tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/michel-foucault-32088/articlesMichel Foucault – The Conversation2021-10-05T19:18:36Ztag:theconversation.com,2011:article/1688742021-10-05T19:18:36Z2021-10-05T19:18:36ZLe « je » très politique d’Eric Zemmour<p>Dans un <a href="https://www.ipsos.com/sites/default/files/ct/news/documents/2021-10/Ipsos%20-%20Le%20Parisien-France%20Info%20-%20IV%202022%20-%20Oct.%202021.pdf">sondage récent</a>, Eric Zemmour est crédité de 15 % d’intentions de votes au premier tour des élections présidentielles de 2022 s’il confirmait sa candidature. Pour un nouveau venu en politique, ce poids dans l’opinion mérite d’être relevé. On peut bien sûr y voir l’effet de soutiens dans les médias dont il est issu. Le changement de ligne éditoriale d’Europe 1 du fait de la montée en puissance de <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2021/06/17/europe-1-bollore-prend-le-pouvoir-les-journalistes-veulent-exercer-leur-clause-de-conscience_6084464_3234.html">Vincent Bolloré</a> dans le groupe Lagardère produit déjà ses effets par une invitation et une <a href="https://www.europe1.fr/emissions/Le-grand-rendez-vous/le-grand-rendez-vous-avec-eric-zemmour-4068413">interview parfois complaisante</a> d’Eric Zemmour.</p>
<p>Pour autant, la fabrication médiatique d’un phénomène politique ne parvient pas à épuiser les raisons de son succès. Celui-ci repose sur la capacité de cet acteur à faire passer un discours conservateur dans des formes très actuelles correspondant à la manière dont nos contemporains se définissent. Il met en scène un individu singulier qui s’affirme comme tel et dit « je ». Il illustre la manière dont le champ politique est marqué par son <a href="https://www.armand-colin.com/lego-politique-essai-sur-lindividualisation-du-champ-politique-9782200283100">individualisation</a>.</p>
<p>Bien sûr, s’affirmer comme un sujet autonome consiste à s’inscrire en dehors du jeu institutionnel et particulièrement celui des partis politiques. En cela Eric Zemmour suit la voie déjà empruntée par Emmanuel Macron en 2017. Il rassemble cependant plusieurs soutiens médiatiques, à l’image de <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2022/article/2021/10/02/jean-marie-le-pen-soutiendra-eric-zemmour-s-il-est-mieux-place-que-marine-le-pen_6096818_6059010.html">celui du fondateur du Front national Jean-Marie Le Pen</a>, déstabilisant encore un peu plus l’échiquier politique.</p>
<p>Mais il va plus loin et affirme aussi son identité personnelle à travers les deux ressorts bien mis en évidence par <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/1802605-l-invention-de-soi-une-theorie-de-l-identite-jean-claude-kaufmann-fayard-pluriel">Jean-Claude Kaufmann</a> : histoire de soi et identité sensible.</p>
<h2>Mobiliser le récit de soi</h2>
<p>Pour justifier sa candidature, loin de mobiliser le soutien d’un parti, il nous raconte son constat amer sur la prétendue évolution de notre pays. N’hésitant pas à inscrire ses pas dans ceux de Jeanne d’Arc ou de De Gaulle, il explique son engagement politique (et sa probable candidature) par le sens du devoir face à une situation historique.</p>
<p>Par son histoire personnelle indissociable de celle du pays, il s’institue comme individu singulier contrastant avec la figure (standardisée ?) de celles et ceux qui portent les idées de leurs partis ou de mouvements politiques. Sur son site Internet, la rubrique <a href="https://eric-zemmour.info/biographie-eric-zemmour/">« biographie »</a> est d’ailleurs en bonne place et largement développée.</p>
<p>Or, ce récit de soi n’est pas froid. Il est exprimé sous le registre de l’émotion à la manière d’auteurs plongés dans un récit autobiographique. Et le lecteur est invité à partager ses doutes et questionnements comme dans certains <a href="https://hal.univ-lorraine.fr/hal-01372575/document">livres d’Annie Ernaux ou Delphine de Vigan</a>.</p>
<p>Chez Eric Zemmour, cela passe par l’expression d’une indignation récurrente, le recours au thème du déclin, la multiplication du « je » dans ses prises de parole, l’évocation d’une souffrance personnelle face à une situation qu’il condamne et à ce qu’il considère comme des attaques de la part de ses contradicteurs. Il a ainsi recours à un procédé qui fait écho avec la manière dont nos contemporains perçoivent leur existence à travers leurs expériences vécues plus qu’à travers des principes abstraits. C’est ce que met bien en avant Pierre Rosanvallon dans son dernier ouvrage, <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/les-epreuves-de-la-vie-pierre-rosanvallon/9782021486438"><em>Comprendre autrement les Français</em></a>, paru en août 2021.</p>
<h2>La place de la littérature</h2>
<p>Mais cette adhésion à la modernité concerne les formes de ses discours. Sur le fond, Eric Zemmour valorise une vision éternelle et universelle de la France. Dans cette intention, il s’ancre dans un univers traditionnel dans lequel le livre et la littérature occupent une place centrale comme au temps du siècle des intellectuels (comme l’explique <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/le-si%C3%A8cle-des-intellectuels-michel-winock/9782757849804">Michel Winock</a>. Si son audience doit beaucoup à ses interventions médiatiques, elle est aussi assise sur une vision du monde développée dans des livres dont il parle et qui le définissent. En cela, il endosse le rôle de l’« intellectuel » qui oriente et anime le débat public. Plus précisément, il inscrit ses pas dans ceux des « intellectuels universels » comme Jean-Paul Sartre plutôt que dans ceux des « intellectuels spécifiques » dont <a href="https://www.cairn.info/michel-foucault--9782361063993-page-18.htm">Michel Foucault</a> identifiait déjà l’émergence dans les années 1970.</p>
<p>Ses livres lui confèrent une légitimité qui donne un poids à sa parole. Depuis 2006, il en a publié 10 dont les 9 premiers l’ont été par des éditeurs généralistes et bien installés dans le monde du livre (Denoël, Cherche-Midi, Albin Michel). Cela lui confère une respectabilité que les éditeurs lui octroient parce que ses livres leur assurent des ventes en grand nombre. Dès 2010, il avait écoulé sa <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2014/10/15/zemmour-trierweiller-modiano-musso-faites-vos-jeux_4506757_3234.html"><em>Mélancolie française</em></a> à plus de 110 000 exemplaires.</p>
<p><em>Le suicide français</em>, paru en 2014, atteint presque 500 000 ventes et <em>Le Destin français</em> passe au-delà du seuil des 100 000 ventes. Eric Zemmour a fidélisé un lectorat qui place ses livres dans les meilleures ventes <a href="https://www.livreshebdo.fr/article/eric-zemmour-et-francoise-bourdin-sinstallent-dans-le-top-20">dès leur sortie</a> à la satisfaction de ses éditeurs. C’est fort de ce succès et de ses soutiens fidèles qu’il se sépare d’<a href="https://www.livreshebdo.fr/article/albin-michel-divorce-deric-zemmour-qui-veut-devenir-un-homme-politique">Albin Michel</a> et auto-édite son dernier livre (<em>La France n’a pas dit son dernier mot</em>).</p>
<p>Et ce choix (par lequel il exprime une nouvelle fois son « je ») ne freine pas sa diffusion puisqu’il a déjà écoulé <a href="https://edistat.com/livre.php?type_exemple=2&ean=9782957930500">128 000 volumes en deux semaines</a> et on évoque un <a href="https://www.livreshebdo.fr/article/eric-zemmour-et-mona-chollet-chronique-de-succes-annonces">tirage total de 370 000 exemplaires</a>.</p>
<h2>Une révérence au monde passé</h2>
<p>Le choix de ce support et la place qu’il lui accorde entrent en cohérence avec son propos. C’est une révérence au monde passé dans lequel les livres étaient le centre de l’attention des élites. Loin de la superficialité (réelle ou potentielle) des youtubeurs, il serait le représentant et défenseur d’un monde du livre fragilisé.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/les-francais-lisent-ils-vraiment-de-moins-en-moins-157272">La lecture d’imprimés est en effet en recul</a> depuis les années 1970 et l’édition n’est plus au cœur des pratiques et préoccupations des élites. Entre 1988 et 2018, la part des diplômés de l’enseignement supérieur ayant lu au moins 20 livres dans l’année est passée de 48 % à 24 %. Et, à l’inverse, les enquêtes ont montré le <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01719435v1">poids croissant de la télévision</a> dans les pratiques culturelles des plus diplômés.</p>
<p><a href="https://www.culture.gouv.fr/Media/Medias-creation-rapide/CE-2020-2_Cinquante-ans-de-pratiques-culturelles-en-France.pdf2">Une étude de 2020</a> spécifie ainsi que :</p>
<blockquote>
<p>« Cadres et diplômés rejoignent […] les niveaux de consommation du reste de la population, effaçant progressivement le caractère initialement populaire de la télévision. »</p>
</blockquote>
<p>Défendre la littérature c’est aussi défendre une certaine idée de la France. Il écrivait dans une <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/culture/eric-zemmour-le-cinema-cette-arme-ideologique-20210113">chronique au <em>Figaro</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Hollywood a été pour les Américains ce que l’État, l’Église et la littérature furent pour l’édification du roman national français. »</p>
</blockquote>
<p>Ce soutien à un monde révolu dans lequel le livre était la condition de la participation au débat public permet à Eric Zemmour de capter un auditoire conservateur en complément de celui qu’il a conquis sur RTL puis sur CNews par sa radicalité.</p>
<p>Et en effet, une étude montre qu’il attirerait à lui un <a href="https://www.bfmtv.com/politique/2022-quel-est-le-profil-des-electeurs-seduits-par-eric-zemmour_VN-202109290125.html">quart des électeurs de François Fillon</a> en 2017 et que ses votants putatifs se recruteraient davantage chez les plus de 50 ans.</p>
<h2>Un conservateur dans des habits modernes</h2>
<p>Depuis les années 60, les individus ont contesté la vision qui les enfermait dans des statuts anonymes et un universalisme abstrait. Ils revendiquent de pouvoir être les auteurs de leur propre existence en étant attentif à la singularité qui les compose. Plutôt que de devenir des clones anonymes d’une République aveugle à chacun, ils aspirent à <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-La_Fin_de_la_d%C3%A9mocratie-562-1-1-0-1.html">choisir la manière dont ils entendent vivre</a>. Ils se pensent comme des personnes singulières étant les mieux placées pour orienter leurs choix de vie. À ce titre, ils sont attentifs à leurs émotions qui révèlent leur être particulières et cherchent à se raconter eux-mêmes et à obtenir des autres qu’ils les reconnaissent pour ce qu’ils sont.</p>
<p>Eric Zemmour est l’un d’entre eux comme en témoigne sa demande de reconnaissance, la mise en scène de ses émotions et la place qu’il accorde à son histoire personnelle. <a href="https://theconversation.com/ce-nest-pas-eric-zemmour-le-probleme-mais-la-legitimite-que-lui-conferent-les-medias-125271">Si les médias lui ont donné une légitimité</a>, il parvient à s’auto-instituer dans un monde aux institutions fragilisées. Il défend aussi des positions parfois incohérentes avec la manière dont il se définit.</p>
<p>Ainsi comment défendre la <a href="https://www.courrierinternational.com/revue-de-presse/conservatisme-budapest-un-sommet-sur-la-famille-avec-eric-zemmour-marion-marechal-et">« famille traditionnelle »</a> avec des soutiens ou proches conservateurs à Budapest quand il ne semble <a href="https://www.gala.fr/l_actu/news_de_stars/eric-zemmour-candidat-en-2022-pourquoi-sa-vie-de-famille-pourrait-etre-un-frein_462944">pas lui-même l’incarner réellement</a> ?</p>
<p>Eric Zemmour représente bien une modalité de l’individu contemporain. Il entend bénéficier des avantages offerts par l’évolution de la définition de l’individu pour faire passer son message et parce qu’il en reçoit reconnaissance et satisfactions. Mais il n’en tire pas les conséquences logiques en acceptant les possibilités de choix et de libertés qu’elle offre aux autres et pas seulement à lui-même…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168874/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Claude Poissenot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En mobilisant le récit de soi et le recours au registre de l’émotion à la manière de certains grands auteurs à succès, Eric Zemmour cherche à captiver l’attention du lecteur… et de l’électeur.Claude Poissenot, Enseignant-chercheur à l'IUT Nancy-Charlemagne et au Centre de REcherches sur les Médiations (CREM), Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1664492021-09-03T17:47:39Z2021-09-03T17:47:39ZQuels enjeux derrière le passeport vaccinal ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/419162/original/file-20210902-25-1hwq0a4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=4%2C0%2C3000%2C2227&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'entraîneuse Karly Estey fait scanner son code QR le1er septembre 2021, alors que le passeport vaccinal du gouvernement du Québec entre en vigueur. </span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes </span></span></figcaption></figure><p>Depuis le 1<sup>er</sup> septembre au Québec, un passeport vaccinal est nécessaire <a href="https://www.quebec.ca/sante/problemes-de-sante/a-z/coronavirus-2019/deroulement-vaccination-contre-la-covid-19/passeport-de-vaccination-covid-19">pour accéder aux restaurants, bars, gyms et autres lieux de rassemblements</a>. La province s’ajoute ainsi à des pays comme la France, la Chine, Israël ou le Danemark, ainsi que la <a href="https://www.journaldemontreal.com/2021/08/15/le-passeport-vaccinal-entre-en-vigueur-ce-lundi-a-new-york-1">Ville de New York</a>. Le gouvernement ontarien <a href="https://www.lapresse.ca/covid-19/2021-09-01/le-passeport-vaccinal-arrive-en-ontario.php">a lui aussi annoncé qu’un passeport vaccinal entrerait en vigueur dès le 22 septembre</a>.</p>
<p>Une <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1815940/passeport-vaccinal-appui-population-legault-legitime">grande majorité de Québécois est en faveur du passeport vaccinal</a>. Certaines <a href="https://plus.lapresse.ca/screens/78a4a4f0-0a07-43f9-83c9-4948eddd6372__7C___0.html">voix s’élèvent néanmoins contre l’unanimité à laquelle donnent lieu ces mesures sanitaires</a>. Jusqu’ici, les gouvernements ont joué la corde du moralisme : François Legault <a href="https://www.lejournaldejoliette.ca/actualites/politique/434077/passeport-vaccinal-legault-sent-un-appui-tres-majoritaire-de-la-population">a parlé « d’arguments non fondés » des opposants à cette mesure</a> et à la vaccination, ajoutant « qu’un moment donné, il faut suivre la science », tandis que le président français Emmanuel Macron <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/07/25/depuis-la-polynesie-emmanuel-macron-fustige-l-irresponsabilite-et-l-egoisme-de-ceux-qui-refusent-le-vaccin-contre-le-covid-19_6089487_3244.html">a fustigé « l’irresponsabilité et l’égoïsme »</a> de ses concitoyens réfractaires.</p>
<p>La fracture organisée par la plupart des médias entre « vaccinés » et « non vaccinés » favorise un climat de partisanerie qui empêche, à mon avis, toute réflexion approfondie sur le sujet. Cela incite à délaisser l’analyse de l’économie politique pour privilégier celle des comportements. Je m’intéresse aux impacts du néolibéralisme et c’est dans cet esprit que je m’inspire ici des travaux <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Foucault">du philosophe français Michel Foucault</a> afin de poser cette question : quel modèle de société sous-tend le passeport vaccinal ?</p>
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<img alt="Un homme numérise le téléphone cellulaire d’un autre homme" src="https://images.theconversation.com/files/419166/original/file-20210902-17-v9kzvq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/419166/original/file-20210902-17-v9kzvq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/419166/original/file-20210902-17-v9kzvq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/419166/original/file-20210902-17-v9kzvq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=431&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/419166/original/file-20210902-17-v9kzvq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/419166/original/file-20210902-17-v9kzvq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/419166/original/file-20210902-17-v9kzvq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=541&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jimmy Staveris, gérant du restaurant Dunn’s Famous, scanne le code QR d’un client à Montréal, le 1ᵉʳ septembre 2021, alors que le passeport vaccinal du gouvernement du Québec entre en vigueur.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
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</figure>
<h2>Le passeport sanitaire est-il une nouveauté ?</h2>
<p><a href="https://monoskop.org/images/9/99/Foucault_Michel_Il_faut_defendre_la_societe.pdf">Pour comprendre notre présent, il faut remonter dans le passé</a>. Plus précisément, au carrefour du 17<sup>e</sup> et du XVIII<sup>e</sup> siècles, où Michel Foucault détecte un glissement : celui du pouvoir de l’Ancien Régime, dans lequel le souverain a droit de mort sur ses sujets, à un nouveau type de pouvoir, qui a plutôt pour tâche de prendre en charge la vie. Il s’agit « d’une des plus massives transformations du droit politique », explique-t-il, et qui « a consisté […] à compléter ce vieux droit de souveraineté : faire mourir ou laisser vivre — par un autre droit nouveau : le pouvoir de « faire » vivre et de « laisser » mourir ».</p>
<p>Concrètement, cela veut dire que les sociétés libérales se proposent comme nouveau but de gérer le bien-être de la population grâce à un ensemble de techniques. Ce sont les statistiques ou encore la police, qui doivent désormais aider à agir directement sur la vie. Foucault nomme ainsi <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Biopouvoir">« biopouvoir »</a> ce pouvoir qui opère dans tous les domaines de l’existence.</p>
<p>Mais cette gestion de la vie comporte aussi de forts enjeux économiques. Foucault rappelle en effet que le biopouvoir est « un élément indispensable au développement du capitalisme ». Celui-ci ne peut <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/socsoc/2006-v38-n2-socsoc1813/016373ar/">être assuré qu’au prix de l’insertion contrôlée des corps dans l’appareil de production</a>. À l’ère industrielle, déjà, <a href="http://1libertaire.free.fr/FGros02.html">l’accès aux usines était soumis à une hygiène de vie particulièrement stricte</a>.</p>
<p>Le passeport sanitaire ne vient donc pas de nulle part. Il s’inscrit dans la droite lignée du capitalisme industriel. Dans les sociétés modernes, l’activité économique nécessite tout simplement un suivi de plus en plus serré de la santé des individus. Cela explique pourquoi les entreprises pharmaceutiques se sont engagées très tôt dans la <a href="https://theconversation.com/covid-19-une-course-au-vaccin-aux-lourds-enjeux-financiers-148687">course aux vaccins</a>.</p>
<p>C’est que le bien-être individuel, de plus en plus réduit dans nos sociétés au bien-être physique, est plus que jamais indispensable au profit. Ce n’est d’ailleurs que sous cet angle qu’il semble légitime de critiquer les « antivax » : si l’on suit leur logique, leurs revendications ne devraient pas seulement concerner le passeport vaccinal, mais bien l’économie politique toute entière.</p>
<p>Plus important encore, le « biopouvoir » ne peut pas fonctionner de manière démocratique. Il requiert une société d’experts. <a href="https://www.ledevoir.com/politique/quebec/624234/passeport-vaccinal-une-commission-parlementaire-aurait-ete-risquee-selon-le-pm">Pas de meilleures preuves à ce niveau que l’absence de consultation des citoyens sur la politique sanitaire depuis le début de la pandémie</a>. Les mesures gouvernementales sont donc aujourd’hui légitimées par l’avis des médecins et des économistes, dont l’avis est ensuite relayé en boucle par les médias pour <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Fabrication_du_consentement">« fabriquer le consentement »</a>.</p>
<p>Dans les faits, le passeport sanitaire ne peut donc se déployer que dans un <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89tat_d%27exception">« État d’exception »</a>, où l’impératif sécuritaire l’a définitivement emporté sur l’État de droit. En résumé : le passeport vaccinal ne fait que signer le basculement de nos sociétés vers un modèle post-démocratique, dans lequel des valeurs comme l’efficacité et la rentabilité se substituent à la volonté du peuple. Il est donc tout à fait possible de plébisciter le passeport sanitaire — <a href="https://www.terrestres.org/2020/06/26/faire-face-aux-experts-neoliberalisme-et-pandemie/">à condition de plébisciter un gouvernement des élites</a>.</p>
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<img alt="Un homme debout tient son cellulaire devant celui d’une femme" src="https://images.theconversation.com/files/419165/original/file-20210902-23-1fsd11x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/419165/original/file-20210902-23-1fsd11x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=456&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/419165/original/file-20210902-23-1fsd11x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=456&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/419165/original/file-20210902-23-1fsd11x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=456&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/419165/original/file-20210902-23-1fsd11x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=573&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/419165/original/file-20210902-23-1fsd11x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=573&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/419165/original/file-20210902-23-1fsd11x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=573&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jonathan Gagne, gérant de Orangetheory Fitness, scanne le code QR d’un client à Montréal au premier jour de l’instauration d’un passeport vaccinal.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
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<h2>Des risques de marginalisation</h2>
<p>Dès lors, l’important n’est plus de prendre position pour ou contre le passeport vaccinal. Il faut en fait prévoir les conséquences possibles à son instauration. Cela n’est pas qu’une question de vaccin : le <a href="https://theconversation.com/le-passe-sanitaire-de-serieux-risques-ethiques-164651">passeport vaccinal accentue aussi des inégalités sociales, notamment celles qui préexistent dans l’accès aux soins et aux services de santé</a>.</p>
<p>Ce qui se présente à nous n’est ni plus ni moins qu’une <a href="http://1libertaire.free.fr/DeleuzePostScriptum.html">« société de contrôle »</a>. Dans cette dernière, la liberté de mouvement est à la fois suspendue à la santé et au statut économique, faisant de la « société ouverte » promise par la mondialisation une « société fermée ». Le passeport vaccinal entérine donc une limitation de la mobilité désormais mondiale, qu’il s’agisse des territoires nationaux ou de leurs frontières.</p>
<p>Voilà d’ailleurs le sens profond des « gestes barrières » et celui des barrières bien réelles — dans les bars, les restaurants — qui se sont installés dans nos environnements depuis un an et demi.</p>
<p>Second risque, la marginalisation. Foucault en fait la face sombre du biopouvoir : gérer la vie implique selon lui d’effectuer une « coupure entre ce qui doit vivre et ce qui doit mourir ». La modernité est donc marquée par l’exclusion de populations définies comme « dangereuses » ou « malades », raison pour laquelle <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Foucault#Le_militant">Foucault n’a cessé de s’engager auprès des marginaux</a>.</p>
<p>Le passeport vaccinal ne semble en effet pas incompatible avec les nombreuses discriminations qui empoisonnent déjà nos sociétés. Il nous faut donc à tout prix empêcher l’avènement ou le renforcement d’un monde dans lequel la mise au banc de certains individus pour leur opinion ou leur statut médical remplacerait la réflexion. <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/chroniques/2021-08-09/faut-il-soigner-les-anti-vax.php">L’agressivité croissante de certains discours dans les médias va malheureusement dans le sens d’une politique de l’émotion</a>. À l’inverse, celle de certains opposants au passeport vaccinal <a href="https://www.liberation.fr/politique/lextreme-droite-multiplie-les-violences-dans-les-manifestations-anti-pass-sanitaire-20210826_KSP7CZBOQFEV7JQS7G3CS3YIAQ/">sert à l’extrême droite</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une foule manifeste et brandit des pancartes" src="https://images.theconversation.com/files/419164/original/file-20210902-23-vn49bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/419164/original/file-20210902-23-vn49bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/419164/original/file-20210902-23-vn49bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/419164/original/file-20210902-23-vn49bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=390&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/419164/original/file-20210902-23-vn49bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/419164/original/file-20210902-23-vn49bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/419164/original/file-20210902-23-vn49bc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=490&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des manifestants brandissent des pancartes lors d’une manifestation à Paris le 31 juillet 2021. Ils se sont rassemblés dans plusieurs villes de France pour protester contre le passeport sanitaire.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(AP Photo/Michel Euler)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>S’attaquer au bon adversaire</h2>
<p>Cela ne doit pourtant pas nous empêcher d’envisager les choses de façon pragmatique. Il faut notamment prendre en compte l’usure d’un personnel médical confronté à un manque de ressources persistant. <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2020/10/24/la-sante-mentale-eprouvee-par-l-epidemie-de-covid-19_6057201_4355770.html">Plusieurs études ont ainsi montré que les soignants ont connu une aggravation des problèmes psychologiques depuis le début de la pandémie</a>.</p>
<p>Mais plutôt que de penser que le passeport vaccinal va tout résoudre, il est urgent de réfléchir aux causes structurelles, à savoir aux politiques néolibérales <a href="https://www.aspq.org/app/uploads/2021/02/2021-02-19_memoire_investissements_en_prevention_au_qc.pdf">qui ont démantelé la plupart des structures publiques au cours des quarante dernières années</a>. Selon moi, le passeport sanitaire ne constitue une solution « idéale » qu’aux yeux d’une gouvernance rompue à la logique de l’efficacité bureaucratique et hostile à tout autre modèle sociétal.</p>
<p>Nous semblons malheureusement condamnés à une nouvelle chasse aux sorcières — énième épisode historique dans lequel les rôles se distribueraient une fois de plus entre « bons citoyens » <a href="https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-01-06/les-boucs-emissaires.php">et boucs émissaires</a>. Il semble pourtant urgent de trouver une solution apte à soulager les maux des soignants les plus exposés et des personnes vulnérables.</p>
<p>L’essentiel n’est pas de prendre position « pour ou contre » le passeport vaccinal. L’essentiel est de s’interroger sur les raisons qui ont plongé notre monde dans le chaos. Et pour cela, comme disait Foucault, il faut commencer à « penser autrement qu’on ne pense et à percevoir autrement qu’on ne voit ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/166449/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dimitri M'Bama ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le passeport vaccinal s’inscrit dans la droite lignée du capitalisme. Dans les sociétés modernes, l’activité économique nécessite un suivi serré de la santé des individus.Dimitri M'Bama, Doctorant en science politique à l'Université de Montréal, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1576152021-03-28T16:37:52Z2021-03-28T16:37:52ZAlgérie : la « Révolution du sourire pacifique » persiste et signe<p>« Reste-t-il quoi que ce soit du Hirak ? », <a href="https://www.nytimes.com/fr/2020/10/04/world/africa/un-an-apres-le-hirak-lespoir-dun-renouveau-retombe-en-algerie.html">feignait de s’interroger</a> le président algérien Abdelmadjid Tebboune lors d’une entrevue avec le <em>New York Times</em> en octobre 2020. Il est vrai que, à ce moment-là, les Algériens, qui avaient battu le pavé 56 semaines durant à partir du 16 février 2019, ne sortaient plus dans la rue depuis plusieurs mois <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/monde/afrique/le-hirak-observe-une-treve-sanitaire_2123256.html">du fait de la crise sanitaire</a>. Mais en février dernier, les marches pacifiques massives ont <a href="https://www.france24.com/fr/vid%C3%A9o/20210226-mouvement-du-hirak-le-retour-des-marches-en-alg%C3%A9rie">repris avec une nouvelle vigueur</a>, démentant de manière cinglante ce pronostic d’extinction.</p>
<p>La primauté du politique sur le militaire, l’indépendance de la justice, la liberté de la presse, la démocratie, le démantèlement réel du « système » et le départ de ceux qui l’incarnent : les mêmes exigences sont scandées les mardis et vendredis depuis le 16 février 2021, indiquant la volonté d’une large partie de la population d’en finir avec un régime qu’elle juge à bout de souffle.</p>
<h2>Un mouvement que la pandémie n’a pas arrêté</h2>
<p>L’<a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/12/19/algerie-le-nouveau-president-abdelmadjid-tebboune-entre-en-fonctions_6023465_3212.html">élection</a> du président Tebboune en décembre 2019 n’avait pas eu d’effet sur le Hirak : moins de 10 % de la population a participé au vote qui l’a élu, <a href="https://www.nytimes.com/fr/2020/10/04/world/africa/un-an-apres-le-hirak-lespoir-dun-renouveau-retombe-en-algerie.html">selon l’opposition</a>, alors que le chef de l’État, lui, affirme que le taux de participation a été de 40 %. Le <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/11/02/incertitudes-en-algerie-au-lendemain-d-un-referendum-constitutionnel-boude-par-la-population_6058192_3212.html">référendum constitutionnel</a> organisé pendant la pandémie et présenté comme une solution a également pâti d’un taux de participation historiquement bas, signe du poids du Hirak qui avait <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/notre-constitution-c-est-votre-depart-le-hirak-pour-un-boycott-du-referendum-constitutionnel-en-algerie_4150695.html">appelé les citoyens à ne pas se rendre aux urnes</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1323650068520542209"}"></div></p>
<p>Malgré l’effet d’aubaine de la pandémie, qui a suscité la suspension des marches, la recherche de légitimité de l’exécutif est restée en panne. L’annonce très récente de la tenue d’<a href="https://www.latribune.fr/depeches/reuters/KBN2B32ES/algerie-les-legislatives-anticipees-fixees-au-12-juin-2021.html">élections législatives anticipées en juin 2021</a> est décriée dans la rue. Des pancartes exhibées lors du 110<sup>e</sup> vendredi l’expriment clairement : </p>
<p>La remise en liberté – parfois provisoire – de dizaines de détenus d’opinion la veille de l’anniversaire du Hirak n’a pas éteint la revendication de la rue, qui exige du pouvoir qu’il libère tous les détenus du Hirak et se conforme aux traités et conventions signées par l’Algérie en la matière – une demande <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/algerie-l-onu-demande-la-fin-des-arrestations-arbitraires-contre-le-hirak-399160">relayée par l’ONU elle-même</a>. Le <a href="https://www.jeuneafrique.com/1080643/societe/algerie-le-parlement-europeen-denonce-les-atteintes-aux-droits-de-lhomme/">Parlement européen</a> et les <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/10/12/algerie-amnesty-international-appelle-a-la-liberation-d-un-militant-du-hirak_6055689_3212.html">ONG internationales</a> ont également appelé l’État algérien a respecter ses engagements. Actuellement, selon le Comité national de libération des détenus et le site dédié <a href="https://www.algerian-detainees.org/">Algerian detainees</a>, qui dressent des bilans fiables, trente personnes sont encore en prison pour avoir pris part au mouvement du Hirak.</p>
<p>Face à la surdité du pouvoir, le Hirak persiste et signe, toujours au nom du principe de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/pourquoi-le-mouvement-citoyen-en-algerie-pourrait-pretendre-au-prixnobel-delapaix_3905235.html">Silmya</a> (Paix), qui constitue son modus operandi. En la matière, le peuple algérien persévère dans un exploit <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2020/02/22/algerians-have-been-protesting-year-heres-what-you-need-know/">reconnu par des chercheurs américains de Harvard et Princeton</a> comme l’un des mouvements les plus résilients de l’histoire mondiale des mouvements sociaux.</p>
<h2>Pas de trêve pour la répression</h2>
<p>La résilience du Hirak s’explique avant tout par l’attitude des autorités : une dissonance de plus en plus visible s’est instaurée entre un discours apaisant et une répression continue. Le pouvoir a notamment cherché à profiter du contexte de la pandémie pour criminaliser le Hirak.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1264553776775651328"}"></div></p>
<p>Pour reprendre la terminologie de <a href="https://www.franceculture.fr/conferences/forum-des-images/pourquoi-il-faut-relire-surveiller-et-punir-de-michel-foucault">Michel Foucault</a>, la pandémie en Algérie a mis à nu une gouvernementalité (gestion des populations) panoptique (voir sans être vu), de surveillance où le but est de <em>discipliner et punir</em>. Cette gestion des populations par la surveillance continue et l’emprisonnement donne aux citoyens la sensation diffuse de pouvoir à tout moment être privés de liberté, ce qui suscite chez eux censure et autocensure.</p>
<p>Foucault a <a href="http://www.festival-philosophia.com/une-notion-un-auteur/le-confinement-et-foulcaut/">étudié des cas de pandémies</a> (peste, choléra) pour expliciter la façon dont le pouvoir panoptique surveille et contrôle, dépersonnalise la sanction, insinue la tétanie jusqu’à ne plus avoir besoin d’avoir recours à la force, les individus s’auto-disciplinant par crainte. Pour éteindre un Hirak qui <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/RC-017317/algerie-le-hirak-continue/">s’est replié en ligne pendant la pandémie</a>, le pouvoir a procédé à des arrestations spectaculaires, aussi bien de personnalités médiatiques que de simples citoyens, <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/droit-et-justice/vous-mettez-un-post-sur-facebook-vous-allez-en-prison-en-algerie-la-repression-se-durcit-et-pousse-les-medias-a-l-autocensure_4104863.html">pour de simples posts sur les réseaux sociaux</a>.</p>
<p>Cette pratique a créé un sentiment de non-sens et une perception d’insécurité accrue, qui a favorisé chez certains l’effet d’auto-censure recherché. Visant autant des anonymes (jeunes, personnes âgées, hommes et femmes) que des journalistes de renom comme <a href="https://information.tv5monde.com/afrique/algerie-nouvelle-arrestation-du-journaliste-khaled-drareni-353303">Khaled Drareni</a>, devenu symbole international d’un droit d’informer bafoué, pour des chefs d’inculpation lourds tels que l’atteinte à l’unité nationale, ces emprisonnements ont meurtri les citoyens ; mais ils ont aussi renforcé les revendications du Hirak énoncées plus haut. En effet, le Hirak a résisté via de nombreuses initiatives (<a href="https://www.inter-lignes.com/interdit-a-la-maison-de-la-presse-le-13eme-sit-in-en-soutien-a-khaled-drareni-en-virtuel/">sit-in en ligne</a>, création de <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/04/24/radio-corona-internationale-la-station-satirique-qui-maintient-la-flamme-du-hirak-algerien_6037653_3212.html">Radio Corona Internationale</a>, débats, expressions d’indignation…) et, comme avant la trêve sanitaire, des avocats se sont mobilisés vaillamment pour porter la voix du mouvement dans les prétoires.</p>
<p>Tout en cherchant à détourner le Hirak à son profit en l’institutionnalisant (le 22 février, considéré comme jour de la naissance du mouvement, a ainsi été <a href="https://www.algerie-eco.com/2020/02/19/tebboune-decrete-le-22-fevrier-journee-nationale/">proclamé jour férié</a>), le pouvoir n’a eu de cesse de criminaliser le mouvement. Par exemple, une <a href="https://www.24heures.ch/monde/alger-criminalise-fake-news-etat/story/18884906">loi contre les fake news</a> facilite l’emprisonnement des journalistes et des militants pour des posts sur les réseaux sociaux ; des projets de loi prévoient la <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/03/17/un-projet-de-decheance-de-nationalite-suscite-l-emoi-en-algerie_6073458_3212.html">déchéance de nationalité</a> pour les Algériens à l’étranger « agissant de manière contraire aux intérêts de l’État » ; et le déclenchement d’une enquête préliminaire est désormais <a href="https://www.inter-lignes.com/corruption-zeghmati-interdit-la-mise-en-mouvement-dune-action-publique-sans-son-approbation/">impossible sans accord du ministre de la Justice</a>. Il faut bien du courage aux Algériens pour redescendre dans la rue, malgré un dispositif policier qui ferme les accès, met des obstacles au parcours des manifestations et réprime chaque semaine. Cela fait dire à <a href="https://fb.watch/4nOuv-l84C/">Mohammed Tadjadit</a>, surnommé le poète du Hirak, qui a été incarcéré à plusieurs reprises et de nouveau en fin de manifestation le 26 mars 2021 :</p>
<blockquote>
<p>« Je n’ai plus peur de la prison… la rue est devenue une prison… il est temps que le peuple décide de son avenir… »</p>
</blockquote>
<p>Ce système de punition est tellement intégré que <a href="https://twitter.com/khaleddrareni/status/1373699851444219908">certains citoyens estiment</a> que des problèmes comme les coupures d’eau ou la hausse du prix de l’huile peuvent s’expliquer par la volonté du pouvoir de punir les Algériens pour leur participation au Hirak.</p>
<p>Ajoutons qu’une affaire fera précédent : celle de Walid Nekkiche, cet étudiant détenu d’opinion qui a osé dénoncer les tortures et le viol qu’il a subis en détention. Contre toute logique « d’honneur » qui contraint culturellement à taire de tels faits, il a créé par ses révélations un effet de choc et de rupture, reflétant les principes d’une génération déterminée à ne plus se laisser faire.</p>
<p>Cette affaire a particulièrement <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2021/02/06/en-algerie-des-accusations-de-tortures-suscitent-l-indignation_6069012_3212.html">indigné</a> les Algériens. Une vague de solidarité s’en est suivie, obligeant l’exécutif à ouvrir une enquête. Un <a href="https://www.facebook.com/Torture.basta">« Comité contre la torture et les conditions carcérales inhumaines »</a> est né pour venir au secours des victimes et obliger les coupables à rendre des comptes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1372938018059870213"}"></div></p>
<h2>Un régime qui ne parvient pas à reprendre la main</h2>
<p>Plutôt que d’opter pour la brutalité sécuritaire, le gouvernement aurait parfaitement pu consacrer l’esprit républicain ou d’union nationale autour de la cause sanitaire et, à partir de là, réellement correspondre à son discours d’apaisement vis-à-vis du Hirak. Dans les discours officiels, le mouvement est en effet qualifié de béni et de sacré – mais, désormais, les autorités précisent que ces termes décrivent le Hirak originel (<em>el asil</em>), celui qui est né pour contester l’annonce d’une nouvelle candidature à la présidentielle d’Abdelaziz Bouteflika. Habile manière de disqualifier toutes les marches du Hirak qui se sont déroulées après l’arrivée d’Abdelmadjid Tebboune à la présidence en décembre 2019.</p>
<p>Rompus à la communication du système, les Algériens répondent par le sarcasme à la propagande des médias officiels qui tentent d’imiter les codes stylistiques et sémantiques du Hirak. Le compte Twitter de la présidence s’inspire de l’esthétique du Hirak avec une photo représentant le président, le drapeau national et une fillette aux boucles blondes rappelant les images iconiques du mouvement. Soudain, la télévision nationale qui a ignoré le Hirak pendant un an l’année dernière, fait mine de couvrir ses dates anniversaires. Un reportage vidéo copie le style d’une vidéo qui a fait le buzz au début du Hirak : on y retrouve les vues aériennes des rues d’Alger noires de monde, et une voix qui loue l’événement… en déconnexion des banderoles, invisibles.</p>
<p>Actuellement, le terme de « société civile » est le motto de la présidence en vue des législatives anticipées de juin 2021. En mai 2019, j’avais défini <a href="https://theconversation.com/operation-mains-propres-en-algerie-la-societe-civile-mobilisee-pour-une-revolution-durable-116875">ici</a> les contours d’une société civile en mouvement (<em>hirak</em>) pour une révolution durable, dont les modalités ne sont pas le passage en force mais l’éthique collaborative.</p>
<p>Ces effets stylistiques et de sémantique qui se veulent en osmose avec le Hirak alors que le but de celui-ci est une nette rupture confèrent au rapt symbolique, à un <em>bypass</em> du consentement du peuple dans une tactique de communication politique. Du Hirak, le gouvernement choisit de récupérer parfois le style mais jamais le fond, la substance. Les hirakistes y trouvent des raisons supplémentaires de contester le système.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/157615/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nacima Ourahmoune ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après des mois d’interruption du fait de la crise sanitaire, les Algériens ont recommencé à descendre dans la rue pour contester un régime aux abois.Nacima Ourahmoune, Professeur / Chercheur/ Consultant en marketing et sociologie de la consommation, Kedge Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1390762020-05-24T17:05:10Z2020-05-24T17:05:10ZDébat : La société de contrôle et le Covid-19<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/336502/original/file-20200520-152292-fpup2q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=19%2C4%2C968%2C556&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Entre téléphones et outils numériques, les individus transportent aujourd'hui avec eux les données qui les identifient.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>La pandémie aurait pu être une métaphore de ce que Gilles Deleuze appelle la « société de contrôle ». En advenant bel et bien, elle nous enjoint de relire et d’essayer de comprendre le passage entre la <a href="http://www.festival-philosophia.com/une-notion-un-auteur/le-confinement-et-foulcaut/">société disciplinaire</a> de Foucault et la société de contrôle, telle que la décrit Deleuze. A la décharge de Foucault, il avait lui-même annoncé cette transition, expliquant ceci en 1978 (<em>Dits et Ecrits</em>, III) :</p>
<blockquote>
<p>Ces dernières années, la société a changé et les individus aussi ; ils sont de plus en plus divers, différents et indépendants. Il y a de plus en plus de gens qui ne sont pas astreints à la discipline, si bien que nous sommes obligés de penser le développement d’une société sans discipline. La classe dirigeante est toujours imprégnée de l’ancienne technique. Mais il est évident que nous devons nous séparer dans l’avenir de la société de discipline d’aujourd’hui.</p>
</blockquote>
<p>Deleuze prend à son tour acte de la crise de la société disciplinaire, dans le premier numéro de <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/L%27Autre_Journal">L’Autre journal</a>, daté de mai 1990. Il rappelle que les sociétés disciplinaires procèdent de grands ensembles, rendus visibles par l’architecture : écoles ou internats, prisons, hôpitaux, casernes, usines… Un quadrillage réglé dans l’espace et le temps – hérité de la gestion des grandes épidémies de peste – permettait à ces structures de surveiller les individus.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1260057830276714496"}"></div></p>
<p>Cependant, ces institutions se voient concurrencées par le modèle du flux. Entre elles, la séparation n’est plus de mise, leur relative autonomie est rendue caduque et un langage commun s’instaure, celui du numérique. Dès lors, les murs s’ouvrent, il n’est plus besoin d’avoir « sous la main » les individus : ceux-ci portent en eux les données qui les identifient.</p>
<h2>Surveillance individuelle</h2>
<p>L’espace n’a plus vocation ni à enfermer, ni à identifier, il s’annule. Tout s’en trouve changé : les rapports de forces au sein des grands ensembles (patronat/syndicat pour l’usine par exemple) sont remodelés au profit d’un principe de concurrence individualisé, généralisé et intériorisé selon les leçons du marketing qui cherche à promouvoir le bonheur individuel dans l’entreprise, voire la liberté des moyens afin d’atteindre les objectifs – dont plus personne ne se demande qui les a fixés.</p>
<p>A ce propos, le dernier livre de Johann Chapoutot, <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Libres-d-obeir"><em>Libres d’obéir</em></a>, est édifiant, tissant un lien entre l’organisation de la société nazie, et le management des années 80, dont Reinhart Höhn fut le théoricien et le mentor : ancien et éminent juriste nazi, il a fondé la plus grande école de commerce à Bad Harzburg où tous les cadres influents de la RFA sont venus se former. Le titre est éloquent : « libre d’obéir ». Ainsi se redessine l’usine – modèle disciplinaire s’il en est – en entreprise, où chacun est « libre » d’entreprendre. Certes, mais à condition d’être contrôlé, puisque c’est bien le résultat qui décidera du « mérite ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/04LT2GUMpgs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Interview de Johann Chapoutot (La Grande Table, France Culture, janvier 2020).</span></figcaption>
</figure>
<p>Le modèle centralisé est donc concurrencé par un autre, où – pour paraphraser Pascal – le centre est partout, la circonférence nulle part : Deleuze use de ce qui est plus qu’une image – un symbole ! – pour rendre compte de la distinction entre la société disciplinaire et la société de contrôle. La première, l’argent : dans la société disciplinaire, c’est encore l’étalon-or qui ordonne les échanges et les valeurs. Dans celle de contrôle, les monnaies dépendent les unes des autres.</p>
<p>La deuxième, les machines : les sociétés disciplinaires avaient pour emblème et moteur les machines énergétiques, celles de contrôle les machines informatiques et ordinateurs. Les machines énergétiques couraient le danger du sabotage ; les machines informatiques celui du virus.</p>
<p>Le virus est la figure par excellence du flux, celui qui menace la société de contrôle parce qu’il en révèle la nature et le fonctionnement. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si ce qui inquiète l’informatisation généralisée s’appelle un virus.</p>
<h2>Fonctionnement par projets</h2>
<p>L’économie capitaliste s’en trouve elle aussi modifiée : celle du XIX<sup>e</sup> et du XX<sup>e</sup> siècle était de production, fondée sur la propriété. Celle du XXI<sup>e</sup> siècle relègue la production dans les périphéries et lui préfère les services : « Ce n’est plus un capitalisme pour la production, mais pour le produit, c’est-à-dire pour la vente ou pour le marché », écrit Deleuze. Les institutions ne se rattachent plus à une figure centrale ou verticale, qu’elle soit l’État ou une puissance privée, elles sont désormais démantelées par des « gestionnaires » sur le modèle de l’entreprise.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/relecture-du-post-scriptum-de-gilles-deleuze-pour-temps-numeriques-51507">Relecture du post-scriptum de Gilles Deleuze pour temps numériques</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Cette lecture éclaire par exemple la façon dont l’hôpital, pour des raisons d’optimisation de coût, a externalisé un certain nombre de ses prérogatives. L’hôpital de jour permet de fluidifier les allées et venues, le lieu se doit d’être de passage plus que de séjour. L’idée de stockage (de matériel ou d’homme) est contraire à la logique du flux (d’où l’impératif de gestion des stocks à flux tendus). Les prisons, débordées, délèguent au bracelet électronique le soin du contrôle.</p>
<p>Les écoles cherchent à imiter l’entreprise, en privilégiant le <a href="https://www.education.gouv.fr/bac-2021-toutes-les-informations-sur-le-controle-continu-5462">contrôle continu</a> (que la réforme Blanquer introduit au <a href="https://theconversation.com/debat-bac-2019-lirruption-surprise-du-controle-continu-120183">baccalauréat</a>) et le travail à distance. Quant à l’Université et à la recherche, elles ont elles-mêmes adopté la logique de marché, au détriment du temps long et donc non immédiatement rentable que nécessite toute recherche.</p>
<p>Le projet de Loi de programmation pour la recherche (<a href="https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/http:/www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid138611/vers-une-loi-de-programmation-pluriannuelle-de-la-recherche.html">LPPR</a>) propose de contractualiser les projets de recherche. Or tout contrat se donne des échéances, et ces échéances, même échelonnées, sont nécessairement de contrôle. Voilà donc une autre modalité de la société de contrôle, d’autant que les contrats se font entre des parties inégales.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1227647335401955328"}"></div></p>
<p>La description d’un tel modèle porte en elle une charge critique évidente. Mais Deleuze ne cherche pas à hiérarchiser les différents modèles de société. Mettre au jour les modes de fonctionnement de la société de contrôle se veut le préalable à une réflexion sur les formes de résistances possibles. Il s’agit aujourd’hui de trouver l’antidote au virus. Un vaccin n’y suffira peut-être pas.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/139076/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mazarine Pingeot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec le numérique, la société disciplinaire dénoncée par Michel Foucault laisse place à une société du contrôle. Et dans cette logique de flux, le virus est la menace par excellence.Mazarine Pingeot, Professeur agrégée de philosophie, Université Paris 8 - Vincennes Saint-Denis, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1380892020-05-11T19:47:28Z2020-05-11T19:47:28ZDébat : Quand « le libre choix » cache la société disciplinaire que dénonçait Michel Foucault<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/334092/original/file-20200511-49565-b474st.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=38%2C28%2C1470%2C1159&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Lithographie de 1818 publiée dans M. Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975 (ed 2012)</span> <span class="attribution"><span class="source">Gallimard</span></span></figcaption></figure><p>L’appréhension de la population par rapport à la date fatidique du 11 mai est révélatrice de nos comportements face à l’incertitude. De manière parfois assez virulente, notamment sur les réseaux sociaux, beaucoup ont douté et se sont offusqués de la cohérence et de la pertinence des mesures prises par le gouvernement : « comment faire adopter des gestes barrières à des enfants qui lèchent les barrières ? », pouvons-nous lire, entre autres, sur les réseaux sociaux.</p>
<p>Face à l’incertitude que représente le virus et le risque d’être confronté à une seconde vague épidémique, les mesures de distanciation physique et d’adoption des gestes barrière semblent dérisoires. En proie à la peur du chaos, nous souhaitons être protégés par des règles et des procédures, au risque de devenir les instruments d’une société disciplinaire.</p>
<p>À travers la stratégie de réouverture des classes d’écoles, il semble s’opérer le passage vers une gestion plus libérale de l’épidémie. La fréquentation à l’école se faisant « sur la base du volontariat » on passerait ainsi à une individualisation des décisions et gestion des risques. L’exemple nous montre que cet argument libéral n’est en fait que l’avatar d’une société disciplinaire qui semble rassurer dans sa capacité à protéger une population en proie à l’incertitude.</p>
<h2>Une société disciplinaire</h2>
<p>Le confinement nous a fait basculer dans une société aux allures disciplinaires, telle qu’elle a été décrite par M. Foucault, à travers les dispositifs de quarantaine mis en place lors des grandes épidémies de peste : un strict quadrillage est mis en place, chacun doit <a href="https://www.franceculture.fr/conferences/forum-des-images/pourquoi-il-faut-relire-surveiller-et-punir-de-michel-foucault">rester chez soi avec interdiction d’en sortir</a>.</p>
<p>Le parallèle est frappant avec la situation que nous vivons actuellement. Les individus sont assignés à une place fixe, chez eux. Leurs mouvements sont contrôlés par des laissez-passer. Les forces de l’ordre aussi bien par voie terrestre (barrage de police) que par voie aérienne (les hélicoptères ou les drones qui tournent au-dessus de nos têtes) viennent régulièrement nous rappeler la présence et la puissance du dispositif de contrôle mis en place, contre lesquelles peu de voix s’élèvent.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pandemie-les-francais-de-plus-en-plus-reticents-face-aux-mesures-limitant-les-libertes-publiques-136801">Pandémie : les Français de plus en plus réticents face aux mesures limitant les libertés publiques</a>
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<p>Mais pour Michel Foucault, peu importent finalement les critères, les formes et les transformations que le programme disciplinaire peut connaître. Il vise – par tous les moyens – à assurer l’agencement et l’ordre des multiplicités humaines. Et c’est en s’inscrivant dans son analyse que l’on peut voir dans les stratégies de déconfinement qui se déploient actuellement la continuité d’un programme disciplinaire.</p>
<h2>Discipliner les corps</h2>
<p>Avec le déconfinement, il ne s’agira plus comme nous l’avons fait jusqu’ici d’ériger des barrières fixes et définitives pour se protéger du virus, mais de tenter de continuer à discipliner les corps, pour reprendre l’expression de M. Foucault, par-delà les frontières de la sphère privée.</p>
<p>La tentative a déjà été amorcée. La France s’est vue « quadrillée » en zone tricolore de manière à apporter de la flexibilité dans les frontières et descendre à une échelle territoriale plus fine. Petit à petit la division spatiale se construit dans tous les recoins de la vie sociale pour mieux la contrôler et la surveiller.</p>
<p>Peut-être que l’État n’a jamais au fond vraiment cru à ces masques – chirurgicaux ou grand public – que l’on met et que l’on enlève, que l’on lave mais que l’on peut aussi négliger. À une approche négociée des risques, une approche disciplinaire a été préférée. Déjà les corps sont conduits et guidés à l’extérieur de la sphère privée. Ils doivent se déplacer selon un sens de circulation bien établi. Ils sont alignés, écartés les uns des autres.</p>
<p>Il s’agira désormais d’isoler et de repérer les corps jusqu’à l’intérieur de la vie des organisations pour empêcher la transmission du virus. La place des corps est assignée jusque dans les écoles. Sont uniquement autorisés à y pénétrer (physiquement) les enfants dont les parents occupent un emploi prioritaire et les enfants qualifiés de « décrocheurs ».</p>
<p>Les élèves se voient assigner une place dans la cité qui correspond aux stigmates et caractéristiques sociales de chacun. Se construisent une exclusion et une individualisation spatiale : certains peuvent être à l’école, d’autres doivent rester chez eux.</p>
<p>Sauf que – et c’est là que le bât blesse – si nous avons accepté jusqu’ici cette société disciplinaire, nous ne croyons pas au pouvoir de ses ramifications spatiales pour nous protéger du virus. La société disciplinaire dans laquelle nous avions basculé à travers la politique du confinement nous rassurait. Elle semblait nous mettre complètement et définitivement à l’abri de l’ennemi extérieur.</p>
<p>Ce seul mécanisme d’individualisation de la surveillance dans l’espace comme dispositif de protection contre le virus ne semble pas suffisant aux yeux d’une majorité de la population. On ne croit pas en sa faisabilité, soit parce que les lieux rendent impossible le maintien des distances sociales, soit parce que nous connaissons nos failles – comme le besoin vital de nous rapprocher des autres, surtout dans les cultures latines.</p>
<h2>L’illusion du libre choix ?</h2>
<p>L’argument libéral a été utilisé par le gouvernement, désindividualisant le pouvoir : « nous fixons des conditions, mais in fine c’est <em>votre</em> choix ». Un discours relayé par les institutions scolaires, ainsi de ce formulaire envoyé dans une commune d’Ile-de-France et qui stipule (notez les majuscules) : « C’est VOUS qui décidez si votre enfant retourne à l’école ou s’il continue les cours à distance. »</p>
<p>D’un régime normatif et prescriptif sur la base d’interdictions, on passerait ainsi, désormais, à une phase de libre choix.</p>
<p>Puisque la réintégration des enfants à l’école se fera sur la base du « volontariat », le pouvoir disciplinaire apparaît comme relégué au second plan. Les termes de l’incertitude sont transformés en « êtes-vous prêts à faire prendre des risques à vos enfants ? » (ou aux enseignants). On s’inscrit dès lors dans une prise de responsabilité individuelle et son corollaire, une culpabilité latente qui renforce plus encore le malaise.</p>
<p>On hurle à l’incompétence du gouvernement, à l’incohérence des mesures prises, à leur inconsistance. Mais c’est peut-être cette négociation quasiment intuitu personae avec le virus qui nous pose problème. Que l’on se rassure, le programme disciplinaire est toujours à l’œuvre, même s’il emprunte des formes moins visibles.</p>
<p>Face à ce dilemme insupportable, deux solutions a priori distinctes semblent possibles. Premièrement, l’observance du protocole sanitaire et disciplinaire prévu. Ce qui revient à accepter les nouvelles modalités de surveillance disciplinaires des corps dans l’espace public. Deuxièmement, se replier dans l’univers de la sphère privée pour y observer strictement les recommandations gouvernementales.</p>
<p>Au final, ces deux solutions sont les deux faces d’une même société disciplinaire qui nous gouverne et dont nous sommes devenus un rouage. Cette approche disciplinaire de l’épidémie, en même temps qu’elle inquiète, semble préférée pour mieux nous préserver des aléas et des « marginaux » qui ne se plient pas aux mesures sanitaires.</p>
<p>Le mécanisme disciplinaire est ainsi maintenu, même s’il devient presque invisible puisqu’il nous est présenté sous l’angle du libre choix. Refuser cette société disciplinaire, c’est accepter de ne plus s’en remettre aux seules fonctions pyramidales de contrôle et de surveillance pour se protéger du virus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/138089/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Elsa Gisquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Avec le déconfinement, il ne s’agira plus comme nous l’avons fait jusqu’ici d’ériger des barrières fixes et définitives pour se protéger du virus, mais de tenter de continuer à discipliner les corps.Elsa Gisquet, Sociologue, Centre de Sociologie des Organisations (CSO), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1378142020-05-10T21:45:13Z2020-05-10T21:45:13ZFenêtres sur cour : vivre et penser sous un dôme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/333326/original/file-20200507-49573-6tx76a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=22%2C0%2C1894%2C1072&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une photo de Philip Pauley, projet Sub-Biosphere 2 </span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Avec l’éruption du nouveau coronavirus, la possibilité de la fin du monde tel qu’il nous est familier, c’est-à-dire la mortalité de notre civilisation, a quitté les registres de l’eschatologie et des rhétoriques alarmistes pour investir les champs médiatique, politique et scientifique. Désormais, toute réflexion sur le Covid-19 est indissociable d’une analyse non seulement de la menace (la contamination virale) mais aussi de nos réactions face à elle et des moyens mis en œuvre pour s’en prémunir. Quelles sont les limites réelles des fortifications censées nous protéger du délitement collectif ? Les gestes barrières ne seraient-ils pas la face émergée d’un iceberg, d’une <a href="https://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2009-3-page-193.htm">dynamique de fermeture généralisée</a> en contraste avec les concepts de mondialisation et de « société ouverte » ?</p>
<h2>L’apparition d’une dystopie</h2>
<p>Depuis des semaines, une partie de l’humanité est assignée à résidence (comme le photographe Jefferies à l’intérieur de son appartement new-yorkais dans <a href="https://www.youtube.com/watch?v=2H4wwGfkavI"><em>Fenêtre sur cour</em></a> d’Alfred Hitchcock), en liberté conditionnelle, oscillant entre deux gestes : le repli sur soi justifié par la peur d’être contaminé et la recherche de refuges. Mais ces deux mouvements ne relèveraient-ils pas d’un même processus, aux racines plus profondes ? D’une sorte de syndrome <em>dômal</em> ? Au cours de l’évolution humaine, le dôme, c’était à la fois la maison (<em>domus</em>) qui protège, et le toit (<em>doma</em>), le rempart placé au-dessus de soi, qui masque le ciel. Désormais, c’est une véritable <em>amputecture</em> : le dôme protège mais ampute à son résident tout horizon, en le confinant spatialement et en le privant de repères. Le dôme fonctionne comme une membrane biologique, selon la définition de <a href="https://monoskop.org/images/8/85/Simondon_Gilbert_L_Individu_et_sa_genese_physico-biologique_1995.pdf">Simondon</a> : polarisée (interfaçant un intérieur et un extérieur) et sélective (garantissant que « le vivant est à chaque instant vivant »).</p>
<h2>Quand le dôme se retourne contre l’humain</h2>
<p>Certes, avant le SARS-CoV-2, le syndrome était déjà palpable mais il n’avait les traits que d’une maladie endémique. Que l’on pense à l’école internationale de Beijing et <a href="https://www.studyinternational.com/news/beijings-international-schools-get-creative-to-combat-air-pollution/">à ses abris</a> permettant aux enfants d’éviter l’asphyxie, aux <a href="https://www.theguardian.com/news/2020/mar/17/real-estate-for-the-apocalypse-my-journey-into-a-survival-bunker">bunkers</a> des <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/03/23/fin-du-monde-les-survivalistes-a-bunker-ouvert_1638522">survivalistes</a> ou aux coffres-forts de plantes et de graines de l’<a href="https://www.edenproject.com/">Eden Project</a> et du <a href="https://www.regjeringen.no/en/topics/food-fisheries-and-agriculture/svalbard-global-seed-vault/id462220/">Svalbard Seed Vault</a>. Ou encore à l’édification de <a href="https://www.franceculture.fr/geopolitique/le-monde-se-referme-la-carte-des-murs-aux-frontieres">murs</a> qui isolent les pays les uns des autres (Israël de la Palestine, les États-Unis du Mexique, etc.). </p>
<p>Rechercher à s’isoler des autres, quelle que soit l’échelle, ne relevait encore que d’une logique des <em>nimbies</em>, c’est-à-dire d’une posture d’autodéfense de propriétaires cherchant à conserver leurs intérêts, comme l’a décrit Mike Davis dans <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-City_of_Quartz-9782707149565.html"><em>City of Quartz</em></a>. Mais que faire contre un ennemi invisible, qui peut toucher tout le monde ?</p>
<h2>Ce que le dôme met en jeu</h2>
<p>Face au virus, le dôme se comporte, deuxième caractéristique, comme un système immunitaire. Avec le Covid-19, la défense des intérêts s’est muée en une défense du corps social à tout prix. Comme dans le film post-apocalyptique <a href="https://www.imdb.com/video/vi2257239833?ref_=tt_pv_vi_aiv_1"><em>Logan’s Run</em></a> (<em>L’âge de cristal</em>, 1976), qui montre une société recluse dans des villes-bulles, la protection par le dôme se paie au prix fort.</p>
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<p>Le prix à payer est une logique de réclusion : le dôme doit devenir le plus hermétique possible. Sa vocation est d’opérer un contrôle des masses afin de pérenniser l’ensemble. En Europe, nous avons rapidement assisté à la <a href="https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/actualites-du-ministere/informations-coronavirus-covid-19/coronavirus-declarations-et-communiques/article/message-du-ministre-de-l-europe-et-des-affaires-etrangeres-a-tous-nos">fermeture de l’espace Schengen</a> et à la mise en place de contrôles de la circulation des biens et des personnes. </p>
<p>Pour limiter la propagation du pathogène, des dômes symboliques ou miniatures se sont déployés, allant du virus au clan (parents, enfants, amis), en passant par la mise en place de <a href="https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/guide-covid-19-phase-epidemique-v15-16032020.pdf">secteurs hospitaliers</a> à forte et basse densités virales, de zones de tri et d’une <a href="https://www.iledefrance.ars.sante.fr/coronavirus-covid-19-eviter-la-propagation-du-virus">distanciation sociale</a> (considérée comme synonyme de distanciation <em>physique</em>). Le déconfinement à la <a href="https://www.rtl.fr/actu/bien-etre/coronavirus-cartes-du-deconfinement-pourquoi-y-en-a-t-il-plusieurs-7800475733">carte</a> est lui-même un programme du dôme, basé sur une gestion statistique des morts et le respect de normes (y compris dans les zones vertes).</p>
<h2>Une cacophonie déroutante</h2>
<p>En agissant sur les conduites et les milieux de vie, la crise sanitaire fournit un cas d’espèce de la <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-naissance-de-la-biopolitique-cours-au-college-de-france-1978-1979-michel-foucault/9782020324014">théorie foucaldienne de la biopolitique</a>, concrétisant la dystopie de <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=59276">L’âge de cristal</a>. Dans ce film, un ordinateur gouverne la vie et la mort des humains, devenus ignorants du monde extérieur (qu’ils avaient rendu insalubre) et des raisons même de leur enfermement dans des dômes. </p>
<p>La gouvernementalité par le dôme peine toutefois à s’exprimer dans les circonstances actuelles : la confusion règne sur la disponibilité et l’utilité des <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/020420/masques-les-preuves-d-un-mensonge-d-etat?onglet=full">masques</a> et des <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/apres-les-masques-pourquoi-la-france-risque-une-penurie-de-tests-1365883">tests</a>, sur la légitimité des traitements (ex : <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/coronavirus-chloroquine-anti-viral-paralyse-recherche-medicale-mondiale-80770/">chloroquine</a>), sur les décisions politiques (conseils scientifiques, rôle de l’expert, des médias) et de par l’existence d’injonctions contradictoires plaçant le citoyen en situation de contrainte paradoxale (ex : mettre ses enfants à l’école mais <a href="https://blogs.mediapart.fr/christophe-lasterle/blog/140420/covid-19-et-reouverture-des-creches-ecoles-irresponsable-et-dangereux">ne pas aller au restaurant</a> ; promouvoir le <a href="https://business.lesechos.fr/directions-ressources-humaines/ressources-humaines/tele-travail/0603012447402-teletravail-le-coronavirus-lui-donne-un-vrai-coup-d-envoi-336504.php">télétravail</a> tout en se méfiant des outils de visioconférence comme <a href="https://www.lemondeinformatique.fr/actualites/lire-500-000-comptes-zoom-en-vente-sur-le-darkweb-78769.html">Zoom</a>).</p>
<p>Ces cafouillages, qui touchent autant les discours (tantôt rassurants, tantôt inquiétants) que les pratiques thérapeutiques (avec la suspicion de collusion avec des <a href="https://www.franceculture.fr/sciences/covid-19-le-big-pharma-fait-il-main-basse-sur-les-remedes">intérêts privés</a>) et préventives (avec l’omission du principe de précaution matérialisé par la <a href="https://www.franceinter.fr/societe/penurie-de-masques-les-raisons-d-un-scandale-d-etat">réserve sanitaire</a>), sabordent les effets de la normalisation des conduites tentée par le pouvoir. Ce dernier cherche un salut dans la technologie, avec le traçage des malades et de leurs contacts. Dans <em>L’âge de cristal</em>, les citoyens portent toute leur vie un cristal connecté dans la <a href="http://morbius.unblog.fr/2010/01/25/lage-de-cristal/">paume</a> de leur main, comme un genre de <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/04/19/stopcovid-un-bracelet-electronique-pour-tous_1785727">bracelet électronique</a>.</p>
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<p>L’État ouvre donc une boîte de Pandore liberticide, sous le contrôle probable des <a href="https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/smartphone-covid-19-apple-google-associent-creer-application-tracage-contacts-80549/">GAFAM</a>, tout en investissant à la fois l’espace (par l’usage de <a href="https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/les-drones-l-autre-gagnant-du-covid-19-mais-a-quel-prix-846450.html">drones</a>) et le cyberespace (avec l’omniprésence du hashtag #Restezchezvous, rappelant la propagande décrite dans le roman <em>1984</em> ou le film <em>THX 1138</em>).</p>
<h2>Les dômes architecturaux, reflets de dômes cognitifs et socioculturels</h2>
<p>Les errements dans la gestion du Covid-19 ont pour conséquence de saper la confiance de la population et de favoriser méfiance, délation (dans <em>Nous autres</em> d’Eugène Zamiatine, les immeubles en verre permettent l’espionnage et la subordination des récalcitrants) et <a href="https://jean-jaures.org/nos-productions/l-epidemie-dans-l-epidemie-theses-complotistes-et-covid-19">thèses complotistes</a> sur les réseaux sociaux. Là encore, la métaphore du dôme permet de rendre compte des <a href="https://www.numerama.com/tech/402175-des-universitaires-vont-etudier-les-chambres-decho-responsables-de-la-toxicite-de-twitter.html">chambres d’écho</a> numériques, dont les <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2018/04/24/comment-les-reseaux-sociaux-accentuent-l-enfermement-dans-ses-idees_5289874_4408996.html">bulles de filtres</a> isolent les internautes des idées qui s’éloignent des leurs, pour renforcer leurs propres croyances.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/333327/original/file-20200507-49584-1knooma.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/333327/original/file-20200507-49584-1knooma.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/333327/original/file-20200507-49584-1knooma.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/333327/original/file-20200507-49584-1knooma.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=435&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/333327/original/file-20200507-49584-1knooma.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/333327/original/file-20200507-49584-1knooma.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/333327/original/file-20200507-49584-1knooma.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=547&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le dôme nous enferme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">AdobeStock</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est que les dômes ne sont pas qu’extérieurs, ils sont aussi intérieurs. Il est risqué de les fissurer. En mettant à mal nos certitudes et nos conditionnements, la crise renforce l’angoisse face aux limites d’un modèle (néolibéral) inapte à compenser le déclin des grandes idéologies, mais qui déjà envisage le <a href="https://lejourdapres.parlement-ouvert.fr/">jour d’après</a>, voire l’après-demain (cf. l’<a href="http://videos.senat.fr/video.1589204_5ea81c9d2321c.audition-m-pierre-razoux-directeur-de-recherche-a-l-irsem ?timecode=3680000">audition</a> de l’historien des armées Pierre Razoux).</p>
<h2>Vers une humanité plus solidaire ?</h2>
<p>La pandémie, parce qu’elle correspond à la survenue d’un imprévu, accélère la construction de citadelles, en nous-mêmes et au dehors, dévoilant les stigmates d’une <a href="https://www.futura-sciences.com/sante/definitions/medecine-apoptose-96/">apoptose</a> civilisationnelle (l’apoptose étant le processus au cours duquel une cellule, isolée du reste, se détruit elle-même).</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/quest-ce-quune-crise-136026">Qu’est-ce qu’une « crise » ?</a>
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<p>À ce risque de suicide collectif, il faut ajouter celui de <a href="https://blog.santelog.com/2020/01/12/hikikomori-mieux-detecter-et-traiter-cet-isolement-social-extreme/">hikikomori</a> : l’apoptose des individus induite par le retrait social. Cette crise aura toutefois eu des <a href="https://www.notre-planete.info/actualites/4662-coronavirus-COVID-19-confinement-animaux-ville">effets bénéfiques</a> sur nos villes et sur l’environnement, temporairement dépollués et ré-ensauvagés. Des chantiers se lancent, des forces vives s’activent pour co-construire du changement, comme l’avait projeté <a href="https://www.youtube.com/watch?v=co_DC20k5Vg">Edgar Morin</a> dans <a href="https://actualites.ecoledeslettres.fr/sciences-humaines/edgar-morin%c2%a0-%c2%a0la-voie-pour-lavenir-de-lhumanite%c2%a0/"><em>La Voie</em></a>.</p>
<p>Ce virus nous rappelle que l’issue de l’aventure humaine sur cette planète, ce <a href="https://www.youtube.com/watch?v=wupToqz1e2g">point bleu pâle</a> (immortalisé par la sonde Voyager 1) dont on sait les limites et les ressources finies, n’est pas prédéterminée. Comme face à la machine à rêves <a href="https://deepdreamgenerator.com/">DeepDream</a>, à qui l’on peut demander <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/07/09/on-a-teste-pour-vous-deep-dream-la-machine-a-reves-psychedeliques-de-google_4675562_4408996.html">« quoi que tu voies, on en veut plus ! »</a>, l’humain d’aujourd’hui se doit de promouvoir l’apparition d’un humain de demain <em>qualitativement</em> plus humain, plutôt que de préfigurer les germes de sa zombification.</p>
<p>S’il n’existe pas de déconfinement définitif hors des dômes, il s’agit de mieux en cerner les limites, pour s’inscrire dans une quête permanente de leurs au-delàs.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été co-écrit avec Joachim Daniel Dupuis, docteur en philosophie, historien et spécialiste du cinéma de genre. Les co-auteurs ont publié <a href="https://www.editions-harmattan.fr/index.asp ?navig=catalogue&obj=livre&no=59276">« La biopolitique vue du cinéma : l’âge de cristal »</a> (L’Harmattan, 2018).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/137814/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dr. Abdel Aouacheria est membre de Reliance en complexité (<a href="http://www.reliance-en-complexite.org">www.reliance-en-complexite.org</a>).</span></em></p>Quelles sont les limites réelles des fortifications censées nous protéger du délitement collectif ?Abdel Aouacheria, Biologiste, chargé de recherches au CNRS, spécialiste de la vie et de la mort des cellules, Université de MontpellierLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1250222019-10-15T18:58:16Z2019-10-15T18:58:16ZTwitter ou comment discipliner les individus : retour sur l’affaire Bernardo Silva<p>11 heures, le 2 octobre 2019, la sentence tombe pour Bernardo Silva, joueur de Manchester City. <a href="http://www.thefa.com/news/2019/oct/02/bernardo-silva-charged-with-misconduct-021019">Le communiqué</a> de la Fédération anglaise de football (FA) indique que le joueur portugais est accusé d’inconduite pour avoir enfreint la règle E3 de la loi fédérale.</p>
<p>On lui reproche d’avoir eu une attitude insultante et/ou inappropriée et/ou jetant le discrédit sur le jeu, violation aggravée par la mention d’une race et/ou une couleur de peau et/ou une origine ethnique. Le milieu de terrain des Citizens a jusqu’au 21 octobre 2019 pour défendre son acte.</p>
<p>De quoi s’agit-il ? Le 22 septembre 2019, Bernardo Silva s’est fendu d’un tweet dans lequel il compare une photo de son coéquipier Benjamin Mendy enfant à la mascotte de la marque de friandises espagnole Conguitos. Suite à l’indignation de plusieurs twittos, Bernardo décide de supprimer son tweet et d’en publier un <a href="https://twitter.com/BernardoCSilva/status/1175749378071511040?s=20">autre</a> dans lequel, consterné, il déplore l’impossibilité de plaisanter avec son ami. Trop tard. La polémique éclate.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/296527/original/file-20191010-188787-h67d9a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/296527/original/file-20191010-188787-h67d9a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/296527/original/file-20191010-188787-h67d9a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/296527/original/file-20191010-188787-h67d9a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/296527/original/file-20191010-188787-h67d9a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=669&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/296527/original/file-20191010-188787-h67d9a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=840&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/296527/original/file-20191010-188787-h67d9a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=840&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/296527/original/file-20191010-188787-h67d9a.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=840&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le tweet litigieux de Bernardo Silva a été supprimé en quelques heures.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Twitter</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>L’affaire naît sur Twitter. Néanmoins, le réseau à l’oiseau bleu n’en est pas que le support. Il est également et surtout l’outil par lequel la « blague » de Bernardo Silva se transforme en un comportement insultant vis-à-vis des personnes de couleur noire, susceptible d’être sanctionné tant par le réseau qu’en dehors de celui-ci. Comment ce réseau permet-il alors l’émergence d’un tel processus disciplinaire ?</p>
<p>Les mécanismes à l’œuvre dans ce processus rappellent les instruments disciplinaires identifiés par Michel Foucault, dans <a href="https://monoskop.org/images/2/22/Foucault_Michel_Surveiller_et_Punir_Naissance_de_la_Prison_2004.pdf"><em>Surveiller et Punir. Naissance de la prison</em></a> (1975). À cet égard, l’affaire Bernardo Silva peut être analysée à partir des trois mécanismes suivants : la visibilité, l’archivage et la sanction. Trois éléments que les réseaux sociaux transforment profondément.</p>
<h2>Une prise de parole sous surveillance</h2>
<p>L’exercice de la discipline suppose une visibilité. En effet, pour être en mesure de discipliner autrui, il faut voir, et avoir connaissance de ses comportements.</p>
<p>Sur ce point, le milieu de terrain portugais s’est lui-même considérablement exposé au risque de déclencher un processus disciplinaire à son encontre. Traditionnellement sous le feu des projecteurs à l’intérieur du rectangle vert, les footballeurs sont désormais observés dans un cadre bien plus large, l’usage des réseaux sociaux étant propice à l’attention constante et à la dissection de la moindre information.</p>
<p>Dans l’audience, des twittos se sont rapidement indignés du caractère raciste du tweet. Selon ces personnes, le personnage de la marque Conguitos porterait des stéréotypes racistes. Suite à la suppression du tweet, les utilisateurs ont continué à diffuser des captures d’écran de ce dernier, et cela afin de maintenir la visibilité du tweet sur le réseau social. Alertée par cette visibilité, l’association de lutte contre la discrimination dans le football, Kick It Out, se déclare, le 23 septembre, « être extrêmement déçue de voir le tweet posté par Bernardo Silva », et <a href="https://www.theguardian.com/football/2019/sep/23/bernardo-silva-mendy-tweet-fa-kick-it-out-calls-action">invite la FA à prendre des mesures à l’encontre de Bernardo Silva</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1175849441548537856"}"></div></p>
<h2>Garder une trace pour discipliner les individus</h2>
<p>Les dispositifs disciplinaires établissent une visibilité archivée sur les individus. Ainsi, pour pouvoir « dresser » autrui, il faut garder une trace, établir une archive ténue et minutieuse de ses comportements. À cet égard, les captures d’écran du tweet de Bernardo Silva, évoquées précédemment, constituent une belle illustration d’un tel archivage.</p>
<p>Twitter participe ainsi à la transformation de la notion de mémoire, rendant progressivement inoubliable la moindre prise de parole publique. Les utilisateurs indignés conservent ici une preuve du tweet, pour éviter que l’acte potentiellement insultant ne tombe dans l’oubli.</p>
<p>L’utilisation de Twitter peut également permettre de « ressortir » de vieilles archives. En effet, suite à la polémique, des twittos ont exhumé une vidéo postée par le joueur lors de l’avant-saison 2018/2019 dans laquelle il disait que Benjamin Mendy, encore lui, était nu, alors qu’il était en réalité habillé avec des vêtements noirs.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1175758661064548353"}"></div></p>
<p>À la suite de la polémique, la FA a indiqué qu’elle allait <a href="https://www.afp.com/en/news/824/bernardo-silva-charged-over-benjamin-mendy-tweet-doc-1ky84x6">étudier tout l’historique des réseaux sociaux de Bernardo Silva</a>. Dès lors, le joueur de Manchester City n’a plus à se défendre par rapport à un tweet spécifique, mais par rapport à l’ensemble de ses actes archivés sur les réseaux. La transformation de la notion de mémoire implique alors une modification de la notion d’identité puisque l’intemporalité de l’information permet sa réutilisation constante, peu important sa potentielle perte de pertinence.</p>
<p>Pour <a href="https://oll.libertyfund.org/titles/locke-the-works-vol-1-an-essay-concerning-human-understanding-part-1">John Locke</a> l’identité est façonnée par la continuité de la personne. Aujourd’hui, la conservation d’informations relatives à un individu implique dès lors qu’il soit toujours perçu de la même manière. <a href="https://www.wired.com/2013/11/bill-gates-bill-clinton-wired/">Bill Gates précisait</a> ainsi qu’historiquement implicite, la notion de vie privée – impliquée ici par la possibilité de se voir à tout moment opposer une information relative à soi – disparaît sous la puissance de la mémoire informatique.</p>
<h2>De la sanction sociale à la sanction judiciaire</h2>
<p>Enfin, le pouvoir disciplinaire induit une sanction. Ainsi, un système disciplinaire fonctionne comme un petit mécanisme pénal, qui a pour fonction de normaliser les comportements. Par leur indignation, les utilisateurs du réseau indiquent alors que Bernardo ne se comporte pas de la manière qui serait attendue de sa personne (en tant qu’être humain, et en tant que personnalité). Une première sanction, sociale, tombe : son comportement est stigmatisé et jugé anormal.</p>
<p>Pour « rentrer dans le rang », le joueur portugais normalise ensuite son comportement : il supprime son tweet et cherche à justifier son écart de conduite. À cet égard, le réseau social, à lui seul, est susceptible de fabriquer des sanctions sociales, induisant une normalisation comportementale.</p>
<p>Le réseau endosse ainsi, par l’intermédiaire des utilisateurs, le rôle du parquet, chassant les comportements déviants au nom de la société. Cette quasi-ubiquité a néanmoins cela de différent (gênant ?) qu’elle traque une étendue d’actes plus large, par le biais d’individus dont les sensibilités divergent entre groupes sociaux et face à la loi.</p>
<p>Mais, son influence va au-delà : le rôle de Twitter dans le système de justice et son influence sur les magistrats sont interrogés. <a href="https://www.bbc.com/news/uk-13372452">Ce point avait d’ailleurs déjà intéressé le Royaume-Uni au début de la décennie</a> lors de l’autorisation de l’utilisation du réseau, par les juges, pour la publication d’informations relatives à des procès en cours.</p>
<p>La visibilité et la caisse de résonance médiatiques sont telles que les instances compétentes, ici la FA, n’ont d’autre choix que de s’emparer du dossier. Pour Bernardo, à la stigmatisation sociale s’ajoute alors la procédure disciplinaire classique de la FA.</p>
<h2>La FA a-t-elle cédé à la pression populaire ?</h2>
<p>Si une décision rendue par l’organe compétent permet une lecture plus claire du caractère répréhensible des actes, sa simple saisine semble déjà regrettable.</p>
<p>En se saisissant après la tempête médiatique, la FA pourrait donner l’impression d’avoir mis le doigt dans l’engrenage de la pression populaire qui l’obligerait à se saisir à chaque expression de mécontentement de masse, art dans lequel Twitter n’a que peu d’égaux. Le réseau semble ainsi avoir développé une fonctionnalité disciplinaire, exacerbant la surveillance des personnes médiatisées, créant une mémoire intemporelle à leur sujet et permettant une sanction interne au réseau dont la résonance agit jusqu’à l’extérieur.</p>
<p>Selon la loi fédérale, l’inconduite de Bernardo Silva pourrait lui valoir une suspension de six matchs, transformant la mise au ban figurative en une mise en tribune bien réelle. La réponse de la FA est attendue au cours du mois de novembre.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/125022/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Twitter fonctionne comme un petit mécanisme pénal, ayant pour effet de normaliser les comportements.Benoît Gérard, Maître de conférences, Sciences de gestion, Université Paris Dauphine – PSLJòan Gondolo, Enseignant chercheur - Droit de la protection des données à caractère personnel, Université Paris 1 Panthéon-SorbonneLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1190352019-07-04T21:31:32Z2019-07-04T21:31:32ZLes voitures à radars embarqués, un dispositif de contrôle au service du pouvoir<p>L’information ne circule que depuis quelques mois : un comité de l’Union européenne <a href="https://www.capital.fr/votre-argent/un-mouchard-embarque-dans-tous-les-vehicules-neufs-en-2022-1334033">propose d’équiper tous les véhicules neufs d’un boîtier électronique</a> capable de limiter la vitesse intelligemment et d’enregistrer les données de conduite selon le journal <em>Capital</em>.</p>
<p>Si cette proposition est adoptée, ces boîtiers deviendraient obligatoires sur tous les véhicules neufs à partir de 2022. Est-ce une nouvelle étape vers la surveillance individuelle au nom du bien-être collectif ?</p>
<p>Déjà, depuis mars 2018 la région Normandie <a href="https://www.lamanchelibre.fr/actualite-429479-normandie-une-entreprise-selectionnee-pour-la-privatisation-des-radars-embarques">expérimente la mise en circulation de voitures avec radars embarqués</a>. Un essai confié à l’entreprise privée Mobiom.</p>
<p>Si ces propositions ont déjà fait polémiques quant à leur efficacité et leur coût, le cœur du dispositif a été, en revanche, beaucoup moins remis en cause. Pourtant, son origine est à rechercher chez les théoriciens de la prison à la fin du XVIII<sup>e</sup> dans leurs réflexions sur les techniques visant à contrôler les comportements.</p>
<h2>Les radars-embarqués c’est quoi ?</h2>
<p>L’objectif de la sécurité routière est louable et ne peut être remis en question. Rappelons que la vitesse est en cause dans un <a href="https://www.securite-routiere.gouv.fr/actualites/bilan-definitif-de-laccidentalite-routiere-2018">accident mortel sur trois en France</a>.</p>
<p>Anciennement appelés équipement de terrain mobile (ETM), les radars embarqués sont sur nos routes depuis 2013 dans des véhicules banalisés conduits par deux policiers ou gendarmes en uniforme.</p>
<p>C’était alors une première mondiale avec <a href="http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/02/28/01016-20130228ARTFIG00356-peu-visible-ce-nouveau-radar-flashe-en-roulant.php">« un atout indéniable : celui d’être quasiment invisible »</a>.</p>
<p>On se souviendra de la phrase prononcée en octobre 21013 par Aurélien Wattez (alors chef du département du contrôle automatisé au ministère de l’Intérieur) lors d’une rencontre avec les <a href="http://www.leparisien.fr/espace-premium/fait-du-jour/nous-avons-teste-le-tout-nouvel-appareil-18-10-2013-3236237.php">journalistes</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Si l’on voulait piéger les conducteurs, les policiers seraient en civil dans les voitures ou cachés dans les fourrés, alors qu’ils sont en uniforme et insérés dans la circulation. »</p>
</blockquote>
<p>C’est aujourd’hui le cas à la différence près que les personnes « en civil » sont vraiment… des civils.</p>
<p>Une autre différence de taille avec l’ancien dispositif réside dans son automatisation et son invisibilité pour le conducteur. Alors que les infractions s’affichaient immédiatement aux policiers et aux gendarmes, sur une tablette qui devait être branchée sur un ordinateur fixe à leur retour de mission pour transmettre les données, cette transmission s’effectue désormais en temps réel et sans notifications particulières.</p>
<h2>Un bilan critiqué</h2>
<p>Après un an, certains <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/voitures-radars-privees-vers-un-flop-couteux-pour-les-finances-publiques-1337493">critiquent le bilan</a> : un coût élevé pour les finances publiques pour un résultat discutable.</p>
<p>Comme le souligne <em>Le Parisien</em>, dans le département de la Manche, si durant les quatre premiers mois de l’année le nombre d’infractions n’a pas cessé de baisser, les <a href="http://www.leparisien.fr/societe/le-bide-des-radars-avec-chauffeurs-prives-07-05-2019-8067741.php">excès de vitesse ont quant à eux augmenté de 54 %</a>.</p>
<p>Pourtant les pouvoirs publics clament qu’il s’agit d’une réussite. Selon les <a href="http://www.manche.gouv.fr/Actualites/Le-prefet-de-la-Manche-dement-formellement-les-informations-sur-les-radars-embarques">déclarations du Préfet de la Manche</a> et un <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Communiques/L-externalisation-de-la-conduite-des-voitures-radar-s-etend-a-de-nouvelles-regions%22">communiqué du Ministère de l’Intérieur</a>, 60 nouveaux véhicules seront mis en place dans <a href="https://www.flotauto.com/voitures-radars-trois-regions-20190513.html">trois régions dès janvier 2020</a>, : 19 en Bretagne, 20 en Pays de la Loire et 21 en Centre-Val-de-Loire.</p>
<p>Ces voitures circuleront 6h par jour, 7 jours sur 7, 24h/24h sur des trajets et horaires définis par l’État sur les routes les plus accidentogènes.</p>
<p>Dans <a href="https://www.interieur.gouv.fr/Actualites/Communiques/L-externalisation-de-la-conduite-des-voitures-radar-s-etend-a-de-nouvelles-regions">son communiqué</a>, le Ministère annonce qu’avec seulement 26 véhicules radars :</p>
<blockquote>
<p>« La barre des 100 000 kilomètres a été dépassée au cours du mois d’avril […] plus de 6 800 messages d’infraction ont été générés par ce dispositif, confirmant sa montée en charge. »</p>
</blockquote>
<p>En quoi ce dispositif doit-il être analysé comme un contrôle de l’État sur l’individu ? Les philosophes Michel Foucault, Gilles Deleuze et Olivier Razac nous offrent quelques réponses.</p>
<h2>Quand le politique s’exerce sur le corps</h2>
<blockquote>
<p>« Le pouvoir politique, avant même d’agir sur l’idéologie, sur la conscience des personnes, s’exerce de façon beaucoup plus physique sur leur corps. La manière dont on leur impose des gestes, des attitudes, des usages […] appartient, me semble-t-il, à une technologie politique du corps. » (Foucault, 1974)</p>
</blockquote>
<p><a href="http://1libertaire.free.fr/MFoucault451.html">Ce pouvoir</a> se réalise avec le panoptique pensé par <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Jeremy_Bentham">Jeremy Bentham</a> au XVIII<sup>e</sup> pour l’architecture des prisons.</p>
<p>Une tour centrale abrite un gardien qui observe la totalité des cellules construites autour en cercle. Les prisonniers ne savent jamais s’ils sont observés.</p>
<p>Le sentiment de visibilité du détenu transformé en « objet d’une information, jamais sujet dans une communication » comme l’écrit Foucault dans <em>Surveiller et punir</em> en 1975, s’insinue dans sa conscience perméable au pouvoir. Le cœur du dispositif repose sur l’incertitude qu’à l’individu d’être constamment surveillé.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/282320/original/file-20190702-126376-1n7dvyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/282320/original/file-20190702-126376-1n7dvyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/282320/original/file-20190702-126376-1n7dvyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/282320/original/file-20190702-126376-1n7dvyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=402&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/282320/original/file-20190702-126376-1n7dvyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/282320/original/file-20190702-126376-1n7dvyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/282320/original/file-20190702-126376-1n7dvyu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=505&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’intérieur de la prison Presidio Modelo, à Cuba, construite sur le modèle du panoptique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikipédia</span></span>
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<p>L’objectif selon Foucault est, « d’induire chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement automatique du pouvoir » (1975). Le regard présupposé sur le corps induit un état conscient qui, par la force d’habitude, s’intériorise en modifiant le détenu lui-même, pour agir en retour sur les comportements du corps.</p>
<h2>Souveraineté, discipline, contrôle</h2>
<p>Foucault distingue deux formes de sociétés définies par l’organisation du pouvoir. Nous recourons au résumé qu’en donne Deleuze (1990) dans son <a href="http://1libertaire.free.fr/DeleuzePostScriptum.html"><em>Post-scriptum sur les sociétés de contrôle</em></a>.</p>
<p>Dans les sociétés de souveraineté, le pouvoir souverain est fait d’interdits inscrits dans la loi où l’on préfère « prélever plutôt qu’organiser la production, décider de la mort plutôt que gérer la vie ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Marc Bidan sur Deleuze.</span></figcaption>
</figure>
<p>Puis, leur ont succédé les sociétés disciplinaires caractérisées par un pouvoir positif délaissant les interdictions pour privilégier les incitations. Par l’utilisation du panoptique, la discipline aspire à conduire dans le sens voulu les comportements individuels par un pouvoir économe de sa présence avec des effets maximaux. Deleuze (1990), ajoute une troisième forme avec les sociétés de contrôle, dont il situe les débuts après la Seconde Guerre mondiale, observant la fin des enfermements au sein des institutions pour un contrôle à ciel ouvert et continu qui fonctionne « par machines de troisième espèce, machines informatiques et ordinateurs ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Michel Foucault, 1976.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Et nos véhicules radars dans tout cela ?</h2>
<p>Vous êtes au volant de votre voiture. Mais quelque chose a changé. Vous sentez le regard du radar sur vous alors qu’il n’y a pas de radar sur cette route, vous le savez. Mais voilà, vous savez qu’il y a des véhicules avec des radars embarqués et plusieurs de vos proches vous ont raconté avoir été flashés sans s’en rendre compte, sans voir d’où cela venait…</p>
<p>Ce sentiment résonne avec l’effet recherché par le panoptique mais il est augmenté par la puissance de l’informatique en milieu ouvert et mobile. Rien n’est dû au hasard.</p>
<p>De manière inquiétante, cette situation fait écho avec ce que décrit le philosophe <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2013-3-page-389.htm">Olivier Razac</a> à propos des individus portant un bracelet électronique :</p>
<blockquote>
<p>« Les placés doivent imaginer les opérations qui s’exercent sur eux d’une manière invisible et quasi insensible ; ils produisent ainsi la matérialité de ce pouvoir qu’ils tirent en quelque sorte de leur propre substance. »</p>
</blockquote>
<p>Vous êtes au volant et votre vitesse vous inquiète plus que de raison car vous imaginez que c’est une voiture radar qui arrive en face…</p>
<p>Un des arguments avancés par les pouvoirs publics réside dans l’économie des forces de l’ordre (400 équivalents temps plein). Nous retrouvons là encore, les analyses d’Olivier Razac, à la suite de Foucault et Deleuze. Dans son <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs-essais/sciences-humaines/histoire-politique-du-barbele"><em>Histoire politique du barbelé</em> (2000)</a>, Razac montre ainsi que le contrôle s’effectue sur une <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2013-3-page-389.htm">base économique</a>.</p>
<blockquote>
<p>« Les meilleurs dispositifs de pouvoir sont ceux qui dépensent la plus petite quantité d’énergie possible (matériellement et politiquement) pour produire le plus d’effets de contrôle ou de domination possibles. »</p>
</blockquote>
<p>Appliqué à nos voitures radars, l’espace contrôlé devient mobile par les véhicules, virtuel dans les esprits des conducteurs et un possible dans le véhicule que l’on croise sur les routes. Ce nouveau type de contrôle rend également caduque l’usage des radars fixes, l’équivalent des « barbelés » utilisé par Razac dans son argumentation :</p>
<blockquote>
<p>« Le barbelé annonçait son propre dépassement, il annonçait le temps où lui-même serait trop voyant et trop lourd et devrait être remplacé par des techniques plus éthérées, par des dispositifs plus furtifs traçant des limites immatérielles : pas de bois, pas de pierre ni de métal, mais de lumière, d’ondes, de vibrations invisibles. »</p>
</blockquote>
<p>Les radars embarqués présentent donc un assemblage de différents moyens utilisés par la société de contrôle et soumis à l’intelligence des sociétés disciplinaires. Mais ne vous inquiétez pas, Gilles Deleuze <a href="https://infokiosques.net/imprimersans2.php3?id_article=214">avait tout prévu</a> : « Il n’y a pas lieu de craindre ou d’espérer, mais de chercher de nouvelles armes ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/119035/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marius Bertolucci ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le dispositif des radars-embarqués s’insère dans une société de contrôle. Et si Foucault et Deleuze avaient raison ?Marius Bertolucci, Maître de conférences spécialisé en management public., Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1109182019-02-11T20:58:15Z2019-02-11T20:58:15ZLa méditation : le nouvel « esprit » du capitalisme ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/257900/original/file-20190208-174857-1090hiv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C10%2C989%2C591&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Et si on se préparait/arrêtait de travailler pour le grand capital pour mieux dormir ? Allez hop, pratiquons la méditation / l’autogestion !
</span> <span class="attribution"><span class="source">Antonio Pele</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Depuis quelques années, la méditation fait l’objet d’un succès grandissant, de sorte qu’elle est devenue une <a href="http://businessresearcher.sagepub.com/sbr-1946-105603-2878495/20180129/the-meditation-industry">industrie</a> avec un chiffre annuel évalué à plus d’un milliard de dollars.</p>
<p>J’utilise une définition ample de la méditation et j’entends par là un ensemble de pratiques visant à fixer notre attention sur le moment présent, en travaillant sur l’observation de la respiration. Grâce à cela, le méditant apprend à stabiliser son esprit, ses pensées et ses émotions.</p>
<h2>Une pratique diffusée dans des milieux divers</h2>
<p>Pour certains, la méditation nous apprendrait à développer notre concentration et à cultiver notre intelligence émotionnelle. Les secteurs de la <a href="https://www.sorbonne-universite.fr/newsroom/actualites/la-meditation-lhopital">santé</a> et de l’<a href="https://theconversation.com/la-meditation-a-lecole-la-ciser-une-pratique-spirituelle-109743">éducation</a> s’intéressent de plus en plus à cette pratique et Google a même développé son propre <a href="https://siyli.org/">programme</a>. Les neurosciences semblent aussi démontrer comment la méditation aurait une influence sur notre cerveau. Pour d’autres, en revanche, la méditation – sous couvert d’un discours prônant la paix intérieure – serait devenue une <a href="https://theconversation.com/la-pleine-conscience-en-entreprise-a-t-elle-un-avenir-96924">technique managériale</a> visant à soumettre sournoisement les individus à la logique de la compétitivité.</p>
<p>À l’âge de la <a href="https://theconversation.com/mcmindfulness-buddhism-as-sold-to-you-by-neoliberals-88338">« McMindfulness »</a>, nous serions désormais enjoints de prendre en charge notre stress sans chercher ses causes corporatives et sociales.</p>
<p>Je souhaiterais compléter ici ces débats en essayant d’identifier les rapports entre la méditation et nos sociétés actuelles. Je ne cherche pas à critiquer la méditation mais à comprendre les raisons de l’enthousiasme qu’elle génère aujourd’hui. Comment cette pratique, qui fut longtemps associée (en Occident) à des conduites jugées « exotiques » voir excentriques, a-t-elle pu se retrouver légitimée par la science, l’économie et le politique ? Pourquoi un tel engouement et surtout qu’est-ce que ce succès peut-il nous dire en retour sur nos sociétés ? J’identifierai trois éléments qui peuvent expliquer – bien que partiellement – les raisons de la diffusion de la méditation aujourd’hui.</p>
<h2>« Entrepreneur de soi-même »</h2>
<p>Nos sociétés sont néolibérales dans le sens où la liberté individuelle est une valeur fondamentale, les marchés financiers ont acquis un pouvoir supérieur à celui des États et ces derniers délaissent petit à petit leur mission de « providence ».</p>
<p>Il existe aussi une autre caractéristique du néolibéralisme, qui passe souvent inaperçue mais qui est aussi très proche de notre quotidien. Selon <a href="https://www.youtube.com/watch?v=t4BSjQ9NfbU">Michel Foucault</a>, cette caractéristique consiste à diffuser le modèle de l’entreprise à tous les secteurs de la vie sociale dont, et en particulier, la façon dont nous appréhendons notre propre personne.</p>
<p>Nous considérons en effet comme important de « gérer » nos aptitudes, nos talents, notre éducation, notre santé et nos relations avec autrui. Nous élaborons des « stratégies » afin de prendre conscience de notre <a href="http://ses.ens-lyon.fr/articles/a-les-fondements-de-la-theorie-du-capital-humain-68305">« capital humain »</a> individuel et nous « investissons » dans ce dernier afin d’ajuster notre employabilité. De cette façon, le néolibéralisme consiste à façonner l’individu comme un « entrepreneur de soi-même ». En outre, comme le souligne Maurizio Lazaratto dans son ouvrage <a href="http://www.editionsamsterdam.fr/la-fabrique-de-lhomme-endette/"><em>La fabrique de l’homme endetté</em></a>, depuis la crise de 2008, le capitalisme aurait nuancé ses discours épiques sur les progrès de la mondialisation.</p>
<p>Les populations devraient désormais « se charger de tout ce que la finance, les entreprises et l’État-providence externalisent sur la société ». Cette situation imposerait une multiplication d’interventions spécialisées relatives au « travail sur soi » : <em>coaching</em> pour les salariés des classes supérieures, suivi obligatoire pour les travailleurs pauvres et les chômeurs, et explosion des techniques spirituelles et psychologiques de « souci de soi ».</p>
<p>Par conséquent, il est possible que la diffusion actuelle de la méditation se soit accouplée à cette anthropologie néolibérale de l’entrepreneur de soi, puisqu’elle a renforcé cette exigence de réflexivité à l’égard de notre personne. En apprenant à ne pas nous identifier avec nos émotions, nous apprendrions aussi à développer celles qui sont jugées comme stratégiques (empathie, maîtrise de soi, résilience) dans un contexte socio-économique profondément <a href="https://www.lesbelleslettres.com/livre/3774-crashed">remodelé</a> par la crise de 2008.</p>
<h2>« Esprit »</h2>
<p>Dans son ouvrage <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Bullshit_Jobs-546-1-1-0-1.html"><em>Bullshit Jobs</em></a>, David Graeber considère que de nombreuses personnes se sont résignées à des emplois qui auraient étouffé leurs passions et dont elles ne verraient ni l’utilité ni le sens. Dans <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-24_7-9782355220661.html"><em>24/7 Le capitalisme à l’assaut du sommeil</em></a>, Jonhatan Crary souligne comment le capitalisme nous exigerait toujours plus de discipline au travail tout en sollicitant de notre part une attention permanente (publicités ciblées, réseaux sociaux), ce qui aurait pour conséquence d’ affaiblir la valeur que nous accorderions au sommeil.</p>
<p>Nous manquerions donc de motivation quant au sens de nos emplois, et la discipline qui nous serait requise, serait constamment sapée par une multiplication de <a href="https://theconversation.com/captologie-et-economie-de-lattention-87140">sollicitations</a>. Souvenons nous qu’avec <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/entendez-vous-leco/lesprit-du-capitalisme-14-dans-la-peau-de-max-weber">Max Weber</a>, pour comprendre le capitalisme, il faut aussi saisir son « esprit », c’est-à-dire, une disposition psychologique orientée vers le profit.</p>
<p>Selon Weber, le protestantisme aurait stimulé cette mentalité en transformant le travail en une activité spirituelle. Grâce à l’obéissance et à l’ascèse dans le travail, le protestant pouvait vérifier et être sûr de son salut. Si les pratiques méditatives ont trouvé un écho aussi particulier au sein de l’entreprise, c’est peut-être aussi parce qu’elles viendraient rétablir une (auto)discipline que le capitalisme aurait perdu si nous suivons les observations de Graeber et de Crary.</p>
<p>Le fait de s’asseoir et de méditer tous les jours pendant quelques minutes introduit un rituel personnel qui vient cultiver une discipline qui s’étend aux rapports que nous entretenons avec nos activités professionnelles et quotidiennes. La méditation activerait en ce sens, en suivant l’analyse de <a href="http://www.cabinetmagazine.org/issues/2/western.php">Slavoj Žižek</a>, une dose de spiritualité sécularisée nécessaire au maintien et aux transformations du capitalisme contemporain.</p>
<h2>« L’idéologie de la cérébralité »</h2>
<p>La légitimation actuelle de la méditation vient aussi du fait qu’elle a intégré le discours scientifique. De façon plus précise, ce sont les neurosciences qui se sont alliées à la méditation afin de démontrer ses <a href="https://www.franceculture.fr/conferences/palais-de-la-decouverte-et-cite-des-sciences-et-de-lindustrie/la-meditation-fait-du-bien">bienfaits</a>. Ce domaine de recherche est <a href="https://theconversation.com/dix-minutes-de-meditation-par-jour-ameliorent-lefficacite-du-cerveau-103740">prometteur</a> mais il devrait – comme toute recherche – <a href="https://www.nature.com/articles/nrn3916">améliorer</a> ses méthodes et ses analyses.</p>
<p>En fait, si la méditation s’est accouplée aux neurosciences, c’est par ce qu’elles entretiennent toutes les deux ce que Francisco Vidal et Fernando Ortega définissent dans <a href="https://www.fordhampress.com/9780823276080/being-brains/"><em>Being Brains</em></a> comme l’« idéologie de la cérébralité ». Aujourd’hui, le cerveau est considéré comme l’organe du corps suffisant pour définir notre identité. Tout se passe dans le cerveau et, de façon symbolique, il serait même la solution à notre immortalité. Après leurs morts, certains décident en effet de <a href="https://motherboard.vice.com/fr/article/kb3879/en-2200-nous-decongelerons-des-humains-daujourdhui">cryogéniser</a> leurs têtes dans l’espoir que la science du futur soit capable de les ressusciter.</p>
<p>L’être humain est un sujet cérébral et le cerveau est l’organe où est/qui est notre « moi ». Grâce à l’imagerie cérébrale, nous établissons des corrélations entre d’une part, des régions du cerveau et, d’autre part, des comportements et des émotions. La mort cérébrale définit la mort de l’être humain et la dépression est parfois considérée comme un déséquilibre chimique entre certaines parties du cerveau. Nous sommes des sujets cérébraux et en comprenant son fonctionnement nous pourrions savoir « comment » nous sommes. La méditation dans la mesure où elle permet de voir comment certaines régions du cerveau se <a href="http://www.jneurosci.org/content/31/14/5540">modifient</a>, accentuerait donc cette « cérébralisation » de notre identité.</p>
<p>Elle montrerait bien que nous sommes notre cerveau puisque ses effets sont visibles et logés dans cet organe. En même temps, puisque nous pouvons, par la pratique méditative, modifier, activer (ou ne pas activer) certaines régions du cerveau, cela montre aussi que nous pouvons en faire usage.</p>
<p>Il existe bien entendu d’autres <a href="https://www.cairn.info/revue-sociologie-2011-3-page-259.htm">raisons</a> qui expliquent le développement de la méditation aujourd’hui et cette dernière représente sans aucun doute une pratique porteuse de bien-être personnel. En même temps, nous devons être vigilants quant à certains usages de la méditation qui cherchent à discipliner nos existences sans remettre en cause les injustices du capitalisme contemporain.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/110918/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antonio Pele ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La méditation est présentée comme une pratique permettant une meilleure connaissance de soi. Et si elle nous permettait aussi de mieux comprendre la société dans laquelle nous vivons ?Antonio Pele, Associate professor, Law School of the Pontifical Catholic University of Rio de Janeiro, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1101242019-01-21T19:55:42Z2019-01-21T19:55:42ZL’écologie « relationnelle » pour repenser les rapports entre l’homme et son environnement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/254555/original/file-20190118-100288-fdy3rx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=7%2C7%2C5288%2C3715&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Éco-logie, science de la « maison », de « l’habitat » ou encore « du milieu ». Inventé à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle par le biologiste Ernst Haeckel, le terme a depuis généré une diversité terminologique impressionnante – écologie de la conservation, végétale, urbaine, agroécologie – au fur et à mesure de la compréhension de plus en plus précise de la diversité terrestre.</p>
<p>Il est toutefois intéressant de constater que le terme, peu importe son contexte d’utilisation, s’est longtemps ancré dans un même et unique rapport au monde : l’appréhension de ce qui est autre par le seul prisme de la division entre deux mondes, celui de l’humain et celui de la nature. Plusieurs auteurs ont depuis contesté cette posture.</p>
<p>Nous proposons de remettre en perspective ces critiques pour cheminer vers un nouveau champ d’études à explorer dans le domaine de l’écologie. Soit la découverte et les potentialités offertes par l’étude des liens entre l’humain et le non-humain, que nous nommons « l’écologie relationnelle ».</p>
<h2>Trouver un nouveau cadre</h2>
<p>Richard Rorty, dans <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/la-philosophie-et-le-miroir-de-la-nature-richard-rorty/9782021317428"><em>La philosophie et le miroir de la nature</em></a>, s’est intéressé dès les années 1970 à l’utilisation du terme « nature » dans la philosophie des Lumières.</p>
<p>Il démontre que le terme de « nature » a rapidement remplacé celui de « Dieu », devenant un nouvel « absolu » à partir duquel les philosophes pensent le monde sans jamais pourtant questionner les limites euristiques de ces notions. Cette orientation philosophique a eu tendance à s’imposer mondialement, avec des conséquences majeures dans les façons de penser et d’habiter le monde.</p>
<p>Pourtant, un regard sur la diversité des cultures et des territoires nous apprend que cette approche est loin d’être universelle. Pour l’anthropologue Philippe Descola, la séparation radicale entre la <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Sciences-humaines/Par-dela-nature-et-culture">culture et la nature</a> qui en découle est même l’une des caractéristiques intrinsèques des sociétés dites « modernes » ; un positionnement que l’auteur nomme « le naturalisme ». Celui-ci considère l’intériorité des êtres humains comme spécifique et ainsi relativement autonome des contraintes environnementales. Si cette vision du monde est largement répandue dans les territoires occidentaux, elle ne constitue qu’une posture parmi d’autres dans la diversité des relations qui caractérisent chaque société.</p>
<p>À titre d’exemple, la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Dualisme_cart%C3%A9sien">catégorisation cartésienne</a> entre ceux qui « pensent », les humains, et ceux qui ne pensent pas, les non-humains, a fait émerger en philosophie politique une division du monde entre sujets et objets, qui ne permet pas d’apporter une réponse politique et juridique suffisante <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Face____Ga__a-9782359251272.html">face à la crise climatique</a> actuelle. Cette démarche, qui cantonne le non-humain au statut de ressource à exploiter, réduit les possibilités de sa protection, tout en inhibant nombre de ressorts juridiques permettant de reconnaître la responsabilité de l’humain dans les crises environnementales.</p>
<p>Il y a donc urgence à trouver une issue pour appréhender autrement les défis de notre monde. L’écologie relationnelle peut constituer cette nouvelle méthode pour penser nos relations aux autres et aux territoires. Nous la décrirons en ses trois moments fondateurs : reconsidérer la diversité, assumer la vulnérabilité et penser des espaces de lien renouvelés.</p>
<h2>Reconsidérer la diversité</h2>
<p>Dans <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Tel/Les-mots-et-les-choses"><em>Les mots et les choses</em></a>, Michel Foucault nous explique à quel point le fait de rendre similaire dans les sociétés modernes les choses se trouvent aux fondements de la construction des connaissances.</p>
<p>Si cette logique a eu le mérite de produire des résultats scientifiques exceptionnels, elle n’est pas pertinente pour considérer la diversité. Selon elle, la nouvelle connaissance ne peut être appréhendée qu’à partir d’un <em>a priori</em> issu d’une connaissance précédente. Ainsi cet <em>a priori</em> véhicule un risque d’oublier la particularité de l’objet qui est appréhendé. Les sciences de l’écologie n’ont pas échappé à cette logique.</p>
<p>Les espèces animales et végétales ont ainsi pendant longtemps été appréhendées au seul prisme de leur distinction fondamentale avec l’être humain. Pourtant, de nouveaux travaux montrent que toute espèce est capable de faire société à sa manière. Les études conduites par les équipes de <a href="http://www.museedelhomme.fr/fr/sabrina-krief">Sabrina Krief</a> au Muséum national d’histoire naturelle sur les chimpanzés sont à ce propos majeures. Et si les grands singes ont leurs codes culturels propres, les corbeaux font de leur côté le deuil de leurs proches, les castors sont capables de modifier les cours d’eaux et les plantes de collaborer entres elles. Les humains ne sont pas les seuls à pouvoir créer des mondes complexes.</p>
<p>Un des outils pour prendre en compte cette diversité réside dans ce que Raimon Pannikar appelle le <a href="http://www.raimon-panikkar.org/english/gloss-dialogical.html">« dialogue dialogal »</a> : faire entrer dans le dialogue, en plus de la raison, le domaine du sensible, des sensations et des émotions, afin de comprendre l’autre dans sa spécificité et sa pluralité.</p>
<h2>Assumer la vulnérabilité</h2>
<p>Dans son livre <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/8552/elements-pour-une-ethique-de-la-vulnerabilite"><em>Éléments pour une éthique de la vulnérabilité</em></a>, la philosophe Corine Pelluchon défend l’idée que chaque être vivant (humain compris) reste en permanence vulnérable aux autres. Cette vulnérabilité se matérialise d’abord par les cycles de la vie et, par extension, par la finitude des corps ; mais également par tous les actes quotidiens qui nous relient aux autres pour nous alimenter, nous vêtir, nous soigner, travailler ou encore nous déplacer. Assumer la vulnérabilité, c’est accepter une relation fondée sur l’interdépendance entre les humains et leur environnement.</p>
<p>Les travaux en géographie et en anthropologie montrent aujourd’hui que les sociétés ont toujours été soumises aux contraintes environnementales des milieux, les obligeant à s’adapter, à modifier leurs pratiques et leurs cultures. Inversement, les actions humaines ont façonné en profondeur paysages et territoires. Les trajectoires des mondes sont donc les conséquences de rapports complexes et historiquement ancrés <a href="https://www.belin-editeur.com/ecoumene">entre un milieu et une société</a>.</p>
<h2>Penser les espaces du lien</h2>
<p>Finalement, rendre justice à la diversité et réinvestir la question de la relation dans une perspective plus complète, revient à se donner l’opportunité de penser les espaces du lien entre humain et non-humain.</p>
<p>Trois espaces semblent à ce titre particulièrement intéressants.</p>
<p>Le premier concerne la rencontre. Dans son dernier livre, <a href="https://www.editionsladecouverte.fr/catalogue/index-Le_champignon_de_la_fin_du_monde-9782359251364.html"><em>Le champignon de la fin du monde</em></a>, l’anthropologue Anna Tsing prend l’exemple des champignons matsutakes poussant dans les forêts de l’Oregon, pour souligner que la rencontre entre humain et un non-humain donne un résultat bien supérieur à la somme des parties. La relation qui s’instaure fait émerger de l’intelligence, de l’amitié, des souvenirs, un dialogue. Bref, un monde d’interactions propre aux deux individus qui la composent.</p>
<p>Le second espace de lien s’enracine dans des démarches d’aménagement du territoire. En considérant chaque région, chaque ville, chaque campagne <a href="http://shes.pole.univ-poitiers.fr/territoires/actualites/dynamiques-territoriales-eloges-de-la-diversite-conference-dolivier-bouba-olga/">dans sa singularité</a>, mais également en intégrant ce que l’anthropologue Tim Ingold nomme <a href="http://www.seuil.com/ouvrage/marcher-avec-les-dragons-tim-ingold/9782757872529">« l’écologie du sensible »</a> – c’est-à-dire replacer la subjectivité et les émotions en phase avec l’action territoriale –, nous nous donnons la possibilité de faire émerger de nouvelles modalités collectives dans la façon d’habiter le territoire. Et donc de valoriser une pluralité de coexistences entre l’humain et le non-humain.</p>
<p>La fabrication du droit s’impose comme le troisième espace de lien. Certains auteurs voient dans ces espaces, qu’ils nomment <a href="http://wp.unil.ch/tim/files/2015/07/O.BarriereDEVDURABLEOCEANIE-2015-04-10.pdf">espaces de « coviabilité »</a>, la possibilité de faire émerger de nouvelles normes qui dépasseraient les catégorisations strictement humaines. Il en découlerait un droit enrichi par les diversités humaines et non-humaines, moins anthropocentré et mieux adapté aux réalités écologiques du monde.</p>
<p>En se concentrant sur les relations qui nous unissent les uns aux autres, l’écologie relationnelle constitue une proposition pour réintroduire, dans la pensée et dans l’action, des espaces de compréhension et de partage entre humains et non-humains. Ce faisant, elle permet de renouveler les connaissances sur les liens qu’entretiennent les sociétés à leurs milieux, tout en proposant de miser sur la diversité territoriale pour apporter des réponses pertinentes aux crises sociales et écologiques.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/110124/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Coprésident de l'association Ayya</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Pierre Spielewoy est cofondateur d'AYYA, une association qui oeuvre pour la diffusion d'un autre rapport à la nature, basé sur l'écologie relationnelle. </span></em></p>La meilleure prise en compte des liens entre l’humain et le non-humain permet d’aborder les défis environnementaux de notre temps.Damien Deville, Géographe et anthropologue de la nature, coprésident de l’association AYYA, InraePierre Spielewoy, Doctorant, juriste en droit international, anthropologue du droit, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1091632018-12-30T17:39:18Z2018-12-30T17:39:18Z« Gilets jaunes » : violence, la fin du tabou<p>Jusque dans les années 70, la violence politique ou sociale pouvait avoir une certaine légitimité. Les références à 1789 et plus largement à l’histoire des grandes colères sociales et des révolutions trouvaient un assez large écho, y compris dans la vie intellectuelle. Et les combats liés à la décolonisation suscitaient eux aussi une appréciation souvent favorable au recours à la violence.</p>
<p>Mais le monde a changé.</p>
<h2>« On a raison de se révolter »</h2>
<p>Pour l’Occident, la violence révolutionnaire a été associée à l’islam, avec les expériences de l’Iran de Khomeiny ou de l’Algérie du FIS – ce qui lui a aliéné les sympathies antérieures. L’islamisme est devenu une figure majeure du mal, même si le djihadisme n’a pas le monopole du terrorisme. </p>
<p>Le communisme s’est décomposé, et avec lui les images positives de la Révolution russe, qui elle-même s’était réclamée de la Révolution française. François Furet a pu décréter : « la Révolution (française) est terminée ». La décolonisation s’est presque achevée, et la violence émancipatrice qui pouvait l’accompagner a perdu l’essentiel de son sens.</p>
<p>Le terrorisme global, d’un côté, et d’un autre côté l’essor du crime organisé à l’échelle internationale ont marqué la fin de cette époque où il était possible de conférer une légitimité au recours à la violence. Celle-ci devenait métapolitique – le terrorisme – ou infra-politique – le crime organisé – : son sens politique se perdait.</p>
<p>Les dernières grandes figures intellectuelles ayant plus ou moins justifié une certaine violence ne sont plus mises en avant, en tous cas pour ce qu’elles pouvaient en avoir laissé entendre de positif. </p>
<p>Quand Bernard-Henri Lévy, tout à son inquiétude suscitée par l’irruption des « gilets jaunes » sur la scène publique, s’appuie sur Sartre pour les critiquer (dans une allocution prononcée en clôture de la Convention du CRIF le 18 novembre 2018), c’est à propos de ce que le grand philosophe, s’intéressant aux sans-culottes, appelait le passage du « groupe sériel » au « groupe en fusion ». Ce n’est assurément pas pour rappeler le Sartre pour qui « on a raison de se révolter », exprimant une certaine sympathie pour les commerçants en colère emmenés par le CID-Unati de Gérard Nicoud, assurant la direction de <em>La Cause du peuple</em>, ou ayant écrit quelques années auparavant une désormais fameuse préface pour <em>Les damnés de la terre</em> de Franz Fanon. </p>
<p>Si Michel Foucault, aujourd’hui encore, demeure un penseur majeur, ce n’est certainement pas en référence au soutien qu’il a pu apporter à Klaus Croissant, avocat de la Fraction armée Rouge détenu en France que l’Allemagne avait de bonnes raisons de vouloir extrader.</p>
<h2>Une période historique s’achève</h2>
<p>Pendant une quarantaine d’années, la violence est devenue un tabou, le mal absolu, dénoncé et rejeté, y compris dans des milieux qui avaient auparavant fait preuve de compréhension, voire d’empathie à son égard. Avec une exception notable : celle du « Che », icône christique dont l’image positive demeure forte.</p>
<p>Une période historique s’achève, où la violence a ainsi été refusée massivement. Nous entrons dans une nouvelle ère, que le mouvement des « gilets jaunes » rend particulièrement visible. Peut-être peut-on tenir La violence, comme la lance d’Achille, peut cicatriser les blessures qu’elle a faites
Deux logiques ici sont en jeu, pour contester à nouveau à l’Etat son « monopole de la violence physique légitime », selon la formule célèbre de Max Weber tirée d’une conférence sur « le métier et la vocation d’homme politique » – Weber qui en fait a très peu écrit sur la question, et dont le propos vient s’inscrire ici dans une tradition philosophique inaugurée, d’une certaine façon, avec Thomas Hobbes expliquant comment l’État permet d’éviter que l’homme soit un loup pour l’homme.</p>
<h2>La déstructuration des systèmes de partis classiques</h2>
<p>La première logique, directement politique, procède de la déstructuration des systèmes de partis classiques. Elle s’ébauche aux deux pointes extrêmes du spectre politique, au-delà des forces populistes qui sont elles-mêmes à la hausse. Qu’il s’agisse des ultras du type Black Bloc, à l’extrême-gauche, ou de l’extrême-droite, le mode de pensée – qui n’est pas homogène au sein de ces ensembles – n’est évidemment pas neuf. </p>
<p>Ce qui l’est est leur présence significative dans l’espace public, grâce à la combinaison de l’action violente sur le terrain, et de l’usage d’Internet et des réseaux sociaux. C’est ainsi que la presse a parlé de 1200 Black Blocs venus participer à leur façon à la manifestation du 1<sup>er</sup> mai 2018 – un chiffre impressionnant.</p>
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<p>Le discours de dirigeants de <em>la France insoumise</em>, sans faire l’apologie de la violence, a consisté ces derniers temps à encourager les « gilets jaunes » à manifester à Paris ou dans les grandes villes alors même que la violence rôdait, et a recouru parfois à une imagerie révolutionnaire ou insurrectionnelle. Ce qui, là aussi, ouvre la voie d’un retour sinon justifié, du moins compréhensible de la violence dans le répertoire de l’action politique.</p>
<p>Jean‑Luc Mélenchon en a donné de belles illustrations en parlant d’« insoumission générale », d’« insurrection citoyenne » et d’entrée dans « la grande scène de l’histoire de France », une histoire qui n’est évidemment pas pour lui un long fleuve tranquille. De ce point de vue, Marine Le Pen s’est montrée plus mesurée, et peut-être plus fine politique.</p>
<h2>La violence comme prix à payer</h2>
<p>La deuxième logique qui met fin à l’absence totale de légitimité de la violence tient à la façon dont les « gilets jaunes » ont saturé ces dernières semaines l’espace politique et médiatique. Si l’on doit distinguer, dans les affrontements des « actes » 3, 4, et 5 de leur mouvement, à Paris et dans quelques villes, entre premièrement casseurs et pilleurs, deuxièmement activistes ultras, et troisièmement « gilets jaunes » devenant enragés sur place (ou étant venus manifester avec déjà l’idée d’éventuellement en découdre avec les forces de l’ordre), on doit surtout s’interroger sur le lien contradictoire car contre-nature qui a existé entre la violence et le mouvement social.</p>
<p>Ce dernier n’est pas violent, il ne prône en aucune façon l’affrontement brutal. Mais il a accepté et compris que la violence peut être éventuellement le prix à payer pour exister et exercer une forte pression sur le pouvoir. Il y a dans cette perspective une fonctionnalité de la violence du point de vue – paradoxal – de ce mouvement qui en même temps ne la recherche et ne la souhaite pas. Une telle fonctionnalité ne peut que donner vie à des modes de pensée nouveaux, ou renouvelés, dans lesquels la violence trouve une certaine légitimité.</p>
<p>Ainsi s’ébauche, politiquement et socialement, la fin d’un tabou. Avec une implication majeure : le discours et la pratique pour prévenir la violence, ou en sortir, perdent aussi une partie de leur légitimité. </p>
<p>Que veulent dire les efforts pour penser le passage de logiques de rupture violente à celles de la paix, du débat, de la négociation, de la « dé-radicalisation » (horrible expression) ou du conflit institutionnalisé quand il s’agit d’acteurs bénéficiant dans l’opinion de compréhension ou de sympathies agissantes ? Quand le désir d’histoire est désir de violence ? Quand les sources sociales, économiques, culturelles, politiques d’une action devenant violente, ou s’accompagnant de violences semblent plus légitimes, aux yeux d’une partie de la société, que la répression et l’exercice du pouvoir, même démocratiquement choisi ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109163/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka dirige avec Jean-Pierre Dozon le Panel international sur la sortie de violence (IPEV), un projet de la Plateforme Violence et sortie de la violence (FMSH). La Carnegie Corporation of New York en est le principal soutien. </span></em></p>Le mouvement des « gilets jaunes » a accepté et compris que la violence peut être éventuellement le prix à payer pour exister et exercer une forte pression sur le pouvoir.Michel Wieviorka, Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1041042018-10-04T16:56:09Z2018-10-04T16:56:09ZPourquoi le biopouvoir craint-il tant Internet ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/238506/original/file-20180929-48650-tx2qio.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Squishing a spider</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/153628769@N03/34086393130/">insightpest / photo on flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><h2>Le biopouvoir dans tous ces États !</h2>
<p><a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Michael_Walzer">Michael Walzer</a> peut être rassuré : le critique social peut désormais espérer accéder à une forme d’universalité. La solitude dans la critique sociale à l’ère d’Internet n’est plus possible.</p>
<p>Si les pouvoirs sont aussi défiants vis-à-vis d’Internet – en France comme ailleurs, en « démocratie » comme sous d’autres régimes – ce n’est pas le fruit du hasard.</p>
<p>Si les gouvernances légifèrent à tour de bras ici et là, il y a des nécessités dont la vocation est de protéger les citoyens, de préserver une économie, etc. <strong>mais cette frénésie à légiférer n’est malheureusement pas invariablement mue par cet altruisme noble, pas plus que par le souci obsessionnel de garantir ses droits fondamentaux et ses libertés</strong>. La réalité est plus complexe. Internet met en péril leur <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Biopouvoir">biopouvoir</a>. Leur toute-puissance à définir la norme, la place, le rôle de l’individu, dans la société est aujourd’hui objectivement en danger !</p>
<p>Comme le soulignait <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Michel_Foucault">Michel Foucault</a> dans <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Surveiller_et_punir">« Surveiller et punir »</a>, dans l’exercice de ce biopouvoir</p>
<blockquote>
<p>« […] sont constamment mis en place des mécanismes produisant de plus en plus de séparations entre le normal et l’anormal, le sain et le pathologique, le centre et la marge, et qui conduisent à l’apparition de nouvelles exclusions. […] ».</p>
</blockquote>
<p>Ces mécanismes n’ont fait que se renforcer. La mise en œuvre du système de surveillance algorithmique des usagers en France en est une caricature.</p>
<p>L’algorithme de la <a href="https://www.nextinpact.com/news/95792-loi-renseignement-pluie-critiques-juristes-et-dong-devant-conseil-constitutionnel.htm">loi renseignement</a> est supposé faire le distinguo entre une bonne conduite citoyenne sur Internet et une mauvaise conduite… bref, trier le bon du mauvais citoyen dans ses usages d’Internet. Peu importe son efficience ou même <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/11/14/les-boites-noires-de-la-loi-sur-le-renseignement-sont-desormais-actives_5214596_4408996.html">son existence réelle qui a été affirmée en 2017</a>.</p>
<p>Le fait est qu’un citoyen se pensant sous surveillance, cela ne peut pas être sans conséquence sur son comportement : soustraction à celle-ci s’il dispose du savoir pour le faire, voire dans le cas contraire, le risque que des citoyens s’autocensurent par crainte de représailles sous une forme ou une autre. L’autocensure étant peu compatible avec ce qui constitue l’un des piliers d’un fonctionnement démocratique : la liberté d’expression.</p>
<h2>L’erreur du biopouvoir</h2>
<p>Dans le cadre de la loi que j’évoque, le biopouvoir fait face à un problème qu’il n’avait pas prévu.</p>
<p>Tout acte de désobéissance (résistance) ayant pour objectif une transformation politique, une évolution, ne peut se faire seul. <a href="https://wiki.laquadrature.net/Contactez_vos_d%C3%A9put%C3%A9s">Les appels aux citoyens</a>, les <a href="https://www.laquadrature.net/fr/nextinpact-renseignement-qpc-pour-empecher-surveillance-presque-nimporte-qui">recours en justice (QPC)</a>, la mise à disposition d’outils offrant la possibilité de se soustraire à un mécanisme portant atteinte à un droit humain fondamental : la vie privée. Des outils permettant de s’exprimer sans risques.</p>
<p>À ce titre – hors <a href="https://tails.boum.org/index.fr.html">Tails</a> et <a href="https://www.torproject.org/">Tor</a> – j’invite mes bienveillants lecteurs et lectrices à découvrir <a href="https://amnesia.openaire.eu/">Amnesia</a>. Toutes ces actions ne peuvent s’apparenter à des actions isolées.</p>
<p>Dans cet exemple, l’État n’a pas mesuré le potentiel d’Internet en tant qu’espace public dématérialisé et mondialisé favorisant et structurant l’action collective. Il en est ainsi dans de nombreuses démocraties. Internet est en mesure d’affaiblir le Biopouvoir. Il n’est de fait pas surprenant de voir ce dernier tenter par tous les moyens de reprendre la main. C’est dans ce contexte que de multiples lois et projets de loi ciblant Internet voient le jour.</p>
<p>En France le <a href="https://theconversation.com/projet-de-loi-fake-news-soyons-flous-en-avant-marche-103297">projet de loi fake news</a>, le débat annoncé sur les réseaux sociaux par le secrétaire d’État à l’économie numérique, ne m’apparaissent pas comme la volonté sincère d’associer le citoyen à la reconfiguration de nos démocraties. Mais procède d’une infantilisation et d’une déresponsabilisation du citoyen visant à défendre un biopouvoir en perte de terrain.</p>
<p>Si tenir à l’écart le citoyen de cette reconfiguration peut être une volonté « compréhensible » des gouvernances, elle m’apparaît aussi irréaliste que contre-productive. Cette approche issue d’un monde qui a disparu ne peut garantir l’avenir d’un quelconque idéal démocratique.</p>
<blockquote>
<p>« Nul au monde n’a puissance sur le jugement intérieur ; si l’on peut te forcer à dire en plein jour qu’il fait nuit, nulle puissance ne peut te forcer à le penser. » (Alain)</p>
</blockquote>
<hr>
<p><em>À suivre</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/104104/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Expert auprès de l'UNODC, (Office des Nations unies contre la drogue et le crime) dans le cadre du programme E4J : The First Expert Group Meeting to Peer-Review the E4J University Module Series on Cybercrime</span></em></p>Le biopouvoir est un type de pouvoir qui s’exerce sur la vie : la vie des corps et celle de la population. Selon Michel Foucault, il remplace peu à peu le pouvoir monarchique de donner la mort !Yannick Chatelain, Enseignant Chercheur. Head of Development. Digital I IT, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/958042018-05-21T21:57:27Z2018-05-21T21:57:27ZQuelle politique européenne pour les tiers lieux méditerranéens ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/219738/original/file-20180521-14950-1y1i6x7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C149%2C2000%2C1176&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Restitution finale du projet COWORKMed à Zagreb, avril 2018.</span> <span class="attribution"><span class="source">COWORKMed</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Le projet <a href="https://coworkmed.interreg-med.eu/">COWORKMed</a> est un partenariat européen de recherche pluridisciplinaire, qui vise à mieux comprendre l’enjeu et la portée des espaces de coworking dans les territoires de cinq pays européens : France (région PACA), Espagne (Catalogne), Italie (région Toscane), <a href="https://coworkmed.interreg-med.eu/fileadmin/user_upload/Sites/Social_and_Creative/Projects/COWORKMED/2.2.2_Greece.pdf">Grèce</a> et Croatie. Le projet a débuté en décembre 2016 pour s’achever en avril 2018.</p>
<h2>Définir, recenser et cartographier</h2>
<p>Porté par l’<a href="https://www.avitem.org/fr/projet/coworkmed-recherche-sur-l%E2%80%99innovation-sociale-des-clusters-de-coworking">AVITEM</a> (Agence des Villes et Territoires Méditerranéens Durables) et <a href="https://ied.eu/">plusieurs partenaires européens</a> – Barcelona Activa SA SPM (Espagne), IRIS Research Institute s.r.l (Italie), Conseil Régional Sud Provence-Alpes-Côte-D’azur (France), Zagreb Development Agency (Croatie), Barcelona International Business Incubator (Espagne) – le premier objectif du projet a été de définir la notion d’espace de coworking. Après de nombreux échanges, notamment quant à la place de la notion de territoire, les partenaires se sont accordés sur la définition suivante :</p>
<blockquote>
<p>« Un espace de coworking est un espace physique dont l’objet est de construire et de mettre en œuvre une dynamique communautaire entre des usagers souhaitant bénéficier des relations collaboratives, ouvertes et durables. Pour atteindre ces objectifs, les espaces de coworking organisent des évènements et des activités favorisant les échanges et les apprentissages mutuels et en développant des interactions avec d’autres centres ou services. »</p>
</blockquote>
<p>À partir de cette définition, les partenaires ont cherché à <a href="https://coworkmed.interreg-med.eu/fileadmin/user_upload/Sites/Social_and_Creative/Projects/COWORKMED/3-3-1_-_Coworkmed_Census.pdf">recenser</a> les espaces de coworking grâce à la mise en œuvre d’une cartographie collaborative. Plus de 320 espaces de coworking ont été identifiés sur les territoires du projet COWORKMed, avec une forte concentration en Catalogne (plus de 150 espaces). La création de ces espaces est récente (depuis 2012) et majoritairement portée par des acteurs privés (66,7 %). Ces espaces représentent 2,3 % des espaces de coworking à travers le monde (COWORKMed, 2018).</p>
<p>Ce <a href="https://livemap.getwemap.com/iframe.php?emmid=6326&token=JOQ39BO9ZT34EQAI4TVUH9ULS#/search@43.72552940054183,9.552607327980922,6">travail de recensement</a> a permis de prendre conscience de l’extrême diversité des espaces de coworking, qui se déploient sous des formes multiples : fab lab, maker spaces, living labs, tiers lieux, business factory, laboratoires d’innovation publique, etc. Les partenaires du projet ont par conséquent décidé de ne pas figer la notion de coworking pour la laisser ouverte à de nouvelles opportunités, en lien notamment avec le développement des tiers lieux. Le nombre de tiers lieux devrait en effet croître dans les prochaines années en lien avec la croissance continue des indépendants, la transformation des économies (économie de la connaissance, économie collaborative, économie numérique…) et l’émergence d’un cadre incitatif et normatif favorisant le <a href="http://www.lemonde.fr/emploi/article/2017/09/12/la-reforme-du-code-du-travail-favorise-le-teletravail_5184562_1698637.html">télétravail</a>.</p>
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<h2>Identifier les externalités et les besoins des tiers lieux</h2>
<p>Un second objectif de l’étude consistait à identifier les bénéfices socioéconomiques, environnementaux et territoriaux de <em>coworking spaces</em>. Des rapports ont été produits démontrant de la capacité des tiers lieux à augmenter la production et la performance des entreprises, des salariés et des collaborateurs. Ils autoriseraient également un accroissement de la qualité de vie, tout en stimulant les transformations du marché du travail, [ les <a href="https://coworkmed.interreg-med.eu/">collaborations et les processus d’innovation</a>. D’autres études ont cherché à objectiver l’apport des tiers lieux sur la réduction des distances de déplacement domicile-travail, les émissions de gaz à effet de serre ou la diminution de la charge des transports publics en période de forte affluence.</p>
<p>Pour accroître cet impact des tiers lieux sur les territoires, l’étude COWORKMed a aussi fait part de la nécessité de structurer une action publique en faveur de la création et du développement des tiers lieux. Les porteurs de projet ont souvent exprimé des besoins en termes de régulation, de mise en réseau et d’accompagnement financier et méthodologique. Du point de vue des méthodes, les responsables des coworking spaces et les acteurs publics semblent insuffisamment outillés pour mesurer les externalités des tiers lieux. </p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/hvCFQ09nCD0?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Les études produites sur les externalités s’appuient encore davantage sur des hypothèses que sur des données quantitatives et qualitatives, à même d’évaluer et d’objectiver les phénomènes observés. Par ailleurs, des besoins en termes de structuration des réseaux de tiers lieux sont apparus, afin de mutualiser les ressources et d’accroître la visibilité et l’attractivité des espaces de coworking. Il semble indispensable d’accompagner le développement des réseaux de tiers lieux à l’image des réseaux <a href="https://fr-fr.facebook.com/eucoworknet/">European Coworking Network</a>, Cowocat (Associaci – Coworking de Catalunya) ou <a href="https://arize-leze-europe.org/coworking-pyrenees-en-cours/">Cowopy</a> (Coworking Pyrénées). Précisons que ces deux derniers réseaux ont été eux-mêmes des projets européens à « durée limitée ».</p>
<p>Enfin, l’étude a démontré de la nécessité d’accroître l’ancrage des tiers lieux dans leurs écosystèmes territoriaux et d’innovation. La performance des tiers lieux est selon l’économiste Raphaël Suire fortement dépendante de leur capacité à s’encastrer dans les territoires. Une perspective qui reste à conforter et à coupler avec l’enjeu du maillage des territoires et de développement de tiers lieux dans les circonscriptions de plus faible densité (espaces ruraux et périurbains). À l’exception de la région PACA, les tiers lieux des régions CoWorkmed sont, pour plus de 80 % d’entre eux, implantés dans les agglomérations.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219735/original/file-20180521-14987-y5hpsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/219735/original/file-20180521-14987-y5hpsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/219735/original/file-20180521-14987-y5hpsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/219735/original/file-20180521-14987-y5hpsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/219735/original/file-20180521-14987-y5hpsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/219735/original/file-20180521-14987-y5hpsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/219735/original/file-20180521-14987-y5hpsb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Restitution finale du projet COWORKMed à Zagreb, avril 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Préfigurer une action publique européenne</h2>
<p>À travers l’organisation de différents ateliers à Zagreb, Florence, Marseille et Barcelone, un troisième objectif du projet COWORKMed a consisté à penser une action publique européenne favorable aux tiers lieux. Quelle politique publique mettre en place pour accompagner des espaces multifonctionnels et intermédiaires, fonctionnant souvent avec des modes d’organisation horizontaux ? De ce point de vue, quatre grands chantiers ont été identifiés :</p>
<ul>
<li><p>Accompagner la création et le développement de coworking spaces dans les territoires de faible densité (aide à l’amorçage des projets, subventions à l’investissement attribuées après appels à projets et en complément d’aides régionales, etc.). L’effet levier des espaces de coworking pour le développement de ces territoires peut s’avérer déterminant et notamment du point de vue de la réduction des déplacements domicile-travail, et de la revitalisation de territoires périphériques et de centre-bourgs (faire vivre des services de proximité en retenant/attirant les travailleurs indépendants, salariés ou néo-ruraux sur les territoires).</p></li>
<li><p>Accompagner la création et le développement de réseaux de coworking spaces et de tiers lieux à l’échelle méditerranéenne, afin de mieux connecter les tiers lieux entre eux et avec leurs écosystèmes territoriaux et d’innovation, les outiller (mutualisation des méthodes), les rendre davantage lisibles et visibles par une communication commune et ciblée, et stimuler la demande par des actions des lobbying (par exemple, la sensibilisation des employeurs aux pratiques du télétravail). À terme, une réflexion sur la création d’un label « tiers lieux méditerranéens » pourrait être ouverte.</p></li>
<li><p>Faire des tiers lieux des supports d’une politique publique européenne plus agile et plus proche des territoires et des citoyens. Les tiers lieux peuvent constituer des espaces privilégiés pour co-construire et tester de nouvelles politiques publiques européennes. Par ailleurs, une réflexion pourrait être ouverte quant à l’usage des espaces de coworking par les agents de l’Union européenne et ses partenaires, afin d’intégrer une culture des tiers lieux au sein même des administrations de l’UE (travail collaboratif, gouvernance horizontale, culture numérique…).</p></li>
<li><p>Lancer un appel à projet européen pour soutenir les espaces de coworking et les tiers lieux ayant un impact direct sur les transitions, qu’elles soient économiques, numériques, écologiques, sociales, organisationnelles ou encore territoriales.</p></li>
</ul>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/219737/original/file-20180521-14957-8srxk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/219737/original/file-20180521-14957-8srxk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/219737/original/file-20180521-14957-8srxk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/219737/original/file-20180521-14957-8srxk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/219737/original/file-20180521-14957-8srxk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/219737/original/file-20180521-14957-8srxk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/219737/original/file-20180521-14957-8srxk4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Workshop organisé à Marseille le 20 février 2018 au Mars Medialab.</span>
</figcaption>
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<p>On le voit, ces différents chantiers ont été pensés dans le cadre d’une action publique européenne facilitatrice et non prescriptrice. L’état d’esprit des tiers lieux semble en effet peu compatible avec la conception d’une politique publique verticale et descendante, où l’acteur public aurait un rôle central en termes d’impulsion, de coordination, de labélisation, de financement et d’arbitrage. </p>
<p>L’enjeu est moins d’affirmer une politique de planification top-down d’espaces de coworking, qu’une action publique à-même de créer les conditions d’émergence et de développement de coworking spaces, et de s’inscrire dans « intervention de type environnementale », pour reprendre une formule de Michel Foucault. Un autre enjeu est de traiter de manière concomitante les questions d’innovation sociale et organisationnelle au sein de l’UE et celles que l’UE promeut sur les territoires à travers ses politiques publiques. À cet égard, l’usage régulier des tiers lieux par les agents de l’UE, pourrait permettre d’accompagner l’Union européenne dans la transformation de ses postures et de ses modes de faire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/95804/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raphaël Besson est Directeur de l'agence Villes Innovations, Chercheur associé au laboratoire PACTE (Université de Grenoble), Université Grenoble Alpes</span></em></p>Plus de 320 espaces de coworking ont été identifiés sur les territoires du projet COWORKMed.Raphaël Besson, Directeur de l'agence Villes Innovations, Chercheur associé au laboratoire PACTE (Université de Grenoble), Université Grenoble Alpes (UGA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/966232018-05-20T23:27:02Z2018-05-20T23:27:02Z« Chief truth officer » : parler-vrai et leadership<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/219397/original/file-20180517-26295-uxa71g.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=345%2C237%2C4758%2C2993&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Mort de Socrate (David)</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.metmuseum.org/art/collection/search/436105">Wikipedia</a></span></figcaption></figure><p>Le « parler-vrai » apparaît comme un impératif pour chacun dans l’organisation : l’exigence de vérité est une revendication qui traverse toute entreprise et qui cependant fonctionne comme une injonction paradoxale. On l’exige d’un côté des dirigeants, qui se doivent d’être transparents, et en même temps on légifère (ou tente de le faire) pour protéger le « secret des affaires » (législations récentes en France), ce qui revient à rendre impossible la protection des « lanceurs d’alertes », eux-mêmes déjà en tension entre le désir de ne pas couvrir des comportements délictueux, et la crainte d’être perçu comme traîtres à l’organisation.</p>
<h2>Essentielle « parrhèsia »</h2>
<p>Ces questions, on les retrouve dans la tradition philosophique autour de la notion de « parrhèsia », de franchise, <a href="https://bit.ly/2jWcZ6f">qu’explore Michel Foucault</a> dans son dernier cours au Collège de France qui porte le beau titre de <a href="https://bit.ly/2Gff1qJ">« Le courage de la vérité »</a>. Le terme grec montre bien une sorte d’écheveau originel de sens : « liberté de langage, franc parler, franchise » d’un côté, mais aussi quelquefois « la hardiesse, la licence » (<a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89mile_Pessonneaux">Pessonneaux, p. 1 077</a>). Cette définition nous montre trois caractéristiques du parler-vrai :</p>
<ul>
<li><p>la figure ontologiquement bifide, positive et négative de la parrhèsia : le parler-vrai n’est pas a priori uniquement positif, il confine aussi au négatif.</p></li>
<li><p>le dimension subjective et morale implicite du parrhèsiaste, qui à la fois est franc, et doit rester dans les limites de la liberté.</p></li>
<li><p>le contexte social qui permet cette liberté, ou au contraire trouve que l’on s’en éloigne trop, et qui est en tout cas un facteur de risque.</p></li>
</ul>
<p>La parrhèsia, aussi ambivalente que le pharmakon, à la fois remède et poison, ne se laisse pas appréhender aussi facilement que l’idée reçue de la nécessité de « tout dire ». Au contraire, la tradition philosophique souligne la difficulté de la franchise, entre l’exercice d’une liberté légitime et le dépassement de ce cadre, la pratique éthique de la vérité et les incertitudes de celle-ci, entre le confort moral de celui qui agit bien et les risques qu’il encourt.</p>
<p>Tout « parler-vrai » n’est pas bon. Le fou peut avoir l’illusion de parler-vrai. La « bonne parrhèsia » nécessite un ancrage logique et dans la vérité, et suppose pour cela une maîtrise de soi et de sa pensée, et une éthique. De plus, la bonne parrhèsia unifie, permet le dialogue, l’échange, permet de trouver des solutions collectives au problème politique : ce n’est pas tant que la vérité soit une, c’est surtout que la franchise et la cohérence logique permet de dépasser la diversité centrifuge des intérêts de chacun.</p>
<h2>Dire « le vrai » ?</h2>
<p>Mais comment pouvons-nous être certains de « dire le vrai », de « dire la vérité pour elle-même » ? Comment échapper à une part de subjectivité dans ce que nous disons, dans ce nous tenons pour vrai ? Et le vrai est-il accessible, connaissable ? Karl Popper disait à propos des théories scientifiques que nous nous approchons de la vérité sans jamais être sûr de l’avoir atteinte. Un relativiste pourrait avancer que c’est une affaire de point de vue, de paradigme. Peut-on conclure <a href="https://www.jstor.org/stable/2941075?seq=1#page_scan_tab_contents">avec Davidson</a> que « la vérité est un concept qui échappe à la définition » ?</p>
<p>Le vrai en grec, c’est l’aletheia. <a href="https://bit.ly/2Gff1qJ">Michel Foucault</a> en résume les quatre sens : </p>
<ul>
<li><p>le « non caché » ;</p></li>
<li><p>ce qui « ne reçoit aucune addition et supplément, ce qui ne subit aucun mélange » ;</p></li>
<li><p>ce qui est droit, direct, sans détour ;</p></li>
<li><p>« ce qui existe et se maintient au-delà de tout changement ».</p></li>
</ul>
<p>La vérité est donc liée à des conditions de production, à un contexte, elle dépend de son « apparition » : elle doit être pure, vierge de toute dénaturation humaine, accessible, stable.</p>
<p>Cette vérité non-altérée est finalement très proche de ce que l’on demande aux commissaires aux comptes et aux experts comptables, qui doivent donner dans les éléments comptables une image « fidèle » de la situation de l’organisation.</p>
<h2>Le leader comme <em>chief truth officer</em> : courage et sagesse pratique</h2>
<p>Quelle vérité dire, et pour qui ? Le leader parle autant en interne qu’à l’extérieur de l’organisation, et il doit en permanence définir les frontières de ce qu’il peut dire, de ce qui peut « être dit », comme de ceux à qui il peut s’adresser, ou de ceux auxquels ses collaborateurs peuvent s’adresser.</p>
<p>C’est lui qui est responsable de la limite entre interne et externe quant au discours de vérité de l’organisation, qui définit ce qui peut être dit et par qui sur l’organisation. Le leader est aussi chargé de promouvoir la vérité au-delà des opinions et des apparences, et des différences de point de vue des parties prenantes.</p>
<p>Le leader est ainsi le garant des « règles du dire vrai », et de leur respect dans l’organisation. Enfin le leader doit présenter une vérité qui soit cohérente avec les intérêts éthiques et économiques de l’organisation – mais ceux-ci peuvent être antinomiques.</p>
<p><strong>Le courage de dire le vrai</strong></p>
<p>La parole se trouve toujours confrontée au pouvoir. Le parler-vrai porte un risque : celui de susciter des réactions négatives de la part de celui qui entend cette vérité. Ainsi la vérité induit ou peut induire une violence. Foucault raconte que Platon, ayant dit à Denys l’Ancien des choses vraies mais désagréables pour le tyran, avait accepté le risque d’être tué par ce dernier. La pratique de la vérité nécessite donc du courage, celui d’affronter cette négativité à venir. Ce <em>courage de la vérité</em>, pour reprendre l’expression de Foucault, est alors et en même temps une <em>vérité du courage</em> face au <a href="https://bit.ly/2Gff1qJ">risque encouru</a>. Un des termes en grec pour le témoin, c’est le <em>marturon</em>, le martyr, qui meurt d’avoir témoigné pour sa vérité. Ainsi la pratique de la parresia est aussi une pierre de touche de chacun : de celui qui parle, car il fait preuve de son courage, et de celui qui l’entend, qui montre sa capacité à accepter des choses qui peuvent être négatives pour lui.</p>
<p>Au cœur du courage, il y a l’enjeu du risque, et de ce qui « vaut la peine » d’être fait. Dans l’<a href="https://bit.ly/2INDetC">Apologie de Socrate</a>, Socrate se demande pourquoi il ne s’est pas impliqué plus tôt dans la vie de la cité. Et sa réponse est claire : « Si je m’étais adonné il y a longtemps à la politique, je serais mort depuis longtemps. » (<a href="https://bit.ly/2Gff1qJ">Foucault, 2009</a>, p. 37, Apologie, 31 d-e).</p>
<p>La rectitude d’un comportement épris de justice empêche d’épouser une carrière politique :</p>
<blockquote>
<p>« Pensez-vous donc que j’eusse vécu tant d’années, si je me fusse mêlé des affaires de la république, et qu’en homme de bien, j’eusse tout foulé aux pieds pour ne penser qu’à défendre la justice ? Il s’en faut bien, Athéniens ; ni moi, ni aucun autre homme, ne l’aurions pu faire » (<a href="https://bit.ly/2INDetC">Apologie</a>, 32 e).</p>
</blockquote>
<p>Dans les organisations, cette « mort sociale » est celle à laquelle s’expose le lanceur d’alerte, ou celui qui peut dire une vérité qui déplaît. Mais l’injonction juridique au parler-vrai, par exemple pour les dirigeants, crée le risque symétrique : celui de la condamnation pour n’avoir pas été franc. Quand Enron a disparu, ses dirigeants ont été condamnés à de lourdes peines de prison. Car sans parrhèsia plus de confiance – or que demande-t-on au top-management sinon d’être digne de confiance, puisqu’on lui délègue la bonne marche de l’entreprise ?</p>
<p>Mais pour parler vrai il faut <em>pouvoir espérer</em> : espérer que les choses changent, que cette vérité va porter, que la justice va être faite. Plus le pouvoir est fort, moins la parole est libre, car moins il y a d’espoir et donc de parrhèsia possible : les organisations autocratiques, comme les systèmes totalitaires, sont ceux où la parresia est quasi impossible car trop risquée.</p>
<p>Le lanceur d’alerte, qu’il soit Snowden ou un autre, a l’espoir que sa révélation va changer quelque chose. La grandeur de la parresia, c’est donc l’ouverture vers le futur qu’elle suscite, voire sa possibilité émancipatrice.</p>
<p><strong>La responsabilité du parler-vrai dans l’organisation : de la vérité à l’action et à ses conséquences</strong></p>
<p>Ainsi le parler-vrai se définit par rapport à un faire entendre le vrai, qui lui est consubstantiel : quand le vrai n’est pas entendu, les diseurs de vérité ne sont plus que des Cassandres promues au rang de spectateurs d’une catastrophe annoncée, ou alors condamnés juridiquement ou socialement, ce qui est le cas hélas des lanceurs d’alerte dans bien des situations où l’expression du vrai n’a pas trouvé d’écho favorable. Cela veut dire aussi que pour le manager, il ne suffit pas d’être dans le « parler-vrai », encore faut-il assortir ce discours de vérité d’une compréhension de la situation qui permette que se déploient les conséquences positives de la vérité.</p>
<p>Ce que l’on attend du dirigeant, c’est <em>in fine</em> cet idéal de « véracité », c’est-à-dire de sincérité que développe notamment B. Williams. Cette honnêteté est une transparence, une volonté de ne pas être trompé et de ne pas tromper : l’exigence de la véracité, c’est celle d’un effort, <a href="https://bit.ly/2IoQEx1">d’un élan vers le vrai</a>. Cet effort vers le vrai est le signe d’une vie belle. Dans le souci de soi de la tradition grecque il y a un lien qui s’établit en effet entre une éthique individuelle et une <a href="https://bit.ly/2Gff1qJ">« esthétique de l’existence »</a>. La franchise est en elle-même pour les cyniques ce qu’il y a de « plus beau chez l’homme » (Diogène, VI, 69, in Foucault, p. 154). Dans cette jonction entre éthique et esthétique, le courage de la vérité permet précisément la « vraie vie », l’<a href="https://bit.ly/2Gff1qJ">« alethe bios »</a>.</p>
<hr>
<p><em>Bouilloud, J.-P., Deslandes, G. et Mercier, G. <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s10551-017-3678-0">« The Leader as Chief Truth Officer : The Ethical Responsibility of “Managing the Truth” in Organizations »</a> Journal of Business Ethics, 2017,DOI 10.1007/s10551-017-3678-0.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96623/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Autour du concept grec de parrhèsia et de ses applications dans l’entreprise. Jusqu’où liberté de langage, franc parler, franchise sont-ils opérationnels ?Jean-Philippe Bouilloud, Professeur d’organisation et de sociologie des sciences, ESCP Business SchoolGhislain Deslandes, Professeur en Philosophie des Sciences de Gestion, ESCP Business SchoolGuillaume Mercier, Assistant Professor, Entrepreneurship, Innovation and Strategy, IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/966522018-05-15T21:04:22Z2018-05-15T21:04:22ZSurvivalistes : les Cyniques d’aujourd’hui. Où le langage a déserté le champ du politique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/218959/original/file-20180515-122909-o9syz6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C5%2C3578%2C2489&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Diogène, Jean-Léon Gérôme, XIXᵉ siècle, </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.syndrome-diogene.fr/diogene-de-sinope/">Walters Art Museum</a></span></figcaption></figure><p>Les survivalistes, ces personnes qui se préparent à la catastrophe (laquelle peut prendre différents visages, la catastrophe écologique étant la plus probable) s’entraînent à vivre de façon autonome, ne comptant que sur leurs propres forces et leur capacité à survivre dans des conditions extrêmes.</p>
<p>Ils ont le vent en poupe : un « salon » leur a même été consacré à Paris, porte de la Villette, <a href="https://www.salondusurvivalisme.com/">« Salon du survivalisme »</a>, sous-titré « Autonomie et développement durable ». Ils sont la figure extrême de la décroissance et de l’autonomie – valeurs qu’on a pu retrouver dans la ZAD de Notre Dame des Landes. De la même manière que certains zadistes, les survivalistes brandissent par cette manière de vivre une certaine idée de la vérité. Or ce faisant, ils s’apparentent à une école fondée au V<sup>e</sup> siècle avant Jésus-Christ en Grèce, par Antisthène, et dont le plus célèbre représentant est <a href="https://bit.ly/2rKRMjj">Diogène de Sinope</a> : les Cyniques.</p>
<h2>Les descendants de Diogène de Sinope</h2>
<p>Ces derniers articulaient aussi une vision de la vérité et une praxis ; ou plutôt pour eux aussi le discours n’avait de légitimité que s’il était porté par un homme vivant en accord avec ses idées. C’est du reste le sens même des écoles philosophiques de la Grèce antique, où la théorie n’était que le soubassement de la pratique, et où la philosophie était avant tout un art de vivre.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=432&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/218961/original/file-20180515-122928-136hy7s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=542&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Huile sur toile de Pugons (1902), représentant Diogène le Cynique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Diog%C3%A8ne_par_pugons.jpg">Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p><strong>Le Cynique est un contestataire</strong> : il se demande pourquoi il vivrait dans un palais, vêtu d’or et festoyant, alors qu’il peut dormir par terre, manger ce que la nature prodigue, boire de l’eau au lieu du vin, se vêtir d’un simple manteau au lieu des dernières créations de la mode. Et il le montre sur la place publique, n’hésitant pas à mendier, menant la vie du chien, urinant n’importe où, prêt à mordre. Mais ces provocations sont en réalité l’affirmation d’un mépris des règles sociales, au profit de la seule nature qui doit dicter ses lois. L’autosuffisance est l’un des piliers de cette sagesse, qui n’attend rien des hommes.</p>
<p><strong>Le Cynique est l’ancêtre du militant anti-consommation</strong>, de la décroissance, et d’une radicalité qui le marginalisait déjà dans la Grèce du V<sup>e</sup> siècle av. J.-C., alors que ni Nike, ni H&M, ni Monsantos, ni les OGM n’avaient envahi la planète.</p>
<p>Dans les deux cas cela pose en creux la question de la vérité, dans le rapport qu’elle entretient avec la manière de vivre. Ce qui place les survivalistes à l’autre bout du spectre de la question de la vérité telle qu’elle est traitée (ou justement non traitée) aujourd’hui, sous sa forme de « post-vérité ».</p>
<p>À l’indifférence relative à la question de la vérité de fait au profit des seules opinions qui se substituent littéralement aux faits (post-vérité), s’oppose le fanatisme de la vérité comme seul référent et seul critère de choix : seule la factualité (identifiée à la nature) débarrassée de ses oripeaux culturels doit être considérée comme réelle <em>et</em> comme vraie.</p>
<p>La culture est soupçonnée de n’être que décadence, dans le sillage d’un Rousseau, la nature serait la seule mesure de la valeur de la vie qui s’y confronte et apprend à l’apprivoiser, mais hors technologie de pointe, par la recherche d’un lien primitif entre elle et l’homme, avant que ce dernier ne la détruise.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/218963/original/file-20180515-122928-f3vc9h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">A la ZAD de NDDL (mars 2013).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/nddl/8528244279/in/photolist-dZHfcA-dZBtUt-dNzYRC-dNzYwf-dNzYs5-dZBYaz-qqYRzZ-egypFU-dZHk9u-dZBTjR-dZBtkz-dHedCK-dLRLW6-dZT2Zc-dQq9zz-dS3EX9-dLRTHn-dLXt6U-dLXsAL-dHeeGx-7mCq5F-dWt658-dWt3bz-dzJw2e-dWyMFu-dWt1wV-dS3h8u-dzJBte-dzPTzL-dRWHck-dzJpAK-dWyCGu-dzJrXe-dzJAUM-dzJp3n-dzPX3N-dWyPmu-dzPU8u-dzJMzp-dzJEfV-dzQ32L-d4derw-dWsXMp-dzQa7u-dzJmer-dWyynL-dWt8Xc-dWsWuR-TAeK1f-puyFtr/">Non à l’aéroport Notre-Dame-des-Landes.</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>La question de la vérité… et du « dire vrai » cynique</h2>
<p>Or on peut se poser la question de façon naïve : pourquoi la vérité (ainsi conçue) devrait-elle guider la vie ? Ou pourquoi <em>cette</em> vérité – celle qui revient à une manière de vivre, et qui s’en tient à une critique virulente de la culture et des différents types d’hypocrisie dont elle est porteuse – devrait-elle devenir prosélyte ?</p>
<p>Vérité sous-tendue par un engagement politique, qui considère que la culture est inutile, que le luxe et tout ce qu’on peut juger superflu n’a pas de valeur, et qu’enfin, au regard de la mort, qui non seulement menace l’individu, mais encore l’humanité (dans le cadre écologique), toute entreprise humaine oublieuse de cette condition en devient dérisoire.</p>
<p>Foucault, dans son dernier cours, <a href="https://bit.ly/2Gff1qJ">« Le courage de la vérité »</a>, donné au Collège de France en 1983-84, revient sur ce qu’il appelle la « parrêsia » (qu’on pourrait traduire par dire vrai ou franc-parler), et plus spécifiquement sur la <a href="https://bit.ly/2jWcZ6f">parrêsia cynique</a>. Après avoir passé en revue la parrêsia politique (le tribun tel Solon ou Périclès, face à une assemblée), et la parrêsia socratique (le philosophe qui préfère dire le vrai au mépris de la mort, puisque la cité le condamne précisément pour cela), Foucault aborde cette forme extrême de courage, qu’est la parrêsia cynique.</p>
<p>Car le cynique va plus loin que Socrate dans la mesure où il n’accepte pas l’ordre établi : certes, Socrate inquiète cet ordre et se voit condamné par celui-ci, mais il accepte le verdict au lieu de le fuir, préfigurant en cela la désobéissance civile (une désobéissance dans une obéissance, une manière de révolution à travers une méthode réformiste) : le cynique ne possède rien, et montre à même son corps et sa manière de vivre son engagement philosophique. Sa vérité est incorporée et vécue, expérimentée :</p>
<blockquote>
<p>« Le cynisme ne se contente donc pas de coupler ou de faire se correspondre, dans une harmonie ou une homophonie, un certain type de discours et une vie conforme aux principes dans le discours. Le cynisme lie le mode de vie et la vérité sur un mode beaucoup plus serré, beaucoup plus précis. Il fait de la forme de l’existence une condition essentielle pour le dire vrai. Il fait de la forme de l’existence la pratique réductrice qui va laisser place au dire vrai. Il fait enfin de la forme de l’existence une façon de rendre visible, dans les gestes, dans les corps, dans la manière de s’habiller, dans la manière de se conduire et de vivre, de l’existence, du <em>bios</em>, ce qu’on pourrait appeler une <a href="https://bit.ly/2wN75xo">alèthurgie, une manifestation de la vérité »</a></p>
</blockquote>
<p>(Dans sa première leçon, du <a href="https://bit.ly/2wN75xo">1ᵉʳ février 1984, Foucault</a> définit l’alèthurgie ainsi : « l’alèthurgie serait étymologiquement, la production de la vérité, l’acte par lequel la vérité se manifeste »).</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/vAuO3bHxSpc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo survivaliste de la chaîne Primitive Technology.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Le strict nécessaire</h2>
<p>Or cette conception de la vérité revient au choix du strict nécessaire pour survivre, autrement dit ce qu’il faut posséder ou cultiver pour ne pas mettre sa vie en danger : tout le reste peut être évacué. Étrange idée de la vérité, étrange association entre le vrai et la survie, alors qu’on pourrait émettre l’hypothèse contraire que la survie ne fait pas partie du champ de la vérité, ni du domaine symbolique construit par l’homme, celui où naissent les significations.</p>
<p>Autrement dit, que la survie ne fait pas sens, tandis que la vérité ne pourrait s’entendre hors du domaine du sens et de la prédication – hors du domaine du langage. Et de fait, le langage des Cyniques se réduit le plus souvent à des maximes, elles-mêmes sujettes à interprétation, nul dialogue, ni discours : on s’en tient en deçà du social attesté par le langage.</p>
<p>Ainsi, d’un côté, c’est le langage qui a remplacé la vérité en s’économisant la référence au réel (la post-vérité : le langage parle alors à tort et à travers, délié de toute assise hors de lui-même, indifférent à la factualité, indépendant du monde commun) ; de l’autre, la vérité se passe du langage, elle n’est que factualité pure, hors du social où se meut précisément ce langage. Survivre, résister à la catastrophe, résister à l’économie mondialisée. Or indexer la question de la vérité au besoin, c’est une manière de reconduire l’utilitarisme pourtant honni, caractéristique d’une société néo-libérale. Comme si l’on ne pouvait plus sortir du paradigme utilitariste où tout bien est un bien consommable, une donnée chiffrable, fongible, y compris les biens culturels.</p>
<p>Or celui qui refuse cette réduction immanentiste à tout ce qui est chiffrable au bénéfice du seul profit, en se dépouillant de façon ascétique et indifférenciée de tous ces biens parce qu’ils seraient une trace de cette société rejetée, accepte en réalité les mêmes prémisses. Dans les deux cas, c’est encore le monde symbolique qui disparaît. La question de la vérité est bien malmenée, rejetée aux extrêmes de l’indifférence et de la pure factualité.</p>
<h2>La survie, un programme ?</h2>
<p>La culture devrait pouvoir n’être réduite ni à un bien de consommation, ni à une donnée contingente et superflue. La culture d’un côté est rabaissée au rang de distraction, de l’autre d’hypocrisie. Les extrêmes se rejoignent en ceci qu’ils identifient le superflu au champ du symbolique.</p>
<p>Mais la question plus profonde est que les modes de vie alternatifs, s’ils constituent une mise en question légitime et bienvenue de la société de consommation qui attaque à sa façon insidieuse l’humanité en l’homme, comme les Cyniques par leurs provocations agressives, mettaient en cause les faux semblants de la société, et le confort de l’ordre établi, ne proposent pas une vision politique véritablement alternative, elle : à moins d’imposer à chacun un mode de vie ascétique, au nom d’une vérité – à moins donc de réintroduire l’idée d’une Vérité dans le champ politique, Vérité nécessairement coercitive, puisque la vérité, si elle est avérée, ne se discute pas.</p>
<p>Et c’est alors, du même geste, bannir toute possibilité de démocratie, la vérité étant autoritaire et Une, la démocratie consacrant au contraire l’idée de la pluralité, condition du débat.</p>
<p>Si s’en tenir à l’essentiel de la survie est une proposition politique, au nom d’une vérité qui serait en somme biologique, il est à craindre la fin de la culture (et plus généralement de l’univers du sens), au profit d’une idéologie latente et fort peu humaniste. Il est étonnant de voir le retour en force du biologique, que ce soit dans les luttes identitaires (et communautaristes) ou même dans la grammaire (naturalisation des genres grammaticaux), comme si cela pouvait constituer une valeur (et pourtant, associer valeur et biologie renvoie à de tragiques précédents).</p>
<p>Certes, on connaît les critiques adressées à la pensée universaliste, comme si elle n’était que la confiscation par la pensée dominante, de l’universel, et à ce titre l’expression d’une aliénation ; mais si à l’universel de la pensée l’alternative proposée est le seul retour à la biologie, qui en tant que telle ne fait pas sens, alors il y a de quoi s’inquiéter. Les modes de résistance ne sont pas des propositions, mais seulement des modes de résistances.</p>
<p>L’imaginaire politique n’est pas encore au rendez-vous, et le langage est confisqué d’un côté par la communication gouvernementale, de l’autre par l’idéologie. Le courage de la vérité ne serait-il pas de s’en rendre compte et de chercher une voie radicalement différente que celle proposée par les survivalistes d’un côté, les adeptes de la post-vérité de l’autre ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/96652/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mazarine Pingeot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De la même manière que certains zadistes, les survivalistes brandissent par cette manière de vivre une certaine idée de la vérité. Ils s’apparentent ainsi à l’école Cynique de Diogène de Sinope.Mazarine Pingeot, Professeur agrégée de philosophie, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/799452017-06-27T18:13:48Z2017-06-27T18:13:48ZRéfugiés : en finir avec la marche forcée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/175816/original/file-20170627-24776-15ulshs.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Fresque murale rue Ordener.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/34740169605/in/photolist-pkTpj2-UVSs6t-S8WKsG-9RnYbM-pwcira-9RqRzm-nKp8Hv-ndPs72-nx3A4B-nuYW7a-ndMjjq-ndMtkE-nvgCKX-nvgEwT-ndM56T-ndM8Dp-ndLVeM-gebisF-nvgZia-ndM1F6-9RqQLd">Jeanne Menjoulet / Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/175835/original/file-20170627-24782-1ichr6a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Barrières Croix Saint André.</span>
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<p>« Vous ne pouvez pas rester là. » Parole de policier, carabine à la main. « Là », c’est une barrière type Croix-de-Saint-André, place de La Chapelle. On a condamné l’enlèvement abrupt de bancs publics dans ce quartier où se concentrent actuellement des gens pris dans les pièges de la migration contemporaine.</p>
<p>On ne savait pas encore qu’on allait très vite regretter les Saint-André, de <a href="http://bit.ly/2tRkQ93">moins en moins nombreux aussi</a> : car on peut s’asseoir dessus, périlleusement c’est vrai, mais mieux que sur les « potelets » à tête ronde dont on ne sait pas quoi faire, <a href="http://bit.ly/2tg92zx">sauf les maquiller de drôles de visages</a> pour qu’ils se fondent dans les mœurs d’une ville qui se veut hybride, smart, fluide… emblématique d’un XXI<sup>e</sup> siècle décomplexé.</p>
<h2>Une cour de prison à l’air libre ?</h2>
<p>Ils ne peuvent pas rester là. Donc ils circulent. Les rues du nord-est parisien, et plus particulièrement les quartiers limitrophes du centre dit « humanitaire » à Porte de La Chapelle, connaissent une nouvelle forme de marche, incessante, circulaire, un peu traînante. Pas si nouvelle, peut-être. On la pratique dans la cour de « promenade » des prisons, et dans les hôpitaux psychiatriques aussi. Insolite toutefois dans l’espace public des rues parisiennes. Autant dire qu’on fait actuellement de ce quartier une prison à l’air libre.</p>
<p>Cette situation correspond à ce que le philosophe Michel Foucault disait du système pénitencier, à savoir qu’il tire sa légitimité autant de son succès que de son échec à réduire la violence. On est face aujourd’hui à une même dynamique où le dysfonctionnement des structures d’accueil des demandeurs d’asile cautionne les pratiques unilatérales des pouvoirs publics.</p>
<p>Plus ça tourne mal, et plus une démarche autoritaire gagne en légitimité. Sauf à reconnaître cette distorsion pour ce qu’elle est, et, derrière elle, la désolante réalité que la posture d’un État protecteur, et d’une Ville refuge, fabrique l’illégalité qui voue certains à une ronde lassante et sans sortie, et d’autres à côtoyer les effets intolérables du mur de la citoyenneté européenne contre lequel tant de personnes se heurtent et se détruisent.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=583&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=583&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=583&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=733&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=733&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/175866/original/file-20170627-24767-qfnq7h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=733&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Porte de la Chapelle, mai 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anna-Louise Milne</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Une collection de systèmes d’exceptions</h2>
<p>La perspective d’un système plus directif, actuellement prôné, selon lequel on répartit les demandeurs d’asile en France, voire en Europe en fonction de quotas, peut sembler une manière de sortir de cet engrenage. Une solution de ce genre a fait couler beaucoup d’encre après 1933 et jusqu’en 1940, surtout à la Société des Nations où la notion de « burden sharing » (répartition du fardeau) a été longuement débattue.</p>
<p><a href="http://bit.ly/2tghS0k">Mais rien de tel n’a été fait.</a> On n’a pas trouvé mieux que de glisser inexorablement vers des situations d’exception de plus en plus pénalisantes : perte de droit au travail, obligation de se faire enregistrer, camps…</p>
<p>Fera-t-on mieux aujourd’hui ? Deux tendances se dessinent, et on pourrait croire qu’il s’agit là d’une vraie alternative. Mais à l’heure où les déportations en direction d’Afghanistan, inconnues en France depuis 2009, recommencent, il s’agit de voir qu’entre l’<a href="http://lemde.fr/2ryoEKN">approche « humaine et digne »</a> que la Maire de Paris appelle de ses vœux et celle du ministre de l’Intérieur qui préconise « une <a href="http://lemde.fr/2tIES4N">meilleure utilisation des centres de rétention</a> », on a affaire à deux faces d’une même politique qui ne veut prendre la mesure ni des besoins ni des possibilités. Et dont les conséquences – voire les objectifs – sont de rendre aussi invisibles et précaires que possible des gens qui ne connaissent le monde, trop souvent, que sous un jour affreusement inhospitalier.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=505&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=635&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=635&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/175868/original/file-20170627-24746-14eyw1z.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=635&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Porte de la Chapelle, mai 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Anna-Louise Milne</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>« Efficacité » et fabrique de la clandestinité</h2>
<p>La recherche de l’efficacité n’est pas la même chose que de faire preuve d’hospitalité. Et quelle que soit sa forme – répartir le « problème », accélérer les processus, imposer des quotas – risque fort, comme le fiasco de « la bulle » à Porte de La Chapelle nous le montre, d’entraîner des modalités toujours plus restrictives pour demander l’asile. Ces restrictions auront pour effet de produire de plus en plus de clandestinité dans et aux marges de l’Europe. C’est-à-dire de plus en plus de personnes qui sont prisonnières de leur propre mobilité.</p>
<p>Une grande partie des jeunes qui passent la journée de perche en perche dans les quartiers où ils trouvent un minimum de soutien et d’amitié pour remplir les longues heures d’inactivité imposée, sont sur la voie d’une vie sans papiers, invisibles à l’égard de l’administration.</p>
<p>S’ils ne sont pas encore déboutés de l’asile, ils sont sous la <a href="http://bit.ly/2ucVhP6">procédure de Dublin III</a>, suspendus à des décisions de reconduite dans un autre pays européen. Quitteront-ils pour autant la France ? Peut-être, pendant un temps, parfois dans certains cas à la fin d’un long et coûteux processus administratif et policier, avant d’être débarqué de l’avion à la dernière minute soutenu par des gens partant en vacances qui ignoraient peut-être tout des déportations jusque-là, comme c’est <a href="http://bit.ly/2rXsxZI">arrivé le 23 juin à Roissy-Charles de Gaulle</a>.</p>
<p>Mais sauf à nouer des rapports d’amitié, à tisser des liens d’être humain à être humain, on ne le saura jamais. Par définition. Dans sa réponse à un collectif de soutiens aux exilé(e)s, l’ancien ministère de l’Intérieur et l’ex-Maire du XVIII<sup>e</sup> arrondissement de Paris, Daniel Vaillant, le reconnaît implicitement : « les clandestins illégaux ou sans démarche n’ont pas à rester sur le territoire national ». C’est ce que les rhétoriciens appellent une litote.</p>
<h2>Les réfugiés et les « autres »…</h2>
<p>La fabrique de la clandestinité, face cachée de la politique de l’asile depuis longtemps, a deux conséquences majeures mais parfois sous-estimées. L’une est une confusion déconcertante dans les catégories telles qu’on les entend souvent et de manière très flagrante récemment dans la polémique sur le « trop-plein » d’hommes autour du carrefour La Chapelle : il y aurait, d’un côté, les demandeurs d’asile, et de l’autre, les petits trafiquants, ou vendeurs à la sauvette, selon le terme qu’on décide d’employer.</p>
<p>Le problème, <a href="http://www.lepoint.fr/societe/elisabeth-badinter-allez-mettre-une-jupe-dans-certains-quartiers-01-06-2017-2131907_23.php">ce sont les autres, pas les réfugiés</a>, dit Élisabeth Badinter dans son cri de cœur contre « l’impossibilité » de porter une jupe dans certains quartiers… Or quelle que soit sa condition d’« autre », et même en costume cravate, un homme ou une femme vivant dans l’illégalité est vulnérable. Et le discours humanitaire sur la situation des réfugiés, dont Emmanuel Macron et Anne Hidalgo se font les défenseurs, n’est qu’une face d’une politique qui génère de plus en plus d’exclusion.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/175845/original/file-20170627-24798-y8knl9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Migrants – #BACKTOTHESTREET – Louis Blanc, Paris 10ᵉ.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/jmenj/32907736120/in/photolist-pkTpj2-UVSs6t-S8WKsG-9RnYbM-pwcira-9RqRzm-nKp8Hv-ndPs72-nx3A4B-nuYW7a-ndMjjq-ndMtkE-nvgCKX-nvgEwT-ndM56T-ndM8Dp-ndLVeM-gebisF-nvgZia-ndM1F6-9RqQLd">Jeanne Menjoulet/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Nouvelle solidarité citoyenne dans un monde mobile</h2>
<p>L’autre conséquence doit nous galvaniser là où la première peut-être nous désarçonne. Elle est, en tout cas, pleinement à l’œuvre dans les actions de solidarité et d’activisme au niveau des quartiers. Car cette solidarité dépasse de loin les distinctions qui font de certain(e)s des cas jugés légitimes et d’autres des personnes d’intention douteuse, voire nuisible.</p>
<p>L’action associative agit non pas en fonction d’un droit abstrait mais selon des expériences de partage de l’espace. La question posée et résolue tous les jours n’est pas celle de la légitimité mais celle de la possibilité, et c’est par ce biais-là que doit se bâtir une nouvelle conception de la citoyenneté.</p>
<p>On ne dira jamais assez sans doute l’étendue des possibilités trouvées et inventées pour pallier les carences de l’État. Mais l’enjeu demeure, pour tous ceux qui veulent vivre dans une société d’accueil et d’ouverture, de faire des échecs des pouvoirs publics, non pas des pompes d’extraction de l’énergie de la société civile, mais les nouveaux espaces où vont se définir les formes d’inclusion de l’avenir. Il s’agit de construire la citoyenneté au XXI<sup>e</sup> siècle à l’horizon d’un monde mobile et non pas dans <a href="http://bit.ly/2tS2lk4">« le cadre »</a>, pour employer le mot fétiche du nouveau Président, d’une Europe fermée sur elle-même.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/79945/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anna-Louise Milne receives funding from The British Academy and is a member of Quartiers Solidaires, a non-for-profit organisation based in the La Chapelle area of Paris.</span></em></p>Retour dans le quartier de La Chapelle à la lumière des projets évoqués par le ministre de l’Intérieur.Anna-Louise Milne, Director of Graduate Studies and Research, University of London Institute in ParisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/774452017-05-16T20:02:36Z2017-05-16T20:02:36ZQuand s’installent les microviolences, ou quelles leçons tirer des nouvelles règles de « The Voice »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/169504/original/file-20170516-11945-1trkily.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une image de « Fifteen million merits », dans la série dystopique _Black Mirror_, qui dénonce les dérives potentielles des émissions comme _The Voice_.</span> </figcaption></figure><p>Il est des émissions qui font rire ou pleurer sans jamais faire preuve de violence ; qui entremêlent écoute, sensibilité, bienveillance, sincérité et authenticité. Ces émissions semblent bien loin de la mise en scène de violence contrôlées et scriptées, qu’elles soient au service de la survie (<em>Koh Lanta</em>) ou de la compétition amoureuse (<em>Le Loft</em>). Il en est ainsi du radio-crochet contemporain <em>The Voice</em> qui, malgré sa dimension ostensiblement compétitive, ne mobilise jamais directement des éléments de violence verbale ou physique dans ses mécanismes de jeu.</p>
<p>Or, de nouvelles règles viennent de faire leur apparition dans cette sixième édition, qui ont immédiatement fait l’objet de polémiques. Elles sont, en effet, susceptibles de perturber l’ambiance bon enfant de ce divertissement en remettant en cause certains mécanismes qui sont aux fondements des valeurs du concours.</p>
<p>L’observation de ces dispositifs « presque » purs de tout mauvais sentiment, du moins dans ce qu’ils s’affichent sur nos petits écrans, est susceptible de révéler les plus fines dérives qui conduisent, intentionnellement ou inintentionnellement (ce qui ne relève pas ici de notre propos), de la bienveillance à la maltraitance. Et à l’heure où le monde managérial prône les vertus de la psychologie positive à travers les notions <a href="http://www.capital.fr/carriere-management/coaching/l-empathie-pour-motiver-sachez-fendre-l-armure-803001">d’empathie</a>, de <a href="http://www.cadre-dirigeant-magazine.com/manager/ressources-humaines-rh/pourquoi-vous-inculquer-une-culture-de-la-gratitude-est-rentable/">gratitude</a> et de <a href="https://hbr.org/2015/05/why-compassion-is-a-better-managerial-tactic-than-toughness">compassion</a>, cet article propose de saisir les fêlures et les microviolences que la mise en place de ces nouvelles règles génèrent et produisent tant sur les candidat(e)s que les coachs, même s’il est trop tôt pour en saisir les ramifications. En revanche, il laisse de côté l’analyse des causes et explications, <a href="http://www.leparisien.fr/culture-loisirs/elimination-express-pour-les-retoques-08-11-2016-6301665.php">revendiqués</a> ou non par la production, des choix de leur mise en œuvre.</p>
<h2>Pas buzzé pas vu</h2>
<p>Les auditions à l’aveugle sont cet instant magique qui donne accès à un talent vocal sans la brutalité du jugement du regard. Chaque candidat(e) est écouté(e) avec attention, dans toute la pureté et la sincérité des notes qui jaillissent sans qu’aucune norme physique ne s’interpose à leur appréciation (même si la surprise qui illumine le visage des coachs à la découverte des canditat(e)s révèle l’existence d’un physique imaginé).</p>
<p>Or, jusqu’à la saison précédente, un(e) candidat(e) non buzzé(e) par l’un des quatre coachs recevait tout de même leurs conseils, les fauteuils se retournant automatiquement en fin de performance. Les propos étaient souvent encourageants, pointant ici une note un peu bleue, là un stress mal géré (« mais qui ne serait pas stressé dans une telle situation » serait très vite ajouté au commentaire). Surtout, jamais oh grand jamais les coachs ne s’autorisaient à briser le rêve de l’impétrant(e), toujours encouragé(e) à continuer sa passion, voire à, parfois, se représenter. Chaque mot d’encouragement était une caresse aux oreilles du (de la) candidat(e), atteignant son apogée lors d’embrassades accordées par les coachs avant qu’il/elle ne quitte la piste.</p>
<p>Depuis cette saison, plus question de retourner les sièges si aucun buzz ne se fait entendre. Face aux quatre dossiers, le (la) candidat(e) n’a plus qu’à silencieusement retourner en coulisse et rejoindre famille et amis, sans un mot ni un regard, encore moins un geste ou une accolade des coachs.</p>
<p>Il est bien sûr plus simple dans cette situation de se mettre du côté de la victime, du faible, de celui qui subit l’évaluation. Mais la caméra, longuement fixée sur les coachs, révèle les tensions qui les animent et les tactiques de contournement à cette interdiction de voir. Certains expriment leurs encouragements en applaudissant par-dessus leur siège, comme le feraient les spectateurs d’un concert applaudissant mains levées. D’autres n’hésitent pas à violer les règles de la production en se levant à la fin de la prestation pour encourager les malheureu(ses)x candidat(e)s et retrouver ainsi l’humanité des éditions précédentes.</p>
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<p>Cette règle vient, en effet mettre à mal le rôle même du coach qui est de guider, d’accompagner à partir d’une écoute qui se doit d’être attentive et bienveillante. Ici, seule une partie du chemin est parcouru, l’écoute, sans que les pas qui suivent puissent se prolonger. Imaginons une telle situation en entreprise. Un(e) manager a accès aux pratiques de ses collaborateurs ; il/elle reçoit à intervalles réguliers les <em>reportings</em> lui indiquant l’évolution de leurs performances ; il/elle est, dans une certaine mesure, en capacité de les observer, de moins en moins cependant au rythme auquel le management virtuel (à distance) se développe. </p>
<p>Alors même qu’il/elle lui est de plus en plus fréquemment demandé(e) d’ajouter à ses nombreuses activités <a href="http://www.journaldunet.com/management/expert/54868/le-manager-coach---nouvelle-posture-du-manager.shtml">celle du coaching</a>, quelles seraient ses réactions si on lui interdisait toute forme d’expression vis-à-vis de ses (futur-e-s) collaborateur(e)s ? Certes, on pourrait nous rétorquer que les coachs de <em>The Voice</em> n’ont, à ce stade du jeu, pas encore commencé leur rôle de coaching. Mais le rôle du coach ne réside-t-il pas dans sa posture, avant même qu’il ait prononcé son premier mot ?</p>
<h2>Vol de talent : « vivre dangereusement »</h2>
<p><a href="http://www.chartsinfrance.net/The-Voice/news-103206.html">Une seconde règle</a> vient également dangereusement rompre la bienveillance de l’émission : le vol de talent. Lors des éditions précédentes, un coach avait le droit de « voler » un talent rejeté par l’un de ses collègues, talent immédiatement intégré dans son équipe. Pour cette édition, le talent volé vient prendre place dans une pièce dénommée Le Foyer d’où il observe la suite des <em>battles</em>. En effet, le choix de chaque coach n’est pas définitif, un nouveau coup de cœur pouvant à tout moment remplacer le (la) candidat(e) fraîchement volé(e) qui devra alors céder sa place dans le fauteuil du talent volé et quitter le concours.</p>
<p>Cette règle introduit donc un danger permanent pour les talents, dont l’espoir de réintégrer le concours est remis en cause à chaque nouveau(lle) candidat(e). Ainsi, à la pression des <em>battles</em> s’ajoute une tension supplémentaire provoquée par des aller-retour entre la scène et le foyer de tous les dangers. Mais cette tension est perverse puisque les talents volés rêvent de l’être tout espérant, égoïstement, que leur nouveau coach n’en sauvera aucun autre. <em>The Voice</em> ne s’aligne-t-il pas ainsi sur la devise du libéralisme dont Foucault affirmait en 1979 qu’elle était de « vivre dangereusement », dans la mesure où le danger auquel s’exposent les candidat(e)s s’étend bien au-delà de leur prestation pour perdurer tout au long des <em>battles</em> ?</p>
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<p>Nous situerons cependant ailleurs la violence de cette nouvelle règle, plus précisément dans l’iniquité dans laquelle cette seconde élimination prend place. Précédemment, c’était la <em>battle</em>, ce « combat » autour d’une même chanson qui encadrait la sélection des candidat(e)s. Le perdant était écarté sur la base d’une moins « bonne » prestation (sa technique, son interprétation ou son potentiel de développement étant alors les raisons majoritairement invoquées). Être volé signifiait réintégrer une nouvelle équipe, accéder à une nouvelle épreuve de chant avec, en récompense des qualités nécessaires pour être volé, une séance avec un nouveau coach.</p>
<p>Cette nouvelle règle transforme profondément les termes du duel et ses conséquences :</p>
<ul>
<li><p>Les talents volés se retrouvent face à un simulacre de bataille. Ils ne combattent pas sur la même scène sur une même chanson un autre talent ; ils sont face à un ennemi identique à eux mais qui n’est que virtuellement présent. Ce dernier joue lui-même une autre bataille (autre scène, autre chanson) et n’a probablement pas conscience du combat virtuel qui pourrait l’amener à éliminer son invisible adversaire qui, lui, attend, crispé, dans le foyer ;</p></li>
<li><p>Le talent volé puis éjecté perd une seconde fois face à son « adversaire » virtuel sans même avoir l’occasion de combattre, sans une nouvelle mise à l’épreuve. Il perd donc deux fois, la première fois en connaissance de cause, la deuxième sans en comprendre le sens (puisque les deux talents volés, le second chassant le premier, ne combattent pas suivant les mêmes termes) ;</p></li>
<li><p>Pire, l’éjecté du foyer (retenons également la violence de cette image, un foyer étant ce lieu de sécurité dans lequel nous sommes normalement recueillis et protégés) n’a finalement même pas l’occasion de retenter sa chance. Aucune épreuve supplémentaire n’est prévue lors de laquelle il pourrait mettre à profit les commentaires obtenus durant sa première élimination.</p></li>
</ul>
<h2>Le retour de l’erreur… fatale</h2>
<p>Arrêtons-nous spécifiquement sur ce dernier point. Le monde managérial s’est, depuis plusieurs années emparé de la question de l’erreur sous plusieurs aspects. L’entrepreneuriat s’en est saisi en organisant des <a href="http://thefailcon.com/"><em>failcons</em></a>, ces événements hautement médiatisés lors desquels de courageux entrepreneurs partagent leurs histoires d’échecs. Plus récemment, le magazine <a href="https://www.relay.com/management/50-erreurs-de-management-que-vous-ne-ferez-plus-jamais-numero-252-presse-professionnelle-571317-16.html"><em>Management</em></a> a consacré son dossier principal à la nécessité pour les managers de valoriser l’erreur. </p>
<p>De l’entrepreneur qui prend le risque de se lancer et dont on imagine le besoin d’expérimenter (et donc de faire des erreurs) au manager souvent présenté comme le gardien de la conformité aux process organisationnels et qui, soudainement, doit embrasser l’erreur, le chemin parcouru est considérable. Mais il se justifie par des arguments d’autorité aussi divers que « sachons en France imiter la culture anglo-saxonne qui valorise l’erreur » et prenant pour exemple un Thomas Edison et son « I have not failed. I’ve just found 10 000 ways that won’t work » (« Je n’ai pas échouée, j’ai simplement trouvé 10 000 solutions qui ne fonctionnaient pas »), et les dernières recherches en neurosciences qui placent l’erreur [au centre des mécanismes neuronaux d’apprentissage<a href="http://www.cerveauetpsycho.fr/ewb_pages/a/article-l-erreur-forge-le-cerveau-38272.php"></a>.</p>
<p>Or, que nous disent ces deux nouvelles règles ? « Tu as échoué, mais tu n’auras ni le droit de savoir pourquoi, ni d’obtenir les encouragements qui t’aideront à réessayer » pour la première. Et « tu pensais ne pas avoir tant échoué que cela (repêchage) mais finalement, tu es sur un siège éjectable permanent sans pouvoir à aucun moment tenter de t’améliorer ».</p>
<p>Simon Lemoine vient de récemment publier aux Presses du CNRS un ouvrage intitulé <a href="http://www.cnrseditions.fr/philosophie-et-histoire-des-idees/7438-micro-violences.html"><em>Microviolences : le régime du pouvoir au quotidien</em></a>. Il y dépeint les microdispositifs qui font plier chacun d’entre nous sans que nous nous en rendions compte, au point, finalement, de trouver ces microviolences <em>normales</em>.</p>
<p>Les violences produites par les nouvelles règles de <em>The Voice</em> deviendront-elles, elles aussi, si naturelles que nous en oublierons les dangereuses fêlures qu’elles produiront sur les candidat(e)s, les coachs comme sur son public ? Les entreprises proposant un management bienveillant sauront-elles saisir, en leur sein, l’émergence de nouvelles règles, de nouveau rites explicites ou implicites créant des fêlures suffisamment larges pour que s’y immiscent des comportements « naturellement » violents ?</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77445/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Raffi Duymedjian ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les nouvelles règles de « The Voice » remettent en cause certains mécanismes bienveillants qui semblaient jusque là irriguer le concours.Raffi Duymedjian, Professeur associé,, Grenoble École de Management (GEM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/754282017-04-11T19:45:16Z2017-04-11T19:45:16ZUn jardin « intranquille »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/164158/original/image-20170405-14593-12gcp17.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=10%2C269%2C3583%2C2425&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Ernesto Neto, _Flower Crystal Power_, 2014.</span> <span class="attribution"><span class="source">Centre Pompidou Metz</span></span></figcaption></figure><p>Deux grandes expositions consacrées au jardin se sont ouvertes en ce printemps : <a href="http://www.grandpalais.fr/fr/evenement/jardins?gclid=CJjc2-XVjdMCFc0V0wodyQEIpQ">« Jardins » au Grand Palais</a> (Commissaire Laurent Le Bon) et <a href="http://www.centrepompidou-metz.fr/jardin-infini-de-giverny-l-amazonie">« Jardin infini » au Centre Pompidou Metz</a> (commissaires Emma Lavigne, Directrice et Hélène Meisel, Chargée de recherche et d’exposition). Selon une approche thématique large, elles poursuivent un même but ambitieux : ressaisir l’essence du jardin.</p>
<p>Toutes deux adoptent une démarche encyclopédique, abordant toutes les facettes des jardins, dans les représentations de l’art moderne et/ou contemporain, à travers des médiums divers. Dans les deux cas est proposée une expérience reposant sur un traitement scénographique littéral, où la visite s’apparente à la déambulation dans un jardin, à une « promenade » dans des « allées » et des « bosquets », où les « perspectives » ménagent aux visiteurs des surprises. Après tout, comme le dit Laurent Le Bon, <a href="http://www.grandpalais.fr/fr/article/jardins-toute-lexpo">« c’est le printemps ! »</a>. Mais loin d’une vision « printanière », « Jardin infini » offre une tout autre vision du monde, inquiète et désenchantée.</p>
<h2>« Jardin infini » dans le temps et dans l’espace</h2>
<p>Dans la première partie, intitulée « Printemps cosmique », est déclinée l’analogie entre le cycle d’expansion infinie de la nature et les gestes de la création artistique : élan créateur, métamorphoses, pollinisations… L’art est, comme le jardin, « règne de la métamorphose et des croisements les plus extraordinaires. », pour reprendre les termes de Serge Lasvignes dans le catalogue de l’exposition. Dans le <em>Jardin greffé</em>, son inquiétante œuvre « post-atomique », Tetsumi Kudo explore les hybridités entre règnes humain et vétégal.</p>
<p>Infini d’abord dans le temps, le jardin l’est aussi dans l’espace. Il s’étend hors les murs par la mise en valeur des jardins entourant le Centre, par la création de jardins dans la ville, confiée à des artistes contemporains. Des animations participatives (lancer de graines ; contribution à un herbier urbain collaboratif) établissent des liens – sans limites territoriales déterminées – entre exposition et territoire.</p>
<p>Tandis que dans les galeries, l’infini du jardin se double dans l’infini du geste artistique, à l’extérieur, le geste artistique créateur transforme le monde en jardin sans limites. Par un mouvement inverse, le vivant entre dans l’exposition et, sollicitant le toucher et l’odorat tout autant que la vue, fait de la visite une expérience sensorielle totale. La méridienne métallique de Valeska Soares dissimule des brassées de lys dont le parfum entêtant est « un piège […] qui attir[e] autant qu’il étourdi[t] » (cartel). Le jardin sensualiste ouvre à l’infini des sensations</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164331/original/image-20170406-16671-hqduw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164331/original/image-20170406-16671-hqduw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164331/original/image-20170406-16671-hqduw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164331/original/image-20170406-16671-hqduw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164331/original/image-20170406-16671-hqduw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164331/original/image-20170406-16671-hqduw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164331/original/image-20170406-16671-hqduw2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Valeska Soares, <em>Fainting Couch (Prototype)</em>, 2002.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Jardin, folie, mort</h2>
<p>Dans l’obscurité d’un environnement évoquant le sous-terrain plutôt que le terrestre, nous découvrons aussi dans la première galerie les affinités qu’entretient avec la mort et la folie un jardin inquiétant. Des films immersifs nous plongent au sein des mondes mystérieux, voire monstrueux que sont les jardins romantiques du désert de Retz, arpenté par l’artiste Corey McCorkle (<em>Hermitage</em>, 2010) ; ou les jardins maniéristes de Bomarzo, filmés par Laurent Grasso (<em>Bomarzo</em>, 2011). Par leur design, leurs sculptures et leurs « fabriques » – les petits bâtiments qui parsèment ces lieux baroques-, ces jardins donnent à voir la genèse d’un ordre autre, parfois indéchiffrable, des logiques alternatives, surréalistes et sublimes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164164/original/image-20170405-14612-17w94k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164164/original/image-20170405-14612-17w94k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164164/original/image-20170405-14612-17w94k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164164/original/image-20170405-14612-17w94k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=324&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164164/original/image-20170405-14612-17w94k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164164/original/image-20170405-14612-17w94k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164164/original/image-20170405-14612-17w94k6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=408&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Corey McCorkle, Hermitage, 2010, Adagp, Paris 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Centre Pompidou Metz</span></span>
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<p>Les « folies » sont un autre nom que l’on donne aux fabriques des jardins. La folie en vérité affleure souvent dans ces univers. Au-delà des citations de Michel Foucault, assez convenues, sur le jardin « comme enclos et comme totalité du monde », c’est sans doute plutôt aux travaux du philosophe consacrés la « naissance de la folie » que l’exposition amène à penser.</p>
<p>Tantôt le jardin est lieu d’expérience de retraite, permettant l’exploration de soi, parfois au risque de la perte (tel Thierry de Cordier et sa « Jardinière », espace- habitacle de méditation finissant par devenir impénétrable), tantôt c’est l’intensité de la rencontre avec une nature hors de toute mesure (« la folie amazonienne ») qui ébranle la raison.</p>
<p>Si la nature est « ce qui naît », le jardin est aussi hanté par la déliquescence. Succédant à la germination, les processus de dégénérescence, amènent, par analogie entre végétal et humain, à « faire germer » l’idée de la mort. Morbide et oppressant, le jardin rappelle qu’il est aussi un cimetière.</p>
<p>Dans le « Jardin noir » de Philippe Parreno, au son d’un grondement sourd, le film nocturne <em>C.H.Z.</em> (<em>Continuously Habitable Zones</em>, 2011) « invent [e] un jardin cosmique et tellurique […] dont la végétation noire, due à la saturation de la photosynthèse, semble générer la confusion et l’hybridation des règnes minéral, végétal, animal ou humain » (Emma Lavigne, dans le catalogue de l’exposition).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164333/original/image-20170406-16680-u5ml3a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164333/original/image-20170406-16680-u5ml3a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164333/original/image-20170406-16680-u5ml3a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164333/original/image-20170406-16680-u5ml3a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164333/original/image-20170406-16680-u5ml3a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164333/original/image-20170406-16680-u5ml3a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164333/original/image-20170406-16680-u5ml3a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Philippe Parreno. <em>C.H.Z. (Continuously Habitable Zones)</em>, 2011. Extrait du film.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Le jardin et les hommes</h2>
<p>Tandis que la scénographie du « Printemps cosmique » nous plongeait dans la nuit d’un jardin urbain, fait d’une succession de petits enclos, la seconde galerie « De Giverny à l’Amazonie » nous transporte dans un univers solaire, ouvert, aux formes organiques, aux couleurs saturées (jaune moutarde, bleu électrique).</p>
<p>Cette seconde partie, qui porte essentiellement sur la (re)considération de la place de l’homme par rapport à la nature, offre une rafraîchissante approche postmoderne. En effet, si dans la première partie, les imaginaires du jardin sont encore principalement attachés à la modernité eurocentrée, l’Europe se retrouve dans ce second moment <a href="http://www.laviedesidees.fr/Le-decentrement-du-monde.html">« provincialisée »</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164335/original/image-20170406-16663-140krf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164335/original/image-20170406-16663-140krf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164335/original/image-20170406-16663-140krf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164335/original/image-20170406-16663-140krf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164335/original/image-20170406-16663-140krf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164335/original/image-20170406-16663-140krf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164335/original/image-20170406-16663-140krf6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Vue de la galerie « De Giverny à l’Amazonie .</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La géographie explore les traditions brésiliennes, angolaises, vietnamiennes, etc., et met en relief des relations de pouvoir postcoloniales, marquées aujourd’hui encore par les exploitations subies dans le passé colonial. Ainsi Thu Van Tran (<em>Une graine mi-colon, mi-bon</em>, 2009) figure en creux, dans la sculpture d’une poutre de chêne ou dans l’évidement d’une photographie de la plante, la silhouette de l’hévéa dont la culture intensive détermina fortement les relations du Vietnam à ses colonisateurs européens. Aussi, sous les couleurs éclatantes, le message délivré par ces jardins tropicaux n’est guère moins inquiétant : la violence sociale sourd du jardin, qui représente une nature exploitée, violentée.</p>
<p>Contrastant avec la jungle colorée que nous parcourons, une boîte obscure abrite le <em>Mangrorama</em>, un diorama spécialement créé par Dominique Gonzalez-Foerster avec Joianne Bittle (2017) : dans une « fascinante luminescence » (Le Gall, 2015), « une triple baie vitrée s’ouvre sur un paysage de mangrove et de marais où les livres ont pris la place des espèces animales et semblent faire partie d’un étrange rituel. Dans ce jardin-bibliothèque, une littérature fertile célèbre les transformations, la forêt, la biodiversité, formant une bibliographie qui tropicalise la pensée et végétalise l’esprit » (cartel). Mais on peut aussi y voir dans des ruines qui rappellent l’<a href="http://www.diaart.org/about/press/dia-presents-chronotopes-dioramas-a-new-project-by-dominique-gonzalez-foerster-at-the-hispanic-society/type/text">éphémère de toute civilisation humaine</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/164336/original/image-20170406-16682-1a4pc8x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/164336/original/image-20170406-16682-1a4pc8x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/164336/original/image-20170406-16682-1a4pc8x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/164336/original/image-20170406-16682-1a4pc8x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/164336/original/image-20170406-16682-1a4pc8x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/164336/original/image-20170406-16682-1a4pc8x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/164336/original/image-20170406-16682-1a4pc8x.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dominique Gonzalez-Foerster, avec Joianne Bittle _Mangrorama _, 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Une seconde « boîte » abrite les projections « magiques » du duo angolais João Maria Gusmão et Pedro Paiva. Dans « Fruit Polyhedron » (2009), un film de la jungle et de ses habitants met en scène des rituels étranges, dessinant des liens renouvelés avec la forêt et ses esprits. Le jardin reste donc un lieu d’espoir de régénération, il peut jouer un rôle de thérapeutique sociale, comme y invite, dans la dernière section de l’exposition, la fleur géante et odorante d’Ernesto Neto (<em>Flower Crystal Power</em>, 2014) : on peut s’y étendre les uns à côté des autres et respirer les parfums d’épices pour se reconnecter aux autres et à soi. Se retrouve ainsi une dimension utopique plus positive du jardin : il est un espace autre – hétérotopique, pour en revenir une fois encore à Michel Foucault – où peuvent parfois se dénouer les contradictions sociales de notre temps.</p>
<p>Le jardin est par excellence un lieu de réflexion : lieu qui à la fois reflète et donne à penser. Plus qu’avec « Jardins », c’est avec l’exposition « Sublime. Les tremblements du monde », présentée au Centre Pompidou Metz en 2016 que l’exposition « Jardin infini » <a href="http://www.centrepompidou-metz.fr/sublime-les-tremblements-du-monde">poursuit un dialogue</a>.</p>
<p>À propos de « Jardins », Laurent Le Bon explique qu’il a voulu, par une exposition « non prise de tête, un <em>feel-good show</em> […] délivrer plein de messages, mais surtout donner un peu de bonheur aux gens ». À l’opposé d’une expérience de la réassurance, loin du <em>locus amoenus</em> (« lieu amène »), le jardin exploré à Metz s’avère plutôt, suivant l’esprit de Fernando Pessoa (<em>Le livre de l’intranquilité</em>), un jardin « intranquille », qui fait profondément résonner la complexité de notre rapport au monde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/75428/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Gaëlle Crenn ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Loin d’une vision « printanière », « Jardin infini » offre une toute autre vision du monde, inquiète et désenchantée.Gaëlle Crenn, Maitre de conférence Info-Com, CREM, IUT Nancy Charlemagne, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/693132016-11-24T20:40:58Z2016-11-24T20:40:58ZLe Neveu de Diderot, un rameau gourmand<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/147204/original/image-20161123-19722-1149oib.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Promenade au Palais-Royal, où commence « Le Neveu de Rameau ».</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><a href="https://www.franceculture.fr/emissions/fictions-theatre-et-cie/le-neveu-de-rameau">Le Neveu de Diderot</a> pratique l’embrouille. S’il fait ostentation de ses contradictions, c’est pour faire oublier son fond et s’en absoudre, d’abord à ses propres yeux, et à la fin, même, s’en féliciter : « rira bien qui rira le dernier », conclut-il, et il faut bien entendre dans ce proverbe son caractère menaçant – quoiqu’enveloppé d’enjouement. Le Neveu est une enveloppe dont l’aspect est d’emblée décrit comme changeant : « Quelquefois, il est maigre et hâve […] Le mois suivant, il est gras et replet […] Aujourd’hui, en linge sale, en culotte déchirée […] Demain, poudré, chaussé, frisé, bien vêtu… » Une enveloppe que Diderot, en familier des couteaux, va ouvrir pour en tirer une leçon d’anatomie philosophique.</p>
<p>« L’ergot n’est donc point un vrai grain, un produit de la semaille, mais un germe dégénéré, ainsi que la <a href="https://fr.wiktionary.org/wiki/nielle">nielle</a> », écrit Diderot dans ses <em><a href="http://www.honorechampion.com/fr/champion/6394-book-08530995-9782745309952.html">Éléments de physiologie</a></em>. Les premiers mots du Neveu sont une insulte aux joueurs d’échecs, « ce tas de fainéants », auxquels il associe de biais « M. le philosophe », qu’il « aborde ». La vérité du Neveu se dit dans son geste d’entrée et dans sa parole de sortie. C’est lui qui aborde le philosophe – dans ce verbe qui évoque la piraterie, mais plus profondément fait référence à sa nature de parasite –, et qui le quitte sur une autoglorification dérisoire en forme d’échec et mat aussi illusoire que temporaire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/147208/original/image-20161123-19722-119xtsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/147208/original/image-20161123-19722-119xtsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=970&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/147208/original/image-20161123-19722-119xtsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=970&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/147208/original/image-20161123-19722-119xtsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=970&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/147208/original/image-20161123-19722-119xtsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1220&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/147208/original/image-20161123-19722-119xtsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1220&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/147208/original/image-20161123-19722-119xtsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1220&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">une satire découverte par hasard en 1890.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Author provided</span></span>
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<h2>L’art du second degré</h2>
<p>D’un point de vue physiologique, le Neveu est un <a href="https://fr.Wikipedia.org/wiki/Gourmand_(botanique)">rameau gourmand</a>. Le nom de Neveu indique la dérivation comme l’intitulé <em>Satyre Seconde</em>, donné par Diderot à ce texte, qui invite à le lire au second degré. Un rameau gourmand (et gourmand, le Neveu l’est), est un rameau, dit le dictionnaire, « dont la pousse nuit aux rameaux fruitiers voisins en absorbant la sève à son profit. » Et de donner l’exemple : <em>Élaguer les gourmands</em>. Après avoir traité les joueurs d’échecs de tas de fainéants, le Neveu, qui est le véritable fait-néant de l’affaire, demande au philosophe : « Est-ce que vous perdez aussi votre temps à pousser le bois ? » Ce qui, au premier degré, signifie : « vous perdez votre temps à de vaines spéculations », et au second degré : « vous êtes un rameau gourmand, un parasite ». Le Neveu pratique d’entrée l’embrouille en s’offrant hypocritement en (faux) miroir du philosophe, tout en se donnant par là des airs de meilleur philosophe que le philosophe. Il le dit plus loin : « je me dis : sois hypocrite si tu veux ; mais ne parle pas comme l’hypocrite. »</p>
<p>Comme les populistes, le Neveu se donne l’air de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas. Non seulement il le dit, mais il le gesticule, le développe : tous les possibles se mon(s)trent à partir de son enveloppe. Mais s’il prend tous les masques, c’est pour faire oublier ce qu’il est, à l’intérieur, fondamentalement : comme l’a dit Foucault, un objet qu’on possède. C’est d’ailleurs en suivant ses pensées comme des « catins » que le philosophe l’a rencontré, et le Neveu se dit dès le début « entre <a href="https://fr.Wikipedia.org/wiki/Diog%C3%A8ne_de_Sinope">Diogène</a> et <a href="https://fr.Wikipedia.org/wiki/Phryn%C3%A9">Phryné</a> », mêlant comme toujours le mensonge à la vérité : car s’il n’a de Diogène qu’une apparence, qui plus est provisoire, son fond est bien celui de la prostitution.</p>
<h2>Un ricanement contagieux</h2>
<p>Hegel l’a dit, s’il « ne s’entend pas seulement à juger et à palabrer de tout, mais à dire avec esprit, dans leur <em>contradiction</em>, les essences fixes de l’effectivité », c’est que « la vanité de toutes choses est sa vanité propre. » Si le Neveu dénonce la vanité du monde, c’est qu’il en est saturé (<a href="https://fr.wiktionary.org/wiki/satyre">étymologie de satyre</a>), possédé, au sens moral et ontologique comme au concret, dans son existence de parasite. <a href="http://www.persee.fr/doc/rbph_0035-0818_1933_num_12_1_6840">« Quisque suos patimur manes »</a>, dit-il à la fin, parasitant Virgile tout en se dévoilant secondairement. Car dire qu’il endure le sort de <a href="https://fr.Wikipedia.org/wiki/M%C3%A2nes">ses mânes</a>, c’est dire tout à la fois qu’il appartient au monde de la mort et qu’il est attaché aux bons (sens de <em>manus</em>) comme l’est le rameau gourmand : au long de ce dialogue qui se conclut, il s’est servi du philosophe pour philosopher, en réalité envelopper de philosophie le trou noir résidant sous son enveloppe.</p>
<p>Secondairement, les mânes qu’il évoque pourraient renvoyer à la <em>mania</em>, la manie, la folie, celle des buveurs qui partagent le lieu avec les joueurs d’échecs. « Le déchirement de la conscience, auto-conscient de soi et qui s’énonce, est le ricanement portant sur l’être-là tout comme sur la confusion du tout et sur soi-même ; il le [ricanement] est en même temps l’écho perdu se percevant encore de cette confusion totale », écrit Hegel, toujours commentant <em>Le Neveu de rameau</em> dans la <a href="https://fr.Wikipedia.org/wiki/Ph%C3%A9nom%C3%A9nologie_de_l%E2%80%99esprit"><em>Phénoménologie de l’Esprit</em>.</a></p>
<p>Le Neveu pratique l’embrouille et la confusion parce qu’il est lui-même plongé dans la confusion, et parce que seule la confusion qu’il jette dans les esprits (« Moi je suis le fou de Bertin et de beaucoup d’autres, le vôtre peut-être dans ce moment ; ou peut-être vous, le mien. Celui qui serait sage n’aurait point de fou. Celui donc qui a un fou n’est pas sage ; s’il n’est pas sage, il est fou… »), la confusion qu’il jette en confetti scintillants lui permet d’éviter d’être élagué, lui permet d’exister encore un peu – ne conclut-il pas en se souhaitant encore quarante ans de « ce malheur-là » ? Son « Rira bien qui rira le dernier » est effectivement un ricanement. Rien ne lui importe plus que de déféquer chaque jour à son aise, pérore-t-il. Car le fait est que son parasitisme fonctionne grâce à ce que Diderot nomme dans ses <em>Éléments de physiologie</em> la « singerie des organes » par laquelle se transmet le mal, la maladie : par exemple le « poitrinaire », dit-il, communique son mal « en parlant », en le parlant.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/147206/original/image-20161123-19702-192e7b3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/147206/original/image-20161123-19702-192e7b3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=718&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/147206/original/image-20161123-19702-192e7b3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=718&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/147206/original/image-20161123-19702-192e7b3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=718&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/147206/original/image-20161123-19702-192e7b3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=902&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/147206/original/image-20161123-19702-192e7b3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=902&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/147206/original/image-20161123-19702-192e7b3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=902&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Diderot par Van Loo.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Séduction des puissances de mort</h2>
<p>Ainsi, le style virevoltant du texte et du dialogue s’apparente-t-il à un geste de prestidigitateur, propre tout à la fois à fasciner l’attention sur son tour et à la détourner de son artifice afin de lui faire admirer et accepter l’illusion. Les admirateurs du personnage du Neveu sont nombreux. Ce sont tous ceux que Diderot, dans ce jeu entre l’auteur et le lecteur, a faits échec et mat. Ceux qui ont cédé à l’attrait de pensées fascisantes par l’attrait ou l’oubli de l’histoire centrale du livre : celle du juif trahi et dépouillé par une machination abjecte, racontée avec délectation et admiration par le Neveu. Histoire qui a son contrepoint et son explication dans l’attaque initiale du Neveu contre les génies (dont il aimerait être, finira-t-il par avouer). <a href="https://beq.ebooksgratuits.com/vents/diderot-neveu.pdf"><em>Le Neveu de Rameau</em></a> c’est la démonstration, en plein « siècle des Lumières », par-delà un point de vue physiologique sur la vie, des puissances de mort à l’œuvre dans l’humain, et de leur séduction.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/69313/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alina Reyes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Virtuose exposé d’anatomie philosophique, « Le Neveu de Rameau » met en scène une folie humaine toujours dangereusement actuelle.Alina Reyes, Doctorante, littérature comparée, Maison de la Recherche, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/663732016-10-10T19:14:08Z2016-10-10T19:14:08ZLes collectifs artistes comme hétérotopies organisationnelles : un modèle à suivre ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/141000/original/image-20161009-21439-1ymt43b.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Andy Warhol à la Factory.</span> <span class="attribution"><span class="source">Phaidon</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Les milieux artistiques ont traditionnellement exploré des modes de sociabilité et de nouvelles pratiques collectives pour soutenir la création. Parmi ces pratiques les collectifs artistes sont des formes organisationnelles originales notamment car elles s’inscrivent dans des lieux physiques.</p>
<p>L’organisation matérielle objets-organisation-lieux interagit continuellement, entièrement tournée vers un impératif : l’expérience sensible. Comme le dit si justement <a href="http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/10/28/la-vie-sensible-d-emanuele-coccia_1432236_3260.html">Emanuele Coccia</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Entre les objets et nous, il y a un lieu intermédiaire, dans le sein duquel l’objet devient sensible, se fait phainomenon » (« La vie sensible », 2013).</p>
</blockquote>
<p>Michel Foucault nous montre comment comprendre l’usage des lieux comme espaces spécialement conçus par l’homme pour accomplir la spécificité de ses activités, notamment lorsque ces lieux sont habités d’une intention sociale comme l’école ou la maison familiale. À l’opposé il distingue les utopies, c’est à dire des lieux qui ne sont habités que par un imaginaire. À l’instar de <em>L’Utopie</em> de Thomas More, ces espaces ne sont en rien matérialisables car bien éloignés de la réalité physique et sociale et se doivent de rester inatteignables. Entre le réel trivial et l’imaginaire lumineux, Foucault repère des contre-espaces, les hétérotopies :</p>
<blockquote>
<p>« [D]es lieux réels, des lieux effectifs, des lieux qui ont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient effectivement localisables » (Michel Foucault, <a href="http://desteceres.com/heterotopias.pdf">« Des espaces autres »</a>, « Architecture, Mouvement, Continuité », n°5, octobre 1984, pp. 46-49).</p>
</blockquote>
<p>Situé entre lieux d’exposition et espace d’exploration, l’art contemporain nécessite la combinaison des artistes, des regardants et des objets en un « dispositif autre » dans un « espace autre » afin de produire des « comportements autres ». Les lieux de création se confondent avec les lieux d’exposition et inversement. C’est par l’arrangement matériel des activités cognitives et des interactions sociales que les collectifs d’artistes permettent l’expression d’émergences. La Factory de Warhol, le Bateau-Lavoir de Picasso, le Chelsea Hotel si bien décrit par <a href="http://www.denoel.fr/Catalogue/DENOEL/Hors-collection/Recits-et-temoignages/Just-Kids">Patti Smith dans <em>Just Kids</em></a> (Folio Poche, 2010), les friches artistiques ou les collectifs de créateurs sont autant d’hétérotopies, lieux d’intermédiation entre l’utopie et le réel, <em>middle ground</em> d’où jaillit la création.</p>
<h2>Caractéristiques des hétérotopies</h2>
<p>Les hétérotopies fonctionnent selon six principes :</p>
<ul>
<li><p>abriter des comportements déviants ou de crise ;</p></li>
<li><p>garder une constante dans leur nature malgré les mutations sociales extérieures ;</p></li>
<li><p>juxtaposer plusieurs espaces pour autant incompatibles entre eux ;</p></li>
<li><p>singulariser le temps de cet espace de la temporalité ordinaire ;</p></li>
<li><p>inclure un système d’ouverture et de fermeture qui les isole des autres espaces sociétaux ;</p></li>
<li><p>remplir une fonction bien précise qui ne relève pas d’un « ordre des choses ».</p></li>
</ul>
<p>Les espaces créatifs en sont les représentants : La <a href="http://lewebpedagogique.com/tpefactory/andy-warhol-pape-de-la-factory/">Factory</a> abrite une communauté de créatifs autour d’Andy Warhol : les comportements déviants sont privilégiés mais s’unifient autour de la création artistique/contestation sociale ; l’espace est à la fois atelier, lieu de production de mythe, espace de transgression, mais aussi salle de concert, lieu de débat, boîte de nuit, galerie d’exposition, etc. Bref, un <a href="http://digital-society-forum.orange.com/fr/les-forums/283-les_l_tiers-lieux_r_nouveaux_espaces_de_travail_collaboratifs">« tiers-lieux »</a> : ni vraiment chez soi, ni vraiment au travail.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/141001/original/image-20161009-21458-3tlb16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/141001/original/image-20161009-21458-3tlb16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/141001/original/image-20161009-21458-3tlb16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=712&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/141001/original/image-20161009-21458-3tlb16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=712&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/141001/original/image-20161009-21458-3tlb16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=712&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/141001/original/image-20161009-21458-3tlb16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=895&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/141001/original/image-20161009-21458-3tlb16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=895&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/141001/original/image-20161009-21458-3tlb16.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=895&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Lucio Fontana, Concetto spaziale, Attesa, 1960, Tate.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Tate</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les formes organisationnelles de ces collectifs artistes sont aux antipodes du raisonnable : ouvertes, chaotiques, dysfonctionnelles, le temps et la matière sont gaspillés. La liberté de la toile blanche du peintre s’affranchit des cadres fonctionnalistes de la pensée préconçue (plutôt que peindre dessus, Lucio Fontana découpe ses toiles au rasoir). Cette liberté de la toile est la liberté de la voile du navire, une potentialité à réaliser : Foucault renchérit dans le même texte :</p>
<blockquote>
<p>« Dans les civilisations sans bateaux les rêves se tarissent, l’espionnage y remplace l’aventure, et la police, les corsaires. »</p>
</blockquote>
<h2>Les collectifs artistes : arracher l’expérience sensible du quotidien</h2>
<p>Qu’est-ce qui caractérise aujourd’hui l’art contemporain ? La combinaison de matérialité et d’expériences, un dispositif qui aboutit à des activités cognitives singulières. Un « avoir–lieux » comme le dit Giorgio Agamben (<em>La communauté qui vient</em>, 1990). Nicolas Bourriaud parle d’esthétique relationnelle (Les presses du réel, 1998) :</p>
<blockquote>
<p>« Si elle est réussie, une œuvre d’art vise toujours au delà de sa simple présence dans l’espace ; elle s’ouvre au dialogue, à la discussion, à cette forme de négociation interhumaine que Marcel Duchamp appelait “le coefficient d’art” – et qui est un processus temporel, se jouant ici et maintenant ».</p>
</blockquote>
<p>Nathalie Heinich (<a href="https://www.cairn.info/revue-du-mauss-2016-1-page-30.htm">« De l’objet à la relation : une révolution copernicienne »</a>, La Revue du MAUSS, 2016) synthétise au mieux l’avènement de l’art comme pensée relationnelle :</p>
<blockquote>
<p>« … si l’on cherche l’objet, la substance, l’on ne voit rien ; en revanche, si l’on s’intéresse à sa relation au monde, et notamment à ses conséquences sur ce qui l’entoure, alors l’on est forcé de constater qu’il y a bien quelque chose ».</p>
</blockquote>
<p>L’extériorisation de l’expérience est première : ce n’est pas seulement dans la relation avec les choses que l’artiste provoque la pensée du sujet ou les prêts-à-penser du social, c’est dans l’agencement spatial des objets et des sujets que coexiste la sensibilité cognitive : on ne regarde pas une œuvre contemporaine, on expérimente la singularité de la relation cognitive qu’elle façonne.</p>
<p>Les conditions artistiques organisent les pratiques de penser. Cela nécessite une double plasticité : une plasticité sociale, les collectifs artistes produisent des situations singulières en mouvement ; une plasticité cognitive, les limites de l’œuvre dépassent l’objet, l’espace et la signifiance pour entrer dans des rapports d’extériorité liant l’artiste, les regardants et les choses.</p>
<p>Si l’atelier était configuré pour mobiliser les gestes normatifs de l’artiste (la technè), les collectifs artistes sont vécus comme autant d’espaces pour arracher de nouvelles praxis collectives des actions conventionnelles.</p>
<p>L’art classique a cherché à produire et reproduire des conventions ; l’art moderne à exprimer l’intériorité de l’artiste et matérialiser ses sentiments à partir d’invariants sensibles mis en formes. L’art contemporain non seulement provoque les discours, transgresse des limites, produit de nouvelles idées mais avec l’avènement des collectifs artistes, la production de lieux hétérotopiques, espaces mi-public/mi-privé, prend le dessus sur le produit artistique lui-même : expériences et performances sociales deviennent indissociables.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/141002/original/image-20161009-21458-zk9uc2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/141002/original/image-20161009-21458-zk9uc2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/141002/original/image-20161009-21458-zk9uc2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/141002/original/image-20161009-21458-zk9uc2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/141002/original/image-20161009-21458-zk9uc2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/141002/original/image-20161009-21458-zk9uc2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/141002/original/image-20161009-21458-zk9uc2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/141002/original/image-20161009-21458-zk9uc2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Do It Yourself 2.0 – Fab Lab Tricity, Gdańsk, Poland.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mananasoko/9128541139/in/photolist-eUEafk-eUEa8V-nWSy6x-7WAVXE-eURukj-oE8AoP-eUE9Fx-nxXwvN-4MrKtV-okRB7L-eURuvq-9jtpks-9jtnoY-9jtkCE-9jtkry-9jtmWh-9jqew2-9jtrLf-9jqhwt-9jtmx5-9jtrb1-e5grRc-h1Wp4p-9jtm81-9jtqjQ-9jqkSt-9QKFCp-eUE9Mi-eURupY-oCjHeC-eURusJ-eUE9Xg-nye8X1-7WAVT3-nye8EC-eUE9Zz-eUEa8i-oE8oLm-CQbbNU-eURuNE-nzZ4wT-eUE9Ri-eURuqw-7WAVV7-eURukN-eUEabk-9QLJCb-eURusu-oUzKZ5-nYXbcH">Maciej Wojnicki/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les collectifs artistes mais aussi les fab-lab et autre espaces de co-working, plus proche du monde productif, montrent le chemin des conditions de création à venir : proposition d’espaces, d’objets et d’activités dans lesquels les sujets s’engagent matériellement et relationnellement pour expérimenter et intensifier le sensible.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/66373/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Alors que se développent de nouveaux lieux de créativité – fablabs, maker spaces – quelles leçons tirées des collectifs d’artistes ?Jean-Louis Magakian, Professeur affilié, Stratégie et Organisation, EM Lyon Business SchoolDavid Vallat, Maître de conférences en économie, Université Claude Bernard Lyon 1Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/659332016-09-30T04:50:11Z2016-09-30T04:50:11ZDémocratie sanitaire : patients émancipés, soignants sensibilisés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/165312/original/image-20170413-25894-13dtkah.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Patients dans la salle d'attente d'un hôpital. </span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/background-blur-number-patients-waiting-treatment-463851665?src=N9UL8xq3nBQ_V7splNzZbg-1-9">Magnifier/Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p><em>Démocratie</em> et <em>santé</em> : ces deux mots signent l’<a href="https://www.cairn.info/revue-les-tribunes-de-la-sante-2014-5-page-3.htm">émergence d’une nouvelle problématique</a> dans la thématique plus générale des politiques de la santé. Depuis le XVIII<sup>e</sup> siècle, la santé n’est plus une affaire strictement privée. Michel Foucault a pu mettre en exergue dans son livre <a href="https://www.puf.com/content/Naissance_de_la_clinique">Naissance de la clinique</a> cette rupture qui a conduit la médecine à prendre « une posture normative […] ». Tout au long de son œuvre, le philosophe s’est en effet attaché à comprendre, par l’étude des pratiques, comment l’action des normes détermine le type de société auquel les individus appartiennent comme sujets. Il aura, ainsi, su mettre à jour le processus de normalisation des comportements sociaux et montrer en quoi les institutions sont devenues les incarnations de ces normes.</p>
<p>L’hygiénisme, les progrès médicaux, les assurances sociales ont progressivement remodelé un système de santé dont le périmètre et la complexité n’ont cessé de croître. Le système de santé s’est notamment centré sur la thérapeutique au détriment, sans doute, de l’action préventive.</p>
<p>Quelle est, dans ce contexte, la signification du concept de « démocratie sanitaire » consacré par la loi du 4 mars 2002 ? Il est incontestablement le signe d’une émancipation du patient, avec la reconnaissance législative de ses droits individuels. Ce qui était un devoir déontologique du médecin devient un droit législatif du malade. Sa portée est étendue en admettant, néanmoins, que la multiplicité des termes utilisés pour désigner l’individu révélant la polysémie du concept de « démocratie sanitaire ». En effet, on le nomme alternativement patient, malade, usager du système de santé, assuré social, citoyen…</p>
<h2>Le rôle clé des associations de patients</h2>
<p>Ainsi, en matière d’action collective, l’intervention essentielle d’associations de malades et d’usagers dans l’élaboration puis la mise en œuvre de programmes de santé a pu se développer. Après les professionnels de santé et les représentants d’assurés sociaux, place est donc faite à un nouvel acteur, celui qui représente les malades et les usagers.</p>
<p>Le <a href="http://www.apedys.org/dyslexie/index.php?op=edito">projet apedys</a>, un collectif qui regroupe les adultes et les parents d’enfants touchés par la dyslexie, en fournit un bon exemple. Il a pu permettre cette représentation des dyslexiques et de leurs familles dans le champ de la santé et a occasionné, aussi, l’affirmation progressive d’un mouvement associatif avec une redistribution des pouvoirs. La pression revendicative d’associations comme celle-ci a entraîné, par la même occasion, le renforcement de leur légitimité.</p>
<p>Parallèlement aux droits individuels et collectifs des usagers du système de santé, l’État conserve ses prérogatives par les lois de financement de la sécurité sociale et les agences régionales de santé (ARS). Verra-t-on, alors, se développer un dialogue entre les deux, une véritable politique de santé avec les politiques éducatives attenantes ? Assistera-t-on à une élaboration démocratique des priorités de santé ?</p>
<h2>Changer les représentations</h2>
<p>C’est dans ce contexte, qui devrait favoriser l’implication des citoyens dans les questions de santé, que s’est créé, en mai 2015, l’Institut pour la démocratie en santé (IPDS). Il associe patients, établissements de soins et chercheurs, regroupant le <a href="http://www.leciss.org/qui-sommes-nous">Collectif interassociatif sur la santé</a> (CISS), la fédération hospitalière de France (FHF) et l’École des hautes études en santé publique (EHESP). L’Institut a pour vocation d’œuvrer au « changement des pratiques et des représentations ». L’Institut devra permettre, aussi, une réflexion approfondie pour une amélioration de la « co-construction » des politiques publiques de santé grâce au numérique.</p>
<p>La démocratie en santé, actuellement en construction, repose donc sur deux socles incontournables : l’avancée des droits individuels des patients et, simultanément, la reconnaissance de leurs droits collectifs par des canaux représentatifs permettant leur expression au travers d’associations agréées.</p>
<p>Didier Tabuteau, conseiller d’État et responsable de la Chaire Santé de Sciences Po proposait ainsi en février, <a href="http://www.forumdemocratie-sante.fr/wp-content/uploads/Synthese-1%3Csup%3Eer%3C/sup%3E-Forum-IPDS.pdf">lors du 1ᵉ forum de l’IPDS</a>, que la « démocratie en santé » recouvre les efforts faits pour tendre vers une « organisation de la société reconnaissant la capacité de chacun à connaître, décider et agir pour sa santé et la politique de santé ».</p>
<p>Les progrès de la démocratie en santé se joueront, aussi, sur le front des droits sociaux, de la Couverture maladie universelle (CMU) et du tiers payant. Ce dernier, s’il s’étend aux consultations chez les médecins et plus seulement à l’achat des médicaments en pharmacie, pourrait contribuer à de nouveaux équilibres dans la relation entre les citoyens avec leurs soignants et leur système de santé. Par ailleurs, les formations communes aux soignants et aux patients permettront par une co-construction et une coéducation, comme énoncé précédemment, de développer cette démocratie en santé.</p>
<h2>Act Up, Aides : les pionniers</h2>
<p>Les associations de lutte contre le VIH/sida comme Act Up ou Aides ont pu être considérées comme les pionnières de la démocratie en santé. Elles ont imposé leur participation aux décisions concernant la prise en charge des patients, les essais cliniques et ont pu modifier le regard sur la maladie. Plus tard, l’<a href="http://www.lelien-association.fr/asso/index.php">association le LIEN</a> a provoqué une prise de conscience collective du risque des maladies nosocomiales (c’est à dire contractées à l’hôpital). Et ce sont les citoyens qui ont mis le sujet sur le devant de la scène. L’ultime objectif apparaît donc clairement : remettre le patient au cœur du système !</p>
<p>Toutes ces actions ont conduit, dans de nombreux domaines, à des progrès conséquents tant sur le plan scientifique que sur le plan social : financements de recherches, reconnaissance du handicap, liberté d’expression… Progrès, aussi, sur le plan de la prévention – même si cette culture de la prévention doit être développée et explicitée.</p>
<p>Les attentes à l’égard de l’IPDS sont donc très fortes. Une question s’impose, parmi tant d’autres : comment convaincre les professionnels de santé de la nécessité d’être sensibilisés aux enjeux de la démocratie en santé ? Il faut maintenant s’appliquer à faire tomber les cloisonnements entre professionnels et patients, entre direction de l’hôpital et représentants d’usagers.</p>
<h2>L’Union des usagers</h2>
<p>Face à ces problématiques, la loi du 26 janvier 2016, relative à la modernisation de notre système de santé a consacré, dans son article premier, la création d’une Union nationale des associations agréées d’usagers du système de santé (UNAASS). Cette union aura pour objectifs de donner des avis aux pouvoirs publics, d’animer le réseau associatif, d’agir en justice, de représenter les usagers auprès des pouvoirs publics et, aussi, de proposer une liste d’associations agréées pour la formation des représentants des usagers du système de santé.</p>
<p>La création de l’UNAASS devrait donc permettre de mieux coordonner et organiser la représentation des usagers, évolution importante dans l’extension de la démocratie en santé.</p>
<p>Cette future union doit pouvoir alerter et faire des propositions concrètes aux pouvoirs publics et créer, ainsi, un débat constructif pour que la démocratie se développe dans les hôpitaux. Elle doit, aussi, pouvoir imposer les représentants des usagers dans les échanges avec les responsables hospitaliers. Cette union pourrait représenter une opportunité historique de défendre, d’accroître la parole du citoyen utilisant le système de santé et pour qui le CISS a été le premier catalyseur d’une démocratie sanitaire innovante. Ainsi pourra prospérer la démocratie en santé, partie prenante d’une véritable démocratie politique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/65933/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabien Dworczak ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les patients ont désormais voix au chapitre, pour leur propre santé mais aussi pour la politique de soins à l’échelle du pays. La future Union des usagers doit les rendre incontournables.Fabien Dworczak, PhD, chercheur associé neurosciences et éducation, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/584712016-04-28T04:33:55Z2016-04-28T04:33:55ZL’espace-temps de Nuit debout<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/120404/original/image-20160427-30970-1uu1aoq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bulletin quotidien, Nuit debout, « 52 mars », 2016.</span> </figcaption></figure><p><em>Cet article est publié en partenariat avec le blog <a href="http://quartierdubataclan.wordpress.com">Chroniques sociologiques du « Quartier du Bataclan »</a></em></p>
<p>Jeudi 21 avril, vers 18h, la commission « Éducation populaire » de Nuit debout tient séance. Le dialogue entre l’intervenant, visiblement un de mes collègues universitaires, et les participants porte sur le concept d’hétérotopie forgé par Michel Foucault. Il s’agit de défendre l’idée que la place de la République n’est pas le lieu d’une utopie, mais « un autre lieu » (hétéro-topie) où il est possible de faire, et peut-être de construire, quelque chose de nouveau. En réponse à cette proposition, une personne de l’assistance prend la parole.</p>
<blockquote>
<p>Nous ne sommes pas dans un autre lieu. Nous sommes sur la place de la République là. C’est le même lieu où se sont passées d’autres choses importantes, c’est le même lieu que beaucoup d’autres trucs.</p>
</blockquote>
<p>Ce à quoi son interlocuteur lui répond « Non je ne suis pas d’accord c’est le même espace mais pas le même lieu ». De quoi la place de la République est-elle le lieu et comment s’inscrit-elle dans l’espace ? A-t-elle effectivement une mémoire ? Parmi celles-ci le souvenir des attentats et des mobilisations qui les ont suivis tient-il une place ?</p>
<h2>Le lieu et l’espace</h2>
<p>Les termes de lieu et d’espace ont joué un rôle central dans la manière dont les sciences sociales ont jusqu’ici pensé la mémoire et les processus de mémorialisation. L’histoire, avec Pierre Nora, a forgé l’expression de « lieux de mémoire » tandis que la sociologie, avec Maurice Halbwahcs, pense la mémoire dans son lien à l’espace social, c’est-à-dire un ensemble structuré de relations entre des individus. Malgré leurs profondes différences, ces deux cadres théoriques lient fondamentalement l’espace et le temps. Et d’ailleurs, chez Michel Foucault lui-même, les hétérotopies vont de pair avec des hétérochronies (autres temps). Le cimetière lieu d’hommage aux morts, comme l’est un Mémorial, constitue ainsi, pour Foucault, un des meilleurs exemples d’hétérotopie /hétérochronie.</p>
<p>Et le temps de Nuit debout est effectivement autre : les nuits, moments a-sociaux par excellence, remplacent les jours et se succèdent selon un calendrier inédit, à mois unique, celui de mars. Mais est-il tout simplement possible que des individus, par définition socialisés, habitent à la fois un autre espace et un autre temps ? Il n’est à cet égard par anodin que les cimetières soient d’abord habités par des morts.</p>
<h2>Un temps fort</h2>
<p>Mercredi soir, 51 mars donc, le concert donné par l’Orchestre Debout sur la place de la République a été décrit par beaucoup, participants comme commentateurs, comme un moment fort (« historique » ?) de la mobilisation. Plusieurs des réactions et commentaires qui ont suivi ont, à cette occasion, mis en avant l’émotion profonde des participants devant cette foule rassemblée, au diapason. Ils ont, à plusieurs reprises, fait référence au précédent de l’émotion ressentie en janvier puis en novembre 2015 dans le même lieu et au sein du même espace. Qu’un orchestre en vienne à symboliser Nuit debout est l’indice de la difficulté à créer un autre lieu et un autre temps.</p>
<p>C’est précisément à partir de l’exemple de l’orchestre que dès 1939, dans <a href="http://www.ssnpstudents.com/wp/wp-content/uploads/2015/02/memoire_coll_musiciens.pdf"><em>La mémoire collective chez les musiciens</em></a>, le sociologue Maurice Halbwachs expliquait la manière dont fonctionne la mémoire collective et, avec elle, la société :</p>
<blockquote>
<p>Revenons à la remarque qui a été notre point de départ. Elle portait sur le rôle des signes dans la mémoire tel que nous avons pu le mettre en lumière sur l’exemple de la musique. Pour apprendre à exécuter, ou à déchiffrer, ou, même lorsqu’ils entendent seulement, à reconnaître et distinguer les sons, leur valeur et leurs intervalles, les musiciens ont besoin d’évoquer une quantité de souvenirs. Où se trouvent ces souvenirs, et sous quelle forme se conservent-ils ? Nous disions que, si on examinait leurs cerveaux, on y trouverait une quantité de mécanismes, mais qui ne se sont pas montés spontanément. Il ne suffirait pas en effet, pour qu’ils apparaissent, de laisser le musicien isolé en face des choses, de laisser agir sur lui les bruits et les sons naturels. En réalité, pour expliquer ces dispositifs cérébraux, il faut les mettre en relations avec des mécanismes correspondants, symétriques ou complémentaires, qui fonctionnent dans d’autres cerveaux, chez d’autres hommes. Bien plus, une telle correspondance n’a pu être réalisée que parce qu’il s’est établi un accord entre ces hommes : mais un tel accord suppose la création conventionnelle d’un système de symboles ou signes matériels, dont la signification est bien définie…</p>
<p>Mais, même les souvenirs qui sont en eux, souvenirs des notes, des signes, des règles, ne se trouvent dans leur cerveau et dans leur esprit que parce qu’ils font partie de cette société, qui leur a permis de les acquérir ; ils n’ont aucune raison d’être que par rapport au groupe des musiciens, et ils ne se conservent donc en eux que parce qu’ils en font ou en ont fait partie. C’est pourquoi l’on peut dire que les souvenirs des musiciens se conservent dans une mémoire collective qui s’étend, dans l’espace et le temps, aussi loin que leur société. </p>
<p>Mais, insistant ainsi sur le rôle que jouent les signes dans la mémoire musicale, nous n’oublions pas qu’on pourrait faire des observations du même genre dans bien d’autres cas.</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/120397/original/image-20160427-30982-1rnupeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/120397/original/image-20160427-30982-1rnupeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/120397/original/image-20160427-30982-1rnupeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/120397/original/image-20160427-30982-1rnupeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/120397/original/image-20160427-30982-1rnupeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/120397/original/image-20160427-30982-1rnupeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/120397/original/image-20160427-30982-1rnupeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Lieu.</span>
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</figure>
<p>Plan de l’espace de la Place de la République qui évolue en direct au marqueur, le 53 mars</p>
<h2>Un lieu multiple</h2>
<p>Nuit debout met en relation un ensemble de sous-espaces, de groupes structurés, qui lui préexistent et qui font que le lieu n’est pas tant autre que multiple. Et c’est pour cette raison même que Nuit debout peut être un lieu à mémoires, plutôt qu’un lieu de mémoire. L’acception du « lieu de mémoire » chez Pierre Nora est en effet à chaque fois univoque : c’est d’abord l’historien qui lui donne sens. La place de la République est, à l’inverse, un espace à temps multiples où chacun donne sens à la mobilisation présente comme aux événements passés. Action et mémoire en deviennent ainsi simultanément collectives.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/120398/original/image-20160427-30986-1k9mn27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/120398/original/image-20160427-30986-1k9mn27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/120398/original/image-20160427-30986-1k9mn27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/120398/original/image-20160427-30986-1k9mn27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/120398/original/image-20160427-30986-1k9mn27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/120398/original/image-20160427-30986-1k9mn27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/120398/original/image-20160427-30986-1k9mn27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Lieu.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>A cet égard, il pourrait être pertinent de s’interroger sur le fait que les précédents les plus souvent cités en référence à Nuit debout sont les Indignés de Madrid et Occupy Wall Street à New York, deux villes qui ont également en commun d’avoir été le théâtre d’attentats meurtriers. Mais l’événement « attentats » lui-même ne prend sens que dans un temps et dans un espace. Même « monstre », comme l’ont qualifié plusieurs commentateurs, il est lu à la lumière d’autres événements, parmi les plus personnels comme plusieurs <a href="https://quartierdubataclan.wordpress.com/2016/04/14/sommaire/">chroniques précédentes</a> l’ont montré ou eux-mêmes jugés « historiques » comme la Première et la Seconde Guerres mondiales.</p>
<p>Sur la place, dans l’espace du « Mémorial » comme dans celui de Nuit debout, ce n’est donc pas un lieu et un temps autres qui se construisent, mais davantage une ou des manières, elles peut-être nouvelles, d’articuler et de mettre en relations des temps et des lieux qui sont déjà là.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/120400/original/image-20160427-30979-1dtn5ai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/120400/original/image-20160427-30979-1dtn5ai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/120400/original/image-20160427-30979-1dtn5ai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/120400/original/image-20160427-30979-1dtn5ai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/120400/original/image-20160427-30979-1dtn5ai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/120400/original/image-20160427-30979-1dtn5ai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/120400/original/image-20160427-30979-1dtn5ai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p class="fine-print"><em><span>Sarah Gensburger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De quel lieu parle-t-on quand on parle de la place de la République à Paris, épicentre de Nuit debout ? De quel espace ? De quel temps ?Sarah Gensburger, Sociologue, chargée de recherche CNRS - ISP - UPOND - ENS Cachan, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/560612016-03-17T05:43:32Z2016-03-17T05:43:32ZVivre et laisser mourir : Michel Foucault avait-il prédit la crise des réfugiés ?<p>En mars 1976, le philosophe Michel Foucault décrivait, sous le terme de <a href="https://ndpr.nd.edu/news/57849-the-government-of-life-foucault-biopolitics-and-neoliberalism/">« biopolitique »</a>, l’avènement d’une nouvelle logique de gouvernance propre aux sociétés libérales occidentales, obnubilées par la santé et le bien-être de leurs populations.</p>
<p>Quarante ans plus tard, force est de constater que les pays occidentaux ont, plus que jamais, à cœur de promouvoir une alimentation saine, proscrire le tabac, réglementer la consommation d’alcool, systématiser le dépistage du cancer du sein ou informer leurs citoyens sur les risques de contracter telle ou telle maladie.</p>
<p>Michel Foucault n’a jamais prétendu que cette tendance était regrettable, après tout elle sauve des vies. Il estimait, en revanche, que le fait d’accorder autant d’importance à la santé et la prospérité d’une population excluait de fait ceux qui n’y avaient pas accès et étaient considérés comme susceptibles de les mettre en danger.</p>
<p>La biopolitique est donc la politique du « vivre et laisser mourir ». En se focalisant sur sa propre population, un pays augmente les conditions susceptibles « d’exposer à la mort, de multiplier pour certains le risque de mort ».</p>
<p>Ce paradoxe aura rarement été plus manifeste que durant la <a href="https://theconversation.com/uk/topics/migrant-crisis">crise</a> qui, ces dernières années, a vu des centaines de milliers de personnes chercher refuge en Europe. Il est frappant de constater à quel point les sociétés européennes investissent chez elles dans la santé, tout en érigeant <a href="https://theconversation.com/politique-migratoire-de-leurope-la-grande-fuite-en-avant-54293">des barrières juridiques et matérielles toujours plus étanches</a> afin de maintenir les réfugiés à distance. De fait, elles participent activement à la mort d’êtres humains.</p>
<p>Le conflit au Moyen-Orient est meurtrier. À elle seule, la guerre civile en Syrie a déjà fait 300 000 morts, <a href="http://www.huffingtonpost.co.uk/2015/10/31/syrian-civil-war-death-_n_8440378.html">selon la plupart des estimations</a>. Elle nous donne à voir quelques-unes des pratiques les plus effroyables, dont le <a href="http://www.bbc.co.uk/news/world-middle-east-23927399">gazage</a> de plusieurs milliers de civils à Damas en 2013. Des groupes extrémistes comme Daech affichent une cruauté inconcevable. Ils décapitent leurs victimes à l’aide de couteaux ou d’explosifs, les enferment dans des cages avant de les brûler vives, les crucifient, les jettent du haut des immeubles et, plus récemment, ont fait sauter une voiture dans laquelle se trouvaient des passagers (un enfant aurait déclenché le dispositif). Cette violence s’est exportée en <a href="https://theconversation.com/uk/topics/paris-attacks-2015">Europe</a>. Et certaines des grandes villes syriennes ressemblent aujourd’hui au Stalingrad de 1943.</p>
<p>Évidemment, les populations fuient, comme l’avaient fait avant elles les Belges – par exemple – au début de la Première Guerre mondiale : le Royaume-Uni en avait accueilli 250 000, parfois au rythme de 16 000 chaque jour.</p>
<p>Mener une vie normale étant impossible sur la quasi-totalité du territoire syrien, l’émigration se poursuivra inévitablement tant qu’il restera des civils dans cette région dévastée par la guerre. Ainsi la Jordanie – qui compte tout juste 10 millions d’habitants – abrite actuellement plus d’un million de réfugiés ; la Turquie, presque deux millions.</p>
<h2>Défense d’entrer</h2>
<p>Confrontés au drame qui se joue à leurs portes, que font les États membres de l’Union européenne ? Exactement ce qu’avait prédit Foucault. Hormis l’Allemagne, <a href="https://theconversation.com/le-spectacle-politique-du-territoire-mure-50668">ils rivalisent d’imagination</a> pour mettre en place des politiques visant à se prémunir contre l’arrivée des réfugiés et envoient des messages dissuasifs toujours plus explicites.</p>
<p>L’<a href="http://in.reuters.com/article/europe-migrants-austria-idINKCN0VX1M0">Autriche</a> a ainsi décidé unilatéralement de fixer des quotas sur le nombre de demandeurs d’asile qu’elle acceptera quotidiennement, laissant la Grèce, en faillite, gérer seule l’afflux d’immigrés.</p>
<p>Une semaine plus tôt, <a href="http://www.bbc.co.uk/news/world-europe-34904931">Manuel Valls</a> avait déclaré que la France et l’Europe ne pouvaient « accueillir plus de réfugiés ». Initialement, le gouvernement s’était engagé à en recevoir 30 000 sur deux ans. Pour mettre les choses en perspective, si la France était un village de 2 200 habitants, elle n’accepterait qu’une seule personne sur toute cette période.</p>
<p>Toujours en France, les <a href="https://theconversation.com/a-political-movement-is-rising-from-the-mud-in-calais-53758">autorités sont en train de démanteler</a>, à côté de Calais, les installations dans lesquelles les migrants (dont de nombreux enfants) vivent dans des conditions épouvantables.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/seizing-valuables-from-asylum-seekers-denmark-has-lost-the-plot-and-its-heart-53772">Au Danemark</a>, la police est désormais autorisée à saisir les objets de valeur appartenant aux réfugiés, les privant ainsi du peu qu’il leur restait. La <a href="http://www.bbc.co.uk/news/world-europe-33986738">Slovaquie</a> a, de son côté, décrété qu’elle n’accueillerait que des réfugiés syriens chrétiens, et pas plus de 200, au prétexte que les musulmans « ne se sentiraient pas chez eux » et ne seraient de toute façon pas acceptés par la population locale.</p>
<p>Pendant ce temps, le Royaume-Uni cherche activement à « reprendre le contrôle de ses frontières » bien qu’il ne se trouve pas dans l’<a href="https://theconversation.com/schengen-bouc-emissaire-commode-des-failles-de-la-lutte-antiterroriste-53910">espace Schengen</a>. Espace auquel la <a href="http://www.euractiv.com/section/global-europe/news/schengen-in-crisis-as-belgium-reintroduces-border-controls/">Belgique</a>, qui a rétabli le contrôle aux frontières, a suspendu sa participation.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/112756/original/image-20160224-29156-1ylco3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/112756/original/image-20160224-29156-1ylco3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/112756/original/image-20160224-29156-1ylco3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/112756/original/image-20160224-29156-1ylco3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=404&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/112756/original/image-20160224-29156-1ylco3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/112756/original/image-20160224-29156-1ylco3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/112756/original/image-20160224-29156-1ylco3i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=507&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Foucault : une prémonition pessimiste.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/home_of_chaos/2550922632">Thierry Ehrmann</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Les pays occidentaux, <a href="https://muse.jhu.edu/journals/ins/summary/v028/28.2andreas.html">dont la politique d’immigration est de plus en plus implacable</a>, importent aussi des technologies militaires destinées à établir <a href="http://motherboard.vice.com/read/this-is-the-high-tech-fence-bulgaria-and-hungary-want-to-keep-out-refugees">des dispositifs de contrôle sophistiqués</a> et des barrières infranchissables en Grèce, en Bulgarie ou dans les enclaves espagnoles au Maroc. Les « conditions favorables à la mort des autres » sont ainsi réunies. Les Syriens n’ont désormais que le choix de survivre chez eux ou d’entreprendre un voyage périlleux vers des pays sûrs mais totalement verrouillés.</p>
<p>Les théories plus ou moins complexes échafaudées pour justifier cette politique sont facilement réfutables, tant sur le plan rationnel que moral. Le seul raisonnement qui tienne est celui de Foucault. En expliquant pourquoi une société aussi obsédée par la santé est capable (plus ou moins indirectement) de tuer des gens capables de contribuer à cette santé, Foucault lance un mot fort : le racisme, au sens large du terme.</p>
<p>Sa théorie, confirmée depuis par des milliers d’expériences en psychologie sociale, est la suivante : pour que des individus acquiescent à des politiques extrêmes et qu’ils les parent d’arguments moraux, ils doivent considérer les gens qui en sont victimes comme différents, extérieurs à leur communauté.</p>
<p>C’est pourquoi le Royaume-Uni, qui avait accueilli 250 000 Belges avec du thé et des gâteaux entre 1914 et 1916, contribue aujourd’hui, avec la majeure partie des pays de l’Union européenne, à la mort de milliers d’êtres humains ayant fui une guerre dans laquelle s’affrontent un régime dictatorial et le groupe terroriste le plus violent (quantitativement et peut-être qualitativement parlant) de tous les temps.</p>
<p>Le peu de moralité qui subsistait chez les États européens est en train de s’évaporer.</p>
<p><em>Traduit par Catherine Biros pour <a href="http://www.fastforword.fr">Fast for Word</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/56061/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Stephane J Baele ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Il y a quarante ans, le philosophe français décryptait le mécanisme qui favorise l’indifférence des sociétés prospères vis-à-vis des groupes en difficulté. Illustration avec la crise des migrants.Stephane J Baele, Lecturer in International Studies and Security, University of ExeterLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/538912016-02-01T05:38:43Z2016-02-01T05:38:43ZTravailler sur l’invisible dans une société amnésique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/109668/original/image-20160129-3916-qs5x1e.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">« Retour vers le futur », 1985.</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Il s’agit tout simplement d’un texte majeur signé de <a href="http://ecole.org/fr/orateurs/OR0946">Michel Berry</a> et qui continue d’être une référence incontestée pour les chercheurs en management : <a href="https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00263141/"><em>Une technologie invisible : l’impact des instruments de gestion sur l’évolution des systèmes humains</em></a>. A l’origine publié en tant que Cahier de recherche du Centre de Recherche en Gestion de l’<a href="https://portail.polytechnique.edu/i3_crg/fr">École Polytechnique</a>, il est donc disponible librement en <em>open access</em>.</p>
<p>Le texte comprend un « avertissement au lecteur » que l’on se permet de reproduire :</p>
<blockquote>
<p>Dans le cadre de son programme sur l’analyse des systèmes sociaux complexes, la DGRST a accordé en 1979 une aide au Centre de Recherche en Gestion (CRG) pour mener un programme de recherche sur le rôle des instruments de gestion dans les systèmes sociaux complexes.</p>
<p>Ce travail a donné lieu en avril 1983 à un rapport collectif regroupant plusieurs articles et ouvrages ainsi qu’un texte de synthèse. Le présent document est constitué par le texte de synthèse auquel a été joint (voir annexe I) les termes d’une controverse suscitée par la publication d’un article d’un des chercheurs du Centre (G. de Pouvourville), controverse qui alimente très directement la problématique développée dans le texte de synthèse.</p>
</blockquote>
<p>Cette production de Michel Berry a été célébrée comme il se doit le 4 octobre 2013 à l’occasion de l’anniversaire des 40 ans du Centre de Recherche en Gestion de l’École Polytechnique. J’ai eu la chance d’y participer et le bonheur d’entendre Michel Berry en commenter l’impact. Sa contribution, ainsi que celle de Jean Charroin (sur l’application du concept de technologie invisible au classement de Shanghaï) et de Charles Goodhart (sur la loi dite de… Goodhart) ont été publiées dans un dossier spécial du <a href="http://lelibellio.com/wp-content/uploads/2013/01/Le-Libellio-d-Volume-9-num%C3%A9ro-4-Hiver-2013.pdf">Libellio d’AEGIS</a> (vol. 9, n° 4, 2013, p. 27-48).</p>
<p>De ces interventions, on peut déduire, entre autres, que les dynamiques des classements et autres injonctions au <em>publish or perish</em> héritées du modèle anglo-saxon et importées souvent de manière strictement mimétique sans recul épistémologique sont porteuses de dérives. Loin d’être neutres, les technologies invisibles procèdent aussi de stratégies d’influence portées par des acteurs puissants. Et c’est donc logiquement que Michel Berry appelle joliment à « raconter pour ne pas trop compter », et ainsi mieux résister aux technologies invisibles.</p>
<p>Il est savoureux de noter que ce texte, majeur, ne respecte aucun des critères qui permettraient d’en envisager la publication dans les « meilleures revues ». Simple cahier de recherche à l’origine, présentant une thèse – au sens le plus fort – qui n’aurait pu être formulée sans la longue tradition de la recherche-intervention en prise avec « le terrain », il est à mille lieux de ce qu’on peut lire aujourd’hui à longueur de pages des « meilleures revues ». Et c’est aussi parce que les technologies invisibles contribuent aussi – délibérément ? – à alimenter une certaine propension à l’amnésie scientifique qu’il semble plus urgent que jamais d’entendre les chercheurs en management quand ils insistent sur la nécessité, toujours, de réinterroger les « fondamentaux », d’opérer des « retours vers le futur ».</p>
<p>Ceci nous amène tout droit à Booba : « <em>Regarder derrière sur le terrain, c’est ça être visionnaire</em> » assène-t-il dans le morceau « Charbon » (album <em>Nero Nemesis</em>). Une <em>punch-line</em> à méditer alors que Booba, après avoir lancé le site web OKLM Official pour faire découvrir de nouveaux talents, après avoir proposé l’application OKLM Radio qui concurrence explicitement et très directement Skyrock FM dans la conquête d’audience, va très probablement mettre en œuvre dans les prochains mois la jurisprudence « Jay-Z » : ainsi, après le deal <a href="http://www.hollywoodreporter.com/news/barclays-center-tidal-content-theater-834563">TIDHAL–Barclays Center</a>, à quand le deal OKLM–Accor Hotel Arena (ex-Paris Bercy) ? Reconnaissons que dans tous les cas, la première vidéo de ce qui pourrait très vite devenir le pilote d’un projet de bien plus vaste envergure a de l’allure…</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3c8iix1D-5U?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Une <em>punch-line</em> qui n’est pas sans rappeler aussi la célèbre formule de Steve Jobs lors de son <a href="https://youtu.be/UF8uR6Z6KLc">discours</a> aux étudiants de l’université de Stanford en 2005 :</p>
<blockquote>
<p>You can’t connect the dots looking forward ; you can only connect them looking backwards. So you have to trust that the dots will somehow connect in your future.</p>
</blockquote>
<p>Un raccourci vertigineux donc, comme le saluerait sans doute Jean Birnbaum du <em>Monde des Livres</em> sur Twitter… Comme à sa très chouette habitude.</p>
<p></p>
<p>Une <em>punch-line</em> de Booba qui invite enfin à lire et relire encore et encore le texte de Michel Berry. Et à se faire plaisir en regardant ensuite cette <a href="http://www.xerfi-precepta-strategiques-tv.com/emission/Jacques-De-Saint-Victor-Le-predateur-contre-l-entrepreneur-mafia-economie-et-democratie_3155.html">interview</a> de Jacques de Saint Victor.</p>
<p>Parce que s’il y a bien un enseignement à tirer de la recherche en management en général, et du texte de Michel Berry en particulier, c’est celui-ci : les <em>issues</em> épistémologiques, théoriques et pragmatiques sont rarement respectueuses des frontières académiques et institutionnelles telles qu’elles peuvent, à un moment, s’instituer. C’est donc logiquement que les recherches réellement rigoureuses et pertinentes tombent en général à côté des boîtes comme des critères retenus dans les « classements » des revues académiques, lesquels alimentent les <em>rankings</em> spectaculaires dont la presse grand public comme spécialisée est friande.</p>
<p>Alors, puisque l’entrepreneuriat devrait légitimement être enfin le thème qui alimentera la prochaine campagne présidentielle, osons l’ultime provoc’ : oui, Jay-Z ou Dr Dre ce sont bien les nouveaux Steve Jobs. Et reconnaissons que notre exemplarité stratégique francophone peut s’estimer chanceuse : s’il vit aux États-Unis, Booba n’a jamais rappé autrement qu’en français, comme tous les rappeurs français d’ailleurs.</p>
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<p>En conclusion de cette trop brève analyse, on ne se rappelle que trop combien la culture hip-hop en général et le monde du rap en particulier sont trop souvent taxés d’être peuplés d’auteurs analphabètes, ne respectant rien, et accessoirement sans mémoire. C’est du moins ce qu’assument de penser sur les plateaux TV les <a href="https://www.youtube.com/watch?v=y6d3Rm5SvOk">Alain Fnikielkraut</a> ou <a href="https://youtu.be/4sPWh0NCttw">Eric Zemmour</a>.</p>
<p>À de tels gros « biffs » – beaufs ? – auxquels le papa de Marty Mc Fly fait rendre gorge dans le film de Robert Zemeckis avec des coups de poing devenus légendaires…</p>
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<p>… On adresse donc cette vidéo de l’un de nos grands épistémologues et également professeur à l’École Polytechnique, Jean-Pierre Dupuy…</p>
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<p>… Et on finit, avec Michel Foucault. En notant que le Hip-Hop, si mal compris, est indéniablement le plus stratégique des courants musicaux : n’a-t-il pas fait, en effet, de la guerre contre l’amnésie portée par les technologies invisibles le sens premier d’un combat à gagner quand on veut conquérir déjà le simple droit d’exister ?</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/am6TghIrYEc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/53891/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Les problèmes épistémologiques, théoriques et pragmatiques sont rarement respectueux des frontières académiques et institutionnelles telles qu’elles peuvent, à un moment, s’instituer.Jean-Philippe Denis, Professeur de gestion, Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/515072015-12-07T05:48:06Z2015-12-07T05:48:06ZRelecture du post-scriptum de Gilles Deleuze pour temps numériques<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/104551/original/image-20151206-29733-c5lrkb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/christopherdombres/4550781507/in/photolist-7W8WN8-odWDt-BstSL-5AMd4u-6NwxoZ-9UgZfY-5ymv7y-5kJQRf-6xQb1Q-5pw3gK-8HLeuX-8iwTEb-5Di5dH-eyMb6-7Y46au-EibFM-nWo3rN-5nPnew-93PsrG-odNVcy-8vNCPH-LFqLj-2pZoi6-49eaDj-4ACtiS-5JRYjF-6hJzyw-8MGnxh-6Nwxo2-8HLevn-5UVeU8-6XJ5po-4EvBZx-Zkt9r-8HLeuV-LFAN2-6NvNrs-dDzgbE-bc5dv4-bc5dvr-6KCwoQ-7FdSkY-9Z444A-dwrDUB-dwrCDV-74rL8C-dwrBXP-a3Zncd-8jxm1G-dDtSze/">Christopher Dombres/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Cet article instrumentalise <em>beaucoup</em> et mobilise_ un peu_ la grille de lecture développée par Gilles Deleuze sur <em>les sociétés de contrôle</em>.</p>
<p>En mai 1990, dans le numéro 1 de <em>L’autre journal</em> redevenu hebdomadaire, le philosophe publie en effet un court texte (deux mille mots) intitulé <a href="https://infokiosques.net/imprimersans2.php3?id_article=214">« Post-scriptum sur les sociétés de contrôle »</a>. Ce texte sera repris dans le cinquième chapitre, « Politique », de son recueil <a href="http://www.leseditionsdeminuit.com/f/index.php?sp=liv&livre_id=2023"><em>Pourparlers (1972-1990)</em></a> qui réunit « des textes d’entretiens qui s’étendent presque sur vingt ans » et qui fut également publié en 1990 aux Éditions de Minuit. Nous nous situons donc cinq années avant la disparition brutale, il y a vingt ans, de cet influent philosophe dont un retentissant témoignage posthume, <a href="http://boutique.arte.tv/f8795-abecedaire_de_gilles_deleuze_l__15575"><em>L’Abécédaire de Gilles Deleuze</em></a>, fut diffusé en 1996 sur Arte.</p>
<p>Ce texte offre une <strong>grille d’analyse</strong> de l’évolution de nos sociétés modernes – et aborde explicitement des thématiques organisationnelle et managériale – et une <strong>mise en perspective</strong> de leurs pratiques, outils, technologies et symboles.</p>
<h2>Des sociétés de souveraineté… aux sociétés disciplinaires</h2>
<p>Les sociétés de souveraineté se situent avant le XVIII<sup>e</sup> siècle et se proposent de « prélever plutôt qu’organiser la production, décider de la mort plutôt que gérer la vie ». Ainsi, le souverain est un prédateur, mais également un accompagnateur de l’activité économique – sans pour autant l’organiser – dans une logique de création de richesses. Il n’est que rarement un parasite, car il a intérêt au développement de la production (agricole, sylvicole, halieutique, commerciale…) ou de sa zone d’influence (expansion territoriale terrestre et maritime…) pour pouvoir y prélever un impôt massif selon ce qui semble être uniquement son bon vouloir.</p>
<p>La production repose sur l’utilisation de machines basiques et d’ateliers artisanaux. « Les vieilles sociétés de souveraineté maniaient des machines simples, leviers, poulies, horloges ». L’arrivée de nouveaux modes de production et de régulation sonnait la fin de ces modes d’organisation, « et Napoléon semblait opérer la grande conversion d’une société à l’autre ».</p>
<h2>Des sociétés disciplinaires… aux sociétés de contrôle</h2>
<p>Les sociétés disciplinaires concernent les XVIII<sup>e</sup>, XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles et « elles procèdent à l’organisation des grands milieux d’enfermement ». Les travaux de<a href="http://michel-foucault-archives.org/?Le-grand-renfermement">Michel Foucault</a> montrent qu’elles reposent sur l’organisation, pour tous les individus, de passages <strong>d’un milieu clos à un autre milieu clos</strong>, « où on est censé chaque fois recommencer à zéro » et « chacun ayant ses lois ». Il évoque chronologiquement, la famille, l’école, la caserne, l’usine avec de temps en temps un passage à l’hôpital ou – plus durablement ! – au cimetière. </p>
<p>Foucault a notamment mis en lumière le concept de panoptique et souligne la puissance de l’usine pour « composer dans l’espace-temps une force productive dont l’effet doit être supérieur à la somme des forces élémentaires » ce qui permettra avec la mécanisation, l’automatisation, la standardisation et <em>l’organisation scientifique du travail</em> (OST), associée au Taylorisme, de décupler la production au profit des possédants. « Le plus haut possible pour la production, le plus bas possible pour les salaires ». Les milieux d’enfermement sont en crise généralisée depuis le début du XX<sup>e</sup> siècle et « Il s’agit seulement de <strong>gérer leur agonie</strong> et d’occuper les gens, jusqu’à l’installation de nouvelles forces qui frappent à la porte ».</p>
<h2>Des sociétés de contrôle… aux sociétés de contrôles</h2>
<p>Les sociétés de contrôle apparaissent après la Seconde Guerre mondiale. Elles ne prélèvent plus, elles n’enferment plus, elles contrôlent ! « Dans les sociétés de discipline, on n’arrêtait pas de recommencer (de l’école à la caserne, de la caserne à l’usine), tandis que dans les sociétés de contrôle on n’en finit jamais avec rien ».</p>
<p><strong>L’atermoiement illimité</strong> et <strong>le langage numérique</strong> apparaissent comme les concepts clés qui renvoient aux fondations des sociétés de contrôle. D’une part, comme Kafka l’avait souligné dans <em>Le Procès</em>, « l’atermoiement illimité » des sociétés de contrôle a remplacé « l’acquittement apparent » des sociétés disciplinaires. Ce qui les installe dans la durée. D’autre part, comme Gilles Deleuze le remarque en cette période clé du début de la massification et diffusion de l’informatique, la signature et le matricule de l’individu dans les sociétés disciplinaires sont remplacés par le langage numérique qui est « fait de chiffres, qui marquent l’accès à l’information, ou le rejet ».</p>
<p>Le contrôle laisse la place aux contrôles. Ils s’installent à l’hôpital, à l’école, à l’université, à l’usine, dans les prisons, dans les rues… à mesure que les dispositifs échangent et interopèrent en donnant naissance à un « système à géométrie variable » qui repose sur un langage numérique ne signifiant pas nécessairement binaire. Le langage du contrôle est numérique, le codage, est binaire. Le langage numérique permettra aux dispositifs de contrôle de communiquer entre eux et de jeter les fondations d’un contrôle des contrôles via notamment <a href="http://www.strategie.gouv.fr/publications/demain-linternet-objets">un implacable Internet des objets</a>. Le codage binaire du contrôle s’appuie – déjà – sur la puissance de feu et de stockage de l’informatique en nuage, de ses réseaux et de ses usines à données (datacenter) que nous remplissons d’ailleurs abondamment, volontairement, gratuitement et continuellement de nos propres données et métadonnées.</p>
<p>Deleuze dans son dernier paragraphe, « Programme », écrit sur « l’homme dans une entreprise » qui serait repéré par « son <em>collier électronique</em> ». Puis il note que Felix Guattari mobilise lui « la carte électronique (dividuelle) qui faisait lever telle ou telle barrière ». Vingt-cinq ans plus tard, nos colliers électroniques sont nos téléphones portables, nos GPS, nos montres connectées, nos réseaux sociaux et ils alimentent nos usines à données.</p>
<p>Notons avec lui que seules les données collectées sont réellement importantes « Ce qui compte n’est pas la barrière, mais l’ordinateur qui repère la position de chacun, licite ou illicite, et opère une modulation universelle ».</p>
<h2>Des sociétés de contrôle numérique… aux sociétés numériques de contrôle</h2>
<p>Le <strong>mot d’ordre</strong> est remplacé par le <strong>mot de passe</strong>. L’usine est remplacée par « l’entreprise ». Le couple masses et individus est remplacé par le couple « échantillons (données, marchés) et dividuels ». La monnaie étalon or (moulée) est remplacée par « un pourcentage de différentes monnaies échantillons » (modulée). La taupe est remplacée par le serpent. « L’homme des disciplines » était « producteur discontinu d’énergie » et il est donc remplacé par « l’homme du contrôle » qui est « plutôt ondulatoire, mis en orbite, sur faisceau continu ». Enfin au travers de cette prémonitoire métaphore digitale, le philosophe note que, « Partout, le <em>surf</em> a déjà remplacé les vieux <em>sports</em> ».</p>
<p>La mutation de <a href="http://www.ebbemunk.dk/technostructure/technostructurep3.html">la technostructure</a> abordée dans ce post-scriptum est également intéressante à mettre en perspective. Elle montre l’installation des technologies numériques comme dispositifs centraux du contrôle et insiste sur le rôle des opérateurs. « Les sociétés disciplinaires récentes avaient pour équipement des machines énergétiques, avec le danger passif de l’entropie, et le danger actif du sabotage ; les sociétés de contrôle opèrent par machines de troisième espèce, machines informatiques et ordinateurs dont le danger passif est le brouillage, et l’actif, le piratage et l’introduction de virus ». Il souligne ainsi le <strong>caractère permanent et implacable</strong> – mais pas infaillible – des <em>machines informatiques</em> qui opèrent. L’opérateur devient le contrôleur, l’opération devient le contrôle.</p>
<h2>Contrôler quoi ? quand ? comment ?</h2>
<p>Sur la vaste question du <strong>« quoi contrôler ? »</strong>, il convient notamment de mobiliser les travaux du philosophe italien Giorgo Agamben sur <a href="http://www.monde-diplomatique.fr/2014/01/AGAMBEN/49997">la citoyenneté et les données biométriques</a> et ceux du sociologue français Dominique Pecaud sur l’acceptabilité sociale des technologies et <a href="https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique-2011-3-page-95.htm">sur la biosécurité généralisée.</a>. Nous verrons que la question ne renvoie pas aux technologies, mais aux données que nous acceptons peu ou prou de rendre disponibles à la collecte.</p>
<p>Il convient de s’attarder sur la question du <strong>« quand contrôler ? »</strong>, car elle sous-tend une mutation intéressante. D’une part, les solutions de contournements et de résistances ponctuelles évoquées par Deleuze – virus, brouillage, piratage… – sont à nuancer, car elles sont confrontées 1) à la puissance des algorithmes de contrôle des contrôles en temps réel qui s’appuient sur un stock gigantesque et croissant de mégadonnées et 2) à des <a href="https://www.cairn.info/resume.php?ID_ARTICLE=SIM_132_0009">technologies numériques ubiquitaires qui redéfinissent les espaces-temps</a>. D’autre part, cette société de contrôle induit intrinsèquement <strong>un contrôle <em>ex ante</em></strong> basé sur un <strong>mot de passe,</strong> c’est à dire la clé chiffrée d’une simple déclaration d’intention, mais ne rend pas obligatoire le contrôle ex-post. Elle permet donc de passer outre, une fois le mot de passe validé et l’opérateur habilité, la réalité et la conformité de la <em>chose faite</em>. Un contrôle <em>ex post</em> est certes plus complexe et plus coûteux à mettre en œuvre, lentement mais surement, il deviendra facultatif, optionnel, aléatoire, sous-réserve de, non bloquant, non coercitif, etc. <a href="http://www.cert.ssi.gouv.fr/site/CERTFR-2015-ACT-025/CERTFR-2015-ACT-025.html">Nous connaissons notre log-in qui donne accès à…</a>mais qui se préoccupe de son log-off qui ferme l’accès à… ?</p>
<p>Le philosophe met ainsi l’accent sur un aspect fondamental de nos économies numériques « ondulatoires » qui, elles aussi, « n’en finissent jamais avec rien ». Les contrôles <em>ex ante</em> sont basés sur le couple identifiant/mot de passe, qui ne donne la plupart du temps, que le top départ, mais rarement le clap de fin.</p>
<h2>Contrôler les auditeurs ou auditer les contrôleurs ?</h2>
<p>En terme de management – et en mobilisant les concepts de gouvernance, d’évaluation et de performance – ce corollaire d’un contrôle qui s’installerait comme essentiellement ex ante est probablement le plus intéressant. Il renvoie à la question majeure du <strong>comment contrôler ?</strong>, car derrière elle il y a celle du coût du contrôle. Il introduit une société composée de bataillons d’entités diverses et variées – administration, organisation, entreprise, écosystèmes, réseaux, opérateurs – devenus auditeurs devant auditer ! L’audit – c.-à-d., le contrôle – se contentera rapidement d’éléments virtuels et déclaratifs – basés eux même sur des simulations numériques – puis postulera par confort, facilité, intérêt, mimétisme, incompétence, pression, oubli, etc. que la réalité du projet sera bien évidemment conforme à son cahier des charges. Le cycle de vie de l’audit serait celui de « mécanismes de contrôle qui rivalisent avec les plus durs enfermements » et soulignerait toute l’ambiguïté d’un <strong>« contrôle continu ».</strong></p>
<p>« On nous apprend que les entreprises ont une âme, ce qui est bien la nouvelle la plus terrifiante du monde ». Le marché du <em>tout contrôlable</em> nous montre que, non seulement elles auraient une âme, mais également des intérêts.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/51507/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Bidan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des sociétés disciplinaires aux sociétés de contrôle ou une lecture numérique du post-scriptum de Gilles Deleuze.Marc Bidan, Professeur des universités en management des systèmes d’information, Université de NantesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.