tag:theconversation.com,2011:/ca/topics/proche-orient-20734/articlesProche-Orient – The Conversation2024-02-25T16:26:27Ztag:theconversation.com,2011:article/2240132024-02-25T16:26:27Z2024-02-25T16:26:27ZL’engagement du Hezbollah auprès du Hamas et ses conséquences pour le Liban<p>Dès le lendemain de l’attaque du Hamas contre Israël du 7 octobre dernier, le Liban a été entraîné dans le conflit sur sa frontière Sud contrôlée par le Hezbollah, qui a <a href="https://www.la-croix.com/Liban-Hezbollah-tire-positions-israeliennes-frontiere-2023-10-08-1301285987">tiré des roquettes sur le territoire de l’État hébreu</a> en solidarité avec le mouvement palestinien. Israël a <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/israel-contre-le-hamas-la-crainte-grandissante-d-une-intervention-du-hezbollah-au-liban-980065.html">répliqué par des bombardements soutenus</a> visant les positions du Hezbollah au Liban. Depuis, les <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-et-le-hezbollah-sur-le-pied-de-guerre-au-liban-2043581">combats n’ont cessé de s’intensifier</a>, au point qu’une escalade vers une guerre totale qui embraserait l’ensemble de la région apparaît comme un scénario crédible aux yeux de nombreux observateurs et d’une partie significative de la population libanaise.</p>
<p><a href="https://www.lorientlejour.com/article/1368403/discours-de-nasrallah-les-4-points-cles-sur-gaza-et-le-liban-sud.html">Dans un discours diffusé le 16 février</a> le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a défié Israël en annonçant qu’il ne renoncera pas au combat et en martelant :</p>
<blockquote>
<p>« L’ennemi paiera le prix du sang de nos femmes et de nos enfants qui ont été tués dans le Sud. Le prix du sang sera le sang ; pas des avant-postes, des équipements de surveillance ou des véhicules militaires. »</p>
</blockquote>
<p>Cette déclaration implique que la milice chiite ne ciblera plus uniquement des positions militaires, mais également des civils. La veille, une <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20240215-lebanon-family-invited-to-dinner-finds-death-in-israel-strike">frappe de drone</a> contre des responsables du Hezbollah à Nabatiyeh avait fauché une famille au premier étage de l’immeuble visé.</p>
<p>Du côté israélien, le ministre de la Défense Yoav Gallant avait averti le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1357024/un-ministre-israelien-avertit-le-hezbollah-que-beyrouth-pourrait-subir-le-meme-sort-que-gaza.html">11 novembre</a> : « Le Hezbollah entraîne le Liban dans une guerre qui pourrait avoir lieu. […] Ce que nous pouvons faire à Gaza, nous pouvons aussi le faire à Beyrouth ». L’armée israélienne a déployé des troupes supplémentaires sur sa frontière Nord, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1353198/israel-evacue-des-habitants-le-long-de-la-frontiere-avec-le-liban-armee.html">évacuant les civils résidant dans les localités frontalières</a>. S’achemine-t-on inéluctablement vers une nouvelle guerre ouverte entre Israël et le Hezbollah ?</p>
<h2>État des lieux au Liban depuis octobre 2023</h2>
<p>Depuis le 8 octobre, plus de 90 villages ont été visés par des tirs israéliens, et plus de <a href="https://dtm.iom.int/reports/mobility-snapshot-round-20-18-01-2024?close=true">83 000 habitants du Sud Liban</a> ont quitté leur foyer pour des endroits plus sûrs.</p>
<p><a href="https://www.europe1.fr/international/violences-a-la-frontiere-avec-israel-plus-de-76000-deplaces-au-liban-selon-lonu-4223459">Selon l’Organisation internationale pour les migrations</a>, la majorité des déplacés sont accueillis par des parents tandis que d’autres louent ou sont installés dans des centres et dans des écoles réquisitionnées pour les héberger. L’organisation de l’aide pour les déplacés est ainsi gérée en grande partie par la solidarité familiale et des institutions humanitaires civiles et partisanes ; le rôle du gouvernement libanais reste limité et, souvent, les plans d’urgence sont inadéquats.</p>
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<p>Le bilan humain s’alourdit de jour en jour. Il s’élève actuellement à plus de 200 morts, dont la plupart sont des combattants du Hezbollah. Parmi les victimes civiles, on compte notamment des <a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2023/12/lebanon-deadly-israeli-attack-on-journalists-must-be-investigated-as-a-war-crime/">journalistes délibérément visés par les frappes israéliennes</a>, une stratégie adoptée dans cette guerre par Israël dont les frappes à Gaza <a href="https://rsf.org/fr/gaza-4-mois-de-guerre-le-journalisme-palestinien-d%C3%A9cim%C3%A9-en-toute-impunit%C3%A9">ont tué plus de 84 journalistes</a> depuis le début des hostilités.</p>
<p>On ne saurait trop insister sur le fardeau financier qui pèse sur l’État libanais et, surtout, sur les personnes déplacées, dont une grande partie sont des agriculteurs et des travailleurs journaliers. Ainsi, de nombreux villageois n’ont pu récolter et vendre leurs produits (notamment les olives), et <a href="https://www.hrw.org/news/2023/10/12/israel-white-phosphorus-used-gaza-lebanon">l’utilisation par Israël de bombes au phosphore blanc</a> dans les champs du Sud-Liban a durablement endommagé la terre.</p>
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<p>Outre l’impact économique et environnemental, la plupart des écoles ont dû fermer leurs portes dans la région et plus de 5 000 enfants ont été déscolarisés. Il ne faut pas perdre de vue que le <a href="https://www.worldbank.org/en/country/lebanon/overview">Liban souffre depuis 2020 d’une grave crise économique</a> qui se manifeste par un <a href="https://fr.euronews.com/2023/03/14/au-liban-un-dollar-vaut-desormais-100-000-livres-un-record-historique">effondrement de sa monnaie</a> et un des ratios dette/PIB les plus élevés au monde (283,2 %). Le déclenchement d’un conflit avec Israël anéantirait pour de bon les espérances des Libanais de sortir de l’impasse et réduirait en cendres le peu d’infrastructures qui restent encore en état de fonctionnement.</p>
<h2>Israël et le Hezbollah, les meilleurs ennemis</h2>
<p>Ce n’est pas la première fois que le Liban est confronté à de tels scénarios. Depuis la <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/index/sujet/guerrecivilelibanaise">guerre civile (1975-1989)</a>, jusqu’à la période qui a suivi <a href="https://www.lemonde.fr/archives/article/2000/05/25/l-armee-israelienne-a-acheve-son-evacuation-du-liban-sud_3714606_1819218.html">l’évacuation de l’occupation israélienne du Sud-Liban (2000)</a> et la <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2007-1-page-14.htm">guerre de juillet 2006</a>, les forces israéliennes ont plusieurs fois attaqué le Liban et conservent une forte présence militaire le long de la frontière.</p>
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<p>Israël et le Hezbollah sont les meilleurs ennemis : les attaques israéliennes répétées <a href="https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-03153621v1/document">consacrent le rôle du Hezbollah</a> comme gardien de la résistance, adversaire résolu d’Israël et défenseur de la souveraineté libanaise et de la libération de la Palestine, alors qu’une paix avec Israël contraindrait le mouvement à se désarmer et, in fine, à disparaître. Pour l’État israélien, l’existence de la milice et le danger qu’elle représente justifient sa politique de sécurité et de guerre continue.</p>
<p>Il reste que si le conflit actuel <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/oct/18/gaza-hospital-al-ahli-al-arabi-blast-explosion-protests-demonstrations-middle-east">a redoré le blason du Hezbollah auprès de la majorité des Arabes</a> qui applaudissent son effort de guerre auprès du Hamas contre Israël, au Liban le soutien reste mitigé. Pour beaucoup, les affrontements en cours représentent une menace sérieuse pour l’avenir du pays.</p>
<h2>Divisions politiques</h2>
<p>L’opinion publique et la classe politique libanaises sont divisées entre, d’une part, ceux qui adhèrent au projet politique du Hezbollah et de ses alliés de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1366597/hamas-hezbollah-houthis-que-veut-laxe-de-la-resistance-.html">« l’axe de la résistance »</a> soutenus par l’Iran – qui comprend le Hamas, les <a href="https://theconversation.com/les-etats-unis-vers-un-conflit-a-grande-echelle-avec-les-houthis-du-yemen-et-les-organisations-politico-militaires-irakiennes-221671">milices chiites en Irak et les Houthis yéménites</a> – et, d’autre part, ceux qui le rejettent et réclament son désarmement, l’accusant d’être un contre-pouvoir bloquant la vie politique et la reprise économique.</p>
<p>Dans les premiers jours du conflit, l’engagement du Hezbollah sur le front Sud a réussi à transcender, un temps, les clivages sectaires, notamment entre sunnites, druzes et chiites par solidarité avec Gaza ; mais avec l’enlisement et l’installation de la guerre dans la durée, les alliances se fissurent.</p>
<p>Pour la communauté chrétienne, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1366146/apres-gemayel-rai-les-pro-hezbollah-sur-la-defensive-face-a-leurs-detracteurs-chretiens.html">hostile à cette guerre</a>, le Hezbollah prend une fois de plus les Libanais en otage et met en danger la souveraineté du pays. Par ailleurs, la promesse faite par le secrétaire général Hassan Nasrallah d’engager de manière limitée son organisation dans la <a href="https://www.washingtonpost.com/world/2023/11/03/nasrallah-hezbollah-lebanon-israel-speech/">création « d’un front de soutien et de solidarité »</a> au début du conflit, ne tient plus. Le bilan élevé des combattants morts lors des opérations et les cadres (Hamas et Hezbollah) assassinés par drone, le déplacement des populations du Sud fuyant les combats et l’installation dans le conflit rendent le risque d’embrasement plus plausible que jamais. Mais ce danger n’est pas perçu de la même manière par tous au Liban, où plusieurs réalités coexistent.</p>
<h2>Réalités parallèles</h2>
<p>Malgré la crise et la guerre qui menace au Sud, la vie à Beyrouth et dans ses environs est quasi normale. Les restaurants et les bars ne désemplissent pas, les stations de ski sont toujours fréquentées, les centres commerciaux et les cinémas aussi.</p>
<p>Quand on se promène du côté de Gemmayzé, Mar Mikhael, Verdun ou Rabieh, on ressent l’insouciance d’une partie de la population qui vit dans le déni de la guerre et dans une réalité parallèle. Ces Libanais qui ne souhaitent pas quitter leur pays pour des endroits plus sûrs et dont les revenus sont perçus pour une grande partie en devises étrangères ne parlent ni de conflit ni de crise, termes vulgaires et obscènes qui enlaidissent leur projection d’une vie idéale à la libanaise.</p>
<p>Ils vivent dans une bulle qui préserve du présent, est détachée du passé douloureux et ne se projette pas dans un avenir incertain. Une bulle flottant hors temps et hors sol, qui protège de l’autre réalité, plus dure : celle de la <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1289153/80-de-pauvres-au-liban-comment-cette-donnee-est-elle-calculee-.html">majorité des Libanais qui vivent sous le seuil de pauvreté</a>, qui ne peuvent se chauffer en hiver, se soigner ou payer la scolarité de leurs enfants. Différente aussi de celle des habitants du Sud Liban, obligés de fuir leur foyer. Les réalités libanaises cohabitent mais ne se croisent pas ; elles sont le reflet d’un pays déchiré par des années de guerre, avec une société fragmentée et un État en faillite, incapable d’empêcher que la guerre à Gaza ne s’invite à Beyrouth.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/224013/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jihane Sfeir est chercheur à OMAM et REPI de l'ULB</span></em></p>Il y a déjà eu des centaines de morts, depuis octobre 2023, dans les affrontements opposant Israël au Hezbollah. Le Liban, déjà aux abois, sera-t-il entraîné dans une guerre dévastatrice ?Jihane Sfeir, Historienne, Université Libre de Bruxelles (ULB)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2217822024-02-06T14:39:47Z2024-02-06T14:39:47ZLe retour des blocus navals en mer Noire et en mer Rouge : vers le démembrement d’un espace commun ?<figure><img src="https://images.theconversation.com/files/572169/original/file-20240130-29-1hyeoa.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&rect=43%2C0%2C3189%2C2157&q=45&auto=format&w=496&fit=clip" /><figcaption><span class="caption">189 octobre 2023 : le destroyer américain USS Carney abat des missiles tirés par les Houthis en mer Rouge.</span> <span class="attribution"><span class="source">Aaron Lau/U.S. Navy </span></span></figcaption></figure><p>Les conflits actuels remettent au goût du jour une pratique que l’on avait oubliée : le blocus naval, entendu largement comme la volonté de bloquer le transport maritime afin de priver l’adversaire de ses approvisionnements et/ou des ressources financières tirées de ses exportations.</p>
<p>À la suite de son agression de février 2022, la Russie a tenté de mettre en place un <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/cereales-le-blocage-des-exportations-ukrainiennes-par-la-russie-tire-les-prix-a-la-hausse-970339.html">blocus des exportations céréalières ukrainiennes</a> depuis les ports de la mer Noire. De même, le groupe yéménite des Houthis a entrepris, depuis le <a href="https://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2023/11/19/yemen-un-roulier-et-son-equipage-capture-par-les-houthis-en-24255.html">19 novembre 2023 et la prise en otage d’un navire et de son équipage</a>, de perturber le commerce au travers du détroit de Bab El Mandeb afin de peser sur le conflit entre Israël et le Hamas.</p>
<p>Les infrastructures maritimes sont elles aussi visées, comme le montre le <a href="https://www.tf1info.fr/international/guerre-en-ukraine-russie-sabotage-des-gazoducs-nord-stream-1-et-2-en-mer-baltique-en-2022-un-an-apres-le-point-sur-les-enquetes-2270997.html">sabotage des deux pipelines gaziers <em>Nord Stream</em></a> de la mer Baltique le 22 septembre 2022. La zone Asie-Pacifique connaît de graves tensions qui pourraient dégénérer en <a href="https://meta-defense.fr/2022/10/25/chine-blocus-de-taiwan-2027/">blocus naval</a>, autour de Taïwan et en mer de Chine du Sud. Notons enfin que la perturbation du transport maritime passe par l’emploi de moyens militaires, comme les missiles et les drones, mais aussi d’instruments juridiques, comme les sanctions occidentales imposées à la Russie pour empêcher l’assurance du transport maritime de pétrole au-delà d’un certain prix (<a href="https://eu-solidarity-ukraine.ec.europa.eu/eu-sanctions-against-russia-following-invasion-ukraine/sanctions-energy_en"><em>Price Cap Coalition</em></a>).</p>
<h2>Le développement de la conflictualité en mer</h2>
<p>Le premier constat est simple : les conflits terrestres ont naturellement tendance à s’étendre sur la mer, même s’il ne s’agit pas de l’enjeu originel du conflit.</p>
<p>Ainsi, les guerres en cours en Ukraine et au Proche-Orient sont d’essence territoriale. Cependant, les <a href="https://www.areion24.news/2022/05/18/transport-maritime-la-mondialisation-sur-les-oceans/">sociétés modernes dépendent de plus en plus des mers</a> – pour l’écoulement des exportations via les porte-conteneurs, l’approvisionnement en matières premières par les vraquiers et les pétroliers, et le passage des données numériques au travers des <a href="https://theconversation.com/si-la-russie-coupe-les-cables-sous-marins-leurope-peut-perdre-son-acces-a-internet-169858">câbles sous-marins</a>. En conséquence, les mers ne sont pas contestées pour <em>elles-mêmes</em> mais pour les usages qu’elles permettent. Les conflits terrestres s’étendent sur les mers car les parties au conflit cherchent à se dénier réciproquement l’accès aux espaces maritimes.</p>
<p>Du point de vue politique, le blocus naval a naturellement tendance à <em>internationaliser</em> un conflit bilatéral : couper le commerce affecte simultanément les vendeurs et les consommateurs.</p>
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<p>Ainsi, les <a href="https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/03/02/guerre-en-ukraine-au-moyen-orient-et-en-afrique-l-approvisionnement-en-ble-inquiete_6115819_3234.html">pays consommateurs d’Afrique et du Moyen-Orient</a> ont été touchés par la rupture des exportations céréalières ukrainiennes en 2022. De leur côté, les Houthis perturbent une artère centrale du transport maritime, bien au-delà du transit lié à Israël, ce qui oblige les compagnies de porte-conteneurs à <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20231216-mer-rouge-les-attaques-des-houthis-inqui%C3%A8tent-les-compagnies-de-transport-maritime">faire le tour de l’Afrique</a> pour assurer la liaison entre l’Asie et l’Europe. Cet allongement du parcours va nécessairement <a href="https://www.challenges.fr/monde/desorganisation-flambee-des-prix-penuries-les-houthis-destabilisent-le-fret-maritime-en-mer-rouge_879365">augmenter les coûts du fret maritime</a> pour des États qui ne sont pas directement partis au conflit.</p>
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<h2>Un combat entre la terre et la mer</h2>
<p>Les actions militaires en cours n’opposent pas deux forces navales mais une force navale à une force basée à terre. Chose remarquable, l’Ukraine est en passe de gagner la bataille de la mer Noire, en ayant détruit une quinzaine de navires russes, dont le <a href="https://theconversation.com/de-la-perte-du-croiseur-moskva-au-naufrage-de-la-russie-en-ukraine-181403">croiseur amiral <em>Moskva</em></a> et un <a href="https://www.lefigaro.fr/international/guerre-en-ukraine-kiev-annonce-avoir-touche-un-sous-marin-russe-pour-la-premiere-fois-20230914">sous-marin</a> à sa base, avec des missiles et des drones (aériens et de surface). Le président de la Confédération agraire ukrainienne a déclaré début 2024 que les capacités d’exportation du pays étaient <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2024/01/18/le-commerce-ukrainien-de-cereales-en-mer-noire-a-presque-retrouve-ses-niveaux-davant-guerre/">« presque revenues à leur niveau d’avant-guerre »</a>.</p>
<p>De même, avec des missiles plus ou moins <a href="https://nationalinterest.org/blog/buzz/where-did-houthis-get-anti-ship-ballistic-missiles%C2%A0-208127">sophistiqués issus d’Iran</a>, les Houthis sont en mesure de menacer les navires en mer Rouge.</p>
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<p>Depuis le 11 janvier 2024, les États-Unis <a href="https://www.bfmtv.com/international/moyen-orient/les-etats-unis-et-le-royaume-uni-frappent-les-houthis-au-yemen-plusieurs-villes-ciblees_AV-202401120042.html">mènent des frappes aériennes au Yémen</a> pour démanteler cet arsenal et garantir la liberté de navigation, mais il semble que cette action <a href="https://theconversation.com/les-etats-unis-vers-un-conflit-a-grande-echelle-avec-les-houthis-du-yemen-et-les-organisations-politico-militaires-irakiennes-221671">ne sera pas suffisante</a> pour rétablir la sécurité et donc le transport maritime.</p>
<p>D’autres moyens peuvent être utilisés pour bloquer la navigation des navires civils. Ainsi, la mer Noire a vu l’emploi par la Russie de mines dérivantes, dont une a <a href="https://www.france24.com/en/europe/20231228-cargo-ship-hits-naval-mine-in-black-sea-en-route-to-ukraine">frappé un navire en route vers un port ukrainien</a> en décembre 2023, ce qui a conduit les pays riverains – <a href="https://www.rfi.fr/en/podcasts/international-report/20240120-turkey-agrees-deal-to-clear-black-sea-of-mines-that-threaten-ukrainian-exports">Bulgarie, Roumanie et Turquie</a> – à engager une opération navale de déminage.</p>
<h2>Un enjeu essentiel : la diversification des voies d’approvisionnement</h2>
<p>Face à ces tentatives plus ou moins réussies de blocage du commerce maritime, une réponse non militaire consiste à chercher des voies alternatives d’écoulement et d’approvisionnement.</p>
<p>Ainsi, l’Ukraine et l’UE ont cherché à mettre en place des <a href="https://transport.ec.europa.eu/news-events/news/european-commission-establish-solidarity-lanes-help-ukraine-export-agricultural-goods-2022-05-12_en">« corridors de solidarité »</a> pour acheminer les céréales par l’ouest. En réaction aux attaques des Houthis, le reroutage des navires par le sud de l’Afrique pourrait ne pas avoir d’impact trop important sur les prix s’il s’avère que les compagnies ont des capacités disponibles.</p>
<p>Pour les pays acheteurs, la diversification des approvisionnements permet de limiter l’exposition à une rupture des approvisionnements, qui peut être voulue s’il s’agit d’un embargo. Ainsi, les Européens se sont retournés vers le gaz importé par bateau depuis les États-Unis et le Qatar en substitution du gaz russe. Mais cela ne fait que renforcer la dépendance à la mer des Européens, <em>via</em> une <a href="https://www.defense.gouv.fr/cesm/nos-publications/breves-marines-du-cesm/breves-marines-ndeg274-decontinentalisation-flux-energetiques-europe">« décontinensalisation »</a> des flux énergétiques.</p>
<h2>Un témoignage de la période post-hégémonique</h2>
<p>Le retour du blocus naval pourrait marquer un changement du <em>statut géopolitique</em> des mers. Ces dernières décennies, les mers étaient considérées comme un <em>global common</em> – c’est-à-dire un espace commun, non approprié par les États et susceptible d’usage par tous.</p>
<p>Ainsi, la <a href="https://treaties.un.org/pages/ViewDetailsIII.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXI-6&chapter=21&Temp=mtdsg3&clang=_fr">Convention de Montego Bay de 1982</a>, considérée comme la « Constitution des océans », pose un principe de non-souveraineté des États sur la haute mer et garantit la libre navigation, en particulier dans les détroits internationaux. Cependant, au-delà du droit international, de <a href="https://www.belfercenter.org/publication/command-commons-military-foundation-us-hegemony">nombreux analystes</a> considèrent que le caractère commun et non disputé des mers reposait en réalité sur la puissance américaine. Force militaire incontestée du fait de ses porte-avions et de son réseau mondial de base, l’<em>US Navy</em> était capable d’assurer l’ouverture des mers, et aussi d’en dénier l’usage à ses adversaires.</p>
<p>Aujourd’hui, l’intensification de la conflictualité en mer témoigne de l’effritement de la position hégémonique américaine qui garantissait le caractère commun des mers. Au-delà du conflit israélo-palestinien, la confrontation entre les États-Unis et les Houthis est en réalité un enjeu international, car elle pose la question de la capacité de l’<em>US Navy</em> à « discipliner » un acteur non étatique qui bloque un détroit stratégique.</p>
<p>Du point de vue opérationnel, la prolifération des missiles et des drones opérés depuis la terre questionne la capacité de déploiement de l’<em>US Navy</em>. C’est la question stratégique centrale dans l’Asie-Pacifique : en cas de blocus naval de Taïwan par la Chine, les navires américains ne seront-ils pas repoussés au loin par la menace des missiles balistiques anti-navires ?</p>
<p>On le voit : les opérations de blocage du transport maritime en cours en mer Noire et en mer Rouge pourraient être les manifestations d’une tendance de fond, celle d’un démembrement de l’espace commun mondial que sont les mers et les océans.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221782/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Emploi échu dans une entreprise de la construction navale.</span></em></p>La Russie veut bloquer les exportations ukrainiennes en mer Noire, tandis les Houthis tentent d’empêcher le passage des navires en mer Rouge. Les mers redeviennent un espace de conflictualité majeur.Maxence Brischoux, Chercheur en relations internationales au Centre Thucydide, Université Paris-Panthéon-AssasLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2216712024-01-29T15:48:28Z2024-01-29T15:48:28ZLes États-Unis vers un conflit à grande échelle avec les Houthis du Yémen et les organisations politico-militaires irakiennes ?<p>Au Proche-Orient, la guerre de Gaza est en train d’acquérir une dynamique propre, ravivant le spectre de nouveaux conflits régionaux. Appuyé par les États-Unis, qui ont <a href="https://www.lepoint.fr/monde/les-etats-unis-livrent-des-munitions-a-israel-et-renforcent-leur-presence-militaire-08-10-2023-2538500_24.php">envoyé leur plus imposant navire de guerre dans la zone</a>, Israël mène, depuis l’assaut meurtier du Hamas le 7 octobre dernier, une guerre à grande échelle qui, <a href="https://theconversation.com/quelle-strategie-israelienne-pour-gaza-216050">aux yeux de nombreux observateurs</a>, ne viserait pas uniquement à éradiquer le groupe islamiste mais également à expulser les Palestiniens de Gaza en prenant pour cible les infrastructures et les populations civiles. La Cour internationale de Justice vient d’ailleurs d’<a href="https://apnews.com/article/israel-palestinians-south-africa-genocide-hate-speech-97a9e4a84a3a6bebeddfb80f8a030724">accepter d’instruire la plainte pour génocide déposée par l’Afrique du Sud</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/israel-devant-la-cour-internationale-de-justice-celle-ci-est-elle-devenue-un-substitut-a-un-conseil-de-securite-dysfonctionnel-220727">Israël devant la Cour internationale de justice : celle-ci est-elle devenue un substitut à un Conseil de sécurité dysfonctionnel ?</a>
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<p>Dans ce contexte, des acteurs non étatiques armés alliés à l’Iran ont lancé, dans une stratégie concertée, des représailles asymétriques contre Israël depuis la Syrie, le Liban, l’Irak et le Yémen. Ces acteurs mènent également des opérations offensives contre les forces américaines, perçues comme partie prenante de la guerre israélienne contre Gaza.</p>
<p>Une perception erronée des réalités locales conduit à réduire ces acteurs non étatiques au rôle de « proxies » : on a tendance à ne les voir que comme un réservoir de forces projetables que l’Iran actionne quand il le souhaite pour mener des actions offensives. Or, bien que ces acteurs convergent stratégiquement avec Téhéran sur le plan régional et font partie intégrante d’un axe de la dissuasion active face à Israël, ils disposent également d’une autonomie certaine et agissent conformément à leur propre agenda. Il en va ainsi aussi bien des <a href="https://www.cairn.info/revue-strategique-2013-2-page-93.htm">organisations politico-militaires chiites</a> actives en Irak que des <a href="https://theconversation.com/qui-sont-les-houthis-cette-milice-yemenite-visee-par-les-frappes-americaines-et-britanniques-221149">Houthis au Yémen</a>.</p>
<h2>Escalade avec les organisations politico-militaires chiites en Irak</h2>
<p>En Irak, où les États-Unis conservent une présence de 2 500 soldats – en vertu d’un accord avec le gouvernement de Bagdad, pour conseiller et former les forces de sécurité irakiennes dans le cadre de la lutte anti-Daech –, une <a href="https://english.aawsat.com/arab-world/4786701-syria-extends-humanitarian-aid-delivery-bab-al-hawa-crossing">centaine d’opérations offensives ciblant l’armée américaine ont été dénombrées depuis le 17 octobre</a>.</p>
<p>En réponse, les États-Unis ont mené, le 4 janvier dernier, une attaque de drone qui a tué Mushtaq Jawad Kazim al-Jawari, également connu sous le nom d’Abu Taqwa, le chef du puissant groupe <a href="https://www.counterextremism.com/threat/harakat-hezbollah-al-nujaba-hhn">Harakat al-Nujaba</a>.</p>
<p>Aux côtés de plusieurs autres organisations – notamment la brigade Badr, Asaib Ahl al-Haq et Kataib Hezbollah, ce groupe relève du <a href="https://www.courrierinternational.com/article/finances-en-irak-une-force-paramilitaire-pro-iran-pese-sur-le-budget-de-l-etat">Hached al-Chaabi</a> – les « Forces de mobilisation populaire » irakiennes, ou FMP – une coalition de forces paramilitaires soutenue par l’Iran, poids lourd structurel en Irak.</p>
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<p>Sur la scène irakienne, les FMP apparaissent aujourd’hui comme un acteur politique puissant dont la légitimité a été renforcée par les <a href="https://www.monde-diplomatique.fr/2023/10/BAKAWAN/66186">succès obtenus sur le terrain face à Daech</a> et qui s’est vu accorder un statut officiel de branche auxiliaire des forces de sécurité irakiennes.</p>
<p>L’assassinat en janvier 2020 de leur chef adjoint <a href="https://www.liberation.fr/planete/2020/01/03/abou-mehdi-al-mouhandis-l-autre-victime-du-raid-contre-soleimani_1771652/">Mahdi el-Mohandes</a>, lors de la frappe américaine qui a tué le haut responsable iranien Qassem Soleimani, commandant de la Force Al-Qods du corps des Gardiens de la révolution islamique et architecte du développement du potentiel militaire de l’axe de la dissuasion active mis en place par Téhéran, n’a pas empêché les FMP de continuer de jouer un rôle clé en Irak.</p>
<p>Ni l’affaiblissement de leur leadership, ni les tensions avec leur rival chiite, le leader religieux et nationaliste Moqtada al-Sadr, qui ont dégénéré en <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20220830-irak-moqtada-al-sadr-hadi-al-ameri-qui-sont-les-principaux-acteurs-de-la-crise-politique">affrontements</a> aux <a href="https://orientxxi.info/magazine/iraq-the-al-sadr-dynasty-is-losing-ground,3979">ressorts multiples et locaux</a> en août 2022, n’ont fragilisé durablement la coalition. Au contraire : la nomination en octobre de la même année au poste de premier ministre de Mohammed Shia al-Soudani (proche de Nouri al-Maliki, premier ministre de 2006 à 2014) a donné aux FMP un nouvel élan. Comme le <a href="https://www.brookings.edu/articles/shiite-rivalries-could-break-iraqs-deceptive-calm-in-2023/">souligne</a> le chercheur de la Brookings Institution Ranj Alaaldin, « l’organisation s’est davantage ancrée dans l’État irakien, élargissant ses capacités économiques, diversifiant ses sources de revenus et étendant son réseau de mécènes ».</p>
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<p>C’est ainsi que la frappe américaine qui a tué le leader de Harakat-al-Nujaba a été <a href="https://www.airandspaceforces.com/us-kills-militia-leader-iraq/">qualifiée</a> d’« agression flagrante » et de « violation de la souveraineté et de la sécurité de l’Irak » par le porte-parole des forces de sécurité irakiennes, le général Yehia Rasool. Le ministère irakien des Affaires étrangères a employé des termes similaires.</p>
<p>La dangereuse escalade en cours (une base américaine en Irak a été <a href="https://fr.euronews.com/2024/01/21/irak-frappes-contre-une-base-militaire-abritant-des-troupes-americaines">bombardée le 21 janvier</a> par des groupes chiites irakiens) a obligé le gouvernement de Soudani – qui entretient des relations étroites avec l’Iran tout en étant un interlocuteur acceptable pour les États-Unis – <a href="https://www.afrique-asie.fr/le-premier-ministre-irakien-declare-que-bagdad-se-dirige-vers-la-fin-de-la-presence-militaire-americaine-dans-le-pays/">à affirmer sa volonté de mettre fin à la présence américaine en Irak</a>. Désormais, la question du retrait américain <a href="https://www.dhnet.be/dernieres-depeches/2024/01/26/bagdad-et-washington-vont-discuter-de-lavenir-de-la-coalition-antijihadistes-YKURWB46YRFORM2ES5DGP4RB5E/">est en discussion entre les États-Unis et les autorités de Bagdad</a>.</p>
<p>Force est de constater que les dynamiques belligènes initialement liées au contexte de la guerre de Gaza débordent de ce cadre et s’inscrivent désormais dans le cadre d’une confrontation directe entre les Américains et une partie des acteurs locaux.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1750903489822130179"}"></div></p>
<h2>Washington face à la détermination des Houthis</h2>
<p>Au Yémen également, il devient de plus en plus difficile pour les États-Unis d’éviter un engrenage irréversible après les <a href="https://www.lefigaro.fr/international/frappes-aeriennes-contre-les-houthis-au-yemen-tout-comprendre-a-la-riposte-des-etats-unis-et-du-royaume-uni-20240112">frappes de représailles du 2 janvier qui ont pris pour cible les positions des Houthis</a>.</p>
<p>Ces derniers, qui affirment agir en solidarité avec les Palestiniens de Gaza depuis le début de la guerre, ont <a href="https://www.newarab.com/news/us-uk-air-strikes-hit-yemen-fallout-gaza-war-grows">lancé de nombreuses attaques contre les navires considérés comme liés à Israël en mer Rouge</a>. À la suite des représailles de Washington, les Houthis ont averti que cette « agression américaine » « ne resterait pas sans réponse ».</p>
<p>Bien qu’il bénéficie du soutien opérationnel de l’Iran, le <a href="https://orientxxi.info/magazine/la-revanche-inattendue-du-confessionnalisme-au-yemen,0677">groupe est très enraciné localement</a> et s’est imposé à la faveur de ses succès militaires comme une force politique majeure contrôlant la capitale Sanaa et de larges parties du territoire dans le nord et l’ouest du pays à l’issue de sept ans de conflit avec Riyad.</p>
<p>Si le renversement du gouvernement yéménite en 2014 a constitué un facteur déterminant dans la décision saoudienne de lancer sa campagne aérienne le 26 mars 2015, des années d’enlisement dans la guerre du Yémen ont conduit Riyad à réviser sa position et à négocier avec le groupe. Après plusieurs mois de discussions, les deux acteurs <a href="https://www.wsj.com/world/middle-east/israel-hamas-war-jeopardizes-prospects-for-yemen-peace-e89553b9">ont adopté une feuille de route pour la résolution du conflit</a>.</p>
<p>Dans le contexte de l’escalade entre Israël et les Houthis, l’Arabie saoudite est soucieuse de maintenir la trêve intra-yéménite et une perspective de sortie d’un conflit qu’elle n’a pas gagné. C’est la raison pour laquelle Riyad a <a href="https://www.zonebourse.com/actualite-bourse/L-Arabie-saoudite-appelle-a-la-retenue-apres-les-frappes-au-Yemen-45727743/">exprimé son inquiétude et appelé à la retenue après les frappes aériennes</a> menées conjointement par les États-Unis et le Royaume-Uni.</p>
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<p>Face à la posture des Houthis, les États-Unis ont, à l’heure actuelle, des <a href="https://www.wsj.com/world/middle-east/u-s-led-coalition-warns-houthis-to-stop-ship-attacks-cfd490df">leviers d’action très limités</a>. Comme l’explique <a href="https://www.rand.org/pubs/commentary/2023/12/a-precarious-moment-for-yemens-truce.html">Alexandra Stark, chercheuse associée à la Rand Corporation</a>, « les dix dernières années de combats ont montré qu’il est peu probable que la coercition ou la force militaire suffisent à dissuader les Houthis. Au contraire, des représailles militaires importantes de la part des États-Unis risqueraient de provoquer une nouvelle escalade et d’ouvrir un nouveau front majeur dans la région, alors que les États-Unis et leurs partenaires régionaux ont, en matière de sécurité, investi beaucoup de temps et de ressources pour se dégager de la guerre au Yémen ».</p>
<p>Ces conclusions sont partagées par <a href="https://tcf.org/content/commentary/blood-in-the-water-how-the-gaza-war-spilled-into-the-red-sea:">Aron Lund</a>, analyste à l’Agence suédoise de recherche pour la défense, qui rappelle que les attaques directes contre des cibles houthies au Yémen risquent d’entraîner les États-Unis dans un conflit qu’ils ne peuvent pas gagner par leur puissance militaire :</p>
<blockquote>
<p>« Alors que des milliers de Palestiniens sont morts et que Gaza est en ruines, souffrant d’une famine généralisée, les revendications des Houthis trouvent un écho puissant non seulement au Yémen, mais aussi dans tout le Moyen-Orient et au-delà. L’administration Biden a provoqué un tollé mondial en soutenant son allié à l’extrême, en défendant les tactiques israéliennes brutales et en expédiant des armes pour aider Israël à poursuivre la guerre […]. Tant que le carnage à Gaza n’aura pas pris fin, toute résolution sérieuse de la crise en mer Rouge semble improbable. »</p>
</blockquote>
<h2>L’Amérique peut-elle s’engager sur tous les fronts ?</h2>
<p>Il est vrai que les interventions militaires de ces dernières années ont démontré l’impuissance des armées occidentales face à des adversaires ayant recours à des techniques de guerre asymétrique. Par ailleurs, l’enlisement dans une nouvelle guerre sans fin aurait un coût élevé pour Washington. Si dès son entrée en fonctions, l’administration Biden a <a href="https://theconversation.com/quelle-politique-pour-ladministration-biden-au-moyen-orient-150681">donné des garanties à Israël sur la permanence du soutien américain</a>, elle affichait également une volonté d’apaiser les tensions avec l’Iran pour se focaliser sur sa principale priorité stratégique, à savoir la compétition de puissance avec la Chine. Les cartes ont été rebattues avec la guerre en Ukraine. Washington a apporté dans un premier temps un appui financier massif à Kiev avant, dernièrement, de <a href="https://theconversation.com/why-the-us-and-its-partners-cannot-afford-to-go-soft-on-support-for-ukraine-now-217538">remettre cet engagement en cause</a>.</p>
<p>Du fait de leur engagement militaire inconditionnel aux côtés d’Israël, les États-Unis se retrouvent aujourd’hui confrontés au risque imminent d’une réactivation des conflits directs avec des acteurs locaux en Irak et au Yémen dans un contexte où ils peinent à la fois à se départir du bourbier ukrainien et à contenir les ambitions de puissance de la Chine.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/221671/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Ces deux groupes liés à l’Iran s’en sont pris à Israël depuis le début des bombardements sur Gaza, suscitant des représailles américaines. Mais ces frappes ne suffiront pas à les faire renoncer.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2209922024-01-16T16:23:25Z2024-01-16T16:23:25ZRéimaginer des horizons politiques en Israël/Palestine<p>Aux heures les plus sombres, tentons d’écouter les rossignols qui chantent encore, qu’on les dénomme <em>balâbil</em> (en arabe) ou <em>zmirim</em> (en hébreu). Alors que les massacres et les bombardements engendrent leurs cortèges de morts, de souffrances, de haines et d’appels à la vengeance dans l’espace israélo-palestinien et au-delà, il est indispensable de poser – une énième fois – la question du règlement politique d’un conflit dont les racines remontent à la fin du XIX<sup>e</sup> siècle.</p>
<h2>Le mantra de la « solution à deux États »</h2>
<p>Durant ces trente dernières années, la <a href="https://www.cairn.info/israel-palestine-une-guerre-sans-fin--9782200633691-page-135.htm">« solution à deux États »</a> s’est transformée d’un dispositif politique contesté mais envisageable au moment de la signature des accords d’Oslo (1993) à un outil rhétorique <a href="https://www.cairn.info/moyen-orient--9791031803364-page-193.htm">déconnecté des réalités de terrain</a>, qui ne cesse pourtant d’être réitéré comme un leitmotiv par les acteurs de la diplomatie internationale. Mais de <em>quelle</em> solution à deux États parle-t-on ?</p>
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<p>Comme <a href="https://doi.org/10.3917/pe.133.0011">l’affirmait l’intellectuel palestinien Sari Nusseibeh en 2013</a> – et comme l’ont affirmé bien d’autres avant et après lui –, la création de deux États selon les frontières « de 1967 » (lignes du cessez-le-feu qui, à l’issue de la guerre israélo-arabe de 1948-1949, dessinèrent les contours de la Cisjordanie annexée par la Jordanie et de la bande de Gaza contrôlée par l’Égypte) n’est plus une option réaliste, notamment à cause de la <a href="https://www.ouest-france.fr/monde/israel/israel-palestine-comment-la-colonisation-juive-a-torpille-la-solution-a-deux-etats-6b4d4922-7288-11ee-a00f-d55111ba52f2">colonisation juive massive en Cisjordanie</a> depuis la conquête israélienne de 1967.</p>
<p>On peut aisément avancer qu’elle ne l’a jamais été : la discontinuité territoriale entre la Cisjordanie et la bande de Gaza empêche de penser sérieusement un État palestinien dans ces espaces, avant même de prendre en considération le <a href="https://journals.openedition.org/bcrfj/6291">morcellement interne de la Cisjordanie</a> impulsé par les accords d’Oslo (zones A, B, C) puis par les dispositifs de contrôle israéliens mis sur pied lors de la seconde Intifada (2000-2005).</p>
<h2>Pragmatisme et référendum populaire</h2>
<p>Adoptons une perspective pragmatique. La population qui vit entre la Méditerranée et le Jourdain – dans un territoire deux fois plus petit que la Suisse – a été multipliée par 20 en un siècle, atteignant aujourd’hui 15,3 millions d’individus – grosso modo 50 % de Juifs et 50 % d’Arabes.</p>
<p>Cinq générations successives ont été traversées par le conflit. Combien de générations devraient encore en subir les effets dévastateurs ? Les Israéliens ne « retourneront » pas en Russie, en Pologne, en Allemagne, en Irak, au Yémen, au Maroc ou en Iran, pas plus que les Palestiniens qui vivent encore en Israël/Palestine de nos jours ne s’exileront en Égypte, en Jordanie, au Liban ou en Arabie saoudite. Moins que la quantité des ressources foncières et hydriques disponibles, c’est <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Eau-et-conflits-dans-le-bassin-du-Jourdain.html">leur répartition et leur appropriation</a>, clairement favorables à Israël, qui posent problème.</p>
<p>La violence insoutenable de la séquence entamée le 7 octobre 2023 et, plus structurellement, le déni de reconnaissance politique et les violations de droits que subissent les Palestiniens depuis le début du mandat britannique (1920-1948), mais aussi le sentiment de menace existentielle qui pèse sur une société israélienne isolée au sein d’un environnement arabe hostile, doivent conduire à imaginer des solutions concrètes, inévitablement fondées sur le compromis.</p>
<p>Le plus grand défi est l’adhésion d’une majorité d’Israéliens et de Palestiniens à la possibilité d’un dialogue, sinon à une vision commune. Sari Nusseibeh et Ami Ayalon s’étaient heurtés à cet obstacle en 2003 dans le cadre de leur initiative <a href="https://web.international.ucla.edu/institute/article/5056">« The People’s Voice »</a> visant à recueillir un million de signatures de part et d’autre en soutien à la solution classique à deux États ; ils en avaient obtenu un dixième à l’époque. Mais les immenses dégâts causés par le conflit, dans le quotidien aussi bien que sur la longue durée, ne pourraient-ils pas convaincre une masse critique de la nécessité d’un compromis politique, pour enfin vivre en paix sur cette terre si (trop ?) riche d’histoires, de cultures et d’énergies humaines ?</p>
<p>Imaginons un référendum populaire organisé par une instance internationale auprès des Israéliens et des Palestiniens. Les votants, qui devraient remplir deux conditions pour participer au référendum (détenir la citoyenneté israélienne ou palestinienne <em>et</em> résider entre la Méditerranée et le Jourdain), seraient invités à se prononcer en faveur de l’une des deux options suivantes : un État multiconfessionnel et trilingue dans l’ensemble de l’espace israélo-palestinien ou deux États distincts fondés sur l’ethnicité (arabe/juive).</p>
<p>Le Royaume-Uni, l’Allemagne et les États-Unis joueraient un rôle central dans cette instance internationale au vu de leurs responsabilités historiques respectives dans la genèse du conflit arabo-sioniste puis israélo-palestinien : le premier par son soutien précoce au sionisme, avant la chute de l’Empire ottoman (déclaration Balfour de 1917) et plus encore durant la majeure partie de l’époque mandataire ; la seconde en raison de la conception et de la mise en œuvre du génocide juif par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale, puis de son appui inconditionnel à l’État d’Israël ; les derniers par leur soutien constant à leur allié israélien au Moyen-Orient. La participation de l’Égypte et de la Jordanie à cette instance serait précieuse en tant qu’États arabes voisins qui partagent la triple expérience d’avoir participé aux guerres contre Israël jusqu’aux années 1970, occupé des territoires palestiniens (1948-1967) et <em>in fine</em> signé des traités de paix (même froide) avec Israël.</p>
<h2>L’option d’un État multiconfessionnel et trilingue</h2>
<p>Si elle était retenue, l’option d’un seul État multiconfessionnel (judaïsme, islam, christianisme ; religions druze, samaritaine et bahaïe) doté de trois langues officielles (hébreu, arabe, anglais) consacrerait comme priorité, pour la plupart des habitants, le fait de coexister dans un cadre politique commun et d’avoir accès à la totalité du pays, de la Galilée boisée au nord jusqu’à la pointe sud du désert du Néguev en passant par les collines et les plaines du centre.</p>
<p>Il s’agirait alors de rejeter délibérément le cadre conceptuel d’un État « binational », <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/etat-federal-unique-binational-ces-pistes-oubliees-pour-mettre-fin-au-conflit-entre-israel-et-palestine_6265413.html">souvent évoqué</a>, pour dégager l’espace israélo-palestinien de l’ethnicité étouffante (judéité/arabité) à laquelle les politiques étatiques et les relations sociales l’ont souvent réduit depuis des décennies.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1745128369824391331"}"></div></p>
<p>Ni « Israël », ni « Palestine », mais un nouveau nom à imaginer et un régime nécessairement démocratique pour garantir, entre autres libertés, les libertés de croyance, de pensée et de culte, ainsi que l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Cet État aurait Jérusalem pour capitale.</p>
<p>Les avantages de cette solution seraient nombreux, parmi lesquels la liberté de mouvement pour toutes et tous sur l’ensemble du territoire, la taille raisonnable de cette entité politique, la variété de ses climats et de ses ressources, l’évitement du casse-tête que constitue le tracé de nouvelles frontières internes.</p>
<p>Le coût principal lié à la mise en place d’un tel État serait, pour les Israéliens et les Palestiniens, de renoncer à des symboles nationaux fondés sur une seule religion et/ou une seule langue, tout en préservant leurs histoires singulières. Cette nouvelle communauté de citoyens devrait s’accommoder de référentiels plus souples, permettant une pluralité d’identités reconnues, voire des formes d’hybridation, ce qui serait facilité par le <a href="https://doi.org/10.1080/13670050.2018.1452893">bilinguisme arabe/hébreu</a> existant déjà parmi une frange non négligeable de la population en Palestine et en Israël.</p>
<p>Si au sein de certains milieux palestiniens et israéliens, des prises de position et des actions en faveur d’un seul État démocratique se développent depuis plusieurs années (<a href="https://onestatecampaign.org/en/">One Democratic State Campaign</a>, <a href="https://www.zochrot.org/articles/view/286/en">Zochrot</a>), ces initiatives restent pour le moment très minoritaires ; elles postulent souvent la mise en œuvre intégrale du droit au retour des réfugiés palestiniens en se référant à la résolution 194 de l’ONU (décembre 1948), alors que le nombre d’individus enregistrés comme tels a plus que sextuplé en 75 ans. Nous y reviendrons plus bas.</p>
<h2>Deux États à base ethnique ?</h2>
<p>L’option alternative consisterait en une variation de la solution « classique » à deux États. Cimenté par l’ethnicité, chacun des États arabe et juif devrait toutefois bénéficier d’une continuité territoriale interne et d’un accès direct à la mer Méditerranée. Ces contraintes vitales impliqueraient un axe frontalier ouest-est plutôt que le puzzle à six pièces envisagé par l’ONU dans son <a href="https://www.un.org/unispal/document/auto-insert-208958/">plan de partage de novembre 1947</a>, dessiné principalement selon les zones de peuplement de la minorité juive (à l’époque un tiers de la population et 7 % de la propriété foncière). Dans un souci de viabilité, l’État du sud jouirait d’une superficie plus étendue pour compenser les inconvénients du Néguev désertique, moins propice à l’agriculture, à l’habitat et aux activités industrielles que le reste du pays.</p>
<p>La capitale des deux États serait une <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Jerusalem-la-fin-d-une-ville-sacree.html">Jérusalem</a> partitionnée, dont les lieux saints – voire l’ensemble de la veille ville – seraient placés sous une tutelle internationale, combinant ainsi une souveraineté locale sur la plupart des quartiers de la ville avec un mécanisme international régulant l’accès des fidèles et des visiteurs à l’Esplanade des Mosquées/Mont du Temple, au Mur des Lamentations et à l’Église du Saint-Sépulcre.</p>
<p>Informés du futur tracé des frontières, les habitants de l’actuel espace israélo-palestinien auraient la possibilité, avant la proclamation des deux États, de choisir leur lieu de résidence et la citoyenneté correspondante. Cette configuration permettrait aux nationalismes palestinien et israélien de s’incarner chacun dans un État souverain ; elle présenterait aussi l’avantage de laisser le choix du régime politique à l’appréciation des acteurs locaux.</p>
<p>Elle supposerait toutefois des concessions et des défis importants. Outre le format réduit de chacun des deux États, cette option impliquerait des remaniements démographiques et toponymiques pour, d’une part, permettre aux gens de choisir l’État sous la juridiction duquel ils entendent vivre et, d’autre part, hébraïser ou arabiser les noms de localités et de régions selon qu’ils sont situés au sein de l’État à majorité juive ou de son homologue arabe. Ces <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520234222/sacred-landscape">transformations toponymiques</a> semblent possibles dès lors que l’on considère les strates historiques, lointaines et proches, d’arabisation et d’hébraïsation de cet espace (respectivement VII<sup>e</sup>-VIII<sup>e</sup> siècles et années 1950), qui ont abouti à la succession ou à la coprésence de <a href="https://journals.sagepub.com/doi/abs/10.1068/d2613">toponymes dans les deux langues</a> pour nombre de sites.</p>
<p>Enfin, ces États à base ethnique devraient renoncer à toute revendication d’exclusivité sur les lieux saints de Jérusalem. Le risque de guerre entre deux États aux idéologies religieuses et/ou nationalistes exacerbées, aux appétits territoriaux non assouvis et aux régimes politiques potentiellement différents serait élevé.</p>
<h2>Les réfugiés palestiniens</h2>
<p>Quel serait alors le sort des plus de <a href="https://theconversation.com/quelle-conscience-politique-deux-memes-ont-les-jeunes-palestiniens-en-exil-161547">5 millions de réfugiés palestiniens</a> qui vivent hors d’Israël/Palestine, principalement au Liban, en Syrie et en Jordanie ? Plusieurs options devraient leur être proposées, tant il est insensé que ce statut de réfugié, imaginé en 1949 par l’UNRWA comme temporaire – notamment en vertu du droit au retour des Palestiniens voté par l’Assemblée générale de l’ONU un an plus tôt –, se transmette de génération en génération depuis 75 ans.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1731750787909288067"}"></div></p>
<p>S’inspirant des négociations israélo-palestiniennes les plus avancées dans l’histoire du conflit (<a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2002_num_48_1_3698">sommet de Taba en 2001</a>), restées lettre morte, trois options pourraient être sérieusement méditées, qu’il y ait un ou deux États en Israël/Palestine : le « retour » des réfugiés dans l’espace israélo-palestinien ; leur intégration réelle et durable dans la société d’accueil via l’acquisition de la citoyenneté ; leur émigration vers un pays tiers.</p>
<p>Dans tous les cas, et préalablement à la création d’un État multiconfessionnel ou de deux États à base ethnique, l’actuel État d’Israël devra reconnaître sa responsabilité historique dans l’exode de 750 000 Palestiniens en 1948-1949 et la dépossession foncière et bancaire d’un plus grand nombre encore, qu’ils soient devenus des réfugiés externes ou des déplacés internes (minorité palestinienne détentrice de la citoyenneté israélienne). Cette reconnaissance officielle, qui devrait aussi englober l’exil de 300 000 Palestiniens en 1967 et être accompagnée d’une indemnisation financière, est incontournable pour commencer à tourner la page d’un <a href="https://www.persee.fr/doc/gazar_0016-5522_1995_num_169_1_3358_t1_0316_0000_2">« passé qui ne passe pas »</a>. Quant aux Israéliens résidant à l’étranger, ils se verraient proposer la nationalité de l’État unique ou de l’un des deux États ethniques, selon les résultats du référendum.</p>
<p>En tant qu’historienne, il n’est pas dans mes habitudes, ni généralement dans celles de ma profession, d’adopter une posture prescriptive. Restituer et analyser les réalités passées des sociétés humaines, toujours complexes et insaisissables dans leur totalité, en se gardant de « prédire » le passé en fonction d’une fin connue d’avance, exige déjà un travail passionnant et une certaine dose d’humilité. Les pistes de réflexion formulées dans ce bref article peuvent paraître utopiques dans un monde fissuré par la montée en puissance des intérêts géopolitiques nationaux et la prééminence des rapports de force sur le droit international tel qu’incarné par l’ONU. Mais si les sciences humaines et sociales peuvent apporter des éclairages et des idées aux décideurs et aux militants, un petit pas aura été franchi dans l’ouverture de nouveaux horizons politiques au Proche-Orient.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220992/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Iris Seri-Hersch ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Le système actuel ne peut pas garantir un avenir de paix pour les Israéliens et les Palestiniens. Alors, quelles options ? Faut-il envisager un État unique ou deux États ? Et selon quelles modalités ?Iris Seri-Hersch, Maîtresse de conférences - Histoire contemporaine du monde arabe - Département d'études moyen-orientales (DEMO), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2200622024-01-01T15:44:36Z2024-01-01T15:44:36ZTurquie : où en est-on trois ans après la transformation de Sainte-Sophie en mosquée ?<p>En octobre 2023, le ministre turc de la Culture et du Tourisme a <a href="https://lepetitjournal.com/istanbul/actualites/visiter-sainte-sophie-va-devenir-payant-en-2024-371869">annoncé</a> que l’entrée dans l’ancienne basilique byzantine devenue mosquée allait redevenir payante à compter de janvier 2024, pour les visiteurs étrangers, afin de financer la préservation de l’édifice.</p>
<p>L’annonce est aussi l’occasion de faire un bilan du changement de statut de cet édifice emblématique dans le contexte des prochaines élections municipales qui s’annoncent disputées et tendues à Istanbul.</p>
<h2>Les multiples destinations de Sainte-Sophie (Ayasofya)</h2>
<p>Construite par les Byzantins au VI<sup>e</sup> siècle avant même l’apparition de l’islam, elle incarne la chrétienté d’Orient par ses dimensions tant matérielle que spirituelle, avant d’être, pendant un peu plus d’un demi-siècle, après la prise de Constantinople lors de la quatrième croisade en 1204 (qui se solde notamment par son pillage), le siège du patriarcat latin de la ville, qui dépend de l’Église de Rome. </p>
<p>Redevenue orthodoxe en 1261, quand les Byzantins reprennent la cité, Sainte-Sophie le restera pour presque deux siècles. En 1453, elle est convertie en mosquée au soir de la prise de Constantinople par les Ottomans, et devient le symbole de leur victoire sur la chrétienté.</p>
<p>Aménagée pour la pratique du culte musulman, « Ayasofya » (en turc) est dès lors, pendant près de cinq siècles, la grande mosquée impériale où le Sultan se rend solennellement, chaque semaine, pour la prière du vendredi. Sa coupole imposante, à laquelle des minarets ont été adjoints, inspire l’architecture de la plupart des mosquées ottomanes et turques, construites par la suite.</p>
<p>Après la <a href="https://www.lefigaro.fr/histoire/archives/2018/10/28/26010-20181028ARTFIG00116-mustafa-kemal-atatuumlrk-proclamait-la-republique-turque-il-y-a-95-ans.php">proclamation de la République</a> en 1923, la <a href="https://www.retronews.fr/religions/chronique/2021/01/11/abolition-du-califat-par-mustafa-kemal">fin du Califat</a> en 1924 et de spectaculaires <a href="https://www.cairn.info/20-idees-recues-sur-la-turquie--9791031802473-page-25.htm">réformes de modernisation</a>, Mustafa Kemal Atatürk entend promouvoir un islam national. Dès 1924, il a ainsi placé la religion majoritaire (le sunnisme hanéfite) sous l’autorité d’une présidence des affaires religieuses (Diyanet). L’appel à la prière se fait désormais en turc et une lecture du Coran a même lieu en 1932 dans cette langue à Ayasofya. </p>
<p>En 1934, le leader de la Turquie moderne, qui vient de signer un <a href="https://www.cairn.info/revue-hypotheses-2006-1-page-283.htm">traité d’amitié</a> avec la Grèce et qui est en train de finaliser un <a href="https://www.jstor.org/stable/45344735">Pacte balkanique</a> avec des pays majoritairement orthodoxes, décide de transformer le bâtiment en musée pour le dédier symboliquement à l’humanité entière. Ce dernier devient alors l’un des symboles de la laïcité dans le pays ; il va aussi, au cours des décennies suivantes, se trouver au cœur des évolutions politiques de la Turquie, notamment de la tendance de plus en plus puissante qui prône un retour aux valeurs de l’islam.</p>
<p>Ainsi, dans les années 1950, le gouvernement du Parti démocrate d’Adnan Menderes, qui s’efforce d’assouplir le laïcisme kémaliste et qui restaure l’appel à la prière en arabe, fait réinstaller dans l’édifice de grands médaillons proclamant les noms d’Allah et des quatre premiers califes.</p>
<p>L’arrivée au pouvoir en 2002 des post-islamistes de l’AKP de Recep Tayyip Erdogan ne change pas immédiatement la donne pour Sainte-Sophie, ceux-ci étant surtout occupés à défendre la <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/adhesion-de-la-turquie-a-l-union-europeenne-ou-en-est-on/">candidature de leur pays à l’Union européenne</a>. Mais la deuxième décennie de l’AKP au pouvoir voit se multiplier les incidents et les polémiques. Des groupes radicaux tentent régulièrement de pénétrer dans l’enceinte du musée <a href="https://www.lemonde.fr/europe/article/2013/12/12/sainte-sophie-fait-de-la-politique_4333435_3214.html">pour y prier</a>. </p>
<p>Les déclarations de Recep Tayyip Erdogan évoquant le retour d’<em>Ayasofya</em> au culte musulman se font de plus en plus pressantes. En 2019, notamment, le chef de l’État turc adresse une véritable mise en garde aux Occidentaux, en s’écriant : « Ceux qui demeurent silencieux face aux violations de la mosquée Al Aqsa [la plus grande mosquée de Jérusalem, située sur l’esplanade des mosquées à proximité du Dôme du Rocher, troisième lieu saint de l’islam] n’ont rien à nous demander en ce qui concerne le statut de Sainte-Sophie. »</p>
<h2>Réislamisation et préservation du patrimoine culturel</h2>
<p>En juillet 2020, alors qu’il mène une <a href="https://theconversation.com/que-veut-la-turquie-en-mediterranee-orientale-147694">politique très offensive en Méditerranée orientale</a> pour faire valoir ses intérêts dans le grand jeu gazier qui s’y joue, Erdogan obtient du <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/07/10/en-turquie-recep-tayyip-erdogan-annonce-l-ouverture-de-l-ex-basilique-sainte-sophie-aux-prieres-musulmanes_6045870_3210.html">Conseil d’État turc</a> la reconversion du musée en mosquée. L’événement est un symbole de la réislamisation du pays, entreprise depuis plusieurs années.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/debat-sainte-sophie-transformee-en-mosquee-comment-sortir-de-limpasse-politico-religieuse-143417">Débat : Sainte-Sophie transformée en mosquée : comment sortir de l’impasse politico-religieuse ?</a>
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<p>L’accès au bâtiment semblait toutefois initialement sauvegardé et même facilité, puisque n’étant plus un musée, il était devenu libre et gratuit. Il reste que le premier étage de la basilique, où se situent les plus belles mosaïques sauvegardées, a été fermé pour des travaux qui s’éternisent, et que depuis trois ans son caractère de lieu de culte s’est affirmé au détriment de sa destination patrimoniale et culturelle. </p>
<p>La tenue de prières régulières confine souvent les visiteurs dans le narthex et la partie basse de la nef. Les mosaïques du cœur sont cachées par des rideaux qui, contrairement aux promesses initiales, ne sont pas mobiles. Un lieu de prière pour les femmes a été créé. Paradoxalement, l’atmosphère religieuse du lieu est plus ostensiblement affirmée que dans les grandes mosquées ottomanes d’Istanbul.</p>
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<a href="https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=1000&fit=clip"><img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=450&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/567503/original/file-20231230-23-l23w8.jpeg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=566&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px"></a>
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<span class="caption">Au cœur de l’édifice, les mosaïques sont cachées par des rideaux. Cliquer pour zoomer.</span>
<span class="attribution"><span class="source">I. Khillo, J. Marcou</span>, <span class="license">Fourni par l'auteur</span></span>
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<span class="caption">La mosaïque chrétienne de La Vierge et l’Enfant dans le dôme de Sainte-Sophie.</span>
<span class="attribution"><a class="source" href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:La_mosaique_de_la_Vierge_et_l%27Enfant_dans_le_dome_de_Sainte_Sophie_-_panoramio.jpg">Corine Rezel/Wikimedia</a>, <a class="license" href="http://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/">CC BY-SA</a></span>
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<p><a href="https://www.unesco.org/fr/articles/sainte-sophie-istanbul-declaration-de-lunesco?TSPD_101_R0=080713870fab20007120dfa926106f80e449d75135bb6904c6d51100f4d05b8481fcb7db80fbe469082ff89a8c143000f974b4f563c2c58089d4bffc38a9f0b13f883ff79035a51f6ab5b11bb7a1c7f6d68327b8fecf0508b4cd4eb489aaeb28">L’Unesco s’inquiète des évolutions en cours</a>. Alors qu’elle ne dépendait que du ministère de la Culture et du Tourisme, la gestion du bâtiment relève désormais de plusieurs autres instances, comme la Présidence des affaires religieuses (Diyanet), la direction des fondations et la préfecture d’Istanbul. La multiplication des acteurs rend plus difficiles les interventions visant à préserver l’édifice, lorsque des aménagements inappropriés sont réalisés. </p>
<p>En outre, la fin du paiement du droit d’entrée a privé l’État turc d’une manne financière pourtant nécessaire pour couvrir les énormes frais d’entretien et de préservation que les experts ont identifiés pour les cinquante années à venir. C’est ce qui explique la décision du ministère de la Culture de demander le paiement d’un droit d’entrée aux visiteurs étrangers à partir de 2024.</p>
<p>Il faut rappeler, en outre, que le changement de statut d’Ayasofya a été suivi, à Istanbul, par une reconversion similaire, celle de l’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2020/08/22/turquie-apres-sainte-sophie-une-autre-ex-eglise-reconvertie-en-mosquee_6049594_3210.html">église Saint-Sauveur-in-Chora</a>, considérée comme l’un des joyaux de l’art byzantin les mieux préservés du fait de la beauté de ses fresques et de ses mosaïques. Comme celles-ci couvrent l’ensemble des murs de l’ancienne église, on peut se demander comment on pourra aménager le site en mosquée en préservant la visibilité de ce patrimoine.</p>
<h2>L’enjeu électoral</h2>
<p>Il est probable que dans la perspective des élections municipales du printemps prochain et, par ailleurs, eu égard à la situation qui prévaut actuellement à Gaza, Recep Tayyip Erdogan compte entre autres sur ces initiatives religieuses pour obtenir les voix qui lui permettront de reconquérir la mairie métropolitaine d’Istanbul, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2019/06/24/turquie-erdogan-perd-istanbul-c-ur-de-son-pouvoir_5480713_3210.html">remportée par le kémaliste Ekrem Imamoglu en 2019</a>. </p>
<p>Les <a href="https://www.lesoir.be/516063/article/2023-05-28/elections-en-turquie-erdogan-revendique-la-victoire-la-presidentielle">élections de 2023</a>, qui ont vu la reconduction du leader de l’AKP à la présidence, ont montré la solidité et la résilience du socle conservateur religieux du pays, en dépit de l’urbanisation de ses modes de vie, de la <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/turquie-l-inflation-reste-stable-en-octobre-mais-le-pays-reste-englue-dans-la-crise-982249.html">crise économique</a> sans précédent qu’il subit, et des séismes qui ont ravagé le sud-est de son territoire en février dernier.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/seisme-en-turquie-la-catastrophe-humanitaire-sexplique-aussi-par-la-corruption-generalisee-200568">Séisme en Turquie : la catastrophe humanitaire s’explique aussi par la corruption généralisée</a>
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<p>Mais Istanbul n’est pas l’Anatolie, et au-delà de l’importante influence de l’opposition dans l’ancienne capitale ottomane, même son électorat conservateur pourrait bien, comme en 2019, se servir de ce scrutin local pour manifester le mécontentement lors des prochaines municipales qu’il n’a pas osé exprimer lors des dernières élections générales. </p>
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<p>Imad Khillo et Jean Marcou sont membres du séminaire <a href="https://www.collegedesbernardins.fr/seminaires/geopolitique-et-religions-autour-de-la-mediterranee-entre-permanence-et-recomposition">Géopolitique et religions autour de la méditerranée : entre permanence et recomposition</a> du Collège des Bernardins.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/220062/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Les auteurs ne travaillent pas, ne conseillent pas, ne possèdent pas de parts, ne reçoivent pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'ont déclaré aucune autre affiliation que leur organisme de recherche.</span></em></p>Trois ans après la transformation en mosquée de l’ancienne basilique Sainte-Sophie à Istanbul, où en est la stratégie de réislamisation de Recep Tayyip Erdogan ?Imad Khillo, Maître de conférences de droit public à Sciences Po Grenoble Chercheur associé à l'IREMMO-Institut de Recherche et d'Etudes Méditerranée Moyen-Orient, Sciences Po GrenobleJean Marcou, Directeur des relations internationales, Sciences Po GrenobleLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2179422023-12-03T16:30:44Z2023-12-03T16:30:44ZUn peuple dispersé : les Palestiniens face à la guerre de Gaza<p>En ce mois de novembre, plusieurs milliers de personnes, y compris des enfants, des personnes âgées et des blessés ont <a href="https://www.youtube.com/watch?v=gQ-s8P0ua-M">continué à quitter, à pied et par des moyens de fortune</a>, le nord de la bande de Gaza, violemment bombardé par Tsahal en réaction aux attaques commises par le Hamas le 7 octobre, pour se réfugier au sud. Ils rejoignent près de 1,7 million de déplacés à l’intérieur de l’ensemble de l’enclave, principalement <a href="https://www.unrwa.org/resources/reports/unrwa-situation-report-36-situation-gaza-strip-and-west-bank-including-east-Jerusalem">accueillis dans des écoles et autres établissements gérés par l’UNRWA</a>, l’agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens.</p>
<p>Les images de leur exode évoquent la mémoire encore vive de la <em>Nakba</em> de 1948, lorsque <a href="https://www.fayard.fr/livre/le-nettoyage-ethnique-de-la-palestine-9782213633961/">près de 800 000 Palestiniens avaient été contraints de quitter les territoires de l’actuel État d’Israël</a> pour trouver refuge en Jordanie, au Liban, en Syrie, en Cisjordanie et <a href="https://unrwa.photoshelter.com/galleries/C00009xWZSJER24M/G0000UP5ButuCiYs/I0000CiaCe7gyFDs/Historic-Milestones">dans la bande de Gaza</a>. Il ne faut pas oublier, en effet, que près de 75 % des habitants de Gaza, soit environ 1,5 million de personnes, <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/gaza-strip">sont des réfugiés</a> (la notion de réfugié <a href="https://www.un.org/fr/events/unrwa_at_60/pdf/info.pdf">s’étendant aux descendants directs des réfugiés des générations précédentes</a>).</p>
<p>Près de 6 millions de Palestiniens sont aujourd’hui réfugiés dans les pays voisins, où leur présence est régulée par une <a href="https://shs.hal.science/halshs-00719909v1/document">multiplicité de statuts juridiques plus au moins discriminatoires</a>. Plus de 1 million d’autres vivent dans les pays du Golfe et d’autres pays arabes où ils disposent d’un permis de résidence temporaire et peuvent à tout moment être expulsés. Près de 700 000 Palestiniens résident en <a href="https://www.euppublishing.com/doi/abs/10.3366/hlps.2020.0230">Amérique du Sud</a>, 100 000 en <a href="https://journals.openedition.org/remi/986">Europe</a> et quelques milliers en <a href="https://books.openedition.org/cedej/748?lang=fr">Amérique du Nord</a> où ils ont été en grande partie naturalisés.</p>
<p>À ces Palestiniens « de l’extérieur » s’ajoutent les 5,5 millions d’habitants des territoires occupés par Israël en 1967, dont 3,5 millions ont un statut de réfugiés, et près de 2 millions de personnes désignées comme les « Arabes d’Israël », mais qui se qualifient comme les « Palestiniens de 1948 » et qui, tout en ayant la nationalité israélienne, sont de fait des <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/232064">citoyens de deuxième catégorie</a>. Objets de discriminations dans l’attribution des financements aux municipalités où ils sont installés (principalement dans le nord d’Israël), ces Palestiniens de 1948 sont aussi confrontés à des attaques récurrentes et à la <a href="https://www.adalah.org/en/content/view/7589">démolition de leurs habitations comme dans les villages bédouins du Néguev</a>. Ces violences ont augmenté face au projet de l’extrême droite israélienne de faire reconnaître la nature juive de l’État d’Israël, et plus encore <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/guerre-israel-hamas-flambee-de-violence-dans-les-colonies-en-cisjordanie-2026426">depuis le 7 octobre dernier</a>. </p>
<p>Ces populations, aux statuts juridiques variés et dispersées aux quatre coins du monde, constituent aujourd’hui le peuple palestinien. Un puzzle composite dont l’histoire, marquée par une vulnérabilité accrue, nous rappelle que le conflit israélo-palestinien a débuté bien avant le 7 octobre 2023. </p>
<h2>Les Palestiniens dans les pays arabes : entre vulnérabilité permanente et discriminations</h2>
<p>Deux déplacements majeurs des Palestiniens ont eu lieu au XX<sup>e</sup> siècle : le premier s’est produit entre 1947 et 1948, au moment de la <em>Nakba</em> (catastrophe en arabe), avec la formation de l’État d’Israël sur 78 % du territoire de la Palestine historique ; le second en 1967 lors de la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/conflit-israelo-palestinien-anniversaire-de-la-naksa-05-06-2013-1676628_24.php"><em>Naksa</em></a> (rechute en arabe), terme désignant l’occupation par Israël, en 1967, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza (les 22 % restants de la Palestine historique) ainsi que des régions du Golan syrien et du Sinaï égyptien.</p>
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<p>La Jordanie est le pays à avoir accueilli le plus grand nombre de réfugiés en 1948 (près de 400 000). La plupart d’entre eux <a href="https://shs.hal.science/halshs-00411839/document">ont obtenu la nationalité jordanienne</a>. Aujourd’hui, on estime que près de la moitié des 11 millions de Jordaniens sont d’origine palestinienne. <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/jordan">Plus de 2 millions d’entre eux continuent à être enregistrés auprès de l’UNRWA</a> et bénéficient de ses aides et services. Environ 30 000 Palestiniens sont arrivés en Jordanie en provenance de la bande de Gaza en 1967. À l’inverse de leurs compatriotes arrivés près de vingt ans auparavant, ils disposent d’un passeport temporaire renouvelable tous les deux ans, et <a href="https://prc.org.uk/upload/library/files/DecadesOfResilience2018.pdf">n’ont qu’un accès restreint au marché du travail et à la protection sociale</a>.</p>
<p>Les Jordaniens d’origine palestinienne, principalement installés dans la capitale Amman, font l’objet de discriminations informelles en ce qui concerne l’accès aux postes à responsabilité dans la fonction publique ainsi que <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/cultures-monde/jordanie-liban-le-dilemme-des-palestiniens-en-exil-6604223">dans l’accès à l’enseignement secondaire</a>.</p>
<p>Par ailleurs, l’obtention de la nationalité jordanienne n’a pas entravé l’expulsion, à l’issue des violents affrontements dits de « Septembre noir » en 1970, entre les factions de l’OLP et les autorités jordaniennes, de plusieurs milliers de militants armés avec leurs familles vers la Syrie et le Liban. Ne pouvant plus faire renouveler leurs documents, ils sont devenus, dans ces pays, des « sans-papiers ».</p>
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<figcaption><span class="caption">24h sur la Une du 23 septembre 1970 – La situation en Jordanie, Archive INA.</span></figcaption>
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<p>Au Liban, l’arrivée des Palestiniens à partir de 1947, à l’issue du <a href="https://www.lepoint.fr/monde/il-y-a-70-ans-un-plan-de-partage-conteste-de-la-palestine-25-11-2017-2174983_24.php">vote du « Plan de Partage » par l’Assemblée générale des Nations unies</a>, risquait de déstabiliser l’équilibre du pays, fondé sur la répartition du pouvoir entre confessions religieuses. Cela explique l’attribution à ces nouveaux arrivants d’un statut juridique particulièrement discriminatoire qui s’est durci à la fin de la guerre civile (1975-1990), leur <a href="https://books.openedition.org/editionscnrs/2418">interdisant l’accès à la plupart des professions</a>. Près de 80 % des 480 000 réfugiés palestiniens résidant aujourd’hui dans le pays vivent sous le seuil de pauvreté national.</p>
<p>En Syrie, où les Palestiniens n’ont jamais dépassé 2 à 3 % de la population totale, ils ont obtenu les mêmes droits que les Syriens en matière d’accès au travail, à l’éducation et la santé. Cependant, comme les Palestiniens du Liban, ils ne se sont pas vu attribuer la nationalité du pays d’accueil, officiellement parce que les gouvernements de Beyrouth et de Damas souhaitaient préserver leur « droit au retour » établi dès 1949 par la <a href="https://www.unrwa.org/content/resolution-194">résolution 194 de l’ONU</a> – ce qui les rend, de fait, apatrides.</p>
<p>En tant que réfugiés, les Palestiniens dans les pays voisins demeurent <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2013-4-page-95.htm">particulièrement vulnérables</a>, notamment face aux conflits qui ébranlent périodiquement ces pays, comme c’est le cas en <a href="https://journals.openedition.org/conflits/18489">Syrie depuis 2011</a>. Parmi les 560 000 Palestiniens de Syrie enregistrés auprès de l’UNRWA en 2012, <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/syria">près de la moitié étaient déplacés à l’intérieur du pays</a>, et environ 130 000 ont cherché à trouver refuge en Jordanie, où ils ont été refoulés à la frontière, au Liban, où leurs permis de séjour ne sont pas renouvelés, ou bien ont pris la route de la migration illégale vers l’Europe. </p>
<p>Cette même vulnérabilité marque aussi le quotidien des Palestiniens qui, à partir des territoires occupés ou des pays voisins, ont migré dans les pays du Golfe, même si certains d’entre eux y ont connu une ascension sociale remarquable et joué un rôle important dans le développement de pays comme le Koweït. Avant 1990, près de 400 000 Palestiniens contribuaient de manière significative au système éducatif et politique, ainsi qu’au secteur privé koweïtien avant d’être <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/1648096">expulsés vers la Jordanie lors de la guerre contre l’Irak</a>, en raison du soutien que l’OLP accorda à Saddam Hussein. Aujourd’hui, les Palestiniens du Golfe, <a href="https://books.openedition.org/diacritiques/5764?lang=fr">principalement employés dans les professions libérales, l’industrie pétrolière et l’enseignement</a>, ne peuvent pas espérer obtenir la nationalité d’un de ces pays, qui est attribuée seulement dans des cas exceptionnels, comme celui de <a href="https://www.bidoun.org/articles/zayed-zaki-nusseibeh">Zaki Nusseibeh</a>, actuel conseiller culturel du président des Émirats arabes unis.</p>
<h2>Les réactions face à la guerre de Gaza : entre solidarité et répression</h2>
<p>À partir des années 1960, les Palestiniens de l’extérieur ont joué un rôle central dans la recomposition du mouvement national palestinien, qui se structure <a href="https://www.cairn.info/revue-autrepart-2003-2-page-91.htm?ref=doi">au sein des camps de réfugiés en Jordanie, au Liban et en Syrie</a>. Ces mêmes camps n’ont pas cessé, au fil des ans, d’être des caisses de résonance des événements qui se produisaient en Palestine, tout en développant, dans les années 2000, des formes de mobilisation qui leur étaient propres, notamment à travers la création de comités pour la défense du « droit au retour » indépendants des formations politiques, dans un contexte de <a href="https://www.palestine-studies.org/en/node/42541">profonde délégitimation de ces dernières</a>. Les principaux acteurs politiques palestiniens disposent de représentations dans les camps du Liban et de Syrie, où ils jouissent d’une marge de manœuvre variable en fonction des orientations géopolitiques de ces pays.</p>
<p>Depuis le début du conflit à Gaza, des manifestations en soutien aux Palestiniens ont eu lieu dans les pays d’accueil des réfugiés. Toutefois, ces manifestations de solidarité avec Gaza en proie aux frappes israéliennes ont été étroitement encadrées par les autorités de ces pays.</p>
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<p>En Jordanie, une des manifestations s’est soldée par un <a href="https://www.youtube.com/watch?v=LfgN3A7JXTY">assaut contre l’ambassade d’Israël</a>. Des étudiants tentant de mobiliser leurs camarades au sein de leurs établissements sont arrêtés. S’approcher de la zone frontalière avec Israël est interdit.</p>
<p>En Syrie, le régime a interdit toute manifestation, à l’exception de deux rassemblements parrainés par lui-même et qui se sont déroulés dans le centre de Damas et dans le camp palestinien de Yarmouk, partiellement détruit par la guerre. Plusieurs Palestiniens qui cherchaient à organiser une manifestation non autorisée à la périphérie de Damas ont été arrêtés.</p>
<p>Au-delà des mobilisations caritatives à destination de Gaza, toute manifestation de rue est interdite dans les pays du Golfe, notamment dans les Émirats arabes unis, où la population palestinienne vit avec le poids, depuis 2020, de la <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Le-processus-de-normalisation-diplomatique-d-Israel-avec-les-pays-arabes-a-l.html">normalisation des relations avec Israël</a>. Les Palestiniens de 1948, quant à eux, font face à des campagnes d’emprisonnements qui touchent également plusieurs milliers de travailleurs gazaouis en Israël et de Palestiniens en Cisjordanie (<a href="https://www.amnesty.org/en/latest/news/2023/11/israel-opt-horrifying-cases-of-torture-and-degrading-treatment-of-palestinian-detainees-amid-spike-in-arbitrary-arrests/">près de 2 200 personnes ont été emprisonées par Israël depuis le 7 octobre selon Amnesty International)</a>.</p>
<h2>Pas de solution durable sans justice pour l’ensemble du peuple palestinien</h2>
<p>En dépit des restrictions, les Palestiniens de l’extérieur continuent à manifester leur soutien à leur peuple demeurant à l’intérieur des territoires occupés. 75 ans après l’exode de 1948, ils n’ont pas oublié leur histoire collective – et, en ce sens, les discriminations dont ils font l’objet dans les différents pays d’accueil ont sans doute contribué à renforcer leur sentiment d’appartenance nationale.</p>
<p>Pour cette raison, la question des réfugiés continue d’être un dossier incontournable même si elle est rangée dans un placard, <a href="https://journals.openedition.org/remmm/14072">ensemble avec le dossier des colonies et le statut de Jérusalem</a> depuis la signature des accords d’Oslo de 1993 qui avaient reporté la discussion à la fin de la phase intérimaire de cinq ans ; or celle-ci ne déboucha pas sur la formation d’une entité étatique palestinienne, en raison de la poursuite de l’occupation et de l’expansion grimpante de la <a href="https://orientxxi.info/documents/chronologies/chronologie-des-accords-d-oslo-1991-2000,0342">colonisation illégale en Cisjordanie</a>.</p>
<p>L’objectif majoritairement partagé par ces générations d’exilés qui, à de rares exceptions près, et en bonne partie à cause des politiques des autorités des pays d’accueil, continuent de se sentir bien plus palestiniens que jordaniens, libanais ou syriens est de pouvoir un jour se réinstaller là où vivaient leurs ancêtres. Aucune solution juste et durable au conflit israélo-palestinien ne peut donc entre envisagée sans prendre en compte le destin des réfugiés palestiniens aux côtés de celui des Palestiniens des territoires occupés.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217942/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Valentina Napolitano ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Selon diverses estimations, les Palestiniens seraient au total un peu moins de 15 millions, dont quelque 6 millions de réfugiés installés, parfois depuis des décennies, dans les pays voisins.Valentina Napolitano, Sociologue, chargée de recherche à l'IRD (LPED/AMU), spécialiste des questions migratoires et des conflits au Moyen-Orient, Institut de recherche pour le développement (IRD)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2177212023-11-26T15:36:02Z2023-11-26T15:36:02ZIsraël-Palestine : un affrontement « apocalyptique » entre deux mémoires traumatisées<p>Depuis le 7 octobre, l’opposition entre les partisans d’Israël et ceux de la Palestine prend parfois des allures <a href="https://www.odilejacob.fr/catalogue/histoire-et-geopolitique/geopolitique-et-strategie/choc-des-civilisations_9782738156211.php">« huntingtoniennes »</a> – ou schmittiennes, selon le principe de la <a href="https://www.afri-ct.org/wp-content/uploads/2016/04/S-_Sur_-_Le_politique_selon_C-_Schmitt.pdf">distinction basique ami/ennemi élaborée par Carl Schmitt</a>.</p>
<p>Cette opposition, souvent caricaturale, se manifeste sans discontinuer dans les rues, sur les campus et sur les plateaux de télévision des grands pays <a href="https://theconversation.com/quand-le-conflit-israelo-palestinien-deborde-sur-les-campus-americains-217836">occidentaux</a> comme des pays <a href="https://theconversation.com/proche-orient-le-retour-de-la-cause-palestinienne-216213">arabes et musulmans</a>, donnant le vertige aux observateurs et, surtout, aux décideurs.</p>
<p>La confrontation a de multiples dimensions – militaire, certes, mais aussi politique et hautement symbolique. Elle met en jeu deux représentations mémorielles profondément traumatisées : celle des Israéliens, hantés par la Shoah et les pogroms du début du XX<sup>e</sup> siècle, auxquels les massacres du 7 octobre ont souvent été <a href="https://www.lepoint.fr/video/israel-7-octobre-2023-un-pogrom-au-XXIe-si%C3%A8cle-08-11-2023-2542441_738.php">assimilés</a> ; et celle des Palestiniens, marqués par la <em>Nakba</em>, cette date originelle de 1948 qui a provoqué leur premier exode massif et à laquelle est comparable aujourd’hui la <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/quest-ce-que-la-nakba-redoutee-par-les-civils-de-gaza-20231016_33JG53JZGRDRVALJHXDGUIOGMM/">situation de la population de Gaza</a>. Il est impératif de toujours tenir compte de ces visions quand on cherche à comprendre les motivations et les enjeux psychologiques des deux parties.</p>
<h2>Le traumatisme de la mémoire juive n’a pas pris fin en 1948 : il venait seulement de commencer</h2>
<p>Du côté palestinien, et du côté arabe et pro-palestinien en général, la perception de l’année 1948 demeure centrale. Cette année fut celle de la <a href="https://www.bbc.co.uk/sounds/play/p0grtb2b">Nakba</a> – littéralement la catastrophe, le premier grand exil, qui a jeté 700 000 Palestiniens sur les routes.</p>
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<p>Pour les Juifs, 1948 fut seulement la date à partir de laquelle le peuple juif a pu se relever afin de comprendre ce qui lui est arrivé. En effet, la création d’Israël, le 14 mai de cette année, fut une petite victoire, un instant de joie avant des décennies de fouilles traumatiques dans la tragédie collective que représente l’entreprise de l’extermination des Juifs d’Europe par les nazis.</p>
<p>Au niveau de la construction et de la reconstruction de la mémoire juive, le temps ne faisait que révéler et agrandir les reliefs et détails du traumatisme de la Seconde Guerre mondiale.</p>
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<p>Par conséquent, la seconde moitié du XX<sup>e</sup> siècle ne fut pas, pour la société israélienne, un temps de convalescence post-traumatique, mais plutôt le début d’une interminable exploration du traumatisme. La mémoire de la Shoah incarne un constituant commun et collectif au sein de la société et de l’espace public israéliens. Les deux minutes de <a href="https://www.i24news.tv/fr/actu/israel/societe/1681796469-yom-hashoah-israel-s-arrete-au-son-de-la-sirene">sirènes</a> qui retentissent dans tout Israël chaque année le jour de la commémoration de la Shoah en constituent un exemple.</p>
<p>Or, cette tragédie humaine fut souvent instrumentalisée par la démagogie politique arabo-musulmane et, aussi, par la démagogie politique israélienne. Côté arabo-musulmans, on se souvient par exemple de l’appel à <a href="https://www.courrierinternational.com/article/conflit-israelo-palestinien-du-fleuve-a-la-mer-un-cri-de-ralliement-aux-multiples-interpretations">« jeter les Israéliens dans la mer »</a>, propos volontairement génocidaire de l’ancien dictateur syrien Hafez Al-Assad dans les années 1960, et des <a href="https://www.france24.com/fr/20090919-le-president-ahmadinejad-qualifie-lholocauste-mythe-">déclarations négationnistes</a> du président iranien Ahmadinejad en 2009. En Israël, l’instrumentalisation de la mémoire de la Shoah peut aller jusqu’à l’accusation de « nazisme » prononcée à l’encontre des Palestiniens lorsque ces derniers <a href="https://www.bbc.com/afrique/monde-57257139">résistent aux arrêts de leur expulsion</a> et de leur remplacement à Jérusalem-Est par des colons juifs.</p>
<h2>Le paradoxe palestinien : rayonnement culturel, défaite existentielle</h2>
<p>Depuis 1948, la résistance culturelle et littéraire de la Palestine rayonne dans le monde <a href="https://bradscholars.brad.ac.uk/bitstream/handle/10454/17398/ottman%2C%20e.t.pdf">par le biais de son traumatisme</a>. Au niveau de la culture, de l’art et de la littérature, l’identité palestinienne peut être considérée comme la plus mondialisée, la plus libre et la plus remarquable par rapport aux autres identités arabes dotées d’États. Il suffit de comparer l’impact de l’œuvre du critique littéraire palestinien <a href="https://www.cairn.info/edward-said-l-intifada-de-la-culture--9782841746323-page-85.htm">Edward Saïd</a> et la naissance officielle des études post-coloniales avec son ouvrage <a href="https://www.persee.fr/doc/thlou_0080-2654_1981_num_12_3_1857_t1_0357_0000_1"><em>L’Orientalisme</em></a>, paru en 1978, aux dégâts sociaux et politiques provoqués par l’anti-impérialisme creux et idéologique des régimes arabes pendant plus de 50 ans.</p>
<p>Soulignons aussi, entre autres, l’influence de l’<a href="https://www.theguardian.com/world/2008/mar/10/israelandthepalestinians1">iconique artiste palestinien</a> Naji al-Ali, <a href="https://www.france24.com/fr/20170830-naji-al-ali-enquete-meurtre-caricature-palestine-royaume-uni">assassiné à Londres en 1987</a>, qui fut la cible de menaces à la fois de la part de l’occupation israélienne, des différents régimes arabes mais aussi de l’OLP (Organisation de libération de la Palestine).</p>
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<p>Entre-temps, la situation réelle des Palestiniens en Palestine et dans la diaspora n’a fait que se dégrader. Des guerres, des défaites, des massacres en <a href="https://www.cairn.info/septembre-noir--9782870270516.htm">Jordanie</a> (1970), au <a href="https://www.courrierinternational.com/article/il-y-a-40-ans-la-boucherie-de-septembre-1982-la-memoire-encore-vive-des-massacres-de-sabra-et-de-chatila">Liban</a> (1982), jusqu’à la <a href="https://www.lemonde.fr/syrie/article/2018/05/26/yarmouk-le-cimetiere-des-palestiniens-de-syrie_5305021_1618247.html">destruction par le régime syrien du camps Yarmouk</a>, le plus grand camp de réfugiés palestinien au monde entre 2012 et 2015. Avant que les bombardements actuels de Gaza ne tuent des milliers de Palestiniens et qu’un ministre israélien n’évoque la <a href="https://www.liberation.fr/checknews/qui-est-amichay-eliyahu-ministre-israelien-suspendu-pour-avoir-evoque-une-bombe-nucleaire-sur-gaza-20231105_HHD4REI7QVHALKG2DBDKZJB4UA/">bombe nucléaire comme solution</a>, plus de 200 Palestiniens <a href="https://www.aljazeera.com/news/2023/8/22/more-than-200-palestinians-nearly-30-israelis-killed-so-far-this-year-un">avaient déjà été tués en 2023</a> par l’armée israélienne ou par des colons en Cisjordanie.</p>
<p>Un autre événement symbolique sur la voie de la liquidation de la mémoire et de l’existence de la Palestine fut la <a href="https://theconversation.com/conflit-israelo-palestinien-le-cavalier-seul-de-donald-trump-131092">reconnaissance par les États-Unis de Donald Trump</a> de Jérusalem comme capitale officielle de l’État hébreu (2017). Les États-Unis, en tant que première puissance mondiale, n’ont pas <em>légalisé</em> par cette décision la politique de colonisation israélienne, mais ils lui ont plutôt donné une force absolue, extra-légale et arbitraire.</p>
<p>Ces dernières années, les Palestiniens ont donc vécu une révision voire une abrogation des termes légaux de leur cause, la trahison des monarchies arabes qui <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/revue-de-presse-internationale/emirats-et-bahrein-les-nouveaux-amis-arabes-d-israel-2110613">accélèrent le processus de normalisation avec Israël</a>, et surtout, l’agressivité sans précédent des colons en Cisjordanie sous la protection de l’armée et du gouvernement radical israéliens. Serait-il imaginable pour ce peuple-symbole de voir ensemble sa mémoire et son existence périr dans une défaite politique ennuyeuse et sans bruit ?</p>
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<p>L’affrontement d’aujourd’hui est engagé sur plusieurs niveaux pour les belligérants : la violence, les symboles et les mémoires. Entre-temps, les élites des grandes puissances occidentales se trouvent envahies par la question de l’<a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/03/nicolas-lebourg-historien-l-importation-du-conflit-israelo-palestinien-n-est-pas-une-chimere-elle-est-aussi-la-part-d-un-tout_6197972_3232.html">importation du conflit</a> et par la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=GN61Bi_8E0g">basse politique</a> qui en découle. Ainsi, les cycles de vengeance entre ces deux traumatismes semblent-ils se dérouler sans arbitre, au risque d’échapper à toute lecture normative, qu’elle soit légaliste ou humaniste.</p>
<p>Sur le plan formel, on peut admettre que le Hamas fut élu démocratiquement en 2006 à l’issue des législatives palestiniennes et immédiatement <a href="https://www.lesechos.fr/2007/08/impuissance-coupable-au-proche-orient-1075660">boycotté par les diplomaties occidentales</a> car qualifié par ces dernières de terroriste. Or, et à la lumière de la philosophie politique, les élections démocratiques constituent moins un exercice procédural qu’une réactualisation du consensus sur le contrat social. Il s’agit d’une réaffirmation régulière et anticipée de la liberté politique et de la souveraineté dépersonnalisée du droit et des institutions. Rien de tout cela n’était apparu dans ce scrutin palestinien de 2006 car il s’agissait d’un moment négatif et révisionniste du processus de paix avec Israël par des électeurs palestiniens privés d’État. Les accords d’Oslo signé en 1993 entre Yasser Arafat, chef de l’OLP, et Yitzhak Rabin, premier ministre israélien, ont seulement permis à Israël d’arracher sa reconnaissance par les Palestiniens, sans jamais arrêter la colonisation ni donner lieu à un État palestinien.</p>
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<p>De nos jours, même avant la guerre déclenchée le 7 octobre, très peu d’experts croyaient dans le réalisme et la faisabilité d’un État palestinien souverain en raison du morcellement qu’ont subi ses présumés territoires tels que les définissent les accords d’Oslo. Du côté israélien, retirer 700 000 colons des territoires occupés serait un suicide politique pour tout gouvernement. Au contraire, le discours nationaliste et extrémiste dominent désormais la vie politique israélienne, allant jusqu’à <a href="https://www.challenges.fr/monde/moyen-orient/pourquoi-benjamin-netanyahu-est-devenu-le-nouvel-ennemi-d-israel_587232">l’idée d’un « grand Israël »</a>, c’est-à-dire la continuation de la colonisation jusqu’au départ du dernier Palestinien.</p>
<h2>Une lecture psychologique</h2>
<p>Dans un récent article publié dans <a href="https://newlinesmag.com/argument/the-psychology-of-the-intractable-israel-palestine-conflict/"><em>NewLinesMagazine</em></a>, la journaliste Lydia Wilson expose la lecture psychologique de l’histoire de ce conflit et de la nature des émotions de ses deux belligérants.</p>
<p>Elle rappelle que Gerard Fromm, psychothérapeute ayant publié sur les <a href="https://www.cairn.info/revue-diogene-2003-3-page-3.htm">traumatismes du 11 Septembre</a> et sur la <a href="https://books.google.fr/books?id=nbdbEAAAQBAJ">psychologie du conflit israélo-palestinien</a>, oppose la mentalité « Never again » de la psyché juive à la mentalité « Never surrender » de la psyché palestinienne.</p>
<p>Le « Never again » israélien fut construit sur le souvenir de quelque deux mille ans de persécutions et d’exil, jusqu’à la tentative d’anéantissement. Tandis que le « Never surrender » des Palestiniens traduit un traumatisme continu de dépossession, d’humiliation et d’occupation. Les deux attitudes belligérantes sont d’abord portées par des émotions extrêmes de nature traumatique, et elles se construisent mutuellement de manière négative. Le plus dangereux et le plus imprévisible événement qui soit, de ce point de vue, serait un affrontement violent, existentiel et non arbitré entre ces deux parties.</p>
<p>Pour le psycho-historien Charles Strozier, co-auteur de <a href="https://global.oup.com/academic/product/the-fundamentalist-mindset-9780195379655"><em>The Fundamentalist Mindset</em></a>, la « mentalité apocalyptique » est caractéristique du Hamas, mais aussi du conflit israélo-palestinien au sens large, en raison de la présence de l’apocalypse dans les deux récits, articulée à leur négation l’un de l’autre.</p>
<p>Commentant les événements récents, notamment les attaques du Hamas, Strozier affirme :</p>
<blockquote>
<p>« [Le Hamas] veut la surréaction, il veut amener Israël à déchaîner la force entière d’une des meilleures armées du monde sur des combattants dotés de fusils et de drones bon marché. »</p>
</blockquote>
<p>Pourquoi le Hamas mènerait-il une opération si suicidaire pour son avenir politique ? Qu’espéraient <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67103298">ses chefs</a> lorsqu’ils planifiaient cette opération sinon l’embarras de leurs alliés et la brutalité de leurs ennemis ?</p>
<p>Deux possibles explications apparaissent chez les observateurs dans le monde arabe et au-delà. La première : le Hamas aurait décidé tout seul de déclencher la <a href="https://www.theatlantic.com/international/archive/2023/11/palestine-israel-nakba-war/675859/">« dernière bataille »</a> et <a href="https://www.atlanticcouncil.org/blogs/new-atlanticist/what-will-hezbollah-do-next-heres-how-the-hamas-israel-conflict-could-engulf-the-region/">d’entraîner ses alliés</a>, le Hezbollah et l’Iran, dans un conflit régional engageant mêmes les États-Unis. Autrement dit, seule une guerre ouverte et illimitée pourrait remettre la question palestinienne au centre de la politique internationale et conduire à une solution finale de la cause palestinienne.</p>
<p>Seconde hypothèse : cette guerre fut couverte en <a href="https://links.org.au/turkey-erdogans-2023-neo-ottoman-imperialist-agenda-caucasus-mediterranean">coulisses par des capitales de la région</a> comme l’Iran ou/et la Turquie. L’objectif est d’abord de <a href="https://www.lefigaro.fr/international/les-accords-d-abraham-a-l-epreuve-du-conflit-entre-israel-et-le-hamas-20231107">nuire à la perspective de normalisation</a> entre Israël et l’Arabie saoudite et, ensuite, de forcer les Américains, grâce à une crise majeure, à procéder à une redistribution égalitaire et durable des rôles dans la région au-delà de la place exceptionnelle d’Israël ou du rôle accru des monarchies arabes. Comme vient de le souligner un <a href="https://www.courrierinternational.com/article/opinion-l-amerique-a-perdu-tout-controle-sur-israel-et-le-moyen-orient">historien américain</a> dans le <em>New York Times</em>, les États-Unis ont en tout cas perdu, avec ce conflit, le contrôle sur Israël et sur tout le Moyen-Orient.</p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/559669/original/file-20231115-27-mfi7pq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/559669/original/file-20231115-27-mfi7pq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/559669/original/file-20231115-27-mfi7pq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/559669/original/file-20231115-27-mfi7pq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=376&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/559669/original/file-20231115-27-mfi7pq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/559669/original/file-20231115-27-mfi7pq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/559669/original/file-20231115-27-mfi7pq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=472&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">David et Goliath, par Dan Craig. C’est ainsi que les Palestiniens se représentent volontiers leur affrontement avec Israël.</span>
<span class="attribution"><a class="license" href="http://artlibre.org/licence/lal/en">FAL</a></span>
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<p>Pendant que les scènes globale et médiatique opposent pro-Palestiniens et pro-Israéliens dans des controverses terminologiques relevant de la sphère du droit (occupation, colonisation, terrorisme, etc.), l’affrontement armé entre ces deux belligérants se situe ailleurs : dans la vengeance. Selon la lecture psychologique, les émotions extrêmes provoquent un comportement extrême qui va jusqu’à la violence extrême.</p>
<h2>Derrière le visage de la haine, la réalité de la mémoire traumatisée</h2>
<p>Si certains Juifs et certains Palestiniens crient à la vengeance devant une caméra, et ces scènes font le tour du monde via les réseaux sociaux, rien ne les accompagne pour expliquer que ces personnes « haineuses » sont habitées par des mémoires traumatisées et exacerbées par un événement traumatisant récent. L’humanité a-t-elle déjà perdu la main sur le flux des réseaux sociaux et les impacts de ceux-ci sur le temps de la raison humaine et sur celui de la politique ?</p>
<p>Les enjeux d’amalgames entre Juifs et colonisation, entre Palestiniens et terrorisme, ne deviennent-ils pas toxiques pour les sociétés démocratiques ? Quels seront les dégâts de ce conflit sur le pluralisme apaisé et les libertés épanouies de nos sociétés ?</p>
<p>Ce n’est pas l’ONU, mais l’Occident politique qui se présente comme le protecteur <a href="https://www.latimes.com/opinion/story/2023-11-20/biden-israel-gaza-war-bombing-arab-world-united-nations-ceasefire">inconditionnel</a> de l’État d’Israël. La nature inconditionnelle de cette protection ne devrait-elle pas exiger, en contrepartie, des pouvoirs inconditionnels ? N’est-ce pas à ces protecteurs que revient la tâche d’imposer une paix absolue et finale au Moyen-Orient ? Les porte-avions et <a href="https://www.lefigaro.fr/international/un-sous-marin-americain-au-moyen-orient-pour-renforcer-la-dissuasion-20231106">sous-marins nucléaires</a> ne peuvent-ils pas, pour une fois, traduire une <em>Décision</em> et une volonté politique positives ?</p>
<img src="https://counter.theconversation.com/content/217721/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Mohamad Moustafa Alabsi est membre de La New University In Exile Consortium (NUIE) - New York. Il a reçu des financements du Mellon Foundation Program entre 2021- 2022.</span></em></p>Mémoire des pogroms et de la Shoah d’une part, mémoire de la Nakba et des défaites militaires de l’autre : les deux camps sont obnubilés par le passé au moins autant que par le présent.Mohamad Moustafa Alabsi, Chercheur postdoctoral au Mellon Fellowship Program, Columbia Global Centers, Amman. Membre associé à l'Institut de philosophie de Grenoble, New University In Exile ConsortiumLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2181892023-11-23T17:55:24Z2023-11-23T17:55:24ZLe Hamas à Gaza : de l’enfermement à la sauvagerie<p>L’attaque sauvage du Hamas contre le 7 octobre dernier illustre une détermination et une montée en puissance des capacités militaires du mouvement islamiste, qui se sont traduites, pour la première fois, par une prise d’otages massive et des massacres de civils commis selon un mode opératoire inédit.</p>
<p>Au-delà de la douleur et de la sidération, que cherchait à accomplir le Hamas par cette offensive sans précédent ?</p>
<h2>Anéantir le statu quo</h2>
<p>Le premier objectif du Mouvement de la résistance islamique – dont Hamas est l’acronyme en arabe – est d’incarner la représentation des Palestiniens et d’assurer une relève politique.</p>
<p>Face à une <a href="https://www.courrierinternational.com/article/cisjordanie-lautorite-palestinienne-la-derive">Autorité palestinienne discréditée</a>, réduite à gérer les affaires courantes et impuissante à assurer la sécurité de ses administrés, le Hamas cherche à reprendre le leadership d’une communauté politique qu’il a <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/france-culture-va-plus-loin-l-invite-e-des-matins/hamas-du-quietisme-au-terrorisme-5270282">lui-même contribué à fracturer</a>. Sa revendication portant sur la libération de tous les prisonniers palestiniens, dont la majorité appartient au Fatah, renvoie à cette volonté <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/08/guerre-israel-hamas-porter-la-cause-des-prisonniers-contribue-a-faire-de-l-organisation-islamiste-le-representant-de-la-resistance-palestinienne_6199003_3232.html">d’assumer la lutte</a> en faveur des droits du peuple palestinien. La perspective d’élargissement de cent cinquante femmes et mineurs palestiniens détenus en Israël en échange de cinquante femmes et enfants israéliens otages du Hamas que prévoit <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/guerre-entre-le-hamas-et-israel-l-accord-pour-la-liberation-de-50-otages-a-ete-approuve-par-les-deux-camps_6200151.html">l’accord conclu le 21 novembre entre Israël et le Hamas</a> grâce à la médiation du Qatar, de l’Égypte et des États-Unis constitue un premier résultat en ce sens pour l’organisation islamiste.</p>
<p>Le deuxième objectif consiste à ranimer la question palestinienne qui, malgré la grave détérioration des conditions de vie des Palestiniens liée à la <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2016-1-page-287.htm">colonisation et à l’enfermement</a>, s’était en quelque sorte éteinte. Le conflit israélo-palestinien n’était certes pas résolu, mais sa faible intensité conduisait Israël et la communauté internationale à le considérer comme gérable, et nulle perspective politique ne se dessinait donc à l’horizon, si ce n’est une <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/06/20/le-gouvernement-israelien-fait-un-pas-important-vers-une-annexion-de-la-cisjordanie_6178434_3210.html">annexion de la Cisjordanie</a> et une remise en cause des règles de l’accès à l’Esplanade des mosquées, à Jérusalem, les Juifs religieux venant y prier de plus en plus fréquemment. Le 7 octobre, le Hamas a brutalement ravivé le conflit.</p>
<p>Enfin, le Hamas ne pouvait qu’anticiper la colère d’Israël et sa riposte contre Gaza. L’ampleur des frappes de Tsahal et son incapacité à éviter la mort de milliers de civils permettent de miser sur une indignation planétaire et une extension du conflit à l’espace régional, voire à l’espace mondial.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/dal-qaida-au-hamas-la-strategie-de-la-guerre-mediatique-217929">D’Al-Qaida au Hamas : la stratégie de la guerre médiatique</a>
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<p>L’attaque du 7 octobre et les représailles israéliennes qu’elle a suscitées vont-elles bouleverser la donne au Moyen-Orient ? L’enchaînement des violences risque d’entraîner plusieurs acteurs régionaux dans la guerre et d’approfondir les fractures au sein des sociétés occidentales déjà ébranlées par le terrorisme islamiste sur leur sol. La brutale offensive du Hamas se révèle un piège tendu à Israël et au monde entier. Que s’est-il passé pour en arriver là ?</p>
<h2>Gaza verrouillée, le Hamas en quarantaine</h2>
<p>Le Hamas ayant <a href="https://www.lemonde.fr/a-la-une/article/2006/01/26/victoire-des-islamistes-du-hamas-aux-elections-palestiniennes_734705_3208.html">remporté les élections législatives en janvier 2006</a>, la formation d’un gouvernement <em>hamsaoui</em> remit en cause l’édifice de sous-traitance sécuritaire sponsorisé par les Américains et les Européens, qui exigèrent que le Hamas renonçât à la violence, avalisât les accords de paix signés par l’OLP, et qu’il reconnût l’État d’Israël. L’ultimatum fut rejeté́, car les islamistes n’avaient rien à gagner d’une série de concessions unilatérales.</p>
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<p>Dans le sillage du succès électoral du Hamas, du refus du Fatah de participer à un gouvernement d’union nationale et de sa tentative de saper la victoire islamiste, les heurts entre les deux mouvements se multiplient dans la bande de Gaza, malgré la médiation saoudienne, et aboutissent en 2007 à un coup de force du Hamas qui mobilise ses effectifs pour écraser ceux du Fatah. La rupture est <a href="https://www.sciencespo.fr/ceri/fr/content/palestine-de-l-etat-introuvable-la-nation-en-deroute-quoi-servent-les-dirigeants-palestinien">à la fois géographique et politique</a> puisque le Hamas gouverne la bande de Gaza tandis que l’Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas contrôle une série d’îlots urbains en Cisjordanie.</p>
<p>La communauté́ internationale interrompit dès 2006 tout transfert de fonds direct vers la bande de Gaza. Par leur ultimatum, les Occidentaux renoncèrent à tout levier diplomatique auprès du mouvement islamiste. Ainsi, malgré les déclarations de plusieurs de ses dirigeants <a href="https://www.lorientlejour.com/article/549365/L%2527existence_d%2527Israel_est_%253C%253C_une_realite_%253E%253E%252C_declare_Mechaal.html">admettant l’existence d’Israël</a>, malgré la <a href="https://iremam.hypotheses.org/7122">publication en 2017 d’un « document politique »</a> qui semblait reléguer dans le passé la <a href="https://www.senat.fr/rap/r08-630/r08-630-annexe2.pdf">charte antisémite de 1988</a> et envisageait un État palestinien dans les frontières de 1967, le Hamas est resté au ban de la communauté internationale, ses alliés se limitant finalement au Qatar et à l’Iran. </p>
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<p>La politique d’ouverture du Hamas témoignait-elle d’une mutation en cours ou n’était-elle qu’un leurre destiné à tromper ses adversaires ? Notons que les processus de transition ou de transformation politique sont par nature fragiles et incertains ; ils ne dépendent pas seulement de l’intention de leurs promoteurs mais aussi de la structure d’opportunité dans laquelle ils s’inscrivent.</p>
<p>La communauté internationale ne réagit pas à l’inflexion du Hamas. L’Union européenne <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-40727791">ne consentit pas à radier le mouvement de sa liste des organisations terroristes</a>, et la bande de Gaza demeura soumise <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/10/du-blocus-au-siege-complet-de-la-bande-de-gaza-par-israel-les-craintes-d-une-catastrophe-humanitaire_6193599_3210.html">à un double blocus</a>, israélien et égyptien.</p>
<h2>1994, des frontières sans souveraineté</h2>
<p>Pour autant, il ne faudrait pas croire que les habitants de la bande de Gaza exerçaient un quelconque droit à en sortir et à y rentrer avant 2007. Le processus d’Oslo et <a href="https://mjp.univ-perp.fr/constit/ps1994.htm">l’installation de l’Autorité palestinienne dans la bande côtière en 1994</a> coïncidèrent avec le bouclage du territoire. La gauche alors au pouvoir à Tel-Aviv choisit de réduire le nombre de travailleurs palestiniens autorisés à travailler sur le sol israélien et procéda à l’installation d’une clôture hermétique séparant la bande de Gaza d’Israël.</p>
<p>Durant la seconde moitié des années 1990, les <a href="https://embassies.gov.il/MFA/FOREIGNPOLICY/Terrorism/Palestinian/Pages/Suicide%20and%20Other%20Bombing%20Attacks%20in%20Israel%20Since.aspx">attentats-suicides commis en Israël</a> par le Hamas et le <a href="https://www.cairn.info/revue-outre-terre1-2005-4-page-299.htm">Djihad islamique</a> (organisation qui émerge dans les années 1980 et prône la lutte armée contre Israël) renforcèrent le choix de séparation fait par les dirigeants de l’État hébreu. Ainsi, en 1997, <a href="https://online.ucpress.edu/currenthistory/article-abstract/97/615/19/166454/The-Palestinian-Economy-after-Oslo?redirectedFrom=fulltext">seulement 4 % des Gazaouis</a> – essentiellement des membres haut placés de l’Autorité palestinienne – étaient autorisés à se rendre en Israël, à Jérusalem ou en Cisjordanie.</p>
<p>Les Gazaouis <a href="https://www.letemps.ch/monde/bande-gaza-evacuee-camp-concentration-sera-un-plus-grand">évoquaient déjà à l’époque la « prison à ciel ouvert »</a> dans laquelle ils vivaient ; l’écrasante majorité de la classe d’âge née dans les années 1970, trop jeune pour avoir été travailler de l’autre côté de la <a href="https://www.vie-publique.fr/parole-dexpert/271072-israel-palestine-multiples-limites-mais-quelle-frontiere">ligne verte</a> n’a connu d’Israël que ses soldats, qui occupaient le territoire jusqu’à leur retrait partiel en mai 1994, et ses prisons.</p>
<p>Les générations suivantes n’ont pas eu l’occasion de rencontrer des Israéliens et la plupart des Gazaouis d’aujourd’hui ne sont tout simplement jamais sortis de l’étroite bande de terre. De son côté, le pouvoir égyptien a également maintenu un strict contrôle de l’accès à son territoire, <a href="https://carnegie-mec.org/2012/10/01/hamas-and-morsi-not-so-easy-between-brothers-pub-49525">y compris lors de la présidence de Mohamed al-Morsi</a>, pourtant membre des Frères musulmans, dont est issu le Hamas.</p>
<p>Le blocus imposé au territoire gouverné par le Hamas à partir de 2007 a encore davantage isolé les Palestiniens qui y vivent, car les étrangers autorisés à s’y rendre ne l’ont été que de manière exceptionnelle. Le personnel des organisations non gouvernementales s’est réduit, ainsi que le passage des journalistes et aussi celui des chercheurs, ces derniers étant interdits d’entrée dans la bande par les autorités militaires israéliennes. En outre, celles-ci ont asphyxié l’économie locale en limitant drastiquement la liste de produits autorisés à entrer dans la bande côtière sous prétexte d’empêcher tout détournement militaire.</p>
<h2>La fermentation</h2>
<p>Malgré cette main de fer israélienne, le Hamas a pu continuer à s’armer et à lancer des roquettes contre Israël, entraînant les adversaires dans une <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/hamas-israel-history-confrontation-2021-05-14/">série de guerres entre 2008 et 2021</a>. Ces dernières années, il a également développé un <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/invit%C3%A9-du-jour/20231107-le-r%C3%A9seau-des-tunnels-du-hamas-est-l-un-des-plus-sophistiqu%C3%A9s-de-l-histoire-de-la-guerre">réseau sophistiqué de tunnels</a> lui permettant d’enterrer son dispositif militaire et de mettre à l’abri les membres de sa branche armée. </p>
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<p>Il a collecté minutieusement du renseignement sur les installations militaires et civiles israéliennes à proximité, notamment en consultant des sources ouvertes. En revanche, le renseignement israélien reposait de plus en plus sur un arsenal technologique auquel les combattants des brigades Izzedine al-Qassam (la branche armée du Hamas) ont appris à échapper au fil du temps.</p>
<p>Étanche au monde, Gaza devenait de plus en plus opaque. Si la terrible offensive du 7 octobre a pu se préparer et se produire, c’est notamment parce que les gouvernants israéliens, confiants dans leur arsenal technologique et obnubilés par leur emprise sur la Cisjordanie, <a href="https://theconversation.com/comment-les-services-de-renseignement-israeliens-ont-ils-pu-rater-les-preparatifs-du-hamas-un-specialiste-de-la-lutte-anti-terroriste-explique-215527">ont ignoré des signaux d’alerte</a> mais c’est aussi parce que les hommes de <a href="https://www.europe1.fr/international/attaque-du-hamas-en-israel-qui-est-mohammed-deif-le-leader-des-brigades-islamistes-ezzedine-al-qassam-4208340">Mohamed Deif</a> ont accumulé un matériel militaire et logistique et ont basculé vers de nouveaux répertoires d’action.</p>
<p>L’ampleur de l’attaque terroriste a conduit les Israéliens à dénoncer l’Iran et le Hezbollah comme responsables, mais les <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/24/attaque-du-hamas-contre-israel-ce-que-les-services-de-renseignement-americains-ont-dit-a-leurs-homologues-europeens_6196215_3210.html">renseignements américains ont établi</a> qu’il s’est agi d’une attaque « made in Gaza », dont les chefs politiques du Hamas de Gaza et a fortiori <a href="https://www.cbc.ca/news/politics/qatar-hamas-israel-1.6999416">ceux résidant au Qatar</a> n’auraient pas été informés.</p>
<h2>Trois hypothèses pour expliquer la sauvagerie du 7 octobre</h2>
<p>Le choc du 7 octobre tient à l’efficacité de l’entreprise de mort <em>hamsaoui</em> mais également aux actes de cruauté, de torture et de profanation des corps perpétrés par ses hommes.</p>
<p>L’organisation islamiste assume depuis sa création le meurtre de civils israéliens, prétextant que tous les Israéliens rejoignant l’armée, il n’y aurait pas à proprement parler de « civils » dans le pays.</p>
<p>Entre 1994 et 1999, durant le processus de paix, puis pendant <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Intifada-al-Aqsa-de-son-declenchement-en-2000-a-l-annee-2002.html">l’Intifada al-Aqsa</a>, les brigades Izzedine al-Qassam ont commis des dizaines d’attentats-suicides dans des villes israéliennes. C’est à leurs yeux le moyen de mettre à profit le courage et l’abnégation des Palestiniens, prêts à offrir leur vie, et d’infliger à l’ennemi, attaché aux plaisirs de la vie terrestre, les pertes les plus douloureuses possible.</p>
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<p>Néanmoins, pendant la décennie durant laquelle l’attentat-suicide est pratiqué, le <em>modus operandi</em> est demeuré le même : un homme généralement jeune sélectionné pour la rigueur de sa foi et sa détermination revêt une ceinture d’explosifs et se fait exploser au milieu d’une foule. Une forte discipline et un strict respect des consignes caractérisent les rangs du mouvement. </p>
<p>Comment expliquer le basculement d’une hyperviolence normée dont relevait l’attentat-suicide à la sauvagerie multiforme du 7 octobre ? Trois hypothèses méritent d’être examinées.</p>
<p>La première hypothèse est celle d’une organisation débordée par ses membres exaltés par leur soudaine puissance, dépassée peut-être aussi par d’autres groupes ou par des civils palestiniens qui ont profité de l’ouverture en vingt-neuf points de la clôture de sécurité pour aller piller et tuer. Un épisode relaté par Samuel Forey dans <a href="https://www.grasset.fr/livre/les-aurores-incertaines-9782246815433/"><em>Les Aurores incertaines</em></a> (Grasset, 2023) lors de sa visite dans la bande de Gaza en novembre 2012 donne à voir la possibilité du déchaînement et de l’acharnement collectifs, voire d’une répartition des tâches. Le journaliste évoque l’exécution sommaire de personnes accusées de collaboration avec Israël par la brigade Qassam. Les hommes gisant au sol sont achevés par une foule anonyme qui accomplit le lynchage, sans que cela provoque d’intervention de la police <em>hamsaoui</em>.</p>
<p>De manière comparable, en 2000 à Ramallah, des Palestiniens <a href="http://edition.cnn.com/2000/WORLD/meast/10/12/israel.tm/index.html">avaient mis à mort deux Israéliens égarés en zone A</a> et l’un des tueurs s’était servi du téléphone portable d’une des victimes pour annoncer le meurtre à la femme du supplicié. L’occasion soudaine de s’échapper de l’enclos gazaoui aurait libéré les instincts de meurtre et de vengeance de quelques centaines d’hommes. La thèse de la perte de contrôle est celle qui est <a href="https://www.middleeasteye.net/news/israel-palestine-war-hamas-and-israel-were-inches-deal-hostages">mise en avant par les responsables du Hamas</a>, qui peinent à justifier l’ampleur et les modalités du massacre.</p>
<p>La deuxième hypothèse est celle d’une mutation du Hamas. Sa branche armée, dont les membres ont <a href="https://www.france24.com/fr/20121114-chef-militaire-hamas-tue-gaza-raid-israel-jaabari-brigades-qassam">fréquemment été visés par des assassinats ciblés israéliens</a>, s’est renouvelée et a continué de recruter parmi la jeunesse de Gaza. L’univers clos et étriqué d’une organisation secrète, celui d’une sociabilité exclusive refermée sur le groupe, a façonné l’esprit de ces hommes privés d’une quelconque expérience avec le monde extérieur ou tout autrui significatif. Dans une vie où tout ailleurs est inaccessible, la formation islamique et militaire qu’assure l’organisation n’aurait été troublée que par le visionnage des vidéos des exactions commises par les combattants de Daech. En outre, l’échec politique du Hamas à s’imposer comme un interlocuteur d’Israël et de la communauté internationale a pu renforcer le poids de la branche militaire. Dès lors, une sorte de « daechisation des esprits » et le sentiment de toute-puissance des brigades Izzedine al-Qassam expliqueraient les actes de barbarie commis le 7 octobre.</p>
<p>La troisième hypothèse rejoint une lecture dominante en Israël aujourd’hui : l’attaque terroriste aurait révélé la nature véritable du Hamas. Plusieurs responsables politiques de l’État hébreu ont d’ailleurs affirmé <a href="https://www.jns.org/idf-spokesperson-hamas-was-more-barbaric-and-more-brutal-than-isis/">l’équivalence de ces deux mouvements</a> ou rebaptisé l’organisation islamiste palestinienne « Hamas – Daech ». Le fait que les chefs de l’organisation <a href="https://www.liberation.fr/checknews/israel-na-pas-sa-place-sur-notre-terre-qui-est-ghazi-hamad-la-voix-du-hamas-depuis-le-massacre-du-7-octobre-20231103_Z6ZD7UK24JBYVAHSCDKYYS5K7Y/">affirment que la religion musulmane interdit de tuer des civils</a> et que Mohamed Deif, commandant des brigades Qassam, <a href="https://www.israelnationalnews.com/news/379862">aurait donné comme consigne à ses troupes d’épargner femmes, enfants et personnes âgées</a> ne serait qu’un leurre destiné à masquer les intentions et les pratiques des islamistes.</p>
<p>Le temps de la recherche n’étant pas celui des médias, il est encore trop tôt pour trancher définitivement entre ces hypothèses.</p>
<h2>Un suicide politique ?</h2>
<p>Si l’objectif du Hamas était d’obtenir un levier de négociation sans précédent en monnayant plusieurs dizaines d’otages, l’ampleur des représailles israéliennes à Gaza montre que ce premier pari, dont l’issue est encore incertaine, est très chèrement payé. La perspective de déclencher un conflit régional, voire mondial ne peut être totalement écartée mais elle ne semble pas probable, <a href="https://www.memri.org/reports/hamas-calls-entire-islamic-nation-join-jihad-against-israel-declares-friday-october-13-2023">l’appel à <em>l’oumma</em> des chefs du Hamas</a> n’ayant pas entraîné de franches mobilisations.</p>
<p>Choqué et humilié, Israël est déterminé à restaurer sa force de dissuasion, au prix de milliers de morts parmi les civils palestiniens. <a href="https://www.bfmtv.com/international/moyen-orient/palestine/hausse-des-violences-colonies-a-l-ombre-de-gaza-une-situation-explosive-en-cisjordanie-occupee_AV-202311170746.html">L’intensification des attaques de colons en Cisjordanie</a>, les mauvais traitements infligés aux prisonniers palestiniens, la méfiance à l’égard des citoyens arabes augurent d’une brutalisation sans précédent.</p>
<p>Au sein de la classe politique israélienne, le départ massif et forcé de la population palestinienne vers l’Égypte ou vers des pays occidentaux sommés de prendre leur part du fardeau <a href="https://theconversation.com/quelle-strategie-israelienne-pour-gaza-216050">est un scénario à l’étude</a>. La seule autre option acceptable par nombre d’Israéliens est de soumettre encore davantage les Palestiniens à l’intérieur d’enclaves étanches : l’enfermement, la surveillance et la répression armée, modes de contrôle déjà largement éprouvés, se déploieraient à l’aide d’une débauche de moyens supplémentaires. La normalisation de la déshumanisation succéderait à la démonstration de force du Hamas et à la destruction de la bande de Gaza. À nouveau, elle sèmerait les germes de la révolte et de la fureur.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/218189/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Laetitia Bucaille ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Né en 1987, le Hamas s’est emparé du pouvoir à Gaza en 2007 et n’a cessé de s’y renforcer. Le blocus en place depuis seize ans l’a aidé à asseoir son emprise au sein de la population gazaouie.Laetitia Bucaille, Professeur de sociologie politique. Chercheur au Centre d’études en sciences sociales sur les mondes africains, américains et asiatiques (CESSMA), chercheur associée au Centre d'Etudes et de Recherche Moyen-Orient, Méditerranée (CERMOM) , Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2175772023-11-19T16:35:43Z2023-11-19T16:35:43ZLe duo Israël/États-Unis face à la cohésion croissante des pays arabes et musulmans<p>L’assaut mené par le Hamas le 7 octobre et l’opération déclenchée en représailles par Israël a causé des dommages majeurs aux intérêts israéliens et américains au Moyen-Orient.</p>
<p>L’image de force, voire d’invulnérabilité de l’armée israélienne a volé en éclats, et le <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">rapprochement du pays avec l’Arabie saoudite</a>, qui s’était accéléré ces derniers mois, semble désormais relever de l’histoire ancienne ; les États-Unis, pour leur part, se retrouvent dans une position très délicate, leur volonté de se désengager du Proche-Orient entrant en contradiction directe avec leur soutien militaire à Israël – un soutien qui, là aussi, implique une nette montée des tensions avec les pays de la région.</p>
<h2>L’image d’Israël durablement affaiblie</h2>
<p>Premièrement, l’attaque du 7 octobre achève de briser la réputation d’invincibilité de l’armée israélienne, réputation qui s’était déjà érodée à la suite de la <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2007-1-page-14.htm">guerre du Liban</a> de 2006. La publication du <a href="https://blog.mondediplo.net/2008-01-30-Israel-le-rapport-Winograd">rapport Winograd</a> en 2008 avait mis en lumière les vulnérabilités psychologiques d’une armée dotée d’un outil militaire puissant et technologiquement avancé mais qui, dans ses affrontements avec le Hezbollah durant la guerre de 2006 puis en <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/palestine/gaza/israel-reconnait-le-conflit-de-2014-a-gaza-comme-une-guerre-une-premiere_786587.html">2014 avec le Hamas à Gaza</a> a perdu la maîtrise du combat d’infanterie et du combat urbain.</p>
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<p>L’attaque du 7 octobre, quand les commandos du Hamas n’ont eu aucune difficulté à franchir la barrière de sécurité « en 29 points » après avoir neutralisé les <a href="https://www.lemonde.fr/en/international/article/2023/10/10/hamas-attack-exposes-israel-s-military-fiasco_6160795_4.html">« unités d’observation longue distance »</a>, a illustré de façon spectaculaire les limites de la stratégie de bunkerisation de l’armée israélienne et la fragilité intrinsèque d’un modèle analysé par l’anthropologue américain Jeff Halper dans son livre <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctt183pct7"><em>War Against the People : Israel, the Palestinians and Global Pacification</em></a> (Pluto Press, 2015). L’auteur y explique que :</p>
<blockquote>
<p>« L’occupation représente une ressource pour Israël dans deux sens : économiquement, elle fournit un terrain d’essai pour le développement d’armes, de systèmes de sécurité, de modèles de contrôle de la population et de tactiques sans lesquels Israël serait incapable d’être compétitif sur les marchés internationaux de l’armement et de la sécurité ; mais, et ce n’est pas moins important, le fait d’être une puissance militaire majeure au service d’autres services militaires et de sécurité dans le monde entier confère à Israël un statut international parmi les hégémons mondiaux qu’il n’aurait pas eu autrement. »</p>
</blockquote>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Or si, jusqu’à présent, de nombreuses entreprises voulaient <a href="https://orientxxi.info/magazine/les-entreprises-veulent-avoir-le-mossad-chez-elles,4708">« avoir le Mossad chez elles »</a> du fait des capacités de cybersécurité d’Israël, l’épisode du 7 octobre montre les limites de la « politique de sécurité » d’Israël et de ses systèmes de surveillance sophistiqués. Cette attaque a remis en cause l’idée de « sûreté » d’un État qui se présente comme un pôle de ralliement des diasporas juives, et pourrait à plus long terme, nuire au secteur technologique israélien, <a href="https://fr.euronews.com/next/2023/10/10/conflit-israel-hamas-le-secteur-technologique-de-letat-hebreu-sur-le-pied-de-guerre">« déjà confronté à un ralentissement en 2023 »</a>.</p>
<h2>Le mécontentement des alliés de Washington</h2>
<p>Par ailleurs, le 7 octobre illustre également l’échec cuisant de l’approche américaine consistant à promouvoir la désescalade et l’intégration régionale à travers les accords de normalisation tout en ignorant la question palestinienne dans un Moyen-Orient rétrogradé en visibilité. Dans cette région, Washington, dont les préoccupations stratégiques se cristallisent ces dernières années sur la Chine et la Russie, a opté pour la gestion quotidienne de la vie des populations à travers une diplomatie du chéquier.</p>
<p>En Cisjordanie, l’Autorité palestinienne, maintenue sous perfusion, reçoit une assistance financière de la part de Washington pour aider la population à survivre dans un contexte d’<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/04/cisjordanie-occupee-six-pays-europeens-dont-la-france-disent-leur-opposition-a-la-progression-de-la-colonisation-par-israel_6164132_3210.html">intensification de la colonisation</a> qui sape tout espoir d’une solution politique au conflit. <a href="https://arabcenterdc.org/resource/international-aid-to-the-palestinians-between-politicization-and-development/">Selon l’OCDE</a> :</p>
<blockquote>
<p>« L’aide aux Palestiniens s’est élevée à plus de 40 milliards de dollars entre 1994 et 2020. La majeure partie de cette aide (35,4 %) a servi à soutenir le budget de l’Autorité palestinienne, tandis que le reste a été alloué à divers services et secteurs économiques dans les territoires palestiniens. La majeure partie de l’aide – près de 72 % – provient de dix donateurs : l’Union européenne (18,9), les États-Unis (14,2), l’Arabie saoudite (9,9), l’Allemagne (5,8), les Émirats arabes unis (5,2), la Norvège (4,8), le Royaume-Uni (4,3), la Banque mondiale (3,2), le Japon (2,9) et la France (2,7). »</p>
</blockquote>
<p>Dans le même temps, l’assistance à Israël demeure une constante de la politique américaine. Comme le notait en juillet 2020 une <a href="https://quincyinst.org/wp-content/uploads/2020/07/Ending-America%E2%80%99s-Misguided-Policy-of-Domination_FINAL_COMPRESSED.pdf">étude du think tank américain Quincy Institute</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Le soutien militaire inconditionnel des États-Unis à Israël a facilité la poursuite de l’occupation du territoire palestinien (qui pourrait culminer avec l’annexion de la Cisjordanie) et réduit les incitations à rechercher une solution pacifique au conflit […]. La politique américaine au Moyen-Orient est souvent justifiée par la nécessité de protéger le statu quo pour préserver la stabilité, mais les politiques actuelles compromettent clairement la stabilité régionale et la sécurité des États-Unis. »</p>
</blockquote>
<p>De son côté, le Hamas recevait depuis plusieurs années une <a href="https://www.lefigaro.fr/international/2018/11/10/01003-20181110ARTFIG00033-le-qatar-fait-tomber-une-pluie-de-dollars-sur-gaza.php">aide financière du Qatar pour gérer la bande de Gaza</a>, avec l’aval des États-Unis et d’Israël. Ces dernières années, la question de la résolution du conflit était l’objet d’un désintérêt croissant de la part des États-Unis, mais reculait également dans les préoccupations régionales des pays arabes, qui se sont engagés dans la voie de la <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230405-accords-d-abraham-les-leaders-palestiniens-ne-r%C3%A9alisent-pas-que-la-r%C3%A9gion-est-en-train-de-changer">normalisation avec Israël</a>.</p>
<p>Or l’assaut du 7 octobre vient rappeler qu’aucune stabilisation du Moyen-Orient n’est possible sans solution au conflit. Le prince héritier d’Arabie saoudite Mohamad Ben Salmane, engagé dans des <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">pourparlers avec les États-Unis depuis plusieurs mois</a> et qui déclarait explicitement en septembre dernier <a href="https://www.dw.com/en/has-hamas-reset-the-israeli-arab-agenda/a-67042746">« chaque jour, nous nous rapprochons »</a> de la conclusion d’un accord avec Israël, a publiquement affirmé son soutien aux Palestiniens et rappelé sa position en faveur de la solution des deux États. Une nouvelle fois, les alliés régionaux s’écartent politiquement de Washington (divergence de vues qui s’était déjà exprimée dans le contexte de la guerre en Ukraine et le refus de sanctionner la Russie).</p>
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<p>En dépit des pressions américaines, l’Égypte a rejeté le plan du ministère du Renseignement israélien visant à transférer les 2,3 millions d’habitants de la bande de Gaza dans la péninsule égyptienne du Sinaï, redoutant <a href="https://apnews.com/article/israel-gaza-population-transfer-hamas-egypt-palestinians-refugees-5f99378c0af6aca183a90c631fa4da5a">« qu’un afflux massif de réfugiés de Gaza hypothèque la cause nationaliste palestinienne »</a>.</p>
<p>Le roi Abdallah de Jordanie <a href="https://www.euronews.com/2023/10/21/cairo-peace-summit-demands-ceasefire-and-increased-aid-for-gaza">a ouvertement critiqué la communauté internationale</a> pour son inaction, et son épouse a dénoncé, dans une interview donnée à CNN, le <a href="https://www.huffingtonpost.co.uk/entry/queen-rania-jordan-israel-hamas-palestinians_uk_65390ea9e4b0783c4b9f5266">deux poids deux mesures des puissances occidentales</a>.</p>
<p>Le soutien inconditionnel des puissances occidentales à Israël – qui, <a href="https://www.bbc.com/news/world-europe-67356581">malgré quelques déclarations</a>, ne s’embarrasse guère de considérations humanitaires – pèse aujourd’hui de plus en plus dans les représentations des pays du Sud global, consternés par la situation à Gaza qualifiée par le secrétaire général de l’ONU de <a href="https://www.francebleu.fr/infos/international/guerre-israel-hamas-violents-combats-a-gaza-coupee-en-deux-selon-l-armee-israelienne-2949481">« cimetière pour les enfants »</a>.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/proche-orient-le-retour-de-la-cause-palestinienne-216213">Proche-Orient : le retour de la « cause palestinienne »</a>
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<p>Cette inadéquation entre la posture des puissances occidentales et celle du reste du monde pourrait entraîner des conséquences durables dans les relations avec les pays du Sud. Elle risque également de nourrir, au sein des sociétés arabes, un puissant ressentiment qui pourrait se révéler un important levier de mobilisation pour les acteurs non étatiques armés, à la fois relais de <a href="https://theconversation.com/comment-liran-mobilise-son-axe-de-la-resistance-face-a-israel-216306">l’influence iranienne dans la région</a> et dotés de leur propre agenda sécuritaire et politique. L’autre danger pour les États-Unis serait de voir les acteurs régionaux transcender leurs anciennes rivalités, notamment leurs alliés qui ont longtemps perçu l’Iran comme une puissance déstabilisatrice, pour converger sur le règlement de la question palestinienne, perçue de nouveau comme la condition indispensable d’une stabilisation régionale.</p>
<p>Enfin, alors que les États-Unis ont cherché depuis plusieurs années à réduire leur empreinte militaire au Moyen-Orient pour se focaliser sur leurs priorités stratégiques en Asie-Pacifique, la crainte d’un nouvel enlisement de Washington dans la région est aujourd’hui réelle.</p>
<h2>Un nouvel enlisement dans la région</h2>
<p>Les Américains ont <a href="https://www.reuters.com/world/us-aircraft-carriers-what-they-bring-middle-east-2023-10-15/">envoyé en Méditerranée orientale le porte-avions <em>Gerald R. Ford</em></a> – une surréaction inédite. En 1973, après l’attaque-surprise d’Israël par l’Égypte et la Syrie, les États-Unis avaient établi un pont aérien pour venir en aide à leur allié organique engagé sur deux fronts, mais ils n’ont jamais envoyé de porte-avions.</p>
<p>Cette fois, la donne a changé. Le 15 octobre, le porte-parole du Conseil de sécurité nationale américain, John Kirby, a <a href="https://www.reuters.com/world/us-aircraft-carriers-what-they-bring-middle-east-2023-10-15/">publiquement affirmé</a> que « les États-Unis sont prêts à agir si un acteur hostile à Israël envisage d’essayer d’intensifier ou d’élargir cette guerre ». Même si l’effet recherché par cette déclaration est dissuasif, la mobilisation de puissants moyens militaires est révélatrice à la fois de l’absence de stratégie américaine au Moyen-Orient, mais également du risque pour Washington de s’embourber dans une région qui ne figurait plus au premier ordre des préoccupations stratégiques.</p>
<p>Comme l’a rappelé le 3 novembre dernier <a href="https://richardhaass.substack.com/p/pause-november-3-2023">l’ancien président du Council on Foreign Relations, Richard Haas</a> : </p>
<blockquote>
<p>« Pour les États-Unis, tout cela augmente les risques et les coûts de cette crise inattendue et non désirée. La présence militaire américaine dans la région a été renforcée pour faire face aux menaces potentielles de l’Iran contre les forces américaines en Syrie et en Irak, et elle a déjà abattu des missiles tirés par les rebelles houthis soutenus par l’Iran au Yémen. La dernière chose dont les États-Unis ont besoin est une crise prolongée au Moyen-Orient, étant donné l’impératif stratégique d’aider l’Ukraine contre la Russie et de renforcer leur capacité de dissuasion et, le cas échéant, de défense contre la Chine qui s’attaque à Taïwan. »</p>
</blockquote>
<h2>La fin de l’ère américaine</h2>
<p>La guerre israélienne contre Gaza pourrait engendrer une recomposition régionale aux conséquences importantes pour Tel-Aviv et Washington.</p>
<p>L’approche américaine a atteint ses limites. La déconnexion actuelle entre la posture des puissances occidentales et celles pays du sud global qui réprouvent le soutien inconditionnel à Israël dans l’offensive en cours, de même que le refus réitéré des alliés régionaux des États-Unis de se rallier à leurs vues témoignent d’un contexte géopolitique profondément transformé. Sur ce point, l’article <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/middle-east/2006-11-01/new-middle-east">« The new Middle East »</a> du même Richard Haas publié en 2006, apparaît aujourd’hui comme étant prophétique :</p>
<blockquote>
<p>« Un peu plus de deux siècles après l’arrivée de Napoléon en Égypte, qui a annoncé l’avènement du Moyen-Orient moderne, et quelque 80 ans après la disparition de l’Empire ottoman, 50 ans après la fin du colonialisme et moins de 20 ans après la fin de la guerre froide, l’ère américaine au Moyen-Orient, la quatrième de l’histoire moderne de la région, a pris fin. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/217577/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La guerre de Gaza semble rassembler la plupart des États musulmans dans un front hostile à Israël et à son allié américain.Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2170302023-11-08T20:45:39Z2023-11-08T20:45:39ZFalloujah 2004 : un modèle de bataille urbaine pour Israël comme pour le Hamas<p>Lorsqu’on envisage la guerre urbaine, plusieurs images viennent spontanément à l’esprit : soldats américains prisonniers du tissu urbain à <a href="https://journals.openedition.org/rha/7214">Mogadiscio</a> (1993), tireurs tchétchènes tirant au lance-roquette sur des colonnes de chars russes en plein <a href="https://theconversation.com/finlande-1939-tchetchenie-1994-ukraine-2022-pourquoi-les-guerres-russes-se-ressemblent-elles-181730">Grozny</a> (1994-1996), IED (engins explosifs improvisés) explosant dans les rues de <a href="https://abcnews.go.com/WNT/story?id=280897">Falloujah</a> (2004)…</p>
<p>Au cours des années 1990 et 2000, les guerres asymétriques se sont de plus en plus déroulées dans les villes. Durant ces deux décennies, les tactiques des groupes non étatiques, voire terroristes, ont considérablement évolué. Ces groupes ont su de mieux en mieux employer le pouvoir égalisateur de la ville dans leurs affrontements avec des armées conventionnelles.</p>
<p>Dans le contexte actuel de l’offensive lancée par Tsahal à Gaza, en quoi les affrontements urbains des années 2000 nous permettent-ils d’anticiper les doctrines et tactiques que le Hamas pourrait mettre en œuvre à Gaza City ? Pour répondre à cette interrogation, il semble pertinent d’analyser ce laboratoire de guerre asymétrique qu’a été la <a href="https://www.letemps.ch/monde/images-combats-falloujah-revelent-face-cachee-victoire-americaine">deuxième bataille de Falloujah</a> pour Al-Qaida en Irak en novembre 2004, et d’examiner sous ce prisme le visage que pourrait prendre la bataille naissante à Gaza City. </p>
<p>Le parallèle entre Gaza et Falloujah s’impose comme une évidence puisque les deux affrontements mettent en scène une armée conventionnelle moderne confrontée au défi d’occuper et de sécuriser un environnement urbain contrôlé par une organisation terroriste (Al-Qaida en Irak pour Falloujah, le Hamas à Gaza).</p>
<h2>Falloujah 2004 : une bataille maison par maison</h2>
<p>Les sources relatives à la seconde bataille de Falloujah (la <a href="https://www.britannica.com/event/First-Battle-of-Fallujah">première</a>, de moindre ampleur, avait eu lieu quelques mois plus tôt), recueillis dans <a href="https://www.armyupress.army.mil/Portals/7/Primer-on-Urban-Operation/Documents/EyewitnessToWar_VolumeI.pdf">« Eyewitness to war »</a>, une compilation de témoignages de vétérans de Falloujah, font clairement ressortir une concentration systématique des affrontements urbains vers de micro-espaces confinés.</p>
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<p>Le lieutenant-colonel James Rainey, alors commandant de l’une des unités en tête de l’attaque de Falloujah (le deuxième bataillon du 7<sup>e</sup> régiment de cavalerie) (ici et plus bas, toutes les citations sont de militaires américains ayant pris part à la bataille, et issues de « Eyewitness to war »), insiste particulièrement sur cet aspect de la bataille de Falloujah :</p>
<blockquote>
<p>« La stratégie fondamentale de l’ennemi consistait à installer des poches de trois ou quatre hommes dans les bâtiments et à attendre que nous y entrions afin de nous priver de tous les avantages que nous avions sur eux. »</p>
</blockquote>
<p>L’abandon à l’armée américaine des voies de circulation et des espaces ouverts de la ville s’explique par la volonté de l’insurrection irakienne organisée par Al-Qaida de réduire l’asymétrie entre sa puissance de feu limitée et celle, très supérieure, de son adversaire. En maintenant le combat en zone confinée, les troupes insurgées espèrent échapper au soutien blindé dont disposent les troupes américaines engagées dans l’attaque de Falloujah.</p>
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<p>Ce confinement du champ de bataille permet aussi de se prémunir contre l’arme aérienne et la capacité américaine à observer l’ennemi via ses satellites et ses drones – ce qu’on peut appeler son « omniscience zénithale ». En effet, l’offensive sur Falloujah de novembre 2004 fait suite à un véritable siège aérien entamé depuis le retrait des troupes américaines de la ville en avril.</p>
<p>Au cours de ce siège, l’aviation américaine a pu systématiquement frapper les positions insurgées visibles depuis le ciel, ainsi que les djihadistes empruntant les principaux axes de la ville. Cette campagne de bombardements s’est accompagnée d’un exode massif des populations civiles, privant ainsi Al-Qaida de boucliers humains potentiels.</p>
<p>L’omniscience zénithale de l’armée américaine, la régularité des frappes aériennes et la puissance des appuis blindés ont certainement persuadé les insurgés d’Al-Qaida d’abandonner leurs positions fortifiées mais exposées situées au nord-est de la ville, dans le quartier d’Askari notamment, pour se replier à l’intérieur des habitations. Privés de mobilité, empêchés de combattre sur les grandes artères de la ville, les insurgés se sont donc vus contraints de se cantonner à un combat confiné, dans de micro-espaces.</p>
<p>De même, à Gaza, l’absence de résistance significative à la progression rapide des blindés de Tsahal le long des grandes artères, et notamment le <a href="https://www.dimsumdaily.hk/israeli-tanks-enter-gaza-city-cutting-key-road-and-dividing-territory/">long de la route Salaheddine et de la N10</a>, semble confirmer que le Hamas entend reproduire la doctrine d’Al-Qaida en Irak : <a href="https://www.afpc.org/publications/articles/the-gaza-ground-war-what-to-expect">délaisser les points d’embuscade en zone ouverte pour se concentrer sur les <em>kill zones</em></a>, ces micro-espaces conçus et aménagés pour tuer les militaires ennemis et non pour conserver un territoire.</p>
<p>Tout comme à Falloujah en 2004, le combat urbain à Gaza pourrait donc se confiner dans des espaces densément bâtis. À Falloujah, l’essentiel des <em>kill zones</em> aménagées par les défenseurs se situait dans le quartier du Jolan. Comme cela sera plus tard le cas de la vieille ville de Gaza pour le Hamas, ce quartier de Falloujah présentait plusieurs avantages pour les insurgés : particulièrement dense, le Jolan possédait une voirie extrêmement étroite qui l’enclavait, comme le souligne un vétéran américain :</p>
<blockquote>
<p>« Le 3-1 (le 3<sup>e</sup> bataillon du 1<sup>er</sup> régiment de cavalerie) se situe à la jonction de la ligne Kathy, prêt à longer la rivière pour frapper le cœur du Jolan. Le 2-7 (le deuxième bataillon du 7<sup>e</sup> régiment de cavalerie) ne peut se diriger vers l’ouest de la ville parce que les rues sont trop étroites et denses, c’est donc un pur combat d’infanterie. »</p>
</blockquote>
<p>La nature du tissu urbain, dense et étroit, privait les forces américaines de soutien blindé et réduisait les distances d’engagement, rendant ainsi difficiles les tirs indirects (aviation et artillerie). Ces atouts en faisaient un espace privilégié pour les <em>kill zones</em>, comme pourrait le devenir aujourd’hui Gaza City pour le Hamas.</p>
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<p>Le Hamas pourrait aussi s’inspirer des micro-aménagements qu’Al-Qaida en Irak avait mis en place à Falloujah en 2004. Les <em>kill zones</em> conçues à Falloujah exploitaient au maximum les opportunités qu’offre l’habitat arabe, celui-ci étant utilisé comme un piège destiné à enfermer les soldats américains dans un micro-champ de bataille particulièrement favorable aux insurgés :</p>
<blockquote>
<p>« Dans chacun de ces bâtiments, il y avait des “trous de souris” (Mouse Holes). Si vous entriez par la porte, vous étiez confronté à des trous percés dans les murs partout dans la pièce – au-dessus, à l’arrière, sur les côtés – tous concentrés dans la pièce centrale dans laquelle vous entriez. C’était une “kill zone” et il était impossible d’en sortir vivant. »</p>
</blockquote>
<p>Les <em>kill zones</em> irakiennes reposaient ainsi sur un ensemble d’aménagements destinés à transformer les maisons d’habitation en véritables pièges. Tout d’abord, les insurgés condamnaient les portes secondaires et les fenêtres afin d’obliger les forces américaines à pénétrer dans la maison par la porte principale. Puis ils perçaient des « trous de souris », un ensemble d’ouvertures permettant de créer des angles de tir ad hoc à l’intérieur de la maison, souvent concentrées sur la pièce principale et l’entrée du bâtiment.</p>
<p>Ces trous de souris avaient trois fonctions : exposer les soldats américains sans couverture à des tirs directs, les empêcher de s’échapper de la <em>kill zone</em> et, enfin, rendre impossible l’acheminement de renforts. Ainsi refermé, le piège isolait complètement les soldats américains du reste du champ de bataille tout en les plaçant dans une situation désastreuse.</p>
<p>Après l’embuscade, les insurgés pouvaient enfin compter sur les « rat holes », ou trous de rats, un réseau de tunnels leur permettant de circuler de maison en maison :</p>
<blockquote>
<p>« L’ennemi a également creusé des “trous de rats” reliant entre eux des bâtiments différents. N’oubliez pas que tous ces bâtiments sont entourés de murs ; les trous de rats permettaient à l’ennemi de se déplacer d’un bâtiment à l’autre […]. Quand nous entrions dans un bâtiment, ils passaient par ces “trous de rats” pour se réfugier dans le bâtiment voisin ; et ils revenaient une fois que nous avions nettoyé le bâtiment et l’avions quitté. »</p>
</blockquote>
<p>En plus d’exposer les soldats américains, ces <em>kill zones</em> garantissaient donc des axes de repli aux insurgés qui pouvaient alors les utiliser pour se projeter sur les arrières de l’ennemi ou pour abandonner le combat et rejoindre la population civile.</p>
<h2>La ville comme piège</h2>
<p>Ces aménagements conçus pour transformer la ville en piège destinée à tuer pourraient être mis en œuvre à grand échelle par le Hamas dans Gaza City où le tissu urbain est propice à de telles <em>kill zones</em>. Ainsi n’est-il pas impossible que les « trous de rats » d’Al-Qaida puissent servir de modèle aux tunnels du <a href="https://videos.lesechos.fr/lesechos/sujet-actus/le-metro-de-gaza-le-labyrinthe-souterrain-du-hamas/qzkrruu">« métro de Gaza »</a> du Hamas.</p>
<p>Dès lors, la bataille de Falloujah en novembre 2004 constitue bien un précieux retour d’expérience (<em>retex</em>) pour les armées conventionnelles en proie à la guérilla urbaine, comme le montre la réalisation du <a href="https://www.rtbf.be/article/baladia-la-mini-gaza-ou-les-soldats-israeliens-de-tsahal-sentrainent-pour-la-guerre-urbaine-contre-le-hamas-11281111">camp israélien d’entraînement au combat urbain de Badalia</a>, réplique parfaite d’une ville arabe conçue en 2005 en plein désert du Néguev avec l’aide de l’armée américaine et de ses enseignements tirés de Falloujah. D’ailleurs, fin octobre, le major général américain James Glynn, qui a combattu à Falloujah en 2004, <a href="https://www.thenationalnews.com/world/us-news/2023/10/30/general-glynn-israel-advice/">s’est rendu en Israël pour apporter son expertise à Tsahal</a>.</p>
<p>Mais Falloujah reste avant tout un laboratoire qui a permis de renouveler les stratégies des groupes terroristes en milieu urbain, ce qui ne sera pas sans influence sur les tactiques qu’utilisera le Hamas face à Tsahal. Le <a href="https://www.gov.il/en/Departments/General/hamas-manual-on-urban-warfare">manuel de guérilla urbaine du Hamas</a> saisi par Tsahal en 2014 à Gaza lors de l’opération <a href="https://www.persee.fr/doc/afdi_0066-3085_2014_num_60_1_4747">« Bordure protectrice »</a> comporte sans doute des enseignements tirés par le Hamas des doctrines et tactiques utilisées par Al-Qaida en Irak. Malheureusement, ce document n’est pas, à l’heure actuelle, entièrement mis à la disposition des chercheurs. Mais une chose est certaine : pour le Hamas à Gaza comme pour Al-Qaida à Falloujah en 2004, la ville n’est plus pensée comme un territoire, une forteresse à défendre, mais plutôt comme une arme destinée à tuer des soldats ennemis.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/217030/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Pierre Firode ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>À Falloujah, en 2004, les soldats américains s’étaient heurtés à une résistance acharnée des insurgés. Cette guerre urbaine est porteuse de nombreuses leçons pour l’engagement de Tsahal à Gaza.Pierre Firode, Professeur agrégé de Géographie, membre du laboratoire Médiations, Sorbonne UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2171192023-11-06T17:02:49Z2023-11-06T17:02:49ZIsraël-Hamas : le mouvement pour la paix a-t-il été assassiné le 7 octobre ?<p>En Israël, le mouvement pacifiste et l’activisme anti-occupation, déjà <a href="https://www.theguardian.com/world/2019/mar/14/the-fall-of-the-israeli-peace-movement-and-why-leftists-continue-to-fight">en recul</a> avant les attaques terroristes commises par le Hamas le 7 octobre, risque désormais de disparaître totalement.</p>
<p>Bon nombre des personnes assassinées le 7 octobre étaient des habitants de kibboutz, des collectifs résidentiels du sud d’Israël, dont les membres ont traditionnellement <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10848770903516212">tendance à soutenir les initiatives de paix et les droits des Palestiniens</a>, et à s’opposer à la colonisation ; certaines d’entre elles étaient des <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/10/world/middleeast/peace-activists-killed-israel.html">activistes et travailleurs communautaires très connus</a>. L’une des personnes disparues est la militante israélo-canadienne <a href="https://fr.timesofisrael.com/vivian-silver-otage-presumee-est-membre-de-women-wage-peace/">Vivian Silver</a>, 74 ans, qui fut en 2014 l’une des fondatrices du mouvement pacifiste israélien <a href="https://www.womenwagepeace.org.il/en/vivian-silver-a-peace-activist-is-missing/">Women Wage Peace</a>.</p>
<p>Après le 7 octobre, Dorit Rabinyan, membre du conseil d’administration de plusieurs organisations de gauche opposées à l’occupation israélienne de la Cisjordanie, a <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/15/world/middleeast/hamas-israel-mood-distrust.html">déclaré au <em>New York Times</em></a> :</p>
<blockquote>
<p>« Je sais que ce n’est pas noble de ma part, je sais qu’il y a de la souffrance de l’autre côté, mais l’autre côté a pris des otages et a massacré si violemment, avec un tel entrain, que ma compassion est en quelque sorte paralysée. »</p>
</blockquote>
<p>Même la gauche israélienne réclame désormais des <a href="https://www.mekomit.co.il/%D7%A9%D7%9E%D7%90%D7%9C-%D7%99%D7%A7%D7%A8-%D7%9E%D7%95%D7%A1%D7%A8-%D7%96%D7%94-%D7%9C%D7%90-%D7%9E%D7%95%D7%AA%D7%A8%D7%95%D7%AA-%D7%92%D7%9D-%D7%95%D7%91%D7%9E%D7%99%D7%95%D7%97%D7%93-%D7%9C/">représailles militaires</a>. L’attaque du 7 octobre n’a pas seulement ébranlé le mouvement pacifiste ; elle a également suscité des <a href="https://theconversation.com/israel-hamas-war-a-political-scientist-explains-why-the-very-subject-of-peace-is-now-unthinkable-215317">interrogations sur son avenir</a>.</p>
<h2>Un espoir en berne</h2>
<p>Je viens de rentrer d’Israël et de Palestine, où j’ai <a href="https://blogs.prio.org/2023/08/in-the-israeli-democracy-protests-the-flag-has-become-the-contentious-topic-the-occupation-is-not/">effectué des recherches pendant dix ans</a> sur l’activisme pour la paix dans la région. En Israël, j’ai assisté à de nombreuses manifestations israélo-palestiniennes conjointes visant à dénoncer l’occupation de la Cisjordanie. J’ai également assisté à des <a href="https://afcfp.org/memorial/">événements israélo-palestiniens communs</a>, tels que la cérémonie commémorative annuelle en l’honneur des victimes aussi bien israéliennes que palestiniennes du conflit.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Dans le cadre de mon récent travail de terrain, j’ai eu de longs échanges avec de nombreux militants palestiniens et israéliens pour la paix et contre l’occupation. Une chose m’a frappée : alors que ces gens espèrent la paix et y travaillent, ils ne prononcent que très rarement le mot « paix » lui-même.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1393908904447381504"}"></div></p>
<p>Comme le dit Yael (le prénom a été changé), une activiste israélienne :</p>
<blockquote>
<p>« Les Israéliens ne savent plus imaginer la paix parce que les gens ici ne savent plus imaginer une autre réalité que celle existante. »</p>
</blockquote>
<p>Noam (le prénom a été changé), un Israélien qui milite contre la colonisation, m’a dit la même chose lors d’une manifestation hebdomadaire contre l’expulsion de Palestiniens dans le quartier palestinien de Cheikh Jarrah, à Jérusalem-Est :</p>
<blockquote>
<p>« Je crois que les gens parlent plus de la fin de l’occupation que de la paix. »</p>
</blockquote>
<p>Miriam (le prénom a été changé), une militante palestinienne d’une trentaine d’années, explique pourquoi il est devenu plus difficile pour les jeunes de parler de paix :</p>
<blockquote>
<p>« Le niveau de haine est si élevé parce que la jeune génération n’a pas vu ce que notre génération a vu. Nous avons vécu la première et la deuxième Intifadas, et même à cette époque, nous avions un espoir. Cette génération n’a pas un tel espoir, que ce soit côté palestinien ou côté israélien. »</p>
</blockquote>
<p>Des chercheurs ont montré qu’il n’y a <a href="https://www.academia.edu/24509323/The_Israeli_peace_movement_a_shattered_dream_by_Tamar_S_Hermann">plus eu de mouvement de paix aux contours clairs en Israël</a> depuis de nombreuses années, certains affirmant que ce mouvement avait quasiment disparu après la <a href="https://www.jstor.org/stable/j.ctv16t6jdd">deuxième Intifada</a> (2000-2005).</p>
<p>Certains militants décrivent les années qui ont suivi cette période comme marquées par le <a href="https://www.taylorfrancis.com/chapters/edit/10.4324/9780429501371-4/rabin-malaise-israeli-zionist-left-mark-rosenblum">désespoir</a> et une <a href="https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/14678802.2015.1100018">profonde désillusion</a> à l’égard des propositions des accords d’Oslo (1993-1995), une <a href="https://history.state.gov/milestones/1993-2000/oslo">tentative de règlement négocié</a> entre le gouvernement israélien et l’Organisation de libération de la Palestine, qui devait aboutir à la reconnaissance d’Israël par les Palestiniens et à l’exercice d’un pouvoir autonome palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza).</p>
<p>Malgré tout, il existe encore des organisations qui œuvrent en faveur de la paix, comme le groupe palestino-israélien <a href="https://cfpeace.org">Combatants for Peace</a> et le collectif d’activistes israéliens <a href="https://www.facebook.com/freejerusalem/">Free Jerusalem</a>. Ils sont toutefois de petite taille et ne disposent que de maigres ressources.</p>
<h2>La colère contre les activistes</h2>
<p>Les actions des différents gouvernements israéliens qui se sont succédé au cours des quinze dernières années ont joué un rôle central dans le <a href="https://www.cambridge.org/core/journals/israel-law-review/article/israeli-pretransitional-justice-and-the-nakba-law/38FDCE76C2764DED2B9A26A596737DEC">rétrécissement de l’espace</a> dévolu à la société civile, aux organisations de défense des droits de l’homme, aux militants anti-occupation et aux mouvements pour la paix. En 2016, la Knesset, le parlement israélien, a adopté une loi obligeant les ONG qui recevaient plus de <a href="https://www.ssoar.info/ssoar/bitstream/handle/document/54348/ssoar-2017-asseburg-Shrinking_spaces_in_Israel_contraction.pdf">50 % de leur financement</a> de la part d’organisations étrangères à rendre compte publiquement de l’origine de leurs subventions. Des campagnes massives ont également été menées <a href="https://www.ssoar.info/ssoar/bitstream/handle/document/54348/ssoar-2017-asseburg-Shrinking_spaces_in_Israel_contraction.pdf">pour détériorer l’image des militants</a> auprès de l’opinion publique israélienne.</p>
<p>La façon dont certaines organisations militant pour la paix ont été qualifiées de « traîtres », de « collaborateurs des terroristes » ou d’« agents étrangers » par des responsables politiques et des groupes de réflexion de droite en est un exemple. Par exemple, en 2015, le mouvement de droite israélien <em>Im Tirtzu</em> (« Si vous le voulez ») a accusé les ONG israéliennes de défense des droits de l’homme d’être des « agents étrangers » et de <a href="https://www.haaretz.com/opinion/2015-12-16/ty-article/.premium/im-tirtzus-video-equates-human-rights-with-treason/0000017f-f6b6-d5bd-a17f-f6be755a0000">saboter activement les efforts israéliens en matière de lutte contre le terrorisme</a>. L’espace réservé aux défenseurs des droits des Palestiniens, et spécialement à ceux <a href="https://www.google.se/books/edition/The_Israeli_Radical_Left/9JplDwAAQBAJ">qui appellent à la fin de l’occupation</a> de la Cisjordanie, s’est donc progressivement réduit.</p>
<p>Aujourd’hui, malgré la douleur, le chagrin et l’incrédulité engendrées par les atrocités du 7 octobre, certaines organisations israéliennes, et certains citoyens à titre individuel, s’élèvent contre l’opération militaire en cours à Gaza, soulignant que tous les habitants de Gaza ne sont pas coupables ou ne soutiennent pas les attentats.</p>
<p>B’tselem, une organisation israélienne de défense des droits de l’homme, a tweeté le 13 octobre : « Non : Un million de personnes dans le nord de Gaza ne sont pas coupables. Elles n’ont nulle part où aller. Ce n’est pas à cela que ressemble la lutte contre le Hamas. C’est de la vengeance. Et des innocents souffrent. »</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1712727623976071362"}"></div></p>
<p>Noy Katsman, un militant israélien pour la paix et contre l’occupation, dont le frère Hayim, qui partageait ses convictions, a été tué par le Hamas le 7 octobre, a déclaré <a href="https://edition.cnn.com/videos/world/2023/10/10/tl-noy-katsman-jake-tapper-live.cnn">dans une interview à CNN</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La chose la plus importante pour moi et pour mon frère est que sa mort ne soit pas utilisée pour justifier le meurtre de personnes innocentes. »</p>
</blockquote>
<p>Noy lui-même, et beaucoup d’autres militants, sont désormais pris pour cible dans leur propre communauté parce qu’ils <a href="https://www.thenationalnews.com/mena/2023/10/14/not-in-my-brothers-name-israeli-peace-activist-calls-for-halt-to-gaza-bombings/">refusent de considérer l’autre camp comme l’ennemi</a>.</p>
<h2>Résister à l’attrait de la vengeance</h2>
<p>Lors d’un <a href="https://twitter.com/cfpeace/status/1715010351119405525">webinaire organisé le 20 octobre</a> par l’ONG israélo-palestinienne Combatants for Peace, des militants palestiniens et israéliens se sont réunis pour réaffirmer leur attachement commun à la paix, à la justice et à la non-violence dans un contexte de guerre. Comme l’a dit la <a href="https://www.youtube.com/watch?v=ldEIyjw9hhU">militante palestinienne Mai Shahin</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Ce système violent ne cesse d’essayer de nous faire croire qu’il est la seule voie possible. S’il est si difficile aujourd’hui aux Palestiniens et aux Israéliens de continuer de discuter, c’est parce que, ce faisant, nous nous attaquons à ce système, qui finira par se briser si nous nous retrouvons, nous associons et agissons ensemble. »</p>
</blockquote>
<p>Même si le désespoir et les appels à la vengeance prédominent aujourd’hui, il existe toujours des personnes et des organisations engagées qui s’élèvent contre la politique sécuritaire conduite par Israël et contre les bombardements de civils à Gaza. Comme l’a récemment écrit l’activiste israélienne <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/oct/09/israel-war-hamas-benjamin-netanyahu-government">Orly Noy</a> :</p>
<blockquote>
<p>« La vengeance est le contraire de la sécurité, le contraire de la paix et le contraire de la justice. Ce n’est rien d’autre que plus de violence. »</p>
</blockquote><img src="https://counter.theconversation.com/content/217119/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Anne Lene Stein est financée par le Riksbankens Jubileumsfond.</span></em></p>De nombreux militants israéliens pour la paix ont été tués le 7 octobre. Aujourd’hui, c’est leur idéal même qui est à l’article de la mort.Anne Lene Stein, PhD candidate in political science, Lund UniversityLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2167752023-11-03T14:21:54Z2023-11-03T14:21:54ZLa crise au Proche-Orient, une aubaine pour la Russie ?<p>Depuis le début des combats entre le Hamas et Israël, la Fédération de Russie joue à fond de sa position très particulière au Moyen-Orient. Ses liens structurels avec tous les acteurs de la crise actuelle lui permettent de mener des actions et de tenir des discours qu’aucun autre pays européen n’est prêt à assumer.</p>
<p>Le 26 octobre, le représentant spécial de la présidence russe pour le Proche-Orient, Mikhaïl Bogdanov, <a href="https://fr.timesofisrael.com/moscou-accueille-une-delegation-du-hamas-et-un-vice-ministre-iranien-israel-fulmine/">a reçu des dirigeants du Hamas à Moscou</a>. Dans le même temps, la relation entre Israël et la Russie reste forte, entretenue notamment à travers la <a href="https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2015-2-page-363.htm">nombreuse et influente communauté immigrée en Israël en provenance de l’ex-URSS</a>.</p>
<p>Pour Moscou, la série d’événements qui a démarré le 7 octobre dernier constitue une diversion qui confine à l’aubaine. La guerre en Ukraine est passée au second plan de l’attention médiatique et diplomatique, et le <a href="https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/vu-de-russie/20231020-vladimir-poutine-appelle-%C3%A0-la-paix-au-proche-orient-son-arm%C3%A9e-rase-avdiivka-en-ukraine">Kremlin se présente comme un faiseur de paix entre Israël et le Hamas</a>. La <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/themes/guerre/la-guerre-de-soukkot/">« guerre de Soukkot »</a> peut-elle permettre à la Russie de se relancer sur la scène internationale tout en marquant des points dans son bras de fer géopolitique avec les États-Unis, qu’elle désigne comme les <a href="https://www.ladepeche.fr/2023/10/30/guerre-israel-hamas-vladimir-poutine-affirme-que-les-etats-unis-sont-responsables-du-chaos-mortel-au-moyen-orient-11552053.php">grands responsables du chaos actuel au Proche-Orient</a> ?</p>
<h2>Exploiter une aubaine stratégique</h2>
<p>Pour la stratégie russe en Europe, cette crise constitue une occasion inespérée. Elle intervient en effet à un moment où la Fédération a besoin d’une pause dans la mobilisation internationale contre son opération militaire en Ukraine. Le relatif <a href="https://www.lefigaro.fr/international/attaque-du-hamas-contre-israel-comment-moscou-utilise-le-conflit-pour-detourner-l-attention-de-l-ukraine-20231009">passage au second plan du conflit russo-ukrainien</a> lui profite directement et massivement. Ne serait-ce que parce que <a href="https://www.axios.com/2023/10/19/us-israel-artillery-shells-ukraine-weapons-gaza">Washington a envoyé à Israël des armes initialement destinées à l’Ukraine</a>…</p>
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<p>En cet automne 2023, les efforts de reconquête ukrainiens <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/guerre-en-ukraine-le-podcast/l-armee-ukrainienne-en-difficulte-4624488">peinent à produire des effets stratégiques</a>. Les territoires repris depuis début juin par les armées de Kiev sont conséquents, mais restent sans commune mesure avec les 20 % du territoire national occupés et <a href="https://theconversation.com/annexions-russes-de-territoires-ukrainiens-un-air-de-deja-vu-192288">annexés illégalement par la Russie</a>. Pour Moscou, la crise au Moyen-Orient permet de tourner encore plus rapidement la page de la contre-offensive ukrainienne afin d’achever de la <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/15/ukraine-larmee-russe-progresse-y-compris-autour-davdiivka-selon-poutine">faire passer pour un non-événement</a>.</p>
<p>De plus, la crise au Proche-Orient absorbe l’attention et les activités des chancelleries mondiales au moment où se manifestent certains fléchissements dans le soutien à l’Ukraine, en <a href="https://theconversation.com/comprendre-les-tensions-polono-ukrainiennes-215109">Pologne</a> du fait du conflit lié à l’importation en Europe des céréales ukrainiennes, <a href="https://www.iris-france.org/178787-guerre-en-ukraine-le-soutien-americain-incertain-a-lapproche-des-elections/">aux États-Unis</a> dans un contexte de crise institutionnelle au Congrès ou encore en Europe centrale comme en <a href="https://fr.euronews.com/2023/10/25/slovaquie-robert-fico-forme-un-gouvernement-avec-les-pro-russes">Slovaquie</a>, où la victoire de Robert Fico affaiblit l’unité de l’UE dans son bras de fer avec la Russie.</p>
<p>Au-delà des dirigeants, ce sont aussi les médias et les opinions publiques à travers le monde qui, actuellement, s’intéressent un moins moins au théâtre ukrainien et des féroces combats qui se déroulent dans le Donbass, pour se focaliser sur le conflit au Proche-Orient, ce qui offre à la Russie une forme de répit.</p>
<figure class="align-center ">
<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=400&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/556900/original/file-20231031-21-rx8uh3.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=503&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<span class="caption">À New York, le 18 octobre 2023, des manifestants pro-palestiniens font face à des manifestants pro-israéliens. Le conflit proche-oriental occupe aujourd’hui les esprits davantage que celui en cours en Ukraine.</span>
<span class="attribution"><span class="source">Syndi Pilar/Shutterstock</span></span>
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</figure>
<p>La façon dont la Russie va exploiter cette période de relatif répit médiatique et diplomatique ne se manifestera pas immédiatement. Les repositionnements de troupes au sol, les campagnes diplomatiques bilatérales, la mobilisation des amis du Kremlin dans les organisations multilatérales, l’élaboration d’un nouveau narratif sur la guerre en Ukraine, etc. : tout cela est en préparation à Moscou. Mais les effets ne se verront que vers la fin de l’année, notamment à l’occasion de la traditionnelle conférence de presse du président Poutine.</p>
<p>Assurément, la Russie se repositionnera non plus comme un acteur régional en Europe oriental mais comme un acteur global, au Moyen-Orient notamment. C’est ainsi qu’elle a déposé un texte de résolution à l’ONU visant à obtenir un cessez-le-feu à Gaza ; le <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/10/1139707">rejet de ce texte</a>, du fait des votes « contre » des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France et du Japon, lui a permis de renforcer, aux yeux des pays dits du Sud et, spécialement, des États musulmans, sa posture de leader du camp anti-occidental, soucieux de protéger la population civile gazaouie, tout en <a href="https://eng.belta.by/politics/view/lavro-on-differences-in-russian-us-draft-resolutions-on-israel-palestine-conflict-162944-2023/">dénonçant l’alignement des Occidentaux sur Israël</a> et en allant jusqu’à se présenter comme un <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/russia-says-israels-gaza-bombardment-is-against-international-law-2023-10-28/">pays défendant le droit international</a>.</p>
<h2>Mobiliser ses alliés dans la région</h2>
<p>Pour les Realpolitiker russes, cette crise présente aussi l’occasion de mobiliser leurs réseaux d’alliances dans les mondes arabe, turc, persan et plus largement musulman. Dès avant l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine, la <a href="https://www.cairn.info/revue-relations-internationales-2017-3-page-109.htm?ref=doi">Fédération de Russie a constamment renforcé ses relais dans la région</a>.</p>
<p><a href="https://www.ifri.org/fr/espace-media/lifri-medias/loffensive-de-charme-de-poutine-vis-vis-moyen-orient">Dans le monde arabe</a>, à partir de 2015, elle a réactivé l’ancienne alliance avec la famille Al-Assad pour littéralement sauver le régime en Syrie par une intervention militaire cruciale. Elle a en outre resserré ses liens traditionnels avec l’Égypte dans les domaines de l’armement, de l’agro-alimentaire et de l’énergie. Elle a cultivé son <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/06/15/a-moscou-la-russie-et-l-algerie-renouvellent-leur-partenariat-strategique_6177821_3212.html">allié algérien</a> et a repris pied en Libye avec son <a href="https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/10/07/en-libye-la-relation-securitaire-entre-khalifa-haftar-et-moscou-s-intensifie_6192985_3212.html">soutien au maréchal Haftar</a>. Elle s’est même engagée dans une <a href="https://www.defnat.com/e-RDN/vue-tribune.php?ctribune=1414">coopération avec le royaume saoudien</a> dans le cadre de l’OPEP+.</p>
<p>Par-delà le monde arabe, elle a <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/10/11/guerre-en-ukraine-que-sont-les-drones-iraniens-utilises-par-la-russie_6145369_3210.html">trouvé dans l’Iran un fournisseur de drones pour la guerre en Ukraine</a> ainsi qu’un soutien dans les enceintes internationales. Et les <a href="https://theconversation.com/la-turquie-une-puissance-mediatrice-entre-la-russie-et-lukraine-203782">rapprochements entre les présidents russe et turc</a> sont réels même s’ils ne doivent pas susciter l’illusion d’une alliance solide.</p>
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<p>La crise actuelle lui permet de raviver ces alliances structurelles autour d’une question ancienne et passée au second plan dans le monde musulman après les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-qu-est-ce-que-les-accords-d-abraham-10-10-2023-2538807_24.php">accords d’Abraham</a> : la cause palestinienne. La spécificité de la position de la Russie dans la région à la faveur de ce conflit doit être soulignée : elle est capable de mobiliser ses alliés par-delà les lignes de clivage internes à la région. Et la crise actuelle, qui réactive <a href="https://theconversation.com/proche-orient-le-retour-de-la-cause-palestinienne-216213">l’hostilité à Israël dans les opinions arabes, persanes et musulmanes au sens large</a>, souligne la centralité d’un acteur dont les Occidentaux ont pourtant voulu faire un paria.</p>
<p>Là encore, les effets de cette position ne se manifesteront pas tous immédiatement : c’est à moyen terme que la Russie tentera de tirer bénéfice de sa position actuelle pour contester encore davantage le poids des États-Unis dans la région. Toutefois, il est certain que l’aubaine immédiate peut être complétée par des gains stratégiques dans la zone : la Russie peut utiliser la crise pour souligner sa centralité, pour rappeler à ses alliés qu’elle parle à tous et peut donc prétendre au rôle de médiateur.</p>
<p>À condition toutefois de préserver sa relation avec Israël.</p>
<h2>Préserver ses relais en Israël</h2>
<p>Si la Russie prétend à une position œcuménique au Moyen-Orient, elle est actuellement handicapée, en Israël, par plusieurs facteurs. <a href="https://www.lemonde.fr/international/video/2023/10/30/au-daghestan-un-aeroport-pris-d-assaut-par-une-foule-hostile-a-israel_6197355_3210.html">Les mouvements de foule au Daghestan</a>, république autonome de la Fédération de Russie à majorité musulmane, contre les passagers d’un vol en provenance de Tel-Aviv, ont été perçus avec beaucoup d’inquiétude dans l’État hébreu.</p>
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<p>Après avoir revendiqué le rôle de pionnier dans la lutte contre l’islamisme sunnite violent, comment la Russie pourrait-elle prétendre au rôle de médiateur alors qu’elle accueille désormais fréquemment des dirigeants du Hamas ?</p>
<p>Plusieurs leaders en Israël redoutent le renforcement de <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-sinquiete-dun-axe-russie-iran-hamas-2025584">l’axe Moscou-Téhéran-Hamas</a> dans le contexte de l’opération israélienne à Gaza. La symbiose entre la République islamique d’Iran et la Fédération de Russie préoccupe tout particulièrement Israël : elle peut jouer en faveur d’une modération du Hezbollah, mais elle peut aussi contribuer à la régionalisation des hostilités.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/comment-liran-mobilise-son-axe-de-la-resistance-face-a-israel-216306">Comment l’Iran mobilise son « Axe de la Résistance » face à Israël</a>
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<p>Dans la crise, la Russie a beaucoup à perdre avec Israël. Ses relais d’influence y sont multiples : plus d’un million d’habitants (sur 9 millions) sont issus de l’ex-URSS. Ils constituent la première communauté immigrée en Israël et disposent de figures publiques influentes dans les domaines politiques, économiques, financiers, médiatiques ou technologiques. La Russie est-elle condamnée par sa position actuelle à dilapider son capital en Israël ? Nombreux sont les observateurs à estimer que les <a href="https://www.agenzianova.com/en/news/russia-israel-kommersant-bilateral-relations-are-in-deep-crisis/">relations bilatérales Moscou-Tel-Aviv sont à un plus bas historique</a>.</p>
<p>En somme, la position russe au Moyen-Orient se trouve à un croisement. Soit elle se contente se traiter la crise actuelle comme une diversion : elle profitera alors du répit médiatique et de la baisse de pression diplomatique pour renforcer encore ses positions en Ukraine ; soit elle endosse le rôle de ciment des acteurs anti-Israël au Moyen-Orient : elle rompra encore davantage avec des Occidentaux mobilisés en faveur de la sécurité d’Israël ; soit, enfin, elle choisit la voie étroite de médiateur potentiel : il lui faudra alors, pour être acceptée comme telle par les Israéliens, remédier aux nombreuses tensions de la relation bilatérale Moscou-Tel-Aviv.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216775/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Cyrille Bret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’attention mondiale s'est reportée de l’Ukraine à Gaza. La Russie en bénéficie largement, d'autant qu'elle cherche à apparaître comme un faiseur de paix au Proche-Orient.Cyrille Bret, Géopoliticien, Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2166592023-11-01T17:18:41Z2023-11-01T17:18:41ZConflit israélo-palestinien : quel impact possible sur la présidentielle aux États-Unis ?<p>Le 5 novembre 2024, les Américains se rendront aux urnes pour désigner leur prochain président. Côté démocrate, Joe Biden va probablement se représenter pour un second mandat ; en face, dans le camp républicain, c’est Donald Trump qui apparaît aujourd’hui comme le mieux placé pour remporter les primaires, en dépit de ses nombreux soucis avec la justice.</p>
<p>Traditionnellement, la politique étrangère ne pèse pas beaucoup sur l’issue de la présidentielle américaine. Mais, cette fois, il pourrait en aller différemment, à cause du retour de la violence au Proche-Orient. La guerre entre Israël et le Hamas est, en effet, suivie de très près aux États-Unis. Si le Parti républicain et tous les candidats à ses primaires se sont rangés sans ambages du côté d’Israël, les Démocrates, eux, apparaissent plus divisés. Le président Biden, traditionnellement aligné sur les intérêts de l’État hébreu, joue donc depuis le 7 octobre une partition particulièrement difficile, cherchant à la fois à protéger l’allié stratégique israélien, à faire valoir son soutien face aux attentats du Hamas… et à ne pas apparaître insensible face aux nombreuses victimes palestiniennes causées par la riposte de Tsahal.</p>
<h2>Joe Biden, un « sioniste de cœur » contraint de jouer les équilibristes</h2>
<p>Face à l’ampleur et à la nature du massacre, Joe Biden, qui a tracé un <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/2023-10-18/ty-article/.premium/biden-evokes-holocaust-and-september-11-during-unprecedented-wartime-visit-to-israel/0000018b-4352-d614-abcf-eb7346480000">parallèle entre ces événements et la Shoah et les attaques du 11 Septembre</a>, a immédiatement promis un appui inconditionnel au gouvernement israélien. Cette promesse s’est matérialisée non seulement par sa <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/19/en-visite-eclair-a-tel-aviv-joe-biden-affiche-son-soutien-aux-israeliens-mais-demande-de-la-clarte-sur-les-objectifs-de-la-guerre_6195348_3210.html">visite à l’État hébreu</a> le 18 octobre, malgré les <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/16/us/politics/biden-israel-trip.html">risques politiques et sécuritaires</a> que comportait un tel déplacement, mais surtout par un <a href="https://www.leparisien.fr/international/israel/guerre-israel-hamas-militaires-porte-avions-limpressionnant-deploiement-des-etats-unis-en-mediterranee-19-10-2023-G64SXF26HFB3TFXWNI3YLXYYIY.php">renforcement de la présence militaire des États-Unis dans la région</a>, y compris à travers l’envoi d’armes <a href="https://www.axios.com/2023/10/19/us-israel-artillery-shells-ukraine-weapons-gaza">initialement destinées à l’Ukraine</a>.</p>
<p>Le président Biden entretient des <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/28/us/politics/biden-israel-netanyahu-gaza.html?smid=nytcore-android-share">liens forts avec Israël</a>, qu’il a toujours <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/28/us/politics/biden-israel-netanyahu-gaza.html">soutenu durant sa très longue carrière</a>, malgré des <a href="https://www.nbcnews.com/politics/joe-biden/netanyahu-biden-relationship-explained-us-israel-diplomacy-rcna119510">périodes de friction avec l’actuel premier ministre israélien</a> Benyamin Nétanyahou, qu’il a beaucoup « pratiqué » dès son mandat de vice-président de Barack Obama (2008-2016).</p>
<p>Se définissant lui-même comme « <a href="https://apnews.com/article/joe-biden-israel-gaza-dachau-holocaust-hamas-919058eec36dca4c06cf9fc4355fe302">sioniste de cœur</a> », Joe Biden <a href="https://jewishdems.org/the-biden-administration-and-israel/">a un biais pro-israélien</a> indéniable. Il est d’ailleurs <a href="https://www.timesofisrael.com/us-biden-more-popular-in-israel-than-almost-anywhere-else-poll-shows/">plus populaire en Israël qu’aux États-Unis</a>,et a été largement <a href="https://www.opensecrets.org/industries/summary.php?ind=q05&cycle=All&recipdetail=S&mem=Y">soutenu par des groupes pro-israéliens au cours de sa carrière</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">Joe Biden en Israël : discours de fin de visite du président américain. France 24, 18 octobre 2023.</span></figcaption>
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<p>Dans la crise actuelle, cette position est difficile à tenir : le président américain doit en priorité éviter un <a href="https://time.com/6329553/biden-iran-air-strikes-syria-war/">embrasement de la région</a>, tout en faisant l’objet d’attaques tant <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/27/us/politics/biden-democrats-israel-2024.html">sur sa gauche</a> que sur sa droite, dans un <a href="https://carnegieendowment.org/2023/09/05/polarization-democracy-and-political-violence-in-united-states-what-research-says-pub-90457">contexte politique intérieur extrêmement tendu</a>. </p>
<p>En effet, il est <a href="https://www.20minutes.fr/monde/4057189-20231010-guerre-hamas-israel-soutien-indefectible-etat-hebreu-divise-gauche-americaine">critiqué par le flanc gauche du camp démocrate</a>, qui lui reproche de ne pas suffisamment tenir compte des civils palestiniens à Gaza, et de se montrer trop complaisant envers le gouvernement Nétanyahou ; dans le même temps, les <a href="https://edition.cnn.com/2023/10/09/politics/republicans-blame-biden-israel-what-matters/index.html">Républicains l’accusent</a> d’être responsable de l’attaque contre Israël en s’étant montré trop complaisant à l’égard de l’Iran, qui soutient le Hamas. </p>
<p>Conscient des enjeux, et pour la deuxième fois seulement de sa présidence, Joe Biden s’est <a href="https://www.youtube.com/watch?v=wTxDZ6D1A1E">adressé à la nation en prime time depuis le Bureau ovale</a> le 21 octobre dernier, dénonçant à la fois <a href="https://theconversation.com/antisemitism-has-moved-from-the-right-to-the-left-in-the-us-and-falls-back-on-long-standing-stereotypes-215760">l’antisémitisme</a> et <a href="https://thehill.com/policy/international/4276355-islamophobic-incidents-spike-since-eruption-of-israel-hamas-conflict/">l’islamophobie</a>, deux phénomènes en hausse depuis le 7 octobre dernier. Lors de ce discours, il a réitéré sa demande aux Israéliens de ne pas se « laisser aveugler par la rage » et de tirer les leçons d’une « Amérique qui a vécu l’enfer du 11 Septembre » et « a commis des erreurs », faisant ainsi référence à l’intervention en Irak lancée en 2003 par l’administration Bush. </p>
<p>S’il a obtenu la mise en place d’une <a href="https://www.bfmtv.com/international/amerique-nord/etats-unis/joe-biden-annonce-que-l-egypte-autorise-l-entree-de-jusqu-a-20-camions-d-aide-humanitaire-a-gaza_AD-202310181025.html">aide humanitaire à la frontière égyptienne</a>, ainsi que la <a href="https://www.aa.com.tr/en/middle-east/biden-thanks-qatar-israel-after-2-american-hostages-freed-by-hamas-/3027794">libération par le Hamas de deux otages américaines</a>, cela pourrait ne pas suffire au regard de la situation en cours.</p>
<h2>Une gauche divisée</h2>
<p>Des manifestations et des débats enflammés se sont multipliés dans le pays, à <a href="https://www.cbsnews.com/newyork/news/flood-wall-street-for-gaza/">New York</a>, sur les <a href="https://www.pbs.org/newshour/show/israel-hamas-war-leads-to-heated-debate-and-protests-on-college-campuses">campus universitaires</a> et même au Capitole où des <a href="https://edition.cnn.com/2023/10/23/us/jewish-palestinian-protest-israel-gaza/index.html">militants juifs pour la paix ont appelé à un cessez-le-feu</a> immédiat et à la justice pour les Palestiniens.</p>
<p>Depuis plusieurs années, les Démocrates sont <a href="https://fivethirtyeight.com/features/democrats-israeli-palestinian-conflict-divide/">divisés sur la question israélienne</a>. L’aile gauche du parti se montre de plus en plus critique du traitement des Palestiniens par Israël et, plus généralement, du <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-netanyahou-forme-le-gouvernement-le-plus-a-droite-de-lhistoire-du-pays-1891423">gouvernement de droite et d’extrême droite</a> dirigé par Benyamin Nétanyahou.</p>
<p>Cela se traduit non seulement par des <a href="https://www.nbcnews.com/politics/politics-news/left-faces-reckoning-israel-divides-democrats-rcna120076">divisions au sein du parti</a>, mais aussi par un glissement en faveur des Palestiniens <a href="https://time.com/6295703/israel-herzog-visit-washington/">chez les électeurs démocrates et indépendants</a> dans les <a href="https://news.gallup.com/poll/472070/democrats-sympathies-middle-east-shift-palestinians.aspx">sondages d’opinion</a>. Le massacre du 7 octobre pourrait inverser cette tendance, dans un premier temps, mais les différences générationnelles et raciales demeurent profondes : les <a href="https://www.wbur.org/npr/1205627092/american-support-israel-biden-middle-east-hamas-poll">jeunes et les non-Blancs de gauche se montrent nettement plus critiques que les autres catégories</a> à un soutien public et militaire à Israël. </p>
<p>Alors que 72 % des Blancs estiment que les États-Unis devraient adopter une position publique de soutien à Israël, seuls 51 % des non-Blancs sont de cet avis.</p>
<p>La communauté noire a une longue histoire d’identification à la cause palestinienne, surtout depuis la guerre des Six jours en 1967. Cette cause, mise en avant par des organisations radicales comme <em>The Black Panther Party</em> ou <em>The Nation of Islam</em> dont le chef Louis Farrakhan est un <a href="https://www.adl.org/resources/backgrounder/farrakhan-his-own-words">antisémite notoire</a>, a pris de l’ampleur au sein de la gauche américaine avec la <a href="https://www.jstor.org/stable/3012077">campagne présidentielle de Jesse Jackson en 1988</a>. Plus récemment, après la mort de George Floyd en 2020, de nombreux jeunes Américains, <a href="https://www.euppublishing.com/doi/abs/10.3366/hlps.2020.0238">notamment parmi les membres du mouvement Black Lives Matter</a>, ont tracé un parallèle entre les violences structurelles et l’oppression dont font l’objet les Noirs aux États-Unis et celles subies par les Palestiniens en Israël.</p>
<p>Quant aux Juifs américains, traditionnellement <a href="https://www.ajc.org/news/ajc-survey-most-jews-approve-of-biden-leadership">plutôt de gauche</a>, ils apparaissent <a href="https://www.vox.com/23915948/jewish-american-israel-gaza-war-attacks-opposing-beliefs-progressive-movement">très divisés</a> face à cette crise : <a href="https://www.france24.com/en/live-news/20231028-new-york-police-arrest-hundreds-at-jewish-protest-urging-gaza-ceasefire">certains manifestent</a> contre les frappes à Gaza et appellent à un cessez-le-feu, tandis que d’autres mettent en avant les victimes du Hamas et se sentent <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/20/us/politics/progressive-jews-united-states.html">abandonnés par leurs alliés de gauche</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1718117920675594644"}"></div></p>
<p>Tenant compte d’une opinion publique de plus en plus sensible à la souffrance de la population de Gaza, Joe Biden a dernièrement <a href="https://www.reuters.com/world/behind-bidens-shift-israel-hamas-war-gaza-deaths-international-pressure-2023-10-27/">fait évoluer sa rhétorique</a>.</p>
<p>Il insiste ainsi de plus en plus sur l’importance de protéger les civils et de fournir une aide humanitaire, promettant même une <a href="https://www.politico.com/news/2023/10/18/biden-humanitarian-aid-gaza-west-bank-00122212">assistance de 100 millions de dollars à Gaza</a>. Cependant, il exclut, <a href="https://www.axios.com/2023/10/23/biden-ceasefire-hostages-isreal-hamas">avant la libération des otages</a>, tout cessez-le-feu – un cessez-le-feu que réclament pourtant <a href="https://www.theguardian.com/commentisfree/2023/oct/19/biden-jewish-americans-israel-gaza-call-for-ceasefire">certains intellectuels juifs américains</a> ainsi que de nombreux <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/oct/17/letter-biden-israel-ceasefire-legal-scholars">spécialistes du droit international</a>. </p>
<h2>Des Républicains (enfin) unis</h2>
<p>Le Parti républicain, quant à lui, pourtant fracturé sur certaines questions de politique étrangère, notamment <a href="https://theconversation.com/le-poutinisme-a-toute-epreuve-de-donald-trump-et-de-ses-partisans-180622">sur celle de l’Ukraine</a>, est en revanche tout à fait <a href="https://www.npr.org/2023/10/19/1206481356/republicans-israel-gop-middle-east-evangelicals-end-times-rapture-christians">uni dans son soutien à Israël</a>.</p>
<p>La première action du nouveau président républicain à la Chambre, Mike Johnson, a d’ailleurs consisté à <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/25/us/politics/house-israel-vote.html">faire voter une résolution de soutien à Israël</a> pour « tout ce dont il a besoin dans sa lutte contre le Hamas » – résolution adoptée à une écrasante majorité, malgré un petit groupe d’opposants démocrates.</p>
<p>Même Donald Trump, <a href="https://projects.fivethirtyeight.com/polls/president-primary-r/2024/national/">toujours grand favori</a> pour porter les couleurs du Parti à la présidentielle de 2024, a fait machine arrière après avoir <a href="https://www.nbcnews.com/politics/2024-election/trump-netanyahu-biden-rcna120078">vilipendé Nétanyahou</a> et fait l’éloge du Hezbollah, qu’il avait qualifié de <a href="https://www.washingtonpost.com/politics/2023/10/27/trump-hezbollah-very-smart/">« très intelligent »</a>, suite <a href="https://www.nbcnews.com/politics/2024-election/trump-netanyahu-biden-rcna120078">aux vives critiques de ses rivaux aux primaires</a>.</p>
<p>À l’image de Johnson, <a href="https://lesjours.fr/obsessions/this-is-america-3/ep19-speaker-mike-johnson/">chrétien nationaliste d’extrême droite</a>, la plupart des évangéliques blancs, qui constituent un important réservoir d’électeurs pour les Républicains, lisent les événements en Israël à travers une <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/15/us/american-evangelicals-israel-hamas.html?smid=nytcore-android-share">interprétation littérale des prophéties bibliques</a> sur la fin des temps, et <a href="https://www.washingtonpost.com/news/politics/wp/2018/05/14/half-of-evangelicals-support-israel-because-they-believe-it-is-important-for-fulfilling-end-times-prophecy/">sur la promesse faite par Dieu à Abraham</a> d’une terre pour ses descendants. C’est cette croyance des évangéliques qui <a href="https://www.youtube.com/watch?v=BitosOBeHLs">a notamment motivé la décision de Trump</a> de transférer l’ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, en 2018. On observe également une <a href="https://slate.com/news-and-politics/2023/10/america-first-republicans-isolationist-ukraine-israel-support.html">proximité idéologique toujours croissante entre le Parti républicain et le Likoud</a> (le parti de Benyamin Nétanhyahou).</p>
<p>Autre élément important : chez de nombreux conservateurs, il existe un sentiment islamophobe que Donald Trump a su nourrir et exploiter. Il a d’ailleurs promis, s’il remporte la présidence, de <a href="https://www.theguardian.com/us-news/2023/oct/17/trump-muslim-ban-gaza-refugees">renouveler l’interdiction de se rendre aux États-Unis pour les ressortissants de plusieurs pays à majorité musulmane</a> qu’il avait tenté d’instaurer lors de son mandat, et d’étendre cette mesure aux réfugiés de Gaza.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1714204925738025208"}"></div></p>
<h2>Quelle influence possible sur les élections ?</h2>
<p>À quelques exceptions près, les questions de politique étrangère <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/21/us/politics/biden-voters-approval-israel.html">ne déterminent pratiquement jamais une présidentielle aux États-Unis</a>. Même la guerre d’Irak en 1991, relativement rapide et perçue comme victorieuse, n’avait pas empêché George H. Bush, pourtant alors <a href="https://news.gallup.com/opinion/gallup/234971/george-bush-retrospective.aspx">au plus haut dans les sondages</a>, de perdre les élections 18 mois plus tard. Ce qui compte, pour l’électeur américain, ce sont avant tout les <a href="https://www.pewresearch.org/politics/2023/06/21/inflation-health-costs-partisan-cooperation-among-the-nations-top-problems/">questions du quotidien</a>, particulièrement <a href="https://www.bloomberg.com/graphics/2024-us-election-key-state-voter-polling/">économiques</a>.</p>
<p>Cependant, le contexte actuel est très particulier. <a href="https://projects.fivethirtyeight.com/polls/president-general/">L’élection s’annonce serrée</a> et pourrait se jouer dans <a href="https://www.270towin.com/">quelques États clés</a>, entre deux candidats particulièrement <a href="https://www.pbs.org/newshour/politics/these-new-poll-numbers-show-why-biden-and-trump-are-stuck-in-a-2024-dead-heat">impopulaires</a>.</p>
<p>Même si la <a href="https://maristpoll.marist.edu/polls/the-war-between-israel-and-hamas/">majorité des électeurs soutiennent largement Israël</a>, l’éventuelle abstention « sanction » <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/27/us/politics/biden-democrats-israel-2024.html?smid=nytcore-android-share">d’une partie des minorités et des jeunes de gauche</a> pro-palestiniens pourrait constituer un vrai danger pour Joe Biden, si la situation au Moyen-Orient venait à encore s’aggraver. Par exemple, un État clé comme le Michigan, que <a href="https://www.politico.com/2020-election/results/michigan/">Biden a remporté en 2020</a> avec une <a href="https://www.nbcnews.com/politics/2024-election/muslim-arab-americans-rage-biden-michigan-israel-gaza-rcna121513">faible marge de 150 000 électeurs</a>, a une forte population musulmane, estimée à 240 000 personnes, dont les <a href="https://www.nbcnews.com/politics/2024-election/muslim-arab-americans-rage-biden-michigan-israel-gaza-rcna121513">leaders sont très critiques</a> à l’égard de la politique de l’administration actuelle envers les Palestiniens.</p>
<p>En attendant, face à une <a href="https://www.brookings.edu/articles/one-year-into-the-ukraine-war-what-does-the-public-think-about-american-involvement-in-the-world/">montée de l’isolationnisme</a>, et sans doute face à un adversaire, Donald Trump, <a href="https://newrepublic.com/post/176489/trump-promise-russia-defense-putin-nato">pro-russe</a>, prêt à remettre en question l’OTAN et à <a href="https://www.politico.eu/article/can-europe-survive-trump-ii/">affaiblir l’Europe</a>, le président américain va devoir convaincre que les États-Unis sont bien la « nation indispensable » dans la lutte contre les tyrans et les terroristes qui menacent les peuples et les démocraties. Il devra aussi démontrer, comme il l’a dit dans son discours à la nation, que Poutine est aussi dangereux que le Hamas. Il devra enfin contrer l’image d’une puissance états-unienne affaiblie, incarnée par un président physiquement marqué par son grand âge, à une époque où les électeurs semblent davantage attirés par l’énergie et la force que par l’expérience et la compétence.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216659/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Jérôme Viala-Gaudefroy ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>En se plaçant du côté d’Israël, Joe Biden s’expose à de vives critiques venant du flanc gauche de son parti, et à la perte d’un certain nombre de voix à la présidentielle qui aura lieu dans un an.Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, CY Cergy Paris UniversitéLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2163062023-10-30T19:08:14Z2023-10-30T19:08:14ZComment l’Iran mobilise son « Axe de la Résistance » face à Israël<p>L’attaque dévastatrice du Hamas le 7 octobre a changé la donne au Moyen-Orient. Le dossier israélo-palestinien, relégué au second plan depuis au moins une dizaine d’années, est brutalement revenu au cœur de la géopolitique régionale.</p>
<p>Alors que la guerre en cours entre le Hamas et Israël <a href="https://www.washingtoninstitute.org/policy-analysis/risks-wider-war-iran-and-its-proxies">enhardit les mandataires de l’Iran dans la région</a>, tous les acteurs impliqués (étatiques ou non étatiques) manœuvrent dans un jeu de pouvoir très complexe qui peut conduire à une guerre régionale à part entière ; mais un tel scénario peut être évité par une fin négociée.</p>
<h2>Vers une « unité des fronts »</h2>
<p>Nous sommes entrés en territoire inconnu, car les <a href="https://theconversation.com/quelle-strategie-israelienne-pour-gaza-216050">objectifs politiques et militaires israéliens n’ont pas été définis de façon claire</a>, ce qui rend cette guerre de vengeance différente de toutes les opérations israéliennes précédentes contre le Hamas, que ce soit en termes de durée, d’objectifs ou de nombre de victimes des deux côtés.</p>
<p>[<em>Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>La rhétorique des responsables israéliens, dont certains ont nié l’existence de civils innocents à Gaza, <a href="https://news.yahoo.com/israeli-president-says-no-innocent-154330724.html">comme l’a fait le président de l’État hébreu</a>, a oscillé entre une position maximaliste et minimaliste, allant de l’appel à une occupation totale de Gaza <a href="https://www.lapresse.ca/international/2023-10-15/israel-et-le-hamas-en-guerre/l-occupation-de-gaza-par-israel-serait-une-grave-erreur-selon-biden.php">malgré les avertissements du président américain</a> à la création d’une zone tampon et à la « simple » destruction de l’infrastructure du Hamas.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1716804959881343181"}"></div></p>
<p>Le 7 octobre, au moment où le Hamas déclenchait son opération sans précédent, Mohammed Deif, le commandant militaire de sa branche armée a <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/le-commandant-du-hamas-a-gaza-exhorte-les-arabes-israeliens-et-les-etats-voisins-a-prendre-les-armes/">appelé</a> tous les Arabes et musulmans et, spécialement, l’Iran et les États et organisations qu’il domine, à se lancer dans une guerre totale contre Israël. Il a cité, dans cet ordre, le Hezbollah libanais, l’Iran, le Yémen, les milices chiites irakiennes et la Syrie. Il a proclamé ce jour comme « celui où votre résistance contre Israël converge avec la nôtre », dans ce que l’on appelle <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1334129/le-hezbollah-consacre-lunite-des-fronts-.html">« l’unité des fronts »</a>, qui est une stratégie de dissuasion initiée par le Hezbollah.</p>
<p>Cette stratégie de dissuasion consiste à coordonner, politiquement et militairement, les réponses de toutes les milices mandataires de l’Iran dans la région et à se rassembler pour se soutenir mutuellement si l’une d’entre elles est attaquée. La multiplicité des fronts dominés par les milices par procuration de l’Iran peut dissuader les adversaires de Téhéran de passer à l’action… ou au contraire accélérer la descente de la région dans un chaos total.</p>
<h2>Tensions majeures à la frontière libanaise</h2>
<p>Après le 7 octobre, la situation sécuritaire s’est rapidement détériorée à la frontière libanaise d’Israël, du fait d’escarmouches de plus en plus intenses entre Tsahal et le Hezbollah.</p>
<p>De plus, deux nouveaux éléments intéressants sont apparus sur le front libanais. Pour la première fois depuis la fin de la guerre civile, nous avons assisté à la réémergence « temporaire » des forces Al-Fajr, la branche militaire de la Jamaa Islamiya. Cette milice libanaise islamiste sunnite, qui a été dissoute en 1990, a annoncé qu’elle participait aux hostilités au-delà des frontières libanaises israéliennes « en défense de la souveraineté libanaise, de la mosquée Al Aqsa et en solidarité avec Gaza et la Palestine ». Le 29 octobre, elle a <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1355189/israel-intensifie-son-offensive-contre-gaza-internet-en-cours-de-retablissement-dans-lenclave-j-23-de-la-guerre-israel-hamas.html">lancé des missiles depuis le Liban vers Kiryat Shmona, dans le nord d’Israël</a>. Cette milice combat de façon quasi-indépendante du Hezbollah (même s’il existe une coordination militaire entre les deux organisations).</p>
<p>En outre, le <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1354234/le-hezbollah-entraine-le-liban-dans-la-guerre-armee-israelienne.html">Hamas et le Jihad islamique palestinien au Liban</a> ont publié des communiqués assumant l’entière responsabilité de plusieurs attaques contre Israël. Ils ont lancé ces attaques depuis les territoires libanais, rappelant les années où le sud du Liban était dominé par les activités militaires de l’OLP palestinienne (à partir de 1969), au point d’être surnommé <a href="https://www.naharnet.com/stories/en/300905">« Fatah Land »</a>.</p>
<p>Leur participation aux hostilités est encore limitée, mais elle est importante en termes symbolique. Il est clair que le Hezbollah coordonne les activités de toutes les milices opérant à la frontière libanaise pour envoyer un message clair : la zone est ouverte à toutes les factions islamistes et non islamistes, invitées à se joindre, même symboliquement, à la lutte contre Israël dans le but d’exprimer leur solidarité avec Gaza. En d’autres termes, le Hezbollah déclare que ce combat n’est pas sectaire, mais qu’il unit les musulmans et concerne tous les Arabes et les musulmans.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/x_FEZurMtFM?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>Ce message d’unité musulmane contre Israël intervient après des années de sectarisation du Moyen-Orient. Le Hezbollah n’a mené que des attaques limitées contre Israël depuis la fin de la guerre israélo-libanaise de 2006, et est <a href="https://www.frstrategie.org/programmes/observatoire-du-monde-arabo-musulman-et-du-sahel/consequences-lintervention-militaire-hezbollah-syrie-sur-population-libanaise-chiite-rapports-avec-israel-2017">intervenu militairement en Syrie pour appuyer le régime de Damas</a>, combattant alors dans le camp opposé au Hamas, lequel s’était porté au soutien du camp anti-Assad.</p>
<p>Cette prise de position avait valu au Hezbollah de devenir très impopulaire aux yeux des populations sunnites de la région. En se joignant à la lutte contre Israël, le Hezbollah se réaffirme aux yeux de l’ensemble des Arabes de la région non pas en tant qu’acteur sectaire, mais plutôt en tant que groupe révolutionnaire islamique qui vise à mettre fin à l’arrogance israélienne.</p>
<p>Ce recadrage correspond à l’image qu’il se faisait de lui-même. Le Hezbollah se considère en effet comme un modèle pour le Hamas et d’autres forces islamiques qui luttent contre Israël. Malgré leurs divergences sur la guerre en Syrie, ils ont restauré leurs relations en août 2007 et les hauts commandants du Hamas, comme <a href="https://youtu.be/pgjiAF98s_s?si=VakJEkLE1cxkRhwc">Ismaël Haniyeh</a> (le chef du bureau politique du Hamas) et <a href="https://youtu.be/Hje4sfEmv0M?si=5gzcb-0hlOfjJy3z">Yahia Sinwar</a> (chef du bureau politique du Hamas à Gaza), ont publiquement remercié l’Iran pour son aide précieuse en matière de financement, de logistique et d’approvisionnement en armes.</p>
<h2>Le rôle des Houthis du Yémen</h2>
<p>L’attaque du Hamas est survenue à un moment au Moyen-Orient où les États-Unis ont tenté d’étendre les <a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-qu-est-ce-que-les-accords-d-abraham-10-10-2023-2538807_24.php">accords de paix d’Abraham</a> (qui ont permis ces dernières années, un rapprochement entre Israël et plusieurs États arabes, sous la férule de Washington) à <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">l’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Ces accords, qui visent à établir les bases d’une nouvelle architecture de sécurité au Moyen-Orient afin d’assurer une meilleure sécurité régionale aux alliés des États-Unis, <a href="https://www.iris-france.org/179388-hamas-israel-quelles-consequences-diplomatiques-et-securitaires-au-moyen-orient/">sont désormais menacés</a>, et la normalisation entre Israël et Riyad <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/09/attaque-du-hamas-le-rapprochement-entre-israel-et-l-arabie-saoudite-a-l-epreuve-de-la-guerre_6193318_3210.html">semble à présent une perspective fort improbable</a>.</p>
<p>L’échec annoncé de ce réchauffement est d’autant plus dommageable pour Washington que les Chinois ont, il y a quelques mois, enregistré un succès diplomatique majeur en <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">négociant une détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran</a>, après de longues années de soutien de Téhéran aux milices yéménites houthies qui combattaient l’Arabie saoudite au Yémen. Dans le cadre de ce rapprochement entre Riyad et Téhéran, des <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230920-guerre-au-y%C3%A9men-apr%C3%A8s-des-entretiens-positifs-les-rebelles-houthis-ont-quitt%C3%A9-riyad">pourparlers se sont tenus entre les houthis et les Saoudiens</a> pour soutenir le processus de paix au Yémen.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1715667908280406330"}"></div></p>
<p>Les <a href="https://www.cairn.info/revue-etudes-2018-2-page-17.htm">Houthis</a> sont une autre partie de l’axe iranien dans la région. Leur ascension en tant qu’acteur politique et militaire yéménite les a enhardis. Ils ont déclaré qu’ils étaient <a href="https://www.aa.com.tr/en/middle-east/yemen-rebels-threaten-to-join-hamas-attack-on-israel-if-us-intervenes-in-conflict/3014839">prêts à se joindre au Hamas dans une guerre totale contre Israël</a> pour défendre Gaza et la mosquée Al-Aqsa. En guise de démonstration de force, ils ont lancé le 19 octobre trois missiles de croisière et des drones qui ont été <a href="https://www.opex360.com/2023/10/20/le-navire-americain-uss-carney-a-intercepte-des-missiles-et-des-drones-lances-depuis-le-yemen/">interceptés par un destroyer américain en mer Rouge</a>. Selon les États-Unis, ces missiles se dirigeaient « potentiellement vers Israël ». L’attaque est en soi symbolique, mais elle envoie un message politique fort qui réaffirme la primauté stratégique des liens des Houthis avec <a href="https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2022/10/Asia-Focus-185.pdf">« l’Axe de la résistance »</a> soutenu par l’Iran et signale la volonté de la milice de s’engager militairement dans des guerres ou des tensions régionalisées ou internationalisées.</p>
<p>Cela a été clairement défini dans le <a href="https://youtu.be/3o81HN19Uic?si=f88VMotBX40E8izo">discours de leur chef</a>. Les Houthis disposent d’un formidable <a href="https://www.mei.edu/publications/houthis-red-sea-missile-and-drone-attack-drivers-and-implications">arsenal de missiles à longue portée</a> qui seraient capables de frapper Israël. Tous ont été soit saisis à l’État yéménite en 2014, soit acheminés par l’Iran.</p>
<p>Les attaques de missiles lancées par les Houthis ont coïncidé avec d’autres <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1354940/les-forces-americaines-attaquees-16-fois-en-syrie-et-en-irak-depuis-le-debut-du-mois.html">attaques menées par des milices chiites soutenues par l’Iran</a>, visant des bases américaines et des garnisons accueillant des soldats américains en Irak et en Syrie. L’Iran a stratégiquement externalisé le risque de confrontation directe avec les États-Unis et Israël via son <a href="https://www.defense.gouv.fr/dems/syntheses-documentaires-supprimer/axe-resistance-lexpansionnisme-regional-iranien">Axe de la Résistance</a> : quand de telles attaques ont lieu, sa responsabilité n’est pas directement engagée. Ce positionnement accroît son influence dans les négociations directes et indirectes ainsi que son influence régionale.</p>
<h2>Une guerre totale est-elle possible ?</h2>
<p>Pour conclure, tous les acteurs semblent marcher sur une corde suspendue au-dessus du cratère d’un volcan. Ils attendent tous d’en savoir plus sur les objectifs politiques et militaires de la guerre israélienne à Gaza et de pouvoir évaluer les capacités de résistance du Hamas à l’attaque dont il fait l’objet.</p>
<p>Si l’armée israélienne enregistre des pertes importantes, la position stratégique de l’axe soutenu par l’Iran s’améliorera, sans frais pour Téhéran mais à un coût terrible pour la population de Gaza et à Hamas.</p>
<p>Mais que se passerait-il si Israël menaçait l’existence même du Hamas après une invasion terrestre ? Les intenses escarmouches aux frontières libanaises d’Israël se transformeraient-elles alors en une guerre à part entière ? L’Iran se joindrait-il aux hostilités ? Et si Israël se sentait renforcé par le soutien inconditionnel de l’Occident à son droit à se défendre et considérait cette solidarité comme un blanc-seing pour frapper l’Iran, dont l’ambition nucléaire effraie les responsables de l’État hébreu ? Dans un tel cas de figure, et face à la riposte de Téhéran, les États-Unis utiliseront-ils leurs destroyers dans la région de la Méditerranée orientale pour attaquer l’Iran et défendre Israël ?</p>
<p>À ce stade, impossible d’apporter de réponse tranchée à toutes ces questions. Nous pouvons seulement constater que la région semble se diriger vers une nouvelle phase où la sectarisation des politiques étrangères des acteurs régionaux sera reléguée au second plan, la détente entre l’Iran et l’Arabie saoudite se consolidera, la question palestinienne s’imposera pour longtemps au premier plan, et les milices mandataires iraniennes s’affirmeront de plus en plus.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216306/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Hussein Abou Saleh ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’Iran rechigne à entrer directement en guerre contre Israël, mais mobilise volontiers les Houthis du Yémen et les milices chiites d’Irak, ainsi que le Hezbollah libanais.Hussein Abou Saleh, Docteur associé au Centre d'études et de recherches internationales (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2162132023-10-29T18:12:55Z2023-10-29T18:12:55ZProche-Orient : le retour de la « cause palestinienne »<p>Les <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/jour-de-colere-dans-le-monde-arabe-et-musulman-des-milliers-de-personnes-dans-la-rue-pour-defendre-la-cause-palestinienne-20231013_Q7ZE6BHLXNHD5PMBPCOYXH6ZR4/">manifestations</a> organisées dans de nombreux pays arabes et musulmans en soutien à la population de la bande de Gaza, depuis que la minuscule enclave palestinienne est <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/10/a-gaza-pris-au-piege-entre-les-bombardements-et-le-blocus-les-habitants-craignent-un-massacre_6193487_3210.html">pilonnée jour et nuit par Israël</a> en riposte aux <a href="https://theconversation.com/israel-palestine-les-consequences-devastatrices-de-lassaut-du-hamas-215243">attaques du Hamas le 7 octobre 2023</a>, ont replacé au cœur des discussions la problématique de la « cause palestinienne ».</p>
<p>La conflagration au Proche-Orient remet en effet à l’avant-plan des discussions l’avenir des Palestiniens, à Gaza mais aussi en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, où la situation s’est embrasée au cours des derniers jours. La cause palestinienne – une formule qui recouvre, on le verra, de nombreuses significations, parfois fort différentes – semble fédérer les opinions publiques dans le monde arabo-musulman, et cela <a href="https://www.cairn.info/revue-herodote-2016-1-page-273.htm">depuis des décennies</a>. Mais qu’en est-il au juste, et dans quelle mesure l’escalade actuelle du conflit peut-elle renforcer ces sentiments parmi les populations de ces pays ?</p>
<h2>Résurgence spectaculaire du soutien à la Palestine</h2>
<p>L’attaque du Hamas – qui s’est soldée par l’assassinat de <a href="https://www.barrons.com/news/over-1-400-killed-in-hamas-attacks-on-israel-pm-office-787d2b0f">quelque 1 400 Israéliens</a>, presque tous des civils, et de nombreux <a href="https://www.europe1.fr/international/le-hamas-utilise-les-telephones-des-otages-pour-diffuser-les-videos-de-leur-assassinat-ou-enlevement-4208349">actes de barbarie</a> à l’égard des victimes, sans oublier la prise de quelque 200 otages, dont des enfants en bas âge – n’a pas fait l’unanimité dans le monde arabe et musulman. Il serait en effet caricatural d’affirmer que le Proche-Orient tout entier se serait en quelque sorte rangé derrière ces atrocités.</p>
<p>Néanmoins, on ne peut nier que les événements du 7 octobre ont été perçus par certains segments des sociétés de la région comme une manifestation compréhensible de la « résistance » à la longue <a href="https://www.amnesty.org/fr/location/middle-east-and-north-africa/israel-and-occupied-palestinian-territories/report-israel-and-occupied-palestinian-territories/">occupation des territoires palestiniens par Israël</a>.</p>
<p>Dès les premières heures de l’assaut, ce sont ainsi des centaines de personnes qui, de Ramallah à Beyrouth, en passant par Le Caire, Bagdad ou Damas, sont descendues dans les rues pour chanter, danser et scander leur soutien au peuple palestinien et à sa cause historique. Les réseaux sociaux ont par ailleurs été envahis d’expressions de solidarité avec le Hamas, décrit comme « héroïque » face au sort des Palestiniens depuis des décennies, tandis que se propageait comme tendance sur X (anciennement Twitter) le hashtag #Palestine-is-my-cause.</p>
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<p>Dans leur majorité, les dirigeants des pays arabes voisins ont fustigé Israël avec force et apporté leur soutien à Gaza, y compris dans ceux des pays qui avaient pu appuyer un rapprochement avec Tel-Aviv. Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a décrit la riposte militaire d’Israël comme une « réaction allant au-delà du droit de se défendre » et s’assimilant à une « punition collective » contre les habitants de Gaza. En Irak, le premier ministre Mohammed al-Soudani a rappelé le soutien indéfectible de son pays à la cause palestinienne. En Syrie, le ministre des Affaires étrangères a qualifié l’opération du Hamas d’« honorable » et de « seule manière pour les Palestiniens d’obtenir leurs droits légitimes ». On peut s’interroger sur la sincérité des sentiments ici exprimés, même si tous reflètent, <em>a minima</em>, une posture imposée par la perception qu’ont ces dirigeants des attentes de leurs opinions publiques.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1710916001687060662"}"></div></p>
<p>Beaucoup croyaient la cause palestinienne <a href="https://www.liberation.fr/debats/2020/09/14/la-cause-palestinienne-enterree-par-les-accords-d-abraham_1799360/">enterrée</a>, ou, à tout le moins, <a href="https://www.voaafrique.com/a/plan-trump-la-cause-palestinienne-est-elle-pass%C3%A9e-au-second-plan-/5268691.html">reléguée au second plan</a>, sur fond d’impasse des négociations de paix et d’une multiplication des crises au Proche-Orient qui avait recentré l’attention sur d’autres théâtres de conflit (Irak, Syrie, Yémen, Afghanistan…). Or la « question palestinienne » a désormais opéré son grand retour dans les cœurs et les esprits des peuples de la région, et plus largement sur la scène internationale.</p>
<p>La virulence des frappes israéliennes sur Gaza ces dernières semaines, et le <a href="https://www.latribune.fr/economie/international/gaza-au-bord-d-une-catastrophe-humanitaire-980075.html">désastre humanitaire provoqué par l’imposition d’un blocus total par l’État hébreu</a>, sont indiscutablement autant de facteurs démultiplicateurs de l’appui apporté aux Palestiniens.</p>
<h2>Qu’entendre au juste par « cause palestinienne » ?</h2>
<p>L’expression d’un soutien à la cause palestinienne et la manifestation d’une solidarité envers Gaza et le drame vécu par ses populations civiles ne rendent toutefois pas évidente l’identification des contours exacts de cette cause. De manière intuitive, ses partisans y arriment la notion générale d’une violation historique des droits d’un peuple, sans toujours être en mesure d’expliciter ce que recouvrent ces droits.</p>
<p>Pour certains, la cause palestinienne aurait pour dessein premier la création d’un État palestinien indépendant, quoiqu’il n’existe aucun consensus quant à son territoire et ses frontières : s’agit-il de la Palestine historique, celle d’avant 1948 ? Parle-t-on de la Palestine de l’après-1948, de celle issue de la guerre des Six Jours de 1967 ? Est-ce la Palestine comprise sous l’angle de la solution à deux États ou au sein d’un seul et même État avec Israël – État qui serait donc binational ?</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/palestine-un-pays-virtuel-au-bout-dune-route-sans-raison-98134">Palestine : un pays virtuel au bout d’une route sans raison</a>
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<p>Pour d’autres, la cause palestinienne porte avant tout sur le droit au retour des réfugiés palestiniens sur leur terre originelle, dont ils avaient été contraints de fuir en 1948 lors de la <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-club-des-correspondants/la-nakba-reste-presente-dans-les-memoires-en-palestine-et-au-liban_5801198.html"><em>Nakba</em></a> – la catastrophe, le désastre en arabe.</p>
<p>Au regard de la complexité de la situation proche-orientale et du temps qui a passé depuis la fondation de l’État d’Israël, une telle indétermination définitionnelle n’est pas surprenante. Le pourrissement du conflit israélo-palestinien et de la situation à Gaza comme en Cisjordanie a aussi énormément contribué à cet éclatement graduel de ce qui pouvait naguère apparaître comme une cause unifiée en plusieurs causes distinctes et pas nécessairement articulées entre elles.</p>
<p>Symptomatiquement, l’Autorité palestinienne elle-même, dans sa quête de vision pour l’avenir, s’interroge aujourd’hui sur l’essence de cette cause – sans grande clarté néanmoins – et sur les moyens d’y rallier le plus grand nombre. Au mois de décembre 2021, Mahmoud Abbas <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20211103-abbas-heading-to-russia-soon-to-revive-international-quartet/">s’entretenait ainsi par téléphone avec le président russe Vladimir Poutine</a> au sujet des « derniers développements de la cause palestinienne », puis rencontrait le maréchal Sissi à Charm el-Cheikh, dans le Sinaï, pour demander le soutien de l’Égypte aux Palestiniens. Dans les deux cas, aucune proposition concrète pour promouvoir cette cause n’était cependant apportée.</p>
<h2>Pressions de la rue : la fin des Accords d’Abraham ?</h2>
<p>Il faut bien admettre que nombre d’États arabes, à commencer par l’Égypte, en paix formelle avec Israël depuis 1978, sont embarrassés par l’enchaînement des événements récents ; tout en acceptant de faciliter l’organisation et le passage de l’aide humanitaire vers Gaza, l’Égypte s’est d’ailleurs refusée à accueillir des flots de réfugiés palestiniens sur son territoire. Le discours d’appui des autorités à la cause palestinienne procède davantage de la pression exercée par la rue égyptienne, des milliers de manifestants clamant leur solidarité envers Gaza à travers le pays.</p>
<p>La colère est vive dans nombre d’autres capitales arabes, surtout après que le Hamas et le Hezbollah, avec le parrainage de l’Iran, ont appelé à plusieurs « jours de colère » en réponse à l’offensive d’Israël et au nombre toujours croissant de morts et de blessés parmi les civils à Gaza. « Mort à l’Amérique ! Mort à Israël ! », pouvait-on entendre ici et là dans les différents cortèges, ce qui illustre sans ambiguïté la persistance de la cause palestinienne, loin d’avoir été oubliée dans l’imaginaire collectif arabe et qui continue ainsi de résonner dans la conscience politique locale.</p>
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<p>La Jordanie, autre État du Proche-Orient en paix avec son voisin, a échoué à contenir des protestations massives en faveur de Gaza, et ce d’autant que les Palestiniens représentent une composante significative de la population. En Libye, des <a href="https://www.youtube.com/watch?v=Z5Attf7qDVk">centaines de manifestants ont brandi des drapeaux aux couleurs de la Palestine</a> et couvert leurs visages du célèbre <em>keffieh</em> palestinien, défilant en hommage aux « martyrs » de Gaza et de Cisjordanie. D’importantes foules se sont rassemblées en <a href="https://fr.timesofisrael.com/turquie-plus-de-60-blesses-lors-dune-manifestation-anti-israel/">Turquie</a> et en <a href="https://www.aa.com.tr/fr/monde/iran-manifestations-de-soutien-aux-palestiniens-dans-plusieurs-villes-du-pays/3018904">Iran</a>, à l’extérieur des ambassades israéliennes, mais aussi britanniques, américaines et françaises, pour hurler leur indignation face à la situation et à l’inaction de la communauté internationale.</p>
<p>Se pose en outre inévitablement la <a href="https://www.iris-france.org/179388-hamas-israel-quelles-consequences-diplomatiques-et-securitaires-au-moyen-orient/">question de l’avenir des Accords d’Abraham</a> signés en septembre et décembre 2020 entre Israël et plusieurs pays arabes et musulmans (Émirats arabes unis, Bahreïn, rejoints plus tard par le Maroc et le Soudan), de même que celle de la normalisation des relations de l’État hébreu avec d’autres pays pivots du Proche-Orient, à commencer par <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">l’Arabie saoudite</a>, qui a d’ores et déjà <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231014-l-arabie-saoudite-suspend-les-discussions-sur-une-possible-normalisation-avec-isra%C3%ABl">suspendu tout processus de rapprochement diplomatique avec Israël</a>.</p>
<h2>Internationalisation : quel changement de donne ?</h2>
<p>À l’échelle internationale, le combat pour la reconnaissance des droits du peuple palestinien n’est pas une nouveauté ; mais la guerre de Gaza revivifie cette cause. Si l’on connaît les actions du <a href="https://bdsmovement.net/">mouvement BDS (Boycott, Divestment and Sanctions)</a> en Occident, qui vise à exercer des pressions sur Israël jusqu’à l’autodétermination pleine et souveraine des Palestiniens, on a pu voir émerger ces dernières années certaines tendances nouvelles, telle la mobilisation <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20210518-palestinian-lives-matter-la-cause-palestinienne-en-plein-renouveau">« Palestinian Lives Matter »</a>, en référence au mouvement antiraciste Black Lives Matter aux États-Unis.</p>
<p>Évidemment, les Palestiniens accueillent positivement ce regain de solidarité, car ils ont toujours considéré que sans un appui extérieur fort, leur lutte de libération nationale demeurerait irréalisable. Rappelons que la <a href="https://www.imarabe.org/fr/rencontres-debats/heurs-et-malheurs-de-l-internationalisation-de-la-cause-palestinienne">cause palestinienne s’est internationalisée</a> dès les années 1960 ; à l’époque déjà, elle était principalement portée par les <a href="https://academic.oup.com/princeton-scholarship-online/book/15814/chapter-abstract/170661043?redirectedFrom=fulltext">mouvances étudiantes et politiques de gauche</a>, qui voient toujours dans cette cause une <a href="https://newleftreview.org/issues/i57/articles/fawwaz-trabulsi-the-palestine-problem-zionism-and-imperialism-in-the-middle-east.pdf">lutte d’émancipation contre une oppression coloniale impérialiste</a>. La jeune génération palestinienne axe d’ailleurs la plupart de ses demandes autour de l’idée d’une <a href="https://theelders.org/news/palestinian-perspectives-future">égalité de droits avec les Israéliens</a>, ce qui facilite la convergence de leur cause avec d’autres luttes, anticoloniales notamment.</p>
<p>Par-delà les risques d’instrumentalisation dont elle a toujours souffert, la cause palestinienne se reconfigure donc sous nos yeux, ouverte au monde et à différents possibles. Encore faudra-t-il apprécier dans quelle mesure les reconfigurations présentes, une fois passée l’actualité immédiate, le temps de la guerre, augureront d’un quelconque progrès au niveau politique à moyen et plus long terme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216213/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Myriam Benraad ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans le contexte actuel, la cause palestinienne, invoquée depuis 70 ans par les habitants et dirigeants des pays du Proche-Orient, revient au premier plan dans toute la région.Myriam Benraad, Responsable du Département Relations internationales & Diplomatie / Schiller International University - Professeure / Institut libre d'étude des relations internationales et des sciences politiques (ILERI), IÉSEG School of ManagementLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2160502023-10-22T15:15:57Z2023-10-22T15:15:57ZQuelle stratégie israélienne pour Gaza ?<p>« Destruction du Hamas », « réoccupation militaire », « ruines », « massacres et expulsions de civils »… Dans <a href="https://theconversation.com/israel-hamas-le-sujet-meme-de-la-paix-a-disparu-215287">l’affrontement actuel entre l’armée israélienne et le Hamas</a>, les qualificatifs ne manquent pas pour décrire les avenirs possibles de la bande de Gaza.</p>
<p>Au-delà des objectifs militaires à court terme, la question est bel et bien politique. Alors que les responsables israéliens avancent des propositions différentes et parfois mutuellement exclusives sur le sort futur de l’enclave, les leçons des 56 dernières années (c’est en 1967, à l’issue de la guerre des Six Jours, qu’Israël a pris le contrôle de la bande de Gaza, auparavant occupée par l’Égypte) seront-elles tirées, de sorte qu’une véritable solution viable à long terme s’impose ?</p>
<p>Au vu des propos tenus actuellement à Tel-Aviv, et de l’incapacité de la communauté internationale à peser réellement sur ce dossier, cela semble peu probable. Répondre à la question du devenir de Gaza implique de regarder en face l’échec de la politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens, qui a largement consisté à les séparer d’Israël et à les contraindre à vivre dans des enclaves, et d’envisager les différents scénarios de sortie de guerre.</p>
<h2>Les options militaires immédiates</h2>
<p>Suite à l’attaque terroriste et aux prises d’otages du Hamas du 7 octobre, l’armée israélienne a repris le contrôle des localités attaquées. Elle a organisé la mobilisation de 300 000 réservistes et rassemblé des chars au nord de Gaza, tout en lançant une campagne de bombardements intensive.</p>
<p>Les intentions israéliennes restent, pour le moment, générales : « éliminer » le Hamas <a href="https://fr.timesofisrael.com/yoav-gallant-la-bande-de-gaza-ne-sera-plus-jamais-ce-quelle-etait/">selon le ministre de la Défense israélien Yoav Gallant</a>, ou encore transformer ses zones d’opération « en ruines » pour reprendre les <a href="https://www.leparisien.fr/international/attaques-contre-israel-chaque-zone-dans-laquelle-le-hamas-opere-sera-une-ruine-menace-netanyahou-09-10-2023-NI2X4FBYN5DULH7TE4QPQW4C4U.php">termes de Benyamin Nétanyahou</a>.</p>
<p>Israël prépare également une incursion terrestre dans des zones urbaines très denses où le Hamas bénéficie d’un réseau structuré de tunnels contenant des caches d’armes, dont l’entrée peut se situer <a href="https://china.elgaronline.com/display/edcoll/9781839108891/9781839108891.00023.xml">dans des habitations, des bâtiments agricoles ou des mosquées</a>.</p>
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<p>Les Israéliens bénéficient d’une expérience de combat en contexte urbain après leurs actions <a href="https://www.c-dec.terre.defense.gouv.fr/images/documents/retex/29_naplouse_sud_liban_zurb.pdf">à Naplouse en 2002 ou encore au Liban en 2006</a>. Ils ont appris à <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/10/08/gaza-passer-a-travers-les-murs-x/">se déplacer à travers les murs</a>, grâce notamment à des technologies de détection et au recours à des balles pénétrantes. Ils connaissent les limites et les dangers de ces opérations terrestres, longues et à grande échelle, par rapport à des interventions limitées à l’intérieur des enclaves palestiniennes comme celles qu’ils ont conduites récemment <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/07/04/apres-le-raid-de-l-armee-israelienne-a-jenine-les-habitants-denoncent-une-punition-collective_6180441_3210.html">à Jénine et à Naplouse</a>.</p>
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<p>En guise de représailles, l’armée israélienne a aussi mis fin à l’approvisionnement en eau (avant de le rétablir dans le sud), en fuel et en électricité dont dépend en grande partie la bande de Gaza. Ces mesures ne sont pas neuves. Elles s’inscrivent dans le <a href="https://www.lemonde.fr/un-si-proche-orient/article/2022/06/19/quinze-ans-de-blocus-sur-la-bande-de-gaza_6131001_6116995.html">blocus maritime et terrestre de la bande de Gaza à l’œuvre depuis 2007</a>. Les importations de certains produits dans la bande sont limitées, ce qui affecte l’économie agricole et celle du bâtiment (souligner cela n’exonère en rien de critiquer la <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2018-3-page-23.htm?contenu=resume">gestion économique du territoire par le Hamas</a>), tout en ayant de graves répercussions sur les civils (comme l’a rappelé la <a href="https://press.un.org/fr/2009/cs9567.doc.htm">résolution 1860 du Conseil de sécurité</a>, respectée ni par Israël ni par le Hamas).</p>
<p>Les Égyptiens participent également de ce blocus : <a href="https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/face-au-siege-de-gaza-legypte-dans-lembarras-20231014_H6KRQOKAIBHEXANY7NJLPKIYOQ/">méfiants à l’égard du Hamas</a>, ils ont tenté à de nombreuses reprises de <a href="https://fr.timesofisrael.com/legypte-detruit-12-tunnels-de-contrebande-a-gaza/">détruire les tunnels</a> creusés sous la frontière entre leur territoire et la bande de Gaza.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/le-poste-frontiere-de-rafah-pour-les-gazaouis-une-issue-de-secours-qui-reste-close-215849">Le poste-frontière de Rafah : pour les Gazaouis, une issue de secours qui reste close</a>
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<p>Tout se passe comme si cette enclave était une entité complètement déconnectée d’Israël et de la Cisjordanie. Pourtant, si les colons et militaires israéliens ont effectivement été évacués de Gaza en 2005 sur décision d’Ariel Sharon, Gaza n’en demeure pas moins, depuis lors, un territoire contrôlé par Israël de l’extérieur, notamment par des points de passage et une « barrière ». Le Hamas en a pris violemment le contrôle au détriment du Fatah en 2007. Les Israéliens ont aussi joué la carte de la division palestinienne, ce qui est aujourd’hui <a href="https://legrandcontinent.eu/fr/2023/10/11/israel-netanyahou-a-explicitement-renforce-le-hamas-une-conversation-avec-nitzan-horowitz/">reproché à Benyamin Nétanyahou</a>, de nombreux observateurs estimant que sa stratégie a renforcé l’implantation du Hamas à Gaza.</p>
<p>Les considérations tactiques et humanitaires, urgentes, masquent en tout état de cause la question du statut politique de la bande de Gaza et de la stratégie politico-militaire israélienne, appuyée par ses alliés internationaux.</p>
<h2>Quelle stratégie israélienne à long terme ?</h2>
<p>L’administration américaine, traditionnellement très peu critique envers les décisions prises par les autorités israéliennes, se montre aujourd’hui inquiète. Elle a demandé à Israël de préciser sa stratégie pour Gaza. Il est vrai que les positions avancées par les dirigeants de Tel-Aviv sont diverses. <a href="https://www.i24news.tv/fr/actu/israel-en-guerre/1697433150-israel-n-a-aucun-interet-a-occuper-gaza-selon-l-ambassadeur-d-israel-a-l-onu-gilad-erdan">« Nous n’avons aucun intérêt à occuper Gaza ou à rester à Gaza »</a>, a déclaré l’ambassadeur israélien auprès des Nations unies, Gilad Erdan, le 12 octobre. Benny Gantz et Gadi Eisenkot, deux leaders de l’opposition, ont <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/les-etats-unis-pressent-israel-delaborer-une-strategie-en-cas-de-renversement-du-hamas/">rejoint le gouvernement d’unité nationale</a> à la condition qu’un plan opérationnel de sortie de Gaza après une incursion soit formulé.</p>
<p>En politique israélienne, voilà longtemps que l’on entend des voix qui appellent au nettoyage ethnique. Ces derniers jours, des députés du Likoud souhaitaient publiquement une <a href="https://www.haaretz.com/opinion/editorial/2023-10-17/ty-article-opinion/palestinian-expulsion-amid-the-fog-of-war/0000018b-39f9-d5b8-a78b-f9f92b720000">« Nakba 2 »</a> en référence à l’exil forcé de 600 à 800 000 Palestiniens en 1948. Le ministre des Affaires étrangères Eli Cohen a annoncé une <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/eli-cohen-a-la-fin-de-la-guerre-le-hamas-disparaitra-et-la-bande-de-gaza-diminuera/">« diminution du territoire de Gaza » après la guerre</a>.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1713594002090365127"}"></div></p>
<p>De manière générale, le gouvernement de droite et d’extrême droite de Benyamin Nétanyahou revendique sans s’en cacher une poursuite accrue de la colonisation, voire tout simplement l’annexion de pans des territoires palestiniens. En mars, la ministre des Implantations et des Missions nationales Orit Strock appelait à une <a href="https://www.timesofisrael.com/then-we-retake-gaza-hardline-minister-hails-repealing-of-west-bank-disengagement/">recolonisation de Gaza</a>.</p>
<p>Est-il possible de détruire le Hamas sans pour autant expulser de la bande de Gaza de très nombreux civils palestiniens et, au-delà, sans avoir au préalable élaboré une stratégie politique pour l’avenir de ce territoire ? C’est difficile à croire tant l’histoire de l’occupation nous a prouvé le contraire.</p>
<h2>Les enseignements de l’histoire</h2>
<p>Depuis 1967, les <a href="https://presses-universitaires.univ-amu.fr/israelpalestine-lillusion-separation-4">formes de l’occupation israélienne</a> de Gaza et de la Cisjordanie ont évolué, tant dans les processus bureaucratiques qui régissent la vie des Palestiniens (permis de déplacement, construction d’habitations, regroupement familial, travail en Israël) que dans les outils de contrôle (checkpoints, surveillance, renseignement, mur, emprisonnement). Les formes de l’opposition palestinienne ont également évolué (des plus pacifiques, comme le <a href="https://theconversation.com/lavenir-incertain-de-la-palestine-a-la-cour-penale-internationale-202162">recours au droit international</a>, aux plus violentes comme celles prônées par le Hamas et <a href="https://www.lefigaro.fr/international/conflit-israel-hamas-qu-est-ce-que-le-djihad-islamique-palestinien-suspecte-d-avoir-frappe-un-hopital-a-gaza-20231018">d’autres groupes djihadistes</a>).</p>
<p>Dans un premier temps, jusqu’aux années 1990, les Israéliens ont administré la vie des Palestiniens, intégrant leur force de travail à leur économie tout en exploitant et colonisant la terre. Leur souci a toujours été de dissocier la gestion de la vie des habitants palestiniens (qu’ils <a href="https://www.cairn.info/revue-a-contrario-2005-2-page-66.htm">ne voulaient pas incorporer en trop grand nombre à un État majoritairement juif</a>) du contrôle de la terre de Cisjordanie ou de Gaza.</p>
<p>Les années 1990 ont été ensuite marquées par la séparation tant politique que spatiale d’avec les Palestiniens, et ce d’autant plus que s’étiolait le processus de paix et s’aggravaient les attentats contre les Israéliens. Le politiste <a href="https://www.ucpress.edu/book/9780520255319/israels-occupation">Neve Gordon</a> analyse l’occupation dans cette phase comme une délégation de la gestion des Palestiniens à l’Autorité palestinienne, ainsi qu’aux ONG et aux organisations internationales, tout en poursuivant la colonisation et en accentuant le contrôle des mobilités au nom de la sécurité des Israéliens.</p>
<p>Un système de ségrégation spatiale s’est donc mis en œuvre pour que les mobilités des Palestiniens contournent les zones israéliennes. Ce système a offert aux Israéliens, traumatisés par la Seconde Intifada (2000-2005), une illusion de séparation, comme si le danger avait été repoussé de l’autre côté du mur, dans les enclaves palestiniennes.</p>
<p>Gaza est le modèle type de cette stratégie de l’enclave conjuguant contrôle extérieur, incursions militaires limitées mais régulières pour détruire les tunnels et les capacités des groupes armés palestiniens, délégitimation de l’Autorité palestinienne, <a href="https://www.inss.org.il/wp-content/uploads/2018/01/GazaCrisis_ENG-115-128.pdf">dissociation de ses habitants d’avec les Palestiniens de Cisjordanie</a> et appauvrissement de la population. Ce cocktail a permis la montée du Hamas, qui revendique, depuis sa fondation, la lutte armée contre Israël. Cette stratégie sécuritaire où se retrouvent face à face armée israélienne et Hamas permettait aussi de ne pas prendre de décisions politiques majeures sur le sort des Palestiniens, ni de s’engager dans une négociation politique.</p>
<h2>Regards internationaux</h2>
<p>Le 7 octobre 2023 est une tragédie incommensurable dans le conflit israélo-palestinien. Cet événement consacre l’échec de la politique israélienne à l’égard de Gaza et de la question palestinienne en général. L’option strictement sécuritaire n’est plus à même de contenir la violence. Dès lors, on peine à envisager les <a href="https://www.972mag.com/gaza-nakba-sinai-egypt-israel/">scénarios possibles</a> de sortie de guerre. Transférer la gestion des Palestiniens de Gaza à l’Égypte ou à des organisations internationales ? Réinstaurer à Gaza le pouvoir de l’Autorité palestinienne (<a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/19/israel-hamas-en-cisjordanie-le-jour-de-toutes-les-coleres-se-retourne-contre-l-autorite-palestinienne_6195389_3210.html">très décriée en Cisjordanie</a>) ? Déplacer la population vers certaines zones de Gaza, vers le Sinaï ou la Jordanie (<a href="https://www.rtbf.be/article/guerre-israel-gaza-l-egypte-s-oppose-a-un-deplacement-des-palestiniens-au-sinai-et-en-jordanie-11273791">ce que refusent en chœur l’Égypte et la Jordanie</a>) ? Annexer et contrôler militairement des pans de la bande ?</p>
<p>Tous ceux qui s’intéressent au vivre ensemble des deux peuples doivent réactiver une voie de résolution politique et multilatérale de l’occupation et aborder de manière critique la difficile question de la stratégie israélienne à Gaza et de l’autodétermination des Palestiniens. Il peut paraître naïf d’exprimer cela au milieu d’une guerre d’une telle violence. Pourtant, les relations israélo-palestiniennes sont affaire de positionnements internationaux depuis la déclaration Balfour de 1917. Après la Syrie, l’Ukraine et le Karabakh, elles sont aussi un nouveau test de la possibilité de gouverner les relations internationales et interethniques par le droit international et le multilatéralisme.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216050/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Damien Simonneau ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Dans le contexte actuel, marqué par le terrible bilan humain des attaques commises le 7 octobre par le Hamas, les responsables israéliens envisagent essentiellement des issues.Damien Simonneau, Maître de conférences en science politique à l'INALCO, Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2160222023-10-19T20:37:10Z2023-10-19T20:37:10ZLe Hamas et le Hezbollah pourraient-ils s’allier face à Israël ?<p>Alors qu’Israël se prépare à mener une <a href="https://theconversation.com/gaza-has-been-blockaded-for-16-years-heres-what-a-complete-siege-and-invasion-could-mean-for-vital-supplies-215359">opération militaire massive</a> contre le Hamas à Gaza, le risque de voir ce conflit s’étendre à l’ensemble du Proche-Orient se profile à l’horizon. La menace immédiate la plus grave pour Israël provient du Hezbollah, groupe armé et parti politique basé au Liban, frontalier d’Israël au nord.</p>
<p>Le <a href="https://theconversation.com/hamas-what-you-need-to-know-about-the-group-that-attacked-israel-215288">Hamas</a> et le <a href="https://theconversation.com/why-hezbollah-matters-so-much-in-a-turbulent-middle-east-88111">Hezbollah</a> sont tous deux soutenus par l’Iran et considèrent l’affaiblissement d’Israël comme leur principale raison d’être. Toutefois, ces deux groupes ne sont pas identiques. Leurs différences auront probablement un impact direct sur leurs actions – et sur celles d’Israël – dans les jours et les semaines à venir.</p>
<p>Contrairement au Hamas, le Hezbollah n’est jusqu’ici jamais entré en guerre uniquement au nom de la seule cause palestinienne. Cela <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/oct/16/it-will-be-worse-than-hamas-order-to-evacuate-strikes-fear-into-north-israel">pourrait changer</a>. Le groupe libanais n’est pas encore totalement entré dans le conflit actuel, mais il a déjà <a href="https://video.lefigaro.fr/figaro/video/des-explosions-retentissent-apres-un-echange-de-tirs-entre-israel-et-le-hezbollah-libanais/">échangé des tirs</a> avec les forces israéliennes. Entre-temps, l’Iran a déclaré qu’une extension de la guerre apparaissait <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2023-10-16/iran-says-expansion-israel-hamas-war-becoming-inevitable">« inévitable »</a>.</p>
<h2>Qu’est-ce que le Hezbollah ?</h2>
<p>Le <a href="https://www.pbs.org/frontlineworld/stories/lebanon/thestory.html">« parti de Dieu »</a> se présente comme un mouvement de résistance chiite. Son <a href="https://www.cfr.org/backgrounder/what-hezbollah">idéologie</a> est axée sur l’expulsion des puissances occidentales du Moyen-Orient et sur le <a href="https://www.reuters.com/article/us-lebanon-hezbollah-idUSTRE5AT3VK20091130">rejet</a> du droit d’Israël à l’existence.</p>
<p>Le groupe a été créé en 1982, en pleine guerre civile libanaise (1975-1990), après qu’Israël a envahi le Liban en représailles à des attaques perpétrées par des factions palestiniennes basées dans ce pays. Il a rapidement été soutenu par l’Iran et son Corps des Gardiens de la révolution, qui lui ont fourni des fonds et des armes, ainsi que des formations militaires pour ses membres, dans le but d’étendre l’influence iranienne au sein des États arabes.</p>
<p>La force militaire du Hezbollah a continué à se développer après la fin de la guerre civile libanaise en 1990, malgré le désarmement de la plupart des autres factions. Le groupe s’est focalisé sur la <a href="https://www.middleeastmonitor.com/20220527-its-worth-remembering-that-it-was-hezbollah-that-liberated-south-lebanon-from-israels-occupation-through-armed-struggle/">« libération »</a> du Liban d’Israël, et s’est engagé dans des années de guérilla contre les forces israéliennes occupant le Sud-Liban, jusqu’au retrait d’Israël en 2000. Le Hezbollah a alors largement concentré ses opérations sur la récupération par le Liban de la zone frontalière contestée des <a href="https://kroc.nd.edu/assets/227136/israel_hezbollah.pdf">fermes de Chebaa</a>.</p>
<p>En 2006, le Hezbollah a livré une guerre de cinq semaines à Israël – une guerre visant à <a href="https://www.aljazeera.com/news/2006/7/12/hezbollah-captures-israeli-soldiers">régler des comptes avec l’État hébreu</a> plus qu’à libérer la Palestine. Ce conflit a causé la mort <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/what-is-hezbollah-lebanese-group-backing-hamas-its-war-with-israel-2023-10-16/">d’au moins 158 Israéliens et plus de 1 200 Libanais</a>, pour la plupart des civils.</p>
<p>À partir de 2011, pendant la guerre civile syrienne, le pouvoir du Hezbollah s’est encore accru, ses forces venant à l’aide du président syrien Bachar Al-Assad, allié à l’Iran, dans sa confrontation avec des rebelles majoritairement sunnites. En 2021, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré que le groupe comptait <a href="https://apnews.com/article/middle-east-lebanon-beirut-civil-wars-hassan-nasrallah-a3c10d99cca2ef1c3d58dae135297025">100 000 combattants</a> (bien que <a href="https://www.timesofisrael.com/for-a-change-hezbollahs-boast-of-100000-fighters-is-not-aimed-at-israel/">d’autres estimations</a> évaluent ses effectifs dans une fourchette allant de 25 000 à 50 000 hommes). Il dispose d’un arsenal militaire sophistiqué ; il est notamment équipé de roquettes de précision et de drones.</p>
<p>Le groupe existe également en tant que parti politique au Liban et y exerce une <a href="https://www.chathamhouse.org/2021/06/how-hezbollah-holds-sway-over-lebanese-state">influence significative</a>, si bien qu’on le qualifie souvent d’<a href="https://link.springer.com/content/pdf/10.1057/9780230623293_6.pdf">« État dans l’État »</a>. Huit de ses membres ont été élus pour la première fois au Parlement libanais en 1992 ; son poids a constamment progressé, et en 2018, une coalition dirigée par le Hezbollah a formé un gouvernement.</p>
<p>Le Hezbollah a conservé ses 13 sièges (sur 128 au total) au Parlement lors des élections de 2022, mais la coalition qu’il dirigeait a perdu sa majorité et le pays n’a actuellement pas de <a href="https://www.politico.eu/article/lebanese-hold-their-breath-as-fears-grow-hezbollah-will-pull-them-into-war/">gouvernement pleinement opérationnel</a>. D’autres partis libanais accusent le Hezbollah de <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/what-is-lebanons-hezbollah-2023-10-08/">paralyser et saper l’État</a>, et de contribuer à l’instabilité persistante du Liban.</p>
<h2>Qu’est-ce que le Hamas ?</h2>
<p>« Hamas », qui se traduit littéralement par « zèle », est un <a href="https://www.jstor.org/stable/4017719">acronyme arabe</a> signifiant « mouvement de résistance islamique ». Le mouvement a été fondé en 1987, à Gaza, en tant qu’émanation des Frères musulmans, un important groupe sunnite historiquement basé en Égypte.</p>
<p>Apparu au cours de ce que l’on appelle la première intifada ou soulèvement des Palestiniens contre l’occupation israélienne, le <a href="https://www.wiley.com/en-ae/Hamas:+The+Islamic+Resistance+Movement-p-9780745642963">Hamas</a> a rapidement adopté le principe de la résistance armée et a appelé à l’anéantissement d’Israël.</p>
<p>La situation politique palestinienne a évolué de manière significative après les <a href="https://justvision.org/glossary/oslo-accords">accords d’Oslo de 1993</a>, négociés entre le gouvernement israélien et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) dans le but d’établir un accord de paix global.</p>
<p>Opposée au processus de paix, la branche armée du Hamas, les Brigades al-Qassam, s’est imposée comme la principale force de résistance armée) contre Israël. Elle a lancé une série d’attentats suicides à la bombe qui se sont poursuivis pendant les premières années de la deuxième Intifada (2000-2005), avant de passer aux <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/how-hamas-secretly-built-mini-army-fight-israel-2023-10-13/">roquettes</a>, dont l’emploi récurrent est devenu sa tactique principale.</p>
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<p>De même que le Hezbollah, le Hamas est un parti politique. Il a remporté les élections législatives en 2006 et, en 2007, il a pris le contrôle de la bande de Gaza <a href="https://www.aljazeera.com/news/2011/5/4/timeline-hamas-fatah-conflict">à l’issue d’affrontements sanglants</a> avec le parti rival, le Fatah, qui a fait plus de 100 morts. Depuis lors, le Hamas contrôle la bande de Gaza et ne tolère aucune opposition politique. Il n’a jamais organisé d’élections, et ses adversaires politiques et détracteurs sont fréquemment arrêtés, des <a href="https://www.hrw.org/report/2018/10/23/two-authorities-one-way-zero-dissent/arbitrary-arrest-and-torture-under">rapports d’ONG de défense des droits humains</a> faisant état de tortures.</p>
<p>Au cours de cette période, la branche armée du Hamas est devenue de plus en plus sophistiquée. Son arsenal comprend désormais des milliers de roquettes, y compris des <a href="https://theconversation.com/the-unprecedented-attack-against-israel-by-hamas-included-precise-armed-drones-and-thousands-of-rockets-215241">missiles à longue portée et des drones</a>.</p>
<h2>En quoi le Hamas et le Hezbollah se distinguent-ils ?</h2>
<p>Le Hamas reçoit de plus en plus de fonds, d’armes et d’entraînement en provenance de Téhéran ; pour autant, <a href="https://www.ft.com/content/a06e7ea0-a7f8-4058-85b7-30549dd71443">il ne se trouve pas dans la même situation de dépendance vis-à-vis de l’Iran</a> que le Hezbollah qui, pour sa part, est <a href="https://www.brookings.edu/articles/hezbollah-revolutionary-irans-most-successful-export/">presque exclusivement soutenu par ce pays</a> et qui reçoit ses directives de la République islamique.</p>
<p>De plus, en tant qu’organisation sunnite, le Hamas ne partage pas le lien religieux chiite avec l’Iran qui caractérise le Hezbollah et la plupart des autres mandataires de Téhéran. Si le Hamas bénéficie sans aucun doute du patronage de l’Iran, il tend à opérer de manière plus indépendante que le Hezbollah.</p>
<p>En effet, le Hamas <a href="https://www.france24.com/en/middle-east/20231014-qatar-iran-turkey-and-beyond-the-galaxy-of-hamas-supporters">a été soutenu</a> dans le passé par la Turquie et par le Qatar, entre autres, et opère avec une relative autonomie. Le groupe a également longtemps été en désaccord avec l’Iran, les deux parties <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/2023-10-16/ty-article/.premium/hezbollah-isnt-hamas-so-israel-fights-them-differently/0000018b-34e4-d450-a3af-7dfcca110000">défendant des positions opposées en Syrie</a>.</p>
<p>À l’heure actuelle, le conflit est essentiellement une guerre entre Israël et le Hamas. Le Hezbollah reste toutefois une menace pour Israël. S’il est activé par l’Iran, son implication totale changerait rapidement le cours du conflit et ouvrirait probablement la voie au déclenchement d’une guerre régionale.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/216022/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Julie M Norman ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Une implication totale du Hezbollah dans le conflit en cours entre Israël et le Hamas ouvrirait probablement la voie à une guerre régionale.Julie M Norman, Associate Professor in Politics & International Relations & Co-Director of the Centre on US Politics, UCLLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2157552023-10-18T17:04:19Z2023-10-18T17:04:19ZL’UE et le conflit israélo-palestinien : une politique introuvable pour une paix introuvable ?<p>Au lendemain des attaques barbares du Hamas contre Israël, le Commissaire européen chargé de l’élargissement et de la politique de voisinage, le Hongrois Oliver Varhelyi, annonçait la <a href="https://fr.euronews.com/my-europe/2023/10/10/le-cavalier-seul-du-commissaire-europeen-a-lelargissement-et-la-volte-face-de-linstitution">suspension de l’aide aux Palestiniens</a>. Il n’a pas tardé à être <a href="https://www.sudouest.fr/josep-borrell-s-oppose-au-blocage-de-l-aide-europeenne-a-l-autorite-palestinienne-15148369.php">démenti</a> par le Haut Représentant de l’Union pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell et par plusieurs pays et députés européens. C’est finalement une <a href="https://fr.euronews.com/my-europe/2023/10/09/la-commission-europeenne-suspend-son-aide-au-developpement-aux-palestiniens">« révision »</a> de l’aide européenne aux Palestiniens qui a été décidée. En outre, l’UE vient d’annoncer une augmentation de l’aide humanitaire à Gaza et la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/gaza-l-ue-va-ouvrir-un-couloir-aerien-humanitaire-vers-la-bande-de-gaza-via-l-egypte-20231016">mise en place d’un pont aérien pour l’acheminer via l’Égypte</a>.</p>
<p>Cette séquence illustre combien, sur le dossier israélo-palestinien, l’unité des 27 demeure difficile, malgré l’alignement des <a href="https://www.touteleurope.eu/l-ue-dans-le-monde/israel-hamas-les-europeens-condamnent-unanimement-les-attaques-terroristes-et-constatent-leur-impuissance/">réactions de condamnation</a> des attentats commis par le Hamas et d’affirmation du droit d’Israël à se défendre. Ursula von der Leyen a d’ailleurs été peu après <a href="https://www.courrierinternational.com/article/diplomatie-au-sein-de-l-ue-le-soutien-inconditionnel-d-ursula-von-der-leyen-a-israel-ne-passe-plus">critiquée</a> pour avoir effectué une visite de soutien à Israël sans manifester sa préoccupation sur le sort des Palestiniens de Gaza.</p>
<p>Si par le passé, la <a href="https://www.puf.com/content/La_Politique_%C3%A9trang%C3%A8re_europ%C3%A9enne">Communauté économique européenne</a> (remplacée par l’UE en 1993) avait su en la matière élaborer des positions communes consensuelles, il semble que cela soit plus difficile désormais. Dès lors, on peine à voir comment l’UE pourrait peser sur l’issue du conflit.</p>
<h2>Un système bipolaire</h2>
<p>La <a href="https://www.liberation.fr/planete/2013/07/23/en-1980-deja-la-declaration-de-venise_920288/">déclaration de Venise</a> de 1980, sur le sujet spécifique de la Palestine, a été un terrain d’essai de la <a href="https://ehne.fr/fr/encyclopedie/th%C3%A9matiques/humanisme-europ%C3%A9en/pratiques-diplomatiques/la-coop%C3%A9ration-politique-europ%C3%A9enne-1970-1993">« Coopération politique européenne »</a> lancée en 1970.</p>
<p>La « CPE » visait à doter la Communauté européenne d’une voix politique dans le concert des nations. Dans un contexte marqué par les deux chocs pétroliers et par les nouvelles tensions qu’avait engendrées la révolution islamique en Iran, mais aussi par les espoirs nés dans la foulée de la <a href="https://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEve/124">signature en septembre 1978 des accords de Camp David entre Israël et l’Égypte</a>, les Neuf de l’époque affirmaient leur soutien au droit des Palestiniens à l’autodétermination.</p>
<p>Deux ans plus tard, François Mitterrand, tout en affichant son attachement à l’État d’Israël, évoquait devant la Knesset, le Parlement israélien, la perspective d’un État palestinien – une position française qui est ensuite devenue la position européenne.</p>
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<p>Malgré ces prises de parole fortes, les Européens n’ont guère pesé dans le processus de paix au Proche-Orient. La <a href="https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2016-9-page-43.htm">crise de Suez de 1956</a> avait déjà marqué l’éviction stratégique de la France et du Royaume-Uni de la région, même si la France gaullienne et post-gaullienne a par la suite continué de jouer un rôle important dans les affaires du Liban et ailleurs dans la zone à travers sa <a href="https://www.cairn.info/la-politique-etrangere-du-general-de-gaulle--9782130389200-page-177.htm">« politique arabe »</a> (qui se manifestait notamment par des ventes d’armes).</p>
<p>Au temps de la guerre froide, le système bipolaire s’était diffusé au Proche-Orient : les États-Unis se tenaient aux côtés d’Israël tandis que l’URSS soutenait la cause arabe et palestinienne. Les résolutions du Conseil de sécurité, dont la célèbre <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/histoires-d-info/la-resolution-242-des-nations-unies_1771195.html">résolution 242 de 1967</a>, qui demandait le retrait d’Israël des territoires occupés, marquaient néanmoins un consensus des puissances sur la nécessité de revenir au partage de la Palestine prévu en 1948-1949. En 1980, le même Conseil de sécurité, par sa <a href="https://digitallibrary.un.org/record/25618?ln=fr">résolution 478</a>, refusait de reconnaître l’annexion de Jérusalem par Israël.</p>
<p>C’est sous l’égide des deux Grands – et avant tout des États-Unis, l’Union soviétique étant alors moribonde – qu’a été réellement lancé le processus de paix, à la <a href="https://www.lesclesdumoyenorient.com/Conference-de-Madrid.html">Conférence de Madrid en 1991</a>. Les Européens se sont fait une place dans ce processus complexe et hésitant avec la nomination d’un représentant spécial à partir de 1996 (l’Espagnol Miguel Moratinos a été le premier titulaire du poste, actuellement détenu par le Néerlandais <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2021/04/29/new-eu-special-representative-for-the-middle-east-peace-process-appointed/">Sven Kotmans</a>) et la mise en place en 2002 du <a href="https://www.un.org/unispal/fr/un-system/un-system-partners/the-quartet">« quartet »</a> (États-Unis, Russie, UE, ONU) pour jouer un rôle de médiateur dans le conflit.</p>
<h2>L’Europe en soutien</h2>
<p>Les Européens sont venus en soutien des accords de paix, finançant l’Autorité palestinienne et lançant une <a href="https://www.eubam-rafah.eu/">mission d’assistance au poste-frontière de Rafah</a>, entre l’Égypte et la bande de Gaza évacuée par Israël en 2005. Il n’en reste pas moins que, face à un conflit qui n’a cessé de se durcir (première arrivée au pouvoir de Benyamin Nétanyahou en 1996, deuxième intifada entre 2000 et 2006, guerre entre Israël et le Hezbollah en 2006, renforcement de la colonisation juive en territoires occupés, enchaînements d’attentats et de représailles), ils ont peiné à se faire entendre collectivement.</p>
<p>Ce n’est pas que les pays européens soient condamnés à l’impuissance : ils ont su mener une action unie et résolue sur le dossier nucléaire iranien à partir de 2003, combinant sanctions et diplomatie. Des éléments de consensus entre pays européens existent sur l’aide civile aux Palestiniens, le soutien au processus de paix, l’opposition à la politique de force et du fait accompli, y compris la colonisation des territoires occupés. Les Européens ne sont pas toujours restés passifs vis-à-vis d’Israël. Le Conseil d’association, prévu par <a href="https://neighbourhood-enlargement.ec.europa.eu/system/files/2022-03/25032022-factograph_israel_fr.pdf">l’accord d’association de 1995</a> qui organise la coopération entre l’Union et Israël, ne s’est pas réuni entre 2012 et 2022, les Israéliens réagissant aux objections formulées par l’Union à propos des colonies en Cisjordanie. L’accord de libre-échange ne s’applique pas aux produits israéliens issus des colonies.</p>
<p>Les États membres ne se sont cependant jamais accordés sur de quelconques sanctions. Tout juste ont-ils décidé en 2019 l’étiquetage (et non l’interdiction) des produits israéliens issus des territoires occupés, après qu’Israël <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/07/19/israel-etat-nation-juif-les-dessous-d-une-loi-controversee_5333745_3218.html">s’est proclamé par une loi fondamentale « l’État-nation du peuple juif »</a>, ce qui discrimine les citoyens non juifs, notamment la minorité arabe. Les relations commerciales et technologiques avec l’État hébreu restent étroites. Israël est notamment associé aux programmes de recherche de l’Union.</p>
<h2>Des divergences trop importantes ?</h2>
<p>Malgré les quelques points d’accord, les États membres (et l’ancien État membre qu’est le Royaume-Uni) ont des visions très (trop ?) différentes de la question israélo-palestinienne pour pouvoir se montrer plus efficaces.</p>
<p>Historiquement, le <a href="https://www.herodote.net/2_novembre_1917-evenement-19171102.php">Royaume-Uni</a> et la <a href="https://monbalagan.com/36-chronologie-israel/139-1917-4-juin-lettre-de-jules-cambon-a-sokolov.html">France</a> ont encouragé dès 1917 la renaissance d’un foyer national juif sur la terre ancestrale d’Israël. Si Londres est par la suite globalement resté très proche des positions israéliennes, cela n’a pas été le cas de Paris, qui a veillé à ménager ses relations avec le monde arabe et à défendre les droits des Palestiniens. L’Allemagne et l’Autriche, de leur côté, portent comme des stigmates l’élimination des communautés juives par les nazis et sont plus enclines à s’aligner sur les positions d’Israël. C’est aussi le cas des Pays-Bas, l’un des berceaux du libéralisme occidental, et d’un certain nombre de pays d’Europe centrale et orientale. L’Espagne, pour sa part, a eu souvent une position proche de la France, position qui a pu être relayée par des personnalités espagnoles ayant été placées à des postes clés de la diplomatie européenne – Javier Solana et Miguel Moratinos dans le passé, Josep Borrell aujourd’hui.</p>
<p>En réalité, aucun des pays européens n’est assez puissant pour s’imposer seul comme un acteur de poids ; mais ensemble, ils sont trop divisés. Leur voix ne peut qu’être faible, surtout quand il s’agit d’aller contre les positions de Washington.</p>
<p>Si l’UE a l’habitude d’adopter une position commune sur les textes de l’Assemblée générale des Nations unies (dans plus de 90 % des cas), les clivages réapparaissent dès que les questions deviennent sensibles. C’est ainsi que les votes des États membres se sont divisés sur la réaction de l’ONU à l’offensive israélienne à Gaza en 2008-2009, sur l’admission de la Palestine à l’Unesco en 2011, puis sur l’octroi d’un statut d’observateur à la Palestine à l’ONU en 2012. Dans ce dernier cas, 14 pays (dont la France) ont voté pour, la République tchèque s’est prononcée contre, 12 pays se sont abstenus, dont l’Allemagne et le Royaume-Uni. Certains pays européens, comme la <a href="https://www.lefigaro.fr/international/israel-vers-un-transfert-de-l-ambassade-de-hongrie-a-jerusalem-20230307">Hongrie</a> et la <a href="https://www.euractiv.fr/section/international/news/le-premier-ministre-tcheque-envisage-de-demenager-lambassade-de-tel-aviv-a-jerusalem/">Tchéquie</a>, sont aujourd’hui tentés de transférer leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, comme l’administration Trump l’a fait en 2018.</p>
<p>Par ailleurs, un axe droitier (« illibéral ») n’a cessé de se renforcer en Israël comme en Occident, combinant poussée identitaire et nationaliste, rhétorique de la « guerre contre le terrorisme islamiste » et logique du tout-sécuritaire, au détriment d’une analyse politique du conflit. À cette aune, il n’est pas surprenant de voir Viktor Orban, Georgia Meloni ou Marine Le Pen s’aligner totalement sur la politique sécuritaire du gouvernement Nétanyahou.</p>
<h2>L’UE peut-elle faire plus ?</h2>
<p>L’Europe pourrait-elle s’engager davantage ? La légitimité des institutions européennes pour porter une diplomatie forte au-dessus des États membres est fragile. Si l’on introduisait le vote majoritaire en politique étrangère, alors que celle-ci <a href="https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/unanimite-majorite-qualifiee-minorite-de-blocage-comment-les-decisions-sont-elles-prises-en-europ/">se définit actuellement à l’unanimité</a>, cela faciliterait peut-être les positions de compromis ; mais seraient-elles acceptées par tous et pourraient-elles soutenir des actions autonomes et fortes qui ne seraient pas forcément alignées sur les États-Unis ?</p>
<p>À ce stade, une action coordonnée de la France, de l’Allemagne et du Royaume-Uni, comme dans le dossier iranien, ne paraît pas non plus en vue. Le dossier israélo-palestinien montre hélas les limites de la puissance européenne.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215755/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Maxime Lefebvre ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L’UE apparaît aujourd’hui trop divisée pour jouer un rôle d’importance dans une éventuelle résolution du conflit.Maxime Lefebvre, Affiliate professor, ESCP Business SchoolLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2158492023-10-17T19:33:13Z2023-10-17T19:33:13ZLe poste-frontière de Rafah : pour les Gazaouis, une issue de secours qui reste close<p><em>Le siège de la bande de Gaza, décrété par Israël après l’attaque dévastatrice du Hamas le 7 octobre dernier, a suscité l’inquiétude au Caire. L’Égypte partage avec Gaza une frontière de 12 km et contrôle le point de passage de Rafah, qui est la principale voie de sortie pour les <a href="https://www.cia.gov/the-world-factbook/countries/gaza-strip">quelque 2 millions de personnes</a> vivant dans la bande de Gaza.</em></p>
<p><em>Moina Spooner, de The Conversation Africa, a interrogé le sociologue Lorenzo Navone, qui a effectué de <a href="https://scholar.google.com/citations?user=W2V6Kh4AAAAJ&hl=it">nombreux travaux de recherche</a> au cours des dix dernières années, sur l’importance de ce poste-frontière qui, à ce stade, demeure fermé.</em></p>
<hr>
<h2>Que représente le poste-frontière de Rafah pour l’Égypte et pour la bande de Gaza ?</h2>
<p>La région orientale de l’Égypte, le Sinaï, est limitrophe à la fois d’Israël et de Gaza. C’est entre le Sinaï et Gaza que se trouve, à Rafah, l’un des deux principaux postes-frontière à travers lesquels les Gazaouis peuvent sortir de la bande – et le seul <a href="https://www.government.nl/binaries/government/documenten/reports/2022/04/30/general-country-of-origin-information-report-palestinian-territories/EN+AAB+Palestijnse+gebieden.pdf">qui n’est pas directement administré par Israël</a>.</p>
<p>C’est une ouverture vitale pour la survie des habitants de Gaza. Depuis 2007, <a href="https://www.unicef.org/mena/media/18041/file/Factsheet_Gaza_Blockade_2022.pdf.pdf">Israël impose à la bande de Gaza un blocus</a> terrestre, maritime et aérien, doublé d’un embargo. Cette mesure fait suite au retrait des Israéliens de la bande de Gaza en 2005 et à la victoire du Hamas aux élections de 2006.</p>
<p>Dans les faits, l’Égypte a soutenu et continue de soutenir le blocus israélien. En effet, la frontière de Rafah est étroitement contrôlée par les forces égyptiennes, et ne s’ouvre que de manière imprévisible et ponctuelle.</p>
<p>Gaza <a href="https://www.hrw.org/news/2022/06/14/gaza-israels-open-air-prison-15">dépend</a> entièrement de l’aide humanitaire internationale, du travail des quelques Palestiniens autorisés à travailler en Israël et des tunnels creusés sous la frontière entre l’Égypte et la bande de Gaza. Pour l’Égypte comme pour Israël, ces tunnels <a href="https://doi.org/10.4337/9781839108907.00023">constituent une menace</a> car ils peuvent être utilisés pour la contrebande d’armes et l’infiltration de terroristes.</p>
<p>Le blocus a eu un impact dramatique sur la vie des habitants de Gaza. Ils <a href="https://www.ohchr.org/en/press-releases/2020/09/israelopt-respecting-fundamental-rights-gaza-pre-condition-achieving-peace">n’ont pas accès aux droits fondamentaux</a>, notamment à la nourriture, à l’éducation, à l’emploi et à la santé.</p>
<p>Depuis près de 20 ans, la bande de Gaza est, selon l’expression consacrée, une <a href="https://www.hrw.org/fr/news/2022/06/14/gaza-la-prison-ciel-ouvert-disrael-15-ans-deja">prison à ciel ouvert</a>. Le poste de Rafah revêt donc une importance considérable pour les Palestiniens, car il constitue l’un des rares points d’accès pour la circulation des personnes, des marchandises et de l’aide humanitaire aussi bien vers Gaza que depuis Gaza. Il permet aux Palestiniens de maintenir des liens vitaux avec le monde extérieur et d’accéder à des ressources essentielles. Son fonctionnement joue un rôle essentiel dans l’atténuation des difficultés auxquelles les habitants sont confrontés en permanence.</p>
<h2>Qu’implique pour Rafah l’enchaînement des événements que l’on a observé depuis le 7 octobre dernier ?</h2>
<p>Le déclenchement de la guerre actuelle entre, d’une part, Israël et, d’autre part, le Hamas et d’autres factions palestiniennes, met en lumière trois éléments essentiels :</p>
<ul>
<li><p>l’importance du point de passage de Rafah pour la stabilité de la région et pour les Palestiniens de Gaza ;</p></li>
<li><p>l’expulsion potentielle des Palestiniens de Gaza ;</p></li>
<li><p>et l’ambiguïté de la posture de l’Égypte à l’égard du peuple palestinien.</p></li>
</ul>
<p>Tout d’abord, bien que le poste-frontière de Rafah soit le seul moyen de quitter la bande de Gaza, il est <a href="https://www.ochaopt.org/data/crossings">fermé plus souvent qu’il n’est ouvert</a> depuis près de 20 ans. Or n’oubliez pas qu’un poste-frontière doit a priori fonctionner 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.</p>
<p>Les ouvertures étaient sporadiques et les conditions de délivrance d’une autorisation de passage étaient <a href="https://gisha.org/en/movement-of-people-via-rafah-crossing/">peu claires</a>. On ne sait pas non plus <a href="https://www.hrw.org/report/2017/04/03/unwilling-or-unable/israeli-restrictions-access-and-gaza-human-rights-workers">qui gère le point de passage</a> et qui décide de son ouverture.</p>
<p>Ces dernières années, les habitants de Gaza ont très largement dépendu, pour leur subsistance, du fonctionnement du point de passage de Rafah et des tunnels. C’est encore plus vrai aujourd’hui : il s’agit d’une véritable ligne de vie pour eux dans le contexte actuel.</p>
<p>Deuxièmement, une ouverture humanitaire du point de passage signifierait probablement l’arrivée en Égypte de milliers de Palestiniens déplacés. Mais l’Égypte ne sera pas disposée à les accueillir car elle <a href="https://apnews.com/article/israel-hamas-gaza-palestinians-egypt-sinai-war-894d45535fed1049a0076453ca99c555">craint</a> qu’ils restent sur son territoire de manière permanente.</p>
<p>Enfin, la question de la difficulté à accepter les Palestiniens fuyant Gaza met en évidence la position ambiguë de l’Égypte à leur égard. Parmi les pays arabes limitrophes d’Israël et des territoires palestiniens occupés, l’Égypte est le seul à ne pas avoir autorisé l’établissement de camps de réfugiés palestiniens sur son territoire, contrairement à la Syrie qui accueille <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/syria">plus de 500 000</a> réfugiés, à la Jordanie qui en accueille <a href="https://www.unrwa.org/where-we-work/jordan">2 millions</a>, et au Liban qui en accueille <a href="https://www.unicef.org/lebanon/palestinian-programme-0">plus de 200 000</a>.</p>
<p>Dans leurs discours officiels, les autorités égyptiennes <a href="https://doi.org/10.1093/rsq/hdp044">s’opposent</a> à l’expulsion des Palestiniens de Gaza et les soutiennent dans leur lutte visant à obtenir un État souverain.</p>
<p>Mais l’Égypte est un pays <a href="https://worldpopulationreview.com/countries/egypt-population">surpeuplé</a> à l’économie fragile qui refuse de voir un afflux de personnes pauvres sur son territoire. Depuis 1948, on estime (bien que ces chiffres fassent l’objet de débats) qu’il y a <a href="https://al-shabaka.org/briefs/invisible-community-egypts-palestinians/">environ 80 000</a> Palestiniens qui résident en Égypte. La plupart d’entre eux n’ont pas de droits civiques et vivent en dehors de tout cadre de protection juridique et humanitaire.</p>
<h2>Que devrait faire l’Égypte, compte tenu de la complexité de la situation ?</h2>
<p>Au moment où nous parlons, la situation est très volatile, mais je crois que l’Égypte ne gère rien du tout : en fait, elle apparaît plutôt comme un spectateur passif des événements en cours.</p>
<p>Si l’on exclut le scénario, très improbable, d’une intervention militaire égyptienne pour stopper l’assaut israélien sur Gaza (ce qui pourrait déboucher sur une guerre régionale de grande ampleur), l’Égypte n’a que deux options.</p>
<p>Premièrement, utiliser toutes les voies diplomatiques à sa disposition pour négocier un cessez-le-feu. Ce sera extrêmement compliqué car Israël <a href="https://www.huffpost.com/entry/israel-gaza-isaac-herzog_n_65295ee8e4b03ea0c004e2a8">perçoit</a> la bande de Gaza et tous ses habitants (y compris les mineurs, les femmes et les personnes âgées) comme une menace existentielle, ce qui signifie qu’il n’a pas l’intention de suspendre la guerre ni d’écouter qui que ce soit.</p>
<p>Deuxièmement, fournir une aide humanitaire aux personnes déplacées à l’intérieur de la bande de Gaza en empruntant des corridors sûrs. Israël a <a href="https://www.theguardian.com/world/2023/oct/12/no-power-water-or-fuel-to-gaza-until-hostages-freed-says-israeli-minister">coupé</a> l’électricité, le gaz, l’Internet et l’eau à Gaza avant son assaut. Gaza est donc actuellement en proie à une panne totale d’électricité et à la famine.</p>
<p>À l’heure actuelle, le principal risque, que l’Égypte doit garder à l’esprit au moment de prendre sa décision, est celui d’un nombre de pertes humaines colossal parmi la population gazaouie.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215849/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lorenzo Navone ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Pourquoi l’Égypte ne veut-elle pas ouvrir le point de passage de Rafah, entre son territoire et celui de la bande de Gaza ?Lorenzo Navone, Lecturer, Université de StrasbourgLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152972023-10-10T21:16:19Z2023-10-10T21:16:19ZComment le Hamas a récupéré le désespoir palestinien<p>Depuis samedi matin, le Hamas, conduit une attaque inhumaine et de grande ampleur contre l’État hébreu. L’organisation islamique, qui est considérée comme <a href="https://www.rtbf.be/article/guerre-au-proche-orient-hamas-et-hezbollah-deux-organisations-classees-terroristes-en-europe-11268480">terroriste</a> par l’Union européenne, a tiré des milliers de roquettes sur les villes israéliennes depuis la bande de Gaza, où elle officie. Et de manière totalement inédite, des combattants du Hamas se sont infiltrés dans les territoires israéliens pour s’en prendre violemment et massivement <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/09/pres-de-gaza-la-rave-party-a-vire-au-cauchemar_6193286_3210.html">à des civils</a>. À ce stade, on <a href="https://www.radiofrance.fr/franceinter/israel-gaza-1100-morts-en-48-heures-l-armee-israelienne-a-frappe-cette-nuit-500-cibles-du-hamas-4173346">dénombre</a> plus de 800 morts côté israélien et 2 600 blessés, et, côté palestinien, au moins 687 morts depuis samedi et 2 900 blessés.</p>
<p>Le monde est stupéfait par les évènements. Pourtant, pour beaucoup d’observateurs, comme Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France, les évènements sont <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/08/elie-barnavi-l-attaque-du-hamas-resulte-de-la-conjonction-d-une-organisation-islamiste-fanatique-et-d-une-politique-israelienne-imbecile_6193197_3232.html">« surprenants mais étaient prévisibles »</a>. L’ampleur de l’attaque est inédite, la faille de l’armée et des services secrets israéliens est étonnante et la violence est terrifiante et inacceptable. Mais en effet, la conjoncture actuelle laissait présager une escalade de violence.</p>
<p>Sur le terrain, dont je reviens à peine, on ressent clairement au sein de la population palestinienne un désespoir croissant et multifactoriel, et une violence latente. Plus personne ne parle de « paix », mais plutôt de « fin de l’occupation »… et les jeunes parlent de « résistance, par tous les moyens ».</p>
<p>C’est dans ce contexte que le Hamas a conduit son attaque. Et l’organisation a récupéré ce désespoir pour se légitimer et obtenir le soutien d’une partie de l’opinion palestinienne.</p>
<h2>Gaza, une « prison à ciel ouvert » qui favorise la radicalisation</h2>
<p>À Gaza, d’où opère le Hamas, 2,3 millions de Palestiniens s’entassent sur 365 km faisant de la bande de Gaza l’un des territoires les plus densément peuplés au monde. <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/09/1127031">Plus de deux tiers</a> de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et, selon l’ONG israélienne B’Tselem, le <a href="https://plateforme-palestine.org/Gaza-les-chiffres-cles-2023">taux de chômage est de 75 %</a> chez les moins de 29 ans.</p>
<p>Depuis 2007, ce territoire est aussi soumis à un <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2018/05/29/a-gaza-des-bateaux-palestiniens-contre-la-nouvelle-barriere-maritime-voulue-par-israel_5306341_3218.html">blocus israélien</a> à la fois maritime, aérien et terrestre, qui prive presque entièrement ce territoire de contacts avec le monde extérieur.</p>
<p>Les Gazaouis sont régulièrement coupés d’eau et d’électricité et dépendent essentiellement des <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinionfr/palestine-israel-aide-internationale-normalise-siege-gaza">aides internationales</a>. Les entrées et les sorties de Gaza dépendent des autorisations données par les forces israéliennes et sont extrêmement rares, ce qui lui vaut le surnom de « prison à ciel ouvert ».</p>
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<figcaption><span class="caption">Gaza : Une « prison à ciel ouvert » depuis 15 ans Human Rights Watch, YouTube.</span></figcaption>
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<p>Dans ces conditions, la population gazaouite, et notamment la jeunesse, coupée du monde, se radicalise. La plupart pensent n’avoir plus rien à perdre et ne croient plus aux solutions politiques et à la paix. Progressivement l’idée qu’il faut résister à l’occupation de l’État hébreu par la violence, prônée par les groupes islamistes, se répand. Ce qui fait le jeu du Hamas et du Jihad islamique qui regroupent de plus en plus de combattants.</p>
<h2>La Cisjordanie, un territoire démembré</h2>
<p>En Cisjordanie, l’attaque du Hamas n’a pas été condamnée, voire la population palestinienne a exprimé son soutien par des manifestations.</p>
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<figcaption><span class="caption">Un territoire fragmenté, Le Monde, 2018.</span></figcaption>
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<p>Le reste du monde s’étonne qu’on puisse soutenir une telle cruauté qui est sans équivoque inacceptable. Mais, il faut aussi s’intéresser aux causes de ce soutien. En Cisjordanie aussi, la population et la jeunesse sont désabusées voir désespérées.</p>
<p>Le territoire palestinien est complètement démembré. La colonisation est largement soutenue et accompagnée par le gouvernement israélien. Plus de 280 colonies et 710 000 colons ont été dénombrés par l’ONU. Des habitations palestiniennes sont régulièrement <a href="https://www.amnesty.org/fr/location/middle-east-and-north-africa/israel-and-occupied-palestinian-territories/report-israel-and-occupied-palestinian-territories/">détruites</a>.</p>
<p>Depuis 2002, plus de 700 km de mur sont construits entre les territoires palestiniens et Israël. Ce mur sécuritaire devait suivre la <a href="https://fr.wikipedia.org/wiki/Ligne_verte_(Isra%C3%ABl)">ligne verte de 315km</a>, prévue par le plan de partage de l’ONU de 1947, finalement, il n’en finit pas de faire des tours et des détours en empiétant progressivement sur des bouts de territoires palestiniens et en isolant certaines villes palestiniennes.</p>
<p>Un député palestinien me dit « c’est le mur des Lamentations arabe », d’autres parlent du « mur de la honte ». Même Jérusalem-Est est de plus en plus occupée, jusque sur l’esplanade des Mosquées qui abrite la Mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’Islam. Notons que l’attaque du Hamas est dénommée « déluge Al-Aqsa », un symbole au cœur du conflit qui montre que le groupe islamiste s’appuie sur les frustrations et les rancœurs de la population…</p>
<h2>Un désespoir quotidien</h2>
<p>La liberté de mouvement des habitants de Cisjordanie est extrêmement limitée : elle dépend des autorisations et des laissez-passer obtenus auprès des autorités israéliennes. Quotidiennement, les Palestiniens doivent traverser, laborieusement, des <a href="https://books.openedition.org/pup/8020?lang=fr">checkpoints</a>.</p>
<p>Certains enfants m’expliquent qu’ils traversent le checkpoint entre Abu Dis et Jérusalem pour aller à l’école ; ils y vont seuls parce que leurs parents n’ont pas les autorisations et y passent une heure au moins tous les jours. Certains étudiants, eux, m’expliquent qu’auparavant, pour rejoindre leur université, ils pouvaient y aller à pied, maintenant, il y a le mur et un checkpoint. L’ONU estime qu’il y a environ <a href="https://www.un.org/unispal/fr/faits-et-chiffres/">593 checkpoints</a>, visant, pour la plupart, à protéger les colons israéliens.</p>
<p>La situation économique en Cisjordanie est aussi déplorable. Les <a href="https://unctad.org/fr/news/les-restrictions-economiques-en-cisjordanie-ont-coute-50-milliards-de-dollars-entre-2000-et">restrictions israéliennes</a> bloquent le développement. Le <a href="https://news.un.org/fr/story/2022/09/1127031">taux de pauvreté</a> s’élève à 36 % et le taux de chômage à 26 %.</p>
<p>L’armée israélienne, surtout depuis l’arrivée du dernier gouvernement de Nétanyahou, démultiplie les <a href="https://fr.euronews.com/2023/07/03/important-raid-israelien-sur-jenine-8-palestiniens-tues-une-cinquantaine-de-blesses">interventions</a> et les raids de prévention. Avant l’attaque du Hamas, depuis le début de l’année, 200 Palestiniens avaient été tués. <a href="https://news.un.org/fr/story/2023/05/1134792">L’ONU dénombre</a> 4 900 prisonniers politiques palestiniens et relève les conditions déplorables des prisons israéliennes et les mauvais traitements infligés.</p>
<h2>Impasse politique, violence latente</h2>
<p>À tout ceci s’ajoute l’impasse politique. Il n’y a pas eu d’élections depuis 2006 en Palestine. L’Autorité palestinienne, reconnue comme représentant légitime du peuple palestinien, est devenue une coquille vide qui n’a plus aucun pouvoir effectif. Le pouvoir est concentré dans les mains de Mahmoud Abbas, 87 ans, qui a perdu le soutien de sa population. La <a href="https://www.lefigaro.fr/vox/monde/la-corruption-de-leurs-dirigeants-est-un-fleau-pour-les-palestiniens-20190515">corruption</a> paralyse toutes les institutions palestiniennes.</p>
<p>Suite aux échecs, à répétitions, des négociations entre l’Autorité palestinienne et Israël, certains considèrent même que Mahmoud Abbas est <a href="https://www.iris-france.org/168899-palestine-biden-hypocrite-abbas-complice/">« complice »</a> de l’occupation israélienne.</p>
<p>La population n’attend plus rien de la politique et encore moins des négociations. Depuis le début de l’année, on avait une résurgence d’attaques « individuelles » issues du désespoir quotidien. Comme ce chauffeur palestinien qui, fin août, <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1347957/attaque-a-un-checkpoint-en-cisjordanie-occupee-trois-blesses.html">a foncé dans un groupe de soldats israéliens</a> alors qu’il s’apprêtait à franchir un check-point.</p>
<p>C’est ce même désespoir qui pousse aujourd’hui une partie de la population palestinienne à soutenir les attaques du Hamas pourtant cruellement inhumaines. Comme l’indique Elie Barnavi, on pourrait même craindre, en suivant, le déclenchement d’une <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/08/elie-barnavi-l-attaque-du-hamas-resulte-de-la-conjonction-d-une-organisation-islamiste-fanatique-et-d-une-politique-israelienne-imbecile_6193197_3232.html">nouvelle intifada</a>…</p>
<h2>Une opération politique du Hamas</h2>
<p>En réalité, le Hamas n’a fait que profiter de ce contexte favorable à la violence. Le Hamas, qui prône la résistance armée et refuse de reconnaître l’existence d’Israël, a instrumentalisé la frustration et le désespoir des Palestiniens pour se positionner en « véritable défenseur de la cause palestinienne ».</p>
<p>En 2006, le Hamas était sorti vainqueur des élections législatives palestiniennes. Malgré le déroulement démocratique de ces élections, le résultat n’avait pas été reconnu par la communauté internationale qui refusait qu’une organisation terroriste prenne le pouvoir. Le Hamas s’est donc replié dans la bande Gaza sur laquelle il a pris le contrôle. Depuis Gaza, il a continué de se radicaliser, de délégitimer l’Autorité palestinienne et il a attendu le momentum pour mettre son discours et sa stratégie en œuvre. Aux yeux de l’organisation, ce momentum est arrivé. Les cadres ont sans doute estimé que le contexte était favorable pour une attaque de grande ampleur qui leur permettrait de gagner en popularité.</p>
<p>D’une part, la <a href="https://theconversation.com/avec-sa-reforme-judiciaire-benyamin-netanyahou-consolide-son-heritage-politique-210667">déstabilisation interne en Israël</a> a offert une brèche dont le Hamas pouvait profiter. Israël n’a jamais été aussi divisé que depuis l’arrivée de la <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/29/netanyahou-revient-a-la-tete-du-gouvernement-le-plus-a-droite-de-l-histoire-d-israel_6155974_3210.html">coalition d’ultra-orthodoxes</a> et de nationaux-religieux formée par Nétanyahou. Des manifestations de grande ampleur contre la réforme de la justice ont secoué le pays depuis plusieurs mois. De manière totalement inédite, les réservistes israéliens, indispensables à la défense israélienne, s’étaient mis en <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/03/07/en-israel-revolte-inedite-des-reservistes-de-l-armee_6164478_3210.html">grève</a>.</p>
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<figcaption><span class="caption">« Israël : la rupture Nétanyahou ? » (Le dessous des cartes, la leçon de géopolitique (Arte).</span></figcaption>
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<p>Par ailleurs, la conjoncture internationale est incontestablement en train de changer et le Hamas a probablement vu ce contexte mouvant comme une opportunité à saisir. L’équilibre des puissances évolue, de nouveaux équilibres se créent et la région se reconfigure. En témoignent l’accord entre Téhéran et Riyad, et les <a href="https://www.arte.tv/fr/videos/117072-000-A/les-accords-d-abraham-qu-est-ce-que-c-est/">accords d’Abraham</a> qui ont normalisé les relations d’Israël avec certains pays arabes. <a href="https://theconversation.com/deux-si%C3%A8cles-de-grand-jeu-geopolitique-pour-les-grandes-puissances-210223">Les plaques tectoniques bougent</a> : le statu quo au <a href="https://theconversation.com/le-haut-karabakh-livre-a-lui-meme-214195">Haut-Karabakh</a> est rompu, les <a href="https://theconversation.com/afrique-des-transitions-democratiques-aux-transitions-militaires-197467">coups d’État s’enchaînent en Afrique</a>. Le Hamas a estimé le moment opportun pour imposer un bouleversement de situation.</p>
<p>Ainsi, 50 ans après la guerre du Kippour, 30 ans après le processus des accords d’Oslo, les événements tragiques de ces derniers jours sont à resituer dans la complexité tragique de ce conflit qui oppose deux peuples depuis 1948. Le Hamas se sert du désespoir et de la colère palestinienne pour conduire des actes d’une violence inouïe qui vont délégitimer une cause légitime.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215297/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Marie Durrieu ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>L'attaque du Hamas s'appuie sur un contexte double: le désespoir palestinien et une conjoncture géopolitique opportune.Marie Durrieu, Doctorante associée à l'Institut de Recherche Stratégique de l'École Militaire en science politique et relations internationales (CMH EA 4232-UCA), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152872023-10-09T20:33:20Z2023-10-09T20:33:20ZIsraël-Hamas : « Le sujet même de la paix a disparu »<p><em><a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231009-que-sait-on-de-l-op%C3%A9ration-sans-pr%C3%A9c%C3%A9dent-men%C3%A9e-par-le-hamas-en-isra%C3%ABl">L’assaut d’une ampleur sans précédent lancé par le Hamas</a> et la riposte israélienne, <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231008-en-images-dans-l-enfer-de-gaza-sous-les-bombes-de-la-risposte-isra%C3%A9lienne">sous la forme de bombardements massifs sur la Bande de Gaza</a>, signent-ils la fin d’un <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/le-monde-est-a-nous/conflit-israel-gaza-le-hamas-torpille-le-processus-de-paix-entre-riyad-et-tel-aviv-avec-le-reveil-de-la-cause-palestinienne-dans-le-monde-arabe_6081825.html">processus de paix</a> déjà <a href="https://www.lemonde.fr/international/video/2023/04/02/israel-palestine-pourquoi-la-paix-parait-plus-lointaine-que-jamais_6167928_3210.html">bien fragile</a> avant les événements du weekend dernier ?</em></p>
<p><em>S’achemine-t-on vers une guerre totale ? Israël peut-il vaincre militairement le Hamas, et réciproquement ? <a href="https://www.lesechos.fr/monde/afrique-moyen-orient/israel-netanyahou-forme-le-gouvernement-le-plus-a-droite-de-lhistoire-du-pays-1891423">Le gouvernement très droitier de Benyamin Nétanyahou</a> va-t-il s’ouvrir à la gauche pour former un cabinet d’union nationale, et si oui, avec quelles conséquences ?</em></p>
<p><em>Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses questions que tous les observateurs se posent après trois jours d’affrontements sanglants, qui se sont déjà soldés par des <a href="https://www.rts.ch/info/monde/14373865-le-bilan-des-affrontements-entre-israel-et-le-hamas-depasse-les-1000-morts.html">centaines de morts des deux côtés</a>.</em></p>
<p><em>Samy Cohen, chercheur émérite à Sciences Po, président de l’Association française d’études sur Israël (AFEIL) et auteur de nombreux ouvrages dont dernièrement <a href="https://www.fayard.fr/sciences-humaines/israel-une-democratie-fragile-9782213716725"><em>Israël, une démocratie fragile</em> (Fayard, 2021)</a>, apporte ici quelques éléments de réponse.</em></p>
<hr>
<h2>Pourquoi l’assaut du Hamas a-t-il pris Israël de court ?</h2>
<p>Il y a eu, côté israélien, des failles à deux niveaux. D’une part, une faille au niveau du renseignement. Jusqu’ici, le <a href="https://www.shabak.gov.il/en">Shabak</a> était très bien renseigné sur la situation dans la bande de Gaza. Manifestement, dernièrement, il n’avait plus de sources au sein du Hamas. Sa cécité n’en est pas moins étonnante. Par exemple, des journalistes avaient indiqué, ces derniers mois, que les militants du Hamas étaient nombreux à sortir s’entraîner régulièrement à moto, et même qu’ils apprenaient à piloter des ULM ; et pourtant, les services israéliens n’ont rien vu venir. C’est une <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20231007-attaque-du-hamas-sur-isra%C3%ABl-une-faillite-historique-des-services-de-renseignement-isra%C3%A9liens">faille majeure</a> dont ils devront répondre un jour.</p>
<p><em>[Plus de 85 000 lecteurs font confiance aux newsletters de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde. <a href="https://memberservices.theconversation.com/newsletters/?nl=france&region=fr">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</em></p>
<p>Mais cette faille ne s’est pas produite dans un vide. Bien souvent, les failles du renseignement sont dues aux failles de la conception politico-militaire du pays. Prenez la <a href="https://theconversation.com/derriere-lattaque-du-hamas-le-spectre-de-la-guerre-de-kippour-215281">guerre du Kippour, il y a cinquante ans</a>. Les services israéliens disposaient de nombreux renseignements indiquant que l’Égypte était sur le point d’attaquer. Mais les responsables politiques n’ont pas voulu le croire car ils étaient pris dans une conception stratégique complètement erronée, d’après laquelle l’Égypte était beaucoup trop faible pour oser passer à l’attaque. De la même façon, depuis plusieurs années, la conception politico-stratégique du pouvoir a en quelque sorte ruisselé jusqu’au monde du renseignement : cette conception, défendue depuis des années par Benyamin Nétanyahou, affirmait que le Hamas ne présentait pas un danger majeur pour Israël… et qu’il fallait préserver sa présence dans la bande de Gaza afin de convaincre la société israélienne et la communauté internationale qu’il n’y avait pas de partenaire pour la paix puisque la société palestinienne était fracturée entre, d’une part, le Hamas et, d’autre part, le Fatah.</p>
<p>Pour Nétanyahou et pour l’ensemble de la droite israélienne, l’épouvantail Hamas constituait une sorte d’assurance face à d’éventuelles pressions internationales. Nétanyahou a même dit en aparté un jour qu’il était dans l’intérêt d’Israël que le Hamas perdure. Pour cela, il a permis que de l’argent du Qatar lui soit versé, et il a autorisé quelque 20 000 Gazaouis à aller travailler en Israël, pour que la vie sous le Hamas y soit un minimum vivable.</p>
<p>Les services de renseignement ont été imprégnés de cette vision selon laquelle le Hamas n’était pas une menace réelle. D’ailleurs, il y a peu, Tzachi Hanegbi, chef du Conseil de sécurité nationale, une instance qui conseille le premier ministre, et qui est un proche de Nétanyahou, a déclaré que le Hamas n’était pas désireux de reprendre les hostilités. Bref, les services de renseignement se sont endormis, mais dans une large mesure, cela s’explique par la posture du gouvernement – et il faut ajouter que voilà des mois que le premier ministre se concentre quasi exclusivement sur son combat visant à prendre le contrôle de la Cour suprême, ce qui constituait pour lui une priorité absolue – au moins jusqu’au 7 octobre…</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1710949391480098903"}"></div></p>
<h2>Une fois l’attaque du Hamas lancée, ses combattants ont pu assez aisément progresser en territoire israélien, tuant de nombreuses personnes et prenant près d’une centaine d’otages…</h2>
<p>Parce que les unités de l’armée étaient très insuffisantes autour de Gaza. Pour une raison simple : l’effort principal portait sur la Cisjordanie. Depuis deux ans, le gouvernement israélien ne cesse de renforcer la sécurité des colonies. Il est vrai qu’il y a eu une recrudescence des <a href="https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-revue-de-presse-internationale/la-revue-de-presse-internationale-emission-du-mercredi-21-juin-2023-2010460">attentats en Cisjordanie</a> ; mais l’explication tient surtout au fait qu’il y a désormais au gouvernement des représentants des colons de Cisjordanie, à commencer par le ministre de la Sécurité intérieure, <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20231002-isra%C3%ABl-le-ministre-extr%C3%A9miste-itamar-ben-gvir-continue-d-embarrasser-le-gouvernement-netanyahu">Itamar Ben-Gvir</a>, qui exigent que l’armée assure la sécurité de ces colons, qui sont leur électorat fidèle – ce qui s’est fait au détriment des populations vivant près de la bande de Gaza, qui votent de façon beaucoup plus hétérogène et ne sont donc pas considérées comme un électorat prioritaire.</p>
<p>Bref, la combinaison de l’aveuglement du renseignement, dû à la vision des dirigeants du pays, et de l’absence des troupes autour de la bande de Gaza a permis à cet assaut de se dérouler avec le bilan humain que l’on sait.</p>
<h2>Nétanyahou a déclaré vouloir former un gouvernement d’union nationale ; est-ce envisageable ?</h2>
<p>Ce sera compliqué. L’ancien premier ministre Yaïr Lapid a exigé, en contrepartie de son éventuelle entrée au gouvernement, le départ des ulra-religieux. Mais Nétanyahou peut-il se passer d’eux ? Il est possible qu’ils arrivent à un compromis à ce sujet. Aujourd’hui, il a endossé le costume de chef de guerre et montre les muscles, affirmant qu’il allait détruire le Hamas…</p>
<h2>Est-ce possible ?</h2>
<p>Non. Ces propos relèvent de la rhétorique purement politique, pas de la réalité. Le Hamas n’est pas une armée régulière, qu’on peut vaincre sur le champ de bataille et dont on peut obtenir la reddition. C’est une organisation paramilitaire très décentralisée, dont les combattants, qui se cachent dans des <a href="https://fr.timesofisrael.com/liveblog_entry/larmee-a-frappe-un-tunnel-du-hamas-situe-sous-une-tour-de-gaza/">tunnels</a>, sont très difficiles à débusquer. L’aviation israélienne n’y suffira pas.</p>
<p>Pour y parvenir, il faudrait entrer dans Gaza avec des chars et des milliers d’hommes, et il y aurait de très nombreuses victimes des deux côtés, aussi bien parmi les civils gazaouis que parmi les soldats israéliens. Ce à quoi il faut ajouter un autre facteur : celui des otages…</p>
<h2>Justement, que va faire le Hamas de tous les otages qu’il a emmenés à Gaza ? Entend-il les échanger contre des prisonniers palestiniens détenus en Israël ?</h2>
<p>Actuellement, le Hamas n’a aucun intérêt à négocier la libération des otages. Imaginez, simple hypothèse, que le mouvement obtienne la libération de tous ses prisonniers qui se trouvent actuellement en prison en Israël, et relâche les otages israéliens qu’il détient. Il perdrait alors un formidable bouclier humain ! Israël pourrait attaquer massivement la bande de Gaza, sans craindre de causer au passage la mort de ses ressortissants.</p>
<p>Il y aura peut-être des négociations, mais pas avant très longtemps. En attendant, ces otages seront sans doute disséminés partout à Gaza, contraignant l’armée à faire extrêmement attention à chaque décision de bombarder…</p>
<h2>Le processus de paix israélo-palestinien était déjà moribond ; ce qui vient de se passer constitue-t-il le dernier clou dans le cercueil ?</h2>
<p>Mais le processus de paix israélo-palestinien est mort depuis bien longtemps, au moins depuis <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2008/08/15/le-vrai-faux-plan-de-paix-d-ehoud-olmert_1084111_3218.html">Ehoud Olmert il y a quinze ans</a>. Maintenant, on n’en est plus à planter le dernier clou dans le cercueil ; on en est à jeter le cercueil à la mer ! C’est-à-dire que le sujet même de la paix a disparu. Ce que l’on constate aujourd’hui, c’est que même la population israélienne la plus modérée ne croit plus à la possibilité de la paix. Elle a vu les images des <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/attaque-du-hamas-contre-israel-au-moins-250-morts-dans-une-rave-party_6111351.html">massacres de civils commis par le Hamas le 7 octobre</a>, et elle a vu des Palestiniens de Cisjordanie en train de fêter bruyamment ces carnages. Nous sommes partis pour des années très sombres. Il n’y aura pas de retour en arrière.</p>
<h2>Quel avenir voyez-vous à Benyamin Nétanyahou ?</h2>
<p>Sa responsabilité est très grande. Il pensait qu’en établissant des relations diplomatiques avec un certain nombre de pays du monde arabe – alors que, des décennies durant, tous les observateurs affirmaient qu’il n’y aurait pas de normalisation israélo-arabe sans règlement de la question palestinienne – il avait démontré que la Palestine, finalement, n’était plus un sujet. Or la Palestine vient, dans une explosion de violence effarante, de se rappeler à son mauvais souvenir ; et dans un contexte pareil, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2023/10/09/attaque-du-hamas-le-rapprochement-entre-israel-et-l-arabie-saoudite-a-l-epreuve-de-la-guerre_6193318_3210.html">il est exclu que l’Arabie saoudite continue d’avancer vers un rapprochement avec Israël</a>.</p>
<p>Pour autant, au vu du traumatisme vécu par Israël ces 7-8 octobre, il n’est pas certain que Nétanyahou perde le pouvoir à brève échéance. Il avait perdu de sa popularité au cours de ces derniers mois à cause de sa posture <a href="https://theconversation.com/israel-sur-fond-de-tensions-croissantes-lattaque-frontale-du-gouvernement-contre-la-cour-supreme-198821">dans l’affaire de la Cour suprême</a>. Cette perte de popularité avait aussi concerné ses alliés ultra-religieux, et bénéficié avant tout au Parti de l’Unité nationale de Benny Gantz, qui vient en tête des sondages depuis des mois et qui pourrait rejoindre le gouvernement à brève échéance.</p>
<p>Remarquez que ni Gantz, ni Yaïr Lapid n’ont demandé le départ immédiat de Nétanyahou. Ils savent qu’une telle exigence serait impopulaire car elle serait perçue comme allant dans le sens du Hamas, puisqu’il s’agirait d’un affaiblissement du pouvoir israélien consécutif aux attaques du 7 octobre. Bref, Nétanyahou est encore là pour un moment, le Hamas aussi, et il est très difficile de trouver des raisons de se montrer optimiste…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215287/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Samy Cohen ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>La paix entre Israéliens et Palestiniens semble désormais un mirage plus lointain que jamais.Samy Cohen, Directeur de recherche émérite (CERI), Sciences Po Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2152432023-10-08T17:20:57Z2023-10-08T17:20:57ZIsraël-Palestine : les conséquences dévastatrices de l’assaut du Hamas<p>Il y a presque 50 ans jour pour jour, Israël n’avait pas su anticiper le déclenchement de la <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/07/world/middleeast/for-many-israelis-the-attacks-have-haunting-echoes-of-the-1973-yom-kippur-war.html">guerre du Kippour de 1973</a>, qui avait démarré par une attaque inattendue contre ses frontières par une coalition d’États arabes.</p>
<p>Aujourd’hui, il semble que les services de renseignement du pays aient à nouveau été victimes d’un faux sentiment de sécurité.</p>
<p>La conviction, largement partagée dans la société israélienne, que le Hamas ne chercherait pas à se lancer dans une confrontation militaire à grande échelle avec Tsahal pour se protéger et pour épargner de nouvelles souffrances aux habitants de Gaza a été anéantie par l’assaut surprise déclenché samedi matin, par voie aérienne, terrestre et maritime.</p>
<p>L’<a href="https://apnews.com/article/israel-palestinians-gaza-hamas-rockets-airstrikes-tel-aviv-11fb98655c256d54ecb5329284fc37d2">attaque</a> a commencé par un tir de barrage de plusieurs milliers de roquettes tirées sur Israël. Sous le couvert de ces roquettes, une opération terrestre de grande envergure, soigneusement coordonnée, est partie de Gaza et a pris pour cibles plus de 20 villes israéliennes et bases militaires adjacentes à la bande de Gaza.</p>
<p>Les pertes israéliennes, estimées actuellement à <a href="https://www.leparisien.fr/international/attaques-du-hamas-en-israel-le-conflit-a-deja-fait-pres-dun-millier-de-morts-08-10-2023-5CKB6FC7ONA3XDXAAUK5BLSZDA.php">plus de 600 morts et 2 000 blessés</a>, vont certainement augmenter dans les heures et les jours à venir.</p>
<p>Une mobilisation massive des réservistes de l’armée israélienne a été entamée, et des bombardements aériens ont frappé les installations et les postes de commandement du Hamas à Gaza. Plus de <a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/attaque-du-hamas-netanyahou-previent-que-la-guerre-sera-longue-les-dernieres-infos-JLLLTSA2JNAAFHPWDGKIZAYR3A/">370 victimes palestiniennes</a> ont été signalées jusqu’à présent à Gaza, et 1 700 personnes ont été blessées.</p>
<h2>Les calculs du Hamas</h2>
<p>Comme dans le cas de la <a href="https://israeled.org/resources/documents/agranat-yom-kippur-war/">guerre du Kippour</a>, de nombreuses analyses et enquêtes seront menées dans les semaines, les mois et les années à venir sur les échecs en matière de renseignement, d’opérations sécuritaires et de politique qui ont permis au Hamas de prendre ainsi Israël à défaut. L’assaut n’a apparemment pas été détecté par les services israéliens dans un premier temps, puis a pu se dérouler avec succès pendant des heures, les combattants du Hamas se retrouvant face à des forces israéliennes insuffisantes ou non préparées.</p>
<p>Comme en 1973, l’assaut a été lancé durant le sabbat et lors de la fête juive de Souccot. Les objectifs stratégiques du Hamas sont incertains à ce stade. Toutefois, la sévérité certaine des représailles israéliennes contre le mouvement – et, par conséquent, contre la population civile de Gaza – rend probable l’existence de considérations allant au-delà d’une simple vengeance contre les actions israéliennes.</p>
<p>L’enlèvement d’Israéliens en vue de les échanger par la suite contre des militants du Hamas emprisonnés en Israël est depuis longtemps un objectif majeur des opérations militaires du mouvement islamiste.</p>
<p>En 2011, un soldat israélien, Gilad Shalit, qui était détenu à Gaza depuis 2006, avait été <a href="https://www.europe1.fr/international/Gilad-Shalit-les-dessous-de-sa-liberation-338468">échangé</a> contre plus de 1 000 prisonniers palestiniens. Parmi ces prisonniers se trouvait <a href="https://www.theguardian.com/world/2017/feb/13/hamas-elects-hardliner-yahya-sinwar-as-its-gaza-strip-chief">Yahya Sinwar</a>, l’actuel chef du Hamas à Gaza, qui avait passé 22 ans dans une prison israélienne.</p>
<p>Les <a href="https://www.nytimes.com/2023/10/07/world/middleeast/hamas-hostages-israel-video.html">rapports</a> faisant état de dizaines d’Israéliens – dont de nombreux civils – capturés par le Hamas lors de l’assaut de ce week-end suggèrent qu’il pourrait s’agir là d’un motif central de l’attaque. Un nombre indéterminé d’otages détenus pendant des heures par des militants du Hamas dans deux villes du sud d’Israël ont été <a href="https://www.bbc.com/news/world-middle-east-67044255">libérés par la suite</a> par les forces spéciales israéliennes.</p>
<p>Un autre objectif du Hamas, plus large, pourrait être de saper les <a href="https://theconversation.com/rapprochement-arabie-saoudite-israel-le-difficile-pari-de-washington-213139">négociations en cours</a> entre les États-Unis et l’Arabie saoudite sur un accord visant à normaliser les relations entre le royaume et Israël.</p>
<p>Un échec de ces pourparlers serait une aubaine pour l’Iran, l’un des principaux soutiens du Hamas, et pour ses alliés. Téhéran a déclaré qu’il <a href="https://www.politico.eu/article/iran-hamas-attacks-against-israel-palestine-jerusalem/">soutenait</a> les attaques du Hamas contre Israël, mais on ne sait pas encore si l’Iran ou le Hezbollah (le groupe libanais chiite qui entretient un <a href="https://www.nytimes.com/2023/04/08/world/middleeast/rockets-lebanon-hamas-hezbollah-israel.html">partenariat croissant avec le Hamas</a>) ouvriront d’autres fronts dans les jours à venir, même si ce dernier a déjà <a href="https://www.bfmtv.com/international/moyen-orient/israel/attaques-du-hamas-en-israel-le-hezbollah-revendique-a-son-tour-des-tirs-vers-israel-depuis-le-liban_AV-202310080093.html">tiré des obus contre le territoire israélien le 8 octobre</a>.</p>
<p>Toute escalade du conflit en provenance de l’Iran ou du Liban serait très problématique pour Israël. Il en irait de même si la guerre contre le Hamas venait à exacerber les tensions déjà très sensibles et les affrontements violents entre Israël et les groupes militants palestiniens en Cisjordanie.</p>
<h2>Et maintenant ?</h2>
<p>Baptisée <a href="https://www.jpost.com/breaking-news/article-762075">« Glaives de fer »</a>, l’offensive de représailles d’Israël contre le Hamas à Gaza risque de durer longtemps.</p>
<p>Outre la nécessité de restaurer la confiance de la société israélienne dans son armée et de ressusciter la dissuasion militaire d’Israël face au Hamas et à d’autres ennemis, le gouvernement du premier ministre Benyamin Nétanyahou devra probablement faire face à d’autres défis qu’il lui sera compliqué de relever : le sort des dizaines d’otages israéliens ; les risques que courront les forces israéliennes en cas d’incursion terrestre, à Gaza ; et les menaces d’escalade sur d’autres fronts, notamment au Liban, en Cisjordanie et dans les villes mixtes juives et palestiniennes à l’intérieur d’Israël.</p>
<p>En outre, le soutien international pourrait rapidement s’éroder en cas d’opération majeure à Gaza, à mesure que le nombre de victimes palestiniennes, déjà élevé, s’accroîtra.</p>
<p>Les violences actuelles viennent à peine de commencer, mais elles pourraient devenir les plus sanglantes depuis des décennies, peut-être même depuis la <a href="https://en.wikipedia.org/wiki/1982_Lebanon_War">guerre</a> entre Israël et les Palestiniens au Liban dans les années 1980.</p>
<p>Comme nous l’avons indiqué, les Israéliens considéreront sans aucun doute qu’il est essentiel de restaurer leur pleine capacité de dissuasion militaire face au Hamas – ce qui, aux yeux de beaucoup, pourrait nécessiter une prise de contrôle militaire de la bande de Gaza. Cela aurait des conséquences encore plus dévastatrices pour la population civile de Gaza.</p>
<p>Aux yeux de nombreux Palestiniens, les événements de ce week-end ont offert aux Israéliens un petit aperçu de ce qu’a été leur propre vie pendant des décennies d’occupation. Toutefois, les premières célébrations se transformeront probablement bientôt en colère et en frustration, car le nombre de victimes civiles palestiniennes continuera d’augmenter. La violence engendre la violence.</p>
<p>À court et à moyen terme, le traumatisme causé par l’attaque-surprise du Hamas ne manquera pas d’avoir des conséquences considérables sur la politique intérieure d’Israël.</p>
<p>Dans ses mémoires de 2022, <a href="https://fr.timesofisrael.com/12-points-a-retenir-des-memoires-de-netanyahu/"><em>Bibi. Mon Histoire</em></a>, Benyamin Nétanyahou a évoqué sa décision, lors de l’opération israélienne <a href="https://www.nytimes.com/2012/11/23/world/middleeast/for-israel-gaza-conflict-a-practice-run-for-a-possible-iran-confrontation.html">« Pilier de défense »</a> menée contre le Hamas en 2012, de ne pas lancer un assaut terrestre israélien à Gaza.</p>
<p>Une telle attaque, explique-t-il dans le livre, aurait pu causer plusieurs centaines de victimes parmi les forces de défense israéliennes et plusieurs milliers de victimes parmi les Palestiniens, ce à quoi il s’opposait catégoriquement. Il a autorisé des incursions terrestres à deux autres occasions (opérations <a href="https://imeu.org/article/operation-cast-lead">« Plomb durci »</a> en 2008 et <a href="https://casebook.icrc.org/case-study/israelpalestine-operation-protective-edge-gaza-13-june-26-august-2014">« Bordure protectrice »</a> en 2014. Mais la prudence l’a emporté dans d’autres cas, parfois du fait des fortes pressions dont il a pu faire l’objet.</p>
<p>Au vu de la combinaison du traumatisme national de ce week-end et de la composition du <a href="https://www.lexpress.fr/monde/proche-moyen-orient/israel-pourquoi-ce-gouvernement-de-netanyahou-est-le-plus-a-droite-de-lhistoire-du-pays-WJKMLOJV2ZDPVFJFCOJZSCB23I/">gouvernement de Nétanyahou, considéré comme le plus à droite de l’histoire du pays</a>, il semble très peu probable qu’il fasse preuve de la même retenue dans les jours à venir.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/215243/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Eyal Mayroz ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Les Israéliens pourraient décider de prendre militairement le contrôle de la bande de Gaza.Eyal Mayroz, Senior Lecturer in Peace and Conflict Studies, University of SydneyLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2096332023-08-16T18:38:39Z2023-08-16T18:38:39ZLa Chine, un médiateur au centre de l’échiquier géopolitique mondial ?<p>En mars dernier, après sept ans de rupture, l’Iran et l’Arabie saoudite ont rétabli leurs relations, à l’issue d’une <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">médiation chinoise</a>. Pékin ne souhaite pas s’en tenir à ce succès, et poursuit son activisme diplomatique dans de nombreux autres dossiers. Au début de l’année, la RPC avait proposé <a href="https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20230228-le-document-en-12-points-de-p%C3%A9kin-pour-un-r%C3%A8glement-politique-de-la-crise-ukrainienne">« une position sur le règlement politique de la crise ukrainienne »</a> et fait savoir qu’elle espérait y « jouer un rôle constructif dans la promotion des pourparlers ». Aujourd’hui, elle aspire à jouer un rôle de médiateur dans le conflit israélo-palestinien.</p>
<p>La RPC se présente plus que jamais comme une puissance soucieuse de restaurer la paix et maintenir la stabilité. Selon l’historien <a href="https://www.thenation.com/article/world/china-ukraine-russia-peace-talks/">Alfred Mc Coy</a>, cette approche – qui séduit de plus en plus les pays du Sud – révélerait la transformation profonde des rapports de force internationaux :</p>
<blockquote>
<p>« Depuis plus de 200 ans, les conférences de paix ne se contentent pas de résoudre des conflits ; elles signalent régulièrement l’arrivée au centre de la scène d’une nouvelle puissance mondiale […]. De l’entente irano-saoudienne à la visite de Macron à Pékin, nous sommes peut-être en train d’observer les premiers signes de l’évolution de la politique internationale. »</p>
</blockquote>
<p>En cherchant à relancer les pourparlers entre Israéliens et Palestiniens, la Chine entend occuper un vide et signaler la fin d’une ère occidentale dans laquelle les États-Unis jouaient un rôle majeur.</p>
<h2>« Courtiers en tromperie » et « honnête courtier »</h2>
<p>Si la Chine peut se positionner en tant que médiateur entre Israéliens et Palestiniens, c’est avant tout parce que ce rôle n’est plus vraiment assumé par les États-Unis. <a href="https://www.ipinst.org/2013/04/khalidi-questions-u-s-honest-broker-role-in-mideast">La plupart des analystes</a> conviennent que Washington n’a pas été un « courtier honnête ». L’historien <a href="https://www.jadaliyya.com/Details/28309">Rashid Khalidi</a>, directeur du département du Moyen-Orient à l’université Columbia, <a href="http://www.beacon.org/Brokers-of-Deceit-P1029.aspx">estime</a> que Washington n’avait jamais véritablement recherché une résolution pacifique au conflit. Selon lui, les Américains, qui n’ont cessé de donner des gages au pouvoir israélien et orienté les discussions à l’avantage de Tel-Aviv, ont hypothéqué toute perspective de règlement.</p>
<p>[<em>Près de 80 000 lecteurs font confiance à la newsletter de The Conversation pour mieux comprendre les grands enjeux du monde</em>. <a href="https://theconversation.com/fr/newsletters/la-newsletter-quotidienne-5?utm_source=inline-70ksignup">Abonnez-vous aujourd’hui</a>]</p>
<p>Ce point de vue est partagé par le chercheur américain <a href="https://blogs.lse.ac.uk/mec/2018/09/04/book-review-seth-anziskas-preventing-palestine-a-political-history-from-camp-david-to-oslo/">Seth Anziska</a> qui examine l’échec du processus de paix en retraçant, selon ses termes, « la généalogie d’un non-événement ». L’asymétrie profonde entre la partie israélienne et palestinienne, explique-t-il, a été entretenue par les administrations américaines successives. Il rappelle que Washington a apporté un soutien inconditionnel à son allié, allant jusqu’à considérer que la poursuite de la colonisation dans les territoires occupés ne constitue pas un obstacle à la conclusion d’un accord de paix.</p>
<p>Si les accords d’Oslo I et II (en 1993 et 1995) ont créé un temps l’illusion qu’ils aboutiraient à la création d’un État palestinien – jamais mentionné dans les textes –, celle-ci a fini par se dissiper. <a href="https://journals.openedition.org/remmm/9501">Les travaux universitaires les plus sérieux</a> ont démontré que le processus de paix n’était qu’un mirage. Bien qu’il ait permis la création d’un appareil d’État palestinien intégré au dispositif d’occupation, il n’a jamais eu vocation à donner naissance à un État palestinien.</p>
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<iframe width="440" height="260" src="https://www.youtube.com/embed/LTSlxLwg2Mo?wmode=transparent&start=0" frameborder="0" allowfullscreen=""></iframe>
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<p>L’enlisement du processus de paix dans les années 1990, l’échec tonitruant du sommet de Camp David et la relance de l’Intifada en septembre 2000 ont éloigné toute perspective de solution au conflit. Durant cette période, l’implication américaine résolue aux côtés d’Israël <a href="https://www.e-ir.info/2021/12/13/israels-qualitative-military-edge-u-s-arms-transfer-policy/">a permis de maintenir la supériorité militaire qualitative</a> de Tel-Aviv, qui lui garantit une <a href="https://www.e-ir.info/2021/12/13/israels-qualitative-military-edge-u-s-arms-transfer-policy/">suprématie régionale</a>. L’engagement de Washington se matérialise par une aide financière substantielle et la fourniture d’armements qui traduisent la pérennité d’un lien organique avec son allié israélien.</p>
<p>Les tentatives de relance des pourparlers se sont systématiquement soldées par un échec en raison de l’intransigeance de la partie israélienne, qui n’a jamais consenti au moindre compromis (<a href="https://www.lepoint.fr/monde/israel-refuse-toute-limitation-a-la-colonisation-a-jerusalem-est-16-11-2014-1881557_24.php#11">refus de mettre un terme à la colonisation</a> et de <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/04/03/97001-20140403FILWWW00288-israel-annule-une-liberation-de-prisonniers.php">libérer les prisonniers palestiniens</a>, <a href="https://fr.timesofisrael.com/netanyahu-a-rejete-un-plan-de-paix-regionale-en-2016-media/">rejet de la solution à deux États</a>). En dépit de cette impasse structurelle, la Chine – qui cherche à remettre en cause la prééminence mondiale des États-Unis – espère ressusciter un processus au point mort depuis 2014.</p>
<h2>La Palestine favorable à une médiation chinoise</h2>
<p>Sur ce dossier, Pékin dispose de deux atouts majeurs. D’une part, une relance de <a href="https://www.cairn.info/revue-confluences-mediterranee-2002-4-page-59.htm">l’initiative arabe de paix de 2002</a> serait <a href="https://www.arabnews.com/node/2285796">vue d’un bon œil par les pays arabes</a> engagés dans la voie de la normalisation avec Israël.</p>
<p>De l’autre, la proposition chinoise de médiation rencontre un écho positif auprès des Palestiniens. <a href="https://www.arabnews.com/node/2303361/middle-east">80 % d’entre eux</a> seraient favorables à une médiation chinoise qui faciliterait les pourparlers entre les deux parties (60 % des répondants estiment que les États-Unis ne constituent pas un médiateur crédible).</p>
<p>En juin dernier, le président de l’Autorité palestinienne, reçu à Pékin, a également <a href="https://www.haaretz.com/israel-news/2023-06-18/ty-article/.premium/giving-up-on-the-u-s-palestinian-president-abbas-turns-to-china/00000188-cc4f-d01e-a3fe-deefe4e90000">appelé la Chine à faire pression sur Israël</a> pour favoriser une solution au conflit israélo-palestinien. La RPC n’a toutefois pas de leviers pour amener les Israéliens à la table des négociations.</p>
<h2>Pour Tel-Aviv, pas d’équidistance entre Pékin et Washington</h2>
<p>Pékin a développé des relations militaires et commerciales étroites avec Tel-Aviv au cours des dernières décennies. En 2017, un <a href="http://french.xinhuanet.com/2017-03/22/c_136148156.htm">partenariat global novateur</a> a été conclu pour intensifier la coopération dans tous les domaines, notamment technologique (<a href="https://www.newsweek.com/2022/08/19/china-targets-israeli-technology-quest-global-dominance-us-frets-1727108.html">sur 507 accords commerciaux bilatéraux conclus entre 2002 et 2022, 492 concernent le secteur technologique</a>). Troisième partenaire commercial d’Israël après l’UE et les États-Unis, Pékin investit dans la construction et la modernisation des infrastructures israéliennes.</p>
<p><div data-react-class="Tweet" data-react-props="{"tweetId":"1618923002309251074"}"></div></p>
<p>Pour autant, Israël reste soucieux de sécuriser les intérêts américains. En 2021, la <a href="https://www.courrierinternational.com/article/les-etats-unis-inquiets-de-linfluence-croissante-de-la-chine-en-israel-sirius">Chine a implanté dans le port de Haïfa un terminal automatisé de containers</a> au grand dam de Washington – qui redoutait l’installation d’une technologie de surveillance chinoise susceptible d’espionner la Sixième Flotte américaine. En dépit des investissements colossaux chinois, c’est finalement <a href="https://www.businesstoday.in/latest/corporate/story/adani-paid-entire-12-bn-to-acquire-haifa-port-says-israels-envoy-to-india-371112-2023-02-22">l’Inde qui a pris le contrôle du plus grand port d’Israël</a>.</p>
<p>Par ailleurs, en 2022, les agences de sécurité israéliennes ont également <a href="https://mosaicmagazine.com/essay/israel-zionism/2022/09/no-israel-isnt-falling-into-chinas-orbit/">intensifié la lutte contre l’espionnage des entreprises chinoises</a> qui tentent d’obtenir l’accès aux technologies militaires israéliennes.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-puissance-scientifique-et-technologique-chinoise-de-limitation-au-leadership-mondial-209768">La puissance scientifique et technologique chinoise : de l’imitation au leadership mondial</a>
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<p>Enfin, le secteur technologique israélien <a href="https://www.middleeasteye.net/fr/opinion-fr/comment-la-technologie-despionnage-israelienne-penetre-au-plus-profond-de-nos-vies">s’est développé en utilisant les territoires occupés comme laboratoire d’essai</a> des nouveaux systèmes d’armes et outils de surveillance et de contrôle des populations. Le <a href="https://theconversation.com/derriere-pegasus-le-mode-demploi-dun-logiciel-espion-164742">logiciel espion Pegasus</a> exporté dans le monde en est un exemple édifiant.</p>
<p>Force est donc de constater que Pékin a peu de chance de modifier la ligne politique d’Israël. En avril dernier, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou a, en outre, laissé entendre que pour Tel-Aviv, les <a href="https://www.cnbc.com/2023/04/19/benjamin-netanyahu-israel-cautions-saudi-about-iran-after-china-deal.html">États-Unis restent perçus comme le seul médiateur valable</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Nous respectons la Chine, nous traitons beaucoup avec elle. Mais nous savons aussi que nous avons une alliance indispensable avec notre grand ami, les États-Unis. »</p>
</blockquote>
<h2>Une implication avant tout stratégique</h2>
<p>Même si les efforts diplomatiques de la Chine ne sont pas couronnés de succès, Pékin a tout de même intérêt à promouvoir la <em>Pax Sinica</em> (paix chinoise). Dans une stratégie de remise en cause de l’ordre international américain, la coopération avec les pays du Moyen-Orient revêt un intérêt crucial. Nombre d’entre eux se sont émancipés de la tutelle de Washington pour défendre leurs intérêts souverains. <a href="https://www.bloomberg.com/news/articles/2022-10-26/xi-s-vow-of-world-dominance-by-2049-sends-chill-through-markets">Xi Jinping souhaite ériger la Chine au rang de première puissance mondiale en 2049</a> : cela impose de prendre la main sur des dossiers et des espaces jusque-là réservés aux États-Unis.</p>
<p>Comme le note le géopolitologue <a href="https://thediplomat.com/2022/07/the-impact-and-implications-of-chinas-growing-influence-in-the-middle-east/">Nadeem Ahmed Moonakal</a> :</p>
<blockquote>
<p>« Pékin croit en l’idée de la paix par le développement en renforçant les “perceptions partagées de la sécurité”. Cela diffère de la “perception traditionnelle de la sécurité” menée par l’Occident, qui se concentre sur la recherche de la sécurité par la défaite de l’ennemi et le maintien d’alliances militaires exclusives. »</p>
</blockquote>
<p>À cet égard, Pékin a resserré les liens avec les pays de la région par des initiatives diplomatiques (sommets Chine-États arabes ou Chine-Conseil de coopération des États arabes du Golfe en 2022) et des <a href="https://gjia.georgetown.edu/2023/06/02/chinas-increasing-role-in-the-middle-east-implications-for-regional-and-international-dynamics/">partenariats stratégiques et protocoles d’accord pour ses activités économiques</a>. Ils se concrétisent surtout par des projets d’investissement estampillés « <a href="https://theconversation.com/la-nouvelle-route-de-la-soie-une-strategie-dinfluence-mondiale-de-la-chine-75084">Nouvelles routes de la soie</a> » (<em>Belt and Road Initiative</em>), qui sont les principaux leviers de la politique étrangère chinoise.</p>
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À lire aussi :
<a href="https://theconversation.com/la-tentation-chinoise-du-liban-149677">La tentation chinoise du Liban</a>
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<p><a href="https://carnegieendowment.org/2023/06/27/china-s-rising-influence-in-middle-east-pub-90053">En approfondissant ses liens avec les pays du Moyen-Orient</a>, la Chine cherche à mettre en échec la <a href="https://cejiss.org/images/issue_articles/2019-volume-13-issue-3/08-teixera.pdf">stratégie américaine d’endiguement</a>. Par son action, elle remodèle le paysage régional. Cette nouvelle configuration devrait à terme remettre en question la prédominance des États-Unis. Ceux-ci ont de plus en plus de difficultés à s’appuyer sur les puissances régionales pour perpétuer l’ordre international américain. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/209633/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Lina Kennouche ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après sa médiation réussie entre l’Iran et l’Arabie saoudite, la Chine souhaite s’impliquer dans le conflit israélo-palestinien. Quelle est la portée de cette dynamique diplomatique ?Lina Kennouche, Docteur en géopolitique, Université de LorraineLicensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2063662023-05-25T16:48:57Z2023-05-25T16:48:57ZLes Turcs de l’étranger, un électorat acquis à Erdogan ?<p>Les résultats des élections législatives et du premier tour de la présidentielle turque de ce 14 mai 2023 ont été accueillis avec une certaine surprise par les médias français suivant la campagne, dans la mesure où nombre d’entre eux <a href="https://www.tf1info.fr/actualite/election-la-fin-de-l-ere-recep-tayyip-erdogan-une-presidentielle-cruciale-en-turquie-13304/">avaient annoncé</a> dans les jours précédents la fin de <a href="https://www.lopinion.fr/international/election-presidentielle-en-turquie-la-fin-de-lere-erdogan/">« l’ère »</a> ou du <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/turquie/presidentielle-en-turquie-la-fin-du-regne-erdogan_5814086.htm">« règne »</a> de Recep Tayyip <a href="https://theconversation.com/fr/topics/recep-tayyip-erdogan-21581">Erdogan</a>.</p>
<p>Un étonnement qui peut s’expliquer à la fois par les <a href="https://www.courrierinternational.com/article/elections-turquie-une-defaite-d-erdogan-au-premier-tour-n-est-plus-a-exclure">nombreux sondages</a> qui donnaient le président sortant défait par la coalition hétéroclite de six partis ayant fait front commun pour essayer de le faire chuter après 20 ans au pouvoir, mais aussi par une tendance au « wishful thinking » illustrant l’espoir du paysage politico-médiatique français de voir perdre le chef d’État turc.</p>
<p>Par exemple, parmi les Turcs de France amenés à livrer leurs analyses, seuls des opposants au gouvernement sortant ont été <a href="https://www.france.tv/france-5/c-ce-soir/c-ce-soir-saison-3/4840510-erdogan-la-fin-d-une-ere.html">invités à développer leur point de vue sur le sentiment politique national</a>, au détriment des sympathisants du président Erdogan. Un biais qui alimente le discours gouvernemental turc sur les <a href="https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/complorama/la-turquie-complotiste-a-l-heure-de-l-election-presidentielle_5842877.html">« complots étrangers » visant à faire chuter le gouvernement</a>, et qui contribue également à invisibiliser le vote des Turcs de France.</p>
<p>Ces derniers, comme la majorité des Turcs installés à l’étranger, sont en effet très majoritairement favorables au parti au pouvoir depuis l’ouverture des urnes dans les consulats de Turquie à l’occasion de l’élection présidentielle de 2014 qui fut la première à sacrer Recep Tayyip Erdogan. Jusqu’alors, le vote des ressortissants turcs n’était possible que depuis les postes-frontières de la Turquie, ce qui limitait bien plus la participation des expatriés.</p>
<h2>Les Turcs de l’étranger, un réservoir de voix pour Erdogan</h2>
<p>Avec 49,52 % des 55 833 000 suffrages exprimés au premier tour, il n’a manqué que 268 000 voix au président sortant pour être réélu dimanche 14 mai pour un troisième mandat présidentiel consécutif.</p>
<p>Or, sur l’ensemble des urnes dépouillées hors des frontières turques, l’actuel chef d’État a rassemblé 57,5 % des suffrages avec 1 047 740 électeurs, pour un taux de participation total des Turcs de l’étranger de seulement 50,73 %, alors que 88,82 % des votants se sont déplacés en Turquie. Une baisse de l’abstention des expatriés pourrait ainsi à elle seule suffire à faire réélire le président lors du second tour.</p>
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<p>Le chef de l’État et son gouvernement sont effectivement plus populaires auprès des ressortissants turcs qu’auprès des électeurs vivant en Turquie, comme l’illustrent les scores obtenus par Recep Tayyip Erdogan dans les quatre pays étrangers où les citoyens turcs sont le plus nombreux.</p>
<p>En Allemagne (avec 65,5 % des suffrages pour 475 593 électeurs), en France (64,8 %, 126 572), aux Pays-Bas (68,4 %, 98 265) et en Belgique (72,3 %, 50 318) il a ainsi à chaque fois obtenu un <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2023/dunya-secim-sonuclari">score qui aurait suffi à le faire réélire dès le premier tour</a>.</p>
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<p>Un large soutien que l’on retrouve également au niveau local dans la quasi-totalité des <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2023/yurtdisi-fransa-secim-sonuclari">neuf bureaux de vote installés sur le territoire français</a>, avec des scores plébiscitaires à Clermont-Ferrand (90,9 %), Lyon (86,3 %) et Orléans (85,8 %) ; d’autres larges victoires à Strasbourg (70,9 %), Mulhouse (65,8 %), Nantes (65,7 %) et Bordeaux (57,3 %) ; un résultat plus serré à Paris (51,2 %) et une seule défaite, à Marseille (42,8 % contre 56,3 % pour son principal adversaire, Kemal Kiliçdaroglu).</p>
<p>Ces résultats du candidat Erdoğan en France sont même meilleurs que lors de la présidentielle précédente, en 2018, quand il n’avait remporté « que » <a href="https://www.yenisafak.com/secim-cumhurbaskanligi-2018/yurtdisi-fransa-secim-sonuclari">63,7 % des suffrages dans le pays</a>, ce qui ne l’avait pas empêché d’être réélu dès le premier tour avec 52,6 % des voix sur l’ensemble des votants. En 2014, il avait rassemblé déjà <a href="https://www.memurlar.net/secim/haziran-2018-secim-sonuclari/cb-dunya.html">63,68 % des suffrages</a> dans les bureaux de vote installés sur le territoire français (il avait alors aussi été élu au premier tour, avec 51,79 %).</p>
<h2>Le cas de la France dans le paysage politique turc</h2>
<p>Lors des précédents scrutins, la France avait fait l’objet d’une campagne électorale à part entière, avec la venue de plusieurs personnalités du Parti de la Justice et du Développement) (AKP) au pouvoir. Le chef d’État en personne avait même pris part à de véritables meetings électoraux à Paris en 2010, Lyon en 2014 et <a href="https://www.francetvinfo.fr/elections/presidentielle/turquie-un-meeting-pro-erdogan-a-metz-fait-polemique_2094869.html9">Metz en 2017</a>.</p>
<p>Des rassemblements comparables ont également eu lieu à l’instigation des partis de l’opposition, comme le Parti démocratique des Peuples (HDP), dont certains députés et autres représentants sont participé à des débats citoyens en France, notamment <a href="https://www.kedistan.net/2018/05/28/meeting-marseille-garo-paylan/">à Marseille en 2018</a> à l’invitation d’associations arméniennes et kurdes locales. La spécificité du bassin électoral marseillais, plutôt favorable aux candidats anti-Erdoğan en 2023 comme en 2018 et 2014 – quand le président fut chaque fois au coude à coude avec le candidat du HDP, <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20210528-turquie-l-opposant-kurde-selahattin-demirtas-de-nouveau-condamn%C3%A9">Selahattin Demirtas, désormais emprisonné en Turquie</a> –, s’explique par <a href="https://www.researchgate.net/publication/346786184_Le_developpement_transnational_de_la_cause_kurde_etude_du_foyer_d%E2%80%99implantation_militante_en_region_marseillaise">l’implantation ancienne de réseaux kurdes et d’une importante diaspora arménienne</a> opposés aux gouvernements turcs successifs.</p>
<p>L’électorat turc présent sur le reste du territoire français est surtout constitué de personnes arrivées à la suite de la signature d’un <a href="https://www.persee.fr/doc/pop_0032-4663_1973_num_28_2_15411">accord d’envoi de main-d’œuvre signé avec la Turquie en 1965</a>, en grande partie issues des régions rurales de l’Anatolie, majoritairement acquises à l’AKP et à Erdoğan. De plus, cette population d’émigrés économiques et de leurs descendants est depuis longtemps particulièrement <a href="https://www.researchgate.net/publication/346786034_Les_Turcs_de_l%E2%80%99etranger_au_coeur_de_la_strategie_d%E2%80%99influence_internationale_d%E2%80%99Erdogan_etude_du_cas_franco-europeen">courtisée par les organisations de l’islam politique turc transnational</a>, dont le président turc est issu. Elle est aussi souvent ciblée par les discours nationalistes visant à renforcer les liens de la Turquie avec ses ressortissants résidant au-delà de ses frontières.</p>
<h2>Une exportation des dérives du système électoral turc</h2>
<p>L’une des principales réussites politiques du chef de l’État turc – en tant que premier ministre puis président, depuis 2003 – est justement d’avoir consolidé la synthèse entre l’islamisme et le nationalisme, comme l’illustre la coalition gouvernementale qu’il a formée avec le Parti d’Action nationaliste (MHP, extrême droite d’inspiration fasciste) depuis les élections de 2018. Ce parti qui va lui permettre à nouveau de former un gouvernement de coalition majoritaire à la suite des élections législatives de cette année avec ses 50 députés, est également l’organisation mère de la mouvance des « Loups gris ».</p>
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<p>Les « Loups gris » désignent une milice rassemblant de jeunes militants du parti qui a été, en France, officiellement <a href="https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/11/02/le-gouvernement-annonce-la-dissolution-des-loups-gris-mouvement-ultranationaliste-turc_6058211_823448.html">dissoute par un décret du Conseil des ministres en 2020</a>, suite à des manifestations violentes contre la communauté arménienne de Décines. De nouvelles violences ont eu lieu cette année dans cette même ville de l’agglomération lyonnaise dans le cadre des élections turques, puisque des assesseurs censés garantir le bon déroulé du scrutin et issus du Parti de la Gauche Verte (YSP) <a href="https://www.lepoint.fr/societe/presidentielle-en-turquie-des-opposants-d-erdogan-agresses-pres-de-lyon-12-05-2023-2519875_23.php">ont été agressés</a> lors de la fermeture du bureau de vote installé dans la commune pour les électeurs turcs de la région de Lyon.</p>
<p>La tenue même du scrutin dans des locaux d’ordinaire utilisés par l’organe consulaire du ministère des Affaires religieuses turques – l’Union des Affaires culturelles turco-islamiques (DITIB, <em>Diyanet İşleri Türk İslam Birliği</em>) de Lyon – <a href="https://www.leprogres.fr/politique/2023/05/11/elections-turques-la-deputee-tanzilli-saisit-le-procureur">pose par ailleurs question</a>, dans la mesure où la <a href="https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043964778">loi contre le séparatisme</a> votée le 24 août 2021 en France interdit justement d’organiser des élections dans des bâtiments « servant habituellement à l’exercice du culte ou utilisés par une association cultuelle ». Or la Turquie est officiellement un État laïc au même titre que la France, bien que les <a href="https://www.lexpress.fr/monde/europe/france-turquie-deux-laicites-que-tout-oppose_2137862.html">deux conceptions nationales de cette notion de laïcité soient profondément différentes</a>.</p>
<p>Reste qu’il peut demeurer gênant pour une partie de l’électorat turc lyonnais de se rendre dans un lieu associé à la pratique de l’islam sunnite, notamment dans la mesure où le principal opposant au président Erdoğan lors de cette élection a lui-même <a href="https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/05/10/elections-en-turquie-en-se-revendiquant-alevi-kemal-kilicdaroglu-a-brise-un-tabou_6172737_3232.html">proclamé son appartenance au mouvement religieux alévi</a>. Un culte traditionnellement marginalisé par l’organe gouvernemental responsable des affaires religieuses en Turquie comme à l’étranger, et qui est justement accusé d’être propriétaire des lieux dans lesquels a été organisé le vote des ressortissants turcs habitant dans la région de Lyon.</p>
<h2>Une polarisation croissante</h2>
<p>Cette transposition de la polarisation de plus en plus profonde du système politique turc s’observe dans cet exemple lyonnais mais aussi à Marseille, où des affrontements ont <a href="https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/marseille/presidentielle-en-turquie-une-bagarre-a-l-arme-blanche-dans-un-bureau-de-vote-a-marseille-2764382.html">également eu lieu à proximité du bureau de vote des Turcs de la région lors de ces élections</a>, ou encore en Allemagne, près de Stuttgart, où une dispute apparemment liée à ce même scrutin aurait fait <a href="https://tr.euronews.com/2023/05/11/almanyada-secim-kavgasi-iddiasi-mercedes-fabrikasinda-2-turk-isci-oldu">deux morts parmi des ouvriers turcs</a>.</p>
<p>Le comportement électoral des Turcs de l’étranger illustre ainsi l’évolution politique de la Turquie, dans la mesure où la persistance du soutien des expatriés au gouvernement actuel et au chef de l’État reflète leur popularité constante auprès d’une large base militante… mais aussi l’intégration de la synthèse idéologique islamo-nationaliste gouvernementale et de la rhétorique agressive qui l’accompagne par cet électorat qui n’hésite plus, dès lors, à s’en prendre directement à ses opposants, à l’étranger autant comme en Turquie. </p>
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<img alt="" src="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=237&fit=clip" srcset="https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=1 600w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=2 1200w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=600&h=306&fit=crop&dpr=3 1800w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=45&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=1 754w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=30&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=2 1508w, https://images.theconversation.com/files/496784/original/file-20221122-12-xtvhsq.jpg?ixlib=rb-1.1.0&q=15&auto=format&w=754&h=385&fit=crop&dpr=3 2262w" sizes="(min-width: 1466px) 754px, (max-width: 599px) 100vw, (min-width: 600px) 600px, 237px">
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<p><em>Nous proposons cet article dans le cadre du Forum mondial Normandie pour la Paix organisé par la Région Normandie les 28 et 29 septembre 2023 et dont The Conversation France est partenaire. Pour en savoir plus, visiter le site du <a href="https://normandiepourlapaix.fr/">Forum mondial Normandie pour la Paix</a></em>.</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/206366/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Rémi Carcélès bénéficie d'une bourse doctorale financée par l'Université d'Aix-Marseille ainsi que de fonds alloués par l'Institut des Hautes Études du Ministère de l'Intérieur (IHEMI), dans le cadre de son travail de recherche - portant sur "la transposition des conflits nationaux en contexte migratoire par l'étude des militantismes turcs, kurdes et arméniens en France" - il est notamment amené à côtoyer régulièrement des associations militantes turques pouvant être en lien avec des organisations mentionnées dans cet article.</span></em></p>Recep Tayyip Erdogan et son parti obtiennent de bien meilleurs scores auprès des Turcs installés en Europe occidentale qu’en Turquie même. Les élections de mai 2023 l’ont encore confirmé.Rémi Carcélès, Doctorant en science politique, Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.tag:theconversation.com,2011:article/2056932023-05-17T18:13:24Z2023-05-17T18:13:24ZBachar Al-Assad à la Ligue arabe : le retour du pestiféré syrien sur la scène internationale<p>Ce 19 mai, <a href="https://theconversation.com/fr/topics/bachar-al-assad-20956">Bachar Al-Assad</a> devrait se rendre à Riyad pour assister au sommet annuel de la <a href="https://www.donneesmondiales.com/alliances/ligue-arabe.php">Ligue arabe</a>.</p>
<p>Le dictateur syrien n’avait plus été convié à ces rencontres depuis mars 2010. En novembre 2011, Damas avait été <a href="https://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/11/12/la-ligue-arabe-exclut-la-syrie-et-exige-des-sanctions_1603010_3218.html">suspendu de la Ligue</a>, du fait de la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/syrie-la-repression-meurtriere-persiste-malgre-l-ultimatum-des-arabes-17-11-2011-1397430_24.php">violence extrême de la répression</a> qu’il avait déclenchée à l’égard de son opposition intérieure.</p>
<p>Mais le 7 mai dernier, la Syrie a été <a href="https://www.lefigaro.fr/flash-actu/la-ligue-arabe-reintegre-le-regime-syrien-apres-11-ans-d-absence-20230507">réintégrée</a> ; et le 11 mai, son président a reçu une <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230510-bachar-al-assad-invit%C3%A9-par-l-arabie-saoudite-au-sommet-de-la-ligue-arabe">invitation officielle signée du roi Salmane d’Arabie saoudite</a>.</p>
<p>Ce retour par la grande porte consacre la réhabilitation du régime de Damas au niveau régional. Il constitue aussi, plus largement, le dernier acte dans la reconstitution d’un « Concert arabe » (par analogie avec le Concert européen établi suite au Congrès de Vienne de 1815) que la <a href="https://theconversation.com/fr/topics/printemps-arabe-27888">vague révolutionnaire de 2011</a> avait temporairement disloqué.</p>
<p>Toutefois, derrière l’apparente unité retrouvée de ce que le politiste Farid El Khazen avait jadis qualifié de <a href="https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2006-1-page-59.htm">« cartel autoritaire »</a>, des différences d’approche à l’égard de la question syrienne subsistent entre les États arabes.</p>
<h2>Ces pays qui ont impulsé la réhabilitation de Damas : Irak, Algérie, Émirats, Bahreïn…</h2>
<p>Pour des raisons diverses, plusieurs des 22 États membres de la Ligue arabe avaient dès le départ affiché des réticences face à la suspension de la Syrie décidée en 2011 à l’instigation du Qatar et de l’Arabie saoudite.</p>
<p>Attaché à une stricte neutralité dans les conflits régionaux, Oman avait été la seule monarchie du Golfe à refuser de fermer son ambassade à Damas et, dès 2015, avait accueilli une <a href="https://www.france24.com/fr/20150807-oman-suisse-mediateur-moyen-orient-diplomatie-yemen-ibadisme-qabous-iran-arabie-saoudite">visite officielle du ministre syrien des Affaires étrangères</a>.</p>
<p>Dominés par des partis proches de l’Iran, allié du régime syrien, les gouvernements libanais et irakien rejetaient également l’ostracisation d’Assad. L’Algérie avait <a href="https://sana.sy/fr/?p=26420">adopté une ligne similaire</a> pour des raisons tenant à la fois à une opposition de principe aux ingérences étrangères dans les affaires des États de la région, et à une mise en parallèle du conflit syrien avec l’insurrection islamiste que le pays avait connue dans les années 1990.</p>
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<p>C’est en 2018, suite à la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/des-rebelles-remettent-leurs-armes-dans-le-centre-de-la-syrie-04-05-2018-2215815_24.php">reprise des régions rebelles du Sud et du centre</a> de la Syrie par les forces loyalistes, que le groupe des pays arabes favorables à la réhabilitation d’Assad commence à s’élargir.</p>
<p>Le mouvement est lancé par les Émirats arabes unis et le royaume du Bahreïn qui, fin 2018, <a href="https://www.lemonde.fr/international/article/2018/12/27/syrie-les-emirats-rouvrent-leur-ambassade-a-damas_5402756_3210.html">rouvrent leurs ambassades à Damas</a>. Tant Abu Dhabi que Manama avaient jusqu’alors suivi une ligne ambiguë vis-à-vis de la question syrienne. Farouchement hostiles aux mouvements révolutionnaires de 2011 (qui avaient <a href="https://www.cairn.info/revue-tumultes-2012-1-page-213.htm">menacé la monarchie bahreïnie sur son propre sol</a>), les deux monarchies avaient soutenu certains éléments de l’opposition syrienne afin d’y réduire le poids relatif des islamistes. Parallèlement, elles continuaient d’accueillir non seulement des ambassades du gouvernement de Damas, mais aussi des figures proches du régime (dont la <a href="https://www.reuters.com/article/us-syria-crisis-bushra-idUSBRE88Q1LS20120927">propre sœur d’Assad, Bouchra</a>) désireuses de se mettre à l’abri, avec leurs fortunes, lorsque les combats faisaient rage en Syrie.</p>
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<p>Une fois acquise la victoire militaire du régime de Damas, se rapprocher de ce dernier relève, pour les monarchies concernées, d’une volonté de fermer définitivement la parenthèse des mouvements révolutionnaires du début de la décennie, dont les répliques de 2019 (en <a href="https://www.liberation.fr/planete/2019/10/25/en-irak-une-journee-de-manifestation-sanglante_1759713/">Irak</a>, en <a href="https://theconversation.com/larmee-algerienne-a-lepreuve-du-mouvement-citoyen-du-hirak-131798">Algérie</a>, au <a href="https://www.bbc.com/afrique/region-47899322">Soudan</a> et au <a href="https://theconversation.com/les-libanais-entre-exaltation-et-angoisse-vent-debout-contre-la-corruption-des-elites-125610">Liban</a>) vont bientôt montrer qu’ils ne sont pas un simple souvenir. Pour les Émirats, reprendre langue avec Assad s’inscrit également dans une stratégie d’endiguement de l’influence de la Turquie, alors à couteaux tirés avec Damas.</p>
<h2>Avec Joe Biden, la fin de l’inflexibilité américaine</h2>
<p>L’ouverture de 2018 était initialement restée sans lendemain du fait des sévères avertissements de l’administration Trump à l’endroit de ses alliés régionaux et de la mise en œuvre, l’année suivante, de <a href="https://www.aljazeera.com/news/2021/3/9/us-sanctions-challenge-syrias-return-to-arab-fold-says-uae">nouveaux trains de sanctions américaines</a> et <a href="https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2019/03/04/syria-eu-adds-7-ministers-to-sanctions-list/">européennes</a> contre la Syrie.</p>
<p>Il a donc fallu attendre l’arrivée de Joe Biden en 2021 pour que reprennent les tentatives de réhabiliter Assad. Divisé entre tenants de l’intransigeance (<a href="https://www.reuters.com/world/us-lawmakers-introduce-bill-combat-normalization-with-syrias-assad-2023-05-11/">très influents au Congrès</a>) et partisans d’une normalisation à bas bruit via un <a href="https://www.foreignaffairs.com/articles/syria/2019-04-16/hard-truths-syria">accord entre le régime et les Forces démocratiques syriennes soutenues par Washington</a>, le gouvernement américain se refuse à tout changement dans ses relations bilatérales avec Damas… tout en laissant <em>de facto</em> le champ libre à ses alliés régionaux pour renouer avec Assad.</p>
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<p>C’est dans ce contexte que survient un nouveau réchauffement des relations bilatérales entre le régime syrien et les Émirats qui aboutit, en mars 2022, à la <a href="https://www.lepoint.fr/monde/assad-aux-emirats-premiere-visite-dans-un-pays-arabe-depuis-le-debut-du-conflit-en-syrie-18-03-2022-2468791_24.php">première visite d’Assad dans une capitale arabe depuis le début du conflit</a>.</p>
<h2>Jordanie, Égypte, Arabie saoudite : un rapprochement conditionnel avec Damas</h2>
<p>Dans l’intervalle, un nouveau protagoniste est monté dans le train de la normalisation avec Damas : la Jordanie. Soucieux de dynamiser son économie, le royaume hachémite rétablit en 2021 les communications terrestres et aériennes avec son voisin syrien. D’emblée, cependant, la Jordanie s’inscrit explicitement dans une <a href="https://english.aawsat.com/home/article/3221771/secret-jordanian-document-proposes-%E2%80%98change-behavior%E2%80%99-syrian-regime">stratégie du « pas-à-pas »</a>, appelant à une normalisation graduelle en échange de mesures concrètes.</p>
<p>Celles-ci concernent en particulier le retour des réfugiés syriens, dont plus de 600 000 continuent de résider dans ce pays de 11 millions d’habitants. Elles portent, par ailleurs, sur la présence dans le Sud de la Syrie de milices pro-iraniennes, que la Jordanie souhaiterait voir éloignées de sa frontière, ainsi que sur le trafic de Captagon, une drogue dont le commerce a permis aux acteurs militaires et paramilitaires syriens de compenser la chute des revenus tirés, jusqu’en 2018, des droits de passage entre zones loyalistes et poches rebelles. Porte d’entrée des lucratifs marchés du Golfe, la Jordanie identifie le trafic de drogue comme un problème de sécurité nationale, allant jusqu’à mener le 8 mai dernier (soit le lendemain du retour d’Assad dans la Ligue arabe) un <a href="https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20230508-un-trafiquant-de-captagon-syrien-tu%C3%A9-par-un-raid-jordanien-%C3%A0-l-est-de-soue%C3%AFda">raid aérien en Syrie</a> contre des sites de production de Captagon.</p>
<p>Un autre partisan « conditionnel » de la réhabilitation régionale d’Assad est l’Égypte, qui a souligné que la réadmission de Damas dans la Ligue arabe <a href="https://www.aa.com.tr/en/africa/egypt-says-syrias-return-to-arab-league-does-not-entail-full-normalization/2893825">n’équivaut pas à une normalisation pleine et entière</a>. Médiateur entre Israël et les factions armées palestiniennes, Le Caire attend du régime syrien qu’il exerce une influence modératrice sur ces dernières et sur leurs alliés du Hezbollah libanais, de manière à prévenir des incidents tels que le tir, en avril dernier, de <a href="https://www.francetvinfo.fr/monde/proche-orient/israel-palestine/israel-intercepte-une-roquette-tiree-du-liban-et-risposte-avec-des-frappes_5755952.html">plusieurs dizaines de roquettes depuis le Sud-Liban en direction d’Israël</a>.</p>
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<p>Bien que réunissant un nombre croissant de suffrages, le retour de la Syrie dans la Ligue arabe se heurtait encore, lors du <a href="https://www.france24.com/fr/afrique/20221101-en-alg%C3%A9rie-la-ligue-arabe-tient-son-premier-sommet-depuis-la-pand%C3%A9mie-de-Covid-19">sommet tenu à Alger en 2022</a>, aux réticences de l’Arabie saoudite.</p>
<p>Celles-ci seront finalement surmontées quelques mois plus tard à la faveur de deux développements majeurs. Le premier est le <a href="https://theconversation.com/pourquoi-il-y-a-des-seismes-en-cascade-en-turquie-et-en-syrie-199350">séisme meurtrier du 6 février 2023</a>, qui permet de justifier un mouvement multilatéral de <a href="https://www.lorientlejour.com/article/1334542/la-syrie-et-la-tunisie-vont-retablir-leurs-relations-diplomatiques.html">normalisation avec le régime syrien</a>) sous couvert <a href="https://www.rtbf.be/article/seisme-en-syrie-premier-avion-saoudien-d-aide-humanitaire-depuis-plus-de-dix-ans-11152470">d’assistance humanitaire</a>. Le second est la conclusion, en mars suivant, d’un accord portant sur le <a href="https://theconversation.com/iran-arabie-saoudite-un-compromis-diplomatique-sous-legide-de-pekin-201828">rétablissement des relations diplomatiques entre le royaume saoudien et l’Iran</a>, détente qui atténue ce qui constituait jusqu’alors l’un des principaux contentieux entre Riyad et Damas, à savoir l’alliance de cette dernière avec Téhéran.</p>
<p>Le rapprochement avec Damas avait été initialement présenté par Riyad et Abu Dhabi (notamment auprès des partenaires occidentaux) comme une manière <a href="https://amwaj.media/media-monitor/syria-s-assad-continues-normalization-push-with-gulf-arab-states">d’éloigner Assad de l’orbite iranienne</a>. Ainsi, les investissements des monarchies du Golfe dans la reconstruction de la Syrie devaient supposément contrebalancer l’influence que Téhéran exerce dans le pays à travers le déploiement de milliers de combattants affiliés aux Gardiens de la Révolution. Mais, en réalité, pour l’Arabie, l’actuelle normalisation avec Damas s’apparente beaucoup plus à une acceptation du protectorat de fait de l’Iran sur la Syrie qu’à une tentative de le contester.</p>
<p>Embourbé au Yémen et désillusionné quant à la crédibilité du soutien militaire américain, le royaume saoudien a opté pour un désengagement des conflits régionaux, espérant ainsi promouvoir une stabilité bénéfique à <a href="https://www.vision2030.gov.sa/">ses ambitieux projets de développement économique</a>. Comme les Jordaniens, les Saoudiens espèrent que leur normalisation avec Damas encouragera Assad à <a href="https://www.reuters.com/world/middle-east/arabs-bring-syrias-assad-back-into-fold-want-action-drugs-trade-2023-05-09/">juguler les exportations de Captagon au départ de son territoire</a>.</p>
<h2>L’hostilité du Maroc, du Qatar et du Koweït… et la suspicion des autres</h2>
<p>Même après le retour d’Assad dans le giron arabe, il reste un <a href="https://www.wsj.com/articles/saudi-push-to-bring-syria-back-to-arab-fold-faces-resistance-aa0b4e70">petit groupe d’irréductibles</a> qui, pour des raisons diverses, se refusent à normaliser leurs relations bilatérales avec les autorités de Damas.</p>
<p>Outre le Qatar, sponsor le plus enthousiaste de l’opposition syrienne, ce « camp du refus » inclut le Maroc, qui reproche au régime syrien son soutien politique aux indépendantistes sahraouis du Front Polisario ; le Koweït, où les révolutionnaires syriens conservent de solides soutiens, notamment parmi les députés islamistes au Parlement ; et le gouvernement yéménite en exil, qui voit logiquement d’un mauvais œil le fait que Damas héberge une ambassade du mouvement Houthi.</p>
<p>Aucun des acteurs précités n’a l’envie ou les moyens de s’opposer à l’axe Riyad-Abu Dhabi sur la question syrienne. Toutefois, le (relatif) consensus arabe sur la réhabilitation d’Assad reste fragile et pourrait se fissurer à l’avenir, sous l’effet de deux facteurs.</p>
<p>Le premier est la capacité éprouvée du régime syrien à trahir ses engagements, qui pourrait échauder les partisans d’une normalisation sous conditions. Le second serait un affrontement militaire majeur entre Israël et l’Iran, dont la probabilité reste faible mais s’accroît du fait de la détente saoudo-iranienne. Du point de vue des responsables israéliens, en effet, cette détente les contraint à <a href="https://www.jpost.com/middle-east/article-742131">assumer seuls la tâche d’endiguer l’influence de Téhéran dans la région</a>. Un tel affrontement, qui se jouerait en grande partie sur le sol syrien, mettrait à nu les contradictions des réalignements stratégiques dont Damas constitue aujourd’hui le pivot. En cas de guerre, ceux-là mêmes qui renouent aujourd’hui avec Assad auraient probablement du mal à cacher leur espoir de voir durablement affaibli son allié iranien, qu’ils perçoivent depuis plus de quatre décennies comme la principale menace stratégique à leur encontre.</p>
<p>En attendant, sa participation au sommet du 19 mai marque indéniablement une grande victoire politique pour Bachar Al-Assad, et une <a href="https://syrianobserver.com/news/82902/opposition-condemns-assad-regimes-return-to-arab-league.html">terrible désillusion pour l’opposition</a>. Certes, le président syrien avait, au cours de ces dernières années, rencontré certains dirigeants étrangers, comme <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230315-vladimir-poutine-et-bachar-al-assad-s-entretiennent-%C3%A0-moscou-r%C3%A9conciliation-turco-syrienne-au-menu">Vladimir Poutine</a> ou <a href="https://www.france24.com/fr/moyen-orient/20230503-ebrahim-ra%C3%AFssi-se-rend-%C3%A0-damas-premi%C3%A8re-visite-d-un-pr%C3%A9sident-iranien-en-syrie-depuis-2010">Ebrahim Raïssi</a> ; mais être accueilli à Riyad et se retrouver à nouveau sur la photo de groupe en compagnie des représentants de 21 autres États arabes constitue une étape supplémentaire dans le retour au premier plan d’un homme qui, il y a quelques années encore, apparaissait comme un paria absolu…</p><img src="https://counter.theconversation.com/content/205693/count.gif" alt="The Conversation" width="1" height="1" />
<p class="fine-print"><em><span>Thomas Pierret ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.</span></em></p>Après onze ans de suspension, la Syrie vient d’être réintégrée à la Ligue arabe. Pour cette influente organisation régionale, Bachar Al-Assad n’est plus un paria.Thomas Pierret, Chargé de recherches à l’Institut de Recherches et d’Études sur les Mondes Arabes et Musulmans (IREMAM), Aix-Marseille Université (AMU)Licensed as Creative Commons – attribution, no derivatives.