tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/polynesie-36279/articlesPolynésie – The Conversation2023-12-05T16:53:22Ztag:theconversation.com,2011:article/2179732023-12-05T16:53:22Z2023-12-05T16:53:22ZChangement climatique et politique migratoire : l’accord Australie-Tuvalu, un modèle pour la France et ses territoires du Pacifique ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/562167/original/file-20231128-21-q9upvc.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C7%2C5304%2C2974&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les neuf îles qui constituent l'archipel de Tuvalu seront englouties au cours des prochaines décennies.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/undpclimatechangeadaptation/52387326768">TCAP/PNUD</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0/">CC BY-NC</a></span></figcaption></figure><p>Lors de sa visite officielle en Australie le 4 décembre, la ministre française de l’Europe et des Affaires étrangères, Catherine Colonna, s’est dite <a href="https://apnews.com/article/french-colonna-australia-tuvalu-climate-change-b77617344c2deff169a1e1144d2f7adf">ouverte à examiner toute demande de réinstallation</a> émanant de petites nations du Pacifique Sud confrontées à la montée des eaux, s’alignant ainsi sur l’exemple de l’accord passé le 10 novembre dernier entre l’Australie et Tuvalu. Cet accord, conclu en marge de la 52<sup>e</sup> édition du <a href="https://www.forumsec.org/2023/11/09/reports-piflm52-communique-of-the-52nd-pacific-islands-leaders-forum-2023/">Forum des îles du Pacifique</a>, pourrait donc bien avoir des implications pour la France et ses territoires du Pacifique.</p>
<p>L’accord entre l’Australie et Tuvalu a été baptisé « Union Falepili ». Le terme « falepili », emprunté à la langue tuvaluane, incarne l’idée de « soutien mutuel entre voisins ». Souvent qualifié d’<a href="https://lepetitjournal.com/melbourne/rechauffement-climatique-australie-traite-historique-tuvalu-372713">historique</a> ou de fondateur, <a href="https://www.dfat.gov.au/geo/tuvalu/australia-tuvalu-falepili-union-treaty">ce traité</a> ouvre une voie migratoire innovante pour les Tuvaluans confrontés à l’élévation du niveau de la mer. Il souligne une prise de conscience croissante des vulnérabilités uniques des nations insulaires face au changement climatique, tout en établissant un modèle de coopération bilatérale pour aider ces populations.</p>
<h2>Pourquoi il est inexact de parler d’asile climatique d’un point de vue juridique</h2>
<p>Tuvalu, un archipel de neuf îles de faible altitude situé dans le Pacifique central, abrite environ 11 200 habitants. Ces îles sont parmi les plus exposées aux effets dévastateurs du changement climatique, en particulier à l’augmentation alarmante du niveau de la mer. Le pacte entre les deux nations reconnaît explicitement cette vulnérabilité et propose une réponse tangible : l’attribution chaque année de 280 visas de résidence permanente en Australie aux citoyens de Tuvalu.</p>
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<p>L’Union Falepili illustre un engagement sans précédent de Canberra envers les citoyens de Tuvalu, sévèrement impactés par la montée des eaux. Il survient dans un contexte où l’existence même de Tuvalu est en péril, et s’inscrit dans un cadre complexe de défis environnementaux et juridiques. Il est à noter que lors de la COP 27, le ministre des Affaires étrangères de Tuvalu, Simon Kofe, a fait forte impression en annonçant la <a href="https://theconversation.com/tuvalu-menace-detre-englouti-par-les-eaux-cree-son-double-digital-195133">création d’une réplique numérique de son pays dans le Métavers</a>, envisageant ainsi une forme de survie virtuelle face à la menace d’une submersion réelle de son territoire.</p>
<p>Cependant, et contrairement aux qualificatifs employés dans nombre de médias nationaux et internationaux, il est essentiel de souligner que le type de visa offert par ce traité ne tend pas à donner <em>l’asile climatique</em> aux populations des Tuvalu car l’accord ne reconnaît pas, au sens juridique, les populations déplacées en tant que <em>réfugiés climatiques</em>.</p>
<p>Cette notion, de <a href="https://www.oxfamfrance.org/migrations/vers-une-augmentation-croissante-du-nombre-de-refugies-climatiques/">plus en plus évoquée dans les débats publics et académiques</a>, désignerait des individus et communautés obligés de quitter leur lieu de vie habituel en raison des effets directs ou indirects du changement climatique. Bien que de plus en plus pertinente et fréquemment utilisée dans le discours public, la catégorisation des réfugiés climatiques n’est pas encore reconnue dans le droit international. Elle n’est également pas évoquée dans les termes du traité de l’Union Falepili.</p>
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<p>En effet, selon la <a href="https://www.unhcr.org/fr/en-bref/qui-nous-sommes/la-convention-de-1951-relative-au-statut-des-refugies">Convention de 1951 relative au statut des réfugiés</a>, un réfugié est défini comme une personne qui fuit la persécution en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques. Bien que l’interprétation de cette définition par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ait été étendue pour inclure les personnes fuyant des conflits armés généralisés, le changement climatique n’est donc pas (encore) reconnu comme un motif de persécution légitime en droit international. En conséquence, les populations déplacées de force par des catastrophes ou changements climatiques ne bénéficient donc pas de protection et d’assistance de la communauté internationale au regard du droit d’asile international.</p>
<p>En l’état actuel, faute d’un cadre juridique international établi et d’une jurisprudence correspondante, les concepts d’asile et de réfugiés climatiques demeurent des notions non reconnues en droit.</p>
<p>Bien que le terme de « réfugié climatique » n'ait pas de signification juridique, il existe certainement des réfugiés dont la situation est <a href="https://johnmenadue.com/a-different-kind-of-climate-movement-the-kaldor-centre-principles-on-climate-mobility-pic/">aggravée à cause du changement climatique</a>. Comme le révèle une <a href="https://disasterdisplacement.org/wp-content/uploads/2017/08/03052016_FR_Protection_Agenda_V1.pdf">étude de l’Initiative Nansen</a>, le changement climatique ne provoque pas à lui seul des déplacements, mais exacerbe d’autres facteurs sociaux, économiques, culturels et politiques qui incitent les gens à quitter leurs foyers. Il amplifie les risques et les vulnérabilités, et rend les catastrophes plus fréquentes et/ou intenses. Ce phénomène engendre donc une multitude de mouvements, qu’ils soient forcés ou volontaires, temporaires ou permanents, à l’intérieur d’un pays ou au-delà des frontières – qui peuvent survenir dans le contexte du changement climatique et des catastrophes qu’il provoque.</p>
<p>Les complexités juridiques entourant ces termes sont illustrées par des affaires telles que celle de Ioane Teitiota en 2015. <a href="https://www.france24.com/fr/20131017-habitant-kiribati-reclame-statut-refugie-climatique">Ioane Teitiota</a>, un habitant de Kiribati, une nation insulaire du Pacifique, a sollicité l’asile en Nouvelle-Zélande, arguant que la montée du niveau de la mer et d’autres conséquences du changement climatique menaçaient sa vie et celle de sa famille. Toutefois, la Cour suprême de Nouvelle-Zélande a rejeté sa demande, estimant que les conditions de vie à Kiribati, bien qu’extrêmement difficiles, ne relevaient pas de la persécution au sens de la Convention de 1951.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"623368107676053504"}"></div></p>
<p>Cette décision a été ultérieurement confirmée par le <a href="https://www.ohchr.org/en/treaty-bodies/ccpr">Comité des droits de l’homme des Nations unies</a> en 2020, qui a cependant reconnu que le changement climatique pouvait entraîner des violations des droits humains si les personnes fuyant les effets du changement climatique étaient renvoyées dans leur pays d’origine (le concept de <em>refoulement</em>, proscrit en droit international) après avoir quitté leur territoire. Cette reconnaissance a été souvent interprétée comme pouvant <a href="https://theconversation.com/refugies-climatiques-une-decision-historique-du-comite-des-droits-de-lhomme-de-lonu-131348">ouvrir la voie à une future intégration des réfugiés climatiques dans le droit international</a>.</p>
<p>En effet, selon cette décision et comme reconnu par le HCR, compte tenu des évolutions du droit et de la menace climatique, les personnes qui fuient dans le contexte des effets néfastes du changement climatique et des catastrophes <a href="https://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=617aafa24">peuvent avoir des raisons valables de prétendre au statut de réfugié</a> en vertu de la Convention de 1951 précédemment mentionnée. Il faudrait pouvoir justifier, entre autres, d’une peur fondée de subir des persécutions liées au changement climatique, si ce dernier interagit avec des vulnérabilités inhérentes, ou si les effets néfastes du changement climatique ou des catastrophes interagissent avec les conflits et la violence.</p>
<h2>Une avancée notable tout de même</h2>
<p>Bien que l’accord bilatéral entre l’Australie et Tuvalu ne s’inscrive pas encore dans une reconnaissance juridique des réfugiés climatiques, il marque néanmoins une avancée notable, créant un précédent international dans la mesure où il reconnaît concrètement cette problématique, et accorde aux Tuvaluans le droit de migrer en Australie avec des privilèges substantiels, tels que l’accès à l’éducation et au marché du travail.</p>
<p>Cette initiative traduit dans les faits une expansion de la politique migratoire australienne, visant à répondre de manière ciblée aux défis des déplacements forcés liés à l’environnement.</p>
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<figcaption><span class="caption">Reportage de la chaîne publique australienne ABC sur l’Union Falepili.</span></figcaption>
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<p>Compte tenu de la complexité de la reconnaissance, en droit international, du changement climatique comme motif de persécution, le centre Kaldor de droit international des réfugiés, basé à Sydney, et qui à salué les termes de l’Union Falepili, privilégie l’expression « mobilité climatique » pour décrire ce phénomène et élaborer des réponses politiques et juridiques adaptées. À cet égard, le centre a élaboré 13 <a href="https://www.unsw.edu.au/content/dam/pdfs/unsw-adobe-websites/kaldor-centre/2023-11-others/2023-11-Principles-on-Climate-Mobility_v-4_DIGITAL_Singles.pdf">Principes sur la mobilité climatique</a>, destinés à soutenir et à protéger les communautés affectées par la migration forcée liée aux problèmes environnementaux et à assurer leur sécurité, leurs droits et leur dignité tout en préservant leur patrimoine culturel et en favorisant une approche collaborative et durable.</p>
<h2>Des enjeux multiples</h2>
<p>Au-delà des réflexions sur la dichotomie voies migratoires/voies d’asile, cet accord entre les deux nations du Pacifique soulève donc également des questions essentielles, notamment concernant la préservation de l’identité culturelle de Tuvalu, tout en interrogeant la responsabilité des pays développés face aux communautés les plus touchées par les effets dévastateurs du changement climatique.</p>
<p>Une analyse réaliste indique que, si les termes actuels de cet accord perdurent, Tuvalu pourrait se retrouver entièrement dépeuplé dans les 40 prochaines années, ses habitants se réinstallant progressivement en Australie, par force bien plus que par choix, car comme le rappelle Jane McAdam, directrice du centre Kaldor, <a href="https://theconversation.com/australias-offer-of-climate-migration-to-tuvalu-residents-is-groundbreaking-and-could-be-a-lifeline-across-the-pacific-217514">la grande majorité des Tuvaluans ne souhaitent pas quitter leur pays pour l’Australie</a>.</p>
<p>Selon certaines prédictions, il est également concevable que la vie sur l’île de Tuvalu devienne invivable bien avant cette échéance. Comme le rappelait le premier ministre des Tuvalu <a href="https://webtv.un.org/en/asset/k1g/k1ggc33eht">à l’Assemblée générale de l’ONU en septembre 2022</a> et selon un rapport du GIEC, les Tuvalu risquent d’être totalement submergés au cours de ce siècle et inhabitables d’ici 20 à 30 ans. Comment une diaspora progressivement relocalisée peut-elle préserver son héritage culturel à l’étranger ? Comment aborder les pertes et dommages associés à la mobilité climatique ? Cet accord, dans sa mise en œuvre pratique, et pour la première fois, met en lumière des défis cruciaux en termes de responsabilité, de souveraineté et d’identité culturelle, nécessitant une réflexion approfondie et une action soutenue de la part de la communauté internationale.</p>
<p>De plus, il souligne les <a href="https://press.un.org/fr/2023/ag12497.doc.htm">obligations des États à l’égard des changements climatiques</a>. En tant que grande <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-eco/l-australie-decidee-a-continuer-a-extraire-son-charbon-malgre-les-avis-scientifiques-20210909">exportatrice de combustibles fossiles</a> et pays dont l’empreinte carbone est conséquente, l’Australie fait l’objet de critiques régulières concernant sa politique climatique et l’impact, direct ou indirect, de celle-ci sur les migrations forcées. Ce traité pourrait être interprété comme une reconnaissance de sa part des répercussions du changement climatique sur les nations insulaires, représentant une avancée vers une prise de conscience et une action environnementale plus résolues.</p>
<h2>Un accord au service des intérêts géopolitiques de Canberra ?</h2>
<p>Toutefois, l’accord bilatéral entre les deux nations revêt également une dimension géopolitique majeure, dépassant le simple cadre de l’assistance et intégrant des aspects de sécurité et de présence stratégique. L’Australie se voit ainsi octroyer des droits étendus sur le territoire des Tuvalu, y compris des droits d’accès, de présence, de survol, ainsi que le droit de s’opposer à des décisions en matière de sécurité qui pourraient contrarier ses intérêts. L’Union Falepili s’insère donc dans une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/influence-l-asile-climatique-le-cadeau-pas-si-desinteresse-de-l-australie-aux-citoyens-des-iles-tuvalu">stratégie géopolitique australienne</a> plus large, visant à renforcer sa présence dans une région qui est géopolitiquement importante. Cette approche reflète non seulement les préoccupations sécuritaires de l’Australie, mais aussi son désir d’étendre son influence dans le Pacifique, une zone qui attire de plus en plus l’attention de grandes puissances mondiales.</p>
<p>Cette dimension centrale du traité <a href="https://islandsbusiness.com/news-break/australia-deal-with-tuvalu/">soulève des interrogations</a> quant aux motivations réelles de Canberra. Bien que largement salué par la communauté internationale, il fait également l’objet de critiques, notamment concernant les <a href="https://www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/24/l-asile-climatique-propose-par-l-australie-aux-habitants-des-tuvalu-suscite-la-controverse_6202058_3244.html">intentions altruistes</a>, de l’Australie, puisque révélant une tentative de cette dernière de contrebalancer l’influence chinoise, tout en améliorant ses propres capacités de sécurité et de défense dans le Pacifique.</p>
<h2>Un modèle pour la France et ses collectivités du Pacifique ?</h2>
<p>L’Union Falepili illustre donc l’interconnexion croissante entre les enjeux climatiques et les stratégies géopolitiques à l’échelle mondiale. Pas de <em>réfugiés</em> ni <em>d’asile climatique</em> donc, mais plutôt une <em>mobilité climatique</em> matérialisée par des accords bilatéraux mutuellement bénéfiques. Cette initiative pourrait donc inspirer d’autres nations comme la France, si l’on en croit Catherine Colonna.</p>
<p>Cependant, la ministre a souligné qu’elle préférerait « voir le changement climatique être contrôlé et maîtrisé », ajoutant qu’« une action préventive est peut-être meilleure que de prendre certaines mesures correctives quand il est trop tard ». Elle a par ailleurs rappelé que la taille du continent australien était bien plus propice à l’accueil de petits nombres de déplacés climatiques que le sont, par exemple, les collectivités de Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, dont le système social et écologique pourrait se trouver mis à mal par un éventuel afflux de déplacés.</p>
<p>Autre point intéressant : en se concentrant sur une relocalisation envisageable dans les îles du Pacifique environnantes, la ministre semble pour l’instant écarter toute forme de mobilité climatique vers la France métropolitaine. Il est pourtant important de souligner que ces territoires insulaires sont eux aussi <a href="https://www.lemonde.fr/planete/visuel/2023/06/27/ouvea-le-paradis-qui-ne-veut-pas-devenir-un-enfer_6179430_3244.html">confrontés aux défis du changement climatique</a>. Il est particulièrement manifeste en <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/polynesie-francaise/la-surelevation-des-nouveaux-fare-en-bord-de-mer-est-obligatoire-pour-eviter-la-submersion-1358246.html">Polynésie française</a>, en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/nouvelle-caledonie-la-montee-des-eaux-menace-l-archipel_5971037.html">Nouvelle-Calédonie</a>, ainsi qu’à <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/tahiti/polynesie-francaise/la-surelevation-des-nouveaux-fare-en-bord-de-mer-est-obligatoire-pour-eviter-la-submersion-1358246.html">Wallis et Futuna</a>, où le risque de submersion marine ne cesse d’augmenter. Cette situation critique incite les autorités à adopter des mesures préventives, notamment en imposant des surélévations dans les constructions, et à mener des opérations de restauration des écosystèmes marin et côtier afin de faire face à cette menace grandissante.</p>
<p>Que les accords de mobilité climatique restent à l’état de propositions ou deviennent une réalité prochaine en France et/ou dans ses territoires insulaires, ils soulignent l’urgence d’une réponse globale et coordonnée. Cette approche est essentielle pour affronter efficacement les multiples aspects de cette crise climatique, en prenant en compte non seulement ses conséquences géopolitiques, mais aussi ses répercussions sociétales et humanitaires. Cela met en lumière la nécessité d’une stratégie intégrée et multidimensionnelle pour gérer ces enjeux complexes et interconnectés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217973/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Camille Malafosse est affiliée au centre Kaldor de droit international des réfugiés</span></em></p>L’Australie va permettre aux habitants de Tuvalu, archipel voué à disparaître à cause de la montée des eaux, de migrer progressivement vers son territoire. Décryptage d’un accord aux multiples enjeux.Camille Malafosse, Doctorante, University of New South Wales, UNSW SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1908492022-11-13T16:33:59Z2022-11-13T16:33:59ZL’impact du changement climatique sur la Polynésie française<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/485561/original/file-20220920-15-ajs1mq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C7538%2C5006&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">La Polynésie française compte 120 îles réunies en 5 archipels selon lesquels le climat varie. Il est donc compliqué de mesurer les conséquences du réchauffement climatique sur l’ensemble de la région.
</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.shutterstock.com/fr/image-photo/tropical-beach-palm-trees-on-moorea-2099393887">Shutterstock</a></span></figcaption></figure><p>Pour observer le changement climatique, <a href="https://public.wmo.int/en">l’Organisation mondiale de la Météorologie</a> recommande d’évaluer le dérèglement climatique sur une période d’au moins 50 ans afin de s’affranchir des biais liés à d’autres variabilités temporelles du climat, tels que la dérive climatique, qui se calcule sur 30 ans, le phénomène <a href="https://www.universalis.fr/encyclopedie/el-nino-southern-oscillation/2-l-oscillation-australe/">ENSO</a> (El Niño Southern Oscillation), qui modifie le climat sur une échelle de 2 à 7 ans, ou encore l’<a href="https://www.techno-science.net/glossaire-definition/Oscillation-decennale-du-Pacifique.html">oscillation interdécennale du Pacifique</a> (IPO), qui varie sur 40 ans et influence durablement les pluies en Polynésie française.</p>
<p>La communauté des climatologues s’est donc lancée dans un vaste programme de sauvegarde des données afin de constituer de longues séries de données de pluies et de températures. En Polynésie française, les premières mesures de pluies remontent à 1853 et la première station météorologique implantée sur les hauteurs du mont Faiere, à Sainte Amélie, a été inaugurée en 1935.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485533/original/file-20220920-15-rj7tve.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485533/original/file-20220920-15-rj7tve.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485533/original/file-20220920-15-rj7tve.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485533/original/file-20220920-15-rj7tve.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485533/original/file-20220920-15-rj7tve.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485533/original/file-20220920-15-rj7tve.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485533/original/file-20220920-15-rj7tve.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les archives du service climatique de Météo-France en Polynésie française.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Après avoir inventorié et numérisé les données anciennes, il est nécessaire d’homogénéiser ces longues séries de données pour supprimer les erreurs ou ruptures dues à des évolutions de capteurs ou des conditions de la mesure. À partir de ces longues séries homogénéisées et fiables, on cherche à détecter le signal du changement climatique et à le quantifier.</p>
<h2>Des signes du changement climatique</h2>
<p>La Polynésie française, qui comptabilise 120 îles réparties en 5 archipels, a un <a href="https://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/climat__les_climats_du_monde/185927#:%7E:text=%E2%80%93%20le%20climat%20tropical%20humide%20avec,autour%20de%2030%20%C2%B0C.">climat tropical humide</a> mais avec des différences notables en raison de la grande étendue latitudinale de ce territoire (plus de 20° du nord au sud). On identifie d’un archipel à l’autre un climat bien spécifique : chaud et sec aux Marquises, mais frais et humide aux Australes, ou encore plus humide sur la Société que sur les Tuamotu.</p>
<p>En analysant les longues séries de données de températures, on peut affirmer que le climat polynésien <a href="https://www.pacificmet.net/pacific-climate-change-monitor-report-2021">s’est réchauffé au cours de ces dernières décennies</a>. Selon les archipels, on calcule une élévation moyenne entre +0,6 °C et +1,55 °C cohérente avec le réchauffement global sur cette période.</p>
<p>Cette augmentation des températures est plus importante la nuit que la journée. Ainsi à la station météorologique de Faaa (Tahiti), l’élévation moyenne des températures minimales, observées habituellement en fin de nuit, est pratiquement deux fois plus importante que l’élévation moyenne des températures maximales, généralement observées en journée, avec respectivement +2 °C et +1,3 °C en 58 ans. Ce dérèglement climatique a également un impact sur les vagues de chaleur dont le nombre total de cas a significativement augmenté entre 1964 et 2021.</p>
<p>Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il y a peu d’impact du changement climatique sur le cumul annuel des pluies, en dehors de postes isolés comme Omoa, poste pluviométrique des Marquises, et Rapa, station météorologique des Australes. Cette absence de signal pluviométrique du changement climatique se confirme également sur d’autres îles du Pacifique Sud. Sur le territoire polynésien, les tendances linéaires de pluies calculées sur une période minimale de 50 ans varient en moyenne entre +5mm/an et -6mm/an, mais ces variations sont à expliquer par d’autres influences que celle du changement climatique, comme celle de l’IPO et de l’ENSO citées plus haut.</p>
<p>L’activité cyclonique est considérée en moyenne faible sur le bassin polynésien. En 50 ans, on a comptabilisé 23 cyclones tropicaux, 17 dépressions tropicales fortes et 10 dépressions modérées. Le dernier cyclone qui a touché la Polynésie française est <a href="https://www.ouest-france.fr/europe/france/polynesie-le-cyclone-oli-sest-renforce-et-fait-un-mort-635337">Oli</a> en février 2010, avec une pression minimale de 937hPa (l’hectopascal est l’unité de mesure pour la pression atmosphérique) et un vent maximum de 250km/h, loin des records détenus par le cyclone tropical Orama de février 1983, avec une pression minimale de 898hPa et un vent maximum de 280 km/h.</p>
<p>L’analyse depuis 1970 de l’activité cyclonique montre qu’elle est en diminution sur les deux dernières décennies et que cette baisse est plus marquée pour les cyclones tropicaux.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485541/original/file-20220920-3592-l4elwo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485541/original/file-20220920-3592-l4elwo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=140&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485541/original/file-20220920-3592-l4elwo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=140&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485541/original/file-20220920-3592-l4elwo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=140&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485541/original/file-20220920-3592-l4elwo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=175&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485541/original/file-20220920-3592-l4elwo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=175&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485541/original/file-20220920-3592-l4elwo.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=175&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">DTM (Dépression tropicale modérée), DTF (Dépression tropicale forte), CT (cyclone tropical).</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Les projections climatiques récemment réalisées et analysées maintiennent pour la fin du siècle cette diminution de l’activité cyclonique sur le sud du Pacifique et ne montrent pas de signal clair d’une évolution de la fréquence des cyclones de catégorie 5 (dans le Pacifique, la catégorie 5 correspond aux cyclones tropicaux intenses avec des vents moyens sur 10 minutes supérieurs ou égaux à 166km/h). Cependant, les simulations montrent une augmentation des pluies dans un rayon de 200 km autour du centre du cyclone.</p>
<p>Au niveau de l’océan, contrairement à l’atmosphère, les climatologues ne disposent pas de longues séries de données pour quantifier l’effet du changement climatique même si depuis les années 1990, l’information océanique est plus importante grâce aux données collectées par les <a href="https://oecsmap.org/les-satellites/">satellites</a>. Pour quantifier l’impact sur les températures de surface de la mer et la montée des eaux en Polynésie française, on peut se référer aux tendances climatiques.</p>
<p>Tout comme les températures de l’air, les eaux de surface de l’océan Pacifique se sont réchauffées de +0,9 °C depuis 1982, contribuant à l’élévation du niveau de la mer <a href="https://wwz.ifremer.fr/L-ocean-pour-tous/Nos-ressources-pedagogiques/Comprendre-les-oceans/Ocean-et-climat/Surchauffe-des-oceans.-quelles-consequences-sur-le-niveau-des-mers#:%7E:text=%C3%89l%C3%A9vation%20du%20niveau%20de%20la%20mer&text=Le%20niveau%20de%20la%20mer,glaces%20et%20des%20calottes%20polaires.">par dilatation</a>.</p>
<p>Globalement, le niveau de la mer augmente plus rapidement au cours de ces dernières décennies mais à des vitesses différentes selon les archipels. Selon les données des images satellites LEGOS/CLS on retient que depuis 1992, le niveau de la mer a augmenté à une vitesse moyenne de +2,9mm/an à Tahiti et de +1mm/an à Mangareva, des tendances qui nous conduiraient en 2050 à des élévations bien plus importantes que celles proposées dans le 5<sup>e</sup> rapport du GIEC.</p>
<p><a href="https://services.meteofrance.com/outre-mer/etudes-et-conseils-outre-mer/atlas-climatologique-de-la-polynesie-francaise">L’atlas climatologique de la Polynésie française</a> sorti fin 2019 consacre tout un chapitre au changement climatique et, récemment, un rapport sur l’état des connaissances du climat des îles du Pacifique et son évolution a été mis en ligne.</p>
<h2>Projections et projets futurs</h2>
<p>Dans l’état actuel de nos connaissances, on peut raisonnablement avancer que le dérèglement climatique sur la Polynésie française à l’horizon 2050 va entraîner une hausse sensible des températures et une diminution des quantités de pluies sur certaines îles, augmentant la vulnérabilité à la disponibilité d’eau. Le risque de feux de végétation sur les îles hautes pourrait s’accroître avec des périodes de sécheresse plus fréquentes et plus longues.</p>
<p>Au niveau de l’océan, la principale vulnérabilité engendrée par l’évolution climatique est l’augmentation du risque de submersion marine. À l’instar de ce qui s’est passé sur l’atoll de Tikehau lors du passage de la forte houle de 1996, les structures en bord de mer seraient plus vulnérables aux risques de submersion.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485532/original/file-20220920-3514-35icih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485532/original/file-20220920-3514-35icih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485532/original/file-20220920-3514-35icih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485532/original/file-20220920-3514-35icih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=403&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485532/original/file-20220920-3514-35icih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485532/original/file-20220920-3514-35icih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485532/original/file-20220920-3514-35icih.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=506&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Aéroport de Tikehau (Tuamotu), submergé par la forte houle de 1996.</span>
<span class="attribution"><span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Selon la morphologie des îles et la température de l’océan, les côtes exposées aux houles extrêmes seraient menacées par l’augmentation du niveau de la mer. Pour les atolls, ces submersions marines se traduiraient par la salinisation et donc la contamination des lentilles d’eau douce, fragilisant leur sécurité alimentaire et sanitaire.</p>
<p>À l’échelle des îles de la Polynésie française, nous n’avons pas toutes les réponses sur l’évolution du climat pour la fin de ce siècle. <a href="https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/">Les projections du GIEC</a> étant réalisées à une résolution de 100 km, les îles ne sont pas représentées. C’est sur cette problématique que le projet <a href="https://umr-entropie.ird.nc/index.php/portfolio/projets-en-cours/projet-clipssa">CLIPSSA</a> (CLImat du Pacifique Savoirs locaux et Stratégie d’Adaptation) a démarré en 2021, pour une durée de trois ans. Par des méthodes de descente d’échelle, les acteurs de ce projet vont produire des simulations climatiques à l’échelle de 2,5 km, afin de répondre aux problématiques à long et très long terme des acteurs locaux, et permettre ainsi la mise en place de stratégies d’adaptation en tenant compte des spécificités culturelles de ces îles.</p>
<hr>
<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=250&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/485612/original/file-20220920-3440-4oxruu.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=314&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science (qui a lieu du 7 au 17 octobre 2022 en métropole et du 10 au 27 novembre 2022 en outre-mer et à l’international), dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Le changement climatique ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/190849/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Victoire Laurent ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le changement climatique en Polynésie française se mesure grâce à des séries de données récoltées depuis 50 ans, mais la spécificité culturelle des îles et leur morphologie compliquent les prévisions.Victoire Laurent, Météorologue, Responsable de la division Études et climatologie, Météo-France/Direction Interrégionale pour la Polynésie française, Université de la Polynésie FrançaiseLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1859052022-06-29T22:50:07Z2022-06-29T22:50:07ZEn Polynésie, des œuvres d’art pour défier le colonialisme nucléaire<p>Quelles ont été les conséquences sanitaires des essais nucléaires à Moruroa et Fangataufa conduits entre 1966 et 1996 sur le peuple autochtone mā’ohi ? Il n’existe pas de <a href="https://www.cambridge.org/core/books/abs/cambridge-history-of-the-pacific-islanders/nuclear-pacific/F3FD3290E7A9CF797559961785D309EE">statistiques officielles</a>, car la France a cessé de publier les statistiques régionales sur les causes de décès après les premiers tests un mois après le premier essai et a placé le principal hôpital de Tahiti sous contrôle militaire.</p>
<p>Néanmoins, de nombreux Polynésiens ont partagé leur vécu dans des ouvrages tels que <a href="https://www.worldcat.org/title/moruroa-et-nous-expriences-des-polynsiens-au-cours-des-30-annes-dessais-nuclaires-dans-le-pacifique-du-sud/oclc/1248479102&referer=brief_results"><em>Moruroa et nous</em></a> (1997), <a href="https://www.service-public.pf/wp-content/uploads/2017/09/CESCEN-2006.pdf"><em>Les Polynésiens et les essais nucléaires</em></a> (2006), ou bien encore <a href="https://www.worldcat.org/title/temoins-de-la-bombe-memoires-de-30-ans-dessais-nucleaires-en-polynesie-francaise/oclc/1085343146&referer=brief_results"><em>Témoins de la bombe</em></a> (2017).</p>
<h2>Mettre en lumière une expérience partagée</h2>
<p>Ces études sociologiques, recueillies notamment grâce au dévouement de personnalités mā’ohi comme John Taroanui Doom, Roland Oldham, Gaby Tetiarahi, et le Français Bruno Barrillot, mettent en lumière la tragique expérience partagée en Polynésie par de nombreuses victimes du nucléaire. Partout, les Mā’ohi irradié·e·s racontent cancers, leucémies, décès précoces, malformations congénitales, fausses couches, problèmes de stérilité.</p>
<p>Mais le gouvernement français a toujours su opposer ses chiffres officiels aux témoignages autochtones, aussi nombreux soient-ils. Ainsi, quelques mois seulement après la publication de <em>Moruroa et nous</em>, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), sollicitée par Jacques Chirac pour évaluer la situation environnementale après la fin des essais, présenta devant un panel d’experts à Vienne tout une série de mesures et de calculs prouvant « scientifiquement » qu’il n’y avait <a href="https://www.iaea.org/sites/default/files/anrep1998_full.pdf">aucun risque sanitaire</a> en Polynésie.</p>
<h2>L’obstruction du gouvernement français</h2>
<p>À ces chiffres officiels, des spécialistes indépendants ont opposé d’autres données.</p>
<p>Dans <a href="https://www.puf.com/content/Toxique"><em>Toxique</em></a> (2021), Sébastien Philippe et Tomas Statius ont démontré, archives militaires déclassifiées et simulations informatiques à l’appui, que plus de 100 000 personnes, soit 90 % de la population à l’époque des tirs, ont été exposées à des taux de rayonnement reconnus par l’État français lui-même comme dangereux et donnant droit à des possibilités d’indemnisations.</p>
<p>C’est dix fois plus que le nombre de victimes potentielles avancé par les études officielles du gouvernement français et utilisé par le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN).</p>
<p>Mais ni les enquêtes sociologiques ni les enquêtes scientifiques n’ont fait bouger le gouvernement d’Emmanuel Macron sur la reconnaissance des conséquences sanitaires du Centre d’expérimentation du Pacifique (CEP). Alors que le CIVEN a refusé plus de 95 % des demandes d’indemnisations déposées par des Polynésiens, <a href="https://www.tntv.pf/tntvnews/polynesie/politique/linterview-demmanuel-macron-aux-chaines-polynesiennes/">Macron a réitéré son refus</a> de modifier le processus de dédommagement.</p>
<h2>60 ans de mobilisation antinucléaire</h2>
<p>C’est sans doute en partie à cause de la difficulté d’établir un dialogue scientifique productif avec le gouvernement français, retranché derrière ses chiffres officiels et son « expertise » scientifique, que de nombreux activistes antinucléaires se sont tournés vers d’autres modes d’expression, plus artistiques, pour parler du colonialisme nucléaire.</p>
<p>Dès 1963, de grands orateurs comme <a href="https://www.worldcat.org/title/irradies-de-la-republique-les-victimes-des-essais-nucleaires-francais-prennent-la-parole/oclc/717057552&referer=brief_results">John Teariki</a>, Céline Oopa et Félix Tefaatau ont prononcé des discours antinucléaires pleins d’émotion, inspirés des ‘ōrero (art oratoire tahitien) traditionnels.</p>
<p>Avec l’implantation du CEP, des chanteurs-compositeurs comme <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Gve7VIHnlqY">John Gabilou</a>, <a href="https://www.youtube.com/watch?v=HbcKL1RLXUA">Bob et Heifara Danielson</a> et <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ermCxDG0Qlg">Angelo Neuffer</a> ont permis d’étendre la contestation au domaine de la chanson tahitienne. Dans ces chants très populaires, Moruroa est souvent personnifiée sous forme de femme, rappelant le <a href="https://www.worldcat.org/title/mythes-et-usages-des-mythes-autochtonie-et-ideologie-de-la-terre-mere-en-polynesie/oclc/879651629&referer=brief_results">lien généalogique</a> qui unit les Mā’ohi à la terre-mère (Papa) dans la cosmogonie polynésienne.</p>
<p>D’autres militants, comme <a href="https://www.worldcat.org/title/bobby-visions-polynesiennes-bobby-polynesian-visions/oclc/27555135&referer=brief_results">Bobby Holcomb</a> et <a href="https://www.instagram.com/accounts/login/?next=/heinuilecaill/">Heinui Le Caill</a>, se sont tournés vers l’art pictural pour illustrer la violence du fait nucléaire, surimposant des images de la bombe sur le corps des Mā’ohi. Parce que l’approche scientifique enlise les militants dans un débat chiffrage-contre-chiffrage qui tend à désavantager les victimes, ces artistes participent, à leur manière, à la décolonisation du débat sur le fait nucléaire.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/471384/original/file-20220628-23-wm9mhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/471384/original/file-20220628-23-wm9mhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/471384/original/file-20220628-23-wm9mhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=590&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/471384/original/file-20220628-23-wm9mhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=590&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/471384/original/file-20220628-23-wm9mhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=590&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/471384/original/file-20220628-23-wm9mhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=741&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/471384/original/file-20220628-23-wm9mhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=741&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/471384/original/file-20220628-23-wm9mhu.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=741&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">« Mā’ohi Lives Matter ».</span>
<span class="attribution"><span class="source">Heinui Le Caill/Ranitea Laughlin</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Des autrices mā’ohi contre le Centre d’expérimentation du Pacifique</h2>
<p>Considérons, par exemple, la littérature mā’ohi, dont nous proposons une étude dans un des chapitres du livre <a href="https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/collection-chroniques/des-bombes-en-polynesie-renaud-meltz-alexis-vrignon-dir/"><em>Des Bombes en Polynésie</em></a> (2022).</p>
<p>Dans le sillage de <a href="https://www.worldcat.org/title/vai-la-riviere-au-ciel-sans-nuages/oclc/929914612">Rai Chaze</a>, <a href="https://www.worldcat.org/title/le-des-rves-crass-roman/oclc/1276770972&referer=brief_results">Chantal T. Spitz</a>, et <a href="https://www.worldcat.org/title/mutismes/oclc/58453867&referer=brief_results">Titaua Peu</a>, de nombreuses romancières mā’ohi se sont tournées vers la littérature pour aborder l’impact du CEP.</p>
<p>Il est frappant de voir que les autrices qui abordent le problème des conséquences sanitaires du CEP le font souvent à travers une histoire romancée, qui s’éloigne des rapports médicaux officiels disponibles. Alors que la majorité des employés du CEP étaient des hommes, la plupart des personnages à mourir de cancer dans ces romans mā’ohi sont des femmes. Par ailleurs, les tumeurs décrites dans ces œuvres ne sont pas les plus fréquemment causées par les radiations, comme le cancer de la thyroïde, mais affectent surtout les parties du corps associées à l’érotisme et la sexualité, comme les seins ou l’utérus.</p>
<p>Pourquoi substituer ainsi la femme océanienne à l’ouvrier du CEP ? Pourquoi remplacer le cancer de la thyroïde par le cancer du sein ? On peut interpréter l’omniprésence de la morbidité féminine dans les romans mā’ohi comme une volonté de décoloniser le discours sur le Pacifique, caractérisé par la <a href="https://scholarspace.manoa.hawaii.edu/handle/10125/12958">sursexualisation systématique de la vahiné</a> – mythe tenace qui sévit depuis la publication du journal de voyage de Bougainville au XVIII<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Lorsque des autrices autochtones substituent ainsi des poitrines mutilées aux seins dénudés, elles ont une démarche militante qui s’inscrit en faux contre des siècles de discours colonial. Les leitmotivs du sein cancéreux, de l’utérus atrophié, et de l’enfant mort-né qui prolifèrent dans la littérature mā’ohi soulignent le fait que, loin d’encourager la rencontre harmonieuse entre femmes océaniennes et arrivants européens, le colonialisme nucléaire menace la possibilité même de la vie. Aux chiffres du gouvernement français sur l’innocuité des essais, elles répondent par des œuvres d’art qui mettent en lumière les effets sanitaires et psychologiques de la bombe.</p>
<h2>Ouvrir un espace de réflexion</h2>
<p>La complexité du fait nucléaire menace le débat démocratique. En effet, l’étude des conséquences sanitaires du CEP s’est trop souvent élaborée à partir d’archives militaires imparfaitement déclassifiées, de mesures de radioactivité nécessitant une expertise scientifique qui exclut de fait de nombreux activistes, ou bien encore de définitions juridiques controversées de ce qui constitue une maladie radio-induite.</p>
<p>Aujourd’hui, les principales organisations polynésiennes de défense des victimes, <a href="https://www.facebook.com/moruroaetatou/"><em>Moruroa e Tātou</em></a> et <a href="http://www.association193.org/"><em>Association 193</em></a>, sont obligées de mobiliser des outils <a href="https://moruroa-files.org/">scientifiques</a> et <a href="https://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/emissions-radio/l-invite-cafe/invite-cafe-philippe-neuffer-06052021-951358.html">juridiques</a> pour combattre l’État français avec ses propres armes.</p>
<p>Mais en plus du travail indispensable des physiciens et des avocats, l’apport des artistes contribue également à faire pression sur le pouvoir colonial. Par le ‘ōrero, la chanson, l’art et la littérature, de nombreux activistes interrogent le fait nucléaire et contribuent à ouvrir un espace de réflexion dans un langage accessible à tous pour peut-être, un jour, guérir les blessures du CEP.</p>
<p>Comme le conclut <a href="https://www.worldcat.org/title/pensees-insolentes-et-inutiles/oclc/492716756&referer=brief_results">Chantal T. Spitz</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Cette reconstruction n’est possible qu’à travers la mise à jour mise en mots de nos douleurs de nos pertes de nos redditions… elle passe surtout par la reconnaissance de l’état français mais aussi par nous-mêmes du fait colonial du fait nucléaire. Le dialogue aura lieu un jour. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/185905/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anais Maurer ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Plus de 25 ans après les derniers essais nucléaires conduits en Polynésie par l’État français, l’apport des artistes contribue à faire émerger d’autres récits et vécus face aux discours officiels.Anais Maurer, Assistant Professor, Rutgers UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1807722022-04-06T21:19:48Z2022-04-06T21:19:48ZBonnes feuilles : « Des bombes en Polynésie »<p><em>De 1966 à 1996, à partir de la présidence du général de Gaulle et jusqu’à celle de Jacques Chirac, 193 essais nucléaires sont conduits en Polynésie française dans les atolls de Fangataufa et Moruroa. Des bombes bien plus puissantes que celle d’Hiroshima y seront tirées, bouleversant les vies des Polynésiens et des écosystèmes. Sous la direction de <a href="https://theconversation.com/profiles/renaud-meltz-1290809">Renaud Meltz</a> et d’<a href="https://pf.linkedin.com/in/alexis-vrignon-313a41135">Alexis Vrignon</a>, l’ouvrage « Des bombes en Polynésie » réunit les contributions d’une quinzaine de chercheurs de différentes disciplines (historiens, géographes, anthropologues) pour revenir sur un épisode dramatique et longtemps gardé secret de notre histoire récente. <a href="https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/collection-chroniques/des-bombes-en-polynesie-renaud-meltz-alexis-vrignon-dir/">L’ouvrage paraît ce jeudi 7 avril 2022 aux Éditions Vendémaire</a>, nous en publions de bonnes feuilles extraites du premier chapitre.</em></p>
<hr>
<p>Pourquoi la Polynésie ?</p>
<p>Qui a choisi la Polynésie pour tester les engins nucléaires français et selon quels critères ? Le processus n’obéit pas à la logique linéaire qu’il est tentant de rationaliser a posteriori. D’autres possibilités ont été envisagées. Les décideurs invoquent plusieurs éléments déterminants, parfois contradictoires. La qualité des mesures, la sûreté sanitaire et la logique financière ne cohabitent pas harmonieusement : l’isolement et la décontamination ont un coût logistique, financier et temporel. La pondération de ces exigences reste une opération subjective, réalisée par quelques acteurs aux mobiles divers. La capacité à concevoir et à réaliser le meilleur site d’essais possible est contrainte par la limite des connaissances : les savoirs sur les conséquences sanitaires des essais évoluent rapidement ; leur diffusion oblige à des précautions qui retardent la mise au point de la bombe. Les intérêts ne sont pas toujours convergents entre les civils du CEA, qui conçoivent les engins, et les militaires, qui ont la main sur le choix et l’aménagement du site. Leur rationalité n’est pas absolue, enfin : mus par une volonté unanime mais diverse de servir les intérêts de l’État, ils sont traversés d’émotions et de représentations. Le charme de la vahiné parasite la rationalité de la décision, face à l’austérité des Kerguelen…</p>
<p>Qui sont ces décideurs, quels sont leurs critères ?</p>
<p>L’armée publicise ces derniers deux ans après le choix de la Polynésie dans la <em>Revue de défense nationale</em> de l’été 1964. Ils combinent exigences de sûreté (maîtrise des aléas naturels et du risque technologique), de sécurité (capacité à prévenir des actions malveillantes) et de faisabilité logistique. Six mois avant la reconnaissance du général Thiry dans le Pacifique, le chef d’État-major général de la Défense nationale avait défini peu ou prou les mêmes attentes : sûreté, sécurité (« possibilité de définir des zones interdites ou réglementées à l’écart des grands courants de circulation ») et ressources logistiques : « proche support d’un port équipé et d’un pays disposant de ressources pour la base-vie ». Après sa reconnaissance, le général Thiry justifie sa préférence pour Moruroa suivant ces trois critères. Sûreté : « démographie du site et de ses environs », « météorologie ». Sécurité : « indépendance et sûreté des communications avec la métropole », « pas de voisinage étranger à moins de 330 milles ». Faisabilité logistique : « possibilité de construire une piste d’envol de 1800 mètres », « possibilité d’installer une base-vie ou de trouver des mouillages (lagon) ».</p>
<p>Mais ces critères se divisent en exigences contradictoires selon les besoins politiques du moment : la nature de l’explosif (bombe A puis H), la puissance du tir (jusqu’à la mégatonne), l’acceptabilité des retombées, dans un contexte international mouvant. En 1957, la France cherche un site pour tirer des bombes A de faible puissance (moins de 100 kilotonnes), en aérien. Ce sera Reggane, en Algérie. Dès 1959, les militaires cherchent un nouveau polygone de tir pour des explosions souterraines, les autres puissances nucléaires ayant décidé en novembre 1958 un moratoire sur les tirs atmosphériques (en 1963 les signataires des accords de Moscou s’interdisent les essais aériens). Ce sera In Ecker, toujours en Algérie, pour des tirs en galeries horizontales, creusées dans le massif du Hoggar. Un an plus tard, en 1960, la volonté du général de Gaulle de réaliser au plus vite des essais de bombe à fusion oblige à chercher un troisième emplacement. Les incidents à répétition des essais en galerie, pour des explosions inférieures à 150 kilotonnes, conduisent les militaires à chercher un site aérien, aussi isolé que possible, pour des tirs mégatonniques.</p>
<p>Cette instabilité des besoins explique que les militaires aient ciblé différentes régions : Landes, Massif central, Corse, massifs alpins, territoires ultramarins. Le nomadisme nucléaire participe de la difficulté à reconstituer les processus de décision ; il n’atteste pas une légèreté brouillonne. Au Conseil de défense qui décide des premières dépenses pour équiper Moruroa, de Gaulle pose solennellement la question : « En votre âme et conscience, est-ce que ce site vous paraît devoir être satisfaisant et sur quels éléments d’appréciation vous basez-vous ? » Puis : « Est-ce que l’atoll lui-même, la mer qui est autour, les distances des autres îles, répondent bien à tout ce qui est estimé nécessaire et aux besoins imprévus ? »</p>
<p>À qui s’adresse de Gaulle ?</p>
<p>Les décideurs sont peu nombreux, les acteurs innombrables. Trois membres du gouvernement et le président de la République ont choisi la Polynésie, à croire Messmer. Dans ses <em>Mémoires</em>, l’ancien ministre de la Défense s’attribue la décision, avec le ministre de tutelle du CEA et le Premier ministre :</p>
<blockquote>
<p>« Après une visite sur place avec Gaston Palewski, je fais approuver par le général de Gaulle et Georges Pompidou le choix de deux atolls, Mururoa [sic] et Fangataufa, dans l’archipel des Tuamotu. »</p>
</blockquote>
<p>Ces quatre hommes ne sont pas seuls. Le Parlement est saisi indirectement en votant le financement de la force de frappe ; l’opinion publique pèse et s’inquiète de la localisation des polygones de tir et des effets sanitaires des essais. Les Corses font obstacle au projet d’installations sur leur île, dont ils ont appris l’existence ; les élus calédoniens font tout pour éloigner le calice ; les élites polynésiennes, moins intégrées aux cercles du pouvoir parisien, n’anticipent pas la menace. Entre l’opinion et le décideur il faut aussi compter quelques grands commis de l’État : le directeur des Applications militaires du CEA, les diplomates qui s’inquiètent d’essais riverains de Madagascar ou de l’Australie, et le chef du Commandement interarmées des armes spéciales. Les militaires, les généraux Ailleret, puis Thiry, choisissent les sites où les ingénieurs de la DAM, dirigée du reste par un général, Albert Buchalet, essaieront leurs engins. Les Armées ont cherché à s’émanciper totalement de la contrainte civile. En 1954, Ailleret a soumis à René Pleven le projet d’une division militaire au sein du CEA, qui aurait dépendu du ministre de la Défense. Chou blanc. Deux ans plus tard, Edgard Pisani a repris vainement la proposition, mais le BEG (Bureau d’études générales) du CEA, futur DAM, remplit déjà cet office. La mise au point de la bombe demeure une œuvre civile, mais les essais deviennent une entreprise militaire, au grand dam d’Alain Peyrefitte qui demande à de Gaulle de s’en expliquer :</p>
<blockquote>
<p>« D’abord, parce qu’après l’affaire d’Algérie, il fallait donner à l’armée un but qui la rassemble et qui l’incite à se moderniser. Et puis les militaires ont le sens de la discipline. »</p>
</blockquote>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/WsyalLh2-hk?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Essais nucléaires à Mururoa : quand l’État se voulait rassurant (Ina Actu/Youtube, 2021).</span></figcaption>
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<p>La concurrence institutionnelle se double d’une rivalité de personnes. Ailleret ne s’entend pas avec Buchalet. Au soir du premier tir, Gerboise bleue, le DAM (Directeur des applications militaires) est présenté par la presse comme le « père de la bombe atomique française », ce qui n’arrange rien. Thiry essaie « d’arranger les pots cassés ». En 1960, à l’heure de passer aux tirs en galerie, Jacques Robert, successeur de Buchalet, réclame « que le CEA soit maître d’œuvre », ce à quoi les Armées répliquent en créant « le CEMO comme un centre d’expérimentations strictement militaire ». Face à cette « décision unilatérale », le CEA laisse « les escarmouches éclater sur des questions de plus en plus mineures », et finit par renoncer au choix des « sites lointains » en mars 1962. La rivalité se rejoue lorsque Thiry succède à Ailleret, qui peine à laisser son successeur s’émanciper et attire l’attention de Messmer sur la crainte de la DAM « que le CEP ne soit détourné de son objet en raison d’une participation massive des Armées dont l’organisation n’est pas orientée vers la recherche du rendement industriel ». De fait, au printemps 1963, Jean Viard, directeur des essais, multiplie les courriers vengeurs contre l’indépendance de Thiry :</p>
<blockquote>
<p>« Il est bien évident que l’esprit de coopération que nous essayons d’établir ne permettra pas le renouvellement d’un incident de ce genre. »</p>
</blockquote>
<p>Les avis des grands administrateurs conditionnent la décision politique sans la prédéterminer, du fait de leurs propres rivalités. Sans négliger les forces profondes qui pèsent dans le processus, il faut admettre que le rôle personnel du général de Gaulle est considérable dans l’histoire de la dissuasion française et du CEP. Les dossiers préparatoires et les procès-verbaux des délibérations le montrent désireux d’entendre tous les arguments, puis souverain dans ses choix, malgré leurs conséquences financières, ce qui lui vaut le sobriquet de « Père Noël du CEA »… En aval des Conseils de défense, il corrige de sa main les relevés de décision. L’importance du sceptre nucléaire confère une importance inédite à la fonction présidentielle. En janvier 1964, un décret attribue au seul président la responsabilité d’engager les Forces aériennes stratégiques. De Gaulle en tire les conséquences institutionnelles : « C’est la justification de l’élection populaire du président. Seul un homme incarnant la souveraineté populaire pourra engager le destin national. » Pourtant, Thiry joue un rôle plus important encore dans le choix de la Polynésie…</p>
<p>Le rôle des acteurs est indissociable des pesanteurs de l’histoire. Le passé délègue ses fantômes proches et lointains. Le choix de Moruroa est conditionné par les souvenirs des rivalités séculaires dans la région : la France réinvestit l’île jadis disputée par le pasteur Pritchard qui entendait offrir Tahiti à la couronne britannique, pour en faire un territoire protestant. Thiry, ancien pilote de Halifax en 1944, se souvient avec agacement de son assujettissement à la RAF et milite pour que le CEP serve d’étendard français dans la région. Les États-Unis inspirent les décideurs par leurs avancées techniques : les opérations amphibies qui permettent la construction du CEP mobilisent l’expérience et le matériel du débarquement américain en Normandie, des chalands permettant d’apporter les engins de chantier sur les atolls dépourvus d’infrastructures portuaires. Mais les prétentions impériales de Washington n’incitent guère Paris à appliquer le processus de décolonisation dans ses possessions du Pacifique. Enfin, la nucléarisation des Marshall et de l’île Christmas a créé un précédent décisif dans le choix du CEP alors que la prospection de sites, commencée début 1957, s’inspire des modèles existants. Les options se réduisent à une alternative : déserts ou océans. Les uns et les autres offrent l’apparence d’un vide qui soulage les consciences. Les continuités sont frappantes entre le processus du choix saharien et celui qui aboutit au site polynésien cinq ans plus tard. En 1957, le rapport Ailleret envisage « deux grandes catégories de possibilités […] : l’utilisation de régions désertiques ou subdésertiques du Sahara et celle d’îles ou d’îlots dans des océans ou des mers à population très rare ». Au Conseil de défense du 27 juillet 1962 qui arrête le choix de la Polynésie, de Gaulle demande à Thiry, à propos de Moruroa :</p>
<blockquote>
<p>« – Et les habitants ? »<br>
« – Il n’y en a aucun. »</p>
</blockquote>
<p>En 1969, Thiry préface une brochure éditée avec le Muséum national d’histoire naturelle dont les savants ont participé aux travaux scientifiques des Services mixtes armées/CEA :</p>
<blockquote>
<p>« L’isolement géographique du champ de tir choisi, dans les îles Tuamotu orientales, suffirait à éliminer tout risque de contamination radioactive significative ou dangereuse pour les populations. »</p>
</blockquote>
<p>La Polynésie est perçue comme en marge des concentrations humaines tout autant que du cours de l’histoire. Jacques Chevallier, directeur de la DAM en 1972, se souvient d’« atolls déshérités » : « Tout était à faire dans cette Polynésie qui commençait seulement à s’ouvrir au monde. » En 1973, le CEA illustre son Livre blanc sur le CEP de cartes inspirées par cette volonté de donner à voir l’isolement et le vide.</p>
<p>En 2002, le rapport d’un député socialiste et d’un sénateur gaulliste sur Les Incidences environnementales et sanitaires des essais nucléaires effectués par la France justifie encore le choix de la Polynésie par l’évidence de cette alternative : « Amenée à quitter le site saharien […] la France a tout naturellement choisi un site insulaire isolé qui est apparu particulièrement adapté. » Côté polynésien, la « naturalité » du site océanique est intériorisée par le président de l’Assemblée territoriale qui déclare en septembre 1966, à propos des essais :</p>
<blockquote>
<p>« La configuration de nos lointains archipels est seule à s’y prêter. »</p>
</blockquote>
<p>Le choix n’a pourtant pas ce caractère d’évidence dont se souvient Messmer : la métropole a été également envisagée. La représentation de lieux isolés et vides procède d’une construction, en partie héritée des précédents anglo-saxons. Les États-Unis proposent les deux configurations depuis 1946 : déserts du Nouveau-Mexique et du Nevada, îles de Bikini et d’Eniwetok aux Marshall. Les Britanniques utilisent les déserts australiens depuis 1953 et des îles : Montebello en 1952, et les Kiribati (Christmas) depuis 1957, où les Américains prennent le relais à partir de 1962. Les Soviétiques utilisent Semipalatinsk, dans les steppes du Kazakhstan, puis l’archipel de Nouvelle-Zemble, dans l’océan Arctique.</p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/456430/original/file-20220405-13-bq36g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/456430/original/file-20220405-13-bq36g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/456430/original/file-20220405-13-bq36g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/456430/original/file-20220405-13-bq36g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/456430/original/file-20220405-13-bq36g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=853&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/456430/original/file-20220405-13-bq36g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1072&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/456430/original/file-20220405-13-bq36g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1072&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/456430/original/file-20220405-13-bq36g7.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1072&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
<figcaption>
<span class="caption">En librairie le 7 avril 2022.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.editions-vendemiaire.com/catalogue/collection-chroniques/des-bombes-en-polynesie-renaud-meltz-alexis-vrignon-dir/">Éditions Vendémiaire</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>En septembre 1961, l’URSS rompt le moratoire de 1958, à rebours de l’inquiétude mondiale : en décembre suivant, la 16<sup>e</sup> Assemblée générale des Nations unies appelle à mettre fin à tous les essais. Qu’importe : désert ou océan, les sites apparaissent aux décideurs comme assez ingrats pour être sacrifiés aux expérimentations nucléaires. Leurs rares habitants y vivent sans produire de richesse. Les marges impériales n’ont pas d’avenir propre. Lieux de l’arriération, il revient au génie occidental de les moderniser, puisque les Occidentaux croient maîtriser le sens de l’histoire.</p>
<p>L’expérimentation de la bombe, parangon du progrès technique, prépare un nouveau cycle de développement. À Tahiti, le tourisme prendra le relais, profitant des infrastructures mises en place pour le nucléaire. Coup double : ces territoires, travaillés par des velléités d’indépendance ou les visées d’autres puissances impériales, seront repris en main.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/180772/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Renaud Meltz, Alexis Vrignon et l'ensemble de l'équipe ont reçu des financements de la MSH du Pacifique, qui proviennent de la collectivité d'outre-mer Polynésie française.</span></em></p>1966-1996, la France réalise 193 essais nucléaires en Polynésie française. L’ouvrage « Des bombes en Polynésie » revient sur cet épisode, en associant historiens, géographes et anthropologues.Renaud Meltz, Historien (UHA-Cresat, MSH-P), Université de Haute-Alsace (UHA)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1684212021-10-10T16:42:42Z2021-10-10T16:42:42ZEn Polynésie française, la recherche et les populations locales font cause commune pour préserver les cônes marins<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/422667/original/file-20210922-19-j5n5i7.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=12%2C17%2C1185%2C867&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Collection de cônes collectés dans le milieu naturel, chez une habitante des Tuamotu. </span> <span class="attribution"><span class="source">Camille Mazé (juillet 2021)</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span></figcaption></figure><p>Avez-vous déjà entendu parler des cônes marins – <a href="https://www.aquaportail.com/taxonomie-famille-273-conidae.html"><em>Conidae</em></a> pour les spécialistes ? En tout cas, vous les avez certainement déjà croisés. Arborant de beaux motifs et des couleurs variées, ces mollusques gastéropodes sont très appréciés des collectionneurs pour leurs coquilles.</p>
<p>Comme beaucoup d’autres espèces marines vivantes, les cônes sont aujourd’hui menacés par les impacts anthropiques et les fragilités environnementales liées au changement global. Ce contexte renforce la vulnérabilité de la biodiversité marine et des ressources prélevées par les sociétés humaines.</p>
<p>De nombreux cônes sont d’ailleurs déjà inscrits sur la liste rouge de <a href="https://www.iucn.org/fr">l’Union internationale pour la conservation de la nature</a> dont le congrès s’est tenu à Marseille début septembre 2021.</p>
<p>Les venins de prédation et de défense du cône contiennent par ailleurs des centaines de peptides bioactifs – des conotoxines – dont le pouvoir thérapeutique est jugé important pour le traitement de plusieurs maladies humaines telles que le cancer, les maladies neurodégénératives, l’épilepsie et la gestion de la douleur chronique. Ils pourraient donc devenir un puissant antalgique, avec moins d’effet d’accoutumance que la morphine.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/423810/original/file-20210929-26-1wepjq4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/423810/original/file-20210929-26-1wepjq4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/423810/original/file-20210929-26-1wepjq4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/423810/original/file-20210929-26-1wepjq4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/423810/original/file-20210929-26-1wepjq4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/423810/original/file-20210929-26-1wepjq4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/423810/original/file-20210929-26-1wepjq4.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Étal de coquillages sur le marché de Papeete.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Camille Mazé (juillet 2021)</span></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Partant de ce double constat, le <a href="http://www.criobe.pf/recherche/recherche-projets/polycone/">projet Polycone</a> associe plusieurs disciplines et crée un lien avec les gestionnaires de ressources marines et les communautés locales.</p>
<p>L’objectif est de bâtir un plan inédit d’exploitation et de gestion durable des cônes marins dans le respect du <a href="https://www.cbd.int/abs/doc/protocol/nagoya-protocol-fr.pdf">protocole de Nagoya</a>. Entré en vigueur le 12 octobre 2014, ce dernier concerne notamment l’accès aux ressources génétiques et le partage juste et équitable des avantages découlant de leur utilisation.</p>
<p>En juillet dernier, ce projet a été présenté au président de la République française <a href="https://50anscriobe.fr/visite-emmanuel-macron-au-criobe/">au Centre de recherches insulaires et observatoire de l’environnement (Criobe)</a>, en tant que première tentative mondiale pour développer un modèle intégré, éthique et durable d’utilisation des cônes marins pour l’exploitation de leurs molécules toxiques (venins).</p>
<p>Au cœur de la démarche se trouve le transfert équitable de connaissances de la science vers la société et l’industrie.</p>
<h2>Une exploitation qui menace leur survie</h2>
<p>Si les molécules de ces mollusques gastéropodes intéressent aujourd’hui la recherche, celle-ci appréhende avec prudence les perspectives d’exploitation des toxines, les conditions d’extraction et de collecte des venins ainsi que les retombées médicales, pharmacologiques, dermatologiques, physiologiques, éco-toxicologiques et donc, industrielles.</p>
<p>Malgré ses potentiels, la ressource est en effet rarement disponible, que ce soit pour les chercheurs ou les sociétés pharmaceutiques. Et le venin lui-même est pour l’heure majoritairement obtenu à partir de glandes à venin disséquées – avec parfois jusqu’à cent spécimens sacrifiés pour l’isolement d’une seule conotoxine – ce qui n’est pas durable et éthiquement discutable.</p>
<p>De plus, les molécules sont le plus souvent synthétisées. Il convient dès lors de développer des méthodes de collecte et d’extraction des venins non létales pour les cônes. L’enjeu est aussi de produire davantage de recherche fondamentale sur leur adaptation ainsi que leur capacité de survie et de reproduction en aquarium dans la perspective éventuelle d’un développement en aquaculture. En ce sens, une centaine de cônes ont déjà été prélevés dans le milieu naturel et mis en aquarium par nos chercheurs.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/423317/original/file-20210927-25-y9yohe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/423317/original/file-20210927-25-y9yohe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/423317/original/file-20210927-25-y9yohe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/423317/original/file-20210927-25-y9yohe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=448&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/423317/original/file-20210927-25-y9yohe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/423317/original/file-20210927-25-y9yohe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/423317/original/file-20210927-25-y9yohe.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=563&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Cônes prélevés dans le milieu naturel et mis en aquarium au Criobe.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Valentin Raymond (juillet 2021)</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">Valentin Raymond (juillet 2021)</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/4.0/">CC BY-NC-SA</a></span>
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<p>Cela devrait permettre d’affiner les connaissances sur les propriétés des venins, notamment issus d’espèces endémiques. L’un des objectifs est de constituer une banque de venins à destination des scientifiques.</p>
<h2>La gestion des ressources en question</h2>
<p>Afin d’éviter de nouvelles <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Trag%C3%A9die_des_biens_communs">« tragédies des communs »</a>, l’économiste <a href="https://laviedesidees.fr/Elinor-Ostrom-par-dela-la-tragedie-des-communs.html">Elinor Ostrom</a> a mis en évidence la capacité des communautés à s’auto-organiser pour gérer durablement les ressources. Dans ce contexte, il convient d’être attentif à la fois à l’écologie des cônes ainsi qu’aux contextes socioculturels et aux modes de gestion des espèces sauvages par les communautés humaines.</p>
<p>En raison de la perturbation de l’habitat et des faibles densités de la plupart de ces espèces, face à la difficulté de synthétiser artificiellement et de collecter leurs venins, il est essentiel de faire en sorte que l’exploitation du cône ne conduise pas à son extinction.</p>
<p>Il s’agit aussi de penser la gestion des ressources dans le cadre d’une justice environnementale, en s’assurant notamment que l’usage des molécules de cônes ne profite pas à un groupe social dominant au détriment d’autres – en l’occurrence des communautés qui vivent sur des territoires où les cônes font l’objet de collectes.</p>
<p>À partir des pratiques historiques et des capacités d’action présentes et futures des communautés locales, deux scénarios sont explorés : élevage et reproduction en aquaculture ; aires protégées pour la collecte dans le milieu naturel.</p>
<h2>La Polynésie française, un terreau favorable</h2>
<p>Située au sein de la plus grande région indo-pacifique, la Polynésie française recense <a href="https://www.researchgate.net/publication/346528827_Inventaire_des_Conidae_de_Polynesie_francaise_de_la_zone_cotiere_a_l%E2%80%99etage_bathyal">environ 1/8ᵉ de toutes les espèces connues</a> de cônes.</p>
<p>Certaines espèces de cônes sont endémiques, c’est-à-dire qu’elles ne sont présentes nulle part ailleurs, notamment aux Marquises. La Polynésie française est donc idéalement positionnée pour développer une gestion durable et une utilisation équitable de cette ressource qui, pour l’heure, est abondante et d’une grande richesse.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/423807/original/file-20210929-18-1quu69s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/423807/original/file-20210929-18-1quu69s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/423807/original/file-20210929-18-1quu69s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/423807/original/file-20210929-18-1quu69s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/423807/original/file-20210929-18-1quu69s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/423807/original/file-20210929-18-1quu69s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/423807/original/file-20210929-18-1quu69s.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Jeune femme récoltant des coquillages à Tikehau.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Camille Mazé (juillet 2021)</span></span>
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<p>Les communautés autochtones et locales de Polynésie française possèdent une expérience inédite de gestion durable des ressources naturelles à travers la pratique du <a href="https://theconversation.com/le-rahui-polynesien-au-secours-de-lenvironnement-73382">Rāhui</a>.</p>
<p>L’anthropologue <a href="https://www.auventdesiles.pf/auteur/bambridge-tamatoa/">Tamatoa Bambridge</a>, qui porte aujourd’hui le projet de <a href="https://rahuicenter.pf/">Rāhui Center</a>, a bien décrit cette pratique de jachère traditionnelle propre à la Polynésie (pas seulement française : Hawaï, île de Pâques, îles Cook, Nouvelle-Zélande), en expliquant en quoi elle constitue une véritable institution.</p>
<h2>Le Rāhui, pratique traditionnelle remise au goût du jour</h2>
<p>Le Rāhui permet de poser une interdiction temporaire de prélèvement d’une ressource (agricole ou lagunaire) sur un territoire insulaire. Il revenait en effet à un groupe (un clan, une famille élargie ou une chefferie) d’interdire l’accès à un espace et le prélèvement d’une ressource pendant une période variable.</p>
<p>Cette pratique politique et institutionnelle a été mise à mal par la colonisation, mais elle connaît aujourd’hui un renouveau, en regard de la montée en puissance des objectifs de durabilité environnementale, liant l’écologique et le social.</p>
<p>Cette pratique collective tient compte des interdépendances entre les humains et leur environnement. Elle correspond ainsi, bien avant l’heure, à l’idée de « gestion écosystémique » ou « adaptative » censée pallier les risques d’extinction des ressources naturelles et des sociétés qui en dépendent.</p>
<h2>Des savoirs locaux pour gérer les ressources</h2>
<p>Tandis que les communautés polynésiennes révèlent leur aptitude à gérer collectivement et de manière adaptative certaines ressources naturelles, tout l’enjeu est de ne pas reproduire les erreurs du passé ou certaines actuelles. La mobilisation des savoirs locaux est alors indispensable en vue d’atteindre la gestion soutenable des ressources marines.</p>
<p>En ce sens, les recherches anthropologiques permettent de mieux saisir les relations qui se nouent entre ces communautés et les coquillages, et les savoirs qui en résultent. Il s’agit notamment d’appréhender les usages et représentations des coquillages – dont les cônes – parmi lesquels l’artisanat et l’alimentation.</p>
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<span class="caption">Femme des Tuamotu travaillant le coquillage pour en faire des bijoux ou des objets d’artisanat (Rangiroa, passe de Tiputa).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Camille Mazé (juillet 2021)</span></span>
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<p>Mais au-delà de la bonne connaissance de ces coquillages et des lieux où ils se trouvent, ces derniers revêtent également une importance symbolique et historique.</p>
<p>Ainsi, ce qui est aujourd’hui appelé « ressources » – avec en filigrane les notions de « bien commun », de propriété et de marchandisation – doit être pensé dans toutes ses dimensions et construit collectivement comme « un commun », avec les entreprises qui les exploitent et les communautés locales.</p>
<p>C’est la raison pour laquelle le <a href="http://www.criobe.pf/recherche/recherche-projets/polycone/">projet Polycone</a> va explorer plusieurs scénarios, allant de la création d’aires marines gérées avec les communautés locales sur le modèle du Rāhui, jusqu’au développement de fermes aquacoles basées sur l’acquisition de connaissances en biologie et l’innovation en biotechnologies.</p>
<p>À ce titre, il est essentiel de reconstituer l’histoire des filières d’exploitation des ressources marines en Polynésie française – telle la filière perlière – afin d’identifier les leviers et les blocages à la mise en œuvre d’une trajectoire durable.</p>
<h2>Repenser notre gouvernance de « la nature »</h2>
<p>Ces approches intégrées passent par une <a href="https://theconversation.com/destruction-creatrice-pour-en-finir-avec-les-contresens-118614">déconstruction critique, créatrice et constructive</a> de nos manières de penser notre rapport au vivant et de gouverner la nature.</p>
<p>Les humanités environnementales, en étroite interaction avec les sciences du vivant et de la terre, nous aident dans cette tâche aujourd’hui devenue nécessaire et urgente pour dépasser les clivages entre nature et culture, humain et non-humain, science et politique encore largement dominants dans la pensée et les pratiques de la gestion de l’environnement et des ressources naturelles.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/168421/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Le projet Polycone a reçu des financements du Belmont Forum, de l’Agence nationale pour la recherche (France), de la National Science Foundation (États-Unis), de la Délégation à la recherche (Polynésie française), de la Direction des ressources marines (Polynésie française), de l’Université de la Rochelle pour le doctorat en sciences sociales de Valentin Raymond (UMR 7266 LIENSs) codirigé par Camille Mazé et Alexander Mawyer, du Center for Pacific Islands Studies, de la School of Asian and Pacific Studies, de l’University of Hawai’i at Mānoa (États-Unis).</span></em></p>Un projet de recherche transdisciplinaire tente de développer un modèle global, éthique et durable pour exploiter les cônes marins en Polynésie française.Camille Mazé, Chercheuse CNRS, chargée de recherche en science politique appliquée aux sciences de l’environnement (UMR7266 LIENSs), La Rochelle UniversitéValentin Raymond, Doctorant en anthropologie et science politique (LIENSs - UMR 7266), La Rochelle UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1690472021-10-03T17:05:06Z2021-10-03T17:05:06ZDe Zika au SARS-CoV-2, récits et défis de chercheurs en Polynésie française<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=222&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/418707/original/file-20210831-15-1io1ckg.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=279&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science, qui a lieu du 1<sup>er</sup> au 11 octobre 2021 en métropole et du 5 au 22 novembre 2021 en outre-mer et à l’international, et dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Eureka ! L'émotion de la découverte ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
<hr>
<p>Voilà 15 ans que je travaille sur l’émergence des virus dans le Pacifique. Virus de la dengue, chikungunya, Zika, SARS-CoV-2 aujourd’hui… avec mon équipe du <a href="https://www.ilm.pf/recherche/maladie-infectieuses/">laboratoire de recherche sur les maladies infectieuses à transmission vectorielle</a>, à l’Institut Louis Malardé (à Papeete, Tahiti), nous les avons tous vus arriver. Mais le plus marquant pour nous a été cette succession de deux événements épidémiologiques exceptionnels en moins de dix ans : l’arrivée du virus Zika et du nouveau coronavirus. Un 100 m émotionnel où surprises, exaltation, doutes, angoisse et soulagement se sont enchaînés à un rythme effréné…</p>
<p>Comment réagit-on quand la situation devient hors-norme ? Comment fait-on pour comprendre ce qui est en train de se passer ? Comment construit-on de nouvelles procédures de travail ? Cette tranche de vie, que nous avons vécue avec mon équipe rodée à la surveillance de tel phénomène d’émergence de nouveaux pathogènes, je vais la partager ici.</p>
<p>Le premier choc eut lieu en octobre 2013. Cela fait alors quelques semaines que le réseau de médecins sentinelles de Polynésie française rapporte une recrudescence des consultations pour des symptômes évoquant une infection par le virus de la dengue. Rien de surprenant, la saison des pluies vient de commencer et le contexte est favorable aux deux espèces de moustiques capables de transmettre cet agent pathogène en Polynésie française, <em>Aedes aegypti</em> et <em>Ae. polynesiensis</em>.</p>
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<img alt="Vue au microscope de moustiques A. aegypti gorgés de sang" src="https://images.theconversation.com/files/424152/original/file-20211001-25-31r9za.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424152/original/file-20211001-25-31r9za.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424152/original/file-20211001-25-31r9za.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424152/original/file-20211001-25-31r9za.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=338&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424152/original/file-20211001-25-31r9za.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424152/original/file-20211001-25-31r9za.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424152/original/file-20211001-25-31r9za.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=424&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Les femelles <em>Aedes aegypti</em> gorgées de sang sont les vecteurs de transmission du virus Zika.</span>
<span class="attribution"><span class="source">ILM Photo</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Toutefois, quelque chose ne colle pas. Les symptômes décrits par les patients diffèrent de ceux d’une phase aiguë classique de dengue : l’épisode fébrile est modéré voire inexistant, l’éruption cutanée est particulièrement forte, les démangeaisons sont persistantes, etc. Autre anomalie, nous voyons arriver des patients natifs ou résidents de longue date qui devraient être immunisés.</p>
<p>Bientôt, le doute n’est plus permis : un nouveau pathogène est en train de s’installer. Tout juste pouvons-nous estimer qu’il s’agit d’un arbovirus (virus transmis par des arthropodes se nourrissant de sang, souvent des insectes comme le moustique). Nous décidons alors de reprendre les échantillons des patients testés négatifs par RT-PCR pour la dengue afin d’y rechercher d’autres arbovirus : celui du chikungunya (un bon candidat, car détecté dans plusieurs îles du Pacifique depuis un peu plus d’un an), le virus de la Ross River (à l’origine d’épidémies saisonnières en Australie), le virus du Nil occidental (ou West-Nile virus, régulièrement détecté sur le continent nord-américain)… mais nos tentatives sont vaines.</p>
<h2>Le précédent Zika</h2>
<p>Reste une dernière hypothèse. Le virus Zika, qui a été à l’origine d’une épidémie sur l’île de Yap dans les États fédérés de Micronésie (nord-ouest du Pacifique).</p>
<p>Classée « maladie tropicale négligée », l’infection par Zika est à cette époque peu étudiée, donc peu connue. <a href="https://wwwnc.cdc.gov/eid/article/20/6/14-0138_article">Un cluster familial va nous donner l’occasion d’en avoir le cœur net</a>.</p>
<p>Les analyses RT-PCR révèlent bien la présence de l’ARN du virus chez un patient. Sur les deux décennies écoulées, soit depuis que les techniques de biologie moléculaire sont utilisées dans notre laboratoire, c’est la première fois qu’une infection par un arbovirus autre que celui de la dengue est détectée en Polynésie française…</p>
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<img alt="Une scientifique procède à un séquençage d’ADN pour identifier un virus (Zika)" src="https://images.theconversation.com/files/424153/original/file-20211001-27-erektk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424153/original/file-20211001-27-erektk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424153/original/file-20211001-27-erektk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424153/original/file-20211001-27-erektk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424153/original/file-20211001-27-erektk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424153/original/file-20211001-27-erektk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424153/original/file-20211001-27-erektk.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans le cadre du Zika comme du SARS-CoV-2, la confirmation de l’émergence d’un nouveau pathogène en Polynésie française s’est faite à l’appui du séquençage génomique.</span>
<span class="attribution"><span class="source">ILM Photo</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>L’enjeu est énorme, l’erreur inenvisageable. Nous devons donc consolider notre résultat. Je contacte le Dr Amadou Sall, de l’Institut Pasteur de Dakar, qui est scientifique référent sur Zika. Il nous fait parvenir en urgence des échantillons de contrôle, une séquence de l’ARN du virus stabilisée permettant comparaison et identification – elle correspondra bien au fragment de génome du virus suspect que nous séquençons. Nous pouvons donc confirmer, en une dizaine de jours, qu’il s’agit bien du Zika. Quelques jours après notre identification du premier cas, d’autres sont découverts. L’épidémie de Zika sera déclarée deux semaines plus tard.</p>
<p>En Polynésie française, l’épidémie de Zika durera cinq mois. Mais pour notre équipe, ce n’est que le début d’un marathon scientifique de trois ans… Durée pendant laquelle l’équipe s’attellera à améliorer le test de diagnostic (RT-PCR), documenter les <a href="https://journals.plos.org/plosntds/article?id=10.1371/journal.pntd.0005024">caractéristiques de transmission vectorielle (moustiques)</a> et non-vectorielle (transmission par voie sexuelle, materno-fœtale) et décrire la survenue de formes cliniques sévères. En particulier, nous passerons avec nos collaborateurs, dont l’équipe du Pr. Arnaud Fontanet de l’Institut Pasteur, deux années à compléter les données et réaliser les analyses qui conduiront à <a href="https://www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-6736(16)00562-6/fulltext">démontrer pour la 1<sup>ère</sup> fois le lien entre infection Zika et syndrome de Guillain Barré</a>.</p>
<p>Lorsque nous sommes prêts à publier nos résultats, l’épidémie de Zika <a href="https://theconversation.com/lhistoire-de-zika-virus-emergent-transmis-par-les-moustiques-53774">explose au Brésil entre 2015 et 2016</a>. La portée de nos travaux se mesurera pleinement lorsque, après s’être étendue à toute l’Amérique latine, cette maladie est qualifiée par l’OMS d’« urgence de santé publique de portée internationale ».</p>
<h2>SARS-CoV-2, la nouvelle menace</h2>
<p>Comme les autres pays du globe, sept ans plus tard, la Polynésie française allait être frappée – quoique plus tardivement – par le SARS-CoV-2, agent de la Covid-19.</p>
<p>Fin juin 2020. Cela fait maintenant 3 mois que les frontières internationales sont fermées. Un mois s’est écoulé depuis la détection du dernier des 62 cas de Covid-19 rapportés depuis mars. Alors que l’épidémie flambe partout ailleurs, la Polynésie française fait partie des quelques oasis exemptes du fléau. Pour relancer l’économie, primordiale pour la région, il est décidé qu’à partir du 15 juillet il serait à nouveau possible d’entrer et de circuler librement.</p>
<p>Devant le risque élevé d’importation de nouveaux cas d’infection par le SARS-CoV-2, un protocole de surveillance des voyageurs est mis en place. Une plate-forme numérique de suivi de l’itinéraire des arrivants est créée, en outre, les adultes et enfants de plus de 11 ans devront présenter un résultat négatif à un <a href="https://theconversation.com/covid-19-comment-fonctionnent-les-tests-et-quelles-sont-leurs-utilites-135398">test RT-PCR de détection du SARS-CoV-2</a> réalisé dans les 72 heures qui précèdent l’embarquement.</p>
<p>Mais quid des personnes en phase d’incubation au moment de la réalisation du test ? Des risques d’infection lors des trois jours qui précèdent ou durant le voyage ? Avec la levée du dispositif de quarantaine, comment détecter et isoler ces cas potentiels ?</p>
<p>Pour anticiper, nous proposons un dispositif de dépistage inédit (CoV-Check Porinetia) prenant en compte les contraintes de la reprise touristique (libre circulation dans les archipels de la Polynésie française) et les ressources locales limitées en termes de personnel de soin, de capacité d’accueil des centres médicaux et de capacité technique des laboratoires.</p>
<h2>Un choix audacieux</h2>
<p>Nous optons pour l’<a href="https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0256877">autoprélèvement et le groupage d’échantillons</a>. De quoi s’agit-il ? Afin de pallier aux ressources limitées, nous remettons à chaque voyageur, à son arrivée à l’aéroport, un <a href="https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1477893921001393?via%3Dihub">kit contenant le matériel nécessaire à la réalisation d’un autoprélèvement 4 jours plus tard</a> (soit le délai moyen d’incubation du SARS-CoV-2, entre le moment où une personne se contamine et où elle peut à son tour contaminer les autres – données disponibles en juillet 2020).</p>
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<img alt="Kit d’autotest pour le suivi de virus de la Covid, contenant le matériel et la notice d’utilisation" src="https://images.theconversation.com/files/424157/original/file-20211001-19-115cahx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424157/original/file-20211001-19-115cahx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424157/original/file-20211001-19-115cahx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424157/original/file-20211001-19-115cahx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424157/original/file-20211001-19-115cahx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424157/original/file-20211001-19-115cahx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424157/original/file-20211001-19-115cahx.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Dans le cadre de la détection précoce du SARS-CoV-2, et le suivi de l’introduction éventuelle de nouveaux variants, un kit d’autotest remis aux voyageurs à leur arrivée en Polynésie française.</span>
<span class="attribution"><span class="source">ILM Photo</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Chaque kit est identifié par un code-barres unique et relié au numéro d’enregistrement du voyageur sur la plate-forme en ligne où a été déclaré son itinéraire. Il contient deux écouvillons (pour les prélèvements en fosse nasale et buccal), un tube de milieu de conservation pour les stocker, un sac de transport d’échantillon biologique et une notice d’utilisation (français-anglais).</p>
<p>Une fois les autoprélèvements réalisés, le kit doit être remis par le voyageur à la réception de son hébergement ou déposé dans un centre de santé. Il est ensuite acheminé vers le laboratoire, où les échantillons sont organisés en groupes (pool) de dix puis testés par RT-PCR. Lorsqu’un pool est détecté positif pour le SARS-CoV-2, les 10 échantillons sont retestés individuellement et le code-barres du (ou des) positif(s) est communiqué au bureau de veille sanitaire du ministère de la Santé. Le bureau se charge de contacter le voyageur pour un test de confirmation.</p>
<h2>Innover pour gagner du temps</h2>
<p>Les critiques pleuvent : « Ce n’est pas fiable ! Ce n’est pas publié ! Ça ne marchera pas ! »… jusqu’à la détection du premier cas.</p>
<p>Si nous savions que nous n’avions pas la maîtrise des autoprélèvements (qualité, réalisation, etc.), nous n’avions pas de doute sur la traçabilité des échantillons ni sur la sensibilité du protocole de RT-PCR en groupage d’échantillons. Nous utilisons déjà le système de code-barres et l’appairage numérique dans le cadre de nos enquêtes de terrain, quant au protocole de groupage cela faisait déjà trois mois que nous travaillions à la question, pour anticiper toute rupture d’approvisionnement en réactifs ou flambée de cas dépassant la capacité technique de nos laboratoires.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="Une scientifique fait un prélèvement dans un échantillon pour lancer la PCR" src="https://images.theconversation.com/files/424158/original/file-20211001-15-1mjeo1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/424158/original/file-20211001-15-1mjeo1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/424158/original/file-20211001-15-1mjeo1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/424158/original/file-20211001-15-1mjeo1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/424158/original/file-20211001-15-1mjeo1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/424158/original/file-20211001-15-1mjeo1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/424158/original/file-20211001-15-1mjeo1i.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Préparation des pools des échantillons remis par les voyageurs avant extraction et RT-PCR suivant le protocole de surveillance du SARS-CoV-2.</span>
<span class="attribution"><span class="source">ILM Photo</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<p>Le premier cas de Covid-19 est détecté le samedi 1<sup>er</sup> août 2020, en fin d’après-midi, et nous transmettons nos données (avec numéro de code-barres du prélèvement) au bureau de veille sanitaire. Je découvre le lendemain que l’information fait les gros titres… Il s’agit d’une touriste sur un bateau de croisière, lequel vient de faire demi-tour pour rejoindre le port de Papeete chargé de ces 340 passagers et membres d’équipage.</p>
<p>Dans les mois qui suivront, plusieurs centaines de voyageurs positifs pour le SARS-CoV-2 seront ainsi identifiés. Si le dispositif CoV-Check Porinetia n’a pas suffi à empêcher la réintroduction du virus puis sa diffusion, il aura néanmoins permis la détection des premiers clusters (groupes de personnes exposées) sur l’île principale Tahiti, permettant aux autorités de santé de se préparer à la première vague épidémique et de tenter de limiter sa diffusion aux 71 autres îles habitées de Polynésie française.</p>
<p>Dès février 2021, nous complétons le dispositif pour être capables de détecter les variants. À bon escient, puisque nous en trouvons rapidement, d’abord essentiellement Alpha (variant un temps dit « britannique ») puis de plus en plus de Delta (identifié en Inde pour la première fois). Nous savons que ce n’est qu’une question de temps avant qu’un cas importé n’échappe au dispositif de surveillance. Début juillet, le variant Delta est en effet détecté dans la population. Le tout premier cluster est lié à un voyageur non vacciné, qui n’avait respecté aucune des mesures de quarantaine.</p>
<h2>Comprendre le rôle de la recherche</h2>
<p>Dans les semaines qui suivent, l’augmentation fulgurante des cas submerge les capacités d’accueil des structures hospitalières et des unités de soins intensifs et de réanimation. Un couvre-feu rapidement renforcé d’une période de confinement sont mis en place. L’effort de vaccination s’accélère, la réserve sanitaire vient en renfort.</p>
<p>Au plus fort de l’épidémie, la Polynésie compte 426 hospitalisations, dont 48 en réanimation. Au total, de <a href="https://www.service-public.pf/dsp/wp-content/uploads/sites/12/2021/09/BEH-N63.pdf">mi-juillet (début de la vague) à fin septembre 2021, 461 décès liés à la Covid-19 sont survenus en milieu hospitalier</a>.</p>
<p>Ces évènements nous ramènent à la réalité et aux limites de notre contribution en tant que chercheurs, à notre rôle : celui de donner de la connaissance, des outils et un délai de préparation aux soignants et à tous ceux qui travaillent en support. Bref, à celles et ceux sur qui nous comptons pour sauver des vies, et accompagner celles qui s’éteignent…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/169047/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Van-Mai Cao-Lormeau a reçu des financements pour un contrat de projets Etat-Polynésie française (2017, 2018) ; Fonds Pacifique/Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères (2016-2020).
Van-Mai Cao-Lormeau est membre du panel d’experts du réseau Arbo-France (<a href="https://arbo-france.fr/">https://arbo-france.fr/</a>)</span></em></p>Découvrez, avec les équipes de recherche en première ligne, comment la Polynésie française traque les virus. Zika hier, SARS-CoV-2 aujourd’hui… Un témoignage entre défi, rigueur et passion.Van-Mai CAO-LORMEAU, Director of the Laboratory of research on Infectious Vector-borne diseases (LIV), Institut Louis Malardé (ILM), Institut Louis MalardéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1464642020-11-01T17:13:27Z2020-11-01T17:13:27ZL’homme et la nature : un non-sens pour les sociétés polynésiennes<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=236&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/293181/original/file-20190919-22450-1e2zj7j.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=297&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la science 2020 (du 2 au 12 octobre 2020 en métropole et du 6 au 16 novembre en Corse, en outre-mer et à l’international) dont The Conversation France est partenaire. Cette nouvelle édition a pour thème : « Planète Nature ». Retrouvez tous les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr/">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
<hr>
<blockquote>
<p>« Sur cette île vivaient des hommes et des femmes qui, par leur stature et leur beauté, ressemblaient au Dieu Oa. Ils vénéraient les Dieux de la Nature. […] Un jour, monsieur Maraetoa décida d’aller remplir d’eau de mer sa calebasse, pour la préparation du repas. Lorsqu’il arriva à l’embouchure de la rivière Vaiharuru, il aperçut quelque chose de la taille d’une calebasse qui flottait à la surface de l’eau. […] A l’intérieur, il découvrit une toute petite pieuvre. […] Sensibles aux signes de la nature, ils décidèrent d’élever secrètement cette petite pieuvre. Mais elle grandit si vite qu’il devenait impossible de la cacher. Tout le village découvrit l’animal sacré, élevé, protégé par le couple Maraetoa. Toute la population décida alors d’élever la pieuvre au rang de nouvelle déesse ».</p>
</blockquote>
<p><a href="https://issuu.com/arnaudsimonnet/docs/la_le_gende_de_orava_ta-fr-web">La légende de la pieuvre Orava</a> de l’île de Tubuai en dit long sur le lien singulier qui unit les hommes et la nature, les humains et non-humains, la terre et la mer, le profane et le sacré.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/363356/original/file-20201014-15-1ntdkmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/363356/original/file-20201014-15-1ntdkmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/363356/original/file-20201014-15-1ntdkmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/363356/original/file-20201014-15-1ntdkmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/363356/original/file-20201014-15-1ntdkmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=439&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/363356/original/file-20201014-15-1ntdkmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/363356/original/file-20201014-15-1ntdkmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/363356/original/file-20201014-15-1ntdkmo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=552&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Les migrations en Océanie, 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Wikimedia</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
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<p>Contrairement au postulat des philosophies occidentales, poser la question de « l’Homme ET la Nature » n’a guère de sens pour les sociétés polynésiennes qui, dans leurs pratiques, leurs modes de vie et leurs cosmogonies, ne distinguent pas ces deux mondes mais les considèrent au contraire comme participant d’un même univers.</p>
<h2>Quand l’homme occidental est pensé hors de la Nature</h2>
<p>Après le <a href="https://philosophie.cegeptr.qc.ca/wp-content/documents/Discours-de-la-m%C3%A9thode.pdf">principe cartésien</a> au fondement de la modernité, érigeant l’homme en « maître et possesseur de la nature », l’idée se répand aujourd’hui d’un homme destructeur de la nature, provoquant la révolte de cette dernière dans le cadre d’un anthropomorphisme de plus en plus débridé, comme le soulignent notamment <a href="https://lejournal.cnrs.fr/articles/la-revanche-de-lanthropomorphisme">Emmanuel Grimaud et Anne-Christine Taylor-Descola</a>.</p>
<p>Les catastrophes naturelles, sanitaires ou climatiques, seraient dès lors l’expression d’une <a href="https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/les-humains-sont-confines-la-nature-reprend-ses-droits-6794461">« nature qui reprendrait ses droits »</a>, comme le suggère cette petite vidéo qui a circulé sur les réseaux sociaux au début de la pandémie et qui personnifie le <a href="https://aphadolie.com/2020/04/09/petit-corona-discute-avec-papa-video/">« petit Corona »</a> discutant avec son papa des raisons de sa prolifération sur terre.</p>
<p>L’homme prédateur est ainsi enjoint de se transformer en réparateur et protecteur de la nature. Ce nouveau credo de la pensée post-moderne est à l’origine de l’émergence d’une conscience écologiste qui traverse et imprègne aujourd’hui nombre de projets politiques et sociétaux.</p>
<p>De ce constat rapidement et très sommairement esquissé sur l’évolution de la relation homme-nature surgissent deux points majeurs qui semblent <em>a priori</em>, pour certains, relever de l’évidence : l’extériorité de l’homme par rapport à la nature, les humains et non-humains formant des entités résolument distinctes, et l’universalité de cette conception du monde.</p>
<h2>« Pour vous, la nature, c’est quoi ? »</h2>
<p>Pourtant, rien n’est moins sûr ni évident, comme en témoigne cette expérience de recherche en Polynésie française visant à étudier le lien entre la nature et les <a href="https://www.unilim.fr/recherche/2017/11/13/envidiles/">nouvelles mobilités dans les îles</a>. L’ambition de ce programme était de saisir dans quelle mesure les aménités naturelles – c’est-à-dire l’ensemble de valeurs, matérielles et immatérielles, associées à la nature et qui contribuent à l’attractivité d’un territoire – propres aux îles polynésiennes interviennent dans les projets de migration résidentielle des Polynésiens ou des Popa’a (Européens).</p>
<p>Dès les premiers entretiens, et particulièrement lors du premier atelier participatif ayant réuni à Uturoa (Raiatea) une petite trentaine de personnes, de toutes origines, nous avons mesuré combien l’acception du mot nature et ses usages divergeaient selon l’origine des personnes enquêtées.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/363354/original/file-20201014-21-1rn75wy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/363354/original/file-20201014-21-1rn75wy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/363354/original/file-20201014-21-1rn75wy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/363354/original/file-20201014-21-1rn75wy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/363354/original/file-20201014-21-1rn75wy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/363354/original/file-20201014-21-1rn75wy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/363354/original/file-20201014-21-1rn75wy.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Atelier participatif organisé dans le cadre du programme ENVId’îles, invitant les participants à décrire leur relation à la nature et aux lieux (Raiatea, 2018).</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nathalie Bernardie-Tahir</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>A la question posée « pour vous, la nature, c’est quoi ? », il apparaît de manière assez frappante que les Popa’a évoquent plutôt des éléments de nature (mer, lagon, végétation luxuriante, eau agréable…) quand les Polynésiens mettent davantage en évidence des valeurs (ensemble, vivre, vie…), voire des <a href="https://www.decitre.fr/livres/mythes-et-usages-des-mythes-9789042928930.html">notions plus spirituelles</a> comme « Tumurai Fenua » (littéralement pilier de la terre et du ciel) ou encore <a href="https://www.puf.com/content/Esquisse_dune_th%C3%A9orie_g%C3%A9n%C3%A9rale_de_la_magie">« Mana »</a> (énergie, force supérieure répandue dans la nature).</p>
<h2>Un monde, entre les conceptions occidentale et polynésienne</h2>
<p>De la même manière, les usages de la nature diffèrent sensiblement. Pour les Popa’a, celle-ci revêt une dimension esthétique forte et constitue un support de pratiques sportives réalisées pour une grande part dans le lagon et en mer (voile, kite, etc.), tandis qu’elle renvoie à un registre plus nourricier pour les Polynésiens (pêche dans le lagon, arbres fruitiers en abondance…).</p>
<p>Mais c’est surtout au fil de nos entretiens qu’un monde s’est creusé entre les conceptions occidentale et polynésienne du rapport homme/nature.</p>
<p>Dans l’une des îles où nous avons concentré nos enquêtes, la rencontre avec Mona (dont le prénom a été modifié et le lieu de résidence masqué pour garantir son anonymat), une Polynésienne d’une soixantaine d’années qui nous a accueillis un long moment, à l’aube, dans son Fa’aapu (champ, jardin potager), nous a parlé de sa relation avec la nature en ces termes (photo) :</p>
<blockquote>
<p>« Je remercie la nature de m’avoir donné tout cela […] quand je mange, je dis merci ; quand je viens, je dis merci à la nature, je suis là. Tu vois ? Je parle avec la nature. […] Et puis je préfère marcher pied nu, sentir la terre, c’est la mère nourricière, elle est là ».</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/363352/original/file-20201014-23-1107wbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/363352/original/file-20201014-23-1107wbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/363352/original/file-20201014-23-1107wbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/363352/original/file-20201014-23-1107wbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/363352/original/file-20201014-23-1107wbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/363352/original/file-20201014-23-1107wbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/363352/original/file-20201014-23-1107wbd.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Un Fa’aapu (jardin) polynésien. Archipel des Iles-sous-Le-Vent, 2019.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Fabien Cerbelaud</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>On le pressent dans ces propos, le lien homme (ou femme en l’occurrence)/nature ne repose pas sur un principe d’extériorité, mais s’inscrit au contraire dans un continuum, comme l’ont bien montré les travaux des <a href="http://www.faretamahau.pf/biblioweb/fiche.php?ref=1782">anthropologues Bruno Saura</a> ou <a href="https://journals.openedition.org/jso/221">Christian Ghasarian</a>. Selon eux, la nature en Polynésie n’est pas pensée comme une catégorie ontologique séparée de la culture. En d’autres termes, nature et culture ne forment pas deux structures distinctes de compréhension de l’être et du monde, mais participent d’une même matrice.</p>
<p>Le récit de Mona nous permet même d’aller au-delà de ce constat pour saisir subtilement la singularité du lien avec la nature :</p>
<blockquote>
<p>« Ce jour-là, j’avais les yeux ici, et cette pierre, ça m’a beaucoup marquée. Il y avait une femme, jolie […] ; elle était nue, brune, avec de longs cheveux, elle était couverte de ses cheveux, assise en tailleur, elle avait les yeux qui regardait la montagne. […] Cette femme, elle vient d’une source, et elle est là pour se sécher les cheveux, c’est pour ça elle a le dos tourné vers le soleil. Il y a le lever de soleil, il y a le vent ».</p>
</blockquote>
<h2>Un triptyque reliant les hommes, la nature et les Dieux</h2>
<p>Plus que d’une continuité simple entre les hommes et la nature, la relation s’inscrit, on le voit, dans un tout autre paradigme, postulant l’existence d’un triptyque reliant les hommes, la nature (minérale, végétale et animale) et les Dieux, comme <a href="https://www.documentation.ird.fr/hor/fdi:010067049">Tamatoa Bambridge et ses collègues</a> l’ont mis en évidence.</p>
<blockquote>
<p>« Les cosmogonies polynésiennes posent un principe d’interaction continuelle entre ces différentes entités les [humains, les non-humains et les Dieux]. Les humains ne sont pas coupés du monde invisible mais y participent ne serait-ce que parce qu’ils partagent avec lui une part de sacré plus ou moins importante. […] En vertu de ce principe de continuité où les Dieux et les humains sont généalogiquement liés à la nature […] le rapport nature-culture en Polynésie est conçu comme un rapport généalogique ».</p>
</blockquote>
<hr>
<p>
<em>
<strong>
À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-rahui-polynesien-au-secours-de-lenvironnement-73382">Le « rahui » polynésien au secours de l’environnement</a>
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</em>
</p>
<hr>
<p>Cette conception polynésienne d’un monde formant un « Tout » fait évidemment écho aux travaux de <a href="http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Bibliotheque-des-Sciences-humaines/Par-dela-nature-et-culture">Philippe Descola</a>. Celui-ci s’est en effet attaché à montrer combien la relation homme/nature, longtemps considérée de manière univoque et universelle dans et par la pensée occidentale, se décline au contraire par un foisonnement de modèles très distincts à travers le monde.</p>
<p>Cette illustration polynésienne de la relation homme-nature ne forme finalement qu’un exemple de plus qui s’ajoute à la diversité des ontologies amazoniennes, aborigènes, cries, etc. mises en évidence et catégorisées par cet anthropologue.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/5eRtDAnXDnw?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Taaroa i Taputapuatea relate la légende du dieu Taaroa et de son lien avec le marae (lieu sacré) Taputapuatea situé à Raiatea.</span></figcaption>
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<h2>« We are the Ocean »</h2>
<p>Pourtant, ce rapport viscéral que les Polynésiens ont entretenu avec la nature a longtemps été gommé par l’ontologie naturaliste occidentale imposée durant toute la colonisation française. Il s’est ensuivi une période de mise à distance, voire de déconnexion de la société polynésienne à l’égard de la nature de plus en plus malmenée par une anthropisation conquérante ou par le développement de pratiques agraires peu respectueuses de l’environnement.</p>
<p>On comprend dès lors pourquoi le réveil culturel qui émerge aujourd’hui en Polynésie française passe précisément par une reconnexion au modèle ancestral.</p>
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<figcaption><span class="caption">La vidéo Hokule’ signe une réappropriation de la culture polynésienne.</span></figcaption>
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<p>Symbole de la grande tradition navigatrice des peuples océaniens, la pirogue Hokule’a, qui circule aujourd’hui à nouveau d’île en île, marque la réappropriation, par les jeunes générations polynésiennes notamment, d’une culture autochtone qui se définit avant tout à travers sa relation fusionnelle avec les composantes terrestres et marines de la nature.</p>
<p>« We are the Ocean » d’<a href="https://uhpress.hawaii.edu/title/we-are-the-ocean-selected-works/">Epeli Hau’ofa</a> sonne comme le mot d’ordre de revendications identitaires faisant du lien homme/nature le fondement du projet sociétal postcolonial.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/146464/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Bernardie Tahir a reçu des financements de la Fondation de France. </span></em></p>Dans les sociétés polynésiennes, les mondes de l'humain et de la nature ne sont pas distincts mais participent au contraire d’un même univers.Nathalie Bernardie Tahir, Professeure de géographie, Présidente de l'Université des Mascareignes (Maurice), Université de LimogesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1404632020-06-18T17:44:25Z2020-06-18T17:44:25ZPolynésie française et Océanie : quelles stratégies chinoises ?<p>Considéré comme un <a href="https://journals.openedition.org/jso/6677">lac américain</a> au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Pacifique est devenu depuis les années 1990 un terrain d’action de la Chine qui y a activé plusieurs leviers d’influence. Elle y est aujourd’hui un acteur incontournable.</p>
<p>Sa proximité géographique, le <a href="https://www.armand-colin.com/histoire-de-loceanie-de-la-fin-du-xviiie-siecle-nos-jours-9782200601300">rôle exercé par sa diaspora</a>, sa volonté de participer aux dialogues multilatéraux n’expliquent pas tout. Les Nouvelles Routes de la Soie – « Belt and Road Initiative » (BRI) – constituent le fer de lance de sa diplomatie. Celle-ci vise pour l’essentiel à réinvestir ses surcapacités productives à l’étranger dans des projets d’infrastructures.</p>
<p>Rappelons que la Chine est à la fois le premier producteur mondial dans les domaines de la pêche et de l’aquaculture et le <a href="https://www.cnrseditions.fr/catalogue/geographie-territoires/la-mer-nourriciere/">premier consommateur mondial de ressources halieutiques</a>. Dans ce contexte, la Polynésie française pourrait devenir <a href="https://lentreprise.lexpress.fr/actualites/1/actualites/des-investisseurs-chinois-se-lancent-dans-l-aquaculture-en-polynesie-francaise_1678100.html">l’un des greniers alimentaires</a> de la Chine. Il existe par ailleurs dans les fonds marins du Pacifique une <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2017/10/Asia-Focus-49.pdf">abondance de minerais</a> (sulfures polymétalliques hydrothermaux à Wallis, encroûtement de manganèse cobaltifère dans l’archipel des Tuamotu, nodules polymétalliques à Clipperton…) stratégiques pour les industries du futur en Chine.</p>
<h2>L’Indo-Pacifique : un barrage contre la Chine</h2>
<p>En somme, en Polynésie comme en Australie ou en Nouvelle-Zélande, l’on craint que Pékin étende <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt1btbxk9">son influence géopolitique</a>. Une part croissante des populations de <a href="http://www.futuredirections.org.au/publication/tonga-between-an-irresistible-force-and-an-immovable-object/">Tonga</a>, du <a href="https://www.smh.com.au/politics/federal/on-the-ground-in-vanuatu-monuments-to-china-s-growing-influence-are-everywhere-20180410-p4z8t0.html">Vanuatu</a>, de la <a href="https://www.franceculture.fr/emissions/les-enjeux-internationaux/papouasie-nouvelle-guinee-un-pays-meconnu-dans-un-environnement">Papouasie-Nouvelle-Guinée</a> partagent un ressenti identique. Fragilité oblige, elles n’ont guère la <a href="https://www.palgrave.com/gp/book/9780230113237">possibilité de s’y opposer</a>.</p>
<p>Il semble qu’elles soient très vite acculées à choisir entre la stratégie initiée par Pékin ou celle, concurrente, que souhaitent promouvoir – avec le soutien des Américains – les Japonais et leurs alliés indiens. Connue sous le nom de projet « Indo-Pacifique », cette stratégie alternative semble avoir les <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/macron-presente-ses-projets-pour-reinscrire-la-reunion-dans-l-espace-indo-pacifique-20191023">faveurs de Paris</a>. Et pour cause : dans le contexte post-Brexit, la présence européenne dans cette immense région est <em>de facto</em> française. Elle vise aussi, pour le président Emmanuel Macron, à rappeler que loin de se limiter au champ européen, la France – de par ses possessions d’outre-mer et sa Zone économique exclusive (11 millions de Km<sup>2</sup>) – est, après les États-Unis, la <a href="http://www.opex360.com/2018/03/24/lamiral-prazuck-france-seconde-puissance-maritime-monde/">deuxième puissance maritime du monde</a>.</p>
<p>Pour Washington, la zone pacifique et ses prolongements stratégiques sont prioritaires <a href="https://www.csis.org/events/book-launch-crashback-power-clash-between-us-and-china-pacific">dans sa confrontation avec la Chine</a>. Les États-Unis comptent sur leur domination maritime pour renforcer leur réseau d’alliés. Le <a href="https://thediplomat.com/2020/05/the-quad-and-the-pandemic-a-lost-opportunity/">Quadrilateral Security Dialogue</a> (groupe informel regroupant les États-Unis, l’Australie, le Japon et l’Inde) y pourvoit dans une très large mesure par des manœuvres aéronavales communes qui visent à endiguer les velléités expansionnistes chinoises. L’Asie du Sud-Est demeure la partie nodale de <a href="https://www.nytimes.com/2014/04/20/books/review/asias-cauldron-by-robert-d-kaplan.html">ce dispositif</a>. Signe des temps : <a href="https://asialyst.com/fr/2018/11/07/asean-soluble-indo-pacifique/">l’Asean</a> intègre à présent dans son discours la « doctrine Indo-Pacifique ».</p>
<p>La Chine n’en reste pas moins très offensive dans une région où la course à la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/taiwan-de-plus-en-plusisole-sur-la-scene-internationale-20190923">reconnaissance diplomatique</a> lui est encore disputée par Taïwan. Au reste, avec la démocratisation et l’indigénisation (<em>bentuhua</em>) initiées à la fin des années 1980, le regard porté sur l’histoire de l’île dans son rapport au continent a <a href="https://journals.openedition.org/perspectiveschinoises/6371">radicalement changé</a>. La reconnaissance des cultures aborigènes – véritable cheval de bataille de l’actuelle présidente Tsai Ing-wen – répond à un double objectif : prendre ses distances avec le pesant héritage chinois et affirmer les singularités identitaires de l’île. Ses ramifications linguistiques contribuent au rayonnement historique de Taïwan, de même que les <a href="https://horizon.documentation.ird.fr/exl-doc/pleins_textes/divers17-07/010064324.pdf">liens de parenté de ses premiers habitants</a> avec des populations vivant en lointaine périphérie (Madagascar et Océanie). Il ne fait de doute pour personne que l’inauguration en 1994 à Taipei du <a href="http://www.museum.org.tw/symm_en/01.htm">ShungYe Museum of Formosan Aborigenes</a>, en face du Musée national du Palais, répondait déjà, dans son emplacement symbolique, à cet objectif.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1158307112604327938"}"></div></p>
<p>Par ailleurs, tous ceux qui sont hostiles à la perspective d’une réunification avec la Chine <a href="https://journals.openedition.org/perspectiveschinoises/6685">rappellent</a> que Taïwan a été profondément marquée par l’influence du Japon, dont elle fut une colonie de 1895 à 1945. Se manifestent donc dans la région les principales rivalités internationales du siècle, tant sur le plan des appartenances politiques que sur celui des singularités culturelles. Ces rivalités se mesurent notamment aux récurrentes <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/un-monde-d-avance/la-tension-monte-en-mer-de-chine-entre-pekin-et-washington_3581535.html">provocations navales</a> auxquelles la Chine se livre de façon répétée, avec une propension à faire fi du droit international dans les contentieux insulaires qui l’opposent à ses plus proches voisins. La pandémie de la Covid-19 a été dans cette partie du globe <a href="https://theconversation.com/asie-du-sud-est-et-asie-centrale-deux-laboratoires-strategiques-de-lexpansion-chinoise-137295">comme ailleurs</a> l’accélérateur d’une tendance semble-t-il irréversible.</p>
<h2>Poser les bases de l’hégémonie chinoise en Océanie</h2>
<p>Pékin cherche à légitimer son rôle de « grand pays en développement » capable d’investir (<a href="https://asialyst.com/fr/2016/04/11/la-chine-se-rappelle-au-bon-souvenir-de-la-diplomatie-du-chequier/">diplomatie du chéquier</a>) et de montrer aux autres pays en développement que son modèle lui a permis de sortir de la pauvreté sans avoir suivi la trajectoire des pays occidentaux. La continuité avec la <a href="https://www.cairn.info/la-politique-internationale-de-la-chine--9782724618051.htm">politique tiers-mondiste issue de Bandung (1955) est claire</a>.</p>
<p>Le régime vise également à empêcher la constitution d’une coalition anti-chinoise au sein des organisations internationales (il s’agit de dissiper l’idée d’une « menace chinoise » et de resserrer l’étau diplomatique autour de Taïwan). Cette dimension politique a porté ses fruits. Au début de l’année 2020, Taïwan n’est reconnu que par quinze États à travers le monde dont <a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/rising-china-and-future-blue-pacific">quatre dans le Pacifique</a> (Tuvalu, Nauru, Îles Marshall et Palau).</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1252663302573998081"}"></div></p>
<p>En outre, la RPC, dont la dépendance aux ressources naturelles et aux matières premières (ressources de la mer) s’est considérablement accrue depuis 25 ans, <a href="https://www.aspi.org.au/report/chinese-influence-pacific-islands">vise à sécuriser ses approvisionnements en pétrole, gaz, matières premières, ressources halieutiques et produits agricoles</a>. Le bassin Pacifique (de l’Australie aux espaces ultra-marins) compte beaucoup dans la stratégie et la sécurisation des approvisionnements.</p>
<p>Dans cette triple perspective, Pékin a réussi à intégrer onze États dans le projet BRI : Nouvelle-Zélande, Îles Cook, Micronésie, Fidji, Kiribati, Niue, Papouasie-Nouvelle-Guinée, Tonga, Vanuatu, Îles Salomon et Samoa. Seules Nauru, Palau, Tuvalu, les Îles Marshall et l’Australie <a href="https://www.lowyinstitute.org/publications/ocean-debt-belt-and-road-and-debt-diplomacy-pacific">n’ont pas adhéré au projet</a>. La grande majorité des micro-États insulaires sont pauvres, peu développés et ne disposent que d’infrastructures très lacunaires, en plus d’être géographiquement isolés. La diplomatie chinoise du <a href="https://chineseaidmap.lowyinstitute.org/">carnet de chèques</a>, proposant des infrastructures de base ou plus élaborées, en un temps record et dans des conditions opaques, facilite le développement de relations particulières avec les gouvernements des États du Pacifique Sud.</p>
<p>La Chine a su développer au cours des deux à trois dernières décennies en Asie-Pacifique un <a href="https://www.defensenews.com/global/asia-pacific/2019/08/19/china-grown-strong-enough-for-a-surprise-move-in-the-indo-pacific-think-tank-warns/">dynamisme diplomatique</a> à plusieurs échelles (de la frange asiatique aux espaces ultra-marins du Pacifique Sud). En 1976, six ans après l’indépendance des Fidji, Pékin investit l’archipel et développe progressivement ses liens diplomatiques avec les autres États jusqu’en 1989, où Pékin devient un partenaire du dialogue du <a href="https://www.forumsec.org/">Forum des Îles du Pacifique</a>, la première organisation politique régionale, regroupant les dix-huit États du Pacifique sud. Le projet BRI trouve un écho au sein de la plupart des organisations de la région : le <em>Regional Comprehensive Economic Partenrship</em> (RCEP), le format Asean +3, le Forum des Îles du Pacifique ou encore le cadre du <em>Pacific Islands Trade and Invest</em>.</p>
<h2>Jeu de go en Océanie</h2>
<p>Fin 2019, conformément à la dynamique de rupture des relations diplomatiques entre plusieurs pays qui jusqu’alors reconnaissaient Taïwan, les <a href="https://www.fmprc.gov.cn/mfa_eng/zxxx_662805/t1700930.shtml">Îles Salomon</a> de même que <a href="https://www.lepoint.fr/monde/taiwan-un-peu-plus-esseule-apres-la-decision-des-kiribati-de-reconnaitre-pekin-20-09-2019-2336837_24.php">Kiribati</a>, annonçaient la fin de leurs liens avec Taipei. Au lendemain de ce revirement géopolitique dans le Pacifique Sud, une délégation du gouvernement des Salomon était reçue à Pékin et s’apprêtait à formaliser un accord de location de la totalité de l’île de Tulagi – la présence de l’armée japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale témoigne de l’importance de cette île, bien que de taille très modeste, dans une perspective stratégique parce que carrefour de navigation et point d’appui et de projection de forces armées – à une <a href="https://www.tahitinews.co/index.php/2019/10/22/une-ile-de-2-km2-des-salomon-louee-par-un-mysterieux-groupe-industriel-chinois/">société chinoise basée dans la province du Fujian</a>.</p>
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<p>L’entreprise (China Sam Group) avait conclu (courant 2018) un contrat de location de cette île de 2 km<sup>2</sup> (1200 habitants) dans des conditions contractuelles floues et souhaitait développer un mouillage en eaux profondes, bénéficier d’un droit d’exploitation des ressources et développer une zone économique spéciale. Cette situation n’était pas sans rappeler la stratégie dite du <a href="https://mappemonde-archive.mgm.fr/num40/fig13/fig13405.html">« collier de perles »</a> mise en œuvre par Pékin en Asie du Sud-Est et dans l’Océan Indien. Il s’agit d’un développement de point d’appui de nature duale avec des objectifs militaires (<em>dual-use purpose for military objectives</em>) – capacité d’écoute, d’interception et de brouillage. L’accord sera cependant résilié en octobre 2019, le gouvernement des Salomon le jugeant <a href="https://www.tahiti-infos.com/L-archipel-des-Salomon-renonce-a-louer-une-ile-a-une-societe-chinoise_a186191.html">« illégal et inapplicable »</a> (la société chinoise ne bénéficiait pas du statut d’investisseur étranger, ce qui a permis d’annuler l’opération). D’autres exemples d’implantation chinoise présentent plusieurs éléments d’utilisation multiple, comme au <a href="https://www.reuters.com/article/us-vanuatu-australia-china/australia-aid-plane-to-vanuatu-delayed-as-chinese-plane-was-parked-at-port-vila-airport-idUSKCN21W10Q">Vanuatu</a>.</p>
<p>Acteur régional de premier plan dans la zone, l’Australie, qui a tout au long des années 2000 développé des <a href="https://www.aspistrategist.org.au/victorias-belt-and-road-initiative-deal-undermines-cohesive-national-china-policy/">liens importants avec la Chine</a> (milieux d’affaires, proximité de parlementaires australiens avec Pékin, activités extractives et agricoles, diaspora chinoise, etc.), revoit aujourd’hui sa politique régionale et ses relations avec la RPC. L’immixtion pékinoise dans les milieux politiques australiens <a href="https://www.lepoint.fr/monde/australie-l-ex-chef-du-contrespionnage-fustige-l-ingerence-de-pekin-22-11-2019-2348906_24.php">rendue publique par les services de renseignement du pays</a>, l’interdiction faite à la Chine de poser un câble sous-marin reliant les Salomon à la métropole de Sydney et la <a href="http://www.opex360.com/2019/06/25/le-port-de-darwin-controle-par-un-groupe-chinois-laustralie-songe-a-en-construire-un-autre-pour-ses-activites-militaires/">présence chinoise dans le port de Darwin</a> sont pour beaucoup dans l’attitude récente de Canberra qui réaffirme son rôle et sa position au sein de la région Indo-Pacifique ainsi que son appartenance au <a href="https://www.smh.com.au/world/north-america/greatest-peril-study-finds-australia-most-dependent-on-china-among-the-five-eyes-20200514-p54ssg.html">réseau <em>Five</em> <em>Eyes</em></a>.</p>
<p>L’Australie semble être le pays le plus en pointe de la <a href="https://navalinstitute.com.au/contest-for-the-indo-pacific-why-china-wont-map-the-future/">rivalité d’influence avec Pékin dans le Pacifique Sud</a>. Le premier ministre se veut <a href="https://www.aspistrategist.org.au/china-and-australia-face-off-in-irate-and-icy-pandemic-diplomacy/">plus proactif</a> dans la zone : première visite d’État aux Salomon puis au Vanuatu et aux Fidji depuis plus de quinze ans, création d’un ministère dédié au Pacifique, etc. En matière sécuritaire et de politique de défense, le <a href="https://www.la-croix.com/Economie/Entreprises/Sous-marins-Naval-Group-signe-contrat-siecle-Australie-2019-02-11-1201001783">« contrat du siècle »</a> portant sur la livraison de douze sous-marins à propulsion conventionnelle signé avec l’industriel français Naval Group illustre la course aux armements en lien avec la hausse du budget de la défense chinois, le développement d’une sous-marinade évoluant au-delà des chaînes d’îles et la montée en puissance stratégico-militaire de Canberra en Asie-Pacifique en partenariat avec l’allié traditionnel américain, mais aussi les partenaires français et <a href="https://theprint.in/world/pm-modi-discusses-healthcare-trade-defence-with-australia-pm-morrison-in-online-summit/435346/">indien</a>. On l’aura compris : en Océanie, la Chine n’a pas encore gagné la partie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/140463/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Véron est délégué général du Fonds de dotation Brousse dell'Aquila (FDBDA).</span></em></p><p class="fine-print"><em><span>Emmanuel Lincot ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La Chine cherche à accroître son influence dans le Pacifique et spécialement en Océanie. Une politique qui ne va pas sans susciter de résistance, notamment de la part de l’Australie.Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Emmanuel Lincot, Spécialiste de l'histoire politique et culturelle de la Chine contemporaine, Institut catholique de Paris (ICP)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1288792019-12-18T18:19:23Z2019-12-18T18:19:23ZTout quitter pour les îles : simple tocade ou véritable phénomène sociétal ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/307391/original/file-20191217-58292-2styaz.jpg?ixlib=rb-1.1.0&rect=63%2C15%2C5240%2C2966&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les petites îles attirent pour de multiples raisons, mais surtout car elles incarnent des lieux où il semble possible de retrouver une qualité de vie perdue. Raiatea, 2018 </span> <span class="attribution"><span class="source">Nathalie Bernardie-Tahir</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><blockquote>
<p>« J’étais traiteur, restauration-traiteur, à Paris. J’en avais marre de travailler comme un fou, d’employer des gens et puis à la fin du mois il me restait plus rien. Ça m’a un peu gavé donc j’ai tout laissé tomber et je suis parti avec mes économies. J’ai monté une rôtisserie, c’est marrant, une rôtisserie de poulets en Nouvelle-Calédonie. J’y suis resté six ans et puis après je suis venu ici, en Polynésie. » (S, Raiatea)</p>
</blockquote>
<p>Tout quitter pour vivre autre chose, autrement, autre part, sur une île… qui n’en a pas rêvé un jour sans jamais oser faire le pas ?</p>
<p>Si ce témoignage relève à première vue d’une tocade isolée, de l’exception qui confirme la règle, la multitude des expériences de ce genre observées dans un grand nombre d’îles, en Bretagne, en Méditerranée, dans la Caraïbe ou en Polynésie française laisse penser qu’il ne s’agit pas d’un épiphénomène.</p>
<p>Bien sûr, il serait caricatural d’y voir, pour l’heure, une lame de fond inversant le sens des mobilités dominantes longtemps polarisées par les centralités métropolitaines.</p>
<p>Pour autant, dans nos sociétés occidentales globalisées, hyper-métropolisées et hyper-connectées, des hommes, des femmes, des familles, sont de plus en plus nombreux à quitter les centres et à rompre avec des vies urbaines fébriles et turbulentes.</p>
<p>Ils font le choix d’un <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/12/13/la-france-des-contre-societes-et-des-oasis_6022697_3232.html">projet de vie alternatif</a>, marqué par de nouvelles unités de temps et de lieu.</p>
<p>Ce ne sont plus désormais des opportunités d’emplois qui constituent le moteur de leur mobilité, mais d’abord et avant tout la recherche d’un environnement préservé et de relations humaines plus fortes.</p>
<h2>L’insularité, un puissant réservoir d’imaginaire</h2>
<p>Les îles, du moins certaines d’entre elles, offrent à cet égard un <a href="https://www.editionspetra.fr/livres/lusage-de-lile">terrain d’étude privilégié</a>.
De fait, après des décennies de déclin économique, de déprise démographique et de marginalisation sociale et politique, liés pour l’essentiel aux contraintes de l’isolement et de l’exiguïté, certaines petites îles sont aujourd’hui le théâtre d’une reprise sensible, expression d’un changement de regard des sociétés occidentales et d’une nouvelle forme d’attractivité territoriale.</p>
<p>Précisons d’emblée que ce mouvement de retour/renaissance n’est pas l’apanage des petits territoires insulaires et s’observe plus largement dans un grand nombre d’espaces ruraux <a href="https://www.theses.fr/2014LIMO0026">européens</a> ou <a href="http://www.theses.fr/2019LIMO0003">américains</a>.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/gENrutTpgeQ?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
<figcaption><span class="caption">Il existe un regain pour les modes de vie alternatifs et autonomes en Europe ou aux États-Unis.</span></figcaption>
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<p>Pour autant, l’insularité forme un puissant réservoir d’imaginaire fondé sur une altérité objectivée par l’apparente discontinuité marine. En d’autres termes, l’île affiche une différence paraissant d’autant plus évidente et « naturelle » qu’elle se voit, matérialisée par la barrière marine qui la sépare du continent.</p>
<p>La topographie tend ainsi à essentialiser une topologie spécifique, faisant de l’île le lieu de toutes les utopies, au sens de l’étymologie grecque <em>u-topos</em> (sans lieu, nulle part) <a href="http://journals.openedition.org/clio/1762">explorée par Thomas More</a>.</p>
<p>La prégnance des représentations occidentales de l’idéalité insulaire joue ainsi incontestablement un rôle important dans ce renouveau des îles comme lieux où une nouvelle vie, plus harmonieuse et humaniste, est possible.</p>
<h2>La Polynésie française attire des profils variés</h2>
<p>La Polynésie française, sans doute plus encore que tout autre espace insulaire ou archipélagique, incarne, pour les non-Polynésiens, à la fois la distance, l’isolement, et une forte puissance représentationnelle.</p>
<p>Qui sont donc ces nouveaux « nomades des îles » rencontrés à Raiatea et à Tahaa dans l’archipel des Iles-Sous-Le-Vent, ou encore à Rurutu dans les Australes ?</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/307177/original/file-20191216-124041-1jyp64l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/307177/original/file-20191216-124041-1jyp64l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/307177/original/file-20191216-124041-1jyp64l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=523&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/307177/original/file-20191216-124041-1jyp64l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=523&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/307177/original/file-20191216-124041-1jyp64l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=523&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/307177/original/file-20191216-124041-1jyp64l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=657&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/307177/original/file-20191216-124041-1jyp64l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=657&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/307177/original/file-20191216-124041-1jyp64l.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=657&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Carte des îles de Polynésie française.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Nathalie Bernardie-Tahir</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Les profils sont très variés, comme les <a href="https://www.unilim.fr/recherche/2017/11/13/envidiles/">enquêtes</a> menées dans le cadre du programme de recherche ENVId’îles ont pu le montrer : des profs du secondaire en contrat pour deux ou quatre ans, des personnels (para-)médicaux (infirmier·e·s, médecins, ostéopathes, kiné, sages-femmes…), des retraités, des plaisanciers au long cours qui, des années durant, ont sillonné les mers du monde avant de jeter l’ancre en Polynésie, des woofers, des entrepreneurs, des jeunes, des moins jeunes, des femmes, des hommes, seuls ou en famille…</p>
<p>Bien sûr, il y a dans leurs récits des fêlures personnelles, des ruptures ou accidents de la vie qui ont souvent précipité ces changements de cap et les ont conduits non seulement à tout quitter, mais aussi à s’installer le plus loin possible pour (se) reconstruire – la Polynésie étant de ce point de vue l’espace idéal aux antipodes de la Métropole.</p>
<p>Pour autant, quels que soient leur trajectoire personnelle et leur milieu social et professionnel, ils ont en partage un certain idéal : retrouver une qualité de vie perdue. Celle-ci se décline diversement.</p>
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<figcaption><span class="caption">S’expatrier en Polynésie française, un projet pas si fou que ça….</span></figcaption>
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<h2>Une nature fantasmée</h2>
<p>La recherche d’un environnement naturel préservé en constitue indiscutablement l’une des premières facettes. Pour la majeure partie d’entre eux, l’île se confond même avec la nature qui revêt tout à la fois une dimension esthétique forte et constitue un support de pratiques sportives réalisées pour une grande part dans le lagon et en mer.</p>
<blockquote>
<p>« Moi, je préfère me réveiller le matin et voir le lagon, prendre le kayak pour aller juste en face… les couleurs du lagon, ça va du bleu au vert… c’est beau. Je ramasse du bois flotté, des coquillages… Je préfère ça que de me réveiller dans mon 25m<sup>2</sup> à Paris. » (A, Raiatea).</p>
</blockquote>
<p>Retisser du lien social, repenser un vivre-ensemble à l’échelle familiale ou plus élargie participent également de ce nouveau projet de vie. Nombreux sont ceux qui évoquent la qualité des relations humaines tout d’abord entre les enfants et les parents (« voir ses enfants grandir » est une phrase récurrente), mais aussi avec les îliens ou avec les autres nouveaux arrivants au travers de nombreux moments festifs en fin de journée ou de semaine. Ce changement de vie passe aussi par une rupture – à des degrés divers, certes – avec la société de consommation, au profit d’une vie plus sobre.</p>
<blockquote>
<p>« On n’a pas du tout les mêmes besoins ici. Les besoins primaires c’est d’aller à la pêche, de manger, de se reposer, d’aller faire un petit tour au motu [petit îlot situé sur la barrière récifale, nda]. » (P, Raiatea).</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/307201/original/file-20191216-124041-s7i6u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/307201/original/file-20191216-124041-s7i6u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/307201/original/file-20191216-124041-s7i6u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/307201/original/file-20191216-124041-s7i6u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=600&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/307201/original/file-20191216-124041-s7i6u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/307201/original/file-20191216-124041-s7i6u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/307201/original/file-20191216-124041-s7i6u3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=754&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Rangiroa, Polynésie Française.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/pom-angers/32947392238">Pom’/Flickr</a></span>
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</figure>
<h2>Une sobriété plus ou moins choisie</h2>
<p>Délibérément choisie ou parfois aussi un peu subie, cette sobriété affichée est dans bien des cas la rançon d’un projet individuel ou familial qui passe souvent par une perte de revenus et un processus de déclassement économique.</p>
<blockquote>
<p>« On a beaucoup vécu sur la maison qu’on avait vendue. On avait acheté un petit appartement avec cet argent-là, plus le bateau, et l’argent de la location de l’appartement nous a permis de vivre assez chichement. Ce qui est intéressant aussi parce que tu vas beaucoup plus à l’essentiel. » (A, Raiatea)</p>
</blockquote>
<p>Ces petits territoires insulaires semblent donc continuer à servir de scène au déploiement de nouvelles utopies sociétales, dont il convient malgré tout de nuancer la portée et le périmètre et d’en souligner les apports et les déviances potentielles.</p>
<p>Celles-ci émanent en effet le plus souvent d’élites occidentales, disposant pour l’essentiel de forts capitaux sociaux et culturels. Ces groupes sociaux arrivent dans ces territoires avec des représentations et des positionnements spécifiques qui induisent des recompositions sociales et territoriales significatives.</p>
<p>Leurs divers investissements en font des acteurs à part entière de la vie locale, contribuant au développement de l’économie, à la dynamique associative ou encore à la protection environnementale.</p>
<p>Toutefois, leurs regards et leurs pratiques peuvent se révéler en décalage complet avec les modes de fonctionnement des îliens dont une majorité dispose de faibles capitaux économiques et sociaux. L’installation de ces nouveaux arrivants introduit ainsi de nouveaux rapports de domination sociale et politique qui invite à relire les nouvelles modalités de ce vivre ensemble à l’aune d’une réflexion nécessairement <a href="http://journals.openedition.org/norois/6077">critique et postcoloniale</a>.</p>
<p>Si les îles continuent de fasciner les occidentaux en mal de nature et de relations humaines, elles restent d’abord et avant tout des espaces de vie aux aspérités concrètes pour ceux qui les pratiquent au quotidien. « Ceux qui vivent dans l’île sont rarement ceux qui en rêvent » <a href="https://www.persee.fr/doc/spgeo_0046-2497_1990_num_19_2_2961">écrivait</a> Joël Bonnemaison (1990).</p>
<hr>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/304237/original/file-20191128-178107-ytiu6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/304237/original/file-20191128-178107-ytiu6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=343&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/304237/original/file-20191128-178107-ytiu6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=343&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/304237/original/file-20191128-178107-ytiu6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=343&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/304237/original/file-20191128-178107-ytiu6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=431&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/304237/original/file-20191128-178107-ytiu6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=431&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/304237/original/file-20191128-178107-ytiu6e.png?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=431&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article s’inscrit dans le cadre du colloque #Îles2019 du 14 au 19 octobre qui s’est tenu à Brest, Ouessant, Molène et Sein co-organisé par la Fondation de France, l’Université de Bretagne Occidentale et l’Association des Îles du Ponant. Premier réseau de philanthropie en France, la <a href="https://www.fondationdefrance.org/fr">Fondation de France</a> réunit, depuis 50 ans et sur tous les territoires, des donateurs, des fondateurs, des bénévoles et des acteurs de terrain. À chacun, elle apporte l’accompagnement dont il a besoin pour que son action soit la plus efficace possible.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/128879/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Nathalie Bernardie Tahir est coordinatrice du programme de recherche ENVId’îles (2017-2020), soutenu par la Fondation de France, et qui s’attache à étudier les représentations et projets de vie des nouveaux arrivants dans les îles de Polynésie française.</span></em></p>Tout quitter pour vivre autre chose, autrement, autre part, sur une île… qui n’en a pas rêvé un jour sans jamais oser faire le pas ?Nathalie Bernardie Tahir, Professeure de géographie, Présidente de l'Université des Mascareignes (Maurice), Université de LimogesLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1180602019-06-06T19:57:58Z2019-06-06T19:57:58ZS’inspirer des traditions polynésiennes pour préserver l’océan<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/278180/original/file-20190605-40738-1l9jdtp.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Introduire des pratiques de gestion durable de l'océan est devenu impératif. Ici, vue sous un épais radeau de sargasses (algues brunes).</span> <span class="attribution"><span class="source">Sandrine Ruitton/IRD</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><p>Un <a href="http://www.fao.org/3/a-i5555f.pdf">tiers</a> des stocks de poissons est surexploité à l’échelle mondiale ; <a href="http://www.mission-economie-biodiversite.com/publication/marin">plus de 150 millions de tonnes</a> de plastiques polluaient l’océan en 2018 ; les coraux sont <a href="https://www.nationalgeographic.fr/environnement/les-recifs-coralliens-pourraient-disparaitre-avant-2050">massivement menacés</a> d’extinction d’ici 2050… L’heure n’est plus à la surprise en ce qui concerne l’horizon alarmant qui guette le poumon bleu de la planète.</p>
<p>Pourtant, des initiatives locales de gestion des espaces marins apparaissent prometteuses. Que nous apprennent-elles sur la gouvernance des ressources naturelles partagées ? Comment s’en inspirer à plus grande échelle, en particulier dans les zones au-delà des juridictions nationales, qui couvrent pas moins de 60 % de la surface océanique ?</p>
<h2>À Tahiti, la renaissance d’un rāhui marin</h2>
<p>Quelle ne fut pas la surprise des navigateurs anglais de passage sur des îles de l’actuelle Polynésie française à la fin du XVIII<sup>e</sup> siècle lorsqu’ils découvrirent différentes pratiques du <a href="https://hal-univ-perp.archives-ouvertes.fr/hal-01298590/document">« rāhui »</a> ! De William Anderson, témoin d’un interdit temporaire sur l’abattage des porcs édicté par un chef allié local en amont de l’arrivée d’un navire anglais… Ou encore de James Morrison, qui décrit des embargos sur les zones maritimes en temps de pénurie, cérémonieusement levés des mois à des années plus tard une fois les ressources régénérées.</p>
<p>Fortes d’une tradition orale, ces pratiques anciennes s’apparentent à la mise en jachère de ressources communes. Elles trouvent une forme nouvelle dans les sociétés polynésiennes modernes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/278176/original/file-20190605-40747-1ol67o6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/278176/original/file-20190605-40747-1ol67o6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=351&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/278176/original/file-20190605-40747-1ol67o6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=351&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/278176/original/file-20190605-40747-1ol67o6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=351&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/278176/original/file-20190605-40747-1ol67o6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=441&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/278176/original/file-20190605-40747-1ol67o6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=441&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/278176/original/file-20190605-40747-1ol67o6.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=441&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Reportage sur le rāhui à Teahupo'o, réalisé à l'occasion de la COP 21.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://www.dailymotion.com/video/x38luwd">Polynésie 1ère</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/">CC BY-NC-ND</a></span>
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<p>À Teahupo’o, commune au sud-est de l’île de Tahiti dans l’océan pacifique, un rāhui est formellement <a href="https://www.dailymotion.com/video/x38luwd">mis en place en 2014</a>. Un comité de gestion à spectre large est alors constitué, réunissant le maire et les services publics, des agriculteurs, des pêcheurs, les métiers du tourisme, des riverains, écoles, des représentants culturels et de l’environnement. Ensemble, ils délimitent une zone de rāhui de 700 hectares, décident des règles et optent pour l’interdiction complète de son accès hormis sur une étroite portion littorale.</p>
<p>Le rāhui de Teahupo’o porte déjà ses fruits. Les suivis écologiques « montrent une reprise substantielle de la densité de poissons […] et une augmentation de leur biomasse ». Le comité de gestion et la population « sont fiers de leur rāhui qu’ils considèrent comme une adaptation contemporaine [d’anciennes pratiques] ». À l’aune de ces constats, le rāhui est renouvelé en 2017 pour une période de trois ans.</p>
<p>Cette expérience illustre une volonté et une dynamique communes de préserver à une échelle locale l’océan et ses ressources.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-rahui-polynesien-au-secours-de-lenvironnement-73382">Le « rahui » polynésien au secours de l’environnement</a>
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<h2>Le prisme des communs</h2>
<p>Dans la lignée des travaux de la politologue et économiste Elinor Ostrom, lauréate du prix Nobel d’économie en 2009, les « communs » caractérisent des modèles de gestion de ressources partagées où une communauté d’usagers et/ou d’intérêt élabore des règles spécifiques afin d’assurer un usage durable des ressources communes.</p>
<p>Le rāhui de Teahupo’o renvoie à de nombreux égards à ces dynamiques. Les différents membres concernés par l’espace marin « font communauté » pour décider collectivement de règles qu’ils s’approprient et respectent. La surveillance est prise en charge par les mêmes parties prenantes et les sanctions sont progressives. En résulte un écosystème préservé dont les usagers prennent soin.</p>
<p>La gestion durable de l’océan dépasse toutefois largement les échelles locales au niveau desquelles les communs sont généralement pensés. Elle touche des usages concurrentiels – pêcheries, énergies off-shore, exploitation des ressources minières, etc. – et des préoccupations multiples – gestion des polluants, conservation de la biodiversité, etc. Aborder ces problématiques par les communs permet de porter un regard neuf sur cette question.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/277588/original/file-20190603-69059-cy0rxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/277588/original/file-20190603-69059-cy0rxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/277588/original/file-20190603-69059-cy0rxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/277588/original/file-20190603-69059-cy0rxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/277588/original/file-20190603-69059-cy0rxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/277588/original/file-20190603-69059-cy0rxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/277588/original/file-20190603-69059-cy0rxg.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Banc de poissons comètes saumons, expédition Sargasses 2017.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Sandrine Ruitton/IRD</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Au large, des espaces marins partagés</h2>
<p>Malgré sa connectivité écologique, l’océan est parsemé de frontières juridiques invisibles. La <a href="https://www.un.org/depts/los/convention_agreements/texts/unclos/unclos_f.pdf">Convention</a> des Nations unies sur le droit de la mer (dite de Montego Bay, 1982) situe à plus de 200 miles nautiques des côtes (370 km) les zones « au-delà de la juridiction nationale ». Ces espaces « partagés » ne peuvent pas être soumis à la souveraineté des États.</p>
<p>La haute mer, qui correspond à la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Colonne_d%27eau">colonne d’eau</a>, est principalement régie par le principe de liberté des mers hérité du XVII<sup>e</sup> siècle, alors que les fonds marins et leurs ressources minérales (la « Zone ») portent le statut de « patrimoine commun de l’humanité ». Cela soumet leur exploration et leur exploitation à l’obtention d’un permis décerné par l’<a href="https://www.isa.org.jm/fr/contractants-des-fonds-marins">Autorité internationale des fonds marins</a>. Les règles qui régissent ces espaces communs dépendent aussi des secteurs – transport, pêche, mines, etc.</p>
<p>Aujourd’hui, il n’existe pas de mécanisme permettant de traiter leur gestion de manière intégrée, notamment sur les questions de protection de la biodiversité. Les mandats sont dispersés. Pour n’en citer que quelques-uns : une vingtaine d’organisations régionales de gestion de la pêche (<a href="https://www.cbd.int/doc/meetings/mar/soiom-2016-01/other/soiom-2016-01-fao-19-en.pdf">ORGP</a>) établissent des normes pour réguler certaines pêcheries en haute mer ; l’<a href="http://www.imo.org/fr/Pages/Default.aspx">Organisation maritime internationale</a> gère, entre autres, le transport et les pollutions d’origine maritime ; différentes <a href="http://www.aires-marines.fr/Partager/Mers-regionales-et-accords-internationaux">Conventions pour les mers régionales</a> visent à protéger, au niveau régional, les environnements marins, en englobant parfois des zones hors juridictions nationales.</p>
<p>Face à cette fragmentation des acteurs et des institutions, une <a href="https://www.un.org/bbnj/">conférence intergouvernementale</a> s’est ouverte en septembre 2018 à l’ONU pour négocier l’élaboration d’un accord sur la biodiversité marine au-delà des zones de juridiction nationale. Qu’apportent finalement les communs à ces réflexions ?</p>
<h2>Haute mer et fonds marins : qui est concerné ?</h2>
<p>Les communs nous invitent d’abord à nous pencher sur les communautés qui utilisent ou s’intéressent aux ressources partagées.</p>
<p>Aujourd’hui et au-delà des juridictions nationales, les communautés concernées par la haute mer et les fonds marins sont loin d’être homogènes. Les acteurs sont divers et nombreux. <a href="https://advances.sciencemag.org/content/4/6/eaat2504">À titre d’exemple</a>, 3 620 bateaux ont été identifiés en 2016 comme ayant pêché en haute mer, parmi lesquels 77 % sont issus de six pays (Chine, Taiwan, Japon, Indonésie, Espagne, Corée du Sud).</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/277584/original/file-20190603-69055-n70gz8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/277584/original/file-20190603-69055-n70gz8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/277584/original/file-20190603-69055-n70gz8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=818&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/277584/original/file-20190603-69055-n70gz8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=818&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/277584/original/file-20190603-69055-n70gz8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=818&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/277584/original/file-20190603-69055-n70gz8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=1028&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/277584/original/file-20190603-69055-n70gz8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=1028&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/277584/original/file-20190603-69055-n70gz8.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=1028&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Le plancton, champion de la biodiversité sur la planète.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Christian Sardet/Tara Oceans/CNRS/Chroniques du Plancton</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Près d’une <a href="https://www.isa.org.jm/fr/contractants-des-fonds-marins">trentaine de permis</a> a été distribuée par l’Autorité internationale des fonds marins à des États ou des entreprises sponsorisées par leur gouvernement pour l’exploration des modules polymétalliques, des sulfures polymétalliques et des agrégats ferromanganèses riches en cobalt dans les fonds marins.</p>
<p>Dans l’ensemble, ces usages sont aux mains d’une poignée d’États et d’acteurs du secteur privé. La communauté internationale est souvent invoquée quand il s’agit de traiter de la gouvernance des zones au-delà de la juridiction nationale. Quand <a href="https://www.eunomia.co.uk/reports-tools/plastics-in-the-marine-environment/">80 %</a> des déchets plastiques dans l’océan sont d’origine terrestre et que <a href="https://www.ufz.de/index.php?en=36336&webc_pm=34/2017">90 %</a> proviennent de dix fleuves, d’autres insistent sur la responsabilité de tout un chacun.</p>
<p>Au-delà des communautés « d’origine » issues du monde maritime, l’humanité entière forme alors une communauté de destin dont le sort est lié à l’océan. C’est notamment le message porté depuis 2018 par <a href="http://www.catherinechabaud.fr">Catherine Chabaud</a>, navigatrice engagée, dans son appel <a href="https://oceanascommon.org">« Océan, bien commun de l’humanité »</a>.</p>
<p>Identifier et saisir ces multiples communautés d’usagers et d’intérêts, comprendre leurs rapports ainsi que leur mobilisation dans la gestion de l’océan constituent des pistes de réflexion indispensables.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/fhd2rAbQNaA?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<h2>Comment éviter l’accaparement des ressources ?</h2>
<p>Les communs nous invitent aussi à dépasser la propriété privée exclusive et à réfléchir en termes de faisceaux de droits, construits en fonction des besoins. Cette grille est particulièrement prometteuse pour les ressources marines génétiques, qui peuvent être accaparées selon la logique du « premier arrivé, premier servi ». Les secteurs d’activités qu’elles attisent sont nombreux. Industries pharmaceutiques, biotechnologiques et alimentaires investissent dans la bio-prospection afin de récolter des matériaux pour développer des produits pouvant faire l’objet de licences.</p>
<p>Aujourd’hui, aucun brevet n’a été déposé sur un organisme génétique présent uniquement dans des zones au-delà de la juridiction nationale. Mais l’analyse des licences sur les ressources marines, quelle que soit leur origine, révèle d’ores et déjà des dynamiques de domination. 84 % des brevets seraient détenus sur un grand échantillon de ressources marines génétiques par des entreprises privées, et près de la moitié par le seul groupe chimique allemand <a href="https://www.basf.com/fr/fr.html">BASF</a>.</p>
<p>Protéger les ressources marines de ces phénomènes d’accaparement, c’est mettre en place un ensemble d’outils juridiques qui lient les partenaires, permettent l’accès à de l’information partagée et écartent les clauses d’exclusivité.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/277590/original/file-20190603-69071-rk10p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/277590/original/file-20190603-69071-rk10p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/277590/original/file-20190603-69071-rk10p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/277590/original/file-20190603-69071-rk10p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/277590/original/file-20190603-69071-rk10p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/277590/original/file-20190603-69071-rk10p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/277590/original/file-20190603-69071-rk10p2.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=565&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Chaîne de diatomées pennée et aquarelle. Groupe d’algues le plus riche en espèces, les diatomées produisent, via la photosynthèse, presque autant d’oxygène que les forêts tropicales.</span>
<span class="attribution"><span class="source"> Sophie Marro et Christian Sardet/Tara Oceans/CNRS/Chroniques du Plancton, aquarelle Céline Bricard</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<h2>Au-delà des États, au-delà du marché</h2>
<p>Les communs ouvrent des questions pertinentes sur la gouvernance de l’océan. Comme pour le climat, un des grands défis est de sortir des logiques <em>top-down</em> afin de mener à une mobilisation à tous les niveaux.</p>
<p>Les débats engagés à l’ONU autour de la protection de la biodiversité marine au-delà des juridictions nationales font écho à ces enjeux. Qui est concerné par ces biens communs planétaires ? Qui doit participer à leur gouvernance ? Comment imaginer de nouvelles modalités hybrides en commun qui traversent les échelles et mobilisent l’ensemble des acteurs ?</p>
<p>Ces questions sont ouvertes et méritent, en la journée mondiale de l’océan du 8 juin et bien au-delà, toute notre attention.</p>
<hr>
<p><em>À lire, pour aller plus loin : <a href="https://www.auventdesiles.pf/catalogue/collections/sciences-humaines/communs-et-oceans-le-rahui-en-polynesie/">« Communs et océan : le rāhui en Polynésie »</a>.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/118060/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Pollutions, surexploitations, compétitions, l’avenir de l’océan est alarmant. Alors que la journée du 8 juin lui est dédiée, apprenons des initiatives locales pour sa gestion durable.Stéphanie Leyronas, Chargée de recherche sur les communs, Agence française de développement (AFD)Janique Etienne, Chargée de mission « eaux internationales » Fonds Français pour l'Environnement Mondial (FFEM), Agence française de développement (AFD)Nadège Legroux, Doctorante AFD-SENS, Agence française de développement (AFD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/1061142018-11-01T21:18:19Z2018-11-01T21:18:19ZNouvelle-Calédonie, un vote suivi de très près dans la région Pacifique<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/243475/original/file-20181101-83654-2ngwsa.png?ixlib=rb-1.1.0&rect=5%2C1%2C1192%2C788&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Le vote du 4 novembre intervient trente ans après la signature des accords de Matignon.</span> <span class="attribution"><span class="source">Shutterstock</span></span></figcaption></figure><p>Une consultation historique va avoir lieu, <a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/new-caledonia-independence-vote-looms">ce dimanche 4 novembre 2018</a>, sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie, le voisin le plus proche de la côte est de l’Australie.</p>
<p>Ce vote marque la dernière étape d’un processus politique engagé à la fin des années 1980 pour éteindre le conflit sur l’île, et qui a engendré trente années de stabilité et de croissance économique.</p>
<p>Le scrutin du 4 novembre, tout en permettant au gouvernement français de tenir son engagement, <a href="https://press.anu.edu.au/node/217/download">ravive des tensions locales profondément ancrées</a> et inaugure une période d’incertitude pour la Nouvelle-Calédonie elle-même, bien sûr, mais aussi pour la France, l’Australie et la région Pacifique toute entière.</p>
<h2>Pourquoi ce vote maintenant ?</h2>
<p><a href="http://bellschool.anu.edu.au/sites/default/files/publications/attachments/2017-12/dpa_ib2017_40_robertson.pdf">Lors du référendum sur la Constitution en 1958</a>, la vaste majorité des Calédoniens (98 %) ont voté en faveur du maintien de leur territoire au sein de la République française, en grande partie du fait de la promesse du gouvernement de l’époque de leur accorder davantage d’autonomie.</p>
<p>Toutefois, dans les années 1960 et 1970, au moment où les Calédoniens ont voulu engager des intérêts étrangers dans l’exploitation des mines de nickel, la France a renié une grande partie de ses engagements. Pour mener à bien le développement de cette industrie et pour assurer la prédominance de la population européenne sur celle des autochtones, <a href="http://histoirecoloniale.net/Nouvelle-Caledonie-le-reve-de.html">tout en préservant sa souveraineté</a>, Paris a encouragé l’immigration en provenance de l’hexagone et d’autres territoires de la République.</p>
<p>Durant la décennie 1980, la montée de la frustration chez les Kanaks a débouché sur des manifestations violentes, et un <a href="https://www.radionz.co.nz/international/pacific-news/361877/new-caledonia-labour-party-opts-out-of-independence-referendum">appel au boycott d’un vote sur l’indépendance en 1987</a>, puis sur une confrontation sanglante avec la gendarmerie <a href="http://articles.latimes.com/1988-05-06/news/mn-2981_1_sacred-cave">à Ouvéa</a> en 1988.</p>
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<p><iframe id="I5xCH" class="tc-infographic-datawrapper" src="https://datawrapper.dwcdn.net/I5xCH/2/" height="400px" width="100%" style="border: none" frameborder="0"></iframe></p>
<hr>
<p>Cet événement tragique, qui eut lieu alors que la politique française dans la zone Pacifique Sud faisait l’objet de vives critiques, conduisit Paris à changer de stratégie. Ce changement d’approche devait déboucher sur la signature <a href="http://www.mncparis.fr/uploads/accords-de-matignon_1.pdf">des accords de Matignon</a>, en 1988, avec les partisans et les opposants à l’indépendance. Ceux-ci établirent de <a href="https://ir.canterbury.ac.nz/handle/10092/4728">nouvelles institutions locales</a> et la création de trois provinces, dont deux peuplées majoritairement par les Kanaks. Ce document prévoyait aussi un vote sur l’indépendance en 1998.</p>
<p>Mais à l’approche de cette échéance, les deux parties convinrent que le risque de violence était trop élevé pour pouvoir organiser la consultation. Un nouvel accord fut alors signé (l’<a href="https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000555817">accord de Nouméa</a>), reportant le vote de vingt ans en échange de nouvelles délégations de pouvoir aux autorités locales.</p>
<p>Depuis lors, de <a href="http://politicsir.cass.anu.edu.au/centres/ces/research/publications/france-south-pacific-countdown-new-caledonia-review-implementation-noumea">nombreux progrès ont été accomplis</a> sur place. <a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/new-caledonia-slow-progress-defining-its-future">Deux nouvelles usines</a> ont été construites et une partie des revenus tirés de l’exploitation du nickel ont été redistribués en faveur des autorités locales.</p>
<p>Toutes les parties ont accepté de travailler main dans la main dans le cadre d’un « destin commun » incluant toutes les communautés de l’île. Et malgré certains appels en faveur d’un nouveau report du vote, en raison du risque supposé de violence, un accord a été trouvé pour sa tenue.</p>
<h2>A quoi peut-on s’attendre ?</h2>
<p>Le vote du 4 novembre est le début d’un processus qui peut durer jusqu’à quatre ans. Les Calédoniens ayant le droit à voter dans cette consultation (les autochtones et des résidents de longue date) sont appelés à répondre à la question suivante :</p>
<blockquote>
<p>« Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? »</p>
</blockquote>
<p>Si la réponse est négative, un deuxième vote pourrait intervenir en 2020 et, en cas de vote à nouveau négatif, un troisième en 2022. Si le « non » devait l’emporter au final, la France devrait alors lancer de nouvelles discussions sur l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.</p>
<p>Selon de récents sondages, environ 60 % des électeurs ayant le droit de voter dans cette consultation pourraient se prononcer contre l’indépendance ce dimanche. <a href="http://dpa.bellschool.anu.edu.au/experts-publications/publications/6459/dp-201808-exploring-kanak-vote-eve-new-caledonias">Mais le doute subsiste</a>, à moyen terme, sur le vote des Kanaks, dont l’inscription se fait automatiquement sur les listes locales. Les dirigeants indépendantistes considèrent en effet qu’une hausse limitée de la population pourrait leur garantir un vote positif à l’horizon 2022.</p>
<p>La France s’est montrée proactive ces dernières années. Le dialogue mené avec tous les acteurs locaux a donné lieu à la publication de deux rapports, en <a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/new-caledonia-wrestles-its-future">2013</a> et en <a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/new-caledonia-prepares-future-two-steps-forward-one-step-back">2016</a>. Fin 2017, Paris a mis en place un Groupe de dialogue sur le chemin de l’avenir de la Nouvelle-Calédonie. <a href="https://www.radionz.co.nz/international/pacific-news/369401/french-pm-to-be-in-new-caledonia-just-after-vote">Le premier ministre, Édouard Philippe</a>, a déjà annoncé qu’il serait sur l’île, dès le lendemain du référendum, le 5 novembre, pour poursuivre les discussions.</p>
<p>Sur le plan politique, on assiste depuis 1998 à un processus de fragmentation des blocs pro et anti-indépendance. Les élections territoriales ont en effet révélé un soutien croissant de l’opinion aux partis indépendantistes, entamant d’autant la majorité qui perdure en faveur du maintien dans le giron de la France. De chaque côté, on distingue un bloc de partis modérés, qui cohabite avec une frange plus extrême, des indépendantistes radicaux et des pro-France inconditionnels.</p>
<p><a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/new-caledonia-future-takes-shape">Un terrain d’entente</a> semble se dessiner entre les partis modérés de chaque côté du spectre sur un statut d’autonomie dans le cadre d’un partenariat avec la France. Mais la tenue de la consultation et le processus de dialogue politique sont quelque peu brouillés par les élections provinciales de mai 2019, qui pourraient bien modifier les rapports de force à la suite du premier vote sur l’indépendance.</p>
<p>Comme le soulignait récemment l’un des principaux artisans de l’accord de Nouméa, <a href="https://www.lnc.nc/article/nouvelle-caledonie/referendum-2018/politique/l-annee-2019-va-etre-plus-decisive-que-le-referendum">Alain Christnacht</a>, la principale menace réside dans le retour de la violence. Celle-ci n’atteindrait sans doute pas les niveaux des années 1980, mais elle pourrait compromettre la stabilité et la croissance économique du territoire. Il a ajouté que toute solution « bâtie contre une très grande majorité des Kanaks serait certainement peu durable ».</p>
<h2>Comment pourraient réagir la France, l’Australie et les nations du Pacifique ?</h2>
<p>Paris, qui a promis l’organisation d’un vote totalement transparent et légitime, a tout intérêt, <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/sites/sciencespo.fr.ceri/files/Etude_216.pdf">d’un point de vue stratégique</a>, à conserver dans son giron la Nouvelle-Calédonie. Il s’agit de son joyau dans le Pacifique, et sa perte pourrait susciter un <a href="http://www.pina.com.fj/?p=pacnews&m=read&o=20277331535bce47e436db2e2a0946">effet d’entraînement en Polynésie et ailleurs</a>.</p>
<p><a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/french-choreography-pacific">Lors de sa visite sur place</a>, en mai 2018, le <a href="http://www.elysee.fr/declarations/article/discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-sur-la-nouvelle-caledonie-a-noumea/">Président Macron a déclaré</a> que la France serait moins « belle » sans la Nouvelle-Calédonie et indiqué que la consultation du 4 novembre 2018 représentait un « choix souverain… dans la souveraineté nationale », autrement dit au sein de la République française.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"993074443592192001"}"></div></p>
<p>Il a également évoqué la <a href="https://www.afr.com/news/emmanuel-macrons-australiafranceindia-strategic-axis-a-bit-of-a-stretch-20180503-h0zkxy">nécessité</a> pour l’Australie, l’Inde, la France et la Nouvelle-Calédonie (sous souveraineté française) de former un nouvel « axe stratégique » dans la zone Inde-Pacifique afin de contrer la montée en puissance de la Chine.</p>
<p>Pour les États du Pacifique, qui sont parvenus à obliger la France à stopper <a href="https://www.theguardian.com/world/2013/jul/03/french-nuclear-tests-polynesia-declassified">ses essais nucléaires dans la région</a> et à modifier ses politiques de décolonisation, les enjeux demeurent importants, même si les positions des uns et des autres ont évolué.</p>
<p>Les États insulaires reconnaissent l’existence d’intérêts stratégiques pour la France dans cette zone du globe et l’importance de sa présence pour l’équilibre régional face à de nouveaux acteurs régionaux, telle que la Chine. La Nouvelle-Calédonie et deux autre territoires français du Pacifique ont été admis au sein du Forum des îles du Pacifique. Ils n’en scrutent pas moins avec attention la <a href="https://foreignminister.gov.au/releases/Pages/2018/mp_mr_180906a.aspx">mise en œuvre de l’accord de Nouméa</a> et envoient des observateurs pour surveiller la bonne tenue de la consultation de ce dimanche.</p>
<p>L’Autralie n’a pas exprimé de position officielle sur le résultat à venir de ce vote. Mais il est clair que la présence française dans la région représente un atout stratégique face à une Chine de plus en plus présente. Dès lors, <a href="https://www.lowyinstitute.org/the-interpreter/new-caledonia-independence-vote-looms">la déclaration récente de la France</a> concernant le maintien d’un engagement sur le long terme en Nouvelle-Calédonie, quel que soit le résultat du référendum de ce dimanche, apparaît pour le moins souhaitable aux yeux de Canberra.</p>
<hr>
<p><em>Cet article a été traduit par Thomas Hofnung de The Conversation France.</em></p><img src="https://counter.theconversation.com/content/106114/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Denise Fisher ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La présence française apparaît désormais souhaitable aux yeux des États du Pacifique, notamment pour l’Australie, pour contrebalancer une Chine qui monte en puissance.Denise Fisher, Visiting Fellow, Australian National UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/834482017-09-27T22:47:01Z2017-09-27T22:47:01ZL’éducation pas si sentimentale des vahinés<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/186790/original/file-20170920-932-5lwi4w.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Les étudiantes polynésiennes ont largement rattrapé l'écart avec les hommes dans les études supérieures. Ici à l'UPF en 2017.</span> <span class="attribution"><a class="source" href="https://www.flickr.com/photos/univpf/36350901100/">Communication UPF/Flickr</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2017, qui se tient du 7 au 15 octobre, et dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
<hr>
<p>Interviewé par le <a href="http://la1ere.francetvinfo.fr/polynesie/walles-kotra-nomme-directeur-executif-en-charge-de-l-outre-mer-355370.html">journaliste Walles Kotra</a>, depuis 2016 directeur du réseau Outre-Mer 1<sup>re</sup> et France Ô, l’ancien président calédonien <a href="http://www.lemonde.fr/disparitions/article/2010/12/05/mort-de-jacques-lafleur-ancien-homme-fort-de-nouvelle-caledonie_1449239_3382.html">Jacques Lafleur</a> expliquait <a href="https://jso.revues.org/6160">comment il devait se rendre de Paris à Nouméa</a> lorsqu’il était enfant, dans les années 40 :</p>
<blockquote>
<p>« Il fallait aller jusqu’en Amérique. Traverser l’Amérique avec plusieurs escales et aller jusqu’à Hawaii. De Hawaii, il fallait se poser sur un atoll, Kanton Island. Ensuite il fallait rejoindre Nandi aux îles Fidji. De Nandi, il fallait aller à Suva en voiture, sept heures, et ensuite, aller de Suva à Nouméa en hydravion avec les vieux appareils à quatre moteurs qui se posaient dans la grande rade de Nouméa. »</p>
</blockquote>
<p>À l’époque, les conditions de voyage des Polynésiens ne valaient sans doute guère mieux. Ainsi, les jeunes désireux de se former après leur baccalauréat devaient s’expatrier, pour des durées parfois longues et avec les coûts induits que l’on imagine, tant monétaires que psychologiques. Coûts linguistiques, aussi, si l’on voulait éviter d’aller jusqu’en métropole, et donc devoir traverser toute la planète.</p>
<p>Les choses se sont bien entendu arrangées depuis, le trajet Paris-Nouméa se faisant en 2017 avec seulement une escale en 24 heures environ, mais ces deux territoires de la République demeurent très éloignés de l’Hexagone et les progrès de l’aéronautique n’y font rien. Impossible de rentrer à la maison pour le week-end ou de courtes vacances. La mise en place de centres universitaires locaux a donc considérablement amélioré les perspectives de formation des Calédoniens et des Polynésiens. C’est à ces derniers que je vais ici m’intéresser.</p>
<h2>Une population polynésienne de plus en plus qualifiée</h2>
<p>J’utilise les données des six derniers recensements de la population, qui couvrent près de 30 ans. Sur cette période, il s’agit d’étudier les diplômes de la population en âge de travailler (PAT), c’est-à-dire les 15-64 ans.</p>
<p>On observe qu’alors que plus de la moitié (51,7 %) de la PAT était totalement dépourvue de diplôme en 1983, ce n’est, en 2012 plus que le cas de 28,5 %. Si l’on agrège les non diplômés avec les seuls titulaires d’un certificat d’étude primaire ou d’un brevet des collèges, l’ensemble représentait en 1983 plus de 80 % de la PAT, contre environ 50 % en 2012.</p>
<p>En proportion, les bacheliers ont été multipliés par quatre (passant de 3,9 % à 15,8 % de la PAT), tandis que les diplômés du supérieur ont triplé (passant de 4,4 % à 12,6 %).</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/184725/original/file-20170905-13755-od8fou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/184725/original/file-20170905-13755-od8fou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/184725/original/file-20170905-13755-od8fou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/184725/original/file-20170905-13755-od8fou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=337&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/184725/original/file-20170905-13755-od8fou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/184725/original/file-20170905-13755-od8fou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/184725/original/file-20170905-13755-od8fou.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=423&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
<figcaption>
<span class="caption">Répartition de la population en âge de travailler (PAT) par diplôme.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Florent Venayre/données recensements ISPF</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Le bilan éducatif est d’ores et déjà extrêmement positif, même si l’on conçoit aisément que des marges de progrès existent encore. Cependant, pour informatives qu’elles soient, ces statistiques globales masquent un phénomène aussi fort qu’intéressant : cette augmentation marquée du niveau d’étude ne concerne pas identiquement les femmes et les hommes…</p>
<h2>Une situation actuelle favorable aux femmes</h2>
<p>Séparons donc les femmes et les hommes, en raisonnant soit sur la PAT féminine, soit sur la PAT masculine. Une photo instantanée du niveau d’étude lors du dernier recensement est assez explicite : alors qu’un tiers des Polynésiens en âge de travailler sont sans diplôme, pour mesdames, c’est moins du quart. En revanche, si un tiers des femmes ont au moins un bac, seul un quart de ces messieurs peuvent s’en targuer.</p>
<figure class="align-center zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/186783/original/file-20170920-932-1xx909j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/186783/original/file-20170920-932-1xx909j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/186783/original/file-20170920-932-1xx909j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/186783/original/file-20170920-932-1xx909j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/186783/original/file-20170920-932-1xx909j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=364&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/186783/original/file-20170920-932-1xx909j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/186783/original/file-20170920-932-1xx909j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/186783/original/file-20170920-932-1xx909j.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=458&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Répartition des PAT féminine et masculine en fonction du diplôme (2012), données recensement ISPF.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Florent Venayre</span></span>
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</figure>
<p>Comment est-on arrivé à cette situation ? Particulièrement, si la <em>vahine</em> (femme en tahitien) est maintenant plus souvent titulaire d’un diplôme du supérieur que son <em>tane</em> (homme), comment ces proportions ont-elles évolué dans le temps ?</p>
<h2>Les Polynésiennes saisissent leur chance</h2>
<p>Ainsi, en 1983, 3,7 % des femmes en âge de travailler sont diplômées du supérieur. C’est 5 % pour les hommes. Proportionnellement, il y a donc un tiers de plus (34 %) d’hommes diplômés que de femmes. Pour arriver à la situation vue en 2012, il faut bien que la chute soit saisissante…</p>
<figure class="align-right zoomable">
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<figcaption>
<span class="caption">Écart hommes/femmes des proportions de diplômés du supérieur dans les PAT, données issues des recensements de la population, ISPF.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Florent Venayre</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>L’écart en faveur des hommes de 1983 ne va en effet cesser de se réduire, pour s’annuler en 2002 où environ 10 % des représentants de chaque sexe sont diplômés. Depuis, les Polynésiennes prennent l’avantage.</p>
<p>L’ouverture d’une université à Tahiti en 1987, l’Université de Polynésie française (UPF) aurait-elle plus bénéficié aux femmes qu’aux hommes ? Le fait que l’écart observé en faveur des hommes en 1983 soit stable en 1988 pourrait le suggérer plus encore, puisqu’aucun Polynésien n’avait pu obtenir de diplôme localement à l’époque.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/186789/original/file-20170920-935-1xhumuo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/186789/original/file-20170920-935-1xhumuo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/186789/original/file-20170920-935-1xhumuo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/186789/original/file-20170920-935-1xhumuo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/186789/original/file-20170920-935-1xhumuo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/186789/original/file-20170920-935-1xhumuo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/186789/original/file-20170920-935-1xhumuo.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">L’Université de la Polynésie française a été fondée en 1987.</span>
<span class="attribution"><span class="source">F. Venayre, Author provided</span>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/">CC BY</a></span>
</figcaption>
</figure>
<p>Les diplômes sont globalement prisés en Polynésie française, à la fois pour des raisons liées à l’<a href="https://assr.revues.org/21615">histoire de la mission et de la colonisation</a> mais aussi car ils permettent de passer les concours de la fonction publique dans laquelle les salaires sont majorés. Si les Polynésiennes sont pour leur part de plus en plus désireuses de s’insérer sur le marché du travail, les incitant à rechercher plus de diplômes, c’est sans doute en raison de l’évolution du mode de cohabitation. Les Polynésiens résident en effet dans <a href="http://www.ispf.pf/docs/default-source/publi-pf-bilans-et-etudes/PF_2011_n03_Dipl%C3%B4me.pdf?sfvrsn=0">des ménages de moins en moins grands</a>. Peut-être également que l’expatriation pour les études, qui était nécessaire avant l’ouverture d’une université locale, leur était défavorable, les parents rechignant à laisser leurs jeunes filles partir au loin.</p>
<h2>Durée des études</h2>
<p>Distinguons maintenant études longues et courtes.</p>
<p>On peut noter que les femmes étaient en 1988 autant diplômées que les hommes dans les études courtes. Mais depuis 2012, l’écart s’est creusé en leur faveur. Et, du côté des études longues, elles sont à l’heure actuelle aussi diplômées que les hommes, ce qui signifie qu’elles sont parvenues à résorber le retard qu’elles avaient.</p>
<p>Les données des recensements de la population ne permettent pas d’avoir d’information quant aux filières choisies, de même que celles internes à l’UPF sont insuffisamment nombreuses pour être utilisables au plan statistique. Mais, majoritairement, quel que soit le sexe, les études courtes mènent plutôt à des professions intermédiaires (47 % des actifs occupés) qu’à des postes d’encadrement (16 %). Tandis que 53 % des diplômés longs qui travaillent accèdent à des postes de cadres, contre 28 % pour les professions intermédiaires.</p>
<p>Il sera très intéressant de regarder, lors du prochain recensement, comment ces données vont évoluer. Une réflexion reste également à mener sur les débouchés réels pour les femmes polynésiennes et leur insertion sur le marché du travail en fonction de leurs diplômes.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/186785/original/file-20170920-951-b7dist.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/186785/original/file-20170920-951-b7dist.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/186785/original/file-20170920-951-b7dist.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/186785/original/file-20170920-951-b7dist.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=378&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/186785/original/file-20170920-951-b7dist.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/186785/original/file-20170920-951-b7dist.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/186785/original/file-20170920-951-b7dist.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=474&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Évolution des diplômés du supérieur par cycles et par sexe, données issues des recensements de la population, ISPF.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Florent Venayre</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Si Frédéric Moreau, le personnage de Gustave Flaubert, brûle peu à peu ses illusions à mesure que se réalise son éducation sentimentale, ce ne devrait pas être le cas de la <em>vahine</em> moderne.</p>
<p>Loin des clichés des danseuses envoûtantes et des redoutables concurrentes aux élections de miss, la femme polynésienne pourrait bien durablement supplanter son <em>tane</em> dans la sphère intellectuelle, si celui-ci n’y prenait garde.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/83448/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Florent Venayre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La mise en place de centres universitaires locaux a considérablement amélioré les perspectives de formation des Calédoniens et des Polynésiens, et, plus particulièrement, celles des femmes.Florent Venayre, Maître de conférences en sciences économiques, Université de la Polynésie FrançaiseLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/834472017-09-25T20:01:24Z2017-09-25T20:01:24ZEtre femme, être entrepreneure : les trajectoires complexes des Tahitiennes<figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2017, qui se tient du 7 au 15 octobre, et dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr">Fetedelascience.fr</a>.</em></p>
<hr>
<blockquote>
<p>« Je n’avais pas de métier et pas de diplôme. Je n’avais que élevé mes enfants qui étaient encore jeunes d’ailleurs, les trois premiers, le quatrième je l’ai eu après. Alors je me suis dit ben ça je le fais bien. Ok alors lance-toi ! Et je me suis mis nounou et trois mois après j’ai ouverts ma première garderie ! J’en suis à ma quatrième. » (Hinatea, entrepreneure à Tahiti)</p>
<p>« Après le divorce il a bien fallu que je devienne autonome, financièrement je veux dire. Avant de venir à Tahiti, j’avais un métier, j’étais coiffeuse. Du coup pour moi c’était une évidence. J’ai ouvert mon salon. » (Florence, entrepreneure à Tahiti)</p>
</blockquote>
<p>L’étude 2013 du <a href="http://www.gemconsortium.org">Global Entrepreneurship Monitor</a> (GEM) souligne qu’au niveau mondial la place des femmes dans la création d’entreprise ne cesse d’augmenter. À cette date l’entrepreneuriat féminin représentait 41 % de l’entrepreneuriat mondial. En France,33 % des entreprises étaient créées par des femmes en 2013.</p>
<p>En <a href="http://www.ispf.pf/docs/default-source/publi-pf-bilans-et-etudes/pf-bilan-03-2016-entreprises-2015.pdf?sfvrsn=4">Polynésie Française</a> les femmes étaient, en 2015, à l’initiative de 49 % des créations d’entreprises. Une entreprise sur deux à Tahiti est donc créée par une femme.</p>
<p>Comment se traduit cette tendance ? Quels sont les parcours de ces femmes ?</p>
<p>La société polynésienne reste en partie <a href="http://www.vers-les-iles.fr/livres/Femmes/Cerf.html">matriarcale</a>, et les entrepreneures elles-mêmes gardent ce modèle de référence dans la gestion de leur activité professionnelle. Elles doivent en même temps faire face aux rôles sociaux auxquels sont traditionnellement renvoyées les femmes.</p>
<h2>Expliquer l’entreprenariat au féminin</h2>
<p>Il y a traditionnellement deux manières d’aborder les questions liées à l’entrepreneuriat féminin. La première revient à adopter une démarche <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-entrepreneuriat-2015-2-page-19.htm">comparative</a>. Il s’agit alors de repérer les différences entre les pratiques entrepreneuriales des hommes et des femmes.</p>
<p>Certaines entreprises françaises créées puis dirigées par des femmes auraient ainsi des <a href="https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-2005-1-page-31.htm">caractéristiques différentes</a> de celles gérées par leurs homologues masculins. Elles seraient plutôt de petite taille, concentrées sur des secteurs traditionnellement associés au genre féminin (services infirmiers, esthétique, mode et confection, etc.), auraient <a href="http://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/08276331.2006.10593361">des modes de fonctionnement particuliers</a>, par exemple dans la manière dont sont définis les objectifs (en mettant davantage en avant la qualité que la performance financière) ou encore dans les manières d’appréhender les relations humaines dans l’entreprise ou de s’insérer dans des réseaux professionnels propres à chaque sexe.</p>
<p>La seconde renvoie à des approches <a href="https://www.cairn.info/revue-de-l-entrepreneuriat-2015-2-page-7.htm">compréhensives</a> centrées sur la notion de genre, appréhendé ici comme phénomène social. Ces approches dépassent le clivage homme-femme comme catégorie d’analyse lui préfèrent les femmes et leurs trajectoires. On observera ainsi la façon dont les rôles socioéconomiques sont distribués (répartition sexuée) et la manière dont les personnes vont s’en saisir implicitement ou explicitement et comment cela va influencer ou conditionner leur parcours.</p>
<p>Cette perspective permet de centrer l’analyse sur la manière dont les femmes se positionnent en tant qu’entrepreneures dans leur environnement. Elle permet également de prendre en compte la manière dont elles perçoivent leurs rôles de chef d’entreprise bien sûr, mais aussi, de femme, d’épouse, de mère, de fille (etc.) ainsi que les interactions entre ces différents rôles.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/186776/original/file-20170920-905-1shrife.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/186776/original/file-20170920-905-1shrife.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/186776/original/file-20170920-905-1shrife.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/186776/original/file-20170920-905-1shrife.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=474&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/186776/original/file-20170920-905-1shrife.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=595&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/186776/original/file-20170920-905-1shrife.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=595&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/186776/original/file-20170920-905-1shrife.JPG?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=595&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">De nombreuses femmes sont présentes sur les marchés. Ici le marché de Papeete, 2013.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:March%C3%A9_de_Papeete.JPG">Saga70/Wikipedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-nd/4.0/">CC BY-ND</a></span>
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<h2>Trajectoires tahitiennes</h2>
<p>À Tahiti, nous avons ainsi identifié trois profils de démarche entrepreneuriale.</p>
<p>Dans le premier profil, l’entrepreneuriat est perçu et vécu comme une vocation. Il correspond à des personnes pour qui la création d’entreprise correspond à la réalisation de leur projet professionnel. Elles sont en règle générale jeunes (moins de 35 ans en moyenne) et ont bénéficié d’une première expérience en tant que salariée. Elles créent leur entreprise dans le même domaine que celui de leur étude ou apprentissage. Et, si elles n’ont pas de bagage scolaire, c’est alors un domaine qu’elles connaissent au travers de leur expérience personnelle ou familiale. Hinaiti correspond à ce profil :</p>
<blockquote>
<p>« De toutes façons je voulais être chef d’entreprise. Je voulais créer ma boite comme on dit. Après le BTS j’ai eu cette idée alors j’ai été travailler chez quelqu’un qui fabrique des glaces à Moorea [île de l’archipel Société] pour apprendre. Six mois après j’ai ouvert ici à Papeete. Pour moi c’était clair que c’était une première étape. Là ça fait un an et demi, il y a six mois j’ai lancé la livraison. J’ai déjà en tête la suite : au moins un deuxième magasin à Tahiti et après on verra… pourquoi pas lancer en Nouvelle Zélande les glaces de Tahiti, il y a bien des boutiques de glaces néo-zélandaises ici ! »</p>
</blockquote>
<p>Le deuxième profil est celui de l’entrepreneuriat comme héritage : les chefs d’entreprises ont repris une activité, souvent dans le cadre familial, ou s’appuient sur un capital entrepreneurial (ressources financières, commerciales, industrielles, relationnelles) familial pour créer leur affaire. La reprise de l’entreprise se fait parfois pour prendre la succession d’un père ou d’un mari décédé, parfois également pour prendre la tête d’une entreprise qui appartient au groupe familial. ce profil est, par exemple celui de Kim :</p>
<blockquote>
<p>« Après mes études, j’ai fait une fac en Californie, je suis revenue. c’était prévu comme ça. Je devais revenir dans le groupe familial. Avec l’aide de mon père j’ai ouvert ma première entreprise. C’était un magasin à Punaauia, un petit supermarché. »</p>
</blockquote>
<p>Le troisième profil, l’entrepreneuriat comme rebond, est celui de femmes qui ont créé leur entreprise pour devenir indépendantes, notamment financièrement, suite, par exemple, à un divorce ou une séparation, ou encore qui ont souhaité mettre fin par l’entrepreneuriat à une période d’inactivité professionnelle, jugée temporaire, par exemple l’éducation des enfants. C’est aussi le cas de femmes qui ont cherché, par l’entrepreneuriat, à redynamiser des trajectoires professionnelles qu’elles percevaient comme bloquées.</p>
<p>Ce profil est, par exemple, celui d’Aurélie :</p>
<blockquote>
<p>« Les enfants étaient grands, le dernier a été en France faire ses études et je me suis retrouvée toute seule à la maison. Enfin avec mon marie, mais il a son entreprise, moi mon job c’était les enfants. Bon on se réinvente pas j’ai toujours été attirée par la mode, les vêtements, les chaussures. Je me suis dit que ce serait une bonne manière de combler le vide laissé par mes garçons et j’ai monté la boutique. »</p>
</blockquote>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/186780/original/file-20170920-920-1dcc5f3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/186780/original/file-20170920-920-1dcc5f3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/186780/original/file-20170920-920-1dcc5f3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/186780/original/file-20170920-920-1dcc5f3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=399&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/186780/original/file-20170920-920-1dcc5f3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/186780/original/file-20170920-920-1dcc5f3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/186780/original/file-20170920-920-1dcc5f3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=501&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Des touristes posent avec une femme ayant monté sa boutique d’artisanat.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://pxhere.com/fr/photo/588568">PXhere</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
</figcaption>
</figure>
<h2>Le genre affecte peu l’activité…</h2>
<p>En Polynésie française, le genre ne joue pas de rôle systématique dans la création d’entreprise, ni, au-delà dans la pérennité et l’équilibre de cette dernière. Aucune des entrepreneures interrogées n’a évoqué de difficultés particulières dans les relations professionnelles liées à leur genre. Le fait d’être une femme n’a interféré ni en bien ni en mal dans les relations qu’elles ont avec les banques, leurs clients, leurs fournisseurs, leurs concurrents, etc.</p>
<p>Les femmes tahitiennes dont le profil correspond à celui de « l’entrepreneuriat comme rebond » sont peut-être celles dont les parcours sont le plus souvent marqués par leur situation de femmes et notamment par leurs rôles de conjointe et/ou de mère.</p>
<p>Pour certaines d’entre elles, l’entrepreneuriat est un moyen de résoudre une problématique de <a href="https://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2016-2-page-165.html">plafond de verre</a> professionnel perçue comme liée à leur genre. Il permet aussi de répondre à une volonté ou un besoin de devenir indépendantes économiquement (par exemple suite à une rupture).</p>
<p>Mais pour l’ensemble de ces femmes entrepreneures, le genre n’a pas influencé leur relations professionnelles. Il n’a par exemple pas d’impact sur les accès au financement ou à des réseaux de distribution. En revanche, il peut avoir eu des conséquences et des impacts sur leur vie personnelle et notamment leurs rôles familiaux.</p>
<h2>… mais contraint l’individu</h2>
<p>Toutes les femmes entrepreneures rencontrées décrivent les prises de décision concernant l’évolution de leur entreprise (évolution de l’activité, évolution de l’organisation, etc.) comme ayant donné lieu à une tension entre leur situation professionnelle et leur situation personnelle et notamment sur leurs rôles de conjointe et de mère. Le fait d’être cheffe d’entreprise ne les dispense pas des obligations et des tâches associées à ces rôles.</p>
<p>Il n’est pas rare qu’elles justifient le renoncement à une possibilité de développement de leur affaire par la nécessité de préserver leur rôle familial. Il n’est pas rare non plus qu’elles se reprochent d’avoir donné la priorité à leur activité professionnelle en évoquant les coûts et sacrifices que cela aurait représenté selon elles pour leur famille.</p>
<p>Cette tension est rarement résolue par l’abandon du projet entrepreneurial. En revanche elle peut parfois aboutir à le refaçonner ou le redimensionner en abandonnant ou en remettant à plus tard des projets de développement : </p>
<blockquote>
<p>« Il a fallu que je fasse un choix. On verra plus tard pour le deuxième magasin. Là j’ai choisi d’être une mère avant tout. » (Lani, entrepreneure à Tahiti)</p>
</blockquote>
<p>Elle peut aussi, plus rarement, être résolue en se mettant à distance des rôles familiaux :</p>
<blockquote>
<p>« C’est vrai que j’avance et que la famille doit faire avec. Je suis moins à la maison que si j’étais prof, ça c’est certain. Peut être que je vais le regretter plus tard. Peut être que je vais me dire que je n’ai pas vu les enfants grandir. Mais je ne me vois pas renoncer à mes projets. J’ai encore des idées et des choses à faire. » (Selva, entrepreneure à Tahiti)</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/83447/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lionel Honoré ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En Polynésie Française une entreprise sur deux est créée par une femme. Or, cette dernière est très sollicitée dans cette société qui demeure matriarcale.Lionel Honoré, Professeur des Universités, Université de la Polynésie FrançaiseLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/733822017-03-09T21:55:27Z2017-03-09T21:55:27ZLe « rahui » polynésien au secours de l’environnement<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/159532/original/image-20170306-926-p0b8by.JPG?ixlib=rb-1.1.0&rect=0%2C11%2C3840%2C2506&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">Une bouée marque la délimitation d'une zone de « rahui » à Teahupoo, en Polynésie française. Cette pratique ancestrale permet aujourd'hui de préserver la biodiversité. </span> <span class="attribution"><span class="source">T. Bambridge</span>, <span class="license">Author provided</span></span></figcaption></figure><figure class="align-right ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=282&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/183036/original/file-20170822-1066-js7jb1.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=355&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption"></span>
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<p><em>Cet article est publié dans le cadre de la Fête de la Science 2017, qui se tient du 7 au 15 octobre, et dont The Conversation France est partenaire. Retrouvez tous les débats et les événements de votre région sur le site <a href="https://www.fetedelascience.fr">Fetedelascience.fr</a>.</em> </p>
<hr>
<p>Pour les habitants de Taupo, en Nouvelle-Zélande, lorsqu’une personne disparaît en mer, <a href="http://www.stuff.co.nz/national/89649386/missing-woman-in-taupo">comme ce fût le cas au mois de février</a>, il est assez fréquent d’interdire la pêche tant que le corps n’ait pas été retrouvé. Cette pratique, <a href="https://hal-univ-perp.archives-ouvertes.fr/hal-01298590/document">appelée « rahui »</a> est largement diffuse en Polynésie orientale.</p>
<p>Géographiquement, cette région est représentée par un triangle dont chaque sommet est délimité par l’archipel de Hawaii au nord, l’île de Pâques à l’ouest et Aotearoa/Nouvelle-Zélande au sud, la Polynésie française actuelle se situant au centre de ce triangle. </p>
<figure class="align-right zoomable">
<a href="https://images.theconversation.com/files/158495/original/image-20170227-26306-lwfkuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/158495/original/image-20170227-26306-lwfkuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/158495/original/image-20170227-26306-lwfkuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/158495/original/image-20170227-26306-lwfkuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/158495/original/image-20170227-26306-lwfkuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=463&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/158495/original/image-20170227-26306-lwfkuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/158495/original/image-20170227-26306-lwfkuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/158495/original/image-20170227-26306-lwfkuj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=582&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption"></span>
<span class="attribution"><span class="source">T. Bambridge</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Dans cette zone, le « rahui » est communément reconnu comme une interdiction temporaire de prélèvement d’une ressource (agricole ou lagonaire) sur un territoire insulaire.</p>
<h2>Le rahui, une pratique politique</h2>
<p>D’un point de vue polynésien, le mot « rahui » peut être utilisé comme un nom ou un verbe. En tant que verbe, la décision de « rahui » (d’interdire) était prise par une communauté (une chefferie, une famille élargie …) pour des raisons diverses (un événement important comme la naissance d’un premier-né, la fin d’un conflit, l’intronisation d’un chef, etc.). </p>
<p>En tant que nom, le « rahui » désigne l’objet de l’interdiction : un espace et/ou une ressource, comme dans les expressions « je vais au rahui » ou « cette espèce de poisson est rahui ». Dans ce cas, le rahui désigne un espace délimité interdit (par exemple une partie d’un lagon) ou l’objet du rahui (un poisson, une ressource agricole).</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/159531/original/image-20170306-931-ihd4dj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/159531/original/image-20170306-931-ihd4dj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/159531/original/image-20170306-931-ihd4dj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/159531/original/image-20170306-931-ihd4dj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/159531/original/image-20170306-931-ihd4dj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/159531/original/image-20170306-931-ihd4dj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/159531/original/image-20170306-931-ihd4dj.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Zone de rahui à Teahupoo.</span>
<span class="attribution"><span class="source">T.Bambridge</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>La raison de la mise en place d’un rahui <a href="https://press.anu.edu.au/publications/authors-editors/tamatoa-bambridge">n’était pas écologique mais politique</a>). Il revenait à un groupe (un clan ou une famille élargie ou une chefferie) d’interdire (rahui) l’accès à un espace (le rahui), le prélèvement d’une ressource pendant une période variable. Ainsi, un rahui dans l’île de Huahine avait duré plus de 30 ans, <a href="https://archive.org/details/polynesianresea07elligoog">rapporte le missionnaire William Ellis</a> au XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<p>Jusque dans les années 2000, cette institution avait été délaissée d’une part parce que <a href="https://www.cairn.info/revue-internationale-de-politique-comparee-2009-1-page-119.htm">les missions, en particulier protestantes</a>, y voyaient un obstacle politique à l’implantation d’une nouvelle religion judéo-chrétienne, d’autre part parce que les États indépendants puis les colonisations anglaises, américaine ou française, considéraient cette institution comme la mise en œuvre d’un pouvoir local qui échappait à leur contrôle.</p>
<p><a href="http://www.persee.fr/issue/outre_1631-0438_2008_num_95_358">Dans les années 2000</a>, on observa dans cette région du Pacifique un renouveau identitaire et culturel important, <a href="http://anthropology.uchicago.edu/people/faculty_member/marshall_sahlins/">comme expliqué par l’anthropologue Marshall Sahlins</a>, qui place le rahui au cœur des dynamiques sociales et environnementales, dans un contexte de décolonisation du Pacifique depuis les années 1970. Les communautés locales se réapproprient leur culture, en utilisant des institutions anciennes comme mode de gouvernance de leur territoire. En raison de l’attachement des Polynésiens à une institution qu’ils considèrent légitime et efficace, les États indépendants ou sous tutelle du Pacifique sud, renforcent désormais le rahui dans <a href="http://www.karthala.com/hommes-et-societes/3123-les-atolls-du-pacifique-face-au-changement-climatique-une-comparaison-tuamotu-kiribati-9782811117399.html">le cadre de leur politique de préservation</a> et de valorisation des ressources lagonaires, même si les relations entre pouvoirs locaux et centraux peuvent être discutées.</p>
<h2>Un rahui pour l’écologie</h2>
<p>En Polynésie française, les habitants de Rapa (archipel des Australes) et de Maiao (archipel des îles de la société), ont été les premiers à rétablir un rahui sur une partie de leur île, avec des résultats écologiques positifs en terme de préservation de la biodiversité marine (augmentation de la biomasse, de la richesse intra-spécifique de poissons). </p>
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<span class="caption">Zones où le « rahui » est appliqué.</span>
<span class="attribution"><span class="source">T.Bambridge</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>À Tahiti, dans la commune de Teahupoo, <a href="http://www.hiroa.pf/2015/10/n97-rahui-le-coeur-du-developpement-durable/">le rahui mis en place depuis 2013</a> par la population de la commune témoigne d’un grand respect de cette institution. Il a été voulu à l’origine par le maire de la commune qui a souhaité la création d’un rahui hybride : géré par la population tout en bénéficiant de la protection juridique du code de l’environnement. Après trois ans de concertation, le rahui de Teahupoo d’une superficie de 700 hectares était né.</p>
<p>Un suivi écologique du <a href="http://www.criobe.pf/">CRIOBE</a> montre en effet une forte augmentation de la biomasse et des quantités de poissons commerciaux à l’intérieur du rahui (espace délimité par la population).</p>
<p>Si en principe, les codes des pêches, de l’environnement et de l’aménagement, permettent de protéger la biodiversité terrestre et marine, dans la pratique, leurs effets sont limités lorsqu’ils ne se conjuguent pas avec la mise en œuvre d’un rahui géré par les populations, mariant savoirs locaux, scientifiques et cadre administratif.</p>
<h2>Les principes du rahui</h2>
<p>Pour bien comprendre l’efficacité du rahui en Polynésie française, il nous faut revenir sur les principes qui fondent cette institution que l’État polynésien a du mal à intégrer dans son ordonnancement juridique. Le rahui apparaît d’abord comme la mise en œuvre d’un pouvoir politique à une échelle locale par une assemblée relativement autonome du pouvoir étatique et de la religion judéo-chrétienne.</p>
<p>Il implique le concours des ancêtres (<em>tupuna</em>), des <em>tahu’a</em> (littéralement, expert) <em>tauta’i</em> (de la pêche), <em>ra’au</em> (des soins traditionnels), <em>hiroa tumu</em> (de la culture et des généalogies), pour gérer un espace en fonction des calendriers lunaires et du contexte. </p>
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<span class="caption">À Rapa, partage du rahui (pêche)</span>
<span class="attribution"><span class="source">Christian Ghasarian</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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<p>Des cérémonies, comme à Rapa et Maiao, peuvent être organisées pour prélever temporairement des poissons en vue d’un partage au sein de la communauté, pour réaffirmer le rôle primordial du rahui : <a href="https://www.google.fr/search?q=rahui+%C3%A0+Rapa&biw=1326&bih=784&tbm=isch&imgil=qWCLvSjWbi5lJM%253A%253BzZkoXfrCzvTQ8M%253Bhttp%25253A%25252F%25252Fwww.tahiti-infos.com%25252FLe-rahui-de-Rapa-presente-lors-d-un-sommet-international-au-Chili_a138415.html&source=iu&pf=m&fir=qWCLvSjWbi5lJM%253A%252CzZkoXfrCzvTQ8M%252C_&usg=__FmKr04RjVMaI64TnTDZMD1L-bN0%3D&ved=0ahUKEwiKisK9yK7SAhXorFQKHbQMCpgQyjcIJA&ei=zTWzWMrvBOjZ0gK0majACQ#imgrc=qWCLvSjWbi5lJM:">maintenir l’équité et favoriser le partage</a>.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/159530/original/image-20170306-919-1hf0uw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/159530/original/image-20170306-919-1hf0uw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/159530/original/image-20170306-919-1hf0uw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/159530/original/image-20170306-919-1hf0uw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=451&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/159530/original/image-20170306-919-1hf0uw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/159530/original/image-20170306-919-1hf0uw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/159530/original/image-20170306-919-1hf0uw7.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">Partage de rahui à Rapa.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Christian Ghasarian</span>, <span class="license">Author provided</span></span>
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</figure>
<p>Dans d’autres cas, comme à Teahupoo, le rahui apparaît aussi comme une institution de préservation de la biodiversité et de résilience <a href="http://www.fao.org/3/a-i3262t.pdf">contre le changement climatique</a> : coraux et poissons y trouvent un espace-sanctuaire, pour grandir, à l’abri des prédateurs.</p>
<p>Le pluralisme juridique (c’est-à-dire la présence dans un champ social de plus d’un ordre normatif) constitutif du rahui aujourd’hui en Polynésie française a des racines anciennes. Autrefois, <a href="http://www.ufg.uni-kiel.de/dateien/dateien_studium/Archiv/2015_Lesenswert/texte/sahlins/Sahlins_Poor_Man_Rich_Man_Big_Man.pdf">dans un contexte d’une société sans État</a>, le rahui était administré par une pluralité d’acteurs. Aujourd’hui en Polynésie française, les rahui qui fonctionnent sont hybrides (comme à Teahupoo) ou en dehors de tout contrôle étatique. L’État polynésien tente d’imposer son ordre juridique aux rahui locaux.</p>
<p>Pourtant, la promesse d’une gestion durable de la biodiversité passe par les acteurs locaux (le comité de gestion, les experts traditionnels, les écoles). Ainsi, une négociation continuelle entre normes locales et étatiques est nécessaire pour pérenniser la préservation des territoires et des ressources.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/73382/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Tamatoa Bambridge receives funding from French National research grant</span></em></p>Le « rahui », la pratique de l’interdit au sein de nombreuses populations polynésiennes, pourrait aider à mieux protéger la biodiversité.Tamatoa Bambridge, Directeur de recherche, Centre national de la recherche scientifique (CNRS)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.