tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/police-22208/articlespolice – The Conversation2024-03-20T16:00:56Ztag:theconversation.com,2011:article/2262522024-03-20T16:00:56Z2024-03-20T16:00:56ZMarseille vue de l’intérieur : une exploration de la violence urbaine<p><em>L’année 2023 a été particulièrement meurtrière à Marseille : selon des chiffres avancés par le procureur de la ville, <a href="https://www.lefigaro.fr/marseille/marseille-la-rivalite-sanglante-entre-deux-bandes-rivales-a-l-origine-du-record-de-narchomicides-20231221">au moins 49 personnes seraient mortes et plus d’une centaine auraient été blessées</a> du fait de trafic de stupéfiants. Au point où le terme <a href="https://www.liberation.fr/checknews/narchomicide-la-delinquance-change-de-visage-les-mots-pour-la-comptabiliser-aussi-20230912_JO4V77R6JJEPDBGSESXQDDTHAM/">« narchomicides »</a> est évoqué et que le président de la République s'y est rendu le 19 mars 2024, annonçant <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2024/03/19/a-marseille-emmanuel-macron-annonce-plus-de-82-interpellations-dans-le-cadre-d-une-operation-sans-precedent-contre-le-trafic-de-drogue_6222863_823449.html">« une opération sans précédent »</a> pour lutter contre le trafic de drogue.
Faisant un pas de côté, les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen ont choisi d’explorer cette violence de manière plus large et plus contextualisée, en se basant sur un terrain de sept mois effectué entre 2021 et 2023 dans la cité Félix-Pyat. Située au cœur du III<sup>e</sup> arrondissement marseillais, elle est souvent décrite comme l’une des plus difficiles de la préfecture des Bouches-du-Rhône.</em></p>
<hr>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-1-4-la-mauvaise-reputation-220875">La mauvaise réputation</a></h2>
<p>Les représentations des cités marseillaises comme lieux de violence tributaires du trafic de drogue nourrissent des imaginaires masquant d’autres formes de violences structurelles.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-2-4-des-trafics-pas-si-juteux-des-morts-complexes-220893">Des trafics pas si juteux, des morts complexes</a></h2>
<p>Il existe de profondes contradictions et ambiguïtés concernant le trafic de la drogue à Félix-Pyat, qu'il est nécessaire saisir dans son contexte social, économique, et culturel pour véritablement le comprendre.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-34-des-murs-devant-les-yeux-221139">Des murs devant les yeux</a></h2>
<p>Certains aménagements des infrastructures du territoire à Marseille peuvent être vus comme une forme de violence, dont les effets sont tout aussi insécurisants que les activités du trafic de drogue.</p>
<h2><a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-44-etat-partout-etat-nulle-part-221195">État partout, État nulle part ?</a></h2>
<p>Les habitants de cités comme Félix-Pyat ne se perçoivent plus comme vivant au sein d’espaces bénéficiant d’un état de droit, mais plutôt dans des lieux d’exception devant être disciplinés et punis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/226252/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark</span></em></p>À partir du quartier Félix Pyat à Marseille, deux anthropologues ont choisi de comprendre le contexte de violence au-delà du phénomène de trafic de drogue qui mine la cité phocéenne.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2211952024-03-14T18:54:29Z2024-03-14T18:54:29ZMarseille : l'État a-t-il vraiment abandonné les cités ?<p><em>Comment vit-on dans la cité Félix-Pyat, situé dans l'un des arrondissements les plus pauvres de Marseille ? Les anthropologues Dennis Rodgers et Steffen Jensen y ont passé sept mois en immersion, entre 2021 et 2023. Ils expliquent que bien que de nombreuses familles soient soutenues financièrement par l'État, elles se sentent pourtant abandonnées sur le volet sécuritaire.</em></p>
<hr>
<p>Il est courant de lire dans les médias que les cités de Marseille ont été <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/01/a-marseille-le-trafic-de-drogue-prospere-sur-l-abandon-de-la-ville_6093031_3232.html">« abandonnées »</a> par l’État français. C’est une expression qui revenait aussi souvent dans nos conversations avec les habitants de Félix-Pyat, comme Selim, pour qui « le plus gros problème de Félix-Pyat, c’est l’abandon ».</p>
<p>Il faisait ici référence à l’apparente incapacité de l’État à résoudre les problèmes de la cité :</p>
<blockquote>
<p>« la violence, le trafic, la saleté, l’insalubrité, la criminalité, la pauvreté, les risques sanitaires… »</p>
</blockquote>
<p>Quand on parcourt le quartier, il peut en effet apparaître abandonné. Le trafic est une présence très visible, et génère de nombreuses insécurités pour les habitants de la cité, comme nous l’avons décrit dans un <a href="https://theconversation.com/marseille-immersion-dans-la-cite-felix-pyat-2-4-des-trafics-pas-si-juteux-des-morts-complexes-220893">article précédent</a>. Les rues sont pleines d’ordures non ramassées, et de nombreux bâtiments sont aussi visiblement en mauvais état.</p>
<p>Cette insalubrité a de multiples effets nuisibles sur les habitants, comme nous avons pu le constater en discutant avec Mounia, une habitante du bâtiment B, au lendemain d’un incendie dans l’immeuble :</p>
<blockquote>
<p>« J’ai commencé à sentir la fumée, j’ai attrapé mes enfants et je suis sortie en courant. »</p>
</blockquote>
<p>Heureusement, le feu a été rapidement maîtrisé, mais elle nous a raconté que ses enfants avaient refusé de revenir tout de suite dans l’appartement, car ils avaient « trop peur », et elle était inquiète pour leur santé mentale sur le long terme. « Ce n’est pas la première fois », elle nous a dit, exaspérée, se plaignant du bailleur social gestionnaire du bâtiment, Marseille Habitat :</p>
<blockquote>
<p>« Ils ne réparent jamais rien, tout s’empire, il y a déjà eu des morts à cause des feux, il y en aura d’autres, c’est garanti… »</p>
</blockquote>
<h2>Un État-providence très présent</h2>
<p>Pourtant, au-delà de l’état des bâtiments, nous avons constaté que l’État est bel et bien présent dans la cité. En témoigne par exemple cette conversation avec la directrice d’une association locale implantée dans la cité Félix-Pyat. En lui faisant part de notre recensement statistique qui montrait que 54 % des ménages de la cité dépendaient de l’assistance sociale, elle nous a expliqué pourquoi cela était particulièrement significatif.</p>
<p>Pour ce faire, elle nous a dessiné un croquis illustrant comment les vies des habitants de la cité étaient intrinsèquement liées aux institutions sociales : la Sécurité sociale, la CAF, les programmes de développement professionnel de Pôle emploi, les bailleurs de logement social, les services de santé, etc. Et de souligner les difficultés des familles du quartier à naviguer dans les méandres de la bureaucratie de l’État-providence français.</p>
<p>Les procédures d’accès à ces services publics demeurent également souvent absconses pour bien des usagers, et la <a href="https://theconversation.com/la-numerisation-des-administrations-produit-tensions-et-exclusion-207049">numérisation</a> progressive des services sociaux ajoute aux difficultés. Peu d’habitants ont accès à des supports informatiques autres que leurs téléphones, et beaucoup – surtout au dessus d’un certain âge – ne sont pas à l’aise avec cet outil. De fait, la crainte d’être privé d’une prestation – de la CAF, du chômage, du RSA – soit par méconnaissance ou parce qu’on pourrait commettre une erreur de procédure en demandant une prestation, est très répandue à Félix-Pyat.</p>
<p>Plus encore, tout engagement avec l’administration française se double d’une paranoïa tangible, et une grande partie du travail des associations locales dans la cité Félix-Pyat repose sur de « l’accompagnement ». Il s’agit d’aider les habitants de la cité avec leurs demandes et la préparation de leurs dossiers – également souvent en raison de problèmes de langue pour les non-francophones – et d’éviter des sanctions qui sont vécues comme une menace constante et souvent arbitraire.</p>
<h2>Un État bifurqué ?</h2>
<p>Cette omniprésence – que l’on peut de plus qualifier d’oppressive – de l’État-providence dans la vie intime des habitants de Félix-Pyat s’accorde a priori mal avec l’idée que la cité a été « abandonnée ». Mais ce paradoxe peut en partie s’expliquer par l’existence d’une forme de cloisonnement dans les modes d’intervention de l’État français vis-à-vis de lieux comme Félix-Pyat. D’un côté, il y a le social, de l’autre, le sécuritaire.</p>
<p>En parcourant des documents relatifs à la politique de la ville à Marseille, nous avons ainsi constaté que ces derniers sont dépourvus de références aux questions de criminalité et de délinquance. Les mots « crime », « délinquance », « sécurité » ou « insécurité » sont même complètement absents des textes que nous avons consultés, qui se focalisent plutôt sur des thèmes tels que le « service au public », la « transition écologique », le « soutien aux associations », le « logement et cadre de vie », le « développement économique », « l’inclusion sociale », « l’éducation », ou bien « l’emploi et insertion professionnelle », entre autres.</p>
<p>Cela peut sembler à première vue très étrange compte tenu de l’importance des questions sécuritaires dans les discours officiels concernant les cités de Marseille (et d’ailleurs). Mais il existe en fait un phénomène que nous pourrions qualifier de « bifurcation » entre l’action sociale et l’action sécuritaire de l’État français, comme nous l’a expliqué une personne chargée des questions de politique de la ville associée à la Préfecture de Marseille :</p>
<blockquote>
<p>« Les questions de sécurité, ça a un côté très régalien. C’est la police nationale qui… [s’]en charge… [N]ous, au niveau de la politique de la ville ou des compétences exercée par les collectivités territoriales, on n’a pas ce volet sécurité… enfin, ce n’est pas un objectif… [Nous] on va être… sur le volet social ».</p>
</blockquote>
<p>De la même façon, lors d’un entretien avec un policier du III<sup>e</sup> arrondissement, il nous a clairement affirmé que la police estimait également que la sécurité n’avait rien à voir avec les questions sociales : « la police ne fait pas du social ».</p>
<p>Dans de nombreux autres contextes à travers le monde, une telle séparation des domaines d’intervention n’existe pas. La police travaille en étroite collaboration avec les systèmes de protection sociale, par exemple par le biais d’initiatives de police de proximité. Au <a href="https://academic.oup.com/bjc/advance-article-abstract/doi/10.1093/bjc/azad025/7208975">Danemark</a>, par exemple, l’unité de police chargée de promouvoir la sortie d’individus des gangs vise à développer des relations personnelles avec des membres de gangs, travaillant en tandem avec les travailleurs sociaux.</p>
<p>En France, depuis 2003, ce genre d’initiative a été <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2009-6-page-1147.htm">abandonnée</a>, et remplacée par une <a href="https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2017-3-page-469.htm?ref=doi&contenu=article">forme très différente de maintien de l’ordre</a>. Cette dernière n’est plus basée sur le développement d’un rapprochement avec les communautés locales, mais plutôt sur une stratégie qui vise à les <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/la-force-de-l-ordre-didier-fassin/9782021050837">contrôler</a> à travers <a href="https://www.cairn.info/bavures-policieres--270713502X.htm?contenu=presentation">l’emploi régulier de la force</a>.</p>
<h2>Une incertitude généralisée</h2>
<p>Cette approche policière est particulièrement bien incarnée par les multiples interventions – ou « descentes » – qui sont effectuées à Félix-Pyat par toute une pléthore de différents types de police – CRS, police municipale, police nationale – que nous avons nous-mêmes constatés plusieurs fois par semaine.</p>
<p>Même si ces interventions n’aboutissent que très rarement à des arrestations – qui se font généralement uniquement sur la base d’informations précises – elles suscitent une inquiétude généralisée au sein de la cité, car elles sont perçues comme imprévisibles et arbitraires.</p>
<p>Cette dynamique sécuritaire particulière s’inscrit dans le courant de la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/03/29/a-marseille-une-nouvelle-strategie-du-pilonnage-face-au-trafic-de-drogue_6074811_3224.html">« stratégie de pilonnage »</a> annoncée en 2021 par Gérald Darmanin, le ministre de l’intérieur français, pour lutter contre le trafic de drogue, mais elle peut aussi être reliée au discours politique plus large du besoin d’une <a href="https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1384207024481705995">« reconquête républicaine »</a> que le président de la République Emmanuel Macron a lancée en 2018.</p>
<p>Celui-ci identifie un certain nombre de zones urbaines en France – dont Félix-Pyat – comme des <a href="https://www.fayard.fr/livre/les-territoires-perdus-de-la-republique-9782842058241/">« territoires perdus de la République »</a>, où séviraient des attitudes et des pratiques criminelles, anti-républicaines, et anti-françaises, un discours qui peut clairement servir à légitimer la mise en œuvre toujours plus intense de nouvelles formes de maintien de l’ordre répressives afin de les « reconquérir ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/I4Fr6xokozw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Athéna, de Romain Gavras, 2023, YouTube.</span></figcaption>
</figure>
<h2>Un abandon de l’éthos républicain français</h2>
<p>La représentation symboliquement très violente des <a href="https://www.cairn.info/la-france-a-peur--9782707165039.htm">cités comme des lieux intrinsèquement problématiques</a> qu’il faut « reconquérir », est de fait facilitée par cette bifurcation entre l’action sociale et l’action sécuritaire de l’État français. C’est cette dernière qui permet d’ignorer le fait que socialement, la vie quotidienne dans les cités est fondamentalement régie par l’État, et de mettre en avant l’idée que les cités ont besoin d’être « reconquises » par l’État.</p>
<p>Plusieurs de nos interlocuteurs étatiques – tant sociaux que sécuritaires – ont d’ailleurs explicitement justifié leurs modes d’intervention souvent très verticaux en argumentant que les habitants des cités les avaient « abandonnés », et que les consulter ne servait à rien. Pour les habitants de cités telles Félix-Pyat, par contre, ces stratégies de « reconquête » sont clairement perçues comme un abandon de la promesse de l’éthos républicain français d’inclusion et d’égalité.</p>
<p>Une habitante de la cité, que nous appellerons Noémie, nous a par exemple livré avec force sa conviction lors d’un entretien à propos de la violence policière dans la cité : « la police, c’est censé être des gardiens de la paix ». Sélim, pour sa part, nous a dit : « la police vient quand on ne les veut pas et ne vient jamais quand on les appelle… ».</p>
<p>En d’autres termes, les habitants de la cité ne se perçoivent plus comme vivant au sein d’espaces bénéficiant des règles et des principes d’un état de droit s’appliquant de manière égalitaire et universellement, mais plutôt dans des <a href="https://shs.hal.science/halshs-01151204v1/document">« espaces d’exception »</a>, au sein desquels ils sont confrontés à une politique sécuritaire répressive et un État-providence oppressif, dont les actions sont mises en œuvre de manière différenciée, inconstante, et arbitrairement. C’est cela qui constitue la forme « d’abandon » la plus importante affectant les cités telles que Félix-Pyat.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221195/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dennis Rodgers a reçu une bourse ERC Advanced Grant (no. 787935) du Conseil Européen de la Recherche (<a href="https://erc.europa.eu">https://erc.europa.eu</a>) pour un projet intitulé “Gangs, Gangsters, and Ganglands: Towards a Global Comparative Ethnography” (GANGS).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Steffen Bo Jensen is a senior researcher at DIGNITY-Danish Institute Against Torture and a professor at the Department of Politics and Society, Aalborg University in Denmark
</span></em></p>Comment vit-on dans la cité Félix-Pyat à Marseille, l'un des quartiers les plus pauvres de France ? Bien que de nombreuses familles soient soutenues financièrement par l'État, elles se sentent pourtant abandonnées sur le volet sécuritaire.Dennis Rodgers, Research Professor, Anthropology and Sociology, Graduate Institute – Institut de hautes études internationales et du développement (IHEID)Steffen Bo Jensen, Professor, Department of Politics and Society, Aalborg UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2254712024-03-12T16:09:35Z2024-03-12T16:09:35ZMobilisation contre l’A69 : vers de nouvelles dynamiques de la violence ?<p>Le 22 et 23 février 2024, le Rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseurs de l’environnement s’est rendu auprès des activistes de la ZAD du site dit « de Crem’Arbre » qui s’oppose à l’autoroute A69 ainsi qu’auprès des autorités locales. Sa déclaration, <a href="https://unece.org/sites/default/files/2024-02/UNSR_EnvDefenders_Aarhus_De%CC%81claration_fin_mission_Tarn_29.02.2024_FR.pdf">publiée le 29 février 2024</a>, dénonçait des pratiques de répression</p>
<blockquote>
<p>« qui entrent dans le cadre de l’interdiction des traitements cruels, inhumains ou dégradants, visée par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et des obligations internationales de la France relatives à la <a href="https://unece.org/sites/default/files/2024-02/UNSR_EnvDefenders_Aarhus_De%CC%81claration_fin_mission_Tarn_29.02.2024_FR.pdf">Convention contre la torture des Nations unies</a> ».</p>
</blockquote>
<p>Il <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/02/29/a-69-le-rapporteur-des-nations-unies-demande-des-mesures-immediates-pour-proteger-les-opposants-au-projet-d-autoroute_6219270_3244.html">réclamait en particulier</a></p>
<blockquote>
<p>« une enquête et des sanctions pour les actes de privation de sommeil, de combustion de matériaux, d’allumage de feux et de déversement de produits a priori inflammables par les forces de l’ordre, qui ont pu mettre en danger la vie des “écureuils” [les militants installés dans les arbres] ». </p>
</blockquote>
<p>De leur côté, le 8 mars 2024 lors d’un rassemblement républicain à Saïx, les élus décrivaient la Crem’Arbre comme « une zone de guerre avec des tranchées, et des pièges » (citation attribuée au maire de Saïx par <a href="https://www.francebleu.fr/infos/politique/manif-des-elus-pour-l-a69-la-zad-une-zone-de-guerre-pour-le-maire-de-saix-1953179#"><em>France Bleu</em></a>). Ils inscrivaient aussi les actions écologistes « parmi les heures les plus sombres de l’histoire » (citation attribuée au préfet du Tarn dans le même article).</p>
<p>Le conflit contre l’A69 témoignerait-il d’une nouvelle dynamique de la violence dans les conflits environnementaux ?</p>
<p>Le mouvement social écologiste justifie ici l’exercice de la violence par les <a href="https://theconversation.com/a-quoi-sert-la-violence-des-mouvements-ecologistes-le-rituel-de-lecodesordre-entre-spectacle-et-espoir-dun-nouveau-monde-217934">moyens (en particulier répressifs) déployés par l’État pour le réguler</a>. Or, comme l’écrivait le <a href="https://journals.openedition.org/clio/11976">sociologue allemand Harald Welzer</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Au-delà de toutes règles du droit international, l’exercice de la violence n’a rien de statique mais évolue constamment en fonction des conditions générales engendrées par les structures, les personnes et les situations. »</p>
</blockquote>
<p>La situation écologique dégradée, l’extrême détermination des activistes écologistes, la diversité des tactiques employées par les mouvements sociaux et la structure du cadre répressif sont autant d’éléments qui interagissent entre eux et dictent la dynamique de la violence. Ici, ils sont de l’ordre de l’emballement.</p>
<h2>ZAD d’en bas, ZAD d’en haut</h2>
<p>Dès le 12 novembre 2023, des activistes ont commencé à occuper des arbres sur le tracé de l’A69. Animés par une extrême détermination à défendre le vivant, ils sont prêts à faire rempart de leur corps contre un projet d’autoroute jugé écocidaire.</p>
<p>L’appel à la ZAD précisait en effet :</p>
<blockquote>
<p>« En moins d’un an, NGE (<em>l’entreprise en charge des travaux de l’autoroute A69, ndla</em>) est parvenu à massacrer tous les écosystèmes forestiers […].</p>
<p>Tous ? Non. Route de la Cremade à Saix, à quelques encablures de la CremZad expulsée le 22 octobre, la Crem’Arbre résiste encore et toujours, dernière forêt debout sur le tracé. »</p>
</blockquote>
<p>La tactique militante consistant à habiter un arbre pour en empêcher sa « mise à mort » n’est pas une pratique nouvelle. En 1995 aux États-Unis, Julia « Butterfly » Hill grimpait dans dans le Séquoia « Luna », vieux de 1 000 ans, à plus de 55 mètres de haut <a href="https://www.editionslibre.org/produit/de-seve-et-de-sang-julia-butterfly-hill-legacy-of-luna-livre-sequoia/">pour y rester deux ans</a>.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>En France, la pratique a récemment pris de l’ampleur, même si elle reste assez marginale. Elle a été médiatisée par le <a href="https://gnsafrance.org">Groupe national de surveillance des arbres</a> (GNSA) et les grèves de la faim de <a href="https://theconversation.com/thomas-brail-et-la69-ou-les-paradoxes-de-la-desobeissance-civile-213787">Thomas Brail, qui s’était perché dans un arbre et avait entrepris une grève de la faim</a> face au ministère de la Transition écologique l’automne dernier.</p>
<p>Mais le dispositif tactique sur le site dit « de Crem’Arbre » ne se réduit pas à cette occupation des cimes. En effet, ce qui constitue son originalité, c’est bien sa topographie, à la fois au sol et en l’air, un écosystème à la fois relié et indépendant, entre ZAD en altitude et ZAD au sol.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/thomas-brail-et-la69-ou-les-paradoxes-de-la-desobeissance-civile-213787">Thomas Brail et l’A69, ou les paradoxes de la désobéissance civile</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>En haut dans les arbres, les habitations reliées entre elles par un ensemble de tyroliennes sont plus ou moins sophistiquées. Elles vont de la simple tente jusqu’à d’impressionnantes cabanes, comportant parfois panneau solaire, cuisine et poêle pour se chauffer. Les « écureuils », arboristes, grimpeurs et grimpeuses (dont certains internationaux ayant passé leur vie dans les arbres) qui habitent ce monde du haut ne descendent apparemment qu’en de très rares occasions, pouvant vivre avec une certaine autonomie.</p>
<p>Celle-ci va toutefois de pair avec d’importants sacrifices. Les « écureuils » doivent affronter le froid, l’attente, la faim, la précarité des soins corporels de base, sans parler du danger de la potentielle chute, ce qui demande un niveau d’engagement pour le moins extrême.</p>
<p>Cette pratique d’occupation des arbres s’inscrit dans le cadre de la <a href="https://theconversation.com/la-desobeissance-civile-climatique-les-etats-face-a-un-nouveau-defi-democratique-214988">désobéissance civile</a>, fondamentalement non violente. Pourtant, on peut considérer qu’elle implique de consentir à une certaine forme de violence sacrificielle envers soi-même.</p>
<p>En bas, au pied des arbres, la ZAD de soutien aux « écureuils » a un fonctionnement et des pratiques militantes complémentaires, tout en lui étant propre. On y retrouve les tactiques plus offensives, qui y sont mieux acceptées : barricades et confrontations avec les forces de l’ordre, vol de matériel et sabotage d’engins de chantiers…</p>
<p>Le fait de recourir à ce genre d’actions directes plus offensives pour la défense des arbres n’est pas nouveau : à l’international, elles étaient déjà pratiquées sous forme d’<a href="https://journals.openedition.org/trans/851">« éco-tage »</a> (sabotage pour motifs environnementaux) et de <a href="https://www.britannica.com/topic/monkeywrenching">« monkey-wrenching »</a> (sabotage non violent, popularisé par le roman <em>The Monkey Wrench Gang</em> – traduit en français par « Le Gang de la clef à molette » – de l’Américain Edward Abbey en 1975) dans les années 1980 par Judi Bari, l’une des fondatrices de Earth First !</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/plus-haute-zad-deurope-faut-il-encore-amenager-les-glaciers-alpins-216918">« Plus haute ZAD d’Europe » : faut-il encore aménager les glaciers alpins ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>« Monde de merde » vs « autre monde »</h2>
<p>Notons que ces violences écologistes relèvent rarement du registre de la violence <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2012/03/24/les-racines-de-la-violence_1675170_3232.html">autotélique</a> (c’est-à-dire, qui est sa propre finalité en elle-même), mais plutôt d’un geste politique au service d’un imaginaire qui ferait entrevoir un autre monde.</p>
<p>L’occupation y est pensée « contre leur monde de merde », selon l’expression désormais consacrée dans de nombreuses luttes écologistes, mais aussi surtout « pour un autre monde », rendu présent par l’expérimentation active – ici, par la vie d’une ZAD – d’un autre modèle de société.</p>
<p>Ce type d’expérimentations n’est pas le fait d’un fantasmatique « groupuscule violent ». Le chantier de construction de la Crem’Arbre avait donné lieu à une mobilisation massive des défenseurs de l’environnement, y compris internationaux <a href="https://www.france24.com/fr/info-en-continu/20240210-greta-thunberg-attendue-sur-la-cabanade-du-tarn-le-rassemblement-interdit-des-anti-a69">comme Greta Thunberg</a>.</p>
<p>Certes, il y a des désaccords entre les militants sur l’intensité des actions à mener. « Insulter et provoquer les forces de l’ordre attire la violence, les écureuils là-haut ont-ils envie de respirer des gaz lacrymogènes ? », s’interrogent certains. Quand d’autres accusent le mouvement d’être « trop mou, trop passif, la résistance ne peut se faire sans confrontation ! »</p>
<p>Ces débats ne sont pas sans rappeler les conflits autour des <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/01/26/notre-dame-des-landes-la-route-des-chicanes-est-degagee_5247632_3224.html">barricades de la « route des chicanes »</a> de la ZAD de Notre-Dame-Des-Landes, qui selon certain empêchaient l’intervention policière, quand d’autres estimaient qu’elles la favorisaient.</p>
<p>Malgré ces désaccords, qui existent à la Crem’Arbre ou ailleurs, un objectif commun s’était dessiné : défendre le vivant avec une détermination absolue, comme nous le rapportent des militants présents sur place.</p>
<blockquote>
<p>« Comment faire union dans un lieu qui est en perpétuelle désunion ? Il faut une force de caractère et une motivation assez fortes. Moi, c’est ça que je vois aussi, je ne vois pas juste les gens qui se déchirent sur comment elles ou ils doivent “être présents”, je vois aussi que tous ces gens ont envie d’être présents malgré tous les bâtons qu’ils ont dans les roues. »</p>
</blockquote>
<h2>Vers de nouvelles tactiques répressives ?</h2>
<p>Pour l’évacuation de la Crem’Arbre des cimes, un problème se posait : comment faire descendre ces « écureuils » ? En la matière, la tactique mise en œuvre par les forces de police est complexe. L’utilisation de nacelles ou d’unités spécialisées comme la <a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/en-images/la-cnamo-une-unite-specialisee-dans-le-degagement-d-obstacles-complexes">CNAMO</a> (Cellule nationale d’appui à la mobilité, créée en 2011 à l’origine pour faire face aux activistes antinucléaires qui procédaient à des blocages terrerstres et aériens) peuvent représenter une mise en danger de la vie des activistes perchés sur les plus hautes cimes.</p>
<p>En effet, certains activistes menacent de se décrocher si les forces de l’ordre s’approchent trop près. Devant la contre-productivité des moyens répressifs habituels et le risque de la mort d’un activiste, les autorités se sont alors livrées à une véritable stratégie de siège visant explicitement à affamer l’adversaire, comme le montre la vidéo ci-dessous :</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/yQyoVAmg0SI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Tentative de ravitaillement sur la Crem’Arbre.</span></figcaption>
</figure>
<p>Ce que soulignait le Rapporteur spécial des Nations-Unis :</p>
<blockquote>
<p>« Depuis le 15 février 2024 et jusqu’à ce jour, les autorités interdisent le ravitaillement en nourriture des “écureuils”. Entre le 15 et le 20 février 2024, les autorités ont également interdit le ravitaillement en eau des “écureuils”. Le 20 février, lorsque les autorités ont enfin permis aux “écureuils” d’avoir accès à l’eau potable, l’entreprise NGE chargée des opérations de défrichement sur place a percé les bidons d’eau apportés par les forces de l’ordre et destinés aux “écureuils” ».</p>
</blockquote>
<p>Ces privations de nourriture se sont accompagnées de privation de sommeil à l’aide de <a href="https://reporterre.net/Blindes-grenades-et-LBD-l-%C3%89tat-reprime-la-zad-contre-l-A69">lumières stroboscopiques, de martèlement de taules et de hurlements</a>. Un bidon d’essence a été vidé au pied de l’arbre occupé par une activiste <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/tarn/albi/autoroute-a69-une-plainte-deposee-pour-mise-en-danger-volontaire-de-la-vie-d-autrui-vers-un-nouveau-campement-des-opposants-2926161.html">qui a filmé la scène</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/a-quoi-sert-la-violence-des-mouvements-ecologistes-le-rituel-de-lecodesordre-entre-spectacle-et-espoir-dun-nouveau-monde-217934">À quoi sert la violence des mouvements écologistes ? Le rituel de l’écodésordre, entre spectacle et espoir d'un nouveau monde</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Déjà à Bure, un militant <a href="https://factuel.univ-lorraine.fr/node/6116">aurait été gratifié d’un bidon d’essence au motif « d’évacuation des substances dangereuses »</a>. Dans le cas qui nous occupe, on peut comprendre l’inquiétude de l’activiste lorsque l’on sait que des feux étaient allumés à proximité de son arbre, pas seulement pour brûler les bâtiments de la ZAD au sol, mais aussi parfois par les tirs de grenades lacrymogènes.</p>
<p>Enfin, l’intervention des autorités et la dénonciation de sa violence par les Nations-Unis ont leur propre grammaire.</p>
<ul>
<li><p>D’un côté pour les Nations unies, les écologistes sont des « défenseurs de l’environnement ».</p></li>
<li><p>Pendant ce temps, pour les autorités, ils sont des <a href="https://reporterre.net/Terroristes-chtarbes-les-promoteurs-de-l-A69-se-lachent-contre-les-opposants">« délinquants perchés dans les arbres »</a>, des « terroristes verts », une « secte d’ultra-gauche » ou des « éco-terroristes ».</p></li>
</ul>
<p>Il est bien évident que la répression ne devrait pas s’appliquer de la même manière à un défenseur de l’environnement, à un délinquant et encore moins à un terroriste. On peut donc se demander si les insultes assimilant les activistes à des animaux pendant l’évacuation de la Crem’Arbre ne relèvent pas d’un nécessaire mouvement de déshumanisation permettant l’exercice d’une violence plus intense par les forces de l’ordre.</p>
<p>Malgré l’évacuation du site, une autre ZAD, baptisée Cal’Arbre, <a href="https://reporterre.net/Lutte-contre-l-A69-les-militants-creent-une-nouvelle-zad">a déjà repoussé sur un autre lieu du tracé</a>.</p>
<h2>Mourir pour un arbre ?</h2>
<p>On peut rappeler que dans l’histoire des luttes écologistes, les défenseurs des arbres ont déjà été directement visés. En 1990, Judi Bari, militante de Earth First ! a été victime d’un <a href="https://daily.jstor.org/how-judi-bari-tried-to-unite-loggers-and-environmentalists/">attentat à la bombe dans sa voiture</a>. Plus récemment, en 2023, l’écologiste Manuel Esteban Paez Teran, a été <a href="https://reporterre.net/%C3%89tats-Unis-l-ecologiste-tue-par-la-police-a-ete-touche-par-57-balles">tué par balle par la police d’Atlanta</a>.</p>
<p>La situation n’est pas si violente pour les militants de la Crem’Arbre. Mais ils subissent tout de même des pressions violentes qui rappellent celles vécues par les activistes du premier roman d’action directe écologiste « Le gang de la clef à molette » d’Edward Abbey (1975). Les personnages, après avoir été affamés, assoiffés et privés de sommeil, finissent par émerger de leur canyon pour se rendre.</p>
<p>Toutefois, il existe un risque élevé dans la situation actuelle. C’est celui de la mort d’un activiste qui, ne cédant pas à la violence de la répression, mettrait finalement sa vie dans la balance. Thomas Brail l’avait déjà clairement signifié lors d’une intervention des forces de l’ordre : « Si vous continuez, vous aurez ma mort sur la conscience ».</p>
<p>À la célèbre question que posait Paul Watson aux membres de SeaShepherd « Êtes-vous prêt à mourir pour une baleine ? » pourrait désormais se faire entendre en écho :</p>
<blockquote>
<p>« Êtes-vous prêt à mourir pour un arbre ? »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/225471/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>David Porchon ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Alors que les mobilisations contre l’A69 se poursuivent dans les arbres et au sol, il existe un risque significatif d’emballement de la violence. Un phénomène qui n’est pas sans précédent historique.David Porchon, Doctorant en sciences politiques, AgroParisTech – Université Paris-SaclayLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2230182024-02-13T16:57:13Z2024-02-13T16:57:13ZLoin du mythe de l’écologie punitive, la faiblesse des polices de l’environnement
<p><em>Les polices de l’environnement sont la cible de critiques et d’attaques de plus en plus médiatisées. Pourtant, leurs missions, leurs prérogatives et leurs activités restent très peu connues. Les agents de l’Office français de la biodiversité (OFB) n’avaient d’ailleurs fait l’objet d’aucun ouvrage universitaire jusqu’à celui-ci. Les sociologues Léo Magnin, Rémi Rouméas et l’agrégé de philosophie Robin Basier nous y font découvrir les moyens plus que modestes de ses fonctionnaires censés réaliser une tâche colossale : l’OFB dispose seulement de 1700 inspecteurs pour constater et rechercher les infractions environnementales commises sur les 641 000 kilomètres carrés du territoire français</em>. </p>
<p><em>Ajoutez à cela un manque de temps et de formation du côté de la magistrature, des syndicats agricoles qui ont trouvé en la police de l’environnement un adversaire institutionnel de prédilection, et l’idée même d’une écologie punitive devient soudainement très peu en phase avec la réalité du terrain. Extraits choisis de <a href="https://presses.ens.psl.eu/polices-environnementales-sous-contraintes.html">Polices environnementales sous contraintes</a> paru le 2 février 2024 dans la collection « Sciences durables » des éditions Rue d’Ulm</em></p>
<hr>
<p>À en croire une formule répandue, « l’écologie a gagné la bataille des idées ». La métaphore militaire et militante ne nous dit cependant pas grand-chose. D’abord, elle fait l’impasse sur la diversité idéologique des positions sur la question environnementale. Ensuite, elle suppose de manière trompeuse que la politique n’est qu’un bras de fer argumentatif : une fois le combat gagné, la mise en œuvre des idées ne serait plus de la politique mais de l’intendance.</p>
<p>Ce présupposé intellectualiste, qui affirme le primat des idées sur les pratiques, est renforcé par la mise à l’agenda de questions de recherche perçues comme essentiellement spéculatives. Ainsi, des juristes et des philosophes se demandent s’il faut accorder des droits à la nature, ou comment nous devons transformer nos sensibilités. Nous pensons que ces interrogations devraient être renforcées par des investigations empiriques sur l’état actuel de l’application du droit.</p>
<p>Le droit de l’environnement ne doit pas être envisagé uniquement comme un ensemble de textes de lois, mais également comme une activité sociale, notamment une activité de contrôle qui veille à son application. Par conséquent, le fait que l’écologie soit mieux prise en compte dans la doctrine juridique n’est pas nécessairement un gage de sa force. Et ce qui est vrai de la qualité du droit l’est aussi de sa quantité : la multiplication des textes n’est pas une garantie d’une meilleure protection de l’environnement. Ce constat est consolidé par les travaux de science politique qui font état <a href="https://journals.openedition.org/rac/1785?lang=en">d’un écart considérable</a> entre les objectifs environnementaux fixés par le droit et les résultats atteints dans les faits.</p>
<p>Alors que les rapports successifs du <a href="https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/publications/">GIEC</a> et de l’<a href="https://www.ipbes.net/fr">IPBES</a> soulignent l’impérieuse nécessité d’agir, il importe de décrire l’action publique environnementale pour identifier ce qui pourrait enrichir et accélérer sa mise en œuvre. C’est à cet effet que nous avons porté nos regards sur un opérateur décisif et paradoxalement ignoré : la police de l’environnement.</p>
<p>Suivre cette police méconnue nous conduit à une lecture originale des rapports entre politique et environnement. Un grand nombre de débats contemporains tournent en effet autour de la question de la contrainte dans l’application du droit : parce qu’il est avéré que les initiatives individuelles sont insuffisantes, dans quelle mesure l’État peut-il légitimement contraindre les entreprises et les citoyens ? C’est dans ce cadre que les secteurs productifs concernés par les réglementations environnementales développent un discours critique qui fustige l’avènement d’une « écologie punitive ». Ils reprochent ainsi à la puissance publique d’abuser des outils de coercition à sa disposition.</p>
<p>À rebours d’un tel récit, nous développons la thèse suivante : les polices de l’environnement sont plus caractérisées par les contraintes qui les empêchent d’agir que par la force contraignante qu’elles peuvent réellement déployer. Autrement dit, la force de l’action coercitive de l’État en matière environnementale semble largement surévaluée par <a href="https://www.lepoint.fr/societe/comment-l-office-francais-de-la-biodiversite-instrumentalise-la-justice-03-04-2022-2470724_23.php#:%7E:text=Par%20un%20d%C3%A9cret%20du%2016,par%20la%20r%C3%A9daction%20du%20Point.">ses détracteurs</a>, qui passent sous silence les multiples obstacles que les policiers de l’environnement rencontrent dans leur pratique.</p>
<p>[…]</p>
<h2>Des polices de l’environnement aux effectifs modestes et aux missions diverses</h2>
<p>La multiplicité des services de police de l’environnement a pour effet de masquer la modestie de leurs effectifs. Celle-ci apparaît clairement quand le nombre d’agents est rapporté aux éléments naturels qu’ils inspectent. Entre 2007 et 2017, les agents spécialisés dans les milieux aquatiques représentaient 2,5 équivalents temps plein par département, soit un <a href="https://journals.openedition.org/champpenal/9947">équivalent temps plein pour 1 000 kilomètres de rivière</a>. Aujourd’hui, environ 1 500 inspecteurs sont chargés du contrôle de 500 000 installations classées pour l’environnement (ICPE) et 3 100 inspecteurs « eau et nature » doivent constater les infractions environnementales commises sur les 641 000 kilomètres carrés du territoire français.</p>
<p>Parmi ces 4 600 inspecteurs de l’environnement, plus de la moitié appartiennent aux services déconcentrés de l’État (2 650). Les agents restants font partie des établissements publics, principalement de l’OFB (1 700) et, dans une moindre mesure, des parcs nationaux (250). Les effectifs globaux ont peu évolué depuis le milieu du XX<sup>e</sup> siècle alors que les missions de la police se sont diversifiées : le contrôle sur place n’est qu’une activité parmi d’autres et le temps que les agents lui consacrent est limité ; a fortiori dans le cas des contrôles inopinés qui sont parfois restreints par des plans de contrôle interservices établis en amont par les services déconcentrés de l’État.</p>
<p>En pratique, la polyvalence de ces « petites » polices se traduit par le décalage entre le temps passé sur le terrain et celui dévolu aux tâches administratives, à savoir la rédaction de procès-verbaux, d’avis techniques, le transfert des données sur les logiciels dédiés ou encore la réalisation d’auditions. Ce temps mobilisé constitue souvent pour les inspecteurs une contrainte qui les empêche de remplir leurs objectifs de contrôle. Ces tâches de rédaction produisent une surcharge de travail qui peut les inciter à considérer l’engagement d’une procédure comme un dernier recours, une fois que toutes les autres voies moins formalisées (conseils, avertissements informels, avertissements judiciaires, etc.) ont été tentées. Cet état de fait permet de comprendre pourquoi le nombre de procédures environnementales annuelles <a href="https://www.vie-publique.fr/files/rapport/pdf/154000183.pdf">ne dépasse pas la trentaine</a> dans certains départements.</p>
<p>[…]</p>
<h2>La pauvreté du contentieux environnemental dans les tribunaux</h2>
<p>Détruire des colonies d’abeilles par étouffage (R215-3 du code rural), poursuivre le défrichement illicite de bois (L362-2 du code forestier), rejeter des substances en mer (L218-11 du code de l’environnement) exposent les personnes à des amendes de plusieurs milliers d’euros voire à des mois d’emprisonnement. Arguant que les sanctions administratives et la réparation civile ne suffisent pas à discipliner les activités préjudiciables à l’air, au sol, à l’eau et à la faune et la flore, les instances européennes nourrissent beaucoup d’espoir à l’égard de la pénalisation du droit de l’environnement, et ont obligé les États membres à renforcer leur appareil judiciaire. Le droit de l’environnement accumule des textes punitifs, mais le travail des polices de l’environnement mène-t-il à des sanctions ?</p>
<p>Le constat est unanime et ancien quant à la <a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2019-4-page-481.htm">pauvreté du contentieux environnemental dans les tribunaux</a>. Au début des années 1990, la protection de l’environnement ne représentait que <a href="https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/2023-04/stat_infostat034_20081015.pdf">2 % de l’activité des tribunaux correctionnels</a>. Les derniers rapports sur la réponse pénale (2015-2019) ne signalent pas d’inversion de tendance : l’environnement représente désormais <a href="https://www.justice.gouv.fr/sites/default/files/migrations/portail/art_pix/stat_Infostat_182.pdf">moins de 1 %</a> des affaires pénales traitées et moins d’un délinquant environnemental sur dix est jugé en audience classique au tribunal correctionnel. Dans la pratique, les parquets des tribunaux ne se rendent pas toujours compte qu’ils sont concernés par un dossier environnemental parce que les procès-verbaux ne sont pas systématiquement signalés. La voie judiciaire suppose une coopération subtile et rare entre police, parquet et associations constituées parties civiles.</p>
<p>L’environnement se trouve de fait absorbé dans les modes de gestion de masse des tribunaux, traitement caractéristique des <a href="https://journals.openedition.org/champpenal/8715">politiques de « déstockage »</a> et <a href="https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe1-2010-1-page-17.htm">d’accélération de la réponse pénale</a></p>
<p>[…]</p>
<h2>La difficile reconnaissance de l’insécurité environnementale</h2>
<p>La singularité des polices environnementales est qu’elles ne défendent pas un ordre public préexistant, mais qu’elles participent à la construction d’une société durable qui n’existe pas aujourd’hui. Par conséquent, la force de l’ordre établi s’impose aux forces de l’ordre environnemental comme un obstacle à surmonter. Parce qu’elles s’inscrivent dans la thématique « environnement », condamnée à n’avoir qu’un effet résiduel à moins d’une profonde transformation politique, ces polices souffrent d’un empêchement chronique. Nous voyons en elles des polices d’avant-garde, à la fois minoritaires et réformatrices, qui ne peuvent compter sur aucun sens écologique de l’histoire qui jouerait en leur faveur. L’écologisation de nos sociétés n’a rien d’automatique et demeure un processus hautement contingent, sinon un objectif essentiellement discursif.</p>
<p>La faiblesse des polices spéciales de l’environnement s’explique en définitive par le manque de cohérence et de moyens des objectifs politiques que nous nous donnons collectivement. Le pouvoir répressif n’a en réalité pas d’effets notoires s’il n’est pas soutenu par une démarche d’explicitation de l’intérêt général qu’il préserve. La sécurité environnementale n’est aujourd’hui soutenue par aucune campagne massive de sensibilisation, à la différence de la lutte contre le tabagisme ou les accidents de la route, alors même qu’elle repose sur des connaissances rigoureuses. L’interdiction de fumer dans les lieux publics et l’obligation de porter une ceinture de sécurité sont des précédents potentiellement inspirants : dans ces cas, le couple obligation-répression, accompagné d’une communication intensive, a permis une transformation des pratiques à grande échelle. Sommes-nous condamnés à ne prendre en compte l’environnement qu’une fois que la santé humaine est directement attaquée ? En miroir, ce que nous pourrions nommer « l’insécurité environnementale » est pour l’instant une expression tout à fait marginale, au contraire de la notion d’insécurité civile qui légitime l’action des polices généralistes et des risques sociaux auxquels répond la Sécurité sociale. Cette indifférence interroge d’autant plus qu’il est vraisemblable que la généralisation de l’insécurité environnementale, par exemple l’aggravation des sécheresses, entraîne déjà et continuera d’entraîner un accroissement de l’insécurité civile et de l’insécurité sociale.</p>
<hr>
<p><em>Ce livre a été écrit avec Robin Basier, ancien élève de l’ENS de Lyon et agrégé de philosophie</em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/223018/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pour réaliser cette étude, les auteurs ont reçu des financements de l'ENS de Lyon (dispositif Laboratoire junior 2018-2021). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Rémi Rouméas ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces fonctionnaires ont pu faire office de bouc émissaire médiatique. Sur le terrain, leur moyen comme leur effectif restent pourtant modestes. Mais qui sont les polices de l'environnement ?Léo Magnin, Research fellow, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Rémi Rouméas, Docteur en Sociologie , ENS de LyonLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162142024-01-14T16:31:09Z2024-01-14T16:31:09Z« Le corps policier a été secoué par la mort de Nahel »<p><em>L’appel à la grève le <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/pourquoi-les-syndicats-de-la-police-nationale-appellent-a-la-greve-le-18-janvier-2900294.html">18 janvier par plusieurs syndicats policiers</a> dans la perspective des Jeux olympiques de Paris 2024 – après que le ministre de tutelle ait souhaité une mobilisation exceptionnelle – remet en lumière l’importance de ces organisations dans la vie politique française. À l’été 2023, les émeutes et leur gestion avaient donné lieu à diverses <a href="https://www.nouvelobs.com/justice/20230721.OBS76037/mises-en-examen-de-quatre-policiers-reactions-de-leurs-collegues-a-marseille-l-enquete-avance-apres-le-passage-a-tabac-d-hedi.html">mouvements de contestations</a>.</em></p>
<p><em>Marion Guenot, chercheuse en sociologie au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP) nous livre ici son analyse sur l’implication croissante des syndicats sur la scène politique et sur l’importance de l’appartenance syndicale dans l’organisation policière.</em></p>
<hr>
<p><strong>Comment les syndicats travaillent-ils et sont-ils représentatifs des policiers ?</strong></p>
<p><strong>Marion Guenot</strong> : Le fait syndical est particulièrement massif au sein de la police : 77 % de taux de participation <a href="https://www.interieur.gouv.fr/sites/minint/files/medias/documents/2022-12/CP%20R%C3%A9sultats%20-%20%C3%A9lections%20du%20CSA%20MIOM%202022%20.pdf">aux élections professionnelles de 2022</a>. Ces syndicats sont catégoriels, représentant séparément le corps des gardiens de la paix et gradés, celui des officiers et celui des commissaires. Les plus connus sont les syndicats de gardiens et gradés : Alliance police nationale et l’UNSA, qui à la faveur d’une liste commune, représentent désormais 52,7 % du corps ; Unité SGP Police FO qui en représente à elle seule 40,3 %. Trois raisons permettent d’expliquer le succès du syndicalisme chez les policiers.</p>
<p>Les fonctionnaires en exercice sont tenus par un <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2011-1-page-113.htm">devoir de réserve et de loyauté à l’égard de l’institution</a>. Or, les syndicats policiers bénéficient d’une atténuation de ces devoirs : la parole des délégués est plus libre, les locaux syndicaux sont des espaces de débats plus sécurisés que les salles de repos, les réseaux sociaux ou les repas de famille dans certains cas, etc. Au travers des prises de paroles des délégués, ce sont les policiers de terrain qui trouvent un moyen d’expression.</p>
<p>Par ailleurs, le succès du syndicalisme policier s’explique par le fait que les organisations représentatives offrent un <a href="https://www.editions-legislatives.fr/actualite/la-police-un-syndicalisme-a-part/">syndicalisme de service</a> à toutes les étapes de la carrière : cela va du logement pour la première affectation, aux mutations et avancements, en passant par le disciplinaire. En de nombreux cas, le délégué est un canal d’information plus rapide que les canaux institutionnels.</p>
<p>Enfin, là où dans le reste du monde du travail, on a observé une partition entre les syndicats investis dans le travail institutionnel versus les syndicats représentant davantage le <a href="https://www.cairn.info/sociologie-des-syndicats--9782707170125-page-23.htm">mouvement social</a>, les syndicats policiers représentatifs tirent leur légitimité à la fois de l’action institutionnelle et des protestations de rue.</p>
<p><strong>Dans leur communiqué commun, Alliance et l’UNSA qualifiaient en juillet 2023 les émeutiers de <a href="https://www.ouest-france.fr/faits-divers/emeutes-urbaines/emeutes-apres-la-mort-de-nahel-un-communique-de-deux-syndicats-de-police-cree-la-polemique-62ce8cb8-17e1-11ee-a274-cd245df77ae9">« nuisibles »</a> quelques jours après les émeutes ayant suivi le décès du jeune Nahel, abattu par un tir policier lors d’un contrôle. Comment comprendre la position de ces syndicats ?</strong></p>
<p><strong>M. G.</strong> : Il faut bien avoir en tête que le corps policier a été secoué par la mort de Nahel. Plus qu’un bloc, il est traversé par des <a href="https://theconversation.com/quand-les-hommes-en-bleu-debattent-des-gilets-jaunes-125640">débats</a>, voire des disputes en interne.</p>
<p>À l’annonce de la mort de Nahel Merzouk, aucun des syndicats représentatifs que j’ai cités ne s’est exprimé publiquement. Ce n’est que le lendemain, face aux réactions présidentielles, dénonçant un tir « inexcusable » et <a href="https://www.lepoint.fr/politique/mineur-tue-a-nanterre-macron-evoque-un-acte-inexplicable-et-inexcusable-28-06-2023-2526553_20.php">« inexplicable »</a>, qu’ils interviennent pour plaider la <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/mort-de-nahel-des-syndicats-de-police-appellent-a-respecter-la-presomption-d-innocence_AV-202306280680.html">présomption d’innocence</a>, mais sans se prononcer ni sur les circonstances du tir, ni sur le profil de Nahel.</p>
<p>En revanche, dès les premières heures de l’annonce de la mort de l’adolescent, un syndicat non représentatif, France Police, intervient pour féliciter le policier et qualifier Nahel de « racaille ». Proches de Reconquête ! ses porte-parole font courir le bruit que les policiers de terrain pourraient refuser d’intervenir en signe de protestation.</p>
<p>C’est dans ce contexte et au regard de ces rumeurs qu’il faut comprendre les communiqués communs d’Alliance-UNSA, attachés à l’autorité et à l’ordre, ce qui peut être qualifié de position « légitimiste ». Sur un ton dur, ce communiqué s’adresse en fait aux policiers de terrain, pour leur dire que l’heure n’est ni aux protestations collectives ni à l’intervention syndicale sur la base des émeutes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1674749283306749953"}"></div></p>
<p>En même temps, ils avertissent l’autorité politique que la retenue de l’action syndicale se redoublerait d’une forte vigilance une fois le calme revenu dans le pays. Face aux vives émotions générées par les termes employés, ils publient un second communiqué pour affirmer qu’ils défendent <a href="https://www.alliancepn.fr/actualites/communiques-de-presse/3158-explication-de-texte-pour-les-nuls.html">« les valeurs de la république »</a>. L’autre grand syndicat représentatif, Unité SGP Police FO, a pour sa part pris position la semaine suivante dans <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/05/apres-les-emeutes-il-faudra-du-temps-pour-redonner-une-vraie-place-au-policier-dans-la-societe_6180656_3224.html">Le Monde</a> pour dénoncer l’impact des années Sarkozy, de la politique du chiffre et appeler à « reconstruire les rapports police-population ».</p>
<p>Ces prises de position syndicales, légitimiste ou plus critique, font connaître les perceptions variées qu’ont les policiers des évènements en même temps qu’elles les nourrissent.</p>
<p><strong>On a assisté par la suite au lancement d’une cagnotte et d’une manifestation de soutien <a href="https://www.lexpress.fr/societe/cagnotte-pour-la-famille-du-policier-de-nanterre-le-profil-parfois-surprenant-des-donateurs-MIT4JZP5A5AXPFUTW5RWNYGM7Q/">au policier de Nanterre</a> par des soutiens de Reconquête.</strong></p>
<p><strong>M. G.</strong> : Comme en témoigne l’annonce de la <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4043693-20230701-mort-nahel-syndicat-france-police-conteste-dissolution-voulue-gerald-darmanin">dissolution de France Police</a>, ainsi que la plainte en justice pour « apologie de la violence » par le ministre de l’Intérieur, ce discours est pour le moins hors-norme sur le plan professionnel.</p>
<p>Dans le premier temps de l’annonce du décès de Nahel et des vives réactions aux circonstances de celui-ci, j’ai été contactée par des policiers de terrain de tous bords, parmi lesquels des enquêtés, d’autres qui ne me connaissent que par mes travaux et me contactent pour la première fois.</p>
<p>Tous le font pour se livrer sur leur vécu des évènements : la vidéo du tir réveille l’angoisse occasionnée par le fait d’être porteur d’une arme et de potentiellement devoir s’en servir, ne serait-ce qu’en posant la main sur l’étui en intervention. C’est en ce sens qu’ils s’identifient au policier inculpé.</p>
<p>S’il est habituel que les syndicats prennent la défense d’un collègue accusé d’homicide, ces organisations sont aussi le lieu d’un accompagnement personnalisé des auteurs de tirs létaux et non létaux, quelles qu’en soient les circonstances (attentat, légitime défense ou non, accident, etc.), tant sur le plan procédural que sur le plan psychologique.</p>
<p>J’ai pu observer comment, dans l’entre-soi du syndicat et de la collégialité policière, une prise en charge émotionnelle prend place. J’en conclus donc de façon empirique que loin d’être un acte anodin ou valorisé, ouvrir le feu sur une personne est au contraire lourd de conséquences sur le plan psychique. Il n’en demeure pas moins que comme n’importe qui, les policiers portent un jugement sur ce qui s’est passé, avec des avis qui diffèrent sur le tir en tant que tel. Mais la mort de Nahel est en tout état de cause perçue comme dramatique.</p>
<p><strong>Après l’affaire <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/affaire-hedi-3-questions-sur-les-images-de-videosurveillance-revelees-par-mediapart-2849549.html">Hedi à Marseille</a>, les policiers ont entamé une « grève », soutenue par les syndicats, pour protester collectivement contre la détention de l’un des policiers marseillais. Ils ont reçu le soutien du directeur général de la police nationale, <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/07/28/marseille-du-jeune-homme-grievement-blesse-aux-propos-de-darmanin-chronologie-de-la-crise-dans-la-police_6183346_4355771.html">puis du ministre de l’Intérieur</a>. Le politique est-il soumis aux syndicats ?</strong></p>
<p><strong>M. G.</strong> : Comme le rappelle l’historien <a href="https://www.jstor.org/stable/3779157">Jean-Marc Berlière</a>, les protestations policières ne sont pas celles de la classe ouvrière, au sens où les désordres policiers menacent l’ordre et l’autorité politique dans ses fondements.</p>
<p>Il y a donc une nette tendance, chez les gouvernements successifs, à « bichonner » les syndicats. Et ce, d’autant plus que le corps policier, dans la période récente, fût considérablement sollicité (attentats et état d’urgence, « gilets jaunes », mouvement des retraites en 2019 et 2023, confinements, émeutes, coupe du monde de rugby…).</p>
<p>Mais il faut garder à l’esprit que le pouvoir politique ne se prive pas de mettre en œuvre des réformes fortes impopulaires, en faisant fi des <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/reforme-de-la-pj-une-mobilisation-generale-prevue-le-16-mars_5705246.html">vives contestations</a> ; que des combats syndicaux anciens, comme celui sur les lourdeurs bureaucratiques du métier, n’ont à ce jour toujours pas trouvé de débouchés. Enfin, certains dossiers revendicatifs syndicaux fort riches (par exemple, sur la condition du policier de nuit) ne trouvent <a href="https://journals.openedition.org/temporalites/11199">pas d’autres réponses que le simple déblocage de primes</a>.</p>
<p>Ainsi, seul le temps long nous permettra de dire si ces protestations seront la source d’une transformation radicale de la place du policier mis en cause dans la procédure pénale, au-delà de l’affichage d’un soutien de principe sur le moment.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216214/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marion Guenot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>De la mort de Nahel au récent appel à la grève ce 18 janvier 2023, Marion Guenot nous livre son analyse de l’implication des syndicats de police sur la scène politique.Marion Guenot, Chercheuse titulaire au Centre de recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2202362024-01-11T16:42:04Z2024-01-11T16:42:04ZOn peut accéder à votre smartphone à votre insu… à quelles conditions est-ce légal ?<p>Il est assez fréquent d’entendre parler de compromission de smartphones aujourd’hui : ces intrusions permettent d’accéder aux données qui sont stockées sur le téléphone, ou d’y implanter un logiciel espion. Aujourd’hui, c’est en fait la complexité des smartphones qui les rend si vulnérables aux intrusions (architecture, fonctionnement) et si difficiles à sécuriser complètement d’un point de vue technique.</p>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/derriere-pegasus-le-mode-demploi-dun-logiciel-espion-164742">scandale Pegasus</a> a révélé en 2021 au grand public que des intrusions ou attaques de téléphones peuvent se faire à distance, quand elles ont été utilisées contre des journalistes (de Mediapart notamment) pour le compte de gouvernements étrangers. Même <a href="https://www.wired.com/story/bezos-phone-hack-mbs-saudi-arabia/">Jeff Besos</a>, le CEO d’Amazon, aurait été piraté à distance par une simple vidéo envoyée via la messagerie WhatsApp.</p>
<p>À l’inverse, l’exploitation de failles dans des téléphones sécurisés destinés aux criminels permet aussi aux forces de l’ordre de démanteler d’importants réseaux criminels – c’est le cas par exemple dans <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/30/encrochat-sky-ecc-a-bruxelles-ouverture-d-un-mega-proces-de-trafiquants-de-drogue_6180005_3210.html">l’affaire EncroChat</a> dont les procès sont en cours.</p>
<p>Ces exemples illustrent la tension permanente entre le besoin d’accéder aux données protégées pour des enquêtes menées afin de protéger des citoyens, et le besoin de protéger les citoyens contre les abus de ces accès. Alors, faut-il sécuriser au maximum les téléphones d’un point de vue technique, ou au contraire aménager des « portes dérobées » pour les services de police et de renseignement ?</p>
<h2>Qui a – et aura – le droit de pénétrer dans les smartphones ?</h2>
<p>En France, le code de procédure pénale et le code de la sécurité intérieure autorisent respectivement les services de police judiciaire et les services de renseignement à capter les données informatiques, c’est-à-dire à récupérer des informations telles qu’elles apparaissent sur l’écran d’une personne (ou sur des périphériques externes), sans qu’elle en soit informée.</p>
<p>Depuis la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000038261631">loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice</a>, il est même possible d’utiliser des moyens de l’État soumis au secret de la défense nationale afin d’enregistrer, de conserver ou de transmettre les données telles qu’elles sont stockées dans un système informatique. À cela s’ajoute la possibilité pour l’État de mandater des experts – en l’occurrence des sociétés privées spécialisées – afin de pénétrer dans lesdits systèmes.</p>
<p>En 2023, le Gouvernement a tenté une nouvelle fois d’accroître les moyens à la disposition des forces de police en insérant dans le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000047538699/">projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la Justice 2023-2027</a> une disposition relative à l’activation à distance des appareils électroniques à l’insu de leur propriétaire ou de leur possesseur afin de procéder à leur localisation en temps réel, à l’activation du micro ou de la caméra et à la récupération des enregistrements.</p>
<p>Cette disposition très <a href="https://www.laquadrature.net/2023/05/31/transformer-les-objets-connectes-en-mouchards-la-surenchere-securitaire-du-gouvernement/">controversée</a> a été en partie censurée par le Conseil constitutionnel le 16 novembre 2023. Celui-ci a considéré que l’activation à distance du micro ou de la caméra d’un appareil électronique porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, notamment parce qu’elle permet <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2023/2023855DC.htm">d’écouter ou de filmer des tiers qui n’ont aucun lien avec l’affaire en cours</a>.</p>
<p>Seule a été déclarée conforme à la Constitution la possibilité de géolocaliser en temps réel une personne grâce à l’activation à distance de son téléphone ou de tout autre appareil informatique tels que des tableaux de bord de véhicule.</p>
<h2>Comment les intrusions sont-elles possibles techniquement ?</h2>
<p>Indépendamment de la légalité d’une telle action, on peut pénétrer techniquement dans un smartphone en exploitant ses « vulnérabilités », c’est-à-dire en utilisant les <a href="https://ieeexplore.ieee.org/document/7546516">failles existantes au niveau matériel ou logiciel</a>.</p>
<p>L’exploitation des vulnérabilités est aujourd’hui protéiforme, tant les intrusions sont multiples et concernent plusieurs niveaux. Les attaques peuvent être effectuées à distance, à travers le réseau, ou directement sur le téléphone si celui-ci est accessible physiquement, par exemple un téléphone saisi lors d’une perquisition. Dans ce cas, les attaquants utilisent par exemple une <a href="https://ieeexplore.ieee.org/document/9581247">« attaque par canal auxiliaire »</a> (la consommation électrique d’un téléphone peut notamment révéler des informations) ; créent des erreurs artificielles (par <a href="https://doi.org/10.1016/j.cose.2021.102471">« injection de fautes »</a>), ou attaquent physiquement les cartes à puces ou microprocesseurs. Ces attaques permettent de récupérer les clefs de chiffrement qui permettent d’accéder aux données de l’utilisateur stockées sur le téléphone. C’était le sujet par exemple du projet européen <a href="https://exfiles.eu/">EXFILES</a>.</p>
<p>Si l’on progresse dans les <a href="https://theconversation.com/objets-connectes-quels-risques-pour-la-protection-de-la-vie-privee-et-que-peut-on-y-faire-208118">couches du téléphone</a>, il est possible d’exploiter les failles des systèmes d’exploitation des téléphones (leurs bugs, en d’autres termes). Plus un système est complexe et a de fonctionnalités, plus il est difficile de le sécuriser, voire de <a href="https://doi.org/10.22667/JOWUA.2015.09.31.003">définir les propriétés de sécurité attendues</a>.</p>
<p>Par ailleurs, dans la plupart des cas, une attaque ne suffit pas à elle seule à s’introduire dans le téléphone cible, c’est pourquoi un <a href="https://www.darkreading.com/application-security/operation-triangulation-spyware-attackers-bypass-iphone-memory-protections">exploit moderne</a> combine de nombreuses <a href="https://securelist.com/trng-2023/">vulnérabilités et techniques de contournement des contre-mesures présentes</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/objets-connectes-quels-risques-pour-la-protection-de-la-vie-privee-et-que-peut-on-y-faire-208118">Objets connectés : quels risques pour la protection de la vie privée, et que peut-on y faire ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Enfin, les intrusions peuvent cibler les applications installées sur le smartphone ou les protocoles de communication. Dans ce cas, ce sont des phases critiques de l’utilisation des applications qui sont visées : comme la négociation des clés, l’appairage des appareils ou encore les mises à jour des <em>firmwares over-the-air</em>. Par exemple, en 2019, l’équipe <a href="https://googleprojectzero.blogspot.com/2019/08/the-fully-remote-attack-surface-of.html">« Project Zero »</a> de Google a découvert des <a href="https://googleprojectzero.blogspot.com/2019/08/the-fully-remote-attack-surface-of.html">vulnérabilités exploitables à distance sur les iPhones</a> (pourtant réputés pour leur bon niveau de sécurité), qui permettaient de prendre le contrôle du téléphone avec un simple SMS.</p>
<p>Comme cette équipe, de nombreux chercheurs et fabricants découvrent et rapportent les vulnérabilités simplement pour qu’elles soient corrigées. En revanche, d’autres entreprises en tirent bénéfice en créant des « exploits » – des ensembles de vulnérabilités et techniques complexes, qui permettent d’exploiter les téléphones contre leurs utilisateurs et sont vendus au plus offrant – États compris, pour des sommes pouvant atteindre <a href="https://www.pcmag.com/news/iphone-hacks-are-flooding-the-market-says-ios-exploit-buyer">plusieurs millions d’Euros</a>.</p>
<h2>Faut-il sécuriser davantage ou au contraire aménager des « portes dérobées » ?</h2>
<p>En 10 ans, le niveau de sécurité a considérablement évolué. Les opérateurs privés multiplient les mesures techniques pour s’assurer d’un niveau de sécurité de plus en plus élevé, avec de <a href="https://security.googleblog.com/2022/12/memory-safe-languages-in-android-13.html">nouveaux langages de programmation</a> par exemple, ou des modes à haut niveau de sécurité, comme le mode <a href="https://support.apple.com/en-us/105120">« lockdown » sur les iPhones</a>, qui désactivent de nombreuses fonctionnalités, et réduisent donc la <a href="https://doi.org/10.1109/TSE.2010.60">« surface d’attaque »</a>.</p>
<p>Pourtant, il est impossible de proposer des systèmes complexes et sûrs à 100 %, notamment parce que le facteur humain existera toujours. Dans certains cas, le téléphone peut être compromis de manière complètement transparente pour l’utilisateur, c’est une attaque « zéro clic ». Dans d’autres, l’intervention de l’utilisateur reste nécessaire : cliquer sur un lien ou ouvrir une pièce jointe est considérée comme une attaque « un clic ». En tout état de cause, la <a href="https://doi.org/10.1145/3469886">ruse</a>, la contrainte physique, psychologique ou <a href="https://www.courdecassation.fr/toutes-les-actualites/2022/11/07/code-de-deverrouillage-dun-ecran-de-telephone-et-cryptologie">juridique</a> reste bien souvent un moyen efficace et rapide d’accéder aux données.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="illustration humoristique montrant ce qui se passe dans l’imagination d’un geek et ce qui se passe en vrai" src="https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/568574/original/file-20240110-19-bvuj4z.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=457&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Les faiblesses humaines représentent parfois le maillon faible le plus facile à exploiter dans une cyberattaque.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://xkcd.com/538">xkcd</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les difficultés croissantes à pénétrer les smartphones poussent les services de police, notamment par la voix de leur <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/10/20/casser-le-chiffrement-des-messageries-un-serpent-de-mer-politique-inapplicable_6195665_4408996.html">ministre</a> en octobre 2023, à demander régulièrement la mise en place de « portes dérobées » (ou <a href="https://inria.hal.science/hal-01889981/document">« backdoors »</a>) qui permettent de donner un accès privilégié aux téléphones.</p>
<p>Ainsi, dans les années 90, la NSA souhaitait imposer aux fabricants et opérateurs de télécommunication une puce de chiffrement, le <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/Clipper_chip">« Clipper Chip »</a>, qui incluait une telle porte dérobée permettant aux services de renseignement de déchiffrer les communications.</p>
<p>Dans la même veine, les forces de police contactent parfois les fabricants pour qu’ils leur donnent un accès à l’équipement, ce qui occasionne des tensions avec les opérateurs privés. En 2019, <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/01/17/deverrouillage-des-telephones-la-justice-americaine-relance-son-offensive-contre-apple_6026191_3234.html">Apple avait refusé un tel accès au FBI</a>, qui avait fini par utiliser une attaque matérielle sur le téléphone en question.</p>
<p>Plus récemment, en novembre 2023, de nombreux chercheurs s’opposaient à un article du règlement européen eIDAS qui forcerait les navigateurs à <a href="https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/11/02/inquietudes-autour-d-un-reglement-europeen-sur-la-securite-des-navigateurs-web_6197816_4408996.html">inclure des certificats imposés par les gouvernements</a> européens. De tels certificats permettraient d’intercepter les communications sécurisées (HTTPS) des citoyens, sans que les éditeurs de navigateurs ne puissent révoquer ces certificats s’ils étaient utilisés de manière abusive.</p>
<p>Nous pensons que réduire la sécurité des systèmes en y introduisant des portes dérobées nuit à la sécurité de tous. Au contraire, augmenter la sécurité des smartphones protège les citoyens, en particulier dans les pays où les libertés individuelles sont contestées.</p>
<p>Si la <a href="https://www.aclu.org/news/national-security/the-privacy-lesson-of-9-11-mass-surveillance-is-not-the-way-forward">surveillance de masse</a> et l’insertion de <a href="https://www.aclu.org/news/privacy-technology/7-reasons-government-backdoor-iphone-would-be-catastrophic">backdoors</a> dans les produits sont un danger pour la démocratie, est-ce qu’exploiter des vulnérabilités existantes serait un moyen plus « démocratique » de collecte des informations à des fins judiciaires ? En effet, ces techniques sont nécessairement plus ciblées, leur coût élevé… et si ces failles sont exploitées massivement elles sont rapidement détectées et corrigées. Avec la constante augmentation de la sécurité des téléphones, jusqu’à quand cela sera-t-il économiquement possible pour les services de police et judiciaires ?</p>
<p>En effet, bien que l’élimination de toutes les vulnérabilités soit sans doute illusoire, est-ce que le coût de leur découverte et de leur <a href="https://www.cpomagazine.com/cyber-security/russian-firm-looks-to-corner-the-market-on-mobile-zero-day-exploits-with-standing-offer-of-up-to-20-million/">exploitation devient exorbitant</a> ou bien est-ce que l’évolution des techniques de <a href="https://www.mandiant.com/resources/blog/time-to-exploit-trends-2021-2022">découverte de vulnérabilités permettra de réduire leur cout</a> ?</p>
<hr>
<p><em>Le PEPR Cybersécurité et son projet <a href="https://www.pepr-cybersecurite.fr/projet/rev/">REV</a> (ANR-22-PECY-0009) sont soutenus par l’Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance en France la recherche sur projets. Elle a pour mission de soutenir et de promouvoir le développement de recherches fondamentales et finalisées dans toutes les disciplines, et de renforcer le dialogue entre science et société. Pour en savoir plus, consultez le site de l’<a href="https://anr.fr/">ANR</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220236/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Aurélien Francillon a reçu des financements de l'ANR, la commission Européenne, l'US AIR Force Research Labs, Siemens, Amadeus, SAP, Google.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Noémie Véron a reçu des financements de l'ANR. </span></em></p>Il est possible d’accéder à distance aux informations d’un téléphone via des « portes dérobées », mais c’est légal dans des conditions bien spécifiques – et débattues.Aurélien Francillon, Professeur en sécurité informatique, EURECOM, Institut Mines-Télécom (IMT)Noémie Véron, Maître de conférences en droit public, Université de LilleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2185702023-12-12T16:15:39Z2023-12-12T16:15:39ZProjet Montréal continue d’augmenter le budget de son service de police. Voici pourquoi<p>En novembre, Projet Montréal a présenté son budget pour 2024. Certains auront une impression de déjà-vu. Comme l’an dernier, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) s’apprête à dépasser son budget d’au moins <a href="http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/COMMISSIONS_PERM_V2_FR/MEDIA/DOCUMENTS/PR%C9SENTATION_SPVM_BUDGET2024_20231110.PDF">36,9 millions de dollars</a>. </p>
<p>Une fois de plus, Projet Montréal se contente de couvrir les dépenses extraordinaires du SPVM et d’augmenter son budget pour l’année à venir — tout en demandant à la Société de transport de Montréal (STM) de combler son déficit budgétaire en réduisant ses dépenses en 2024.</p>
<p>Mes recherches portent sur les politiques de sécurité publique dans les villes canadiennes. J’ai ainsi suivi l’évolution des budgets des dix plus grandes polices urbaines du Canada au cours des cinq dernières années. Les résultats de cette recherche, j’espère, permettront de placer le débat budgétaire actuel à Montréal dans un contexte plus large.</p>
<h2>De plus en plus d’argent pour la police</h2>
<p>Les largesses de Projet Montréal à l’égard de la police n’est pas nouvelle. Au cours des cinq dernières années, le SPVM a dépassé son budget de <a href="https://theconversation.com/canadian-cities-continue-to-over-invest-in-policing-217344">35,7 millions de dollars par année</a>. Au total, ce sont 178,6 millions de dollars que le SPVM s’est octroyé — une somme que la Ville aurait pu consacrer à d’autres priorités.</p>
<p>Aucune autre grande ville du Canada ne permet de tels dépassements budgétaires. Celle qui s’en rapproche le plus est Vancouver, qui tolère que son service de police excède son budget de <a href="https://theconversation.com/canadian-cities-continue-to-over-invest-in-policing-217344">2,5 millions de dollars par année</a> — soit 15 fois moins.</p>
<p>Projet Montréal a également octroyé des augmentations budgétaires sans précédent au SPVM. La majoration de 45 millions de dollars du budget du SPVM en 2022 était la plus importante de l’histoire de la Ville, jusqu’à ce que l’augmentation de 60 millions de dollars pour 2023 établisse un nouveau record. Il s’agit là aussi d’un cas unique au Canada. Depuis 2020, <a href="https://theconversation.com/canadian-cities-continue-to-over-invest-in-policing-217344">Montréal a injecté plus d’argent frais dans la police que n’importe quelle autre grande ville canadienne</a> — 35 millions de dollars de plus que Toronto, la deuxième ville la plus dépensière.</p>
<p>En octroyant au SPVM une nouvelle augmentation dans le budget municipal 2024, une somme de 35 millions de dollars, Projet Montréal continue à agir comme la division de collecte de fonds de la police.</p>
<h2>Le transport en commun, le grand perdant</h2>
<p>Ces dépenses sont difficiles à défendre, et Projet Montréal a fait très peu d’efforts pour les justifier. </p>
<p>De son côté, le SPVM fournit des excuses. Au cours des trois dernières années, il évaluait que le service <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2023-11-27/spvm/deux-fois-plus-de-temps-supplementaire-que-prevu-en-2023.php">manquait d’effectifs et devait recourir aux heures supplémentaires</a> (beaucoup plus coûteuses) pour combler le manque de ressources. Pourtant, Montréal est la ville qui compte déjà le <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2020001/article/00015-fra.htm">plus de policiers par habitant au Canada</a>. D’autres services de police (notamment celui de Toronto) accumulent <a href="https://theconversation.com/canadian-cities-continue-to-over-invest-in-policing-217344">plus d’heures supplémentaires, tout en respectant leur budget</a>.</p>
<p>Il est par ailleurs encore plus difficile d’expliquer comment le SPVM n’a pas réussi à embaucher les 124 policiers supplémentaires en 2023 — l’estimation la plus optimiste est une <a href="https://www.journaldemontreal.com/2023/12/04/spvm-enfin-une-annee-ou-le-recrutement-fonctionne">augmentation de 80 à 90 policiers</a> — mais qu’il a quand même dépassé son budget et veut maintenant une autre augmentation pour embaucher 107 policiers de plus.</p>
<p>Il est peut-être ironique que Projet Montréal prétende prioriser le transport en commun — la « ligne rose » étant l’une de ses principales promesses lors de l’élection de 2017 — alors que l’administration municipale force la STM à réduire ses dépenses et ses effectifs, tout en redistribuant au SPVM les économies ainsi réalisées. </p>
<p>En 2023, la STM a été forcée de <a href="https://montrealgazette.com/news/local-news/montreal-budget-stm-finances">réaliser 51,6 millions de dollars d’économies</a>, alors que le SPVM a été autorisé à augmenter ses dépenses de 65 millions de dollars. Au cours de la prochaine année, la STM sera forcée de <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/grand-montreal/2023-11-15/transport-collectif/la-stm-devra-supprimer-120-postes-pour-eviter-le-pire.php">réduire ses dépenses d’encore 50 millions de dollars</a>, alors que le SPVM sera autorisé à augmenter ses dépenses de 35 millions de dollars. Résultat : <a href="https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/803010/transport-collectif-bus-bondes-usagers-insatisfaits-repentigny">250 effectifs de moins pour le STM</a> et 107 de plus pour le SPVM.</p>
<h2>Des alternatives à la police</h2>
<p>On pourrait rétorquer que la sécurité publique est une dépense essentielle, car des vies sont littéralement en jeu. Mais la sécurité publique n’est pas qu’une question de police. Ce qui distingue Montréal des autres grandes villes dans son approche est son incapacité de considérer comment les investissements dans d’autres services et programmes peuvent mieux prévenir la violence, mieux répondre à certaines catégories d’appels au 911 et, en fin de compte, donner moins de travail à la police. </p>
<p>À Toronto, par exemple, le <a href="https://www.toronto.ca/wp-content/uploads/2023/01/8e71-Toronto-Community-Crisis-Service-Jan-2023-Evaluation-Reportaccessible.pdf">Community Crisis Service</a> a été lancé en 2022 comme réponse non policière aux appels d’urgence impliquant la santé mentale. Ce service fait appel à des professionnels de la santé, qui relèvent généralement de la compétence des provinces, mais est <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/toronto/toronto-community-crisis-service-report-expansion-city-council-committee-1.7007108">financé par la Ville</a> au motif qu’il permet de réduire le recours à la police. Montréal pourrait bien suivre l’exemple de Toronto, ce que le <a href="https://www.ledevoir.com/politique/montreal/772079/fady-dagher-promet-un-equilibre-entre-la-repression-et-la-prevention?">directeur du SPVM, Fady Dagher, semble soutenir</a>.</p>
<p>Fady Dagher soutient aussi, par ailleurs, les demandes de la communauté de <a href="https://journalmetro.com/actualites/montreal/3115353/le-spvm-voudrait-reduire-sa-presence-dans-les-ecoles/">retirer les policiers « socio-communautaires » des écoles</a>, où leur présence cause un sentiment d’insécurité à de nombreux élèves. La Ville pourrait saisir cette opportunité et réaffecter l’argent actuellement alloué aux « socio-comms » à des professionnels mieux outillés à répondre aux besoins des élèves. C’est d’ailleurs ce qu’ont fait les écoles de Toronto, d’Hamilton, d’Ottawa et de Vancouver.</p>
<p>Parmi les nombreuses questions que nous devrions poser pendant cette saison budgétaire, est celle de savoir si Projet Montréal croit que le SPVM devrait avoir un plus grand rôle dans la ville — ou si on pourrait finalement mettre un terme à son sur financement.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218570/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ted Rutland a reçu des financements de Conseil de recherches en sciences humaines.</span></em></p>Le Service de police de la Ville de Montréal s’apprête à dépasser son budget encore une fois cette année. Aucune autre grande ville du Canada ne permet de tels dépassements budgétaires.Ted Rutland, Associate professor, Geography, Planning and Environment, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162932023-11-12T16:21:29Z2023-11-12T16:21:29ZÀ La Réunion, des Sri Lankais victimes des déficiences de la politique migratoire<p>Le 7 octobre, le jeune Sri-Lankais Rusgan est <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/rusgan-le-migrant-sri-lankais-expulse-par-erreur-a-ete-reconduit-par-avion-a-la-reunion-1434017.html">rentré par avion à La Réunion</a> après en avoir été <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/a-la-reunion-un-migrant-sri-lankais-renvoye-par-charter-vers-son-pays-avant-meme-son-passage-au-tribunal-1429223.html">expulsé le 18 septembre</a>, en compagnie de six autres migrants, via un vol spécialement affrété à destination de Colombo. </p>
<p>Ce cas illustre les défaillances d’une politique migratoire visant systématiquement les expulsions des migrants à La Réunion, peu en importe le <a href="https://imazpress.com/actus-reunion/migrants-sri-lankais-le-voyage-vers-leldorado-coute-cher-en-expulsion">coût</a>, et témoigne d’un flux migratoire inédit pour l’île.</p>
<p>Jusqu’en 2018, la question de l’asile dans l’outre-mer français de l’océan indien était mécaniquement associée à Mayotte. Selon le <a href="https://www.ofpra.gouv.fr/libraries/pdf.js/web/viewer.html?file=/sites/default/files/2023-07/OFPRA_RA_2022_WEB%20-%20m%C3%A0j%2007.pdf">rapport de l’OFPRA</a> de 2022, la demande d’asile dans l’océan Indien, qui représente 49 % de la demande outre-mer, est, en effet, en quasi-totalité accueillie à Mayotte. </p>
<p>Les Comoriens constituent plus de 50 % des demandeurs, suivis par les ressortissants malgaches (21 %) et, à hauteur de 25 %, ceux originaires de la région des Grands Lacs (Burundi, Rwanda, République démocratique du Congo). Les médias ont d’ailleurs progressivement fait des <a href="https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2020-1-page-39.htm"><em>kwassa-kwassa</em></a>, ces canots utilisés par les Comoriens pour rejoindre illégalement l’archipel, une image d’Épinal de ces flux.</p>
<p>La Réunion accueille certes des flux migratoires en provenance de Madagascar, des Comores et de Maurice (<a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/6536241/re_ina_74.pdf">parmi les immigrés, 43 % sont nés à Madagascar, 20 % à Maurice et 14 % aux Comores</a>), mais la part des étrangers et des immigrés au sein de la population reste significativement moins élevée que celle de la moyenne nationale et elle est inférieure à celles de toutes les régions françaises. Par ailleurs, en 2017, la Réunion n’avait reçu que 11 demandes d’asile : d’Afrique du Sud, du Burundi, des Comores, d’Inde et du Pakistan.</p>
<h2>La Réunion, nouvelle terre d’asile pour des migrants sri-lankais</h2>
<p>C’est l’arrivée d’un radeau rassemblant <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/6-marins-sri-lankais-secourus-au-large-reunion-571373.html">six Sri-Lankais</a>, sans doute mis à l’eau par un bateau au large de la station balnéaire de Saint-Gilles, qui a fait émerger la Réunion sur la carte des destinations d’asile en 2018.</p>
<p>Spectaculaire dans sa forme mais faible en nombre, cette arrivée par la mer a provoqué l’émoi mais peu d’oppositions concernant la nécessité d’accueil. Elle a été suivie de plusieurs bateaux qui effectuaient, selon les ports de départ, une traversée d’une durée de 18 à 21 jours. Accueillant principalement des hommes célibataires âgés de 25 à 35 ans, ces embarcations provenaient dans la plupart des cas de Sri Lanka, même si certaines avaient transité par Maurice ou par Diego Garcia, atoll de l’archipel des Chagos, quand d’autres étaient parties directement d’Indonésie.</p>
<p>L’image des bateaux de pêche – dont certains en bois – souvent surchargés, a eu un impact fort dans les médias locaux et dans les représentations des habitants. Certains médias nationaux ont même qualifié ces migrants de <a href="https://www.liberation.fr/societe/a-la-reunion-moult-ecueils-pour-les-boat-people-sri-lankais-20230305_H2K6JKR3TJDMVPZ4F3WAXVXIWA/">boat people</a>.</p>
<p>Entre mars 2018 et février 2023, ce sont au total 12 bateaux qui se sont succédé. Parmi eux, le 13 avril 2019, 123 personnes ont débarqué en provenance d’Indonésie, après 21 jours en mer, dont 120 personnes de nationalité sri-lankaise et 3 Indonésiens (le capitaine et les mécaniciens). Malgré un coup d’arrêt pendant la pandémie de Covid-19, ce sont finalement 484 Sri-Lankais qui sont arrivés à La Réunion, dont 267 ont été reconduits au sein de leur pays et 27 qui ont opté pour l’aide au retour volontaire (situation au 19 octobre 2023). Parmi les 190 Sri-Lankais encore sur le territoire fin octobre 2023, une minorité a vu leur demande d’asile accordée, d’autres sont en attente de décision car la procédure est en cours, et une dernière catégorie est sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF).</p>
<p>Au sein des familles auprès desquelles nous avons enquêté à la Réunion en octobre 2023, la stratégie migratoire décrite est souvent similaire : le chef de famille part en premier à Jakarta, tente de trouver un logement en colocation avec d’autres coreligionnaires, puis y fait venir sa famille.</p>
<p>Le déplacement s’effectue en avion, car il n’y a pas besoin de visa pour les ressortissants sri-lankais se rendant en Indonésie. Une fois à Jakarta, l’objectif est pour ces familles de pouvoir se faire enregistrer au sein du UNHCR afin d’obtenir une protection internationale et, à terme, le statut de réfugié : en 2021, le <a href="https://reporting.unhcr.org/sites/default/files/Indonesia%20Statistical%20Report%20June%202021.pdf">UNHCR</a> de Jakarta avait procédé à l’enregistrement de 468 Sri-Lankais. C’est d’ailleurs en face du bureau du UNHCR que les personnes enquêtées à La Réunion racontent avoir été approchées par un homme qui leur a parlé de l’existence d’un bateau qui quitterait le port pour la Nouvelle-Zélande et/ou l’Australie. Ce n’est qu’en mer et après avoir payé une somme importante (jusqu’à 10 000 euros pour les familles) que les migrants ont compris qu’elle serait leur véritable destination.</p>
<p>Rien ne préparait l’île de La Réunion, les institutions, les avocats et les associations à ce flux migratoire inédit quant à l’origine géographique des demandeurs d’asile, aux modes d’arrivée sur l’île et au type de bateau usité.</p>
<h2>Des vagues d’émotions simultanées et contradictoires</h2>
<p>En visibilisant les phénomènes migratoires, ces arrivées ont provoqué plusieurs vagues d’émotions, dont des <a href="https://freedom.fr/46-migrants-sri-lankais-reconduits-ce-vendredi-70-autres-pourraient-debarquer-ce-samedi/">réactions xénophobes</a> parfois <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/01/17/a-la-reunion-les-migrants-sri-lankais-sujets-de-tensions-locales-et-de-trouble-entre-france-et-royaume-uni_6158229_823448.html">instrumentalisées politiquement</a> sur les réseaux sociaux. Ces faits sont souvent intensifiés par un <a href="https://www.insee.fr/fr/statistiques/6692469">taux de pauvreté</a> élevé sur l’île et par le sentiment que l’urgence n’est pas l’accueil de ces populations, mais ils ont tout de même mis en mouvement différentes associations de solidarité.</p>
<p>La <a href="https://www.lacimade.org/regions/ocean-indien/">CIMADE</a>, la <a href="https://www.fondation-abbe-pierre.fr/actualites/ile-de-la-reunion">Fondation Abbé Pierre</a>, le <a href="https://reunion.secours-catholique.org/">Secours catholique</a>, <a href="https://www.medecinsdumonde.org/">Médecins du monde</a> et l’<a href="http://www.anafe.org/">Anafé</a> se sont mobilisées, alors que s’organisaient des associations citoyennes telles que Ansamb Oi (ou ensemble océan indien), la Fédération des associations tamoules ou Réunion Solidarité Migrants, toutes bénéficiant de dons individuels ou d’aides organisées autour des temples hindous.</p>
<p>On aurait pu croire cette solidarité mécanique, du fait d’une part importante du peuplement d’ascendance indienne de la Réunion (environ ¼ de la population de l’île). Mais cette population d’origine indienne est elle-même <a href="https://www.persee.fr/doc/homig_1142-852x_2008_num_1275_1_5122">clivée</a> entre ceux qui revendiquent l’appellation de « Malbars » et ceux qui la rejettent car la jugent connotée par <a href="https://journals.openedition.org/oceanindien/1970">l’engagisme</a> et lui substituent celle de « Tamouls ».</p>
<h2>Une réaction tardive de l’État</h2>
<p>Dépassé par ces arrivées, l’État a été confronté à l’absence de tout dispositif national d’accueil (<a href="https://www.immigration.interieur.gouv.fr/Asile/Guide-du-demandeur-d-asile-en-France">DNA</a>). Ce dispositif doit accompagner les demandeurs d’asile dès leur inscription à la préfecture, en leur présentant le parcours qu’ils vont rencontrer et les différentes options qui vont s’offrir à eux, jusqu’à leur hébergement dans des structures de type Structure de Premier Accueil du Demandeur d’Asile (SPADA) ou de Centre d’Accueil pour Demandeurs d’Asile (CADA), et à l’obtention – ou non – de documents leur permettant de rester sur le territoire national. Les avocats spécialistes du droit d’asile, également peu nombreux lors des premières arrivées, se sont progressivement structurés par la création de la « permanence des étrangers » au sein du barreau du chef-lieu de l’île, Saint-Denis, pour assurer la défense des requérants.</p>
<p>Lors d’échanges en octobre 2023, plusieurs de ces avocats nous ont dit rencontrer des obstacles pour mener à bien leur travail, que ce soit dans l’accès aux zones d’attentes qui ont été créées en urgence, en étant prévenus tardivement des interpellations de Sri-Lankais, ou encore en faisant face à des juges expéditifs qui les poussent à présenter de nombreux recours ou appels. Ils n’étaient alors toujours pas payés par le fond d’aide juridictionnelle, l’organe du ministère de la Justice voué à financer ce type de procédures.</p>
<p>Une autre difficulté a été liée à l’hébergement des demandeurs d’asile sri-lankais : jusqu’à présent, comme les demandes d’asile étaient peu nombreuses à La Réunion, c’est le SAMU social, l’organisme voué à trouver des logements d’urgence pour les personnes sans-abris via le numéro téléphonique 115, qui s’en occupait.</p>
<p>Avec l’arrivée des Sri-Lankais, la prise en charge des demandeurs d’asile, obligatoire pour l’État français (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070158/LEGISCTA000042772424/">Code de l’entrée et du séjour des étrangers du droit d’asile</a>) s’est faite dans le désordre.</p>
<p>En effet, une fois la décision de libération prise par le juge des libertés, les demandeurs d’asile ne sont plus sous la responsabilité du préfet, ce qui annule leur prise en charge dans la zone d’attente. C’est ainsi que des Sri-Lankais se sont retrouvés à la rue, sans biens personnels ni compréhension d’un environnement qu’ils ne connaissaient pas, parfois même sans chaussures.</p>
<p>Avec l’afflux du 14 décembre 2018, alors que la zone d’attente de l’aéroport était saturée et comme l’île ne disposait pas de SPADA ni de CADA, c’est finalement un gymnase et un hôtel qui ont été réquisitionnés par la préfecture.</p>
<h2>Bricolages au « 306 »</h2>
<p>Un élan citoyen et des associations se sont alors mobilisés, notamment structurées autour d’un local nommé « le 306 » en référence au numéro de la rue où il se situe. Des nuits d’hôtel ont été payées, des personnes ont été accueillies au domicile de volontaires, des cours de français et des animations ont été organisés. Ce sont aussi ces personnes de bonne volonté qui ont amené les ressortissants sri-lankais à la préfecture pour faire enregistrer leur demande d’asile, où ils recevaient une attestation déclenchant l’aide de l’État.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/557711/original/file-20231106-19-u3rtvi.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">À l’intérieur du 306 rue Maréchal Leclerc à Saint-Denis, un véritable lieu de vie, où se retrouvent à la fois les Sri-Lankais et les bénévoles de toute l’île pour créer du lien social grâce à des échanges culturels, culinaires et linguistiques.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Egambarane et Naranma Sindraye/Ansamb Oi</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ce bricolage mené par les associations et les avocats a permis d’accompagner les Sri-Lankais jusqu’à la création par les autorités d’un centre d’hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile (HUDA) à la toute fin 2018. C’est donc une structure <em>ad hoc</em> qui a été mise en place, d’abord au sein d’un bâtiment collectif (un <a href="https://www.financement-logement-social.logement.gouv.fr/IMG/pdf/03_fiche_pratique_les-centres-d-hebergement-et-de-reinsertion-sociale-_chrs__mai_2021_cle2bb6b1.pdf">CHRS</a>). Géré par la Croix-Rouge, cet HUDA ne pouvait pas accueillir l’ensemble des demandeurs d’asile, notamment parce que les lits picots, installés dans l’urgence, n’étaient pas suffisants. La préfecture procéda alors à la réquisition de logements sociaux à Saint-Denis, et la Croix-Rouge à la location de deux logements dans le secteur privé à Saint-André, abandonnant progressivement l’idée d’un accueil collectif pour un ensemble de logements diffus (36 appartements).</p>
<p>Rapidement débordé et confronté à un <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/croix-rouge-une-affaire-d-agression-sexuelle-etouffee-la-direction-outre-mer-mene-un-audit-a-la-reunion-1431497.html">personnel peu habitué à l’accueil</a> des demandeurs d’asile (aucune formation au droit d’asile et des étrangers, une très faible maîtrise de l’anglais et des <a href="https://parallelesud.com/episode-5-la-justice-reconnait-la-souffrance-psychologique-des-migrants-et-libere-le-capitaine/">lacunes dans l’accompagnement des personnes</a>, complétées par un important turn-over des salariés contractuels), cet HUDA a été vite saturé, laissant certaines familles dans l’expectative, désemparées ou principalement accompagnées par les associations citoyennes.</p>
<h2>Une expérimentation des mesures d’exclusions</h2>
<p>Au-delà de la question de l’HUDA, plusieurs dysfonctionnements permettent d’identifier que l’État ne s’est pas conformé aux procédures habituelles d’accueil des demandeurs d’asile.</p>
<p>L’un d’entre eux, administratif, se passe à la première étape de la demande d’asile : le document généralement présenté par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) n’est pas celui de la procédure “normale”, mais celui proposant une “procédure accélérée” dans lequel la case “Vous avez présenté de faux documents” est pré-cochée.</p>
<p>Cela induit que la procédure menée doit s’effectuer dans un délai de 15 jours, et non de 6 mois pour une procédure normale, et qu’un seul juge examine le recours à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) si la demande d’asile est rejetée (au lieu de 3 en procédure normale). Cette procédure accélérée peut également avoir un <a href="https://www.gisti.org/spip.php?article5118">impact</a> sur les aides matérielles ou l’allocation pour demandeur d’asile (ADA).</p>
<p>Les entretiens menés auprès de l’OFPRA, qui visent à comprendre la situation des demandeurs d’asile pour mieux statuer sur l’acceptation ou le rejet de leur accueil, se sont également effectués par visioconférence – l’administration ne disposant pas de bureau sur l’île – et via des traducteurs pour certains décriés, car peu compétents ou transcrivant des points de vue subjectifs ancrés dans les hiérarchies de pouvoir qui traversent <a href="https://cairn.info/revue-herodote-2015-3-page-219.htm">l’histoire sri-lankaise</a> (notamment entre Tamouls et Cinghalais).</p>
<p>Ces diverses entraves administratives, qui se concrétisent par de nombreux accrocs dans la procédure, nécessitent la vigilance des associations et l’intervention des avocats. Ces derniers déploient beaucoup d’énergie à contester ces façons de faire et à déposer des recours. Bien que les juges leurs donnent souvent raison, les lenteurs de la justice et l’amoncellement des difficultés pour suivre les dossiers leur demande un engagement chronophage et exigeant, surtout qu’ils sont peu nombreux.</p>
<h2>Une brigade de police inédite</h2>
<p>Au-delà de ces complications administratives, une brigade de police, baptisée Groupe de Recherche pour l’exécution des mesures d’éloignement (GRE), composée de six policiers, a aussi été créé début 2023. Cette unité spécifique de la Police aux frontières consacre son action vers l’ensemble des personnes sous Obligation à quitter le territoire français (OQTF).</p>
<p>Unique en son genre, c’est la première fois qu’une telle brigade se déploie sur le territoire français, et <a href="https://parallelesud.com/oqtf-les-methodes-deloyales-du-nouveau-groupe-de-recherche-des-etrangers/">ses méthodes sont déjà beaucoup décriées</a>. En effet, les témoignages de personnes recherchées parlent par exemple de policiers qui se font passer pour des facteurs afin qu’elles sortent de leur résidence et puissent être arrêtées.</p>
<p>Mais c’est bien le fichage systématique, permettant des arrestations ciblées, qui pose question : des procès-verbaux relatant l’arrestation de personnes recherchées témoignent du fait que les policiers disposent non seulement de toutes leurs données personnelles, mais aussi de leurs photographies. Les avocats et les associations s’interrogent sur la légalité de tels documents tout comme la <a href="https://www.lacimade.org/le-groupe-de-recherche-pour-lexecution-des-mesures-deloignement-une-specificite-reunionnaise/">Cimade</a> qui souhaite aller en contentieux.</p>
<p>La GRE constitue un prolongement direct de la <a href="https://www.gisti.org/IMG/pdf/circ_2022-11-17.pdf">circulaire</a> du 17 novembre 2022 du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, intitulée « Exécution des obligations de quitter le territoire français et renforcement de nos capacités de rétention », et qui a été adressée aux préfets quelque temps après le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/11/04/affaire-lola-ce-que-revele-l-enquete-judiciaire-sur-dahbia-benkired_6148557_3224.html">meurtre de Lola</a>, une jeune fille de 12 ans tuée par une personne sous OQTF. Pourtant, ses méthodes singulières posent la question de leur légalité.</p>
<h2>Une gestion de l’asile à la Réunion qui questionne</h2>
<p>De manière générale, l’arrivée des bateaux sri-lankais et l’inorganisation de la réponse humanitaire et politique ont permis de pointer les déficiences de l’État dans la gestion de l’asile à La Réunion.</p>
<p>Ce sont les associations qui ont pallié les faiblesses de l’État en guidant les demandeurs d’asile dans leurs procédures, en leur trouvant des solutions de logement, en aidant aux soins (notamment psychiques), etc.</p>
<p>L’État est alors entré dans un rapport de force avec les acteurs de l’asile et les migrants, envoyant des signaux forts qui s’incarnent par maints bricolages administratifs. Or, comme le mentionne le préfet de la Réunion, Jérôme Filippini, <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/reunion/migrants-sri-lankais-400-personnes-arrivees-en-5-ans-cela-ne-s-appelle-pas-une-invasion-selon-le-prefet-de-la-reunion-1357010.html">« la Réunion n’est pas une destination pour les migrations irrégulières »</a>. La nouvelle unité de police présente sur l’île interroge elle aussi : ne va-t-elle pas être répliquée dans d’autres régions françaises ?</p>
<p>En attendant, les Sri-Lankais, et tout spécifiquement les familles, dont certaines ont eu des enfants à la Réunion et ont scolarisé les aînés depuis leur arrivée en 2018, se retrouvent dans des situations d’incertitude complexes.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216293/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anthony Goreau-Ponceaud a reçu des financements du département CHANGES de l'Université de Bordeaux : <a href="https://changes.u-bordeaux.fr/">https://changes.u-bordeaux.fr/</a>. </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Alice CORBET a reçu des financements du département CHANGES de l'Université de Bordeaux : <a href="https://changes.u-bordeaux.fr/">https://changes.u-bordeaux.fr/</a>. </span></em></p>Depuis quelques années, l’île de la Réunion voit un afflux de migrants originaires de Sri Lanka, mais les procédures inédites mises en place à leur arrivée interrogent le cadre légal français.Anthony Goreau-Ponceaud, Géographe, enseignant-chercheur, UMR 5115 LAM, Université de BordeauxAlice Corbet, Anthropologue, LAM, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2105972023-07-30T15:13:09Z2023-07-30T15:13:09ZPolice et justice : l’apaisement par les principes constitutionnels est-il possible ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539919/original/file-20230728-27-6n3k7n.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=17%2C22%2C2977%2C1949&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Plusieurs faits de violence de la part de policiers durant ou en marge des émeutes récentes ont donné lieu à des tensions avec la justice. Photo d'illustrattion, 2010.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/sockrotation/4946990578/">Foomandoonian/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Les protestations de policiers à Marseille, et <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/26/police-les-services-en-pointe-contre-la-delinquance-de-voie-publique-sont-les-plus-affectes-par-le-mouvement-de-grogne_6183525_3224.html">leur débrayage</a> ont essaimé dans d’autres régions de France après qu’un fonctionnaire de police ait été placé en <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/21/a-marseille-quatre-policiers-mis-en-examen-pour-violences-en-reunion_6182862_3224.html">détention provisoire</a> suite à des faits survenus en marge des <a href="https://theconversation.com/emeutes-au-dela-des-eclats-le-reflet-de-vies-brutalisees-209239">émeutes récentes</a>.</p>
<p>La mesure avait été contestée par certains syndicats, et dénoncée par Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/07/25/policiers-la-protestation-s-etend-au-dela-de-marseille-le-risque-de-la-crise-de-trop-pour-gerald-darmanin_6183270_3224.html">engendrant de vives tensions</a> avec la magistrature et le monde politique.</p>
<p>Frédéric Veaux <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/frederic-veaux-patron-de-la-police-avant-un-eventuel-proces-un-policier-na-pas-sa-place-en-prison-23-07-2023-6O2DQ7IKSJEUPG3QZ2A4UW75IU.php">avait notamment déclaré</a> : « je considère qu’avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison ». La phrase avait créé une vaste polémique autour de l’indépendance de la justice et de la légitimité de la détention des forces de l’ordre dans le cadre d’un procès. Pourtant, de forts principes constitutionnels demeurent présents et peuvent être l’outil d’apaisement de ce moment de crise institutionnelle.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/justice-une-confiance-a-restaurer-161596">Justice : une confiance à restaurer</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Une querelle de « principes »</h2>
<p>En 2022, le secrétaire général du syndicat Alliance <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/le-probleme-de-la-police-cest-la-justice-a-paris-un-rassemblement-polemique-apres-laffaire-du-pont-neuf-02-05-2022-5ET4Z33QZBBGHLECSOECVTVHWQ.php">avait pu déclarer</a> : « le problème de la police, c’est la justice ». Ces deux fleurons de la fonction publique française et piliers de l’état de droit sont en effet, constitutionnellement, <a href="https://www.cairn.info/revue-archives-de-politique-criminelle-2011-1-page-29.htm">placés en étroite relation antagoniste</a>.</p>
<p>Le premier principe qui gouverne leur rapport est le principe de séparation des pouvoirs rappelé par <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/le-bloc-de-constitutionnalite/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-de-1789">l’article 16 de la Déclaration de 1789</a> – déclaration qui a la même valeur que la Constitution elle-même depuis une <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/1971/7144DC.htm">décision du Conseil constitutionnel du 16 janvier 1971</a> – qui est promu en France comme « garantie » de l’existence même de la Constitution et comme principe d’organisation de la société démocratique.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Cette séparation des pouvoirs n’est pas seulement proclamée par de grands textes et de grands auteurs, elle fait l’objet d’une mise en pratique organisée par le texte même de la Constitution du 4 octobre 1958 qui reprend le dogme de Montesquieu de l’organisation de l’État en trois pouvoirs : judiciaire, exécutif et législatif.</p>
<p>Ces derniers sont <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/270289-la-separation-des-pouvoirs">séparés</a> dans leurs fonctions afin que chaque « pouvoir arrête le pouvoir » comme le rappelle la maxime issue de <a href="https://gallica.bnf.fr/essentiels/anthologie/montesquieu"><em>L’esprit de loi</em></a>, 1748. De tels mots ne signifient certes pas une absence totale de circulation mais a minima que chacun des trois pouvoirs puisse être garanti de son « indépendance ».</p>
<p>D’autres principes viennent seconder la séparation des pouvoirs pour la garantir effectivement. Ainsi en est-il du gouvernement qui « dirige » les administrations (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527483">article 20 de la Constitution</a>) mais surtout du dogme de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527555">l’article 64 de la Constitution</a> qui proclame « l’indépendance de la justice » judiciaire (l’indépendance des juges administratifs est quant à elle garantie par la jurisprudence du Conseil constitutionnel) telle que garantie par le président de la République et le Conseil supérieur de la magistrature.</p>
<h2>Nul ne peut revenir sur une décision de justice</h2>
<p>Appliquée au cas présent, cette maxime signifie donc bel et bien que nul ne peut revenir sur une décision de justice et que seule la justice peut être amenée à trancher un cas d’espèce en fait, en droit et en autorité.</p>
<p>Un principe général anime ainsi <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/publications/titre-vii/l-egalite-devant-la-justice-penale-dans-la-jurisprudence-du-conseil-constitutionnel-a-propos">l’action des juges</a> depuis Saint Louis, le principe d’égalité devant la loi et la justice (proclamé par l’article 6 de la Déclaration de 1789) signifiant que les administrations, les policiers, les chefs d’État comme les citoyens ordinaires sont tous logés à la même enseigne.</p>
<p>Les juges sont également tenus à l’individualisation des peines (<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527434">article 8 de la Déclaration de 1789</a>) qui impose qu’une décision de justice soit nécessairement prise en considération des faits d’une espèce, des circonstances ayant animé l’auteur de l’acte, etc.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/7eRHVWjTrrs?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Les mots de la sociologie de la déviance : « La coopération police/justice », par Christian Mouhanna (septembre 2022).</span></figcaption>
</figure>
<p>Aussi, si l’on place suffisamment de confiance dans l’état de droit, toute décision de justice prise à l’égard de n’importe quelle autorité, personne ou institution est prise suivant des conditions d’indépendance de manière la plus en adéquation avec les faits de l’espèce, comme cela est garanti par la Constitution.</p>
<p>Il n’est pas anodin qu’ici, les <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/policier-ecroue-la-justice-seule-legitime-pour-decider-rappelle-le-conseil-superieur-de-la-magistrature-24-07-2023-DJME3AP3NRGX7HS4AHC2AB2NFE.php">premières réactions</a> aux propos du directeur général de police nationale soient venues du conseil supérieur de la magistrature, organe garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire, qui s’est logiquement positionné comme chantre du rétablissement de la paix entre ces administrations.</p>
<h2>La porosité de la « pratique »</h2>
<p>Il ne faut pour autant pas omettre les faits de l’espèce : un policier en exercice est mis en cause dans l’exercice du maintien de l’ordre pour des violences (délit pénal) et a ainsi été jugé par un juge indépendant, ainsi qu’un autre : le juge des libertés pour décider de sa détention provisoire.</p>
<p>Outre que les conditions de la détention provisoire sont prévues par le code pénal et qu’elles ont nécessairement été respectées en l’espèce par des circonstances liées à l’individualisation de la peine et du prononcé de cette mesure provisoire (la loi est la même pour tous), il est nécessaire de rappeler que lorsqu’un fonctionnaire se rend coupable de délits pénaux, il est justiciable de la justice ordinaire et <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F13944">redevient un simple citoyen</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-lenquete-police-population-du-ministere-de-linterieur-est-trompeuse-142098">Pourquoi l’enquête « police-population » du ministère de l’Intérieur est trompeuse</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Comme tout agent public, le policier peut également être poursuivi par sa hiérarchie, au niveau disciplinaire, indépendamment des poursuites pénales. La loi est « dure » (<em>dura lex sed lex</em>), elle ne prévoit donc aucune complaisance pour les fonctionnaires du maintien de l’ordre.</p>
<p>Il reste la particularité de leur mission. Celle-ci est garantie par leur serment, cf. Art. L. 434-1 A. :</p>
<blockquote>
<p>« Préalablement à sa prise de fonctions, tout agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale déclare solennellement servir avec dignité et loyauté la République, ses principes de liberté, d’égalité et de fraternité et sa Constitution par une prestation de serment. »</p>
</blockquote>
<p>Cette mission place les agents en gardiens du respect de la loi, et peut justifier que leur hiérarchie considère moralement qu’un « policier n’a pas sa place en prison » dans le cadre d’une détention provisoire.</p>
<p>Toutefois, la réalité se trouvant, comme toujours en droit constitutionnel, dans la nuance, les organes de garantie de l’indépendance judiciaire ont – avec autant de force et de contradiction pourtant – raison de répliquer que seuls les juges peuvent rendre la justice. De plus, on objectera que tout fonctionnaire est tenu au respect d’une obligation cardinale issue non seulement des textes mais de la jurisprudence et de la pratique : celle de neutralité de sa parole et son action (qualifiée de devoir de réserve), expliquant le caractère rare et particulièrement commenté de la prise de parole du président de la police nationale.</p>
<h2>Une relation paradoxale</h2>
<p>En matière de relation entre police et justice, le paradoxe dû à la porosité des frontières est partout.</p>
<p>D’abord du fait que les juges sont des fonctionnaires qui reçoivent, à ce titre, comme toutes les administrations (rappelons le dogme de l’article 20 de la Constitution) des ordres émanant d’un ministre, celui de la justice, qui peut leur adresser des instructions (le Conseil constitutionnel le <a href="https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2021/2021927QPC.htm">rappelle</a>. Ceci semble directement contredire l’indépendance de ses juges.</p>
<p>Enfin parce que le président de la République est le garant de l’indépendance de la justice, ce qui paraît <a href="https://www.cairn.info/revue-apres-demain-2011-4-page-16.htm">contradictoire</a> avec sa qualité de première autorité administrative de la France.</p>
<p>Pourtant, l’administration peut garantir l’indépendance des juges autant que l’intégrité des forces de l’ordre dans un état de droit. C’est d’ailleurs ce que martèle l’article 64 qui place la confiance dans les mains du président afin qu’il exerce clairement ses fonctions dans le respect de l’indépendance de l’autorité judiciaire. C’est la mission d’arbitrage que lui assigne l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527459">article 5 de la Constitution</a> et qu’Emmanuel Macron a rappelé dans son discours concernant l’affaire en cours.</p>
<p>L’un des seuls facteurs de fonctionnement du système – dont l’existence n’est pas directement prévue par les textes – est celui de la confiance dans l’autorité judiciaire, dans l’exercice du maintien de l’ordre, dans l’égalité devant la loi mais surtout dans la démocratie.</p>
<p>Malheureusement, dans un climat politique délétère, toute prise de parole publique est susceptible d’alimenter un incendie de défiance. Le rappel des principes républicains permet seul de percevoir la contre-productivité de toute tension entre police et justice qui n’ont qu’un but commun : celui de l’apaisement des conflits inter-individuels au fondement de toute société moderne depuis des siècles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/210597/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne-Charlène Bezzina ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La police et la justice, piliers de l’état de droit sont constitutionnellement, placés en étroite relation antagoniste. Pourtant la Constitution garantit aussi leur indépendance.Anne-Charlène Bezzina, Constitutionnaliste, docteure de l'Université Paris 1 Sorbonne, Maître de conférences en droit public à l'université de Rouen, Université de Rouen NormandieLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2093802023-07-25T20:03:40Z2023-07-25T20:03:40ZUn nouveau rapport laisse penser qu’aucun effort sérieux n’est déployé pour mettre fin au profilage racial à Montréal<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/539373/original/file-20230725-17-ah5wvg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=11%2C5%2C1891%2C1247&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le Service de Police de la Ville de Montréal aurait encore du chemin à faire pour éradiquer le profilage racial au sein de son organisation.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span></figcaption></figure><p>Un nouveau rapport accablant <a href="https://spvm.qc.ca/upload/02/Rapport_final_2e_mandat.pdf">que vient de rendre public le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sur le profilage racial à Montréal</a> laisse penser que la Ville et ses forces de police <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1990437/spvm-interpellations-dagher-montreal-police">ont renoncé à lutter contre le problème</a>.</p>
<p>Mise à jour d’une étude réalisée en 2019, le rapport rédigé par quatre chercheurs indépendants engagés par le SPVM a révélé que les taux de profilage racial étaient identiques ou supérieurs à ceux enregistrés quatre ans plus tôt. En effet, les personnes noires, autochtones et arabes sont encore particulièrement susceptibles d’être interpellées par les forces de l’ordre.</p>
<p>Ainsi, le rapport souligne les problèmes non seulement du SPVM, mais aussi de l’administration municipale qui a promis depuis longtemps de mettre fin au profilage racial.</p>
<p>Le problème du profilage racial <a href="https://canadiandimension.com/articles/view/robyn-maynard-police-violence-legacy-of-racial-and-economic-injustice">remonte aux prémices de la surveillance policière</a> en Amérique du Nord. Cependant, il attire davantage l’attention du public depuis 10 ou 15 ans.</p>
<h2>L’histoire du profilage racial à Montréal</h2>
<p>Montréal est une ville marquée par une <a href="https://www.ledevoir.com/societe/791858/manifestation-contre-le-profilage-racial-et-le-projet-de-loi-14-a-montreal">longue histoire de manifestations contre la violence et le racisme policiers</a>. La mort de <a href="https://www.ledevoir.com/societe/791858/manifestation-contre-le-profilage-racial-et-le-projet-de-loi-14-a-montreal">Fredy Villanueva</a>, tué par la police dans un parc en 2008, a déclenché des rassemblements de grande envergure. La tournure des événements a pris une telle ampleur, en partie parce que le drame s’est produit au cœur d’une campagne de maintien de l’ordre incroyablement raciste dans un quartier du nord-est de la ville.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme pleure dans une poignée de mouchoirs" src="https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=457&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536413/original/file-20230709-27-vczmod.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=575&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Lilian Villanueva, mère de Fredy Villanueva, réagit au rapport du coroner sur la mort de son fils lors d’une conférence de presse en 2013 à Montréal. Villanueva a été abattu par la police dans un parc de Montréal en 2008.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Un <a href="https://www.cdpdj.qc.ca/fr/publications/profilage-racial-et-discrimina-1">rapport long et accablant</a> de la Commission des droits de la personne du Québec sur le profilage racial a suivi en 2011, tandis qu’une série de rapports plus courts ont été publiés au cours des cinq années suivantes.</p>
<p>Bien que ces manifestations et ces rapports aient interpellé le SPVM, la lutte contre le profilage racial incombe, en fin de compte, aux entités gouvernementales qui encadrent la police, notamment la Ville de Montréal.</p>
<p>La première véritable intervention de la Ville face aux critiques grandissantes à l’endroit du SPVM a été d’organiser une <a href="https://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=6877,142735375&_dad=portal&_schema=PORTAL">grande consultation publique</a> sur le profilage racial en 2017. La consultation a permis à un grand nombre d’organismes communautaires, d’activistes et de chercheurs d’<a href="https://doi.org/10.1080/02722011.2020.1831139">appeler à une réforme de la police</a>.</p>
<p>Parmi ces revendications figuraient le renforcement du contrôle et de la discipline au sein de la police, l’abolition des interpellations policières arbitraires et le transfert partiel du budget de la police à des initiatives de sécurité centrées sur la communauté.</p>
<p>La Ville a refusé ces demandes, mais a pris une mesure sans précédent en <a href="https://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/docs/PAGE/COMMISSIONS_PERM_V2_FR/MEDIA/DOCUMENTS/DOCCONSULT_20170519.PDF">demandant au SPVM de réaliser une analyse des interpellations policières par groupe racial</a>, un indicateur clé du profilage racial. Le SPVM a répondu favorablement à la demande et engagé rapidement les trois chercheurs indépendants pour la rédaction d’un rapport.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Un manifestant vêtu d’un parka brandit une pancarte dénonçant le profilage racial par la police" src="https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=430&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536410/original/file-20230709-19-9362vb.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=540&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Des gens participent à une manifestation à Montréal en février 2021 et demandent justice pour un homme noir qui a été arrêté à tort par la police et emprisonné pendant six jours ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>À quand des mesures ?</h2>
<p>D’une certaine manière, la Ville a repoussé le moment d’agir. Les Montréalais ont été informés que <a href="https://ocpm.qc.ca/sites/default/files/pdf/P100/8-27_Rapport_Armony-Hassaoui-Mulone.pdf">des mesures concrètes seraient décidées après une évaluation plus détaillée du problème, mais que des initiatives seraient prises prochainement</a>.</p>
<p>Entre-temps, une nouvelle administration municipale est entrée en fonction. Valérie Plante a été élue mairesse et son parti, Projet Montréal, a remporté une majorité de sièges lors des élections de novembre 2017. Après l’élection, la <a href="https://www.cbc.ca/news/canada/montreal/montreal-police-report-fail-address-racial-profile-1.4416461">mairesse a annoncé</a> que la lutte contre le « profilage social et racial » constituerait une priorité pour son administration.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Une femme aux cheveux bruns fait des gestes avec ses mains alors qu’elle parle dans un microphone" src="https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=445&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536408/original/file-20230709-191791-djethv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=559&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">La mairesse de Montréal Valérie Plante s’exprime lors d’une conférence de presse à Montréal en août 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>L’analyse des interpellations policières promise en 2017 a finalement été achevée en 2019. Communément appelée <a href="https://spvm.qc.ca/upload/Rapport_Armony-Hassaoui-Mulone.pdf">rapport Armony</a>, l’étude a conclu que les personnes noires et autochtones étaient plus de quatre fois plus susceptibles que les personnes blanches d’être interpellées par la police, tandis que les personnes arabes l’étaient deux fois plus.</p>
<p>Lorsqu’on examine les données en fonction du genre, soulignaient également les auteurs, on observait que les femmes autochtones étaient 11 fois plus susceptibles d’être interpellées que les femmes blanches.</p>
<p>Une fois l’évaluation terminée, la Ville se devait d’agir. Cependant, plutôt que de tenir compte des revendications de la communauté, l’administration de Projet Montréal a investi ses espoirs dans une nouvelle politique d’interpellation policière.</p>
<p>La politique, instaurée en juillet 2020, précise que les interpellations policières ne doivent pas être discriminatoires et qu’elles doivent se fonder sur des « faits observables » qui justifient l’interpellation. Cette politique a été largement critiquée à l’époque, car elle ne faisait que reprendre les dispositions antidiscriminatoires de la Charte canadienne des droits et libertés.</p>
<p>De nombreuses personnes (<a href="https://montrealgazette.com/opinion/opinion-new-montreal-police-policy-wont-stop-racial-profiling">y compris moi-même</a>) ont également fait remarquer que la police pouvait toujours trouver des « faits observables » pour justifier une interpellation motivée par d’autres critères discriminatoires.</p>
<h2>Soutien à la police</h2>
<p>Depuis 2020, l’administration de Valérie Plante a vanté à plusieurs reprises la politique d’interpellation policière comme un antidote efficace au profilage racial. Par exemple, Plante a cité la politique en février 2023, alors qu’elle était appelée à témoigner dans le cadre d’un recours collectif contre la Ville et le SPVM pour profilage racial.</p>
<p>Évoquant la politique, <a href="https://www.noovo.info/nouvelle/action-collective-pour-profilage-racial-temoignage-de-la-mairesse-de-montreal.html">elle a attesté</a> que son équipe était « très proactive et travaillait dur sur le profilage racial ».</p>
<p>Ce récit, déjà contesté, a été totalement discrédité lorsque le rapport actualisé sur le profilage racial a été publié en juin 2023.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Un homme noir chauve fait des gestes pendant qu’il parle" src="https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/536412/original/file-20230709-27-tqncm3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Dan Philip, président de la Ligue des Noirs du Québec, répond à une question lors d’une conférence de presse à Montréal en 2019 après qu’un juge ait autorisé un recours collectif contre la Ville pour profilage racial.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Paul Chiasson</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://spvm.qc.ca/upload/02/Rapport_final_2e_mandat.pdf">Ce rapport</a> indique que les personnes noires sont aujourd’hui 3,6 fois plus susceptibles d’être interpellées par la police que les personnes blanches (une légère baisse par rapport à 2019), les personnes arabes sont 2,6 fois plus susceptibles d’être interpellées (une légère hausse) et les personnes autochtones sont maintenant six fois plus susceptibles d’être interpellées (une forte hausse). </p>
<p>Si quiconque s’attendait à un mea culpa de la part de la Ville concernant ses maigres efforts pour lutter contre le profilage racial, il y a de quoi être déçu, comme je le suis. Valérie Plante, qui a reconnu avoir été choquée par le rapport de 2019, n’a pas encore commenté publiquement les nouvelles conclusions.</p>
<p>Son collègue Alain Vaillancourt, membre du comité exécutif et responsable de la sécurité publique, s’est contenté de <a href="https://www.ledevoir.com/societe/793501/malgre-un-rapport-extremement-critique-le-spvm-maintient-les-interpellations-policieres">dire qu’il soutenait le directeur de la police de la ville, Fady Dagher</a>, et qu’il se sentait « comfortable » avec son projet visant à changer la « culture » du SPVM. </p>
<p>Dagher a notamment refusé d’appliquer le moratoire sur les interpellations recommandé par les quatre chercheurs et s’est plutôt engagé à se concentrer sur l’amélioration du recrutement et de la promotion des policiers racisés, une <a href="https://doi.org/10.1080/02722011.2020.1831139">mesure en vigueur au SPVM depuis 1991</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1672250179611684864"}"></div></p>
<p>La réponse de la Ville au problème du profilage racial semble avoir franchi une nouvelle étape. Après avoir retardé la prise de mesures en 2017 et mis en œuvre une nouvelle politique plusieurs ont jugé inefficace en 2019, la Ville semble se contenter de laisser le problème entre les mains du directeur de la police renoncer à son rôle de supervision de la police au nom de la population.</p>
<p>Dans une ville ayant une longue histoire de manifestations contre la violence et le racisme policiers, je ne m’attends pas à ce que cette position soit acceptée par la population.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209380/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Ted Rutland ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La réponse de la Ville de Montréal au nouveau rapport de la SPVM sur le profilage racial démontre peu de volonté de changer les choses.Ted Rutland, Associate professor, Geography, Planning and Environment, Concordia UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2066322023-06-05T15:49:59Z2023-06-05T15:49:59ZCrimes violents : une vaste étude met en évidence le traumatisme des enquêteurs<p>Ce 8 juin, l'attaque au couteau qui a fait plusieurs blessés graves, pour la plupart des enfants, à Annecy, a été filmée par des passants. Ces images effarantes ont été largement partagées sur les réseaux sociaux, avant d'être promptement supprimées par la plupart des plateformes. </p>
<p>L'immense majorité de la population n'aura soit pas pu, soit pas souhaité les visionner. Il existe pourtant une catégorie de professionnels dont le métier consiste précisément à examiner minutieusement de tels enregistrements et à se plonger dans les récits des victimes et des témoins (et parfois des agresseurs) - au prix, souvent, d'une profonde déstabilisation psychologique.
Ce sont les analystes travaillant dans les secteurs de la police et de la justice. </p>
<p>Viols, meurtres, tortures, incendies criminels, actes de terrorisme… : ces spécialistes sont régulièrement confrontés à la cruauté et à la capacité de destruction de l'humanité.</p>
<p>Les experts qui oeuvrent à traduire les criminels en justice en examinant les éléments de preuves des crimes commis sont régulièrement exposés à l'expérience traumatisante que constitue la consultation de témoignages écrits, de séquences vidéo ou d'enregistrements audio. Et il apparaît de plus en plus clairement <a href="https://www.qao.qld.gov.au/reports-resources/managing-mental-health-queensland-police-employees">que les systèmes en place ne parviennent pas à protéger leur santé mentale</a> face au déferlement d'atrocités auxquelles ils doivent faire face.</p>
<p>En Europe, les chiffres sont alarmants. En 2022, les problèmes de santé mentale ont conduit les policiers anglais à prendre <a href="https://www.mirror.co.uk/news/uk-news/huge-rise-number-police-officers-29251463">730 000 jours de congé maladie</a>, contre 320 000 en 2012/2013. En Espagne, <a href="https://theobjective.com/espana/2023-01-01/suicidio-agentes-peores-datos/">28 membres des forces de l'ordre se sont suicidés en 2022</a> - c'est 21,4 % de moins qu'en 2021, mais il s'agit tout de même du deuxième nombre le plus élevé depuis que cette statistique est relevée. Les chiffres sont encore plus dramatiques en France - <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/pas-une-fois-on-ne-sattaque-aux-problemes-de-management-deux-flics-sortent-un-livre-choc-sur-les-suicides-dans-la-police-27-01-2023-2F4MJ3UFOBHC7CW4ZHFXF5SCRA.php">78 suicides en 2022</a> si l'on inclut les surveillants pénitentiaires – et en Grèce qui, quoique nettement moins peuplée, <a href="https://spectrumlocalnews.com/nys/rochester/news/2019/09/25/greece-police-spearhead-law-enforcement-suicide-awareness-walk">a enregistré 159 suicides</a> parmi ses forces de police en 2019.</p>
<p>La situation est aggravée par le fait que parler de ses problèmes de santé mentale demeure largement stigmatisé, les agents craignant d'être considérés comme des « faibles » ou d'être privés d'une promotion.</p>
<p>Pour mieux comprendre comment l'exposition à des scènes traumatisantes affecte les forces de police, notre équipe de psychologues de l'université de Birmingham a mené <a href="https://www.axa-research.org/en/project/fazeelat-duran">40 entretiens</a> avec des experts travaillant sur des enquêtes criminelles au Royaume-Uni, en Belgique, en Espagne, aux Pays-Bas et au Canada.</p>
<p>Qu'ils soient criminologues, officiers de renseignement, experts en <a href="https://www.interpol.int/fr/Notre-action/Innovation/Criminalistique-numerique">criminalistique numérique</a> ou <a href="https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/gendinfo/dossiers/criminalistique-le-futur-des-a-present/analystes-comportementaux-des-gendarmes-sous-un-autre-profil">analystes comportementaux</a>, ces spécialistes font partie intégrante du système de justice pénale. Ils fournissent des analyses, des renseignements et un soutien précieux aux enquêtes et aux poursuites relatives aux crimes les plus graves.</p>
<p>Parmi eux, selon <a href="https://www.axa-research.org/en/project/fazeelat-duran">notre enquête</a> réalisée au début de cette année, 37 % ont été diagnostiqués comme souffrant de dépression sévère et environ 55 % comme souffrant de dépression modérée.</p>
<h2>Les échos du traumatisme</h2>
<p>Les personnes que nous avons interrogées ont confié que l'exposition constante à des scènes traumatisantes pesait sur leur perception du monde, mais aussi de leur vie familiale et sociale. Reflétant leur inquiétude générale quant à la sécurité de leurs proches, une femme a déclaré :</p>
<blockquote>
<p>« Je m'inquiète plus qu'avant pour ma sœur si elle me dit qu'elle va se promener en soirée dans une zone tranquille. »</p>
</blockquote>
<p>Nos interlocuteurs décrivent leurs comportements de précaution et d'évitement face aux scènes dont ils ont lu des descriptions ou visionné des images dans le cadre de leur travail. Cela affecte leur vie et celle de leur entourage. L'un d'entre eux, S. (tous les participants à notre recherche ont été anonymisés), se demande comment il peut « laisser ses enfants chez quelqu'un pour une soirée pyjama ». La voix tremblante, il reconnaît qu'il « pense qu'il est plus anxieux qu'un parent normal ne le serait ». De son côté, Y. ne laisse pas son chargeur de téléphone près de son lit, car elle « pense qu'un cambrioleur pourrait s'en servir pour [l]‘étrangler ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/B6gD-zGPnx8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
</figure>
<p>Ces professionnels doivent gérer des émotions intenses, et évoquent des cas d'« effondrement émotionnel». « Les témoignages des victimes sont pénibles à lire », soupire Z, en s'agitant nerveusement. « Ils sont relatés d'une façon si détaillée qu'en les consultant, il m'arrive souvent de me mettre à pleurer. »</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Beaucoup déclarent avoir « oublié comment faire confiance ». « Je suis plus conscient de ce qui m'entoure sur le plan social », déclare un homme. « Je dirais que je suis plus prudent et que je ne me fais pas d'amis aussi facilement ». « Je suis devenue paranoïaque dans mes relations personnelles », confie une femme, qui poursuit : « Si je sortais avec un homme, je craindrais qu'il se comporte comme l'un des criminels sur lesquels j'ai travaillé. »</p>
<p>Nous avons découvert que les analystes initialement persuadés que de bonnes choses arrivent aux bonnes personnes et de mauvaises choses arrivent aux mauvaises personnes (une approche résumée par la formule « croire en un monde juste») sont plus exposés que les autres à la dépression et au stress post-traumatique, probablement parce qu'ils ont constaté que des mauvaises choses arrivent souvent à des bonnes personnes et que des mauvaises actions restent souvent impunies.</p>
<h2>L'indifférence des gouvernements</h2>
<p>En dépit du prix psychologique qu'ils paient du fait de leur exposition à ces scènes douloureuses, les personnes que nous avons interrogées restent négligées par les responsables, leur bien-être faisant l'objet de bien moins d'attention que celui des officiers en première ligne. L'une de nos interlocutrices nous a remerciés pour notre enquête car celle-ci signifiait qu'on s'intéressait enfin à eux.</p>
<p>La plupart des analystes qui nous ont parlé ont expliqué qu'ils n'avaient reçu aucune formation sur les mécanismes permettant de s'adapter à une exposition régulière à des scènes traumatisantes dans le cadre professionnel. Ils jugent que le soutien dont ils ont bénéficié jusqu'ici a été surtout réactif, et pas préventif, et que la stigmatisation sur leur lieu de travail constituait pour bon nombre d'entre eux un obstacle les empêchant de solliciter de l'aide.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/sbpvyPxVatI?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Ways police and staff personnel cope.</span></figcaption>
</figure>
<blockquote>
<p>« La seule option à ma disposition est de me tourner vers mes proches. Si j'en parle à mes collègues, tout le monde sera au courant des difficultés que j'éprouve et certains penseront que je ne suis pas capable de remplir mes obligations ou que je ne suis pas fait pour ce travail. »</p>
</blockquote>
<p>Pour que ces professionnels nous protègent, nous devons les protéger. En plus de nos recherches universitaires, nous avons produit <a href="https://www.birmingham.ac.uk/schools/psychology/research/protecting-the-protectors/resources.aspx">deux vidéos</a> pour leur donner la parole et sensibiliser les décideurs à l'impact de leur travail sur leur santé mentale.</p>
<p>Nous coproduisons également une boîte à outils contenant des recommandations pratiques pour les organisations, et nous travaillons avec le responsable du volet 3 du <a href="https://www.oscarkilo.org.uk/">groupe national sur le bien-être de la police britannique</a>, qui se concentre sur le bien-être des enquêteurs. L'objectif de notre travail est de leur donner une voix et une reconnaissance.</p>
<p>À l'avenir, des recherches supplémentaires seront nécessaires pour mieux comprendre les facteurs de risque et de résilience pour ces analystes et les autres professionnels qui travaillent indirectement avec des expériences traumatisantes vécues par d'autres personnes. Cela aidera les employeurs et les décideurs politiques à leur fournir un soutien adéquat.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/308798/original/file-20200107-123373-wmivra.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
</figcaption>
</figure>
<p><em>Créé en 2007 pour accélérer et partager les connaissances scientifiques sur les grands enjeux sociétaux, le Fonds Axa pour la Recherche a soutenu près de 700 projets dans le monde entier, menés par des chercheurs originaires de 38 pays. Pour en savoir plus, consultez le site Axa Research Fund ou suivez-nous sur Twitter @AXAResearchFund.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206632/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Fazeelat Duran a reçu des financements de AXA.</span></em></p>Tous les éléments relatifs à l'effroyable attaque d'Annecy seront longuement examinés par des analystes de la police. Le profond impact psychologique que ce travail a sur eux est sous-estimé.Fazeelat Duran, Postdoctoral researcher in occupational psychology, AXA Fonds pour la RechercheLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2047692023-05-25T14:08:02Z2023-05-25T14:08:02ZLes caméras portatives chez les policiers sont populaires. Mais à quels coûts ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/526900/original/file-20230517-11733-9nrra3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=46%2C0%2C5184%2C3453&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">shutterstock</span> </figcaption></figure><p>L’<a href="https://theconversation.com/attaque-du-capitole-du-6-janvier-2021-enjeux-et-consequences-pour-2022-174318">attaque du Capitole américain du 6 janvier 2021</a> a été un événement sans précédent dans l’histoire des États-Unis. Comme il est fréquent de nos jours, plusieurs assaillants ont filmé leur intrusion, laquelle a aussi été captée par de nombreuses caméras de sécurité. </p>
<p>Les caméras portées par les policiers défendant les parlementaires ont également <a href="https://www.npr.org/2021/06/18/1008211655/new-videos-underscore-the-violence-against-police-at-the-jan-6-capitol-riot">capturé les moments les plus dramatiques</a> de cet assaut. Ces images ont été diffusées dans le monde entier et suscité une forte réaction de la part du public.</p>
<p>Depuis le début des années 2010, les caméras portatives ont connu une popularité grandissante. Il est généralement attendu qu’elles apportent une transparence accrue de la part des organisations policières et assurent une plus grande imputabilité.</p>
<p>Cependant, bien que ces dispositifs soient de plus en plus utilisés par les policiers, leur coût élevé a <a href="https://doi.org/10.1080/15614263.2018.1558586">dissuadé de nombreuses organisations d’en faire l’acquisition</a>. Ce constat est d’autant plus pertinent qu’un important <a href="https://theconversation.com/defunding-the-police-is-a-move-towards-community-safety-181376">mouvement demandant à réduire le financement de la police</a> a vu le jour ces dernières années, encourageant une réflexion plus large sur les ressources allouées à la police. </p>
<p>Contrairement aux États-Unis, le gouvernement fédéral canadien ne subventionne pas l’acquisition de caméras. Des fondations privées n’offrent pas de dons pour payer les frais d’exploitation des caméras.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/526904/original/file-20230517-29661-dlv1zx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/526904/original/file-20230517-29661-dlv1zx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/526904/original/file-20230517-29661-dlv1zx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/526904/original/file-20230517-29661-dlv1zx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=367&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/526904/original/file-20230517-29661-dlv1zx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/526904/original/file-20230517-29661-dlv1zx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/526904/original/file-20230517-29661-dlv1zx.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=462&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Dans cette image provenant de la caméra portative d’un agent de la police métropolitaine de Washington, on voit un des assaillants du Capitole, encerclé en jaune, en train d’attraper un agent et de le traîner dans la foule des émeutiers. Ces images ont servi à sa condamnation, le 13 avril 2023, à trois ans de prison.</span>
<span class="attribution"><span class="source">(Justice Department via AP)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En tant que chercheurs spécialisés en criminologie et en administration publique, nous nous intéressons à l’utilisation des caméras portatives sous plusieurs angles. Dans le cadre d’une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/15614263.2023.2210726">recherche</a> dans la revue <em>Police Practice and Research</em>, nous avons examiné la solidité du soutien pour l’utilisation de caméras portatives par les policiers. </p>
<p>Nous basant sur nos discussions avec 78 policiers et sur l’opinion de 1 609 citoyens de quatre sites où la <a href="https://www.sq.gouv.qc.ca/communiques/deploiement-dun-projet-pilote-de-cameras-portatives/">Sûreté du Québec a testé des caméras portatives</a> (soit les MRC de Rimouski-Neigette, de la Vallée-de-l’Or, de Beauharnois Salaberry et de Drummond), nous constatons que malgré un fort appui pour les caméras portatives, les questions de financement sont rarement prises en compte et pourraient être un frein à leur implantation.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/cameras-pour-les-policiers-des-avantages-exageres-et-une-complexite-sous-estimee-156278">Caméras pour les policiers : des avantages exagérés et une complexité sous-estimée</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Le travail complexe des policiers</h2>
<p>La majorité des policiers que nous avons rencontrés dans ces quatre sites se sont positionnés en faveur de l’utilisation de caméras portatives, ce qui est en accord avec d’<a href="https://doi.org/10.1111/1745-9133.12376">autres études sur le sujet</a>.</p>
<p>Plusieurs policiers ont cependant exprimé leur préférence pour une utilisation différente des fonds publics. Par exemple, certains ont estimé que l’embauche de policiers supplémentaires serait plus bénéfique pour pallier leur grande charge de travail. D’autres ont aussi mentionné le désir d’avoir davantage accès à des formations en lien avec leurs interventions.</p>
<p>En lien avec le contexte postpandémique, un policier a exprimé plus clairement ses préoccupations quant à de telles dépenses et les bénéfices potentiels qu’elles pourraient apporter :</p>
<blockquote>
<p>Avec ce qui s’en vient, je ne pense pas que, en tant que société, on a les moyens de se permettre ça, versus qu’est-ce que ça va apporter. Honnêtement, en tant que patrouilleur, mais aussi en tant que payeur de taxes.</p>
</blockquote>
<p>En plus des coûts liés à l’achat de caméras portatives, la gestion des enregistrements vidéos représente une part importante des dépenses liées à leur adoption par les organisations policières. </p>
<p>Plusieurs questions doivent donc se poser pour ces organisations, comme le nombre de policiers qui seront équipés de telles caméras et les moments où elles doivent être activées. Par exemple, bien que l’enregistrement en continu puisse sembler attrayant, cela peut entraîner la gestion de quantité importante de données. Nos lois actuelles exigent d’ailleurs de garder longtemps toutes ces vidéos haute définition. L’embauche de personnel supplémentaire doit aussi être prise en compte pour gérer ces données.</p>
<h2>Un appui populaire surestimé ?</h2>
<p>De <a href="https://doi.org/10.1111/1745-9133.12412">nombreuses études</a> montrent que la population est majoritairement en faveur du port de caméras par les policiers. Selon notre sondage mené auprès de résidents des sites où étaient testées ces caméras, le taux d’appui pour les caméras portatives s’élevait à 95,5 %. </p>
<p>Cependant, cet appui diminue considérablement lorsque l’on aborde la question des coûts. En effet, les citoyens sont moins enclins à soutenir l’utilisation de ces dispositifs lorsqu’ils sont confrontés à une hausse des taxes ou à des coupes dans les services publics. </p>
<p>Le taux de soutien est tombé à 47,7 % lorsque la possibilité d’une augmentation des taxes municipales a été mentionnée et à 42,9 % lorsqu’une réduction des services publics était envisagée. En d’autres termes, bien que la majorité des citoyens sondés soutiennent l’utilisation des caméras portatives par les policiers, cet appui dépend de la façon dont cela est financé.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/524788/original/file-20230507-27-x1whou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/524788/original/file-20230507-27-x1whou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/524788/original/file-20230507-27-x1whou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/524788/original/file-20230507-27-x1whou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=401&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/524788/original/file-20230507-27-x1whou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/524788/original/file-20230507-27-x1whou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/524788/original/file-20230507-27-x1whou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=504&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Niveau de support des résidents des quatre sites.</span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Une dépense à réfléchir</h2>
<p>Dans l’absolu, les Québécois semblent souhaiter que les policiers soient équipés de caméras portatives. En réalité, ils y tiennent en moins grande proportion s’ils sont ceux qui doivent les financer. </p>
<p>Malgré le désir d’assurer une plus grande imputabilité et transparence de la police grâce aux caméras portatives, leurs coûts élevés en font une dépense importante pour les organisations policières, les gouvernements et les contribuables. Les services policiers sont aussi confrontés à plusieurs défis, notamment la <a href="https://doi.org/10.1111/1745-9133.12556">difficulté d’attirer et de retenir ses effectifs</a> et une <a href="https://doi.org/10.1186/s40163-021-00157-6">augmentation des appels de service pour des problèmes liés à la santé mentale</a>, lesquels ne pourront être résous par les caméras portatives.</p>
<p>Les coûts et les défis liés à l’utilisation des caméras portatives demandent donc une réflexion avant qu’elles soient adoptées à grande échelle.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204769/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Brigitte Poirier a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH). </span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Étienne Charbonneau a reçu des financements du programme des Chaires de recherche du Canada.</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Rémi Boivin a reçu des financements du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et des Fonds de recherche du Québec Science et Culture. </span></em></p>Les caméras portatives peuvent assurer une plus grande imputabilité et transparence de la police, mais leurs coûts sont élevés pour les organisations policières, les gouvernements et les contribuables.Brigitte Poirier, Chercheure postdoctorale en administration publique, École nationale d'administration publique (ENAP)Étienne Charbonneau, Professeur titulaire, École nationale d'administration publique (ENAP)Rémi Boivin, Professeur agrégé à l'École de criminologie, Université de MontréalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2045902023-05-10T18:10:39Z2023-05-10T18:10:39ZIGPN : à quoi servent les enquêtes de la police des polices ?<p>L'« affaire Théo », concernant des violences volontaires de la part de trois policiers, impliqués dans l'interpellation violente <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/arrestation-violente-a-aulnay-sous-bois/proces-des-policiers-dans-l-affaire-theo-entre-coup-proportionnel-au-danger-et-geste-pas-reglementaire-la-defense-sur-le-fil-des-accuses_6309741.html">de Théo Luhaka en 2017, blessé à vie</a>, ainsi que d'autres affaires impliquant l'institution policière, interrogent <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/01/12/proces-de-l-affaire-theo-sur-la-legitimite-du-coup-de-matraque-l-igpn-contredit-l-igpn_6210409_3224.html">la façon dont les enquêtes sont menées par la police des polices, l'Inspection générale de la police nationale (IGPN)</a>. </p>
<p>Le 20 avril 2023, Agnès Thibault-Lecuivre, cheffe de cet organisme, annonçait sur France Info que son service conduisait 59 enquêtes judiciaires à propos d’agissements policiers en rapport avec le mouvement de contestation de la réforme des retraites, en <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/retraites-l-igpn-a-engage-59-enquetes-judiciaires-depuis-le-debut-des-manifestations_5781737.html">très grande majorité à Paris</a>.</p>
<p>Pour qui s’intéresse à l’institution policière, à ses dispositifs de contrôle et au maintien de l’ordre, l’information est intrigante : il y a 20 ans, un nombre bien plus réduit d’enquêtes était mené par l’Inspection générale des services (IGS, l’ancêtre parisienne de l’IGPN) à propos des mêmes types de comportements comme l’ont montré les données traitées dans le cadre de <a href="https://www.theses.fr/096687525">ma thèse</a>.</p>
<p>Pour l’heure, cette déclaration vise à assurer que l’action policière de maintien de l’ordre est sous contrôle, le chiffre inédit de 59 enquêtes étant la preuve concrète que l’institution s’occupe de ses « brebis galeuses » ; la cheffe de l’IGPN a ainsi assuré que l’inspection allait proposer des sanctions à l’encontre des fonctionnaires de la Brav-M enregistrés alors qu’ils tenaient des propos malveillants, menaçants et qu’ils se rendaient manifestement coupables de violences illégitimes, en raison de leur « comportement indigne […] contraire à l’exemplarité attendue ».</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ycF3Unl9r2Y?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Propos jugés choquants émanant de membres de la BRAV-M (<em>Complément d’enquête</em>, France Info TV, avril 2023).</span></figcaption>
</figure>
<p>Or, en premier lieu, un défi se pose aux enquêteurs : celui d’identifier les policiers mis en cause. Or malgré l’existence de traces écrites et/ou orales de l’organisation et de l’évolution des dispositifs de maintien de l’ordre, il peut être difficile d’établir avec certitude qui intervenait précisément sur telle ou telle charge. Et s’il existe maintenant de nombreuses captations vidéo permettant, en théorie, de faciliter l’identification – le port à géométrie variable du RIO – ou celui désormais récurrent de cagoules ignifuges en diminue l’efficacité. Puis, une fois une correspondance tracée entre des comportements dénoncés et des personnes, le travail d’enquête portant sur des allégations de violence se poursuit : il suppose de <a href="https://www.decitre.fr/livres/force-publique-9782717867701.html">distinguer</a> ce qui relève de l’intervention justifiée et proportionnée des usages illégitimes de la force physique.</p>
<h2>Un objet de suspicion dans le débat public</h2>
<p>Par ailleurs, les recherches de spécialistes de cette institution montrent que les enquêtes ouvertes pour des faits allégués de violence illégitime aboutissent rarement à des sanctions. Rappelons que l’IGPN n’est pas une instance disciplinaire mais un service d’investigation. C’est d’ailleurs à ce titre que l’institution – <a href="https://www.armitiere.com/livre/455226-la-police-combien-de-divisions--francis-zamponi-dagorno">très majoritairement composée de policiers</a> – est régulièrement soupçonnée de faire preuve de clémence envers les mis en cause, voire d’entretenir avec eux une connivence de mauvais aloi, l’amenant à couvrir nombre d’agissements illégitimes.</p>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523787/original/file-20230502-20-ikiynl.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Tract de la Fédération anarchiste mettant en cause l’IGPN, Paris XXᵉ arrondissement.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C.de Bellaing</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
</figcaption>
</figure>
<figure class="align-left zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Affiche sarcastique dans le XXᵉ arrondissement de Paris, mettant en cause l’IGPN" src="https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523792/original/file-20230502-26-7a3scm.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Affiche sarcastique dans le XXᵉ arrondissement de Paris, mettant en cause l’IGPN.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C.du Bellaing</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Ainsi, c’est sous cet aspect que l’IGPN est devenue un objet récurrent du débat public, en particulier à la suite de ses rapports sur deux affaires particulièrement médiatisées.</p>
<p>D’une part, <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/adolescents-interpelles-a-mantes-la-jolie/">celle des 151 adolescents</a> de Mantes-la-Jolie interpellés en 2018 en marge d’une mobilisation lycéenne qui, dans l’attente de leur transfert vers des postes de police, avaient été contraints de se tenir à genoux, mains sur la tête ou menottés dans le dos.</p>
<p>D’autre part, celle sur la <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/12/01/mort-de-steve-maia-canico-le-parquet-ouvre-la-voie-a-un-proces-en-correctionnelle_6152445_3224.html">mort de Steve Maia Caniço</a>, retrouvé noyé dans la Loire à Nantes après qu’une charge policière à 4 h du matin le soir de la fête de la musique 2019 et qui a conduit plusieurs personnes à tomber à l’eau.</p>
<p>Certes, il y a des précédents : l’IGS avait en son temps été <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2012/01/11/la-police-des-polices-au-c-ur-d-un-scandale-judiciaire_1628115_3224.html">au cœur de la tourmente</a> lorsqu’il avait été établi qu’elle avait échafaudé en 2007, sur commande politique, un stratagème pour évincer un fonctionnaire de police proche de <a href="https://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2012/article/2012/01/11/daniel-vaillant-soupconne-une-affaire-grave_1628338_1471069.html">l’homme politique Daniel Vaillant</a>. D’autres affaires émaillent depuis longtemps la vie des instances de contrôle interne de la police nationale.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="Affiche sur un mur du XXᵉ arrondissement de Paris mettant en cause l’IGPN" src="https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/523799/original/file-20230502-18-88w9z9.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">Affiche sur un mur du XXᵉ arrondissement de Paris mettant en cause l’IGPN.</span>
<span class="attribution"><span class="source">C. du Bellaing</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Pour autant, jamais l’acronyme du service interne de contrôle, à la visibilité pourtant réduite (l’inspection ne dispose pas de site Internet, <a href="https://www.police-nationale.interieur.gouv.fr/Organisation/Inspection-generale-de-la-Police-nationale">seulement d’une page de liaison</a> permettant de soumettre une plainte), n’a été à ce point connu, et son action à ce point contestée. En outre, la <a href="https://www.lgdj.fr/polices-comparees-9782275046709.html">comparaison internationale</a> achève souvent d’enfoncer le clou des <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/04/05/maintien-de-l-ordre-dans-les-autres-pays-d-europe-qui-controle-les-agissements-de-la-police_6168388_4355770.html">insuffisances du contrôle interne français</a>, en mettant en avant le rôle des instances externes de contrôle, plus indépendantes et dès lors réputées plus à même de conduire des enquêtes impartiales.</p>
<h2>Ce qu’en pensent les policiers eux-mêmes</h2>
<p>Il faut enfin ajouter à cette équation l’avis de nombre de policiers sur l’IGPN. La réputation de l’Inspection au sein de la plupart des services actifs n’est pas celle d’un service à la grande magnanimité ou témoignant d’accointances avec les mis en cause mais, à l’inverse, comme nous l’avons constaté au cours de nos enquêtes, celle d’une instance d’enquêteurs tâtillons qui font preuve, par leur travail acharné de débusquement, d’une scandaleuse rupture de solidarité avec le reste de l’institution.</p>
<p>Telles sont les composantes de la construction actuelle du contrôle interne de l’activité policière comme problème public. Une part importante de ce débat est consacrée à l’efficacité du contrôle, opposant celles et ceux qui se réjouissent que le contrôle fonctionne bien (certains estimant tout de même qu’il peut encore être amélioré <a href="https://www.cairn.info/revue-pouvoirs-2002-3-page-43.htm">par petites touches</a>), à d’autres qui font valoir que l’organisation, la composition et les méthodes de travail de l’IGPN empêchent, si ce n’est absolument en tout cas tendanciellement, un <a href="https://connexion.liberation.fr/autorefresh">véritable contrôle de s’exercer</a>.</p>
<p>Lorsque les enquêtes sont jugées insuffisantes, c’est souvent en raison de l’individualisation des responsabilités à laquelle elles aboutissent, laissant de facto de côté les interrogations sur les déterminations structurelles qui rendent possibles les comportements illégitimes. Seule une nouvelle répartition du travail d’enquêtes entre instances de contrôle semble alors à même d’accroître l’efficacité du contrôle de l’action policière.</p>
<h2>Vers une autre piste ?</h2>
<p>On voudrait suggérer ici une piste complémentaire sur la base d’une hypothèse : la sanction, ou sa menace, ne suffit pas à réguler un comportement illégal. Ce que l’on sait depuis longtemps concernant les phénomènes de délinquance comme en témoignent les longs débats aux États-Unis autour de la notion de <a href="https://ideas.dickinsonlaw.psu.edu/cgi/viewcontent.cgi?article=2982&context=dlra">« deterrence »</a> (dissuasion).</p>
<p>Il faut dès lors trouver le moyen de changer les pratiques policières et les normes professionnelles qui les enserrent si on veut aboutir à une réduction drastique des comportements visés par les instances de contrôle.</p>
<p>Pour ce faire, il est impératif d’accroître les connaissances quant au fonctionnement de l’activité policière, de la part à la fois du public et de l’institution elle-même. Certes, nous ne manquons plus de travaux de sciences sociales sur le sujet mais nous savons qu’ils peinent parfois à franchir les portes de l’institution.</p>
<p>La suggestion est alors la suivante : les enquêtes de l’IGPN devraient servir non seulement à établir la culpabilité ou l’innocence de policiers mis en cause, mais pourraient aussi être utilisées comme des plongées investigatrices dans l’activité policière ordinaire.</p>
<p>Elles documenteraient ainsi utilement dans quelles circonstances des coups sont portés sans justification immédiate par les conditions de l’intervention, et porter l’interrogation en amont, à propos de l’organisation du travail et de son encadrement ; elles ouvriraient la discussion autour des réactions (ou de l’absence de réactions) du collectif policier dans lequel se trouve le fonctionnaire fautif ; elles illustreraient les mécanismes qui facilitent, ou à l’inverse, entravent l’exercice d’une violence illégitime ; elles renseigneraient sur les modalités concrètes de montées en tension entre forces de l’ordre et population. Elles pourraient, en somme, être mobilisées comme des vecteurs d’une meilleure autocompréhension du travail policier, de ses difficultés, de ses défaillances.</p>
<p>Évidemment, une telle perspective supposerait que ces enquêtes en soient effectivement, c’est-à-dire qu’elles ne s’arrêtent pas à la détermination d’une culpabilité ou d’une innocence individuelle, et que leur contenu soit intégralement recueilli par un organe interne à l’institution dont la tâche explicite serait de comprendre ce qui défaille lorsque des comportements illégitimes sont établis, et ce qui motive les plaintes lorsqu’elles sont déposées au sens où elles constituent les indices tangibles d’attentes sociales vis-à-vis de l’institution policière.</p>
<p>L’enjeu n’est pas mince : à un moment historique où l’action policière soulève des inquiétudes massives au sein de la société française, l’institution pourrait trouver dans ce cheminement réflexif une possibilité de prendre la mesure des défis de son temps en s’appuyant sur une matière riche : les enquêtes qu’elle conduit à propos d’elle-même.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204590/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cédric Moreau de Bellaing a reçu des financements de Sciences Po Paris (2000) et de l'INHES (2004) en rapport avec les sujets abordés dans l'article. </span></em></p>L’IGPN, institution de contrôle des polices, est régulièrement soupçonnée de faire preuve de clémence envers les mis en cause, notamment parce que ses enquêtes demeurent peu accessibles.Cédric Moreau de Bellaing, Maître de conférences en sociologie du droit et en science politique , École normale supérieure (ENS) – PSLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2046262023-05-02T20:24:02Z2023-05-02T20:24:02ZManifestations : la police peut-elle sortir de la confrontation permanente ?<p>Depuis janvier 2023 et les premières mobilisations contre la réforme des retraites, au 1<sup>er</sup> mai 2023, l’actualité s’est fait régulièrement l’écho d’actions musclées et des confrontations qui ont <a href="https://theconversation.com/la-militarisation-du-maintien-de-lordre-en-france-vers-une-derive-autoritaire-203432">caractérisé</a> le rapport entre forces du maintien de l’ordre et manifestants. Une situation déjà observée dans les années 2010, notamment à l’occasion du mouvement des Gilets jaunes.</p>
<p>Construits à partir d’entretiens réalisés avec des policiers, des gendarmes ou des membres du corps préfectoral, du recueil de documentation interne à la police et à la gendarmerie et de mises en perspective internationales, différents travaux de spécialistes ont montré ce <a href="https://theconversation.com/violence-et-police-un-probleme-dencadrement-juridique-185097">tournant</a>. Ainsi, la « gestion patrimonialiste des conflits sociaux », fondée sur la négociation avec les organisations syndicales et une <a href="https://www.cairn.info/strategies-de-la-rue--9782724607074.htm">certaine tolérance</a> vis-à-vis des troubles causés par les manifestants, a laissé la place à un modèle de maintien de l’ordre beaucoup plus dur, dont l’objectif semble être d’empêcher les manifestations, plutôt que de faciliter leur déroulement.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/maintien-de-lordre-qui-decide-de-quoi-119128">Ces opérations de maintien de l’ordre</a> sont en effet caractérisées depuis quelques années, par une certaine <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/politiques-du-desordre-olivier-fillieule/9782021433968">« brutalisation »</a> et un <a href="https://www.cairn.info/police-et-societe-en-france--9782724640007-page-325.htm">durcissement</a> dont témoigne aussi l’usage croissant d’outils judiciaires et administratifs contre les manifestants.</p>
<h2>Un changement de doctrine qui a fait long feu</h2>
<p>Pourtant, lorsque la mobilisation contre la réforme des retraites a débuté, en janvier, les difficultés relatives aux opérations de maintien de l’ordre semblaient être de l’histoire ancienne. Depuis le <a href="https://www.lejdd.fr/Politique/laurent-nunez-devrait-remplacer-didier-lallement-a-la-tete-de-la-prefecture-de-police-de-paris-4124120">remplacement</a> de Didier Lallement par Laurent Nunez au poste de préfet de police, une approche différente de l’encadrement des cortèges parisiens prévalait. Les policiers et les gendarmes n’encadraient plus les manifestants au plus près, mais se situaient au contraire à bonne distance de ceux-ci, dans des rues adjacentes. Et les syndicats et leur service d’ordre avaient repris la main sur l’organisation des manifestations, en <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-choix-franceinfo/manifestation-contre-la-reforme-des-retraites-comment-le-maintien-de-l-ordre-est-il-assure-dans-les-corteges_5605253.html">bonne intelligence</a> avec les préfets et les forces de l’ordre.</p>
<p>Mais ce récit de l’« adoucissement » ne résiste guère à l’analyse et occulte certains excès policiers à l’encontre de manifestants. Un journaliste indépendant a ainsi dû être <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/manifestation-un-homme-emascule-apres-un-coup-de-matraque-d-un-policier-20230122">amputé d’un testicule</a> suite au coup de matraque porté par un policier lors de la manifestation du 19 janvier, à Paris. De plus, l’apparent changement de doctrine consécutif à la nomination de Laurent Nunez n’a pas empêché plusieurs dizaines de personnes visiblement pacifiques de subir des <a href="https://actu.fr/societe/coups-injustifies-usage-d-armes-les-violences-policieres-c-est-quoi-exactement_58340413.html">matraquages injustifiés</a> lors de charges policières (le 19 janvier, le 31 janvier et le 11 février).</p>
<p>Surtout, à partir du 16 mars et du recours par le gouvernement à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, les journalistes et les observateurs ont largement documenté les violences physiques exercées par les forces de l’ordre à l’encontre des manifestants, ainsi que les arrestations arbitraires, voire les <a href="https://www.bfmtv.com/paris/violences-de-policiers-de-la-brav-m-deux-manifestants-vont-porter-plainte_AN-202303260314.html">humiliations</a> subies par ces derniers lors des manifestations nocturnes (non-déclarées par les syndicats) consécutives à l’annonce du recours au 49.3.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Des unités policières et des dispositifs judiciaires qui interrogent</h2>
<p>Les critiques se sont notamment focalisées sur les <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/24/je-peux-te-dire-qu-on-en-a-casse-des-coudes-et-des-gueules-quand-la-brav-m-derape-au-cours-d-une-interpellation_6166857_3224.html">agissements de la BRAV-M</a>, une unité créée en 2019 pour réprimer les cortèges mobiles et sauvages des Gilets jaunes. Mais d’autres images attestent également de violences commises par des policiers membres de CRS ou de Compagnies d’Intervention (CI).</p>
<p>Au total, depuis le début de la mobilisation, l’IGPN a été saisie de <a href="https://www.bfmtv.com/police-justice/reforme-des-retraites-53-enquetes-judiciaires-confiees-a-l-igpn-depuis-le-debut-du-mouvement_AN-202304140038.html">53 enquêtes judiciaires</a>, principalement pour Paris (chiffres au 1<sup>er</sup> mai), tandis que la Défenseure des droits a été saisie <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite-france/retraites-115-saisines-de-la-defenseure-des-droits-depuis-le-debut-de-la-mobilisation-20230417">115 fois</a> (chiffres du 17 avril) pour des violences policières supposées.</p>
<p>Concernant les arrestations arbitraires, si elles peuvent être décrites comme telles, c’est en raison du faible nombre d’interpellations qui aboutissent, en bout de chaîne, à des déferrements. Ainsi, au cours de la soirée du 16 mars, 292 personnes ont été placées en garde-à-vue mais seulement neuf d’entre elles ont été déférées avec des <a href="https://www.bfmtv.com/paris/neuf-personnes-deferees-sur-les-292-interpellations-lors-de-la-manifestation-place-de-la-concorde-j">sanctions très faibles</a>.</p>
<p>Le lendemain, 64 personnes ont été placées en garde-à-vue et six d’entre elles <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/200323/violences-interpellations-abusives-le-retour-d-un-maintien-de-l-ordre-qui-seme-l">ont été déférées</a>. Cela renforce l’idée d’un détournement de la garde-à-vue, qui n’est plus utilisée pour mettre un suspect à disposition d’un officier de police judiciaire (OPJ), mais simplement pour punir un individu d’avoir participé à une manifestation ou « pour vider les rues ».</p>
<h2>Un basculement répressif</h2>
<p>Comment peut-on expliquer ce basculement répressif à partir de la mi-mars ? Les forces de l’ordre, soutenues par le gouvernement et les syndicats policiers, avancent trois types d’arguments, déjà utilisés au plus fort du mouvement des Gilets jaunes, en décembre 2018.</p>
<p>Le premier a trait au <a href="https://theconversation.com/le-vertige-de-lemeute-108449">caractère émeutier</a> des manifestations les plus récentes, rendant les moyens habituellement employés pour encadrer les manifestations intersyndicales insuffisants pour rétablir l’ordre. Le deuxième argument pointe la fatigue et la lassitude des forces de l’ordre à cause de la répétition des manifestations et de la surcharge de travail, ce qui expliquerait les dérives et les bavures.</p>
<p>Le troisième est la violence exercée contre les forces de l’ordre, dont ont témoigné de nombreuses images comme ce policer qui s’écroule après avoir reçu un pavé dans la tête lors de la <a href="https://www.bfmtv.com/paris/greve-du-23-mars-a-paris-laurent-nunez-annonce-saisir-la-justice-apres-la-blessure-d-un-policier-a-la-tete_AN-202303240410.html">manifestation parisienne du 23 mars</a>. Les chiffres rapportés par le ministère de l’Intérieur font état de 441 policiers blessés pour cette seule journée à Paris.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1638924339482443778"}"></div></p>
<p>La violence exercée par les forces de l’ordre est alors présentée comme une réponse, par l’État, à ce déferlement. Ces arguments ne peuvent pas être balayés notamment avec la <a href="https://www.cairn.info/violences-politiques-en-france--9782724627305.htm">recomposition du répertoire manifestant</a>, avec des violences de certains groupes minoritaires (facilitées à Paris par le contexte urbain, et notamment l’amas de poubelles dans les rues).</p>
<p>La lecture des journaux de marche des compagnies de CRS, comme a pu le faire Le Monde, est à cet égard <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/25/retraites-les-crs-eprouves-apres-une-journee-noire-a-nantes-rennes-bordeaux-ou-toulouse_6166955_3224.html">instructive</a> : celles-ci ont dû faire en différents endroits à des guets-apens, des jets de projectiles, incendies de poubelles ou de palettes, tirs de mortiers d’artifice, voire de cocktails Molotov. Cependant, ces éléments forment le contexte de l’intervention, sans pour autant déterminer la stratégie adoptée par les forces de l’ordre.</p>
<h2>Un manque d’intérêt pour les stratégies de désescalade</h2>
<p>Face à ces nouvelles conditions, nous observons un manque d’intérêt persistant des différentes autorités (ministère de l’Intérieur, préfecture de police de Paris, police nationale et gendarmerie nationale) pour la notion de désescalade.</p>
<p>Cette approche vise à retarder, voire éviter le recours à la force, en privilégiant d’autres moyens (temporisation, dialogue, recul des forces de l’ordre) tant que cela est possible. S’en passer conduit les forces de l’ordre à se montrer brutales dès qu’une difficulté apparaît et <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/index.php?lvl=notice_display&id=41982">contribue à distinguer nettement la France</a> d’un grand nombre de pays européens.</p>
<p>Plusieurs conséquences en découlent : une incapacité à opérer des distinctions entre les profils de manifestants – et donc l’usage de la force contre des manifestants apparemment non violents ; une sous-utilisation des mécanismes de communication en continu par l’emploi de moyens humains (équipes dédiées chargées de communiquer en continu avec les manifestants) et technologiques (l’utilisation de panneaux lumineux permettant de rendre plus visibles les ordres de dispersion et sommations) ; une tendance à réduire la contestation sociale à l’action de groupes minoritaires (d’« ultragauche » notamment), et donc à déployer la force.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/O3YKU9UGeCY?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’unité dite de la BRAV-M a été particulièrement cible de critiques. Émission de C à Vous, YouTube, 7 avril 2023.</span></figcaption>
</figure>
<p>Sans entrer dans le détail de faits individuels pour lesquels les procédures judiciaires sont en cours, le non-respect de <a href="https://www.interieur.gouv.fr/deontologie">règles déontologiques</a> tel que le port du RIO (numéro d’identification), le fait d’avoir le visage masqué, l’emploi d’un ton agressif ou du tutoiement, l’usage de gaz lacrymogène non légitime, etc., apparaît de façon récurrente.</p>
<p>L’utilisation d’unités proactives à l’instar des Brav-M – binômes motorisés mandatés pour interpeller des individus suspectés d’infractions – est l’expression paroxystique de cet ensemble de décisions et pratiques reposant sur un style d’action musclé : interpellations violentes, relations individuelles agressives avec des manifestants, etc.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/24/je-peux-te-dire-qu-on-en-a-casse-des-coudes-et-des-gueules-quand-la-brav-m-derape-au-cours-d-une-interpellation_6166857_3224.html">L’enregistrement diffusé par <em>Le Monde</em></a> le soir du 20 mars, révèle ces dérives : <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/violences-policieres/police-un-enregistrement-audio-accablant-pour-les-policiers-de-la-brav-m_5732423.html">propos insultants et humiliants</a> et attitudes menaçantes se succèdent auprès de plusieurs jeunes interpellés pendant de longues minutes ; « je peux te dire qu’on en a cassé des coudes et des gueules ».</p>
<h2>Deux effets pervers majeurs</h2>
<p>Outre qu’elle contribue à porter atteinte à la réputation de la France sur le <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/14/le-maintien-de-l-ordre-a-la-francaise-une-agressivite-a-rebours-des-voisins-europeens_6169477_3232.html">plan international</a>, cette stratégie confrontationnelle comporte deux effets pervers majeurs.</p>
<p>D’abord, elle a des conséquences humaines sur les individus qui en sont les victimes en termes, a minima, d’atteintes à la liberté de manifester, et a maxima, d’atteintes physiques graves. Ensuite, elle tend à <a href="https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2011-6-page-1047.htm">accroître</a> l’hostilité de la part des manifestants, y compris ceux qui sont au départ pacifiques. L’utilisation perçue comme illégitime et excessive de la force finit par devenir un élément de mobilisation. Les interventions viriles d’unités comme les Brav-M sont elles-mêmes facteurs de dégradations des situations.</p>
<p>Une telle stratégie accroît plus généralement les antagonismes entre manifestants et forces de l’ordre, défenseurs des libertés publiques et organisations professionnelles de défense des policiers. C’est ici le risque du « hard power trap », quand la dégradation des relations aboutit à ce que l’obéissance ne résulte plus que de la contrainte, bien mis en évidence dans les <a href="https://policy.bristoluniversitypress.co.uk/good-policing">travaux internationaux sur la police</a> depuis de nombreuses années.</p>
<p>Au contraire, dans le cas de la manifestation dans le Tarn du 21 avril <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/occitanie/tarn/albi/manifestations-contre-l-autoroute-a69-premiere-en-france-d-une-surveillance-en-drones-par-les-forces-de-l-ordre-2758690.html">contre un projet autoroutier</a>, la police était présente mais peu visible et éloignée des cortèges, résultant en peu de heurts. D’autres choix sont donc possibles.</p>
<h2>Ce que nous apprend l’histoire des polices</h2>
<p>L’histoire des polices montre que certaines périodes sont plus favorables à une réflexion collective sur les conditions de la légitimité des polices. En France, entre les années 1970 et 1990 s’est construit un ensemble de pratiques de maintien de l’ordre reposant sur le tryptique <a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100688560">« prévision, négociation, contrôle »</a>, logique associée à une acceptation tendancielle de la pacification des conflits par les mouvements protestataires.</p>
<p>Devant une transformation des répertoires (plus imprévisibles, moins déclarés, moins organisés, etc.) et l’incapacité à neutraliser les protestataires plus violents, les gouvernements français ont privilégié, depuis maintenant une dizaine d’années, une réponse consistant à frapper plus durement l’ensemble des manifestants pour préserver l’ordre public.</p>
<p><a href="https://www.pressesdesciencespo.fr/fr/book/?gcoi=27246100546260">Dans un ouvrage récent</a>, nous montrons que le modèle policier français, dont la légitimité a d’abord été pensée par rapport à la préservation de l’ordre politique, doit désormais s’adapter aux demandes de tranquillité émanant des territoires et asseoir l’autorité de ses agents aux yeux des publics divers d’une société française inégalitaire et plurielle.</p>
<p>Cette question se pose particulièrement pour le maintien de l’ordre. A un moment où le fonctionnement de la démocratie représentative <a href="https://theconversation.com/a-65-ans-la-v-republique-devrait-elle-partir-a-la-retraite-203431">est structurellement remis en cause</a>, et où donc de nouvelles formes de protestation ne manqueront pas d’émerger, il semble essentiel de prendre le temps de repenser le maintien de l’ordre, en combinant usage légitime et proportionné de la force et respect des libertés individuelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/204626/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Les opérations de maintien de l’ordre sont caractérisées depuis quelques années, par une certaine « brutalisation » qui distingue la France de ses voisins européens.Jacques de Maillard, Professeur des Universités, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Aurélien Restelli, Doctorant, sociologie, CESDIP, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2035132023-04-20T15:59:41Z2023-04-20T15:59:41ZLes mots choisis du ministre de l’Intérieur pour une stratégie très politique<p>Les propos du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin sur la création de cellules <a href="https://reporterre.net/Cellule-antizad-Darmanin-accroit-la-criminalisation-des-ecologistes">« antizad »</a> pour début septembre 2023 ou sur l’appel à <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/04/07/menace-de-dissolution-des-soulevements-de-la-terre-la-bataille-des-arguments-est-engagee_6168689_3244.html">dissoudre</a> le mouvement Les Soulèvements de la Terre illustrent une stratégie classique pour ceux qui occupent la place Beauvau.</p>
<p>Depuis Nicolas Sarkozy – pour ne parler que du XXI<sup>e</sup> siècle –, le ministère de l’Intérieur est considéré comme un tremplin menant aux plus hautes fonctions de la République. L’image de maintien de l’ordre et de protection attachée à ce poste répond aux désirs des citoyens en manque de sécurité.</p>
<p>Grande est alors la tentation de faire monter en puissance <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/203285-discours-de-m-jacques-chirac-president-de-la-republique-sur-la-democr">ce thème de l’insécurité</a>, surtout lorsque l’on se sent en faiblesse sur d’autres thèmes, à l’image de la <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/1852356001044/jacques-chirac">stratégie élaborée par Jacques Chirac</a> face à Lionel Jospin en 2001-2002, avec les résultats que l’on connaît. Or, les présentations fondées sur des travaux de long terme sur le sujet sont souvent balayées par des discours démagogiques et parfois simplistes <a href="https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2023/03/31/manifestations-et-violences-les-erreurs-et-approximations-de-gerald-darmanin_6167693_4355770.html">qui tordent les faits</a> pour mieux mettre en scène les qualités supposées du ministre et de ses troupes.</p>
<h2>Une rhétorique sécuritaire peu fondée mais politiquement efficace</h2>
<p>Faut-il pour autant se désintéresser de ces paroles ? Les exemples étrangers de leaders a priori fantaisistes ou ridicules mais néanmoins <a href="https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/donald-trump-quand-le-monde-ny-croyait-pas-20220414_6VQEYELMQ5HJHJWEOUEP2HVME4">élus par la suite</a> montrent que, même si on les considère comme <a href="https://www.nytimes.com/2018/10/19/technology/whatsapp-brazil-presidential-election.html">irrationnels</a>, les arguments ou les constructions liées à la sécurité peuvent toucher des électeurs.</p>
<p>Lorsque de surcroît ces discours s’ancrent dans des figures redondantes du passé, cela leur confère une légitimité accrue, quel que soit leur degré de cohérence et de réalisme. Il est alors intéressant de regarder comment des dirigeants politiques s’enferment dans une <a href="https://www.cairn.info/revue-vacarme-2007-3-page-68.htm">rhétorique passéiste sur la sécurité et les violences</a> censée rassurer les électeurs mais qui les <a href="https://www.cairn.info/la-police-contre-les-citoyens--9782353711055.htm">piègent eux-mêmes.</a></p>
<p>À force d’élaborer des déclarations martiales et n’acceptant aucune contestation ni aucun bémol, ces dirigeants deviennent incapables de produire une réflexion critique sur leur action ou sur le fonctionnement de leurs troupes. Plusieurs concepts sont utilisés de manière plus ou moins adroite pour construire l’image d’un ministre omnipotent servi par une police absolument irréprochable. Or, ces excès d’autosatisfaction conduisent au refus de débattre, et à la négation de tout travail d’analyse n’entrant pas dans le crédo ministériel.</p>
<h2>Un discours prisonnier du manichéisme</h2>
<p>À travers de telles questions, il s’agit moins d’écouter ou de comprendre des arguments que de classer rapidement les personnes en deux camps : ceux qui aiment la police et ceux qui la détestent, les seconds devenant les ennemis de la société dans son ensemble.</p>
<p>Dans ce cadre de pensée, toute tentative d’explication devient suspecte de complicité, cela nous renvoyant au fameux discours de Manuel Valls qui, à propos du terrorisme, lançait : <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2016/03/03/terrorisme-la-cinglante-reponse-des-sciences-sociales-a-manuel-valls_4875959_3224.html%22%22">« comprendre, c’est déjà un peu excuser »</a>.</p>
<p>Ou encore <a href="https://www.vie-publique.fr/discours/197172-declaration-de-m-manuel-valls-premier-ministre-en-reponse-diverses">d’affirmer devant le Sénat</a> :</p>
<blockquote>
<p>« j’en ai assez de ceux qui cherchent en permanence des excuses et des explications culturelles ou sociologiques aux événements qui se sont produits ! »</p>
</blockquote>
<p>La confusion entre la démarche de condamnation et celle de compréhension <a href="https://www.cairn.info/condamner--9782749246796.htm">n’est pas nouvelle</a>. Elle interdit par avance tout travail de réflexion prenant en compte la complexité des situations et conduit au simplisme.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/u6jBBsIRxmk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Vidéo du Parisien, des violences de la police sur les manifestants sont dénoncées par les opposants à la réforme.</span></figcaption>
</figure>
<p>On peut être pour la police dans son principe et condamner ses débordements, voire même chercher à les comprendre. On peut aussi avoir une conception de la police différente de celle du ministre en lui rappelant que selon <a href="https://www.education.gouv.fr/declaration-des-droits-de-l-homme-et-du-citoyen-du-26-ao%C3%BBt-1789-10544">l’article 12</a> de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la force publique est « instituée pour l’avantage de tous, et non pour l’utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ».</p>
<h2>Une violence croissante ?</h2>
<p>Associée au manichéisme, et le nourrissant, l’idée selon laquelle notre société serait victime d’une violence croissante <a href="https://www.seuil.com/ouvrage/une-histoire-de-la-violence-robert-muchembled/9782757850091">s’est depuis longtemps installée</a> dans le paysage politique français. Auparavant utilisé pour caractériser – et caricaturer – l’évolution des banlieues, cet argument sert désormais pour discréditer aussi bien les débats à l’Assemblée que les manifestants.</p>
<p>Il est évident qu’existe aujourd’hui une violence dans notre société, mais celle-ci n’est pas un phénomène nouveau. La loi <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038358582">« anticasseurs » du 10 avril 2019</a> fait écho aux précédentes lois <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/loi-anti-casseurs-un-air-de-1970-souffle-sur-la-france_3135749.html">« anticasseurs » de 1970</a> ou de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000516044">1981</a> élaborées pour lutter <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/autonomes-manifestations-anarchistes-annees-1970">contre les « autonomes »</a>, sans parler des <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1993/09/01/apres-les-incidents-au-parc-des-princes-m-pasqua-se-dit-oppose-a-l-adoption-d-une-loi-specifique-pour-lutter-contre-la-violence-dans-les-stades_3938708_1819218.html">propositions « Pasqua » en 1993</a>.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/ke8t8LROW-8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Interview de Charles Pasqua autour de la loi sur la sécurité intérieure, 1993, Antenne 2, INA.</span></figcaption>
</figure>
<p>Le romantisme associé à mai 1968 cache souvent la violence de ce moment, avec des barricades fermant des rues en plein centre de Paris et des policiers blessés par les petits pavés parisiens, excellente arme de jet. Le fameux discours du préfet Grimaud incitant les policiers à la modération dans la répression, en mai 1968, insiste aussi sur la « sauvagerie des agressions contre la police », évoquant comme aujourd’hui les « jets de produits chimiques destinés <a href="https://www.lemonde.fr/le-monde-2/article/2008/05/16/la-lettre-de-maurice-grimaud-aux-policiers_1046120_1004868.html">à aveugler ou à brûler gravement</a> ».</p>
<p>Comme on le voit, la violence n’est donc pas nouvelle ni croissante, et c’est bien pour cela qu’ont été créées les <a href="https://www.decitre.fr/livres/histoire-et-dictionnaire-de-la-police-9782221085738.html">unités spéciales de maintien de l’ordre CRS en 1944 et gendarmes mobiles en 1921</a> : pour éviter que ne dérivent des situations potentiellement violentes tout en protégeant davantage l’État. Insister sur cette prétendue nouveauté, c’est montrer ses limites dans la gestion d’un phénomène pourtant courant.</p>
<h2>Des mobilisations policières récurrentes</h2>
<p>La nouveauté, pourtant non prouvée, de cette violence obligerait à des dispositifs <a href="https://www.leparisien.fr/economie/retraites/retraites-un-dispositif-de-securite-inedit-pour-ce-mardi-avec-13-000-policiers-et-gendarmes-mobilises-27-03-2023-BNM7TRQ7JBBA3J274OAJBXWOTQ.php">« exceptionnels » ou « inédits »</a>. Mais cet argument de « l’exceptionnel » ne cesse d’être répété par les différents titulaires du poste. Par exemple, le nombre des policiers mobilisés lors des manifestations anti-CPE de 2006 était plus important que celui annoncé <a href="https://www.lefigaro.fr/actualite/2006/04/04/01001-20060404ARTFIG90236-_policiers_et_gendarmes_mobilises.php">lors des dernières mobilisations</a>. En 2018, les blindés de la Gendarmerie devaient apporter la réponse aux violences des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=lk87fWhupcY">« gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Là aussi, ce rapide retour en arrière nous montre que <a href="https://journals.openedition.org/ejts/4720?lang=tr">« le spectacle de la police des foules »</a> exige des déclarations montrant combien le ministre est capable de mettre en place des troupes pour protéger les citoyens.</p>
<p>Et, parmi les discours récurrents dénonçant la violence croissante de « l’ultra gauche », on voit aussi ressortir <a href="https://www.bfmtv.com/politique/gouvernement/manifestations-du-28-mars-darmanin-annonce-un-dispositif-inedit-de-13-000-forces-de-l-ordre-dont-5500-a-paris_AN-202303270640.html">l’argument de l’étranger</a> qui serait responsable à lui seul d’une radicalisation des mouvements sociaux, sans que soit d’ailleurs précisé quel serait cet étranger.</p>
<p>Ce discours a été entendu dans le cas de Sainte-Soline, mais il s’inscrit dans le prolongement d’un discours anti-écologiste <a href="https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/vital-michalon-creys-malville-manifestation">né à Creys-Malville en 1977</a>. À cette époque, il était largement alimenté par la <a href="https://fresques.ina.fr/rhone-alpes/fiche-media/Rhonal00258/les-manifestations-de-creys-malville.html">xénophobie anti-allemande</a> où le souvenir de l’occupation était encore très fort et le désordre associé aux combats écologistes d’outre-Rhin.</p>
<h2>Discréditer les droits de l’Homme</h2>
<p>À une autre échelle, cette vision dénonçant « l’étranger » permet du même coup de <a href="https://journals.openedition.org/revdh/3598?lang=es">discréditer</a> toutes les instances internationales <a href="https://www.liberation.fr/france/2018/06/21/violences-policieres-la-france-condamnee-par-la-cedh-pour-negligence-dans-la-mort-d-ali-ziri_1660971">condamnant</a> les violences commises par la police française, et qui feraient <a href="https://www.lepoint.fr/faits-divers/violences-policieres-la-condamnation-qui-embarrasse-la-france-27-05-2019-2315369_2627.php">partie du complot contre la France</a>. Le ministère de l’Intérieur qui disposerait selon lui de la meilleure police, impossible à critiquer, rejette ainsi toute comparaison internationale qui <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/04/14/le-maintien-de-l-ordre-a-la-francaise-une-agressivite-a-rebours-des-voisins-europeens_6169477_3232.html">pourrait lui nuire</a>.</p>
<p>Dans le même ordre d’idée, on pourrait évoquer les arguments sur la <a href="https://blog.leclubdesjuristes.com/perimetres-dinterdiction-de-manifestation-ladministration-prefectorale-organisait-sciemment-lincontestabilite-de-ses-arretes-par-serge-slama/">légalité de l’action gouvernementale</a> justifiant l’usage de la police à employer la force, ou l’utilisation <a href="https://www.cairn.info/revue-savoir-agir-2021-1-page-33.htm">détournée du sociologue Max Weber par G. Darmanin dans ce but</a>.</p>
<p>La reprise négative du discours contre les <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/droit-de-l-hommisme-histoire-d-un-neologisme-pejoratif-8107313">« droits-de-l’hommisme »</a>, singeant Jean-Pierre Chevènement en 1999 ou N. Sarkozy en 2002 va dans le même sens.</p>
<h2>Artifices rhétoriques</h2>
<p>Tous ces artifices rhétoriques sont destinés à dissimuler les vraies questions qui se posent à l’occasion des manifestations et de leur répression : la qualité du débat démocratique et, pour ce qui concerne la police, la <a href="https://theconversation.com/la-militarisation-du-maintien-de-lordre-en-france-vers-une-derive-autoritaire-203432">qualité des armes et stratégies utilisées</a>. </p>
<p>Il ne s’agit pas d’être pro ou anti-police, mais de réfléchir collectivement sur ce qu’est une bonne police, démocratique, acceptable, et qui ne justifie pas à tout prix les écarts de quelques-uns de ses éléments.</p>
<p>Une réflexion doit aussi être lancée sur l’instrumentalisation de plus en plus visible de l’outil policier pour éviter les débats qui ne conviennent pas à ceux qui tiennent le pouvoir exécutif, et les dérives de candidats à la magistrature suprême qui pense que les seules qualités pour y arriver sont l’autoritarisme, l’obstination et le manque d’ouverture sur l’extérieur.</p>
<p>Ce discours serait risible s’il ne causait pas des blessures de plus en plus graves tant du côté des manifestants que des forces de l’ordre. Car le mépris vis-à-vis des contestataires n’a d’égal que celui pour ses policiers, soignés certes à travers des <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4031564-20230406-reforme-retraites-darmanin-defend-gestion-maintient-ordre-manifestation-devant-alliance">mesures catégorielles</a> mais pourtant envoyés jusqu’à l’usure combattre des idées que beaucoup d’entre eux partagent pourtant, notamment sur les retraites.</p>
<p>Finalement, malgré les discours, le ministre soucieux d’imposer une image d’autorité se soucie assez peu que des policiers ou des gendarmes soient blessés pour défendre son image et celle de l’exécutif.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203513/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Christian Mouhanna a reçu des financements du Ministère de la Justice, de l'ANR et de l'ADEME pour les recherches qu'il mène actuellement </span></em></p>La rhétorique sur l’insécurité et les violences émanant du ministère de l’Intérieur permettent d’éviter un débat de fond sur la réforme de l’institution policière.Christian Mouhanna, Chercheur au CNRS, directeur du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2034322023-04-10T19:25:16Z2023-04-10T19:25:16ZLa militarisation du maintien de l’ordre en France : vers une dérive autoritaire ?<p>Depuis l’utilisation du 49.3 par Élisabeth Borne le 16 mars, les manifestations connaissent un regain de colère qui se traduit par une <a href="https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2023-03-28/les-manifestations-de-2023-sont-elles-vraiment-plus-violentes-qu-avant-f6d3d97a-dc41-4347-91a9-05ba1f86ece3">augmentation des incidents en marge des manifestations</a> contre le projet de réforme des retraites. La frustration et l’exaspération laissent de plus en plus souvent place <a href="https://theconversation.com/comment-expliquer-la-forte-et-persistante-revolte-contre-la-reforme-des-retraites-202798">à l’expression physique du mécontentement social</a> qui n’a pu se manifester concrètement au parlement.</p>
<p>Pour répondre <a href="https://theconversation.com/reforme-des-retraites-les-citoyens-au-miroir-de-leurs-blessures-emotionnelles-203182">aux jets de pierres et aux poubelles brûlées</a>, le ministère de l’Intérieur a mis en place un <a href="https://www.letemps.ch/monde/ong-denoncent-violence-policiere-repression-manifestations-france">important déploiement de force</a>, acte jugé excessif et inapproprié <a href="https://fr.myeurop.info/2023/03/28/violences-policieres-limage-de-la-france-atteinte-a-letranger/">sur la scène internationale</a> par différents observateurs comme <a href="https://www.amnesty.fr/actualites/france-manifestations-un-recours-excessif-a-la-la-force-et-aux-arrestations-abusives">Amnesty International</a>.</p>
<p>À ces accusations graves de violations répétées des droits humains (manifester, circuler librement, exprimer publiquement ses opinions sans risque), le gouvernement retourne le vecteur : ce ne seraient pas les excès d’une partie des forces de l’ordre qui poseraient problème, mais <a href="https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/que-sont-les-factieux-denonces-par-emmanuel-macron-20230322">« les factieux »</a>, ces manifestants qui voudraient renverser le pouvoir.</p>
<p>Auditionné mercredi 5 avril par la commission des lois de l’Assemblée nationale puis par le Sénat, <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2023/04/05/gerald-darmanin-va-s-expliquer-devant-les-deputes-et-les-senateurs-sur-le-maintien-de-l-ordre_6168317_823448.html">Gérald Darmanin l’assure encore</a>, « la poussée extrêmement forte des violences » est due exclusivement à « l’ultragauche », aux « casseurs » et – s’il voulait faire dans la provocation, dit-il – aux preneurs d’otages (il parle de « prise d’otages » de la part des manifestants violents). Ces affirmations en viennent à omettre un autre facteur essentiel pour saisir la situation actuelle : <a href="https://www.europe1.fr/societe/formation-insuffisante-hierarchie-absente-deni-des-violences-ces-maux-qui-minent-la-police-4008577">l’évolution récente du protocole du maintien de l’ordre français</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-lenquete-police-population-du-ministere-de-linterieur-est-trompeuse-142098">Pourquoi l’enquête « police-population » du ministère de l’Intérieur est trompeuse</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Le LBD, exemple d’une militarisation accrue des forces de l’ordre</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2008-1-page-101.htm">Depuis une trentaine d’années</a>, les gouvernements successifs ont décidé de renforcer le matériel des gendarmes mobiles et des CRS qui sont les principales forces de l’ordre mobilisées pour encadrer les manifestations. L’armure, le pistolet, le gaz lacrymogène et des <a href="https://www.ouest-france.fr/economie/retraites/les-jets-de-grenades-par-les-forces-de-lordre-font-a-nouveau-polemique-dans-les-manifestations-ed95e4ec-c947-11ed-b7b6-abe6ad8a6310">armes de guerre reconnues</a> comme telles par l’État (<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/05/09/police-un-deficit-de-formation-a-l-usage-des-fusils-d-assaut_6125349_3224.html">fusils d’assaut</a>, <a href="https://www.midilibre.fr/2023/03/27/elle-fait-le-bruit-dun-avion-au-decollage-quest-ce-que-la-grenade-gm2l-si-decriee-par-les-manifestants-11092097.php">grenades de désencerclement</a>, <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/gilets-jaunes-le-lbd-reconnu-comme-arme-de-guerre-par-la-reglementation-internationale_3414301.html">LBD</a>) deviennent peu à peu partie intégrante de l’équipement standard pour le maintien de l’ordre.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/peut-on-abolir-la-police-la-question-fait-debat-aux-etats-unis-140477">Peut-on abolir la police ? La question fait débat aux États-Unis</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>L’un des symboles de ce nouvel équipement est le lanceur de balles de défense (LBD). Introduit par Claude Guéant en 1995, le LBD est interdit dans le cadre des manifestations et <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/flash-ball-lbd-40-ces-armes-non-letales-denoncees-depuis-dix-ans-par-presque-tout-le-monde-4585504">expérimenté dans des unités spéciales</a> pour lutter contre le terrorisme et les prises d’otage. Ce choix s’explique aussi bien par les <a href="https://fr-fr.facebook.com/Ina.fr/videos/le-flash-ball-une-invention-fran%C3%A7aise-1995/2055936861371072/">pressions subies par le Conseil de l’Europe</a>, que par la <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/6-decembre-1986-quand-la-mort-de-malik-oussekine-illustrait-les-techniques-policieres-de-l-epoque-4357262">mort de Malik Oussekine en 1986</a> qui reste encore dans les esprits des dirigeants politiques.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/mfx0DPryCes?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">L’affaire Malik Oussekine, 1986, INA.</span></figcaption>
</figure>
<p>Il faut attendre <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/11/29/plusieurs-blesses-dans-une-manifestation-etudiante-a-nantes_983694_3224.html">au moins 2007 pour que le LBD soit utilisé à titre expérimental en manifestation</a>, et son premier usage se solde par une blessure grave. En effet, un lycéen est énucléé et, après onze années de procès, la <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2018/07/05/97001-20180705FILWWW00208-l-etat-condamne-a-payer-86000-euros-a-un-lyceen-eborgne-par-un-flash-ball.php">justice reconnaît que le policier</a> avait illégalement et illégitimement tiré sur un manifestant inoffensif.</p>
<h2>Une « dangerosité totalement disproportionnée »</h2>
<p>Par cette décision prise en juillet 2018, le tribunal administratif fait donc suite à plusieurs condamnations émises par d’autres instances françaises : l’inspection générale des services <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2009/08/19/tir-de-flashball-a-montreuil-des-policiers-n-ont-pas-respecte-les-regles-selon-l-igs_1229952_3224.html">s’alarme du non-respect des règles</a> permettant l’usage du LBD par les forces de l’ordre en juillet 2009, la Commission nationale de déontologie de la Sécurité (qui était chargée de veiller à la déontologie des forces de sécurité publiques et privées) <a href="https://www.francetvinfo.fr/france/la-commission-nationale-de-deontologie-de-la-securite-cnds-met-en-cause-l-utilisation-de-flashball-par-la-police_236191.html">s’inquiète de la « dangerosité totalement disproportionnée »</a> du LBD en manifestation, ou encore le défenseur des droits en <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/jacques-toubon-tire-a-vue-sur-le-flash-ball-4955110">demande l’interdiction en manifestation</a> en 2015 tant l’arme s’avère dangereuse et inutile (même sans les LBD, « la police n’est pas désarmée », elle dispose d’autres outils moins dangereux pour maintenir l’ordre).</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Pourtant, en décembre 2018, le troisième acte des « gilets jaunes » marque également celui du retour en force du LBD. En seulement quatre mois, plus de <a href="https://www.lepoint.fr/societe/gilets-jaunes-plus-de-13-000-tirs-de-lbd-recenses-07-03-2019-2299070_23.php">13 000 tirs de LBD</a> sont réalisés contre les manifestants.</p>
<p><a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/deux-ans-apres-que-sont-devenus-les-gilets-jaunes-mutiles-en-manifestation-2727108">Selon le journaliste David Dufresnes</a>, en l’espace d’un an, plus de 300 « gilets jaunes » sont sérieusement blessés et une trentaine éborgnés suite à ces tirs. Le LBD, <a href="https://www.francetvinfo.fr/economie/transports/gilets-jaunes/gilets-jaunes-le-lbd-reconnu-comme-arme-de-guerre-par-la-reglementation-internationale_3414301.html">cette arme de guerre</a> selon les réglementations françaises et <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/critiquee-par-l-onu-la-france-assume-et-justifie-l-usage-du-lbd-24-04-2019-8059386.php">internationales</a>, est passé en moins de trois décennies du statut d’arme expérimentale antiterroriste à celui d’« arme non létale ».</p>
<h2>Un maintien de l’ordre efficace et plus pacifié dans le dernier tiers du XXᵉ siècle</h2>
<p>Depuis 2018, la France a été catégorisée par le magazine <em>The Economist</em> comme une <a href="https://www.economist.com/graphic-detail/2019/01/08/the-retreat-of-global-democracy-stopped-in-2018">« démocratie défaillante »</a> au même titre que l’Italie, la Pologne et la Hongrie… Un résultat des plus surprenants quand on compare le protocole de maintien de l’ordre actuel avec celui adopté entre 1968 et 2000.</p>
<p>Bien qu’imparfait, le <a href="https://www.cairn.info/strategies-de-la-rue--9782724607074.htm">modèle adopté avec et après</a> les événements de 1968 par le préfet Maurice Grimaud et le ministre de l’Intérieur Raymond Marcellin (imités par leurs successeurs) se révèle très efficace.</p>
<p>La mise à distance des corps (entre manifestants et policiers), la construction d’une gradation de la réponse donnée par les agents, la surveillance par l’infiltration des manifestants (<a href="https://www.cairn.info/revue-parlements-2022-2-page-173.htm">afin de renseigner au mieux les forces de l’ordre de la situation</a>), le développement de nouvelles tactiques visant à s’adapter aux risques d’affrontements et la volonté de laisser les manifestants s’exprimer calmement dans l’espace public, sont autant de changements qui permettent une pacification conséquente de la rue. Des agents chargés d’appréhender les « casseurs » restaient en retrait, prêts à intervenir dès le signal reçu, sans avoir à charger contre l’ensemble du cortège. <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/maintien-de-l-ordre-les-brav-m-sont-elles-totalement-indispensables-comme-l-affirme-laurent-nunez_5751668.html">Contrairement à certaines déclarations officielles</a>, ces manifestants violents étaient déjà chaussés pour fuir, tout comme les agents étaient déjà préparés pour les poursuivre.</p>
<p>Les années 1968-1983 furent pourtant marquées par des manifestations particulièrement violentes. Les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre étaient courants. Toutefois, il y avait une <a href="https://journals.openedition.org/lectures/47106">volonté politique de pacifier</a> les relations entre « la rue » et les forces de l’ordre. Cette pacification se poursuit tout au long des <a href="https://voidnetwork.gr/wp-content/uploads/2016/09/Policing-Protest-The-Control-of-Mass-Demonstrations-in-Western-Democracies-edited-by-Donatella-della-Porta-and-Herbert-Reiter-.pdf">décennies 1970-1990</a>.</p>
<p>Bien entendu, il ne faut pas idéaliser la période. Des incidents parfois très graves eurent lieu. il y eut au moins trois morts et quelques dizaines de blessés parmi les manifestants <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=21084">entre 1977 et 1999</a>, tout comme plusieurs dizaines de policiers et gendarmes furent blessés et un <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/1976/03/05/un-viticulteur-et-un-commandant-de-c-r-s-sont-tues-dans-l-aude-dans-une-fusillade-entre-forces-de-l-ordre-et-manifestants-le-midi-en-ebullition_3124627_1819218.html">CRS tué par balle en 1976</a>. Cependant, la volonté des gouvernements alors en place d’assurer un maintien de l’ordre pacifié a offert d’excellents résultats avec <a href="https://juridique.defenseurdesdroits.fr/doc_num.php?explnum_id=21084">seulement 5 % d’atteintes contre les biens et les personnes</a> lors des manifestations entre 1975 et 1990.</p>
<h2>Les inquiétudes d’une tentation autoritaire</h2>
<p>À travers l’exemple du LBD, il est possible de constater que le renforcement de l’équipement du maintien de l’ordre – <a href="https://www.lesechos.fr/2017/02/securite-le-couteux-suremploi-des-crs-167042">analogue à la baisse des effectifs des agents spécialisés dans le domaine</a> – a été suivi d’une <a href="https://www.francetvinfo.fr/faits-divers/police/violences-policieres/les-violences-policieres-en-france-sont-elles-plus-frequentes-ou-sont-elles-devenues-plus-visibles_4203791.html">augmentation des accusations d’abus par les forces de l’ordre</a>. Le problème ne vient pas de la formation des CRS et des gendarmes mobiles, qualitative par le temps qui y est consacré et son <a href="https://www.lepoint.fr/societe/maintien-de-l-ordre-qui-est-responsable-08-07-2019-2323204_23.php">adaptation aux évolutions des manifestations publiques</a>, mais <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/279024-maintien-de-lordre-une-doctrine-en-debat">du changement de la doctrine</a>, du déploiement de policiers non spécialisés pour ce type de mission et des défaillances de la chaîne de commandement.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/rWiq0ZUC-xA?wmode=transparent&start=1" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">À Paris sur les Grands Boulevards, le 23 mars 2023, de nombreux manifestants sont attaqués par les forces de l’ordre de manière qualifiée de disproportionnée, YouTube.</span></figcaption>
</figure>
<p>Les sociologues Sébastien Roché et Olivier Fillieule <a href="https://www.publicsenat.fr/article/societe/violences-policieres-le-maintien-de-l-ordre-part-completement-a-vau-l-eau-et-pietine">l’ont longuement analysé</a> : si l’usage des LBD a reculé pour l’instant, les <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/06/16/ordre-public-l-affrontement-ne-garantit-pas-la-securite_6130540_3232.html">incitations au contact avec les manifestants</a>, <a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/reforme-des-retraites-les-nasses-sont-elles-vraiment-interdites-en-manifestation-21-03-2023-RDX322CFXREZ3M5GJLG7542LC4.php">l’usage répété des nasses</a>, <a href="https://www.publicsenat.fr/article/societe/violences-policieres-le-maintien-de-l-ordre-part-completement-a-vau-l-eau-et-pietine">« les interpellations de masse pour dissuader de participer au cortège »</a>, ou encore le <a href="https://www.20minutes.fr/societe/4031345-20230405-identification-policiers-conseil-etat-refuse-forcer-main-interieur">refus de veiller au bon port du RIO</a> (numéro d’identification des policiers) ne peuvent qu’alimenter les incidents et nourrir la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/27/maintien-de-l-ordre-la-brutalisation-des-interventions-est-aujourd-hui-au-c-ur-de-la-strategie-francaise_6167151_3232.html">défiance populaire à l’égard des forces de l’ordre</a>.</p>
<h2>La France montrée du doigt</h2>
<p>Ainsi, depuis le sommet de la COP21 mais plus encore les mouvements sociaux contre la loi El Khomri en 2016, l’image de la France s’est fortement détériorée à l’international. L’accroissement de la répression a commencé aussi bien à <a href="https://www.nouvelobs.com/politique/20160213.OBS4610/yves-sintomer-la-france-peut-evoluer-vers-un-regime-autoritaire.html">inquiéter les Français</a>, qui éprouvent une <a href="https://www.huffingtonpost.fr/politique/article/contre-la-reforme-des-retraites-les-francais-soutiennent-le-mouvement-social-mais-ont-peur-de-manifester_216213.html">peur croissante d’aller</a> <a href="https://www.lemonde.fr/police-justice/article/2020/12/19/j-ai-eu-peur-pour-ma-vie-face-a-l-escalade-de-la-violence-ils-ont-renonce-a-manifester_6063917_1653578.html">manifester dans la rue</a> voire <a href="https://www.liberation.fr/france/2019/12/05/face-a-la-police-la-peur-d-aller-manifester_1767301/">d’exprimer publiquement leurs opinions</a>, que les observateurs <a href="https://www.nouvelobs.com/social/20230324.OBS71307/macron-parle-la-rue-lui-repond-comment-la-mobilisation-contre-la-reforme-des-retraites-est-elle-vue-de-l-etranger.html">européens et nord-américains</a>, qui voient là l’image d’un pouvoir « méprisant et insensible », « autoritaire », « brutal ».</p>
<p>Cela n’est pas nouveau. La France a déjà été condamnée pour son usage excessif et répété de la force dans son protocole de maintien de l’ordre par la <a href="https://www.la-croix.com/France/Justice/France-condamnee-violences-policieres-2017-11-16-1200892527">Cour européenne des droits de l’Homme en 2017</a> puis en <a href="https://www.lepoint.fr/faits-divers/violences-policieres-la-condamnation-qui-embarrasse-la-france-27-05-2019-2315369_2627.php">2019</a>.</p>
<p><a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/05/20/le-conseil-constitutionnel-censure-l-ex-article-24-de-la-proposition-de-loi-securite-globale_6080897_3224.html">Le projet de loi de sécurité globale</a> avait également suscité beaucoup d’inquiétudes puisqu’il cherchait à punir toute diffusion d’images de policiers et de gendarmes (<a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/04/15/les-principaux-articles-de-la-loi-securite-globale-definitivement-adoptee-par-l-assemblee-nationale_6076884_3224.html">« délit de provocation à l’identification »</a>. Cela aurait <a href="https://www.amnesty.org/fr/latest/press-release/2021/03/france-new-security-law-risks-dystopian-surveillance-state/">drastiquement réduit la possibilité</a> de poursuivre les éventuels agents responsables d’abus.</p>
<p>L’usage de la violence ne saurait être toléré dans une démocratie. Cela vaut aussi bien pour les manifestants (qui doivent en répondre devant la loi) que pour les forces de l’ordre. Comme le rappelait <a href="https://www.lemonde.fr/le-monde-2/article/2008/05/16/la-lettre-de-maurice-grimaud-aux-policiers_1046120_1004868.html">Maurice Grimaud en mai 1968</a>, « frapper un manifestant tombé à terre, c’est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière ». Ou, pour reprendre <a href="https://blogs.letemps.ch/frederic-maillard/author/frederic-maillard/">l’expression plus récente du socio-économiste suisse Frédéric Maillard qui tient le blog <em>L’observatoire des polices</em></a>, « les voyous ne méritent pas qu’on les [forces de l’ordre] leur ressemble ».</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/203432/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Bryan Muller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le changement de la doctrine de maintien de l’ordre et des défaillances dans la chaîne de commandement illustrent une évolution inquiétante dans l’encadrement des manifestations.Bryan Muller, Docteur en Histoire contemporaine, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1943052022-11-24T14:11:38Z2022-11-24T14:11:38ZCombattre le racisme systémique en se mettant dans la peau de l’autre<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/496862/original/file-20221122-22-ts9kpz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C2995%2C2149&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Des gens manifestent à la suite de l'arrestation, puis de la libération de Mamadi III Fara Camara, à Montréal. Il est considéré par certains comme un cas de profilage racial de la police de Montréal, même si une enquête n'est pas arrivée à cette conclusion.</span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span></figcaption></figure><p>Deux récents événements ont remis à l’avant-scène la question du profilage racial au Québec.</p>
<p>D’abord, la décision de la <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1927763/policiers-automobilistes-jugement-cour-discrimination">Cour supérieure du Québec</a>, en octobre dernier, d’interdire les interceptions aléatoires sans motif réel des automobilistes par le corps policier. Le juge Michel Yergeau a conclu que ces interceptions mènent au profilage racial à l’encontre de la communauté noire.</p>
<p>Quelques jours plus tard, l’affaire <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1930966/brice-dossa-menotte-arrestation-profilage-racial-enquete">Brice Dossa</a> a fait les manchettes. Cette personne noire a été menottée dans le stationnement d’un centre commercial par deux policiers du SPVM qui le soupçonnaient d’avoir volé… sa propre voiture.</p>
<p>L’existence, ou pas, du profilage racial et de son pendant, le racisme systémique, ne font pas l’unanimité au Québec. Le premier ministre <a href="https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2021-10-05/mort-de-joyce-echaquan/on-ne-peut-pas-pretendre-que-le-systeme-dans-son-ensemble-est-raciste.php">François Legault en nie toujours l’existence</a>, au contraire du chef de Québec solidaire, <a href="https://www.assnat.qc.ca/en/video-audio/archives-parlementaires/activites-presse/AudioVideo-91441.html">Gabriel Nadeau-Dubois</a>, qui estime que le racisme systémique discrimine des personnes en raison de leur origine ou de leur apparence physique.</p>
<p>Comme disait l’écrivain et ethnologue malien <a href="https://journaldunebookaddict.com/2019/09/20/oui-mon-commandant-les-memoires-ii-de-amadou-hampate-ba/">Amadou Hampâté Bâ</a>, il y a trois vérités : « ma vérité, ta vérité, et la vérité ». Or, les <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/nps/2020-v31-n2-nps05980/1076643ar/">données sur le racisme systémique</a>, de même que les témoignages des personnes et des groupes qui le subissent, démontrent son existence au Québec.</p>
<p>Enseignant et doctorant à l’Université du Québec à Montréal, je m’intéresse notamment aux enjeux de l’inclusion des personnes racisées, du racisme et de la discrimination.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496864/original/file-20221122-19-gsmdin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496864/original/file-20221122-19-gsmdin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496864/original/file-20221122-19-gsmdin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496864/original/file-20221122-19-gsmdin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=479&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496864/original/file-20221122-19-gsmdin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496864/original/file-20221122-19-gsmdin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496864/original/file-20221122-19-gsmdin.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=602&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Leslie Blot, un citoyen de Mascouche, a remporté une plainte pour profilage racial contre la ville de Repentigny, en juillet 2021.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Ryan Remiorz</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le racisme comme dévalorisation de l’Autre</h2>
<p>Le mot « racisme » est peu défini, ce qui ne simplifie pas sa reconnaissance. En s’inspirant de la célèbre <a href="http://evene.lefigaro.fr/citation/ignorance-mene-peur-peur-mene-haine-haine-conduit-violence-equa-76183.php">équation du penseur andalou du XIIᵉ siècle Averroèse</a>, le racisme s’articule autour de la crainte du différent, car l’ignorance de l’Autre suscite la peur et conduit à l’hostilité et à l’agressivité.</p>
<p>Mais, pour reprendre la comparaison de l’écrivain et essayiste franco-tunisien <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Albert_Memmi">Albert Memmi</a> dans son ouvrage <a href="https://www.gallimardmontreal.com/catalogue/livre/le-racisme-memmi-albert-9782070328543"><em>Le racisme</em></a>, c’est aussi un jeu de pouvoir semblable à l’oscillation d’une balançoire qui, pour élever l’un, il faut abaisser l’autre.</p>
<p>Albert Memmi a proposé une définition du racisme qui est devenue d’usage courant : le racisme est la (dé)valorisation d’une différence en faveur de l’accusateur et au préjudice de sa victime pour légitimer une oppression (privilège ou domination). Cette différence peut être réelle ou supposée, biologique ou culturelle, mais elle est généralisée et définitive, c’est-à-dire que la différence d’un individu est définitivement étendue au groupe auquel il appartient.</p>
<p>Cette définition dévoile le mécanisme général sous-tendant le racisme : la catégorisation des personnes à partir de leurs différences, leur hiérarchisation et la discrimination.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496863/original/file-20221122-12-k7u3bh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496863/original/file-20221122-12-k7u3bh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496863/original/file-20221122-12-k7u3bh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496863/original/file-20221122-12-k7u3bh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=452&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496863/original/file-20221122-12-k7u3bh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496863/original/file-20221122-12-k7u3bh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496863/original/file-20221122-12-k7u3bh.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=568&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">La statue de Sir John A. MacDonald est démontée à la suite d’une manifestation à Montréal, le 29 août 2020. Il est désormais perçu comme un politicien raciste, notamment envers les francophones et les autochtones.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse canadienne/Graham Hughes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Selon l’<a href="https://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=26558195">Office québécois de la langue française</a>, le racisme systémique est une discrimination fondée sur la race découlant d’objectifs ou de pratiques organisationnelles, institutionnelles, étatiques ou des acteurs sociaux. La <a href="https://www.cdpdj.qc.ca/fr/formation/accommodement/Pages/html/formes-discrimination.html">Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse</a> précise que la discrimination est systémique parce qu’elle est le résultat de plusieurs effets excluant les membres d’un groupe de façon disproportionnée en raison de leurs différences. Ces effets préjudiciables découlent de la conjugaison d’attitudes marquées de stéréotypes et de préjugés, conscients ou inconscients, de pratiques et de politiques ne prenant pas en considération les caractéristiques des membres du groupe ciblé.</p>
<h2>Interroger le privilège blanc</h2>
<p>La race humaine comme réalité objective ou biologique n’existe pas, mais elle a été théorisée comme une « science » au XIX<sup>e</sup> siècle. Le mot « race » dans son acception biologique a été longtemps utilisé pour justifier une soi-disant supériorité ou infériorité de personnes ou de groupes. Jusque dans les années 1950, on apprenait à l’école québécoise qu’il existait plusieurs races humaines et que la <a href="https://nosancetresii.wordpress.com/2019/01/09/negre-et-arriere/">« race » noire était la plus arriérée</a>.</p>
<p>Cette catégorisation sociale qui fige les membres d’un groupe dans une différence stigmatisante est un processus appelé <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Racisation">« racisation »</a>. Comme l’a montré la sociologue française <a href="https://www.gallimardmontreal.com/catalogue/livre/l-ideologie-raciste-guillaumin-colette-9782070422302">Colette Guillaumin</a>, elle s’appuie sur l’idée de race, au sens sociologique, et mobilise des marqueurs de différence réels ou supposés permettant de catégoriser et hiérarchiser socialement les personnes selon des rapports de pouvoir inégaux.</p>
<p>Pour quelqu’un qui ne subit pas de racisation, le racisme systémique pourrait être une simple question de perception. Mais, comme dit le philosophe français <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ph%C3%A9nom%C3%A9nologie_de_la_perception">Maurice Merleau-Ponty</a>, l’acte perceptif est une voie d’accès fiable à la réalité. Nommer le racisme systémique, c’est aussi interroger les privilèges qu’une histoire de colonialisme et d’esclavage a conférés au groupe dominant. Ses membres sont souvent dans une zone d’inconfort, jusqu’à passer sous silence l’expérience du racisme. C’est ce que la sociologue américaine Robin DiAngelo appelle la <a href="https://cjf.qc.ca/vivre-ensemble/webzine/article/livre-fragilite-blanche-de-robin-diangelo-recension/#_ftn1">« fragilité blanche »</a>.</p>
<h2>Un racisme tacite, insidieux et sournois</h2>
<p>Selon de nombreuses recherches, <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/nps/2021-v31-n2-nps05980/">dont celles publiées en avril 2021 dans la revue Nouvelles pratiques sociales</a>, le racisme systémique existe bel et bien au Québec et se manifeste par la discrimination que les personnes racisées subissent.</p>
<p><a href="https://eriqa.org/_teams/eid-paul/">Le sociologue Paul Eid</a>, professeur à l’UQAM et membre du <a href="https://ieim.uqam.ca/auteur/criec/">Centre de recherche en immigration, ethnicité et citoyenneté</a> (CRIEC) <a href="https://www.erudit.org/fr/revues/rs/2012-v53-n2-rs0287/1012407ar/">a démontré dans une étude publiée en 2012</a> que les personnes aux noms à consonance franco-québécoise ont au moins 60 % plus de chances d’obtenir un entretien d’embauche que les personnes aux noms à consonance arabe, africaine et latino-américaine.</p>
<p><a href="https://spvm.qc.ca/upload/Rapport_Armony-Hassaoui-Mulone.pdf">Un rapport remis en 2019 au SPVM</a> fait l’analyse des données du Service de Police de la Ville de Montréal en matière de profilage racial. On y conclut que les personnes noires, arabes et autochtones sont sur interpellées par la police.</p>
<p>Ces données factuelles indiquent que le racisme a une portée systémique et non systématique. Ainsi, le racisme systémique ne signifie pas que le système dans son ensemble est raciste, mais que le racisme est présent dans le système vu l’<a href="https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/46829">histoire raciste</a> dont il a héritée. Sauf qu’il passe souvent sous le radar des institutions parce qu’il est tacite, insidieux et sournois.</p>
<p>Ainsi, les inégalités de traitement ne s’opèrent pas en dehors du système, mais bien en son sein. L’affaire <a href="https://ici.radio-canada.ca/info/dossier/1007399/joyce-echaquan-atikamekw-sante-racisme">Joyce Echaquan</a>, <a href="https://www.coroner.gouv.qc.ca/fileadmin/Enquetes_publiques/2020-EP00275-9.pdf">victime de racisme systémique</a>, l’a bien démontré.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-principe-de-joyce-pour-une-approche-de-soins-securitaire-et-libre-de-discrimination-147826">Le principe de Joyce : pour une approche de soins sécuritaire et libre de discrimination</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496868/original/file-20221122-12-r26rho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496868/original/file-20221122-12-r26rho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496868/original/file-20221122-12-r26rho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496868/original/file-20221122-12-r26rho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=412&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496868/original/file-20221122-12-r26rho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496868/original/file-20221122-12-r26rho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496868/original/file-20221122-12-r26rho.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=518&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une femme assiste à une vigile devant l’hôpital où Joyce Echaquan est morte à Joliette, au Québec, le mardi 29 septembre 2020, après avoir fait l’objet de remarques dégradantes.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Paul Chiasson</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Prendre des mesures concrètes pour combattre le racisme</h2>
<p>Lorsqu’un système semble reproduire et maintenir des inégalités qui excluent, marginalisent ou défavorisent de manière disproportionnelle les membres d’un groupe, c’est que son fonctionnement global doit être remis en question.</p>
<p>Il faut alors prendre des mesures de redressement de nature systémique en s’assurant de la représentativité des personnes et groupes ciblés au sein des systèmes et en mettant en place des outils organisationnels pour l’équité, la diversité et l’inclusion.</p>
<p>À ce sujet, dans la foulée des travaux de l’Office de consultation publique de Montréal, une fonction de <a href="https://montreal.ca/unites/bureau-de-la-commissaire-la-lutte-au-racisme-et-aux-discriminations-systemiques">commissaire à la lutte contre le racisme et la discrimination systémiques</a> a récemment été créée. Pour lutter contre le racisme systémique et promouvoir l’équité, l’Ontario dispose d’une stratégie antiraciste dont la <a href="https://www.ontario.ca/laws/statute/17a15">« Loi de 2017 contre le racisme »</a> et la <a href="https://www.ontario.ca/page/ontario-public-service-anti-racism-policy">Politique de la fonction publique pour lutter contre le racisme</a>.</p>
<p>Mais il faudra avant tout que nous cessions d’écouter que nous-mêmes et que nous fassions l’effort de se mettre dans la peau de l’autre, car, comme <a href="https://journaldunebookaddict.com/2019/09/20/oui-mon-commandant-les-memoires-ii-de-amadou-hampate-ba/#:%7E:text=Ce%20sont%20des%20croissants%20de,autrement%20dit%20de%20la%20V%C3%A9rit%C3%A9.">Amadou Hampâté Bâ</a> disait :</p>
<blockquote>
<p>Ma vérité, comme ta vérité, ne sont que des fractions de la vérité. Ce sont des croissants de lune situés de part et d’autre du cercle parfait de la pleine lune.</p>
</blockquote>
<p>C’est là, très exactement, la prise de conscience qui s’impose pour un système plus juste, équitable, inclusif et antiraciste.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/194305/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Abdel Hakim Touhmou a reçu des financements du Fonds de recherche du Québec - Société et culture (FRQSC).</span></em></p>La race humaine comme réalité biologique n’existe pas, mais la catégorisation sociale qui fige les membres d’un groupe dans une différence stigmatisante, appelé « racisation », existe bel et bien.Abdel Hakim Touhmou, Chargé de cours et doctorant en éducation (Ph.D.), Université du Québec à Montréal (UQAM)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1929872022-11-03T19:58:24Z2022-11-03T19:58:24ZRéforme de la police judiciaire : pourquoi les enquêteurs se braquent ?<p>La police judiciaire, habituellement silencieuse sauf à l’occasion de la réussite de grandes affaires, fait depuis quelque temps la une des médias et expose au grand public son mécontentement. En cause un changement de statut qui, selon les enquêteurs mobilisés, risque de sacrifier leur spécificité et leur indépendance sur l’autel des réformes sécuritaires en cours.</p>
<p>Le public novice en matière de complexité policière a du mal à s’y retrouver, tant les débats sur les <a href="https://theconversation.com/violence-et-police-un-probleme-dencadrement-juridique-185097">violences à l’occasion des manifestations</a> ont mis au premier plan les <a href="https://theconversation.com/violences-des-forces-de-lordre-violences-contre-les-forces-de-lordre-162797">problèmes d’ordre public</a>) comme si ils étaient les seuls à rendre compte d’un problème policier.</p>
<p>Il est vrai que la difficulté d’accès à l’institution ne rend pas la chose aisée, et à fortiori dans des secteurs où la transparence ne fait pas forcément bon ménage avec l’efficacité et la nécessité de la discrétion.</p>
<h2>Des images rares</h2>
<p>Les images abondamment relayées d’enquêteurs de la Police judiciaire dressant un mur de silence face à Frédéric Veaux, le Directeur général de la Police nationale (DGPN), lors de sa visite à Marseille ont encore amplifié la grogne plus que naissante dans le milieu policier et mis en lumière le mécontentement affiché par ces « péjistes » face au projet de réforme annoncé par Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur.</p>
<p>Le projet prévoit de placer tous les services de police d’un département sous l’autorité d’un seul Directeur départemental de la police nationale (DDPN), dépendant du préfet. Cela reviendrait à défaire l’organisation des services de police judiciaire jusqu’ici régionalisés et les placer sous un commandement unique dirigeant au niveau du département toutes les missions de police (sécurité publique, renseignement territorial, migration-frontière et police judiciaire)</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1578027827630264321"}"></div></p>
<p>Depuis quelques semaines et face à l’annonce de cette réforme, les enquêteurs de la police judiciaire redoutent deux changements majeurs : le premier relatif à leur compétence territoriale, le second relatif à leur compétence d’attribution.</p>
<h2>PJ : des compétences particulières</h2>
<p>Pour ce qui est de la compétence territoriale, le fait d’être subordonnés à une entité départementalisée leur ferait perdre la possibilité de pouvoir poursuivre leurs investigations sur l’ensemble d’une région et ainsi pouvoir répondre plus efficacement aux déplacements des acteurs du grand banditisme. C’est d’ailleurs cette volonté qui avait conduit à l’exigence d’une mobilité plus étendue dès la <a href="https://criminocorpus.org/fr/reperes/legislation/textes-juridiques-lois-decre/textes-relatifs-a-lorganisati/decret-du-30-decembre-1907-cr/">création des brigades mobiles par Clemenceau</a>.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>S’agissant de la compétence d’attribution, la volonté affichée de ce rattachement correspond en fait à une intégration au système de Sécurité publique qui selon <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000025504923#:%7E:text=3%C2%B0%20L%E2%80%99affectation%20en,auxquels%20la%20France%20a%20souscrit.">l’article L 111-2</a> du code de la sécurité intérieure vise à l’extension à l’ensemble du territoire d’une police de proximité répondant aux attentes et aux besoins des personnes en matière de sécurité. Toutefois ce rattachement fait craindre aux professionnels de la police judiciaire une perte pure et simple de leur spécificité liée aux affaires de grand banditisme et de délinquance financière dont l’impact dépasse le cadre strict du département.</p>
<p>Jusqu’à présent, l’architecture de la réponse policière en matière de traitement judiciaire des crimes et délits repose sur deux organisations.</p>
<h2>Des distinctions parfois confondues par le citoyen</h2>
<p>Au sein de la direction générale de la police nationale cohabitent deux directions en charge de la lutte contre la délinquance. La direction centrale de la police judiciaire, également désignée sous l’abréviation de « police judiciaire » ou même plus simplement « PJ » comprend des services centraux situés au ministère de l’Intérieur et des Services territoriaux pour les crimes et délits les plus graves (homicides, vols à main armée, trafic international de stupéfiants, grande criminalité financière…) on parle alors du « haut du spectre » en matière de criminalité.</p>
<p>Les policiers de la police judiciaire ont une compétence territoriale qui n’est pas limitée au ressort d’un département, mais étendue soit à une ou plusieurs zones de défense ou parties de celles-ci, soit à l’ensemble du territoire national.</p>
<p>D’autre part, la direction centrale de la sécurité publique, représentée par les commissariats et surtout connue de tous pour ses interventions dans le cadre de « Police secours », pour les crimes et délits les « moins graves », relevant de ce qui est pudiquement qualifié de violence du quotidien.</p>
<p>Cette distinction n’est pas toujours perçue dans sa réalité par le citoyen profane au vu des structures complexes de la police nationale.</p>
<p>Il convient alors de sonder les pratiques professionnelles et les savoir-faire spécifiques pour considérer l’écart entre les deux métiers, car il s’agit bien de deux métiers même s’ils peuvent être regroupés sous l’appellation générique d’investigation. Le temps nécessaire à la résolution d’une affaire de grand banditisme, les techniques et moyens mis en œuvre, la multiplicité des investigations et des recoupements, la complexité procédurale ne peuvent être mis en regard du traitement moins long et plus simple qui est réservé aux affaires moins importantes.</p>
<h2>Une réforme pour remédier aux carences ?</h2>
<p>Cette réforme est aussi perçue par les péjistes comme une solution pour venir suppléer les défaillances de l’investigation en sécurité publique, où le nombre de dossiers accentue une insuffisance des résultats par rapport aux attentes de la population. Sur ce même point, la technicité et le savoir-faire de la PJ seraient mis à profit pour rehausser le niveau des procédures diligentées par la sécurité publique, dont la moindre qualité procédurale est souvent dénoncée par les magistrats. Sur ces deux points, on se reportera à l’éclairante étude du juriste pénaliste Olivier Cahn dans sa <a href="https://doi.org/10.3917/rsc.2201.0155">« Chronique de police »</a>.</p>
<p>Alors s’agit-il d’une réforme dont le but non avoué consisterait à remédier aux carences supposées de la sécurité publique dans l’espérance d’un accroissement des résultats dans la lutte contre la délinquance. Ou comme il est affiché la volonté de réduire le fonctionnement en silos de la police nationale, présenté comme une entrave à une complémentarité plus efficace des services ?</p>
<p>La division du travail dans la police a toujours existé en raison même de la <a href="https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2008-4-page-59.htm">diversification des missions</a> qui lui incombe. Il est donc difficile d’envisager un « fourre-tout » qui regrouperait investigation, renseignement, ordre public, sécurité du quotidien… d’autant plus qu’il existe déjà un certain nombre de structures d’échange au sein des services pour faciliter certaines opérations de police, à l’exemple de ce qui existe en matière de lutte contre le trafic des stupéfiants.</p>
<p>La création d’une nouvelle organisation départementale qui regrouperait l’ensemble de ces spécialités et orientations policières sous la direction d’un directeur unique, sans doute issu de la sécurité publique, pourrait également poser problème.</p>
<p>Dans cette nouvelle configuration, les enquêteurs de la police judiciaire, traditionnellement proches des parquets même s’ils n’y sont pas structurellement rattachés, craignent de n’avoir comme premier interlocuteur que le chef direct de la Direction départementale de la Police nationale (DDPN), en l’occurrence le préfet.</p>
<h2>Un sentiment diffus de la disparition de la PJ</h2>
<p>Le risque d’immixtion de l’exécutif dans la conduite de certaines enquêtes, notamment financières, et la priorisation du local et de l’immédiat au détriment des affaires plus étendues dans le temps et l’espace, font craindre aux enquêteurs PJ la perte de leur spécificité et à long terme de leur existence. D’où le sentiment diffus de la disparition de la police judiciaire.</p>
<p>Le risque existe alors d’une montée en tension entre collègues de PJ et collègues de Sécurité publique, chacun revendiquant ses prérogatives et son utilité, à rebours de l’association complémentaire que ces deux entités doivent entretenir dans le cadre d’une réponse judiciaire efficace et <a href="https://www.cairn.info/revue-de-science-criminelle-et-de-droit-penal-compare-2022-1-page-155.htm?ref=doi">adaptée aux divergentes nécessités du terrain</a>.</p>
<p>Curieux renversement de situation qui voit la police judiciaire menacée dans ses fondations, alors qu’à l’origine « cette police des crimes et délits paraît dramatiquement insuffisante… » pour reprendre les termes de l’historien <a href="https://www.cairn.info/serviteurs-de-l-etat-2000%E2%80%939782707133694-page-305.htm">Jean-Marc Berlière</a>.</p>
<p>Les offices centraux de la police judiciaire qui ne sont pas concernés à ce jour par cette réforme, ainsi d’ailleurs que leurs collègues de la PJ parisienne du <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/36,_quai_des_Orf%C3%A8vres">« 36 »</a> ont apporté leur soutien à l’<a href="https://www.asso-anpj.fr/">Association nationale de la police judiciaire</a>, créée à cette occasion pour la défense de leur métier et de leur image par les enquêteurs de la PJ de province, premiers concernés.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1578417825579794433"}"></div></p>
<p>À terme, on peut s’interroger sur la finalité de cette réforme. Ne s’agirait – il pas de réunir dans un même ensemble tout le service d’investigation avec dans un premier temps une division interne entre criminalité du quotidien (sécurité publique) et criminalité grave et organisée (police judiciaire) pour en arriver à une fusion pure et simple ? Cette organisation permettrait alors d’intégrer en quelque sorte la police judiciaire à la sécurité publique, à l’instar de feu les renseignements généraux devenus renseignement territorial au sein de la sécurité publique, confirmant ainsi la volonté de supprimer les silos jugés trop nombreux dans l’organisation de la police.</p>
<p>Si ce devait être le cas, n’y a-t-il pas un risque de voir les investigations sur la grande criminalité délaissées au profit d’une délinquance d’ordinaire, laissant le champ libre aux grandes organisations criminelles, c’est avant tout ce que redoutent les limiers de la PJ.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/192987/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jean-Michel Schlosser a été membre de la Police Nationale de 1981 à 2015 - DRPJ PARIS de 1981 à 1994. Puis RGPP PARIS, puis DPUP PARIS, puis DFPN/DCRFPN.</span></em></p>Depuis plusieurs semaines, la police judiciaire exprime son mécontentement. En cause un projet de réforme qui pourrait lui faire perdre sa spécificité.Jean-Michel Schlosser, Docteur en sociologie, chercheur associé au CEREP et au CESDIP, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) – Université Paris-Saclay Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1898192022-09-13T19:17:38Z2022-09-13T19:17:38ZSécurité : une nouvelle loi pour renforcer les pouvoirs policiers ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/484094/original/file-20220912-26-s877ic.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C4%2C799%2C517&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Plusieurs réformes visent l'institution policière: certaines mesures pourraient renforcer la surveillance au détriment de la procédure.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Police-IMG_4105.jpg">Rama/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span></figcaption></figure><p>Parmi les priorités du <a href="https://twitter.com/GDarmanin/status/1529412226037194753">nouveau quinquennat</a> se trouvent les enjeux de sécurité. Si la précédente mandature a été l’occasion de faire évoluer les <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000042563668/">lois de sécurité intérieure</a> et de mettre en place la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/dossierlegislatif/JORFDOLE000036830320/">loi de programmation du ministère de la Justice</a>, voici venue celle du ministère de l’Intérieur.</p>
<p>Ainsi, suite au <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/dossiers/beauvau-de-securite">Beauvau de la sécurité</a> (qui s’est tenu entre février et septembre 2021) le gouvernement a annoncé vouloir <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/beauvau-de-la-securite-ce-qu-il-faut-retenir-des-annonces-d-emmanuel-macron-3866984">porter une grande loi</a> de programmation du ministère de l’Intérieur (LOPMI).</p>
<p>Derrière le but affiché de répondre aux <a href="https://www.interieur.gouv.fr/actualites/dossiers/beauvau-de-securite/cloture-du-beauvau-de-securite-par-president-de-republique">demandes des policiers et gendarmes</a>, un rapide tour d’horizon des principales dispositions procédurales de ce projet de loi atteste la volonté réelle d’un renforcement des pouvoirs policiers.</p>
<h2>Un projet ambitieux et surtout politique</h2>
<p>La LOPMI se présente aujourd’hui comme un court texte d’une quinzaine d’articles après une <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b5185_projet-loi#D_Article_16">première version bien plus longue</a> rendue publique peu avant l’élection présidentielle et alors <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b5185_avis-conseil-etat.pdf">critiquée par le Conseil d’État</a> notamment pour des raisons de calendrier.</p>
<p>Le projet est affiché essentiellement comme une loi de programmation budgétaire <a href="https://www.interieur.gouv.fr/node/1661">assurant d’importants recrutements dans la Police nationale et la Gendarmerie</a>. Sur ces thématiques, le Gouvernement veut aller vite : le dossier est déjà déposé devant le <a href="https://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl21-876.html">Sénat</a> en <a href="https://blog.juspoliticum.com/2017/07/05/la-procedure-acceleree-ou-la-regrettable-normalisation-dune-procedure-derogatoire-par-elina-lemaire/">procédure accélérée</a>. Politiquement, il faut montrer l’action présidentielle sur le <a href="https://theconversation.com/portrait-s-de-france-s-insecurite-de-quoi-parle-t-on-172998">terrain de la sécurité</a>.</p>
<p>Néanmoins, sous couvert de simples adaptations techniques, la LOPMI propose de profondes modifications du fonctionnement de la police judiciaire, à l’heure où celle-ci se trouve par ailleurs menacée dans son organisation. En effet, un <a href="https://www.marianne.net/societe/police-et-justice/departement-prefet-que-prevoit-le-tres-decrie-projet-de-reforme-de-la-police-judiciaire">autre projet du même ministère de l’Intérieur</a> vise à départementaliser les services de la Police nationale. Cette dernière question est délicate car il pourrait résulter de cette réforme en apparence administrative une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/08/31/le-projet-de-reforme-de-la-police-judiciaire-menace-l-efficacite-des-enquetes-et-l-independance-de-la-justice_6139607_3232.html">perte d’indépendance de la police judiciaire</a>. Cette modification ne relève pas de la LOPMI mais d’un autre texte prévu en 2023 puisqu’une <a href="https://www.europe1.fr/politique/reforme-de-la-police-judiciaire-apres-neuf-mois-de-test-en-martinique-quel-bilan-4132174">expérimentation est déjà en cours en outre-mer</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/pourquoi-lenquete-police-population-du-ministere-de-linterieur-est-trompeuse-142098">Pourquoi l’enquête « police-population » du ministère de l’Intérieur est trompeuse</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Le risque d’une confusion des rôles</h2>
<p>Une première série d’articles vise tout d’abord à bousculer l’équilibre interne des pouvoirs au sein des services de police judiciaire.</p>
<p>De façon classique, tous les policiers et tous les gendarmes ne peuvent pas réaliser <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006574853">tous les actes d’enquête</a> comme une perquisition ou la mise en œuvre d’une garde à vue. Il s’agit là d’une garantie essentielle de notre démocratie tenant aux exigences d’expérience et de formation que requièrent certaines fonctions.</p>
<p>Or, la LOPMI (article 9) projette d’augmenter significativement le nombre des officiers de police judiciaire (OPJ) en permettant, par la suppression des conditions d’ancienneté, à tous les policiers et gendarmes sortis d’école de le devenir. Cette qualification constitue pourtant la <a href="https://www.vie-publique.fr/fiches/268573-quel-est-le-role-de-la-police-judiciaire-dans-la-procedure-penale">plus haute fonction en police judiciaire</a> et autorise son titulaire à prendre seul de très nombreux actes comme <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F14837">par exemple décider d’un placement en garde à vue</a>. Désormais, elle pourra ainsi être obtenue même par un gardien de la paix (le premier grade de <a href="https://www.devenirpolicier.fr/corps-grades">la Police nationale</a>) lors de sa <a href="https://www.devenirpolicier.fr/actualites/nouvelle-formation-initiale-des-gardiens-de-la-paix-0">formation initiale de deux ans à l’école de police</a>.</p>
<p>[<em>More than 80,000 readers look to The Conversation France’s newsletter for expert insights into the world’s most pressing issues</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Sign up now</a>]</p>
<p>À l’autre extrémité de la hiérarchie policière, la LOPMI (article 10) crée une nouvelle fonction : les assistants d’enquête. Si le but est de permettre à des personnels administratifs de prendre part à l’enquête en déchargeant les enquêteurs de certaines tâches, la liste des actes de police qui pourront être pratiqués par ces assistants d’enquête peu formés est longue et ne correspond pas à du strict secrétariat. Elle comprend notamment la <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/N31786">consultation des fichiers de police aux données très sensibles</a> ou encore la notification des droits aux personnes <a href="https://www.ldh-france.org/defendre-vos-droits/vos-droits/en-garde-a-vue/quels-sont-vos-droits-en-garde-a-vue/">placées en gardées à vue</a>.</p>
<h2>Des dangers de la simplification : l’exemple de l’usage des fichiers</h2>
<p>Ensuite, un certain nombre de dispositions vise à opérer une « simplification » de certaines règles de la procédure pénale perçues comme alourdissant le travail des policiers et des gendarmes.</p>
<p>Simplifier n’est, en procédure pénale, souvent pas un objectif pertinent en lui-même, contrairement à certaines idées préconçues. En effet, en encadrant de manière précise et rigoureuse les différents actes d’investigation, les règles procédurales même complexes ont pour but d’empêcher toute dérive et de s’assurer de la nécessité et de la proportionnalité des contraintes sur les individus. Par exemple, la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000023865405/">loi établit rigoureusement les situations dans lesquelles une garde à vue est possible</a> et les enquêteurs sont tenus de le mentionner dans les procès-verbaux.</p>
<p>Tel est également le cas de la consultation des <a href="https://theconversation.com/fichage-des-opinions-politiques-par-dela-les-principes-des-pratiques-limites-169033">nombreux fichiers de police</a>. En effet, celle-ci est actuellement soumise à des <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000038846028">conditions relativement strictes</a> (<a href="https://theconversation.com/comment-le-fichage-policier-est-il-controle-152030">bien que déjà poreuses</a>) imposant notamment par principe une habilitation personnelle des agents pouvant opérer ces consultations.</p>
<h2>Des enjeux de confidentialité bien réels</h2>
<p>L’habilitation est rendue indispensable par les connaissances spécifiques qu’impose l’usage de telles bases massives de données, particulièrement quant aux enjeux de confidentialité et face au risque bien réel de diffusion des informations illustré par l’<a href="https://www.leparisien.fr/faits-divers/l-ex-policier-soupconne-de-vendre-des-informations-sur-le-darknet-reste-en-liberte-27-11-2020-8410798.php">affaire Haurus</a> ou d’autres condamnations <a href="https://www.lavoixdunord.fr/1194508/article/2022-06-18/lensois-un-policier-condamne-pour-avoir-consulte-des-fichiers-des-fins">ici</a> ou <a href="https://www.lunion.fr/id100260/article/2019-10-10/un-policier-condamne-laon-pour-avoir-consulte-les-fichiers-des-fins-personnelles">là</a>.</p>
<p>Or, sur ce point, la LOPMI (article 12) opère une modification importante en instaurant une présomption d’habilitation de tous les policiers et gendarmes. En d’autres termes, ces derniers n’auront plus à indiquer dans les dossiers d’enquête le fondement juridique qui leur permet de consulter le fichier.</p>
<p>Ce n’est que s’il y a un contrôle spontané d’un magistrat sur ce point précis que le policier ou le gendarme ayant fait cette consultation devra prouver qu’il en avait bien le droit par une habilitation. Compte tenu de la <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/11/23/l-appel-de-3-000-magistrats-et-d-une-centaine-de-greffiers-nous-ne-voulons-plus-d-une-justice-qui-n-ecoute-pas-et-qui-chronometre-tout_6103309_3232.html">réalité de la charge de travail des magistrats</a> et malgré l’idée générale que l’enquête policière <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000032642007">se place toujours sous le contrôle du procureur de la République</a>, il est très improbable que de tels contrôles spécifiques puissent avoir lieu en pratique.</p>
<p>Dès lors, ce type de simplification apporte en réalité le risque de dérives importantes en renforçant considérablement de fait les prérogatives policières.</p>
<h2>La généralisation des amendes forfaitaires délictuelles</h2>
<p>Enfin, la réforme la plus problématique opérée par la LOPMI est sans doute la généralisation de l’amende forfaitaire délictuelle à tous les petits délits.</p>
<p>L’amende forfaitaire est un procédé connu de tous pour les contraventions. Il consiste dans le <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F32803">règlement d’une amende dont le montant est fixe</a> – même s’il peut être diminué ou majoré selon les délais de paiement – qui permet de solder l’infraction. La <a href="https://www.securite-routiere.gouv.fr/reglementation-liee-la-route/regles-de-circulation-et-infractions-routieres/infractions-et-classes">plupart des contraventions routières</a> reposent sur ce principe.</p>
<p>Pour autant, se développe depuis quelques années l’usage de ce procédé pour les délits, c’est-à-dire pour des infractions d’une plus grande gravité pour lesquelles une peine d’emprisonnement est normalement prévue. Depuis septembre 2021, la consommation de stupéfiants peut ainsi faire l’objet d’une <a href="https://www.service-public.fr/particuliers/actualites/A14256">amende forfaitaire de 200 euros</a>.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/police-de-proximite-mode-demploi-82923">Police de proximité, mode d’emploi</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>La LOPMI (article 14) propose d’étendre cette procédure à tous les délits punis actuellement d’une peine d’un an d’emprisonnement ou moins. Pêle-mêle, devront être concernés par exemple l’outrage, la vente à la sauvette, le non-respect du secret professionnel, le bizutage ou encore l’exhibition sexuelle.</p>
<p>L’amende forfaitaire délictuelle est <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006071154/LEGISCTA000033443397/">donnée directement par le policier ou le gendarme</a> par un procès-verbal sans passage devant un magistrat. Pourtant, contrairement à l’amende contraventionnelle routière, elle emporte certaines des conséquences d’un délit jugé au tribunal correctionnel. Elle sera dès lors <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000006138155/">inscrite au casier judiciaire</a> pendant au moins trois ans, ce qui peut poser problème pour l’obtention de certains emplois.</p>
<p>Ainsi, loin d’être une dépénalisation ou une mesure de clémence, l’amende forfaitaire délictuelle peut apparaître comme un <a href="https://www.dalloz-actualite.fr/chronique/amende-forfaitaire-delictuelle-l-inegalite-devant-loi">outil très répressif</a> et inégalitaire, d’autant plus qu’il conduit à la verbalisation systématique d’infractions pour lesquelles les magistrats peuvent habituellement opérer une certaine appréciation selon le profil des auteurs et le contexte.</p>
<p>Sa généralisation est le symptôme inquiétant, comme d’autres dispositions de la LOPMI, d’un renforcement des pouvoirs policiers au détriment du contrôle de l’autorité judiciaire pourtant seule garantie d’indépendance et des libertés individuelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/189819/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yoann Nabat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un rapide tour d’horizon des principales dispositions procédurales du projet de loi dit LOPMI atteste la volonté d’un renforcement des pouvoirs policiers.Yoann Nabat, Doctorant en droit privé et sciences criminelles, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1866192022-07-25T12:43:03Z2022-07-25T12:43:03ZFaire diminuer la violence par armes à feu grâce à la stratégie de dissuasion ciblée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/474897/original/file-20220719-10005-yfl95f.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C0%2C998%2C525&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Il y a de plus en plus de violence par arme à feu au pays. Une stratégie de dissuasion ciblée, axée sur la prévention, a fait ses preuves pour la réduire.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Une <a href="https://doi.org/10.25318/3510017001-fra">hausse de la violence par arme à feu a été observée au cours des dernières années au Canada</a>. Depuis les derniers mois, à Montréal et dans sa banlieue, les nuits se suivent et se ressemblent avec son lot de fusillades, parfois mortelles, <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1894569/arrestation-deuxieme-suspect-meurtre-meriem-boundaoui">et ses victimes collatérales</a>.</p>
<p>Par exemple, pour l’année 2020, on a compté 277 homicides par arme à feu au pays. Un seuil similaire n’avait pas été observé depuis 1991. Il va sans dire qu’une intervention doit être réfléchie pour contrer ce problème coûteux et dommageable pour la société et, bien évidemment, pour ses victimes et leurs proches.</p>
<p>Toutefois, pour l’instant, les stratégies suggérées par la classe politique ou par les forces de l’ordre sont principalement d’augmenter le nombre de policiers ou d’augmenter la répression. Cela nous laisse perplexes. Mes travaux en tant que professeur-chercheur à l’Université Laval sur la question des réseaux criminels et la littérature scientifique sur le sujet suggèrent plutôt d’autres avenues plus efficaces pour contrer ce problème.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-prevention-est-le-moyen-le-plus-efficace-de-reduire-la-violence-armee-184290">La prévention est le moyen le plus efficace de réduire la violence armée</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Une police axée sur la résolution de problème</h2>
<p>Plus de policiers, moins de violence ? Rien n’est moins sûr <a href="https://doi.org/10.1177/0032258X15612702">selon l’analyse systématique des études s’étant penchées sur la question</a>. Si une augmentation des ressources policières montre un effet au mieux ténu sur la criminalité de manière générale, aucun effet spécifique n’a pu être observé sur la criminalité violente. De plus, ces stratégies policières amènent des tensions sociales, des processus discriminatoires, et des risques élevés de victimisation <a href="https://prohic.nl/wp-content/uploads/2020/11/2020-08-03-RacePlaceEffectivePolicing.2019.pdf">qui sont contre-productifs dans la définition d’une solution globale</a>.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/474908/original/file-20220719-10097-dhd4ci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/474908/original/file-20220719-10097-dhd4ci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/474908/original/file-20220719-10097-dhd4ci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/474908/original/file-20220719-10097-dhd4ci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=405&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/474908/original/file-20220719-10097-dhd4ci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/474908/original/file-20220719-10097-dhd4ci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/474908/original/file-20220719-10097-dhd4ci.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=509&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Une vigile à la mémoire de Meriem Boundaoui, assassinée en février 2021. Son meurtre, commis par des membres de gangs armés, vient d’être résolu.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Graham Hughes</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p><a href="https://justicepolicy.org/wp-content/uploads/2022/02/rethinkingtheblues_final.pdf">En plus d’être assez peu efficaces</a>, ces stratégies sont peu efficientes, <a href="https://www.ojp.gov/ncjrs/virtual-library/abstracts/reducing-offending-assessment-research-evidence-ways-dealing">représentant des coûts considérables pour les contribuables</a>.</p>
<p>Mais d’autres stratégies novatrices ont été implantées ailleurs dans le monde desquelles nous pourrions nous inspirer. Bien que peu implantées au Canada jusqu’à maintenant, ces solutions, basées sur une police axée sur la résolution de problème, <a href="https://doi.org/10.1177%2F0011128708321321">suggèrent des résultats beaucoup plus prometteurs pour combattre la violence par arme à feu</a>.</p>
<h2>Cibler le problème à la source</h2>
<p>Plutôt que de simplement réagir à chaque événement, comme c’est présentement le cas avec le problème de violence par arme à feu, la police de résolution de problème, comme son nom l’indique, favorise une approche proactive face à la criminalité, visant à cibler le problème à la source.</p>
<p>Plus précisément, la <a href="https://www.cambridge.org/ca/academic/subjects/sociology/criminology/framework-addressing-violence-and-serious-crime-focused-deterrence-legitimacy-and-prevention?format=PB&isbn=9781108940061">stratégie en question est celle de la dissuasion ciblée (<em>Focused Deterrence</em>)</a>. Cette stratégie, ciblant spécifiquement des individus ou des groupes à risque de commettre des actes violents, vise à dissuader ces comportements en utilisant comme leviers l’appréhension de certaines sanctions potentielles, ainsi que l’anticipation des bénéfices de ne pas commettre de gestes violents.</p>
<p>Concrètement, les interventions basées sur la dissuasion ciblée impliquent à la fois les services de police, mais aussi des représentants de la communauté, dans le but d’entreprendre une discussion avec des individus à haut risque de s’impliquer dans la délinquance violente. Cette discussion vise à leur communiquer des incitatifs clairs à éviter la violence, et les éléments dissuasifs de s’y engager.</p>
<h2>Inciter et dissuader</h2>
<p>Une fois ciblés, les délinquants reçoivent des informations sur l’accessibilité de différents services offerts dans leur communauté. Parmi les incitatifs, on retrouve des programmes d’aide à l’emploi, d’intervention psychosociale, de formation ou du soutien communautaire.</p>
<p>Des éléments dissuasifs sont aussi invoqués : les individus rencontrés sont informés des sanctions légales accrues auxquelles eux-mêmes, mais aussi leurs associés, feront face s’ils poursuivent la perpétration d’actes violents. Ce renforcement des sanctions peut être spécifique aux actes violents, mais peut aussi s’élargir à d’autres délits moins graves. Ainsi, si un gang augmente son niveau de violence, plus de répression sera envisagée globalement sur ce groupe, par exemple sur ses activités de trafic de stupéfiants.</p>
<p>Au-delà d’une simple stratégie de la carotte et du bâton, les initiatives de dissuasion ciblée tentent de réduire les opportunités qu’ont les individus de commettre des actes violents, de faire de la communauté locale un partenaire dans le processus, et d’améliorer les relations entre les services de police et la communauté.</p>
<h2>Le groupe plutôt que l’individu</h2>
<p>Les programmes recensés peuvent prendre différentes formes, mais la plus efficace est basée sur le modèle de l’<em>Operation Ceasefire</em>, <a href="https://www.ojp.gov/pdffiles1/nij/188741.pdf">introduite à Boston dans les années 90</a>.</p>
<p>Cette stratégie de réduction de la violence cible les gangs en tant que groupes plutôt qu’en tant qu’individus. Dans le cadre de ces programmes, les acteurs du système de justice, des services sociaux et les membres de la communauté sont invités à s’engager directement dans un dialogue avec les groupes violents, de leur faire part de leurs préoccupations morales et légales concernant la violence subie, d’offrir une aide sincère à ceux qui le désirent, et de mettre en place des campagnes répressives stratégiques contre ceux qui continueraient leurs comportements violents.</p>
<p>Ces stratégies ont montré des résultats très encourageants. <a href="https://onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/cl2.1051">Une recension systématique de 24 études</a> évaluant des programmes de cette nature arrive à la conclusion que ceux-ci avaient des effets non négligeables sur la violence par arme à feu.</p>
<p>Par exemple, <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1177/0011128716635197">dans une de nos études</a>, nous avons pu constater que l’implantation d’un tel programme à New Haven (CT) aux États-Unis avait pu réduire de 73 % la violence par arme à feu commise par les gangs. De plus, par <a href="https://www.nature.com/articles/s41562-019-0688-1">processus de diffusion de l’information entre les membres de groupes criminels</a>, les associés des individus rencontrés dans le cadre de ces programmes <a href="https://journals.sagepub.com/doi/10.1177/0193841X1351853">obtiennent eux aussi des bénéfices en lien avec ces interventions</a>.</p>
<p>Cette diminution observée est nettement plus efficace et efficiente qu’une simple augmentation du nombre de policiers, sans stratégie d’ensemble visant la cause du problème ou qui n’implique pas les membres de la communauté.</p>
<p>À notre connaissance, au Québec, on ne retrouve pas de stratégie d’intervention de ce type. Certes, le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1893534/financement-prevention-centaure-projets-arrondissements">gouvernement québécois a annoncé l’investissement de deux millions de dollars dans des projets de prévention</a> dans sept arrondissements à Montréal, comme la modernisation d’installations sportives ou culturelles. Mais les stratégies répressives <a href="https://www.quebec.ca/gouvernement/politiques-orientations/strategie-lutte-violence-armes-a-feu">reçoivent plus du double d’investissement que celles axées sur la prévention</a>.</p>
<p>Il n’y a aucune raison valable de ne pas mettre en place ce genre de programme qui a fait ses preuves ailleurs dans le monde. Il est temps de penser à la problématique de la violence par arme à feu de manière globale en termes de prévention plutôt qu’en de simples actions réactives et strictement répressives.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/186619/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yanick Charette a reçu des financements des Fonds de Recherche du Québec et du Conseil de Recherche en Sciences Humaines du Canada.</span></em></p>La lutte contre la violence par arme à feu doit être pensée en termes de prévention, plutôt qu’en actions réactives et répressives. La dissuasion ciblée est une stratégie qui a fait ses preuves.Yanick Charette, Professeur agrégé, criminologie, Université LavalLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1845692022-07-17T18:23:23Z2022-07-17T18:23:23ZLa France penche-t-elle vers plus d’autoritarisme ?<p>Ce sont les leaders autoritaires qui mènent la danse. Ils sont particulièrement visibles sur le plan politique, notamment à l’extrême droite, de Donald Trump aux États-Unis à Viktor Orban en Hongrie en passant par Jair Bolsonaro au Brésil et Vladimir Poutine en Russie, mais aussi sur la gauche (Hugo Chavez ou Lula, par exemple) et pas seulement à l’étranger. Ils existent également dans les entreprises privées, comme le montre le pouvoir de <a href="https://theconversation.com/quest-ce-quun-leader-176704">« leaders »</a> comme Steve Jobs, Mark Zuckerberg ou Elon Musk ou certaines formes de <a href="https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Libres-d-obeir">« management »</a>.</p>
<p>L’un des traits les plus marquants des tentatives de dépassement de la situation politique contemporaine est l’autoritarisme. Il est fondé sur la conviction que la vie est déterminée par des règles, des lois et par des puissances qui nous dépassent et qui s’imposent à nous. Elles agissent de l’extérieur sur nous et elles sont indépendantes de notre volonté : des raisons objectives auxquelles on doit consentir. Ces règles, lois et puissances sont considérées comme un destin. Le bonheur serait de se soumettre à ces puissances et d’en jouir. Cette soumission peut devenir souhaitable car les hommes partagent le vécu d’une société qui leur paraît chaotique et sans plan. S’en remettre au destin est, selon ces conceptions, vertueux et jouissif. Cela peut avoir, par exemple, une expression religieuse mais également économique (« les lois du marché »), historique et naturalisée (« la France éternelle ») ou écologique (« la nature »).</p>
<p>L « autorité » désigne toutes les formes d’action qui soumettent les hommes et les femmes afin qu’ils vivent dans la dépendance de l’ordre établi et de la volonté d’autrui. L’autoritarisme revendique le leadership afin d’imposer sa volonté et de rendre les autres dépendants. <a href="https://www.decitre.fr/livres/du-caractere-social-9782841901685.html">L’autoritarisme</a> n’apparaît plus seulement comme l’apanage de l’extrême droite mais semble se généraliser.</p>
<h2>Une demande d’autorité ?</h2>
<p>C’est moins l’existence de personnages autoritaires qui est inquiétante que l’énorme soutien, la large approbation et le consentement à leurs positions, en France comme ailleurs. Les résultats des dernières élections présidentielles en France et diverses <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/CEVIPOF_confiance_10ans_CHEURFA_CHANVRIL_2019.pdf">enquêtes d’opinion</a> le montrent clairement. Il existe une réelle demande d’une perspective autoritaire dans la population : la demande de l’homme fort ou de la femme forte qui ferait régner l’ordre et la sécurité.</p>
<p>Certes, la <a href="https://www.sciencespo.fr/cevipof/sites/sciencespo.fr.cevipof/files/Fractures%20Franc%cc%a7aises%20-%20sept%202021.pdf">plupart des Français</a> considèrent la démocratie comme le meilleur système politique (68 % en 2021), mais presque un tiers (32 % en 2021) considère que « d’autres systèmes politiques peuvent être aussi bons que la démocratie ». 18 % préféreraient un système autoritaire avec un chef qui décide sans être embarrassé par le parlement et son opposition, des syndicats ou d’autres opposants. Dans le contexte de la crise du coronavirus, la fragilité de la démocratie est claire car 44 % des Français préfèrent une politique « efficace » à la démocratie considérée comme inefficace.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/aux-origines-des-fractures-francaises-183037">Aux origines des fractures françaises</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<h2>Peur et impuissance</h2>
<p>La situation politique en France est un terreau exceptionnel pour le développement de l’autoritarisme. Non seulement les « crises » écologiques, institutionnelles, géopolitiques s’éternisent mais elles sont devenues la normalité de la vie quotidienne.</p>
<p>Il règne la peur de lendemains pires que le présent et un <a href="https://editions-croquant.org/livres/805-la-fin-de-la-democratie-.html">sentiment d’impuissance</a> car les citoyens constatent qu’ils n’ont que très peu de prise sur le réel. L’adaptation résignée à cet état est une triste réalité tout comme la quête de sécurité dans la défense de ce qui, dans le passé, leur aurait permis de vivre convenablement ou mieux qu’aujourd’hui : la tradition, les frontières, le nous des « citoyens de souche ». La globalisation et l’européanisation ne sont plus des repères de lendemains meilleurs mais des sources de peurs de vivre dans un monde sans protections, sans frontières et sans règles.</p>
<h2>Gouvernance instrumentale</h2>
<p>La gouvernance englobe et interconnecte systématiquement sur le plan programmatique les mesures à prendre, les règles à respecter et les lieux de décision. Elle est purement instrumentale et elle a comme finalité d’atteindre des buts qu’elle définit elle-même : elle gère. Or, on est à cent lieues de la démocratie où le politique et la politique devraient se développer grâce à la délibération publique sur l’état et les avenirs possibles de la cité.</p>
<p>Certes, nous n’avons jamais connu une cité qui correspond à cette image d’Épinal de la démocratie mais depuis une bonne trentaine d’années, en France, les leaders politiques et les partis politiques dominants n’ont plus d’alternative à présenter à la situation de manques et de souffrances des citoyens et citoyennes. En revanche, la gouvernance exerce le contrôle et, si nécessaire, la révocation des gouvernants qui se sont engagés pour réaliser la politique décidée par les citoyens.</p>
<p>[<em>Près de 70 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Le slogan bien connu de Margaret Thatcher « there is no alternative » est devenu le consensus entre les acteurs de la politique institutionnelle et la gouvernance. Entre les années 1980 et le début des années 2000, cette idée était largement partagée au-delà de ce petit monde de politiques professionnels et souvent reprise avec enthousiasme car elle exprimait la possibilité de vivre mieux à l’avenir.</p>
<p>La réalité a été, bien sûr, beaucoup plus contradictoire, mais cela n’est pas notre sujet. Ce qui nous importe est la dépolitisation profonde de la société que la pratique du « there is no alternative » a produite. La politique est désormais la tâche de la gouvernance nationale et internationale, composée d’experts et de professionnels, en général sans mandat électoral (par exemple les <a href="https://www.mediapart.fr/journal/france/310322/prestations-offertes-et-jeux-d-influence-revelations-sur-mckinsey-et-emmanuel-macron">experts de cabinets-conseils</a> omniprésents dans les institutions ou des experts qui font partie du personnel des institutions politiques).</p>
<p>Ce sont les instances de la gouvernance qui gèrent les sociétés. Les citoyens peuvent s’engager dans la « société civile », c’est-à-dire surtout dans l’humanitaire et dans la charité. La politique dans le sens classique est devenue indésirable et quasiment impossible.</p>
<h2>Manque d’alternatives</h2>
<p>Cette dépolitisation désarme les citoyens dans le monde contemporain et dans le désordre mondial. La situation est incompréhensible et, par conséquent, immaîtrisable. L’incertitude, la peur, l’impuissance vécue et le manque d’alternatives à cette situation se conjuguent. Mais ce n’est pas le calme plat qui règne. Bien au contraire, il émerge des contestations, des résistances et des luttes dans les secteurs les plus différents : « il faut que ça change » ! Mais comment et dans quel sens ? Les acteurs politiques institutionnels n’ont certainement pas dit leur dernier mot, mais il est évident que le système institutionnel et surtout les partis politiques, autrefois porteurs de projets alternatifs, sont à bout de souffle. La ressemblance de leurs positions tout comme leur impuissance par rapport à la gouvernance sont frappantes. Leur légitimité est au plus bas.</p>
<p>De l’autre côté, la solution autoritaire demande des leaders qui l’incarnent. Ce sont des « gens normaux » et de « petites gens » comme nous tous mais ils ont quelque chose en plus : ils incarnent ce qui « nous » lie et notre vision du monde dichotomique selon laquelle « nous » sommes toujours du bon côté et les « autres » du mauvais côté. Il va ainsi de soi qu’on doit punir ces autres pour que nous puissions vivre selon nos critères. Questionner cette vision du monde, la remettre en cause ou essayer d’expliquer pour quelles raisons les « autres » agissent comme ils le font et ce qui nous lie sont des tabous.</p>
<p>Les discours autoritaires sont creux, souvent faux et pathétiques. Ils sont pourtant écoutés parce que le politique est marginalisé et qu’il n’y a que très peu de discours alternatifs ; en outre, ces derniers sont presque inaudibles. Les partis politiques appartiennent au passé ou à un avenir autoritaire.</p>
<p><a href="https://theconversation.com/et-si-lhopital-etait-gere-par-ses-salaries-176429">L’auto-organisation</a> des citoyens dans des structures souples qui construisent un espace public de délibération peut être le début d’un nouveau système politique. Le conflit avec la gouvernance est programmé ; il peut être salutaire.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184569/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jan Spurk ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’« autorité » désigne toutes les formes d’action qui soumettent les hommes et les femmes afin qu’ils vivent dans la dépendance de l’ordre établi et de la volonté d’autrui.Jan Spurk, Professeur de sociologie, Université Paris CitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1850972022-06-21T19:21:24Z2022-06-21T19:21:24ZViolence et police : un problème d’encadrement juridique<p>La mort de Nahel M., 17 ans, <a href="https://www.lemonde.fr/societe/live/2023/06/28/adolescent-tue-par-la-police-a-nanterre-les-dernieres-informations-et-reactions-en-direct_6179556_3224.html">abattu à Nanterre</a> le mardi 27 juin 2023 par un policier lors d'un contrôle de son véhicule (enquête en cours) a suscité une vive émotion publique et plusieurs incidents dans de nombreuses communes des Hauts-de-Seine.</p>
<p>Depuis une petite dizaine d’années, la question des « violences policières » s’est imposée sur le devant de la scène, portée par des collectifs constitués après le décès de certaines personnes à la suite d’une intervention policière – à l’image de l’emblématique <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/comment-le-comite-adama-traore-a-pris-la-tete-des-mobilisations-contre-les-violences-policieres-et-le-racisme-7083988">« comité Adama »</a> – mais aussi par les affrontements entre manifestants et forces de l’ordre ayant émaillé le <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2019/02/KEMPF/59541">mouvement des « gilets jaunes »</a>.</p>
<p>Pourtant, cette présence renouvelée dans le débat public ne se traduit guère par une élévation de son niveau. Singulier paradoxe de notre temps, il semblerait au contraire que plus la discussion est nécessaire, plus elle est ensevelie sous la polémique médiatique. D’un côté, appuyés par les médias de masse et nombre de politiciennes et politiciens, les principaux syndicats de policiers <a href="https://www.liberation.fr/france/2020/12/07/la-grosse-colere-des-syndicats-policiers-contre-macron_1807896/">réfutent l’idée même de violences policières</a>, réduisant toute critique de la façon dont est exercée la force publique à l’expression d’une supposée « haine des flics ».</p>
<p>De l’autre, certains discours militants tendent à présenter les brutalités policières comme inhérentes à la fonction, développant une acception essentialiste que résume assez bien le slogan suivant lequel « la police tue » et qui est, lui aussi, <a href="https://www.francetvinfo.fr/politique/melenchon/la-police-tue-comment-la-polemique-sur-le-refus-d-obtemperer-s-est-deplacee-sur-le-terrain-politique_5184763.html">repris par certains membres de la classe politicienne</a>.</p>
<h2>Des prises de position dogmatiques ?</h2>
<p>Symétriques et stéréotypées, de telles prises de position relèvent, au-delà de leur antagonisme de façade, d’un même dogmatisme. L’une comme l’autre témoigne en effet d’une réticence ou, à tout le moins, d’une indifférence à la compréhension du phénomène qui se donne à voir jusque dans l’usage des mots employés. Présenter le seul fait que « la police tue » comme une marque d’infamie est tout aussi ridicule que de feindre de s’émouvoir qu’on puisse le penser. Dans un État de droit, la fonction des forces de police et de gendarmerie est précisément d’exercer, concrètement, ce fameux <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/la-violence-legitime-de-l-etat-de-max-weber-8101512">monopole de la violence légitime théorisé en son temps par Max Weber</a>. Une violence qui peut prendre la forme d’une contrainte essentiellement morale – le fait d’obéir aux injonctions du gendarme – mais peut aussi se traduire par l’infliction de blessures ou, dans les cas les plus extrêmes, de la mort.</p>
<p>D’un point de vue démocratique, la question n’est donc pas de savoir si les forces de l’ordre commettent ou non des violences, mais si le cadre légal dans lequel ces violences sont exercées garantit suffisamment que, sous le contrôle du juge, elles demeurent strictement nécessaires et proportionnées à la mission des autorités de police. Une mission, qui, comme le rappelle l’article 12 de la <a href="https://www.lexbase.fr/texte-de-loi/ddhc-26-08-1789-art-12/L1359A99.html">Déclaration des droits de l’homme et du citoyen</a>, n’a – ou ne devrait – avoir d’autres fins que l’application des lois et, à travers elle, la garantie des droits et libertés des citoyens.</p>
<p>C’est en effet à cette condition – et à cette condition seulement – que la violence d’État pourra être regardée comme légitime.</p>
<p>C’est dans cette perspective qu’il faut soumettre notre système répressif à un examen critique pour apprécier sa capacité à prévenir et sanctionner efficacement ce qu’il faut désigner non comme des « violences policières » mais, bien plus précisément, comme des abus dans l’exercice de la force publique.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<h2>Vérifier les cadres d’usage des armes à feu</h2>
<p>Répondre à cette question suppose en premier lieu de vérifier si les cas dans lesquels les services de police et de gendarmerie peuvent faire usage de leurs armes à feu sont définis de façon suffisamment stricte. <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000034107970/">L’article L.435-1</a> du code de la sécurité intérieure énonce de façon exhaustive et relativement précise ces hypothèses. À côté de la situation de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006417218">légitime défense</a> – caractérisée par une riposte immédiate et proportionnée à une menace réelle et imminente pour la vie ou l’intégrité physique d’une personne – les policiers peuvent ouvrir le feu s’il s’agit de l’unique moyen d’assurer la protection des individus ou des bâtiments dont ils ont la garde ou d’arrêter une personne prenant la fuite.</p>
<p>La loi précise en outre que le tir doit, dans tous les cas, être proportionné (par exemple, les policiers ne peuvent viser le conducteur si tirer sur les roues suffit pour immobiliser le véhicule du fuyard).</p>
<p>Reprenant largement les <a href="https://hudoc.echr.coe.int/fre?i=001-104099">exigences</a> de la Cour européenne des droits de l’homme, ces différentes hypothèses garantissent, a priori, la légitimité de l’exercice de la force.</p>
<h2>Quand l’exception devient la règle</h2>
<p>Tel n’est pas le cas, en revanche, de la dernière hypothèse visée par le code de sécurité intérieure et qui permet aux forces de l’ordre de faire usage de leurs armes pour :</p>
<blockquote>
<p>« empêcher la réitération, dans un temps rapproché, d’un ou de plusieurs meurtres ou tentatives de meurtre venant d’être commis, lorsqu’ils ont des raisons réelles et objectives d’estimer que cette réitération est probable ».</p>
</blockquote>
<p>Promue en <a href="https://www.assemblee-nationale.fr/14/projets/pl3473.asp">2016</a> comme permettant de donner une base légale au tirs effectués à l’encontre des auteurs de crimes terroristes comme le massacre du Bataclan de novembre 2015 – alors même que la légitime défense en l’espèce n’est ni contestée, ni contestable – cette hypothèse est désormais d’application générale alors que le seul cas de figure où elle pourrait légitimement s’appliquer est celle d’un crime de masse comme celui du Bataclan.</p>
<p>Or, dans le temps de l’action, il est strictement impossible pour l’auteur d’un tir de savoir s’il est face à une tentative d’homicide ou de « simples » violences. Il s’ensuit un risque d’usage disproportionné de la force ou, inversement, de mise en cause imprévisible de la responsabilité pénale de policiers ou de gendarmes qui, de bonne foi, auront cru agir dans le cadre de la loi.</p>
<h2>Des failles dans la mise en application</h2>
<p>Mais c’est avant tout au niveau de la mise en application du cadre légal que notre système présente les failles les plus importantes. Lorsqu’un policier ou gendarme recourt à la force en dehors des hypothèses prévues par la loi ou de façon disproportionnée, il commet alors une infraction pénale, qu’il s’agisse du délit de violences volontaires, passible d’une peine pouvant aller <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000045071409">jusqu’à dix ans</a> ou, dans le pire des cas, du crime de meurtre, passible d’une peine de trente ans de <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006417561">réclusion criminelle</a>.</p>
<p>Or la façon dont les enquêtes concernant les crimes et délits commis par les forces de l’ordre sont aujourd’hui menées en France ne garantit pas suffisamment leur impartialité. D’une part, ce sont toujours des policiers ou des gendarmes qui enquêtent sur d’autres policiers ou gendarmes – en principe, les inspections générales de police nationale ou de la gendarmerie nationale. D’autre part, les investigations sont la plupart du temps placées sous la supervision d’une autorité, le procureur de la République, qui ne bénéficie elle-même <a href="https://journals.openedition.org/revdh/8612">d’aucune garantie d’indépendance à l’égard du gouvernement</a> et, partant, du ministère de l’Intérieur. Les magistrats du parquet sont en effet placés sous l’autorité directe d’un autre membre du pouvoir exécutif, le ministre de la Justice, seul compétent pour décider de leur nomination ou d’éventuelles sanctions disciplinaires.</p>
<h2>Modifier les instances de contrôle</h2>
<p>En définitive, seules les procédures confiées à un juge d’instruction – magistrat statutairement indépendant – offrent aujourd’hui des garanties suffisantes d’impartialité. C’est la raison pour laquelle de nombreuses personnes demandent que les investigations relatives aux abus dans l’exercice de la force soient confiées <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/285317-police-l-igpn-et-son-devenir">à un service d’enquête complètement indépendant</a>, comme ce qui a été mis en place chez certains de nos voisins européens, à l’image de l’<em>Independant Office for Police Conduct</em> britannique.</p>
<p>Inversement, celles et ceux qui militent aujourd’hui pour l’assouplissement du cadre légal existant revendiquent en réalité une pratique policière incompatible avec les exigences de l’État de droit démocratique. En particulier, la « présomption de légitime défense » proposée par le <a href="https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/05/09/la-legitime-defense-des-policiers-revient-dans-le-debat_6125273_3224.html">Rassemblement national et la plupart des syndicats policiers</a> reviendrait à empêcher toute poursuite à l’encontre des auteurs de tirs quel que soit leur justification ou leur proportion, leur garantissant ainsi une impunité qui ne s’observe que dans les régimes autoritaires.</p>
<p>Mais pour s’opposer à une telle évolution, il est nécessaire de dépasser la simple condamnation morale des « violences policières » et, plus encore, de se garder de toute assimilation de telles dérives à une entière profession.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/185097/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Vincent Sizaire ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La question n’est pas de savoir si les forces de l’ordre commettent ou non des violences, mais si le cadre légal dans lequel ces violences sont exercées garantit leur légitimité dans une démocratie.Vincent Sizaire, Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris LumièresLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1842902022-06-08T17:07:51Z2022-06-08T17:07:51ZLa prévention est le moyen le plus efficace de réduire la violence armée<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/467260/original/file-20220606-22-oix6aa.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C8%2C2995%2C2182&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Un mémorial a été installé pour Amir Benayad, 17 ans, et d'autres victimes de fusillades, dont Meriem Boundaouia, près une veillée et une manifestation contre la violence armée à Montréal, le 16 janvier 2022. </span> <span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Graham Hughes</span></span></figcaption></figure><p>Au cours de la dernière décennie, le recours aux armes de poing dans les crimes violents en milieu urbain a augmenté dans les villes canadiennes. En effet, les armes de poing sont désormais en cause dans un homicide sur six au Canada. En 2020, plus de 6 crimes violents sur 10 (63 %) commis à l’aide d’une arme à feu dans les régions urbaines <a href="https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/85-002-x/2022001/article/00009-fra.htm">mettaient en cause une arme de poing</a>. Le nombre de fusillades et l’utilisation illégale d’armes de poing ont triplé en seulement cinq ans. Le taux d’homicides au Canada est toujours deux fois celui de l’Angleterre et de l’Allemagne.</p>
<p>Les grandes villes sont particulièrement touchées. Mardi, le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1889107/police-hausse-crime-meurtres-securite-signalements-">rapport d’activités 2021 du Service de police de la Ville de Montréal</a> révélait que le nombre d’événements violents recensés dans la métropole poursuit sa tendance à la hausse, avec une augmentation de 17,3 % des crimes contre la personne dans les cinq dernières années.</p>
<p>Devant cette flambée de violence armée, le gouvernement Trudeau a déposé le 27 avril le <a href="https://www.justice.gc.ca/fra/sjc-csj/pl/charte-charter/c21.html">projet de loi C-21</a> visant à interdire, à compter de l’automne, l’achat, la vente, l’importation et le transfert d’armes de poing.</p>
<p>Déjà, la <a href="https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/fusillade-de-danforth-a-toronto">tragique fusillade de Danforth</a>, à Toronto, survenue en juillet 2018, et au cours de laquelle un tireur de 29 ans a utilisé une arme de poing volée (tuant deux jeunes passantes de manière aléatoire, avant de retourner son arme contre lui), avait fait réagir le premier ministre Justin Trudeau. Il <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/trudeau-gun-violence-funeral-1.4767165">avait alors déclaré que le gouvernement</a> « examine les choses ayant été faites ailleurs dans le monde et dans d’autres juridictions, qu’il étudie les meilleures preuves, les meilleures données, afin de prendre les bonnes décisions pour assurer que le futur des citoyens et des communautés soit sécuritaire ».</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/467263/original/file-20220606-12-jp9ppz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467263/original/file-20220606-12-jp9ppz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467263/original/file-20220606-12-jp9ppz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467263/original/file-20220606-12-jp9ppz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467263/original/file-20220606-12-jp9ppz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467263/original/file-20220606-12-jp9ppz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467263/original/file-20220606-12-jp9ppz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le premier ministre Justin Trudeau rend hommage aux victimes des récentes fusillades de Danforth, à Toronto, le 30 juillet 2018.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Nathan Denette</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Cela a-t-il été fait ? En tant qu’experts en prévention de la criminalité et en sécurité communautaire, nous étudions et partageons les meilleures preuves et les meilleures données, ainsi que les solutions fondées sur les données probantes. En 2019, j’ai publié <a href="http://irvinwaller.org/featured-books/science-and-secrets-of-ending-violent-crime/">« Science and Secrets of Ending Violent Crime »</a>, un ouvrage qui rassemble les données probantes de partout à travers le monde et qui documente les approches éprouvées permettant de mettre fin à la criminalité violente, y compris la violence par armes de poing.</p>
<h2>Les mesures réactives demeurent inefficaces</h2>
<p>Le système pénal canadien, largement axé sur des mesures policières et carcérales, coûte <a href="https://www.ledevoir.com/politique/canada/373758/la-justice-penale-coute-20-milliards-par-annee">plus de 20 milliards de dollars annuellement</a>. Pourtant, l’utilisation accrue d’approches punitives n’augmente pas son efficacité.</p>
<p>Il suffit de regarder au sud de la frontière pour constater que les états américains avec les taux d’incarcération les <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=1995">plus élevés enregistrent un plus grand nombre d’incidents de violence que les autres</a>, et non l’inverse. Si les mesures punitives étaient efficaces, les villes américaines seraient les plus sécuritaires du monde. C’est pourtant loin d’être le cas.</p>
<p>Le projet de loi C-21 s’inscrit dans cette tendance. Il est peu susceptible de contrer l’usage illégal d’armes ou de sauver des vies. En effet, la majorité des crimes commis avec des armes de poing dans les zones urbaines du Canada le <a href="https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1887373/interdiction-restrictions-armes-poing-bonne-nouvelle-guilbeault">sont avec des armes de contrebande en provenance des États-Unis</a>. Un gel national sur la vente, l’achat et le transfert d’armes de poing au Canada ne freinerait donc pas cette tendance.</p>
<p>La loi C-21 prévoit également des peines plus sévères pour le trafic d’armes et un renforcement des contrôles aux frontières. Ces mêmes mesures ont été mises en place en lien avec les drogues et les statistiques démontrent que les contrôles frontaliers et les lourdes peines freinent peu le trafic de drogues illégales. Ainsi, il est peu probable qu’elles soient plus efficaces pour le trafic d’armes de poing.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/467264/original/file-20220606-13060-hy7er.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467264/original/file-20220606-13060-hy7er.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467264/original/file-20220606-13060-hy7er.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467264/original/file-20220606-13060-hy7er.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=386&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467264/original/file-20220606-13060-hy7er.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467264/original/file-20220606-13060-hy7er.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467264/original/file-20220606-13060-hy7er.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=485&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le premier ministre Justin Trudeau annonce une nouvelle loi sur le contrôle des armes à feu à Ottawa, le 30 mai 2022.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Patrick Doyle</span></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Miser sur la prévention en réduisant les facteurs de risque</h2>
<p>Plus de 50 ans d’études scientifiques en criminologie et de rapports gouvernementaux montrent que la prévention en amont <a href="https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/rsrcs/pblctns/2016-r005/index-fr.aspx">est le moyen le plus efficace</a> et le <a href="https://www.ontario.ca/fr/document/la-prevention-de-la-criminalite-en-ontario-livret-1-un-cadre-daction/section-4-bien-fonde-de-la-prevention-de-la-criminalite#section-1">plus rentable de réduire la violence</a>.</p>
<p>La prévention, qui implique de s’attaquer aux facteurs de risque de la violence, permet d’obtenir une réduction de 50 % des taux de criminalité violente en quelques années. À titre d’exemple, les taux d’homicides dans la ville de Glasgow, en Écosse, <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=2708">ont diminué de moitié</a> entre 2006/2007 et 2016/2017. La ville, très violente, a établi en 2005 une unité spéciale (Violence Reduction Unit). L’objectif est de réduire la violence, mais avec une approche orientée vers la prévention.</p>
<p>En adoptant une approche préventive, la ville de Bogotá, en Colombie, <a href="https://apolitical.co/solution-articles/fr/le-fait-de-traiter-la-violence-comme-une-maladie-a-permis-de-reduire-de-82-le-taux-de-meurtres-en-colombie">a également diminué de 82 % son taux d’homicides en 25 ans</a>.</p>
<p>La prévention peut prendre la forme d’initiatives de <a href="https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/cntrng-crm/crm-prvntn/nvntr/dtls-fr.aspx?i=10058">sensibilisation auprès des jeunes</a>, de <a href="https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/cntrng-crm/crm-prvntn/nvntr/dtls-fr.aspx?i=10041">mentorat et de soutien aux familles</a>, ainsi que de programmes scolaires qui abordent les attitudes et les croyances face à la violence, tels que les programmes <a href="https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/cntrng-crm/crm-prvntn/nvntr/dtls-fr.aspx?i=10025">Quatrième R</a> et <a href="https://www.securitepublique.gc.ca/cnt/cntrng-crm/crm-prvntn/nvntr/dtls-fr.aspx?i=10054">SNAP</a>.</p>
<p>La prévention en amont peut également inclure des actions basées sur <a href="https://www.cdc.gov/violenceprevention/about/fundedprograms/cardiffmodel/whatis.html">l’analyse épidémiologique des victimes de violence armée qui reçoivent des soins médicaux d’urgence</a>. Ces mesures reposent sur le partage stratégique d’informations recueillies dans les salles d’urgence, comme le lieu, l’heure, la date et le mécanisme de blessure, afin de mieux comprendre les facteurs de risque et adapter les mesures préventives en conséquence.</p>
<p>Nous disposons de lignes directrices claires sur la façon de mettre en œuvre les approches de prévention. L’Ontario <a href="https://www.ontario.ca/fr/page/initiatives-et-ressources-de-securite-communautaire">exige déjà des municipalités qu’elles élaborent des plans de sécurité communautaire</a>. Cependant, ceux-ci nécessitent un financement durable pour les initiatives de prévention ainsi que la formation des professionnels, des outils de sécurité communautaire et le partage des connaissances en lien avec les approches éprouvées.</p>
<h2>Prévenir plutôt que punir</h2>
<p>Le gouvernement fédéral peut être un acteur clé du changement vers des politiques de prévention intelligentes. Malheureusement, les politiques actuelles sont trop peu nombreuses et pas assez intégrées.</p>
<p>Souvent, il s’agit de projets ponctuels qui ne durent que quelques années et qui ne font pas un usage adéquat des lignes directrices et des données probantes. C’est le cas du programme Ceasefire qui a engendré des réductions importantes des fusillades à Boston, mais qui a été discontinué quelques années plus tard, <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2015/dec/14/turned-our-back-on-a-proven-method-to-curtail-gun-violence-project-ceasefire">causant une remontée de la violence armée</a>.</p>
<p>Afin de faciliter l’adoption d’un virage de réduction de la violence, dans les années 1990, deux comités parlementaires <a href="https://www.noscommunes.ca/content/archives/committee/352/jula/reports/13_1997-04/chap5-f.html">ont recommandé de diriger l’équivalent de 5 % des dépenses fédérales réservées à la justice pénale vers des mesures préventives</a>. Il est également impératif de légiférer pour créer un centre national permanent de prévention de la violence dirigé par un haut fonctionnaire pour travailler étroitement avec tous les ordres de gouvernement, ainsi qu’avec les communautés autochtones.</p>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/467262/original/file-20220606-13103-puvcdv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/467262/original/file-20220606-13103-puvcdv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/467262/original/file-20220606-13103-puvcdv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/467262/original/file-20220606-13103-puvcdv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/467262/original/file-20220606-13103-puvcdv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/467262/original/file-20220606-13103-puvcdv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/467262/original/file-20220606-13103-puvcdv.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Le directeur du Service de police de Montréal, Sylvain Caron, prend la parole lors d’une conférence de presse sur la lutte contre les réseaux criminels et la violence armée, le 20 octobre 2020 à Québec. Il est accompagné par la vice-première ministre et ministre de la Sécurité publique du Québec, Geneviève Guilbault, la directrice intérimaire de la Sûreté du Québec, Johanne Beausoleil, et le directeur de la police de Québec, Robert Pigeon.</span>
<span class="attribution"><span class="source">La Presse Canadienne/Jacques Boissinot</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Dans sa proposition actuelle, le projet C-21 <a href="https://pm.gc.ca/fr/nouvelles/communiques/2022/05/30/renforcer-davantage-nos-lois-controle-des-armes-feu">implique des dépenses de 50 millions de dollars par année</a> pour des mesures qui ne sont pas fondées sur les données probantes. On ne sait pas encore quels seront les coûts reliés aux mesures de répression, mais il est clair que ces dépenses n’auront que peu d’effet pour sauver des vies.</p>
<p>Ainsi, compte tenu de l’étendue des connaissances disponibles en matière de prévention, investir l’équivalent de 5 % des dépenses fédérales vers des mesures de prévention éprouvées est plus que justifié. Donc, il faut diriger au moins 400 millions de dollars de plus par année dans l’avenir des jeunes et ainsi réduire de façon significative les pertes de vie et les tragédies causées par la violence, surtout par armes à feu.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184290/count.gif" alt="La Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Irvin Waller ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les approches punitives ne sont pas efficaces pour réduire la violence armée. De nombreuses études scientifiques montrent que la prévention en amont est le moyen le plus efficace et le plus rentable.Irvin Waller, Professeur Emérite de Criminologie, L’Université d’Ottawa/University of OttawaLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1842022022-06-02T17:46:34Z2022-06-02T17:46:34ZIncidents aux abords du Stade de France : des problèmes de gestion anciens<p>Au lendemain des incidents qui ont <a href="https://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Quinze-personnes-toujours-en-garde-a-vue-apres-les-incidents-du-stade-de-france/1336081">précédé</a> la rencontre de finale de Coupe d’Europe opposant Liverpool au Real de Madrid au Stade de France, chacun - hommes politiques, policiers, dirigeants français et européens du football, tabloïds anglo-saxons et bien d’autres - va de ses commentaires tantôt acerbes sur la gestion des foules par les forces de l’ordre, tantôt destinés à incriminer les autres, forcément responsables des incidents.</p>
<p>Mais qu’y a-t-il de nouveau dans ces incidents et dans les problèmes de sécurisation des rencontres sportives ?</p>
<h2>Il y a 37 ans, le drame du Heysel</h2>
<p><a href="https://www.cairn.info/revue-vingtieme-si%C3%A8cle-revue-d-histoire-2005-1-page-61.htm">En 1985</a>, alors que nombre d’incidents et de morts avaient précédé la rencontre Liverpool-Juventus de Turin, une mauvaise gestion des foules avait participé à engendrer quelques échauffourées entre les supporters les plus extrémistes. Au point de déclencher au sein du stade du Heysel en Belgique une panique générale, causant la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Drame_du_Heysel">mort par étouffement et écrasement</a> d’une trentaine de spectateurs.</p>
<p>Les images télévisées étaient fortes, pour ne pas dire monstrueuses. Le match fut retardé. Les morts et les blessés furent évacués sur des civières en amont du coup d’envoi. Le match se déroula néanmoins, la Juve gagna. Michel Platini brandit la coupe.</p>
<p>Il fut marqué à vie par ces événements au point qu’une de ses premières déclarations en tant que président de l’UEFA fut de faire de la lutte contre ce type de problème l’une des pierres angulaires de sa mandature.</p>
<figure>
<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/aQi7wsDteG8?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Michel Platini, 1985 (INA).</span></figcaption>
</figure>
<h2>Quelques efforts européens depuis 1985</h2>
<p>S’il n’y a pas eu un affrontement massif, ces morts et blessés ont été dus pour l’essentiel à un défaut dans la sécurité́ passive (présence de stadiers, de réelle ségrégation des publics, de mesures d’évacuation, etc.) du stade malgré́ la présence de 2 290 policiers.</p>
<p>La même année, ce défaut sera réparé́ le 19 août 1985 par <a href="https://rm.coe.int/168007a093">l’édiction de la convention européenne</a> « sur la violence et les débordements de spectateurs lors de manifestations sportives et notamment de matches de football ».</p>
<p>Il s’agit ici d’un effort rétroactif pour réglementer et contrôler un phénomène pourtant prévisible. Les très (trop) nombreuses déclarations politiques « sportives ou étatiques » constituent pour leur part une <a href="https://www.cairn.info/outsiders--9782864249184.htm">« campagne périodique des entrepreneurs moraux »</a> visant à̀ instaurer des normes et un contrôle social afin de rassurer la population.</p>
<p>En 1993, le Comité permanent du Conseil de l’Europe <a href="https://rm.coe.int/09000016804e1751">adopta la recommandation n° 1/93</a>, « concernant les mesures à prendre par les organisateurs de matches de football et les pouvoirs publics ».</p>
<p>Cette recommandation établissait une « liste standard de contrôle des mesures à prendre par les organisateurs de matches de football et les pouvoirs publics ». Il s’agit d’une check-list en 70 points de contrôle, de prévention et d’organisation à observer pour l’organisation des rencontres sportives et à répartir en fonction des différents intervenants : propriétaire du stade, organisateur, fédération, Union européenne de Football Association (UEFA), pouvoirs publics et autres.</p>
<p>En 1994, cette recommandation fut renforcée par la <a href="https://www.coe.int/fr/web/sport/violence-convention">recommandation européenne, n°1/94</a>,« concernant les mesures en vue des manifestations sportives à haut risque en salle », prévoyant le même type de mesure en matière de protection, de prévention et de recommandations concernant notamment la vente des billets et le renforcement des mesures de sécurité pour les sports pratiqués en salle que pour ceux prévus pour les stades.</p>
<h2>La conjonction de multiples facteurs</h2>
<p>Accueil des publics, filtrage, palpations, vente des billets, contrôle de la billetterie, sécurisation des abords des stades, partage des rôles entre forces de l’ordre et organisateur, réunions préalables, chaînes de commandement… tout est prévu… ou presque… puisque nous n’avons pas pu échapper aux incidents du 28 mai.</p>
<p>En France, la loi <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000509542">Alliot-Marie de 1993</a> et la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000000531809">loi d’orientation à la sécurité publique</a> de 1995, suivies de différentes lois d’orientation à la sécurité publique, sont venues renforcer directement ou indirectement un arsenal <a href="https://book.coe.int/fr/sports-monographies/3101-sports-et-violences-en-europe.html">tout à la fois préventif, coercitif et répressif</a> qui a permis que de nombreux matches se déroulent sans incident.</p>
<p>Alors, comment analyser avec le plus de distance et de discernement ce qui s’est passé ? La conjonction de multiples facteurs semble avoir donné lieu à cette situation catastrophique.</p>
<p>Contrairement à ce qu’a avancé le ministre de l’Intérieur, les supporters anglais aux abords du stade n’étaient pas des <a href="https://www.france24.com/en/france/20220530-french-minister-blames-ticket-fraud-for-stadium-violence-in-champions-league-final">hooligans anglo-saxons porteurs de faux billets</a>.</p>
<p>Nulle volonté de casser ou de provoquer des affrontements chez les fans anglais venus au stade de France, contrairement aux <a href="https://www.researchgate.net/publication/266207411_Hooligans_Casuals_Independents_Decivilisation_or_Rationalisation_of_the_Activity">actions habituelles des hooligans</a>.</p>
<p>À quelques jours des élections législatives, la déclaration du ministre semble avant tout très politique.</p>
<h2>Des manquements</h2>
<p>Reprenons les facteurs de risques un à un. Les forces de l’ordre tout d’abord. Il y a à n’en point douter eu des choix d’intervention tout à fait contestables, au regard des publics qui s’agglutinaient et s’impatientaient. Nul hooligan, mais des supporters, énervés certes de ne pouvoir entrer dans le stade, mais aussi des femmes, des familles, des gens de tous âges.</p>
<p>Il y a là un réel problème déontologique dans la doctrine du maintien de l’ordre actuellement en France qui semble dépassée, <a href="https://www.vie-publique.fr/eclairage/279024-maintien-de-lordre-une-doctrine-en-debat">privilégiant la dispersion à la prévention, et la répression à la dissuasion</a>. Cette doctrine se conjugue avec des problèmes dans la chaîne de commandement.</p>
<p>À ce problème s’en ajoutent deux autres : le « manque d’habitude » en matière d’accueil des foules sportives et des « mesures barrières » insuffisantes.</p>
<p>Manque « d’habitude » qu’induisent les décisions trop souvent répétées d’interdire de déplacements lors des rencontres de championnat à risques ou dans le cadre des derbys les supporters les plus problématiques. La prévention par l’absence est une solution radicale, certes, mais comment habituer les personnels à anticiper, à agir, à réagir face à des débordements potentiels par de telles mesures ?</p>
<p>Comment anticiper les problèmes à venir ? Car le « manque d’habitude » s’applique aussi bien aux forces de l’ordre qu’aux organisateurs et à leur service de sécurité. Le sociologue Raymond Boudon appelait cela <a href="https://www.puf.com/content/Effets_pervers_et_ordre_social">« les effets pervers »</a>, c’est-à-dire les conséquences inattendues de décisions prises.</p>
<p>Ce « manque d’habitude » est donc accompagné de l’absence de « mesures barrières » suffisantes. Des pré-filtrages ont été mis en place certes, mais pas en assez grand nombre, avec des personnels insuffisamment instruits des procédures, peut-être, dans tous les cas, capables de canaliser les foules et de les orienter vers d’autres dispositifs permettant de vérifier l’authenticité des billets, proposant des solutions d’attente, etc.</p>
<h2>Les problèmes de billetterie</h2>
<p>Le stade de France, c’est un peu moins de la moitié de la population de la ville de Rennes ou du XIX<sup>e</sup> arrondissement parisien. C’est une ville et ses habitants qui doivent s’installer en moins d’une heure dans le stade après avoir été partiellement fouillés, palpés, filtrés, répartis.</p>
<p>Là encore, il faut une certaine habitude, mais aussi une résistance tant physique que morale des personnels qui assurent ce travail. Comment imaginer qu’au XXI<sup>e</sup> siècle la billetterie prévue soit en papier en partie du moins ? C’est déjà accepter que la fraude puisse s’organiser tant les imprimantes et logiciels sont aujourd’hui capables de reproduire et créer n’importe quoi.</p>
<p>Il s’agit d’une faute quasi impensable qui n’a pu que retarder l’entrée et créer des situations ubuesques dans lesquelles bousculades, impatiences, vociférations et provocations ont pris forme avant d’être réprimées.</p>
<p>À ces facteurs viennent s’ajouter les <a href="https://www.sofoot.com/greve-ratp-la-ligue-des-champions-vaut-bien-une-greve-515119.html">grèves de transports</a> non anticipées par les organisateurs et le gouvernement qui auraient pu prévoir des moyens de substitution.</p>
<p>Sans compter les jeunes émeutiers venus pour provoquer, semer le trouble, par bêtise ou par jeu, pour voler, confirmant ainsi la <a href="https://www.jstor.org/stable/2094589">« théorie des opportunités »</a>. N’y a-t-il pas fréquemment aux abords des grands événements des pickpockets et des vols ?</p>
<p>À la question : serons-nous prêts pour la Coupe du Monde de rugby 2023 et les JO de 2024, la réponse est sans aucun doute positive.</p>
<p>Les incidents dont le monde entier se raille et dont se défendent hommes politiques et dirigeants constituent un fiasco certes, mais qui auraient pu avoir des conséquences beaucoup plus graves.</p>
<p>Ces incidents constituent une excellente « révision » et remise en cause des procédures, des hommes, des moyens tant matériels qu’humains. Ces incidents, à condition d’en reconnaître chacun sa responsabilité, sont « utiles » et constituent un avertissement de ce qui doit être pensé, réfléchi et mis en œuvre dans un an (Coupe du Monde de rugby) ou deux ans (JO 2024).</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/184202/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Dominique Bodin est maire de la ville de Bain-de-Bretagne</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Luc Robène ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un manque d’anticipation, d’organisation, de concertation et de préparation explique les débordements lors du match de la coupe d’Europe sans pour autant qu’il s’agisse d’un phénomène récent.Dominique Bodin, Professeur des universités en sociologie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)Luc Robène, Professeur des Universités en Sciences de l’Éducation, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1827782022-05-16T19:47:10Z2022-05-16T19:47:10ZRéforme de l’échange des données policières en Europe : vers une surveillance renforcée ?<p>Pandémie, soutien à l’Ukraine, politiques économiques : plus que jamais, l’Union européenne semble au-devant de nombreuses actualités. Parmi les <a href="https://european-union.europa.eu/principles-countries-history/principles-and-values/aims-and-values_fr">objectifs assignés à l’Union européenne</a> se trouvent bien sûr des enjeux économiques, démocratiques et sociétaux mais également sécuritaires. L’Union doit ainsi permettre de favoriser une plus grande sécurité au sein de l’espace européen.</p>
<p>Or, répondre à cet impératif implique notamment de favoriser la coopération entre les organes policiers et judiciaires de chaque pays. En ce sens, on a récemment évoqué la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/01/03/les-debuts-prometteurs-du-parquet-europeen_6107976_3210.html">création d’un parquet européen</a> qui doit devenir une autorité de poursuite centralisée pour certaines infractions.</p>
<p>Peut-être moins médiatique se trouve ici la question de l’échange des informations entre services de pays différents. Elle apparaît pourtant absolument essentielle dans la <a href="https://www.cnil.fr/fr/la-cooperation-police-justice">pratique quotidienne des forces de l’ordre</a> et des juridictions, de l’enquête au jugement.</p>
<h2>Des traités existants</h2>
<p>C’est pour ces raisons que dans le cadre des accords de Schengen, assurant la <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/le-fonctionnement-de-l-espace-schengen/">libre circulation des personnes entre les pays signataires</a>, a été mis en place un système policier d’échange d’informations. Le <a href="https://www.cnil.fr/fr/sis-ii-systeme-dinformation-schengen-ii">Système d’information Schengen (SIS)</a>, désormais dans sa seconde version, constitue ainsi toujours la principale source de renseignements pour les enquêteurs lors d’infractions transfrontalières.</p>
<p>Le SIS est une grande base de données. Organisé en plusieurs fichiers, il contient des informations notamment sur des personnes recherchées et sous surveillance policière. Il comprend un grand nombre de données, y compris les empreintes digitales. Néanmoins, son usage est très encadré et passe notamment par un <a href="https://www.cnil.fr/fr/sis-ii-systeme-dinformation-schengen-ii">bureau national présent dans chaque pays</a>. Par ailleurs, le SIS ne permet pas l’échange des informations génétiques.</p>
<p>Pour répondre à ces marques, le <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000017865342">traité de Prüm</a> (appelé par certains « Schengen plus ») a été signé en 2005 d’abord pris entre quelques États. <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=CELEX%3A32008D0615">Intégré au droit de l’Union européenne en 2008</a>, il autorise ainsi l’échange automatisé entre les services de police des différents pays européens des empreintes digitales mais aussi <a href="https://cesice.univ-grenoble-alpes.fr/sites/cesice/files/Mediatheque/Documents/resume_marie_nicolas.pdf">notamment des données génétiques</a> et des informations portant sur l’immatriculation des véhicules.</p>
<p>Ces communications entre polices européennes peuvent avoir lieu sur tout type de délit ou de crime, mais sont sans doute en pratique le plus souvent réservées aux cas de criminalité transfrontalière (comme un trafic de stupéfiants par exemple).</p>
<h2>Un cadre jugé insuffisant</h2>
<p>C’est du système de Prüm, qui existe toujours en parallèle du SIS, dont on reparle aujourd’hui. En effet, plus de quinze ans après, voilà plusieurs mois que les Européens échangent à nouveau sur ces questions pour permettre l’adoption d’accords « Prüm 2 ».</p>
<p>La présidence française du Conseil de l’Union européenne, si elle n’est pas à l’initiative du projet, <a href="https://www.statewatch.org/news/2022/april/eu-policing-france-proposes-massive-eu-wide-dna-sweep-automated-exchange-of-facial-images/">y prend une part importante</a> et appuie sa finalisation.</p>
<p>Pourquoi une telle nécessité ? Dans un <a href="https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_6645">document de décembre dernier</a>, la Commission européenne expose ce que serait le tableau noir des échanges policiers dans le cadre actuel : accords partiels, multiples et complexes, équipements non compatibles, pas de canal unique de communication, pertes d’informations.</p>
<p>Plus encore, un manque se ferait ressentir dans la pratique, selon le même document : l’absence d’outil automatisé de comparaison des images faciales des personnes fichées. Si les photographies peuvent déjà être échangées, cela se fait au cas par cas, de manière manuelle, ce qui engendrerait une perte de temps importante.</p>
<h2>Deux modifications majeures</h2>
<p>Le nouveau système proposé doit répondre à ces critiques. Pour cela, <a href="https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=COM%3A2021%3A784%3AFIN&qid=1639141496518">deux modifications majeures sont proposées</a>.</p>
<p>D’une part, en lieu et place du cadre actuel qui fonctionne par échanges bilatéraux, comme une messagerie électronique, le projet d’accord prévoit un système centralisé. Il ne s’agirait donc plus, par exemple, pour le policier français de demander au policier espagnol une information sur un suspect, qui lui répond, de manière manuelle ou automatisée. Désormais, le policier français se connecterait sur une interface centralisée lui donnant directement accès aux différentes bases nationales qui y seraient toutes connectées.</p>
<p>D’autre part, le nouveau système permettrait l’échange de photographies faciales, pour le moment exclues du dispositif. L’usage de systèmes de reconnaissance faciale à partir de ces banques de données serait également permis. Les casiers judiciaires seraient également accessibles automatiquement.</p>
<h2>Un avis mitigé de la CNIL européenne</h2>
<p>Ces modifications ne sont pas mineures mais relèvent en réalité d’un <a href="https://www.nextinpact.com/article/49249/vers-partage-facilite-dimages-faciales-et-casiers-judiciaires-entre-polices-ue">changement d’échelle</a>. En effet, même si cette réforme ne conduit pas à la création d’une base de données centralisée, elle permet une recherche automatisée et immédiate dans tous les fichiers nationaux des pays membres.</p>
<p>Des garde-fous encadrent bien sûr cette possibilité. Le texte prévoit ainsi que, en cas d’usage du système de reconnaissance faciale, le « match » ne pourra être validé que par un humain qui devra confirmer l’identité de la personne.</p>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/video-surveillance-ou-vont-nos-donnees-171622">Vidéo-surveillance : où vont nos données ?</a>
</strong>
</em>
</p>
<hr>
<p>Pour autant, les risques sur les libertés fondamentales et, partant, en matière de surveillance, sont réels. Le CEPD, <a href="https://edpb.europa.eu/edpb_fr">autorité européenne de la protection des données</a> (sorte de CNIL européenne) a ainsi très récemment mis en garde, dans son avis rendu sur le projet dans sa <a href="https://edps.europa.eu/data-protection/our-work/publications/opinions/edps-opinion-proposal-regulation-automated-data_en">dernière version</a>, sur plusieurs points importants.</p>
<p>Le CEPD soulève ainsi notamment l’absence de nécessité de démontrer des soupçons d’un crime grave sur un individu pour pouvoir procéder à la recherche dans les bases européennes. Les infractions autorisant cette consultation ne sont même pas précisément délimitées. Le risque est alors celui de consultations assez régulières voire massives, même en dehors de caractère particulièrement grave ou transfrontalier.</p>
<h2>Le menace d’une massification de la surveillance</h2>
<p>En ce sens, la recherche automatisée par données génétiques est possible quelque soit l’infraction et quel que soit le statut de la personne fichée. En France, le FNAEG autorise ainsi la collecte de personnes seulement soupçonnées, sans même qu’elles n’aient été condamnées. Le projet « Prüm 2 » ne distingue pas et prend en compte l’ensemble de ces informations.</p>
<p>Ces deux dernières remarques font peser le risque d’une surveillance massifiée. Cela d’autant plus que l’usage de la reconnaissance faciale à l’échelle européenne serait grandement facilité par cet accord, alors même que les <a href="https://www.capital.fr/economie-politique/le-controleur-europeen-soppose-a-la-reconnaissance-faciale-dans-les-lieux-publics-1407095">critiques contre cette technologie sont nombreuses</a>, y compris au niveau européen. Celle-ci permet en effet un <a href="https://theconversation.com/video-surveillance-ou-vont-nos-donnees-171622">contrôle d’identité virtuel permanent des individus sur l’espace public</a>, sans compter les risques de discrimination de certaines populations.</p>
<p>Plus encore, même s’il est précisé que l’obtention des informations ne pourra se faire qu’en accord avec le droit national de l’agent demandeur, des questions pourraient en outre être soulevées quant au cadre français. Par exemple, en France, les policiers n’ont pas directement accès au <a href="https://www.cnil.fr/fr/cnil-direct/question/casier-judiciaire-que-peut-y-trouver-sur-moi">casier judiciaire</a> que peut seul consulter un magistrat alors même qu’il serait ici permis l’échange automatique des casiers entre services policiers.</p>
<p>Concrètement, le risque est donc bien celui d’une massification de la surveillance en autorisant l’accès systématique à toutes les bases de données policières européennes, y compris aux informations les plus sensibles (données génétiques et photographies) et par les mécanismes les plus automatisés (comparaisons informatisées, reconnaissance faciale, etc.).</p>
<p>Ainsi, derrière ces considérations qui pourraient paraître particulièrement techniques, c’est bien à travers le prisme de la surveillance et du respect des libertés fondamentales qu’il faut étudier ce projet. Celui-ci s’inscrit d’ailleurs dans un contexte général, tant européen que national, où la future <a href="https://www.vie-publique.fr/loi/284424-projet-loi-orientation-programmation-ministere-interieur-lopmi-2023-27">Loi de programmation et d’orientation</a>. du ministère de l’Intérieur favorise encore la vidéosurveillance et l’accès aux bases de données.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/182778/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Yoann Nabat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Un projet de réforme au niveau européen prévoit d’élargir un peu plus les possibilités d’échanges automatisés d’informations entre polices européennes, au risque de formes nouvelles de surveillance.Yoann Nabat, Doctorant en droit privé et sciences criminelles, Université de BordeauxLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.