tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/nuit-debout-26696/articlesNuit debout – The Conversation2023-03-14T19:59:49Ztag:theconversation.com,2011:article/2009502023-03-14T19:59:49Z2023-03-14T19:59:49ZVivons-nous une ère de soulèvements ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/513929/original/file-20230307-172-ka5zxa.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C7348%2C4902&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des manifestants anti-gouvernementaux de Hong Kong encerclés par des gaz lacrymogènes lors d'un affrontement avec la police anti-émeute à Wong Tai Sin, le 1 octobre 2019.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><p>Comment un mouvement majoritaire et légitimement démocratique peut-il faire plier l’intransigeance néo-libérale d’un gouvernement ? Telle est la question d’actualité en France. </p>
<p>Elle résume sans doute l’enjeu mondial d’un XXI<sup>e</sup> siècle déjà marqué par des vagues d’émeutes et de <a href="https://editions-croquant.org/hors-collection/594-time-over.html">soulèvements</a> d’une ampleur et d’une densité rare.</p>
<p><a href="https://www.revue-etudes.com/critiques-de-livres/pouvoir-de-la-non-violence-de-erica-chenoweth-et-maria-j-stephan/23661">Une récente étude américaine</a> montre qu’au XX<sup>e</sup> siècle les résistances civiles non violentes ont été plus efficaces que les luttes armées. Mais l’étude s’arrête en 2006 et dans un <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/23/l-efficacite-des-mouvements-sociaux-non-violents-est-en-declin-depuis-une-decennie_6155460_3210.html">entretien au <em>Monde</em> en décembre 2022</a>, la politologue américaine Maria J. Stephan, une des deux autrices, admet que cette efficacité est en net déclin depuis une décennie.</p>
<h2>Vers la violence ?</h2>
<p>Une rupture est intervenue au début du siècle dans l’interlocution politique entre les peuples et les pouvoirs, cassant le pacte politique et démocratique implicite selon lequel le <em>cratos</em> (le pouvoir en grec) ne peut être sourd au <em>demos</em> (le peuple). Dans la recherche du consentement populaire, les États semblent passés de la construction patiente de l’hégémonie à l’établissement brutal de l’obéissance.</p>
<p>« Oderint, dum metuant ». « Qu’ils me haïssent, pourvu qu’ils me craignent » aurait dit l’empereur Caligula selon Cicéron. Cette phrase exprime l’essence la phase de <a href="https://theconversation.com/a-t-on-atteint-notre-capacite-collective-a-supporter-la-brutalite-du-monde-199736">brutalisation des rapports politiques</a> qui s’est ouverte avec le XXI<sup>e</sup> siècle. Alors que le <a href="https://theconversation.com/le-forum-social-mondial-reinvente-la-force-dune-idee-87135">Forum social Mondial de Porto Alegre</a> a fait lever l’espoir d’une contre-mondialisation pacifique, la répression des manifestations contre le sommet du G8 coûte la vie à <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Carlo_Giuliani">Carlo Giuliani</a>, un étudiant de 24 ans abattu par la police de Gènes le 20 juillet 2001.</p>
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<p>Les peuples ne choisissent pas sans raison de déborder du terrain de la non-violence. Depuis 20 ans, l’émeute ou l’affrontement prend souvent le pas sur le débat politique, comme nous l'avons vu le week end dernier lors des manifestations contre les mégabassines à Sainte-Soline. Tandis que la stratégie de répression mesure l’inquiétude des pouvoirs, le <a href="https://journals.openedition.org/socio/12034">langage du corps prend de plus en plus souvent le pas sur le langage des mots</a>.</p>
<p>Ce tournant est quantifiable. Je m’y suis investi depuis 2007 en constituant une base de données mondiale consultable en ligne sur le site [ <a href="https://berthoalain.com/">Anthropologie du présent</a>]. Le relevé se fait sur Google news les dernières 24 heures à partir de cinq mots clefs : <em>émeutes</em>, <em>affrontements</em>, <em>riots</em>, <em>clashes</em>, <em>disturbios</em>. Il est complété par des recherches spécifiques sur chaque lieu identifié en anglais et dans la langue du pays sur Google et sur YouTube. L’unité statistique de compte est un jour/une ville.</p>
<p>Toute confrontation physique collective entre des civils et les forces de l’ordre (armée ou police), ou entre les gens eux-mêmes (affrontements communautaires ou incidents de stade) y est répertoriée quelle que soit la gravité de l’événement ou son origine, de l’émeute spontanée aux incidents de manifestation. On parlera de <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-et-strategique-2014-1-page-73.htm">soulèvement</a> quand cette confrontation s’installe dans la durée et s’étend sur un territoire plus vaste.</p>
<h2>Des vagues de soulèvements</h2>
<p>Si les situations d’émeutes et d’affrontements civils locaux se multiplient, parfois, sans crier gare, l’étincelle met le feu au pays… ou à plusieurs. L’émeute devient soulèvement comme en France en <a href="https://theconversation.com/jeunes-de-quartier-2005-ca-a-marque-lhistoire-179799">2005</a>, en Grèce en 2008, en Tunisie en 2010, aux États-Unis en <a href="https://theconversation.com/mort-de-george-floyd-une-condamnation-historique-dans-une-societe-divisee-157164">2020</a>, en Iran en <a href="https://theconversation.com/ce-nest-pas-la-premiere-fois-que-les-iraniennes-descendent-dans-la-rue-cette-fois-ci-sera-t-elle-la-bonne-192480">2022</a>, la mort d’un jeune, d’un homme noir, d’une femme assassiné·e·s par le pouvoir est le levier de l’embrasement.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="« Une émeute est le langage de ceux qui ne sont pas écoutés », sur une pancarte brandie lors d’une manifestation dénonçant la mort de George Floyd à Los Angeles, Californie le 30 mai 2020" src="https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513931/original/file-20230307-18-fh1wto.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Une émeute est le langage de ceux qui ne sont pas écoutés », sur une pancarte brandie lors d’une manifestation dénonçant la mort de George Floyd à Los Angeles, Californie le 30 mai 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Ce début de siècle a été scandé par des vagues de soulèvement successives. En 2011, le <a href="https://theconversation.com/revolutions-arabes-an-x-des-societes-a-jamais-transformees-161029">« printemps arabe »</a> sidère le monde. Partout des peuples se sont levés avec le drapeau national comme étendard et la volonté farouche de « dégager » des pouvoirs honnis.</p>
<p>À compter du 15 mai 2011, le soulèvement et l’occupation des places traversent la méditerranée. Le double modèle de Tahrir (Égypte) et de la Puerta del Sol (Madrid), inspire les initiateurs d’<a href="https://luxediteur.com/catalogue/comme-si-nous-etions-deja-libres/">Occupy Wall Street</a> (New York) à partir du 15 octobre. Plus de 600 villes sont ainsi « occupées », redonnant temporairement consistance à la puissance symbolique de la non-violence. Ces places en sont le chaudron populaire de Taksim en Turquie (mai-juin 2013) à Maidan en Ukraine (2013-2014) jusqu’au mouvement des Ombrelles à Hong Kong (novembre-décembre 2014), puis au soulèvement de cette ville en juin-août 2019.</p>
<p>La troisième vague est celle de la justice et de la moralité politique (contre la corruption et le clientélisme). Par une révolte sur le prix de l’essence, les gilets jaunes ont inauguré et marqué une <a href="https://www.terrestres.org/2019/11/22/leffondrement-a-commence-il-est-politique/">année exceptionnelle de soulèvements nationaux</a>. <a href="https://editions-croquant.org/hors-collection/594-time-over.html">Vingt pays sont concernés</a>, sur quatre continents (France, Venezuela, Soudan, Haïti, Sénégal, Algérie, Colombie, Honduras, Hong Kong, Indonésie, Éthiopie, Bolivie, Équateur, Panama, Irak, Liban, Guinée, Catalogne, Iran, Inde). L’onde de choc se fait sentir jusqu’en 2022, y compris durant la pandémie.</p>
<h2>Vivre et survivre</h2>
<p>Le mouvement français contre la réforme des retraites s’inscrit dans cette troisième vague. Celle-ci s’enracine dans les mobilisations antérieures de survie ou de résistance vitale contre la vie chère et l’austérité, la pénurie d’eau ou d’électricité, la casse du statut et de la valeur du travail, jusqu’aux conséquences sociales de la gestion de la pandémie. Cette montée en puissance de la lutte contre la précarisation néo-libérale ne concerne pas que les pays les plus pauvres.</p>
<p>On peut remonter en 2006 dans notre pays avec le refus du Contrat Premier Embauche (CPE), dernière grande mobilisation nationale victorieuse. À l’échelle mondiale, le point de départ est sans doute l’année 2008, celles des <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/publications/l_atlas_un_monde_a_l_envers/a53818">« émeutes de la faim"</a> consécutives à la spéculation financière sur les céréales. Des mobilisations violentes ont alors lieu en Indonésie en janvier, au Cameroun et aux Philippines en février au Sénégal en mars, à Haïti, en Côte d’Ivoire, en Égypte en avril.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513463/original/file-20230304-28-58cdoi.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=567&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Émeutes et affrontements durant des mobilisation pour la retraite 2009-2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alain Bertho</span></span>
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<p>La retraite comme question vitale n’est pas qu’une affaire française, ni même européenne. Si elle mobilise l’Espagne (2011), la Grèce (2016) et la Russie (2018), elle mobilise aussi en Asie (Sri Lanka 2011 et Taiwan 2017), en Afrique du Nord (Maroc 2016 et Algérie 2018) et surtout en l’Amérique latine (Argentine 2012, Chili 2016, Nicaragua 2018, Colombie 2019 et Brésil 2021).</p>
<p>La France y tient pourtant une place particulière. A-t-on déjà oublié la dureté du mouvement de 2010, sa détermination tant dans les blocages que dans les solidarités interprofessionnelles, la place particulière tenue par une <a href="https://berthoalain.com/2010/10/09/reforme-des-retraites-troubles-lyceens-octobre-2010/">jeunesse lycéenne réprimée avec une brutalité sans précédent</a>] ? A-t-on oublié que cette puissance collective fut sans effet décisif sur les décisions gouvernementales ? Il est vraisemblable que les stratégies syndicales de l’époque cherchaient <a href="https://www.lesechos.fr/2010/11/retraites-la-cfdt-gagne-a-perdre-1088169">moins la victoire immédiate que le pouvoir de peser sur l’élection de 2012</a>.</p>
<h2>La quête d’une autre politique</h2>
<p>La stratégie syndicale de 2023 semble assimiler l’expérience de 2010, dans ses rapports avec les partis comme dans son attitude inclusive à l’égard de la diversité des luttes.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Émeute lors de manifestations contre le gouvernement à Antagagosta au Chili le 21 octobre 2019" src="https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/513933/original/file-20230307-18-ec6yuw.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Émeute lors de manifestations contre le gouvernement à Antagagosta au Chili le 21 octobre 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Mais l’ampleur et de la rapidité de la catastrophe climatique comme l’expérience de la pandémie semble accélérer le temps des exigences. La question du sens du travail et de la valeur de la vie prend une épaisseur inédite, notamment dans une jeunesse tentée par la <a href="https://theconversation.com/agroparistech-quand-de-futurs-ingenieurs-racontent-leur-conversion-ecologique-183764">« désertion »</a>.</p>
<p>Des dominations structurelles de l’humanité sont massivement remises en cause, faisant de <a href="https://blogs.mediapart.fr/alain-bertho/blog/300121/bilan-2020-les-peuples-ne-peuvent-plus-respirer">« I can’t breathe »</a> et de « Femme Vie Liberté » des slogans à résonance mondiale. Face à la gestion purement comptable de la vie, l’époque s’apparente à une sorte de <a href="https://www.terrestres.org/2019/11/22/leffondrement-a-commence-il-est-politique/">« soulèvement du vivant »</a>.</p>
<p>Ce contexte alimente la profondeur du refus populaire de la réforme. Mais la question stratégique reste entière. S’il est avéré que depuis le début du siècle, les stratégies non-violentes perdent nettement en efficacité en raison de l’intransigeance des pouvoirs, émeutes et soulèvements n’ont pas fait la preuve d’une plus grande efficience.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-bloquer-les-chaines-dapprovisionnement-est-il-plus-efficace-que-manifester-201002">Réforme des retraites : bloquer les chaînes d’approvisionnement est-il plus efficace que manifester ?</a>
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<p>Combien, depuis le début du siècle, ont été couronnés de succès et à quel prix ? Qu’est devenu le <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/tunisie/tunisie-egypte-libye-dix-ans-apres-ou-en-sont-les-pays-qui-ont-connu-un-printemps-arabe_4253173.html">« printemps de jasmin » tunisien de 2011</a> ? Où en est <a href="https://www.cairn.info/revue-multitudes-2022-4-page-22.htm">« Femmes Vie Liberté »</a> en Iran ? Quel prix ont payé les Chiliennes et Chiliens à qui on avait <a href="https://www.politis.fr/articles/2019/10/chili-ils-nous-ont-tant-vole-quils-nous-ont-meme-pris-notre-peur-40959/">« tout volé même la peur »</a>, pour finalement renverser le Président Pinera ?</p>
<p>Face à l’incontournable confrontation, l’enjeu est partout de dépasser la simple capacité de résistance pour incarner une alternative face à la brutalité de gouvernements qui dépolitisent leurs décisions. Voilà le fil rouge des soulèvements du siècle : comment incarner une restauration de la politique, de la délibération populaire, de la décision collective.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/514163/original/file-20230308-24-olplyc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/514163/original/file-20230308-24-olplyc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/514163/original/file-20230308-24-olplyc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/514163/original/file-20230308-24-olplyc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/514163/original/file-20230308-24-olplyc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/514163/original/file-20230308-24-olplyc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/514163/original/file-20230308-24-olplyc.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« I can’t breathe ». Saint-Denis juin 2020.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alain Bertho</span></span>
</figcaption>
</figure><img src="https://counter.theconversation.com/content/200950/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alain Bertho ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Depuis 20 ans, l’émeute ou l’affrontement prend souvent le pas sur le débat politique mais les peuples ne choisissent pas sans raison de déborder du terrain de la non-violence.Alain Bertho, Professeur émérite d'anthropologie, Université Paris 8 – Vincennes Saint-DenisLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1807012022-04-06T21:22:59Z2022-04-06T21:22:59ZÀ quoi pourrait ressembler une « démocratie réelle » ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/456445/original/file-20220405-3023-9jhq5k.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C17%2C3872%2C2567&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Assemblée à Puerta del Sol au printemps 2011.</span> <span class="attribution"><span class="source">H.Nez</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>« Gilets jaunes », Grand débat national, Convention citoyenne pour le climat : le mandat présidentiel qui s’achève a été marqué par un <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2019-4-page-143.htm">mouvement social d’ampleur</a>, revendiquant une démocratie plus directe via le <a href="https://theconversation.com/et-si-les-municipales-etaient-loccasion-de-mettre-en-place-un-ric-130896">référendum d’initiative citoyenne</a> (RIC), et des réponses institutionnelles au goût d’inachevé.</p>
<p>Entre une actualité marquée par la guerre en Ukraine et un débat public monopolisé par les thèses de l’extrême droite sur l’immigration, l’islam et la sécurité, la question démocratique est loin d’être centrale dans cette campagne électorale. Il est pourtant <a href="https://anamosa.fr/livre/democratie/">urgent de penser le renouvellement de nos démocraties</a> affaiblies tant par des tendances internes vers plus d’autoritarisme et d’inégalités, que par la concurrence de régimes autocratiques.</p>
<p>Mais à quoi pourrait ressembler une « démocratie réelle » ? Le cas espagnol, qui constitue un <a href="https://www.routledge.com/Refiguring-Democracy-The-Spanish-Political-Laboratory/Feenstra-Tormey-Casero-Ripolles-Keane/p/book/9781032179131">véritable laboratoire politique depuis une décennie</a>, est à ce sujet riche d’enseignements. <a href="https://editions-croquant.org/hors-collection/799-democratie-reelle-l-heritage-des-indignes-espagnols.html">Le principal héritage des Indignés</a>, rassemblés autour du slogan « Démocratie réelle maintenant » à partir du 15 mai 2011 (d’où l’appellation de « mouvement du 15M »), est d’avoir généré une nouvelle génération d’activistes désormais investis dans une multitude de microsphères militantes et d’institutions. Ils ont joué un rôle majeur dans le développement de pratiques démocratiques, bien après <a href="https://laviedesidees.fr/Les-Indignes-et-la-democratie-des.html">l’expérimentation d’un campement autogéré en assemblées à Puerta del Sol</a>.</p>
<p>Leurs réponses à la crise des régimes représentatifs ont été multiples, en s’appuyant sur différentes conceptions de la démocratie – directe, participative, délibérative, représentative – et déclinaisons pratiques (assemblées, outils numériques, tirage au sort, référendum d’initiative populaire, etc.), qui peuvent s’articuler dans des combinaisons inédites.</p>
<h2>Une démocratie hybride</h2>
<p>Une partie des Indignés ont rejoint, à partir de 2014, les coalitions citoyennes municipales qui ont remporté de nombreuses villes en 2015. <a href="https://theconversation.com/le-bilan-des-mairies-du-changement-en-espagne-131127">Dans ces « municipalités du changement »</a>, des processus de démocratie participative ont été mis en place.</p>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-pole-sud-2019-2-page-23.html">L’expérience d’Ahora Madrid (Maintenant Madrid) (2015-2019)</a> est probablement la plus ambitieuse. Impulsée par des élus et des techniciens qui s’étaient politisés au moment du 15M ou plus tôt dans le mouvement de la culture libre (qui promeut la liberté de diffuser et de modifier des œuvres créatives dans l’esprit des logiciels libres) ou des associations de quartier, elle a reposé sur des processus de démocratie directe numérique, des instances participatives de quartier et une assemblée citoyenne tirée au sort.</p>
<p>Il s’agissait de dépasser la relation de représentation, en instaurant notamment un système de votations citoyennes proche de l’expérience suisse. Tous les résidents âgés d’au moins 16 ans (soit plus de 2,7 millions de personnes) pouvaient faire une proposition et voter sur la plate-forme numérique <a href="https://decide.madrid.es/"><em>Decide Madrid</em></a>. Si une proposition recueillait le soutien d’un certain nombre d’électeurs (le seuil était fixé à 2 % puis à 1 %), elle était soumise à un référendum dont le gouvernement s’engageait à respecter le résultat.</p>
<p>L’Observatoire de la ville, instauré en fin de mandature, incarne <a href="https://ia903000.us.archive.org/1/items/DemocraciasFuturasVisiones/MLIC_articulos_digital_links_bioCorregida.pdf">l’hybridation de différentes logiques démocratiques</a>. Cette chambre citoyenne délibérative permanente, composée de 49 citoyens tirés au sort, devait se réunir huit fois par an et se renouveler tous les ans. Pour dépasser les limites des votations citoyennes (seulement deux propositions sont parvenues à recueillir les soutiens nécessaires au cours de la législature), leur principale tâche était d’évaluer la proposition la plus votée sur <em>Decide Madrid</em> et de décider si elle devait faire l’objet d’un référendum. Ils pouvaient également travailler n’importe quel aspect des politiques municipales, afin de développer leurs propres propositions.</p>
<p>Il n’a pas été possible d’évaluer les effets d’un tel dispositif, car la victoire électorale de la droite quelques mois après son lancement en 2019 a mis fin à l’initiative. Une chambre permanente de citoyens tirés au sort pourrait néanmoins être mise en place dans d’autres contextes à différentes échelles de gouvernement, <a href="https://www.cairn.info/revue-courrier-hebdomadaire-du-crisp-2019-21-page-5.htm?ref=doi">comme en Belgique</a>.</p>
<h2>Un droit de veto sur toutes les lois</h2>
<p>Certains Indignés, souvent impliqués dans le <a href="https://www.lespetitsmatins.fr/collections/essais/168-podemos-de-l-indignation-aux-elections.html">parti politique de gauche alternative Podemos</a> créé en janvier 2014 (au pouvoir depuis janvier 2020 dans le cadre d’un gouvernement de coalition dirigé par les socialistes), sont également entrés dans les Parlements régionaux à partir de 2015.</p>
<p>En Andalousie, un député régional et son conseiller ont inventé un système de « Démocratie 4.0 » qui permettrait aux citoyens, en fonction des enjeux perçus de chaque acte législatif, de voter directement les lois (sur leur ordinateur avec une carte d’identité électronique) ou de laisser leurs représentants les voter pour eux. En cas de vote direct, un algorithme enlèverait cette proportion de vote à l’ensemble des députés.</p>
<p>Si ce projet n’a pas été mis en pratique en raison de la position minoritaire de Podemos au Parlement régional andalou, il est particulièrement stimulant pour repenser la relation de délégation du pouvoir et gagnerait à être accompagné d’une réflexion sur la délibération en amont du vote des lois.</p>
<p>L’objectif serait de mettre en place un droit de veto et d’instaurer ainsi une dose de démocratie directe dans le cadre des régimes représentatifs. Les citoyens ne participeraient pas en permanence, mais ils pourraient s’opposer à des lois qu’ils estiment néfastes, comme <a href="http://www.slate.fr/story/197681/loi-securite-globale-espagne-ley-mordaza-baillon-similaire-autocensure-libertes-information-droits">« la loi bâillon »</a> adoptée par le Parlement espagnol en décembre 2014 qui réduit considérablement le droit d’expression et de manifestation. On imagine la portée d’une telle mesure en France où plusieurs projets législatifs – comme la <a href="https://editions-croquant.org/livres-numeriques/532-pdf-production-et-legitimation-dune-reforme.html">loi travail en 2016</a> ou le projet de loi sur les retraites en 2019-2020 – ont fait l’objet de grandes manifestations et ont parfois été imposés en contournant le vote des parlementaires.</p>
<p>Cette proposition originale alliant démocratie directe et démocratie représentative implique une <a href="https://icariaeditorial.com/antrazyt/4379-nueva-gramatica-politica.html">autre conception de la représentation</a> qui n’implique pas la dépossession des électeurs vis-à-vis de leurs représentants. La représentation cesserait ainsi d’être une obligation pour devenir un droit.</p>
<p>En Espagne, les changements institutionnels sont restés limités à l’échelle nationale. Podemos avait certes repris certaines revendications des Indignés, comme la <a href="https://madrid.tomalaplaza.net/2011/05/26/acampada-sol-consensua-cuatro-lineas-de-debate/comment-page-16/">refonte du système électoral</a>, mais une réforme de la Constitution aurait nécessité davantage d’appuis au sein du Parlement. Il sera intéressant, à cet égard, d’analyser les effets de mouvements sociaux qui ont récemment abouti à un processus d’assemblée constituante, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2022/01/GAUDICHAUD/64194">comme au Chili</a>.</p>
<h2>Changer la démocratie sans prendre le pouvoir</h2>
<p>Une autre partie des Indignés ont continué à se mobiliser en dehors des institutions, dans des associations et des initiatives locales d’inspiration anarchiste comme les <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9781315574875-6/converging-movements-miguel-mart%C3%ADnez-%C3%A1ngela-garc%C3%ADa-bernardos">squats autogérés</a>. Ils ont contribué à renforcer des collectifs existants, à l’instar de la <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2019-1-page-94.htm">Plateforme des victimes de l’hypothèque</a> (PAH) qui lutte depuis février 2019 contre la multiplication des expulsions de logement suite à la crise économique de 2008, et à en créer de nouveaux.</p>
<p>Des mobilisations massives, comme les <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2014-1-page-49.htm">marées citoyennes en défense des services publics</a> (en 2012 et 2013) ou le <a href="https://www.cairn.info/revue-mouvements-2018-4-page-155.htm">mouvement féministe qui connaît un renouveau important depuis 2018</a>, reposent en partie sur l’impulsion des Indignés et s’organisent également en assemblées.</p>
<p>Souvent réduits à l’émergence de nouvelles formations politiques comme Podemos, les effets du 15M se situent donc aussi dans les transformations d’organisations du mouvement social. Un engagement pourtant généralement présenté comme très limité dans le temps a ainsi eu un impact à long terme : même s’il y a un temps court de l’événement, celui-ci introduit un horizon normatif (une « démocratie réelle ») qui réoriente les modes d’action collective.</p>
<p>Cet horizon se décline en exigences pratiques qui viennent se heurter aux manières instituées de faire de la politique, jugées très négativement par les Indignés, et aboutissent à des renouvellements de pratiques dans les milieux militants. Cela s’est traduit par une prise en compte croissante des enjeux de démocratie interne dans une diversité d’organisations, une revitalisation du tissu associatif local et une multiplication des initiatives autonomes comme les coopératives, les <a href="https://www.cairn.info/revue-politix-2017-1-page-63.htm">squats d’activités et les réseaux de solidarité</a> – autant d’expériences qui pourraient inspirer les citoyens mobilisés en France.</p>
<p>Or, ces actions menées en dehors du champ institutionnel contribuent à renforcer la démocratie, en modifiant les perceptions du monde social et les pratiques politiques qui sont loin de se résumer aux partis et aux élections. Le fait de se focaliser sur la seule conquête du pouvoir d’État par les urnes néglige en effet des vecteurs importants de transformations sociales et politiques, comme le montrent par exemple les mouvements féministe ou antiraciste qui ont connu de véritables succès dans leur capacité à <a href="https://www.syllepse.net/changer-le-monde-sans-prendre-le-pouvoir-_r_76_i_362.html">changer le monde sans prendre le pouvoir</a>.</p>
<p>Il ressort donc de l’expérience espagnole un concept de « démocratie réelle » pluriel, qui nous invite à penser une diversité de réponses à la crise des régimes représentatifs, certes différentes mais complémentaires, depuis à la fois les institutions et l’espace des mouvements sociaux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180701/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Héloïse Nez ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le cas espagnol sur les expériences de démocratie directe pourrait être riche d’enseignements pour la France.Héloïse Nez, Maîtresse de conférences en sociologie, UMR CITERES, Université de ToursLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1692032021-10-20T19:28:28Z2021-10-20T19:28:28ZL’intelligence collective au cœur des enjeux politiques et sociaux<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/424793/original/file-20211005-19-1pjagtk.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C3235%2C2153&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Assemblée Générale de la Nuit debout à Paris, place de la République, le 10 avril 2016.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:NuitDeboutParis.png">Olivier Ortelpa / WikiCommons</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>En avril 2016, en réaction à la <a href="https://www.lexpress.fr/actualite/societe/le-mouvement-nuitdebout-contre-la-loi-travail_1778837.html">« loi Travail »</a>, nous assistions à l’émergence du mouvement autogéré « Nuit debout », une <a href="https://droit.univ-rennes1.fr/actualites/nuit-debout-des-citoyens-en-quete-de-reinvention-democratique">initiative citoyenne</a> prenant la forme de manifestations sur des places publiques avec pour but de faire émerger une convergence des luttes.</p>
<p>Dans la continuité, émerge en octobre 2018 le mouvement social des « gilets jaunes », en réaction à <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2019/11/08/du-declencheur-local-a-la-revolte-globale-la-convergence-des-luttes-dans-le-monde_6018514_4355770.html">« des régimes politiques vieillissants et à la montée des inégalités »</a>, et dont l’une des revendications principales portait sur la mise en place du <a href="https://www.leparisien.fr/politique/c-est-quoi-le-ric-le-referendum-que-reclament-les-gilets-jaunes-10-12-2018-7965093.php">référendum d’initiative citoyenne (RIC)</a>.</p>
<p>Ces mouvements ont participé par leur ampleur à un <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/ca-a-reveille-une-conscience-collective-un-an-apres-le-debut-du-mouvement-le-gilet-jaune-come-dunis-se-souvient_3701259.html">éveil des consciences</a>, aussi bien citoyennes que <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/11/16/ce-mouvement-nous-a-transformes-temoignages-de-gilets-jaunes-apres-un-an-de-contestation_6019388_3224.html">politiques</a>, sur la nécessité d’inclure plus efficacement les Français dans les processus de décision du gouvernement.</p>
<p>Entre ces deux évènements, l’élection présidentielle de 2017 a atteint un taux d’abstention record (25,3 % au second tour) qui n’avait pas été observé depuis <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/05/07/presidentielle-2017-abstention-record-pour-un-second-tour-depuis-l-election-de-1969_5123757_4854003.html">l’élection de 1969</a> (31,1 % au second tour). Plus récemment, le taux d’abstention aux élections régionales (juin 2021) a atteint le niveau record de 65,7 %, contre <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/abstention/elections-regionales-l-abstention-au-second-tour-atteint-65-7-selon-une-estimation-d-ipsos-sopra-steria_4680401.html">41,59 % en 2015</a>.</p>
<p>Cette augmentation constante du taux d’abstention est le résultat d’une <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/regionales/regionales-l-abstention-est-liee-a-une-defiance-envers-la-politique-et-un-manque-d-informations-selon-notre-sondage_4676901.html">défiance des citoyens envers la politique</a> et non seulement d’un désintérêt pour la chose : 90 % des abstentionnistes-répondants considèrent ce phénomène comme le résultat d’une « rupture entre les citoyens et la vie politique » ; 84 % y voient un signal d’alarme ; 65 % considèrent que cette abstention constitue quelque chose « d’inquiétant pour notre démocratie ».</p>
<p>Ces évènements politiques et sociaux sont les conséquences directes des limites d’un système politique usé et démontrent un besoin fondamental de se recentrer sur des démarches d’<a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/09/01/l-intelligence-collective-a-l-oeuvre_1798296/">intelligence collective</a> pour ré-ouvrir un espace commun de réflexion et d’échange, avec pour finalité concrète la formalisation de nouvelles directives politiques et institutionnelles. En réponse à ces évènements, le gouvernement a mis en place des démarches jusque-là inédites en France : le « grand débat national », lancé par le président de la République (15 janvier – 15 mars 2019), et la « convention citoyenne pour le climat » (octobre 2019 – juin 2020).</p>
<h2>Le grand débat national (GDN)</h2>
<p>Le <a href="https://granddebat.fr/">GDN</a> a rassemblé 645 000 personnes pour près de deux millions de contributions et mobilisé plus de 10 000 réunions locales. Même si ces chiffres sont encourageants, il s’avère que le taux de participation est directement lié à la <a href="https://www.leparisien.fr/politique/qui-a-vraiment-participe-au-grand-debat-10-03-2019-8028324.php">situation socio-professionnelle des citoyens</a>, avec un bien plus grand taux de participation chez les populations aisées, si bien que le débat est <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/2019-annee-des-grands-debats-mais-pour-quels-resultats_fr_5dfb5c91e4b01834791c1a2a">« filtré sociologiquement »</a>. </p>
<p>De plus, parmi 645 000 personnes, seules 475 000 ont réellement contribué au grand débat, soit <a href="https://www.lefigaro.fr/politique/2019/03/19/01002-20190319ARTFIG00173-le-grand-debat-national-a-t-il-vraiment-ete-un-succes.php">0,7 % de la population française</a>, avec une <a href="https://www.reuters.com/article/france-grand-d-bat-jeunes-idFRKCN1PQ4E1-OFRTP">absence remarquée des 16-24 ans</a>. Plus important encore, la plupart des contributions (71,5 %) sont des réponses à des questions à choix multiples, le GDN prenant ainsi davantage la forme d’un sondage que d’un espace d’échange, de réflexion et d’innovation.</p>
<p>Le GDN concernait 4 thèmes : transition écologique, fiscalité, démocratie et citoyenneté, organisation de l’état et des services publics. Seulement, ces thèmes ont été fixés en amont du débat par le gouvernement et <a href="https://www.linternaute.com/actualite/politique/1761600-grand-debat-national-les-quatre-axes-retenus-par-philippe/">sans consultation des citoyens</a>, limitant ainsi le champ des propositions possibles. De fait, certains thèmes essentiels pour les citoyens demeurent de grands absents du GDN, comme l’<a href="https://www.latribune.fr/economie/france/l-emploi-grand-oublie-du-grand-debat-national-804155.html">emploi</a>, l’éducation ou la <a href="https://www.horizonspublics.fr/vie-citoyenne/grand-debat-national-un-bilan-prendre-avec-precaution">santé</a>. Finalement, seuls <a href="https://www.horizonspublics.fr/vie-citoyenne/grand-debat-national-un-bilan-prendre-avec-precaution">8 % des participants</a> au grand débat se disent satisfaits des thèmes choisis.</p>
<p>Enfin, le GDN place les citoyens dans une position de consultants extérieurs et en aucun cas de décisionnaires : 650 pages de <a href="https://granddebat.fr/pages/syntheses-du-grand-debat">synthèses</a> viennent clarifier les préoccupations et les avis des Français, mais aucun système légal ne vient garantir la mise en place des solutions qui y sont évoquées. Le gouvernement a, à plusieurs reprises, précisé « qu’il ne s’agissait que d’un échantillon qualitatif de l’<a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/04/08/le-bilan-du-grand-debat-en-six-questions_5447417_823448.html">opinion publique</a>, et non d’une série de votes ».</p>
<p>Les points les plus populaires formulés dans le GDN n’ont ainsi <a href="https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/wp-content/uploads/2021/03/CCC-rapport_Session8_GR-1.pdf">pas aboutis</a> : réduction du nombre de parlementaires (86 %), prise en compte du vote blanc (69 %), adoption du référendum d’initiative citoyenne (à l’origine du grand débat, et pourtant absente des propositions formulées par le gouvernement). Même si certaines mesures ont étés adoptées par le gouvernement depuis, notamment concernant le pouvoir d’achat, la plupart des points abordés par le président de la République après le GDN sont encore en discussion : réduction du nombre de parlementaires, suppression de niches fiscales, réduction de la part de l’énergie nucléaire, interdiction du glyphosate, réforme des retraites…</p>
<h2>La convention citoyenne pour le climat</h2>
<p>La C3 est une des mesures annoncées des suites du GDN, elle regroupe 150 citoyens tirés au sort parmi la population française, avec pour but de proposer des mesures structurantes afin assurer une transition écologique efficace d’ici 2030. Après sept sessions de travail (octobre 2019 – juin 2020), ont émergé <a href="https://www.conventioncitoyennepourleclimat.fr/">149 propositions</a> sur 6 axes thématiques : le déplacement, la consommation, le logement, le travail, l’alimentation et la constitution.</p>
<p>Lors du dernier rassemblement de la C3 (26-28 février 2021), les membres ont évalué les réponses apportées par le gouvernement à leurs propositions : sur les 98 votants, 38 ont jugé les décisions du gouvernement <a href="https://reporterre.net/Macron-et-le-climat-3-3-sur-10-selon-la-Convention-citoyenne">très insatisfaisantes</a>, 33 insatisfaisantes, 14 passables, 2 satisfaisantes et 5 très satisfaisantes, avec pour finalité une note générale de 3,3/10 concernant la possibilité que les décisions du gouvernement permettent d’atteindre l’objectif fixé à la création de la convention. Le président de la République annonçait une retranscription sans filtres des productions de la C3, mais dans les faits 90 % des propositions n’ont pas été retenues par l’exécutif, soit 134 mesures sur les 149 présentées. Dans le détail, 53 % des propositions sont <a href="https://reporterre.net/Convention-pour-le-climat-seules-10-des-propositions-ont-ete-reprises-par-le-gouvernement">rejetées</a> (79 propositions), 37 % sont modifiées ou selon les participants « édulcorées » (55 propositions), alors que seulement 10 % sont reprises sans modification (15 propositions).</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Assemblée de la Convention Citoyenne pour le climat composée de citoyens tirés au sort" src="https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=396&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/425282/original/file-20211007-21-1y9nwl2.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=498&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">En juin 2020, la Convention Citoyenne pour le climat composée de citoyens tirés au sort a rendu un rapport et 149 propositions pour lutter contre le dérèglement climatique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Katrin Baumann/C3</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<p>Les propositions retenues par le gouvernement sont essentiellement cosmétiques : créer des parkings relais ; des vignettes vertes pour les véhicules les moins émetteurs ; taxer davantage le carburant pour l’aviation de loisirs ; généraliser l’éducation à l’environnement dans le modèle scolaire… Parmi les <a href="https://reporterre.net/Convention-pour-le-climat-seules-10-des-propositions-ont-ete-reprises-par-le-gouvernement">15 propositions retenues</a>, trois seulement se distinguent : le changement des chaudières au fioul et à charbon d’ici 2030 dans les bâtiments neufs et rénovés ; la réduction de la consommation d’énergie des bâtiments du secteur tertiaires et des espaces publics ; l’interdiction de toute artificialisation des terres si des réhabilitations sont possibles. Cette sélection du gouvernement est à l’origine de l’insatisfaction des membres de la C3, qui la juge non représentative du travail de fond réalisé en réunion, et qui dénoncent un <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/societe/climat-la-convention-citoyenne-fustige-le-manque-dambition-du-gouvernement-1294103">« manque d’ambition du gouvernement »</a>, un projet « vidé de sa substance, édulcoré ».</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/convention-citoyenne-pour-le-climat-un-modele-democratique-prometteur-au-mandat-flou-127145">Convention citoyenne pour le climat : un modèle démocratique prometteur au mandat flou</a>
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<h2>L’intelligence collective comme outil de la vie politique</h2>
<p>Même si les démarches présentées jusqu’ici sont inédites en France, elles ne le sont pas pour autant dans le monde : cette méthode de travail, dite d’approvisionnement par les foules (<a href="https://www.cairn.info/revue-management-et-avenir-2011-1-page-254.htm">« crowdsourcing »</a>), remporte déjà de nombreux succès dans la recherche scientifique, donnant lieu à ce que l’on nomme « les forums du Web 2.0 », des espaces numériques dans lesquels des milliers de personnes pronostiquent chaque jour les événements et solutions de demain, notamment dans le cadre de l’écologie (<a href="http://oro.open.ac.uk/38002/">EvidenceHub</a>, <a href="https://link.springer.com/article/10.1007/s00146-017-0710-y">EnergyUse</a>, EcoForum).</p>
<p><a href="https://www.editionsladecouverte.fr/l_intelligence_collective-9782707126931">L’intelligence collective</a> peut être définie comme « une intelligence partout distribuée, sans cesse valorisée, coordonnée en temps réel, qui aboutit à une mobilisation effective des compétences ». Son étude a mené à des conclusions encourageantes : il est déjà reconnu que dans des conditions optimales, les groupes de <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/20508840.2016.1259823">non-experts</a> peuvent être <a href="https://www.pnas.org/content/101/46/16385">plus efficaces</a> qu’un expert isolé, un phénomène dû à la capacité des groupes à faire preuve d’une <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0003347210005221 ?via %3Dihub">correction mutuelle des biais individuels</a>.</p>
<p>Ces groupes s’avèrent d’autant plus efficaces lorsque leurs membres démontrent de la <a href="https://www.researchgate.net/publication/286512331_Collective_Intelligence_and_Group_Performance">diversité</a> dans leurs modes de vie et de pensée, qu’ils mettent à profit un <a href="https://royalsocietypublishing.org/doi/10.1098/rsos.150222">leadership dynamique et participatif</a>, dans lequel les membres s’ajustent mutuellement sur leurs rôles en fonction des besoins du groupe, et font preuves d’une <a href="https://ofew.berkeley.edu/sites/default/files/evidence_for_a_collective_intelligence_factor_in_the_performance_of_human_groups_woolley_et_al.pdf">riche intelligence émotionnelle</a>, soit la capacité d’un individu à identifier et préserver les états émotionnels d’autrui.</p>
<p>Ces éléments ne sont pas systématiquement valorisés dans la vie politique, alors qu’ils sont le fondement même du processus d’intelligence collective.</p>
<h2>L’intelligence collective au service des consciences politiques</h2>
<p>Nous assistons à un <a href="https://www.cairn.info/nouvelle-sociologie-politique-de-la-france-2021%E2%80%939782200628727-page-203.htm ?ref=doi">changement</a> aussi bien de fond que de forme dans les manifestations publiques : longtemps considérées comme des lieux de contestation, les manifestations se tournent désormais davantage vers une <a href="https://www.cairn.info/nouvelle-sociologie-politique-de-la-france-2021%E2%80%939782200628727-page-203.htm ?ref=doi">démarche solutionniste</a>, formalisant et proposant des alternatives concrètes pour répondre aux enjeux actuels, aménageant ainsi un espace fertile pour l’essor d’intelligence collective. Le GDN et la C3 ont émergé pour répondre à cette évolution, qui s’incarne notamment au travers d’une demande citoyenne : celle de prendre part activement aux processus décisionnels.</p>
<p>L’une des expressions les plus représentatives de ce besoin se trouve à l’origine même du débat : la mise en place du référendum d’initiative citoyenne (RIC), qui permettrait aux citoyens d’être à l’initiative de projets de loi. De tels manœuvres sont des illustrations de ce besoin d’adopter des démarches d’intelligence collective pour co-construire les politiques publiques de demain. Il existe actuellement 8 formes potentielles de <a href="https://www.ric-france.fr/ric-referendum-initiative-citoyenne">RIC</a>, chacune de ses formes renvoyant à une dimension particulière de la vie politique et donc à une demande spécifique, assurant ainsi leur complémentarité.</p>
<p>Le collectif « Démocratie ouverte » proposait en 2018 un RIC amélioré, rebaptisé dans ce contexte <a href="https://culture-ric.fr/fonctionnement-de-ric/ric-referendum-dinitiative-citoyenne-et-dintelligence-collective/">RIC<sup>2</sup></a> pour « Référendum d’Initiative citoyenne et d’intelligence collective », qui s’articule autour de quatre étapes : l’initiative citoyenne, un débat public structuré, un jury citoyen tiré au sort et la mise en place du référendum par un vote majoritaire.</p>
<p>Plusieurs dispositifs privilégiés par le gouvernement français ressemblent au <a href="https://theconversation.com/debat-le-referendum-dinitiative-populaire-la-solution-108355">RIC</a>, notamment le référendum d’initiative partagé, consultatif ou d’initiative présidentielle. Seulement, ces propositions rejettent l’aspect le plus fondamental d’une telle démarche : </p>
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<p>« Les initiatives citoyennes sans référendums, ainsi que les référendums sans initiative citoyenne ne fournissent pas réellement la possibilité pour les citoyens de produire directement la loi. »</p>
</blockquote>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-le-referendum-dinitiative-populaire-la-solution-108355">Débat : Le référendum d’initiative populaire, la solution ?</a>
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<p>La question de l’initiative citoyenne est essentielle car au fondement de notre démocratie et de notre conscience politique : nous évoluons en France dans une démocratie représentative, un modèle régulièrement contesté pour ses nombreuses <a href="https://journals.openedition.org/siecles/1099#ftn1">limites</a>.</p>
<p>C’est actuellement au rôle de consultants extérieurs que sont limités les citoyens au travers des actions collectives comme le GDN ou la C3. En l’état, le pari de l’intelligence collective n’est fait que dans un sens : la participation des citoyens est réelle, mais elle se fait sans le soutien des décideurs, limitant ainsi toutes possibilités d’entrer dans une démarche d’intelligence collective réelle et durable.</p>
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<p><em>L’auteur de cet article est doctorant au laboratoire InterPsy de l’Université de Lorraine. Il réalise une thèse (« L’intelligence collective des groupes en situation de résolution de problèmes ») sous la direction de Martine Batt, Professeur à l’Université de Lorraine, et Emile Servan-Schreiber, Dr. en psychologie cognitive au Massachusetts Institute of Technology (MIT).</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169203/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alexis Jeffredo a reçu des financements de la Métropole du Grand Nancy dans le cadre de sa thèse sur l'intelligence collective.</span></em></p>Pour changer les institutions politiques et raviver le processus démocratique, pourquoi ne pas miser sur la participation citoyenne et l’intelligence collective ?Alexis Jeffredo, Doctorant en psychologie sociale et cognitive, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1501882020-11-19T23:27:38Z2020-11-19T23:27:38ZCrise dans la démocratie ou crise pour la démocratie ?<p>La maison-démocratie brûle. Partout en Occident, la multiplication des <a href="http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-La_Fin_de_la_d%C3%A9mocratie-562-1-1-0-1.html">livres</a>, <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/julia-cage-amenons-democratie-aux-citoyens/00094420">articles</a> et numéros de revue consacrés à la question nous font entendre des alarmes hurlantes.</p>
<p>Nous avons d’abord cru qu’il s’agissait d’un feu de paille. Tout au plus nous interrogions-nous sur la teneur du terme : était-il conforme au concept des origines comme le questionnait le philosophe <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs-essais/principes-du-gouvernement-representatif#:%7E:text=Le%20gouvernement%20repr%C3%A9sentatif%20m%C3%AAle%20en,le%20public%20rendra%20son%20jugement">Bernard Manin dans les années 1990</a> ? Gardait-il politiquement un sens opératoire ou glissait-il progressivement, à force d’utilisation fallacieuse, vers le purgatoire des mots « vides de sens » ?</p>
<h2>Deux périls</h2>
<p>En 2018, dans un essai retentissant sur le sujet, <a href="https://www.editions-observatoire.com/content/Le_peuple_contre_la_democratie"><em>Le peuple contre la démocratie</em></a>, le politologue Yasha Mounk, de nature pourtant modéré, alertait les plus incrédules.</p>
<p>La « démocratie », écrivait-il, est en danger de mort. Parce que deux périls la menacent : la démocratie illibérale (la Hongrie de Victor Orban, les États-Unis de Trump) et le libéralisme antidémocratique.</p>
<p>Celui-ci, selon Mounk, s’incarnait par exemple dans l’Union européenne d’un Jean‑Claude Junker qui, alors qu’il était Président de la Commission européenne, <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/politique/2015/02/02/31001-20150202ARTFIG00405-du-traite-constitutionnel-a-syriza-l-europe-contre-les-peuples.php">déclarait</a> après la victoire du parti <a href="https://www.lesechos.fr/2015/01/elections-en-grece-qui-est-alexis-tsipras-de-syrisa-promis-gagnant-par-les-sondages-242846">Syrisa</a> en Grèce :</p>
<blockquote>
<p>« Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »</p>
</blockquote>
<p>En 2020, l’inquiétude est particulièrement vive pour le cas français puisqu’au vu de ces derniers mois, la France semble s’être fragilisée sur l’un et l’autre des deux versants.</p>
<p>Alors qu’Emmanuel Macron avait été élu en promettant une version <em>intégrale</em> du libéralisme (c’est-à-dire économique et sociétale) comme le préconisaient certains grands libéraux du XIX<sup>e</sup> siècle (<a href="https://www.contrepoints.org/2017/10/23/91891-benjamin-constant-penseur-de-la-liberte-sous-toutes-ses-formes">Benjamin Constant</a>, <a href="http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/jules-simon">Jules Simon</a>), sa majorité multiplie sous son mandat des lois considérées comme liberticides : loi inscrivant les dispositions de l’État d’urgence dans le droit commun (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000035932811?r=NimHuPsF4a">Loi du 30 octobre 2017</a>), loi sur le secret des affaires (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000036749877/">Loi du 30 juillet 2018</a>), dispositions restreignant la liberté de manifester (<a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2019/2019780DC.htm">que le Conseil constitutionnel a retoqué</a>), <a href="https://www.bastamag.net/Universites-LPPR-loi-enseignement-superieur-recherche-precarite-attaque-liberte-academique-petition">loi contre la liberté académique</a> (dite Loi PPR adoptée le mardi 17 novembre 2020 <a href="https://www.alternatives-economiques.fr/loi-recherche-lunanimite-contre/00094488">contre l’avis de l’ensemble du monde universitaire</a>), projet de loi dite « sécurité globale » qui menace la liberté de la presse et la liberté d’informer et qui <a href="https://www.huffingtonpost.fr/entry/securite-globale-la-defenseure-des-droits-redit-son-inquietude_fr_5fb4d792c5b664958c7c1972">inquiète jusqu’à la défenseure des droits</a>.</p>
<p>La dureté de ces lois est telle qu’on a vu resurgir <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2020/01/KEMPF/61188">l’expression de « lois scélérates »</a> que la <a href="https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k836767">gauche avait utilisée sous la IIIᵉ République</a> pour dénoncer des lois spécifiquement prises contre les anarchistes.</p>
<h2>Deux impensés de la « démocratie libérale »</h2>
<p>Ce <em>corpus</em> de loi inquiète d’autant plus qu’il s’accompagne d’une répression sans précédent dans la V<sup>e</sup> République contre les manifestants (Gilets jaunes, Mouvement contre les retraites) mais aussi contre les journalistes (avec la récente <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/paris-ile-de-france/paris/journaliste-france-3-paris-ile-france-interpelle-hier-soir-1896138.html">arrestation d’une journaliste de France 3 Île de France</a> qui a ému jusqu’à <a href="https://twitter.com/SamuelEtienne/status/1329126438927290368">certains membres</a> parmi les plus consensuels de la profession)</p>
<p>Ce drapé noir qui s’abat sur la liberté et, partant, sur la démocratie masque deux impensés de la « démocratie libérale ».</p>
<p>D’une part, cette séquence rappelle qu’il existe dans la tradition libérale française un tropisme individualiste qui lui fait toujours opter pour les libertés individuelles <em>contre</em> les libertés sociales lorsque le dilemme s’impose. Cet arrière-fond idéologique provoque ainsi en temps de crise, ce que Luc Boltanski et Arnaud Esquerre dans <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2014/05/17/resister-au-triomphe-des-extremes_4420492_3232.html">leur essai <em>Vers l’extrême</em></a> ont appelé une » extension des domaines de la droite ».</p>
<p>D’autre part, ce moment révèle une conception étriquée de la « démocratie » réduite au seul jeu électoral et qui voudrait bâillonner toutes ses autres formes d’expression.</p>
<p>Mais la pensée grecque, par le passé, nous a appris que toute crise renferme en son sein la possibilité de son propre dépassement. Saisissons donc ce moment pour dire de quoi la crise démocratique est-elle le nom et comment elle doit servir à régénérer l’idéal de liberté et de souveraineté du peuple.</p>
<h2>Gouvernants/gouvernés ou « eux »/« nous » ?</h2>
<p>Dans <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/gf/philosophie/les-politiques"><em>Les Politiques</em></a>, Aristote définit la « démocratie » comme le régime au sein duquel les citoyens exercent le pouvoir « à tour de rôle ».</p>
<p>On ne le dit presque plus, mais c’est là en principe le point fondamental qui doit permettre à la démocratie de tenir et de bénéficier du consentement de ses citoyens.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/370361/original/file-20201119-20-p1nmb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Buste d’Aristote" src="https://images.theconversation.com/files/370361/original/file-20201119-20-p1nmb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/370361/original/file-20201119-20-p1nmb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/370361/original/file-20201119-20-p1nmb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/370361/original/file-20201119-20-p1nmb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=899&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/370361/original/file-20201119-20-p1nmb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/370361/original/file-20201119-20-p1nmb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/370361/original/file-20201119-20-p1nmb8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1130&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Buste d’Aristote, salle de lecture de la Bibliothèque Mazarine, Paris, 19 avril 2010.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Buste_Aristote_Bibliotheque_Mazarine_Paris.jpg">Marie-Lan Nguyen/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Par une pratique aléatoire et circulaire du pouvoir, chacun étant amené dans son existence à être tantôt « gouverné » tantôt « gouvernant » s’investit pleinement dans la vie démocratique. Aujourd’hui, cette règle d’or de la démocratie est lettre morte.</p>
<p>Qui peut penser une seule minute qu’au sein des <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2015-1-page-25.htm">classes populaires</a> existe ce sentiment d’alternance « gouverné/gouvernant » ?</p>
<p>Notre époque est profondément marquée par la disparition de ce cycle mais également – phénomène plus neuf –, par l’affaiblissement significatif de la colonne d’équilibre de la théorie du gouvernement représentatif, la croyance dans le couple « représentant/représenté ».</p>
<p>Dans les bistros, les vestiaires de foot, le <a href="https://theconversation.com/rejet-complotisme-et-desillusions-comment-certains-quartiers-voient-les-politiques-depuis-30-ans-147544">bas des immeubles</a> et les stands des marchés, on entend ainsi constamment parler d’un « ils ».</p>
<p>Ce « ils » désignent « les politiques » mais aussi tout en partie les médias, les journalistes, parfois le monde du spectacle, quelquefois Paris, les intellectuels…</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Bistro" src="https://images.theconversation.com/files/370362/original/file-20201119-18-j4f83o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/370362/original/file-20201119-18-j4f83o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/370362/original/file-20201119-18-j4f83o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/370362/original/file-20201119-18-j4f83o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=462&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/370362/original/file-20201119-18-j4f83o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/370362/original/file-20201119-18-j4f83o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/370362/original/file-20201119-18-j4f83o.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=581&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">« Qui peut penser une seule minute qu’au sein des classes populaires existe ce sentiment d’alternance ‘gouverné/gouvernant’ ? » (Jean Béraud, <em>Au bistro</em>.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Bistro#/media/Fichier:Jean_B%C3%A9raud_Au_Bistro.jpg">Jean Béraud/Wikimedia</a></span>
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<p>C’est en effet un « ils » qui peut paraître confus, que d’aucuns appellent « système » d’autres « oligarchie », mais dont on peut parvenir à bien percevoir la silhouette si comme dans une chambre noire, on la regarde par le négatif. Ce qui caractérise ce « ils », c’est qu’ils ne sont pas « nous ».</p>
<p>Prenant acte de la progressive disparition de l’opposition « gauche »/« droite » à mesure que les grands partis de centre gauche européen se convertissaient au néo-libéralisme, les politologues et philosophes Ernesto Laclau et Chantal Mouffe <a href="https://www.laprocure.com/hegemonie-strategie-socialiste-vers-radicalisation-democratie-ernesto-laclau/9782818505861.html">ont justement désigné</a>, à partir des années 2000, ce « eux/nous » comme le nouveau marqueur principal du champ politique.</p>
<h2>Un nouveau schisme démocratique</h2>
<p>La proposition a fait grand bruit car elle invitait à délaisser le clivage <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-raison-populiste-ernesto-laclau/9782020884211">horizontal classique</a> (gauche/droite), devenu selon ces deux auteurs, <a href="https://www.albin-michel.fr/ouvrages/lillusion-du-consensus-9782226314932">illusoire</a>, pour investir une partition verticale (haut/bas) répondant à la <a href="https://www.editinsducerf.fr/librairie/livre/17946/construire-un-peuple">véritable situation antagonique</a> créée par les systèmes politiques occidentaux.</p>
<p>Cette théorisation est bien connue puisqu’elle a notamment contribué à nourrir la « stratégie populiste » de <a href="http://lodel.irevues.inist.fr/cahierspsychologiepolitique/index.php?id=3910">Podemos ou de la France insoumise</a>.</p>
<p>En forgeant ce schéma, Laclau et Mouffe souhaitaient avant tout s’extirper de la « crise du marxisme » des années 60/70, qui voyait des mouvements de protestations (libération de la femme, liberté sexuelle, question « gay ») échappés au cadre de la « lutte des classes ».</p>
<p>Mais il se trouve qu’aujourd’hui, ce schéma colle surtout à une forme de ressenti populaire que j’appellerai le « schisme démocratique » et que je définirai par le sentiment qui frappe désormais toute une partie des Français de ne pas/plus faire partie de la démocratie.</p>
<p>On pourrait même dire que tout au long de cette <a href="https://www.liberation.fr/france/2017/11/22/derriere-la-hausse-de-l-abstention-une-france-coupee-en-deux_1608432">ligne de fracture</a> se dessine de plus en plus une « démocratie du haut » et une « démocratie du bas ».</p>
<p>Celle du bas est frappée par une <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2010-3-page-57.htm">abstention et une lassitude civique de plus en plus marquée</a> d’une part parce qu’elle considère qu’elle n’aura jamais accès à la « démocratie du haut » et d’autre part, parce qu’elle considère que <a href="https://www.lesechos.fr/politique-societe/politique/la-fracture-entre-les-classes-populaires-et-les-dirigeants-politiques-reste-beante-130324">celle du haut ne fait rien pour celle du bas</a>.</p>
<p>Pourtant on aurait tort, sur la base de ces observations, de vouloir écrire une chronique d’une mort annoncée de la démocratie. C’est autre chose qui se joue. On assiste en réalité à la fin de l’assimilation <a href="https://le1hebdo.fr/journal/comment-augmenter-la-democratie/285/article/la-dmocratie-est-un-rgime-en-mtamorphose-permanente-3723.html">« démocratie/élection »</a> et à la bascule de la contestation politique des <a href="https://le1hebdo.fr/journal/comment-augmenter-la-democratie/285/article/contestation-la-rue-plutt-que-le-vote-3727.html">urnes à la rue</a>. C’est là deux traits des choses qu’il faut réinsérer dans l’analyse de l’exercice démocratique pour mieux en saisir ses mutations.</p>
<h2>Refuser la réduction de la démocratie à la seule dimension électorale</h2>
<p>Les récents événements ont vu toute une partie du personnel politique défendre une vision schématique de la démocratie qui la réduit à son seul processus électoral. Ainsi a-t-on entendu durant le mouvement des Gilets jaunes plusieurs ministres du gouvernement d’Édouard Philippe condamner les manifestants au nom du « respect de la démocratie », formule qu’il fallait décrypter comme signifiant « nous avons été élus, veuillez désormais vous taire pendant 5 ans ».</p>
<p>Ceci constitue un contresens majeur vis-à-vis de l’idée démocratique puisque depuis ses origines la contestation <em>fait partie</em> de la démocratie. Cette dernière est même, par définition, l’organisation du désaccord, l’espace qui doit permettre, comme <a href="http://classiques.uqac.ca/classiques/mauss_marcel/socio_et_anthropo/2_essai_sur_le_don/essai_sur_le_don.htm">l’écrivait</a> le sociologue Marcel Mauss, de pouvoir « s’opposer sans se massacrer ».</p>
<p>Jamais elle ne s’est voulue synonyme de silence ou de passivité. S’enfonçant dans le contresens, certains en appellent même aujourd’hui à l’exemple de la <a href="https://www.leparisien.fr/paris-75/municipales-a-paris-villani-veut-creer-une-agora-citoyenne-04-11-2019-8186154.php">démocratie athénienne</a> pour contester ou interdire les manifestations de rue, les ronds-points investis ou les occupations de lycée/université ignorant qu’un éminent spécialiste de l’Antiquité par exemple, Moses I. Finley, <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs-histoire/l-invention-de-la-politique">dans ses travaux</a> (<em>L’invention de la politique</em>, 1983), a précisément tordu le cou à l’idée que les démocraties fondatrices de l’Occident (Athènes et Rome) aient pu être lisses ou immaculées de tout conflit.</p>
<h2>Accepter la multiplicité des expressions démocratiques</h2>
<p>La démocratie, a écrit Finley, se nourrit de ce que les Grecs appelaient la « <em>stasis</em> » (crise), elle est toute entière traversée par des confrontations entre la minorité et la majorité, les « biens nés » (Eupatrides) et les autres, la masse (<em>to plêthos</em>) ; en un mot, elle vit inévitablement les conflits nés de ce que Aristote nomme « la différence qui sépare […] la pauvreté et la richesse ».</p>
<p>Alors oui la démocratie est loi, droit, élections mais elle est aussi agitations, indignations, manifestations, quelques fois émeutes.</p>
<p>Le mot même de « démocratie » est révélateur de cette conflictualité interne. On le traduit le plus souvent par le « pouvoir » (<em>kratos</em>) du « peuple » (<em>dêmos</em>), mais le choix du terme « kratos » en lieu et place d’« archei » (comme dans monarchie) indique que ses fondateurs la savaient dotée d’une certaine dimension de violence dans l’expression de sa puissance.</p>
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<img alt="Oraison funèbre de Périclès" src="https://images.theconversation.com/files/370365/original/file-20201119-22-1pqupm7.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/370365/original/file-20201119-22-1pqupm7.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/370365/original/file-20201119-22-1pqupm7.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/370365/original/file-20201119-22-1pqupm7.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=478&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/370365/original/file-20201119-22-1pqupm7.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/370365/original/file-20201119-22-1pqupm7.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/370365/original/file-20201119-22-1pqupm7.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=601&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le stratège et politicien Périclès durant son oraison funèbre.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9ricl%C3%A8s#/media/Fichier:Discurso_funebre_pericles.PNG">Philipp Foltz/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Est-ce à dire qu’il faut applaudir tout bris de vitrine ou d’abris de bus ? Chacun de ces actes mérite d’être analysé à l’aune de son intention : est-il la marque d’une colère, d’une volonté condamnable de piller, d’un nihilisme revendiqué ou d’une expression de la philosophie libertaire du « Black Bloc » ?</p>
<p><a href="https://la-bas.org/la-bas-magazine/entretiens/pierre-bourdieu-un-intellectuel-collectif">Bourdieu en son temps avait dit qu’on peut brûler les voitures</a>, s’il y a « un objectif » derrière et si l’acte s’inscrit dans « un mouvement social » visant à l’amélioration de la vie commune.</p>
<p>Voilà à quoi doit s’atteler le monde politique : à réentendre les mille bouches de la démocratie et à formuler à partir de lui un nouveau sens commun.</p>
<h2>Pour une refondation démocratique</h2>
<p>Contrairement aux apparences, nous n’assistons pas à un pur mouvement de reflux démocratique. L’heure est plus nervurée. Si nous voyons ressurgir des <a href="http://international.blogs.ouest-france.fr/archive/2020/02/16/kershaw-fascisme-global-mondialisation-20898.html">aspirations monarchistes et des tendances néo-fascistes très préoccupantes</a>, l’essentiel de la période est surtout marquée par une remise en cause de la démocratie dans sa pratique ainsi que l’a souligné Jacques Rancière dans <a href="https://lafabrique.fr/la-haine-de-la-democratie/"><em>la Haine de la démocratie</em></a> (2005).</p>
<p>Au sein de l’immense colère qui monte, le désir n’est pas à un moins de démocratie mais au contraire à un plus de démocratie. La rage d’une grande part de la population <em>est</em> à ce titre pleinement démocratique.</p>
<p>Elle s’apparente à la fièvre qui veut protéger son corps en brûlant le virus qui le contamine. Ce qu’on nomme la « crise démocratique » actuelle questionne le pouvoir perdu et fustige la dépossession du droit à s’autodéterminer ; elle pointe du doigt la mise en place progressive d’un « cens caché », selon l’<a href="https://www.cairn.info/le-cens-cache%20--%209782020049412.htm">expression de Daniel Gaxie</a>, source d’une véritable « ségrégation politique ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Nuit debout : L’orchestre, <em>Symphonie du Nouveau Monde</em>, 2016.</span></figcaption>
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<p>Tendons bien l’oreille : la <em>vox populi</em> ne dit pas « à bas la démocratie », elle indique la volonté qu’on mette fin à une dysmétrie politique par laquelle les classes populaires et paupérisées ne se figurent plus comme acteurs politiques mais comme une simple caisse enregistreuse de décisions venues « dont on ne sait où ».</p>
<p>Si l’on veut revitaliser la démocratie, il faut redonner la parole, réinstaurer davantage de questionnements, d’interrogations, permettre l’expression de la souveraineté populaire et de la délibération publique.</p>
<p>En somme, la « crise de la démocratie » ne doit pas s’appréhender comme l’annonce de son effondrement mais comme l’exigence d’un retour à ses fondements.</p>
<p>Dans son essai <a href="https://editions.flammarion.com/Catalogue/champs-essais/philosophie/la-democratie-aux-marges"><em>La démocratie aux marges</em></a> (2018), le regretté David Graeber rappelait en ce sens qu’au regard de l’Histoire « l’idéal démocratique » tend à retrouver de la vigueur précisément dans les moments où on interroge sa tradition et sa signification profonde. Nous y sommes.</p>
<p>Osons avancer l’hypothèse que la « crise » de la démocratie par sa remise en cause pourra aussi être son <em>kaïros</em>, c’est-à-dire, le moment, pour tous, de travailler à sa régénération.</p>
<hr>
<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre du <a href="https://u-paris.fr/festival-idees-paris/">Festival des idées</a>, qui a pour thème cette année les « nouvelles normalités ». L’événement, organisé par l’ASPC (Alliance Sorbonne Paris Cité), se tient entièrement en ligne les 20 et 21 novembre 2020 ; The Conversation est partenaire de l’événement. <a href="https://u-paris.fr/festival-idees-paris/thomas-branthome/">Retrouvez Thomas Branthôme le 21 novembre à 13h pour une discussion en direct</a> sur le thème « La démocratie à l’épreuve de la pandémie ».</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/150188/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Branthôme ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Notre époque est profondément marquée par l’affaiblissement de la croyance dans le couple « représentant/représenté ». Or, une régénération de la démocratie « par le bas » est possible.Thomas Branthôme, Maître de conférence en Histoire du droit et des idées politiques, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1464462020-09-22T20:48:40Z2020-09-22T20:48:40ZDavid Graeber (1961-2020), auteur de « Bullshit jobs » : anthropologue… et chercheur en gestion ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/359072/original/file-20200921-14-d3wday.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=581%2C241%2C5117%2C2791&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'anthropologue américain a établi le lien entre emplois « inutiles, superflus ou néfastes » et « dégâts moraux et spirituels profonds ».
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:David_Graeber_speaks_at_Maagdenhuis_Amsterdam,_2015-03-07_(16741093492).jpg">Guido van Nispen/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>L’Américain David Graeber, anthropologue à la <a href="https://www.lse.ac.uk/">London School of Economics</a>, est <a href="https://www.franceculture.fr/economie/lanthropologue-david-graeber-theoricien-du-bullshit-job-est-mort">mort le mercredi 2 septembre à l’âge de 59 ans</a>. Il laisse derrière lui un héritage important, souvent original, parfois controversé.</p>
<p>Radicaux, disruptifs et engagés, ses écrits, conférences et prises de position ont logiquement fait l’objet d’un certain nombre de critiques. Son approche radicale et militante, si elle était adoptée strictement, omettrait fondamentalement le management et son impact sur l’organisation et ses acteurs. Néanmoins, au bilan, sa carrière aura « fait bouger » les lignes sur notre rapport au travail, ses pratiques et son utilité dans et pour l’organisation.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=348&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/358822/original/file-20200918-14-ivmp8s.PNG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=438&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Bio Twitter de l’auteur qui témoigne de sa conception de son rôle de chercheur engagé.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Author Twitter account</span></span>
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<p>Les travaux de David Graeber ont ceci de particulier qu’ils ouvrent non seulement la possibilité d’une <a href="https://www.franceculture.fr/conferences/musee-du-quai-branly-jacques-chirac/lanthropologie-anarchiste">anthropologie anarchiste</a>, mais soulignent aussi l’utopie des <a href="https://www.senscritique.com/livre/Bureaucratie/18126364">règles bureaucratiques</a>, insistent sur l’immoral qui peut devenir moral, abordent la question de l’esclavage, de <a href="https://www.senscritique.com/livre/Les_Pirates_des_Lumieres/39653491">la piraterie et de la flibusterie</a> et remettent en cause le paradigme capitaliste dominant de la valeur conférée aux différents postes de travail (ou plutôt métiers). Tout cela constitue une clé de compréhension tout à fait intéressante des enjeux et effets de la crise sanitaire, économique et sociétale actuelle.</p>
<h2>« Inutiles, superflus ou néfastes »</h2>
<p>Les conclusions de Graeber entrent ainsi en résonance avec la crise sanitaire de la Covid-19 qui aura montré qu’il existait des « emplois indispensables » et des « secteurs essentiels ». La filière médicale évidemment, la filière agroalimentaire, l’eau, l’énergie, le traitement des déchets, la distribution, les télécoms, le numérique et les forces de sécurité : toutes ont été considérées comme nécessaires, comme un retour aux besoins les plus tangibles, les plus fondamentaux.</p>
<p>La crise aura aussi montré que les travailleurs « en première ligne », si souvent invisibles en temps déconfinés, étaient indispensables à la société. Un épisode qui rappelle l’exercice proposé par David Graeber d’imaginer les conséquences désastreuses – que nous avons pu mesurer au printemps 2020 – d’un monde sans soignants, sans travailleurs régaliens, sans agriculteurs, ou encore sans transporteurs ni commerçants de proximité, dans son livre <a href="https://www.youtube.com/watch?v=kikzjTfos0s"><em>Bullshit jobs</em></a>, publié en 2018.</p>
<p>Ce livre fait suite au retentissement d’un article <a href="https://www.strike.coop/bullshit-jobs/">originel publié dans le magazine <em>Strike !</em></a> en 2013. Confronté aux nombreux témoignages validant son propos, David Graeber décide alors de poursuivre sa réflexion en décrivant et en théorisant ces emplois « inutiles, superflus ou néfastes ».</p>
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<figcaption><span class="caption">David Graeber : « Jamais la société humaine n’a passé autant de temps à remplir des formulaires » (France Culture, septembre 2018).</span></figcaption>
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<p>Parmi la liste non exhaustive d’emplois qu’il qualifie d’inutiles, il insiste sur les « consultants en ressources humaines, coordinateurs en communication, chercheurs en relations publiques, stratégistes financiers, avocats d’affaires » ou universitaires qui passent leur temps en commissions <em>ad hoc</em>.</p>
<p>Il classe ces « jobs à la con » en cinq catégories : les « faire-valoir », les « rafistoleurs », les « sbires », les « cocheurs de cases », et les « contremaîtres ». Les premiers seraient ceux pour qui la fonction a pour seule finalité la mise en valeur de leurs managers. Les deuxièmes seraient là pour résoudre des problèmes de gestion qui auraient pu être évités, tandis que les « sbires » ont un travail à dimension offensive, agressive, uniquement au profit de leur direction.</p>
<p>Les deux dernières catégories sont celles des emplois qui tentent de convaincre l’organisation qu’un problème est en cours de traitement alors que celle-ci n’a aucune intention de le résoudre, ou encore les petits chefs, qui ont sous leur surveillance panoptique des individus qui semblent pourtant avancer sans eux.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/358820/original/file-20200918-18-ri2g0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/358820/original/file-20200918-18-ri2g0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=915&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/358820/original/file-20200918-18-ri2g0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=915&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/358820/original/file-20200918-18-ri2g0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=915&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/358820/original/file-20200918-18-ri2g0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1149&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/358820/original/file-20200918-18-ri2g0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1149&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/358820/original/file-20200918-18-ri2g0h.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1149&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Bullshit Jobs : A Theory.</span>
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<p>Les travaux de Graeber montrent aussi que, en cohérence avec cette perception négative de leur propre contribution, les travailleurs – employés, cadres intermédiaires mais aussi cadres supérieurs – occupant ces « emplois à la con », présenteraient souvent un état de santé mentale dégradé.</p>
<p>Il évoque ainsi des « dégâts moraux et spirituels profonds » comme le stress, la souffrance au travail, la dépression, l’anxiété… Ces emplois entraînent également des maladies de type psychosomatique, et notamment des taux d’infections plus élevés que la moyenne, et ont des conséquences délétères beaucoup plus étendues, notamment sur la vie privée des travailleurs. Le coût pour la collectivité en termes de santé publique est donc non négligeable et à prendre en compte.</p>
<h2>Remettre le sens au cœur des dispositifs</h2>
<p>Son analyse se concentre sur un choix moral et politique. L’auteur voit dans ces « bullshit jobs » la volonté du capitalisme d’« occuper » la population. « Nous sommes devenus une civilisation fondée sur le travail, mais pas le travail “productif” : le travail comme fin et sens en soi », écrit-il – sans préciser le fait que cette vue fut paradoxalement celle aussi de Karl Marx.</p>
<p>Ainsi, selon l’approche capitaliste que souhaite pointer du doigt Graeber, une population heureuse et jouissant de temps libre apparaît comme un danger pour la sauvegarde du système économique existant, alors que la croissance des emplois inutiles aux tâches débilitantes favorise le maintien en place de celui-ci.</p>
<p>Pour l’anthropologue, seule la mise en place d’un <a href="https://theconversation.com/le-revenu-universel-comme-remede-a-la-crise-democratique-73168">revenu universel</a> permettrait, d’une part, de sortir de la vision du travail comme simple marchandise, de l’autre, de permettre aux travailleurs d’être réellement « utiles à quelque chose ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/359065/original/file-20200921-16-133kont.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/359065/original/file-20200921-16-133kont.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/359065/original/file-20200921-16-133kont.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/359065/original/file-20200921-16-133kont.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/359065/original/file-20200921-16-133kont.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/359065/original/file-20200921-16-133kont.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/359065/original/file-20200921-16-133kont.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">David Graeber en conférence à Amsterdam aux Pays-bas, en 2015.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:David_Graeber_speaks_at_Maagdenhuis_Amsterdam,_2015-03-07_(16742157865).jpg">Guido van Nispen/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Au-delà de la question du travail, l’œuvre de David Graeber fait donc écho à de nombreux défis contemporains qui interrogent notamment ce que serait un management durable, utile, bienveillant et soutenable. Sa contribution au décryptage des pratiques organisationnelles apparaît donc d’autant plus essentielle que nos sociétés, à notre sens, n’ont jamais été aussi managériales qu’elles ne le sont aujourd’hui.</p>
<p>Penser l’activité « de travail » (ou de « travailler ») comme un vecteur de satisfaction, de fierté, en faire un ouvrage plus qu’un labeur, penser l’engagement des collaborateurs : l’héritage intellectuel que nous laisse David Graeber invite les décideurs et les managers à remettre au cœur de la réflexion la question du contenu du travail et du sens qui lui est donné. Réflexion point aisée, tant la double question <a href="https://www.revuegestion.ca/comment-justifiez-vous-votre-existence">« À quoi votre travail sert-il au juste ? Et à qui ? »</a> entraîne des réponses embarrassées !</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/jobs-a-la-con-lennui-le-sens-et-la-grandiloquence-58382">« Jobs à la con » : l’ennui, le sens et la grandiloquence</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>À la lecture de Graeber, plusieurs niveaux de management sont en effet implicitement conviés à une régénération. Ainsi, par la désacralisation des emplois de cadre, les directions générales sont questionnées sur leur propension à surdoter le management intermédiaire au détriment des salariés opérationnels.</p>
<p>De plus, par la mise au jour « d’emplois (ou à tout le moins de tâches) à la con », une perspective importante est ainsi ouverte. Elle renvoie à la transformation numérique et industrielle, non pas au service de la suppression d’emplois, mais au service de missions nouvelles – loin de <a href="https://www.youtube.com/watch?v=y-G7461XhMs">« remplir des formulaires »</a> – à valeur ajoutée plus largement humaine.</p>
<p>Ce contexte incite à penser de plus en plus la santé des entreprises par le travail et son contenu. C’est ce qui permettra de dégager plus clairement la raison d’être d’un collectif qui serait réuni autour d’un « pourquoi » plutôt que d’un « comment ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146446/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marc Bidan est membre de la section "sciences de gestion et management" du conseil national des universités</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Anne-Laure Boncori, Hugo Gaillard et Tarik Chakor ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur poste universitaire.</span></em></p>Les travaux du théoricien des « emplois à la con », décédé début septembre à l’âge de 59 ans, auront contribué à repenser le rapport au travail et son utilité.Tarik Chakor, Maître de conférences en sciences de gestion, Aix-Marseille Université (AMU)Anne-Laure Boncori, Professeur Associé, enseignant-chercheur en management et stratégie, INSEEC Grande ÉcoleHugo Gaillard, Docteur en Sciences de Gestion et enseignant en GRH, Le Mans UniversitéMarc Bidan, Professeur des Universités - Management des systèmes d’information - Polytech Nantes, Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1418562020-07-16T17:24:13Z2020-07-16T17:24:13ZDe la pandémie à un autre monde ?<p>« Jour d’après », « Monde d’après », « Penser demain » : la plupart des médias, y compris celui-ci, ont exprimé les idées de lecteurs, intellectuels et citoyens qui, en temps de confinement, ont témoigné leur envie de rompre avec certains modèles économiques et sociaux. Cette tendance rejoint ici les nombreux mouvements sociaux qui interpellent régulièrement les acteurs dominants. Contrairement à celles et ceux qui, comme Margaret Thatcher, imposent l’idée qu’« il n’y a pas d’alternative », ils affirment qu’« un autre monde est possible », pour reprendre le slogan du Forum social mondial.</p>
<p>Ils introduisent des débats dans un ordre « qui va de soi », contribuant par là à renforcer la capacité d’une société à se transformer.</p>
<p>Ce rôle des mouvements sociaux est plus important encore en temps de crise. Les crises brisent les routines et le « business as usual ». Elles sont l’occasion de réflexions individuelles et collectives sur nos valeurs et nos objectifs. La pandémie a bouleversé les dogmes économiques qui ont régi le monde pendant des décennies. Forcés de mettre en œuvre des mesures exceptionnelles, les gouvernements font du « retour à la normale » l’objectif d’une <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/12/adresse-aux-francais">« unité nationale »</a> qui rassemble les hommes politiques, les entreprises, les travailleurs et l’ensemble de la population dans une lutte commune contre le Covid-19.</p>
<p>Pour leur part, les militants insistent sur le fait que ce qui est présenté comme « normal » fait partie du problème, que ce n’est pas la seule sortie de la crise possible. Pour l’écrivaine et militante indienne Arundhati Roy, « Rien ne pourrait être pire qu’un retour à la normale ».</p>
<p>The movie tag contains https://www.yesmagazine.org/video/coronavirus-pandemic-arundhati-roy/, which is an unsupported URL, in the src attribute. Please try again with youtube or vimeo.</p>
<h2>Interpréter la crise</h2>
<p>Les citoyens descendus dans les rues au cours de la dernière décennie rejoignant des <a href="https://journals.openedition.org/socio/393">mouvements</a> comme Occupy ou Nuit debout, réclament des gouvernements plus compétents et moins corrompus, moins de pouvoir aux élites, plus de démocratie, de justice sociale et de dignité. Des revendications plus pertinentes encore au cœur de cette crise.</p>
<p>Pour nombre d’intellectuels engagés et d’économistes hétérodoxes, comme Thomas Piketty ou <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/linvite-des-matins/dominique-meda-il-faut-profiter-de-ce-moment-reflexion-pour-organiser-une-rupture-avec-lavant-covid">Dominique Méda</a>, la pandémie a montré les limites d’un système économique qui produit un tel niveau d’inégalités. Les syndicats du secteur comme les associations pointent les dommages causés par les politiques d’austérité dans le secteur de la santé et du soin aux personnes âgées.</p>
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<figcaption><span class="caption">La sociologue Dominique Méda chez France Culture en 2018 pour débattre de la remise en question de la croissance comme modèle.</span></figcaption>
</figure>
<p>Après des années d’austérité dans les services publics, les États semblent dépenser sans compter pour pallier les effets de la pandémie et limiter la crise économique et sociale. Plusieurs gouvernements plaident pour une relocalisation de la production des « biens essentiels ».</p>
<p>Les champions des coupes budgétaires dans les hôpitaux publics participent désormais aux applaudissements quotidiens pour soutenir les infirmières et les médecins. Angela Merkel, Emmanuel Macron et Boris Johnson ont tous déclaré qu’ils considéraient l’État-providence et les hôpitaux publics comme des éléments essentiels de l’identité nationale de leur pays.</p>
<p>Début mars, les personnels des hôpitaux français peinaient toujours à faire entendre leurs revendications sociales, ayant même entrepris l’une des plus <a href="https://www.sciencesetavenir.fr/politique/greves-illimitees-et-demissions-massives-l-appel-a-l-aide-de-l-hopital_140490">longues grèves du secteur</a>.</p>
<p>Deux semaines plus tard, au cœur de la crise sanitaire de Covid-19, Emanuel Macron les considérait comme des héros.</p>
<p>L’État a augmenté le budget des hôpitaux pendant la crise et le président a juré qu’il y aurait des <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/120420/retraites-hopital-la-troublante-conversion-d-emmanuel-macron">changements majeurs</a> dans les politiques publiques, que <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2020/03/16/adresse-aux-francais-covid19">« le jour d’après, ce ne sera pas un retour au jour d’avant »</a>.</p>
<p>Jusque-là fervent défenseur du libre-échange, le président français parle désormais de « souveraineté économique », accorde des prêts massifs aux « entreprises nationales ».</p>
<p>La pandémie est parvenue à de réaliser ce que les grèves et les mobilisations entre novembre 2019 et mars 2020 n’a pas obtenu : suspendre la réforme des retraites.</p>
<h2>Une impression de déjà vu : la crise financière mondiale</h2>
<p>Ce changement de position et de discours résonne avec les déclarations d’un autre président français lors de la crise financière mondiale.</p>
<p>Le 23 octobre 2008, Nicolas Sarkozy <a href="https://www.elysee.fr/nicolas-sarkozy/2008/10/23/declaration-de-m-nicolas-sarkozy-president-de-la-republique-sur-les-mesures-de-soutien-a-leconomie-face-a-la-crise-economique-internationale-a-argonay-haute-savoie-le-23-octobre-2008">déclarait</a> que « l’idéologie de la dictature des marchés et de l’impuissance publique est morte avec la crise financière ».</p>
<p>Les altermondialistes ne le disaient pas mieux. Lors du Forum social européen 2008, ils ont célébré le fait que « la crise [financière] nous a donné raison. Maintenant, les gouvernements devront prendre en compte nos propositions et mettre fin aux politiques néolibérales ».</p>
<p>Or, dans les années qui ont suivi la crise financière, le récit dominant a fait peser le poids de la crise économique sur les États-providence européens plutôt que sur la finance, ouvrant la voie à des politiques d’austérité qui ont aggravé la crise sociale et les inégalités, et contribué aux succès de la droite populiste et xénophobe.</p>
<p>Trois leçons peuvent être tirées de l’expérience de la crise financière mondiale en ce qui concerne le changement social.</p>
<h2>Le changement dépend des acteurs sociaux</h2>
<p>La première est que, quelle que soit son ampleur, ce n’est pas la crise elle-même qui engendre un changement politique et social déterminé. Le changement dépend de la capacité des acteurs sociaux à mettre en évidence les problèmes générés par la situation historique, à lui donner un sens et à promouvoir des visions politiques et une rationalité économique alternatives.</p>
<p>Les acteurs sociaux jouent un rôle important dans la sensibilisation du public, la formulation de propositions alternatives et la mise en œuvre d’alternatives concrètes. Il n’y a aujourd’hui pas une manière prédéterminée de sortir de la pandémie de la Covid-19. Les répercussions de la crise sur la société, l’économie et la politique dépendront de ce qu’en feront les acteurs sociaux, politiques et économiques.</p>
<h2>Les bons arguments et les faits ne suffisent pas</h2>
<p>La leçon est que les bons arguments et les faits ne suffisent pas pour façonner une nouvelle rationalité économique et les politiques du monde qui sortiront de la crise. Bien avant Thomas Piketty, le <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1987_num_28_4_2454">sociologue des sciences Raymond Boudon</a> a montré que la « vérité » des théories économiques tient plus à leur capacité à forger un consensus provisoire qu’à leur validité scientifique intrinsèque, toujours très discutable.</p>
<p>Ainsi, la pandémie de coronavirus et les crises qui en découlent sont à la fois une série de faits que nul ne peut nier et une réalité sociale qui est réinterprétée de manière très différente par les acteurs sociaux.</p>
<p>Chaque courant l’englobe dans un récit plus large, dans une interprétation de la crise qui renforce ses convictions antérieures et sa vision du monde.</p>
<p>La foi de Habermas dans un <a href="https://www.scienceshumaines.com/theorie-de-l-agir-communicationnel_fr_13095.html">espace public délibératif</a> et une démocratie argumentative s’estompe dans le monde des réseaux sociaux, des espaces publics fragmentés, des fake news et des dirigeants populistes. Les faits et les sciences ne sont plus des références partagées, mais sujettes à réinterprétation par les idéologies et les dirigeants populistes qui se méfient de la science.</p>
<h2>Une bataille sur le sens de la crise</h2>
<p>En conséquence, et c’est la troisième leçon, la bataille sur le sens de la crise est cruciale. Les acteurs qui contribueront à façonner le récit dominant sur cette crise auront un grand impact sur le monde après la pandémie.</p>
<p>C’est sur la base de ce récit que seront promues de nouvelles politiques en matière de santé publique, mais aussi en matière économique, sociale et démocratique. Comme l’a dit le chercheur militant latino-américain Arturo Escobar :</p>
<blockquote>
<p>« Il est crucial à ce stade que les mouvements aient des récits sur d’autres modes de vie et que ces récits soient prêts. »</p>
</blockquote>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/pOFQlsesLf8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Arturo Escobar, 2020.</span></figcaption>
</figure>
<p>Chaque secteur des mouvements populaires ou progressistes propose une perspective qui insère la pandémie dans un récit autour de ses thématiques et revendications.</p>
<p>Certains montrent l’expérience de la pandémie du point de vue des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/05/17/coronavirus-une-surmortalite-tres-elevee-en-seine-saint-denis_6039910_3224.html">inégalités urbaines</a>, d’autres développent une perspective intersectionnelle, en insistant sur le poids des tâches supportées par les femmes, et en particulier les <a href="http://www.theguardian.com/commentisfree/2020/may/07/coronavirus-black-brown-people-britain-ethnic-minorities">femmes de couleur</a>, que ce soit dans les familles, dans les supermarchés ou les hôpitaux publics.</p>
<h2>Une mise en perspective</h2>
<p>Les intellectuels progressistes lient la pandémie aux ravages du <a href="http://www.slate.fr/story/189141/coronavirus-epidemie-economie-fin-capitalisme">capitalisme</a> (« Le capitalisme est le vrai virus » est devenu un slogan sur les réseaux sociaux) et à la crise écologique.</p>
<p>Les mouvements populaires latino-américains interprètent la crise dans le métarécit qui s’est construit dans la convergence des mouvements indigènes, féministes, écologiques et de justice sociale au cours de la <a href="https://globaltapestryofalternatives.org/_media/publications:es:pluriverso_un_diccionario_del_postdesarrollo.pdf">dernière décennie</a>.</p>
<p>Comme l’explique la <a href="https://www.clacso.org/conversatorio-virtual-coronavirus-y-disputas-por-lo-publico-y-lo-comun-en-america-latina/">sociologue costaricaine Montserat Sagot</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La crise révèle les profondes crises sociales, politiques et écologiques auxquelles nous sommes confrontés. Derrière la crise sanitaire, il y a une crise de civilisation. »</p>
</blockquote>
<p>Les mouvements populaires et les activistes vont-ils réussir aujourd’hui là où ils ont échoué il y a 10 ans, à la suite de la crise financière ?</p>
<p>La manière dont l’humanité sortira de la pandémie du coronavirus dépendra de la science et de la recherche pour trouver un vaccin. Elle sera également le résultat d’une lutte sur les significations sociales, politiques et géopolitiques de la pandémie et sur les visions du monde qui en découlent. Il n’y a pas de voie simple pour passer de la pandémie à un monde meilleur, plus écologique et moins inégal.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/141856/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Geoffrey Pleyers ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les mouvements populaires et les activistes vont-ils réussir aujourd’hui là où ils ont échoué il y a 10 ans, à la suite de la crise financière ?Geoffrey Pleyers, Sociologue, Chercheur FNRS à l'Université de Louvain (Belgique) et au Collège d’études mondiales, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1098262019-01-20T19:47:53Z2019-01-20T19:47:53ZLa France s’américanise-t-elle dans ses modes de désobéissance civile ?<p>Chaque pays produit un répertoire protestataire qui lui est propre et qui est légitimé par son histoire. La société civile et les instances de contrôle développent un modus vivendi qui détermine les moyens de protestation acceptables ou tolérables, et les formes d’expression qui les feront vivre ou réprimer. Aux États-Unis, la pétition, la marche et l’émeute sont les modes tolérés ; en France, les cahiers de doléances, la manifestation et la grève jouent ce rôle, traditionnellement.</p>
<p>Il fallait s’y attendre : avec la mondialisation et la numérisation transfrontière, les modes de désobéissance civile aussi subissent une forme d’américanisation, <em>designée</em> par les médias sociaux (tous d’inspiration et d’implantation américaine). En France, le pays libéral qui a le plus longtemps résisté au déclin du mouvement ouvrier, avec des syndicats résilients, l’émergence d’un répertoire protestataire hybride annonce de grands changements post-industriels de la militance, augmentée par le numérique.</p>
<p>Sont à prendre en compte alors les acteurs (les gilets jaunes, les CRS…), leurs cibles (les ministères, les préfectures, les voitures…), les échelles de gouvernance (les mairies, les territoires péri-urbains…), les stratégies (« Actes », blocages de ronds-points, manifestations éclatées dans et hors Paris…) et les justifications (injustice sociale, ras-le-bol fiscal, écologie, guerre des prix et non des salaires…).</p>
<h2>Contre les pressions privatisantes, l’échelle des territoires</h2>
<p>Aux États-Unis, la société civile peut s’impliquer dans des formes de participation contestataires, progressistes ou conservatrices. Elle se réclame alors de la « désobéissance civile », une idée proposée par Henry David Thoreau dans son essai du même nom (1849).</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/254578/original/file-20190119-100292-1cflope.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/254578/original/file-20190119-100292-1cflope.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/254578/original/file-20190119-100292-1cflope.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/254578/original/file-20190119-100292-1cflope.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=803&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/254578/original/file-20190119-100292-1cflope.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/254578/original/file-20190119-100292-1cflope.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/254578/original/file-20190119-100292-1cflope.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1009&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Portrait d’Henry David Thoreau.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Henry_David_Thoreau#/media/File:Benjamin_D._Maxham_-_Henry_David_Thoreau_-_Restored.jpg">Benjamin D. Maxham/Wikimedia</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Elle relève d’un refus public de se soumettre à une loi jugée inique. Ce refus se manifeste en « actes » à teneur pacifique pour refuser toute coopération, même violente, avec un pouvoir contesté. Elle tend à questionner ouvertement les pressions privatisantes du système politique néo-libéral, visant à faire porter aux individus la responsabilité de services d’intérêt public et à réduire toute solidarité entre acteurs de plus en plus vulnérables.</p>
<p>En France, la mise sous pression de la société civile pour payer la taxe sur les carburants et contribuer ainsi à la transition climatique a été vécue comme une pression privatisante inacceptable et a mis le pays en état de désobéissance civile : il ne s’agit pas de renverser l’État mais de demander aux élus de résoudre les problèmes publics des acteurs devenus invisibles et inaudibles. D’où l’usage symbolique des gilets de haute visibilité imposés par la sécurité routière.</p>
<p>Aux États-Unis, les mouvements sociaux se caractérisent par des interactions enchevêtrées entre les différentes échelles de territoire et de gouvernance (État fédéral, États fédérés, municipalités). En France, ce sont les maillons des territoires péri-urbains et ruraux qui se sont révélés au reste d’une France de centre-ville. Le choix de Bourges comme capitale décentrée de l’action conforte cette perspective, de même que le relais pris par les maires pour entendre les doléances, comme élus locaux plus à même d’empathie et de proximité.</p>
<p>L’enjeu est bien de rétablir de la proximité pour mobiliser. Il s’agit donc de particulariser le débat national pour l’adapter aux situations locales et faire sentir aux citoyens désenchantés qu’ils sont concernés. Singulariser l’espace local passe par les ronds-points, qui établissent une identité partagée entre différents secteurs de la population pour une meilleure mobilisation. Celle des gilets jaunes a révélé la présence et la loquacité des femmes tout comme des minorités (Bretons, Antillais…). Proximité, solidarité, réciprocité et convivialité deviennent les mots d’ordre de l’action sur le terrain et font surgir une économie relationnelle bien en prise avec le réel.</p>
<p>À l’heure d’Internet, les municipalités résistent un peu mieux que d’autres territoires aux pressions privatisantes de l’économie mondialisée. Les élus locaux sont sans doute les moins dépassés par la situation, même s’ils reçoivent leurs ordres du pouvoir central : ils peuvent choisir des priorités qui peuvent correspondre aux besoins actuels de la population (d’où la grogne à propos des réductions de vitesse à 80km/h en pleine campagne).</p>
<p>Les représentations qu’en donne la presse sont trop divorcées des pratiques sociales de terrain qui opèrent des corrections lubrifiantes face à la brutalité des injonctions contradictoires (plus d’impôts sur les carburants pour décarbonner). C’est à leur échelon que se regroupent les <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-lurgence-democratique-commence-par-le-bas-109598">espoirs de démocratie participative directe</a> et la réclamation de référendums d’initiative citoyenne.</p>
<h2>Médias de masse versus médias sociaux : une relation oppositionnelle</h2>
<p>Aux États-Unis, l’enchevêtrement des échelles se combine à celui des différents types de médias. Les médias de masse nationaux sont perçus comme inféodés aux élites, prisonniers de scripts contraignants (le <em>scoop</em>, le <em>live</em>, les duos d’experts en contradiction…) et incapables de rendre compte des réalités inédites du terrain et des personnes invisibles. Les mouvements sociaux utilisent tout un répertoire de stratégies qui oscille entre rejet des médias dominants, gestion de la représentation médiatique et production de messages militants formatés par les médias sociaux pour amplification par les médias de masse.</p>
<p>En France, les gilets jaunes ont adopté une stratégie similaire : colère sur la couverture longtemps focalisée sur les Champs Élysée, le seul rond-point non représentatif du mouvement (situé en centre-ville de la ville du centre !), méfiance à l’égard de la télévision en priorité, refus d’interviews, usage des <em>live</em> sur Facebook, en s’assurant qu’ils seront largement repris par les médias de masse.</p>
<p>Éric Drouet emploie ainsi une stratégie en ligne semblable aux cibistes de la première heure, s’appuyant sur les médias sociaux comme tiers-secteur audiovisuel et alternatif local, voire mobile (à bord de son camion !). Priscilla Ludosky passe par Facebook pour sa pétition « pour une baisse des prix du carburant à la pompe » <a href="https://www.change.org/p/pour-une-baisse-des-prix-%C3%A0-la-pompe-essence-diesel">lancée en mai 2018</a>. Maxime Nicolle gère un groupe « Fly Rider Infos blocage » pour mobiliser sur un référendum d’initiative citoyenne.</p>
<p>Les médias sociaux sont utilisés pour territorialiser le débat au niveau de la municipalité. Ce sont eux qui décrivent les incidences législatives sur le local, et dénoncent les cas scandaleux. Ils opèrent une adaptation des questions de société au micro-espace de la petite ville – ce que les médias de masse nationaux ne font plus, eux qui sortent peu des sentiers battus et se focalisent sur les quelques faits violents spectaculaires, réduisant à néant le projet de protestation pacifique de la désobéissance civile majoritaire. Par contraste, les happenings sur les médias sociaux ont interrompu le flux mass médiatique, par la suspension ou le détournement : « Actes » en série, faux rendez-vous, obligation de couverture sur des lieux stratégiques pour la cause, les ronds-points.</p>
<p>Les forces au pouvoir semblent avoir sous-estimé la <a href="https://theconversation.com/debat-peut-on-encore-gouverner-a-lheure-des-reseaux-sociaux-108442">capacité des réseaux sociaux</a> à créer un espace public dématérialisé dans lequel peuvent s’accomplir des pratiques politiques. Les médias sociaux ont un effet structurant sur l’espace et sur la contestation locale et ils montrent à quel point le pouvoir central est déconnecté de sa base. La stratégie médiatique dominante a consisté en la dénonciation d’une érosion de l’empathie, qui a mis le grand public de leur côté.</p>
<h2>Des stratégies de militance du type « do it yourself » et du « hack »</h2>
<p>Aux États-Unis, les mécanismes lubrifiants de la désobéissance civile combinent débrouillardise et entraide en petit comité, souvent basée sur une maîtrise de la technologie sous la forme du « do it yourself » (DIY). Sa version numérique a émergé à la fin des années 60 avec Stewart Brand et la publication du <em>Whole Earth Catalog</em> pour soutenir le mouvement écologique des communautés agraires (avant de devenir le <a href="https://www.well.com/.">WELL</a>, le plus ancien site Internet en existence et pionnier de la cyber contre-culture).</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/254581/original/file-20190119-100264-1lbcn93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/254581/original/file-20190119-100264-1lbcn93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/254581/original/file-20190119-100264-1lbcn93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/254581/original/file-20190119-100264-1lbcn93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=848&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/254581/original/file-20190119-100264-1lbcn93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/254581/original/file-20190119-100264-1lbcn93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/254581/original/file-20190119-100264-1lbcn93.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1066&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Portrait de Stewart Brand.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/1/1f/Stewart_Brand%2C_2013_%28cropped%29.jpg/512px-Stewart_Brand%2C_2013_%28cropped%29.jpg">Steve Jurvetson/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>C’est une expérience de l’individu dans une relation très contrôlée aux médias sociaux et aux réseaux réels, pour que le groupe puisse se mobiliser. La désobéissance civile autorise le citoyen à sortir de sa sphère privée pour interagir avec les pressions privatisantes du pouvoir, au-delà du simple système politique de la démocratie dite représentative.</p>
<p>En France, cela se traduit moins par des figures individuelles (pirates, casseurs…) que par des figures plus collectives comme l’association « gilets jaunes le mouvement ». Le mouvement ne vise pas la nomination de leaders, seulement de porte-parole. <a href="https://www.ouest-france.fr/bretagne/saint-brieuc-22000/gilets-jaunes-un-costarmoricain-designe-porte-parole-6092347">Maxime Nicolle</a>, l’un d’entre eux, insiste sur le fait qu’il n’y a « pas de chef, pas de leader ». Il ajoute :</p>
<blockquote>
<p>« Nous sommes juste des gilets jaunes, aucun d’entre nous n’a d’affiliation politique, ni d’ego surdimensionné. On fera en sorte que rien ne s’arrête, on ne lâchera rien. Tant qu’il n’y aura pas eu un référendum d’initiative populaire. »</p>
</blockquote>
<p>Aux États-Unis, les mouvements de protestation de la base (<em>grassroots</em>) tendent à se donner des projets très étroits, voire limités, pour parvenir à une certaine réussite. Cela leur permet d’apparaître comme moins dangereux car ils ne se présentent pas contre l’idéologie dominante. Ils tendent à se focaliser sur certains intérêts locaux, et s’ils créent un réseau, il tend à se manifester de manière rhizomique, c’est-à-dire réapparaissant ci et là et non en continuité sur tout le territoire national. L’efficacité de cette stratégie du rhizome s’est confirmée avec l’avènement de la Nouvelle Droite qui a porté Trump au pouvoir, mais aussi, réciproquement, avec l’avènement de toute une génération de jeunes démocrates pour s’opposer à Trump.</p>
<p>En France, le projet des gilets jaunes a été très étroit au départ (contre le prix des carburants) et non idéologique, refusant toute récupération par les partis. Il s’est construit en miroir réciproque de la stratégie d’Emmanuel Macron pour son élection. Au hack du pouvoir par Macron, qui n’est pas passé par les corps intermédiaires (partis, syndicats, associations…), répond le hack de la société civile, bien obligée de se représenter elle-même face à la faiblesse de ses représentants.</p>
<h2>Un autre cadrage</h2>
<p>De nouveaux mouvements se dessinent, dont le positionnement idéologique n’est pas toujours clair, caractérisés par un « ethos » participatif et une réelle incivilité à l’égard de la hiérarchie et du centralisme. Ils résistent aux sirènes de la liberté du marché et formulent un constat sans retour sur le corporatisme libéral, son manque d’authenticité et de solidarité malgré des dehors « cool ».</p>
<p>Ils reflètent une tendance de fond du XXI<sup>e</sup> siècle, qui ne voit plus de viabilité aux conflits gauche-droite, homme-femme mais au mouvement peuple contre étatisme de corporation, sans pour autant se réclamer du marxisme ou du lepénisme. Cela tend à créer une culture « oppositionnelle », avec des stratégies de « détournement » potentiellement très créatives pour éviter la compromission. Les stratégies peuvent relever du « en ligne » (cyberpétitions, cagnottes virtuelles) et du « hors ligne » (occupation de ronds-points, happenings). En France, ils avaient déjà été préfigurés <a href="https://theconversation.com/nuit-debout-mediascopie-dun-processus-en-cours-58368">par le mouvement Nuit debout</a> sur les places publiques.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/254582/original/file-20190119-100295-8bdbak.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/254582/original/file-20190119-100295-8bdbak.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/254582/original/file-20190119-100295-8bdbak.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/254582/original/file-20190119-100295-8bdbak.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/254582/original/file-20190119-100295-8bdbak.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/254582/original/file-20190119-100295-8bdbak.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/254582/original/file-20190119-100295-8bdbak.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Nuit debout, place de la République à Paris, en avril 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Nuit_Debout_-_Paris_-_41_mars_01.jpg">Olivier Ortelpa/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Dans tous ces cas, il s’agit de proposer un autre cadrage, littéralement de reconfigurer les figures et les clichés banalisés par les médias. Il s’agit aussi de reconvertir les <a href="https://theconversation.com/gilets-jaunes-les-maires-face-a-lemergence-du-citoyen-consumeriste-108353">consommateurs en citoyens</a>, qui demandent un certain contrôle sur leur environnement. Ces groupes se méfient de la droite mais plus encore de la gauche classique, qu’ils jugent comme faisant partie du problème pour avoir embrassé de bonnes causes (les minorités, les femmes, l’environnement…) mais les avoir trahies en cédant aux pressions privatisantes du marché.</p>
<p>Ils révèlent un certain idéalisme, se faisant en fait une très grande idée de la démarche participative, comme méthode de décélération et de simplification par rapport aux injonctions de la mondialisation. Ils tendent à une forme de participation par « initiative », par mini référendum, comme acte de résistance et de protestation entre deux zones, celle de la législation démodée des politiques publiques issues du XX<sup>e</sup> siècle et celle non-existante des politiques publiques à venir, en lien à l’écologie et la justice sociale (ne pas faire supporter la transition écologique aux plus pauvres).</p>
<h2>Engager le débat : risques de capture et d’essoufflement</h2>
<p>Le débat public qui s’annonce va tester les limites de la mobilisation et de la désobéissance civile. Une des limites internes, c’est l’auto-sélection des participants, qui souvent ne représentent qu’eux-mêmes et donc des intérêts plutôt personnels que sociaux au sens strict. Une des limites externes, c’est le recours aux maires et élus locaux pour aller au contact et faire les médiateurs entre les gilets jaunes et les représentants politiques de l’échelon national.</p>
<p>La présence physique des élus tend à augmenter la participation ; elle révèle que les individus souhaitent réellement leur parler et que, pour eux, la participation est une façon de se rapprocher de la représentation, pas une substitution de celle-ci. Mais cette interaction et cette médiation ne viennent au secours de la démocratie que si les projets mobilisent et les valeurs incitent à la citoyenneté.</p>
<p>Les expériences de ce type qui ont eu lieu aux États-Unis (et dans certains pays nordiques) pointent deux autres limites :</p>
<ul>
<li><p>L’intérêt de la population dans la prise de décision politique ne se produit pas dans l’intégralité : ce sont les initiateurs des projets qui s’investissent le plus et le plus longtemps ;</p></li>
<li><p>Ce type d’action ne permet pas à la masse de contrôler ses élites trop longtemps : déjà Emmanuel Macron pose un programme de consultation bouclé d’avance qui cadre très étroitement l’interaction avec la base et les suites à donner. L’idée de co-régulation ne cesse de buter contre la souveraineté étatique, et les décideurs ont du mal à imaginer une logique de décision décentralisée, participative, émanant de la base. Leur tendance consiste donc à définir étroitement les rôles des différentes parties prenantes, sur des tâches spécifiques listées comme lignes d’action prioritaire (les <a href="https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/01/13/lettre-aux-francais">5 thèmes évoqués par Emmanuel Macron dans sa lettre aux Français du 14 janvier</a>).</p></li>
</ul>
<p>Pour les gilets jaunes, il va s’agir de ne pas être acculés au seul rôle de lanceurs d’alerte mais de gérer leurs apports dans le débat contradictoire et dans le suivi et la reddition des comptes. Le risque d’être embarqués dans un processus qui les dépasse est réel, et pourrait ne pas répondre aux attentes de leur base. Il faut suivre de près leurs tentatives de pérennisation.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/3NvMBOM_RZs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ainsi Hayk Shahinyan, un des fondateurs du mouvement, veut présenter une liste aux municipales et participer aux élections européennes. La pérennisation peut répondre aux attentes d’un équilibre multipartite et d’une fluidification de la prise de décision dans les échelles de territoires (du local au fédéral européen). Elle tend à pointer l’avenir de la militance augmentée par le numérique, tantôt en adhésion, tantôt en opposition et tantôt en négociation avec le pouvoir étatique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109826/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Divina Frau-Meigs est responsable de la chaire UNESCO «Savoir Devenir à l'ère du développement numérique durable: maîtriser les cultures de l'information» à l'Université Sorbonne Nouvelle. Elle est sociologue des médias, avec une spécialité portant sur les pays anglophones et les usages sociaux du numérique. </span></em></p>Pour les gilets jaunes, il va s’agir de ne pas être acculés au seul rôle de lanceurs d’alerte mais de gérer leur rôle dans le débat contradictoire et dans le suivi et la reddition des comptes.Divina Frau-Meigs, Professeur des sciences de l'information et de la communication, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1097332019-01-13T20:19:27Z2019-01-13T20:19:27ZGrand débat : et si on commençait par des assemblées citoyennes ?<p>Le grand débat national : cette initiative inédite en France prendra forme officiellement demain. En réaction aux demandes émanant du mouvement « gilets jaunes », le premier ministre Édouard Philippe <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/21/gilets-jaunes-des-citoyens-tires-au-sort-pour-contribuer-au-grand-debat_5401128_3224.html?xtmc=tires_au_sort&xtcr=4">avait annoncé fin décembre</a> que des conférences de citoyens tirés au sort devraient être organisées prochainement afin de dessiner les contours de ce grand débat.</p>
<p>À côté du <a href="https://theconversation.com/debat-le-referendum-dinitiative-populaire-la-solution-108355">référendum d’initiative populaire</a>, revendiqué par de nombreux membres du mouvement, l’idée d’assemblées citoyennes tirées au sort <a href="https://theconversation.com/referendums-assemblees-citoyennes-des-propositions-a-ne-pas-sous-estimer-108927">séduit de plus en plus</a> d’acteurs politiques.</p>
<p>Cela n’avait peut-être pas frappé les esprits pendant la dernière campagne présidentielle française, mais le recours à des jurys, collèges ou assemblées citoyen(ne)s faisait partie des promesses de campagne tant d’<a href="https://en-marche.fr/emmanuel-macron/le-programme/vie-politique-et-vie-publique">Emmanuel Macron</a> que de <a href="https://www.lemonde.fr/personnalite/benoit-hamon/programme/#institutions-1">Benoît Hamon</a> et de <a href="https://www.lemonde.fr/personnalite/jean-luc-melenchon/programme/#institutions-1">Jean‑Luc Mélenchon</a>.</p>
<p>Sans doute n’avaient-ils pas tous à l’esprit le <a href="https://www.politico.eu/article/macron-populism-sham-democracy-plans-to-revamp-decision-making-disappointing/">même genre d’assemblée</a>, mais cela témoigne en tout cas du fait que l’idée, <a href="https://theconversation.com/nous-ne-sommes-pas-en-democratie-ou-le-tirage-au-sort-comme-alternative-108962">remise à l’agenda par les « gilets jaunes »</a>, est dans l’air du temps et s’impose de plus en plus franchement dans le débat politique, en France comme ailleurs.</p>
<p>Ainsi, de nombreuses assemblées citoyennes utilisant le tirage au sort ont été organisées <a href="http://press.ecpr.eu/book_details.asp?bookTitleID=395">à travers l’Europe</a> et le monde, suggérant une nouvelle manière de construire des décisions politiques et remettant en question le monopole des élus. Une grande diversité de modèles existe cependant, conférant un pouvoir très varié aux citoyens, de la simple recommandation de politiques publiques à des propositions de révision constitutionnelle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/253532/original/file-20190113-43517-pkpwj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/253532/original/file-20190113-43517-pkpwj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/253532/original/file-20190113-43517-pkpwj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/253532/original/file-20190113-43517-pkpwj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/253532/original/file-20190113-43517-pkpwj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/253532/original/file-20190113-43517-pkpwj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/253532/original/file-20190113-43517-pkpwj2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Paris : Nuit debout, place de la République, des idées de concertations citoyennes émergentes (27 avril 2016).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/3/34/2016-04-27_17-11-42_nuit-debout.jpg/1024px-2016-04-27_17-11-42_nuit-debout.jpg">Thomas Bresson/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
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<h2>Les citoyens sont capables d’appréhender des sujets complexes</h2>
<p>Depuis la fin des années quatre-vingt, le tirage au sort a été utilisé dans le cadre de conférences de citoyens. Ces expériences rassemblent douze à quelques centaines de citoyens dans des assemblées <em>ad hoc</em> et limitées dans le temps. Après avoir rencontré des experts et écouté le point de vue des différentes parties prenantes, les participants sont invités à échanger sur une problématique publique.</p>
<p>À la fin du processus de délibération, ils remettent un rapport composé d’une série de recommandations transmises aux autorités publiques.</p>
<p>En France, par exemple, en 1998 déjà, une <a href="https://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_2000_num_50_4_395508">conférence de citoyens sur les OGM</a> à l’Assemblée nationale avait débouché sur une série de recommandations comme l’amélioration des procédures d’évaluation des risques ou la création de filières séparées.</p>
<p>Les pouvoirs publics ont mobilisé de telles conférences dans un grand nombre de démocraties, sur un grand nombre de sujets, organisant des échanges du niveau du quartier jusqu’à des assemblées paneuropéennes. Les résultats varient grandement d’un cas à l’autre, mais il est possible de dresser le double constat suivant.</p>
<p>D’une part, ces expériences montrent que les citoyens sont capables d’appréhender des sujets réputés complexes et de fournir des recommandations argumentées aux décideurs publics. Le tirage au sort peut également partiellement tenir ses promesses d’inclusion, en intégrant des publics qui s’expriment peu ou déclarent ne jamais s’investir en politique.</p>
<p>Mais d’autre part, le véritable apport de ces conférences à la dynamique démocratique globale est incertain. Ces expériences restent la plupart du temps extrêmement isolées des processus décisionnels, produisant peu d’effets sur la conduite de l’action publique. Le caractère événementiel et médiatique peut même produire de la frustration chez les citoyens qui ont accepté d’y prendre part et ont l’impression de s’être fait manipuler, pour rien. C’est un risque auquel s’expose le projet du gouvernement français.</p>
<h2>L’expérience irlandaise</h2>
<p>Un modèle plus ambitieux a été offert par la République d’Irlande, qui s’est placée à la pointe de l’innovation démocratique en organisant entre 2012 et 2014 une <a href="https://www.citizensassembly.ie/en/Resource-Area/Convention-on-the-Constitution/">Convention constitutionnelle</a> impliquant des citoyens tirés au sort. L’objectif consistait à faire émerger des recommandations de réformes de la Constitution.</p>
<p>Concrètement, la convention était composée d’un président, de 33 élus (29 membres du Parlement et 4 représentants de partis nord-irlandais) et 66 citoyens sélectionnés par un institut de sondage avec pour objectif de refléter l’équilibre de genre, d’âge et de régions de l’électorat. Suivant le même type d’organisation que les conférences de citoyen, cette assemblée mixte s’est déroulée sur 10 week-ends, subdivisés en trois moments : présentations par des experts, débat entre groupes opposés sur le sujet en question et discussions en petits groupes avec des facilitateurs.</p>
<p>Les recommandations furent soumises au gouvernement, ce dernier choisissant de les accepter, de les rejeter ou de les soumettre à référendum. Le résultat le plus spectaculaire de cette convention, à ce jour, fut la <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2015/05/23/mariage-homosexuel-en-irlande-les-partisans-du-oui-confiants_4639307_3214.html">légalisation du mariage homosexuel</a> (62 % de voix favorables), recommandée par la Convention, après un référendum national en 2015.</p>
<p>L’expérience fut reconduite en 2016 avec la mise en place de l’<a href="http://www.citizensinformation.ie/en/government_in_ireland/irish_constitution_1/citizens_assembly.html">Irish Citizen Assembly</a>, mais composée cette fois-ci des seuls citoyens tirés au sort, abandonnant de la sorte le modèle d’une composition mixte.</p>
<p>Parmi les sujets discutés par cette nouvelle assemblée, les tirés au sort étaient invités à faire des propositions sur l’enjeu particulièrement clivant de l’avortement. Suite aux cinq week-ends de délibérations, c’est l’option de l’abrogation de la disposition constitutionnelle interdisant le recours à l’interruption volontaire de grossesse qui fut plébiscitée par la majorité des participants. Le 25 mai 2018, la question a fait l’objet d’un <a href="https://www.liberation.fr/planete/2018/05/27/referendum-l-irlande-fait-corps-pour-l-avortement_1654587">référendum</a> entraînant la validation de cette mesure d’abrogation.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mL5siWzKDOM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Emission sur Europe 1 consacrée à l’Islande et la démocratie directe.</span></figcaption>
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<p>L’Islande elle aussi a eu recours à ce format pour son <a href="https://thecenterfordemocracy-dot-yamm-track.appspot.com/Redirect?ukey=19-9LI-8PielI7XlEPuW0aj9hCk-wYlYv_3z-O82PE14-0&key=YAMMID-39445397&link=https%3A%2F%2Fgrapevine.is%2Fmag%2Farticles%2F2015%2F07%2F23%2Fa-quiet-riot-filming-icelands-constitutional-reform%2F">processus de révision de la Constitution</a> (2010-2012) mêlant assemblée tirée au sort et élection de citoyens indépendants des partis. Des interactions délibératives via les réseaux sociaux furent même organisées pour <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/jopp.12032">inclure un maximum de citoyens</a>. Le résultat, proposant d’amender divers articles de la Constitution (par exemple la reconnaissance des ressources naturelles du pays comme propriété publique) fut approuvé par référendum, mais finalement ignoré par le Parlement après un changement de majorité en 2013. À l’heure actuelle, malgré les pressions émanant de la société civile, le projet de réforme est toujours gelé.</p>
<p>En 2017, la méthode a également séduit la <a href="http://constitutionnet.org/news/deliberative-polling-constitutional-change-mongolia-unprecedented-experiment">Mongolie</a>. Une nouvelle loi y rend obligatoire l’organisation de <a href="https://www.liberation.fr/debats/2017/02/22/james-fishkin-architecte-de-la-democratie-pure_1550301">sondages délibératifs</a>, à savoir la consultation, après délibération, de <a href="http://cdd.stanford.edu/2017/main-findings-of-the-first-nationwide-deliberative-polling-on-constitutional-amendment-of-mongolia/">citoyens tirés au sort</a>, avant que le Parlement puisse considérer d’amender certains articles de la Constitution. Ainsi, l’idée de créer une seconde chambre législative (élue) a été rejetée par les participants, craignant qu’elle ne soit que le reflet de la première chambre, et a donc été laissée de côté par le Parlement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Université de Standford, sur l’assemblée citoyenne en Mongolie.</span></figcaption>
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<h2>Quelques expériences françaises</h2>
<p>Si la France semble encore loin de la mise en place de dispositifs d’une telle ampleur, des conférences de citoyens ont déjà été organisées par le passé, et certaines municipalités expérimentent de nouvelles formes démocratiques. La <a href="http://www.grenoble.fr/92-citoyennete.htm">ville de Grenoble</a>, par exemple, s’illustre depuis plusieurs années par une diversité de canaux de participation, allant des conseils citoyens aux budgets participatifs en passant par le <a href="https://www.liberation.fr/debats/2018/06/01/donnons-aux-citoyens-le-droit-d-interpellation_1655882">droit d’interpellation</a> (possibilité pour les citoyens de demander des justifications à leurs représentants dans le cadre d’un conseil municipal).</p>
<p>À <a href="https://www.rue89strasbourg.com/critique-livre-jo-spiegel-democratie-locale-115309">Kingersheim</a>, près de Mulhouse, des assemblées mixtes rassemblent régulièrement des citoyens tirés au sort, des élus et des représentants d’associations pour élaborer collectivement des projets après avoir été formés sur des thèmes spécifiques, puis après délibérations. Ceux qui participent sont ensuite tenus de partager les fruits de leurs délibérations <a href="https://www.allary-editions.fr/publication/les-enfants-du-vide/">avec ceux qui n’ont pas participé</a>, afin de ne pas se couper du reste de la population.</p>
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<figcaption><span class="caption">Jo Spiegel, édile de Kingersheim, s’exprime sur la démocratie directe dans sa commune.</span></figcaption>
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<h2>Et si on tirait le Sénat au sort ?</h2>
<p>Une autre façon de mobiliser le hasard, encore non-expérimentée, mais dont on parle de plus en plus dans différents pays comme la <a href="https://ledrenche.fr/2017/06/supprimer-senat-et-remplacer-par-citoyens-tires-au-sort-1136/">France</a>, la <a href="http://www.revuepolitique.be/un-senat-tire-au-sort-2/">Belgique</a> ou le <a href="https://montrealgazette.com/opinion/columnists/opinion-lets-replace-canadas-senate-with-a-randomly-selected-citizen-assembly">Canada</a>, consisterait à tirer au sort une partie des membres d’une assemblée législative.</p>
<p>Selon les partisans de <a href="http://www.revuepolitique.be/un-senat-tire-au-sort-2">cette méthode</a>, le profil diversifié des parlementaires tirés au sort ainsi que l’absence de discipline de parti poseraient les bases d’un débat démocratique plus ouvert et prenant mieux en compte les aspirations des différents groupes de citoyens. Souvent proposé en complément d’une chambre élue, ce modèle consiste donc à pluraliser les sources de légitimité démocratique et à tirer parti des <a href="https://www.academia.edu/37703755/Le_tirage_au_sort_est-il_compatible_avec_l%C3%A9lection_RFSP_2018_">vertus respectives du tirage au sort et de l’élection</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">En France en 2017 le collectif #MaVoix proposait notamment de faire élire des députés tirés au sort.</span></figcaption>
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<p>Ce point de vue reste cependant minoritaire et le soutien à une telle innovation reste encore limité. Une <a href="https://www.academia.edu/38071053/Intercameral_Relations_in_a_Bicameral_Elected_and_Sortition_Legislature">enquête récente</a> que nous avons réalisée avec des collègues dans le contexte belge auprès de 966 citoyens et 124 élus montre que les élus des différents parlements (écologistes exceptés) sont aujourd’hui très largement opposés à l’usage du sort pour constituer des institutions politiques. Sans doute y voient-ils une menace pour leur monopole sur la représentation légitime.</p>
<p>Du côté des citoyens, les positions sont plus partagées, beaucoup n’ayant pas encore d’avis. Ce sont les catégories sociales les moins favorisées, en termes de niveau d’éducation et de revenu, qui se montrent les plus favorables à l’idée d’une seconde chambre tirée au sort – signe peut-être du décalage sociologique entre les élus et ces catégories de la population. Par ailleurs, l’idée d’une chambre mixte, composée à la fois d’élus et de citoyens tirés au sort, reçoit davantage de soutien (de la part des élus et des citoyens) qu’une composition purement aléatoire.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/253491/original/file-20190112-43544-1osy47h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/253491/original/file-20190112-43544-1osy47h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=887&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/253491/original/file-20190112-43544-1osy47h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=887&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/253491/original/file-20190112-43544-1osy47h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=887&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/253491/original/file-20190112-43544-1osy47h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1114&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/253491/original/file-20190112-43544-1osy47h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1114&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/253491/original/file-20190112-43544-1osy47h.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1114&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Résultats enquête tirage au sort Belgique (Vincent Jacquet, Christoph Niessen, Min Reuchamps, John Pitseys et Pierre-Étienne Vandamme, 2018).</span>
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<h2>Se familiariser, s’impliquer, décider</h2>
<p>Sur base de ces diverses expériences, que pouvons-nous imaginer pour la France ?</p>
<p>Sans doute serait-il bienvenu de commencer par multiplier les assemblées citoyennes au niveau local, à l’image de ce qui se fait déjà à Grenoble ou Kingersheim, pour familiariser davantage les citoyens au tirage au sort et à de tels processus délibératifs.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/253528/original/file-20190113-43535-1njjjie.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C610%2C5982%2C3377&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/253528/original/file-20190113-43535-1njjjie.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/253528/original/file-20190113-43535-1njjjie.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/253528/original/file-20190113-43535-1njjjie.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/253528/original/file-20190113-43535-1njjjie.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/253528/original/file-20190113-43535-1njjjie.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/253528/original/file-20190113-43535-1njjjie.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une conférence de 20 citoyens tirés au sort a été organisée sur 3 sites nationaux fin 2018 par Enedis et Les Cahiers de la ville responsable. Ce processus vise à échanger sur la question du déploiement des compteurs Linky.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.debatparticipatiflinky.fr/le-debat-participatif-linky/la-conference-des-citoyens/">debatparticipatiflinky.fr</a></span>
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<p>En effet pour beaucoup, ces derniers demeurent sans doute étranges. Nous baignons dans des cultures politiques centrées sur l’élection et de nombreuses personnes ignorent les usages historiques du tirage au sort ainsi que les expériences plus récentes. Sans avoir assisté à des délibérations citoyennes ou lu à leur sujet, on peut douter que des citoyens ordinaires soient capables de se mesurer à des questions politiques complexes. Si le nombre de personnes ayant pris part à de telles expériences ou en ayant entendu parler par des proches augmentait, l’idée serait peut-être davantage prise au sérieux. Peut-être également que le nombre de personnes <a href="https://dial.uclouvain.be/pr/boreal/object/boreal:179869">prêtes à consacrer une partie de leur temps libre</a> à de telles délibérations – nombre aujourd’hui assez faible – s’accroîtrait également.</p>
<p>L’idée d’une assemblée citoyenne nationale gagnerait alors peut-être en crédibilité.</p>
<p>Deux modèles plus ambitieux pourraient alors être envisagés. Celui d’une réforme constitutionnelle inclusive et délibérative, à l’image des expériences irlandaise et islandaise. Ou celui plus novateur encore d’une assemblée législative permanente – un Sénat ou une troisième chambre tirée au sort qui se pencherait sur une série de sujets, comme les enjeux de long terme tels que le climat ou l’éducation, qui nécessitent de pouvoir s’extraire du temps court des cycles électoraux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109733/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre-Etienne Vandamme a reçu des financements du Fonds national belge de la recherche scientifique (FNRS) et de la KU Leuven. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Vincent Jacquet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Des assemblées citoyennes composées de membres tirés au sort ont été organisées dans de nombreux pays, remettant en question le monopole des élus.Vincent Jacquet, charge de recherches FRNS à UCLouvain en science politique, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Pierre-Etienne Vandamme, Chercheur en théorie politique, KU LeuvenLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/930432018-03-13T22:29:18Z2018-03-13T22:29:18ZEntretien avec Alain Touraine : « Mai 68, l’entrée du monde dans une ère dominée par des enjeux culturels »<p><em><a href="https://www.lemonde.fr/disparitions/article/2023/06/09/alain-touraine-grand-intellectuel-universaliste-et-engage-est-mort_6176860_3382.html">Alain Touraine est décédé</a> dans la nuit de jeudi 8 à vendredi 9 juin 2023. En 2018, il s'entretenait avec Michel Wieviorka pour The Conversation France en amont de la célébration des 50 ans de Mai 68 à la Fondation de la Maison des Sciences de l'Homme.</em></p>
<hr>
<p><strong>Michel Wieviorka :</strong> cinquante ans après Mai 68 et avec le recul du temps, maintenez-vous vos analyses de l’époque, telles qu’elles apparaissent notamment dans votre livre <a href="http://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1969_num_10_1_1484"><em>Le communisme utopique</em></a> ? Et que reste-t-il de Mai 68 aujourd’hui</p>
<p><strong>Alain Touraine :</strong> Cinquante ans après, on a tout le dossier en main et on ne peut pas penser qu’il va se passer des choses qui nous amèneraient à réviser nos opinions.</p>
<p>À l’époque, après les barricades du Quartier Latin, rue Gay-Lussac par exemple, l’impact de la jeunesse est resté considérable. Et le jugement porté par les notables, y compris par les intellectuels, est demeuré dominé par les mêmes incompréhensions.</p>
<p>Cinquante ans après, je peux vous dire que j’ai le sentiment d’être considéré par certains comme un type dangereux et pas sérieux à cause de mes analyses de l’époque sur le mouvement étudiant.</p>
<p>J’ajoute, ce qui d’ailleurs est moins inquiétant, que l’impact politique de Mai 68 est resté nul. Son influence intellectuelle a été négative ; en revanche, en matière sociale et culturelle elle a été et demeure extrêmement importante.</p>
<p>Il me semble que cinquante-quatre ans après, j’aurais probablement le même jugement sur Berkeley, qui fut en fait le point de départ, en 1964, de ce dont nous parlons. J’ai écrit un <a href="http://www.persee.fr/doc/rfsoc_0035-2969_1973_num_14_3_2221">livre sur les mouvements étudiants dans les universités américaines</a>, et je note que leur impact a été encore beaucoup plus fort par la suite à cause du festival de Woodstock en 1969, et de la contre-culture des années 1960.</p>
<p>Il y a eu aussi un 68 américain important, en particulier à l’université de Cornell et surtout à celle de Columbia, où notre ami <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Immanuel_Wallerstein">Immanuel Wallerstein</a> a joué un rôle considérable, ce qui l’a même obligé à s’exiler à Toronto, au Canada.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/28aPyBrP0Yc?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ayant été professeur à Berkeley après cette période, j’ai constaté qu’au sein du groupe des sociologues, la moitié des professeurs étaient partis vers le département de sciences politiques. Mais aussi que l’effet proprement politique a été nul, comme en France. Le Parti démocrate américain n’a pas été plus affecté par tout ce qui se passait que le Parti socialiste français</p>
<p>Je ne me prononce pas sur le côté allemand car j’ai peu suivi l’opinion de ce pays. Mais je note qu’en Allemagne, le souvenir de ce mouvement a rapidement été écrasé par l’image de la bande à Baader et du terrorisme – un phénomène qui a néanmoins eu un équivalent américain avec les <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_actions_du_Weather_Underground"><em>weathermen</em></a> et aussi en France, et plus encore en Italie.</p>
<h2>Un écho mondial</h2>
<p>Toujours est-il que ces mouvements étudiants ont formé un phénomène qui mérite d’être jugé par son écho mondial, qui fut énorme. Et pas seulement en Allemagne, en Italie, en France, et même au Mexique, que je laisserai pourtant de côté ici, car ce qui s’y est passé est pour l’essentiel très différent.</p>
<p>Plus tard, j’ai écrit <a href="https://cdn.uclouvain.be/public/Exports%20reddot/pols/documents/SOC_Touraine_Mondialisation.pdf"><em>Un nouveau paradigme</em></a>, où j’explique que les mouvements dits sociaux se sont déplacés du social vers le culturel. C’est un phénomène majeur qui a été largement confirmé plus récemment. Je pense au Printemps arabe, ou encore aux étudiants chiliens de 2011. C’était déjà vrai en 1968, en France, et en 1964 à Berkeley.</p>
<p>Si l’on veut introduire une perspective historique, il faut dire de l’histoire du monde occidental qu’elle a connu le siècle du politique, qui fut celui des révolutions : 1688-1789 ; puis le siècle du mouvement proprement social, le mouvement ouvrier, au XIX<sup>e</sup> siècle ; puis le siècle du culturel, qui d’une certaine manière commença un peu avant la Première Guerre mondiale, avec Dada et le surréalisme, se poursuivit avec l’aspect intellectuel du mouvement soviétique, puis prend son réel essor avec les mouvements étudiants.</p>
<p>Ces mouvements étudiants ont véritablement marqué l’entrée du monde dans une ère dominée par des enjeux qu’on peut appeler culturels.</p>
<h2>Un mouvement sans unité</h2>
<p><strong>M. W :</strong> Vous avez dit que l’impact de 68 avait été positif dans l’opinion, vous citez le cœur de Paris. Mais il y a aussi des gens qui ont vécu Mai 68 de loin, comme quelque chose de terrible.</p>
<p><strong>A. T. :</strong> C’est vrai, mais à cela, je réponds tout de suite en disant que l’interprétation insurrectionnelle ou révolutionnaire de Mai 68 ne tient pas debout.</p>
<p>Pour des raisons qui ne sont pas forcément positives, car c’est un mouvement qui n’a jamais eu aucune unité. S’il y a un contresens majeur sur 68, commis souvent par les soixante-huitards eux-mêmes, c’est cette idée de l’unité de 68. Pour quiconque a un minimum d’information, le plus important fut l’incompréhension et l’hostilité fondamentale entre la CGT et le mouvement étudiant.</p>
<p>Une image est restée gravée dans mon esprit. Le dimanche de la grande manifestation « millionnaire » – un million de participants – le 13 mai, qui a traversé Paris, en remontant vers le Luxembourg, d’un côté la CGT disait : « Les autocars sont par là » et de l’autre côté Cohn-Bendit et d’autres disaient : « <em>sit-in</em> au Luxembourg, par-là » en montrant la direction opposée. C’était la séparation, l’hostilité, les étudiants communistes ne bougeant pas, avec aussi des pénétrations mutuelles des étudiants et des gauchistes.</p>
<p>Pour parler en termes plus concrets encore de ce « mouvement de mai », il faut voir ce qu’il y avait dans ce qu’on appelait l’extrême gauche : certes, les communistes, mais aussi les groupuscules gauchistes, et Nanterre. Ces trois courants étaient hostiles les uns aux autres.</p>
<p>Dans une sorte d’éclatement de l’univers trotskiste de cette époque-là, un certain nombre d’intellectuels de haut niveau ont parlé de façon prudente, modérée, je pense, à ceux qui ont écrit <a href="http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1968_num_9_1_1665"><em>La brèche</em></a> : Morin, Castoriadis et Lefort (1968), dont le livre fut assez différent du mien.</p>
<p>Du côté communiste, c’était de l’hostilité franche.</p>
<p>Tout cela n’a eu aucune unité. De plus, les trois nuits des barricades ont eu des personnalités complètement différentes, elles n’ont pas été structurées, organisées de façon unifiée, pas même celle qui a été la plus forte, c’est-à-dire la deuxième, pendant laquelle il y a même eu un moment d’inquiétude quand les manifestants se sont déplacés rive droite et près de la Bourse. Mais il n’y a jamais eu un ensemble d’acteurs ou un organisme central jouant le rôle d’unification.</p>
<h2>Un monde de représentations, d’images et d’imaginaires</h2>
<p><strong>M. W. :</strong> Il n’y a pas eu d’impact politique, à vous suivre, tout simplement parce que ce n’était pas un mouvement politique ?</p>
<p><strong>A. T. :</strong> En 68, il n’y a pas eu de processus politique, on était dans un monde de représentations, d’images, d’imaginaires. D’où l’extrême importance des expressions graphiques, notamment à Nanterre, dans le grand couloir de la faculté. Soixante-huit n’a jamais été un mouvement politique, en tant que mouvement. À la fin, certains ont tenté d’organiser une action politique dans le stade de Charléty. Pierre Mendès-France en fut la personnalité principale ; mais avec une certaine maladresse et cette tentative n’aboutit à rien. On passe en quarante-huit heures de Charléty à la manifestation gaulliste des Champs-Élysées.</p>
<p>Le mouvement n’acquit pas l’ombre d’une représentation politique. Comme à Berlin, comme aux États-Unis.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/209540/original/file-20180308-30994-1yzi0za.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/209540/original/file-20180308-30994-1yzi0za.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/209540/original/file-20180308-30994-1yzi0za.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/209540/original/file-20180308-30994-1yzi0za.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=504&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/209540/original/file-20180308-30994-1yzi0za.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=633&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/209540/original/file-20180308-30994-1yzi0za.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=633&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/209540/original/file-20180308-30994-1yzi0za.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=633&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mai 68, une floraison d’affiches.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Imagination_Graphique_27_Frontieres_On_S_En_Fout.jpg">Charles Perussaux/Wiimedia</a></span>
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<p>Toute idée d’une forte extrême gauche, d’un danger révolutionnaire, doit être écartée. Ce qui le prouve, c’est qu’à Paris, il n’y a pas eu de morts. S’il y eut à Lyon un commissaire de police tué, cette ville ne fut pas le centre du mouvement.</p>
<p>Un personnage mérite d’être remarqué dans cette période : le préfet de police de Paris, Maurice Grimaud, qui s’est révélé être un homme extraordinaire. Son intelligence, sa compréhension de la situation ont permis qu’il ne se produise rien de dramatique.</p>
<p>Et la période qui suivra, qu’on a appelée les « années de plomb » en Italie, en Allemagne, et aussi en France, celle du terrorisme d’extrême gauche, correspond à la décomposition du mouvement.</p>
<p>Autrement dit, Mai 68 ne fut pas un mouvement politique ; il fait partie des mouvements culturels les plus importants, ceux qui nous montrent que l’imaginaire, l’art, les représentations sont aussi importants que les actes proprement politiques.</p>
<p>L’unité était dans l’imaginaire et dans la culture, pas dans un projet politique […]</p>
<p><strong>M. W. :</strong> Vous écartez l’idée d’un impact politique, vous insistez sur la subjectivité des acteurs : cela a-t-il laissé une trace ?</p>
<p><strong>A.T. :</strong> Ceux qui disent : « Mais cela n’a rien donné » commettent un contresens majeur dont je pense qu’il est devenu indéfendable. Parmi les thèmes qui sont entrés de manière différente dans les pays qui ont été marqués par 68, il y en a deux qui se sont durablement imposés : premièrement, les problèmes de la personnalité, de la sexualité et, deuxièmement, les problèmes ex-coloniaux, postcoloniaux, mondiaux. L’impact principal du mouvement ne fut pas un renouveau du mouvement ouvrier, car on peut dire que ce mouvement était affaibli depuis 1947, depuis la rupture entre les socialistes et les communistes […]</p>
<h2>La disparition du politique</h2>
<p><strong>M. W. :</strong> Diriez-vous que les années qui suivent 68 sont des années de congélation, de disparition ?</p>
<p><strong>A.T. :</strong> Je vais le dire plus brutalement.</p>
<p>Je pense que les années qui suivent, pas immédiatement car on reste dans les Trente Glorieuses, dans la reconstruction de l’Europe entière, mais un peu après, peuvent être tenues en France pour un double échec de l’entrée dans l’avenir. Échec sur la droite et échec sur la gauche. Giscard a fait des efforts plus importants qu’on ne le reconnaît aujourd’hui. Cela a échoué pour des raisons assez fortement liées à son tempérament, à son allure, il y a eu un rejet de la personnalité de Giscard. C’était le faux aristocrate qui n’arrive pas à devenir populaire.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/209543/original/file-20180308-30975-1jxqte3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/209543/original/file-20180308-30975-1jxqte3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/209543/original/file-20180308-30975-1jxqte3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/209543/original/file-20180308-30975-1jxqte3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/209543/original/file-20180308-30975-1jxqte3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/209543/original/file-20180308-30975-1jxqte3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/209543/original/file-20180308-30975-1jxqte3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=500&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">François Mitterrand à Caen, en avril 1981.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.google.fr/search?biw=1431&bih=695&tbs=sur%3Afmc&tbm=isch&sa=1&ei=dz-hWvi8LMTxkwXL37GYDA&q=mitterrand&oq=mitterrand&gs_l=psy-ab.3..0i67k1j0l6j0i67k1l2j0.11245.11245.0.11446.1.1.0.0.0.0.57.57.1.1.0....0...1c.1.64.psy-ab..0.1.56....0.axontQE7Wfc#imgrc=Vs7GWONQxNG2FM:">Jacques Paillette/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans le cas de Mitterrand, c’est une tentative de reconstitution du Front populaire alors que dès 1968 on voit que cela n’est plus possible et que l’Europe est coupée en deux depuis 1947. En 1981, il y a un contresens. Ce contresens réussit à François Mitterrand, mais sa seconde mandature, après le départ de Michel Rocard, se termine dans l’affairisme, ce qui est le pire qu’on puisse imaginer après 68 […]</p>
<p><strong>M. W. :</strong> Si on prend l’époque actuelle, on peut avoir le sentiment, à vous suivre, que le politique et le social disparaissent de notre horizon et que le culturel le remplit.</p>
<p><strong>A. T. :</strong> En termes beaucoup plus violents, je dirai que nous venons de vivre deux années, 2016 et 2017, où le politique a disparu. Il n’y a plus de politique. La désindustrialisation a mis en danger la démocratie aux États-Unis et en Angleterre, et le Front national a représenté une forte menace en France. Il n’y a eu ni débat ni idées en France. Il n’y a plus de politique nulle part, ni en Espagne, ni en Italie, ni en Allemagne, ni en Amérique du Sud. Il n’y a plus de politico-social. Et, en France, Emmanuel Macron a fait triompher une gestion avant tout politique et institutionnelle, non sociale.</p>
<p>C’est le culturel, l’imaginaire, qui remplit notre existence. Mais aussi l’écologie, qui est spectaculairement non politique et non sociale. Dont la force vient des travaux scientifiques, et dont la faiblesse vient malheureusement des partis écologistes.</p>
<hr>
<p>*L’intégralité de cet entretien est à retrouver dans le nouveau numéro de la revue Socio, paru le 13 mars 2018. Son lancement officiel a eu lieu <a href="https://docs.google.com/forms/d/e/1FAIpQLSfEtdBSVl0jYGJOUCOWzFM9mInkIGoTdnQGfbqWDzmrDiyl0Q/viewform?usp=sf_link">le 21 mars </a>à la bibliothèque-laboratoire de la FMSH, à Paris, <a href="http://www.fmsh.fr/fr/diffusion-des-savoirs/29222">en présence</a> d’Alain Geismar, Edgar Morin, Alain Touraine, Omar Guendel, de Daniel Cohn-Bendit et Michel Wieviorka.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93043/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka dirige avec Jean-Pierre Dozon le Panel international sur la sortie de violence (IPEV), un projet de la Plateforme Violence et sortie de la violence (FMSH). La Carnegie Corporation of New York en est le principal soutien. </span></em></p>Mai 68 ne fut pas un mouvement politique mais un de ces mouvements culturels qui montrent que l’imaginaire, l’art, les représentations sont aussi importants que les actes proprement politiques.Michel Wieviorka, Sociologue, membre Centre d'analyse et d'intervention sociologiques (CADIS, EHSS-CNRS), Auteurs historiques The Conversation FranceLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/770322017-05-06T00:03:16Z2017-05-06T00:03:16ZPlaidoyer pour une culture syncrétique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/167486/original/file-20170502-17248-og81cl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Rassemblement dans le cadre de « Nuit debout » à Toulouse, en 2016.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="http://bit.ly/2pSC5rJ">Pierre-Sélim/Flickr</a></span></figcaption></figure><p>À la veille du second tour et après les événements dramatiques de 2015 et 2016 qui ont secoué la France, on ne peut qu’être stupéfait de l’absence d’un débat sérieux sur la cohésion sociale et le vivre ensemble dans notre pays. Cet article essaie de donner des éléments de réponses à un sujet on ne peut crucial.</p>
<p>La France a fondé un État-Nation basé sur le concept de la Raison au sens de la Philosophie des Lumières. La citoyenneté y occupait une <a href="https://www.lgdj.fr/l-integrisme-republicain-contre-la-laicite-9782752602787.html">place de choix</a>. Cette citoyenneté inclut des comportements et des valeurs qui ont largement contribué à une homogénéisation de la société. Dans ce modèle, l’État joue un rôle cardinal en tant qu’instance de régulation, mais aussi et surtout en tant qu’instrument de solidarités entre les différentes composantes de la société.</p>
<h2>Le modèle français de citoyenneté</h2>
<p>La citoyenneté à la française sous-entend certains prérequis implicites et explicites. Elle est à la fois constitutive et contraignante. Chaque citoyen est censé détenir une parcelle de la souveraineté nationale qu’il accepte de mettre en commun par le truchement <a href="http://unesdoc.unesco.org/images/0018/001883/188331F.pdf">du contrat social</a>, ce qui renvoie à la problématique de la nation en général et de la nationalité en particulier. Dit autrement, le modèle français lie de manière intrinsèque la citoyenneté à l’identité. Dans cette construction idéologique, l’appartenance à la nation qui définit la citoyenneté est la pierre angulaire à partir de laquelle s’ordonnent toutes les affiliations. Ce qui implique un imaginaire collectif et une culture commune.</p>
<p>La République a su créer une certaine homogénéité culturelle, non sans difficultés, pour aboutir à un équilibre politique et à une harmonie sociale. La laïcité constitue à cet égard l’aboutissement d’un processus long et fastidieux qui a permis, in fine, de dessiner un vivre ensemble et le rapport à l’Autre.</p>
<p>En tant que principe constitutionnel inaliénable, la laïcité stipule de manière on ne peut plus claire que la source de la loi réside dans les votes des représentants du peuple, indépendamment de tout texte sacré. La citoyenneté implique la participation politique et sociale effective des individus dans les délibérations démocratiques. Ce qui suppose que ces derniers aient la possibilité d’accéder à l’information pertinente en temps utile et la capacité de la décortiquer et de l’enrichir en permanence. C’est un système qui s’auto-institue.</p>
<p>Le citoyen se transforme en acteur actif qui transmet les héritages du passé aux générations futures pour nourrir le patrimoine national. La laïcité devient le socle qui garantit cette transmission. Ce contrat social repose sur trois piliers : la République, la laïcité et l’école. Cette dernière se conçoit comme un outil de transmission de valeurs et de normes sociales.</p>
<p>La laïcité nourrit la République et cette dernière trouve son prolongement dans la première. La laïcité imaginée comme un concept rationnel au départ <a href="https://cemoti.revues.org/205">se transforme</a> ainsi en une conception « mystique » où le symbole de Marianne prend le pas sur celui de Marie.</p>
<h2>Dégradation du tissu social</h2>
<p>Cette conception idyllique de la société française se heurte aujourd’hui à la mondialisation et à son corollaire, le mouvement de la main-d’œuvre. Les logiques d’interdépendances économiques fragilisent l’État nation et questionnent l’identité nationale. Si la mondialisation a produit d’indéniables progrès (hausse des échanges commerciaux, accélération des mouvements de capitaux, partage des avancées technologiques et de l’innovation, élévation du niveau d’instruction des populations au niveau mondial, acceptation des droits de l’homme et progrès en matière d’égalité homme – femme…), elle a aussi fragilisé une partie de la population et contribué, de ce fait, à une dégradation du tissu social et une fragmentation de la société dans son ensemble.</p>
<p>Avec une croissance économique atone et une hausse des inégalités, la France se trouve confrontée aujourd’hui à une nouvelle donne ; il s’agit d’une manifestation forte et voyante d’une partie de la population qui jusqu’à là était invisible. « Les enfants des immigrés » qui ne partagent pas les représentations qui caractérisent leurs parents (les vrais immigrés) « brouillent » l’ordre national par leur hybridité. Cette nouvelle génération née en France partageant globalement la culture ambiante tout en se diluant dans l’espace publique, ne veut plus se cacher. Plus elle fait d’efforts, plus on lui en demande de faire plus de sorte qu’on la maintienne à distance tout en la renvoyant à sa singularité. Cette situation conjuguée aux difficultés multiples rencontrées par ces jeunes « issus de l’immigration » dans leur vie quotidienne peut les pousser à se réfugier dans une identité imaginaire et réifiée. Ainsi, le fossé se creuse entre les différentes composantes de la société, avec une gradation des différences préconçues, <a href="http://unesdoc.unesco.org/images/0018/001883/188331F.pdf">des différences perçues et des différences vécues</a>.</p>
<p>Aux inégalités économiques et sociales s’ajoutent des inégalités pressenties, qui sont autrement plus importantes, car elles sont les conséquences de frustrations et d’un mal-être. En un mot, le non-dit prend le pas sur la réalité. La montée des revendications, légitimes par ailleurs, de la part de citoyens qui ne se sentent plus impliqués dans la vie de la Cité suppose la mobilisation de nouveaux instruments et mécanismes de la part des autorités publiques.</p>
<h2>Quel destin commun ?</h2>
<p>Le principe démocratique est lui-même fragilisé par l’effritement de la croyance dans un destin commun. C’est le paradigme du vivre ensemble qui doit être interrogé. Le système politique doit se transformer pour inventer une combinaison féconde entre d’une part le général et le spécifique, le normatif et la raison et d’autre part, les identités. Dit autrement, il doit être capable de mettre en exergue les particularismes culturels, car ils peuvent être source d’épanouissement individuel, mais aussi de croissance économique et de bien-être social. Toutes les composantes de la société secrètent un corpus complexe qui combine des faits, des croyances et des mythes. La société doit être capable d’assurer à chaque citoyen le sentiment d’appartenance à la République. Ce dernier doit faire preuve en contrepartie de loyauté indéfectible vis-à-vis des autres membres du corpus et vis-à-vis des principes républicains.</p>
<p>Ce contrat social peut être facilité par un dialogue permanent. Seul le dialogue a une portée dialectique. Il est navrant de constater par exemple qu’un dialogue constructif, mais bref a bel et bien été initié entre les différentes religions suite aux événements dramatiques de 2015 et 2016, alors qu’il doit être régulier et constant.</p>
<p>La révision des notions de cultures et d’identités doit tenir compte des interconnexions qui s’opèrent au niveau mondial, où il ne peut y avoir de culture « pure » ou « authentique ». La culture ne peut être que syncrétique. Certes les identités peuvent être multiples, cependant, il faut éviter autant que faire se peut, d’instaurer une mosaïque d’identités qui peut être source de conflictualité.</p>
<p>Il existe une norme fondatrice, les nouvelles normes venues de l’étranger doivent graviter autour. Ceci ne veut absolument pas dire que la France doit nier ses héritages historiques. Le passé doit alimenter le présent. La France doit au contraire assumer son hétérogénéité tout en mettant en exergue sa culture qui doit être forte, ouverte, intégrative, ancrée dans l’histoire, capable qui plus est de produire du commun. De même, il faut éviter de penser que le religieux est un ennemi, il peut apporter aussi du sens et participer à renforcer les liens au sein d’une société qui doute. À condition évidemment qu’il soit respectueux de la norme établie.</p>
<h2>Pour un nouveau contrat social</h2>
<p>Il faudrait inventer un nouveau contrat social qui participe à la souplesse des institutions et qui lutte contre une vision sociétale cloisonnée qui inhibe les différences et les particularismes culturels, tout en évitant leur cantonnement à la sphère privée. L’essence même de la laïcité, à savoir la philosophie et la spiritualité, doivent être au centre de la construction du commun et non pas relégué au second plan. L’école, « la mère des batailles », a évidemment un rôle fondamental à jouer dans cette dynamique ; mais il faut là aussi qu’elle se métamorphose, qu’elle fasse sa révolution et qu’elle sorte des sentiers battus pour répondre aux nouveaux défis de la mondialisation. La question des moyens se pose moins que celles relatives à la souplesse et à l’autonomie pour permettre aux initiatives de naître, aux individualités de s’affirmer, aux talents de germer et aux compétences de se manifester.</p>
<p>L’école doit interagir avec son environnement. L’agir politique doit prendre le pas sur le conformisme. Car le contrat moral et bel et bien rompu. Les piliers de l’idéal républicain (le culte de la liberté et la foi dans l’égalité) ont volé en éclat. L’heure n’est plus aux atermoiements. Il n’y a plus de places aux discours lénifiants, il faut passer à l’action. L’élan de solidarité et les indignations post-attentats ont fait long feu. Il ne faut surtout pas oublier que les racines du mal, qui sont, en partie derrière les événements dramatiques qu’a connu la France n’ont pas disparu du jour en lendemain, comme par magie. Qui plus est, nos propres enfants, fruits de l’école de la République, sont toujours sensibles aux sirènes de l’aveuglement et de l’obscurantisme. À bon entendeur salut !</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/77032/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bouoiyour Jamal ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comment relancer le débat sur la cohésion sociale et le vivre ensemble ?Bouoiyour Jamal, Economie, problèmes de socièté, Université de Pau et des pays de l'Adour (UPPA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/769142017-04-29T16:45:28Z2017-04-29T16:45:28ZPrésidentielle : la haine<p>Il y a dans notre vie politique aujourd’hui quelque chose qui dépasse les calculs, les prises de position, et même les passions et les émotions ordinaires qu’une campagne électorale peut susciter. Quelque chose de trouble, de compulsif, qui commence avec toute sorte d’expressions de haine, sans s’y réduire pour autant. Le paradoxe est là : la stratégie de dédiabolisation de Marine Le Pen, avec « La France apaisée » qu’elle prétend incarner, débouche non pas sur l’apaisement, mais sur une polarisation irréductible, au point que l’on parle de <a href="http://lemonde.fr/idees/article/2017/04/27/halte-au-simplisme-sur-un-pretendu-affrontement-entre-deux-france_5118281_3232.html">deux France</a>, comme au temps de l’affaire Dreyfus.</p>
<p>Il faut dire que la déstructuration des Républicains et la décomposition du Parti socialiste contribuent au désastre – François Hollande aura obtenu la destruction de ce que François Mitterrand avait su construire.</p>
<p>Toujours est-il qu’à la veille du deuxième tour de l’élection présidentielle, notre pays s’organise autour de trois possibilités radicalement séparées : le vote FN ; le vote En Marche ; et l’abstention du nouveau « ni–ni », pour qui les deux candidats en lice représentent la peste et le choléra – l’une le racisme, la xénophobie, la catastrophe morale : l’autre le néo-libéralisme dévastateur.</p>
<h2>Logiques de ruptures</h2>
<p>Dans un tel contexte, le rejet, la rupture et finalement la haine trouvent leur place plutôt chez ceux que révulse la candidature d’Emmanuel Macron. Mais dans le camp de celui-ci, l’appel à la raison recouvre souvent une arrogance élitiste éventuellement technocratique, une sorte de mépris de classe dont <a href="http://www.leparisien.fr/elections/presidentielle/presidentielle-attali-soutien-de-macron-choque-en-parlant-d-anecdote-au-sujet-de-whirlpool-26-04-2017-6891849.php">Jacques Attali</a> a donné une illustration en qualifiant d’« anecdote » la récente séquence Whirlpool.</p>
<p>La politique actuelle est un combat sans merci, sur le fond et pas seulement au quotidien, et pas seulement un spectacle digne des meilleures séries télévisées. On y retrouve certes la brutalité des propos et des conduites, le cynisme dans une pureté quasi chimique, la trahison, la contradiction, le mensonge, le revirement car il faut donner coup pour coup en temps réel, sans trop de souci pour ce qui échapperait à l’actualité. Mais il faut aller plus loin.</p>
<p>Car si tous ne sont pas atteints, comme dit la fable, en tous cas pas au même degré, la surchauffe actuelle justifie qu’on s’inquiète : nous ne nous en sortirons pas avec une France coupée en morceaux, et emportée par des logiques de rupture. Cette période historique où les valeurs universelles et l’humanisme s’abolissent avec la <a href="https://theconversation.com/quand-lexigence-de-verite-devient-secondaire-70718">« post-vérité »</a>, les <em>fake news</em> et le « complotisme », et où la haine commence à se donner libre cours pourrait en effet très mal se terminer : la civilisation, l’héritage de la Renaissance signifiait le contrôle des pulsions et de l’agressivité, avait cru pouvoir expliquer Norbert Elias dans un maître livre écrit dans l’entre-deux-guerres, avant de devoir constater que son pays, l’Allemagne, jusque-là dans le peloton de tête des nations civilisées, basculait dans la pire des barbaries. Nous n’en sommes pas là, bien sûr. Mais comment ne pas nous interroger ?</p>
<h2>Tendances destructrices et autodestructrices</h2>
<p>La haine suinte ici et là entre dirigeants politiques, y compris dans leur propre camp, dans leur propre parti, entre eux. Et ceci n’est rien comparé à ce qui circule dans l’espace si actif des réseaux sociaux, là où le contrôle juridique et policé des propos devient impossible, et où l’autocontrôle est exclu.</p>
<p>Il y a quelques années à peine, les mêmes réseaux sociaux incarnaient la protestation démocratique, les demandes de droits humains et de respect ou de dignité, qu’il s’agisse des mobilisations de type <em>Indignados</em> ou <em>Occupy Wall Street</em>, ou des révolutions au sein du monde arabe et musulman. Aujourd’hui, ils permettent avant tout à des torrents de haine de se déverser, ils assurent le règne du mensonge et de la paranoïa sous leurs formes collectives.</p>
<p>La haine, quand on descend au niveau des citoyens, peut être première, dirigée contre certains groupes – immigrés, musulmans notamment –, ce qui vaut surtout pour les pulsions identitaires. Mais elle peut aussi aller de pair avec des tendances destructrices et autodestructrices de moins en moins réfrénées, de plus en plus explicites. Alors, elle véhicule, ou elle est véhiculée par une sorte de jouissance perverse à voir se décomposer l’univers dans lequel on vit.</p>
<p>La souffrance, la peur, le sentiment du déclassement et de l’exclusion, la perte de repères et de sens deviennent dans ce cas haine viscérale des élites, mais aussi pulsion morbide, et chez certains obsession identitaire, souverainisme exacerbé car plus ou moins ethnicisé.</p>
<h2>Bonnet blanc et blanc bonnet</h2>
<p>L’acceptation du FN est aussi le message de ceux qui, se sentant menacés dans leur existence personnelle, dévalorisés, disqualifiés, intériorisent en quelque sorte le stigmate en le renversant, en entérinant le racisme, la xénophobie, la démagogie, en se les appropriant. Comme si la certitude du pire, s’il s’agit des valeurs morales et éthiques, valait mieux que tout autre scénario, d’ordre économique notamment.</p>
<p>Au départ, ce type de phénomène semblait ne concerner que des enfants de migrants, comme dans le <a href="http://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=19365052&cfilm=12551.html">film de Kassovitz</a>, qui porte précisément ce titre : <em>La haine</em>. Il est devenu martyrisme en même temps que terrorisme, avec l’islam radical, qui dans ses formes extrêmes est autodestruction en même temps que destruction, et qui attire des jeunes, garçons et filles, qui ne sont pas nécessairement issus de l’immigration.</p>
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<p>Mais désormais, d’autres pans de la société sont atteints, quand non seulement on met sur le même plan Macron et Le Pen, tenus pour blanc bonnet et bonnet blanc, mais qu’en plus, on se vautre, sans le dire, dans le plaisir morbide de voir tout à la fois le pays tout entier courir à sa ruine, et les élites de la France d’en haut s’inquiéter, ces élites qu’on accuse d’ouvrir les vannes à la mondialisation et au néo-libéralisme et d’en tirer profit. De tels sentiments sont plus fréquents qu’on pourrait le penser, ils sont aussi le plus souvent diffus et autolimités, implicites plus qu’explicites.</p>
<h2>La perte du principe d’unité</h2>
<p>Alors, que faire ? Les appels à la raison, ou à la morale, non seulement sont vite inopérants et incantatoires, mais ils sont susceptibles de se révéler contre-productifs, d’être perçus comme des ruses de la part des élites honnies, ou des marques de faiblesse de leur part. La réflexion doit en fait s’organiser selon deux temporalités principales.</p>
<p>Dans l’immédiat, éviter le pire, c’est mettre dimanche 7 mai un coup d’arrêt à ces dérives en votant pour Emmanuel Macron, quelles que soient les critiques qu’il mérite : il sera toujours temps de les inscrire dans les processus politiques ultérieurs, peut-être même dès les élections législatives.</p>
<p>Mais l’épaisseur historique du problème appelle aussi une réflexion pour le long terme. Car le mal est profond, et ne se résoudra pas aisément.</p>
<p>Il s’est ébauché à la sortie des Trente Glorieuses, avec l’émergence du chômage, de l’exclusion et des problèmes de banlieue, la désindustrialisation et la mutation des formes d’organisation du travail, ou les transformations de l’immigration. Il façonne finalement non pas la seule dissociation pure et simple de deux France, comme disent des observateurs peu soucieux de nuance, mais en fait plutôt des processus complexes de fragmentation qui se condensent dans l’image de l’opposition des deux France.</p>
<p>Les dérives de l’irresponsabilité, de la haine et de la jouissance destructive et autodestructive sont le fait d’une société qui perd son principe d’unité. Ce principe ne peut pas être apporté par des clivages sans débat possible, entre notamment le souverainisme nationaliste et l’appel à l’ouverture au monde du pays, ou entre les élites et les classes populaires : ces oppositions, quand elles apparaissent comme mettant aux prises des ennemis n’autorisent pas l’unité.</p>
<p>Celle-ci ne peut pas venir de la victoire d’un camp sur l’autre, elle n’a de sens que dans l’institutionnalisation de ce qui divise le corps social, dans le débat, le conflit négociable. Si nous voulons mettre fin au désastre de la haine, et des jouissances perverses qui l’accompagnent, et éviter d’aller plus avant sur les chemins de la catastrophe morale, mais aussi politique et sociale, nous devons trouver le chemin de tels échanges, et non laisser s’étendre les face à face mortifères qui nous sont proposés.</p>
<p>Une élection à la tête de l’État d’Emmanuel Macron en laissera la perspective ouverte, celle de Marine Le Pen, ou même un score élevé en sa faveur, ne peuvent que la fermer.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/76914/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<h4 class="border">Disclosure</h4><p class="fine-print"><em><span>Michel Wieviorka est président de la Maison des sciences de l'Homme. </span></em></p>Les dérives de l’irresponsabilité, de la haine et de la jouissance destructive et autodestructive sont le fait d’une société qui perd son principe d’unité.Michel Wieviorka, Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/701712017-01-31T23:14:32Z2017-01-31T23:14:32ZFrères d’armes ? Gendarmes, policiers et la question de la défense légitime<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/154449/original/image-20170126-30428-7fq7hy.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=37%2C317%2C687%2C527&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La « une » du _Petit journal_ du 20 octobre 1907.</span> <span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Le 21 décembre dernier, un projet de loi relatif à l’évolution de la légitime défense des policiers était présenté au Conseil des ministres par Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur. Ce texte a été adopté par le Sénat le 24 janvier. Il sera soumis à l’Assemblée nationale à partir du 7 février pour son adoption définitive.</p>
<p>Les nouvelles dispositions prévoient notamment d’accorder aux policiers les mêmes droits en matière d’usage de leurs armes que les gendarmes, ce qui les fera sortir du régime commun – la légitime défense, et seulement la légitime défense – qui jusqu’alors y présidait. Ainsi, le Code pénal n’accordait jusqu’ici aux policiers le droit de faire usage de leurs armes – létales ou non – qu’en cas de légitime défense. La riposte, pour reprendre les termes de la loi, doit être « immédiate, proportionnée, nécessaire et proportionnée à la menace ». L’usage de l’arme dans la rue est, en somme, à l’image de ce que doit être, depuis la Révolution française, l’usage de la « dure loi » au sein des tribunaux.</p>
<p>L’usage des armes est en effet plus libéral pour la gendarmerie nationale, quoique pas moins encadré. Il est important d’avoir à l’esprit que cette institution, créée durant l’hiver 1791, est à l’origine et aujourd’hui encore, une partie de l’armée. Son équipement en armes s’inscrit dans cet univers martial, parfois guerrier.</p>
<p>Rappelons, ensuite, que la première définition de ce cadre d’emploi remonte à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle, avec la loi du 28 germinal an VI (17 avril 1798). Celle-ci prévoit que les gendarmes ne pourront déployer la force des armes que dans les deux cas suivant : le premier, si des violences ou voies de fait sont exercées contre eux-mêmes ; le second, s’ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent, les postes ou personnes qui leur sont confiés, ou enfin si « la résistance est telle qu’elle ne puisse être vaincue autrement que par le développement de la force armée ».</p>
<p>Grosso modo, ce cadre est resté le même depuis plus de deux siècles, permettant à la gendarmerie nationale d’affirmer une polyvalence à l’épreuve des périodes les plus troublées comme des moments les plus apaisés de notre histoire.</p>
<h2>L’armement médiocre, un thème récurrent</h2>
<p>Par une étrange coïncidence, en 1911, un 21 décembre aussi, la <a href="http://criminocorpus.revues.org/269">« bande à Bonnot »</a> débutait sa carrière médiatique par une attaque à main armée à Paris, à l’aide d’une automobile. Plus que l’épisode, ce sont les réactions qui intéressent puisqu’immédiatement l’attaque fit polémique. Pour <em>L’Humanité</em>, ce qui a permis le crime est la distraction des agents, occupés par le gouvernement au maintien de l’ordre pendant des grèves ouvrières au détriment de la sécurité publique des honnêtes citoyens. <em>L’Excelsior</em> en appelle à l’armement général de la population pour ainsi pouvoir répliquer aux agissements des bandits. Quelques semaines plus tard, c’est de la dotation des policiers en revolvers dont il sera question.</p>
<p>On relèvera que les suites législatives des agressions commises à Viry-Châtillon à l’automne dernier contre des policiers dépassent de loin les revendications formulées peu après dans ce qui fut une sorte de « Nuit debout » de leurs collègues. Comme après l’affaire Bonnot, avec, par exemple, la création de la Brigade criminelle ou la hausse conséquente des moyens alloués aux brigades de police mobile, on constate que des demandes anciennes trouvent à l’occasion de faits divers marquants un contexte permettant leur accomplissement.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/154781/original/image-20170130-7663-njcv0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/154781/original/image-20170130-7663-njcv0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/154781/original/image-20170130-7663-njcv0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/154781/original/image-20170130-7663-njcv0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/154781/original/image-20170130-7663-njcv0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/154781/original/image-20170130-7663-njcv0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/154781/original/image-20170130-7663-njcv0b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">A Viry-Châtillon, en octobre dernier.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Thomas Samson/AFP</span></span>
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<p>Tâches indues, déficit de l’armement et des équipements sont des thèmes qui furent au cœur des manifestations policières de l’automne dernier, <a href="https://theconversation.com/aux-origines-du-malaise-policier-67883">au cœur de ce « malaise »</a> dont il faudrait aussi écrire l’histoire tant ce terme est diversement utilisé pour caractériser l’état d’esprit des forces de l’ordre lorsqu’un problème surgit dans l’espace public. En effet, à en croire les commentateurs ou des policiers eux-mêmes, on oserait avancer que ce malaise est un des aspects de la condition policière.</p>
<p>Depuis des décennies – et même des siècles puisque c’était déjà le cas aux XIX<sup>e</sup> et XX<sup>e</sup> siècles et, désormais, au XXI<sup>e</sup> –, les éléments matériels sont décriés, et parmi la dénonciation de traitements indigents, de pensions insuffisantes, d’horaires insupportables, d’effectifs étiques, de locaux toujours plus insalubres, le thème d’un armement médiocre ou au mieux inadapté constitue un sujet récurrent.</p>
<h2>« Des carabines pour tuer les fauves »</h2>
<p>En 1910, l’<em>Écho de la Gendarmerie nationale</em>, journal corporatif, reproduit une lettre anonyme d’un officier servant en Corse. Le militaire exprime des propositions originales. Pour mieux se camoufler dans le maquis corse, il préconise la substitution du « costume du paysan corse » à l’uniforme trop visible, donc facile à viser. S’adapter à l’environnement, mais réagir également à une violence spécifique à l’île, comme le prétend ce gendarme, puisqu’il suggère ensuite le remplacement de la carabine réglementaire par un fusil de chasse à canon rayé, avec des munitions à balle ou chevrotines, ainsi que la dotation en pistolets automatiques Mauser et en couteaux-baïonnette…</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/154785/original/image-20170130-7693-13yoeyz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/154785/original/image-20170130-7693-13yoeyz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=555&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/154785/original/image-20170130-7693-13yoeyz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=555&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/154785/original/image-20170130-7693-13yoeyz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=555&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/154785/original/image-20170130-7693-13yoeyz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=698&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/154785/original/image-20170130-7693-13yoeyz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=698&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/154785/original/image-20170130-7693-13yoeyz.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=698&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"><em>La Gazette des Tribunaux</em>, 22 janvier 1843.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<p>Deux ans après, pour faire face à une « bande à Bonnot » qui commettrait une violence inédite, certains réclament des « carabines pour tuer les fauves » afin de faire face à ce qui serait une menace criminelle sans égale et une violence inédite. La Société Générale envisage même, un temps, d’armer ses guichetiers de Winchester, arme destinée à tuer les bisons…</p>
<p>Les débats récents sur la question de la légitime défense des forces de l’ordre ne sont pas nouveaux, comme on le constate avec ces exemples. Ils ressurgissent malheureusement toujours dans des situations d’émotions, peu propices à l’analyse et à la tempérance. Car le métier de police (qui inclut donc la gendarmerie) est de ceux – comme celui de l’enseignement – qui paraissent condamnés à des opinions outrancières et antagonistes, au gré d’arguments produits par l’émotion d’un fait divers dont un représentant de la force publique est la victime ou l’auteur, ou d’élections politiques et scrutins professionnels.</p>
<h2>Des professions comme les autres</h2>
<p>Dans le contexte d’une coexistence, depuis le 3 août 2009, de la gendarmerie et de la police au sein d’un même ministère de l’Intérieur, cette question revêt également enjeux corporatifs et symboliques forts. Sans parler d’une « guerre des polices » <a href="http://pups.paris-sorbonne.fr/catalogue/histoire-moderne-et-contemporaine/mondes-contemporains/la-guerre-des-polices-na-pas-eu-lieu">qui n’existe pas plus aujourd’hui qu’hier</a>, cette expression commode est d’autant plus employée qu’elle ne trouve que de rares illustrations dans les archives, incidents ponctuels qu’on monte alors abusivement en généralité.</p>
<p>L’écho des débats actuels met malheureusement en lumière l’absence de discussions approfondies et suivies relatives à la force publique, à sa nature, ses moyens, ses missions. Or, l’article 12 de la <em>Déclaration des droits de l’homme et du citoyen</em> de 1789 affirmait que « la garantie des droits de l’Homme et du Citoyen nécessite une force publique ».</p>
<p>Plus largement, alors que les enjeux étudiés sont centraux, les questions de police demeurent marginales dans le monde universitaire français, malgré des progrès indéniables depuis deux décennies, comme le manifeste <a href="http://www.nouveau-monde.net/livre/?GCOI=84736100125190">cette dernière publication</a>. Au-delà d’une portée strictement corporative, ce contexte interroge la relation de la nation à l’État et les missions fondamentales qui lui échoient. Il est sans doute emblématique que cette dimension pourtant essentielle soit à peu près absente de la campagne présidentielle en cours.</p>
<p>À contre-courant de ce qui est largement affirmé, il serait peut-être précisément salvateur que les métiers de policier et de gendarme deviennent des professions comme les autres, en considérant leurs spécificités sous des angles fonctionnels, dénués de toute polémique.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/70171/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laurent López ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les événements récents relatifs à l’usage des armes par les forces de l’ordre rappellent des débats anciens et des circonstances similaires. L’histoire permet de relativiser certains propos actuels.Laurent López, Docteur en Histoire, chercheur associé au CESDIP et au Centre d'Histoire du XIXe siècle (Université Paris-Sorbonne), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/597072016-05-31T20:37:35Z2016-05-31T20:37:35ZNuit debout : des indignés pas comme les autres<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/124574/original/image-20160531-1931-2mhne4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le mouvement a démarré fin mars, place de la République à Paris.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/copivolta/26795188936/in/photolist-GPNm99-dmwaWU-5jT76i-7BiUZt-dJ72QV-dRKxfN-9SMisq-dmwoaj-dhy36u-dmwttM-dmwaiR-dmwcgw-dRKq9o-GxxzhL-GxwBTu-fpps5U-FgmLpT-FgmMAk-Fgb7V5-8ETBuJ-prkGiD-Fgb91G-GgEabu-GDoAAy-FLvA8q-FUgfJD-GDoUfb-pHdPF2-8EQG7x-8ETWTU-8ETScm-dmhnBs-dJ77PD-p9R2wY-GxxGZ9-GxxYdq-GbBXnD-GFKz76-FLdb1A-9YPHcd-GgD5xU-dmhfy6-dmhtS5-dmheWH-8ETuXQ-dmhxHH-dmh9V9-GPAsDM-dmh9he-dmhq87">Olivier Ortelpa/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p>Le rassemblement de Nuit debout est comparé et assimilé – de façon erronée – au mouvement des indignés espagnols de 2011. Le parti politique <a href="https://theconversation.com/une-nouvelle-ere-de-pactes-politiques-souvre-en-espagne-52627">Podemos</a>, qui en est issu, a d’ailleurs apporté son soutien à ses voisins du Nord. Néanmoins, plusieurs éléments font que Nuit debout a peu de chance de suivre le même chemin, celui de la transformation en un parti politique.</p>
<h2>En Espagne, la crise du « devenir adulte »</h2>
<p>Les indignés espagnols comptaient avec le soutien de la société civile (compréhensive envers eux), la clémence des pouvoirs publics (la place de la Puerta del sol était occupée jour et nuit) et la solidarité des familles (les discours à la maison approuvaient l’occupation de la place). En Espagne, la coexistence des générations au sein des ménages se retrouvait dans l’espace public et les indignés en avaient largement bénéficié : parents et grands-parents s’unissaient au mouvement le soir et le week-end.</p>
<p>Les difficultés économiques dans un contexte d’État-Providence faible impactaient toutes les familles, et plus particulièrement les jeunes. Un des éléments centraux du modèle du passage à l’âge adulte était touché : l’accès à la propriété. L’Espagne est l’un des pays d’Europe disposant d’un taux parmi les plus élevés de propriétaires. Auparavant, les jeunes quittaient leurs parents en accédant à la propriété grâce aux emprunts hypothécaires – ce qui n’était désormais plus possible et signifiait non seulement un retard mais une absence de perspective d’autonomisation résidentielle.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/124576/original/image-20160531-1964-gusznx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/124576/original/image-20160531-1964-gusznx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/124576/original/image-20160531-1964-gusznx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/124576/original/image-20160531-1964-gusznx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=398&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/124576/original/image-20160531-1964-gusznx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/124576/original/image-20160531-1964-gusznx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/124576/original/image-20160531-1964-gusznx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À Madrid, en mai 2011.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/uchiuska/5773736570/in/photolist-9NcUJf-9X1uNM-avSaaS-9X4nBh-b2sYxT-9X4n4s-bRzM6V-aamAMq-aamBYw-aaiPdg-aaiMyP-9NozR2-9KgDSN-aamDfC-9NaaT4-DjBWHn-9NcTQs-aaiPFa-CVzCy3-aaRZDQ-aaiMRp-aaiPuR-9PKdzn-ahuzuF-ahVWRc-aamAUs-DQQfno-aaiM6H-aaiPhK-aaiKRe-aamzCq-9PN8nj-Dr6pUC-9RFehd-aaiQdp-aaiPPK-DJQysx-a71JeM-aamyMU-ceEKXJ-bXqzab-9PN6gf-aaiP9x-9KqmhH-aaiPJR-hynjpj-9K8CX7-akvu84-9PKgsg-9KdNxp">uchiuska/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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</figure>
<p>Ainsi, c’était tout le modèle sociétal du devenir adulte qui était touché. D’ailleurs, un des succès a posteriori des indignés a été le mouvement PAH (Plateforme des affectés par les hypothèques) contre les expulsions des logements, emmené à l’époque par l’actuelle maire de Barcelone <a href="http://www.lemonde.fr/europe/article/2015/06/12/ada-colau-l-indignee-sera-investie-maire-de-barcelone-avec-une-majorite-absolue_4653347_3214.html">Ada Colau</a>.</p>
<h2>Fracture au sein de la jeunesse française</h2>
<p>En France, l’état d’urgence a limité dès le départ la possibilité d’un rassemblement 24 heures sur 24. Les jeunes, quant à eux, ont mauvaise presse depuis mai 68 : ils font du bruit, ne sont pas sérieux et leur mobilisation est toujours inquiétante pour une partie de la population…</p>
<p>Par ailleurs, les aides sociales de l’État-providence jouent un rôle d’amortisseur pour les familles françaises. La crise touche les générations de manière plus diluée qu’en Espagne et la jeunesse est davantage fragilisée que la famille. Plusieurs dimensions de l’autonomisation des jeunes (emploi, logement, formation…) sont impactées sans toutefois remettre en cause – du moins pour l’instant – la possibilité de s’autonomiser de la famille : les jeunes restent aidés financièrement par les parents au moment du départ.</p>
<p>Enfin, la fracture silencieuse qui existe au sein de la jeunesse française, entre une fraction violente et une non-violente – constitue la principale différence entre les deux pays. Or elle est inimaginable dans l’Espagne d’aujourd’hui.</p>
<p>En revanche, d’autres clivages existent qui rapprochent les jeunesses française et espagnole : fracture entre les hommes et les femmes, les diplômes et les non-diplômés, les propriétaires, les locataires et les exclus du logement, ceux qui ont une famille et ceux qui ne l’ont pas, les connectés et les solitaires.</p>
<h2>S’immiscer pour détruire</h2>
<p>Les jeunes de Nuit debout sont pacifiques et veulent manifester leurs idées sans violence, tandis que les casseurs ne font aucun cas des revendications et intentions de leur groupe de pairs. Ils agissent comme ils agiraient avec toute forme de rassemblement : s’immiscer pour détruire.</p>
<p>Tout se passe comme si une jeunesse diverse (diplômée ou non, précaire, employée ou au chômage…), mobilisée, pacifique, tolérante et, d’une certaine manière, obéissante agaçait profondément et mettait en colère un ou <a href="https://theconversation.com/quel-est-le-vrai-visage-des-casseurs-59146">plusieurs noyaux minoritaires, rageurs, violents</a> et restant en marge de la société. En France, quand une jeunesse se mobilise, l’autre casse et renforce l’image négative qui la touche dans son ensemble.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/124578/original/image-20160531-1964-1ka97s7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/124578/original/image-20160531-1964-1ka97s7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/124578/original/image-20160531-1964-1ka97s7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/124578/original/image-20160531-1964-1ka97s7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=341&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/124578/original/image-20160531-1964-1ka97s7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=428&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/124578/original/image-20160531-1964-1ka97s7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=428&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/124578/original/image-20160531-1964-1ka97s7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=428&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Tension au printemps 2006 autour du Contrat première embauche (CPE).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/bepatou/124139677/in/photolist-ecDg1M-b9USv-c49DR-bM7iB-bnTvD-osYBWE-obFZbu-obGdbM-obGmFH-otbGgD-osUCnp-osYDbJ-otbVu2-otans5-FUK626-ouWEfD-dV8qn-7fwraB-bYfpg-bWDaL-cr1Kq-bWCXo-bWCQW-cr1Kj-obG2JW-Hf5nYF-osUwY8-or9Rah-bWDeL-ouWCgZ-ouWDgK-H7wLYW">bepatou/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>La fracture <a href="https://theconversation.com/comprendre-et-aborder-la-violence-aujourdhui-59805">due à la violence</a> est profonde mais minimisée et seulement visible à certains moments et/ou en certaines occasions. Lors des manifestations contre le CPE (2006), des jeunes se font dérober leurs portables. Lorsque les jeunes fêtent la Saint-Sylvestre, des voitures brûlent. L’annonce du nombre de véhicules incendiés est faite tous les 1<sup>er</sup> janvier de manière banalisée et surprenante pour un observateur étranger, sans même évoquer la gravité du phénomène, ni les causes ni le profil des acteurs.</p>
<p>Lorsque le Paris Saint-Germain gagne le championnat de football en 2013, les jeunes voient leur fête gâchée par des casseurs et autres fauteurs de troubles. Comme si tout mouvement d’ampleur comprenant des jeunes devait être systématiquement associé à des mouvements de violence. Dès lors, une peur latente étreint une partie de la jeunesse face à une autre.</p>
<h2>La Fête de la musique, une exception</h2>
<p>Le profil des jeunes participant aux actes violents lors des manifestations ou mouvements est flou et n’est guère spécifié. Ils sont considérés comme <a href="http://lemonde.fr/societe/article/2016/05/27/qui-sont-les-casseurs_4927393_3224.html">des ultras, ou des gauchos ou des « ouaiches »</a>, etc.</p>
<p>Le seul évènement qui en France a lieu encore sans grande perturbation reste finalement la Fête de la musique. Celle-ci parvient encore à réunir pacifiquement la jeunesse issue de différents mondes, et dotée de codes et comportements distincts. Pour le reste, le vivre ensemble, le fêter ensemble, l’étudier ensemble, le manifester ou s’indigner ensemble sont fortement impactés.</p>
<p>Dans de telles conditions, la jeunesse divisée a peu de chances de pouvoir compter sur le soutien du reste de la société. Les casseurs se situent loin de la <a href="https://theconversation.com/nuit-debout-mediascopie-dun-processus-en-cours-58368">discussion et de la réflexion promue par Nuit débout</a> – un mouvement parfois accusé d’être formé par des bobos privilégiés ayant le temps de refaire le monde.</p>
<p>Or Nuit debout montre, comme les indignés, que les jeunes veulent prendre une place dans le débat public et dans la société. Mais, dans le contexte que nous avons décrit, Nuit debout aura certainement plus de difficultés qu’en Espagne à perdurer et à faire émerger une force politique qui compte.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/59707/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sandra Gaviria ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Comparé aux indignés espagnols de Podemos, Nuit debout n’a pourtant pas la même physionomie. La fracture silencieuse au sein de la jeunesse française y est pour beaucoup.Sandra Gaviria, MCF de sociologie, Université Le Havre NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/601582016-05-30T04:38:53Z2016-05-30T04:38:53ZLa reconquête démocratique connectée, du monde arabe au continent européen (3)<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/124380/original/image-20160528-894-1cwjkyd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C170%2C1024%2C709&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">L'électro chaäbi, nouveau genre musical en Egypte. </span> <span class="attribution"><span class="source">Fabien Dworczak</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est le troisième d’une série sur l’émergence d’une nouvelle culture européenne bâtie par une jeunesse qui s’impose de plus en plus dans le débat public. Une thématique débattue lors du forum #european.lab.</em></p>
<p>Figures de proue médiatiques des « printemps arabes » hier, mais laissées pour compte des politiques aujourd’hui, les jeunesses du monde arabe cristallisent à elles seules les difficultés que traversent leurs pays.</p>
<p>Cinq ans après les soulèvements démocratiques qui ont bouleversé l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, que peuvent nous dire ces jeunesses engagées 2.0 ?</p>
<h2>Le nouvel underground des mondes arabes</h2>
<p>Souvent réduits à une lecture géopolitique de leurs territoires, les jeunes artistes émergents des pays du pourtour méditerranéen sont les grands absents de la scène musicale internationale.</p>
<p>Pourtant la scène pop underground de Beyrouth a émergé dans les années 90, le hip-hop fait trembler la scène tunisienne et l’électro est sorti dans les rues du Caire depuis les printemps arabes.</p>
<p>Dans la lignée de la grande Oum Kalthoum, de nombreuses femmes continuent toujours de braver le carcan social et politique pour monter sur scène.</p>
<p>Ces jeunes artistes sont les porte-paroles d’une jeunesse qui se bat encore et toujours pour l’obtention de ses droits, dans des pays en proie à des régimes autoritaires ou aux démocraties balbutiantes.</p>
<h2>L’Égypte en exemple avec l’electro chaâbi !</h2>
<p>Dans les bidonvilles du Caire, la jeunesse danse au son de l’<a href="http://www.francemusique.fr/emission/l-autre-bout-du-casque/2014-2015/electro-chaabi-09-15-2014-09-09">electro chaâbi</a>, une nouvelle musique qui mélange chanson populaire, beats électro et freestyles scandés à la manière du rap.</p>
<p>L’idée : fusionner les sons et les styles de manière chaotique avec un seul mot d’ordre, « foutre le bordel » !</p>
<p>Victime de la corruption et la ségrégation sociale, la jeunesse des quartiers populaires exorcise en faisant la fête. Libération des corps et d’une parole refoulée, transgression des tabous religieux, bien plus qu’un simple phénomène musical, l’électro chaâbi est un exutoire salutaire pour une jeunesse brimée par les interdits que la société égyptienne lui impose.</p>
<p>Le forum #european.lab a pu donner, ainsi, la parole à quelques représentants de cette nouvelle génération d’artistes arabes dont le goût de l’underground s’affirme comme un signe de résistance à un ordre politique autoritaire.</p>
<p>Un Make Sense Room a pu se dévoiler dans le forum : l’autonomisation des femmes dans les mondes arabes. La femme musulmane représente plus de 500 millions de personnes dans le monde, avec des sociétés aussi disparates et éloignées que peuvent être l’Indonésie et l’Iran, avec des niveaux d’éducation et de richesse difficilement réductibles aux quelques archétypes décrits régulièrement par certains médias et hommes politiques.</p>
<p>Nous avons pu entendre dans ce MSR, que dans tous les pays musulmans, l’entrepreneuriat social au féminin représente, aujourd’hui, une lame de fond qui participe à faire bouger les lignes et améliorer la représentation des femmes dans toutes les couches de la société… À suivre donc…</p>
<h2>Et l’Europe alors ?</h2>
<p>Et pour terminer sur l’European lab avec l’Europe, revenons à son fondateur Vincent Carry :</p>
<blockquote>
<p>L’édition 2016 du forum est plus que jamais indexée à une désagrégation civique et politique. Si nous ne parvenons pas à endiguer cette poussée des populismes européens, alors tout sera emporté. Le défi pour notre génération est énorme et nous avons clairement le sentiment que nous allons devoir régler une addition dont nous ne sommes pas responsables.</p>
</blockquote>
<p>Comme l’ont revendiqué de nombreux intervenants du forum, il serait, donc, encore largement temps d’agir et de « sortir de l’apathie » et tous, dans des champs d’intervention divers, ont déployé une énergie constructive et ont dévoilé des projets de transition numérique avec des maillages et des réseaux opérants. Vincent Carry encore :</p>
<blockquote>
<p>L’idée de l’année zéro, c’est donc celle d’une nouvelle ère, celle de la reconquête démocratique, en réfléchissant à l’arme que constitue le bien commun de la culture. Rompre la spirale de la fatalité, du renoncement, de la lassitude. Rassembler une génération d’acteurs et retrouver ensemble du désir et de l’espoir.</p>
</blockquote>
<p>Malgré tout, le budget européen de la culture resterait souvent insuffisant et dans la plupart des pays, les ministères et les collectivités locales ne feraient que gérer le patrimoine et maintenir à flot une politique culturelle ultra-institutionnelle.</p>
<p>Ces choix « assèchent les territoires, hiérarchisent et verticalisent la culture dans un <em>top down</em> du XIX<sup>e</sup> siècle, interdisent tout redéploiement d’une ambition culturelle qui soit un début de réponse aux crises sociales et démocratiques que nous connaissons », a-t-on encore entendu au forum.</p>
<h2>Phénomène de nécrose</h2>
<p>La philosophie et l’esprit dégagé de cet European Lab 2016 est née, ainsi, de cet état de fait : « le message de la culture institutionnelle c’est : en avant comme avant ! En niant les projets et la culture d’aujourd’hui, en refusant d’investir dans ce qui fera notre culture de demain, les politiques culturelles entérinent sciemment un phénomène de nécrose. Ce que nous avons compris dans le domaine de l’économie, la logique de l’incubation, de l’essaimage, nos politiques sont incapables d’en voir la nécessité dans le champ culturel. Pourtant, penser l’avenir de notre ADN, dont la culture est un élément structurant, c’est une question de survie ».</p>
<p>C’est ainsi que les équipes d’European Lab et les intervenants européens et d’autres pays et continents, ont pu nous le démontrer, il ne faudrait pas beaucoup d’argent pour donner un « souffle énorme » et que, surtout, « la culture est le seul espace de partage dans lequel nous pouvons retrouver un lien fort, à peu de frais ». Et, aujourd’hui, nous n’avons eu jamais eu autant besoin de politique, comme le mouvement <a href="https://theconversation.com/nuitdebout-le-retour-des-indignes-57183">Nuit debout</a> en est à sa manière un indice éclairant. « Notre société ne se désagrège pas du fait de son excès de politique, mais de son absence ».</p>
<p>Plus que jamais, en 2016, et le forum a pu nous le montrer par la qualité de toutes les interventions, il importera de défendre cet espace des cultures indépendantes, non institutionnelles mais bâties dans le respect de l’intérêt général, avec une génération pour qui la culture, aujourd’hui en Europe et ailleurs aussi, sert, plus que tout, « à vivre ensemble, à garder l’espoir et à être heureux ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/60158/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabien Dworczak ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les jeunesses engagées 2.0 du printemps arabes se sont tournées vers la musique. Au tour des jeunesses européennes d’occuper l’espace politique avec le numérique.Fabien Dworczak, PhD, chercheur associé neurosciences et éducation, Université Lumière Lyon 2 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/598052016-05-25T04:37:43Z2016-05-25T04:37:43ZComprendre et aborder la violence aujourd’hui<p>En France, aujourd’hui, tout donne l’image de la fragmentation, de la déstructuration. Le champ des attentes sociales et culturelles n’a aucune unité : quoi de commun, par exemple, entre les salariés qui paralysent les raffineries par la grève ou le blocage et Nuit debout, qui dans ce que ce mouvement présente de meilleur, promeut de nouvelles façons de réfléchir, de débattre et de développer <em>bottom up</em> <a href="https://theconversation.com/nuit-debout-mediascopie-dun-processus-en-cours-58368">une idée de citoyenneté rompant avec le modèle actuel</a>, <em>top down</em> ?</p>
<p>Et en politique, l’image d’un système structuré par une opposition gauche/droite semble laisser la place non pas au <a href="https://theconversation.com/le-tripartisme-et-apres-53262">tripartisme</a> décrits par certains analystes – avec une gauche, une droite et une extrême-droite – mais à un éclatement, ne serait-ce qu’à gauche.</p>
<p>Dans ce contexte, ce ne sont pas seulement des musulmans ou des jeunes des « banlieues » qui se radicalisent et, parfois rejoignent le djihad : la violence rôde de tous les côtés, sans qu’on puisse toujours savoir ce qu’elle vient exprimer.</p>
<p>Pour éviter l’amalgame et les raisonnements simplistes, pour tenir compte de la diversité des conduites, les sciences sociales proposent différents paradigmes : nous allons ici évoquer trois grandes familles d’explication.</p>
<h2>1. Subjectivation et dé-subjectivation</h2>
<p>Une première famille, qui est au cœur de mon livre <em>La Ciolence</em> (Hachette Pluriel, 2012) s’intéresse au sens, et à la perte de sens que vient exprimer la violence.</p>
<p>Considérons, d’abord, la façon dont une partie du syndicalisme se raidit aujourd’hui, en même temps d’ailleurs que le PCF se durcit, et refuse par exemple les <a href="https://theconversation.com/le-lieu-geometrique-de-la-gauche-54711">primaires de toute la gauche</a> que Pierre Laurent, son secrétaire national, était prêt à promouvoir en janvier dernier.</p>
<p>Récentes ou annoncées, les manifestations contre la loi El Khomri témoignent d’un gauchissement qui pourrait ici et là se prolonger par des conduites de colère : l’éventuelle violence fait alors sens, elle est dans le prolongement – au moins provisoire – de l’action.</p>
<p>Ces mêmes manifestations, et d’autres initiatives, comme <a href="https://theconversation.com/nuitdebout-le-retour-des-indignes-57183">Nuit debout</a>, attirent des personnes et des groupes moins directement concernés dans leur existence concrète, qui sont portés par des idéologies gauchistes ou anarchisantes et veulent en découdre pour des <a href="https://theconversation.com/quel-est-le-vrai-visage-des-casseurs-59146">raisons politiques</a>, tout en entretenant encore un lien, plus ou moins lâche, avec le sens de la contestation sociale ou politique.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/123649/original/image-20160523-10986-9e9jso.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/123649/original/image-20160523-10986-9e9jso.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/123649/original/image-20160523-10986-9e9jso.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/123649/original/image-20160523-10986-9e9jso.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=374&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/123649/original/image-20160523-10986-9e9jso.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/123649/original/image-20160523-10986-9e9jso.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/123649/original/image-20160523-10986-9e9jso.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=470&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À Paris, en avril 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mayanais/26098172124/in/photolist-FLcXjU-GgEFyo-GFKFh2-GFKnet-GDopPU-GxxzhL-GxwBTu-GgEabu-GDoAAy-GDoUfb-GxxGZ9-GxxYdq-GFKz76-FLdb1A-GgD5xU-GDpfju-GxwXKJ-GDoXgS-GDp3Gb-GxxRfC-GDoP1y-FLnNkR-GFJVN8-GzTZHM-GgE2iq-GgDrhu-GzUBpM-FLob3D-7Bn7n3-7Bndxu-7Bne3Q-7Bn1mL-7BiUZt-7BnLow-7Bn1PW-7BimKF-7BnLJo-7Bi6GP-7BiUKH-7Bn32W-7Bif6p-7Bi9vM-7BmSWN-7Bi8DR-7BmV6u-7BiCZB-7BncGu-7BmTmd-7BnyyL-7Bn7Km">Maya-Anaïs Yataghène/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Mais les violences récentes contre les forces de l’ordre ne sont pas seulement le fait de tels individus, groupuscules ou groupes. Elles sont aussi déconnectées, ou presque, de tout sens en dehors du plaisir qu’il y a à pratiquer la violence. Celle-ci devient alors une fin en soi, une jouissance sans autre contenu que la logique jubilatoire de destruction qui la porte. Le climat actuel offre de nombreuses possibilités d’exercer cette violence contre les forces de l’ordre.</p>
<p>Les approches qui s’intéressent au sens et à la perte de sens que vient exprimer la violence présentent une implication majeure : si celle-ci est parfois, ou par moment, un prolongement d’une contestation, elle en est surtout le contraire. Elle vient dire de cette même contestation qu’elle est impuissante, que le conflit négociable et le débat cèdent la place à des conduites de rupture. Elle transforme le rapport social ou politique en son contraire, l’affrontement physique, à la limite meurtrier, quand elle n’est pas tout simplement ce qui surgit précisément parce que ce rapport social ou politique est fragile, voire impossible. Elle fraie son chemin dans la béance qu’ouvre cette impossibilité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/123650/original/image-20160523-11017-j6r2uj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/123650/original/image-20160523-11017-j6r2uj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/123650/original/image-20160523-11017-j6r2uj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/123650/original/image-20160523-11017-j6r2uj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/123650/original/image-20160523-11017-j6r2uj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/123650/original/image-20160523-11017-j6r2uj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/123650/original/image-20160523-11017-j6r2uj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un manifestant équipé, Paris, avril 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mayanais/26704075305/in/photolist-GFKnet-GDopPU-GxxzhL-GxwBTu-GgEabu-GDoAAy-GDoUfb-GxxGZ9-GxxYdq-GFKz76-FLdb1A-GgD5xU-GDpfju-GxwXKJ-GDoXgS-GDp3Gb-GxxRfC-GDoP1y-FLnNkR-GFJVN8-GzTZHM-GgE2iq-GgDrhu-GzUBpM-FLob3D-7Bn7n3-7Bndxu-7Bne3Q-7Bn1mL-7BiUZt-7BnLow-7Bn1PW-7BimKF-7BnLJo-7Bi6GP-7BiUKH-7Bn32W-7Bif6p-7Bi9vM-7BmSWN-7Bi8DR-7BmV6u-7BiCZB-7BncGu-7BmTmd-7BnyyL-7Bn7Km-7Bi66H-7Bic18-7BnA4S">Maya-Anaïs Yataghène/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>C’est pourquoi, sauf dans les cas extrêmes où elle devient une fin en elle-même, la violence entretient un lien avec les idéologies de rupture, antisystème, révolutionnaires, marxistes-léninistes ou libertaires, qui sont la première étape dans la dégradation des mouvements sociaux ou culturels. Mélenchon ou Besancenot ne prêchent pas la violence, et parfois même, l’idéologie qu’ils véhiculent la contient plutôt que de la favoriser.</p>
<p>Mais les modes de pensée qu’ils proposent progressent d’autant plus que le mouvement social ou culturel est faible, tenté par la perte de sens : la pensée « rupturiste » est aussi un sas qui peut s’ouvrir vers la violence, elle peut aussi en constituer sa maladie infantile.</p>
<h2>2. Interactions ? Stratégies policières ?</h2>
<p>Deux autres familles d’analyse doivent être considérées.
L’une relève de l’interactionnisme symbolique et de ces modes de pensée sociologiques qui s’intéressent aux interactions à travers lesquelles se façonne éventuellement la violence – j’ai longuement discuté avec lui, puis dans mon livre <em>Retour au sens</em> (Robert Laffont, 2015), des travaux du meilleur spécialiste de cette démarche, le sociologue américain Randall Collins (<a href="http://press.princeton.edu/titles/8547.html"><em>A Micro-Sociological Theory</em></a>, Princeton University Press, 2008).</p>
<p>Dans cette perspective, la violence naît du face à face et de la façon dont il évolue entre, par exemple, manifestants et policiers : les uns provoquent les autres, qui réagissent, et suscitent une réponse plus dure, une escalade se met en place…</p>
<p>De telles explications peuvent avoir une certaine pertinence, mais elles ne disent rien du sens – éventuellement perdu – qui meut en quelque sorte les acteurs, de leur subjectivité, des processus de subjectivation et de dé-subjectivation qui les fait passer à la violence, et pas seulement en situation, pas seulement dans les interactions.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/123652/original/image-20160523-11032-4hwn34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/123652/original/image-20160523-11032-4hwn34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/123652/original/image-20160523-11032-4hwn34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/123652/original/image-20160523-11032-4hwn34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/123652/original/image-20160523-11032-4hwn34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/123652/original/image-20160523-11032-4hwn34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/123652/original/image-20160523-11032-4hwn34.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Face à face nocturne.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mayanais/26611242552/in/photolist-GxxzhL-GxwBTu-GgEabu-GDoAAy-GDoUfb-GxxGZ9-GxxYdq-GFKz76-FLdb1A-GgD5xU-GDpfju-GxwXKJ-GDoXgS-GDp3Gb-GxxRfC-GDoP1y-FLnNkR-GFJVN8-GzTZHM-GgE2iq-GgDrhu-GzUBpM-FLob3D-7Bn7n3-7Bndxu-7Bne3Q-7Bn1mL-7BiUZt-7BnLow-7Bn1PW-7BimKF-7BnLJo-7Bi6GP-7BiUKH-7Bn32W-7Bif6p-7Bi9vM-7BmSWN-7Bi8DR-7BmV6u-7BiCZB-7BncGu-7BmTmd-7BnyyL-7Bn7Km-7Bi66H-7Bic18-7BnA4S-7BiVyn-7BmYDy">Maya-Anaïs Yataghène/Flick</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Et une seconde perspective s’intéresse en priorité aux forces de l’ordre, pour leur reprocher d’être source des violences, à elles et aux politiques qui décident de leur mode d’intervention.</p>
<p>C’est ainsi qu’à suivre divers articles de presse, le plus souvent d’inspiration gauchiste, anti-impérialiste, tiers-mondiste, etc., les stratégies et les techniques policières actuelles seraient commandées par le projet de radicaliser les manifestants, par exemple en ne laissant guère de possibilités de sortir paisiblement de la manifestation, en enfermant ceux qui y participent dans des goulots ou des espaces clos, où le face à face avec les forces de l’ordre devient inévitable – et violent.</p>
<p>Pour faire bonne mesure, ces articles affirment parfois que l’inspiration vient ici d’Israël et des doctrines de répression qui seraient propres à son État. Mais rien en fait ne démontre qu’une telle logique soit à l’œuvre en France, un pays où les grandes manifestations de mai 68 n’ont guère débouché sur des violences meurtrières, qui sont la hantise du pouvoir et non son projet.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/123653/original/image-20160523-11012-b10hg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/123653/original/image-20160523-11012-b10hg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/123653/original/image-20160523-11012-b10hg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/123653/original/image-20160523-11012-b10hg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/123653/original/image-20160523-11012-b10hg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/123653/original/image-20160523-11012-b10hg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/123653/original/image-20160523-11012-b10hg9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Place de la République, à Paris.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/mayanais/26677331206/in/photolist-GDoi9j-FLnTTz-GzTXB2-FLcXjU-GgEFyo-GFKFh2-GFKnet-GDopPU-GxxzhL-GxwBTu-GgEabu-GDoAAy-GDoUfb-GxxGZ9-GxxYdq-GFKz76-FLdb1A-GgD5xU-GDpfju-GxwXKJ-GDoXgS-GDp3Gb-GxxRfC-GDoP1y-FLnNkR-GFJVN8-GzTZHM-GgE2iq-GgDrhu-GzUBpM-FLob3D-7Bn7n3-7Bndxu-7Bne3Q-7Bn1mL-7BiUZt-7BnLow-7Bn1PW-7BimKF-7BnLJo-7Bi6GP-7BiUKH-7Bn32W-7Bif6p-7Bi9vM-7BmSWN-7Bi8DR-7BmV6u-7BiCZB-7BncGu">Maya-Anaïs Yataghène/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Ainsi, les violences actuelles, après les tueries terroristes de novembre dernier, sont-elles diverses, et appellent des analyses où divers modes d’approche méritent d’être confrontés, non pas tant théoriquement que dans la capacité de chacune à apporter un éclairage sur les faits. Nous ne pouvons décidément pas, contrairement <a href="https://theconversation.com/terrorisme-quelle-place-pour-lexplication-sociologique-52730">aux propos malheureux du premier ministre Manuel Valls</a>(en janvier 2016), qui les a d’ailleurs par la suite nuancés, accepter l’idée qu’expliquer (la violence) serait déjà un peu l’excuser.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/59805/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Dans les rues, devant les lycées ou les raffineries, la tension monte partout. Pour éviter l’amalgame et les raisonnement simplistes, les sciences sociales apportent un précieux concours.Michel Wieviorka, Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/591462016-05-18T20:41:41Z2016-05-18T20:41:41ZQuel est le vrai visage des casseurs ?<p>Depuis plusieurs semaines, tandis que la <a href="http://www.bastamag.net/La-mobilisation-en-ligne-contre-le-projet-de-demantelement-du-droit-du-travail">mobilisation contre la loi travail se poursuit</a>, les fameux « casseurs » réapparaissent dans les médias. Il semble qu’aucun mouvement social en France ne puisse faire l’économie de leur présence, et ce toujours pour le pire et jamais pour le meilleur.</p>
<p>En 1970, une loi « anticasseurs » fut votée pour juguler le phénomène « gauchiste », rendant juridiquement responsables les organisateurs d’une manifestation de toute violence commise. Si celle-ci fut abrogée en 1982 par le pouvoir socialiste, les casseurs n’ont pas pour autant disparu des manifestations. Mais ce n’est pas tant dans les textes de loi que l’on remarque la présence de casseurs, c’est dans les <a href="http://www.bfmtv.com/societe/loi-travail-la-gare-de-nantes-saccagee-par-des-casseurs-973841.html">médias de grande audience</a> qu’ils s’observent le mieux. Leur description est toujours la même : ils sont jeunes, radicaux, masqués et habillés tout en noir.</p>
<h2>Une figure bien ancrée dans les médias et l’opinion publique</h2>
<p>Leur comportement serait toujours le même : ils s’infiltreraient dans les cortèges, apparaissant toujours comme des éléments extérieurs. Ils provoqueraient systématiquement les forces de l’ordre en les insultant ou en leur jetant des projectiles de toutes sortes. Ils commettraient des dégradations en brisant des vitrines, détériorant du mobilier urbain et parfois <a href="http://www.lemonde.fr/police-justice/article/2016/05/18/enquete-pour-tentative-d-homicide-volontaire-apres-l-incendie-d-une-voiture-de-police-a-paris_4921763_1653578.html">brûlant des voitures</a>.</p>
<p>Le couple de la peur face aux casseurs et du désir de ne pas s’associer à eux revient inévitablement lors des manifestations de rue. La construction de cette figure est fondamentalement articulée à un rejet et à une condamnation absolue du recours de la violence physique en politique, excepté celle de l’État détenteur du monopole de la violence physique légitime.</p>
<p>Ainsi en usant de la violence, ceux qu’on désigne sous l’étiquette de « casseurs » perdraient leur légitimité à s’exprimer sur la politique. Cette étiquette viserait à les disqualifier, à les tuer politiquement. Présentés comme des éléments extérieurs à la manifestation, totalement dissociés de celle-ci, ils feraient fi des raisons qui ont conduit à son organisation et ne s’en préoccuperaient d’ailleurs pas. Pire, ils seraient dans un rapport totalement opportuniste, de manipulation des manifestations légales qu’ils s’efforceraient de faire dégénérer pour en faire ce qu’ils veulent, c’est-à-dire un concentré de violences.</p>
<p>Dans cette figure construite par les pouvoirs publics et les médias, les « casseurs » ne sont pas des citoyens qui exerceraient leurs droits politiques, mais bien des personnes sans réelle idéologie, qui prendraient opportunément prétexte des manifestations de rue pour assouvir leurs pulsions destructrices.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/122505/original/image-20160513-10652-16dphvs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/122505/original/image-20160513-10652-16dphvs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/122505/original/image-20160513-10652-16dphvs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/122505/original/image-20160513-10652-16dphvs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/122505/original/image-20160513-10652-16dphvs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/122505/original/image-20160513-10652-16dphvs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/122505/original/image-20160513-10652-16dphvs.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le GIPN lors d’émeutes à la Réunion, le 22 février 2012.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Stéphane Bommert/Flickr</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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</figure>
<p>Or, lorsqu’on observe les récentes manifestations, l’on est obligé d’admettre que les « casseurs » – personnes faisant preuve de violence – sont présents dans les manifestations depuis le début du mouvement. Lorsque, effectivement, ils en viennent à casser des vitrines d’établissements – banques, boîtes d’intérim, hôtels de luxe, et plus largement toute institution symbole du capitalisme –, ces derniers sont rarement choisis par hasard.</p>
<p>Ils deviennent des cibles politiques du fait de la fonction sociale qui est la leur. Aussi s’en prendre à eux, même symboliquement, constitue un acte hautement politique. Lorsqu’ils manifestent, s’affrontant directement aux forces de l’ordre, le visage dissimulé avec des foulards, c’est autant pour ne pas être identifié que pour se protéger de l’usage des grenades lacrymogènes par les forces de l’ordre. De plus si ces « casseurs » ont des masques ou des lunettes pour les yeux, des casques ou autres éléments de type armure, c’est bien pour se protéger des tirs tendus, à commencer des tirs de flashball pouvant engendrer <a href="http://www.liberation.fr/france/2016/04/29/loi-travail-un-manifestant-eborgne-par-un-tir-de-flash-ball-a-rennes_1449427">des lésions irréversibles</a>.</p>
<h2>« Mouvances autonomes »</h2>
<p>Mais tout cela ne nous dit rien sur l’identité politique de ces étranges et inquiétants « casseurs ». Dans les affrontements de rue, un certain nombre d’entre eux appartiennent à des « mouvances autonomes » : bien que n’appartenant pas à une organisation dont les statuts auraient été déposés en préfecture, ils apparaissent extrêmement organisés, structurés, revendiquant des objectifs politiques.</p>
<p>Participant aux mouvements sociaux, présents à la fois dans les manifestations, mais aussi dans les assemblées générales, les comités de mobilisation et autres organes de discussion, ils sont partie intégrante du mouvement social. Mais lorsque les affrontements éclatent, ce sont bien eux qui recourent principalement à la violence physique, par le biais de jet de pierre ou de feu d’artifice.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/122861/original/image-20160517-9458-ieibor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/122861/original/image-20160517-9458-ieibor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/122861/original/image-20160517-9458-ieibor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/122861/original/image-20160517-9458-ieibor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/122861/original/image-20160517-9458-ieibor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/122861/original/image-20160517-9458-ieibor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/122861/original/image-20160517-9458-ieibor.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des casseurs en action (ici en 2006).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/b_o_m/1830101475/in/photolist-3MHKpH-ecDg1M-pMyvoY-pxdRJn-FRgJLv-pYdTt8-4XW6vj-pYp1LZ-kqKR9K-eMMMgm-pXXCsN-5CbCXQ-78dvV-kqGDUW-pFKTLR-kqFJxe-pVHVtW-kqEgJt-pFoDPe-pFnY8Z-p2s17p-p2BayU-pFpSL5-9u1d9f-pXCw7n-pYwA17-6roWFa-pVwCjC-kqMXSj-p1XNZb-kqP8BN-kqGgoV-pG1jKj-pY1JDP-p25Sxt-kqGrEf-kqH9HZ-kqK3SX-pFY2az-kqLqXL-9aH9sK-pFKzsr-pVDyu9-kqLiaa-kqHACe-pFgox4-6dVvJ8-p1QX5y-pXKniX-pY1Eip">Beatriz Ortiz/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’analyse empirique des manifestations de ces dernières semaines oblige à admettre qu’ils ne sont pas seuls : des militants révolutionnaires affiliés à des organisations légales, et d’autres étudiants, lycéens non organisés et parfois même des syndicalistes, salariés et des chômeurs sont présents à leurs côtés. Très souvent habillés de la même manière, pour les mêmes raisons de protection et de confidentialité, sans nécessairement participer directement aux affrontements. Par leur présence, ils permettent au noyau dur de ne pas se retrouver seul face aux forces de l’ordre.</p>
<p>Ainsi, ceux qu’on stigmatise avec l’étiquette infamante de « casseurs » sont, en réalité, des militants actifs du mouvement social, autrement dit des individus hautement politisés.</p>
<h2>Logique politique</h2>
<p>Les affrontements qu’ils provoquent délibérément avec les forces de l’ordre à un moment donné entrent dans une logique radicalement politique. En effet, ce sont les forces de l’ordre qui sont ciblées, c’est-à-dire les représentants du gouvernement présents sur le parcours de la manifestation. Les violences relèvent d’une stratégie, celle de la tension. Il s’agit de maintenir, d’entretenir, de faire perdurer la conflictualité, par-delà la manifestation de masse.</p>
<p>Cette stratégie est pensée comme associée à la massification indispensable du mouvement, en vue d’un recul satisfaisant du gouvernement. En effet, l’histoire des mouvements sociaux montre qu’il est difficile de faire plier un gouvernement sans assumer le fait d’aller au-delà du seul droit de manifester pacifiquement.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/122520/original/image-20160513-10670-9ih17q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C99%2C1020%2C531&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/122520/original/image-20160513-10670-9ih17q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/122520/original/image-20160513-10670-9ih17q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/122520/original/image-20160513-10670-9ih17q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/122520/original/image-20160513-10670-9ih17q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/122520/original/image-20160513-10670-9ih17q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/122520/original/image-20160513-10670-9ih17q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Casseur après les résultats de l’élection présidentielle de 2007.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/spaceflattener/487645689/in/photolist-K6j5i-48PBcf-9ahhm4-99XVeS-9KxpEX-9dVWSn-99UNtn-pVzuxj-kBHZKt-pVzusQ-pVzuwN-byxFqH-99XUJN-bkD1Zs-bkHTEA-kBKQf3-99UJFK-9a9UyG-byG17R-99XTys-byxMCt-8Mybd2-byD4C2-bkMiif-bkCeKu-bkEyeb-bkBNk1-bkESFw-bkBVvJ-pFi2UM-9cD9Zy-bkLHTf-K7pxa-8LVGPL-8LVJnh-8LWkxs-8LT8hg-8LSGRg-8LTgMi-8LSU8T-8LSPJv-8LVx5u-8LVwqh-8LSXF2-K4Amp-8LWHzq-4cBwR5-8LVsG5-8LWhQ9-8LT3f8">Mikael Marguerie</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les affrontements lors des manifestations de rue jouent ce rôle d’au-delà. Alors que la grève est un droit constitutionnel, l’affrontement avec les forces de l’ordre lui ne l’est pas. Sa condamnation et sa délégitimation sont donc extrêmement faciles.</p>
<p>La figure du « casseur » marque la fétichisation de l’ensemble du mouvement social. Derrière le « casseur » masqué, habillé en noir, usant de violence, c’est toute la réalité du mouvement social qu’on cherche à occulter : des assemblées générales aux revendications, des discussions lors d’une distribution de tracts au travail de décloisonnement des luttes. À cet égard, si les « casseurs » n’existaient pas, il faudrait les inventer.</p>
<p><em>Cet article a été écrit en collaboration avec Philippe Kernaleguen, étudiant en histoire à Rennes 2.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/59146/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hugo Melchior est membre de l’organisation politique « Ensemble ! », l’une des composantes du Front de Gauche.</span></em></p>À chaque manifestation, ses violences. Mais loin d’être des individus mus par une forme de pulsion destructrice, les « casseurs » sont en réalité des militants engagés dans une logique politique.Hugo Melchior, Doctorant en histoire politique contemporaine, Université Rennes 2Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/591232016-05-12T04:35:34Z2016-05-12T04:35:34ZPour une éducation à une culture européenne connectée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/122110/original/image-20160511-18168-1g2pu9w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les débats à l'European Lab.</span> <span class="attribution"><span class="source">Marion Bornaz</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/227138/original/file-20180711-27030-14gt88i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/227138/original/file-20180711-27030-14gt88i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/227138/original/file-20180711-27030-14gt88i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/227138/original/file-20180711-27030-14gt88i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/227138/original/file-20180711-27030-14gt88i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/227138/original/file-20180711-27030-14gt88i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/227138/original/file-20180711-27030-14gt88i.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">DR.</span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Cet article est republié dans le cadre de l’initiative « Quelle est votre Europe ? » dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez toutes les informations, débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://bit.ly/2qJ1aUH">quelleestvotreeurope.fr</a></em></p>
<hr>
<p>Le forum <a href="http://www.europeanlab.com">#european.lab</a> s’est penché tout un week-end sur la thématique d’une réflexion à l’émergence d’une culture européenne, d’une éducation à une culture européenne connectée.</p>
<p>Au moment où certains prophétisent la fin pure et simple de l’Union européenne ou prétextent une absence de vision générale, nous assistons à une montée du populisme et, très certainement, à une forme de lâcheté de quelques dirigeants nationaux.</p>
<p>Face à cette crise profonde du projet européen, le forum European Lab, dont le titre est emblématique, « Europe de la culture : année zéro », a pour ambition, saluons cette initiative, d’éclairer certaines transformations du secteur culturel et créatif, en France et en Europe.</p>
<h2>Une Europe de la culture</h2>
<p>Ce forum fut un succès incontestable et l’avenir européen pourrait s’éclaircir quand on voit l’énergie déployée par ces nouveaux activistes au combat pour l’émergence d’une Europe de la culture.</p>
<p>Pour accroître la visibilité extérieure du forum et sa liaison nécessaire avec d’autres continents, s’est créé, aussi, complémentairement, le forum European Lab Tanger qui se déroule chaque année en octobre au Maroc, avec une orientation spécifique sur les questions culturelles euro-méditerranéennes.</p>
<p>Citons Vincent Carry, à l’origine du forum European Lab :</p>
<blockquote>
<p>Cette génération des « digital natives », celle aussi des « european natives », et d’une certaine façon des « crisis natives », cherche un nouvel horizon. Depuis plus de deux décennies, depuis la chute du mur de Berlin, elle a appris à se construire autrement, à inventer différemment les projets culturels, créatifs et artistiques qu’elle défend. Elle a aujourd’hui la légitimité et les convictions pour apporter des réponses nouvelles aux crises qu’elle a appris à affronter, seule, au quotidien et sur tous les terrains. Au cœur de l’orage, cette génération cherche à construire une « troisième voie » indépendante et engagée, au service de l’intérêt général, du bien commun et du renouvellement démocratique, à distance des schémas dépassés de la culture institutionnelle comme des modèles capitalistiques des grands groupes industriels, qui entrent aujourd’hui en force sur les ruines du champ médiatique et culturel.</p>
</blockquote>
<p>Cette « génération gueule de bois », comme la qualifie l’essayiste Raphaël Glucksmann, est aussi une génération déterminée à se battre, à dépasser les matins difficiles et à redessiner un horizon commun.</p>
<p>Elle pourrait, donc, contribuer efficacement à redonner du sens au projet européen, notamment auprès d’une jeunesse qui s’en est éloignée. À travers ses projets, ses nouveaux espaces, ses lieux, ses événements, ses médias, elle pourrait réhabiliter la culture dans sa fonction la plus essentielle : celle d’une arme de reconstruction massive au service d’une société européenne au bord de l’implosion démocratique.</p>
<h2>Humanisme numérique</h2>
<p>Après <em>Charlie Hebdo</em> et les attentats de janvier 2015, un sursaut civique a pu se dessiner auprès des jeunes générations pour défendre les idéaux dans lesquels elles ont grandi, mais comment se mobiliser pour faire exister cet idéal d’humanisme ?</p>
<p>L’éducation par l’Internet, avec toutes les limites dues aux fractures numériques existantes, pourrait (une des thématiques du forum) apporter des solutions pour une remobilisation aux fondamentaux de nos démocraties européennes.</p>
<p>Mais à l’heure où notre navigation sur les Internets est épiée, surveillée, traquée, où les algorithmes calculent nos moindres traces et peuvent reproduire les inégalités sociales, il sera important d’analyser les transformations politiques et sociales induites par le numérique.</p>
<p>Au-delà de son impact sur la reconquête démocratique, le numérique produirait une nouvelle façon de voir le monde et appellerait, donc, à une nouvelle étape de l’humanisme : un « humanisme numérique ».</p>
<p>Tandis que se développent les usages participatifs, contributifs et collaboratifs, l’absence de frontières entre individus pose, donc, la problématique d’une éducation à une culture humaniste numérique.</p>
<p>D’une manière plus générale et la thématique a été posée à ce forum, la société civile peut-elle venir au secours de la politique et de l’Europe ?</p>
<p>La défiance croissante des citoyens européens pour leurs classes dirigeantes et leurs élus traduit, très certainement, une crise démocratique qui pourrait être grave et durable.</p>
<p>Et pour les digital et european natives que nous sommes, une lecture quotidienne de certains médias qui prophétisent, comme une politique-fiction cauchemardesque, la fin du projet européen pourrait miner le champ des possibles de notre avenir à court terme. Le rêve d’une Europe au destin commun, solidaire, unie, cohérente et ouverte au monde (crise des réfugiés) est-il encore possible ?</p>
<h2>Nouvelles formes de résistance</h2>
<p>On pourrait, donc, stipuler que la mobilisation de la société civile deviendrait, désormais, essentielle pour notre modèle démocratique et pour le projet européen.</p>
<p>De Podemos au Parti Pirate, en passant par Nuit debout, les initiatives se multiplient partout en Europe avec des succès électoraux divers face à la confrontation du réel et à l’exercice du pouvoir.</p>
<p>Ainsi, devant ces crises démocratiques, face aux attaques réitérées des idéaux progressistes, de nouvelles formes de résistance ont pu s’organiser et de nouveaux médias apparaissent.</p>
<p>Et, donc, de nouvelles plateformes émergent, portées par une génération de jeunes, activistes, auteurs, penseurs, qui tentent d’analyser, de décrypter et de rendre compte des menaces réactionnaires auxquelles nos démocraties font actuellement face.</p>
<p>Dans un monde où les figures intellectuelles sont médiocrement absentes, aux mieux déconnectées, au pire opposées à nos idéaux démocratiques, ces nouveaux médias, projets de jeunes auteurs, universitaires ou acteurs de la société civile, réinventent de nouvelles formes d’opposition et proposent des pensées alternatives et collectives.</p>
<p>Ces nouveaux médias-résistants seront-ils appelés à devenir les acteurs de la reconquête démocratique de nos sociétés ? Les tenants de nouvelles formes d’éducation aux valeurs humanistes et démocratiques de notre Europe et tous ses partenaires mondiaux ? Nous le pensons.</p>
<p>Dans ce cadre de prospectives, comment imaginer une nouvelle sphère publique et médiatique européenne ? (autre thématique du forum)</p>
<p>Alors que la démocratie est attaquée, se pose, donc, plus que jamais, la question de l’accès à une information de qualité (The Conversation !) à laquelle se grefferait une « éducation-formation » par ces nouveaux médias qui soit de qualité aussi, sans oublier la lutte contre la fracture numérique. Le citoyen doit pouvoir savoir, connaître, apprendre, pour pouvoir débattre et échanger.</p>
<h2>Le défi des médias</h2>
<p>Ce défi, l’industrie des médias peine à y répondre, car nous devons exiger davantage des médias : plus de transparence, une meilleure protection de la vie privée, plus d’opportunités aussi de prendre part à la vie publique. Le forum a, aussi, pu poser des questions essentielles face à toutes ces problématiques.</p>
<p>Le modèle démocratique européen des médias de service public (MSP) offre-t-il des alternatives satisfaisantes aux grands réseaux sociaux dits centralisés et aux géants de la Silicon Valley (GAFA) ?</p>
<p>Les MSP ne pourraient-ils pas participer à la mise en œuvre de technologies ouvertes, décentralisées et gratuites de type peer-to-peer ?</p>
<p>Pourrait-on imaginer de nouveaux modèles de réseaux sociaux grâce aux médias de service public ?</p>
<p>En intitulant la sixième édition de son forum « Europe de la culture : année zéro », l’équipe de European Lab a pu porter un diagnostic inquiet sur la crise que traverse aujourd’hui notre Europe. Mais plutôt que de ressasser toutes ces angoisses, le forum a combattu et innové en invitant un large public venu du monde entier à repenser la nécessité d’une politique culturelle européenne comme « arme de résistance massive ».</p>
<p>La culture, l’éducation par les médias, contribuent déjà – en devant aussi se développer par des voies parallèles – à consolider l’idée européenne avec ses valeurs démocratiques et cela en dépit des populismes et des replis nationaux.</p>
<p>« Seules la culture et la jeunesse peuvent désormais sauver l’Europe à un moment dramatique où les médias prophétisent sa disparition », estime encore Vincent Carry, directeur d’Arty Farty, association organisatrice du forum European Lab.</p>
<p>Le projet European Lab repose depuis sa fondation sur cette idée directrice : donner la parole à une nouvelle génération d’acteurs européens qui mettent en pratique « les modèles culturels de demain », sur d’autres voies que la route usée des cultures institutionnelles et l’autoroute des « nouveaux panzers capitalistiques » contrôlant des pans entiers du secteur.</p>
<p>La révolution numérique, l’indépendance de la création et les nouveaux médias sont au cœur de ces forums annuels, où l’on veille encore cette année à « l’émergence, à l’innovation culturelle et artistique et à l’évolution des politiques publiques au sein de l’Union européenne ».</p>
<hr>
<p><em>Cet article est le premier d’une série sur l’émergence d’une nouvelle culture européenne bâtie par une jeunesse qui s’impose de plus en plus dans le débat public.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/59123/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fabien Dworczak ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un forum a tenté de dessiner une nouvelle Europe pour et par les jeunes, avec la culture et l’éducation par Internet comme points d’ancrage.Fabien Dworczak, PhD, chercheur neurosciences et politiques publiques, InsermLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/586842016-05-01T08:28:59Z2016-05-01T08:28:59ZCes serpents qui sifflent sur les têtes de Nuit debout<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/120752/original/image-20160430-28139-1wxzs5v.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des Nuit Debout à la manifestation contre le projet de loi Travail du 28 avril 2016 à Paris.</span> <span class="attribution"><span class="source">Alina Reyes</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>« Abîmé dans l’infinie immensité des espaces que j’ignore et qui m’ignorent, je m’effraie… » <a href="http://journal.alinareyes.net/tag/blaise-pascal/">Tout Pascal est là</a>, et il est toujours là. Le centralisme politique qui accompagne le développement du capitalisme ne suffit pas à conjurer l’angoisse de l’homme face à son décentrement dans l’univers. Cet effroi entré dans son cœur avec la Renaissance n’en est toujours pas sorti. Les découvertes d’Einstein et de la physique quantique l’ont même aggravé : depuis elles, l’instabilité s’ajoute à l’incertitude. Beaucoup essaient d’y échapper en s’accrochant à des systèmes politiques, spirituels, intellectuels, anciens, placés comme des tentures noires entre eux et l’abîme tant redouté du réel. Les temps médiévaux hantés par l’idée de fin du monde portaient moins d’épouvante secrète que les temps modernes face au « silence éternel de ces espaces infinis » qui persuade Pascal que l’homme ne peut trouver « que misère et mort ».</p>
<p>La succession des générations est l’instrument de l’homme pour réaliser ce qu’il a dans la tête : ce fut, parallèlement et conformément à l’industrialisation capitaliste, un développement effroyable en effet de la misère et de la mort. Au XIX<sup>e</sup> siècle un poète, Edgar Allen Poe, comprend avant les scientifiques pourquoi la nuit est noire, malgré une infinité d’étoiles. Au siècle suivant un artiste, Alain Resnais, constate l’inflation de l’horreur : il l’appelle <em>Nuit et brouillard</em>.</p>
<p>Il existe des néofascismes, mais comme l’<a href="https://books.google.fr/books/about/Fascisme_fran%C3%A7ais.html?id=1dWlAAAAIAAJ">écrit Pierre Milza</a>, le fascisme appartient au passé. Est perçu comme <a href="http://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20160428.OBS9444/elisabeth-roudinesco-il-y-a-un-desir-inconscient-de-fascisme-dans-ce-pays.html">fasciste aujourd’hui</a> celui qui n’a pas dépassé le passé auquel le fascisme appartient, celui dont la structure mentale est toujours régie par l’achèvement de l’effroi pascalien, parvenu au point où seule une envie de frontières, de règles, d’exclusions, et d’une terreur pour les faire tenir, paraît pouvoir rassurer contre « l’infinie immensité des espaces » mentaux et des possibilités de l’humain.</p>
<h2>Ce qui menace Nuit debout</h2>
<p>C’est de cet aveuglement volontaire, de cette confusion qui s’ignore, de cette nuit et de ce brouillard qui enveloppent le monde comme une couche de pollution, que se relèvent les femmes et les hommes du mouvement Nuit debout. Mais le mouvement doit affronter plusieurs menaces d’entrisme et de noyautage, dont celle du reptile néofasciste. Le fascisme est aujourd’hui comme le diable selon Baudelaire : il ruse en essayant de faire croire qu’il n’existe pas. Ou du moins qu’il n’existe plus, ou qu’il n’existe pas là où ceux qui ont du nez le sentent exister. Car le fascisme pue. La merde brune a l’odeur de l’argent – que certains croient sans odeur – et réciproquement. Elle est attachée aux ambivalences du stade anal, avec ses envies de rétention paranoïaque, d’expulsion sadique de ce qui peut être perçu comme corps étranger, de névrose obsessionnelle autour de la saleté et de la propreté, conduisant à considérer l’autre comme sale, et son propre territoire comme… propre, ou à nettoyer de la saleté qu’est l’autre, racisé et sexisé.</p>
<p>La non-résolution du stade anal ou la régression au stade anal conduisent au racisme et au sexisme. Il faut d’ailleurs parler du sexisme en premier, car l’humanité est sexuée partout (sauf là où la femme est exclue, car considérée comme trop impure, trop sale – et les hommes se rabattent alors sur des enfants, ou sur des prostituées qui leur permettent de réduire leur angoisse à la question de l’argent). Si le néofascisme tend à se nier, l’une des expressions qui le révèlent aujourd’hui est le racisme (voir par exemple <a href="http://www.bbc.com/news/world-europe-36079533">Pegida</a>).</p>
<p>La soumission au capitalisme est une condition originelle du fascisme, et elle est parvenue aujourd’hui à un degré extrême, dans quasiment toutes les sociétés. Le racisme (et le corporatisme ou le règne des lobbies) est le signe du fascisme enfoui, plus ou moins conscient, dans les esprits, et qu’une situation historique propice peut faire surgir des sous-sols aussi rapidement qu’un temps de pluie peut faire déborder les égouts. Ici et là le retour du refoulé fait signe : une ministre <a href="http://www.franceculture.fr/histoire/de-l-esclavage-laurence-rossignol-une-breve-histoire-du-mot-negre">parle de « nègres »</a>, un académicien connu pour ses déclarations racistes se lâche une fois de plus et régresse <a href="http://www.lexpress.fr/insolite/nuit-debout-le-gnagnagna-d-alain-finkielkraut-moque-et-detourne_1783661.html">langagièrement au stade anal (« gnagnagnagna ») </a>, les adversaires du mouvement Nuit debout inondent les réseaux sociaux de leurs accusations de crasse et de saleté.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/120751/original/image-20160430-28136-m0z12u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/120751/original/image-20160430-28136-m0z12u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/120751/original/image-20160430-28136-m0z12u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/120751/original/image-20160430-28136-m0z12u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/120751/original/image-20160430-28136-m0z12u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/120751/original/image-20160430-28136-m0z12u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/120751/original/image-20160430-28136-m0z12u.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Place de la République à Paris, le 10 avril 2016.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Alina Reyes</span></span>
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<p>La morbidité menace Nuit debout sous différentes formes. Stagner tue. La maison Usher de Poe finit par se disloquer et tomber dans la mare où elle se reflète depuis trop longtemps. À Paris, le mouvement s’est attaché à la place de la République, devenue mausolée, comme à un refuge. Il s’est accroché aux jupes de la statue, toutes pendantes de babioles et de kitsch mortuaire. Le beau renouveau de vie qu’il y avait apporté s’est laissé gangrener par une sorte d’épouvante qui s’accroche au souvenir de la mort sans en finir de la conjurer.</p>
<h2>Chutes, rumeurs… et silence</h2>
<p>Dans les premiers jours, alors que plusieurs dormaient toute la nuit sur la place, un <a href="http://www.leparisien.fr/faits-divers/nuit-debout-un-homme-chute-de-la-statue-place-de-la-republique-09-04-2016-5700427.php">homme a chuté de la statue</a> qu’il était en train d’escalader. Il a été transporté à l’hôpital « en urgence absolue », d’après la presse. Comment s’en est-il sorti ? Nous ne le savons pas, nous n’en avons jamais su davantage. Les responsables de la communication de Nuit debout n’ont pas dit un mot de cet accident. Selon les médias, l’homme n’avait pas de papiers sur lui. Un SDF ? Un migrant ? Les communicants de Nuit debout ont refusé de donner des nouvelles de cet homme.</p>
<p>Quelque temps plus tard, un autre homme a <a href="http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/nuit-debout-un-homme-tente-de-s-immoler-place-de-la-republique-7782941149">tenté de s’immoler par le feu</a> au pied de la statue. Les gens qui étaient là l’ont sauvé, il a été transporté à l’hôpital. Un migrant désespéré, semble-t-il. Nous n’en savons pas plus, là encore les médias et les communicants de Nuit debout ont occulté le fait.</p>
<p>La place de la République a attiré de plus en plus de gens venus se livrer à des actes de délinquance (vols, agressions) ou venus faire la « fête », c’est-à-dire boire puis <a href="http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2016/04/30/place-de-la-republique-nuit-debout-exaspere-riverains-et-commercants_4911346_823448.html">chercher à défouler leur agressivité</a>. Les jets de bouteille sont devenus une routine de fin de soirée. Et les agressions et agressions sexuelles envers les femmes se sont multipliées. On a commencé à entendre parler de viols mais la com et les médias de Nuit debout, plus proches décidément d’une entreprise de propagande que de services d’information, ont malgré des demandes insistantes refusé d’en dire le moindre mot.</p>
<p>Sur la place, une intervenante filmée par hasard par un périscopeur (<a href="https://www.periscope.tv/virgile_r">Virgile</a>) a mentionné que trois nuits plus tôt, des jeunes filles avaient été violées derrière un mur d’hommes. Puis, comme si c’était un tabou, une fois donnée en passant cette information glaçante, elle a enchaîné sur autre chose. Une autre femme à un autre moment avait évoqué agressions et viols, mais tout aussi rapidement. Des féministes ont témoigné qu’il leur avait été objecté qu’en parler serait risquer de nuire à l’image du mouvement.</p>
<p>Rien de plus n’en a été dit. Les rumeurs enflant, un organisateur a annoncé que des sifflets allaient être mis à la disposition des femmes, afin qu’elles puissent donner l’alerte en cas d’agression, ce qui suffirait à faire s’éloigner le ou les agresseurs. Il n’a pas été question de les expulser ou de les livrer à la justice en cas d’agression grave. Seulement de les faire s’éloigner de leur victime, sans que soit envisagée la moindre sanction.</p>
<h2>Les tares qui se développent</h2>
<p>Censure des faits, complaisance envers les agresseurs ou les criminels (rappelons que le viol est un crime), absence totale de toute expression de solidarité avec les victimes : à République, c’est ainsi que le mouvement s’enfonce debout dans sa nuit, les yeux grands fermés. « Nous creusons la fosse de Babel », écrit Kafka dans son <em>Journal intime</em>. Les violences qui sont devenues systématiques en fin de chaque nuit à République témoignent de la mauvaise ivresse nihiliste qui s’est emparée de la place, où des organisateurs invisibles s’obstinent à faire piétiner un mouvement qui était pourtant bien parti, comme si une secrète logique d’échec le gouvernait.</p>
<p>Heureusement, Nuit debout se développe aussi dans des banlieues, des villes, des villages de France et d’ailleurs. Revenant au mot de Baudelaire selon lequel la ruse du diable est de faire croire qu’il n’existe pas, il apparaît que la ruse (inconsciente ou non) des organisateurs d’un mouvement qui ne veut pas de représentants est de les représenter (par la com) en faisant croire qu’ils n’existent pas en tant que représentants. Moyennant quoi, toutes les responsabilités sont effacées, et le pire devient possible. Ailleurs qu’à République, loin des responsables occultes et anonymes, Nuit debout peut encore se préserver de telles dérives, qui prouvent que le système de représentativité est pire encore lorsqu’il n’est pas reconnu.</p>
<p>Le rapport des hommes aux personnes de leur entourage est significatif de leur politique. Il est politique. L’absence sidérante de la plus élémentaire expression d’humanité envers les victimes place de la République éclaire le défaut de scrupules des gens de la boîte de com qui ont acheté les noms de domaine de Nuit debout sans en référer aux fondateurs et qui continuent de tenir la com – cet instrument qui gangrène le monde – du mouvement, comme du défaut de vigilance quant à l’entrisme de certains éléments politiquement malhonnêtes, voire pire. Là aussi l’opacité règne, nul débat n’est porté sur la place. Sur cette place où l’on en est venu à se battre en paroles contre les tares du monde sans prendre garde que ces tares sont en train, dans les faits, de s’y reproduire et de s’y développer à toute vitesse.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/58684/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Alina Reyes ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’écrivaine et doctorante Alina Reyes livre sa vision personnelle de ce qui est en train de se jouer à Nuit debout. Et des dérives qui y apparaissent.Alina Reyes, Doctorante, littérature comparée, Maison de la Recherche, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/583682016-04-28T04:34:00Z2016-04-28T04:34:00ZNuit debout, médiascopie d’un processus en cours<p>Avec NuitDebout, la société civile française, malgré son hétérogénéité, s’inscrit dans l’axe des nouvelles militances issues du tournant participatif pris par le numérique à partir des années 2005-2007 avec l’arrivée des réseaux sociaux. Elle avait eu du mal à le faire avec le mouvement Occupy en 2011, du fait du triple sens du verbe « occuper » :</p>
<ol>
<li><p>trouver une occupation (à l’heure de la précarisation) ;</p></li>
<li><p>investir des lieux de pouvoir (symbolique ou politique) ;</p></li>
<li><p>envahir militairement un pays, ce qui en France, ne pouvait pas « prendre », tant les mauvais souvenirs historiques sont forts.</p></li>
</ol>
<p>L’usage astucieux de l’adverbe « debout » fait allusion à une résistance implacable, sans compter les partages thématiques facilités par ce mot-clé facilement mis en hashtag : BiblioDebout, 1001nuitsdebout, Banlieuesdebout…</p>
<p>Cette société civile en effervescence, partenaire oublié de toutes les négociations en cours, met en œuvre – en ligne et hors-ligne – des usages engagés des technologies de la communication pour l’exercice de la citoyenneté et de la démocratie participative. Elle a su en tirer avantage pour affiner les modalités de son engagement protestataire : mise en place d’un travail collaboratif non-territorialisé (Paris, mais aussi Pau, Lille, Lyon…), mobilisations ciblées et rapides (occupations de places, blocages de magasins…), évaluation évolutive des débats à travers ses propres médias (web radio et webTV, Tumblr, Storify…), refus de récupération par autres partis politiques ou par médias institutionnels (du patrimoine comme du numérique).</p>
<p>Quatre stratégies de mobilisation sont utilisées, parfois en synchronie, parfois en a-synchronie : les effets structurants des réseaux, la force de réciprocité des liens faibles, la re-territorialisation hors-ligne des échanges en ligne et la capacité à la scandalisation. Ces quatre stratégies sont révélatrices de l’instrumentalisation réussie du paradigme de l’information-communication numérique, permettant une action in situ et <em>ex situ</em>, mobile, itérative et plastique.</p>
<p>Certaines de ces stratégies relèvent de la panoplie du manifestant de base (cyberpétitions, sites alternatifs, webradios, etc.), d’autres révèlent de nouvelles inclusions de la logique médiatique comme arsenal à part entière de l’engagement public.</p>
<h2>Les effets structurants des réseaux informatiques</h2>
<p>La relative modicité des coûts d’outils d’interaction performants (wiki, streaming, etc.) a permis aux différents groupes de consulter leur base, des réseaux humains constitués par ailleurs, et de gérer le suivi pendant le processus en cours. Et ce, malgré des appartenances éclatées, des installations éphémères et des territoires distants couvrant l’espace français mais en lien avec d’autres (la <a href="https://theconversation.com/au-dela-de-lespagne-la-crise-bouscule-les-systemes-partisans-deurope-du-sud-52602">Catalogne de Podemos notamment</a>).</p>
<p>Une certaine adéquation s’est instaurée entre outil, cause et réseau, par la superposition d’un média (l’Internet et ses réseaux sociaux), un mot d’ordre (Debout et non Couché) et une militance connectée et transfrontière. Par cette compatibilité structurelle, Internet a donc été un outil de mobilisation des divers partenaires de la société civile qui se reconnaissent au-delà de la contestation contre la loi El Khomri, même si celle-ci a été l’événement-déclencheur.</p>
<p>Cette stratégie a permis de créer des forums publics délocalisés, de galvaniser les troupes à des moments-clés, notamment pendant les occupations de places, de protester avec efficacité et de continuer à réfléchir collectivement à la signification de cette colère. Elle a rendu possible l’élaboration immédiate des évaluations communes des diverses étapes du processus, avec des remobilisations partielles quand nécessaire.</p>
<p>Elle a donné lieu à la création d’une avalanche de productions médias, difficiles à négliger par les médias institutionnels. Elle a ainsi contourné les obstacles liés aux protestations traditionnelles, facilement contrôlables ou récupérables par les corps politiques constitués.</p>
<h2>La force de réciprocité des liens faibles</h2>
<p>La société civile a aussi su tirer parti de la force des liens faibles, avec une synergie en ligne/hors-ligne. Les protestataires sur les places ont fait tout autant appel au cercle de leurs proches qu’au cercle plus éloigné des analystes de passage, dans un relatif anonymat, propice à l’échange sans complexe. Les comptes Twitter, Tumblr, Instagram ont propagé des demandes anodines du type : « Dites quelqu’un aurait vu passer une iniative #TheatreDebout et si non, qui serait partant ? #NuitDebout cc @nuitdebout »</p>
<p>Les réponses en retour se sont révélées d’une grande pertinence, avec des noms d’experts ou d’activistes qui ont été contactés selon les besoins, sans autre forme d’introduction. L’usage familiarisé des listes de distribution ainsi que la connaissance bien comprise des positions réciproques des uns et des autres a élaboré un circuit de dérivation permettant de passer outre aux formes traditionnelles de la recommandation.</p>
<p>Cette stratégie a permis de faire appel à des personnalités importantes, comme l’<a href="http://lemonde.fr/economie/article/2016/04/26/sortie-de-l-euro-souverainete-democratique-la-pensee-de-frederic-lordon_4908740_3234.html">économiste Frédéric Lordon</a> (Place de la Bourse) ou le spécialiste des communs Hervé le Crosnier (place de la République). La constitution d’un capital symbolique très fort pour l’ensemble de la collectivité s’est faite par la médiation souple de quelques-uns. Elle a également permis la neutralisation de certains hommes politiques venus plus ou moins incognito dans l’espoir de se faire reconnaître.</p>
<p>Dans ces espaces relationnels élastiques, à dimensions variables, rhizomiques, sans continuité territoriale ou clanique, une forme de démocratie se joue, démontrant la force du bien commun et la capacité à s’élever au-dessus des alliances de clientèle, dans l’anonymat de confiance feutrée ainsi établi.</p>
<h2>La re- territorialisation hors-ligne des échanges en ligne</h2>
<p>La société civile s’est révélée être une réelle communauté de résistance, capable de se connecter à des réseaux préexistants. Les groupes les plus efficaces sont ceux qui ont su combiner une protestation sur des lieux physiques et classiques, avec des affrontements avec les forces de l’ordre, et une protestation plus dématérialisée dans des lieux virtuels, permettant à toutes sortes de récits d’émerger en utilisant des plateformes à récits comme Storify, avec des récapitulatifs de suivi « Bonjour, puis-je utiliser vos tweets ds un storify sur la NuitDebout de Saint-Denis ? cf la dernière ».</p>
<p>L’Internet a fait redécouvrir à la société civile la grande légitimité de la pétition, juste à côté du droit à la liberté d’expression et de rassemblement. D’une certaine manière, les listes de diffusion et les plateformes à récits ont fonctionné comme un espace pétitionnaire, maintenant la mobilisation, laissant transparaître les vastes réseaux d’alliances plus ou moins formelles qui la sous-tendent – d’autant que les membres des partis traditionnels s’y sont forcément inscrits tout comme les journalistes et les chercheurs. Ces deux formes de protestation – en ligne et hors-ligne – s’avèrent donc être complémentaires, comme stratégies de visibilité qui impressionnent les médias, les partis et le secteur privé.</p>
<p>L’enjeu de la société civile est double : rétablir de la proximité pour mobiliser, utiliser la mobilisation de proximité pour impacter la politique. Elle s’est donc attelée à faire sentir aux citoyens leur nécessaire implication. Elle a explicité localement, régionalement, les décisions politiques et leurs incidences législatives et humaines. Réciproquement, ces débats locaux ont permis d’élucider les questions de société soulevées par la <a href="https://theconversation.com/loi-travail-precarite-de-lemploi-et-precarite-de-lentreprise-56834">loi El Khomri</a> comme indicateur de déséquilibres plus graves non prévus initialement.</p>
<p>Cette stratégie montre que la société civile est mieux à même que l’État de protéger sa souveraineté et de dénoncer le désengagement de l’État face à des questions cruciales pour l’avenir de la population. Surtout, l’effet secondaire inattendu, mais sans doute le plus durable sur le long terme, est le rapatriement de toutes sortes d’idées et de pratiques de l’international vers le local. Toutes sortes d’idées glanées lors des échanges et des événements parallèles proviennent d’ailleurs (les sommets alter-mondialistes entre autres, mais aussi Occupy, Indignados…) et sont adaptées localement, sur les places de France. Cet engagement connectif re-territorialisé sera sans doute un des bénéfices les plus puissants du processus, dans les années à venir, pour tous les mouvements de militance.</p>
<h2>La capacité militante à la scandalisation</h2>
<p>La société civile a montré sa militance par le rôle de veille morale qu’elle s’est donné, qui marque sa maturité dans l’appropriation sociale de l’action politique. Elle n’a cessé de marquer sa désapprobation en utilisant la stratégie du scandale pour mobiliser. La scandalisation passe par l’improvisation et la capacité de créer la surprise, soit sous la forme plus ou moins contrôlée du happening, soit en permettant à certains sous-groupes moins organisés d’agir dans les marges, à la limite de l’infraction provocatrice.</p>
<p>Cela passe aussi par la constitution d’un réseau d’accès à des journalistes choisis, pas trop inféodés aux institutions de la profession. La scandalisation ne peut en effet fonctionner que par une sorte de co-dépendance entre mouvements militants et grande presse traditionnelle, prise au piège de la course au scoop.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/120368/original/image-20160427-30960-1feito0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/120368/original/image-20160427-30960-1feito0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/120368/original/image-20160427-30960-1feito0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/120368/original/image-20160427-30960-1feito0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/120368/original/image-20160427-30960-1feito0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/120368/original/image-20160427-30960-1feito0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/120368/original/image-20160427-30960-1feito0.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Une nuit de débats parmi d’autres, le 6 avril.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/boklm/26279132071/in/photolist-G3cqpZ-FK1R1W-pqPfCq-5jT8kT-Ga5K1x-fp9LL2-Ffp4k9-zi9JDh-FYrf5m-FABGSL-BUE5j9-FBEKpv-r7bKQP-nMgmcJ-GwkjpJ-G1nJU7-G9uikN-GwkjQd-FDkJUt-G93Wez-GaXe9x-FUfnyj-G1Tq6A-G93QXx-FjLrxu-FJxADy-FK255w-9oJbbP-FgfWod-GbBUsR-GbBXex-Fgb7Yw-G9uicw-Fed51q-G3NFhz-8JKriV-7AZ89p-G3EtkV-FXc6J3-GnRKpy-FUeoFS-Gbckbq-91q2J7-fpoQUS-GfYsF5-dRDQwa-Fp4DTH-FgmMSH-dJ7d8K-dJc6tq">Nicolas Vigier/Flickr</a></span>
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<p>Le scandale est venu sous la forme des tentatives d’éviction du mouvement hors des places, notamment <a href="https://theconversation.com/les-memoires-de-la-place-de-la-republique-58089">Place de la République à Paris</a>. Il a visé à rendre public une espèce de retournement du pouvoir politique contre ses propres citoyens, d’autant plus scandaleux qu’il est effectué par le parti politique censé être le plus proche du peuple.</p>
<p>Cela a permis à la société civile de mettre en évidence les limites de la confiance en l’État tout en évaluant la capacité de rupture offerte par les réseaux numériques et leur action structurante sur l’espace public. Le véritable scandale est alors mis à nu : essoufflement de la vision du progrès comme une ligne continue et prévisible, épuisement du récit franco-européen de liberté-égalité-fraternité, fin de l’attractivité du néo-libéralisme par la génération qui est invitée à le prolonger.</p>
<h2>Substrat cohérent sous une surface chaotique</h2>
<p>NuitDebout dénonce un futur hostile avec toutes sortes de dérèglements insupportables : travail précaire, diplômes obsolètes, climat réchauffé, <a href="https://theconversation.com/drones-de-combat-et-ethique-de-la-guerre-le-debat-est-politique-1-57759">drones tueurs</a>, génome monétisé, etc. Son refus de la cooptation est un refus sain et détenteur du désir d’un autre avenir. Il est révélateur de processus en cours, post-étatiques, voire alter-démocratiques.</p>
<p>Le déplacement fragmenté de l’espace public va rester puissant, par effet d’engagement connectif : malgré la diffusion diasporique des participants, la production de sens au sein de cette nouvelle sphère publique permet de créer du consensus et de fixer des priorités. Les effets structurants des réseaux viennent fournir un substrat cohérent sous une surface chaotique.</p>
<p>Certes, cette sphère publique est encore en sphéricules et manque de masse critique, avec une implication à distance irrégulière. Mais elle recentre dans l’espace en ligne et hors-ligne la communication de communautés dispersées aux intérêts semblables, liées par un refus commun de dérèglements dangereux pour les droits de l’Homme et l’humanité tout entière.</p>
<p>Il est encore difficile d’évaluer si les débats en cours pourront mener à un dépassement des dualismes classiques entre privé/public, commercial/communs, gauche/droite, centre/périphérie. Mais ils pointent vers d’autres modes de pensée politique non polarisés et font apparaître des dynamiques plurielles et inclusives. Par leur lent décantage, ils sont propices à l’émergence de modérateurs et de coordinateurs acceptés de tous pour leur implication dans la promotion du bien commun.</p>
<p>Redonner du sens à des événements génératifs et évolutifs comme NuitDebout implique de soutenir la recherche collective d’une nouvelle sensibilité capable de sous-tendre une nouvelle structure sociale. Ce ne sera pas sans contradictions ni disruptions, mais le lent déplacement du paradigme dominant de la consommation par celui de la participation est en marche.</p>
<p>L’angle mort de toutes les analyses reste cependant celui des nouvelles formes de gouvernance de l’Internet, qui se décident sans débat public généralisé malgré leur impact disruptif sur tous les secteurs de la société, celui du travail comme celui de la communication. La citoyenneté post-NuitDebout se doit de maîtriser l’éducation aux médias et à l’information augmentée par le numérique pour former une société civile avec une masse critique suffisante pour avoir du poids dans les négociations nationales et transfrontières qui ont cours.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/58368/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Divina Frau-Meigs a reçu des financements de Agence Nationale de la Recherche (ANR). Elle fait partie du comité scientifique de enjeux e-médias.</span></em></p>La société civile met en œuvre – en ligne et hors-ligne – des usages engagés des technologies de la communication pour l’exercice de la citoyenneté et de la démocratie participative.Divina Frau-Meigs, Professeur des sciences de l'information et de la communication, Université Sorbonne Nouvelle, Paris 3 Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/584712016-04-28T04:33:55Z2016-04-28T04:33:55ZL’espace-temps de Nuit debout<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/120404/original/image-20160427-30970-1uu1aoq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Bulletin quotidien, Nuit debout, « 52 mars », 2016.</span> </figcaption></figure><p><em>Cet article est publié en partenariat avec le blog <a href="http://quartierdubataclan.wordpress.com">Chroniques sociologiques du « Quartier du Bataclan »</a></em></p>
<p>Jeudi 21 avril, vers 18h, la commission « Éducation populaire » de Nuit debout tient séance. Le dialogue entre l’intervenant, visiblement un de mes collègues universitaires, et les participants porte sur le concept d’hétérotopie forgé par Michel Foucault. Il s’agit de défendre l’idée que la place de la République n’est pas le lieu d’une utopie, mais « un autre lieu » (hétéro-topie) où il est possible de faire, et peut-être de construire, quelque chose de nouveau. En réponse à cette proposition, une personne de l’assistance prend la parole.</p>
<blockquote>
<p>Nous ne sommes pas dans un autre lieu. Nous sommes sur la place de la République là. C’est le même lieu où se sont passées d’autres choses importantes, c’est le même lieu que beaucoup d’autres trucs.</p>
</blockquote>
<p>Ce à quoi son interlocuteur lui répond « Non je ne suis pas d’accord c’est le même espace mais pas le même lieu ». De quoi la place de la République est-elle le lieu et comment s’inscrit-elle dans l’espace ? A-t-elle effectivement une mémoire ? Parmi celles-ci le souvenir des attentats et des mobilisations qui les ont suivis tient-il une place ?</p>
<h2>Le lieu et l’espace</h2>
<p>Les termes de lieu et d’espace ont joué un rôle central dans la manière dont les sciences sociales ont jusqu’ici pensé la mémoire et les processus de mémorialisation. L’histoire, avec Pierre Nora, a forgé l’expression de « lieux de mémoire » tandis que la sociologie, avec Maurice Halbwahcs, pense la mémoire dans son lien à l’espace social, c’est-à-dire un ensemble structuré de relations entre des individus. Malgré leurs profondes différences, ces deux cadres théoriques lient fondamentalement l’espace et le temps. Et d’ailleurs, chez Michel Foucault lui-même, les hétérotopies vont de pair avec des hétérochronies (autres temps). Le cimetière lieu d’hommage aux morts, comme l’est un Mémorial, constitue ainsi, pour Foucault, un des meilleurs exemples d’hétérotopie /hétérochronie.</p>
<p>Et le temps de Nuit debout est effectivement autre : les nuits, moments a-sociaux par excellence, remplacent les jours et se succèdent selon un calendrier inédit, à mois unique, celui de mars. Mais est-il tout simplement possible que des individus, par définition socialisés, habitent à la fois un autre espace et un autre temps ? Il n’est à cet égard par anodin que les cimetières soient d’abord habités par des morts.</p>
<h2>Un temps fort</h2>
<p>Mercredi soir, 51 mars donc, le concert donné par l’Orchestre Debout sur la place de la République a été décrit par beaucoup, participants comme commentateurs, comme un moment fort (« historique » ?) de la mobilisation. Plusieurs des réactions et commentaires qui ont suivi ont, à cette occasion, mis en avant l’émotion profonde des participants devant cette foule rassemblée, au diapason. Ils ont, à plusieurs reprises, fait référence au précédent de l’émotion ressentie en janvier puis en novembre 2015 dans le même lieu et au sein du même espace. Qu’un orchestre en vienne à symboliser Nuit debout est l’indice de la difficulté à créer un autre lieu et un autre temps.</p>
<p>C’est précisément à partir de l’exemple de l’orchestre que dès 1939, dans <a href="http://www.ssnpstudents.com/wp/wp-content/uploads/2015/02/memoire_coll_musiciens.pdf"><em>La mémoire collective chez les musiciens</em></a>, le sociologue Maurice Halbwachs expliquait la manière dont fonctionne la mémoire collective et, avec elle, la société :</p>
<blockquote>
<p>Revenons à la remarque qui a été notre point de départ. Elle portait sur le rôle des signes dans la mémoire tel que nous avons pu le mettre en lumière sur l’exemple de la musique. Pour apprendre à exécuter, ou à déchiffrer, ou, même lorsqu’ils entendent seulement, à reconnaître et distinguer les sons, leur valeur et leurs intervalles, les musiciens ont besoin d’évoquer une quantité de souvenirs. Où se trouvent ces souvenirs, et sous quelle forme se conservent-ils ? Nous disions que, si on examinait leurs cerveaux, on y trouverait une quantité de mécanismes, mais qui ne se sont pas montés spontanément. Il ne suffirait pas en effet, pour qu’ils apparaissent, de laisser le musicien isolé en face des choses, de laisser agir sur lui les bruits et les sons naturels. En réalité, pour expliquer ces dispositifs cérébraux, il faut les mettre en relations avec des mécanismes correspondants, symétriques ou complémentaires, qui fonctionnent dans d’autres cerveaux, chez d’autres hommes. Bien plus, une telle correspondance n’a pu être réalisée que parce qu’il s’est établi un accord entre ces hommes : mais un tel accord suppose la création conventionnelle d’un système de symboles ou signes matériels, dont la signification est bien définie…</p>
<p>Mais, même les souvenirs qui sont en eux, souvenirs des notes, des signes, des règles, ne se trouvent dans leur cerveau et dans leur esprit que parce qu’ils font partie de cette société, qui leur a permis de les acquérir ; ils n’ont aucune raison d’être que par rapport au groupe des musiciens, et ils ne se conservent donc en eux que parce qu’ils en font ou en ont fait partie. C’est pourquoi l’on peut dire que les souvenirs des musiciens se conservent dans une mémoire collective qui s’étend, dans l’espace et le temps, aussi loin que leur société. </p>
<p>Mais, insistant ainsi sur le rôle que jouent les signes dans la mémoire musicale, nous n’oublions pas qu’on pourrait faire des observations du même genre dans bien d’autres cas.</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/120397/original/image-20160427-30982-1rnupeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/120397/original/image-20160427-30982-1rnupeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/120397/original/image-20160427-30982-1rnupeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/120397/original/image-20160427-30982-1rnupeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/120397/original/image-20160427-30982-1rnupeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/120397/original/image-20160427-30982-1rnupeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/120397/original/image-20160427-30982-1rnupeb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Lieu.</span>
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</figure>
<p>Plan de l’espace de la Place de la République qui évolue en direct au marqueur, le 53 mars</p>
<h2>Un lieu multiple</h2>
<p>Nuit debout met en relation un ensemble de sous-espaces, de groupes structurés, qui lui préexistent et qui font que le lieu n’est pas tant autre que multiple. Et c’est pour cette raison même que Nuit debout peut être un lieu à mémoires, plutôt qu’un lieu de mémoire. L’acception du « lieu de mémoire » chez Pierre Nora est en effet à chaque fois univoque : c’est d’abord l’historien qui lui donne sens. La place de la République est, à l’inverse, un espace à temps multiples où chacun donne sens à la mobilisation présente comme aux événements passés. Action et mémoire en deviennent ainsi simultanément collectives.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/120398/original/image-20160427-30986-1k9mn27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/120398/original/image-20160427-30986-1k9mn27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/120398/original/image-20160427-30986-1k9mn27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/120398/original/image-20160427-30986-1k9mn27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/120398/original/image-20160427-30986-1k9mn27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/120398/original/image-20160427-30986-1k9mn27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/120398/original/image-20160427-30986-1k9mn27.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Lieu.</span>
</figcaption>
</figure>
<p>A cet égard, il pourrait être pertinent de s’interroger sur le fait que les précédents les plus souvent cités en référence à Nuit debout sont les Indignés de Madrid et Occupy Wall Street à New York, deux villes qui ont également en commun d’avoir été le théâtre d’attentats meurtriers. Mais l’événement « attentats » lui-même ne prend sens que dans un temps et dans un espace. Même « monstre », comme l’ont qualifié plusieurs commentateurs, il est lu à la lumière d’autres événements, parmi les plus personnels comme plusieurs <a href="https://quartierdubataclan.wordpress.com/2016/04/14/sommaire/">chroniques précédentes</a> l’ont montré ou eux-mêmes jugés « historiques » comme la Première et la Seconde Guerres mondiales.</p>
<p>Sur la place, dans l’espace du « Mémorial » comme dans celui de Nuit debout, ce n’est donc pas un lieu et un temps autres qui se construisent, mais davantage une ou des manières, elles peut-être nouvelles, d’articuler et de mettre en relations des temps et des lieux qui sont déjà là.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/120400/original/image-20160427-30979-1dtn5ai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/120400/original/image-20160427-30979-1dtn5ai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/120400/original/image-20160427-30979-1dtn5ai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/120400/original/image-20160427-30979-1dtn5ai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=800&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/120400/original/image-20160427-30979-1dtn5ai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/120400/original/image-20160427-30979-1dtn5ai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/120400/original/image-20160427-30979-1dtn5ai.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1005&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/120401/original/image-20160427-30967-4zir5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/120401/original/image-20160427-30967-4zir5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=1066&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/120401/original/image-20160427-30967-4zir5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=1066&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/120401/original/image-20160427-30967-4zir5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=1066&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/120401/original/image-20160427-30967-4zir5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/120401/original/image-20160427-30967-4zir5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/120401/original/image-20160427-30967-4zir5p.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1340&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p class="fine-print"><em><span>Sarah Gensburger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De quel lieu parle-t-on quand on parle de la place de la République à Paris, épicentre de Nuit debout ? De quel espace ? De quel temps ?Sarah Gensburger, Sociologue, chargée de recherche CNRS - ISP - UPOND - ENS Cachan, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/583692016-04-27T04:39:21Z2016-04-27T04:39:21ZUne gauche se meurt, vive la gauche !<p>Dans certaines familles, les prétendants à l’héritage se disputent la succession d’un mourant qui respire encore : l’image s’impose ici, pour qui considère la gauche française, dont la décomposition est avancée, mais qui pourtant existe encore.</p>
<h2>La curée qui s’annonce</h2>
<p>Au sommet, le chef de l’État est un cadavre politique en sursis. Il ne peut pas ne pas se représenter à la prochaine élection présidentielle, ce serait admettre son échec de façon irrémédiable ; or s’il est candidat à sa propre succession, les sondages lui promettent qu’il sera battu sur un score déshonorant.</p>
<p>En dessous, c’est carrément la curée qui s’annonce, sur fond de décomposition accélérée du Parti socialiste, où les départs de militants se démultiplient. Effectivement, que faire dans un tel parti, dont la direction veut croire encore au caractère « naturel » d’une candidature de François Hollande tout en disant vouloir une primaire ouverte, pour en réalité mieux la torpiller ?</p>
<p>Emmanuel Macron a déjà affiché clairement <a href="https://theconversation.com/le-ministre-et-son-double-ou-letrange-marche-de-monsieur-macron-57953">ses ambitions</a>, et fourbit ses armes tout en clamant sa fidélité au chef de l’État – qui le croit ? Manuel Valls vient de réunir ses soutiens pour voir comment se préparer, lui aussi. Les amis de Martine Aubry ne sont pas passifs, même si leur tête de file a clairement indiqué qu’elle ne serait pas candidate – ils réfléchissent en fait surtout aux élections législatives qui suivront la présidentielle, et pour lesquelles, comme tous les membres du PS, ils ont bien raison de s’inquiéter. Benoit Hamon et Arnaud Montebourg se préparent eux aussi, et Jean-Luc Mélenchon est en campagne.</p>
<p>Chez les Verts ? EELV était déjà en bien mauvaise forme quand François Hollande lui a porté le coup de grâce <a href="https://theconversation.com/le-ministre-et-son-double-ou-letrange-marche-de-monsieur-macron-57953">avec le remaniement récent</a> faisant bonne place non pas aux orientations de l’écologie politique, mais à des dirigeants du parti qui se sont discrédités en même temps qu’ils discréditaient leur propre formation. Daniel Cohn-Bendit, tenant désormais pour impossible la <a href="https://theconversation.com/le-lieu-geometrique-de-la-gauche-54711">primaire à gauche</a> qu’il a appelée de ses vœux pendant trois mois, souhaite une candidature de Nicolas Hulot, en faveur de qui circule une pétition – des dizaines de milliers des signatures ont déjà été recueillies pour l’inviter à se présenter lui aussi, ce à quoi il se prépare à l’évidence.</p>
<h2>Démultiplication des initiatives citoyennes</h2>
<p>Ainsi, dans les décombres des appareils, des candidats à la présidentielle s’échauffent, ou se lancent – et nous n’avons ici que signalé certains d’entre eux. Cette curée est révélatrice de la mort d’une gauche.</p>
<p>En même temps, un autre phénomène retient nécessairement l’attention : la démultiplication des initiatives citoyennes. La crise du pouvoir, sa droitisation, aussi bien identitaire (avec le discours de la guerre, les mesures d’exception, l’état d’urgence, la déchéance de nationalité) qu’économique (avec la première version de la loi El Khomri et les orientations d’Emmanuel Macron comme de Manuel Valls en la matière) a libéré un immense désir de prendre la parole, de débattre, d’exprimer des idées, de mettre fin à l’arrogance de tous ceux qui, dans la bulle médiatico-médiatique, disent d’en haut aux citoyens comment et quand penser.</p>
<p>En attestent les diverses initiatives pour des primaires à gauche, ou au centre, surtout lorsqu’elles s’accompagnent de l’organisation de rencontres où l’on discute du fond ; le succès de films comme « Demain » ; et bien sûr le <a href="https://theconversation.com/nuitdebout-le-retour-des-indignes-57183">mouvement « Nuit debout »</a>, dont les faiblesses ou les fautes ne doivent pas masquer l’essentiel : la naissance en France d’une contestation démocratique, à forte charge culturelle, tournée vers l’avenir et non pas vers le passé comme dans les diverses pensées réactionnaires ou déclinistes qui plaisent tant aux médias. Tout ceci donne l’image de fortes attentes bien en peine, en tous cas aujourd’hui, de déboucher sur des perspectives politiques.</p>
<h2>Des univers disjoints</h2>
<p>Le discrédit du pouvoir et de son parti est sans retour en arrière possible. La curée a commencé et ne risque pas de s’arrêter de sitôt, ne serait-ce que parce que François Hollande n’a pas le choix : <a href="http://lemonde.fr/politique/article/2016/04/25/avec-he-oh-la-gauche-les-soutiens-de-francois-hollande-se-mobilisent-pour-defendre-le-bilan-du-quinquennat_4908126_823448.html">il doit mobiliser ce qui reste du PS</a> pour essayer de maintenir contre toute évidence l’image d’un homme capable d’incarner la gauche – ce qui interdit à son parti la moindre relance, la moindre initiative novatrice.</p>
<p>Et l’agitation politicienne que suscite la perspective de la prochaine présidentielle s’opère loin de la mobilisation citoyenne et intellectuelle née dans le même contexte. Les deux univers sont disjoints, sauf à la marge, quand Jean-Luc Mélenchon ou Olivier Besancenot espèrent pouvoir récupérer Nuit debout. Manuel Valls a parlé de <a href="http://www.liberation.fr/france/2016/02/16/manuel-valls-trace-une-frontiere-a-l-interieur-d-une-gauche-irreconciliable_1433621">deux gauches « irréconciliables »</a>, évoquant deux types d’orientations : il y a surtout en réalité un espace fracturé, dans lequel les demandes politiques sont fort éloignées de l’offre, et le débat citoyen sans lien avec la vie partisane.</p>
<p>Pour qu’une articulation soit possible autrement que sur un mode gauchiste, il faudrait ou bien qu’un grand parti puisse légitimement assurer le traitement politique des attentes et des idées qui surgissent au sein de la société civile, ou bien que de celle-ci jaillisse une expression politique, <a href="https://theconversation.com/au-dela-de-lespagne-la-crise-bouscule-les-systemes-partisans-deurope-du-sud-52602">comme Podemos en Espagne</a> – même s’il ne faut pas pousser trop loin la comparaison entre Nuit debout et les <em>Indignados</em>.</p>
<h2>Le moment approche</h2>
<p>Il est vrai que la critique de la forme-parti elle-même est vive au sein de la mobilisation citoyenne actuelle. Mais il n’est pas exclu que de la décomposition du PS et d’EELV, et avec d’autres que des orphelins de ces partis, naisse une organisation politique qui saurait éviter les travers du passé, se doter de principes de fonctionnement démocratiques et neufs, réfléchir à une vision ouverte de l’avenir, s’alimenter de ce qu’apporte le mouvement de la société, comme celui des idées, redonner vie au projet européen, afficher des valeurs comme celles de la solidarité, et les transcrire concrètement, <a href="https://theconversation.com/grande-synthe-miroir-des-incoherences-de-letat-57019">par exemple à propos des migrants</a>.</p>
<p>Ne rêvons pas d’un leader providentiel, surgi d’on ne sait où, et qui saurait à lui seul, avec un programme éventuellement, redonner dynamisme et pertinence à la politique : une telle rêverie entérine un autre aspect du bourbier dans lequel est enfoncé notre pays, le présidentialisme actuel, et le système qui fait de la fonction présidentielle l’alpha et l’oméga de toute notre vie politique, son horizon. Nous avons besoin de profonds changements institutionnels, d’une VI<sup>e</sup> République peut-être, qui faciliteraient la reconstruction d’un système politique.</p>
<p>Un cycle s’achève. La gauche semble revenue ou presque à la fin des années 60, avant le Congrès d’Epinay (1971), qui a inauguré un processus dont l’aboutissement fut l’élection de François Mitterrand en 1981. Elle touche le fond, s’il s’agit de ses formes organisées, et ce ne sont pas les misérables propositions lancées actuellement par le gouvernement ou le PS, les « Hé oh, la gauche » de Stéphane le Foll ou la « Belle alliance populaire » de Jean-Christophe Cambadélis pour soutenir François Hollande qui l’aideront à se relancer.</p>
<p>Le moment approche, où il faudra bien construire. Cela ne se fera qu’à l’écoute des mouvements et débats citoyens qui commencent à s’exprimer, et avec eux.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/58369/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
Manuel Valls a parlé de deux gauches « irréconciliables » : il y a surtout un espace fracturé, dans lequel le débat citoyen se retrouve sans lien avec la vie partisane.Michel Wieviorka, Sociologue, Président de la FMSH, Fondation Maison des Sciences de l'Homme (FMSH)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/580892016-04-20T04:42:05Z2016-04-20T04:42:05ZLes « mémoires » de la place de la République<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/119318/original/image-20160419-13901-aakoqc.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vive la Commune !</span> <span class="attribution"><span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p><em>Cet article est publié en partenariat avec le blog <a href="https://quartierdubataclan.wordpress.com/2016/04/18/memoires-18042016/">Chroniques sociologiques du « Quartier du Bataclan »</a> tenu par l’auteur, depuis décembre 2015.</em></p>
<p>Dimanche 17 avril, comme tous les jours depuis une semaine maintenant, le « mémorial » de la place de la République s’est métamorphosé au fur et à mesure de la journée. À 10h du matin, un bruit de trompette s’élève des abords de la statue. Une fanfare d’adolescents, garçons et filles, jouent de la musique. Des passants sont rassemblés pour assister au concert. Ils se font part de leur émotion :« J’en ai les larmes aux yeux » dit cette dame à sa voisine. Entendre de la musique en ce lieu, à cette heure-ci, prend visiblement un sens particulier pour les personnes présentes. Le concert se termine pas la Marseillaise, que le public improvisé se met à chanter. Les larmes coulent, cette fois-ci pour de bon, chez certains.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/119278/original/image-20160419-13926-1a90r3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/119278/original/image-20160419-13926-1a90r3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/119278/original/image-20160419-13926-1a90r3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/119278/original/image-20160419-13926-1a90r3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/119278/original/image-20160419-13926-1a90r3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/119278/original/image-20160419-13926-1a90r3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/119278/original/image-20160419-13926-1a90r3b.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">métamorphoses.</span>
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<p>Les adolescents se dirigent ensuite vers l’autocar qui les a conduits ici. L’un des adultes responsables est alors interpellé par un spectateur. « C’est très beau ce que vous avez fait. Bravo. C’est pour les attentats ou pour Nuit debout ? ». L’homme répond qu’il a ses « opinions sur Nuit debout » mais que « c’est pour le Bataclan car c’est la musique et ce sont des jeunes. C’est important. Nous étions sur le chemin pour un concert et nous avons décidé de nous arrêter ».</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/119280/original/image-20160419-13948-1hr0ekc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/119280/original/image-20160419-13948-1hr0ekc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/119280/original/image-20160419-13948-1hr0ekc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/119280/original/image-20160419-13948-1hr0ekc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/119280/original/image-20160419-13948-1hr0ekc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/119280/original/image-20160419-13948-1hr0ekc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/119280/original/image-20160419-13948-1hr0ekc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">métamorphoses.</span>
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<p>Même lieu, même jour, 8h plus tard, le Mémorial, et avec lui l’ensemble de la place, se sont métamorphosés. Le socle de la statue n’est plus la scène à observer, mais le lieu où s’installe le public de la mobilisation sociale. Cette métamorphose au fil de la journée ne peut pourtant être résumée par le remplacement d’une cause, « mémorielle », par une autre, « tournée vers le futur », comme le qualifient pourtant certains messages.
D’une part, si les membres du collectif « 17 plus jamais », qui, <a href="https://quartierdubataclan.wordpress.com/2015/12/30/traces/">comme cela a été raconté par le passé</a> entretiennent le Mémorial depuis janvier 2015, sont peu à peu exclus du lieu, le fronton de la statue (face au sud de la place) continue à être entretenu et, surtout, visité pour rendre hommage aux victimes.
D’autre part, déposer des messages et créer des traces est une pratique que plusieurs participants à la mobilisation sociale font perdurer : d’« État d’urgence mon cul » à « Panama papers » en passant par « Démocratie t’est où ? » et beaucoup d’autres.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/119281/original/image-20160419-13948-2y7gqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/119281/original/image-20160419-13948-2y7gqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/119281/original/image-20160419-13948-2y7gqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/119281/original/image-20160419-13948-2y7gqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/119281/original/image-20160419-13948-2y7gqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/119281/original/image-20160419-13948-2y7gqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/119281/original/image-20160419-13948-2y7gqk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">métamorphoses.</span>
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<p>Plus encore, les traces du passé, ces « mémoires », sont elles aussi omniprésentes dans la mobilisation « Nuit debout ». Hier encore, à la tribune, un porte-parole des victimes des attentats annonçait un prochain rassemblement pour exiger une meilleure prise en charge de toutes les victimes, non seulement du 13 novembre, mais aussi des autres attentats. Plus largement, régulièrement, les prises de parole à la tribune rappellent que République « c’est notre place », évoquant les mobilisations de solidarité spontanées post-attentats de janvier et novembre 2015. Le passé de la place est ainsi un des moteurs implicites du mouvement.</p>
<p>Mais l’invocation de la mémoire va au-delà des événements qui ont marqué 2015. Parmi d’autres ressources, le passé est convoqué pour donner sens à la mobilisation. À plusieurs endroits de la place, depuis deux semaines, des écritures différentes redonnent par exemple vie à la Commune de Paris, l’insurrection parisienne de 1870. À elle seule la récurrence de cette mention est d’ailleurs un indice fort de l’origine d’une partie des participants au mouvement social. Dans sa <a href="http://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1995_num_45_1_403507"><em>Sociologie de la mémoire communiste</em></a>, Marie-Claire Lavabre a ainsi très bien montré l’importance de l’histoire de la Commune de Paris dans la constitution d’une appartenance communiste.</p>
<p>Mais le passé évoqué va au-delà de ces figures traditionnelles de l’histoire politique française. Vendredi soir, lors de l’Assemblée générale, la commission « Migration » est invitée à présenter ses travaux. Son représentant aborde alors la question des sans-papiers. Mais il le fait à travers le prisme quasi-exclusif de la commémoration des 20 ans de l’expulsion, par les forces de l’ordre, des occupants de l’Église Saint-Bernard. Il conclut sa prise de parole en proposant aux présents de participer à l’organisation d’une grande commémoration le 23 août prochain. Ces quelques exemples indiquent l’impossibilité de séparer un espace de causes « du passé » d’un autre de causes « du futur » comme de disjoindre des références « apolitiques » d’autres « politisées ». La « mémoire » est bel et bien un des langages du politique contemporain.</p>
<p>Juste avant la commission « Migration », ce même vendredi, une jeune femme avait pris la parole. Après avoir indiqué qu’elle venait à République depuis le début, elle souhaitait lancer un appel pour recruter de bonnes volontés afin d’aider à la rédaction de comptes-rendus des assemblées générales du mouvement. Il s’agissait de recruter de nouveaux membres de la commission dédiée : la commission « Mémoire commune ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/58089/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Sarah Gensburger ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La place de la République entre #NuitDebout et lieu de mémoire des attentats de 2015.Sarah Gensburger, Sociologue de la mémoire, CNRS - UPOND - ENS Cachan, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/571832016-04-04T04:35:59Z2016-04-04T04:35:59Z#NuitDebout : le retour des indignés ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/117213/original/image-20160403-6827-ffu51i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Première « Nuit debout », le 31 mars 2016, Place de la République à Paris.</span> <span class="attribution"><span class="source">Nuit debout</span></span></figcaption></figure><p>Début mars encore, le mouvement contre le CPE (Contrat Premier Embauche) de 2006 s’imposait comme le référent à l’aune duquel penser et évaluer le début de la mobilisation des jeunes contre la loi du travail. Comme il y a 10 ans, le projet de loi contesté se propose de flexibiliser le marché du travail. Le référent est d’autant plus prisé que ceux qui manifestent aujourd’hui espèrent avoir le même succès que leurs prédécesseurs dix ans plus tôt qui avaient obtenu le retrait du projet de loi.</p>
<p>Depuis le début du mouvement, un autre référent s’impose bien davantage lorsqu’on prête l’oreille aux interventions dans les AG étudiantes et en discutant avec les jeunes manifestants : les mouvements des indignés et d’Occupy du début des années 2010. Il est devenu explicite avec les « Nuits debout » qui ont rassemblé plusieurs milliers de personnes sur la Place de la République.</p>
<p>Dès la fin février, tous les ingrédients semblaient réunis pour que surgisse un « mouvement des indignés à la française », semblable à ceux qui ont marqué le printemps 2011 dans la péninsule ibérique et qui continuent de transformer l’Espagne et le Portugal. Avec l’initiative de la « Nuit debout », un groupe de citoyens autour du magazine <em>Fakir</em> et de l’économiste Frédéric Lordon a ouvert un espace qui a permis aux citoyens d’échanger, d’exprimer leur indignation, de rêver ensemble à un autre monde et à une « convergence des luttes » qui reste à construire.</p>
<h2>La loi travail, un formidable élément déclencheur</h2>
<p>Une frustration latente ne suffit pas à déclencher de grandes mobilisations. Un élément déclencheur est nécessaire. Une « étincelle » qui va mettre le feu aux poudres et donner le timing d’une première séquence de la mobilisation. Dès début mars, il était clair que la <a href="https://theconversation.com/loi-travail-precarite-de-lemploi-et-precarite-de-lentreprise-56834">« loi travail »</a> n’était pas le cœur du problème pour nombre de manifestants et pour les jeunes lycéens, <a href="https://theconversation.com/qui-sont-les-organisations-etudiantes-quel-est-leur-role-et-qui-representent-elles-56311">les étudiants</a> et de nombreux citoyens mobilisés en dehors des organisations syndicales.</p>
<p>L’avant-projet de loi est devenu cette étincelle indispensable pour initier une mobilisation, dont les causes et revendications sont bien plus profondes. Il est à la fois « la goutte qui fait déborder le vase » pour des citoyens indignés et une revendication claire et largement partagée qui facilite l’extension du mouvement au-delà des cercles militants, la convergence avec des organisations et les syndicats et une visibilité dans les mass media. C’est aussi autour de cette loi que s’établit un premier calendrier de mobilisations avant que le mouvement ne soit capable de trouver sa propre temporalité. Aussi, comme le déclarait Frédéric Lordon à la tribune de la première « Nuit debout » le 31 mars :</p>
<blockquote>
<p>On ne remerciera jamais assez la loi El Komri de nous avoir sorti de notre sommeil politique.</p>
</blockquote>
<h2>Une rapide montée en généralité</h2>
<p>Ce qui distingue les mouvements sociaux d’autres mobilisations est d’être centré sur un autre projet de société bien plus que sur une revendication spécifique. Dès les premières convocations étudiantes et lycéennes pour la manifestation du 9 mars, la « loi travail » apparaissait comme l’opportunité de manifester son indignation plus que sa cause centrale. Dans les cortèges, les manifestants se disent surtout « déçus par la gauche ». C’est « contre la politique du gouvernement » et non autour de ce seul projet de loi que les tracts des collectifs étudiants appelaient à manifester le 9 mars.</p>
<p>En la qualifiant de de loi « Gattaz-Hollande-Valls-Macron-EL Komri », les étudiants renvoient à la collusion entre les élites économiques et politiques, qui étaient au cœur des dénonciations des mouvements indignés et Occupy en 2011. Ils rejoignent beaucoup de militants et d’intellectuels engagés de la « gauche de la gauche » (<a href="http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/03/04/le-projet-el-khomri-ne-ferait-qu-aggraver-la-crise-economique_4876730_3232.html?xtmc=keucheyan&xtcr=2">Durant & Keucheyan</a>, 2016) ou de la « gauche du PS », notamment ceux qui ont co-signé la tribune de Martine Aubry pour lesquels cette loi vise moins à créer des emplois qu’à accentuer les inégalités et fustigent la dérive sociale-libérale du gouvernement.</p>
<h2>Les impasses de la politique institutionnelle</h2>
<p>L’absence d’alternative du côté de la politique institutionnelle rend le contexte particulièrement favorable au passage d’une mobilisation contre un projet de loi à un mouvement du type « indignés », qui souligne à la fois les impasses de la politique institutionnelle et propose une démocratie plus participative, centrée sur les citoyens plutôt que sur l’État et les élites politiques. Les citoyens se reconnaissent de moins en moins dans les élites politiques françaises et européennes. Le régime leur apparaît comme une « démocratie sans choix », où voter pour le Parti socialiste ou pour Les Républicains ne change guère les politiques sociales et économiques. Après la loi Macron, le débat sur la déchéance de la nationalité est venu renforcé cette conviction.</p>
<p>En 2011, c’est ce même constat de deux « partis de gouvernement » aux politiques très semblables et de l’absence d’alternatives satisfaisantes dans l’arène électorale qui était à l’origine du « mouvement du 15 mai » (que les journalistes français ont appelé « les indignés ») en Espagne. Alors que le terrain semblait fertile pour la gauche de la gauche, les écologistes comme le Front de gauche sont minés par les dissensions internes. Ce triste panorama conduit de nombreux Français – notamment parmi les jeunes – à choisir le Front national. Pour les citoyens progressistes, exprimer sa désapprobation dans les rues et construire « une autre politique » sur les places semble la seule option. Dans la « Nuit debout » comme lors des campements indignés, il s’agit avant tout de « se reprendre en main en tant que citoyens » et de remettre en cause la centralité de la démocratie représentative.</p>
<h2>Une jeunesse sans avenir ?</h2>
<p>Bien que dans des proportions différentes, la conjoncture économique difficile et le chômage massif des jeunes est un autre point commun entre le contexte de 2011 dans la péninsule ibérique et la France de 2016.</p>
<p>Alors que François Hollande annonçait que « la jeunesse » serait une priorité de son mandat, les jeunes se sentent délaissés et peu écoutés et malmenés. Le <a href="http://francestrategie1727.fr/thematiques/investir-dans-la-jeunesse-en-faisant-face-au-vieillissement/">rapport de France Stratégie</a> paru ce 31 mars ne leur donne pas tort : « Les dépenses publiques sont concentrées sur les âges élevés » : 23,3 % des 18-24 ans vivaient sous le seuil de pauvreté en 2012 (contre 17,6 % en 2002), 23,4 % des 15-24 ans sont au chômage et, comme le résume <a href="http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/04/01/la-degradation-de-la-situation-des-jeunes-en-cinq-chiffres_4894169_4355770.html">Les Décodeurs</a> (<em>Le Monde</em>), « Pauvreté, chômage, niveau de vie : la situation des jeunes se dégrade par rapport aux autres tranches d’âge ». La « génération précaire » est la première victime de la concentration croissante des richesses et de la flexibilisation du marché du travail.</p>
<p>Plus encore que leurs conditions de vie actuelles, c’est le sentiment d’être « privés de leur avenir » qu’expriment les jeunes dans les manifestations, sur la Place de la République et sur les réseaux sociaux (#onvautmieuxqueca) : « Le gouvernement veut nous faire croire que nous n’avons pas d’autre choix qu’un avenir précaire. Et c’est ça que nous refusons ». Au Portugal puis en Espagne, les collectifs « jeunes sans futur » ont été à l’origine de l’occupation des places en 2011. Cinq ans plus tard, en France, c’est encore leur droit à dessiner un autre avenir qui est en jeu.</p>
<p>Les réseaux « Jeunes sans avenir » étaient à l’origine des mouvements des indignés au Portugal puis en Espagne. Si les mouvements des indignés et celui des « Nuits debout » ne sont pas des mouvements spécifiquement jeunes, les jeunes en sont l’une des forces vives. Dans ces mouvements, ils se construisent et s’affirment en tant qu’individu, que jeunesse et qu’acteur de la démocratie dans leur volonté de penser le monde autrement. Comme le résume un tweet : « Nous avons besoin de penser la société de demain, avec humanisme, liberté, égalité, fraternité ».</p>
<h2>Infrastructures de la mobilisation : Réseaux militants et timing étudiant</h2>
<p>Si l’indignation et l’envie d’un autre monde sont au cœur des mouvements sociaux, les mobilisations dépendent aussi d’une « infrastructure » qui facilite leur émergence. De ce côté également, tous les signaux sont au vert pour un printemps animé en France.</p>
<p>Le timing semble parfait du côté des étudiants et des lycéens. Le gouvernement ne pouvait choisir une meilleure date pour médiatiser cet avant-projet de loi fin février. Au début du second semestre, les réseaux personnels et militants sont bien construits. Les 6 à 8 semaines qui séparent l’annonce du pré-projet de loi par la ministre et les prochaines vacances laissent le temps au mouvement de monter en force, d’autant que les examens de fin d’année sont encore loin. C’est d’ailleurs à cette même époque qu’avaient surgi mai 68, la mobilisation contre le CPE en 2006 ou le mouvement des indignés en Espagne cinq ans plus tard.</p>
<p>Comme pour chacun de ses prédécesseurs, l’émergence de ce mouvement n’est pas aussi spontanée qu’elle n’apparaît dans la presse. Les mobilisations autour de la COP, contre l’État d’urgence ou pour défendre Notre-Dame des Landes ont permis de construire de solides réseaux et, pour les plus jeunes, des expériences militantes. Un collectif préparait depuis trois semaines la « Nuit debout » du 31 mars, notamment autour de la revue <em>Fakir</em> et de l’économiste Frédéric Lordon. Ces « entrepreneurs de la mobilisation » ont joué un rôle crucial pour créer l’espace dans lequel peut ce mouvement peut s’épanouir. Les tentes du collectif « Droit au Logement » légalement installées sur la Place de la République sont fort utiles à l’occupation de la place et quelques appuis discrets du monde syndical ou associatif ont grandement facilité l’organisation logistique du mouvement citoyen.</p>
<h2>Un mouvement différent ?</h2>
<p>Va-t-on pour autant vers une reproduction du mouvement des indignés ? La « Nuit debout » en emprunte les codes et certains propos, mais le mouvement devra aussi trouver sa propre voie, à la fois parce que le contexte politique est désormais marqué par la sécurité et la montée des idées et partis d’extrême droite et parce qu’il doit tenir compte de ce que sont devenus les « mouvements de 2011 ».</p>
<p>L’enthousiasme international du début des années 2010 pour les mouvements démocratiques dans le monde arabe et la défense de la démocratie dans le monde occidental paraît bien loin. Le climat est désormais bien plus pesant, marqué par le terrorisme, l’état d’urgence et des partis et valeurs d’extrême-droite, qui séduisent notamment de nombreux jeunes. En France et en Europe, la guerre contre le terrorisme est au sommet des agendas politiques. La Place de la République, où se réunit le mouvement du 32 mars, est au cœur du quartier marqué par les attentats du 13 novembre et en héberge le mémorial citoyen. Avec l’État d’urgence, la répression ne se limite pas aux terroristes potentiels. Des musulmans et des jeunes sont régulièrement brutalisés par la police et certaines manifestations lycéennes ont été violemment réprimées. Les forces de l’ordre ont profité de l’état d’urgence pour assigner à résidence des militants écologistes pendant la COP 21 et bénéficient d’un arsenal de moyens pour réprimer les mobilisations sociales.</p>
<p>D’autre part, si les campements des indignés et d’Occupy font partie de l’ADN du « mouvement de 32 mars » français, c’est aussi le cas de ce que sont devenus les acteurs qui ont porté ces mouvements en Espagne, en Angleterre ou aux États unis. Le projet de la « Nuit debout » s’appuie sur cet héritage, mais doit également se réinventer pour tenter de dépasser certaines limites de ces prédécesseurs. Les exigences d’horizontalité et la volonté de créer une démocratie participative en dehors des sentiers de la politique institutionnelle ont confronté les acteurs des mouvements des places aux limites des mouvements faiblement structurés. Comme le résume Lilian Mathieu dans <a href="http://www.pressesdesciencespo.fr/fr/livre/?GCOI=27246100844860"><em>La démocratie protestataire</em></a> dans son analyse des convergences militantes en France, ces mouvements ont</p>
<blockquote>
<p>une grande capacité à impulser des mobilisations mais sont inaptes à les clore, puisqu’ils ne peuvent négocier et signer des accords de sortie de conflit et ne jouissent pas de la légitimité que fournissent les mécanismes d’élection et de représentation.</p>
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<p>Est-il possible de « changer le monde sans prendre le pouvoir », à partir de ses propres pratiques et de la vie quotidienne, ou faut-il au contraire « occuper l’État » et entrer dans la joute électorale pour ne pas laisser la place à ceux qui sont dénoncés par les mouvements ?</p>
<p>Certains activistes des mouvements de 2011 ont décidé de franchir le pas et de s’engager dans l’arène de la politique institutionnelle. En 2011, les indignés espagnols et les collectifs « Occupy » rejetaient clairement ces possibilités. Depuis, certains ont été à l’origine des succès électoraux de Jeremy Corbyn, triomphalement élu à la tête du parti travailliste anglais à l’automne 2015 et de Bernie Sanders, au cours de l’investiture démocrate aux États-Unis. L’émergence du parti « Podemos » en Espagne est à la fois la suite et l’inversion du mouvement des indignés. Il montre que des débouchés politiques sont possibles, mais en passant « de <a href="http://www.laviedesidees.fr/Espagne-de-l-indignation-a-l-organisation.html">l’indignation à l’organisation »</a>, Pablo Iglesias et ses collègues ont aussi trahi certaines des valeurs fondatrices, comme le refus des leaders, la primauté de la dynamique citoyenne ou la participation du plus grand nombre aux décisions.</p>
<p>Ailleurs, après un début de décennie marqué par les espoirs d’une jeunesse qui descendait d’en les rues pour réclamer plus de <a href="http://socio.revues.org/393">démocratie, de justice sociale et de dignité</a> en s’appuyant notamment sur la culture et les pratiques des mouvements <a href="http://www.academia.edu/22682178">alteractivistes horizontaux</a>, leurs mouvements ont eu à faire face au rapport de force avec les acteurs de la politique traditionnelle. Dans de nombreux pays, et particulièrement en Turquie et en Égypte, les acteurs des « mouvements des places » sont aujourd’hui victimes d’une répression violente.</p>
<p>Le « mouvement du 32 mars » qui a émergé ce week-end devra inventer sa propre voie et construire à la fois sur les succès et sur les limites de ses prédécesseurs. Sans préjuger de l’avenir de ces mobilisations, parvenir à rassembler des milliers de citoyens de toutes les générations et réaffirmer qu’un « autre monde est possible » et qu’il existe des alternatives progressistes centrées sur la démocratie, la justice sociale et la dignité constitue déjà un succès considérable dans un contexte pesant marqué par les régressions sociales et le contexte pesant de l’état d’urgence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/57183/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Geoffrey Pleyers est Président du comité de recherche « Mouvements sociaux » de l’Association Internationale de Sociologie.</span></em></p>Les mouvements de protestation provoqués par la « loi travail » pourraient-ils se transformer en alternative politique ? Première analyse.Geoffrey Pleyers, Sociologue, FNRS-Université de Louvain & Collège d'Etudes Mondiales, Université catholique de Louvain (UCLouvain)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.