précédent. Reza Shah Pahlavi (au pouvoir de 1925 à 1941) l’avait interdit mais, sous son fils Mohammad Reza Shah (1941-1979), il était toléré.</p>
<h2>L’évolution du discours de l’ayatollah Khomeiny</h2>
<p>En 1963, Ruhollah Khomeiny, le futur Guide de la révolution islamique, fustige comme « non islamiques » les droits de vote et d’éligibilité accordés cette année-là aux femmes. Mais son positionnement semble évoluer avec les années : à la fin des années 1970, il déclare que les <a href="https://books.openedition.org/irdeditions/8702?lang=fr">femmes seront libres de choisir leur destin</a> (à condition de respecter quelques principes) probablement pour se garantir leur soutien.</p>
<p>Pourtant, après l’euphorie révolutionnaire, les femmes se rendent rapidement compte que la République islamique ne leur accorderait pas la place qu’elles entendaient avoir et qu’elles devraient faire face à la double contrainte de l’autoritarisme et du patriarcat.</p>
<p>Dès <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/iran-en-mars-1979-la-grande-manifestation-des-femmes-contre-le-voile-20221007">son arrivée au pouvoir en février 1979</a>, l’ayatollah Khomeiny renvoie les Iraniennes dans leurs foyers afin qu’elles y reprennent un rôle « conforme aux valeurs de l’islam » et deviennent le symbole de la chasteté de la société… tout en les remerciant pour leur soutien dans le processus révolutionnaire.</p>
<h2>L’institutionnalisation des discriminations</h2>
<p>Le préambule de la nouvelle <a href="https://www.iran-resist.org/article3418">Constitution de la République islamique d’Iran</a>, adoptée en 1979, entérine la biologisation/naturalisation de la femme dont le rôle n’est plus valorisé qu’au travers et en référence à la famille.</p>
<p>Le propre de la République islamique est l’utilisation simultanée de l’appareil d’un État moderne et de l’idéologie religieuse pour asseoir son autorité, combattre les dissensions et contrôler les femmes.</p>
<p>La révolution, qui entraîne la réislamisation de la société, commence par la soumission du statut des femmes à la charia, qui consolide la suprématie de l’homme tant dans la sphère privée que dans la sphère publique ; dès 1979, les intimidations et les mesures coercitives se multiplient et une campagne massive de purification (<em>paksâzi</em>) dans tous les secteurs est lancée.</p>
<p>Dès lors, les <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2006-4-page-163.htm">mesures discriminatoires</a> se succèdent : abolition de la Loi de la protection de la famille, interdiction de devenir juge, ségrégation des sexes dans les activités sportives et sur les plages et obligation du port du voile (<em>hedjab</em>) qui, ironiquement, <a href="https://www.jstor.org/stable/41393782">ne suscite pas de réaction des libéraux et de la gauche iranienne</a>, qui avaient soutenu Khomeiny dans sa prise de pouvoir.</p>
<p>En 1983, le Parlement <a href="https://theconversation.com/hijab-law-in-iran-over-the-decades-the-continuing-battle-for-reform-192037">entérine une loi qui punit les femmes ne portant pas le voile de 74 coups de fouet</a> puis, en 1995, son « port non conforme » <a href="https://www.justice.gov/eoir/page/file/1258241/download">devient passible de 10 à 60 jours d’emprisonnement</a>. Le code civil de l’actuel régime est assez proche du précédent ; néanmoins, en 1979, une modification introduit le droit unilatéral à la polygamie et au divorce pour l’homme, son autorité parentale et son rôle de chef de famille. Pourtant, le droit à la participation à la vie politique n’est pas révoqué, le droit de vote n’est pas restreint et l’article 115 de la Constitution reste flou sur la possibilité pour une femme d’accéder à la présidence.</p>
<p><a href="https://www.huffingtonpost.fr/actualites/article/en-iran-les-mariees-ont-moins-de-neuf-ans_72026.html">L’âge légal du mariage des filles</a> est abaissé à 9 ans (plus tard, il sera lié à la puberté). Pour le code pénal, le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/556135/%253C%253C_Prix_du_sang_%253E%253E_en_Iran_%253A_37_600_dollars_pour_les_hommes%252C_la_moitie_pour_les_femmes.html">prix du sang</a></p>
<p>des femmes devient la moitié de celui des hommes et le témoignage d’une femme dans une affaire pénale n’est accepté que s’il est corroboré par celui d’un homme. Ces dispositions se veulent une mise en œuvre de la tradition islamique.</p>
<p>Dans ce cadre, la virginité est centrale. Les femmes adultères et les prostituées sont <a href="https://www.amnesty.ch/fr/sur-amnesty/publications/magazine-amnesty/2008-1/lapidations-iran">fouettées, exécutées ou lapidées</a>.</p>
<h2>Le voile au cœur du dispositif politico-religieux de la République islamique</h2>
<p>L’invisibilité du corps des femmes, la ségrégation des sexes et l’inégalité institutionnalisée, en effaçant l’égalité des sexes, deviennent partie intégrante de l’identité islamique promue par l’État et de son discours anti-impérialiste et anti-occidental. Dans le même temps, le contrôle du corps des femmes sert les intérêts du patriarcat. Le voile surveille la sexualité féminine. Il affirme le comportement vertueux et modeste qui doit symboliser toute femme musulmane.</p>
<p>Dès lors, dans la mesure où la position subalterne des femmes et le port du voile sont présentés comme des éléments fondateurs de la République islamique, toute modification mettrait en péril l’édifice. En effet, la question des femmes en Iran, tout en étant partiellement religieuse, est surtout éminemment politique et liée à l’identité du régime. Les femmes sont l’emblème public de l’honneur de la nation, tandis que le féminisme, associé à l’Occident, symbolise la décadence, tout comme les lois concernant les femmes, édictées sous Mohammad Reza Shah, ont été présentées comme un danger pour la sécurité nationale.</p>
<p>Les femmes sont perçues comme garantes de la cohésion familiale et sociale. Même si elles ne sont pas totalement écartées du travail, de l’enseignement, de l’organisation sociale, politique et économique du pays, elles sont incitées à rester dans leur foyer et à s’orienter vers des études ou des emplois considérés comme féminins et, aujourd’hui, à soutenir la <a href="https://www.genethique.org/iran-face-a-la-politique-nataliste-le-planning-familial-a-larret/">campagne nataliste</a> du Guide suprême Ali Khamenei.</p>
<h2>La purge des influences occidentales</h2>
<p>À la mort de Khomeiny en 1989, des tentatives timides de changement ont lieu, notamment sous la présidence de <a href="https://iranwire.com/en/features/64584/">Mohammad Khatami (1997-2005)</a>. Néanmoins, après l’élection de Mahmoud Ahmadinejad en 2005, les autorités intensifient les mesures de réislamisation, dispositions répressives à l’appui – entre autres, en <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/iran/iran-c-est-quoi-cette-police-des-moeurs-qui-tyrannise-les-femmes-3a93da76-3bf7-11ed-96be-e8064f8bb07a">renforçant la police des mœurs</a>. En particulier, la réislamisation passe par la purge des influences occidentales dans les programmes universitaires, ainsi que par des mesures ayant pour objectif la <a href="https://women.ncr-iran.org/fr/2019/09/22/obstacles-rencontres-par-les-etudiantes-dans-les-ecoles-et-les-universites/">diminution du nombre d’étudiantes</a>. De même, les cours portant sur les questions de genre sont remaniés afin d’exclure les références possibles aux droits des femmes reconnus par le droit international, ce dans le souci de mettre l’accent sur les valeurs islamiques.</p>
<p>En faisant du corps des femmes et de leur position un enjeu fondamental de l’authenticité et de l’islamité, la République islamique les a finalement aussi transformés en mesure de la liberté de tous et en un champ de bataille pour la conquête de l’avenir tout autant qu’en force motrice potentielle de démocratisation.</p>
<p>Il ne faut dès lors pas s’étonner qu’aujourd’hui la vague de contestation qui secoue l’Iran passe par les jeunes filles qui remettent en cause le port obligatoire du voile, les discriminations dont elles font l’objet et le régime en tant que tel. Jamais la détermination des femmes – et, surtout, des plus jeunes d’entre elles – n’avait atteint cette ampleur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192157/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Firouzeh Nahavandi ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le propre de la République islamique depuis son instauration en 1979 est l’utilisation à la fois de l’appareil d’un État moderne et de l’idéologie religieuse pour contrôler les femmes.Firouzeh Nahavandi, Professeure émérite, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1914652022-09-28T15:07:04Z2022-09-28T15:07:04ZLe régime iranien est un apartheid des genres. Il faut le dénoncer comme tel<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/487102/original/file-20220928-22-ombepu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C42%2C4031%2C2969&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Sur cette photo prise clandestinement, on peut voir des femmes fuyant la police anti-émeute lors d'une manifestation dans le centre de Téhéran, en Iran. Ces manifestations sont réprimées brutalement.</span> <span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.cnn.com/2022/09/21/middleeast/iran-mahsa-amini-death-widespread-protests-intl-hnk/index.html">Les troubles se poursuivent en Iran</a> après la mort en détention d’une jeune femme kurde de 22 ans, après avoir été arrêtée et apparemment battue par la <a href="https://www.cnn.com/2022/09/21/middleeast/iran-morality-police-mime-intl/index.html">police des mœurs iranienne</a>.</p>
<p>Les forces iraniennes ont placé Mahsa Zhina Amini en détention le 16 septembre 2022, parce qu’elle ne portait pas son hijab selon les règles.</p>
<p>En date du 10 octobre, <a href="https://www.independent.co.uk/news/world/middle-east/iran-protests-victims-b2198882.html?amp">au moins 185 personnes ont été confirmées</a> tuées et des <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2022/09/iran-deadly-crackdown-on-protests-against-mahsa-aminis-death-in-custody-needs-urgent-global-action/">centaines ont été arrêtées et blessées</a> lors des manifestations qui ont éclaté après la mort d’Amini.</p>
<p>En tant qu’universitaire d’origine kurde et <a href="https://cah.ucf.edu/languages/faculty-staff/profile/414">professeur d’études moyen-orientales à l’Université de Floride centrale</a>, j’ai déjà écrit sur le <a href="https://theconversation.com/kurds-targeted-in-turkish-attack-include-thousands-of-female-fighters-who-battled-islamic-state-125100">genre dans les cultures moyen-orientales</a> et les <a href="https://theconversation.com/unrest-in-iran-will-continue-until-religious-rule-ends-90352">manifestations iraniennes</a>.</p>
<p>À l’exception de condamnations sans nuances, la discrimination à l’égard des femmes en Iran est souvent passée sous silence alors que le monde n’en a que pour la <a href="https://www.europarl.europa.eu/RegData/etudes/IDAN/2017/578024/EXPO_IDA(2017)578024_FR.pdf">limitation des capacités nucléaires du pays</a>.</p>
<p><a href="https://www.jstor.org/stable/45302144">Certains universitaires et militants</a> ont critiqué le droit international pour son manque d’initiative et d’action publique pour reconnaître la discrimination systématique des femmes en Iran comme un apartheid de genre et agir pour l’empêcher.</p>
<p>De nombreuses lois discriminatoires, y compris celles qui obligent les femmes à se couvrir la tête et le visage d’un hijab, <a href="https://www.washingtonpost.com/opinions/global-opinions/there-are-two-types-of-hijabs-the-difference-is-huge/2019/04/07/50a44574-57f0-11e9-814f-e2f46684196e_story.html">ne respectent ni la tradition ni la religion</a> et sont appliquées aux femmes de toutes les ethnies et de toutes les confessions.</p>
<p>Après tout, Amini n’était pas chiite, ni par son ethnie ni par sa religion.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487107/original/file-20220928-13-2dt0gn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Sur cette photo prise dans la clandestinité, le 21 septembre 2022 dans le centre de Téhéran, des manifestants scandent des slogans afin de dénoncer la mort en détention de Mahsa Amini.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span>
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<h2>L’apartheid des genres en Iran</h2>
<p>La <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9volution_iranienne">Révolution islamique de 1979</a> a instauré une république qui met en œuvre des politiques et des pratiques inhumaines de ségrégation et de discrimination raciales similaires à celles pratiquées en <a href="https://kinginstitute.stanford.edu/encyclopedia/apartheid">Afrique du Sud sous l’ancien régime brutal d’apartheid du gouvernement</a>.</p>
<p>Les lois et les politiques en Iran établissent et maintiennent la domination des hommes et de l’État sur les femmes et leur droit de choisir leurs propres vêtements ou d’obtenir un divorce. Les inégalités systématiques entre les sexes sont prescrites légalement et appliquées par le régime afin de priver les femmes du <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International%20Convention%20on%20the%20Suppression%20and%20Punishment%20of%20the%20Crime%20of%20Apartheid.pdf">« droit à la vie et à la liberté »</a> et des <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International%20Convention%20on%20the%20Suppression%20and%20Punishment%20of%20the%20Crime%20of%20Apartheid.pdf">« droits de la personne et libertés fondamentales »</a>, ce qui, selon <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International%20Convention%20on%20the%20Suppression%20and%20Punishment%20of%20the%20Crime%20of%20Apartheid.pdf">l’article II de la Convention des Nations unies sur l’apartheid de 1973</a>, est considéré comme « le crime d’apartheid ».</p>
<p>Par exemple, selon <a href="https://iranhumanrights.org/2017/07/married-women-in-iran-still-need-permission-to-travel-abroad-under-amendment-to-passport-law/">l’article 18 de la loi iranienne sur les passeports</a>, une femme mariée a toujours besoin de l’autorisation écrite de son tuteur masculin pour voyager à l’étranger.</p>
<p>En Iran, les femmes ne peuvent occuper aucun poste au sein des systèmes judiciaire, religieux et militaire, ni être membres de l’<a href="https://www.brookings.edu/blog/markaz/2016/02/09/everything-you-need-to-know-about-irans-assembly-of-experts-election/">Assemblée des experts</a>, du <a href="https://irandataportal.syr.edu/political-institutions/the-expediency-council">Conseil de « de l’opportunité »</a> ou du <a href="https://www.britannica.com/topic/Council-of-Guardians">Conseil des gardiens</a>, les trois conseils les plus élevés de la République islamique.</p>
<p>Selon la loi, les femmes ne peuvent être ni présidentes ni chefs suprêmes de l’Iran. <a href="https://www.servat.unibe.ch/icl/ir00000_.html">Selon l’article 115</a>, le président de la République islamique doit être élu parmi les « hommes religieux et politiques ».</p>
<p>En outre, l’État iranien <a href="https://www.jstor.org/stable/45302144">a ajouté des éléments discriminatoires au Code pénal</a> — l’un de ces éléments est le principe selon lequel la valeur d’une femme est égale à la moitié de celle d’un homme.</p>
<p>Ce principe s’applique aux questions de compensation pour un meurtre ou lors de la séparation d’un héritage familial. Il s’applique également au poids accordé aux témoignages dans un cadre judiciaire ou à l’obtention d’un divorce.</p>
<p>Ces lois, politiques et pratiques, continuent de faire des femmes des citoyennes inférieures, inégales sur le plan juridique et social.</p>
<h2>La ségrégation dans la vie quotidienne</h2>
<p>L’État a également imposé une <a href="https://www.iranintl.com/en/202209012125">ségrégation systématique</a> dans les écoles, les hôpitaux, les universités, les transports, les sports et d’autres domaines importants de la vie quotidienne.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un feu brûle dans la rue, entouré de manifestants" src="https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487108/original/file-20220928-12-lxczrm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Sur cette photo prise de manière clandestine, le 21 septembre 2022, des manifestants ont mis le feu et bloqué une rue afin de protester contre la mort en détention de Mahsa Amini. L’accès aux réseaux sociaux est devenu difficile en Iran.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo)</span></span>
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</figure>
<p>Pendant plusieurs décennies, l’apartheid entre les sexes en Iran a relégué les femmes à l’arrière des bus avec une <a href="https://wcfia.harvard.edu/publications/women-place-politics-gender-segregation-iran">barre métallique les séparant</a> des hommes.</p>
<p>Sous la direction du gouvernement, les universités <a href="https://www.nytimes.com/2012/08/20/world/middleeast/20iht-educbriefs20.html">ont limité les options offertes aux femmes</a> et leur ont interdites l’accès à de nombreux domaines d’études.</p>
<p>Depuis la révolution de 1979, l’Iran <a href="https://www.hrw.org/news/2022/03/31/iran-women-blocked-entering-stadium#:%7E:text=Over%20the%20past%2040%20years,detention%2C%20and%20abuses%20against%20women">interdit généralement aux femmes</a> d’assister à des matchs de football et d’autres sports dans les stades. En août, <a href="https://ici.radio-canada.ca/sports/1908148/soccer-femmes-iran-stade-historique">pour la première fois en plus de 40 ans</a>, le régime iranien a autorisé des femmes à assister, dans le stade de la capitale, Téhéran, à un match opposant deux clubs masculins.</p>
<p>Les religieux jouent un rôle majeur dans la prise de décision. Ils <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20220330-iran-again-bans-women-from-football-stadium">ont affirmé que les femmes devaient être protégées</a> de l’atmosphère masculine et de la vue d’hommes à moitié vêtus lors d’événements sportifs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Des gens manifestent" src="https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487103/original/file-20220928-22-bn4lxo.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des membres de la communauté iranienne et leurs partisans manifestent à Ottawa, le 25 septembre, afin de dénoncer le régime iranien, après la mort en détention de Mahsa Amini.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Justin Tang</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans le cadre de ces politiques discriminatoires, des termes persans tels que za’ifeh, qui signifie faible et incapable, ont trouvé leur place dans les <a href="https://vajehyab.com/dehkhoda/%D8%B6%D8%B9%DB%8C%D9%81%D8%A9">dictionnaires</a> comme synonymes de « femme » et « épouse ».</p>
<h2>« Femmes, vie, liberté »</h2>
<p>La tristement célèbre police des mœurs extrajudiciaire de l’Iran <a href="https://www.cnn.com/2022/09/21/middleeast/iran-morality-police-mime-intl/index.html">terrorise les femmes depuis des décennies</a>.</p>
<p>À l’instar des articles de la <a href="https://www.constituteproject.org/constitution/Iran_1989.pdf">Constitution de la République islamique d’Iran</a>, les principes de la police des mœurs sont fondés sur une interprétation des <a href="https://www.bl.uk/collection-items/hadith-collection">textes chiites canoniques</a> et sont mis en œuvre au moyen d’outils modernes de contrôle et de coercition.</p>
<p>En droit pénal international, les actes illicites commis dans le cadre d’un système d’oppression et de domination sont considérés comme des crimes contre l’humanité.</p>
<p>Comme le stipule la <a href="https://www.un.org/en/genocideprevention/documents/atrocity-crimes/Doc.10_International %20Convention %20on %20the %20Suppression %20and %20Punishment %20of %20the %20Crime %20of %20Apartheid.pdf">Convention sur l’apartheid des Nations unies</a>, ces crimes comprennent le déni des droits fondamentaux qui empêche un ou plusieurs groupes raciaux de participer à la vie politique, sociale, économique et culturelle du pays.</p>
<p>Connu surtout pour le régime brutal de l’Afrique du Sud, l’apartheid vient du mot afrikaans qui signifie « séparation ». C’est <a href="https://www.sahistory.org.za/article/history-apartheid-south-africa">l’idéologie</a> qui a été introduite en Afrique du Sud en 1948 et soutenue par le gouvernement du Parti national.</p>
<p>Comme le stipule la <a href="https://treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx ?src=IND&mtdsg_no=IV-7&chapter=4&clang=_fr">Convention contre l’apartheid des Nations unies</a>, l’obligation de porter le hijab est au cœur de ce que j’appelle l’apartheid extrême entre les sexes en Iran, où un foulard mal placé peut entraîner jusqu’à <a href="https://en.radiofarda.com/a/anti-hijab-activist-in-iran-sentenced-to-15-years-in-prison/30133081.html">15 ans de prison</a>, des <a href="http://www.cnn.com/2010/WORLD/meast/09/04/iran.stoning/index.html">coups de fouet</a>, des <a href="https://www.middleeasteye.net/news/iranian-women-fined-260-bad-hijabs">amendes</a>, des arrestations inhumaines et illégales, voire la mort.</p>
<p>Des <a href="https://www.cnn.com/2018/02/05/middleeast/iran-hijab-law-report-intl/index.html">mouvements contre le hijab obligatoire</a> apparaissent chaque année en Iran, comme cette fois, à la suite du décès de Mahsa Zhina Amini.</p>
<p>En langue kurde, son nom vient de « jin », le mot pour femme, et partage une racine avec le mot pour vie, « jiyan ».</p>
<p>Ces mots kurdes sont au cœur du slogan qui a été le plus utilisé par les <a href="https://www.pbs.org/newshour/show/how-a-small-but-powerful-band-of-women-led-the-fight-against-isis">combattantes kurdes dans leur lutte contre l’État islamique</a> en Irak et en Syrie, et aujourd’hui, par les femmes de tout l’Iran contre la République islamique.</p>
<p>Ajoutez « azadi » — le mot kurde qui signifie liberté — et vous avez le slogan « Jin, Jiyan, Azadi », qui signifie « Femmes, vie, liberté ». Il résonne parmi les manifestants dans les rues d’Iran et du monde entier pour démanteler l’apartheid des genres de l’État iranien.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/191465/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Haidar Khezri ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le régime iranien met en œuvre des politiques et des pratiques de ségrégation et de discrimination similaires à celles pratiquées en Afrique du Sud sous l’apartheid.Haidar Khezri, Assistant Professor, University of Central FloridaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.