tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/livres-25402/articleslivres – The Conversation2024-01-31T15:57:57Ztag:theconversation.com,2011:article/2216252024-01-31T15:57:57Z2024-01-31T15:57:57ZQui sont les publics des boîtes à livres ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/571135/original/file-20240124-27-fwrq1p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C447%2C2568%2C1932&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une boîte à livres mise en place à Nancy, mai 2023.</span> <span class="attribution"><span class="source">Claude Poissenot</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Difficile de ne pas rencontrer de boîtes à livres dans l’espace public aujourd’hui. Que ce soit en ville ou dans les zones rurales, elles ont progressivement trouvé leur place sans mise en œuvre d’une politique volontariste de la part des institutions locales et nationales en charge de la lecture. D’après le recensement proposé par l’entreprise <a href="https://www.boite-a-lire.com/">Recyclivres</a>, si on dénombrait près de 2 000 boîtes à la fin 2017, elles sont désormais près de 10 000 en France. À raison d’une moyenne d’une centaine de livres par boîte, cela représente autour d’un million de volumes rendus disponibles à proximité de la population. Ce phénomène social n’est donc pas anecdotique.</p>
<p><a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/anne-rosencher-en-toute-subjectivite/anne-rosencher-en-toute-subjectivite-du-jeudi-04-janvier-2024-3296807">Mais que sait-on</a> de celles et ceux qui fréquentent ces boîtes et des usages qu’ils en font ? Jusqu’à présent, hormis une stimulante <a href="https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2022/09/16/dans-les-boites-a-livres-de-regine-deforges-a-jacques-attali-l-autre-rentree-litteraire_6141962_4497916.html">analyse des collections proposées</a>, aucune enquête ne permettait d’y répondre.</p>
<p>C’est cette lacune que Jean-Philippe Clément a souhaité combler en m’associant dans sa démarche participative avec de nombreux relais parmi la « communauté » des boîtes à livres. Par l’intermédiaire de ce réseau et le soutien de Recyclivre (qui a diffusé le lien du questionnaire dans sa newsletter), nous avons réuni plus de 1 300 réponses auprès de plus de 673 boîtes réparties sur tout le territoire national. Pour plus de détails et de résultats, <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-04370313">voir le rapport complet</a>.</p>
<h2>Un public féminin</h2>
<p>Sans surprise, les réponses émanent davantage de femmes que d’hommes (81 % contre 19 %). Mais la surreprésentation des femmes est encore plus importante que dans les bibliothèques publiques (<a href="https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Etudes-et-statistiques/L-enquete-pratiques-culturelles/L-enquete-2018/Generations-tous-les-resultats-de-l-enquete-2018/Bibliotheques">58 % des usagers</a>) ou les librairies indépendantes (<a href="https://lobsoco.com/etude-de-la-clientele-des-librairies-independantes/">55 % des clients</a>). La féminisation de la lecture de livres est à l’œuvre dans ce qui conduit à ce résultat.</p>
<p>Mais l’enquête suggère une autre raison. Les hommes utilisent les boîtes davantage pour une recherche précise de livres là où les femmes viennent plus sans idée de départ, laissant le hasard guider leur choix. Elles sont donc plus nombreuses car elles acceptent (et recherchent) plus que les hommes un effet de surprise, de découverte. Et les hommes sont aussi davantage dans un rapport univoque à la boîte : ils viennent plus souvent pour prendre ou pour déposer des livres là où les femmes se retrouvent davantage dans la conjugaison du dépôt et du prélèvement, c’est-à-dire dans le partage. Les boîtes à livres intéressent les femmes parce qu’elles se retrouvent davantage que les hommes dans leur projet d’inscrire les livres dans une relation, un échange.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-livre-papier-perd-il-vraiment-du-terrain-109911">Le livre papier perd-il vraiment du terrain?</a>
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<h2>Peu de jeunes</h2>
<p>Seuls 7,3 % des répondants ont moins de 25 ans alors que cette tranche d’âge compte pour près d’un tiers de la population en France métropolitaine. À l’autre extrémité, les 65 ans et plus sont légèrement sous-représentés. Les 35-64 ans constituent le cœur des publics des boîtes à livres (60 % du total). Ils ne sont plus en phase de constitution d’une bibliothèque personnelle et pas encore dans le moment où ils vont réduire leurs pratiques. Riches de collections assez vastes, ils peuvent faire don de certains ouvrages, voire même vouloir se délester d’une partie. Et forts de leur expérience de la lecture, ils ont à cœur de vouloir la partager par des dons et par des ponctions. Cet âge pivot se retrouve aussi dans un usage des boîtes pour nourrir les lectures d’autres qu’eux-mêmes et par exemple de leurs enfants ou de leurs parents.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/571136/original/file-20240124-25-afvrkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/571136/original/file-20240124-25-afvrkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/571136/original/file-20240124-25-afvrkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/571136/original/file-20240124-25-afvrkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/571136/original/file-20240124-25-afvrkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/571136/original/file-20240124-25-afvrkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/571136/original/file-20240124-25-afvrkq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une cabine téléphonique reconvertie prise dans un village de la Haute-Marne en février 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Claude Poissenot</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<h2>Des diplômés du supérieur</h2>
<p>Plus des trois quarts des utilisateurs des boîtes à livre ont fréquenté au moins un établissement d’enseignement supérieur, soit plus de deux fois la proportion observable dans la population française. Comme ils s’emparent aussi davantage des bibliothèques et des librairies, les plus diplômés s’approprient aussi davantage ce dispositif. Plus familiers du livre, ils sont plus à l’aise dans la manipulation, la compréhension, la différenciation de cet objet que les moins diplômés qui, au contraire, peuvent avoir conservé des traces d’une relation difficile à la lecture dans le cadre de leur scolarité.</p>
<p>Pour autant, est-ce à dire que les boîtes n’ont aucun rôle dans une forme de démocratisation de l’accès au livre ? En réalité, on observe que chez les utilisateurs des boîtes ayant le bac ou moins, 37 % n’empruntent jamais en bibliothèque, 6 % n’achètent jamais de livres neufs et 18 % ne font ni l’un ni l’autre ou seulement très rarement. C’est donc près d’un usager sur cinq parmi ceux n’ayant pas fréquenté l’enseignement supérieur qui entretient un rapport à la lecture à travers ce cadre. Cette offre facile d’accès permet de capter des publics éloignés des autres institutions du livre.</p>
<h2>Des urbains</h2>
<p>L’image commune de la boîte à livres est celle d’une implantation dans un cadre verdoyant. On pourrait ainsi croire que les ruraux ou résidents de petites villes fréquentent davantage les boîtes que les urbains de grandes villes. L’enquête révèle au contraire que la part des usagers vivant dans des communes de moins de 20 000 habitants est inférieure au poids des habitants de ce type de communes dans la population française métropolitaine (34 % contre 53 %). Quand on mesure la densité de la population dans la commune, la surreprésentation des habitants des zones les plus denses parmi les usagers est très forte : si 4 % de la population française vit dans une commune de 15 000 habitants par km<sup>2</sup> ou plus, c’est le cas de 23 % des usagers des boîtes.</p>
<p>La surreprésentation des urbains est largement un effet de composition de population. Les urbains sont plus diplômés et ont donc davantage tendance à s’emparer des boîtes. Et comme ils sont probablement dans des logements plus exigus, ils se servent davantage des boîtes pour « faire de la place ». Les boîtes ne sont donc pas l’apanage des petites communes au contraire et leur image provient peut-être du fait qu’elles sont souvent installées dans des parcs et jardins des villes.</p>
<h2>En quête de soi et de partage</h2>
<p>Les boîtes n’auraient pas le succès qu’elles rencontrent si elles ne correspondaient pas à une attente personnelle. Celle-ci s’exprime dans la destination des livres prélevés : 51 % des usagers disent prendre des livres plutôt pour eux et 42 % à la fois pour eux ou quelqu’un d’autre. C’est à partir de soi que l’on se penche sur l’offre de livres. Ce moment de rencontre implique l’usager à titre personnel. Et d’ailleurs, ils choisissent d’abord des boîtes proches de leur domicile ou sur le chemin du travail.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/571176/original/file-20240124-20555-velhum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/571176/original/file-20240124-20555-velhum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/571176/original/file-20240124-20555-velhum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/571176/original/file-20240124-20555-velhum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/571176/original/file-20240124-20555-velhum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/571176/original/file-20240124-20555-velhum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/571176/original/file-20240124-20555-velhum.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le casier léonardien de la boîte à livres de l’impasse du moulin à Amboise.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Jean-Philippe Clément</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Mais cet usage personnel n’exclut pas le <a href="https://theconversation.com/comment-sexplique-le-boom-des-book-clubs-150699">souci du partage</a>. Les trois quarts des usagers affirment utiliser les boîtes à la fois pour trouver et déposer des livres. Seuls 17 % ne viennent que pour trouver des livres et 9 % uniquement pour déposer. Les boîtes vivent par leur capacité à accueillir des flux entrants et sortants relativement équilibrés. Les usagers font exister cette rotation. Ils donnent vie à un projet (pas seulement utopique) de partage. Les citoyens se relient par les livres qu’ils échangent dans la discrétion de leurs usages et de leurs goûts personnels. Et si 43 % des usagers déposent des livres pour se débarrasser ou faire de la place chez eux et 21 % apportent des livres qu’ils n’ont pas appréciés et qu’ils ne veulent pas garder, il s’agit de donner aux livres une « deuxième chance » afin qu’ils rencontrent un lecteur mieux assorti. Les boîtes font principalement rencontrer les livres et les lecteurs avant de faire se rencontrer les lecteurs eux-mêmes : 42 % d’entre eux renoncent à cette possibilité en expliquant n’avoir jamais discuté avec d’autres utilisateurs.</p>
<h2>La force de la souplesse</h2>
<p>Les boîtes à livres sont plébiscitées grâce à la souplesse qu’elles offrent. Accessibles quand on le souhaite, permettant de prendre ou de donner des livres ou juste de les regarder sans surveillance (et donc, risque de jugement), elles proposent un espace d’autonomie partagé. À l’image d’autres institutions telles que le couple ou la famille, elles ouvrent la voie à ce que les citoyens vivent <a href="https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/libres-ensemble-individualisme-dans-vie-commune">« libres ensemble »</a> comme ils le souhaitent aujourd’hui. Parce qu’elles conjuguent choix personnel et empathie, elles n’ont pas fini d’habiller l’espace public et de nourrir les vies singulières.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=292&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/487264/original/file-20220929-18-btga69.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=367&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Science et Société se nourrissent mutuellement et gagnent à converser. La recherche peut s’appuyer sur la participation des citoyens, améliorer leur quotidien ou bien encore éclairer la décision publique. C’est ce que montrent les articles publiés dans notre série « Science et société, un nouveau dialogue », publiée avec le soutien du <a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr">ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221625/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Poissenot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Nous avons tous eu l’occasion de croiser des « boîtes à livres ». Mais que sait-on de celles et ceux qui fréquentent ces boîtes et des usages qu’ils en font ?Claude Poissenot, Enseignant-chercheur à l'IUT Nancy-Charlemagne et au Centre de REcherches sur les Médiations (CREM), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2209372024-01-29T15:47:01Z2024-01-29T15:47:01ZLes émotions de lecture : la parole aux lectrices et aux lecteurs<p>À chaque fois que je relis <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782072740282-le-baron-perche-italo-calvino/"><em>Le baron perché</em></a>, d’Italo Calvino, j’ai l’impression, à la fois réconfortante et surprenante, de retourner chez moi. Peut-être avez-vous, vous aussi, un livre qui vous fait cet effet ? Ou peut-être alors, avez-vous déjà eu le sentiment en lisant, de redécouvrir votre propre langue ? Ou bien vous arrive-t-il de repenser avec émoi à des scènes de lecture qui remontent à l’enfance, ou qui vous renvoient à des personnes et des lieux qui vous sont chers ?</p>
<p>Pour caractériser ces liens forts et variés qui s’établissent entre la littérature et la vie réelle, la théoricienne de la littérature <a href="https://www.fabula.org/actualites/42901/m-mace-facons-de-lire-manieres-d-etre.html">Marielle Macé</a> parle d’une relation entre nos « façons de lire » et nos « manières d’être ». Les émotions que nous ressentons en lisant (joie, ennui, surprise…) et qui ressurgissent lorsque nous repensons à nos lectures constituent les traces les plus évidentes de cette relation.</p>
<p>Nous disposons aujourd’hui de nombreux outils théoriques et méthodologiques pour étudier les émotions suscitées par la lecture et leur mise en langage. Ceux-ci nous viennent de la théorie littéraire, de la linguistique, des sciences cognitives ou encore de l’anthropologie. Néanmoins, nous ne savons pas exactement comment les combiner afin de créer un cadre d’analyse uniforme et exhaustif.</p>
<p>J’espère apporter une petite contribution à cet effort intellectuel collectif à travers mes recherches doctorales, que je mène à Le Mans Université sous la direction de Brigitte Ouvry-Vial, dans le cadre du projet <a href="https://readit-project.eu/">Reading Europe Advanced Data Investigation Tool</a>.</p>
<p>Dans ce but, j’analyse les émotions suscitées par la lecture à partir d’un corpus de presque trois mille témoignages. Ces témoignages ont été écrits au début des années 2000 par des candidates et des candidats au jury d’un célèbre prix littéraire populaire organisé par une radio française. Les questions que je me pose face à ce corpus sont notamment les suivantes : quelles sont les émotions évoquées par les lectrices et les lecteurs, et par quoi sont-elles suscitées ? Ces émotions sont-elles exprimées par le biais d’un lexique récurrent ? Est-ce qu’elles influencent le système de valeurs, les décisions personnelles et professionnelles et, de manière générale, l’apprentissage du monde des lectrices et des lecteurs ?</p>
<p>Il y a, à mon avis, au moins trois raisons pour lesquelles il est particulièrement opportun de se poser ces questions aujourd’hui.</p>
<h2>« Parce qu’elles sont là »</h2>
<p>Que la littérature, et surtout la fiction littéraire, puisse provoquer des émotions intenses n’est certainement pas une découverte qui date d’aujourd’hui. Il suffit de penser aux pages que <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Blanche/Memoires-d-une-jeune-fille-rangee">Simone de Beauvoir</a>, <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070366071-les-mots-jean-paul-sartre/">Jean-Paul Sartre</a> ou <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070314515-au-bonheur-de-lire-collectif/">Nathalie Sarraute</a>, pour ne citer que quelques grandes figures littéraires, ont consacrées aux plaisirs et aux bouleversements uniques qu’un livre peut provoquer.</p>
<p>Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la multiplication des occasions qu’ont les lectrices et les lecteurs « ordinaires » – « profanes » et amateurs de littérature de tout genre – de mettre des mots sur leurs expériences de lecture, et de les partager avec leurs pairs ainsi qu’avec les critiques et les auteurs. Les exemples de ce phénomène, foncièrement lié aux transformations du numérique, abondent : des réseaux de lecture en ligne, comme <a href="https://www.babelio.com/">Babelio</a> et <a href="https://www.goodreads.com/">Goodreads</a>, à des plates-formes consacrées à la fois à l’écriture et à la lecture, comme <a href="https://www.wattpad.com/">Wattpad</a> et <a href="https://www.atelierdesauteurs.com/">Scribay</a>, en passant par les blogs, les <a href="https://theconversation.com/comment-sexplique-le-boom-des-book-clubs-150699">cercles de lecture</a> et les ateliers de <a href="https://theconversation.com/a-quand-les-livres-rembourses-par-la-securite-sociale-112046">bibliothérapie</a>, en ligne et en présentiel.</p>
<p>Paraphrasant la réponse du grand alpiniste britannique <a href="https://www.montagnes-magazine.com/actus-il-100-ans-parce-qu-il-la-george-mallory-propos-everest">George Mallory</a> à ceux qui lui demandaient pourquoi il voulait gravir l’Everest, je suggère que les émotions suscitées par la lecture devraient être étudiées tout simplement « parce qu’elles sont là », plus que jamais sous nos yeux. Face à ce contexte nouveau qu’Internet constitue, les études littéraires sont amenées à s’ouvrir à l’expérience de lectrices et lecteurs ordinaires, en repensant ainsi leurs approches traditionnellement fondées sur des modèles conceptuels abstraits ou sur des figures de lecteurs « experts ».</p>
<h2>Parce que la culture n’appartient plus seulement aux experts</h2>
<p>Le champ littéraire n’est pas le seul à évoluer : toutes les pratiques culturelles sont désormais transformées dans un sens participatif. Les amateurs contribuent de manière décisive à la circulation, à l’évaluation et même à la production de la culture, selon ce mécanisme étonnant que le sociologue des médias Axel Bruns a résumé par la notion de <a href="https://produsage.org/node/2">produsage</a>.</p>
<p>Les usagers, à la fois consommateurs et producteurs, revendiquent leur place dans la sphère culturelle. Face à ces changements, les sciences humaines constatent la nécessité de repenser radicalement leurs méthodes de recherche. En effet, le volume considérable de nouvelles sources d’analyse – pour certaines nativement numériques – implique la mobilisation d’outils technologiques adaptés à la collecte et au traitement de ces nouveaux corpus. Par ailleurs, cette culture produite « par en bas » amène les sciences humaines à s’intéresser non seulement aux œuvres – qu’elles soient ou non canoniques – mais aussi à la réception et aux sensibilités des usagers.</p>
<p>Aujourd’hui, et le plus souvent dans le cadre de projets collectifs et interdisciplinaires, nous nous intéressons de plus en plus aux voix des lecteurs d’hier et d’aujourd’hui, en partant d’entretiens, lettres, bulletins de bibliothèques, commentaires en ligne, blogs de lecture, etc. Mon travail sur les émotions de lectrices et lecteurs « ordinaires » est un exemple de la manière dont les sciences humaines peuvent aborder autrement des pratiques culturelles, comme la lecture, qui sont longtemps restées prisonnières de disciplines distantes les unes des autres (les études littéraires, la sociologie, l’histoire…) et de leurs méthodes et hiérarchies propres.</p>
<h2>Pour explorer les liens qui existent entre nos émotions, notre corps et notre esprit</h2>
<p>Depuis la Grèce antique, la pensée occidentale oppose les émotions et le raisonnement : les premières sont des pulsions violentes, le second un processus intellectuel pondéré ; les premières relèvent du corps, le second de l’esprit. Cette dichotomie a été progressivement mise de côté, en philosophie comme en psychologie.</p>
<p>Aujourd’hui, nous savons non seulement que nos sens influencent notre façon de penser et de percevoir le monde (théorie de la cognition incarnée), mais aussi que toute émotion spontanée repose sur une forme de raisonnement (théorie de l’évaluation cognitive). <a href="https://www.cairn.info/traite-de-psychologie-des-emotions--9782100793273.htm?contenu=sommaire">Ces découvertes</a> nous amènent à revisiter les émotions, et en particulier la subtilité des frontières séparant les perceptions, les sentiments et les jugements de valeur.</p>
<p>La lecture de la littérature constitue un terrain privilégié pour explorer des questions relatives aux liens qui se tissent entre émotions, corps et esprit : existe-t-il une relation entre l’interaction matérielle avec le livre – numérique ou papier – et notre engagement avec son contenu ? Quelle est la relation entre les émotions représentées dans la fiction littéraire (pensez à la détresse de Madame Bovary abandonnée par son amant !) et les émotions dont nous faisons l’expérience dans la vie réelle ? Comment notre réponse à la lecture influence-t-elle le jugement que nous portons sur le livre ? Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses pistes de recherche que nous ouvrons en nous mettant à l’écoute de lectrices et lecteurs ordinaires.</p>
<p>Pourquoi la <a href="https://pur-editions.fr/product/6928/lire-en-europe">recherche</a> s’intéresse-t-elle donc aujourd’hui aux réponses à la lecture ? D’abord, parce que nous avons accès à de nouveaux gisements d’informations sur les pratiques, les goûts et les sensibilités de lectrices et lecteurs ordinaires ; d’autre part, parce qu’il y a actuellement une prolifération de discours d’amateurs, qui contribuent désormais de manière de plus en plus significative à la circulation, à l’évaluation et à la production de l’art ; enfin, parce que l’analyse des émotions des lecteurs nous fournit des indices sur la nature <em>incarnée</em> et sur la fonction <em>cognitive</em> des émotions.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220937/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elena Prat a bénéficié d'un contrat doctoral (2020-2023) co-finacé par le projet Reading Europe Advanced Data Investigation Tool (READ-IT, JPI CH 2018-2021) et d'une bourse d'environnement de thèse 2020 de l'Institut d'études européennes et globales Alliance Europa. </span></em></p>Les émotions que nous ressentons en lisant et qui ressurgissent lorsque nous repensons à nos lectures témoignent d’une relation forte entre la vie réelle et la littérature.Elena Prat, Doctorante en littérature comparée, Le Mans UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2196352023-12-28T17:09:48Z2023-12-28T17:09:48Z« L’Archipel du Goulag » : trois tomes qui ont ébranlé le communisme<p>Il y a exactement cinquante ans, fin décembre 1973, un livre paraissait en russe à Paris : <em>L’Archipel du Goulag</em>, d’Alexandre Soljénitsyne.</p>
<p>Publié en traduction dans de nombreux pays occidentaux dès mai 1974, vendu en France à 600 000 exemplaires en moins de trois mois, ce premier tome a été suivi de deux autres.</p>
<p>Peu de livres au XX<sup>e</sup> siècle auront eu un tel impact politique.</p>
<h2>Alexandre Soljénitsyne, écrivain et ancien détenu du Goulag</h2>
<p>Né le 11 décembre 1918, <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/personnage/Aleksandr_Issa%C3%AFevitch_Soljenitsyne/144751">Alexandre Soljénitsyne</a> est le produit de l’éducation soviétique de son temps. Enseignant, il participe comme officier à la Seconde Guerre mondiale et est décoré pour bravoure en 1943.</p>
<p>Le 9 février 1945, il est arrêté pour avoir critiqué Staline dans une lettre privée. Suivront huit ans de camp – pendant lesquels il trouve la foi –, un cancer et le début d’une relégation au Kazakhstan qui est abrégée par la mort de Staline : réhabilité en 1956, Soljénitsyne peut retourner en République socialiste fédérative soviétique de Russie (RSFSR).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=494&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567286/original/file-20231222-21-er3svj.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=621&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le détenu Soljénitsyne fouillé par un garde, 31 décembre 1952.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Archives familiales d’Alexandre Soljénitsyne</span></span>
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<p>Déterminé à témoigner, il écrit sur les camps, mais cache ses œuvres, attendant le moment de les montrer. Le dégel officialisé par Nikita Khrouchtchev lui en fournira l’occasion. Son premier texte publié, <a href="https://www.fayard.fr/livre/une-journee-divan-denissovitch-9782213726458/"><em>Une Journée d’Ivan Dénissovitch</em></a>, paraît en novembre 1962 dans la revue <em>Novyï Mir</em>, avec l’autorisation personnelle de Khrouchtchev, et porte déjà sur les camps : l’écrivain y raconte une journée dans la vie d’un « zek », un prisonnier ordinaire, et démontre ainsi que, contrairement aux <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/la-marche-de-l-histoire/1956-le-rapport-khrouchtchev-1532077">allégations de Khrouchtchev en 1956</a>, les répressions n’ont pas touché que des communistes. Ce récit est lu par des millions de Soviétiques et permet à ses lecteurs occidentaux de saisir la réalité des purges staliniennes. C’est pourquoi la publication de textes sur les camps est presque aussitôt interdite en URSS.</p>
<p>Soljénitsyne devient alors le symbole et le repère de ceux qui, dans la société soviétique, s’opposent à un possible retour des répressions. Néanmoins, ceux qui ont acquis pouvoir et privilèges sous Staline défendent les règles du jeu qui leur ont réussi, et bénéficient en cela du soutien du KGB. L’affrontement entre ces deux camps marque les années 1960 en URSS, mais les nationalistes pro-Staline l’emportent : dès 1963-1964, Soljénitsyne ne peut plus être publié. Il est exclu de l’Union des écrivains en 1969. La consécration vient d’Occident : le prix Nobel de littérature est décerné à l’écrivain en 1970, mais celui-ci <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1970/11/30/soljenitsyne-ne-se-rendra-pas-a-stockholm-pour-recevoir-le-prix-nobel_2658842_1819218.html">ne peut se rendre à Stockholm pour le recevoir en mains propres</a>.</p>
<h2>Publier <em>L’Archipel du Goulag</em> en Occident</h2>
<p>Ce que ses adversaires ne savent pas, c’est que, dès 1968, Soljénitsyne a fait passer en Occident l’œuvre majeure de sa vie, <em>L’Archipel du Goulag</em>, ce texte-fleuve dans lequel il dresse l’histoire du système concentrationnaire soviétique de 1918 à 1956. Il l’a rédigé entre 1958 et février 1967, et n’a jamais eu l’ensemble du manuscrit sous les yeux : comme il en a pris l’habitude en camp, il écrit sur de minuscules feuilles de papier, qu’il enterre dans des jardins.</p>
<p>Nikita Struve, universitaire et directeur de la <a href="https://www.editeurs-reunis.fr/notre-histoire">maison d’édition YMCA Press</a>, a reçu l’un des deux exemplaires transmis. Cette maison d’édition en langue russe a été fondée par des émigrés en 1921 à Prague et a déménagé en 1925 à Paris où, surtout depuis le début des années 1960, elle publie, outre des émigrés, des auteurs soviétiques qui ne peuvent l’être en URSS : le <a href="https://ceupress.com/book/written-here-published-there">« tamizdat »</a> – la publication « là-bas », en Occident, de textes soviétiques, à ne pas confondre avec le <a href="https://www.u-bordeaux-montaigne.fr/fr/actualites/nouvelles-publications/samizdat-publications-clandestines-et-autoedition-en-europe-centrale-et-orientales-1950-1990.html">samizdat</a>, publication « par soi-même », qui désigne le fait de diffuser clandestinement des textes en URSS, essentiellement en les recopiant à la machine – prend de l’ampleur.</p>
<p>Pendant l’été 1973, parce que les pressions se renforcent contre lui et qu’une femme ayant tapé à la machine <em>L’Archipel du Goulag</em>, Elizaveta Voronianskaïa, <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/nivat_georges/soljenitsyne/Soljenitsyne_avec_photos.pdf">s’est pendue</a> après avoir été interrogée par le KGB pendant cinq jours et cinq nuits, Soljénitsyne lance l’ordre de préparer, à Paris, la publication de ce texte.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"878954575302201344"}"></div></p>
<p>Le 28 décembre 1973, il apprend par la BBC la sortie du premier tome ; le 14 janvier, la <em>Pravda</em> traite l’écrivain de <a href="https://biography.wikireading.ru/52393">« renégat »</a>. Dans la foulée, des journaux publient de nombreuses lettres dans lesquelles des écrivains officiels très connus – dont Sergueï Mikhalkov et Constantin Simonov – condamnent l’auteur de <em>L’Archipel du Goulag</em>, cette campagne aussi étant supervisée par le KGB. Arrêté le 12 février et accusé de trahison, Soljénitsyne est poussé, le lendemain, dans un avion qui le dépose en RFA. Il a été déchu de sa citoyenneté soviétique.</p>
<h2>Un « essai d’investigation littéraire »</h2>
<p><em>L’Archipel du Goulag</em>, ce long « essai d’investigation littéraire » – c’est son sous-titre –, dresse un tableau sociologique et historique détaillé des camps et des répressions soviétiques, et décrit les parcours et le quotidien des prisonniers au sein de cet « archipel » qui regroupait des myriades de camps, comme autant d’îles au sein du pays.</p>
<p>Soljénitsyne évoque aussi la « relégation », celle qui suivait le camp ou celle à laquelle ont été directement condamnés des centaines de milliers de paysans et des peuples entiers, dont les <a href="http://www.editionsducygne.com/editions-du-cygne-deportation-tchetchenes-ingouches.html">Tchétchènes</a> et les <a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2007-4-page-151.htm">Tatars de Crimée</a>. Pour lui, les prisonniers du Goulag peuvent être comparés aux serfs de l’Ancienne Russie, même si le sort de ces derniers était plus confortable.</p>
<p>Le Goulag, souligne-t-il, s’inscrit dans la logique du système soviétique : conçu et initié par Lénine, il ne peut être vu comme une déviation stalinienne. L’écrivain réfléchit aussi à l’impact de ces camps sur les individus et sur la société : le Goulag provoquerait et accentuerait la peur, la méfiance, le mensonge et une « psychologie d’esclaves ». Comment ne pas y repenser aujourd’hui, alors que la Russie poutinienne a renoué avec certaines pratiques répressives impitoyables ?</p>
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<figcaption><span class="caption">« L’archipel du goulag, le courage de la vérité », documentaire de Jean Crépu et Nicolas Milétitch.</span></figcaption>
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<p>Ce qui est sidérant, c’est que, pour réaliser cet énorme travail, Soljénitsyne n’a utilisé aucune archive – celles sur le Goulag étaient fermées – ni pratiquement aucune source publiée – il n’y en avait guère. Il s’est appuyé sur les récits, les mémoires et les lettres de deux cent vingt-sept anciens détenus que lui, ou certains de ses proches, avaient contactés.</p>
<p>Là est l’immense force du livre, et c’est pourquoi son auteur affirmera le considérer « comme au-dessus de [lui-même] ». Déjà, dans sa <a href="http://classiques.uqac.ca/contemporains/soljenitsyne_alexandre/le_cri_prix_nobel/le_cri_prix_nobel_texte.html"><em>Lecture du Nobel</em></a>, rédigée alors que <em>L’Archipel</em> n’était pas encore publié, Soljénitsyne se disait porteur de la parole des personnes mortes au Goulag, « accompagné par les ombres de ceux qui y sont restés », et s’inscrivait ainsi, à sa façon, dans la même démarche qu’Anna Akhmatova avec son <a href="http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Requiem-1473-1-1-0-1.html"><em>Requiem</em></a>.</p>
<p>Par la suite, il rappellera sans cesse avoir parlé au nom de ceux auxquels toute parole a été confisquée : c’est la voix d’un peuple réduit au silence qu’il veut faire entendre. Et c’est pourquoi non seulement il dédie <em>L’Archipel du Goulag</em> « à ceux à qui la vie a manqué pour raconter ces choses. Et qu’ils me pardonnent de n’avoir pas tout vu, de n’avoir pas tout retenu, de n’avoir pas tout deviné », mais <a href="https://www.solzhenitsyncenter.org/solzhenitsyn-fund">il consacrera l’ensemble des droits de ce livre</a> – des sommes énormes – à l’aide aux prisonniers politiques soviétiques.</p>
<h2>Un passé qui ne « passe » toujours pas</h2>
<p><em>L’Archipel du Goulag</em> a circulé sans discontinuité en URSS grâce au samizdat et a marqué un tournant net dans la complaisance des intellectuels occidentaux pour le régime soviétique. Sa publication en France, où le Parti communiste restait très puissant et aligné sur l’URSS, a entraîné des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-fabrique-de-l-histoire/histoire-du-communisme-ii-2-4-9000900">débats passionnés</a>. En effet, ce livre posait une « question énorme, considérable, écrasante » que Jean Daniel, rédacteur en chef du <em>Nouvel Observateur</em>, a résumée ainsi : « L’univers concentrationnaire, qui a été inséparable du stalinisme, peut-il être séparé du socialisme ? » Rapidement, Marx aussi a été mis en cause, et une gauche se voulant antitotalitaire a émergé.</p>
<p>Le PCF a, lui, parlé de campagne organisée contre l’URSS, tandis que des rumeurs initiées par les idéologues soviétiques ont prétendu que l’écrivain soutenait des régimes d’extrême droite, et l’ont <a href="https://www.editeurs-reunis.fr/post/ambiguites-face-dissidence-sovi%C3%A9tique-1">assimilé à Laval, Doriot et Déat</a>. Soljénitsyne restera assigné à la droite, voire à l’extrême droite, d’un champ politique qui n’était pourtant pas le sien, mais même le PCF a été obligé de prendre un peu ses distances avec l’URSS. Trop tard : <em>L’Archipel du Goulag</em> est l’une des raisons qui expliquent l’effondrement électoral durable de ce parti.</p>
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<figcaption><span class="caption">Alexandre Soljénitsyne invité de l’émission « Apostrophes », Antenne 2, 9 décembre 1983.</span></figcaption>
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<p>Ce livre est <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/07/04/urss-oeuvre-majeure-de-soljenitsyne-l-archipel-du-goulag-va-etre-publie-par-l-union-des-ecrivains-sovietiques_4142839_1819218.html">publié en URSS</a> pendant la pérestroïka, à partir d’août 1989 et beaucoup croient à un tournant définitif. Comme le formule alors le critique Igor Vinogradov, « un pays qui lit <em>L’Archipel</em> et ensuite tout Soljénitsyne […] sera, dans sa vie de l’esprit, un pays considérablement différent de ce qu’il était avant ». Connaître le passé pourrait empêcher son retour et permettre à la société de guérir des violences subies, pensait-on.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1994/05/28/russie-le-retour-d-alexandre-soljenitsyne-trop-tard_3830661_1819218.html">Soljénitsyne est rentré en Russie en 1994</a>, mais ses compatriotes l’ont trouvé coupé des réalités. Il demeurait cependant le symbole vivant de la dénonciation des camps, et c’est pourquoi ceux qui géraient l’image de Vladimir Poutine ont tenu à ce que celui-ci <a href="https://desk-russie.eu/2023/05/27/ils-ont-fait-le-poutinisme-gleb-pavlovski-lapprenti-sorcier-au-blouson-vert-suite.html">rencontre publiquement l’ancien détenu</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=347&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567285/original/file-20231222-21-u3a2gt.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=436&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une deuxième rencontre entre Soljénitsyne et Poutine, après celle de septembre 2000, eut lieu le 12 juin 2007.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Kremlin.ru</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>L’écrivain est mort le 3 août 2008. Peu après, <em>L’Archipel</em> a été inscrit au programme des lycées et une version raccourcie a été diffusée. Déjà, pourtant, des attaques visaient son auteur. En octobre 2016, Soljénitsyne a été <a href="https://www.academia.edu/38735094/_Solj%C3%A9nitsyne_aujourd_hui_en_Russie_un_h%C3%A9ritage_instrumentalis%C3%A9_Histoire_and_Libert%C3%A9_num%C3%A9ro_sp%C3%A9cial_pour_le_centenaire_de_Solj%C3%A9nitsyne_n_67_d%C3%A9cembre_2018_p_53_62">pendu en effigie</a> aux portes du musée du Goulag, à Moscou, une <a href="https://lenta.ru/news/2016/10/11/gulag/">pancarte le traitant de « traître » et d’« ennemi de la Patrie »</a> ; des statues, des portraits de lui ont été <a href="https://tvernews.ru/news/260212/">vandalisés en Russie</a>. Une guerre violente opposait, et oppose toujours, ceux qui lui rendent hommage et ceux qui ne lui pardonnent pas d’avoir dénoncé les répressions soviétiques. Le passé « ne passe pas », et la situation actuelle en Russie en témoigne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/219635/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cécile Vaissié ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Retour sur la genèse et l’impact, en URSS et en Occident, de l’un des livres les plus importants du XXᵉ siècle, publié à Paris il y a exactement 50 ans.Cécile Vaissié, Professeure des universités en études russes et soviétiques, Université de Rennes 2, chercheuse au CERCLE (Université de Lorraine), Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2106832023-09-04T18:33:24Z2023-09-04T18:33:24ZVers une « ChatGPTisation » du livre ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/545308/original/file-20230829-23-80ngyq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C7%2C1266%2C845&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les machines textuelles capables de composer un texte de façon autonome ont toujours séduit les gens du livre et leur imaginaire.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/fr/photos/une-biblioth%C3%A8que-larchitecture-5641389/">Pixabay/Oliver Gotting</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>L’arrivée d’agents conversationnels intelligents accessibles à tous les internautes provoque de véritables ondes de choc dans beaucoup de secteurs de la société alors même que la portée de leurs réponses demeure une inconnue. C’est surtout ChatGPT que propose la firme OpenAI depuis novembre 2022 en France qui est le support le plus médiatisé.</p>
<p>Ces nouveaux outils conversationnels, fondés sur l’intelligence artificielle, sont capables de générer instantanément et de façon autonome des écrits, des images ou des sons. Il peut s’agir de mots, de phrases, d’expressions, de données, de vidéos, de voix ou de musique. Ce bouleversement dans la production de l’écrit ne saurait se tenir à l’écart du monde du livre, c’est pourquoi ses acteurs s’en inquiètent, s’interrogent ou s’initient. Il y a peu, des éditeurs, tous secteurs confondus, comme les éditions <a href="https://booknode.com/poster_girl_03455714">Michel Lafon</a>, <a href="https://www.belial.fr/legacy/a/rich-larson/la-fabrique-des-lendemains">Le Bélial’</a> ou <a href="https://www.locus-solus.fr/product-page/la-for%90t-des-possibles-mathis-et-la-d%8Emone-salamandre">Locus Solus</a>, en partenariat avec les Presses universitaires de Rennes, ont en effet eu recours à ce nouvel outil pour illustrer leur publication.</p>
<p>Les effets de ChatGPT peuvent-ils aller au-delà de la seule création d’une couverture d’un livre ou d’une rédaction d’une copie académique et atteindre le cœur de la création littéraire ? Y a-t-il une possibilité que nous assistions, impuissants, à une « ChatGTPtisation » du livre, comme l’on a pu observer ces dernières années une « plateformisation » de l’écriture, de la publication et de la lecture ? Les géants du net, tels Amazon et Wattpad, avaient alors pris de court les maisons d’édition ancrées dans la tradition. Jusqu’où ira l’éventuelle influence de ChatGPT sur les auteurs désormais confrontés à la concurrence d’une écriture instantanée et sans délai ?</p>
<h2>La machine à mots : un vieux rêve en littérature ?</h2>
<p>Les machines textuelles capables de composer un texte de façon autonome ont toujours séduit les gens du livre et leur imaginaire. Bien avant l’arrivée sur le marché de ChatGPT, des écrivains appartenant à des genres littéraires différents ont introduit dans leurs récits des mécanismes susceptibles de se substituer à la pensée humaine.</p>
<p>Déjà au Moyen Âge, au XIII<sup>e</sup> siècle, le moine dominicain et homme de lettres Raymond Lulle avait mis au point une roue de papier <a href="https://journals.openedition.org/1718/5936?lang=fr">« capable de produire l’ensemble des réponses possibles aux questions d’un impie pouvait adresser à un chrétien »</a>. Plus tard, en 1726, Jonathan Swift, dans son ouvrage <em>Les Voyages de Gulliver</em>, évoque dans le troisième voyage un engin en bois capable de produire une infinité de connaissances de Gulliver. L’idée de créer une <a href="https://www.babelio.com/livres/Escarpit-Le-Litteratron/180518">« machine à mots »</a> poursuit sa route avec Robert Escarpit qui, en 1964, cherche à construire Le Littératron dont les capacités permettraient d’écrire une grande œuvre : <a href="https://www.babelio.com/livres/Escarpit-Le-Litteratron/180518">« – Monsieur le Président ! m’écriai-je, venez-vous me demander d’écrire le prochain Prix Goncourt ? J’en suis, je vous l’assure, tout à fait incapable ! […] –Vous, peut-être, dit-il, mais le Littératron ? »</a></p>
<p>C’est Frank Herbert avec la saga <em>Dune</em> en 1965 et Arthur C. Clarke dans <em>2001 : L’Odyssée de l’espace</em>, publié en 1968, et adapté au cinéma la même année par Stanley Kubrick, qui se sont rapprochés le plus près du concept d’intelligence artificielle en créant des machines pensantes dans leurs romans de science-fiction. Dans son ouvrage <em>Si par une nuit d’hiver un voyageur</em>, publié en 1979, l’auteur italien Italo Calvino présente également une machine capable de lire et écrire à partir de ce qu’elle a lu. Enfin, plus proche de nous, il convient d’évoquer l’expérience de Google en mars 2017 menée avec l’artiste Ross Goodwin qui, à bord d’une Cadillac équipée d’un réseau de neurones artificiels s’est lancé dans un road trip entre New York et La Nouvelle-Orléans. De cette expérience est né un poème intitulé « 1 the Road », publié aux éditions Jean Boîte avec comme discours d’escorte : <a href="https://www.jbe-books.com/products/1-the-road-by-an-artificial-neural#&gid=1&pid=1">« Le premier livre écrit par une intelligence artificiel est un road trip gonzo »</a>.</p>
<p>Cette dernière expérience inédite révèle que « la machine à mots », tant fantasmée par certains auteurs, est désormais une réalité. Si cette machine est entrée dans des romans il y a plusieurs décennies, désormais des livres sortent de cette machine. Des livres ayant recours à ChatGPT ont effet pénétré le marché littéraire : <a href="https://actualitte.com/article/110387/technologie/chatgpt-devient-un-auteur-tres-prolifique-de-livres-numeriques">ce sont environ 200 publications qui ont été à ce jour comptabilisés sur la boutique Kindle d’Amazon ayant pour auteur ou co-auteur ChatGPT</a>. Cette intrusion inimaginable de l’intelligence artificielle générative redimensionne le monde du livre qui ne semble plus circonscrit aux seuls auteurs humains. Des robots textuels ont pris la plume faisant perdre aux auteurs le monopole de la création littéraire.</p>
<h2>Écrire toujours plus vite et sans effort avec les géants du net</h2>
<p>« C’est un métier que de faire un livre », disait la Bruyère, soulignant toute l’attention, l’effort et le temps nécessaires à un auteur pour créer un livre. L’arrivée sur le marché de ChatGPT semble pourtant perturber ce constat historique fondé sur une autre approche de temps et de sa consommation. Cet outil de traitement automatique du langage, <a href="https://www.ecitions-observatoire.com/content/Vivre_avec_ChatGPT">« entraîné sur le plus gros corpus jamais constitué : 410 milliards d’unités sémantiques, environ 300 millions de mots, 80 % issus des pages web, 16 % issus des livres, 3 % issus de Wikipédia, 90 % de cet ensemble étant en langue anglaise »</a>, a les capacités de générer du texte instantanément et sans effort.</p>
<p>Cette simplification à l’extrême de l’activité scripturale peut-elle atténuer le labeur d’un écrivain ? Quand un auteur s’investissait auparavant pendant des heures, des journées, des mois, voire des années dans son projet d’écriture, désormais, avec ChatGPT, toutes les éventuelles difficultés semblent gommées comme par magie. Le fameux syndrome de la page blanche, le manque d’inspiration ou d’idées, le travail de réécriture sans oublier les fautes d’orthographe paraissent effectivement relégués au temps ancien des moines copistes. Dans cette optique, les éditeurs ne se posent plus en seuls révélateurs de talents littéraires, désormais l’intelligence artificielle générative est, elle aussi, créatrice d’auteurs.</p>
<p>Devant un tel constat, c’est le concept et la notion d’auteur qui sont interrogés. Quel est le statut de ChatGPT lorsqu’il génère un texte ? Est-il un auteur indépendant ou un simple avatar littéraire ? Plus largement, « L’homme est-il le seul [désormais] à produire de la littérature ? » interroge <a href="https://www.ecitions-observatoire.com/content/Vivre_avec_ChatGPT">Alexandre Gefen dans son importante étude sur ce sujet</a>. ChatGPT n’affiche pas pour le moment une quelconque vocation à devenir un Walter Scott de la littérature ni à bâtir une cathédrale littéraire comme l’a minutieusement réalisée Marcel Proust jusqu’à sa mort en 1922. En se substituant aux plumes des auteurs en herbe, est-il toutefois en train de se créer une identité, un style, une signature ? Par ailleurs, quelle est la qualité de ces textes crées à mi-chemin entre l’homme et la machine que certains pourraient taxer de paresse intellectuelle ?</p>
<p>Toutes ces interrogations sont symptomatiques des inquiétudes des acteurs culturels. Après l’angoisse des illustrateurs, des traducteurs et des journalistes avec les expériences menées sur Genesis, <a href="https://www.lefigaro.fr/secteur/high-tech/google-teste-genesis-un-outil-d-ia-pour-ecrire-des-articles-de-presse-20230721">l’intelligence artificielle de Google pour créer des articles de presse</a>, ce sont désormais les scénaristes mais aussi les <a href="https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/07/13/a-hollywood-vers-une-greve-des-acteurs-apres-l-echec-des-negociations-avec-les-grands-studios_6181788_3246.html">acteurs américains qui se sont mis en grève le 13 juillet 2023</a> pour exprimer leur crainte de voir leur univers « ChatGTPtisé ».</p>
<p>Toutefois, à bien y réfléchir, ce robot textuel est, certes, une ressource infinie, mais, en l’état, il ne possède aucun réel pouvoir de création. ChatGPT, en effet, n’invente rien : il ne répond qu’à des questions posées et orientées par l’homme. Alimenté et entraîné par un corpus de données humaines, il ne crée pas de textes mais propose une sorte de recyclage littéraire en continu. Les textes qui émanent de ChatGPT ne sont que des remodelages de ceux qui lui ont été inculqués.</p>
<p>Néanmoins, devant une telle innovation, seuls les esprits les plus fins, les plus brillants, les plus précis et les plus aguerris avec l’écriture sauront tirer profit de ce robot conversationnel pour aller plus vite et plus loin dans leur projet littéraire tandis que les autres resteront confinés dans leur paresse et se conforteront dans une littérature circulaire. L’inédit, l’originalité et le <a href="https://www.librairie-gallimard.com/livre/9782070309894-illusions-perdues-honore-de-balzac/">« talent [sont toujours] une création morale »</a> comme l’écrivait Balzac qui, peut-être, serait séduit par ce nouvel outil, lui qui avait fait des mots sa religion.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210683/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stéphanie Parmentier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les effets de ChatGPT peuvent-ils aller au-delà de la seule création d’une couverture d’un livre ou d’une rédaction d’une copie académique et atteindre le cœur de la création littéraire ?Stéphanie Parmentier, Professeure documentaliste, docteure qualifiée en lettres et en sic. Chercheuse rattachée au laboratoire IMSIC, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2011332023-03-12T17:14:11Z2023-03-12T17:14:11ZQuand les collectionneurs spéculent sur la religion : une bible à 50 millions de dollars ?<p>Il y a quelques jours, la presse internationale <a href="https://www.nytimes.com/2023/02/15/arts/hebrew-bible-auction-sothebys.html">annonçait</a> la mise aux enchères de ce qui pourrait être le livre le plus cher de tous les temps : une bible estimée à 50 millions de dollars. Il s’agirait de l’une des plus anciennes bibles au monde, un témoin unique de cet ouvrage pas comme les autres. Qu’en est-il vraiment ?</p>
<h2>Aux origines de la Bible</h2>
<p>La Bible est, dit-on, <a href="https://www.guinnessworldrecords.com/world-records/best-selling-book-of-non-fiction">l’ouvrage le plus vendu au monde</a>. Il faut dire qu’elle a une longueur d’avance : au XV<sup>e</sup> siècle, lorsque Gutenberg met au point sa célèbre technique d’imprimerie, c’est bien sûr la Bible qu’il choisit pour être diffusée à grande échelle. C’est une véritable révolution.</p>
<p>À l’époque, Gutenberg imprime une version latine de la Bible, qu’on appelle la « Vulgate », traduite par saint Jérôme au tournant du V<sup>e</sup> siècle après Jésus-Christ. Jérôme avait alors effectué sa traduction à partir des langues originales de la Bible, à savoir l’hébreu, l’araméen et le grec. Cette pluralité de langues est due au caractère composite de la Bible qui, en réalité, n’est pas un livre, mais une collection de livres écrits à des époques différentes par des auteurs qui ne parlaient pas tous la même langue. Le mot « Bible » lui-même signifie d’ailleurs « les livres », au pluriel (en grec : « ta biblia »). Tout est dans le titre !</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=375&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513425/original/file-20230303-20-tgc9ok.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=471&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Bible de Gutenberg, Lenox Copy, New York Public Library.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Starfire2k/Flickr</span></span>
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<p>La bible qui sera mise aux enchères le 16 mai est en hébreu et date du X<sup>e</sup> siècle après Jésus-Christ, environ. C’est un âge vénérable, mais il existe des manuscrits bien plus anciens. Mille ans plus tôt, des scribes copiaient les mêmes livres sur des rouleaux de parchemin (ou, plus rarement, de papyrus).</p>
<p>Certains de ces manuscrits ont traversé les millénaires cachés dans des grottes sur les rives occidentales la mer Morte. Ils ont été découverts au milieu du XX<sup>e</sup> siècle par des Bédouins ; ces « rouleaux de la mer Morte », comme on les appelle, sont, à ce jour, les plus anciens manuscrits de la Bible. Ils sont hélas disloqués et morcelés : on compte plus de <a href="https://www.deadseascrolls.org.il">30000 fragments</a> qui devaient correspondre à un millier de rouleaux environ. Autant de puzzles à reconstituer, sans modèle, et avec la majeure partie des pièces manquantes. Les plus anciens datent du III<sup>e</sup> siècle avant Jésus-Christ, et peut-être même du IV<sup>e</sup> voire V<sup>e</sup> siècle, ainsi que je l’ai <a href="http://michaellanglois.fr/?p=18261">récemment proposé</a>. Les plus récents datent du II<sup>e</sup> siècle après Jésus-Christ.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/517656/original/file-20230327-14-p6u06g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=429&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Grand rouleau d’Isaïe (1QIsᵃ), copié vers la fin du IIᵉ siècle avant Jésus-Christ.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://barhama.com/">Ardon Bar-Hama</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Dans la plupart des cas, la datation proposée se fonde sur la « paléographie » – la façon dont les lettres sont tracées –, l’idée étant qu’on n’écrit pas de la même manière au III<sup>e</sup> siècle avant Jésus-Christ et au II<sup>er</sup> siècle de notre ère.</p>
<h2>Un problème de datation</h2>
<p>Une datation au carbone 14 est, en théorie, utile, mais elle se heurte à plusieurs difficultés : c’est une méthode destructive, car il faut prélever et broyer des échantillons ; ces échantillons sont souvent contaminés et donnent des résultats aberrants ; même lorsqu’ils sont justes, les résultats doivent être calibrés, et l’on aboutit parfois à plusieurs datations possibles et assez imprécises ; enfin, même lorsque la datation s’avère plausible, on ne date que le parchemin ou le papyrus, et non la copie du texte, qui peut avoir été faite longtemps après – surtout si le parchemin a été lavé et réutilisé, comme ça se faisait souvent : à l’époque, tout se recyclait.</p>
<p>Le même problème de datation se pose pour cette bible mise aux enchères. Parfois, le scribe ajoute une mention précisant son identité, la date de la copie, le nom de la personne qui lui a commandé ce travail, etc. Un peu comme l’achevé d’imprimer que vous trouverez aujourd’hui à la fin de n’importe quel livre. Cette mention s’appelle un « colophon », mais il n’y en a pas ici. Tout juste sait-on qu’elle a été vendue au tournant du II<sup>e</sup> millénaire après Jésus-Christ. On en déduit qu’elle a été copiée avant et, grâce à la paléographie, on l’a datée des environs du X<sup>e</sup> siècle de notre ère.</p>
<p>À l’occasion de la mise aux enchères, une datation au carbone 14 a été effectuée, mais les résultats n’ont pas été publiés. On nous dit que cette bible daterait de la fin du IX<sup>e</sup> ou du début du X<sup>e</sup> siècle, mais sans plus de précision. Le vendeur a tout intérêt à proposer la datation la plus ancienne possible pour faire grimper les enchères, au point même de présenter cette bible comme un chaînon manquant avec les manuscrits de la mer Morte, alors qu’un millénaire les sépare, de sorte que quelques décennies ne feront guère de différence.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=620&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=620&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=620&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=779&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=779&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513439/original/file-20230303-24-fowbkn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=779&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Codex Vaticanus, copié vers le IVᵉ siècle après Jésus-Christ.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Unknown author</span></span>
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<h2>Un chaînon manquant ?</h2>
<p>Le chaînon manquant existe pourtant : ce sont des bibles grecques datées des IV<sup>e</sup> ou V<sup>e</sup> siècles après Jésus-Christ. La plus connue d’entre elles est au Vatican : c’est le <a href="https://digi.vatlib.it/view/MSS_Vat.gr.1209">Codex Vaticanus</a>. Ces manuscrits permettent d’accéder au texte biblique dans sa langue originale, le grec, pour ce qui est des livres écrits dans cette langue. Mais pour les livres écrits en hébreu et en araméen, il faut se contenter d’une traduction grecque. Or, traduire, c’est trahir. </p>
<p>Se pose donc la question de la fiabilité de cette version grecque, d’autant qu’elle diffère parfois des bibles hébraïques plus tardives telles que celle qui est mise aux enchères. Les traducteurs grecs étaient-ils incompétents ? Distraits ? Orientés ? La découverte des manuscrits de la mer Morte a permis de résoudre cette énigme, puisque certains de ces rouleaux, y compris en hébreu, concordent avec la version grecque. Autrement dit, les traducteurs grecs ont plutôt bien travaillé, car ils avaient sous les yeux un texte hébreu différent de celui des bibles hébraïques médiévales.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=729&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513442/original/file-20230303-2362-9f7vc4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=916&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Codex d’Alep, copié vers 930 après Jésus-Christ.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ardon Bar Hama</span></span>
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<p>L’évolution du texte biblique ne s’est pas arrêtée là. Ces différentes versions de la Bible ont circulé pendant des siècles, copiées et recopiées par des scribes juifs et chrétiens qui ne se parlaient pas forcément beaucoup.</p>
<p>Au début du Moyen Âge, des savants juifs mettent au point des systèmes de ponctuation du texte biblique. Il faut dire que l’alphabet hébreu ne note pas les voyelles de façon systématique et précise ; le même texte peut être lu de différentes façons, avec les conséquences que l’on imagine lorsqu’il s’agit des saintes Écritures.</p>
<p>Pour lever toute ambiguïté, on a donc habillé le texte de petits points et traits permettant d’en préciser la prononciation exacte : voyelles, intonation, ponctuation, cantillation. Plusieurs prononciations étaient en concurrence, et il faudra attendre le X<sup>e</sup> siècle pour trouver la première bible hébraïque dotée de la prononciation encore en usage aujourd’hui. Cette bible, c’est le <a href="http://aleppocodex.org/">Codex d’Alep</a>, daté de l’an 930 environ, et que l’on peut admirer au Musée d’Israël à Jérusalem. Plusieurs feuilles sont perdues, mais son héritier, le Codex de Saint-Pétersbourg (ou Codex de Leningrad), copié en 1009 après Jésus-Christ, est complet. C’est ce manuscrit qui sert de référence à l’étude de la Bible hébraïque et à la plupart des <a href="https://lire.la-bible.net">traductions françaises modernes</a> de la Bible.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=705&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=705&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=705&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=886&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=886&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513436/original/file-20230303-26-gifoy7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=886&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Codex Sassoon 1053, copié vers le Xᵉ siècle après Jésus-Christ.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Ardon Bar-Hama</span></span>
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<h2>Un texte vivant</h2>
<p>La bible qui est mise aux enchères n’est ni le Codex d’Alep, ni celui de Saint-Pétersbourg. Il s’agit du Codex Sassoon 1053. Contrairement au Codex de Saint-Pétersbourg, il lui manque des feuilles, de sorte qu’il ne peut prétendre au titre de plus ancienne bible hébraïque complète connue. En outre, sa ponctuation est légèrement différente de celle du Codex d’Alep. C’est à la fois un défaut et un atout : les croyants désireux de lire la Bible hébraïque selon la prononciation officielle écarteront le Codex Sassoon 1053, cependant que les spécialistes ont depuis longtemps noté l’intérêt de ce manuscrit pour une étude comparative de la ponctuation hébraïque.</p>
<p>Dans tous les cas, le prix astronomique évoqué pour cette vente aux enchères – jusqu’à 50 millions de dollars ! – est révélateur de l’importance de la Bible et de la religion pour des milliards de personnes à travers le monde. Au point que certains collectionneurs américains n’ont pas hésité à dépenser des millions de dollars pour des manuscrits de la mer Morte, et ce afin de s’acheter une crédibilité scientifique et politico-religieuse. Ironie du sort, <a href="https://theconversation.com/a-washington-la-bible-falsifiee-105624">ces manuscrits étaient des faux</a>…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-washington-la-bible-falsifiee-105624">À Washington, la Bible falsifiée</a>
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<p>Il faut protéger ce patrimoine culturel de toute forme d’instrumentalisation et l’apprécier à sa juste valeur. Le Codex Sassoon 1053 a d’autres qualités : il dispose par exemple les livres de la Bible hébraïque dans un ordre légèrement différent de celui que nous connaissons. Le livre du prophète Isaïe a été placé après celui d’Ézéchiel et non avant celui de Jérémie. Imaginez que vous regardiez les films de la saga <em>Star Wars</em> dans un ordre différent de celui dans lequel ils sont sortis au cinéma ; l’effet ne serait pas le même ! C’est ce qui se passe ici : on lit la Bible d’une autre façon. Chaque manuscrit est unique. L’histoire plurimillénaire de la Bible nous invite à la découvrir, non pas comme un monolithe prisonnier d’une lecture univoque, mais comme un texte vivant et toujours différent.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/201133/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michael Langlois ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le Codex Sassoon de 1053 ne peut prétendre au titre de plus ancienne bible hébraïque complète connue. Alors, comment expliquer le prix astronomique de sa mise aux enchères ?Michael Langlois, Docteur ès sciences historiques et philologiques, maître de conférences HDR, membre honoraire de l’IUF, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1986142023-03-09T18:43:35Z2023-03-09T18:43:35ZDu « pater familias » au papa « copain » : le rôle des pères vu par les guides sur la parentalité<p>Si <a href="https://calenda.org/1032443">l’éducation des tout-petits</a> a été un univers quasi exclusivement maternel pendant longtemps, les pères y prennent de plus en plus de place et les <a href="https://theconversation.com/guides-sur-la-parentalite-une-infinie-course-au-bien-etre-142441">guides sur la parentalité</a> nous offrent un regard précieux sur la manière dont changent les <a href="https://www.cairn.info/revue-informations-sociales-2013-2-page-14.htm">représentations des figures paternelles</a> ainsi que celles des mères.</p>
<p>S’émancipant de manière accélérée après 1945, celles-ci incarnent différemment leur rôle auprès des enfants, ce qui a des conséquences sur les <a href="https://www.cairn.info/la-problematique-paternelle--9782865869121-page-49.htm">pères dont l’autorité évolue</a>, comme leur implication dans la vie domestique.</p>
<p>Ces ouvrages grand public prodiguent aux parents d’enfants de moins de 6 ans des conseils qui peuvent être discutés dans l’intimité des foyers. On s’appuiera sur la lecture de trois d’entre eux largement et longtemps diffusés – ceux de Blanche Gay, de Laurence Pernoud et d’Edwige Antier.</p>
<h2>Trois guides parentaux et trois époques</h2>
<p>La première autrice, Blanche Gay, bourgeoise parisienne et catholique, a écrit <a href="https://ccfr.bnf.fr/portailccfr/ark:/06871/0019986993"><em>Comment j’élève mon enfant</em></a>, paru entre 1927 et 1962. Avec plus de 200 000 exemplaires, il s’agit du meilleur tirage de la maison d’édition de son mari Bloud & Gay.</p>
<p>Sorti en 1965, <em>J’élève mon enfant</em>, <a href="https://www.cairn.info/les-enfants-dans-les-livres-2013%E2%80%939782749237312-page-169.htm?ref=doi&contenu=article">best-seller de la journaliste Laurence Pernoud</a>, a été rédigé avec une équipe d’experts en tenant compte de l’évolution des relations entre enfants et parents. Publié dans 70 pays en langue française, il a également donné lieu à 40 traductions.</p>
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<a href="https://theconversation.com/fete-des-meres-dans-les-livres-pour-enfants-les-meres-sont-elles-vraiment-mises-a-lhonneur-172992">Fête des mères : dans les livres pour enfants, les mères sont-elles vraiment mises à l’honneur ?</a>
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<p><a href="https://edwigeantier.org/a-propos/">Edwige Antier</a>, enfin, est pédiatre et se réclame de Françoise Dolto. Elle se présente comme une « néo-féministe » qui réconcilie le combat pour l’égalité des sexes avec le désir de maternité, une éducation à l’écoute des enfants, ce qui transparait dans les éditions d’<em>Élever mon enfant aujourd’hui</em>, de la première édition en 1995 jusqu’à celle de 2002. Ces trois exemples font ressortir la visibilisation croissante des pères dans ce type d’ouvrages tout au long du XX<sup>e</sup> siècle, complexifiant leur rôle.</p>
<h2>La figure du « chef de famille »</h2>
<p>Des années 1920 jusqu’aux années 1950, le père dépeint occupe une place centrale dans la famille et suscite davantage de crainte que d’affection. Il incarne une figure de <em>pater familias</em> dont le rôle a été officialisé par le code civil en 1804. Les guides Gay continuent ainsi à diffuser la théorie des deux sphères, élaborée au XIX<sup>e</sup> siècle, qui différencie les rôles parentaux selon le sexe : le père évolue dans la sphère publique et assure les moyens d’existence de sa famille par le travail ; la mère est cantonnée à la sphère privée et se voue à l’éducation des enfants et au travail domestique.</p>
<p>La famille dans les guides de Gay est organisée de manière genrée et hiérarchique à l’image de l’Église catholique : la mère a en charge le foyer et les enfants ; le père est lié au monde extérieur. Toutefois, cette puissance est un appui à la mère dont il doit prendre soin :</p>
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<p>« Le père est donc le chef de famille, mais la mère est reine au foyer ; le père donne aux enfants l’exemple des égards qui sont dus à cette reine. La mère ne craint pas à son tour de donner l’exemple de la docilité à l’autorité du père ; elle sait qu’en grandissant aux yeux des enfants, elle ne se rabaisse pas elle-même, bien au contraire. » (« Comment j’élève mon enfant », 1951, p. 378)</p>
</blockquote>
<p>La femme se place dans une position d’obéissance acceptée à son mari car elle n’est pas son égale. Cette figure paternelle n’est pas sans rappeler celle du <a href="https://ccfr.bnf.fr/portailccfr/jsp/index_view_direct_anonymous.jsp?record=bmr%3AUNIMARC%3A8601496"><em>Manuel du père de famille</em></a> du vice-amiral Hervé de Penfentenyo de Kervéréguin. Dans cet ouvrage paru chez Flammarion en 1941 et préfacé par le Maréchal Pétain, l’éducation paternelle est proche du dressage, les pères ne devant en rien témoigner ses sentiments à l’enfant pour ne pas devenir « les esclaves de ce petit être ». Ce comportement est censé imposer à l’enfant le respect du père.</p>
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<p>Ces représentations évoluent après-guerre. Même s’il ne remplit toujours pas les mêmes fonctions que la mère, le père doit désormais se montrer à l’écoute de son épouse et être attentif à ses enfants.</p>
<h2>Prendre en compte les sentiments des tout-petits</h2>
<p>S’appuyant sur les découvertes de la psychologie de l’enfant qui mettent en évidence l’importance de l’attachement entre parents et enfants dès la naissance ainsi que les sentiments ressentis par le tout-petit, les guides de Gay rendent hommage aux pères qui assistent les mères dans le quotidien.</p>
<p>Dans ceux de Pernoud, la carence paternelle, théorisée par des psychiatres comme <a href="https://www.cairn.info/revue-champ-lacanien-2005-1-page-37.htm">Jacques Lacan</a>, est dénoncée. Selon cette théorie, les pères de l’après-Seconde Guerre mondiale, notamment les prisonniers de guerre à leur retour, ont été fortement désorientés par la société et les transformations familiales, ce qui les a conduit fréquemment à s’effacer dans l’éducation des enfants. La place accordée exclusivement à la mère dans cette fonction y est dénoncée et ces pères sont jugés comme ayant manqué entièrement à leur paternité.</p>
<p>À la même période, inspirés des principes de la nouvelle puériculture diffusée par le Docteur Benjamin Spock, d’autres pères se sont engagés dans l’éducation quotidienne de leurs enfants :</p>
<blockquote>
<p>« À cause du manque d’aides, et à l’exemple de pères américains, vous mettiez un tablier pour aider votre femme à faire la vaisselle. Cela ne rehaussait pas un prestige déjà compromis aux yeux de vos enfants, habitués qu’ils étaient au Superman de BD et de la télévision. Cette démission des pères a duré 25, 30 ans. Il a bien fallu une génération pour juger des résultats. Ceux-ci ont été […] désastreux. » (Pernoud, 1969, p.424).</p>
</blockquote>
<p>Cette dénonciation ne signifie donc pas une approbation des principes de la nouvelle puériculture qui consiste en l’assouplissement des règles d’éducation, d’une grande attention portée à l’enfant et à ses besoins, enfin à l’expression des sentiments parentaux, y compris paternels, à l’égard des petits.</p>
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<figcaption><span class="caption">Découverte : La génération des bébés Spock (Radio-Canada Info, 2021).</span></figcaption>
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<p>Un père en retrait en raison d’un engagement professionnel fort, telle est cependant la figure qui transparaît majoritairement dans les guides de Pernoud. Les éditions des années 1960-1970 sont destinées aux mères et non aux « pères qui n’auraient pas le temps de lire tous les chapitres », comme cela est écrit dans les guides parus durant ces deux décennies.</p>
<p>En raison de contraintes professionnelles, le père perpétue ici une représentation traditionnelle des rôles parentaux. Mais en 1970, l’autorité parentale remplace désormais l’autorité paternelle. L’éloge des nouveaux pères est donc formulé dans un contexte familial nouveau.</p>
<h2>L’ère des « nouveaux pères »</h2>
<p>Dans un contexte marqué par le mouvement féministe et le déclin du modèle « militaro-viril », une <a href="https://ehne.fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/genre-et-europe/de-la-transition-d%C3%A9mographique-aux-r%C3%A9volutions-sexuelles/histoire-de-la-paternit%C3%A9-aux-XIXe-et-XXe-si%C3%A8cles">nouvelle figure paternelle</a> s’affirme sous le signe de l’égalité. Impliqués dans l’éducation de l’enfant, les « nouveaux pères » ne sont vraiment évoqués qu’à partir des années 1990. Dans les guides de Pernoud, les changements sont liés aux transformations des droits de la famille et du développement du travail féminin. Le nouveau père est chaleureusement salué dans les guides d’Antier <em>Élever mon enfant aujourd’hui</em> : plus investi, il contribue à l’épanouissement de son enfant.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/guides-sur-la-parentalite-une-infinie-course-au-bien-etre-142441">Guides sur la parentalité : une infinie course au bien-être ?</a>
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<p>Cependant, les guides traitent aussi de situations moins idylliques comme le divorce. Dans les guides des années 1990, Edwige Antier évoque les pères « qui se sentent privés brutalement de leur enfant à cause d’une situation qu’ils n’ont, le plus souvent, pas voulue » et leurs sentiments, notamment le chagrin, face au divorce où 80 % des gardes sont confiés aux mères alors. Un père plus sensible, mais encore accaparé par son travail apparaît encore comme majoritaire. Les nouveaux pères ne seraient donc qu’une partie visible, médiatisée mais minoritaire des pères français.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/divorce-comment-les-enfants-gerent-ils-la-vie-en-garde-alternee-195320">Divorce : comment les enfants gèrent-ils la vie en garde alternée ?</a>
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<p>Plusieurs types de pères, et par extension de <a href="https://theconversation.com/fr/topics/parentalite-37550">parentalités</a>, coexistent désormais : le père traditionnel, le papa « copain », le père impliqué. Cependant, les guides indiquent que la fin du XX<sup>e</sup> siècle est une phase de transition dans les rôles parentaux. Mais, alors que la pluralisation des formes familiales touche les mères et les pères par les <a href="https://theconversation.com/la-parentalite-au-dela-du-genre-et-de-la-sexualite-191028">parentalités homosexuelles</a> et les monoparentalités – pour 15 % des familles –, que les dépressions post-partum et les malaises parentaux commencent à être abordés dans l’espace public, les guides continuent de diffuser une représentation de la famille hétérosexuelle unie. Il y a donc un décalage entre les pratiques sociales et les <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k54462723.image.f85.tableDesMatieres#xd_co_f=NjUyZWY0ZGMtMDU1MC00ZDk5LWE5MTQtOWMyYmU2MWJiMWIw">guides</a> dont les couvertures représentent majoritairement une triade père-mère-enfant toujours souriante.</p>
<p>Désormais, les pères doivent trouver une place au sein du couple, concilier avec plus d’équilibre vie privée et vie professionnelle. Au début du XXI<sup>e</sup> siècle, la représentation paternelle s’est complexifiée et les exigences pesant sur le père s’accroissent considérablement, se rapprochant ainsi des injonctions fortes et parfois paradoxales faites aux mères.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198614/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Patricia Legris ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plonger dans l’histoire des guides parentaux permet de voir comment les pères se sont invités au fil du temps dans l’éducation des tout-petits et comment leur rôle s’est complexifié.Patricia Legris, Maîtresse de conférences en histoire contemporaine, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1986292023-03-07T18:36:02Z2023-03-07T18:36:02ZOui, les jeunes lisent encore. Mais différemment !<p>Depuis les années 1990, on s’interroge beaucoup sur les <a href="https://cnlj.bnf.fr/sites/default/files/revues_document_joint/PUBLICATION_4196.pdf">pratiques de lecture des jeunes</a>, déplorant qu’ils se tournent moins vers ce loisir que les générations précédentes. C’est à <a href="https://www.ouest-france.fr/culture/livres/etude-les-7-11-ans-lisent-davantage-que-les-adolescents-et-les-jeunes-4331062">l’entrée au collège</a> que se produirait un décrochage : le <a href="https://centrenationaldulivre.fr/actualites/resultats-de-l-etude-les-jeunes-francais-et-la-lecture">nombre déclaré de livres lus</a> baisse à partir de 11 ans.</p>
<p>Pourtant, le tableau de l’édition jeunesse est loin d’être sombre : en <a href="https://www.sne.fr/resultats-recherche/?fwp_main_engine_facet=jeunesse&fwp_actualite_sujet=les-chiffres-de-ledition">2020, la valeur des ventes a augmenté de 9,9 %</a> et de 16 % en 2021, et les achats de livres numériques pour la jeunesse ont augmenté de 44 % en 2020, pendant le confinement. La plus forte hausse concerne la <a href="https://theconversation.com/cinq-auteurs-de-jeunesse-a-faire-absolument-decouvrir-aux-enfants-185235">littérature pour les enfants</a>, mais les adolescents se sont vus proposer aussi des <a href="https://www.sne.fr/actu/communique-de-presse-les-chiffres-de-ledition-en-2021/">titres qui correspondent mieux à leur univers, largement transmédia</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lire-sur-papier-lire-sur-ecran-en-quoi-est-ce-different-112493">Lire sur papier, lire sur écran : en quoi est-ce différent ?</a>
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<p>Pour mieux comprendre comment ces tendances a priori contradictoires peuvent cohabiter, peut-être faut-il revoir nos représentations traditionnelles. Et si les jeunes, plutôt que de lire moins, lisaient en fait différemment ? Examinons de plus près ces <a href="https://theconversation.com/un-monde-nouveau-ecoutez-lemission-sur-les-ecrans-et-lapprentissage-de-la-lecture-166593">nouveaux usages</a>.</p>
<h2>3h14 de lecture par jour</h2>
<p>Si l’on oppose souvent les livres aux écrans, les dernières enquêtes considèrent l’e-book comme un livre à part entière, ce qui permet de mieux évaluer le nombre de livres lus. Cependant, cette prise en compte ne permet pas de considérer l’ensemble des activités littéraires des adolescents, qui peuvent aussi avoir lieu sur écran. Surfer sur Internet peut aussi rimer avec achats de livres et consultation de conseils de lecture.</p>
<p>Mais l’on continue de scinder les deux espaces. L’enquête Ipsos <a href="https://centrenationaldulivre.fr/donnees-cles/les-jeunes-francais-et-la-lecture">sur les jeunes Français et la lecture</a> indique ainsi que les 7-19 ans lisent 13 minutes de plus qu’en 2016, mais qu’ils passent moins de temps à lire (3h14 par jour en moyenne) que sur les écrans (3h50 par jour en moyenne). Comme les livres numériques ne sont pas très répandus (moins de 10 % des ventes totales des éditeurs), l’on n’envisage pas que le temps d’écran puisse s’intégrer aussi dans le temps de lecture.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Or, si le changement profond qui a touché le monde du livre a été initié par l’ebook, un autre tournant s’est amorcé avec les réseaux sociaux et sous la forme de plates-formes de lecture et d’écriture. Côté réseaux, Instagram et TikTok ont pris le relais des vidéos YouTube, noyant ainsi les conseils de lecture dans le flux des posts, de telle façon qu’il est extrêmement difficile de quantifier le temps passé à regarder ces conseils de lecture.</p>
<p>Concernant les plates-formes, telles que Wattpad et Webtoon pour les plus célèbres, elles sont souvent omises par les jeunes eux-mêmes quand on leur demande combien de temps ils consacrent à la lecture, et ne sont pas comptées dans les ventes de livres même numériques, alors qu’elles sont centrées sur la création et le partage d’histoires.</p>
<p>Cette plateformisation du monde du livre s’inscrit dans le nouvel écosystème culturel qui s’efforce d’attirer les adolescents en misant sur la gratuité, la personnalisation des contenus et une offre pléthorique, tout cela leur assurant de trouver des textes qui leur plaisent et à la hauteur de leurs moyens financiers. Cet hyperchoix gratuit attire également parce qu’il se pratique sur des <a href="https://www.editions-harmattan.fr/livre-livre_numerique_communication_nolwenn_trehondart_sylvie_bosser-9782140315695-75875.html">écrans tactiles</a> : le geste digital provoque une intimité avec le récit que l’on adapte à soi-même, dans sa mise en page et sa disposition, dans les choix faits parmi ceux de l’algorithme, comme un prolongement de soi.</p>
<h2>Sick-lit, New Romance, Fantasy… Des genres plébiscités par les jeunes</h2>
<p>Il ne faudrait pas croire que ce n’est qu’une vaste entreprise de séduction : ces plates-formes transforment les pratiques et inquiètent l’industrie du livre. En effet, le modèle éditorial classique repose sur la légitimité accordée aux auteurs et aux textes par une sélection faite par les éditeurs qui garantissent ainsi une qualité littéraire aux textes publiés. Les plates-formes, elles, correspondent à une économie de la donnée : la gratuité s’appuie sur la revente des données des utilisateurs et laisse de côté le critère de la reconnaissance de la qualité littéraire. Ainsi, le succès d’un texte posté en ligne tient au nombre de personnes qui le lisent.</p>
<p>Privilégier ces canaux de lecture revient-il à faire fi de la qualité et à souscrire à une certaine frivolité ? En réalité, ce qui anime les jeunes, c’est la recherche de <a href="https://theconversation.com/fictions-pour-la-jeunesse-les-nouvelles-hero-nes-cassent-elles-vraiment-les-stereotypes-de-genre-169681">textes qui leur plaisent et font plus écho à leur vision du monde</a>. Cette question se pose depuis toujours, et correspond aux enjeux soulevés par la <a href="https://theconversation.com/la-litterature-populaire-aux-origines-de-la-pop-culture-196157">littérature populaire</a>.</p>
<p>L’idéal trouvé sur les plates-formes de lecture est ainsi de mettre le lecteur au centre du processus : il choisit les textes qu’il aime parmi des millions d’histoires proposées (plus de 100 millions sur Wattpad, toutes langues confondues), classées selon des catégories qui évoluent au fil des textes publiés et qui ne sont donc pas figées.</p>
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<figcaption><span class="caption">Wattpad : Le YouTube des livres (Canal+, 2018).</span></figcaption>
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<p>C’est ainsi que naissent de nouvelles catégories, comme la littérature Young Adult, divisée en catégories et sous-catégories qui établissent un classement non pas prescriptif, mais dans le but de proposer aux lecteurs des textes susceptibles de les intéresser. Laurent Bazin dans son étude <a href="https://journals.openedition.org/lectures/41702"><em>La Littérature Young Adult</em></a> distingue deux grands genres eux-mêmes divisés en sous-genres :</p>
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<li><p>La <a href="https://theconversation.com/fr/topics/fantasy-44151">fantasy</a>, tout d’abord, qui continue ce genre littéraire et éditorial en le déclinant en fantasy médiévale, historique, mythique, urbaine, orientale, steampunk, et la dystopie ;</p></li>
<li><p>La romance, qui renouvelle le roman sentimental ancien sous l’influence de la « romance » anglo-saxonne, qui se décline en <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Chick_lit">« chick-lit »</a> (genre auquel se rattachent des romans comme <em>Bridget Jones</em>), <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bit-lit">« bit-lit »</a> (dans le sillage du succès de <em>Twilight</em>), <em>new romance</em> et <em>new adult</em>.</p></li>
</ul>
<p>Les catégories continuent de s’inventer, dès qu’un texte inclassable est posté, c’est ainsi que sont nés la <a href="https://www.medialandes.fr/quoi-de-neuf/nos-selections-thematiques/66-jeunesse-nos-selections-thematiques/2451-la-sick-lit-pour-les-nuls">« sick-lit »</a> et les « feel-good books ».</p>
<h2>Lecteurs et auteurs à la fois</h2>
<p>Cet espace de liberté de choix s’accompagne d’un espace d’écriture dont chacun peut s’emparer, car l’on confie son texte à la communauté et non à un système éditorial sélectif. Ce fonctionnement, mettant de côté les différences sociales et valorisant l’engagement, est certainement ce qui attire le plus les jeunes : non seulement ils y sont habitués, mais ils y trouvent leur compte étant à la fois lecteurs, auteurs, critiques, correcteurs.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/litterature-classique-que-penser-des-versions-abregees-dhomere-a-jules-verne-194771">Littérature classique : que penser des versions abrégées, d’Homère à Jules Verne ?</a>
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<p>Depuis 2012, les <a href="https://actualitte.com/article/67936/edition/r-la-nouvelle-collection-jeunesse-chez-robert-laffont">maisons d’édition tentent de suivre</a>, bien sûr, ces tendances et publient des textes postés sur des plates-formes, comme ceux de <a href="https://information.tv5monde.com/culture/rupi-kaur-anna-todd-nine-gorman-des-reseaux-sociaux-la-maison-d-edition-207547">Nine Gorman</a>, créant de nouvelles collections pour les adolescents et les jeunes adultes. La <a href="https://www.cairn.info/revue-agora-debats-jeunesses-2007-4-page-58.htm">fanfiction</a> est un genre désormais pris au sérieux. Les maisons d’édition développent des bookstagrams et des booktoks et investissent ainsi les lieux numériques de la jeunesse. Les influenceurs littéraires sont eux aussi très écoutés.</p>
<p>Où sont les jeunes, alors, en ce qui concerne la lecture et la littérature ? Là où on ne les attend pas. Dans le Nouveau Monde, celui du troisième millénaire. La société est tiraillée entre l’envie de les ramener au système ancien, fondé sur le livre, papier de préférence, et la nécessité de les suivre dans ces nouveaux espaces de co-écriture. Cependant, au-delà de questions sociétales, cette culture libre et partagée soulève aussi des questions juridiques et financières <a href="https://www.vie-publique.fr/en-bref/20237-droit-dauteur-la-directive-adoptee-par-le-parlement-europeen">autour du droit d’auteur</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/198629/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carine Roucan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>On entend souvent dire que les jeunes ne lisent plus. En réalité, ils n’ont pas délaissé l’écrit mais investissent de nouveaux supports de lecture, loin des modèles traditionnels. Explications.Carine Roucan, Docteur en langue et littérature françaises, Qualifiée aux fonction de MCF section 9, Membre du GRIC UR4314. Enseignante en littérature, expression et édition, Université Le Havre NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1972512023-01-24T19:07:51Z2023-01-24T19:07:51ZÀ quoi ressembleront les librairies de demain ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/506116/original/file-20230124-14-49no2.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C3%2C796%2C584&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les librairies-cafés ont le vent en poupe. </span> <span class="attribution"><span class="source">Librairie Tram.</span></span></figcaption></figure><p>Première industrie culturelle en France, le <a href="https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Livre-et-Lecture/Economie-du-livre/Marche-du-livre">marché du livre</a> n’en est pas moins fragile. De nombreuses évolutions dans les pratiques de lecture et d’achat de livres viennent, depuis une vingtaine d’années, questionner les équilibres délicats construits entre les acteurs de ce marché.</p>
<h2>La désintermédiation en marche</h2>
<p>Ainsi, l’introduction des liseuses et livres numériques dès les années 2000 provoque un phénomène important de désintermédiation. Un simple ordinateur suffit désormais pour publier un texte et atteindre des lecteurs potentiels. Les coûts de reproduction du livre numérique sont quasi nuls, ce qui engendre une destruction de valeur pour de nombreux acteurs du secteur (éditeurs, imprimeurs, libraires, critiques).</p>
<p>L’arrivée du numérique remet en cause le rôle traditionnel des médiateurs entre auteur et lecteur et certaines des missions qui étaient auparavant l’apanage de ces médiateurs ont tendance à disparaître au profit d’Internet. De nombreux sites Internet proposent par exemple des suggestions de lecture à partir d’algorithmes. Par ailleurs, même si le phénomène reste marginal, il est possible de pirater les livres numériques et certains sites proposent de télécharger illégalement des ouvrages.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/504941/original/file-20230117-13536-w3hy9n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/504941/original/file-20230117-13536-w3hy9n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/504941/original/file-20230117-13536-w3hy9n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/504941/original/file-20230117-13536-w3hy9n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=389&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/504941/original/file-20230117-13536-w3hy9n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/504941/original/file-20230117-13536-w3hy9n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/504941/original/file-20230117-13536-w3hy9n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=489&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les chaînes du livre papier et numérique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">DEPS, ministère de la Culture et de la Communication, 2010</span></span>
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<p>Ce phénomène de désintermédiation est également à l’œuvre avec le développement des achats en ligne, notamment favorisé par la pandémie de Covid-19. En effet, la librairie est loin de bénéficier de l’exclusivité des ventes de livres neufs. Une étude réalisée par le <a href="https://www.sne.fr/numerique-2/barometre-sur-les-usages-du-livre-numerique/">Syndicat national de l’édition en 2021</a> montre que si 77 % des personnes interrogées achètent leurs livres neufs en librairie (qui reste en tête des lieux d’achat de livres), 48 % achètent leurs livres papier sur Internet, un chiffre en forte augmentation ces dernières années (+10 points vs 2015). Il est à noter que 29 % des personnes interrogées ont le sentiment de prix plus élevés en librairie qu’ailleurs, et ce malgré la loi de 1981 sur le prix unique du livre. Ce sentiment est l’un des freins exprimés à l’achat en librairie.</p>
<p>Les lecteurs et lectrices ont donc aujourd’hui (et sans doute plus encore demain) la possibilité de se passer des intermédiaires auparavant indispensables entre leurs livres et eux. Jeff Bezos, dirigeant d’Amazon et figure honnie des libraires, déclarait à ce sujet dès 2011 dans <em>Le Monde</em> : « Les seules personnes nécessaires dans l’édition sont maintenant le lecteur et l’écrivain ».</p>
<h2>La librairie face au numérique</h2>
<p>Ce phénomène de désintermédiation peut faire craindre un avenir sombre pour la librairie telle que nous la connaissons. Pourtant, les conseils des libraires apparaissent aujourd’hui essentiels pour assister les lecteurs et les lectrices dans leurs choix, tant l’offre de livres est pléthorique. Le nombre de titres publiés en France augmente chaque année et même les algorithmes les plus efficaces ne parviennent pas à limiter le vertige des choix qui s’offrent à nous. Comment la librairie peut-elle défendre son rôle d’intermédiaire incontournable ?</p>
<p>Dans le cadre de <a href="https://www.theses.fr/2021NORMC024">ma thèse</a>, j’ai mené une étude qualitative auprès de 35 lecteurs et lectrices, à l’aide d’entretiens compréhensifs, afin de comprendre leur relation à l’objet livre et à sa matérialité. Ce travail de recherche a permis de développer une grille de lecture dialogique des pratiques de consommation de livres, sortant de l’opposition dialectique traditionnelle entre livre numérique et imprimé.</p>
<p>L’avenir de la librairie passe par la compréhension de ces nouvelles pratiques de consommation de livres. On a longtemps pensé que le livre numérique était le frère ennemi (si ce n’est le fossoyeur) du livre papier.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/505892/original/file-20230123-6007-cws3om.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/505892/original/file-20230123-6007-cws3om.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/505892/original/file-20230123-6007-cws3om.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/505892/original/file-20230123-6007-cws3om.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=847&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/505892/original/file-20230123-6007-cws3om.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/505892/original/file-20230123-6007-cws3om.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/505892/original/file-20230123-6007-cws3om.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1065&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’Assassinat des livres Par ceux qui œuvrent à la dématérialisation du monde, Coordonné par Cédric Biagini (2015).</span>
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<p>En réalité, on observe chez les consommateurs et consommatrices de numérique un très fort attachement au livre papier et une consommation conjointe de ces deux formats. Ils passent ainsi du papier au numérique selon leurs besoins et leurs envies et achètent même parfois un ouvrage dans les deux formats pour favoriser cette consommation hybride. Une <a href="https://www.sne.fr/numerique-2/barometre-sur-les-usages-du-livre-numerique/">étude récente</a> montre que seuls 1 % des lecteurs et lectrices de livres numériques ne lisent qu’en numérique. L’immense majorité continue donc de consommer des livres papier après l’introduction du numérique dans ses pratiques. On le voit, le numérique ne vient pas remplacer le papier, pas plus que la télévision n’a remplacé le cinéma.</p>
<p>On tend à lier, dans les représentations, librairie et livre papier, et plates-formes en ligne et livre numérique. Cependant, l’opposition est davantage à penser entre achat en ligne et hors ligne qu’entre papier et numérique. Il est ainsi possible d’acheter ses livres papier sur Internet et, à l’inverse, il est envisageable de pouvoir acheter ses livres numériques chez le libraire (comme on peut aujourd’hui emprunter ses livres numériques à la bibliothèque grâce au dispositif <a href="https://www.abf.asso.fr/162/196/865/ABF/pnb-un-dispositif-ouvert-interprofessionnel-au-service-de-la-lecture-du-livre-numerique">Prêt numérique en bibliothèque</a> (PNB).</p>
<h2>Les libraires, des figures centrales</h2>
<p>La médiation du libraire, comme figure centrale de conseil et d’aide au choix au sein d’une offre pléthorique, peut conserver toute sa place, même dans le cadre d’une consommation numérique. Aujourd’hui, si de nombreuses librairies proposent l’achat de livres numériques par le biais de leur site Internet, elles ne vont pour le moment pas plus loin.</p>
<p>À l’avenir, cette démarche pourrait être approfondie avec l’achat de livres numériques dans les magasins physiques, dans une logique d’hybridation. Les consommateurs et consommatrices pourraient ainsi continuer à commander des livres numériques tout en bénéficiant des conseils du libraire mais aussi de tout ce qu’un lieu comme la librairie peut offrir : la rencontre entre lecteurs, avec les autrices et auteurs, la convivialité du magasin de proximité, la stimulation sensorielle, etc. La librairie doit ainsi devenir (ou demeurer) un lieu de vie bien plus qu’un lieu de vente.</p>
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<p>Enfin, il est important de comprendre le livre comme un objet, intégré au sein d’un système d’objets plus global. Les pratiques de lecture s’accompagnent le plus souvent d’une matérialité associée, et ce qu’il s’agisse de livres papier ou numériques. Cette matérialité associée peut prendre la forme d’une tasse de thé, d’un plaid, d’une bougie et de bien d’autres éléments annexes à la lecture.</p>
<p>Penser les pratiques de consommation de livres dans toute la complexité de leur matérialité permet de comprendre l’expérience des consommateurs et des consommatrices et les mécanismes favorisant leur immersion dans la lecture. Les libraires pourraient creuser cette notion en proposant une expérience plus globale, à l’image de la <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/09/29/a-paris-gibert-inaugure-une-librairie-boulevard-saint-denis-et-fait-les-yeux-doux-aux-bobos_6096489_3234.html">librairie Gibert Joseph (plus grande librairie indépendante de France) qui a récemment rénové ses locaux</a> et dédie désormais un étage à des cours de yoga ou de poterie par le biais d’associations, ainsi que des concerts et des colloques. Si les petites librairies ne disposent, à l’évidence, pas des mêmes moyens, elles s’intègrent et participent à la vie de leur quartier. Cette proximité constitue leur force : après avoir tenté de concurrencer les librairies traditionnelles aux États-Unis et en Grande-Bretagne, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/03/04/amazon-ferme-ses-librairies-en-dur-aux-etats-unis_6116206_3234.html">Amazon a fermé ses librairies physiques en 2022</a>, ces dernières n’étant pas suffisamment rentables. Les librairies disposent d’atouts qui font défaut aux plates-formes. Il y a fort à parier que ces atouts sont amenés à prendre davantage de place dans leur offre au cours des années à venir. Les librairies sont des laboratoires d’idées et d’initiatives qui participent à inventer la librairie de demain.</p>
<hr>
<p><em>Cet article repose sur la thèse de Kenza Marry, « Hybridation de pratiques digitales et matérielles. Le cas de la consommation de livres », soutenue en 2021 en Sciences de gestion à l’Université de Caen Normandie.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/197251/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kenza Marry ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Liseuses, livres numériques, achats en ligne… le monde des librairies se transforme depuis une vingtaine d’années. Pourtant, les librairies et les libraires gardent un rôle central.Kenza Marry, Maîtresse de conférence en sciences de gestion - Université de Rouen - Laboratoire NIMEC, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1896532022-09-21T18:28:49Z2022-09-21T18:28:49ZÀ la Ciotat, en immersion dans une résidence littéraire pas comme les autres<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/485928/original/file-20220921-20-ilsm9z.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2012%2C1508&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'écrivaine Laurence Vilaine à la Ciotat, juiillet 2022. </span> <span class="attribution"><span class="source">Carole Bisenius-Pénin</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span></figcaption></figure><p>À la fois lieu réel et espace potentiel de l’imaginaire, <a href="https://www.la-marelle.org/la-marelle-en-bref.html">la villa Deroze (lieu de résidence, La Marelle)</a> offre un dispositif résidentiel inédit réunissant pour la première fois, une écrivaine (Laurence Vilaine) et une chercheuse en sciences humaines (moi-même), durant un mois d’été (juillet 2022), au gré des sentiers du parc et des embruns marins de La Ciotat.</p>
<p>Entre voyage et exploration, une « chambre à soi » à l’occasion de cette résidence de création et de recherche partagée, je souhaite partager ici l’histoire d’une rencontre, les interactions originales d’une créatrice et d’une scientifique spécialiste du dispositif résidentiel. Une expérimentation scientifique et littéraire qui cherche à renouveler l’enquête de terrain, grâce à ce regard croisé et partagé, sous l’angle des fictions contemporaines et de la théorie littéraire.</p>
<h2>Un dispositif expérimental culture et science</h2>
<p>Cette forme de cohabitation, issue du laboratoire hors-les-murs instauré entre le Crem (Centre de recherche sur les médiations) et La Marelle repose sur un pari, celui d’une coopération avec l’écrivaine Laurence Vilaine que je ne connaissais pas avant cette expérimentation, visant à questionner le processus créateur inhérent à la littérature contemporaine et à la résidence d’auteurs.</p>
<p>Un lieu où s’invente une écriture impliquée qui engage en outre avec l’autre, c’est-à-dire la chercheuse (sciences humaines) et écrivaine (création littéraire).</p>
<p>L’enjeu repose sur un double intérêt : un terrain d’observation de la fabrique littéraire en train de s’élaborer pour moi et une mise à distance, une réflexivité sur son propre travail d’écriture pour Laurence Vilaine, adepte de récit intimiste, <a href="https://www.la-marelle.org/en-creation/residences/1105-laurence-vilaine-a-la-ciotat.html">venue travailler sur son roman en cours</a>. En somme, une opportunité nourrissant la pratique littéraire et scientifique grâce à ces échanges quotidiens durant un mois, sous le même toit.</p>
<p>Dès lors, comment transformer la <a href="https://theconversation.com/litterature-et-feminisme-pop-a-la-rencontre-de-julia-korbik-177116">situation résidentielle</a> en moment, c’est-à-dire en pratique réfléchie, offrant un accès à la fabrique de l’autrice ? Faut-il y voir une sorte d’atelier noir rappelant celui d’Annie Ernaux, <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/L-Imaginaire/L-atelier-noir">« un journal de fouilles »</a> dévoilant les coulisses de l’écriture, ainsi que les conditions de l’enquête ? Quelle forme hybride peut-on inventer (témoignage, récit de terrain, carnet) ? La recherche peut-elle devenir création et la littérature forcément recherche ?</p>
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<p>En tout cas, il s’agit bien d’une expérience scientifique et littéraire au cœur d’une villa isolée dans un parc méditerranéen, d’une immersion interrogeant également les formes de la recherche et se déployant bien à la frontière du reportage, de l’atelier expérimental, de l’écrit scientifique, de la littérature, ou du carnet réflexif.</p>
<h2>De la rencontre résidentielle au choix de la forme</h2>
<p>D’emblée la question d’une recherche inventive s’est posée durant la séance inaugurale de brainstorming, c’est-à-dire comment élaborer ensemble, à la marge des sciences humaines et de la littérature, une forme qui puisse rendre visible l’enquête résidentielle, de l’expérience vécue ? Peut-être à partir d’un commun potentiel entre sciences et littérature : un travail sur la langue, une construction narrative, une voix singulière, un rythme, une atmosphère, une puissance évocatoire, autant de critères utilisés par une écrivaine ou une chercheuse.</p>
<p>Suite aux échanges, nous avons opté pour la création d’un objet collaboratif, dialogique, à la lisière, en recourant à la forme de l’écriture diaristique, à la tradition littéraire du journal comme outil d’exploration et de recherche in situ, structurant notre temporalité partagée.</p>
<p>Un clin d’œil aussi à la dernière œuvre de Laurence (<em>La Géante</em>, éditions Zulma, 2020) qui contient des lettres insérées dans la matière romanesque, ainsi qu’au récent ouvrage de Chantal Thomas (<em>Journal de nage</em>, Seuil, 2022) qui nous invite « s’abandonner au langage comme on s’abandonne à la mer ».</p>
<p>Très vite une autre contrainte est née, relevant de l’art de la liste, à la croisée de l’<em>Abécédaire</em> de Deleuze et de <em>la Vie mode d’emploi</em> de Perec, c’est-à-dire une sélection négociée et mobile (modifiable sur la durée de l’enquête) d’une dizaine de termes associés au dispositif résidentiel et au processus créateur, comme « autrice », « commande », « médiation », « atelier d’écriture », « éducation artistique et culturelle »…</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485934/original/file-20220921-7052-uzvh9n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485934/original/file-20220921-7052-uzvh9n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=286&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485934/original/file-20220921-7052-uzvh9n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=286&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485934/original/file-20220921-7052-uzvh9n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=286&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485934/original/file-20220921-7052-uzvh9n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=360&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485934/original/file-20220921-7052-uzvh9n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=360&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485934/original/file-20220921-7052-uzvh9n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=360&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Prise de notes parallèles.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Carole Bisenius-Pénin</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Si le journal entretient de manière évidente des similitudes avec le carnet de terrain de la chercheuse, il est également pour l’écrivaine et la chercheuse un moyen d’accès à l’expérience entre la théorie et la pratique. En cela, il constitue un outil de données en prise avec l’expérience directe, mais également pour nous un objet de confrontation à soi, à l’autre, la potentialité de donner forme par ce travail d’écriture du journal, par petites touches successives à nos objets d’investigation, en adoptant une posture réflexive. En cela, le journal agit comme un révélateur du quotidien permettant une construction de savoirs qui inclut une dimension individuelle et collective, une écriture ouvrant un possible. Il sera prochainement publié sur le site de la Marelle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485935/original/file-20220921-7052-1y1ptb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485935/original/file-20220921-7052-1y1ptb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485935/original/file-20220921-7052-1y1ptb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485935/original/file-20220921-7052-1y1ptb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485935/original/file-20220921-7052-1y1ptb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485935/original/file-20220921-7052-1y1ptb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485935/original/file-20220921-7052-1y1ptb.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un aperçu de mon carnet de terrain.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Carole Bisenius-Pénin</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<h2>Protocole de l’enquête en immersion</h2>
<p>Il s’agit donc d’une investigation à la croisée des disciplines, d’une <a href="https://journals.openedition.org/recherchestravaux/773">« fabrique du savoir »</a> selon l’historien Ivan Jablonka qui cherche à interroger les conditions de la fabrique résidentielle et les enjeux de la création à travers ce dialogue impliquant de résider ensemble et visant à articuler épistémologie de l’enquête en sciences humaines et méthodologie de l’enquête littéraire.</p>
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<p>À la suite de l’essai de Laurent Demanze, je peux dire que pour l’écrivaine et moi, l’objectif commun est non de « représenter le réel, mais <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/24780">« d’interroger les conditions de sa fabrique »</a>, d’en saisir les potentialités, peut-être parce que « les enquêtes contemporaines délaissent le désir d’élucidation finale et le souci de décrypter les structures profondes du monde social, pour leur préférer des fragments de vérité, des bribes de documentation, des restes de savoir, à agencer, monter et exposer.</p>
<p>Toute la matinée, nous occupions le même espace de travail, une grande table, chacune à sa tâche. Outre des échanges informels, cette proximité a permis de mettre en place une observation participante centrée par exemple sur les rituels d’écriture de l’autrice devant son écran. Derrière son épaule, j’ai pu l’interroger sur son usage des couleurs sur le texte, en tentant de comprendre la logique déployée et de restituer la genèse des différents gestes d’écriture, selon les codes couleurs employés, via un essai de catégorisation du manuscrit virtuel : en rouge les passages importants pour l’histoire générale du roman, en grisé les passages à retravailler stylistiquement, en bleu les éléments à réexploiter dans la suite du récit.</p>
<p>Laurence m’a donné accès à ses processus de réécriture, via cette génétique numérique, en sachant qu’elle privilégie une écriture au fil, plus intuitive, en somme une écriture comme une quête, incluant une dimension « quasiment psychanalytique », avec la volonté d’être « prête à accueillir de l’inconnu ».</p>
<p>De mon côté, au fil de la discussion, j’ai pu consigner les traces en recourant à une prise de notes et à quelques clichés photographiques destinés au carnet de terrain.</p>
<p>Partageant nos repas, la soirée a également été un moment ritualisé pour aborder d’autres thématiques en fonction des diverses activités de l’écrivaine dans d’autres résidences, du mot de notre abécédaire à traiter pour le lendemain ou encore une possibilité de revenir sur les difficultés du jour, les affres de la création littéraire, parfois les surprises du roman en train de s’écrire, au hasard des bifurcations.</p>
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<p>Ainsi, <a href="https://www.cairn.info/les-ficelles-du-metier--9782707133700.htm">pour le sociologue américain Howard S. Becker</a>, l’intérêt de cette observation est qu’elle constitue un moyen précieux d’accéder aux pratiques « invisibles » des acteurs. En effet, le but de cette enquête de terrain en immersion est de saisir le point de vue de l’autrice, ses rapports à son milieu, au dispositif résidentiel, sa vision du monde et de son monde littéraire, tout en sachant que décrire comment l’enquêtée entrevoit sa posture, son rapport à l’écriture est ici la base de la méthode empirique :</p>
<p>« Comment mieux comprendre et décrire un univers social qu’en se plongeant au cœur de sa réalité, en partageant la vie de ses acteurs, en l’observant au plus près jour après jour ? Depuis longtemps les observateurs, analystes, descripteurs et « raconteurs » de « mondes sociaux » (anthropologues, ethnologues, journalistes, sociologues, écrivains…) ont défendu le recours à la <a href="https://journals.openedition.org/lectures/24300">pratique de « l’immersion »</a> pour saisir ce qui par d’autres approches resterait inconnu ou caché, et permettre – comme forme d’engagement « total » – de dérober puis de révéler des vérités plus « sensibles » en laissant une part aux affects ».</p>
<p>Dans le cadre de cette résidence partagée immersive permettant de faire l’expérience du dispositif culturel interrogé, en tant que chercheuse « à découvert » je n’étais donc plus un simple témoin, mais davantage en prise avec des interactions multiples, formelles ou informelles, verbales ou non verbales induites par cette <a href="https://journals.openedition.org/questionsdecommunication/24780">« dramaturgie gestuelle » de l’enquête</a>, grâce à ce temps long en immersion, selon Laurent Demanze :</p>
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<p>« un temps d’observation “long” au sens où il provoque une rupture marquée avec l’univers d’origine, le cadre et les routines de vies de l’observateur ; des pratiques “d’inclusion” dans le milieu observé (à découvert ou masqué) ; une volonté de s’interroger tout au long de l’expérience sur toutes les dimensions de ce qui est vécu (le recours à différents moyens pour conserver le témoignage de l’expérience dans ses différentes dimensions), et une restitution – le plus souvent par écrit – témoignant d’un point de vue réflexif sur cette expérience ».</p>
</blockquote>
<p>Pour conclure, au-delà de conceptualiser l’objet résidentiel qui d’un point de vue scientifique m’occupe depuis plus de 10 ans, ni d’entrevoir en tant que directrice de résidence les spécificités du lieu, l’enjeu aura été d’expérimenter moi-même la démarche, corporellement et intellectuellement, au prisme des postures, entre recherche et création.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189653/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carole Bisenius-Penin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pour la première fois, une écrivaine et une chercheuse en sciences humaines spécialiste des résidences littéraires ont été réunies en résidence pendant un mois. Récit d’une expérience inédite.Carole Bisenius-Penin, Professeur d'Université en Sciences de l'information et de la communication, CREM, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1880172022-08-04T20:29:51Z2022-08-04T20:29:51ZDes livres de plus en plus voyageurs<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/476893/original/file-20220801-44070-rlijfx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Traduit en cinq cent cinq langues et dialectes différents, _Le Petit Prince_ est l'ouvrage le plus traduit au monde après la Bible et le Coran.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/august-23-2019-open-book-by-1486228700">Emilita /Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Qu’avez-vous lu cet été ? Je ne vous demande pas de citer un livre parmi les 100 millions de titres jamais publiés au monde, mais de préciser sa provenance. S’agit-il d’un livre numérique descendu du nuage ? Importé ou fabriqué en France s’il est imprimé ? En français langue originale ou traduit d’une langue étrangère ? Au moment même où la mondialisation marque le pas, le livre poursuit son internationalisation. Et c’est heureux ! <em>Le Petit Prince</em> a conquis le cœur de 200 millions de petits et de grands. « S’il vous plaît… dessine-moi un mouton ! » se murmure désormais dans plus de 300 langues.</p>
<p>La planète compte également près d’une centaine de traductions d’<em>Harry Potter and the Philosopher’s Stone</em> (<em>Harry Potter à l’école des sorciers</em>) ou, pour rester dans le registre des aventures initiatiques, <em>d’O Alquimista</em> (<em>L’Alchimiste</em>) du Brésilien Paulo Coelho. Le livre voyage par traduction plutôt qu’en conteneur. La traduction est l’équivalent pour les textes du coût de transport des marchandises.</p>
<h2>C’est quoi un livre ?</h2>
<p>Le livre traverse les frontières, mais pour en prendre l’exacte mesure il faut s’accorder sur sa <a href="https://www.researchgate.net/publication/334580793_What_is_a_Book">définition</a>. En 1964, l’Unesco le décrit ainsi : une publication imprimée, non périodique, offerte au public, et comptant au moins 49 pages, pages de couverture non comprises est-il précisé.</p>
<p>Difficile à adopter à l’ère du livre numérique téléchargeable. Remarquez que même sans cela, cette définition écartait déjà les courts recueils de poèmes aussi bien que le livre audio. La définition de la poste américaine ne fait pas mieux même si elle retient un seuil de 22 pages en ajoutant qu’elles doivent être composées principalement de texte et ne pas comporter de publicité autre que celle pour d’autres ouvrages. Le type de texte dont il s’agit n’est naturellement pas spécifié. À propos, rappelons d’emblée qu’il ne faut pas confondre livre et littérature. En France, par exemple, cette catégorie éditoriale représente moins du quart des <a href="https://www.google.com/search?client=safari&rls=en&q=sne+statistique+chiffres+%25C%203%A9dition+2021+synth%C3%A8se&ie=UTF-8&oe=UTF-8">ventes</a>.</p>
<p>Pour inclure sa version numérique, <a href="https://books.google.li/books?id=ziyBQgAACAAJ&hl=de">certains</a> ont proposé de définir le livre par sa composition : un titre, une couverture, des pages numérotées, des chapitres, etc. ; ou, de façon plus savante, par sa double nature d’objet matériel et de <a href="https://www.college-de-france.fr/site/roger-chartier/course-2009-10-22-10h00.htm">discours</a>.</p>
<p><a href="https://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/9416/7592">D’autres</a> ont mis l’accent sur la lecture que le livre réclame par opposition aux textes courts que nous parcourons chaque jour sur nos téléphones et tablettes – souvent d’ailleurs en regrettant d’y consacrer trop de temps. Une lecture longue dans tous les cas, immersive et absorbante pour certains livres comme les romans ou les bandes dessinées, approfondie lorsqu’il s’agit d’acquérir de nouvelles connaissances ou d’enrichir sa pensée ou son vocabulaire. Le support du livre, écran ou papier, n’est plus alors distinctif. À noter tout de même que les <a href="https://firstmonday.org/ojs/index.php/fm/article/view/9416/7592">recherches</a> sur la lecture tendent à montrer une infériorité du numérique en termes de compréhension des textes longs…</p>
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<p>Ces difficultés de définition n’aident pas le recueil et l’agrégation de données sur le livre. De plus, dans de nombreux pays, les statistiques professionnelles et nationales sont lacunaires. Difficile d’avancer des chiffres exacts qui valent pour la planète. Donnons simplement trois ordres de grandeur. Nombre d’ouvrages parus : autour de 100 millions. Il est issu d’un comptage par Google qui aboutit précisément à <a href="http://booksearch.blogspot.com/2010/08/books-of-world-stand-up-and-be--counted.html">129 864 880</a>. Nombre de nouveaux titres publiés par an : de l’ordre d’un million ; une compilation de données nationales par Wikipedia conclut à un total de <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Books_published_per_country_per_year">2,2 millions</a>, mais ce chiffre comprend les rééditions. Montant des ventes annuelles de livres : environ <a href="https://www.wischenbart.com/page-59">100 milliards de dollars</a>, soit plus que la musique ou le jeu vidéo. Impressionnant, non ?</p>
<h2>Un produit d’import-export ?</h2>
<p>Comme pour n’importe quelle marchandise, les douanes veillent à comptabiliser les entrées et sorties du territoire du livre physique, mais allez savoir pourquoi elles distinguent les atlas et les encyclopédies des <a href="http://www.centrale-edition.fr/fr/content/avant-propos">livres proprement dits</a>. La France exporte un peu moins d’ouvrages qu’elle n’en importe.</p>
<p>Attention toutefois, les sorties du territoire sont des livres destinés à l’étranger alors que les entrées sont des livres fabriqués à l’extérieur pour des raisons économiques, par exemple en provenance de Belgique et d’Italie, plus rarement d’Asie. Le livre, bon marché pour son poids, ne repose pas sur de longues chaînes d’approvisionnement. La Chine n’est pas devenue l’imprimerie du monde ! Le Royaume-Uni est le plus grand exportateur, juste <a href="https://www.frontier-economics.com/media/2242/contribution-publishing-industry-uk-economy.pdf">devant les États-Unis</a>. Ces deux pays bénéficient du vaste marché de la population anglophone de naissance (près d’un demi-milliard d’hommes et de femmes) ou formée à l’anglais par les <a href="https://www.journals.vu.lt/knygotyra/article/view/3612">études</a>.</p>
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<p>Dématérialisé, le livre électronique traverse les frontières à l’insu des douaniers. La numérisation facilite l’accès aux ouvrages venus d’ailleurs, mais elle empêche d’en connaître les flux pour qui veut rendre compte plus précisément du commerce international.</p>
<h2>Le voyage par la traduction</h2>
<p>Heureusement, l’échange d’ouvrages prend également une autre forme, plus importante sans doute, mieux comptabilisée en tout cas : le passage des frontières par la traduction. La traduction est en effet une autre façon de faire voyager et circuler le livre. Sans elle qui aurait lu en France <em>L’amica geniale</em> (<em>L’amie prodigieuse</em>) d’Elena Ferrante ou <em>Man som hatar kvinnor</em> (<em>Millénium Tome 1</em>) de Stieg Larsson ? Sans elle, la bande dessinée japonaise n’aurait pas quitté son archipel.</p>
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<p>La mondialisation du livre par la traduction a pu être finement pistée pendant quelques décennies de l’entre-deux siècles grâce à l’<a href="https://www.unesco.org/xtrans/bsstatexp.aspx?crit1L=5&nTyp=min&topN=50"><em>Index translationum</em></a>. Il recense près de 2 millions d’ouvrages traduits, de et vers, à peu près toutes les langues écrites de la planète.</p>
<p>On sait ainsi que le <a href="https://www.researchgate.net/figure/The-annual-number-of-books-translated-from-English-German-French-and-Russian_fig7_304184412">nombre total annuel de nouvelles traductions</a> a plus que doublé entre 1979 et 2007. L’évolution depuis n’est pas connue. La mise à jour de ce catalogue universel des traductions par l’Unesco a pris fin faute de moyens pour faire face à l’ampleur croissante de la tâche. C’est bien dommage, notamment car l’<em>Index translationum</em> a permis d’observer un début de retournement : à la fin des années 1990, la part des traductions de l’anglais, largement dominante, cesse de progresser ; elle <a href="https://www.npage.org/uploads/d8c3371f779dd882f602337ce0d952de4fba1d2c.pdf">diminue même légèrement</a>.</p>
<p>Cette tendance à une plus grande place des langues originales traduites autres que l’anglais s’est-elle poursuivie depuis ? Oui, si l’on se fie aux données disponibles de quelques pays d’Europe. Pour l’Allemagne, la France ou encore l’Espagne, la part des traductions à partir de <a href="https://www.npage.org/uploads/d8c3371f779dd882f602337ce0d952de4fba1d2c.pdf">l’anglais régresse</a>.</p>
<p>Phénomène remarquable : une partie de cette baisse s’explique par la croissance des traductions de textes de langues originales peu courantes. C’est le cas du japonais et du suédois. Un mouvement aidé bien sûr par l’essor des mangas et des polars scandinaves.</p>
<p>Un autre indice est fourni par la place de l’anglais d’origine parmi les livres traduits à succès. Elle décline aussi légèrement en tendance. Oui, mais ne partait-elle pas de très haut ? Eh bien non, les traductions de l’anglais représentent seulement le tiers des 20 best-sellers traduits répertoriés depuis 2006 dans les listes d’une petite dizaine de pays occidentaux. Comparaison instructive, la proportion des traductions de l’anglais dans tous les livres traduits, qu’ils aient connu un grand succès commercial ou non, est de l’ordre de deux tiers. Contrairement à des <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00531868/document">craintes parfois exprimées</a>, la mondialisation n’est pas vouée à une marginalisation inexorable des livres de langue originale de l’Europe continentale.</p>
<p>L’internationalisation du livre par la traduction s’arrête néanmoins à la porte des États-Unis. Seuls 3 % des titres publiés outre-Atlantique <a href="https://www.altalang.com/beyond-words/why-are-so-few-translated-books-published-in-america/">proviennent de traductions</a>, soit dix fois moins que pour la France et près de vingt fois moins que pour l’Italie.</p>
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<a href="https://theconversation.com/les-francais-lisent-ils-vraiment-de-moins-en-moins-157272">Les Français lisent-ils vraiment de moins en moins ?</a>
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<p>Il est vrai qu’il est plus facile pour un éditeur français ou italien de lire un ouvrage en anglais avant de se décider à le publier que pour un éditeur américain d’aller au-delà du titre français ou italien. Le progrès de la traduction par les machines pourrait changer la donne. Il pourrait entraîner une formidable baisse de son coût et faciliter encore les échanges du livre. Les algorithmes ne remplaceront sans doute jamais totalement les cerveaux des traducteurs. C’est une évidence pour la littérature, moins cependant pour les textes de bandes dessinées ou de récits de vedettes.</p>
<p>Dans tous les cas les machines, par leur utilisation partielle et complémentaire, promettent des gains de productivité. Pour un texte simple comme celui que vous venez de lire par exemple, un passage initial par Google Translate réduit d’environ un tiers le temps nécessaire à sa traduction vers l’anglais.</p>
<p>Cet été, j’ai lu <em>Lonesome Dove</em> un roman western de Larry McMurtry en version papier, imprimé en France et traduit de l’américain par Laura Derajinsky. Je vous le recommande chaudement si vous avez envie de mener un troupeau dans la peau d’un Texas Ranger du Mexique au Montana et d’échapper aux Indiens sans quitter votre transat.</p>
<p>François Lévêque a publié chez Odile Jacob « <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-lere-des-entreprises-hyperpuissantes-touche-t-elle-a-sa-fin-157831">Les entreprises hyperpuissantes. Géants et Titans, la fin du modèle global</a> ? ». Son ouvrage a reçu <a href="https://www.melchior.fr/note-de-lecture/les-entreprises-hyperpuissantes-prix-lyceen-lire-l-economie-2021">le prix lycéen du livre</a> d'économie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/188017/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Lévêque à été consulté comme économiste académique dans le cadre du rapprochement entre Vivendi et Largardère.
</span></em></p>Phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur, la mondialisation du livre par la traduction permet la circulation des cultures et des imaginaires.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1877852022-07-28T19:54:42Z2022-07-28T19:54:42ZL’opération Vivendi-Hachette : une illustration de la globalisation de l’édition<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/476295/original/file-20220727-21-7rwdkj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C18%2C4200%2C2766&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">386 millions d'euros de livres sont vendus par Amazon chaque année.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/new-york-usa-may-20-2018-1135022744">ymgerman /Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Finalement, la fusion annoncée entre le groupe d'édition Editis, propriété de Vivendi, et Hachette, filiale de Lagardère, ne devrait pas avoir lieu.</p>
<p>Après des mois de bruits divers, Vincent Bolloré, le patron du géant des médias Vivendi, a décidé de céder le très franco-français Editis à un repreneur étranger pour ne pas avoir à faire face à des problèmes de concentration que lui promettaient déjà les régulateurs européens. </p>
<p>Une façon pour lui et Vivendi de mieux garder le contrôle d'Hachette et de réaliser ses ambitions d'envergure mondiale. </p>
<h2>La plus grande librairie du monde</h2>
<p>Cet échange croisé illustre l’internationalisation de l’industrie de l’édition et témoigne de la foi du secteur en son avenir.</p>
<p>Amazon offre, par exemple, un parfait cas d’école pour analyser la mondialisation du secteur du livre.</p>
<p>L’entreprise de Jeff Bezos n’est-elle pas devenue la <a href="https://www.radiofrance.fr/mouv/podcasts/debattle/faut-il-s-inquieter-de-la-puissance-d-amazon-1986049">première librairie globale</a> ? Première à offrir une plate-forme de revente de livres dans de nombreux pays ; première par l’étendue du choix de langue écrite ; première par sa domination dans la commercialisation des livres imprimés, qu’ils soient neufs ou d’occasion. Première naturellement dans la vente de livres numériques. Première aussi, c’est moins attendu, dans le livre audio.</p>
<p>En un clic, des centaines de millions de lecteurs un peu partout sur la planète bénéficient désormais d’un accès immédiat ou après une attente de quelques jours au livre de leur choix parmi des millions de références disponibles.</p>
<p>Faut-il encore savoir quel livre choisir ! À l’image d’un Umberto Eco se dirigeant d’un pas tranquille, mais décidé, dans sa bibliothèque labyrinthique pour trouver celui qu’il cherche.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/Czc_KjWji8E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La librairie personnelle d’Umberto Ecco.</span></figcaption>
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<p>Amazon est aussi la première plate-forme d’auto-édition. Elle propose plus d’un million de nouveaux titres chaque année dans plusieurs langues. Si vous faites partie des <a href="https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Livre-et-lecture/Actualites/Etude-sur-la-situation-economique-et-sociale-des-auteurs-du-livre-resultats">quelques 100 000 écrivains français du dimanche</a>, vous avez sans doute déjà regardé, sinon utilisé, les nombreux outils offerts par Kindle Direct Publishing, pour <a href="https://kdp.amazon.com/fr_FR?ref_=kdpgp_p_fr_psg_gt_hv_ad1">créer et publier un livre électronique, broché ou relié</a>. Vous avez sans doute aussi été déçu par les ventes de votre œuvre. <a href="https://www.nytimes.com/2010/05/27/opinion/27iht-%20edkeillor.html?scp=2&sq=garrison%20keillor&st=cse">À en croire un écrivain humoriste américain</a>, comptez en moyenne 14 exemplaires vendus dont plus de la moitié acquis par les membres de la famille.</p>
<p>Cette puissance de feu tous azimuts d’Amazon n’est pas sans inquiéter les entreprises de l’édition, d’autant qu’elle est progressivement devenue leur premier client. Leur besoin de mieux négocier leurs conditions de vente avec <a href="https://theconversation.com/logre-amazon-98896">l’ogre de Seattle</a> est d’ailleurs une motivation, affirmée avec force, de leurs projets de fusion et acquisition.</p>
<h2>Des fusions transfrontalières</h2>
<p>Une bonne illustration de ce phénomène est le rapprochement entre Penguin Random House (Bertelsman) et Simon & Schuster (Paramount Global). Cette opération, non encore finalisée, car en cours de jugement antitrust, fait suite à une vague de 30 ans de fusions et acquisitions internationales.</p>
<p>Trop nombreuses à lister ici, citons-en seulement quelques-unes : l’absorption de Collins (Royaume-Uni) – rappelez-vous de votre premier dictionnaire d’anglais ! – par Harper (États-Unis) ; celle d’Harlequin (Canada), connu pour ses romans sentimentaux publiés dans le monde entier, par Harper Collins ; le rachat de Random House (États-Unis) aux choix chanceux de publication, à l’instar de l’<em>Ulysse</em> de Joyce, par Bertelsmann (Allemagne) ; celui de Penguin House (Royaume-Uni) <a href="https://www.penguin.co.uk/articles/2020/september/penguin-books-logo-history-edward-young-allen-lane.html">au célèbre et inoxydable logo</a> par Bertelsman toujours.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Et donc aujourd’hui aussi le projet d’acquisition de Simon & Schuster, la maison d’édition de Stephen King, et John Grisham, entre autres ; sans oublier le projet de rapprochement désormais caduc entre Editis (Vivendi) et Hachette Livre (Largardère).</p>
<p>La constitution de géants de l’édition est la conséquence immédiate des fusions et acquisitions, en particulier transfrontalières. Six groupes occupent aujourd’hui le quart du marché mondial. L’industrie de l’édition n’a pas échappé au mouvement planétaire de <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/sciences-humaines/economie-et-finance/entreprises-hyperpuissantes_9782738154989.php">l’ascension commerciale d’entreprises multinationales devenant des géants</a>.</p>
<h2>Innovations technologiques et des modèles d’affaires</h2>
<p>Comme dans les autres industries, l’innovation joue un rôle clef dans l’évolution du secteur. À commencer par l’innovation technologique. Le numérique a inondé la planète du livre, que ce soit à travers l’édition électronique, la logistique de la distribution, le marketing des succès, la vente de livres audio et de bandes dessinées ou encore le segment du livre professionnel. Or le numérique se caractérise par des coûts unitaires plus faibles, mais aussi par des coûts fixes plus élevés qui doivent donc être amortis sur de plus vastes marchés. Ce sont aussi des économies de réseaux qui favorisent quelques-uns par un effet boule de neige. Un seul ou une poignée de gagnants sont sélectionnés.</p>
<p>L’innovation concerne également les formats, utilisons ici les termes anglais consacrés, et finalement plus parlants, à l’instar de <em>webtoon</em>, <em>webnovel</em>, <em>graphic novel</em>, <em>serial fiction</em>, etc. Elle concerne aussi les modèles d’affaires comme les formules par abonnements – sortes de club du livre du monde d’aujourd’hui – ou la déclinaison tous médias et tous azimuts des titres à succès : séries, films, podcasts, jeux, colifichets et autres babioles. Bref, une sorte d’universalisation des récits et de leurs héros.</p>
<p><em>Le Petit Prince</em> lui-même, livre le plus traduit au monde après la Bible, n’a pas échappé à cette commercialisation effrénée. Il a bien sûr été adapté en film et en série et sa célèbre silhouette élancée a été reproduite sur <a href="https://www.lepetitprincecollection.com/fr/">tout et n’importe quoi</a>, porte-clefs, médailles, casquettes, et même coquetiers, étuis à lunettes et gourdes. Il y a du bon, du moins bon et du très mauvais, mais ne levez pas les yeux au ciel en regrettant ce commerce hors du livre. Le personnage de Saint-Exupéry a ainsi connu de nombreuses vies nouvelles, prolongeant pour certains le bonheur de la lecture ou engageant d’autres à s’y plonger.</p>
<h2>Les livres à succès</h2>
<p>Joue également une certaine uniformisation des goûts et des modes dont témoignent de nombreux livres et genres à succès internationaux. L’anatomie des best-sellers a été étudiée en comparant les données des caractéristiques textuelles des ouvrages qui figurent dans les <a href="https://livre.fnac.com/mp35551172/Bestseller-Code">listes des meilleures ventes</a> et ceux qui n’y figurent pas. Leur dissection fait apparaître, entre autres, que le succès réclame plutôt un langage simple, proche du parler, un nombre de thèmes principaux restreint à deux ou trois, et des montées et descentes d’émotion qui se succèdent. Trop d’adjectifs et de verbes sont à éviter. Idem pour les scènes de sexe ou la description des corps, sauf s’ils sont refroidis (les romans policiers sont légion parmi les livres à succès…).</p>
<p>Bien entendu, la connaissance complète des ingrédients à incorporer ou à éviter ne fournit pas pour autant la recette du succès. De la même façon que la liste des produits dans le garde-manger des cuisiniers de Top Chef ne suffit pas pour désigner à l’avance le vainqueur. Notez qu’il n’y a pas non plus de recette miracle pour deviner les genres et sous-genres à succès à l’instar du polar scandinave ou du manga d’action. C’est ici comme l’engouement mondial pour la pizza et le hamburger, ou plus récemment pour le poke bowl.</p>
<p>Terminons de filer la métaphore culinaire en rappelant que pour le livre comme pour la cuisine, les goûts et les préférences restent encore marqués par la culture locale. Ils diffèrent d’un endroit, d’un pays, d’un continent à l’autre. Les livres traduits ne représentent par exemple en France qu’un cinquième des ventes.</p>
<p>Même s’il fait rêver nombre d’auteurs, le livre à succès et ses déclinaisons restent une exception. En proportion du nombre d’exemplaires vendus et donc du chiffre d’affaires des éditeurs, c’est une autre affaire. Prenons l’exemple des États-Unis où le nombre moyen d’exemplaires par titre s’élève à quelques centaines : les 10 livres écoulés à plus d’un million d’exemplaires font autant de recettes que le <a href="https://www.publishersweekly.com/pw/by-topic/columns-and-blogs/soapbox/article/6153-a-bookselling-tail.html">million d’autres placés à moins de 100 exemplaires</a>.</p>
<h2>Un marché mondial qui perd du poids</h2>
<p>Par ailleurs, le nombre de tirages par nouveau titre diminuant mécaniquement à mesure que le nombre de nouveaux titres gonfle – une tendance depuis de longues années – les livres à succès deviennent plus importants pour l’équilibre des comptes. En effet, à la différence notable d’autres secteurs qui se sont internationalisés, <a href="https://masterenedicion.com/wp-content/uploads/2017/11/BookMap_How-big-is-global-publishing_prel-edition_final01.pdf">l’édition ne bénéficie pas d’un marché mondial qui explose</a>. Celui-ci ne croît même pas plus vite que la population ou la richesse mesurée par le PIB. Dans les pays développés, le marché se rétrécit en euros ou en dollar constants et les pays d’économie émergente n’ont pas pris le relais, et ce malgré les progrès de l’éducation et le développement universitaire qu’ils connaissent. En tout cas pas encore.</p>
<p>Dans les années 1960, la planète comptait 1,6 livre vendu par habitant, le <a href="https://www.oxfordhandbooks.com/view/10.1093/oxfordhb/9780198794202.001.0001/oxfordhb-9780198794202-e-9">chiffre est tombé</a> à moins d’un dans les années 2000. En attendant, un retournement de tendance éventuel, on comprend pourquoi les géants de l’édition s’empressent de chercher de la croissance en dehors de leur marché géographique traditionnel et de rechercher des débouchés autres que la publication pour leurs titres imprimés ou électroniques à succès.</p>
<p>Le livre hors de ses frontières linguistiques grâce aux traductions, et textuelles grâce à ses adaptations en images, ne perd pas son âme. De même pour l’édition hors de ses bastions nationaux. Elle aide le livre à voyager. Le rapprochement entre Editis et Hachette faisait craindre à beaucoup la constitution d’un mastodonte français de l’édition écrasant tout le monde hexagonal sur son passage. Avec l’acquisition d’Hachette par Vivendi et celle future d’Editis vraisemblablement par un groupe étranger de l’édition, cette tentative va pousser finalement l’industrie française du livre à s’ouvrir encore un peu plus au monde.</p>
<hr>
<p><em>François Lévêque a publié chez Odile Jacob <a href="https://theconversation.com/bonnes-feuilles-lere-des-entreprises-hyperpuissantes-touche-t-elle-a-sa-fin-157831">« Les entreprises hyperpuissantes. Géants et Titans, la fin du modèle global »</a>. Son ouvrage a reçu <a href="https://www.melchior.fr/note-de-lecture/les-entreprises-hyperpuissantes-prix-lyceen-lire-l-economie-2021">le prix lycéen du livre d’économie 2021</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/187785/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>François Lévêque a conseillé Vivendi à plusieurs reprises par le passé et à été consulté récemment comme économiste académique dans le cadre du rapprochement entre Vivendi et Largardère, plus particulièrement entre Editis et Hachette.</span></em></p>La globalisation du secteur de l’édition via l’émergence d’acteurs tels qu’Amazon est aussi précipitée par les rapprochements entre groupes d’édition.François Lévêque, Professeur d’économie, Mines Paris - PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1829872022-05-25T13:35:45Z2022-05-25T13:35:45ZDes modèles masculins pour développer l’envie de lire chez les garçons<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/463437/original/file-20220516-12-4dwr4k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C1%2C994%2C664&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">«Lire avec fiston» est un projet de littératie familiale simple et efficace qui pourrait être reproduit dans différents pays et différentes langues.</span> <span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span></figcaption></figure><p>Nous entendons souvent que les garçons ne lisent pas ou n’aiment pas lire. Or, les garçons lisent, mais pas nécessairement ce que le milieu scolaire leur propose ; les garçons vont préférer lire des documentaires, des bandes dessinées ou des magazines, par exemple. De là l’importance qu’ils puissent choisir les livres qu’ils désirent lire et de varier les choix proposés.</p>
<p>Nous sommes un groupe de chercheures multidisciplinaires, intéressées notamment par la littératie, les difficultés d’apprentissage, la relation famille-école-communauté et la psychologie. La littératie dans son ensemble inclut la lecture, l’écriture, la compétence orale et plusieurs autres variables comme les valeurs et la culture.</p>
<h2>Importance d’un modèle de lecteur masculin pour les fistons</h2>
<p>L’absence d’un modèle masculin « positif » de lecture peut expliquer pourquoi les garçons sont moins portés à lire et peuvent avoir une perception négative de la lecture. Le fait d’intégrer la famille à l’intérieur d’un projet de littératie, dans un contexte non scolaire, peut influencer la perception que les élèves ont de la lecture et développer leur envie de lire.</p>
<p><a href="https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/10888691.2013.836034">Certaines études scientifiques</a> démontrent qu’en intégrant le père dans les programmes de littératie familiale, une influence positive émerge sur le développement de la littératie des enfants, et plus particulièrement des garçons. La <a href="https://depot.erudit.org/bitstream/003789dd/1/Beauregard_Carignan_MELS_litteratie_familiale.pdf">littératie familiale</a> est notamment le fait de développer la compétence à lire dans le milieu familial. C’est dans cette visée que nous avons créé le projet <a href="https://ici.radio-canada.ca/ohdio/premiere/emissions/grands-lacs-cafe/segments/entrevue/66821/acfas-carignan-lire-fiston"><em>Lire avec fiston</em></a> en 2008. Depuis, 30 trios masculins ont vu le jour, mais, avec la pandémie, ce mode de fonctionnement n’était plus possible.</p>
<p>Ce projet de littératie familiale favorise la création de trios masculins (papa, fiston et étudiant en enseignement) qui partagent un temps de lecture à la maison.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="3 hommes d’âge différent tiennent un certificat" src="https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463434/original/file-20220516-26-ee4gja.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Le but du projet « Lire avec fiston » était de partir des intérêts de lecture des garçons en difficulté de lecture (ou non motivés à lire) pour développer leur envie de lire par l’entremise de trios masculins (papa, fiston et futur enseignant).</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Isabelle Carignan)</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Le but du projet est de partir des intérêts de lecture du fiston en difficulté de lecture, ou en manque de motivation (8-9 ans), pour développer son envie de lire. Pourquoi à cet âge ? Parce que c’est le moment où le fossé se creuse entre les bons lecteurs et les lecteurs en difficulté.</p>
<p>Le futur enseignant se déplace dans le milieu familial de façon bénévole avec son sac de livres jeunesse, de genres littéraires différents, liés aux intérêts du fiston. Le fiston est le chef : en maitre d’œuvre du trio, il décide ce qui sera lu lors des rencontres. Avec <em>Lire avec fiston</em>, les <a href="https://lewebpedagogique.com/alireetaecrire/les-dix-droits-du-lecteur/">10 droits du lecteur de l’auteur Daniel Pennac</a>, qui sont tirés de son œuvre « Comme un roman », sont respectés. Ces droits vont à l’encontre de ce qui est généralement prôné dans le milieu scolaire :</p>
<ol>
<li><p>Le droit de ne pas lire</p></li>
<li><p>Le droit de sauter des pages</p></li>
<li><p>Le droit de ne pas finir un livre</p></li>
<li><p>Le droit de relire</p></li>
<li><p>Le droit de lire n’importe quoi</p></li>
<li><p>Le droit au bovarysme (de rêver !)</p></li>
<li><p>Le droit de lire n’importe où</p></li>
<li><p>Le droit de grappiller</p></li>
<li><p>Le droit de lire à haute voix</p></li>
<li><p>Le droit de nous taire</p></li>
</ol>
<p>À l’âge adulte, nous nous autorisons tous ces droits.</p>
<p>À l’école, les élèves doivent souvent lire des œuvres qui ne les intéressent pas. Ils doivent les finir et ne doivent surtout pas sauter des pages. Quand ils sont plus grands, vers le milieu du primaire, on leur dit souvent que la vraie lecture est la lecture de <a href="https://chezlefilrouge.co/2018/08/16/la-lecture-de-bandes-dessinees-est-elle-moins-valorisante-que-la-lecture-de-romans/">romans</a>, alors que c’est complètement faux. Par exemple, lire une <a href="https://litmedmod.ca/sites/default/files/r2lmm/r2-lmm_vol1_boutin-vmartel.pdf">bande dessinée</a> est extrêmement riche et complexe. Un vrai lecteur de BD lit le texte et l’illustration de chaque case, en interaction, pour en saisir toutes les subtilités. Il en va de même pour l’album (livre d’images) : le texte et les illustrations forment un tout riche et indissociable pour tous les âges. Et souvent, les illustrations « parlent » plus que le texte.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="tintin sur un fauteuil avec Milou à ses pieds" src="https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/463721/original/file-20220517-14-dfyj4l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les garçons vont préférer lire des documentaires, des bandes dessinées ou des magazines, par exemple.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Shutterstock)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Déroulement du projet</h2>
<p><strong>Première rencontre entre tous les participants</strong></p>
<p>Cette rencontre a normalement lieu à l’école avec la direction d’école, l’orthopédagogue (le cas échéant), l’enseignant, les parents masculins, les futurs enseignants, les fistons et les chercheures. C’est à ce moment que les questions sont posées, que les rôles de chacun sont déterminés et que les trios sont formés. Les trios masculins échangent leurs coordonnées et s’entendent de l’heure et de l’endroit (maison ou ailleurs) pour une première rencontre en trio, selon les disponibilités de chacun.</p>
<p>Il est à noter que les fistons ont comme information qu’ils ont été « choisis » pour vivre un projet de lecture avec leur papa (ou toute autre figure masculine significative).</p>
<p><strong>Rencontres des trios masculins</strong></p>
<p>Le mode de fonctionnement est libre et aucune préparation de la part du parent ni de l’enfant n’est nécessaire avant ou après les rencontres. La durée de chaque rencontre varie entre 45 minutes et deux heures.</p>
<p>Au début du projet, les trios masculins se rencontraient dans le milieu familial, toutes les deux semaines, pendant une heure ou deux, sur une période de quatre mois. Nous recommandons maintenant de réaliser le projet pendant toute l’année scolaire pour permettre une plus grande flexibilité. De plus, au départ, un minimum de trois rencontres était prévu ; nous conseillons maintenant entre 6 et 8 rencontres pour favoriser la création d’une dynamique positive et d’une relation de confiance à l’intérieur des trios.</p>
<p>Dans cette relation égalitaire, chaque membre du trio a un rôle déterminé :</p>
<ul>
<li><p>le fiston choisit ce qui sera lu – ou non – et décide comment se déroulera chacune des rencontres ;</p></li>
<li><p>le futur enseignant, en personne-ressource, apporte des œuvres jeunesse diversifiées liées aux intérêts du fiston et suit l’enfant dans ses choix de lecture ;</p></li>
<li><p>le père (ou toute autre figure masculine significative) participe à la lecture des œuvres choisies par le fiston et guide le futur enseignant pour qu’il saisisse bien les intérêts de lecture de son enfant.</p></li>
</ul>
<p><strong>Dernière rencontre entre tous les participants</strong></p>
<p>Tous les participants se retrouvent dans un restaurant, par exemple, pour ne pas que le projet soit associé au scolaire. Malheureusement, les garçons ont souvent une mauvaise perception de la lecture à cause de l’école, car ils l’associent directement à l’évaluation.</p>
<p>Pendant cette rencontre amicale, les impressions de chacun sur le projet sont recueillies. Le but est également de documenter les changements constatés chez les fistons et les améliorations possibles du projet. À ce moment, les futurs enseignants remettent aux fistons, en cadeau, des œuvres jeunesse qui font partie de leurs préférences. L’équipe de recherche remet également une attestation valorisant la participation au projet aux fistons, aux pères (ou autres figures masculines) et aux futurs enseignants.</p>
<h2>Retombées positives du projet <em>Lire avec fiston</em></h2>
<p>Le projet a été vécu au <a href="https://extranet.puq.ca/media/produits/documents/1781_9782760525467.pdf">Québec</a>, en <a href="https://journals.library.brocku.ca/brocked/index.php/home/article/view/829">Pennsylvanie</a> et en <a href="https://l-express.ca/lire-avec-fiston/">Ontario</a>. Selon les entrevues de groupe, les retombées ont été positives pour tous les membres des trios masculins.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1017030318312906752"}"></div></p>
<p>Dans un premier temps, les fistons semblent avoir développé un plus grand intérêt à lire, car ils peuvent lire ce qui les intéresse réellement. Les fistons ressentent aussi un plus grand sentiment de compétence en lecture après le projet.</p>
<p>Dans un deuxième temps, les relations père-enfant et famille-école évoluent de façon positive. Les papas (ou autre figure masculine) semblent avoir compris à quel point leur rôle de modèle de lecteur masculin pour fiston est important, qu’ils peuvent avoir une influence sur la réussite scolaire de leur enfant et qu’il est gratifiant de lire et d’interagir avec leur fiston.</p>
<p>Dans un troisième temps, les futurs enseignants ont appris à travailler avec des situations familiales diversifiées et l’importance d’établir un bon lien avec le parent. Enfin, ils ont compris la pertinence de permettre aux garçons de faire leurs propres choix en matière de lecture et l’impact d’un modèle de lecteur masculin.</p>
<p><em>Lire avec fiston</em> est donc un projet de littératie familiale simple et efficace qui pourrait être reproduit dans différents pays et différentes langues pour développer l’envie de lire chez les garçons.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182987/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Isabelle Carignan a reçu du financement du CRSH Développement Savoir pour ce projet. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Annie Roy-Charland, France Beauregard, Joanie Viau et Marie-Christine Beaudry ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Lire avec fiston est un projet de littératie familiale simple et efficace qui pourrait être reproduit dans différents pays et différentes langues pour développer l’envie de lire chez les garçons.Isabelle Carignan, Ph.D., Professeure titulaire, Université TÉLUQ Annie Roy-Charland, Professeure titulaire en psychologie, Université de MonctonFrance Beauregard, Professeure associée en relation famille-école-communauté, Université de Sherbrooke Joanie Viau, Chargée d'encadrement, Université TÉLUQ Marie-Christine Beaudry, Professeure en didactique du français, Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1801732022-03-31T17:59:26Z2022-03-31T17:59:26ZComment les bébés apprennent-ils à parler ?<p>Quel que soit le domaine, de leurs premiers pas jusqu’à ce jour où ils comprennent que leur point de vue peut ne pas être le même que celui de leurs camarades, les enfants se développent à des rythmes différents. Le langage n’est pas une exception à la règle : on ne peut pas indiquer précisément un âge <a href="http://modules.ilabs.uw.edu/module/language-development-listening-speaking/variability-language-acquisition/">à partir duquel tout bébé devrait commencer à parler</a>.</p>
<p>Bien sûr, le développement de la communication passe par <a href="https://www.nidcd.nih.gov/health/speech-and-language">certaines étapes</a>, que les enfants franchissent à peu près au même âge. Il peut d’ailleurs être décourageant pour des parents d’entendre les enfants de leurs amis commencer à s’exprimer avant les leurs. Dans la plupart des cas, il s’agit simplement d’une variation personnelle tout à fait naturelle dans la progression des apprentissages. Dans d’autres, il peut s’agir d’un retard de langage temporaire <a href="https://www.asha.org/public/speech/disorders/Late-Blooming-or-Language-Problem/">qui se rattrapera sans aucune intervention</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/apprendre-la-musique-aux-bebes-pour-favoriser-lacquisition-du-langage-59770">Apprendre la musique aux bébés pour favoriser l’acquisition du langage ?</a>
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<p>Pour d’autres enfants, cependant, il peut s’agir du premier signe d’un trouble à long terme. Alors <a href="https://www.speechpathways.ca/2018/04/11/when-should-i-worry-about-my-childs-speech-language-development/">quels repères faut-il avoir en tête</a> avant de s’inquiéter pour les progrès de son enfant ?</p>
<h2>Il n’y a pas que la parole</h2>
<p>En général, les enfants babillent à partir de l’âge de six mois environ, et prononcent leurs premiers mots entre dix et quinze mois (la plupart commençant à parler vers 12 mois). Ensuite, ils comprennent un nombre de plus en plus important de mots qu’ils vont réutiliser dans des phrases simples, à partir de 18 mois environ.</p>
<p>Il est important de noter que le langage ne se limite pas aux sons que nous produisons avec notre voix. L’idée selon laquelle le langage se réduirait à la parole est une énorme erreur, que nous avons souvent tendance à faire. Or comprendre ce que dit notre entourage est une tâche très complexe. Cela suppose de connaître les mots utilisés, de savoir à quel concept ils renvoient selon le contexte et de comprendre le sens de la phrase en fonction de l’ordre des mots. C’est ce qu’on appelle les compétences linguistiques de réception.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/451933/original/file-20220314-100476-125e61g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C6%2C4018%2C3003&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/451933/original/file-20220314-100476-125e61g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/451933/original/file-20220314-100476-125e61g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/451933/original/file-20220314-100476-125e61g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/451933/original/file-20220314-100476-125e61g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/451933/original/file-20220314-100476-125e61g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/451933/original/file-20220314-100476-125e61g.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La conversation démarre bien avant la maîtrise du langage.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://unsplash.com/photos/oB0xbLwcaMw">Ana Tablas/Unsplash</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-bebes-apprennent-lart-de-la-conversation-avant-meme-de-savoir-parler-178658">Les bébés apprennent l’art de la conversation avant même de savoir parler</a>
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<p>Les parents doivent savoir que, dès les premiers stades de développement du langage, les enfants sont capables de comprendre bien plus de choses qu’ils ne peuvent en exprimer. En effet, c’est en comprenant ceux qui les entourent – leurs parents, frères et sœurs et autres personnes s’occupant d’eux – que les enfants construisent leurs propres compétences.</p>
<p>Certains troubles du développement, comme le bégaiement, sont manifestes. En revanche, les problèmes que rencontrent d’autres enfants peuvent être difficiles à repérer. Parfois, l’enfant semble comprendre des instructions apparemment complexes, mais il s’appuie en fait sur le contexte général. Par exemple, si vous dites à votre enfant « va mettre ton manteau et tes bottes », il va le faire parce qu’il connaît les mots « bottes » et « manteau » et voit qu’on se prépare à quitter la maison.</p>
<p>D’autres instructions, dont le contexte est moins clair, comme « va chercher le livre bleu et noir qui se trouve sous la couverture sur la chaise » demandent une meilleure maîtrise du langage et peuvent être plus ardues à comprendre pour les enfants ayant des difficultés de langage.</p>
<h2>Quand demander de l’aide</h2>
<p>Pour les enfants eux-mêmes, il peut être vraiment frustrant de ne pas parvenir à exprimer des pensées ou de ne pas comprendre tout à fait ce qui se passe autour d’eux. Un enfant qui fait des crises de colère, mais a du mal à expliquer pourquoi il se met dans cet état, peut avoir des difficultés qui n’apparaissent pas au premier abord mais qui sont bien réelles. Ce genre d’attitude peut être le signe d’un <a href="https://www.asha.org/public/speech/disorders/Late-Blooming-or-Language-Problem/">retard de langage</a>. Le fait qu’un enfant ait du mal à suivre des consignes simples peut vous alerter.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/301324/original/file-20191112-178525-1pwlq6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=1%2C38%2C997%2C627&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/301324/original/file-20191112-178525-1pwlq6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/301324/original/file-20191112-178525-1pwlq6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/301324/original/file-20191112-178525-1pwlq6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/301324/original/file-20191112-178525-1pwlq6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/301324/original/file-20191112-178525-1pwlq6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/301324/original/file-20191112-178525-1pwlq6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">S’il a l’habitude de dialoguer avec les adultes qui l’entourent, un enfant aura plus de facilités à traiter des informations.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/download/confirm/1189853122?src=9f967fd1-9958-4b59-a986-77df4796744f-4-22&size=medium_jpg">Shutterstock</a></span>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/sept-pistes-pour-enrichir-le-vocabulaire-de-votre-enfant-126576">Sept pistes pour enrichir le vocabulaire de votre enfant</a>
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<p><a href="http://www.hanen.org/Helpful-Info/Articles/A-Closer-Look-at-the-Late-Talker-Study--Why-Parent.aspx">70 % à 80 % des enfants</a> présentant un retard de langage le rattrapent à l’âge de 4 ans. Pour d’autres, ce retard met en évidence un <a href="https://radld.org/about/dld/">trouble de développement du langage (TDL)</a>, c’est-à-dire une déficience à long terme qui touche environ 7,6 % des enfants, soit <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1111/jcpp.12573">1 enfant sur 15</a>, et dont les manifestations se prolongent à l’âge adulte. Cependant, avant l’école primaire, même les experts ont du mal à départager le simple retard du trouble du langage.</p>
<p>Les enfants concernés peuvent avoir besoin d’un soutien pour pouvoir s’épanouir. Mieux vaut demander l’avis d’un professionnel que d’attendre, en particulier entre 18 mois et 30 mois, si votre enfant semble avoir des problèmes de compréhension, utilise peu de gestes pour communiquer et est lent pour apprendre de nouveaux mots. La première étape est de contacter un orthophoniste.</p>
<h2>Renforcer ses compétences linguistiques</h2>
<p>Le langage est flexible. A quelque étape que se situe l’enfant, on peut toujours l’aider à le développer.</p>
<p>Par exemple, lorsque vous jouez avec un tout-petit, regardez vers quoi se dirige son regard et nommez ce qu’il voit. S’il dit « cheval qui court », vous pouvez poursuivre en disant « Oui, le cheval court ! Où court-il ? » Cela aide les enfants à apprendre de nouveaux mots et concepts, et donc à mieux structurer leurs phrases.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/447510/original/file-20220221-14-1gul060.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C5%2C991%2C657&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/447510/original/file-20220221-14-1gul060.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/447510/original/file-20220221-14-1gul060.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/447510/original/file-20220221-14-1gul060.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/447510/original/file-20220221-14-1gul060.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/447510/original/file-20220221-14-1gul060.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/447510/original/file-20220221-14-1gul060.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le partage d’histoires en famille est très important pour les enfants.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/young-hispanic-family-four-sitting-on-1284992743">Shutterstock</a></span>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lapprentissage-de-la-lecture-commence-plus-tot-quon-ne-le-pense-174289">L’apprentissage de la lecture commence plus tôt qu’on ne le pense</a>
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<p>Lire ensemble des histoires est excellent car vous pouvez trouver dans les livres des mots désignant des êtres et des choses que vous ne rencontrez pas souvent dans votre quotidien, comme les animaux du zoo. C’est également précieux pour favoriser l’attention et l’écoute. Pour faire parler votre enfant, veillez à poser beaucoup de questions à base de « pourquoi » et de « comment » plutôt que des questions auxquelles il peut répondre par « oui » ou par « non ». Regarder des vidéos ou des émissions de télévision peut aussi être un enrichissement, à condition toutefois de les regarder avec lui.</p>
<p>Cela peut paraître un conseil évident, mais il n’est jamais inutile de redire combien avoir des discussions à bâtons rompus avec un enfant peut l’aider. Non seulement c’est incroyablement gratifiant sur le plan social, mais cela peut aussi contribuer à renforcer et à développer ses compétences de communication. Essayez d’intégrer cette activité à votre quotidien, par exemple en conversant quand vous allez faire des courses au supermarché.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180173/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Tout-petits, les enfants sont capables de comprendre bien plus de choses qu’ils ne peuvent en exprimer et il est important de dialoguer avec eux pour les aider à enrichir leur langage.Michelle St Clair, Lecturer in Psychology, University of BathVanessa Lloyd-Esenkaya, PhD Candidate in Psychology, University of BathLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1743092022-01-11T20:50:45Z2022-01-11T20:50:45ZLes librairies indépendantes ont-elles gagné de nouveaux clients au cours de la crise sanitaire ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/439341/original/file-20220104-15-dsw2h0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C26%2C4470%2C3319&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">légende</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/echelle-en-bois-marron-sur-etagere-en-bois-marron-220326/">Pixabay</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>La crise liée à la pandémie de Covid-19 a mis en lumière les librairies comme des acteurs essentiels de la culture, d’abord fermées puis ouvertes devant <a href="https://theconversation.com/ce-que-nous-apprend-le-debat-sur-la-fermeture-des-librairies-150248">l’attachement des Français et l’ampleur du soutien reçu</a>. Très tôt, dès le début du premier confinement, des voix se sont élevées, s’inquiétant de l’avenir du livre et des librairies <a href="https://theconversation.com/quel-avenir-pour-le-livre-dans-lapres-covid-138470">dans le « monde d’après »</a>, s’alarmant même parfois de <a href="https://theconversation.com/debat-en-france-le-livre-papier-a-t-il-encore-un-avenir-143363">l’inadaptation du modèle actuel des librairies</a>. Ainsi, Vincent Chabault <a href="https://www.vie-publique.fr/catalogue/23786-vers-la-fin-des-librairies">s’interrogeait encore il y a quelques années sur la possible fin des librairies « physiques »</a>.</p>
<p>Dans ce concert d’inquiétude, une récente étude menée pour le compte de l’association <a href="http://asso.chez-mon-libraire.fr/">Chez mon libraire</a> (qui regroupe 200 librairies indépendantes de la région Auvergne-Rhône-Alpes), permet de <a href="http://asso.chez-mon-libraire.fr/vos-librairies/%88-la-une.html">mieux appréhender les habitudes et pratiques d’achats de livres des clients des librairies indépendantes</a>. Cette enquête a été réalisée par un questionnaire en ligne en juin et juillet 2021. Plus de 4000 personnes ont répondu à cette enquête qui, même si elle visait les clients de la région Auvergne-Rhône-Alpes, permet d’étendre les résultats à la France entière.</p>
<p>Que pensent les clients de leurs librairies ? Quelles sont leurs pratiques et habitudes d’achats de livre ? Ces questions ont depuis longtemps intéressé les librairies. Mais les précédentes études sur les clients des librairies indépendantes <a href="http://www.lesrencontresnationalesdelalibrairie.fr/2019/06/etudes/">datent maintenant de l’avant-crise sanitaire</a>.</p>
<p>Les résultats de cette étude en ligne vont à contre-courant de bon nombre d’idées reçues et montrent distinctement la résurgence des librairies indépendantes françaises.</p>
<h2>L’impact de la crise sanitaire</h2>
<p>Les deux tiers des répondants de l’étude déclarent acheter et lire de la même façon depuis la crise sanitaire. Plus d’un quart déclarent acheter et lire davantage. Ces résultats confirment ceux <a href="https://www.sne.fr/actu/une-etude-sur-les-usages-des-livres-numeriques-audio-et-imprimes-en-confinement/">d’études menées en 2020</a> par la Sofia, le Syndicat national de l’édition et la Société des gens de lettres : la majorité des lecteurs lisent autant voire davantage depuis la crise sanitaire. Et 82 % des répondants ont déclaré fréquenter à l’identique ou davantage les librairies indépendantes.</p>
<p>Autre point intéressant : le groupe des « nouveaux clients » (ceux qui fréquentent régulièrement des librairies indépendantes depuis moins de trois ans) et le groupe des « anciens clients » (ceux qui fréquentent régulièrement des librairies indépendantes depuis plus de sept ans) ont des comportements d’achats de livres assez différents. Ces deux groupes ne se distinguent pas par les âges moyens ou d’autres caractéristiques socio-économiques mais essentiellement par l’ancienneté de la fréquentation des librairies.</p>
<p>Ainsi, les « nouveaux clients » ont significativement davantage acheté et lu de livres que les « anciens clients » (33 % versus 20 % pour les achats et 36 % versus 24 % pour la lecture).</p>
<h2>Une relation de confiance très forte</h2>
<p>Les résultats montrent une relation de confiance forte entre les clients et les librairies indépendantes. 79 % d’entre eux déclarent privilégier leur librairie indépendante au détriment d’autres lieux d’achats de livre (en ligne, en supermarchés ou encore dans les grandes surfaces culturelles), même si le livre n’est pas en stock et qu’il faut le commander. La relation avec la librairie est ancrée, et même un délai de commande ne remettra pas en cause le souhait d’acheter des livres en librairie.</p>
<p>Les clients privilégient également la relation personnalisée et l’acte d’achat spécifique propre à la librairie puisque 80 % déclarent aimer flâner et prendre leur temps.</p>
<p>Pour l’avenir, ils sont 58 % à déclarer choisir à l’identique la librairie de proximité comme lieu d’achat et 31 % de façon renforcée. Cela témoigne d’un fort sentiment d’adhésion à la librairie indépendante pour le futur.</p>
<h2>La révolution non advenue du livre numérique</h2>
<p>Depuis le début de la pandémie, la très grande majorité des clients ont acheté autant de livres papier, de livres audio et de livres numériques. Cette proportion est encore plus importante pour le livre numérique (86 %) que pour le livre papier (79 %). Alors que l’on pouvait s’attendre à une augmentation significative des ventes de livres audio et numérique à l’instar de ce qu’ont connu certains pays (comme la Suède), ce phénomène ne s’est pas produit en France. Toutes les conditions liées au confinement étaient pourtant réunies pour que cette augmentation soit massive. Mais les pratiques déclarées dans l’enquête vont dans un tout autre sens. Elles confirment ainsi les études sur les pratiques de lecture pendant le confinement (Étude SNE, Sofia, SGDL). Il n’y a pas eu le raz-de-marée du livre numérique que tout le monde prédisait.</p>
<h2>Des modes de prescription en mutation</h2>
<p>Comment les clients des librairies choisissent-ils leurs livres ?</p>
<p>Les modes de prescription et de choix des livres reposent fondamentalement sur : l’envie de lire un auteur apprécié (pour 80 % des répondants), les conseils des libraires (63 %) témoignant en cela de la confiance envers l’institution-librairie, les conseils des amis (63 %) et enfin les résumés et couvertures de livres (61 %) aisément accessibles désormais sur Internet et les réseaux sociaux.</p>
<p>Ces modes de prescription diffèrent selon le profil des clients. Ainsi, les « anciens » sont plus sensibles aux critiques des journalistes et émissions TV (notamment <em>La Grande Librairie</em>, principale émission TV à une heure de grande écoute dédiée aux livres et <a href="https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/">valorisant régulièrement des choix de libraires</a>). À l’opposé, les « nouveaux clients » sont davantage influencés par les films et séries, les résumés et couvertures et enfin par Internet et les réseaux sociaux.</p>
<h2>L’exigence de service rendu</h2>
<p>Nous l’avons souligné, la relation entre les clients et leur librairie semble solide. Mais pour autant il ne faudrait pas croire que cette relation de confiance abaisse le niveau d’exigence de service rendu et de professionnalisme. Fidèles, certes, mais exigeants, surtout dans un contexte concurrentiel renforcé.</p>
<p>Ainsi, 35 % des clients veulent récupérer leurs livres en dehors de tout échange ou relation humaine. Cette attente est tout particulièrement significative pour le groupe des « nouveaux clients » dont les préférences sont empreintes d’un souci d’efficacité et de service rendu.</p>
<p>Certes, la librairie demeure le lieu de préférence pour les achats de livres mais 15 % des « nouveaux clients » privilégieront malgré tout la praticité de l’achat contre seulement 9 % pour les « anciens clients ». Les arbitrages d’achats peuvent aussi se faire en fonction de critères d’efficacité malgré la fidélité attitudinale envers la librairie. La fidélité est toute relative, la volatilité des clients par rapport aux lieux d’achats existe bel et bien, même s’il semble qu’elle se soit récemment réduite.</p>
<h2>L’avenir des pratiques d’achat</h2>
<p>Un quart des clients pensent utiliser davantage le « click and collect » à l’avenir (26 %) mais un tiers ne sont pas intéressés par cette pratique (31 %). Cette question polarise ainsi les attentes des clients.</p>
<p>Le désir de « click and collect » est important quelle que soit l’ancienneté de la relation avec les librairies mais il est significativement plus fort avec les nouveaux clients (32 % contre 20 % pour les anciens). Par ailleurs, le désir de pratiquer à l’avenir le « click and collect » se vérifie pour toutes les librairies, qu’elles soient en zone rurale ou urbaine et qu’elles soient de grande ou petite taille. Ce qui signifie que l’ensemble des librairies sera concerné par le développement de cette pratique d’achat.</p>
<p>Des attentes de « click and collect » mais également des attentes pour faire perdurer le lien humain, voilà l’enjeu-oxymore du futur de la relation des librairies avec leurs clients !</p>
<p>Ces résultats témoignent d’une résurgence pour les librairies indépendantes. Il semblerait que ce regain ne soit pas uniquement localisé en France mais que d’autres pays puissent également en témoigner, <a href="https://www.google.fr/amp/s/amp.theguardian.com/books/2020/jan/10/indie-bookshops-grow-high-street-declines">comme au Royaume-Uni, par exemple</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174309/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Piovesan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Que pensent les clients de leurs librairies ? Quelles sont leurs pratiques et habitudes d’achats de livres, et ont-elles évolué au cours de la pandémie ?David Piovesan, Maître de conférences HDR en sciences de gestion, iaelyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1744782022-01-09T17:12:26Z2022-01-09T17:12:26ZIllettrisme : y a-t-il autant de jeunes concernés que le disent les politiques ?<p>Invitée sur RTL le 3 janvier 2022, la candidate des Républicains à l’élection présidentielle Valérie Pécresse <a href="https://www.rtl.fr/actu/politique/invitee-rtl-presidentielle-2022-l-ecole-francaise-est-la-plus-inegalitaire-d-europe-selon-pecresse-7900110576">a évoqué « l’un des deux points noirs de notre système éducatif »</a>, à savoir « l’illettrisme » en arguant qu’« aujourd’hui, aux journées citoyennes d’appel à la défense, vous avez 25 % de jeunes Français qui n’arrivent pas à lire le texte qu’on leur donne à lire ».</p>
<p>Parmi les 437000 participants de la <a href="https://www.education.gouv.fr/journee-defense-et-citoyennete-2020-pres-d-un-jeune-francais-sur-dix-en-difficulte-de-lecture-323603">session 2020</a>, 78,6 % ont été considérés comme des « lecteurs efficaces », 11,9 % comme des « lecteurs médiocres », et 9,5 % comme des lecteurs ayant de réelles difficultés à lire. Sur l’ensemble, 4,6 % des jeunes testés sont en « situation d’illettrisme » selon les données du ministère de l’Éducation nationale.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/439643/original/file-20220106-13-1fou5nk.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/439643/original/file-20220106-13-1fou5nk.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=223&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/439643/original/file-20220106-13-1fou5nk.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=223&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/439643/original/file-20220106-13-1fou5nk.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=223&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/439643/original/file-20220106-13-1fou5nk.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=280&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/439643/original/file-20220106-13-1fou5nk.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=280&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/439643/original/file-20220106-13-1fou5nk.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=280&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tableau extrait de la Note d’information 0°21.27 de juin 2021 de la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP).</span>
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<p>Le taux de 25 % indiqué par Valérie Pécresse a été obtenu par soustraction des 78,6 % de « lecteurs efficaces », soit 21,4 %, arrondi à 25 % pour faire bonne mesure et frapper les esprits. On se croirait revenu une trentaine d’années en arrière lorsque le thème de « l’illettrisme » a fait irruption sur la scène politico-médiatique, avec le même type d’opération.</p>
<h2>Approximations statistiques</h2>
<p>À partir d’une étude de la Direction de l’évaluation et de la prospective qui avait conclu qu’entre 72 % et 80 % des élèves de CM2 sont capables, selon le degré de difficulté des textes qui leur sont présentés, d’en saisir globalement le sens et d’y prélever des informations pertinentes, le recteur Michel Migeon avait choisi dans un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1989/03/25/pour-lutter-contre-l-echec-scolaire-le-rapport-migeon-propose-un-apprentissage-continu-de-la-lecture-de-la-maternelle-au-college-un-sur-cinq_4112730_1819218.html">rapport publié en 1989</a> de faire une lecture « par défaut » des données de l’étude.</p>
<p>« Par soustraction, affirmait-il, on peut déduire qu’un minimum de 20 % de jeunes quitte l’école primaire sans savoir lire ». Il en tirait la conclusion spectaculaire, et alarmiste, qu’un cinquième des jeunes quittent l’école sans savoir lire et sont « illettrés ».</p>
<p><a href="https://www.reseau-canope.fr/musee/collections/fr/museum/mne/les-politiques-scolaires-mises-en-examen-douze-questions-en-debat/73419d44-d16b-4a94-b376-5adadc7587ae">Succès garanti</a> sur la scène politico-médiatique, avec un emballement et une surenchère dans le gonflement statistique (ou l’approximation à géométrie variable). Dans une déclaration au <em>Monde</em> du 3 mai 1993, François Bayrou indique ainsi qu’« il faut engager une politique ambitieuse pour réduire de moitié en cinq ans le nombre des enfants – 30 % actuellement – qui ne savent pas comment lire et comprendre un texte simple ».</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1478020455093223425"}"></div></p>
<p>Le 29 mars 1995, au cours de la campagne des présidentielles, Jacques Chirac proclame qu’il ne se résout pas « à accepter une situation où près d’un enfant sur deux entre en sixième sans comprendre ce qu’il lit ». La même année, il évoque « 40 % d’illettrés fonctionnels ». Le 21 janvier 1996, dans un point de vue publié dans Le Monde, il met en exergue l’interrogation suivante : « Doit-on rappeler que 30 % des élèves admis en sixième ne savent pas correctement lire ? »</p>
<h2>Familles de lecteurs</h2>
<p>On perçoit bien ici les <a href="https://www.cairn.info/l-invention-de-l-illettrisme--9782707131546-page-193.htm?contenu=plan">ambiguïtés qui sont en jeu</a> dans la notion d’« illettrisme ». De quoi s’agit-il au juste ? De quoi parle-t-on ?</p>
<p>Pour mieux comprendre le phénomène, il faut en revenir au rapport de mission d’Alain Bentolila, nommé en 1996 « chargé de mission nationale sur l’illettrisme et l’échec scolaire » par le président de la République Jacques Chirac. Depuis 1990, il collabore aux enquêtes du ministère de la Défense sur le niveau de lecture des conscrits, et <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1997/09/11/un-jeune-sur-dix-rencontre-des-difficultes-en-lecture-selon-une-etude-de-l-insee_3780510_1819218.html">son rapport daté de juin 1997</a> mérite d’être longuement cité : il marque à la fois un certain tournant historique tout en commençant par une mise en garde toujours d’actualité :</p>
<blockquote>
<p>« Ceux-là mêmes qui ont eu la charge de définir et de mettre en œuvre une stratégie cohérente de lutte contre l’illettrisme ont accumulé erreurs et approximations dans l’indifférence d’un monde politique plus préoccupé de se servir de l’illettrisme que de veiller à son éradication ».</p>
</blockquote>
<p>Pour sa part, Alain Bentolila considère avoir mis au point un test fiable, fidèle et probant pour évaluer et classer les performances en lecture des conscrits. Il souligne que, depuis que cette évaluation a commencé, en 1990, les résultats au test obtenus chaque année n’ont varié que dans des proportions insignifiantes.</p>
<p>Cinq « familles » de « lecteurs » ont pu être distinguées qui correspondent chacune à un même seuil de performance.</p>
<ul>
<li><p>La famille A regroupe des individus qui se situent en deçà de la lecture de mots simples et isolés ; on peut considérer que l’on a affaire à des personnes en situation d’analphabétisme.</p></li>
<li><p>La famille B comprend ceux qui sont en deçà de la lecture de phrases simples et qui ne sont capables que d’identifier des mots isolés.</p></li>
<li><p>La famille C rassemble les personnes qui se trouvent en deçà de la lecture de textes courts, même s’ils sont capables de lire des phrases simples.</p></li>
<li><p>La famille D regroupe les individus qui sont certes capables de lire des textes courts, mais qui se situent en deçà de la lecture approfondie d’un texte ; ils ne sont capables que d’en extraire quelques informations explicites.</p></li>
<li><p>La famille E rassemble les personnes qui sont capables d’une lecture approfondie d’un texte.</p></li>
</ul>
<p>En 1995, les résultats sont les suivants : « 1 % des jeunes adultes sont analphabètes (famille A) ; 3 % ne dépassent pas la lecture d’un mot simple isolé (famille B) ; 4 % sont limités à la lecture de phrases simples isolées (famille C) ; 12 % ne sont capables que de la lecture superficielle d’un texte court et simple (famille D) ; 80 % ont la capacité de lire un texte de façon approfondie (famille E) ».</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/jKH2wRqkFsM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Zoom sur l’illettrisme (Vie Publique, 2021).</span></figcaption>
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<p>Il est bien sûr possible de mettre en question tel ou tel aspect de ce test. Mais il a apporté au moins quelque raison d’ordre technique dans une question diablement confuse, traitée trop souvent de façon sauvage, voire furieuse. Il a été à la base de la « cotation » des tests de lecture des conscrits ; et il l’est resté pour l’essentiel pour ceux des « journées citoyennes d’appel à la défense ».</p>
<h2>Une évaluation complexe</h2>
<p>Il reste que l’acte de lecture est éminemment complexe, difficile à saisir et à évaluer. Beaucoup dépend non seulement des « types » de lecteurs, mais aussi de la variété des textes, des exigences et des modes d’activité de lecture. À cet égard, les modalités d’activité de nos cerveaux réservent bien des surprises et l’on est certainement loin de les avoir toutes recensées. On peut en citer certaines, parmi bien d’autres, juste pour voir.</p>
<p>Par exemple, pouvez-vous lire ce qui suit, malgré l’inversion des lettres ? « is vuos pvueoz lrie ccei, vuos aevz asusi nu dôrle de cvreeau. Puveoz-vuos lrie ceci ? Seleuemnt 55 porsnenes sur cnet en snot cpalabes. »</p>
<p>Selon une recherche menée à l’Université de Cambridge, il n’y a pas d’importance dans la manière dont les lettres d’un mot apparaissent, l’essentiel étant que la première et la dernière lettre du mot soient à la bonne place. La raison serait que le cerveau humain ne lit pas les mots lettre par lettre mais <a href="https://www.huffingtonpost.fr/2013/03/15/mots-dans-le-desordre-pou_n_2884011.html">plutôt comme un tout</a>.</p>
<p>On bien que lisez vous dans « J’a.me ma fe.me » ? « J’aime ma femme », ou bien « j’aime ma ferme » ou bien « j’arme ma ferme », ou bien « j’arme ma femme » ? Ce qui « saute aux yeux », ne serait-il pas avant tout « ce que l’on a en tête » ?</p>
<p>In fine, il s’avère que « l’illettrisme » – dans le débat public – est plutôt une façon de s’exprimer (souvent dramatisante, pour des raisons politiques) qu’une réalité évaluée de façon rigoureuse, précise et délimitée.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/174478/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Lelièvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le sujet de « l’illettrisme » a fait irruption sur la scène politico-médiatique il y a une trentaine d’années et souffre régulièrement d’approximations et de gonflements statistiques.Claude Lelièvre, Enseignant-chercheur en histoire de l'éducation, professeur honoraire à Paris-Descartes, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1738552021-12-20T18:52:41Z2021-12-20T18:52:41ZCes livres de jeunesse qui font Noël<p>Les premiers textes pour enfants associés à Noël ont été écrits au XIX<sup>e</sup> siècle et opposent souvent la pauvreté, la solitude et le manque à l’opulence générée par la magie et le rêve. L’on peut penser par exemple à <a href="https://www.jose-corti.fr/titres/Contes-pour-les-entants-et-la-maison..html"><em>Hansel et Gretel</em></a> des frères Grimm, mais aussi à <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-pieds-sur-terre/la-petite-fille-aux-allumettes-0"><em>La Petite fille aux allumettes</em></a> de Hans Christian Andersen. Des classiques régulièrement revisités par des auteurs et des artistes, comme <a href="https://www.editionsdesgrandespersonnes.com/portfolio_page/pacovska-kveta/">Květa Pacovská</a>, dont l’œuvre a été couronnée en 1992 par le <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Prix_Hans-Christian-Andersen">Prix Hans-Christian-Andersen</a>, en quelque sorte le Nobel du livre pour enfants.</p>
<p>Cette artiste plasticienne a illustré en 2005 un <a href="https://www.lecteurs.com/livre/la-petite-fille-aux-allumettes/1848137">album</a> qui présente l’histoire originale d’Andersen traduite par Danièle Ball-Simon. Les dessins proposés dans cet album sont visuellement très contrastés, permettant au jeune enfant de mieux saisir la situation initiale très dure ainsi que l’échappée dans le monde onirique des visions enchantées.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438250/original/file-20211217-25-1ifkcll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438250/original/file-20211217-25-1ifkcll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=754&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438250/original/file-20211217-25-1ifkcll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=754&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438250/original/file-20211217-25-1ifkcll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=754&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438250/original/file-20211217-25-1ifkcll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438250/original/file-20211217-25-1ifkcll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438250/original/file-20211217-25-1ifkcll.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=947&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.ecoledesloisirs.fr/livre/allumette">L’École des Loisirs</a></span>
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<p>Sur le même thème, un autre artiste, <a href="https://www.tomiungerer.com/">Tomi Ungerer</a> nous propose une réécriture beaucoup plus positive de ce conte dans un petit ouvrage intitulé <a href="https://www.ecoledesloisirs.fr/livre/allumette"><em>Allumette</em></a>. Cette histoire débute dans les mêmes conditions matérielles que l’histoire d’Andersen mais évolue très différemment. Les visions de la jeune héroïne y deviennent réalité et le ciel lui offre tellement de cadeaux et de nourriture qu’elle décide de partager son butin avec toute la ville, réduisant ainsi la pauvreté. Tout comme dans l’original, l’auteur nous propose une lecture engagée contre la pauvreté.</p>
<h2>Des classiques aux modernes</h2>
<p>Dans le même esprit, une des histoires qui a le plus marqué les traditions de Noël est le <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/contes-de-noel-0"><em>Conte de Noël</em></a>, publié en 1842 par Charles Dickens et qui retrace la nuit de Noël d’Ebenezer Scrooge, un homme avare recevant la visite de trois esprits : les fantômes des Noëls passé, présent et futur. L’expérience va lui permettre de reconnaître ses travers et de véritablement comprendre la signification de Noël.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/PcNLFXSdO5A?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Adaptation par Disney du « Christmas Carol » de Dickens.</span></figcaption>
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<p>Les <a href="https://www.proquest.com/openview/3386838837c498708bc0007c452353a4/1?pq-origsite=gscholar&cbl=1818261">descriptions prolixes des festins</a> ont contribué à ancrer les plats traditionnels dans la culture populaire tels que les marrons, les oranges, citrons et pommes ainsi que la dinde rôtie, les diffusant au-delà des classes les plus aisées. Conseillée pour les enfants qui savent déjà bien lire, cette belle histoire de Noël permet de revenir aux sources des traditions festives.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438247/original/file-20211217-15-1mzuf2e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438247/original/file-20211217-15-1mzuf2e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=703&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438247/original/file-20211217-15-1mzuf2e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=703&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438247/original/file-20211217-15-1mzuf2e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=703&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438247/original/file-20211217-15-1mzuf2e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=883&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438247/original/file-20211217-15-1mzuf2e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=883&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438247/original/file-20211217-15-1mzuf2e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=883&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD-JEUNESSE/Albums-Junior/Quelqu-un-m-attend-derriere-la-neige#">Gallimard Jeunesse</a></span>
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<p>Le magnifique texte de <a href="https://www.franceculture.fr/personne/timothee-de-fombelle">Timothée de Fombelle</a>, <a href="https://www.gallimard-jeunesse.fr/9782075093668/quelqu-un-m-attend-derriere-la-neige.html"><em>Quelqu’un m’attend derrière la neige</em></a> (2019) travaille lui aussi sur les difficiles questions de solitude et d’inégalités à travers l’histoire d’un livreur de glaces et d’une hirondelle dont les destins vont se croiser pour permettre à un troisième personnage de survivre. C’est un texte touchant qui mêle réalisme et onirisme. Les illustrations douces de <a href="https://www.babelio.com/auteur/Thomas-Campi/237404">Thomas Campi</a> apportent de la profondeur et de la poésie au texte, que ce soit dans les paysages d’Afrique ou dans ceux recouverts de neige.</p>
<p><a href="https://www.bayard-editions.com/jeunesse/lecture-poche/des-7-ans/noel-a-tous-les-etages"><em>Noël à tous les étages</em></a> de <a href="https://www.ecoledesloisirs.fr/auteur/marie-aude-murail">Marie-Aude Murail</a> (publié dans <em>J’aime Lire</em> en 1998 puis republié en format livre en 2017) se déroule aussi au XIX<sup>e</sup> siècle : Jeanne tente de gagner assez d’argent pour aider son frère Hugues qui est gravement malade. Comme dans les autres histoires que nous avons évoquées, le retournement de situation s’opère grâce à la magie de Noël qui permet à Hugues de retrouver la santé et à Jeanne de trouver l’amour.</p>
<h2>Du papier à l’écran</h2>
<p>Cette magie de Noël est au cœur de deux autres textes jeunesse, <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/comment-le-grinch-vole-noel"><em>Comment le Grinch a volé Noël</em></a> de Dr Seuss (traduit par Stephen Carrière) et <a href="https://www.grasset.fr/livres/le-bonhomme-de-neige-9782246063124"><em>Le Bonhomme de Neige</em></a> de <a href="https://www.babelio.com/auteur/Raymond-Briggs/82692">Raymond Briggs</a>.</p>
<p><em>Comment le Grinch a volé Noël</em> est en fait une réécriture du <em>Conte de Noël</em> de Charles Dickens, car le Grinch a les mêmes caractéristiques qu’Ebenezer Scrooge. Dans cet album écrit en rimes, le Grinch ourdit un plan pour gâcher le Noël des Chous, les habitants de Chouville, en leur volant cadeaux et nourriture de fête.</p>
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<figcaption><span class="caption">Bande-annonce du film Le Grinch (2018).</span></figcaption>
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<p>Mais il va vite comprendre que « Noël est blotti/Dans les cœurs et les têtes », bien au-delà des possessions matérielles. L’histoire du Grinch peut être découverte en <a href="https://www.imdb.com/title/tt0060345/">album ou dessin animé</a> ou encore en <a href="https://www.imdb.com/title/tt2709692/">film animé</a>. Ces formats différents ont permis à ce texte de véritablement <a href="https://www.proquest.com/openview/8e6147e654cb7cc71a2684fd8a9474ec/1?pq-origsite=gscholar&cbl=1820942">faire partie de la culture anglophone</a> et de devenir un classique pour Noël.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/438251/original/file-20211217-25-1p73d93.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/438251/original/file-20211217-25-1p73d93.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/438251/original/file-20211217-25-1p73d93.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/438251/original/file-20211217-25-1p73d93.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=846&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/438251/original/file-20211217-25-1p73d93.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/438251/original/file-20211217-25-1p73d93.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/438251/original/file-20211217-25-1p73d93.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1063&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.grasset.fr/livres/le-bonhomme-de-neige-9782246063124">Grasset Jeunesse</a></span>
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<p>Le deuxième classique de la saison est le très bel album de Raymond Briggs, <em>Le Bonhomme de Neige</em>. Publié pour la première fois en 1978, il propose de magnifiques illustrations pastel organisées en cases de bande dessinée sur la page mais ne contenant aucun texte. C’est donc à l’adulte ou à l’enfant de narrer l’histoire du petit garçon fabriquant un bonhomme qui va prendre vie.</p>
<p>Les aventures des deux héros sont pleines de magie et de rires et permettent aux jeunes enfants qui ne savent pas encore lire de suivre l’histoire à travers les images. <a href="https://vodkaster.telerama.fr/films/le-bonhomme-de-neige/431548">Un film d’animation</a> a été tiré de l’album en 1982 et peut permettre de continuer l’immersion dans ce monde magique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/173855/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eléonore Cartellier ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>D’Andersen à Timothée de Fombelle ou Marie-Aude Murail, retour sur quelques-uns de ces récits qui façonnent notre imaginaire autour des fêtes de fin d’année.Eléonore Cartellier, Docteur en littérature britannique, Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1720832021-12-16T20:04:56Z2021-12-16T20:04:56ZÉdition : comment les textes de l’Antiquité sont-ils parvenus jusqu’à nous ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/437810/original/file-20211215-17-1kufi5w.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C0%2C829%2C638&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Rouleau imprimé, Cronica cronicarum
Paris, François Regnault et Jacques Ferrebouc pour Jean I Petit, 1521 - Vélin 55 x 531 cm
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://classes.bnf.fr/livre/grand/299.htm"> BnF, Réserve des livres rares, Rés. Vélins-15 et 16</a></span></figcaption></figure><p>À une époque <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/la-culture-woke-a-l-assaut-d-homere-et-de-platon-20210624">où certains</a> se demandent pourquoi <em>il faut encore</em> lire les textes de l’Antiquité, il ne me semble pas inutile de rappeler pourquoi <em>il est encore possible</em> de les lire. En effet, si rien ne s’interpose entre l’auteur contemporain et son livre, si le texte est celui que l’auteur a définitivement écrit, exception faite des fautes d’impression ou autres coquilles, des siècles séparent les éditions contemporaines du texte écrit par ces auteurs qui vivaient bien avant notre ère. Comment est-il donc possible de lire encore les textes de l’Antiquité aujourd’hui ?</p>
<h2>Un changement… de taille</h2>
<p>Le premier événement majeur pour la transmission des textes de l’Antiquité se produit entre le II<sup>e</sup> et le IV<sup>e</sup> siècle de notre ère : le rouleau est abandonné au profit du codex, livre qui a à peu près l’apparence qu’on lui connaît aujourd’hui. Il est <a href="http://classes.bnf.fr/livre/grand/299.htm">beaucoup moins volumineux que le rouleau</a>, donc plus facile à manipuler -</p>
<p><em>Le Banquet</em> de Platon devait tenir sur un rouleau de 7 m ! – et pouvait contenir davantage de texte. Voici ce qu’écrit à ce sujet le poète Martial dans ses <em>Épigrammes</em> (I, 2, 1-4) :</p>
<blockquote>
<p>« Toi qui souhaites avoir partout avec toi mes petits livres et qui les veux comme compagnons pour un long voyage, achète ceux que le parchemin condense en de courtes pages. Réserve ta bibliothèque aux gros livres, moi je tiens dans une seule main. »</p>
</blockquote>
<p>Mais le passage d’un support à l’autre signifie <a href="http://classes.bnf.fr/livre/grand/263.htm">qu’il fallut transcrire toute la littérature</a> ! Ce fut le premier filtre par lequel les textes classiques durent passer.</p>
<p>C’est entre le IX<sup>e</sup> et le X<sup>e</sup> siècle qu’on trouve le deuxième filtre majeur par lequel la littérature classique est passée : il s’agit de la translittération, c’est-à-dire le passage de l’onciale (graphie créée à partir de la majuscule) à la minuscule. L’onciale, même si elle était d’un excellent effet, était si grande qu’une page ne pouvait contenir que peu de texte. Quand la matière première se fit plus rare, on adopta pour le livre l’écriture utilisée pour les lettres, documents, rapports, à savoir la minuscule qui présentait, en outre, l’avantage de pouvoir être écrite très vite, contrairement à l’onciale, longue à tracer.</p>
<p>Cette dernière fut progressivement abandonnée et, à la fin du X<sup>e</sup> siècle, elle n’était plus utilisée que pour des ouvrages liturgiques particuliers ou pour le début des livres ou des chapitres.</p>
<p>En translittérant, le copiste faisait parfois des erreurs et, en de nombreux endroits, on trouve dans tous les manuscrits existants les mêmes fautes, qui semblent provenir d’une source unique : on admet donc qu’on ne faisait qu’une translittération d’un livre en onciale, mis ensuite au rancart, de sorte que le témoin en minuscule devenait la source de toutes les autres copies.</p>
<p>La transmission de certains textes ne tient qu’à un fil : si certains auteurs étaient si solidement ancrés dans la tradition littéraire et scolaire que leur survie ne faisait plus aucun doute (c’est le cas notamment de Virgile, Horace, Juvénal, Cicéron, Salluste, Pline l’Ancien, etc.), d’autres au contraire ne nous sont parvenus que de façon extraordinaire. C’est le cas, par exemple, du manuscrit du V<sup>e</sup> siècle de la cinquième décade de l’historien latin Tite-Live <a href="https://www.persee.fr/doc/scrip_0036-9772_1986_num_40_1_1426">qui parvint jusqu’au XVIᵉ siècle sans avoir même été copié</a>.</p>
<p>Au XIII<sup>e</sup> siècle, le patrimoine classique connaît de nouvelles avanies : on abandonne la fréquentation des Anciens pour des manuels plus pratiques qui n’en conservent que des extraits ou des <em>exempla</em>. Puis, avec la chute de Constantinople, la tradition philologique passe aux mains des humanistes italiens.</p>
<p>C’est l’époque de la redécouverte de la culture classique. L’érudit de la fin de la Renaissance avait accès à presque autant d’œuvres grecques et latines que nous aujourd’hui. Les traductions (du grec en latin, et du grec et du latin vers les langues nationales) avaient mis une bonne partie de la littérature antique à portée du grand public.</p>
<p>Depuis la fin du XVII<sup>e</sup> siècle, rares sont les découvertes d’un texte ancien inconnu. Néanmoins au XIX<sup>e</sup> siècle une nouvelle série de découvertes s’amorça quand on comprit que des textes classiques étaient encore dissimulés dans l’écriture inférieure des palimpsestes. Du grec <em>palin</em> (de nouveau) et <em>psao</em> (gratter), ce terme désigne « ce qu’on gratte pour écrire de nouveau ». Ce sont donc des manuscrits dont l’original a été lavé pour faire place à une œuvre plus demandée. On découvrit ainsi sous le commentaire de Saint Augustin sur les psaumes le <a href="https://www.persee.fr/doc/crai_0065-0536_1938_num_82_6_77101"><em>De Republica</em> de Cicéron qu’on croyait définitivement perdu</a> !</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/436080/original/file-20211207-25-1n9x34s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436080/original/file-20211207-25-1n9x34s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436080/original/file-20211207-25-1n9x34s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=829&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436080/original/file-20211207-25-1n9x34s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=829&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436080/original/file-20211207-25-1n9x34s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=829&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436080/original/file-20211207-25-1n9x34s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1041&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436080/original/file-20211207-25-1n9x34s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1041&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436080/original/file-20211207-25-1n9x34s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1041&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Palimpseste du <em>De Republica</em> de Cicéron (IVᵉ siècle et VII–VIIIᵉ siècle).</span>
<span class="attribution"><span class="source">MS. Vat. Lat. 5757, Biblioteca vaticana</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Des copies médiévales aux éditions imprimées d’aujourd’hui</h2>
<p>Comment passe-t-on des textes copiés et recopiés dans des manuscrits par les savants du Moyen Âge et de la Renaissance aux textes qui se trouvent sur les rayons de nos bibliothèques ? C’est là qu’intervient le travail de l’éditeur.</p>
<p>Éditer, c’est retrouver une tradition, c’est essayer de remonter de nos documents à l’original dont on est séparé par des intermédiaires plus ou moins nombreux, parfois perdus ou fragmentaires. Cette attitude « scientifique » du philologue est assez récente puisqu’il faut attendre le XIX<sup>e</sup> siècle <a href="https://journals.openedition.org/rgi/1281">pour voir apparaître, grâce à Lachmann</a>, la critique des textes, c’est-à-dire la reconstitution des témoins perdus et le classement comparé des variantes. Il s’agit de reconstruire un texte ancien à partir de l’étude comparative de l’ensemble de la tradition manuscrite par laquelle il nous est parvenu.</p>
<p>Malheureusement, on ne peut jamais remonter à l’original, mais au terme d’une recherche qui s’apparente un peu à une enquête, on est en mesure de reconstituer ce qu’on <em>estime être</em> le texte original. Cette reconstitution se présente sous la forme d’un schéma qu’on appelle <em>stemma</em>, sorte de tableau généalogique des manuscrits sources d’une même œuvre. On distingue deux cas de figure quand on cherche à remonter à l’original d’un texte : ou bien il est possible de consulter les manuscrits qui contiennent l’œuvre de l’auteur (transmission directe), ou bien les manuscrits sont perdus et il faut aller à la pêche aux fragments disséminés çà et là (transmission indirecte).</p>
<p>À titre d’illustration, examinons pour terminer le travail de l’éditeur du texte de Tite-Live : il a pour tâche de consulter tous les manuscrits de l’auteur qui sont parvenus jusqu’à nous afin d’établir le texte qu’il estime le plus juste. Voici un manuscrit de Tite-Live (l. XXIII) du V<sup>e</sup> siècle (planche XI), conservé à la BNF sous la cote MS. lat. 5730 (fol. 77v), et voici, en regard, le texte édité aux Belles Lettres (2003).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/436082/original/file-20211207-149721-9b1z1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/436082/original/file-20211207-149721-9b1z1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/436082/original/file-20211207-149721-9b1z1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=560&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/436082/original/file-20211207-149721-9b1z1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=560&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/436082/original/file-20211207-149721-9b1z1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=560&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/436082/original/file-20211207-149721-9b1z1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=704&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/436082/original/file-20211207-149721-9b1z1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=704&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/436082/original/file-20211207-149721-9b1z1n.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=704&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Manuscrit de Tite-Live (l. XXIII) du Vᵉ siècle.</span>
<span class="attribution"><span class="source">MS. lat. 5730 (fol. 77v), BnF</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Comme l’indiquent les crochets droits, l’éditeur de Tite-Live, Paul Jal, ne conserve pas le premier mot <em>Haec</em> qu’on trouve pourtant dans le manuscrit.</p>
<p>Et comme l’indiquent les crochets pointus, Paul Jal ajoute le mot <em>castraque</em> qu’on ne trouve pas dans le manuscrit ; il suit en cela la conjecture de l’éditeur Valla (c’est ce qu’il note en bas de page dans ce qu’on appelle un apparat critique).</p>
<p>Le travail du philologue est donc le dernier maillon dans la longue chaîne de la transmission des textes antiques jusqu’à nous. Le défi qu’il doit relever aujourd’hui se situe dans le passage de l’imprimé au numérique. Les avantages d’une édition numérique sont nombreux : non seulement le texte lui-même peut être enrichi de commentaires, traductions multiples, annotations grammaticales, métriques, etc. mais, grâce à l’encodage TEI.xml (la <em>Text Encoding Initiative</em> a pour objet de fournir des recommandations pour la création et la gestion sous forme numérique de tout type de données créées et utilisées par les chercheurs en sciences humaines, comme les sources historiques, les manuscrits, les documents d’archives, les inscriptions anciennes, etc.), le texte et son apparat peuvent être transformés en une base de données complète consultable par le lecteur en fonction de ses besoins. </p>
<p>Or, <a href="https://iris.unipa.it/retrieve/handle/10447/294132/580748/monella2018why.pdf">il n’existe encore que très peu d’éditions critiques numériques</a> qui présentent à la fois un appareil critique complexe et argumenté s’inscrivant dans la longue tradition philologique et un <a href="https://jdmdh.episciences.org/6536">jeu de données permettant l’analyse et l’interprétation</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/172083/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Estelle Debouy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Quand on prend, sur le rayon de sa bibliothèque, « l’Odyssée » d’Homère ou le dernier polar de Christian Jacq, rien ne les distingue matériellement… Et pourtant !Estelle Debouy, Docteur en études latines, professeur agrégé de lettres classiques, Université de PoitiersLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1670662021-09-26T16:32:08Z2021-09-26T16:32:08ZApprendre à « grandir », un combat à mener avec Susan Neiman<p>Que veut dire « grandir » ? La question devrait hanter tous les parents, et tous ceux qui ont pour tâche d’accompagner les enfants dans leur chemin vers l’âge adulte. Elle est pourtant rarement posée. Pourquoi ? Peut-être, répond la philosophe américaine <a href="http://www.premierparallele.fr/auteur/susan-neiman">Susan Neiman</a>, parce que la peur de grandir cache la peur de vieillir, qui elle-même cache la peur de mourir, c’est-à-dire, paradoxalement, la peur de vivre !</p>
<p>Dans une société fascinée par les images de la jeunesse, un double combat contre notre « réticence à grandir » est alors nécessaire. Ce combat, Susan Neiman s’y engage résolument, et courageusement, dans un ouvrage que tout éducateur devrait lire, et dont les éditions Premier Parallèle proposent une traduction depuis ce 2 septembre 2021. Sous-titrée <em>Éloge de l’âge adulte à une époque qui nous infantilise</em>, <a href="http://www.premierparallele.fr/livre/grandir">sa réflexion</a> vise à montrer la réalité du « grandir », comme processus inéluctable pour une vie humaine, et sa légitimité, comme objectif incontournable de l’action éducative. Car grandir est à la fois un fait, indiscutable ; et un idéal, « qui mérite qu’on s’y attelle ».</p>
<p>Dans ce livre qui « se veut utile », la philosophe entend montrer ce que signifie « mûrir comme il se doit », afin de pouvoir dire comment on peut « accompagner intelligemment une vie ». Son sujet est le même que celui de l’<a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/rousseau/emile-education/propos-oeuvre"><em>Émile ou De l’éducation</em>, de Rousseau</a>, « la seule œuvre philosophique intégralement consacrée au fait de grandir », estime-t-elle.</p>
<h2>Une nécessité à accepter</h2>
<p>L’ouvrage nous rappelle ainsi que, du fait de l’inachèvement humain, grandir est une nécessité fondamentale. Nous naissons complètement démunis, et notre survie dépend de toute une série de conquêtes (d’ordre cognitif, moteur, affectif, et social) qui s’effectuent non seulement pendant l’enfance et l’adolescence, mais tout au long de la vie. Le « processus » qui fait de chacun un être (pleinement) humain est « un processus qui ne finit jamais ». L’enfant est en ce sens « l’affirmation vivante de la transcendance humaine », selon les mots de Simone de Beauvoir, en apportant quelque chose de radicalement neuf, et en n’étant jamais réductible à ce qu’il est à un moment déterminé.</p>
<p>Si l’on n’accepte pas de reconnaître la positivité immédiate du « grandir », c’est souvent parce que l’on refuse l’appauvrissement et le rétrécissement qui seraient la marque de l’âge « adulte ». Mais il faut distinguer lucidité et résignation. Être adulte, ce n’est pas se résigner à une vie étriquée, et de moindre intérêt. On doit accepter les incertitudes, et renoncer à certains rêves, en quittant le monde de l’illusoire pour celui de la réalisation de soi.</p>
<p>Certes, la vieillesse est à l’horizon de la plus belle vie du monde, et elle a souvent été perçue comme un naufrage. Mais elle peut avoir « de l’éclat », et « l’humanité, la créativité et le développement de soi se poursuivent, au-delà des flops, des chutes, des excès et des erreurs ».</p>
<h2>Des mécanismes sociaux d’infantilisation</h2>
<p>Toutefois, la question « à quoi bon grandir ? » surgit d’une façon cruelle si l’on prend en compte ce que Susan Neiman désigne comme « l’horreur conceptuelle de notre monde », autrement dit la négativité d’une époque où triomphe le néo-libéralisme. Car « les structures sociales dans lesquelles nous évoluons sont conçues pour que nous restions puérils ».</p>
<p>On aimerait alors en savoir plus sur les mécanismes qui nous maintiennent dans l’aliénation de l’immaturité, et nous font patauger dans « les marécages de l’adolescence ». Ces mécanismes « destinés à infantiliser les sujets » sont désormais « plus subtils mais pas moins puissants, et certainement plus envahissants » que les mécanismes de type féodal. Il n’est pas sûr qu’il suffise de désigner l’État, qui voudrait nous empêcher de « penser de manière indépendante », et la culture dominante, « qui ne veut pas d’adultes ».</p>
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<figcaption><span class="caption">« Why we need to grow up », Susan Neiman (Institute of Art and Ideas, 2019).</span></figcaption>
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<p>C’est la question de la possibilité même du changement qui est posée. L’espoir de passer d’une société qui infantilise à une société qui permet de grandir n’est-il pas illusoire ? Il faudrait pouvoir changer à la fois les individus, et les structures.</p>
<p>On rejoint la difficile question de la formation des formateurs. Seuls des individus libres pourraient construire une société de liberté. Mais d’où peuvent provenir ces adultes, dans une société qui infantilise et aliène ? Tel est le paradoxe sur lequel s’est penché Rousseau. Qui pourra commencer ? D’où viendra le miracle ? Susan Neiman ne répond pas vraiment. On peut retenir en tout cas que, si un tel miracle de l’émergence d’une société adulte dans un monde qui n’en veut pas n’a rien de certain, ni même de probable, il n’est pas impossible. Guy Béart ne chantait-il pas : « Le miracle vient de partout » ? Mais toute « solution » ne peut être que « partielle ».</p>
<h2>Un gouffre entre idéal et réalité</h2>
<p>Il ne suffit pas de vouloir grandir, et d’avoir la possibilité de le faire. Encore faut-il savoir comment s’y prendre. L’un des grands mérites de l’ouvrage de Suzan Neiman est d’apporter des réponses concrètes, en proposant, et en décrivant minutieusement, trois voies privilégiées pour « devenir adulte », à savoir l’éducation, les voyages, et le travail.</p>
<p>Les pages consacrées à ces trois voies proposent des analyses aussi fouillées que passionnantes, sur la crise de l’éducation, la difficulté d’être parent, l’importance de la lecture, les dangers d’Internet et des écrans, l’intérêt et les inconvénients des voyages, l’avenir du travail ; et permettent à l’auteur de préciser sa critique de l’économie néo-libérale.</p>
<p>Mais avant (ou, à tout le moins, grâce à ces trois « expériences »), il faut, pour grandir, avoir fait l’expérience du « gouffre », ou du « fossé », qui, à la fois, sépare, et unit, réel et idéal. Il faut « reconnaître l’abîme qui sépare le “est” du “devrait être” tout en essayant de préserver chacun de ces deux modes ».</p>
<p>L’expérience cardinale du devenir adulte est la prise de conscience « du gouffre qui sépare ce qui est de ce qui devrait être ». C’est l’expérience de la réalité, mais en même temps, de l’insuffisance, des choses. Et aussi l’expérience de la transcendance (car « le “devrait” n’appartient pas au monde ») et de la valeur de l’exigence morale, à travers la découverte des « idéaux de la raison ». C’est la découverte de la « dimension normative » de l’existence humaine. On pourrait dire, avec Alain : se savoir esprit.</p>
<p>Être adulte, c’est donc accepter de continuer à vivre un pied dans le réel, et un pied dans l’idéal, en ayant compris que ces deux « modes » sont d’égale importance. Dans un « équilibre fragile, sur lequel nous devons sans cesse veiller ».</p>
<h2>Grandeur et limites d’un combat philosophique</h2>
<p>En posant la question du sens du processus « grandir », on est conduit à s’interroger sur la possibilité même de dire le sens. Qui est qualifié pour cela ? L’acharnement à imaginer un monde qui fasse sens n’a-t-il pas quelque chose d’insensé ? L’auteur distingue deux types d’ouvrages : les ouvrages philosophiques, et les autres, qu’on peut qualifier d’empiriques. Le livre <a href="http://www.premierparallele.fr/livre/grandir"><em>Grandir</em></a> appartient aux deux catégories. L’ouvrage prétend à la vérité des travaux empiriques, qui présentent des données factuelles, vérifiables. Mais aussi à la pertinence des travaux philosophiques, qui visent un autre type de vérité. Laquelle ?</p>
<p>La réponse qu’apporte l’auteur éclaire aussi bien le travail philosophique que le travail éducatif. La philosophie est « l’éducation des adultes », en ce sens qu’elle cherche à répondre à des questions auxquelles on pensait avoir déjà répondu grâce à l’éducation reçue comme enfant, puis comme adolescent. Elle est remise en question de réponses qui, dans leur dimension de « vérités » allant de soi, étouffaient les questions existentielles auxquelles on pensait avoir pu répondre à peu de frais.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/aider-un-enfant-a-prendre-confiance-en-lui-les-conseils-de-trois-grands-philosophes-158590">Aider un enfant à prendre confiance en lui : les conseils de trois grands philosophes</a>
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<p>Cette remise en question radicale est présentée comme la tentative d’atteindre « l’Inconditionné », « ce point où le monde en tant que tout ferait entièrement sens », et où il n’y aurait plus besoin de poser des questions. Un point que personne ne peut prétendre atteindre, sauf à s’abandonner à un fondamentalisme difficilement défendable, qu’il soit religieux et/ou économique. Mais un « Inconditionné » jouant le rôle d’un « idéal régulateur » au sens de Kant, et dont l’identification et la poursuite sont comme des devoirs pour l’être humain.</p>
<p>C’est pourquoi l’analyse philosophique est si précieuse. Et pourquoi l’on prendra tant de plaisir à suivre Susan Neiman dans sa présentation si généreuse, et si pertinente, de travaux essentiels (entre autres) de Rousseau, de Kant, et d’Hannah Arendt. « La philosophie, pratiquée correctement, participe pleinement à l’art de devenir adulte », assure-t-elle. Nous ne pouvons que remercier l’auteur de « Grandir » d’en avoir fait la démonstration, par l’exemple…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167066/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Charles Hadji ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans une société hantée par le jeunisme et l’ombre de Peter Pan, la philosophe Susan Neiman invite à combattre la peur de grandir pour passer du monde de l’illusoire à la réalisation de soi.Charles Hadji, Professeur honoraire (Sciences de l’éducation), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1679522021-09-19T18:42:49Z2021-09-19T18:42:49ZDébat : Le mérite, un mythe à revisiter à l’heure de Parcoursup ?<p>Qu’il s’agisse de promouvoir un programme électoral ou de mobiliser leurs concitoyens dans un contexte difficile, les politiques recourent fréquemment à la rhétorique du mérite : contre l’assistanat et pour la juste récompense de chacun, <a href="https://www.cairn.info/le-merite-contre-la-justice--9782724611304-page-9.htm">comme Nicolas Sarkozy en 2007</a>, ou pour féliciter <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/a-lelysee-emmanuel-macron-tente-lexplication-de-texte-sur-les-premiers-de-cordee-3713504">« les premiers de cordées »</a>, qui réussissent par leurs talents, comme Emmanuel Macron en 2017.</p>
<p>Dans le même temps, de très nombreux essais sont publiés avec des titres évocateurs : <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/la-tyrannie-du-merite-9782226445599"><em>La tyrannie du mérite</em></a>, de Michael Sandel, <a href="https://www.franceculture.fr/oeuvre/lillusion-meritocratique"><em>L’illusion méritocratique</em></a>, de David Guilbaud, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/heritocratie-9782348042683"><em>Héritocratie</em></a>, de Paul Pasquali ou encore <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?GCOI=27246100169330"><em>Le mérite contre la justice</em></a>. Dans une collection récente de textes courts analysant de manière critique des mots « dévoyés par la langue au pouvoir » (selon la présentation des <a href="https://anamosa.fr/">éditions Anamosa</a>), l’ouvrage intitulé <em>Mérite</em> <a href="https://www.lemonde.fr/campus/article/2021/09/02/le-merite-est-un-mode-de-justification-des-inegalites-tres-commode_6093097_4401467.html">que publie la sociologue Annabelle Allouch</a> en cette rentrée 2021 s’inscrit donc dans une perspective critique qui n’a rien d’une mode.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-merite-est-il-encore-un-ideal-democratique-159488">Le mérite est-il encore un idéal démocratique ?</a>
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<p>Il vise, fidèle à l’orientation de la collection, à démontrer l’usage idéologique de cette notion, sans pour autant prétendre en renouveler l’analyse critique, ce qui serait une gageure vu l’abondance de travaux sur ce sujet et aussi bien sûr le format court du livre. L’auteure se centre sur le mérite tel qu’on le parle aujourd’hui, tel qu’on s’y réfère constamment, en insistant sur l’obsession contemporaine de la comparaison et de l’évaluation des personnes qu’il entraîne, quand des enjeux d’accès à un bien sont à la clé.</p>
<h2>Les grandes écoles et leurs concours</h2>
<p>L’ouvrage est émaillé d’anecdotes et de références personnelles et Annabelle Allouch va y donner beaucoup de place à l’utilisation de ces classements (prétendument) au mérite dans l’enseignement supérieur et notamment à Sciences Po. L’objectif est de comprendre non seulement « les usages de la rhétorique méritocratique mais aussi la manière dont son sens se transforme au fil du temps, du mérite républicain au mérite néo-libéral, du mérite des Grandes écoles à celui de Parcoursup »…</p>
<p>Ce premier parallèle donne le ton de l’ouvrage : le mérite républicain (celui des Grandes écoles ?) est connoté positivement, par opposition au mérite néo-libéral de Parcoursup…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/orientation-post-bac-linevitable-stress-de-parcoursup-161036">Orientation post-bac : l’inévitable stress de Parcoursup ?</a>
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<p>L’auteure dégage, dans les Grandes écoles (de fait essentiellement à Sciences Po), « les 3 âges du mérite », en se centrant donc sur un cas très particulier : à une sélection faisant tout pour exclure les femmes (à Sciences Po, dans les années 1940) et fondée davantage sur la cooptation va succéder, avec la massification scolaire, une prise en compte des résultats scolaires comme la forme de justice la plus évidente.</p>
<p>Un concours remplace une sélection sur dossier qui pouvait écarter les indésirables (ce fut un certain temps le cas des femmes). C’est la standardisation d’un mode de sélection académique qui semble alors la voie la plus correcte pour démocratiser l’accès à cette filière d’excellence.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/les-mots-de-la-science-m-comme-merite-167551">« Les mots de la science » : M comme mérite</a>
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<p>Mais, petit à petit, les analyses sociologiques font prendre conscience que l’évaluation de la valeur scolaire est biaisée par des critères sociaux et penche souvent en faveur des « héritiers », c’est-à-dire des jeunes disposant des références culturelles et du soutien économique familial. Ce sont à présent (à partir des années 1980, note l’auteure), les capacités de l’étudiant (son « potentiel ») qu’on veut tenter d’évaluer.</p>
<p>Les <a href="https://hal-sciencespo.archives-ouvertes.fr/hal-01064424/">« conventions d’éducation prioritaires »</a> sont mises en place, visant les jeunes « méritants » des zones populaires au nom du principe d’égalité des chances, et ouvrant une nouvelle voie d’accès à Sciences Po. Ainsi, on donne plus de poids à l’oral comme mode de sélection, non sans débats, puisque, comme le souligne l’auteure, les personnes en charge du recrutement n’ont pas forcément les mêmes lectures, tant la notion de mérite est plastique ! Tout en exigeant d’être justifiée : au-delà des élites ainsi sélectionnées, tout le monde doit y croire.</p>
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<figcaption><span class="caption">INA Sciences, reportage en 2006 sur une diplômée de Sciences Po issue de la voie d’admission par les Conventions d’éducation prioritaire.</span></figcaption>
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<p>Annabelle Allouch souligne avec raison que les choix des grandes écoles ont une portée symbolique puisqu’ils rendent publique la définition (actualisée) du mérite attendu de nos élites. En revanche, elle ne s’interroge pas sur le fait que cette évolution a touché très inégalement les différentes grandes écoles, celles à orientation scientifique ayant continué à donner (et donnent encore aujourd’hui, même si elles s’efforcent de démocratiser la préparation d’un concours inchangé) un poids très prééminent aux critères purement scolaires : savoir s’exprimer, savoir se vendre n’est guère utile pour réussir en maths ou en physique…</p>
<h2>La sélection post-bac</h2>
<p>Le jugement de l’auteure est sans appel : il y a une tendance profonde à une « dérégulation progressive d’une lecture traditionnelle du mérite scolaire (et des instruments qui sont censés l’incarner, comme la note à l’examen) en faveur d’une lecture néo-libérale », des facteurs comme la motivation ou les qualités d’expression prenant le pas sur les verdicts scolaires. Est-ce à dire que « c’était mieux avant » ?</p>
<p>L’étiquette globale de « néo-libéral » caractérise sans doute davantage une conception que l’on peut effectivement étiqueter libérale de l’éducation – une éducation qui doit servir la croissance économique –, avec à la clé une logique de compétition entre les diplômés pour les « meilleurs » emplois. Mais quand l’auteure écrit que la valeur des individus se calerait à présent sur leur productivité et non plus sur leur moralité, on peut se demander à quel âge d’or elle fait référence.</p>
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<figcaption><span class="caption">Interview d’Annabelle Allouch sur la « société du concours » (Xerfi Canal, 2019).</span></figcaption>
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<p>En fait, ce sont avant tout les procédures Parcoursup que vise Annabelle Allouch, quand on intègre dans les critères de sélection des éléments subjectifs comme les projets personnels des étudiants. Mais peut-on considérer que ce souci du « potentiel » efface la perspective d’« émancipation individuelle sous-jacente aux lectures socio-démocrates du mérite » ? C’est sans doute là plus une hypothèse qu’autre chose…</p>
<p>Le « mérite républicain » porteur d’idéaux comme l’« excellence pour tous », ou « l’ascenseur social pour tous », serait-il si exemplaire ? Il constitue pourtant une aporie si tant est que l’on considère, comme les étudiants d’ailleurs, que les diplômes doivent « servir » à quelque chose, et tant que les emplois sont inégaux. Car en arrière-plan de ce recours insistant au mérite, il y a la nécessité cruciale, pour toutes les sociétés qui ont rejeté le principe aristocratique pour répartir les emplois, de fonder cette répartition entre des positions sociales inégales sur un critère apparemment efficace et équitable.</p>
<p>Même si la critique du mérite est largement diffusée, peu se hasardent (y compris chez les sociologues les plus critiques) à contester radicalement l’articulation étroite entre formations et emplois qui existe en France…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/democratiser-les-grandes-ecoles-pourquoi-ca-coince-154247">Démocratiser les grandes écoles : pourquoi ça coince ?</a>
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<p>En fait, la polarisation de l’ouvrage sur Parcoursup, plus encore que sur l’évolution dite « néolibérale » des critères de sélection, se fonde sur la sélection elle-même. Ce dispositif « organise la pénurie de places à l’université », note l’auteure, et « relève de l’idée d’une régulation des flux d’étudiants », avec in fine l’affirmation selon laquelle le mérite est ici ce qui « légitime et justifie non seulement la sélection mais aussi la pénurie ». Un jugement discutable : serait-il plus juste de laisser (de manière libérale) les étudiants choisir librement leurs études et fermer les yeux (tout aussi libéralement) sur les aléas de leur réussite et de leur insertion ultérieures ?</p>
<h2>Réfléchir à la définition du mérite</h2>
<p>Certes, il faut contester l’optique technocratique qui domine aujourd’hui, bien loin des racines religieuses et morales du mérite que rappelle l’auteure. À l’opposé de cette définition actuelle du mérite comme ce qui va rendre les personnes efficaces dans la vie économique, faut-il revenir à un modèle autant scolaire que sélectif, à l’instar des grandes écoles de jadis ?</p>
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<figcaption><span class="caption">Comment changer l’école dans une société compétitive ? (Observatoire des inégalités, 2019).</span></figcaption>
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<p>Ne passe-t-on pas alors à côté de ce qui peut apparaître comme massivement plus injuste dans ce règne du mérite ? Car le mérite actuel ne souffre pas (ou pas seulement) de son caractère « néo-libéral » mais plutôt de ce qu’il disqualifie précocement toute une gamme de qualités moins classiquement scolaires. Parmi celles-ci, la créativité, certaines habiletés manuelles ou artistiques, l’aisance dans les rapports avec les autres, des intérêts ouverts qui débordent les programmes scolaires…</p>
<p>Et cela débouche sur la relégation de tous les jeunes – au moins la moitié d’une classe d’âge – qui n’entreront jamais dans l’enseignement supérieur et qui ne sont pourtant pas sans qualités (et que le monde du travail cherchera parfois comme des pépites pour des apprentissages.</p>
<p>L’ouvrage se clôt en soulignant la nécessité de débattre sur la définition du mérite que l’on s’accorde à faire prévaloir (dans la vraie vie et pas seulement quand il s’agit d’accéder à une classe préparatoire, pourrait-on ajouter), ainsi que sur la place que l’on peut donner à ce principe par rapport à d’autres principes de justice comme l’égalité et la solidarité.</p>
<p>L’ouvrage pose donc (à nouveau et avant tout au prisme de Parcourssup) la question des effets de cette enflure du mérite scolaire dans une société où les inégalités alimentent des enjeux de compétition sans fin ; et ce non sans effets psychologiques, sur les personnes elles-mêmes chez qui l’invocation du mérite est souvent très chargée émotionnellement : « malgré la faiblesse de son existence statistique, le mérite tire sa force sociale de son efficacité émotionnelle ». C’est ce qui explique notre attachement à cette notion, et ce qui justifie, encore et encore, de s’y intéresser !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/167952/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Duru-Bellat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les illusions de la méritocratie sont au cœur de nombreux ouvrages en librairie. Retour sur les questions soulevées par le travail de la sociologue Annabelle Allouch autour des concours.Marie Duru-Bellat, Professeure des universités émérite en sociologie, Observatoire sociologique du changement, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1590902021-04-25T16:30:20Z2021-04-25T16:30:20ZLoren Capelli en résidence : art de la spatialité et littérature de jeunesse<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/396763/original/file-20210423-19-3e2m8a.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1935%2C1140&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'artiste en résidence. </span> <span class="attribution"><span class="source">Service communication&culture INSPÉ de Lorraine, tous droits réservés</span></span></figcaption></figure><p>Soutenir la création et participer à la diffusion des œuvres, en interaction avec les professionnels du livre et de la culture, telle est une des missions des résidences d’auteurs. Paradoxalement, d’un point de vue économique, si le chiffre d’affaires du secteur jeunesse en France <a href="https://www.sne.fr/app/uploads/2020/10/RS20_Synthese_web.pdf">est particulièrement florissant</a> (351 millions d’euros, 2020), il faut savoir que les auteurs sont plus mal payés (5 ou 6 %) lorsqu’ils écrivent ou dessinent pour la jeunesse, qu’en littérature (10 %), comme cela a d’ailleurs pu être dénoncé par la <a href="https://www.la-charte.fr">« Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse »</a>. D’un point de vue sociologique, cela renvoie aussi au fait que, sans même parler de la question du statut de l’auteur, la littérature jeunesse (les femmes représentent 70 %) reste toujours peu considérée, alors qu’elle constitue une interface importante en tant qu’objet-livre, souvent le premier rapport des enfants à la littérature, pourtant sa légitimité reste encore à construire.</p>
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<p>S’inscrivant dans cette perspective, l’Institut National Supérieur du Professorat et de l’Éducation de l’Université de Lorraine (Inspé) et le Centre de recherche sur les médiations (Crem) ont créé un <a href="http://factuel.univ-lorraine.fr/node/16097">dispositif original</a> croisant résidence d’auteurs et laboratoire mobile.</p>
<p>Cette première résidence a reçu durant deux mois <a href="https://lorencapelli.fr">l’autrice-dessinatrice Loren Capelli</a> qui, outre des dessins de presse dans les colonnes du <em>New York Times</em>, a développé une œuvre exigeante et particulièrement inventive (gravure, céramique, collage), à la fois exposée (Salon du livre de Montreuil, 2013) et primée (Prix Sorcières, Grand Prix de l’Illustration Jeunesse, 2020).</p>
<h2>Comment habiter un espace ?</h2>
<p>Cette première résidence a été vécue par Loren Capelli comme une opportunité de repenser sa façon d’habiter l’espace en tant qu’« artiste qui fait des livres ». Il ne s’agissait pas simplement de venir travailler dans un lieu autre, loin de son atelier parisien, mais selon elle « d’être dans un mouvement propre aux liens, aux rencontres, à la saison, c’est-à-dire se déplacer dans plusieurs sens, s’extraire du quotidien pour être en mouvement d’une autre manière ». En quelque sorte, un déploiement spatial différent, un « accès au dehors » grâce au dispositif résidentiel, permettant l’expérimentation, la récolte des matériaux sur un nouveau terrain et en même temps, cette possibilité d’être en jachère, de « laisser infuser le travail, sans préoccupation de productivité ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/396765/original/file-20210423-23-1kweogi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/396765/original/file-20210423-23-1kweogi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/396765/original/file-20210423-23-1kweogi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/396765/original/file-20210423-23-1kweogi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/396765/original/file-20210423-23-1kweogi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/396765/original/file-20210423-23-1kweogi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/396765/original/file-20210423-23-1kweogi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’atelier Cap.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Loren Capelli</span></span>
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<p>Diplômée de l’École supérieure d’art d’Épinal, Loren Capelli se distingue par un cheminement créatif qui refuse de hiérarchiser les pratiques et qui préfère interroger la force du rapport texte-image, à travers un jeu constant de poids et contrepoids, tout en traitant de thématiques fortes (la disparition, le deuil, l’autre) et du plaisir de raconter. Son recours à la littérature de jeunesse traduit d’abord une volonté d’échanger avec les enfants et correspond aussi à une frustration de l’enfance, « celle de ne pas avoir eu un accès aux livres », qu’elle finit par apprivoiser par un détour, un autre espace, celui du dessin et du design.</p>
<p>En somme, le livre devient le lieu de la curiosité infinie, « une passerelle » vers l’enfance et sa propre enfance. Une libération qui la mène par exemple avec l’Album <em>Cap !</em> (2019) sur un autre territoire, dans les pas d’une fillette en forêt et qui offre une exploration sensorielle de soi et du monde, de multiples spatialités entremêlant un axe écologique et féministe. En même temps, cette œuvre aborde toute une dimension réflexive sous-jacente qui met en exergue sa pratique d’autrice, sa manière d’habiter ses travaux, de fabriquer ses territoires « en avançant à tâtons ». En écho, <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00113334/document">cette approche spatiale nous renvoie au concept d’« espace hodologique »</a> du philosophe et épistémologue du paysage Jean‑Marc Besse, envisagé ainsi comme une « spatialité vécue et construite par le cheminement » inhérente à l’expérience.</p>
<h2>Spatialités et médiations : investir les territoires</h2>
<p>Si l’autrice-dessinatrice avoue que « faire un livre, c’est découvrir un territoire », son projet de résidence a été pensé autour de la création d’un nouvel album jeunesse nommé <em>Jardin-enfants</em> qui constitue une manière de rentrer en contact avec les tout-petits et amène, par le biais de l’imaginaire végétal déployé, à s’interroger sur les fonctions de cet espace clos. Un lieu propice au vagabondage, qui rappelle les rêves d’un autre écrivain jardinier, architecte-paysagiste et botaniste, Gilles Clément, <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2016-4-page-137.htm">initiateur du concept de « jardin planétaire »</a> prônant le principe du « jardin en mouvement » inspiré par les dynamiques biologiques de la friche, dans lequel l’homme coopère avec la nature sans chercher à lui imposer un ordre. Entre espace public et espace sensible, Loren Capelli propose une ouverture sur le vivant à travers l’invention d’un parcours au sein d’un jardin-monde, terrain de jeu et d’apprentissage de la petite enfance.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/396766/original/file-20210423-15-1fma50o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/396766/original/file-20210423-15-1fma50o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/396766/original/file-20210423-15-1fma50o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/396766/original/file-20210423-15-1fma50o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=410&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/396766/original/file-20210423-15-1fma50o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/396766/original/file-20210423-15-1fma50o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/396766/original/file-20210423-15-1fma50o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=515&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une image de l’album Cap ! de Loren Capelli.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Loren Capelli</span></span>
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<p>Le plaisir de la rencontre est également un moteur créatif qu’elle a su développer grâce à de multiples immersions, par le biais principalement des médiations résidentielles : l’espace de la galerie d’exposition d’art contemporain de l’Inspé (Le Préau) accueillant une série de ses grands fusains et céramiques (« Floraisons nocturnes »), de l’école avec trois classes partenaires, de l’université en relation avec des professeurs-stagiaires en formation, du livre avec des ateliers de dessins éphémères en bibliothèque (Médiathèque de Maxéville), ainsi que des dédicaces en libraire et dans des festivals (Zinc Grenadine, Le Livre à Metz-Festival littérature & journalisme), et même l’espace virtuel, grâce à la mise en ligne d’une « lecture bruitée », d’une plongée performative dans l’univers sonore de son album jeunesse <em>Cap !</em> réalisée en collaboration avec la musicienne Marisol Mottez.</p>
<h2>Du terrain au laboratoire</h2>
<p>Cette résidence s’inscrit dans le laboratoire mobile, mis en place par le Crem et l’INSPÉ de Lorraine, portant sur la résidence d’auteurs, les médiations culturelles et l’éducation artistique et culturelle (EAC). L’enjeu de ce laboratoire mobile, en tant que forme inventive de la recherche est d’établir un dialogue entre le milieu scientifique, de la formation, de l’éducation, du livre et ceux de la création littéraire et artistique. Du terrain au laboratoire, il s’agit donc sous l’angle du dispositif résidentiel et de l’éducation culturelle, de mettre en place une réflexion intégrative sur les enjeux de la littérature à l’école, en sachant que le domaine du livre et de la lecture constitue un des axes prioritaires de la généralisation de l’EAC. Mais qu’en est-il réellement sur le territoire ? Quelle place est faite aux auteurs et autrices dans ce dispositif politique ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/159090/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Carole Bisenius-Penin ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Outre des dessins de presse dans les colonnes du New York Times, Loren Capelli a développé une œuvre exigeante et particulièrement inventive.Carole Bisenius-Penin, Maître de conférences Littérature contemporaine, CREM, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1572722021-03-23T19:02:53Z2021-03-23T19:02:53ZLes Français lisent-ils vraiment de moins en moins ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/391227/original/file-20210323-20-r62bgd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=28%2C23%2C3161%2C1767&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Retour sur une enquête qui fait référence.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/photographie-mise-au-point-selective-d-un-livre-ouvert-261821/">Pexels</a></span></figcaption></figure><p>Le Centre national du livre s’apprête à publier les résultats de son enquête bisannuelle sur les Français et la lecture : ce sera une occasion supplémentaire de chercher à mesurer l’évolution des pratiques de lecture. Mais dès à présent, voyons ce que nous dit l’enquête de 2018 sur les <a href="https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Etudes-et-statistiques/L-enquete-pratiques-culturelles">« Pratiques culturelles des Français »</a> de cette évolution.</p>
<p>Depuis des décennies, la lecture d’imprimés et notamment de livres suscite des discours inquiets. Le thème de « la baisse de la lecture » rassemble la diversité des acteurs du livre et, au-delà, nombre de lecteurs parmi les plus âgés. Elle donne lieu à des <a href="https://www.persee.fr/doc/estat_0336-1454_1990_num_233_1_5466">enquêtes de référence</a>. On aurait donc pu s’attendre, comme par le passé, à des réactions à la parution par le Ministère de la Culture des résultats de l’enquête sur les Pratiques culturelles des Français de 2018. Or, cette enquête qui existe depuis 1973 et fait autorité par la stabilité des questions qu’elle contient et par son large échantillon (9200 personnes interrogées en 2018) n’a guère suscité d’intérêt ni de gloses alors que la précédente édition datait de 2008. Pourtant, des éléments intéressants en ressortent.</p>
<h2>Une érosion confirmée de la lecture</h2>
<p>Alors que les <a href="https://www.credoc.fr/publications/barometre-du-numerique-2018-2">pratiques numériques</a> ne cessent de grignoter le temps d’attention des citoyens, il est intéressant de mesurer comment ont évolué les pratiques de lecture de livres. C’est toute la force de l’enquête du ministère de la Culture que de permettre de saisir, dans la longue durée, l’évolution de la situation grâce au recours à une question stable.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/390198/original/file-20210317-15-l95dsd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/390198/original/file-20210317-15-l95dsd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=509&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/390198/original/file-20210317-15-l95dsd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=509&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/390198/original/file-20210317-15-l95dsd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=509&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/390198/original/file-20210317-15-l95dsd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=640&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/390198/original/file-20210317-15-l95dsd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=640&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/390198/original/file-20210317-15-l95dsd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=640&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p>On peut analyser l’évolution de l’intensité de la pratique de la lecture d’abord en observant la part de non-lecteurs dans la population de 15 ans et plus. Lors de la première édition en 1973, cela concernait 30 % d’une population qui n’avait pas encore connu la démocratisation de l’enseignement secondaire. Peut-être du fait de ce processus, le taux de non-lecteurs est descendu à 26 % en 1981 et s’est stabilisé à 27 % en 1988.</p>
<p>Mais l’allongement continu de la scolarité tout comme l’accroissement systématique de l’offre de bibliothèques publiques n’auront pas empêché la remontée constante de la part de la population qui déclare n’avoir lu aucun livre dans l’année. Et les chiffres de 2018 marquent même une accentuation de ce recul du livre papier dans la population avec un niveau jamais atteint (38 %). L’évidence du geste de la lecture s’amenuise.</p>
<p>En 2018, près de ¾ des Français disent lire moins de 10 livres par an. On comprend les <a href="https://www.franceculture.fr/recherche?q=bachelot+gallimard">inquiétudes d’Antoine Gallimard</a> à propos de cette situation.</p>
<p>Toutefois, il convient de faire preuve de prudence, car, pour cette enquête comme pour les précédentes, la mesure de la pratique repose sur les déclarations des personnes interrogées. Assiste-t-on à une hausse du taux de non-lecteurs ou à l’expression plus aisée de l’absence de pratique de lecture ? L’affaiblissement du statut symbolique du livre facilite peut-être ce qui pouvait être antérieurement conçu comme un aveu par rapport à une pratique valorisée.</p>
<p>Si bien sûr il est nécessaire de savoir lire aujourd’hui, le rapport suivi à la lecture, l’investissement subjectif dans cette activité sont de moins en moins nécessaires à la réussite scolaire, à l’accès et à la vie des élites sociales, économiques ou politiques. Les discours sur l’incitation à la lecture cachent peut-être mal le <a href="https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00960462">recul du livre comme marqueur d’une appartenance à une élite</a>. La place, l’influence et l’aura des écrivains et des intellectuels dans notre société paraissent en recul et la fin d’une revue <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/09/04/avec-la-fin-de-la-revue-le-debat-c-est-l-intellectuel-francais-qui-disparait_6050912_3232.html">comme <em>Le Débat</em></a> semble acter cette situation.</p>
<h2>Un socle solide de lecteurs intensifs</h2>
<p>Mais cette première tendance demande à être nuancée par l’examen de l’évolution de la lecture intensive ou « assidue » pour reprendre la nouvelle dénomination du ministère. De 1973 à 2008, la part de lecteurs de 20 livres et plus dans l’année n’avait cessé de reculer. Elle avait diminué de moitié passant de 29 % à 14 %. Tout cela alimentait les analyses précédentes en termes de recul de la lecture et du livre. L’édition 2018 de l’enquête montre un coup d’arrêt à cette baisse qui aurait pu paraître inexorable. En effet, elle mesure à 15 % cette part de « gros lecteurs » (contre 14 % en 2008). Si la lecture est en baisse, la lecture intensive ne l’est plus. Elle semble avoir atteint une sorte de plancher en deçà duquel il ne serait pas possible de descendre étant donné la place de l’écrit dans notre société. Le livre demeure un repère, un univers indispensable pour cette minorité de la population.</p>
<h2>Effet d’âge et de génération</h2>
<p>L’évolution de la lecture de livres relève-t-elle d’un effet de vieillissement ou de renouvellement générationnel ? La répétition des enquêtes « Pratiques culturelles des Français » permet de suivre l’évolution des pratiques de lecture de chaque génération au cours de son avancée en âge. Le ministère a fourni les données offrant la possibilité de répondre à cette question.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/391238/original/file-20210323-15-1cruk35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/391238/original/file-20210323-15-1cruk35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/391238/original/file-20210323-15-1cruk35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/391238/original/file-20210323-15-1cruk35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=443&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/391238/original/file-20210323-15-1cruk35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/391238/original/file-20210323-15-1cruk35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/391238/original/file-20210323-15-1cruk35.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=557&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Lors de la première enquête en 1973, les membres de la génération 1 (1925-1934) et 2 (1935-1944) étaient déjà trop âgés pour qu’on ait pu mesurer leurs pratiques de lecture quand ils avaient entre 15 et 28 ans. Mais, de la génération 3 (1945-1954) à la génération 7 (1985-1994), on constate que chaque nouvelle génération de jeunes déclarait lire moins que la précédente. On est ainsi passé de 35 % de lecteurs intensifs chez les premiers baby-boomers à 11 % pour la génération de leurs petits-enfants. On a donc bien assisté à un recul générationnel de la lecture intensive de livres.</p>
<p>Parallèlement, le vieillissement s’accompagne plutôt d’un repli de la pratique. Pour les membres des générations 1 à 5, la fréquence de lecture intensive est substantiellement à la baisse entre 15 et 28 ans et 43-56 ans. L’investissement dans la pratique au temps de la jeunesse (et aussi des études) laisse place à d’autres activités (professionnelles, domestiques) mais aussi à d’autres sollicitations dont celles de la télévision. Pour toutes ces générations, la consommation quotidienne de télévision est inscrite à la hausse au fil de l’avancée en âge. Par exemple, la génération 3 passe de la moitié de ses membres regardant tous les jours la télévision entre 15 et 28 ans à 91 % quand elle a atteint entre 63 et 72 ans.</p>
<p>Mais cette érosion générationnelle ne s’est pas prolongée dans l’enquête de 2018. Les jeunes de la génération 8 (1995-2004) ne comptent pas en leurs rangs moins de lecteurs intensifs que ceux de la génération précédente (11 %). L’idée d’un plancher de lecteur intensif se vérifie y compris spécifiquement parmi les plus jeunes. Cela laisse augurer une situation durable dans laquelle l’économie du livre pourra s’appuyer sur ce socle. Mais, cet optimisme doit être nuancé en observant la part de non-lecteurs : si la génération 7 en comptait 27 % parmi les 15-28 ans, la suivante en porte désormais 42 % et on repère la même tendance pour les 23-38 ans entre les générations 6 et 7 (31 % contre 44 %). Ceux qui se soucient de la lecture des jeunes gagneraient donc à orienter leur attention davantage vers les petits lecteurs que vers les gros.</p>
<p>Relevons néanmoins que le vieillissement affecte moins la lecture intensive des générations les plus récentes (6 et 7) que les précédentes. Autrement dit, ces nouvelles générations partent d’un niveau moins élevé de lecture intensive au moment de leur jeunesse mais leur pratique s’érode moins avec le temps. Cela conforte l’idée d’un socle de lecteurs.</p>
<h2>La banalisation de la lecture</h2>
<p>Finalement, les données 2018 fournissent des arguments aux « déclinistes » pour lesquels la lecture est sur la voie du repli : le taux de non-lecteurs a sensiblement augmenté. Elles en donnent aussi aux « optimistes » qui ont des raisons de garder espoir par le maintien d’un socle de lecteurs intensifs. Elles donnent aussi le sentiment que la lecture devient une pratique culturelle de niche.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-livre-papier-perd-il-vraiment-du-terrain-109911">Le livre papier perd-il vraiment du terrain?</a>
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<p>Elle n’apparaît plus comme cette pratique cardinale au carrefour de toutes les autres et de la vie intellectuelle. Elle reste déterminée par le milieu social et le niveau d’études mais c’est uniquement parmi les catégories sociales supérieures et les diplômés du supérieur que la lecture intensive diminue nettement. Par ce retrait, la lecture de livres semble engagée dans une forme de banalisation qui lui confère peut-être sa pérennité et dont témoignerait le silence qui entoure la parution de ces résultats.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157272/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Poissenot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’étude de l’évolution des pratiques de lecture des Français depuis 1973 permet de faire un constat nuancé.Claude Poissenot, Enseignant-chercheur à l'IUT Nancy-Charlemagne et au Centre de REcherches sur les Médiations (CREM), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1535622021-02-04T21:28:41Z2021-02-04T21:28:41Z« In extenso » : Lire sur écran, un effort pour les jeunes ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/382294/original/file-20210203-17-1aprk7c.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C1920%2C1270&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le type de support, numérique ou papier, influence la manière dont on appréhende un texte.</span> <span class="attribution"><span class="source">Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em><strong>In extenso</strong>, des podcasts en séries pour faire le tour d’un sujet.</em></p>
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<p>Des manuels, des dictionnaires et même des bibliothèques entières sont aujourd’hui à portée de clic sur Internet. Pourtant, à prix équivalent, plus de 80 % des étudiants préfèrent acquérir et lire un ouvrage sur papier. Comment l’expliquer ? Ne faudrait-il pas faire un détour du côté des neurosciences pour comprendre ce qui sous-tend ces habitudes ?</p>
<p>Dans ce premier épisode de notre série « Apprendre, la révolution des écrans », Frédéric Bernard, maître de conférences en neuropsychologie à l’Université de Strasbourg, nous aide à comprendre comment l’expérience de lecture imprègne nos représentations et dans quelle mesure on peut miser (ou non) sur l’attractivité du numérique.</p>
<iframe src="https://player.acast.com/601af61a46afa254edd2b909/episodes/apprendre-la-revolution-des-ecrans?theme=default&cover=1&latest=1" frameborder="0" width="100%" height="110px" allow="autoplay"></iframe>
<p><a href="https://open.spotify.com/episode/56hqIB2UlFsYAnyzfs9STV?si=Y7GpRaf2SZa_sINvY8z44A"><img src="https://images.theconversation.com/files/321535/original/file-20200319-22606-1l4copl.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=183&fit=crop&dpr=1" width="268" height="70"></a>
<a href="https://soundcloud.com/theconversationfrance/apprendre-la-revolution-des"><img src="https://images.theconversation.com/files/359064/original/file-20200921-24-prmcs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=218&fit=crop&dpr=2" alt="Listen on Soundcloud" width="268" height="80"></a>
<a href="https://podcasts.apple.com/au/podcast/apprendre-la-r%C3%A9volution-des-%C3%A9crans-1-3/id1552192784?i=1000507692574"><img src="https://images.theconversation.com/files/321534/original/file-20200319-22606-q84y3k.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=182&fit=crop&dpr=1" alt="Listen on Apple Podcasts" width="268" height="68"></a></p>
<p>À suivre, le 12 février 2021, le deuxième épisode : « Pourquoi on apprend encore à écrire à la main ! », avec Denis Alamargot, professeur des universités en psychologie cognitive, à l’Université Paris-Est Créteil.</p>
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<p><em>Conception, Aurélie Djavadi. Production, Romain Pollet.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153562/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>On qualifie souvent les jeunes générations de « digital natives ». Mais ont-elles vraiment délaissé le papier ? Et est-il si évident pour elles de se concentrer sur les écrans ?Frédéric Bernard, Maître de conférence en neuropsychologie, Université de StrasbourgAurélie Djavadi, Cheffe de rubrique Education, The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1535662021-01-25T18:02:31Z2021-01-25T18:02:31ZCrayons ou claviers : le geste d’écriture change-t-il notre rapport au monde ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/379937/original/file-20210121-19-co13q4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C0%2C1905%2C1261&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La pensée s'articule différemment selon les outils que l'on utilise.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://pixabay.com/photos/adult-laptop-computer-human-paper-3052244/">Hagar Lotte Geyer / Pixabay </a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Pour commencer, j’inviterai les lectrices et les lecteurs de ces lignes à prendre un stylo et à écrire sur une feuille « que fait la main qui écrit ? », c’est-à-dire à faire l’expérience de l’écriture de manière intentionnelle et consciente du geste.</p>
<p>Il est fort probable, que tout comme les étudiants plus ou moins volontaires à qui je demande de passer au tableau et de faire la même chose lors du premier jour de cours, vous ressentiez une certaine surprise, voire gêne, devant la consigne.</p>
<p>En effet, elle implique un effort physique qu’on fait de moins en moins, et provoque une mise en abyme : on ne se retrouve pas juste en train d’écrire quelque chose, mais quelque chose sur le geste même qu’on est en train d’accomplir. Qui plus est, c’est une question, qui nous force à nous positionner.</p>
<p>Alors, que fait la main qui écrit ? Bien plus qu’écrire, bien entendu.</p>
<p>À l’ère du digital, quand les claviers et stylets remplacent de plus en plus les crayons et stylos, la phénoménologie peut nous aider à nous interroger sur le geste d’écrire. En apparence anodin, il en dit long sur la manière dont on construit notre rapport au monde à travers nos corps. Il suscite une intention qui affirme notre existence et notre présence au monde de manière singulière.</p>
<h2>Conscience incarnée de soi</h2>
<p>Alors que de nombreux débats en neurosciences et en pédagogie pèsent le pour et le contre de l’écriture manuscrite et de l’écriture dactylographique, on s’arrête rarement sur les gestes mêmes. Or, poser la question « que fait la main qui écrit ? » nous y oblige. Car c’est une interrogation d’ordre <a href="https://plato.stanford.edu/entries/phenomenology/">phénoménologique</a>, un courant philosophique né de figures majeures telles que Husserl ou Heidegger, et qui se focalise sur les choses telles qu’elles nous apparaissent, telles que nous en faisons l’expérience.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/lire-sur-papier-lire-sur-ecran-en-quoi-est-ce-different-112493">Lire sur papier, lire sur écran : en quoi est-ce différent ?</a>
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<p>Avec mon collègue <a href="https://www.emerald.com/insight/content/doi/10.1108/17465680710757367/full/html">Éric Faÿ</a>, avec qui j’ai approfondi notamment la <a href="https://journals.sagepub.com/doi/full/10.1177/1350508414558726">phénoménologie de Michel Henry</a>, nous avons pris l’habitude d’ouvrir la première séance de nos cours de philosophie (adressés à des étudiants de grade master d’école de commerce) avec cette question.</p>
<p>En demandant à quelques étudiants de passer au tableau, de choisir un feutre, et d’écrire « Que fait la main qui écrit ? », on leur demande non seulement d’éprouver consciemment le geste en leur chair, mais de diriger leur attention et leur intention vers ce geste. Car, à l’âge adulte, il est trop souvent exécuté de manière mécanique et inconsciente.</p>
<p>Afin de radicaliser encore plus l’expérience, on leur demande souvent de l’écrire une deuxième fois, cette fois-ci de l’autre main, qui aura moins le réflexe et l’habitude de faire le geste. Là, l’effort d’écrire à la main est éprouvé de manière plus saillante. Ensuite, en débriefant leur ressenti durant l’exercice, on fait ressortir le fait que les étudiants étaient vraiment <em>présents au geste</em>, toute leur attention dirigée vers le geste d’écrire, et son pourquoi.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/379941/original/file-20210121-19-m6yvu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/379941/original/file-20210121-19-m6yvu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/379941/original/file-20210121-19-m6yvu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/379941/original/file-20210121-19-m6yvu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/379941/original/file-20210121-19-m6yvu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/379941/original/file-20210121-19-m6yvu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/379941/original/file-20210121-19-m6yvu5.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">La signature reste un geste personnel qui compte.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.pexels.com/fr-fr/photo/personne-tenant-un-stylo-en-argent-signature-photographes-signature-175045/">Pexels</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Les étudiants avaient une conscience de leur être-là, de chacun de leurs mouvements et des réflexions qui traversaient leur esprit. Bref, les étudiants avaient pratiqué sans le savoir <a href="https://plato.stanford.edu/entries/husserl/#EpoPerNoeHylTimConPheRed">l’epoché, ou la suspension</a>, la mise entre parenthèses dont parle Husserl, aussi appelée réduction phénoménologique, c’est-à-dire la méthode qui nous permet une autre présence au monde.</p>
<p>Mais au-delà du côté provocateur de l’exercice, que nous apporte une réflexion phénoménologique sur le fait d’écrire à la main ? Elle a deux grands avantages.</p>
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<li><p>Tout d’abord, cette approche n’enferme pas l’écriture manuscrite dans une logique binaire d’opposition et donc nous permet de la penser indépendamment de son corollaire dactylographique. On peut ainsi considérer le fait d’écrire à la main en et pour lui-même.</p></li>
<li><p>Ensuite, considérer l’écriture à la main comme phénomène à part entière nous permet de le considérer au-delà de ses implications purement neurocognitives et de prêter attention à ses dimensions anthropologiques et existentielles profondes, souvent négligées voire oubliées.</p></li>
</ul>
<h2>Affirmer une présence</h2>
<p>Lorsqu’on écrit à la main, ce n’est pas que pour dire quelque chose, mais pour affirmer notre existence. C’est une façon de fixer sa présence, de se dire par l’écriture. Y compris d’un point de vue légal, il y a des documents qui ne peuvent être signés électroniquement : on doit les imprimer et les signer à la main pour qu’ils soient considérés officiels et légitimes.</p>
<p>Sans aller jusqu’aux excès d’une <a href="https://www.persee.fr/doc/psy_0003-5033_1903_num_10_1_3547">interprétation graphologique</a>, notre écriture manuscrite nous révèle d’une certaine manière : choix de la couleur de l’encre, soin prêté à la graphie en termes de lisibilité, une certaine dimension esthétique dans le fait d’avoir une plus ou moins « belle » écriture.</p>
<p>Et elle nous range dans la catégorie des droitiers ou des gauchers, qui est loin d’être neutre en termes cognitifs et culturels et, à ce jour, les gauchers rencontrent toujours des discriminations, y compris en termes de matériel disponible adapté comme des ciseaux, ou des bancs d’école avec tablette d’appui latérale intégrée, uniquement du côté droit).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1324350909355302912"}"></div></p>
<p>Derrière des actes considérés comme du vandalisme, telle est aussi la raison d’être existentielle des graffitis et des prénoms marqués sur les murs, sur les troncs d’arbre ou sur les bancs de l’école. Échos contemporains des <a href="https://www.futura-sciences.com/sciences/dossiers/prehistoire-art-prehistorique-prehistoire-peintures-2301/page/4/">dessins de mains</a> sur les grottes préhistoriques – antichambre de l’écriture et de l’Histoire – on grave notre présence accompagnée ou non d’une intention au monde via un message de type sentimental (par exemple « Julien aime Sophie »), idéologique (par exemple un logo anarchiste), provocateur (avec une insulte), ou créatif (dessin ou poésie dans un moment d’évasion ou d’ennui).</p>
<p>Une table d’écolier garde ainsi une trace manuscrite des élèves qui l’ont occupée de par le passé, elle reste le témoin matériel et silencieux des générations qui se sont succédé. La graver de ses mains est une manière de se l’approprier, de ne pas la laisser comme objet anonyme ou simple outil d’appui en classe, mais comme une matérialité où nous sommes nous-mêmes.</p>
<p>Cette affirmation de notre existence est soulignée par la corporalité qu’implique le geste manuscrit. L’effort qui « fait mal » pour gratter une surface qui nous résiste plus ou moins selon le matériau. L’encre qui nous tache les ongles. La pince qui nous façonne des callosités sur le doigt majeur avec le temps, gardant ainsi une trace corporelle de nos vies et de nos habitudes d’écriture, tout comme les mains du ferronnier ou du pianiste développent aussi des formes particulières.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/379938/original/file-20210121-15-18jmdgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/379938/original/file-20210121-15-18jmdgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=223&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/379938/original/file-20210121-15-18jmdgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=223&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/379938/original/file-20210121-15-18jmdgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=223&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/379938/original/file-20210121-15-18jmdgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=281&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/379938/original/file-20210121-15-18jmdgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=281&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/379938/original/file-20210121-15-18jmdgb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=281&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le graffiti comme moyen de graver une présence ?</span>
<span class="attribution"><span class="source">Si vonSasson/Pixabay</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Dans <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/1350508420956321">certains de mes travaux</a>, je me joins aux appels grandissants à un retour à une écriture incarnée y compris dans des textes scientifiques, ayant trop sacrifié à une prétendue objectivité de la science devant passer par une écriture désincarnée, plate et stérile où l’on oublie le rôle des corps et en particulier des <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/gwao.12584?af=R">doigts dans une écriture où l’auteur doit s’effacer</a>.</p>
<h2>Outils et apprentissages</h2>
<p>Ce n’est pas uniquement ce qu’on écrit, mais la manière dont on écrit qui importe. <a href="https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16390289/">Manuscrite ou non</a>, (et d’ailleurs, cursive ou script a aussi des impacts) l’écriture a toujours recours à un outil pour s’imprimer sur une surface. Mais le rapport corporel à l’écriture et au monde change selon l’outil. Et notre apprentissage aussi puisque le cerveau est sollicité différemment.</p>
<p>La scolarisation massive à domicile durant les <a href="https://en.unesco.org/covid19/educationresponse">périodes de confinement liées à la pandémie Covid-19</a> ont accentué le <a href="https://theconversation.com/the-pen-is-mightier-than-the-sword-but-the-computer-is-mightier-than-both-37211">rôle déjà très influent</a> des claviers et écrans dans l’éducation, et ce à tous les niveaux. Plus que jamais, <a href="https://theconversation.com/teaching-cursive-handwriting-is-an-outdated-waste-of-time-35368">ceux qui sont attachés à l’écriture manuscrite</a> passent pour des ringards, inadaptés aux changements du monde contemporain.</p>
<p>Or, n’oublions pas que les bénéfices en <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0956797614524581">termes d’apprentissage</a>, de <a href="https://books.openedition.org/pressesenssib/1958?lang=fr">mémorisation</a> par le <a href="https://lelephant-larevue.fr/thematiques/erreurs-nombreuses-ecriture-manuscrite/">geste d’écrire (sensorimotrice</a>) et de <a href="https://www.eecs.yorku.ca/course_archive/2015-16/F/2011/laptop%20in%20classroom%20article.pdf">compréhension (en évitant la tentation du multitasking sur ordinateur par exemple)</a> sont reconnus dans le cas de l’écriture manuscrite.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1258002066162757633"}"></div></p>
<p>Malgré leurs réticences devant l’interdiction des ordinateurs dans mes cours, dans mes évaluations (anonymes) en fin de semestre je retrouve souvent des remerciements d’étudiants : « on ne l’aurait pas fait de nous-mêmes, la tentation est trop grande, mais merci d’avoir interdit les ordinateurs ! ». On gagne peut-être du temps (pourvu qu’on sache taper vite) mais on retient moins…</p>
<p>Autre différence cruciale : effacer est nettement plus facile sur un document de traitement de texte, type Word. Plus besoin de sortir le blanc correcteur ou la gomme qui laisseront inévitablement des traces sur la feuille, des tâches dont la saleté témoigne des irrégularités mais aussi des cheminements de la pensée.</p>
<p>L’effort de potentiellement devoir recommencer nous oblige à peser autrement nos mots en les écrivant à la main. Il y aurait donc une vertu liée aux difficultés d’effacer l’écriture manuscrite, et qui serait perdue avec la facilité d’effacer sur écran, car encourageant d’une certaine manière une pensée plus volatile, inconséquente, courte et « tweeteable », et balayable d’un simple clic.</p>
<p>Inversement, annoter et souligner un passage dans un texte, est nettement plus facile et rapide avec un crayon. Ce sont des actions qui restent possibles sur écran, mais nécessitant beaucoup plus de temps et de clics, ce qui fait perdre le fil de la lecture. Donc, même lire, est différent qu’on le fasse avec un crayon à la main ou avec un stylet ou souris.</p>
<p>Le <a href="https://www.researchgate.net/publication/326233043_Quand_le_stylo_resiste_au_clavier_Editorial">stylo/crayon reste d’ailleurs si influent</a>, que certaines innovations technologiques sont tentées de reproduire la sensation d’écrire à la main sur une tablette (par exemple, <a href="https://www.igen.fr/ipad/2017/05/paperlike-pour-ipad-pro-presque-comme-du-papier-sous-lapple-pencil-99719">PaperLike, pour iPad</a>) avec des stylets et des films toujours plus perfectionnés (et plus chers).</p>
<p>La pensée s’articule différemment de par la possibilité d’écrire de ses mains. Les linguistes ne cessent de nous rappeler le <a href="https://www.hup.harvard.edu/catalog.php?isbn=9780674237810">lien très fort</a> entre des éléments de <a href="https://doi.org/10.1177%2F0170840621989214">nos corps et nos capacités cognitives, comme entre nos doigts et notre système de numération décimale, bien avant l’ère <em>digit</em>-ale</a>.</p>
<p>Penser l’écriture à la main en tant que telle est au cœur des aspects négligés dans les méta-recherches sur l’écriture – qu’elle soit littéraire ou scientifique – plus focalisées sur le résultat, sur le contenu qui est écrit à propos de l’écriture, que sur l’acte et la manière d’écrire en soi. Mais la pensée est au bout de la langue <a href="https://www.researchgate.net/publication/348575823_Je_est_un_homme_Reflexions_sur_le_francais_l%E2%80%99indicible_femme_et_la_quete_d%E2%80%99une_ecriture_nue">comme au bout des doigts</a>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/153566/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mar Pérezts ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Qu’on soit droitier ou gaucher, en écrivant à la main, on ne transmet pas seulement un message, on marque aussi son existence et son identité. Un geste qui se raréfie à l’ère numérique ?Mar Pérezts, Associate professor, EM Lyon Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1506992021-01-01T17:00:29Z2021-01-01T17:00:29ZComment s’explique le boom des « book clubs » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376578/original/file-20201223-13-k71wlo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C3%2C744%2C593&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le livre ouvertn Juan Gris, 1925. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.wikiart.org/en/juan-gris/the-open-book-1925-1">Wikiart</a></span></figcaption></figure><p>Depuis une petite dizaine d’années, les « book clubs » – en français les clubs ou cercles de lecture – sont parmi nous, et ils ont même la cote. Preuve supplémentaire, si besoin était, que le commerce avec les livres (et pas seulement du livre) fait d’eux des biens résolument « essentiels » à notre bien-être, à notre existence. Entre Babelio, déclinaison française du puissant réseau Goodreads, et à ce titre adepte d’une lecture participative (comme la démocratie du même nom ?), et La Plume en question, plus axé sur la rencontre et le dialogue avec les écrivains, l’offre disponible est pléthorique. Les uns après les autres, du Huffpost à Cheek Magazine, des organes de presse, souvent de « niche », franchissent le pas, en décidant de créer leur propre book club dédié. Un mouvement de fond, qui a gagné les réseaux sociaux, dont rendait compte <a href="https://lesuperdaily.com/episode/bookclub-le-retour-en-force-des-clubs-de-lecture-sur-les-reseaux-sociaux/"><em>Le Super Daily</em>, dans son épisode 142, en date du 5 mars 2019</a>.</p>
<h2>Racines anglo-saxonnes</h2>
<p>Mais si l’engouement, en France du moins, est récent, le phénomène prend racine du côté des pays anglo-saxons, dans une histoire et une pratique fort anciennes. Au préalable, entendons-nous sur les mots. En effet, le « book club » désigne deux réalités a priori assez distinctes. Aussi bien une grosse machine (type France Loisirs, ou le Reader’s Digest d’antan), qu’une petite structure à but non lucratif, regroupant une dizaine, quelques dizaines tout au plus, de membres ou d’abonnés, de préférence triés sur le volet. Et réunis sur la base d’un commun intérêt pour la lecture, mais aussi pour le plaisir et la convivialité. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit de se (re)grouper. Soit dans le but de mettre au pot commun, de cotiser (to « club together », en anglais), afin de bénéficier, en l’occurrence, de prix avantageux sur la commercialisation de livres, à la vente pour ce qui est des maisons d’édition, à l’achat, pour leurs clients potentiels. Soit pour lire et discuter à plusieurs de livres choisis selon des critères le plus souvent subjectifs, en lien avec le goût des lecteurs, qui sont souvent des lectrices.</p>
<p>On s’intéressera au second modèle, moins en lien avec l’économie du livre, à l’origine de réelles vocations, qu’elles soient spontanées ou nées de l’imitation, au départ un brin snob. Ce que montrent bien deux romans récents, dont l’adaptation cinématographique aura décuplé le pouvoir d’attraction et, partant, la diffusion des « book clubs » au sein du corps social. <em>Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates</em> (2008), signé Mary Ann Shaffer et Annie Barrows, a pour cadre l’île anglo-normande de Guernesey, au temps de l’occupation allemande, pendant la Deuxième guerre mondiale. Il fait de la fondation du cercle de lecteurs clandestins une ruse de guerre, un prétexte à vanter l’esprit de courage et d’entraide face à l’adversité. Couvre-feu, confinement, rareté des livres à se mettre sous la dent, guerre à l’échelle du monde – qui ne voit les parallèles avec la situation de pandémie que nous vivons aujourd’hui ? Pour sa part, la <em>Lettre ouverte à Jane Austen</em> (2004), de Karen Jay Fowler met à nu avec la netteté d’une épure le mécanisme sur lequel repose tout « book club » digne de ce nom. Soit un auteur, au statut de préférence iconique, en la personne de Jane Austen. Soit six romans, pas un de plus – Austen ne fut pas prolifique. Soit, donc, six chapitres tournant autour d’un club de lecture réunissant six personnages, cinq femmes pour un seul homme, chacun épris d’un des six romans, chacun s’identifiant à un personnage austenien et désireux d’exposer aux autres les raisons pour lesquelles la romancière l’aide à vivre, bien ou mal. C.Q.F.D.</p>
<h2>Lire à plusieurs</h2>
<p>Historiquement, l’essor du « book club » s’avère indissociable, tout au long des dix-huitième et dix-neuvième siècles, d’une part, de la montée en puissance des bibliothèques de prêt à l’origine payantes (circulating libraries), et de l’autre, de l’élévation constante des niveaux de vie et d’instruction, du fait de la scolarisation de plus en massive, d’abord des garçons, puis des filles, et enfin des hommes et des femmes, à mesure que l’accès à l’Université se démocratisait. Il se peut, à ce titre, que la vogue des « book clubs » corresponde à un troisième âge de la lecture, du moins en Occident.</p>
<p>Après la lecture à voix haute, impulsée par les Grecs, après la lecture silencieuse, initiée par Ambroise de Milan, au quatrième siècle de notre ère, favorisant le recueillement et l’écoute du texte (biblique, au départ) au-dedans de soi, semble venu l’âge de la lecture à plusieurs, en groupe, ailleurs qu’en soi ou que chez soi. Les puristes s’en offusqueront, mais c’est ainsi : l’art de la conversation, dont le regretté Marc Fumaroli faisait l’un des trois piliers de la France à l’âge classique (avec la Coupole et le génie de la langue), époque où la littérature était « l’expression de la société », cet art, donc, s’est déplacé, quittant les salons et autres cénacles, pour rejoindre les intérieurs comme les cours d’immeubles ou les jardins, partout, en fait, où les livres se discutent, de préférence en petits comités. De plus en loin du centre ou de la capitale, en tout cas, et à partir des marges, périphéries et autres « segments » de la société. Chacun son « book club »? C’est à qui, en effet, créera son propre cercle, en fonction d’un positionnement particulier – particulariste ? – en lien avec telle ou telle problématique présente dans l’actualité : Me too, Trouble dans le genre, Black Lives Matter, etc.</p>
<p>Cette évolution obéit à de puissants ressorts, sur lesquels les sociologues ont été les premiers à se pencher. Cinq directions principales sous-tendent leurs conclusions.</p>
<h2>Sociologie du goût</h2>
<p>À travers les « book clubs » s’exprime un goût « middlebrow », si l’on en croit Janice A. Radway, l’auteure de <em>A Feeling for Books The Book-of-the-Month Club, Literary Taste, and Middle Class</em> (1997). Soit à égale distance du « low brow » et du high brow, correspondant au goût, autrefois hégémonique, de la classe moyenne éduquée, où ce sont traditionnellement les femmes (blanches) qui lisent. Mais ce temps est plus que révolu, et les publics, plus jeunes, se sont beaucoup renouvelés et diversifiés. À l’image d’<a href="https://shado-mag.com/do/okha-the-queer-black-book-club/">OKHA</a>, club de lecture queer + black, ouvert à Londres en 2019 par l’Anglo-nigériane Khloé Bailey Obazee.</p>
<h2>Une radiographie des besoins</h2>
<p>Ces besoins seraient au nombre de 4, les « 4 C », d’après Corinna Norrick-Rühl (<em>Book Clubs and Book Commerce</em>, 2020). Convenance (personnelle) : chacun sa niche, de préférence au plus près de chez soi. Communauté (avec l’orientation communautariste pointée plus haut) : sans qu’il soit besoin d’évoquer la figure de Jürgen Habermas, le « book club » est avant tout un espace, non de privatisation, mais de sociabilité, de mise en public et en commun. Concession : à l’image des compromis qu’on est constamment amené à passer avec les autres membres. Au sein d’un « book club », pas question de vaincre ou de dominer. Le lecteur un tant soit peu envahissant, ou par trop persuasif, comprend vite qu’il n’a pas sa place dans le groupe. L’espace ainsi ouvert est le contraire d’une arène, se voulant plutôt l’équivalent de l’antique agora, du forum cher aux Romains. Et, enfin, Curation (thérapie, soin, sélection, en anglais). Lire, ce serait se soigner, car les livres, dit-on, guérissent…</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-quand-les-livres-rembourses-par-la-securite-sociale-112046">À quand les livres remboursés par la Sécurité sociale ?</a>
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<h2>Une culture de la célébrité</h2>
<p>Sont prescripteurs, et mêmes souvent décideurs en matière de lecture, les people, mannequins et autres « influenceurs », auxquels les éditeurs, via leurs attachés de presse, font les yeux doux, afin de promouvoir leurs « têtes de gondole ». Le « book club » lancé en 1996 par Oprah Winfrey compte aujourd’hui plus de 5 millions de membres, dont entre 70 et 80 % de femmes. L’actrice Emma Watson, vedette de la série de films Harry Potter, aujourd’hui Ambassadrice « de bonne volonté » à l’ONU a fondé en 2016 « Our Shared Self », notre étagère partagée, en français. Le titre joue habilement de la proximité, en anglais, entre self (le moi) et shelf (le rayonnage de la bibliothèque). À l’image du féminisme soft qu’elle promeut, ces clubs témoignent, si besoin était, de la puissance du soft power culturel.</p>
<h2>Une pratique à effet « transformationnel »</h2>
<p>C’est la thèse – behavioriste – soutenue par Elizabeth Long, dans <em>Book Clubs : Women and the Uses of Reading in Everyday Life</em> (2003). Pour elle, les lectrices s’y montrent à l’aise et sans complexe quant à leur position face au capital culturel, dès lors qu’elles sont passées par les bancs de l’université, mais également inquiètes de voir que la lecture les a certes puissamment transformées – comprenons émancipées – mais pas au point de pouvoir rivaliser avec les hommes, qui, eux, ne lisent pas et continuent de les exclure, même si c’est de moins en moins vrai.</p>
<h2>Un « capital social »</h2>
<p>Capital social est à entendre ici non au sens de Bourdieu, mais de Robert Putnam (<em>Bowling Alone, The Collapse and Revival of Community</em>, 2000). Soit un lien social particulièrement mis à mal par l’individualisation et l’individualisme, l’un et l’autre synonymes de fragmentation du sens de la communauté – d’anomie, en un mot. Or, lire en club, et non plus, justement, en solo (« Alone »), c’est résister, consciemment ou inconsciemment, aux forces délétères qui rongent le corps social, jusqu’à le vider de sa substance et de ses liens. C’est faire du « book club » l’équivalent d’une société secrète, avec ses règles et références propres, dont les membres auraient conclu entre eux un pacte, prônant une résistance, voire dissidence plus ou moins larvée.</p>
<p>Les critiques littéraires ne sont pas en reste. Martha Nussbaum parle plus volontiers de philosophie et d’éthique que de « book clubs ». Mais en exposant les raisons qui font que la littérature compte, et ce bien au-delà du cercle étroit des campus où elle s’enseigne, et que lectrices et lecteurs, par dizaines ou centaines de milliers, sont fondés à voir dans les livres, sinon des directeurs
de conscience, en tout cas de puissants auxiliaires à l’instruction citoyenne, à l’éducation à la vie et à ce qui fait qu’on est ou qu’on devient humain, Nussbaum
épouse implicitement la cause des « book clubs » et valide leur raison d’être.</p>
<h2>L’art de s’accorder (plutôt que de critiquer)</h2>
<p>Terminons avec Rita Felski. Le tableau contrasté que la chercheuse à l’Université de Virginie met en place dans ses deux derniers ouvrages éclaire grandement le paysage intellectuel et culturel dans lequel les « book clubs » prennent toute leur part. <em>The Limits of Critique</em> (2015) revient sur « l’herméneutique du soupçon » – la formule est de Paul Ricœur – à la faveur de laquelle l’acte critique, dont Kant a fait le pilier de tout jugement, en même temps que la clef de voûte des Lumières, en est venu, au fil du temps, à revêtir, aux yeux du grand public en tout cas, un coefficient de plus en plus élevé de négativité et de défiance. La critique, de type analytique, y prend des accents de dissection, de distanciation, d’impersonnalité. Soit un parfait repoussoir.</p>
<p>A contrario, <em>Hooked : Art and Attachment</em> (2020) décrit la tendance inverse. Comme en réaction à l’emprise de la critique, Felski souligne ce que cela signifie, en positif, que d’être « accro », charmé, mordu, captivé, etc. L’attachement, sa valeur phare, manifesté en présence des œuvres d’art, Michel Ange ou le dernier roman de Colson Whitehead, a pour synonyme l’identification, l’adhésion, l’interprétation non conflictuelle, l’aptitude, ô combien précieuse, à pratiquer l’art de l’écoute et de l’accord (« attunement », en anglais).</p>
<p>À l’évidence, « accro », « attachés » ou « accordés », les lecteurs de « book clubs » le sont. Quand bien même on n’y répugne pas à « noter » les livres – comme à l’école, mais n’attribue-t-on pas également une note, de nos jours, aux hôtels et aux restaurants (au temps d’avant la pandémie) ? – leur motivation profonde est tout sauf d’ordre « analytico-critique ». Le rapport au livre y est d’abord détendu et décomplexé, sans exclure qu’il puisse devenir studieux par la suite – loin de la sacralisation prêtée, souvent à tort, à la littérature, mais au plus près d’une communauté partagée, celle des vivants et des morts : « avec les livres, ce sont d’autres hommes qui nous offrent le moyen d’être homme, c’est-à-dire soi-même, véritablement, dans la communauté partagée. » (Danièle Sallenave, <em>Le Don des morts : sur la littérature</em>, 1991). Alors qu’on pourrait la penser proche du hobby, de ce qu’autrefois on appelait le « violon d’Ingres », la pratique du « book club » s’en distingue en ce qu’elle ne se réduit pas à une ligne de plus sur un C.V. Elle aide, non à paraître, mais bien plutôt à s’accomplir, à comprendre qu’on peut parfaitement devenir soi en lisant à plusieurs. Mais sans coach ni gourou.</p>
<p>Reste à savoir comment la pandémie va impacter le phénomène. Avec le basculement en ligne d’un nombre croissant d’activités humaines, la conversion du « book club » vers le numérique semble inéluctable. Mais cette dernière va justement à l’encontre du besoin de convivialité et de socialisation qui a fait le succès de la formule. Le « book club » ne risque-t-il pas de se fracasser contre le plafond de verre de la virtualité ? On s’en souvient, la vogue des apéros virtuels, au temps du premier confinement, fut aussi foudroyante qu’éphémère. En définitive, de part et d’autre des écrans, on était resté sur sa soif en matière de « présence réelle », sans pouvoir l’étancher. Il y a fort à parier, mais on espère se tromper, que la pratique du clubbing exclusivement en ligne finira par laisser ses adeptes sur leur faim, y compris sur leur faim de livres…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150699/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Porée ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Si l’engouement pour les « book clubs » est récent en France, le phénomène prend racine du côté des pays anglo-saxons, dans une histoire et une pratique fort anciennes.Marc Porée, Professeur de littérature anglaise, École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1521562020-12-22T18:22:46Z2020-12-22T18:22:46ZRelire Harry Potter en confinement donne un nouveau sens aux aventures du jeune sorcier<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376286/original/file-20201221-17-16ibjly.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=54%2C27%2C4530%2C3031&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les aventures d'Harry Potter, surtout celles du tome 7 (Les reliques de la mort), prennent une nouvelle signification quand on les relit pendant la pandémie actuelle de Covid-19.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La franchise à succès Harry Potter n’aura pas connu sa meilleure année en 2020. Les <a href="https://www.lesoleil.com/arts/livres/jk-rowling-fait-face-a-des-critiques-pour-ses-propos-sur-les-transgenres-da3040a649ef4543ae0a955ef2f09b67">commentaires transphobes de J.K. Rowling ont eu des retombées négatives</a> de même que le <a href="https://www.lesoleil.com/arts/animaux-fantastiques-3-mads-mikkelsen-prend-le-relais-de-johnny-depp-dd67888b1366b0d1d00b04f363be607f">remplacement de Johnny Depp</a>, de la saga <em>Animaux fantastiques</em>, à la suite de ses déboires avec la justice.</p>
<p>Bien sûr, 2020 n’aura pas été la meilleure année pour personne en raison des consignes sanitaires imposées pour contrer la pandémie de Covid-19. Que cette série si chère au cœur d’une génération de lecteurs soit soudainement montrée du doigt au moment même où la population mondiale est confinée est tout à fait fortuit. Mais les ressemblances entre la situation actuelle et certaines intrigues de l’histoire du jeune sorcier n’en sont pas moins intéressantes.</p>
<p>Les intrigues des six premiers livres de la série Harry Potter se déroulaient à <a href="https://harrypotter.fandom.com/wiki/Hogwarts_School_of_Witchcraft_and_Wizardry">l’école de sorcellerie et de magie de Poudlard</a>, un internat enchanté où règnent le danger, le mystère et la magie. Mais dans le septième livre, <em>Harry Potter et les Reliques de la Mort</em>, l’auteure a choisi de sortir Harry, Hermione et (parfois) Ron de leur cadre habituel, les coupant de leur routine quotidienne. Ils souffrent alors de solitude, du manque de ressources, de claustrophobie, de frustration et le nouvel ordre mondial auquel ils font face est terrifiant.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/HgZZsnleZJQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">La bande annonce de Harry Potter et les Reliques de la Mort – Partie 1.</span></figcaption>
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<h2>Transformer les symboles</h2>
<p>En rétrospective, pour qui la relirait aujourd’hui, cette histoire publiée en 2007 présente d’étonnantes similitudes avec l’année 2020 – dont elle a tout, sauf les masques chirurgicaux.</p>
<p>Ces ressemblances peuvent sembler anecdotiques, mais elles renvoient à certaines théories littéraires, notamment à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Mots_et_les_Choses">théorie de l’épistémè</a> du philosophe français Michel Foucault, au <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/N%C3%A9o-historicisme">néo-historicisme</a> de l’historien littéraire américain Stephen Greenblatt et à la <a href="https://www.routledge.com/Multimodality-A-Social-Semiotic-Approach-to-Contemporary-Communication/Kress/p/book/9780415320610">théorie des ressources sémiotiques</a> du sémioticien britannique Gunther Kress. Ces auteurs soulignent tous (d’une manière ou d’une autre) que le sens d’un texte dépend du contexte culturel qui l’entoure.</p>
<p>Le monde a changé et la signification culturelle de Harry Potter a changé avec lui.</p>
<p>Dans une société marquée par une pandémie, des phrases comme celle-ci : « L’immensité pure et sans couleur du ciel s’était étendue au-dessus de lui, indifférente à lui et à sa douleur », prennent une nouvelle dimension. Nous pouvons mieux nous identifier à Harry et comprendre son sentiment d’isolement et son anxiété. Les étudiants en 2020 sont particulièrement bien placés pour comprendre la détresse psychologique ressentie par le jeune sorcier du fait d’être coupé de sa vie à Poudlard.</p>
<p>L’interruption de son éducation, de son adolescence et de son cheminement vers le monde des adultes n’est que trop bien connue du collégien d’aujourd’hui, qui ne s’attendait certainement pas à ce que ses études soient bouleversées par un virus, pas plus que Harry aurait pu s’attendre à perdre sa dernière année à Poudlard à cause d’un coup d’État de Voldemort.</p>
<p>À la lumière de notre propre isolement, nous pouvons encore mieux comprendre et ressentir également chacune des victoires de Harry comme sa joie de retourner à Poudlard, de renverser Voldemort ou encore la profondeur de son amitié avec Hermione qui l’a soutenu dans les moments les plus difficiles.</p>
<h2>La littérature revisitée</h2>
<p>Ce phénomène n’est pas nouveau. Prenez par exemple le livre <em>La Ferme des animaux</em>, de George Orwell, un traité sur les dangers du communisme, et le roman <em>1984</em>, une mise en garde contre la surveillance gouvernementale et le totalitarisme. Au plus fort de la guerre froide, <em>La Ferme des animaux</em> critiquait vertement l’hypocrisie des régimes communistes, une critique qui trouvait un écho auprès d’un public occidental confronté à la soi-disant <a href="https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/desautels-le-dimanche/segments/entrevue/157050/livre-la-peur-rouge-histoire-de-l-anticommunisme-au-quebec-1917-1960-hugues-theoret">« peur rouge »</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376223/original/file-20201221-57963-16exzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376223/original/file-20201221-57963-16exzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376223/original/file-20201221-57963-16exzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376223/original/file-20201221-57963-16exzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376223/original/file-20201221-57963-16exzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376223/original/file-20201221-57963-16exzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376223/original/file-20201221-57963-16exzs2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le roman de George Orwell 1984 continue de prendre de l’importance, même si son contexte original n’est pas familier aux lecteurs contemporains.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span>
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<p>Le potentiel immersif du roman <em>La Ferme des animaux</em>, qui se lit davantage comme une fable animalière pour un public peu connaissant de l’ex-URSS, s’est évanoui avec la fin de la guerre froide. Quant à <em>1984</em>, le livre a connu un regain de popularité pendant la présidence de George W. Bush avec <a href="https://www.msnbc.com/thomas-roberts/trending-fears-orwellian-society-msna60352">l’adoption du Patriot Act et les initiatives de surveillance qu’il contenait</a>.</p>
<p>Le fait est que la longévité d’une histoire et l’héritage de son auteur sont profondément dépendants du contexte historique. Et comme l’auteur ne peut pas prévoir l’avenir, nous devons reconnaître le rôle du hasard en tant que « coauteur » de certains des ouvrages les plus aimés. Même Shakespeare lui-même a eu sa part d’<a href="https://www.bbc.com/culture/article/20140422-shakespeare-the-worlds-writer">heureuses coïncidences</a>.</p>
<p>La relecture d’Harry Potter relèverait-elle du même phénomène littéraire ? Les œuvres de Shakespeare et d’Orwell acquièrent toutes deux de nouvelles significations au fur et à mesure que les temps changent, tout comme l’œuvre de J.K. Rowling témoigne d’un monde fictif et hors du temps, mais à la fois dynamique et engageant.</p>
<p>La perception du parcours de Harry Potter par chaque génération d’amateurs change et continuera de changer au rythme du monde qui nous entoure. L’idée selon laquelle les textes sont des entités immuables est une illusion.</p>
<p>C’est comme si Harry Potter avait été touché lui aussi par la pandémie et en avait été changé comme nous tous. Coincés à la maison, nous pouvons voir cette occasion comme un bon prétexte pour revisiter une œuvre autrefois aimée et la voir sous un nouveau jour.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/152156/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>J. Andrew Deman ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Relire Harry Potter pendant la pandémie, c’est trouver de nouvelles façons de s’identifier aux personnages, surtout dans le septième livre, alors qu’Harry se retrouve confronté à l’isolement.J. Andrew Deman, Professor of English, University of WaterlooLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.