tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/orthodoxie-64547/articlesorthodoxie – The Conversation2024-01-01T15:44:36Ztag:theconversation.com,2011:article/2200622024-01-01T15:44:36Z2024-01-01T15:44:36ZTurquie : où en est-on trois ans après la transformation de Sainte-Sophie en mosquée ?<p>En octobre 2023, le ministre turc de la Culture et du Tourisme a <a href="https://lepetitjournal.com/istanbul/actualites/visiter-sainte-sophie-va-devenir-payant-en-2024-371869">annoncé</a> que l’entrée dans l’ancienne basilique byzantine devenue mosquée allait redevenir payante à compter de janvier 2024, pour les visiteurs étrangers, afin de financer la préservation de l’édifice.</p>
<p>L’annonce est aussi l’occasion de faire un bilan du changement de statut de cet édifice emblématique dans le contexte des prochaines élections municipales qui s’annoncent disputées et tendues à Istanbul.</p>
<h2>Les multiples destinations de Sainte-Sophie (Ayasofya)</h2>
<p>Construite par les Byzantins au VI<sup>e</sup> siècle avant même l’apparition de l’islam, elle incarne la chrétienté d’Orient par ses dimensions tant matérielle que spirituelle, avant d’être, pendant un peu plus d’un demi-siècle, après la prise de Constantinople lors de la quatrième croisade en 1204 (qui se solde notamment par son pillage), le siège du patriarcat latin de la ville, qui dépend de l’Église de Rome. </p>
<p>Redevenue orthodoxe en 1261, quand les Byzantins reprennent la cité, Sainte-Sophie le restera pour presque deux siècles. En 1453, elle est convertie en mosquée au soir de la prise de Constantinople par les Ottomans, et devient le symbole de leur victoire sur la chrétienté.</p>
<p>Aménagée pour la pratique du culte musulman, « Ayasofya » (en turc) est dès lors, pendant près de cinq siècles, la grande mosquée impériale où le Sultan se rend solennellement, chaque semaine, pour la prière du vendredi. Sa coupole imposante, à laquelle des minarets ont été adjoints, inspire l’architecture de la plupart des mosquées ottomanes et turques, construites par la suite.</p>
<p>Après la <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2018/10/28/26010-20181028ARTFIG00116-mustafa-kemal-atatuumlrk-proclamait-la-republique-turque-il-y-a-95-ans.php">proclamation de la République</a> en 1923, la <a href="https://www.retronews.fr/religions/chronique/2021/01/11/abolition-du-califat-par-mustafa-kemal">fin du Califat</a> en 1924 et de spectaculaires <a href="https://www.cairn.info/20-idees-recues-sur-la-turquie--9791031802473-page-25.htm">réformes de modernisation</a>, Mustafa Kemal Atatürk entend promouvoir un islam national. Dès 1924, il a ainsi placé la religion majoritaire (le sunnisme hanéfite) sous l’autorité d’une présidence des affaires religieuses (Diyanet). L’appel à la prière se fait désormais en turc et une lecture du Coran a même lieu en 1932 dans cette langue à Ayasofya. </p>
<p>En 1934, le leader de la Turquie moderne, qui vient de signer un <a href="https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2006-1-page-283.htm">traité d’amitié</a> avec la Grèce et qui est en train de finaliser un <a href="https://www.jstor.org/stable/45344735">Pacte balkanique</a> avec des pays majoritairement orthodoxes, décide de transformer le bâtiment en musée pour le dédier symboliquement à l’humanité entière. Ce dernier devient alors l’un des symboles de la laïcité dans le pays ; il va aussi, au cours des décennies suivantes, se trouver au cœur des évolutions politiques de la Turquie, notamment de la tendance de plus en plus puissante qui prône un retour aux valeurs de l’islam.</p>
<p>Ainsi, dans les années 1950, le gouvernement du Parti démocrate d’Adnan Menderes, qui s’efforce d’assouplir le laïcisme kémaliste et qui restaure l’appel à la prière en arabe, fait réinstaller dans l’édifice de grands médaillons proclamant les noms d’Allah et des quatre premiers califes.</p>
<p>L’arrivée au pouvoir en 2002 des post-islamistes de l’AKP de Recep Tayyip Erdogan ne change pas immédiatement la donne pour Sainte-Sophie, ceux-ci étant surtout occupés à défendre la <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/adhesion-de-la-turquie-a-l-union-europeenne-ou-en-est-on/">candidature de leur pays à l’Union européenne</a>. Mais la deuxième décennie de l’AKP au pouvoir voit se multiplier les incidents et les polémiques. Des groupes radicaux tentent régulièrement de pénétrer dans l’enceinte du musée <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2013/12/12/sainte-sophie-fait-de-la-politique_4333435_3214.html">pour y prier</a>. </p>
<p>Les déclarations de Recep Tayyip Erdogan évoquant le retour d’<em>Ayasofya</em> au culte musulman se font de plus en plus pressantes. En 2019, notamment, le chef de l’État turc adresse une véritable mise en garde aux Occidentaux, en s’écriant : « Ceux qui demeurent silencieux face aux violations de la mosquée Al Aqsa [la plus grande mosquée de Jérusalem, située sur l’esplanade des mosquées à proximité du Dôme du Rocher, troisième lieu saint de l’islam] n’ont rien à nous demander en ce qui concerne le statut de Sainte-Sophie. »</p>
<h2>Réislamisation et préservation du patrimoine culturel</h2>
<p>En juillet 2020, alors qu’il mène une <a href="https://theconversation.com/que-veut-la-turquie-en-mediterranee-orientale-147694">politique très offensive en Méditerranée orientale</a> pour faire valoir ses intérêts dans le grand jeu gazier qui s’y joue, Erdogan obtient du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/10/en-turquie-recep-tayyip-erdogan-annonce-l-ouverture-de-l-ex-basilique-sainte-sophie-aux-prieres-musulmanes_6045870_3210.html">Conseil d’État turc</a> la reconversion du musée en mosquée. L’événement est un symbole de la réislamisation du pays, entreprise depuis plusieurs années.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-sainte-sophie-transformee-en-mosquee-comment-sortir-de-limpasse-politico-religieuse-143417">Débat : Sainte-Sophie transformée en mosquée : comment sortir de l’impasse politico-religieuse ?</a>
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<p>L’accès au bâtiment semblait toutefois initialement sauvegardé et même facilité, puisque n’étant plus un musée, il était devenu libre et gratuit. Il reste que le premier étage de la basilique, où se situent les plus belles mosaïques sauvegardées, a été fermé pour des travaux qui s’éternisent, et que depuis trois ans son caractère de lieu de culte s’est affirmé au détriment de sa destination patrimoniale et culturelle. </p>
<p>La tenue de prières régulières confine souvent les visiteurs dans le narthex et la partie basse de la nef. Les mosaïques du cœur sont cachées par des rideaux qui, contrairement aux promesses initiales, ne sont pas mobiles. Un lieu de prière pour les femmes a été créé. Paradoxalement, l’atmosphère religieuse du lieu est plus ostensiblement affirmée que dans les grandes mosquées ottomanes d’Istanbul.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Au cœur de l’édifice, les mosaïques sont cachées par des rideaux. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">I. Khillo, J. Marcou</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">La mosaïque chrétienne de La Vierge et l’Enfant dans le dôme de Sainte-Sophie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:La_mosaique_de_la_Vierge_et_l%27Enfant_dans_le_dome_de_Sainte_Sophie_-_panoramio.jpg">Corine Rezel/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p><a href="https://www.unesco.org/fr/articles/sainte-sophie-istanbul-declaration-de-lunesco?TSPD_101_R0=080713870fab20007120dfa926106f80e449d75135bb6904c6d51100f4d05b8481fcb7db80fbe469082ff89a8c143000f974b4f563c2c58089d4bffc38a9f0b13f883ff79035a51f6ab5b11bb7a1c7f6d68327b8fecf0508b4cd4eb489aaeb28">L’Unesco s’inquiète des évolutions en cours</a>. Alors qu’elle ne dépendait que du ministère de la Culture et du Tourisme, la gestion du bâtiment relève désormais de plusieurs autres instances, comme la Présidence des affaires religieuses (Diyanet), la direction des fondations et la préfecture d’Istanbul. La multiplication des acteurs rend plus difficiles les interventions visant à préserver l’édifice, lorsque des aménagements inappropriés sont réalisés. </p>
<p>En outre, la fin du paiement du droit d’entrée a privé l’État turc d’une manne financière pourtant nécessaire pour couvrir les énormes frais d’entretien et de préservation que les experts ont identifiés pour les cinquante années à venir. C’est ce qui explique la décision du ministère de la Culture de demander le paiement d’un droit d’entrée aux visiteurs étrangers à partir de 2024.</p>
<p>Il faut rappeler, en outre, que le changement de statut d’Ayasofya a été suivi, à Istanbul, par une reconversion similaire, celle de l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/22/turquie-apres-sainte-sophie-une-autre-ex-eglise-reconvertie-en-mosquee_6049594_3210.html">église Saint-Sauveur-in-Chora</a>, considérée comme l’un des joyaux de l’art byzantin les mieux préservés du fait de la beauté de ses fresques et de ses mosaïques. Comme celles-ci couvrent l’ensemble des murs de l’ancienne église, on peut se demander comment on pourra aménager le site en mosquée en préservant la visibilité de ce patrimoine.</p>
<h2>L’enjeu électoral</h2>
<p>Il est probable que dans la perspective des élections municipales du printemps prochain et, par ailleurs, eu égard à la situation qui prévaut actuellement à Gaza, Recep Tayyip Erdogan compte entre autres sur ces initiatives religieuses pour obtenir les voix qui lui permettront de reconquérir la mairie métropolitaine d’Istanbul, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/24/turquie-erdogan-perd-istanbul-c-ur-de-son-pouvoir_5480713_3210.html">remportée par le kémaliste Ekrem Imamoglu en 2019</a>. </p>
<p>Les <a href="https://www.lesoir.be/516063/article/2023-05-28/elections-en-turquie-erdogan-revendique-la-victoire-la-presidentielle">élections de 2023</a>, qui ont vu la reconduction du leader de l’AKP à la présidence, ont montré la solidité et la résilience du socle conservateur religieux du pays, en dépit de l’urbanisation de ses modes de vie, de la <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/turquie-l-inflation-reste-stable-en-octobre-mais-le-pays-reste-englue-dans-la-crise-982249.html">crise économique</a> sans précédent qu’il subit, et des séismes qui ont ravagé le sud-est de son territoire en février dernier.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/seisme-en-turquie-la-catastrophe-humanitaire-sexplique-aussi-par-la-corruption-generalisee-200568">Séisme en Turquie : la catastrophe humanitaire s’explique aussi par la corruption généralisée</a>
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<p>Mais Istanbul n’est pas l’Anatolie, et au-delà de l’importante influence de l’opposition dans l’ancienne capitale ottomane, même son électorat conservateur pourrait bien, comme en 2019, se servir de ce scrutin local pour manifester le mécontentement lors des prochaines municipales qu’il n’a pas osé exprimer lors des dernières élections générales. </p>
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<p>Imad Khillo et Jean Marcou sont membres du séminaire <a href="https://www.collegedesbernardins.fr/seminaires/geopolitique-et-religions-autour-de-la-mediterranee-entre-permanence-et-recomposition">Géopolitique et religions autour de la méditerranée : entre permanence et recomposition</a> du Collège des Bernardins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220062/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Trois ans après la transformation en mosquée de l’ancienne basilique Sainte-Sophie à Istanbul, où en est la stratégie de réislamisation de Recep Tayyip Erdogan ?Imad Khillo, Maître de conférences de droit public à Sciences Po Grenoble Chercheur associé à l'IREMMO-Institut de Recherche et d'Etudes Méditerranée Moyen-Orient, Sciences Po GrenobleJean Marcou, Directeur des relations internationales, Sciences Po GrenobleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1950462022-12-04T17:49:32Z2022-12-04T17:49:32ZDe l’usage des mots « guerre sainte » et « satanisme » dans la guerre en Ukraine<p>« Guerre sainte » : voici une notion qu’on entend souvent ces derniers temps dans l’espace politique russe pour justifier l’agression de la Russie en Ukraine. S’y ajoutent régulièrement les termes de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-la-desatanisation-de-l-ennemi-nouvelle-lubie-mystique-du-kremlin-aux-allures-de-guerre-sainte_5445121.html">« satanisme »</a> et d’<a href="https://www.washingtonexaminer.com/policy/foreign/putin-fighter-antichrist-desatanization">« Antéchrist »</a>.</p>
<p>Tous les acteurs sociaux et politiques russes n’en ont pas les mêmes représentations, et celles-ci varient en fonction des publics auxquels ils s’adressent. Mais les mots utilisés restent les mêmes. Comment expliquer ce recours à un vocabulaire religieux dans le cadre de ce qui reste, officiellement, une « opération militaire spéciale » ?</p>
<h2>Poutine, Kadyrov et le « satanisme » de l’Occident</h2>
<p>Au cours des premiers mois de la guerre, Vladimir Poutine a exprimé son intention de <a href="https://www.la-croix.com/Debats/On-mal-Europe-comprendre-linsistance-Poutine-propos-denazification-lUkraine-2022-03-15-1201205092">dénazifier l’Ukraine</a>. Le 30 septembre, <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/69465">lors de la cérémonie d’annexion des terres de l’est de l’Ukraine</a>, il a dénoncé le satanisme de l’Occident, symbolisé, selon lui par « la négation totale de l’individu, la subversion de la foi et des valeurs traditionnelles, la suppression de la liberté ».</p>
<p>Ce terme de satanisme circule depuis longtemps <a href="https://theconversation.com/how-qanon-uses-satanic-rhetoric-to-set-up-a-narrative-of-good-vs-evil-146281">dans les milieux conservateurs du monde entier</a>. Déjà en 2013, Vladimir Poutine condamnait devant le Club Valdaï les « pays euro-atlantiques » pour qui <a href="https://regard-est.com/quand-letat-veille-sur-la-moralite-la-russie-sous-la-croix-et-la-banniere">« la foi en Dieu est égale à la foi en Satan »</a>. Mais l’utilisation de cette rhétorique pourrait bien s’expliquer aujourd’hui par l’influence de l’idéologue d’extrême droite <a href="https://theconversation.com/du-national-bolchevisme-a-leurasisme-qui-est-vraiment-alexandre-douguine-189515">Alexandre Douguine</a> sur le président de la Fédération de Russie. En effet, d’après des observateurs bien informés, si son poids dans les premiers mois de la guerre a été largement exagéré, il serait <a href="https://meduza.io/en/feature/2022/11/03/hawkish-times-need-hawkish-people">plus écouté depuis le décès de sa fille Daria Douguina</a>, victime d’un attentat où il était probablement <a href="https://www.theguardian.com/world/2022/aug/21/alexander-dugin-who-putin-ally-apparent-car-bombing-target">lui-même visé</a>. Le 15 septembre, l’idéologue <a href="https://tsargrad.tv/articles/nachinaetsja-glavnaja-statja-aleksandra-dugina_625556">expliquait dans un média ultraconservateur</a> qu’« un satanisme à découvert et un racisme pur et simple prospèrent en Ukraine, et l’Occident ne fait que les soutenir ».</p>
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<p>Cette invocation du satanisme de l’Occident et d’une nécessaire « désatanisation » de l’Ukraine est pratiquement devenue, au cours des mois d’octobre et novembre, la justification officielle de l’« opération spéciale ». Elle a été utilisée plusieurs fois par Ramzan Kadyrov, à la tête de la république tchétchène, <a href="https://t.me/s/RKadyrov_95?q=%D1%81%D0%B0%D1%82%D0%B0%D0%BD%D0%B8%D0%B7%D0%BC">sur sa chaîne Telegram</a> (il l’avait d’ailleurs déjà employée auparavant, et notamment le 18 mai 2022).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1590631650408349697"}"></div></p>
<p>Le 25 octobre, il déclarait que la « démocratie sataniste », c’est « lorsqu’on protège les droits des athées et insulte les croyants » ; il rappelait pour illustrer ses propos la publication des caricatures du Prophète dans <em>Charlie Hebdo</em>, contre lesquelles une manifestation de plusieurs centaines de milliers de personnes avait été organisée le <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2015/01/19/des-milliers-de-personnes-manifestent-en-tchetchenie-contre-les-caricatures-de-charlie-hebdo_4558837_3214.html">19 janvier 2015 à Grozny</a>.</p>
<p>Comme Vladimir Poutine, il <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/manifestations-en-ukraine/guerre-en-ukraine-la-desatanisation-de-l-ennemi-nouvelle-lubie-mystique-du-kremlin-aux-allures-de-guerre-sainte_5445121.html">condamnait l’homosexualité</a> et affirmait de façon particulièrement grossière que « plus les thèmes « en dessous de la ceinture » sont libérés, plus ils (l’Occident) sont contents ».</p>
<p>Le thème d’une <a href="https://www.kyivpost.com/russias-war/chechen-strongman-kadyrov-calls-for-jihad-but-heavy-ukraine-casualties-a-problem.html">« guerre sainte »</a> est également très présent dans ses interventions, tout comme celui du patriotisme. Son post du 25 octobre commence d’ailleurs par ces mots : « J’aime ma Patrie. Mon pays. Le peuple. Les traditions ».</p>
<h2>La dénonciation des « sectes »</h2>
<p>Le satanisme a été lié à un autre thème par le secrétaire adjoint du Conseil de sécurité, <a href="https://bitterwinter.org/russian-official-calls-for-desatanization-ukraine/">Alexeï Pavlov</a> : il a comparé l’Ukraine à une « hypersecte totalitaire », affirmant notamment que ce sont des satanistes, des païens et des membres de « sectes » qui ont organisé la révolution de Maïdan en 2014.</p>
<p>Cette référence aux sectes, vues comme un danger majeur pour la Russie, date au moins du début des années 2000 ; leurs membres étaient d’ailleurs considérés comme des agents de la CIA à la période soviétique.</p>
<p>Dès son premier mandat, Vladimir Poutine a souligné l’importance de la <a href="https://religionanddiplomacy.org/2022/10/10/russias-use-of-spiritual-security-an-interview-with-kristina-stoeckl/">« sécurité spirituelle »</a>, comprise comme la défense des religions traditionnelles et la lutte contre l’extrémisme religieux – notion aux contours flous et arbitraires. Nikolaï Patrouchev, l’actuel secrétaire du Conseil de sécurité, était alors directeur du FSB, héritier du KGB : il avait passé une alliance avec l’Église orthodoxe pour lutter contre les « sectes totalitaires ». Cette rhétorique d’Alexeï Pavlov apparaît donc comme la réutilisation de procédés plus anciens pour désigner l’ennemi de la Russie, un ennemi se définissant toujours par le fait qu’il combattrait une tradition russe, mal définie.</p>
<h2>Le rôle spécifique du patriarche Kirill</h2>
<p>Que dire de la <a href="https://www.latimes.com/world-nation/story/2022-03-29/russian-orthodox-patriarch-offers-a-spiritual-defense-of-the-war-in-ukraine">rhétorique du patriarche Kirill</a>, à la tête du patriarcat de Moscou et de toutes les Russies depuis 2009 ? Il maintient un <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2022-5-page-17.htm">soutien sans faille à Vladimir Poutine</a>, par souci de conserver son pouvoir sur une institution traversée par des courants ultranationalistes et conspirationnistes.</p>
<p>Tout comme lors des précédents conflits dans lesquels le pouvoir russe s’est engagé, <a href="https://atlantico.fr/article/pepite/russie-le-patriarche-kirill-vient-de-prononcer-son-discours-le-plus-menacant-et-presque-personne-en-occident-ne-semble-s-en-preoccuper-menaces-ideologie">il présente la Russie comme une citadelle assiégée</a> : la guerre en Ukraine serait, selon lui, de nature défensive. Il suit aussi son propre agenda : lutter contre le monde unipolaire, la globalisation et la culture libérale sécularisée, contre l’invasion de valeurs qui seraient opposées à la culture de la Russie et plus généralement de cet espace qu’il appelle la Sainte Russie et qui dépasse les frontières politiques de l’État russe. Ces thèmes remontent <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2015-5-page-74.htm">au moins au début des années 2000</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">L’Église orthodoxe russe, le patriarche Kirill et Poutine (France Culture, 14 août 2022).</span></figcaption>
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<p>En outre, le patriarcat de Moscou est en <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2019-12-page-79.html">concurrence avec le patriarcat de Constantinople</a>. Kirill a tenté de garder dans son giron les nombreuses paroisses de son Église orthodoxe ukrainienne, alors qu’une autre Église, l’Église orthodoxe d’Ukraine (à laquelle l’autocéphalie, c’est-à-dire l’indépendance ecclésiastique, a été <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/l-autocephalie-de-l-eglise-orthodoxe-ukrainienne-et-ses-consequences-politiques">accordée par Constantinople en janvier 2019</a>) ne cesse d’attirer des chrétiens orthodoxes soucieux de se détacher de Moscou. Mais la compromission de Kirill avec le pouvoir russe a poussé le synode de l’Église ukrainienne à <a href="https://orthodoxie.com/resolutions-de-lassemblee-clerico-laique-de-leglise-orthodoxe-ukrainienne-du-27-mai-2022/">s’en détacher le 27 mai dernier</a>.</p>
<p>Dès le début du conflit, Kirill a présenté l’opération spéciale comme un <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/09/28/les-croises-de-kirill/">combat métaphysique entre le bien et le mal</a>. Ses propos ont également repris des motifs apocalyptiques véhiculés par certains courants de l’Église russe, notamment ceux liés à l’armée et aux forces de maintien de l’ordre, les <em>siloviki</em>.</p>
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<p>Le 25 octobre, lors du 24<sup>e</sup> Conseil mondial du peuple russe, Kirill a <a href="https://www.pravda.com.ua/eng/news/2022/10/25/7373484/">appelé</a> à « conserver la tradition pour empêcher la fin du monde ». Il a repris cette idée, développée depuis de nombreuses années dans les milieux nationalistes, d’un peuple russe qui serait le <a href="https://www.cairn.info/revue-nouvelle-revue-theologique-2021-1-page-46.htm"><em>katechon</em></a>, cette force qui retient la venue de l’Antéchrist et dont Saint Paul parle dans la <a href="https://www.aelf.org/bible/2Th/1"><em>Seconde Épître aux Thessaloniciens</em></a>. Un mois plus tôt, le 25 septembre, il avait affirmé que les soldats russes qui mourront dans la guerre en Ukraine seraient <a href="https://www.reformes.ch/politique/2022/09/les-russes-tues-au-combat-ont-leurs-peches-pardonnes-russie-eglises-orthodoxe">« lavés de tous leurs péchés »</a>.</p>
<p>Cette idée du sacrifice au nom de la patrie renvoie à la <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctvb6v5kr">rhétorique soviétique</a> qui valorise la mort héroïque pour le collectif. Elle remonte à plus d’un siècle, on la retrouve dans les <a href="https://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2017-4-page-523.htm">propos d’autres Églises chrétiennes</a> au moment de la Première Guerre mondiale.</p>
<p>Le 17 octobre dernier, devant une délégation du Conseil œcuménique des Églises (CoE), délégation dont faisait partie son propre neveu Mikhaïl Goundiaev, Kirill a <a href="https://www.cath.ch/newsf/le-patriarche-cyrille-ne-veut-pas-jeter-de-lhuile-sur-le-feu/">déclaré</a> qu’il ne pensait pas qu’« une Église ou un chrétien ou une chrétienne pouvaient soutenir les guerres et les meurtres » et que les Églises « sont appelées à œuvrer en faveur de la paix et à défendre et protéger la vie ». Et d’ajouter : « La guerre ne peut être sainte ». Mais lorsque l’un doit se défendre et défendre sa vie ou donner sa vie pour la vie des autres, les choses apparaissent différemment, <a href="https://www.oikoumene.org/fr/news/his-holiness-patriarch-kirill-wcc-acting-general-secretary-meet-in-moscow-agreeing-that-war-cannot-be-holy">a fait observer le patriarche</a> ».</p>
<p>La position de Kirill reste ambiguë, les discours destinés à l’Occident diffèrent de ceux pour la Russie. Le compte rendu sur le site du patriarcat de la visite du CoE est d’ailleurs moins précis que celui diffusé par le COE lui-même.</p>
<h2>La loyauté envers le régime avant tout</h2>
<p>Dans tous ces discours officiels se répètent encore et toujours les mêmes mots sur la défense de la tradition russe et sur l’ennemi occidental, dont la qualification évolue avec la radicalisation du contexte. Cette fabrique de la tradition contre l’Occident, l’Église orthodoxe russe y a largement contribué au cours des années 2000-2010, intervenant dans des domaines aussi variés que les débats autour de la justice des mineurs, des violences domestiques, des relations sexuelles dites « non traditionnelles » ou encore l’art contemporain. Ce discours a servi les intérêts d’un pouvoir fragilisé par les oppositions et créé une illusion de consensus. Il continue à jouer ce rôle.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=923&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=923&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=923&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1159&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1159&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/497229/original/file-20221124-24-durhbw.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1159&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Kathy Rousselet vient de publier « La Sainte Russie contre l’Occident » aux éditions Salvator. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Éditions Salvator</span></span>
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<p>Mais qu’on ne s’y trompe pas : tous ces discours s’adressent à une population dont 70 % affirment appartenir à l’Église orthodoxe russe, mais seulement <a href="https://www.levada.ru/2022/05/16/religioznye-predstavleniya">53 % se disent très ou plutôt religieux</a>. Le patriarche ne figurait pas parmi les personnes qui ont de l’autorité dans un <a href="https://irp.news/avtoritet-patriarha-kirilla-upal-s-1-do-nulja-za-pjat-let/">sondage de fin 2021</a>. Peu importe. Comme le rappelle <a href="https://library.oapen.org/bitstream/handle/20.500.12657/37497/_Fake_Anthropological_Keywords_Full_Book-2-NEW.pdf">l’anthropologue Alexeï Yurchak</a>,</p>
<p>tout comme à la période soviétique, il est plus important de répéter des formules toutes faites, attestant de la loyauté à l’égard du régime, que de veiller à la véracité de leur contenu.</p>
<p>Dans un tel modèle, ce qui compte, c’est la dimension performative du discours, sa capacité à être efficace pour l’action politique. <a href="https://haubooks.org/fake/">« Les faits »</a>, même les plus absurdes, sont au service du patriotisme et de l’antagonisme à construire contre l’Occident. Cette rhétorique sera efficace jusqu’au moment où la population attendra du pouvoir qu’il lui dise la vérité.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/195046/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Kathy Rousselet ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les responsables politiques et spirituels russes puisent volontiers dans le registre religieux pour justifier la guerre en Ukraine.Kathy Rousselet, Directrice de recherche au Centre de recherches internationales (CERI) , Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1786752022-03-10T20:34:11Z2022-03-10T20:34:11ZKiev, mère des villes russes, ou Kyiv, pilier de la nation ukrainienne ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/450528/original/file-20220307-44826-1lu26ys.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=100%2C25%2C3149%2C2196&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La cathédrale Sainte-Sophie de Kiev, lieu de mémoire le plus ancien et le plus sacré de la conscience nationale ukrainienne.
</span> <span class="attribution"><span class="source">Kiyanochka1, Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Alors que Kiev (les Ukrainiens disent Kyiv), peuplée de près de trois millions d’habitants, est encerclée par les forces russes qui convergent vers elle, il convient de se souvenir de l’enjeu symbolique et religieux, et non pas seulement politique, que représente la tentative de contrôle de la capitale de l’Ukraine.</p>
<p>En 2014, dans mon livre <a href="https://www.paroleetsilence.com/Russie---Ukraine-De-la-guerre-a-la-paix--_oeuvre_11423.html"><em>Russie-Ukraine de la guerre à la paix ?</em></a>, je rapportais les paroles du journaliste ukrainien Savik Shouster, qui expliquait ce que représente dans le monde russe l’expression « Kiev, mère des villes russes ». Shouster anime depuis des années l’un des talk-shows les plus populaires de la télévision ukrainienne. Ce russophone, qui a longtemps travaillé en Russie, est un fin connaisseur de la mentalité des hommes politiques russes et ukrainiens, et de Poutine en particulier.</p>
<p>Pour lui, déjà en cette année 2014, l’idéologie post-communiste du Kremlin était en train de muter vers un esprit de « croisade » et se donnait pour but de « sauvegarder les trésors sacrés du berceau de la Russie », à savoir Kiev. Ces paroles prennent un sens très concret aujourd’hui…</p>
<h2>Une vision mythifiée</h2>
<p>La <a href="http://remacle.org/bloodwolf/historiens/nestor/chronique.htm">« Chronique des Temps Anciens »</a>, un ouvrage composite, compilé vers 1111 par un moine de la <a href="https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/975013">Laure</a> des grottes de Kiev, Nestor, et poursuivi par ses continuateurs, retrace l’histoire de la Rous’ kiévienne de 858 à 1113. Les deux principaux manuscrits sur lesquels s’appuie la version moderne sont la <a href="https://data.bnf.fr/fr/15802967/chronique_laurentienne/">Chronique laurentienne</a> (XIV<sup>e</sup> siècle) et la <a href="https://data.bnf.fr/fr/15680404/chronique_hypatienne/">Chronique hypatienne</a> (XV<sup>e</sup> siècle). Selon ces textes, l’apôtre saint André aurait béni la terre de Kiev en proclamant : « Sur ces collines la gloire de Dieu brillera. »</p>
<p>Voici ce que Shouster expliquait le 6 avril 2014, au lendemain de l’annexion de la Crimée par la Russie, dans un <a href="http://www.svoboda.org/content/article/25322602.html">entretien</a> pour Radio Svoboda :</p>
<blockquote>
<p>« La Crimée, en soi, c’est très peu pour Poutine. Poutine a besoin de Kiev, <em>la mère des villes russes</em>. Le fondement de l’orthodoxie vient de là. Je ne suis pas au fait de l’état psychique de Poutine, mais je crois qu’il ressemble à un éternel dragon insatiable. Je le vois comme un croisé qui veut libérer le tombeau du Christ. C’est une plate-forme idéologique qui peut réunir la majorité de la population parmi les orthodoxes dans la Fédération de Russie. »</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/U4F58FSymDo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>En réalité, cette mentalité impériale de croisé fait partie intégrante de <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2014/06/24/rousski-mir-l-ideologie-nationaliste-du-kremlin-a-l-uvre-dans-l-est-de-l-ukraine_4444137_3210.html">l’idéologie du « monde russe »</a>. Celle-ci établit un lien de continuité directe et exclusive entre la « Rous de Kiev », premier État russe, qui exista entre 882 et 1240 et adopta l’orthodoxie en 988, et la Fédération de Russie.</p>
<p>Cette vision mythologique du monde ne tient aucun compte de l’histoire, qui a pourtant vu quantité de ruptures entre les <a href="https://www.leslibraires.fr/livre/18808245-nunc-n50-51-dossier-ukraine-pivot-de-l-europ--collectif-de-corlevour-editions">trois héritières de la Rous’ de Kiev</a> : l’actuelle Ukraine, l’actuelle Biélorussie et l’actuelle Russie.</p>
<h2>La conscience nationale ukrainienne</h2>
<p>Cette mythologie empêche ceux des Russes qui la partagent de prendre en considération l’avènement d’une conscience spécifique à la <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2005-3-page-249.htm">nation ukrainienne</a>. Conscience marquée par le plurilinguisme (russe, ukrainien, roumain, tatar…), l’expérience de la <a href="https://risu.ua/en/statistics-of-churches-and-religious-organizations-of-ukraine_t4242">diversité religieuse</a> (sur les 31 millions de chrétiens on compte 24 millions d’orthodoxes, 6 millions de catholiques (de rite oriental principalement), moins d’un million de protestants ; il faut ajouter également les communautés juives et musulmanes), et la soif séculaire d’accéder à l’indépendance.</p>
<p>Celle-ci s’est cristallisée à Kiev du fait des luttes séculaires de la capitale contre <a href="http://institut-etudes-slaves.fr/products-page/histoire/petite-histoire-de-lukraine/">toutes les puissances qui ont cherché à la dominer</a> : la Horde d’Or au XIII<sup>e</sup> siècle, le Royaume de Pologne et le Grand Duché de Lituanie aux XIVe-XVI<sup>e</sup> siècles, la Moscovie puis l’Empire russe à partir du XVII<sup>e</sup> siècle jusqu’en 1917, puis l’URSS à partir de 1922, le régime nazi en 1941-1943 et à nouveau l’Union soviétique, de 1943 à 1991. Kyiv est devenue pleinement indépendante depuis 1991.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/WQmoTp6Mt-E?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Le symbole le plus récent de cette résistance est la place Maïdan, située au cœur de l’avenue centrale du Khreschatyk. Cette place a vu se dérouler trois révolutions. Celle dite « de <a href="https://www.rferl.org/a/the-revolution-on-granite-ukraine-s-first-maidan-kyiv/30892599.html">granit</a> », en 1991, contre l’URSS ; la révolution Orange, ou <a href="https://pmb.univ-saida.dz/buscopac/index.php?lvl=notice_display&id=34469">révolution de l’Esprit</a> (en 2004, contre la falsification de l’élection présidentielle) ; et la <a href="https://www.cairn.info/journal-etudes-2015-3-page-7.htm">révolution de la Dignité</a> en 2014, contre la confiscation du choix européen des Ukrainiens décidé arbitrairement par le président Viktor Ianoukovytch. Celui-ci, pro-russe, avait décidé de ne pas signer l’accord d’association proposé par l’Union européenne, provoquant les manifestations qui ont abouti à sa destitution.</p>
<h2>La dimension religieuse</h2>
<p>Le patriarche orthodoxe de Moscou Kirill, grand thuriféraire de Vladimir Poutine et de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1291946/le-patriarche-orthodoxe-russe-qualifie-les-opposants-de-moscou-en-ukraine-de-forces-du-mal.html">l’invasion de l’Ukraine que celui-ci vient d’ordonner</a>, ne sait pas lui non plus distinguer la conscience nationale ukrainienne, car sa représentation mythologique de Kiev, « mère des villes russes », s’enracine dans le fait que l’Église orthodoxe ukrainienne <a href="https://www.lemonde.fr/le-monde-des-religions/article/2022/03/04/l-ukraine-catalyse-une-crise-au-sein-du-monde-orthodoxe-entre-moscou-et-constantinople_6116091_6038514.html">relève de sa juridiction canonique territoriale</a>.</p>
<p>En réalité, un historien utiliserait plutôt l’expression « Kyiv, modèle des cités de la Rous’ ». On ne peut, en effet, établir de continuité directe et exclusive entre la Rous’ médiévale et la Fédération de Russie contemporaine. D’une part parce que les frontières politiques ne sont plus les mêmes et d’autre part en raison du fait de l’émergence de 3 consciences nationales distinctes au fil des siècles. Mais le patriarche russe <a href="https://www.rfi.fr/fr/podcasts/religions-du-monde/20220304-la-guerre-en-ukraine-avec-la-b%C3%A9n%C3%A9diction-du-patriarche-kirill-de-moscou">ne prête pas attention</a> aux objections des historiens et préfère élargir son combat contre l’ensemble du monde occidental qu’il considère comme <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2022/03/07/la-guerre-sainte-de-poutine/">« décadent »</a>.</p>
<p>De même, il n’a jamais voulu reconnaître le désir des chrétiens orthodoxes ukrainiens de prier dans leur langue. Il s’est coupé de la sorte de la majorité d’entre eux.</p>
<p>Ceux-ci ont obtenu en 2018 la reconnaissance de leur indépendance (ou <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/l-autocephalie-de-l-eglise-orthodoxe-ukrainienne-et-ses-consequences-politiques">autocéphalie</a> grâce au patriarche de Constantinople (le chef de cette Église continue à se désigner de la sorte car il n’a jamais accepté sa défaite face à l’envahisseur ottoman en 1453), en raison du leadership dont dispose ce dernier au sein de la communauté orthodoxe.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1105130364010409984"}"></div></p>
<p>Cette intervention du patriarche œcuménique a été considérée comme un camouflet par Moscou, qui a <a href="https://www.lexpress.fr/actualites/1/styles/apres-la-rupture-entre-moscou-et-constantinople-la-crainte-d-un-monde-orthodoxe-coupe-en-deux_2040133.html">coupé tous ses liens avec le patriarcat de Constantinople</a>.</p>
<p>C’est notamment au nom de la volonté de faire revenir cette Église orthodoxe d’Ukraine autocéphale dans le giron du patriarcat de Moscou que le président Poutine a décidé de reconnaître les républiques autoproclamées du Donbass et d’envahir l’Ukraine.</p>
<p>Le 21 février, le président russe s’est en effet montré très explicite dans son <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/67828">allocution</a> à la nation russe sur l’enjeu que représente pour lui l’Église de Kiev :</p>
<blockquote>
<p>« À Kiev, ils continuent de préparer des représailles contre l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou. Et ce n’est pas une évaluation émotionnelle, cela est attesté par des décisions et des documents spécifiques. Les autorités ukrainiennes ont cyniquement transformé la tragédie du schisme ecclésiastique en un instrument de la politique de l’État. La direction actuelle du pays ne répond pas aux demandes des citoyens ukrainiens d’abroger les lois qui portent atteinte aux droits des croyants. »</p>
</blockquote>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1500842001033531396"}"></div></p>
<h2>Sainte-Sophie de Kiev, lieu de mémoire</h2>
<p>Le lieu de mémoire le plus ancien et le plus sacré de cette conscience nationale est la cathédrale Sainte-Sophie de Kiev, un lieu de culte où se réunissent tous les chrétiens lors des journées d’unité nationale (comme la <a href="http://news.ugcc.ua/en/news/members_of_allukrainian_council_of_churches_and_religious_organizations_prayed_for_peace_in_ukraine_in_saintsophia_cathedral_95698.html">journée du 16 février 2022</a> décrétée comme telle par le président Zélensky). Or, comme on l’a dit, l’Ukraine, pays de 40 millions d’habitants, compte plus de <a href="https://www.lesechos.fr/2018/10/le-long-combat-de-leglise-orthodoxe-dukraine-979475">31 millions de chrétiens</a>.</p>
<p>Cette cathédrale millénaire dispose d’une abside monumentale qui représente la Sagesse de Dieu à travers la figure d’une <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Orante_(ic%C3%B4ne)">orante</a> qui tourne ses mains vers Dieu en signe de prière.</p>
<p>C’était là, dès le XI<sup>e</sup> siècle, la marque d’une originalité affirmée de la spiritualité des habitants de la Rous’, de Kiev à Novgorod, à l’égard de Byzance qui représentait pour sa part la <a href="https://www.editionsducerf.fr/librairie/livre/19497/qu-est-ce-que-l-oecumenisme">Sagesse divine par la figure du Christ</a> </p>
<p>Les habitants de Kiev désignent cette représentation de la Sagesse par l’expression de « muraille indestructible ». Celle-ci a en effet survécu à toutes les invasions, y compris celle des nazis entre 1941 et 1943.</p>
<p>Aujourd’hui, les Kiéviens implorent une protection du ciel mais aussi une protection de leur ciel. Car, pour eux, tant que cette muraille est sauve, la nation ukrainienne ne périra pas.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/178675/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Arjakovsky est directeur de recherche au Collège des Bernardins et président de l'Association des philosophes chrétiens.</span></em></p>La Russie actuelle perçoit Kiev comme une ville historiquement russe, et même comme « la » ville russe originelle. L’Ukraine voit dans sa capitale, qu’elle appelle Kyiv, le cœur battant de sa nation.Antoine Arjakovsky, Historien, Co-directeur du département «Politique et Religions», Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1519412021-01-06T19:22:03Z2021-01-06T19:22:03ZLe cosmisme : une mythologie nationale russe contre le transhumanisme<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/376642/original/file-20201225-17-hixhep.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=8%2C4%2C2822%2C1409&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le tableau d'Ilia Glazounov « Russie éternelle » (Musée Glazounov, Moscou) exprime un certain nombre d'idées chères aux propagateurs contemporains du cosmisme, notamment l’alliance de la modernité soviétique et des valeurs traditionnelles de l’empire russe.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://ru.wikipedia.org/wiki/%D0%92%D0%B5%D1%87%D0%BD%D0%B0%D1%8F_%D0%A0%D0%BE%D1%81%D1%81%D0%B8%D1%8F#/media/%D0%A4%D0%B0%D0%B9%D0%BB:Photo_of_Ilia_Glazuov's_paint_%22Timeless_Russia%22_.jpg">Wikipédia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2018/12/FAURE/59320">cosmisme</a>, un mouvement intellectuel complexe situé à la lisière de la théologie et de la prospective scientifique, né il y a près de 150 ans, a de nouveau le vent en poupe en Russie. Une partie de l’élite du pays y voit une réponse typiquement russe au transhumanisme supposément triomphant en Occident. Qu’est-ce donc que le cosmisme, et comment se diffuse-t-il aujourd’hui en Russie ?</p>
<h2>Brève histoire du cosmisme, de l’Empire à la Fédération de Russie en passant par l’URSS</h2>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=667&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=667&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=667&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=838&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=838&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/376643/original/file-20201225-17-1bf2iei.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=838&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Léonid Pasternak, <em>Portrait de Nikolaï Fiodorov</em>.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Pasternak_fedorov.jpg">Wikimedia</a></span>
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<p>À la fin du XIX<sup>e</sup> siècle, le penseur russe <a href="https://blogs.univ-tlse2.fr/slavica-boutique/produit/revue-n47-le-cosmisme-russe-ii-nikolai-fiodorov/">Nikolaï Fiodorov</a> (1829-1903) défendait une conception profondément morale et chrétienne de la science. Il imaginait que l’humanité puisse utiliser le progrès technologique pour atteindre le salut universel. Les avancées scientifiques devaient servir à ressusciter les ancêtres, atteindre l’immortalité, transformer la nature humaine vers sa divinisation, enfin, conquérir et réguler le cosmos.</p>
<p>À sa suite, des scientifiques russes de renom – comme le précurseur de la cosmonautique <a href="https://fr.rbth.com/tech/2013/09/24/cinq_idees_de_constantin_tsiolkovski_qui_anticiperent_la_conquete_spatia_25781">Constantin Tsiolkovski</a> (1857-1935) ou le fondateur de la géochimie <a href="https://www.lesechos.fr/idees-debats/sciences-prospective/vladimir-vernadski-genial-precurseur-des-ecosystemes-136018">Vladimir Vernadski</a> (1863-1945) – ont poursuivi sa vision futuriste et spirituelle du progrès technique.</p>
<p>Dans les années 1970, un groupe d’intellectuels soviétiques se passionne pour les thèses ésotériques de ces auteurs et les rassemble sous le nom de « cosmisme russe ». Hétérodoxe par rapport à l’idéologique communiste officielle, le cosmisme suscite pourtant l’intérêt d’académiciens ainsi que de membres haut placés de l’establishment politique et militaire. Ainsi du lieutenant-général Alekseï Savine, directeur de l’<a href="https://en.topwar.ru/22184-voyskovaya-chast-10003-ekstrasensy-na-strazhe-mira.html">unité secrète 10003</a> chargée des recherches sur l’utilisation militaire de phénomènes paranormaux de 1989 à 2003. Il développa, à partir de sa lecture de Vernadski, les principes d’une science du monde extraterrestre, la <a href="https://brill.com/view/book/edcoll/9789004366671/B9789004366671_012.xml">noocosmologie</a>. De même, en 1994, Vladimir Roubanov, secrétaire adjoint du Conseil de sécurité de Russie et ancien directeur du département analytique du KGB, proposait d’utiliser le cosmisme comme fondement de « l’identité nationale de la Russie ».</p>
<p>Aujourd’hui encore, le cosmisme sert de source d’inspiration aux idéologues en <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/cahier_3.pdf">quête d’une idée nationale pour la Russie post-soviétique</a>. L’héritage de la pensée cosmiste est particulièrement revendiqué par un think tank conservateur proche du pouvoir, le <a href="https://izborsk-club.ru/">Club d’Izborsk</a>, créé en 2012.</p>
<h2>Le Club d’Izborsk : le cosmisme comme idéologie nationale russe</h2>
<p>Ce groupe réunit une cinquantaine d’universitaires, journalistes, personnalités politiques, entrepreneurs, religieux ou encore ex-militaires autour d’une ligne impérialiste et anti-occidentale. Soutenu en partie par des financements provenant de l’administration présidentielle, le Club a pour objectif de définir une idéologie pour l’État russe. Dans cette optique, il conçoit la science comme un champ de bataille idéologique, au sein duquel la Russie doit opposer sa propre <a href="https://izborsk-club.ru/18825">« mythologie technocratique »</a> au modèle de développement occidental. </p>
<p>Ce dernier est grossièrement associé au « transhumanisme », concept derrière lequel les idéologues du Club d’Izborsk rangent tant les avocats explicites du transhumanisme comme Elon Musk que toute forme de pensée qui déroge à leur vision de la société traditionnelle telle que le féminisme, la mondialisation ou encore le développement durable. Si certains <a href="https://turingchurch.net/maximum-jailbreak-and-the-legacy-of-stephen-hawking-3a5773b9e6df">penseurs transhumanistes occidentaux identifient Fiodorov</a> comme le prophète de leur quête d’immortalité, le Club d’Izborsk défend au contraire le caractère spécifiquement russe du cosmisme et son lien primordial avec la <a href="https://izborsk-club.ru/15978">« mission historique »</a> du peuple russe.</p>
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<p><a href="https://izborsk-club.ru/magazine_files/2020_06.pdf">Le numéro de novembre 2020 de la revue du Club d’Izborsk</a> s’attelle à démontrer l’opposition entre cosmisme et transhumanisme. Le transhumanisme est présenté comme le prolongement du progressisme évolutionniste, visant à émanciper l’individu des contraintes de la nature humaine par son hybridation avec la machine. Le cosmisme, au contraire, est décrit comme une quête eschatologique de spiritualisation de l’humanité, guidée par une interprétation littérale des promesses bibliques de résurrection. Si les auteurs du Club d’Izborsk critiquent la foi scientiste dans l’amélioration technique de l’homme, ils refusent aussi la technophobie bioconservatrice ou écologiste. Le cosmisme leur sert ainsi de fondement à une idéologie syncrétique, qu’ils intitulent <a href="https://izborsk-club.ru/16343">« traditionalisme technocratique »</a>, et qui allie modernité technologique et conservatisme religieux.</p>
<p>Cette idéologie permet de faire la synthèse des héritages de l’histoire russe en revendiquant à la fois la puissance technologique et industrielle de l’Union soviétique et les valeurs traditionnelles orthodoxes de la Russie tsariste. Plus encore, le président du Club d’Izborsk, Aleksandr Prokhanov, écrivain et rédacteur en chef du journal d’extrême droite <a href="https://www.rferl.org/a/26534846.html"><em>Zavtra</em></a>, emploie la formule <a href="https://izborsk-club.ru/magazine_files/2017_04.pdf">« cosmisme-léninisme »</a> pour soutenir que le sens profond de l’utopisme industrialiste de Lénine émanait de la « doctrine des cosmistes russes » et la prolongeait. La réinvention de l’héritage cosmiste produit ainsi un récit national unifié qui répond à la volonté du régime de Vladimir Poutine d’oblitérer les conflits mémoriels en affirmant l’« <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/17118">indivisibilité</a> » et la « <a href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/16752">continuité</a> » de l’histoire russe.</p>
<p>Par ailleurs, le cosmisme est promu par les membres du Club d’Izborsk comme fondement d’un <a href="https://izborsk-club.ru/magazine_files/2020_06.pdf">« nouveau projet global de développement alternatif que la Russie pourrait exprimer et proposer »</a>. Le mariage de la science moderne et du traditionalisme politique vise ici à contredire les théories occidentales classiques de la modernisation, qui prévoient que le développement économique entraîne la convergence des sociétés vers un même modèle politique de démocratie libérale. À contre-courant du libertarianisme et du cosmopolitisme qu’ils attribuent à la Silicon Valley, les idéologues du Club font l’apologie de la modernisation stalinienne, emmenée par un État autoritaire et une économie dirigiste et collectiviste.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1281916262990385155"}"></div></p>
<p>En remplacement de l’idéal déchu de la société bolchevique, le cosmisme permet de renouveler une conception impérialiste et messianiste de la finalité de la science. Les grands projets scientifiques promus par le Club (exploration spatiale et sous-marine, développement de l’Arctique, recherche sur l’amélioration des capacités humaines) ont ici partie liée avec la défense de la <a href="https://izborsk-club.ru/18825">« civilisation » russe et de sa « sécurité spirituelle »</a>. La science devient ainsi le vecteur de réalisation du « rêve russe », qui doit s’exporter et se substituer au rêve américain en opposant au transhumanisme les <a href="https://izborsk-club.ru/18514">« idéaux du cosmisme russe » et d’une « science spirituelle »</a>.</p>
<h2>Une vision de plus en plus partagée aux plus hauts échelons du pouvoir</h2>
<p>Le Club d’Izborsk est inséré dans des réseaux de pouvoir influents qui lui permettent de propager ses idées. En juillet 2019, le président du Club <a href="http://duma.gov.ru/news/45809/">Aleksandr Prokhanov était ainsi invité au Parlement</a> pour présenter son film « La Russie – nation du rêve », dans lequel il promouvait sa vision d’une mythologie nationale scientifique et spirituelle. Le Club d’Izborsk est également proche de figures clés des élites conservatrices – l’oligarque monarchiste <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/konstantin-malofeev-veut-transformer-le-conseil-mondial-du-peuple-russe-en-assemblee-constituant">Konstantin Malofeev</a> ou encore Dmitri Rogozine, le directeur de l’Agence spatiale Roscosmos. Enfin, il a ses entrées au cœur du complexe militaro-industriel. Témoin de ces liens, un bombardier stratégique porteur de missiles Tupolev Tu95-MC <a href="https://izborsk-club.ru/3728">fut baptisé du nom du Club</a>, « Izborsk », en 2014.</p>
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<p>En outre, les références au cosmisme imprègnent les discours des plus hautes autorités. Valeri Zorkine, le président de la Cour constitutionnelle, <a href="https://rg.ru/2019/05/16/zorkin-priverzhennost-vernoj-filosofii-prava-pozvoliaet-tvorit-dobro.html">citait récemment</a> un fervent propagateur du cosmisme, Arseni Gulyga (1921-1996), pour inciter à élargir le sens de la destinée commune du peuple russe, inscrite dans le préambule de la Constitution, à une signification globale tournée vers le « salut universel ».</p>
<p>Le cosmisme s’érige ainsi en mythologie nationale qui répond aux deux impératifs du régime russe actuel : la course à la puissance et la définition d’un imaginaire politique alternatif à la modernité occidentale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/151941/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Juliette Faure ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le cosmisme, une théorie qui mêle foi en la science et traditionalisme religieux, sert de source d’inspiration aux idéologues russes conservateurs en quête d’une idée nationale.Juliette Faure, Doctorante en science politique, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1093332019-01-03T21:31:18Z2019-01-03T21:31:18ZRussie-Ukraine, une dangereuse accumulation des contentieux<p>La brève confrontation entre les marines russe et ukrainienne à proximité du détroit de Kertch, qui s’est traduite, fin novembre 2018, par l’arraisonnement de trois navires ukrainiens et l’emprisonnement de leur équipage, a remis le conflit russo-ukrainien au premier rang des préoccupations de la communauté internationale.</p>
<p>Si le conflit dans le Donbass reste le point de tension principal, les contentieux russo-ukrainiens ne cessent de croître dans tous les domaines au moment où l’Ukraine entre en période pré-électorale.</p>
<h2>L’institutionnalisation des républiques du Donbass</h2>
<p>Début novembre 2018, des élections parlementaires et présidentielles ont été organisées par les Républiques populaires autoproclamées de Donetsk (RPD) et de Lougansk (RPL). Leur objectif était, avant tout, de légitimer leurs dirigeants qui exerçaient leurs fonctions par intérim. À Donetsk, Denis Pouchiline a été propulsé à la tête de la RPD après la mort d’Alexandre Zakhartchenko, tué dans l’explosion d’une bombe fin août 2018. À Lougansk, Léonid Passetchnik avait pris la tête de la RPL en novembre 2017 à l’issue d’une révolution de palais.</p>
<p>Soutenues par Moscou mais dénoncées par Kiev, ces élections constituent une étape supplémentaire dans l’institutionnalisation des Républiques indépendantistes du Donbass peuplées d’environ 3,6 millions d’habitants. Le gouvernement ukrainien a paradoxalement contribué à cette évolution : reprenant à son compte l’agenda nationaliste, <a href="http://mappemonde.mgm.fr/119lieu1/?pdf=2081">il a cessé de verser retraites, salaires et minima sociaux aux populations vivant sur le territoire des républiques indépendantistes</a>, avant de décréter un embargo économique à leur encontre. Ces mesures, contraires aux accords de Minsk, n’ont fait que renforcer la dépendance des Républiques indépendantistes envers la Russie.</p>
<p>Cette évolution signe cependant l’échec partiel de la stratégie russe : Moscou souhaitait utiliser ces accords pour « fédéraliser » l’Ukraine grâce à un changement de la Constitution ukrainienne associé à un statut d’autonomie pour le Donbass. Mais Kiev craint que cela n’encourage les forces centrifuges, tout en donnant à Moscou un droit de regard dans les affaires intérieures ukrainiennes. C’est ce qui explique le refus catégorique de Kiev de dialoguer avec les représentants du Donbass et le maintien d’une option militaire visant à la « reconquête » des territoires perdus.</p>
<p>En réaction à ces élections jugées illégales, l’UE a rajouté neuf « officiels » des républiques du Donbass sur sa liste des personnes soumises aux sanctions, mesure qui relève d’ un « service minimum » assuré par une Europe de plus en plus divisée sur l’opportunité des sanctions.</p>
<p>Moscou avait pris les devants fin octobre avec la mise en place de « contre-sanctions » financières à l’encontre de 362 personnalités et de 68 sociétés ukrainiennes qui représentent une grande partie des élites politico-économiques ukrainiennes actuelles. La Russie étant redevenue le premier partenaire commercial de l’Ukraine en 2017, Moscou dispose là d’un instrument de pression pour tenter de peser sur l’évolution du régime ukrainien.</p>
<h2>La religion, une nouvelle dimension au conflit</h2>
<p>Le Président ukrainien Petro Porochenko n’en poursuit pas moins sa politique de défiance envers la Russie. C’est dans cette optique qu’il a œuvré à la création d’une nouvelle église ukrainienne en <a href="https://spire.sciencespo.fr/hdl:/2441/6gbpjqstm482cp9ri3qbabd8pg/resources/rousselet-etude-228-229.pdf">rupture avec l’orthodoxie russe</a>. Pour ce faire, il est parvenu à convaincre le patriarcat de Constantinople de soutenir « l’autocéphalie » de l’église ukrainienne, ce qui a poussé le patriarcat de Moscou à rompre avec Constantinople.</p>
<p>Mais si le Président ukrainien peut se targuer d’avoir provoqué ainsi une grave crise au sein de l’orthodoxie, les résultats en Ukraine sont ambivalents : en effet, le clergé de l’Église orthodoxe ukrainienne canonique (rattachée au patriarcat de Moscou) a très majoritairement refusé de rejoindre la nouvelle église malgré les fortes pressions exercées par le pouvoir (arrestations de prêtres, perquisitions de lieux de cultes…). La nouvelle église rassemble donc les structures préexistantes qui étaient déjà en rupture avec Moscou et ont été « légalisées » grâce à la reconnaissance de Constantinople, tandis que l’Église orthodoxe ukrainienne reste fidèle au patriarcat de Moscou.</p>
<p>Loin donc de rassembler, l’initiative du Président ukrainien a encore aggravé les divisions du pays et illustré à quel point la politique de <a href="https://theconversation.com/politique-dinfluence-du-kremlin-entre-eurasie-et-monde-russe-93595">rupture avec le « monde russe »</a> est loin de faire l’unanimité.</p>
<h2>Kertch, l’affaiblissement des positions ukrainiennes</h2>
<p>Dans le même temps, la tension n’a cessé d’augmenter en mer d’Azov depuis début 2018 : Kiev dénonçait comme illégale la construction par Moscou du pont de Crimée. Celui-ci permet à Moscou de relier la presqu’île au territoire russe tout en exerçant un contrôle direct sur le détroit de Kertch au moyen de règles de franchissement spécifiques.</p>
<p>Fin mars 2018, les autorités ukrainiennes ont arraisonné en mer d’Azov un bateau de pêche russe provenant de Crimée et accusé à ce titre d’avoir porté atteinte à la souveraineté ukrainienne. Moscou s’est appuyé sur cet incident, associé à la crainte de sabotages du pont de Crimée, pour justifier le renforcement de sa flottille militaire en mer d’Azov. La marine russe a alors mis en place des contrôles de plus en plus stricts des navires souhaitant rallier les ports ukrainiens – ce qui est interprété côté ukrainien comme un moyen pour Moscou d’asphyxier l’économie du sud-est de l’Ukraine déjà touchée par le conflit dans le Donbass.</p>
<p>Du côté russe, ces contrôles sont justifiés par le fait que, depuis le « rattachement » de la Crimée, l’<a href="https://voelkerrechtsblog.org/ukraine-v-russia-passage-through-kerch-strait-and-the-sea-of-azov/">accès à la mer d’Azov</a> s’effectue par ce que Moscou considère comme ses eaux territoriales.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/252360/original/file-20190103-32139-p9ddf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/252360/original/file-20190103-32139-p9ddf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/252360/original/file-20190103-32139-p9ddf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/252360/original/file-20190103-32139-p9ddf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/252360/original/file-20190103-32139-p9ddf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/252360/original/file-20190103-32139-p9ddf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/252360/original/file-20190103-32139-p9ddf.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="attribution"><a class="source" href="https://voelkerrechtsblog.org/ukraine-v-russia-passage-through-kerch-strait-and-the-sea-of-azov/">Dmytro Koval -- Valentin J. Schatz/Vôlkerrechtsblog</a></span>
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<p>C’est dans ce contexte que le pouvoir ukrainien a décidé de transférer trois navires militaires en mer d’Azov fin novembre 2018. Mais alors qu’un transfert précédent avait été réalisé en concertation avec la partie russe, les autorités ukrainiennes ont décidé cette fois-ci de se passer de l’accord de Moscou. En défiant ainsi ouvertement les règles mises en place par Moscou, <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2019/01/DELANOE/59442">on voit mal à quelle autre réaction que l’utilisation de la force par la partie russe pouvaient s’attendre les autorités ukrainiennes</a>.</p>
<p>De fait, la rapidité avec laquelle Petro Porochenko a décidé de décréter la loi martiale alors qu’il ne l’avait pas fait en cinq ans de guerre sanglante dans le Donbass, a suscité des interrogations sur ses objectifs. Son projet initial était en effet d’appliquer la loi martiale sur tout le territoire ukrainien pour une période de trois mois renouvelable – ce qui aurait menacé la <a href="https://www.letemps.ch/culture/lukraine-adopte-une-loi-martiale-aux-visees-tres-electorales?utm_source=twitter&utm_medium=share&utm_campaign=article">bonne tenue du scrutin présidentiel de mars 2019</a>.</p>
<p>Or, Petro Porochenko, candidat à sa propre succession, est en très mauvaise posture du fait de son impopularité. La pression internationale et le mécontentement de l’opposition ont finalement conduit le Parlement ukrainien a réduire la loi martiale à un mois avec une application limitée aux seules régions frontalières de la Russie. Ce compromis risque cependant d’accentuer encore les divisions du pays dans la mesure où il s’agit justement des régions « russophones » où le régime ukrainien est le plus contesté.</p>
<p>Les réactions internationales à l’incident de Kertch illustrent l’affaiblissement des positions ukrainiennes : non seulement les grandes capitales européennes se sont contentées de condamnations verbales de l’attitude russe, mais Angela Merkel a même appelé les autorités ukrainiennes à <a href="http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/11/29/97001-20181129FILWWW00127-ukraine-merkel-appelle-kiev-a-la-retenue.php">se montrer « raisonnables »</a>, signifiant une fin de non-recevoir aux appels de Petro Porochenko à un engagement militaire occidental. Les équilibres au sein de l’UE sont en effet défavorables à l’Ukraine depuis l’arrivée au pouvoir en Italie d’une coalition opposée aux sanctions contre la Russie.</p>
<p>De son côté, Vladimir Poutine a refusé tout contact avec Petro Porochenko, l’accusant d’avoir provoqué l’incident à des fins électorales. Ce boycott de la part du dirigeant russe n’est pas sans rappeler son attitude vis-à-vis du président pro-occidental géorgien Mikheil Saakachvili qui a dû quitter le pouvoir en 2013 et vit en exil depuis plusieurs années.</p>
<p>Il s’agit d’une mauvaise nouvelle pour Petro Porochenko dans la mesure où le Kremlin donne ainsi à comprendre aux partenaires de l’Ukraine que le président actuel n’est plus un interlocuteur pour trouver une porte de sortie à la crise ukrainienne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/109333/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Teurtrie est membre de l'association loi 1901 « Cercle Kondratieff » . </span></em></p>Si le conflit dans le Donbass reste le point de tension principal, les contentieux russo-ukrainiens ne cessent de croître dans tous les domaines au moment où l’Ukraine entre en période pré-électorale.David Teurtrie, Chercheur associé, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/935952018-03-22T23:24:29Z2018-03-22T23:24:29ZPolitique d’influence du Kremlin : entre Eurasie et « monde russe »<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/211363/original/file-20180321-165574-1q57ddt.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C121%2C1840%2C1008&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Vue du transsibérien, 2004, peut-être le symbole le plus évident du « monde » eurasiatique.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/boccaccio1/125083668/in/photolist-c461Y-qsrHtT-K2Bcq-K2Bdf-7cdbPb-iyY4bU-fe2wu7-c4621-fdJTkn-ffh5sf-9qPqNg-kQ2P1-3YwcG-fdJCu4-zdpPD-kQ98P-kPHg8-kPU7U-8rn4ZR-ffhdDu-fdJuQB-fdZ8eG-4jhhi1-kQ26C-fdN2qe-pryGPw-kQhgL-kPUSr-qmgQAm-kPGok-Qcvxn-kQh12-4jddq4-kQkxQ-q6ZhdW-fdJU4T-q6Yftd-fdNhFv-ff2Tsr-kPDKz-kPEnT-kQq1L-qmfCpE-ffhbyL-prN7uv-5t73mM-qotfTG-fdJvsp-kPXPM-qomHJ8"> Boccaccio1/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span></figcaption></figure><p>Vladimir Poutine a mis en avant ses succès en politique étrangère pour conforter sa popularité et assurer <a href="https://theconversation.com/pourquoi-vladimir-poutine-a-deja-gagne-la-presidentielle-en-russie-92878">sa réélection en mars 2018</a>. Parallèlement à l’utilisation des forces armées et à l’activisme de sa diplomatie, le Kremlin tente d’articuler une politique d’influence dans deux grandes directions : l’Eurasie et le « monde russe ».</p>
<p>L’effondrement de l’Union soviétique a posé la question des rapports que la Russie doit entretenir avec ses nouveaux voisins et les communautés russes à l’étranger. En effet, les frontières de la Russie avec les républiques postsoviétiques (républiques baltes, Biélorussie, Ukraine, Transcaucasie, Kazakhstan), de simples limites administratives dessinées par le pouvoir soviétique se transforment en quelques mois en frontières internationales.</p>
<p>Mais ces <a href="http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Russie/RussieScient4.htm">nouvelles frontières</a> ne correspondent dans leur majorité, ni à un précédent historique (les frontières de la Russie ont toujours correspondu à celles de <a href="https://www.lisez.com/livre-de-poche/histoire-de-la-russie-et-de-son-empire/9782262051631">son empire</a>) ni aux <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2002-1-page-38.htm">infrastructures économiques et de transport</a> (de nombreuses liaisons intérieures russes passent par le territoire d’autres républiques), ni à la répartition des Russes ethniques, dont près de 25 millions se retrouvent du jour au lendemain « à l’étranger » au sein des nouveaux États indépendants.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=420&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/211359/original/file-20180321-165583-15stg7a.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=528&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Union économique eurasiatique, 2017, extrait de « Questions internationales : la documentation française », n°85-86, mai-août 2017.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://cartotheque.sciences-po.fr/media/Ensembles_regionaux_en_Eurasie_2017/2639/">FNSP/Sciences Po, Atelier de cartographie/DILA</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<h2>Ambitions eurasiatiques</h2>
<p>Face au risque de rupture avec ce que Moscou appelle désormais son <a href="http://www.regard-est.com/home/breve_contenu.php?id=1134">« étranger proche »</a>, les autorités russes favorisent l’intégration régionale dans le cadre de la Communauté des États indépendants (CEI), créée dès 1992. Cependant, il apparaît très vite que la logique de construction d’États nationaux indépendants l’emporte sur celle de la coopération inter-étatique : la CEI, si elle maintient jusqu’à aujourd’hui un espace intégré a minima (régime sans visa…), ne permet pas de construire une véritable union régionale.</p>
<p>Dans le même temps, la Russie et certains de ses voisins (avant tout la Biélorussie et le Kazakhstan) expriment la volonté d’aller plus loin dans l’intégration et cherchent à lui donner un cadre identitaire et conceptuel. C’est justement une période de renouveau des idées eurasistes conçues dans l’émigration russe à partir des années 1920 par plusieurs intellectuels dont le linguiste <a href="http://www.anthropiques.org/?p=520">Nikolaï Troubetskoï</a> et le <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/cgq/1998-v42-n115-cgq2687/022711ar.pdf">géographe Piotr Savitsky</a>. Ces derniers définissent l’Eurasie comme un espace civilisationnel singulier, qui n’est ni Europe, ni Asie. Selon <a href="http://journals.openedition.org/monderusse/8437">ses contempteurs</a>, l’Eurasie aurait vocation à former un espace civilisationnel original et multiethnique, alliant notamment Slaves et turcophones, orthodoxes et musulmans.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/211519/original/file-20180322-165583-1il486o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/211519/original/file-20180322-165583-1il486o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/211519/original/file-20180322-165583-1il486o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/211519/original/file-20180322-165583-1il486o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=370&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/211519/original/file-20180322-165583-1il486o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/211519/original/file-20180322-165583-1il486o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/211519/original/file-20180322-165583-1il486o.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=465&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le président kazakh Noursoultan Nazarbaïev est un ardent défenseur de l’Union eurasiatique.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="http://en.kremlin.ru/events/president/news/47890">Kremlin</a></span>
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<p>Dès 1994, le président kazakh Noursoultan Nazarbaev avait fait siennes une partie des idées eurasistes. Il a ainsi proposé de construire une Union eurasiatique qui rassemblerait les républiques postsoviétiques autour de la Russie. Ce projet a peu à peu pris forme avec la création de la Communauté économique eurasiatique (2001) puis de l’<a href="http://les-yeux-du-monde.fr/actualite/europe/russie/29466-lunion-economique-eurasiatique-uee-le-nouvel-empire-russe">Union économique eurasiatique</a> (2015). Cette dernière a pour vocation d’assurer la libre circulation des biens, des personnes et à terme des capitaux. Pour ce faire, les États membres (Russie, Biélorussie, Kazakhstan, Arménie et Kirghizstan) ont délégué une partie de leur politique économique à la Commission économique eurasiatique, l’organe supranational de l’ensemble. Mais le principal handicap de l’Union économique eurasiatique est l’absence de l’Ukraine, la plus peuplée (43 millions d’habitants) des républiques postsoviétiques après la Russie (146 millions). Et pour cause : la crise ukrainienne a justement pour origine les tiraillements entre partisans de l’intégration eurasiatique et partisans du rapprochement avec l’Union européenne.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/ukraine-le-conflit-mal-eteint-du-donbass-84793">Ukraine, le conflit mal éteint du Donbass</a>
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<p>Ces derniers se sont appuyés sur des groupes nationalistes et le soutien des Occidentaux pour renverser le président Ianoukovitch et prendre le pouvoir à Kiev. La Russie en a profité pour annexer la Crimée et soutenir les russophones ukrainiens dans leur opposition au nouveau pouvoir.</p>
<h2>Protéger le « monde russe »</h2>
<p>L’un des principaux arguments du Kremlin pour justifier sa politique ukrainienne a été d’affirmer la vocation de la Russie à protéger le « monde russe » (<em>russkii mir</em>). <a href="http://globalinterests.org/wp-content/uploads/2015/05/FINAL-CGI_Russian-World_Marlene-Laruelle.pdf">Ce concept</a> a été popularisé à la fin des années 1990 par plusieurs universitaires et idéologues russes (principalement Piotr Chedrovitsky) afin de désigner l’ensemble des communautés de culture et de langue russe qui vivent en dehors des frontières de la Russie, que ce soit du fait de l’éclatement de l’URSS ou au travers de différentes vagues d’émigration (<a href="https://www.franceculture.fr/histoire/revolution-de-1917-ce-que-sont-devenus-ces-russes-exiles-en-france">émigration blanche</a> après la révolution de 1917, dissidence soviétique, émigration économique postsoviétique).</p>
<p>Le « monde russe » se déploie autour de son noyau – la Russie – en plusieurs cercles concentriques qui se recoupent partiellement. Au niveau géographique, le premier cercle correspond à l’étranger proche (ex-républiques ex-soviétiques) où se concentre l’essentiel des Russes et des russophones ; le deuxième cercle renvoie à l’Europe et à l’espace méditerranéen : descendants des <a href="http://www.histoire-politique.fr/documents/comptesRendus/pdf/CR-Sumpf-Gousseff-pdf.pdf">« Russes blancs »</a>, notamment en France, importantes communautés russophones en Allemagne (émigration postsoviétique), en Israël (plus d’un million de personnes) ou encore à Chypre. Le troisième cercle correspond au reste du monde (communautés plus disparates aux États-Unis, en Amérique du Sud, ou en Australie…).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/211362/original/file-20180321-165564-18ekk30.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/211362/original/file-20180321-165564-18ekk30.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/211362/original/file-20180321-165564-18ekk30.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/211362/original/file-20180321-165564-18ekk30.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=363&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/211362/original/file-20180321-165564-18ekk30.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/211362/original/file-20180321-165564-18ekk30.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/211362/original/file-20180321-165564-18ekk30.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=456&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Petit Journal du 6 mars 1922.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.retronews.fr/actualite/lexil-francais-des-russes-blancs">RetroNews-BnF</a></span>
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<p>On peut également distinguer plusieurs cercles ethnoculturels : le cœur du monde russe est constitué par les Russes « ethniques » auxquels viennent s’ajouter les Slaves orthodoxes russophones (Biélorusses, Ukrainiens) puis les populations postsoviétiques qui ont en partage la <a href="https://www.cairn.info/revue-le-courrier-des-pays-de-l-est-2004-3-p-67.htm">langue et la culture russes</a> à des degrés divers.</p>
<p>Avec l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, le Kremlin prend conscience que l’intégration eurasiatique permet certes de maintenir des liens forts avec les États voisins, mais elle n’accorde aucune place particulière aux Russes et russophones à l’étranger qui se sont souvent sentis abandonnés à leur sort par Moscou. Vladimir Poutine a très vite vu tout l’intérêt de miser sur ce « monde russe » qu’il s’approprie afin de conceptualiser et structurer une politique visant à renforcer les liens entre la Russie et ses « compatriotes à l’étranger ».</p>
<h2>Le rôle central de l’orthodoxie</h2>
<p>L’Église orthodoxe russe s’est également emparée du concept dans la mesure où le <a href="https://spire.sciencespo.fr/hdl:/2441/6gbpjqstm482cp9ri3qbabd8pg/resources/rousselet-etude-228-229.pdf">territoire canonique du Patriarcat de Moscou</a> s’étend sur la majorité des républiques ex-soviétiques, notamment la Biélorussie et l’Ukraine. De plus, le Patriarcat de Moscou tente de renforcer sa présence auprès des communautés russes émigrées pour lesquelles l’Église orthodoxe sert d’espace de socialisation et de référent identitaire avec une <a href="http://journals.openedition.org/cerri/1568">dimension « diasporique »</a>.</p>
<p>Conscientes de ce rôle de l’Église dans le maintien de l’identité russe à l’étranger, le Kremlin s’appuie sur elle dans sa stratégie d’influence culturelle : l’un des symboles les plus éloquents de cette approche n’est autre que le nouveau Centre culturel russe construit quai Branly et dominé par les coupoles dorées de la cathédrale de la Sainte-Trinité à proximité de la Tour Eiffel.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/211350/original/file-20180321-165577-gqql9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/211350/original/file-20180321-165577-gqql9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/211350/original/file-20180321-165577-gqql9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/211350/original/file-20180321-165577-gqql9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/211350/original/file-20180321-165577-gqql9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/211350/original/file-20180321-165577-gqql9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/211350/original/file-20180321-165577-gqql9q.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Le Centre spirituel et culturel orthodoxe russe à Paris, en 2016.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/dalbera/26056004441">Jean‑Pierre Dalbéra/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p>Cette dimension religieuse du « monde russe » a donc été reprise en partie par le Kremlin à la faveur du tournant « conservateur » de Vladimir Poutine qui est censé faire de la Russie le rempart des valeurs traditionnelles face à un Occident qui aurait renié ses racines chrétiennes.</p>
<p>Le « monde russe » et la construction eurasiatique sont donc deux pans relativement complémentaires de la politique d’influence russe. L’un donne un cadre conceptuel aux relations entre Moscou et sa « diaspora », l’autre a une dimension plus institutionnelle et permet à Moscou de maintenir une partie de ses voisins dans son aire d’influence. Cependant, la crise ukrainienne a révélé les limites de cette politique.</p>
<p>En effet, une partie des voisins de la Russie soupçonnent désormais Moscou de vouloir instrumentaliser les communautés russophones pour justifier une politique d’ingérence tandis que l’intégration eurasiatique subit le contre-coup des sanctions croisées entre la Russie et l’Occident. De fait, le Kremlin a encore beaucoup à faire s’il veut conjuguer efficacement une approche <em>soft power</em> avec les instruments plus traditionnels d’une politique de puissance.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/93595/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Teurtrie est membre de l'association loi 1901 "Cercle Kondratieff". </span></em></p>Quels rapports la Russie entretient-elle avec ses voisins russophones et sa diaspora ? Ces derniers jouent un rôle crucial dans les ambitions du Kremlin.David Teurtrie, Chercheur associé, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/738002017-03-01T21:34:16Z2017-03-01T21:34:16ZLa nouvelle Internationale planétaire des nationalistes<p>Il aura fallu le Brexit et l’élection de Donald Trump pour que soit évoquée de manière vraiment audible la montée globale d’un nouveau nationalisme. Pourtant, cela fait plus de dix ans qu’on assiste, à travers toute la planète, à une forte hausse des crispations souverainistes, des irruptions d’anxiété identitaire et de xénophobie. En Europe de l’Ouest et en Amérique du Nord, les « commentateurs » au sens large – journalistes, intellectuels, universitaires – prennent enfin la mesure de cette évolution. Ou presque : car rarement s’attardent-ils au-delà de leur périmètre géographique.</p>
<p>Le basculement politique de la première puissance mondiale et la perspective des élections prochaines dans les pays fondateurs de l’Union européenne, parce qu’ils nous paraissent si immédiatement tangibles, expliquent sans doute cette limitation. Donald Trump, Nigel Farage, Marine Le Pen, Geert Wilders restent les personnages centraux du paysage « global » du néonationalisme tel qu’on le dépeint couramment… On y rencontre parfois le <a href="https://theconversation.com/en-pologne-et-en-hongrie-les-droits-des-femmes-en-peril-67195">Hongrois Viktor Orban, le Polonais Andrzej Duda</a> ou le Turc Recep Tayyip Erdogan. Et plus épisodiquement l’Indien Narendra Modi ou le Philippin Rodrigo Duterte. Une véritable photo de famille du néonationalisme mondial reste à faire.</p>
<p>Il y a là un paradoxe, qui en cache au moins un autre. Les commentateurs dénomment « populisme », « paléoconservatisme », « réaction », ou « ultranationalisme » un phénomène qu’ils condamnent plus ou moins explicitement, cherchant a priori à défendre le principe d’un monde ouvert. Or en restant centrés sur les pays occidentaux, cette démarche révèle une difficulté à penser le global chez ceux-là même qui affirment l’avoir assimilé. En revanche, et c’est l’autre paradoxe, les chantres du recentrage national démontrent, sans en avoir l’air, une capacité remarquable à tirer parti de l’interdépendance des sociétés et de la mondialisation de l’espace politique.</p>
<h2>Des Occidentaux inquiets… mais peu concernés</h2>
<p>Il y a vingt ans déjà, le commentateur Fareed Zakaria s’inquiétait de la <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/1997-11-01/rise-illiberal-democracy">prolifération des « démocraties illibérales</a> » (« The Rise of Illiberal Democracy », <em>Foreign Affairs</em>, November-December 1997). En Amérique du Sud, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, dans les Balkans, en Asie du Sud et du Sud-Est, des processus d’élections démocratiques – parfois contrôlés par des observateurs internationaux – accouchaient de régimes autoritaires, ultra-souverainistes et prompts à réduire comme peau de chagrin les droits et libertés civiques des opposants au projet national.</p>
<p>Mais hormis les Balkans, le phénomène ne semblait pas concerner les pays occidentaux. Au cœur de l’Europe, la chute du Mur de Berlin avait produit un récit géopolitique puissant, et durable en dépit de signes précoces de faiblesse structurelle. Ce récit était celui de la chute de « tous les murs » à travers la planète, d’une inexorable et joyeuse interpénétration des sociétés, pour le plus grand bonheur des nouveaux acteurs transnationaux ; la libéralisation économique, portée par les firmes globales, allait de pair avec la libéralisation politique, soutenue par les ONG planétaires.</p>
<p>Nourri de cette vision optimiste, le débat public occidental rangea la « démocratie illibérale » au rayon des problèmes périphériques. Cependant, au fil des années, ce qui était considéré périphérique, secondaire, marginal, est devenu singulièrement volumineux, au point de déborder hors des barrières mentales qui étaient censées le contenir.</p>
<h2>L’avenir de l’extrême-droite mondiale</h2>
<p>En août 2010, la visite à Tokyo d’une délégation de parlementaires européens d’extrême-droite, dont Jean-Marie Le Pen, au sanctuaire Yasukuni, haut lieu du courant négationniste japonais, provoqua un petit bruit médiatique. Si ce que représentait ce rassemblement nippo-européen – le mépris conjoint du devoir de mémoire –, avait été souligné par les quelques médias qui l’avaient couvert, le fait lui-même ne semblait pas particulièrement significatif d’une évolution politique du monde.</p>
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<p>Il l’était en réalité, et de deux manières. D’une part parce qu’il mettait en scène non pas le passé, mais l’avenir de l’extrême-droite mondiale. D’autre part, parce qu’il annonçait de nouvelles solidarités transnationales, baroques mais redoutablement efficaces, entre fanatiques de la préférence nationale. Avec le passage des générations, l’extrême-droite a indéniablement changé de « look ». Mais pas d’ADN : en douter relève moins de l’exploit de la « dédiabolisation » que de la force d’une paresse intellectuelle et d’une mollesse morale.</p>
<p>Ce qui a réellement changé, c’est la tolérance pour un discours qui était à peine dicible, et encore moins audible, il y a quelques années. L’hôte des députés européens au sanctuaire Yasukuni, la minuscule association <em>Issui-kai</em>, défendait un ultranationalisme débridé qui était alors clairement à la marge du paysage politique japonais. Aujourd’hui, ce courant trouve sa place au cœur même du <a href="https://theconversation.com/la-securite-du-japon-a-lepreuve-du-pouvoir-de-donald-trump-70808">gouvernement de Shinzô Abe</a>, représenté en particulier par la ministre de la Défense Tomomi Inada.</p>
<p>De même en Russie, comme le note <a href="https://www.foreignaffairs.com/reviews/capsule-review/2016-08-11/black-wind-white-snow-rise-russias-new-nationalism-gumilev">Charles Clover dans son étude du néo-eurasisme</a> (<em>Black Wind, White Snow : The Rise of Russia’s New Nationalism</em>, Yale University Press, 2016), l’idéologie hypernationaliste panrusse, encore très excentrique au début du millénaire, a trouvé le chemin du Kremlin, devenant la charpente du <a href="https://theconversation.com/la-fuite-en-avant-perpetuelle-du-populisme-russe-70774">discours officiel de Vladimir Poutine</a>.</p>
<h2>De la chute du Mur de Berlin au Mur de Trump</h2>
<p>La constitution en 2009, du <a href="https://theconversation.com/limportance-des-brics-ne-se-dement-pas-67349">forum BRIC</a> – réunissant le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine, auxquels se joignit plus tard l’Afrique du Sud – fut d’abord analysée comme l’affirmation d’une nouvelle force non-occidentale, voire « anti » ou « post » occidentale. Mais son véritable ciment était un souverainisme militant, s’accommodant mal d’une gouvernance globale jugée trop intrusive.</p>
<p>C’est encore plus vrai aujourd’hui avec la surenchère nationaliste en cours à Moscou, Pékin et <a href="https://theconversation.com/les-chretiens-dinde-une-minorite-dans-le-viseur-des-ultranationalistes-64695">New Dehli</a>, et dans une moindre mesure au Brésil, même si l’ultra-nationaliste Jair Bolsonaro y est en pleine ascension. L’alliance des leaders néo-nationalistes se fait désormais au-delà de l’Occident et du « non-Occident », comme l’illustre le soutien de Vladimir Poutine à Donald Trump et à Marine Le Pen.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/158765/original/image-20170228-29929-14vs31m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/158765/original/image-20170228-29929-14vs31m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/158765/original/image-20170228-29929-14vs31m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/158765/original/image-20170228-29929-14vs31m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/158765/original/image-20170228-29929-14vs31m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/158765/original/image-20170228-29929-14vs31m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/158765/original/image-20170228-29929-14vs31m.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=502&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Reagan et Gorbachev en 1987, au temps du dégel.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Reagan_and_Gorbachev_signing.jpg">White House Photographic Office/Wikimedia</a></span>
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<p>La complicité entre les nouveaux nationalistes peut sembler improbable, voire contre-nature, l’orthodoxie de la préférence nationale étant par essence exclusive. Elle a, de fait, permis l’élaboration à l’échelle planétaire d’un récit remarquablement efficace, prenant l’exact contre-pied de celui de la mondialisation optimiste de l’après–Guerre froide. Dans les années 1980, Ronald Reagan sommait Mikhail Gorbachev de détruire le Mur de Berlin. Trente ans plus tard, Donald Trump affirme que le monde a besoin de plus de murs entre les nations.</p>
<p>Et ce nouveau récit du « monde rempli de murs » se diffuse d’autant mieux qu’il est relayé grâce à l’instrument par excellence de la mondialisation : Internet et ses réseaux sociaux.</p>
<h2>Les maîtres du « populisme <em>high-tech</em> »</h2>
<p>Ceux dont les convictions néo-nationalistes étaient encore très marginales il y a une dizaine d’années, n’ayant pas accès aux relais d’opinion de grande diffusion, ont investi les <a href="https://theconversation.com/la-guerre-de-linformation-russe-pour-une-reponse-globale-60762">possibilités multiples de communication</a>, de rassemblement, de partage, qu’offre Internet. En phase avec leur public, les grandes figures du national-populisme sont aussi des maîtres du « populisme <em>high-tech</em> », selon l’<a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2014/may/19/narendra-modi-populist-india-revolutionary-values-constitution">expression du commentateur Aditya Chakrabortty</a> décrivant Narendra Modi. Avant d’être dépassé par Donald Trump, le premier ministre indien détenait le record de production de tweets politiques. Les politiciens classiques n’ont pas la même connectivité.</p>
<p>Mais surtout, et spécifiquement ceux qui se reconnaissent dans le récit de la mondialisation positive – même un peu amendé depuis les années 1990 – n’ont pas, à l’instar de leurs adversaires, le réflexe de la mobilisation globale. Le leader pro-Brexit Nigel Farage, invité à la Convention pour l’Action politique conservatrice à Washington, a prôné une « révolution globale » menée par les xénophobes du monde entier.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/44bFMWoMZ7s?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>À l’inverse, les derniers défenseurs d’un monde ouvert et interdépendant ne manifestent pas d’intérêt pour un rassemblement transfrontalier de même ampleur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/73800/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Karoline Postel-Vinay ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Cela fait plus de dix ans qu’on assiste, à travers toute la planète, à une forte hausse des crispations souverainistes, des irruptions d’anxiété identitaire et de xénophobie.Karoline Postel-Vinay, Directrice de recherche, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/707722017-01-09T20:31:25Z2017-01-09T20:31:25ZQuels remèdes au populisme russe ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/152122/original/image-20170109-29708-15m31zv.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un buste monumental de Lénine, en République de Bouriatie (Russie).</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/86778817@N00/75924772/in/photolist-7H8MN-9AoQBu-9AkTkg-9zXSLJ-9zU7Wo-9Ae3My-9AbBsx-avNkut-8vqiLJ-8pbzeR-9ApM4m-7yaG3s-G8Q8jw">Grosse tête/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span></figcaption></figure><p><em>Nous publions aujourd’hui le troisième et dernier volet d’une série de trois articles consacrés au nouvel ordre mondial à l’heure de Donald Trump et Vladimir Poutine.</em></p>
<hr>
<p>En 2017 des intérêts puissants militeront pour que la Russie ne soit plus considérée comme un État voyou remettant en cause les règles du droit international. Donald Trump a annoncé à plusieurs reprises qu’il souhaitait lever les sanctions touchant la Russie. L’Union européenne vient de prolonger les sanctions à l’encontre du Kremlin jusqu’en juillet 2017, mais il n’est pas sûr qu’elle soit en mesure de maintenir sa cohésion après les élections présidentielles en France.</p>
<p>Il est utile, cependant, de rappeler un certain nombre de faits au sujet de la nature intrinsèquement populiste du régime en place au Kremlin. Et plus encore, il est nécessaire de réfléchir dès à présent aux pistes possibles d’inversement de tendance en matière de compréhension du populisme et aux évolutions possibles de l’ordre juridique international.</p>
<p>Pour les États membres de l’Union européenne, la politique actuelle du Kremlin menace l’avenir des démocraties occidentales. Il y a, bien entendu, le danger que constitue la remise en question du droit international avec l’annexion de la Crimée et l’occupation du Donbass oriental (Ukraine), dont tout le monde est à peu près conscient désormais. En revanche, le danger que représente la propagande russe est encore largement méconnu. D’où l’importance du rapport rédigé le 14 octobre 2016 <a href="http://www.europarl.europa.eu/meps/fr/28353/seeall.html?type=REPORT">par Anna E. Fotyga</a> et adopté en décembre 2016 par le Parlement européen.</p>
<p><a href="http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2F%2FEP%2F%2FTEXT+REPORT+A8-2016-0290+0+DOC+XML+V0%2F%2FFR">Les parlementaires européens affirment</a> ainsi :</p>
<blockquote>
<p>« Le gouvernement russe fait un usage agressif d’un panel étendu d’outils et d’instruments, tels que des groupes de réflexion et des fondations spéciales (<em>Russkij Mir</em>), des autorités spéciales (<em>Rossotroudnitchestvo</em>), des chaînes de télévision multilingues (Russia Today, par exemple) des soi-disant agences d’informations et services multi-médias (Sputnik), des groupes sociaux et religieux transfrontaliers – le régime souhaitant se présenter comme le seul défenseur des valeurs chrétiennes traditionnelles –, des réseaux sociaux et des trolls Internet, afin de s’attaquer aux valeurs démocratiques, de diviser l’Europe, de s’assurer du soutien interne et de donner l’impression que les Etats du voisinage oriental de l’Union européenne sont défaillants ».</p>
</blockquote>
<h2>De l’utilité du levier des sanctions</h2>
<p>Sur la question des sanctions, il convient de prendre une certaine distance par rapport aux campagnes de lobbying qui expliquent que la France souffre terriblement du fait des mesures adoptées, en septembre 2014, par l’Union européenne contre le régime russe. En effet, les chiffres de 2016 (pour la période 2013-2015) révèlent que les <a href="http://graduateinstitute.ch/fr/home/research/centresandprogrammes/international-governance/events.html/_/events/psig/the-new-deterrent-international">exportations de la France vers la Russie n’ont baissé que de 1,9 %</a>. Ce chiffre est moindre que celui des Pays baltes (en moyenne, 10 %) qui sont pourtant les premiers à réclamer le maintien des sanctions compte tenu de leur proximité géographique avec la Russie. En outre, la plupart des exportateurs de la filière porcine ont largement rattrapé leur manque à gagner en Russie par une augmentation de leur commerce avec la Chine.</p>
<p>La <a href="http://theconversation.com/la-russie-les-sanctions-et-la-securite-europeenne-70424">contribution la plus significative</a> justifiant l’emploi des sanctions politiques et économiques à l’égard de la Russie de Poutine a été publiée, en décembre 2016, dans The Conversation France par Olivier Schmitt. Selon ce professeur associé de science politique au Centre d’études militaires de l’Université du Danemark du Sud, les sanctions font partie de l’interaction stratégique entre les États. Or la Russie cherche ouvertement à affaiblir les institutions de sécurité européenne et transatlantique (notamment l’UE et l’OTAN), Olivier Schmitt explique :</p>
<blockquote>
<p>« Face à une Russie qui <a href="http://www.lemonde.fr/international/article/2016/12/06/le-document-de-poutine-qui-enterine-la-nouvelle-guerre-froide_5044428_3210.html">revendique</a> d’avoir engagé l’épreuve de force et dès lors que l’escalade militaire est (à raison) exclue, se priver d’un outil de négociation revient en fait à arrêter le dialogue en concédant la défaite. Le loup n’est pas intéressé par une solution négociée avec le mouton. En revanche, il réfléchit à deux fois face au chien de berger. »</p>
</blockquote>
<p>Il paraît également évident que l’Union européenne doit ratifier au plus vite son accord d’association avec l’Ukraine que ses 28 États membres ont signé avec l’Ukraine en 2014. Ce traité n’est pas encore ratifié en raison d’un référendum en avril 2016 aux Pays-Bas défavorable à ce traité. Pourtant, ce référendum qui n’avait qu’une valeur consultative a mobilisé moins de 0,1 % de la population européenne. En Ukraine, en revanche, plus de 45 millions d’habitants attendent avec impatience d’être enfin reconnus comme Européens. Depuis février 2014, date de l’annexion de la Crimée par la Russie, plus de 10 000 Ukrainiens sont morts pour défendre l’intégrité de leur territoire et pour appartenir à la famille européenne des États de droit.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/152120/original/image-20170109-32456-1v97ihn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/152120/original/image-20170109-32456-1v97ihn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/152120/original/image-20170109-32456-1v97ihn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/152120/original/image-20170109-32456-1v97ihn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/152120/original/image-20170109-32456-1v97ihn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/152120/original/image-20170109-32456-1v97ihn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/152120/original/image-20170109-32456-1v97ihn.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Mémorial improvisé à l’aéroport d’Amsterdam suite au crash du vol M17 (20 juillet 2014).</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/romanboed/14698762555/in/photolist-ooT11B-ooRvDW-ooAFCH-ooWEk4-oqCPG4-dcFRaS-omR23d-on3D4h-omR2y3-oFx3YW-ov8dZB-8Dgx9s-os2SZ6-osXSAw-orTCa9-w6YE6u-o71MUS-p2KMKp-oraHyb-2hNSex-ofbj9L-oMrNmK-oHjzKv-oEXXNa-oB14N7-pXuoAy-qgCHUP-pZnmJB-pk3Yzp-qgKt2Q-pk3ZSK-qgCMR6-pZfcif-pjPCVb-pZfd8w-qgNLs8-qgCNwV-pjPDCd-pjPEym-oFnj3L-8DdoAk-otb7tY-oa25bU-8Dgwwy-a3Qprc-oVvSMW-ogUucG-oycjp9-pjPBks-zwu5Fw">Roman Boed/Flickr</a></span>
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</figure>
<p>Quel paradoxe alors que les Néerlandais qui ont péri, le 17 juillet 2014, dans le vol MH17 ont été victimes d’un missile Buk fabriqué en Russie et rapporté en Russie après le drame ! La commission d’enquête internationale sur le vol MH17 l’a confirmé le 28 septembre 2016 et a mis en cause la <a href="http://www.courrierinternational.com/article/vol-mh17-lenquete-pointe-la-responsabilite-russe">responsabilité du Kremlin</a>. Tout se passe bien comme si l’opinion publique néerlandaise, mais aussi européenne, n’avait pas encore pris conscience de la guerre que mène la Russie à l’Ukraine et, à travers elle, à la civilisation européenne.</p>
<h2>La nécessaire décommunisation en Russie</h2>
<p>Une nation ne peut vivre longtemps si elle ne dispose pas d’une éthique capable de tenir ensemble les intérêts par nature divergents de sa population. L’exemple de la décommunisation en cours en Ukraine montre combien un tel travail est indispensable en Russie. En juin 2015, le président Porochenko a signé quatre lois relatives à la décommunisation votées par les députés de la Rada de Kiev :</p>
<ul>
<li><p>sur le « statut juridique et l’honneur à la mémoire des patriotes au cours du XX<sup>e</sup> siècle » ;</p></li>
<li><p>sur l’accès aux archives de la police politique entre 1917 et 1991 ;</p></li>
<li><p>sur la modification du nom de « Grande Guerre patriotique » en « Seconde Guerre mondiale », et sur la révision de la <a href="http://livre.fnac.com/a10215720/Galia-Ackerman-La-Seconde-Guerre-mondiale-dans-le-discours-politique-russe">vision soviétique de l’histoire de cette période</a>.</p></li>
<li><p>sur la condamnation et la lutte contre les symboles communistes et nazis et la <a href="http://www.huffingtonpost.fr/anna-dolya/les-lois-de-desovietisation-en-ukraine-un-nouveau-pas-vers-l/">lutte contre la propagande de ces deux régimes</a>.</p></li>
</ul>
<p>Même si une telle politique de décommunisation de la mémoire soviétique pose de nombreux problèmes juridiques, les paroles de Vitautas Landbergis, ancien président lituanien, restent d’une grande pertinence : « Le communisme est mort. Mais qui a vu le cadavre ? »</p>
<p>De plus l’Ukraine accomplit ce travail historique et éthique en liaison étroite avec la <a href="http://www.venice.coe.int/webforms/events/default.aspx?lang=fr">Commission de Venise du Conseil de l’Europe</a>. Cela lui permet, en particulier, de prendre conscience des traces institutionnelles de l’idéologie soviétique dans son architecture institutionnelle. C’est ainsi qu’elle a profondément modifié le statut du procureur dans l’équilibre des pouvoirs en Ukraine.</p>
<p>Il faudrait aujourd’hui, à défaut de pouvoir encore organiser un procès Nuremberg du communisme, comme le recommande l’<a href="http://philologist.livejournal.com/8942757.html">historien russe Sergueï Mironenko</a>. De plus, comme je l’ai proposé à plusieurs reprises, il est urgent de compléter ce travail par la création d’une commission tripartite d’historiens de Russie, d’Ukraine et du monde occidental qui serait capable de proposer un récit partagé, à défaut d’être consensuel, sur les événements du XX<sup>e</sup> siècle qui ont marqué les relations russo-ukrainiennes. La <a href="https://www.upress.pitt.edu/BookDetails.aspx?bookId=36575">commission mixte de dialogue historique polono-russe</a> montre la voie, même si elle ne peut être considérée comme parfaitement satisfaisante du fait du caractère par trop officiel de sa composition et en raison de l’absence du regard extérieur et médiateur.</p>
<h2>Remédier aux lacunes de la théologie des chrétiens d’Orient</h2>
<p>L’Église orthodoxe russe pourrait initier une prise de conscience des lacunes de la théologie politique traditionnelle des chrétiens d’Orient. Car au même titre que les guerres franco-allemandes furent le fruit d’un conflit entre deux nations souhaitant être les héritières exclusives de l’empire de Charlemagne (et reposaient sur le mythe que l’empereur est l’unique représentant de Dieu sur la terre) il en est de même <a href="http://www.diploweb.com/Russie-Ukraine-de-la-guerre-a-la.html">parmi les héritiers de la troisième Rome</a>.</p>
<figure class="align-left ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/152124/original/image-20170109-23464-uhsj4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/152124/original/image-20170109-23464-uhsj4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/152124/original/image-20170109-23464-uhsj4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/152124/original/image-20170109-23464-uhsj4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=733&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/152124/original/image-20170109-23464-uhsj4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/152124/original/image-20170109-23464-uhsj4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/152124/original/image-20170109-23464-uhsj4s.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=921&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Eusèbe de Césarée.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/ba/Eusebius_of_Caesarea.jpg">Wikimédia.</a></span>
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<p>Or rares furent ceux qui dans l’orthodoxie russe ont remis en cause la théologie politique de Eusèbe de Césarée. Au sein de l’émigration russe à Paris, il y eut Nicolas Berdiaev (<em>Royaume de l’Esprit et Royaume de César</em>, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1951), Georges Fédotov, Anton Kartachov. Pour eux, l’orthodoxie de la foi chrétienne ne consistait pas à séparer le corps (appelé à périr comme l’État) et l’âme (éternelle tout comme l’Église). Elle consistait, au contraire, à penser ensemble la divino-humanité du Christ.</p>
<p>L’État devait être séparé des religions mais il devait également coopérer avec elles. Non pas sur la base de cette vision manichéenne de la séparation de l’âme et du corps mais plutôt à partir de la vision eschatologique faisant de l’Église l’anticipation du Royaume de Dieu sur la terre. Dans cette perspective, l’État retrouve sa dignité de symbole de la paternité divine (reconnue par le Christ face à Pilate : « Tu n’aurais aucun pouvoir s’il ne t’avait été donné d’en haut »).</p>
<p>Et, en même temps, l’État doit accepter avec humilité qu’il ne tienne son pouvoir que de l’autorité divine du Créateur. Sa puissance n’a donc de sens qu’en tant qu’elle repose sur une loi fondée sur l’amour et sur l’harmonie. <a href="https://www.lagedhomme.com/ouvrages/serge+boulgakov/du+verbe+incarne/321">Cette vision personnaliste et sophiologique</a>, fondée sur la Sagesse de Dieu, part de l’idée que la création (tout comme le corps) est bonne. Selon cette approche, Dieu est à la fois transcendant et immanent. <a href="http://philitt.fr/2016/09/21/le-pere-serge-boulgakov-une-vie-sous-le-regard-de-la-sophia/">Il associe sa créature à sa vie créatrice selon des niveaux de conscience successifs</a>.</p>
<p>Comme le recommandent aussi de nombreux auteurs contemporains occidentaux, de <a href="http://www.revue-economie-et-humanisme.eu/bdf/docs/r361_98_3culturesdevhumain.pdf">Jean-Baptiste de Foucauld</a> à <a href="http://www.rowmaninternational.com/books/the-politics-of-virtue">John Milbank</a>, la régulation de l’État doit être capable de reconnaître des forces de résistance et d’utopie, et donc d’imagination et d’anticipation.</p>
<h2>De la nécessité de se doter d’une nouvelle philosophie du droit</h2>
<p>Cette nouvelle philosophie politique concerne aussi le monde démocratique occidental car nombreux sont ceux qui s’accordent à constater une <a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-invite-d-ali-baddou/l-invite-d-ali-baddou-18-novembre-2016">crise européenne de la démocratie</a>. Pour tenter de remédier à cette crise politique, le risque est grand, aujourd’hui, de vouloir revenir au temps de la souveraineté exclusive des États-nations et de la manipulation des mémoires.</p>
<p>En réalité, la crise n’est pas seulement celle des institutions européennes, comme de nombreuses forces populistes s’efforcent de le faire croire. La baisse, par exemple, de la participation des citoyens aux élections touche plus encore les États-nations que l’Union européenne.</p>
<p><a href="http://www.editions-laurencemassaro.com/collections/qu-est-ce-qui-arrive-a/article/qu-est-ce-qui-arrive-a-a-l-europe">Bertrand Vergely</a> considère que le point faible des démocraties occidentales, c’est leur rejet du spirituel, pourtant à l’origine de la prise de conscience d’après-guerre du « Plus jamais ça ! » :</p>
<blockquote>
<p>« Quand ce n’est plus l’aventure spirituelle qui guide les peuples, c’est le chacun pour soi […] Tant que notre monde sera dominé par le culte de l’argent, de la toute puissance et de la liberté individuelle, il n’y aura pas de remède ».</p>
</blockquote>
<p>Pour Michel Maffesoli et Hélène Strohl, c’est surtout la crise de la modernité qu’il faut incriminer. Celle-ci reposait sur quatre piliers : le rationalisme, l’individualisme, l’utilitarisme et le progressisme. Cette configuration de l’épistémè moderne s’effondre sous nos yeux depuis plusieurs décennies. C’est pourquoi l’Europe ne parviendra à nouveau à faire rêver, à retrouver une pulsion de vie communautaire que si elle retrouve, au-delà même de ses racines judéo-chrétiennes, une <a href="http://www.editions-laurencemassaro.com/collections/qu-est-ce-qui-arrive-a/article/qu-est-ce-qui-arrive-a-a-l-europe">capacité assumée et revendiquée au dialogue interreligieux et interconvictionnel</a>.</p>
<h2>La rose des vents</h2>
<p><a href="https://www.franceinter.fr/emissions/l-heure-bleue/l-heure-bleue-26-septembre-2016">Mireille Delmas-Marty</a>, professeur honoraire au Collège de France, dans son ouvrage <em>Aux quatre vents du monde</em>, propose un petit guide de navigation sur l’océan de la mondialisation. Son constat est aussi que l’humanisme moderne est entré en agonie. Les contradictions des marchés qui appauvrissent les nations, l’ambivalence des nouvelles technologies qui pourraient conduire à de nouvelles formes de dictature soft, témoignent de la fin d’un monde. Aussi suggère-t-elle une nouvelle conception du droit capable d’humaniser la mondialisation.</p>
<p>À la différence de la vision pyramidale du droit positif de Hans Kelsen, Mireille Delmas-Marty propose une vision dynamique du droit international comparable à une rose des vents. Pour elle, le monde ressemble plus à une valse de nuages divergents qu’à une horloge bien huilée. Le monde des politiques, des médiateurs et des savants doit donc, pour construire un nouvel ordre transnational d’ordre, de justice et de paix, saisir l’énergie cinétique de forces contradictoires : la liberté et la sécurité, la compétition et la coopération, la punition et la réconciliation, enfin l’innovation et la conservation.</p>
<p>Le droit international doit donc évoluer pour contrer la flambée des populismes en Russie et ailleurs dans le monde. Bonne nouvelle : de nouvelles ressources sont disponibles, comme l’a montré le succès de l’accord de Paris de la COP21 en 2015.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/70772/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Antoine Arjakovsky ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une nation ne peut vivre longtemps si elle ne dispose pas d’une éthique capable de tenir ensemble les intérêts par nature divergents de sa population.Antoine Arjakovsky, Historien, Co-directeur du département «Politique et Religions», Collège des BernardinsLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.